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todd rundgren

  • CHRONIQUES DE POURPRE 605: KR'TNT 605: TONY Mc PHEE / BUFFALO KILLERS / JOHN PEELS / TODD RUNDGREN / DARROW FLETCHER / LUCKY 757 / HIGHSANITY / CAROLE EPINETTE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 605

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    15 / 06 / 2023

     

    TONY McPHEE / BUFFALO KILLERS

    JOHN PEEL / TODD RUNDGREN

    DARROW FLETCHER / LUCKY 757

     HIGHSANITY / CAROLE EPINETTE  

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 605

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     McPhee-ling

     

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             Tous les fans de blues électrique vont devoir sortir leur mouchoir : Tony McPhee vient de casser sa vieille pipe en bois. S’il faut emmener un solo de guitare sur l’île déserte, c’est-à-dire au paradis, ce sera celui que prend McPhee sur «Split #2». Laisse tomber Clapton, c’est McPhee qu’il te faut.

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             Comme bon nombre de ses contemporains, Tony McPhee eut la chance de côtoyer et d’accompagner sur scène l’une de ses idoles, John Lee Hooker. Hooky débarqua seul en Angleterre pour une tournée et il fallut lui trouver un backing-band. Cela se passait en 1964. Don Arden organisait cette tournée. Il demanda  à John Mayall d’accompagner Hooky. Mais ça coinçait au niveau son, car Mayall avait un organiste dans son groupe. Scandalisé, Tony McPhee n’admettait pas qu’on pût transformer l’un des grands puristes du blues en artiste de r’n’b. Par chance, Mayall fit faux bond à Hooky peu avant la fin de la tournée. Don Arden chercha donc un groupe pour le remplacer. Il le voulait bien sûr le moins cher possible. Les Groundhogs firent une offre de service à ras des pâquerettes. Tope-là, mon gars ! Idéal en plus, car le nom du groupe était tiré d’un classique d’Hooky, « Groundhog Blues », qui se trouve sur l’album House Of The Blues. En prime, Tony connaissait des morceaux qu’Hooky avait oubliés, alors ça créait des liens. Et la cerise sur le gâtö, c’est que les Groundhogs connaissaient si bien les morceaux d’Hooky qu’ils étaient capables de le suivre dans toutes ses cassures de rythme. Ils étaient le backing-band idéal pour Hooky qui finit par devenir pote avec eux. Au point de refuser la voiture avec chauffeur que proposait Don Arden. Hooky préférait voyager avec ses potes les petites marmottes, dans leur van pourri.

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             Tony était tellement subjugué par son idole qu’il se mit à jouer comme lui, sans médiator, avec la bandoulière passée sur l’épaule droite. Tournée de rêve, comme on l’imagine. Tony vit qu’Hooky était illettré et très embêté quand on lui demandait de signer un autographe. Alors il lui apprit à signer son nom. Comme ils voyageaient ensemble dans le même van, ils devinrent très proches. Tony et ses amis durent s’habituer à voir Hooky alors âgé de 47 ans cracher partout pour s’éclaircir la voix, draguer toutes les petites poules blanches qui traînaient dans les parages et pisser contre des murs, à l’intérieur comme à l’extérieur.

             Puis on entre dans les années fastes du British Blues. Mayall se pointe chez Tony et lui propose quarante livres par semaine pour remplacer Clapton qui vient de quitter les Bluesbreakers. Tony a du pif, il se méfie de Mayall. Il décline l’offre. Alors Mayall embauche Peter Green qu’il vire aussitôt que Clapton veut réintégrer son poste dans les Bluesbreakers. Tony avait eu raison de se méfier du vieux crabe.

             Avec une série d’albums remarquables, les Groundhogs sont entrés dans la cour des grands du rock anglais. On ne leur trouvait qu’un seul défaut : les noms imprononçables des deux sidemen de Tony : Peter Cruickshank et Ken Pustelnik. Ce n’était pas du tout la même chose que Clapton, un nom dont tout le monde se souvenait, et que tout le monde citait avec un air de connaisseur. Par contre, Cruickshank et Pustelnik, c’était foutu d’avance. Pour simplifier, on se contentait de dire du trucs du genre : « T’as vu les lignes de basse de Pete dans Natchez ? ». Les conversations dans la cour du lycée étaient à 90 % consacrées aux disques de rock et au British Blues. Les 10 % restant devaient concerner les filles.

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             Leur premier album Scratching The Surface sort en 1968, année pré-érotique. L’harmoniciste Steve Rye complète le line-up. Andrew Lauder qui dirige United Artist a une idée géniale pour la pochette : il leur propose de poser dans un étang, histoire d’illustrer le titre de l’album qui parle de surface. Alors d’accord, ils vont à la campagne et le photographe leur trouve un étang avec de l’eau bien froide. Tony, Ken, Pete et leur copain harmo font de gros efforts pour ne pas claquer des dents. Au dos de la pochette, on les voit tous les quatre repartir à pieds avec leur pantalon à la main.

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    On démarre avec « Rocking Chair » qui sonne comme du Cream, ou pire, comme du jump-blues à la Mayall. Aucun intérêt. Ce ne sont pas les petits jump-blues qui font les grandes rivières, n’est-il pas vrai ? Et puis il faut savoir séparer le bon grain de l’ivraie. Par contre, « Early In The Morning » dégouline de bon heavy blues admirablement bien balancé et doté de tous les atours du swing émérite - Go cut go ! Énorme dextérité et son acide bien distinct, on sent venir le grand Tony. Le blues à la Muddy Waters fait son apparition dans « Married Man », solide et affreusement classique, pour ne pas dire conventionnel. Tony joue les efflanqués. On voit nos pauvres marmottes s’enliser dans l’ornière du blues. La production n’arrange rien, puisque le son de basse semble lointain et la batterie sonne comme une casserole. D’ailleurs, tous les batteurs s’ennuient quand ils jouent le blues, sauf John Bonham qui frappe tellement ses peaux qu’il joue sans micros. Tony pourrait casser la baraque, mais il est encore dans sa période inféodée. Les Groundhogs frisent la catastrophe avec deux ou trois cuts. Tony joue avec un style hésitant, Pete est tellement mal à l’aise qu’il joue en retrait, et Ken s’évertue à tenir le beat, mais il est complètement ridicule. Avec « Man Trouble », on a un beau brin de stomp à la Muddy doublé d’harmonica et Tony part en solo carnivore, déchiquetant toutes ses notes avec une violence indescriptible, puis il se replie dans la chaleur de la nuit. Mais l’album laissera un mauvais souvenir aux amateurs.

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             Ils se remonteront le moral avec l’album suivant, Blues Obituary, dans lequel se nichent deux ou trois merveilles. Par exemple, cette reprise de Wolf, « Natchez Burning », qui relate un exploit du Klu Klux Klan venu brûler une église à Natchez, Mississippi, le fief d’Elmo Williams et d’Hezekiah Early. Belle poudrière, classique épouvantable. Tony est dessus, il croise bien ses lignes avec celles de Ken. Ils ont un son bien désossé qui tient admirablement la route. Autre exemple flagrant : « Daze Of The Week », une approche du blues lestée d’un grand sens insulaire, Tony joue les myriades de notes, il se perd dans des dédales, il piaffe dans l’azur des arcanes, il va loin, aussi loin que le portent ses ailes, c’est un expert de l’évasion évanescente, un prêtre du prêche pêchu. Et c’est là qu’on découvre le géant Tony TS McPhee, merveilleux guitariste d’une incroyable modernité. « Times » a une jolie couleur de blues stompé, croisement de beat cherokee et d’anglicisme averti, excellente pièce ingénue d’une fraîcheur convaincante. Tony se montre riche comme Crésus, non pas d’argent, mais de ressources stompiques et de petites giclées bluesy. On reste dans cette veine avec « Mistreated » et là, Tony fait son Hooky. Il va chercher son chant dans la noirceur du blackisme, mais il décolle à sa façon. Le son de sa guitare en impose terriblement. Il monte par paliers et il atteint un niveau mélodique extraordinaire. Il fait ça quasiment seul, il joue au premier plan. C’est exceptionnellement puissant. Il revient coudre la fin de cut avec un solo d’une finesse exquise.

             Avec cet album, Tony et ses amis ont enterré le blues. Ils vont alors passer aux choses sérieuses avec Thank Christ For The Bomb, un album considéré à juste raison comme l’un des grands classiques du rock anglais.

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             Sur cet album se niche l’un des hits du groupe, « Eccentric Man », qui à l’époque nous transforma tous en dévots des Groundhogs. On chantait ça dans la cour du lycée - Call me an eccentric man/ I don’t believe I am - On ne jurait que par Tony le géant, le roi de la pétaudière, l’exploseur en tous genres, le monteur de température, le pourvoyeur de frissons, le manipulateur des tensions, l’artificier hargneux, la sale teigne du rock, l’accrocheur mortifère. Son riff nous prenait la trachée artère en enfilade, on sentait l’eccentric man naviguer dans l’ombilic des limbes, avec sa voix de cochon mouillé - Call me an eccentric man/ I don’t believe I am - et Tony la ramenait, il grattait le sol comme un taureau provoqué, et il chargeait en dégommant tout, c’était un choc abdominal, un véritable passe-droit, planté dans la poitrine du rock comme une flèche apache, et il balançait un solo mortel, aussi mortel qu’un black mamba de Tarentino, violent comme un éclair, Tony titillait ses petites cordes avec ses petits doigts pour aller chercher des petits effets hendrixiens nappés de spasmes, il allumait la chaudière des enfers, il jouait comme un soudard dessoudé à la moustache mouillée, mais quel fretin ! Captain Sensible explique quelque part qu’il ne comprend pas comment Tony s’y prenait pour ne pas casser ses cordes en jouant, tellement il leur tapait dessus. Il est bon de noter aussi que Jimi Hendrix eut sur lui le même genre d’influence qu’Hooky. Comme Hendrix, Tony cherchait un son qui s’enracinait dans le blues, mais qui tendait à la sauvagerie et à la transe shamanique, pour partir dans plusieurs directions à la fois.

             Bien sûr, on trouve d’autres morceaux intéressants sur Thank Christ For The Bomb, comme par exemple « Strange Town », un solide romp bien arqué sur ses rotules. On découvre en Tony un véritable génie vitriolique. Il introduit le morceau titre à la guitare acoustique, puis il éclate d’un grand rire sardonique et tout au long des sept minutes que dure le cut, on va le voir se mettre en transe et tenter de provoquer le chaos. Oh, il va presque y parvenir.

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             Split qui sort un an après est un album encore plus spectaculaire. Toujours enraciné dans le blues, bien sûr, mais bourré de titres fabuleux comme les quatre Split de l’A. Avec « Split Part One », on sent un Tony très inspiré et bien remonté. Que voulez-vous, c’est un battant, un winner du blues au doigt. Il part en vrille et Ken le suit. On se régale de ce son idéal où l’on entend bien distinctement tous les instruments, tout en ayant une très forte impression d’ensemble. Amazing, comme dirait le Prince de Galles. Tony revient au thème de Part One comme un petit chien, au pied de son maître, un bon coup de wha-wha par là-dessus et voilà le travail. « Split Part Two » est un vrai coup de génie. Après une belle entrée en matière, Tony part dans le thème. C’est le hit universel par excellence. Couplet fabuleux - I leap from bed in the middle of night/ Run up the stairs for three or four flights/ Run in a room turn on the light/ The dark is too dark but the light is too bright - Tony se réveille en pleine nuit et descend les marches quatre à quatre, il allume la lumière mais elle est trop vive, alors on attend le second couplet pour savoir ce qui va se passer - Reality is hard to find/ Like finding the moon if I was blind/ It’s there so stark so undefined/ I must get help before I lose my mind - Tony n’accepte pas la réalité, les choses le dépassent et il sent qu’il va devoir trouver de l’aide, sinon il va devenir fou, et là, les amis, il part en solo, il dégringole dans l’enfer de la fournaise, il s’en va au fond du studio et revient faire le con devant. Il redescend dans les tréfonds d’une éblouissante crise de génie guitaristique, il tire, il tire et il tient la note. C’est l’un des moments les plus excitants de l’histoire du rock anglais. Peu de guitaristes ont su atteindre ce niveau suprême de frénésie soloïque.

             Tony monte son « Split Part Four » sur les bases saines du boogie-blues à l’Anglaise. Il s’y connaît mieux que personne, dans ce domaine. Il va chercher des contre-chants mélodiques à la confrontation. Son boogie-blues est toujours passionnant, car derrière, ses amis Ken et Pete swinguent comme des diables de fête foraine. On trouve d’autres puissantes supercheries sur la B, comme ce « Cherry Red » favori des Anglais, un hit frappé sec dès l’intro. Ils ne perdent pas de temps. Ce sont de violents déterministes. On a là une vraie perle de rock cherry red. Tony chante ça d’une voix patraque de chat perché et part en solo comme un prince de la nuit, il va où il veut, il règne sur ce disque comme il règne sur la terre et la mer, il file comme un feu follet impénitent. Il revient à son petit riff et mine de rien, il installe un classique sur son piédestal. Il faut savoir le faire, comme ça, sans fournir le moindre effort. Ça en bouche un coin. On comprend que Captain Sensible se soit prosterné aux pieds de Tony PcPhee. Ils terminent ce disque éprouvant avec le « Groundhog » des origines, une cover si inspirée qu’on en pleurerait, sometimes.

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             Pas mal de bonnes choses sur Who Will Save The World. Avec « Earth Is Not Room Enough », on retrouve les belles compos étranges et graillées à l’arrière du son dont Tony s’est fait une spécialité. Il met toujours sa voix ingrate et bien décidée à l’avant. Comme dans tous les morceaux du groupe, quelque chose de déterminant se déroule. En écoutant Tony McPhee, on sent clairement l’artisan qui fabrique patiemment son univers tout seul, pièce à pièce. Et ça marche. « Wages Of Peace » est la parfaite illustration de cette théorie oiseuse. TS sonne comme le facteur Cheval du rock anglais, comme le Douanier Rousseau du British Blues, il fabrique une à une ses petites chansons incongrues et inclassables. C’est à la fois farfelu, classique, tendre et pointu, et toujours traversé par une espèce de solo admirable. Il ne faut surtout pas perdre ce mec de vue. C’est un aventurier moderne à l’ancienne. Il bricole des chansons dans son coin et fait le bonheur de ses fans depuis quarante ans. Il est à la fois très fort et très faible. « Body In Mind » est une petite compo à rebrousse-poil avec des tendances jazzy. Un solo intriguant entre dans l’espace comme un ludion écervelé qui va se tortiller au mieux, admirable de fantaisie. Tout est artistement élevé et frais chez Tony. Retour au couplet chant à rebrousse-poil avec une souplesse rutilante. Résultat : on se retrouve avec une chanson imbattable, judicieuse et allègre. « Death Of The Sun » est une pièce extrêmement ouvragée et enrichie au clavecin. Il balance aussi une version surprenante d’« Amazing Grace » qu’il traite avec une sorte de rage hendrixienne croisée à la cornemuse expérimentale. Ce mec a du génie car il arrache la barbe de dieu. Et voilà la vrai blues rock méchant des Groundhogs : « The Grey Maze ». Ils entrent sur le sentier de la guerre. C’est digne de « Split ». Véritable exploit de power trio. Et fabuleuse sortie de fin de cut. On retrouve le génie expurgé et démentoïde de Tony McPhee. Il titille son truc et ça part. Ça coule dans tous les coins, il fait gicler ses notes à la folie cavalière. Force est de constater qu’il appartient à la caste des géants du rock anglais. Il ne lâche pas sa carne. Il ré-attaque avec férocité. Un fauve, vous dis-je !

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             Hogwash est un album moins spectaculaire. « I Love Miss Ogyny » s’annonce en prog, mais la formule évolue, comme d’ailleurs toutes les formules. Et les choses prennent une sacrée tournure. Il faut attendre « 3744 James Road » (adresse d’un ami DJ Jon Scott à Memphis) pour renouer avec du beat primaire. La structure simplifiée à l’extrême plaide pour une bénédiction. Alors Tony sort la wah pour vomir son atavisme. Ken et Pete pulsent le thème avec une remarquable indécence. On se régale du bon heavy blues de « Sad Is The Hunter » et d’un joli solo fondu dans la masse. Mais pas la moindre trace de hit à l’horizon. Étonnant cut que ce « S’one Song » monté sur un riff spoutnik. Tony surprend toujours ses admirateurs. Il ne cherche pas le tube, mais plutôt le bon morceau inspiré. On a soudain un pont et un solo s’assoit sur une paire de cisailles, ce qui donne en gros un morceau encastré dans un autre morceau. Mais ce solo est limpide comme de l’eau de roche. Just perfect. Tony reste le guitar hero numéro un d’Angleterre. Élu parmi les élus. Le dernier morceau de cet album contrasté est un hommage superbe à Hooky : « Mr Hooker Sir John », qui sonne comme une raison d’être et c’est réellement terrifiant de véracité rampante.

             Cet album est mitigé, mais partout où il ira, Tony sera bien accueilli.

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             En 1973, il sort un premier album solo, The Two Sides Of. Ça ne lui réussit pas. Le disque est raté. Et dire qu’aujourd’hui des gens se l’arrachent à prix d’or, pour avoir le fameux gatefold poinçonné !

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             Avec Solid, on referme le chapitre de l’âge d’or des Groundhogs. Très bon album. Dès le premier cut, « Light My Light », on retrouve l’ongle du vieil artisan acerbe. C’est un mec qui sait travailler la note de l’accord, il sait aussi usiner le groove à la Hooky. Sa voix rauque ne fait que conforter le fan dans son choix. Tony travaille son blues-rock à l’ancienne, avec des outils qu’il façonne lui-même. Il taille des figures de style incroyables. Quel maître ! Évidemment, on l’attend au virage du solo. Va-t-il le traiter fleuve ? Oui, toujours bien fleuve et même fleuve furibard. Il met un point d’honneur à se distinguer en jouant avec les doigts ses solos dévastateurs. Tony n’utilise pas de médiator. « Free From All Alarm » est une belle pièce de boogie-blues. Il va dessus avec son ardeur habituelle. « Sins Of The Father » est monté sur une bassline voyageuse. Étonnant et terrible. Bourré d’énergie. Ça échappe à toutes les règles. Il finit par nous donner le vertige. Voilà encore un morceau superbe et élancé. Il place un solo infernal dans « Sad Go Round », un solo qui effare, bien marqué, unique. Encore une grosse compo avec « Plea Sing Plea Song ». On sent l’intelligence supérieure du songwriter préoccupé de chansons intéressantes. Il secoue les vagues de sa chanson. Il semble se battre contre les éléments tout en apportant une coloration simpliste, avec des attaques bluesy qui l’honorent. Tony McPhee est tellement frénétique dans son approche des choses qu’il ne suscite que de la passion. Il syncope à sa manière, au rythme du ressac et il continue de claquer des solos de fin admirables. Un bon conseil : écoutez les albums de Tony McPhee. Vous l’entendrez secouer un corbillard (« Snowstorm »), taper sur la tête d’un cut (« Joker’s Grave ») ou allumer une fournaise avec un simple battement d’accords (« Over Blue »).      

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             Tony McPhee s’entoure d’une nouvelle équipe et sort deux albums en 1976. L’époque du trio mythique TS-Ken-Pete est révolue. Black Diamond reste un album correct. On constate dès « Body Talk » qu’il se passe toujours quelque chose chez Tony. Il faut voir avec quelle rage il claque ses accords. Captain Sensible n’en revenait pas de le voir aussi énervé, sur scène. Avec « Country Blues », Tony revient aux sources. Il est dans son élément, avec ce joli boogie blues qu’il chante à la rude. Il se savate au rock. Tony est un dur. Puis il revient au calme pour balancer le solo tellement convoité. B très riche avec tout d’abord « Your Love Keeps me Alive » - I never needed another woman - Solo gratifiant pour l’humanité, il le joue contre toute attente. On a là une authentique merveille évanescente - Suspended in the air - puis il explose la fin de cut avec un solo digne de Poséidon. Il revient à la vieille technique des Groundhogs pour jouer « Friendzy ». C’est extraordinairement vivant, d’une rare diversité musicale. Sacré Tony ! Toujours sur la brèche. La texture du morceau est complexe, mais on garde l’oreille rivée aux enceintes. Le morceau titre de l’album est un solo romp à la TS et il balance un solo de fin de cut prodigieux.

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             Crosscut Saw est encore un très bon album. Il prend le morceau titre au guttural. Nouvelle pièce étrange avec « Promiscuity ». On ne voit pas bien l’intérêt du cut et soudain, il prend un solo d’une rare sauvagerie. Il joue avec une opiniâtreté unique en Angleterre. Il ne lâche pas sa viande. Évidemment, on ne trouvera jamais Tony McPhee dans le classement des 100 meilleurs guitaristes de rock. Il replace un solo infernal dans le cut suivant, « Boogie Withus ». C’est un fabuleux placeur de solos. Il les travaille dans la durée, il en explore les possibilités, il va chercher l’infinitude et le beau, il lie sa sauce au beat et il revient, admirable de présence. Tony McPhee est l’un des grands héros du rock anglais, il faut le dire et le redire. Il vient en droite ligne de John Lee Hooker. Il a su créer son monde. La B est renversante. « Live A Little Lady » est stompé d’intro. Il fait son petit numéro de virtuose lunaire en douceur. On sent la patte du maître. « Three Way Split » est amené comme un heavy romp joliment bâti, bien suivi au chant et doublé d’éclatantes décorations de thèmes aigus. Tout reste solide. Ouverture hendrixienne pour « Eleventh Hour ». Joli clin d’œil à l’ami Jimi qui le fascinait tant. Alors on plonge avec Poséidon dans l’extraordinaire aventure d’un groove hendrixien digne d’Electric Ladyland, avec des vagues très perceptibles et de la belle eau. Il repart en solo dans l’extrême pureté d’une aube perdue au beau milieu de nulle part. Les notes prennent de l’élan et le beat suit infailliblement. Tony McPhee redevient l’espace de quelques minutes le maître des océans et du rock anglais. Il tire son solo loin, si loin qu’on le voit disparaître dans le poudroiement azuréen d’abyssinies abyssales à la Turner, là-bas, par delà l’horizon.  

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             Nouvel album terrible en 1985 avec Razors Edge. TS devient fou sur le morceau titre. Son rock rougit, comme atteint d’apoplexie. L’animal ne respecte rien. Tony, c’est un sale punk. Il cultive la violence du concassage. Il en rajoute autant qu’il peut. Ça déborde. Ses virtuosités se croisent dans un ciel étoilé. Dans « I Confess », on retrouve la puissance rénale du beat. C’est un type très violent. Attention à « Born To Be With You ». Il le fracasse dès le riff d’intro. Quel démon ! Il tape dans tout ce qui bouge. Il joue le boogie du diable. Il explose tout à coups de riffs. Good Lord ! Écoutez Tony McPhee. C’est lui le vrai punk anglais. Puis il pond un solo de rêve. Il part loin, dans une purée de brouillard qu’il transperce et qu’il enflamme. C’est fulminant. Tony a du génie à revendre. Il revient dans le thème au prix de prouesses inadmissibles. Et la curée se poursuit avec « One More Chance » et du riff concassé. Tony dégage tous les obstacles. Son boogie blues explose la gueule des frontières du réel. C’est hargneux, au-delà du descriptible. Il joue le riff dans la graisse du jeu de gratte. Il fait la pluie et le beau temps, il pulvérise la pulvérulence. Et il envoie filer un solo de fou. Il tire ses notes, ah quelle ordure ! Quel killer solo ! Ses notes pleurent des larmes de sang. Il repart pour mieux nous terrasser les oreilles. Ce mec est increvable. Aucun soliste anglais ne peut rivaliser de démesure sublime avec Tony McPhee. Il faut se méfier avec ce genre de mec, car on finit toujours par entendre un solo génial. Toujours l’enfer avec « The Projector ». Il embarque son beat et l’arrose d’arpèges en feu. Il n’est pas avare de figures de proue. Nouveau solo de rêve, killer solo exterminator. Fluide carnassier. Il est effarant de grandeur. Personne ne peut lui arriver à la cheville. Même pas la peine d’essayer. « Superseded » devient rapidement une horreur. Il fait monter sa sauce. Il titille ses notes au petit doigt et son solo entre dans le cut comme un coup d’épée, il plonge son arme avec toute la bienveillance de la chrétienté et explose la panse du rock infidèle. C’est pas fini. Il reste encore deux horreurs sur cet album : « Moving Fast Standing Still » renoue avec le génie de « Split #2 ». Tony ressort ses vieilles ficelles. Il chevauche une walking bass infernale. Tony est le Seigneur des Annales et il lâche le bouillon d’un solo merveilleusement liquide. Il faut laisser jouer Tony McPhee ! C’est une question de survie pour l’intellect de l’Occident. Il finit avec un blues fantastique, « I Want You To Love Me », et il sort de son chapeau le plus gros son de l’histoire du rock anglais. Son solo s’élève comme un modèle définitif. Ses notes coulent comme la lave, du haut des flancs éventrés d’un Krakatoa. Tony ramone sa purée sans qu’on lui ait rien demandé.

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             Back Against The Wall semble bien être le dernier album en date des mighty Groundhogs. Et quel album ! A hell of a blast ! Rien qu’avec le morceau titre, la partie est gagnée. Tony est affolant de présence. Pire encore, « No To Submission », accroché aux croches, furieux car riffé et joué tout à la fois. C’est de la très haute industrie lourde et Tony balance son solo périphérique d’essence blafarde. On n’en finirait plus d’épiloguer sur la modernité de son jeu de guitare, sur son sens de l’attaque, sur la grandiloquence rustique de son son. Il saura toujours ficeler un cut intéressant. Il saura toujours se rendre indispensable. Il n’est pas concevable de vivre sa vie sans écouter les disques de Tony McPhee. Sans les Groundhogs, la vie aurait-elle un sens ? Bonne question, pas vrai ? On va encore s’extasier sur « Waiting In The Shadows », à cause de son attaque en crabe très particulière et de l’angle de sa vision. On parle ici de l’angle de la terre des Angles du grand Tony tout déplumé. Quel powerman versus Lola ! Il plastroque comme une bête de Gévaudan des Midlands. On ne saura jamais si c’est elle qui est allée faire un tour à Whitechapel, car enfin, la finesse des enquêteurs a ses limites. Il fait un festival de wah épouvantable sur la bassline de Dave Anderson. Tony ? Mais c’est le diable en personne ! On adore l’écouter. C’est toujours une fête. Il fait son truc pour de vrai. Avec lui, on ne connaîtra jamais l’avanie d’Annie. Pourvu qu’il vive encore longtemps ! Aux dernières nouvelles, il ne serait pas très frais. Il nous joue ensuite « Ain’t No Saver », un petit boogie blues et on se prosternera devant « In The Meantime », pure abstraction mélodique amenée à la guitare. Il met son Meantime en route et crée l’enchantement d’une voix éteinte. Pas mal. Il fallait y penser.

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             Tous les admirateurs de Tony ont chopé Hooker & The Hogs réédité en 1996. Pas de surprise, c’est du Hooky pur jus, et comme le dit Tony dans les liners, ce disque est la preuve qu’Hooky voulait enregistrer avec ses amis les marmottes. On retrouve Peter Cruikshank à la basse et Dave Boorman au beurre. Tony passe ses petits solos l’air de rien. Il ne la ramène pas. Belle version de « Little Dreamer » lancée par Tony. On sent bien à l’écoute de ce bel album qu’Hooky est au sommet de sa forme. Bonne voix, bonne prestance. Et il a la chance d’avoir un excellent backing. Tony joue bien sec. On voit qu’il est déjà à l’époque un guitariste accompli. Fantastique version d’« It’s A Crazy Mixed Up World ». Il faut entendre l’attaque du grand John Lee Hooker. Tony joue la bride bien tenue. Il réussit à placer un petit killer solo en note à note rudimentaire que vient croiser Hooky. 

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             Avec Hogs In Wolf Clothing, les marmottes se déguisent en loups. Tony McPhee s’attaque à l’Anapurna, c’est-à-dire à Wolf. Il se lance dans un album entier de reprises de Wolf, l’inconscient, 15 classiques imprenables. Personne avant lui n’a osé une telle expédition. Il faut s’appeler McPhee pour oser un tel exploit. Mais ce n’est pas sans risques. En écoutant « Smokestack Lightnin’ », on sent bien que c’est foutu d’avance. Tony va hurler à la lune, mais il n’a pas le raw de Wolf. Il n’a pas la viande au chant. Tout ce qu’il peut apporter, c’est le solotage. Il s’éloigne encore plus de l’esprit wolfien avec « Commit A Crime ». Il force son guttural, mais heureusement, il joue une partie de guitare dingoïde, toute en riffage de gimmickage et c’est stupéfiant. Il entre dans le lard du cut avec un sacré solo, il tartine sa partie dans le groove et ça redevient le grand TS qu’on admire, le TS du trapèze de haute voltige. « Fourty Four » est l’idéal pour lui, c’est le prototype du coupe-gorge guitaristique. Puis il plonge dans « No Place To Go » et le pulse à la pointe de l’épée, comme Zorro. Tony McPhee est l’un des meilleurs allumeurs de brasiers d’Angleterre, ne l’oublions pas. Dès qu’il repart en solo, les choses prennent une tournure exceptionnelle. Va-t-il battre Jeff Beck avec sa version d’« Ain’t Superstitious » ? Il attaque seul, sans l’aide de Rod The Mod. Il est gonflé. Sa version est moins colorée que celle du Jeff Beck Group, mais elle devient épique dès qu’il part en solo. Il attaque « Evil » à la note grasse, il joue dans le flanc, mais il manque de jus d’Evil, il sonne comme un petit foie blanc. Alors il compense par un solo de dingue, une pure saloperie visqueuse et pleine de pus. Il prend « My Life » au heavy blues de l’accord tombé et en fait une tambouille à la ouuuh-ouuuuh. Mais il ne remonte pas dans l’excellence du râcleux de Wolf. Pourquoi ? Parce que c’est impossible. « Sittin’ On Top Of The World » est le blues de la perfection et Tony l’exploite comme il peut. Il claque ses notes de solo et retrouve l’éclat de son génie. Il éclate ensuite le boogie de « Wang Dang Doodle » au gimmickage puis il jazze joliment « How Many More Years ». Il prend un solo limpide et bienheureux comme Alexandre, et ça vire et ça valse.

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             Tony McPhee revient au blues traditionnel avec deux albums, Me And The Devil et I Asked For Water réédités ensemble par BGO en 1998. On y entend Tony gratter dans sa cabane de jardin. Mais il lui manque l’essentiel : la rive du Mississippi. Il va chercher les vieux trucs de gratte bien joués à la sèche, ces vieux trucs qui épatent les copines autour du feu de camp. Mais comme on le voit avec « Death Letter », il est trop dans le trad. Il devient même inquiétant de traditionnalisme. Ça ne peut pas marcher. Pourquoi ? Parce qu’il a la peau blanche. Il continue à ramener les images d’Épinal avec « Make Me A Pallat », un piano blues sur lequel chante Jo-Ann Kelly. Sur « Heartstruck Sorrow », Tony fait claquer le nylon de ses cordes à l’ongle. Pour « You Better Mind », il sort toute sa maestria et vire bourrée des Appalaches. Atroce. On se croirait sur le bivouac d’une mine de cuivre des Appalaches, alors qu’on est en Angleterre. C’est affreux. Du coup, Tony risque de passer pour un prétentieux, et pourtant, ça n’a pas l’air d’être son genre. Dans « Hard Times Killing Floor Blues », ça se corse encore, car Tony se croit aux abattoirs de Chicago. Mais il ne connaît rien au cauchemar des abattoirs de Chicago, surtout ceux de l’époque dont parle Wolf dans sa chanson. Tony, tu devrais t’occuper de tes fesses ! Jo-Ann Kelly revient avec sa grosse voix de rombière de l’Alabama pousser une gueulante dans « Same Thing On My Head » et là tout à coup, on se retrouve dans une église pentecotiste du Deep South, en plein gospel choir.

             L’autre album est nettement plus inspiré. On sent moins les cartes postales. Avec « Factory Blues », Tony revient au stomp des origines. « Crazy With The Blues » est magnifique d’enthousiasme corporatif. Tous les instruments explosent vraiment autour du feu de camp. Avec « Gasoline », Tony se prend pour Wolf, et il essaie de faire déraper sa voix. Sa version de « Love In Vain » vaut largement celle des Stones. Tony se retrouve tout seul à la station avec la suitcase à la main. Il gratte péniblement son vieux truc et ressort du placard un vieux fond de hargne. Puis Jo-Ann Kelly et lui balancent une version monstrueuse de « Dust My Blues » et Tony revient à la puissance du swing avec « Built My Hopes Too High », mais il en altère judicieusement la structure en la jouant à l’envers.

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             Sur Foolish Pride, Tony revient aux sources et joue le blues à l’échappée belle. Sur le morceau titre, il joue comme le démon que l’on sait. C’est un meneur de ronde de nuit, comme dirait Rembrandt. Il y va de bon cœur. C’est même un festival. Si on n’a pas encore compris que Tony McPhee est avec Jeff Beck et Peter Green le plus grand guitariste d’Angleterre, alors on n’a rien compris. Il faut le voir repartir à contre-courant du thème. Il effare par sa vélocité acariâtre. Il peut même partir dans tous les sens, ça ne le gêne pas. Il va bien au-delà de ce qu’on peut encaisser. Il est beaucoup trop libre, beaucoup trop fort. Dès le démarrage d’« Every Minute », la guitare entre dans le lard du cut. Et le son qu’on a sur « Devil You Know » ! Toujours le son. Rien que le son. Il éclate tout du bout des doigts. Il sort vainqueur de tous les combats. Il fait couler des phrasés de guitare insalubres et il tripote le gras du son. « Time After Time » est un autre blues-rock angloïde. On y retrouve la vieille problématique des Groundhogs et on se sent le cul entre deux chaises : hit ou pas hit ? On va de surprise en surprise jusqu’à un merveilleux walking blues intitulé « Wathever It Takes ». Ça coule tout seul et derrière ça swingue. Il repart comme si de rien n’était avec « Been There Done That ». Il sait bien au fond que des gens vont l’écouter et apprécier ce dernier spasme. 

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             Bleachin’ The Blues est un disque de blues acoustique. Il gratte tout à l’ongle sec. C’est un fou. Il part en bon boogie sur « All You Women » et il se met à claquer ses notes. Il tape dans le limon du delta prosaïque. Sacré Tony, il parvient toujours à trouver des passages inconnus. Mais il faut voir avec quelle violence il claque ses notes dans « Many Times (I’ve Heard It Mentionned) ». Pauvre guitare. Tony est un tortionnaire, un affreux jojo. Avec « All Last Night (And The Night Before) », c’est de pire en pire. La pauvre guitare ne se plaint pas. Elle sait que c’est son destin et qu’il faut arriver à l’accepter. Mais quelle violence ! Dans « When You’re Walkin’ Down The Street », Tony se prend pour un vieux nègre du coin de Beale Street. Dommage qu’il morde le trait. Il fait ensuite tomber les accords de « Bleechin’ The Blues » et dessine un belle perspective historique. Comme il se sait héros, il explose la gueule du blues. Il lève alors une tempête de grattage intempestif. Plus loin, il tape dans le gros classique de Mississippi Fred McDowel, « Love In Vain ». Tony est courageux et ça paie. Sa version est dévastatrice. Il la gratte avec une rage qu’on ne lui connaissait pas et il place mille et une petites transitions fluides. On peut dire qu’il nous en aura fait voir de toutes les couleurs, l’animal. Il finit par vraiment s’énerver et il claque ses solos dans la fumée âcre de l’exacerbation maximale. C’est un épisode stupéfiant, je vous le garantis. Il termine cet album assez extraordinaire avec deux autres classiques énormes. D’abord « Terraplane Blues », l’un des plus gros classiques de tous les temps, il fait ses eh-iiiihhh comme il faut. Il en sort une version terrassante. C’est même le hit de l’album. Il faut voir comme il terrasse son Terraplane. Et puis il continue de rendre hommage à Wolf avec une version sensible de « Litlle Red Rooster ». Franchement, on ne pouvait pas rêver meilleur final.

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             Tony enregistre Blue And Lonesome en 2007 avec Billy Boy Arnold. Sur cet album sauvage, le boogie est roi. Ils démarrent avec « Dirty Mother F... », magnifique de violence énergétique. On sent immédiatement le très gros disque. On entend bien Tony gratter ses flashes éclairs. Il part comme à son habitude en solo sans prévenir. Il peut tout se permettre, surtout quand il joue le blues, baby. « 1-2-99 » est une étrange pièce de blues en résonance, une sorte de blues pop progressif entreprenant très bien épaulée par les épauleurs et finement sertie d’un pur solo McPheelien. Billy Boy Arnold est un chanteur extraordinaire. Il cloue toutes ses fins de phrases. Il faut l’entendre lancer « Christmas Tree » en chantant le riff - tatatata la la - et une grosse ambiance s’installe. Billy Boy tire tous les morceaux à l’énergie. Bien sûr, la plupart des carcasses sont connues comme le loup blanc des steppes, mais on se régale de l’interprétation. « Mary Bernice » est un chef-d’œuvre de niaque. Billy Boy attaque de plein fouet et descend dans ses intonations, aussitôt relayé par un solo faramineux de Tony. Encore de la niaque avec « Just A Dream ». Billy Boy sonne comme le chanteur idéal. Il sait très bien faire l’exacerbé incontrôlable. Le dernier morceau de cet album tonitruant n’est autre que « Catfish ». On  retrouve le vieux mythe de Muddy. Derrière, c’est battu sec par le Père Fouettard et Tony gratte comme un dingue. C’est l’un des très gros disques de boogie enregistrés sur le sol d’Angleterre.

    Signé : Cazengler, Tony McFiotte

    Tony McPhee. Disparu le 6 juin 2023

    Groundhogs. Scratching The Surface. Liberty Records 1968

    Groundhogs. Blues Obituary. Liberty Records 1969

    Groundhogs. Thank Christ For The Bomb. Liberty Records 1970

    Groundhogs. Split. Liberty Records 1971

    Groundhogs. Who Will Save The World. United Artists 1972

    Groundhogs. Hogwash. United Artists 1972

    Tony McPhee. Two Sides Of. Wa Wa Records 1973

    Groundhogs. Solid. Vertigo 1974

    Groundhogs. Crosscut Saw. United Artists 1976

    Groundhogs. Black Diamond. United Artists 1976

    Groundhogs. Razors Edge. Landslide Records 1985

    Groundhogs. Back Against The Wall. Demi Monde 1986

    Tony McPhee. Foolish Pride. Blue Glue 1993

    Groundhogs. Hooker & The Hogs. Indigo Recordings 1996

    Groundhogs. Hogs In Wolf Clothing. HDT Records 1998

    Tony McPhee & Friends. Me And The Devil/I Asked For Water. BGO records 1998

    Tony McPhee. Bleachin’ The Blues. HTD Records 1997

    Billy Boy Arnold & Tony PcPhee & The Groundhogs. Blue And Lonesome. Music Avenue 2007

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    Record Collector # 424. February 2014. « Groundhog Days » par Paul Freestone.

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    Martyn Hanson. Hoggin’ The Page. Groundhogs - The Classic Years. Northdown Publishing

     

     

    L’avenir du rock

    - Buffalo bile

     (Part One)

     

             N’allez surtout pas croire que l’avenir du rock soit l’un de ces élitistes réfugiés dans une tour d’ivoire. Au contraire, il adore se fondre dans la masse, en regardant par exemple les jeux télévisés. Huit candidats sont à l’écran pour le super-banco, tourné en direct devant des millions de téléspectateurs. Après le gong, l’animateur redresse son nœud pap et ânonne d’une voix solennelle :

             — Connaissez-vous le nom du groupe de rock américain des frères Gabbard ? La question étant un peu difficile, je vous donne trois indices qui j’en suis sûr vous mettront sur la piste : cornes, plaine, winchester. Bon, je vois à votre plumage que c’est le grand ramage, alors je vais vous aider : le nom que je vous demande est en deux mots, ça commence par BU et ça tagadate.

             Une grosse dame d’allure réactionnaire lève son gros bras :

             — Buralistes Couleur !

             — C’est pas mal, Madame Bignolle, mais ce n’est pas ça...

             — Burineurs Caleux !

             — Vous n’avez droit qu’à une seule réponse Madame Bignolle, vous enfreignez le règlement !

             — M’en fous de vot’ règlement, j’ai besoin des dix millions pour refaire ma salle de bains ! Alors le nom du groupe, c’est Burito Kilos !

             — Je vous en prie, Madame Bignolle, vous empêchez les autres candidats de tenter leur chance. Faites au moins preuve de civisme, si vous n’êtes pas capable de...

             — Ho, commence pas à m’insulter, sinon mon époux va v’nir te péter la gueule !

             Dans le public, un mec assez grand se lève, la caméra le cadre :

             — Bucolimilimilimilimilimilimili... blic !

             L’animateur se tourne alors vers la caméra :

             — Allo Cognac-Jay, nous avons un problème technique, je vous rends l’antenne ! 

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             L’avenir du rock éteint la télé. De voir des gens aussi cons le rend triste. Et ça le rend encore plus triste de n’avoir pas participé au jeu, car bien sûr il connaissait la réponse. Buffalo Killers. Il ne connaît pratiquement qu’eux. Attention aux frères Gabbard ! Ils font partie des ces hippies américains basés dans l’Ohio et capables de rivaliser avec les Beatles.

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             Leur premier album Buffalo Killers sort sur Alive Records en 2006, et dès «San Martine Des Morelles», ils sortent une heavyness de beatlemania digne du Lennon de «Cold Turkey». C’est admirable car bardé de son et sensé, orienté grand public de qualité. Les Killers tapent dans l’overdrive de défonce concomitante. Les accords sont ceux de «The Ballad Of John And Yoko», et ça joue fabuleusement bien. On a même un solo digne du roi George, mais avec le poids d’une certaine Amérique en plus. On retrouve le son des Beatles dans «Something Real», le dernier cut de l’album. Les Killers sont probablement le meilleur heavy band beatlemaniaque du monde. Ce cut est zébré d’éclairs de John et de George. Ils écrasent littéralement «Fit To Breathe» dans l’œuf du serpent. C’est chanté au guttural du midwest, et piqué au grain mauvais de distorse acariâtre. Quoi qu’ils jouent, quoi qu’ils disent, quoi qu’ils caguent, ils sont bons. Dans la fuzz du son, on croise le fantôme de John Lennon. Les Killers battent pas mal de records de heavyness avec ce bel album. Ils tapent «SS Nowhere» au heavy retardataire, c’est un bon choix. Admirable car bardé de tout ce qu’on aime dans le son, ce psyché allumé aux riffs de basse, et pour corser l’affaire, Andrew Gabbard passe un solo cool de cat à la clé qui vire acide sur l’after. On reste dans le modèle beatlemaniaque avec «Heavens You Are». Ils ont un si joli son qu’ils semblent jouer au-dessus de leurs moyens. Andrew Gabbart chante comme un con et ça retombe comme un soufflé. Avec «River Water», ils se positionnent dans une certaine ampleur de rock américain. Ils sortent un son chatoyant classique, on dirait du Little Feat assis sur des braises ardentes. On sent qu’ils cherchent à créer l’événement, comme par exemple avec «With Love», joué au bouquet d’harmonies soniques. C’est drôle, car on attend des miracles de ces mecs-là. On a raison d’attendre, car arrivent «Children Of War», tapé au heavy-rock et fondu dans une mélasse de rêve, puis l’excellent «Down In The Blue», pur jus d’heavynesess de Cincinnati, ils le grattent délicieusement en écrasent les syllabes comme des cafards. Oh yeah, un Killer sinon rien.

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             Deux ans plus tard paraît Let It Ride. Dès «Get Together Now Today», les frères Gabbard sortent un admirable son de heavyness télescopique. C’est littéralement bardé de son et d’idées de son. Ils captent immédiatement l’attention. Ils dérouillent la fine fleur du rock seventies au muddy bass sound et aux claqués de mains épisodiques - But hey everybody’s wrong/ Let’s get together now today - Ça s’amplifie encore avec le morceau titre, brouet de son d’une indescriptible prescience, digne du «Little Red Lights» de Todd Rundgren. Terrifiante coulée de bronze. Et ça joue au solo trompette. Andrew Cabbard chante à la petite arrache Blue-Cheery. Fabuleux brouet de trompette de solo fuzz et de chœurs de magie noire. Ça sonne comme un sortilège moyenâgeux, le solo éléphant charge les chasseurs dans la savane, ils ont le pouvoir de Cactus, il bousculent tout dans le fossé du temps. Les chœurs fondent comme du gruyère sur le croque. Demento ! Alors évidemment, après un coup pareil, on dresse l’oreille. «Leave The Sun Behind» sonne plus classique, mais hardi et bardé d’excellence. On se retrouve au cœur d’un son seventies, mais avec une modernité de ton providentielle. Des tas de groupes tentent d’y revenir, mais les Killers ont pigé le truc. Ils jouent à la jouissance gourmande du sucré, c’est le rock du Passage Démogé. Voilà «If I Get Myself Anywhere» tapé à la petite heavyness psyché classique. C’est travaillé dans la matière - I don’t care about the world/ Get my jelly roll honey/ Turn the lights low - Oui, il se fout du monde, c’est un groover, que de virtuosité dans son make you feel good, quelle incroyable vélocité psychédélique ! Ces mecs sont aussi bons que NRBQ. Avec «On The Prowl», ils sortent le même son et les pointes de vitesse stupéfient. Dans «It’s A Shame», leurs accords s’écroulent comme des falaises de marbre dans le lagon du Mordor. Ils tapent dans un registre infesté de requins. Ils naviguent à vue comme des fonctionnaires de la vieille école et tarabiscotent un peu trop. Ils sortent un petit groove intimidant avec «Heart In Your Hand» - Breaking my back for you darling - Étonnant et solide. S’ensuit un «Take Me Back Here» tapé à la petite énerverie patentée. Ils jouent la carte du funk foncier et s’amusent à pulser le push du puke, avec une très joli son de shuffle et un solo bien gras. Admirables Killers.

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             Ils renouent avec leur passion pour les Beatles dans 3 avec un cut intitulé «Time Was Shaping». On se croirait sur le White Album. Sans blague ! C’est le son de «Sexie Sadie», l’esprit, en tous les cas. Ils tapent leur psyché à la bonne franquette et ça devient fascinant. Andrew et Zach ont du répondant, ils nous claquent des harmonies vocales dans le fracas des armes. Les changements de beat resplendissent dans l’éclat du jour. On les soupçonnerait presque d’être plus anglais que les Beatles. Ils enchaînent ça avec «Move On», du psyché  de belle allonge. C’est bardé de bon son et chanté à la revoyure, avec en plus un solo dément. Ils vont ensuite sur une belle pop de grands connaisseurs avec «Everyone Knows It But You». Ils revisitent toute l’histoire de l’appropriation par les Américains du rock anglais. Ils terminent cet album fantastique avec «Could Never Be», bel exergue démergitus joué au pire groove de l’univers. Ils rendent aussi un fantastique hommage à Balzac avec «Lily Of The Valley». C’est bucolique en diable, ils fonctionnent vraiment comme les Beatles, avec une idée de son et une mélodie. Voilà encore un cut envoûtant, chanté en toute simplicité. Les frères Gabbard tapent vraiment dans le top des hits de pop. Avec «Jon Jacobs», ils reviennent au psyché d’avalanche magnifique, ils sonnent comme les meilleurs spécialistes du far-out d’Angleterre, ils jouent heavy et dégagent des radiations. Voilà le maître mot des Killers : la prescience psychédélique. Heavyness des radiations. Ils remontent en selle pour un «Take Your Place» noyé de son, c’est épais comme un bon aligot de bougnat d’à côté. Tout bouge. C’est l’apanage du psyché : tout bouge en même temps. Les deux cuts d’ouverture sonnent aussi comme des passages obligés, à commencer par «Huma Bird». Ils claquent ça aux cloches de la big mama du heavy rock. Ils se montrent très persuasifs, très entreprenants. Ils détiennent le pouvoir de l’universalisme confédérateur. Ils sonnent avec tout le poids de la concorde d’Amérique, ils se situent à l’échelle du continent. Et puis il y a ce «Circle Day» joué au beau fondu d’élégance nuptiale. Quelque chose règne sans partage sur cette musique. De l’ordre du goût de vivre à plein temps. Andrew Cabbard chante en rase-motte par dessus les toits d’Amérique. Il sonne comme un Verlaine psychédélique. Fabuleux barbu.

