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CHRONIQUES DE POURPRE 601: KR'TNT 601: GENE CLARK / INSPECTOR CLUZO / ISAAC HAYES / POKEY LAFARGE / SWAMP RATS / MARLOW RIDER / MOONSTONE / BIRDS OF NAZCA / ROCKAMBOLESQUES

KR’TNT !

KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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LIVRAISON 601

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR’TNT KR’TNT

18 / 05 / 2023

 

GENE CLARK / INSPECTOR CLUZO

ISAAC HAYES / POKEY LAFARGE

SWAMP RATS / MARLOW RIDER

 MOONSTONE / BIRDS OF NAZCA

ROCKAMBOLESQUES

 

 

Sur ce site : livraisons 318 – 601

Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

http ://krtnt.hautetfort.com/

 

 

Last train to Clark’s ville

 - Part Two

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         Le grand spécialiste de Gene Clark s’appelle John Einarson. Ce canadien est aussi spécialiste d’Arthur Lee, ce qui ne gâte rien. Einarson compte donc parmi les becs fins de la rock culture. Par conséquent, on le suit à la trace, comme on suit des cracks comme Peter Guralnick, Mick Wall ou encore Richie Unterberger. Ce sont des gens qui ne prennent pas les choses du rock à la légère. On sort de leurs books ravi et grandi, ou, pour dire les choses plus crûment, un peu moins con qu’avant. Bon d’accord, dans l’absolu, ça ne change pas grand-chose d’être un peu moins con, mais tu admettras qu’il vaut mieux l’être un peu moins que de plus en plus. On se débrouille tous comme on peut, avec nos coquetteries et nos petites logiques à la mormoille.  

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         Einarson rend hommage à Gene Clark avec Mr. Tambourine Man: The Life And Legacy Of The Byrds’ Gene Clark, un book mastoc ramassé à sa parution en 2005 chez Smith, la librairie anglaise de la Rue de Rivoli. Stocké dans l’une des piles de stockage, le book a roupillé pendant presque vingt ans, son dos orangé s’est même décoloré, jusqu’au jour où parut la compile Ace consacrée à Gene Clark (You Showed Me. The Songs Of Gene Clark) épluchée la semaine dernière. Réveil brutal. Tout le monde sur le pont ! L’heure était venue de saluer cet immense artiste.

         Alors attention, les books d’Einarson ont une particularité : ils sont extrêmement bien documentés et d’une rare densité. Il faut généralement doubler le temps prévu pour en venir à bout. Comme Jawbone, l’éditeur Backbeat Books fait le choix d’une typo minimale et quasi-cryptique, un Garamond condensé en corps 10, une fonte d’érudit maniaque qui rend l’avance difficile. Tu croises des milliers d’informations à la seconde, les mots semblent en cacher d’autres, tu dois souvent t’arrêter pour reprendre ton souffle. C’est le prix à payer pour entrer dans les neuf cercles d’Einarson. Mais bon, on ne va pas commencer à chouiner, on n’est pas là pour ça.

         Einarson plante très vite le décor en qualifiant Gene Clark d’«Hillbilly Shakespeare, de psychedelic Johnny Cash et de cocaine-fuelled visonary and tragic figure.» En deux lignes, il résume presque ses 300 pages. Mais on veut en savoir plus. Einarson précise très vite qu’avant d’être musicien, Gene Clark est surtout poète. L’un des premiers à reconnaître le génie de Gene Clark, c’est Taj Mahal : «My God, the songs he wrote! He was a very deep man.»

         Bon, va faire comme les proches de Gene Clark, on va l’appeler Geno. On gagnera de la place. Geno a du sang indien dans les veines. Son père serait d’une ascendance Cree du Minesotta. Geno s’entend bien avec d’autres Indiens, comme Jesse Ed David et David Carradine. Il est né dans un milieu pauvre au Missouri, mais il grandit au Kansas, avec ses 11 frères et sœurs. Il a 18 ans quand il rejoint les New Christy Minstrels, et arrive à Hollywood en 1963. Pour la première fois de sa vie, il a une chambre pour lui tout seul. Les Minstrels ont alors beaucoup de succès et ils prennent l’avion chaque jour. Geno développe très vite une petite phobie de l’avion. Plus jeune, il a vu un avion s’écraser et vu des gens sortir en flammes. Alors très peu pour lui. Un jour, il oublie de se pointer à l’aéroport et les Minstrels partent sans lui. C’est la technique de Geno : quand un plan ne l’intéresse plus, il disparaît.

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         Le voilà tout seul à Los Angeles, avec sa douze, quelques fringues stylées et une vieille 1955 Ford convertible. Le country-boy de Bonner Spings, Kansas, se met à la recherche de kindred spirits pour jouer la musique des Beatles. Entre 1963 et 1964, la Beatlemania a explosé et Geno veut en faire partie. C’est au Troubadour que ça se passe. Geno y traîne tous les soirs.

         Et là Einarson piétine les plates-bandes de Johnny Rogan, puisqu’on assiste en direct à la genèse des Byrds. Le premier fan des Beatles que croise Geno est Roger McGuinn - La première fois que McGuinn les a entendus à la radio, il s’est mis à jouer leurs morceaux - Geno le voit gratter un Beatles’ tune sur sa douze au Troubadour : «Je me suis dit : ‘Man, this guy’s got the right idea!’ Je suis allé le trouver et lui ai dit : ‘Look, do you mind if I play with you? Et il a répondu : «No. Have a seat! J’avais aussi une douze. Et on a joué comme ça pendant trois semaines, en duo. On voulait devenir un duo dans le genre de Peter & Gordon, doing the English style. Et on s’est mis aussitôt à écrire des chansons.» McGuinn voyait plus un duo à la Chad & Jeremy. Sans Geno, McGuinn pense que les Byrds n’auraient jamais pu exister.

         Et voilà Croz qui débarque. Il a déjà une sale réputation. Mais il connaît Jim Dickson et il a un accès gratuit au World Pacific Studios. Ce sera son ticket d’entrée dans les Byrds. Jim Dickson grenouille depuis un certain temps dans le showbiz, nous dit Einarson, il a bossé avec Odetta, les Dillards et l’énigmatique Lord Buckley. Chris Hillman (bass) et Michael Clarke (beurre) viennent compléter les effectifs. Au début, les Byrds tentent de copier les Beatles. Chris Hillman : «We were trying to come up with the sound, which we did eventually.» Croz affirme qu’il est un meilleur harmony singer que McGuinn - That was my gift - Comme Geno a la meilleure voix, il est bombardé lead singer. En plus, il est plus joli que les autres et, petite cerise sur le gâtö, il compose. Croz et McGuinn s’inclinent. Non sans mal. Car les egos sont de taille, surtout celui de David Croz. Jim Dickson : «Si vous n’admettiez pas que David était the most marvelous in the world, then David was not happy with you.» Quand on demandait à Terry Melcher si Charles Manson était le mec le plus dangereux d’Hollywood, Melcher répondait : «Non, c’est David Crosby.» Croz entame une petite guerre d’usure contre Geno. Il lui dit que son timing chant/guitare n’est pas bon. On lui retire sa gratte. Geno doit jouer du tambourin sur scène. McGuinn se marre en douce : «David était un manipulateur et Gene was a little bit slower than him when it came to thinking.» Croz insiste pour dire que Gene n’était pas aussi bon que lui en tant que guitariste rythmique et qu’il était un bon front man : «He was a handsome dude and when he was standing up front there it gave the girls something to admire.» Les formulations de Croz restent délicieuses. On s’en pourlèche les babines. C’est vrai que Geno est une superstar dès le début. Denny Bruce : «Crosby était un peu joufflu et Chris était un chic type. Mais en termes de sex appeal, Gene et Micheal were kind of the Brian Joneses of the group.»

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         Le co-manager des Byrds Eddie Ticker pense que Geno a commencé à se retirer des Byrds quand on lui a sucré sa gratte et qu’il est devenu le Tambourine Man du groupe. Il l’a mal vécu. - He was a very nervous person - C’est Terry Melcher qui produit le premier single des Byrds, «Mr Tambourine Man». Le seul Byrd à jouer dessus, c’est McGuinn. Melcher a fait venir Hal Blaine, Larry Knechtel, Jerry Cole et Leon Russell (dont le piano sera effacé de la bande). McGuinn, Geno et Croz chantent, «Gene doubling Roger with Croz on high harmony», précise Einarson. Hillman et Clarke n’ont rien joué. Jason Ronard se souvient d’avoir posé la question à Dylan : «As-tu rendu Gene Clark célèbre ?», et il m’a répondu : «Non, c’est Gene Clark qui m’a rendu célèbre.» - They really put Dylan on the map - L’histoire des Byrds est au moins aussi intense que celles des Beatles, des Stones et de Dylan. C’est du concentré de tomates géniales.

         Geno compose 20 cuts en moyenne par semaine, mais McGuinn dit qu’une seule vaut le coup d’être enregistrée, ce qui, ajoute-t-il, est normal pour un auteur. Plus tard, Geno avouera s’être inspiré de «Needles & Pins» pour composer «I’ll Feel A Whole Lot Better». Dylan est l’un des premiers à reconnaître la qualité des compos de Geno. Jim Dickson : «We saw some value in Gene’s stuff, Dylan saw more.» Geno est en effet passé rapidement de l’esprit d’«I Want To Hold Your Hand» à celui de «Positively 4th Street». Du coup, c’est lui qui se fait du blé avec le publishing et ça crée des jalousies au sein des Byrds. McGuinn : «Il roulait en Ferrari et nous on crevait la dalle.» Ils sont jaloux, mais c’est Geno qui écrit les bonnes chansons. Il s’achète une belle baraque à Laurel Canyon, au 2014 Rosilla Place. Barry McGuire et Judy Henske habitent dans la même rue. Il fait la course à Mulholland avec Steve McQueen. Vroaaarr ! Geno a un petit côté James Dean. Le mec un peu sombre qui adore conduire vite - Gene was an extremely wild driver, crazy behind the wheel from the get-go - Il se fond dans le mode de vie hollywoodien. Jim Dickson : «Il s’habillait comme Sonny Bono». Il baise secrètement la belle Michelle Phillips, la femme de John Phillips. Einarson : «Il se voyait avec elle comme the king and queen of pop music.» Elle va d’ailleurs se faire virer des Mamas & The Papas, à cause de sa relation avec Geno. Côté dope, Geno ne touche encore à rien. Il se rattrapera un peu plus tard. Croz et McGuinn fument de l’herbe.

         Voilà les Byrds bombardés au premier rang, avec les Beatles et les Stones. Geno : «The shock of being put in that position, I’ll be real honest about it, I couldn’t handle it.» Geno ne se sent pas de taille pour le superstardom. Ce n’est pas son truc. Les avions, les télés, tout ce bordel. Hillman confirme : «The clashing of egos, money, godlike adulation et la présence de divers stimulants ont exacerbé une situation incroyablement fragile.» 

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         Derek Taylor qui s’est fâché avec Brian Epstein vient s’installer en Californie et pouf, il s’occupe des Byrds. Il devient l’instrument de leur succès planétaire. Eddie Tricker : «He just knew what rock’n’roll was all about.» Mais la première tournée anglaise des Byrds est une catastrophe. Petites salles, mauvais matériel, aucune présence scénique. Ils ont chopé la crève. Derek Taylor voulait que Brian Epstein voie ses nouveaux poulains. Malgré tout, Geno est ravi, car il rencontre les Beatles. Einarson précise qu’au moment où les Byrds débarquent en Angleterre, «Mr Tambourine Man» est number one, devant «Help» (# 2) et «Satisfaction» (# 3). Geno se souvient d’une soirée magique chez Brian Jones avec John Lennon et le roi George. Geno se sent très proche de Lennon. Il l’admire autant que Dylan.  

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         Lors de l’enregistrement de Turn Turn Turn, le deuxième album des Byrds, les équilibres changent au sein du groupe : McGuinn et Croz veulent placer leurs compos. Hillman : «McGuinn and Crosby just messed with him, constantly.» McGuinn prend le contrôle du groupe. Turn Turn Turn est bourré de mauvais cuts, choisis à la place des compos de Geno. D’un naturel timide, Geno écrase sa banane. Il sait que l’animosité vient du fait qu’il empoche plus de blé que les autres. Comme Brian Jones dans les Stones, Geno se trouve marginalisé. C’est drôle comme ces deux destins se ressemblent : ils sont tous les deux fondateurs de deux des groupes les plus importants de leur époque, tous les deux brillants et beaux, tous les deux incapables de se défendre, parce que ce n’est pas le pouvoir qui les intéresse, c’est la dimension artistique. Le parallèle Geno/Brian crève les yeux. Il n’est pas étonnant qu’ils aient passé autant de temps ensemble à bricoler des chansons. «Eight Miles High», bien sûr. C’est au moment d’aller faire la promo d’«Eight Miles High» à New York que Geno quitte des Byrds. L’avion est retardé pour un problème technique. Les passagers sont à bord. Geno se lève de son siège et sort de l’avion. Le voyant partir, McGuinn lui lance : «If you can’t fly, you can’t be a Byrd.» Terminé.

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         Selon Croz, la phobie de l’avion n’est qu’une partie du problème, chez Geno. Il pense qu’il s’agissait surtout d’un nervous breakdown : «Think about it: country boy from Missouri, 12 siblings, the suddenly L.A, and stardom. Bam! He wasn’t ready for it.» Croz tente de se disculper : «J’étais dur avec tout le monde. Je n’ai aucune patience avec les gens et je dis les choses comme je les pense. Mais je ne crois pas qu’il ait quitté le groupe à cause de moi.»

         En 1967, les Byrds sont cuits aux patates. Croz et Michael Clarke sont partis. Chris Hillman se barre en 1968. Croz : «The Byrds were done when Gene left.» Croz dit encore que les Byrds ont fait deux bons albums sans Geno, mais la magie était partie - And the Byrds were a magical chemistry - C’est chaque fois la même histoire : l’alchimie disparaît dès qu’on touche à l’équilibre originel.  

         En voiture Simone ! C’est parti pour la carrière solo. Geno monte Gene Clark & The Group avec Joe Larson des Grass Roots (beurre), Bill Rhineheart des Leaves (gratte) et Chip Douglas du Modern Folk Quartet (bass). Geno se met à boire comme un trou. Chip Douglas : «Soudain, Gene got a lot of Byrds money and went girl crazy and car crazy and started buying guns.» Jim Dickson emmène le groupe en studio, mais ça ne marche pas. Geno annonce aux autres qu’il dissout le groupe, mais il veut garder Joe et Bill - Chip I don’t want you in my group - Il ne donne pas de raison particulière. Geno retourne en studio avec Chris Hillman et Michael Clark, Bill Rhinehart, Glen Campbell et Jerry Cole. Leon Russell fait les arrangements. Et Jim Dickson fait venir des Gosdin Brothers pour les harmonies vocales. Eirnason ne tarit pas d’éloges sur ce premier album : «Gene Clark With The Gosdin Brothers est une anomalie. Bien ancrées dans le folk-rock, les chansons sont bien plus pop que celles des Byrds, avec de grosses influences des Beatles, de musique baroque et de Buck Owens.»

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         Il se pourrait bien que Gene Clark With The Gosdin Brothers soit le meilleur album des Byrds. Tu commences par prendre «Echoes» en pleine poire. C’est du heavy Clark, arrangé par Leon Rusell. Geno attaque à la racine du son et sonne comme la rock star américaine définitive. Il faut voir la maturité de son chant et l’heavy downhome de ses pénétrations. Il est sur toi, il te caresse l’intellect. Il approche et recule, comme d’une barcasse, alors que tu dérives sur l’océan. Geno vient te chanter l’extrême groove de la perdition psychédélique, tu sais que tu vas mourir, mais Gawd, quel réconfort. Il enchaîne ça avec deux autres coups de génie, «Think I’m Gonna Feel Better» et «Tried So Hard». Son power te dame le pion. Il chante avec un extraordinaire aplomb. Il y a va au still love you so bad. Il te fond les Byrds dans la country avec Tried So Hard, il est très en avance sur son époque. Il invente un son. Sans doute l’un des meilleurs sons d’Amérique. Il revient aux Byrds avec «Is Yours Is Mine». Il tombe dans l’excès d’excellence, c’est inquiétant. Il tortille son chant pour le ramener aux réalités du système. Il attaque son bal de B avec «So You Say You Lost Your Baby», cut quasi-mythique monté sur un beat gaga. Tu as là la meilleure psychedelia d’Amérique. Invraisemblable power composital ! Il incarne à lui seul l’avenir du rock. L’«Elevator Operator» qui suit est aussi énorme, une vraie dégringolade, il te clarke ça au right now. Cet album est l’un des meilleurs albums de rock de l’époque, il faut le savoir. Encore un coup de génie avec «Couldn’t Believe Her», il t’explose les Byrds, il détient ce pouvoir magique. C’est du Byrdsy sound à l’état pur. On le voit encore affronter son destin au menton volontaire avec «Needing Someone». Avec cet album, Geno est devenu un héros.

