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  • CHRONIQUES DE POURPRE 699 : KR'TNT ! 699 : IMMEDIATE / EMBROOKS / BAD BANGS / ESTIVALERIES / GENE CHANDLER / JAKE CALYPSO TRIO / ACROSS THE DIVIDE / PATRICK GEFFROY YORFFEG / GENE VINCENT + JEFF BECK

     

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 699

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    28 / 08 / 2025

     

    IMMEDIATE / EMBROOKS / BAD BANGS

    ESTIVALERIES / GENE CHANDLER

    JAKE CALYPSO TRIO / ACROSS THE DIVIDE

    PATRICK GEFFROY YORFFEG

    GENE VINCENT + JEFF BECK

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 699

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Label bel bel comme le jour

    - L’immédiateté d’Immediate

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             Aux yeux des connaisseurs, Immediate reste le fleuron des labels du Swingin’ London. Parce que P.P. Arnold, parce que les Small Faces, parce que Chris Farlowe, parce que les Fleur De Lys, parce que Twice As Much, parce que Billy Nicholls. Et surtout parce qu’Andrew Loog Oldham. Dix ans avant les gens d’Ace, le Loog élevait son label au rang de mythe. Simon Spence raconte tout ça très bien dans un grand format sobrement intitulé Immediate, paru voici presque vingt ans et réédité depuis, sous une autre couverture. Le book est richement illustré, extrêmement bien documenté. Avec le temps, le jaune du titre et celui de la tranche ont pâli au point d’avoir presque disparu. L’éditeur a pelliculé, alors qu’il aurait dû prévoir un vernis UV. Quand ils ne sont pas protégés, le jaune et le rouge ne supportent pas la lumière crue qui rentre à flots dans la pièce où peut se dresser une bibliothèque.

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             Pour tout fan de rock anglais, ce grand format est un passage obligé. Spence brosse un beau portrait du Loog et de tout son roster. De la même façon que la Factory à New York, Immediate fut une usine à rêves. En 1965, c’est-à-dire au moment où le Loog monte Immediate, il est encore le manager des Stones. Il s’associe avec Tony Calder et décide de tout réinventer. Calder : «Our attitude towards the business in the UK was fuck them all, they were all old men.» Le concept est pur. Le Loog et Calder décident de se ré-approprier ce qui leur appartient : la rock culture. En même temps, le Loog construit sa légende urbaine. Il roule dans Londres à l’arrière d’une Chevrolet Impala bleue décapotée et drivée par le fameux Reg King. Keith Richards : «At a time when you didn’t see that many powder blue Chevys on the street.» Et Spence s’empresse d’ajouter que King et le Loog étaient bien évidemment «out of their heads on speed pills.»

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             Le Loog lance Immadiate avec l’«Hang On Sloopy» des McCoys, sorti aux États-Unis sur le label de Bert Berns, Bang! C’est Seymour Stein qui a présenté le Loog à Bert Berns. Spence décrit une party au Pickwick club de Soho, dont le patron n’est autre que Wolf Mankowitz, père du photographe des Stones, Gered. Parmi les convives se trouvent Linda Stein et Linda Goldner, la fille du fameux George Goldner qui fut l’un des magnats du Brill et l’associé de Leiber & Stollet dans Red Bird Records. Spence profite de l’occasion pour nous rappeler que Seymour Stein avait bossé pour Goldner au Brill. Et Linda avait été l’assistante d’Artie Ripp, boss de Kama Sutra Records, «hippest New York independant label», et, comme Goldner, en lien avec la mafia new-yorkaise. Sont aussi présentes Marianne Faithfull, «and Oldham latest discovery, ice queen Nico» - Faithfull et Nico, along with Oldham’s wife, Sheila, and Keith Richards’s girlfriend, Linda Keith, font tourner les joints de marijuana - Spence cite aussi «a young Steve Marriott who was hitting on Mick Jagger’s girl, Chrissie Shrimpton.» Les Stones et Pete Townshend sont là, bien sûr. La party célèbre la sortie de «Satisfaction» en Angleterre.  

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             Brian Jones avait rencontré Nico après un show des Stones à l’Olympia et avait flashé sur elle. Nico racontera par la suite que Brian la frappait et qu’un jour, il avait essayé de lui épingler une broche sur les lèvres vaginales. Et bien d’autres choses. Mais Nico se servait de Brian Jones pour approcher Oldham, qui connaissait sa réputation et qui savait qu’elle avait tourné pour Fellini dans La Dolce Vita. Le Loog la signa à Los Angeles pendant qu’il enregistrait «Satisfaction» avec les Stones. Il emmena Nico aux gogues pour lui faire sniffer «a line of high-grade speed». On va retrouver Nico et Brian Jones à Monterey. Ils louent une baraque en ville avec le Loog et sa femme Sheila. Brian était là pour présenter des groupes sur scène.

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             Nico enregistre l’«I’m Not Sayin’» de Gordon Lightfoot sur Immediate. Elle a 28 ans et elle est la plus vieille le jour de l’enregistrement au Regent Sound de Denmark Street, là où le Loog a enregistré les premiers hits des Stones. Derrière Nico, on retrouve Brian Jones, Jimmy Page, John Paul Jones et Art Greenslade. Le Loog fait constamment appel à Jimmy Page et John Paul Jones. Puis Brian Jones va présenter Nico à Andy Warhol. Elle lui donne son single Immediate et décroche en retour un job dans le Velvet.

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             Le Loog s’acoquine avec Allen Klein. Il flashe sur son look de gangster. Klein déclare à la presse : «Andrew manages the Rolling Stones and I manage him.» Dans un premier temps, tout se passe très bien : Klein récupère 600 000 £ chez Decca et fait miroiter des millions de £ sur les deux années à venir. Alors le Loog s’achète une black Rolls Royce Phantom 5 pour 19 000 £. Après la Reine et John Lennon, il est le troisième à pouvoir se payer cette caisse de luxe en Angleterre. Mais comme Reg The Butcher King vient de se faire sucrer son permis, c’est un certain Eddie Reed qui va la conduire. Le Loog admire aussi Klein pour son «business brain» : «Allen Klein knows how to convert my ideas into cash. Without his business brain, I would go nowhere.» Comme il se sent bien épaulé, le Loog multiplie les déclarations fracassantes dans la presse : «The Rolling Stones are still social outcasts. We work on the principle that if you are going to kick conformity in the teeth, you may as well use both feet.» Oui, taper des deux pieds dans les dents de la conformité.

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             Parmi les potes du Loog, on retrouve Peter Maeden, le premier manager des Who. Puis Chris Stamp et Kit Lambert lui ont «racheté» les Who et ont installé leur burlingue dans le même immeuble que celui d’Immediate, à Ivor Court. Une rumeur dit que les Who vont signer sur Immediate. Pete Townshend file «Circles» à Immediate et ce sont les Fleur De Lys qui l’enregistrent, avec Jimmy Page sur la fuzz, apparemment. Mais finalement, Townshend va rester avec Lambert & Stamp, qui vont très vite se débarrasser de Shel Talmy. Les Who ont eu du pot de s’en sortir après s’être débarrassé de trois des personnages les plus pointus de l’époque, Peter Maeden, le Loog et Shel Talmy.

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    Brian + Anita

             Puis le Loog va installer ses bureaux au 63-69 New Oxford Street. Après trois ans de tournées incessantes, les Stones font un break pour prendre des vacances : Jagger va au Mexique, Keef reste à New York, Bill va en Floride, Charlie va aux îles grecques et Brian Jones descend avec Anita à Tanger.

             La période 1966-1968 est l’âge d’or d’Immediate. Gered Mankowitz parle de «fantastic creativity» - The music and the energy were fantastic - Le Loog est l’enfant terrible du music biz - We were having hits, making great music - Tout le personnel d’Immediate est jeune. La presse n’en peut plus, le NME titre sa double page : «Oldham: Talented. Insulting. Outrageous.»

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             On lui file «an advance copy» du Pet Sounds à paraître. Le Loog flashe, «listening to it entirely in hotel rooms from Manchester to Stockholm.» Il veut rivaliser avec Pet Sounds et décide de tenter le coup avec Twice As Much. Twice As Much ? Oui, un duo flairé par le Loog. Deux petits mecs, Andrew Skinner et David Rose. Le Loog sait qu’il lui faut des auteurs maison, alors il recrute Billy Nicholls et Twice As Much. Il met le paquet sur le premier Twice, Own Up. L’enregistrement lui coûte 26 000 £. Trois semaines. Grand orchestre. Art Greenslade qui signe les arrangements dit que l’album est directement inspiré par Pet Sounds, qu’il est sorti avant Sgt Pepper, «and I thought it was better.»

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             Alors on vérifie ce que raconte Greenslade. Own Up est un Immediate qui vaut largement le détour. Les Twice y font pas mal de covers : «Help» (joli shoot de Beatlemania, ils y vont au won’t you please, c’est tapé à l’up-tempo bénéfique), «We Can Work It Out» (Beatlemania toujours), «As Tears Go By» (en plein dans l’œil du cyclope) et surtout l’«Is This What I Get For Loving You Baby» de Spector/Goffin/King : c’est l’Immediate Sound du Brill. Big time explosif ! London Brill ! Ça vaut tout le Brill du monde. Prod du Loog. T’as le beat des reins, l’écho des chœurs et les violons. T’es frappé par l’ahurissante qualité de la prod. C’est même digne de Brian Wilson. Encore du London Brill avec «Night Time Girl». Quel haut de gamme ! Cette fois, on frise le Gary Usher. On tombe ensuite sur «Life Is But Nothing», une belle compo des Twice que le Loog a refilé à Del Shannon pour Home & Away. Envol immédiat encore avec «Happy Times». T’as là la Sunshine Pop de London town. Encore une merveille digne de Brian Wilson.          

             Dave Skinner dit qu’il n’a jamais touché un sou sur Own Up, mais il admet volontiers que le Loog était très méticuleux - Own Up was his baby and he put a lot of effort into it - L’album n’a pas aussi bien marché que Pet Sounds, mais des gens comme Steve Marriott l’ont salué.

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             T’as un autre Immediate des Twice : That’s All. C’est quasiment un album hommage à Brian Wilson. Tu retrouves «Do You Wanna Dance» dans un petite medley et ça explose véritablement au grand jour avec «True Story». Ils ne sont pas aussi balèzes que Tony Rivers, mais c’est pas loin. Encore du Beach Boys Sound avec «Simplified» et «Step Out Of Line». Quelle clameur et quelle excellence harmonique ! Ils tapent ensuite dans Burt avec «You’ll Never Go To Heaven» - You’ll never go to heaven/ If you break my heart - Il dit ça avec une telle douceur mélodique qu’elle va craquer. Là, ils te donnent le vertige. Ils terminent avec une cover de Mann & Weil, «The Coldest Night Of The Year». Magnifique mélasse pop - Baby it’s cold out there - T’en reviens pas de tant de brillant Brill Sound et de tant de clameurs wilsoninennes.

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             C’est Gered Mankowitz qui surnomme Pat Arnold ‘PP’. Le plan du Loog était de la lancer comme il avait lancé Chris Farlowe, en demandant à Jagger de la produire et de lui composer des hits. Au début, elle est accompagnée en tournée par «a little four-piece band called the Nice». Le Loog voit P.P. comme un croisement entre Ronnie Spector et Aretha. Il demande aux Small Faces de l’accompagner en studio sur une belle version d’«Angel In The Morning», un hit signé Chip Taylor. 