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             Encore un très bel album avec Dig. Sow. Love. Grow. qui date de 2012. Le cut beatlemaniaque de l’album s’appelle «Moon Daisy» et referme la marche. On se croirait à Liverpool, tellement ça sonne bien. Leur son rappelle aussi les Boo Radleys. Il se répand comme une rivière de miel dans la vallée des plaisirs. Le fantôme de John Lennon réapparaît. Quelle belle heavyness ! On pourrait appeler ça une fantastique échappée belle. C’est heavy et beau, chargé jusqu’à la gueule, comme un canon impérial. «These Days» sonne comme un hit de Big Star. Même sens de la harangue boutonneuse jouée dans une sorte de chaos philharmonique, ce serait presque du Big Star extraverti. Les frères Gabbard ne se refusent aucune descente au barbu. On y retrouve aussi le son de basse de «The Ballad Of John & Yoko». Ils sont aussi bons que les Beatles. Andrew Gabbard prend «Get It» d’une belle voix de glotte pincée, glissée à l’insidieuse dans le gras du tatapoum. Ils sont aussi très forts en matière d’insidious. Andrew passe un solo à la titube, dans la meilleure des traditions traditionnelles, claqué à la note persistante. Ses solos régalent toujours la compagnie. Ils plantent encore leurs crocs dans les Beatles avec «Hey Girl». Andrew y passe un solo magistral, les notes rebondissent dans l’air de la plaine. Les albums des Killers fonctionnent tous comme des voyages extraordinaires au pays des possibilités soniques. «Rolling Wheel» se veut plus sibyllin, toujours dans la veine beatlemaniaque, chanté à la harangue et fluet, joué dans les règles du plus bel art de power pop éclose au soleil d’été radieux. Andrew joue encore une fois des notes de titube à la George Harrison. Sa classe se bat pour la cause. «I Am Always Here» éclate à l’éventail des possibilités de l’arpège catégorique. Suprême velouté de poireaux psycho. Andrew Gabbard joue des arpèges des grands canyons et se fond dans l’écume des jours. Les Killers jouent la meilleure des cartes, celle du gras fatal. On n’en finit plus d’admirer ces Beatles des Amériques. Ils sont l’un des groupes contemporains le plus passionnants. Ils tapent «My Sin» aux gros accords de la concorde. Une sorte de Convention règne sur la pop des Killers. Robespierre serait très fier d’eux.

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             Les Killers quittent Alive le temps d’un album, Heavy Reverie. On y trouve un cut encore meilleur que les grands cuts des Beatles de l’âge d’or : «Grape Peel (How I Feel)». C’est le barrage conte le Pacifique de Revolver avec des pulsions motrices d’unisson. Pur jus de beatlemania ! Même le solo vaut tous les George du monde, ces mecs jivent leur Lennon à la vie à la mort. Souvenez-vous : pas de pire rockalama que Lennon en denim avec sa Gibson blanche. Ils touillent leur bleatlemania avec un son de rêve. Cet album décolle dès «Poisonberry Tide». Pas de pire heavyness de son, c’est le heavy rumble du sourd. Quel fabuleux juggernaut d’allant forcené ! Tout est combiné d’avance, là-dedans, à coups de pyché californien et de beat des enfers. Ils nous chantent cette splendide apocalypse au clair de lune américain, c’est bardé de toute l’énergie sonique dont on peut rêver. Pew ! So perwerful ! «Dig On In» reste dans l’invraisemblable déconfiture d’absalon. Ils tapent vraiment dans le dur du son, comme si les Beatles jouaient du hardcore de Liverpool salué à la guitare fuzz. Aw, let’s dig on in. S’ensuit un autre fabuleux shoot de power-pop avec «This Girl Has Grown». Tout est ramoné à la perfection, bardé de son, ultraïque et particulièrement beau. Andrew Cabbard claque un solo d’éclat majeur à la clé et ça relance au puissant shuffle de Buffalo. Ce groupe est l’un des plus importants de notre époque, soyons clairs là-dessus. La fête se poursuit avec un «Cousin Todd» bardé d’harmonies vocales et de big sound. Ils semblent recycler toutes les vieilles énergies du rock. Ils nous stompent «Sandbook» à la suite. Encore un cut absolument déterminant. Quoi qu’ils fassent, les Killers kill kill kill - Your body excites me - On sent des velléités de heavy drudgery psychout. Aucune rémission possible. Tiens, encore une extraordinaire tartine de heavyness avec «Louder Than Your Lips», joué à l’extrême jonction de l’extrême onction du heavy sound de nez pincé, à coups de sunday morning got together. Ils y vont à coup de boutoir, cette histoire est purement sexuelle. Quel beau spectacle. Ils finissent avec deux cuts à la Chilton, «Shake» et «January», ça sent bon le back of your car, mais ils ne peuvent s’empêcher de shooter un gros fix d’Americana dans ce petit balladif insouciant. On croit entendre les Boo Radleys. Ils se prennent pour des mecs de Liverpool, ma poule.

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             Leur dernier album est un live, Alive And Well In Ohio. On y retrouve toutes les accointances avec les Beatles, notamment dans «So Close In Your Mind». Sur scène, les Killers semblent encore plus spectaculaires qu’en studio. «Death Magic Cookie» s’impose en tant qu’heavy balladif chargé d’influences. C’est joué au mieux des possibilités et chanté au mieux du mieux. C’est tout simplement somptueux, fondu dans l’harmonie céleste. Andrew Gabbard chante comme un dieu. On peut dire exactement la même chose de «What A Waste», tellement ce balladif s’étend à l’infini. Le «Parachute» qui suit n’est pas celui des Pretties, mais Andrew Gabbard le chante à l’intoxication supérieure. Il prend ça au gras de glotte et se fond dans une source de psyché d’une puissance purement américaine. Les Killers échappent à toute l’actuelle vague figée. Ils sentent bon l’air frais. Le solo d’Andrew Gabbard entre là-dedans comme un démon baveux. «Eastern Tiger» aurait pu figurer sur le White Album, voilà pourquoi il faut prendre ces gens-là au sérieux. Encore plus virulent, voilà «Need A Changin’», joué à la bonne augure des seventies. Les Killers inspirent une sorte de confiance instinctive, d’autant que ça riffe dans le gras double et qu’un solo vient percuter l’occiput du cut. «Evil Thoughts» sonne comme une sorte de groove des jours heureux, celui qu’on passe sa vie entière à rechercher. C’est d’une amplitude sans précédent. Leur talent règne sur la terre comme au ciel. On retrouve encore le son des Beatles dans «Outta This Hotel», pur jus de White Album. Ils ont ce talent traînard, très présent et même omniprésent. Leur boogie-rock peut aussi frapper par sa classe, comme on le constate à l’écoute de «Rad Day»,  un cut shooté aux accents de country juteuse. Et voilà une pièce d’Americana définitive : «Applehead Creek». Ils vont loin dans l’au-delà du son et de la pop, ils jouent la carte de l’animal esprit. Leur cut voyage dans le temps. Les Killers sont le groupe américain qu’il faut suive à la trace. Ils se situent au-delà de toute expectative. Ils font même du proto-punk à la Edgar Broughton avec «On Out». C’est un album parfait qui peut faire partie du voyage sur l’île déserte.

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             Les frères Gabbard relancent leur petit business avec The Gabbard Brothers. Le portrait peint sur la pochette est signé Shannon, de Shannon & The Clams. On va trouver quatre belles énormités sur cet album, à commencer par «Yer A Rockstar», bel hommage à Dylan, nappé d’orgue Hammond, c’est très pur, hey babe, c’est même complètement allumé, driving in your car. Du son encore sur «Feel Better Love Better», ils tapent ça à deux voix, ça file vers l’horizon avec une fuzz au cul du cut. «Pockets Of Your Mind» est plus country, mais joué fast à travers la plaine, c’est excellent, ces mecs savent nourrir une portée. Les frères Gabbard ont une facilité à pondre des soft rocks orientés vers l’avenir. Ils sont encore très purs avec «Hazard Ky Bluegrass Grandma», le Hazard Kentucky chanté au petit sucre d’Americana supérieure, ils te déroulent le tapis rouge d’une Americana renouvelée avec un heavy gratté de poux. Ils ressortent encore des harmonies vocales magiques dans «Early Pages». Bienvenue au paradis ! On les voit tous les deux à l’intérieur du digi avec leurs barbes et leurs guitares, chacun dans un coin du studio. Ils font encore de la pop obsédante avec «Lovin’ Arms». Ça ne chôme pas chez les frères Gabbard. Ils jouent avec la heavyness dans «Gimme Some Of That» - Get out of my way - et sonnent comme les grands groupes californiens des années 80 dans «Easter’s Child». C’est plein d’une certaine allure, avec un soupçon de country rock in the fold.

                 Signé : Cazengler, Buffalo du lac 

    Buffalo Killers. Buffalo Killers. Alive Records 2006

    Buffalo Killers. Let It Ride. Alive Records 2008

    Buffalo Killers. 3. Alive Records 2011

    Buffalo Killers. Dig. Sow. Love. Grow. Alive Records 2012

    Buffalo Killers. Heavy Reverie. Sun Pedal Recordings 2014

    Buffalo Killers. Alive And Well In Ohio. Alive Records 2017

    The Gabbard Brothers. The Gabbard Brothers. Karma Chief Records 2022

     

    Wizards & True Stars

    - Peel ou face

    (Part One)

     

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             Plus qu’aucun autre modeleur, John Peel a façonné nos vies. Il n’était qu’une voix dans un poste de radio. Sans vraiment le connaître, on sentait qu’on pouvait se fier à lui. Après, pour le connaître, tu as des livres, dont la bio de Mick Wall qui s’appelle tout bêtement John Peel, et l’autobio, Margrave Of The Marshes. Mais à l’époque, il fallait se contenter d’écouter son émission sur BBC Radio One, qu’on chopait sur les ondes moyennes, du lundi au jeudi. L’arbitre des élégances, le maître du jeu, le maître étalon, le maître de Marguerite, le grand sachem, le Raymond la Science de l’underground, le guide spirituel, le Sartre du rock, le grand satrape du Cymbalum définitif, ce fut John Peel et son inimitable marmonnement. Quand il démarrait son émission, tu avais l’impression d’atteindre la terre ferme. Il existe encore quelque part dans les cartons un cahier dans lequel on notait religieusement chaque track-listing du John Peel Show, car ils faisaient référence. John Peel dessinait la vraie carte du rock. Il explorait pour nous les territoires inexplorés et nous formait à l’esprit de découverte. Il nous incitait à devenir curieux. C’est la force des bonnes émissions de radio : le mec vante son truc en trois mots et tu as tout de suite la preuve de ses racontars. Gildas opérait exactement de la même façon sur le Dig It! Radio Show : il ne programmait qu’à coup sûr. Il donnait peu d’infos, et préférait donner la priorité aux cuts. Du pur John Peel. Une façon de dire : «Tiens, écoute ça mon gars». Gildas et Peely avaient en commun cette fiabilité du goût et cette réserve naturelle, qui sont les deux mamelles de l’élégance. À aucun moment, il ne leur serait venu à l’idée de parler d’eux pour se faire mousser. Pas de moi-je chez ces mecs-là. De la musique avant toute chose, comme le disait jadis si joliment Paul Verlaine.

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             Pour faire connaissance avec l’homme que fut John Peel, le book idéal est celui de Mick Wall cité plus haut. Comme la plupart d’entre-nous, Wally est entré dans l’univers radiophonique de John Peel comme on entre en religion. Ce remarquable écrivain a réussi à brosser un portrait extrêmement sobre de Peely. Il commence par saluer le découvreur qui fut le premier à passer dans son radio show des gens aussi considérables que Country Joe & The Fish, P.J. Harvey, T.Rex et les Smiths. Wally insiste aussi beaucoup sur la notion de proximité qui est essentielle : «À la différence des autres DJs qui gueulaient dans leur micro, Peely donnait l’impression d’être avec toi dans la pièce.» D’où cette impression d’ami intime et fiable, incapable de te faire avaler une couleuvre. Impression renforcée par ses fréquents aveux en forme d’auto-dérision, surtout quand il qualifie son style professionnel de «simple dévouement au service public radiophonique, ou de manque d’ambition très choquant.» Il ajoute : «C’est un mélange des deux. Je ne fais jamais d’erreurs stupides. Seulement des erreurs very clever.» Ceux qui connaissaient Gildas le reconnaîtront aussi dans cette déclaration d’intention teintée d’humour anglais.

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             Mick Wall se souvient d’avoir flashé sur le radio show en découvrant le «Mandoline Wind» de Rod Stewart - Peely déclarait après la chanson : «Possibly the finest song I think young Roderick has ever witten.» Je me souviens qu’il sa soupiré profondément après avoir dit ça. Je pensais exactement la même chose. C’est là que j’ai craqué pour lui. This Peel bloke seemed to know what he was talking about - Peely fut aussi le premier à passer «les Ramones, les Damned, Clash, Jam et les Pistols singles», et aux yeux de Mick Wall, «the most marvellous of all, the first Television album, Marquee Moon.» Mais cette réputation de découvreur agaçait un peu Peely : «Just been doing my job. Des gens comme Captain Beefheart, David Bowie, les Smiths, New Order, Pulp et les White Stripes se sont découverts eux-mêmes.» L’un de ses exploits les plus connus est bien sûr la diffusion du home-produced «Teenage Kicks» des Undertones, qu’il passe deux fois de duite. Le groupe est signé par Sire dans la foulée. Et bien sûr, on retrouve «Teenage Kicks» en numéro deux de son All Time (Millenium) hit-parade, juste après «Atmosphere» de Joy Division. Peely adore tellement «Teenage Kicks» qu’il aimerait bien qu’on grave the opening line - Teenage dreams/ So hard to beat - sur sa pierre tombale. Feargal Sharkley : «I owe my life to John Peel.» Nous aussi d’une certaine façon. Sans John Peel, on ne sait pas ce qu’on serait devenu.

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             Très tôt, Peely affiche son anti-conformisme. Au lycée, il est déjà excentrique, il cultive déjà un goût «pour les disques inaudibles» et se plaît à écrire «des essais facétieux et interminables». Comme il affiche clairement son manque d’ambition, son père qui est homme d’affaires le présente comme l’idiot de la famille. Quand Peely lui dit qu’il rêve de devenir DJ à la BBC, son père lui répond que c’est impossible, «à moins d’être catholique ou homosexuel, ou les deux.» Peely ajoute, à propose de son père : «He had a rather distorded view of life, I think. Nice chap but funny views.» Dommage que Wally ne fasse pas référence à Dada, car on est en plein dedans. Son père envoie Peely au Texas pour étudier le marché du coton. Peely va rester sept ans aux États-Unis et rentrer à Londres auréolé de légende : il est devenu l’Englishman qui a conquis la radio américaine, c’est du jamais vu. Il ramène en outre une collection de disques rares, un accent étrange, et une épouse texane de 17 ans dont il aura du mal à se débarrasser. Il démarre à Radio London et John Ravenscroft devient John Peel. Puis il entre à BBC Radio One et y restera 37 ans. Comme il mise tout sur l’anticonformisme, il s’attend constamment à se faire virer, mais il tient bon. Pas question de vendre son cul. C’est pour ça qu’on le vénère. C’est aussi pour ça qu’il va devenir une institution. Sa première émission s’appelle The Perfumed Garden, puis il lance Top Gear, et programme la crème de la crème de l’underground, «King Crimson, Bolan, Bowie, Family, Fairport Convention, Jimi Hendrix, Arthur Brown, Soft Machine et Country Joe & The fish.» Il insiste pour passer les albums sans interruption, «avec un commentaire tordu mais savant». Il fait parfois des gags : «And tonight the Flying Creamshots in session», un nom qu’il a trouvé dans un «Dutch porn mag». Il reconnaît que son radio show est devenu fashionable dans les années 70 et en disant ça, il s’en excuse : «Je n’ai pas trop aimé cette expérience.» Pas de frivolité chez Peely. Seule compte la musique - He was an anomality: a music radio DJ preoccupied chiefly with, uh, music - Il est aussi connu pour sa dévotion envers certains groupes, comme bien sûr the Fall : 23 Peel Sessions avec The Fall, «one of the unloveliest, if unique, British bands in history.» Il adore aussi saisir le groupe à ses débuts, parce qu’une fois célèbres, la plupart des gens deviennent bizarres. Il se souvient particulièrement de son ami Marc Bolan, transformé par la célébrité, avec lequel il s’est fâché.

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             Peely est aussi connu pour écouter tout ce qu’on lui envoie, enfin jusqu’au moment où il n’y arrive plus : en 20 ans, il reçoit plus de 100 000 disques et cassettes, alors ce n’est plus possible. Quand il se marie avec Sheila, il achète une baraque à la campagne, près de Stowmarket, dans le Suffolk. C’est un petit domaine avec une piscine, un court de tennis, et un potager, domaine qu’il baptise Peel Acres. Mais il doit aller à Londres chaque jour pour son émission. Ça tombe bien, il adore conduire. Il adore surtout Sheila, qu’il surnomme the pig, à cause de sa façon de rigoler - Snorting laugh, which he heard often as, remarkably, Sheila always seemed to find John’s jokes even funnier than he did - Mais aussi pour, dit-il, sa façon «de dormir enlacée à lui, même lors des nuits les plus chaudes.»

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             Charles Shaar Murray dit que rencontrer Peely was a delight - He was just cool, wise, sardonic and self-depreciating, toujours de bonne humeur même quand mon chat non-castré lui a pissé sur les pieds - Peely bosse avec son boss John Walters, ils préparent les émissions ensemble dans leur bureau de la BBC qui est minuscule et envahi de disques et de cassettes. Peely se marre : «Notre relation est celle du joueur d’orgue de barbarie et de son singe. Chacun de nous croit que l’autre est le singe.» Une autre fois, il décrit leur relation comme celle d’un homme avec son chien «et chacun croit que l’autre est le chien.» Ouaf ouaf ! Quand Bernard Summer de Joy Division et New Order rencontre Peely pour la première fois, il se dit nerveux - We were nervous. We had to have a couple of drinks. Mais John Peel était aussi nerveux que nous, ce qui nous a stupéfaits - Peely est tellement fasciné par l’underground et les groupes obscurs qu’il a créé incidemment the «Norwich scene» en 1983, qui comprenait The Higsons, The Farmer’s Boys et Serious Drinking. Et il refuse les groupes à succès. Par question d’offrir des BBC Sessions à Police, U2 et Dire Straits. Non merci. Il aimait aussi les groupes purement orignaux qui n’avaient aucune attache avec ce qui était connu. Il citait Roxy Music comme exemple. Et les Smiths - You couldn’t tell what the Smiths were listening to.

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             La musique, toujours la musique, rien que la musique. Pour lui comme pour beaucoup d’entre nous, ça commence avec Elvis, «and two weeks later, Little Richard.» - I stared open-mouthed. Je n’avais jamais rien entendu d’aussi raw, d’aussi elemental. After which, my life changed, it really did. I don’t think I was quite the same person again. Tout a changé quand j’ai entendu Elvis. Là où il n’y avait rien, soudain il y avait quelque chose - À la découverte de Little Richard, il se décrit comme «Saul on the road to Damascus». Il découvre aussi Lonny Donegan, «celui qui irritait tant mon père que celui-ci tentait de m’irriter à mon tour en l’appelant ‘Lollie Dolligan’». Puis il voit des tas de gens sur scène, «Clyde McPhatter, Duane Eddy, Eddie Cochran and best of all, his beloved leather-clad Gene Vincent.»

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             En 1967, The Perfumed Garden est une émission d’avant-garde. Peely est le premier à passer Captain Beefheart et Zappa en Angleterre. Il passe aussi Hendrix et les Beatles, «or anyone else you’d dare to name». Il est aussi le premier à diffuser du glam, Bowie, Bolan, mais surtout le Roxy Music des deux premiers albums, que Peely voit comme «new and exciting». Et 1976, boom, avec «New Rose» des Damned qui, nous dit Wally, «lui redonne exactement the same feeling as the first time he ever heard Little Richard.» Eh oui, on a vécu exactement la même chose, à l’époque. Et donc en 1976, Peely fait glisser sa play-list «du Steve Miller Band vers Siouxie & The Banshees». Wally cite aussi les Pistols, Clash et il s’attarde un peu sur les Damned pour indiquer que la mère de Rat Scabies, qui s’appelle dans le civil Chris Miller, écrivit à Peely «a lovely letter, le remerciant sincèrement for ‘helping Christopher with his career.’»

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             Peely voulait faire une Peel Session avec les Pistols, mais son boss John Walters ne voulait pas. Peely ne va pas rester les mains dans les poches : il défie la censure imposée par la BBC en passant «God Save The Queen» dans son Radio Show. Pas mal pour un mec, nous dit Wally, qui fut menacé par Sid Vicious dans une salle de concert. Peely adore les singles punk, car il préfère de loin la musique de ceux qu’il appelle «the primitive artists, like the early Elvis and Gene Vincent.» Dans son Radio Show, il continue de croiser les genres, the Fall avec J.J. Cale ou Peter Hammill, Wire et Roy Harper, du reggae, Vivian Stanshall, Ivor Cutler, «a regular guest on the programme» - a sort of proto-punk storyteller, poet, surrealist, songsmith and comic raconteur - Deux de ses «top ten favourite sessions of all time» sont celles des Slits en 1977 et 1978, ainsi qu’une session de Pulp, et puis il y a aussi les 23 Peel Sessions de the Fall, comme déjà dit, mais on le redit. Voilà les noms qui reviennent dans le Radio Show : «Joy Division, the Cure, Orange Juice, the Teardrop Explodes and later, the Smiths et Madchester avec les Happy Mondays.» Au début des années 80, il passe Swell Maps, the Quads, the Jam, Philip Goodhand-Tait, XTC, Misty In Roots et une session de the Cure. Quand il reçoit le nouvel album de the Fall, il le passe entièrement. Par contre, la Britpop ne l’intéresse pas - because it didn’t sound as good as the stuff they were replicating - Pas d’Oasis en Peel Session. Il flashe plutôt sur Cornershop et Gorky’s Zygotic Mynci, puis plus tard sur les Strokes et les White Stripes.

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             L’un des fleurons de son environnement relationnel n’est autre que Captain Beefheart. En 1969, Peely fut son chauffeur pendant une tournée en Angleterre - At one point, the good Captain ordered him to stop the car. ‘John I want to hug a tree!’, he annonced. John duly obliged - Le bon Captain ne demandait pas à s’arrêter dans les bois pour faire caca, mais pour serrer un arbre dans ses bras. C’est toute la différence avec nous autres, pauvres pêcheurs. Captain Beefheart nous dit Wally allait rester en contact avec Peely, l’appelant au téléphone une fois par an, quelques semaines avant son anniversaire. Peely : «J’ai toujours la trouille quand il m’appelle, car je ne sais jamais quoi lui dire.» L’autre fleuron de son environnement relationnel est bien sûr Mark E. Smith : «J’ai seulement rencontré Mark E. Smith une fois ou deux, donc je ne pas dire qu’on soit amis. Quand je le rencontre, je ne sais pas non plus quoi lui dire, alors on se donne un petit coup de poing viril dans l’épaule et on repart chacun de son côté.»

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             En 1969, Peely et son business manager Clive Selwood démarrent un label underground, Dandelion, qu’ils veulent l’équivalent britannique d’Elektra. Peely s’intéresse bien sûr aux artistes invendables, Clifford T. Ward, Bridget St John, Tractor, Mike Hart et un down-at-heel Gene Vincent qui est sur les talons et qui n’a plus de contrat. C’est sur Dandelion que sort l’excellent I’m Back And I’m Proud. Mais les fleurons du label sont Stackwaddy et Medecine Head. «Stackwaddy were punks before there were punks», dit Peely. Il ajoute que le chanteur était un déserteur de l’armée américaine et quand le groupe est parti tourner aux États-Unis, le chanteur portait une perruque : «Lors du premier concert, il était tellement ivre qu’il se mit à pisser sur les gens du premier rang. Il fut arrêté et la tournée fut annulée.» Comme Peely n’a pas le droit de passer ses poulains dans son émission, le label fait vite faillite et disparaît en 1972. Dommage, car il envisageait de monter le projet des 101 Sharons, comprenant 101 chanteuses nommées Sharon. Il abandonna le projet au bout de 40 Sharons. 

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             Et puis, il y a le mythe du Festive Fifty, an annual tradition, qui commence 1976 et qui se termine en 2004. Wally les donne à lire en fin d’ouvrage. C’est une vraie cartographie de l’histoire du rock, filtrée par un esprit averti. En tête du Festive Fifty de 1976 : Led Zep avec «Stairway To Heaven». Mais en 1978, 1979, 1980, 1982, ce sont les Pistols qui caracolent en tête avec «Anarchy In The UK». Et en 2004, The Fall avec «Theme From Sparta FC Part 2». Dans l’All Time (Millenium), les Pistols sont #4 après deux Joy («Atmosphere» et «Love Will Tear Us Apart») et les Undertones.

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             Et puis, il y a la fameuse collection. Peely reçoit environ 2 000 CDs chaque semaine, plus une centaine de singles. Sa philosophie reste la même : «Peut-être y a-t-il something là-dedans qui va se révéler quite wonderful.» Pour le savoir, il faut écouter. C’est le job du découvreur. ll est obligé de faire construire des extensions dans son domaine pour stocker tout ça : une extension en bois pour abriter l’énorme collection de twelve-inch singles, c’est-à-dire les maxis. Une autre pour abriter la collection de seven-inch singles, et encore un autre pour la collection de LPs, estimée à 30 000 exemplaires. Il passe 6 à 8 heures par jour à écouter tous ces disques. Il tient à jour un index à l’ancienne qui date des sixties. Il sait nous dit Wally qu’il devrait transférer toutes ces données sur ordi, mais c’est beaucoup trop de boulot, «ça me prendrait tout le restant de mes jours.» Après sa disparition, on a estimé sa collection à 26 000 LPs, 40 000 CDs et 40 000 singles. On y trouve notamment des singles signés par les Stones et les Beatles. Un délire. Une vie de travail. L’empire de la passion.  

             En 2004, Peely part en vacances au Pérou avec Sheila et il casse sa pipe en bois en faisant une petite crise cardiaque. Drame national. On a tous gardé le numéro spécial du NME avec Peely en couverture. En guise d’oraison funèbre, Tim Wheeler d’Ash a déclaré : «No more Festive Fifties, no more Peel Sessions, no more records played at the wrong speed.»

    Signé : Cazengler, pile ou fesse

    Mick Wall. John Peel. Orion 2004

     

     

                                           Todd of the pop - Part Three

     

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             Et puis on finit par s’enfoncer dans l’univers extrêmement dense de cet artiste immense, qui prend soin d’enregistrer quasiment chaque année un nouvel album. 2nd Wind paraît en 1991, et sur la pochette se dresse une curieuse figurine : celle d’un moine au crâne défoncé par une hache. Pourquoi va-t-on écouter cet album ?

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    Pour «Who’s Sorry Now», nouveau shoot de pop mélodramatique bâtie sur des descentes de chant vertigineuses. Todd vieillit bien, il chante sa pop de Soul au mieux des possibilités du genre. Quel power et quel souffle ! - Who’s sorry now/ Sorrow spoken here/ Please take a bow - Ça se termine sur un final rundgrenien complètement explosif. L’autre gros coup de l’album s’appelle «Public Servant». Derrière, Prairie Prince bat le beat de la plaine. Todd ressort pour l’occasion son big heavy sound - Public servant/ Public slave - Il sait encore rocker la couenne d’un cut. Bel album, une fois de plus. Todd reste dans son monde de pop scintillante, il a des choses à dire, alors il les dit. Nous n’apprendrons rien de plus que ce qu’on sait déjà. Il faut juste savoir rester en éveil. Todd peut proposer du petit funk blanc, comme le montre «Love Science» et y amener des idées de son. Il peut aussi aller chercher les sommets de la grandiloquence et travailler sa matière au corps comme le fit Jacques Brel, c’est en tous les cas ce qu’inspire l’écoute d’«If I Love To Be Alone», joué à l’extrême des possibilités du système Rundgrenien. On sent bien qu’il bâtit une œuvre. Todd Rundgren est un mégalomane de génie. Il dispose de toutes les ambitions de Nabuchodonosor, c’est très dirigé, très orchestré, très chanté, très collet monté. Il termine avec un morceau titre embarqué au petit beat d’exotica. Todd prend son temps alors que le beat l’incite à foncer. Main non. C’est un vieux renard. Il chante maintenant d’une voix plus ferme, comme s’il avait perdu sa candeur, mais il ne perd rien de sa superbe, heureusement. Tout est joué au petit pulsé de percus. Il pose sa mélodie chant sur cet enfer pulsatif et dose bien ses efforts. Cet homme a déjà beaucoup navigué. 

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             Paru en 1993, No World Order n’est pas son meilleur album, loin de là, mais il s’y niche un coup de génie intitulé «World Made Flesh», une sorte de heavy rock olympique, avec du son par-dessus le son et il ramène dans cette histoire toute la niaque de Nazz. Il explose le rock et tout le reste quand il veut. Todd nous amène au bout d’un album qui ne provoque aucun émoi et soudain, il éclate «World Made Flesh» au Sénégal avec sa copine de cheval. Il monte des couches par-dessus les couches, c’est babylonien, une tornade enchantée. Quand il éclate, il éclate. Et le reste de l’album ? C’est une autre histoire. Disons par charité qu’on ne l’écoute que parce que c’est Todd. Il fait une sorte de mélange de rap et d’electro et alors qu’on ne s’y attend pas, il revient à la pop avec «Worldwide Epiphany». Il redevient l’espace d’une chanson le pop king of the world. Il fait aussi de l’expressionnisme avec «Day Job» et y illustre le cauchemar industriel, puis il revient à la raison pop avec «Property» qui sonne comme un soulagement. Mais on le voit ensuite bouffer à tous les râteliers et il perd un peu de son panache, surtout avec le rap. Laisse ça aux blackos, mon gars.  

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             On trouve deux belles énormités sur The Individualist : «Espresso (All Jacked Up)» et «Cast The First Stone». Espresso montre que Todd peut encore provoquer des commotions. Il tape ça au funk des temps modernes et navigue en surface. Chez lui, tout est toujours très physique, surtout les images qu’il suscite. Il entend les tendances du son et pige immédiatement. Voilà encore un cut bourré à craquer de son, comme s’il voulait exploser les carcans. Il groove son exotica avec une niaque qui remonte au temps de Nazz. Quel artiste ! Follow the leader ! Il nous emmène en enfer avec Cast et puis voilà qu’avec le morceau titre, il part en mode hip-hop. En fait, il fait de la Soul. C’est un cut exemplaire. Les chœurs font «You’re The Individualist» et Todd répond avec candeur «Yes I am». Il swingue son Yes I am, il ramène tous les clichés du genre, sur un beau drive de basse. Il sublime les effets de Yes I am, il les flûte à la flûte. Ça groove à n’en plus finir. Il démarre aussi cet album en mode deep drive d’electro-shock avec «Tables Will Turn». Il sait très bien ce qu’il fait, il navigue en père peinard sur la grand mare du Philly Soul, il passe où il veut, quand il veut. Alors on entre ou on n’entre pas. Mieux vaut entrer. On trouve aussi de la littérature dans cette pop. Le livret est bourré à craquer de littérature. Todd embarque son monde chez lui. Il n’a rien perdu de son sens aigu du drive. Il va secouer les colonnes d’un nouveau temple, celui du hip-hop et de l’electro, il fait ce qu’il a toujours fait : il visite de nouveaux territoires. Il va sur une pop de prog avec «Family Values» et conserve tous les vieux réflexes. Comment swinguer un cut dans le raw ? Il ramène des chœurs d’une intense modernité. Il travaille sa pop comme de l’argile, il en fait des archétypes intéressants et reste profondément convaincu de son art. Encore du big Todd avec «Temporary Sanity», mais il faut attendre un peu pour que ça paraisse. Il chante à l’unisson du saucisson Todd, c’est battu à la diable et ça monte comme un orgasme. Il termine avec un «Woman’s World» qui sonne comme une aventure, même quand on croit connaître la méthode Todd par cœur. Il développe une pop ultra puissante qui se déverse jusqu’au bout, et Todd boucle ça à coups d’accords garage. Quel démon !  

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             Attention, Up Against It est une comédie musicale, un rock opera, au meilleur sens du terme. Même le côté comedy act y est puissant. On éprouve d’ailleurs les pires difficultés à entrer dans cet album qui apparemment n’est paru qu’au Japon. Un peu âpres au premier abord, les cuts finissent par convaincre. Todd joue un jeu très dangereux et soudain, voilà que ça explose avec le morceau titre. Il revient aux basics, il chevauche son dragon et c’est excellent, power & beat, tout est over the rainbow, il va vite en besogne, il chante à la folie des dieux, il redevient le magicien que l’on sait. C’est complètement bouleversant d’explosivité, il chante à la va-vite, mais il y a une constante sous-tendue. Il revient ensuite au comedy act, ce qui nous permet de souffler un peu, car il faut bien dire que les coups de génie de Todd donnent le tournis. Il tente de nous refaire le coup du Zen Archer avec «Parallel Lines», et même si trop de power tue le power, il passe avec sa belle pop évadée dans l’avenir. On a parfois l’impression que Todd Rundgren cherche à sauver le monde avec de la beauté. Et de cut en cut, tout s’anime comme ce «Lili’s Address», un stupéfiant bouquet de chorale galactique. Todd y fait courir le furet, son rock opera rivalise de grandeur géniale avec celui des Who. Et ça continue de monter au cerveau avec «Love In Disguise». Ce mec est un cas à part. Qui à part lui ose se lancer dans ce type d’aventure ? Comme tous les grands compositeurs, il atteint des sommets connus de lui seul. C’est très tartiné, chanté à plusieurs voix d’opéra. Il va chercher des ambiances extrêmes comme le montre «Maybe I’m Better Off». Ça rend l’album fascinant. Todd tartine son comedy act d’élans de génie. Son «Maybe I’m Better Off» est une merveille de non-chaleur contagieuse. Il combine l’extrapolation avec le génie pop, c’est énorme et difficile à suivre. Trop avancé. Il sur-chante en permanence son comedy. Il crée l’événement à chaque cut, il jongle avec les ambiances de cabaret et fait sonner son synthé comme un accordéon. Il va chercher des logarythmes baroques, ceux des Cockney Rebels, c’est très weird, très toddy et son «We Understand Each Other» vire jazz band galactique, alors éclate à nouveau le génie productiviste de Todd Rundgren. Ça éclate si joliment. Personne ne mène les expéditions aussi loin. Il vire exotica de Broadway avec «Entropy» qu’il amène au sommet de tout comme un Phil Spector éperdu de beauté mirifique.

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             Dans With A Twist paru en 1997, Todd relance son vieux «I Saw The Light» en mode Brazil. Pas de problème - Cause I saw the light in your eyes - Ça n’a pas bougé et c’est même peut-être encore plus magique. Sacré parti-pris, mais en attendant, quel paradis ! Autre tranche de paradis : «It Wouldn’t Have Made Any Difference». Il se plonge dans un gratté de belles notes allégoriques, sur des couches de chœurs superbes, tout est construit là-dessus. Il fait la différence rien qu’avec la fraîcheur des chœurs. Retour au Brazil avec «I Want You». Il se prend pour les Étoiles, il fait de la Bossa Nova de chaleur intense, il va droit sur le Brazil et irradie, il développe une énergie exotique qu’on ne lui connaissait pas. Il devient Tox Rundgren. Il joue aussi «Influenza» au groove des alizés. Ses notes de guitare flottent dans le vent tiède. Fabuleuse énergie du paradis ! Il reste dans la Bossa Nova avec «Can We Still Be Friends» et en donne une vision idéale. Il est dedans, et un sax taille une croupière au groove des îles. Todd réinvente la relaxation. Il renoue incidemment avec le Zen Archer. Il continue de tailler sa route avec «Love Is The Answer». Il chante avec du sable dans le pantalon. C’est assez intense, rien à voir avec les coups de soleil. Et quand on écoute «Fidelity», on réalise à quel point Todd est un prince, car il reçoit les gens chez lui. Il revient encore au temps de Nazz avec «Hello It’s Me». Il s’en sort avec les honneurs. De la même façon que David Bowie, Todd Rundgren est un magicien.  

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             En l’an 2000 paraît One Long Year sous une pochette électronique. Mais qu’on ne se méprenne pas : Todd veille au grain de l’énormité et ce dès «I Hate My Frickin’ I.S.P.», une heavy pop carillonnée d’arpèges qui va dans le ciel toute seule. Ça carillonne comme au temps béni des Beatles. Todd nous refait le coup de l’énormité du quinconce avec cette belle dégelée de super-power pop. Décidément, ce mec n’en démord pas. Il sonne toujours aussi bien. L’autre coup de Jarnac de l’album s’appelle «Love Of The Common Man», une tranche de pop à la Runt. Todd gère ça de main de maître avec des éclats de voix désinvoltes et les pianotis d’un dandy de Dead End Street. Extraordinaire brassage de sons et de genres, il ramène de la Soul dans cette espèce de pot aux roses. Petite merveille aussi que ce «When Does The Time Go». En pur Philly guy, Todd se fend d’un nouveau shoot de pop de Soul. Il revient toujours à sa vieille magie intrinsèque d’antan, il enchante l’enchantement, il remonte les bretelles de la Philly Soul. Il la travaille toujours à la perfection. Il passe au rumble de fouillis electro avec «Jerk», c’est bien accueilli même si ça sonne très exotique. Mais Todd s’arrange toujours pour passer en force. C’est un forgeron, il travaille son rock à l’enclume. Sacrée partie de babaloo ! Il amène «Yer Fast (And I Feel Like)» au rock opera avec des climax incertains et si dodus. C’est terriblement fouetté de son. Il crée des mondes à n’en plus finir, le voilà livré aux apanages du hardcore move de beat fatal. Il termine avec «The Surf Talks», histoire de libérer des forces extraordinaires. Todd Rundgren agit en Terminator de la pop de rock tribal. Il ressort sa plus belle niaque pour l’occasion et relance à gogo. Ce mec dispose d’une énergie hors normes.       

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             Belle pochette que celle de Liars. Todd y porte des oreilles et un museau de lapin. Alors attention, car c’est un big album, pour des tas de raisons. «Sweet», par exemple, qui sonne comme une échappée belle - Sing & shout it/ Tell the world about it - Il prêche dans le désert, car les gens se moquent de la vérité. Todd ramène tout son bon dee bee doo, il navigue au sweet & true like my love for you. C’est digne de Marvin Gaye, les clameurs croisent celles de «What’s Going On», les chœurs sont ceux de Marvin et les retombées à l’octave aussi. Il passe au mambo de jerk avec «Soul Brother» - They mixed it at about but then they/ Forget to add a pinch of Soul - Todd jazze son groove à la Georgie Fame. Il adore faire le Soul Brother. C’est un expert en la matière. Retour au rêve de pop avec «Past» - I was so surprised/ When the teardrop came - Ce mec est capable de moments magiques. Il explique pourquoi il vit dans le Past. Les fans de Todd Rundgren le suivront jusqu’en enfer et ils auront raison. Car il se montre digne des Flamingos et des meilleurs groupes de doo-wop. Les rasades de chœurs sont terrifiantes de véracité divinatoire. Encore plus immense, voilà «Living», une power-pop stupéfiante de puissance. Il met tous les power-chords du monde à son service. «Godsaid» vaut pour un coup de génie, save me ! Save me ! C’est de la heavy psychedelia, et le morceau titre, c’est tout simplement Babylone, tellement ça devient apocalyptique. Il est encore capable de stupéfier, sa power-pop court sous l’horizon. On salue aussi «Truth», monté sur un beat lectro et animé de descentes d’organes vertigineuses. Force est d’admettre l’extrême puissance du Rundgren Sound System. Même avec de l’electro, il parvient à passer en force. C’est très impressionnant. Cette énergie n’appartient qu’à lui et à lui seul. Power ! L’absolu power d’Absalon ! Sweet bird of truth come to me ! Chaque nouvel album de Todd sonne comme une aventure épique. Il redevient heavy as hell avec «Mammon» - Your God is Mammon ! - C’est du big Todd avec un couplet final explosif. Il fait aussi de la Soul en montant chez Kate à tous étages avec «Wondering» et revient à un groove de pop electrotte avec «Flaw». Pas de danger qu’on s’ennuie chez Todd Rundgren. Il travaille toujours son heavy groove de motherfucker au  corps. Tiens encore une belle énormité : «Afterlife». il revient pour l’occasion à sa pop éthérée. Ce diable de Todd Rundgren nous balade chaque fois pendant une heure. On finit par s’habituer aux richesses de son palais.             

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             Encore un album génial avec Arena paru en 2008. Dès «Mad», Tod explose sa pop avec l’ardeur d’un white shooter de r’n’b - Now I’m mad/ This is more than upset - He means it ! Fabuleux Todd, fabuleuse montée en puissance, il n’en finit plus de fracasser la tirelire de son cut, il n’a aucun problème de punch, il chante au somment de son art qui est celui du heavy rock rundgrenien. Il accumule les coups de génie sur cet album, avec des choses comme «Gun» ou «Courage». Il sort un solide boogie rock de Gun - I like the noise and I like the smell - Todd Rundgren est un pur rock’n’roller - Hell I got a gun - Il y va - I pop my gun - Il embarque son «Courage» au vent d’Ouest, il crée de la magie en permanence - When I lost courage of my convictions/ And I live in a constant fear/ That I’ll never have you here - C’est encore une fois du big Todd. Il fond sa pop dans l’ardeur suprême. On peut dire la même chose de «Weakness». Il étend l’empire de son groove suspensif. Ça se barre en Soul de pop - The sun that shines a light on my soul - C’est du niveau d’A Wizard A True Star - Ahh my weakness/ You are my kryphonite - S’ensuit un «Strike» violent, riff dans l’os, bordé de son, hurlé dans le combat. Todd claque ça si sec. Ça dégouline de génie. Tout sur cette album dégouline de génie fumant. Avec «Pissin», il craouète le boogie sur du son rebondi. Il se permet n’importe quelle fantaisie et ça dégénère assez vite. Il nous bat ça en brèche, il revient au I think by now we know better gratté sec et ça prend de l’ampleur - We all recall with special zeit/ We saw a solo pissin constest - on aurait presque envie d’entendre Todd Rundgren chanter ad vitam eternam. Le heavy balladif de «Bardo» sonne si bien, c’est quasiment du heavy psych. Et puis avec «Mountaintop», il passe au glam bop - Well the old man called me on his dying bed - Il fait du glam explosif. Alors il emmène le vieux sur la montagne. C’est invraisemblable. il joue les accords de Marc Bolan, mais à la new-yorkaise, et ça illumine tout l’univers - One step higher - Pur jus - One step higher - Il boucle avec un «Manup» bien riffé et chante comme un chef de guerre. Todd est un roi barbare civilisé. On accueille aussi la heavyness d’«Afraid» à bras ouverts. Il n’existe rien d’aussi définitif dans l’esprit du son. Il va chercher ici le big atmosphérix et le son chevrote au passage. Avec chaque album de Todd Rundgren, il faut prendre le temps de bien s’installer, comme dans une salle de cinéma et s’attendre à éprouver des émotions fortes. Todd Rundgren ne laisse pas beaucoup de place aux autres.       

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               Pas facile à dénicher, ce brave Todd Rundgren’s Johnson qui date de 2011. Notre héros inter-galactique y revisite Robert Johnson. Dès «Dust My Broom», il y va. Inutile d’attendre de la pitié de cet homme qui believe ainsi son dust my blues, il fait couler l’or du blues, personne ne peut égaler cette façon de couler l’or, il est le grand couleur de coulis devant l’éternel. Ce qu’il fait de ce vieux standard relève du génie absolu. Il en rajoute des couches. Et ça continue avec «Stop Breaking Down», sur le mode coulée de heavy Todd. Il explore tout ce qu’il veut, la pop, le rock, la Soul, le blues, l’opéra, l’electro, tout, alors aplatissez-vous mes frères car voilà l’empereur de toutes les Asies, l’effarant Todd Rundgren qui shunte son blues au sommet de l’harmonie vocale et en plus, il l’électrocute vivante, il est de toute évidence le pire fucker de blues qui soit ici bas, il multiplie les killer solos flash et en plus, il chante. Il dicte sa loi au blues. Il faut dire que les boogie blues de Todd ne sont pas ceux de Chicago, il y a un petit quelque chose en plus. Il amène «Walking Blues» au heavy boogie, il taille sa route dans une jungle de son. Il ramène le suitcase in my hand de «Love In Vain», mais ce n’est pas celui des Stones. Il fait autre chose. Il continue de charger sa mule avec «Last Fair Deal Gone Sour». Il noie tout de gras double, pas compliqué. Il en rajoute tellement que ça devient beau. Il réinvente la heavyness. Même chose avec «Sweet Home Chicago». C’est même assez demented, il sait appuyer sur le champignon. Encore du big heavy Todd avec «They’re Red Hot». Il ne se refuse aucun luxe et passe des solos foudroyants. Tout sur cet album est gorgé du meilleur son. Il va chaque fois chercher le paradigme électrique pour exprimer ce qu’est le blues, comme dirait l’autre. Il fait un «Hellbound On My Trail» fantastique, et même fantasmagorique. Pour ça, il élève une sorte de mur du son, le cut est classique, mais dans les pattes de Todd ça devient quelque chose de baroque : les jardins suspendus du blues de Balylone. Il ramène tout son fourbi dans la fournaise. Il conquiert des empires à coups de licks obliques. Il va continuer de tartiner sa mélasse épouvantable jusqu’au bout, avec un «Travelling Riverside Blues» râblé, bas sur pattes et gorgé de fouillis d’apoplexie. Il ne laisse aucune chance au hasard, il multiplie les virulences, il se veut taillé pour la route éternelle. Fan-tas-tique artiste ! 

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             (re)Production fait aussi partie des albums indispensables de Todd. Pourquoi ? Parce qu’il y revisite tous les groupes qu’il a produits. Tiens commençons par les Dolls. Il tape dans «Personality Crisis» au heavy doom. Il aurait dû s’abstenir. Puis dans Hall & Oates avec «Is It A Star».Il revient à ses protégés avec une drôle d’abnégation. Il ne devrait pas toucher à ça. Mais comme il peut l’exploser, alors il l’explose. Il explose tout ce qu’il veut et transforme ce vieux cut en coup de génie. Un de plus. Il fait aussi un malheur avec le «Dancing Barefoot» de Patti Smith. On le sait depuis longtemps, il est capable de faire un hit avec des machines. Son Barefoot sonne comme un hit electro, mais ça reste du Rundgren, avant d’être du Patti Smith. C’est même tellement intéressant que ça devient inclassable. Il mise tout sur le power du beat electro. Todd en a compris les avantages. Il transforme aussi «Two Out Of Three Ain’t Bad» de Meat Loaf en hit diskö. Tout ce qu’il trafique fonctionne. Le voilà dans la pop diskoïde de charme infectueux. Il finit par devenir assommant. Même le «Prime Time» des Tubes se montre affolant de supériorité. C’est une horreur montée sur un gros beat electro, un remix dévasté de la pampa. Il envoie sa purée, ça bruisse aux oreilles. Il fruite le cut des Tubes aux synthés mais chante dans l’épaisseur du beat. On finit par écouter cet album de plus en plus attentivement. «Chasing Your Ghost» est un cut d’un groupe nommé What Is This. Il le tape à l’electro d’heavy metal kid. En fait il chante comme il a toujours chanté. Il revient à la pop magique de Runt pour le «Tell Me Your Dreams» de Jill Sobule. Merveille absolue, battue au dream demented. Et puis tiens, voilà Badfinger dont il reprend «Take It All». Il reste chez les géants de la pop avec une reprise du brillant «I Can’t Take It» de Cheap Trick. Il en fait du hot Todd, une power-pop de synthé, comme seul Todd Rundgren peut en faire. Il va aussi chercher le groove extrême pour tailler une croupière au «Dear God» d’Andy Partridge. C’est bien secoué de la paillasse, joué dans la profondeur, and the devil too. Pur jus de Todd - Cant believe it.../ Don’t believe it... - Il explose l’«Everything» de Rick Derringer, il en sort une version puissante et imparable, même avec de l’electro, c’est bon, sa voix passe partout. Et voilà enfin Grand Funk avec «Walk Like A Man», cette fois, Todd passe en mode electro-funk. Il vibre le son à l’extrême. N’oublions pas qu’il a produit tous ces géants. Il en fait l’un des pires cuts de glam de l’histoire du glam. Il n’en finira donc plus de régner ? Dans ses liners, Todd explique qu’il a vu ce projet comme une opportunité de revenir à une musique qui n’a pas été prise au sérieux en son temps mais qui présente l’avantage d’être bien meilleure que ce qu’on propose aujourd’hui.      

