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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 35

  • CHRONIQUES DE POURPRE 584 : KR'TNT 584 : P. P. ARNOLD / JON SPENCER / GARY USHER / TAJ MAHAL & RY COODER / SWELL MAPS / GOZD / GENE VINCENT / JULIANE GARSTKA / JACK BODLENNER / DAJANA LOUAAR / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 584

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    19 / 01 / 2023

     P.P. ARNOLD / JON SPENCER

     GARY USHER / TAJ MAHAL & RY COODER

    SWELL MAPS / GOZD

    GENE VINCENT / JULIANE GARSTKA  

    JACK BODLENNER / DAJANA LOUAAR

     ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 584

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Arnold Layne

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             Indépendamment de ses qualités de Soul Sister, l’élément le plus intéressant chez P.P. Arnold est sa double nationalité artistique : elle est à la fois une Soul Sister à Los Angeles et une star du Swingin’ London. Ikette d’un côté et First Lady of Immediate de l’autre. Amie de Gloria Scott, de Maxayn et de Johnny Guitar Watson d’un côté, amie de Jagger, de Steve Marriott, de Barry Gibb, de Brian Jones, de Madeline Bell et de Doris Troy de l’autre. Elle est avec Jimi Hendrix l’une des rares à avoir réussi sa relocalisation. Mais à la différence du pauvre Jimi, elle a survécu. D’où le titre de son autobio, Soul Survivor - The Autobiography.

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             Sacré book, en vérité. Pas forcément bien écrit, mais on n’est pas là pour ça. On est là pour les Ikettes. Avant d’entrer dans le backstage, mettons les choses au point : P.P. Arnold n’est pas son vrai nom, c’est un choix (bizarre) d’Andrew Loog Oldham. P.P. se prononce Pipi. En français, ça ne passerait pas. K.K. non plus. On voit d’ici l’étendue du désastre. Inutile d’espérer que le Gaulois va se civiliser, il est trop tard. En réalité, elle s’appelle Pat Cole, Arnold étant le nom du mari qui lui tapait dessus. Bizarrement, elle réussit à divorcer mais elle garde le nom, comme le fait d’ailleurs son ancienne patronne, Tina Turner. Et comme le fera aussi Brix Smith. Elles se plaignent toutes de leurs maris, mais elles gardent le nom, c’est assez incompréhensible. Alors pour avancer, on va l’appeler Pat.

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    ( Tina à droite / PP Arnold à gauche )

             Si on veut tout savoir sur les Ikettes, c’est là, dans le Pat Book. Pat commence par passer une audition chez Ike & Tina. Elle nous explique qu’il existe alors deux moutures d’Ikettes, les backing singers d’Ike & Tina : Robbie Montgomery, Venetta Fields et Jessie Smith constituent la mouture A qui part en tournée avec Ike & Tina, et la mouture B qui tourne avec The Dick Clark Show. Pat postule pour la mouture B en compagnie de Gloria Scott et de Maxine Smith. C’est Ike le renard qui a l’idée des deux moutures. On appelle ça avoir plusieurs fers au feu. Ike fait déjà du big biz. À l’époque, Gloria Scott est assez expérimentée, nous dit Pat, pour s’être retrouvée à la même affiche que les Supremes et d’autres Motown acts. Quand la mouture A se mutine et démissionne, la mouture B monte en grade et part en tournée avec l’Ike & Tina Turner Revue. Et c’est là que Pat démarre.

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             Elle ne brosse pas un portrait très flatteur d’Ike Turner : «Il avait la peau très noire et n’était pas très grand, un peu dégingandé, avec une tête allongée qui semblait trop grande pour son corps, un visage taillé à la serpe et des yeux très grands. Il avait les jambes arquées, ce qui le rendait sexy au yeux de certaines femmes. Il avait un sens de l’humour Southern, mais je ne savais pas quoi penser de lui. Il n’était pas laid, mais il n’était pas non plus très beau. Il racontait des blagues salaces qui me mettaient mal à l’aise. Il m’a demandé mon nom avec un petit rire bizarre et semblait fasciné par la taille de mon cul.» Pat passe l’audition avec succès, mais à l’époque, elle est mariée et mère de deux enfants. Ike réussit à convaincre le mari psychopathe de laisser Pat partir en tournée pour plusieurs mois. C’est tellement bien raconté qu’on s’y croirait. Pat narre cette première tournée à travers les États-Unis, la Revue sur scène, et l’arrivée de Tina qui chaque soir provoque l’explosion du public - She broke into «Shake» and boy could she shake her money-maker - Chacun sait que Totor a craqué en la voyant sur scène. L’early Tina était fantastique, she was beautiful and wild - She was the female James Brown - Pat compare aussi les nouvelles Ikettes aux anciennes : «We were pretty green, but we were in tune with the latest trends. We were like a baby Supremes, only raunchier. Our youthful zest is what Ike and Tina liked. We could inject their show with that high-energy teen Go-Go vibe.» Ike ne veut ni drogues ni alcool dans les Ikettes. Il fout des prunes quand un truc ne va pas, par exemple une perruque de travers. Elles reçoivent 250 $ par semaine, mais doivent payer leur bouffe et l’hôtel. Elles portent toutes les trois des perruques. Pat donne tous les détails. Il faut savoir qu’à l’époque, toutes les Soul Sisters portent des perruques. Il faudra attendre la mode des afros pour voir les perruques disparaître. La seule des trois qui tient tête à Ike, c’est Gloria Scott, parce qu’elle le connaît depuis longtemps et qu’elle a du caractère.

             Et puis un jour, Maxine, Gloria et Pat ratent le bus pour Houston, où est prévu un concert. Elles doivent prendre l’avion à leurs frais et en arrivant, Ike leur colle en plus une prune. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Alors Maxine et Gloria décident de quitter la Revue. Mais Pat qui a deux gosses à charge se désolidarise et décide de rester, trahissant ses amies. Elle ajoute que Maxine ne lui a jamais pardonné cette trahison. Par contre, Gloria lui dira plus tard qu’elle avait compris les raisons de sa décision. Eh oui, le résultat est que Maxine et Gloria ont sombré dans l’anonymat, alors que Pat a choisi la survie. Soul Survivor. La vie ne tient qu’à un fil. Surtout la vie artistique.

             Alors tout le monde attend de savoir : Pat s’est-elle fait sauter par Ike ou pas ? Oui, ça paraît évident. Toutes les Ikettes passaient à la casserole et Tina ne disait rien. Ike avait pour habitude de se pointer dans les loges avec la bite à l’air. L’idée étant que tailler une pipe permettait de s’agrandir la gorge et de mieux chanter. Ike finit par baiser Pat qui nous donne tous les détails, «the big black ugly dick inside me». Mais à côté de ça, elle apporte des éclairages sur ce personnage tellement contradictoire, dont le père avait été lynché par des blancs. Comme il n’avait pas été soigné, le père s’était chopé la gangrène. Installé sous une tente plantée devant la maison, il a cassé sa pipe en bois sous les yeux horrifiés du petit Ike. Un drame pareil, ça te transforme un gamin. Ike est alors devenu un wild child, Il trafiquait du moonshine pour survivre et au tout début des années 50, il a formé les Kings of Rhythm, l’un des meilleurs combos ayant jamais existé aux États-Unis. Puis il a monté la Revue et s’est inspiré des Raylettes de Ray Charles pour rassembler ses Ikettes. Et comme Ray Charles baisait ses Raylettes, Ike baisait ses Ikettes. Ça fait partie du jeu.

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             C’est en août 1966 que Pat débarque en Angleterre avec les Ikettes, pour la tournée anglaise des Rolling Stones. The Ike & Tina Turner Revue joue en première partie, avec les Yardbirds, Long John Baldry et Peter Jay & The Jaywalkers. Les Ikettes sont trois : Pat, Rose Smith et Ann Thomas, qui ne chante pas et qui mime pendant que Jimmy Thomas fait sa voix en coulisse. Ike dit «pas touche !» aux petits culs blancs qui louchent sur le petit cul noir de Pat Arnold. Mais Jag a commencé à loucher sur le petit cul noir de Pat, et Bill sur celui de Rose. Pat se dit fascinée par les Stones - This was some serious hardcore elecrifying rock’n’roll - Quand elle voit Jag danser, elle se marre - He was hilarious, with gangly white-boy sex appeal, trying real hard to look black - Quand il secoue les bras, elle le compare à un poulet dans la basse-cour. Et hop, au lit ! Elle devient la girlfriend de Jag, en concurrence directe avec Marianne. C’est Glyn Johns qui alerte Ian Stewart, le sixième Rolling Stone - You got to come and hear the girl sing - Stewart alerte à son tour Andrew Loog Oldham qui la signe sur Immediate et qui la baptise comme on l’a dit Pipi Arnold. C’est ce contrat et sa liaison avec Jag qui vont la convaincre de rester en Angleterre. Stewart commence par sortir Pat des griffes d’Ike qui lui ordonne de rentrer à Los Angeles. No way. Stewart la met à l’abri dans sa maison de campagne. Puis Pat doit téléphoner à son père pour lui demander l’autorisation de tenter sa chance à Londres. Le père lui donne six mois et lui fait confiance : «On ne sait rien à propos de l’industrie du disque, mais on sait que tu as du talent et on ne voudrait se mettre en travers de ton chemin.» Pat chiale toutes les larmes de son corps en entendant ça. Mom & Dad vont s’occuper des gosses, donc Pat peut foncer.

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             Elle commence par tourner en Angleterre, avec les Blue Jays, puis T.N.T. dont le bassiste n’est autre qu’Eddie Phillips, le flash guitar slinger de Creation. Comme c’est une tournée Immediate, elle se retrouve à l’affiche avec les Small Faces. Elle a une petite aventure avec Steve Marriott - a little extra-curricular sexual activity - Elle baise aussi avec Rod The Mod - We had a lot of laughs and sex was cool - Elle fréquente Marianne Faithful avec laquelle elle se trouve pas mal de points communs, même si elles sont d’origines sociales radicalement opposées : «On était toutes les deux des teenage mothers and teenage brides, on avait été découvertes toutes les deux par Andrew Loog Oldham and we were both Mick Jagger’s lovers.» Pat va chez Jag quand Marianne n’y est pas, mais Marianne déboule une nuit avec une copine américaine et elles se mettent au lit avec Pat et Jag - Je me suis retrouvée au milieu d’une orgie with these two soft white blonde girls all over me - Démarre ensuite une petite période de ménage à trois, mais Jag s’écarte un peu de Pat, lui préférant Marianne. Un peu plus tard, Marianne va passer à l’héro, et au moment de l’hommage à Brian Jones à Hyde Park, elle verra Jag se pavaner avec Marsha Hunt qu’il vient d’engrosser. Marianne va tenter de se suicider aux barbituriques en Australie, pendant le tournage de Ned Kelly. Elle va rester six jours dans le coma. À son retour à Londres, elle ramasse ses affaires et quitte la maison de Chelsea et, nous dit Pat, Marsha s’installe à sa place. Elle est pas belle la vie ?

             Comme Pat a besoin d’un chauffeur, Andrew lui file Kenny Pickett, l’ex-chanteur de Creation. À cette époque, elle baise aussi avec Jimi Hendrix qui vit tout près, in Montague Square, right around the corner from my flat in Bryanston Mews East.

             Pour son premier album Immediate, Pat a tout le gratin dauphinois derrière elle, notamment les futurs membres de Nice. Andrew voit en Pat une sorte de superstar et veut qu’elle ait les meilleurs auteurs, les meilleurs arrangeurs et les meilleurs producteurs. Il agit comme son mentor Totor. Pat : « Andrew was into the West Coast Phil Spector girl group thing. » 

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             Paru en 1968 sous une pochette iconique signée Gered Mankowitz, The First Lady Of Immediate pourrait bien se retrouver sur l’île déserte, car cet album grouille littéralement d’énormités. Elle démarre bien sûr avec le fameux « (If You Think You’re) Groovy » des Small Faces, qu’elle embarque à la grimpette foldingue, c’est tapé à la puissance Marriott/Lane et aux descentes de toms de Kenney Jones. Marriott et Lane pensaient d’abord lui filer « Afterglow », mais ils changèrent d’avis et lui proposèrent Groovy. Avec « Something Beautiful Happened », Pat tape dans le Brill, soutenue par un grand ensemble dévastateur. Sacrée Pat, elle peut monter tellement haut qu’elle devient une sorte de visiteuse des cieux. Avec « Born To Be Together », elle fait sauter le couvercle de la voûte, elle chante avec toute la puissance de sa blackitude céleste. Wow ! Quelle shouteuse ! Elle hurle littéralement au sommet du beat. On a là le nec plus ultra du bénéfice des longs termes. Toujours aussi magnifique, voici « Am I Still Dreaming » monté sur un beat solide et embarqueur de première. C’est une énormité sans nom, comme on dit quand on ne sait plus quoi dire, une énormité montée à l’adrénaline de mini-jupe, un jerk des enfers. Tu viens danser, baby ? Elle finit l’A avec le fameux « The First Cut Is The Deepest », ce vieux balladif d’intensité maladive. Elle y fait un final éblouissant à coups de gotta gotta. « Everything is Gonna Be Alright » s’ouvre sur une grosse pelletée d’orchestration. C’est signé Oldham. Pur jus de Swingin’ London. Stomp de rêve - hey hey hey - C’est plombé au beat direct, Pat le chante à bout de voix et l’explose à la fin. S’ensuit la pop nerveuse de « Treat Me Like A Lady ». Ça part en pur jive de jerk. Très franchement, cet album compte parmi les fleurons des sixties. Encore une fois, Pat explose tout. C’est son seul vice. Elle se montre chaque fois terrifiante de force et dégoulinante de jus de présence. Elle peut driver un cut comme Aretha. Elle revient au jerk d’Andrew Loog Oldham avec « Speak To Me », un hit fait pour danser, et secouée par des tourbillons de violons, Pat chante à outrance.

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             Comme les albums Immediate sont devenus inabordables, on peut se rabattre sur une fantastique compile parue en 2001, The First Cut, qui est du triple concentré de dynamite à la tomate. On y retrouve tous les hits de The First Lady Of Immediate, notamment « Everything’s Gonna Be Alright », ce stomp composé par Dave Skinner, de Twice As Much, duo qu’Oldham avait signé sur Immediate et qu’il payait pour composer. En 1967, on savait stomper. On y retrouve aussi le gros hit de Pat, « The First Cut Is The Deepest », signé Cat Stevens et orchestré à la Totor par Mick Hurst, un type qui fit partie des Springfields, avec Dusty chérie. C’est joué aux trompettes de la renommée et très cousu de fil blanc, mais à l’époque, ça plaisait beaucoup. Pat revient au pur jus de juke avec « The Time Has Come » et dans la foulée voilà que déboulent tous ses hits Immediate, « Angel In The Morning » (du Chip Taylor bien produit), « Speak To Me » (stomper des enfers, Pat éclate comme Aretha, elle grimpe là-haut sur la montagne), « Born To Be Together » (production à la Totor - Normal, c’est une compo signée Spector/Mann/Weil que reprendra aussi Dion - Alors bien sûr elle l’explose - on dirait qu’elle ne sait faire que ça). C’est le même problème avec toutes les grandes interprètes, il faut leur donner de bonnes chansons, sinon elles tournent en rond. Avec une belle compo de Totor, Pat devient un shouteuse fascinante, comme l’est Dusty chérie avec une belle compo de Burt. D’ailleurs Pat sait comment s’y prendre avec Totor, puisqu’elle a participé aux mythiques sessions d’enregistrement de « River Deep Mountain High ». On trouve encore une belle perle de juke avec « Am I Still Dreaming ». Là, elle fait sa Martha Reeves, elle se fait vacharde et bousculeuse, puissante et insidieuse, elle envoie sa voix claquer au firmament. Et la fête se poursuit avec « Treat Me Like A Lady », un autre r’n’b brûlant, musclé, rapide et raunchy, doublé de chœurs déments, visité par un solo de guitare cabossé. Tout cela file à une vitesse supersonique. Pat a le diable au corps. Elle crache le feu sacré du r’n’b. Par contre, son « Would You Believe » est plus cérémonieux et même massacré par des violons. On trouvera un peu plus loin un sacré coup de chapeau à Brian Wilson, puisqu’elle reprend « God Only Knows », tiré de son deuxième album, Kafunka. Elle tape dans le dur du mille. Elle y va au bluff. Comment peut-on oser taper dans un tel classique ? Elle s’y colle vaillamment et serre ses petits poings noirs. Elle force tellement qu’elle fait mal aux oreilles. Puis elle tape dans les Beatles avec « Eleanor Rigby » et surtout « Yesterday » qu’elle transforme en powerhouse. Elle se bat jusqu’au bout et en cela, elle est admirable. En fin de parcours, on va trouver deux autres merveilles : « To Love Somebody » des Bee Gees qu’elle transforme en r’n’b magique, et « Welcome Home » dont elle fait une monstruosité mélodique.

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             On trouve assez facilement un Best Of de Pat édité en Hollande sur Immediate. Tous les gros hits pré-cités s’y trouvent, bien sûr. Nous sommes là au cœur de l’âge d’or d’Immediate. Cette époque sentait bon la veste en velours et la mini-jupe, le jabot et la mèche folle. On pataugeait dans l’insouciance des jours heureux. Des artistes comme Pat Arnold et les Small Faces parvenaient à cristalliser toute cette fantastique énergie. 

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             Dans une interview qu’elle accorde à Lois Wilson, Pat cite les Staple Singers, Aretha et Dionne Warwick comme ses premières influences. Quand Ike & Tina reviennent en Angleterre, ils ramènent une nouvelle brochette d’Ikettes : Ann Thomas, Paulette Parker et Claudia Lennear, une Claudia, nous dit Pat, qui louche sur Jag. Alors Pat en profite pour faire le point sur «Brown Sugar» : «La rumeur dit que Mick s’est inspiré de Claudia pour ‘Brown Sugar’. Mais c’est plus compliqué. Un jour, à la fin des années 70, nous dînions à Los Angeles avec Marsha Hunt et notre amie mutuelle Linda Livingston, et selon Linda, Mick se serait inspiré de moi pour ‘Brown Sugar’. Ça m’a bien fait rire, mais ça n’a pas fait rire Marsha qui est convaincue d’être la vraie Brown Sugar.» On ne saura jamais la vérité et on s’en fout. Fataliste, Pat dit que Jag a baisé Marsha et Claudia, mais elle ajoute qu’elle était là avant - Mick was my first white lover, back when interracial relations were taboo.

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             Elle enregistre son deuxième album Kafunka en 1968. Album étrange. Pat y porte une sorte de coiffure indienne du Mardi Gras de la Nouvelle Orleans. Dans son autobio, elle rappelle qu’elle a du sang Choctaw dans les veines. Elle ajoute que les Choctaw étaient l’une des ‘Five Civilized Tribes’ qui ont adopté le mode de vie des blancs, allant jusqu’à faire travailler des esclaves sur leurs plantations. Sur Kafunka, Pat tape dans l’intapable, c’est-à-dire le « God Only Knows » de Brian Wilson, l’une des pierres angulaires de Pet Sounds. C’est à sa main, car elle force bien. Elle ne se résigne pas et repousse ses limites en quête de l’octave impérieuse. Andrew était quand même gonflé de lui demander de chanter ça. Elle chevrote admirablement. Deux autres merveilles se nichent en B : « To Love Somebody » et « Dreamin’ ». Les Small Faces l’accompagnent sur « To Love Somebody » et Mac nous nappe ça d’orgue. Il faut voir comme ça swingue. « Dreamin’ » est une reprise des Bee Gees qu’elle va chercher au beau chat perché. Si on apprécie les beaux balladifs, on se régalera aussi de « Welcome Home ».

             Puisqu’on parlait des Bee Gees, voilà Barry Gibb qui devient pote avec Pat et qui lui compose des cuts. Pat connaît Barry Gibb grâce à Jim Morris, son mari, qui fut à l’époque le chauffeur de Robert Stigwood. Par contre, Pat ne s’entend pas du tout avec Lulu, la poule de Maurice Gibb. Lulu lui montre un peu de mépris, ce qui n’est pas le cas de Dusty chérie - always warm and friendly with me - Barry lui compose des super-cuts, et dans les backing vocals, on retrouve Madeline Bell et Doris Troy.

             Après la fin d’Immediate, Robert Stigwood demande à Barry Gibb de produire le premier album de Pat sur RSO, mais comme les Bee Gees viennent de splitter, le projet est abandonné. Clapton prend la suite, en tant que producteur sur trois cuts, mais Stigwood n’aime pas les enregistrements. Il ne les trouve pas assez commerciaux. Alors il enterre le projet. Pat est virée - Dropped and lost - Et pourtant, elle repartait du bon pied, puisqu’elle avait comme backing band Ashton Gardner & Dyke, Steve Howe on guitar, et Lesley Duncan aux backing vocals. Autant dire la crème de la crème. Mais ça n’a servi à rien. Comme Pat portait une afro, I got revolutionary, I got attitude, elle pense que ça ne plaisait pas à Stigwood. Les bandes vont prendre la poussière sur une étagère pendant 50 ans. Hein ? Oui, tu as bien entendu : 50 ans !

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    Dans Classic Rock, Henry Yates indique que Pat a passé sa vie à courir après son passé. En effet, pour récupérer ces fameux enregistrements de 1969, elle a dû frapper à des tas de portes et se montrer insistante - I’ll be an old lady soon. I want my music ! - Et c’est justement le jour de ses 70 ans, en 2017, qu’elle reçoit enfin une réponse d’Universal par mail : elle peut tout récupérer, les enregistrements, les licences et les droits !

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             L’album s’appelle The Turning Tide et sort donc sur Kundalini Music, le label de Steve Cradock d’Ocean Colour Scene, un Cradock génial qui a soutenu Pat pendant toutes ses démarches. Ça valait le coup d’attendre 50 ans, car forcément l’album est génial. Rien que pour cette cover du « Medicated Goo » de Traffic. Pat mène le bal des Anglais et cet enfoiré de Carl Radle navigue à vue sur le manche de sa basse. C’est du groove de black anglomaniaque mené par une Pat qui pulse son jus d’Angelinote. Encore un coup de génie avec « Spinning Wheel », le vieux hit de Blood Sweat & Tears. Elle n’en fait qu’une bouchée. Elle explose le Wheel du Spinning en plein vol. Tout aussi génial, voilà « You’ve Made Me So Very Happy », groove de bar de nuit rendu célèbre par Brenda Holloway. Pat gère bien son affaire. Elle sait. Pas besoin de lui expliquer. Sa façon de groover relève du génie pur, aucun doute là-dessus. Elle enchaîne deux slowahs monumentaux : « If This Were My World » et « High & Windy Mountain ». Pat peut grimper dans les étages, elle n’a aucun problème de ce côté-là. Elle grimpe tellement haut qu’elle finit par donner le vertige. Elle force son passage vers les étoiles, à la manière de Cilla Black. Elle se bat comme une reine avec les octaves. Madeline Bell vient chanter avec elle « Burry Me Down By The River » qui est un cut de gospel batch, alors ça explose. On entend Madeline hurler dans le fond ! Tiens, encore du gospel avec « Children Of The Last War ». Tout est démesuré sur ce disque sauvé des eaux, comme Boudu. Même le gospel relève d’une incroyable véracité. Elle explose aussi « The Turning Tide », une compo somptueuse, on se croirait à Broadway. Alors oui, Pat peut éclater au firmament, en voilà la preuve. Elle est tout simplement extravagante de démesure octavienne. Ian Stewart avait raison : « You got to come and hear the girl sing ! » Tout est bon sur cet album, elle chante tout à plein temps, elle remplit l’espace de chaque cut et comme Sharon Tandy, elle vise chaque fois l’explosion finale. Elle termine avec une version démente du « Can’t Always Get What You Want » des Stones. Elle tape dans l’intapable, comme Merry Clayton avant elle, et s’en sort avec les honneurs, d’autant qu’elle le trashe d’entrée de jeu. C’est tout de même incroyable que Stigwood ait pu enterrer des enregistrements de cette qualité.  

             À l’époque, Pat est bien pote avec Brian Jones - He was very cute and sexy and looked aristocratic, eccentric and yet elegant in his flamboyant attire, his dandy scarves and beautiful smoking jacket - Elle n’est pas attirée sexuellement par lui, mais Brian se conduit en gentleman avec elle. Pat dort avec lui, mais note-t-elle, il n’est plus en état de fricoter. La mort rôde déjà dans le Swingin’ London. Pat va voir ses bons amis disparaître : Brian Jones et Jimi Hendrix. Elle se lie avec Madeline Bell - She had the clearest cristaline vibrato I’ve ever heard - et avec Doris Troy, via Madeline. Doris et Madeline se sont rencontrées à New York. Doris est une battante, elle passe sa vie à courir après ses royalties. Un jour en Californie, elle emmène Pat chez Nina Simone. Pat se dit fascinée par le spectacle de ces deux stars qui se racontent leurs mésaventures avec le music biz et comment elles se sont fait plumer. 

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             Comme elle est bloquée par Stigwood, pour vivre, elle doit faire des backing vocals. Elle se retrouve avec Doris derrière Nick Drake pour les sessions de Bryter Layter, derrière les Move pour celles de Looking Back et, avec Claudia, derrière Humble Pie pour les sessions de Rock On. Elle cite des tas d’autres choses moins intéressantes. Elle se réinstalle à Los Angeles avec le batteur de CSN&Y et de Manassas, Calvin Fuzz Samuels, et lui donne un fils, Kodzo. Elle devient pote avec Paulette Parker qui fut comme on l’a déjà dit une Ikette, avant de devenir Maxayn Lewis. Pat rappelle que Marlo Henderson, le guitariste de Maxayn, fit partie du Buddy Miles Express et de Wonderlove (Stevie Wonder). Elle rend aussi hommage à Andre Lewis, le mari de Paulette, la reine des paupiettes, qui lui aussi a joué avec Buddy Miles, et Frank Zappa. Le groupe que Pat tente de monter avec son mari Fuzz s’inspire de Maxayn : il s’appelle Axis, en hommage à Jimi Hendrix. Ils reçoivent même une avance d’EMI. Mais rien ne sort.  

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             En 2007, elle enregistre un album avec Dr Robert : Five In The Afternoon. Dr Robert avait été le chanteur des Blow Monkeys. Et donc forcément, cet album prend une coloration groovy, puisque les Blow Monkeys s’étaient spécialisés dans la pop sophistiquée. On entre dans ce disque comme dans le lagon du groove bluesy. Ils bricolent tous les deux des balades enchanteresses et frileuses. On sent bien la reptilienne conjugaison des feelings. Avec « Careless Blues », ils passent à l’exotica de haut rang. Il règne une certaine élégance dans leurs parages dégingandés, une sorte d’excellence caraïbe. Un alizé gonfle doucement les voiles de tulle suspendus au toit de palmes, et au loin, l’océan se charge d’un mystère ancien. Ils maintiennent ce sentiment d’aisance nonchalante pour le morceau titre de l’album et avec « I Saw Something », on passe au grand groove, celui de Marvin Gaye. C’est superbement balancé et gorgé de langueur. Pat fait vibrer sa glotte au grand air et une fois encore, elle atteint les cimes. En général, la majesté du groove ne pardonne pas. Le groove ne fait pas de prisonniers. Il asservit les sens et enchaîne les membres. Il n’existe pas d’échappatoire. Tout doit se plier aux exigences du frisson. Avec « Stay Now », Pat revient faire un petit tour chez Stax. Mais ce n’est pas évident. Retour au groove avec « Ghost Of Winter ». C’est un genre qui leur va comme un gant. Celui-ci est d’autant plus impressionnant qu’il est sensible, intelligent et distingué, comme disait Alain Souchon à propos de Michel Berger. Ils font monter la chose en chantilly et nous dilatent le bulbe. Voilà une pièce d’antho à Toto. Puis Dr Robert se transforme en requin et entre dans le lagon d’un cut nommé « Shape It For Me ». On voit son aileron disparaître au loin, sous le ciel en feu du crépuscule tropical.       

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             En 2017, la presse anglaise se déchaînait. Elle annonçait le grand retour de Pat avec le lancement d’une tournée, la parution d’une autobiographie et l’enregistrement d’un nouvel album avec Steve Cradock. Justement, le voilà ! Paru en 2019, il s’appelle The New Adventures of P.P. Arnold et c’est un é-nor-me album. Sur la pochette, Pat est superbe de kitschity et elle démarre avec un coup de génie intitulé « Baby Blue ». Elle revient immédiatement à son cher pinacle, c’est extrêmement bien chanté, poussé dans ses retranchements, avec un bel esprit de conquête et une inflexible volonté d’en découdre. Spectaculaire ! Pat retrouve sa niaque d’Ikette - In peacock colours/ Like you used to do/ Before you were baby blue - Stu-pé-fiant. Elle va continuer de s’imposer cut après cut, comme avec « Though It Hurts Me Badly », oui, elle tape dans le haut de vieille glotte et c’est aussitôt relayé par des vagues de son énormes, elle ultra-chante au collet monté d’Ikette et swingue admirablement ses pointes, elle chante à la niaque supérieure. Avec « The Magic Hour », elle crée tout simplement de la magie, the spirit of the Swingin’ London is alive and well - Just look at the sunlight magic/ It’s everywhere/ If only paradise/ It could take us there - Fabuleux ! Nouveau coup de génie avec « Different Drum », elle fait exploser le groove dans une apothéose d’excellence - I’m not ready for any prison - C’est de la pop magique, elle pulse autant que Ronnie Spector, elle va au-delà de toute expectative, elle ramène aussi toute la dramaturgie orchestrale de Totor - Pull the reins in on me/ If you live without me - Demented ! Pat a tous les droits, même celui de proposer des mauvais cuts, puisqu’elle est bardée de crédit. Elle revient aux choses sérieuses avec « When I Was Part Of Your Picture » qui sonne comme un hit obscur de l’âge d’or Motown. Elle ramone sa Soul orchestrale in the dark - Remember when we could fly - Elle amène « I Finally Found My Way Back Home » au grand mystère extraordinaire. Sa force est de transformer la découverte d’une île en bonheur de vivre, let it shine. Elle relance à n’en plus finir, elle secrète des hormones de magie pure, elle puise son power dans le gospel des origines, yeah-eh eh - People living in fields/ Living in dirt - C’est d’une rare puissance et elle revient avec son refrain totémique, I found my way back home. Elle passe à l’état d’extase. Le temps d’un « You Got Me », elle domine le monde, elle devient astounding, comme dirait un Anglais, elle claque ses cuts au sommet du lard fumé, oooh baby baby baby, cette petite diablesse descend son baby baby baby avec toute l’ampleur du Soul System. On la voit aussi chanter par dessus les toits dans « Still Trying » et elle boucle cet album pour le moins effarant avec un « I’ll Always Remember You » qu’elle chante a capella. Pat Arnold est une princesse de l’aristocratie britannique. Elle tient la dragée haute à son rang. Cet album est avec celui du grand retour de Merry Clayton (Beautiful Scars) l’un des albums phares de ce début de siècle.  

    Signé : Cazengler, Pipi au lit

    PP Arnold. The First Lady Of Immediate. Immediate 1968

    PP Arnold. Kafunka. Immediate 1968

    Dr Robert & PP Arnorld. Five In The Afternoon. Curb Records 2007

    PP Arnold. The Best Of PP Arnold. Immediate

    PP Arnold. The First Cut. Sanctuary Records 2001

    PP Arnold. The Turning Tide. Kundalini Music 2017

    PP Arnold. The New Adventures Of. Ear Music 2019

    Pat Gilbert. First Cuts Are The Deepest. Mojo#287 - October 2017

    Henry Yates. PP Arnold. Classic Rock #240 - September 2017

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    Paul Ritchie/ A Cut Above The Rest. Shindig #68 - June 2017

    Lois Wilson. The tide comes in at last. Record Collector #473 - December 2017

    P.P. Arnold. Soul Survivor - The Autobiography. Nine Eight Books 2022

     

     

    Spencer moi un verre, Jon - Part Two

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             S’enfoncer dans l’œuvre épaisse de Jon Spencer, c’est comme s’enfoncer dans l’œuvre d’un auteur qu’on aime bien, parce qu’il ne déçoit jamais. Exemple : Alexandre Dumas, ou encore Balzac. Les tomes qui s’amoncellent produisent une sensation de confort, on peut s’y pelotonner indéfiniment. Jon Spencer est l’un des rockers américains les plus prolifiques et dès le commencement de sa carrière, il met un point d’honneur à se distinguer du troupeau bêlant. Pussy Galore ne ressemble à aucun autre groupe des années quatre-vingt. Jon Spencer révèle très vite un goût prononcé pour l’avant-gardisme, il développe avec le concassage sonique de la Galore une modernité de ton qui va faire école, non seulement dans son réseau personnel, mais dans la scène new-yorkaise. Il n’est pas étonnant de le voir croiser les chemins de Jerry Teel, de Ron Ward, d’Andre Williams ou encore de Monsieur Jeffrey Evans.

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             Il s’entoure bien pour lancer le train fou de Pussy Galore : Bob Bert aux metallic drums (qu’on retrouvera plus tard dans les Chrome Cranks et dans les Hitmakers) et Neil Hagerty qui ira former Royal Trux. En 1986, ils démarrent par un sacré coup d’éclat : une adaptation libre d’Exile On Main Street.  Album de rêve, pourrait-on dire. Alors bien sûr, Jon Spencer et sa fine équipe tapent dans la Stonesy dès «Rocks Off», mais ils font ça au trash suprême. Les Stones n’auraient jamais osé aller jusque-là. Les Pussy claquent tout à la volée. Welcome in hell. L’autre fabuleux shoot de Stonesy est bien sûr l’«Happy». Ils traînent Keef dans la boue du trash de Galore. C’est une admirable déflagration, rien d’aussi réjouissant sur cette terre, voilà un son bardé de stridences et concassé à coups de bassmatic. Ils font un «Shake Your Hips» bien raw to the bone, assez demented, imbattable de primitivisme. Voilà la grande force des Galore : la surenchère primitiviste. Ils se montrent inconoclastes avec «Tumbling Dice». Ils trashent la structure des atomes du rock, ils jettent de l’huile sur le feu du Dice. Difficile d’aller aussi loin dans ce genre d’entreprise de démolition. On peut dire la même chose de «Sweet Virginia». Quelle allure ! Ils démolissent aussi le vieux «Casino Boogie» et saturent «Torn And Frayed» de guitares désordonnées. «Loving Cup» est certainement le meilleur hommage aux Stones jamais enregistré. C’est à la fois admirable et sans retour possible. Une fille essaye de parler dans «Turd On The Run» mais Jon Spencer lui dit de la fermer. Shut up ! Abominable homme des neiges. Ils jouent tout dans une purée de basse fosse. Ils jouent des squelettes d’accords. «Let It Loose» sonne comme un souvenir précis dans un moment de défonce. Extraordinaire de véracité, car oui, c’est comme ça que se passe. Tu vois ton souvenir vibrer dans le cosmos. Ils jouent aussi «Stop Breaking Down» à ras des pâquerettes. Ils ne prennent pas de risques. Ça joue tout seul.

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             L’année suivante paraît l’explosif Right Now. On pourrait même dire qu’avec cet album, Pussy Galore invente le trash-rock. Ça démarra avec un «Pig Sweat» martelé et sans espoir, une merveille de désespérance jusqu’au-boutiste. On ne saurait imaginer son plus trashy. Ils jouent aussi «Upright» au boogie new-yorkais des bas fonds. Jon Spencer commence à se spécialiser dans les onomatopées, comme on le voit dans «Biker Rock Loser» - Fuck ya ! Watch out ! - Avec un solo d’arrache cœur. Comme son nom l’indique, «Fuck You Man» te fucke et ils couronnent ce balda avec un «New Breed» d’antho à Toto, admirablement shaké par Bob au beat metallic KO et un «Alright» quasi-garage. En B, «Punch Out» se distingue du lot par son beau trash galorique. Jon Spencer joue déjà les enfonceurs de portes ouvertes. Il déploie d’immenses quantités d’énergie pour démolir son rock. On le voit hurler dans la tourmente de «Trash Can Oil Drum» et il monte avec «Really Suck» un coup fumant en multipliant tout simplement les exactions. Il démolit son château de cartes à coups de tronçonneuse. Ce mec est très intéressant.

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             Attention au Sugarshit Sharp paru l’année suivante. On trouve en B un excellent coup de Stonesy intitulé «Handshake» et deux énormités, «Sweet Little Hifi» et «Renegade». C’est du straight ahead rock, véritable shoot de Galore garage pouilleux. Bob bat ça sec, si sec. C’est d’une solidité à toute épreuve. «Brick» impressionne aussi par sa carrure. On voit bien que Pussy Galore était en avance sur son temps. Avec ce genre de punch, ils préfiguraient le JSBX.   

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             À une époque, on jouait dans un groupe avec un guitariste qui possédait Dial M For Motherfucker. Le problème est qu’il n’aimait pas l’album. Au fond, le vrai problème était de savoir ce qu’on foutait tous les deux dans le même groupe. Eh oui, Dial M For Motherfucker est un superbe album de trash-rock, un disque bien vivant, qui reste assez inégalable, trente ans après. Boom badaboom dès «Understand Me». Schtroumphé d’entrée de jeu. Magnifico ! C’est dégoulinant de classe - Don’t ! Don’t ! - Ça marche dans la gadouille du trash, ça riffe dans le bone, c’est allumé comme une chaudière à l’ancienne. Encore pire, voici «SM 57», gratté à l’os du bone. Ces mecs ont le génie du son, inutile d’aller chercher midi à quatorze heures. «Kicked Out», c’est le rock du Revenant, un DiCaprio coincé dans la glace, avec des flèches dans les cuisses, véritable apologie du no way out. Avec «Solo Sex», Jon Spencer avance à la titube, on entend des filles crier au loin et puis il va ensuite au bois avec «Undertaker». Il abat les chords à la hache, il n’a pas le choix. Il faut alimenter le Pussy Galore, il shoote le shake dans le ventre béant du son. Il tape à la suite son «DWDA» à la petite revoyure de revienzy. Pur riffing de king of trash. On est dans le vrai truc. Il s’installe définitivement dans le trash avec «Dick Johnson» et «1 Hour Later». C’est dans les deux cas un chef-d’œuvre de trash-rock global avec un Jon Spencer qui joue ses trucs en fourbe, par derrière. Il peut aussi gratter le pire boogie de l’univers. C’est effarant de puss & boots. Encore une horreur avec «Eat Me», qui sonne comme une exaction fatidique. Il réinvente la frénésie avec «Waxhead». Il gratte ça à l’os du Pussy, c’est buté du bulbique, le cut avance tout seul contre vents et marées, ça arrose les murs. L’album est tellement organique qu’il semble vivant. C’est à ça qu’on reconnaît le génie d’un mec comme Jon Spencer. En plus, il ne demande rien à personne. Avec «Wait A Minute», il taille une fabuleuse tombe de pierre philosophale cinéphale. Il chante avec des boules de billard dans la bouche. Il fait du battage patibulaire. On passe au heavy sludge avec «Hang On». Pussy galère dans la Galore, ils ont tout bon, jusqu’au bout des ongles sales. Ils déglutissent le meilleur son d’Amérique, cut après cut. Ils travaillent tous leurs cuts au corps, ils jouent des coups de dé qui jamais n’aplatiront le bazar. Jon Spencer chante à l’arrache invertébrée et lève des lièvres dans le buisson ardent. Il adore aussi cavaler ventre à terre, comme on le voit avec «Handshake». C’est joué aux trublions de vrille, à la Wilko, avec de l’incendie en fond de scène. Quel festin orgiaque ! On entend des voix éclater dans tous les coins sur «Adolescent Wet Dream» et ils nous explosent «Sweet Little Hi Fi» d’entrée de jeu. Ils rockent leur shit comme personne et multiplient les départs fulgurants. C’est battu dans la chair de la brèche par ce dingue de Bob Bert et explosé par des retours de cavalcade. Rien d’aussi précieux que ce rock insurrectionnel. Tout est souligné de fuzz. Ils ramènent des gimmicks à la Wilko dans «Brick» et cet album faramineux s’achève avec «Renegade», infernale déclaration d’intention dotée d’un son de batterie révolutionnaire, très métallique, comme si Bob Bert jouait sur un sommier rouillé. On a même un solo de gras double et un Jon Spencer qui n’en finit plus d’allumer la gueule du pauvre cut. C’est définitif autant que déterminant. Rien que pour le son du drumbeat, cet album est un passage obligé. Les guitares croisent dans le dépotoir comme des requins en maraude. Ils finissent aux clap-hands, hey clap your hands, alors vas-y.     

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              Bob Bert volerait presque le show sur Historia De La Musica Rock paru en 1990. Il crée une sacre ambiance sur «Song At The End Of The Side» qui clôt l’A et sur «Ship Comin’ On» qui ouvre la B. Il joue un beat clair de bord de caisse sur le premier et bas bien sec le deuxième. Ils adorent ces ambiances à la dépenaille avec les guitares au fond et des chœurs légèrement foireux. Le hit de l’album se trouve aussi en B : «Mono Man» - I got the power ! - C’est du garage de saw buzz à la Galore. Un peu de provoc avec «Eric Clapton Must Die». C’est une interprétation libre de «Little Red Rooster» et cette fois, on entend Neil Hagerty chanter. Belle giclée de trash dans «Don’t Jones Me». Voilà encore un cut privé d’avenir, mal ficelé, mal chanté, un pur joyau trash. On voit aussi Bob Bert battre «Revolution Summer» comme plâtre et le départ en solo de Neil Hagerty vaut tout l’or du monde.

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             Le meilleur album de Pussy Galore est certainement le fameux Live In The Red paru tardivement, en 1998. C’est là qu’on trouve le plus beau killer solo flash de l’histoire du rock américain, celui de «Pig Sweat». C’est joué au pire binaire de l’univers et soudain, Neil Hagerty troue le cul du cut. On voit une falaise de son s’écrouler et Neil jouer dans les décombres. Ils ne parviendront jamais à surpasser ce coup de génie. Tous les cuts sont tartinés à la disto, joués au pulsatif d’agonisant et troués à coups de killer solos flash. Ils battent tous les records d’invraisemblance avec «Sweet Little Hifi». Jon Spencer y cherche des noises définitives à la noise, il repousse les frontières de son empire trash et vise l’absolu de l’ultimate dévastateur. Derrière, Bob Bert martèle, awite ! Ce diable de Jon Spencer chante comme un requin affamé, l’œil fou. Avec «Understand Me», ils donnent une vision claire du sludge et Bob Bert bat «1 Hour Later» si sec qu’il semble lui briser les reins. C’est un beat sec spécifique, du big bad Bert quasi rockab. Hallucinant. Il faut entendre jouer ces quatre mecs. On trouve à la suite un «Dead Meat» infesté de guitares, ça joue dans les eaux troubles du rock le plus enragé qui soit. Ils bouclent l’A avec un summum du punch-rock qui s’appelle «Kicked Out». On peut les féliciter pour ce souci de cohérence. La B reste au même niveau d’explosivité permanente, avec des trucs comme «Undertaker» monté sur le kick ass metallic KO du grand Bob, et plus loin l’effarant «Kill Yourself», pur jus de désespérance, cut idéal pour se tirer une balle dans la tête.

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             Paru en 1986, Groovy Hate Fuck (Feel Good About Your Body) est présenté comme une compile, mais en réalité, c’est l’un des meilleurs albums de ce groupe d’avant-garde que fut Pussy Galore. Là-dessus, tout est poussé dans ses extrémités. Ils sont tellement enragés qu’ils élèvent le trash au rang d’art majeur. Ils ne basculent jamais dans le hardcore. Jon Spencer veille à ne jamais mordre le trait. C’est toute sa force. On entend Juila Cafritz gueuler dans «Cunt Tease». Elle est archi fausse. Les gros coups du balda sont «Constant Pain» et «No Count». Ils font de l’hypno avec «Constant Pain» et s’y soûlent de beat metallic KO. «No Count» va plus sur le garage de type «She’s My Witch». Par contre, avec le «HC Rebellion» d’ouverture de bal de B, ils vont plus sur le Velvet, car ils chantent à deux voix dans l’écho du temps de «Murder Mystery». On voit jusqu’où s’étend leur empire. Ils développent des énergies fondamentales dans «Get Out» et battent tous les records de punch avec «Die Bitch». Jon Spencer est fou à lier. On retrouve l’excellent «Kill Yourself» et ça se termine avec l’apocalyptique «Asshole» et son solo glouglou. I’m restless !

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             Après avoir fait tourner R.L. Burnside en première partie du JSBX, Jon Spencer lui propose d’enregistrer en 1996 un album devenu mythique : An Ass Pocket Of Whiskey. Toute l’équipe du JSBX descend dans le Mississippi. Russell Simins, Judah Bauer et Jon Spencer se retrouvent dans une cabane de chasseurs en compagnie de RL et de Kenny Brown. Ensemble, ils foutent le souk dans la médina. Ce disque est l’une des pires pétaudières de l’histoire de l’humanité. La tension monte dès le premier morceau, «Goin’ Down South», monté sur un beat sourd et mauvais comme une teigne. Russell Simins bat ça bad. On entend bien les quatre guitares jouer ce groove mortel du Mississippi qu’on appelle la purée du diable. S’ensuit un hommage à John Lee Hooker, «Boogie Chillen». Jon Spencer donne la réplique au maître RL - Yeah ! Ça repart de plus belle avec «Snake Drive», belle fournaise de boogie downhome. Jon Spencer pousse des cris - Snake driiiiiiiiiiiiiive ! et RL fait Yeah ! Ils s’amusent comme des fous. RL mène le bal. C’est un vrai boute-en-train. La cerise sur le gâteau se trouve en B : «The Criminel Inside Me» - Mama I wan’ some meal ! - et le voilà le meal : le gros groove spencerien. Ils refont un gros duo d’enfer tous les deux :

             — Hey RL !

             — Yeah !

             — You get goin’ you son of a bitch aw !

             Et RL prévient Jon Spencer que s’il ne dégage pas rapidement, il va lui botter le cul :

             — If you don’t get out fast I’m gonna get my feet right in your ass !

             — Aw !