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             Spence attaque ensuite le cœur du mythe Immediate : les Small Faces. Ça passe bien sûr par Don Arden, qui est alors «the most successful and influential British promoter ever», celui qui a ramené en Angleterre Gene Vincent, Sam Cooke, Jerry Lee, Little richard, Bo Diddley, Chucky Chuckah, Ray Charles et Fatsy. And many many more. Arden dit qu’il a trouvé les Small Faces, qu’il les a enregistrés et qu’il en a fait des Top Ten stars in six weeks - That’s all it took, six weeks - Il paye deux mecs, Brian Potter et Ian Sammy Swamwell 25 £ par semaine pour composer des hits et ça donne «Watcha Gonna Do About It». Quand les Small Faces refusent de continuer à chanter les cuts de Sammy, Arden les traite d’«ungrateful bastards». Marriott & Lane commence à composer pour le Loog et c’est là qu’il commence à les prendre très au sérieux. Il les signe et le premier single sur Immediate sera «Here  Come The Nice» (qui devait d’ailleurs s’appeler «Here Come The Nazz»). C’est aussi le 50e single Immediate.   

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             Puis arrive le drug bust des Stones à Redlands. Libres sous caution, les Stones enregistrent «We Love You», et John Lennon vient faire les chœurs. En attendant de connaître le verdict du tribunal, les Stones enregistrent une vidéo qui doit être diffusée sur Top Of The Pops si on les envoie au ballon. C’est filmé dans une église. Marianne Faithfull, Keef, Jagger et Brian Jones jouent le procès d’Oscar Wilde. Les Stones n’iront pas au ballon, mais la tension entre Jagger et le Loog devient plus que palpable. Jagger prend très mal le fait que le Loog lui refuse un tiers des parts d’Immediate. En plus Jagger ne supporte pas Steve Marriott, qu’il voit comme un rival. Ça s’envenime. Jagger refuse de continuer à bosser avec le Loog. Fin des haricots. Allen Klein rachète le contrat du Loog avec les Stones pour 700 000 £.

             Alors basta. Le Loog reprend le chemin d’Ararat avec Del Shannon. Un Del qui entre en studio avec le Loog et qui déclare : «So for three or four weeks; I had the time of my life with Andrew. He had let us his Rolls, I liked him because he was very adventurous.»

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             L’album qu’ils enregistrent ensemble s’appelle Home & Away. C’est un album de producteur. Del est un bon, mais le Loog est un super-bon. Del swingue son «Mind Over Matter» comme un crack, mais le Loog l’orchestre comme un super-crack. Billy Nicholls compose «Cut & Come Again» et le Loog en fait une belle lampée mélodique. Quelle allure ! C’est orchestré avec des trompettes mariachi. S’ensuit un «My Love Has Gone» hyper-orchestré, du pur jus de silver sixties. Puis Del tape dans une compo de Twice As Much, «Life Is But Nothing». Tout ici est très typé, très Loogué, très orienté sur le Totoring. Quel son ! Quelle profondeur de champ ! Del fout bien le paquet ! Tout est gorgé de remugles de pop anglaise. Et puis voilà la cerise sur le gâtö : «Runaway», le cut qui fascinait tant le Loog, le premier hit de Del qui date de 1961. Le Loog le remet au goût du jour et l’arrose de crème anglaise, et là t’as une prod de génie avec du flamenco à contre-courant, le fleuve t’emporte, c’est d’une rare puissance et Del s’abandonne - I wonder/ I wahwahwah !

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             Mais Liberty, le label américain de Del, ne voit pas l’intérêt d’Home & Away et en interdit la parution ! L’album ne sortira que 20 ans plus tard. Le pauvre Loog collectionne les projets avortés. Après le fiasco de Del Shannon, voilà le fiasco de Billy Nicholls qui a pourtant du monde derrière lui : Steve Marriott, Cat Stevens au piano, Nicky Hopkins, John Paul Jones et Art Greenslade. Mais Would You Believe ne marche pas. Ironiquement, l’album est aujourd’hui devenu l’un des collectors (comme disent les cons) les plus chers. Si tu veux une copie d’époque sur Immediate, sors ton billet.

             Tous les spéculateurs savent bien qui est Billy Nicholls. Et bizarrement, ce n’est pas l’album du siècle. Réputation surfaite ? Va-t-en savoir. Billy propose une pop entreprenante de pah pah pah et piétine un peu les plates-bandes des Small Faces. Alors pourquoi aller mettre un gros billet là-dedans ? Son «Life Is Short» n’est pas celui des Cramps. C’est de la pop aérienne qui finit par devenir magnifique. Tu commences à frémir pour de bon avec «Feeling Easy», une authentique Beautiful Song, fabuleusement orchestrée et ouatée aux chœurs d’artichauts. Billy se spécialise dans l’angélisme. Il navigue à un très haut niveau, comme le montre encore «London Social Degree». Son «Portobello Road» est traité sur le même mode, mais ça manque de magie. Ses cuts sonnent comme des grosses tartes à la crème. Et puis soudain, tu tombes sur deux coups de génie : «Being Happy», la vraie power pop d’Immediate, cette fois ça glisse dans la psychedelia, Billy avance en crabe dans le temps du cut. Et puis à la suite, t’as «Girl From New York» attaqué à l’heavy fuzz. Billy chante dans un coin. C’est puissant et bien fondu dans la fuzz. Billy se prend parfois pour Brian Wilson, mais il est trop anglais pour ça. Billy n’est pas Tony Rivers. Il peut aussi se laisser tenter par la Beatlemania, mais il est trop indépendant pour ça. Il ne vit que pour ses good vibes et pour un son gorgé de coups d’acou.

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             Après Billy Nicholls et Twice As Much, le Loog embauche Mike d’Abo, «another teenage songwriter». Il avait remplacé Paul Jones dans Manfred Mann. «Mighty Quinn», c’est lui. «Build Me Up Buttercup» pour les Foundations, c’est encore lui. Le Loog est convaincu que d’Abo est son Jimmy Webb. Bingo ! Il a du flair, le Loog car il met d’Abo en contact avec deux des plus grands chanteurs anglais, Rod The Mod et Chris Farlowe. Évidemment, Jagger est jaloux de Rod The Mod. Le Loog avait demandé à Jagger de produire un single de Rod sur Immediate, mais Jagger avait dit non. D’Abo compose «Handbags And Gladrags» pour Chris Farlowe et ça devient l’un des plus beaux hits de l’histoire du rock anglais.

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             Tout ça est bien joli, mais le Loog a un problème : il cherche à retrouver le buzz qu’il avait avec les early Stones. Ce sont les Small Faces qui vont le lui donner. Spence souligne l’«unstoppable enthusiasm of Steve Marriott». Le Loog ajoute : «The best of Mick and Keith in one vibrant soul».  C’est Marriott qui redonne au Loog le goût de vivre - Again he was happy to be a part of the industry of human happiness - (qui fut un temps le slogan d’Immediate). Le nouveau single des Small Faces est «Tin Soldier». Marriott : «Tin Soldier is the real us.» Spence évoque ensuite une tournée désastreuse en Australie et en Nouvelle Zélande avec les Who. Les premières failles dans les Small Faces apparaissent au cours de cette funeste tournée. Marriott ne supporte plus Ronnie Lane : «I’m not going on with that arsehole again. I’m not having that cunt nick my money anymore. He’s never written a fucking song, he’s a fucking arsehole, he treats me like a piece of shit and I’m not finishing this fucking tour.» On admirera le langage fleuri du père Marriott. De retour à Londres après cette tournée désastreuse, Pete Townshend a juré de ne jamais retourner en Australie. En dépit des gros billets qu’on lui proposait, il a tenu parole.

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             L’âge d’or d’Immediate, c’est aussi l’âge d’or des Small Faces : «Lazy Sunday», «Itchycoo Park», et n’oublions pas le puissant «Rollin’ Over» en B-side de «Lazy Sunday». Et puis bien sûr Ogden’s Nut Gone Flake, «Europe’s biggest selling and most critically acclaimed album of 1968», mais qui ne se vend pas aux États-Unis. Pourquoi ? Parce que CBS et Clive Davis. Le Loog a fait la connerie de signer un contrat de distribution pour les États-Unis avec Clive Davis et Clive Davis se bat l’œil d’Immediate et du Loog. Rien à cirer. Pas de promo. Pas de rien. Le Loog et les Small Faces commencent à douter d’eux-mêmes. Steve Marriott tombe en panne d’inspiration - Marriott’s  nut really had gone flake - Spence se marre bien. 

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             Nouveau problème avec CBS et Clive Davis qui font zéro promo du Kafunka de P.P. Arnold. Le Loog est obligé de libérer P.P. pour qu’elle aille tenter sa chance ailleurs, sur un autre label. Elle signe sur Atlantic. Puis le Loog est obligé de libérer Chris Farlowe de son contrat. Il signe lui aussi sur Atlantic pour les États-Unis et Polydor pour l’Europe. Alors les rumeurs vont bon train : Immediate est en perte de vitesse ? Le Loog essaye de relancer la machine avec The Nice. Après avoir coulé P.P. Arnorld, Chris Farlowe et Twice As Much aux États-Unis, Clive Davis coule The Nice. Le Loog signe un nouveau «prodige», Duncan Browne, qu’il voit taillé pour le marché américain. Mais ça foire complètement. Give Me Take You se vend seulement à 900 ex aux États-Unis.

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             Et quand on l’écoute, on comprend pourquoi. C’est un bide. Rien qu’en voyant la pochette, t’as envie de te barrer. Mais t’as besoin de savoir ce que le Loog a dans le citron, alors tu l’écoutes. Dès le morceau titre d’ouverture de balda, tu sens que t’es baisé : c’est du médiéval. Puis Duncan Browne se prend pour Nick Drake avec «Ninepence Worth Of Walking». T’es encore plus mal barré. Quand t’écoutes tout ça, tu te dis que t’iras jamais acheter un album de ce mec-là, et pourtant c’est exactement ce que tu viens de faire, alors tu te traites de pauvre con. Tu ne vas sauver que deux cuts sur l’album : «On The Bombshell» (pur jus de Beatlemania, une vraie merveille), et «The Death Of Neil» (vaguement Beatlemaniaque, hanté par des fantômes et des fantastiques chœurs des anges du paradis, et là tu t’enorgueillis de t’être fait avoir).

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    Clive Davis

             Pour le Loog, le contrat de distribution avec CBS est une catastrophe. Il indique que si Clive Davis a planté Ogden, c’est parce que les Small Faces ne voulaient pas tourner aux États-Unis. Le Loog : «It became apparent the CBS policy was recoup and bury. CBS slogan for the time should have been ‘We want it and we’ll bury it’ It was criminal.» Le Loog va trouver Clive Davis à New York. La réunion ne se passe pas très bien. Le Loog accuse Davis et son bras droit Walter Yetnikoff «of not knowing their arse from their elbows.» Le Loog va ensuite chez Davis le menacer de faire sauter le bus qu’il prend pour aller bosser chaque jour. En représailles, Davis fait interdire l’accès des bureaux CBS au Loog. Pouf, terminé. Fin de la discussion.

             Alors que le Loog entrevoit la mort de la pop, Calder essayer de relancer le label avec des compiles de blues. Il est même question pour Immediate de signer Fleetwood Mac. Calder raconte que le Loog est allé déjeuner avec Clifford Davis, le manager de Fleetwood Mac, «he calls me and says: ‘The deal is off. He cuts his roll with the wrong knife. I won’t sign the cheque.’» Évidemment, le Loog a trouvé un prétexte. Il ne voulait pas de Fleetwood Mac sur Immediate.

             Comme il a installé des bureaux Immediate à New York, il y passe beaucoup de temps. Ses principales fréquentations sont la coke et Richard Harris. Il voit aussi son vieux poto Totor.