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             Paru en 2013, State vaut le détour pour deux bonnes raisons : «Imagination» et «Sir Reality». Todd attaque son Imagination dans les dimensions supérieures du Zen Archer - Everyday’s the same old day/ Go along and get along - Sa manière de traiter le same old situation est assez passionnante. Il sait rester très puissant et ramener de la modernité dans sa heavyness, comme il l’a toujours fait, mais cette fois, il le fait avec un petit côté Mercury Rev. Il garde ses réflexes de vieux rocker dans sa façon de remonter le courant du chant - Just a problem I can’t solve - Il faut le voir monter sur son same old situation, il en fait un spanish castle de cristal vibrant de power sound, il gronde comme un diable et joue sur sa SG ses vieux dégueulis congénitaux. Les réflexes sont intacts, il fait de son Imagination une énormité mouvante. Il devient prophète avec «Sir Reality» - No one ever lies/ No one really dies/ Money gives you joy/ Girls are girls and boys are boys - Il dit que la réalité peut déplaire, so you can call me Sir Reality. Il explose ça in the old Todd way. C’est un seigneur. Avec «Serious», il fait du diskö beat colérique, il mène ça d’une poigne de vieux rocker new-yorkais. Il utilise «Ping Me» pour aller dans une sorte de heavy pop pinguy - So ping me - Il envoie ses légions, une masse incessante, une apocalypse guerrière extraordinaire. Todd Rundgren bâtit encore des cathédrales de son. Avec lui, tu en as pour ton argent. Ne viens pas te plaindre. Sur cet album, il fait pas mal de diskö electro. Tout n’est pas bon, heureusement. Il lui arrive de faire n’importe quoi. On lui fait confiance, et puis voilà qu’il nous fait le coup des deux ronds de flanc avec «Party Liquor».    

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             Le coup de Jarnac de Global s’appelle «Earth Mother». Il retrouve son sens aigu du heavy  groove de r’n’b avec un brin de machines. Des chœurs de filles l’épaulent et Todd nous fait le coup du r’n’b des temps modernes. Quelle puissante abomination rundgrenienne ! Avec «Blind», il tape son heavy doom d’excellence patrimoniale. Il sait toujours chanter son gut off. Derrière, Bobby Strickland mène le bal au sax. Todd met son «Blind» au service de l’écologie. Pour le reste, il met le paquet sur l’electro. «Everybody» vire transe d’acid freakout, Todd charge bien sa barque. Il bâtit toujours des architectures technoïdes assez originales, il fait chanter des robots et demande à la foule de claquer des mains. Et ça continue avec «Flesh & Blood», nouvelle rasade de techno diskoïdale. Il bâtit son empire tout seul dans son coin et prend quelques risques en inventant des sons. Il continue d’explorer de nouvelles possibilités avec «Rise». Il sait qu’il doit évoluer, alors il évolue sous nos yeux globuleux. Il doit évoluer coûte que coûte - If we don’t rise then we will fall - Il sent que le temps passe et que la mort approche. «Holyland» sonne comme le début d’Aguirre, mais au lieu de descendre dans la jungle, on va danser sur la plage. Todd rend hommage à la terre, grass & sand. Dans «Terra Firma», il commence par saluer cette brute de Christophe Colomb et passe en mode diskö-electro. On ne l’écoute que parce qu’il est Todd et qu’il croit en la terre ferme. Il dit aussi dans «Fate» que tout est cuit aux patates - Our future is/ No longer ours - Il a raison. Si on continue de l’écouter, c’est parce qu’on attend des miracles. Mais soyons honnête : ils commencent à se faire rares.    

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             Enregistré avec Emil Nikolaisen et Hans-Peter Lindstrom, Runddans se présente comme un objet d’art collaboratif. On craint un délire de type Utopia et finalement l’album se révèle passionnant. Todd nous emmène dans un monde qui ne doit plus rien à celui de Nazz. Il fait de l’experiment lunaire. T’as voulu voir Vesoul et t’as vu Todd. «Opad Over Skyene» s’annonce comme une nappe de son éthéré, et Todd chante entre deux eaux. Il atteint le sommet du planétarium. Il chante comme s’il venait d’être abandonné sur une planète inconnue. Il chante juste, en plus. Et puis soudain, son génie se réveille avec «Put Your Arms Around Me». Il fait de la pop de synthèse. Il propose tout bêtement du LSD. Inutile d’aller acheter une dose. Le son devient vite énorme. Todd réactive brillamment le mythe de la mad psychedelia. Il barde ensuite son «Altar Of Kausian Six String» du pire son jamais envisagé. Il explose l’audimat psychédélique et passe sans transition à l’écho du temps avec «Out Of Our Head». Avec un mec comme Todd dans les parages, il faut rester sur ses gardes. Il fait tomber des gouttes de son dans l’éternité. Il roule dans «Rundt Rundt Rundt» à la suite. Rien de ce qui se passe sur cet album n’est étranger à la folie. Il charge tout de son comme au temps béni du Zen Archer. Les voix se perdent dans une dimension robotique, tout est dirigé vers la sortie. Il nous sort les grands accords de Genève avec «Wave Of Heavy Red», une sorte de concorde philharmonique, ambiance idéale pour un visionnaire comme lui, il sort du son à la folie, ça devient incommensurable. Avec Todd Rungren, ça peut aller très loin, il ne faut jamais l’oublier. Il plonge avec «The Golden Triangle» dans des profondeurs soniques insoupçonnées. Il redevient indispensable. Il nous refait le coup du bop urbain avec «Ravende Gal» et la pression monte très vite. On a du son à gogo et même des relents d’expérimentation, les violons deviennent fous et le beat horrible, quel shoot de son ! Il crée de l’apothéose, il nous emmène aux confins du génie humain, au-delà de toute mesure. Il propose un nouveau monde. Laisse tomber tes petites notions moites de garage et de pop, Todd Rundgren t’emmène ailleurs. On ne l’avait pas très bien compris au début : Todd Rundgren est un sculpteur. Il est le Rodin du rock, il se bat au corps à corps avec l’argile du son. Il la façonne à sa pogne, jusque dans l’espace. C’est ce que révèle «Ohr Um Am Amen».

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             Paru en 2017, White Knight est un album collaboratif qui tarde à se révéler. Mais comme toujours chez Todd Rundgren, ça se révèle gigantesque. Il fait «Tin Foil Hat» avec Donald Fagen et donc les voilà partis tous les deux en mode groove urbain comme au temps de Steely Dan. Superbe, bien monté au bassmatic. Todd refait son caméléon. Il revient à la heavy pop des origines avec «Let’s Do This» - I’ve got my mad skills honed/ And I’m ready to roll - Joe Walsh vient gratter sa gratte dans «Sleep» et Todd parvient à expurger sa pop de chat perché par-dessus les toits. Il renoue avec sa chère pop ambitieuse et montre qu’il n’a rien perdu de son allant. Il duette avec Bettye LaVette sur «Naked & Afraid», et cette diablesse de Bettye entre dans le lard du groove indus et le fracasse. C’est une géante et on la voit revenir encore une fois exploser le pauvre Naked de Todd. Il embarque ensuite Satriani et Prairie Prince dans «This Is Not A Drill» et ça devient vite dévastateur. Prairie bat ça sec et ça devient du killer tune dingoïde. Il bat à la vie à la mort, alors Todd explose. Buy my T ! Le début de l’album est moins spectaculaire, même si «I Got You Back» pique la curiosité avec ses gouttes de son. Todd n’a plus la même voix mais son ambition reste intacte. Il va chercher des vents qui n’existent pas sur cette terre. Il fait son Eole, il monte très haut, come with me. Il chante ses visions avec une puissance inquiétante, Todd the Wizard est un vieil homme qui peut imposer le respect d’un seul coup de marteau. Son come with me impressionne durablement. Il duette avec Darryl Hall sur «Chance For Us». Il faut faire confiance au vieux Todd tout ridé, car il chante avec abnégation. Lui et Hall font bien la paire. 

    Signé : Cazengler, Todd Rengaine

    Todd Rundgren. 2nd Wind. Warner Bros Records 1991  

    Todd Rundgren. No World Order. Rhino records 1993  

    Todd Rundgren. The Individualist. Digital Entertainment 1995  

    Todd Rundgren. Up Against It. Pony Canyon 1997

    Todd Rundgren. With A Twist. Gardian Records 1997 

    Todd Rundgren. One Long Year. Artemis 2000         

    Todd Rundgren. Liars. Sanctuary 2004               

    Todd Rundgren. Arena. Cooking Vinyl 2008        

    Todd Rundgren. Todd Rundgren’s Johnson. MPCA 2011

    Todd Rundgren. (re)Production. MRI 2011          

    Todd Rundgren. State. Esoteric Recordings 2013   

    Todd Rundgren. Global. Esoteric Antenna 2015    

    Todd Rundgren. Runddans. Smalltown Supersound 2015

    Todd Rundgren. White Knight. Cleopatra 2017

    Lois Wilson : Drugs worked for me. Record Collector # 491 - April 2019

     

     

    Inside the goldmine

    - Très cher Fletcher

     

             Haut comme trois pommes, il portait des baskets à semelles compensées. Il parlait d’une voix extrêmement grave et, pour un gars du Nord, il n’avait pas trop d’accent. Son visage semblait porter les stigmates d’une vie d’aventurier, joues creuses, rides profondes, dents abîmées, teint très pâle. Personne n’aurait pu dire de quelle couleur étaient ses yeux, il portait des lunettes noires en permanence, le jour comme la nuit. Ses cheveux s’écoulaient en longues cascades blondes sur ses épaules. Il portait toujours la même veste de cuir fauve. En gros, il avait l’allure d’un hippie, mais il naviguait à un niveau beaucoup intéressant. Notre rencontre remontait à plusieurs mois. Je sortais d’un studio de répète quand soudain, j’entendis à travers la porte du studio voisin le solo que joue James Gurley en intro de «Summertime», oui, la version de Janis. Magique, à la note près ! J’entrebâillai la porte pour voir qui était l’auteur de ce prodige. Fetch bien sûr. Il répétait en trio avec un bassiste et un batteur. Leur version de «Summertime» tenait bien la route. Puis Fetch attaqua le «Tush» des ZiZi Top. Enfin bref, ils tapaient un répertoire de belles covers. Nous engageâmes la conversation à la fin de la répète et Fetch me demanda si je savais jouer de la basse. Oui. Ça tombait bien, car son bassiste partait à l’armée. Nous prîmes nos habitudes. Fetch baptisa le trio Some Sweet Days. La set-list comprenait pas mal de blues, donc l’excellent «Fool For Your Stockings» des ZiZi, le «Summertime» déjà cité, une version heavy d’«I’m A King Bee» et pas mal de stormers/shakers comme «Around & Around», le «Baby Please Don’t Go» des Amboys Dukes et une reprise sauvage de «Blue Suede Shoes». Fetch vénérait Gene Vincent. Et puis un jour de répète, on attendit Fetch en vain. Une heure, deux heures. Ça n’était pas dans ses habitudes. Dan qui battait le beurre lâcha ceci, qui n’était pas de bonne augure : «Bon là, on a un gros problème.» Pour éclairer ma lanterne, Dan m’expliqua que Fetch était connu dans le milieu. On l’appelait le violoniste. Il trimballait un pistolet mitrailleur dans son étui et attaquait les banques en solitaire. Effectivement, le lendemain, Fetch fit la une des journaux. Il s’était fait descendre à la sortie de l’agence qu’il venait de braquer. 

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             Pendant que Fetch agonisait sous les balles des condés, Fletch fléchait son parcours à Detroit. Darrow Fletcher ? Celui qu’on pourrait appeler the King Of Rare Soul est originaire de Detroit, mais il a grandi à Chicago. Ady Croasdell rappelle que Fletch est un petit prodige : à l’adolescence, il chante déjà comme un cake, il bat le beurre et sait gratter une gratte. Il n’a que 14 ans quand il enregistre son premier hit «The Pain Gets A Little Deeper» sur l’un des petits labels de George Goldner. Beaucoup plus tard, c’est l’A&R de Ray Charles qui repère Fletch dans un club et qui le recommande au vieux Ray. Coup de flash pour Fletch ! Ray finance l’enregistrement d’«Hope For Love» à Los Angeles. Du coup, Fletch part en flèche et signe avec Crossover, le label de Ray, et s’installe à Los Angeles. Elle est pas belle la vie ? Le pauvre Fletch enregistre un album pour Crossover qui n’est jamais sorti. Heureusement, Kent/Ace veille au grain. En deux compiles, Kent a réussi à reconstituer l’ensemble de la carrière de Fletch. Alors qu’est-ce qu’on dit ? Merci Tonton Kent !

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             Dans le booklet de The Pain Gets A Little Deeper - The Complete Early Years 1965-1971, Robert Pruter commence par rappeler que si la culture Soul est restée vivante, c’est essentiellement grâce aux collectionneurs britanniques. Cette première compile concerne la période Chicago, alors que la deuxième concerne la période Los Angeles. Pruter ne se contente pas de remettre les pendules à l’heure, il nous raconte surtout une histoire extraordinaire : Fletch est encore à l’école et son beau-père Johnny Haygood, qui vient juste d’épouser sa mère, lui demande ce qu’il veut faire plus tard. Fletch lui répond : «Music !». Le beau-père qui est un type bien lui répond qu’il va lui trouver quelque chose - Find something he did - Eh oui, le beau-père Johnny Haygood lâche son boulot de vendeur de bagnoles pour monter une petite boîte de prod à Chicago, avec des vétérans de la scène doo-wop. Et comme Fletch est incroyablement doué, qu’il chante bien, qu’il joue de la guitare et de la batterie, et qu’il compose, hop ils enregistrent deux de ses meilleures chansons, «The Pain Gets A Little Deeper» et «Sitting There That Night». C’est justement Deeper qui ouvre le bal de cette compile de tous les diables. Fletch sonne comme un Little Stevie Wonder en plus dynamique, juvénile avec une voix de mineur affamé, il peut feuler entre deux eaux, on n’avait encore jamais vu un truc pareil ! Avec «Sitting There That Night», il tape dans le balladif de big inspi, il est crédible, bien au-delà du seuil de tolérance. Cette histoire ressemble donc à un conte de fées. Puis Johnny Haygood emmène Fletch faire la tournée des labels et Deeper sort en 1965 sur Groovy, l’un des labels de George Goldner, qui est alors le pape de la pop américaine sur la côte Est. Comme Deeper marche bien, Fletch part en tournée : Apollo de Harlem, Uptown à Philadephie, puis au Regal à Chicago, en 1966, «où il se retrouve à l’affiche avec B.B. King, les Elgins, Stevie Wonder, les Capitols, Lee Dorsey, Jimmy Ruffin, les Swan Silvertones, plus les Sharpees (Hello Jean-Yves) et Jo-Ann Garrett.» Pruter exulte, car c’est une affiche de rêve. On ne pourrait plus imaginer un tel événement aujourd’hui. Puis Fletch enregistre «My Young Misery», nouveau chef-d’œuvre de heavy Soul. Pour son troisième single Groovy, Fletch pond «Gotta Draw The Line», un énorme r’n’b, il rivalise de classe avec le Motown Sound des Supremes, on oserait presque dire qu’il les surpasse. C’est enregistré à Detroit par Ed Wingate qui justement fait appel à des musiciens de Motown. Pour le quatrième et dernier single Groovy, Fletch enregistre le wild r’n’b «That Certain Little Something» et le transverse «My Judgement Day». Johnny Haygood arrête les frais avec Groovy car il voit bien que les comptes ne sont pas bons, surtout que Deeper a été number one ici et là. Alors, où est le blé ? Il décide alors de changer de crémerie. Il fonde son label, Jacklyn, à partir du nom de l’une de ses filles et il vend ses disques dans son record shop, au 2200 East 75th Street, dans le South Side, nous dit Pruter. Fletch ré-enregistre «Sitting There That Night» pour sonner comme Curtis Mayfiled qu’il admire. Puis il sort «Infatuation». Fantastique présence ! On peut comparer Fletch à Shuggie Otis, en plus hard, oui, il faut le voir tortiller sa Soul, il a du répondant et de l’aboutissant. Sur «Little Girl», Fletch est déchirant de juvénilité, perçant de véracité. Le conte de fées se poursuit : un vétéran de toutes les guerres, Don Mancha, prend un jour sa bagnole et quitte Detroit pour aller à Chicago bosser avec Fletch. Johnny Haygood ne sait rien de lui, mais quand Mancha sort de sa manche «What Good Am I Without You», Haygoog percute ! Fletch en fait une mouture ultra-dévastatrice, ultra-chantée et ultra-orchestrée. Les dynamiques sont infernales ! L’Homme de la Mancha est arrivé ! Mais le petit label de Johnny Haygood en bave, pas de promo, ça floppe. Sans staff et sans blé, un petit label ne peut pas survivre. Alors Fletch signe chez MCA qui chapeaute des petits labels comme Revue, Congress et Uni. Le boss d’MCA Russ Regan veut des Soul Brothers de Chicago, alors il récupère Fletch et les Chi-Lites. Fletch fout le feu dans les charts en 1970 avec «When Love Calls», il devient vertigineux, même dans le heavy balladif, il groove dans le move - I know it’s gonna call - Il ne vit que pour la démesure. Encore un hit avec «Changing By The Minute», il est tellement bon qu’il s’essouffle en permanence. L’Homme de la Mancha refait surface avec «Dolly Baby», un heavy groove de génie pur, Fletch rentre dans le chou à la crème du lard, c’est un fantastique groover, pulsé par des chœurs d’oouh ooouh oouh. Pruter dit que Fletch sang his ass off. Mais MCA ne renouvelle pas le contrat et Johnny Haygood remonte un label, Genna, pour sortir ce coup de génie qu’est «Now Is The Time For Love», amené à la flûte bucolique, Fletch y fait son Marvin au yeah yeah yeah, c’est du seigneurial de time for love. Sur la compile, tu vas aussi croiser «What Is This», un autre coup de génie - Tell me what it is - Il fait danser la Soul. On se régale aussi de l’attaque de «What Have I Got Now», toutes ses attaques sont parfaites. Encore de l’approche fruitée avec «I’ve Gotta Know Why», ce big r’n’b emmené au chant d’exception. Tout est bow chez Darrow.    

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             Ady Croasdell et Dave Box se tapent le livret de la deuxième compile, Crossover Records 1975-79 Soul Sessions. Après l’intense période de ses débuts, Fletch connaît des années de vaches maigres. Il doit bosser pour bouffer. Il a cependant un contact avec Jerry Butler, via son copain d’enfance Zane Grey. Mais c’est l’A&R de Ray Charles Pat Bush qui relance Fletch. Elle le voit chanter au Regal et lui demande s’il a des bandes. Elle les fait écouter à Ray qui flashe. Il  propose à Fletch un contrat de 5 ans, (1974-1979) et envisage de le produire. Ray lui demande aussi de monter sur scène avec lui pour chanter «This Time (I’ll Be The Fool)», une Soul très sensible qui ne tient qu’à un fil. Fletch est fier d’être accompagné par Ray au piano. Son premier single pour Crossover est l’excellent «Try Something New», une Soul de heavy popotin caramel d’une incroyable modernité, là tu as tout, l’accordéon et le ouhh de bienvenue. Et comme la mode est aux albums, Ray envisage de sortir un album de Fletch. Son titre ? Why Don’t We Try Something Brand New. Pour des raisons mystérieuses, l’album n’est jamais sorti. Dommage, car Ray avait pondu une belle présentation, il voyait Fletch comme l’avenir de la Soul - In the future to be one of the stars in the industry - Qu’on se rassure, tous les cuts de l’album inédit sont sur la compile. Le cut d’ouverture de balda devait être «We Got To Get An Understanding», un hard-funk de r’n’b, et le hit prévu était «(Love Is My) Secret Weapon», un cut de Soul moderne d’une fantastique énergie, avec Fletch qui court sur l’haricot du groove. On le voit aussi se battre pied à pied avec la Soul d’«(And A) Love Song». Il redevient le seigneur que l’on sait avec «(What Are We Gonna Do About) This Mess», il shake son groove de what-we-gonna do en profondeur, il enfonce bien son clou. Croasdell évoque même l’éventualité d’un deuxième album, mais Crossover coule en 1976. Ray continue de veiller sur Fletch qui n’a encore que 25 ans. Fletch finit son ère Crossover avec deux covers de classiques, «Fever» et «Sunny». C’est tout de même incroyable qu’une flashing flèche comme Fletch ne soit pas devenu une star.  

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             Paru en 2020, My Young Misery est une espèce de petit Best Of bien tempéré qui démarre sur les deux vieux coups de génie, «The Pain Gets A Little Deeper» et «What Good Am I Without You». Le Deeper reste ce raw R&B enfantin fabuleusement troussé à la hussarde. Fletch sait maintenir la tension d’un beat rampant. Il ne fait que du real deal. Son What Good est un vrai modèle de rentre-dedans, plus orchestré, plus pressant, plus puissant, plus pinçant, quasi-Tempts. Il attaque sa B avec «Infatuation», encore un solide R&B sévèrement bassmatiqué qu’il chante avec des accents féminins. Il roule son infaaa/ tuation dans le caramel. S’ensuit la reine des énormités, «I’ve Gotta Know Why», il tape en plein cœur de l’excellence de son époque. Voilà un cut produit par Ted Daniel en 1966 alors que dit-on ? On dit «woow la classe !». Et puis voilà qu’avec «Gotta Draw The Line», il se rapproche dangereusement de l’élite Motown. C’est du très grand R&B de 1966. On voit ensuite le son évoluer avec «Now Is The Time For Love Pt1» et «Hope For Love», on est en 1970, c’est une Soul nettement plus ambitieuse, plus orchestrée et Fletch évolue comme un petit crack.

    Signé : Cazengler, vraiment pas une flèche

    Darrow Fletcher. The Pain Gets A Little Deeper. The Complete Early Years 1965-1971. Kent Soul 2013

    Darrow Fletcher. Crossover Records 1975-79 Soul Sessions. Kent Soul 2012

    Darrow Fletcher. My Young Misery.  Kent Soul 2020

     

    *

    Sur la pochette de leur dernier album, je concède que vous puissiez avoir un doute si vous n’avez jamais vu une couve des 33 tours Capitol de Gene Vincent, pour l’EP précédent intitulé Tribute To Gene Vincent and Eddie Cochran, si cela ne vous dit rien, je vous raye ad vitam aeternam de la liste de mes connaissances, les lecteurs fidèles comprennent que dès qu’il existe un soupçon d’influence Vincentale quelque part, je me penche sur la piste comme un entomologiste qui découvre un ciron sur son citron.

    ROCKABILLY REVIVAL

    LUCKY 7.5.7.

    ( Album Numérique / Janvier 2023 / Bandcamp) 

    Non le jeune homme chanceux qui vous sourit de toutes ses dents ne s’appelle pas Lucky, ne commettez pas non plus l’erreur de croire qu’il est un tueur en série adepte du Magnum 747, non Lucky n’est pas son nom mais celui du groupe. S’appelle comme son père : Dan Spivey : rythm guitar, bv / qui prénomma son fils : Cory ( Spivey ) : lead vocal & lead guitar / ils ont débuté à deux mais ont été rejoints par : Angel Lopez : drums , bv / Sam Haga : bass, bv.

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    Ne nous attardons pas sur la pochette voici celle du deuxième 33 tours de Gene Vincent and The Blue Caps paru en 1957. Il suffit de la regarder et de comparer.

    757, non ils n’ont pas été sponsorisés par Boeing, 757 n’est pas un modèle d’avion mais c’est ce que l’on appelle aux Etats-Unis l’Area Code autrement dit l’indicatif téléphonique régional de l’état de Virginie. Une manière de revendiquer leur appartenance géographique et leurs racines rock’n’roll, sont originaires de Portsmouth en Virginie, cela ne vous dit pas grand-chose, il est une autre manière de vous situer, cette cité portuaire se trouve juste en face de Norfolk, ville natale de… Gene Vincent !

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    Let’s get ready : z’avez intérêt à être prêts car le début ressemble à une départ de tremplin glacé de saut à ski, le rocker se sent comme chez lui avec ce morceau dédié à Gene et Eddie ( clin d’œil aux Stray cats ), auréolés d’une foultitude de titres de classiques et zébrés d’éclairs de guitare les plus attendus mais assénés avec un savoir faire jupitérien, la section rythmique vous a l’impassibilité d’une Pacific qui a décidé de ne respecter aucun arrêt dans les gares… Crazy legs : quand on parle du loup le petit chaperon rouge ne tarde pas à le rencontrer, le morceau idéal pour se souvenir de ce bop borderline et méphitique qui restera le grand apport original et originel de Dickie Harrel au rock’n’roll, le battement  d’Angel vous a des rondeurs angéliques de chat qui fait le gros dos et se frotte contre vos jambes pour vous rappeler qu’il est temps d’ouvrir une boîte. Se débrouillent bien, bel hommage au wild cat. Completely sweet : ici c’est le petit chaperon qui va se faire léchouiller comme un bonbon, une cover respectueuse mais novatrice, une guitare plus clinquante, une voix moins embrumée, ce n’est peut-être pas complètement rockabilly mais totalement sweet, oh, oui !  Memphis cats : du pur de chez pur, avec une batterie qui jappe doucement mais assez fort les guitares qui boppent par intermittence, la basse qui frétille et étincelle sous les eaux et Corey qui vous le sort du timbre du chanteur de country qui a beaucoup vécu mais qui a l’intention de vivre encore longtemps. Broken heart : depuis le Heartbreak hotel d’Elvis (  même avant mais il ne faut pas le dire ) les rockers adorent avoir le cœur brisé, en tout cas un des plus beaux morceaux de l’opus, le chanteur de country tout à l’heure vous a acquis une de ses pêches, melba à la guitare et au sirop velouté de voix teintée de cette ironie qui n’est pas loin des sous-entendus inflexifs de Bob Dylan. Glad all over : un vieux morceau de country blues repris par Carl Perkins, que Corey survole, une très belle interprétation, une leçon de chant pour les amateurs, les autres boys un tantinet en sourdine pour que l’on en prenne de la graine. L’aurait pu rajouter deux ou trois couplets pour notre satisfaction. It’s time I win : on continue dans le même style, une voix traînante beaucoup plus country et contrite que hoqueteuse, n’ayez pas peur la guitare et la base rythmique vous pulsent un peu l’impression désabusée du gars qui a déjà tout perdu. Johnny’s rockabilly boogie : le genre de catastrophe du Rock’n’roll Trio qui vous rend les burnes nettes, vous en homaginent une espèce de démarquage qui exige une étude minutieuse pour établir la proportion entre mixité de techniques guitariques rockab et surf rock, attention mélange instable et explosif, ne vous trompez pas dans les proportions. Hot diddley bop : encore un hommage à un pionnier, c’est trop bo ! Si vous croyez croiser des tigres sanguinaires dans la jungle, vous la font du côté hominien du temps où nos ancêtres sautaient sur leurs pattes-arrières pour voir devant eux, et hop, et bop, un exercice très agréable. I’m gonna miss her : avec l’entrain avec lequel il clame son malheur l’on comprend qu’elle ne va pas lui faire la miss-ère. Le morceau dégouline dans votre gosier comme une crêpe à la confiture de fraise, vite avalée, vite oubliée, oui mais il y a ce petit pic de clic de guitare qui se fichera dans votre cervelle comme une fléchette empoisonnée. Don’t know where I’ll end up : des guitares qui tintent et le gars qui vous interpelle pour vous rappeler ses faux malheurs, une attitude country pour par la suite vous faire frétiller un régal de cordes, du note à note, et des changements de tons qui font le bonheur des amateurs. You can’t always win : un peu le même style que le précédent, une voix qui joue à saute-moutons et des guitares qui festivalisent, une basse qui ricoche une batterie pile au rancart, le petit solo obligatoire réussi, peut-être un peu trop parfait. True love is hard to find : pour une fois les backing vocals passent devant et n’oublient pas de revenir pour relancer le dialogue, un petit côté gospel non négligeable, le solo de guitare se charge de l’aspect sacré du prêche pour vous mieux persuader. B-B-B-Baby : une petite perle rockab, de celles précieuses que l’on aime enfiler, avec une basse qui imite un saxophone à moins que ce ne soit le contraire, un chant un peu à la Hervé Loison, mille détails qui vous rendront heureux.

    Je ne sais pas si le titre Rockabilly Revival est bien choisi, peut-être country bop revival aurait mieux exprimé le sens de la démarche. Ce qui est sûr c’est qu’ils sont doués et que le disque ravira les fans, toutefois j’aimerais bien savoir ce qu’ils donnent sur scène, sur leur site ou sur YT vous trouverez des petites merveilles, j’en ai choisi deux :

    LIVE AT THE GOODE THEATRE

    Vous trouvez l’intégralité du concert sur le live (même titre) paru en septembre 2020, qui regroupe 21 morceaux.

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    Run with me : on les voit quitter le backstage sur une musique grandiloquente parfaite pour un péplum, le Google Theatre possède la taille d’un cinéma, elle n’est pas totalement remplie, si vous regardez la vidéo de fin de concert vous verrez que l’ambiance est chaude. Lunettes noire et cheveux mi-longs, pas la coiffure habituelle du rocker de base pour Cory, souriant et totalement à l’aise. Il est indubitable que le groupe a l’habitude de la scène. Zut, retour case départ, avec mini-déclarations et l’installation sur scène passée en accélérée à la manière des vieux films de Charlot, sympa mais pas primordial, les petits détails, les réglages, Dan parle de son fils, Angel se chauffe à la batterie, Sam tripote sa basse, les voici assis autour d’une table répétant en acoustique Run with me et les revoici sur scène. Angel debout botte le train de sa caisse claire. Retour aux interviews. Une vidéo parfaite pour présenter le groupe mais pas indispensable.

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    Mar Agitado – Link Wray Way : les passionnés de surf rock seront aux anges avec cette mer agitée, cette joie de jouer, de s’amuser sourire aux lèvres, cette complicité de vieux routiers qui s’attendent aux croisements pour mieux brûler les feux rouges ensemble. Un must. All Ineed is you : belle voix le Corey, vous aménagez deux pistes à vos deux oreilles, le son est si clair que l’on entend parfaitement les quatre instruments, le Sam à la basse vous envoie une présence inimitable, Dan tout fier de son fils se marre. Tired of runnin’after you : belles images, je vous refile les noms derrière les caméras Will Clarke et Shana Nichole car ils le méritent, ce qu’il y a de plus admirable c’est leur manque apparent de difficulté, ça coule de source, ils ouvrent le robinet et l’americana jaillit en flots limpides. Seek higher ground : là ça coule aussi naturellement que du Creedence Clearwater Revival, rien ne semble hasardeux, vous vous dîtes que si vous rajoutiez ou enleviez un quart de note ce serait totalement raté, le grand art donner l’illusion que tout ce que vous faites est nécessaire et suffisant. Link Wray Way :  le chaînon manquant, bel hommage, un vous attendez la guitare devant, non c’est la voix acclamative, la six-corde n’est là qu’en contrepoint, vous n’attendez qu’elle, mais elle se cache à peine est-elle apparue, le vaisseau spatial qui vous file un coup de klaxon alors que vous roulez à fond sur l’autoroute car ses occupants tiennent à vous signaler que les extra-terrestres existent vraiment mais que leurs apparitions sont aussi rares que les extra-guitaristes. Miserlou : vous vouliez de la guitare, en voici, le morceau fétiche, on regarde, on écoute, on se tait, on n’écrit pas non plus. C’est inutile. Splendeur boréale. Red Hot : rockabilly chaud bouillant de Billy Lee Riley, entrecoupé d’images de pompiers de Norfolk, normal le Goode Theatre est en feu. Ebouriffant.

    Rien à dire, sur ce coup-là on a été chanceux.

    Damie Chad.

     

    *

    Etrange depuis quelques semaines chaque fois qu’un artefact musical ou visuel m’accroche l’oreille ou l’œil, dès que je m’enquiers de la provenance du phénomène la réponse est souvent la même : de Pologne. Pur hasard ou se passe-t-il vraiment quelque chose d’important en l’ancien royaume du Père Ubu. Peut-être suis-je atteint d’un syndrome polonais philinoïaque, la folie me guette-t-elle, mais avec ce groupe-ci je ne m’inquiète pas, il possède un nom rassurant, HighSanity je vous le traduis tout de suite HauteSantéMentale. Quoique… le titre est tout de même un peu étrange : Half, seraient-ils à moitié malades.

    HALF

    HIGHSANITY

    ( Interstellar Smoke Records / Avril 2023)

    Janek Ostrowski : vocals / Maciej Zajac : guitar / Sebastian Maciaszkiewicz :  bass / Roch Gablankowski : bass, vocals / Jakub Bizon : guitar.

    Sur l’Instagram d’ ISR, je retrouve comme par hasard la couve du dernier album de Moonstone paru sur un label ami ( Voir notre livraison 601 du 18 / 05 / 2023 ), la pochette de HighSanity est d’un tout autre genre. 

    Vous la retrouverez sur l’Instagram de Lou Kidd, il possède un autre nom d’artiste Lukasz Maciaszkiewicz est-ce le frère ou un autre hétéronyme du bassiste du groupe ? Je l’ignore. Cette pochette - étincelles sur le bâton de dynamite chaque morceau de l’album est pourvue de son illustration – m’a séduit par sa simplicité qu’il faudrait qualifier comme toutes les autres productions de Lou Kidd d’expressionisme algébrique abstrait. Ce n’est rien, quelques stries sur un fond noir, pourtant déjà l’on peut se faire une idée de la musique qu’elles évoquent, des barrières psychologiques flottantes, un malaise existentiel incertain, une vision assez floue de la place que l’individu se doit de s’adjuger dans un monde borderline.

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    Shades : courte introduction, bruissements, bruits de conversations lointaines, des voix masculines imitent le bourdonnement d’une mouche. Serait-ce pour insinuer que la vie humaine tourne en rond ? Last whispers off the day : featuring : Katarzina Firek & Weronika Kesek : batterie pépère se dirigeant vers une supérette, plein d’attaques de guitares par-dessous, arrivent sans prévenir, des voix qui se voudraient harmoniques comme les Byrds mais un jour de grosses faignasseries et les guitares qui reviennent secouer le panier à salade de la vie, un peu trop insipide et menteuse, l’on espère la nuit peut-être parce qu’elle est plus cruelle, l’on y va à pas chaloupés et puis l’on glisse subrepticement vers une espèce kaos mélodique, une guitare s’étire comme un élastique qui cherche la cassure irréfutable, un éclat de rire désabusé mais heureux de l’être puisque la marche du monde lui donne raison. Deeply wrong : voix fatiguée, profondément dépressive, l’on y court tout doucement, pas besoin de se presser l’on sait déjà où l’on va et ce que l’on va rencontrer, un monde dépourvu d’embûches, les guitares bourdonnent un coup en haut, un coup en bas – entre nous l’on se dit que le monde n’est pas si mauvais cela puisqu’il nous offre un très beau solo – bizarrement cet ostrogoth d’Otrowski semble être le premier à ne pas s’en apercevoir, préfère rester enfermé dans sa cage mentale, serait-ce un titre d’inspiration sartrienne ? Ghosts : featuring : Katarzina Firek & Weronika Kezek : au fond du trou, le mec n’est pas près de s’en sortir, vous êtes enfermé en un dôme de résonnances neurasthéniques, elles vous prennent la tête d’une façon agréable, mais pas celle de notre héros au quinzième sous-sol, la batterie se démène pour le réveiller de sa torpeur, z’avez envie de le secouer ce n’est pas que sa comprenette est emplie de fantômes c’est qu’il est lui-même le fantôme, l’auditeur ne ressent aucune angoisse. Love & disease : une espèce de tourniquet asthmatique sur deux notes, serait-celui de la folie, déjà que les philosophes nous ont appris que l’amour était une erreur et la vie une maladie, le gars n’est pas encore sorti de l’auberge de lui-même et des autres, nous l’on est tout ouïe, c’est si doux que l’on espère qu’il ne s’en sortira pas de sitôt. On a de la chance dans son malheur, fait tous ses efforts pour rester du mauvais côté de la vitre. Solitude : basse fréquence des arpèges de la solitude, le gars n’a plus rien à dire alors il se répète, le disque du cerveau s’est enrayé, surtout la piste de la voix parce que les instruments en profitent pour prendre le commandement et montrer tout ce qu’ils savent dans les paliers ascensionnels et désagrégatifs. Terminent un peu comme dans les morceaux antiques par une apocalypse sonore. Insomnia : featuring : Katarzina Firek & Weronika Kezek : le titre ne présage rien de bon, mais il démarre sur les chapeaux de roue, insomnie chaotique donc, avec ses vents de guitares l’on serait presque tenté de dire karocktique, jusqu’à ce que notre naufragé reprenne la direction du bateau échoué, le plongeur remonte vers la surface et aperçoit les premières lueurs violentes du jour, n’est pas encore sorti de l’abysse mais l’est poussé en avant, hissé vers le haut par l’instrumentation, chants de triomphe lointains pour l’encourager, il passe les paliers de décompression, un par un, il sait que peut-être là-haut on l’attend. The very end of night (Prelude) : featuring Eliza Ratuznick : la voix du mec qui a vu l’horreur sur  deux guitares acoustiques, va vers la vie, certes mais lle timbrea voix reste valétudinaire, il a tout compris, vous pouvez rencontrer des tas de gens et passer de bons moments mais à la toute fin vous vous retrouvez seul pour mourir. Ce prélude est un peu comme celui de Tristanet Ysolde de Wagner que les enregistrements font souvent immédiatement suivre de La mort d’Yseult…

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    Non ce n’est pas vraiment gai, mais l’instrumentation, toute simple, que l’on pourrait en même temps qualifier de symphonique pour ses subtilités signifiantes, est géniale. Un superbe effort pour que la dichotomie lyrics-musique forme un tout organique rarement atteint par d’autres groupes.

    Damie Chad.

     

    *

    Sur le marché Denis m’a tendu un livre, sous emballage plastifié, c’est pour toi Damie, alors je l’ai pris, en grosses lettres rouges sur la couve c’est écrit ROCK, que voulez-vous quand on a une réputation de rocker il faut l’assurer.

    ROCK FICTIONS

    CAROLE EPINETTE

    ( Cherche Midi / 2018 )

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    A première vue (expression malheureuse) je ne la connais pas, pourtant la demoiselle porte le prénom féminin le plus rock’n’roll du monde Carole, Oh Carol don’t let him steal your heart away, après ça se gâte, Epinette : plouf ce mot sent la tisane et la vielle à roue en bois d’épinette du renouveau folk des french seventies. Remarquez ça lui correspond assez bien, côté cour elle court le monde et les backstages pour assurer son boulot de photographe, côté jardin, en Dordogne, chez elle, près des arbres, adepte des thérapies douces, elle aime à sarcler les plates-bandes, pratique l’hypnose et la Méditation… rockeuse et hippie, face claire, pile sombre, une riche personnalité.

    La plupart de nos lecteurs ont déjà vu ses photos, dans de multiples revues : Hard N’ Heavy, Rage, Best, Metal  Hammer, Rock Sound ( j’ai adoré ce zine), Guitar Part, Rolling Stone, Rock & Folk, Libération. En 2015, à la suite d’une exposition intitulée Rock is Dead, elle a réuni quelques-uns de ses clichés dans un livre à qui elle a donné le même titre. Entre parenthèses le contenu est la preuve absolue que non seulement le rock n’est pas mort mais qu’il est encore vivant. La photographie de la couve qui reprend celle de l’affiche de l’expo, un portrait iconique de Lemmy Kilmister, est devenue virale.

    Ce n’est pas qu’elle aurait été insatisfaite du bouquin, les photos c’est bien, toutefois elles souffrent d’un gros défaut, elles ne parlent pas. Oh bien sûr une bonne photo peut vous en dire davantage que la plus merveilleuse des chroniques, mais la puissance irradiante des mots n’est pas à négliger. Pour remédier à cet état de fait, elle prépare toute seule, comme une grande, grâce à une cagnotte Ulule (un truc chouette), le projet Rock Fictions. Sur le papier le principe est assez simple, demander à vingt et un adeptes du maniement de la plume d’oie ou du clavier d’ordinateur d’écrire un texte, d’émettre une vibration, de mettre en mots une résonnance scripturale à un de ses clichés qu’ils auront choisi.

    Pour les photos pas de problème, que des gros poissons, je ne vous donne que la liste des cinq premiers groupes même si parfois le texte ne s’adresse qu’à un seul de ses membres : Pixies, System of a Down, Jack White, The Pogues, Robert Smith… de toutes les manières nos concasseurs de vocables s’inspirent d’un des titres des artistes.

    Pour nos raconteurs l’on n’est pas au même niveau de célébrité, à part Amélie Nothomb qui se contente d’un texte sans relief de dix lignes, l’est nécessaire de chercher un minimum de renseignements sur le net pour en appréhender leur profil littéraire.

    L’exercice n’est pas facile. Premier écueil ne pas rester collé sur la photo, tous évitent l’obstacle descriptifs, ne tombent pas dans le piège. Deuxième étoc ne pas trop s’en éloigner, la photo n’est pas un prétexte. Déjà plus difficile, prenons le cas de Jérôme Attal, auteur confirmé, parolier et chanteur, l’a tout ce qu’il faut dans sa panoplie, il va nous parler de Pete Doherty, en fait il écrit une nouvelle, peut-être la meilleure de toutes, ce n’est pas qu’il n’évoque pas la fragilité de Peter Doherty, c’est qu’il cause d’un phénomène de société qui l’intéresse, qu’il a vraisemblablement expérimenté par lui-même, mais l’on se dit qu’il aurait pu choisir une photographie d’un autre artiste et qu’il aurait pu écrire un texte similaire aussi brillant avec une autre figure aussi pathétique. Se met en scène tout autant et même mieux que le leader des Libertines, dans son texte il perd la partie, il ne rafle pas la mise, il gagne notre sympathie.

    Je ne sais pas comment a été choisi l’ordre des textes, étrangement c’est le premier de Gilles Marchand qui nous semble coller le mieux à l’essence du projet. L’est le seul qui s’inspire de la photo, Frank Black des Pixies, lunettes noires levées vers un soleil intérieur, accroché au manche de sa basse aussi long qu’un cou de girafe. Ne nous dit rien de lui, ni des Pixies. Se contente de la poser sur une des marches de l’escalier d’un petit immeuble.  De banlieue, parisien, de province, de n’importe où. De temps en temps le gigantesque inconnu laisse échapper quelques mots sibyllins sans queue ni tête De fait c’est le gars de la photo qui se tient debout sur la marche, mais aucun des locataires et encore moins le narrateur ne sait qui il est. C’est un peu comme le monolithe de 2001 Odyssée de l’Espace, il ne bouge pas, mais sa présence n’est pas sans effet sur les messieurs-et-mesdames-tout-le-monde qui ont l’air de se civiliser chaque jour davantage… Très belle métaphore des effets malfaisants et bienfaisants de l’apparition du rock ‘n’ roll dans l’apathie générale.

    Certains se raccrochent aux petites branches. N’ont pas opté pour tel artiste au hasard. Ils connaissent. Ils ont même des choses à dire. Exercice périlleux à tout vouloir expliciter l’on devient ennuyeux et pire encore, pédagogique. Celui qui s’en sort le mieux dans ce genre d’exercice c’est Olivier Rogez, grand reporter, romancier le gars a roulé sa bosse notamment en Afrique. S’ attaque à un monument. James Brown. Dès la première phrase du narrateur l’on sait où l’on se trouve et l’on devine qu’à la fin il rencontrera James Brown. Facile peut-être mais il nous dit tout ce que James Brown a pu représenter pour des millions de noirs américains. Un soleil noir qui brillait et illuminait leur quotidien.

    La maquette est à mon goût un peu trop attrape l’œil, le volume se lit vite, et les photos sont belles. C’était juste pour vous donner envie de voir et de lire.

    Damie Chad.

     

    *

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 30 ( Restif  ) :

    169

    Le président est pâle comme un mort. Le Chef lui offre un cigare :

    _ Cher président, prenez donc un Coronado, je vous conseille un Electrochoco, trois bouffées et vous vous remettez de vos émotions en trente secondes, fortement déconseillé aux enfants de moins de treize ans, réellement efficace, je vous l’assure.

    Le président titube, son conseiller se précipite pour glisser une chaise sous son postérieur avant qu’il ne s’effondre terre, il tente de le rassurer

              _ Président ce n’est rien, nous ferons disparaître cet amoncellement de cadavres durant cette nuit. Au petit matin ils seront oubliés. N’oubliez pas que nous sommes les manitous de la presse, qu’elle soit écrite, radiodiffusée ou télévisée et que nous savons de main de maître orienter les réseaux sociaux.

              _ Crétinoïde de Conseiller, arrêtez de m’embêter avec des détails mineurs, ce qui m’inquiète c’est autre chose !

              _ Ce ne serait pas moi par hasard ?

    Nous avons tous entendu. Le président et son conseiller roulent des yeux effrayés, le Chef en profite pour allumer un Coronado. Saisi d’un doute je cherche des yeux Molossa et Molossito. Lecteurs, ne m’accusez point d’anthropomorphisme, mes chiens sont doués mais je ne les crois point capables de prendre la parole comme vous et moi. Par contre j’ai confiance en leur flair. Pour le moment ils sont en arrêt à peu près au milieu de la pièce, à leur attitude frémissante je déduis qu’ils grognent sans bruit comme s’ils ne voulaient pas qu’on fasse attention à eux. Je comprends qu’ils ont peur, mais ils restent stoïquement immobiles. Bientôt tous les yeux sont fixés sur eux. Il semble que l’air bouge, étrange sensation alors que la porte et les fenêtres sont fermées, l’espace devient pour ainsi dire plus dense, vaporeux en ses débuts, il s’obscurcit lentement, une silhouette se dessine, d’autant plus facilement que la fumée du Coronado du Chef se love autour d’elle tel un boa qui s’apprête à étouffer sa proie

              _ Oui c’est moi, si je ne m’abuse !

              _ rhrhré !

    Le président pousse un cri, un peu comme quand vous marchez sur la queue d’un cobra et que l’inoffensive bestiole pousse un râle de douleur

              _ Asseyez-vous Madame je vous en prie, Agent Chad laissez votre chaise à notre visiteuse, une amie chère qui nous fait le plaisir de nous rendre visite.

               _ Pas du tout cher Chef, ce n’est pas avec vous que je viens causer mais à ces deux ostrogoths que voilà !

    Les deux ostrogoths n’ont pas l’air ravis. Assise sur sa chaise, la Mort a sa tête des mauvais jours, sa main décharnée est crispée sur la hampe de sa faulx avec tant de cruelle majesté qu’elle ressemble à Ramses II sur son trône dans le palais de Louxor. Elle ne tarde pas à les apostropher durement :

              _ Helminthes élyséens si je me souviens bien vous avez signé un pacte avec moi !

    Tétanisés, les maîtres de la France, n’osent même pas répondre.

             _ Le contrat était simple, pour ma part je m’étais engagée à vous débarrasser en premier lieu de Monsieur Lechef et de cette tête mal faite d’Agent Chad, ensuite de mettre à mort tous les rockers de ce pays, à condition que vous acceptiez ma demande de rien du tout, une petite faribole de peu de prix !

    170

    Le conseiller prend courageusement la parole :

              _ Nous avons essayé, hélas ils n’ont pas voulu, nous n’avons pas réussi à les convaincre, malgré tous nos efforts…

              _ On ne se moque pas impunément de moi, tout comme la mauvaise fée des contes d’enfants j’ai envoyé d’un coup de baguette magique paître dans les champs d’asphodèles l’inutile escouade de vos sbires stationnée dans l’escalier pour vous prouver qu’aucune protection ne s’avèrera efficace contre moi.

               _ Malgré tous nos efforts nous…

              _ Regardez-moi, j’ai tenu mes premières promesses pour que vous soyez sûrs de mon engagement, premièrement alors que Monsieur Lechef s’était endormi en fumant un Coronado, je n’ai pas hésité à lui baiser le bout incandescent de son cigare, encore plus horrible que le bisou baveux du lépreux, pour lui insuffler dans ses pensées la menace de la mort du rock’n’roll, depuis ces deux imbéciles n’en finissent pas d’errer dans les cimetières à la recherche de ce dont ils ne savent rien… Quant à notre rédacteur des Mémoires d’un GSH, j’ai froidement abattu cette petite pécore stupide marchande de journaux dont il était stupidement amoureux. 

    Il y a beaucoup d’Alices en ce bas monde, mais pour moi il n’y en avait et il n’y en aura toujours qu’Une. Sans réfléchir je sors mon Rafalos de ma poche et je balance un chargeur entier sur la grande dame qui n’en paraît pas affectée. Elle ricane et balance sa faulx effilée vers moi, instinctivement je recule, la lame aiguisée est passée à moins d’un centimètre de ma gorge, je sais que la deuxième fois j’aurai moins de chance, mais je suis pas le seul à avoir aimé mon Alice, Molossa et Molossito n’ont jamais oublié les bocaux de carambars et de chamallows (surtout ceux à la pistache) qu’elle leur ouvrait… Eux aussi veulent venger Alice qui les adorait, n’écoutant que leur courage ils s’accrochent au long manteau de la Mort et tirent de toutes leurs forces, elle essaie de les étriper d’un coup de faulx, mais tenant en leurs gueule les pans de l’ignoble défroque les chiens agiles tournent autour d’elles à toute vitesse, le vieux tissu ne supporte pas leur rage, il se déchire brusquement d’un grand coup, la nudité squelettique de la reine des ombres apparaît, elle pousse un cri d’horreur  de jeune vierge effarouchée, d’un bras elle cache l’absence de ses seins, et de l’autre elle essaie de voiler le renflement charnel inexistant de son sexe. Je savais que le Chef était un grand fumeur de Coronado, après cette scène il m’apprit qu’il participait chaque année à La Havane au lancer de Coronado sur cible, le fait qu’il ait remporté à plusieurs reprises le premier prix de cette discipline ne m’étonne pas, vu qu’éberlué j’ai été j’ai été témoin du trait de feu qui traversa subitement la pièce, il y eut un cri d’horreur une espèce de hululement de vieille chouette déplumée lorsque subitement le crâne de La Mort s’illumina, durant quelques secondes elle eut l’aspect d’une rousse incendiaire, une broussaille flamboyante eut raison des quelques cheveux blancs qui restaient encore par miracle accrochés à son occiput. Courageusement elle prit la poudre d’escampette et disparut dans les escaliers. Intrépidement le président et son valet la suivirent.  