         Bizarrement, l’album ne marche pas, même si aujourd’hui il est devenu culte. Le problème c’est qu’à l’époque, CBS vendait aussi les albums de Byrds, et donc ils mettaient le paquet sur les Byrds, pas sur Geno. Geno entre ensuite en studio avec Gary Usher et Curt Boettcher. Ils enregistrent largement de quoi faire un album, mais Einarson ne sait pas où sont passées les bandes. C’est le fameux deuxième album solo de Gene devenu une sorte de monstre du Loch Ness. Tout le monde en parle, mais personne ne l’a vu. Comme les gens de CBS trouvent que Geno n’est pas viable commercialement, ils le virent. Jim Dickson pense que si Geno avait sorti un hit, les choses auraient été bien différentes. Le plus hallucinant dans toute cette histoire, c’est que Geno n’a fait que ça : pondre des hits. Cot cot ! «Echoes» ne serait donc pas un hit ? C’est le monde à l’envers !

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         Geno va se faire une spécialité : l’abandon de projets. Il n’en finit plus de composer des chansons géniales, mais ce sont des autres interprètes qui se les tapent, par exemple David Hemmings avec «Back Street Mirror». Geno passe ses journées à composer. Il évoque 200 ou 300 chansons dans un tiroir. C’est à cette époque qu’il rencontre The Rose Garden et qu’il leur file des chansons : «Only Colombe» et «Down By The Pier». Mais ils ne prennent que celles qu’ils sont capables de jouer, «Till Today» et «Long Time». Les démos de Geno avec The Rose Garden se trouvent sur le Gene Clark Sings For You dont on va parler plus loin.

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         Puis Geno devient pote avec Doug Dillard. «Ils adorent siffler des Martinis, ils adorent l’herbe et ils adorent l’acide», dit David Jackson qui joue de la basse avec eux. Tickner surenchérit : «Two guys with a drinking problem coming up.» Et un troisième larron, Daniel Moore ajoute : «Both of those guys were pretty hardy-party guys. They would go on for days. Je ne pouvais pas suivre. Une soirée, ça me suffisait et j’allais me coucher, mais eux, ils continuaient.» Ils jamment chez David Jackson à Beechwood Canyon avec Don Beck (mandoline) et Bernie Leadon (banjo et futur Eagle). Leadon dit que ce groupe était organique. Cette fine équipe finit par entrer en studio pour enregistrer The Fantastic Expedition Of Dillard & Clark. Geno s’entoure de spécialistes de la country mais il les entraîne vers le country-rock et la down-home good time music. Il a trouvé refuge chez A&M. Avec sa Fantastic Expedition, Geno crée de la magie dès l’ouverture du balda avec «Out On The Side», un shoot d’heavy country hantée, plombée et magnifique, opaque et lumineuse, ce que les critiques appelèrent the relaxed magic of Gene Clark. Globalement, ce Fantastic Voyage est un album de country rock chatoyant, illuminé par le violon de Bernie Leadon. L’autre énormité de l’album s’appelle «In The Plan», un Plan attaqué au banjo et la voix de Geno se pose comme la main de Dieu sur cette country primitive. C’est extrêmement puissant. La country de Dillard & Clark a une fantastique allure qui ne doit rien à celle de Nashville. «Don’t Come Rollin’» file à travers les collines ensoleillées, avec des coups d’harp et de banjo. On reste dans l’excellence avec «Train Leaves Her This Morning». Pur spirit, une fois encore. Ils attaquent «With Care From Someone» au fast banjo du Kentucky, c’est vite embarqué par une basse pulsative et monté en neige aux harmonies vocales. Une véritable énormité cavalante ! Doug Dillard est un fou du banjo. Les fans les plus fous de Geno ont forcément rapatrié la red de l’album parue en 2008 pour pouvoir entendre le mythique «Why Not You Baby», ce blast de country power qui est tellement puissant qu’il t’emporte comme un fleuve en crue. Geno a une façon unique de se fondre dans le groove. Il revient aux harmonies vocales lourdes et lentes pour mieux nous fasciner. Tout est surexcité ici, le violon, le banjo, tu ne trouveras jamais ça ailleurs. Et puis tu as une cover magistrale de «Don’t Be Cruel», un wild hommage à Elvis. Sous sa casquette de biker, Geno développe des énergies de wild cat. Rodney Dillard : «Those two guys were pretty wild.» Ils essayaient d’entrer dans les bars sur leurs motos - Trying to drive their motorcycles into the bar - Quand il ne refait pas la course poursuite de Bullit avec Steve McQueen, Geno roule en moto dans les bars.  

         Pour la promo de The Fantastic Expedition Of Dillard & Clark, ils doivent tourner un peu. Les voici à l’affiche du Troubadour. Vers 15 h, Geno et Doug vont boire des Martinis et prendre un acide dans le rade voisin, et quand ils montent sur scène à 21 h, ils sont out of it. Geno s’assoit sur son ampli et fixe le mur, quant à Doug, il saute à pieds joints sur un violon qu’il a posé au sol. Don Beck quitte le groupe sur le champ. Le concert est un désastre historique. Dommage, car les spécialistes trouvaient the Dillard & Clark Expedition bien meilleur que Poco ou les Burritos - Their music was way ahead of the others, more conceptual and concise than the Burritos», dit John McEuen - Il ajoute qu’avec moins de dope, ils auraient pu devenir énormes. Bernie Leadon rappelle qu’en plus d’une phobie de l’avion, Geno avait le trac sur scène - His fear of performing was legendary too - C’est pour ça qu’il picolait et se tapait des acides.   

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         Le deuxième album de Dillard & Clark s’appelle Throught The Morning Throught The Night. Avec Byron Berline au violon, le son est plus bluegrass. L’album réserve une bonne surprise : une cover de «Don’t Let Me Down». Belle hommage d’un géant à ces géants que furent les Beatles. Gene Clark américanise cette merveille océanique. Ça tient bien la toute, il chante à fendre l’âme. Même si on n’est pas trop fan de cette chanson, il en fait un chef-d’œuvre interprétatif. Son accent fêlé de trompe pas. Derrière, les autres pourvoient à la paix du monde. Sinon l’album est très country, comme le montre l’excellent «Kansas City Southern», ces mecs vont vite en besogne, ça joue au hard drive des Appalaches. Geno fait aussi un petit peu de psychedelia avec «Polly». Il a vraiment un son à part, une qualité de plaintif qui embellit la donne. Encore du big country batch avec «No Longer A Sweetheart Of Mine», puis une fast country de ventre à terre avec «Rocky Top» et toute la bande de Donna Washburn, Bernie Leadon, Sneaky Pete, Hillman et le banjo de Doug Dillard. Mais comme le groupe prend une direction trop bluegrass à son goût, Geno se retire - He was done with Dillard & Clark.

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         En 1971, il enregistre White Light. La tendance générale de l’album est le balladif sentimental. On sent le timoré derrière le country boy du Missouri. Il faut attendre le morceau titre pour crier au loup. Big country energy ! Gene Clark emmène sa country à l’aventure avec énormément de son, c’est extrêmement altier et mélodiquement solide. Et là on tombe sous le charme discret de la bourgeoisie Clark. Il attaque sa B avec «Spanish Guitar» et des coups d’harp mélancoliques. Il se répand bien dans le Dylanex. Pour Serge Denisoff, «‘Spanish Guitar’ is the first cousin of ‘Visions Of Johanna’ mixed with ‘Tom Thum Blues’, harmonica riff and all.» «Where My Love Lies Asleep» est encore plus mélancolique. On ne peut pas espérer meilleure tartine de Dylanex. Geno sait rester intense dans son élan. Il va sur le psyché rampant avec «Tears Of Rage». Il est extrêmement doué pour serpenter sous le boisseau de sa vieille psychedelia. «1975» renoue avec le big American rock. Quel superbe artiste ! Il tient bien sa chique, il chante à la mâchoire carrée avec des trémolos dans la voix. Geno est un loup solitaire. Einarson ne tarit plus d’éloges sur White Light : «It is a stunning work of sheer genius and Gene Clark’s highest watermark to that point.» Et il ajoute, éperdu : «Pour Lui, c’est la force des paroles et la mélodie qui portent les chansons.»

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         Enregistré en 1971, Roadmaster ne paraît qu’en 1973. Il pourrait bien être le meilleur album solo de Gene Clark. Il faut savoir que l’ancien manager des Byrds rêvait de voir les Byrds se reformer, et il a presque réussi son coup en ramenant Croz, McGuinn, Michael Clarke et Chris Hillman en studio pour deux cuts, «She’s The Kind Of Girl» et «One In A Hundred». C’est exactement le son des Byrds, on s’y croirait. Alors évidemment, comme McGuinn et Croz ne peuvent pas s’encadrer, ils viennent chacun leur tour enregistrer leurs pistes en re-re. «Here Tonight» sonne encore comme un cut des Byrds, avec ce sentiment de sunshining melancholia. Le bassman dément qu’on entend derrière n’est autre que le Flying Burrito Chris Ethridge. «Full Circle Song» sonne comme un coup de génie, c’est même un coup de génie musicologique, chargé de richesses à outrance. Geno crée des courants magiques. Encore une merveille avec «In A Misty Morning» auréolé du violon de Bernie. Ardent défenseur de la beauté, Geno se paye sur la bête. Peu d’artistes atteignent la pointe de ce paradigme. Geno est chaud et tendu, fabuleusement authentique et c’est à cet instant précis, dans le Misty Morning, que tu tombes à genoux. Geno est l’âme des Byrds et même l’âme du rock américain. Il faut le voir tartiner son «Rough & Rocky», il s’y prend comme un grand artiste, il fait corps avec la matière de son violon, ah comme ce Missouri boy peut être bon ! Il tape dans le heavy boogie pour son morceau titre - I’m a roadmaster baby/ And I spend my life on the road - Il cultive une fantastique présence d’entre-deux. Il y va doucement avec «I Remember The Railroad», tellement doucement que ça devient beau, down the road/ So I see. Même un simple balladif tapé au clair de la lune comme «Shooting Star» est beau. Geno laisse derrière lui une traînée argentée, il est là, dans l’ombre, au coin d’une nappe d’orgue, toujours génial. Mais les sessions ont été pour le moins chaotiques. Chris Hinshaw a fait venir Sly Stone et sa bande en studio, le budget a explosé et en représailles, A&M a tout bloqué. En plus, les gens d’A&M n’aimaient pas l’album. Pas assez commercial ! Le heavy metal se vend mieux à cette époque. Les bonnes chansons n’intéressent plus le grand public. 

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         Geno fréquente assidûment Jesse Ed Davis. Indien de souche, Davis vient d’Oklahoma et s’installe à Los Angeles, comme d’autres célèbres Okies, Toton Leon, Carl Radle et J.J. Cale. Geno et Davis adorent picoler et gratter des grattes toute la nuit. Un jour, Geno prête sa Porsche 914 à Davis. Quelques semaines plus tard, Davis refait surface et Geno lui demande où est la Porsche. Bousillée ! Geno est furieux. Beaucoup plus tard, en 1985, ils se rabibochent et envisagent de bosser ensemble. Tonton Leon se dit intéressé par leur projet. Mais Jesse Ed Davis fait une petite overdose dans une laverie automatique. Fin du projet.

         Les Byrds se reforment pour enregistrer un album sans titre. Croz ramène en studio «his incredly strong pot». McGuinn se marre : «Half a joint and you couldn’t do anything. We were stoned out of our minds the whole time. I don’t remember much recording. I remember just sitting around getting high.» Mais Geno ramène deux hits, «Full Circle», tiré des sessions abandonnées de Roadmaster, et «Changing Heart». Ils essayaient de brouiller les pistes en coupant les ponts avec le vieux son des Byrds, ce qui d’après Einarson est une erreur. Geno fait aussi deux covers de Neil Young, «Cowgirl In the Sand» et «See The Sky About To Rain». On reviendra dessus dans le Part Three.  

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         Quelques relents de Byrdsymania flottent encore dans No Other. Einarson rappelle que Geno est alors considéré comme «the king of Cosmic Cowboys». Mais contrairement aux rumeurs qui ancrent No Other dans la dope, Geno est sobre, comme le rappelle sa poule Carlie. Avec ses Byrds royalties, Geno s’est s’acheté une baraque du côté de Mendocino, à Albion, à l’intérieur des terres. Il s’y installe avec Carlie et c’est là que leurs deux fils Kelly et Kai vont grandir. On peut voir la baraque sur la pochette de Two Sides To Every Story. À cette époque, Geno fréquente Tommy Kaye, un mec qui a bossé comme head of A&R pour Scepter, à New York, notamment avec les Shirelles, Maxine Brown, Jay & The Americans, et puis aussi Link Wray. Il vient tout juste de produire Triumvirate, l’album de Mike Bloomfield, John Hammond Jr et Dr John, ainsi que l’album du bras droit de Dylan, Bob Neuwirth, sur Asylum. No Other est un album visité par la grâce, comme le montre «Life’s Greatest Fool», c’est évident, tout est là, dans la façon de swinguer le groove. Geno semble toujours négocier son entrée dans un heavy balladif country. Il ne jure que par le story-telling. Il saupoudre son morceau titre d’une pincée de psychedelia, mais il faut attendre «Some Misunderstanding» pour sentir ses naseaux frémir : tu as tout suite le gratté de poux psychédélique et le chant posé. C’est sa façon de renouer avec le génie, son génie. Il ouvre des horizons extraordinaires, il est dans le renouveau à chaque instant, il retape son but I know. Voilà la compo géniale par excellence. Il lui faut du temps pour la développer, et sa façon de plomber un ciel est unique. Avec «Lady Of The North», il replonge dans la dérive de Misunderstanding, même filet de chant mélodique, ça reste atrocement bon, même si c’est assez country. Il retourne toujours la situation à son avantage. Par contre, son «Strength Of Strings» est plus delta, comme si la Californie débarquait dans le delta. Il saupoudre tout ça d’un brin de psychedelia. Il n’a aucun espoir, ça s’entend. On se croirait parfois chez Procol Harum, c’est dire si la marée monte.

         Mais Geno doit souvent retourner à Los Angeles pour les sessions et il y retrouve sa bande de wild friends, «Kaye, Carradine, Barrymore, Dillard and Davis, all part of his Los Angeles drugs-and-booze persona», ce qui l’éloigne de Carlie et des enfants. C’est l’âge d’or de la coke. Dennis Kelley : «Tommy Kaye, Jesse Ed Davis and Gene really formed something of an Unholy Trio in regards to their bad habits.» Jason Ronsard ajoute : «Tommy Kaye was just a beautiful cat, but he did a little too much cocaine.» Tommy Kaye produit No Other et déclarera un peu plus tard : «It was my answer to Brian Wilson and Phil Spector as a producer.» C’est au dos de la pochette qu’on trouve le portrait de Geno efféminé. Le hic, c’est que David Geffen trouvait l’album mauvais et ne comprenait pas qu’on ait dépensé 100 000 $ pour seulement 8 cuts. Donc pas de promo, nouvel échec commercial pour Geno. Ça ne s’arrête pas là : Geno en veut tellement à Geffen qu’un soir, il est à deux doigts de lui mettre son poing dans la gueule. Geno se grille car Geffen est un homme de pouvoir. Chris Hillman : «That shut it down for Gene. Geffen had the power then. He’s a very powerfull man. You can’t do that to a guy like him.» Il existe pas mal de parentés entre Geno et le roi Arthur qui, de son côté, a aussi ruiné sa carrière en s’en prenant à Robert Stigwood. Einarson  considère No Other comme «a masterpiece», «too far ahead of its time, or merily out of its time». Et il conclut : «Artistiquement,  c’est un sacré compliment. Commercialement, it’s the kiss of death.»  No Other et Forever Changes même combat ? Tu l’as dit.

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         Two Sides To Every Story est un album très pépère, mais tu vas régaler d’au moins deux cuts : «Home Run King» et la cover d’«In The Pines». L’«Home Run King» est un admirable shoot de country-rock à la Clark. Doug Dillard tape ça au banjo. Derrière, tu entends aussi Emmylou Harris. C’est de la petite magie pure. La cover d’«In The Pines» est aussi une merveille de black girl/ Black girl/ Where did you sleep last nite, avec Dillard au banjo - In the pines/ Where the sun never shines - On ne sait si on préfère la version de Geno ou celle de Lanegan. Avec «Kansas City Southern», Geno s’en va rocker a chique et il finit en lonseome sound. Et puis en B, tu as «Marylou», gros shoot de Soul rock. Geno fait des choix pour le moins extraordinaires. Il est de toutes les sorties, avec à la clé un vieux killer solo. Au dos de la pochette, il n’est plus maquillé comme au dos de No Other, mais barbu, «like some cosmic mountain man». Cet album est aussi celui du split : Carlie s’est barrée avec les gosses. Geno rôtit en enfer.

         Eh oui, quand Geno picole, il devient violent. Carlie a eu la trouille. Surtout pour Kelly et Kai, les deux garçons : «Je ne dis pas qu’il était dangereux physiquement, mais au plan émotionnel, au plan mental.» En plus, quand il est en virée à Los Angeles, Geno baise avec une autre gonzesse.  Alors Carlie fermes les volets de la baraque d’Albion et se barre à Hawai, le plus loin possible, pour être sûre que Geno ne la retrouve pas - If he’s got drunk and found me, he’d kill me - Puis Carlie va basculer dans la dope, elle va free-baser, alors Kelly et Kai iront dormir à droite et à gauche. Pendant toutes les années 80 et 90, Carlie est fucked-up with drugs.