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             À Londres, Immediate tourne au ralenti, avec notamment Twinkle qui fricote avec Mike d’Abo. Elle ne sort qu’un seul single sur Immediate, «Micky»/«Darby & Joan», qu’on retrouve sur un petite comp RPM, Girl In A million - The Complete Recordings. Hey hey hey, Twinkle arrache bien son Micky du sol, et les chœurs font «Baby I need you !». Elle a encore du son sur «Darby & Joan», mais la pauvre compo n’a rien dans le citron. Pour rester dans le même univers, elle tape aussi une version sucrée de «Sha La La La Lee». Avant d’arriver sur Immediate, elle était sur Decca et elle tire sa réputation de «Terry» : elle s’y prend carrément pour les Shangri-Las. Elle tape pas mal de pop sans conséquence sur l’avenir du genre humain et il faut attendre «Ain’t Nobody But Me» pour danser le jerk - Come on over to my house ! - Elle est tellement sucrée qu’elle en devient conne. Puis elle s’en va friser les Ronettes avec «Tommy». Cette pop est presque belle tellement elle ambitionne de te plaire. Elle fait aussi sa France Gall avec «A Lonbely Singing Doll», une cover du «Poupée De Cire/Poupée De Son» de Gainsbarre. Mais pour le reste, c’est compliqué, car rien n’accroche véritablement. Elle  tente encore le coup du sucre candy avec «Tommy», mais si on cherche une bombe, alors il faut aller farfouiller sur le disk 2. Et là tu tombes sur «Smoochie», un hit pop d’entrain suprême, elle duette avec un mec, et là t’as le groove subliminal du London town des jours heureux. Il faut aussi saluer «Ladyfriend», une compo qui se tient bien à table, richement produite et flûtée jusqu’à l’oss de l’ass. Elle ramène son sucre dans une cover d’«I’m A Believer», mais le coup du sucre ne marche pas systématiquement. Globalement, elle n’avait aucune chance. Elle tente encore le coup de la pop-chaleur humaine avec «Little Piece Of Heaven», mais ça reste plan-plan. Tu ne garderas que deux souvenirs d’elle : «Smoochie» et «Micky». C’est déjà pas si mal. T’en as plein qui ne pourraient pas en dire autant.

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             Pendant ce temps, le Loog lève le pied. En laissant filer Fleetwood Mac, il montrait à quel point Immediate et le music biz ne l’intéressaient plus. Il est arrivé exactement la même chose à Uncle Sam avec Sun - He lost interest - C’est l’époque Amen Corner et franchement, ça n’intéresse pas du tout le Loog. Ni les Nice. Plus rien à cirer. Pourtant Amen Corner enregistre une cover d’«Hello Susie», un hit signé Roy Wood, avec Shel Talmy. Personne n’est dupe - Privately, Oldham admitted Amen Corner did not excite him. Mis à part Fairweather Low, il ne connaissait pas les noms des autres membres du groupe. «I went to see Amen Corber live in Cardiff after the hit», dit Oldham, «and I thought to myself if this is show business what the fuck am I still doing there.» - En plus, le Loog est fatigué d’auto-financer ses projets avec le blé qu’il a récupéré de la vente de son contrat avec les Stones. Il tente encore un joli coup de Jarnac en essayant de récupérer Scott Walker, mais Scott est un peu trop bizarre pour Calder qui ne comprend rien à ce qu’il raconte. Scott parle de philosophie et de Jacques Brel. Calder pense que Scott Walker aurait pu être bien meilleur que Sinatra. Il fallait cependant racheter un contrat et devant l’énormité du prix demandé, le Loog a préféré laisser tomber. Et la tension est remontée d’un cran entre le Loog et Calder. Le seul sur lequel ils parviennent encore à s’entendre, c’est Steve Marriott.

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             Ça tombe bien : Marriott vient de monter Humble Pie. Tournées américaines. Le Loog perd pied, «burnt out like a light bulb», dit Keef. Immediate finit par se casser la gueule. Le Loog : «I started losing interest in the whole thing about six months after I parted company with the Rolling Stones. By that time, Immediate had proved its point, so it became pretty boring. The last thing I was interested in was Humble Pie.» Et Marriott rend un sacré hommage au Loog, à propos de la liquidation d’Immediate : «Oldham was great about it. He just said, ‘we’re going under, mates’. He warned us all. He said, ‘get out now and sort sourselves out, get other labels because I don’t want any of you going down with the company.’ He was a great bloke, a right old blagger, but underneath all the front he was a very nice man.»

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             Quand plus tard le Loog essaye de récupérer les masters qu’il finança jadis sur ses fonds propres, il traîne en justice les labels qui font du blé avec ses disks, dont Sanctuary et Charly. Sanctuary demande à des gens comme Kenny Jones, Blue Weaver (Amen Corner) et Jerry Shirley de témoigner contre le Loog. Voir cet abruti de Shirley témoigner contre lui l’a profondément choqué. Le Loog dit qu’il n’en revenait pas !  D’autant qu’il lui avait trouvé un super job en Italie après la fin d’Humble Pie. Le chanteur des Poets George Gallagher sera l’un des rares à témoigner en faveur du pauvre Loog. Le punk Gallagher est même choqué de voir comment le juge traite le Loog : «I wish I had had the bottle to just say the old man Pumfrey, ‘you dirty corrupt old bastard it’s a waste of time me being here my friend has no chance.» Non seulement le Loog perd son procès et ne récupère pas ses masters, mais il est condamné par l’old bastard à payer les frais de justice, 370 000 £. L’horreur !  

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             La meilleure illustration musicale de L’Immediate book serait sans doute l’Immediate Mod Box Set parue en 2005, sur, ultime ironie du sort, Sanctuary ! En trois CDs, la box fait le tour du propriétaire. Des trois, le disk 1 est le plus infesté de puces. P.P. Arnold fait bien des ravages avec «Everything’s Gonna Be Alright», qui sonne encore comme le jerk du diable, elle te pulse ça à l’hey hey hey ! Elle reste dans le rentre-dedans avec «Speak To Me», une sorte de nouveau sommet du r’n’b in London town. Autre coup de génie Immédiat : les Fleur De Lys avec «Come On». Les Fleur De Lys sont les rois du Swingin’ London, so come on ! Et puis vers la fin, tu tombes sur Own Gray & Maximum Breed et «Sitting In The Park», un pur miracle productiviste finement teinté de reggae. Autre miracle productiviste : Twinkle avec «Mick». Le Loog sort une prod à la Totor. T’as tout là-dedans, Totor et le sucre de rêve. Autre coup de Jarnac : Sonny Burke Outfit et «All You». Lui, on ne sait pas d’où il sort, mais il est bon. C’est de l’heavy London r’n’b tapé au shuffle d’orgue. Du full blown. On reste dans le full blown avec l’instro des Mockingbirds, «Skit Skat» : fantastique énergie et bassmatic du diable. Restons en enfer avec un duo d’enfer, Rod Stewart & P.P. Arnold et «Come Home Baby» : le meilleur + la meilleure, ça fait des étincelles. C’est Motown in London town. En plus ça rime. Ils parviennent à monter le génie en neige. Et puis tu retrouves la Goldie des Gingerbreads avec «Headline». La prod du Loog lui donne des ailes. N’oublions pas de nous incliner devant les Small Faces avec «Talk To You» et Chris Farlowe avec «The Fool».

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             Un Chris Farlowe qui hante le disk 2 avec «Think» et «Look At Me». Avec lui, c’est vite plié. Ce shouter fou domine toute la basse-cour. Il est même bien plus puissant que Rod The Mod. Et avec la prod du Loog, ça prend des proportions qui te dépassent. Petit shoot de protozozo avec The Poets et «Don’t Do It» : t’as le stomp de Glasgow. Ces mecs savaient rocker un boat. Joey Vine pique sa petite crise dylanesque avec «The Out Of Towner». Nouveau coup de génie avec Twice As Much et «Step Out Of Line». Real deal de London pop. On retrouve la patte du Loog dans la prog. C’est magnifique. Le Loog est tellement fasciné par Totor qu’il réussit à produire des merveilles inexorables du calibre de «Step Out Of Line». On se régale aussi de Cyril Davies & The R&B All Stars et «Someday Baby» : grosse énergie. Ces mecs groovaient comme des démons. Quelle belle leçon de swing ! On croise aussi P.P. Arnold, spectaculaire de Soul Sistery dans «If You See What I Mean», et les Small Faces avec «Feel Much Better» où Stevie Marriott ramène son sucre avarié.

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             Alors, et le disk 3 ? Il réserve sa part de bonnes surprises, à commencer par Outer Limits et «Sweet Freedom». Belle assise. La voix est sûre. Accents Whoish certains. Tu retrouves aussi le chouchou du Loog, Billy Nichols, avec «The Girl From New York City» qu’il tape à la fuzz d’Immediate. Big time out ! Et puis t’as toutes les valeurs sûres : les Fleur De Lys avec «Circles» (ils tapent en plein dans les Who à coups de drag me down, ils font partie des meilleurs de leur temps), les Small Faces avec «Don’t Burst My Bubble» (double attaque aux power chords et au shuffle de Mac, cette fournaise est unique en Angleterre), Chris Farlowe avec «My Way Of Giving» (même lui, il finit par sonner comme les Small Faces, là t’as tout, le hot, l’argent du hot, le shuffle et la classe), et plus loin «Moanin’» (le géant travaille son Moanin’ en technicolor, le Loog lui fait une prod de rêve, même avec du sitar), et puis, comme cerise sur le gâtö, t’as le «Tin Soldier» des Small Faces, un hit qui s’annonce monstrueux dès les premières mesures. P.P. Arnold revient taper un petit coup de Chip Taylor avec «Angel In The Morning» (aussi repris par Evie Sands et Merrilee Rush). Elle le tortille bien entre ses doigts.

    Signé : Cazengler, Immidiot

    Immediate Mod Box Set. Sanctuary Records 2005

    Duncan Browne. Give Me Take You. Immediate 1968

    Twice As Much. Own Up/That’s All. Green Tree Records 1993

    Twinkle. Girl In A Million. The Complete Recordings. RPM Records 2019

    Del Shannon. Home & Away. Zonophone 2006

    Billy Nicholls. Would You Believe. Immediate 1968

    Simon Spence. Immediate. Black Dog Publishing 2008

     

     

    L’avenir du rock

     - Pas d’embrouilles avec les Embrooks

             Le gros avantage d’errer dans le désert, c’est qu’on rencontre des gens qui vous posent toujours la même question : que cherchez-vous ? L’avenir du rock voit se dessiner au loin la silhouette d’un homme. Il approche. L’avenir du rock le reconnaît : Stanley, sous son casque colonial, par 50° à l’ombre, quand il y a de l’ombre... Le voici à quelques mètres. L’avenir du rock lui lance d’une voix guillerette :

             — Vous cherchez toujours Livingstone, I suppose.

             — I do, sir, and you, que cherchez-vous ?

             — Midi à quatorze heures !

             — Good luck ! See you later, sir alligator !

             Et chacun repart dans sa direction. Tiens voilà Sylvain Tintin !

             — Cherchez-vous toujours votre léopard des neiges, cher périgrinateur rimbaldien ?

             — Certes oui ! Plus que jamais ! Et vous avenir du rock, que cherchez-vous dans cette contrée effroyablement désolée ?

             — Oh je cherche la petite bête. L’auriez-vous aperçue, par hasard ?

             — Non, vous savez bien qu’un coup de dé jamais n’emboutira le placard !

             — Alors, à bon entendeur, salut !

             Et chacun repart dans sa direction. Le jour suivant, l’avenir du rock voit arriver une joyeuse équipe guerriers islamistes à bord d’un pick-up Toyota. Un drapeau noir claque au vent. Ils foncent droit sur l’avenir du rock et freinent à quelques centimètres dans un gros nuage de poussière. Le chef du gang descend avec sa grosse kalach et braque l’avenir du rock.

             — Haut les mains, espion américain !

             Le barbu commence à fouiller le suspect, mais il n’a pas grand chose à fouiller, car l’avenir du rock ne porte plus qu’une feuille de vigne jadis offerte par Sylvain Tintin en gage de fraternité erratique. L’avenir du rock profite de l’occasion poser la question rituelle :

             — Vous cherchez quoi ?