    171

    Il y eut encore un peu de bruit dans les escaliers durant quelques minutes, le temps que les services de l’Etat, vivement appelés, nous supposons par le Président, fassent le ménage, z’en ont rempli fissa plusieurs camions bennes munis d’un toit de toile qui démarraient à toute trombe emportant on ne sait vers quelle décharge publique leur chargement de héros morts pour défendre la patrie.

    Dès que ce fut finit le Chef alluma un nouveau Coronado :

    • Enfin pouvoir fumer dans le calme, ce monde moderne me rend fou, Agent Chad cette nuit agitée a été fort instructive.
    • Nous avons appris qu’aux origines de cette affaire nous retrouvons les plus hautes autorités de l’Etat, ce qui n’est guère étonnant, nous les avons souvent rencontrées sur notre chemin dans nos précédentes aventures. Ils ont déjà essayé de se débarrasser de nous.
    • Agent Chad cette fois, ils ont conclu un pacte héréditaire avec l’ennemie N° 1 de l’espèce humaine, pour une raison que nous ignorons encore, nous devons la trouver dans les heures qui suivent !
    • La tâche risque d’être ardue, je ne vois pas comment procéder !
    • Agent Chad, ne soyez pas défaitiste, laissez-moi allumer un Coronado et tout s’éclaircira.

    J’avoue que j’ai douté, la même faute que Moïse devant Canaan, je ne veux pas insinuer que le Chef est Dieu, toujours est-il que la sonnerie du téléphone retentit à peine le Chef eut-il soufflé sur son allumette.

              _ Décrochez, Agent Chad, vous voyez bien que je suis occupé !

    Je me saisis du combiné :

    • Allo Damie, c’est moi c’est Carlos, il y a du nouveau, j’arrive dans cinq minutes, attendez-moi au coin de la rue !

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 600: KR'TNT 600 : SUBWAY COWBOYS / BRIAN JONES / TODD RUNDGREN / SYDNEY JOE QUALLS / GENE CLARK / MARLOW RIDER / RED EYED CULT / GERALD WITTOCK / ROCKAMBOLESQUES

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    11 / 05 / 2023

      

    SUBWAY COWBOYS / BRIAN JONES

    TODD RUNDGREN / SYDNEY JOE QUALLS

    GENE CLARK / MARLOW RIDER

    RED EYED CULT / GERALD WITTOCK   

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

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    L’avenir du rock

    - Cowboys movie

     

             L’avenir du rock a fini par en avoir marre des montages du Colorado. Il ne pouvait plus faire un pas sans tomber sur Jeremiah Johnson. Ne nous méprenons pas : l’avenir du rock n’a rien contre Jeremiah Johnson qui est un chic type, par contre, il hait profondément la routine. Donc, il chevauche vers le Sud, en chantonnant I’m a poor lonesome cowboy. Il traverse plusieurs frontières sans encombre, et un beau matin, il croise une fine équipe.

             — Oh ça par exemple !

             L’avenir du rock n’en croit pas ses yeux : Croz, Young Billy, Eli et Fat Albert !

             — Comme je suis content de te croiser, Croz ! If I Could Only Remember My Name n’en finit plus de m’en boucher un coin.

             — On peut te le déboucher, avenir du rock...

             — Et ton «Cowboy Movie» me move le groove. Je l’ai d’ailleurs recommandé à Jeremiah Johnson. 

             — Merci du renvoi d’ascenseur, avenir du rock.

             Croz se gratte le menton. Il a rarement vu un mec aussi con que l’avenir du rock.

             — Bon, c’est pas tout ça, avenir du rock, mais on a ces démons de Pinkerton aux trousses. La poussière que tu vois là-bas au fond de la vallée, c’est celle de leurs chevaux. On vient de piller un train et on file rejoindre notre planque dans la montagne.   

             — Oh je connais la chanson ! Avant de mourir, vous pourriez peut-être me renseigner ?

             — Magne-toi !

             — J’envisage d’aller enquêter pour le compte du blog de mon ami Damie Chad sur les préjudices causés aux ouvriers noirs dans les champs de coton et dans les champs de canne à sucre, des préjudices qui sont, comme vous le savez tous les quatre, d’ordre à la fois physique et mental, ils recouvrent toute la biosphère médicale et psychiatrique, ça va des plaies aux mains jusqu’au mal de dos, en passant par les traumatismes liberticides, les conséquences des relations sexuelles non consenties, les entorses aux réglementations prud’homales, le non-paiement des heures supplémentaires, et le pire, ces bols de haricots qu’on leur distribue une fois par jour en leur faisant croire que ce sont des points de retraite, tu te rends compte, Croz ? Ces champs de coton du Deep South constituent un domaine d’études unique au monde, un vivier scientifique d’une dimension pharaonique ! Alors peut-être pourriez-vous m’aider en m’indiquant la direction de la case de l’Honk Tom...

             — Honky qui ?

     

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             Laissons l’avenir du rock se dépatouiller avec Croz et son équipe de féroces desperados, et allons en retrouver une autre, celle des Subway Cowboys, les princes de l’honky-tonk. Ils pourraient très bien sortir eux aussi du «Cowboy Movie» de Croz. Bien qu’ils soient français, ils ont assez fière allure. Le chanteur Will a d’ailleurs des faux airs de Young Billy. Plutôt que d’avoir la gâchette facile et l’index psychotique, disons qu’il a une belle présence scénique et un gratté de poux orthodoxe.

             C’est en 2018 qu’on a chopé les Subway Cowboys sur scène pour la première fois, en première partie de Tony Marlow. Leur set estomaqua tous les macaques ! Une sorte de révélation. On les croyait américains ! Ils reviennent cinq ans plus tard estomaquer le maquis normand, en première partie de Pokey LaFarge. Si tu aimes bien te faire estomaquer, c’est le moment ou jamais. Wow, il faut voir ces mecs tailler leur route sur scène ! Ils t’honky-tonkent l’honkologie d’entrée de jeu.

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    Même si t’es pas fan d’honky-tonk, tu tombes sous le charme du grand cowboy tout sec qui chante et qui gratte ses poux orthodoxes. Sous son chapeau de cowboy gothique, il trimballe des faux airs de Rufus. Sa salopette et sa chemise à carreau renforcent cette impression de maigreur puritaine, car il semble sortir tout droit d’une photo de colons texans du XIXe siècle. Country ? Nashville ? Non pas vraiment. Son truc, c’est plutôt l’honky-tonk. Il évoque souvent la Louisiane. La disposition scénique des Subway Cowboys a évolué.

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    La section rythmique d’antan a disparu. Un kid absolument brillant claque le beignet du bop à la stand-up. Et de l’autre côté, un mec t’enkode l’honky-tonk à grands coups de pedal steel. Le soliste qui jouait au centre la dernière fois est maintenant sur le côté, mais toujours aussi prodigue de fulgurances.

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    Il devrait s’appeler Jo l’éclair, pas Fabien. Il bat James Burton à la course. Toutes ses incursions sont fatidiques. Il entre chaque fois à point nommé et ne vit que pour le cisaillé de gamme intra-communautaire. Il biseaute ses solos pour les rendre plus agressifs. Et Rufus enfile les cuts comme des perles, impassible sous le porch de son vaste Stetson, il déroule sa prestigieuse Americana avec un aplomb qui fait autorité. Il pousse le côté colon assez loin car il émane de lui une réelle austérité, ce n’est pas dans sa nature ni de rigoler ni de se rouler par terre, mais quand il annonce ses deux reprises d’Hank III, alors on se prosterne jusqu’à terre, car celui-là, il faut aller le chercher. Apparemment, le petit fils d’Hank Williams se serait retiré du circuit, en proie à une sévère dépression. On est ravi, car Rufus nous donne des nouvelles fraîches. Ils tapent une autre cover de choix, le «Get Rhythm» du Cash, ils le tiennent par la barbichette du tacatac des Memphis Three. Ils tapent aussi en début de set l’«I’m Movin’ On» rendu célèbre par un autre cowboy gothique, Johnny Horton.

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    Et ce n’est pas fini : au beau milieu du set, Rufus demande à Dédé de monter sur scène pour bopper une cover de «Lonesome Train» à la stand-up. Pur moment de rockab ! Tu nages en plein rêve. Les wild cats sont de sortie.  

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             Leur premier album date de 2015 et s’appelle comme par hasard Honk Tonk Time. Cet album de reprises grouille de bonnes surprises, à commencer par l’«Honky Tonk Blues» d’Hank Williams. Will le prend au chant d’éplorée, c’est criant de véracité. Le «Big River» du Cash ouvre la bal des Cowboys. Ils y affichent une réelle volonté de clairette, donc solo de Tele clair comme de l’eau de roche. Ils tapent aussi dans David Allen Coe avec «Take This Job And Shove It», ils en font une cover heavy as hell, nappée de béton. Ces mecs tapent dans l’éclat des légendes mirifiques. Tiens, voilà le «Get Rhythm» qu’ils jouent sur scène. Version bien sèche à la Rufus. Ils la tamponnent dans le coquillard. Autre cover de choix : le «Walking The Floor Over You» d’Ernest Tubb. Ils la cavalent ventre à terre, avec dans la course un solo de Tele stellaire. Ils adorent s’illuminer au paradis de la country de fête foraine. Tournez manèges ! Ils sont en plein dedans, avec des violons qui te graissent la patte. Ces mecs ont forcément une belle collection de disks. Encore de l’Hank avec «Ramblin’ Man». Will lui tord le cou et yodelle sa valse à trois temps. C’est très impressionnant. Ils font aussi de la grosse country palpitante avec le «Tonight The Bottle Let Me Down» du beau Merle. Nouveau coup de Jarnac avec leur vison du «White Lightnin’», cut chouchou de Gene Vincent. Les Cowboys s’aventurent dans le Lightnin’ avec leur petit gusto de derrière les fagots, c’est gratté sec à la française mais chanté avec esprit. Et comme il n’est de bonne compagnie qui ne se quitte, Fabien se tape la part du lion sur le «Rawhide» de fin de bal.

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             Drôle d’album que ce Possum’s Good For You. Pochette détestable mais contenu adorable. Pourquoi ont-ils été chercher cette photo dégueulasse ? On y voit deux gros porcs en blouses tachées posant fièrement sous un étalage de gros rats crevés. Les rats sont en fait des opossums, que les Américains appellent des possums. L’idéal aurait été que cet album sorte sur Fat Possum. Et le morceau titre de l’album est à l’image de la pochette : raté. Mais le reste de l’album est génial. Ils attaquent avec un fantastique «Goin’ My Way» propulsé par la stand-up. Stupéfiante tenue de route, le Will te chante ça au downhome de derrière les fagots du bush, et ça te donne un brouet demented infesté d’incursions intestines du fabulous Fab. Il faut le voir touiller le heavy mud ! On trouve plus loin un autre classique rockab, «I Tell It Like It Is». Encore plus demented are go. C’est d’une rare puissance. Le Will te chante ça à la folie Méricourt, il chevauche le wild craze, et le slap te ravale la façade. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «Back In The Wind». Ils le tapent au power blast, dans l’esprit d’un supra-wild «Please Don’t Touch», fabulous Fab le gave d’une cisaille gravissime et ce démon de Will la chante à la pleureuse de Millet. Ils font aussi de la fast country de cowboys avec «Time To Take A Break», ils sont terrifics, gorgés de véracité, avec du violon de saloon et un beurre de baratte de rêve. Le Will est encore plus crédible sur «Blind Man», assis au bord du fleuve, il observe les libellules. Tous les cuts sont extrêmement bien produits, ils ont du gros son et le Will est all over. Il sait asseoir son autorité. Tu as parfois l’impression d’entendre chanter une superstar, ce qu’il est en réalité. Il sait poser sa voix, comme le font Dorsey Burnette ou David Allen Coe. Les Cowboys embarquent le soft rockab «Sixteen Tons» sous le boisseau. Extraordinaire qualité du boisseau ! En prime, tu as un solo de jazz. C’est assez extravagant de distinction. Fabulous Fab y va au wild as fuck sur «Guitar Boogie», c’est un cake, alors pas de problème. Et voilà la cerise sur le gâtö : «Got Into A Fight Last Night». le Will devient fou. Il fait l’Hasil Adkins. Il te démolit tout, la légende, les colonnes du temple, tout !  Merveilleux coup de chapeau d’un géant à un autre géant.   

    Signé : Cazengler, gros conboy

    Subway Cowboys. Le 106. Rouen (76). 28 avril 2023

    Subway Cowboys. Honk Tonk Time. L’Autre Studio 2015

    Subway Cowboys. Possum’s Good For You. Celebration Days Records 2017

     

     

    Il faut sauver le soldat Brian

    (Part Three)

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             Le sauveur du soldat Brian s’appelle Paul Trynka. Dans un book en tous points remarquable, Sympathy For The Devil - The Birth Of The Rolling Stones And The Death Of Brian Jones, Trynka célèbre le génie de cet homme, d’une façon éblouissante, comme s’il développait une loi mathématique censée établir une vérité qui crève pourtant les yeux. Zorro Trynka surgit hors de la nuit des books, court vers l’aventure au galop et vole au secours du pauvre Brian Jones, humilié et détruit méthodiquement par ceux qu’il appelait ses brothers, les Stones. Le Trynka book est un book qu’il faut mettre dans les pattes de tous les fans des Stones, pour commencer, mais aussi dans les pattes de tous les fans de (bon) rock, et bien sûr, dans celles de tous les fans de tragédie. Car quelle tragédie ! L’histoire est épouvantable. On n’aimait pas trop le Jag auparavant, mais là, sous la plume de Zorro Trynka, il devient encore pire que ce qu’on pouvait imaginer.

             Tu as deux façons de lire le Trynka book : soit tu t’effares du génie de Brian Jones, tel que le matérialise Trynka, soit tu te tortilles les mains de chagrin à suivre toutes les étapes du démantèlement de Brian Jones. Le coup de grâce fut l’embauche de Mick Taylor. Quelle abomination !

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             C’est d’une certaine façon le portrait d’un gentil géant que brosse Trynka, alors qu’il titre son book Sympathy For The Devil. On croit lire le portrait d’un diable, mais le diable, ce n’est pas lui, ce sont les autres. Trynka tripote les zones d’ombre avec une certaine habileté, oh bien sûr, Brian Jones n’est pas un saint, mais à plusieurs reprises, dans sa vie, il se fait jeter, et ce sera son talon d’Achille. En 1960, les lycéens et les lycéennes de Cheltenham lui tournent le dos. En décembre de la même année, il se fait virer de chez lui par ses parents qui partent en vacances de Noël et qui laissent sa valise sur le perron. Le voilà devenu outcast. Dans un premier temps, il va réussir à en faire une force. Mais le coup de grâce sera le fameux épisode de Marrakech, quand Jag, Keef et Anita se barrent en douce, l’abandonnant à l’hôtel sans un rond.   

             Attaquons le versant ensoleillé du mythe : tout au long des 350 pages de son mighty book, Trynka rétablit l’écrasante suprématie de Brian Jones. On en sort conforté, car ça correspond exactement à ce qu’on pensait de lui en 1965, quand on le voyait sur les pochettes d’albums et dans les pages des magazines. On ne voyait que lui. Les autres n’existaient pas. Le génie de Trynka est d’avoir su rétablir cette fameuse vérité qui crève les yeux. Dans ces conversations nocturnes que nous avions avec Jean-Yves, il disait souvent : «J’aime bien Brian Jones.» C’était en quelque sorte notre point de ralliement.

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             Dès qu’il s’installe à Londres en 1961, Brian s’impose. Paul Jones qui le fréquente dit qu’il ne connaissait personne qui jouait aussi bien que lui - No one, not Alexis for that matter - Trynka pense que Brian Jones, qui se faisait alors appeler Elmo Lewis, fut un pionnier - Perhaps the very first British musician to pick up on the potency of Johnson’s myth and music - Eh oui, Dylan parle lui aussi de Robert Johnson dans Chronicles, comme d’une influence de base, et Trynka se marre bien quand il dit qu’à la même époque «Mick Jagger was enchanting mums in the front rooms of Dartfod singing songs by Buddy Holly.» Trynka amène alors son premier postulat : «Brian Jones n’était pas seulement responsable de l’inspiration musicale des Rolling Stones, mais aussi de leur dark magic. He was the Stone with something of the dark about him.» La formule est magnifique. Trynka est un auteur littéraire. Un Zola dont le Dreyfus serait Brian Jones. Littérature toujours : en 1961, Brian Jones lisait déjà le Marquis de Sade, qui se vendait encore sous le comptoir. Sade et Robert Johnson ? Merveilleux point de départ. Dark magic. Bientôt sex & drugs & rock’n’roll. Brian Jones en sera la plus parfaite incarnation.

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             C’est en mars 1962, à Ealing, que le Jag, Keef et Dick Taylor voient Brian Jones sur scène pour la première fois. Brian est sur scène avec Paul Jones qui s’appelle encore P.P. Pond. Ça ne s’invente pas. Brian est déjà très en avance sur son temps, il a étudié Robert Johnson, Elmore James et Muddy Waters - Powerful and arcane knowledge in the spring of 1962 - Un knowledge que les Stones vont continuer d’exploiter pendant soixante ans. Qu’est-ce qu’on dit, les Stones ? Merci Brian Jones ! Mais ils sont tellement jaloux de Brian Jones qu’ils ne le remercieront jamais. Au contraire. Ils vont lui mettre la tête sous l’eau. Façon de parler. Marianne Faithfull dit dans son autobio que la mort de Brian a permis à Keef «de devenir Brian». Dick Taylor rappelle de son côté que le fameux Open G tuning vient de Brian Jones - Keef le regardait jouer en Open tuning et donc il savait. Je ne sais pas pourquoi il raconte qu’il tient ça de Ry Cooder. It’s strange.    

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             Bon, c’est bien Brian Jones qui monte les Stones et qui recrute les quatre autres. Ce n’est pas le Père Noël, comme le croient certains. Pour monter son groupe, Brian commence par embaucher le Jag, mais il ne veut pas des deux Dartford boys dans son groupe. Alexis Korner qui a pris Brian Jones sous son aile lui dit de ne pas prendre les deux. Prémonition ? Non simple logique : Alexis sait que Brian va perdre le contrôle dans son groupe s’il prend les deux. Mais le Jag pose sa petite condition à la mormoille : si Keef ne vient pas, alors il ne vient pas non plus. Bon d’accord, Brian est gentil, il prend les deux. Puis il recrute Dick Taylor et le batteur Tony Chapman, en passant une annonce dans le Melody Maker. Donc les Stones, C’EST Brian Jones. Il a une vision. Il ne définit pas que le son, il définit aussi ce que Trynka appelle the vibe, l’esprit. Dick Taylor sait que Brian Jones voit clair - He was more worldly-wise than us, most definitely - Le groupe s’appelle encore the Brian Jones Blues Band, puis Brian leur propose d’appeler le groupe The Rolling Stones, un nom qu’il tire comme chacun sait du «Mannish Boy» de Muddy. Premier gig en 1962, et Trynka y va fort : «It marked the beginning of an irrevocable change in popular culture.» Cleo Sylvestre ajoute que c’était «very exciting and very raw.»

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             Brian et Keef bossent alors constamment ensemble, working up their sound. Ils sont aussi les deux premiers à renoncer à la vie normale : ni études, ni day job. Ils s’installent au 102 Edith Grove, à Chelsea. Ils ont quelques albums sous la main, un Robert Johnson, Muddy At Newport, le fameux Best Of Muddy Waters, Chuck Berry et Jimmy Reed - That was the basic diet, grommelle Keef.

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             Andrew Loog Oldham bosse déjà avec les Stones quand ils enregistrent «I Wanna Be Your Man». Mais il ne participe pas à la session et c’est Brian qui supervise, qui double la voix du Jag et qui envoie des rasades de «slashing electric slide all over the track» - Wanna Be Your Man is a mess but touched by genius - Oldham est encore absent quand une nuit Brian vient rebosser sur les cuts du premier album - Brian brancha sa nouvelle Gretsch vert pâle dans son AC30, ready to make it sound better, just a bit funkier, just a bit dirtier - Brian remplaçait une piste jouée par Keef, puis une piste de basse. Trynka ne rentre pas plus dans les détails, c’est dommage, mais on garde l’image de Brian avec sa Gretsch vert pâle - His concentration was intense - Apparemment Brian n’était jamais content - Brian invented the Stones, hot-wired their music, out of this sense of dissatisfaction - Can’t get no satisfaction ?      

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             Brian nous dit Trynka se shampouine les cheveux tous les jours, il soigne son perfect golden halo et l’associe à un white polo neck. On voulait tous des cols roulés blancs à l’époque, à cause de Brian Jones. Trynka en profite pour rappeler que Brian est devenu le modèle de centaines de garage bands across the USA. Lors du TAMI show, il invente un autre concept visuel : il joue en tournant le dos au public. Toni Basil flashe sur lui : «This blond hair, bright red sideburns, those green eyes and he dressed flamboyantly. And wow, he was really a knockout.» Oui, on le sait bien qu’il est un knockout, mais on aime bien l’entendre dire. Lors d’une interview pour le TV show Shindig!, Jimmy O’Neill interviewe le Jag et soudain Brian intervient pour dire qu’il est temps de la fermer car Howlin’ Wolf arrive sur scène. Brian qualifie Wolf de hero et va s’asseoir à ses pieds pendant qu’il chante - Si un épisode incarne the life work of Brian Jones, c’est celui-ci, dans toute sa pureté et son côté sexy - Un autre personnage de légende est invité à l’émission, mais Brian ne le connaît pas. Alors il approche de son manager Dick Waterman et lui demande qui est ce venerable gentleman. Quand il entend prononcer le nom de Son House, Brian s’extasie : «Ah the man who knew Robert Johsnon and Charley Patton.» Cette anecdote situe bien le niveau de Brian Jones à l’époque, il navigue au même niveau de John Fahey et Al Wilson qui eux aussi étaient fascinés par les vieux crabes du blues.

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    ( Brian + Stash )

             Trynka n’en finit plus de dire à quel point Brian Jones est spécial - The protoype of a sixties rock star : languide, softly spoken, presque efféminé, a charming blond choirboy with something  of the night about him - C’est extrêmement bien écrit et d’une infinie justesse. Presque trop beau pour être vrai. Trynka va encore plus loin dans l’approche psychologique. Plutôt que de le voir associé à Satan, il préfère le voir associé à une divinité plus subtile, le dieu Pan, dieu de la fertilité, mi-homme mi-chèvre - The rock’n’roll spirit comes from Pan, affirme Stash, le fils de Balthus et proche/très proche de Brian Jones - Pan fut diabolisé par le christianisme, mais en réalité, c’était un dieu bienveillant. C’est l’une des clés du mythe de Brian Jones. Il est victime d’une grave erreur d’appréciation. Sade et Oscar Wilde furent aussi diabolisés de leur vivant, alors qu’à leur façon, ils étaient aussi des «divinités» bienveillantes. «Ce sont les passions et les obsessions de Brian Jones qui vont définir les Rolling Stones», affirme Trynka. «Sa fascination pour le chaos, les forces des ténèbres et la lascivité allait imprégner l’image et la musique du groupe. Mick and Keith allaient suivre son exemple. Dancing with the devil would come at high cost.» Encore faut-il savoir danser avec le diable.

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             En 1966, Brian devient la tête de gondole des Stones - a new figurehead - Il devient the peacock at the cutting edge of dressing and drugging, the two major innovations of 1966 - C’est vrai qu’on ne voit plus que lui. Et quand la psychedelia arrive, le Jag est complètement out of place. Brian teste toutes les drogues, il vit dans son époque, alors que Jag en a la trouille, nous dit Marianne Faithfull, écroulée de rire : «Mick wasn’t the rebel». Elle n’ose pas dire comme le fera Keef un peu plus tard qu’il est une petite bite, mais ça revient au même. Quand les Beatles enregistrent Revolver, c’est Brian qu’ils invitent aux sessions, certainement pas les autres. Gene Clark s’entend lui aussi très avec Brian. Ils bricolent ensemble une première mouture d’«Eight Miles High», en 1965. McGuinn osera dire après la mort de Gene Clark qu’il est le véritable auteur de ce cut. Non mais franchement ! Des fois les gens exagèrent ! C’est Brian qui transforme «Under My Thumb» en cut magique, en ajoutant tout simplement le marimba, sous l’œil éberlué de Jack Nitzsche, lorsque les Stones enregistrent Aftermath au studio RCA de Los Angeles. Eddie Kramer n’en finit plus de s’extasier sur le génie de Brian Jones : «I always considered Brian the most gifted of the Stones, musically speaking.» Bill Wyman en rigole encore : «Well, sans le marimba, ce n’est pas une chanson, pas vrai ?» Et puis il y a le dulcimer sur «Lady Jane». Encore un coup de génie. On se souvient plus des ambiances de ces deux hits que du chant médiocre du Jag. C’est Brian qui compose la mélodie de «Paint It Black». Brian ne joue plus de guitare et fait de la magie.

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             Trynka lève un autre lièvre : la recherche obsessionnelle du plaisir charnel. Chez Brian elle est de nature «divine» - C’était un être indomptable qui ne pouvait pas devenir, comme Mick (Jagger) un carriériste conventionnel - Anita et Brian forment le nouveau centre de gravité des Stones. Apparemment, c’est Anita qui le pousse à s’habiller de façon de plus en plus flamboyante, alors Brian qui est bien sûr narcissique se prête au jeu - The Arabian pashas, the nazi uniforms - oui, on a toutes ces images-là en mémoire. Brian ne s’arrête pas aux drogues psychédéliques, «it was velvet and William Morris prints, and frilly shirts.» Tara Brown, héritier de l’empire Guinness, participe aux acid sessions de Brian et Anita. Quand Dylan vient donner son show historique à l’Albert Hall, Brian et Stash vont le retrouver au Mayfair Hotel. Ils sont choqués nous dit Trynka de voir autant de gens se shooter à l’héro en public. Et là, Stash lâche l’info du siècle : «Aucun doute, Dylan fut pendant un certain temps obsédé par le fondateur des Stones. Comme le disait aussi Nico qui avait couché avec les deux hommes, ‘Dylan voulait être Brian Jones, pas un folk singer.’» Les souvenirs de virées nocturnes sont légion dans ce book grouillant de vie, par exemple celle qui nous fait monter dans la petite auto de Dana Gillepsie en compagnie de Brian, Anita et Stash qui vont finir la nuit chez Christopher Gibbs, un Gibbs qui les accueille en leur offrant un verre : «drink this» - I think it was liquid mescaline - Ou encore cette nuit surnaturelle à Paris, avec Stash, Anita, Françoise Hardy, Zouzou dont on trouve le détail dans la très belle bio d’Anita, She’s a Rainbow: The Extraordinary Life Of Anita Pallenberg, un bio qui fut saluée bien bas ici-même en 2021.

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             Arrivé à ce stade, on frise l’overdose. Mais on continue, car l’étoile de Brian Jones brille de plus en plus ardemment. Trynka revient bien sûr sur l’amitié qui liait Brian à Jimi Hendrix. Puis on attaque le chapitre Courtfield Road - one of london’s most legendary rock star pads, overlooking, précise l’auteur, Gloucester Road tube station - Et pour la tournée anglaise, Brian se pointe sur scène en veste de velours, avec une Gibson Firebird, la guitare qui va tous nous faire rêver, au moins autant que la Gretsch orange d’Eddie Cochran.

             Quand en 1967, Anita va en Allemagne tourner Mord und Totschlag pour Volker Schlöndorff, Brian l’accompagne. Il demande à Schlöndorff s’il peut composer la B.O. du film. Schlöndorff lui dit qu’il aimerait bien, mais il n’a pas de budget. Alors Brian lui propose de le faire gratuitement - Well I’ll do it for free - Schlöndorff est fasciné par Brian - Amazing. He was a Shelley-style character, a dandy - et il ajoute qu’il était l’incarnation de la créativité. Un dieu Pan ? Eh oui, la créativité, c’est exactement la même chose que la fertilité.

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             Le temps passe et nous voilà rendus au fameux trip vers le Maroc, à bord de la Blue Lena, la Bentley de Keef conduite par Tom Keylock. Brian et Anita voyagent en compagnie de Keef. Un Keef toujours un peu jaloux de Brian qui reste l’âme du groupe. Un Keef qui vit depuis le début dans l’ombre de Brian Jones. Un Brian Jones qui reste meilleur en tout. Trynka propose un nouvel exemple de cette supériorité : l’enregistrement de «We Love You». C’est Brian qui joue du Mellotron, nous dit George Chkiantz, l’ingé-son d’Olympic. Il rappelle que les Beatles l’ont utilisé sur «Strawberry Fields Forever» et que le Mellotron d’Olympic était très primitif, très compliqué à manier - Playing it took a special kind of genius - Et voilà ! C’est pas Trynka qui le dit, c’est Chkiantz ! Et c’est bien que Trynka cite Chkiantz. On a l’impression qu’ils réparent une grave injustice. Trynka évoque encore un bel épisode : Brian marchant dans les rues de Greenwich Village, New York, avec à son bras Nedra Talley des Ronettes, et affrontant les injures racistes - He’d laugh, give them the finger and keep walking, unconcerned - Il n’y a pas que les racistes, nous dit Trynka, qui vont haïr Brian Jones : les pires seront les stups anglais et les tabloids. Les Stups vont essayer de le coincer 7 fois. Pourquoi cette haine viscérale ? Jeff Dexter a la réponse : «He was a dandy». On se souvient de ce qui est arrivé à Oscar Wilde.

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    ( Brian + Eric Burdon )

             Quand McCartney l’invite à Abbey Road pour une session d’enregistrement, Brian se pointe avec un saxo et joue sur «You Know My Name (Look Up The Number)», cut expérimental qu’on trouve en B-side de «Let It Be». Puis Brian s’envole pour San Francisco. Il voyage sous acide en compagnie d’Eric Burdon, et arrivé sur place, il retrouve Nico, his old femme fatale. Keith Altham : «He was happy, walking around in lace frills and finery, a long flowing robe like he was Queen Boudicca of the pop festival. Considerably out of it, making dreamy little comments... he was good at dreamy little comments.» Merveilleuse description. Comme s’il décrivait un ange. C’est Brian qui présente son ami Jimi sur scène au festival de Monterey. Une séquence historique de plus. Trynka ajoute : «And Jimi was like Brian - he would try anything.» Jimi restera l’un des plus fidèles amis de Brian, c’est important de le souligner. À San Francisco, Brian rencontre aussi le mandrax. Stash : «That was a disaster».

             Brian retourne au Maroc avec Glyn Jones pour enregistrer la transe des Gwana à Marrahech. Son idée est d’emmener ensuite les bandes à New-York pour overdubber des musiciens de r’n’b - It was a visionary concept - Mais Brian est trop défoncé et Glyn Johns se barre. On retrouve ensuite Brian dans le clip de «Jumping Jack Flash» - Sporting bug-eye alien specs, silver lipstick and an ice blue Telecaster, Brian dominated the visuals - Eh oui, Trynka a raison, la messe est dite ! Quand on voit les autres Stones, on rigole, car ils sont ridicules. Et puis Godard et One + One, Brian the fugitive ghost, isolé dans son box, avec une acou qu’on n’entend même pas.

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             Retour au Maroc, cette fois Brian se met en quête des Pipes of Pan from Joujouka. Il fait équipe avec Hamri, Brion Gysin et George Chkiantz. Il s’agit là de l’épisode le plus fascinant de la vie de Brian Jones. Ils vont assister au Bou Jeloud ceremony, «the most potent example of the harnessing of ancient forces.» Ils quittent Tanger à bord de deux bagnoles. La première personne qui écoutera les bandes enregistrées à Joujouka sera William Burroughs qui vénérait lui aussi la musique des Ahl Serif musicians. Elektra se montrera intéressé par le Joujouka album, mais Allen Klein qui supervise le biz des Stones bloque le projet. Brian voulait rajouter des guitars on top et faire chanter Cleo Sylvestre. Ça ne sortira qu’en 1971, soit deux ans après sa disparition.

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             D’autres gens rendent hommage à Brian Jones : Taj Mahal («My favourite sound of the Stones was when Brian had his hand on the tiller»), ou encore Ginger Baker («Brian Jones was the main man in the Stones, Jagger got everything from him»). Et Trynka en remet une couche : «He formed the band, he named the band, he taught Keith Richards Open G tuning, and he taught Mick Jagger how to bring a girl to orgasm.» Et vers la fin, ils sort sa botte de Nevers : il indique que la disparition de Brian Jones est perturbante, puisqu’elle a initié des théories sulfureuses, «mais aussi un révisionnisme initié par Mick Jagger, Keith Richards, Andrew Loog Oldham et d’autres, visant à réduire considérablement l’importance de l’un des musiciens les plus révolutionnaires du XXe siècle.»

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             Le mot révisionnisme est un euphémisme dans le cas de Brian Jones. Trynka n’en finit plus de rappeler à quel point les Stones ont été odieux avec le pauvre soldat Brian. Comme l’observe Jack Nitzsche, «peace and love were in short supply in the Stones camp.» Pas de pitié pour les canards boiteux, sauf que Brian Jones n’est ni un canard, ni un boiteux. Il est l’âme des Stones et les autres en crèvent de jalousie. Sauf peut-être Bill, lui aussi victime de malveillance, comme le rappelle Trynka. Et là on attaque la face cachée de la lune. Très tôt, Trynka positionne le Jag comme un rival de Brian Jones. Il en fait une histoire de mâles dominants. C’est très anglais comme approche. The top-dog syndrome. Jagger commence par baiser Pat Andrews, la poule de Brian, qui est absent. Puis Jag développe un goût prononcé pour la ruse. Keith Altham explique que Brian n’était vraiment pas doué pour la ruse - Brian wasn’t good at being bad. Mick was - Et voilà, le décor est planté. Le top-dog sera le Jag. Brian va s’écrouler comme un château de cartes. Avant de se débarrasser de Brian, le Jag va se débarrasser d’Andrew Loog Oldham. Comment ? En lui réclamant un tiers du gâteau Immediate et Oldham lui répond : «You’re fucking joking?». Oldham commet l’erreur de sa vie, dit Tony Calder, son associé. Un Oldham qui est aussi membre actif du démembrement de Brian Ravaillac. Comme le rappelle Trynka, Oldham dégrade systématiquement Brian dans ses trois volumes de mémoires. Oldham n’a qu’une seule stratégie managériale : pousser le Jag, il n’a donc pas besoin de Brian Jones. Il faut le virer. Mais il faut commencer par virer Giorgio Gomelski, le premier à s’occuper des Stones, puis Eric Easton, premier associé d’Oldham. C’est une épouvantable série d’éliminations. On se croirait dans la mafia. Oldham et Brian Jones ont pourtant plusieurs points commun, l’ambition et le narcissisme, plus une certaine fascination pour les gangsters. Puis il faut se débarrasser de Stu, le pianiste. Pas de look - Stu was one Stone too many, with a face that didn’t fit - Oldham vend du sexe avec les Stones et Stu n’a pas la gueule de l’emploi. Trynka utilise une jolie formule pour décrire l’épisode : «Avec le sacking of Ian Stewart, c’était la troisième fois que le serpent entrait dans the Rolling Stones’ little Garden of Eden, mais cette fois, le sacking était plus violent que ceux de Gomelsky et Glyn Johns.» Oldham est un génie du marketing : le but de la manœuvre est de mettre en place le team Jagger/Richards pour rivaliser avec le team Lennon/McCartney.

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    ( Brian + Andrew Loog Holdham)

             La première crevasse au sein du gang que forment les Stones à l’origine apparaît avec les 5 livres en plus que Brian reçoit de la part d’Eric Easton, comme une sorte de bonus. Five pounds. Eric Easton a pris Brian à la bonne. Oldham va retourner cette affaire ridicule à son avantage. Trynka indique que le déclin de Brian Jones commence avec ce pauvre billet de cinq livres. Les autres Stones le regardent désormais de travers. Fin du friendship des origines. Brian va devoir affronter la Jagger/Oldham/Richards troika. Après Edith Grove, la troïka s’installe à Mapesbury Road. Sans Brian, bien sûr qu’Oldham surnomme ‘the cunt in the barrio’. La haine s’installe, la pire : la viscérale.

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             C’est Phil May qui raconte la première attaque que lance la troïka contre Brian. Les Stones enregistrent «Red Little Rooster» et quand Brian arrive au studio, les autres sont déjà partis, laissant une note : «enregistre ci et ça». Brian est consterné. Phil May est choqué par la malveillance du Jag et la brutalité d’Oldham. Comment ont-ils pu faire une chose pareille ? Dawn Mollow assiste à des shootes : quand Keef s’énerve, il balance des objets et ça peut faire très mal. Phil May : «Loogie for me was a bastard. Very good for them but a real bastard. Brutal. Jagger and Oldham were the absolute masters of the ruthless approach.» Jagger et Richards arrivent au pouvoir en 1965 avec «The Last Time». Tony Calder indique qu’il existe des acetates de compos de Brian et quand il en fait écouter un à Oldham, celui-ci répond : «Fuck off !» - And of course Mick wasn’t interested in singing it. They were cruel. Cruel fuckers - Les compos de Brian sont donc systématiquement rejetées. On met pour l’instant cette haine sur le compte du billet de cinq livres. Phil May dit aussi que la troïka a tout fait pour démembrer Bill Wyman, mais Bill a su faire le dos rond et fermer sa gueule. La pression est terrible. Lors d’une tournée américaine, Brian choisit tout simplement de disparaître. Le mec qui l’héberge à New York connaît bien les Stones. Il sait que Brian n’a aucune chance. Ross dit en outre qu’Andrew a empoisonné la relation de Brian avec Mick & Keef et qu’il n’y a aucune chance de réconciliation. Phil May voit bien que Brian vit en dehors des Stones - There was the band, the Stones, and there was Brian on the outside - Les Stones sont devenus un affreux panier de crabes. Le Jag a longuement étudié Brian pour pouvoir se passer de lui, puis il a étudié Oldham et appris à annoncer des décisions avec brutalité. Capital encore le témoignage de Marianne Faithfull qui a vu le Jag diaboliser Brian, puis Oldham, et elle est ensuite passée à la casserole.

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             Oldham n’a d’yeux que pour le Jag et son suprême talent, nous dit Trynka, est de savoir le manipuler. C’est la tendance, à l’époque, rappelle encore Trynka, il prend l’exemple des Animals qui ont connu le même genre de bordel, rivalités internes, une mort mystérieuse et des sommes énormes volatilisées. Il précise toutefois que the Stones story is bigger, «sans doute à cause de ce manager qui voulait contrôler toute la scène anglaise, pas seulement un groupe et dont le génie consistait à savoir arnaquer un arnaqueur.» C’est Oldham qui fait entrer le loup Allen Klein dans la bergerie. Les décisions se prennent à quatre (Klein/ Oldham/ Jagger/ Richards), on informe les autres après coup, et accessoirement on vire Eric Easton qui du coup ne sert plus à rien. Lors de la quatrième tournée américaine des Stones, Brian préfère passer son temps en compagnie de Dylan plutôt qu’avec les autres Stones. Au moins, comme ça, les choses sont claires. Sur la côte Ouest, Brian passe son temps en petit comité avec Jack Nitzsche, Toni Basil et d’autres membres de la jet set californienne, ce qui ne fait qu’envenimer les choses au sein des Stones. En 1965, le personnage hip des Stones, c’est toujours Brian. C’est lui qui prend les drogues - Brian inhaled, the others didn’t. They were tourists - Jack Nitzsche adore Brian - He’s the real Rolling Stone. (...) The adventurer - C’est pendant les sessions d’Aftermath que Jack Nitzsche découvre à quel point Brian est maltraité par les autres - Comme Phil May, Chris Hutchins et Dave Thompson avant lui, la brutalité au sein des Stones le choquait - En studio, ils font refaire plusieurs fois une piste d’harmonica à Brian, il finit par avoir du sang sur les lèvres, à force de souffler, et ils n’ont même pas lancé l’enregistrement, dit Denny Bruce, l’ingé-son. Bien sûr, Brian aurait dû quitter les Stones. En choisissant de rester, il s’exposait, nous dit Trynka, à de cruels sévices, mais de ce combat, il tirait une musique of quite extraordinary sweetness.

             Leur jeu favori consiste à faire venir Brian en studio pour lui dire au bout de cinq heures qu’ils n’ont pas besoin de lui. Alors Brian les supplie de le laisser jouer, «n’importe quoi, même des bongos». Marianne assiste à cette boucherie : «this was a man being destroyed and humiliated.» Dawn Mollow se souvient que Keef s’en prenait à Brian en permanence - It was often plain, bloody nasty - Marianne, Sam Cutler et Jack Nitzsche ne font que le répéter : ils agissaient de sang froid : «totally, utterly cold.» Jack Nitzsche : «They could be real nasty.» Brian paye pour un billet de cinq livres et les 12 gigs qu’il a manqués sur un total de 930. En 1967, nous dit encore Trynka, Brian ne se plaint à personne, ni en public ni en privé.

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             Ce ne sont pas les Stones qui auront la peau de Brian Jones : ce sont les stups qui vont le harceler. Au moment où les procès font de Keef un héros, les mêmes procès brisent la résistance du pauvre soldat Brian. Quand au moment des procès, Oldham va se planquer en Californie, Klein prend le contrôle des Stones. Quand Brian plaide coupable à son premier procès, Keef et le Jag se mettent à le haïr encore plus, comme si c’était possible. L’apothéose de cette haine sera l’abandon de Brian à Marrakech et pour bien enfoncer le clou, Keef lui barbote Anita. Brian est complètement détruit par cette trahison. Il ne pensait pas que des gens qu’il considérait comme des brothers iraient jusqu’à le traiter ainsi. Cette histoire est épouvantable. Même Shakespeare ne serait pas descendu aussi bas dans l’abjection et le dark - Abandonné. No money. Just stuck in a hotel, on his own, dit Stash. Pour Trynka, ce geste est the embodiment of their nastiness, il parle bien sûr de la mauvaiseté du Jag et de Keef. Pire encore : le Jag et Keef sentent qu’ils doivent évoluer et Brian Jones les empêche d’avancer. Ils commencent par le considérer comme nul et non avenu, comme s’il n’existait pas - You don’t exist - À la fin de la session de «Sister Morphine», le Jag va trouver Brian qui est écroulé dans un coin et lui dit : «Just go home Brian.» Puis ils enregistrent «Honky Tonk Woman» avec Mick Taylor, et le 8 juin 1969, ils vont trouver Brian chez lui à Cotchford Farm pour lui annoncer qu’il est viré. Trynka précise qu’ils emmènent Charlie Watts avec eux, au cas où il y aurait du grabuge. D’après Trynka, Brian se sent enfin soulagé. Mais quelqu’un dit ailleurs qu’après leur départ, Brian s’est mis à chialer. Alexis Korner et sa femme Bobbie viendront ensuite à Cotchford Farm tenter de le réconforter, en l’aidant à monter un nouveau projet. Trynka fait d’Alexis Korner un prodigieux personnage, un ange de miséricorde à la Wenders. Encore une bonne raison de lire ce book. Il y a aussi du Alexandre Dumas chez Trynka : de grands personnages apparaissent à point nommé.

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    ( Phil May )

             Brian Jones a vécu ses cinq années de Rolling Stone entouré comme on l’a vu des personnalités les plus fascinantes de son époque, Jimi Hendrix, Phil May (Brian vit un temps à Chester Street, chez les Pretties, un groupe qu’Oldham haïssait, car il les voyait comme des concurrents), Jack Nitzsche (lui aussi protecteur de Brian), Brion Gysin, Alexis Korner, et puis Paul Jones, auquel Brian enseigne le secret du ‘cross-harp’ à l’harmonica - a fifth up from its nominal key - Brian, nous dit Trynka, partage volontiers ses secrets, et Paul Jones ajoute : «It was like he’s opened doors to an unseen kingdom.» Et puis Chris Barber qui avait accompagné Muddy en 1959, un Barber qui tente le coup du blues électrique avec Alexis Korner, l’ange protecteur de Brian, un Korner qui a découvert le blues grâce à Leadbelly. Korner est le premier à prendre Brian au sérieux - Alexis realized that Brian was utterly devoted to the cause, dit John Keen - C’est l’époque magique d’Elmo Lewis à laquelle on revient toujours, et en 1962, les gens s’extasiaient de voir jouer le jeune Brian - How the hell did he get to be so good ? - Elmo Williams, premier spécialiste britannique de Robert Johnson, Trynka ressort l’histoire du pacte avec le diable, une histoire qui ne pouvait que plaire au jeune Brian, et puis il en profite pour tracer un parallèle, avec le coup de la short existence, eh oui, ni Brian ni son père spirituel Robert Johnson n’ont fait de vieux os. Dark Magic. On pourrait délirer à l’infini sur ce thème, alors que la réalité doit être beaucoup plus prosaïque. Mais bien sûr, on préfère nettement la version délirante des choses. Fuck the reality !

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             Et puis Nico, plus haute que Brian, et qui lui dit qu’elle adore se faire enculer - I like it the Turkish way: my father was Turkish - Elle s’entend bien avec Brian qu’elle trouve décadent et lui aussi bien versé in the dark sexual arts, un Brian qui présente Nico à Andy Warhol, c’est la fameuse photo mythique en noir et blanc qu’on voyait à l’expo Velvet à la Villette, Nico au bras de Brian Jones, une image qui revient comme un leitmotiv. Tu compares cette image à la pochette de Black & Blue et tu vois tout de suite où est le problème : les Stones n’ont plus d’image. Elle est partie avec Nico à la Villette. Ce jour-là, Nico donne comme carte de visite à Andy Warhol silver screen son single enregistré sur Immediate, et ce sera son ticket d’entrée dans le Velvet. Nico n’en finira plus de chanter les louanges de Brian Jones : «He gave the best sex. Better than Jim Morrison.» Ah les femmes ! Elles nous rendront marteau, chantaient l’Au Bonheur des Dames. Trynka nous les présente toutes : en 1958, Brian a 16 ans et fait un gosse à Hope, gosse adopté évidemment, puis en 1959, il engrosse sa copine Valerie Corbett à laquelle il est attaché, son fils Barry David est lui aussi adopté, puis une femme mariée lui donne une fille, Belinda, et c’est Pat Andrews qui lui donne un quatrième enfant, Julian Mark Anthony, il va ensuite collectionner les conquêtes, Linda Lawrence qui a 16 ans et qui met au monde en 1964 son cinquième enfant, Julian, puis Dawn Molloy qui met au monde son sixième enfant et qui le fait adopter, puis Zouzou Salut les Copains qui vient vivre à Londres chez le zazou Brian au 7 Elm Park Lane, puis c’est Anita qu’il rencontre comme dit plus haut lors d’une nuit magique à Paris, puis Suki Potier, qui ressemble étrangement à Anita, et la dernière «officielle» sera Anna Wohlin avec laquelle Brian semblait heureux à Cotchford Farm. Trynka évoque aussi les deux putes berbères tatouées de Marrakesh avec lesquelles il prévoyait de faire une partie carrée avec Anita, mais Anita ne voulait pas.

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             Trynka referme le chapitre Brian Jones avec l’histoire de la piscine macabre : trente pages de témoignages, les proches, les pas proches, les flicards, les suspects, un vrai bordel, et bien sûr la mort du fondateur des Rolling Stones n’a jamais été élucidée. Au fond, tout le monde s’en fout. Sauf Marianne Faithfull qui, apprenant la funeste nouvelle, a avalé un flacon entier de barbituriques pour se foutre en l’air. Bon, il faut savoir que les suicides ne marchent pas à tous les coups. Et plus on essaye, moins ça marche. Le suicide est sans aucun doute réservé aux professionnels.

    Signé : Cazengler, pas brillant

    Paul Trynka. Symapathy For The Devil. The Birth Of The Rolling Stones And The Death Of Brian Jones. Bantam Press 2014

     

     

    Todd of the pop

    - Part Two

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             Difficile d’accepter l’idée que nos chouchous vieillissent. Eh oui, Todd Rundgren A Wizard A True Star atteint l’âge canonique de 71 ans. Comme Dylan et quelques autres, Todd Rundgren laisse derrière lui ce qu’on appelle a body of work, c’est-à-dire une œuvre gigantesque. Attention, aller zigzaguer dans cette œuvre peut donner le vertige. L’ami Todd ne fait jamais les choses à moitié.