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             Si Memphis Sol Today est arrivé jusqu’à nous, c’est grâce à Jon Spencer. En 1993, il fut enrôlé par Monsieur Jeffrey Evans pour jouer dans le ‘68 Comeback. Attention, cet album est d’une nature violente. On peut y voir Monsieur Jeffrey Evans, Don Howland, Rick Lillah et Jon Spencer démantibuler le trash dans «Memphis Chicken», puis démantibuler le stomp dans un «Barbara» claqué à coups d’accords fatals - Do the boogaloooo ! - Puis démantibuler Charlie Feathers dans «Lil’ Hand Big Gun», en guise d’hommage. Puis démantibuler Junior Kimbrough avec «I Feel Good Little Girl», puis démantibuler Nathaniel Mayer avec «I Had A Dream». En fait, ils ne le démantibulent pas vraiment, ils le passent à la moulinette, ce qui est un concept différent, le but restant bien sûr d’atteindre le stade du trash ultime. On les voit aussi démantibuler le venin dans «Coming Up». Attendez ne partez pas, ce n’est pas fini ! Cette entreprise de démantibulation se poursuit avec «Let’s Work Together». Ils ne laissent aucune chance à ce vieux coucou rendu célèbre par Canned Heat - C’mon c’mon - Jon Spencer le tarpouine à l’arrache de la rascasse, le mâchouille et le crache ensuite à la face de Dieu. Puis une grosse dérobade de solo complètement foireux tombe du ciel. On entend hurler un fou. Nous voilà rendus au cœur du trash. Ils vont même s’amuser à démantibuler les enfers avec «Down In The Alley» et démantibuler le blues avec «I’ll Follow Her Blues» qui empeste la vieille cabane branlante. Don Howland chante et c’est gratté sec. Ils tripotent la puissance du son et vomissent dans le réservoir. Ah il faut les voir claquer leur son.

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             Fulgurant album que cet Hung Far Low enregistré en 1991. Jon Spencer et Russell Simins viennent renforcer les rangs des Honeymoon Killers et ça change tout. Dès «Mad Dog», ils se montrent malveillants en jouant sous le manteau. Mais c’est avec «Wanna White» que ça explose. On y assiste au fantastique développement du heavy groove new-yorkais. Jon Spencer l’embarque en enfer et Jerry Teel l’embobine au riff tournoyant. C’est so good que Jon Spencer grommelle so good ! On reste dans l’énormité avec «You Can’t Do That». Avec Jon Spencer, il y a toujours un aboutissant. Ce «You Can’t Do That» renvoie au «Dropout Boogie» de Captain Beefheart. Aw ! Il pousse même les Aw que John Lennon pousse dans «Cold Turkey». Pendant que Russell Simins bat bien son beurre et que Jerry Teel gratte sa gratte, la petite Lisa bosse bien sa basse. Avec «Kansas City Milkman», Jon Spencer abandonne toute dignité et se vautre dans le stupre new-yorkais. Mais c’est en B que les choses se corsent, avec notamment «Thanks A Lot» attaqué à la petite vérole stoogienne, aux pires riffs de Jerry Teel. Ils sont capables d’être encore plus primitifs que les Stooges. Au chant, Jon Spencer bat tous les records de violence psychotique. Encore un cut drivé au riff malade avec «Fannie Mae». Jon Spencer y joue la carte du riff excédé, il trépigne de rage. Ils continuent de battre bien des records avec «Scootch Says». Violente montée de la basse dans le mix, et derrière ça cisaille à la parade. Oh comme ça monte ! Lisa chante «Madwoman Blues», elle chante ça à la paumée de la pommerolle paupérisée, c’est incroyablement trash, d’autant plus trash qu’elle n’a pas de voix, et derrière, ils font Massacre à la Tronçonneuse. Bon, il est temps que cet album se termine. «Whole Lotta Crap» se veut plus cérémoniel. Ils sont imbattables au petit jeu du pété de casseroles. Il souffle un beau vent de folie dans les quilles du bâti stoogy. Ils dévorent leur place au soleil.

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             En 2001, Jon Spencer enregistre un album avec les fils Dickinson au Zebra Ranch de Jim Dickinson. Il faut savoir que pour tous les aficionados du Memphis Beat, le Zebra Ranch est une sorte de Mecque. Au moins autant que Graceland. On en voit quelques images dans le booklet. Cody et Luther Dickinson accompagnent le Yankee Spencer et Dad joue un peu de piano sur deux cuts. On entend aussi l’harmo de Jerry Teel sur «Cryin’», un groove à la Screamin’ Jay Hawkins qui sonne comme une progression dans la douleur. Fabuleuse dégueulade de big heavy sugarshit. Luther y va de bon cœur sur sa guitare et Cody nous bat ça si sec. Le jackpot de l’album s’appelle «Primitive». C’est du Primitive de Zebra Ranch, chanté dans le rond de lunette de Méliès sur un beat originaire du Rif marocain, mais avec des tortillettes marioles des Batignoles. On y est, on est au cœur du mythe, chez Dickinson. Aw c’mon car voilà «Sat Morn Cartoons» chargé comme une mule et fouillé par un killer solo flash, aw c’mon ! Luther joue comme un dingue, il nous fait les Stooges, il bascule dans la folie - Do you remember/ Nothing at all - Ils sont encore plus royalistes que les Stooges, comme si c’était possible. Ils rendent un bel hommage à Zigaboo Modeliste avec «Zigaboo» et tirent une belle décharge de chevrotines avec «That’s A Day». C’est tellement chargé de son que ça chevrote dans la cuvette - That’s a draaaag - Ils n’en finissent plus de colmater le collimateur et ça continue avec un «I’m Not Ready» beaucoup trop puissant. Ils jouent comme des cons. Jon Spencer profite de «(Chug Chug) It’s Not Ok» pour s’adonner au screamin’ - I don’t believe you - Screamin’ Jon domine bien la situation. Ils terminent cet album haut en couleurs avec «Book Of Sorrow» - I’m gonna write/ A book of sorrow - Ce démon de Jon Spencer allumer sa mèche quand ça lui chante, chapter one, chapter two, il gueule du book tant qu’il peut, il s’appuie sur le pire heavy beat de la région, I’m gonna write, ça sonne comme du gospel batch de possédé et comme si ça ne suffisait pas, il en fait une sorte d’abomination substantifique.

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             Dans les années 2000, Jon Spencer fricote avec Ron Ward et Bob Bert dans Five Dollar Priest, un super-groupe de l’underground new-yorkais. Sobrement titré Five Dollar Priest, leur premier album paraît sur le mighty label basque Bang Records en 2008. Dès «Fingered», on sent le souffle d’une sacrée démesure battue en brèche par Bob Bert. On est dans le heavy New-York City urban beat, spécifique et dur, chargé d’un son d’obédience pirandellienne. Ron Ward amène «Bobby Chan» à la harangue de Bobby Chan, c’est secoué d’explosions. Sur l’album, Jon Spencer est crédité au térémine qu’on n’entend que sur «Cunty Lou». Fantastique atmosphère, tension énorme. Jon Spencer fait le con au fond avec sa machine. Le reste de l’album se tient magnifiquement. Ron Ward est le roi de la harangue vénéneuse. Il nous emmène dans les bas-fonds de Babylone. Il fait aussi du funk blanc avec «Ghost Of Bob Rose», c’est extrêmement digne du no-wavisme dévorant, d’autant plus digne que James White joue aussi sur l’album. Ron Ward et ses amis dotent chaque cut d’une longue dérive abdominale et de poussées de fièvre spectaculaires. «Decatur Street Blues» sonne comme un boogie industriel abominablement bien balancé. Ron Ward jive sur l’orgue et sur le monster beat que bat Bob à la syncope de charley. Il faut les voir jiver Conway Twitty sur «Conway Twitty’s Bag», solide shoot de r’n’b blanc explosé au free. Ils montent aussi «Mao Tse Tongue» sur une rythmique pressée bien nappée d’orgue et violemment perforée au sax. Ron Ward y pulse sa chère surenchère.

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             Dans les années quatre-vingt-dix, Jon Spencer monte Boss Hog avec sa femme Cristina Martinez. Elle fit en temps partie de Pussy Galore et c’est elle qui prend le lead dans Boss Hog. Mais on se doute bien que Jon Spencer fait tout le boulot. Avec un premier album paru en 1990, Boss Hog faillit rester bloqué au fond de l’underground. Cold Hands n’est pas l’album du siècle, loin s’en faut. On y trouve cependant deux belles réminiscences de Pussy Galore, «Gerard» et «Duchess». Jerry Teel qui fait alors partie du groupe ramone son manche de basse sur «Gerard» et ça sonne comme une sorte de trash-core d’underground de désaille new-yorkaise. Tout le jus est là. Jon Spencer pousse des soupirs de géant dans «Duchess», véritable modèle de heavy groove menaçant à la Gilles de Rais. Il s’en va chercher son groove très loin au fond d’une animalité répugnante. On sauvera encore deux cuts sur cet album : «Eddy», heavy comme pas deux, sonnant et trébuchant comme le ducat d’or du duc de Dôle, et «Go Wrong», way back to the basics instincts de Pussy warmer de Galore. Oh et puis tiens, le «Pete Shore» qui ouvre le bal de la B vaut bien le détour, à cause de cet épouvantable riff que triture Jon Spencer à l’ongle sale.

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             Leur second album s’appelle Boss Hog et paraît en 1995. C’est un album classique, 100% pur jus. Tout est là : le raunch, le goût de l’aventure et les exactions foudroyantes. On compte au moins deux coups de génie sur Boss Hog, à commencer par «Beehive». Le mari Jon prend le lead avec des ahhhh graves et bascule dans le JSBX apocalyptique. Jon sait mastiquer des grooves de génie. Il chante ça de l’intérieur du menton, personne ne l’entend, il foutrait presque la trouille, cet imbécile. Il nous claque ça à l’atmosphère inventive. Seul Jon Spencer peut se lancer dans ce type d’aventure sauvage. On le sait, il cultive depuis le début la pure démence de la partance ! Jon Spencer appuie là où ça fait du bien et ça jingle dans le jangle. L’autre coup de Jarnac s’appelle «Green Shirt», joué à la syncope fatale, avec de vraies coulées de lave. Nouvelle explosion de son, et à un moment, on voit du trash liquide couler au milieu, pareil à une rivière de flammes. Le cut d’ouverture s’appelle «Winn Coma» et sonne comme du garage dévastateur, explosif, jouissif, gorgé de son, nothing to lose ! Puis Cristina fait sa rampante dans «Sick», mais elle ne convaincra personne, en dépit du renfort inopiné du Sixième de Cavalerie, c’est-à-dire son mari. Disons que c’est rampant au sens du fumant, c’est du parfaitement inconvenant, du gras qui se fout du monde. Ils veillent tous les deux à la parfaite intensification du conflit. Ce qui frappe le plus dans le «Ski Bunny» qui arrive un peu après, c’est l’énormité du son. Jon Spencer et Cristina chantent ensemble, mais sous le boisseau. Les voilà extrêmement exacerbés - Ski Bunny ! Suicide ! - Ils sont enragés et ça joue sourdement. Arrivé à ce stade de l’album, on ne souhaite plus qu’une seule chose : que ça se calme. «What The Fuck» ! Cristina prend la main pour ce cut visité par des vagues de son gigantesques - Get the fuck ! - Jon en ramène des caisses. La fête se poursuit en B avec «White Sand», chanté à la mystérieuse. Ils ramènent un peu de son, surtout le mari. Oh il adore ça. Une fois encore, ça chante sous le boisseau et le mari arrive au triple galop pour lui porter secours - Break dance ! - C’est claqué aux pires gimmicks new-yorkais. Puis Jon attaque «Strawberry» d’une voix de vieil alligator. Affreux et génial ! Il groove son baryton et fait du JSBX au grand jour. Le «Walk In» qui suit rappelle «Memphis Soul Typecast», et ils finissent par faire exploser leur jouet. Ils bouclent avec «Sam» qu’ils pulvérisent à coups de killer solos et de nappes d’orgue.

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             Quatre ans plus tard paraît Whiteout. Cristina pose en petite tenue sur la pochette. Elle porte du blanc immaculé et c’est forcément en hommage à Elvis qui préférait voir ses poules porter de l’underwear blanc. L’image attire l’œil et la musique fait dresser l’oreille du lapin blanc, seulement l’oreille. Surtout «Get It While You Wait», une pop atmosphérique absolument envoûtante. C’est bardé de dynamiques infernalement sucrées. Appelons ça une pure merveille d’élévation spirituelle. Ils s’ébrouent dans le lagon de la pop magique, yeah yeah yeah, elle se jette dans la vague et s’abandonne aux langues de la clameur. L’autre gros cut s’appelle «Defender», gratté au gros riff sixties et Cristina part à l’aventure. Elle gueule, mais elle n’est pas fiable à 100%. On voit bien qu’ils tentent de faire un vrai truc, mais ce n’est pas toujours facile. On fait avec ce qu’on a, comme dirait le patron du PMU de la rue Saint-Hilaire. Jon Spencer multiplie les effroyables départs en solo et les arrêts brusques sur la voie. Il électrise à outrance et envoie de sacrées giclées de gras double. Dans «Trouble», Cristina explose son I can’t stand it. Non elle ne peut plus supporter ça, c’mon, et voilà les clap-hands. Elle se révèle excellente dans les redémarrages en côte. On trouve aussi sur cet album un «Chocolate» dur à croquer. Jon Spencer fait le show avec sa baby all down the machine. Dans «Nursery Rhyme», Cristina se met à sonner comme Hope Sandoval. Il reste deux animaux : «Jaguar» et «Monkey». Jon Spencer leur shake le shook à sa façon, c’mon let’s do it ! Ce mec est incapable de se calmer.

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             Oh et puis tiens, puisque le dernier album de Boss Hog paraît sur In The Red, on va l’écouter. Il s’appelle Brood X et dès «Billy», on retrouve le son bien fuselé, lisse comme un suppositoire et joué à la menace sourde, très spencerish. C’est tellement parfait qu’on a l’impression que Jon Spencer n’y croit plus. Il a déjà accompli trop de miracles, que peut-il apporter de plus aujourd’hui ? Il reprend à son compte le coup des montées en puissance dans le mix qu’avait inventé Jim Dickinson. On note la constance d’une belle efficacité directorielle. Il joue ensuite «Black Eyes» au petit profilé malsain et maintient la pression d’une menace sourde. Joli travail de duo sur «Ground Control» dans une ambiance de guitare baryton, de beau plâtras bassmatique et de relances d’époux exacerbés - Turn the radio on ! - Ils bouclent l’A avec «Signal», joué à l’exaction d’exaltation. Jon Spencer joue sa meilleure carte, celle du sharp. Le groupe sort un son technique et très froid, comme s’ils manquaient d’idées et de chaleur humaine. Ils jouent tout au gimmick de bakélite, noir et glacé. Ça se réchauffe heureusement en B avec l’imparable «Rodeo Chica» pris au dig it up chica de Jon Spencer. Il duette avec Cristina à la décontracte maximaliste. C’est excellent, vraiment digne de «Memphis Soul Typecast» - What’s wrong baby ? - On retrouve là tout ce qui fit l’écrasante modernité du JSBX. Back to the big allure sportive pour «Elevator». On sent chez eux une vraie disposition à l’élan harmonieux, le souci d’une vraie cadence d’élancement bassmatique. Dans «Fomula X», Cristina se prend pour une formula X. Elle cherche la petite bête et Jon Spencer joue des riffs de harangue fumée apollinarienne. 

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             L’autre grand épisode de la saga Jon Spencer est bien sûr Heavy Trash qu’il monte dans les années 2000 avec Matt Verta-Ray. Leur concept consiste à taper dans un agglomérat de country sauvage, de gospel de bastringue et de ramshakle monochrome. Leur premier album sobrement titré Heavy Trash paraît en 2005. Ils optent pour une pochette dessinée qui ne les restitue pas très bien. Mais musicalement, on risque l’overdose. Dès «Lover Street», Jon Spencer blaste son r’n’b et lâche des ouh ! parfaitement justifiés. Il flirte avec le boogaloo pendant que le mate Matt tisse sa toile - Ouh ! - Jon Spencer fonce, comme il l’a toujours fait. Il jerke à la croisée des chemins et mélange Johnny Burnette avec Eddie Floyd. En bonne éponge qui se respecte, il récupère tout et recrache du shuffle de glotte - Sock it to me baby ! - Il enjambe tous les genres. Ce mec n’en finit plus de jouer avec le génie comme le chat avec la souris. Il reprend à son compte tous les effets vocaux d’Elvis dans «The Loveless». Sans problème. Tous ceux qui l’ont vu sur scène ont forcément été frappés par sa classe et une perfection morphologique digne de celle d’Elvis. Avec «Walking Bum», Matt the mate et Jon Spencer roulent sur les plate-bandes du Creedence Clearwater Revival - époque du premier album - le mate Matt nous gave de twang guitar. «Justine Alright» bénéficie d’une petite intro speedée à la Eddie Cochran. Jon Spencer rigole - ah ah ah - et il embraye brutalement sur un killer cut aux paroles mâchées, une espèce de rap country, pendant que Matt the mate place des chorus écœurants de perfection. Jon Spencer attaque tous ses couplets avec cette opiniâtreté bravache qui depuis est entrée dans la légende. Le son de «The Hump» se veut aussi épais que de la purée froide. Jon Spencer y enfonce son dard vocal et avance avec un foudroyant mépris de la résistance des matériaux. «Mr KIA» sonne comme le «What’d I Say» de Ray Charles. Jon Spencer chante ça d’une voix atrocement profonde, en fait un prêche à la Jerry Lee et plane au-dessus de nos têtes comme un vautour. Pendant ce temps, Matt the mate joue comme un dieu. On le voit tirer les cordes de sa Gretsch et en se contorsionnant. S’ensuit «Gaterade», un classique automatique monté sur une petite gamme diabolique. Jon Spencer espace ses phrasés pour laisser Matt the mate descendre sa petite gamme et balancer un solo de fête foraine d’une perfection intangible. Et puis voilà «This Way Is Mine» que Jon Spencer balance avec la ferveur d’un vendeur aux enchères texan sorti d’un film de Robert Altman. À sa parution, ce premier album de Heavy Trash créa l’événement. On savait Jon Spencer parfaitement incapable de sortir un mauvais disque.

             Il est probablement l’un des derniers grands rockers à maîtriser parfaitement le heavy-duty-talking-blues. Matt the mate et lui sont devenus les killers suprêmes. Ils échappent à toutes les catégories. On risque de s’embourber à vouloir décrire l’exceptionnel talent de Jon Spencer. Le problème est qu’il en a trop. 

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             Un second album d’Heavy Trash paraît en 2007 : Going Way Out With Heavy Trash. Encore une pochette dessinée. On les voit courir vers un train à vapeur comme deux hobos à l’ancienne mode, avec leurs guitares et leurs balluchons. Bel album, plein de bonnes surprises. On retrouve la dynamique du groupe sur scène dès le premier cut, «That Ain’t Right», gros solo de Matt the mate, beau son de stand-up et sacrées montées en température. Et en prime, les Sadies les accompagnent. «Double Line» est du typical Jon Spencer. Une vraie insurrection - Ouh ! - et c’est joué garage au prêche abricot. Avec «I Want Oblivion», Jon Spencer fait sa baraque de foire. Ça bat du tambour et il fait la retape, pendant que le mate Matt joue la fuite éperdue. Puis Jon Spencer s’en va croasser comme un vieil alligator dans «I Want Refuge» - I got a love - Et il gospellise. Il s’en va ensuite claquer ses syllabes au micro pour «You Can’t Win» - Another shot transmission/ You can’t win - c’est un heavy groove de boogaloo. Et en B, il revient à son admiration pour Eddie Cochran avec un «Crazy Pritty Baby» monté sur le riff de «Somethin’ Else». Bel hommage. Jon Spencer n’oublie pas la répartie au baryton et Matt the mate veille au sévère cocotage de Gretsch. Ils reviennent (enfin) au rockab avec «Kissy Baby», joliment slappé par un nommé Kim Kix. Wow, quel bop, Bob ! Ils restent dans la pure pulsion rockab avec «She Baby» et nous servent ça sur une rythmique de rêve. Et la fête continue avec «You Got What I Need», un fantastique brouet de slap bass et de bouquets d’accords garnis.

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             Leur troisième album Midnight Soul Serenade sort trois ans plus tard, avec une pochette illustrée, mais cette fois l’ambiance beaucoup plus lugubre annonce le ton de cet album qui bascule dans la sérénade heavily déviante. Dès le premier cut, «Gee I Really Love You», l’air glacial nous saisit. Jon Spencer et Matt the mate créent une ambiance délétère. On assiste ensuite en plein milieu de «Good Man» à un beau démarrage rockab. Jon Spencer et Matt the mate ne semblent s’intéresser qu’aux dynamiques des morceaux. «The Pill» est une mélodie malsaine et Jon Spencer se lance dans le film noir. Avec «Pimento», on passe à la samba du diable. Jon Spencer fait son Tav Falco. L’un des cuts les plus intéressants de cet album restera sans doute «(Sometimes You Got To Be) Gentle». Voilà une belle pièce d’exaction intrinsèque à la fois collante et abrasive, jolie et grandiose et pleine de rebondissements. On y sent de l’ambition. Ah look out ! Jon Spencer lance «Bedevilment» comme s’il jouait avec le JSBX et revient à ses vieilles concassures de rythme. Et le reste de l’album s’écoule paisiblement, sans que rien ne vienne chasser les mouches. 

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             Tiens ! Un nouvel album de Heavy Trash ? Matt the mate qui est le plus gentil des Canadiens nous avertit :

             — Ce ne sont pas des chansons... Ce sont des expérimentations.

             — What do you mean ? Oh pardon, qu’est-ce tu veux dire ?

             — On a expérimenté des sons en studio....

             — Mais quoi comme son, du rockabilly ?

             — Ouais, mais il y a aussi Stockhausen...

             — Oh la la !

             L’album s’appelle Noir, noir comme le café, dit Jon Spencer. Il traite de la question des cheveux dans «Good Hair», le cut d’intro, sous un faux air lagoyesque - beautiful hair, black like coffee - Franchement, ce premier cut est de nature à faire tomber de cheval n’importe quel desperado, mais il faut s’armer de patience, car ce disque réserve de belles surprises. Les cuts qu’il propose sont en effet des expérimentations enregistrées sur une période de dix ans et par moments, on a clairement l’impression de se trouver dans le studio avec Matt the mate et Jon Spencer, car l’esprit de ce disque se veut intimiste. On assiste au grand retour du format chanson avec «Wet Book» doté de la meilleure dynamique qui soit ici-bas. Ils claquent ça dans l’épaisseur de l’ombre et un sax vole au secours de la montée de fièvre. Jon Spencer sue la soul par tous les pores de sa pop. On revient à l’étrangeté avec un «Out Demon Out» qui ne doit rien à Edgar Broughton. Car ça slappe sec derrière ce mélange de talking jive et de clap-hands de Joujouka. Jon Spencer vise le cœur de la scansion. Le cut tourne au cauchemar, tellement le son de slap le bigarre. Au loin, des voix d’écho perdurent à n’en plus finir. Ce côté expérimental est d’autant plus troublant que Jon Spencer s’est montré tout au long de son parcours le plus carré des hommes. Tous les morceaux de cet album sont captivants, même «Viva Dolor» cette jolie pièce de pianotis de fin de nuit si douce à l’intellect. Matt the mate et Jon Spencer renouent avec le petit rockab ouaté en cuisant «Blade Off» à l’étouffée. Jon Spencer tape du pied et fait son strumming. Il ouh-ouhte de temps en temps, histoire de signaler son choo-choo aux passages à niveaux. Ils ouvrent le Bal des Laze de la B avec un «Pastoral Mecanique» d’orgue de barbares égarés et hagards, tels qu’on peut en voir au soir du sac d’une ville. Les sons s’échangent et relayent l’extase de l’ombilic des limbes. Comme deux compagnons d’aventures, Matt the mate et Jon Spencer brillent ardemment au soleil noir de l’expérimentation - This is pure heavy trash - Et puis voilà «Discobilly», un rockab déviant et gondolé. Ils brassent leur beat et ça frôle le mambo d’Alcatraz. Ça tombe en décadence d’Empire romain et ça glisse doucement vers le couchant. Avec «Jibber Jabber», Jon Spencer joue avec la musique des mots. Il raconte à sa façon l’histoire du rock, en partant de Big Bopper pour remonter jusqu’à Jimi Hendrix, Mama Cass et Jim Morrison - What happens to the real rock’n’roll heroes ? - Jon Spencer joue à merveille de cette diction blackoïde de nez pincé - Rock on my brother/ Rock’n’roll my sister/ And get down - Ils font ensuite une belle reprise de Johnny Cash, «Leave That Junk Alone», puis ils passent au relativisme écarlate avec «Notlob» et bouclent leur petite affaire avec un «Last Saturday Night» gratté au bord du fleuve et humé au glou-glou. Quelle bonne compagnie ! Jon Spencer miaule et substitue l’intention au chant, tout simplement. Il n’a pas besoin de paroles. Mais oui, il a raison. Pourquoi s’épuise-t-on à vouloir écrire des paroles ? 

    Signé : Cazengler, Spencer les fesses

    Pussy Galore. Exile On Main Street. Shove Records 1986  

    Pussy Galore. Right Now. Caroline Records 1987

    Pussy Galore. Sugarshit Sharp. Caroline Records 1988

    Pussy Galore. Dial M For Motherfucker. Caroline Records 1989   

    Pussy Galore. Historia De La Musica Rock. Rough Trade 1990

    Pussy Galore. Live In The Red. In The Red Recordings 1998

    Pussy Galore. Groovy Hate Fuck (Feel Good About Your Body). Shove Records 1986

    R.L. Burnside. A Ass Pocket Of Whiskey. Matador 1996

    Gibson Bros. Memphis Sol Today. Sympathy For The Record Industry 1993

    Honeymoon Killers. Hung Far Low. Fist Puppet 1991

    Spencer Dickinson. Toy’s Factory 2001

    Five Dollar Priest. Five Dollar Priest. Bang Records 2008

    Boss Hog. Cold Hands. Amphetamine Reptile Records 1990

    Boss Hog. ST. DGC 1995

    Boss Hog. Whiteout. City Slang 1999

    Boss Hog. Brood Star. Bronze Rat Records 2016

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    Boss Hog. Brood X. In The Red Records 2017

    Heavy Trash. Heavy Trash. Yep Rock 2005

    Heavy Trash. Going Way Out With. Crunchy Frog Recordings 2007

    Heavy Trash. Midnight Soul Serenade. Crunchy Frog Recordings 2009

    Heavy Trash. Noir ! Bronzerat Rat Records 2015

     

     

    Wizards & True Stars - Cher Usher

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             Le voisinage a-t-il joué un rôle important dans l’histoire du rock ? Dans le cas de Gary Usher, oui. Il vit à Hawthorne, une banlieue de Los Angeles, et un jour, il entend de la musique dans la rue. Oh, mais ça vient de chez les Wilson ! Alors il va voir. Et pouf, il devient pote avec les trois frères Wilson, et plus particulièrement avec l’aîné, Brian. Les voilà copains comme cochons, et plutôt que de feuilleter des revues porno comme le font tous les autres copains comme cochons, ils composent une chanson ensemble, le fameux «409» qui en 1962 va se retrouver sur le deuxième single des Beach Boys. Mais Marty, le père Wilson, ne voit pas d’un très bon œil l’arrivée d’un étranger dans un biz qu’il voit plus familial. Alors il vire Usher.

             Ce qui ne l’empêchera pas de devenir l’un des personnage clé de la scène californienne et devenir aussi légendaire que vont l’être Nick Venet, Kim Fowley ou Terry Melcher. Comme Brian Wilson, Gary Usher est l’un des pionniers de la surf culture. Cet auteur compositeur/producteur/chanteur/guitariste sera l’un des premiers collaborateurs de Brian Wilson. À cause de Marty, ils se voient en cachette. En 1963, ils composent ensemble «In My Room». Usher a aussi pas mal d’accointances avec Dennis, le petit frère de Brian, qui bat le beurre avec lequel il part en virée à Tijuana, en quête de «local action». On retrouve encore ce cher Usher aux côtés de Dick Dale, Jan & Dean, the Peanut Butter Conspiracy, Chad & Jeremy et bien sûr Curt Boettcher, avec lequel il monte Sagittarius. En 1963, il est engagé comme producteur par Challenge Records, mais à l’époque, le rôle de producteur n’est pas clairement défini. Il s’agit surtout pour le producteur de veiller à deux choses : tenir le budget et veiller à ce que tout le monde soit à l’heure dans le studio, interprètes comme musiciens. Le jeune Usher qui apprend vite. En parallèle, il enregistre. C’est sa période surf craze, drag & hot-rods.

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             Sur la compile que lui consacre Ace, Happy In Hollywood - The Productions Of Gary Usher, on trouve l’un de ses groupes de surf craze, The Hondells, avec un «Show Me Girl» signé Goffin & King, pur jus d’On The Beach, ils sont dedans jusqu’au cou. Pour enregistrer «Just One More Chance», ce cher Usher s’entoure des meilleurs : Glen Campbell, Dick Burns et Curt Boettcher. Tant qu’on y est, on peut aller voir ce qui se passe sous les jupes des deux albums des Hondells, Go Little Honda (1964) et The Hondells (1965).

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    Ce sont deux fantastiques albums de surf craze, dans le même esprit que les premiers albums des Beach Boys. D’ailleurs, c’est Brian Wilson qui signe «Little Honda». Vroom vroom, toute l’énergie est déjà là. Ils font du classic surf avec «A Guy Without Wheels», bien sabré du champ et ce cher Usher signe cette merveille nommée «The Wild One», qui a du Beach Boys sound plein l’élan.

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    Le «Black Denim» qui ouvre le balda du second album est encore un fantastique pulsatif. Le hit de The Hondells s’appelle «My Buddy Seat», pur jus de Beach Boys craze, c’est même assez wild. Ces deux albums sont un vrai festival de joie de vivre et de grande précision guitaristique. Bien sûr, les Hondells roulent en Honda.

             Comme son ami Brian Wilson et d’autres visionnaires, ce cher Usher va évoluer rapidement et devenir l’un des producteurs les plus recherchés de son temps. On le connaît surtout comme producteur des Byrds. Il va produire trois de leurs albums, Younger Than Yesterday, Sweetheart Of The Rodeo et The Notorious Byrd Brothers. Le babal de cette compile s’ouvre sur «Lady Friend». Apoplexie garantie. C’est explosé de son, wow my Gawd, ce sont les Byrds, ils te chatouillent bien la rate, c’est joué au max de l’Usher Sound System, au plein son du plainsong, même niveau que Spector, mais c’est encore autre chose. En tous les cas, les Byrds volent très haut. Sans prod, pas de Byrds. Sans Totor, pas de Righteous brothers ni de River Deep. Les Byrds enregistrent «Lady Friend» en 1966. Gene Clark a déjà quitté le groupe. Croz et McGuinn ont engagé leur petit bras de fer. Kingsley Abbott qualifie «Lady Friend» de one of the Byrds’ crowning glories. Il parle aussi d’une prod scintillante, forcément, avec les Byrds, ça ne peut que scintiller, c’est leur fonds de commerce. Mais Croz refait les vocaux en douce, ce qui lui vaudra, en plus de son comportement au Monterey Festival, d’être viré du groupe. On trouve plus loin un autre cut des Byrds, «You Ain’t Going Nowhere», une cover de Dylan, jouée country upfront et chantée à la pure perfe, ça flotte dans l’ouate californienne, tout là-haut. C’est l’époque Sweetheart Of The Rodeo, Croz, Michael Clarke et Gene Clark sont partis et, nous dit Abbott, les Byrds sont devenus méconnaissables. Hillman et McGuinn recrutent Gram Parsons. Ce cher Usher descend à Nashville avec eux et reconnaît que l’ami Gram a du charisme. Trop. McGuinn veille à ce que Gram ne prenne pas le pouvoir. Le jeu consiste pour Usher à établir un équilibre entre McGuinn, Hillman, Gram et lui. Mais quand Sweetheart Of The Rodeo paraît, Gram a déjà quitté le groupe. Il aime trop sa liberté.

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             On reste dans la magie des Byrds avec Gene Clark et «So You Say You Lost Your Baby». Ça reste du très haut niveau. Fabuleuse présence que celle de Gene Clark, il est le psychedelic king of California. Usher va produire l’excellent Gene Clark With The Gosdin Brothers, l’un des albums phares de cette époque. Petite cerise sur le gâtö : Tonton Leon signe les arrangements de «So You Say You Lost Your Baby». Les Gosdin, ça ne te rappelle rien ? Mais oui, un autre Gary, le Paxton. On est ici dans la galaxie des producteurs surdoués : Gary Usher, Gary S. Paxton, Brian Wilson. On reste dans le cercle magique avec Saggitarius et «My World Fell Down», une pop qui rivalise avec celles des Beatles et de Brian Wilson. Le power californien te jette dans le mur. Cut mouvementé : on assiste à quelques épisodes et ça repart à l’explosion. Notre cher Usher voyait Saggitarius comme un projet solo, mais il va le développer avec Curt Boettcher, l’autre surdoué de service. Sur «My World Fell Down», Glen Campbell chante lead, Bruce Johnston et Terry Melcher font les harmonies vocales.

             Tiens, une autre vieille connaissance : Keith Allison, avec l’énorme «Louise». Il est fabuleux, on peut même le couronner King of the Californian Hell, il claque sa Louise au heavy gaga. Notre cher Usher rappelle que Keith Allison et Terry Melcher sont de très bons amis à lui. Comme chacun sait, l’Allison ira rejoindre les Raiders et il montera un backing-band pour ses vieux amis Boyce & Hart. Sur cette compile détonante, on trouve pas mal de fast pop ultra-produite (The Wheel Men avec «School Is A Gas» et The Spiral Starecase avec «Baby What I Mean»). Usher produit aussi Chad & Jeremy qu’on trouve ici sous la forme de Chad Stuart & Jeremy Clyde avec un «Sunstroke» envahi par les sitars. Chad & Jeremy sont des florentins florissants intéressants, il paraît logique qu’ils traînent dans les parages d’un maître florentin comme Gary Usher, le Michel-Ange de la pop californienne. Par contre, Chuck & Joe sont deux mecs des Castells qui se prennent pour les Righteous Brothers. Ils montent tellement en neige l’«I Wish You Don’t Treat Me So Well» qu’il devient vertigineux. On retrouve les Castells un peu plus loin avec «An Angel Cried», et là, on entre dans le territoire des Four Seasons, avec de fantastiques harmonies vocales, notre cher Usher monte ça en ultra-neige, on serre bien fort la pince d’Ace pour dire merci, car «I Wish You Don’t Treat Me So Well» et «An Angel Cried» sont des hits immémoriaux. Sans Ace, ils seraient passés à l’as. On peut faire entrer le «Shame Girl» des Neptunes dans la même catégorie. Pour monter ce coup, notre cher Usher rassemble le Wrecking Crew. Tonton Leon fait partie de l’aventure. Encore un hit mystérieux, celui des Forte Four avec un «I Don’t Wanna Say Goodnight» signé P.F. Sloan. Tout n’est que mystère dans les ténèbres de la Maison Usher. Pourquoi tous ces hits n’ont-ils pas explosé au grand jour ?

              Jusqu’au bout, notre cher Usher défend l’esthétique des Beach Boys : avec le «Catch A Little Ride» des Surfaris, il continue de produire cette pop ultra-énergique drivée par les bagnoles au c’mon c’mon. Phénomène typiquement californien. Gary Usher découvre aussi les Sons Of Adam et s’intéresse assez à eux pour les emmener en studio, mais ça ne se passe pas très bien, nous dit Abbott, car ce cher Usher est un florentin qui cherche sa voie, alors que Randy Holden et son gang ne rêvent que d’une chose : retrouver le raw scénique, alors ça ne colle pas. Ils parviennent toutefois à enregistrer «Take My Hand», un beau slab de wild gaga. Notre cher Usher en profite pour envoyer les guitares rôder au fond du son. Abbott pense qu’Usher aurait pu être en avance son temps, «ahead of the psych game, mais il n’avait pas trouvé le bon groupe».

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             Vient de sortir dans le commerce une compile des Sons Of Adam. Saturday’s Sons. The Complete Recordings 1961966. Chacun sait que le groupe fut baptisé par Kim Fowley, comme l’indique Michael Stuart-Ware, le futur batteur de Love, dans On The Pegasus Carousel With The Legendary Rock Group Love. On retrouve bien sûr l’excellent «Take My Hand» sur cette compile. Et d’autres merveilles, comme cette cover des Yardbirds, «You’re A Better Man Than I», qu’ils répliquent à la perfection, comme le fit en son temps Todd Rundgren avec «Happening Ten Years Time Ago» sur Faithfull. Les coups de génie se planquent à la fin, «Everybody Up» et «Highway Surfer». Deux bombes atomiques ! Moloch bouffe le surf craze tout cru. Moloch, c’est Randy Holden. Il tape sa craze à l’extrême. Il est le wild guitar slinger de la West Coast, il joue au big day out, comme Dick Dale. L’avantage de cette compile est qu’on voit Randy Holden revenir à ses racines, le surf. Il fait encore des ravages avec «Lonely Surf Guitar», c’est comme s’il s’enfonçait dans la craze, ça va vite l’enfoncement, d’autant qu’il noie ça de relents d’écho. Il fait aussi pas mal de Californian Hell avec «It Won’t Be Long» et «Saturday’s Son», enregistrés live à l’Avalon en 1966. Le groupe avait un potentiel énorme, ils généraient une fantastique élongation du domaine de la lutte, ils sonnaient même comme les Byrds avec «Saturday’s Son». Encore une cover des Yardbirds : «Evil Hearted You». Ils développent une énergie considérable et bouclent le show de l’Avalon avec une cover de «Gloria» qui tape en plein dans le mille, ils n’ont pas la voix, mais le wild passe dans le jeu. La deuxième partie de la compile est une série de singles et d’outtakes : les cuts de surf craze évoqués plus haut, et l’excellent «Tomorrow’s Gonna Be Another Day», un wild gaga d’antho à Toto. Tu y vas les yeux fermés. Ils expédient aussi leur «Feathered Fish» en enfer et le carbonisent à coups d’I don’t know. Nouvelle rasade de punch suprême avec «Baby Show The World» et avec «Mar Gaya», Randy Holden attaque sa capiteuse croisade de surf craze.

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             Encore un épais mystère : The Guild avec «What Am I Gonna Do», un heavy slowah traîné dans la boue argentée. Les Guild arrivent à appâter ce cher Usher en lui envoyant une cassette bourrée de covers des Beach Boys, alors évidemment, il mord à l’hameçon et vient les voir jouer dans l’Illinois. Ils est knocked outed : «The Guild sang Beach Boys songs far better !». Le chanteur Tom Kelly va même se porter candidat et auditionner pour le remplacement de Brian Wilson. Il est si bon que Carl Wilson veut l’embaucher on the spot. Et bien sûr, ce surdoué de Tom Kelly va disparaître, Abbott donne quelques infos, mais rien de très mémorable. On parlait du loup, alors le voilà : Brian Wilson avec «Let’s Go To Heaven In My Car». Les sessions pour l’album Sire de Brian Wilson vont durer trois ans, nous dit Abbott, mettant la patience de tout le monde à rude épreuve, notamment celles d’Andy Paley, de Russ Titelmann et de Lenny Waronker. Co-écrit par Usher et Brian, «Let’s Go To Heaven In My Car» est tout de suite au carré d’un certain carré, the Californian Wizard Of Oz s’agite dans son espace vital, quel power ! On pourrait même dire : trop de power ! Après le passage pénible des Peanut Butter Conspracy (ce cher Usher ne s’entend pas avec les hippies de San Francisco et c’est réciproque), Abbott finit sa compile en beauté avec California, le projet monté par Gary Usher avec Curt Boettcher. C’est le cut qui donne son titre à la compile, «Happy In Hollywood». Belle façon d’entrer dans le mythe de la pop californienne, ils sont tous là, Curt Boettcher, Chad & Jeremy, Bruce Johnston, c’est la pop de biais du génie pur. Rien d’aussi biaisé là-haut dans le firmament. 

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             En 1970, Gary Usher rend un bel hommage à son ami Brian Wilson avec un album d’instros intitulé A 1970 Symphonic Salute To The Great American Songwriter Brian Wilson, que Poptones a eu la décence de rééditer en 2001. Merci Joe Foster. C’est un album très spécial, ultra symphonique. Comme le dit si bien l’ami Foster dans les liners, better late than never, surtout quand on peut se régaler de la bossa nova de «Busy Doin’ Nothin’». Usher se fait aider par Curt Boettcher et Keith Olsen. Back to the cœur du mythe avec «Pet Sounds». L’excellence symphonique à l’état le plus pur. L’un des chefs-d’œuvre du XXe siècle. Il propose ensuite un medley «Fall Breaks & Back To Winner/Good Vibrations/Heroes & Villains» gorgé d’atonalités. Quand Brian compose «God Only Knows», il sait de quoi il parle. Power dément, on est au paradis. On reste dans les nuages avec «Please Let Me Wonder». Ce sont les grandes pompes, alors forcément on biche. Toute cette belle aventure se termine avec «In My Rom», l’un des fils mélodiques les plus purs de l’histoire du rock, et les vagues de violons aggravent encore les choses, ça bascule dans un gros shakeout astronomique digne, comme le rappelle Joe Foster, de Gershwin.

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             Les fans d’Usher se sont jetés sur Beyond A Shadow Of Doubt comme des requins sur des naufragés d’une bataille navale. Il faut savoir que sur cet album béni des dieux, Usher chante et Dick Campbell compose. On en profite pour saluer au passage Gene Sculatti sans qui Dick Campbell serait resté un parfait inconnu. Si on aime la pop paradisiaque, alors on est gâté avec «Grey Soft Black & Blue». Belle pureté d’intention, et assez mirifiquement orienté vers la lumière dans ce qu’elle peut avoir de plus aveuglant. On reste dans l’expression du génie mélodique avec «Sleepy Land», Dick Campbell et Curt Boettcher font des backing vocals. On a là une merveille de pop transie à la Brian Wilson, une pop qui grelotte de beauté sous le soleil exactement. Au fil des cuts, Usher développe une énergie de la beauté pure, comme le montre encore «Ships», ce fabuleux envol de heavy pop. Pas besoin de littérature, la musique parle toute seule. Elle est même assez toxique, au bon sens du terme. Comme Brian Wilson, Usher embarque ses amis les auditeurs dans une dimension du rêve mélodique. Avec «Everything Turns Out Right», Usher vire pychedelic et c’est une merveille insupportable. Les cuts de pop lourde et lente se succèdent jusqu’à plus soif, «So Long» est une chanson tellement parfaite qu’elle explose tout doucement et atteint tous les sommets qu’on voudra bien imaginer. Attention, il y a des bonus et ils nous réembarquent aussi sec pour Cythère. Avec «Slippin’», pas besoin de Brian Wilson, on a notre cher Usher. Il est en plein dedans. Magie du jour naissant. S’ensuit un «We May Like It Yet» joué au gratté d’arpèges californiens, avec une voix burinée par le soleil couchant, ça sent bon les drogues du paradis, il suffit d’écouter notre cher Usher pour le comprendre. Avec «Walk A Mile», il fait une pop d’early morning avec my love for you. Il y va de bon cœur. C’est vraiment très pur. Belle pop de walk in the grass. On en trouve d’ailleurs deux versions. Toute cette belle virée paradisiaque se termine avec «Go Rachel Go», gratté au heavy power d’acou dylanex, et Usher l’explose. Thank God pour cette pop d’Usher. 

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             En 2008, Sundazed arrachait Gary Usher à l’oubli en sortant un double album intitulé Barefoot Adventure. The 4 Star Sessions 1962-1966. Il s’agit bien sûr de surf-music des early sixties, bien secouée du cocotier. Là-dedans, tout est pulsé au meilleur son d’époque et notamment «Cheater Slicks» un hit primitif ravagé par un solo d’orgue et des clap-hands. Ces mecs avaient comme les Beach Boys un sens aigu du juke, turn on ! Ah ah ah, il rit comme un pirate. Ce qui frappe le plus dans tout ce délire, c’est l’énergie. C’mon cher Usher, son «CC Cinder» file ventre à terre. On assiste à une extraordinaire résurgence de heavy beat dans «The Chug-A-Lug». On s’effare de tant d’énergie et de la virulence du solo de sax et on se prosterne jusqu’à terre devant toute cette débinade de surf craze. Ils jouent «Soul Stompin’» au dératé et piquent une belle crise de fever dans «Power Shift». Le disk 2 s’ouvre sur un «Wax Board And Woody» digne des early Beach Boys, ils se gargarisent de ce tagada early sixties. Le hit s’appelle «RPM». Avec Hal Blaine on drums et ce solo d’orgue, c’est imbattable. S’ensuit un «Barefoot Adventure» pulsé par une énergie démente, let’s go surfin’ ! On tombe plus loin sur un «Coney Island Wild Child» qui ne doit rien à Lou Reed, mais qui est explosé de petits cris délinquants. C’est embarqué vite fait, les Californiens savent envelopper un bonbon. Et petit à petit, ça vire pop, une pop un peu barrée. The teenage blonde Ginger Blake chante «You Made A Believer Out Of Me» et c’est tapé au fin du fin de l’Usher sound. On le retrouve ensuite dans «Waiting For The Day» où elle gueule tout ce qu’elle peut, et elle est dessus. Il faut savoir que Ginger Blake fait partie d’un trio vocal, the Honeys avec ses cousines Marilyn et Diane Rovell. Ginger est la girlfriend d’Usher et grâce à eux, Marilyn va rencontrer Brian Wilson et l’épouser.

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             Si on s’intéresse à Gary Usher, on ne perdra pas son temps à écouter l’album des Kickstands, Black Boots And Bikes, enregistré en 1964 et réédité par Sundazed. On est en plein dans le son des early Beach Boys, avec le session wiz Jerry Cole. Et comme Earl Palmer fait partie de l’aventure, c’est battu à la diable. On le voit battre tout ce qu’il peut battre dans «Hill Climb». «Mean Streak» sonne comme un hit des Beach Boys et Jerry Cole joue son gut out sur «Side Car». Mais attention, c’est avec «Two Wheel Show» que tout explose. Jerry Cole défonce la plage, ça outrepasse l’espace, ça dégomme le chamboule-tout du Beach craze. Il y a là-dedans plus de punk attitude que dans toute la vague punk anglaise, la violence est sous-cutanée, amenée aux clap-hands et au venin de Jerry Cole. On assiste à un fantastique démontage de la gueule du rock, Beach Boys to no avail. «Haulin’ Honda» pourrait bien être l’instro préféré du diable. Jerry Cole entre dans le son avec un gusto qui devrait servir de modèle à tous les guitaristes. Ah tu voulais en croquer, alors vas-y croque.