             — Les embrouilles, et toi petite bite américaine ?

             — Les Embrooks !

     

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             The Embrooks ? Ha ha, t’en rigoles d’avance ! Non pas du groupe, mais tu rigoles à l’idée des conneries que tu vas pouvoir raconter. Car ce soir-là, t’as sous les yeux, allez, le meilleur groupe du monde. Enfin l’un des meilleurs groupes du monde, mais ce soir c’est LE meilleur groupe du monde, car ça se passe en Angleterre. Et les meilleurs groupes du monde sont toujours meilleurs en Angleterre.

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    The Embrooks ? Sont trois. Mole, Miss Lois Tozer et Alessandro Cozzi Lepri. Font les Who à trois. Trois délicieuses bêtes de Gévaudan. Le mix parfait de passé, de présent et d’avenir du rock. Ils sont hallucinants de qualité. En une heure, ils prennent d’assaut ton hit-parade personnel et deviennent tes héros. Si tu veux voir et entendre un trio puissant, parfait, capable de décoller sans prévenir, c’est eux. Les Embrooks t’embrookent, les Embrooks t’hookent, les Embrooks te désencrootent, ils te toorloopinent, ils te dérootent le cargoo, ils foutent le sook dans ta médina, ils coopent à travers tes champs, ils te rajootent des étages, ils t’égoottent la cervelle, ils te mettent au cloo, ils te flootent la tubercule, ils te moolent le grain, ils t’adoobent la moole, ils te roolent la poole, ils te toochent comme les Who te toochaient jadis, ah il

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    faut voir Mole derrière son micro, en train de chanter comme un dieu et de laboorer inlassablement ses cordes de basse, comme le firent en leur temps John Entwistle ou Jack Bruce. Mole est la rockstar anglaise parfaite, il ne chante que des cuts parfaits, des cuts que zèbre à coups d’éclairs l’effarant Alessandro, un Alessandro qui déborde de power, qui plaque ses accords avec de fabuleuse moues de dépit, il ne couvre mais le son, mais il le nourrit en intraveineuses, il joue sans doute le meilleur

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    freakbeat anglais qu’on ait entendu depuis le temps d’Eddie Phillips et de l’early Pete Townshend. Ça claque, le son est plein, tu sens monter les vagues de violence sonique et c’est beau à pleurer, tout tient incroyablement débout, t’as l’impression d’avoir sous les yeux une énorme machine et en même temps un trio capable d’une infinie délicatesse. Et puis derrière ces deux cracks, t’as Miss Lois au beurre, et elle remet tout au carré, avec une frappe sèche d’une puissance extravagante. Tout est sur-dimensionné chez eux. C’est une Moonie au féminin. Le set dure plus d’une heure, il fait une chaleur à crever, et elle ne montre pas le moindre signe de fatigue.

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             Le plus drôle de toute cette histoire, c’est que t’as vu les Embrooks à Paris voici vingt ans   et que t’en gardais pas un bon souvenir. Tu les trouvais trop pop à l’époque, trop light. D’ailleurs tu le dis à Alessandro qui paraît surpris, mais quand tu lui dis qu’aujourd’hui ils sonnent exactement comme les Who, il est ravi. Il se dit même a bit Pete Townshend. Et ne cache pas son admiration pour les deux premiers albums des Saints.

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             Quand t’écoutes We Who Are, leur dernier album en date, t’es bluffé. En guise d’hors d’œuvre, t’as deux coups de génie, «Going But Not Gone» (fantastique montée en puissance, pur jus d’indéniabilité des choses de la vie, real full bloom, Mole chante très haut dans la voûte), et «Nightmare» (t’es tanké par le drive de basse demented, ça fonce dans la nuit avec un bel éclat freakbeat et t’as toujours ce beurre présent de frappe sèche). Ils tapent une cover des Hollies, «Have You Ever Loved Somebody», mais avec le power des Who : t’as un couplet pop de rêve et l’envolée aux harmonies vocales. C’est explosif de beauté Whoish. En B, ils restent chez les Who avec «Til Tomorrow», avec toute l’énergie sous la peau du beat, et ça continue en mode Whoish avec «I’m Coming Home» et un Alessandro qui tartine, il joue liquide dans l’urgence du freakbeat, ses licks coulent entre deux eaux, effet sidérant. Tu restes au paradis avec «Baby From The South» et là t’as tout : l’attaque foudroyante, le killer solo flash, et ça se barre même en vrille d’apocalypse. En comparaison, les Who font pâle figure. Te voilà encore une fois avec un big album dans les pattes. Tu continues de baver avec «Hang Up» et sa fantastique tension, oh et puis t’as ce killer solo flash qui jaillit et qui te monte droit au cerveau. Ils se dirigent tous les trois vers la sortie avec «You Can If You Want», un nouveau shoot de wild as fuck qui tombe du ciel. C’est un gros mélange d’early freakbeat et de Stonesy, t’entends des échos de «2000 Light Years From Home», c’est leur truc, away from anybody. That’s alright.

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             Une autre bombe : Our New Day. Ils l’attaquent en mode Whoish avec «Standing Upside Down». Power pur et beurre scintillant. Ils sont le plus grand Whoish band d’Angleterre. Ce que vient confirmer le «Bad Flight» d’ouverture de bal de B, qu’Alessandro claque sur les accords des Who, c’est du Whoish blast à l’extrême. Ils font aussi de la Mad Psychedelia avec «Seeing Her». Mole y fait éructer sa basse. Ils restent l’un des plus beaux power trios d’Angleterre, comme le montre encore «You’ve Been Unfair». La frappe sèche et précise de Lois est un vrai régal, elle dynamite un son déjà sur-vitaminé. Et puis t’as tous les coups de génie, à commencer par «Say Those Magic Words», un full blown de Brill pop qui explose au firmament. Pire encore, ce «No Matter What You Say», wild gaga en mode Embrooks, monté sur un drive sur-puissant, le drive sixties par excellence, Mole fonce en roue libre, son bassmatic prend une tournure hallucinante. Et puis voilà le stomp des Embrooks, «Not A Priority», effroyable de tatapoum avec toutes les envolées Whoish. Saluons aussi la wild attack de «Springtime», tapé à la strangulation massive. 

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             Il se pourrait que Yellow Glass Perspections soit l’un des très grands classiques du rock anglais. Il s’agit d’un Munster de 2004. Alessandro nous confiait que Marc Z était sur le coup. Ce Munster est avant toute chose un hommage aux Who. Pas moins de trois cuts Whoish là-dessus, tiens, par exemple ce «Show Me A Little Smile» qui monte, comme ça monte chez les Who. T’as tout le power acidulé avec le bassmatic bien rond. T’es encore pris d’assaut par «Happy Fickle Girl». Mole y va à coups d’I need your love. Ils tapent dans la démesure extra-sensorielle. Who toujours avec ce «Nothing’s Gonna Work» saturé d’énergie, de power pur d’heavy psychedelia - I’ve got plenty of friends now baby/ I’m attractive now baby - oh la violence des beignets ! Mad psychedelia toujours avec «Emilia Burrows» qui part en trombe, ça grouille de vermine luminescente, c’est la Mad craze d’Alessandro ! Un Alessandro qui passe un killer solo flash d’antho à Toto dans «A Note In My Drawer». Stupéfiant ! Encore plus stupéfiant, le Pure Brit Sound de «The Twisted Musing Of Sir Dempster P. Orbiton (Deceased)», authentique merveille, psychedelia d’un éclat rare, presque Huysmanienne, sertie comme la tortue d’un final apocalyptique. Et t’as encore ce psyché d’une rare violence, «The Time Was Wrong», avec les chœurs des Who dans l’extrême onction d’une fournaise divine. C’est dingue ce que les Embrooks sont brillants ! Mais attends, c’est pas fini ! Il reste les covers, et là, c’est du trié sur le volet, à commencer par le «Francis» de Gary Walker & The Rain, real deal de freakbeat anglais. Puis tu tombes plus loin sur le «Feel Like Flying» de John Du Cann, au temps de The Attack. Dévastateur ! Ça balaye les barricades ! Et la cerise sur le gâtö est cette cover du Mike Stuart Span, «Children Of Tomorrow», sans doute l’une des plus grosses clameurs de Mod craze, avec la basse de Mole haute dans le mix, c’est glorieux et imbattable, les notes de basse blossomment, une clameur pareille ça n’existe que chez les Who et les Embrooks, ces trois-là sont des démons, Alessandro n’en finit plus d’exploser l’uppercut du cut, ça cisaille à l’extrême dans la mélasse, ça gicle partout en gerbes jouissives extra-sensorielles  d’Oooh how can it be?

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             Pas question de faire l’impasse sur 45 & High Times. Ce double CD est une vraie caisse de dynamite. Tu retrouves leur incroyable perspicacité psychédélique dès «Fight Fire» qu’ils jouent dans l’écho du temps de Syd. Cover de John Fogerty ! Le disc 1 continue de monter doucement en température avec «If You Let Me Go», pur jus de Mad Psychedelia, «Keep It Quiet», véritable apanage du power trio à l’anglaise, «More Than Ever» (Don’t you know/ I need you more than ever). Ils tapent une cover des Red Square, «Your Can Be My Baby», puis le «No No No No» des Sorrows. Alessandro passe un wild killer solo dans le «Think About It» des Yardbirds. «Jack» sonne tout bêtement comme un coup de génie : ils font les Who à la puissance 1000. Ça joue dans tous les coins. Mais comment fait Miss Lois pour battre tout ça ? S’ensuit ce qu’on appelle par chez nous une cover irrémédiable : le «Dawn Breaks Trough» des Barriers ! Puis on retrouve les hits hors compétition, «A Note In My Drawer» (Alessandro te gratte ça à l’arrache, c’est de la Mad Psychedelia à l’état le plus pur. T’as tout : les thrills, les frills, les la-la-la, la wah et les zones d’ombre), «The Time Was Wrong» (encore en plein dans les Who, monté aux harmonies vocales dévastatrices), et «Children Of Tomorrow», en plein dans la ligne du parti, joué à outrance, oh how can it be !

             Le disc 2 propose un radio show et là tu vas tomber de ta chaise, avec «Standing Upside Down» (c’est les Who !, ils sont furax, surtout Alessandro, surtout Lois), le «Feel Like Flying» des Attack (saturé de disto, ça bat tous les records), «Nothing’s Gonna Work» (wild as fuck et noyé de disto), «Jack» (saturé de power, ils foncent dans la nuit et Lois relance en permanence, c’est le pire freakbeat d’Angleterre), et une petite cover des Small Faces «Me You And Us Too» (Mole fait son Stevie Marriott. Magic !)

    Signé : Cazengler, grosse embrooille

    Embrooks. Beatwave 9. The Pig. Hastings (UK). 18 juillet 2025

    Embrooks. Our New Day. Voxx Records 2000

    Embrooks. Yellow Glass Perspections. Munster Records 2004

    Embrooks. We Who Are. State Records 2018

    Embrooks. 45 & High Times. Munster Records 2005

     

     

    L’avenir du rock

     - Bang Bangs (My baby shot me down)

     

             Une fois de plus, l’avenir du rock s’est fait piéger. Trop magnanime. Le voilà contraint de répondre aux questions d’un journaliste :

             — Quel est pour vous le meilleur big bang de l’histoire du rock, avenir du toc ?

             — Ben Bang !

             — Quoi Bang ?

             — Ben oui, Bang ! Philadelphie, 1969 !

             — Vous êtes sûr ?

             L’avenir du rock se lève pour quitter la salle et le journaliste le supplie de se rasseoir. Il reprend d’un ton plus diplomatique :

             — Soyez cool, avenir du froc, banguez-nous la meilleure rock song de l’histoire du rock !

             — Le Biff Bang Pow des Creation, repris l’autre jour à Hastings par Thee Ac-Shuns !

             — Biff baff boff...

