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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 35

  • CHRONIQUES DE POURPRE 595: KR'TNT 595 : TELEVISION / HORRORS / GEORGE HARRISON / INSPECTOR CLUZO / BARRETT STRONG / MARIE DESJARDINS / ROCKABILLY GENERATION NEWS /ASHEN / CÖRRUPT / JHUFUS / ROCKAMBOLESQUES

     KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 595

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    06 / 04 / 2023

     

    TELEVISION / HORRORS

    GEORGE HARRISON / INSPECTOR CLUZO

    BARRETT STRONG / MARIE DESJARDINS

    ROCKABILLY GENERATION NEWS ( 25 )

      ASHEN / CÖRRUPT / JHUFUS

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 595

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Television Personality - Part One

     

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             De tous les punks qui sont arrivés en France en 1977, ceux qui foutaient le plus la trouille étaient certainement les quatre zombies de Television. On tremblait devant la vitrine où se trouvait exposée la pochette macabre de Marquee Moon, suspendue par deux pinces à linge. Les médias de l’époque n’en finissaient plus de décrire l’état de dégénérescence dans lequel la société new-yorkaise avait sombré, mais c’est en voyant la pochette de Marquee Moon qu’on réalisait à quel point c’était grave. On scrutait les peaux grises de ces quatre pauvres hères, leurs mains pleines de veines et leurs regards fixés sur le néant. On connaissait leur premier single Ork, le faramineux «Little Johnny Jewel» chanté d’une voix incroyablement maniérée, et bien sûr, c’est en B-side que le destin du groupe se jouait, grâce à ce solo interminablement délictueux. Mais en dépit de ce signe avant-coureur, rien ne pouvait nous préparer à la séance d’électrochocs que nous réservait Marquee Moon. L’âme de ce quatuor de zombies portait le doux nom de Tom Verlaine. Il partageait les prérogatives guitaristiques de Television avec un certain Richard Lloyd.

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             On se doutait bien que Tom Verlaine n’était pas en bonne santé et qu’il finirait, comme tout le monde, par casser sa pipe en bois, aussi l’heure est-elle venue de lui rendre hommage. L’idéal pour mieux connaître ce singulier personnage est de plonger dans les mémoires de Richard Lloyd qui eut le privilège de le côtoyer pendant de longues années, sans pourtant être son ami et confident. Dans Everything Is Combustible, Lloyd n’en finit plus de rappeler que Verlaine mettait un point d’honneur à garder ses distances. L’ouvrage est passionnant car il permet de pénétrer au cœur du mythe de Television qui fut, au temps de Marquee Moon, un groupe relativement révolutionnaire.

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             Lloyd vit à New York lorsqu’il rencontre pour la première fois Verlaine qui ne s’appelle pas encore Verlaine. Ça se passe au Reno Sweeney’s, un club du Village, on the South side of 13th Street - this house of weirdos - Terry Ork qui héberge Lloyd l’emmène voir jouer un inconnu. Richard Hell est aussi présent ce soir-là, il connaît Verlaine. Ils viennent tous les deux du Delaware. Quand Verlaine arrive dans le bar en trimballant son ampli et sa guitare, Hell lui file un coup de main pour s’installer. Puis Hell arrange son look : il agrandit les trous de son T-Shirt. Verlaine se retrouve avec une épaule et un téton à l’air. C’est le début du look. Verlaine joue trois cuts seul sur scène en s’accompagnant à la guitare électrique. L’une d’elles est «Venus De Milo». Lloyd le trouve intéressant. Il trouve que Verlaine has «it». Les lyrics sont à double, voire à triple sens, et les mains de Verlaine sont trop larges pour le manche. Alors il joue comme Jimi Hendrix, en partie avec le pouce - The thumb way over on the fretboard - Lloyd flashe sur Verlaine. Et comme l’Ork veut rééditer l’exploit d’Andy Warhol avec le Velvet, c’est-à-dire mentorer un groupe à dimension historique, Llyod lui indique, aussitôt après le set de Verlaine, qu’il vient de lui trouver son Velvet. What ? L’Ork ne pige pas. Alors Lloyd explique à l’Ork que «Verlaine a quelque chose de spécial, mais il lui manque quelque chose, et ce quelque chose, c’est lui, Lloyd.» Puis il renverse le raisonnement en expliquant à l’Ork qu’il est lui-même «quelqu’un de spécial mais qu’il lui manque quelque chose, et ce quelque chose, c’est Verlaine.» En conclusion, si l’Ork réussit à les réunir tous les deux, il aura son Velvet.

             L’Ork les réunit et Television commence à bosser dur. Six heures par jour. Verlaine chante quatre cuts, Richard Hell quatre aussi, et Lloyd deux. Llyod dit aussi qu’Hell ne bosse pas du tout sa basse chez lui, il n’en joue qu’aux répètes. Il y déjà une petite rivalité entre Verlaine et Lloyd, chacun voulant jouer les solos. Il se mettent d’accord sur un 50/50, qui va ensuite devenir un 60/40, mais bon, Lloyd n’est pas un chipoteur. Verlaine montre les basslines à Hell, mais comme il ne bosse pas chez lui, ça reste compliqué. Hell ne vit que pour la scène. Lloyd aime bien son style - wacky and loopy - un style qui lui rappelle celui de McCartney, surtout quand il est stoned - Richard amenait un rogut whiskey called Wilson’s qu’on partageait ensemble - Tout le monde s’amuse bien dans Television, sauf Verlaine qui se plaint du poids de sa responsabilité en tant que directeur musical. Pour leur premier concert, début mars 1974, ils louent une salle, the Townhouse Theater. Ils invitent la crème de la crème : Nicholas Ray bourré - You guys are four cats with a passion - Lenny Kaye et d’autres luminaries. Ils ont acheté des bières pour se faire un peu de blé, mais comme ils n’ont pas réussi à tout vendre, ils sifflent le reste du stock à trois, Hell, Lloyd et l’Ork. Bien sûr, Verlaine ne boit pas. Lloyd n’a jamais vu Verlaine fumer d’herbe ni picoler - Je l’ai seulement vu boire un verre ou deux dans toute l’année - Verlaine avait essayé les drogues psychédéliques, mais ça ne lui avait pas plu. Au CBGB, on les prend pour des junkies ! Hell en est un, c’est sûr, mais Lloyd ne l’est pas encore. Et Verlaine jamais de la vie.

             Avant de monter sur scène, Verlaine se mouche. Puis il demande à Lloyd de vérifier qu’il ne reste pas une crotte de nez dans sa narine. C’est sa hantise - He was neurotic about it - Lloyd finit par l’envoyer promener. Verlaine demande ensuite à Hell qui l’envoie aussi promener. Sur scène, Verlaine ordonne à Hell d’arrêter de sauter partout. C’est le commencement de la fin. Après les concerts, Verlaine ne traîne pas avec ses collègues. Lloyd dit être allé en tout et pour tout quatre fois chez Verlaine et Verlaine n’est jamais venu chez lui. 

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             C’est l’Ork qui négocie un set au CBGB avec Hilly Krystal. Premier concert fin mars 1974. L’Ork demande à jouer le dimanche, jour de fermeture, et promet que si la recette n’est pas bonne, il complétera de sa poche. Banco, dit Hilly. Et voilà, c’est ainsi que se font les choses. Il suffit d’avoir l’idée et d’engager les gens. Lloyd rappelle qu’avant Television, deux groupes jouaient au CBGB : les Leather Secret, un groupe SM en cuir noir, et les Stilettos, avec Debbie Harry et Fred Smith qui deviendra un peu plus tard le bassman de Television.

             Au départ, Lloyd joue au milieu de la scène. Puis un jour, Verlaine demande à jouer au milieu de la scène et à chanter toutes les chansons. Lloyd n’aime pas trop le procédé, mais il ira jouer à gauche jusqu’à, dit-il, «la fin de ma carrière dans le groupe». Hell sent qu’il est devenu indésirable et se barre - C’est exactement ce que Tom voulait - Lloyd envisage aussi de se barrer car il considérait Hell comme l’un des moteurs de Television - He had the crazy movie star look and the action to go with - En plus, c’est Hell qui a proposé le nom du groupe.

             C’est avec l’Ork et l’Hell que Lloyd passe à l’héro. L’Ork les emmène chez ses contacts and the three of us would get stoned.

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             L’un des premiers à s’intéresser de près à Television c’est David Bowie. Il propose de produire le groupe - Of course Tom said no - alors Bowie ira produire Iggy avec le succès que l’on sait. De manière générale, Verlaine dit toujours non. Hall And Oates les envoient rencontrer le manager Tommy Mottola. Verlaine se chamaille avec Mottola sur une question de pourcentages. Quand ils sortent du bureau de Mottola, Lloyd demande à Verlaine pourquoi il l’a envoyé promener et Verlaine lui dit qu’il n’a pas envie de finir sur scène à Vegas. Quand McLaren est à New York, il louche sur Richard Hell et sur son look. Il propose à Verlaine de manager Television et Verlaine lui répond : «No way». C’est juste avant la formation des Pistols. Lloyd pense qu’avec McLaren, ils seraient devenus millionnaires, but Tom said no. Donc, pas de manager. Patti Smith tombe amoureuse de Verlaine, mais Verlaine ne tombe pas amoureux d’elle. La relation ne fait pas long feu. Verlaine est antisocial, nous dit Lloyd. Il raconte aussi que Verlaine voyageait sans bagages, juste un sac en plastique - Tout ce que faisait Tom, c’était fumer des clopes, boire du café et ressembler à un clochard. He was an absolute embarrassment to be around, but I had no choice - Autre caractéristique de cet incroyable personnage : il cultivait un mépris souverain pour tout ce qui n’était pas lui, et il croyait que les gens passaient leur temps à le copier, notamment, nous dit Lloyd, David Byrne et Lloyd Cole.

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             C’est Verlaine qui insiste pour que «Little Johnny Jewel» soit le premier single de Television. Lloyd dit jouer très peu là-dessus. Verlaine et Lloyd s’engueulent et Lloyd quitte le groupe. Il va être remplacé par Peter Laughner, l’excellent guitariste de Rocket From The Tombs. Un jour, Laughner arrive chez Verlaine et fait le con avec un flingue chargé. Il fout la trouille à tout le monde. Verlaine is freaked out. Fin de l’épisode Laughner qui de toute façon va casser sa pipe en bois aussitôt après, grâce à une bonne petite cirrhose. Alors Llyod réintègre le groupe, sans plus de formalités.

             En ce qui concerne le CBGB, Lloyd remet les choses au clair : c’est lui et l’Ork qui ont programmé les groupes pendant trois ans au CBGB. Quand l’Ork ne sait pas ce que vaut un groupe inconnu, Lloyd le sait - Terry Ork et moi furent plus responsables du succès du CBGB que ne le furent Tom Verlaine, Richard Hell ou encore Television.

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             Lorsque Television va jouer à Cleveland, ils assistent au sound check des Rocket From The Tombs. Cheetah Chrome qui est sous acide se bat avec Crocus Behemot, a rather large fellow. Quand il les voit jouer, Lloyd les trouve heavy and poweful. Il rêve de se joindre à eux. Il ne le fera que 25 ans plus tard, lorsqu’il deviendra membre du groupe. L’ironie de l’histoire, c’est que Peter Laughner voulait prendre la place de Llyod dans Television, mais c’est Llyod qui prendra la sienne dans Rocket From The Tombs (il joue sur Barfly). Quand il les voit sur scène à Cleveland, Lloyd dit que c’est l’un de leurs derniers shows. En splittant, le groupe donne naissance à Pere Ubu d’un côté, et aux Dead Boys de l’autre.

             Le premier à approcher Television pour un contrat, c’est Seymour Stein, le boss de Sire. Mais son offre est pauvre. Il propose un budget d’enregistrement de 6 500 $ et 1 000 $ d’avance. Il ne prend pas de risques, nous dit Llyod, car il reçoit 2 500 $ d’un label anglais quand il signe un nouveau groupe. C’est comme ça qu’il a eu Talking Heads, les Ramones et les Dead Boys. Il veut aussi Television, mais Verlaine ne veut pas lui adresser la parole. Il dit à Lloyd de se débrouiller avec lui. De toute façon, c’est non. Alors Stein leur prédit qu’ils finiront comme le Grateful Dead : «Rabid audience but very little radio play.» Ce qu’on appelle ici un succès d’estime.

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             Bon, ils finissent par signer avec Elektra. Verlaine veut signer seul, c’est-à-dire en son nom pour le groupe, mais le label dit non. Il doit signer avec Lloyd, Fred Smith et Billy Ficca - On pensait tous qu’on formait un groupe, sauf Tom qui envisageait de prendre le contrôle, petit à petit - Quand ils enregistrent Marquee Moon, ça fait déjà trois ans qu’ils jouent ensemble. Après avoir commencé à bosser avec Brian Eno et Allen Lanier, ils optent pour Andy Johns, le petit frère de Glyn Johns. Andy commence par mettre au point le son de la batterie. Elle sonne comme celle de Led Zep et Verlaine flippe : «Oh no no no, we don’t want big drums. We want small drums without all the effects on.» Andy est vexé car il dit que ce son de batterie est «sa signature». Il menace de rentrer en Angleterre. Il demande aux Television pourquoi ils veulent un son tout pourri. «C’est une spécialité new-yorkaise que de vouloir un son aussi pourri que celui du Velvet Underground ?», demande-t-il aux quatre Television ahuris. Bon, il est en colère, mais il reste pour le bifton. Verlaine réussit à le calmer.  

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            Elektra les prévient qu’il faut plus de temps pour concevoir la pochette que pour enregistrer. Alors ils anticipent et font appel au pote de Patti Smith, le photographe Robert Mapplethorpe. Quand Lloyd va faire des copies de la photo choisie sur un Xerox, il altère accidentellement l’image et c’est cette image altérée qu’on retrouve la pochette de Marquee Moon. À propos de cette image, Lloyd rapporte une anecdote tordante : Billy Ficca ne mangeait que des fruits et  légumes, notamment des carottes. Il en trimballait partout avec lui. «Billy ate so many carrots that he got carrotmania.» Sa peau est devenue orange, comme le montre la pochette de Marquee Moon. C’est la fin de la rigolade quand Llyod écoute l’acétate de Marquee Moon : il éclate en sanglots, car il ne retrouve pas le vrai son de Television - It did not sound as robust as it sounded in the studio - L’album sort en février 1977.   

             Marquee Moon est un album exceptionnel qui affiche le parti-pris d’un groupe à deux guitares clairvoyantes. Et dès «See No Evil», ils installent leur emprise. Ils entrent dans «Venus» comme ils entrent dans «Little Johnny Jewel», par la veine mélodique. De leur malaise et de leur goût pour le néant naît une réelle modernité. On le sait, le monde appartient à ceux qui n’attendent plus rien. Alors Tom Verlaine tombe dans les bras de la Venus de Milo - I feel sideways laughing/ With a friend from many stages - Ils tarabiscotent toutes les circonvolutions et misent sur l’extrême puissance de la prestance, leur son est humide comme le salpêtre d’un mur de cave et sent bon la terre des cimetières. À défaut de patiner merveilleusement, Verlaine déclame merveilleusement. Ils inventent le swing funkoïde avec «Friction», et le développent au tortillon de clairette. Ils sur-jouent aux entrecroisements de guitares d’avant-garde, ça va loin, leur histoire, ils développent l’hyper-ventilation musicologique, ils s’exacerbent à en tomber, ce qui ne doit pas être trop compliqué, vu qu’ils sont gaulés comme des gaufrettes. Cet album se met à sonner comme un monument baroque très spectaculaire, le son semble même se régénérer en permanence, comme s’il était sous perfusion. Et puis bien sûr, c’est avec le morceau titre qu’ils emportent la partie. Les tiguiliguili annoncent le maelström, les ponts réveillent les hideux démons de la prog, ils s’offrent de belles plongées dans les abysses et remontent en épingle au son d’un clairon digne du solo de Johnny Jewel. Par contre, la B édifie moins les édifices. «Elevation» est sans doute leur cut le plus connu, par son leitmotiv Elevation don’t go to my head, mais le côté trop déclamatoire, trop collet-monté les dessert. Trop sharp. Trop stiff. C’est Lloyd qui prend le solo sur «Elevation». Même s’il n’accroche pas véritablement, l’ineffable «Prove It» plait par les qualités mélodiques du solo. C’est une œuvre en soi, emboîtée dans une carcasse de rythmique Soul. Le retour de manivelle chant est une merveille. Ces diables de Verlaine et de Lloyd savent partir en solo, ils savent tirer des bordées vers l’horizon.

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             Dans Vive Le Rock, Duncan Seaman revient sur Marquee Moon et sur le fait que Verlaine et Lloyd jouaient des cuts longs à deux guitares, à la différence des autres groupes qui jouaient des cuts courts - two-minute smash-and-grab numbers - Pour Seaman, c’est cette différence qui fait de Marquee Moon l’un des albums essentiels de cette époque. Seaman fait un bref détour historique pour rappeler qu’Hell, Verlaine et Ficca arrivaient du Delaware et qu’avant de s’appeler Television, ils s’appelaient en 1973 les Neon Boys. On l’a vu, premier concert de Television en mars 1974 chez Hilly Krystal, puis ils commencent à partager l’affiche avec Patti Smith qui est alors poétesse improvisatrice. Pour l’enregistrement de Marquee Moon, Verlaine exige d’en être le producteur, associé à un ingé-son expérimenté qui est comme on l’a vu Andy Johns, fraîchement émoulu de Goat’s Head Soup. Les deux guitares sont multi-tracked ce qui donne ce distinctive interlocking sound qui nous plaisait tant à l’époque. Nick Kent salue l’album en le qualifiant  d’«inspired work of pure genius». Puis après le demi-échec d’Adventure, Verlaine va dissoudre le groupe. 

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             On reviendra sur Adventure dans un Part Two. Ils l’enregistrent avec John Jenson qui a bossé avec Jimi Hendrix à la fin de sa vie. Lloyd dit son exaspération d’avoir à attendre que Môsieur Verlaine ait fini d’écrire en studio les lyrics «for his silly little songs». Il trouve que ses chansons sont devenues «introverties». Il les compare même à des ongles incarnés. En studio, Verlaine devient un «crazy maker - someone who drives me insane with his shenanigans.» Verlaine devient de plus en plus dictatorial. Le groupe a même abandonné sa vieille méthode de vote à la majorité. Verlaine a pris le pouvoir. En puis, à l’été 1978, Lloyd reçoit un coup de fil de Verlaine, ce qui ne se produit jamais. Verlaine appelle pour dire qu’il quitte le groupe. Pour Lloyd c’est à la fois «un choc et un soulagement». Il en profite pour dire à Verlaine qu’il avait lui-même envisagé de quitter le groupe. Chacun part de son côté mais, comme le dit si bien Lloyd, l’idée d’une reformation n’est pas exclue. Elle va se produire en 1992.

             Il y aura donc d’autres albums de Television, comme on va le voir dans le Part Two. En 2007, Lloyd finira par quitter le groupe définitivement. S’il se barre, c’est parce qu’il en a marre que Verlaine fixe le montant de ses honoraires - I was tired of having my income determined by someone else - namely Tom Verlaine - Mais avec le recul, Lloyd se dit fier d’avoir joué dans Television, un groupe qui se moquait de ce que les gens pensaient - Television was a band that just didn’t care - We played our music and all of the rest could go to hell.  

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             Le regard que porte Lloyd sur le rock en général, et Television en particulier, apporte des éclairages passionnants. Richard Lloyd est ce qu’on appelle communément une force de la nature. Verlaine l’est aussi, de toute évidence, mais pas de la même façon. Les gens trop singuliers sont systématiquement critiqués. Lloyd en voulait certainement à Verlaine d’avoir gardé ses distances.  Le cœur de toute cette histoire n’est pas le lien qui unissait Llyod à Verlaine, mais celui qui unissait Hell à Verlaine, arrivés tous les deux à New York pour devenir poètes et conquérir la ville. Hell et Verlaine ont travaillé tous les deux chez Cinemabilia, une librairie spécialisée dans le cinéma, où travaillaient aussi Victor Bockris et Terry Ork. Hell et Verlaine se trouvent très exactement à l’origine de la scène punk new-yorkaise. Il faut relire l’autobio de Richard Hell, I Dreamed I Was A Very Clean Tramp pour se goinfrer de cette histoire passionnante. Dans un texte fascinant, Hell fait de Verlaine «the Mr. America of skulls», et de Llyod «a perfect male whore pretty boy face». Alors qu’Hell veut de la sauvagerie, il voit bien que Verlaine a une autre idée du son en tête, ces cristal-clear crisp sweet-guitar suites, et bien sûr, il voit le son du groupe subordonné à sa guitare. Leurs visions divergent radicalement. C’est pour ça qu’Hell part jouer dans les Heartbreakers avec Johnny Thunders. Lorsqu’on croise les deux lectures, celle de l’Hell book et celle du Lloyd book, on a une vision parfaite des racines de la scène punk new-yorkaise. Diable comme tous ces gens pouvaient être brillants ! Et visionnaires.

             Dans son book, Lloyd évoque souvent l’héro, qu’il commence à tester au lycée - By my late teens I had gone through just about every drug kwown to man - Il devient a full-fledged junkie au temps de Television, en compagnie de Richard Hell et de l’Ork. Contrairement aux autres, l’héro lui donne de l’énergie - I could drink all night and fuck all night and play guitar all night - Dans les toilettes du CBGB, les murs sont couverts de graffitis : on le surnomme ‘Mr Machine’ - I screwed like a machine - À Londres, Peter Perrett lui fait tester some very strong heroin et lui dit de faire gaffe, mais Lloyd se shoote toute la dose d’un coup et overdose. Il teste tout en permanence. Au fil du récit, il revient souvent sur sa passion pour les expériences. Il décrit aussi les effets des amphètes sur son corps. Ça le fascine. Il teste aussi l’homosexualité par curiosité. 

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             L’autre grande passion de Lloyd, c’est Jimi Hendrix, via son ami Velvert Turner. Vers la fin du book, Lloyd rapporte une scène extraordinaire : il va chez Velvert qui est sous angel dust, «one of the worst drugs you can possibly encounter». Rien qu’avec la fumée, t’es stoned, dit Llyod. Velvert est au pieu avec deux filles, en train d’en baiser une qui est aussi sous angel dust et qui lui crie : «Fuck me you black devil.» Tous les chapitres qu’il consacre à Velvert Turner sont des sommets du surréalisme psychédélique. C’est l’autre bonne raison de lire ce book. Velvert jouait aussi avec Arthur Lee. Il vivait même chez lui. Un matin, il se réveille brutalement avec des plumes qui volent autour de lui. Puis il voit Arthur Lee à la porte de la chambre, avec un flingue à la main. Il vient de tirer dans l’oreiller et lance à Velvert : «You stole my crack !». Pris de panique, Velvert sort du lit et saute par la fenêtre du deuxième étage avant qu’Arthur Lee n’ait eu le temps de tirer une deuxième fois. LA is that kind of place, conclut Lloyd.

             L’autre grand lien de Lloyd, c’est Anita Pallenberg qui flashe sur lui au CBGB - It was platonic love at first sight - Pas de sexe, juste du platonic love et du deep, ajoute Lloyd. Comme Anita vit avec Keef dans le Connecticut, Lloyd rencontre un Keef very friendly. Les pages où Lloyd narre cette relation sont aussi passionnantes que celles consacrées à Television. Plus on s’enfonce dans ce book, et plus on se dit qu’on est content d’être là.

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             Côté influences, Lloyd cite Jeff Beck qu’il a la chance de voir sur scène au Fillmore West avec le premier Jeff Beck Group, celui de Rod the Mod et de Ronnie Wood. Il cite aussi Jimi Hendrix, Buddy Guy, Magic Sam, Mike Bloomfield, Roy Buchanan, et les trois Kings, Albert, B.B. et Freddie. Il rencontre aussi John Lee Hooker qui le prend à la bonne et qui lui confie le secret du blues : il peut être joué sur une seule corde, qu’on remonte et qu’on redescend. Lloyd vérifie et découvre que certains solos de Jimi Hendrix sont effectivement joués sur une seule corde. Il donne tous les détails.

             Il rencontre aussi Danny Fields qui est déjà assez célèbre pour avoir managé Iggy & the Stooges et qui managera pas la suite les Ramones. Fields flashe sur Lloyd et l’héberge. Llyod accepte à une condition : no sex. Okay. Mais la condition ne tient pas longtemps et Fields cavale après Lloyd dans la baraque. Lloyd n’a vraiment plus envie de faire ce genre d’expérience et il dit non. Alors Fields lui propose un deal. Tu restes là devant moi et je me branle rien qu’en te regardant. Il n’empêche que Lloyd n’est pas à l’aise et à la fin du chapitre, il demande pardon à Danny. C’est là qu’il va s’installer dans le loft de Terry Ork. L’Ork est aussi homo, mais il fout la paix à Lloyd. La nuit, l’Ork bosse à la Factory d’Andy Warhol. Il fait des sérigraphies que signe Warhol et qui partent ensuite dans les galeries qui commercialisent son œuvre. L’Ork manage aussi la fameuse librairie Cinemabilia où bossent comme déjà dit Richard Hell et Robert Quine.

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             La dernière grande rencontre qu’il évoque dans ce bon book est celle de John Doe. Doe cherche un «New York ace» pour son nouvel album, Meet Joe Doe. Alors Lloyd prend l’avion pour Los Angeles. Meet Joe Doe est un bon album. On en parlait ici, quelque part en 2021. Et sous le pont Mirabeau coule la Seine, faut-il qu’il m’en souvienne...

    Signé : Cazengler, Télé pasteurisé

    Tom Verlaine. Disparu le 28 janvier 2023

    Television. Marquee Moon. Elektra 1977                         

    Richard Llyod. Everything Is Combustible. Beech Hill Publishing Company 2019

     

     

    Horrors boréales

     

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             Dans un vieux Mojo de 2009, Chris Ziegler saluait l’ascension météorique des Horrors, un gang de gamins qui se déclaraient influencés par les Scientists et les Stranglers. Pour leur premier album - Strange House - ils se planquaient derrière leurs coiffures et leur maquillage. Ils revenaient à la charge avec des machines pour un deuxième album, Primary Colours, inspiré cette fois par Joy Division, Neu! et Silver Apples. C’est justement là que se trouve le problème des Horrors : le côté caméléon. Pour savoir jouer à ce petit jeu, il faut s’appeler David Bowie. Car c’est un jeu extrêmement risqué. Si on change de son et qu’on n’a pas les moyens du changement, on perd la confiance des fans. Dommage, car on avait adoré les Horrors de la première heure.

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             Avec Strange House, les Horrors nous faisaient même le coup de la pochette New York Dolls, assis tous les cinq sur une banquette avec des chevelures extravagantes. La photo est en noir et blanc, bien entendu. Au plan musical, ils n’ont hélas rien à voir avec les Dolls. Ils font sensation en démarrant sur une cover du «Jack The Ripper» de Screamin’ Lord Sutch. Ils jouent adroitement la carte du boogaloo, les chœurs sont des horreurs définitives, c’est chanté à la démesure de Lux Interior. Mais après, ça bascule dans le gaga d’orgue bien sevré de pan la la, allez-y les gars, dansez ! «Count In Five» fait le taf, ces petits mecs se prennent pour Nuggets, les aw yeah de Faris Badwan valent bien ceux des Shadows Of Knight. C’est bardé de bonnes intentions, mais ça finit par se paumer sur la longueur («Draw Japan»). Les guitares de «Gloves» sont celles des Dolls et Faris Badwan chante avec des accents de Johnny Rotten. Il domine bien la situation avec «Little Victories», il dispose de ressources vocales inexplorées, il mène bien sa meute. «She Is The New Thing» est amené au mal de mer, c’est un ressac des Pixies. Les mauvaises langues diront qu’ils n’ont pas de patrie. Pareil pour «Sheena Is A Parasite» qui se retrouve à la croisée des chemins, entre gaga et Pixies, avec une dominante folie Pixy-Méricourt. Mais on les voit ensuite se diriger vers la new wave («Thunderclaps») et c’est pas beau. Leur crédibilité fond comme beurre en broche. Dommage, pour un album si bien amené.

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             Pour se remonter le moral, on s’est tous jetés à l’époque sur The Horrors EP, parce qu’il s’y niche une fantastique cover de «Crawdaddy Simone», le hit mythique des Syndicats. Une fille donne la réplique à Faris Badwan, wouahhh ! C’est explosif ! Leur dialogue bat tous les records de ferveur élégiaque. Ah il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Wouahhh ! Sinon, on retrouve leur version de «Jack The Ripper» qui reste un modèle de trash boogaloo et l’excellent «Sheena Is A Parasite» amené à la basse fuzz et chanté au scream pur, à cheval entre Frank Black et Peter Aaron. Dommage qu’ils n’aient pas continué d’explorer ce filon, car ils disposent d’une réelle énergie. En réécoutant «Excellent Choice», on découvre qu’ils utilisent les voix doublées du Velvet. «Death At The Chapel» est aussi une belle dégelée déflagratoire. Ils sont capables de tout. Et puis petite cerise sur le gâtö : on les voit tous les cinq au dos du digi avec leurs dégaines de Dolls. Wouaaahhh !

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             Deux ans plus tard arrive dans les bacs Primary Colours, l’album caméléon. Ils changent de son et passent à l’electro. En fait, ils cherchent leur voie, on se croirait chez les Psychedelic Furs, avec des petites virgules de new wave, dommage car Faris Badwan a une bonne voix, mais il fait sa pute, c’est plus fort que lui. Les quatre premiers cuts sont pénibles, ça pue l’arnaque, mais il y a un son et un horizon. Le peu de crédibilité qui leur restait disparaît avec «Do You Remember». Ils jouent avec le feu mais n’en ont pas les moyens. Les seuls capables de lever de telles tempêtes sont les Boo Radleys. Ces saintes Horrors sauvent leur album avec un «New Ice Age» amené au heavy drumbeat. Mais après, ça rebascule dans le sous-New Order, avec des cuts alimentés par des tensions de bassmatic et des synthés. Cette cloche se prend aussi pour Nico dans «I Only Think Of You». L’«I Can’t Control Myself» n’est heureusement pas celui des Troggs, et la suite tourne à la catastrophe. The horror.

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             Avec Primary Colours, on avait bien compris qu’ils avaient opté pour la new wave. Ce qui tendrait à confirmer Skying, une album encensé par la presse anglaise. Ils visent les grosses ambiances psychédéliques, c’est un son très anglais, très harmonique, peut-être un peu trop Britpop. Ils ont acheté des machines, c’est vraiment dommage. Ils jouent dans l’épaisseur des effets, ils font du Radiohead mais sans la qualité de Radiohead. Trop de machines. Ils tentent leur chance, cut après cut, et ça ne marche pas. On entend de très beaux chœurs de cathédrale dans «I Can See You Through», ils jouent leur petit va-tout et tartinent ça de prod all over. Ça devient enfin sérieux avec «Endless Blue», vite envenimé. On se croirait chez Grand Mal. Exactement le même son. Les Horrors se prennent pour Bill Whitten et ça devient enfin marrant, avec un son ravagé par des accords. Des accords, oui, mais des Panzani ! Puis ils amènent «Drive In» à la heavy psychedelia et ça marche. Ils ont le ticket to ride, ils jouent ça à la renverse sur canapé d’accords de réverb. Hélas après ça dégénère. Ils renouent avec la fucking Britpop dans «Wild Eyed», c’est délicat d’en parler car on croit se faire baiser à chaque fois et la suite devient carrément insupportable. Ils plongent dans des grooves de boogaloo assez empiriques et on finit par en avoir vraiment marre de leurs conneries.

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             Paru en 2014, Luminous est encore un album de machines. Dès «Chasing Shadows» on assiste au lever du soleil avec un parfum de psychelelia dans l’air et soudain, ça explose. Ils taquinent les cuisses de leur muse. Belle ampleur, en tous les cas. Mais ils retombent vite dans les travers de la Britpop avec «First Day Of Spring», sans doute subissent-ils une forte pression commerciale. Il y a dans leur son trop d’échos de groupes à la mode, dont on ne citera pas les noms pour ne pas salir le blog. «First Day Of Spring» sonne comme un atroce suicide hermaphrodite. En fait, on se demande pourquoi ces fans des Dolls et de Crawdadddy Simone ont viré new wave. C’est une énigme. Ils font du U2 avec un manche à balai dans le cul, et on ne peut vraiment rien faire pour les aider, à part acheter leurs albums et les écouter. Le pauvre Faris Badwan plonge son groupe dans la pire new wave jamais imaginée. Cet album est encore plus catastrophique que les précédents. «Falling Star» est un chef d’œuvre de soupe aux choux. Rrrrrrru ! Rrrrrrrru !

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             La pochette de V n’est pas belle : ils ont fabriqué un cœur avec des masques de cire. Côté son, ça ne s’arrange pas vraiment. Ils jouent la carte de la grosse electro house, c’est assez puissant, il faut bien le reconnaître. C’est la voix de Faris Badwan qui ne va pas. Il est trop britpoppé du ciboulot. Avec «Press Enter To Exit», ils repartent dans les machines. Trop de machines. On s’en doutait un peu, mais pas à ce point-là. Justement, ils ont un cut qui s’appelle «Machine», mais c’est joué à la basse avec des résonances. Ils en profitent pour redresser la barre, car c’est bien envoyé, in the face. Dommage que tout l’album ne soit pas de ce niveau. Ils sauvent cet album qui prend l’eau avec un «Weighed Down» amené aux guitares lointaines d’Arizona, celles de la Rivière Sans Retour et Faris Badwan fait sa rivière, alors ça devient un Big Atmospherix bien tempéré, assez convaincu et vite élevé sur les hauteurs. Ils attaquent «It’s A Good Life» aux machines et ils parviennent on ne sait comment à arracher la beauté du ciel. Alors là bravo ! 

    Signé : Cazengler, Horrorripilant

    Horrors. The Horros EP. Stolen Transmission 2006

    Horrors. Strange House. Loog 2007

    Horrors. Primary Colours. XL Recordings 2009

    Horrors. Skying. XL Recordings 2011

    Horrors. Luminous. XL Recordings 2014

    Horrors. V. Wolf Tone 2017

     

     

    Wizards & True Stars

    - Le roi George

     

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             George Harrison inspire un tel mélange de respect et d’admiration qu’on pourrait presque l’appeler le roi George. Mais lui n’aurait jamais accepté d’être bombardé roi. Tant pis, on va quand même le bombarder roi d’Angleterre. S’il faut un roi dans ce pays, autant que ce soit lui.

             En 2011, Martin Scorsese lui consacrait un film de quatre heures, l’excellent George Harrison: Living In The Material World, qui est du niveau de celui qu’il consacra en 2005 à Dylan, No Direction Home: Bob Dylan. Scorsese fait partie de ceux qui ont tout compris : il sait raconter la vie d’un homme exceptionnel. D’ailleurs, il ne s’intéresse qu’aux êtres exceptionnels, même s’il s’est bien vautré avec The Last Waltz. Peu importe, on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs. Le portrait qu’il brosse du roi George est une œuvre grandiose, d’une justesse imparable. Scorsese a compris que ce qui caractérisait le mieux le roi George était l’émotion qu’il suscitait à la fois en tant qu’homme et en tant qu’artiste. C’est l’enseignement de ce film. Dylan suscite la fascination, Iggy Pop suscite un sentiment de filiation, John Lydon, Ray Davies et Mark E. Smith suscitent l’anglophilie, la vraie, celle du working class, Godard suscite le sentiment du divin, Gainsbarre l’affection, mais le roi George est un cas unique en Angleterre : on a beau chercher, personne ne suscite autant d’émotion que lui, surtout pas Paul McCartney, encore moins Ringo Starr et malgré tout le respect qu’on lui doit, certainement pas John Lennon. Pendant quatre heures, Scorsese s’applique à montrer cette différence fondamentale qui existe entre George et les trois autres. Des quatre Beatles, George est celui vers lequel on tend naturellement. Il n’est rien sans les trois autres et les trois autres ne sont rien sans lui. Scorsese brosse son portait à petites touches, rappelant par exemple que McCartney - qu’on va appeler Macac pour gagner du temps - se réservait toujours l’A-side des singles, laissant la B-side à Lennon, jusqu’au jour où Lennon a imposé le «Something» du roi George en A-side. Globalement, Macac ne sort pas grandi de ce film. Il parle d’une voix forte de vieil homme. On envisageait de l’introniser dans la série «Wizards & True Stars», mais il suscite une telle antipathie quand il témoigne qu’on doit renoncer à cette initiative. Par contre, Lennon est le grand absent de ce film. Il ne témoigne pas, ce qui semble logique, vu qu’il s’est fait buter. L’autre grand témoin est bien sûr l’invulnérable Ringo - Le rock est notre vice/ C’est la faute à Elvis/ Nous l’avons dans la peau/ C’est la faute à Ringo - C’est lui, le vieux Ringo, qui réussit à nous faire chialer à la fin de cette saga. Il nous explique que le roi George atteint d’un cancer est allé finir ses jours en Suisse, alors Ringo se rend à son chevet. Le roi George est alité, il ne peut plus bouger. Ringo lui explique qu’il doit ensuite se rendre à Boston où sa fille est hospitalisée pour une tumeur au cerveau. Et le roi George lui dit d’une voix faible (que Ringo imite au mieux) : «Do you want me to come with you ?». Le vieux Ringo se met à chialer. «Ce sont ses derniers mots», précise-t-il. Il enlève ses lunettes noires pour s’essuyer les yeux. Cette scène à elle seule résume l’histoire de George Harrison.

             Scorsese se montre à la hauteur de son personnage. Même quand on a déjà vu ce film plusieurs fois, on a chaque fois l’impression de le redécouvrir. Scorsese est passé maître dans l’art de déterrer des images d’archives extraordinaires et de les coupler avec du rock, le meilleur qui soit. Chacun sait qu’il a collé le Jeff Beck Group dans la BO de Casino et les Stones dans celle de Mean Streets. Pour illustrer l’historique de l’après-guerre, Scorsese cale un extrait de «Count Your Blessings And Smile» de George Formby. Comme le roi George est un enfant de la guerre, Scorsese balance des images de bombardiers nazis au-dessus de l’Angleterre. On pense alors à Lemmy qui lui aussi est né sous les bombes, puis c’est la victoire sur fond d’«All Things Must Pass», et Scorsese passe directement aux racines du mythe, avec le cocky little guy qui s’appelle George Harrison et son copain d’école «dickensienne» Macac, un Macac qui nous dit que son poto George avait beaucoup de cheveux, a fucking turban. Tous les deux, ils partagent une passion pour l’art - Art was a great golden vision - Il s’agit bien sûr du rock’n’roll. Comme Macac a commencé à fricoter avec Lennon, il ramène George qui sait jouer de la guitare - He could play the guitah - On connaît l’histoire par cœur, mais ça reste tellement excitant. George rigole parce que Lennon n’a que quatre cordes sur sa guitare et ne sait pas qu’il en faut six. Le jeune roi pratique une sorte d’humour anglais très froid mais irrésistible. Par exemple il indique qu’au début les Beatles n’avaient qu’une seule ambition : «Ballrooms, the big deal.»

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             Et boom, Scorsese envoie tout ce petit monde à Hambourg. Voilà les plans couleur de la Reeperbahn, avec ses grosses putes allemandes, et puis voilà Klaus et puis Astrid la photographe, qui d’ailleurs témoignent tous les deux dans ce film. Klaus c’est Klaus Voorman, bien sûr, qui redit sa fascination pour les Beatles - So much personality - et c’est là qu’ils se mettent à porter du cuir noir, John, Paul, George, Pete Best et Stuart Sutcliffe. Ils dorment un temps dans un placard derrière l’écran d’une salle de ciné puis Astrid leur propose l’hébergement. Elle tombe amoureuse du beau Stuart dont l’histoire est superbement bien racontée dans un autre film, Backbeat, qu’il faut voir et revoir, car c’est probablement le meilleur film consacré aux Beatles. Tout le monde trouve George gracieux - The lovely sweet little George - Astrid trouve Paul et John so different  et pouf, catastrophe, Stuart meurt, en 1962. John qui n’a que 18 ans, est profondément affecté par ce drame. Retour à Liverpool. George place l’une de ses petits vannes mystérieuses : «How many Beatles does it take to change a light bulb ?» Le journaliste attend la réponse. «Four». Oui, il faut quatre Beatles pour changer une ampoule. Ça sent bon le Monty Python. On y reviendra.

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             Et boom badaboom les Beatles explosent, «I Saw Her Stranding There» et tu vois George prendre un solo de clairette exacerbée. Puis tu le vois sortir sa Rickenbacker. Toute l’imagerie du rock anglais est là, dans ces plans faramineux, tout vient de là, de George, son costard, ses boots et sa Ricken, une symbolique que cultiveront les Who comme les Byrds, le son, la classe. Les Beatles ne vieilliront jamais, car quel son ! Quelle énergie ! Autre personnage clé de cette histoire : George Martin, qui les rencontre en 1962. Et pouf, le label met la pression, il faut des hits et des albums, alors Macac et Lennon composent une chanson par jour, pas de problème, on a tout ce qu’il faut. George ne dit rien, il reste en retrait. Jusqu’au jour où il propose une compo, «Don’t Bother Me» - not particularly a good song, précise-t-il. C’est l’époque où Clapton devient copain avec George. Le loup entre dans la bergerie. Le roi George a pour épouse une très jolie petite blonde, Pattie Boyd, qu’on voit aussi témoigner dans le film. Plutôt bien conservée, pour une vieille Anglaise.

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             Le roi George expérimente le LSD par hasard. Il adore ça - I was in love with everything - C’est l’extase. Il décrit ses trips fabuleux. Il embraye directement sur Ravi Shankar et le sitar. Il recherche la perfection à travers la musique orientale. Shankar essaye d’expliquer à un journaliste anglais qui ne pige rien que la musique est une façon de communiquer avec Dieu. Pas besoin des mots, dit-il. Le roi George jubile : «My experience was of the best quality.» C’est ainsi qu’il définit sa quête : une recherche de la perfection. Dans sa façon de vivre, dans ses relations, dans sa musique. La perfection comme un art de vivre. C’est là qu’on commence à le prendre très au sérieux. Peu de gens dans l’histoire de l’art sont aussi résolument engagés dans ce type de quête. Après un épisode compliqué à Haight-Ashbury, le roi George laisse tomber le LSD et passe à la méditation. Il lui faut un maître et ce sera le petit Maharashi et sa voix de canard, de passage en Occident pour quelques conférences.