    Signé : Cazengler, qui vaut pas (U)sher    

    Happy In Hollywood. The Productions Of Gary Usher. Ace Records 2022

    Gary Usher. A Symphonic Salute To The Great American Songwriter BW. Dreamsville Records 2001

    Gary Usher. Beyond A Shadow Of Doubt. Dreamsville Records 2001

    Gary Usher. Barefoot Adventure. The 4 Star Sessions 1962-1966. Sundazed Mucic 2008

    Kickstands. Black Boots And Bikes. Capitol Records 1964

    The Hondells. Go Little Honda. Mercury 1964 

    The Hondells. The Hondells. Mercury 1965

    Sons Of Adam. Saturday’s Sons. The Complete Recordings 1961-1966. High Moon Records 2022

     

     

    L’avenir du rock - Taj in & Ry complet

     

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             Longtemps l’avenir du rock ne s’est pas couché de bonne heure mais plutôt levé de bonne heure dans les montagnes du Haut Atlas. Il adorait se rendre au Maroc pour y savourer la musique berbère, comme le fit en son temps Brian Jones, qui soit dit en passant, reste le chouchou numéro un au hit parade local. Alors attention, la musique berbère n’est pas celle qu’on croit, en tous les cas, pas celle qu’on entend dans les restaurants de Marrakech ou qu’on achète à la FNAC sur des petits labels branchés de musique world. Comme le fit en son temps Brian Jones, l’avenir du rock s’est rendu à dos de mule dans des villages isolés de la montagne, car c’est là, loin des villes, des magasins et des touristes, qu’on la joue. Et on ne la joue pas sur des guitares électriques, mais sur des instruments à cordes qui remontent à l’antiquité, et sur les fameux tambours berbères qu’on tient à la verticale par le pouce de la main gauche et qu’on frappe en rythme du plat de la main droite. Et puis bien sûr les chants, dans la meilleure des traditions orales. Puisque chez les Berbères jouer est une fête, le maître de cérémonie invite chaque convive à apprendre les paroles des chants traditionnels, souvent très simples et bien sûr allégoriques, les traduisant au passage pour que le convive sache de quoi il s’agit, à la suite de quoi il peut se joindre aux chœurs du village et vibrer avec tous ces gens magnifiques à l’unisson d’un saucisson qui remonte à la nuit des temps. Ces chants n’existent que dans les villages et l’avenir du rock en savourait chaque fois l’extraordinaire valeur sacrée. Si d’aventure la petite caravane qui emmenait l’avenir du rock vers son destin ne traversait pas un village, on installait un bivouac dans la montagne. Le cuisinier qui était la réincarnation pasolinienne de Charlie Chaplin préparait alors le thé à la menthe, puis épluchait quelques légumes pour préparer le meilleur plat du monde, le tajine berbère, après quoi l’avenir du rock et ses compagnons d’aventures Taj in et Ry complet se réunissaient autour du feu pour entonner les chants berbères dont ils connaissaient désormais les paroles par cœur.     

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             Le nouvel album de Taj & Ry n’est pas à proprement parler un album de chants berbères, mais, d’un point de vue mythique, c’est tout comme. Taj in & Ry complet repartent du vieux Get On Board de Sonny Terry & Brownie McGhee & Coyal McMahan paru en 1952, sur Folkways, un album célèbre qui captait bien l’esprit du folk et du blues d’une époque qui est celle des «pionniers noirs» de l’après-guerre. Taj in & Ry complet s’arrangent pour faire sonner leur album comme s’il était enregistré dans une cabane branlante et non dans un studio moderne. C’est presque réussi, mais on se sent pas les dents branlantes et la bloblotte occasionnées par la sous-alimentation. Ils cassent aussitôt la baraque avec «Packing Up Ready To Go», un fantastique rumble tiré des profondeurs de profundis, arraché aux ténèbres de la conscience asservie, ça sent le tribal du travail forcé. Des forces profondes remontent à la surface. Que peux-tu espérer d’autre qu’un coup de génie de la part de ces deux vieux crabes ? Pareil avec le cut d’ouverture de bal, «My Baby Done Changed The Lock On The Door», ils chargent la barcasse dès la première mesure, Taj in est en colère, cette salope a changé la serrure de la porte, alors il enrage, et derrière Ry complet fait le fantôme d’Elseneur, c’est l’un des géants de cette terre, il te vole dans les plumes avec un son des enfers. Tu te doutais bien qu’ils allaient te casser la baraque, mais pas à ce point. Ils tapent «The Midnight Special» à la concorde du coin du feu, Ry complet chante d’une voix blanche et Taj in passe des coups d’harmo du Mississippi, c’est plein de vieux jus, on a là un album de fieffés musicologues. Tu vis un moment exceptionnel. Ils n’en finissent plus de rootser les roots. Ils passent au heavy blues avec «Deep Sea River», mais un heavy blues de rootsy roots. Dans les liners, Taj in exulte : «C’est incroyable, après tout ce qui a été dit et fait, après qu’on ait joué long and hard enough, on s’est mis d’accords tous les deux, you Ry, me Taj, pour devenir the modern day exponents de ces très vieux musiciens et styles de musiques dont nous sommes tombés deeply in love quand on était des jeunes Turcs enthousiastes, voici sept décennies.» Et il ajoute : «Brownie McGhee & Sonny Terry, Rev Gary davis ! Un trio de Blues Rascals (si une telle chose existe) are shoulders on which we now stand and build upon.» Taj in a raison d’exulter ! Il faut entendre leur version chantée à deux voix de «Pick A Bale Of Cotton», fabuleux stomp de cotton patch blues - Big! Big! Big fun/ Loose n’tight/ Crazy ‘bout the/that rhythm/ Cause it’s ragged but right ! - Ils font le «Drinkin’ Wine Spo Dee O Dee» à la Tom Waits, Taj in chante à la glotte de mineur silicosé. Diable, on s’inquiète : qui va aller écouter ça aujourd’hui ? Ces vieux crabes s’enferment dans le deepy deep. Ils allument «Cornbread Peas Black Molasses» à coups d’harmo. Ils y vont de si bon cœur. Ils terminent cet album impressionnant avec «I Shall Not Be Moved» qu’ils chantent à deux voix dans l’enfer du paradis d’une très vieille Americana toute noire. C’est Ry complet qui a le mot de la fin : «Quand tu es jeune, tu peux tomber sur quelque chose qui va ouvrir ton esprit aux mystères et aux possibilités. Ça peut être un chesseburger sur la plage, une balade dans une décapotable la nuit, un livre ou alors un disque, oui, j’ai dit un disque. Dans mon cas, il s’agissait d’un 10’’ Folkways, Get On Board, by the Folk Masters, avec Brownie McGhee, Sonny Terry and the elusive Coyal McMahan. J’aimais bien les 10’’ Folkways, ils étaient différents, mystérieux, ils semblaient dire : ‘Ici, vous trouverez ce que vous cherchez.’ Folk-blues voulait dire une musique destinée aux gens normaux, avec des instruments acoustiques, des rythmes faciles, les paroles sensées. Blind Lemon Jefferson était trop triste, Howlin’ Wolf was out of contreol, Wynonie Harris avait l’esprit trop tordu. Le Folk Blues n’avait pas de double sens, pas de secret race subtext to worry about.» Ry complet explique ensuite qu’il a acheté ce 10’’ à l’âge de 12 ans, au Children’s Music Center in downtown Los Angeles, et qu’il l’écoutait chez lui, au grand ravissement de ses parents. «J’ai lu les notes de pochette, les paroles des chansons, j’ai mémorisé chaque note de musique, je pouvais jouer les chansons sur ma guitare en les écoutant. J’ai découvert le jeu de Brownie, j’ai appris ses bass runs et sa façon de jouer du pouce et des doigts. Maintenant que j’ai 76 ans, je les joue encore mieux. J’ai aussi compris que Sonny Terry fonctionnait comme un arrangeur, quelle invention, quelle puissance ! Il est le George Frederick Handel de l’harmonica, ça ne fait pas de doute. Get On Borad a été enregistré à l’apogée de l’ère McCarthy : bad times + good music = always a winning combination. Taj and I have lived and worked in this music, from those times forward. On espère vous apporter the best. We’re the old timers now.» Fantastique profession de foi. Dans sa critique très élogieuse, Terry Staunton parle d’un «loose, laconic labour of love». C’est la raison pour laquelle il faut écouter Get On Board.

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             Le fin du fin serait d’écouter à la suite le fameux 10’’ qui a révolutionné la cervelle du jeune Ry complet. On peut choper ce Folkways 1952 en bon état pour un prix convenable. Sur la pochette, Sonny Terry fout un peu la trouille avec son œil crevé. Le son du Get On Board original est d’une pureté absolue, Sonny Terry & Brownie McGhee & Coyal McMahan te claquent un Midnight special/ Shine a light on me assez puissant, bien calé dans ses rootsy roots. On s’effare de l’extrême qualité de l’«In His Case», le big gospel blues de Lawd, c’est de la pure black Americana. À ce petit jeu, ils sont imbattables. C’est une Americana qui n’est pas faite pour les petits culs blancs. En B, ils tapent le vieux «Pick A Ball Of Cotton» en mode hot shuffle, ils font du chain gang avec des renvois de chœurs de l’aube des temps. Pour l’époque, il s’agissait d’un album d’une grande modernité, à cheval sur le folk, le gospel et le blues. Ils sont intenses les pépères, pas étonnant que d’autres pépères leur rendent hommage.

             Dans Uncut, Terry Staunton rappelle que Taj in et Ry complet ont démarré ensemble dans les Rising Sons. C’est important de le savoir. Formés en 1964, les Rising Sons enregistrèrent un album qui n’est sorti qu’en 1992, soit quasiment trente ans plus tard. On y revient prochainement, car il faudra bien rendre hommage à ces deux mighty wizards.

    Signé : Cazengler, Tajine berk-berk

    Taj Mahal & Ry Cooder. Get On Board. Nonesuch 2022

    Sonny Terry & Brownie McGheee & Coyal McMahan. Get On Board. Folkways Records 1952

     

     

    Inside the goldmine

    - Swell Maps on the map (Part One)

             Avec sa dégaine de bureaucrate, sa veste à carreaux, son pull jacquard à losanges et à col en V, Zozo ne payait pas de mine. Il avait en plus le cheveu rare, d’une couleur improbable, une lippe pendante au-dessus d’un menton fuyant et ces lunettes horribles qu’on appelait à l’époque les «montures sécu». Il n’avait décidément rien d’un sex symbol, hormis ses deux petits yeux bleus. Mais il ne faut jamais se fier aux apparences. Sous ces faux airs de toquard se planquait le mec le plus rock’n’roll du secteur. Il avait même mille longueurs d’avance sur les tenants du titre, tous ces mecs favorisés par la nature, qui avaient une bite à la place du cerveau et qui ne juraient que par Birthday Party et Hüsker Dü. Zozo s’asseyait couramment à la grande table conviviale pour trinquer à l’apéro, un apéro qui dégénérait systématiquement en nuit blanche, à longueur de bavasseries interminables et plus soûlantes encore que ces packs de bières qu’on descendait mécaniquement, et au matin, alors que les premiers rayons du soleil filtraient à travers les rideaux des fenêtres, Zozo se levait d’un bond, réajustait son col de chemise et, d’une voix à peine esquintée par des heures de bavasserie, il lançait : «Salut les gars, c’est l’heure qu’j’aille au boulot !». S’il s’intéressait au rock, c’est uniquement parce qu’il fréquentait des gens de sa famille passionnés de rock. Lorsque pendant le week-end, on passait l’après-midi avec lui, et qu’il roulait des joints avec la beuh de son jardin, il ne passait qu’un seul et unique album, toujours le même, Never Mind The Bollocks. Il fallait élever la voix pour alimenter la conversation. Une autre fois, en plein cœur d’une nuit extrêmement arrosée, on le vit mettre les enceintes de la chaîne sur le rebord de fenêtre de la cuisine et il envoya le «400 Bucks» du Reverend Horton Heat arroser le voisinage, pendant qu’il se livrait dans le jardin à la plus impressionnante des crises de danse de Saint-Guy. Zozo disposait en outre d’une qualité qu’on croise rarement chez les oiseaux de nuit : la capacité de redémarrer en côte, au terme des trois premiers rounds que sont l’apéro, les vins servis pendant le repas, et les cerises à l’eau de vie après le repas. C’est là que ça se passait, au cœur de la nuit blanche, avec le quatrième round, lorsqu’on ramenait d’autres bouteilles bien plus redoutables sur la table et que bon nombre de participants avaient sombré dans les abysses. Zozo qui se trouvait toujours installé en bout de table remplissait de grands verres de rhum ou de whisky, et avec une énergie surnaturelle, il s’adressait aux derniers survivants pour relancer brutalement une conversation menacée d’inintelligibilité. Et ça allait loin car du même coup, il réveillait des interlocuteurs luttant contre la somnolence. La conversation reprenait comme si personne n’avait rien bu. Et Zozo n’en finissait plus de remplir les verres.

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             Nikki Sudden et son frère Epic font en 1978 exactement ce que fait Zozo au bout de la table : ils redémarrent en côte. Ces deux fans de glam eurent l’idée de redémarrer le punk en montant un groupe d’äfter-punk avec des copains du quartier. Ils mirent Swell Maps on the map. Zozo et Swell Maps puisent à la même source : la grande intelligence.

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             Hugh Gulland en fait six pages dans Vive Le Rock. Vas-y Hugh, on est avec toi ! En fait, c’est le bassman Jowe Head qui alimente le buzz autour de Swell Maps, avec un book à paraître, et une compile, Mayday Signals, dont on va parler un peu plus bas. Selon Jowe Head, on disait de Swell Maps à l’époque «qu’ils se diversifiaient tellement qu’ils semblaient se désintégrer». Mais heureusement, «leur sensibilité commune recollait les morceaux». Jowe Head est fier de rappeler qu’ils n’étaient pas comme tous ses groupes qui à l’époque se faisaient un «fast buck avec un ou deux punk singles avant de changer de style pour suivre la mode». Swell Maps restaient fidèles à leurs influences, notamment Faust. En citant Faust IV, Jowe Head parle d’un multi-facet work of genius. Beaucoup plus important, l’Head insiste sur la spécificité du groupe : «Maps were always quintessencially English to me - (...) But there’s a quality of eccentricity about it.» Et pouf, il tire l’overdrive : «Swell Maps were an odd cocktail of apparently unreconciliable influences: T Rex, Can, Buzzcocks, King Crimson, Sex Pistols - and Faust!». Il dit aussi qu’à l’instar de beaucoup de groupes allemands, Swell Maps rejetaient le monopole culturel américain, trop de groupes anglais à l’époque subissaient cette influence, «you know, all the blues, soul, funk and boogie clichés, with long guitar solo and so on. It was so boring!». Il pousse son raisonnement assez loin, affirmant que les seuls groupes progressifs anglais intéressants de l’époque étaient ceux qui cultivaient leur Britishness, et il cite Crimson, Genesis, Third Ear Band et Soft Machine. Bizarre qu’il oublie Van Der Graaf. Et puis en même temps, il dit avoir adoré the alien American sound de Captain Beefheart et de Sun Ra.

             L’autre paradoxe de Swell Maps est qu’ils portaient les cheveux longs et quand ils montaient sur scène en 1978, on les traitait de Pink Floyd, l’injure suprême. Ils étaient donc victimes de leur singularité. Ils ne voulaient pas ressembler aux autres groupes punk. Pour eux, le seul élément important du mouvement punk, c’est l’anticonformisme. On le retrouve dans leur musique.

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             Leur premier album paraît en 1979 et s’appelle A Trip To Marineville. Une baraque prend feu sur la pochette, ce qui est un bon présage. Ils jouent en effet un punk-rock de front room en feu, avec les moyens du bord. Ce qui leur permet de refaire les Buzzcocks de Spiral Scratch avec «Another Song». Fantastique phénomène de mimétisme. Ils brûlent un peu les étapes et arrivent directement au coup de génie avec «Vertical Slum» - The weather ! The leather/ The weather ! The leather - On va qualifier ça de punk primitif digne du Magic Band. Avis aux amateurs ! On l’a bien compris, les Swell Maps cultivent le primitivisme. Les Buzzcocks en avaient fait leur sinécure et les Swell Maps s’en inspirent directement. Ils replongent dans l’excelsior du Magic Band avec «Harmony In Your Bathroom», ils tapent dans l’irrévérence absolue, on entend les bubbles dont parle Luke la main froide dans sa column. C’est dans «Midget Submarines» qu’ils mettent en route l’aspirateur. Au passage, Midget est un excellent cut de rock insidieux. En B, ils vont faire un brin d’hypno avec «Full Moon In My Pocket» et devenir classiques avec «Blam», pur jus de classic Maps, bien tendu, plein de small swell, hanté par une basse intermittente et le vaillant Nikki au chant - I don’t care/ I guess I’m nealy dead.

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             Jowe Head indique que le groupe a splitté à la fin de leur tournée, en avril 1980. Ils ne pouvaient plus se supporter les uns les autres. Ils parviennent néanmoins à compléter leur deuxième album, In Jane From Occupied Europe. Dès «Let’s Buy A Bridge», on sent une sorte de tendance au post-punk dylanesque, aussi étrange et concubin qu’un concombre compromettant. En voit-on l’intérêt ? Non. Par contre «Border Country» se distingue par un solide claqué de guitares. Brillant car joué à l’idée. Et ça continue avec «Cake Stop», joué au laid-back déviant de petite ramasse d’orgue et chanté à l’avenant. On comprend subitement que Nikki et son frère expérimentent. C’est donc tout à fait par hasard qu’ils développent une sorte de post-punk velvetien avec «The Helicopter Spies». D’autant plus inattendu que c’est suivi par un son de trompette. Quand même, il fallait oser. Ils singent l’esprit des Cramps avec un instro ambiancier intitulé «Big Maz In The Desert From The Trolley», mais c’est en B qu’ils stockent la viande, à commencer par «Collision With A Frogman», un instro monté sur un beat certain, solidement ancré dans une culture de l’hypno qui va de Can à Can. Oui, ils sont dans cette excellence. «Secret Island» pourrait sortir du pot de chambre de Pere Ubu, tellement c’est bien chanté et bien ramassé. Encore plus passionnant, voici «Whatever Happens Next», cut toxico à gogo, un vrai modèle d’hypno tentaculaire. Tout aussi dévoyé, voici «Blenheim Shots», joué à l’hypno calorique de dandysme perdurant, chanté au yoyo de voix de «Time’s Up», et viscéral d’élégance marmoréenne, comme le furent en leur temps les premiers singles des Pistols et des Buzzcocks.

             Après le split, Jowe Head continue de bosser un peu avec Epic. Ils enregistrent un album jamais paru, Daga Dag Daga, que Jowe compte bien exhumer. Il continue aussi de bosser avec Phones Sportsman avec lequel il a aussi des choses en cours. 

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             On trouve aussi une compile indispensable dans le commerce, l’infernal International Rescue. Tu es fixé sur ton sort dès le morceau titre, une bien belle slabberie d’after-punk montée au bassmatic énervé et sacrément proéminent. Epic y bat le beurre du diable et Jowe ramone bien sa cheminée, c’est complètement dévoré de l’intérieur, ces petits mecs sont très puissants, on entend même les chutes de «Time’s Up». Nikki joue déjà la carte de la prescience. «Real Shocks» vaut n’importe quel early hit des Buzzcocks et «Ammunition Train» sonne comme un coup de génie, un de plus, car c’est gratté sévère et Epic tatapoume à bras raccourcis. C’est bourré à craquer de punch, ils font à la fois le train et le Velvet, ils ont exactement le même sens de la consistance que l’early Velvet. Chez eux, tout est dans l’early. Ils sont les dandies de l’early. Et c’est chanté à deux voix. Charmant et complètement dépenaillé. On voit bien qu’avec «Ripped & Torn», ils ont déjà créé leur monde, et ce n’est pas un petit monde. La fête se poursuit avec un «Spitfire Parade» qui sonne comme un cut des Heartbreakers. Les Swell Maps ont exactement le même panache, mais avec du punk anglais en plus dans le mix. Oui, car Nikki chante à la hargne de Rotten avec des chutes à la Devoto. On reste dans le fabuleusement énergétique avec «New York», pur slab de naive-pop punk, comme l’indique Paul Morley au dos de la pochette. On se noie dans un océan de destroy oh boy ! En B, on se régalera du buzzcockien «Forest Fire» - même chant, même frénésie, même classe working-class - et de «Winter Rainbow», embarqué au meilleur after-punk d’époque. C’est d’une santé exubérante. Les Swell Maps se distinguent par la constance des éclats et un perpétuel éventail des possibilités. Encore plus indécent de santé sonique, voilà «Dresden Style (City Boys)». Nikki et Epic savent secouer un cocotier. Une fois de plus, ça sonne comme les Buzzcocks car c’est cisaillé par des embrouilles de solo, ils ont exactement le même sens du misérabilisme glorieux. C’est ce qui fait leur grandeur, ils n’ont aucune prétention. On retrouve à la suite l’excellent «Vertical Slum», véritable est-ender punkoïde des enfers chanté au straight cockney-strut de street. Infernal ! Et pour finir, voici «Hey Johnny Where’s The Chewing Gum», tapé à la carcasse du wild post-punkster Sludge System d’Angleterre. On assiste éberlué à l’incroyable sauvagerie de l’assaut, awite, le Sudden descend son awite avec une délectation de psychopathe, il bouscule au passage toute la léthargie de l’étal étoilé.

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             Jowe Head vient de faire paraître une jolie compile sur Easy Action, Mayday Signals. Il propose 36 tracks qui vont des primitive home-made recordings jusqu’aux derniers enregistrements studio. Jowe Head veut montrer l’évolution du groupe, tant en termes d’idées que de capacité à jouer tout en développant ce qu’il qualifie de charismatic weirdness. On y retrouve l’excellent «Vertical Slum» et un «One Of The Crowd» qui semble sortir tout droit d’un single des early Buzzcocks. Nikki embarque ça dans le punk de Manchester, il se prend pour Boredom, c’est exactement le dévolu de Devoto, avec un chant jeté en pâture. Ils font aussi du pur Dada avec «Read About Seymour» et «Bandits 1-5», ils développent d’énormes chevaux vapeur. Ils poussent même le bouchon assez loin puisqu’ils font du Dada guttural. C’est un groupe étonnant pour l’époque, extrêmement subversif. Ils passent au fast punk d’ultra-violence avec «Off The Beach» et on retrouve l’excellent «Ripped & Torn». Nikki est dessus vite fait bien fait, c’est l’endroit exact où le génie rejoint l’underground. Nouveau coup de semonce avec «Fashion Cult (Opaque)», encore une fois vite fait bien fait, monté sur un heavy grove de r’n’b, ils ont tout ce qu’il faut en magasin, ils ramènent du son et de l’esprit. Encore du punk de Maps avec «Johnny Seven». Et quand on retombe sur «International Rescue», on comprend que les Swell Maps étaient en leur temps l’un des meilleurs groupes underground d’Angleterre.

    Signé : Cazengler, Swell Naze

    Swell Maps. A Trip To Marineville. Rough Trade 1979

    Swell Maps. In Jane From Occupied Europe. Rough Trade 1980

    Swell Maps. International Rescue. Alive Total Energy Records 2009

    Swell Maps. Mayday Signals. Easy Action 2021

    Hugh Gulland : Prince of the nautical swells. Vive Le Rock # 83 – 2021

     

    *

    Avant même la couve, le nom du groupe m’a attiré, GOZD, diable se prendraient-ils pour DIEU, et qu’est-ce que ce Z que l’on placerait d’instinct en quatrième position, que veulent-ils nous signifier ? A moins qu’ils ne soient encore plus pervers que notre imagination ne l’imaginait, suffit de lire la liste des musiciens, ce n’est pas long, ne sont que deux : GOZDEK Jakub (guitars, lyrics, vocals, bass ) et GOZDEK Marek ( drums, backing vocals ), deux frères qui n’oublient pas de dédier ce premier album à la mémoire de Robert Sobansky  avec qui il a été initialement conçu et mis en œuvre. A partir de leur patronyme ont-ils voulu induire l’idée qu’il y aurait comme une césure, une zébrure, une fente dans le nom de God. Nous refairaient-ils le coup à la polonaise d’ En attendant Godot

    Viennent de Wroclaw, surnommée la Venise Polonaise, située en Silésie au Sud-Est de la Pologne, ville universitaire et culturelle au passé prestigieux… Mais il est temps de regarder la pochette signée de Pysemyslaw Kris, la visite de son instagram @nom4dsky est surprenante. A première vue pas d’artwork personnel, avant tout des paysages et des photographies d’immeubles, mais si l’on s’attarde quelque peu sur chaque post l’on s’aperçoit qu’ Industrialism Maximus, ainsi se surnomme-t-il, ne nous offre pas des cartes postales simplement agréables ou surprenantes à regarder, possède un regard architectural, il dissèque les lieux selon leur disposition, il en exprime leur signifiance profonde qui n’est pas sans produire un effet d’étrangeté, même lorsqu’ils ont été façonnés par le travail des hommes ou édifiés de toutes pièces… il parvient à donner l’impression que ces lieux existent par eux-mêmes en dehors de toute ingérence humaine comme si notre engeance n’avait jamais existé. Nous nous sentons exclus de notre monde…

    Si nous nous rendons sur l’instagram de Godz, @godzband, nous avons droit à quatre vues différentes de l’artwork de Pysemyslaw Kris, qui n’incitent pas à l’optimisme, sombres (même la dernière baignée de jaune ) et mystérieuses, qu’est-ce au juste, un paysage d’apocalypse et de fin du monde, ces boules rondes sont-elles des engins spatiaux venues apportées la destruction ou un enchevêtrement de planètes déviées de leurs orbites pour une raison ignorée.

    Conflagration interstellaire ou en of the world… Toutefois le titre qui s’étale en grosse lettres est davantage rassurant :

    THIS IS NOT THE END

    GOZD

    ( BSDF Records - 15 / 01 / 2023 )

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    La phrase de présentation de leur album : ‘’Bienvenue dans le monde de GOZD, plongez dans le chaos et le néant avec nous.’’ témoigne d’une sympathie inquiétante. Dans la série ‘’mais que fait la police ?’’ le lecteur s’attardera sur le lettrage du nom du groupe, les quatre lettres étant elles-mêmes graphiquement scindées en deux… Dieu serait-il fêlé ? Si ce n’est pas la fin, serait-ce la mort de Dieu ?

    Lost in chaos : malgré le titre ça commence relativement calmement, hélas très vite surviennent un frottis de cordes pas franchement désagréables ( même plutôt appétissants ) si vous n’êtes pas sensibles à ces mini-ruptures incessantes de tonalités un peu comme si vous marchiez sur un plancher qui se fragmenterait sous vos pas, surgit une voix très grave, elle semble appartenir à celui que l’on nommerait le Maître du chaos si tant est que le chaos pourrait se plier aux ordres d’un maître, toujours est-il qu’elles ( car apparemment Robert Sobansky aurait posé quelques lyrics )  sont sombres et graves, beaux échos de basse, et le chant liturgique reprend, qui dit kaos dit noise, mais ici la mélodie domine, Gozd ne décrit pas le chaos mais essaie d’exprimer les sentiments de déréliction engendrés par une telle occurrence, la batterie avance le chemin noir que l’on parcourt lentement malgré certaines brisures qui ne génèrent jamais d’accélération. Si ce n’est pas la fin, lorsque la musique s’éteint l’on reste sur sa faim. Unknown answers : décidément l’on n’est pas invité à pénétrer dans le chaos du monde mais à rentrer dans notre âme pour nous poser des questions sans réponses,  bulles successives de résonnances graves qui s’évanouissent dans leur propre splendeur comme si vous électrifiez et espaciez des notes du piano de Chopin et les faites résonner dans le vide de votre esprit, déferlements de guitares, les interrogations sont porteuses d’angoisses et de lourdeurs, l’on tourne en rond dans sa propre histoire rabattus par l’ampleur du son vers les murs de nos incapacités, la voix est sans pitié, elle énonce et dénonce, des couches de guitares mélodramatiques vous tombent dessus cisaillantes et engluantes, sortirez-vous un jour de vous-même, une basse inexorable vous porte des coups, vous tombez dans un entonnoir sonore, la batterie bat la chamade par-dessous, ne restent plus que les battements de votre cœur qui s’arrête. Un morceau dont on ne sort pas indemne. This is not the end : tambourinade, frétillements cordiques, chantonnements de basse, le rythme s’accélère lentement  et la voix se penche sur vous pour vous réveiller de votre mort mentale, le son s’épanouit, l’on vous prend par la main, l’on vous guide, l’on vous pousse dans le dos, la musique plantureuse est votre seule béquille, une onde sonore se lève et vous emporte, tout semble marcher comme sur des roulettes, arrêt, silence, re-tambourinade, mais plus forte, vous avez passé un degré d’initiation, voici le deuxième, batterie pratiquement militaire, cette fois c’est du sérieux la guitare résonne comme des cors de guerre, le riff implacable et saccadé ne vous laisse pas le temps de réfléchir, cymbales et la machine se met en route, à la vitesse à laquelle elle vous entraîne vous comprenez que c’est loin d’être fini, seriez même plutôt projeté sur un tobogan infini, les guitares sonnent comme des coups de sabre, ce n’est pas la fin vous répète-t-on puisque vous entamez le combat pour votre survie. Escape from the inevitable : l’on reste sur le même tissu sonore tout le long du morceau, l’on a échappé au pire, la voix susurre des conseils tout fort à l’oreille de l’impétrant, il ne suffit pas d’être initié, il faut encore comprendre ce à quoi l’on a échappé, faire le point, pour ne pas retomber dans les vortex dérélictoires, l’on est maintenant capable de marcher sur le tapis de cendre froide du néant, il suffit de se lever et d’avancer à l’intérieur de soi. La musique processionnaire vous accompagne. In extreme to extreme : même gravité, même intensité, même si quelque chose semble s’accélérer, la voix se fait profonde, elle dit, elle résume, elle reprend l’itinéraire du début à la fin, et la vérité fuzze, si l’on croyait être tiré d’affaire il n’en est rien, ne serait-on pas exactement au même point, ce n’est pas la fin uniquement parce que la fin n’est pas encore terminée, les guitares se font incendie, tout se précipite, rien n’a changé, le chaos et le néant sont toujours là tapis au fond de nous, batterie oppressante, nous n’y échapperons pas.

    ET dieu dans tout ça ? comme dirait l’autre, nom de Gozd ! Disons qu’il bénéficie d’un sursis. N’a pas réussi à remporter une victoire éclatante sur le chaos, mais ne semble pas avoir été vaincu. Se serait-il enfermé dans la forteresse de l’âme humaine ? L’on attend la suite dans le deuxième opus, celui-ci tout d’une pièce, certes il laisse la question (et la réponse ) en suspens, bénéficie de ce que dans le théâtre classique l’on nommait l’unité de ton, de la première note à la dernière une atmosphère analogue se déploie sans jamais provoquer la moindre parcelle de monotonie, ambiance doom stonner fortement mélodique, une parfaite réussite.

    Damie Chad.

     

    ROCKABILLY RULES ! ( 6 )

    N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    GENE VINCENT’ S FANS

    JULIANE GARSTKA / JACK BODLENNER / DAJANA LOUAAR

    Nombreux sont les fans de Gene Vincent mais certains font tout pour perpétuer non pas le souvenir mais la présence de Gene. Je commencerai par évoquer :

    JULIANE GARSTKA

    J’ai découvert Juliane Garstka tout dernièrement, exactement depuis le 3 janvier 2023 par l’intermédiaire du groupe ( public ) FB Dance and Sing with Gene Vincent, un post provenant de sa participation à ce groupe qui défile à toute vitesse sur ma page d’accueil et que je stoppe immédiatement, touché coulé en plein cœur.

    En quelques mots elle explique que c’est une peinture qu’elle a exécutée voici longtemps alors qu’elle n’était qu’une gamine intéressée par le dessin. Mais autant la laisser s’exprimer elle-même : ‘’ Gene Vincent died on oct 12 th 1971, only 36 years old. He suffered throughout his life after smashing his leg in an accident and hurt it again in a second accident, that took the life of his friend Eddie Cochran. But also he was just pure RocknRoll. He also was my teenage hero and I painted this picture 1982, that sums up the sadness and depression of his life. He will always be in my heart and I deeply miss him although I never had the slightest chance to meet him. ’’

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    Des portraits de Gene Vincent, plus ou moins bien réussis, j’en ai vu des dizaines, mais comme celui-ci jamais. Manifestement inspiré de la pochette de The Day The World Turned Blue, ( 1971 ) l’ultime album de Gene. Mais vue de l’intérieur. La couve est assez parlante, Gene derrière une fenêtre aux vitres brisées, au vu de la façade décrépite la maison a dû être belle, comme Gene elle a connu des jours meilleurs, la sensation de solitude et de tristesse est accentuée par la cime nue d’un arbre dépouillé de ses feuilles. J’ai commandé ce disque à sa sortie, je ne sais plus si c’était en Angleterre ou aux States, la réception du précédent If  Only You Could See Me ( 1970 ) avait été un véritable coup de poignard dans le cœur, Gene allait mal, je le savais, mais là j’avais l’aveu devant les yeux, avec ce dernier disque j’eus la prémonition que les jeux étaient faits, que Gene nous quitterait bientôt, ces deux  albums sont sublimes et crépusculaires ils rayonnent de regret, de nostalgie, de colère rentrée et d’amertume désabusée, ce n’était pas Gene derrière la fenêtre, mais l’annonce de son départ pour autre part. J’ai vécu ces deux dernières années dans l’idée que la fin était proche. Au début du mois d’octobre 71 installé dans un autobus j’attendais le départ, j’entendais sans vraiment écouter le flash d’information de France Inter, rien de bien intéressant, mais sitôt le flash terminé sans aucune annonce ont retenti les premières notes de Be Bop A Lula. J’ai compris. Un tel titre à huit heures du matin ce ne pouvait être que… A la fin du morceau le speaker a confirmé…

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    Et maintenant, un demi-siècle plus tard cette œuvre de Juliane Gartska, qui ravive cette ancienne blessure jamais refermée, la mienne sans importance comparée à celle de Gene, cet homme qui a tant donné pour le rock’n’roll et ses fans, enfermé dans une immense solitude et un sentiment d’abandon et d’injustice, ‘’ I was standing by my window /  on one cold and cloudy day / When I saw that hearse come rolling…’’ le cercle impitoyable qui s’est refermé lentement sur lui, Gene a eu le temps de l’appréhender… tout cela une adolescente l’a ressenti et exprimé bien plus fortement que mes mots, cette pièce blanche, cet homme en noir à la fenêtre, dont pas même un corbeau ne s’aventure à toquer à l’un des vantaux, la représentation d’une âme enfermée dans le sépulcre de son agonie, dans le monde vide des illusions perdues, une vision intérieure…

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    Depuis Juliane Garstka a grandi, elle a gardé sa sensibilité artistique, une visite de son FB s’impose, vous y verrez de nombreuses photos de chevaux qu’elle sculpte. Elle a aussi gardé son attachement pour Gene. Les photos ne permettent pas de juger si ce sont des sculptures ( résines ? ) ou des figurines peut-être habillées ou des poupées,  voici Gene en action, lorsqu’elle se réunit avec des potes pour chanter et jouer ( devinez quoi !), autour de chez elle dans la nature, elle n’arrête pas de le mettre en scène, avec Jerry Lou, notamment avec Daniel Lanoy, producteur, chanteur, musicien canadien une autre de ses admirations,  elle qui a su traduire l’intérieur de Gene, elle l’affiche maintenant à l’extérieur dans sa vie, il est toujours là, objectif, vivant - car l’art immortalise – à ses côtés. Que voulez-vous, elle n’a pas renoncé à son rêve. Nous l’en remercions.

    *

    PRECISIONS HISTORICO-GEOGRAPHIQUES

    Topanga Canyon est situé au nord de Los Angeles entre Santa Monica et Malibu, il est peut-être moins célèbre que le Laurel Canyon beaucoup plus proche de Los Angeles, mais ces deux endroits sont constitutifs de ce qu’en France on appellerait la légende hippie, ce que plus pragmatiques les américains nomment le California Sound. Ces lieux encore un peu sauvages et désertiques attirèrent la faune des musiciens avides de ces libertés que nous qualifierons de sonores, extatiques et sexuelles. Jim Morrison, Mama Cass, Joni Mitchell pour ne citer que les plus célèbres, nous n’oublions pas la bande des quatre, Crosby, Stills, Nash and Young – le Cat Zengler pas plus tard que la semaine dernière nous entretenait de Stephen Stills – fréquentèrent le Laurel, Le Topanga accueillit la famille ( peu recommandable ) Manson mais aussi Woody Guthrie, Jack Eliott, Canned Heat, Emylou Harris, et bien sûr Neil Young… Tous ces artistes se sont produits au célèbre Topanga Corral vaste discothèque qui proposait de nombreux concerts. Le vivier n’était pas loin.

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    A l’inverse Anaheim se trouve de l’autre côté, donc au Sud-Est de Los Angeles, la ville est surtout connue pour ses deux Parcs Disney et un important salon annuel de musique de la National Association of Music Merchants Show.

    Précisions nécessaires pour bien comprendre les trois premières lignes de l’intitulé du concert qui suit :

    1971 : THE ANAHEIM SHOW

    06 - 06 - 1971 / TOPANGA CORRAL

    TOPANGA CANYON

    JACK BODLENNER / DAJANA LOUAAR

    DERNIER CONCERT DE GENE VINCENT

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    Les personnes qui se rendent sur le FB Kr’tnt Kr’tnt pour accéder au blogue Chroniques de Pourpre connaissent JACK BODLENNER, sur le bandeau de tête c’est lui à moitié allongé sur la scène dont les doigts atteignent l’attelle de la jambe blessée de Gene Vincent. Jack Bodlenner est un fan inconditionnel de Gene Vincent, il a assisté à de nombreux concerts, notamment en France, de Gene, il possède sans compter les photos plus de six cent heures d’enregistrements (scènes, coulisses, hors concerts), il n’est pas de ceux qui gardent égoïstement leurs documents, il les livre peu à peu au public. Il intervient souvent sur le groupe public FB Dance and Sing with Gene Vincent qui offre à tous les fans un espace où déposer en libre accès documents iconographiques et vidéos, connus, rares, inédits… Une mine d’or.

    En 1971, j’étais à Toulouse, beaucoup plus malin et avisé que moi Jack Bodlenner assistait au dernier concert de Gene Vincent aux USA, au Topanga Corral, il en a ramené quelques bandes.

    Si vous les retrouvez sur FB, vous pouvez remercier DAJANA LOUAAR c’est une des administratrices du groupe qui a proposé à Jack Bodlenner de mettre en images les extraits de ce concert – le but ultime est de le donner en son intégralité – ce ne sont pas les images de ce concert mais une succession de photos diverses qui défilent sous vos yeux et rendent en quelque sorte l’écoute plus vivante, ‘’ plus palpable’’.

    Dajana Louaar  et Jack Bodlenner font bien plus que rendre hommage à Gene Vincent, ils suscitent sa présence.

    WORKING ON THE RAILROAD

             Quand ce morceau a été révélé sur You Tube les oreilles ont tilté, il dépasse dix minutes une longueur inusitée pour Gene, à part Tush Hog et Slow times comin’ ce genre de long fleuve tranquille – quoique Tush Hog soit assez mouvementé - n’était pas dans ses habitudes.  Le premier enregistrement de ce traditionnel effectué par Leadbelly date de 1942, il en existe différentes variantes on le retrouve souvent sous le titre de Take this hammer, on classe souvent Leadbelly parmi les artistes de blues, toutefois la majeure partie de son répertoire est plus proche du folksong que du blues. C’est le goût prononcé de Gene pour le country qui a sans doute emmené Gene à s’intéresser à ce morceau. L’est vrai qu’il est idéal pour la scène, ses lyrics courts et répétitifs se prêtent à toutes les insistances et à toutes les improvisations. Nous ne possédons aucun renseignement précis sur Kid Chaos le groupe qui l’accompagne, tout ce que nous pouvons dire c’est que ce n’est pas un combo de rockabilly, la qualité sonore du document ne permet pas de préjuger de sa valeur mais il nous semble dans la moyenne de la manière dont on jouait le rock au début des seventies, autre remarque : la voix de Gene est moins desservie que ses musiciens. Mais arrêtons de pérorer sur le quai de la gare et montons dans le train, ou pour être beaucoup plus fidèle à l’esprit de la chanson arrêtons de trimer pour rien et prenons à toute vitesse la voie de la liberté. Ce morceau fleure bon l’idéologie des travailleurs adhérents à l’IWW ( Industrial Workers in the World ) syndicat à tendance anarchisante et autogestionnaire.  Le train démarre sur sa vitesse de croisière menée par la voix de Gene, la batterie a dû s’accaparer le plus grande largeur de la bande, elle ne permet pas à la guitare et à la  basse de donner toute leur impulsion, la voix de Gene est un peu reléguée au fond, avec les acclamations du public, ce qui est dommage car Gene est en pleine forme, un beau solo de guitare perce la brume sonore, l’on atteint à une belle intumescence lyrique, normalement ce devrait être la fin mais ça continue pour… mieux stopper, seul le batteur maintient l’imperturbable rythme, vite rejoint par la voix revendicatrice, coléreuse et agressive de Gene,  mais tout rendre dans l’ordre pour aborder un beau pont musical, nouvel arrêt, le batteur batifole Gene parle, et l’on repart pour mieux laisser à Gene clore la fin de la ligne. Vu la qualité sonore, je conseille de l’écouter plusieurs fois, c’est ainsi que ce qui pourrait apparaître comme un tantinet monotone se révèle empli de finesse.

    BE BOP A LULA

    Pendant longtemps écouter Be Bop A Lula restait relativement simple, la version 56 inimitable, la version 62 twist et rapide, la version lente que parfois Vincent interprétait sur scène ( Eddy Mitchell sen inspira pour sa version 63 ) et la version bastringue 69 musicalement si différente et si lourde que beaucoup ne savaient quoi en penser… avec le Net l’on ne compte plus les extraits de concerts qui proposent ce morceau, à tel point qu’il est difficile de trancher entre elles. De tous les morceaux de ce dernier concert in USA, c’est celui-ci qui bénéficie de la meilleure qualité sonore, c’est un peu dommage car l’on sent que l’orchestre ne rentre en rien dans ce parangon idéel du rock ‘n’ roll, patauge à côté de l’esprit rawkabilly, peu de subtilité, beaucoup de lourdeur au sens négatif de ce terme. Malgré les acclamations qui fusent dès les premières notes Vincent l’expédie rapidement – combien de fois l’a-t-il exécuté dans sa vie en final de show – il sait que pour resplendir ce joyau doit être enserré dans un chaton musical le plus pur. Sur les applaudissements terminaux un Monsieur Loyal remercie Gene.

    SUNDAY MORNING COMING DOWN

    Un morceau de Kris Kristofferson écrit en 1969, Gene a dû l’emprunter à Johnny Cash un de ses chanteurs préférés qui l’interpréta en 1970, il en existe aussi une remarquable ‘’ démo’’ de Gene d’une tristesse et d’une pureté qui vous serre à la gorge. La voix de Gene au premier plan mais voilée par un souffle qui heureusement de temps en temps s’efface, un accompagnement tout ce qu’il y a de plus traditionnel en country, est-ce le public qui chantonne ou les musicos, vraisemblablement le public car sur les dernières notes des voix féminines se détachent preuve que Gene à quatre mois de sa disparition séduit encore et imprime sa marque sur chacune de ses interprétations.

    CORINE, CORINA

    Une chanson douce pour les effusions sentimentales, encore un traditionnel, la basse en avant, les cris du public, le slow d’enfer qui tue les dernières résistances, rien qu’à la façon dont Gene triture et tord son nom, la Corine doit mouiller sa culotte, un peu d’orgue pour mettre du liant et la batterie qui rapplique pour rajouter un peu plus la pression, faut savoir lâcher un semblant de lest pour se permettre d’être plus leste en un second temps. Dès que ce grand rock ‘n’roller que fut Gene s’empare d’une ballade, une magie saisissante opère. Vous transmet l’émotion de ces moments de la vie somme toute banale, mais qu’il fixe dans une aura de nostalgie poignante.

    WHOLE LOTTA SHAKIN’ GOIN’ ON

     Le band visiblement plus à l’aise sur ce classique de Jerry Lou que sur Be Bop A Lula, la voix de Vincent trop en arrière ce qui est regrettable car il est évident qu’il est en forme, l’on se console avec ce piano qui rit de toutes ses dents d’ivoire, après la furie du début, l’on y va relax et la basse consent à monter les escaliers en courant, mais ça repart tout de suite sur les chapeaux de roue pour se terminer illico. Consacrer moins de cinq minutes pour un morceau taillé pour la scène, c’est râlant.

             Il resterait une émotionnante version d’Over The Rainbow à venir.

             Généralement c’est ce que l’on appelle des vidéos pour les fans. Cela tombe bien, j’en suis un. Il est sûr qu’il faut les écouter à l’ombre des enregistrements ‘’ officiels’’. Mais tout ce qui provient de Gene Vincent reste précieux. Merci à Dajana Louaar pour la mise en images.

    Damie Chad.

     

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 15 ( Ablatif ) :

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    Je suis un peu ( à peine plus de trois heures ) en retard ce matin au local. La journée de la veille a été très chaude et mouvementée, pas de quoi fatiguer ces hommes de fer que sont les agents du SSR, je n’y suis pour rien la faute en incombe à Calliope. J’étais tranquille chez moi en train de beurrer pour le petit déjeuner de Molossa et Molossito les biscottes - ces braves bêtes les adorent, à condition que je glisse entre deux toasts préalablement grillés à point, une entrecôte de bœuf saignante – je n’avais pas encore bu la moindre gorgée de café lorsque j’ai été submergé par l’enthousiasme poétique, c’était Calliope la muse de l’éloquence et de l’épopée qui à l’oreille m’enjoignit de rédiger dans mon autobiographie Mémoires d’un GSH ( *)  le passage relatant les évènements survenus dans la Forêt de Laigue. Je recopie ses paroles texto : ‘’ Damie, le monde de demain a le droit de savoir ce qui s’est réellement passé hier soir ! C’est ton devoir de le relater ! Au travail gros paresseux !’’