             — Quoi biff baff boff ? Et une baffe dans ta gueule, ça fait bof ou ça fait bang ?

             — Bon d’accord, avenir du rot, ne vous fâchez pas. Vous savez, nos lecteurs sont des gens ordinaires. Vous avez peut-être bien un autre rock en stock ?

             — Oui, «Bang Bang (My Baby Shot Me Down)», la version de Terry Reid qui vient tout juste de casser sa pipe en bois. Comme ça on fait d’une pierre deux coups pour ton torchon, amigo. Bang bang ! Ça te va ?

             — Oh merci, avenir du rut !

             Émoustillé, le journaliste enchaîne :

             — Avec quel rock book calez-vous votre armoire normande ?

             — Lester Bangs, les deux tomes.

             — Et maintenant la question bingo, gringo : quel est le groupe qui vous fait banguer comme un âne en rut ?

             — Bad Bangs !

     

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             Comme Gyasi voici deux ans et les Bury l’an passé, t’as un groupe (ou deux) qui sauve(nt) le festival. Cette année, ce sont les Bad Bangs d’Australie (et Hooveriii de Californie). Elles sauvent Binic du naufrage. En 2025, il faut savoir que Binic propose du rap blanc en guise d’Airplane Man et là, tu dis non. Bon, bref, t’es pas là pour parler de dégénérescence programmatoire. T’es là pour rendre hommage aux Bad Bangs qui t’ont bien remonté le moral. Deux filles aux grattes et deux petits

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    mecs en section rythmique. Et là tu dis oui, car ça joue. La blonde s’appelle Sophia et la brune Shelby. Et elles y vont, elles occupent l’espace, elles tapent une pop-rock fougueuse et bardée d’allure, elles sont fraîches comme des gardons sauvages, elles redonnent du sens à ton imaginaire, aw my Gawd comme ça joue, aw my Gawd comme elles ont tout bien compris, elles tapent des cuts easy, d’une incroyable

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    fluidité, eh oui, amigo, le rock peut rester simple à condition d’être joué par les Bad Bangs, et sur le coup elles deviennent tes idoles. Leur seul défaut serait d’être australiennes. T’aurais voulu qu’elles soient anglaises comme les Chemtrails de Manchester parce qu’elles ont tout simplement un talent fou. Le jour et la nuit avec le reste de la prog, t’en reviens pas de tant de classe, même si les shorts qu’elles

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    portent ne sont pas beaux. Sophia claque des gimmicks d’une effroyable efficacité, elle remonte tout le courant du rock’n’roll, elle développe des vélocités insoupçonnées, tu lui trouves toutes les qualités du monde, joue ma poule, c’est toi la reine du rodéo, elle est surtout la reine de Binic, car à part Bert Hoover, personne ne joue avec autant de classe et autant de froide détermination. T’as sous les yeux une vraie petite reine de rock et elle partage bien sa couronne avec sa copine Shelby qui

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    danse de l’autre côté. Tu ne connais pas les cuts, mais ils sonnent quasiment tous comme des hits et tu sais que la première chose à faire une fois rentré au bercail, c’est de débloquer les crédits en comité restreint pour financer le rapatriement d’urgence de toutes leurs Bangeries.

             Et comme jamais un coup de dés n’abolira l’épinard, voilà qu’on les retrouve à la prog de la cave trois jours plus tard. Inespéré ! On avait vu le nom des Bad Bangs dans la prog de Braincrushing, mais on ne savait pas qui c’était. Après les aventures binicoles, on savait.

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             Alors on les voit et on leur dit qu’elles étaient les best of Binic et ça les fait bien marrer. C’est comme quand tu dis au guitariste des Embrooks que son groupe sonne comme les Who : c’est pas du compliment à la mormoille. Alors après avoir sauvé Binic, elles sauvent la cave. Rien ne les arrête, elles finiront par sauver le rock, tu verras. Et tu les vois remettre leur fabuleux petit cirque en route et tu retombes dans leur panneau, t’adores tomber dans ce genre de panneau, d’ailleurs tu ne vis que pour ça. T’auras passé ta vie à chercher les bons panneaux pour y tomber. Et quand t’y tombes, t’y tombes pour de vrai. Tu t’y jettes. L’incroyable énergie des Bad Bangs est intacte, elles reclaquent tout leur répertoire, elles déclenchent exactement les mêmes petites éruptions de fraîcheur capiteuse, elles tissent exactement les mêmes interactions, elles brûlent exactement la même chandelle par les deux bouts, t’en reviens pas de voir exploser tout ce nirvana sous ton nez, mais dans la cave, c’est mille fois pire, car plus condensé, plus ramassé, plus punchy, t’as un vrai panneau, t’y tombes pendant une petite heure et t’en savoures toutes les miettes. Tu vois ces deux petites gonzesses créer un monde avec deux fois rien, et de les voir à l’œuvre te réconcilie une fois encore avec la vie. Tout n’est pas perdu.

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             Comme l’album est au merch, tu le ramasses. Il s’appelle Out Of Character. Oh quelle surprise ! Mis à part le «Contest» d’ouverture de balda, l’album n’a rien à voir avec le set. Tu ne retrouves le vif argent et la fast pop scénique que dans ce «Contest», un Contest qui file bien sous le vent, que t’es content d’avoir dans ton salon, Sophia étrille son petit gimmick échevelé et derrière, t’as le fringuant Tim Ryles qui te bat ça super sec. En lisant les notes de pochette, on voit que Shelby compose tout. L’autre gros cut de l’album s’appelle «Taste», très pop, mais ça passe comme une lettre à la poste, et tu retrouves leur goût de l’ampleur pop. Ce Taste vibre dans l’azur marmoréen. Et puis la B bascule dans la pop, une pop atmosphérique qui n’a rien à voir avec ce qu’elles font sur scène. «For A Fool» se laisse goûter et nos deux sauveuses conservent leur fraîcheur de ton, même si les dynamiques ont disparu. La B est nettement moins soutenue. Ça se termine avec un «Wild Mess» qui s’étire lentement. Le petit conseil qu’on pourrait leur donner serait de faire paraître un Live At Braincrushing 2025.  

    Signé : Cazengler, bad bunk

    Bad Bangs. Binic Folk Blues Festival (22). 26  juillet 2025

    Bad Bangs. Le Trois Pièces. Rouen (76). 29 juillet 2025

    Bad Bangs. Out Of Character. Blossom Rot Records 2024

    Concert Braincrushing

     

     

    Estivaleries 2025

     - Beaty, Binic & Bouncy

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             The Pig est un pub sur le front de mer, à Hastings, juste après l’Hastings pier. C’est là que se tient le Beatwave, petit festival Surf Beat Garage. Tu entres, t’as le bar à gauche et la scène à droite. Quatre groupes le vendredi et une dizaine le samedi. Et au fond, t’as un beau merch de rêve. Tes billets de 10 £ ne font pas long feu. Les mecs du merch ont tout. Tout Childish et tout le reste. Prix normaux, 20 £. Pas la peine d’aller cavaler chez les disquaires. T’as quelques Français dans le public, dont des connaissances. Tout est sympathique, bon esprit et comme trié sur le volet. T’auras jamais ça en France. Disons que t’auras autre chose.

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             Tête d’affiche du vendredi : The Embrooks. Tête d’affiche du samedi : The Baron Four. L’avenir du rock se les réserve. On va causer du reste. Sacré reste, baby Lemonade !

             Les deux petits chocs révélatoires du vendredi portent les doux noms de Sundae Kups et de Thee Ac-Shuns. Wild surf pour les Kups et Mod craze pour les Shuns, pardon, pour les Ac-Shuns. Et là tu te pinces car tu crois rêver.

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             Un vrai délire de rêve devenu vrai, tiens voilà les Sundae Kups habillés en infirmiers avec au centre une infirmière complètement dingue qui gratte son surf en bousculant les autres du cul, elle claque ses gammes et tombe à genoux, ils jouent tout leur set aux frontières du chaos et passent de sacrés classiques à la casserole ! Wow, ils sont là pour te rappeler que le surf est avec le rockab le genre le plus wild qui soit, à condition de respecter les règles et foncer à 100 à l’heure sans craindre ni la mort ni le diable. Les Kups sont des modèles du genre, ça tient miraculeusement la route, le seul truc qu’ils cassent, c’est une corde, mais tout est là, la Surf craze et tout le chaos de la fin du rock. Même si t’as déjà vu des groupes de garage-surf, il est probable que celui-là soit le plus extrémiste de tous. T’as ta dose. Si t’aimes les dingues, t’es au paradis. Ne perds jamais de vue que le rock est avant toute chose une affaire de chaos. 

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             Avec Thee Ac-Shuns, tu bascules dans l’autre craze, la Mod craze, la vraie, la pure. Sont trois sur scène mais tu n’as d’yeux que pour Zac, coupe early Small Faces, Ricken, fute tartan rouge, boots et classe naturelle, et pouf, t’en reviens pas, démarrage en trombe sur le «Biff Bang Pow» des Creation, il te mouline ça au mieux des possibilités, et chante haut et sec comme Kenny Pickett, et du coup l’oriflamme du rock anglais claque comme jamais dans l’azur immaculé de ton imaginaire. Sur l’instant, tu comprends un peu mieux le truc de base : le rock anglais est ta raison d’être, et Zac l’incarne à la perfection. T’as sous les yeux une rock star parfaite, un Mod anglais qui hérite de tout le Saint-Frusquin des Small Faces et des Creation, le mec a le power et la classe, alors c’est parti pour un heure de dream come true, comme on dit là-bas. Il enfile ses hits inconnus comme des perles, il tape le «Baby What’s Wrong» des Yardbirds, le «Rowed Out» des Eyes, t’en reviens pas d’entendre tout ces cuts magiques qui n’ont jamais pris une ride. L’an passé, Thee Ac-Shuns s’appelaient Thee Shuns. Pas de disk, apparemment. Juste du good clean fun, comme dit Kim. De voir un mec comme Zac sur scène, ça te rassure. The show must go on. Alors tu retournes au bar en attendant la suite.

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             On ne sauve pas grand-chose du Binic 2025. L’avenir du rock se réserve les Bad Bangs et Hooveriii. Il ne reste plus que les Darts et Public House. Évidemment les Darts. Nicole machin a renouvelé tout son cheptel : trois nouvelles collègues en CDD. Comme dirait un bon pote, vu qu’elles tournent pas mal, elles pourraient au moins s’acheter des collants neufs. Bon d’accord, les trous ça fait partie du look, mais quand même. Ceci dit, rien de nouveau sous le soleil des Darts depuis leur dernière escale au Petit Bain, ça reste le gaga d’orgue qu’on connaît par cœur et qui manque singulièrement d’originalité. S’il ne s’agissait pas de gonzesses, on les qualifierait volontiers d’has been. Mais l’originalité n’est pas le propos de Nicole machin. Son propos c’est la gymnastique, elle court sur place et elle essaye même de faire courir Binic sur place. Chou blanc, mais ça aurait pu marcher. Elle fait toujours le même show, un show parfaitement adapté à Binic-gueule-de-bois du début d’après-midi. On ne peut pas imaginer de show plus adapté, plus bon enfant, plus passe partout. Ça pourrait être du cliché, mais c’est bien foutu. Elle fait partie de celles qu’on respecte encore un peu. T’oses pas dire que t’es content de revoir les Darts parce qu’il pourrait y avoir des groupes bien pires. Mais t’inquiète pas, le pire est à venir : on va te servir sur un plateau d’argent du rap blanc, et un mec en casquette qui est «disque du mois» dans Rock&Folk. Et d’autres trucs encore pires. Et là, tu vas te demander ce que tu fous à Binic. Jacques : «Dommage pour Binic. Qu’est-ce qu’ils ont fait à notre festival ?». Eh oui, amigo, il fut un temps où Binic sonnait comme LA référence. Hello Gildas.