         Geno réussit à partir en tournée et s’en va jouer à Londres. Mais le NME le voit comme «the epitome of the slightly stumbing overweight, bearded hippie who drank and smoked too much.» Pas terrible. Il a perdu son charisme. À Los Angeles, il s’installe avec une certaine Terri Messina, une coke dealer - That’s when he started going crazy - Einarson rappelle que toute la communauté de Laurel Canyon tournait à la coke. Ken Mansfield : «That was the peak in Hollywood for all of us, when the drugging thing was just at the heaviest.» Einarson évoque un incident : ivre-mort,  Geno aurait selon David Carradine accosté Dylan dans une party et l’aurait insulté et traité de ‘no-talent wimp’. L’incident n’est pas confirmé, mais quand il a bu, Geno insulte facilement les gens et n’hésite pas à cogner. Il va dans les bars pour se battre. Il lance des couteaux. C’est un cosmic mountain man.  

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         Il finit par se rabibocher avec McGuinn et Hillman et par faire deux albums avec eux. Le premier est enregistré au Criteria studio, à Miami, par Ron et Howard Albert, les deux frères qui ont produit le Saturday Night Fever des Bee Gees. Les Albert brothers essayent de transformer les anciens Byrds en frères Gibb. Et pouf, ils font de McGuinn Clark & Hilman un album diskö. Tommy Kaye est écœuré, car ils ont réussi à bousiller l’une de ses chansons, «Release Me Girl». Dans la baraque que les trois Byrds louent à Miami règne une très mauvaise ambiance. Ils ne se parlent pas. Tommy Kaye rappelle que «Geno got heavily into cocaine and the downtown (slang for heroin).» Mais comme d’habitude, Geno ramène les bonnes chansons. Nick Kent descend l’album dans le NME : «This desperate enterprise is aimed at the lowest common denominator, lower than the Eagles.» L’année suivante, ils reviennent à Miami enregistrer City. Geno enregistre deux cuts et se barre. Sur la pochette, Geno flotte, au propre comme au figuré. Pareil, on y revient dans le Part Three.

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         Geno, Tommy Kaye, Andy Kadanes, Chris Hillman et the Mendocino All Stars entrent en studio pour enregistrer Firebyrd. L’album ne paye pas de mine, comme ça, mais c’est un album qui grouille de coups de génie. À commencer par «Something About You Baby», une vraie merveille de psyché Byrdsy tartinée sous le boisseau, bien pulsée à la Clark, c’est la rock song parfaite d’une étincelante superstar, dans sa défroque de loser patenté. Et ça continue avec «If You Could Read My Mind», une cover de Gordon Lightfoot qui d’ailleurs vient tout juste de casser sa pipe en bois. Geno tourne cette belle pop enchanteresse en coup de génie. Nouvelle équation : Geno + Gordon = chef-d’œuvre de beauté douce. Il retape aussi son vieux «Feel A Whole Lot Better», il le gratte bien sec et l’éclate non pas au Sénégal, mais aux harmonies vocales. Il a des backing vocals de rêve. C’est invraisemblable de beauté surnaturelle. Il fait éclore sa pop au sommet du lard, avec une absence totale de prétention. Il te convainc encore avec «Made For Love». Ses pop songs sont des grâces de Dieu. «Made For Love» est d’une pureté transparente. Il y a quelque chose de solaire en Geno. On ne se lasse plus de son comin’ around. Avec «Blue Raven», tu frises l’overdose. Trop de qualité. Il t’entraîne dans son délire. Pop song parfaite, une fois de plus. Il te plombe ça aux accords californiens, avec une flûte magique. Il fait aussi une nouvelle mouture de «Tambourine Man». Il y développe sa voix et une fantastique démesure de heavy pop-rock et le jingle jangle coule de source. Aucune trace des Byrds, juste du Clark. C’est un fantastique hommage au génie de Bob Dylan.

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         Il duette avec Carla Olson sur so Rebellious A Rebel, un Rhino de 1987.  Merci Rhino ! Carla s’est faite connaître en duettant avec Dylan sur l’album Infidels («Sweetheart Like You»). Les duos Geno/Carla sont forcément magiques, surtout le dernier, «Don’t It Make You Want To Go Home». Excellence à tous les étages en montant chez Carla. Elle ramène sa petite fraise rose et humide. On lui pardonne cette impudeur. Geno vole à son secours. Les merveilles pullulent sur cet album, tiens, écoute «Fair And Tender Ladies» et tu verras Maubeuge, c’est de la magie pure, même chose avec «I’m Your Toy (Hot Burrito #1)», heavy balladif de classe supérieure, ou encore «Why Did You Leave Me Today», Geno y ressort sa voix de superstar, il couvre sa pop de morgue languide. Geno est le roi des Beautiful Songs, il sait s’abandonner. C’est Carla qui fait le biz sur «Every Angel In Heaven» et elle file à la frontière mexicaine avec «Deportee (Plane Wreck At Los Gatos)» et Geno vole à son secours pour chanter les abus de la déportation. Big Americana ! Il redevient le roi du rodéo avec «Almost Saturday Night». Geno est un mec facile à suivre : il n’a que des grosses compos. So Rebellious A Lover est le dernier album officiel de Geno.

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         Under The Silvery Moon propose les sessions enregistrées avec Nicky Hopkins, Rick Danko, John York et Pat Robinson, le fameux CRY. C’est donc une résurrection, une de plus. Tu es accueilli par le souffle du big sound de «Mary Sue». Ça sent bon la légendarité. Geno en impose, il a une grosse équipe derrière lui. Il faut attendre un peu pour trouver les coups de génie. Tu en as au moins deux : «Sleep Will Return» et la reprise du «Will You Still Love Me Tomorrow» de Goffin & King. Il gratte quasiment son Sleep sur les accords de «Gloria», et il fait une version tentaculaire du Tomorrow. C’est digne de Totor, car bien monté en neige, absolument demented. On voit la cover décoller doucement, bien soutenue à l’orgue. Il te chante ensuite «Rest Of Your Life» au plastron, il te le placarde, il te le plaque au sol, il t’en fait tout un plat. Puis il repart en mode magie pure avec «My Marie». Si tu es sensible aux chansons fortes, alors c’est pas compliqué, tu vas pleurer toutes les larmes de ton corps. Geno navigue au sommet du pop art avec une classe écœurante. Il a une façon bien à lui de tourner ses syllabes, il force tous les passages vers la lumière. On le retrouve en Chevalier de la Table Ronde dans «Fair And Tender Ladies». Il est serviable et corvéable à merci. Geno est un homme simple. Il ne fait pas trop d’histoires, sauf quand il est défoncé. Puisqu’on en parle, voici «You Just Love Cocaine». Fantastique ode à la coke en stock, Nicky Hopkins te pianote ça vite fait bien fait. Geno n’en finit plus de shooter du power dans le cul flapi de l’Americana. On croise aussi un «Can’t Say No» tellement gorgé de power qu’il est inaudible. Aw comme ces sessions sont bonnes ! On sent aussi dans «Carry On» une présence de l’immanence et une liberté totale. Il fait sonner chaque seconde de «Nothing But An Angel» à la pure impénitence de big day out. Geno est à la fois un seigneur des ténèbres et un génie solaire - You are such an incredible thing - Cut après cut, il s’auto-porte à bouts de bras, il ne fait jamais n’importe quoi, il chante en flux tendu. Magnifique artiste !

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         La vie est drôle, parfois. Le même soir, le hasard des écoutes peut nous amener à naviguer dans des légendes aussi riches que celles de Gene Clark, d’Eddie Bo et de Joe Meek. Gypsy Angel - The Gene Clark  Demos 1983-1990 n’est pas à proprement parler un album légendaire, mais il participe de la légende de Gene Clark, au moins pour deux cuts dylanesques, «The Last Thing On My Mind» et «Day For Night». Clark ramène tout l’Ouest dans ses chansons, il vise les horizons perdus. Il cultive une sorte de beauté paumée, il clarke envers et contre tout. Il y a chez lui quelque chose de très conventionnel, balladivement parlant, même si tout est violemment interprété. Il pousse le bouchon de son Day à la dylanesque, il a ce côté hanteur de consciences issu du Midwest. Ses balladifs durent tous assez longtemps, sept minutes en moyenne, le temps du story-telling. Il gratte ses poux au coin du feu. Le gratté de «Mississippi Detention Camp» est très intense et très rootsy en même temps. Il va au Mississippi rechercher l’authenticité de son Missouri natal. Il connaît bien les ficelles du pisteur. Geno est un vétéran des sous-bois, il a croisé la piste des rebelles les plus célèbres. Il ne se nourrit que de racines de roots. Il ramène de vieux coups d’harp dans sa soupe au choux («Kathleen»). On l’aime bien, le vieux Geno, mais parfois, on s’ennuie comme des rats morts. Certaines rengaines n’offrent pas de prise. Il attaque toujours à la même arrache, il se morfond en permanence, «Your Fire Burning» flirte avec la Beautiful Song, mais avec lui, on ne sait pas. Il ne varie guère les plaisirs, tout est gratté sombrement, avec un faible espoir. Il termine avec le morceau titre, encore un balladif intensif. Il ne vit que pour ça. Son «Gypsy Rider» vibre d’authenticité. C’est sa raison d’être. Geno est un pur et dur. Pas question d’aller se compromettre. En grattant tout à sec, il fait de l’art sacré.

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         Sur Silverado 75. Live & Unreleased, il est accompagné par Roger White (gratte) et Duke Bardwell (bass). Einarson signe les liners, rappelant que les Silverados reprenaient des cuts de No Other. Quand ensuite Geno enregistre Two Sides To Every Story, il cesse de bosser avec les Silverados. Le set démarre avec le fat heavy country blues d’harp de «Long Black Veil» et Geno enchaîne avec l’un de ses classiques, «Kansas City Southern» - We’re going to do a train song for ya - Il en fait de la power-Americana, avec des rushes de fièvre et un son stripped down. L’ensemble est assez country, comme le montrent «Home Run King» et «Daylight Line». «Home Run King» est même de la heavy country, bien wild, dopée à coups d’harp et le gratté de poux sur «Daylight Line» est plutôt féroce. Tiens ! Voilà une énormité : «Set You Free This Time» - We’re gonna go back to 1965 with this song - Une merveille de Clark sound tirée de Turn Turn Turn, il t’allume aussi sec la cafetière, il est même over the top, à la dylanesque. Reprise de «No Other», aussi, monté sur un riff d’acou intrinsèque. Geno en profite pour revenir se lover dans le giron de nos imaginaires. Un miracle se produit, car c’est basique et beau à la fois. Il gratte son No Other à la perfe des perfes. Il ressort aussi son vieux «Spanish Guitar» qu’il gratte à outrance et qu’il arrose de coups d’harp. C’est d’une rare densité. Geno a des dons extrêmes. Il amène «Here Without You» au petit psyché et l’aplatit aussitôt au chant - Girl you’re on my mind/ it’s so hard to be here/ Without you - Il en fait un mélopif psychédélique. Il se montre encore fantastique de country rising avec «She Darked The Sun», il fond sa voix dans les épines des cactus. Si tu veux te lasser de Geno, tu devras te lever de bonne heure. Il termine avec la triplette du diable, «In The Pines» - And you shiver where the cold wind blows - «Train Leaves Here This Morning» et «Silver Raven» - Stand for one more you’ll like to hear - C’est le deuxième rappel, you better watch out. Le pauvre Geno repart sur son âne à Bethléem. C’est fin et plein d’esprit. Have you seen the silver raven ?

         Vu le parcours chaotique de Geno, les inédits pullulent. Einarson n’en finit plus d’en révéler. Après Two Sides To Every Story, Geno et Tommy Kaye envisagent en 1977 un autre projet, avec le KC Southern Band. Rien n’est sorti des sessions, mais Einarson dit que the KC Southern Band est «Gene’s finest backing band.» Plus loin, il signale l’existence des Glass House Tapes, enregistrées chez David Carradine  à Laurel Canyon, avec Tommy Kaye, Rick Clark (le frère de Geno), Garth Beckington et Jon Faurot. Six cuts. En 1982, nouveau projet : Geno, Hillman, Michael Clarke, Herb Pedersen (banjo) et Al Perkins (pedal steel des Flying Burrito Brothers). Le groupe s’appelle Flyte. Flyte tombe à l’eau. Il existe aussi des sessions enregistrées avec Laramy Smith.  

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         C’est encore Einarson qui se tape le booklet de Gene Clark Sings For You. Il explique que cet album enregistré en 1967 et gravé sur acétate a été redécouvert dans les archives de Liberty Records. Il ajoute que cet acétate est considéré par les fans de Geno comme l’Holy Grail. L’ex-manager des Byrds Jim Dickson rappelle que Geno composait tellement de chansons qu’il était impossible de tout enregistrer. Et si on les enregistrait pas, il les oubliait et passait à autre chose. En plus de l’album inédit, Omivore ajoute The Rose Garden Acetate, 5 cuts originaux que Geno enregistra avec The Rose Garden. Puis il abandonna les projet pour passer à la suite, c’est-à-dire Dillard & Clark et The Fantastic Expedition Of Dillard & Clark. Einarson pense qu’avec Gene Clark Sings For You, Geno était au sommet de son art, ce que vient confirmer «Past Tense», Dylanex et Byrdsy dans l’âme, tu as là tout le génie des Byrds qui déroule son tapis rouge. Il faut bien admettre que les Byrds, c’est Gene Clark, il est fabuleusement impliqué dans ce mythe. Geno te claque tout ça aux quinconces, il ramène encore du deep American feel dans «On Her Own», un vrai balladif de quincaille. Il confère à chacun de ses cuts une pureté manifeste. Avec «That’s Alright By Me», il fait une fast pop-rock d’hey hey, can’t see you, il flirte sans fin avec le Dylanex, il a cette ampleur extraordinaire. Il ramène des heavy chords dans «Down On The Pier» et il refait l’invétéré avec un «7:30 Mode» plus country. Pour le Rose Garden Acétate, il revient faire son Dylan de Greenwich Village («On The Tenth Street»). Il s’inscrit bien dans la veine du how much I remember you. Il drive ensuite «Understand Me Too» au heavy rumble d’acou. Il fait comme d’habitude : il tartine en surface et finit par convaincre - All I wanted to doo/ Is be with with yooou - Trop romantique. Ça ne pouvait pas marcher. C’est la raison pour laquelle Columbia l’a viré. Gene Clark n’a aucun support, alors il gratte à la vie à la mort. Dommage qu’il n’ait pas les grattes des Byrds sur cet EP. Il n’a que le chant et il réussit quand même à groover. Il tape son «Big City Girls» au heavy blues et c’est assez énorme. Il revient à l’essence des Byrds avec «Doctor Doctor».

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         Pour faire des économies, on peut se contenter d’une bonne compile. Echoes fera l’affaire, car on y retrouve tous les coups de génie épinglés précédemment, à commencer par le morceau titre et sa fantastique présence dramatique - You’re the tower in the sand - et puis, tu as aussi «Here Without You (sommet psychédélique), «So You Say You Lost Your baby» (Byrdsy groove et fantastique énergie), «Couldn’t Believe Her» et «Keep On Pushin’» (encore tirés de Gene Clark With The Gosdin Brothers, l’album définitif). D’ailleurs, quasiment tous les cuts de cet album se retrouvent sur la compile, «I Found You», «Elevator Operator». Gene Clark est l’artiste complet par excellence, sa pop magique chapeaute le rock californien. Et ça se termine avec deux cuts plus dylanesques, «The French Girl» et «Only Colombe».

         En fait, nous dit Einarson, le gros problème de Geno, c’est qu’il n’avait personne derrière lui, ni Elliot Roberts (manager de Neil Young), ni David Geffen, ni Albert Grossman. Geno va rester un sauvage, un country-boy/mountain man jusqu’à la fin. Quand il vit à Albion, il possède deux hachettes, six couteaux et une hache de combat. Il lance ses couteaux dans les portes en marchant, schlomp, schlomp ! Quand il décide de se reprendre en main et de se calmer, il découvre que personne ne veut de lui. Dans le biz, personne ne veut plus l’approcher. Trop sale réputation. On l’a vu entrer dans un bureau et sortir un flingue, playing the Godfather, péter les vitres des bagnoles et menacer de s’en prendre à la famille. Violents incidents. Quand Tom Petty enregistre une cover d’«I Feel A Whole Lot Better», Geno empoche 150 000 $ de royalties. Dès qu’il a du blé, il redevient fou. Saul Davis dit qu’il existe trois Genos : «Down-and-out Gene, hard on his luck. And regular Gene, the humble guy. Then there was the money-flowing Gene. And that meant trouble.» Il picole et il snorte again, alors qu’il avait réussi à se detoxer. C’est la fin des haricots. Il passe au crack et au free-basing, comme Croz, et tout le monde à Laurel Canyon, précise Terri. Geno perd sa voix, Tommy Kaye dit qu’il s’est chopé un petit cancer de la gorge. Un polype sur les cordes vocales. Alors pour se soigner, il picole. Il lui reste six mois à vivre. Il va tout de même chanter au Rock And Roll Hall Of Fame pour la consécration des Byrds. Hillman se dit fier de cette réunion honorifique, car, précise-t-il, 90 % des gens de groupes récompensés ne se parlent plus. Il cite l’exemple de Fogerty qui a refusé de laisser ses anciens copains de Creedence jouer avec lui - But we did - C’est en soi un exploit.  En 1991, Geno fait sa dernière apparition sur scène au Cinegrill à Los Angeles. Il est défoncé. Le set est aléatoire. Il a en plus perdu des dents lors d’une bagarre, deux jours avant les concerts. Sa voix chuinte. Les gens sont effarés par la médiocrité du set - The Cinegrill gig was just a mess - Quand Tom Slocum lui dit que son set est un désastre, Geno lui répond : «Sloe, it doesn’t matter anymore.»   