    Compréhensif le Chef a tout de suite excusé mon retard : ‘’ L’on ne fait pas attendre une déesse’’ me déclara-t-il et il ajouta : ‘’ Peut-être qu’avec l’aide de Calliope et de votre stylo Bic, les actes du SSR ainsi rapportés ensemenceront-ils les esprits des grands hommes de la future Humanité et ainsi permettront-ils à notre misérable engeance de ne pas périr lors de la septième extinction…’’

    79

    C’est avec la voix que je prends spécialement pour réciter les épodes de Pindare que je me lançai dans la lecture de mon œuvre immortelle, par modestie je n’en recopie que quelques extraits : ‘’ … les deux Compagnies Républicaines de Sécurité que rien ne menaçait tirèrent à elles seules davantage de grenades de désencerclement – stratégie peu appropriés puisqu’ils n’étaient pas encerclés - que n’en tira le divin Héraklès sur les oiseaux du Lac Stymphale qui se ruaient sur lui dans l’intention de déchirer en lambeaux sanguinolents son corps de héros. Dans leur mansuétude proverbiale les Dieux ne ripostèrent point et se contentèrent de sourire, mais lorsque le Commandant Octave Rimont ordonna à la phalange du GIGN de donner l’assault, du haut de son trône Zeus grimaça, et une ombre gigantesque se dressa dans le ciel. On aurait dit un immense oiseau, était-ce l’aigle de Zeus, ou la chouette d’ Artémis, plus tard certains émirent qu’il s’agissait de la chienne d’Hécate la déesse des carrefours métamorphosée en vautour gypaète barbu, l’on ne sait, l’oiseau noir passe et repasse ( normal c’est un rapace ) à plusieurs reprises au-dessus de la tête des deux cents CRS alignés, peu prennent garde à sa présence, mais à la septième fois que l’ombre noire survole la colonne de ces cracheurs de brouillards puants, tous, un par un s’écroulèrent à terre, sans bruits de façon peu spectaculaire, comme si cédant à une grande fatigue ils s’adonnaient à un somme réparateur, par contre les membres du GIGN qui avaient déjà atteint les hautes ramures de la futaie chutèrent lourdement, l’on entendait leurs corps glisser et se fracasser sur les branches puis s’écraser à terre comme ces fruits trop mûrs qui éclatent à peine ont-ils touché le sol, aucun des assaillants ne se releva, le grand oiseau noir sembla se désagréger en des milliers de fragments qu’un coup de vent emporta on ne sait où… Octave Rimont se précipite vers ses hommes, il hurle de rage et de dépit, tous sont morts, il fait signe au petit groupe qu’il avait écarté de la première ligne de ne pas bouger mais Molossa et Molossito foncent en avant et je les suis, deux hommes sont en train de descendre des arbres qui cachent le mur d’enceinte, le Chef et un sympathique inconnu qui répond au nom de Carlos, laissant Octave Rimont à son désespoir nous nous éclipsons discrètement…’’

    80

    • Ah, ce Carlos quel homme providentiel, s’exclame le Chef, agent Chad votre récit est un chef-d’œuvre de la littérature universelle, mais il est temps de nous livrer à un petit examen herméneutique en le comparant avec l’article pondu par Lamart et Sureau, d’ailleurs repris ou cité par le reste de la presse, écrite, parlée, télévisée, réseaux sociaux à fond la caisse, tout ce petit monde en ébullition tant au niveau national qu’international… trop occupé par la rédaction de vos mémoires vous ne vous êtes pas penché sur les nouvelles matutinales, je vous laisse lire tranquillement la une du Parisien Libéré, je ne vous en ferai pas la lecture, le devoir m’appelle, je me dois d’allumer un Coronado.

    81

    TERRIBLE RECRUDESCENCE

    DU COVID 19

    UN NOUVEAU VARIANT HYPERCONTAGIEUX

    237 MORTS EN QUELQUES MINUTES

    Olivier Lamart : ce devait être une après-midi sans histoire. C’est un peu en traînant que nous nous sommes rendus, sur invitation spéciale du Commandant Octave Mirmont, mon collègue Martin Sureau et moi-même, en forêt de Laigue, pour assister à un entraînement des forces spéciales de Gendarmerie. Rien du tout nous avait assuré Octave Mirmont, un petit exercice de ‘’ lance-patates’’ pour les Compagnies Républicaines de Sécurité dans le but d’assurer une ‘’ sécurité offensive’’ du Président de la République lors de ses déplacements et un premier ‘’stage d’escalade arborée préventive’’ dédié au GIGN afin de lutter au plus près des pyromanes qui n’hésitent plus à s’attaquer à nos forêts indispensables à notre survie écologique.

    Martin Sureau : nous avions affaire à des fonctionnaires d’état hyper-spécialisés et particulièrement motivés. Une fois les ‘’grenadiers’’ ayant effectué leurs tirs sans anicroche, ce fut autour des membres du GIGN de prouver leur promptitude à monter le long des troncs des arbres choisis pour cet exercice périlleux. La plupart d’entre eux s’étaient déjà postés et dissimulés dans l’épais feuillage des frondaisons les plus hautes de la forêt lorsque se produisit un léger incident.

    Olivier Lamart : un CRS – on les avait laissés sur place pour qu’ils puissent bénéficier du spectacle et de l’exemple offerts par leurs collègues qui font partie de l’élite sécuritaire de notre nation – s’affaissa sans préavis, ses collègues les plus proches n’eurent pas le temps de se porter à son secours, eux aussi saisi par un mal mystérieux s’effondrèrent tour à tour, tous furent terrassés, pas un ne se releva.

    Martin Sureau : le plus terrible à regarder ce fut ces policiers du GIGN qui dégringolaient de branche en branche sans ménagement sans même pousser un cri.

    Olivier Lamart : en effet chose incroyable, ils ne se sont pas tués en tombant, ils étaient déjà morts lorsqu’ils ont commencé à chuter. Les premiers secours et les médecins du Samu étaient formels.

    Martin Sureau : passons sur le balai des brancardiers qui transportèrent les corps dans leurs ambulances stationnées à deux kilomètres dans une des grandes allées carrossables de la Forêt de Laigue. Il fallait faire vite pour autopsier les cadavres de ces malheureux.

    Olivier Lamart : à peine quatre heures plus tard les premiers résultats fiables commencèrent à arriver au PC de crise établi dans la cour de l’hôpital militaire de Paris. Les analyses étaient formelles et concordantes. Tous nos valeureux policiers ont été atteints par un variant du Covid 19 hautement virulent et hyper-transmissible.

    Martin Sureau : c’est dans la nuit, quelques minutes avant de finir cet article qu’un communiqué de l’Elysée nous est parvenu. Nous en copions l’extrait le plus important :

    ‘’ La situation est grave mais nous appelons nos concitoyens à garder leur calme. Certes plus de deux cents policiers ont été victimes d’une attaque foudroyante d’un variant encore inconnu du Covid 19. Mais il ne faut point s’affoler, aucun des soignants, brancardiers, ambulanciers, infirmiers, médecins, professeurs, qui ont été de par leur fonction invités à manipuler les cadavres ne souffrent d’aucun mal. Il semble que cette souche ultra-virulente se soit développée dans un unique endroit somme toute circonscrit de la Forêt de Laigue. Celle-ci est désormais fermée et interdite aux visiteurs tant que des scientifiques internationaux n’aient rendu leur conclusion nous   assurant de l’innocuité de ces lieux. D’après les premières données de nos plus grands experts, il y a peu de chances que de telles attaques foudroyantes se renouvellent puisque ce variant est tellement nocif qu’en tuant ceux qu’il contamine, il se tue lui-même. Honneur à nos forces policières victimes de ce fléau qui sans le savoir, ont sauvé le reste de la population française en formant de leurs corps le barrage nécessaire à la survie du pays. Leur sacrifice n’aura pas été vain. La France reconnaissante.’’

    Notre propre survie à nous deux journalistes qui suivaient de très près le déroulement de ces opérations militaires ne sont-elles pas la preuve de la véracité des propos de ce communiqué officiel ?

    Faisons confiance à notre gouvernement !

    Olivier Lamart & Martin Sureau.

    A suivre…

    *Les initiales GSH signifient : Génie Supérieur de l’Humanité.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 583 : KR'TNT 583 : STEVE STILLS / SHACK / VELVET UNDERGROUND / JON SPENCER / MARYLIN SCOTT / ADY ONE WOMAN BAND / WILL BOYAJIAN / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 583

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    12 / 01 / 2023

    STEVE STILLS / SHACK

    VELVET UNDERGROUND / JON SPENCER

    MARYLIN SCOTT / ADY ONE WOMAN BAND

     WILL BOYAJIAN / ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 583

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Stills little fingers- Part One

     

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             Dans la vie de Stephen Stills, l’objet de fascination n’est peut-être pas celui qu’on croit. Buffalo Springfield ? CS&N ? Non, c’est sa relation avec Jimi Hendrix. Voilà la raison pour laquelle on lit la bio de David Roberts, Change Partners, parue en 2016. Cette relation court tout le long de cette bio très prudente. Pourquoi prudente ? Roberts cite systématiquement toutes ses sources dans le fil du récit, comme s’il craignait d’être pris en défaut. Il aurait dû s’appeler Prudence Petitpas.

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             C’est chez Peter Tork que Stills rencontre Jimi Hendrix pour la première fois, au lendemain de Monterey. Il jamme dans la foulée avec Jimi, Buddy Miles, David Crosby et Hugh Masekala in the beach house de Buffalo Springfield qu’il loue à Malibu. Tout le monde prend de l’acide et joue. Quand des flics débarquent à cause du bruit, ils autorisent les musiciens à jammer à la condition de pouvoir rester et assister à la jam. C’est une anecdote dont Stills semble être très fier. Il dit aussi que cette nuit-là, il a appris à jouer de la guitare. Il revoit Jimi un peu plus tard à New York, où il est en tournée en première partie des Monkees. Ils se retrouvent au Waldorf Hotel et Micky Dolenz se joint à la fête. Stills : «Jimi was my guru, man.» Plus tard, en mars 1968, lorsque Jimi enregistre Electric Ladyland, Stills l’accompagne au piano sur «My Friend», un cut qu’on retrouve sur Cry Of Love et First Rays Of The New Rising Sun. Quand Stills s’installe à Londres, il fréquente beaucoup Jimi. Ils sortent tous les deux, roulent dans Londres en limo, vont dans des clubs. Ils parlent pendant des heures et des heures, nous dit Stills, de musique et de philosophie et Jimi lui montre encore «certain things about playing lead guitar». Stills participe aussi à la mythique session organisée par Alan Douglas pour Timothy Leary : Jimi (bass), John Sebastian (guitar, harp), Buddy Miles & Mitch Mitchell (beurre) et Stills (guitar, organ, chant). Ils jamment sur le «Woodstock» que vient d’écrire Joni Mitchell et c’est une jam qu’on retrouve sous le titre «Live And Let Live» sur You Can Be Anyone This Time Around, l’album de Timothy Leary paru en 1970. Quand Jimi joue sur scène dans les clubs, Stills l’accompagne à la basse. Stills lui montre aussi comment jouer de l’acou. Ce qui frappe le plus Stills en Jimi, c’est sa timidité - Shy, impossibly shy - Tout cela jusqu’en septembre 1970, quand Jimi casse sa pipe en bois. Stills perd l’un de ses meilleurs amis. 

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             L’autre grand fil rouge amical de sa vie, c’est bien sûr David Crosby, qui est aussi légendaire que Jimi. Un Croz qui est tellement frustré dans les Byrds qu’il commence à fréquenter assidûment Stills. Un Stills qui confie à Dave Zimmer : «J’avais entendu dire que David was an arrogant arsehole, mais quand je l’ai rencontré, il était aussi timide que moi, et pour surmonter sa timidité, il avait adopté un comportement agressif. Je connaissais le symptôme parce que je me conduisais de la même manière.» Croz avait agacé ses collègues des Byrds en jouant avec Buffalo Springfield à Monterey. Pour lui c’était la fin des haricots, il allait être viré des Byrds.

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             Stills a souvent tenté des gros coups, avant ou après Buffalo Springfield. Alors qu’il vivait encore à New York, il a essayé d’entrer dans les Lovin’ Spoonful. Lorsqu’il s’installe à San Francisco, il est fasciné par Grace Slick & the Great Society. Il est effaré par la médiocrité du groupe mais il est trop timide pour demander à Grace de former un groupe avec lui. Il tente aussi de décoller avec le Van Dyke Parks Band, mais ça ne marche pas. Stills va cependant rester en contact avec Parks. Son copain Tork essaye de le faire embaucher comme producteur des Monkees, mais c’est Chip Douglas qui décroche le job, à la demande de Papa Nez. Stills avoue qu’il aurait bien aimé produire les Monkees. On lui propose aussi le job de lead singer dans Blood Sweat & Tears. Al Kooper le connaissait depuis les Super Sessions et sa réputation de chanteur guitariste d’exception grossissait très vite. Quand il commence à monter CS&N, il tente d’intégrer John Sebastian qui décline l’offre, préférant rester en solo. Il cherche aussi à intégrer Dave Mason qui lui aussi décline l’invitation. Lorsqu’il est à Londres, Stills participe aux séances d’enregistrement de l’album de Doris Troy pour Apple, que supervise George Harrison. Dans le studio, Stills croise Leon Russell, Delaney & Bonnie, Billy Preston, Klaus Voormann et quelques autres luminaries. Stills entre aussi en studio avec Humble Pie lors des sessions de Smokin’ : organ et harmonics sur «Thirty Days In A Hole», des voix sur «Hot’n’Nasty» et de l’Hammond sur «Road Runner G Jam». Et il fera par la suite pas mal d’autres contributions. Stills est un session man très courtisé.

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             Pas étonnant qu’on le retrouve sur Super Session, l’un des plus beaux albums parus en 1968. Il s’agissait au départ d’un projet lancé par le duo Mike Bloomfield/Al Kooper, et comme Bloomy disparaissait quand ça lui chantait, on fit alors appel à Stills qui enregistra la B. Pour une poignée de lycéens bas-normands, ce fut la révélation, d’autant que la B démarre sur une cover d’«It Takes A Lot To Laugh (It Takes A Train To Cry)» de Bob Dylan, avec Harvey Brooks on bass. Stills te chante ça au feeling pur. Il part en petit solo de gras double et cette cover devient une merveille extrême. Puis il tape dans Donovan avec, disons-le tout net, la plus belle cover de «Season Of The Witch». Stills éclate bien sa Witch au chant et croise le fer avec Harvey Brooks, on se régale de ce somebogy’s looking over/ And it’s strange/ So so strange/ Strange right now, il y va le Stills, c’est énorme et ça groove dans le jazz, il double sa guitare à la voix, cette B est l’une des faces historiques de la saga du rock. La Witch est coiffée par de somptueux arrangements de cuivres et pouf, Stills repart au so very strange. Il tape ensuite une cover du «You Don’t Love Me» de Willie Cobb et il part en virée subliminale, avec derrière une basse en réverb. Cette B faramineuse s’achève sur un «Harvey’s Tune» d’Harvey Brooks mélodiquement pur, on se croirait dans Taxi Driver avec Bernard Hermann.

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             Au plan humain, la bio n’amène pas grand-chose. Dans l’intro, l’auteur brosse en quelques lignes un portrait qui semble vouloir tout résumer : «À différentes époques, il fut band leader, guitariste, bête de travail, égomaniaque, bluesman, auteur poétique, et père de famille laid-back, avec sept enfants. Le petit blond aux yeux bleus avec la grosse guitare blanche est devenu un gravel-voiced LA bluesman idéal pour le prochain blockbuster produit par Disney.» Ado, Stills vit en Floride et découvre Tampa Red qui jouait dans la rue à Tampa. L’ado Stills parle avec lui et Tampa Red lui montre comment jouer de la guitare avec un couteau. Puis à la radio, il découvre Slim Harpo, Little Willie John, Muddy Waters «and a new rhythm and blues group called James Brown and The Famous Flames.» Il est déjà dans la musique noire. Pendant les années qu’il passe à Greenwich Village, il voit beaucoup les stars de l’underground : «Freddy (Fred Neil), Timmy (Tim Hardin), Richie Havens et Chet Atkins ont plus influencé mon style de guitare que n’importe qui d’autre.» Stills avait surtout un faible pour Richie Havens qu’il trouvait gentil, généreux et très pur - On prenait notre breakfast ensemble sur la sixième avenue, à côté du Waverly Theatre. Il prenait feu quand il jouait - Puis il va flasher sur Neil Young lors d’une virée au Canada. Lorsqu’il s’installe à Los Angeles, il auditionne pour le job dans les Monkees, comme chacun sait, mais il veut que les choses soient bien claires : il ne voulait pas être un Monkee. Il voulait juste proposer ses chansons. Comme le problème des chansons est déjà réglé avec l’embauche de Boyce & Hart, Stills indique aux recruteurs le nom de Peter Tork, son copain de Greenwich Village. Il fait ensuite la connaissance de Barry Friedman, un music bizman qui va devenir Frazier Mohawk. Mohawk est connu pour avoir organisé la conférence de presse des Beatles à l’Hollywood Bowl, en 1964. Mohawk est aussi dans la bagnole avec Stills et Furay le jour où ils croisent le corbillard de Neil Young et Bruce Palmer, c’est-à-dire le jour de la fondation de Buffalo Springfield. C’est Mohawk qui va prendre le groupe en charge, car ils n’ont pas un rond. C’est lui qui organise la première tournée du Buffalo avec les Byrds. Il va produire des stars de l’underground comme les Holy Modal Rouders et Kaleidoscope et co-produire avec John Cale le Marble Index de Nico. Jac Holzman l’embauche comme A&R pour Elektra, mais ses projets avortent, notamment le fameux Paxton Lodge, un studio construit dans les montagnes du Nord de la Californie et financé par Holzman. Dans ses mémoires, Holzman se dit dépité par le résultat. Il n’en sortait rien ou pas grand-chose, alors que ça devait être un chaudron de créativité. On l’a bien compris, Mohawk est un personnage clé de la scène californienne.

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             C’est l’occasion ou jamais d’écouter l’album d’Essra Mohawk, Primordial Lovers que produisit son mari Frazier. Bien que très typé, l’album est intéressant. On a là un son très Airplanien avec de la dope dans le groove. Frazier veille au grain du groove en introduisant une flûte et un bassman entreprenant. Plus on avance dans l’album et plus ça devient bon. Il se produit un étrange phénomène d’acclimatation. C’est l’apanage des drogues. Le plaintif d’Essra accroche par la qualité du groove. Elle se la coule douce. Comme son nom l’indique, «I Have Been Here Before» est assez fantômal. Elle chante à la lisière de la mort, elle sonne comme une tanche translucide suspendue dans les eaux mortes, elle délire et ça reste plein de son. Pas de hit bien sûr, sur cet album, juste des ambiances. Bien visité par le spirit, voici «Thunder In The Morning». Mais en même temps, on comprend que Jac Holzman ait jeté l’éponge avec la bande à Frazier : ces gens-là sont trop far-out. Elle semble avancer à l’aveuglette, comme Tim Buckley, elle drive chaque cut à la renverse de magie indirecte, elle n’écoute que la sensibilité de sa touche, elle peut se révéler fantastique, elle vole le show aux fantômes, elle joue avec sa glotte pour faire de l’art moderne et ça marche, ça devient une merveille évolutive de groove féminisé, elle joue sur les vitesses, elle ralentit et repart à la glotte folle et elle fait de «Thunder In The Morning» une merveille surréaliste d’une indicible beauté. Elle tape encore ce slow groove d’entre-deux eaux qu’est «It’s Up To Me» à l’excellence. Elle se révèle parfaite au chant d’eeerie, elle fait même parfois sa Slick, comme c’est le cas avec «It’s Been A Beatiful Day». 

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    ( Ahmet Ertegun )

             S’ensuit l’épisode Buffalo Springfield, épluché ici tout récemment. C’est l’époque où Stills flashe sur Ahmet : il est éberlué par l’enthousiasme qu’Ahmet montre pour la musique et par ses capacités de businessman - an incredibly rare and powerful combination of skills that Stephen would come to rely on greatly - L’admiration est réciproque, car Ahmet Ertegun veillera soigneusement aux destinées des projets successifs de Stills : Buffalo, CS&N, CSN&Y et sa carrière solo.

             Le cœur du book, c’est justement l’épisode CS&N/CSN&Y. L’auteur parle de chemistry entre Stills et Croz, et prend l’exemple de «Long Time Gone» qu’écrivit Croz le jour où Bobby Kennedy se fit buter - Tout était facile, très local, et la rumeur autour de Laurel Canyon disait que Croz et Stills étaient sur quelque chose de très spécial - Pour l’enregistrement de leur premier album, Croz et Stills restaient toute la nuit en studio et allaient prendre leur breakfast sur Sunset Boulevard. Mama Cass, John Sebastian, Joni Mitchell, Ahmet Ertegun, Jerry Wexler et Totor venaient leur rendre visite au studio. Comme Stills savait exactement ce qu’il voulait côté son, on le surnomma Captain Manyhands. Sur le premier album, c’est lui qui joue tous les instruments. Il dit à Willie G. Moseley : «J’ai joué tous les instruments sur le premier album. En gros, il s’agissait de Buffalo tracks avec de nouvelles voix. J’ai utilisé une Gretsch, une Martin, un dobro, un banjo et un piano. Je possède encore une vieille Fender Precision que j’appelle Grandma. Si elle sonne si bien, c’est parce que les cordes n’ont jamais été changées.» 

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             Il existe deux façons d’écouter les deux premiers albums du consortium CS&N/CSN&Y : soit via Croz, soit via Stills. Alors évidemment, ce n’est pas la même chose. Chacun sait que dans le consortium, chacun amène ses cuts et les chante, ce qui fait chaque fois des ambiances différentes. Sur le premier album du consortium, Stills vole le show avec «Suite Judy Blue Eyes», évidemment. Il est le gratteur d’acou du diable, il tiguilite à qui mieux-mieux, il est partout, il tisse le fil d’argent de la légende. Mais en fait, c’est Croz le cake dans cette histoire, avec ses deux grooves mirifiques, «Wooden Ships» et «Long Time Gone». C’est d’une présence immédiate, l’essence même du rock californien, avec le toucher de note de Stills. Tout le son est là, l’Airplane, Croz, la psychedelia des origines et tout le tintouin, wooden ships/ On the Water/ Very free/ And easy. Personne ne bat Croz à la course. Il est le sauvage de l’album, le drug guy, il organise la fantastique levée des voix de «Long Time Gone», poussé dans le dos par le so very heavy bassmatic de Stills.

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    On peut répéter l’expérience de l’écoute sélective sur Déjà Vu : Croz bouffe à nouveau l’écran avec «Almost Cut My Hair», encore un groove visité par les wild tentatives de Stills. Croz est à l’apogée de son art, celui des grooves océaniques. C’est encore lui qui crée la sensation en B avec le morceau titre, un groove de jazz amené au one two three four et Stills instille du jazz liquide dans les méandres mythologiques imaginés par Croz, ce génie mirobolant. En réalité, c’est Joni Mitchell qui rafle la mise sur cet album avec «Woodstock» et là tu as le son du wild stylish Stills. Ces mecs tapent dans le meilleur rock californien de l’époque, Stills prend le cut d’une voix de Super Session man et se perd dans un superbe fondu de voix, dans l’absolue merveille de cette clameur.

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    ( Dallas Taylor )

             Puis les choses commencent à dégénérer avec la coke. Stills et Croz s’en mettent plein le cornet. Puis Croz et Nash trouvent que Captain Manyhand a la main trop lourde, il pousse son autoritarisme trop loin. Stills les voit comme des backing-singers couverts de gloire qui commencent à renauder. Puis Neil Young veut la peau de Dallas Taylor dont il n’aime pas le style. Soit il part soit je pars. Ultimatum ! Stills est embêté car il aime bien Dallas, c’est un bon batteur. Mais ça commence à faire beaucoup. Stills avoue en avoir marre de tous ces mecs qui ne sont jamais contents - J’en avais ras le bol d’avoir la responsabilité d’un groupe qui entrait en rébellion au premier signe de leadership - Il a raison. Les tournées CSN&Y deviennent des phénomènes de foire, avec «the cocaine and caviar consumption, the egos and the cash involved», ils emmènent les Beach Boys en tournée et les shows durent plus de trois heures. Neil Young fait route à part, avec sa femme, son bébé et son chien, ce qui fait bien marrer Croz.

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    ( Rita & Stephen )

             Un autre épisode croustillant va jeter un peu d’huile sur le feu : l’épisode Rita Coolidge.  C’est elle qui inspire le «Cherokee» qu’on trouve sur le premier album solo de Stills. Nash qui avait déjà piqué Joni Mitchell à Croz envisage déjà de piquer Rita à Stills. En effet, Stills courtise Rita, mais en bonne fourbasse, Nash invite Rita à aller voir un concert. Stills parvient à rattraper le coup et il couvre Rita de ses attentions. Étant un mec de Manchester, Nash ne lâche pas l’affaire et informe Stills que Rita l’aime. Alors une bagarre éclate et Rita doit séparer les deux coqs. Nash s’installe chez Rita, mais il reste persuadé que Stills ne lui a jamais pardonné ce coup-là. On le sait pour avoir lu son autobio (Wild Tales), Nash n’est pas quelqu’un de très sympathique. En plus, il doit tout à Stills, alors il aurait pu lui montrer un peu plus de respect. Après cette affaire, Stills reste sur le carreau - Ah les femmes/ Ah les femmes/ Elles me rendront marteau ! - Plus tard, il y aura aussi l’épisode Véronique Sanson. Cette fois, Nash n’essaie pas de la barboter. Encore une histoire dure, puisque la belle Véronique quitte Michel Berger pour se jeter dans les bras de Stills. Ils se marient en Angleterre en présence d’Harry Nilsson, Marianne Faithful, Marc Bolan, et bizarrement, Nash, avec lequel Stills a réussi à se réconcilier. Un exploit ! Puis Ahmet organise une fête à New York en l’honneur des jeunes mariés et parmi les invités se trouvent Wexler, Jac Holzman et Donny Hathaway. Quelle crème !

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             Le premier album solo de Stills paraît sur Atlantic en 1970 et n’a pas de titre. Sur la pochette, Stills gratte ses poux dans la neige auprès, non pas de sa blonde, mais d’une girafe. Pas n’importe quelle girafe : c’est un cadeau de Rita. On retrouve dès «Love The One You’re With» la pureté des coups d’acou et les ti ti ti tilili qui font la grandeur de CS&N. Ça sonne bien les cloches ! Il tape un très beau coup de gospel batch («Church») et sans qu’on se méfie, on tombe sur un cut qu’il faut bien qualifier de mythique : «Old Times Good Times» avec Jimi Hendrix on lead guitar. Attention, on ne rigole plus, on est dans le groove de rock’n’roll animal avec un solo hendrixien et une énergie dévorante. En B, Stills joue son «Black Queen» au bord du fleuve, il en a largement les moyens et redevient le rock’n’roll animal que l’on sait pour «Cherokee», avec un Booker T. Jones à l’orgue qui te monte ça en neige de shuffle et, petite cerise sur le gâtö, Sidney George prend un solo d’alto. Stills sait monter des coups de gospel batch extraordinaires, comme le montre encore «We Are Not Helpless». Les chœurs à la Mad Dogs, ça marche à tous les coups. On y trouve la crème de la crème du gratin dauphinois, Rita Coolidge, Claudia Lanier (c’est-à-dire Claudia Lennear), John Sebastian, Cass Eliott et Croz, ils sont tous là !

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             L’année suivante paraît Stephen Stills 2. Il compose tout et propose essentiellement une pop de Soul, il s’inscrit dans sa vision du groove, il en a les moyens. Des gens l’accompagnent, mais on s’en fout, c’est Stills la superstar qui nous intéresse. Pas de hit à l’horizon. Son protecteur Ahmet ne dit rien, il laisse l’enfant prodigue s’amuser avec ses jouets. Il faut attendre «Fishes & Scorpions» pour frémir. Stills redevient le rock’n’roll animal qu’il n’a jamais cessé d’être et avec «Sugar Babe», il fait de la Soul blanche de très haut niveau. Il rôde bien sur la crête de sa disto. On assiste à une fantastique Stillysation du white Soul System et du coup Stills 2 devient un bel album. «Open Secret» est un prétexte à nous servir un gros bouquet d’harmonies vocales. Il fait encore du vieux gratté de poux avec «Word Game», il gratte à l’encan de la revoyure et referme la marche avec un très beau «Bluebird Revisited» dont il négocie le passage à travers les récifs, en bon Captain Manyhands. Il s’arrange toujours pour ramener des orchestrations somptueuses, des congas de Congo Square et des trompettes mariachi.

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             Le Stills paru en 1975 vaut aussi le détour, rien que pour le groove de «Shuffle Just As Bad». Il a le sens du groove hendrixien, it’s just too much. On sent dès l’abord une grosse présence, un énorme potentiel composital dès «Turn Back The Pages». Il y a du monde derrière Stills. Il fait de la belle Soul blanche avec «My Favorite Changes», c’est gorgé de guitares et de basse, tout est bon, tout est stillish. Stills chante à la surface du groove. C’est bassmatiqué jusqu’à l’os de l’ass. Stills te groove «My Angel» vite fait, il multiplie les réflexes, il peaufine ses goulets, il arbore fièrement ses opulences. Il adore les grooves joués sous le boisseau comme «In The Way». Il s’y développe en compagnie de Claudia Lanier qui est comme déjà dit Claudia Lennear. Cette richesse de backing vocals, c’est son son. Il fait avec «To Mama From Christopher And The Old Man» un fantastique plotach de voix Soulful et de coups d’acou. Dans les grooves d’inspiration divine, il est imbattable. En B, il repasse en mode CS&N pour «New Mama», avec les harmonies vocales bien idoines de type wooden ships/ Very free/ So easy, et propose avec «As I Come Of Age» un groove de country rock californien affreusement bien ficelé. Il monte ses œufs en neige pour «Cold Cold World», passe du calme à la tempête sans coup férir, il reste extrêmement fin et distingué, il part d’un slow groove à la Wooden Ships pour monter en température de cold cold world. Il boucle cet excellent album avec un groove à la Croz, «Myth Of Sisyphus» une fuite éperdue dans les méandres du néant. Somptueux !

    Signé : Cazengler, Stephen Chti

    Mike Bloomfield/ Al Kooper/ Stephen Stills. Super Session. Columbia 1968

    Crosby, Stills & Nash. Crosby, Stills & Nash. Atlantic Records 1969

    Crosby, Stills, Nash & Young. Déjà Vu. Atlantic Records 1970

    Stephen Stills. Stephen Stills. Atlantic 1970

    Stephen Stills. Stephen Still 2. Atlantic 1970

    Stephen Stills. Stills. Columbia 1975

    Essra Mohawk. Primordial Lovers. Reprise Records 1969   

    Stephen Stills. Change Partners: The Definitive Biography. Red Planet 2016

     

     

    Shack chose en son temps

     

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             Ah ça commence bien ! Rob Hughes traite Michael Head d’England’s greatest living songwriter. En effet, Head refait surface après cinq ans d’absence. Quand Hughes lui demande le pourquoi de ce soudain come-back, Head rétorque : «Just keep fuckin’ going on.»

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             Parcours connu de tout un chacun : Pale Fountains, Shack, The Strands et maintenant The Red Elestic Band. Head on ! Hughes décrit ainsi le style d’Head : «Mélodies inébranlables, un sens magnifique du forward motion et des lyrics qui font apparaître des univers entiers.» À soixante balais, Head n’a rien perdu de sa candeur. Il avoue qu’Adios Senor Pussycat est le seul album qu’il a enregistré à jeun - Depuis l’âge de 20 ans, j’ai enregistré des albums in different states of conciousness - Head tournait à l’héro et il picolait. Sa principale source d’inspiration est Liverpool où il est né et où il a grandi.

             Et puis il y a la connexion Julian Cope et Teardrop Explodes, à Liverpool, un Cope qui joue le rôle de découvreur. Grâce à lui, Head découvre Pere Ubu, Red Krayola et Love - The Love album was a compilation, Revisited, and it was a game changer - Head est fasciné par Arthur Lee qui chante à propos de l’Angleterre avec des Elizabethan references. L’impact d’Arthur Lee sur Head est énorme. Les Pale Fountains s’appelaient à l’origine les Love Fountains. Quand on parle de Shack, on parle de «psychedelic folk, with shades of jazz and baroque pop». Jusqu’au jour où Shack se retrouve sur scène pour accompagner Arthur Lee - Il ne comprenait comment quatre Scousers pouvaient connaître sa musique - Mais si. La preuve est sur cet album faramineux paru en l’an 2000, Shack Accompany Arthur Lee. A Live Performance At The Academy Liverpool May 1992.

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           Un jour, en fouillant dans le bac fatigué d’un disquaire parisien, on a chopé le Shack ! Une merveille absolue. Dans son petit texte d’insert, le roi Arthur dit son bonheur d’avoir joué à Liverpool et sa surprise de voir que les gens connaissaient les paroles de ses chansons. C’est «Alone Again Or» qui ouvre le balda et Shack nous tisse la plus belle dentelle de Calais qu’on ait vue de ce côté-ci du paradis. John Head joue le lead de la mort fatale. C’est un enchantement. Et on en est qu’au début. Il y a tellement de présence scénique qu’on croirait entendre les Beatles. Voilà «Signed DC», et force est de constater que ces mecs de Liverpool restituent toute la magie de Love. Le roi Arthur passe un solo forcément somptueux. Il joue des atonalités confondantes. S’ensuit «And More Again» que le roi Arthur chante comme un dieu descendu parmi les hommes. Regain d’énergie avec «A House Is Not A Motel», à la fois très concomitant et toxique, les mecs de Shack surjouent la dentelle suprême et John Head passe un solo demented are go à gogo. Pas de mélange plus capiteux que celui du roi Arthur et de Liverpool. Le festival se poursuit en B. Le roi Arthur se dit ému par l’accueil que lui réserve the Liverpool people. Il est l’un des plus beaux héros du rock world. «Hey Joe» s’envole avec le  stupéfiant backing de Shack. Ces mecs surjouent véritablement la wild psychedelia d’Arthur Lee. C’est le secret de l’art. «Passing By» est la version arthurienne d’Hoochie Coochie Man. Il faut voir comme ça délie derrière Arthur, il repasse des coups d’harmo superbes et swingue l’écho du temps. Puis il éclate «My Little Red Book». Shack pulse le beat de Liverpool. Dans le Nord de l’Angleterre et en Écosse, on vénère autant Arthur Lee que Big Star. Pas de plus belle virée psychédélique qu’«Orange Skies», oh no no no. Shack sort un son de rêve éveillé, très distant dans la proximité. C’est d’une troublante retenue, d’un raffinement florentin qui en bouche en coin. Le roi Arthur boucle avec l’hommage déguisé à John Lennon et à son «Instant Karma», c’est-à-dire «Everybody’s Gotta Live». Il ne pouvait pas choisir plus bel hommage.

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             Le premier album de Shack s’appelle Zilch et date de 1988, ce qui ne nous rajeunit pas. On est tout de suite frappé par la qualité de la prod et par le côté pur et dur de cette heavy pop de Liverpool. Et voilà une Beautiful Song avec «Someone’s Knocking». Quel crossover ! - It’s probably/ The bill for the watering - Fantastique histoire de pauvreté. Tu entends cette merveille et tu comprends que Mike Head navigue au même niveau que John Lennon - And somone’s fallen from the window on the 16th floor - Encore de la belle pop d’envergure maximaliste avec «Realization». Il y a de la grandeur dans Head, il fait tout rimer en ion, nation, pacification, realization, expectation, ça monte en gerbes grandioses et c’est produit par Ian Broudie. Encore un cut de perfection climatique en B avec «Who Killed Clayton Square» - The town pionners are coming/ So terraces run for your life/ There’s a bulldozer around/ And it’s in your street - Avec «Who’d Believe It», il sonne comme Ride, sans doute à cause de la persistance du believe it. Il développe un sens du groove liverpuldien très aigu, avec un fort parfum psyché.   

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             La première fois qu’on écoute le Waterpistol paru en 1995, on est frappé par l’énormité du son. Même chose lors des écoutes suivantes. L’Head te fond dessus comme l’aigle sur la belette, aussitôt «Sgt Major» - Come with me ! - C’est même hanté par un gimmick de guitare en alerte rouge et ça bascule dans un abîme de prod. Alors tu sais que tu vas te délecter. L’Head est ton meilleur copain. Il te refourgue une pop de bon aloi, droite et franche, qui ne trahit pas ses amis. Ces démons savant aussi jazzer comme le montre «Stranger». L’Head est sur le coup, il t’aménage une zone, il t’aide à mieux comprendre, si tu es un peu lent, il t’indique la direction, le jazz, c’est par là. Sous ses airs de junkie, l’Head est un prince renversé, in the city, c’est d’un niveau qui demande un effort. «Dragonfly» résonne de tout le power de l’Head. On est là au sommet d’un lard qui s’appelle la power-pop liverpuldienne. Il amène ensuite «Mood Of The Morning» au petit gaga de my baby loves the Hanky Panky, ça groove dans le mood, avec une pincée de psyché dans le son. Globalement, on reste tout au long de l’album dans une pop vertigineuse qui te fait tourner la tête. Mon manège à moi c’est toi ! Son «Time Machine» est faramineux, du poids dans le son, du poids dans le chant, il déclare toujours les hostilités à coups d’arpèges magiques. Puis on assiste à une violente descente de guitares dans «Mr. Appointment», mais c’est d’une finesse extrême. Tout le power de Shack se trouve dans la finesse des ficelles, avec un son d’une rare profondeur de champ, un champ qui grouille de gimmicks et toujours le killer solo flash qui vient te sonner les cloches alors que tu as du mal à reprendre ton souffle, un killer solo qui arrive toujours par le travers, et avec une violence certaine. L’Head profite d’«Hey Mama» pour remettre la psychedelia à l’honneur, c’est du pur jus d’essence d’it’s alright psychédélique, ils tendent cette fois plus vers les Byrds que vers Love. 

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             C’est avec H.M.S. Fable paru en 1999 que Michael Head a bâti la légende de Shack. L’album regorge de merveilles irréelles à commencer par cette dégelée de pop électrique qui s’appelle «Natalie’s Party», cut véritablement noyé de son in the face, incroyable raz-de-marée de guitares séculaires avec l’Head au-dessus du son, c’est extrêmement Liverpuldien, mais aussi chargé d’Americana. Bienvenue au niveau supérieur de la pop anglaise, c’est-à-dire la pop de Liverpool. La fête se poursuit avec «Comedy». L’Head se paye sur la bête, il ne vit que pour la pop magique, c’est une atmosphère qui te monte droit au cerveau. Comme le fut le White Album, H.M.S. Fable est un album de géants. Ils envoient leur «Pull Together» exploser au sommet des harmonies vocales. Non seulement ces mecs créent leur monde, mais ils sont dans le vrai - You & I get inside - Il faut être en condition pour écouter un album aussi parfait. Ils restent dans la pop des conquérants avec «Beautiful». L’Head et sa horde tapent dans la plus belle tradition d’Angleterre, c’est du génie pur, chanté à contre-emploi dans des orchestrations de rêve, ils réinventent littéralement la magie des Beatles. Quelle grandeur et quelle clameur ! Tout ici est plein comme un œuf de Liverpool. «Lend’s Some Dough» est quasiment un cut des Beatles. Absolute monster encore que ce «Streets Of Kenny» et «Reinstated» sonne comme un élan vers l’avenir, l’Head remonte le courant de sa mélodie, il est au sommet de son art, il flirte avec la Soul - You face the music now - De toute évidence, Shack est le groupe à suivre. Encore un shoot de pop surnaturelle avec «I Want You», montée sur un tapis d’arpèges et une extrême profondeur de champ. C’est là que l’évidence saute au yeux : l’Head développe l’incroyable power de la finesse. Il finit son «Since I Met You» à la mode «Eloise», fabuleux clin d’œil au scream  de la fin du monde. 

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             Tant qu’on y est, on en profite pour écouter The Fable Sessions, qui est en fait le vrai H.M.S. Fable, enregistré un an auparavant avec Hugh Jones, et abandonné. L’Head et ses amis traversaient une sale période. Une fois requinqués, ils sont retourné en studio avec Youth ré-enregistrer tout l’H.M.S. Fable. C’est un petit label, B-Unique Records, qui a eu l’idée de faire paraître The Fable Sessions. On retrouve bien sûr ces coups de génie que sont «Comedy» et «Beautiful», et franchement, c’est à se damner tellement c’est bon, on s’enivre de l’incroyable swagger de cette pop pressée, c’est de l’Head pur, pas d’équivalent ailleurs, ça se déplace comme des nuages dans le ciel, c’est d’une absolue pureté, avec un solo en contrefort. Tiens on parlait du ciel, voilà «Beautiful» qui explose dans le ciel, pas d’autre image possible, you’re so beautiful, sommet de la pop anglaise, ça te tape dans les tympans, ça te grimpe à l’Ararat. Son «Streets Of  Kenny» est encore bardé du meilleur son d’Angleterre, c’est plein d’entrailles d’entre-deux, ça s’accroche aux mâchoires et puis avec «Natalie’s Party», l’Head tape dans la Beatlemania de Sgt Pepper, même allure de power demented, on s’y croirait, c’est presque du Pepper revu et corrigé par Jimi Hendrix, c’est exactement le même genre de Pepper power, et tu as le solo du frangin Head qui explose dans l’azur immaculé. S’ensuit l’effarant «Re-instate» amené au chant d’Head, il te cloue ta chouette vite fait, il est avec Liam Gallag le nouveau roi d’Angleterre, il faut voir ce qu’il dégage. Les Sessions sont encore plus balèzes que l’album studio. L’Head réinvente la fast pop de génie avec «I Want You», il t’arrose d’I Want You, là tu as tout : le power, la mélodie et la voix. Il refait de l’Eloise avec «Since I Met You», même élan panoramique que chez Barry Ryan et son «Cornish Town» tombe sous le pli de la mélodie. Effarant ! Il éclate le Sénégal d’Oasis et repousse les limites de la pop, I say c’mon ! Liverpool rejoint Chester, tous ces mecs se fondent dans une formidable osmose poilue. Tu continues de te goinfrer de fantastique allure avec «Lend Some Dough», tu navigues avec l’Head au-dessus des toits du monde, c’est extravagant de grandeur et tu as le frangin qui entre à nouveau dans la danse avec un killer solo flash. Le frangin is on fire, dig ? Si tu cherches de la viande anglaise, elle est là. «Petroleum» ? Fast & big ! Explosé par le frangin, alors l’Head doit calmer le jeu, il sait que son frangin est fou, il le ceinture, mais il va bien devoir le relâcher, on l’entend jouer dans les limbes, l’Head tente de contrôler le Petroleum, pas facile, ça bouge trop et bien sûr le frangin part en vrille d’absolute killer trash, il bouffe tout, l’écho, la mélodie, la raison, pas de pire killer en Angleterre. Encore de l’heavy as hell avec «Delanolo», tu as tout, encore une fois, l’Head, le fou derrière, et avec «Extra», il repartent en mode heayvy gaga atomique, le frangin joue des riffs de revienzy, l’Extra se source dans l’inconscient collectif gaga britannique, dans les pattes de l’Head, ça tourne à la magie, c’est tout de même incroyable que la barbarie gaga puisse faire irruption chez des gens aussi raffinés que Shack. L’Head porte encore «Christine» aux nues, il se barre à Mexico pour y gratter ses poux et ça bascule dans l’énormité orchestrale, un truc incommensurable arrosé de killer guitars et de tout le power séculaire de Liverpool. Tu sors de là vidé et ravi, comme quand tu sors des pattes d’une nymphomane. 

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             Comme on attend encore des miracles de Micheal Head, on écoute Here’s Tom With The Weather. Et on éprouve une légère déception, même si l’ensemble se révèle plutôt charmant. Un Anglais dirait gorgeous. Les deux merveilles de l’album s’appellent «Carousel» et «Happy Ever After». Belle pop avenante dans les deux cas. Le Carousel coule sur l’Angleterre comme Fred Neil coule sur Greenwich Village, c’est exactement la même grâce, le même élan surnaturel. Bien balancé aussi cet «Happy Ever After» violonné en douceur et en profondeur. Michael Head n’en demande pas davantage, il ne veut surtout pas devenir une star, il s’en fout, il distille sa petite magie dans son coin. Il faut aussi le voir ouvrir son bal à l’arpège insistant sur «As Long As I’ve Got You». On lui fait confiance, il ne va pas nous baiser la gueule. Il reste dans sa petite pop de stand-by tout au long de l’album et veille à rester merveilleusement soft. Surtout ne pas faire de vagues. Il s’ancre résolument dans sa vison de la beauté. Il chante les yeux ouverts, émerveillé par son art, c’est un artiste très puissant, il pousse sa pop au chant. Pas de hits. Juste des petites merveilles discrètes. Il drive son «Meant To Be» aux trompettes mariachi, avec de faux accents de Mercury Rev.  