             Bon, t’as Left Lane Cuiser, mais pas sur la grande scène ! Ça n’a aucun sens. Dans un bar, mais pas sur cette scène immense. Bon, t’as Civic, mais ça ne fonctionne pas. Pas sur la grande scène, ça n’a aucun sens. Bon t’as Public House avec le mec des Stiff Richards, mais tu t’en fous, ça te fait passer une heure, mais il n’y a rien de plus que ce que tu sais déjà.

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             Bon t’as Killer Kin avec un petit mec en calbut, une brune avec une Flying V et un bassiste en casquette de New York Doll à la petite semaine, t’avais encore jamais vu un tel ramassis de clichés, aussi bien visuels que gimmickaux, mais rassure-toi, t’en as qui vont trouver ça bien. C’est le groupe idéal quand t’es amputé du cerveau.

             Bon t’as les Zombeaches qui se battent pour imposer leur set, mais ils sont loin du compte. Tellement loin... Pour s’imposer, il faut une vraie voix, des compos, un son, sinon, c’est compliqué.

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             La tête d’affiche du dimanche soir ? Les Spoon Benders de Portland, Oregon. Le spot du dimanche soir est habituellement réservé aux cracks. Pas cette année. Bon, ça joue, chez les Benders, ils tirent bien le diable par la queue, mais t’iras pas acheter l’album. T’en as déjà des centaines, voire des milliers, les albums de tous ces groupes que tu ne réécouteras plus jamais et dont tu n’as plus aucun souvenir. Tu les voyais sur scène et quand t’étais pas convaincu, tu te disais qu’il fallait leur donner une chance en écoutant leur album, alors tu ramassais tous ces albums condamnés à l’oubli, tu traînais tes sacs de Binic jusqu’au Cosmic, en passant par le Béthune Rétro, t’écoutais tout ça, et puis tu les entassais, les piles prenaient la poussière et l’oubli finissait bien sûr par tout avaler. Pendant cinquante ans, tu n’as eu qu’une seule obsession : comment faire vivre tout ça ? Il est peut-être temps de laisser tomber. Comme on dit pour plaisanter : la corde est prête, mais le plus dur reste à faire : trouver une poutre. Rien n’est mort que ce qui n’existe pas encore. Apollinaire.

    Signé : Cazengler, Estivalery Ricard Destin

    Beatwave 9. The Pig. Hastings (UK). 18, 19 & 20 juillet 2025

    Binic Folk Blues Festival (22). 25, 26 & 27 juillet 2025

     

     

    Inside the goldmine

    - Chandler mais pas Raymond

             Rien ne peut être pire que de s’appeler Chandeleur. Pourquoi ? Parce qu’on se fait traiter de crêpe tout au long de sa vie. Dès l’école, le pauvre Serge Chandeleur eut à subir les vannes de ses petits copains, Ouh la crê/ pe ! Ouh la crê/ pe !, chantaient-ils à tue-tête dans la cour de récré. Pour éviter de retourner à l’école, Chandeleur ne trouva rien de mieux que d’avaler la mort aux rats que son père disposait dans la cave. Le petit Serge resta alité quelques semaines, puis il se brisa les doigts de pieds d’un bon coup de marteau pour prolonger sa convalescence. Mais ses copains d’école venaient chanter ouh la crê/ pe ! Ouh la crê/ pe ! sous la fenêtre de sa chambre, alors il comprit que pour ne plus les entendre, il devait se crever les tympans, ce qu’il réussit à faire à l’aide d’une aiguille. Quand son père, las lui aussi des moqueries incessantes, finit par se pendre dans le garage, on interna le petit Serge dans un centre spécialisé pour gosses dérangés, et il passa son adolescence sous sédatif et muré dans son silence. Quand les autres ados du centre découvrirent qu’il s’appelait Chandeleur, ils se jetèrent à leur tour sur le malheureux gamin. Ils commencèrent par l’enduire de Nutella, Oh la crê/ pe ! Oh la crê/ pe !, puis la nuit suivante de jus de citron, Oh la crê/ pe ! Oh la crê/ pe !, et le soir suivant, ils l’enduisirent de beurre et de sucre en poudre en poussant d’atroces hurlements de rire. Oh la crê/ pe ! Oh la crê/ pe ! Les infirmiers le passaient au jet le matin et tout rentrait dans l’ordre jusqu’au soir. Et quand la nuit tombait, Chandeleur était terrorisé, car il savait que tout allait recommencer. Ces enfoirés eurent l’idée saugrenue de l’enduire de colle super-glue et de l’envoyer au plafond. Il y resta collé, comme le font parfois les crêpes lancées trop haut. Quand le lendemain matin, les infirmiers le trouvèrent collé au plafond, ils ne purent s’empêcher d’éclater de rire, ben mon pèpère Chandeleur, quesse tu fous là-haut ? Ils eurent un mal fou à le décoller. Voyant la tournure que prenaient les choses, la direction du centre décida de le mettre à l’écart pour le protéger, et il passa le reste de son adolescence sous camisole, enfermé dans une cellule capitonnée. On craignait surtout qu’il ne se crevât les yeux pour ne plus avoir à supporter le spectacle de ses tortionnaires et des infirmiers morts de rire. Comment en vouloir aux infirmiers ? Comment ne pas éclater de rire ?

     

             Tiens voilà un nouveau dicton : dans la vie, il vaut mieux s’appeler Gene Chandler que Serge Chandeleur. Ça te sera très utile si tu veux briller en société.

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             Dans son autobio, Carl Davis rappelle qu’il a rebaptisé Eugene Dixon ‘Gene Chandler’, d’après le nom du l’acteur Jeff Chandler qui joue le rôle de Cochise dans La Flèche Brisée - A new star was born - «Duke Of Earl» fut un hit en 1962. Pour la promo de son hit, Gene Chandler se baladait en cape, haut de forme et tuxedo, une idée à lui. Carl Davis le trouvait un peu trop sûr de lui, raison pour laquelle ils se sont frités. Puis Carl Davis a demandé à Curtis Mayfield d’écrire des hits pour Chandler. Il existe trois époques Gene Chandler : la première, celle du Duke Of Earl (Vee-Jay & Constellation, le label d’Abe), puis Brunswick et enfin Chi-Sound.            

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            Jetons un petit coup d’œil sur la période Brunswick. En 1967, Carl Davis sort The Girl Don’t Care. T’es très vite écœuré par la qualité de cet album. É-cœu-ré. Gene Chandler flirte avec Motown sur «(I’m Just A) Fool For You». C’est un chef-d’œuvre productiviste. Il fait son crack du boom-hue sur «Gonna Be Good Times». C’est du big time de r’n’b. Encore du big dancing r’n’b avec «Bet You Never Thought», et tu danses encore le jerk pour de vrai avec ce «Buddy Ain’t It A Shame» qui sonne comme un coup de génie. Petite cerise sur le gâtö : il duette avec Barbara Acklin sur «No One Can Love You (Like I Do)». On appelle ça un duo d’enfer.

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             There Was A Time paraît un an plus tard. Le morceau titre est bien sûr la reprise de l’hit de James Brown. Oh la puissance des ténèbres ! Il tape en plein dans la frenzy, il y va le Gene, il a ça dans la peau. Il faut avoir écouté cette cover au moins une fois dans sa vie pour ne pas mourir idiot. Avec ce Brunswick, tu te retrouves une fois encore au cœur de la grande Soul de Chicago, la Soul de Carl Davis. Soul de rêve encore avec «Never Give You Up». T’en titubes de bonheur, t’es dans l’entre-deux de la Soul intercontinentale. Tu ne sais plus quoi faire de tes mots. Quand arrive «(Sweet Sweet Baby) Since You’ve Been Gone», tu te lèves et tu danses. Sweet sweet font les chœurs ! T’as cette incroyable élégance de la musique noire.  Tiens encore un groove de charme irrépressible avec «Fooling Around». Quel crooner ! Il boucle cet album faramineux avec une cover du «Lonely Avenue» de Doc Pomus. Il te groove ça vite fait à la hussarde black. C’est digne de Ray Charles. Même excellence épidermique, superbe surchauffe.

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             The Two Sides of Gene Chandler est le troisième et dernier Brunswick du grand Gene Chandler. Sans doute le meilleur des trois. Parce que «Familiar Footsteps», extraordinaire d’à-propos, il vise l’horizon, il chauffe son Footspets à l’extrême, Gene Chandler est le singer suprêmo. Puis il tape directement dans Burt avec «This Guy’s In Love With You». Il honore Burt, il te jazze le Burt, il y va au I need your love et revient à coups d’I want your love. Et ça continue avec «If You Love Me». Plus loin, il te jazze les Beatles avec une cover d’«Eleanor Rigby», il est précis dans son jazz d’all the lonely people. Quelle classe ! Puis t’as une cover de Nicoletta, «The Sun Died». Il est mort, le soleil. Non, c’est pour rire. Cover de Ray Charles. Encore un coup de génie avec «Honey», un vieux hit pop, repris en France par Nana Mouskouri et ses lunettes. And honey I miss you !

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             Bon alors, si tu veux écouter les duos Gene Chandler/Barbara Acklin, tu peux les choper sur une compile Westside, The Brunswick Years 1966-69. Trois singles au total, but Gawd, ce sont des bombes. T’as le fast r’n’b de «Love Won’t Stare», ils sont délicieux, tous les deux. Barbara est une cracke épouvantable sur «From The Teacher To The Preacher», et avec Gene derrière, ça devient irréel de qualité. Mais le sommet de la dynamite, c’est leur version de «Little Green Apples» : ils basculent tous les deux dans le génie black, ils te groovent l’âme de la Soul et t’as Barbara qui monte au sommet de l’émotion, là où aucune Soul Sister n’est jamais allée, et Gene le crack s’en vient conforter Barbara la cracke. Wow, Barbara Acklin, super angel !

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             Chandler refait surface en 1980 avec ‘80, que sort Carl Davis sur son label. Donc prod Carl Davis, donc gage de qualité. Dans «Does She Has A Friend», Chandler se demande si elle a une symphony. Le point fort du balda n’est autre qu’«All About The Paper», un joli diskö funk de haut rang, oui, car c’est fin, plein d’esprit et de chœurs de petites blackettes. Pur Black Power des jours heureux ! Chandler boucle son balda avec un beau cut de Curtis, «Rainbow ‘80». Beau ou pas beau n’est pas le problème, car ça groove sur le Chi Sound. On sauve un cut en B : «Let Me Make Love To You», une Beautiful Soul de Chi Sound, bien nappée de chœurs et de violons, dans les règles d’une prod magique de Carl Davis. 

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             La pochette d’Here’s To Love paru l’année suivante n’inspire aucune confiance. Et pour cause. C’est très diskoïdal. Pourtant on accueille la slow dancing Soul d’«I’ve Got To Meet You» à bras ouverts. Puis on voit Chandler emmener «Almost All The Way To Love» par dessus les toits.  En B, il tape un cut de Sam Dees, «For The Sake Of The Memories», et comme c’est du Sam, ça se tient merveilleusement bien. Il enchaîne avec le slow dancing d’«Almost Daylight», il y excelle. Le slow dancing pourrait bien être son péché mignon. Dans «God Bless Our Love», il monte son iiii-hi par_dessus les toits et devient un fantastique crooner de God bless our love. Encore de la haute voltige de Soul sophistiquée avec «God Send». Gene Chandler s’élance dans les étoiles, et là, tu le prends vraiment au sérieux

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             C’est Robert Pruter qui signe les liners au dos de 60’s Soul Brother, une fière compile Kent de 1986. Elle te sonne les cloches dès «Bet You Never Thought», une dancing Soul violonnée par Carl Davis. Voilà le real deal du Black Power de Chicago. Tout est classique mais solide sur cette compile. Les gens d’Ace ne font pas n’importe quoi. Gene Chandler chante à l’accent tranchant. «(I’m Just A) Fool For You» est plus Motown, mais monté sur un driving beat. Le Gene est brillant, comme le montre encore l’heavy slowah de «What Now». En B, il tape une cover du «There Was A Time» de James Brown. Mythe pur. «From The Teacher To The Preacher» frôle la pop, mais quelle classe ! Tout est très volontaire chez l’early Gene Chandler, comme le montre encore «Pretty Little Girl», véritable hit de juke.