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             On arrive dans la zone la plus magique de l’histoire des Beatles, celle du White Album et Scorsese nous balance «Savoy Truffle». Les syllabes multicolores éclatent dans le purple haze - Cool cherry cream and a nice apple tart - tu entres dans le jardin magique de ton adolescence - Coconut fudge really blows down those blues - et tu tartines le But you’ll have to have them all pulled out/ After the Savoy truffle jusqu’à l’évanouissement. «Savoy Truffle» est un trip phonétique à part entière. Alors voilà Lennon qui entre dans ton champ de vision en costard blanc, Yoko qui évoque «Number Nine», l’une des clés du paradis, et voilà que Ringo quitte le groupe pendant les sessions du White Album  et qui revient - Reviens Ringo ! - Et puis on attend la plus importante, on sait que les notes vont surgir comme des fées au coin des images de Scorsese - See the love there that’s sleeping/ While my guitar/ Gently weeps - voilà donc l’un de tes morceaux préférés parmi tous les morceaux préférés du White Album - I look at the floor/ And I see it needs sweeping - tu chantais tout cela avec le roi George et ta peau frissonnait, car tout n’était ici que luxe, calme et volupté. «Why My Guitar Gently Weeps», c’était Baudelaire au XXe siècle. Mais à la différence de Baudelaire, George montait dans ses octaves, I don’t know why nobody told you et tu basculais dans un abîme de félicité.

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             Cet épisode magique prend fin lorsque Scorsese évoque la tension qui règne dans le groupe au moment de Let It Be, le roi George compose une merveille nommée «Something», puis «Here Comes The Sun» et ce little darling dansait au coin de ton esprit cette année-là, Little darlin’/ It’s been a long cold lonely winter, et puis voilà, les canards titrent Paul quits, c’est le fin du British Empire. Et George devient le roi d’Angleterre.

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             Il passe directement aux affaires royales : All Things Must Pass et Friar Park, son palais baroque. À disque royal, producteur royal : Totor débarque en costard noir et chemise rouge, il parle d’une voix de tenancière de lupanar et porte une perruque blonde, mais fuck c’est lui qui transforme «My Sweet Lord» en hit intemporel. L’œil brillant, Totor dit que le roi George a des centaines de chansons. C’est un roi, quoi de plus normal ? Ils passent douze heures sur le Sweet Lord, Totor qui se croyait le pire des perfectionnistes et dépassé par le roi George qui est encore pire que lui. Totor : «My Sweet Lord, that’s the hit !». Les autres trouvent la chanson trop religieuse. Totor tient bon. That’s the hit ! Quand un journaliste dit au roi George que cette chanson est intemporelle, il répond : «Oh is it ?». Puis il explique : «First its simplicity, and repetition. A mantra». Voilà la clé : le mantra.

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             C’est toujours un plaisir inégalé que d’ouvrir la box d’All Things Must Pass et d’en sortir ses trésors. On a salué longuement le charme pas discret de cette bourgeoisie fataliste lors de l’hommage à Totor, mais comme nous revenons faire un tour dans la cour des rois, nous allons nous replonger dans ce triple album qui fut, t’en souvient-il, l’un des plus hauts sommets de l’an de grâce 1970, un an pourtant riche en sommets. Aussitôt le balda lancé, force est d’admettre que le style du roi George est unique : mellow yellow, spirited au sens du spirit, de ce qui s’envole. Et puis... Uhm my Lord, le roi George entonne son chant avec une gourmandise distinguée, comme s’il était le vrai roi d’Angleterre, il faut le voir étaler «My Sweet Lord» au really want to show you Lord, il est le roi du gospel blanc et son gospel rivalise d’éclat avec l’Oh Happy Day, car bien monté en neige par l’autre génie de service, le Totor, et ça grimpe très vite au my-y-y Lord, en une belle apothéose de pâté de foi, hallelujah, la rythmique est une merveille de fouillis de beat et le roi George y tartine son miel de gratte. Tout cela est bien sûr joué au maximum des possibilités. Même quand le roi George fout le paquet avec «Wah Wah», c’est beau, mais beau vois-tu comme un paysage de Turner, ou pire encore, une plongée contemplative de Caspar David Friedrich. Beau et vif comme l’un de ces aplats carmins que Paul Gauguin appliquait sur ses toiles aux Marquises. Le roi George retrouve la veine mélodique de la beatlemania pour «Isn’t It A Pity». Totor te violonne ça vite fait bien fait jusqu’à l’horizon et le roi George ramène son pot de miel, tout cela reste très spectaculaire, comme si les génies respectifs de ces deux hommes se fondaient dans un ciel immense d’Eugène Boudin. On retrouve la magie mélodique en B avec «If Not For You», le roi George n’en finit plus de créer son joli monde d’harmonie et de miel de gratte, ce cut te cueille, c’est toi le fruit mûr qui se pose délicatement dans la bouche d’un roi et tu fonds dans ton propre jus sucré. Le roi George gratte la gratte du Paradis. En C, tu vas tomber sur un «Apple Scuffs» très dylanesque, secoué de gros coups d’harp mélangés au miel de gratte. Quel régal ! Tu ne sais plus si tu es le mangeur ou le mangé tellement le roi George te bouleverse les sens. Avec «Ballad Of Frankie Crisp», il propose une belle pop attachante de let it roll. On sent poindre dans sa joie de vivre l’ombre d’une immense mélancolie. Il y a du Goya en lui. «Awaiting On You All» permet de goûter à nouveau au génie productiviste de Totor, il donne à cette pop royale une profondeur incommensurable, une ampleur sans précédent. Tu ne croiseras pas tous les jours de telles convergences de génies. Une conjonction Totor/Roi George ne se produit qu’une fois par siècle. Totor ramène des trompettes mariachi dans l’«Art Of Dying» qui assombrit la D et on revient à la pop de suspension avec «Isn’t It A Pity», un cut tentaculaire qui s’étend aussi loin que porte le regard, et cette fois l’analogie avec Alfred Sisley s’impose naturellement. Le roi George clôt cet album fataliste avec «Hear Me Lord», une nouvelle rasade de purée spirited d’une fantastique ampleur. Sa voix évoque une matière très ancienne, il est à la fois l’océan et la montagne, le sable et l’écume, le vertige et la paix, la pierre et le bois, et Totor lui donne tous les pouvoirs du Wizard.

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             Le roi George a commencé à mépriser le matérialisme. Clapton en profite pour lui barboter Pattie, comme Keef a barboté Anita à Brian Jones. Clapton dit au roi George qu’il est amoureux de sa femme. Alors le roi lui répond : «Prends-là, elle est à toi.» Il n’est même pas fâché avec ce sale mec. Il a d’autres chats à fouetter, comme par exemple le Bengladesh. Le roi George s’engage pour le Bengladesh, il organise un benefit et porte un costard blanc comme celui de Lennon. On voit la belle Claudia Lennear danser dans les chœurs.

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             Dans sa quête de perfection, le roi George peaufine un son qu’on qualifié d’emotional. Il ne vise que la note juste. Puis sa voix se dégrade. On dit qu’il prend beaucoup de drogues. Il épouse Olivia et comme il est très lié aux Monty Python, il hypothèque son palais pour financer le tournage de La Vie De Brian. Quatre millions de dollars. C’est à cette époque que Lennon se fait buter à New York. Le roi George est en colère, angry que John n’ait pas quitté son corps in a better way. Quand Olivia lui annonce qu’on l’attend pour une récompense officielle, il refuse de s’y rendre - Find another monkey - Puis on tombe sur l’épisode tant attendu des Traveling Wilburys : pour le roi George, l’idée est de monter the perfect band. Il rassemble Roy Orbison, Bob Dylan et Jeff Lyne. Roy et lui chantent cette huitième merveille du monde qu’est «Handle With Care» - Everybody’s got somebody to lean on/ Put your body next to mine/ And dream on - Pur jus de roi George, dommage que Tom Petty frime autant. Puis arrive l’épisode dramatique de l’agression, une nuit, vers 4 h du matin, un mec rentre dans le palais du George pour le tuer et le rate. Alors pour le roi Geoge, le message est clair : il annonce qu’il doit se préparer à quitter son corps - À part l’amour du père pour son fils, I don’t see no reason to be here. À quoi bon tout cela, toute cette célébrité ? Toute cette fortune ?

    Signé : Cazengler, George Hérisson

    George Harrison. All Things Must Pass. Box Apple 1970

    Martin Scorsese. George Harrison: Living in the Material World. DVD 2011

     

     

    L’avenir du rock –

    Le culot des zozos de Cluzo

     

             L’avenir du rock aurait très bien pu s’appeler ‘Tu ne crois pas si bien dire’, ou mieux encore ‘Tu l’as dit bouffi’. Quelle relation avec le rock ? Aucune, c’est tout l’intérêt. Il pourrait aussi s’appeler ‘Aide toi et l’évidence t’aidera’, ou encore ‘À bonne évidence salut’. Ou encore ‘Il faut battre l’évidence quand elle est chaude’. Lorsqu’il croise son reflet dans un miroir, l’avenir du rock ne voit qu’une évidence. C’est à la fois son drame et son privilège : sa nature conceptuelle, comme celle de l’amour physique, est sans issue, hormis l’évidence. L’avenir du rock peut regarder en haut, en bas, à droite, à gauche, il retombe toujours sur l’évidence de son évidence. Dans la vraie vie, on appellerait ça un destin tragique. Dans le cas de l’avenir du rock, on appelle ça un schéma conceptuel forcé. Tu ne le sais sans doute pas, mais un concept peut aussi en baver, enfin c’est une façon de parler. Comme Atlas, l’avenir du rock est conçu pour porter le poids des évidences sur son dos. Ça ne paraît pas comme ça, mais les évidences peuvent peser des tonnes. Plus les évidences sont évidentes, plus elles pèsent lourd. Si tu veux chambrer l’avenir du rock, tu peux l’appeler ‘L’Atlas du rock’. Il ne sera pas fâché. Quand il en a marre de porter ses tonnes d’évidences, il fait son Sisyphe et les fait rouler sur la pente abrupte de l’Ararat, un schéma conceptuel d’autant plus cruel que la cause est juste, puisque ce sont des évidences ! Alors pourquoi s’inflige-t-il une telle corvée ? Pourquoi les évidences ne sont-elles pas de gros ballons multicolores flottant dans l’azur marmoréen ? Pourquoi s’épuise-t-il à faire rouler ses tonnes d’évidences sur une pente d’une telle raideur ? Parce qu’il entend bien assumer jusqu’au bout les aléas de son schéma conceptuel. Ça fait partie du job. Lorsqu’il arrive au sommet de l’Ararat et que sa tonne d’évidences lui échappe et bascule de l’autre côté pour dévaler la pente, l’avenir du rock s’assoit, allume sa clope et se dit que finalement une bonne tonne d’évidences dans la gueule de tous ces négativistes agglutinés en bas, c’est la meilleure des choses qui puisse leur arriver. Ça leur fermera une bonne fois pour toutes leur boîte à camembert. Après tout, l’essentiel est dans Lactel.  

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             Commence par dépasser tes a prioris (groupe français, bif baf bof, rock bio élevé à la ferme, baf bif bof, culturalisme régional, bof baf bif, réputation boogie rural, bif bof baf, white striping à la française, bif et baf et ratabof, en gros, tous les maux de la terre). Une fois que tu t’es débarrassé de toutes ces conneries et que tu te sens un peu moins élitiste, c’est-à-dire un tout petit moins con (mais pas trop), ça va mieux. Au pire, tu vas t’ennuyer pendant une heure. Alors, une heure, qu’est-ce donc comparé à l’univers ? Rien. Donc tout va bien dans ta pauvre tête de con.

             Tu retrouves ta chère barrière et les habitués du premier rang, toujours les mêmes. Tu regardes la première partie sans la voir, car tu penses à autre chose, une idée de conte. Il faut faire gaffe quand tu as des idées, elles peuvent t’échapper, il faut les matérialiser rapidement, mais sans ton ordi, c’est compliqué, alors il faut les amarrer dans ta tête, c’est-à-dire les construire, et tu mets en route le jeu des formulations, le premier jet est toujours fluide, tu sais que tu vas en perdre une grosse partie, alors tu reformules plusieurs fois tes phrases pour bien les mémoriser, ça demande un temps fou, ah il faudrait un bout de papier pour noter ça, mais pas de bout de papier, alors tu reprends tout au début, pour sauver ce qui reste de cette formulation d’intro si limpide, car c’est d’elle dont dépend toute la suite, oui car c’est dans les deux premières phrases que tu plantes le décor, que tu crées l’énergie du texte, tu y reviens, tu remanies et soudain les lumières s’allument et on te parle. C’est la fin de la première partie et tu as perdu le fil de ta formulation. Ah comme la vie peut parfois se montrer cruelle.

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             Et voilà qu’arrivent sur la grande scène les zozos de Cluzo. Le petit gros à la gratte s’appelle Malcolm et le maigre au beurre s’appelle Phil. Le petit gros annonce très vite qu’ils vont jouer les cuts de leur nouvel album, Horizon. Et hop, c’est parti ! Le gros gratte une bête à cornes, c’est-à-dire une Gibson SG bordeaux. Il est coiffé comme l’as de pique, autrement dit comme d’Artagnan, mais un d’Artagnan qui serait revu et corrigé par Abel Gance, très XIXe, avec la barbichette belzébutienne de Félix Fénéon, et dans ses tout petits yeux en trous d’aubépine, danse l’éclat vif d’une certaine malice. Non seulement il a du son, mais il aussi de la gueule, et il va vite basculer dans la démesure, et là mon gars, ça devient passionnant car tu as sous les yeux un artiste génial, une sorte de Pantagruel à la Leslie West, un personnage fabuleusement vivant et supra-doué, un petit gros comme on les aime avec des petites mains boudinées comme celles de Frank Black qui génèrent sur la gratte de fières giclées d’apocalypse, d’hallucinants ras-de-marée soniques, des vagues monstrueuses qu’il double d’arraches de glottes atrocement phénoménales, il se dresse dans sa tempête comme une sorte de Poséidon ivre de colère sourde, le cheveu en bataille et la bouche en entonnoir, il screame sa route à travers la jungle, il embrase les imaginaires agglutinés à ses pieds, il aspire le monde et recrache la vie, il illustre parfaitement le mythe des anciens dieux dressés dans les tourmentes, les cheveux dans les yeux, il développe tellement de puissance qu’il en devient surréaliste, mais on est bien embêté, car il n’existe pas de barbichettes chez les Surréalistes, des moustaches tout au plus, alors on va rester sur Abel Gance, car l’esthétique gancienne de la démesure convient parfaitement à notre gros bateleur.

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    Il n’est pas seulement gargantuesque, il est aussi et surtout homérique, tout le passif de la Méditerranée remonte en lui, comme sorti du sol et jaillissant à travers sa bouche grande ouverte, il screame du scream par paquets, il voue tout aux gémonies, il undergutte l’ultra-gut, ce bulldozer à deux pattes déblaye tout sur son passage, il te charrie le ramshakle, il te charrie avant les bœufs, non seulement il exhale des panaches de pur power incendiaire, mais il parvient au prix d’efforts surhumains à les rendre beaux, c’est-à-dire mélodiques. Sa sauvagerie le béatifie. On n’avait pas vu un tel diable depuis un bon moment, c’est-à-dire depuis Frank Black, lors de son dernier passage avec les Pixies. Eh oui, Malcolm Cluzo appartient exactement à la même caste, celle des gros géants géniaux.

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             Bon, d’accord. Son, physique, ça tient superbement la route. À deux, ils font plus de ramdam qu’un groupe à deux guitares. Au beurre, Phil Clouzo fait plaisir à voir. C’est même un bonheur pour l’intellect du spectateur. Il est partout dans le son, avec une exubérance qui rivaliserait presque avec celle de son collègue. Son beurre est une merveille de vivacité cinétique, un perpétuel ramshakle d’excelsior, c’est toujours un bonheur que de voir un vrai batteur à l’œuvre, il tient bon la rampe, il bat la campagne des chœurs, il sait que le gros s’appuie sur lui, alors il en rajoute, mais au bon sens du terme. Ah tu ne battras jamais ces deux mecs-là à la course. Tu as presque envie de dire aux White Stripes d’amener leur calepin et de prendre des notes. Mais aussi à plein d’autres groupes. Tu pourrais presque leur dire : «Notez bien et regardez comment on joue le rock, c’est pas compliqué : petit un, il faut un son, petit deux, une voix, petit trois, du bon beurre et petit quatre, des bonnes compos. C’est bien noté ?». Les zozos de Clouzo ont tout ça, et en plus, une certaine forme de génie, qu’on pourrait qualifier d’agraire, pour rigoler et faire écho aux petits discours de militant bio dont le gros abreuve la salle de temps en temps, une salle urbaine qui bien sûr ne se sent pas concernée par la problématique, mais bon, c’est pas grave, le gros est infiniment crédible, dès qu’il gratte sa gratte, il redevient un héros du rock, c’est -à-dire un hérock, a hero just for one day. On l’adore d’autant plus qu’il lance à un moment : «Tout le monde dit que le rock est mort ! Eh ben non. On prouve le contraire tous les soirs !» Et wham bam, il envoie rouler «Running A Family Farm Is More Rock Than Playing Rock N Roll Music», c’est le boogie rock le plus hot qu’on ait entendu depuis l’âge d’or de Nashville Pussy. Les deux zozos de Cluzo se transforment chaque fois en machine infernale. Il n’y a pas un seul passage à vide dans leur set. Ils maintiennent en permanence un très haut niveau d’intensité et de qualité. Le gros chante en anglais, mais diable comme il est bon. Il sonne comme une superstar, il tape dans l’immédiateté du rock, il hérite de toute cette culture du power et du riff, et il joue de sa voix comme d’un instrument. Il est constamment en équilibre entre ces deux pôles que sont Frank Black et Leslie West, mais avec un truc à lui en plus. C’est l’apanage des géants du rock.

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             Rien qu’avec les cuts d’Horizon, on est gavé comme des oies. Grosse ambiance dans la salle. Phil Clouzo va même faire un petit coup de stage-diving, histoire de rivaliser d’ardeur communicative avec les deux guitaristes d’Idles. On n’arrête plus de se dire : «Aw fuck comme ils sont bons !». Côté reprises, deux bonnes surprises : l’«Hey-Hey My My Rock’n’Roll Will Never Die» de Neil Young, un peu bateau, mais surtout l’extraordinaire «I Almost Cut My Hair» en hommage à Croz que le gros attaque à l’hendrixienne et qu’il sur-gueule dans la tempête des Cyclades, sa version est complètement démontée du bastingage, il hurle à l’accent fracassé, il est dans la divination Crozbique, il va chercher l’extrême de la screaminisation à s’en décrocher la mâchoire, tu ne peux pas aller plus loin dans l’exercice de la fonction sépulcrale, il s’en dilate la rate, il va au-delà de tout, il s’empale au sommet du lard, il s’en-dracularise de fureur abyssale, c’est le plus bel hommage à Croz qui se puisse imaginer ici-bas, il invoque le fantôme de Croz avec tellement de niaque qu’il finit par le matérialiser sous la forme d’un ectoplasme, comme dans une épisode du Professor Bell de Joan Sfar.

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             Et puis ils vont finir ce set mirobolant en mode destroy oh-boy : Phil Cluzo fout sa batterie en l’air, et ils t’explosent le concept de fin de sert à la cavalcade infernale. Tu as là tout le punk des Damned, de Kurt Cobain et de Keith Moon, un vrai concentré de tomate, cette vieille tradition du fuck shit up de fin de set, pareil, tu as presque envie de dire aux apprentis sorciers : «Amenez vos calepins les gars et prenez des notes !». Les zozos de Clouzo ont tout bon. Vivent les culs terreux !

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             Sur Horizon, les zozos de Clouzo ont encore plus de son, comme si c’était possible. Tu y retrouves les fameuses oies dont parlait le gros («Saving The Geese»), les oies qu’il a réussi à sauver quand les escadrons de la mort sanitaire abattaient tous les animaux de la région à cause de la grippe aviaire. Il amène ses oies au big riffing bien gras. C’est violent, d’une grande beauté et battu heavy, il chante son saving the geese à l’accent screamy demented, puis il part en solo d’explosion nucléaire, alors ça sonne comme un hit inter-galactique, il n’y a pas d’autre mot, et lorsque Phil Clouzo double au beurre, ça prend les proportions d’un Pandémonium. Tâte les oies pour voir, ça te donnera une idée de leur power. Il fait aussi du heavy boogie down de route 66 avec «Rockophobia», il opte tout de suite pour l’énormité, il y plonge le premier et tout le cut le suit, rock is dead long live rock, il n’en finit plus de clamer l’évidence de l’avenir du rock, rock ain’t dead, et pour ça, il va chercher un chat perché surnaturel. Il enchaîne ce blast avec «The Armchair Activist», fantastique shoot de punk’s not dead, le gros te rocke ta médina, fucking genius, c’est tellement plein de son que ça t’en bouche le coin, I’m an armchair activist ! Le gros a tous les pouvoirs, il va chercher du gros guttural de traffic jam pour «9 Billion Solutions», il passe encore en force, il porte le poids du monde comme l’avenir du rock porte le poids des évidences. Oh et puis il faut aussi écouter l’«Act Local Think Local» d’ouverture de balda. Il fait son Leslie West, il opte une fois de plus pour le passage en force, mais avec l’incroyable douceur de petits doigts boudinés, ça donne un extraordinaire cocktail de rentre-dedans et d’excellence de la persistance, le tout parfaitement tatapoumé par Phil Clouzo. Tu retrouves aussi sur l’album le fameux «Wolfs At The Door» embarqué au heavy Mountain side, le gros tape ça au gut des Landes et à la voix d’ange. Puis il passe à la bravado de type Nashville Pussy avec «Running A Family Farm Is More Rock Than Playing Rock N Roll Music». Il y va au scorch. C’est du blast à l’état pur, pas loin de ce que faisait Motörhead. Il s’en va ensuite te draper «The Outsider» de big atmospherix, c’est une vraie mine d’or, il a tout le power de Leslie West, il peut aller du grave de gut au pire chat perché. Il embarque son «Swallows» à coups de tasty crunchy little bugs et chauffe son morceau titre aux feux de la Saint-Jean, puis il l’empoisonne à la disto. Il est au-delà de tout.

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             Leur premier album sans titre est encore plus passionnant. Il pourrait même s’agir de l’un des albums du siècle, tellement c’est bien foutu. Ça démarre sur le morceau titre, «The Inspector Cluzo», un blast inexpugnable, ils plongent tout de suite dans les abysses du doom. Le gros envoie son chat perché et claque un riff à la revoyure. Les zozos de Cluzo te plongent littéralement la gueule dans leur soupe aux choux. Il faut les avoir vus sur scène pour comprendre la réalité de leur power. L’autre coup de génie s’appelle «Do You Make It Right», cut quasiment hendrixien, époque Band Of Gypsys. Le gros a déjà toutes les ressources. Il enchaîne avec «Turlulututututu», il te fait danser, il ramène dans son groove un fondu dément à la Lennon, that’s the meaning of love. «Do You Make It Right» est une œuvre d’art. Il donne corps à une autre idée avec «Two Days». Chaque fois, ça suit. Modernité à tous les étages en montant chez Malcolm. Il fait du genius de modernity à l’état le plus pur, il réussit un mélange sidérant d’heavy Al Green avec du riff garage. Fantastique pulsateur ! «Change #1» est très heavy, en plein trip d’à deux-on-y-va. Ce mec Malcolm est un monstre. Il te fait grimper dans les sphères supérieures du tonnerre. Tout dans cet album est bourré de power à l’état pur, tout se passe dans les petits doigts boudinés et dans le gras de la glotte, le gros n’en finit plus d’être aux aguets, on le voit même rapper le groove de Cluzo dans «Mad». Puis il passe au hard funk avec «Fuck The Bass Player» ! C’est un peu comme s’il avait joué dans les Famous Flames. Même énergie ! Il s’en va faire sa folle au sommet d’«US Food», c’est le big heavy funk system de Malcolm le héros. Ses descentes d’accords te donnent le tournis. Laisse tomber les White Stipes, écoute plutôt ces deux mecs-là. L’album est complètement jouissif. Le gros n’arrête jamais, il te remet le couvert avec «Yuppie Way Of Life Blues», il y joue un heavy groove de funk tendancieux, une vraie merveille de prévarication, ah il faut le voir plonger dans sa bouillasse et remonter à la surface !

             La suite au prochain numéro.

    Signé : Cazengler, sacré zozo

    Inspector Cluzo. Le 106. Rouen (76). 23 mars 2023

    Inspector Cluzo. The Inspector Cluzo. Ter A Terre 2008

    Inspector Cluzo. Horizon. Fuck The Bass Player 2022

     

     

     

    Inside the goldmine –

    Barrett de choc, pas de shit

     

             Dans sa vie, Barric n’a pas eu de chance. Pourtant fraîchement émoulu d’une grande école de commerce, bien buriné par un stage au sein d’un régiment de Spahis algériens, il entra dans la vie active par la petite porte, et, comme beaucoup d’autres, en sortit par la grande, après avoir frisé l’overdose de promotions. Il n’eut donc à son actif qu’une sorte de réussite sociale, rien de très appétissant. Le genre de truc dont on ne peut même pas se vanter au soir de sa vie. Un soir donc bien lugubre. La question est toujours la même : peut-on échapper à son destin ? Nous sommes tous bien placés pour savoir que ce n’est guère possible. Et donc, notre pauvre Barric se retrouva au soir de sa vie bien embarrassé, avec pour seule richesse une sorte de réussite sociale qui ressemblait à s’y méprendre à une vie ratée. Fasciné par le spectacle de sa déconvenue, il entreprit de vivre jusqu’à 100 ans pour pouvoir en examiner dans le détail tous les aspects. L’examen d’une vie ratée demande énormément de temps. Il se trouvait en outre dans les conditions idéales pour procéder à cette introspection qu’il voulait exhaustive : sa troisième épouse avait réussi à se débarrasser de lui en le «plaçant» dans un EPHAD, avec à la clé une bonne camisole chimique, histoire de le calmer s’il lui prenait la fantaisie de vouloir se trancher les veines, comme il menaçait régulièrement de le faire. Il passa les trois dernières années de sa vie assis sur le bord de son lit, prostré dans le silence. Il recevait de très rares visites, car il s’ingéniait à décourager les proches qui faisaient encore l’effort de s’intéresser à lui. En approchant de l’âge fatidique des 100 ans, il perdit sa mobilité et son élocution. Il bafouillait des mots incompréhensibles en bavant comme une limace. Il redevenait une sorte de gros bébé, c’était d’autant plus évident qu’il portait des couches. Son état physiologique empira très vite, il se mit à ressembler à un fœtus, sa peau devint un peu mauve, et un matin, alors qu’une aide-soignante lui changeait sa couche, il la renversa sur le lit, lui écarta les cuisses et s’enfourna dans son vagin. On le déclara «disparu sans laisser de traces». 

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             À la différence du pauvre Barric, Barrett a connu une existence beaucoup plus intéressante, puisqu’il appartenait au noyau de base de Motown, comme auteur-compositeur maison. Il bossait essentiellement avec Norman Whitfield. Ces deux poules aux œufs d’or, cot cot, pondaient les hits des Temptations, à commencer par «I Heard It Through The Grapevine», cot cot, mais aussi «Ball Of Confusion» et «Papa Was A Rollin’ Stone». Rien qu’avec ces trois bombasses atomiques, tu situes le niveau. C’est aussi Barrett Strong qui co-signe et qui interprète le fameux «Money (That’s What I Want)», connu comme le loup blanc et que tout le monde a repris.

             L’heure est donc venue de lui rendre hommage, étant donné qu’il vient de casser sa pipe en bois. En guise d’épitaphe, il conviendrait de graver dans le marbre de sa headstone : «Strong, c’est du solide !».

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             L’intérêt de sa discographie est qu’elle est maigre, donc on en fait (relativement) vite le tour. Maigre, mais de bonne qualité. Quand Berry Gordy déménage son bouclard à Los Angeles, Barrett reste à Detroit. Il signe sur Capitol et enregistre en 1975 l’excellent Stronghold. Il a l’air strong sur la pochette. Il attaque son balda au heavy r’n’b avec un «Do You Want My Love» bardé de son. Il a gardé les vieux réflexes Motown, avec des chœurs en place, un beurre solide et un bassmatic persistant. Les musiciens sont des inconnus, mais bons. Barrett finit son cut en groovytude parfaite. Et voilà qu’avec «Surrender», il fait son Marvin. Il est en plein dans «What’s Going On». C’en est troublant. Il a exactement les mêmes accents et la même orchestration. Il referme son balda avec le fantastique groove d’«Is It Time», une vraie merveille d’is it time. On l’aura compris, Stronghold est un album de groove. Il s’en va donc groover «I Wanna Do The Thang» sous le boisseau, en vieil habitué du snakepit et fait de «There’s Something About You» un r’n’b hardiment ramassé, ficelé comme un gigot, bien rond, bien dodu, bien Strong. Il passe au dancing r’n’b avec «Mary Mary You», sa voix éclot comme un chou-fleur dans la clameur d’Elseneur.

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             Barrett enregistre l’année suivante Live & Love. En voyant la pochette, on est un peu inquiet, car Barrett a des allures de diskö boy, mais il nous rassure aussitôt avec «Man Up In The Sky», un heavy groove de classe incontestable. Barrett est barré. Mais c’est avec sa version de «Money (That’s What I Want)» en ouverture de bal de B qu’il rafle la mise. Il fait du heavy Motown, mais tapé au maximum overdrive de Malaco, les filles derrière sont géniales, Dorothy Moore est dans les chœurs. Le fou à la gratte est le gratteur maison de Malaco, le fameux Dino Zimmerman. Il wahte son ass off. L’autre coup de génie de l’album se trouve aussi en B et s’appelle «Gonna Make It Right». Cut d’une rare puissance, Barrett jette tout son Strong dans la Soul, yeah oh yeah !, il remonte le courant à la force de ses écailles. Barrett Strong est un puissant remonteur de courant. Il sait aussi enchanter un balladif, comme le montre «Be My Girl». Encore un joli coup avec le morceau titre en fin de balda, too much confusion, il y va comme au temps des Tempts. Il y va carrément au raw de niaque d’arrache. Il finit avec une superbe cover de «Knock On Wood», il s’en tire avec les honneurs de Malaco, ah comme il est bon, il colle bien au palais. Logique, vu qu’il a un bon timbre. Solide Strong !

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             Avec Love Is You, il va plus sur la dancing Soul. Il conserve ses vieux réflexes, donc tout va bien. C’est quasi-Motown, aspergé de petites giclées de chœurs. On entend Dennis Coffey gratter son funk dans un «You Turn Me On» un brin diskoïde. Et puis voilà la merveille sauveuse d’album : le morceau titre. Et là, oui, mille fois oui, voilà un dancing groove gratté aux petites grattes funk. Fantastique allure, ça sent bon le Coffey chaud. En ce temps-là, on savait gratter ses poux. On entend même le riff de «Papa Was A Rolling Stone».

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             Bon, si tu veux entendre Barrett au temps de Motown, il existe une brave petite compile, The Complete Motown Collection. Alors attention, c’est pas terrible. Il vaut mieux se souvenir du Barrett compositeur de hits séculaires et oublier le Barrett interprète, d’autant que ça démarre sur «Money (That’s What I Want)», une belle tarte à la crème. Pour le reste, Barrett fait du early Motown qui, comme chacun sait, peine à jouir. Il peut parfois coller au palais avec un groove insidieux («You Know What To Do»), mais pas de hit à l’horizon, Capitaine Flint ! Il fait du gros groove de bas-étage avec «Whirlwind» - You know it hit me/ Like a whirlwind/ When your lips/ When your lips came close to mine - Il vire parfois calypso, parfois comedy act un brin cha cha cha, pourtant il est bon, mais il ne transcende pas l’inconscient collectif. À l’aube de Motown, le pauvre Barrett n’offre rien de probant. Avec «Misery», il est vite sur le pont du heavy groove, comme un bon matelot. Il sait carguer la grand-voile et affaler des vergues, pas de problème, il fait même du rock’n’roll avec «Let’s Rock». N’importe quoi ! Ses cuts n’ont pas d’avenir, sa heavy Soul n’accroche pas («Action Speaks Louder Than Words»). Il faut attendre «Who’s Taking My Place» pour sentir un frétillement du côté des naseaux. Et là, oui, il ramène du pur mama know, il devient le temps d’un cut le roi du groove. Mais juste le temps d’un cut. «Who’s Taking My Place» est même une merveille apocalyptique bien méritée, au bout de 15 cuts. Tout aussi dégourdi, voici «Suger Daddy», big Barrett is back in town avec un vrai jerk. Et le dernier joyau de l’époque Motown s’appelle «(I Don’t Need You) You Need Me», monté sur le modèle de Money. C’est du black rock. Ouh ! In the face ! Fantastique punch up de need me !

    Signé : Cazengler, bien barré

    Barrett Strong. Disparu le 28 janvier 2023

    Barrett Strong. Stronghold. Capitol Records 1975

    Barrett Strong. Live & Love. Capitol Records 1976

    Barrett Strong. Love Is You. Coup Records 1980

    Barrett Strong. The Complete Motown Collection. Tamla Motown 2004

     

    *

    Marie Desjardins n’est pas une inconnue pour les lecteurs de nos Chroniques de Pourpre, nous avons déjà chroniqué entre autres, le roman Ambassador Hôtel qui conte la vie imaginaire d’un chanteur de rock et la biographie du jazzman Vic Vogel Histoire de jazz et aussi repris certaines de ses chroniques consacrées à de grandes figures du rock… Voici que les Editions du Mont Royal (éMR), rééditent Ellesmere, roman paru en 2014 que nous n’avions pas hésité à qualifier de chef-d’œuvre dans notre Livraison 447 du 16 / 01 / 2020.

     ELLESMERE

    LA FAUTE

    MARIE DESJARDINS

     ( éMR / 2023 )

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    Un petit côté manga quand vous le prenez en main. Pas de panique, non ce n’est pas une version BD à la japonaise, simplement les éditions du Mont Royal offrent le texte en sa langue originale, le français, et en sa traduction anglaise réalisée par Julie de Belle. Les raisons de cette double entrée ne sont point mystérieuses, Marie Desjardins réside au Canada, et Pierre-André Trudeau éditeur a jugé qu’il était important de ne pas priver le lectorat anglophone canadien d’un texte de cette importance.

    Pour un lecteur français le titre Ellesmere s’avère énigmatique. Ellesmere est une île, aussi grande que le Sénégal, sise tout près du Groenland. Le Danemark qui régente l’ancienne terre verte des vikings a de toujours lorgné sur Ellesmere, le Canada n’a eu de cesse à s’opposer à ces intentions territoriales. En 1953, le gouvernement canadien propose à des familles inuites québécoises de s’installer sur cette île qui leur est présentée comme un territoire de chasse extrêmement giboyeux. Le raisonnement politique des autorités d’Ottawa est facile à comprendre : puisque des inuits de nationalité canadienne habitent sur cette terre il est logique que ce territoire appartienne au Canada…

    Tout est pour le mieux dans le meilleurs des mondes. A ce détail près, que les inuits débarqués sur l’île se retrouvent sous un climat arctique en des conditions déplorables par des températures extrêmes atteignant jusqu’à - 40°, sous des tentes plantées sur un sol de glace… Les souffrances endurées par ces exilés rejoints deux années plus tard par une nouvelle fournée d’immigrants sont atroces… En 1993 le gouvernement canadien se sent obligé de verser dix millions de dollars aux survivants, et de présenter ses excuses en 2008…  Cette nouvelle édition bénéficie d’un sous-titre : La faute, The offense en sa traduction anglaise…

            Nous voici donc partis pour une odyssée humaine, un livre de dénonciation, une charge politique sans concession, une généreuse défense d’un peuple opprimé. Non pas du tout.  Attention pas de méprise, Marie Desjardins ne prend pas fait et cause pour les monstrueux agissements de son pays, surtout pas, elle rappelle et condamne sans rémission les épouvantables traitements subis par ces populations inuites mais là n’est pas le sujet de son roman. L’on ne peut même pas dire que la tragédie d’Ellesmere est la toile de fond de son intrique. Là n’est pas son propos, il est tout autre, ce qu’elle nous montre c’est que la noirceur des âmes humaines est aussi dure et impitoyable que la blancheur gelée du sol d’Ellesmere.

             Le livre débute loin d’Ellesmere dans le cocon d’une maison familiale, le père, la mère et les trois enfants. Des blancs, pas des inuits. Le père est vétérinaire. La mère, parfaite épouse dévouée au tempérament d’artiste a bridé celui-ci pour s’occuper de son mari et de la fratrie. Le père ne se soucie que de Jess son fils aîné. Les deux autres ne sont que quantité négligeable. Dans son esprit Jess devra prendre la suite, il l’élève à la dure, l’emmène avec à toute heure du jour et de la nuit pour soigner vaches et chevaux malades ou décidés à mettre bas… Jess apprend la vie. Il serre les dents, ne se plaint pas. A ce régime il deviendra un enfant différent de tous les autres. Il sait ce qu’il veut. Adolescent il est déjà adulte, il a décidé de ne compter que sur lui-même. Il est un jeune gars, les filles lui courent après, il est un chef naturel, un meneur d’hommes, il ne connaît pas la peur, il ne s’interdit aucun excès, dans sa tête une chose est claire, de toute son existence il ne fera que ce qu’il désirera. A seize ans il partira de la maison.

             Une forte personnalité. Qui n’est pas sans effet sur le reste de la famille. Sa mère l’adore. Son petit frère le regarde vivre, il comprend tout, il intellectualise, il tire les leçons, il voit tout, il ne dit rien, c’est lui qui raconte l’histoire. Un narrateur qui ne croit pas en grand-chose. Ses jugements sur l’humanité sont sans appel. S’il n’est pas dupe des autres, il ne l’est pas non plus de lui-même. Un beau garçon, il attire les filles et les femmes se pâment, non seulement il est beau mais il a encore un atout supplémentaire sur tous les membres de la famille et sur la majorité de tous ses contemporains, il est doué, extrêmement doué. Il a hérité du tempérament artiste de sa mère, de son don pour le dessin et la peinture. Trois coups de crayon suffisent à étaler sa virtuosité. Ne s’en fait pour son avenir, il est tout tracé. Pas besoin de se fatiguer. La vie s’annonce si facile qu’il se rapproche de son oncle écrivain renommé, de son oncle ministre…

             Enfin la sœur, la petite dernière. Un ange empli de naïveté. Avant que vienne l’heure du sommeil Jess se rend dans la chambre des petits, Jess se glisse dans son lit et lui lit des histoires. Le petit frère observe, il écoute, il ne dit rien, il comprend tout, il est déjà revenu de tout. La sœurette adore son grand frère, lorsqu’il quitte la maison elle réfugie dans sa solitude et dans son occupation favorite, le dessin et la peinture, sous l’œil du puiné qui se moque d’elle. Secrète, enfouie en elle-même elle continue ses mièvres études de fleurettes.

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             Nous sommes à plusieurs milliers de kilomètres d’Ellesmere, mais puisque nous n’allons pas à Ellesmere elle arrive à nous. Elle ne se déplace pas comme la montagne du proverbe. Elle se présente à nous sous forme d’un tableau, d’un triptyque. Les enfants ont grandi, Jess vit sa vie, très sex and drugs, la petite sœur continue à peindre dans l’anonymat le plus complet, et notre narrateur dégote enfin une idée de génie. Il a entendu parler du scandale des inuits parqués sur l’île d’Ellesmere, ce sera le sujet de son tableau monumental. Du jour au lendemain, il devient célèbre, l’artiste vivant que l’on compare aux plus grands des siècles précédents. Il est riche à millions, il profite et abuse de la vie, de sa célébrité, des femmes, il boit, baise, fume, habite à la perfection son personnage de génie supérieur de l’humanité. Ce qu’il ne dit pas : sa petite sœur lui a apporté une aide décisive dans la mise en œuvre de son tableau, un jugement sûr, elle voit ce qu’il ne sait pas voir, les défauts de sa réalisation, il se moque d’elle, mais il obéit et corrige…

             Nous avons ici tous les éléments du drame. Chaque homme dans sa nuit s’en va vers sa lumière, dixit Victor Hugo. Un triptyque, trois enfants, trois destins. A part que Marie Desjardins inverse et mélange les problématiques. Elle joue avec le blanc et le noir. L’on a l’impression qu’ici chacun dans sa lumière intérieure s’enfonce dans son ombre. Il n’y a pas de bons et de méchants. Il n’y a que des faibles et des forts. Et parfois les plus faibles se révèleront les plus forts. Est-ce vraiment ce qui importe ? Tout ne finit-il pas par s’égaliser. Tous victimes et tous bourreaux si l’on envisage les choses à l’aune de soi-même. Tout dépend du jugement que le lecteur leur accordera. Que chacun construise, s’il le désire, le chemin de sa rédemption. La seule nécessité est de toujours garder les yeux ouverts, sur les gouffres que l’on côtoie et surtout sur soi-même.

             Marie Desjardins ne pose aucun jugement moral. Elle expose. Elle explose toutes les catégories sociales. Où et quand se situe la faute. Y en a-t-il une seule ? Pourquoi n’y en aurait-il pas plusieurs. A moins que la seule faute soit celle de vivre dans la réalité de sa propre vie. Cynisme et innocence ne sont-ils pas l’avers et le revers de la même mouvance que l’on nomme la vie. En sa nudité, en sa cruauté, en son masochisme, en son sadisme, en sa crudité, en son authenticité.  Ne sommes-nous pas vis-à-vis de nos semblables, de ceux qui nous sont les plus chers, de nos frères et de nos sœurs tantôt humains tantôt inhumains, comme les icebergs d’Ellesmere qui se détachent de la stabilité des banquises, qui dansent dans les courants violents, et s’entrechoquent les uns les autres, dans une espèce de fureur sacrée qui n’a d’autre but que de détruire les autres et de se détruire soi-même. 

             En cent-vingt pages, Marie Desjardins bouscule toutes les convenances, toutes les représentations sur lesquelles repose l’hypocrisie humaine, tant au niveau sociétal qu’individuel. On ne ressort pas indemne d’un tel livre. Le mieux serait de l’oublier, de ne pas s’appesantir sur son implacable déroulement, d’essayer de penser à autre chose, mais il agit tel un maelström, il vous force à vous pencher sur l’abîme du monde et lorsque la spirale vous happe et vous aspire, vous n’avez plus qu’une peur et qu’un espoir, celui de vous connaître enfin tel qu’en vous-même aucune éternité ne vous changera.

             Un chef d’œuvre.

             Merci à Marie Desjardins de nous ouvrir les yeux.

    Damie Chad.

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 25

    AVRIL - MAI – JUIN ( 2023 )

     

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    Un soleil de printemps pour accueillir la vingt-cinquième livraison de Rockabilly Generation News, avec cette fois non pas un mais deux pionniers. Sympa mais pas de quoi pavoiser, Johnny Powers est parti pour l’autre monde, on espère pour lui qu’il est meilleur que le nôtre, le 16 janvier de cette année, précédé de quelques jours par Charlie Gracie qui a plié bagage le 17 décembre 2022. Soyons cyniques, respectivement nés en 1938 et 1936, ils n’ont pas trop à se plaindre, d’autant plus qu’ils ont eu une vie bien remplie, des hauts et des bas bien entendus, mais qui n’en a pas connu, et ce privilège extraordinaire d’avoir fait partie des fondateurs de la plus belle musique du monde. La nôtre, celle des fans de rockabilly.