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             Quand tu tiens entre tes pattes un album comme The Corner Of Miles And Giles, tu te dis que t’es content d’avoir croisé la route d’un mec comme Michael Head. Car voilà encore un album génial, qui va te combler au-delà de toute espérance. L’Head va droit au but, il t’offre sur un plateau d’argent tout l’intimisme liverpuldien, c’est-à-dire la big pop, et tu vas t’envoler avec «Butterfly», un cut littéralement écrasant de son. On peut même parler de clameur prodigieuse. ? Il te noie ça de son extrême, dans un incroyable délibéré d’extase, l’Head est la tête pensante de la pop anglaise, le son ici dépasse tout ce que tu peux imaginer. Il explose encore dans le son avec «Cup Of Tea», il t’endort avec son cup of tea et soudain ça te saute à la gueule, l’Head déchire le ciel pour t’y emmener. Il fonctionne exactement comme Brian Wilson. Il coule encore «Shelley Brown» dans son moule d’excellence. Brian Wilson, oui, c’est vrai, mais aussi Arthur Lee. Même niveau. Il attaque son «Black & White» à la rockalama, alors c’est du gâtö, car il amène une fantastique énergie de la qualité, et les solos du frangin sont du flash killer pur, ces mecs peuvent tout se permettre, et ça repart en mode Liverpool, c’est à se damner pour l’éternité tellement c’est puissant, ça joue à la vie à la mort avec du trash solo des cimetières. Quel album ! Tout est saturé de power. Il ramène des nappes dans «Miles Away» et il envoie de guitares se fondre dans les nappes, et les nappes te tapent dans le ciboulot, ce sont des nappes d’extrême beauté pop roulées par des interludes de guitares tourneboulées. Tout est inextricable, d’une redoutable beauté. L’Head fait ensuite du heavy balladif avec «Finn Sophie Bobby & Lance», fabuleuse pop de you don’t stand a chance et il revient au heavy groove à la Lennon avec «Moonshine». Aw comme c’est évident ! Il est en plein dans le Lennon d’«Happiness Is A Warm Gun» mâtiné de Walrus, à l’heavy trip de génie supérieur, ça vole au-dessus d’un nid de coucous, dans une stupéfiante élévation du domaine de la lutte. Puis il fait du petit swing de proximité avec «Funny Things», mais dans les pattes de l’Head, ça donne du haut de gamme. Il est le white pendant de l’aboutissant Swamp Dogg, il transforme tous les instants du disk en magie pure, mais une magie pure propulsée par un sax free, alors t’as qu’à voir ! Dans la vie, tu croises peu d’albums aussi balèzes. Le coup du lapin arrive avec «Closer», doux et tendre, comme du Donovan. Blue is the color of Closer/ In the morning.

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             En 1998, Michael Head & The Strand enregistrent The Magical World Of The Strands. Le petit conseil qu’on pourrait donner serait de commencer par écouter «Loaded Man», cette pure merveille grattée à coups d’acou. L’Head gratte vraiment au coin du feu. L’Head hante, il a un côté fantôme à la Nick Drake, il fait de l’hypno fantomatique. L’autre belle énormité de l’album s’appelle «The Prize». Il s’ancre dans une pop sophistiquée et jamais putassière, une pop insistante, tellement anglaise, ultra jouée et qui tient du miracle. Il se pourrait bien que l’Head soit le dernier dans son genre. Il gratte encore «And Luna» non pas sous le boisseau, mais sous le couvert, ce qui revient au même. Très pratique quand on n’a rien à dire. Avec «X Hits The Spot», il passe à une pop anglaise plus sucrée et plus sérieuse. Non seulement il y a du Nick Drake en lui, mais il y a aussi du George Harrison et du Arthur Lee, il ouvre des horizons avec «Undecided (Reprise)». par contre, «Glynys & Jacqui» est une heavy pop indéfinissable. Il gratte ça dans l’épaisseur de sa vision, dans la tiédeur de son underground et il la couronne d’une fin apostolique aux guitares psychédéliques. Il fait son Plonk Lane en ramenant un banjo dans «Hocken’s Hey» et retourne à ses exigences avec «Fontilan». Tout est dans la tête de l’Head, il ne vise même pas le hit, encore une fois, ça ne l’intéresse pas. Rien à foutre des feux de la rampe, il fait du Manchester United all over. L’Head est la tête pensante de son royaume. Tout l’album n’est que bonne franquette.

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             Après l’épisode Shack et les turbulences de l’héro, Michael Head semble s’être refait une santé, c’est en tous les cas ce que révèle la pochette d’Adios Senor Pussycat, paru en 2019. La presse anglaise fait un joli buzz sur cet album et c’est vrai que quelques cuts accrochent sérieusement, comme par exemple «Wild Mountain Thyme», embarqué aux arpèges atypiques. C’est visité par un sacré vent d’Ouest. Pure révélation ! N’oublions pas qu’Head est un Scouser de Liverpool. Autre merveille : «Rumer», une Beautiful Song qui sonne comme un hit, somptueuse car surdosée. L’«Adios Amigo» de fin de disk est gorgé de bonnes guitares. Michael Head a derrière lui une bonne équipe. Ce loser patenté a beaucoup de chance, finalement. Il faut aussi écouter «Working Family», plus californien dans l’esprit, somptueux et ramassé, claqué aux vieilles résonances de la romance, doux comme une soie d’hermine et fouillé dans l’intimité par des guitares élégiaques. Son «Picasso» d’ouverture de bal sonne comme un groove mélodique qui s’étend jusqu’à l’horizon, mais contre-balancé par un violoncelle. On y entend des échos de «Nights In White Satin» - It’s not like in the movies - Un solo de sax vient réchauffer l’ensemble comme le manteau jeté sur l’épaule du mendiant. Michael Head adore aussi les balladifs intimistes richement arrangés. Il adore les arrangements jusqu’au vertige. C’est son talon d’Achille. Il y a de la casse sur l’album, à cause de cette tendance à vouloir tout magnifier. À force de faire la paix avec ses démons, il se ramollit. Mais c’est vrai qu’un cut comme «Josephine» reste difficile d’accès. Ce mec a des atouts inexplorés, des orifices inconnus, des voies impénétrables.

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             Head confie aussi à Hughes que la source d’inspiration pour Dear Scott est Scott Fitzgerald, et notamment la lecture de The Pat Hobby Stories - It just blew me away - Head nous raconte l’histoire fascinante d’un Fitzgerald qui est aux abois, qui a besoin de blé et qui accepte un petit boulot de scénariste pour MGM : «Il venait d’arrêter de boire et il pensait vraiment qu’il allait percer à Hollywood. Il séjournait in the Garden of Allah, un hôtel qui était un den of iniquity, c’est-à-dire un lieu de perdition, et pour lui, il n’y avait pas de pire endroit. Quand il s’y est installé, il est allé au comptoir s’acheter une carte postale, l’a écrite pour lui-même, puis il est remonté dans sa chambre la poser sur le tablier de la cheminée. Il avait écrit : ‘Dear Scott, How are you? J’avais l’intention de passer vous voir ...’ Ça donne une idée de son état d’esprit et de son humour. Ça a résonné en moi. C’est la principale inspiration de Dear Scott.» Un Fitz qui tente de rester sobre dans l’hôtel le plus débauché d’Hollywood...

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             C’est avec The Red Elastic Band qu’il enregistre Dear Scott. Il décroche cinq étoiles dans Mojo, ce qui est assez rare. Keith Cameron parle de Liverpuldian folk version of West Coast psychedelia et qualifie le «Kismet» d’ouverture de balda de jangling.

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    Il est vrai que «Kismet» est violemment atmosphérique, c’est battu par des grands vents orchestraux et les guitares se perdent sous l’horizon. L’Head taille sa route. Rien ne peut plus le retenir. Il est parti chercher la petite bête. Mais il n’y a pas de petite bête. Ce serait trop facile. La presse rock anglaise s’accroche à ses dernières légendes, mais sur Dear Scott, la magie brille par son absence. L’Head propose une heavy pop classique, mais pas de quoi crier au loup. On attend des miracles de «The Next Day» et d’un «Freedom» joué à l’arpège intrinsèque. Tout est très intrinsèque chez l’Head. D’où le cousinage avec Nick Drake. On passe encore à travers «American Kid», trop classique, à travers «Grace & Eddie», ni d’avant ni d’après, et puis voilà «Fluke», l’Head y lève une marée, et dans «Gino & Rico», il nous cale un vieux solo de jazz. Bon disons-le franchement, L’Head n’est pas Jason Pierce, il n’a pas les mêmes facilités. Il taille cependant «The Ten» à l’angle de la pop, c’est assez beau mais pas déterminant. Alors il est temps de sauver l’album avec «Pretty Child», mais l’album sera privé de magie, comme d’autres sont privés de dessert. Il faudra te contenter de ce «Pretty Child».

             L’Head nous dit aussi qu’un éditeur a essayé de le convaincre d’attaquer la rédaction de son autobio, mais il préfère les short stories, comme Fitzgerald. Il semble donc qu’un projet couve sous la cendre. Il conclut en considérant le songwriting comme une forme d’art : raconter une histoire en 3 minutes 50, voilà son truc. 

    Signé : Cazengler, Shit

    Shack. Zilch. Ghetto Recording Company 1988  

    Shack. Waterpistol. Marina Records 1995     

    Shack. H.M.S. Fable. London Records 1999  

    Shack Accompany Arthur Lee. A Live Performance At The Academy Liverpool May 1992. Viper 2000

    Shack. Here’s Tom With The Weather. North Country 2003      

    Shack. The Fable Sessions. B-Unique Records 2003      

    Shack. The Corner Of Miles And Giles. Sour Mash 2006

    Michael Head & The Strand. The Magical World Of The Strands. Megaphone Music 1998

    Michel Head & The Red Elastic Band. Adios Senor Pussycat. Violette Records 2019

    Michel Head & The Red Elastic Band. Dear Scott. Modern Sky UK 2022

    Keith Cameron : Quality of Mersey. Mojo # 343 - June 2022

    Rob Hughes : Mersey Mercy me. Uncut # 301 - June 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Le Velvet taille sa bavette

     

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             «Quoi, tu connais pas l’Vévette ?». C’est ainsi qu’on apostrophait les gens dans la cour du lycée, dans les années 71/72. Si les gens ne connaissaient pas le Vévette, c’est tout bêtement parce que leurs albums n’étaient pas distribués comme étaient distribués les autres. En ce temps-là, on partait littéralement à l’aventure. Tu devais te bouger pour mettre le grappin sur les albums. Les provinciaux devaient «monter» à Paris pour choper les trois albums du Vévette. Il te fallait un gros billet et te rendre Carrefour de l’Odéon. C’est là que tu pouvais les trouver tous les trois, chez Music Action. Même chose pour les Groovies : un seul endroit à Paris, l’Open, rue des Lombards. Puis dans la foulée, il y eut la Mecque, c’est-à-dire Londres, et là tu trouvais tout ce que tu cherchais, à des prix imbattables, chez des vrais disquaires.

             Mais le plus drôle, à propos du Vévette, c’est de réaliser, avec tout ce recul, qu’on a passé plus de temps avec eux, mais aussi les Stooges, les Stones, Hendrix, Dylan, les Beatles, qu’avec la famille, les copains et les copines. Quand des journalistes resservent cette vieille tarte à la crème voulant que le Velvet soit le groupe qui ait eu le plus d’influence, il faut entendre influence au sens du temps d’écoute. Impossible de faire le compte, bien sûr, mais ça peut représenter des milliers d’heures. Tu n’as jamais passé des milliers d’heures auprès d’une gonzesse, aussi sexy fût-elle. En gros, le Vévette ça veut dire 20 h-minuit tous les jours pendant un an, fais le compte. Tu as déjà plus de mille heures.

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             Et quand aujourd’hui tu veux secouer la baraque, tu peux ressortir le deuxième album et passer «Sister Ray», tu verras, ça marche à tous les coups. Les cuts du Vévette ont ceci de particulier qu’ils ne prennent pas une seule ride. Tout ce mélange de modernité et d’agressivité est resté parfaitement intact. Tu réaliseras aussi que tous tes amis, ceux qui vivent encore, sont aussi des fans du Vévette. Tes amis n’écoutent pas Elvis Costello et tous les autres rois de la mormoille. Le Vévette est à la fois le point de départ et le point d’arrivée. Tu fais entrer d’autres groupes entre ces deux points, mais dans tous les cas, tu reviens à ton point de départ. C’est l’axe de ton monde, ton pôle, ton point de repère, ton ciel et ton saint-esprit, ton ainsi soit-il, ta religion et raison d’être, et en même temps, le Vévette est un jalon entre Jerry Lee et les Dirtbombs, entre Carl Perkins et le Gun Club, entre Johnny Powers et Spacemen 3, les possibilités du jalonnage sont relativement infinies, chacun tisse sa toile, chacun berce ses passions monotones, mais tu croiseras systématiquement le chemin du Vévette, si bien sûr tu interdis à la mormoille d’entrer chez toi.  

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                On croyait que la messe du Velvet était dite depuis cinquante ans, depuis la parution du troisième album sans titre, en 1969. Mais voilà que Mojo ramène un scoop : Will Hodgkinson nous annonce la parution d’un «nouvel album» du Velvet qui, ajoute-t-il, va envoyer tout le monde au tapis. Holà bijou ! Du calme ! En réalité, on vient de découvrir dans un placard un enregistrement lo-fi des premier hits du Velvet, grattés à coups d’acou par Lou Reed, qui est accompagné par John Cale. Huit pages pour nous annoncer ça. Forcément, ça sort sur Light In The Attic, le label spécialisé dans les petits coups fumants.

             Pour tenir son lectorat en haleine, Hodgkinson fout de l’huile sur le feu. C’est un malin. Un vrai renard. Il parle d’une version d’«Heroin» innocente jouée sur un fingerpicked blues riff. Selon lui, «Waiting For The Man» sonne comme un folk lament. C’est John Cale qui chante «Wrap Your Troubles In Dreams», un brave cut qui finira sur le premier album de Nico. Hodgkinson parle d’un crepuscular mood, «a precursor to the hypnotic minimalism he’d help incalculate in the full-blown Velvets.» Laurie Anderson qui comme chacun sait est la veuve de Lou Reed indique que c’est l’époque où Lou Reed et John Cale passent du statut de folk duo à celui de Velvet Underground. Sur la bande, il y a même des originaux, comme ce «Men Of Good Fortune» qui n’a rien à voir avec le «Men Of Good Fortune» qu’on trouve sur Berlin. Don Fleming pensait que c’était une chanson traditionnelle, mais il n’a pas réussi à trouver la source. Avec Greil Marcus, ils ont trouvé une ressemblance avec un vieux cut de Merle Travis, mais c’est tout. Et on s’en bat l’œil. Hodgkinson parle de l’ensemble comme d’un trésor, non pas de Toutankhamon, mais de «throwaway chants, ancient blues, lamenting folk and drowning, minimalist experimentations». On a découvert ces enregistrements dans le bureau de Lou Reed à New York, le fameux Sister Ray Office. Les découvreurs ont ouvert le placard du bureau et trouvé une enveloppe que Lou Reed s’était envoyé à lui-même le 11 mai 1965. Ça lui permettait de prouver qu’il était l’auteur des chansons. Une sorte de copyright du pauvre.

             On a donc chargé Don Fleming d’archiver tout ce que Lou Reed a laissé après sa mort en 2013 : enregistrements, photos, lettres, affiches de concerts. Fleming estimait au début qu’il ne fallait pas ouvrir l’enveloppe et qu’il fallait préserver son mystère, étant donné que Lou Reed avait tenu à la conserver scellée sa vie entière. Puis au moment de confier les archives au New York Public Library, il s’est décidé à l’ouvrir. Pas d’infos à l’intérieur, juste le cachet d’un notaire.

             Hodgkinson profite de l’occasion pour rappeler que Lou Reed l’a agressé, en 2012, lors d’une interview à Prague. Lou Reed agressait tous les journalistes. Il les haïssait : «Les journalistes sont the lowest form of life. Mainly the English. They’re pigs.» Cette haine des journalistes trouve sa source dans les débuts du Velvet. La presse méprisait le Velvet. Et quand elle s’est mise à aduler le groupe, la haine de Lou Reed n’a fait que redoubler. Hodgkinson met aussi le paquet sur les racines littéraires. Lou Reed : «Je voulais mettre le langage de Tennessee Williams, William Burroughs, Hubert Selby Jr et Allen Ginsberg dans une rock song.» Tout cela nous reconduit naturellement à Delmore Schwartz, l’enseignant de Syracuse qui est devenu le mentor de Lou Reed. Schwartz enseignait la littérature et ne tarissait pas d’éloges sur la musicalité de James Joyce et WB Yeats. Hodgkinson a raison de le rappeler. C’est important. Lou Reed ne tombe pas du ciel. C’est un homme extrêmement cultivé. Il n’y a pas de hasard.

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             Greil Marcus signe le premier chapitre du texte d’accompagnement, ‘Folk songs found in the Sister Ray Office’, un titre qu’il emprunte à Don Fleming. Comme d’usage, Marcus écrit un texte flamboyant qui donne d’ailleurs envie de relire ses ouvrages, et il conclut son texte ainsi : «C’est une anomalie. Ça donne une idée de la direction qu’aurait pu prendre Lou Reed - une impasse probablement, et c’est une composition originale - qui prend la forme d’une folk-song, pareille à celles que chantaient tous les performers de Greenwich Village cinq ou six ans auparavant - une anomalie qui nous permet d’entendre «Heroin», «I’m Waiting For The Man», «Wrap Your Troubles In Dreams», toutes ces chansons accrochent bien, ici, comme si au fond, elles n’étaient rien de plus que des folk-songs.» Marcus n’est pas dupe.

             Don Fleming se tape la suite des liners. Il dit avoir fait un inventaire qui met l’eau à la bouche : dans le Sister Ray Office, il a trouvé et indexé 600 heures d’enregistrements. Encore des coups à venir ? Va-t-en savoir ! Puis Fleming entre dans le vif du sujet en retraçant l’histoire de l’early Vévette, lorsque Lou Reed bosse comme apprenti songwriter pour Terry Phillips, chez Pickwick, et qu’il rencontre, grâce à Phillips, deux musiciens d’avant-garde, John Cale et Tony Conrad. L’idée de Phillips est d’enregistrer «The Ostrich». Le groupe s’appelle The Primitives. Quelques mois plus tard, les Primitives vont devenir le Vévette. Lou Reed et John Cale prennent l’habitude de bosser ensemble et en mai 1965, ils enregistrent les démos qui font l’objet de ce buzz.

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             Il ne reste plus qu’à les écouter. L’album s’appelle Lou Reed - Words & Music - May 1965. On entre par la grande porte : «I’m Waiting For The Man, words and music Lou Reed.» Il gratte ça soft avec twenty-six dollars in my hand et bascule dans une espèce de mad country d’hey white boy. Tout est déjà là, l’he’s always late, la révolution sous le boisseau, mais des coups d’harp te démantibulent le vestibule. Les fucking coups d’harp ne passent pas. C’est une atteinte aux mœurs. Il fait ensuite du sous-Woody Guthrie avec «Men Of Good Fortune». La racine n’est pas terrible. Elle a vraiment une sale gueule, la racine. Bon alors après, Fleming et les autres font comme ils veulent, mais de là à publier ! Il paraît évident que Lou Reed n’aurait jamais accepté qu’on publie ces machins-là. Deux ou trois, d’accord, mais pas tout. On craint le pire pour la suite. «Heroin» redresse un peu la barre. C’est du folk, mais du folk d’Heroin. Lou Reed est déjà dans l’intensité du Guess I just don’t know, voilà enfin une démo de choc, it’s my wife and its my life, tout à coup, ça vire Vévette. Tu retrouves enfin tes marques. Mais après, tu as encore des trucs qui ne vont pas bien du tout, comme par exemple ce «Buttercup Song», fucking folky folkah, anti-Vévette, Lou Reed fait le con et c’est atrocement nul. Il gratte ensuite son «Walk Alone» bien sec, mais rien d’orienté sur le futur, ça flirte avec le sous-heavy Dylanex ridicule. Retour à la terre ferme du primitivisme avec «Buzz Buzz Buzz», une espèce de wild boogie. Lou Reed fait tout ce qu’il peut pour sonner comme un nègre de Louisiane, il gratte le cœur au ventre. Il en devient comique. Retour à la terre ferme avec la première mouture de «Pale Blue Eyes», pur jus de sometimes I feel so happy, il gratte ça en mode country au coin du feu, là-haut, dans une mine de cuivre au Kentucky. Lou Reed laisse filer sa voix, le génie mélodique est déjà là, on l’entend bien, sa partie de guitare est d’une indicible pureté, très note à note, sur deux cordes, avec un riff prévalent. S’ensuit «Wrap Your Troubles In Dreams» : il fait du pré-Nico. Tout le glauque du Vévette est déjà là, c’est tibétain, Lou Reed se prend pour le Dalai Lama, celui de Tintin, évidemment, il prend vraiment les gens pour des cons, c’est sa petite spécialité. On tombe aussi sur une autre version de «Waiting For The Man». C’est une répète. Fleming indique que celle-ci est en Mi, alors que la première est en Fa. Merci du détail, Fleming. Fleming n’est pas un flemmard. Alors on profite de cette bonne aubaine pour fondre car avec «Sister Ray», Waiting est ici le cut chouchou du Vévette. Lou Reed a déjà tout. Et puis il a un mec qui fait cavaler des sabots dans son Waiting. Il faut rester prudent avec les coups de buzz. D’autant plus qu’avec les derniers cuts, ça dégénère. Ça bascule dans le n’importe quoi. Pour se remonter le moral, il ne reste qu’une seule chose à faire : écouter «Sister Ray». 

    Signé : Cazengler, Vévette Horner

    Lou Reed. Words & Music. May 1965. Light In The Attic 2022

    Will Hodgkinson : Some Velvet Morning. Mojo # 344 - July 2022

     

     

    L’avenir du rock

    - Spencer moi un verre, Jon (Part One)

     

             Si tu veux faire plaisir à l’avenir du rock, sois beau (et tais-toi). Il n’en faut pas davantage pour le faire bicher. Comme tout le monde, il a son petit hit-parade. Le plus beau ? Elvis, pas de problème. Les gens ne se rendent pas compte à quel point Elvis pouvait être beau. Il incarnait l’idéal de pureté du rock’n’roll, ce camouflet lancé à la face de Dieu et de son monde de vieux, une beauté qui n’était même pas arrogante, car Elvis ne l’était pas, il avait cette disposition pour le naturel qui le rendait tellement charismatique. Aussitôt après Elvis, l’avenir du rock cite Brian Jones qui par sa grâce naturelle est lui aussi devenu iconique. Sans doute aussi iconique qu’Elvis, pour des raisons évidentes. Des millions de kids ont copié la coiffure et les fringues de Brian Jones, et son charme plane encore sur le monde, qu’on le veuille ou non. L’avenir du rock peut encore te citer les noms d’une tripotée de perfections à deux pattes : Syd Barrett, Jimbo, tous ces gens dont on a cru pouvoir se débarrasser mais dont les fantômes hantent encore certains groupes de rock pour leur donner mauvaise conscience. Ni les Stones, ni le Pink Floyd, ni les Doors n’ont jamais retrouvé l’éclat de leur âge d’or. En échange de leur grâce perdue, ils ont reçu des comptes en Suisse. Ainsi va la vie. D’autres perfections à deux pattes ? Mais oui, bien sûr ! Tiens par exemple, les Boys qu’on aurait tendance à oublier et qui furent non seulement d’une insolente beauté mais aussi fabuleusement doués. Bowie itou, dont on s’arrachera les icônes dans deux mille ans, Chuck Prophet, racé comme pas deux et qui refuse obstinément de vieillir, et puis bien sûr l’indicible Jon Spencer qui tel un guerrier Apache dresse des embuscades et surgit là où on ne l’attend pas. Qu’il arbore une banane rockab, un ceinturon à boucle Elvis, un cuir noir, une coupe à la serpe ou the sweat of the blues explosion, il est toujours parfait sur tous les plans : sonique comme physique. Il est très exactement la suite d’Elvis.

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             Ça fait maintenant plus de trente ans qu’on se régale du spectacle de Jon Spencer, trente ans de groupes et d’albums, trente ans qui ont l’allure d’un gros millefeuille dégoulinant de son et d’idées, c’mon, this is the sweat of the blues explosion !, on s’en est tous gavés comme des oies, vazy Jon claque-nous le beignet, touchez ma Boss Hog, monseigneur, et vogue la Pussy Galore, et puis il Heavy Trash aux cartes, et c’est tant mieux, il t’invite même à sa lune de miel d’Honeymoon Killer, tu peux aussi l’avoir pour un billet de Five Dollar Priest, il est partout, il burn avec Burnside, t’en finis pas avec des mecs comme celui-là, et maintenant, le voilà de retour avec ses Hitmakers, vieux compagnons de route dont un qui remonte au temps de la Galore, l’imputrescible Bob Bert, désormais occupé à cogner au marteau sur des réservoirs d’essence récupérés à la casse. L’autre Hitmaker n’est autre que Sam Coones, l’un des trésors cachés d’Amérique, et accessoirement head honcho de Quasi. Pour donner de l’élan à son grand retour, Spence trône dans un fauteuil Voltaire, c’mon, sous la voûte étoilée, éclairé par un brasier. Son regard brille d’un éclat diabolique et ses ongles peints en rouge n’en finissent plus d’attirer l’œil. Il a les moyens physiques et artistiques de basculer dans ce qu’il veut, c’mon, diabolo Spence ! Here I come ! Il est certainement l’un des derniers de son espèce à savoir jouer le Grand Jeu du rock, sa passion est devenue une vision. Une vision, c’est comme une chaudière, il faut la charger en permanence, c’mon, alors il la charge.

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             Pour preuve, ce nouvel album, Spencer Gets It Lit, il y orchestre la résurgence de ses sources chaudes, il reste accroché à ses apanages comme la moule à son rocher, c’mon, il nous refait du doom doom de barytonage à la Pussy Galore, on irait même jusqu’à dire que le JSBX Sound est devenu un son classique, comme la Stonesy, reconnaissable dès les premières mesures. Spence continue de pratiquer le minimalisme de prêcheur fou qui le rendit célèbre dans les salles de concert, le variant à l’infini, rajoutant des cuts en fin de set au grand désarroi des banlieusards stressés par l’heure du dernier train, Spence savait miauler et entrelarder son prêche de filets de barytonage de frappadingue, comme le montre encore «Get It Right Now», pur lookout de Spence, avec toute la collection de yeah rituels à la suite. Et quand il n’a plus d’idées, alors il sort son fameux sock it to me baby, comme au bon vieux temps. C’mon now ! Et puis il soigne ses sons, Sam Coones et sa machine chargent le noisy beat de «The Worst Facts» et ça vire hypno. Sur «Primary Baby», Spence laisse couler un filet de fuzz baryton, uhh ! Quelle allure ! Et toujours ces vieux réflexes de croon-punk, ce «Worm Town» qui semble sortir d’un album de Five Dollar Priest. Spence n’en finit plus de nous rappeler qu’en lui bat le heartbeat de New York City, il danse ses farandoles dans l’écho des rues, Spence salue en permanence la mémoire du JSBX, il ne sait faire que ça, battre le fer pendant qu’il est chaud, il perpétue son lard fumant et franchement, on plaint les pauvres hères qui n’ont rien compris au phénomène JSBX, car s’il est bien un groupe qui trempe dans l’organique, c’est bien le JSBX, sachant que l’organique est avec la folie l’essence même du rock. Spence adore concasser les breaks, c’est sa façon de montrer son impatience. Shake it ! L’art du concassage. Spence serait-il le César du rock ? Il cultive l’art difficile des fournaises d’anti-rock. Essaye d’en jouer une et tu verras que ce n’est pas si simple. Il finit cet album déroutant avec un «Get Up & Do It» en forme de fourre-tout dans lequel il jette tout son vocabulaire.

    Signé : Cazengler, Jon Spince (à linge)

    Jon Spencer &The Hitmakers. Spencer Gets It Lit. Bronzerat 2022

     

     

    Inside the goldmine - Scott toujours !

     

             Henry Blight inspectait les nègres alignés. Un par un, de la tête aux pieds. Il soulevait les gencives pour examiner la dentition et faisait souvent la grimace. Les nègres étaient nus, bien sûr. Il y avait aussi des négresses auxquelles on avait su faire oublier toute réflexe de pudeur. Elles n’étaient plus que ventres et seins offerts au regard des blancs. Henry Blight demandait parfois au courtier de retourner un nègre pour vérifier l’état du dos car il voulait conserver l’exclusivité des coups de fouet. Les nègres avaient été lavés au savon et les plaies de leur chevilles soignées. Henry Blight faisait son shopping. Il devait reconstituer son cheptel. Chez lui, en Louisiane, les nègres ne vivaient pas très longtemps. Il les soumettait à des cadences de cueillette infernales et ceux qui ne cueillaient pas leur quota de coton étaient fouettés de cent coups, ou bien il leur faisait couper les mains par un autre nègre, pratique que copiera un peu plus tard le roi des Belges pour punir ces bons à rien de nègres du Congo qui ne ramenaient pas leur quota de balles de caoutchouc. Que ne ferait-on pas au nom du progrès ! Quand Henry Blight désignait du bout de sa canne le nègre qu’il souhaitait acheter, le courtier annonçait un prix. Blight approuvait le prix d’un hochement de tête et le clerc l’inscrivait sur son pupitre. Il y avait aussi des enfants, mais le courtier les réservait aux maisons closes. Henry Blight aperçut soudain dans l’enfilade d’une pièce voisine une très belle négresse toute de noir vêtue, robe et chapeau. Magistrale, elle tenait une guitare en bandoulière. Il demanda le prix de cette négresse mais le courtier lui répondit d’une voix ferme qu’elle n’était pas à vendre. Le visage d’Henry Blight sembla se vider de son sang. Il exigea d’en connaître le prix. Le courtier fit non de la tête. Blight qui était un homme auquel on ne refusait rien le frappa d’un coup de canne en plein visage.

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             Il est fort probable que la grand-mère de Marylin Scott se soit trouvée dans ce salon, alignée avec d’autres esclaves. Ce que ces gens-là ont pu endurer dépasse tout ce qu’on peut imaginer. Ayant survécu par on se sait quel miracle à l’esclavage, le peuple noir s’est relevé pour offrir aux blancs la religion des temps modernes. Gospel, blues, rock, tu l’appelles comme tu veux. Marylin Scott en est l’une des plus pures incarnations. Elle est aussi iconique que n’importe quelle rock star. Sinon plus.

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             On l’a découverte dans les salons plus civilisés d’une compile, Down Home Blues - Miami - Atlanta & The South Eastern States. Rapide présentation, Marylin Scott, The Carolina Blues Girl, et paf, on tombe sur cette photo, une espèce de reine de Nubie, pardon, de Caroline, avec une guitare ! Seule photo connue, nous dit Bentley. Avec «Beer Bottle Boogie», elle fout le feu à la compile, littéralement. Fantastique énergie ! Elle est accompagnée par the very hot Johnny Otis Orchestra.

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             Par miracle, il existe dans le commerce une compilation parue en 1988 sur un obscur label suédois : I Got What My Daddy Likes. Et bien sûr, la pochette s’orne de cette incroyable photo, aw my Lawd, quelle classe, quel sourire, guitare électrifiée et attachée par la ficelle rockab, elle a cette classe de corps qu’ont les kids qui montent des groupes, elle darde de tous ses feux. Apparemment elle s’appelle aussi Mary Deloatch et au dos, Ray Templeton brode sur le thème du conflit entre God et the Devil, un thème qu’Al Green développe lui aussi en long et en large dans son autobio. Puis il rentre dans le détail de l’histoire des enregistrements et, comme c’est souvent le cas chez les coupeurs de cheveux en quatre, il s’enlise. Il confirme toutefois que le Johnny Otis Orchestra - avec Johnny Otis au beurre - accompagne Marylin sur «Beer Bottle Boogie» et «Uneasy Blues». Il faut la voir swinguer son jazz et swinguer sa Beer Bottle au rauque de raw ! Avec «Uneasy Blues», elle tape dans l’excellence du petit heavy blues, elle lâche son just couldn’t be satisfied au petit délié délictueux. Templeton insiste beaucoup pour dire que Marylin fut en réalité une énigme et que l’histoire de la Carolina Blues Girl est une blague, puisque personne ne l’a vue traîner en Caroline. Templeton la situe plus du côté en Norfolk en Virginie - Gene Vincent’s hometown - et d’Atlanta. Au fond, Templeton n’a pas grand-chose à dire et nous non plus.

             Il n’empêche qu’elle est bien vivante sur cette compile. Elle chante le early blues dès le morceau titre et les mecs du coin font yeah ! Là tu es dans l’early pur. C’est dingue comme ces blacks savaient tout faire avec rien. Juste du chant, un peu d’instru et des copains qui swinguent derrière en claquant des doigts. T’auras jamais ça chez les blancs. Merveille absolue que ce «Straighten Him Out» : elle s’y fait douce et belle, on y admire la profondeur de la lampée, ça joue derrière à la stand-up et au solo de sax dans une profondeur de champ extraordinaire. Elle ne sort jamais du cadre, ce qui fait sa grandeur. Puis elle passe insensiblement au gospel, devenant nous dit Templeton Mary Deloatch. Elle fait du jump de gospel avec «I Want To Die Easy», elle s’y montre fraîche et vive comme le slave morning dew, easy Lord. Elle fait du jump toute seule avec «Rumours Of War» qui ouvre le bal de la B. D’ailleurs toute la B se consacre  à Lawd, c’est le Gospel side of the fantastic Carolina Blues Girl qui n’a rien de carolinien. Comme Candy Staton, elle chante le gospel sur tous les modes, en early gospel blues («Mother Dear» - soutenue aux chœurs endorloris), en heavy groove de stand-up («Life Was A Burden») - Oh my Lawd, elle épouse le Seigneur, Marylin devient une fantastique croqueuse d’hommes saints - Elle grimpe sur un nuage pour chanter «I’ll Ride On A Cloud With My Lord» et profite d’«I Really Believe» pour rappeler qu’il est invisible mais qu’il nous aime tous. Elle chante son reverberated gospel blues d’une voix impubère et nous scie pour de bon. Il se passe chez Marylin Scott le même genre de choses que chez Sister Rosetta Tharpe, l’influence est évidente, jusqu’à sa façon de jouer de la guitare. Elle fait avec «If You Only Know» du gospel de bastringue inexpugnable. Les chœurs encorbellent le batch et on claque des mains. Cette diablesse chante à l’accent fêlé. Attention, c’est là qu’arrive le coup du lapin. Il s’appelle «The Lord’s Gospel Train» - Oh Lawd I want to step on board - Ce hit de filles d’esclaves est amené au heavy gospel train, et là, mon gars, tu tombes de ta chaise. Sans doute l’un des trucs les plus énormes qui ait jamais été enregistré.   

    Signé : Cazengler, Marylin crotte

    Marylin Scott. I Got What My Daddy Likes. Whiskey Women And… 1988 

    Down Home Blues - Miami - Atlanta & The South Eastern States - Blues In The Alley. Wienerworld Presentation 2020.

     

    *

    Dix années que Kr’tnt ! suit Ady Erd, en concerts et sur disques, dans les différents groupes dans lesquels nous avons pu l’admirer, les Jallies, The Jake Walkers, Ady & the Hop Pickers, et voici qu’elle se lance dans un nouveau projet. Avec qui ? Avec personne ! L’a décidé depuis quelques mois d’être à elle toute seule son propre groupe d’où cette nouvelle revendication identificatoire, équivalente à un nouveau titre de province. :

    ADY ONE WOMAN BAND

    Un projet parallèle car Ady continue les Hop Pickers, mais elle a envie d’apporter son petit grain de sel à la musique qu’elle aime, (que nous aimons ) pas n’importe laquelle, la mère de toutes les musiques, le blues. L’en est juste au tout début, elle nous propose deux titres, un classique et une composition. Tous deux sont visibles sur Yt.

    Le décor est exactement le même pour les deux prises Ady assise guitare en main, chez elle dans son salon (supposition) derrière elle les rayonnages de deux éléments de bibliothèques, supportant disques, bibelots livres, l’on remarquera, grosse bio ou coffret, Janis Joplin, éclipsée par la couverture de l’album pour enfants – et grande personnes – Chien Bleu de Nadja (texte et gouaches ), un très bon choix. Devant cymbale et grosses caisses. Mais revenons au blues.

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    CROSSROAD

    Tout le monde a un jour croisé ce titre sur une ou une autre pochette même ceux qui ignorent qu’il est signé de Robert Johnson. L’en existe tant de reprises qu’il est difficile de se démarquer, depuis les seventies un passage obligé pour les guitaristes qui veulent se faire remarquer. Ady y va carrément. Soyons précis rectangulairement. Aborde une guitare à la Bo Diddley, genre cigar-box à quatre cordes. Autant dire qu’elle n’est pas là pour un concours de dextérité, c’est du rentre dedans, elle vous aborde le carrefour à fond de train, le pied sur le martel de la grosse caisse, tant pis pour les piétons qui auraient la mauvaise idée de traverser parce qu’ils seraient sur le passage protégé, c’est un régal d’entendre ronronner le moteur de sa Terraplane, mais ce n’est rien comparé au mordant de son vocal, c’est lui qui mène le bal des ardences et croyez-moi ça brûle dur. Pas de panique elle ralentit, enfin elle conduit à la cool, ben non l’a de la reprise, elle hurle et s’égosille pour notre plus grand plaisir. Pas pour rien que chez les Jallies elle se déchaînait chaque fois qu’elle interprétait Queen of Rock’n’roll.

    GEMINI BLUES

    Elle a remisé le coffret à Coronados pour une Gretsch purpurine, question dentelle l’on est servi, balancement assuré, exactement le rythme lancinant  de la trompe de l’éléphant immobile qui vous regarde dans les yeux,  qui prend son temps et son plaisir avant de fondre sur vous, l’a les doigts qui jouent à l’araignée sur le manche, des notes rondes et graves comme ces fruits de cactus trop mûrs, fermez les yeux et laissez-vous bercer, non ce serait une erreur, ça se passe ailleurs, encore une fois dans la bouche ( d’ombre disait Victor Hugo ) autrement du vocal issu de l’intérieur des tripes et de la force de vie, Ady vous a de ces intonations qui cisaillent, ça sort d’elle, une compo, elle miaule et feule comme une panthère, c’est beau, un chant de tigresse qui mord à pleines dents dans la chair sanglante des mots jusqu’au rire de la folie, cet instant où l’on est soi et en même temps différent de soi, où l’on est un étranger au monde et à soi-même. Superbe. Une blueswoman nous est née.

             L’on attend la suite avec impatience.

    Damie Chad.

     

     

     ROCKABILLY RULES ! ( 5 )

    N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    WIL BOYAJIAN

             C’est terrible, il y a des gens qui quoi qu’ils fassent, ou qu’ils ne fassent pas, ne correspondent pas à ce qu’ils prétendent être ou de ne pas être. Sont hors les clous. N’y peuvent rien c’est leur nature, n’entretiennent aucune coalescence avec les clichés répertoriés depuis des lustres. Will Boyajian est un exemple parfait de ces électrons libres qui ne rentrent pas dans les cases prédéfinies.

             S’il est une musique magnifiquement codée le rockabilly se pose là. La première fois que j’ai lu le nom de Boyajian l’était classé dans une liste d’albums rockabilly. Le titre de l’opus m’a vivement interpellé, côté rassurant, Will tenait une contrebasse sur la couve, hélas sa banane n’était pas, loin de là, réglementaire, soyons franc ses cheveux longs mal peignés qui lui tombaient sur les épaules lui donnaient un air peu orthodoxe, quant au titre vous n’allez pas y croire, pourtant inscrit en grosses lettres majuscules il vous crève les yeux et vous coupe la chique, même au temps où elle chantait We Shall Overcome et se promenait au Vietnam  sous les bombes larguées par les B 52, Joan Baez n’a jamais osé titrer un de ses disques : 

    SONGS TO DESTROY CAPITALISM TO !

    ( Album numérique / Bandcamp / Avril 2021 )

    Will Boyajian : Lyrics, Vocals Guitar, Bass, Drums, Slide Whistle, Harmonica, Percussion, Mandolin, Accordion, Concertina, Piano, Synth, Washboard, Wooden Log, Pad, Typewriter, Melodica, Kazoo

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    Attention un disque hors les rails, pas spécialement rockabilly, n’oubliez pas que les frontières sont faites pour être traversées, ici Boyajian donne l’exemple, le rockabilly n’est qu’un département de la musique, puisque le capitalisme est partout ( surtout dans vos âmes ) Will emprunte toutes les armes musicales possibles et imaginables, nous offre un splendide voyage dans la musique populaire américaine.

    A l’origine ces morceaux ont été enregistrés et improvisés pour Reddit-Rpan une plateforme de streaming ( une des plus importantes de la planète ) qui vient de changer ses modalités… Le show de Will Boyajian : ‘’ Rockabilly Bass Slapping Blegrass Sea Shanty Extravaganza of Kazoo and Of Good Times ‘’ a accumulé plus de 2, 8 millions de vues.  Will vient d’être coopté cette année pour une résidence dans Sleep No More NYC. Une espèce de théâtre Live ou artistes et spectateurs déambulent à leur libre volonté dans un immense immeuble… Will Boyajian repousse les frontières du rockabilly. N’oublions pas que c’est une musique américaine. Grand écart entre purisme et modernisme…

    Boil the rich : dites-le avec humour, imitez par exemple Jonathan Swift qui proposait aux riches de manger les enfants des pauvres pour éradiquer la misère, les paroles n’en seront que plus dévastatrices, surtout si elles sont propulsées avec cette même force dont Bob Dylan usait dans ses meilleurs moments de colère, un texte sans concession qui appelle à la révolution des homards, saisissante image des prolétaires, ambiance folk, mais électrifié. Gherkin petite pickle-shack : un harmo à la Dylan et le timbre traînant du modèle, tout cela pour un hymne aux cornichons, faut attendre la fin du morceau pour comprendre la métaphore, nous avalons tous des cornichons à longueur de journée, ils donnent du goût à la merde qu’est notre vie. Doubles of death, the game of life : ne faut pas se plaindre tout le temps, suffit de savoir jouer, les règles du Monopoly – métaphore du capitalisme - sont simples, tu lances les dés et tu triches tant que tu peux pour amasser un max de fric, attention changement de paradigme, guitare tonitruante saturée à mort, bye-bye le folk, voix grondante, Boyajian hurle comme un boyard de la Sainte Russie prenait un immense plaisir à fouetter ses moujiks, au jeu de la vie et de la mort vous avez intérêt à être du côté des gagnants. Le rouleau compresseur de l’orchestration lancé à vos trousses à toute vitesse vous oblige à comprendre qu’il vous écrasera sans pitié. The serial killer life : une minute de bonheur intense, l’on se croirait dans une comédie musicale à Broadway ou dans un dessin animé de Disney, un piano plus fou que boogie, monsieur Loyal débite son speach à toute vitesse, l’histoire de deux serial killers qui tuent pour vivre et manger, Boyajian s’amuse, des malades certes mais il faut aussi payer son loyer. Le genre de discours qui hérisse les morales droitistes qui jugent le comportement des individus sans tenir compte des pressions psychiques exercées par l’organisation de la société. Babylon river flow across Jah socks : un peu de reggae pour détendre l’atmosphère, oui mais un reggae qui pue des pieds, qui vous assène les contre-temps à coups de triques, colère sortie, exaspération du pauvre dont les souliers troués laissent passer l’eau. Faire rire, non pas pour vous empêcher de pleurer mais pour activer votre révolte. Boyajian n’y va pas de voix morte. Mouse in da house : un truc à rendre dingue un amateur de rockab , une note de piano répétée à l’infini et là-dessus Boyajian pousse son flow, va nous faire devenir chèvre, nous fait du hip hop maintenant et il est doué, nous conte comment la vie quotidienne et amoureuse ne correspond pas exactement aux dessins animés de la Disney Chanel, l’a pigé le truc, les rappeurs français devraient l’écouter pour prendre des leçons de chant et d’écriture. The taxman Cometh : sidéral jazzy gospellisant, non ce n’est pas Dieu qui vient mais le précepteur, une belle parodie des chanteurs noirs à gros organe enroué, sur une rythmique qui vous emporte tout droit au septième ciel, par contre aucune amélioration pour le pauvre diable, vous voici gros jean comme devant. Reggie and the guac suckers : tiens une nourriture de sang mêlé une salsa-reggae, entre parenthèse pas le meilleur morceau de l’album, les plats épicés sont bien supérieurs à la cuisine aseptisée des amerloques, tout dépend des goûts de chacun objecterez-vous, oui mais si ce qui entre fait ventre, dans un monde idéal la nourriture devrait être gratuite. Trashman with the trash plan : la figure idéale du travailleur -une espèce de rap accéléré, vous ici je vous croyais au kazoo, et haché menu par guitare et synthé – ne s’agit pas ici de l’idéaliser outre mesure, tout homme à ses limites, le prolétaire peut-être plus que les autres, prisonnier de son aliénation mentale qui l’empêche de penser son existence en empruntant des schèmes étrangers à sa propre condition servile, la consolation du pauvre qui se sent investi d’une mission sociale dont il tire fierté. Plundering Uranus : entrain enthousiaste réservé aux chanson de cowboys ou de marins, joyeux drilles enchantés de chasser les baleines dans l’espace, quelle joie d’enfoncer nos harpons dans leurs chairs pantelantes, la chanson n’en dit pas plus, à vous de comprendre que le pillage éhonté des richesses du monde est une des lois du capitalisme, et sans doute aussi un comportement prédateur inhérent à la nature humaine… Boyajian y met tant de contentement bonhomme que pour un peu vous signeriez les yeux fermés votre engagement sur un astronef baleinier. Un chant optimiste pour un futur peu encourageant. The man who loved me : deux minutes vingt-cinq secondes le morceau le plus long de l’album - les autres dépassent rarement les cent vingt secondes – normal c’est après tous ces chants de combat une chanson d’amour, n’exagérons rien sur un penchant sexuel différent de l’habitude, attention une véritable parodie de Goldfinger, essayez d’imiter Charley Bassey avec l’organe mâle et viril de Will, l’est un peu plus proche de Tom Jones dans (Opération) Thunderball, les amateurs de rockab adoreront la guitare. Fat catz : un peu de swing n’a jamais tué personne et Sinatra ce n’est pas la sinistrose, n’empêche qu’après avoir vilipendé le capitalisme Will nous croque d’acidulés portraits de nos contemporains, se range dedans puisqu’il dit je, ici il traite du rapport névrotique des propriétaires de chat qui s’identifient en toute inconscience aves leur bête qui n’en fait qu’à sa tête, plus libre qu’eux il mène une agréable vie de pacha et de patachon. Pepto-bismat blues :  ce n’est pas du blues, ruse de sioux, enfin du rockabilly ! non il n’y a pas une fille à tringler sur la banquette d’une Pink Thunderbird, l’est pourtant bien sur le siège, celui des toilettes, l’est affligé d’une courante dévastatrice pour avoir mangé un mac-do périmé. Les rockers seraient-ils des hommes comme les autres, non la preuve c’est que lorsque Will Boyajian chante et gratte, vous croyez entendre Johnny Cash et Luther Perkins à la guitare. Femme tetard brulé : une ballade cashienne en diable avec une voix de prêtre qui réciterait un poème d’amour d’Edgar Poe devant une tombe ouverte. C’est beau et mystérieux, vous ne comprenez pas tout à part que certains êtres vivent leurs rêves éteints jusqu’à leur dernier souffle sans en partager la lourdeur avec quiconque. Crustacean frustation : bruit de mer, retour aux crustacés, voir le premier morceau, le pire c’est que le crabe ne se sent pas à l’aise dans sa carapace, préfèrerait pieuter dans une petite chambre que sur la plage, quand l’idéal se résume à une vie merdique de quoi pouvez-vous rêver. Une ambiance bien plus poppy que le morceau précédent mais encore quelqu’un en fin de course, bien loin de passer la ligne d’arrivée en vainqueur. Un vaincu du système. OnlyFins.com : la mertaphore continue – sur son instagram Will Boyajian publie de nombreuses photos exhibant fièrement de gros poissons qu’il vient de pêcher dans ses bras robustes – une marche triomphale quasi-guerrière, il ne faut ne pas avoir honte de la manière dont on survit même si c’est de prostitution par le biais d’internet, faut savoir profiter de ses atouts surtout si l’on est bien gaulé. Pas grave le gars n’est pas dupe de lui-même. Nécessité fait loi.