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             Tu croyais faire une bonne affaire avec Get Down With The Get Down - The Best Of The Chi-Sound Years 1978-83, une petite compile Westside. Hélas, c’est la période diskö. Même si Gene Chandler chante comme un crack, il n’a pas les compos. Il faut attendre «Skate Aka Miss Crazy Legs» pour se lever et danser un petit coup vite fait. Il revient enfin à la Soul des jours heureux avec «Let Me Make Love To You», et il va re-basculer dans le diskoïdal avec «All About The Paper», et de façon plus sensuelle avec «When You’re #1».

    Signé : Cazengler, Chandlair vicié

    Gene Chandler. The Girl Don’t Care. Brunswick 1967

    Gene Chandler. There Was A Time. Brunswick 1968

    Gene Chandler. The Two Sides of Gene Chandler. Brunswick 1969

    Gene Chandler. ‘80. Chi Sounds Records 1980

    Gene Chandler. Here’s To Love. Chi Sounds Records 1981

    Gene Chandler. 60’s Soul Brother. Kent/Ace Records 1986

    Gene Chandler. Get Down With The Get Down. Westside 1999

    Gene Chandler. The Brunswick Years 1966-69. Westside 1999

     

    *

    On ne parle plus beaucoup d’Harry Belafonte, c’est dommage mais je ne m’étendrai pas davantage sur cet artiste, il fut aux USA dans les années 56  - 57 le propagateur de ce rythme de danse aux racines africaines qui naquit dans les années 30 sur l’île de Trinidad, à l’époque les mauvais augures prophétisaient que cette mode allait renvoyer le rock’n’roll dans les poubelles de l’Histoire, desquelles il n’aurait jamais dû sortir. Il n’en fut rien. Entre nous soit dit, je n’ai rien contre le calypso, la preuve : entre cette fin d’après-midi la teuf-teuf roule allègrement pour m’emmener au concert du :

    JAKE CALYPSO TRIO

    3 B

    (Troyes  - 12 / 07 /2025 )

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    Du monde partout, sur la terrasse au petit courant d’air frais très agréable, à l’intérieur je me faufile jusqu’à ma place favorite les jours caniculaires un gros ventilateur infatigable dans mon dos. Devant moi, il y en a trois autres qui ventilent, mais de l’air chaud, employons les termes idoines, le souffle torride du simoun, pas le genre de mollassons à ralentir  sous prétexte que le changement climatique bla-bla-bla, ce qui n’aiment pas le rock’n’roll n’ont qu’à s’enfermer dans leur frigidaire.

    Frère Jake, nous met en garde, attention les fans de rockabilly du 3B, le trio Calypso, c’est un peu différent et sans attendre il envoie la semoule qui roule à perdre la boule, c’est instantané en trois secondes l’on change de lieu et d’époque, c’est comme vous arrivez aux sources du Nil. N’y en a pas qu’une, ça vient de partout, de tous les côtés, ce n’est pas tout à fait le Nil, mais ce n’est pas nihil, non ce n’est pas rien, pas encore du rock’n’roll, mais l’âme du rock en gestation, vous avez tout en une seule fois, le blues et son delta, le country et ses collines, une cavalcade rouge, des linéaments africains, un crocodile du bayou n’y reconnaîtrait ses petits, mais vous avez tout l’ensemble de la musique américaine sur un plateau, tous les ingrédients mélangés, vous tirez un spaghetti et le plat de macaroni déboule dans votre bouche, quel gumbo trop beau, essayons d’y mettre un peu d’ordre. Ne sont que trois mais quel terrible tintouin !

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    ( Image Michel Joubier )

    Jake joue de la guitare. Ce que je viens d’écrire est un mensonge. S’il était cuistot il vous passerait les plats. Comme il est guitariste il vous passe les plans. Imaginez, visualisez une espèce de galopade incessante, un rumble de fond qui ne cesse pas un quart de seconde. Sur cette foutrasie incessante il placarde ses interventions, faut les chopper au mental, jamais plus de quinze secondes, souvent beaucoup moins, mais à chaque fois que ce soit une claire guirlande, un bémol clignotant, une dissonance mirifique, il vous espante, il vous trucide, il vous atchoule, et chaque fois il en rajoute, ce petit haussement d’épaule, ce sourire goguenard, ce petit plus qui vous montre que le monde est plein de surprises, c’est Jake le Cake, il s’amuse comme un gamin devant sa glace avec son balai, en plus il baragouine, il ne chante pas en anglais, il vous sort une espèce de hachis parmentier de génie, aussi sanglant que les abattoirs de Chicago, il bouffe ses mots à merveilles, il roucoule comme le méchant loup au fond du bois qui se pourlèche les babines à l’idée de bouffer tout cru le petit chaperon rouge, la grand-mère et le chasseur. N’oubliez jamais que le blues est rouge comme la vie et noir comme la mort. Z’en plus, se sert d’une arme de déstucturation massive : l’harmonica, à ce mot vous pensez blues, attention il y a blues et blues celui des trilles claro-rifflante des années cinquante, puis l’autre, qui regarde moins vers la luminosité, celui qui germe et pousse dru dans la terre des cimetières du Sud, qui refuse de s’élever vers le soleil mais qui parcourt les sillons des terres de misère.

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    ( Image Rocka Billy )

    N'est pas seul. Sur sa gauche, Ben le Driver, le dos contre le mur, il s’occupe de sa big mama. Il joue serré. Les poings au plus près de cordes. Il rassure, il assure les risques et les périls, les crimes et les châtiments, sans ciller, imperturbable, à la limite vous ne prenez pas garde au roulement caverneux qui sort de son engin bulldozérique, le son entre dans votre cerveau et s’installe comme s’il était chez lui, oui mais quand sans prévenir ses deux acolytes vous font une anacoluthe de silence, vous entendez les quintuples barrissements suprêmes et percussifs de son upright qui vous envoient au tapis sans vous demander la permission. Ben ne slappe pas, il boxe.

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    ( Image Rocka Billy )

    Nous avons vu la basse, voici le sommet dévastateur de l’isocèle qui vous ensorcèle. Thierry Sellier. Petite batterie. Le kit minimum de survie. Mais grand tapage. Tape de la baguette droite mais la gauche est redoutable. Elle survient toujours à bon escient, mais jamais vous ne vous y attendiez. Un coup de semonce. C’est tout, et amplement suffisant. Mallarmé refusait de mettre le troisième point de suspension, il disait que deux  suffisaient. Thierry se contente d’un seul. Mais après cet uppercut vous êtes comme la poule sur le mur qui fait cut-cut codec ! Je vous les présente un par un, mais je ne devrais pas. Jouent ensemble. Z’ont le son, ils se contentent de jouer à saute-mouton par-dessus. Sont si terriblement au point, qu’ils peuvent tout se permettre. Même pas besoin d’un clin d’œil d’avertissement. Réactions psychotiques, chacun intervient, pas à bon ou à mauvais escient, les deux autres réagissent comme ces essaims d’oiseaux qui brusquement sans préavis   virent à gauche ou voltent à droite sans que vous puissiez comprendre comment ils réalisent ces tours de magie…

    Oui ils font des reprises, de Big Mama Thorton par exemple, ou de Johnny Rivers que plus personne ne cite aujourd’hui, et des trucs de leur propre cru. Aucune différence. Ils donnent leurs versions à eux, leur interprétation, leur compréhension de ce qui a lieu, il cinquante ans, il y a un siècle, ils ne copient pas ils créent, ils ne reprennent pas, ils vous filent leur tambouille de cannibales, ils vous font cuire dans leurs propres chaudrons.

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    ( Image Chris Dufeutrelle )

    Un premier set bluesy, un deuxième hillbilly, un troisième rockabilly. Des dominantes. Mais pas du platé-toc. Des pépites issues de leur concession dans leurs robes de quartz ou leurs gangues d’alluvions. Une revisitation de notre musique. Et puis surtout, cette joie, ce plaisir incoercible de ce bouquet de feux d’artifices. Un final extraordinaire, un Thierry hors de ses gonds, métamorphosé en catapulte, un Ben insatiable et Jake qui vous conte l’histoire de Jake Calypso sur un bateau. Aucun des trois ne tombe à l’eau. Qui reste-t-il ? Pardi, sans sourdine : le Jake Calypso Trio !

    La soirée s’achève parce tout s’achève en ce bas monde. Une ambiance de fou. Ils ont tout donné. On a tout pris, on ne vous a rien laissé. Tant pis pour vous.

    Remercions encore une fois Béatrice la patrockne !

    Damie Chad.

     

    *

    Juste quelques mots sur le FB d’Across The Divide, en introduction à une vidéo, pas grand-chose mais de grande résonnance :

    « C'est fini » Un an après l'enregistrement. Rester motivé et productif peut parfois être difficile, mais nous sommes là, conscients. Merci à ceux qui sont encore là, qui nous écoutent et qui entretiennent la flamme.

    Ce n’est pas un adieu définitif, toutefois l’on ne peut s’empêcher de penser que ça y ressemble. Quand l’ombre menaça de la fatale loi Tel vieux rêve, dixit Mallarmé

    Nous les suivions depuis longtemps, dans notre livraison 320 du 22 / 03 / 2017 nous assistions à leur  prestation au Brutal Night, nous avons rendu compte de leurs différentes productions, précédemment dans notre livraison 664 du O7 / 11 / 2024 de leur single Away.

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    Hier après-midi, un détail a attiré mon attention. Tiens, mais pourquoi donc ont-ils changé la couve d’Away, ce fond noir, ce bleu glacial, cette feuille comme congelée, cette goutte de sang, cette nouvelle image jure un max avec l’ancienne vidéo d’obédience romantique, ces arbres géants pétrifiés dans leur beauté séculaire  qui évoquaient la nervalienne forêt de Mortefonaine, pour être précis l’image penchait davantage vers la pérennité de la mort que vers l’idée fontaine vivifiante…

    UNAWARE

    (YT / Avril 2025)

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    Une couve de même typologie que la précédente, les mêmes motifs, les mêmes couleurs froides, le bleu, le noir, mais l’ensemble se présente autrement, un rameau porteur de feuilles mais qui s’offre presque comme une main tendue. A y regarder de près le ciel n’est pas noir mais bleu-noir, l’on distingue un très mince croissant de lune d’où l’envie de recopier le dernier vers du sonnet de Mallarmé : Que s’est d’un astre en fête allumé le génie. Ne présumons pas une victoire abrupte pas, disons le signe d’une germination encore en puissance, cette force inconsciente de la nature, invisible, imperceptible à l’œil nu mais qui s’accroît d’elle-même en elle-même, un rameau de la nuit dirait Henri Bosco dont les efflorescences sont issues de l’ombre la plus noire.

    Vous ne pouvez pas plus simple. Vous ne pouvez pas trouver plus beau. Une ellipse. Une parabole. Un geste. Un acte. Du noir. Et du Blanc. Et c’est tout. Toutefois félicitons Julien Guesdon, cadreur – monteur c’est ainsi qu’il se présente sur son Instagram. Donc Across The Divide sur scène. Pas vraiment. Ce n’est pas un groupe qui nous est présenté. Mais tous les groupes. Du monde et d’ailleurs s’il existe d’autre ailleurs. ce pourrait être n’importe quel groupe et pourtant ce n’est qu’Across The Divide. Je ne joue pas sur les mots. Ce que vous voyez ce n’est pas le groupe mais ce qu’il est en son essence quand il dit qu’il n’est que la traversée du fossé. Du grand fossé. Celui qui sépare le noir du blanc, la mort de la vie. Le chant du cygne. Est-ce pour cela qu’ils portent un T-shirt blanc et que tout le reste est noir. Blanc ou noir c’est toujours le cygne qui fait signe. Le signe insigne. Qui ne peut pas être pris pour un autre.