             Il part du bon pied puisqu’ado, il tombe sous le charme des Beatles. Ce n’est pas seulement le son qui le fascine, c’est surtout le phénomène de groupe que les Beatles incarnent : trouver deux ou trois mecs dans les parages, bricoler quelques chansons et démarrer un groupe. Il adore aussi le Paul Butterfield Blues Band, puis passe à Burt Bacharach et à Laura Nyro. Lois Wilson rappelle que Laura Nyro voulait Todd comme band leader, mais celui-ci ne se sentait pas prêt à endosser une telle responsabilité. Il était en outre tenu par ses engagements envers ses collègues de Nazz.

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    Puis Rundgren attaque le sujet central du contexte Wizardien : les drogues. Il explique tout simplement qu’elles faisaient partie de son processus créatif. Il prend du ritalin pour Something/Anything. Ça lui donne de l’énergie pour passer la journée entière au studio et rentrer chez lui pour continuer à composer - The songs were coming quickly - Avec A Wizard A True Star, it got psychedelic. Il prend de la mescaline. C’est là qu’il décide de construire son studio pour expérimenter en toute liberté, seul et sans aucune contrainte de temps.

             En fait, Rundgren ne se soucie pas trop de sa carrière solo, il vit bien de son job de producteur. Il est même très demandé, à partir du moment où Albert Grossman s’occupe de lui. Il sauve le Straight Up de Badfinger menacé de naufrage après que Geoff Emerick et George Harrison aient jeté l’éponge. Puis il devient très riche grâce à Meat Loaf et entre dans la légende avec le premier album des New York Dolls. Pas question de leur donner des consignes, ils ne savent jouer que d’une seule manière. Il voit que Johansen se prend pour Jagger et Johnny Thunders pour Keef. Il va aussi produire le fameux War Babies de Hall & Oates.

             Quand on veut le comparer à Bowie, Rundgren s’en défend. Selon lui, Bowie conçoit la musique comme l’univers sonore d’un personnage imaginaire, il en fait une sorte de concept artistique. Rundgren utilise la musique comme un facteur d’introspection. Self-discovery.    

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             Il monte Nazz («The Nazz Are Blue», hommage aux Yardbirds) en 1968 avec trois autres playboys, Carson Van Olson on bass, Thom Mooney en drums et le plus charmant, Stewkey Antoni on keys. Ils enregistrent un premier album sobrement titré Nazz. L’album sort sur Screen Gem Columbia, une filiale d’Atlantic. Tout ce qu’on peut en dire, c’est wow. Alors Wow ! «Open My Eyes» fait partie des hits qui ont survécu depuis 1968. Eh oui, Todd est déjà dans la modernité du son avec ce shoot de Nazz, son rock entre dans les annales comme dans du beurre, il balance de l’écho et des clap-hands et revitalise toute l’industrie américaine. Avec ses réflexes à la Brian Wilson, on voit qu’il sait tempérer. Voilà un hit gorgé de magie sucrée et de prestance, claqué des mains, Todd croise Dancing In The Streets avec The Beat Goes On et le Rain des Beatles. Il enchaîne avec un «Back Of Your Mind» tout aussi énorme, joué dans les règles de l’art du son d’alors. Todd part même en solo de gras double et sonne toutes les cloches à la volée. Il est précoce et affreusement doué, il place un killer solo flash sur les accords de la menace. En 1968, c’est inédit. Il revient au sommet du lard fumant avec «Hello It’s Me», une pop d’antho à Toto, la pop du Todd des origines. The Todd of the pop. Une pop dont on s’approche les mains tremblantes. Une pop envahissante, incroyablement puissante. C’est un phénomène inespéré pour l’époque. Il boucle l’A avec «Wilwood Blues», un heavy boogie prévisible, mais Todd décide de le saccager, alors il taille sa route à la machette dans la jungle. Il devient stupéfiant de polyvalence et nous fait le coup du big Todd. Il repart de plus belle en B avec «If That’s The Way You Feel», un cut de pop prog très ambitieux à la Brian Wilson, très évolutif et plutôt inattendu sur un early Nazz. On y entend des chœurs de miel. Et puis voilà le coup de génie : «When I Get My Plane». On le sentait venir. Nazz sonne ici comme un énorme concept, Todd se sert du Plane pour lancer ses idées révolutionnaires. Il ne veut pas de petits hits au hit-parade, il veut du big heavy Todd. Alors il sonne comme les Beatles. Il pousse la magie des chœurs d’artichauts loin devant, c’est pulsé à l’énergie d’un collectif beatlemaniaque. Du coup, l’album sonne comme une aventure extravagante. S’ensuit un «Lemming Song» assez déterminé à vaincre. Aucun obstacle, le drive de basse emmène la charge. Todd s’octroie déjà toutes les fantaisies. Quel album ! Si jeune, il est déjà pourvoyeur d’excellence.

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             L’année suivante, ils récidivent avec Nazz Nazz. L’histoire de l’album est intéressante. Rundgren venait de découvrir Eli And The Thirteenth Confession de Laura Nyro et voulait aller sur ce genre de son plus travaillé, alors que Stewkey et Thom Mooney voulaient rester dans la veine Beatles/Yardbirds du premier album. Rundgren voulait faire un double album et les autres un album simple. Tension et dissension. Atlantic se range dans le camp de Stewkey et de Thom Mooney, et sort le Nazz Nazz qu’on connaît. Mais quel album ! On est frappé dès «Forget All About It», une belle pop traversée par une descente de chant vertigineuse. Descente aux enfers du paradis. On sent déjà le virtuose des coups tordus. Rundgren est un chaud lapin beatlemaniaque. Il passe en plus un solo bien décalqué dans la trame du speed dating. Quelle énergie et quel éclat ! Avec son admirable brouet de heavy rumble et de fructification d’harmonies vocales astronomiques, «Rain Rider» renvoie directement à Rubber Soul. Plus loin ce démon de Rundgren pousse encore la pop dans ses retranchements avec «Under The Ice». Puissant et épais, chanté à l’éclat de voix, d’une extraordinaire modernité. Des milliers de groupes ont par la suite cherché à sonner comme Nazz sans jamais y parvenir. Ajoutons que Nazz est certainement le seul groupe américain capable de rivaliser avec les Beatles. Ils attaquent la B avec le powerfull «Hang On Paul», pur jus de beatlemania new-yorkaise, en plein dans les fourches caudines de Drive My Car. Quel souffle ! Ils travaillent l’art suprême de la précipitation excessive et du chat perché up-tempique, et Rundgren passe un killer solo flash. «Kiddie Boy» reste dans la même veine, c’est le boogie nazzy de prédilection - Kiddie boy/ Kiddie boy/ Don’t kid around with me - Même sens du boogie supérieur que Chicken Shack. Encore une belle énormité avec «A Beautiful Song», un cut bourré de dynamiques, de shuffle d’orgue et de panache guitaristique. Sur une red Sanctuary parue en 2006, on trouve des bonus et quels bonus ! «Sydney Lunchbox» sonne comme un hit des Small Faces et ils tapent «Magic Me» au heavy Nazz. Ils taillent la route avec un côté Blue Cheer et ça sonne comme une admirable décharge de la brigade légère. Ils amènent «Kicks» au Magic Carpet Ride. «Not Wrong Long» sonne bien les cloches - I’m not wrong long ! - c’est de la pop explosive qui saute par paliers en fonction du régime. Ça se termine avec une version heavy d’«Under The Ice», c’est battu à la diable et projeté de plein fouet dans le mur du son. On croit entendre les Beatles des enfers.

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             Il faut éviter le Nazz III édité l’année suivante par Atlantic sans le consentement du groupe, enfin de ce qu’il en restait, car Rundgren et Van Olson avaient quitté Nazz au moment où paraissait l’album. Selon des sources bien informées, on a viré la voix de Rundgren sur les vieilles bandes pour la remplacer par celle de Stewkey.

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     Si on veut entendre la voix de Rundgren, il faut rapatrier The Fungo Bat Sessions rééditées en 2006. Après tous les cuts de Nazz III privés de Rundgren («Kicks», Magic Me», «Losen Up» monté sur le riff de «Tighten Up», «Christopher Columbus» rocké à la force du poignet et «You Are My Window», véritable énormité que chante Rundgren), on passe aux bonus Fungo avec encore un «Magic Me» indomptable et une guitare qui roule sous la peau du beat. Rundgren joue comme Jimi Hendrix, à l’incidence. Tous les cuts sont à tomber de sa chaise, «No Wrong Long» et «Meridian Leeward», un groove des Caraïbes. Rundgren chante «Letters Don’t Count» et tout redevient de la magie pure : «Only One Winner», c’est tout simplement the Todd of the pop, puis voilà le renversant«It’s Not That Easy» et ce coup de génie terminal qu’est «Forget All About It».

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             Pour éviter tous les problèmes rencontrés dans Nazz, Rundgren décide se simplifier la vie et de naviguer en solitaire. Il se lance dans une carrière solo. Il construit un studio secret qui va devenir un mythe et attaque en 1970 l’enregistrement d’albums qui vont forger sa légende. Le premier s’appelle Runt. Il attaque cet album extrêmement sous-estimé avec un «Broke Down & Busted» monté sur le riff du «Cowboy Movie» de Croz. Il l’équipe de ponts plus pop et imagine un développement plus rebondi, ce qui ne l’empêche pas de replonger dans l’épaisseur du groove. Il peut même aller chercher l’hendrixité des choses lorsqu’il se prête au vieux rituel soloïque. On retrouvera ce riff un peu plus tard dans «Number One Common Lowest Denominator». Avec Nazz, Rundgren montrait qu’il savait déjà travailler la lumière. Ça se confirme avec «We Gotta Get You A Woman». Il allume son cut tant au chant qu’aux arrangements. Il fabrique de la vraie pop américaine, comme Jimmy Webb et Brian Wilson. Retour au pur Nazz Sound avec «Who’s That Man». Rundgren pulse littéralement le beat par dessus les toits, il propose ici une pop rutilante et nerveuse. Il se livre à un fantastique exercice de contre-chant. Il règne sur son empire à coups de who’s that man ! Nouveau coup de Jarnac rundgrenien avec «Devil’s Bite». Il chante ça à la désaille beatlemaniaque. Il fait dérailler sa voix en plein Bite. Il dispose réellement de tout l’arsenal : le génie vocal, la talent de compositeur, le jeu de guitare et le look de rock star. Il n’a donc besoin de personne en Harley Davidson. Il se livre en B à l’un de ses futurs dadas, le medley, avec «Babby Let’s Swing/The Last Thing You Said/Don’t Tie My Hands». Il en fait une confiture magique. Les trois cuts sonnent comme du Rundgren pur, délicats et fruités, mélodiques et de grande amplitude. Rundgren fait ce qu’ont fait les Beatles en Angleterre : il sublime la pop. Il termine avec un beau carnage : «Birthday Carol», un instro ultra-tonique et il solote ça avec une niaque épouvantable, il semble jouer contre vents et marées, c’est un voltigeur de première ligne. Il s’arrête soudain et repart en mode mélopif douceâtre. Quel album !

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             Encore un coup d’avorton (runt) avec Runt - The Ballad Of Todd Rundgren paru l’année suivante. Sur la pochette, Rundgren joue assis à son piano avec la corde au cou. C’est ici qu’on fait connaissance avec deux autres personnages à dimension mythique, Hunt & Tony Sales, qu’on retrouvera plus tard dans Tin Machine. Le point fort de l’album se trouve au bout de la B et s’appelle «Parole». Back to the big heavy rock - Put down that phone and listen/ Baby how can you be so unkind - Les frères Sales jouent leurs asses off, comme on dit là-bas - Put down that gun/ And listen/ If you shoot/ It would be such a waste - Que ce violence dans cette essence ! Dès «Long Following Robe», on sent une énergie pop extraordinaire. On sent le mec prêt à conquérir le monde. Il casse encore la baraque avec sa guitare vrilleuse dans «Bleeding». Et puis on sent monter l’influence de Laura Nyro dans des cuts plus tranquilles comme «A Long Time A Long Way To Go» ou «Hope I’m Around». «Boat On The Charles» groove bien le Runt. Globalement  Rundgren propose une pop très ambitieuse qui ne cherche pas à vendre son cul. 

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             En 1972, Rundgren passe aux choses très sérieuses avec Something Anything. Ce double album propose pas moins de trois coups de génie, à commencer par «I Saw The Light». Ça ne te rappelle rien ? Mais oui, les jours heureux, only you, only you/ And a feeling hit me oh so strong about you et cet enfoiré s’envole avec cause I saw the light in your eyes. C’est tout simplement l’expression lumineuse et chaude du génie de Todd Rundgren. Le deuxième moment fort se trouve en C et s’appelle «Couldn’t I Just Tell You». Il attaque ça au guttural beatlemaniaque. Belle harmonie entre sa niaque new-yorkaise et cette voix de sucre anglais. Wow, ce hear me out/ Why don’t you lend me an ear et cette façon de remonter les bretelles de son I wanna talk to you. Comme Brian Wilson, Todd Rundgren nous emmène au paradis. Et puis comment ne pas tomber de sa chaise à l’écoute de «Little Red Lights» ? Il surjoue sa heavyness couche sur couche au fondu de voix d’electro-sonic trash, et soudain, il écrase le champignon, alors les little red lights filent de partout. C’est hendrixien dans l’âme, digne de «Crosstown Traffic». Il rend aussi un hommage extatique à Wolfman Jack avec le titre du même nom - Hey baby you’re on a subliminal trip to nowhere/ You better set your trip together before you step here with us - Il fait un hit de r’n’b sixties mixé au drive - I may miss your loving while on my back/ But you can’t escape from Wolfman Jack - Il finit l’A avec deux merveilles de pop épique ultra-orchestrée, «It Takes Two To Tango» et «Sweeter Memories», cette pop extraordinairement ambitieuse dont il va nous sevrer dans les années à venir - Keep the goog leave the bad/ Take a few of theses sewwrter memories - Assez pur, dans le genre océanique. En B, «Saving Grace» sonne comme un hit - I think I’m gonna love it - et il revient au heavy mood en C avec «Black Maria». Il ramène les power chords et tout le pathos. Sa voix coule comme du miel, c’est une merveille d’osmose de la comatose. Il nous fait les harmonies vocales du «Swlabr» de Cream. En D, «Hello It’s Me» sonne comme un hit, mais on va plus sur «Some Folks Is Even Whiter Than Me», un solide groove de pop rock visité par un sax free. Ce diable de Rundgren va chercher le guttural des cavernes. Il termine avec «Slut», un heavy rock de see that girl, doté de chœurs fantastiques - She may be a slut/ But she looks good to me ! - Diable, comme on a pu adorer cet album à sa parution.

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             Et plus encore le suivant, A Wizard A True Star, paru un an plus tard et annoncé par Creem comme le messie. Album culte dont on a dit dans un Part One tout le bien qu’il fallait en penser. Dans l’étagère, tu ranges A Wizard A True Star à côté de Pet Sounds, d’Electric Ladyland, d’L.A. Woman, du White Album, de Blonde On Blonde, de Forever Changes et de Gene Clark With Ths Gosdin Brothers.

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             En 1974, Todd revient à la une de l’actu avec un nouveau double album sobrement titré Todd. Pour lustrer plus encore le blason de sa légende, il s’est teint les cheveux de toutes les couleurs. Quelle pochette ! Quelle gueule de rock star ! Il propose toujours une pop ambitieuse très orchestrée («I Think You Know») et très fantaisiste, pour ne pas dire très libre («Drunken Blue Rooster»), ce qui, à l’époque, dérouta tous les moutons de Panurge. Pour rester dans le filon du Zen Archer, il proposait «The Last Ride», une pop océanique qui s’étend jusqu’à l’horizon et qui ne se connaît pas de limite. Mais c’est avec «Everybody’s Going To Heaven» qu’il crée l’événement. Il replonge une fois encore dans la heavyness hendrixifiée et les vapeurs mauves du Crosstown Traffic. En C, il inscrit «No.1 Lowest Common Denominator» dans les tables de la loi, comme s’il réinventait la heavyness. C’est un chef-d’œuvre de coulage de bronze - I wanna be your No.1 lowest common denominator - Il sort des sons très crosstown, une fois de plus. Il reste dans le meilleur heavy blast de forty second street avec «Heavy Metal Kids». Il part en solo de fulgure et bat tous les records d’admirabilité des choses. Franchement, les clameurs extrêmes n’ont aucun secret pour lui.

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             Quel album bizarre, cet Initiation qui date de 1975. Bizarre car coupé en deux : la B est du pur prog d’Utopia, alors laisse tomber, et l’A, du pur Rundgren, alors laisse surtout pas tomber, au moins pour ces trois cuts que sont «Real Man», «The Death Of Rock And Roll» et le morceau titre. «Real Man», c’est de la pop de Todd et même de Wizard, même ampleur, même élan, même distinction. Pour «The Death Of Rock And Roll», il ressort les mêmes ficelles de caleçon, il sait se fâcher et jouer le heavy rock US mieux que personne. Quant au morceau titre, il nous récompense d’avoir chopé l’album, car c’est the Todd of the pop, du génie de bon cœur, il fonce dans le tas, avec un son exaltant, très fourni. Du pur Rundgren.

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             On considère aussi Faithfull comme l’un des grands classiques rundgreniens. Il y propose une A bourrée de covers et une B à lui. Son choix de covers le ramène au sources du mythe rundgrenien : Yardbirds, Beatles, Beach Boys, Dylan et... Hendrix, bien sûr, surtout Hendrix avec une version monumentale d’«If Six Was Nine». Il le prend d’ailleurs d’un peu haut, comme s’il voulait y shooter un peu de violence new-yorkaise. On le sent fasciné par Hendrix, il va chercher l’hendrixité des choses dans son monde, il joue des figures de style aériennes, il revient inlassablement flotter dans des vents d’écho. Résultat stupéfiant. Il paye son écot à Dylan avec «Most Likely You Go Your Way» et aux Beatles avec «Rain» qu’il agrémente de chœurs doux à la volée. Sa version de «Good Vibrations» est du pur copy cat. Comment pourrait-il en être autrement ? Il n’amène rien de plus que ce qui existe déjà dans la version originale. Il se montre juste l’égal de son dieu. Pour saluer les Yardbirds, il plonge dans un bain d’«Happening Ten Years Ago» avec des guitares qui gently weep. Admirable clin d’œil d’un kid américain au psyché de l’âge d’or britannique. Et quand il part en solo, il part en solo. Rundgren joue toujours pour de vrai. En fait, avec cette A, il tape dans les pires intouchables de l’histoire du rock, et «Strawberry Fields Forever» en fait partie. À part Todd Rundgren, personne n’a jamais osé s’attaquer à ça, ni à «Good Vibrations». Mais sa version est très américaine, il manque forcément le doigté de John Lennon. Il démarre sa B avec «Black And White», un heavy rock psyché - Guess you can believe anything - C’est énorme, chargé du meilleur son qui se puisse espérer ici bas. Non, franchement, on se saurait espérer mieux dans le genre. Avec «Love Of The Common Man», il propose son habituel mix de heavyness et de pop lumineuse. Comme les Beatles sur le White Album, Rundgren se livre à quelques exercices de style du type «When I Pray», assez africain d’esprit. D’ailleurs la pochette de Faithfull est aussi blanche que celle du White Album. Il faut aussi se souvenir que ces quelques excentricités pouvaient à l’époque ruiner un album. Cette face ne pouvait évidemment pas marcher à l’époque. Trop poppy, «The Verb To Love» ne passait pas. Il termine sa B sur un épisode assez glammy, «Boogie (Hamburger Hell)». Il sait tout faire, même glammer comme un gang de droogs.

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             Retour de la rock star sur la pochette de Hermit Of Mink Hollow paru en 1978. Le stand-out cut se l’album se trouve en fin de B et s’appelle «Out Of Control». Il porte bien son nom, hot damn ! C’est monté sur un big heavy riff. Rundgren l’a déjà montré : il sait allumer un cut au riffing et aux descentes de chant qui vont se fondre dans le chorus de guitare. Oh, il faut le voir partir en maraude de solo gras. Admirable corker ! Il emmène son hot shit au bout du bout et s’en vient lui hurler dessus. Il appelle l’A the easy side et la B the difficult side. Côté easy, on trouve «All The Children Sing», une pop très symphonique bâtie autour de ponts complexes qu’il jette par-dessus des vallées de synthèse. Tout reste très allégorique, chez Rundgren, il ne lâche jamais la grappe de sa vigne. Il s’adresse ici à tous les mecs de la terre, the Chinaman, wise and old, the Eskimo, brave and cold, the Jew in the holy hand, the Arab in his caravan, the African, strong ans proud, the Redneck, good and loud. Bravo ! Ce sont des paroles qu’on a presque envie d’apprendre par cœur. Il reste avec «Can We Still Be Friends» dans cette pop dont il a le secret, une pop connue de lui seul, très libre, très ouvragée, un monde en soi. Il rappelle aussi sur la pochette intérieure qu’il joue tous les instruments. Avec «Hurting For You», il explore de nouvelles contrées lysergiques et pianote dans l’ouate des chœurs. Il reste dans la pop élancée en B avec «You Cried Wolf». À force de crier au loup, comme on dit !

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             Healing paraît l’année de l’élection de François Miterrand. Il commence à expérimenter avec ses keys et ses boxes, comme il va le faire avec Utopia. Disons que l’album ne fonctionne pas. On s’y ennuie, et c’est la première fois qu’une telle chose se produit.

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             Sur The Ever Popular Tortured Artist Effect paru l’année suivante, Rundgren rend hommage aux Small Faces avec une version exemplaire de «Tin Soldier». Il monte sur ses grands chevaux pour imiter la bravado de Stevie Marriott. Il est mille fois dessus, il va même chercher le chat perché du vieux Stevie. Les autres bouts de viande se trouvent en A, à commencer par «Hideaway», belle pop avantageuse chargée de toute l’ambition rundgrenienne. Il revient inlassablement à cette pop énergétique pleine d’allant et tendue vers un avenir certain. On pourrait dire la même chose d’«Influenza», pop radieuse et clavecinée derrière les oreilles, jouée au mieux des possibilités du genre. Il fait des re-re sur sa voix, c’est un artiste complet - I can feel my will slip away/ Under your influenza - Quelle musicalité ! Puis avec «There Goes Your Baybay», il n’en revient pas de voir sa baby partir - Now I can’t believe it’s happened to me ! - En B, il tape «Drive» au son des Byrds, il est capable de ce genre de coup d’éclat. D’ailleurs, les Byrds étaient étrangement absents de Faithfull. Défaut réparé.

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             Encore un fascinant album : A Capella, paru en 1985. Rundgren tape dans le gospel avec «Hodja». On le sait depuis le début, s’il est bien un mec qui n’a besoin de personne en Harley Davidson, c’est bien Todd Rundgren. Le voilà lancé dans le jump de doo-wop, il fait son Blind Boy Of Alabama aux clap-hands, Hodja make me spin/ I want to dance ‘til I forget who I am - Puis il sort de sa manche une Beautiful Song intitulée «Lost Horizon». Il s’accompagne à la basse et swingue sa pop dans les altitudes - Maybe someday/ I’ll sing with you - Admirable, Todd Rundgren montre qu’il sait encore faire des miracles. Il monte son «Blue Orpheus» d’ouverture de bal sur un beat electro, mais ça captive. Curieux mélange de pop épique et de beat electro primitif. Il chante «Pretenders To Care» a capella, sur ses propres chœurs et son doom de doo-wop. Ce mec est très complet, trop diraient même certains. Il mélange les gens dans sa pop d’adolescent attardé. En B, il revient au pop world avec «Something Fall Back On Me», cut épique et lumineux dans la meilleure veine de Something Anything. Il règne sans partage sur son empire des sens. Avec «Miracle In The Bazaar», il fait le muezzin dans la medina et avec «Lockjaw», il fait l’ogre qui rôde dans la forêt noire. Il chante le magnifique «Honest Work» a capella - My family is lost to me/ They could not bear the hurt/ To see the state their boy is in/ For lack of honest work - C’est très poignant. Il termine avec «Mighty Love», un doo-wop en solitaire avec un boom boom derrière son chant étoffé de chœurs. Très bel album.

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             Encore un coup d’éclat avec Nearly Human paru quatre ans plus tard. Bobby Womack vient duetter avec Todd sur «The Want Of A Nail». Du coup ça prend une fantastique allure de white Soul à la Womack. Rundgren mêle sa bave de Philly Soul à celle du petit Bobby. Quelle belle paire, the white dandy and the black dandy together, c’est quelque chose ! Autre invité de marque : Prairie Prince, qu’on entend en B battre le beurre sur «Feel It». On a là une atmosphère à la Marvin, violonnée et travaillée au groove incertain. Rundgren mène bien sa barque de white Soul somptueuse et charnue. Retour à la grande puissance pop avec «I Love The Life», chœurs énormes avec un Todd on fire sur sa guitare. Les chœurs sonnent comme des bouquets d’excellence, il finit en apothéose de gospel batch. Stupéfiant ! C’est encore une fois un album exceptionnel. Rundgren revient à sa blue-eyed Soul avec «The Waiting Game», il tarabiscote à la Laura Nyro, c’est forcément bien vu et fantastiquement soutenu aux backing vocals. S’il fallait définir Rundgren en seul mot, ça pourrait bien être le mot éther. Avec «Unloved Children», il revient à ses chers solos incendiaires. Il faut le voir se glisser dans le heavy groove. Il nous gratifie aussi avec «Can’t Stop Running» d’un final explosif, tout y est, les chœurs, le solo, la folie douce. Il reprend son bâton de pèlerin avec «Fidelity» pour aller prêcher la blue-eyed Soul. Admirable sens du déroulé paradisiaque. Cet album s’inscrit dans la lignée des grands albums rundgreniens d’antan. Et puis voilà qu’avec «Hawking», il rejoint l’infini océanique du Zen Archer. Que peut-on espérer de mieux ?

             Suite des aventures du Wizard dans un Part Three.

    Signé : Cazengler, Todd Rengaine

    Nazz. Nazz. SGC 1968

    Nazz. Nazz Nazz. SGC 1969

    Nazz. III Including The Fungo Beat Sessions. Sanctuary Records 2006

    Todd Rundgren. Runt. Bearsville Records 1970

    Todd Rundgren. Runt. The Ballad Of Todd Rundgren. Bearsville Records 1971 

    Todd Rundgren. Something Anything. Bearsville Records 1972

    Todd Rundgren. A Wizard A True Star. Bearsville Records 1973

    Todd Rundgren. Todd. Bearsville Records 1974

    Todd Rundgren. Initiation. Bearsville Records 1975

    Todd Rundgren. Faithfull. Bearsville Records 1976

    Todd Rundgren. Hermit Of Mink Hollow. Bearsville Records 1978

    Todd Rundgren. Healing. Bearsville Records 1981

    Todd Rundgren. The Ever Popular Tortured Artist Effect. Bearsville Records 1982

    Todd Rundgren. A Capella. Warner Bros Records 1985

    Todd Rundgren. Nearly Human. Warner Bros Records 1989

    Lois Wilson : Drugs worked for me. Record Collector # 491 - April 2019

     

     

    Inside the goldmine

    - Qualls qu’il fasse

     

             On l’appelait OPQ parce qu’il se situait entre le KLM(N) de sa KTM et le RST de son air resté. Resté où ? Là-bas. Ne cherchez pas à comprendre. OPQ avait du cul, c’est-à-dire de la chance. Il pouvait barboter n’importe quoi sans jamais se faire poirer. Il comptait même en faire un métier, mais il était aussi père de famille, alors il dût accepter l’idée de prendre un job. Comme tout le monde, il devait payer son loyer et ses impôts. Mais dès qu’il avait un moment de libre, il donnait libre cours à sa cleptomanie. Comme on bossait ensemble, on y allait ensemble. Il repérait une boutique. Le jeu consistait à sortir deux objets identiques, les plus gros possibles. Le voir à l’œuvre était un spectacle hallucinant. Il sortait une main blanche de la poche de son imperméable et vif comme l’éclair, il subtilisait l’objet convoité. Il agissait sans jamais se retourner, comme s’il avait un œil à l’arrière du crâne. Il suffisait de l’observer et d’agir au même moment pour comprendre qu’on ne risquait rien. OPQ fonctionnait à l’instinct animal. Il savait exactement quand il fallait agir, au dixième de seconde près. Sa cleptomanie était un don, au même titre que l’oreille musicale pour un instrumentiste. Il analysait rapidement les ambiances, il ignorait les risques. C’est même une notion qui le faisait bien rire. Le risque ? Mais ça n’existe pas ! Ça n’existe que dans ta tête ! Il s’intéressait aux objets coûteux, objets de déco chez les designers, objets anciens chez les antiquaires, bouteilles de parfum chez les grands parfumeurs, et bien sûr grands crus chez les cavistes. Pas de bijoux, à cause des caméras. La condition était que ces objets fussent en double. Et puis bien sûr les disques. OPQ en avait rempli une armoire normande et se vantait de n’en avoir acheté aucun. Ça illustrait bien le rendement de la petite industrie. Sa femme sentait bon, sa maison était joliment décorée, ses enfants jouaient avec des jouets anciens qui valaient une petite fortune et il arrosait chaque repas d’un grand cru sélectionné avec un soin maniaque. Il y avait quelque chose de princier dans la voyoucratie d’OPQ. On aurait pu le surnommer Arsène Lupin.

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             Il existe un autre Arsène Lupin, mais c’est un Arsène Lupin de la Soul : Sidney Joe Qualls. C’est grâce à Sam Dees qu’on a fait sa connaissance : il figure sur la compile Ace One In A Million (The Songs Of Sam Dees). Un Sidney qui s’écrit aussi Sydney, ça dépend des labels. En plus de la connexion Sam Dees, tu as la connexion Carl Davis, le boss de Brunswick et de Dakar à Chicago, l’un des producteurs les plus brillants des années 70.

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           C’est d’ailleurs sur Dakar qu’est paru en 1974 le premier album de Sidney Joe Qualls, I Enjoy Loving You. Mise en bouche avec le groove du morceau titre, un groove de charme excédentaire. Qualls chante comme un dieu noir, il est le Marvin de Chicago. Il épouse parfaitement les formes du groove de Carl Davis. C’est sur cet album qu’on trouves les compos de Sam Dees, «Shut Your Mouth» (r’n’b classique chanté au doux du ton) et «Run To Me» en B, attaqué à la Marvin. Qualls le crack est dans de bonnes mains avec Sam Dees. Il groove l’une des meilleures sources de Soul du monde. Il tape aussi dans Gamble & Huff avec «If You Don’t Know Me By Now». Qualls tape là dans le nec plus ultraïque de l’upper state. Il tape plus loin dans une groove signé Carl Davis, «The Next Time I Fall In Love». C’est d’une magnanimité sans nom, une magnitude digne d’Anna Magnani. Il érige l’édifice d’une ineffable Soul sophistiquée. Il faut le voir feuler l’«I’m Being Held Hostage». Les blacks sont souvent des chanteurs de chèvre chaud. Et puis voilà le coup de génie de l’album : «When The Lilies Grow». Qualls fait danser ses hautes notes dans les tourbillons du bonheur, au yeah-ehh-ehh. Il boucle son balda avec l’excellent «Can’t Get Enough Of  Your Love», il reste pour ça dans le mood de groove urbain, Qualls a le doux gai de Marvin Gaye et le pied ailé de Leroy Hutson.

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             Un deuxième album paraît en 1978, le goûteux So Sexy. Dès le morceau titre d’ouverture de balda, le génie Soul de Qualls te saute au kiki, c’est-à-dire à la gorge, sur un heavy diskö beat ! Le cat Qualls chante comme un crack. Mais attention, ce n’est pas un album diskö, car avec «Let The Woman Know», Qualls passe à la Soul dansante très haut de gamme, les trois blackettes qui font les chœurs derrière Qualls sont superbes. Et puis il faut voir les violons de Marvin saluer «I Don’t Do This», ce mec Qualls est bon, il se prélasse dans l’oooh baby you’re so sweet. Comme c’est supervisé par Carl Davis, on a un chef d’œuvre de Soul moderne, dans l’esprit de Freddie Scott. En B, Qualls tape dans le funk avec «Good Ol’ Funky Music». On se croirait chez Parliament, babbehhh ! - I like funky music ehh ehh - il groove ça au big Qualls kick. Il fait du Richie Havens avec «Bad Risk», c’est puissant et mâtiné de violons, bien porté par le chant, les arrangements battent tous les records d’élégance. On trouve encore des grands éclats de Soul moderne dans «Where Have You Been», ça nous renvoie aux grands albums que Freda Payne enregistra avec Lamont Dozier et les frères Holland. Qualls finit ce bel album avec «I Could Be So Good For You», en mode Soul d’élégance suprême. Il groove son pré carré et monte au chat perché pour l’éclairer. Encore un album dont on espère ne jamais voir la fin. 

    Signé : Cazengler, Sidney crochu

    Sidney Joe Qualls. I Enjoy Loving You. Daker Records 1974 

    Sidney Joe Qualls. So Sexy. 20th Century Fox Records 1978 

     

     

    Wizards & True Stars

    - Last train to Clark’s ville (Part One)

     

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             Avec les Byrds, c’est un peu comme avec les Beatles, tu as tes chouchous. Sans doute George et John d’un côté, Croz et Gene Clark de l’autre. Chacun des quatre est une true star à part entière, et en même temps, ils ne sont rien les uns sans les autres. Pas de Byrds sans Gene Clark ni Croz. Bon d’accord, tu as les autres derrière, Jim McGuinn qui se rebaptise Roger, va-t-en savoir pourquoi, et puis la section rythmique Michael Clarke/Chris Hillman, mais on voit bien qu’après les départs de Gene Clark et de Croz, les Byrds sont retombés comme un soufflé, ce qui veut bien dire ce que ça veut dire.

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             Si les quatre chouchous sont réunis ici, ce n’est pas un hasard, Balthazar. Ils sont tous les quatre des musiciens et des compositeurs exceptionnels. Tape dans les albums solo de Lennon et de Croz, et tu verras qu’il n’y a quasiment rien à jeter. Chez George, c’est du pareil au même : All Things Must Pass est un joyau de la couronne d’Angleterre, l’un de ces albums parfaits que savaient enregistrer les grands artistes des années 70. Et puis tu as Gene Clark, dans un style post-Byrds beaucoup plus austère, mais tellement fascinant. Plus tu l’écoutes, plus tu comprends que les Byrds, c’est Gene Clark, sans vouloir manquer de respect à Croz. Gene Clark composait énormément et les autres Byrds le jalousaient un peu, car c’est lui qui empochait le gros des royalties.

             Il existe cinq façons d’entrer sur le continent Clark pour l’explorer : un, via les trois premiers albums des Byrds + Preflyte. Deux : via la bio de John Einarson, Mr. Tambourine Man - The Life And Legacy Of The Byrds’ Gene Clark. Trois : via les big bio des Byrds qui fait référence, celle de Johnny Rogan, Byrds - Requiem for the Timeless en deux volumes. Quatre : via la carrière solo de Gene Clark. Et cinq, via une compile Ace qui vient de paraître : You Showed Me - The Songs Of Gene Clark. Cette compile est la façon la plus légère d’entrer sur le continent Clark. Bizarrement, ce n’est pas John Einarson qui mène le bal du booklet, comme il le fait dans quasiment toutes les rééditions de Gene Clark, mais Kris Needs.

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             Égal à lui-même, Needs écrit avec une passion d’écolier transi. Il a déjà réussi à convaincre tous ses lecteurs de ramasser l’intégralité des albums de Sun Ra et de Funkadelic. Le voilà qui récidive avec Gene Clark qui pour lui est «one of the last century greatest voices, charismatic performers and supernaturally talented songwriters.» On le sait depuis longtemps, Needs ne lésine pas sur l’emphase et tant qu’il s’agit de très grands artistes, ça nous convient parfaitement. Qu’il en rajoute un peu, c’est normal, puisque c’est dans sa nature. Il s’excite tout seul en écrivant et il a raison. L’enthousiasme est toujours le bienvenu, même si on retrouve ici et là sa fâcheuse tendance à se placer au centre du récit. On aurait presque envie d’être un esclave debout près de lui sur le char qui traverse la ville pour lui murmurer à l’oreille : «N’oublie pas Needs que tu n’es pas Clark.» Comme beaucoup de gens passionnés de rock, il semble vouloir se grandir à travers ses dévotions. C’est un phénomène courant. C’est un peu la même chose que de dire au Professor avant d’entrer dans le studio du radio show : «Souviens-toi que tu n’es pas là pour parler de toi, mais des Cramps.» Bien sûr, il ne pourra pas s’empêcher de parler de lui. La dévotion passe parfois par le nombril.

             Il n’empêche que Needs s’y prend habilement pour bricoler sa compile : il fait un choix osé de covers et d’interprètes pas trop connus, ce qui occasionne quelques belles surprises, notamment le «Some Misunderstanding» de l’electronic gospel duo Soulsavers featuring Mark Lanegan. On avait cru bon de faire l’économie de cet album. Grave erreur car Lanegan + Gene Clark, ça donne un cocktail explosif. Needs parle de «towering emotional devastation» qui atteint un pic de no-retour avec «We all need a fix», en écho avec l’ineffable autobio de Lanegan, Sing Backwards And Weep. Needs en profite pour faire l’apologie de l’album Broken, dont est tiré le so spectral «Some Misunderstanding», spectral, oh yeah, avec un Lanegan blanc comme un cierge tapi au fond du spectre, et ça monte à l’éclate, ça se transforme en une aubaine pour le genre humain. On a là une sorte de conjonction inespérée : Lanegan + Gene Clark. Rien de tel qu’un interprète surnaturel pour mettre en valeur la grandeur élégiaque d’une compo. L’histoire du rock fourmille d’exemples de conjonctions inespérées : Totor/Righteous Brothers, Jerry Ragovoy/Dusty chérie, Burt/Dionne la lionne, HDH/Marvin Gaye, Isaac & Porter/Sam & Dave, et la liste continue. Cette liste constitue l’une des dimensions magiques de l’histoire du rock.

             Autre conjonction inespérée : Death In Vegas/Paul Weller avec une cover de «So You Say You Lost Your Baby», tiré du premier album solo de Gene Clark avec les Gosdin Brothers. C’est toujours très carré avec l’electro beat de Death In Vegas, mais cette fois ils tapent dans la compo du diable. Weller chante. What a mélange ! Ce fabuleux rock californien décolle comme un gros vaisseau spatial. C’est là que le compositeur Clark devient immense. À travers ce choix, Needs nous dit que Gene Clark traverse toutes les époques - It’s a mark of the eternel resonance of Gene songwriting - On connaît le faible de Needs pour l’electronic dance music. Dans son autobio, il nous soûlait avec ça. Alors il récidive et entre dans le détail de Death In Vegas, revient sur les fameuses Continuo Sessions, featuring Iggy et Baby Gillespie, puis sur Scorpio Rising, featuring Liam Gallag, Hope Sandoval et Weller, d’où est tiré ce véritable coup de génie qu’est la cover de «So You Say You Lost Your Baby».

             Tu sens nettement qu’une grosse énergie sous-tend tous les cuts de cette compile. Tiens on va prendre l’exemple des power pop kings Velvet Crush de Rhode Island. Ils tapent une fabuleuse cover d’«Elevator Opratator», chef d’œuvre lui aussi tiré de Gene Clark With The Gosdin Brothers. Nec de nec. Pas de choix plus juste que celui-ci. À travers ses choix, Needs revisite l’envol du Byrd solo. Alors bien sûr, on n’échappe pas aux Groovies qui ramènent leur fraise avec «She Don’t Care About Time», un cut qui aurait dû figurer sur Turn Turn Turn, le deuxième album des Byrds. Needs : «Perhaps my favorite Gene Clark song.» Mais la cover des Groovies n’est pas terrible, un peu confuse. Ils se prennent les pieds dans le tapis volant. On ne voit pas bien l’intérêt. On a d’ailleurs eu le même problème avec les Barracudas qui s’’épuisaient en vain à vouloir sonner comme les Byrds. Mais qui avait besoin de nouveaux Byrds à Londres ? Il valait mieux écouter les trois premiers albums des Byrds parus sur Columbia. Needs en profite pour rappeler que les Groovies «took their homaging of 60s Byrds, Beatles and Stones to nuclear levels at the height of ‘77 punk, in smart suits.» Cyril Jordan qui fréquentait les Byrds à leurs débuts n’en démord pas : pour lui, c’était de la magie, et c’est pourquoi il reprenait leurs cuts. Needs raconte aussi l’histoire des fameuses Gold Star Tapes : l’un des rêves de Cyril Jordan était d’enregistrer avec Totor et quand le projet est arrivé sur le bureau de Seymour Stein, il a préféré envoyer les Ramones chez Totor. C’est Marc Zermati qui a repris le projet au Gold Star et qui a proposé de le financer. Mais il n’avait pas de blé. Il est rentré en France avec un acétate et a réussi à sortir ses Gold Star Tapes. C’est bien que Needs salue Marc.

             «Eight Miles High» fut la seule compo de Gene Clark sur Fifth Dimension, le troisième album des Byrds. Curieusement, Needs a choisi la cover de Roxy Music. Weird choice car c’est une version diskö-funk, alors qu’«Eight Miles High» est avec «Arnold Layne» l’un des hymnes de la psychedelia. Le son est très anglais, on voit tout de suite la surface de vente et ce m’as-tu-vu de Ferry fait du glam de Byrds, c’est atrocement détourné, complètement pourri. Là, Needs se vautre en beauté. En même temps, c’est bien de savoir que des gens aussi en vue que Roxy peuvent faire n’importe quoi.

             Retour aux choses sérieuses avec «Echoes», un autre hit intemporel tiré lui aussi de Gene Clark With The Gosdin Brothers. «Echoes» est l’un des hits les plus faramineux de cet immense artiste. Needs s’étend d’ailleurs longuement sur cet album qui vaut largement les trois premiers Byrds, il rappelle tout de même que Tonton Leon, Glen Campbell, Jerry Cole, Van Dyke Parks et Clarence White sont dans le studio. Avec en plus Doug Dillard qui fera équipe avec Gene Clark aussitôt après, et dans les backing, tu as bien sûr Vern et Rex Gosdin dont les albums sont chaudement recommandés. C’est à Starry Eyed And Laughing que revient l’honneur de taper l’«Echoes» et miraculeusement, ils parviennent à restituer la magie de l’original. Needs qualifie ce groupe anglais des seventies de Byrds maniacs. Il rappelle aussi que le nom du groupe sort de «Chimes Of Freedom» et que Pete Frame, le boss de Needs chez Zigzag, les manageait. Et pour couronner le tout, le chanteur Terry Poole gratte une douze Rickenbacker.

             L’autre bonne pioche du compileur Needs, c’est The Rose Garden avec l’énorme «Till Today». N’oublions pas qu’il existe un EP inédit, The Rose Garden EP, qu’on trouve sur Gene Clark Sings For You, une red Omnivore de 2018. Ils font avec «Till Today» une belle descente de heavy country avec un fabuleux sens de l’entre-deux. Après celles des Groovies, de Roxy Music et de Juice Newton, c’est la première cover sérieuse de la compile.  

             Needs rappelle aussi que The Fantastic Expedition Of Dillard & Clark enregistré à l’époque où il fréquente The Rose Garden est un timeless triumph, «crystallising burgeonning country-rock and planting bluging seeds for Americana with its folk-rock-bluegrass-country amalgam.» Hélas, en 1968, le bluegrass ne se vend pas. Les Flying Burritos Brothers feront aussi les frais de ce constat. Ils sont là, les Burritos, avec «Tried So Hard», merveilleux shoot de country volante et bien sûr, on pense à Jean-Yves qui, dès 1969, vénérait déjà The Gilded Palace Of Sin.

             Pour Needs, le cut le plus fascinating de la compile est «Train Leaves Here This Morning» par Kai Clark, le fils de Gene, tiré d’un tribute album inaccessible. Kai ramène en effet la heavy country de son père. Par contre, on croise pas mal de plantards : Juice Newton («I Feel A Whole Lot Better» trop glacé), Thin White Rope («I Knew I’d Want You», si loin du compte), Linda Ronstadt (elle non, jamais de la vie, pauvre femme atroce et vulgaire), Pure Prairie League («Kansas City Spouthern», petit bivouac sur le cadavre de Gene Clark, aucune considération, fuck it), The Mother Hips («Why Not You Baby», encore une bande de m’as-tu-vu qui se croient tout permis) et puis tu as la reformation des Byrds et un «Full Circle» forcément énorme. Avec Gene Clark c’est tout l’un ou tout l’autre. En fait tout dépend des interprètes. Il est vraiment très spécial.

    Signé : Cazengler, tête à clarques

    You Showed Me. The Songs Of Gene Clark. Ace Records 2022

     

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         - La livraison 599 est parue avec trois jours d’avance, because j’étais en déplacement sur la route 6…

    • On the road 66 et tu ne nous as pas emmenés avec toi, Damie tu mérites soixante-six fois la mort !
    • Pas d’affolement les gars, je n’étais pas sur la soixante -six mais sur la 6…
    • Sur la 666, celle de la bête crowleyenne, invité par Jimmy Page au manoir Boleskine, Damie nous te maudissons jusqu’à la six-cent-soixante-sixième génération !
    • Doucement les gars, y a longtemps que Jimmy a tourné la page Boleskine, de toutes les façons je n’ai emprunté ni la 66, ni la 666, mais la 606 !
    • La 606, on ne connaît pas, une route pour les blaireaux comme toi, tu sais où tu peux te la mettre ta 606…
    • Bon puisque ça ne vous intéresse pas, je ne vous raconterai pas qui j’ai vu, y avait plein de rockers, une super nana, un concert de rock et…
    • Damie, arrête de nous faire languir, nous sommes tout ouïe pour ce truc inouï !
    • La route 606, comme vous l’ignorez, ne passe pas très loin de Provins et mène à Sens, donc je l’emprunte, au bout d’une quarantaine de kilomètres je sors de la route 606 et trois cents mètres plus loin je m’arrête pile sur la route 606.
    • Damie tu affabules si tu sors de la route 606 comment peux-tu t’arrêter sur la route 606.
    • C’est qu’il y a route 606 et route 606, la première est une route tout ce qu’il y a de plus route, pour ceux qui veulent tout savoir, il y a même une route 606 A et une route 606 B, mais moi je ne m’arrête ni sur la A ni sur la B, mais sur la route 606.
    • Damie, tu n’es pas un peu fatigué, tu devrais surtout arrêter le moonshine !
    • Essayez de comprendre, la Route 606 est bien une route, mais Route 606 est le nom d’un restaurant qui ne se trouve pas sur la Route 606 !

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    Route 606, vous ne pouvez pas ne pas le voir, c’est écrit en gros sur la façade noire. Un diner est-il spécifié. Pas besoin de s’inquiéter pour stationner. Dans dix ans ce sera autre chose. Nous sommes à la sortie de Sens, sur une zone d’activité en construction. Le resto en pointe et sur sa gauche une large rue toute droite sur laquelle s’alignent des locaux d’entreprises tout neuf. Aujourd’hui un désert. Demain une fourmilière. Ainsi va le monde. Mal.

    En tout cas ça sent la barbaque et le rocker. Normal, des flibustiers en perfecto s’activent autour d’un barbecue, tout de suite l’on se sent comme chez soi. Un bar et une grande salle à manger et boire durant le concert. Au mur la décoration appropriée au lieu, motos, fifty, rock’n’roll. Je ne m’attarde pas, juste une exception pour le coin de l’estrade à musicos. Une tapisserie de couvertures de livres dont une qui me fait chaud au cœur, la couverture de René Leys de Victor Segalen. Un de mes héros. Poëte, romancier, essayiste, médecin, marin, explorateur, sinologue, éditeur, peintre… Bretagne, Tahiti, Chine, né en 1878, mort en 1919, l’exote par excellence qui a exploré le monde pour mieux se retrouver en lui-même. Etranger qui passait.

    Cerise sur le gâteau, je retrouve Duduche, Franck et Christophe, la fine équipe du 3 B ! Le cheval de Troyes !

    MARLOW RIDER

    ROUTE 606

    ( Sens - 22 / 04 / 2023 )

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    ( Dessin : Patrick Cazengler )

    Si tu ne vas pas à Marlow, Marlow ira à toi. Un trio rock, tout comme tout triangle, possède trois angles. Ce soir l’angle de tête est relégué dans l’encoignure occupée par Fred Kolinski, un peu fiévreux mais toujours cette pose hiératique de roi du monde, aux cheveux transparents de sagesse imperturbable, qui sur ses tambours orchestre la mécanique des fluides qui relient les hommes entre eux, et les coups de semonce du destin qui les écrasent sur les vitres de leurs existences toujours trop brèves. 