    J’exagère à peine, il existe d’autres musiques aussi belles et puissantes que le rockabilly, n’empêche qu’au lieu de présenter comme à mon habitude article par article le contenu du magazine, je vais le lire en diagonale, picorant de-ci de-là quelques phrases qui mises bout à bout veulent dire davantage qu’elles ne le paraîtraient lues séparément. Je commence par moi, le mot nôtre sur la dernière ligne du paragraphe précédent. Nôtre n’est pas un mot neutre. Je le retrouve sous d’autres formes par exemple dans l’interview de Lorenzo Chiara, chanteur et guitariste des Rotten Rockers, l’a cinquante-huit berges, quand il parle des fans il les définit comme ‘’ la famille’’, c’est chouette, ça illustre bien le rapport que son groupe ( comme beaucoup d’autres ) entretient avec les fans, mais une famille même élargie c’est tout de même un milieu assez étroit, si en plus on met cette expression en relation avec cette constatation : Un Teddy Boy en 1923 c’est un passionné qui maintient vivant un milieu qui est en danger. Sergio Katz qui mène l’interview remarque pour sa part ‘’ Crazy Cavan décédé, le mouvement Teddy Boy est vieillissant’’. Ce ne sont plus les pionniers qui désertent notre planète, mais la deuxième génération qui commence à prendre du plomb dans l’aile… Lorenzo est optimiste, il rencontre plein de jeunes formations, surtout en France, qui assurent la relève…

    Moi aussi, voici quelques semaines, dans ma série Rockabilly Rules, j’ai failli présenter Haylen, me suis ravisé au dernier moment ne la trouvant ni assez rock, ni assez rockabilly, et plouf ! RGN lui consacre sept pages ! Quelles magnifiques photos ! Merci Sergio ! Un drôle de pédigré tout de même pour une rockabilly girl, elle a participé à The Voice, à cette occasion  sa voix puissante  a fait le choix difficile du rhythm ‘n’ Blues, elle a intégré  un opéra rock, Le Rouge et le Noir, ce n’est pas que je n’aime pas l’opéra, ce n’est pas que je n’aime pas Stendhal mais l’on est plus près d’une comédie musicale à la française que de Quadrophenia des Who… n’empêche qu’elle se débrouille bien dans son interview, un personnage attachant, parle de sa passion pour les années cinquante, de ses origines iraniennes, l’a l’air de mordre la vie à pleines dents, je viens de regarder une vidéo sur un concert du 23 mars 2023, rhythm ‘n’ Blues oui, rockabilly non. J’attends de voir.

    Troisième ( ? ) génération. Déjà morte. La fille d’Elvis. Pas folle la guêpe, n’a pas cherché à faire du rock ‘n’ roll. S’est lancée dans la pop. Pas si mal que cela. Quand je compare avec Haylen, elle me paraît plus authentique.

    Retour aux origines des origines. Pas le blues cette fois, le country. Avec Charline Arthur, née en 1929, je n’apprécie guère sa voix mais elle a dans les années cinquante révolutionné le country par ses attitudes, une outlaw d’avant l’heure, mais féministe, ce qui change tout. L’article de J. Bollinger est passionnant. On y retrouve un personnage bien connu des fans de rock’n’roll, le fameux Colonel, Parker de son faux nom, l’avait les dents longues, et des idées qui rayaient le plancher, dès avant Presley il avait tout prévu et savait ce qu’il voulait faire.

    Ce numéro est passionnant.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,00 de frais de port soit 10 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 40 Euros (Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! Surtout que les numéros 1, 2, et 3 ne seront plus réédités, il en reste une vingtaine d’exemplaires, qu’on se le dise ! Avis aux amateurs !

      

    *

    Dans notre livraison 545 du 10 / 03 / 2022 nous présentions trois vidéos, Hidden, Outlier, Sapiens, du groupe Aschen dans lequel nous retrouvions Clem Richard, son groupe Fallen Eigh dissout, nous les avions suivis tout le temps de leur ( trop courte ) existence, les mois s’accumulaient et malgré la promesse de Clem de reformer un groupe le temps avait passé, le Covid a joué les prolongations, et quelle surprise de retrouver Clem dans une nouvelle formation, Ashen, preuve que la braise rougeoie toujours sous les cendres.

    ASHEN

    Ashen n’a pas encore sorti de disques. Leur démarche est différente. A ce jour ils ont produit quatre vidéos, les trois que nous avons déjà présentées et une toute dernière, façon de parler puisqu’elle est déjà parue depuis neuf mois. Ils ne sont pas pressés, ils ont opté pour le label Out Of Line / Music, basé à Berlin, tout de suite l’on pense l’on ne sait pourquoi à Low de David Bowie, ces dernières années ce label s’est intéressé à ces nouvelles musiques issues du rock et du metal. Du son certes mais aussi un certain parti-pris esthétique. S’il est un mot caméléon qui ne veut plus rien dire, c’est bien celui d’esthétisme, car il peut être employé pour définir tout genre de style. Disons qu’il s’agit de la recherche d’une beauté qui entretiendrait des relations suivies avec l’Ange du Bizarre, cher à Edgar Poe.

    NOWHERE

    (Dirigée par Ashen, filmée par Aurélien Mariat)

    ( YT / Bandcamp) 

    Clem Richard : vocal : / Antoine Zimer : guitars / Niels Tozer : guitar, additional vocals / Thibaud Poully ; bass / Tristan Broggeat : drums.

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    Mise en scène d’une idée. Noire. Le clip fonctionne à la manière de ces puzzles dont il suffit d’assembler les pièces pour parvenir au résultat final. Je n’évoque en rien une jolie biche dans un sous-bois, pensez simplement à tous ces fragments de votre vécu qui une fois accomplis représenteront votre existence, n’oubliez pas que lorsque le dernier aura trouvé sa place, à l’instant où il sera intégré au reste de votre composition, votre vie sera achevée, car toutes les bonnes choses ont une fin. A cette nuance près qu’ici il n’y a que de mauvaises choses. N’avez même pas besoin de comprendre les lyrics ou de lire les mots qui s’écrivent en grosses lettres pour signifier les étapes du chemin, il suffit d’entendre et de voir Clem chanter. Les quatre musicos derrière lui, tout de noir vêtus, guitares noires et logo noir tatoué sur la grosse caisse, ambiance définitivement sombre. Bien sûr il y a du soleil, ces teintes jaunes et mordorées en toile de fond, pensez au titre du roman Le soleil des morts de Camille Mauclair, et vous comprendrez.  Clem est magnifique, une marionnette enragée transcendée par le désespoir, son vocal aspire la musique mortuaire de ses congénères, une splendeur riffique sans égale, vous n’entendez que lui, il vous conte comment le soleil qui se couche au fond de l’eau n’aspire qu’à la mort, et qu’il ne remontera plus jamais de l’abîme terminal. Vous avez des petites scénettes mélodramatiques, dont une assez surréaliste, vous êtes à la croisée symbolique des chemins de Paul Valéry et Jim Morrison,  avec un peu de chance vous en avez déjà interprété deux ou trois dans votre vie, à votre corps défendant, à votre grand regret, mais Ashen ose ce qu’il ne faut pas faire, le clip séditieux, si vous n’êtes pas trop idiot, vous avez repéré cet insigne métallique, avec sa croix christique inversé, mais ce qu’ils inversent c’est le sacrifice de l’ordre du temple solaire, l’on ne meurt pas pour trouver un monde meilleur mais pour ne plus supporter notre monde actuel. Nihilisme in nihilo. L’ensemble est un pur chef d’œuvre.

             Reste maintenant à regarder Ashen en live. Plusieurs enregistrements amateurs sont à disposition, parfois les prises de vue ne sont pas au top, la voix de Clem et les musicos s’en sortent bien. Mais si l’on compare avec les vidéos chiadées de Out Of Line, l’on se dit que le groupe se défend bien, toutefois la distance avec le produit fini est trop grande, ce n’est pas que le groupe n’est pas capable, ce sont les moyens qui manquent. Le groupe est là, mais le show est absent. Sans doute faudrait-il un véritable metteur en scène et des moyens financiers adéquats. Ils ont le son mais ils n’ont pas l’image. Ce n’est pas de leur faute. Les structures du metal français n’ont malheureusement pas la capacité d’offrir à un groupe comme Ashen, non pas une simple scène pro, mais une machinerie capable de restituer live de véritables créations dignes d’un opéra. D’où l’importance de soutenir un groupe d’un tel niveau.

    Damie Chad.

     

    *

    Encore un groupe que l’on suit. Depuis leur début. Ce clip ils l’ont gardé au chaud durant un an et demi, c’est un morceau issu de leur Ep sorti au joli mois de mai 2022.

    JEALOUSY

    CÖRRUPT

    ( Clip / Hardcore Worlwide ( Official 4K version HCWW ) / YT  )

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    C’est court. Moins de deux minutes. Oui mais ça vous arrive comme un coup de batte baseball sur le coin de la figure. Idéal pour chasser les idées noires. La preuve c’est qu’au début vous ne voyez que du vert. Des verres aussi, enfin des cannettes et un pack de bières éventré, mais nous étudierons cela après. Pas de panique, aucun besoin de prendre des notes. Bref un beau vert, entre gazon artificiel de terrain de football et tapis de billard. Posons le décor, un semi canapé cuir de vache limousine directement importé de Chine, un reste d’agapes liquides jonchent le plancher, une télévision fracassée. Toute ressemblance avec les rues de Paris durant la grève des éboueurs ne serait pas malvenue, toutefois question précision historique le clip a été tourné avant. C’est tout. Moins de 100 secondes, chronomètre en main. Un haiku hardcore. (traduction française un : Aïe ! coup encore ).

    Nicolas Pignoux n’est pas un pignouf, c’est lui qui sous le nom de NPX Production a eu la charge de réaliser la vidéo. S’est amusé comme un petit fou. Les quatre joyeux drilles de Cörrupt aussi. Ne leur a pas demandé de jouer. Juste de faire semblant. Pas tous ensemble. Pour procéder l’a dû se constituer une collection d’images animées. Des espèces de figurines Panini, joyeuses ou grotesques in action. Ensuite les a montées à la manière d’un prestidigitateur. Hop, t’étais là, t’as disparu. C’est réglé comme un ballet d’opéra. Ne manque que les petits rats parmi les détritus. Une chorégraphie totalement loufoque qui débloque. Un film muet, mais avec une bande son. Les acteurs ne prennent pas leur rôle au sérieux.  S’il fallait trouver un titre ce serait lendemain d’orgie sans nu descendant l’escalier. Pas de panique, il n’y a pas d’escalier. Ne tombez pas des nues. Une soirée de mecs qui a mal tourné, une répète épileptique, une scène de jalousie peu orthodoxe. A moins que ce ne soit un groupe de rock emporté comme fétus de paille par le souffle du morceau qu’ils viennent d’enregistrer.

    Un malin NPX, lorsque le morceau est terminé et que l’on n’entend plus rien, nous refile quelques secondes de rabe, avec Cörrupt qui nettoie le studio à toute blinde. Des garçons bien élevés. Ils lisent même la bible.

    Damie Chad.

     

    *

    Mister Doom 666 signale sur YT la sortie du nouvel EP de Jhufus, combo madrilène qui depuis 2019 a sorti l’équivalent de six EP, le titre de ce septième nous interpelle, n’avions-nous pas chroniqué dans notre précédente livraison 594 du 30 / 03 / 2023 Myesis de Telesterion premier volet consacré aux Mystères d’Eleusis ? Nous voici donc de retour à Eleusis avant l’heure présumée… 

    BACK TO ELEUSIS

    JHUFUS

    ( Pistes Numériques sur Bandcamp / Mars 2023 )

    Une couve monumentale représentant le propylée donnant accès à la grande salle de réunion télestérique du complexe architectural du sanctuaire d’Eleusis. Il est étrange de remarquer qu’alors que les couves des précédents EP ne se laissent pas facilement décrypter au premier regard, pour ces cérémonies hélas trop mal connues d’Eleusis Jhufus n’hésite pas à nous en mettre plein la vue avec cette entrée cyclopéenne des plus imposantes.  

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    Kykeon recipe : le kykeon est ce breuvage encore non formellement identifié offert aux adeptes lors de l’initiation, était-il fabriqué à base d’orge, d’eau, de lait, de vin, les avis divergent, longtemps il prévalait l’idée que la céréale utilisée était le seigle. Ce qui change tout, l’ergot de seigle est un champignon parasitaire de cette céréale dont les effets sont similaires à ceux du LSD… L’on en déduisait donc que les fidèles étaient ainsi soumis à des visions qui devaient être le moment le plus important de l’initiation… dans les années 70 une autre thèse a prévalu, le kykeon aurait été une boisson inoffensive, les visions étant simplement des hallucinations auto-hypnotiques générées par l’esprit surexcité des fidèles, explication peu convaincante, de nos jours il semble convenu les mystères étaient d’ordre purement symbolique, ce qui se discute : un gargouillis de liquide qui coule dans votre gorge, s’y mêle une basse fuyante scandée de quelques émoluments de tapotements battériels, les guitares se joignent à la course, a-t-on atteint le palier terminal assez décevant, longtemps l’on croit que l’on restera coincé sur ce diapason, surviennent des clinquances sur lesquelles embrayent des halètements distordus de basse, des bourdonnements d’avions s’éloignent dans une autre direction, le trip commence-t-il lorsque les riffs se dispersent en guirlandes fleuries… Back to Eleusis : résonnances de basse hautement feutrées, la batterie imite la démarche des impétrants, le drumming laisse la place à une zizanie zigzagante de guitare, les sons deviennent plus fort comme s’ils traduisaient des éclatements psychiques, ouvertures perceptionnelles, décollement subit, un clavier joue aux grandes orgues, fréquences vibraphoniques en apnée, l’on atteint à un niveau d’être un peu spécial, tous nos sens semblent communiquer entre eux. The mysteries experience : un son venu d’ailleurs, résonnances d’étranges musicalités, pulsation battériale le son se déploie, nos oreilles sont devenues des antennes spéciales, largement déployées pour accueillir l’étrange nouveauté de ces glissements acoustiques, brutalement la musique nous assomme, des ondes radios permettent encore de nous repérer dans un espace coloré qui adopte de multiples formes, de faux tortillements vocaux imitent les chants indiens rapidement balayés par une nouvelle arrivée sonore bousculante, des vents d’espaces violents nous emportent et nous emmènent encore plus haut, nouveau palier de compression auditive, nous ne savons plus où nous sommes, des roulements de batterie nous tourbillonnent comme des feuilles mortes, nous déposent l’on ne sait où. Enlightement : stase finale, les rythmes s’apaisent, redescendrions-nous, ou serions-nous parvenus au faite de notre expérience, couleurs pastels, de doux et féériques tintamarres nous enveloppent de leur soie auditive, le son des guitares s’allongent à l’infini, si vous ne voyez pas Dieu c’est que vous êtes devenus une parcelle du divin, supporterez-vous la cascade fanfarique qui se déverse sur vous, il est des orgies sonores qui essaient de reproduire l’extase de votre mort, peut-être est-ce cela que l’on appelle l’immortalité cette longue fulgurance se déclinant en berceuse définitive.

    Pas du tout désagréable mais l’on est plus près d’un trip hippie à consonnance orientalisante que de l’outrance des Dieux de la Grèce antique. Humain, trop humain.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

     

    EPISODE 22 ( Allusif  ) :

    120

    Les derniers conseils du professeur Laffont avaient été clairs :

    _ Evitez les grosses émotions, pas de sport, pas d’exaltation, je vous conseille une soirée calme, pas d’excitation, écoutez de la musique classique, par exemple en buvant une tisane, couchez-vous de bonne heure, dans la nuit votre cerveau vous donnera accès aux souvenirs les plus secrets stockés dans le subconscient de M. Lechef.

    J’ai suivi les prescriptions à la lettre, j’ai tout de même remplacé la tisane par quelques verres de moonshine, je me suis demandé si je n’allais pas écouter le premier disque de Black Sabbath, j’ai résisté à la tentation en optant pour les Gymnopédies d’Eric Satie, bref à minuit je dormais comme un loir, Molossa étirée de tout son long contre mon flanc gauche et Molossito roulé en boule dans le creux de mon aisselle. Avec de tels gardiens à mes côtés, j’étais prêt à me risquer à forcer les portes nervaliennes de corne et d’ivoire des rêves du Chef.

    121

    Bien sûr un agent du SSR ne dort jamais vraiment, il sait qu’à tous moments un danger peut survenir, les ennemis du rock ‘n’ roll sont nombreux sur cette planète, prêts à se débarrasser de ces farouches gardiens de la nation-rock qui jour et nuit montent la garde dans le seul but de préserver de toute attaque ce trésor culturel qu’est le rock ‘n’ roll. Ainsi au plus profond de mon sommeil, je ne perds jamais totalement conscience puisque lorsque je dors quelque part en moi quelque chose me dit que je dors. De même lorsque je rêve je sais que je rêve…

    122

    J’ai tout de suite eu l’intuition souterraine que l’opération transmutative de nos subconscients n’avait pas marché. J’ai immédiatement reconnu le rêve dans lequel j’étais entré, il me visite souvent, il faut dire qu’il est particulièrement hilarant. Un restaurant huppé fréquenté par l’élite parisienne m’ayant refusé l’entrée à cause de mes deux chiens j’étais revenu une quinzaine de jours plus tard avec Le Chef. La salle fumeur était comble, au milieu du repas le Chef avait allumé un Farso y Atrapo, une nauséabonde odeur de boule puante s’était répandue à la vitesse d’une bombe atomique, alors que nous croulions de rire autour de nous c’était Hiroshima, les serveurs vomissaient dans les assiettes, les enfants suffoquaient, les mères poussaient des cris stridents, courageusement les maris se battaient pour s’échapper en premier de ce cloaque odoriférant… une belle partie de rigolade, que nous nous remémorions souvent le Chef et moi-même lors des heures creuses au local, tiens une variante, le patron s’avance vers nous, en guise d’excuses et de dédommagements il nous emmène visiter sa cave à cigares, c’est moins marrant, nous parcourons des kilomètres et des kilomètres de rayonnages, le patron a disparu, tous les deux mètres le Chef s’arrête, allume un cigare  et commence à commenter d’abondance ‘’ Voyez-vous Agent Chad ce Tornado 47 ne saurait en rien rivaliser avec la saveur d’un Coronado 29…’’ c’est alors que je comprends que Le Chef partage avec moi un même rêve et que je suis bien rentré dans son subconscient…

    123

    Je crois que désormais je pourrais écrire une thèse de quinze cents pages sur les voluptés coronadiennes, je le confesse je me suis légèrement ennuyé à parcourir les rêves du Chef… au terme de quatre ou cinq heures l’ambiance a changé, je me suis retrouvé à marcher, je dis ‘’je’’, mais ce n’est pas moi, c’est le Chef, j’ai du mal à savoir où je suis, je suis incapable de définir le type d’endroit dans lequel je me trouve, ce n’est que petit à petit que je réalise que mon chemin est bordé d’arbres, de plus en plus resserrés, ce doit être une forêt, je n’arrive pas à m’en persuader, cette forêt me semble factice, pourtant je la parcours, l’herbe est rase, l’air est vif, des suites interminables de bouleaux et des sapins, maintenant uniquement de sombres conifères à perte de vue, pourtant je n’y crois guère, c’est immense mais j’ai l’impression d’un décor de théâtre, une expression s’affiche dans mon esprit, je suis dans une forêt de papier, ma remarque est idiote, ce n’est que peu à peu en faisant la relation bois / papier que l’évidence s’impose à moi, je ne suis pas dans une forêt mais dans un livre, dans la description d’une forêt, celui qui marche c’est moi, en fait je me suis projeté dans la tête du Chef, c’est lui le lecteur et l’homme qui marche c’est bien moi, à chaque mot lu par le Chef une de mes jambes exécute un pas, dans son souvenir le Chef lit un livre et moi je suis comme un personnage off qui n’existe pas dans le souvenir, c’est un peu comme quand un instituteur lit une histoire à ses élèves, l’élève qui écoute dans ma tête vit l’histoire, il l’imagine,  se la représente, il la suit selon une démarche personnelle, dans un univers parallèle. Brusquement je me réveille, Molossa et Molossito à mes côtés hurlent à la mort. J’ai du mal à les calmer. J’ai saisi mon Rafalos sous l’oreiller. Suis-je bête, si j’étais en danger ils n’auraient pas fait de bruit Molossa m’aurait averti en posant son museau sur mon jarret, les chiens me mettent en garde, c’est dans mon rêve que le péril me guette, comment le savent-ils, je n’en sais rien, ils le sentent, je peux leur faire confiance, d’ailleurs comme s’ils voulaient que je replonge dans mon rêve Molossito se pelotonne tout contre mon cœur et Molossa se colle contre ma tête, tous deux au plus près de ces parties de mon corps qui courent de grands risques, frôlerais-je l’accident cardiaque, vais-je devenir fou, tels les spartiates de Léonidas au défilé des Thermopyles un agent du SSR ne recule jamais, je respire profondément et je ferme les yeux.

    124

    Je me retrouve dans la forêt toujours en train de marcher, toutefois ma perception a changé j’ai la pleine conscience d’être dans un livre, pour une raison objective sur ma droite j’entrevois une bordure blanche, je comprends que c’est le blanc latéral droit qui borde la page, je peux donc continuer à marcher dans la forêt mais aussi me mouvoir sur la page même, je décide  de remonter vers le haut dans l’espoir que le titre de l’ouvrage et pourquoi pas le nom de l’écrivain apparaissent comme en frontispice au-dessus du texte, un usage topographique somme toute courant. Il m’est beaucoup plus difficile de réaliser cette opération, je dois couper ligne par ligne en me faufilant dans les intervalles qui séparent les mots ou en me glissant entre les interstices plus ou moins étroits entre les lettres. Je procède difficilement, le rêve vire au cauchemar, quand je passe sous la barre d’un t elle se transforme en une monstrueuse branche de sapin sur laquelle mon front s’en vient cogner, les jambes des p des j, des y, des q se muent en racines qui s’enroulent autour de mes pieds, les c se transforment en gueule ouvertes qui essaient de me dévorer, les o roulent vers moi comme de monstrueuses barriques qui cherchent à m’écraser, les m se changent en pythons interminables, les nœuds coulant des e  m’enserrent le cou, des X majuscules me barrent le chemin, les i me jettent des coups de point, je ne me décourage pas, je persiste, je me cramponne, je repousse, j’opère détours sur détours, je progresse slowly but surely comme le chante Ray Charles, ça y est j’y suis, je suis tout en haut, les lettres se détachent devant moi, je ne sais pourquoi, je pense au Hollywood sign ces grosses lettres géantes blanches sur les flancs escarpés de la colline Lee à los Angeles qui désignent la ville mythique du cinéma. Attention les images vacillent, je comprends que mon rêve s’estompe, qu’il ne me reste que quelques secondes, je tente un saut désespéré, je vole comme un aigle à la vitesse du vent, me voici sur l’autre page, tout en haut je lève la tête et je déchiffre la deuxième inscription, chance ce n’est pas la même que celle que je viens mémoriser, ce coup-ci c’est le nom de l’auteur, je l’ai, je me réveille, le réveil affiche huit heures du matin.

    125

    Neuf heures du matin, j’ai roulé comme un fou furieux, essoufflé je pénètre en coup de vent dans le local, le Chef est assis au bureau, il allume un cigare :

              _ Agent Chad pour une fois je vous félicite pour votre exactitude !

              _ Chef, je ramène aussi deux indices, nous tenons enfin une piste sérieuse !

              _ Agent Chad, pas de précipitation, procédons avec ordre et méthode, commencez s’il vous plaît par le commencement !

    Le chef est tout ouïe. Sans cesse il me coupe et exige des détails, il rallume un Coronado, lorsque j’ai fini de raconter la scène du restaurant, l’épisode de visite de la cave à cigares le ravit :

            _ Ai-je vraiment dit qu’un Tornado 47 ne vaut pas un Coronado 29 ? Je devais être dans un bon jour, un Tornado 47 arrive péniblement à se hisser à la hauteur, que dis-je au niveau de cette morne plaine de Waterloo, si bien chantée par Victor Hugo, de ces cigarillos de bas étage confectionnés avec des débris de havanes récupérés dans les centres de tri des ordures cubains et que l’on vend aux fumeurs de pacotilles.

    Pendant trois heures et demie j’ai droit à une étude exhaustive sur les mérites respectifs des différences marques de cigares à notre disposition dans les bureaux de tabac de par notre vaste monde… Mais le Chef ne se laisse point emporter par sa passion :

             _ Enfin Agent Chad, venons-en au fait, arrêtez de pérorer sur les Coronados, vous n’y connaissez rien, quels sont donc ces deux fameux indices ?

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 594: KR'TNT 594 : DAVID CROSBY / ALEJANDRO ESCOVEDO / J. J. BARNES / THE HARLEM GOSPEL TRAVELERS / HUEY PIANO SMITH / TWO RUNNER / TELESTERION / MELVINS / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 594

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    30 / 03 / 2023

     

    DAVID CROSBY / ALEJANDRO ESCOVEDO

    J.J. BARNES / THE HARLEM GOSPEL TRAVELERS

    HUEY PIANO SMITH / TWO RUNNER

    TELESTERION / MELVINS / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 594

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Crosbibi Fricotin - Part Three

     

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             Pour être tout à fait franc, l’ultime album de Croz, Live At The Capitol Theatre, n’était pas arrivé au moment de la mise en ligne du Part Two. Comme l’album est bon, décision fut prise en comité restreint d’en faire un Part Three, histoire de refermer proprement le chapitre Croz.

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             À la fois audio et DVD, l’album nous permet de voir et d’entendre David Crosby & The Lighthouse Band lors du dernier concert de leur tournée américaine, en 2018. Live At The Capitol Theatre n’est paru qu’après le dernier album studio de Croz, l’excellent For Free, dont on a dit ici tout le bien qu’il fallait en penser.

             C’est une bonne chose que de voir ce vieil homme sur scène, coiffé d’un bonnet en laine rouge et brioche en avant toute. Croz démontre à sa façon qu’on peut se pointer sur scène à presque 80 balais, c’est-à-dire vieux et moche, tout en conservant une certaine allure, qu’on qualifiera pour simplifier d’allure de vieux cowboy psychédélique. Le plus troublant est le niveau artistique de sa prestation. Croz est incapable de vendre son cul, il est resté pur toute sa vie et ce n’est pas au seuil de ses 80 ans qu’il va se mettre à putasser. On constate en plus qu’il entretient avec son public un lien privilégié. Croz est un grand communiquant, il raconte des souvenirs et des anecdotes entre chaque cut, comme il l’a toujours fait, ce qu’on lui reprochait d’ailleurs à l’époque des Byrds. Trop de blah blah, pas assez de musique. Mais bon, il s’agit de David Crosby after all, il peut tout se permettre, et les gens l’écoutent.

             Soit tu commences par l’audio, soit par le DVD. La solution de facilité serait de commencer par le DVD. Mais si tu commences par l’audio, tu vas pouvoir savourer le grand art de cet homme qui a fait du grand art toute sa vie. Il n’en finit plus de te ramener aux réalités de son prestige. Il colle le groove de «Things We Do For Love» au plafond. Tu es conquis d’avance. Quand tu découvres «Things We Do For Love» sur le DVD, tu vois qu’on donne une acou à Croz. Alors, il gratte des arpèges en picking sans jamais regarder son manche, il gratte sa gratte comme le fantastique cowboy psychédélique qu’il a toujours été. La grande différence entre l’audio et le DVD, c’est que les transitions orales sont coupées sur l’audio, par contre, elles sont intactes sur le DVD : c’est le surdoué du Lightouse Band, Michael League, qui explique qu’en 1974, Croz est entré en studio pour gratter quelques accords et puis il est reparti sans s’occuper des bandes. Pouf, terminé. League explique qu’il a retrouvé cet enregistrement sur l’ordi de Croz. You should finish it ! dit League à Croz, and a song was born : «1974». Ça jazze dans le groove. Croz introduit ensuite «Vagrants Of Venice», a weird song. Il parle même d’une science-fiction song, et il ajoute : «‘Wooden Ships’ is a science-fiction song.» Dommage qu’il ne tape pas son vieux «Wooden Ships». C’est la surdouée de servie, Becca Stevens, qui l’accompagne à la gratte électrique. Les chœurs des deux filles sont très nubiles. La nubilité, on la sent mieux sur l’audio. Plus loin, Croz indique qu’il a écrit «Laughing» spécialement pour George. Il explique qu’en tournée en Angleterre avec les Byrds, il a rencontré les Beatles et a filé à George l’album de Ravi Shankar qu’il trimballait dans sa valise. Croz prend son «Laughing» au filet de voix argentée. C’est bon de voir cette vieille superstar au sommet du lard jusqu’à la fin. Il cite Ravi Shankar, Miles and Trane. Bon, tu bâilles un peu sur certaines chansons («By The Light Of Common Day», Glory», «The City»), et puis il remonte dans ton estime avec «Look In Their Eyes», il fond le groove dans sa science délicate, on croit comprendre à un moment que tout le groove psychédélique californien sort de cette bedaine, ça joue au fin du fin. Il décide de passer aux choses sérieuses : «I promised a song you’ve heard before. «Wolly Bully» ? «In A Gadda Da Vida» ? «Freebird» ?». Alors ils sort son vieux «Guinnevere». Pas le meilleur choix. Il faut attendre le retour de «Déjà Vu» pour renouer enfin avec les magies d’antan, il y va au don’t you, il faut le voir driver son train d’arpèges, le cut se met à léviter, we have all been here before, et grâce au DVD, tu peux voir Michael League jouer un solo de basse demented. En rappel, Croz et ses amis tapent une belle resucée de «Woodstock», histoire de bien boucler la boucle et de refermer le chapitre de cette vielle histoire. Le frisson woodstockien laisse place à un profond malaise : ta vie est bientôt finie. This is the end, beautiful friend. 

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             Tant qu’on y est, on peut aussi saluer les deux albums de CPR, que Croz a enregistrés avec son fils biologique James Raymond. C’est important de préciser la dimension biologique, car Croz a donné son sperme à droite et à gauche, et donc, il a des fils biologiques. En réalité, quand James est né, sa mère l’a fait adopter. Le premier album de CPR s’appelle CPR. Fantastique album ! Tiens, pour changer, on va commencer par les coups de génie. Tu en as deux et ils sont gros : «Somebody Else’s Town» et «Rusty & Blue». Croz tape un vieux heavy groove de rockalama - Blood is thicker than water - Il a raison. Il monte sur de fantastiques harmonies vocales, il explose l’Everybody else’s town et t’embarque dans son trip préféré, le heavy groove psychédélique, Croz sait de quoi il parle, il est aussi rock’n’roll animal que son vieux copain Stills, il nous fait du power californian rock à l’état le plus pur, c’est magnifique et puissant à la fois, tu ne te lasses pas de l’entendre pousser ses pointes d’Everyboy else’s town, il culmine à l’écarlate, tell the truth I found out ! Pur genius ! Il groove encore son «Rusty & Blue» au long du bat-flanc, il cueille toujours le groove à la queue de cerise, il est fin comme une idée, il transforme sa voix en fil d’argent, en fait, il groove pour toi, alors régale-toi. Croz est un mec gentil et affable. Dans «Morrison», il recrée la magie de harmonies vocales de CS&N, c’est un retour aux sources d’eaux vives, une fantastique imparabilité du come-back. Jeff Pewar signe le solo liquide. Sur cet album béni des dieux, Croz enfile les grooves comme des perles. «That House» se fond dans l’excellence du roof outside, il a fait ça toute sa vie, se fondre dans le groove du roof outside de l’anymore. Il mène bien la sarabande d’«One For Every Moment», un groove joyeux de Père Noël aux joues bien rondes. Puis il s’en va chanter «At The Edge» au sommet de son chat perché harmonique, une vraie chocolaterie de Charlie, ça coule encore de source, and you know you should go. Et partout on retrouve ce sens inné de la dérive dans le delta du Mékong. Croz fond son groove dans l’athanor d’Eleonor, il ne fait que des albums d’inspiration divine. Tu sors de CPR ravi et couvert de frissons.

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             Il existe un deuxième CPR, Just Like Gravity qui, d’une certaine façon, tient bien la route, puisque Croz y chante ses cuts, notamment «Map To Buried Treasure», où on retrouve l’excellence de sa pulsation d’heavy pusher. Il vise en permanence ce nuage d’harmonies vocales qui frise l’orgasme, une espèce de bruine de son dans le soleil levant, l’éjaculation des dieux, la renaissance de la terre. Il pousse bien à la roue. Encore du big heavy groove avec «Gone Forever». Au cœur de la tempête, il fait preuve d’une belle constance. C’est un long cut, il a l’habitude des dérives au long cours, il sait gérer le gone forever. Il est encore à la manœuvre dans «Jerusalem», il se montre une fois de plus serviable et veille à ce que sa démarche reste miraculeuse. Il sonne comme un héros. Et ça continue avec «Kings Get Broken», il chante d’une voix toujours aussi verte, il rentre dans le lard de n’importe quel cut et en fait son ivraie. Il navigue toujours sous le vent. Il est là et il n’est plus là. C’est un furibard, un fou de liberté. Il vise la concorde supérieure. Il cultive le groove d’exaltation, il faut le voir éclater son «Darkness», avec sa petite voix de perfide apology, il n’en finit plus d’être Croz. On l’entend encore faire vibrer sa glotte de vieux pépère ventripotent dans «Angel Dream». Les harmonies vocales sont sublimes. Il groove encore l’air chaud du canyon dans «Coyote King», Croz s’envole comme l’aigle royal de Blueberry. Il plane dans les derniers recours du groove, comme suspendu à un fil.

             Mojo et Uncut se sont fendus de deux très beaux hommages à Croz, sans pourtant aller jusqu’à lui consacrer la couve. Dommage, Croz aurait tout de même bien mérité de finir en couve. Mojo et Uncut lui ont préféré Led Zep et Depeche Mode. Fuck it.

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             Bon, Mojo opte pour la réécoute : ‘The Croz’s 20 greatest songs’, et bien sûr, on croise aussitôt les quatre cuts phares de Croz au temps des Byrds, à commencer par «I See You» (a flesh of Coltrane-inspired guitar riffing). Le mec dit de Croz qu’il était déjà «adventurous, deliberately risk-taking and open.» Le mec conclut : «So very good, even now.» Eh oui. S’ensuit «Everybody’s Been Burned», sur Younger Than Yesterday, «mesmerising, as much jazz as folk», puis «Lady Friend», et «Draft Morning» qualifié par Johnny Rogan d’«among the finest songs in the Byrds cannon». Puis on passe aux hits majeurs, «Wooden Ships» (composé à bord du Mayan «with a couple of passing chords»), et «Long Time Gone». Arrive ensuite l’extraordinaire «Cowboy Movie», Croz y est accompagné par le Grateful Dead. Puis CPR, et enfin For Free, son dernier album - Croz had an effortless ability to float along and complement whoever he was signing with - Sarah Jarosz qui duette avec Croz sur «For Free» ajoute : «Il vous attirait à lui, comme un phare musical.» S’ensuit une interview datant de 2018. Croz papote avec Dave DiMartino. Il y évoque ses souvenirs d’égotisme, comme dirait Stendhal, au temps des Byrds, il évoque les frictions avec McGuinn et Hillman qui ont fini par le virer comme un chien - I was a very egostical kid - Pareil dans CSN&Y : au début c’est tout joli tout beau et puis ça dégénère. Comment éviter ça ? Lose your ego. Il dit que ça arrive à tous les groupes. Croz pense qu’il a irrité les autres en devenant junkie. Mais il rappelle aussi que Neil Young a quitté Stills en pleine tournée, à trois reprises. C’est pas terrible - That’s pretty grim. You don’t do that - Quand DiMartino évoque les arrestations et les séjours au ballon, Croz rigole - I made every mistake possible, all of it - Il est allé jusqu’au bout du délire - Freebaser and junkie. It was bad as it gets - Il dit qu’il n’existe que quatre options dans ces cas-là : soit tu meurs, soit tu vas au placard, soit tu deviens fou, soit tu décroches. Il dit qu’il a eu de la chance en allant au placard. Jail was positive. Alors DiMartino lui demande s’il en a bavé, au placard. Et tu sais ce que Croz lui répond ? «It’s not a vacation spot, man. They mean it be hard. And they’re assholes. And it was Texas.»

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             Uncut confond Croz avec un jambon et découpe sa vie en quatre grosses tranches. Ça démarre avec ‘1964-67, lift-off’, c’est-à-dire les Byrds. Croz revient sur son éviction des Byrds : «Roger and Chris blasted up my driveway in a pair of Porsches and said, ‘We’ll do better without you.’»  C’est au moment de la parution de The Notorious Byrd Brothers. Les quatre chansons de Croz restent sur l’album, mais sur la pochette, sa tête est remplacée par celle d’un cheval. Croz pense qu’il a été viré à cause de son comportement - I might have been an asshole - Il dit aussi que Roger était as crazy as a fruit bat et qu’en plus, Columbia venait de leur filer a million bucks, et pouf, le taking drugs et tout le saint-frusquin, rien de tel pour semer le bordel dans un groupe. Mais le plus important pour Croz était de conserver sa liberté - I didn’t want to be showbizzy Hollywood, I wanted to be free - Et puis il y a son engagement politique. Croz rappelle avoir tout appris de Pete Seeger, de Woody Guthrie, de Joan Baez, de Josh White et d’Odetta. S’il a si bien surmonté son éviction des Byrds, c’est surtout parce qu’il venait de rencontrer Stephen Stills, et là mon gars, c’est plus pareil - Stills was a better writer and a much better player and singer than Roger, and he wanted to sing with me - Évidemment, Croz rêve de se joindre à lui, il n’aime pas la direction que prennent les Byrds, plus country, non, Croz veut aller dans le sens de Stills. Deuxième tranche : ‘1968-71, canyon dreams’. La communauté s’établit à Laurel Canyon, Stills, Croz et Nash répètent dans la cuisine de Joni Mitchell. Ils avancent à contre-courant, l’époque est aux grosses guitares, Led Zep, Jimi Hendrix. Croz et ses amis basent tout sur les harmonies vocales, avec des chansons très politiques. Croz se dit aussi très fier d’If I Could Only Remember My Name - Totally proud of it  - Croz dit aussi que Joni Mitchell, dont il a produit le premier album, était une poétesse aussi brillante que Dylan et bien meilleure musicienne que lui. Et puis voilà les deux dernières tranches, ‘1974-2013, living with war’ et ‘2014-2023, home free’, où l’on apprend rien de plus que ce qu’on sait déjà. Croz rappelle qu’ils gagnaient des millions de dollars et qu’ils tournaient dans tous les stades d’Amérique - Of course the drugs got in the way. That’s what they do - Dans la tranche finale, Croz explique un truc essentiel : le travail en collaboration. Il cite l’exemple de «Wooden Ships», co-écrit avec Stills et Paul Kantner - You can write really good songs with other people - Il dit ensuite que la plupart de ses compatriotes «in this business want all the credit and all of the money, and so they don’t do that. I didn’t come for the money and I don’t care about the credit, but I really care about the songs.» Voilà pourquoi Croz est un immense artiste. Jusqu’à la fin, il a su s’entourer de bons auteurs.

    Signé : Cazengler, David Grosbide

    David Crosby & The Lighthouse Band. Live At The Capitol Theatre. BMG 2022

    CPR. CPR. Samson Music 1998     

    CPR. Just Like Gravity. Gold Circle Records 2001

    Graeme Thomson : Music is Love. Uncut # 311 - April 2023

    Final Flyte. Mojo # 353 - April 2023

     

     

    Escovedo va bien ?

     

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             Alejandro Escovedo ? Tout dépend du regard qu’on porte sur lui : on peut le voir comme une légende, ou bien comme un forçat condamné aux ténèbres de l’underground. Il est d’une certaine façon un mélange des deux. Son frère Javier est peut-être plus connu, en tant que guitariste des Zeros. Côté bio, tous les détails sont sur wiki. L’essentiel est de savoir qu’Escovedo est un Chicano texan et qu’il a bossé avec Chuck Prophet et participé à un tribute à Doug Sahm, ce qui permet de le situer géographiquement. Pour apprendre à mieux le connaître, il suffit d’entrer dans sa discographie. Une sorte de petit paradis pour becs fins. 

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             Alejandro le Grand sort son premier album solo en 1992, ce qui à l’échelle de l’histoire de la planète est assez récent. Alors faut-il écouter Gravity ? Oui car notre chicano préféré y pique deux petites crises de Stonesy, comme s’il voulait marquer son territoire. Il joue «One More Time» au big blast d’accords compromettants. Il est le seul boss à bord, il chante comme le capitaine Achab, l’œil sur les flots, il se conduit dans son cut comme un maître de céans absolutiste. Il sort un rock capable d’aplatir les vagues de dix mètres, et c’est rien de le dire. Il relance à coups d’hey, il se veut puisant et irrémédiable. Il nous claque plus loin «Oxford» à la bonne Stonesy de derrière les fagots de Redlands, avec un joli down at the crossroads bien assumé. Alejandro le Grand sait créer les chaudes ambiances confraternelles, c’mon hold me tight. Il chante toujours très haut, comme on le constate à l’écoute de «Paradise», un peu aux abois d’on ne sait quoi. Il adore le tragique de pathos. «Paradise» est très beau, mais bon. Il semble vouloir se spécialiser dans le soft balladif de la frontière. Cette façon de gérer la mélancolie est très Tex-Mex. On aura un petit coup de cœur pour «Burry Me», joué au boogie de nappes de plomb. Des trompettes à la Miles Davis entrent  dans le jeu, ça donne une musicalité assez phosphorescente. Mais attention, il peut flirter avec le rock MTV comme c’est le cas avec «Pyramid Of Tears», même si les guitares croquent la vie à belles dents. Le morceau titre nous rappelle qu’il ne faut pas prendre ce mec à la légère. Il impose un son et une vraie dimension artistique. Il boucle avec un «Tired Skin» joué au violoncelle de fin de vie. Alejandro aurait pu s’appeler Merlin Ecovedo. 