             Très agréable à écouter, Will Boyajian a plus d’une corde vocale.

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    Vous le préfèreriez davantage rockab : deux extraits de Million Dollar Quartet   sont visibles sur YT, Will Boyajian y interprète Johnny Cash à la guitare en train de chanter Folsom Prison Blues, costume noir et voix grave sombre, campe bien son héros, ce qui n’est pas facile. Million Dollar Quartet est à l’origine une comédie musicale de Broadway ( 2010 ) qui a connu un tel succès lors de nombreuses tournées qu’une série télévisée qui retrace les débuts de l’aventure Sun  en a été inspirée… L’ensemble destiné au grand public ne saurait ravir les esprits qui préfèrent le parfum de l’authenticité à la tarte à la crème de l’entertainment made in USA… N’empêche que notre chanteur y paraît rasé de frais, propre sur lui, cheveux courts tiré en arrière, bien plus à l’aise dans sa figuration de Johnny Cash qu’un homard dans sa carapace.

    Un autre album d’un style plus traditionnel, Will Boyajian se permet tout, l’a même un rock-opéra à son tableau de chasse, mais restons sage :

    HAIRCUT

     ( Album Digital / Bandcamp / Novembre 2021 )

    Photo d’enfance, petit garçon chez le coiffeur, quand il sortira de la boutique, sera tout beau, tout mignon, ses parents seront contents, tout joli c’est déjà tout poli, le gamin bien élevé qui présente bien, un nettoyage capillaire régulier est une assurance sur l’avenir, notre fils ne sera jamais un voyou, on lui aura inculqué les bonnes manières dès le début…

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    Hang me up : guitare acoustique l’on est dans une sorte de bluegrass alternatif, une prière au Seigneur, tout ce qu’il y a de plus classique dans le blue grass, z’oui mais si notre petit garçon de la couve n’est pas devenu un voyou, l’a quand même emprunté des chemins peu rectilignes, la vie n’est jamais là où on l’attend, se débat comme chacun de nous comme il peut, demande au Seigneur de lui prêter vingt dollars, ça ne se fait pas et cette manière un tantinet cavalière de traiter le Créateur n’est pas la mieux appropriée, vous en conviendrez, mais lui l’est tout joyeux, fait preuve d’un joyeux dynamisme, l’assume tous ses écarts de gibier de potence sans état d’âme. Sailing with you : une ballade avec harmonica, si l’on se contente de suivre le clapotis rythmique, tout est parfait, notre héros – mauvais sujet ou paumé – peut-être les deux - invite sa copine à faire de la voile, quoi de plus romantique, le roulis lui file tout de même de drôles d’idées, l’est sûr qu’il n’a pas envie de la ramener à la maison… ne l’entraînerait-il pas sur une route dangereuse… Whiskey Lullaby : tic-tac de montre, examen de conscience de la dernière heure, rythmique acoustique enlevée, fait preuve d’un certain détachement en une heure si grave, ne regrette pas de quitter notre monde n’espère pas le paradis, se fout de l’enfer, que le diable et le bon dieu se décident, lui l’a mieux à faire, cuver son whisky. Renverse les canons de la bien pensance chrétienne avec un flegme ironique qui doit choquer les bonnes âmes et exalter le sourire les mécréants. Belle big mama et chant magnifique. La beauté du diable ? Big league : lignes de basse sur lesquelles virevolte la voix de Will, l’est tout seul à chanter mais l’on ne sait pourquoi l’on dirait qu’ils sont tout un groupe à l’accompagner, pas de truquage, simplement l’entrelacement guitare et contrebasse qui produit une espèce de frottement reptatif qui exhausse le vocal. Dockside boy : chant de marin avec fricassée de banjo, vous emmènerait jusqu’au bout du monde, suffit de suivre l’onde vocale. L’est doué, sur son instagram vous trouverez de courtes vidéos sur lesquelles il se saisit de sa guitare pour interpréter des traditionnels.

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             Nous le quitterons sur une vidéo marrante. Enfin presque, car elle relève tout un pan de la réalité sociale américaine. Chante dans la rue avec sa guitare, l’étui posé devant lui est jonché de dollars, un panonceau invite tous ceux qui en ont besoin à se servir. Rien d’authentique, un sketch tourné par la TV, mais si l’on y réfléchit bien une terrible et symbolique inversion nietzschéenne des valeurs. Qui définit à merveille la démarche de Will Boyajian. Toujours de guingois par rapport à ce qu’il fait. Vous l’attendez là, il est là, juste à côté. Pas très loin. Hors zone d’évidence. Une démarche quelque peu situationniste. Ce n’est pas la société du spectacle, mais la musique du spectacle dévoyée au profit de la liberté individuelle.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 14 ( gérondif ) :

    68

    Je roule à toute blinde vers Paris, je ne perds pas pour autant mon temps, saisi par une idée (démarche platonicienne par excellence) soudaine j’en profite pour passer un coup de fil :

             __ Oui Monsieur, ici l’accueil du Parisien Libéré, que puis-je pour vous ?

             __ Pourriez-vous me passer le bureau de Monsieur Lamart, c’est urgent !

             __ Tout de suite Monsieur, vous avez de la chance, il traverse le hall à l’instant, je vous le passe !

             __ Allo Lamart, ici l’agent Chad, je passe vous prendre au journal, attendez-moi, préparez une édition spéciale en première page, pour demain matin !

             __ Je prends toutes les dispositions nécessaires, juste cinq minutes et je me poste sur le trottoir. 

    69

    Carlos avait pris la tête de la colonne de pénétration, l’œil aux aguets, un Rafalos dans chaque main, il ne paraissait pas inquiet :

             __ La technique du fennec est relativement simple, il ne cherche pas sa proie, ce serait trop fatigant et trop difficile, il se contente de se promener, c’est la proie qui vient vers lui !

             __ Terriblement judicieux cher Carlos, je commence à comprendre !

             __ Vous en avez de la chance Chef, moi je n’ai jamais compris pourquoi une proie vient se jeter dans ses pattes, par contre par expérience je sais que ça marche… J’ai eu un lieutenant qui m’a parlé de la théorie du hasard objectif d’un certain André Breton, si vous cherchez quelque chose, vous la trouvez affirmait-il, je n’y crois pas trop quand j’ai besoin de mon briquet, je ne parviens jamais à mettre la main dessus !

             __ Votre André Breton est un petit joueur, cela s’explique beaucoup plus aisément par la théorie des universaux, relisez Aristote et… tenez, je reconnais cet endroit, la végétation est de plus en plus touffue, nous sommes dans la bonne direction, le fennec a sûrement lu Aristote, les animaux sont bien plus intelligents que les hommes et…

             __ Chef impossible d’avancer, ce rideau d’arbres nous empêche de progresser !

             __ Mais non Carlos, nous y sommes, vous devez avoir une fente entre les deux arbres devant vous, glissez-y votre main, si vos doigts cognent contre un mur, nous touchons au but !

             __ Affirmatif, Chef !

    70

    Olivier Lamart et Martin Sureau totalement excités s’engouffrent dans la voiture.

             __ Agent Chad, merci pour le scoop, regardez devant nous les deux motards qui démarrent suivez-les, c’est Octave Rimont qui nous les a envoyés pour déblayer la route devant nous, il suffit de leur donner l’endroit où nous allons et ils nous y mèneront au plus vite !

    Trente secondes plus tard nous roulons vers la forêt de Laigue…

    71

    Le Chef et Carlos sont postés au haut de la branche maîtresse de l’arbre qu’ils ont escaladé :

             __ Satanée baraque, s’exclame Carlos, encore un ou deux casses de transport de fonds ce weekend et je la rachète, parfait, pas très loin de Paris.

             __ Hélas non, cher Carlos, nous sommes dans une faille spatio-temporelle, ce manoir se situe en Angleterre !

             __ Ah, ça change tout, les rosbifs ne jouent jamais vraiment franc-jeu, souvenez-vous de Mers El-Kébir et de Jeanne d’Arc !

             __ Pire que ça, cher Carlos, je vous avais promis l’enfer, nous y sommes, c’est la demeure de la Mort !

             __ Pff ! Même pas peur, un petit roulé-boulé et on y rend une petite visite !

    72

    Octave Rimont, nous accueille un sourire sardonique aux lèvres, il adresse un clin d’œil à Lamart :

             _ Tiens, Le Grand Chef ne s’est pas déplacé, il nous a envoyé son sous-fifre, le fameux Agent Chad avec ses deux Molosses qui ne feraient même pas peur à mon chat.  Heureusement que j’ai prévu des renforts, tenez ils arrivent deux compagnies de CRS ! Le temps qu’ils descendent des fourgons et on y va ! Agent Chad, voudriez-vous prendre la tête de notre groupe d’intervention puisqu’apparemment vous êtes le seul à connaître notre destination finale.

    Mais Molossa et Molossito sont déjà à cent mètres de nous, ils se retournent et aboient pour nous faire signe de les suivre.

    73

    Pas un bruit. Le Chef et Carlos n’entendent que le froissement des feuilles mortes qu’ils écrasent de leurs chaussures sans précaution particulière. Tous les deux sont des partisans de l’assaut sans hésitation, impressionner l’ennemi est la meilleure des tactiques. D’un magistral coup de pied Carlos enfonce la grande porte d’entrée. Tous deux se faufilent à l’intérieur. Le décor est assez spartiate, des murs blancs sans décoration, une grande table d’ébène rectangulaire autour de laquelle sont placés une vingtaine de fauteuils plus noirs que la nuit. S’il n’y avait ces deux points rouges brillants, l’auraient-ils remarquée ? Enveloppée dans sa cape noire, immobile, assise sur un siège surélevé sur le petit côté du rectangle qui leur fait face, elle est-là, la Mort, à peine si dans l’obscurité ils distinguent son hideuse face.

             __ Salut frangine, l’on s’est si souvent rencontrés tous les deux que je suis enchanté de pouvoir discuter un peu avec toi.

    Sans demander la permission Carlos s’assoit, aussitôt imité par le Chef :

             __ Je crois qu’il est temps que j’allume un Coronado, cher Carlos me feriez-vous le plaisir de fumer en toute tranquillité un de ces fameux calumets de guerre avec moi ?

             __ Vous ne pourriez me faire un plus grand plaisir Chef, vous au moins vous savez vivre !

             __ Exact Carlos, je n’en propose pas à notre hôtesse parce qu’elle ne sait pas ce que c’est que de vivre !

    A ces mots le visage cadavérique de la Mort semble pâlir.

    74

    Molossa et Molossito filent ventre à terre, en un temps records nous voici parvenus devant le rideau d’arbres. Le commandant Octave Rimont me prend pour un rigolo lorsque je commence à escalader le tronc le plus imposant.

             __ Non, vous croyez que mes CRS sont des perroquets sur leur perchoir. Nous allons débusquer ceux qui se cachent derrière l’enceinte dont vous me signalez la présence. A mon commandement, cent hommes sur ma droite, trois mètres de séparation entre chaque individu, cent hommes sur ma gauche, même consigne. Agent Chad et les deux journalistes reculez de vingt mètres et admirez l’efficacité de la police nationale.

    75

    Le Chef allume un Coronado.

             __ Pas très causante la vieille !

             __ Vous ne perdez rien pour attendre, ricane la Mort, je vous promets de…

    Une série de détonations interrompt son discours. Un parfum âcre et des vapeurs blanches s’infiltrent par la porte d’entrée que nous avons laissé entrouverte.

             _ Carlos, vous vouliez un demi-régiment de parachutistes, il semble à l’odeur et au bruit que l’on nous a envoyé deux escouades de CRS, faute de grives nous nous contenterons de merles !

    La Mort se met à hoqueter, elle semble vexée et très en colère :

    __ Venir chez moi et me narguer ainsi, ils vont voir de quel bois de cercueil je me chauffe !

    76

    Le commandant Octave Rimont exulte de joie :

             __ Ah ! Ah !, dix mille grenades d’encerclements en dix minutes, et l’ennemi ne veut pas sortir, que des lâches, je m’en doutais, j’ai tout prévu, arrêtez le feu, il est temps de faire intervenir les troupes d’élite, GIGN donnez l’assaut et tuez-les tous, ne comptez pas sur Dieu pour reconnaître les siens !

    Une soixantaine d’hommes surgissent de derrière nous, un petit peloton nous force à reculer pour notre sécurité, le reste de la troupe entreprend au pas de course d’escalader les arbres, ils sont aussi adroits que des singes et se glissent entre les branches avec une facilité déconcertante pendant que le commandant Rimont nous rejoint.

             __ Sureau prenez des photos, elles seront parfaites sur la Une de votre torche-cul !

    77

    Le Chef allume un nouvel Coronado. La Mort descend de son trône et ouvre une vaste fenêtre. Sans préavis ni élan elle saute à pieds joints sur la barre d’appui et se retourne vers nous :

             __ Messieurs excusez-moi, je vous avais préparé une petite agonie pas très agréable, c’est partie remise, j’ai mieux à faire, au revoir et à la revoyure. D’un bond léger elle s’élance dans le ciel, les pans de son manteau se métamorphosent en une paire d’ailes d’aigle géantes…

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 582 : KR'TNT 582 : P. J. PROBY / SUEDE / DUSTY SPRINGFIELD / DRIPPERS / ADMIRAL SIR CLOUDESLEY SHOWELL / DESOLATE GRAVE / POBBY POE & THE POE KATS / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 582

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    05 / 01 / 2023

     

    P. J. PROBY / SUEDE

    DUSTY SPRINGFIELD / DRIPPERS

    ADMIRAL SIR CLOUDESLEY SHOWELL  

    DESOLATE GRAVE

     BOBBY POE & THE POE’S KATS

     ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 582

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    La probyté de P.J. Proby

     

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             Pour présenter P.J. Proby, Simon Goddard cite Nik Cohn. Cohn qualifiait Proby de the great doomed romantic showman of our time. Le portrait de P.J. Proby se trouve en effet en couverture d’un petit roman de Nik Cohn intitulé I Am Still The Greatest Says Johnny Angelo, et pourtant, ce n’est pas un livre spécialement consacré à P.J. Cohn se livre à l’exercice de la fiction rock, dans ce qu’elle peut présenter de plus aléatoire, mais il précise tout de même dans sa préface que sa principale source d’inspiration est P.J. Proby : «Proby, pour tous ceux qui n’étaient pas là en 1965, était un solide gaillard originaire du Texas qui débarqua dans la British pop pour la ravager, comme John Wayne à Iwo Jima. Imaginez le Duke en costume de velours bleu avec des escarpins à boucles aux pieds et une coiffure de page du 18e siècle. Il créa la sensation, mais son talent pour l’auto-destruction surpassa encore ses prodigieux talents de chanteur et de showman et il disparut rapidement.» Cohn s’intéresse en fait à la notion de self-made gods, qu’on appellerait en France les demi-dieux. Il cite Elvis, white-trash mamma’s boy, Phil Spector qui devint un teen millionaire, et puis d’autres.

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             Simon Goddard accorde une belle interview à Proby dans Record Collector. Il a raison de se dépêcher car Proby atteint les quatre-vingt balais et se dit très surpris d’être encore en bon état. Comme Jerry Lee, il croyait qu’il ne dépasserait jamais les 27 ans. Pour situer Proby dans le temps, disons qu’il a commencé tôt, en 1959, à Hollywood. Il s’appelait alors James Marcus Smith et arrivait tout droit du Texas. Le secret de sa longévité ? I stopped drinking. Il s’est arrêté en 1992, quand il est tombé dans les pommes en Floride. Son cœur s’est arrêté cinq fois sur la route de l’hosto. Proby avoue avoir picolé toute sa vie. Ses parents lui donnaient de la bière quand il avait trois ans. Ça les amusait de voir baby Proby danser lors des barbecues. Quand on a ce type d’entraînement, on tient bien l’alcool - I’d been a professional drinker all my life - Il a rencontré Frank Sinatra et Dean Martin qui lui ont enseigné l’art de boire du matin au soir, à petites gorgées  - Just sip and sip and sip your drink - Proby dit avoir toujours préféré le bourbon. Il démarrait le matin avec trois Bloody Marys et continuait à la bière. Carlsberg Special Brew. Puis, il attaquait la bouteille de bourbon lorsque la nuit tombait.

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             Quand on lui demande qui est Proby, il répond qu’il se voit comme un acteur du Hollywood des années 30, c’est en tous les cas ce qu’il prétend être sur scène. Quand il sort de scène, il redevient Jimmy Smith. S’il choisit à une époque la queue de cheval et les chemises à jabots, c’est pour se différencier des autres looks, ceux d’Elvis avec la pompadour et des Beatles avec la coupe au bol. S’il porte la queue de cheval, c’est en souvenir d’Errol Flynn. S’il porte des escarpins à boucles, comme les pilgrims, et la chemise à jabot des pirates, c’est pour devenir un personnage de cinéma. Hollywood des années 30 !

             Proby raconte qu’à son arrivée à Londres, il est devenu pote avec John Lennon et allait chez lui chaque samedi. Puis il revient sur les Chelsea days, lorsqu’il partageait un appart avec Kim Fowley et Bongo Wolf. C’est la fête tous les soirs et en bon redneck qui se respecte, Proby accepte tout le monde sauf les homos. Jonathan King n’a pas le droit d’entrer. Et puis en 1965, il part en tournée en Angleterre avec Cilla Black. Lors du premier concert, il arrive sur scène et craque son pantalon. Kim Fowley vole à son secours et lui jette sur les épaules sa robe de chambre avec la carte du Texas brodée dans le dos. Évidemment, Proby ne prend pas l’histoire du pantalon craqué au sérieux - I took no notice because I thought it was a bunch of crap - Mais le comité de Mary Whitehouse déclare que Proby est obscène et la presse suit le mouvement, affamée de scandale. Proby est viré de la tournée et Tom Jones le remplace. Catastrophe ! Il est arrivé la même chose à Jerry Lee quand les journalistes ont découvert qu’il avait épousé sa cousine âgée de 13 ans. Mais comme Jerry Lee, Proby ne craint pas le scandale. À l’instar d’Errol Flynn, il agit en pur hellraiser, toujours en quête de chaos - I was living up the Hollywwod image.

             Alors Simon Goddard propose un jeu dangereux : il cite les mythes créés par la presse et demande à Proby de dire s’ils sont vrais ou faux. Premier mythe : Proby a descendu l’une de ses ex avec un fusil à air comprimé. Proby répond qu’il n’y a jamais eu de preuves. Deux : il quitte la scène en plein milieu d’un show en disant qu’il souffre d’une blennorragie. Vrai. Trois : il a assommé le patron de la BBC d’un coup de poing en pleine gueule. I sure did. Proby ne supportait plus d’entendre cet abruti de Billy Cotton JR faire référence aux split pants. Boum, son poing en pleine gueule. Résultat : The BBC banned me for eternity. C’est comme ça qu’on ruine une carrière. Alors Goddard lui demande s’il va écrire ses mémoires et Proby lui répond que c’est déjà fait, mais le texte est trop long. 500 pages ! Par contre, il bosse sur un projet de docu qui retracerait son histoire.

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             Sur son premier album paru en 1964, Proby ramène pas mal de hits américains. L’album s’appelle I Am P.J. Proby. On y retrouve le fameux «Rockin’ Pneumonia & The Boogie Woogie Flu» de Huey Piano Smith immortalisé par Jerry Lee. Ah il sait rocker, c’est un vrai Texan ! Son boogie woogie flu sonne si juste, sur ce heavy tempo à l’anglaise, avec du piano et de l’harmo à gogo. Il va droit au but du beat. N’oublions pas qu’il fut baptisé P.J. par Sharon Sheeley, la poule d’Eddie Cochran. Il tape aussi dans l’«I’ll Go Crazy» de James Brown. On trouve en plus pas mal de pop éplorée sur cet album. On le voit tartiner le nutella de «The Masquerade Is Over». C’est du Clyde McPhatter et Proby l’explose au firmament. Il sait faire de la soupe de neiges éternelles. C’est un maître chanteur, il tape dans le haut du panier et avec «Glory Of Love», il montre qu’il peut faire son Tony Benett et son Sinatra quand il veut. En B, il fait un peu de Beatlemania avec «Don’t Worry Baby» et bat les Beach Boys à la course. Il tape le «Question» de Lloyd Price à la big energy. Ce mec est en caoutchouc. Encore un superbe exercice de style avec «Just Call And I’ll Be There», full-bloody Proby treatment. Il fait aussi un shoot de Cajun avec «Louisiana Man» mais à Londres, c’est passé à l’as. Il termine avec le «Cuttin’ In» de Johnny Guitar Watson. Ce brave Proby sait choisir ses amis.     

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             Attention à ce P.J. Proby paru en 1965. Il y arbore un beau salad bowl digne des Beatles de Revolver. Fantastique pochette ! Et le contenu ne reste pas en reste, car il grimpe par-dessus les toits dès «The Neatness Of You» et tape dans le fantastique «Lonely Weekends» de Charlie Rich. Il va chercher le jazzy feel de Big Charlie. On note l’extraordinaire énergie du chant et de l’orchestration. Proby est tout simplement supérieur en tout, il ramène toute la big American music dans «If I Loved You», mais ça ne cadre pas du tout avec le swingin’ London. Son «When I Fall In Love» dégouline de mâle assurance - When I fall in love/ It will be for/ Ever - Il chante ça à pleine voix. C’est le roi du too many kisses, c’est nappé de violons à outrance. Proby se hisse au sommet de tous les arts. Il shoute «She Cried» dans le vent. Côté pulmonaire, il est imbattable. Il sonne comme un phare dans la nuit, à la limite, on ne verrait plus que lui. Dans «Secret Love», il est complètement explosé de son. Il gueule par dessus les toits, c’est l’un des chanteurs dont se souvient un siècle. Son «I Will Come To You» est terrifiant de présence. Il transforme la pop en or. Et voilà qu’il tape dans un hit de Berry Gordy, «Lonely Teardrops», pour en faire de la Soul demented. Les filles qui font les chœurs deviennent dingues, on entend des coups de trompette, on assiste là une explosion inespérée, ça gicle partout, un vrai tourbillon de culs de minijupes et de trompettes de la renommée, une vraie bombe atomique, et les chœurs sucent goulûment le beat des enfers. Pur génie !

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             La même année paraît In Town. Proby nous convie à sa table pour un nouvel album d’antho à Toto. Ce fabuleux crooner n’est toujours pas accepté en Angleterre. Trop puissant. Surdimentionné. À tous points de vue. Trop Broadway. Mais comment résister à ce «To Make A Big Boy Cry» ? Il se fond dans la pop orchestrale et l’explose quand elle ne s’y attend pas. Quel carnage ! Il chante ses lungs out. Pas de pire crooner que Proby. Même pas pop. Trop américain pour la pop de Carnaby. Avec «No Other Love», il tape dans le plus gluant des barytonnages. Il fait vibrer sa glotte comme s’il montrait sa bite, c’est pareil. Il tape dans Bécaud avec «Walk Hand In Hand». Il chante à la glotte vibrée comme du béton. Il en rajoute. Avec «People», il fait comme Elvis, il embarque les gens dans son giron à la con, il chante comme un dieu, il s’élève quand il veut. Tu ne trouveras jamais ça ailleurs, cette façon de grimper subitement dans la stratosphère. In Town est un bel album de croon. Proby sonne comme un géant qui observe la vallée. On ne pourra jamais lui enlever ça. Il fait encore un carton avec «If I Ruled The World», il remplit tout le spectre du chant, c’est une merveille. Comme Scott Walker, il est beaucoup trop hollywoodien pour Londres. Il est hors de proportion. 

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             Troisième album paru en 1965, Somewhere ne casse pas des briques, comme on dit sur les chantiers. Même si avec le morceau titre, Proby tape dans Leonard Bernstein. Big time on Broadway. Ve mec en a les épaules. C’est un stentor, il peut grimer là-haut sur la montagne. Mais l’album reste d’un niveau très intermédiaire, flirtant parfois avec la variété («Que Sera Sera») ou avec le pur shake de shook («Stagger Lee»). Il ramone bien la cheminée du vieux Stagger Lee. On le voit aussi souffler dans la bronches de la pop («Together») et là, il redevient l’admirable shooter que l’on sait. Il attaque sa B avec un heavy «Rockin’ Pneumonia» et termine en beauté avec deux merveilles inaltérables, «Question», tapé au heavy swing, ultra-orchestré, et «Hold Me», fantastique jerk de never let me go - Take me/ Anyway you take me - Il sonne comme les Beatles et c’est excellent.

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             Attention à Enigma. Cet album est une vraie caverne d’Ali-Baba, il regorge de trésors incomparables. Proby attaque down in Louisiana avec «Niki Hoeky» et swingue sa pop comme un blackos. On sent bien l’Américain à Londres. Quelle allure, quel tour de force ! Et tout l’album va s’aligner sur cette merveille d’aisance swampy. On entend des chœurs de rêve dans «Shake Shake Shake». Il tape deux reprises fabuleuses, le «Reach Out I’ll Be There» des Four Tops et l’«Out Of Time» des Stones. Il bouffe les Four Tops tout crus, il fait tout le shaking de Levi Stubbs aux mieux des possibilités et on se régale de l’incroyable ampleur du gaillard texan. Il a du c’mon girl plein la bouche. Avec le hit des Stones, il tente de rivaliser avec Chris Farlowe en s’attaquant au fin du fin, mais il ne monte pas aussi haut que Farlowe, il se contente de swinguer sa soupe avec une sainte ardeur. Il met cependant le cut en carré, comme un maître charpentier. Il travaille sa taille à la mortaise des enfers. En B, il s’en va taper dans Ashford & Simpson avec «I Wanna Tank You Baby». Il redevient white nigger et c’est excellent, vraiment digne de Motown et même de Stax, il groove sa Soul comme Sam & Dave. Et puis voilà qu’il passe au dylanex avec «I’m Twenty Eight». On reste dans la probyté céleste avec l’«Angelica» de Barry Mann & Cynthia Weil, cut de pop extraordinairement entreprenante. Il chante ça à l’éperdue. C’est utterly fascinant. Proby sait tout faire et ça continue avec «I Can’t Make It Alone» de Goffin & King, il va chercher systématiquement la grande ampleur, il en fait un stormer épouvantable et termine cet album béni des dieux avec l’excellent «You Make Me Feel Like Someone». Il va chercher la Soul extrême des Righteous Broters, c’est vraiment au niveau des hits de Phil Spector. On a là un album spectaculaire, tous mots bien pesés.

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             C’est Derek Taylor qui signe le texte au dos de ce Phenomenon paru en 1967. Nous voilà en plein dans l’âge d’or du grand Proby. En bon white nigger qui se respecte, il tape une fantastique mouture d’«Honey Hush». Il tape aussi dans Etta James avec «Work With Me Annie». Il n’en fait qu’une bouchée. En matière de r’n’b, il est imbattable. On voit à l’écoute de «Ling Ting Tong» qu’il dispose d’une vraie puissance de shoot bamala. Et le «Just Holding On» d’ouverture de balda est monté sur le riff d’«I’m A Man», celui du Spencer Davis Group, alors ça laisse présager du pire. Il est dans ce son. En B, il fait de «Butterfly High» un vrai hit de juke, c’est admirablement bien stompé. Ce mec chante comme un dieu, il ne faut pas l’oublier. Ils tape ensuite dans Wilson Pickett avec une cover de «She’s Looking Good». Proby peut rivaliser de raw avec the black panther, aucun problème. Encore un jerk sixties avec «Pretty Girls Everywhere». C’est chanté de main de maître avec des chœurs de filles superbes et quand il pique sa crise, on se régale. Il termine avec «Sanctification», un solide groove de probyté finement teinté de Tony Joe White, mais avec plus de mordant. C’est très straight et finement groové sous le boisseau d’argent.

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             Si on veut entendre un vrai chanteur, c’est là, sur un album comme Believe It Or Not. Proby est le roi des grands balladifs élégants qui s’étendent jusqu’à l’horizon. Le meilleur exemple est ce «Give Me Time» chanté à la grande clameur romantique. Avec «Turn Her Way», il montre qu’il peut monter plus haut que tous les autres, y compris Johnny Burnette. Il fait de la belle Soul avec «Cry Baby» et redouble d’élégance avec «I Apologize Baby». Mais la vraie énormité s’appelle «Judy In The Junkyard». Il termine l’album avec ce jerk psychédélique d’autant plus génial qu’il est inattendu. C’est le hit inconnu du swinging London.

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             On tient Three Week Hero pour un album culte. Pourquoi ? Parce que les New Yardbirds qui vont devenir Led Zep accompagnent Proby. En fait, il connaissait Jimmy Page depuis 1964, car c’est Page qui joue sur «Hold Me». Proby propose aux New Yardbirds de devenir son backing band, mais ils ont déjà des projets. Dommage. On note aussi la présence de Clem Cattini sur cet album. Malheureusement, Three Week Hero ne tient pas ses promesses, même si John Paul Jones fait des miracles sur «The Day That Lorraine Came Down».  Plus loin, «Empty Bottles» sonne comme un comedy act. C’est une chanson à boire et l’A se termine avec «Won’t Be Long», un petit jerk passe partout. Malgré tout le gratin dauphinois, on reste sur sa faim. Il faut attendre «I Have A Dream» pour entendre enfin chanter ce fantastique chanteur. On peut aussi se consoler en compagnie du «New Directions» de Lee Hazlewood, mais c’est encore du comedy act. Proby se prend ensuite pour Cash dans «Today I Killed A Man». Oh, il en a les moyens, n’oublions pas qu’il vient du Texas. Cet album se termine avec un medley de chansons américaines, «It’s So Hard To Be A Nigger/Jim’s Blues/George Wallace Is Rolling In This Morning». On y entend Jimmy Page jouer du Led Zep et Robert Plant de l’harmo. Ils sortent très exactement le son de «Dazed And Confused». Dommage que tout l’album de soit pas de ce niveau. C’eût été un smash.

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             Dans le cas où on éprouverait une admiration sans borne pour Proby, il faut écouter ce qu’il enregistra au début de sa carrière sous le nom de Jett Powers. On trouve sur le marché une compile intitulée California Licence. La licence en question orne la pochette : c’est un permis de conduire américain au nom de James Marcus Smith. Dès «Bop Ting-A-Ling», ça déconne. On reste sur l’impression que Proby a passé sa vie à faire les mauvais choix de chansons. Il tape soit dans la mauvaise variété, soit dans le kitsch dégoulinant. Il propose néanmoins une très belle version de «Stranded In The Jungle» et sauve l’album avec une version démente de «Stagger Lee». Here we go ! C’est joué à l’harmo hot as hell, au crash de drums, au solo d’éclate à la Dave Burgess et Proby screame comme un démon échappé d’un bréviaire. Dommage que les autres titres ne soient pas de cet acabit.

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             Belle pochette que celle d’I’m Yours paru en 1973. On y voit ce playboy de Proby sourire. Il est irrésistible. Attention, il reste à Broadway sur toute l’A. C’est extrêmement chanté, mais trop grand public. Il s’en va chercher le Sinatra du Perry Como dans le croon. Il devient plus accessible en B avec «Twilight Time» et une superbe envolée par dessus les toits. Proby force l’admiration. Et voilà qu’il tape dans l’«Only You» des Platters. C’est un lion. Il gronde comme le lion de la Metro Goldwyn Meyer. Fantastique version ! Il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Il va plus sur la pop avec «Sunday Goodbye» mais il chante à la force du poignet. Tout ce qui suit s’inscrit dans l’ampleur spectaculaire et il termine avec le fantastique sing-along du morceau titre, histoire d’affirmer son pouvoir magique.  

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               On dirait qu’il a passé son temps à monter des coups : voilà qu’il enregistre Focus Con Proby en 1977 avec le groupe Focus, l’une des figures de proue du jazz-rock expérimental. Que fout ce géant du stentoring dans un plan pareil ? La réponse se trouve sur l’album. En fait il n’y chante que très peu. On peut entendre de longs délires de Focus, mais on n’est pas là pour ça. Proby refait surface sur «Eddy», joli balladif servi sur un plateau d’argent par ces musiciens beaucoup trop brillants. On ne saurait espérer background musical plus riche. Mais l’album est beaucoup exotique. Focus dévore quasiment tout l’espace et notre pauvre Proby se trouve réduit à portion congrue.      

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             Curieusement, The Hero est devenu une sorte d’album culte. Paru en 1980, il n’offre pourtant rien d’extravagant. C’est comme d’habitude très chanté, mais Proby n’a pas les bonnes chansons. Il propose essentiellement une pop transie et sans espoir. Le seul cut qui sort du rang de l’A est ce «Memories Of You» joliment orchestré et presque joyeux. Mais ça reste de la variété, l’équivalent britannique d’Alain Barrière. En B, Proby rivalise de tempérament avec Elvis dans «What Did I Do To You». Eh oui, de la même manière qu’Elvis, il peut secouer la paillasse d’une petite variette à la mormoille pour en faire un hit.

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             Encore un album pétard mouillé avec Clown Shoes paru en 1980. Ça démarre avec de la variété catastrophique. C’est le côté commercial de la probyté qu’il vaut mieux ignorer. Au mieux, on peut parler de croon de séducteur texan transplanté à Londres. Il termine n’A avec un «Hold Me» qui sonne comme un hit de beatlemania. En plus, les cuts ne correspondent pas au track listing de la pochette, c’est un véritable carnage. Il faut attendre la fin de la B pour trouver un peu de viande et notamment cet «I Apologize» qu’il croone comme un seigneur des annales. S’ensuit une version live «Niki Hoeky» digne de Tony Joe White, mais il fait n’importe quoi, il reste planté comme une godiche dans le groove.      

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             Paru en 1990 sur J’Ace Records, Thanks vaut le rapatriement, au moins pour une raison : «I Will Always Be In Love With You». Avec ce croon, Proby s’installe dans le coin de l’oreille. Il se prélasse dans notre faculté à adorer la grandeur incommensurable. C’est là que les chœurs deviennent intéressants, c’est là où ce bouffeur de chattes devient fascinant, il shoote tout le feeling du monde de la pointe de sa langue. Il nous croone «Someone From Somewhere» du fond du cœur, oh yeah, il nous croone ça jusqu’à l’os du jambon de Broadway. Il faut savoir que Proby adore la rengaine sentimentale, donc il en bourre sa dinde. Il sait faire fondre la pop. En ouvrant le livret du CD, un violent parfum se dégage. Celui d’une femme qui aimait Proby à la folie. Proby est le dernier grand crooner de la romantica. Il retourne à Broadway avec «Stage Of Fools». C’est très spécial, il sur-chante all over the place. Il doit adorer se répandre. Il enchaîne avec un «Whenever Your Are» dégoulinant de romantica et passe au pathos avec un «Love Song To You» nappé d’orgue et superbe. Mais un tel album ne peut plaire qu’aux inconditionnels de P.J. Proby.  

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             On trouve dans le commerce un autre album de P.J. intitulé Heroes. Pourquoi Heroes ? Parce qu’il y fait une cover de Bowie. Bien vu ? Mal vu ? Bien vu, forcément, car il met en route des tambours spectoriens et il chante comme Moïse au sommet du mont Sinaï. He can be a hero, c’est le thème, et il sait le faire. Mais il fait tout pour que ça devienne hollywoodien, il revient à son point de départ pour faire du Cecil B. De Mille spectorien, les vagues de son s’abattent sur la cité, Proby s’élève lourdement, I could be a king ! But nothing ! Il s’étrangle dans la tourmente d’apocalypse. Seul un mec comme lui peut provoquer un tel séisme mythologique. Il explose l’art suprême d’Heroes dans un décor biblique. C’est stupéfiant ! Sa version éradique complètement celle de Bowie. Comme c’est un album de reprises, il se permet d’attaquer avec Mickey Newburry et son «American Trilogy». On le voit avancer dans «Hot California Nights» avec une écrasante puissance de probyté. Il est le roi du merry-go-round. He is The Vox. Il tape dans Joy Division avec «Love Will Tear Us Apart». C’est un carnage. Pire qu’un raid de renard dans un poulailler. Proby cherche à regagner des points dans les sondages, alors il tape comme un sourd. Même violence dans la façon dont il traite «Tainted Love». Pure violence texane. Celle que les Anglais n’ont pas compris. Il ne fait qu’une bouché du pauvre «Tainted Love». La version est tellement heavy qu’elle en devient réjouissante. Il chante avec toute la bravado du gutso. Avec «In The Air Tonight», il fait du gospel jungle à la Gainsbarre. Les grands esprits se rencontrent. 

             Ce texte est bien sûr dédié à Jean-Yves qui vénérait tellement P.J. Proby qu'il portait comme lui des escarpins à boucles.

    Signé : Cazengler, P.J. Probable

    P.J. Proby. I Am P.J. Proby. Liberty 1964    

    P.J. Proby. P.J. Proby. Liberty 1965

    P.J. Proby. In Town. Liberty 1965

    P.J. Proby. Somewhere. Liberty 1965

    P.J. Proby. Enigma. Liberty 1967

    P.J. Proby. Phenomenon. Liberty 1967            

    P.J. Proby. Believe It Or Not. Liberty 1968      

    P.J. Proby. Three Week Hero. Liberty 1969  

    Jett Powers. California Licence.

    P.J. Proby. I’m Yours. Ember Records 1973    

    P.J. Proby. Focus Con Proby. EMI 1977      

    P.J. Proby. The Hero. Palm Records 1980

    P.J. Proby. Clown Shoes. Meteor 1980      

    P.J. Proby. Thanks. J’Ace Records 1990     

    P.J. Proby. Heroes. TKO Magnum Music 1998  

    Simon Goddard : My brain fell out my nose. Record Collector #487 - Christmas 2018

    Nik Cohn. I Am Still The Greatest Says Johnny Angelo. No Exit Press 2003

     

     

    Blue Suede chou(chou) - Part Two

     

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             Brett Anderson chantait dans Suede, l’une des figures de proue de la Britpop des années de vaches maigres. Suede se détachait du troupeau bêlant grâce au high class glam touch de son chanteur. Il faut en effet ranger Brett Anderson dans la catégorie des géants du décadentisme à l’Anglaise, avec Kevin Ayers, Peter Perrett et David Bowie, bien sûr. En son temps, Brett Anderson sauva bien des compos médiocres grâce à sa diction merveilleusement maniérée.

             La presse anglaise raffole de Suede. Chaque réédition est saluée par des volées de cinq étoiles. Phénomène typiquement britannique, au même titre que New Order ou les Smith. Il faut être né de l’autre côté de la Manche pour pouvoir entrer dans ce type de mania. De la même façon qu’il faut être français pour savoir apprécier Barbara, Brel ou Léo Ferré. On n’imagine pas un seul instant un Britannique se prosterner jusqu’à terre devant «Il N’y A Plus Rien», cette fabuleuse apologie du néant, un néant qui reste la fin logique de tout. 

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             Brett Anderson connaît bien le néant. Le sien porte le nom de pauvreté. Il l’évoque longuement dans l’autobio qu’il vient de publier, Coal Black Mornings. L’ouvrage se présente comme ce qu’on appelait au XIXe un petit roman d’esthète, typique du genre par la pagination restreinte, les essoufflements de style et les poussées de sève lyrique mal calibrées. Sans doute est-ce à l’image de la musique de Suede et sans doute sont-ce ces travers qui donnent du charme à l’ouvrage. Toujours est-il qu’il se lit d’un trait d’un seul.

             Brett raconte son enfance et son adolescence à Hayward’s Heath, un patelin situé entre Londres et Brighton. Un endroit où il ne se passe rien, dit-il, et où il ne se passera jamais rien - Everyday lower-middle-class life - On entre avec lui dans une vraie maison anglaise, mais une maison qu’il décrit comme singulièrement minuscule. Son père gagne tout juste de quoi nourrir la famille. Il se passionne pour Litszt et conduit une BSA avec un side-car où monte parfois son épouse, terrorisée à l’idée d’abîmer sa permanente. Brett n’a qu’une sœur qui s’appelle Blandine. La famille n’achète que des fringues d’occasion, même les sous-vêtements. Et se nourrit chichement. Interdiction de gaspiller la nourriture. Comme chez tous les gens pauvres, la règle est de finir son assiette. Brett bricole des formules admirables pour décrire tout ça : «Ça m’a toujours rendu triste de penser que mes parents et leurs parents avant eux avaient vécu leur vie entre les quatre murs gris de la pauvreté, et je cherchais désespérément à trouver un sens à cet univers de vêtements d’occasion, de cantine gratuite pour les pauvres et de meaningless dead-end jobs, c’est-à-dire de petits boulots sans avenir.» Il est vrai que la pauvreté présente un aspect inexorable. Brett comprend rapidement qu’il est baisé d’avance et que cette condition va lui coller à la peau tout le restant de ses jours. D’ailleurs, il ne se fait pas de cadeaux : «J’étais une sorte de gamin morveux, larmoyant, élevé à la sauce en tube, au thé au lait et aux abats, occupé à regarder des images et généralement abattu - pas dépressif, mais vraiment sombre et légèrement dédaigneux.»

             L’ado Brett n’échappe pas à la règle : il découvre un jardin magique qui s’appelle le rock. Il fait des petits boulots pour pouvoir s’acheter son premier album, Never Mind The Bollocks. Voilà ce qu’il faut appeler un démarrage en trombe - Cet album fut le point de départ d’une passion à vie avec l’alternative music - D’ailleurs, il cite John Lydon a plusieurs reprises dans le cours des pages. Plus tard, il tombe sur le charme de The Fall - J’étais passionné par le surréalisme exacerbé de The Fall, This Nation’s Saving Grace et The Wonderful And Frightening World devinrent à mes yeux des albums sacrés - Il s’éprend ensuite de la petite pop synthétique des Pet Shop Boys - Ça devint un rituel, on s’endormait en écoutant «Rent» des Pet Shop Boys, un poème magnifique et intelligent traitant de la vie urbaine des années quatre-vingt, que j’adore encore et qui me rappelle toujours mes premiers jours à Londres, lorsque je devins amoureux de cette ville - Oui, cette ville qu’il apprend à connaître - Il y a quelque chose dans la taille de Londres qui me réconforte : l’anonymat, la profusion, l’énergie, les possibilités. Tout l’amour et tout le poison en même temps - Il cite aussi Felt, Five Thirty, Adorable et Midway Still, des groupes qui eurent leur petite heure de gloriole. Et Bowie, qu’il réécoute quand justement il était passé de mode - J’eus une période de redécouverte de l’early Bowie et je devins obsédé par «Quicksand», surtout sa façon d’amener the power, qui pour moi était la clé en matière de composition.

             Après avoir quitté la maison de ses parents pour aller s’installer à Londres, il continua de faire ce qu’il avait toujours fait : s’acheter des fringues d’occasion. Il adorait les vieilles chemises des seventies et les petits blousons en cuir qui ne coûtent que quelques livres chez les fripiers. Et sans s’en douter, il créait une mode à l’époque où Suede entrait dans le rond du projecteur : «Ces gens croyaient qu’il s’agissait d’un look travaillé, une sorte de kitsch. J’eus la grande joie de leur annoncer que nous portions ce genre de vêtements parce que nous étions très très très très pauvres - Il écrit very quatre fois - Et Mat ajouta un peu plus tard qu’on avait tous nettoyé les toilettes pour vivre.»        

             La vie à Londres n’est pas plus rose qu’à Hayward’s Heath : «S’il est vrai qu’on n’achète pas le bonheur avec de l’argent, le manque d’argent peut transformer la vie en enfer, et Londres est une ville particulièrement dure pour les pauvres. Dans l’Angleterre de John Major, faire la queue pour toucher l’allocation de chômage devenait insupportable à cause du spectacle de toute cette misère, aussi m’étais-je dit qu’il valait mieux chercher un job.» Qu’il ne trouve pas, évidemment.

             Quand il apprit que sa mère, lassée par vingt ans de vie commune, avait quitté son père, Brett redescendit vivre avec lui à Hayward’s Heath : «Mon père était complètement détruit. Il ne s’était douté de rien. Son monde fragile s’écroula le jour où il rentra du dépôt de taxis où il travaillait : il vit que les affaires de sa femme avaient disparu et il trouva une stark little letter sur le manteau de la cheminée.» La nuit, à travers les murs trop fins, Brett entendait son père sangloter dans la chambre voisine. À la misère matérielle s’ajoutait alors un misère affective qui allait emporter ce pauvre homme.

             Un peu plus tard, sa mère qui s’était réinstallée avec un autre homme mourait d’un cancer - La mort de ma mère m’a presque détruit. Je suis resté au lit pendant des jours et des jours - Il venait pourtant de rencontrer Justine qui fut son premier amour - One of the two great loves of my life - Au long de quelques pages, il lui rend hommage à sa façon, c’est-à-dire très discrète, très elliptique. Il ne sait pas qu’il faut apprendre à se méfier du bonheur. Il s’enfonce dans une routine affective jusqu’au jour où Justine rencontre un autre mec. Brett n’est pas plus équipé que son père pour encaisser un tel choc - Comme mon père avant moi, je m’étais habitué à l’indolence du confort affectif. Ma façon ridicule d’idéaliser la romance et mon manque total d’ambition ont dû rendre la vie commune particulièrement ennuyeuse - Et il ajoute : «Ça peut paraître étrange aux yeux des gens qu’un jeune garçon de vingt ans puisse être affecté de la sorte par un événement aussi prévisible qu’une rupture amoureuse. Il m’arrive parfois de me poser la question. Disons que je devais être quelqu’un de fragile, c’est vrai, mais aussi de totalement loyal envers ceux auxquels j’accordais ma confiance.» Tiens Justine, prends ça dans ta gueule. Et en plus c’est élégant. Rien n’est pire que la trahison - La rupture fut un sale moment, horrible même, émaillé de conversations téléphoniques interminables et de longues nuits passées à pleurer qui débouchaient sur des petits matins blêmes, lonely coal black mornings.  