    Un autre roi, Amine Leroy, si Fred est le monarque de la clarté ponctuante, Amine nonobstant sa chemise colorée est celui de l’ombre, yeux noirs, chevelure sombre, contrebasse fuligineuse que les autocollants colorés ne parviennent pas à égayer, Amine joue depuis l’intérieur de lui-même, l’est en dialogue constant avec sa big mama, entendez par là qu’elle parle pour lui, tout ce qu’il a à dire il le tait, elle est son medium, son interface, c’est elle qui s’exprime, parfois tous deux restent pratiquement immobiles, seuls les doigts d’Amine s’animent, souvent un vent de folie semble l’animaliser, la big mama reste stable tel l’axe incliné du monde qui ne bouge pas mais Amine se lance dans de courtes danses, son corps se détend en de brusques mouvements, se change en karatéka portant ses coups de pieds à des ennemis invisibles, dans ces moments son instrument émet des grondements intumescents qui déferlent sur le monde en onde sonores, en noirs serpents étrangleurs qui pénètrent et s’enroulent au plus profond de votre cœur.  

    Marlow le marlou, l’Argow, le pirate dont la guitare parle un argot électrique, de ce trio alchimique il est malgré son costume noir la pointe de feu, l’étamine rouge de l’incandescence. Dès le deuxième morceau, Sunshine of your love, traduisons par soleil rouge de lave, de Cream et crime, le diapason, le diapoison de la soirée est donné, joueront principalement les titres de First Ride mais aussi pratiquement la totalité de Cryptogenèse sorti depuis seulement deux jours au moment où j’écris ces lignes. Autrement dit un régal sonore, un défi car comment un trio de rockabilly peut-il subvenir au volume de cette musique psychédélique qui joue sur l’ampleur auditive. Cela nécessite maîtrise et débordement, chacune de toutes les notes doivent être comme des gemmes ciselées, mais l’ensemble doit se transmuer en tonnerre flamboyant. Le bruit subsume mais ne doit jamais couvrir la fureur de l’attaque instrumentale. Marlow a deux guitares, tout comme Zeus détenait la foudre et l’éclair, l’impact et la beauté. Notamment celle du geste, cette élégance qui fait qu’un grand guitariste est aussi un danseur, que si ses doigts s’affairent – ils semblent rivés sur les cordes dont il essaie sans cesse de se désengluer de l’attirance quasi-maléfique qu’elles exercent sur ses phalanges - de se son corps il dessine des courbes et glisse dans l’espace. Et puis la voix, la septième corde de la guitare, tour à tour la colombe qui prend son envol mais le plus souvent l’aigle qui fond sur sa proie, voire le vautour qui guette votre mort extatique. Marlow plane haut en toute tranquillité, Fred est toujours au rendez-vous des ponctuations effervescentes et Amine s’enflamme à volonté tel ces brandons que l’on lance par défi vers la voûte de la nuit pour y ajouter une étoile filante.

    Je vous ai promis une jolie fille, vous l’attendez, vous la connaissez, Alicia F, ce F comme une faucille à double tranchant, elle ne fera qu’une apparition, mais ô combien éblouissante, la femme faite désir, voix tranchante et attitude hiératiquement aguicheuse, la jouissance du rock à l’état pur, le jeu du don et du refus, en trois minutes elle a tout donné, en trois secondes elle s’est éclipsée, elle a tout repris.

    Nous n’avons pas tout perdu puisque nos trois Marlow Riders continueront à nous régaler. Le public exigera et obtiendra plusieurs rappels, je n’en dirai pas plus. Une soirée démons et merveilles.

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    ( Clap de fin : Tony, Franck, Alicia )

    Damie Chad.

     

    *

    Le nom du groupe a opéré comme un clin d’œil, marrant ça rappelle Blue Öyster Cult, j’ai lu la phrase dessous, se revendiquent de Black Sabbath, entre nous pas très original pour un groupe de doom ou de stoner, ah ! ce n’était pas un hasard, juste une synchronicité, citent le Culte de l’Huitre bleue aussi, z’ont déjà décroché un bon point, et puis encore  Mountain, ces gens-là me plaisent de plus en plus, et cette pochette qui rappelle Steppenwoolf, trois de mes groupes préférés, pas d’hésitation, écoute immédiate.

    UNIT 61

    RED EYED CULT

    ( Album digital / Bandcamp / 20 – 04-2023)

    Trio originaire de Norwich, du comté de Norfolk, cette étrange bosse de dromadaire située sur la façade est de l’Angleterre, composé de Lewis Doran, de Max Lungley et de John Franks. Peu de renseignements sur ces trois zèbres qui se présentent comme Cerbère, le chien à trois têtes aux yeux vitreux et aux naseaux fumants, gardien de la porte des Enfers. L’album a été enregistré au Bomb Store Studio qu’ils métaphorisent comme une installation de stockage de bombes nucléaires ultra-secrète.

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    Belle pochette, le lecteur se rapportera au Monster de Steppenwolf, recto et verso, pour méditer sur les intéressantes analogies. Un chaudron de sorcière en ébullition, un infâme clapotis de têtes de morts débordant, une armée de morts-vivants, ravage dégoûtant surmonté d’une hideuse figure, les yeux rouges sont encore au-dessus, affligés d’un strabisme divergent, un œuf poché, cassé, éclaté de lumière jaune pour l’un et l’autre menaçant tel un faisceau de DCA à la recherche d’une proie.

    Mithrandir : si vous n’aimez pas le rock ce titre est pour vous, je ne parle que des deux premières secondes, cette voix rassurante de prof de mathématiques qui vous explique l’immense joie que vous retirerez à résoudre une équation du dix-septième degré, après quoi je vous conseille de vaquer à d’autres occupations, sinon vous risquez d’avoir peur, reconnaissons que cette espèce ronronnement vomitoire de glaviot purulent n’est guère engageant, terrain glissant, une faille riffique s’écroule sur vous, aussi lourde qu’une montagne pesante, aggravée par le craquèlement de cette voix rugueuse dont vous n’attendrez aucune pitié, un torrent de cailloux qui descend lentement creusant un sillon sanglant dans votre âme piétinée en mille lambeaux, une beauté grandiose, un paysage sonore qui vous englobe dans son immensité, une basse lourde, une batterie sans cœur qui forge la cadence de quelque chose d’obscur qui avance, une force dévastatrice qui semble progresser à la vitesse d’une tortue, longue plainte d’agonie d’une guitare dont les doigts déroulent les tripes cordiques, la machine se remet en route, bulldozer historial en marche-arrière que rien n’arrêtera, s’il n’est pas de futur il est des passés cauchemardesques dont on reste prisonnier, sommes-nous du côté de Sauron ou de Mithrandir ? un des autres noms de Gandalf, l’arène de l’anneau vient de se refermer sur nous. Up in smoke : toute cette musique me tourne la tête, tout dépend de moi, ce qui vous écrase, qui pèse si fort sur votre corps peut devenir aussi léger qu’une plume, la voix n’est qu’un râle, mais imprécative, c’est le temps de la volte-face métaphysique celle qui égalise le haut et le bas, qui arase le bien et le mal, guitare victorieuse tourne la meule de la présence du monde, il suffit de transformer la dure réalité en douceur rêveuse, écoute la voix du serpent qui mue et qui depuis ton gosier tinte agréablement à ton oreille, dans le jeu de rôle du monde c’est toi qui lances et pipes les dés, chant de triomphe existentiel de paradis artificiel, ce morceau dévoile la splendeur miroitante du cosmos, tu n’étais rien, tu deviens tout. Le monde est à tes pieds, tu en jouis, et il explose comme un ballon de fumée extatique. Grögg : l’autre côté du rêve, le cauchemar, une voix de reptile, la musique pèse des tonnes, le cauchemar n’est pas horrible, il est lié à la plus grande compréhension du monde à laquelle tu es parvenu, la batterie abat les colonnes des faux-semblants, au fur et à mesure que tu avances les couloirs du retour s’effondrent. L’ennemi marche derrière toi, il est si près qu’il n’est peut-être que l’ombre de toi-même qui te suit, dont il faudrait te débarrasser, froissements paroxysmiques de basse, la guitare miaule de détresse, elle s’enfonce en toi comme pointes de poignards, les morts te coursent, peut-être es-tu déjà mort ou alors simplement une image de la mort qui te poursuit. Ambiance dramatique, tu as envie de crier tel un héros de Shakespeare mon royaume pour un cheval mais tu sais que le royaume est monté sur le cheval qui fonce sur toi. Hammerhands : que forge la basse sur l’enclume battériale, le rythme s’accroît, il se rapidise, s’accélère méthodiquement, et la guitare gagne en ampleur, tu ne peux compter que sur toi-même, les coups du destin hachent menu les remontrances que tu adresses au dieu que tu n’es pas, la musique est si lourde qu’elle éventre les tombes de ceux qui sont morts, tu glapis comme le renard qui arrache sa patte des mâchoires d’acier qui la retiennent prisonnière, maintenant tu claudiques dans la réalité du monde, une seule échappatoire, te perdre dans les fourrés du rêve, saisis-toi du marteau philosophique et détruis tous les cauchemars qui clapotent et croassent dans ton âme, ces grenouilles méandreuses de bénitier marécageux que tu écrases se muent en une superbe symphonie, tu es devenu le chef d’orchestre de ta propre délivrance, est-ce la batterie qui se teinte de folie, ou est-ce l’allégresse qui t’habite qui klaxonne dans ta tête, des sons que n’as jamais entendus jusqu’à lors, tu te tais et tu écoutes. Tu as raison ce morceau tient du prodige. Snowcome : percussions tapissées en accélération, changement de dimension, tu ne rampes plus sur la réalité du monde, tu voles dans le vril du rêve, tes cris exaltés percent la voûte des cieux, guitare et batterie déversent une averse de neige, tu hurles comme le loup, ta gueule effroyable lance des mots-tempêtes, tu es si loin, hors de toi et hors du monde, la musique devient un serpent charivarique qui se mord la queue comme s’il gobait l’œuf initial de l’origine érosique du monde. La guitare flamboie, telle une constellation ouranienne qui prendrait feu et purifierait le charbon calciné de ta cervelle en un monstrueux diamant cristallin dont chaque facette reflèterait des myriades d’univers. Et survient le riff final, tempête d’écume tsunamique, dieu merci ce n’est que du rock’n’roll. But we like it.

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             Le flair du rocker a encore frappé. Les amateurs d’ heavy doom stonerien ne regretteront pas le détour. Red Eyed Cult n’a pas à rougir des ses influences. Le groupe à suivre.

    Damie Chad.

     

    *

    Une belle enveloppe dans la boîte à lettres. Un envoi de Guilaine Depis, attachée de presse (La Balustrade). Un livre paru aux Editions The Melmac Cat. Cat est un mot qui cliquette agréablement aux oreilles des rockers. Sur le tract d’envoi, il est spécifié que le bouquin s’inscrit dans un nouveau courant littéraire le ‘’ pop roman’’.

    Le terme roman ne pose point de problème, celui de pop me hérisse quelque peu. Depuis quelques années la merchandisation de la littérature tend à creuser un fossé entre littérature dite ‘’élitiste’’ et la pop culture. Alors que dans les années soixante ce dernier terme désignait une volonté séditieuse d’ouvrir le champ littéraire et musical à des expérimentations éloignées des corsetages académiques, de nos jours le mot pop tend à désigner des œuvres facilement accessibles, pour ne pas dire subalternes, destinées à un public de masse. Ceci dit, ne nous fions pas aux étiquettes.

    1M976

    GERALD WITTOCK

    ( The Melmac Cat / Avril 2023 )

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    Gérald Wittock n’est pas tout à fait un inconnu. Une succincte biographie au dos de la couverture nous apprend qu’il est le descendant direct de Lucien Bonaparte. C’était le fils aîné de sa mère Letizia qui le préféra toujours à Napoléon. Ce détail historial n’est pas donné au hasard. Notre auteur a déjà publié plusieurs romans, notamment La Mutation, qui évoque un monde où les femmes ont pris le pouvoir… l’a aussi fait de la musique, notamment un disque (quatre semaines N°1 en Angleterre) Make Luv sous le nom de Room 5

    Couverture pop colorée, un mix manga-Warhol, de Bolo, agréable à regarder, attention un livre musical, chaque chapitre possède son QR code qui renvoie à une vidéo, le choix musical commence bien avec Riders on the storm des Doors, la suite est moins alléchante puisque l’on y trouve jusqu’à Sheila & B. Devotion. Il y a à boire et à ne pas manger dans cette playlist… Que voulez-vous, question Q avec ou sans R les rockers n’aiment que Suzie Q.

    Un livre gigogne. Ne serait-ce que cet avertissement de l’éditeur, suivie d’une fausse préface d’un ami, remplacée par une fausse interview de l’auteur, un véritable miroir aux alouettes ce roman. Peut-être avant de commencer notre analyse devrions-nous le résumer en quelques lignes afin de ne pas perdre le lecteur. Que se passe-t-il donc dans ce roman ? Toute question simple exige une réponse aussi simple. La voici donc : rien, il ne s’y passe rien du tout. Attention, je n’ai pas dit qu’il ne nous offre que deux cents pages blanches. Encore qu’en fin de volume Gérald Wittock termine ses remerciements par un grand merci à Malevitch et à son carré noir, ce qui tout de suite obscurcit le sujet. Après quoi il ajoute une petite phrase assassine : La littérature défie la censure. Une invitation à lire entre les lignes.

    Mais de quoi parle-t-il au juste s’impatientent les lecteurs. Le tract de présentation ne donne pas dans la nuance : annonce tout de go : Thématique de l’autisme. Reste qu’il y a autisme et autisme. Faut-il entendre ce mot comme l’affection dont nombre d’adolescents sont atteints depuis quelques années, ou le comprendre comme une métaphore descriptive du fonctionnement de notre société.

    Le roman se déroule à New York au milieu des années-soixante-dix. S’il se passait à Tokyo, au lieu d’user du vocable autiste on emploierait le mot hikikomori, ces adolescents japonais qui s’enferment dans leur chambre à lire des mangas et à jouer aux jeux-vidéo. Mais nous sommes à New York ce qui n’empêche pas Gérald Wittock d’user de l’esthétique du théâtre français classique. Du dix-septième siècle. Un seul lieu : un appartement. Et encore notre héros 1M976 n’a pas le droit de rentrer dans la chambre de sa mère ( voir Letizia ). Ce n’est pas grave, puisque toute l’action se déroule dans un lieu exigu. Pire que les toilettes. Dans sa tête.

    Est-ce que Gérald Wittock triche avec la règle de l’unité de temps. Nous avons envie de répondre oui. Nous avons envie de répondre non. Ce n’est pas que nous hésiterions. Nous conseillons nos lecteurs à relire les pages dans lesquelles Paul Valéry rapporte son entretient avec Albert Einstein, tous deux discutent de la notion d’élasticité du temps. C’est un peu comme un élastique : plus vous l’étirez, plus il s’allonge, et pourtant c’est toujours le même élastique. Une fois que vous aurez fini le livre vous aurez tout votre temps pour réfléchir sur la durée effective du récit.

    J’ai peur d’effrayer le lecteur, je le rassure tout de suite, aucun temps mort, l’action n’est jamais linéaire, elle comporte de nombreux hauts et de multiples bas. Gérald Wittock est un homme de son temps, si dans Racine et Corneille, Néron et Chimène entrent et sortent stupidement comme tout un chacun par une porte, le roman est pourvu d’un ascenseur. Qui monte et qui descend. Sans jamais faillir. Une fois que vous aurez fini le livre, vous aurez tout votre temps pour savoir si, ou pour savoir combien de fois, 1m976 emprunte l’ascenseur.

    Tout ce qui précède procède du cadre conceptuel de ce livre. Si je m’y suis tant soit peu étendu, c’est qu’happé par l’action, entraîné par l’enchaînement des évènements vous risquez comme le poisson prisonnier de son aquarium aux flancs transparents de ne pas vous apercevoir des murs de la prison mentale qui vous claustrophobisent. Soyez vigilants, les indices les plus anodins sont les plus ambigus.

    C’est que Gérald Wittock possède un esprit particulièrement retors. Excusez-moi, je me suis trompé d’adverbe, je voulais dire doublement retors. D’abord il se sert d’un truc qui marche toujours. Il vous raconte une histoire loufoque tout en vous assurant que rien n’est plus sérieux que son récit, vous met juste le nez dans le caca de votre époque en vous contant des choses effroyables qui, dieu merci, ne se passent pas par chez nous. Vous êtes prêt à lui épingler sur le veston la Légion d’Honneur du Mec bien, le Mérite Agricole du Citoyen Conscient, la Croix de Guerre de défenseur de la Femme et même de l’Homme. Jusque là tout va bien. La livre est terminé. Eh bien non, Gérald Wittock ne mégote pas, vous rajoute un épilogue. Au cas où vous auriez tout compris, il vous instille le doute. Le ver rongeur. Vous refile le coup de l’explication psychanalytique, autrement dit le coup du miroir qui vous reflète pour que vous réfléchissiez mieux.

    Si vous n’avez pas tout compris, je (tout comme l’auteur) ne peux plus rien pour vous.

    Ah ! si, pourquoi le héros possède-t-il ce nom bizarre, pas la peine que je vous en fasse une tartine, c’est très bien expliqué dans les toutes premières pages.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

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    Death, Sex and Rock’n’roll !

    EPISODE 26 ( Festif  ) :

    140

    Nous sommes revenus sur nos pas. Les chiens avaient cessé d’aboyer, mais n’en gardaient pas moins les yeux fixés sur la tombe d’Alice. Il y eut une longue minute de silence. Rien de suspect n’apparut à nos yeux. Un grognement sourd monta de la gorge des cabotos. Le Chef alluma un Coronado :

    • Je parie une palette de mille coffrets de Coronados que nous n’allons pas tarder à avoir des nouvelles d’une ancienne amie, je suis sûr qu’elle ne nous oublie pas !

    Nous attendîmes plus d’une heure dans le silence et la froidure du petit matin. Molossa arrêta de grogner et posa sa truffe sur mon mollet. Le danger se précisait. Molossito se posta derrière moi, le poil hérissé, les yeux emplis de terreur. Carlos sortit son Rafalos, je regardai dans la direction où se fixait son regard. Il n’y avait rien. Presque rien. Si ce n’est comme une irisation rosée, deux points pratiquement indiscernables. Je songeai à deux pétales de rose d’une pâleur extrême, un reflet évanescent d’on ne savait quoi, une trace furtive appelée à disparaître. Je compris, les yeux rouges de la Mort étaient braqués sur nous. Contrairement à ce que je pensais ils restèrent aussi pâles, il fallut encore une demi-heure avant qu’une silhouette assise sur la tombe d’Alice soit visible. Les contours restaient flous, donnaient l’impression de ces filigranes que cachent à l’intérieur de leur trame certains papiers de luxe dans les livres d’art. Bientôt il n’y eut plus de doute, c’était Elle. Nous entendîmes un ricanement de mauvais augure

    • Si Monsieur Carlos se donnait la peine de remiser dans la poche de son veston, son joujou inutile, peut-être aurions-nous alors l’occasion d’entamer une discussion intéressante.

    Je n’étais pas d’accord. Je me souvenais des désagréments que nos Rafalos avaient causé à la grande pourvoyeuse des cimetières lorsque nous avions le Chef et moi, réussi à l’aveugler en tirant sur ses yeux. Elle dut deviner mes pensées, car elle esquissa un léger sourire sarcastique :

    • J’ai été très gentille la dernière fois, mais si je ferme les yeux vous ne saurez plus où viser !

    Carlos soupira et rengaina son arme.

    • Pour des vivants je concède que vous soyez bien plus courageux que la plupart de vos contemporains. Des teigneux, qui s’accrochent à moi comme les tiques sur les chiens.

    Molossa et Molossito visiblement vexés ne purent se retenir d’aboyer furieusement. J’eus un mal fou à les faire taire.

    141

    Le Chef en profita pour allumer un Coronado :

          _ Sans doute pourrions-nous maintenant utiliser cette accalmie canine pour bavarder en toute tranquillité, j’avoue que votre remarque sur notre courage m’a fait plaisir et…

    • Ce n’était que le début de ma phrase brutalement interrompue par vos corniauds, certes je reconnais votre courage, toutefois votre bêtise crasse me suffoque. Je prends un exemple parmi tant d’autres : vous n’arrêtez pas de courir après moi, je vaque tranquillement dans mes cimetières, ce sont des lieux calmes, j’aime m’étendre sur une tombe et chauffer mes vieux os au granit que le soleil inonde de ses rayons, et plouf vous vous radinez sans préavis et vous faites n’importe quoi, vous ouvrez les cercueils, ou comme tout à l’heure vous vous amusez à tuer les morts à qui je laisse quelques instants de délassements hors de leur dernière demeure, pire encore vous vous permettez de lutiner les jeunes mortes dès que l’occasion se présente !
    • Que voulez-vous Madame, la vie est si ennuyeuse il faut bien s’amuser comme l’on peut…
    • Vous le Grand Chef je vous avertis qu’une fois mort il est strictement interdit de fumer, votre futur risque de vous paraître très long !
    • Ah Madame, vous me rassurez, j’avais peur que peu à peu mon cercueil ne se transformât en cendrier, je me sens donc obligé de devenir, que dis-je, de rester immortel !

    Je crus qu’elle allait se jeter sur le Chef pour le faire passer de vie à trépas dans la seconde qui suivit. Mais non elle se retint à grand-peine si j’en juge par le flamboiement subit de ses globes oculaires, elle respira un grand coup et reprit la parole d’une voix mielleuse :

    • Il y a une chose que je ne comprends pas, vous le Chef du Service Secret du Rock’n’roll, vous avez eu au début de votre enquête l’intuition que ce que vous cherchiez dans le Père Lachaise était en relation avec la survie du rock ‘n’ roll, je veux bien le croire, mais alors pourquoi vous entêter à courir après les morts qui ne craignent plus rien au lieu de focaliser votre enquête sur le danger qui guette le rock ‘n’roll.

    Le Chef sourit placidement, il prit le temps d’allumer un Coronado avant de répondre :

    • Je tiens Madame à vous remercier pour cette judicieuse remarque, toutefois je me permettrais de vous rappeler que si l’on éprouve du mal à se saisir du chat, l’attraper par le bout de sa queue est parfois la solution de dernier recours. Comment empêcher le rock ‘n’roll de mourir si ce n’est en s’en prenant à la mort elle-même.

    142

    La Mort voulut répondre mais elle ne le put. Au mot Chat, Molossa et Molossito avaient éclaté en aboiements féroces. La scène qui s’en suivit la rendit folle de jalousie. Les deux chiens oublièrent tout à fait sa présence. Ils crurent qu’un infâme greffier parcourait le cimetière, aussi se jetèrent-ils à sa poursuite. Leur fallut une heure et demie pour s’assurer qu’aucun spécimen de la race féline ne hantait le jardin édénique du repos éternel. Lorsqu’ils revinrent se coucher à mes pieds, Molossito tout excité, extrêmement satisfait de n’avoir trouvé aucun rejeton de de leur ennemi héréditaire, pour imprimer à jamais le sceau royal de la présence canine sur les lieux leva la patte sur les brodequins de la Mort qui furent ainsi copieusement baptisés de cette ondée libératoire.

    J’ai tout de suite eu l’intuition qu’elle allait s’en prendre à moi. Je n’étais point dans le registre de l’erreur :

    • Quant à vous Agent Chad, qui osez intituler vos souvenirs Mémoires d’un Génie supérieur de l’Humanité, vous êtes comme votre chien, vous ne vous sentez plus pisser, vous avez juré de me tuer, moi La Mort, rien que ça, tout cela pour l’amour d’une gourgandine de bas-étage qui refilait les chamallows de sa patronne à vos deux clebs pouilleux qui sont pourtant tous les deux, même si on les prend un par un, plus intelligents que cette stupide péronnelle qui ouvrait ses yeux de merlans frits chaque fois qu’elle vous apercevait, une idiote même pas ravissante, vous devriez me remercier de l’avoir supprimée de votre déplorable existence, vous me devez une fière chandelle, jeune crétin d’humanoïde, il y a longtemps que je vous aurais trucidé si je n’avais pas compris qu’à peine mort vous iriez tout heureux vous étendre dans le cercueil de cette stupide mijaurée pour lui réciter durant toute l’éternité au creux de son oreille l’Annabel Lee d’Edgar Allan Poe jusqu’à la fin de l’éternité !

    Vous me connaissez. Je suis un garçon placide qui n’a jamais fait de mal à une mouche. Mais là c’était trop. Les circonstances ne m’ont pas aidé. Alors qu’elle finissait sa tirade, les grilles du cimetière s’ouvrirent. Il était neuf heures du matin, un peu tôt pour un enterrement à mon goût, mais un fourgon mortuaire suivi d’une cinquantaine de personnes pénétra dans l’allée principale. Qu’il y ait des gens vivants sur cette planète alors que mon Alice à moi, ma douce et tendre amie était sous la terre me parut comme une terrible injustice que je décidai sur le champ de réparer. Je saisis mon Rafalos, et commençai à tirer sur le cercueil que les croque-morts descendaient du véhicule, j’ai cru que ce geste anodin me calmerait, il n’en fut rien, tous ces vivants qui poussaient des cris perçants et m’insultaient m’exaspérèrent, ils n’auraient pas dû, je ne fis pas de quartier, je les tuais tous jusqu’au dernier, femmes, enfants, vieillards, hommes valides, sans pitié et sans regret. Carlos et Alice tentèrent de m’arrêter – le Chef en profita pour allumer un Coronado – mais j’étais possédé, un guerrier, un berserker qui sur les drakkars vikings pris d’une fureur sacrée n’hésitait pas à morde les boucliers, même la Mort essaya de s’interposer, en vain. Elle criait comme une folle :

    • Tu me donnes trop de travail !

    Le Chef prit la décision de nous exfiltrer du cimetière, la Mort resta à la grille, elle brandit une faux menaçante :

    • Vous me le paierez !

    Nous nous éloignâmes au plus vite…

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 598: KR'TNT 598 : CHIPS MOMAN / MIDLAKE / TODD RUNDGREN / JALEN NGONDA / QUESTION MARK & THE MYSTERIANS / LES FINGERS / ARGWAAN / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 598

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    27 / 04 / 2023

     

    CHIPS MOMAN / MIDLAKE

    TODD RUNDGREN / JALEN NGONDA

    QUESTION MARK & THE MYSTERIANS

    LES FINGERS / ARGWAAN

     ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 598

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    CETTE LIVRAISON 598 SORT AVEC TROIS JOURS D’AVANCE, PARCE QUE NOUS SOMMES DES PHILANTHROCKPES !

    TOUTEFOIS QUE LES ESPRITS DISTRAITS

    N’OUBLIENT PAS LA LIVRAISON 597 !

     

     

    Le Moman clé - Part Three

     

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             Quasiment tout le détail des sessions d’enregistrement menées par Chips Moman dans son studio American se trouve dans l’immensément brillant Memphis Boys de Roben Jones. En fin d’ouvrage, elle fait quelques recommandations discographiques. C’est un peu comme celles de Robert Gordon, ça peut vite devenir une véritable caverne d’Ali Baba, car Roben et Robert citent des albums pas très connus en Europe et qu’on n’aurait pas forcément l’idée d’écouter, et qui finalement se révèlent être pour la plupart de sacrées bonnes pioches. 

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             On tombe par exemple sur l’album solo de Mark James, l’un des songwriters maison d’American. Belle pochette classique dans les tons sépia. Bon, tout est bien foutu sur l’album, mais rien ne va percer le plafond de verre. Bel artiste néanmoins. Il vise cette Americana qui n’est pas aussi cosmique qu’on voudrait le croire. Mark James enregistre cet album à New York avec une belle brochette d’inconnus. Il tape son «Keep The Faith» au groove de feeling pur pour en faire un message d’espoir vibrant - Faith is the key, yeah, it holds the destiny - Il prône ça avec un certain talent latent. Avec «Blue Water», c’est un peu comme s’il visait la beauté juste - Girl take my hand and tell me that you understand/ Cause we don’t need to stand in blue water - Voilà ce qui s’appelle s’imposer. La pop-rock de «Roller Coaster» passe comme une lettre à la poste et en B, il s’en va groover «Flyin’ Into Memphis» à la Tony Joe White, mais avec une voix plus pincée.

             Avant d’entrer dans le détail des albums produits par Chips, il est conseillé d’écouter trois compiles Ace qui offrent un panorama assez complet de ce qu’il faut bien appeler une œuvre. Deux sont consacrées au house-band d’American, les Memphis Boys (Memphis Boys. The Story Of American Studio parue en 2012 et The Soul Of The Memphis Boys parue en 2020). La troisième vient tout juste de paraître : Back To The Basics. The Chips Moman Songbook.

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             On a déjà épluché la première (Memphis Boys. The Story Of American Studio) lors de l’hommage rendu à Reggie Young. On en disait bien sûr le plus grand bien, allant même jusqu’à la traiter de compile du diable. «Memphis Soul Stew» ! King Curtis commence par réclamer a little bit of beiss, a big fat drum and some Memphis guitar. Arrivent ensuite l’organ and the horns. Now a big wail ! : King Curtis fait son Junior Walker ! Suivi par Dusty chérie avec «Son Of A Preacher Man». Tommy Cogbill y vole le show avec son bassmatic. Plus loin, James & Bobby Purify font leur Wicked Pickett dans «Shake A Tail Feather», avec un Tommy Cogbill qui re-vole le show. Au rayon coups de génie, on retrouve  l’immense «I’m In Love» de Wicked Pickett, la démo du «Suspicious Minds» de Mark James, le «Skinny Legs And All» de Joe Tex et le «More Than I Can Stand» de Bobby Womack, fils adoptif d’American. Chips envoie les violons dans la Soul. En queue de compile, on trouve les Soul Brothers que Chips produisait pour Goldwax et notamment l’excellent Spencer Wiggins avec «Power Of A Woman». C’est à Elvis que revient l’honneur de conclure avec «I’m Movin’ On». Dommage qu’il n’ait pas continué à bosser avec Chips. Ils étaient faits l’un pour l’autre. On trouve aussi l’excellent «Born A Woman» de Sandy Posey, Joe Simon, Merrilee Rush et B.J. Thomas, le fringant «Funky Street» d’Arthur Conley, Solomon Burke et les Soul Brothers plus obscurs comme L.C. Cooke ou Clay Hammond. Outch, n’en jetez plus, comme on disait au temps des barricades.

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             Le problème c’est qu’Ace en jette encore avec The Soul Of The Memphis Boys. Rebelotte avec James & Bobby Purify et «Don’t Want To Have To Wait» et cette incroyable qualité du son et cette extrême purée de cuivres, ah ça ira ça ira ça ira, les aristocrates à la lanterne et l’autre, là, l’Oscar Toney JR ! Tu crois qu’il va calmer le jeu avec son «Ain’t That True Love» ? Macache ! C’est encore du typical Memphis beat, l’Oscar est un bon. Ça monte encore d’un cran avec Bobby Womack et «Broadway Walk», il taille sa route à la Wilson Pickett. On croise aussi Jerry Lee et James Carr, puis l’inexpugnable «Cry Like A Baby» des Box Tops. Encore un bassmatic historique ! D’autres blacks de rêve arrivent à la queue-leu-leu, Arthur Conley, Solomon Burke, Joe Tex, Ben E. King, tous ces géants de la Soul viennent enregistrer chez Chips, et puis voilà le «Comin’ To Bring You Some Soul» de Sam Baker, une bombe, suivi d’une autre bombe humaine, Roscoe Robinson avec «How Many Times», un vrai shouter de must I knock d’oh yeah. Et puis voilà la révélation : Ella Washington avec «He Called Me Baby». Fantastique artiste, aussi énorme qu’Aretha. Forcément, Dusty chérie casse bien la baraque avec «So Much Love». On se prosterne jusqu’à terre devant une telle chanteuse. Elle sait grimper plus haut que toutes les autres. Roy Hamilton chante d’une voix de rêve, Elvis aussi, il claque sa chique de «Kentucky Train», les Blossoms explosent «Don’t Take Your Love» et Arthur Alexander referme la marche avec «Rainbow Road», le vieux coucou de Dan Penn - Then one day my chance came along - C’est du mythe pur, Arthur cogne ça dur, avec toute sa dignité de fils d’esclave.

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             Troisième compile hommage à l’American studio avec Back To The Basics - The Chips Moman Songbook. Elle paraît au moment où James L. Dickerson publie sa monographie, Chips Moman. Comme c’est un songbook, Ace met l’accent sur les compos de Chips et non sur ses productions. Les deux grandes surprise de cette compile sont les reprises de «Dark End Of The Street» par les Flying Burrito Brothers et de «Last Night» par Georgie Fame. En ce qui concerne Georgie, pas de surprise, c’est le meilleur shuffle d’Angleterre. Quant à la reprise des Burritos, elle est assez mythique, Gram Parsons chante avec les guitares country dans le creux des reins. Ces mecs ont du son. Comme on va le voir au fil des 24 cuts, la country est une dominante chez Chips. Waylon Jennings qui ouvre le bal avec «Luckenbach Texas (Back To The Basics Of Love)». On tombe plus loin sur la country superstar Kenny Rogers qui fait de «Lying Again» une soupe suprême, puis BJ Thomas avec «Another Somebody Done Somebody Wrong Song», Tammy Wynette («He’s Rolling Over And Over») et ça se termine avec le vieux crabe Willie Nelson («Old Fords And A Natural Stone»). L’autre péché mignon de Chips est bien sûr la Soul. Barbara Stephens ramène du raw r’n’b avec «If She Should Ever Break Your Heart», William Bell ramène son fantastique power («Somebody Mentioned Your Name»), l’immense Barbara Lynn tape dans «You’re Gonna See A Lot More (Of My Leaving)», ah il faut la voir claquer son sweetheart ! Cher fait une version superbe de «Do Right Woman Do Right Man» (ce sont les mecs qui ont accompagné Aretha qui l’accompagnent), Carla Thomas ramène sa romantica («Promises») et Helen Henry ramène aussi sa fraise avec «Every Little Bits Helps» qui date de 62, quand Chips est encore chez Stax. On trouve aussi des choses étonnantes comme cette version de «For You» par Gizelle qui est sur Wild, le fringuant label rockab basé en Californie. Incroyable que les gens d’Ace soient allés taper chez Wild. Il n’empêche qu’on a vu Gizelle au Béthune Retro et ce n’était pas si bon. Merrilee Rush est là aussi avec «Sandcastle». Grâce à Tony Rounce, on apprend que c’est Mark Lindsay qui la recommanda à Chips.

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             L’un des albums dont les Memphis Boys se disent vraiment fiers est le Stoned Age Man de Joseph, sorti sur Scepter Records en 1970. Chips a des connections avec Florence Greenberg, la boss de Scepter qui lui envoie aussi Dionne Warwick et B.J. Thomas. Joseph s’appelle en réalité Joseph Longeria, mais Scepter trouve que Joseph est plus vendeur. Joseph Longeria chante comme cro-magnon, il a cette capacité de faire peur à Tounga et même à Zembla le Rock qui en a pourtant vu des vertes et des pas mûres. «Trick Bag» sonne comme un joli slab de rock seventies, ce qui semble logique, vu la date de parution de l’album. On est en plein dedans. Le problème est qu’on passe facilement à travers les cuts de cet album pourtant considéré comme culte. C’est vrai que le culte a bon dos, surtout quand il l’a dans le cul. On accordera cependant un coup de satisfecit au morceau titre qui boucle l’A, car notre cro-magnon chante son rock des cavernes avec l’énergie du désespoir, mais pas n’importe quel désespoir, le désespoir Williams. Ou si vous préférez, référons-nous aux morceaux en forme de poire d’Erik Satie. C’est adroitement ouvragé. On comprend que ça puisse allumer des convoitises. Chips a dû bien s’amuser à produire ce beau brin de guttural - Like a wild child, yeahhhh - En B, on tombe inopinément sur une belle cover nerveuse de «The House Of The Rising Sun». On sent les barbus de la bande à Joseph invaincus et peu enclins à courber l’échine. «Gotta Get Away» est un cut de Greg Allman monté sur le riff de «Gimme Some Lovin’», un riff qui, comme chacun sait, est têtu comme une bourrique. Globalement, on a là un album solide, bien enraciné dans le heavy rock des seventies. On peut dire que Chips a le chic pour choper le chop.

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             Roben Jones nous rappelle que Chips avait embauché Wayne Carson et Mark James comme compositeurs maison. En 1972, Wayne Carson enregistre l’excellent Life Lines, l’un de ces albums du grand songbook américain qu’on ne peut que recommander, pas seulement parce qu’on y retrouve «The Letter», ce vieux hit qu’il a composé pour les Box Tops, mais pour d’autres chansons beaucoup plus spectaculaires, à commencer par «Laurel Canyon». Il parvient à s’élever dans le chant à la force du feeling - I’m so alone - Du coup, on dresse l’oreille. Avec «All Night Feeling», il joue un coup de boogie sous le boisseau et n’en finit plus de se montrer crédible. On a là une belle pièce de Southern rock cuivrée de frais. Ce mec sait composer, pas de doute, «Tulsa» vient encore renforcer ce sentiment. Les chansons de Wayne Carson accrochent autant que celles de Jimmy Webb, avec le même sens aigu d’une belle Americana. En B, il reprend le «Neon Rainbow» qu’il a aussi composé pour les Box Tops. C’est assez pop, pas loin du Raindrops de Burt, doté de beaux développements mélodiques, très violonné. Dès que Wayne Carson s’élève dans les octaves, ça devient beau. Notons que Fred Forster, boss de Monument, produit l’album. Avec «Just As Gone», Wayne Carson se montre l’égal de Mickey Newbury. Il revient au Southern groove avec l’excellent « A Table For Two For One». Il fait sa Bobbie Gentry, avec une voix de mâle. C’est dingue comme ses compos accrochent bien. Ce mec aurait très bien pu devenir une star, à l’instar de Jimmy Webb et de Mickey Newbury.

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             C’est avec le Keep On Dancing des Gentrys paru sur MGM Records en 1965 que Chips a pu financer le lancement d’American. C’est donc un album historique, très typique d’une époque où tous les kids d’Amérique entendent les Beach Boys à la radio. Et donc ça déteint. On retrouve dans le morceau titre d’ouverture de balda la même petite ferveur bronzée. Ils proposent aussi de la petite pop inoffensive, mais quand ils tapent dans «Hang On Sloopy», c’est avec le Memphis beat d’American. On a là une version groovy chantée à l’insistance caractérielle. Le «Brown Paper Sack» du bout d’A est plus jerky. On est à Memphis et ça s’entend - You better run away girl ! - En B, on tombe sur un joli clin d’œil à Bo avec «Hand Jive», chanté avec le plus bel accent de Memphis.

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             Sur Gentry Time, le deuxième album des Gentrys, on trouve du pur Memphis Sound : «Giving Love». Jimmy Hart chante son Why don’t you share it with me à la belle exacerbée. Et il ajoute, sûr de lui : «Why don’t you try to relax and come and go with me !» Chips donne au «I’m Gonna Look Straight Through You» un vrai caractère garage. On est dans le heavy beat et c’est chanté bien raunchy. Mais l’A se gâte très vite. Difficile de faire un album solide en 1966, pour ça il faut s’appeler les Beatles. Les Gentrys pataugent dans la petite pop inepte et finissent l’A avec la pop bien rebondie d’«A Little Bit Of Love». L’autre cut intéressant se trouve en B et s’appelle «Sunshine Girl». On y sent toute la joie et la bonne humeur de ces kids de Memphis qui déambulent on the sunny side of the road, comme aimait à le dire Gildas. Ils terminent avec un shoot de petite pop infectieuse à la Zombies intitulé «I Didn’t Think You Had It». C’est un joli coup, doté d’une vraie musicalité et d’une assise consistante.

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             Le troisième album des Gentrys sobrement intitulé The Gentrys paraît sur Sun en 1970. C’est donc produit par Knox pour le compte du nouveau boss Shelby Singleton. On a là un album extrêmement solide, une sorte de gosse pop de Memphis dynamisée par un bassmatic énergétique. C’est enregistré au Sam Phillips Recording Studio (le tout neuf), on est donc en plein cœur de la mythologie. Les Gentrys se montrent à la hauteur avec notamment une reprise du «Stroll On» des Yardbirds. Ils sont sur le heartbeat, et Jimmy Tarbutton solote comme un poisson dans l’eau. Encore pire : «I Need You», où Jimmy Hart crie qu’il est un lover et pas un fighter. En B, ils amènent un fabuleux «Southbound Train». Ils jouent à la big energy, c’est bien nappé d’orgue et pulsé au bassmatic sévère de Steve Speer. On ne peut que se prosterner devant Knox, car il nous sort là un sacré son. Tout l’album tient en haleine. On est à Memphis et ça se sent, la pop se veut plus coriace, elle rocke le beat. Ils finissent leur «Help Me» avec un final qui sonne comme celui de «Sympathy For The Devil», pas moins. «Can’t You See When Somebody Loves You» vaut pour une belle pop d’élan martial, cuivrée à gogo.

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    Il se passe toujours quelque chose à Memphis. Belle reprise aussi de «Cinnamon Girl». Ces mecs ont tout pigé. Ils savent travailler la couenne de la psychedelia avec tact, mais en gardant tout le punch du Memphis beat. Ils font aussi une excellente cover du «Rollin’ And Tumblin’» de Muddy et passent avec «He’ll Never Love You» à la pop de grande envergure. Jimmy Hart monte se mêler aux harmonies vocales supérieures, alors que ça cuivre hardiment dans les parages. Quel festin de son ! 

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             Chips vénérait James & Bobby Purify. Ça s’entend sur The Pure Sound Of The Purifys paru sur Bell Records en 1967. Dès «I Take What I Want», on sent la sauvagerie. Ça swingue dans l’âme du Memphis beat, baby. Big bad fun ! L’autre gros hit de l’album s’appelle «Let Love Come Between Us», embarqué au fantastique entrain purifié. On a là une grosse emblématique de very big pop Purify. On B, on se prosterne devant «Sooth Me», délicat et délié, beautiful cut de Soul aux pieds ailés. Nos admirables Purifycateurs tapent aussi avec «You Don’t Love Me» un fantastique shoot de Soul bien troussée au classic brunch. On se croirait parfois sur un album de Sam Cooke, tellement les étoffes sont fines. «I Don’t Want To Have To Wait» vaut pour un joli shoot de Deep Southern Soul superbe et éperdu. Ils proposent aussi une reprise de «Shake A Tail Feather» bien remontée, solide et sharpy, pas très loin de ce que font Sam & Dave, avec de belles montées en température - Ahhhhh, push me/ Shake it shake it - Ils sont dans le high energy, le very high high high d’ouille ouille ouille.

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             Paru la même année, James & Bobby Purify est enregistré par contre à Muscle Shoals avec l’équipe habituelle, David Hood/Roger Hawkins/Jimmy Johnson. James & Bobby démarrent avec un «Wish You Didn’t Have To Go» signé Dan Penn/Spooner Oldham, mais ils se vautrent en voulant reprendre «Knock On Wood». On ne touche pas à Eddie Floyd. Ils reviennent en B à la magie de Dan Penn avec «I’m Your Puppet», mais le son est trop Muscly Shoals. Ils en feront une version nettement supérieure dix ans plus tard sur leur dernier album. Ils restent chez Dan Penn avec «You Let The Water Running» qui sonne comme un hit des sixties avec son sock it to me. Ils rendent un bel hommage à Sam Cooke avec «A Change Is Gonna Come» et bouclent leur petit bouclard avec «You Can’t Keep A Good Man Down», une merveille qui sonne comme du Dan Penn, mais non, c’est du Papa Don, producteur/protecteur/manager des frères Purify, le fameux Papa Don Schroeder qui se vantait d’avoir Ellie Greenwich dans les chœurs et qui justement ramena les frères Purify chez Chips.

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             Si on en pince pour les Purify, il faut écouter leur dernier album paru en 1977, Purify Bros, sachant que Ben Moore a remplacé Bobby Purify qui avait des problèmes de santé. Ils enregistrent l’album à Nashville, mais leurs vieux amis Reggie Young et Tommy Cogbill les accompagnent. Ils tapent dans la Philly Soul de Gamble & Huff avec «Hope That We Can Be Together Soon» et Ben Moore chante au falsetto miraculeux. Ils tentent d’allumer plus loin le «Get Close» de Seals & Croft, mais ce n’est pas aussi réussi. Par contre, ils ouvrent leur bal de B avec «I’m Your Puppet» et là ils s’en vont briller au firmament, grâce à une jolie progression harmonique. Ils flirtent avec le génie dans «Morning Glory», c’est violonné à gogo et d’une puissance terrible. On note encore l’excellence de leur prestance dans «Turning Back The Pages». Ces mecs n’en finissent plus de redorer le blason de la Southern Soul. Tout est admirablement balancé, sur cette B, précieux faux frères, ils chantent leur «What’s Better Than Love» avec un rare entrain, un prodigieux élan. Ils terminent avec une version de «When A Man Loves A Woman», beaucoup moins perçante que celle de Percy Sledge, ce qui semble logique : personne n’est plus perçant que Percy.

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             En 1972, Dionne Warwick débarque chez Chips pour enregistrer Soulful. Chips lui a préparé un petit lot de covers triées sur le volet, à commencer par «You’ve Lost That Lovin’ Feelin’». Pas de problème, Dionne la lionne peut gérer ça, elle peut même le grimper très haut. Elle gère bien son groove de lionne, lovely like you used to dooo. Comme on est chez Chips, elle tape deux Dan Penn, «I’m Your Puppet» (typical Memphis) et «Do Right Woman Do Right Man» dont elle fait la plus Soulful des versions. Elle l’explose comme Aretha l’a explosée avant elle. Elle tape aussi dans le «People Got To Be Free» des Rascals. Chips l’orchestre à outrance et il rend encore plus vainqueuse une lionne déjà vainqueuse. Elle termine son balda avec un clin d’œil aux Beatles et un «We Can’t Work It Out» qu’elle transforme en Soul power. Le bassmatic de Tommy Cogbill rentre dans le lard de la Beatlemania. Ce bassmatic est une œuvre d’art. Ils récidivent en B avec un «Hard Day’s Night» moins réussi et bouclent la B avec un «Hey Jude» que Dionne la lionne chante au feeling de lionne, avec un tremblé de glotte subliminal. Chips fout le paquet, il orchestre à gogo et la marée des violons monte, so let it out and let it in, elle file vite là-haut sur la montagne claquer son nah nah nah, mais elle contourne l’obstacle car elle ne peut pas screamer comme McCartney.

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             On retrouve l’ensemble des cuts enregistrés à Memphis avec Chips sur le double album From Within qui date aussi de 1972. Le Lovin’ Feelin’ et le We Can Work It Out sont en C, mais il y a d’autres cuts qui ne figurent pas sur Soulful, comme cette reprise de «The Weight», fausse Soul blanche, ou encore «Someday We’ll Be Together». En D trône «If You Let Me Love You». Cette Soul Sister de rêve tient sa Soul par la barbichette, et Chips revient à l’équation fondamentale : Memphis beat + voix suprême. Elle tape plus loin dans l’énorme classique de Joe South, «Games People Play» dans une ambiance superbe. Il faut la voir développer son filet de Soul. Elle termine la D avec un clin d’œil à Sly, «Everyday People». Solid as fuck. Par contre, elle propose du gospel en A, elle chante son «Grace» à la perfe, dommage que les chœurs soient si loin derrière. Encore un classique du gospel batch avec «Jesus Will» et elle enchaîne avec une version léonine de «Summertime» - So hush little baby/ Don’t you cry - En B, elle fait une petite tentative de medley avec «MacArthur Park». Dionne la lionne est faite pour la beauté - Catch me looking at the sky - Elle est dans une Soul de you still be the one, elle chante en retenue avec le pire feeling du monde. S’ensuit un hommage à Nina Simone («To Be Young Gifted And Black») et elle boucle sa B avec le «People Got To Be Free» enregistré chez Chips, une splendeur.

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             Chips et ses Memphis Boys étaient encore plus impressionnés par Joe Simon qui enregistre No Sad Songs en 1968 chez American. L’album sort sur le label de Joe Foster, Monument Records. On y trouve deux bien belles énormités, à commencer par «Long Hot Summer», monté sur le big Memphis beat, battu sec et bardé de tortillettes acidulées. Il faut entendre la violence du claqué de notes, c’est du pur Reggie Young, stupéfiant de nervosité et de virtuosité. Les cuivres se jettent dans la mêlée avec un bonheur que n’existe qu’à Memphis. Encore une énormité avec «Traveling Man» qui déboîte sans clignotant pour foncer dans la nuit. Ces mecs jouent la belle embellie. On voit bien que Joe Simon peut rocker le shit de choc. Il tape aussi dans une merveille signé Dan Penn : «In The Same Old Way». Pur jus de Deep Southern Soul, Joe descend dans son meilleur baryton pour faire honneur au Penn. Il chante aussi le «Nine Pound Steel» de Dan Penn, mais c’est le côté gospel batch bien ponctué à l’enclume. Étrange parti-pris de heartbeat. Avec «Put Your Trust In Me», Joe passe au raw r’n’b avec une surprenante vitalité. Les Memphis Boys jouent leur va-tout, comme chez Stax, mais avec quelque chose de plus fouillé dans le son. On retrouve l’énergie Stax dans le «Come On And Get It» de clôture. Ce diable de Joe joue les Saint-Simon du raw, c’est admirable de droiture morale.