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             Il nous repique deux crises de Stonesy sur Thirteen Years paru l’année suivante. Il claque violemment «Losing Your Touch», à la manière d’un coupe-jarret du Nevada. Quelle niaque ! C’est d’autant plus inattendu qu’il joue sa Stonesy dans les règles de l’art, il la drive avec un aplomb qui en dit long sur sa teneur en plomb. On a même droit au solo de «Jumping Jack Flash». Il nous tatapoume aussi «Mountain Of Mud», cette admirable déboulade d’Escovedorama, ce mec sait rocker sa Stonesy, il nous sort le meilleur riffing keefien qu’on ait vu de ce côté-ci de la frontière. On entre chez Alejandro Escovedo en terre de musicalité, comme chez Steve Wynn. Il sait aussi trousser les meilleurs balladifs. En témoigne l’excellent «Ballad Of The Sun & The Moon», un cut des True Believers, le groupe qu’il a monté avec son frère Javier. On trouve là-dedans tout le poids du ramalama de la frontière. Alejandro le Grand sait driver the crazy Mexicana. Il revient inexorablement à sa romantica d’excellence violonnée. Il rivalise d’aisance mélodique avec Allen Toussaint et Dan Penn. Il nous gratte plus loin «Way It Goes» à l’arpège d’ongle sec, au coin du feu. Il crée de la confiance et couvre les épaules des veuves et des orphelins. Il est une sorte de Josey Wales de la frontière. Il sait cumuler les fonctions et passer de la Stoney infernale au balladif efflanqué. On se régale aussi du «Thirteen Years Theme» joué au violoncelle. Très pertinent. On le retrouve d’ailleurs sur le disque de bonus sous la forme d’un thème instro joué au violon et qui élève Alejandro le Grand au rang de grand sachem. Encore une merveille avec «She Towers Above». Ce diable d’Alejandro surplombe le monde du rock avec une grâce qui n’appartient qu’à lui, ça violonne à l’excellence escovedienne, il va chercher le meilleur accord entre l’art et la matière. Alejandro Escovedo est une sorte de seigneur éclairé des temps modernes, ça crève les yeux. Il embarque «The End» à l’aventure sacrément dynamique. On peut lui faire confiance, il sait gérer un album. Il file droit sur l’horizon et ça bat si sec derrière lui. Dans le disk de bonus, on tombe sur deux reprises, l’«I Wish I Was Your Mother» de Mott et le «Pale Blue Eyes» du Velvet. On ne voit pas bien l’intérêt des deux covers, et le Pale Blue Eyes est d’autant plus foireux qu’une fille chante avec Alejandro, alors ça fausse la perspective de ce vieux chef-d’œuvre. 

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             C’est avec With These Hands qu’on fait la connaissance du beat d’Austin, notamment avec le morceau titre, qui sonne comme du 13th Floor Elevators : on entend l’electric jug derrière - Say what you will/ With these hands - C’est le plus bel hommage qu’on puisse rendre au génie de Roky Erickson. Avec «Little Bottles», Alejandro le Grand revisite les caves du heavy rock américain. Il tape là dans le big bad sound avec un riff patibulaire. Il sait se montrer méchant et sortir un son de balafré. Ce cut devrait rester dans les annales. «Put You Down» sonne comme un petit coup de rock atmosphérique - You know I just can’t put you down - Ça reste du beau rock d’allure impartiale et ça ne peut que plaire au petit peuple. Alejandro la Grand sait remporter les suffrages. On note une certaine puissance d’émancipation dans «Crooked Frame». Il ramène toujours beaucoup de son dans ses cuts, comme s’il craignait d’en manquer - I could smile the first time about thinking of you - C’est assez élégant. Il a aussi cette façon exceptionnelle de poser son don’t expect too much dans «Pissed Off 2AM». Il joue en fin renard du désert. À l’usage, les dynamiques de ses balladifs se révèlent infernales.

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             Sur ce bel album live qu’est More Miles Than Money, Alejandro Escovedo renoue avec trois de ses principales influences : Dylan, les Stooges et les Stones. Dès «Last To Know», il se prend pour Dylan. Il tape dans la Stonesy avec une belle cover de «Sway». Ce n’est pas le son des Stones, Escovedo va plus sur le soft et ça devient très fascinant, d’autant qu’il passe un solo demento à gogo. L’autre reprise de choc est celle du «Wanna Be Your Dog» de Stooges. Il en fait sept minutes. Il a une bonne équipe derrière lui. Il chante à la chicano, la gueule dans le sac, avec des retours malsains. C’est long, mais ça passe. Il ramène un violon dans le dog et foire un peu la fin, dommage. Le violon est pourtant une composante essentielle de son son, comme on le constate à l’écoute de «Pissed Off 2 AM» - Sometimes I come home/ I don’t expect too much - C’est compliqué la vie - Why don’t you speak - Ça va mal dans la cambuse du docteur Mabuse. Le violon coule un bronze dans la marmite. Escovedo adore les climats mélodramatiques. On le voit revenir inlassablement au modèle heavy balladif soutenu au violoncelle. Ça génère parfois un ennui léger. Oh, rien de bien grave. Il joue «Broken Bottle» comme un vieux gratté de bar à la con, il chante son morning dew, just to find you’re gone. On retrouve la protubérance du violon dans «Five Hearts Breaking». C’est joué d’avance. Peu d’espoir. Son destin est écrit. Beau cérémonial. «Gravity/ Falling Down Again/ Street Hassle» est enregistré en France. On se croirait au philharmonique de Batavia. Il chante comme un veux briscard. Ça joue à outrance. Il sait de quoi il parle. Il finit avec un hommage à Lou Reed assez explosif. Digne du Velvet.

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             L’une des principales raisons pour lesquelles il faut écouter Alejandro Escovedo se trouve sur Bourbonitis Blues et s’appelle «Everybody Loves Me». Il tape ça au heavy riffing. N’oublions jamais que ce mec fut l’un des maîtres du heavy sound américain. Son Everybody est une abomination, un sur-bardé de son peu commun, il nous twiste ça à coups de revienzy, c’est l’Austin Sound, avec Joe Eddy Hines on guitar. C’est typiquement le rock qu’on aime, I don’t know why - Il récidive avec «Sacremento & Polk», et joue ça à la colère noire, Joe Eddy Hines au gouvernail, ça file ventre à terre. C’est une aubaine jouée à l’inflation violentée, embarquée au vent mauvais des prochaines évolutions. Ce mec Hines fout les jetons avec ses ambiances démoniaques. C’est tout simplement effrayant d’ampleur déflagratoire. Ça gratte all over the pampa, Hines joue partout en même temps, il claque du rock de loup errant, il tape des digonnades décaties et malsaines, ce mec joue à fond de train le beau rock d’Alejandro. Ils sortent aussi une version lourde du «Sex Beat» de Jeffrey Lee Pierce, mais c’est joué au cello. Ils osent. C’est la deuxième cover qu’ils foirent sur cet album, après celle de «Pale Blue Eyes». Dommage. C’est pourri, épais et vraiment pas bienvenu. Alejandro Escovedo trempe dans les grandes eaux mais il passe à côté de la moelle substantifique. Parmi les autres cuts intéressants, on peut citer «I Was Drunk», qui vaut pour un belle Americana soûlographique, avec un Joe Eddy Hines au picking de haut vol. Appelons ça de l’Americana de bon ton. Pour attaquer le boogie-rock de «California Blues», Alejandro Escovedo sort toute sa foi de pâté de foie, celle qui va si bien à Doug Sahm. On reste dans le so solid boogie-rock avec «Guilty». Ça frise la Stonesy, ça ultra-joue aux grosses guitares. Prestance indéniable. Alejandro Escovedo joue son rock à l’insistance parabolique. Comme s’il transformait tout en Americana. On appelle ça le souffle. Son «Amsterdam» n’est pas celui de Brel. Il fait le sien. Il l’ultra-chante. Mélancolique en diabolo. Il s’inquiète de savoir si Johnny did it well. Un violoncelle emporte le morceau comme en vent mauvais.

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             Très bel album que cet A Man Under The Influence sorti en 2001. On est conquis dès «Wave», fantastique balladif mélancolique - They wave North/ They wave South - Non seulement c’est joué au violoncelle, mais ça se met à vouloir décoller. On pourrait dire la même chose de ce «Don’t Need You» bien léché aux violons. Il répète qu’il n’a pas besoin d’elle, c’est stupéfiant de désespoir, sur fond d’ambiance de bal de campagne - I don’t like you/ You don’t need me - Il se rapproche aussi de Doug Sahm avec «Rosalie», power-pop violonnée à la romantica de la frontière. Ce rock respire au grand air et les phrasés de guitare éclatent au grand jour. Voilà du Tex-Mex à la fois superbe et élégant. Côté énormités, on est bien servi, à commencer par «Castanets». C’mon, ce diable sait rocker jusqu’à plus soif. C’mon ! Il renoue avec les influences des Dolls et des Stooges, ça gicle dans tous les coins. Il multiplie les claqués d’accords stoogy et ses clap-hands enivrent. On a aussi un «Velvet Guitar» claqué à la vieille niaque escovedienne et ça part au bon vent droit sur l’horizon. Il sait calmer le jeu pour aller exploser un peu plus loin. Il n’est pas avare de chorus incendiaires. Il fait aussi éclater de somptueux bouquets d’accords dans «Rhapsody». Sa pop peut rocker les contreforts, c’est très appuyé - If it’s my fault/ I’ll pay the cost - Il se distingue par une prestance de tous les instants. Nous voilà dans l’excellence de l’underground américain. Son I saw your face/ from across the river accroche terriblement. Très grand cut que cet «Across The River» dont on se surprend à attendre des miracles. On ne peut pas se lasser de l’intégrité de ce Tex mec. 

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             Sur la pochette de By The Hand Of The Father, on voit une photo du père d’Alejandro en compagnie d’un groupe d’amis, au temps de la Californie des pionniers, enfin des pionniers des années trente. On retrouve sur cet album l’excellent «Ballad Of The Sun & The Moon» joué au meilleur déploiement d’Americana. C’est solide comme un rocher du désert et embarqué manu-militari au violon. Fabuleuse énergie ! «Hard Road» offre une superbe vision panoramique. C’est un coup de maître cavalé au beat de desperado, digne d’un Kurt Weill de la sierra. On retrouve sur cet album d’autres cuts comme «Wave» et «Rosalie» et pas mal de cuts d’exotica joués au village, comme «Did You Tell Me» et «Mexico» joué à l’accordéon. Il raconte l’histoire de ses parents dans «59 years», un mariage qui a duré 59 ans - We loved to dance/ And we got married - Fantastique ! Avec cet album, Alejandro le Grand cultive la nostalgie de la Mexicana. Vamos ! C’est son monde. Il tape le morceau titre au big bash-up et derrière, ça tartine aux espagnolades. Magnifique parti-pris d’échappée solitaire ! Ça n’a l’air de rien comme ça, mais quelle pureté dans l’intention ! Alejandro et ses amis mixtent le shuffle et les espagnolades et ça tourne à la merveille productiviste. Ils jouent la carte de la surprise d’American Mexicana.  

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             John Cale produit The Boxing Mirror paru en 2006. Il fallait s’y attendre. Alejandro Escovedo finit par attirer les sommités. Ça commence avec John Cale et ça va se terminer avec Chuck Prophet, comme on le verra plus tard. Notre Tex mec favori repique une jolie crise de Stonesy avec «Break This Line» - If you could see you/ The way that I see you - C’est de haut niveau keefy. Le hit de l’album s’appelle «Sacremento And Polk», très Velvet dans cette façon d’initier le chaos. Alejandro le Grand trempe dans l’expectative - And falls upon the landing/ And falls upon the landing - Comme dans Sister Ray, il n’en finit plus de psalmodier a spell her name - That was so long ago/ I’m under a spell her name - Avec «Arizona», il se montre digne du paysage, mais un paysage de fin de nuit au bar du coin de la frontière. Pas forcément convaincu d’avance, même si ça reste bardé de son. Il place son «Looking For Love» dans le giron du meilleur rewarding de l’underground et une fois de plus, c’est effarant de classe. Il fait un peu de funk dans «Take Your Place». C’est bardé de son, et du meilleur, yeah I take your place, il balaye facilement la concurrence. Il faut savoir que l’ex-Spirit et JoJo Gunne Mark Andes joue de la basse sur cet album et John Cale du piano.  

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             Pas moins de quatre grosses et belles énormités se nichent sur Real Animal, un album paru en 2008 et salué par la critique. «Chelsea Hotel 78» raconte bien sûr une tranche de vie, mais de manière ultra-jouée et tendue. Alejandro Escovedo évoque bien sûr l’histoire de Sid & Nancy, il gueule qu’it makes no sense et les chœurs lui répondent que non, it makes no sense. Si on a autant de son sur cet album, on le doit de toute évidence à la présence de Chuck Prophet. «Smoke» sonne un comme un hit, avec son côté dylanesque et ses descentes spectaculairement bonnes. Le cut se tortille dans des breaks - We’re still going bop bop baby/ All night long - Alejandro Escovedo a en lui la puissance d’un Soul scorcher. Il rappelle par certains côtés l’early Graham Parker. Encore une vraie dégelée avec «Real As An Animal». Quelle puissance ! Ils filent au vent mauvais, sur un superbe pounding chicano et ça part en solo de non-retour. «Nuns Song» vaut aussi pour une belle énormité, I don’t live it cha cha, un vrai délire d’électrac monté en double set de calme/orage où s’entrelacent des couplets cocotés. Idéal pour un mec comme Escovedo. Il monte ça en épingle jusqu’au moment où ça explose. Alors on le voit jerker le trash du rock et lui faire ravaler ses injures - I turn the TV/ Goodnite ! - Sur «Chip N’ Tony», il va aussi très vite en besogne - All I ever wanted was a four piece band - Explosif ! - Chip and Tony said it was against the law/ C’mon ! - S’ensuit un killer solo flash in the flesh. N’oublions pas de saluer l’«Always A Friend» d’ouverture de bal, cut absolument somptueux. Ce démon d’Escovedo sort le grand jeu, the heavy American pop-rock chanté aux guts de fast rider. Chuck Prophet gratte derrière. On croit rêver tellement c’est bien foutu.

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             Paru en 2010, Street Songs Of Love pourrait bien être l’un de ses meilleurs albums. Tony Visconti produit. Dès «Anchor», Alejandro Escovedo développe une extraordinaire puissance de son, avec des chœurs de folles invétérées. La puissance du son nous méduse, comme dirait Satie. S’ensuit un «Silver Cloud» tout aussi énorme, notre Tex Mec nous tape ça au big sound de set around, I’m a man, ce diable sait rouler un riff dans sa farine, ça joue au solo liquide, avec des relances excessivement bien foutues. Alejandro Escovedo règne sans partage sur son petit underground. On reste dans la tension maximaliste avec «This Bed Is Getting Crowded». C’est à la fois explosif et de très haut niveau. Il monte son rock en neige du Kilimandjaro, you’re saying love, il fait battre le cœur du rock. Explosivité à tous les étages en montant chez Kate, but they said love ! Rien qu’avec ces trois cuts, Alejandro le Grand nous sonne les cloches à la volée. Il passe sous le boisseau de l’underground pour ficeler «Street Songs», c’est adroit et bien mené, voilà un vieux groove de bonne extraction salué aux clap-hands. Back to the big beat avec «Tender Heart», un admirable déluge d’heavy power de with you. Complètement convaincu d’avance et voilà que sonnent les trompettes de l’apocalypse ! My tender heart ! S’ensuit évidemment un killer solo dévastateur. Alejandro Escovedo rocke avec majesté. C’est quand même la quatrième énormité de cet album. Pas mal, pour un petit chicano underground. Il joue «Tula» au sous-jacent de la pire espèce. Avec ce Tex mec, on n’est pas au bout de nos surprises. Mais le pire est à venir et le voilà : «Undesired». Ça sonne tout simplement comme un hit séculaire d’envolée suprême. Il taille sa route vers le firmament, avec un thème ravaleur de façade. Il renvoie tout le rock aux gémonies, le thème se déploie tout seul. Encore une petite énormité avant d’aller coucher au panier ? Alors voilà «Shelling Rain». C’est encore une fois bardé du meilleur son viscontien. Alejandro Escovedo propose désormais des albums de rock très haut de gamme destinés aux aficionados.

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             Sur la pochette de Big Station, il refait son dandy. Cette fois, Chuck Prophet co-écrit tout avec lui et Tony Visconti veille au grain derrière sa console. Ça sent les gros moyens et donc le bel album. Ce que vient immédiatement confirmer «Man Of The World». Big attack ! Alejandro Escovedo ressort ses meilleurs heavy chords, il a du son à revendre. On a là une musicalité qui évoque à la fois Phil Spector, les Stones et les Dolls, les clap-hands sont d’une véracité qui laisse rêveur, les tortillons de guitare valent largement ceux des Stones. On est dans les splendeurs d’une Babylon pleine de Dolls et d’Oh yeah. Une fois encore, ce Tex mec renverse le cours de l’histoire. Dommage que le reste de l’album ne soit pas du même niveau. Il faut attendre «Headstrong Crazy Fools» pour renouer avec le frisson - For the Valentine/ See on the other side - Il cite Dylan, il adore se rappeler de ses darker days et des crazy fools, il fait aussi son Lou Reed à coups de you know James, comme dans «Walk On The Wild Side». On entend une trompette à la Miles Davis dans «Can’t Make Me Run» et dans «San Antonio Rain», il annonce que la pluie ne viendra pas. Il est bien meilleur que les grosses connasses de la météo. Il emprunte un riff à Lou Reed pour «Party People» et pousse des oh pour briser le rythme. Il tente d’emmener son «Too Many Tears» au tribal mécontent et derrière, des filles la ramènent en sourdine. Il termine avec un «Sabor A Mi» de la téquila señora, ça dérive à l’espagnolade, mais avec du son. Il ne sait pas stopper les machines, alors il va là où le vent le porte, au muchos de la señora. 

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             Alors, on reste dans la série des gros albums avec Burn Something Beautiful ? Et comment ! Bienvenue à bord avec «Horizontal», explosé de son dès l’intro à coups de lucky day/ Lucky day. Alejandro le Grand connaît toutes les ficelles, il ramène les pires guitares dans son mayhem d’I wanna see what you see. Derrière, ses amis envoient des renvois et une vieille wah vomit sur le passage du cortège. Ça gueule au fond du studio. Un démon nommé Kurt Bloch joue en lead. Plus loin, ils passent au glam avec «Shave The Cat», ils y vont de bon cœur, shave ta chatte, ils développent le power du glam américain. Étonnante rencontre entre le Tex mec et le T Rex. Et ça marche ! Exactement les mêmes accords et le même swagger. Avec «Beauty Of Your Smile», Alejandro le Grand nous sort ce qu’il faut bien appeler une grosse compo. Ça cocote sec dans les parages, ça revoie vers le Dylan électrique, tellement c’est plein d’allant et d’élégance. Il enchaîne avec «I Don’t Want To Play Guitar Anymore», un superbe balladif chargé de son comme une mule. Il déploie à l’infini, il multiplie les climats et les horizons, il cultive une vision assez pure du rock basée sur des admirations et un sens aigu de l’underground. Avec «Luna De Miel», on se croirait dans le «Mean Machine» des Cramps, c’mon, à cause de cette fabuleuse tension macrobiotique. La pop-rock de «Johnny Volume» semble orientée vers l’avenir. Alejandro le Grand sait transformer une chanson en petit western spaghetti hanté par des guitares louvoyantes. Et puis il trouve un compromis entre l’Americana et la Stonesy pour «Heartbeat Smile». Quelque part au milieu de la Sierra Escovedo, avec des filles qui font la pluie et le beau temps. C’est une fois encore chargé d’accords, avec un Peter Buck ultra présent dans le son. Tout est joué au maximum des possibilités du genre. 

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             Sacré retour en force en 2018 avec The Crossing et sa pochette de cactus. Voilà encore un album qui grouille d’énormités, comme par exemple «Something Blue», balladif américain extrêmement bien envoyé, ce Tex mec déclenche des tornades de son par dessus les toits. Même chose avec «MC Overload», joué au riff de commandeur de la charte, c’est affreusement bon. I feel overload, il sait de quoi il parle. On retrouve toute cette énergie dans «Fury And Fire», bang bang ! Il joue la carte de l’armée mexicaine - They want to tear it down - On se croirait dans Vive La Révolution. On le voit aussi chercher des noises à la noise dans «Teenage Langage» et il passe au boogie blues pour «Outlaw For You». Il frise une fois encore la meilleure Stonesy. Il claque son truc comme personne - I’ll be James Dean for you/ I’ll be Sid Vicious - Puis on le voit duetter avec Peter Perret sur «Waiting For Me». La décadence de Peter Pan se marie bien avec la pertinente Americana du Tex mec. Et puis voilà le pot aux roses : une version de «Sonic USA» avec Wayne Kramer. The beast on board ! Il faut savoir que Brother Wayne ne lâchera jamais la rampe. Ça joue au this is Amarica/ I want it all. Alejandro le Grand + le MC5, ça donne du mythe, my friend.Ce diable de Brother Wayne explose ses vieux accords de grille-pain rouillé. Imparable. 

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             Comme Steve Wynn, Alejandro Escovedo multiplie les side-projects de choc, à commencer par les mighty True Believers qu’on qualifiait à une époque de gang le plus puissant de la frontière. Un album paraît sur Rounder Records en 1986. Son frère Javier joue de la guitare et Jim Dickinson produit. Alors il faut s’attendre à un très gros disk, ce qui est le cas. Le son est là, immédiatement, dès «Tell Her». Dickinson mixe ça sec ! On entend les violentes montées de basse dans les couches du mix. S’il fallait trouver un point de comparaison, ce serait les Byrds. Une vraie bénédiction. Ils tapent dans l’énorme «Train Round The Bend» de Lou Reed et l’enrichissent à la slide. «Rebel Kind» sonne aussi comme un hit des Byrds qui retapisseraient l’All Over Now Baby Blue. On retrouve la grosse niaque d’Escovedo dans l’«Hard Road» qui ouvre la bal de la B. Tout est là : beat puissant et big riffs descendus de la colline. Quel fabuleux shoot de rock Believer ! On sent l’équipe de grands professionnels de la frontière. Ils te convient à un festin de son.

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             On n’en finirait plus de chanter les louanges de cet immense rocker qu’est Alejandro Escovedo ! Il suffit d’écouter The Pawn Shop Years qu’il enregistra en 1997 sous le nom de Buick MacKane, qui est comme chacun sait le titre d’un hit de T. Rex. Sur les dix cuts de l’album, huit valent pour des énormités confondantes et ça commence dès «The End», bardé du plus gros son des Amériques, ça sent bon le Tim Kerr. On note l’extraordinaire passionaria d’extension du domaine de la lutte intestine. Avec «Falling Down Again», on voit qu’Alejandro Escovedo sait gratter une vieille cocote. Puis il repart en mode rumble avec «Black Shiny Beast», c’est avalé au meilleur dévidé d’Avalon, rocké dans la matière du roll. Ce qui frappe le plus, c’est le déhanchement du chaloupé, c’est explosif mais en même temps ça reste dans le cadre du boogie down, riffé à la bonne augure dans une marée de son. Encore une fois, ça sent bon le Tim Kerr. On reste au Sweatbox avec «Edith», ça coule dans la manche, ça coule même dans le pantalon. Quelle énorme giclée de son ! Les guitares suintent comme des plaies infectées dans le Sweatbox de Tim Kerr. On est au paradis de la bravado. Tout est là : les solos à la traîne, les trucs pas clairs, les débuts d’incendie dans l’humidité, les retours de riffs. Encore un coup de génie avec «Queen Anne» claqué aux pires accords de la confédération, avec du wouahh de hurlette en préambule de Théodule. C’est d’une rare violence productiviste, les solos coulent comme de la morve sur les seins de la copine, c’est admirable d’immoralité, c’est même à se damner pour l’éternité. Alejandro Escovedo nous chante «Big Shoe Head» très salement, avec un vieux trémolo du bout de la piste. C’est un laid-back d’une grande élégance, illustré à coups de silver Cadillac, une merveille de boisseau qui ne veut pas dire son nom et un solo des enfers de Dante vient nous vriller tout ça brillamment. Tim Kerr revient pour «John Conquest» et le son explose. Ah qui dira l’excellence de l’outrance ? On a là l’un des meilleurs sons de l’univers, ça grouille de tortillettes, ça perfore à tire-larigot et ça devient absolument démentoïde. Il n’existe rien d’aussi barré sur cette pauvre terre, ça joue à la mortadelle du petit cheval blanc, ça coule de partout. Les deux derniers cuts de l’album ne sont pas en reste. «Wandering Etye» se révèle puissant, au-delà de toute expectitude. Il y circule toute l’énergie de Sister Ray, la même folie, la même volonté d’en découdre. Ils finissent cet album spectaculaire avec une reprise du «Loose» des Stooges. Alejandro Escovedo brûle la chandelle par les deux bouts, il laisse à la postérité une sorte de coup de génie impavide, il va loin dans sa stoogerie, c’est une splendeur. La triplette Kerr/Stooges/Escovedo est une triplette faramineuse. 

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             Pour monter ses Fauntleroys, Alejandro Escovedo s’entoure d’Ivan Julian (Voidoids), Nicholas Tremulis et Linda Pitman (Miracle 3). En 2014, ils enregistrent l’excellent Below The Pink Pony, un grand mini-album underground de plus. Sur les six titres de ce mini-album, on ne compte pas moins de quatre coups de génie. Eh oui, c’est comme ça. Alejandro Escovedo ressort son meilleur groove dès «I’m In Love With Everything», ça joue à l’extrême muddyness, Linda Pitman bat ça si sec et Ivan Julian fait son vieux cirque de bassmatic circonvolutoire. On assiste à une sorte d’explosion de l’atome sonique. Ils passent aux choses très sérieuses avec un «Chinese White» amené au big trash-boom-uh-uh. Ça va très vite, Escovedo le prend par les cornes, de toute façon, il n’a pas le choix, car le beat charge. Ça gicle littéralement de son, ça joue comme dans l’underground des années de braise, au maximum de toutes les possibilités. Ils restent dans l’arrache pour «Suck My Heart Out With A Straw». Escovedo plonge dans l’obsolescence du garage underground, ça pulse comme aux plus beaux jours de l’âge d’or, ça chante aux gants de cuir noir, cet album est une aubaine, Escovedo suck son heart avec une stupéfiante abnégation, ça vire à la dégelée apocalyptique, le son rend le chanteur fou. Ils jouent «Warry Doll» à l’énergie new-yorkaise et ça bascule très vite dans le chaos de non-recevoir. Alejandro Escovedo revient aux basics du mythe new-yorkais, le solo hoquette. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises, car voici «(This Can’t Be) Julie’s Song». Linda chante avec Alejandro Escovedo et ça prend une tournure magique. On a là l’un des hits du siècle. Nicholas Tremulis claque ses accords dans l’écho du temps, c’est une bénédiction. Ces gens-là jouent sur le qui-vive de l’underground magique. Et ça se termine avec «Take You Far Away». Alejandro Escovedo attaque à l’ancienne, avec ses poumons de jeune homme. Mais derrière, les autres jouent comme des démons. Ça cisaille l’espace et ça bascule dans le grandiose bullshit out. Escovedo colle bien au train de son cut. Il ne faut jamais perdre de vue un mec comme lui. Les chœurs de filles font I wanna take/ You/ Far away, on se régale de cette énormité d’anciens combattants.

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             Alejandro Escovedo monte un groupe nommé Setters et enregistre un premier album en 1992. Il vaut le détour car on y trouve une belle version de «Wanna Be Your Dog». Ils en font une mouture inventive : ils dévient le courant des Stooges pour en faire de l’ouate des bas-fonds. Alejandro le Grand a cette intelligence de ne pas vouloir recréer le brasero stoogien. Il se contente de marquer son territoire, mais il le fait à sa manière, sous le boisseau escovedien. L’autre point fort de l’album est ce «Let’s Take Some Drugs And Drive Around». On entre sur les terres sacrées du slowah de Deep South, nothing to do/ And there’s nothing to say, alors on prend des drogues et on va faire un tour. C’est une belle escalope de virée nocturne, ce drive around est poignant de véracité. S’ensuit un «She’s Got» travaillé au corps de riff. Voilà ce qu’il faut bien appeler un réveil en fanfare. Les Setters jouent au riff sous-jacent, ils tapent dans la silly joy et the long black Cadillac. Bienvenue dans le monde des artistes de rock. On note un parti-pris d’intensité Stonesy dans «Don’t Love The Wisely» et la présence d’un groove de jazz à la Fever des bas-fonds dans «Helpless».   

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             Les Setters ne sont plus que trois pour enregistrer Dark Ballad Trash en 1997. L’album met un temps fou à donner du jus et ce n’est qu’avec la fantastique Americana de «Beeville By Morning» qu’il arrive enfin. Ils reclaquent une version de «Wanna Be Your Dog» à coups d’acou, et mine de rien, ils tapent en plein dans le mille, ils en font une mouture marrante. De toute manière, il serait vain de vouloir approcher la réalité de la version originale. Autant s’en éloigner le plus possible. On sent le truc de fan, esprit Kid Congo, chicano tombé dans la marmite quand il était petit. Mais sur le reste de l’album, on s’ennuie un peu. On se serait bien passé de «Find A Way», même si Alejandro Escovedo laboure ses terres jusqu’au crépuscule. Il est le rocker de Millet, humble et pauvre, dressé dans son infâme dignité. On voit plus loin notre Tex mec favori gratter «Sharlene» dans les sous-bois. Il tente de réveiller l’assistance qui pique du nez. Il donne aussi un festin d’acou dans «Five Hearts Breaking». On l’observe, médusé. Il joue avec le son, comme le chat avec la belette, ça manque de sexe, comme chez Millet. Il choisit la voie de l’éplorée qui n’est pas forcément la meilleure ni la plus fréquentable.

    Signé : Cazengler, Alejandro Escabot

    Alejandro Escovedo. Gravity. Watermelon Records 1992 

    Alejandro Escovedo. Thirteen Years. Watermelon Records 1993

    Alejandro Escovedo. With These Hands. Rykodisc 1995

    Alejandro Escovedo. More Miles Than Money. Live 1994-96. Bloodshot Records 1998

    Alejandro Escovedo. Bourbonitis Blues. Bloodshot Records 1999

    Alejandro Escovedo. A Man Under The Influence. Blue Rose Records 2001 

    Alejandro Escovedo. By The Hand Of The Father. Blue Rose Records 2002

    Alejandro Escovedo. The Boxing Mirror. Back Porch 2006

    Alejandro Escovedo. Real Animal. Back Porch 2008

    Alejandro Escovedo. Street Songs Of Love. Fantasy 2010 

    Alejandro Escovedo. Big Station. Fantasy 2012 

    Alejandro Escovedo. Burn Something Beautiful. Fantasy 2016 

    Alejandro Escovedo. The Crossing. Yep Roc Records 2018

    True Believers. Rounder Records 1986  

    Buick MacKane. The Pawn Shop Years. Rykodisc 1997

    Fauntleroys. Below The Pink Pony. Plowboy Records 2014

    Setters. The Setters. Blue Million Miles Records 1992  

    Setters. Dark Ballad Trash. Return To Sender 1997

     

     

    Inside the goldmine

     - Barnes to be wild

     

            On l’aimait bien Burn. Il émanait de sa personne une sorte de chaleur humaine, ce qui n’est pas si courant, quand on y réfléchit bien. Et puis quand on s’adressait à lui, il souriait. Une sorte de sourire christique. Tu sais, ce sourire des yeux qui en dit long. Il était toujours le premier à t’offrir un joint ou à t’adresser un clin d’œil, juste par sympathie. Par chance, il s’intéressait aux mêmes groupes que nous, et quand nous décidâmes de monter un tribute aux Saints, il accepta d’en être le batteur. Monter un groupe, c’est toujours facile. Une décision qu’on prend dans un moment d’enthousiasme collectif. Les difficultés apparaissent au moment de la première répète, avec un choix de cuts qui doit faire l’unanimité et la recherche d’un son, donc d’une forme de crédibilité. Ça sonne ou ça ne sonne pas. En règle générale, ça ne sonne pas tout de suite. Il faut parfois une bonne dizaine de répètes pour commencer à croire que ça peut marcher, mais rien n’est jamais moins sûr. Alors commence la traque aux maillons faibles, tu as toujours les vrais musiciens, et ceux qui sont là pour le plaisir de jouer, compensant leur manque de technique par de l’énergie et de l’enthousiasme. Si le batteur ou le bassiste n’est pas bon, on doit l’éliminer, c’est une condition de survie, même dans un groupe amateur. Comme Burn n’était pas très précis sur les breaks, toujours en retard d’une micro-seconde, ça posait un problème au guitariste, un musicien accompli qui ne supportait pas le moindre défaut. Défaut qu’il était d’ailleurs bien le seul à entendre. Plus il insistait sur la précision des sorties de breaks, plus Burn était à côté. Schéma classique. Mais ça n’avait aucun sens, dans le contexte d’un groupe amateur. Le guitariste allait même jusqu’à arguer, l’air mauvais, «qu’il perdait son temps avec des mecs comme ça». L’élimination de Burn se fit de la manière habituelle. Un coup de fil à Palerme. Contact habituel. Tarif habituel. Petites coupures habituelles. Délai ? Le plus vite possible. 48 heures ? D’accord. Rendez-vous à l’endroit habituel pour remise de l’enveloppe en échange de la preuve. Les flics retrouvèrent Burn dans le coffre d’une bagnole le surlendemain. Deux balles dans la nuque et une main coupée qui avait disparu, mais un drôle de sourire aux lèvres. Un sourire christique.

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             Le seul point commun qu’ont Burn et Barnes, c’est d’avoir disparu. Sinon tout les différencie : Burn est blanc, Barnes est black, Burn bat, Barnes chante. Tu croises couramment J.J. Barnes sur les compiles Northern Soul. C’est un vieux de la vieille, avec des singles enregistrés dans les années soixante et un peu de temps passé chez Motown à composer.

             Comme J.J. Barnes vient tout juste de casser sa pipe en bois, nous allons lui rendre hommage avec, comme d’usage, les moyens du bord.

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             Ce sont des Anglais qui rééditent le seul album américain de J.J. Barnes, Born Again. Du coup, il devient Born Again Again. Dans ses liners, John Ridley nous rappelle que JiJi s’appelle en réalité Jimmy James Barnes et qu’il est né à Detroit. JiJi enregistre sur Ric Tic, un label racheté par Berry Gordy, et comme JiJi sonne trop comme Marvin Gaye, Gordy le neutralise - Barnes got lost in the shuffle with nothing ever being released - Ça s’appelle un destin. Alors il se barre chez Groovesville, enregistre pas mal de hits, et Ridley indique que tout ça est resté in the can. JiJi compose aussi pas mal et refile des cuts à Chuck Jackson, Mavis Staples et les Marvelettes. Il finit enfin par enregistrer Born Again. On remarque tout de suite la fantastique présence de sa prescience. JiJi est un Soul Brother fabuleusement lyrique. Il faut le voir fondre sa voix dans la voûte céleste de «Time Is Love». Il fait aussi du heavy rock de Soul avec «Good Men Don’t Grow On Trees», c’est puissamment beau, quasi Soul de Stax extatique, JiJi y va au gros popotin miraculeux, il illumine la Soul, sit down and think it over, il relance au ouh ouh, comme un vieux pro. Puis il te colle son baby baby baby au plafond de «You’re Just A Living Doll, c’est un forcené de l’excellence, un king de la Soul, il t’en met plein des mirettes, comme dirait Venneta Fields, il y va au you’re so sweet/ You’re so kind. Il fait un grand retour à la persuasion avec «Wishful Thinking», c’est fabuleux de conviction biseautée, c’est-à-dire implacable, JiJi tape dans la modernité de la Soul, il procède par avancées, il pose des semi-conducteurs dans son phrasé, yeah, this is the Soul, baby. Il tape aussi dans la nuit urbaine de Shaft avec «You Owe It To Yourself Pt 1 & Pt 2», il chante ça les dents serrées, il en bave, il pousse des mmmmm-ohmmmm - Say you got no money/ You got no shoes - Il sonne vraiment comme une vieille star, une sorte d’Al Green croisé avec Otis, il monte encore en grade à l’excelsior du beat up avec «No If’s And’s Or But’s», il te bat ça comme plâtre, c’est chauffé à l’orgue, JiJi est un sacrément bon, un article de choix, un leader of the pack, il racle sa glotte au ah aha, c’est violent et soft en même temps, une pure merveille d’éveil. Non seulement il te court sur l’haricot, mais il te court aussi sur le steeplechase, il chauffe encore la gamelle d’«(I Just Can’t Believe I’m) Touching You», il la chauffe au touch me babe. Il sait se faire aussi délicat qu’un papillon pour coller au train d’un make believe babe, ce mec passe par tous les souterrains, c’est une vraie glu de la Soul, il lui colle au train à coups de make believe.

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             Après une belle éclipse, il tente de redémarrer sur un petit label anglais, Contempo, avec Sara Smile. Le moment est mal choisi car l’album sort en 1977. Il n’empêche qu’on retrouve la bonne énergie de JiJi dès «The Errol Flynn», il y va au c’mon babe et au do it baby. JiJi est un bon. Il tape aussi un joli mid-tempo d’I’m so glad she’s mine avec «She’s Mine». Jiji a du caractère, il chante avec une réelle finesse et il finit par t’envoûter. Toute la viande se planque en B, et ça part au «Let Me Feel The Funk», un pulsatif déterminant, JiJi est dessus, JiJi est un sérieux client, il tape une Soul solide, bien soutenue aux chœurs. Même ses slowahs épatent la sauce tomate («We Can’t Hide It Any More») et voilà qu’il tape dans le big hit d’Ace, «How Long», idéal pour un groover comme JiJi, il te plie ça à sa volonté, il en fait une everlasting version. Petite cerise sur le gâtö : il fait son Marvin sur «I’m The One Who Loves You». Alors là, bravo JiJi !  

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             Produites par Don Davis, les fameuses Goovesville Sessions sont aussi sorties sur Contempo. C’est sans le moindre doute le meilleur album de JiJi. Le «Sweet Sherry» qui se planque en B vaut tout l’or du monde : monté sur un beat insistant, avec des relents de Motown, le tout quasiment passé sous le boisseau, mais un boisseau délicieusement ingénu. JiJi fait danser tout le Wigan Casino. Il est la superstar la moins connue. Il fait aussi du funk avec «Cloudy Days», ouhh! Il fait le cake et il est bon, JiJi jamme le jambon du funk, ça s’étrangle dans le goulot d’une mauvaise prod, mais il porte sa croix jusqu’au bout du funk, oh yeah ! L’autre hit de l’album s’appelle «Chains Of Love», JiJi tient le r’n’b par la barbichette au set me free. Sa pression est bonne, bien sucrée au bassmatic. Il est aussi sur les traces des Tempts avec «Baby Please Come Back Home», mais avec une voix plus ronde. Ça reste cependant du grand art. «Your Love Is Gone» est une Soul de belle avancée. On peut même parler de modernité. Modernité et élégance sont les deux mamelles de JiJi. Il ne passe jamais en force, comme le montre encore «Now That I Get You back», mais il tape bien l’incruste.        

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             JiJi se retrouve sur Motorcity en 1991 et enregistre le fantastique Try It One More Time. Dès le morceau titre en ouverture de bal, JiJi t’embarque ventre à terre sur un drive de basse demented, c’mon baby, il est supérieur en tout, modern Soul et Motorcity à la fois, aw quelle blague ! JiJi est d’une imparabilité sans nom, comme dirait H.P. Lovecraft. Il bénéficie de la prod du grand Ian Levine. Quel son de basse ! JiJi tape dans une suite diskoïde noyée de Soul, il assure sa legacy. Il pulse «You Can Bet Your Love» au meilleur call on me, il te groove ça sous le boisseau de Motorcity, il dit en gros à sa poule : tu peux parier sur moi, baby, c’est du vrai call on me. JiJi tape l’un de ces grooves éperdus dont il s’est fait une spécialité. Encore un extravagant shake de r’n’b avec «Please Let Me In». JiJi chante comme un seigneur, il a un tempérament de conquérant. Puis on le voit flotter sur le «Slow Motion» signé Sylvia Moy/Ian Levine, une incroyable conjonction d’esprits supérieurs. Big Barnes bosse comme une bête, il forge sa Soul night and day, dans des flux de forge. Back to the fast Motorcity Sound avec «That’s Just Never Enough». JiJi Lamorosa te met ça au carré. C’est dans la poche. Bien drivé, linéaire et beau comme un cœur. Il fait encore du fast Diskö Soul avec «Talk Of The Grapevine», mais comme on est sur Motorcity, c’est safe. Pas de putasserie chez ces gens-là. Ian Levine veille au grain. La Soul prédomine. JiJi termine ce big album avec «Build A Foundation», uns nouvelle compo signée Sylvia Moy/Ian Levine. C’est non seulement bien écrit, mais aussi bien orchestré. JiJi tape ça de bon cœur. Comme Sylvia est dans le coup, alors pas de problème. C’est une merveille de groove urbain et orbi. 

    Signé : Cazengler, la Burne

    J.J. Barnes. Disparu le 10 décembre 2022

    J.J. Barnes. Born Again Again. Perception Records 1973

    J.J. Barnes. The Groovesville Masters. Contempo 1975

    J.J. Barnes. Sara Smile. Contempo 1977        

    J.J. Barnes. Try It One More Time. Motorcity Records 1991

     

     

    L’avenir du rock

     - Travelers check

     

             L’avenir du rock a toujours adoré les groupes qui choisissent des noms de villes : New York Dolls, Tokyo Dragons, Towers Of London, Chicago Transit Authority, Voices Of East Harlem, Motor City Five, Detroit Cobras. Oui il a toujours adoré cette immédiateté géographique, cette façon qu’ont ces groupes si courageux de se revendiquer de leur ville, comme s’ils en décoraient le dos de leurs perfectos, à la façon dont les bikers le font avec les couleurs de leur club. New York Dolls, ou Tokyo Dragons, comme ça sonne bien ! Tu as même les Tokyo Cramps. Ça te tokyotte bien les cloches, on imagine cette démesure urbaine de néons et d’yeux bridés, d’écolières sexy et de rockers immatures. L’avenir du rock sait que le principe de l’excitation est exactement le même, qu’on soit à New York, à Londres ou a Tokyo. Il fallait avoir du bollocking pour apparaître en couverture du NME sous le nom de Towers Of London, ils avaient tout misé sur le mish mash, sur l’arrogance streetwise et l’effet de surprise, le tout bien lesté de grattes en disto maximaliste et de cheveux décolorés. Le fait qu’ils n’aient pas percé n’a aucune importance, seule compte la bravado de la démarche, avec un cri de ralliement qui pourrait ressembler à celui du MC5, au temps béni du Kick Out The Jams Motherfuckers. L’avenir du rock sait que les rocking towns sont une source de jouvence intarissable, une idée qui se régénère en permanence. Le phénomène prend naissance dès l’adolescence, les kids veulent gratter des grattes et battre du beurre. Tout cela peut aujourd’hui paraître folklorique, et même un brin suranné, aux yeux des vieux crabes issus de la génération des sixties, mais c’est avant toute chose une évidence, puisque la fontaine de jouvence a toujours existé. Alors bien sûr, toutes les possibilités sont encore permises, de nouvelles routes ne demandent qu’à s’ouvrir, il suffit de demander. À quand des London Pricks, à quand des New York Wankers, à quand des Detroit Rats, à quand des Tokyo Cats, à quand des Boston Brats, à quand des Memphis Panthers ? En attendant, l’avenir du rock se gave d’une nouvelle réalité géographique : Harlem Gospel Travelers. Quelle fantastique réalité, les amis ! 