Signé : Cazengler, tête à clarkes

Gene Clark With The Gosdin Brothers. Columbia 1967

Dillard & Clark. The Fantastic Expedition Of Dillard & Clark. A&M Records 1968

Dillard & Clark. Throught The Morning Throught The Night. A&M Records 1969

Gene Clark. White Light. A&M Records 1971

Gene Clark. Roadmaster. A&M Records 1973

Gene Clark. No Other. Asylum Records 1974

Gene Clark. Two Sides To Every Story. RSO 1977

Gene Clark. Firebyrd. Takoma 1984

Gene Clark & Carla Olson. So Rebellious A Lover. Rhino Records 1987

Gene Clark. Under The Silvery Moon. Delta Deluxe 2001

Gene Clark. Gypsy Angel. The Gene Clark  Demos 1983-1990 Evangeline 2001

Gene Clark. Silverado 75. Live & Unreleased. Collector’s Choice Music 2008

Gene Clark. Gene Clark Sings For You. Omnivore Recordings 2018

Gene Clark. Echoes. Columbia 1991

John Einarson. Mr. Tambourine Man: The Life And Legacy Of The Byrds’ Gene Clark. Backbeat Books 2005

 

 

Le culot des zozos de Cluzo

- Part Two

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         Ça cluzote sec chez l’Inspector. Chaque album charrie son lot de pépites, comme autant de fleuves californiens au temps de la Ruée vers l’Or.

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         L’un des plus gorgés d’or gascon est sans doute The 2 Mousquetaires. Non seulement il est adapté d’Alexandre Dumas, mais il se présente sous la forme d’un petit album de BD et tu peux suivre en direct les aventures des Deux Mousquetaires, fabuleusement bien croqués par un nommé Chris Chaos from Taïwan. Tu feuillettes et tu tombes sur un prodigieux crobard de Curtis Mayfield flottant dans les airs avec sa strato blanche. Alors quand tu écoutes la cover qu’ils font de «Move On Up», tu tombes en double extase de métastase, car ils te l’explosent littéralement ! Là tu cries au loup pour de vrai, le gros jette toute sa graisse dans la balance. Tu as là un exemple parfait de ce peut être une cover de génie. Le gros hurle dans la tempête du paradis, ça joue ventre à terre et à couteaux tirés, le gros file dans l’azur comme un ballon de baudruche surréaliste, il est dans son trip de Move On Up et c’est battu à la diable gasconhette. Autre coup de génie : «Put Your Hands Up», le gros rappelle ses troupes à l’ordre et passe en mode heavy sludge. Il a même des cuivres. On se croirait sur le deuxième album des Saints. Power maximal ! Il t’embarque ça au scream. Puis il enfile la culotte de James Brown pour taper «Power To The People» au you got to move, il fuck les bobos dans «Fuck The Bobos», mais il fait à la dure, au heavy funk, son funk vaut largement celui de Bootsy - Are you ready/ Fuck the bobos - Il reste dans le fuckin’ fuck avec «Fuck Free Hugg», heavyness demented couronnée de succès et de cuivres, il navigue d’un port à l’autre, du funk au heavy sludge, il a ce pouvoir désarmant. Quand tu écoutes «The Two Mousquetaires Of Gasconha», tu as presque envie de laisser tomber les disques américains. Les deux zozos de Cluzo te cluzotent le gaga-punk de Gasconha avec le scream définitif. Tu as encore le wild et l’argent du wild avec «Wild & Free», il bombarde sur sa SG, I am & I am free, il connaît tous les tenants et les aboutissants des coups de tonnerre, il a tout le scream en magasin, il ramène des éléments de heavy sludge digne de ceux de Monster Magnet. Puis dans une chanson assez radicale, il envisage d’aller baiser Carla, la femme de l’ex-Président. Là on se marre, car c’est vraiment digne d’Alexandre Dumas.     

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         Les zozos de Cluzo prennent vraiment le plus grand soin de leurs fans. Ils conçoivent The French Bastards comme une petite pochette contenant douze vignettes cartonnées et le disk, chaque vignette illustre un cut et les lyrics sont imprimés au dos. On se régale d’entendre «F*** Micheal Jackson», car ça correspond exactement à ce qu’on pensait à l’époque. Au moins avec le gros, les choses sont claires. Dans la BD des Deux Mousquetaires, il étripait Sarkozy, Ben l’Oncle Soul et les bobos, cette fois, c’est cette super-crêpe de Michael Jackson qui passe à la casserole. Le gros commence par situer le contexte - I grew up in the 60s black Soul music/ Oh yeah - et pouf, il te fuck ça vite fait. Avec lui, ça ne traîne pas. Il aurait dû s’appeler Inspector Zorro. C’est quand même dingue quand on y pense, toute cette daube qui passait à la radio et qu’on devait supporter ! Autre chose : il n’existe rien de plus heavy sur cette terre qu’«Empathy Blues». Ça danse avec les loups, c’est-à-dire Monster Magnet et Leslie West, il t’explose tout ça au sommet de lard et s’en va screamer dans les Cevennes, exactement comme l’autre bête de Gévaudan, Frank Black. Même génie ! Il screame encore sa soupe aux choux dans le morceau titre. Encore plus plein qu’un œuf, voici «He’s Not The Man». Toujours ce mélange suprême d’heavyness et de scream, il t’explose cette matière organique cuivrée de frais, il s’agite dans un turmoil extrême, un sax s’empale sur la bassline, tu atteins là des zones inexplorées du sonic trash. Il arrive avec une disto de gras double dans «Giving Opinion Is Not A Job This Is A Right», encore une fois, il n’existe pas de disto plus heavy sur cette terre, il te tartine ses opinions au wait a minute. Si tu ne veux pas mourir idiot, tu devrais écouter «The Old Man», il y gratte ses poux intensément, c’est une rock star, alors il t’explose l’old man au scream demented, il monte très haut dans les estimes. Il ramène sa grosse voix de bélier dans «Trader Forever» et défonce la poterne au boom boom définitif.  

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               Les zozos de Cluzo entrent en mode fast punk dans Gasconha Rocks. Cette horreur s’appelle «Hello/Goodbye Education». Le gros refait son Frank Black, tu n’en reviens pas de voir débouler avec une telle violence ! Voilà un gros de plus au panthéon des gros, avec Leslie West, Tad Doyle et Frank Black. Ça re-rue dans les brancards avec «Till Petrole Do Us Apart». Il amène ça au riff raff et ça se barre en sucette de zozos, et ce fou de Phil pousse bien à la roue. Avec les deux mousquetaires, tu n’en finis plus de t’extasier, ils flirtent en permanence avec le génie sonique, le gros se barre en chat perché d’inexpectitude, tu vois trente-six chandelles, c’est un parti-pris de pur genius cubitus, on en oublie la terre et sa population, la terre et ses religions, la terre et sa géopolitique, ça devient sérieux, battu comme plâtre et noyé d’arpèges scintillants. Ils te font rendre gorge. Ils campent dans le Punk’s Not Dead, avec «Black Spirit». Peu de duos peuvent enfiler autant de perles noires de destroy oh boy. Le gros s’arrache les ovaires au chat perché demented. Retour au big heavy rock avec «Garbage Beach», tu te crois en Amérique chez les géants du stoner de Dieu, chez les Nebula de la Mountain. Fuck ! C’est tout ce que ta pauvre bouche peut dire sous les coups de boutoir. C’est beaucoup trop balèze pour la France. Le gros est l’artiste complet par excellence, hard punkster et white nigger, il faut le voir arroser «The Duck Gut Blues» à coups de slide, poussé dans le dos par un beurre de baratte du diable. Retour à la politique avec «Move Over Monsanto», en mode heavy boogie down, c’est  le rock qui milite, le gros se fâche - Why ya took us for a raid y’all - Ça n’en finira donc jamais ?, comme le chantonnait jadis Mouloudji.

         Avec Gasconha Rocks, tu as un petit DVD-docu qui montre les deux zozos en tournée dans le monde : Espagne, Asie, Afrique du Sud. En fait, ce docu est une apologie du Do It Yourself : les deux zozos de Cluzo font tout eux-mêmes : le booking, le management, le marketing, la compta, les compos, les pâtés à la graisse de canard, ils conduisent les camions, ils font le merch, ils jouent même sur scène. Le gros dit que ça leur prend tout leur temps, environ 70 heures par semaine. Le docu ne nous épargne rien. Tu as même un admirateur qui dit, comme sur les marchés, que «c’est direct, du producteur au consommateur». Pas d’intermédiaires. Pas de parasites. Fuck the bobos. Un mec dit que les zozos de Cluzo se grillent en by-passant le système. Fuck the system ! Leur indépendance est leur power. On ne voit pas assez les oies, c’est dommage. Le docu finit par mordre le trait et donner une idée un peu trop angélique du DIY. Ça frise la parodie. Si tu veux comprendre pourquoi ils sont devenus énormes, tu dois les voir sur scène. Certainement pas sur YouTube. Tu peux aussi écouter les albums : tu ne t’ennuieras jamais. 

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         On monte encore d’un cran avec Rockfarmers qui est un double CD. La pochette nous montre les oies et la ferme. Le booklet grouille de petits crobards inspirés, dans une poignante volonté d’illustrer les scènes de la vue rurale quotidienne. Leur icono tient sacrément bien la route. Leur baraque fait rêver autant que leur musique. Le fou de la disto réapparaît dès le morceau titre d’ouverture de bal d’1, the SG wild king of heavy sludge. Si tu aimes bien Leslie West et les ogres du stoner, alors tu te régales. Il s’en va même siffler sur les remparts de Varsovie. Chacune de ses attaques de gratte viole ton intimité. Le gros est un hussard sur le toit. C’est l’occasion ou jamais de te faire limer par un hussard, c’est un trip très littéraire. Tu joues d’une certaine façon à la marelle du diable. Le gros te bourre la dinde avec ses deux SG. Ce cut d’intro est déjà en soi un roman. Voilà un double d’album qui s’annonce passionnant. Il va tenir ses promesses. Le gros devient complètement fou sur «Fisherman», cette horreur est un véritable coup de génie. Il développe tous ses chevaux vapeur et l’achève au scream délétère. Ah il faut aussi l’entendre gueuler «Kiss Me» dans sa ferme avec ses oies. Les zozos de Cluzo sont des pesticides atomiques. Voilà ce que révèle le «GMO & Pesticides» d’ouverture de disk 2. Il n’existe rien de plus destructeur en France. Le gros commence par le siffler à la Bronson et bascule aussitôt après dans le wild punk’s not dead, il pique sa crise et ça purge dans l’urge, ils atteignent à l’extrême dementia du real blast, ils font du pur Motörhead. Le gros tape ensuite «Alright Georges» au heavy blues, on entend bien la SG, c’mon, il y va au dur comme fer. Il a tout le son du monde, alors il en profite. Il s’enfonce dans les couches supérieures de la prod ultimate, c’mon Georges ! Il navigue exactement au même niveau que Frank Black. Il reprend son élan pour «Quit The Rat Race», tu ne pourras jamais le stopper en plein élan, il chante à la hauteur de sa niaque de mousquetaire, heavy as hell, il hurle comme un cochon qu’on égorge. Puis il la joue douce avec «Stars Are Leavin’», il chante à la voix d’ange de miséricorde, back in the day, au heavy gratté de coups d’acou, power all over, et ce démon barbu explose les stars. Nouveau coup de génie avec «Erotic», sa SG rue toute seule dans les brancards, ça part en mode full blown, le gros l’attaque au chat perché d’all time rock’n’roll, ça bat tout le monde à la course, il hurle son can’t stand et tu entres dans la cinquième dimension. Il passe en mode funk pour taper «Romana», il fait son white nigger, il chante au perçant er se remue le cul. Ah il faut le voir gratter les poux du funk sur sa SG. Le gros a tout pigé.  

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         Tu crois qu’ils vont se calmer avec le temps ? Pas du tout. Nouveau big album avec We The People Of The Soil. Pas de coups de génie, cette fois, uniquement des énormités. À commencer par «The Sand Preacher» qui semble sortir tout droit d’un album de Frank Black & The Catholics. Il pourrait aussi en remontrer à Jon Spencer avec «A Man Outstanding In His Field». Le gros fait le job, il fond sa voix à la surface du Soil, mais il ramène l’énergie de tous les démons de l’enfer. Il te claque ses notes de SG sur canapé de nappes d’orgue intrinsèques. Avec «Ideologues», il redevient classique, mais avec du son. Il monte au chat perché pour créer de l’émotion et de la profondeur. Il a même de faux accents de Jack Bruce. Décidément, c’est l’album des clins d’yeux aux superstars ! Avec le morceau titre, il te ramène sous la douche des enfers. On se croirait dans le «Season Of The Whitch» de Stylish Stills. Quel déluge de son ! Il termine avec une véritable triplette de Belleville : «Pressure On Mada Lands», «The Globalisation Blues» et «The Brothers In ideals». Il attaque son Mada Lands à l’Hendrixienne. Les lyrics ne sont pas crédibles, ils ne servent que de prétexte. On ne démarre pas avec «I was born on a beautiful island». On démarre avec «the night I was born, Lord I swear the moon turned a fire red». Puis il s’enfonce dans le blues de ferme avec Globalisation, il y va au Nashville Pussy, c’est de haut niveau, surtout qu’ils le font à deux. Il termine avec «The Brothers In Ideals», ce fabuleux auto-hommage qui sonne comme la preuve de leur intégrité et qui va donner son titre à l’album suivant.

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         Sur Brothers In Ideals, ils retapent des cuts d’albums précédent en mode unplugged. On retrouve donc l’excellent «Man Outstanding In His Fields», cette fois avec un S à Fields. Le gros fait son heavy country blues d’anti-gentleman farmer. C’est puissant et infiltrant. Tu as le groove et l’argent du groove, surtout quand il monte au chat perché avec la délicatesse d’un génie à peine sorti de sa bouteille. Il vise le surnaturel. Il y reste avec «Cultural Misunderstanding». Il entre au chat perché et ça redevient magique. Son «Globalisation Blues» sonne aussi comme une merveille. Il en fait un heavy country blues, une moisson géniale de notes inspirées. Il gratte aussi «Idéologues» avec rien. Il crée son monde à partir de rien. Il fond sa voix au chat perché psychédélique. On a l’impression qu’il hyper-chante. On se prosterne à ses pieds. Il invente l’Americana du Sud-Ouest et son morceau titre de fin d’album est un chef-d’œuvre de Soul du Soil. 

Signé : Cazengler, affreux zozo

Inspector Cluzo. The French Bastards. Ter A Terre 2010 

Inspector Cluzo. The 2 Mousquetaires. Fuck The Bass Player 2012

Inspector Cluzo. Gasconha Rocks. Fuck The Bass Player 2013 

Inspector Cluzo. Rockfarmers. Fuck The Bass Player 2016

Inspector Cluzo. We The People Of The Soil. Fuck The Bass Player 2018

Inspector Cluzo. Brothers In Ideals. Fuck The Bass Player 2020

 

 

Wizards & True Stars

 - Gousse d’Hayes (Part Two)

 

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         Chez Ace, on s’intéresse plus aux compositeurs qu’aux prophètes. C’est une démarche intellectuelle typiquement britannique. On privilégie l’humain au spirituel. Ace balance une belle illustration de ce singularisme avec Wrap It Up - The Isaac Hayes & David Porter Songbook, une nouvelle épître de la fameuse Songwriters Series qui a vu défiler toutes les têtes de gondole à Venise, depuis Leiber & Stoller jusqu’à Mann & Weil en passant par Goffin & King, Ellie Greenwich & Jeff Barry, et toute la bande de Tutti Quanti. Illustration, oui, car dès la pochette, Ace enfonce son clou, nous montrant l’Isaac jeune (en compagnie de David Porter et de Mable John), un Isaac terriblement humain, fils de rien, comme le furent avant de devenir prophètes des gens comme Jésus de Nazareth, Friedrich Nietzsche, Noam Chomsky, Mahatma Gandhi, Malcolm X ou encore Nelson Mandela. Fils de rien, en toute humilité, crâne rasé, ce jeune black pauvre ne sait encore rien de son destin de Black Moses, de Moïse nègre couvert de chaînes en or et de femmes lubriques, qui va régner pendant quelques années en tant que Spirit Of Memphis sur l’Amérique et quelques îlots de superstition en Europe.

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         Il n’empêche. Tony Rounce sent bien qu’avec Isaac, on touche au sacré. Il sait comme nous le savons tous, qu’Isaac c’est Stax, ou pour être plus précis, Stax c’est Isaac, de la même façon que Motown, c’est HDH. Pas de Motown sans HDH et pas de Stax sans Isaac. Autrement dit, sans Stax et Motown, pas de Soul dans l’Amérique des sixties. Une Amérique privée d’âme ? On peut dire que cette pauvre fédération d’états a frôlé la catastrophe. On a longtemps cru que l’âme des USA était le fameux American Dream. Grave erreur, car l’American Dream, apologie de la liberté, est un contresens bâti en partie sur l’esclavage des nègres et en partie sur le génocide des Native Americans, c’est-à-dire, les gens qui vivaient dans ces pays avant l’arrivée des colons blancs. Les colons sont un fléau biblique, un fléau qui a ravagé tout le continent africain, tout le continent américain, l’Océanie, une partie de l’Asie du Sud-Est et qui ravage encore aujourd’hui la Palestine. Bon, Rounce ne va pas jusque-là, d’abord parce qu’il n’a pas la place, mais aussi parce qu’il a des priorités éditoriales.