             Le problème était que Justine jouait dans Suede. Une fois partie pour aller monter Elastica, Suede alla beaucoup mieux - Je ne dis pas ça par cruauté, mais après son départ, on y voyait beaucoup plus clair, ce qui n’était pas le cas avant.

             Brett finit son livre à l’aube du succès médiatique. Il nous épargne une énième resucée du success-story de Suede. Il se contente d’expliquer comment s’est formé le groupe : à partir de Mat, son vieux complice d’Hayward’s Heath, puis l’arrivée de Bernard Butler et du petit batteur Simon qui ressemblait tant à Topper Headon. Bernard Butler fut recruté sur annonce : «Groupe inexpérimenté mais important cherche guitariste. Dans le style : Smiths, Lloyd Cole, Bowie, Pet Shop Boys. Ni technicien averti, ni débutant. Il est des choses plus importantes que la virtuosité.»

             Brett voulait monter un groupe, mais il devait aussi apprendre à chanter : «Ça m’a pris du temps pour apprendre à chanter, pour surmonter mes inhibitions et prendre conscience de la violence et de la folie qu’il faut développer pour être capable de chanter, c’est-à-dire de se plonger dans un fleuve de feeling.» Il apprit aussi à se méfier du succès en voyant des artistes célèbres comme Cher et Peter Gabriel se pavaner dans les coulisses d’une émission de télé - the utter naffness of it all, c’est-à-dire la nullité de tout ça - Pour être honnête, j’ai toujours préféré la marginalité, cette impertinence salvatrice. J’ai toujours pensé que la parole des marginaux avait beaucoup plus de valeur et que la célébrité stérilisait les artistes.

             Brett sait qu’on lui reprochait son maniérisme un peu efféminé. Il s’en explique fort bien : «Les gens prenaient ça pour du racolage gay ou un clin d’œil au glam des seventies, mais quand j’y repense, je crois que j’ai essayé de combler le vide de ma vie affective par un ersatz de féminité.» Il développe le point assez longuement : «Avec le recul, cette démarche peut sembler douteuse et même pathétique, je ne suis pas très fier de la façon dont j’ai essayé de gérer ce problème, mais je vivais dans une sorte de confusion et au point de vue émotionnel, j’étais un peu à vif. Et d’une certaine façon, je n’étais pas encore adulte - very much unformed as a person.» Attention, le style de Brett est précis. On prend des risques à vouloir le traduire, le plus gros risque étant de dénaturer la précision de sa pensée.

             Mais quand son fils évoque l’idée de faire de la musique pour vivre, Brett s’inquiète : «S’embarquer dans une aventure aussi risquée serait ridicule, I’m sad to say. Pour que ça marche, il faut une détermination à toute épreuve, cette arrogance que donnent les œillères, une chance incroyable, tout cela semble tellement hors de portée, et à l’ère du digital, c’est complètement disproportionné.»

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             Tout commence comme on l’a dit dans le Part One avec «The Drowners», le single magique qui rendit Suede célèbre en Angleterre. Sort dans la foulée un premier album sans titre, l’une des pierres blanches de cette vague Britpop tant décriée. Quel album ! Ne serait-ce que pour «The Drowners». Ça coule dans la manche, heavy Gibson sound. Admirable ! Cœur de heavy beat anglais. Comme Bowie et les Pistols avant eux, ces kids créent leur monde - So slow down/ You’re taking me ahvah - L’un des hits du siècle dernier. Diction de rêve. Épais et si parfait. Brett créée de la magie à coups d’ahvah. Derrière, ça sonne comme du Ronson. On se retrouve dans la communauté des génies du rock, parfaite conjonction compo/son/chant/puissance. Pure intelligence du rock. On trouve d’autres choses sur l’album, comme «Metal Mickey», une sorte d’hymne du heavy glam. Nanard joue ça à bras raccourcis. Il y met tout son pâté de foi. Mais c’est difficile de rester au niveau de «The Drowners». Le «So Young» d’ouverture de bal s’impose par une présence vocale indéniable. Brett pose son bekause sur le canapé d’arpèges. On reste dans une certaine pop décadente avec «Animal Nitrate». De cut en cut, Brett se forge un personnage de rockstar tout à fait crédible. Il incarne parfaitement l’esprit du décadentisme britannique. Il se veut ambiancier. La réédition Edsel propose un disk de B-sides et là on tombe sur le heavy sludge de «My Insatiable One» - Oh he is gone - Brett et Nanard tapent en plein dans le mille du big atmospherix, ils savent gérer les vertigineuses chutes de son, ça coule comme un fleuve en crue, Nanard sait ouvrir les vannes - On the escalator/ We shoot paracetamol/ As the ridiculous world goes by - Autre grande B-side : «To The Birds» et son joli pont de crystal clear. Ces mecs savent sculpter un son dans le crystal clear de la pop anglaise. La voix de Brett mord divinement dans l’or blanc de la fulgure. Leurs montées héroïques semblent saluer le monde. Quelque chose d’héroïquement bon se dégage de Suede. On a là une authentique énormité sonique. Brett mène bien son bal. Il se hisse à l’apogée de son âge d’or. Et comme on le voit dans «He’s Dead», il adore les oh-oh et les ah-ah. Nanard n’hésite pas à sortir les pédales de distorse pour durcir le ton -  With all the love and poison of London - Encore une bonne bourre baroque avec un «Where The Pigs Don’t Fly» extrêmement enrichi par ce démon de Nanard, véritable apologue du heavy grunge. Il tortille tellement son son, my son. Il en devient l’âme catalytique, ses notes fondent comme le plomb dans l’Athanor. Il touille son gras à outrance. Avec «The Big Time», Brett fait comme Bowie : il ÉCRIT - I watch the slow hand/ Kill the day/ I see my starring role/ Tick away - Comment résister à un tel appel ? C’est en plus emmené à la trompette de Miles. Bowie devait fatalement admirer l’art prostré de Brett, surtout «High Rising». Dans cette prostration œcuménique, quelque chose de Bowie renaît comme un phœnix. De toute évidence, Brett ne plaira pas aux fans d’AC/DC. Il est beaucoup trop raffiné, au sens où le sont les vampires de 500 ans d’âge. On se plaît beaucoup dans cet univers de grands corridors balayés par les vents de Brett - Stop making me older/ Stop making me new - Il mérite des temples, d’autant qu’il sort de là dans un final éblouissant. Ils font aussi une spectaculaire cover de «Brass In Pocket». Le glam de Suede ! Parfait mélange vox/sound. Oh il faut aussi voir le DVD que propose Edsel avec cette réédition. Le clip de «The Drowners» est complètement foireux. Dommage. Il vaudrait mieux voir du early footage de Suede, quand ces gamins étaient encore dévoyés. Le clip de «Metal Mickey» est cruel pour Nanard, car on ne le voit même pas prendre son solo. Par contre, le clip US de «The Drowners» est une merveille, car filmé sur scène avec une image saturée au rouge. Le glam de Suede éclate et la beauté parfaite de Brett aussi, alors ça devient l’essence même du rock. Nanard porte du cuir noir, comme Elvis dans le 68 Comeback. Une merveille. Mais le film qui les montre aux Brit Awards avec «Animal Nitrate» les couvre de ridicule. On voit qu’ils ne savent pas bouger sur scène. C’est atroce. Nanard et Matt sont mal dans leur peau. Brett s’en sort de justesse. Mais à Sheffield, ils jouent pour un public conquis, et ça change tout. Les Anglais connaissent les paroles. Grosse ambiance. En plein Drowners, on arrache la chemise de Brett. Il se retrouve torse nu. Beau torso d’homme anglais. Belle ossature, comme dirait Jonesy. À Londres, Nanard fait pleuvoir des déluges de glam. C’est assez exceptionnel. Ces mecs n’ont que des chansons et du son. Et un magnifique chanteur. Il éclate au grand jour. So so young est une splendeur. Toute la salle saute en l’air. For sure. «Animal Lover» sonne comme l’un de plus grands hits d’Angleterre. C’est alarmant d’excellence. On a à la suite une version de «To The Birds» ultra-jouée. Et voilà ce qui fait la grandeur des Drowners : le contraste entre la violence de Nanard et la délicatesse du chant de Brett. Merveille intemporelle. Ils terminent avec un heavy «So Young» qui fait jerker the Brixton Academy.

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             Leur deuxième album s’appelle Dog Man Star. «The Wild Ones» le rend absolument indispensable. Car c’est là, dans ce cut, que tout se passe. Là et dans «The Drowners» : le génie de Brett Anderson - Sky high in the airwaves on the morning show - Ça coule tout simplement de source - But Oh, if you stay/ We’ll be the wild ones/ Running with the dogs today - C’est un miracle de la pop anglaise, comme le sont certains cuts des Beatles et de Mansun. C’est cette qualité de vision et ce stupéfiant retour d’If you stay. Il lui promet monts et merveilles. Il faut voir comme il fait couler son génie vocal dans le Niagara du grand Nanard. C’est joué à l’instar de l’inaccessible étoile. Magie pure. L’autre moment fort de l’album s’appelle «Black Or Blue». Brett s’embarque dans un trip hyper-orchestré, au-delà de toute expectative. Il chante comme un diable émasculé. C’est sa force. Il dépasse toute la Britpop. Il va trop loin. Il chante à la perfection de la perversion. On pourrait dire la même chose de «Still Life», balladif incroyablement digne. Brett fait face, into the night. Il faut le voir exploser le plafond. Vas-y petit Brett ! Il explose tous les plafonds de la pop anglaise. Il faut le voir amener la montée. He raises a storm, comme disent les Anglais. Edsel a aussi réédité cet album. On se régale une fois de plus d’un disk entier de B-sides, à commencer par l’impérial «My Dark Star». Mais c’est «Stay Together» qui emporte la bouche, littéralement dévasté par d’immenses vagues de son. Il y tombe les tonnes de sauce à Nanard. Il n’en finit plus de jouer au petit jeu des chutes de Niagara. «Killing Of A Flash Boy» frôle le hit glam à la Bowie. Le son parle pour lui, c’est indubitable. Brett renoue avec ses ambiances favorites dans «The World Needs A Father». Il nous replonge dans son big atmospherix baroque. C’est sa came. Il est aussi fort que Bowie à ce petit jeu. Il met toute sa foi dans son chant et se plaît à dérailler quand ça lui chante. On reste sous le charme de Brett avec «Modern Boys». Il continue de créer son monde. Il chante jusqu’à plus soif. Comme ce mec peut être brillant ! Fabuleuse approche de come into me/ Slippin’ away while the city sleeps - Quelle vision ! Digne de Paul Verlaine - Modern boys/ Hand in hand - Et il repart de plus belle - Yes the world calls my inter/ National/ So let the decades/ Die/ Let the parties/ Fall - C’est extrêmement fulgurant. On trouve vers la fin une version acou de «The Wild Ones». Brett y couronne son son avec des glissés de glotte somptueux. Il n’existe rien d’aussi décadent et d’aussi sexily beautiful. Ce coffret propose aussi un DVD et on s’y plonge avec délice, car Brett est beau : cheveux coiffés à l’arrière, une mèche sur la joue, un anneau à l’oreille, une chaîne autour du cou, les traits fins. Perfect. Mais les trois autres, ça ne va pas du tout. Cette merveilleuse déliquescence n’appartient qu’à de très rares kids anglais. Les années quatre-vingt dix, c’est l’époque où chaque chanson avait son clip vidéo. On a des très belles ombres chinoises pour «Pantomine Horse». C’est de l’art accompli. Le clip de «The Wild Ones» est monté sur des paysages romantiques. Brett monte sa mélodie au pinacle des swans dans l’éclat doré d’un crépuscule digne de Louis II de Bavière. Pour «Still Life», il veille à la beauté des choses : un vieil homme se déshabille et plonge longuement dans l’eau bleue. On trouve à la suite deux concerts filmés sur scène. Au Casino de Paris, en 1993, Brett recréait la magie de «The Drowners». Il recréait ce mélange étonnant de puissance et de finesse qui distinguait Suede des autres groupes. Nanard saute sur place. Il sur-joue son mish-mash. Grâce à sa teneur baroque et à son sens aigu de l’enjoyement, Brett passe comme une lettre à la poste. Quel commitment ! Nanard nous lie tout ça avec sa sauce. Il joue tout en sous-main de cousu main. Brett dégorge une belle version de «Stay Together». C’est un showman exceptionnel. On a là un rare mélange de chant/guitar de beauté formelle. C’est du niveau Bowie/Ronson, avec quelque chose d’immanquablement suedish. On les voit aussi donner un set acou à la Fnac. Nanard gratte «Still Life» à coups d’acou. Ça reste d’une rare beauté, évidemment. Dans l’interview qui suit, Brett indique qu’il a fait travailler Brian Gascoigne, le mec qui arrange les chansons de Scott Walker.

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             Coming Up parut deux ans plus tard. L’écrin plastique recelait pas mal de joyaux, notamment «By The Sea», une sorte d’immense balladif océanique. Brest semblait y déployer ses ailes blanches de Rossetti boy. Il chantait au plus profond du glam anglais, à coups d’accents sincères qui transportaient le cœur et qui transperçaient la peau - It’s by the sea we’ll bread/ Into the sea we’ll bleed - Il poussait le romantisme à son extrême. Mais le véritable joyau de l’album s’appelait «The Chemistry Between Us». On avait là le hit parfait, un bouquet d’accords de trankillity - But oh we are young and not tired of it - Brett le chantait à la glotte fondante, au kemistry de genius, il clamait dans la clameur. Dès le premier barrage d’accords, on savait qu’il s’agissait d’un hit imprenable - And maybe we’re not on our own - Brett plongeait dans un abîme de délices, Richard Oates grattait ça dans l’esprit du rêve et ça tournait à l’échappée belle, ça donnait un moment unique, assez rare, l’artiste se fondait dans son art et ça devenait complètement magique. Et Brett y allait à coups de kemistry et se fondait dans une ascension voluptueuse, dans un Graal d’absolu, là où se passaient véritablement les choses, il revenait inlassablement pour repulser sa pop vers le ciel, il libérait son génie visionnaire à belles giclées, ce sublime petit mec d’Angleterre créait l’événement comme Bowie avant lui, il créait de la beauté à s’en étourdir, à s’en brûler les ailes - Brûlent encore, même trop, même mal - Bon c’est vrai, les autres compos de l’album n’étaient pas toutes des huitièmes merveilles du monde, mais elles permettaient à Suede d’instaurer une sorte d’ambiance, un petit jus de décadence bienvenu dans les années de Britpop. Brett faisait la différence, car il CHANTAIT. Il savait pousser son modeste petit bouchon. Richard Oakes avait pris la place de Nanard et en compagnie de Brett, il entourloupait le glam de «Filmstar» à merveille - Play the game yeah yeah yeah - Que de son avait-on ! On sentait que Brett essayait de créer de la mythologie à tous les coins de rue, comme avec «Lazy» - You & me so lazy - Ça restait de la pop, mais avec du son, énormément de son, et soudain Richard Oakes partait en commotion sidérale et s’écroulait dans un pont d’arpèges de crystal clear. Quelle aventure ce fut ! Avec «She», ils passaient au stomp de Suede, à l’ode de la désaille, encore une fois chargé de son. Puis Brett jonglait avec le jargon de psycho & sex & glu dans «Beautiful Ones», il jargonnait à coups de bostik & bands & gangs et de time to kill, de gasoline et de machine. Il cherchait en permanence de Graal du glam, comme le montrait «Starcrazy», un electric-shock-bug-brush-air trop moddish. Brett rejetait la mode, mais la mode le rattrapait.

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             En voyant l’allure que prenait Suede dans la presse anglaise, on commençait à rechigner et à vouloir revenir vers des artistes plus biologiques. En gros, Suede commençait à sentir le renfermé et la Britpop, dans ce qu’elle pouvait offrir de plus insipide. On fit une ultime tentative de réconciliation avec Head Music, paru en 1999. Grand bien nous en prit. Si grand bien. C’est là que se niche un cut de génie intitulé «She’s In Fashion». On ne se méfie pas car ça commence avec un gratté d’acou de fête à Copacabana, et soudain, Brett éclate de tout son éclat au grand jour. S’ouvrent alors les digues de la décadence absolue. Un son extraordinaire balaye tout sur son passage, y compris nos a prioris à la con. Sublime shoot de fashion sound, une image du rêve absolu. Brett nous chante sa gasoline et ses cigarettes avec une rare délectation, voilà encore un hit séculaire, puissant et parfait. Et tout au long du final, ce diable de Brett grimpe et grimpe encore. Alors on réécoute l’album à la lumière de ce prodige. Oui, il faut suivre ce mec à la trace. C’est l’une des grandes voix d’Angleterre. D’ailleurs, comme Bowie, Brett vient de nulle part. Il ne défend qu’une chose, l’idée d’un son, et sa vision est pure, autant que pouvait l’être celle de Ziggy Stardust. «Electricity» ouvre le bal de cet album superbe. Brett table toujours sur les chutes du Niagara. Son truc consiste à pousser grand-mère dans les orties. Il raffole des effet de cathédrale, il a besoin de ça pour résonner, c’est un grand amateur de grandeur et de décadence. Après un départ qu’il faut bien qualifier de calamiteux, le cut s’achève sur un final éblouissant. Voici encore un haut lieu pour Brett Anderson avec «Everything Will Flow», balladif d’élégance suprême. Il y rayonne. Il n’en finit plus de tituber au bord de ses chères chutes du Niagara. Il maîtrise l’art de provoquer les frissons à coups de ha-ha-ha ah-ah. Au plan pop, c’est parfait. Et puis avec «Down», on sent qu’il cherche un passage vers la beauté formelle. Il ne recule devant aucune difficulté, il ne vit que pour l’ampleur mélodique. Si on aime bien les power chords, alors il faut écouter le morceau titre. Ce diable de Brett obtient désormais tout ce qu’il veut de la vie. S’il a su créer son monde, ce fut pour échapper à la pauvreté. Belle façon de se montrer digne. Il adresse un superbe clin d’œil à David Lynch avec «Elephant Man» - I am/ I am the Elephant man - sur fond de heavy cocotage de révolution industrielle. Et on voit qu’il maîtrise l’art de créer l’espace d’un cut avec «Indian Strings» : il y développe une réelle puissance dramatique. Il y excelle. S’ensuit «He’s Gone» et y on suit ce fabuleux seigneur de la dèche de la dole. Il taille sa route dans la matière mélodique et semble grandir avec la mélodie. Il finit par devenir grandiose et poignant à la fois.

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             Paru en 2002, A New Morning n’inspirait pas confiance à cause de sa pochette, mais l’écoute valait le détour. Et ce dès le «Positivity» d’ouverture de bal, une beautiful Song pleine d’élan vital - And the morning is for you/ And the birds sing for you/ And your positivity - Ce mec sait créer les conditions définitives. On trouve à la suite deux hits glam, «Lonely Girls» et Astrogirl». Richard Oakes claque «Lonely Girls» aux arpèges d’acou. Brett songwrite à tours de bras raccourcis et ça décolle comme si de rien n’était. C’est fou ce qu’on adore Brett - Lydia sings when she’s alone - C’est une ode aux filles - But never show the pain - Fantastique ! Avec «Astrogirl», Brett opère son numéro de charme. Ça marche à tous les coups. Il faut vraiment écouter ce mec chanter, il reste captivant. Il fait le Space Odissey in the future, c’est du pur délire ado glam, the sky goes on for you and me. S’ensuit une énormité intitulée «Untitled... Morning», amenée au groove de la rue des Lombards - And yes I’m just a stupid guy - Véritablement énorme ! On tombe plus loin sur «When The Rain Falls» - When the rain falls/ There’s magic in our lives - C’est là où Brett fait la différence. Ses cuts forcent l’admiration. Il termine ce brillant album avec «You Belong To Me» comme on belong to him, énorme cut de rock anglais, toute l’omniscience de Brett s’y trouve rassemblée. D’autres gros cuts hantent cet album solide, comme par exemple «One Hit To The Body» tapé aux gros accords de non-retour, ou encore «Lost In TV», où il rallume les feux du glam, et bien sûr «Beautiful Loser», big bad noise, Suede au plus musculeux - Well you beautiful Loser/ You’re coming down the hardway - Brett la bête tire sa song par les cheveux.

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             Paru après un long break de dix ans, Bloodsports s’ouvre sur une belle énormité nommée «Barriers». Brett sait créer un micro-climat, il tape dans la heavy pop - Will they love you/ The way I love you/ We jumped over the barriers - C’est énorme et comme d’habitude, très écrit. On ne se lasse pas de ce pathos mélodique. La beautiful song de l’album s’appelle «Sabotage». Brett maîtrise l’art des formules qui frappent - Alone in the climate of her greed - C’est là où il déploie ses petites ailes d’enfant défavorisé. Il devient émouvant à force de conviction artistique. S’il est un artiste remarquable en Angleterre, c’est bien Brett Anderson. Il crée sa beauté à partir de rien - And her will is done - S’ensuit un «For The Strangers» fabuleusement tendu aux guitares latérales. Ça ne tient que par la beauté tragique du chant - And it’s over so clear - Brett vise une sorte d’absolutisme impérieux, il est l’Hugo d’un Guernesey de la pop, ses balladifs sont d’authentiques merveilles entortillées. Il faut aussi écouter «Snowblind» car c’est bardé de son, ça saute dans les vu-mètres, ce dingue de Brett se jette dans des ravins. Il n’en finit plus de maintenir le cap des aménités compatissantes. C’est tellement bardé de son qu’on sent saigner les oreilles. Le casque vibre de toutes ses particules. Encore de la belle pop d’allure martiale avec «It Stars And Ends With You». On note la belle santé de ce groupe qui cling on by the nails to the sweet disaster. On retrouve des beaux effets atmosphériques dans «Sometimes I Feel I’ll Float Away». Avec un titre comme celui-ci, ça s’y prête. Frissons garantis. Avec Brett, on est toujours bien servi. Il sait ménager ses effets. Ça dégénère forcément en float away. Quel art de la pathologie ! Que de grosses compos ! Il nous y sert une fois encore le plus éblouissant des finals. Il termine avec un «Faultness» parfait - Celebrate the pale dawn/ Celebrate the birdsong - Il part au combat avec une détermination sans pareille. Il se pourrait bien que Brett Anderson soit le grand messie de la pop anglaise.

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             Ne prenez pas Night Thoughts à la légère. L’album ne compte pas moins deux coups de génie, à commencer par «I Don’t Know How To Reach You», groove déliquescent d’arpèges anglais - In the shadow of the cranes - Brett nous concocte un don’t know ho to reach you assez effarant. Il nous sort là un nouveau chef-d’œuvre de pop anglaise. C’est un hit d’une beauté désespérée - I turn away I close the book - C’est d’une qualité surnaturelle et Richard Oakes l’aplatit avec du son.  Ça se termine comme souvent chez Suede sur un final demented. Autre coup de génie : «Learning To Be», assez pur dans l’attaque au chant. C’est une sorte de merveille intimiste - When it’s over/ We go down the streets - On y trouve des sonorités magiques, il chante d’ailleurs le premier couplet avec un fort parfum de magie sixties. Il faut voir le travail qu’abat ce mec. Le cut de fin surprend aussi par son côté spectaculaire : «The Fur & The Feathers» aménage une sorte de sortie grandiose. Aussi grandiose que le «When You Are Young» d’ouverture, quasiment hollywoodien à force de puissance orchestrale. Brett clame dans le lointain. C’est Richard Oakes qui fait le show dans «Pale Snow». Superbe ambiance de pale & paper thin. Brett renoue avec la mort. «Tightrope» se veut aussi océanique et brutalement beau. Brett Anderson a appris l’art de s’imposer - Silence is everywhere.

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             Alors qu’on croyait le phénomène Suede éteint, paraît The Blue Hour, un album galvanique. Dès «Wastelands», Brett nous sert un superbe élan romantique, Oh my friend, il sait fêler ses tonalités dans l’azur prométhéen. Ce mec sait aller pervertir ses pulsions bucoliques - When the world is much too much/ Meet me in the wastelands/ Make a chain of flowers and the children in us play - Avec «Beyond the Outsiders», Suede passe aux arpèges anglais et ce diable de Brett monte vite en température. Il frôle le génie sonique de Mansun, les arpèges éclatent dans le panoramique et la mélodie se répand comme une traînée de feu - Come with us we’re small town dreaming/ We’re birds on a wire - Brett est un fantastique émulateur de climats. Back to glam avec «Life Is Golden» et sa belle attaque rebelle, you’re not alone, c’est du pur jus de Bowie, c’est explosé dans la fondue bourguignonne, le not alone implose dans le miroir, Brett fait les deux niveaux de voix dangereusement belles et ça dérape dans un excès de beauté déliquescente. On voit encore cet immense chanteur faire des siennes dans «All The Wild Places». C’est grandiose, et puis voilà que s’ensuivent deux véritables coups de génie suédois, «The Invisibles» et «Flytipping». Brett repart dans une quête évangélique digne de Jacques Brel, c’est lui qu’il faut suivre à la trace, il reprend les choses là où Bowie les a laissées après Hunky Dory. Brett explose son art au cœur de la magie du rock anglais, as funny how it’s always out of reach, on le sent dès l’intro, «Flytipping» sonne comme un hit intersidéral, on le sent dès l’and we watch as the lorries transport their precious loads, il se demande ce qui est à lui et ce qui est à elle, what is mine and what is yours, il bascule dans l’horreur du bonheur et repart en douceur, under the trees, c’est magnifique, shining things that turn into rust, il fait l’âne pour avoir du son, pas n’importe quel son - And I’ll pick your wild roses/ in the tunnel by the underpass - C’est stoogien à cet endroit du décadentisme. On a même un retour d’orgue digne de Whiter Shade Of Pale, on avait encore jamais vu ailleurs, et ça n’en finit plus de rebondir, ils sont dans leur truc. Brett tape dans le brut du Brit.

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             Sort enfin un docu sur ce groupe capital de la Bristish scene, The Insatiable Ones. Dans la presse, Brett s’empresse de rappeler que «The history of this fucking band is ridiculous», et il ajoute plus loin, «It’s like Machiavelli rewriting Fear And Loathing In Las Vegas». Pour Brett, cette histoire a toujours été on the edge and it never stops. Stephen Troussé qui chronique le docu dans Uncut parle de Suede comme d’un poisonous cocktail of ambition, lust and revenge. Le grand absent du docu, c’est Nanard Butler qui est quand même à l’origine du son. Sans Nanard, pas de Suede, pas de rien. La matière première du docu sort de la collection personnelle de vidéos de Simon Gilbert qui s’amusait à filmer le groupe un peu partout, en studio et dans le tourbus. Le docu revient aussi sur l’addiction au crack de Brett. Troussé va loin car il dit que personne n’a autant romantisé les drogues que Brett. On voit un Brett avec des yeux comme des ronds de flan tenter vainement de composer de la Head Music on a cheap synth.

    Signé : Cazengler, suédoigt dans l’œil

    Suede. Suede. Nude Records 1993 + Edsel 2011

    Suede. Dog Man Star. Nude Records 1994 + Edsel 2011

    Suede. Coming Up. Nude Records 1996

    Suede. Head Music. Nude Records 1999

    Suede. A New Morning. Epic 2002 

    Suede. Bloodsports. Warner Bros Records 2013

    Suede. Night Thoughts. Warner Music 2016 

    Suede. The Blue Hour. Warner Music 2018

    Brett Anderson. Coal Black Mornings. Little Brown 2018

    Suede. The Insatiable Ones. DVD

     

     

    Wizards & True Stars

    - Dusty chérie (Part One)

     

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             Dusty chérie restera pour tous les gens qui ont du goût la plus grande chérie de toutes les chéries. Cette Anglaise au physique ingrat fut tellement fascinée par la musique noire et les chanteuses noires qu’elle devint l’une des plus grandes chanteuses d’Angleterre, et comme Ace ne fait jamais les choses à moitié, voici que paraît l’inespérette d’espolette : Dusty Sings Soul, une compile écrasante de prodigiosité. Il n’existe pas de mot pour décrire ce gros tas de feeling, alors on en fabrique un sur le tas. Dans prodigiosité, il y a aussi religiosité, et même tant qu’on y est prodigalité. Enfin, on remplit le mot-valise comme on peut et on monte dessus pour pouvoir fermer le couvercle.

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             Dusty chérie est un monstre sacré au féminin, au même titre qu’Aretha. Au chant, elle ne se connaît pas de limites. Chacun sait que Dusty In Memphis est devenu un album culte, l’un des plus réussis de son époque. Chacun sait aussi que Dusty n’aimait pas les bonhommes et elle avait bien raison de les tenir à distance. Elle préférait les petites gonzesses. Madeline Bell et Martha Reeves comptaient parmi ses amies et confidentes. Dans cette merveilleuse bio officielle parue en l’an 2000, Dancing With Demons, Penny Valentine raconte dans le détail la passion qu’avait Dusty chérie pour les batailles de bouffe, qu’elle déclenchait chez elle lorsqu’elle recevait des gens pour dîner. Elle prétextait avoir oublié un plat à la cuisine et revenait avec une grosse tarte à la crème qu’elle balançait dans la gueule de ses invités. Et ça déclenchait les hostilités, tout le monde s’y mettait, c’était la règle. Pour elle, il n’y avait rien de plus drôle que de voir ses amis et ses relations barbouillés de crème au beurre ou de sauce tomate. Ça la rendait hystérique, elle ne pouvait plus s’arrêter de rigoler. Elle se roulait par terre dans les débris de tartes aux épinards et de gâteaux de riz, les pattes en l’air, elle rigolait à s’en arracher les ovaires. Tous les ceusses qui ont participé à des batailles de bouffe savent qu’il n’existe rien de plus hilarant que de voir la gueule de sa fiancée barbouillée de chantilly. Ça n’a pas de prix. On en rigole encore le lendemain lorsqu’on lave les murs. Et on recommence à la première occasion. Penny Valentine ajoute que les gens invités régulièrement chez Dusty chérie savaient exactement ce qui allait se passer lorsqu’elle se levait pour aller à la cuisine. La surprise était réservée aux novices. Ça permettait à Dusty chérie de faire le tri. Il y avait ceux qui revenaient dîner chez elle et ceux qui ne revenaient pas.

             Pour Dusty Sings Soul, Tony Bounce a choisi 24 cuts enregistrés entre 1964 et 1969, laissant volontairement de côté Dusty In Memphis et les sessions de Philadephie, car pour lui, ce sont des œuvres à part entière. Ces deux douzaines de cuts compilés démontrent selon lui, «why she will always be regarded as the UK’s foremost Soul singer of her time, and of all time.» Deux coups de semonce sur cette compile : «Take Another Little Piece Of My Heart» et «Welcome Home». C’est Erma Franklin, la grande sœur d’Aretha qui enregistra le Piece Of My Heart en premier, ce qui est logique, puisque ce hit faramineux est co-signé Bert Berns et Jerry Ragovoy. Erma faisait partie de l’écurie de Bert au grand pied. Dans le booklet, Bounce explique que Bert au grand pied cassa sa pipe en bois quelques semaines avant que Dusty chérie n’enregistre à son tour cette pure merveille. Elle y est accompagnée par ses trois amies de cœur, Madeline Bell, Lesley Duncan et Kay Garner. Mais ni Erma Franklin ni Dusty chérie n’auront autant de succès qu’en eut Janis avec sa version de Piece. En fait Dusty chérie tape dans le slow groove qu’on attribue à Janis, mais c’est tout à fait autre chose. Dusty le monte en neige pour mieux l’exploser dans l’azur immaculé, c’mon baby, il faut la voir monter son Piece, c’est d’une rare violence. C’est Chip Taylor, un autre très grand compositeur, qui signe «Welcome Home». Dusty chérie connaissait les versions de Garnet Mimms et de Walter Jackson, mais comme le dit si bien Bounce, elle voulait pousser le bouchon, kick the song up to the next level, et du coup, elle éclaire la terre entière, et en même temps, elle t’en fait de la charpie, elle explose le génie du pathos à coups d’into my life et ça flambe ! Elle en fait un hit définitif. Quand on le réécoute dans la foulée, on voit qu’elle est beaucoup plus progressive qu’on ne l’imagine : elle épouse le cut un temps puis elle le développe au well c’mon my baby, c’est un peu comme si elle gérait méthodiquement sa démesure, comme si elle commandait l’orgasme, elle le retient une première fois, babe it’s so good to be back home, elle stoppe juste avant chaque explosion. Il n’existe pas grand chose de comparable, à ce niveau de maîtrise sexuelle. Ne la laissez pas s’approcher d’«Oh No Not My Baby», car avec sa voix définitive, elle va l’envoyer au tapis. Elle chante ce hit signé Goffin & King à la pure niaque anglaise. Dusty chérie avait déniché cette merveille chez Maxine Brown, comme le fit d’ailleurs Manfred Mann qui en enregistra aussi une version, à l’époque. Ce fut aussi un hit pour les Shirelles, qui étaient les chouchoutes de Dusty chérie. Quand on dit qu’elle était fascinée par la musique et les chanteuses noires, c’est presque un euphémisme - It is well known that Dusty was a total Motown fanatic - Et boom elle tape dans le Marvin de 63 avec «Can I Get A Witness», elle fait le job, la blanche est bonne, elle te jerke ça vite fait !

             Ça va rester un principe chez elle : exploser les covers. Dusty chérie est tellement pleine de vie qu’elle peut chanter à la revoyure. Elle rend hommage à Aretha avec une fantastique cover de «Won’t Be Long» - Dusty breathes similar gospel fire into her version - épaulée par Madeline Bell et Doris Troy. Dusty chérie te jazze l’early groove les mains sur les hanches. Zorro Bounce a réussi à exhumer une version d’«All Cried Out», un hit paru en version tronquée, dit-il, alors il répare cette infamie avec la version intégrale du stereo mix, ce qui permet à Dusty chérie de te groover la chique. Elle devient de plus en plus black avec «Some Of Your Lovin’», elle te retient, elle t’oblige à observer son art, elle est totalement asexuée, mais en même temps elle dégouline de sexualité, elle est l’interprète idéale. En plus de Madeline Bell et de Lesley Duncan, Dusty chérie ajoute Kiki Dee dans les backings.

             L’une de ses grands chouchoutes est bien sûr Baby Washington, dont elle s’inspire beaucoup et dont elle reprend «That’s How Heartaches Are Made». Elle revient à Motown avec l’excellent «Ain’t No Sun Since You’ve Been Gone» signé Sylvia Moy et Norman Whitfield, un hit que reprendront aussi bien sûr les Tempts et Gladys Knight & The Pips. Sur sa version, Dusty chérie est bombardée de bassmatic et c’est atrocement bon. On l’attend au virage avec Burt pour «I Just Don’t Know What To Do With Myself». Magique. Après Burt, elle passe à Stax avec une cover d’«Every Ounce Of Strength», un hit de Carla qu’elle chante à tue-tête, tellement à tue-tête qu’elle en devient une furie magnifique. Ah il faut la voir à l’œuvre ! On s’épuise à vouloir la suivre. Difficile d’admettre qu’on est complètement largué.

             Et puis tu tombes sur «I Can’t Wait Until I See My Baby’s Face» qui est une sorte de synthèse de tout ce qui précède, car écrit par Jerry Ragovoy et Chip Taylor, auteurs dont Dusty chérie est friande, et interprété avant elle par les super-chouchoutes Aretha et Baby Washington, alors on ne peut pas espérer meilleure symbolique, en matière de cohérence de la prestance. Zorro Bounce ajoute qu’en plus de tout ça, Dusty chérie fit des backing sur la version qu’enregistra sa copine Madeline Bell, deux ans auparavant, version qu’on retrouve sur la compile Bell’s A Poppin’. Sur sa version, Dusty chérie groove la magie au xylo, elle symbolise l’outrecuidance des cuisses serrées dans la chaleur des sixties, elle en fait un hit blanc de tergal serré, elle est d’une telle modernité qu’on est obligé une fois encore de crier au loup. Elle rend hommage à Arthur Alexander avec une puissante cover d’«Every Day I Have To Cry» et boom, elle passe au Soul power avec «Love Power», we get love !. Avec «Am I The Same Girl», elle passe à une autre mouvance, celle d’Eugene Record, l’âme des Chi-Lites, mais aussi celle de Gamble & Huff et A Brand New Me, at Sigma Sound - Where she would record some of the greatest Soul music ever to come out of the City Of Brotherly Love - Zorro Bounce est déchaîné. Il termine sa compile avec «What’s It Gonna Be» - It would be unthinkable not to feature the track that most fans regard as Dusty’s best-ever Soul record - C’est enregistré en 1967 à New York avec Jerry Ragovoy, et en guise de backing vocals, la crème de la crème : Carole King, Nick Ashford, et Valerie Simpson. Zorro Bounce ne comprend d’ailleurs pas pourquoi «What’s It Gonna Be» n’est pas devenu un hit. Ça le dépasse. Et nous aussi. 

             Dans l’un de ses ultimes messages, Jean-Yves me confiait qu’il n’écoutait plus grand-chose, un peu de ci, un peu de ça et beaucoup de Dustry Springfield.

    Signé : Cazengler, Dustiti & Grosminet

    Dusty Sings Soul. Ace Records 2022 

     

     

    L’avenir du rock

     -  Drippers spirituels

             De temps en temps, l’avenir du rock disparaît de la circulation. Il met un panneau «Ne Pas Déranger» sur la porte de sa maison, il éteint son téléphone et il descend à la cave où est installé son générateur. C’est une machine à remonter le temps. Personne ne sait que cette machine existe. Ce n’est pas qu’il ne veuille pas partager, mais il craint surtout d’être pris pour un fou. Pris pour un con, il parvient à l’accepter, mais pour un fou, non. Il s’installe aux commandes de sa bécane et programme l’année de son choix sur un petit clavier digital. Tic tic tic tic tac. Il ferme l’écoutille, met le contact, un gros éclair vert traverse l’habitacle, quelques soubresauts et hop, comme dans une bande dessinée d’Edgar P Jacobs, l’avenir du rock se retrouve propulsé dans le passé. Il a choisi l’an 750 de notre ère et la Scandinavie. Il adore les Vikings et surtout boire avec eux de l’hydromel dans le crâne d’ennemis fraîchement décapités. La fréquentation des Vikings le régénère. Si la plupart des gens prennent des vitamines pour avoir du punch, l’avenir du rock préfère fréquenter les Vikings. À leur contact, il sent les énergies telluriques traverser son corps, le sang bouillonner dans ses veines, il chante avec eux les chants de guerre lors des festins où sont alignés tous ces fantastique guerriers, ces gaillards poilus et puants coiffés de casques ailés, il voit tous ces torses nus sanglés de cuir clouté luire à la lueur des flammes du brasier installé au centre de la grande hutte communautaire, ah quelle ambiance ! Ce mélange de primitivisme et de violence est tout de même unique au monde, se dit l’avenir du rock, ivre de liberté et d’hydromel, tellement ivre qu’il s’écroule dans le brasier, et, alors qu’il continue de chanter à tue-tête et qu’il commence à rôtir, on le retire du feu avec des harpons pour l’arroser d’hydromel et le mettre à sécher pendu par les pieds, comme un hareng. Lorsqu’il revient à lui, l’avenir du rock sent une drôle d’odeur. Il est assis aux commandes de sa machine et ses vêtements sont carbonisés. Une violente odeur de hareng fumé l’oblige à sortir de l’habitacle. Mais il tient absolument à rester dans l’ambiance de son voyage, alors il remonte en hâte au salon, se verse un grand verre d’eau de vie, et glou et glou, puis s’installe confortablement dans son fauteuil pour écouter les Drippers, les Vikings les plus barbares de tous les temps. Arrrgghhh ! 

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             Non seulement Arrrgghhh !, mais mille fois Arrrgghhh ! Le deuxième album des Drippers paru cette année porte bien son nom : Scandinavian Thunder.

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    Dès «5 Day Blues (2 Two Day Boogie)», tu as le real deal qui te tombe sur la tête, et pas n’importe real deal, celui de l’early punk, mais c’est beau car taillé sur mesure. Ces Vikings ont du souffle, ils arrosent le beat d’une chantilly de wah et t’en mettent plein la vue, ils lâchent l’élastique et ça part en pleine gueule du mythe. Et ça continue avec «Overlead», ils sont dans l’excellence du rebondi de Nine Pound Hammer, c’est le grand retour de ce son et des chutes du Niagara, c’est du Motörhead à la puissance 1000, bastonné dans le dos du beat, c’est du punk’s not dead sans peur et sans reproche, blast magnifique en qui tout comme en un chat sauvage aussi tigré qu’excessif. Pour compléter la triplette de Belleville, voici «No Stars», ils rallument le brasier du punk-rock scandinave, ça taillade dans les tibias, mais comme c’est beau ! Ils cocotent comme des vrais bouchers et ça chante à l’envers des rafales. Par les temps qui courent, peu de gens osent ainsi se jeter à l’eau. Ils perpétuent le wild as fuck des Hellacopters, avec encore plus de sauvagerie, comme si c’était possible. Les voilà au rendez-vous de «Shine No Light», ils ramènent toute la barbarie dont ils sont capables, ils n’ont pas d’états d’âme, ils arrosent, ils démolissent tout. Ces mecs ne baisseront jamais les bras. Il faudrait les leur couper. Nouvelle cavalcade avec «Rollin’ Aces», on dirait un drakkar éventré lancé dans une course folle. Ils visent l’insanité. Ils amènent «Shit Island Showdown» à la pluie d’excellence, c’est un fabuleux shuffle de killers Vikings, ils atteignent cette fois le génie sonique après l’avoir frôlé, cette fois la beauté sera explosive ou ne sera pas. Ils finissent par avoir ta peau, ils te bouffent la rate, tu ne peux pas leur échapper, ils jouent aux accords de feu.

             Vive Le Rock les appelle the Harbingers of action rock, c’est-à-dire les présages de l’action rock, ce qui leur va comme un gant. Le bassman/chanteur s’appelle Viktor Skatt. Pour lui une seule chose compte quand il compose avec ses copains : «It has to be fast. That’s the only rule.» Il donne sa définition de l’action rock : «Tu pars du 60s Detroit Sound, Stooges, MC5, all the good stuff, you take that and add a little punk attitude, a few glam riffs, you bring it up to date a little bit with more of a hard rock edge and somehow you end up with action rock.» Une vraie recette de cuisine Viking ! Skatt cite aussi les Hellacopters avec lesquels il dit avoir grandi et pour lui, ce son est le résultat du mélange du Detroit stuff avec des idées plus modernes. Et ce n’est pas un hasard si Tomas Skogsberg les produit : c’est lui qui a produit les Hellacopters. Skatt avoue aussi jouer du distorted bass en hommage à Lemmy.

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             Leur premier album s’appelle justement Action Rock. Il date de 2019. Pour les nostalgiques de Motörhead, c’est un album de rêve car il grouille de blasts, à commencer par l’«(Ain’t No) Shangri-La» d’ouverture de bal, c’est même un ultimate saturé de son, tu n’as rien au-dessus, même pas les Dwarves. On pourrait presque dire la même chose de «Gimme The Shakes», c’est un pétard enfoncé dans la gueule du crapaud, boum ! Si tu aimes le blast, alors c’est l’album qu’il te faut. C’est même ravagé par la guitare d’Attila. Encore un petit coup de blast pour la route ? Voilà «Langgatan», une sorte de wild ride à travers les plaines en feu. Tu ne peux plus échapper à ton destin. Ils tapent ensuite «White Light» à la pire insulte de fast beat. Non seulement ils explosent la rondelle des annales, mais le cut prend feu. Ils blastent encore à outrance leur «Day Turns To Night». On n’avait encore jamais entendu un ramdam pareil, même chez Zeke ou les Dwarves. Ça joue à la vie à la mort, beat de frappadingues avec des solos liquides. N’oublions pas les coups de génie. On en dénombre deux sur cet album : «Feldman’s Exit» et «Bottled Blues». Avec Feldman, t’es cavalé dessus par la cavalerie des Drippers. C’est la charge des Chevaliers Teutoniques. Tout vibre dans la baraque. Il n’existe rien d’aussi demented are go, avec en plus un solo au napalm, ça rampe sous les flammes, ces gens-là ne respectent rien. Ils repartent de plus belle avec «Bottled Blues», le pire stroumfphed-out punk blast de l’histoire de l’univers. Ils poussent tellement grand-mère dans les orties que ça devient congénital. Au sens où ça outrepasse le MC5. Les Drippers proposent un capiteux cocktail de solos à la dégueulade suprême et de rafales de coups de wah.  

    Signé : Cazengler, Dripère Fouettard

    Drippers. Action Rock. The Sign Records 2019

    Drippers. Scandinavian Thunder. The Sign Records 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - Admirable Admiral

     

             Sur le chemin de sa tournée, le facteur Shovell ramassait des galets qu’il trouvait jolis. Il comptait bien les utiliser pour décorer la réplique du temple d’Angkor Vat qu’il construisait dans son jardin. Et pas qu’un petit temple, hein, non, un temple à l’échelle 1, sur trois étages, qu’il élevait tout seul, sans arpètes ni grues, seul avec la brouette en bois de son grand-père, sa truelle qu’il polissait chaque matin au réveil et une poulie de marine dont il se servait pour monter ses seaux de mortier blanc sur l’échafaudage. Il mettait un soin particulier à tarpouiner son mortier, il y jetant de la chaux et de la cendre pour lui donner du caractère et il passait des heures à rechampir ses façades, à les décorer de galets, et puis il charpentait et entuilait, sans jamais s’attacher, confiant qu’il était dans la précision de ses gestes. Il jouxta le palais d’Angkor Vat avec un autre palais, celui des Mille et Une Nuits dont il avait découvert une gravure dans la traduction de Richard Burton, un très beau livre emprunté à l’institutrice du village. Il éleva les huit minarets et réussit à polir les dômes pour qu’à la nuit la lune les éclaboussât de lumière. Il se lança ensuite dans la plus folle de ses entreprises : il éleva un sphinx de Gizeh à l’entrée de son jardin, mais il le modifia en lui collant un panneau noir sur l’œil, en souvenir de l’amiral Nelson qui était borgne. Il en était tellement fier qu’il se relevait la nuit pour aller l’admirer. Ça devait être au mois de mai, lorsque les nuits sont claires, qu’il entendit parler le sphinx :

             — C’est une chose de toute éternité que l’amitié intellectuelle, n’est-il pas vrai, facteur Shovell ?