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             De la même façon que Gabe Roth, le Colemine Man s’intéresse de près au mix Gospel/Soul, en tous les cas, d’assez près pour sortir le fantastique premier album des Harlem Gospel Travelers, He’s On Time.

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    Dès «Oh Yes He Will», tu es dedans, c’est drivé à la wild guitar, avec un batteur fiévreux, wow, quel wild drive de Gospel Soul ! I know the Lawd, ça flirte avec le raw Stax et les chœurs enveloppent l’Oh yes He will ! Tout sur cet album est fantastiquement amené au Soul stirring, «Am I Doing Enough» sonne comme un vieux hot hit d’Al Green et on s’en extasie. Ils ramènent la fantastique clameur du Gospel sur un tapis de wah pour «Motherless Child». Eli Paperboy Reed les accompagne sur ce coup-là et ça rebascule dans le heavy Stax avec le morceau titre de power extrême, et ça donne la fabuleuse pulsion du Black Power, ces mecs te débouchent tout, les bronches et les artères. C’est une fournaise exceptionnelle, saturée de Black Power, avec des chœurs de blackettes d’Harlem, quelle énergie ! Encore une merveille avec «If You Can Make It Throught A Storm», c’est chanté à la voix d’ange de contrefort, juste dans l’angle, if you can make it, et là tu entres par la grande porte dans le groove du Gospel batch, tu approches de la lumière, celle qui compte, et tu vois cette voix traverser le flot de lumière. Ils allument tout l’album, cut après cut, et ça continue avec «On The Right Road», droit dans le Stax way out, le Gospel bascule dans la Soul, c’est énorme - I’m on the right/ With Jesus on my side - En fait, ils s’en branlent de l’église, c’est un prétexte à shaker. Ils sont extrêmement fascinants, avec leurs regards dirigés vers le ciel. Ils tapent le Gospel de «Do You Know Him» au groove longiligne, avec une wah au cul, alors attention aux yeux !  On assiste à des descentes de groove fascinantes et ça se redresse, do you know Him, les filles bouffent le cut tout cru. Retour au raw Stax avec «Brighter Day». Imparable. Globalement, ils proposent avec cet album un mix de Soul et de raw r’n’b, servi avec une violente dose de Gospel.

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             Leur deuxième album vient de paraître et s’appelle Look Up. Petit conseil d’ami : look at Look Up ! Car quel album ! On croit encore une fois tomber sur un shoot de gospel batch traditionnel et crack boom, ça part en fast r’n’b, une vraie bénédiction, cocktail explosif de fantastique présence et de fast drive. Look up ! Avec «Hold On (Joy Is Coming)», ils passent au heavy r’n’b de gospel batch avec des filles derrière, tu en prends plein la bouille et ça explose avec «God’s In Control», I know/ I know, c’est tapé au pur jus. Ces Travelers naviguent dans la magie pure, Aaron Frazer vient guester sur «Help Me To Undersand», c’est atrocement beau et ils redorent le blason de la pureté évangélique de la Soul avec «Nothing But His Love». On nage dans l’opulence du paradis. Les Travelers ne vivent que pour la beauté. Ils proposent une Soul de génie pour une nouvelle génération de dévots. Avec «Fight On», ils descendent au cœur des sixties, ils te claquent ça aux wahs de Shaft, ça pulse tellement des reins que ça tend vers les Tempts, ouuuh ouuuh ! «Hold Your Head Up» n’a plus rien à voir avec le Gospel batch, les Travelers sont les killers, my brother, my sister, ils convolent en justes noces avec le génie du Black Power, ils te sortent pour l’occasion un big heavy groove de r’n’b qui bascule dans l’excelsior intensif, my brother, my sister, ces trois Travelers créent une nouvelle école de pensée. Encore de la heavy Soul de r’n’b avec un «That’s The Reason» bien contrebalancé. Partout, tu as des voix et des black guitahs, c’est du solide, tu brûles d’impatience de les voir sur scène. Ils terminent cet album faramineux avec «I’m Grateful», encore un fast r’n’b, ils te le drivent à la bonne franquette et frisent la mad frenzy, yes I’m grateful, les Travelers font le show, tu peux jerker jusqu’à l’aube.

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             Alors les voilà sur scène ! Tu crois voir arriver les Temptations sur scène ! Ça vire au blast de Soul dès «We Don’t Love Enough». Au centre, tu as Thomas Gatling, fantastique shouter efféminé qui ramène à la fois Esquerita et David Ruffin, fute de cuir noir, crinière de dreads et gilet de perles blanches. À sa droite tu as George Marage, et à sa gauche le petit Dennis Keith Bailey. Derrière, quatre blancs, imprégnés de Soul jusqu’à l’oss de l’ass, font sauter la sainte-barbe.

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    Les Travelers ont décidé de rocker la nef des fous, alors ils te la rockent au raw de Stax, ça tangue, avec, dans l’œil du typhon, cet extraordinaire shouter qu’est Thomas Gatling. Il te sert tout le Soul-shaking new-yorkais sur un plateau d’argent. Comme sur leurs deux albums, ils proposent un cocktail explosif de gospel et de Soul Colemine, à coups d’«Hold Ya Head Up» et de «Fight On», c’est George Marage qui se tape les coups de falsetto et qui fait l’ange de miséricorde, comme le fit en son temps Eddie Kendricks dans les Tempts.

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    Ils ont tous les réflexes, tous les talents et tous les pouvoirs, c’est complètement impensable de voir trois jeunes blacks aussi doués, capables de revisiter une heure durant toute l’histoire de la Soul. Ils tapent dans leurs deux albums avec un bonheur qui te court délicieusement sur l’haricot, chaque cut sonne comme un hit de l’âge d’or, ils n’en finissent plus de monter à l’assaut du ciel, ils font le show comme tous les grands groupes de Soul de l’âge d’or, tout passe par la chorégraphie, par le shout et par le bamala. Shout bamala ! Ils tapent une belle cover de «Satisfaction» qui renvoie bien sûr à celle d’Aretha, mais c’est avec celle de «Love Train» pendant le rappel qu’ils deviennent définitifs. Ils invitent le public à monter à bord du Love Train, ce fantastique hit signé Gamble & Huff qui rendit les O’Jays célèbres dans le monde entier. Tu ne peux pas résister à ça. Et de les voir danser sur Love Train te réconcilie un peu plus avec la vie.   

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             C’est avec la mad frenzy de yes I’m grateful, couplée à «He’s On Time» qu’ils terminent ce set explosif. Thomas Gatling fait d’«I’m Grateful» un numéro digne de Wilson Pickett, il en tombe à genoux et s’ultra-shoute à la Pickett-mania. Thomas Gatling est déjà une superstar.

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    Signé : Cazengler, grosse pelle travelot

    The Harlem Gospel Travelers. Le 106. Rouen (76). Le 21 mars 2023

    The Harlem Gospel Travelers. He’s On Time. Colemine Records 2019

    The Harlem Gospel Travelers. Look Up! Colemine 2022

     

    Wizards & True Stars

    - Ne huez pas Huey

     

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             La nouvelle vient de tomber sur les téléscripteurs : Huey Piano Smith a cassé sa vieille pipe en bois. Alors qui qu’on fait ? On rend hommage. On dresse la stèle. Surtout pour un mec comme Huey qui est un héros, au même titre que Fatsy, le bon Doctor John et d’autres bobines légendaires de la Nouvelle Orleans. Il est aussi essentiel de rappeler qu’Huey Piano Smith a joué exactement le même rôle que Fatsy et Little Richard, deux pionniers qu’on qualifie généralement de précurseurs du rock’n’roll.

             Parlons berceaux. Memphis d’un côté, et la Nouvelle Orleans de l’autre : tout vient de là. Chaque scène a son identité, plus rockab pour Memphis, plus power-jumpy pour la Nouvelle Orleans. Mais dans les deux cas, ça grouille de génies. Phénomène d’émulation. D’où l’ancienne notion de scène - Memphis, la Nouvelle Orleans, Detroit, San Francisco, Swingin’ London, Liverpool, Madchester, New York CBGB, London 77 - une notion qui aujourd’hui semble s’être volatilisée. La dernière révolution culturelle en date remonte aux années 90 et fut celle de Seattle. Depuis, plus rien. 

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             L’idéal pour entrer dans l’histoire d’Huey est de se farcir le book de John Wirt, Huey Piano Smith & The Rocking Pneumonia Blues. Il s’agit là d’un book extraordinairement bien documenté, qu’il faut associer à la bible de John Broven, Rhythm And Blues In New Orleans

             Huey est resté célèbre pour quatre hits : «Rocking Pneumonia And The Boogie Woogie Flu», «Sea Cruise», «High Blood Pressure» et «Don’t You Just Know It». John Wirt consacre quasiment la moitié de son book aux procédures judiciaires menées par Huey et ses avocats successifs pour tenter de récupérer le blé généré par ses compos. Comme tant d’autres, le pauvre Huey s’est fait plumer. Dommage, car c’est une histoire qui commence comme un conte de fées, chez Cosimo Matassa, sur North Rampart Street, là où Roy Brown enregistra «Good Rocking Tonight» en 1947. Un Cosimo qui sert aussi de guide pour les pisteurs venus dénicher les talents à la Nouvelle Orleans.   

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             Huey est dès le début un cas à part : il compose, arrange, interprète et produit. Comme Totor, il s’intéresse aux vraies voix pour les mettre en avant. En matière de voix, il est extrêmement exigeant. Il prend l’exemple du «Hound Dog» d’Elvis : «Il chantait ce que Big Mama Thornton disait, mais il n’avait pas la flavor. Les gens ont acheté le disque parce qu’il chante, pas à cause de la façon dont il sonne. Bien sûr, Elvis est meilleur que tous les autres, mais je n’ai jamais rien vu d’unique en lui. Je compte sur les doigts d’une main les chanteurs qui ont quelque chose d’unique : Larry Darnell, James Brown, Ray Charles, Joe Turner. On peut ajouter Sam Cooke, Clyde McPhatter, et Billy Ward And His Dominoes.» Pour Huey, Billy Ward And His Dominoes est un modèle. Billy et lui sont tous les deux des auteurs compositeurs qui prennent des interprètes sous leurs ailes respectives : Clyde McPahtters et Jackie Wilson ont fait partie des Dominoes. Huey cite aussi Johnny Otis qui prit sous son aile Esther Phillips. C’est pourquoi Huey monte les Clowns et prend Bobby Marchan sous son aile. Dr John : «Huey would school cats. He was about the show. It was about presenting something and making fun.»   

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             Dr John voit Huey comme un novateur : «I credit Huey with opening the door for funk, basically as we know it, in some ridiculously hip way, and putting it in the mainstream of the world’s music.» Dr John est fasciné par Huey - And Huey was catching the real second line on «Little Liza Jane» - Il parle bien sûr de l’énergie du carnaval de Mardi Gras. Il ajoute qu’Huey «savait rendre ses chansons spéciales». Dr John adore voir Huey composer : «Il prenait son temps. Il démarrait avec une idée et bossait dessus. Ça pouvait être une ligne de basse à la main gauche et des accords à la main droite. Puis il ajoutait une petite mélodie, il la savourait. Il était très relax.» À l’époque où le jeune Mac chercher à démarrer sa carrière de compositeur, Huey lui donne des conseils. Il lui file un livre de poèmes pour enfants et lui dit que s’il cherche une mélodie, alors il doit aller écouter les enfants chanter dans la rue - Il m’a montré a path that was beautiful. He started me to where I was able to get songs recorded. It changed my life - Mac dit en gros qu’il doit tout à Huey. Diane Grasi, responsable de Cotillon Music, rend elle aussi hommage à Huey : «Il était en avance sur son époque. Il a composé certaines des meilleures chansons de son époque, faciles à chanter et agréables à écouter. C’est la beauté d’une bonne chanson. Pas besoin d’être Frank Sinatra  pour la chanter.»

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             Pianiste débutant, Huey commence par accompagner Guitar Slim, un blackos excentrique originaire d‘Hollandale, Mississippi. Slim se teint les cheveux en orange et porte des futals aux jambes de couleurs différentes. Slim et Huey démarrent ensemble au Club Tiajuana, à la suite de Spider Bocage, c’est-à-dire Eddie Bo, qui vient de partir chanter à Mexico. Guitar Slim utilise un cordon-jack de guitare très long, ce qui lui permet d’aller jouer dans la rue. Buddy Guy est fasciné par Slim - I wanted to be Guitar Slim - Slim rebaptise ses musiciens en fonction de leurs instruments : Oscar Drummer Moore, Tenor Red et bien sûr Huey Piano Smith. C’est Huey qui présente Slim à Johnny Vincent qui, à cette  époque, est talent scout pour le compte de Specialty, le label californien d’Art Rupe. Coup de foudre, Slim enregistre «The Things That I Used To Do» en 1953. Ray Charles, qui est de passage à la Nouvelle Orleans, participe à la session. Cosimo se souvient que Slim n’était pas facile à gérer en session : il attaquait avec trois pétards d’herbe et un litron de gin. La pauvre Guitar Slim va casser sa pipe en bois prématurément. En 1958, il a du mal à respirer. Un toubib lui dit d’arrêter de picoler. Alors qu’il est en tournée sur la côte Est, Slim s’écroule dans l’ascenseur du Cecil Hotel à New York. Il n’a que 32 ans. Son pianiste Lloyd Lambert déclare : «If Slim was alive today, he would be bigger thant that guy that had ‘Boom Boom Boom’ or any of those other blue guys.»

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             Alors après, Huey va se maquer avec Earl King. Il lui demande s’il veut jouer avec lui : «Earl, you want to make a gig?», et Earl lui dit qu’il ne connaît pas de chansons - Man, I don’t know no songs - Alors Huey lui dit qu’il va lui en montrer quelques-unes. Et comme Earl King est doué, les gens croient entendre un nouveau Guitar Slim. Huey accompagne aussi Smiley Lewis, le favori de Dave Bartholomew. C’est Huey qu’on entend jouer l’intro d’«I Hear You Knocking», le big hit de Smiley en 1955, que va reprendre plus tard Dave Edmunds. Dave Bartholomew est triste : les disques de Smiley marchent bien à la Nouvelle Orleans, mais il ne parvient pas à le rendre célèbre dans le reste du pays.

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             Nous voilà donc au cœur du mythe de la Nouvelle Orleans. C’est Little Richard qui le dit : «New Orleans is to me the capital of music. C’est là que j’ai rencontré Earl King. C’était un grand chanteur, un grand guitariste et il m’a influencé.» Huey Piano Smith fait partie des piano players de renom. Earl Palmer : «Les gens ne savaient pas qui était Professor Longhair, mais ils connaissaient Huey because Huey was Uptown. Clubwise, everything was Uptown.» Pour les premières sessions de Litlle Richard chez Cosimo, Bumps Blackwell recrute Huey, mais aussi James Booker et tous les autres (Alvin Red Taylor, Lee Allen, Frank Fields, Earl Palmer et deux guitaristes). Mais comme ils n’ont pas le temps de bosser sur les arrangements de piano, Blackwell laisse Little Richard jouer son wild piano sur «Tutti Frutti».

             Quand Huey quitte le groupe d’Earl King pour entamer sa carrière solo, c’est un jeune pianiste de 17 ans qui le remplace : Allen Toussaint. Shirley and Lee font aussi leurs débuts chez Cosimo en 1952  avec «I’m Gone». Mac Rebennack n’est pas loin : il commence à bosser pour Ace records en 1956. Son père est un ami de Cosimo, ça facilite les choses. Mac est fan de Guitar Slim et d’Earl King, et il a eu comme prof de guitare Walter Papoose Nelson, le guitariste de Fatsy et de Professor Longhair. Mac indique en outre qu’il s’est souvent retrouvé en studio avec Huey.

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             La vie de Professor Longhair est comme on dit un poème. En tant que musicien, il n’a jamais réussi à gagner de quoi nourrir sa famille, alors il a dû boxer, faire le cuistot et il a fini par devenir joueur professionnel, mais il fut aussi balayeur au One-Stop Record Shop sur South Rampart Street. Lors de l’enterrement de Fess, Jerry Wexler lui rendit hommage, ainsi qu’aux New Orleans pianists : «J’ai eu le privilège de les connaître tous et même de travailler en studio avec certains d’entre eux. D’avoir rencontré Professor Longhair, Allen Toussaint, James Booker, Mac Rebennack, Huey Smith et Fats Domino a enrichi ma vie.» À l’enterrement d’Earl King, Dr John conduit le cortège et la Clown Gerri Hall déclare : «Quand des gens comme Guitar Slim, Earl King et Professor Longhair disparaissent, there’s no mucic in New Orleans no more. Nobody can make the noise they make.» Wirt n’en finit plus de faire tourner le manège des légendes. Imperial Records qui a déjà Fatsy et Huey compte aussi parmi ses artistes Smiley Lewis, les Spiders, Snooks Eaglin, Robert Parker, Wardell Quezergue and the Sultans et Shirley & Lee. Pardonnez du peu ! Lew Chudd ratissait large. Il va aussi récupérer Earl King et Frankie Ford.

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             En 1963, une délégation d’artistes de New Orleans se rend à Detroit : Earl King, Johnny Adams, Chris Kenner, Esquerita, Wardell Quezergue et Reggie Hall (beau-frère de Fatsy), mais le projet Motown-New Orleans ne s’est hélas pas matérialisé. Earl King est impressionné par l’organisation de Berry Gordy. Il comprend qu’avec ce type d’organisation, tout est possible. Aidé d’Allen Toussaint, Joe Banashak essaye de lancer un gros label local, Minit Records, il a pas mal de hits avec Ernie K-Doe («Mother-in-Law»), Benny Spellman («Fortune Teller»), Chris Kenner («I Like It Like That»), mais aussi Aaron Neville, Irma Thomas, Eddie Bo, Lee Dorsey, mais cela ne suffit pas. En 1966, trois hits énormes sont enregistrés à la Nouvelle Orleans, «Tell Like It Is» d’Aaron Neville, «Barefootin’» de Robert Parker, et «Working In The Coalmine» de Lee Dorsey, mais cela ne suffit pas non plus. Allen Toussaint, Eddie Bo et Huey produisent pour Banashak, mais cela ne suffit pas. Banashak monte trois autres labels en plus de Minit : Instant, Alon et Seven B, mais cela ne suffit pas. Quand Dr John enregistre Gumbo à Van Nuys, en Californie, il s’entoure d’expats de la Nouvelle Orleans : Harold Battiste, Lee Allen, Ronnie Barron, Shirley Goodman de Shirley & Lee, Tami Lynn et Alvin Shine Robinson. Gumbo est un album génial, mais ça ne suffit pas.

             En fait, tous les entrepreneurs de la Nouvelle Orleans se cassent la gueule financièrement, Joe Banashak, Johnny Vincent et Cosimo Matassa. Dans l’histoire, Cosimo est ruiné. Il perd même son studio - I wasn’t a good business man as I should have been - Banashak confie à Huey qu’il a dû filer des sous à Cosimo pour qu’il puisse aller se faire couper les cheveux.

             Lorsqu’il évoque l’histoire de James Booker, Wirt ouvre un horrible chapitre. Suite à un drug bust, Booker est condamné et envoyé à Angola, la taule la plus terrible de l’histoire des taules. Les juges y enverront aussi Leadbelly, Robert Pete Williams et Chris Kenner. Condamné pour possession de deux joints, Charles Neville y purge 5 ans de travaux forcés. Un spécialiste nommé Nick Spitzer déclare à ce propos : «Le côté terriblement ironique des prisons du Sud, c’est que la culture africaine y a été préservée, parce que la grande majorité des gens emprisonnés étaient des Afro-américains.»

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             Le nœud gordien du Wirt book, c’est Johnny Vincent, blanc boss d’Ace d’origine italienne. Wirt en fait un portrait pas très ragoûtant. Vincent commence par sortir sur son label Ace des enregistrements financés par Specialty. Donc Art Rupe le vire, officiellement pour faire des économies, mais Vincent dit que Rupe n’a pas respecté ses engagements. Vincent attendait des royalties sur les enregistrements de Guitar Slim, de Sam Cooke & The Soul Stirrers, de Wynonie Harris, de John Lee Hooker et de Frankie Lee Sims - Oh, man, I had me some royalties coming. The money was so big, that’s why I got fired - Vincent sort donc le premier hit de Guitar Slim sur Ace, «The Things That I Used To Do», puis le hit d’Earl King, «Those Lonely Lonely Nights». Comme il n’a pas les sous pour enregistrer chez Cosimo, il va dans un studio primitif de Jackson, Mississippi. Huey joue sur un piano qui n’est pas accordé. Vincent dit que ce n’est pas grave. Earl King dit avoir détesté cet enregistrement - I liked to die when I heard it. But it sold - Huey sent bien qu’il se fait rouler par Vincent, mais il le considère comme un ami. Johnny Vincent est l’un des rares blancs qui socialise avec les blackos, en plein Jim Crow. Vincent adopte même leur slang, comme s’il voulait se faire passer pour un hip cat, dit Huey. Vincent va dans les clubs noirs pour voir jouer les groupes - I was the only white man in there - Quand «Rocking Pneumonia» sort sur Ace et devient un hit national, Vincent ne paye pas Huey. En guise de «dédommagement», il lui offre la camionnette qui sert aux tournées des Clowns. Belle arnaque. Un collègue rital de Vincent qui assiste à la scène du dédommagement se dit embarrassé - Oh Johnny man, you go’ give the business a bad name - Comme Huey est fauché, il doit faire des coupes sombres dans ses Clowns. Il n’a pas les moyens de les payer, alors que «Rocking Pneumonia» est en tête des charts américain. Pour Huey, c’est le commencement d’un très long chemin de croix. Le seul gros chèque que Vincent va donner à Huey sera d’un montant de 4 000 $, le jour où Huey achète sa maison sur Congress Avenue - That’s the highest money I ever got from Johnny in my life - Huey ajoute qu’il n’a jamais vu aucun relevé de royalties. Dr John indique lui aussi que Vincent ne payait jamais les musiciens. Puis Vincent fait comme Uncle Sam : il comprend que les blancs passent mieux à la radio, beaucoup mieux que les noirs : alors il lance Frankie Ford et demande à Huey de lui écrire des hits. Huey comprend qu’il vaut mieux se faire un allié plutôt qu’un ennemi de Frankie et il le prend sous son aile. Il lui apprend «Alimony» - He didn’t steal it. But Johnny never paid me for that song or none of the rest neither. And they didn’t pay me for the writing or bringing Frankie to the barber. I had to use my own gas to get him down there! - Huey dit aussi que Vincent ne payait pas Frankie Ford. Lorsque l’accord de distribution passé avec Vee-Jay se casse la gueule, Ace fait faillite. Vincent se retrouve le bec dans l’eau - I hit hard times - Sa femme se barre. Alors il vend les droits des chansons d’Huey pour 20 000 $ - I blowed it all - Plus tard, Vincent refait surface et propose 300 $ à Huey pour composer des hits, ce qui fait bien marrer Joe Banashak : «Laisse-moi te dire un truc Huey. Si Johnny te propose 300 $, ça veut dire que quelqu’un lui en a proposé 30 000.» Mais bizarrement, Huey continue de voir Vincent comme un ami.

             Vincent casse sa pipe en bois en l’an 2000. Earl King ne pleure pas sur la tombe de Vincent, au contraire : «He ain’t treat nobody good, man, I was sorry for him, you know, mais il a fait du tort aux gens alors qu’il n’était pas obligé.» Par contre, Frankie Ford lui a rendu hommage.

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             Wirt donne aussi pas mal de détails sur les Clowns. Rudy Ray Moore fut à une époque le chauffeur des Clowns, lorsqu’ils partaient en tournée. C’est lui qui invente la fameuse expression «don’t you just know it» dont Huey va faire un hit. Quand Moore écrase le champignon sur un tronçon de route, Huey lui demande pourquoi il roule si vite. Moore lui répond qu’il n’aime pas trop le secteur. Alors Huey lui dit que si un pneu éclate, «we’ll still be up here», et Moore lui lâche le fameux «don’t you just know it», qu’on pourrait traduire par «tu ne crois pas si bien dire». Sur «Don’t You Just Know It», on entend Gerri Hall, Bobby Marchan, Roosevelt Wright, Huey et l’excellent batteur polyrythmique Charles Hungry Williams, ha ha ha ha, hey-ey oh ! Gooba-gooba gooba-gooba goo ! Quand Huey en a marre des tournées avec les Clowns, il demande à James Booker de le remplacer. Parmi les Clowns célèbres, on trouve aussi Curley Moore, Robert Parker, John Williams, Gerri Hall, Jesse Thomas et James Rivers.

             Huey finit par se retirer du music biz. Il monte Smith’s Dependable Gardening Service, avec sa femme, Margrette. Cosimo fait partie de ses clients. Wirt affirme que si Huey avait pu récupérer ses royalties, il aurait pu vivre confortablement. En 1997, ses chansons nous dit Wirt ont généré 70 000 $ de royalties.

             Les gens de Charly sont des gros malins : ils ont réussi à refourguer deux fois les fameuses sessions Cotillon 1970 de Joe Banashak. On les trouve sur Pitta Pattin’ et puis sur It Do Me Good -The Banashak & Sansu Sessions, un double CD compilatoire paru en 2012. Même si on connaît tout ça par cœur, la compile vaut le détour. Pour la petite histoire, Atlantic/Cotillon voulait qu’Huey ré-enregistre tous ses vieux hits, mais la parution fut annulée. Banashak sortira quelques extraits de ces fameuses sessions dans les années 80. Cette annulation de projet est d’autant plus mystérieuse qu’Atlantic fit paraître deux ans plus tard, en 1972, le Gumbo de Dr John sur lequel tu trouves cinq cuts d’Huey. Va-t-en comprendre ! C’est après cette déconvenue qu’Huey s’est retiré du music business pour devenir Témoin de Jéhovah et monter sa petite société de jardinage. Marshall Sehorn et Allen Toussaint réussiront à faire revenir Huey en studio en 1978. Ce sont les sessions Sansu qu’on retrouve sur l’album Rockin’ & Jivin’. L’ensemble de toutes ces sessions arrachées à l’oubli sonne comme une bénédiction, dès lors qu’on en pince pour le son de la Nouvelle Orleans. On passe avec Huey des soirées extraordinaires.

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             Tu entres dans les Banashak Sessions par la grande porte, c’est-à-dire «Through Fooling Around Part 1 & 2», c’est Gloria Franklin qui mène le bal et les Clowns claquent le beat. Le duo Gloria Franklin/Alex Cox se tape la part du lion, avec l’oooh-ooh baby de «Baby You Hurt Me», puis ils explosent la buenaventura de la Nouvelle Orleans avec «(I’m Gonna Gotcha) What’ch Bet», ils font ensuite du Shirley & Lee au bord du fleuve avec «(I’ve Got) Everything». Gloria t’explose encore l’Huey avec «(I Do Things Come) Naturally». On trouve ensuite Little Buck sur «Coo Coo Over You», et Pearl Edward sur «Blues 67». Tous ces interprètes sont bien sûr énormes. On retrouve du coo coo plus loin avec «Feeling Kinda Coo Coo Too», une pure merveille claquée au contretemps du coo coo too. Pur genius ! «Eight Bars Of Amen» est d’une incroyable modernité. Huey envoie sa meute et ça swingue ! Huey tape son «Ballad Of A Black Man» au heavy groove de wah, il rend hommage à Ray Charles, à Booker T. Washington, à Joe Lewis - Everybody knows Doctor Martin Luther King/ He was a peace loving man - Sur le disk 2, on retrouve la version moderne de «Rocking Pneumonia» tapée au heavy groove. Huey s’amuse bien avec son vieux hit. On entend Curley Moore et Scarface Joe Williams dans un «We Like Mambo» modernisé lui aussi en 1970 pour Atlantic. Extrême musicalité ! Ça joue le cha cha groove chez Huey ! Ils restent dans le vieux style mais avec un son heavy pour l’imparable «High Blood Pressure» - I’ve got / Ahhh highhh/ Blood pressure/ Down my veins - Tout est fabuleusement orchestré, Huey ne se foutait pas de la gueule d’Atlantic. Gloria Franklin allume «If You’d Only Come Back Home» aux clameurs de gospel et on retombe en plein mythe New Orleans avec «Don’t You Just Know It», ah-ah-ah eh-eh oooh ! Encore un coup de génie avec «I’m Boss Yeah Pt1 & Pt2».

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             On enquille ensuite les sessions Sansu parues sur Rockin’ & Jivin’. Huey chante lead, Roosevelt Wright fait le baryton et Margrette fait le falsetto. Ils sont accompagné par Skor, un groupe de blancs. Huey embarque «Witcha Way To Go» au baïon de la concorde, puis il rend hommage aux Coasters avec une fantastique cover de «Young Blood». Comme Chucky Chuckah, Huey possède la science infuse du lyric parfait. Il rend plus loin hommage à Hank Williams avec une cover de «Jambalaya (On The Bayou)». Une vraie perle noire. Il amène ensuite «‘Fore Day In The Morning» au heavy revienzy, c’est carrément Wolf à la Nouvelle Orleans, taillé à la serpe de sax. On reste au paradis de la musicalité avec «I’m So Blue (Without You)», come on home ! Basse énorme et gros coups de trombone. Comme il a besoin d’une rime avec monkey dans «Hip Little Monkey», il lance : «Who likes to get funky ?». Il te ramène au cœur du mythe, en plein dans Mac, en plein story telling, il te raconte une histoire de what’s it’s all bout, une histoire de monkey in a coconut tree, le groove glisse dans la légende, tu as tout le son de Wardell Quezergue et de Mac et de Cosimo et d’Harold Batiste et de Bobby Marchan et de Lee Allen et d’Earl Palmer et de Fatsy et de tous les autres géants de la Nouvelle Orleans. John Wirt révèle que l’album fut mixé sans Huey. En 1984, Huey et Margrette découvriront horrifiés que leurs chansons enregistrées au Sea Saint sont parues sans leur accord : c’est le fameux Rockin’ & Jivin’ paru sur Charly 1981.

             Les ceusses qui le possèdent s’en sont néanmoins régalés jusqu’à plus soif. Personne ne savait rien de cette carambouille. Comme déjà dit, on y croise des covers fabuleuses, le «Young Blood» des Coasters et le «Jambalaya (On The Bayou)» d’Hank Williams. Tout le son de la Louisiane est là. «I’m So Blue (Without You)» et «Little Chickee Wa-Wa» sont des prototypes de l’archétype inflammatoire.

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             On retrouve les Banashak sessions sur un autre album Charly, Pitta Pattin’, paru en 1987 et déniché aux Puces, à l’époque. C’est l’âge d’or Gloria Franklin et Alex Cox et on retrouve bien sûr l’excellent «Coo Coo Over You» chanté à la voix cassée (Little Buck), et en B, le gros délire funéraire, «Bury Me Dead (Deep In My Grave)», ah ils s’amusent bien avec la tombe, ils y vont au baryton de deep in my grave suivi d’un coup de chat perché de Gloria au deep in my grave. Elle fait encore un carton avec «(I’m Gonna Getcha) Wat’cha Bet» qu’elle tape à l’arrache du gospel batch, yeah yeah yeah. Son watcha bet vaut tout l’or du monde. Puis le duo d’enfer Goria/Alex Cox se lance dans des numéros de cirque avec «(I’ve Got) Everything» et «Baby You Hurt Me» : pendant qu’Alex Cox fait sa folle, Gloria sings her ass off. Et puis il faut la voir achever le «Blues 67 Pt1» au scream.

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             L’Having A Good Time d’Huey Piano Smith & His Clowns est l’un des rares albums officiels d’Huey à être paru sur Ace en 1959. Attention, pas l’Ace des gens d’Ace en Angleterre, non, l’Ace de Johnny Vincent, le mover & shaker de Jackson, Mississippi. On y retrouve l’inévitable «Rockin’ Pneumonia», mais le cut qui rafle la mise du balda est l’excellent «Little Liza Jane» - You like to dance ! - Huey a toujours sous la main une petite gonzesse qui chante comme la Shirley de Shirley & Lee. Fantastique partie de rigolade avec «Don’t You Know Yockomo». C’est la grande force d’Huey : il aime la rigolade. Il s’amuse en B avec ah-ah get ah high/ Blood pressure/ On my head. C’est un festin, en plus d’être un hit séculaire. On retrouve toute la powerhouse de Little Richard derrière «Well I’ll Be John Brown». C’est le beurre qui rafle la mise dans «Everybody’s Wailin’» et dans «We Like Birdland». Pur afro-beat !

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             Encore de l’Ace pur avec Good Ole Rock ‘N Roll et des liners signés Johnny Vincent. On trouve en balda une version bizarre de «Fortune Teller» et la sainte-barbe saute avec «Educated Fool», fantastique jumpy clownesque alimenté aux renvois de chœurs. Bobby Marchan se tape le «Second Line» et on retourne au cœur du mythe en B avec «At The Mardi Gras». Encore un coup de Jarnac avec «Bashful Bob» et ses chœurs de filles évaporées. Et tu retrouves tout le génie d’Huey avec «It Do Me Good», Gerri Hall chante, elle y va au chat perché infectieux et là tu as tout le génie du lieu : Huey + Clowns + Frank Field + Lee Allen + Mac et cette magnifique virée s’achève avec «That Will Get It», où Miss Gerri duette avec Huey.

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             Encore un coup d’Ace avec Huey Piano Smith’s Rock & Roll Revival, une sérieuse compile parue en 1971, avec au dos des liners de Greg Shaw. On retrouve tous les géants du cru, Bobby Marchan avec l’hey eh oh de «Don’t You Just Know it» et derrière, tu as Mac, Earl Palmer, Allen Toussaint, Lee Allen, Papoose Nelson et Earl King. Tout ici n’est que fantastique ambiance, Earl Palmer t’explose «Little Liza Jane» et le duo Huey/Gerri Hall fout le feu sur «Little Chicken Wa-Wa». Ah elle y va la Gerri ! En B, on retrouve sur «Honey Honey» toute l’ambiance des pétaudières du Little Richard de l’ère Specialty. Bobby Marchan explose le «Tiddley Wink», c’est l’un des princes de la nuit de la Nouvelle Orleans. Alors attention, il y a des inédits sur cette compile, c’est pour ça qu’on est là. Voilà l’énorme Frankie Ford & The Sisters avec «Alimony». Frankie est un crack, il tient bien sa rampe, il est de toute évidence le Killer de la Nouvelle Orleans. À la suite, Huey et Gerri Hall tapent la version originale de «Sea Cruise», sur un bassmatic demented ! Et Bobby Marchan referme la marche avec la pétaudière de «Loberta». Ah comme ça dégage chez Cosimo ! Le fantastique shuffle rythmique de la Nouvelle Orleans agrémenté de chœurs inlassables est d’une rare puissance. Pour Jay Cocks, cet album d’Huey va tout seul sur l’île déserte (in Stranded: Rock And Roll For A Desert Island).

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             On peut conclure ce brave petit tour d’horizon avec d’autres clients sérieux, les gens de Rhino. Il firent paraître en 1986 un Serious Clownin’ -The History Of HPS And The Clowns. En plus d’Huey, on retrouve sur la pochette Frankie Ford et Jimmy Clanton. Ford tape le «Sea Cruise» d’Huey en ouverture de bal de B et on assiste une fois de plus à la fantastique exubérance du beat. Bobby Marchan tape l’«Hush Your Mouth», un délicieux heavy groove à la Fatsy. On retrouve aussi ce clin d’œil aux Coasters, «Well I’ll Be John Brown» et l’allez allez allez ho de «Don’t You Know Yockomo», c’mon baby, ce démon d’Huey rocke sa chique ! Tout le good time roll de la Nouvelle Orleans est comme on le sait concentré dans «Little Liza Jane», ce fast jumpy jumpah. Jimmy Clanton tape «Just A Dream», mais ça sent trop le blanc. Pas bon. Par contre, Frankie Ford transforme «Loberta» en «Roberta». Pur power ! En B, tu vas aussi retrouver les classiques clownesques, «High Blood Pressure» et «Don’t You Just Know It». Bobby Marchan referme la marche avec «Rockin’ Behind  The Iron Curtain» qu’il chante à l’accent tranchant des bas-fonds du Dew Drop Inn. 

    Signé : Cazengler, Huey pineau des charentes

    Huey Piano Smith. Disparu le 13 février 2023

    Huey Piano Smith. Rockin’ & Jivin’. Charly Records 1981

    Huey Piano Smith. Huey Piano Smith’s Rock & Roll Revival. Ace Records 1971

    Huey Piano Smith & His Clowns. Having A Good Time. Ace Records 1959

    Huey Piano Smith. Serious Clownin’. The History Of HPS And The Clowns. Rhino Records 1986

    Huey Piano Smith. Pitta Pattin’. Charly R&B 1987

    Huey Piano Smith. Good Ole Rock ‘N Roll. Ace Records 1990

    Huey Piano Smith. It Do Me Good. The Banashak & Sansu Sessions. Charly Records 2012

    John Wirt. Huey Piano Smith & The Rocking Pneumonia Blues. Louisiana State University Press 2014

     

    *

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    Nous avions laissé Two Runner à la mi-juin 2022, elles venaient de remporter le Gems in the rough ( 2022 ), concours de musique bluegrass qui regroupa plus de 800 concurrents. Elles avaient alors quelques concerts en prévision dans leur escarcelle pour le mois de juillet. Ils se sont petit à petit multipliés, elles n’ont pas arrêté de tourner de tout l’été, la liste de la tournée n’en finissant pas jour après jour de s’allonger. A la rentrée elles annonçaient sur leur FB que lassées par le temps perdu et la fastidieuse tâche de mettre en place de nouvelles dates elles avaient pris un tourneur. Depuis le nom de Two Runner apparaît dans d’importants festivals de Bluegrass de cette nouvelle année. Enfin cerise supplémentaire sur l’apple pie, elles annonçaient la sortie de leur premier album pour le 24 mars 2023.

    Elles ne sont pas cruelles, en novembre 2022, puis en février et début mars 2023, elles ont présenté en avant-première trois morceaux de cet opus, certes nous les avons écoutés mais pas chroniqués car nous voulions avant tout juger du total impact de ce premier disque.  

    Pour les curieux qui n’auraient pas suivi les épisodes précédents nous renvoyons les lecteurs à nos livraisons 512 du 27 / 05 / 2021, 514 du 10 / 06 / 2021, 541 du 10 / 02 / 2022 et 559 du 15 / 06 / 2022.

    MODERN COWBOY

    TWO RUNNER

    ( Dark Horse Recording / Juin 2022 )

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    Non, notre cowboy ne pose sur la couve ni avec son colt, ni avec son lasso, ni avec son cheval, l’est même absent, l’on n’y perd pas, avec ces deux jolies filles souriantes l’on y gagne à coup sûr, la modernité a parfois du bon, faudra s’y faire, inutile d’intituler l’album ‘’modern cowgirl’’, le message est clair, les filles sont là, elles remplacent avantageusement le cowboy Marlboro, elles l’ont relégué au magasin des antiquités, les temps changent. Est-ce pour cela qu’elles apparaissent dans un carré noir, à la manière des vignettes des BD de pirates, comme dans un cercle de longue-vue, parce qu’il est temps de prendre le vieux monde à l’abordage… 

    Tournez la pochette. Les fans de Two Runner ne sont pas surpris. Derrière elles, un paysage magnifique. N’habitent pas pour rien dans le Nevada, de nombreuses vidéos sur You Tube les présentent en pleine nature, en moto ou en voiture elles s’arrêtent volontiers lorsqu’elles aperçoivent arbres, rochers, parcs, rivières, elles se saisissent de leurs instruments, et dans un grandiose décor à couper le souffle se mettent à jouer et à chanter.

    Attention les amateurs de gros sons électriques, Two Runner se définit comme un duo d’American Roots, musicalement nous sommes quelque part entre bluegrass, folk, et une pincée de country, en un lieu indéterminé entre tradition et modernité. Détail d’importance, sur huit titres, cinq sont écrits et composés par Paige Anderson, deux ( 2, 3 ) par Paige et Z Bert.

    Paige Anderson : lyrics, vocals, guitare, banjo clawhammer / Emilie Rose : Fiddle, vocals / Pamela Roberts : bass / Ethan Anderson : upright bass / Dave Brewster : drums.

    Devil’s rowdydows : quelle entrée ! ces sourds tampons de batterie sur laquelle le clapotement incessant du banjo monte à l’assaut, tel le lierre qui se greffe sur le chêne, l’enlace et finit par ne faire plus qu’un avec lui, la voix de Paige mène le train, les zébrures infernales du violon de Rose éclatent en giboulées de mars, puis ruissellent en averses rutilantes. Cette sarabande est d’autant plus effrénée que les mots de Paige sont ambigus, la flamme du désir qui consume le présent se perd dans le rêve d’une éternité retrouvée. It’ s nothing : un ton plus grave, la rythmique en sourdine, la voix de Paige, les mots sortent lentement de sa gorge, le violon ne danse plus sur les vagues, le vent ne cingle plus sa grand-voile lyrique, lyrics d’une tristesse absolue, le fiddle tente de s’embraser mais l’archet d’Emilie étouffe ses pleurs, et si ce que nous avons vécu existait vraiment, si nous nous étions vraiment inscrits dans le cœur de la présence de l’être, à moins que tout cela ne soit tragiquement qu’un feu de paille éteint, que rien du tout… Run souls : bouleversant, notes de banjo égrenées dans le néant du temps, la voix de Paige s’élève, elle parle depuis l’autre côté, elle accuse depuis la face sombre de la nuit, elle conte son échec, une existence étriquée, le désir de quitter ce monde d’étroitesse, le violon vous perce le cœur, Paige pose des mots lourds de détermination sur la laideur du monde, le monde est pourtant si divin, que les âmes cherchent  l’aube des temps, le banjo éclate en sanglots inaltérables, le violon d’Emilie pousse son chant du cygne. Shakin’ down the accorns : instrumental, Emilie s’en donne à cœur joie, la basse a beau gronder par-dessous, le banjo devenir fou, l’on n’entend que le feu follet de son archet qui secoue le monde et le balance follement à le faire choir dans l’herbe du bonheur comme un fruit trop mûr. L’original ( 1947 ) de ce traditionnel est d’Edden Hammons dont la vie et son violon ressemblent au Bateau Ivre d’Arthur Rimbaud, un maître incomparable, Emilie y rajoute un zeste de folie non négligeable. Red sunrise : en quelque sorte la suite de Run souls, la voix de Paige monte comme une vague énorme qui s’est brisée sur une barrière de récifs infranchissables, elle appuie sur les mots de telle manière que l’on croit qu’elle arrache de sa chair des poignards enfoncés jusqu’à la garde, le violon d’Emilie n’est plus qu’un contre-chant de souffrances, tantôt sourdes, tantôt aigües. Effrayant. Ce morceau est à mettre en relation avec le libératoire Burn it to the ground qui n’est pas sur cet album mais qui forme une parfaite trilogie avec celui-ci et Run Souls. Modern cowboy : chant d’ivresse et de triomphe, la voix de Paige plane très haut, fiddlement soutenu par Emilie, un aigle s’élève dans son cœur, elle détache les mots comme les chercheurs d’or arrachaient les pépites aux racines des herbes sauvages, un hymne à la délivrance qui pointe telle la cime adamantine d’une montagne inconnue. Un petit côté tex-mex, l’ensemble m’évoque la scène de fête de La Horde sauvage dans le village mexicain, une espèce d’hymne miraculeusement suspendu hors du temps, avec cependant le sentiment diffus que ces pics de joie sans égale sont exceptionnels dans une vie humaine. Wild dream : un feu de joie, une course éperdue de s’être trouvées, le banjo qui batifole et le violon d’Emilie qui bat la chamade à l’unisson, une ronde d’allégresse sans fin, la batterie bondit jusqu’au septième ciel. Where did you go : contraste absolu avec le morceau précédent, notre pressentiment dans Modern Cowboy s’avère confirmé, la menace sourde prend ici toute la place, la Mort nous attend, Paige la regarde dans les yeux, elle est seule avec sa guitare. L’on ne se confronte à l’innommable que dans la nudité la plus absolue de son âme. De toute beauté.