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         Pauvres parmi les pauvres, Isaac et David Porter étaient là dès les premiers jours, sur McLemore Avenue, tentant désespérément de décrocher un petit job chez Stax, même un job de balayeur. C’est Floyd Newman qui met la puce à l’oreille des blancs de Stax, leur vendant l’idée qu’Isaac a des pouvoirs surnaturels - Il entend tout ce que vous n’entendez pas - Forcément, ça intéresse les blancs. Isaac entre pour la première fois dans le studio Stax, non pour balayer, mais pour jouer du piano. Et pouf c’est parti ! Il s’associe avec David Porter, qui bosse dans l’épicerie d’en face. C’est une fabuleuse histoire qui démarre. Ils vont tout simplement devenir, en alternance avec HDH, les rois du monde, pendant quelques années, de 1965 à 1969. Pour mener à bien sa mission, Rounce a choisi 24 covers de hits composés pendant ce court laps de temps. Après Hot Buttered Soul, Isaac et David Porter cesseront leur collaboration, Isaac optant pour un parcours plus messianique, donc solo, par nature.

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         Alors évidemment, cette compile grouille de coups de génie, rien qu’avec le «60 Minutes Of Your Love» que prend en change l’excellent Homer Banks, t’es gavé comme une oie. C’est du wild as fuck, Homer Banks fout le feu. Rounce précise que cet hit demented est enregistré chez Willie Mitchell, at Hi, et pas pour Stax, mais pour Minit, le petit label lui aussi légendaire de Joe Banashak, à New Orleans. Puis c’est au tour de Freddie King d’aller foutre le souk dans la médina avec «Can’t Trust Your Neighbour» qu’Isaac et David Porter avaient composé pour Johnnie Taylor. Freddie enregistre sa mouture à Memphis, mais pas chez Stax, chez Ardent, accompagné par Duck Dunn et Al Jackson. L’immense Freddie King propose avec cette mouture une fantastique plongée dans le heavy blues, il y va au I found out, il claque son ah-ah à la solace perspicace. On parlait du loup, le voilà : Johnnie Taylor, avec «Toe Hold», histoire de rappeler qu’avec Isaac, il est le king of Stax, il te traîne la traînasse dans la bouillasse du caniveau, avec tout le popotin staxy que tu peux imaginer, c’est du très grand art, des accords carillonnent dans le muddy Stax. Johnnie, c’est Napoléon, il avance dans la Bérézina - Show me baby - Te voilà au paradis. Rounce nous dit aussi qu’Atlantic avait envoyé Sharon Tandy enregistrer une version de «Toe Hold» chez Stax. Archie Bell & The Drells tapent le morceau titre de la compile, «Wrap It Up», déjà enregistré par Sam & Dave. Mais la version d’Archie Bell te sonne bien la cloche, car alerte et svelte, les Drells te swinguent l’Isaac, Archie Bell est en caoutchouc, et tout ce fabuleux bordel est drivé au big Stax demento. Te voilà installé dans les couches supérieures de la Soul. Encore un coup de génie avec le duo Keith (Powell) & Billie (Davis) qui tape dans le saint des saints, l’un des hits de Sam & Dave, «You Don’t Know Like I Know». Ce sont des blancs, but aw my Gawd ! Ah oui, tu peux te signer, car c’est incendié au Piccadilly strut. Si le «Love Is After Me» que prend Charlie Rich est aussi un coup de génie, ça ne surprendra personne. Le vieux Charlie qu’on surnomme the silver fox trempe son biscuit dans le r’n’b et ça monte vite au rouge, dans l’enfer du mythe. On peut même parler de classe définitive. Tu as là le power d’Isaac + le Sun de Charlie. Cette cover fabuleuse date de sa période Hi en 1966, lorsqu’il commence à taper sérieusement dans le r’n’b, mais comme ça ne marche pas commercialement, the silver fox devra retourner à ses moutons, c’est-à-dire la country et poser déguisé en cowboy pour ses pochettes d’albums.  

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         Alors maintenant, les surprises : la première nous vient des  Hassles avec '' You got me Hummin' '', un autre hit de Sam & Dave : heavy Soul à tomber de sa chaise, boom badaboom, d’autant plus que ce sont des blancs ! Rounce les situe entre les Young Rascals et le Vanilla Fudge. Il nous apprend en outre que Billie Joel va faire partie du groupe. Parmi les repreneurs d’Hummin’, on trouve aussi les fameux Cold Blood de San Francisco. Encore une révélation avec Marcia Ball et «Never Like This Before». Encore une blanche ? Elle est superbe. Rounce la qualifie de South Louisiana R&B Queen et recommande son album Hot Tamale Baby. Encore une révélation avec les Soul Children et «The Sweeter He Is (Pt1 & 2)», c’est embarqué aux clameurs de gospel. Ils fondent le gospel dans le Black Power, c’est d’une puissance inexorable. Rounce nous explique que les Soul Children furent le dernier projet sur lequel ont travaillé Isaac et David Porter. Plus tard, David Porter continuera de bosser avec John Blackfoot Colbert et ses Soul Children. C’est encore un blanc qui crée la surprise avec «I’ve Got To Love Somebody’s Baby». Il s’appelle Peter Gallagher et il est très inspiré. Il fait un heavy job. Steve Cropper gratte sa gratte sur cette mouture. Tiens, encore une blanche, Rachel Sweet, qui fait un joli carton avec «B-A-B-Y». C’est très sucré, très blanchi, on est en droit de préférer la version de Carla. Mais c’est tellement gorgé de sucre que ça devient génial. C’est à ce type de phénomène que tu peux mesurer la portée des compos d’Isaac. On s’amourache aussi très facilement du duo d’enfer Edwin Starr & Blinky. Ils tapent «I’ll Understand» et ils s’entendent bien, car sur la photo du booklet, Edwin lui met la main au panier. Ah qui dira l’extrême beauté de l’Understand ? C’est Motown, nous dit Rounce, qui eut l’idée de pairer Starr & Blinky pour prendre la suite du duo Marvin/Tammi Terrell.

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         Et puis tu as les valeurs sûres, les inextinguibles, les gagnés d’avance, les ‘c’est-du-tout-cuit’, à commencer par les Righteous Brothers avec «Hold On I’m Coming». Ils tapent dans le sanctuaire d’Isaac, avec énormément d’écho, ils rivalisent de ferveur avec Sam & Dave, c’est extrêmement wild. Tu as aussi Aretha avec «You’re Taking Up Another Man’s Place», Ree fond dans la soupe d’Isaac, c’est la cuisine des dieux, elle fait comme d’habitude, elle explose au yeah yeah ahhh. Les ZiZi Top te fracassent littéralement «I Thank You». Billy Gibbons donne au son d’Isaac la bénédiction du Texas raw. Il n’existe rien de plus demented que cette cover - But you did/ But you did - Rounce parle d’un «groovy, downtempy essay», un essay qu’on retrouve sur l’excellent Deguello. Et puis bien sûr, Delaney & Bonnie viennent couronner le gâtö avec «My Baby Specializes». Bonnie reste la plus black des white chicks. La merveilleuse Mable John se trouve un peu avant la fin avec «Your Good Thing Is About To End» qu’elle chante à l’accent tranchant supérieur. On termine cette modeste revue de détail avec les chouchous d’Isaac, Sam & Dave et le hit définitif du Stax System, «Soul Man». Ah comme tous ces gens savaient illuminer la terre, en ce temps-là.

Signé : Cazengler, Isac à vin 

Wrap It Up. The Isaac Hayes & David Porter Songbook. Ace Records 2022

 

 

L’avenir du rock - Coup de Pokey

 

         Chaque année, l’avenir du rock va dîner avec son ami Gé. Ils maintiennent ce rituel depuis plusieurs décennies. Ils réservent toujours la même table chez Bofinger. Gé reste égal à lui-même, avec sa figure joviale, ses cheveux châtain clair bouclés et sa belle moustache de Lord anglais. Malgré le temps qui passe, il ne vieillit pas. Il exerça un temps la prestigieuse fonction de DRH pour le compte d’une multinationale française. L’avenir du rock apprécie sa compagnie, car pour une fois, le rock ne figure pas au menu des conversations.

         — Dis donc, Gé, tu es drôlement bien conservé pour un DRH...

         — Oh la fonction n’était pas très fatigante. Secteur calme et salariés grassement rémunérés. Le rêve ! On se partageait le marché national avec Lafarge. Les commerciaux s’arrangeaient entre eux, comme les familles new-yorkaises de la mafia, si tu vois ce que je veux dire.

         — Tu veux dire que tu n’avais pas à subir les pressions endothermiques de la philologie conjoncturelle ?

         — Exactement ! On faisait de grosses économies sur les budgets publicitaires. Nous n’avions pas besoin non plus d’investir dans une tour à la Défense. Un seul étage suffisait. On y avait installé la com externe. Les services techniques et administratifs se trouvaient à la campagne, au vert, du côté de Mantes. La belle vie, quoi...

         — Oui c’est l’avantage de l’endémisme coercitif, ça donne de l’air aux ontologies tangentielles.  

         — Exactement ! En plus, nous avions le meilleur rendement économique de tout le secteur industriel, car nous ne consommions pas de matières premières, excepté le calcaire, c’est-à-dire peanuts. Une bonne carrière de proximité suffisait. C’est ce qui nous permettait d’investir à l’étranger et de racheter d’autres groupes industriels.

         — La facilité allait pourtant à l’encontre du jansénisme épistémologique qui te caractérise si bien...

         — Mais non, au contraire ! Je vais te donner une image : tu t’assois à une table de poker et à chaque tour, je dis bien à chaque tour, tu sors une quinte flush. C’est de cette facilité dont il s’agit. Tu as toutes les cartes en main. Si ton concurrent sort aussi une quinte flush, alors tu sors une quinte flush royale. C’est aussi simple que ça !

         — Aujourd’hui, ce serait plus compliqué...

         — Pourquoi donc ?

         — À cause de Pokey LaFarge ! Lui, c’est un carré d’as !

 

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         Sorti de nulle part, c’est-à-dire de Saint-Louis, Missouri, Pokey LaFarge exerce sur les gens une étrange fascination. Cet anti-Elvis au physique assez ingrat sort tout droit des gravures de mode américaines des années quarante. Son visage se caractérise par un dessin d’yeux tombant sous les tempes, et une bouche peu avenante que vient tordre une moue décadente. Il porte souvent un petit chapeau d’Américain moyen posé de travers sur le sommet du crâne, une cravate ou un nœud pap, et il gratte bien sûr de grosses grattes datant de Mathusalem. On l’a vu une première fois sur scène en 2015, accompagné d’un solide orchestre de vétérans de toutes les guerres confédérées, mais pour une raison x, ça ne marchait pas. On s’ennuyait rapidement. Il se montrait pourtant vivace, il posait bien sa voix sur des riches fouillis d’orchestration, ça banjotait et ça violonnait sec, mais ce qu’il véhiculait scéniquement nous passait largement au-dessus de la tête, comme d’ailleurs toute cette culture rootsy rootsah à laquelle nous ne comprendrons jamais rien, à moins d’être né à Nashville ou dans le Kentucky.

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         Huit ans plus tard, il fait un retour spectaculaire en Normandie. Il est tout prune, costard et gratte, il a rapetissé d’au moins trente centimètres depuis la dernière fois. Il arrive sur scène, se branche et boom ! Choc visuel immédiat ! Nouvelle approche d’un vieux mythe : celui de la rock’n’roll star. Le petit Pokey a tout pigé, il entre dans le set au raw de «Get It ‘Fore It’s Gone», il danse derrière son micro, il court sur place, il joue des jambes et fout le feu aux imaginaires.

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Il est petit mais branché sur 100 000 volts, comme dirait Jo l’électricien, wild as fuck, comme dirait un cat Zengler en panne de vocabulaire, en attendant, tu en prends plein des mirettes, même les rockabs présents dans la salle sont sidérés - On voit que c’est des Américains, dit Dédé, c’est tout de suite en place ! - T’auras jamais plus d’en place qu’avec ce coup de Pokey en costard prune. Il fout une pression terrible, avec la classe hallucinante d’un petit homme qui ressemble à s’y méprendre à Buster Keaton.

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Il chante en chef de meute, il hérite de tout le power du showbiz des Amériques, il devient pour un heure le maître du monde, un real deal à deux pattes. Pendant ce «Get It ‘Fore It’s Gone», on goûte à l’éclat du rock’n’roll, tel que l’ont inventé les pionniers dans les mid-fifties. Plus carré, plus brillant, plus classieux, ça n’existe pas. Il est petit, mais il sonne comme un géant. Il sait qu’il est bon, alors il génuflexe à tire-larigot. Un vrai carré d’as. Voix, compo, présence, tout est parfait.

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Et attention, il est bien accompagné : Buffalo Bill à la stand-up, un barbu gratte ses poux et joue parfois de la trompette, et deux autres mecs complètent le backing : un jeune keyboardist et un beurreman de jazz robotique. Un seul cut, et tu n’en peux déjà plus, tu suffoques presque d’extase. Il enchaîne avec le «Rotterdam» et le «Fine To Me» de son dernier album et repart en mode killah kill kill avec l’«End Of The Rope» tiré de Rock Bottom Rhapsody. Il tire aussi «Yo Yo» et «Killing Time» de son dernier album, l’excellentissime In The Blossom Of Their Shade. Il n’hésite pas à claquer la valse macabre de «Fallen Angel» et le round midnite de «Lucky Sometimes».

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Vers la fin du set, il fait monter une ravissante blondinette et en rappel, il envoûte toute la salle avec le closing-cut de Rhapsody, «Goodnight Goodbye (Hope Not Forever)», l’absolue huitième merveille du monde. Quand un mec t’enchante de la sorte pendant une heure, avec un final aussi magique, tu sais que tu viens d’assister au show d’une superstar, mais attention, pas d’une superstar à la mormoille, comme les fabriquent les médias, une authentique superstar, au sens où on l’entend artistiquement.

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         Une chose est certaine : les albums du coup de Pokey accrochent bien. Pokey serait donc plus un artiste de studio qu’une bête de scène. Pour s’en convaincre, il suffit de dénicher River Boat Soul paru en 2009. Au dos de la pochette, on découvre la photo de l’un de ces majestueux bateaux à roues à aubes du Mississippi. Et très vite, ce disque sonne comme la bande-son des aventures d’Huckleberry Finn. «La La Blues», c’est de la pure Americana, admirablement enlevée et tartinée d’harmo, et du meilleur. Quelle énergie et quelle classe ! Pokey ouvre la porte sur tout un monde, celui de l’Amérique d’AVANT cette fucking country music. Avec «Claude Jones», il passe carrément à la pompe manouche. Eh oui, Pokey va loin dans le fouillé des racines. C’est un rootseur de choc, du même calibre que Taj Mahal. Ce petit bonhomme est un touche-à-tout de génie. Sur disque, il est aussi infernal. Il revient au swing manouche avec «Hard Times Gone And Go». Ces mecs pourraient presque sonner comme Tchavolo Schmitt. On va aussi s’effarer de la mise en place de «Two Faced Tom», un cut bardé de coups d’harmo à la Dylan - Oh two faced Tom ! - Pokey traite la chose façon gospel. Il développe une véritable énergie de gospel blanc. Back to the manouche swing avec «You Don’t Want Me», extraordinaire d’agilité et là, Pokey nous ramène à l’embarcadère, c’est-à-dire à la Nouvelle Orleans. Il reste dans cette atmosphère fiévreuse pour «In The Graveyard Now». Un violon suit la cavalcade effrénée - He’s in the jailhouse now - Puis il attaque «Migraines And Heartpains» d’une voix de bas de menton et ça se met à banjoter. Et soudain, il attaque un solo à la Django. Évidemment, ces mecs font ce qu’ils veulent, ils naviguent à un très haut niveau et ils s’amusent tellement qu’ils lâchent une deuxième fournée. Pokey reste dans la pure Américana avec «Old Black Dog» et se révèle une fois encore agile et fiévreux. Il termine ce bel album avec un clin d’œil à Dylan qui avait aussi à ses débuts un petit côté Huckleberry Finn. «Daffodil Blues» est aussi une authentique merveille dylanesque. Pokey renoue avec l’esprit folky des grands horizons et sonne comme une sorte de messie condamné aux ténèbres de l’underground.   