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             Joe Simon n’a pas enregistré Better Than Ever chez Chips, mais on peut l’intégrer au déroulé du Moman clé car on y trouve le «Rainbow Road» de Dan Penn, et donc retour à Memphis. Cet album paru en 1969 est d’ailleurs produit par Scotty Moore. Joe chante son «Rainbow Road» au feeling saint-simonien, donc ce n’est pas Arthur Alexander. Une mandoline vient d’ailleurs gratter les puces du pont, alors ça peut gêner au peu aux entournures. D’autant que Joe chante d’une voix de blanc, un peu comme Freddie North. Il sort aussi sa voix de blanc sur «Straight Down To Heaven» et il faut attendre «San Francisco Is A Lonely Town» pour renouer avec la Soul de Soul Brother. C’est une existence difficile, il faut se lever tôt pour décrocher un hit, quand on est Soul Bother. Joe Simon cherche la Deep Soul dans les rues de San Francisco. On le voit aussi faire une version bien straight d’«In The Ghetto». Il tente le coup de la Soul avec «I Got A Whole Lot Of Lovin’», mais sa Soul reste un peu lisse, sans excès, un peu à la Freddie North. On ne trouve pas le petit truc en plus qui fait sortir l’appelé du rang. Le hit de l’album pourrait bien être le «Time And Space» qui clôt l’A, car Joe chante sa pop de Soul avec doigté. Il en groove l’âme. C’est aussi désespérément beau que du Fred Neil. Admirable de mélancolie simonienne.

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             Quand Billy, le fils de Dorsey Burnette, décide de revenir s’installer à Memphis, Chips qui a joué de la guitare avec son père et son oncle Johnny lui donne une chance. Billy enregistre son album Billy Burnette chez American en 1972. Il attaque avec un balladif à la Dan Penn intitulé «Always Wondering Bout You Babe» et sacrément captateur. Billy y développe une grosse mélancolie et montre une belle capacité vocale. Il lance ensuite «Going To A Party» sur le beat de «Mrs Robinson» et ça sonne forcément comme le beat des jours heureux. Mais bon après, ça se délite. L’album retombe comme un soufflé. Chips avait raison de penser que les compos de Billy ne tenaient pas vraiment la route. En fin de B, le pauvre Billy tape dans le Southern soft rock avec «I’m Getting Wasted Doing Nothing», c’est coloré et chargé d’une musicalité qu’il faut mettre sur le dos du American house-band. Il termine avec «Twenty Years Ago Today», un heavy psych de Southern motion aussi puissant qu’un cut de Croz sur If I Could Only Ony Remember My Name.

    Signé : Cazengler, chips à l’ancienne

    Back To The Basics. The Chips Moman Songbook. Ace Records 2021

    The Soul Of The Memphis Boys. Ace Records 2020

    Memphis Boys. The Story Of American Studio. Ace Records 2012

    Joseph. Stoned Age Man. Scepter Records 1970

    Mark James. ST. Bell Records 1973

    Wayne Carson. Life Lines. Monument Records 1972

    Gentrys. Keep On Dancing. MGM Records 1965

    Gentrys. Gentry Time. MGM Records 1966

    Gentrys. The Gentrys. Sun 1970

    James & Bobby Purify. The Pure Sound Of The Purifys. James & Bobby. Bell Records 1967

    James & Bobby Purify. James & Bobby Purify. Bell Records 1967

    James & Bobby Purify. Purify Bros. Mercury 1977

    Dionne Warwick. Soulful. Scepter Records 1969

    Dionne Warwick. From Within. Scepter Records 1972

    Joe Simon. No Sad Songs. Monument Records 1968

    Joe Simon. Better Than Ever. Monument Records 1969

    Billy Burnette. Billy Burnette. Entrance 1972

     

     

    Le feu au Midlake

     

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             Quand est tombé du ciel Van Occupanther, on s’est dit chouette, la cosmic Americana est enfin de retour. Tu ne sais pas qui est Van Occupanther ? C’est l’homme à tête de panthère qu’on voit assis dans le sous-bois de la pochette du deuxième album de Midlake, The Trials Of Van Occupanther. Disons qu’il s’agit d’un album de dimension mythique.

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    Midlake est un groupe texan dont l’âme s’appelle Tim Smith. Il chante et compose. Dès «Roscoe», on sent la pureté du groove tim-smithien qui flirte avec l’up-tempo mais pas trop - Just change a thing or two - La cosmic Americana arrive avec «Head Home». Ils reprennent les choses là où les Byrds les avaient laissées après leur quatrième album, Tim Smith et ses Midlakers sont dans le genius à l’état pur, une vraie mine d’or, avec des dynamiques de basse et de chant psyché all over, voilà l’up-tempo miraculeux. Et ça continue avec «Young Bride», le son vient de l’Ouest. Il va chercher sa young bride au bord du chemin, c’est tendu et extrêmement historique. Ils sont dans l’Ouest de l’Americana et ses rafales de winter extraordinaires. Ce fondu de son est unique dans l’histoire du rock. The Trials Of Van Occupanther pourrait bien être l’un des meilleurs albums cosmiques de tous les temps. Qui peut rivaliser de grâce sidérale avec «Head Home» ? On reste dans le genius midlakien avec «In This Camp», c’est le son de la frontière, avec des vents énormes. Encore de belle pop rock de wild mountain men avec «It Covers The Hillsides», monté sur une bassline digne de celles de Skip Battin.

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             Deux ans avant paraissait Bamnan And Slivercork. Tim Smith prend son «Balloon Maker» au chant de légende et se livre à un petit exercice de Beatlemania. On se croirait à Abbey Road. En bon mage texan, il fait pleuvoir la magie par-dessus les toits. Puis il claque la chique de «Kingfish Pie». Sa tarte balaye tout le reste. Oui, Tim Smith a du génie. Disons qu’il groove sous la surface du génie, comme le montre «I Guess I’ll Take Care» - I want you all the time - C’est de la prescience. Il crée les conditions de son génie. Il t’embarque où il veut. Il chante à la ramasse du Midlake, «Some Of Them Were Superstitious» est une pure merveille, il explose sa pop en la chantant sous le menton. Nouveau coup de Jarnac avec «The Jungler». Il préfigure l’Americana de Van Occupanther. Il chante par la bande avec des accents toxiques. Il va se confronter aux grands vents de la Cosmic Americana jusqu’au bout de l’album, avec «He Tried To Escape» et «Mopper’s Medley», c’est plus fort que lui, il ne peut pas s’en empêcher. «No One Knew Were We Were» est complètement paumé, comme l’indique le titre, mais on se régale de l’entrain d’orgue et de beurre, avec la voix de Tim Smith quelque part au milieu. Il a la même présence que John Lennon. Il est aussi doué, avec ce don de chant et la musicologie afférente. Il peut tirer sur son classique, ça reste beau et bien foutu. Alors si on lui dit ça, il tire, vas-y, Tim, tire sur ton élastique.

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             Le troisième et dernier album qu’il enregistre avec Midlake s’appelle The Courage Of Others. L’album est beaucoup moins dense que les deux précédents. Dommage, car la pochette mystérieuse met bien l’eau à la bouche. Les deux énormités se trouvent au cœur de l’album : «Rulers Ruling All Things» et «Children Of The Grounds». C’est du country folk et on perd la cosmic Americana. Mais ça reste assez puissant, notamment au moment du refrain - I only want to be left my own ways - Avec «Children Of The Grounds», Tim Smith s’envole - I’m gone from here - Disons que tout est complètement largué sur cet album, et en même temps des cuts comme «In The Ground» se raccrochent à des arpèges. Tim Smith continue de taper ses mélodies au contre-chant et se dissout dans l’excellence. On le voit encore tirer son énergie de l’Americana des pionniers dans «Acts Of Man» et il conduit le convoi de chariots de «Winter Dies» - I’d hear the sound of creatures upon the earth - C’est vrai qu’on perd le flying jingle jangle des Byrds, mais on a autre chose.

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             Paru en 2013, Antiphon est donc le premier album post-Tim Smith. À l’époque on s’est dit : «Testons, nous verrons bien.» Test positif car le son est là dès le morceau titre d’ouverture de bal. Pas la même voix, mais ils cherchent à rester dans le même son. C’est une volonté clairement affichée. Et même fucking bien affichée, puisqu’ils outrepassent Tim Smith, ils groovent la magie pure et c’est monté en neige au sommet de Midlake. Inespéré ! On les croyait condamnés. Ils dépassent le syndrome de Stockholm. Ils font du Midlake invétéré. Et ça continue avec «Provider». La magie est là, juste en dessous des glaires de voix, ils développent leur cosmic Texarcana, ils surmontent bien la perte de Tim Smith, ils prélassent le chant dans l’infini du Midlake sound. «Provider» est comme balayé par des vents de son, ils surplomblent la Texarcana, diable comme c’est beau ! Ils sont en plein dans Van Occupanther. On dira la même chose d’«Ages». Ils attaquent «The Old And The Young» au boogie texan. Vas-y mon gars, essaye de sonner comme eux, tu verras que c’est impossible. Ils cultivent l’efficacité de l’excellence. Cet album est l’une des surprises du siècle. On les croyait paumés, mais on les retrouve plus décidés à vaincre que jamais. Et leur pop de cosmic Texarcana n’a jamais été aussi lumineuse. Ils font là encore un big country rock de la frontière, c’est fabuleusement bien joué et remanié à l’extrême. «Vale» est plus atmosphérique, comme balayé par les vagues géantes d’une tourmente. Ces mecs se donnent les moyens de leur délire. Tu peux y aller les yeux fermés.

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             Pour la promo de leur nouvel album, For The Sake Of Bethel Woods, Duncan Fletcher papote avec le nouvel homme fort de la situation, Eric Pulido. Après Antiphon, il croyait le groupe fini. Et comme ils sont coincés par Pandemic dans la même baraque et qu’ils n’ont pas grand-chose à foutre, ils décident de faire des chansons pour un nouvel album - Let’s try out some of these ideas - Alors ils refont leur vieux mélange de psyché, de folk et de prog, et choisissent Bethel Woods en souvenir de Woodstock et de ce que cet événement a pu représenter au plan symbolique. Bien sûr, pas un mot sur Tim Smith et ils n’ont pas grand-chose à ajouter. 

             Avec For The Sake Of Bethel Woods, les Texans ont su conserver leur mystique psychédélique. Finalement, le départ de Tim Smith ne change pas grand-chose. Ils groovent sous la mousse des bois, «Bethel Woods» reste dans l’axe du fast Texas rock, mais sans magie. Le hit de l’album s’appelle «Gone». Il semble ramené des profondeurs. Ça swingue on the top of the beat. On sent chez eux un goût pour le smooth («Glistening») et dans «Feast Of Carrion», on entend des éclats de Van Occupanther. On sent bien qu’ils vivent des vieux restes de Tim Smith. L’album se réveille avec «Noble». Soit ils y sont, soit ils n’y sont pas. Cette fois ils y sont. Eric Pulido chante d’une voix de foie blanc. «Meanwhile» n’est plus du Midlake, mais ils essayent de nous ramener vers Midlake. Ils finissent par y parvenir, c’est du Midlake, mais sans la magie. Difficile à expliquer. «The End» sonne aussi comme du post-Midlake. Ils gèrent leur biz au mieux, et s’efforcent de conserver un goût pour les profondeurs. Il faut dire que ce culte de la pop est assez rare chez les Texans. Ils font carrément de la pop anglaise, mais avec de bons réflexes. C’est assez troublant, alors il faut écouter attentivement. Ils ramènent des tonnes de son, ils s’efforcent d’allumer, mais sans Tim, le casque vibre, c’est bien les gars, ils tentent de surmonter le traumatisme du départ de Tim, c’est très courageux de leur part, on ne peut que les admirer pour cette sortie en fanfare.

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             Comme Shindig!, Uncut fait aussi ses choux gras du nouvel album, à partir des mêmes infos : la pochette représente le père de Jesse Chandler, alors âgé de 16 ans, assis dans la foule de Woodstock au moment où John B Sebastian est sur scène. Le portrait est une interprétation graphique d’une photo tirée du film. Uncut cite quelques références : Eric Matthews, CS&N et Vashti Bunyan. Pour bien cerner le mystère Midlake, Uncut fait ronfler les belles formules, prog-folk melancholia et mystical tunes, mais bizarrement ne fait jamais référence à l’Americana, which Midlake is all about.    

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             Bon alors attention : il existe une compile extraordinaire nommée LateNightTales centrée sur Midlake. Les compileurs ont réussi à rassembler des gens qui sonnent dans l’esprit du fondu de Midlake, les plus connus étant Fairtport Convention, avec «Genesis Hall». Elle est imbattable, la Sandy, avec sa voix de rêve. On la retrouve plus loin avec Harry Robinson dans «Carnival» : the Voice of England, c’est elle. Ce qui frappe le plus sur cette compile, c’est la qualité des choix. On trouve par exemple un cut de Twice As Much & Vashti, «Coldest Night Of The Year» : pur London Midlake sound, ils sont en plein dans Tim Smith, c’est excellent et purifié, heavy soft pop de Twice. Parmi les plus connus, voici encore Sixto Rodriguez avec «Crucify Your Mind». Il gratte sa folk magique. C’est tout de même incroyable de retrouver ce héros ici. C’est lui le boss, avec ses accents dylanesques. Nico est là aussi, avec «These Days», et ça devient forcément légendaire. Nico est l’une des authentiques superstars. The Band fait aussi du Midlake avec «Whispering Pines». Bien vu, exactement le même son. Les compileurs sont des cracks. Scott Walker n’est pas en reste avec son «Copenhagen». The Voice et ambiance garantie ! Et puis voilà Midlake avec «Am I Going Insane», un cover de Sabbath, prodigieux sens de la mélasse, ils jettent tout leur poids de mélasse dans la balance. Parmi les rois de l’Americana, voilà les Flying Burrito Brothers avec «Christine’s Tune» et sa belle énergie de devil in disguise, big bluegrass energy. Jan Duindam sonne comme Tim Smith dans «Happiness & Tears». Même énergie de deep Americana. Incroyable comme ça colle bien. Et puis il y a les révélations. Elles sont au nombre de trois : Beach House, Lazarus et Espers. D’abord «Beach House» avec «Silver Soul». C’est digne de Mercury Rev, belle approche intrusive. La chanteuse est la nièce de Michel Legrand. Puis voici Lazarus avec «Warmth Of Your Eyes», joli folk anglais et son d’une stupéfiante qualité. Alors on y va ! Et pour finir, Epsers avec «Caroline», belle plongée dans l’épaisseur du folk anglais, une pure merveille, ambiance géniale.

    Signé : Cazengler, Midnable

    Midlake. Bamnan And Slivercork. Bella Union 2004

    Midlake. The Trials Of Van Occupanther. Bella Union 2006

    Midlake. The Courage Of Others. Bella Union 2009

    Midlake. LateNightTales. LateNightTales 2011

    Midlake. Antiphon. Bella Union 2013

    Midlake. For The Sake Of Bethel Woods. ATO Records 2022

    Duncan Fletcher : Songs from the woods. Shindig! # 124 - February 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Todd of the pop (Part One)

     

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             À tout seigneur tout honneur : Todd Rundgren donne son nom à cette rubrique que nous consacrons aux géants de cette terre. Quelques-uns s’en souviennent, A Wizard A True Star fut annoncé dans Creem comme le messie. Creem ne se trompait pas. À peine paru, cet album était déjà culte. Todd Rundgren s’y montrait l’égal de Brian Wilson, et ce dès l’«International Feel», monté comme un hit baroque à l’interstellar appeal. Il faut le voir tordre son feel dans les arcanes !

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    Sur cet album, tout s’enchaîne avec une parfaite fluidité. On glisse dans «Never Never Land» avec délectation. Il va de merveille en merveille, il tic tic tique dans «Tic Tic Tic», et se coule naturellement dans le «Rock’n’Roll Pussy». Et puis voilà la huitième merveille du monde, «Zen Archer» - Pretty bird closes his eyes/ Pretty mind dies/ Another pretty thing dead on the end of the shaft/ Of the Zen Archer - Osmose lysergique avec un solo de sax qui déchire le ciel. Cet album donne le tournis. Tiens encore une énormité avec «When The Shit Hits The Fan», bien pulsé au beat de fond, avec des pointes de gratte sur la crête du coq. Ça vire à la beatlemania magique des late sixties. Il boucle l’A avec «Le Feel International», pur génie mélodique. C’est là qu’il monte son chant au sommet de l’Olympe avec un coup de forcing en dernière extrémité. De l’autre côté, on reste dans l’enchantement avec «Sometimes I Don’t Know What To Feel», qu’il allume avec des relents d’Oh Happy Day. Fantastique architecture tectonique ! L’un des temps forts de cet album est le medley de Philly Soul, «I’m So Proud/ Ooh Baby Baby/ La La Means I Love You/ Cool Jerk» qu’il chante d’une voix d’ange de miséricorde. Il tape son Cool Jerk au freakout rundgrenien. Cet album va rester l’un des sommets de l’art pop.

             Un brin d’actu sur Todd Rundgren, ça ne fait jamais de mal : une compile Ace, un tribute, dépêchons-nous, car Todd est arrivé dans la zone à risques des 70-80 ans. Ne perds pas de vue qu’il a démarré en 1968 avec Nazz et qu’il continue de faire des miracles. Avec Frank Black, Jon Spencer, John Reis, Steve Wynn, Robert Pollard et Mark Lanegan, Rundgren fait partie de ces Américains prodigues qui alignent des discographies à rallonges truffées d’albums devenus des classiques du rock. C’est en 1970 que Rundgren est devenu «the young whiz kid who could do anything in the studio». Devenu riche en manageant Peter Paul & Mary et Bob Dylan, Albert Grossman venait tout juste de construire son studio Bearsville, à Bearsville, près de Woodstock. Il prit le jeune Rundgren sous son aile pour en faire l’un des first star producers d’Amérique.

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             Quand Grossman comprend qu’il vient de mettre la main sur une nouvelle poule aux œufs d’or, il met Rundgren sur les coups les plus juteux. C’est l’objet de cette nouvelle compile Ace : The Studio Wizardry Of Todd Rundgren. Cette compile est une sorte de résumé de l’histoire du rock, et d’une certaine façon, de l’histoire de la crème de la crème du rock. Ils sont venus, ils sont tous là, depuis Nazz jusqu’aux Dolls en passant par tous les autres. On en boit jusqu’à plus-soif, et même saturé, on en boit encore. On croyait connaître par cœur l’«Open My Eyes» des Nazz. Eh bien, dans ce contexte, l’«Open My Eyes» prend une toute autre ampleur. Personne ne peut battre le génie de Nazz à la course. Ils cumulent le frantic des Beatles avec le power d’Amérique, c’est un mix unique, une alchimie définitive, jamais égalée depuis. Jamais personne n’a pu égaler le Nazz power, excepté Todd Rundgren. Que dire du power des Dolls ? C’est Rundgren qui fixe le son des seventies avec «Jet Boy». Les Dolls doivent tout à Rundgren. C’est encore le temps où les guitares flambaient et Rundgren les charmait comme on charme les serpents. Mais en même temps, Rundgren dit avoir eu du mal avec eux : «Trying to get everyone on the same page long enough to get a take was like herding cats», ce qui veut dire mission impossible. 

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             La fête se poursuit avec Cheap Trick («Heaven’s Falling», plus power pop, mais avec du son, propulsé dans le cyber space). Il est essentiel de savoir que Rick Nielson rencontra Rundgren pour la première fois à Londres en 1969. Nazz venait de splitter, et Nielsen embaucha Thom Mooney et Stewkey Antoni dans son groupe Fuse qui allait devenir Cheap Trick un peu plus tard, avec l’arrivée de Robin Zander et de Bun E Carlos. Puis tu as le Patti Smith Group («Frederick», trop marketé dans son époque, vieillit atrocement mal). Et puis tu as XTC avec un «Dear God» qui ne marche pas, même chanté par un petit gnard, avec Partridge qui rapplique. Non, ce n’est pas bon, trop prétentieux. Par contre, la brochette qui suit absout Ace de tous ses péchés : Darryl Hall & John Oates, Grand Funk Railroad, Felix Cavaliere et Badfinger. Hall & Oates, c’est forcément bon. On sait que Rundgren adore la Soul, alors pas de problème avec les princes incontestables de la Soul blanche. Le War Babies qu’il produit est un immense album classique, même si Atlantic n’était pas du même avis. Le «We’re An American Band» de Grand Funk tombe bien dans les cordes de Rundgren, heavy rock tapé à la cloche de bois, c’est incroyablement bien maîtrisé, on est au sommet du lard des seventies. Rundgren est arrivé au moment où Grand Funk se décourageait : ventes en baisse et surtout haine grandissante des rock critics à leur égard. Rundgren éprouve de la sympathie pour ces trois mecs et les emmène au Criteria de Miami enregistrer l’album de leur renaissance, We’re An American Band. C’est là que Rundgren établit sa réputation de sauveur. Il va d’ailleurs voler au secours du chat Felix, dont le premier album solo manque, selon Mo Austin, de hits. Alors on fait appel à Rundgren pour sauver l’album. Il bricole l’album en douce et remplace les pistes de basse, batterie et keyboards par les siennes. On imagine la tête qu’a dû faire le chat Felix qui est comme chacun sait l’un des grands chanteurs de l’époque. Et pourtant, Rundgren lui fait une prod de rêve sur «Long Times Gone».

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             Quant à Badfinger, ils amenaient autant de jus que Nazz avec leur «Baby Blue». C’est un son immédiat, fantastique ambiance de heavy pop liverpuldienne ! Pour la petite histoire, Rundgren fut envoyé à Londres pour sauver l’album de Badfinger qui s’engluait depuis un an dans des problèmes de production : Geoff Emerick puis George Harrison avaient abandonné le projet en cours. On connaît le versant Badfinger de cette collaboration, telle que la rapporte Joey Molland dans ses mémoires. Il ne supportait pas les «strong-arms tactics» de Rundgren. Burke a raison de dire que le problème de Rundgren était de faire autorité sur des gens qui avaient déjà des idées très précises de ce qu’ils voulaient faire, d’où les parties de bras de fer. Mais comme le dit si bien Burke, «the proof of the pudding is in the eating», eh oui, le son est là, alors les autres peuvent toujours aller se plaindre, but the job is done ! On dit même que Straight Up est le meilleur album de Badfinger.

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             On croise plus loin deux autres grosses poissecailles : Janis et The Pursuit Of Happiness. Grossman signe Janis en 1970 et il envoie aussi sec Rundgren la produire à San Francisco, avec bien sûr comme backing band The Paul Butterfield Blues Band, un autre groupe sous contrat avec Grossman. La première chose que voit Rundgren en arrivant, ce sont les drogues. So many drugs ! Janis chauffe admirablement sa Soul de pop avec «One Night Stand», un cut qui ne figure même pas sur les albums officiels. Elle se veut très intrusive, Rundgren la sent bien. L’orchestre s’arrête en gare de Janis, tu as tout le tremblement, les cuivres, l’harp, le slinger, l’orgue ! Dans le booklet, Dave Burke nous explique que la session s’est arrêtée pour une pause et qu’elle n’a jamais repris. Janis préférait nettement la scène au studio.

             Inconnus au bataillon, voici le princes obscurs de la power pop, The Pursuit Of Happiness avec «She’s So Young». Stupéfiante qualité ! Content de revoir Fanny avec «Long Road Home», mais les gens d’Ace se sont vautrés. Ils auraient dû choisir «Hey Bulldog». C’est en 1972 que Rundgren quitte les Hollywood Hills après un tremblement de terre pour installer son Secret Sound studio on West 24th Street, à New York. Il commence par enregistrer A Wizard A True Star, puis le Mother’s Pride de Fanny. Encore un mauvais choix avec le «Fa Fa Fa Lee» de Sparks/Halfnelson. Hey les gars, c’est «Fletcher Honorama» qu’il fallait choisir ! C’est la copine de Rundgren à l’époque, Christine Erka des GTOs (Girls Together Outrageously) qui branche Rundgren sur les frères Mael. Ils sont étudiants à l’UCLA et ont un groupe avec les frères Mankey. Ils auditionnent pour Grossman qui les signe sur le champ et qui les envoie en studio avec Rundgren. On connaît la suite de l’histoire, le succès en Angleterre. Mais le plus intéressant est sans doute le propos de Russell Mael que rapporte Burke - Russell Mael has said they owe the whole thing to Rundgren - mais le plus drôle, c’est qu’aussitôt après les sessions, le même Russell Mael a barboté Christine Erka à Rundgren.

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             Tiens, justement, allons voir ce qu’il y a sous les jupes de The Pursuit Of Happiness. She’s So Young est un album de big power-pop, plein de jus de juice, les guitares coulent dans les ravines, c’est grandiose, bien monté en neige par le Wizard Todd. «Hard To Laugh» et «Ten Fingers» sont de belles énormités, les Pursuit ont une puissance de feu suffisamment rare pour qu’elle soit notée dans les registres. Encore de la belle pop de zyva avec «She’s So Young», c’est bien foutu et on ne doute pas un seul instant que cette majesté soit l’œuvre du Wizard Todd. C’est vraiment plein d’à-valoir, de voulu-tu-l’as-eu, c’est de la pop goulue. Encore un chef-d’œuvre de power pop bien pondérée in the face avec «Conciousness Raising As A Social Tool» : wild action ! Le Wizard Todd a dû bien s’amuser avec cette fine équipe. Ils ont du son, des idées et de l’allure. Les cuts suivants restent bien dans le ton, chez Moe Berg, tout est puissant, surtout «Looking For Girls». Il sait trancher dans le vif. Et le Wizard Todd ne manque pas d’enflammer tout ça.

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             Encore un autre grand espoir ruiné faute de hits : The Tubes. Ils auraient dû exploser à la face du monde. Mais ils n’avaient pas les compos. Rundgren ne pouvait pas sauver «Piece By Piece», c’est mauvais, on croirait entendre du Kiss. Rick Derringer a lui aussi essayé de devenir une rock star, mais il n’avait pas non plus les compos. Tout le monde n’est pas David Bowie ni Brian Wilson. Et comme le dit si bien le proverbe austro-hongrois, on ne trouve pas les hits sous le sabot d’un cheval. Par contre le heavy folk-pop des Bourgeois Tagg est bien plus intéressant. «I Don’t Mind At All» est extrêmement fin, on ne sait pas d’où sortent ces mecs, mais ils sont versés dans la pop d’intrication supérieure. Les voies de Todd Rundgren sont décidément impénétrables. D’où l’autel qu’on lui dresse. On arrive à la fin avec le «Goodbye» des Psychedelic Furs, pas de quoi se relever la nuit, par contre, la bonne surprise, c’est «Love Is The Answer» d’Utopia, un groupe qu’on fuyait jadis comme la peste à cause de sa mauvaise réputation proggy. Du coup, on décide de repartir à la chasse, car «Love Is The Answer» est un véritable joyau de pop surnatuelle et ça marche. Rundgren finit en pur genius de scream de gospel demented. 

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             Ah Utopia ! Trop prog, disait-on. Mais à la réécoute, les albums tiennent sacrément bien la route, à commencer par Another Live, paru en 1975. Todd y casse la baraque avec une version hallucinante d’«Heavy Metal Kids», retour aux heavy sources des chutes du Niagara, the perfect heavy rock américain, l’expression la plus poussée du génie sonique de Todd Rundgren, il y va de bon cœur, il nous ressert tout Nazz sur un plateau d’argent, il combine les splendeurs mélodiques aux bassesses de l’hyper-heaviness, ain’t no time to forget, c’mon yeah ! Et il passe sans transition à «Do Ya» pour un tremendous hommage aux Move et au roi Roy, Todd est encore plus puissant que Roy Wood, do ya do ya want my love ! Après le déluge, il ramène la belle pop de «Just One Victory», il retrouve le chemin des harmonies vocales. L’autre big hit de l’album est «The Wheel», une belle pop de calme plat entraînée par une trompette. 

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             L’année suivante paraît le Ra d’Utopia. Todd et ses collègues chargent bien la chaudière de la pyramide. Avec «Jealousy», il flirte avec la heavyness de «Little Red Lights», c’est dingue comme il reproduit bien ses vieux schémas, et cette façon de partir en solo flash de feu follet n’appartient qu’à lui. Avec «Sunburst Finish», il propose une belle émulsion de prog montée en neige.

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             On ne perd pas non plus son temps à écouter Oops! Wrong Planet, un album en forme de melting pot de big pop bien farcie de solos flash. Avec «Love In Action», il renoue avec sa veine power Todd, il adore enfoncer son clou avec le marteau de Thor - You can’t stop love in action - Telle est la morale de cette histoire. Il ramène du stomp dans «Back On The Street», il n’a rien perdu de ses vieux réflexes et il va chercher le poivre des harmonies vocales. En B, il croise le fer avec un solo de sax dans «Abandon City», c’est un combat captivant et il en arrive à «Gangrene», qui est le haut-lieu de l’Oops, il traite sa gangrène à l’insidieuse du heavy rock rundgrenien. Comme toujours, c’est effarant de présence.

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             Et voilà la cerise sur le gâtö : l’autobio parue en 2018, The Individualist: Digressions Dreams and Dissertations. Ouvrage fascinant à bien des égards, Edgard. La couve reprend le visuel de pochette de l’album du même nom paru en 2011 et sur lequel on reviendra dans un Part Two. La première approche du book laisse une impression désagréable, car il est imprimé sur un couché brillant et pèse donc une tonne. Puis on découvre la structure du contenu, et là, c’est l’inverse, on tombe en extase. Rundgren a choisi de raconter sa vie d’une manière extrêmement originale : 180 textes courts (une page chacun) en forme de contes moraux psychédéliques, chacun d’eux assorti d’une chute qui donne à réfléchir. Le tout suivi de 50 pages de photos à la fois rock et personnelles, la plus importante étant la dernière qui montre Todd, sa femme Michele et leurs quatre gosses. Ils sont photographiés au paradis, c’est-à-dire à Kauai, une île de l’archipel d’Hawaï, où Todd a décidé d’installer sa famille. On comprend à la lecture de cet ouvrage remarquable que Todd Rundgren est un homme qui a réussi sa vie, à la fois sur le plan personnel et sur le plan artistique. Les messages qu’il transmet valent bien ceux du Dylan de Chronicles. Le Wizard A True Star qu’il nous proposait en 1973 prend ici toute sa résonance. Ça valait le coup d’attendre 50 ans.

             Les 180 contes moraux psychédéliques sont pris en sandwich entre deux textes alarmants de véracité littéraire : ‘a note about form’ et ‘epilog’. Dans sa façon d’appréhender cet exercice consistant à raconter la vie, il rivalise d’acuité janséniste avec ces champions de l’introspection que sont Georges Perros, Cioran et Paul Valéry. Rundgren attaque ainsi : «On m’a demandé d’écrire mon autobiographie, et j’ai pris cette demande en considération quand j’ai réalisé que si je ne le faisais pas, quelqu’un d’autre l’aurait fait à ma place et le résultat ne m’aurait pas convenu. En réfléchissant à ce projet, je me suis dit que cet exercice pourrait être divertissant, et comme ça ne remettait rien en cause, je me suis mis au travail, j’ai commencé à rassembler des souvenirs et à écrire ce qui m’était arrivé. J’ai très vite compris que je ne pouvais pas organiser ce fatras sans un minimum de discipline. Apprends à te connaître.» Et dans l’épilogue, il apporte un autre éclairage fondamental : «J’essayais toujours de trouver un équilibre entre ce que je voulais dire et les révélations qu’on attendait de moi.»

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             Les textes consacrés aux grands artistes qu’il a côtoyés sont bien sûr fantastiques, mais plus fantastiques encore sont ceux qu’il consacre à ses souvenirs de globe-trotter en Asie, notamment aux Indes. Cet auteur extraordinaire récrée à sa façon le mystère terrible qui plombe La Route des Indes, ce film de David Lean tiré d’un roman d’E.M. Forster. Rundgren voyage en deux roues et séjourne dans les grandes villes, Delhi, Gaia, et Calcutta : «Je réalise que ne fais qu’effleurer la surface de ce grand mystère qu’est l’Inde. Deux semaines après mon retour du Népal, je suis fasciné et épuisé. Mon cerveau ne peut en absorber davantage. J’étais fou de croire que je pouvais trouver une aiguille spirituelle dans une meule de foin aussi gigantesque.» En quatre ligne, il donne sa version du mystère de l’Inde. Plus loin, il nous refait le même coup avec le Japon. Quatre lignes : «Le Japon est comme le Japon. Aucun endroit au monde ne ressemble au Japon. Tous les événements étranges qui lui sont arrivés en ont fait un pays unique au monde. L’isolation, l’incroyable confluence de beauté naturelle, la cohésion culturelle... et les bombes qu’on leur a balancées. On ne pourrait imaginer un pays plus parfait.»

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             Ce sont aussi les chutes des textes qui font le charme ensorcelant de l’ensemble. Rundgren réédite l’exploit 180 fois. Et chaque fois, c’est pertinent. À une époque, il fait partie pendant trois mois du All Stars Band de Ringo avec Joe Walsh, Dave Edmunds et Nils Lofgren. Voilà donc la chute de ‘Vegas’ : «Chaque musicien professionnel a une dette karmique envers les Beatles. Sans eux, la plupart d’entre-nous ne seraient pas devenus musiciens. J’ai payé ma dette pendant ces trois mois, ce qui me met en tête de 99% des musiciens encore en vie depuis 1964. Ça ne veut pas dire que j’irai brûler un cierge en souvenir des Beatles. Ça veut juste dire que je me suis débarrassé de ce gros scarabée (Beatle) qui était sur mon dos.» Dans un texte assez fulgurant sur l’écriture, ‘Writing’, Rundgren chute ainsi : «On est des choses qui font des choses. (...) On fait des choses. On les fait apparaître. On pourrait croire que l’univers voudrait nous en empêcher. Pas vraiment. La stupidité des autres est une balise sur le rocher du désastre. La connaissance circule en dépit de l’ignorance du messager. L’école pue massivement et pourtant j’ai appris à écrire, grâce à mon caractère vindicatif.» Rundgren peut parfois paraître un peu hermétique, mais quand on relit, on découvre une sorte de sens caché. En bon moraliste psychédélique, il demande une attention particulière. Sa musique est d’un abord plus direct. Mais dans les deux cas, on sent la présence d’une vive intelligence. C’est pour ça qu’on là, pour boire à la source.

             Il relate son enfance et évoque ses parents dans une première série de textes. Rundgren prend très jeune sa liberté. Il quitte la maison familiale en banlieue de Philadelphie pour s’installer en ville et y mener la vie de bohème. Il rappelle au passage que Philadelphie a toujours été a music town, grâce au label Cameo-Parkway et à Chubby Checker. Avec ses copains Randy et Collie, il monte un premier groupe. Ils bossent sur Rubber Soul et Shapes of Things qui viennent de paraître. Right time in the right place - And the Stones had the first fuzz-tone driven #1 record with Satisfaction and every thing began to change - Puis Rundgren rencontre le batteur Joe DiCario. Quand Woody’s Truckstop propose à Joe de battre le beurre, il accepte à condition que Todd soit aussi intégré comme guitariste. C’est ainsi qu’il entame son voyage au pays magique du rock. Le bassman du Truckstop n’est autre que Carson Van Osten. Todd et lui vont devenir potes, partager le même appart et monter Nazz - Lucky for me, Carson Van Osten, my first roommate, was really a saint - Quand ils débarquent à New York, ils se rendent au Paramount Theater pour assister au Murray The K show. Todd flashe sur Cream et les Who - Voir deux de vos plus grosses influences sur scène à l’adolescence est une expérience stupéfiante. Cream se pointait sur scène avec des afros - Le show est frustrant car Cream ne joue que deux cuts, et avec les Who, Todd en prend plein la vue, car chacun des quatre Who est un spectacle à part entière, il ne sait pas lequel il faut regarder - And they essentially destroyed themselves onstage (several times a day!) - Personne ne pouvait jouer après eux. C’est là où Todd diverge avec le Truckstop qui louchait sur la West Coast. Todd louchait sur les Anglais - I did not want to be a hippy - Je voulais être Anglais. L’ironie de l’histoire, c’est que j’ai plus appris du rock et de la façon dont on le joue avec les Who, en 5 minutes, que des autres musiciens blancs qui pillaient généralement la musique noire. This I could do - Il pousse son anglophilie jusqu’à aller s’habiller chez Granny’s à Londres. Il rencontre ensuite le batteur Tom Mooney et Stewkey. Le groupe s’appelle The Nazz en hommage aux Yardbirds (B-side du single «Happenings Ten Years Time Ago») et ils tapent un son que Todd situe entre les Who et les Beatles - All harmonies and windmills - Nazz explose très vite et Columbia Screen Gems les signe. Ça embête Todd de se retrouver sur le même label que les Monkees, mais il est ravi d’apprendre que Screen Gems a un deal de distribution avec Atlantic, «ce qui offrait l’opportunité  de rencontrer et de travailler avec Ahmet Ertegun, a real legend.» Ils enregistrent leur premier album à Los Angeles. Todd flashe sur le Sunset Strip, «a glowing snaking river of hair and glitter, music and sex and drugs, which we had no problem acclimating to.» La Californie commence à exercer une réelle fascination sur lui : «Je n’avais aucune référence en tête quand j’ai découvert la West Coast. J’ai été facilement intoxiqué. West was warm, East was cold. West was new, East was old. West was easy, East was hard. Ce n’est pas comme si j’avais perdu ma passion pour les racines anglo-saxones de la culture de la côte Est, dont les groupes anglais étaient le pinacle.» Puis les choses se dégradent au sein de Nazz. Lors de l’enregistrement du deuxième album, Todd impose ses chansons et ça ne plaît pas autres. Carson quitte le groupe et devient graphiste. Puis Todd s’aperçoit que le manager Kurkland manipule les deux factions. Alors il quitte le groupe. On reviendra sur Nazz et les trois extraordinaires albums dans un Part Two.

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             À l’époque de Nazz, Rundgren est déjà sous l’influence de Laura Nyro. Il lui rend un fiévreux hommage dans un texte qu’il intitule ‘Laura’. Il dit qu’à l’écoute d’Eli & The 13th Confession, il est tombé sur le cul - I was knocked completely on my ass. I fell in love with the record, I fell in love with her - Il se met à composer au piano. Il réussit même à la rencontrer au Dakota - l’immeuble où vivra plus tard John Lennon - et se dit surpris qu’elle ne corresponde pas à l’image romantique qu’il avait d’elle - Elle était assez massive, avec des sourcils très noirs, fringuée comme une gitane et elle parlait d’une voix lente, quasi-inaudible. Elle avait les ongles trop longs qui se courbaient et qui cliquetaient sur les touches quand elle jouait du piano - Un jour, elle propose à Rundgren le job de bandleader, mais il doit refuser par loyauté pour Nazz dont il fait encore partie au moment de cette rencontre. Et voici la chute, extraordinaire comme toutes les autres : «Laura Nyro et moi n’étions pas faits pour être ensemble. Elle devint mère, féministe, lesbienne, artiste marginalisée, recluse et finalement victime d’une maladie. Cependant, jusqu’à aujourd’hui, ma première approche de sa puissante expression musicale demeure aussi vive qu’une récente épiphanie.» Cette page consacrée à Laura Nyro, un amour artistique de jeunesse, est l’une des plus belles apologies de la nostalgie. Chez Rundgren, une page peut suffire. Pour exprimer sa mélancolie nostalgique, il faut à Stendhal la distance d’un petit roman. 

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             Laura Nyro refait surface un peu plus loin. Elle contacte Todd pour lui demander de produire un album. Ils commencent par bosser sur «To A Child». Mais Todd trouve que l’ambiance dans le groupe de Laura n’est pas bonne - Vitesse de l’escargot et indécision - aussi quitte-t-il le projet. Il réalise à quel point Laura et lui sont devenus différents. Il voit la passion de Laura refroidir alors que lui voit la sienne grandir, il voit l’univers musical de Laura se ratatiner, alors que lui devient un soul-singer et qu’il se décomplexe. C’est extrêmement fin, extrêmement juste dans la formulation. Ses mots sonnent comme ses notes, juteux et capiteux. Ah il faut le voir conclure le texte consacré au Max’s : «Tout historien objectif devrait pouvoir affirmer que les années 70 ont détrôné les autres décades. Il y avait tout : war, sex, drugs, prog rock and disco, stacks of Marshals and Max’s Kansas City. Il est probable que chaque époque et chaque ville proposait un lieu de prédilection pour l’intelligentsia, l’artiste, le voyeur et l’exhibitionniste, il existait peut-être un équivalent du Max’s dans chaque showbiz town, dans les années 70, but this is after all New York Fucking City.» Il rend aussi hommage à Hunt et Tony Sales qui joueront avec lui sur ses premiers albums solo et qui par la suite rejoindront Bowie dans Tin Machine. C’est dans un club de la 46e Rue, Steve Paul’s The Scene, que Todd rencontre Hunt & Tony Sales, «sons of Soupy» - Je n’ai jamais su me lier avec les gens austères. Ils n’ont jamais compris que je ne prenais quasiment rien au sérieux. Ce qui m’attirait le plus chez les Sales brothers, indépendamment de leur talent de musiciens, c’était leur sens de l’humour, hérité de leur père - Il leur propose le projet Utopia : a space-age concept band avec des space-suits et des cheveux colorés.

             Les drogues ? Parlons-en ! Il évoque avec gourmandise le souvenir d’une boîte à chaussures remplie de boutons de peyotl - That (hint hint) would make an ideal birthday gift even now - Todd ne jure que par le peyotl - I was deliciously mescalinated - Plus loin, il finit par réaliser que le peyotl est une drogue sacrée et un outil d’élévation de la conscience. Il conclut ’Candy’ ainsi : «Les drogues, c’est une boîte de chocolats. Vous avez l’idée. Vous pouvez décider de ne manger que les arachides enrobées de chocolat et jeter le reste de la boîte. Alors votre vie ne tourne plus qu’autour des arachides enrobées. Rien d’autre ne vous intéresse.» Par contre, il n’apprécie pas la coke, dont il voit les effets sur les autres. Quand il enregistre Something/Anything, il tourne à la ritaline - L’album est devenu un double album dont le seul concept était la prolixité. J’ai vraiment dû m’obliger à stopper - Merci la ritaline !

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             Il rend aussi hommage à Wolfman Jack, «the howling renegade of the airwaves». Quand il le rencontre, Todd dit se trouver en présence d’une légende. Il lui consacre d’ailleurs un cut en forme d’hommage sur Something/Anything. Il dit aussi préférer les Beatles aux Stones dont il aimait pourtant les premiers albums, mais qui selon lui, ont évolué comme des «naughty middle-aging schoolboys. Il revient aussi sur Badfinger et l’album qu’il est venu sauver, et comme il ne veut pas que ça continue de s’enliser, il dicte sa loi, ce qui ne plaît pas aux Anglais. Pourtant, l’album est un succès et dans l’histoire, Todd dit avoir gagné une nouvelle réputation : «The Fixer». Il fait claquer du fouet et dit faire gagner du blé au label - Might I on occasion abuse that authority? Probably - Todd Rundgren est bourré d’humour. Plus loin, il se dit ravi de sa rencontre avec Grand Funk Railroad, lorsqu’il est allé produire We’re An American Band dans le Michigan - Je fus agréablement surpris de voir à quel point ils étaient ouverts, mais aussi de voir à quel point ils avaient progressé en développant un style de compo plus performant - Il ne manque plus que les Dolls. Justement, les voilà. Ah cette façon qu’il a d’amener le sujet ! «On me proposa de produire un groupe qui s’appelait les New York Dolls et qui était la patate chaude du so-called punk movement, mais qui ne devait pas encore s’appeler punk. Comme on traînait tous au Max’s, on se connaissait de vue. Je n’étais pas très excité par ce qui ressemblait à un clin d’œil aux Stones in drag, mais ils étaient bien plus excitants que le reste des groupes in drags qui écumaient alors la scène locale.» C’est comme si on y était. En une seule page, Rundgren nous retapisse le mythe des Dolls. Il y va de bon cœur : «Johnny Thunders, le Keith Richards du groupe, devait préparer un doctorat en morosité qui a dû grandement contribuer à l’élaboration de son fameux style de guitare, mais c’est sa coupe de cheveux qui le représentait le mieux.» Quand l’album a été remixé et mastérisé alors que les Dolls faisaient le fête ailleurs, Rundgren dit que «personne à l’époque n’a réalisé que le son ne représentait qu’une moitié de leur total recorded output.»

             Voilà, c’est un minuscule aperçu. Les fans de Todd Rundgren se régaleront autant que les fans de Dylan avec Chronicles. C’est du même acabit. Sans doute l’un des ouvrages majeurs de la culture rock. Au dos du book, Todd porte toujours les cheveux longs, des lunettes noires et un pull noir à cocarde, probablement en souvenir des Who. A True Star

    Signé : Cazengler, Todd Rengaine

    The Studio Wizardry Of Todd Rundgren. Ace Records 2022

    Todd Rundgren. A Wizard A True Star. Bearsville Records 1973

    Utopia. Another Live. Bearsville 1975

    Utopia. Ra. Bearsville 1976 

    Utopia. Oops! Wrong Planet. Bearsville 1977

    The Pursuit Of Happiness. She’s So Young. Chrysalis 1988

    Todd Rundgren. The Individualist: Digressions Dreams and Dissertations. Cleopatra 2018

     

     

    L’avenir du rock - Anagonda

     

             Chaque année, l’avenir du rock reçoit une invitation pour participer au Conclave des anges de miséricorde qui se tient dans une vaste crypte jadis creusée sous l’aide droite du Palais du Vatican. C’est une manifestation apocryphe dont les pontes se lavent les mains. Son seul but est de préserver ce que les théosophes appellent une sous-couche d’œcuménisme, qui prend la forme d’un courant d’idées adaptées à l’universalisme culturel. Chaque fois qu’il relit le manifeste du Conclave des anges de miséricorde, l’avenir du rock s’endort. Et pourtant, il accepte chaque année l’invitation, car c’est l’endroit rêvé pour sortir des sentiers battus et croiser l’impromptu. Il a chaque fois l’impression d’entrer dans le cabinet de curiosités du Docteur Moreau. Chaque intervenant vient en effet témoigner sous serment, du haut d’une antique tribune en bois sculpté, de la présence d’un ange sur cette terre. Au cours des années précédentes, Wim Wenders a révélé la présence d’un ange perché sur les toits berlinois, l’ange Damiel, et comme on lui demandait d’apporter la preuve de ses dires, il tourna Les Ailes Du Désir en caméra vérité. Abel Ferrara a surpris tout le monde en affirmant qu’il avait vu un ange sortir de la culotte d’Asia Argento, et comme on lui demandait d’apporter la preuve de ses dires hautement répréhensibles, il tourna New Rose Hotel. De son vivant, Pasolini était venu révéler qu’un ange nommé ‘le visiteur’ avait baisé toute une famille bourgeoise milanaise, du père à la mère, en passant par la bonne, les rejetons et le petit lévrier. Sommé d’apporter la preuve de ses dires sulfureux, Pasolini tourna Théorème et fit un beau scandale. Conforme à sa réputation d’extravagance, Ginger Baker vint déclarer qu’il était un ange. Sommé d’apporter la preuve de son outrecuidance, il publia son autobiographie : sur la couverture, il portait effectivement des ailes, et chacun referma son caquet. Kevin Smith vint révéler qu’il connaissait personnellement deux anges déchus cherchant à regagner le paradis. Sommé d’apporter la preuve de ses dires blasphématoires, il tourna Dogma. Quand l’avenir du rock est monté à la tribune révéler qu’il avait vu de ses yeux vu un ange noir, un immense brouhaha s’éleva de l’assistance.

             — Noir ? Vous êtes certain qu’il était noir ? Vous risquez l’excommunion !

             Alors l’avenir du rock leva les bras au ciel et fit descendre un petit ange noir équipé d’une guitare.

             — Messieurs les membres du tribunal ecclésiastique, permettez-moi de vous présenter l’ange Jalen Ngonda ! 

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             L’avenir du rock ne raconte pas que des conneries. L’arrivée sur terre de Jalen Ngonda ressemble à peu près à ce qui s’est passé dans la crypte du Conclave des anges de miséricorde.

             Rouen, 2023. Tu le vois arriver sur scène et tu te dis :

             — Oh la la...

             — Oh la la quoi ?