             Un disque sans concession. Emouvant et magnifique. Paige et Emilie telles que la musique les a unies. Deux musiciennes hors-pair, la voix incomparable de Paige, cette légère raucité qui vous érafle le cœur à chaque mot qu’elle prononce un mot, et le violon d’Emilie qui s’insinue en vous telles des piqûres d’abeilles dont on ne guérira pas. Et puis les lyrics de Paige si simples et porteurs d’une mystérieuse aura poétique indiscutable.

    Pour ceux qui voudraient en savoir plus, nous signalons quelques vidéos en relation avec certains des morceaux présents sur le disque.

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    Red Sunrise : outdoor take : d’abord le plaisir de voir Ethan Anderson le petit frère de Paige accompagnant sa sœur sur son upright basse, Emilie au violon les yeux fermés et Paige à la guitare acoustique dans son poncho à la Clint Eastwood dans Pour une poignée de dollars. Derrière eux, le bâtiment de Dark Horse Recording où fut enregistré le disque. Vidéo de Scott G Toepfer.

    Red Sunrise, by Two Runner,  Dark Horse Recording : vous n’êtes plus au-dehors mais dans le studio et vous assistez à l’enregistrement du morceau.

    Run souls, by Two Runner,  Dark Horse Recording : Paige, Emilie, Ethan, dans le bâtiment du studio.  Vidéo de Scott G Toepfer. Le studio est situé à Franklin, dans le Tennessee, près de Nashville.

    Wild dream || Back When FM : un enregistrement pour BackWhenFM lors de la tournée d’été de Two Runner, Emilie et Paige au banjo.

    Two Runner | Devil’s Rowdidows | Western AF : comme dans la précédente elles se présentent en quelques mots.

    Damie Chad.

     

    *

    Je commence par chanter Dèmètèr aux beaux cheveux, vénérable Déesse, elle et sa fille aux belles chevilles qu'Aidôneus, du consentement du retentissant Zeus au large regard, enleva loin de Dèmètèr à la faucille d'or et aux beaux fruits, comme elle jouait avec les filles aux seins profonds d'Okéanos, cueillant des fleurs, des roses, du safran et de belles violettes, dans une molle prairie, des glaïeuls et des hyacinthes, et un narcisse que Gaia avait produit pour tromper la Vierge à la peau rosée, par la volonté de Zeus, et afin de plaire à Aidôneus l'insatiable. Et ce narcisse était beau à voir, et tous ceux qui le virent l'admirèrent, Dieux immortels et hommes mortels. Et de sa racine sortaient cent têtes, et tout le large Ouranos supérieur, et toute la terre et l'abîme salé de la mer riaient de l'odeur embaumée.

    Hymne à Demeter

    In Hymnes Homériques

    Traduction : Leconte de Lisle

    MYESIS

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    Et la Vierge, surprise, étendit les deux mains en même temps pour saisir ce beau jouet ; mais voici que la vaste terre s'ouvrit dans les plaines de Nysios, et le Roi insatiable, illustre fils de Kronos, s'en élança, porté par ses chevaux immortels. Et il l'enleva de force et la porta pleurante sur son char d'or. Et elle criait à haute voix, invoquant le Père Kroniôn, le très puissant et le très suprême ; mais aucun des Dieux immortels ni des hommes mortels n'entendit sa voix ni celles de ses compagnes aux mains pleines de belles fleurs.

    Reconnaissez que comme commentaire à la couve de Myesis je ne pouvais faire mieux que de recopier la deuxième strophe de cet Hymne à Demeter dans la traduction de Leconte de Lisle. Je me contenterai de rajouter que cette fresque ornait un des murs de la tombe dite d’Eurydice, non pas la compagne d’Orphée mais la mère de Philippe II père d’Alexandre le Grand. Il s’agit d’un des douze tombeaux Macédoniens retrouvés dans les restes de la cité royale d’Aigai.  

    TELESTERION

    (K7 – CD / Bandcamp )

    Ce n’est pas un hasard si cette chronique s’ouvre par les premières lignes de L’Hymne à Demeter. Malgré leur titre Les Hymnes Homériques n’ont pas été écrits par Homère, leur rédaction est néanmoins ancienne puisqu’elle remonte à l’époque d’Hésiode. Les poèmes de ce recueil se présentent comme des invocations aux principales divinités grecques. L’Hymne à Demeter conte le rapt de Koré la fille de Demeter par Hadès ( Aidôneus). La mère éplorée se désole de cette disparition, elle refuse de laisser pousser les récoltes, Zeus règlera le problème : 1 / 3 de l’année Koré, sous le nom de Perséphone, siègera sur le trône des Enfers aux côtés d’Hadès son ravisseur devenu son mari qui lui permettra de vivre les 2 / 3 tiers restants à l’air libre auprès de Demeter. Une belle légende certes, mais arquée sur les vieux mythes agrestes proto-néolithiques dont la naissance accompagna les premiers déploiements de la naissance de l’agriculture. Ce long poème est une entrée propylétique aux Mystère d’Eleusis.

    Telesterion était le nom du bâtiment dans lequel se déroulaient des cérémonies des Mystères d’Eleusis. Le nom du groupe ( qui sont-ils ou qui est-il au juste ) est une référence explicite aux Mystères d’Eleusis et d’une manière générale aux cultes à mystères de l’antiquité gréco-romaine. Dans nos livraisons 590 du 02 / 03 / 2023 et 561 du 27 / 06 / 2022, nous avons chroniqué les premiers enregistrements de Telesterion.

    Ce n’est pas un hasard si Myesis ( = Initiation ) a été mis en ligne ce 18 mars 2023. Les quatre morceaux de cet album sont sortis aux dates ( 12, 14, 16, 18 mars ) correspondant aux quatre journées dévolues aux cérémonies des Petits Mystères d’Eleusis qui se déroulaient durant le mois d’Anthestérion (soleil dans la constellation du bélier ) en Grèce Antique.  

    Arrival /Seekers : contrairement à ce que l’on pourrait croire les petits mystères d’Eleusis ne se déroulaient pas à Eleusis, mais à Agra bourgade proche d’Athènes. Les seekers ( = chercheurs ), que nous appellerons mystes ( couronnés de myrte), sont accueillis et guidés par les mystagogues ( prêtres, prêtresses), ils doivent prouver qu’ils sont grecs ( connaissance de la langue grecque ) et juré qu’ils ne sont pas des meurtriers. N’est-ce pas Demeter qui a purifié Hérakles du meurtre des Centaures ? Sans doute sont-ils reçus dans le temple de Demeter. Ils y suivent une première séance de purification. Peut-être quelques gouttes d’eau lustrales pour les débarrasser de toutes souillures mais surtout un enseignement élémentaire selon lequel ils apprennent qu’ils doivent abandonner leur nature sauvage, ainsi ils ne doivent plus consommer de viande, la consommation de ces protéines animales est le signe d’une espèce humaine parfois anthropophage qui n’avait pas reçu de Demeter les premières notions civilisatrices initiées par les pratiques de l’agriculture : basse grave, les initiations étaient censées se dérouler dans le silence, le son s’intensifie petit à petit, suivons-nous une procession nocturne éclairées par des torches, en souvenir de cette torche avec laquelle Demeter tenta de percer les ténèbres près d’Eleusis pour retrouver sa fille, chacun se doit de penser en soi-même, par soi-même, embrasement soudain, la musique devient aussi lourde que le poids de ces connaissances que l’on se doit d’intégrer pour progresser, des chœurs puissants chuchotent à notre oreille, désormais il faudra se taire et ne jamais divulguer ce que l’on aura appris, sous peine de mort, la batterie se fait de bronze retentissante, les chœurs deviennent écrasants, il est impossible de reculer, attention le chemin sera long et difficile, tintamarre spirituel dans les crânes, l’on n’a aucune idée de là où l’on ira mais l’on sait que la pente sera dure à monter, les dieux sont en haut, grandioses et nous dominent. Offering / Diasa : avant d’aborder ce deuxième moment de l’initiation, l’on passera la nuit sous une tente dépouillée de tout luxe, manière symbolique d’abandonner sa richesse matérielle et toute ancienne pensée de futilité qui distrayait nos âmes alors obscurcies… le sommeil sert à se reposer, il est aussi l’instant des rêves, pas ceux de M. Freud, plutôt des songes envoyés par les Dieux.  : tubulures de basses grondante, offrandes de gâteaux que l’on jette dans le feu dédiés à Dionysos le dieu qui est né mortel, la musique s’enflamme tel un gigantesque incendie, déchiré par les géants, que Zeus a reconstitué et à qui il a octroyé le don suprême de l’immortalité, les mystes sont soumis à des trombes assourdissantes de tambours de bronze, l’air sonore vibre et retentit et et assourdit, les mystagogues entament-ils autour d’eux une espèce de ballet corybantique, un peu comme si tout cette agitation était le signe qu’il fallait en quelque sorte détacher symboliquement l’âme du corps. Libations / Fleece of Zeus : troisième moment : même résonnance davantage clinquante, pas joyeuse mais délivrée, ces cymbales fouettées sont-elles à l’image de ces coupes emplies de miel, dont la gluance désigne l’embourbement de notre esprit dans notre enveloppe charnelle,  que l’on lève vers les dieux et dont on verse quelques gouttes vers la terre en pensant à la très haute culminance des Dieux, le son vous perce les tympans, vous êtes en une position difficile, debout les deux pieds qui ne marcn’avancent pas, c’est la lourde démarche de votre esprit dont la batterie reproduit les sons d’une marche en avant implacable, vos pieds reposent sur la peau d’un bélier, symbole de cette toison d’or qui appartenait au bélier préféré de Zeus l’assourdissant, de Zeus l’oragique, autour de vous cette ronde tapageuses des mystagogues qui tournent  sans fin et vous avez l’impression que leurs pas font trembler les voûtes des abysses infernaux. Liknon / Purification : quatrième et dernier moment : vous avez reçu un enseignement, il est temps maintenant que vous l’intégriez sous la forme d’un symbole, mais d’un symbole actif, pas un objet, mais une cérémonie qui vous permettra de mieux saisir le sens de votre aventure : vent de résonnance, c’est l’épreuve du van, si votre esprit a reçu une première purification, les déchets de ces vieilles écorces mortes sont encore présents en vous, le vent orchestral se lève et souffle sans discontinuer, lorsque Demeter a appris aux hommes à récolter le blé, elle a brandi très haut le van d’osier pour que le souffle d’Eole chasse les impuretés végétales dans lesquelles le grain était enfoui, opération nécessaire à la composition d’une nourriture qui ne ressemble point aux graminées que mâchent les animaux mais qui soit cette nourriture qui sépare l’homme de l’animal. Un chœur triomphal rehaussé de festons volumiques triomphaux éclate et emporte votre adhésion. Un peu comme votre rudesse native et naïve a été désencroûtée de cette boue d’ignorance qui obstruait vos facultés de penser.

    Les Petits Mystères sont justes un décrassage intellectuel. Sans eux les Grands Mystères vous resteraient incompréhensibles. Il nous faudra attendre l’équinoxe d’automne pour le deuxième stade de l’initiation. Ne dîtes pas que c’est plutôt facile et assez simple. Nous venons d’apprendre à écrire, à lire et à compter. Munis de cette science élémentaire nous avons l’impression de savoir penser. Cette croyance est la preuve indubitable de notre ignorance. Un disque à écouter et à méditer. Merci à Telesterion  de cette offrande musicale, un hymne digne des Dieux.

    Damie Chad.

     

    *

    Je ne connaissais pas, j’aurais dû, ils ont sorti une bonne vingtaine d’albums depuis leur formation en 1984. Le dernier Bad Moon Rising date de 2021.Suis tombé dessus tout à fait par hasard. Mais la couve m’a percé les deux yeux d’une seule flèche. J’ai toujours aimé les indiens. Alors ce peau-rouge, imaginons un sioux, sur son poney effectuant une salutation au soleil m’a transpercé le cœur. Moi aussi j’ai fait partie d’une tribu indienne, je vous raconterai cela une autre fois. Le peu, en fait ils sont célèbres, que j’ai glané sur eux m’a plu. Z’ont choisi leur nom un peu comme Alfred Jarry a marqué au fer rouge M. Hébert le nom de son professeur de physique le transformant avec ses camarades lycéens en Ubu, Melvin était le nom de l’employé le plus haï de l’équipe qui travaillait dans l’épicerie où bossait le guitariste fondateur King Buzzo. Le turn over n’a jamais cessé dans le groupe, z’étaient présents aux débuts du grunge, Dave Crover a même battu le beurre pour Nirvana, leurs expérimentations soniques ont ouvert les pistes du stoner et du doom… Bref en me penchant sur cet album je répare une injustice que j’ai commise envers moi-même par ignorance.

    LYSOL

    MELVINS

    ( Boner Records / 1992 )

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    Encore une fois j’ignorais ce que signifie le titre de cet album. Pour signaler les méfaits que son écoute risquait de produire sur les personnes fragiles ils n’ont pas hésité à se servir d’une marque de produits désinfectants renommés pour leur efficacité… disons peu écologique ! Lysol n’ayant pas apprécié, Boner Records a dû repasser toutes les mentions Lysol au feutre noir !

    Dale Crover : batterie / Joe Preston : basse / King Buzzo : vocal, guitare.

    Hung bunny : grincement censé être désagréable pour toute oreille humaine non habituée aux douces sonorités du rock ‘n’ roll, commencent par un solo, car il vaut mieux être solo que malo accompagnato, ce n’est pas une entrée fracassante mais faite  pour décourager les néophytes imprudents qui s’aventureraient là où ils ne devraient jamais laisser traîner l’oreille, surtout la droite, quelques tombées de batterie espacées pour laisser durer le suspense, en fait il n’y en a pas, ou vous aimez marcher sur la queue d’un crotale ou vous n’aimez pas, c’est tout, au fond peut-être une espèce de mélopée hindou vocale, le genre d’horreur dans laquelle Ravi Shankar ne s’est jamais aventurée, ça y est le train démarre enfin et prend de la vitesse, pas trop car il faut savoir faire durer le déplaisir, le drumming halète comme un chameau du désert assoiffé, tiens l’on a augmenté la vitesse de pointe, émoussée parce que ça fait plus mal quand on vous l’enfonce à coups de marteau dans le crâne. Vomissure de vocal, enfin ça ressemble un peu, c’est-à-dire pas vraiment beaucoup, à un vrai morceau de rock’n’roll, encore faudrait-il s’entendre sur la notion de vrai, par contre l’est vrai que l’on a changé de titre, l’on ne s’en est pas aperçu mais l’on s’en doutait, oui l’on est dans Roman dog bird peut-être est-ce un peu tard car il ralentit, l’on suppose pour se terminer, l’on doit tout de même pouvoir bien achever un  roman ou un chien ou un oiseau. Question de piaf, c’est plutôt chouette, l’on nage dans une espèce d’oratorio fuzz-noise et l’on adore. Tremblons voici venir le moment du Sacrifice : pas possible une basse vous caresse dans le sens de l’harmonie, c’était trop beau, pour qui sont ces serpents siffleurs qui s’en viennent nicher dans nos oreilles, la batterie vient les rétamer à coups de marteau, des hurlements emphatiques prennent la relève et les riffs de guitare vous  imitent la courbure des dauphins qui bondissent et rebondissent au-dessus des vagues, à l’avant du bateau le mec n’a pas l’air très bien, pourquoi a-t-il besoin de s’égosiller comme une sirène déréglée, ça va mieux il se tait, on croirait entendre des mouettes dans les embruns, ça ressemble un peu trop à des caquètements de poulets lors d’une cérémonie vaudou, on leur tranche le cou en vitesse car on ne les entend déjà plus. Second coming : roulements militaires de caisse claire et montée en gamme guitarique, mon Dieu tout puissant, cela ressemble enfin à de la musique écoutable, évidemment ça ne dure pas longtemps. The ballad of Dwight Fry : un gars sympathique ce Dwight Fry un acteur que l’on rencontrait dans des films des années 30 comme Frankenstein et Dracula, un bienfaiteur de l’humanité qui a peuplé les cauchemars d’une foule d’innocents spectateurs, l’on espère des horreurs sonores, l’on est déçu au début car c’est du genre mélodique, mais du mélodique hurlé de temps en temps, soyons francs l’on aurait préféré un truc beaucoup plus chaotique. With teeth : ouf l’intermède lyrique est terminé, rebattent la mayonnaise lentement mais fortement, à la manière des coups de fouets que le bourreau vous inflige sans se presser pour que vous ayez le temps de goûter la brûlure de la lanière. D’ailleurs ç’est trop vite fini.

             La première face de l’album est la plus aventureuse, la deuxième en retrait donne l’impression d’avoir été rapidement expédiée. Ces Melvins méritent détour et exploration.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    ( SERVICES SECRETS DU ROCK'N'ROLL )

     DEATH, SEX AND ROCK'N'ROLL !

    115

    Nous étions prêts, mais durant dix minutes il ne se passa rien de bien tangible. Devant notre mine étonnée le professeur Laffont prit la parole.

              _ Messieurs je vois poindre un soupçon d’incrédulité dans vos regards, je vous rassure, c’est tout à fait normal, nous venons de mettre en action les casques de virtualité intellectuelle, ils fonctionnent un peu à la manière de radars, ils sont actuellement en train de forcer, n’ayez pas peur de ce mot, l’épaisseur osseuse de votre boîte crânienne, cette opération demande une demi-heure durant laquelle il ne se passe rien d’extraordinaire, c’est pour cette raison que durant les vingt minutes qui suivent nous installons le dernier appareil nécessaire à la clarté de cette opération, n’ayez crainte !

    Le professeur tapa dans ses mains, dans notre dos la porte du local s’ouvrit, cinq secondes plus tard deux nouveaux techniciens se hâtèrent de déplier devant nous un écran de projection pour diapositives :

              _ Je m’attendais à quelque chose de plus évolué !

              _ Oui Monsieur Lechef, vous avez raison, cet écran ne fait pas à proprement parler de l’expérimentation, il est là pour votre distraction et votre curiosité. Dans quelques minutes sera projetée l’image de contrôle qui se trouve sur le moniteur de l’ordinateur depuis lequel nous commandons et surveillons le déroulement de notre expérience. Maintenant j’exige de votre part le silence absolu afin que je puisse discuter avec Mr Serge Blondin, notre chef-opérateur, l’as des as, diplômé du Technological Institute of Massachusetts. Serge tout se déroule-t-il normalement ?

              _ Aucune problématique aléatoire, le processus suit son cours, nos deux messieurs pourront admirer l’image de leur cerveaux d’ici deux ou trois minutes environ.

    Il avait raison. Il y eut comme une focalisation de lumière sur l’écran. Elle tremblota un peu, de vagues couleurs indéfinissables se stabilisèrent bientôt sous forme d’un trait noir qui divisa l’écran en deux.

              _ A droite s’affichera l’image du cerveau de Mr Chad, à gauche celle du cerveau de Mr Lechef, pédagogisa le professeur Laffont

    En effet je ne tardais pas à visualiser la représentation de ma boîte à intelligence pure. Pour le Chef, rien n’apparaissait.

              _ Problème technique, Professeur Laffont, l’image de gauche est trop floue, elle est quasiment invisible sur le moniteur !

    • Lancez tout de suite une ADE Serge, je précise pour nos patients une analyse descriptive de l’élément !
    • Voilà qui est fait, je lis à haute voix le résultat automatique : ‘’ Présence de fumée coronadienne dans la boîte crânienne faisant obstacle à la pénétration des rayons’’
    • Rien de grave, nous avons rencontré cette problématique sur un lot de souris de laboratoire, après enquête il s’est avéré que le gardien de nuit s’était pris d’amitié pour ces rongeurs et qu’il emmenait leur cage dans sa loge de surveillance dans laquelle il passait son temps à fumer toute les nuits… Déclenchez un NLP, sur la caméra.

    Nous n’avons jamais su ce qu’était un NLP, mais l’amélioration fut immédiate, le cerveau du Chef apparut dans toute sa majesté.

    116

    _ Bien messieurs, nous vous octroyons vingt minutes récréatives durant lesquelles M. Blondin va établir les corrélations échangières entre les deux fuseaux d’exploration, chacun d’eux s’occupe d’un de vos cerveaux, nous établissons ainsi un mouvement d’extraction et de remplissage de vos deux subconcients afin d’effectuer le transvasement. Cela demande une vingtaine de minutes, pour que le temps d’attente vous soit moins ennuyeux une collaboratrice viendra vous servir une petite collation.

    La porte du   local s’ouvrit et la collaboratrice entra. En blouse blanche, mais au col si entrouvert que lorsqu’elle se pencha vers moi pour me tendre un verre de Moonshine j’entrevis jusqu’à son nombril. Peut-être plus. Ce fut le moment le plus agréable de la séance. Molossa et Molossito eurent même droit à une boîte de chocolat et moultes caresses. Hélas l’intermède s’achevait.

              _ Charmante enfant demanda le Chef, nous vous remercions de vos prévenances, avant de vous éclipser pourrions-nous au moins savoir notre nom ?

               _ Au revoir messieurs, ma participation est terminée, je vous souhaite une bonne soirée, je m’appelle Alice.

    Nous entendîmes la porte se refermer derrière elle.

    117

              _ Voilà, Serge actionne notre procédé de colorisation situationnelle, par exemple cette partie colorée en rouge est la zone de l’intelligence, son étendue diffère selon les individus, par exemple celle de M. Lechef occupe un espace quatre fois supérieur à celle de M. Chad, c’est normal puisque M. Le chef est le chef de l’agent Chad. A l’arrière du cerveau se trouve la zone du subconscient. Ne cherchez pas l’inconscient, la théorie de Freud ne tient pas la route, ce que nous appelons subconscient est la somme de tous les souvenirs stockés par la mémoire. Considérez le subconscient comme une immense bibliothèque, chaque souvenir représente un volume. C’est un peu comme les livres de votre propre bibliothèque, vous ne vous souvenez plus jusqu’à l’existence de certains, vous relisez vos préférés souvent, d’autres évoquent en vous quelques vagues souvenirs mais vous n’éprouvez plus le besoin de les relire. Bref tout dépend de votre intérêt. Ou de votre désintérêt. Le cas de M Lechef est intéressant, il ignore le titre du volume qu’il recherche et il n’arrive point à se remémorer le rayon dans lequel il l’a rangé. Il râle, il s’obstine, il s’énerve, car il sait qu’il correspond à un problème qui l’obsède présentement. Sans doute s’il prenait huit jours de vacances, il y mettrait la main dessus sans même y penser, mais j’ai cru comprendre que c’était urgent ! Mais je vois que nous pouvons débuter le transvasement.

    Deux traits rouges réunirent sur l’écran nos deux zones subconscientes de couleur vertes. Au fur et à mesure que les zones se vidaient elles se remplissaient. Je comprenais enfin pourquoi les instituteurs torturaient les élèves avec ces problèmes de robinets qui coulent alors que les baignoires fuient, si j’avais su j’aurais mieux écouté… La voix de M Laffont me tira de mes réflexions.

              _ Voilà, c’est fini. M. Lechef je vous laisse vous débrouiller avec les souvenirs de l’agent Chad. Vous ne risquez pas grand-chose, contentez-vous de vire avec une grande intensité l’instant présent. Quelques derniers conseils pour M. Chad. Ne vous précipitez pas sur les souvenirs de M. Lechef, vous ne savez pas ce que vous cherchez au juste, vous avez toutes les chances de vous perdre. Laissez-les venir à vous. Le plus simple est de vous coucher ce soir à votre heure habituelle, vous avez quatre-vingt-dix-neuf pour cent de chance qu’ils affleurent dans vos rêves, dès ce soir. Messieurs téléphonez-nous dès que vous voudrez rentrez en possession de vos propres souvenirs. Le temps de vous débarrasser de notre matériel et nous vous laissons tranquilles.

    118

    Le Chef alluma un Coronado :

             _ Dure journée agent Chad, je crois que nous allons en rester là pour aujourd’hui. Je vais suivre à la lettre les conseils du Professeur Laffont, je vais essayer de vivre intensément pour ne pas entrer dans vos souvenirs avec la délicatesse d’un éléphant dans un magasin de porcelaines. Ce soir je double ma ration de Coronados, durant l’intermède j’ai donné rendez-vous au restaurant à notre délicieuse Alice qui a si bien pris soin de nous, je pense me pencher de très près sur le mystère de ces Alice successives qui croisent notre chemin. Quant à vous agent Chad, rentrez à Provins, pas d’excès, une promenade digestive à Molossa et Molossito, ensuite au dodo. N’oubliez pas la suite de notre enquête et la survie du rock ‘n’ roll dépendent de vous.

    119

    Sur la route de Provins j’étais aussi dépité qu’Eddy Mitchell sur la route de Memphis. Je n’en menais pas large. Je pressentais que la nuit serait dure. Toutefois un agent du SSR n’a jamais peur, j’accélérai, rien ne sert de fuir le danger, il vaut mieux l’affronter. Sur la banquette arrière les chiens se mirent à hurler à la mort.

    A Suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 593: KR'TNT 593 : TOM POTTER / WIPERS / CHARLIE WATTS / ANN SEXTON / MOONLIGHT BENJAMIN / ACROSS THE DIVIDE / EIGHT FOOT MANCHILD / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 593

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    23 / 03 / 2023

     

    TOM POTTER /  WIPERS

    CHARLIE WATTS / ANN SEXTON

    MOONLIGHT BENJAMIN / ACROSS THE DIVIDE  

    EIGTH FOOT MANCHILD / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 593

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Le pote Potter

     

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             Il fut un temps où Tim Warren régnait sur le monde. Les fans de garage ne juraient que par Crypt. Ce label devint aussi mythique que Bomp et Skydog. L’un des groupes phares de Crypt s’appelait Bantam Rooster. Il s’agissait en fait d’une paire de petits mecs surexcités, Tom Potter et son ami batteur (kick & snare) Eric Cook.

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             L’écoute de leur premier album Deal Me In permettait de prendre la mesure du phénomène. Il était difficile d’admettre qu’un duo pouvait occasionner autant de ravages dans les oreilles d’un lapin blanc. Le pote Potter attaquait son morceau titre à la hurlette dégénérée. Il s’inscrivait directement dans la lignée de grands screamers, ceux qu’on dit définitifs et qu’on enferme à vie. Son «In The Manner To Which I’m Accustomed» était complètement trépigné de la trépignette, on le sentait incapable de revenir au calme. Il dépassait encore les bornes du scream dans «Ain’t Gonna Touch You». Il s’y conduisait en vrai diable cornu. Il arrosait la terre du scream le plus incendiaire qui se put alors concevoir. Et il atteignait à une sorte de génie lapidaire avec «Bantam Rooster Theme», véritable giclée de freakout extrême. Cette violente explosion d’exaction excédée relevait du pur génie trash. On aurait même pu parler de souffle atomique et de blast du siècle, tant qu’on y était. Le problème était que tout l’album ruait dans les brancards. Le pote Potter et son sbire n’avaient jamais envisagé le moindre répit. Cette notion devait même leur être complètement étrangère. Ils préféraient s’adonner au stomp des forges de Detroit avec «Lawdy Lawdy» ou emprunter quelques riffs au MC5 pour «Miss Luxury». Tom Potter n’en finissait plus de hurler, à seule fin de relancer sa machine. On avait là du jamais vu. Il braillait son «Man Of Wealth And Taste» au scream protubérant et se livrait à une sorte de devastating sludge dans «Fuck You Muh Man». Il portait le Potter à incandescence. Il ne pouvait pas non plus s’empêcher de désintégrer le pauvre «Shit Town» et on savait d’avance comment ça allait se terminer pour «Panther». Horrible ! Il screamait ça jusqu’à l’oss de l’ass. Il fallait le voir pour le croire. Ils amenaient des cuts comme «Brokeback Fit» et «Down & Out» au bord de la folie. On espérait bien ne jamais croiser ces deux fous dans la rue. Ils symbolisaient tout ce qu’on craignait, principalement l’esprit de non-retour. Et jusqu’à la fin de cet album terrifiant, Tom Potter se montrait incapable de la moindre humanité, il hurlait de plus belle sur «Mammon», il dépassait toutes les bornes. Aucun médecin n’aurait pu l’aider.

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             Avec The Cross And The Switchblade paru deux ans plus tard, le duo montait encore d’un cran dans l’insanité. Ils blastaient leur maximum overdrive dès «State Cracker», un cut complètement trépigné du bulbique. On sentait bien qu’on allait passer un mauvais quart d’heure en écoutant cet album. «Goin’ Cold» paraissait plus construit, avec ses semblants de couplets, mais ça basculait très vite dans la physique nucléaire. Ils finissaient l’A avec deux merveilles, «Tom Skinner» - Call me Tom Skinner  ! - et «You Ain’t The Boss Of Me», pur chef-d’œuvre de garage vénéneux. En B, le pote Potter inventait un nouveau genre avec «Shot Down» : la garage apocalyptique. Au fil des cuts, on se passionnait pour le travail de cet homme, à commencer par «Catfight», un cut bardé de dynamiques internes, tellement bardé que ça en devenait fascinant. Matthew Sweet d’Outrageous Cherry jouait de l’orgue sur «Ghost» et on avait là une sorte d’heavy groove bienfaiteur de l’humanité. Et puis, tout rebasculait dans le jusqu’au-boutisme potterien avec «Electricity», car il chantait ça à la hurlette purulente. Et là franchement, on craignait pour sa santé. Pourtant cinglé, Little Richard ne serait jamais allé jusque-là.

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             Leur troisième album Fuck All Y’All parut en l’an 2000 sur le label de Long Gone John, Sympathy For The Record Industry, concurrent direct de Crypt. Cet album est un véritable chef-d’œuvre d’insanité. Si l’insanité figure au premier rang de vos valeurs, alors vous devez impérativement vous jeter sur ce chef-d’œuvre. Ça explose dès «Dum It Down», mais de manière incontrôlable. Tom Potter et Mike Alonso jouent dans la pire urgence qui se puisse imaginer, leur démesure renvoie à l’incendie de Rome jadis imaginé par Néron pour la seule beauté du spectacle. Jamais aucun humain n’a hurlé comme ça dans un micro. Tom Potter pousse l’art du scream dans ses retranchements. Tiendra-t-il jusqu’au bout de l’album ? Franchement, on s’inquiète pour sa glotte. Il enchaîne avec une nouvelle preuve de l’existence du diable qui s’appelle «High Priestess». C’est un pounding éhonté, on a là le pur stomp de Detroit. On a l’impression que les cuts se succèdent comme des petits exercices de style visant à démontrer la suprématie du Detroit Sound. Mike Alonso se fend d’une belle pétarade évangélique et tout bascule dans l’insanité. On entend ce fou de Tom Potter hurler au fond de «Crack Your System», et comme si ça ne suffisait pas, il finit même par l’exploser en mille morceaux. Et puis avec «You’re The Sun», il flirte une fois encore avec le génie. Comme Artaud, il veut en finir avec le jugement de Dieu, alors il hurle tout ce qu’il peut. Il atomise le rock, il en fond tous les atomes, il en désintègre l’essence et en piétine la quintessence. Tom Potter s’inscrit en faux dans le vrai, il devient le temps d’un cut le plus grand screamer de l’univers. «Burn Down» sonne comme une incitation à l’émeute. Tom Potter est un apôtre de la folie, il explose systématiquement tous ses cuts, les uns après les autres, il n’en finit plus de burn it down, Alonso pilonne et le pote Potter hurle à s’en arracher les ovaires. On croit que ça va se calmer. Ha ha ha ! Potter se calmer ? Impossible, car voilà «Lockdown Monologue», une nouvelle abomination explosée d’entrée de jeu. Il hurle son cut dans son pantalon, et ça gicle. Il plonge une fois de plus dans le chaos avec «Dealbreaker». On a parfois l’impression qu’il veut se spécialiser dans la folie. Il n’existe rien de comparable dans le monde du rock. Il termine avec «This Close To Suicide» et passe un killer solo histoire de finir en beauté.

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             Et pouf, le pote Potter monte Beasteater avec Aaron Adduci (guitar), Traci Volker (bass) et Nick Lloyd (drums), et sort un premier album sans titre en 2016. Dès «The Night Air» qui ouvre le balda, on est frappé par le génie de ce big sounder qu’est le pote Potter. Il attaque à la hurlette massive, des gros sabots de plomb splouchent dans une marée de gélatine et la chair humaine à la Druillet, flic floc, c’est épais et barbare, gras et mauvais, au sens de l’intention, bien sûr. Le pote Potter dispose d’un sens aigu du riff porteur. On irait même jusqu’à dire qu’il fait de l’universalisme garage. En tous les cas, si le garage moderne doit ressembler à quelque chose, c’est au son de Beasteater. Attention, cet album se joue en 45 tours. Le plus drôle, c’est qu’on ne l’indique nulle part sur la pochette. Et tout l’album bascule dans la fournaise, mais une fournaise intéressante, à commencer par «I Eat Scum», où tout explose, Tom tape dans le tas, ça power-riffe dans le souk et Traci Volker lui répond du tac au tac, c’est le top de l’attaque, I’m losing my mind et Traci le singe. Admirable !  Le pote Potter continue d’ignorer la notion de répit. Les cuts avanceraient presque à marche forcée, au beat du pilon des forges du Creusot ou de Sheffield, peu importe, en tous les cas, ça emboutit la tôle et ça fume et avec toute cette vapeur, on ne voit plus grand chose. On tombe en B sur une terrible enfilade : «Scum Of The Earth», «Ovary Action» et «Taste The Floor», une enfilade qui justifie pleinement l’emplette. Scum c’est en effet du pur jus de Potter de pot de fer, le teutonné du bulbe, le destructeur de tour Eiffel, l’ogre aux dents d’acier, il arrache tout sur son passage, même les marronniers de l’avenue des Tilleuls, et puis avec Action, on monte encore d’un cran dans le détroitisme, c’est allumé aux riffs pyromaniaques, voilà le son dont rêvent tous les groupes garage, mais c’est le pote Potter qui a trouvé le truc. Oh et puis cet immonde Taste, qui te replonge dans l’heavy liquid des Stooges, c’est rampant en diable, explosé du cortex, émincé à l’échalote, farci aux gémonies, ça rôtit en broche, ça rissole dans le jus des enfers. Quel admirable sens des affaires ! Il termine cet album fabuleux avec deux autre brûlots, un «Slight Overnight» tendu à l’extrême, Tom y pétrit bien sa pâte, il soigne ses clameurs et puis un «Wood Shampoo», qui sonne comme la pure démence en partance pour Detroit, ça joue ventre à terre, lui, si on veut l’arrêter, c’est impossible, il enfonce les barricades et explose les cars de flics qui tentaient de barrer la route. Malheureux, tu veux stopper le pote Potter dans son élan ? Impossible ! Sache que le pote Potter joue son va-tout en permanence. Et ça va même plus loin : il ouvre des portes. Réfléchis à ça.     

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             Quand on parle du Detroit Sound, on cite généralement les noms des Stooges et du MC5, accessoirement ceux de Frost et des Amboy Dukes, mais rarement celui de Bob Seger, qui fut pourtant l’un des fers de lance du Detroit Sound avec des singles énormes comme «Heavy Music» et «Ramblin’ Gamblin’ Man». Pour réparer cette injustice, Tom Potter monte en 2008 The Seger Liberation Army et enregistre Down Home, un album de reprises du early Bob. Pat Pantano et Jim Diamond sont dans les rangs. Et forcément, l’Army attaque avec «Heavy Music». Le pote Potter ne s’embête pas, il tape dans l’un des pires classiques du Detroit Sound. Il en fait une abomination désespérée en le montant sur un beat Tamla. C’est exceptionnel, chargé à ras-bord de chœurs et de nappes d’orgue. Le pote Potter enfonce son clou de prime abord d’abordeur dédouané. Il balance tout ça dans la gueule des gémonies. Des cuts comme «Chain Smokin’» et «Get Down On Your Knees» sonnent comme de véritables énormités concomitantes, noyées de son et battues comme plâtre. L’Army claque «Down Home» au pire garage de Detroit. Le pote Potter pousse le bouchon de Bob un peu trop loin. Les choses montent encore d’un cran avec l’imparable «2+2=?», le hit définitif du vieux Bob. Le pote Potter l’expatrie ad patres. Il dispose de cette niaque qui lui permet d’exploser les choses de la vie - Two plass two is on my mind - C’est le hit idéal du Detroit Sound, monté en mayo d’assembly line. Le pote Potter travaille son cut au corps, il shoote toute la folie des matins du monde dans le vieux cul segérien, avec une fabuleuse insistance délétère, et ça repart de plus belle après l’inopiné d’un break béant. Il prend ensuite «East Side Story» à la pire fuzz rampante qu’on ait vue depuis le Gloria des Them. Voilà un chef-d’œuvre garage nocturne et dangereux, aussi dément et déterminé que ce vieux Gloria de Marine Hotel. Tout est là. Évidement, s’il tape dans «Ramblin’ Gamblin’ Man», c’est pour en faire de la charpie. Il explose ce hit incontournable des sixties. Le pote Potter le ré-explose de plus belle. Ah il ne faut pas lui confier les clés de la baraque ! Surtout pas ! Ce screamer fou bouffe le Ramblin’ tout cru. Il réduit tout effort langagier en bouillie et saute à pieds joints sur la syntaxe. Il finit avec un «Florida Time» qui sonne comme un pied de nez aux frères Wilson.

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             Un deuxième album du Seger Liberation Army paraît en 2016, avec quasiment tous les titres du précédent. On retrouve en effet sur Innervenus Eyes les somptueuses reprises d’«Heavy Music», d’«East Side Story», de «2+2=?», de «Chain Smokin’», de «Down Home» et de «Ramblin’ Gamblin’ Man». Very big business ! C’est un brouet sonique unique au monde. Parmi les cuts nouveaux, on trouve le morceau titre, porté par le souffle des vainqueurs, celui de ceux qui, comme la vieille garde, ne se rendent pas. Le pote Potter pulvérise sa version de «Death Row» au scream et travaille «Lucifer» au corps, alors que derrière lui s’écoule un solo liquide bien alambiqué. Ces gens ne laissent absolument rien au hasard. 

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             Nouvelle aventure sonique avec Choke Chains, un groupe que le pote Potter monte avec Chizz (bass), Linsey Crappor (guitar) et Mark Millionnaire (drums). L’album vient de paraître, produit par Jim Diamond, et petite info de choix, masterisé par Tim Warren. On y trouve quatre authentiques énormités, à commencer par ce «Safe Word» d’ouverture de bal. On sent le pote Potter possédé par le diable dès l’intro. Il maintient en effet son enfer sous le boisseau, il chante la bouche tordue et soudain, il se met à hurler, mais vraiment à hurler, on croirait entendre un ignoble barbare exaspéré, un monstre sorti des bois qui cherche désespérément à en découdre soit avec la légion romaine, soit avec les dieux, mais il ne peut plus se contrôler, c’est au-delà de ses forces, il suinte de colère noire, il hurle avec les yeux injectés de sang, il écume, il bave. Quel atroce spectacle ! Deuxième énormité en bout de balda : «Let’s Try Suicide». Joli programme ! Cette fois, le pote Potter vise l’extrémité du jusqu’au-boutisme outrancier. C’est un chercheur de petite bête, un allumeur de shootes, un détonateur à deux pattes, un spécialiste de la menace. Les deux autres énormités se nichent au bout de la B des cochons, à commencer par «Rock Paper Rapist». Cette fois, le pote Potter nous replonge dans l’un de ces cauchemars soniques dont il a le secret. On entend rôder un sax dans le coin. Ah quel fabuleux fouteur de bordel ! Il est bel et bien le roi des ribauds, le Detroit Sounder définitif. Tom Potter a tout compris, il est certainement le plus bel héritier des Stooges de 1969. Toute la sauvagerie urbaine est en lui. Il termine cet album puissant avec le morceau titre, «Choke Chain», infernal et fouillé aux tisons du grand Inquisiteur, ça pue la chair brûlée et la sueur de l’immense horreur des caves pontificales. On se régalera aussi du solo qui traverse en crabe «Moisture Technician». T’as déjà entendu un truc pareil ? Bien sûr que non. Quand on écoute «Cosmic Shadow», on réalise que Tom Potter peut aussi ratisser large. Il brasse tous les genres, mais il est visité par la grâce, et ça s’entend. Sur cet album, tout est chanté à la stoogerie, en mode voilé, avec l’insistance des bas-fonds et une ferveur abyssale. Tout ce que fait ce mec est absolument passionnant, il sort en permanence un son épais et jouissif, il chante le plus souvent en mode laid-back de la menace et s’autorise ici et là des petites crises d’épilepsie qui font notre bonheur. Son «Cracked Dracula» relève d’une pure puissance festive, mais au sens de Gilles de Rais, murailles humides, chaînes, bijoux et peaux de bêtes. Il traite aussi «Random Number Generator» en mode heavy mais avec un panache aussi sidérant que fédérateur. C’est presque une anomalie que de voir surgir du néant un groupe aussi génial. 

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             Le pote Chocker revient à la charge un an plus tard avec Android Sex Worker, un album mastered by Tim Warren, s’il vous plaît. Autant le dire tout de suite, le real deal se trouve en B, à commencer par «Lie From Hell». Back to the heavy Detroit Sound monté sur un bassmatic joliment métallique et les Chokers partent à l’assaut du ciel gris du Michigan. Ils enchaînent avec un «Galactic Overland» absolument dévastateur. Le pote Potter calcule bien ses effets, il dépote du Potter de Choker, épaulé par des chœurs de mâles. S’ensuit un «Sunday Goin’ To Meeting Whore» lesté d’une excellente pesanteur de beat. Ces mecs pilonnent les tranchées. C’est tellement hypno qu’il est impossible d’en réchapper. Ils mènent leur débinade de Detroit Sound à terme et on s’extasie face à l’excellence de la beatitude. Le bassman s’appelle Chizz et joue tout au bassmatic de metallic KO. On note aussi la virulence du morceau titre qui ouvre la B. Le pote Potter y joue la carte du tourbillon. On sent nettement l’influence de Brother Wayne, c’est sûr. Et puis avec «Put Your Hands»,  il plonge dans le désespoir et s’en va rôtir en enfer. Oh ce n’est pas que l’A soit mauvaise, mais elle se montre d’accès plus difficile. Comme toujours, le mieux est d’écouter. Les radios prennent toujours l’avantage sur les chroniques, qu’elles soient pertinentes ou non. Le pote Potter joue son «Mayan Starship» à la petite insidieuse cabalistique. Ce n’est qu’un dévoreur d’attention, un charmeur de serpents. On entend le batteur Mark Million baratter comme un beau diable dans «Cairo Scholars» et on assiste à un joli départ de feu, comme diraient les pompiers. Le pote Potter boucle son balda avec un «Rat Ladder» sacrément rebondi. Le marteau et l’enclume n’ont plus de secrets pour lui. Chez Potter, pas de fioritures.  