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         Middle Of Everywhere sort en 2011. Voilà encore un album énorme. Si on aime la pure Americana, alors il faut écouter «River Rock Bottom», un slow jive de groove des années trente. Pokey est une sorte de magicien itinérant, en tous les cas, il sait créer les conditions de la magie. Quand on l’écoute, c’est un peu comme si on écoutait chanter son meilleur ami, c’est-à-dire son frère de sang, accompagné par des manouches, au pied des marches de la roulotte. Il est aussi dans le vieux groove des années trente pour «So Long Honeybee Goodbye». Il y passe un solo à la Django. Pokey et son orchestre jouent comme des dieux de fête foraine. Ils se permettent toutes les virtuosités. Ils swinguent leur truc jusqu’à l’oss de l’ass. Avec ce disque, on va de choc en choc, ces mecs sont beaucoup trop doués, comme on peut le constater à l’écoute d’«Ain’t The Same». Ils incarnent l’Americana mieux que personne. Sous son petit chapeau, Pokey chante comme un cake. C’est joué à la guitare claire. Pokey et ses amis sortent une vraie tambouille d’oreille fine grattée au banjo et râpée à l’harmo. On croit rêver. On frise l’overdose avec «Head To Toe», swingué au jump de jug des années trente. Et ça joue comme au temps de Django. Pokey sait aussi chanter le groove de charme. Avec sa voix, il peut vraiment tout se permettre. Il sonne comme un roi de bastringue, une sorte de Valentin le Désossé de bord du fleuve. Wow, quelle voix ! Et surtout quelle classe ! Il démarre «Shenandoah River» au gros strumming de rêve. Ça gratte dans la roulotte et c’est un peu comme si Pokey réinventait tout un tas de mythes, mais avec le swing. On tombe fatalement sous son charme. Pokey Lafarge & the South City Three pourraient bien être les meilleurs swingers d’Amérique. Retour à la Nouvelle Orleans avec «Keep Your Hands Off My Girl». Il sort le meilleur groove de trompettes traînardes qui se puisse imaginer ici bas. Pokey t’estomaque.

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         Il sort Pokey LaFarge en 2013 sur le label de l’autre frimeur installé à Nashville, Jack White. Par miracle, White ne joue pas sur l’album. Ouf ! On l’a échappé belle. Un spectaculaire portrait de Pokey orne la pochette de l’album. On croirait presque voir un portrait de Modigliani, tant l’équilibre des traits et des masses de couleur est parfait. Une véritable perle se niche sur cet album : «Kentucky Mae». Pokey nous chante ça à la gorge chaude. Il connaît toutes les ficelles du kitsch américain. Il tartine ça à la perfe. Il pourrait prétendre au trône de Cosmic American King. Ses disques emportent la bouche aussi sûrement que le piment de Cayenne, celui qu’on achète sur la Place du Coq. Il attaque cet album avec «Central Time», un jumpy jumpah d’Oumpapah. C’est admirable de swing et de légèreté. Il se pose sur la pompe du Wyoming pour soloter et joue des retours charmants et dignes des géants du swing. Nouveau coup de Jarnac avec «The Devil Ain’t Lazy», car on y entend un solo à la Django. En règle générale, ils s’arrangent pour rester dans le bon vieux swing de jug-band des années trente qu’ils dopent à la pompe manouche. Le petit Pokey recasse la baraque avec «Won‘tcha Please Don’t Do It», véritable carcasse de swing du Midwest. Il nous ramène à la Nouvelle Orleans avec «Day After Day», le son est plein, mais on ne retrouve pas le niveau de fouillis des enregistrements de Cosimo Matassa. Il chante ça du gras de la voix et ça joue à la Django, évidemment. Comme Tav Falco, Pokey s’intéresse au mambo. La preuve ? «Close The Door». Il termine ce bel album avec «Home Away From Home», une extraordinaire talking-song chargée de nostalgie - I’m following the ghost of Clifford Hayes/ On down to Carpet Alley where his jug band played - Fantastique. 

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         Sur la pochette de Something In The Water, il est assis à une table. Derrière lui, se tiennent deux femmes : une mégère en bigoudis et une bonniche quasiment à poil sous son tablier. Elle apporte à manger. Deux fabuleux clins d’yeux à Dylan se nichent sur cet album. À commencer par «Cairo Illinois». D’évidence, Pokey pourrait passer pour le nouveau troubadour de la fameuse Cosmic Americana. C’est vrai qu’il est moins beau que Gram Parsons, mais il est terriblement doué. Il sonne comme Dylan en 1965, il a tous les réflexes, comme par exemple la grosse envergure des retours de couplets et les riches coups d’harmo. Même chose pour «Achin’ A Fool», jolie pièce de jump sautillé au beat des Appalaches, et ça joue de la basse acou comme chez Hayseed Dixie. On note une fois de plus le grand retour des énergies fondamentales. Pokey chante du nez comme Dylan, avec la même niaque de verve verte. L’autre gros cut du disque est «When Did You Leave Heaven», un folk-blues chanté avec tout le feeling du monde. Ce mec ne se fout pas de la gueule des gens. Il sort un fabuleux groove de guitare à la ramasse et chante avec tout le luxe des années trente. Pokey LaFarge a choisi la voie de l’inclassabilité des choses. C’est bien. Il a raison. De nos jours, les foules semblent vouloir se tourner vers ce genre d’artiste. Typic atypic Cryptic ? Vous en aurez pour votre argent. Il chante son morceau titre d’une voix de canard particulièrement ingrate. Non seulement ce mec a une gueule d’empeigne, mais il chante en plus avec un côté Mickey Rooney assez éprouvant pour les nerfs. Par contre, «All Night Long» est vraiment digne des bastringues de Kansas City - Kansas City here I come - C’est joué au meilleur swing de jug d’Amérique. Et Pokey sort un final de pur New Orleans ! Il ramène ensuite les castagnettes pour «Goodbye Barcelona». Il se prend une fois encore pour Tav Falco et il a raison, car cette merveilleuse rumba d’alcoolique vaut le détour. Il joue «Far Away» à la finesse extrême et revient au pur New Orleans avec «Knockin’ The Dust Off». Il ramène sa gueule d’empeigne dans le spotlight et swingue comme un démon. 

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         Bon an mal an, Manic Revelations reste un bon album. Pour au moins trois raisons. La première est le cut d’ouverture de bal, «Riot In The Streets», vite embarqué au slap et propulsé par la caisse claire. Pokey tape des entrées de jeu superbes, c’est un artiste qui sait rafler une mise, son cut regorge de vie et de streets tonite. La deuxième raison s’appelle «Bad Dreams». On peut même parler de raison impérative, car quel coup de Jarnac ! Il chante aux dents de lapin, il fait son sucre sur le dos d’une belle mélodie, et ça devient littéralement énorme. Oui, Pokey LaFarge a du génie. La troisième raison d’appelle «Silent Movie», il chante ça d’une voix de rêve, au heavy charm, il groove son balladif et ramène son petit sucre à bon escient. Pokey forever ! Le reste de l’album est un mélange de petite pop transverse («Must Be The Reason» qu’il chante d’une voix de canard, pas de problème Pokey, on adore Donald Duck), de swing («Better Man Than Me»). Il travaille certaines compos aux brisures de rythme («Mother Narure»). C’est passionnant. Il lui arrive même de faire une pop qui ne sert à rien, comme chez Tom Petty, avec un léger accent cajun. Son «Going To The Country» est plus sexy, plus weird, plus inutile, plus connoté, plus nowhere out. De tout façon, on l’admire. Impossible de faire autrement.  

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         Sur la pochette de Rock Bottom Rhapsody, il fait son Tav Falco et costard blanc et danse avec un squelette. Attention, ce Rhapsody est un fuckin’ great album. Pokey est tout de suite on the beat avec «End Of My Rope», l’un des cuts du set sur scène. Et puis il passe au heavy beat merveilleusement plombé avec «Fuck Me Up», pas de problème, il te fuck up vite fait bien fait. Il chante ça à la petite bouillasse de LaFarge. Il fait des mélanges déments, après le fuck up, il tape dans le swing des années antérieures avec «Bluebird», puis il plonge dans le round midnite de voix de canard avec «Lucky Sometimes» - Even bums get lucky sometimes - Pas de doute, Pokey est un artiste complet. Il faut être confronté à son heayy jazz pour bien le comprendre. Il l’ose sur scène. Il dégage un truc sur chaque cut, même ses balladifs de rêve à la Fred Neil t’accrochent, comme ce «Just The Same». Il amène une valse à trois temps avec «Fallen Angel», ça marche à tous les coups. Sa niaque vocale n’en finit plus de te surprendre, il joue bien de sa voix puissante et perçante de petit garçon. Et puis voilà un nouveau coup de génie, «Storm A-Comin’». Il le prend au straight ahead et le monte en neige - There’s a storm a-comin’/ The temperature’s dropping - Ce petit homme est un héros, il est encore plus groovy que Tav Falco. Il propose un mélange intense qui le rend profondément attachant. Quand tu écoutes «Ain’t Coming Home», tu sais que tu écoutes chanter une authentique star américaine. Pokey construit tous ses cuts comme des cathédrales. Il a ce pouvoir. Il adore traînasser dans les grooves de vieilles valses incertaines. Il est éclairé de l’intérieur.

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         Et voilà In The Blossom Of Their Shade, le dernier album en date de Pokey. «Get It ‘Fore It’s Gone» ouvre à la fois le bal et le set sur scène. Fantastique swagger, power et gaz à tous les étages en montant chez Pokey. Il tape un beat de ‘Fore inconnu et puissant, il négocie son virage de génie sur un beat de bois verni, ce mec a trouvé la voie de l’hey hey hey. Le coup de Pokey est à la fois indéfinissable et excitant, à l’image de la pochette, où il danse un pas de deux avec ses faux airs de Buster Keaton. On retrouve plus loin le «Rotterdam» qu’il joue sur scène en mode fast valse. Comme Bowie, Pokey crée son monde. Il prend «Drink Of You» à la fantastique insistance, il te rentre sous la peau, il yodelle et devient indéniable. Avec «Fine To Me», il bascule dans une espèce d’exotica de la playa, il y va franco de port, au big sound. Même s’il groove son Fine To Me, on perd le génie de Get It ‘Fore. Son truc, c’est de mélanger les mélasses, il aime les valses incertaines et les effluves d’exotica rétro. Comme Tav Falco, il flirte avec le tango argentin («To Love Or Be Alone») et sait créer de l’ambiance. C’est un tentateur. L’Americana de wanna go home qu’il distille dans «Long For The Heaven I Seek» te monte droit au cerveau, d’autant plus massivement qu’on y entend le souffle du gospel, aw Lawd take me home ! Et puis voilà la cerise sur le gâtö : «Goodnight Goodbye (Hope Not Forever)», magnifique chanson d’adieu. Il est presque aphone, sur scène comme dans l’album, il n’a plus de voix - You’re the last face I see - Il embobine sa mélodie et nous avec, il chante aux dents de lapin, il t’ensorcelle et t’encorbelle, il t’emmène au somment de l’American songbook et d’une certaine façon, il vise, sans le savoir, l’intemporalité.

Signé : Cazengler, Pokémon

Pokey LaFarge. Place Barthélemy. Rouen (76). 30 mai 2015

Pokey LaFarge. Le 106. Rouen (76). 28 avril 2023

Pokey LaFarge & The South City Three. River Boat Soul. Free Dirt Records 2009

Pokey LaFarge & The South City Three. Middle of Everywhere. Free Dirt Records 2011

Pokey LaFarge. Pokey LaFarge. Third Man Records 2013

Pokey LaFarge. Something In The Water. Rounder Records 2015

Pokey Lafarge. Manic Revelations. Rounder Records

Pokey Lafarge. Rock Bottom Rhapsody. New West Records 2020

Pokey Lafarge. In The Blossom Of Their Shade. New West Records 2021

 

 

Inside the goldmine

- Swamp Rats d’égout

 

         S’il fallait cataloguer Bato, ce ne serait pas facile. D’abord parce qu’il faisait partie des gros clients de l’agence. Il dirigeait une énorme structure de formation et avait par conséquent d’énormes besoins managériaux. Mais il était surtout un homme d’esprit, un amateur de bons vins, de grands auteurs et d’expositions. Un lundi matin, en réunion de travail, il préféra nous parler de James Ensor plutôt que du dossier pour lequel nous étions convoqués. Il ne tarissait plus d’éloges sur cette toile d’Ensor qui s’appelle Vive la Sociale, il nous décrivait de mémoire toutes les trognes qu’y avait barbouillées Ensor, les têtes de mort, les masques figés à la Otto Dix, les pierrots fardés sortis tout droit des Enfants Du Paradis, son discours grondait comme un orage sur l’océan. Il levait les bras au ciel et sortait son mouchoir de temps à autre pour s’éponger le front. Bato était un homme assez haut, très brun, il portait des lunettes à grosses montures d’écaille et avait dans le regard cette malice à la Claude Chabrol. Le moindre rendez-vous de travail était prétexte à aller déjeuner dans les meilleurs restaurants du quartier et partout, il disait à la fin du repas : «Mettez ça sur mon compte !». Il n’accepta de notre part qu’une seule fois une invitation à dîner, parce qu’il s’agissait d’un lieu chargé d’histoire qu’il ne connaissait pas : la maison Fournaise sur l’île des Impressionnistes. Un habile promoteur avait réussi à transformer ce lieu historique en restaurant quatre étoiles. C’est sur là, sur ce balcon, qu’Auguste Renoir peignit Le Déjeuner Des Canotiers. Après un repas bien arrosé, nous allâmes marcher eu bord de Seine et Bato voulut grimper dans une barque, en souvenir de Guy de Maupassant. L’auteur de Boule de Suif venait là dimanche, à la belle saison, pour y culbuter des femmes de joie et pratiquer l’aviron. Nous trouvâmes des canoës un peu plus loin et partîmes au fil de l’eau. Bato pagayait comme un beau diable. Il rigolait et citait Maupassant dans le texte. Le grand air et le vin aidant, il se sentait pousser des ailes. Il se leva et, les bras au ciel, déclama la première phrase de Boule de Suif : «Petite, ronde de partout, grasse à lard, avec des doigts bouffis...» Il perdit l’équilibre, plouf ! Il coula à pic, emporté par le courant. On fit des recherches, mais les plongeurs ne retrouvèrent pas son corps. Nous sommes depuis persuadés qu’il a profité de l’incident pour disparaître.

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          Comme Maupassant avant lui, Bato a sûrement croisé les ragondins, qui sont des cousins éloignés (par la distance) des Swamp Rats. Ah les Swamp Rats de Pittsburg, quelle histoire ! Un seul album, une compile de leurs singles, Disco Still Sucks, mais quelle compile ! On peut même parler d’album légendaire. Et quelle légende ! Hocko et Bato même combat ! Deux candidats à la postérité, mais la postérité underground, la plus intéressante. Ils n’ont pourtant pas grand-chose à nous laisser, le Swamp Rats, juste trois cuts, la version la plus incendiaire de «Louie Louie», un «It’s Not Easy» tout aussi mal barré, et une version de «Psycho» qui fait trembler les murs de la ville, aussi sûrement que celle des Sonics. Bob Hocko attaque son «Louie Louie» avec un woaaahhhh d’antho à Toto - Gotta go now - Ils sont les shouters les plus wild du Wild West, ooooh no ! Une vraie volonté de trasherie, ils désaillent jusqu’à plus soif, aw noooo, Hocko fait son caveman, ses copains grattent leur va-tout et jettent leurs poux dans la balance. Ils finissent par tout foutre en l’air, la balance avec. Woaaahhh ! Ces mecs sont des ultraïstes de la fondamentalité des choses, des tenants de l’aboutissant du cavisme purulent, ils ne grattent pas des poux mais du pus, le pur pus purpirun d’«Hey Freak», le pus du rock humide des caves qui font peur. Ils font un «Hey Joe» bordélique, tellement bordélique qu’il est emmené par son propre poids, éperdu de vitesse et de mauvaise électricité. Ils bouclent l’A avec le wild gaga fin et racé d’«It’s Not Easy», admirablement taillé pour la route, joué sous un certain boisseau du swamp. Les Swamp Rats prennent tous les risques, à vouloir sonner comme des rats.

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         Ils attaquent leur B avec «No Friend Of Mine» qu’Hocko chante à l’éperdue délibérée, ce mec a du génie plein la bouche et une belle langue de fuzz lèche le cul du cut. Quelle version ! Ils rendent hommage aux Kinks avec «Till The End Of The Day» et détrônent les Blues Magoos avec leur cover de «Tobacco Road». Bien joué les gars, les rats bouffent les Magoos tout crus. Belle version délirante avec un gros pont de la rivière Kwai. Ils terminent avec une version complètement électrocutée de «Psycho». C’est encore autre chose que les Sonics, ça grésille à outrance. On n’avait encore jamais entendu un truc pareil, un tel parasitage du son, et tu as de démon d’Hocko qui hurle dans la tempête.

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         Dans les liners qui accompagnent le Disco Still Sucks paru sur Get Hip, Doug Sheppard parle de «snarling with fuzz guitar», de «demolition derby with crashing cars», mais on apprend que c’est Dave Gannon qui chante «Louie Louie», et non Hocko, même si nous dit Sheppard, Hocko est dans le studio au moment de l’enregistrement. Mais c’est bien Hocko qui screame le «Psycho» des Sonics qu’on va d’ailleurs retrouver sur le Back From The Grave Volume 1. Mais Hocko n’aime pas sa version : «It was too much screaming.» Hocko dit aussi que le son des Rats préfigurait de deux ans celui des Stooges et du MC5, eh oui, leurs singles datent de 1966. Seuls les Napoleon Wars qui se déguisaient comme Paul Revere & The Raiders sonnaient comme les Rats. En 1967, les Rats sortent leur troisième single, «No Friend of Mine»/«It’s Not Easy». Shalako : «We played through Super Beatle amplifiers.» Ils sont repris en mains en 1967 par un certain Censi et c’est la fin des haricots, car Censi leur demande de changer de son et d’image. What ?