             — Ben oh la la. C’est ce qu’on dit quand ça va pas, non ? Enfin regarde-le, il n’a aucune chance, petit black en T-shirt bordeaux et jean noir bien serré à la ceinture, fragile et presque nu, comme s’il débarquait d’un vaisseau négrier, il y a de cela deux ou trois siècles, ne comprenant rien aux ordres qu’aboient les blancs qui puent et qui fouettent et qui violent. Il tombe des nues en Normandie. Il entre sur scène et va chercher une guitare posée là-bas, près de l’ampli. Ah non, c’est pas vrai ! Une Rickenbacker, comme celle de Pete Townshend ! Il ne va quand même pas nous jouer «My Generation» ! On ne sait même pas comment il s’appelle. Il est tout seul, paumé au milieu de la scène, avec une petite bouteille d’eau. Il va se faire bouffer ! C’est pas possible, une telle fragilité ! Et puis il sourit et demande aux blancs si ça va bien. You’re okay ? Il aurait sans doute dit la même chose en débarquant du vaisseau, voici deux ou trois siècles. Waka donga ? Ça va bien ? Son seul bien est son sourire. Il a sans doute le plus beau sourire du monde. Et là il commence doucement à fasciner. Mais tout doucement. Seconde après seconde. Ce n’est pas une question d’être attiré par les hommes, non, ce n’est pas ça du tout. C’est le simple fait d’être le témoin d’un moment de grâce extrêmement fugitif et complètement inattendu. Mais ça, c’est que dalle par rapport à ce qui va suivre.

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    Il gratte sa clairette sur la Ricken, cling clong, et soudain, il se met à chanter. Il y a plus de grâce dans ce petit black qu’il n’y en eût dans toute ta Renaissance italienne et tous tes peintres, Horatio, tes Botticelli et tes Fra Angelico peuvent aller se rhabiller, car le prince du ciel, c’est ce petit black sorti de nulle part. Il joue en première partie de Thee Sacred Souls et on commence à trembler pour les pauvres Sacred Souls, car le mystérieux archange black tombé des nues est en train de leur voler le show. Il chante la Soul la plus pure qu’on ait entendue depuis l’âge d’or de Marvin, d’Al Green, de Curtis et d’Eddie Kendricks. Il chante en grattant sa clairette de Ricken et c’est un spectacle hallucinant. Il gratte des progressions d’accords et des transitions d’un raffinement qui te laisse comme un rond de flan, si tu connais un peu la gratte. Le public ne s’y trompe pas et l’applaudit à tout rompre, à la fin de chaque chanson.

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    C’est complètement inespéré d’avoir sur scène un jeune black aussi balèze, aussi pur et aussi nu. Il est à l’image de son bras droit, dénudé jusqu’à l’épaule : nu et gracieux. Il cumule les deux fonctions essentielles de la Soul : la pureté et le power. Lorsqu’il grimpe au chat perché, il le fait avec tout le black power dont il est capable. C’est extrêmement rare d’entendre ce mix, habituellement, les dieux de la Soul réservent ce privilège aux superstars. Alors peut-être que ce petit archange tombé des nues est une superstar inconnue. C’est dôle, on voit pas mal de superstars inconnues ces jours-ci en Normandie : l’autre jour on avait le gros Malcolm Cluzo, puis on a eu Thomas Gatling des Harlem Gospel Travelers, et maintenant voici le petit archange black, l’héritier direct de Marvin Gaye.

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             Il s’appelle Jalen Ngonda. Ou N’Gonda. C’est comme on veut. On retrouve son nom après coup sur la prog. On découvre dans la foulée qu’il a des singles auto-édités et un single sur Daptone. Fuck ! Gabe l’a repéré ! Il l’a de toute évidence trouvé sous le sabot d’un cheval, comme il avait trouvé Sharon Jones. Il vient de lancer sa nouvelle superstar ! Sur scène, tous les cuts de Jalen Ngonda sonnent comme des numéros de funambule. Il propose une dentelle de Soul d’une extravagante délicatesse, il va chercher des intonations séraphiques au fond de son imagination et semble cultiver le dodécaphonisme chromatique sur sa Ricken. Même en fouillant dans les milliers de souvenirs de concerts stockés dans cette éponge qui nous sert de cervelle, on ne se souvient pas d’avoir vu un artiste aussi outrageusement sophistiqué. Et donc on s’en émeut. Comme dirait Léon Ferré, on fait partie de la race ferroviaire qui regarde passer les trains. Meuhhh !, s’émeut-il. L’un des hommages que rend notre héros tombé des nues s’adresse à Etta James, avec une cover de «My Dearest Darling».

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             Comme il n’a pas de merch, on déclenche dès le lendemain les opérations de rapatriement. Le single Daptone paraît sans pochette. L’A-side s’appelle «Just Like You Used To» et te voilà en plein Curtis Mayfield ! L’archange black chante d’une voix admirablement tranchante qui devient onctueuse dans les montées. C’est un géant en devenir, une vraie révélation, une suite de l’histoire, on entend même un solo de sax, Daptone le gâte ! Il est vraiment perçant, il a largement de quoi percer. La B-side s’appelle «What A Difference She Made». Avec un backing-band, c’est très différent de ce qu’on a vu sur scène, il a du beurre, du bassmatic et du keyboarding. Il se faufile dans le chant pur de la Soul, lubrifié par des chœurs doux de filles attentives. C’est encore du pur jus de Curtis Mayfield, de l’authentique inesperette d’Espolette. Tu n’en reviens pas d’entendre un mec aussi brillant. Non seulement il groove entre tes reins, mais il monte en puissance d’une façon extravagante. 

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             On trouve aussi sur le marché deux CD singles, un titre chacun, ce qu’on appelle des self-released, «Why I Try» et «I Guess That Makes Me A Loser». Vilaine déconvenue. On perd complètement le fantôme de Curtis. Le premier est un heavy groove de r’n’b qui donne une idée de ce que peut devenir le son du petit archange black, une fois qu’il aura perdu la pureté évangélique de sa nudité.

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    Les deux cuts sont très orchestrés, surtout «I Guess That Makes Me A Loser». L’orchestration outrancière tue la nudité dans l’œuf. Le petit archange black est recouvert de son. Du coup, il sonne comme un artiste à la mode.          

    Signé : Cazengler, ngondale à Venise

    Jalen Ngonda. Le 106. Rouen (76). 10 avril 2023

    Jalen Ngonda. Just Like Tou Used To/What A Difference She Made. Daptone 2022

    Jalen N’gonda. Why I Try. (Jalen N’Gonda self-released) 2017

    Jalen N’gonda. I Guess That Makes Me A Loser. (Jalen N’Gonda self-released) 2018

     

    Inside the goldmine

    - A Question Mark of Temperature

     

             On l’appelait Marée-basse parce qu’il semblait toujours à plat. Sans énergie. Toujours à se gratter un front qu’il avait haut, sans doute à cause du cheveu rare. Un cheveu cependant très noir. Il ne souriait jamais. Il ne parlait que pour se lamenter. Il regardait ses interlocuteurs avec une sorte de moue distanciatrice, l’expression idéale pour tuer la convivialité dans l’œuf. On découvrit tout cela à l’usage. Marée-basse fut engagé comme messager. Il s’acquittait fort bien de sa mission, veillant à ne jamais prendre de risques. Il gagna petit à petit la confiance de l’équipage et fut d’une certaine façon intégré. Il tendait l’oreille lorsqu’on partageait des infos un peu sensibles, mais quand on se tournait vers lui, il mimait du doigt le «muet comme une tombe» pour nous rassurer. On s’est longtemps posé la question : que cherchait Marée-basse ? Pourquoi fréquentait-il des gueux comme nous ? Il ne participait jamais aux expéditions, mais il acceptait sans rechigner d’aller porter des sacs d’or espagnol aux espions qui nous renseignaient dans les ports. Nous ne savions rien ou presque de sa vie d’avant. Il parla vaguement un soir d’une épouse et d’un château quelque part sur la côte normande, mais rien de très précis. Les raisons pour lesquelles il avait comme nous tous largué les amarres lui appartenaient. Il allait probablement emporter son mystère dans sa tombe. Il ne participait pas aux libations. Il refusait d’aller taquiner la courtisane dans les tripots de l’île où nous faisions escale pour panser les blessés et regarnir l’équipage. Marée-basse restait sur la plage à contempler le ciel étoilé. Lorsque la Royal Navy entreprit de nettoyer les Caraïbes pour protéger le commerce maritime, ce fut la fin. Ceux qui n’avaient pas été envoyés par le fond durent contourner l’Afrique pour aller se réfugier dans l’île de Mada. C’est là qu’on revit Marée-basse. Il s’était installé dans un petit fortin avec des femmes indigènes. Il avait autour de lui sa progéniture, une cinquantaine de petits Marée-basse métissés qui, comme lui, portaient des lunettes de fortune. 

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             Pendant que Marée-basse engrossait les femmes indigènes sous les tropiques, Rudi Martinez inventait le gaga sixties à Detroit. Ce n’est pas exactement le même destin, mais ils ont un petit quelque chose en commun : l’unicité. Marée-basse et Rudi Martinez, plus connu sous le nom de Question Mark, sont des êtres uniques et des mystères. D’où Question Mark & The Mysterians.

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             Dans Uncut, Jim Wirth se régale avec la mystérieuse histoire des Mysterians, «naive, sci-fi crazy, Mexican-American youngsters originaires d’un blue-collar backwater à deux heures de route de Detroit» et qui en 1966, ont sorti «96 Tears», le single qui s’est le plus vendu aux États-Unis, aussitôt après le «California Dreamin’» des Mamas & The Papas. Un million d’exemplaires. Cry Cry Cry. Wirth est un drôle d’oiseau car il clôt sa krô ainsi : «Read between the lines and you’ve got a novel». La mystérieuse histoire des Mysterians aurait dû intéresser Harold Bronson.

             Le mystérieux Vox Continenal wizard s’appelle Frankie Rodriguez et le mystérieux guitariste Bobby Balderrama. Il est toujours d’actualité, quasiment soixante ans après la bataille. Wirth lui tend le micro. Balderrama déballe tout. Il raconte que les mystérieux Mysterians ont démarré en trio avec Larry Borjas et Robert Martinez, le cousin de Question Mark. Ils jouaient des instros des Ventures et de Duane Eddy. Donc pas des manchots. Puis ils cherchent un chanteur et Roberto annonce que son frère chante. So we got Rudy in. Il ajoute : «He could dance like a gilr and do the splits.» C’est en voyant le Dave Clark Five à la téloche qu’ils décident d’ajouter un keyboard. So we got Frankie Rodriguez in. 14 ans. Le Vox Continenal wizard est encore au collège. Balderrama n’est pas beaucoup plus vieux : 15 ans. Ils enregistrent «96 Tears» et leur vie bascule. Mais ils ne parviennent à rééditer l’exploit, même s’ils ont du son sur leur deuxième album, Action. Et quel son ! Balderrama évoque aussi un troisième album des Mysterians enregistré sur Tangerine, le label de Ray Charles, et resté inédit. Et quand Wirth lui demande s’ils avaient des contacts avec les Stooges et le MC5, Balderrama dit que non, parce qu’ils sont de Detroit et que les Mysterians sont de Saginow.

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             Dans Shindig!, Fiona McQuarrie va encore plus loin : elle affirme que les Mysterians «lit the fuse beneath garage and punk-rock». Eh oui, ça saute aux yeux, les Mysterians sont les premiers punksters du Michigan. Dans Creem, Dave Marsh emploie pour la première fois le mot punk en évoquant les Mysterians. McQuarrie tend elle aussi son micro à Bobby Balderrama. Il répète son histoire. Le trio des débuts, the guitar stuff. In the garage. Quand Larry Borjas et Robert Martinez partent à l’armée, ils sont remplacés par Eddie Serrato (beurre) et Frank Lugo (basse). Balderrama indique que «96 Tears» naquit d’une jam, too many teardrops. Ils trouvent un joli titre : «69 Tears» qu’ils transforment en «96 Tears» pour éviter les problèmes, déjà qu’ils sont chicanos. Ils enregistrent «96 Tears» sur un quatre pistes chez un mec de Bay City et les DJs de Detroit commencent à le passer à la radio. Ça ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd : Neil Bogart qui bosse pour Cameo-Parkway rachète les droits, et boom ! Diffusion nationale ! Number one en 1966. Puis Bogart leur fout la pression, tente de les arnaquer et les Mysterians se fâchent avec lui. En représailles, ils sont virés de Cameo. C’est pourquoi ils vont à Los Angeles enregistrer le fameux troisième album qui n’est pas sorti. Alors ils se découragent. Split. 

             Tout le monde va reprendre «96 Tears», de Music Machine à Music Explosion, en passant par Ola & The Janglers, Jimmy Rudffin, Aretha, les Prisoners, Eddie & The Hot Rods et les Cramps qui y font allusion dans «Human Fly».    

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             On a tous possédé à l’époque le bel EP français à pochette blanche, avec «96 Tears» d’un côté et «I Need Somebody» de l’autre.

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    Il existe aussi un album du même nom, l’excellent 96 Tears paru sur Cameo en 1966. Même si on connaît tous ces hits par cœur, ça reste un plaisir que de sortir l’album de l’étagère et de se rincer l’oreille avec l’«I Need Somebody» d’ouverture de balda, car Hey ! I need somebody to work it out ! Tout est là, c’mon help me ! Ça n’a jamais pris une seule ride. La fraîcheur des Mysterians est l’un des plus beaux mystères du XXe siècle. «Ten O’Clock», «8 Teen» et «Don’t Tease Me» sonnent comme des classiques, ils n’en finissent plus de nous entourlouper avec leurs boucles d’orgue. Ils tapent un «Midnight Hour» à la ramasse de la traînasse et bouclent ce bel album avec le morceau titre, too many teardrops/ For one eye/ To be cried, l’absolute watch out now, le hit sixties par excellence, you’re gonna cry ninety six tears/ Cry cry cry now.

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             Leur deuxième album paraît en 1967 et porte le joli nom d’Action. Ça démarre sur le fantastique gaga d’orgue de «Girl (You Captivate Me)». On a là les fondaisons du soubassement de l’heavy gaga d’orgue, c’est bourré d’écho et de magie rudimentaire, mais boy, oh boy, quelles bouilles ils ont les chicanos ! On reste dans le génie gaga pur avec «Can’t Get Enough Of You Baby», monté sur la séquence d’orgue de «96 Tears», mais Gawd, comme c’est good. On retrouve les mêmes petits encorbellements d’insinuation interstellaires. Avec «Get To», on les voit aller chercher l’ersatz de placo à partir de petites séquences d’irrévérence, avec une absence totale de prétention. Ils sont vraiment les seuls au monde à sonner comme ça. Ils bouclent l’A avec le «Shout» des Isleys et ça donne au final un bon rendu de rechampi. Ils attaquent leur B avec «Hangin’ On A String». Oh la belle basse au-devant du mimix petite souris. On peut dire qu’ils savent sucrer un contrefort. Ils connaissent tous les secrets de la masse volumique. Tu ne battras jamais un cut comme «Smokes» à la course, I say hey ! Toutes ces compos d’allure certaine font un very big album, comme le montre encore «Don’t Hold it Against Me», cette soft pop de classe marky, superbe, fine et élégante.

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             On retrouve tous les vieux coucous de Question Mark dans The Dallas Reunion Tapes - 96 Forever, un double album ROIR de 1985. Ils attaquent avec «Don’t Tease Me», classicus cubitus, tension maximale, Chicano fever forever ! Awite Dallas ! Rudi chauffe son «Ten O’Clock» à blanc et il attaque sa B avec «You’re Telling Me Lies» qui préfigure tout le gaga du monde. Ça monte comme le «19th Nervous Breakdown» des Stones - You put me down/ Stop make me cry - suivi du pur genius d’«I Need Somebody». Rudi fait les présentations : «Mr Bobby Balderrama on guitar !». Il continue en C et profite de «Midnight Hour» pour présenter son cousin : «Mr Robert Martinez on drums !». En D, il attaque «96 Tears» - Mr Frank Rodriguez on keyboards ! - le thème reste magique, il illustre l’essence même du rock, frais et juste, juteux et élégant - I’m gonna get there/ We’ll be together/ For a little while - Les Chicanos balancent fantastiquement. 

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             En 1998, Norton a eu l’intelligence de faire paraître un album live de Question Mark, l’indicible Do You Feel It. Rien qu’avec la pochette, tu es comblé. Visuel gaga pur, avec Rudi Martinez en pleine action. Ils attaquent avec l’excellent «Do You Feel It», ça swingue, et ils passent à «Smoke», ce gros shoot de gaga têtu tiré du deuxième album. Ça explose enfin avec «Can’t Get Enough Of You Baby», monté sur la boucle de «96 Tears». Il y a de la magie dans cette façon de sonner. Ils bouclent leur balda avec «I Need Somebody», la B-side du single magique «96 Tears». Back to 66, hey ! Awite, Rudi y va, c’est l’un des grands awiters de need somebody. Pur genius - I need somebody/ To work it out - En B, ils reviennent au heavy groove avec «Get To» et juste ce qu’il faut de chant. Encore du pur jus de gaga sixties avec «10 O’Clock», tiré du premier album, un peu de réverb pour faire bonne mesure, solo classique à la traînasse, c’est excellent, insidieux à souhait. Ils attaquent la C au «Don’t Tease Me», apanage du gaga beat d’orgue pur. Et pour bien monter en température, ils tapent dans «96 Tears», le classique définitif. Encore un autre classique définitif en D avec «‘8’ Teen», têtu est flamboyant. Voilà le real deal. Rudi Martinez fait encore la une de l’actu avec «Don’t Break This Heart Of Mine». Awite ! Il  est dessus. C’est violemment bon, extrêmement Marky, fast beat et nappes d’orgue rudimentaires. Tu as tout le son des sixties.

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             Quelle grave erreur ce serait de faire l’impasse sur ce More Action paru en 1999 ! Les petits Chicanos n’ont jamais été aussi bons que sur ce retour de manivelle. Ils démarrent d’ailleurs par une cover de DMZ, «Don’t Give It Up Now» qui balaye tout le reste du wild gaga, et Robert Lee Balderrama claque l’un de ces killer solos flash dont il a le secret. S’ensuit un «Feel It» qui te pulse bien entre les reins. Ils fabriquent du mythe à l’état pur, toujours avec le même son, mais avec une énergie démesurée. Ils te donnent tout l’or du Rhin que tu peux espérer, alors te voilà riche. Tiens, voilà «96 Tears», comme par hasard sur le Pont des Arts, ils jouent ça à l’insistance fatidique, too many tear drops to carry on, hit fatal entre tous, l’énergie de l’Amérique, ces petits mecs ont fait danser le continent, all this cryin’, c’est aussi pur que Dylan, to carry on. Et Balderrama continue de bourrer sa dinde avec «Girl (You Captivate Me)», il fait son fuzz wiz, il arrose les c’mon de purée, trente ans plus tard, c’est toujours aussi explosif ! Ils ont cette profondeur de son ancrée dans le passé. Question mark & The Mysterians sont l’un des groupes américains les plus aboutis. Rudy Martinez chante admirablement bien son «Ain’t It A Shame», il met une pression terrible, poussé par Balderrama. Ils font même une cover de Suicide, «Cheeree». Là tu as tout ce que tu dois savoir sur les hommages. Rudy se prélasse dans le Suicide. Ces petits mecs sont incroyablement complets. Ils s’amusent encore comme des gamins avec le vieux groove d’«It’s Not Easy». On éprouve une réelle fierté à  les écouter. Ces petits mecs incarnent tout ce qu’on aime sur cette terre. Ils redéfinissent les frontières et tu as ce fou de Balderrama qui repart en maraude de wild carnassier. Les Mysterians sont tes meilleurs copains. Ils ne te décevront jamais, yeah yeah. Frank Rodriguez est toujours à l’orgue, Big Frank Lugo on bass et Bobby Martinez au beurre. Sur le disk 2, ils tapent une cover de «Sally Go Round The Roses», un cut signé Totor. Oh l’incroyable power des Chicanos ! Ils te swinguent ça vite fait. Ils ont tout le matos pour swinguer Totor, même la fuzz. Ces petits mecs sont habités par le diable Gaga, le pire de tous les diables. Ils perpétuent encore leur petite recette avec «Don’t Hold Against Me», ça groove et ça se lâche dans la clameur. Balderrama revient foutre le feu à «Do You Feel It», il joue en embuscade, ne frappe qu’à coup sûr et pouf, Rudy arrive comme Superman. Leur cover de «Satisfaction» vaut aussi le détour. Ils aiment bien les Stones, on voit qu’ils s’amusent, ils sont encore plus moites que Jag, c’est une belle cover, pure et dure. Balderrama fout encore le souk dans la médina avec sa grosse fuzz. Ils ramènent le riff de 96 Tears dans «Strollin’ With The Mysterians», une merveille d’instro avec le Balderrama en embuscade. Comme le Capitaine Conan, il frappe derrière les lignes, il joue là où on ne l’attend pas. Cet album étonnant s’achève avec la version Spanish de «96 Tears», c’est encore pire que la version originale, plus heavy, muchas lacrima, vive l’Espagne ! Avec un dernier sursaut d’espagnolade ! 

    Signé : Cazengler, Question Martini

    Question Mark & The Mysterians. 96 Tears. Cameo 1966

    Question Mark & The Mysterians. Action. Cameo 1967

    Question Mark & The Mysterians. The Dallas Reunion Tapes - 96 Forever. ROIR 1985

    Question Mark & The Mysterians. Do You Feel It. Norton Records 1998

    Question Mark & The Mysterians. More Action. Cavestomp! Records 1999

    Jim Wirth : ? & The Mysterians. Uncut # 301 - June 2022

    Fiona McQuarrie : Cry Cry Cry. Shindig # 127 - May 2022

     

    *

    En ces temps lointains, 1962, voici plus de soixante années, le rock français était en ses toutes premières années. L’on a estimé entre 1960 et 1963 entre trois et cinq mille le nombre de groupes créés, et disparus. Un feu de paille et une explosion sans pareille. Le service militaire et la guerre d’Algérie ont cassé bien des appétits de vivre et brisé bien des rêves de gloire et de réussite… De cette grande flambée il ne reste plus que des souvenirs dans des mémoires qui s’étiolent. Ceux qui ont survécu furent les chanteurs, Eddy Mitchell, Johnny Hallyday, Dick Rivers…  Les groupes qui ne possédaient pas de chanteur ont été rayés de la carte. Je ne sous-entends pas qu’en règle générale les chanteurs n’étaient pas au top niveau. Non je parle de ce phénomène musical bien oublié : les groupes de rock instrumentaux. Plus qu’une mode ce fut un engouement.  

    Un phénomène étrange par chez nous, nous sommes dans un pays réputé pour ne pas avoir l’âme musicienne, oui mais il y avait Apache des Shadows qui suscita bien des vocations… Et puis ce nouveau son de la guitare électrique que les groupes de balloche commençaient à utiliser, qui intriguait beaucoup et qui caressait agréablement même les oreilles des adultes qui n’étaient en rien portés vers le rock’n’roll… Bref il y eut un appel d’air…

    Nous-mêmes, si ma mémoire ne nous trahit pas nous n’avons consacré qu’une seule chronique à un de ces groupes : les Mustangs. En voici une seconde dans laquelle nous nous intéresserons aux deux premières années (62-63) des Fingers.

     LES FINGERS

    Le mot Finguer sonne bien en français, on comprend qu’ils n’aient pas pas adopté sa traduction. Le choix du nom du groupe est assez clair : c’est avec les doigts que l’on joue de la guitare. Pour la petite histoire c’est Jean Greblin, leur directeur artistique chez Festival qui l’aurait proposé.

    Ils sont quatre : Jean-Claude Olivier ( guitare solo ), Marcel Bourdon ( guitare rythmique ), Yvon Rioland ( guitare basse ) et enfin le malheureux dont l’instrument n’est pas une guitare : Jean-Marie Hauser ( batterie ).

    Jean-Claude Olivier ( né en 1932 , pour mémoire Elvis en 1935) n’était pas inexpérimenté lorsqu’il a fondé les Fingers. Avait débuté dans la balloche, puis très vite dans les grands orchestres comme celui de George Jouvin, il finira par rentrer dans le cercle fermé des requins de studio. Amateur de jazz, la venue du rock ‘n’ roll qu’il définit comme une forme commerciale du Be-bop ne le surprend pas. Avec l’aide du pianiste et compositeur Jacques Arel il formera les Fingers, n’a-t-il pas déjà remplacé les guitaristes de groupes de rock en studio, sur le dernier disque des Chats Sauvages avec Dick Rivers par exemple. Par contre pour leur premier disque les Fingers ont eu besoin d’Armand Molinetti à la batterie qui avait joué avec les Chats Sauvages et les Aiglons…

    Le groupe a connu beaucoup de changements, Jean-Marie Hauser sera remplacés par Serge Blondie ; Yvon Rioland par Hermes Alesi ( ex Drivers ) puis par Hedi Kalafate ( ex Cyclone, ex Fantômes ) ; Marcel Bourdon cèdera la rythmique à Raymond Beau…

    Nous sommes dans un petit monde de musiciens aguerris qui se cooptent et se connaissent. Le groupe se séparera en 1965, Jean Greblin malade, Festival ne s’occupait plus d’eux. Ils resteront dans le métier, on les retrouvera derrière de nombreuses vedettes de Polnareff à Moustaki… Olivier fondera Robespierre son propre studio d’enregistrement à Montreuil, cité Rock. J’invite ceux qui veulent en savoir davantage à lire l’interview de Jean-Claude Olivier sur le site Guitares & Batteries dans lequel j’ai puisé sans vergogne.

    Premier EP (FY 2145) des Fingers, retournons la pochette et lisons : ‘’ Je crois avoir eu un véritable privilège pour une discophile. En effet j’ai été la première à écouter ces pages de la guitare que je viens ici vous présenter. Cet enregistrement remarquable m’a fait oublier le nombre trop grand de nouveaux groupes et m’a fait oublier que j’avais déjà écouté les Shadows. / Au nom de tous les jeunes, de tous les copains et copines qui aiment la qualité, je dis merci aux FINGUERS qui donnent enfin à la France ce qu’elle enviait tant à l’Angleterre : un groupe tel que les Shadows. Les FINGERS resteront certainement dans l’histoire du jazz français. Bravo. ’’. C’est signé Nicole Paquin. Un peu passée à l’as (de pique) Nicole Paquin aujourd’hui. Trop vite éclipsée par la vague yé-yé, n’y a pratiquement eu que le magazine JUKEBOX pour rappeler la saga de cette aventurière qui a essuyé les plâtres pour ceux et celles qu’elle avait précédées.

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    Le grand M… M (mystérieux) pour Madison, la danse qui au début de l’été 62 a tenté de supplanter le twist… le recto de la pochette fait la part belle à une danseuse montée sur scène en pleine exhibition madisonienne : surprenant pour un groupe instrumental cette voix féminine qui annonce le titre. Disons-le franchement, le Grand M est plutôt moyen, je me souviens très jeune avoir entendu un groupe de balloche interprétant une série de madisons beaucoup plus nerveux. L’on retiendra une belle sonorité de guitare et l’on fera semblant de ne pas avoir entendu la batterie un peu asthmatique. Pas de quoi sauter au plafond. Le chemin de la joie : beaucoup mieux, entraînant et beaucoup plus dansant. Faut tout de même réaliser une réadaptation auditive : le son des guitares est si aigrelet et cristallin qu’il faut oublier jusqu’à la possibilité de l’existence de la guitare fuzz. Pas cette chanson : une belle basse, mais je vous en prie écoutez plutôt la version chantée de Johnny Hallyday, ici la rythmique clapote un peu et la lead se prend pour un violon, larmoyant, on est loin de Ben E King, manquent l’influx et l’émotion. Les hommes joyeux : un peu twist, un peu western, dommage que la batterie charlestonne un peu au milieu, ce coup-ci la guitare se prend pour un banjo. Un peu disparate, mais agréable, donnent l’impression qu’ils sont sur la piste du rock ‘n’roll mais qu’ils ne parviennent pas à y mettre la guitare dessus. Cherchent la sonorité, alors qu’ils devraient trouver le son.

    Si vous n’avez pas ce microsillon dans votre collection inutile de vous suicider, mais si vous y mettez la main dessus dans une brockante, prenez-le.

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    Deuxième EP ( FY 2311). C’est la pochette que vous devez regarder pour voir une photo des Fingers, remarquez la modicité de la batterie, et les partitions posées sur les pupitres… pas de look frénétique, z’ont l’air de garçons sages…

    Finger print : l’on change d’étage, une compo de d’Olivier et d’Arel, ici l’on ne s’ennuie pas tout est bon, même si la deuxième partie est un peu répétitive. S’il manque quelque chose à ce morceau je suis certain que c’est une meilleure approche technique de l’enregistrement. L’idole des jeunes : du cousu main, ne se sortent pas mal de cette reprise instrumentale de Ricky Nelson, via Johnny Hallyday, n’ont pas l’air de donner un calque, affirment enfin une singularité, sonnent enfin comme les Fingers. Desafinado : une bossa qui fut reprise en 1962 par Stan Getz un des musiciens préférés de Jean-Claude Olivier. Autant dire que l’on est loin du rock… sympa mais ennuyeux. Hors contexte. Non je ne suis pas sectaire, je n’aime que le rock. Monsieur : une chansonnette pas très pétulante de Petula Clark. Inécoutable. Cette face B est une catastrophe.

    Troisième EP (FY 2317). A mon goût peut-être la plus belle pochette des french early sixties, parfaite pour un disque de country américain des années cinquante.

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    Telstar : l’on ne compte plus les reprises de Telstar, interprété à l’origine par The Tornados sous la houlette de Joe Meek le Phil Spector britannique : tout groupe instrumental se devait de se frotter à ces sonorités qui semblaient venir d’ailleurs : s’en sortent par le haut, emploient une vieille ruse apache, puisqu’ils ne peuvent pas rivaliser avec le sorcier de la console qu’était Joe Meek ils imitent les Shadows ( comme quoi le mot de Nicole Paquin au verso de la pochette de leur premier disque était prophétique ). Un bémol toutefois pour la batterie non-imaginative. Quant à la fusée qui décolle pour l’espace, elle n’a pas eu droit à sa fenêtre de tir. Un jour tu me reviendras : une rengaine certes mais l’épaisseur du son est là, même si le solo de Jean-Claude Olivier manque un peu de vitamine l’ensemble passe bien la rampe. Les cavaliers du ciel : une des plus belles réussites des Fingers, rien à redire, à la hauteur des Shadows sans aucune retenue. Ils ont l’imagination et le son. Que voulez-vous de plus. Loin : une reprise d’un morceau de Richard Anthony les Fingers nous restituent la mélodie de cette chanson mélancolique, le solo de Jean-Claude Olivier qui termine le morceau ne dépare en rien la beauté de la ligne mélodique.

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    Quatrième EP (FY 2338). Une belle pochette colorée qui attire l’œil. Si vous voulez voir à quoi ressemble la formation, mirez le verso.

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    Diamants : attention Diamonds a été composé par Jerry Lordan qui composa aussi Apache… sa version orchestrée n’est pas aussi belle et aussi pure que celle des Shadows, ressemble trop à un générique de western. Il en est de même de sa version de Diamonds pourtant enregistrée avec deux membres des Shadows : maintenant sont à l’aise dans leur propres son, une batterie qui survole, une guitare qui vous envoie le riff comme un boomerang qui vous revient dans la gueule. Les guitares de décembre : une compo de Jean-Claude Olivier et de Jacques Arel preuve évidente de la dextérité acquise en deux années. Un seul défaut : trop court. Ton ballon : une des chansons du disque que les Fingers ont enregistré avec Line Renaud. La piste instrumentale est mignonne mais après les deux morceaux précédents, elle ne fait pas le poids. How do you do it : une reprise de Gerry and The Pacemakers, un mauvais choix d’un morceau qui n’a rien d’exceptionnel, vraisemblablement une demande de la maison de disques, j’ose l’espérer.

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    Cinquième EP (S 2345). Special Bue-Jeans : ce morceau donna son titre à l’émission présentée par Jean  Bonis ( une voix inimitable ) sur Radio-Andorre ( ne pas confondre avec La radio des Vallées qui deviendra Sud-Radio ) chaque jour ouvrable de 16 h 30 à 18 H, après quoi l’on passait sur Europe 1 pour Salut les Copains : que dire, peut-être, sans doute, sûrement, le meilleur instrumental français des early sixties. Si vous ne devez écouter qu’un seul morceau des Fingers c’est celui-ci. Jacques Arel à la compo. Say wonderful words ( = Des mots pour nous deux ) : est-ce que vous avez besoin d’un slow après ce qui précède ? Non ? Moi non plus. D’ailleurs en Grèce, les Grecs depuis l’antiquité ont toujours eu du goût, il ne figure pas sur le 45 tours. Teenage trouble : cela vous troublera-t-il ? Top secret : pas si secret que cela, ici les Fingers ont trouvé leur formule, ils ont leur langage à eux, tous les trucs et tous les tics qui marchent, mais ils ne se surpassent pas.

             Il leur reste encore une année et demie avant de se séparer. Trois véritables 45 tours, quelques morceaux de qualité comme Fingers on the rythm, Surfin safari et Mister Chou Bang Lee mais le cœur n’y est plus. Il était temps pour eux de passer à autre chose. Leur a manqué, malgré leurs progrès indéniables, l’essentiel : ils ont fait de la musique, mais ils n’ont pas eu envie de s’inscrire dans la mythologie rock’n’rollienne en construction.

             Parfois l’on traverse des périodes de son existence qui vous dépassent sans savoir ce qu’elles signifient.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Des Pays-Bas. Est-ce pour cela qu’ils ont le moral au plus bas ? Définissent leur art en quatre mots : depressive, suicidal, black metal. Gardons une note optimiste, ils ne se réclament pas du death metal ! Autre avantage, leur musique est somptueuse.

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    Troisième opus d’Argwann, le groupe est composé de : Stilte : guitare, vocal et de  Smaad : guitare bass. Sneer s’est occupé de la batterie. Tous ces noms propres possèdent une signification : Angoisse, silence, calomnie, ricanement. La pochette représente sur un fond vert deux corps nus d’une blancheur quasi cadavérique allongés dans une végétation de longues tiges vertes. Seraient-ce des plans de Sorgho, mes connaissances botaniques ne me permettent pas d’en juger. Le titre de l’album n’incite guère à l’optimisme : Cher enfant, monde cruel !

    LIEF KIND, WREDE WERELD

    ARGWAAN

    (K7 / Bandcamp / 16 – 04 – 2023)

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    Unease : grognements vocaux, musique violente, une espèce de vomissement de soi, un jugement implacable porté sur l’incapacité à vivre pleinement, à ressentir ses propres sentiments que l’on n’arrive pas à cristalliser au fond de soi, la musique tourne comme une immense broyeuse du vouloir vivre,  cris d’auto-égorgement, l’impuissance d’être heureux, crise existentialiste, dégoût de soi, de ne pas être en adéquation avec la beauté du monde, hurlements de haine emportés dans une intumescence lyrique hyper romantique. Une batterie folle auto-lacère la prise de conscience de sa propre impuissance. Une description peu engageante mais ce morceau est une splendeur. Hoffnungsvoil : une décharge battériale infinie, des vagues de guitares folles, naufrage de l’homme qui hurle au secours tout en sachant très bien que s’il parvenait à être comme les autres il perdrait son individualité, car c’est son malaise qui le détruit mais qui aussi le tient en vie, tout comme la mort dont on n’a conscience que tant que l’on est en vie, hurlements de désespoir, hachis de nos prétentions à ne pas vouloir être ce que l’on ne peut pas être. Notes terminales, gouttes de tristesse, constat amer. Goddeloss : ritournelle cordique, un son fêlé à l’image d’une âme dévastée, tristesse infinie de celui qui a tout perdu, un vent de fureur survient, reprise de l’expression du même malaise, mais ce coup-ci il faut faire sauter le bouchon de tous ce blocage existentiel, n’est-ce pas la honte d’avoir troué la bouée de sauvetage qui maintient la vie des autres à la surface de la mer, l’absence de Dieu. Âme dévastée.  Crumble under these weightless words : Ce n’est pas la cerise sur le gâteau mais le crumble de l’âme écrasé sous le poids des mots. Colère introspective, la voix devant, qui se confesse à elle-même, qui récite un poème, la musique derrière avant qu’elle ne revienne comme une vomissure car si le Seigneur recrache les tièdes il est nécessaire d’être brûlant, d’accuser, de maudire, de penser à l’extermination du vice et du péché tout en sachant que soi-même l’on n’est pas exempt de manquements, calme avant la tempête qui monte, cette rage est autant la fille du dégoût de l’humanité que de soi, de cette turpitude humaine qui mène les agneaux à se métamorphoser en tigre assoiffé de haine, ivres de fureur et d’autodestruction, tant de colère pour retomber en soi-même pour finir par s’écraser tout simplement dans sa propre solitude se cogner encore une fois au mur de la mort qui s’avance menaçant, mais qui est aussi le dernier rempart contre notre orgueil. Ein leitzter Moment der Freude : retour sur soi-même, récitation d’un poème, apaisement, tout ce qui a été perdu, mais lorsque l’on se regarde dans le miroir de l’existence l’on ne peut être qu’empli de dégoût pour ce que l’on n'a pas réussi à être, à s’accuser, à se vouer au suicide, des cris de haine et de pitié envers soi-même, et puis l’on finit par se retrouver dans l’image oubliée de l’enfance, à tout miser sur cet enfant perdu duquel il est nécessaire de se montrer digne, une lumière dans la noirceur du tunnel, la musique devient aussi violente que dans les moments les plus désespérés, l’espoir fait-il vivre ? Inner dissuasion : notes lourdes, reprise du poème hurlé jusqu’au débordement musical, enfermé en soi-même pour se parler à soi-même, mais aussi aux autres, première fois que notre prisonnier volontaire de soi-même s’adresse aux autres, une violence non contenue, un mélange d’objurgation et de prière, ne pas lui ressembler est le nouveau mot d’ordre, ne faites pas ce que j’ai fait, ne vous conduisez pas comme moi, la musique devient un torrent dévastateur qui emporte tout et qui en même temps nettoie et assainit, vocal catharsique, mettre en garde les autres n’est qu’une manière de proclamer son propre dégoût de soi, d’exprimer le masochisme du rejet de soi-même, de brûler ses propres scories en se reconnaissant dans les autres qui vous ressemblent. Attitude de ces prêcheurs fous qui au moment du schisme luthérien parcouraient les villages en promettant l’apocalypse… Verdrongen vreudge : ces notes ne sont pas joyeuses mais empreintes de nostalgie, au fond de soi, au fond du monde, sourd la lumière contenue d’une joie à laquelle l’on n’ose pas accéder encore, dans laquelle il est urgent de se précipiter, de ne plus hésiter, il est plus que temps de s’adonner à cette luxuriance de la vie, être nu dans les herbes ondoyantes d’un paradis retrouvé. La musique déboule sans fin pour nous obliger à entrer dans la joie de l’innocence, l’exaltation du plaisir de vivre doit nous envahir et se transformer en chant d’allégresse. Lief kind, wrede wereld : vent froid et ténébreux qui n’augure rien de bon, l’allégresse passée se transforme en marche funéraire, pas lourd des porteurs du cercueil de nos efforts, de nos prétentions à choisir la vie et Dieu. Liturgie d’église, le vent se lève, celui de l’impuissance à partager le rêve de la consolation, la batterie accentue son hachoir méthodique, le vocal est entré dans la musique, enfin il s’élève, il ne se cache plus, il clame l’impossibilité métaphysique d’un bonheur humain qui reposerait sur autre chose que lui-même, l’âme ne s’est pas évadée de sa prison mentale car le monde est la prison, les illusions sont déchirées, ce qui n’oblitère en rien le besoin de ce désir illusoire. L’on se retrouve dans la ronde de la déréliction humaine. Tristesse infinie de celui qui n’a pas atteint à l’exultation nietzschéenne de l’éternel retour.

             Opus étonnant. Une thématique dépassée, celle du désespoir existentiel qui éprouve la rassurante nostalgie du Dieu qui est mort, mais qu’au fond l’on regrette. Tout le long des quatre-vingt premières années du siècle précédent par chez nous L’Eglise a misé sur le désarroi humain pour faire revenir dans le troupeau communautaire les brebis égarées. Serait une marque de ce que l’on fustige sous le concept de retour du religieux ?

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 25 ( Subjonctif  ) :

    132

    Le Chef allume un Coronado :

              _ Agent Chad si vous ouvriez les yeux en conduisant, je préfèrerais !

              _ N’ayez crainte Chef, je connais la route de Provins par cœur, j’en profite pour me concentrer. Vous rêvez que je lis un livre dont le titre est Oecila, nous sortons du Père Lachaise où nous avons rencontré deux sympathiques ouvriers en train d’orthographier correctement le prénom Oecila sur une tombe, j’ai beau me creuser la cervelle, dans ma vie passée je n’ai jamais rencontré une fille qui portait ce prénom. 

    • Je veux bien vous croire Agent Chad, toutefois rappelez-vous que précédemment nous avions déduit qu’Ecila était le palindrome d’Alice, cette histoire de l’E dans l’O tombe à pic comme l’œuf du cul de la poule pour nous signifier qu’il ne faut pas lire écila mais bien prononcer oecila, je tiens à vous faire remarquer que depuis quelque temps dans votre vie sentimentale agitée l’on ne compte plus, tenez ne serait-ce qu’au cimetière de Savigny vers lequel nous nous dirigeons…

    133

    Je m’apprêtai à ralentir pour me garer devant la maison d’Alice, comme pour m’avertir sur le fauteuil arrière Molossa grogna. Au même instant le clignotant d’un véhicule qui nous précédait d’une centaine de mètres s’alluma et la voiture s’arrêta à la place que je comptais prendre. Quelle ne fut pas notre surprise lorsque nous passâmes près d’elle, sur la portière avant s’étalait en grosses lettres le logo du Parisien Libéré. Deux hommes en descendaient.

              _ Je présuppose les remplaçants de Lamart et Sudreau, Agent Chad, je parie que nous allons bientôt faire la connaissance de ces étranges Ladreau et Sumart, j’avoue ma curiosité !

    Molossa grognait toujours. Un coup d’œil dans le rétro me révéla que la voiture quittait son stationnement et à la vitesse à laquelle elle se dirigeait vers nous, il était facile d’en déduire qu’elle tentait de nous rejoindre. Déjà le Chef sortait son Rafalos.

              _ Un peu de conduite sportive Chef, je leur réserve un chien de ma chienne – Ouah ! Ouah ! dit Molossito – puisque ces messieurs sont apparemment des amateurs de stockcar.

    Ladreau et Sumart se rapprochaient dangereusement. Ces malandrins voulaient manifestement nous pousser dans le décor. J’avisai un semi-remorque sur la voie de gauche que je me hâtais d’emprunter, nos poursuivants n’osèrent pas nous suivre mais se portèrent à notre hauteur. Le Chef avait descendu sa vitre, deux rafales de Rafalos eurent raison des pneus du camion qui éclatèrent. Je freinais à mort imité par le chauffeur du mastodonte. Emportés par leur élan nos poursuivants nous dépassèrent. Les malheureux imprudents s’encastrèrent dans la remorque du camion qui s’était déportée et qui maintenant barrait la route. Déjà nous vérifions l’état des malheureux prêts à les achever si par hasard ils auraient survécu à la violence du choc. Un souci inutile, leurs deux cadavres démantibulés en état de putréfaction avancée ne laissaient pas de doute sur la nature de nos deux séides. Des espèces de morts vivants que notre amie La Mort avait pris la précaution de nous envoyer pour nous réceptionner avec tous les honneurs.

    Dans sa cabine le chauffeur ne bougeait pas, s’était-il évanoui d’effroi, il restait immobile, nous n’avions pas le temps de vérifier, je redémarrai notre véhicule m’apprêtant à faire demi-tour, le Chef poussa un rugissement, Molossa et Molossito n’étaient pas sur la banquette arrière, tous les deux étaient restés à l’arrière du véhicule de nos deux zombies et aboyaient de toute leurs forces. D’une balle de son Rafalos le Chef débloqua la serrure. Une forme allongée gisait dans la malle. J’arrachai la couverture qui la recouvrait, Alice me souriait :

    _ Mes sauveurs merci ! Je ne doutais pas de votre intervention ! Je vous remercie !

    134

    Le reste de la soirée fut plus calme. Le Chef avait allumé un Coronado et décrété que nous n’avions plus besoin de retourner au cimetière. Par chance la route était déserte, en passant sur le bas-côté gauche pour éviter la remorque du poids-lourd je parvins à reprendre la direction de Provins. Deux heures plus tard tous les quatre – Alice avait insisté pour que nous invitions Carlos, par chance il se trouvait à Paris - nous prenions l’apéritif dans mon salon. Les cabotos se jetèrent sur les deux énormes gigots qu’Alice reconnaissante leur avait achetés à la boucherie la plus proche de mon domicile.

    Le Chef alluma un Coronado et résuma les derniers rebondissements de l’enquête puis se tournant vers Alice :

    • Et vous charmante enfant, comment en êtes-vous arrivée à être ligotée dans le coffre de la voiture de nos escogriffes, racontez-nous vos dernières mésaventures.
    • La mort de Lamart et Sudreau m’avait choquée, rappelez-vous l’état de décomposition avancée dans lequel nous les avions découverts dans leurs bureaux alors que je les avais vus précédemment en pleine forme dans la journée. Leur remplacement par Ladreau et Sumart m’avait estomaquée, et peut-être encre plus que cette espèce d’homonymie entre leurs noms et celui de leurs prédécesseurs ce furent les marques d’étonnement que leur présence ne provoqua point. Du Directeur au moindre commis pas un mot, pas un commentaire. Je n’ai rien dit mais j’ai ouvert l’œil, je me suis débrouillée pour leur porter dans leur bureau le courrier qui leur était destiné. J’ai ouvert certaines lettres, ai essayé de lire par transparences toutes les autres, passé au crible toutes les notes de service qu’ils recevaient ou qu’ils envoyaient, écouté par l’intermédiaire du standard téléphonique leurs conversations, mais rien, je n’ai rien remarqué à part le fait qu’ils allaient nettement moins souvent que leurs devanciers sur le terrain et je n’avais point l’impression qu’ils travaillaient beaucoup dans leur bureau… Hier soir lorsque je suis sorti du travail j’ai rejoint ma voiture sur le parking réservé au personnel. Je les ai salués, ils sortaient de leur véhicule, ils ne m’ont pas répondu, puis je n’ai aucun souvenir précis si ce n’est de sortir mes clefs de mon sac et puis plus rien, je me suis réveillée ligotée dans le coffre d’une voiture, vous connaissez la suite…
    • M’est avis charmante enfant, qu’ils allaient vous tuer et vous cacher dans un caveau du cimetière de Savigny…
    • Quel hasard que vous soyez arrivés au moment où ils allaient commettre leur horrible forfait !
    • Non ! Carlos, le Chef prit le temps d’allumer un Coronado avant de poursuivre, vous vous trompez, ces messieurs nous attendaient, ils savaient que nous étions en route, sans doute aurions-nous eu le plaisir de passer notre éternité aux côtés de notre douce Alice, c’eût été un rayon de bonheur dans notre malheur !

    Il y eut un instant de silence. J’en profitai après avoir versé une nouvelle rasade de Moonshine à tout le monde pour prendre la parole :

    • Une chose est sûre Chef, nous avions décidé de faire la tournée des cimetières liés à cette affaire, pour les deux premières visites, les évènements sont pour ainsi dire venus à notre rencontre, la première fois la Mort en personne en train de conduire une camionnette, la deu…
    • xième, si tu permets Damie me coupa Carlos, elle ne devait pas être loin puisque ses deux hommes de main étaient prévus pour envoyer au plus vite ad patres ! J’ignore si vous avez le nom d’un troisième cimetière inscrit sur votre liste, je suis sûr qu’elle vous y attend déjà ! Un conseil, plus vous progressez plus le danger grandit.

    Mon cœur se serra. Je m’étais interdit de penser au troisième. Depuis ma dernière visite je n’y étais même pas retourné pour amener un bouquet de fleurs sur la tombe d’Alice, de mon Alice à moi ! Là-bas sans doute se dénouerait le nœud de cette étrange affaire, au fond de moi j’avais peur d’être confronté à je ne sais quoi, à quelque chose qui nous concernait Alice et moi et que je ne voulais pas savoir, quelque chose qui nous séparerait pour toujours elle dans sa tombe, moi dans ma vie. Pour cacher les larmes qui montaient à mes yeux je me précipitais dans la cuisine soi-disant pour ramener deux bouteilles de Moonshine et des raviers de biscuits secs.

    Je sentis tous les regards fixés sur moi lorsque je revins. Il y eut un silence gêné. Carlos se râcla la gorge :

              _ Rrrrm, rrrum, Damie nous irons tous ensemble à ce cimetière demain après-midi, tu peux compter sur nous, le Chef propose une réunion de travail demain matin, à la première heure, ce soir nous ne nous coucherons pas trop tard, nous aurons besoin de toutes nos forces, par contre Alice qui est passée aujourd’hui si près des affres de Thanatos aurait besoin de connaître les douceurs de l’éros pour retrouver un parfait équilibre, si tu veux te joindre à nous…

    Le cœur n’y était peut-être pas tout à fait mais le corps a des prétentions que la raison connaît très bien, par pur esprit de camaraderie je me joignis à ces jeux innocents. Je ne le regrettais pas, Alice fut délicieuse. Son féminisme exacerbé nous prouva abondamment qu’une femme vaut bien trois hommes. Notre considération pour le genre féminin s’en accrut à proportion.

    A suivre…