    Signé : Cazengler, pot de chambre

    Bantam Rooster. Deal Me In. Crypt Records 1997

    Bantam Rooster. The Cross And The Switchblade. Crypt Records 1999

    Bantam Rooster. Fuck All Y’All. Sympathy For The Record Industry 2000

    Beasteater. ST. Big Neck Records 2016            

    Seger Liberation Army. Down Home. Big Neck Records 2008

    Seger Liberation Army. Innervenus Eyes. Big Neck Records 2016

    Choke Chains. ST. Slovenly Recordings 2016

    Choke Chains. Android Sex Worker. Slovenly Recordings 2017

     

     

    Wiper Noël

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             Dans un SMS, Karim me disait l’an dernier : «Greg Sage est un génie !». Rien de tel qu’un bon SMS pour piquer la curiosité. Alors on est allé voir ce qui se passait sous les jupes de Greg Sage et de son groupe, les Wipers, un power trio de Portland, Oregon, qui sévissait dans les années 80/90. Quelle découverte ! Onze albums et pas un seul canard boiteux. Alors oui, on confirme : Greg Sage est un génie.

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             Embarquement pour Cythère dès le premier album, l’interrogatif Is This Real?. Ça démarre sur une triplette de Belleville, «Return Of The Rat», «Up Front» et «Let’s Go Let’s Go Away» : ça joue au heavy punch, c’est gorgé de son, ça file en mode heavy sludge. De vrais démons, wild as fuck, tout brûle dans la combustion de l’upfront. Ces mecs y vont pour de vrai, ils dégagent de la fumée, tout est submergé de son et tu as même, luxe suprême, des départs en solo dans la côte de la fournaise. Même le morceau titre est inespéré de power. Tout va très vite sur cet album, comme chez Hüsker Dü. Ils n’en finissent plus de déterrer la hache de guerre. Wipers all over ! Et puis, ils commencent vraiment à jouer avec le feu de l’hypno sur «Potential Suicide». Le Sage est le maître de l’heavy hypno d’erase the pain. Il ne cherche même pas à s’en sortir, il tartine son getting so depressed. Avec «Don’t Know What I Am», ils sonnent comme des Buzzcocks américains, ça joue vite et c’est bardé d’éclats de grattes. Sage qu’est pas sage referme sa marche avec un «Wait A Minute» gratté aux accords frais de la marée, des accords vivants prêts à être bouffés, les claqués resplendissent, c’est du gros Sage, bien sabré, wild et beau. On accueille ce mec à bras ouverts.

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             Youth Of America est certainement le meilleur album des Wipers. Sage qu’est pas sage démarre son affaire en mode punk’s not dead. Ah ils n’y vont pas de main morte ! Ni par quatre chemins ! Ils récidivent avec «Can This Be», joué aux gros accords bien gras. Mais c’est surtout le morceau titre qui nous interpelle, car voilà de l’hypno bien ravagée du bulbe. Ils sonnent comme de vrais héros, avec un son de heavy revienzy, on se croirait chez Can avec ce wild ride de dix minutes, ils jouent all over les dix minutes, c’est bourré d’énergie. Encore une belle énormité avec «Pushing The Extreme», nouveau shoot d’hypno extrêmement bienvenu. Et puis voilà le coup de génie : «When It’s Over», un instro bourré de charpie de son et de climats invulnérables. Sur la red Zeno, tu as des bonus extraordinaires. Forcément, avec un mec comme Sage, on est gâté. Il claque à sec «Scared Stuff» et ajoute des tortillettes atroces. Cette belle dégelée d’overtime te coule dessus. C’est extravagant de power. Sage n’est décidément pas sage. Même chose pour «No Fair». Les bonus restent les bonus, des lacs inespérés, des lunes de la lune, des bienfaits bienvenus. Dans ses bonus, Sage est encore moins sage. Il ne sera jamais sage. Il a des compos et du son, alors pas de problème. On tombe bien sûr sur des versions alternatives des cuts de l’album, comme par exemple le morceau titre. Sage est toujours le seul maître à bord, mais derrière lui, c’est l’overdrive incontrôlable. Bass & beurre on fire ! Sage se pavane dans les giclées de disto, il embarque tout en enfer. 

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             Sur Over The Edge, on trouve un énorme clin d’œil aux Saints : «No One Wants An Alien». Extraordinaire proximité. Sage fait son Bailey. Retour à l’hypno de choc avec «Romeo», on assiste à une fusion du rentre-dedans, Sage joue au lance-flammes, comme les Nazis, il nettoie les tranchées. Belle hypno de schlouffff ! Il ne respecte rien. Dès le morceau titre d’ouverture de bal, Sage et sa troupe défoncent le barrage de Marguerite contre le Pacifique, le cut porte bien son nom. Aucun espoir d’en réchapper. Il claque ensuite son «Doom Town» aux accords de Doom Town. Comment veux-tu échapper à ça ? C’est impossible. Sage est un sorcier. Il crée des clameurs à sec. Il exploite toutes les failles psychologiques. C’est extrêmement heavy, claqué aux meilleurs accords de l’Oregon. Il s’en va jouer «So Young» sous le boisseau, aux accords underground, C’est l’une de ses spécialités. Ses accords d’entre-deux sont très beaux. Pas de retour possible avec «Now Is The Time». Il gratte à l’efflanquée, il gratte en permanence tout ce qu’il peut gratter, ses poux et tout le reste. Son «What Is» est encore pire. On peut même parler de cut irrépressible. Sage arrose tout à la cantonade. Il referme la marche avec «This Time» qui sonne comme une plongée en enfer, bien monolithique. Dans les bonus de la red Zeno, tu as du live et c’est encore plus effarant : «Mistaken ID» live in San Francisco, ça vaut le détour ! Sage passe tout à la moulinette, la version de «Now Is The Time» est wild as fuck, comme noyée dans les aventures, le «Romeo» (+ horn section) bascule dans l’hypno demented et là tu ne rêves plus que d’une seule chose : serrer la pince de Sage pour le remercier de n’être pas sage.

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             Land Of The Lost date de 1986. Ce n’est pas le meilleur album du grand Sage, loin de là, mais on se régale du bassmatic de Brad Davidson dans «The Search». Ça gronde derrière le Sage. Le bassmatic dévore le cut de l’intérieur et le digère. Brad Davidson récidive avec «Nothing Left To Lose», c’est lui qui drive cette belle ambiance d’ambivalence. «Different Ways» est encore un joli groove wiperain et le «Just A Dream Away» d’ouverture de balda offre à qui sait voir une réelle profondeur de champ. Le grand Sage construit bien son ambiance. Il la veut pesante. On peut même dire que «Way Of Love» est un cut très concerné. Globalement, on peut dire que Sage qui n’est pas sage mène tout à la baguette, il ne traîne jamais en chemin, il faut que ça avance, coûte que coûte. Et bien sûr, tu retrouves le riff de «Death Party» dans le morceau titre.      

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             Paru l’année suivante, Follow Blind est un album nettement supérieur. Il faut attendre «Any Time You Find» pour voir le grand Sage renouer avec sa chère hypno. Il y passe des solos redoutables, qui font l’effet de coulées étincelantes, c’est d’une parfaite élégance sonique. Il illumine aussi le cut suivant, «The Chill Remains», le grand Sage joue en layers sur le doux du son et c’est extrêmement puissant. On peut comparer ce qu’il fait au travail des deux guitares sur Marquee Moon. Le Sage navigue à ce niveau d’excellence. On ne se lasse pas de cet énergumène et de sa sagesse. Il repart de plus belle en B avec «No Doubt About It», il joue ça au son plein, c’est une aubaine inespérée pour les oreilles, le voilà une fois de plus lancé à travers la plaine. C’est un slinger frénétique. Encore une fantastique embardée avec «Don’t Belong To You», monté sur le beat rebondi de Portland, pas de chichis, grosse section rythmique, ces trois mecs ne sont pas là pour rigoler. Ils finissent cet album béni des dieux avec deux gros shoots d’hypno, «Coming Down» et «Next Time», menés au beat rebondi. Cet album est enthousiasmant. Les Wipers sont les rois de l’hypno. Ils ont le Kraut dans le sang.

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             Bien obligé de l’admettre : The Circle est encore un big fat album. Cette fois, Sage qu’est pas sage envoie trois clins d’œil : un aux Stooges, un aux Saints et un au Gun Club. Monsieur Sage ne fait pas dans la dentelle. La stoogerie s’appelle «Make Or Break». C’est un petit fleuve de lave. Sage adore le power brûlant et les riffs des Stooges. Il est capable de démesure. Tu peux lui faire confiance. Pas de problème, tu peux lui confier tes clés et ta femme. La Gun-Clubberie s’appelle «True Believer». Il crée la bonne tension avec le son des poumons d’acier. Il revient à son cher «Death Party», la basse te rebondit sur l’haricot et là tu te dis une fois de plus : «C’est énorme !». La Sainterie s’appelle «Good Thing». On se croirait sur «I’m Stranded», ce sont les mêmes accords power-punkish. Sage n’a pas la voix mais il a le son, alors bravo quand même ! Et puis son «I Want A Way» d’ouverture de bal est une ravissante énormité. Sage est un fou. Il allume dès l’ouverture, il a du son, du rebondi, de la profondeur de champ, c’est complètement saturé de couenne de lard. Ce Sage n’est vraiment pas sage. Ils ne sont que trois pour sortir tout ce ramdam. Le mec au beurre s’appelle Steve Plouf. Il sortent le heavy power de surrender dans «Time Marches On». «All The Same» est vite expédié ad patrès, et il faut voir le Sage qu’est pas sage chevaucher son cut, un vrai cavalier de l’apocalypse, il fonce droit dans le décor, en vrai seigneur de l’hypno. Alors on le suit à califourchon. Sage est un artiste complet, on se régale de la qualité de son hypno. Et puis voilà le morceau titre, wild as fuck ! Sage est vraiment fou, il démolit son Circle et ça se tient quand même. Il maintient une pression extraordinaire, il joue du fast heavy pop rock de lard fumant.         

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             Tu vas encore trouver un sacré coup de génie sur Silver Sail, un Tim/Kerr Records paru en 1993 : «On A Roll». Comme sur la plupart de ses albums, le grand Sage s’énerve à la fin. Cette fois, il recycle des vieux réflexes glam, il réussit à faire du glam d’Amérique, c’est dire l’étendue de son registre, il y va avec un solo trash sous l’aile, bien dans l’angle, tu le reçois en pleine poire, cadeau du Sage, et il continue de cavaler on the roll, avec ce génie interventionniste qui le caractérise si bien. Il est partout dans son cut, il en carbonise la fin au solo trash. Tu entends rarement des guitaristes aussi doués. Avec «Prisoner,» il plonge dans de drôles de profondeurs, c’est noyé d’ombre et de no way out. Et même assez toxique. Il réussit toujours à l’alpaguer. Il monte comme Jimi Hendrix dans le Watchtower. Cet album est enregistré et mixé en Arizona. Il revient à sa chère heavyness avec «Line». Bienvenue en enfer ! Son solo coule comme un jus brûlant. Bien heavy lui aussi, son «Never Win» tranche dans l’épaule. Il t’enfarine ça dans un solo de trash-punk. Tu crois rêver. Le grand Sage qu’est pas Sage est un fast runner, un coureur de distance. On l’admire pour cette faculté qu’il a de courir en fin d’album («Silver Trail»). Bizarrement, le début d’album n’est pas très bon : trop conventionnel, trop soupe aux choux, rrrhuu, rrrrrhuuu. Il a du mal à sortir de sa casserole. Les trois premiers cuts sont atrocement connotés, on dirait du gratté de poux à la Dire Straits, comme si le Sage était devenu bien sage. On le préfère quand il repart en fast tempo, par exemple avec «Sign Of The Times». Il remonte à cheval et file à travers la plaine. Il tagadate à l’éclate du Sénégal, il n’est pas près de s’arrêter. Ses fast rides sont secs et sanctionnés, alors tu peux le suivre, si tu sais courir vite. 

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             Deuxième album sur le label de Tim Kerr : The Herd. Ça commence mal, car «Psychic Vampire» te tombe littéralement sur le coin de la gueule. Ce Sage qu’est pas sage te cavale à travers ta plaine, il t’écrase ton petite champignon et te court sur l’haricot. Tu n’as pas le choix, tu ne peux que le vénérer. Il est effarant de power et toujours cette profondeur de champ, cette extrême tension, il faut le voir gratter ses poux dans l’écho du temps. Greg Sage et Eddie Bo dans la même soirée, ça fait beaucoup trop. Sage qu’est pas sage est le roi de la dégelée, il a le génie du son, il est une sorte de Totor du pauvre, rien qu’avec ce «Psychic Vampire», t’es repassé au pli. L’autre coup de génie de l’album est le «Resist» qui se planque vers la fin. Bardé de Sage sound, ce mec te remplit à ras-bord, c’est extrêmement puissant. Il va toujours vite, avec du son. Encore une belle énormité avec «Last Chance». Il crée son monde sur place, au débotté, il malaxe l’argile de sa heavyness, il pétrit la latence de la pertinence, c’est miraculeux de le voir à l’œuvre. Il sait aussi bombarder, comme le montre «No Place Safe». Aw comme c’est chargé, un vrai ciel d’apocalypse ! Il y flotte comme un psychic vampire et ses solos remontent jusqu’au firmament, au note à note. Ce mec te carbonise de bonheur sonique. Avec «Stormy», il taille sa route dans la jungle. Il est bon dans tous les registres, il s’accorde à toutes les imageries, même celles d’Épinal. C’est vrai que ce mec gagne à être connu. Son «Green Light Legion» est bien charpenté, hérissé de rafales. Pas de place pour le hasard, ici. Sage qu’est pas sage bâtit son empire cut après cut. Il revient à sa chère hypno avec «Defiant». Cavaler ventre à terre dans la plaine en flammes, c’est tout ce qui l’intéresse.

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             Ah, encore un album imparable : The Power In One. Ça grouille de coups de génie, là-dedans, dès «The Fall», fracassé aux accords de fricassée, on sent la fibre des notes de clairette dans le bazar de la frondaison, c’est un son extrêmement puisant, ce mec orme son tourment apocalyptique de finesses florentines, il torture le spectre sonore pour lui faire avouer ses avanies. Le grand Sage te plonge dans sa bassine d’huile bouillante, il développe une ambiance de densité extrême. Et ça continue avec «Shaken», il est partout dans le son, il renoue avec l’énergie du Gun Club, son Shaken est du pur jus de «Death Party». Il repart de plus belle avec «Rest Of My Life», il joue sur du rebondi avec des layers fantastiques, il est aussi fin que l’était Jeffrey Lee Pierce, tu retrouves dans ce Rest toute la navigation du Gun Club. Avec «Rocket», il sonne comme Thin Lizzy, il est on fire, il a des pétards dans le cul, il force bien le passage, comme le fit Phil Lynott en son temps. Le Sage veille sur notre incurie. Avec le morceau titre, il arrose la terre de brillants accords bruissants, il joue à l’automne du rock hypnotique, c’est incroyablement bien dosé. Il faut dire que la prod d’Arizona est superbe. Il remonte au créneau du heavy sludge avec «Misleading». Tu entends rarement des heavy boogies de cette qualité. Le Sage a tous les pouvoirs. Encore un déluge de son avec «Still Inside Of Me», il pleut du son et du Sage. Il trace son chemin de croix à coups de solos d’élévation. Tout aussi wild as fuck, voilà «Ship Of Dream», il entasse les layers de gratte, c’est hallucinant. Greg Sage est un artiste passionnant. Il est l’un de ceux qui savent gratter des accords sautillants dans la tourmente d’un heavy mood.

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             Entre deux rafales de Wipers, Greg Sage enregistre des albums solo. Le premier s’appelle Straight Ahead. La tendance globale de l’album est le balladif enragé. Sage qu’est pas sage gratte à sec. Dans «Soul’s Tongue», il lui demande de lui parler avec sa langue : «Speak to me with your soul’s tongue». Et puis au détour d’un «Blue Cowboy», il se met à sonner comme Chris Bailey. Petit à petit on le voit s’énerver, toujours avec du son Sainty, sur «Your Empathy» et comme il a de l’énergie à revendre, il devient sautillant sur «Seems So Clear». Il se perd un peu en B («Lost In Space») et continue de tout gratter à la clairette d’electrac («World Without Fear»), avec une belle unicité de ton et de son. Il termine avec un «Keep On Keepin’ On» plus sombre, gratté dans les ténèbres de va-pas-bien, l’a pas été sage, le Sage. Puni. Alors il gratte au fond du placard à balais où l’a enfermé le diable.

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             Pour la pochette de Sacrifice (For Love), le Sage qu’est pas sage a pensé à des petits squelettes mexicains. Quel farceur ! En attendant, il continue de gratter ses poux. Pour le morceau titre, il gratte vite et sec à la surface de la peau du cut. Pas facile de savoir avec un mec comme lui, il tente un peu le diable, il cultive la tension, ce qui peut expliquer la présence de squelettes sur la pochette. Avec «Forever», il tente encore de créer l’illusion, il est tout près, et puis il finit par te harponner avec ses vieux accords. Curieux mélange de oui/non. Ça paraît bon et ça ne l’est pas vraiment. Il a perdu l’éperdu des premiers albums. Mais il rebondit toujours. Avec «No Turning Back», il dégouline de no turning back aw ! Il redevient enfin monstrueux avec «Ready Or Not». C’est même du pur jus Gun Clubbish, du «Death Party» à la sauce de Sage avec du killer solo flash en retour de manivelle. Sage a du génie, qu’on se le dise ! Rien qu’avec «Ready Or Not», t’es content d’écouter cet album. Et pouf, il enchaîne sur une cover démente de «For Your Love», il tape dans le yard des Yardbirds, il en a les moyens, il en fait un Sage Yard, il a tout le son du monde. Il réussit à rehausser le power des Yardbirds avec le sien et il amène son beat en plus. «For Your Love» devient autre chose, Sage le joue au super power. Il y a là un truc qui te dépasse. Il reste dans le heavy Sage avec «This Planet Earth», il redevient magique, il gratte ses poux dans un overall de sonic boom, il te barbouille l’horizon au beat énorme, il est là, debout avec un chant un peu épais, il revient à son péché mignon, l’hypno. Il referme la marche des squelettes avec «Dreams». Au milieu des arpèges, il sonne comme Lou Reed. Ce mec t’épuise. Il est trop bon. Il faut le voir descendre dans la fosse. Oui, c’est un génie.

    Signé : Cazengler, Wiper fouettard

    Wipers. Is This Real? Park Avenue Records 1980

    Wipers. Youth Of America. Park Avenue Records 1981

    Wipers. Over The Edge. Brain Eater 1983

    Wipers. Land Of The Lost. Restless Records 1986    

    Wipers. Follow Blind. Restless Records 1987           

    Wipers. The Circle. Restless Records 1988         

    Wipers. Silver Sail. Tim/Kerr Records 1993   

    Wipers. The Herd. Tim/Kerr Records 1996  

    Wipers. The Power In One. Zeno Records 1999

    Greg Sage. Straight Ahead. Enigma 1985

    Greg Sage. Sacrifice (For Love). Restless Records 1991

     

     

    Wizards & True Stars

    - J’ai la Watts qui s’dilate (Part Three)

     

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             L’autre jour, on musardait dans les pages de chroniques de livres que proposent chaque mois les canards anglais et pouf, sur qui qu’on tombe ? Oh ! Charlie Watts ! What, encore un Watts book ? What the fuck ! L’«À-quoi-bon» fut la première formule à s’inscrire dans la bulle de BD qui se formait au-dessus de la tête. Mais au fond, cette persistance éditoriale avait un petit côté tellement mutin, tellement espiègle, que dans les bulles suivantes s’inscrivirent des formules du genre «Là Charlie tu charries», ou mieux encore, «Arrête ton Char, lie.»

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             Oui, car la légende de Charlie Watts n’en est pas à son coup d’essai. On avait ici même salué en 2021 l’excellent book de Mike Edison, Sympathy For The Drummer - Why Charlie Watts Matters. Book doublement excellent, puisque ce fut d’une part le dernier cadeau de Gildas, et d’autre part une fantastique incitation à réécouter tous les albums des Stones, via Charlie. Mike Edison loue si bien le talent de Charlie Watts qu’on réécoute les Stones avec une oreille complètement vierge. Dans les vieux blah-blahtages marathoniens, les spécialistes citent toujours les deux mêmes : Keef et Brian Jones, rarement Charlie Watts. Avec un brio surnaturel, Mike Edison avait réussi à colmater cette atroce carence. Et voilà que Paul Sexton prend la suite avec Charlie’s Good Tonight.

             Bon alors attention, ce n’est pas du tout la même approche. À force d’enthousiasme, Mike Edison réussissait à transformer un beurreman effacé en clé de voûte de la Stonesy. Sexton propose une collection d’anecdotes et de témoignages qui puent le déjà vu, mais comme il s’agit de Charlies Watts, le déjà vu convient parfaitement, puisqu’il s’agit avant tout d’alimenter la rubrique des True Stars. Les tours de Brian Jones et de Keef viendront plus tard. Pour une fois, Charlie passe en proms.

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             Au dos du Sexton book, tu vas tomber sur un portrait extraordinaire de Charlie : il prend la pose, accoudé sur une commode, le buste serré dans un blazer prince de galles croisé, fermé d’un seul bouton, avec la main droite qui pend dans le vide. On pense immédiatement au portrait de Robert de Montesquiou par Boldini : c’est exactement la même élégance de jeté d’épaule, à la canne près. Montesquiou déboutonne sa vareuse en soie, c’est le côté français. Charlie boutonne son blazer, c’est le côté anglais.

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             Sexton ne prétend pas être écrivain. Il compile. Il réussit toutefois à bien approcher la psychologie de son personnage, n’utilisant que la partie visible de l’iceberg. Pour structurer son récit, il opte pour la facilité : le fil chronologique. Pour un auteur, un personnage du calibre de Charlie, c’est vraiment du gâtö : il n’existe pas de vie plus lisse que celle de Charlie Watts : une seule femme, Shirley, une seule fille, une seule petite-fille, un seul groupe, une seule passion, l’élégance, et un seul vice : les collections. Collections d’objets, de 78 tours, de drum kits, de bagnoles, de livres, et de chevaux de course. Car oui, on finit par devenir millionnaire quand on bat le beurre dans les Stones pendant soixante ans. Ah n’oublions pas le plus important : un seul talent, indépendamment du beurre, l’humour. Attention, c’est de l’humour anglais. Un petit exemple. Charlie s’adresse à la presse qu’il n’aime pas beaucoup et leur balance : «Je donne l’impression de m’ennuyer - of being bored - Mais je ne m’ennuie pas vraiment. I’ve just got an incredibly boring face.»

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             Alors évidemment, ça démarre avec les deux préfaces prévisibles : celle de Jag et celle de Keef. Ça commence mal avec celle de Keef, car il explique qu’à chaque fois qu’il doit parler de Charlie Watts, il s’aperçoit qu’on ne peut pas en parler - you realise the essential man wasn’t something you put into words - Keef en déduit que Charlie était une présence, «and when you were with him, that was it.» Il conclut avec cette phrase qui sonne comme un aphorisme : «Charlie was just what you got, which was Charlie. He was the realest guy I ever met.» On peut le croire , le Keef Keef bourricot, car des guys, il en a pratiqué des tonnes.

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             Sexton commence par nous radiner la fraise d’un jeune Charlie passionné de jazz et de design. Avant d’intégrer les Stones, il bosse dans une petite agence de pub à Londres. Et comme bon nombre de ses contemporains devenus célèbres par la suite - Jack Bruce, Ginger Baker, Graham Bond, Davy Graham, Long John Baldry, Dick Heckstall-Smith, Jagger - il débute dans le Blues Incorporated d’Alexis Korner. Quand Charlie bat le beurre pour Korner, Jack Bruce joue de la stand-up. Charlie indique d’ailleurs que Jack va passer rapidement à la basse électrique. En plus de Jag, d’autres chanteurs se bousculent au portillon. Charlie se souvient de Paul Jones et d’un Américain nommé Ronnie Jones.

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             Alors évidement, ce book est l’occasion rêvée de replonger dans l’histoire des early Stones, un temps béni où Brian Jones se faisait appeler Elmo Lewis en hommage à Elmore James, il y avait aussi Stu Stewart qu’Andrew Loog Oldham allait écarter pour cause de non-look, et dans la toute première mouture des Stones, avant l’arrivée de Bill & Charlie, tu avais Dick Taylor à la basse et Mick Avory au beurre. On parle aussi d’un certain Tony Chapman, qui jouait avec Bill dans les Cliftons, ou encore de Carlo Little, qui jouait dans le groupe de Screamin’ Lord Sutch. Charlie les connaît tous. Puis les early Stones s’installent à Edith Grove, Chelsea : d’abord Jag et Brian Jones, puis Keef. Charlie dit qu’il s’y installe aussi, mais il rentre chez ses parents le week-end. Il ne faut tout de même pas exagérer. Il en garde cependant un bon souvenir - It was a bloody laugh, actually - On est en 1962, à l’aube des temps. Bill est engagé plus pour son ampli que pour sa technique, ironise Sexton, et Charlie donne sa dem à Blues Incorparated pour rejoindre les Stones. Comme motif de démission, il dit qu’il n’est pas au niveau des autres Blues Incorporated.

             Charlie admire énormément Ginger Baker, il le trouve américain - He sounded more to me like Elvin Jones than Elvin does - Il faut s’habituer à ce genre de facétie. Charlie est un pince sans rire. En quittant les Blues Incorparated, Charlie refile le job à Ginger et lui dit qu’il se casse parce que le groupe n’est pas «a secure future». Nettie, la fille de Ginger, rapporte que son père a trouvé cette répartie hilarante. En échange, Ginger lui refile le plan Brian Jones. Nettie : «My dad liked Brian because he said he was a good musician.» Un soir, après un concert des early Stones, Ginger chope Brian Jones pour lui dire ceci : «Ton batteur est une vraie catastrophe. Why don’t you get Charlie Watts ?».

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    ( Fred Below )

             Mais les Stones ne savent pas s’ils ont les moyens de s’offrir Charlie Watts. C’est en tous les cas ce qu’affirme Keef dans son autobio - God, we’d love that Charlie Watts if we could afford him - Ils finissent par se l’offrir, lui faisant miroiter un CDI. Un fois embauché, Charlie écoute les albums de Jimmy Reed avec Keef et Brian Jones, à Edith Grove. Il écoute surtout Earl Phillips, le batteur de Jimmy Reed, il découvre ensuite qu’Earl Phillips joue comme un batteur de jazz, «playing swing, with a straight four.» Puis il passe à Fred Below, le batteur Chess qu’on entend sur les albums de Chucky Chuckah et de Muddy - Freddy Below, on the other hand, played shuffle, which is what they did in Chicago - Il rend un hommage fondamental à cet homme qui fut à sa façon la clé de voûte du Chess sound - So we learned to play the Freddy Below way - Et pouf, les voilà sur Decca, les early Sones, avec une cover de «Come On». Charlie se marre : «We never did it as good as Chuck Berry, nobody ever does.» Il ajoute que Chucky Chuckah en fit une «very hip version. The rhythm is great. It’s like a New Orleans rhythm he plays, it’s fantastic. We played it straight, like a Liverpool beat group. When we were young, we played things bloody fast.» «On ne se posait pas de questions», conclut Charlie en éclatant de rire.

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             Bill indique que si les early hits des Stones sont tellement brillants, c’est un peu grâce à Charlie, «because he was a jazz drummer, and so we were streets ahead of anybody that ever wanted to imitate us. They never could quite get the feel we had.» Les Stones se font virer des clubs de jazz à Londres et sont obligés d’aller jouer à Richmond ou à Twickenham. Charlie rappelle que les Stones en pincent pour le down home blues, the Diddley stuff and Muddy Waters.

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             Et puis en 1964, les Stones explosent. Sexton sort les chiffres : 206 gigs dans l’année, deux tournées américaines, et les gros shows télévisés. Bill ramène toujours son grain de sel à bon escient : «Les Beatles composaient des chansons meilleures que les nôtres, ils chantaient mieux que nous, but we were so much better than them alive.» Très vite, il apparaît que la vie en tournée ne plaît pas trop à Charlie qui est assez casanier et qui ne rêve que d’une chose : retrouver sa chère Shirley et sa fille Seraphina. Charlie menace régulièrement de faire la grève des tournées : «I’m not touring anymore», et les autres lui rétorquent : «You are». Bill dit que Charlie mettait du temps à accepter de repartir - But he didn’t like it - Alors en tournée, il dessine. Il dessine toutes ses chambres d’hôtel, les lits, les postes de télé. De toute façon, Charlie n’aime pas la musique des Stones. Quand on lui dit : «I’m a great fan of the Stones», il répond : «I’m not. It’s what I do. Mick and Keith and Ronnie are my friends and the band is a very good one, but that’s it.» Sec et net. Comme son beurre.

             Il ne s’attarde pas trop sur la fin de Brian Jones, une fin qui dit-il était prévisible, mais il le dit à l’anglaise : «It wasn’t unexpected, to be honest with you.» Bon, il précise : «On ne s’attendait pas à ce qu’il casse sa pipe en bois, mais ça faisait au moins deux ans qu’il allait très mal.» Il a une façon très wattsienne de dire les choses : «Brian, you could see him going, or not going but getting very unwell. Il était très jeune, on ne meurt pas à son âge. Il est allé de plus en plus en plus mal. So there was that ‘knock, boink, pick up again’, et on ne tournait plus depuis longtemps. I guess that’s what happened.» Pour d’autres détails, il faudra repasser un autre jour.

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             Quand les Stones s’exilent et qu’ils s’installent dans le Sud de la France, la famille Watts s’installe à Saint-Jean-du-Gard, dans les Cévennes. Séraphina va à l’école du village. C’est l’époque Mick Taylor, puis Ronnie Wood arrive. Sexton salue Some Girls, un album qui selon lui out-punked punk, avec «Respectable» et «Shattered». Il a raison, le Sexton. Charlie dit avoir adoré les Pistols, mais détesté le look punk autant qu’il avait détesté le «bloody flower power».

             Sexton passe un temps fou sur le chapitre vestimentaire. Charlie entre un jour chez Cleverley demander s’il pourrait se faire faire des pompes sur mesure. Le shoemaker lui répond qu’il en serait ravi. Alors Charlie indique qu’il a déjà un shoemaker qui lui fait des pompes sur mesure, mais dit-il ça prend du temps : «Il leur faut deux ans et demi. Pouvez-vous réduire ce délai ?». Le mec le rassure : «Oui, deux ou trois mois». Charlie est ravi : «Oh, that’s wonderful.» Puis il demande au loufiat s’il va lui prendre ses mesures. Bien sûr dit le loufiat. La scène se déroule en 1993 et Charlie sera client du shoemaker d’Old Bond Street jusqu’à la fin, en 2021. Une paire de pompes chez Cleverley coûte la bagatelle de £4,000. Charlie s’est fait faire 80 paires de pompes chez eux. Bien sûr, il se fait aussi faire des costards sur mesure. Si un jour il s’aperçoit qu’il a du mal à entrer dans son futal, il arrête de manger. Il surveille sa ligne. Quand il monte sur scène, il porte aussi du sur-mesure. Pas question de jouer en costard trois pièces, bien sûr, alors il se fait faire des T-shirts sur mesure. Même quand il se trouve chez lui, dans le Devon, au fond de sa cambrousse, Charlie porte un costard trois pièces à table. Jools Holland dit que «Charlie was the best dressed man I think I’ve ever met.» Charlie prend en fait comme modèles les fameux jazz greats qui s’arrangeaient toujours pour être tirés à quatre épingles. Charlie s’inspirait en outre de personnages historiques du XVIIIe siècle ou des années 30. Dommage qu’il ne soit pas fait mention d’Oscar Wilde, ni de George Brummel. Sexton ne s’aventure pas trop sur le sujet des dandies. Peut-être est-il inculte sur le sujet. Va-t-en savoir. 

             Quand il pique sa crise de midlife, Charlie tape dans la dope. C’est la seule explication qu’il donne. Plus jeune, il n’avait jamais approché les drogues, «but at that point in my life I went ‘Sod it, I’ll do it now.» Il est le premier à savoir que les drogues sont dangereuses pour lui parce qu’il sait qu’il est déjà bizarre naturellement. Il reconnaît en outre qu’il n’a pas la constitution idéale pour jouer avec junk. La crise a duré deux ans - And I very nearly killed myself, je veux dire, pas en overdosant, I mean I nearly killed myself spiritually, I nearly ruined my life - Alors il arrête tout, même de bouffer. Pendant six mois, il a vécu de «water, sultanas and nuts.» Keef l’admire car en ce qui le concerne, il a mis dix ans à s’en sortir.

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             Et puis voilà Bill qui s’en va. La nouvelle est annoncée en 1993. Bill sort d’un mariage compliqué avec Mandy Smith et il se maque avec Suzanne Accosta. Il veut reprendre sa liberté artistique et développer ses propres projets. Charlie est triste de voir partir son meilleur ami. Quelques années après son départ, Bill raconte qu’un soir Charlie l’appelle d’Amérique du Sud pour lui dire : «Ce soir, en plein milieu du show, je me suis tourné vers toi pour te dire un truc, mais tu n’étais pas là.» Fantastique anecdote. Elle en dit long sur la qualité du lien qui unissait Bill et Charlie. Keef demande à Charlie de choisir un successeur à Bill. Le remplaçant n’est autre que Darryl Jones, un bassman black qui a joué avec Miles Davis. Encore l’une de ces petites infos rigolotes dont se pourlèche Sexton : pour le 75e anniversaire de Bill en 2011, les Stones lui ont offert 75 roses. Dead roses ?

             Puis on arrive à l’époque où les tournées des Stones deviennent extrêmement lucratives. Charlie a beau rechigner à tourner, les autres se marrent en douce. Ronnie raconte que Charlie et Shirley sont allés acheter des étalons arabes à Albuquerque, au Nouveau Mexique : «Il faut qu’il puisse les payer, ses canassons. Alors il doit repartir en tournée, sinon, il est fauché.»

             Entre deux tournées, les Stones sont éparpillés à travers le monde. Charlie : «Mick est celui auquel je parle le plus. Par contre, tu n’as pas de nouvelles de Keith pendant un ou deux mois, parce qu’il hait les téléphones. Il est le plus excentrique de nous tous. Il adore partir en tournée. Quand je lui dis que je vais prendre ma retraite, il me dit : ‘Mais qu’est-ce que tu vas faire ?’. Il lit des tas de bouquins. Il ne lit que des très gros livres. Plus ils sont gros, plus il est content. Il ne regarde jamais la télé.» Charlie déteste que Keef lui pose cette question : «Qu’est-ce que tu vas faire ?» - I actually don’t do anything except play the bloody drums. So it’s a very difficult one to answer.

              Charlie collectionne les batteries : celle que Kenny Clarke a filé à Max Roach, celle de Sonny Greer qui jouait dans le Duke Ellington’s band, il collectionne aussi les premières éditions d’Agatha Christie, de Graham Greene, de Pelham Grenville Wodehouse, d’Evelyn Waugh, all signed, ajoute Sexton haletant. Charlie collectionne aussi les costards, les bijoux, il possède la montre de Benny Goodman. Il entasse ses collections dans une pièce - It’s a museum that‘s out of control - Sexton en tartine des pages entières, Charlie collectionne aussi les bagnoles, alors qu’il n’a jamais passé son permis, et ça repart de plus belle, il adore s’habiller pour aller s’asseoir dans ses bagnoles et écouter le bruit du moteur, il possède une Lagonda Rapide Cabriolet de 1937 avec un moteur V12, une Bugatti Atlantic des années 30, une 2CV Citroën jaune, un Méhari, une Lamborghini Miura et quelques Rolls-Royces - Il ne voyait pas l’intérêt d’ajouter à sa collection un camion de marchand de glace ou un hovercraft, comme l’avait fait son ami Keith Moon.

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             Et puis l’humour rejaillit à tout instant. Charlie confie ceci à Sexton à la fin des années 1990 : «Mobile phones I think are a pain in the arse, mais la plupart des gens les trouvent fantastiques. Je ne sais comme ferait Mick sans son mobile phone. Je ne peux pas les supporter. But I think I’m more of a dinosaur than he is.» C’est d’une finesse extrême et d’une grande drôlerie sous-jacente. En juin 2018, Charlie est sur scène pour son 77e anniversaire. Les gens le verront pour la dernière sur scène le 30 août 2019, lors du concert final du No Filter tour.

    Signé : Cazengler, Charlie Ouaf (va chercher la baballe)

    Paul Sexton. Charlie’s Good Tonight. Mudlark 2022

      

     

    Inside the goldmine - Sexton machine

     

             Pendant quelques années, nous passions notre temps à réinventer la vie. Avec Baby Brain, c’était un jeu d’enfant. Nous mettions nos idées en commun et elle savait comment assurer leur mise en œuvre. Encore fallait-il que les idées soient crédibles et qu’elles fussent en concordance avec ce que nous savions de nos profondes aspirations. Notre mode de fonctionnement reposait sur un étrange mélange d’audace, de fantaisie, d’admiration mutuelle et de soif de vie. Il fallut donner un toit à ces jaillissements quotidiens de créativité, ce que nous fîmes en finançant la réhabilitation d’une ancienne usine à bonbons, puis pour donner corps à notre audace, nous nous mîmes à remporter des appels d’offres et à collectionner les gros budgets, en veillant à ne pas nous compromettre avec des rabat-joie institutionnels. Baby Brain valait franchement le coup d’œil. Il émanait d’elle un charme extrêmement subtil, un mélange de Lady Chatterley et de regard clair, de crinière fauve et de léger accent, elle savait choisir un parfum, elle disposait de cette intelligence très vive qui distingue les Anglaises des continentales. Pendant que neuf continentales sur dix s’observaient le nombril, Baby Brain imaginait l’avenir, elle entrevoyait les possibilités, et quand elle décrivait les façons d’y parvenir, c’était en rigolant, car pour elle, tout n’était qu’un jeu. Nous découvrîmes en nous une source d’énergie intarissable. Nous repartions de plus belle chaque matin, aussitôt le breakfast : les plans sur la comète, les rendez-vous prévus avec tous ces gens qu’on aimait bien, et la perspective d’une soirée au théâtre ou dans un cabaret, il suffisait de feuilleter l’Officiel qui regorgeait alors de possibilités. On appelle généralement ce type de tranche de vie un conte de fées. Comme Baby Brain savait pertinemment qu’un conte de fées ne peut pas durer éternellement, elle décida un jour d’anticiper et d’y mettre un terme. La scène se déroula de façon très formelle, un dimanche matin. Nous prenions le breakfast sur la grande terrasse surplombant la Seine et d’une voix absolument normale, elle déclara : «Puisque nous devons mettre un terme à notre histoire, tu vas devoir te suicider.» Elle avait raison, il n’existait pas d’autre moyen de mettre fin à ce conte de fées.  

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             Pendant que Baby Brain réinventait la vie, Ann Sexton réinventait la Soul, ce qui revient à peu près au même. Ann Sexton n’est pas anglaise mais américaine, descendante d’esclaves de Caroline du Nord. Aux États-Unis, tous les blacks et toutes les blackettes descendent d’esclaves, puisqu’il apparaît qu’aucun d’entre eux n’a traversé l’océan de son plein gré. Le fait que cette tragédie ait généré la Soul est une maigre consolation, disons qu’il s’agit là d’une façon d’illustrer le désuétisme de l’expression «faire bon cœur contre mauvaise fortune». Ann Sexton n’est pas facile à localiser, elle n’est connue que des amateurs chevronnés de Northern Soul, on croise son nom sur les fameux Northern Soul Weekenders, et comme elle sonne particulièrement bien, on fait l’effort d’aller fouiner dans sa discographie. Oh, il n’y a pas grand chose, à part les singles, juste deux albums.

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             Le premier date de 1973 et s’appelle Loving You Loving Me. Ann Sexton fait de la heavy Soul et chante d’un timbre légèrement altéré. Elle fait partie des petites Soul Sisters qu’on vénère, car sans prétention. Elle fait de la petite Soul fine avec «You’ve Been Gone Too Long», elle est suivie par une guitare funky fluette et ça file bon train. Avec «I Still Love You», elle vire plus shaky. Elle drive son modeste r’n’b avec cet élan vital qui fait les grandes Soul Sisters de l’underground magnétique et, petite cerise sur le gâtö, tu as un solo de jazz joué en atonalités dans le flux du groove. Tout est extrêmement fin sur cet album, tout est tiré à quatre épingles. Rien à voir avec Stax ou Motown. C’est encore une autre école. Il faut savoir que l’album est produit par deux blancs, David Lee et John Richbourg, surnommé «the Daddy of Rhythm & Blues». En B, Ann Sexton fait du pur Muscle Shoals avec «You’re Gonna Miss Me». Bien vu, bien foutu, magnifique mise en place des chœurs et des cuivres, oh honey !  You’re gonna lose a good thang ! Elle fait aussi  un «Love Love Love» avec des chœurs de gospel et nous ramène un peu plus loin un joli shoot de cuddle up avec «Let’s Huddle Up And Cuddle Up», pianoté dans le lard des règles avec un bassmatic proéminent et un beurre de jazz. Magnifico !    

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             Son deuxième album s’appelle The Beginning. L’amateur de dancing Soul se régalera de «You Can’t Lose With The Stuff I Use». Solide et beau, elle fait danser le dancing floor, elle est bonne au petit jeu du gros popotin. L’autre standout track de l’album est celui qui ouvre le bal de la B, «Colour My World Blue». Elle poursuit son petit bonhomme de chemin et chante d’un beau timbre black bien rond. Son «Sugar Daddy» semble rester en suspension, mais c’est extraordinairement bien articulé. Ann Sexton est une petite Soul Sister passionnante. Elle sait se montrer languide quand il le faut, attachante et elle n’oublie jamais de se maintenir à un niveau d’excellence.