Signé : Cazengler, raté (et fier de l’être)

Swamp Rats. Disco Still Sucks. Get Hip Recordings 2003

 

*

Vous avez eu Marlow Rider en clip, vous avez eu Marlow Rider en concert, et maintenant voici Marlow Rider en CD, mais où s’arrêteront-ils ?

CRYPTOGENESE

MARLOW RIDER

( CD / Bullit 16 / Mai 2023 )

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( Tony Marlow & Seb le Bison )

Ce n’est pas que ce CD bénéficie d’une belle pochette, c’est qu’il est un superbe artefact rock n’roll, dû à Tristam De4 et Seb le Bison. Ah, ces lignes mouvantes jaune girafe et fauve fatidique qui vous stroboscopent le regard, avec au cœur de cette spirale infernale, la trombine de nos trois riders, stylisés par Tristam, statufiés en bustes profilés d’empereurs romains, du grand art !

Ouvrez le gatefold, belle photo de Tony, ne perdez pas votre temps à l’admirer, vous en oublieriez jusqu’au sens du titre de cet album, modestement tracé au bas de la couve, ce beau portrait cache plus qu’il ne dévoile, faut l’ôter pour lire le texte qui nous explique le sens du titre Cryptogenèse. Tony se livre, à cœur ouvert, à cœur saignant, les années de formation et d’apprentissage, celles qui fondent la construction d’une vie d’homme et de rocker, avis à la population, Tony nous a déjà donné de bons albums mais celui-ci est à écouter comme le plus personnel, retour vers le passé, voyage au cœur de la fusion originelle, sans laquelle rien n’aurait eu lieu, ces moments décisionnels où l’être humain forge avec le marteau de sa volonté sur l’enclume du donné historial l’orichalque de sa destinée… Les lyrics révélés dans le livret ne sont pas des paroles vides de sens, mais pleines de sang.

Fermez le gatefold, les bustes de nos trois riders ne sont plus que des ombres indistinctes, mouvantes, happées par le tourbillon stroboscopique du cycle de la vie qui recycle et redistribue nos atomes sur la partition du vivant, l’important est d’avoir été, d’avoir laissé une trace existentielle, comme par exemple, à l’intérieur, cette photo du groupe en pleine action, témoignage exclusif d’une existence vouée à la musique.

Ne nous reste plus qu’à écouter cette galette spiralique, ce pemmicam électrique indispensable à notre survie.

Tony Marlow : chant, guitare / Amine Leroy : contrebasse, chœurs / Fred Kolinski : batterie, percussions, choeurs

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Hard drivin’ Rock’n’roll : un rock’n’roll, un simple morceau de rock’n’roll, que voulez-vous de plus ? Rien ! Que voulez-vous de moins ? Rien ! Marlow agite l’étamine pourpre du rock’n’roll d’entrée de jeu, précision historiale c’est Kolinski qui lance la cavalcade,  y va franc du collier,  le Marlou se hâte d’y ajouter le tranchant de sa voix, et c’est parti pour la fracturation de vos oreilles, z’ont le son idoine des pivoines épanouies, tout y est, les tambourinades effrénées, les ruptures rythmiques au millionième de seconde près, les reprises catapultées par la contrebasse survoltée d’Amine qui cogne comme le bélier sur les portes de la forteresse, le solo de guitare qui tue, l’entre-deux basse-batterie, et surtout cette envie d’être ensemble de jouer chacun son rôle selon une sublimation collective, Marlow chante cette vie de galérien du rock’n’roll qui n’abandonnerait pas sa place sur la nef partie à la conquête de la toison d’or. Le rock’n’roll n’est-il pas une musique orphique. Doctor Spike : l’autre face du rock ‘n’ roll, la noire, mais un noir de pures brillances, la musique plus lourde, elle cogne certes, mais qui est le sparring partner, un solo de guitare qui remet les proses pas roses en place, le groupe appuie où ça fait mal. Les beaux sourires avec les canines qui dépassent, ceux qui vous vendent du rêve, un shuffle imparable qui détruit les vitre miroitantes des illusions qui ne sont que des ombres noires. Sunshine of your love : reprise du vieil hymne solaire – missile sol-air – de Cream, que serait le rock’n’roll sans cet art hommagial, risqué et parfois iconoclaste de la reprise, les Riders s’y collent sans peur et sans reproche, gros challenge pour la contrebasse d’Amine qui délivre arcs-boutants et contreforts d’une solidité à toute épreuve, Fred n’a peur de rien, là où Ginger Baker se livre à un festival chipoteur d’un déluge de tapotements, il a choisi de marier tonnerre et résonnance, le Marlou dégaine sa voix et son jeu de guitare s’apparente à un  jeu de sabre, les Riders privilégient l’impact offensif à la subtilité éclatante de Cream. Pari tenu. Libertad : l’opus nous réserve bien des changements, l’on change pour ainsi dire d’hémisphère, du rock classique l’on passe à quelque chose de plus chaud, mais aussi brûlant, à la Santana, à option révolutionnaire, des paroles sans équivoque politique qui n’occultent en rien la dimension instrumentale du morceau, un régal, une fête une libération énergétique, une belle casserolade kolinskile, une bronca échevelée de big mama aminique et la guitare du Marlou qui tire à balles traçantes réelles. Highway chile : s’attaquer à Hendrix, quelle folie, suis allé réécouter Are you experienced, si novateur à l’époque mais qui aujourd’hui révèle l’évidence de son implantation originelle dans la séminalité du blues-rock dont il procède en droite ligne… : du coup la guitare de Marlow paraît sonner plus moderne, un prodigieux guitariste le Marlou, l’a tout assimilé et l’en a fait son miel, vous le recrache à sa manière, l’est méchamment accompagné par ses deux camarades, la voix mixée en avant et la guitare qui crie, une espèce d’exercice de style à la Queneau, mais ici à la manière indubitablement personnelle de Marlow. Javarock : non ce n’est ni la javableue ni la javablues, pas non plus la revendication identitaire nationaliste, simplement pour notre guitariste le désir de s’inscrire dans l’ici et maintenant mondain de son implantation géographique et historiale : Au titre précédent vous aviez  une reprise hendixienne, sur cet instrumental du pur Marlow créatif. Prière toutefois de ne pas faire l’impasse sur les deux autres Riders. Un morceau que je comparerais à ces échelles à saumons que l’on installe sur les barrages, le principe est simple, plus vous progressez plus ça devient dangereux, à chaque étage sa difficulté mais il faut aussi développer une force cinétique ascensionnelle de plus en plus rapide. Quant à Amine et Fred ils sont là pour les transitions, mais ils allongent et rehaussent les oxers, le Marlou n’esquive pas l’obstacle et s’en tire comme un chef. Le grand voyage : c’est celui qui relate l’arrivée du tout jeune Marlou en Corse, c’est aussi la traversée océanique qui sépare le rock américano-saxon du rock français, sur cette seconde partie de la galette Marlow chante en français, une gageure, un moteur d’avion sur laquelle se greffe un shuffle bluesy, non ce n’est pas triste, juste un acte initiatique qui sépare la vie en deux comme une pomme et si maintenant la guitare hennit c’est que la vie vous tend la moitié la plus juteuse. Pielza Eden : déjà plus rock, la batterie mène le bal, chant triomphal, guitare sarabande, joie sauvage, la sève qui monte, Fred est à la fête, le jeune Marlow découvre la joie de vivre, l’est déjà sur la route, pratiquement encore intérieure, mais sa boussole indique la bonne direction. Musique ou rien. De bruit et de fureur : son électrique, le rat des champs idylliques est devenu un cat des villes trépidantes, le décor change, la bande-son aussi, toute l’énergie de la jeunesse, la guitare gronde et la voix se creuse, seventy rock, l’outrance et la violence, la vie est un combat. Eclectic : pas électric si l’on en juge par l’intro très jazzy, la big mama d’Amine flirte avec les cymbales de Fred, l’on vire dans le funk, sur la piste de danse la guitare du Marlou se lance dans un cent mètres nage libre. Des chœurs de poids-lourds vous télescopent. Pas grave, la voix de Marlou mène la danse jusqu’au bout de la nuit. Comme un cran d’arrêt : un vent qui siffle, guitare espagnole, c’est l’heure de l’estocade, mots de haine et de dépits, voix coupante comme un cran d’arrêt, un sacré remue-ménage, chagrin d’amour, poison toujours, batterie maracas, épileptique à tous les coups l’on perd, à tous les coups l’on saigne, grand bazar des illusions perdues, un foutu bordel sonore. Le temps efface les blessures : le slow sixties que l’on espérait sans plus y croire, mi-figue, mi-raisin, chagrin d’amour ne dure qu’un jour, la guitare grince et griffe, pire que la souffrance, pire que la mort, l’indifférence apportée par la neige du temps qui recouvre tout. Désespoir absolu.

Cette face B est à écouter comme un opéra rock. Elle forme un tout, un peu comme l’envers du décor de la brillance éruptive des six premiers morceaux. Le rock envers et contre tout, le rock jusqu’à l’amertume, que l’on assume, dont on ne regrette rien. L’acceptation de la sagesse n’est-elle pas une autre forme de la folie… Very rock’n’roll.

         Un disque de Tony Marlow. Non, un grand disque.

Damie Chad.

 

*

Dans notre livraison 534 du 16 / 12 / 2021, nous chroniquions les deux premiers opus du groupe polonais Moonstone, respectivement parus en décembre 2019 et décembre 2021, nous n’avons pas été vigilant Moonstone a aussi sorti un album en décembre 2022, nous nous hâtons de le chroniquer, pour ce 17 mai 2023, Moonstone n’annonce-t-il pas la sortie d’un nouvel album.  

SEASONS

MOONSTONE

( Live EP / 2022 )

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Depuis la pochette l’œil lunaire ne vous regarde pas. Sans doute a-t-il mieux à faire. D’ailleurs pourquoi s’intéresserait-il à vous, le mériteriez-vous par hasard ? ! L’est sûr que les étranges architecturales façades de falaises qu’il inspecte, à la manière d’un inquisitorial projecteur, sont plus captivantes que votre modeste et inutile personne. L’on ne sait pourquoi mais il est impossible de ne pas penser à L’aiguille Creuse de Maurice Leblanc qui écrivit de si obscurs romans… Ces parois verticales qui plongent leurs soubassements dans la mer offrent sur leurs frontons de bien étranges signes, une espèce d’alphabet cyclopéen indéchiffrable.

L’artwork est de  Daria Prystupa. J’ai voulu en savoir plus, via son FB je suis arrivé sur son instagram hariyoshi_tattoo, à visiter, une artiste, tout ce qu’elle représente est nimbé d’une aura vénéneuse, des motifs mille fois revisités par des centaines de tatoueurs, auxquels elle donne une autre dimension, une aura qui n’appartient qu’à elle, ces encres sont celles dans lesquelles Baudelaire a trempé sa plume pour écrire Les fleurs du mal. Méfiez-vous de ses serpents, ils vous mordront l’âme et instilleront en vous un venin délicieux. Daria vit en Ukraine à Lviv, nous lui transmettons toute notre sympathie.

Jan Maniewski : guitar, vocal / Volodymyr Lyashenko : guitar / Viktor Kozak : basse, vocal / Kacper Kubieri : drums.

Nous invitons le lecteur à se reporter à la chaîne YT de Moonstone. Vous y trouverez plusieurs longues vidéos de différents gigs du groupe. Cet EP est un peu comme une carte d’invitation à vous rendre sur ces diverses expérimentations. Il est constitué de quatre morceaux enregistrés live. Le premier et le troisième sont des titres de leur premier album Moonstone et le deuxième de 1904.

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Mushroom King : c’est comme les quatre saisons de Vivaldi mais en beaucoup mieux, ça agit immédiatement sans préavis, le tubercule d’un champignon mexicain géant s’installe instantanément dans votre cerveau, l’amanite phalloïde du rêve vous envahit, l’extase oronge vous ronge, la mer verte est ouverte, laissez-vous emporter par la houle des aventures intérieures, un sas de compression et la navigation commence, la lumière des étoiles klaxonne dans la nuit, par intermittence, stridences de guitares et grasses sargasses de basse, la batterie roule et tourneboule, effluves de contrées inconnues se mêlent à vos narines, sortilèges sonores, une large voix méditative vous pousse et vous emporte vers des courants plus violents, jamais vous n’auriez pensé que sur le fleuve de la mort paisible votre barque funéraire glisserait si vite… Spores : delta de basse, le fleuve se sépare mais ses deux bras sont aussi larges et si vous empruntez celui de droite vous naviguez en même temps sur le deuxième, la vie et la  morts ne sont qu’une seule et même chose, chacune se nourrit de l’autre, notes graves et batterie funéraire, qu’importe vous n’êtes que sur le verso de votre existence, un guitare se plante dans votre oreille, elle vous aide à revenir sur le recto de votre présence, la voix énonce la cruelle réalité de la fulgurance vitale, tout est noir, tout est sombre, votre mort s’empare de l’univers, elle noircit des millions de pages, le monde entier s’effondre en vous, rien de plus terrible ne saurait subvenir, point d’orgue, point final, tout peut recommencer, le roi est mort, vive le roi et vive la mort, il est difficile de comprendre le message, de lentes rafales de notes tombent en pluies maintenant diluviennes sur les vitres de votre conscience, la matière germine, les électrons se poussent et s’entrechoquent, c’est la danse, la sarabande des neutralités qui s’éveillent, un raz de marée dévastateur, la nature se mange elle-même, elle cannibalise sa propre substance et vous dévore anthropophagiquement, c’est le grand charivari des mouvements internes qui s’entrechoquent, une longue montée paroxystique et l’on entend des pas de velours d’un cadavre qui se lève et marche doucement dans la nuit de l’aube pour que personne ne le remarque.

SulphurEye : l’œil de soufre était dans la tombe et vous regardait. L’Inquisiteur, celui qui ne vous a jamais quitté du regard même quand il regardait ailleurs, musique forte, trop forte pour que vous puissiez lui échapper, elle vrille comme des poignards que l’on vous enfonce dans les yeux, il a suivi tous vos actes et pire que cela il était aussi en vous et visionnait le film de vos pensées les plus secrètes que vous dérouliez comme une araignée qui tisserait la toile de son propre piège, rien ne lui a échappé, des barres musicales vous encagent, vous ne sauriez fuir, tout se ligue contre vous, maintenant vous savez que vous êtes vous et que vous êtes aussi l’œil de soufre qui vous épie, jamais vous n’échapperez à vous-même et encore moins au néant de votre inanité. L’univers n’est plus qu’un rideau mortuaire, le linceul dans lequel s’enveloppe le roi que vous avez été. Jamais vous n’échapperez à cet océan musical mugissant qui vous ensevelit. The day after : évidemment il n’est aucune séparation entre ces quatre morceaux, tout se tient le serpent de la mort tient dans sa gueule la queue du serpent de la mort, le jour d’après n’est que le jour précédent, harmoniques orientalisantes de guitares, la batterie bat ses silex rythmiques les uns contre les autres pour que naisse bientôt une étincelle capable de réanimer les cendres froides de votre passé, un long chemin s’ouvre devant vous, triomphal, victorieux, sinuosités méandreuses de la vie, la musique orientalisante, charme de serpent, vipère lubrique, elle se dresse sur elle-même, elle danse, elle se tord sur elle-même, elle a des torsions et des grâces de bayadères, accalmie, repos, reprendre son souffle, reptile se couche sur la terre, il s’épuise en courbes flasques, il se défait, il n’est plus rien, il s’identifie à la poussière du chemin, il raffermit ses atomes, il croule sous sa propre inertie, il ressemble à n’importe quoi et à n’importe qui, vous pouvez lui marcher dessus, vous ne vous en apercevrez même pas, et lui se taira, n’est-il pas comme vous, n’êtes-vous pas comme lui, ne formez-vous pas qu’un seul être indistinct, la guitare tirebouchonne, la batterie fait du bruit pour remplir l’indifférenciation des espaces indistincts, des bruits divers s’éparpillent, les cymbales frétillent doucement à la manière des queues de crotale, le serpent n’a-t-il pas mangé la fleur de l’immortalité au guerrier qui dort sans méfiance, Gilgamesh vit et vivra encore, mais le matin qui assistera à son réveil, sera comme la nuit de sa mort.

         Seulement quatre morceaux sur cet opus, mais si vous avez envie de poursuivre ce voyage sans fin, filez sur la chaîne YT de Moonstone, vous y trouverez beauté à volonté et poison à foison. Vous aurez toujours faim de cette histoire sans fin.

Damie Chad.

 

*

Les Oiseaux de Nazca nichent à Nantes, ville dont nous saluons les luttes anti-gouvernementales et les explosives manifestations, se définissent comme un groupe de stoner rock. Refuseraient-ils de le revendiquer que leur nom les trahirait. Pas besoin d’avoir un diplôme d’ornithologue en poche pour reconnaître un oiseau de Nazca. Tout le monde en a vu. Leurs photographies s’affichent jusque dans les livres scolaires. Si vous désirez les admirer en vrai, achetez-vous un avion. Puis survolez le désert de Nazca, tout en bas du Pérou, un désert coincé entre l’océan Pacifique et la Cordillère des Andes. Ce sont des dessins qui peuvent atteindre des kilomètres de long, la plupart du temps d’une envergure de plusieurs dizaines de mètres, figures géométriques, humaines ou animales. Notamment des oiseaux du colibri au condor. Sont-ce des représentations de dieux ? Ou de grands dessins-offrandes aux Dieux ? Ils ont été tracés en ôtant les pierres de surface ferrugineuses et donc rouges pour laisser apparaître une couche de cailloux grisâtres. Apparue en – 500 et disparue vers + 200 la civilisation Nazca n’en continue pas moins de survivre dans l’imaginal de notre modernité.