             Clong ! Le facteur Shovell sentit sa mâchoire se décrocher et pendre comme une lanterne sur sa poitrine. D’une voix plus profonde encore, le sphinx poursuivait, l’œil fixé sur l’horizon :

             — Oooooh so cloudesley...

             Comme piqué par une guêpe, le facteur Shovell cavala jusqu’à son atelier. Il jeta dans sa brouette une belle plaque de marbre récupérée dans un cimetière qu’il avait repolie et empocha un poinçon et un marteau. Alors que le sphinx commençait à réciter la Légende des Siècles, le facteur Shovell grava «Admiral Sir Cloudesley Shovell» sur la plaque et la scella à l’avant de la patte avant droite.

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             Johnny Gorilla a-t-il visité le Palais Idéal du facteur Shovell ? C’est possible, il faudrait lui poser la question. En attendant, il existe actuellement en Angleterre un power trio qui s’appelle Admiral Sir Cloudesley Shovell. Magnifiques albums, magnifiques pochettes et magnifiques dégaines. Ces trois rumblers ancrés dans les seventies ont tout bon : le nom de groupe, le son, les motos. N’oublions pas la tête géante de perroquet qu’on retrouve sur les pochettes des deux premiers albums et qui crée une sorte d’identité visuelle. Détail de très grande importance : ces mecs portent des rouflaquettes dignes de celles de Jesse Hector au temps des Gorillas. Bien joué, Johnny Gorilla !

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             Leur premier album paru en 2012 s’appelle Don’t Hear It... Fear It. Le perroquet trône sur le recto de pochette, mais au verso, on les voit tous les trois, Johnny Gorilla au centre, photographiés dans un immeuble destroy, comme le furent les Saints pour la pochette de leur premier album. Ils l’attaquent avec un pscho-psyché à la Rosemary’s Baby, «Mark Of The Beast». Johnny Gorilla s’arrache bien la glotte. Derrière, ça joue très seventies. Bill Darlington bat le beurre comme un beau diable et Louis Comfort-Wiggett écrase le champignon du drive. Les amateurs de hard seventies vont bien se régaler. On a là un son très pulsé, très gonflé, très compressé. On reste dans le bon vieux heavy des intérêts menacés avec «Devil’s Island». Ces trois mecs réinventent le fil à couper le beurre de Black Sabbath, mais ça s’arrête là. Ils ne vont pas plus loin. Ils se limitent à réactiver un capharnaüm vieux de quarante ans. Louis Comfort-Wiggett en profite pour passer un solo de basse. Avec «Death», ils se veulent sacrément totémiques, heavy et sans appel. Break de basse dément. Comme le facteur Shovell, ils élèvent des constructions vertigineuses dans les hauteurs. Ces mecs ne peuvent pas se calmer, ils en sont parfaitement incapables. Ils se contentent de hurler au sommet de leur Ararat, parmi les éclairs de la tourmente sonique. Ils attaquent la B avec un «Red Admiral Black Sunrise» monté sur un beau riff de basse. C’est l’une des meilleures heavyness d’Angleterre, suspendue dans l’air brûlant d’un combat naval. L’amateur de heavy blues y retrouve automatiquement son compte. Big sound ! Ils sont bien sûr incroyablement prévisibles. Ils aimeraient bien rejoindre Monster Magnet dans les limbes de l’espace. Tony McPhee vient jouer un coup de slide sur «Scratchin’ And Sniffin’». Il en profite d’ailleurs pour placer l’un de ces solos fabuleux dont il a le secret.

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             Deux ans plus tard paraît Check ‘Em Before You Wreck ‘Em. Pochette toute aussi admirable que celle du premier album. L’homme à tête de perroquet rouge chevauche une Triumph anglaise. Ces mecs sont dans leur son comme ils sont dans leur look, sans concession. Ils n’ont pas l’intention de lâcher l’affaire. Johnny Gorilla s’énerve dès «2 Tonne Fuckboot», cut tentaculaire et tarabiscoté. Il chante ça avec de la bave aux lèvres. Il adore le tarabiscotage des seventies. Il s’amuse à rebricoler tous les vieux mythes du heavy rock des seventies : le chant braillard, le power-trio invincible, le son gras du bide et les coups de cloche. Avec «Captain Merryweather», il vise le heavy insoutenable. C’est tellement heavy que le plancher menace de céder sous le poids. Johnny Gorilla n’en compte pas moins s’élever jusqu’au sommet de la déshérence. Avec «Running From Home», il plonge dans la terre des ancêtres. Il adore charger la barcasse de la rascasse. Et le «Shake Your Head» qui ouvre le bal de la B se montre digne d’Edgar Broughton et des titans du proto-punk. Johnny Gorilla chante avec une voix de briseur de reins. On sent qu’avec «Bulletproof», ils reprennent les choses là où Bullet les avait laissées. Cool as fuck.

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             Deux ans plus tard arrive Keep It Greasy. Pas de perroquet, cette fois, une grosse dame tatouée a pris sa place. Comme l’indique le titre, Johnny Gorilla chante au greasy double. On se croirait sur un album Vertigo en 1972, au cœur des années de lycée pourries. C’est exactement le même son, avec des faux échos de Taste dans le chant. Johnny Gorilla vise le raw brûlant. Il n’en finit plus d’étaler son étalage. Il frise parfois le Nashville Pussy à l’Anglaise, bien greasy et bien collant. Johnny Gorilla est un sacré old timer, il n’hésite à multiplier les changements de rythme, les poussées de fièvre, les entrelacs aventureux et il se prête bien sûr dès qu’il peut au petit jeu du killer solo vipérin. On l’a bien compris, ce power trio est comme chargé d’histoire et d’énergie, et le diable sait si le puits des seventies est sans fond - I feel so tired ! 

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             Un quatrième album vient de paraître : Very Uncertain Times. Le perroquet est à l’intérieur et Serra Petale remplace Bill Darlington eu beurre. Cette fois, ils sonnent carrément comme Motörhead, les quatre premier cuts sont du pur Lemmy. La fête commence avec le morceau titre, ils sont tout de suite dans cette énergie inexpugnable, c’est l’ultime hommage au Lemmy des cheveux sales, du speed et du riff vainqueur. Ils sont dans ce rock qui ne veut pas lâcher prise. Tant que ces mecs-là joueront, le rock vivra. Ah il faut les voir dépoter leur heavy blast ! On reste dans la violence avec «The Third Degree», ils jouent la même carte, celle du power goûlu, de la fritte grasse et Gorilla part en virée en wah. Wow ! Il joue sa carte à la folie, il est partout dans le son, comme le fut Fast Eddie Clarke. Ils foncent dans leur tunnel extraordinaire, «Mr Freedom» pourrait figurer sur n’importe quel album de Motörhead, pure craze de bye bye Mr Freedom, Johnny Gorilla fait son Lemmy, avec le même gusto. Ils restent dans la veine Motörhead avec «Iceberg» puis nous balancent une énorme tartine de Gorilla avec «Blackworth Quarry». Ils claquent «Biscuits For Victor» au riffing absolutiste, quelle bonne aubaine, Ben ! Ils ne reculent devant aucun sacrifice, ils pèlent leur dard, ils optent pour l’opti, ils graissent des pattes et bourrent leur dinde. Il y a chez ces mecs-là une ferveur, un enthousiasme très contagieux. Bel album, en tous les cas. 

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             Avant ça, Johnny Gorilla avait un groupe nommé Gorilla et dont on ne peut que recommander l’écoute aux amateurs de gros son. Gorilla date de 2001 et sa pochette rouge renvoie bien sûr à celle du deuxième Grand Funk Railroad. C’est d’ailleurs comme ça qu’on l’a remarqué à l’époque sur le mur des nouveautés chez Gibert. Oh la belle pochette miam miam ! Ça doit être bien, ce truc-là. Bonne pioche ! L’album répond à toutes les attentes, dès «Good Time Rockin’», Johnny Gorilla l’attaque à la folie Méricourt, pas le temps d’en placer une, t’as la bouche emportée par un obus, awk awk, après tu peux faire des bruits mais tu vas pourrir la vie de ta mère et ta sœur qui bat le beurre, bon bref pendant ce temps, Johnny Gorilla envoie ses obus, c’est un fils de pute, un vrai fils de Motörhead, avec un truc en plus. La petite bassiste donne bien, elle aussi. «Coxsackie» sonne comme une horreur rampante, c’est heavy au point de se casser la gueule. Trop de poids, tu perds l’équilibre. Comme d’habitude, Johnny Gorilla tente d’incendier ses cuts par tous les bouts et pouf, il fait du MC5 avec «She’s Got A Car». Ce sont les accords du Burning. Retour à la heavyness avec «Nowhere To Go But Down», il passe au gros biz de Gorilla, il adore les Panzer Divisions, la lente avancée des forces du mal, ils sont dans le plantage des Plantagenet, les riffs suffoquent de tant de neige à Stalingrad, les voix ahanent dans l’horreur de la fin du monde, Johnny Gorilla bourre sa dinde de purée, c’est la technique de la cheminée, c’est un tortionnaire et tout explose dans la neige, sang caca boudin. Ils sont sublimes, forcément sublimes. Johnny Gorilla ne vit que pour le Sabbath, son «Forty Winks» est aussi du early Sab, il est amoureux d’Ozzy, pas de doute, il baigne dans cette friture extrême, il cultive l’art de la vrille de voyou, il est avec Ozzy le pire voyou d’Angleterre, il bat tous les autres à la course, derrière c’est chaud avec la basse fuzz, extraordinaire mélasse d’ex-voto à Toto. Ils explosent ensuite «Day Blindness» au sommet du lard anglais, guitare + bass + beurre, leur son vivace craque sous la dent, avis aux cannibales et aux amateurs de parfaite explosivité. Bien vu Gorilla !

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             Non seulement Gimme Some est un bon album, mais en plus il défonce la rondelle des annales. Ça explose dès l’accord d’intro de «Just Wanna Rock», pas de pire expédition que celle-là, Johnny Gorilla pulvérise tous les records de Motörhead et tous ceux du gunk punk undergut, il atteint l’autre dimension, il joue le blast de la vingt-cinquième heure. Sur le tard, Sarah Jane se fend d’un solo de basse qui vaut ceux de Jack Bruce et de John Entwistle, puis Johnny Gorilla revient dans la soupe au chou, c’est son truc. Avec «Double Neat», il bat tous les records de heavyness, on patauge dans le pire son de l’univers, ses accords et ses solos prennent feu, aw Gorilla ! Il faut entendre l’intro de basse de Sarah Jane dans «Gimme Some Gorilla», elle joue au rentre-dedans. Belle leçon de violence sonique à l’anglaise. Sarah Jane fait encore des siennes dans «Negative Space», elle joue un bassmatic excédé, elle slape la face du Gorilla alors que le Johnny du même nom sème le calme avant la tempête pour mieux brouiller les œufs. Encore une belle leçon d’anti-humilité avec un «Oaken Mind» dévoré de l’intérieur, my oaken mind ! Et quand arrive «I’m Dirty», tu sautes dans ton salon au son du big riffing de shot dead, Johnny Gorilla balance une vieille dégelé de serpillière trashcore, ces trois oiseaux sont indécrottables, ils sautent dans tous les coins, ça joue, ça gicle, c’est Gorilla. Power-trio absolu, fast and heavy. Johnny Gorilla joue sa heavyness à la sur-puissance. Toutes les compos se veulent aventureuses.

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             Allez, tiens, encore un big album de rock avec Rock Our Souls qui date de 2007. Ramassé aussi chez Gibert. C’est dingue comme le mot Gorilla peut attirer l’œil. Ça ouvre sur un «Come On Now» qui porte bien son nom, une espèce de petite horreur déflagratoire dans le coin du son. Sarah Jane on bass et Billy Gorilla au beurre, faisabilité à tous les étages, c’mon ! Billy Gorilla est le sosie de Johnny Ramone et Sarah Jane paraît à la fois blonde et brune, on se sait pas trop. Johnny Gorilla porte une cartouchière, comme Lemmy. Ils sont dans le revienzy de Sabbath avec «Vulture Tree» mais reviennent à Motörhead avec «Bludd Sucker». C’est embarqué directement en enfer. Dynamiques de Motörhead + break de basse et départ en vrille de wah du diable. Que peut-on demander de plus ? Sarah Jane ramone tout ça au bassmatic et Johnny Gorilla prend feu au chant. Quand ils tapent dans la heavyness («Preying Menace»), ils font de la heavyness transcontinentale. Puis ils expédient «Rok R Soles» en enfer. On voit ensuite «Hot Cars» prendre feu sous nos yeux, c’est en plus battu comme plâtre, on croit entendre l’early Motörhead, c’est le chaos total, hey hey hey, Johnny Gorilla fait son Fast Eddie, tout est joué au maximum overdrive.

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             Pas de surprise avec le Gorilla Vs Gritter paru en 2016 : c’est du Motörhead-alike pur et dur. D’ailleurs, les accords de «Both Barrells» sont ceux d’«Ace Of Spades». Même jus, mêmes pyromaniacs, mêmes fous dangereux. Ils tartinent la heavyness de «Slay Rider» à la main lourde, Johnny Gorilla ne s’embarrasse pas avec les détails de la dentelle, il y va à coups de pelle. Ils restent dans cette vieille heavyness des seventies pour «Grind Yer Down». Johnny Gorilla n’en démord pas, il ressort son meilleur accent lemmyen pour tailler la route. Power absolu ! De l’autre côté, les Gritter sont marrants, ils sortent quasiment le même son. Le pire, c’est que c’est excellent. Ils tapent dans le raw du raw. Tout est au même niveau d’identité. Bravo les gars !

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             Le dernier album en date de Gorilla s’appelle Treecreeper. Ils ne sont pas près de se calmer. Johnny Gorilla a même décidé de surpasser Lemmy. Ça te fait marrer d’entendre ça ? Et pourtant c’est vrai. Au moins sur deux cuts, «Gorilla Time Rock n Roll» et «Killer Gorilla». Il enfonce son Gorilla Time comme un suppositoire dans le cul du rock, ils sont tous les trois plus explosifs que Motörhead, comme si c’était possible ! Eh bien oui, c’est possible. Même gendre d’incendie, mais poussé à l’extrême. Même chose avec «Killer Gorilla», le dernier cut de l’album, c’est joué au cœur des flammes, ces mecs sont fans au point de porter des cartouchières, c’est stupéfiant de véracité, jusque dans le son et la façon de beugler au cœur du chaos. C’est très spectaculaire. Il faut bien sûr voir ça comme un hommage à Lemmy et à Fast Eddie Clarke. L’autre énormité de l’album s’appelle «Terror Trip». Ces mecs sont fous, ils n’hésitent pas à te casser les oreilles pour imposer leur son. Ils font la heavyness définitive. Ils enfoncent leurs clous seventies à coups de marteau de Thor. Dès «Scum Of The Earth», on sait qu’on arrive chez des barbares. Les pires qui soient. Johnny Gorilla fait son Lemmy à l’arrache, il est marrant car il en rajoute, ils jouent tous les trois à l’ultra-saturation, l’air devient irrespirable. Ils sont dans leur truc, il ne faut pas les embêter. Ça reste du heavy seventies rock chanté au cancer de la gorge. «Cyclops» est beaucoup trop extrême. Trop plongé dans les abîmes. Johnny Gorilla est un émule de la mule, il va chercher les vices des abysses, mais ses attaques matraquent. Le morceau titre surprend par sa construction, d’abord heavy puis speedé. Ça sent le crystal meth, cette affaire-là. On le voit à la qualité des effusions. Avec «Mad Dog», Johnny Gorilla arrive au pied de la falaise, mais il est vif et sait se montrer intéressant, c’est un guerrier, il tape ça à l’éclair de wah, c’est d’une rare présence, tous ses départs en solo sont des modèles du genre. Il nous claque ensuite «Ringo Dingo» derrière les oreilles. Ces mecs ont créé un monde extraordinairement vivant, un monde de claques, de Lemmy, de wah et de virées incendiaires, c’est un cocktail génial et capiteux. Johnny Gorilla gueule tant qu’il peut puis il part en maraude, alors ça devient inquiétant.

    Signé : Cazengler, Admiral Sir Cloudesly Savate

    Admiral Sir Cloudesley Shovell. Don’t Hear It Fear It. Rise Above Records 2012

    Admiral Sir Cloudesley Shovell. Check ‘Em Before You Wreck ‘Em. Rise Above Records 2014

    Admiral Sir Cloudesley Shovell. Keep It Greasy. Rise Above Records 2016

    Admiral Sir Cloudesley Shovell. Very Uncertain Times. Rise Above Records 2019

    Gorilla. Gorilla. Lunasound Recording 2001

    Gorilla. Gimme Some. Beard Of Stars Records 2004

    Gorilla. Rock Our Souls. Go Down Records 2007

    Gorilla Vs Gritter. HeviSike Records 2016

    Gorilla. Treecreeper. Heavy Psych Sounds 2019

     

    DESOLATE GRAVE

    ( Digital / Bandcamp / 04 - 01 - 2022)

    Presque un an de retard. Désolé je ne l’avais pas vu. Je ne veux pas dire que je n’avais pas remarqué sa sortie, mais que si je l’avais vu de mes yeux je l’aurais chroniqué séance tenante. Vous connaissez mon attrait pour les pochettes, mais celle-ci est particulière.

    Viennent de Gothenburg, la deuxième cité la plus peuplée de Suède derrière Stockholm, nous ne retiendrons de cette vaste métropole que trois détails, la monumentale statue de Poseidon, symbole de la ville, due à Carl Milles qui fut élève de Rodin à Paris, ce qui ne m’empêche pas de penser qu’il fut surtout influencé par Bourdelle,  enfin – je ne saurais passer devant une représentation d’une divinité grecque sans lui rendre hommage –deux autres traits davantage en relation avec cette chronique, Gothenburg possède un Opéra et une tradition de groupes de death metal mélodique. En fait ils ne viennent pas, Desolate Grave est un one man band Davis Pos Mauritzon.

    Une personnalité d’autant plus pratiquement inconnue sous nos latitudes qu’il se dissimule le plus souvent derrière l’appellation de son projet, ici Desolate Grave, nous en concluons qu’il ne tient pas à tirer gloire de son individualité patronymique, mais avant tout à nous transmettre ses visions du monde afin que l’effacement de sa personne les objectivise davantage.  Ce n’est pas ce que lui David Pos Mauritzon voit qui est important, mais la chose vue elle-même en le sens où elle nous concerne, non pas parce que sa présence est signalée par David Pos Mauritzon, mais parce que c’est à nous de la considérer en tant que ce qu’elle est. Par exemple : une menace.

    Remontons les traces de David Pos Mauritzon : Belarus Beaver : je pensais que Beaver signalait un ours de grande taille, de fait il désigne un animal paisible : le Castor. Du moins je le pensais jusqu’à ce que je découvre que les castors biélorusses sont particulièrement agressifs. Le premier post que je trouve sur le net est la mort d’un pêcheur tué par la jolie bestiole qu’il voulait photographier. Quoi qu’il en soit il existe trois albums de Belarus Beaver dont le style est qualifié de brutal beaver grind. Pour ceux qui l’ignorent le grind est un metal particulièrement très violent. Derrière ces trois albums ne se cache pas une colonie de castors mais vous l’avez deviné un certain David Pos Mauritzon.

    Bandcamp nous propose donc trois albums de Belarus Beaver. Question musique je me contenterai de deux adjectifs : brutal et mélodramatique, le gars se tape un délire sur les castors, l’ensemble tient du conte médiéval et du scénario de film ‘’animaliste’’ des années seventies, style invasion de fourmis, ou d’araignées géantes, ou de vers mangeurs d’hommes, sauf qu’ici les héros diaboliques sont des castors retors et méchants qui ont décidé de prendre le pouvoir sur toutes les autres espèces, la nôtre comprise… Pour vous donner une idée je recopie le titre – j’ai bien écrit le titre et pas les paroles – d’un des morceaux de cette monstrueuse saga castorienne : Archeological findings indicated that beavers were eating humans but for unknowm reasons were zombies so everyone died. L’écoute de ces trois albums risque de changer vos a-priori philosophiques sur ces pacifiques constructeurs de barrages.

    Les trois précédents albums sont parus entre juillet 2019 et juin 2022, en 2014 l’on retrouve Mauritzon dans le groupe ÖDÖLDS, l’album éponyme est apparemment un opus à la gloire de la bière, mais l’on est en droit de se   demander si la bière en question n’est pas une boisson qui se mêle à votre sang pour vous transformer en zombie… Je ne résiste pas à vous montrer la pochette.

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    En 2017, David Mauritzon participe à l’album To be drawm and to drown de SIGN OF CAIN, encore une couve appétissante, sur le label Apostasy Records, bel opus de metal mélodique qui se rapproche de celui que nous allons écouter.

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    DET SISTA STEGET

    DESOLATE GRAVE

    L’artwork est magnifique. Il est signé de Pontus Bratt, tatoueur de son métier Visitez son site ou son Instagram, ses motifs, fuselés et sanglants, valent le détour. De toutes les vignettes que j’ai visionnées et admirées, aucune ne témoigne du style adopté pour cet EP.  Le pire c’est que cette image n’est en rien originale. Des représentations idoines, par dizaines et centaines, vous sont déjà passées sous les yeux, BD, couves de disques, illustrations de livres, décors de cinéma. C’est justement pour cela qu’elle vous accroche. Parce que vous connaissez déjà. Le thème est ultra-simple ; une vision de fin de monde, un immeuble abandonné dans une ville dont instinctivement vous comprenez qu’elle n’est plus habitée, genre de description dont vous vous délectez par exemple chez Franck Thilliez lorsque les héros d’Atom(ka) entrent dans la zone interdite de Tchernobyl. Un paysage de fin du monde. L’impression est rehaussée par l’arrivée de ces trois survivants, l’on suppose frères et sœur d’une même famille que l’on voit de dos, qui n’en croient pas leurs yeux puisqu’ils utilisent ce que l’on devine être leur dernier fumigène pour percer l’obscurité. Des nuages noirs courent dans le ciel blafard. Faut-il y entrevoir une forme…

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    En suédois Det sista steget signifie : Le dernier pas, nous le traduirons pour mieux coller à l’image par Le point d’arrivée. D’où viennent-ils, où sont-ils parvenus, croire qu’une réponse géographique ou historiale nous éclairerait est illusoire, ils sortent d’un cauchemar et sont sur le point d’entrer dans un autre. Cette couverture est forte car elle est explicite, elle ne dévoile rien de précis et dit l’essentiel. Que nous aussi, dans un futur proche nous pourrions vivre une situation similaire. Elle ne laisse pas mille chemins ouverts, elle matérialise simplement l’image d’une possibilité. Parmi d’autres. Mais de préférence celle-ci.

    Je ne sais qui de l’artwork ou qui de l’enregistrement a, non pas précédé l’autre, mais illustré son conjoint.  Tous deux fonctionnent en miroirs, chacun des deux renvoyant à l’autre sont comme deux fleuves qui se jettent l’un dans l’autre. Serpents liquides qui se mordent la queue.

    Prelyudiya : un prélude, pour poser le son, un peu comme au début de la Tétralogie de Wagner, un grondement de parturience séminale, l’on comprend que le Drame est-là, qu’il gît dans sa propre latence, malgré la crête claire qui s’en détache, un peu comme la souple nageoire d’un squale géant dans le tourbillon central d’un maelström annonce que l’inéluctable se dirige vers vous. Nezariy : avancée forte et noire, ampleur sonique, une voix grunteuse égrène grain à grain de granit les mots porteurs d’angoisse et d’inquiétude, une marche funèbre qui se dirige vers vous, vous pensiez qu’il n'y avait personne, la voix vous susurre qu’il y a quelque chose, que vous pourriez confondre avec un reflet d’étoile, mais non, pas d’illusion, il n’y a plus de hasard. Ni objectif. Ni subjectif.  Trackhym : et la marche commence, l’onde sonore irrésistible qui enfle n’est pas sans évoquer le prélude implacable de Lohengrin, ce vers quoi l’on se dirige vient aussi à vous, il est inutile de garder quelque espoir, c’est le malheur qui approche, de qui sont ces pas lourds ? de la Chose ? ou des trois survivants hésitant et trébuchant ? la batterie est un glas lourd d’effroi et de désespoir, l’eau du malheur ruisselle sans fin, pluie d’horreur diluvienne… Intermediya : jamais un morceau n’aura porté aussi mal son titre, cet instrumental n’est pas un intermède, pour passer le temps ou se divertir, il correspond à la Mort d’Ysolde,  le frottis funèbre des cordes et l’élévation du mur spectral bouche l’horizon. Desolate Grave ne lui consacre que peu de temps, l’évidence destinale est patente. Lariysova : déjà la fin, elle prend son temps, toujours le même leitmotiv depuis le début, cette fois-ci plus éclatant, même si le rythme se rompt, même si l’on entend le murmure des survivants, ils ne sont plus que deux, ils ont compris que leur marche fantôme ne finira jamais, ils sont en quelque sorte condamnés pour l’éternité comme des Dieux qui atteignent leur crépuscule, d’autres viendront et prendront leur place, rien ne changera, toi qui entres ici abandonne tout espoir. Final grandiose. D’une lenteur démesurée. D’une ampleur vibrionnante. Comme s’il devait ne jamais se terminer dans la vraie vie. Qui n’est qu’une image de la fausse mort.

             Ceci n’est pas un disque mais une œuvre, à réécouter sans cesse et à méditer. D’une architecture beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Un trou noir de death metal symphonique qui brille plus fort que la nuit, plus fort que les amas stellaires qu’il attire et avale.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKABILLY RULES ! ( 4 )

    N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    BOBBY POE & THE POE KATS

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    Bobby Nelson Poe né en 1933 à Vinita, trou perdu de l’Oklahoma, avait tout pour devenir un citoyen modèle américain. Le destin en a voulu autrement. Son histoire commence à Coffeyville dans le Kansas, il aime à rappeler qu’Emmett Dalton lors de l’attaque d’une banque y reçut vingt-trois balles mais qu’il survécut (en prison) à ses blessures. Ce n’est pourtant pas l’exemple de ce hors-la-loi qu’il commença par suivre. Un itinéraire sans bavure, une jeunesse dans les clous, il joue au foot (américain), travaille dans le pétrole, se marie pour fonder une famille, il écrira ses mémoires mais c’est un de ses fils qui raconte, bref il est sur la bonne voie ( sans issue ), oui mais en 1956 the Devil in disguise and in person, il s’appelle Elvis Presley , lui fourre de mauvaises idées dans la tête, genre il gagne un pognon de dingue depuis qu’il fait du rock’n’roll. Désormais Bobby passe son temps au boulot à chanter du Elvis, première consécration, ses coéquipiers le surnomment Elvis…

    Cherchez l’erreur, juste quelques jours avant, le soir de Noël 1955, l’est en club avec les copains du boulot qui lui offrent 20 dollars s’il ose chanter avec l’orchestre de jazz, des noirs qui évidemment ne connaissent pas Love me tender de Presley, Bobby ne se dégonfle pas, y va franco a capella pour une standing ovation. Le patron l’embauche illico à la condition expresse qu’il vienne avec son orchestre.

    Se débrouille pour trouver trois bons musicien du coin, seront les premiers du comté à jouer du rock ‘n’ roll. Quand la roue de la fortune tourne dans le bon sens… Bobby entend un gamin   chanter à la radio locale, belle voix à la Fats Domino, vous connaissez son nom, Big All Downing, l’a seize ans tout comme le guitariste Vernon Sandusky, Joe Brawley bat le beurre pour reprendre une expression favorite du Cat Zengler, jouent du Presley, du Fats, du Little Richard, du Jerry Lou, de l’Everly Brothers… sont renommés dans tout le sud du Kansas…

    Le succès naissant - figurez-vous qu’ils passent aussi à la tété ( locale) – Bobby quitte son boulot et commence à manger de la vache enragée. Envoie une chanson qu’il écrit pour Elvis à Scotty Moore qui lui conseille de la jeter au feu. Son père petit chanteur de country lui conseille de ne pas se faire d’illusion…  En fils obéissant il est prêt à retourner à son ancien taf…

    Un coup de téléphone providentiel le tire du marasme, c’est Jim Alley qui deviendra un célèbre ‘’faiseur de vedettes’’, l’a justement besoin d’un band comme les Poe Kats pour accompagner une future star, la queen du rockabilly, Wanda Jackson. Bobby et ses boys seront sur scène derrière Wanda durant deux ans ( 1957 – 1958 ) aux quatre coins des  Etats-Unis.

    La tournée n’est pas de tout repos. Peut-être vous êtes-vous demandé pourquoi Big Al Downing chantait comme Fats Domino, tout simplement parce qu’il est noir. Or dans le Sud des Etats-Unis, la plus grande démocratie du monde, un nègre dans un groupe de rock blanc à l’extrême limite on veut bien l’admettre durant un concert, mais dans un hôtel ou même dans les toilettes réservées aux blancs, vous conviendrez que cela fait désordre. Les soirées sont parfois très chaudes, frisent de temps en temps le lynchage…

    Bobby Poe and the Poe Kats doivent accompagner Wanda Jackson sur son prochain disque, enregistré à la Capitol Tower in Hollywood. Les fans de Gene Vincent dressent l’oreille, ils ont raison, Ken Nelson a prévu des musiciens pour étoffer le son : Buck Owens à la rythmique et Skeets McDonald à la basse. Le monde du rock est petit, il compte beaucoup d’appelés et peu d’élus…

    La même année 1958, le label White Rock Records contacte Bobby pour enregistrer un disque. Z’en enregistreont deux, le premier sera le single de Big Al Downing et le deuxième celui de Bobby Poe.

    DOWN ON THE FARM

    Al DOWNING ( with the Poe Kats )

    ( White Rock / 1958 )rock’nn’roll

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    Une guitare maigrelette qui a l’air de se moquer de vous en intro, ensuite c’est la grande débâcle, une batterie qui boome, un piano qui stompe à mort, plus tard il hennira comme le cheval de Jerry Lou, une guitare qui déchire, et c’est fini. Même pas cent secondes. Bien sûr il y a la voix De Al qui surplombe le tout, un oiseau de proie qui se laisse tomber du haut du ciel pour rebondir aussitôt vers le firmament céleste. Du grand art. Sera number one au Texas. Le label Challenge fondé par Gene Autry le rachètera et vous le retrouverez sur le coffret Rhino : Rocking Bones : 1950 Punk and Rockabilly. Une dénomination qui se suffit à elle-même. Face 2 : Oh Babe : moins endiablé que le précédent mais la voix est souvent plus assurée, l’a son martel en tête quand il ‘’ tapote ‘’ son piano, l’on ne sait pas trop où l’on est, au chant Al assure à la hongroise il monte debout sur les deux chevaux qui mènent le char du rockab, tantôt sur le blanc, tantôt sur le noir. N’en privilégie aucun.

    ROCK’N’ROLL RECORD GIRL

    BOBBY POE

    ( White Rock / 1958 )

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    Beaucoup plus sage que le précédent, un piano qui fait le gros dos, Bobby nous fait le coup de la voix sensuelle et plastique à laquelle aucune fille ne résiste, mais pour les récalcitrantes au milieu du morceau il nous imite Litlle Richard et Jerry Lou pour montrer de quoi il est capable, puis il revient pratiquement à sa voix du début. Agréable mais ne dépasse pas la fougue talentueuse de Big Al Downing. Lui aussi sera numéro un au Texas. Face B : Rock’n’roll boogie : une guitare qui ronronne tel un gros matou qui s’apprête à avaler douze souris d’un seul coup de langue. La suite tient ses promesses. Un peu l’impression que Bobby nous refile tous les plans du vocal rock qu’il connaît les uns après les autres sans nous laisser le temps de respirer. N’y a que la fin qui manque de niaque, le morceau se termine comme un final de crooner qui veut vous en jeter plein les oreilles. Un peu ringard, mais l’on pardonne car l’ensemble remue salement le cocotier. Cette face est supérieure à la précédente. Ne soyons pas trop sévère puisque Sam Phillips était prêt à racheter les masters pour Sun, mais Wesley Rose qui est détenteur des droits refuse…

             Sympathique certes, mais si l’on veut être réaliste, nationalement The Poe Kats ne sont rien qu’un orchestre d’accompagnement. Ils essaient de gagner la côte Est. Sur leur trajet ils ne manqueront pas de donner des concerts qui attireront du monde et connaîtront un grand succès, mais qui s’en souvient trois jours plus tard…

             Ils échouent dans un club The Wise Guys des quartiers chauds de Boston. Le guitariste précédent est allé voir ailleurs. Il s’appelle Kenny Polson et a enregistré avec Chuck Berry, les garçons avisés le rattrapent et lui broient les mains à coups de batte de baseball. De quoi refroidir vos ardeurs…

             En 1958 Lelan Rogers, frère de Kenny Rogers les contacte pour enregistrer à la New Orleans. Ce sera un single de Big Al Downing :

    MISS LUCY

    BIG AL DOWNING

    ( Carlton / 1958 )

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    Miss Lucy : Rien qu’au titre l’on sent que c’est bon, une espèce de folie à la Little Richard, Al n’atteint pas les mêmes aigus que son modèle mais il est emporté par la même fougue et l’orchestre balance aussi bien que les Upsetters, peut-être même avec un son plus lourd et plus sale. Face B :Just around the corner : une petite promenade sympathique, ça ressemble un peu à ce que Little Richard fera chez Fontana, mais en moins bien, moins rythmé, l’on a adouci les angles du funk, et limé les griffes du tigre. Pas grave Miss Lucy apaisera tous vos désirs et balaiera d’un balancement de hanche toutes vos déceptions.

             Bobby Poe est assez intelligent pour comprendre que lorsque l’on tient un bon cheval, il est inutile de vouloir courir à sa place. Les Pole Kats se défont mais se retrouveront sans cesse. Avec son mentor Lelan Rogers, Bobby va aider au développement de la carrière de Big All Downing. Certes le gros Al abandonnera le rawkabilly pur et dur, mais il conservera toujours la maîtrise incisive du piano, et sa voix qui s’adapte à tous les styles, il connaîtra à plusieurs reprises le succès notamment en 1963 avec Esther Phillips. Lorsque la british invasion débarquera aux States il trouvera sans problème des engagements dans les clubs.

             En 1964, Bobby Poe est derrière les Chartbusters, le groupe américain qui tiendra tête (pas pour très longtemps) à la déferlante anglaise, Vernon Sandusky en est le chanteur et le guitariste, Vince Gedeon ( rythmique ), John Dubas ( basse ), Mitch Corday ( batterie).

    THE CHARTBUSTERS

    ( Mutual Records / 1964 )

    She’s the one : entre Beach Boys et Beatles, bien fait mais rien de novateur. Sandusky nous offre un petit solo qui remue les charançons dans les haricots mais tout repose sur les harmonies vocales. Slippin thru your fingers : l’on s’attend à une niaiserie slow, mais l’intro d’harmonica est rassurante, ensuite on s’ennuie, rythmique, sautillant, dansant. L’harmo revient à plusieurs reprises, mais tout le reste c’est vraiment du sous-sous-Beatles.

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             Les morceaux qui suivront sont à l’avenant, il existe une compil sur Eagle Records, inutile de vous jeter par la fenêtre si vous ne l’avez pas, même si Vernon Sandusky vous décroche de temps en temps quelques croches qui à défaut de vous réconcilier avec l’’Humanité vous empêcheront peut-être si vous êtes en un de vos bons jours de déclencher l’apocalypse nucléaire. L’on est vraiment très loin du rockab ! Certes ils ont leur numéro 1 national, mais du statut de pionniers du rock ils sont passés à celui de suiveurs…

             La suite est moins évidente. L’on a l’impression que Bobby Poe est partout et nulle part. Il ressemble à l’homme qui a vu l’homme qui a combattu l’ours. L’est sans arrêt en relation avec quelqu’un qui connaît un des grands noms qui fait l’actualité, dans tous les genres possibles ou inimaginables… Doit bien tirer son épingle du jeu dans l’ensemble. On le lui souhaite. Vernon Sandusky poursuit un chemin parallèle il restera plus longtemps dans les instances country. Quand ils se retrouvent c’est pour monter un night-club qui flambera quelques jours après l’acquisition. Ce sera le début d’une série de procès dans lesquels Bobby parviendra à être disculpé systématiquement. Croyons-le puisqu’il le dit. Soyons bon prince, présomption d’innocence. Cela sent un peu la carambole et le grenouillage pour parler à la manière des dialogues des films des années cinquante.

             Bref Bobby Poe commence en rockabilly kid pour finir en affairiste. Un itinéraire classique. Nombreux sont les producteurs américains qui ont préféré mettre fin à leur carrière de jeune chanteur pour passer de l’autre côté. Ne lui jetons pas la pierre il a deux gamins à nourrir, il est davantage un entrepreneur, un promoteur de talents qu’un chanteur.  Jusqu’à la fin de sa vie il s’occupera de country music. En 2009, Bobby Poe & the Poe Kats sont intronisés au Kansas Music Hall of Fame. Bobby décèdera deux plus tard…

             Ces jeunes gens avaient du talent. Que leur a-t-il manqué pour percer au niveau national. Certainement un Colonel Parker pour les propulser sur une orbite haute. Bobby Poe et ses boys ont été en quelque sorte des free lance du Do It Yourself… Bobby a fini par embrasser le métier de celui qui leur a tant fait défaut.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 12 ( sous les tifs ) :

    62

    _ Agent Chad avait dit le Chef, soyons précis : avant de donner de nouvelles directives d’action, il avait allumé un Coronado, je me sens obligé de le préciser au nom de la vérité historique, voilà pourquoi je roulais comme un fou vers le cimetière, pas celui de Savigny , l’autre où repose mon Alice à moi, la seule, l’unique, la merveilleuse, les chiens gémissaient doucement sur la banquette arrière, ils avaient deviné que nous allions vers Elle, tous trois inconsolables, les veufs, les ténébreux, les princes d’Aquitaine à la tour abolie… nous avons chacun une piste, suivons-la chacun de notre côté, je pense qu’elles nous mèneront au même endroit.

    63

    Pendant que nous foncions à toute allure vers Alice, le Chef allumait un Coronado, il le fuma voluptueusement les yeux mi-clos. Chers lecteurs, ne le traitez pas de sybarite, c’est un homme d’action, il était comme le cobra qui s’apprête à frapper mais qui n’a pas encore décidé s’il attaquera sa future victime par-devant ou par-derrière. Son cerveau sériait toutes les possibilités, il s’écoula une longue demi-heure, subitement il décrocha le téléphone et commanda un taxi. Cinq minutes plus tard, assis à côté du chauffeur, il sortit de sa poche un Coronado, et deux secondes plus tard, son Rafalos 25.

    64

    J’arrêtai ma voiture devant la grille du cimetière. Nous n’avions fait que quelques pas dans l’allée principale, qu’une voix m’interpella :

    _ Monsieur, je vous reconnais avec vos deux chiens, c’est vous qui avez apporté cette magnifique gerbe en forme de fraise tagada, ah, notre petite Alice, si vous saviez combien tout le village l’a pleurée ! Tenez, regardez ces huit nouvelles tombes toutes fleuries, sur votre droite, les huit plus beaux jeunes gens du village sont enterrés-là, ils se sont suicidés autour de sa tombe, ils n’ont pas pu supporter de vivre sans elle.

    • Ah bon ! c’est terrible, ils devaient se marier avec elle ? Tous les huit ensemble, c’est un peu beaucoup, vous ne trouvez pas ?
    • Mais non, vous n’y pensez pas, elle était bien trop innocente pour avoir de ces pensées-là, la pauvre Alice, c’était un peu, sauf votre respect Monsieur, l’enfant demeurée du village, très gentille et tout sourire, incapable de voir le mal, tout le monde l’aimait bien et la surveillait un peu du coin de l’œil pour que personne ne puisse lui faire du mal. Les gars ont subi un choc à son décès, bref un soir ils se sont donnés rendez-vous autour de sa tombe et comme ils avaient peur de suicider ils se sont entretués à coups de fusil. C’est moi qui les ai ramassés au petit matin, pas beaux à voir, avaient sans doute utilisé de la chevrotine. Dans le village on était un peu estomaqués, on ne pensait pas que jeunes soient si romantiques… on les a enterrés au plus vite et l’on a fait attention à ce que ça ne s’ébruite pas beaucoup… un peu la honte pour les familles, vous comprenez…

    Je comprenais trop bien que l’on se moquait de moi. Je n’en fis rien paraître, adressai mes condoléances au cantonnier et me dirigeai vers la tombe d’Alice.

    65

             _ C’est étrange, dit le Chef, la plupart des chauffeurs de taxi détestent que l’on fume dans leur berline.

             _ C’est que voyez-vous Monsieur, j’ai assez d’expérience pour savoir qu’il ne faut point s’opposer aux désirs d’un client qui tient en main un Rafalos 25.

             _ Mes félicitations Chauffeur, je n’aurais jamais cru à voir votre carrure et votre visage taillé à la serpe que vous lisiez chaque soir avant de vous endormir quelques sentences tirées du manuel d’Epictète, vous êtes un sage Chauffeur, et en plus vous reconnaissez un Rafalos 25 au premier coup d’œil !

             _ Pour votre épi de tête je ne sais pas, mais pour votre Rafalos 25, tenez j’en ai deux dans mon vide-poche !

             _ Chauffeur, je devine en vous un amateur voire un professionnel !

             _ Il faut bien Monsieur, vingt-cinq ans de légion, ça vous apprend la vie !

             _ Ah ! j’avais demandé à Uber de ne pas m’envoyer un garçon coiffeur, je reconnais qu’ils tiennent à satisfaire le client !

             _ D’ailleurs si mon client voulait se donner la peine de m’indiquer la direction à prendre, ce serait parfait…

             _ Forêt de Laigue, si vous le voulez bien, ce n’est pas trop loin ?

             _ Rien n’est jamais trop loin quand on a un Rafalos 25 avec soi. Attendez, je débranche le compteur et tant que l’on n’y est appelez-moi Carlos, avec un client comme vous l’on sent tout de suite qu’il va falloir s’accrocher aux petites branches pour survivre !

             _ Vous ne croyez pas si bien dire, mais accélérez un peu Carlos l’on patauge à un misérable 160 km/Heure !

             _ Avec un Chef comme vous, je suis prêt à vous suivre jusques en enfer !

             _ Parfait c’est exactement là où nous allons !

             _ Enfin une course qui me plaît !

    Et tous deux s’exclamèrent ensemble : Race with the Devil !

    66

    La tombe avait été débarrassée de toutes ses couronnes, ne restait plus dans un mince vase de verre grumeleux que quelques fleurs des champs. Cette simplicité prouvait que celui ou celle qui les avait déposées connaissait bien Alice. Pendant longtemps je restais immobile, j’attendais un signe, Alice n’en avait-elle pas déjà envoyé un Chef pour qu’il se portât à mon aide dans la forêt de Laigue, en me rapprochant de sa tombe je pensais lui faciliter la tâche. Le temps s’éternisait, au bout de deux ou trois heures Molossito poussa une petite série de couinements.

              _ Molossito, tais-toi, un agent du SSR ne pleure jamais, conduis-toi comme un homme !

             _ Il ne peut pas Monsieur, c’est un chien !

    La voix était fluette, ce ne pouvait être qu’une gamine. C’en était une, d’une dizaine d’années, elle baissait la tête ses yeux fixés sur Molosito qui se pelotonnait dans ses bras, lorsqu’elle porta son regard sur moi, je sursautai, sa ressemblance avec Alice me stupéfiait…

              _ Qui, qui es-tu bégayais-je

               _ Je m’appelle Alice…

             _   Alice ! toi qui es morte !

             _ Non moi je suis vivante, c’est ma sœur qui est morte. Et vous vous êtes Monsieur Damie, Alice me parle beaucoup de vous, je vous ai reconnu en voyant Molossito, des deux chiens c’était son préféré, quand elle ouvrait un bocal de chamallows elle lui donnait toujours le plus gros !

             _ Si elle te parle c’est qu’elle est vivante !

              _ Non, c’est dans mes rêves, elle est morte, cette nuit elle m’a dit que vous viendrez ici et de vous dire qu’il vous fallait aller dans la forêt de…

             _ Dans la forêt de quoi ?

             _ Je ne sais pas une ombre noire s’est interposée, elle a juste eu le temps de crier  qu’elle vous aime !

    Déjà avec les chiens nous courrions vers la voiture…

    67

    • Chef, trois heures que nous marchons dans cette forêt et toujours rien !
    • Carlos, nous devons effectuer une trouée, mais je ne sais pas où exactement.
    • Une trouée, avec un demi régiment de commandos parachutistes je vous la fais en une heure, à deux c’est impossible
    • Ce n’est pas exactement une trouée, plutôt une fissure dans l’espace-temps !
    • Bien, une fissure je préfère, mais dans quel secteur !
    • Je n’en sais fichtrement rien !
    • Ah, bon si ce n’est que ça, il suffit d’adopter la tactique du fennec du désert. Vous ne la connaissez pas Chef, c’est ultra simple et ça marche à tous les coups. Dans le désert il n’y a que des dunes et des dunes, dans cette forêt il y a des arbres et des arbres, croyez-vous que le fennec explore toutes les dunes une par une pour tomber par hasard sur une proie, non il se contente de se promener calmement sans se presser puisqu’il applique justement la célèbre tactique du fennec dans le désert. Vous trouvez ça dans tous les livres d’étiologie animale.
    • K. Carlos, mais c’est quoi au juste cette fameuse tactique incomparable !!!
    • Chef laissez-moi prendre la tête de notre colonne d’infiltration et dans dix minutes nous serons devant votre satanée fissure !

    A suivre …