    Signé : Cazengler, Âne sectaire

    Ann Sexton. Loving You Loving Me. Seventy Seven Records 1973  

    Ann Sexton. The Beginning. Sound Stage 7 1977

     

     

    L’avenir du rock - Moonlight my fire

     

             When the sun goes down and the moon comes up, l’avenir du rock chante son petit couplet et sort faire un tour. Les soirs de pleine lune, de longs poils noirs poussent sur ses mains et son visage. Il rase les murs et file directement jusqu’au cimetière. Il ouvre une tombe avec son pied de biche pour en extraire un squelette et danse le jerk avec lui. Et puis soudain, il s’arrête. Il se dit que c’est trop facile de faire le con dans un cimetière une nuit de pleine lune. Le voilà en plein cliché, lui qui en a une sainte horreur. Il ne manque plus que les ouuhhhh-ooouhhh de Wolf pour que le tableau soit complet. La messe est dite depuis tellement longtemps. De rage, il jette le crâne qu’il a déterré et rentre chez lui. Il croise un chat qui lui souhaite le bonsoir d’une voix humaine. Excédé, l’avenir du rock lui flanque un coup de pied terrible. Le chat s’écrase contre un mur. Au coin de la rue, l’avenir du rock tombe sur Bryan Gregory. Ah non pas lui ! Cette fois, c’en est trop. Il brandit son pied de biche pour aller éradiquer le cliché qui, épouvanté, s’enfuit en poussant des cris d’orfraie. Bryan Gregory court trop vite. L’avenir du rock le poursuit jusqu’au cimetière, bien décidé à en finir une bonne fois pour toutes avec ces maudits clichés. Évidemment, une fois arrivé dans le cimetière, Bryan Gregory se volatilise. L’avenir du rock réfléchit un moment. Cet imbécile a dû se planquer dans un caveau. Il commence à inspecter les gros bâtiments funéraires et soudain, il tombe sur une porte entrebâillée. Il s’y faufile. Il aperçoit dans la pénombre une dalle déplacée. Il la pousse et découvre l’accès d’un tunnel. Il y descend et au loin brille une petite lueur. Il s’en approche, c’est une torche. Et plus il avance, plus il sent qu’il s’enfonce dans le ridicule. Le cliché le mène par le bout du nez. Ah non ! Cette fois c’en est trop ! Il fait demi-tour, rentre chez lui. Il commence par raser les poils qui ont poussé sur ses mains et son visage. Fin du cliché. Puis il passe aux choses sérieuses : il s’installe confortablement dans son fauteuil pour écouter le dernier album de Moonlight Benjamin.

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             Si tu veux voir et entendre du Voodoo, c’est pas compliqué : tu prends ton journal régional, tu vas directement à la page des actualités culturelles de ta fucking région chérie et tu cherches un concert voodoo. Comme c’est ton jour de chance, tu tombes sur le nom de Moonlight Benjamin. Haïtienne ? Tu ne peux pas espérer plus voodoo. Il ne te reste plus qu’à prendre tes cliques et tes claques et filer au concert.

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             On ne sait pas d’où elle sort, mais elle sort. Pas seulement de l’ordinaire. Elle sort. Elle échappe à tout. Pourtant jeune, elle semble avoir traversé les siècles, pas vampire, juste voodoo, un cran légèrement au-dessus, elle porte une robe noire de prêtresse voodoo du XVIIIe siècle, mais elle danse aussi comme ces magiciennes de Libye que décrit Marcel Schwob dans l’un de ses contes les plus lunaires, «Les Embaumeuses». En évoluant sur scène, elle croise les sons et les époques, elle exhale toute l’Africanité d’Haïti et véhicule dans son sillage la clameur des révoltes d’esclaves qui ont conduit cette île à l’indépendance, elle est le voodoo de la colère du peuple noir, et pourtant, elle s’entoure de musiciens blancs, comme pour mieux dérouter les cargos d’hypothèses entrepreneuriales, elle visite les replis du temps et jette sa poudre magique dans les tempêtes soniques que lève sur sa guitare le petit blanc à sa droite, elle traverse la salle d’Est en Ouest et ses voiles noirs flottent comme des mauvais songes, pire encore, comme des mauvais présages, elle dégage l’âcre odeur des sortilèges, elle charge l’atmosphère à outrance, seule une grande prêtresse voodoo issue des siècles passés peut prétendre à une telle démesure.

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             C’est vrai, on cède dès le premier coup d’œil, on se laisse aller à délirer, mais le son de sa voix ne trompe pas : comment une voix aussi sourde et aussi puissante peut sourdre du corps d’une blackette aussi jeune ? Elle ne chante pas, elle tonne, elle ne tonne pas, elle dégomme, elle ne dégomme pas, elle boule de gomme, elle ne boule de gomme pas, elle bourre et bourre et ratatame, elle n’a même pas besoin de tam-tams, elle bourre et bourre les dindes idéologiques, elle bourre le mou du consensus mou, elle bourlingue l’angle, elle ne s’offre pas en spectacle, elle crucifie l’idée du spectacle sur l’autel voodoo.

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    Elle chope le poulet spectacle des blancs pour lui couper cabèche et prendre une douche fictive de sang voodoo, alors tout ça se met à danser dans l’imaginaire, mais il manque l’essentiel : la transe. No transe en France.

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             Ce qui fascine certainement le plus chez Moonlight Benjamin, c’est l’ovale parfait de son visage, l’extraordinaire dessin de ses yeux en amandes, cette beauté parfaite qu’on retrouve chez toutes les grandes artistes noires, de Dionne la Lionne à Miriam Makeba et passant par Nina Simone, cette façon qu’elle a de fixer les gens, et pour les ceusses qui auront eu le bon goût de rapatrier les albums, il y aussi des tatouages éphémères sur son visage. Ce sont les tatouages des gens du désert, elle aura sûrement vécu en Somalie, au temps de Richard Burton et d’Arthur Rimbaud, au temps où on tatouait le visage des plus belles femmes. Tu vois encore des très beaux visages tatoués dans certaines régions du Maroc, lorsque tu descends vers le Sud, après Ouarzazate. L’art scénique de Moonlight Benjamin consiste à s’accroupir au fond de la scène pour éclore comme une fleur maléfique, puis revenir arpenter la scène d’Est en Ouest. Elle peut tournoyer comme les derviches des montagnes du Rif. Lorsque la tension musicale atteint son paroxysme, elle peut s’élever de quelques centimètres. Elle danse pieds nus, des pieds qu’on aperçoit très peu, car longue est sa traîne.

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             Tu as tout ça pour une bouchée de pain, dans un théâtre de quartier populaire, sur ce que les gens d’ici appellent les hauts de Rouen, pas très loin d’un immense cimetière pas voodoo qui porte le doux nom de Monumental.

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             Elle est cadrée plein pot sur la pochette de Simido. Dès «Nat Chape», elle donne le ton : heavy beat voodoo. Elle chante au gut d’undergut avec toute l’Africanité dont elle est capable. Les deux petits culs blancs aux grattes se tiennent à carreau car Moonlight Benjamin ramène le souvenir des révoltes d’esclaves, c’est puissant, plein de coups de machettes dans la gueule des békés. Toute l’Afrique est derrière elle. Tu as des sons comme celui-là qui reprennent la compétition. Espérons que les fils d’esclaves vont conquérir le monde. Ça ne serait que justice. Moonlight Benjamin monte au créneau, elle chante avec autorité, elle ne s’écrase pas comme si elle avait grandi dans le Mississippi et dans la peur du patron blanc. Sur «Ki Novel», les grattés de poux sont admirables. Ils attaquent «Salwe» au heavy shuffle de gratte, ça vire JSBX, c’est explosé de son et de congestion et Moonlight Benjamin explore des régions inconnues du spectre sidéral. Cette dimension du voodoo n’est pas apparue pendant le concert, on a vu autre chose, mais pas cette dimension atrocement épaisse de domination spirituelle du peuple noir sur le monde, ça joue à la pire heavyness voodoo, une heavyness montée sur un riff hypnotique et bien ravagé par des lèpres, les plaies sont profondes, ça va chercher loin, dans un concert montant de fièvres et de rancœurs. Tu ne trouveras pas cette ferveur atroce sous le sabot d’un cheval. C’est wild as hell. Elle fouille les entrailles de l’Africanité dès l’intro de «Pale Pawol», elle danse autour des riffs, tu as enfin la transe. Étrange alchimie que celle des riffs blancs et de l’Africanité intrinsèque. «Tchoule» part en mode wild guitar slinging, elle allume le comment du pourquoi, le profond des surfaces, elle retourne le rock des blancs comme une peau de lapin. Elle est dans l’Haïti dont on ne sait rien, elle ratiboise le clair de lune, elle vise les hauteurs de la niaque, elle propose un mix de rock voodoo qui se fige à la Pointe du Ras des pâquerettes. Tout est puissant sur cet album, les petits culs blancs jouent bien le jeu, tu as de l’Africanité à tous les étages en montant chez Moonlight, elle touille tout ça dans son chaudron et te sert l’Africana du diable. Ça gratte pour de vrai sur «Pasay», elle a du pot d’avoir ces mecs derrière elle, alors elle peut exploser encore et encore, elle injecte des zèbres et des girafes dans le tourbillon, elle réinvente la notion d’intemporalité. Sur «Kafou», les petits culs blancs jouent comme des Africains, même le batteur réussit à jouer comme un blackos, et le guitar slinger claque des contretemps, alors Moonlight répand la clameur de son Africana dans l’éclat d’un jour d’ici ou d’ailleurs, on assiste avec «Kafou» à l’éclosion d’un effet participatif de la meilleure auspice, rien d’aussi pur dans le mélange des races, on n’avait pas vu ça depuis Sly & The Family Stone et Booker T & The MGs. Pur génius de mixed blast.

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             L’album précédent s’appelle Siltane. C’est l’album aux tatouages. Visage et dos. Les images sont magnifiques. Ça chauffe dès «Memwa’n» au heavy rockalama de Somalie, elle ouate ses sortilèges à la surface du son et derrière ça gratte le hard funk. C’est l’un des cuts du set sur scène. Oh oui, ça gratte au real funk, elle moule le funk dans sa voix vieille de plusieurs siècles, elle groove dans les ténèbres. Elle est bien plus puissante que ne le fut jamais le JSBX, elle te claque une Africana subliminale. Voilà enfin «Papa Legba», le plus connu des personnages mythiques haïtiens. Et pour les ceusses qui ne le sauraient pas, Papa Legba est un diable, elle l’invite à venir danser le sabbat, alors bienvenue en enfer ! On se croirait dans la scène mortelle de Wild At Heart à la Nouvelle Orleans. Aw comme c’est tribal ! Ça résonne si profondément dans ta conscience ! Retour à la pure Africana avec «Moso Moso», c’est un cut de batteur bien renchéri par des percus. Ils s’appellent Claude Saturne et Bertrand Noël. Pour le morceau titre, elle propose du heavy JSBX, mais c’est amené au sludge de no way out, elle tripote le groove de ses doigts crochus, elle fout la trouille, elle aménage des orifices, elle est atrocement reptilienne. Elle tape «Chan Dayiva» avec heavy groove voodoo, mais elle fait à la voix d’airain. C’est incroyable comme ses amis blancs sont à la hauteur. Elle enfonce encore son clou voodoo avec «Tan Malouk» et puis «Des Murs», qui est quasi r’n’b, ce sont les accords de «Gloria» qui se fondent la soupe aux choux et elle termine avec un «Met Agwe» qu’elle fait sonner comme un hit de Nina Simone. Elle fait autorité dans l’au-delà des guitares électriques.

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             Vient tout juste de paraître son nouvel album, Wayo. Même ambiance, elle sort encore des ténèbres pour la pochette. Esthétique maîtrisée. On sent qu’il y a une grosse équipe derrière. Dès le morceau titre d’ouverture de bal, on est en Haïti, elle ramène le son à l’essentiel, elle monte son Africana en neige noire, aye aye aye, elle te dévore de l’intérieur. On reste au pays des merveilles avec l’oh la oh de «Haut Là haut», elle te groove l’oh la oh à la mandingue de dingue, elle ramène carrément de la dignité dans le stomp des blancs, elle en fait le stomp d’Haïti, elle s’implique fabuleusement dans le process de démentoïsation de l’Africana. Le fantôme du JSBX hante encore «Taye Banda», cette fois c’est Jon Spencer qui hante le voodoo de Moonlight Benjamin, elle s’en accommode fort bien. Que de power dans ce Banda ! C’est claqué au heavy chords, à ce niveau de heavy blast, on est obligé de raisonner en termes de génie haïtien. Il faut bien admettre que les interconnections de fantômes finissent par nous dépasser. Elle tape dans le heavy groove de blues pour «Ouve Lespri», elle s’y fond avec l’aplomb d’une reine. Chaque fois, elle reprend le contrôle pour insuffler sa magie. C’est d’autant plus spectaculaire que ses amis blancs jouent comme des cracks. Elle taille encore «Pé» à sa mesure et entre en osmose avec le heavy goove de «Limyé». Sa voix sonne comme la grondement des flammes d’un immense incendie. Elle devient sculpturale dans «Bafon», elle s’enfonce dans les ténèbres du voodoo symphonique. C’est un peu comme si elle créait l’hymne national des temples voodoo. Rien d’aussi spectaculaire ! Tout est absolument noyé de son. Elle attaque encore «Ale» à la dure, avec sa belle énergie primitive. Elle chevauche son drive, Ale ale, elle y va, elle semble filer à travers une savane imaginaire. Quelle exubérance !

             On apprend à l’issue du concert que Moonlight Benjamin est installée à Toulouse et que ses amis blancs sont basés à Paris. Heureuse conjonction. 

    Signé : Cazengler, Benjaminable

    Moonlight Benjamin. L’Étincelle. Salle Louis Jouvet. Rouen (76). 28 février 2023

    Moonlight Benjamin. Simido. Ma Case 2020

    Moonlight Benjamin. Siltane. Ma Case 2017

    Moonlight Benjamin. Wayo. Ma Case 2023

     

    *

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    C’était le printemps. Un des mois les plus beaux de l’année. L’ont-ils fait exprès, voulaient-ils gâcher notre allégresse, je n’en sais rien, ne soyons pas complotiste, toujours est-il que Across The Divide sortait une vidéo du premier morceau de son proximal opus. Une horreur sans nom, d’une beauté inoubliable, je ne vous parle que de la première image, la suite n’était pas gaie mais nous avons tous des filtres de réception qui nous permettent de classer les émotions les plus insupportables dans des petites cases conceptuelles prévues à cet effet : exemple : dans la famille des Suicidés je voudrais la mort par pendaison. Si vous trouvez ce jeu un peu enfantin, il en existe une version davantage ésotérique : exemple dans les arcanes divinatoires du tarot me voici en possession de la carte du Pendu. Je dis cela pour vous faire sourire, car la première image de cette vidéo, s’inscrit en vous avec autant de force que le tableau L’île des morts d’Arnold Böcklin, un de ces engrammes qui s’en viennent tatouer votre cerveau pour en infléchir la marche. Vous n’avez pas de chance c’est ce titre qui ouvre cet opus que nous attendions avec impatience. 

    ETERNAL

    ACROSS THE DIVIDE

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    L’esthétique de la couverture n’est pas sans rappeler celle de Disarray leur dernier album, voir en notre livraison 497 du 11 / 02 / 2021 son élogieuse recension, prédominance de la couleur orange et importance donnée au nom du groupe. Sur Disarray il occulte la photo, sur Eternal réduit à son logo, il apparaît tout de même comme si l’on avait voulu l’agrandir au maximum de son support alors qu’à l’origine il n’occupait qu’une toute petite surface de l’écorce de l’arbre initial sur laquelle il aurait été gravé, pensons à la formule X + Y = A E qui perdure beaucoup plus longtemps que le lien affectif des naïfs amoureux qui l’ont tracé. Surtout si par mégarde il aurait été inscrit sur le tronc de l’Yggdrasil éternel.

    Ce qui tombe très bien quand on songe au titre de l’EP Eternal. Je ne pense pas que Across The Divide soit persuadé que son EP est éternel, mais qu’ils veulent nous avertir que la seule chose de la vie qui ne puisse pas mourir est la mort elle-même. Car si la mort mourait elle deviendrait vie. Across The Divide porte bien son nom. Ils explorent cette faille – Mallarmé la surnommait ‘’ un peu profond ruisseau calomnié’’ – qui sépare – et qui donc en même temps en exprime la jointure négative – la mort de la vie. Ou la vie de la mort.

    Charles Bogan / Regan McGowan / Axel Biodore / Maxime Weber / Alexandre Lhéritier

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    Unforgotten : au taquet, au maximum musical, une voix colérique comme qui sourd d’un cercueil refermé ou qui s’exhale  d’un chaos de grumeaux de terre enfoncée dans la gorge, une musique noire qui se plie et se replie sur elle-même tel un suaire infini qui ne parvient pas à étouffer la révolte intérieure, ne pas mourir définitivement, le cadavre crie ses dernières volontés, la consolation du pauvre, celle de vivre dans la mémoire des autres, des vivants qui lui ont survécu, ne pas être dissout dans le néant léthéen, chaque fois que leur nom est prononcé les morts ressuscitent-ils ne serait-ce que quelques secondes demande Rilke, la musique aurait-elle ce pouvoir, Across The Divide tente une résurrection orphique, instrumentation en lave de serpent qui tente de se mordre la queue, de boucler la boucle de la vie afin de nouer le nœud gorgien de l’éternité. La couleur de l’espoir est encore plus noire que les paroles prononcées par la bouche d’ombre. Ecoutez ce morceau à plusieurs reprises, au début vous avez l’impression d’une coulée uniforme, plus tard vous discernerez un entremêlement kaotique disparate, opposition de volitions contradictoires, par laquelle le groupe parvient au point dis harmonique d’instabilité absolu dans lequel rien ne se résout. Nothing left : s’il n’y a plus d’après il y a eu un avant. Musique sérielle répétitivement martelée, rehaussée d’élans lyriques, derniers efforts de la flamme de la bougie vacillante prête à s’éteindre qui durant de courtes secondes s’exalte d’elle-même et illumine la conscience de l’être au plus haut, et une voix chargée de colère et de hargne, qui se retourne contre tout le monde, qui accuse le monde entier en commençant masochistement par soi-même et qui finit par vilipender le Sauveur hypothétique qui a totalement échoué en sa mission. Du plus bas au plus haut, malgré leurs efforts, il ne restera rien. Sait-on jamais ? La vengeance est un plat de viande morte qui se mange froid. Dead : ( reprise du groupe The Legendary Pink Dots ( voir plus loin ) : petit apéritif en vue d’une meilleure appréciation :  il y a les morts et les morts-vivants, ne pas confondre avec les zombies des films d’horreur, il y a des vivants qui sont déjà morts, des gens comme vous chers lecteurs qui vous ressemblent  étrangement, au lieu de morigéner taisez-vous et écoutez : musique futuriste, les punks diraient no-futuriste, mais c’est un détail, morceau davantage sériel que le précédent mais tout aussi chaotique, à cette différence que le chaos est vécu de l’intérieur, rien ne vaut les exemples de chair et d’os, avec toutes ces fracturations sonores l’on aurait tendance à penser que le pauvre gars terminera en hachis menu. Pas du tout reste calfeutré chez lui. Un peu forcé puisque l’électricité est coupée. Une situation à la Ravages de René Barjavel, toutefois à notre époque moderne, connectée pour la définir rapidement. Une aubaine cette ‘’ panne’’, le moyen idéal de faire le point sur sa propre situation, désespérante, tous ces liens immatériels qui nous permettent de nous ouvrir aux autres, ne sont-ils pas des ersatz de solitude, est-cela la vraie vie. Deux voix qui se répondent, le gars se parle à lui-même. Désespération, exaspération, acceptation. Humour sombre terriblement ambigu, il lui reste encore des livres à lire. Avant de… Sufferer : brutal, le vocal éclipse le background musical qui virevolte, pensez à la musique qui accompagne les corridas, ne pas être victime comme le taureau, appel à la révolte, à l’insurrection, devenir maître de son propre destin, ne suffit-il pas de vouloir, n'empêche que parfois l’on veut et que le système nous dicte ses volontés, l’éternité possède deux faces, l’une négative celle de ton infini servage, de ton abandon, de ta résignation, et l’autre plus claire celle de ta révolte par laquelle tu existes pour toujours. Ce n’est pas facile, ne demandez pas pourquoi le morceau est empli de violence, de dégoût de soi-même et de hargne nécessaire pour atteindre à l’apogée de son unique royauté. Stirnérien.   A thousand times : encore plus rapide, encore plus lyrique, sur la ligne de crête, parfois le problème se pose à vous très concrètement, continuer à se battre, ou abdiquer. Définitivement. Faire le saut. Final. Fatal. Eternité dans la mort ou éternité dans la vie. L’une est irrémédiable, l’autre est incertaine. C’est ici que finit la solitude, que commence la sollicitude de l’entraide kropotkinienne. Etrange comme cet ensemble de titres est à écouter comme une méditation de philosophie anarchiste. Peut-être cela ne participe pas de la démarche initiale d’Across The Divide, lorsque l’on creuse à l’endroit adéquat l’on finit par entrer en résonnance avec des sillons déjà tracés. Another day : un titre optimiste, une chanson d’amour, le son n’est-il pas plus doux, le refrain ne demande-t-il pas une autre chance, ceux qui détestent se pencher sur les abysses préfèreront, préserveront, se réserveront cette lecture, la fin est pourtant sans appel, n’est-ce pas la revendication d’une solitude absolue. L’autre n’est-il pas au fond du gouffre. N’a-t-il pas choisi de passer la ligne de crête. Ni du bon. Ni du mauvais côté. Juste sur le versant éternel.

    Sans concession, un groupe que nous suivons depuis plusieurs années, qui se bonifie à chaque nouvel album, dont la démarche est une des plus originales du metal français.

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    Nothing Left : ( official Music Vidéo ) : dirigée par Danny Louzon : superbe réussite. Figure imposée : un groupe se met en image en train d’interpréter un de ses morceaux. Evidemment ce n’est pas du live. Un montage : vues d’ensembles, parties d’instruments, quelques silhouettes, quelques effets spéciaux, etc… Un genre chorégraphique auquel se plient de nombreuses formations, ce qui peut entraîner chez les amateurs une certaine lassitude, surtout quand une musique brutale se contente d’une esthétique brute. Dans ce cas-là on ne peut pas tricher. L’art de la ligne-obscure est vraisemblablement encore plus difficile que l’art de la ligne-claire, en le sens où les figures imposées s’imposent d’elles-mêmes de par leur rareté. Celle-ci est magnifique, l’économie de moyens y acquiert une force rarement atteinte.

    A voir. A admirer.

    Damie Chad.

    Appendice : sur The Legendary Pink Dots : vous êtes vraiment difficiles si vous ne trouvez pas au moins un titre de ce groupe à votre goût sur les deux centaines albums, plus quelques dizaines et sans compter les autres formats qu’ils ont sortis entre 1981 et 2023…

     

    *

    I wake up this morning… pas besoin d’être un musicographe averti pour deviner que c’est un morceau de blues. Ne jamais tuer l’ours avant de l’avoir entendu grognasser. J’utilise la seule porte de sortie qui se présente à moi, pas tout à fait du blues mes amis, plutôt du rhythm ‘n’ blues, vous savez que ce dernier procède du précédent. Ouf l’honneur est sauf ! Plaf ! survient un démenti cinglant, avec les gamins, même ceux qui mesurent huit pieds de haut, il faut se méfier. Non ils ne se définissent point comme un groupe de blues ou de rhythm ‘n’ blues, s’adjugent le prix du meilleur groupe de Doom-Brass existant sur cette terre qui a pourtant connu bien des horreurs, toutefois ils se la jouent modeste, z’ont une excuse pour se proclamer les meilleurs : ils sont les seuls au monde à pratiquer cet accouplement musicologique inédit. Des pionniers ! 

    THE GREGOR SAMSA BLUES

    EIGHT FOOT MANCHILD

     ( Piste numérique / Bandcamp / Mars 2023 )

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    Dylan Foley : guitar, vocals  / Sara Honeywell : trombone, vocals / Mr Squirrel : barytone sax / Alison Eamhart : tuba / Steve Kosinsky : drums.

    Franchement je ne sais pas comment ils ont fait, sont trois à jouer de la cuivrerie, à les entendre vous pensez qu’ils ont entassé une fanfare de souffleurs dans le studio. Pour les amateurs orthodoxes de doom, profitez des trois premières secondes, une espèce de hachis guitarique pour vous mettre en confiance, genre morceau de gruyère empoisonné, un piège à souriceaux inexpérimentés, ensuite la plomberie vous tombe sur le paletot, un véritable bain de saturnisme dont les méfaits sur la santé humaine ont été dénoncés par le docteur Théophile-René-Marie-Hyacinthe Laënnec ( remarquez le doomesque tréma patronymique ) dès l’an de grâce 1831, c’est dire si vous courez les plus grands périls à prolonger l’écoute… Même chez Stax, ils n’ont jamais réussi à créer le même impact sonore, d’après moi c’est la présence du tuba, que l’on retrouve sur les premiers enregistrements de Kid Ory, bref c’est méchamment bien foutu, en plus il y a de la place pour tout le monde même pour les cymbales de Steve, surtout n’oubliez pas le solo de de sax de l’Ecureuil, l’ont manifestement ligoté dans une cage durant quinze jours et libéré juste pour l’enregistrement afin qu’il donne le maximum. C’est comme cela que j’imagine le son du cor au fond des bois cher à Alfred de Vigny, du moins comme doit l’entendre le cerf au moment de l’halali. Je n’ai pas fini mon dithyrambe, car en plus de bouleverser l’accompagnement, ils filent un coup de balai aux vieilles paroles du blues, début classique, le gars se réveille le matin, se regarde dans son miroir, dans lequel s’agite un être dégoûtant. Vous auriez fait comme lui devant cette vision diabolique, vous courez chez la prêtresse vaudou du coin de la rue. Jusque-là, tout est normal, dès qu’elle ouvre la bouche c’est la douche froide, notre blues se teinte de rouge. Non ce n’est pas du sang. Ou alors métaphoriquement parlant, celui des patrons que tu n'as pas encore éliminés. Si le blues devient politique, ma pauvre dame ! Le mec s’affole et demande ce qu’il peut faire. La réponse est cinglante : Va te faire foutre !

    Jouissif et réjouissif. L’on se précipite sur leur enregistrement précédent.

    BORN INVINCIBLE

    ( Bandcamp / Février 2023 )

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    Opus seulement sur Bandcamp, les bénéfices engendrés par son écoute seront versés en faveur de rescue.org une association qui vient en aide aux réfugiés de tous pays, qui ont intérêt à s’unir ajouterait Karl Marx.

    Dylan Foley : guitar, vocals  / Sara Honeywell : doombone, vocals / Mr Squirrel : doomsax / Alison Eamhart doom tuba / Krys Kobiaka : drums.

    Born Invincible : une guitare échoïfiée tous azimuts, les cuivres s’imposent très vite, belle sonorité, disons que cette fois-ci l’animal n’est plus le résultat de l’improbable union d’un brontosaure cuivré avec doomonique la baleine bleue, mais que le saurien géant a sailli sans préavis la douce funkie, l’anacondate géante. Avouons que le bébé rutile et se porte bien,  il ne prononce encore que quelques mots, par contre il vagit et se débat comme un beau diable car il ne veut pas être tué. Âmes sensibles écoutez bien jusqu’à la fin, sans quoi vous passerez la nuit à pleurer. Born invincible ( Kill no more version ) : avez-vous déjà entendu des cuivres pleurer, pas doucement, parce qu’avec le bruit de la barate à beurre africaine qui fait un potin de tous les diables, ils ont intérêt à forcer sur le diapason. Rires sinistres, c’est la seule chose que l’on peut encore faire quand on est mort. N’en tuez pas davantage !

    C’est ce que l’on doit appeler un charity record contondant. Très réussi. Ne jamais mendier. Ne jamais se plaindre. Même vaincu l’on reste invincible.

    EIGHT FOOT MANCHILD

    ( Bandcamp / Décembre 2022 )

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    Dylan Foley : guitar, vocals  / Sara Honeywell : tromboneFX, vocals / Mr Squirrel : baritone saxFX / Alison Eamhart tubaFX / Krys Kobiaka : drums.

    Le lecteur pointilleux ne s’interrogera pas : FX signifie : effets spéciaux, un peu comme XXL pour les très grandes tailles. Dans la vie il est nécessaire d’afficher ses prétentions.

    Buddha finger : un titre prometteur, bourdonnement de guitare, les cuivres ne tardent pas à tirer la langue à l’impétrant qui veut devenir le disciple du maître, se foutent carrément de sa gueule, l’on croirait entendre Donald dans un dessin animé de Disney, ensuite ça se gâte comme chez tante Agathe, ça sonne comme un requiem funèbrement FX, ne serait-ce point un hymne anti- hiérarchique composé par d’acharnés partisans de l’idéologie anti-autoritaire ? Wisdom fist : la suite du morceau précédent, même pas de coupure, la quincaillerie se la joue grave, un enterrement de première classe, comme à l’école : une méditation philosophique sur l’expression ‘’ poing de la sagesse’’, l’on s’interroge mais encore une fois l’on apprend à penser par soi-même, à ne pas se prosterner devant les maîtres qui sont les chantres de l’économie capitalo-libérale, de légers coups de batterie nous mettent la puce à l’oreille, du poing théorique de la sagesse l’on passe à la pratique pugilistique, apprenons à nous servir de notre poing, la zinguerie devient écrasante. Ne serait-point un groupuscule de radicaux… Orgy at club Megalon : une voix enfantine, nous supposons Sara, nous interpelle, elle a trouvé une sorte de poudre marrante, je vous laisse hypothéser sur la réalité de cette farine rigolote, à chacun selon ses fantasmes, ce qui est sûr c’est que l’on plonge dans un superbe instrumental, un peu rhythm ‘n’ blues, un soupçon de jazz, une pincée de funk, qu’ont-ils mis au juste dans la marmite, ce qui est certain c’est que la soupe qui mijote là-dedans est délicieuse, une potion magique qui vous permettra de vaincre vos ennemis. Energisant. Monoliths and monkeyman : vous pensez à la première scène de 2001 Odyssée de l’Espace, vous avez raison, les cuivres vous offrent le générique grandiose adéquat, à l’entendre vous êtes prêt d’accéder au mystère originel de l’humanité, un accord discordant, la voix sur un rythme binaire et simiesque, attention le pompiérisme musical revient en fanfare, inutile de vous exciter, si vous voulez la vérité la voici, votre monolithe n’est qu’une dalle d’obsidienne. Méfiez-vous de votre imagination et des idoles.

    PANDEMOS

    ( Bandcamp / Février 2022 )

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    Nul besoin de lire la note explicative pour comprendre que ces démos ont été réalisées durant la dernière ère covidique.

    Dylan Foley : guitar, vocals  / Sara Honeywell : trombone, vocals / Mr Squirrel : baritone sax, tabla / Alison Eamhart tuba / Corey Schreppel & Don Music : drums

    Hecka witches n shit :  est-ce un trombone qui imite le bruit d’une mouche, pas besoin de la couper en quatre, la brasserie survient comme le septième de cavalerie, heureusement la situation est grave, la voix est couverte par les cuivres, elle ne hausse pas le ton, l’entendront ceux qui sont déjà prêt l’entendre, méfiez-vous des charlatans qui vous refilent des médicaments dont les effets sont bien plus dévastateurs que le mal dont vous souffrez. Ne prennent pas de risque, parlent de sorcières mais tout le monde comprend, pas pour rien que le frontground est si dramatique. The slouchening : une intro différente avec tablas à la clef de sol(itude), sonorités indiennes, qui auraient été parfaites pour Le doigt de Buddha, Eight Foot Manchild nous la font à la Ravi Shankar, comme ils n’ont pas de sitar se servent des cuivres pour réaliser le bourdonnement infini séquenciel, pas de parole, le titre suffit : amoindrissement, ne vous laissez pas dépérir lorsque l’on vous cloître inutilement chez vous. Wisdom fist : très différent de la version ultérieure, les cuivres donnent l’impression d’avoir davantage de souffle, plus charnel en quelque sorte. Le vocal plus enfoncé dans la gangue musicale. Je préfère cette version. Question de mixage ? Ou de support ? celle-ci est sur Suncloud. You’re gona die dumb and lonely : changement de thème, l’est d’autres maladies bien plus graves que le covid, la connerie humaine, se déchaînent cassent à coups de merlins les illusions de l’ado moyen prisonnier de la société de consommation, sont hyper-violents, faut que la leçon porte, même si elle est inutile puisqu’il est déjà trop tard, le gamin en prend plein la tronche, nous aussi, mais ce chant nerveux nous agrée, cette instrumentation aussi pesante et précieuse qu’un coffre-fort rempli à ras bord de lingots d’or nous ravit. ( Sans Shankar ). The Gregor Samsa Blues : la version précédente était cuivrée comme un canard laqué, celle-ci est toute ébouriffée, ce ne sont pas des cuivres mais des coups de klaxons lancés par des automobilistes hagards, quant au vocal, Dylan l’avait dû se faire un lavement à la cocaïne, l’a dû bouffer tous les cromis du studio, le mec l’a pas le cafard, se débat contre une invasion d’insectes carnivores. Sur la fin, vous avez un trombone qui mugit tel un cargo fracassé sur des récifs qui actionne sa sirène. En vain.

    Je suis trop sympa, un petit dernier qui n’est pas sur Bandcamp mais que vous trouverez sur Suncloud. Take it to the chorus, Titanosaurus : ( Robo Version ) :  un début à la ritournelle, avec déclaration d’amour, hélas toutes les bonnes choses ont une fin, surtout si vous avez un dinosaure dont les pas pesants font trembler la maison, même qu’il pousse quelques hennissements que je qualifierai d’inquiétants,  y a bien un tuba qui essaie de le charmer style joueur de pipe à Joujouka, mais la bestiole n’a pas l’air d’aimer les gammes orientales. L’on comprend pourquoi le morceau a été écarté, trop différent de tous les autres.

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             De fait Eight Foot Manchild est un vieux groupe, j’ai mis la main sur YT une vidéo délirante postée en 2011 Sushi Christmas, vous avez aussi Celestial Tumult un peu dada, Alexander’s Channel  Surfing Mescaline Nightmare Band, une espèce de Sgt. Peppers parodique, bref une bande de joyeux drilles un peu à l’image des artworks qui illustrent les pochettes desquelles nous n’élirons que la toute dernière, cette pièce de soutient gorge armurial microphoné… Elles sont dues à Dylan Foley, le meneur de cette bande d’allumés.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 21 ( Coupe-tif  ) :

    110

    En proie à une grande perplexité le Chef allumait Coronado sur Coronado :

             _ Je ne crois pas au hasard, je suis en quelque sorte visé personnellement par cet étui de Coronado que la belle Ecila tenait en sa main, pourquoi je n’en sais rien, je me suis interrogé toute la nuit, j’ai fouillé dans mes souvenirs, mais non je n’ai rien trouvé. Pourtant c’est bien moi au début de cette aventure qui ai décidé qu’il fallait chercher quelque chose au Père Lachaise, nous avons marché toute une semaine, sans but, sans un indice, nous avons abandonné, la mort d’Alice nous ayant entraîné sur d’autres pistes qui nous ont emmené… devant la tombe d’Ecila. Une dernière chose d’importance, depuis le début j’ai la ferme conviction que cette affaire est liée au rock ‘n’roll !

    Carlos se resservit d’une grande rasade de Moonshine qu’il avala cul-sec, sa langue claqua trois ou quatre fois avant qu’il ne prenne la parole :

              _ J’ai lu attentivement les pages que Damie a consacrées dans ses Mémoires d’un GSH à cette enquête qui nous préoccupe, il désirait qu’un œil neuf les lise et vous fit part de ses observations, je rappelle que je n’étais pas là au début de vos péripéties. Celle lecture me laisse perplexe, je ne prendrai qu’un exemple : qui vous a glissé le nom d’Ecila ? Mme Irma. Pourquoi êtes-vous allés chez cette devineresse plutôt qu’une autre ? Parce que le matin, l’on en parlait dans un article du Parisien Libéré. Un article posthume de Lamart et Sudreau dont nous avions vu de nos yeux les cadavres en décomposition dans leur bureau. Au départ de cet enchaînement de faits, une idée farfelue de l’agent Chad. Bref je résume, j’ai l’impression que quoique vous preniez comme décision vous retombez toujours sur l’affaire qui vous préoccupe, bref que vous êtes en quelque sorte manipulés.

    Il y eut un grand silence. Le Chef alluma un Coronado, j’en profitais pour rouvrir une deuxième bouteille de Moonshine. Carlos reprit la parole :

              _ Je propose que l’agent Chad et moi-même nous nous rendions d’abord une petite visite à Mme Irma et sur la lancée à Alice qui tient le bureau d’accueil du Parisien Libéré, cette petite qui occupe une position d’observation de choix nous a apporté la preuve qu’elle nous était dévouée corps et âme.

              _ Deux très bonnes propositions auxquelles j’acquiesce en toute unanimité. Ne tardez point, pour ma part je tiens à réfléchir encore à la présence de ce tube à Coronado dans la main d’Ecila.

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    Nous nous étions garés dans une rue adjacente. Un attroupement de badauds s’était formé aux alentours de l’immeuble dans lequel nous avions été reçus par Mme Irma.  L’on se serra pour nous permettre de profiter du spectacle. Pas d’erreur d’interprétation, des bandes plastiques blanches et rouges, une camionnette de police-secours, des voitures banalisées dont descendaient des visages à la mine grave, tout indiquait la présence d’un crime. Un policier voulut nous barrer le passage, ma carte d’agent du Service Secret du Rock’n’roll lui arracha un sourire : ‘’ J’adore Chuck Berry !’’ nous souffla-t-il, et d’un geste ample il nous désigna l’escalier. Derrière moi, une femme s’écria : ‘’ C’est un certain M. Truc Berry qui a été assassiné ! ’’ .

    Une désagréable odeur de pourriture flottait dans les escaliers. Au cinquième étage ça sentait carrément la charogne. Au huitième nous ne fûmes pas surpris par le spectacle, Mme Irma était à demi couchée sur sa son bureau. En état de décomposition avancée comme était en train de le spécifier un médecin légiste à la mine dégoûtée à un commissaire de quartier blanc comme un linge.

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    Carlos avait adopté une conduite peu citoyenne, la fenêtre ouverte il crachait sur les piétons qui s’obstinaient à vouloir emprunter les passages cloutés sous prétexte que le petit bonhomme vert leur permettait de passer. Les gens s’énervent pour un rien. J’ai dû descendre de la voiture pour fourrer le canon de mon Rafalos dans la bouche d’un imbécile colérique qui s’obstinait à rester immobile devant notre véhicule.  Quand je lui eus susurré doucement mais fermement à l’oreille que j’ignorai le sens du mot résilience, il se carapata à toute vitesse.

             _ Quel crétin, j’espère que notre Alice sera dans un état moins faisandé que Mme Irma quand nous serons arrivés !

    Les espoirs de Carlos furent exaucés. Dans sa cage vitrée Alice rosit de plaisir :

             _ Enfin vous revoilà, je commençais à me languir ! Notre dernière soirée a été si plaisante, je laisse ma place à la stagiaire, et l’on file à la cafétaria, je vous offre un café, je vous dois bien cela, j’ai un truc marrant et bizarre à vous raconter, à cette heure-ci, la cafet est vide.

    Je suis franc, malgré toute la sympathie que nous portions à Alice, le breuvage qu’elle nous apporta sur un plateau était dégueulasse. Par contre ce qu’elle nous révéla nous stupéfia :

              _ Lamart et Sudreau ont été remplacés !

              _ Rien d’étonnant, ils ont dû embaucher deux grosses pointures, observai-je.

              _ Je ne sais pas, ils n’ont encore signé aucun article, ce sont des jumeaux, ils signeront les articles : Les frères Did.

               _ Un nom peu commun !

               _ Oui Carlos, on murmure qu’ils ont choisi ce pseudonyme à cause de leur nom !

               _ Ils portent donc un nom si ridicule ?

               _ Ridicule je ne sais pas, mais étrange oui, le premier s’appelle Ladreau et le deuxième Sumart.

    La petite était toute chose, Carlos l’invita au restaurant pour lui changer les idées. Tous deux me raccompagnèrent en voiture au local.

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    Je montais les escaliers quatre à quatre, depuis le bas de l’immeuble j’entendais les aboiements rageurs de Molossa et Molssito. J’ouvris la porte avec précipitation. Le Chef était paisiblement assis son bureau, Coronado aux lèvres, en train de discuter avec un inconnu que je voyais pour la première fois. Le Chef fit les présentations :

    • Agent Chad, je vous présente le Professeur Laffont un des plus grands spécialistes de l’Hôpital Henri Mondor !
    • Enchanté M. Chad ! excusez-moi de m’absenter, je reviens d’ici une heure avec le matériel et le personnel nécessaires à la petite opération à laquelle nous allons nous livrer ! Avec un peu de chance, la Science risque de faire un grand pas en avant grâce à votre collaboration pour laquelle je vous remercie.

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    Je n’étais pas extrêmement fier, mais lorsque votre modeste personne a l’opportunité d’un progrès décisif de l’Humanité qui oserait s’opposer à un tel programme. Des infirmiers avaient installé deux lits voisins sur lesquels le Chef et moi-même étions confortablement installés. L’on nous fixa sur la tête de casque de virtualité intellectuelle. Derrière nous un technicien surveillait l’écran d’un ordinateur. Sourire didactique aux lèvres le Professeur Laffont se tourna vers moi :

              _ Cette après-midi sur la demande de votre supérieur hiérarchique je me suis livré à une expérience d’hypnose sur sa personne. Il voulait avoir accès à certains souvenirs enfouis dans sa mémoire. L’hypnose en elle-même a très bien fonctionné, mais le patient s’est trouvé, comment dire, devant un mur psychologique qui a refusé de s’ouvrir. Ce genre de cas est assez rare, je ne me vante pas, mais je pense avoir mis au point une théorie explicative de ces échecs. Secondé par une équipe diligente j’ai trouvé la méthode d’ouverture de ce mur psychologique. Il s’agit de transférer le contenu du subconscient d’un individu dans l’espace neuronal d’un autre individu préalablement vidé du contenu de son propre subconscient. Comment l’expliquer simplement : nous allons transférer vos deux subconscients dans la boîte crânienne de l’autre. Par contre nous vous laissons chacun vos propres murs de défense qui ne cadenassent pas les mêmes émotions. Conclusion lorsque vous aurez dans votre tête le contenu de M. Lechef, avec une simple séance d’hypnose vous nous révèlerez ce à quoi M. Lechef n’a pas accès. Evidemment, quelles que soient vos révélations elles sont couvertes par le secret médical. Pour votre confort, vous pouvez garder auprès de vous les objets qui vous sont chers. M. Lechef peut ainsi continuer à fumer quelques Coronados et M. Chad peut caresser sur son lit ses deux adorables canidés. Messieurs, êtes-vous prêt ?

    Tous deux d’un même élan, malgré notre état de cobaye humain d’une voix mâle et virile nous nous écriâmes :

               _ Prêts !

    A suivre…