BIRDS OF NAZCA

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Nos oiseaux ne sont que deux, Guillaume est à la guitare et Romuald à la batterie. Le lecteur ne s’étonnera pas de l’esthétique des pochettes. La civilisation Nazca reste mystérieuse, est-ce pour cela, pour ne pas donner l’impression de divulguer des secrets tus depuis deux millénaires que leurs morceaux ne comportent aucune parole…

BIRDS OF NAZCA

( CD / Bandcamp / 31-08-2020 )

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A fly in the helmet : batterie enjouée et guitare joyeuse, première surprise c’est la batterie qui fait son nid en premier dans votre oreille, la guitare donnant l’impression de voleter pour venir nourrir l’oisillon, déjà un beau jouvenceau heureux de voir sa mère battre des ailes pour se maintenir à sa hauteur, arrêt brutal, l’on attendait la mouche elle survient, un lointain froissement pratiquement inaudible, coups de tambours pour son arrivée, rien de grandiose, rien de dramatique jusqu’à ce  que la guitare déboule, entre nous soit dit elle sonne comme une basse, c’est parti pour quelque chose de plus riffique, s’enchaînent des séquences relativement courtes, ici la batterie fait miroiter ses plumes aux éclats de cymbale, la guitare s’inclinant régulièrement pour picorer des graines, attention nous entrons dans une deuxième coupure pour un moment d’attente, une espèce de noise mélodique chacun des deux instruments paradant comme pour une approche nuptiale, l’on se dirige vers une montée progressive du plaisir… sans explosion finale. Pas le temps de calculer l’on est déjà sans craquèlement dans Cracula : formation d’un riff, en voiture, pour deux minutes de vélocité, non, l’on freine doucement comme si un danger se profilait à l’horizon, la batterie tapote l’alerte et l’on repart, rien de plus roboratif qu’une fausse alerte. Cactus : ambiance plus sombre, n’a-t-on pas entendu comme un souffle de vent du désert, la batterie nous fait le coup de la grande menace qui s’approche à pas pesants, la guitare vous a de ces balancements d’ostensoirs rafraîchissants, mais l’on repart en mineur vers quelque chose de moins sombre, de davantage gris, la batterie écrase les épines du cactus une par une, la lymphe végétale gicle comme un cri de souffrance, surgit lentement la sourde énergie de la nature que rien ne saurait arrêter. Almucantar : procédé mathématique qui consiste à établir un cercle parallèle à l’horizon, un comme si l’on débitait une tranche de la sphère céleste, nos oiseaux veulent-ils mettre en relation cette opération géométrique dans l’espace intérieur avec le résultat de ces dessins gigantesques obtenus on ne sait pas trop comment par le peuple Nazca, en tout cas ils y vont mollo, pas cahin-caha mais presque, coup d’accélérateur aux trois-quarts du morceau mais tout se stabilise très vite, comme si l’on était content du résultat obtenu. Satisfaction spirituelle après l’effort mental.

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Kanagawa : le titre est sorti en avant-première au mois de septembre 2021 avec pour couverture une représentation de la célèbre estampe La Vague d’Hokusai, dans le lointain en tout petit le connaisseur ne manquera pas de désigner le Mont Fuji, quel rapport avec le Nazca, le Mont Fuji que l’on présente comme la plus haute montagne japonaise, est aussi un volcan… voir titre suivant : le vent souffle, celui de la mer, ou du désert ? Pour la première fois le son prend de l’ampleur, une bourrasque lente, toutefois cette particularité est commune à tous les morceaux, il est impossible de parler de fuzz, nous le répétons l’impression d’une basse dont le volume sonore squatterait les amplis, entre nous rien n’évoque la houle destructrice d’Okusai, à la batterie Romuald en profite pour accentuer sa présence, tout se calme, clapotis de cymbales, profondeur guitarique, Romuald marque la cadence, quelques longueurs structurelles dans ce morceau. Volcano : étions-nous sur une fausse piste, nous rêvions d’éruptions fracassantes mais le Volcano Hummingbird n’est qu’n modeste colibri : pour une fois la batterie se fait pesante, la guitare se contente d’agiter ses ailes d’oiseau-mouche tel un bourdonnement incessant, bien sûr le passage de respiration habituel mais l’on repart aussi vite et aussi tumultueusement, le son s’intensifie et s’éloigne comme une escadrille de gros porteurs. Symposium : une voix, un chant sacré qui réveille la puissance tutélaire et menaçante de l’élément terrestre, grondement insatiable venu d’on ne sait où, qui ne saurait s’arrêter mais dont la batterie ordonne la cadence, tout se calme, ne reste plus que la voix de la prière aux oiseaux.  Vulture gryfus : cette nomenclature latine fait un peu peur, sa traduction en Condor des Andes est promesse de grandeur et de sérénité, le tire tient ses promesse, son amplifié et énergie sous-jacente, c’est la première fois que l’on a envie d’employer le mot riff même si l’on est plus près d’envolées successives, sans doute a-t-on atteint l’altitude supérieure, celle à laquelle on ne vole plus, celle où l’on plane, en se laissant porter par des courants invisibles, ce qui n’empêche pas que l’on monte encore, que l’on prend son essor vers le domaine des Dieux, rieurs et tapageurs, l’on croit être arrivés au summum, mais non, il y a comme une aspiration vers les demeures brûlantes du soleil. Arrêt brutal, s’est-on brûlé les ailes, entamons-nous une chute fulgurante ?

         L’opus est à l’image du vautour de la couve qui vaut le détour. Stoner, doom, tout ce que vous voulez mais avec le refus de l’emphase, de l’esbrouffe, et du kaos, ligne claire serait-on tenté de dire un peu à l’image des grands oiseaux dont les traits se distinguent sur le sol sombre de Nazca.

HELIOLITE

( CD disponible en juin / Bandcamp / Mai 2023 )

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Heliotite, la pierre du soleil, n’oublions pas la terre de feu, une continuité certaine avec l’opus précédent. Nous quittons un peu la civilisation Nasca, l’Amérique du Sud c’est aussi les Mayas, les Aztèques les Incas, sans oublier les Toltèques, nos deux nantais nous permettent ainsi de voyager dans plusieurs imaginaires mythologiques. Chaque morceau est agrémenté d’une image symbolique représentative.  

Intro : trente secondes d’un son venu d’ailleurs pour vous abstraire de votre quotidien, pour vous mener à une autre représentation du monde, plus vieille, antique, immémoriale…

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Inti raymi : (fête du soleil, voir notre Sol Invictus romain ou plus près de nous la Danse du soleil des Sioux) : entrée martelée, mettent le son, ne sont pas sur le onze, mais sur le dix, une espèce de rituel sonore, n’oublions pas les sacrifices humains, les cœurs arrachés, les pyramides dégoulinantes de sang. Ne parlez pas de cruauté ou de civilisations barbares, pensez à la notion d’offrande, à la grandeur démesurée des Dieux face à la petitesse animalculéenne de l’être humain qui n’a rien d’autre à offrir que lui-même. Une musique sans pitié qui va droit devant. La mort ou le soleil, c’est pareil.

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Spheniscus : non ce n’est pas le phénix mais le Manchot de Magellan ou de Humbolt, au bout de la terre de feu, quel rapport avec les divinités antiques d’Amérique du Sud, je n’en sais rien, ces oiseaux peut-être mentionnés par Nazca pour symboliser ces peuples qui ont disparu sans laisser de trace comme les Yaghans , pêcheurs-cueilleurs dont on ne sait à peu près rien, sur lesquels le rouleau compresseur des invasions historiales est passé définitivement… : face à toutes mes incertitudes la musique se fait entendre, provocante presque, la guitare klaxonne, la batterie étourdit, on pourrait nommer ce traitement musical l’avancée de l’inéluctable, le j’y suis j’y reste de la présence de ce qui a été, de ce qui est toujours là, disparue mais ineffaçable, je marche à pas lourds sur la terre que j’ai désertée, mais que je la hante de la tonitruance de mes fantômes. Ce qui est mort est irrémédiablement immortel.

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Gucumatz : de l’eau qui coule aux reflets miroitants, tintements brillants, n’y mettez pas la main, Gucumatz est la vipère au corps de plumes qui nage dans les profondeurs aquatiques, le son devient plus dur, plus éclatant, normal cette couleuvre n’est qu’un des noms du plus grand des Dieux, tout s’accélère et se surmultiplie en chatoyances multiples, cymbales triomphantes, vous la connaissez mieux sous le nom assourdissant de Quetzacoalt le serpent à plumes qui vole dans les airs et dans les imaginations, un trait de feu qui pourfend l’ait à la vitesse d’un avion à réaction, si maintenant nous n’entendons plus que quelques notes qui clochardisent et le vent qui souffle, c’est que le Dieu est insaisissable, le voici grincement fracturé d’une forte respiration battériale et la tête du serpent volant se déploie majestueusement, ses yeux sont soleils irradiants, il roule sur le monde à la manière des amas de cailloux qui dévalent les cordillères et écrasent toute présence humaine au fond des vallées, sont-ce des cris, des pleurs, mais l’avalanche recouvre le monde entier et n’en finit pas se glisser à la surface du globe, et puis subitement plus rien, juste un courant d’air d’onde musicale. Les Dieux passent comme les hommes. Mais pas de la même manière.

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         L’on prétend que les dessins du désert de Nazca étaient si grands pour que du haut du ciel les Dieux puissent les voir, c’est-là le sujet de l’opus précédent de Birds of Nazca. Cette Heliolite nous transporte du côté des Dieux, cette deuxième œuvre essaie de traduire le regard de ces Dieux qui ne voient que leurs images. Ne vous étonnez pas si cette musique est refermée sur elle-même, elle se suffit à elle-même, beaucoup plus forte, moins partagée, moins hésitante, moins pérorante, moins diserte, un bloc noir, une borne qui sépare l’infini diversité humaine de l’absolu inatteignable.

         Vous avez sur YT pas mal de concerts ou d’enregistrements live de Birds of Nazca. Regardez-les, écoutez-les, demandez-vous quelle sera leur prochaine étape. Une démarche très originale.

Damie Chad.  

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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(Services secrets du rock 'n' roll)

Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                         

EPISODE 27 ( Apéritif  ) :

143

Le Chef ouvrit sans faire de bruit le tiroir de son bureau, il me fit signe de regarder, Molossito éprouvé par la journée de la veille s’était endormi sur un lit de Coronados, avec une douceur infinie et l’extraordinaire dextérité d’un joueur international de mikado le Chef parvint à extirper de dessous la pauvre bête exténuée le cigare dont il avait besoin, un Expeditivo N° 7, qu’il alluma avec soin :

_Voyez-vous agent Chad, le monde se porterait mieux si nos dirigeants prenaient de temps en temps le temps non pas de jouer du tam-tam mais de méditer sur la brièveté de la vie en savourant un Coronado. Prenons un exemple particulier, vous-même agent Chad, certes vous n’êtes pas un grand de ce monde, au lieu de dézinguer cette cinquantaine de farfelus qui venaient enterrer un des leurs, si vous aviez simplement eu l’idée d’une halte méditative et coronadienne, ces pauvres fous seraient encore vivants, n’empêche que pour ces zozos venir dans un cimetière de bon matin relevait de la plus haute incongruité  matitunale, puisque tout le monde sait que La Mort nous y attend depuis le premier jour de notre naissance. Ces fous furieux n’avaient certainement pas lu – j’en jetterai un Coronado au feu – les œuvres complètes de Marguerite Marie Louise Gabrielle Ménardeau, sans quoi ils auraient manifesté une plus grande prudence.

Nous devisions sereinement depuis quelques minutes sur les livres de Gabrielle Witkop lorsque le museau de Molossa effleura mon mollet gauche. Je levais la main. Nous nous tûmes. Aucun bruit. Nous restâmes longuement aux aguets. Le Chef s’abstint même de tirer sur son Coronado. Avec d’infinies précaution je me levai de ma chaise et à pas de loup je m’en fus coller mon oreille (la droite) sur la porte, rien pas un bruit ne me parvint de la cage d’escalier.

         _ Hum, hum ! Agent Chad, je crois que nous avons une visiteuse, il est midi passé, peut-être pourrions-nous l’inviter au restaurant !

144

La Mort ne fit pas de chichi pour accepter, en une seconde elle se matérialisa et nous adressa son plus beau sourire :

          _ Je dois reconnaître que vous êtes de parfaits gentlemen, je vous fais confiance pour le choix du trois étoiles, comment avez-vous deviné que je mourrai littéralement de faim !

          _ Quel humour Madame !

          _ Oui j’adore l’humour noir !

145

Notre entrée fut remarquée, à l’accueil Germaine – mais non chers lecteurs toutes les filles ne s’appellent pas Alice - ouvrit de gros yeux, en trente ans de maison n’avait jamais vu de telles dégaines, les deux chiens, Molossito ragaillardi par son somme coronadien commençant à zigzaguer en aboyant très fort entre les tables, nos deux perfectos râpés, l’épaisse panache de fumée noire échappée du Coronado du Chef,  l’étrange allure de cette vieille femme drapée dans une immense cape noire, ses mèches de cheveux blancs dépassant de son capuchon noir, ses yeux de braise et son visage blanc au sourire sardonique, les accoutrements de cette équipe improbable avaient dû lui déplaire. Elle alerta d’un prompt coup de phone le patron qui au vu de la carte officielle que lui tendit le Chef, s’exécuta illico en obséquieuses courbettes. En quelques instants nous fûmes conduits dans un salon privé, des garçons stylés qui furent très étonnés lorsque la dame âgée rejetant le parchemin à menus qu’on lui tendait décréta d’un ton mourant qu’elle se contenterait d’une épaisse tranche de mortadelle accompagnée d’une Mort Subite.

146

Notre vieille amie avait un sacré coup de fourchette mais il était manifeste qu’elle se dépêchait de terminer son repas poussée avant tout par une impérieuse envie de parler. Elle eut le tact d’attendre que nous ayons fini notre dessert avant de prendre la parole :

  • Bon passons aux choses sérieuses !
  • Entièrement d’accord avec vous chère Madame, j’allume tout de suite un Coronado, vous conviendrez avec moi, j’en suis certain, qu’il n’y a rien de plus sérieux au monde que l’art du Coronado, je suis d’ailleurs très étonné que ce peuple si subtil que sont les japonais n’aient pas pensé à trouver un de ces vocables dont ils ont le secret pour qualifier les arts ! Un manque civilisationnel d’autant plus regrettable que…
  • Vos chinoiseries m’insupportent, tenez-le-vous pour dit, je suis venu ici pour passer un marché avec vous !
  • Madame nous attendons vos propositions, sachez que nous les examinerons ave le plus grand soin et…
  • J’irai droit au but. D’abord je regrette que vous n’ayez apporté qu’une attention discrète à mes propos du matin, vous avez la comprenette attaquée par la fumée des infâmes cigares dont vous faites une compréhension, cela ne m’étonne pas puisque vous êtes un rocker !

Les yeux du Chef étincelèrent, derechef il alluma un nouveau Coronado :

          _ Madame, vous sous-estimez ces doux êtres paisibles que sont les rockers, pourquoi croyez-vous que je vous ai invitée au restaurant, vos paroles m’ont paru assez claire, contrairement à l’agent Chad qui n’a rien compris, j’ai deviné ce que vous nous suggériez, j’ai établi le rapport entre cette intuition inexplicable entre la mort du rock’n’roll et la nécessité sans cause qui a entraîné le SSR au début de cette aventure dans les allées du Père Lachaise.

Ce fut comme une lueur irradiante qui envahit mon esprit, en une seconde je compris tout, avec quelques heures de retard sur le Chef certes, toutefois je doute qu’au moment précis de ce récit l’intelligence de nos lecteurs ait reçu l’illumination nécessaire à l’élucidation de cette aventure.

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Je ne pus m’empêcher de prendre la parole :

          _ C’est pourtant simple Madame, c’est vous qui avez décidé de tuer le rock ‘n’roll ! Vos manigances sont cousues d’un fil aussi blanc que celui dont on coud les suaires.

         _ Bien sûr c’est moi, mais vous ne savez pas pourquoi !

         _ Sans nul doute parce que vous détestez ce genre de musique !

         _ Depuis le temps que j’existe, cher jeune homme, l’engeance humaine a inventé tant de genres musicaux que je n’y fais plus attention, tous se valent à mes oreilles… En fait ce n’est pas le rock qui me gêne, ce sont les rockers !

          _ Parce qu’ils écoutent du rock ?

          _ Pas tout à fait, l’affaire est beaucoup plus complexe, c’est quand ils ne peuvent pas en écouter que cela devient dérangeant, mais laissons-cela, je suis venue pour vous proposer un contrat, j’ai préparé le document, il ne me reste plus qu’à recueillir votre assentiment. Tenez, lisez, signez !

A Suivre…

 

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