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    Combien sont-ils ? Ils sont un groupe. Mais vous ne les apercevez jamais ensemble. Chacun séparé des autres par le fossé de la solitude humaine qui n’est que l’autre face de notre plénitude. Une dramaturgie. Ils apparaissent. Une musique qui bourdonne, une ombre blanche qui stabilise une silhouette, puis une autre, puis une autre, êtes-vous sûr d’avoir bien vu, puis le titre en blanc sur l’écran noir écrit en gros, UNAWARE, et le ballet déboule, chacun saisi dans ses propres attitudes, rivé à son instrument, ils bougent, s’entrecroisent mais semblent  ignorer ceux qui font de ne même à leurs côtés, la musique lyrique, la voix qui grogne comme l’ours polaire en colère sur son glaçon, ainsi sommes-nous tous confrontés à nos propres

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    thématiques, dérivant en nous-mêmes si loin de nos semblables,  prisonniers aveugles de cette tour d’ivoire de nos rêves d’existence que nous avons élevées pour être encore au plus près de nos vies menacées par ce grand fossé que nous avons creusé de nos propres mains, pour être encore plus isolés, au plus près de nous-mêmes, la musique devient encore plus violente, plus forte, ils hurlent, ils tapent, veulent-ils briser le cristal métaphysique qui les sépare des autres, être enfin réunis en l’unité d’un groupe enfin agrégé, ou simplement tester la solitude du grand verre dans lequel Marcel Duchamp les aurait renfermés pour faire sourire la Joconde, Lhéritier tient son micro comme s’il implorait des puissances éternelles, Weber s’acharne sur

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    sa caisse sombre et Biodore sourit énigmatiquement, montée exponentielle, les fauves enfermés dans leurs cages rugissent, tourniquets, moulinets, les visages se perdent dans la pénombre, prédomine la blancheur de leurs toges t-shirtiques qui enveloppent leurs torses, parfois l’on croit qu’ils vont s’arrêter mais ils repartent au combat de plus belle, comme s’ils étaient des anges blancs à l’âme teintée de folie noire, l’on ne sait à qui ils s’adressent, contre qui vitupèrent-ils, ils semblent prendre acte de leur impuissance à n’être qu’eux-mêmes, mais ils repartent en pantins désarticulés qui obéissent à des mouvements dont ils auraient perdu la maîtrise.

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    Silence. La musique s’arrête. Les voici décontenancés, surpris, stupéfaits comme si quelque chose  plus forte que leur rage les tenait à sa merci, ils ont perdu, mais la foule gronde, une extraordinaire vague d’acclamations les submerge. Musique céleste. Récompense des Dieux. Alors ils titubent, ils ahanent, ils lancent leurs dernières forces dans la bataille, il pourrait paraître qu’ils s’inclinent comme pour remercier le public. La lumière s’éteint. Comprenez que le noir absolu les a happés. La vidéo est terminée.

    Interprétez la métaphore à votre gré.

    Merveilleux clip de finitude humaine.

    Damie Chad.

     

    *

            Dans notre dernière livraison 698 au tout début de l’été nous chroniquions The Trial of Socrates de Thumos, opus instrumental en relation avec divers dialogues de Platon, philosophie et littérature ont souvent fait bon ménage avec la musique. A l’orée de cette saison 2025 – 2026 voici donc une vidéo de Patric Geffroy Yorffeg évoquant   Edgar Allan Poe.

    LES JOURS DE L’AUTRE

    HOMMAGE A EDGAR ALLAN POE

    PATRICK GEFFROY YORFEGG

    (YT / 04 – 07 – 2025) 

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             Patrick Geffroy Yorffeg, à la trompette, dans son décor habituel, in persons. Notez le ‘’S’’. Musicalement plusieurs, trompette basse et trompettes en  sourdine et synthétiseurs. Et puis surtout l’autre. Convoquez l’aile noire du Corbeau n’est pas sans danger. Ce vieux plumage terrassé, Dieu disait Mallarmé. Car on en est là lorsque l’on évoque la figure tutélaire d’Edgar Poe. Au cœur de la dissonance Sans doute est-ce pour cela que la trompette se dédouble, elle se bat sans merci avec son ombre et avec sa propre absence qui n’est autre que la présence d’une autre trompette qui n’est que le signe d’autre chose, une chose noire et impalpable, chiffon visqueux qui bat de l’aile, peut-être est-elle de cette consistance de l’âme perdue qui reste palpitante à ras de terre mais qui ne peut plus prendre son envol, qui se dérobe à chaque instant mais dont des haillons de tissus accrochés à vos doigts sanglants sont la preuve ineffable que alentour de vous quelque chose a bien eu lieu.

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             Attardez-vous sur cette notion d’instrument. Fût-il de musique, qu’est-ce qu’un instrument instrumente ? Avant de répondre, au fond de l’image fixez vos yeux sur le fauteuil vide. Et si sa vacuité n’était que la marque de l’absence du vide. Ne vous laissez pas emporter par ce frémissement de basse, sans quoi vous finiriez enseveli, l’instru-tourmente le son, il est le fils et le géniteur du désastre sonore, le son se perd dans les insupportable cliquetis du néant qui refuse de se faire passer par du bruit. Ne prêtez pas votre oreille, le désastre l’exige tout entière, comme le don ultime à l’indicible qui se fait nuit dans les cornets indistincts des naufrages, le spectacle du maelström n’est qu’ écume et  fureur pour celui qui se contente de le regarder, mais celui qui s’aventure dans le monstre furieux n’entend plus la pulsation mortifère de son sang qui gargouille dans ses propres veines, car il n’est nul besoin d’aller à la rencontre du gouffre, l’abîme est déjà en vous depuis le premier jour de votre gestation, toute rencontre physique avec l’autre ne réside-t-elle pas en une coagulation métaphysique de chair et de sang, érigée en signe de désespérance comme un récif au milieu de la mer  perdu au milieu de la mer, sur lequel vous finirez par vous fracasser car vous êtes vous-même l’écueil de votre propre existence. De votre inexistence à n’être pas ce que vous désireriez être.

             Patrick Geffroy Yorfegg nous offre une musique vertigineuse qui se perd en son propre vertige. Il souffle pour mieux aspirer à être l’inatteignable. Il est des limites infranchissables qu’il convient de franchir, sans quoi elles reviennent toujours et s’établissent en vous en tant que vos propres limites. Souffler dans une trompette, souffler dans un oratorio de trompettes n’est-ce pas le geste désespéré, l’ultime ressource sourcée au plus profond de vos entrailles qui permettrait  d’envoyer au loin l’obstacle qui vous arrête car il n’est que vous-même.

             En ces six minutes et cinquante-neuf secondes, j’admire celle qui manque, qui fermerait le septuor, Patrick Geffroy Yorffeg va jusqu’au bout de lui-même et jusqu’au bout ultime de la musique, que se passerait-il s’il jetait une  note supplémentaire, briserait-il par ce  murmure le mur de la musique ou celui du silence, dans quoi accèderait-il, si ce n’est peut-être en lui-même, tel que sa propre éternité le changerait. 

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             Dans la barque d’Arthur Gordon Pym, Yorfegg a admis un passager clandestin. Un compagnon de passage, d’ultimité, il ne pouvait s’adjoindre meilleur Capitaine pour explorer les eaux du dessus et les eaux du dessous. Le fantôme d’Edgar Poe tient le cap sans que  la barre ne varie, Yorffeg souque ferme, il souffle et suffoque sous le foc du désir intérieur, au cours de la traversée le flot musical périclite, il se désagrège pour mieux renaître de ses cendres bruiteuses, où nous mène-t-il, certes il nous manque la seconde dernière celle qui ne reviendra pas, tant pis pour nous, mais c’est pour cette dernière, en l’honneur de laquelle, qu’elle apparaisse ou n’apparaisse point, coup narquois d’éventail, qu’il a cérémonieusement noué une cravate noire. Toute musique poussée en ses derniers retranchements n’est-elle pas mortelle.

    Damie Chad.

     

    *

    Vacances terminées nous reprenons notre série documents Gene Vincent. Nous pensons qu’il est inutile de rappeler aux kr’tntreaders le rôle de Jeff Beck dans notre musique…Yardbirds, Jeff Beck’s Group, Beck Bogert and Appice, notre Cat Zengler a évoqué à plusieurs reprises tout ce parcours, plus sa carrière solo en tant que franc-tireur de la guitare.

    The Gene Vincent Files #4 : Jeff Beck talking about Gene

     and his admiration for Cliff Gallup.

    Où sommes-nous, des voitures défilent sur une quatre voies, serions-nous au Palomino Club à Hollywood, ça y ressemble mais aux States, comme ici, les abords des villes sont interchangeables… un panneau lumineux nous apprend que nous sommes au House of Blues – si nous sommes en Californie nous serions donc à Anaheim - en dessous le nom de Jeff Beck est entouré d’ampoules clignotantes, depuis la première image nous l’entendons parler, le voici calé sur une banquette de restaurant ou de pub, T-Shirt blanc, veste en Jeans, cheveux longs, visage découpé au surin.

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    Vous souvenez-vous de la première fois où vous avez entendu pour la première fois Gene Vincent ? Oui c’était autour de 1956 alors que Be Bop A Lula était un grand hit, je pense qu’il était numéro 1 dans les charts américains, ou alors classé très haut, ma sœur qui avait quatre ans de plus que moi possédait un tourne-disques et c’était un des premiers disques qu’elle avait achetés, aussi je le passais et le repassais sans cesse, et je n’avais jamais entendu une sorte de chant aussi  frénétique, mais il ne hurlait pas, mais il y avait cette sorte de tension, presque un chuchotement comme s’il était en train de parler, et il y avait cet écho claquant que je n’avais jamais entendu, et cette guitare incroyable et ces deux solos de guitare dans un 45 tours pop, deux solos brillants que j’ai aussitôt étudiés, des solos de Cliff, des solos de Cliff Gallup, totalement obsessionnels, je ne savais même pas les caractéristiques de la guitare qu’il fallait pour produire un tel son, et finalement j’ai découvert que ce n’était pas Russel Williford dont la photo était sur les affiches du film, mais si vous achetiez un autre album sur la couverture vous aviez Johnny Meeks mais c’était Cliff qui jouait toute cette fournaise qui littéralement me rendit fou, je ne pensais même pas à cette époque que je jouerais de la guitare mais d’écouter Cliff Gallup, d’entendre ce truc, son travail sur ces albums m’a permis de réaliser que toutes ces insultes à l’encontre des rock’n’rollers, qu’ils ne savaient pas jouer de la guitare, je l’ai entendu différemment quand mes oreilles se dressèrent et l’ai commencé à tenter de copier Cliff et quoiqu’il fût difficile d’imiter ce style parce que vous savez la musique que nous avions l’habitude de jouer était plus proche des Ventures, vous savez un style proche de la musique de danse, mais  cette nouvelle sorte de musique s’est greffée dans ma manière de jouer, tu l’entendais si souvent, que toi-même tu devenais Cliff … La première fois que je l’ai vu, c’était je crois en soixante,  la toute première fois que Gene est venu en Angleterre, je pense que c’était en 1960 à Kingston (banlieue de Londres) au Granada (spectacle organisé par la télévision privée du même nom)  il portait un costume vert et c’était le Gene que je connaissais, mais

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    où étaient les Blue Caps, il y avait quelques gars, que je n’ai pas reconnus, et nous étions, moi et un ami, des fanatiques des Blue Caps, nous étions choqués de voir que Gene et ses Blue ne ressemblaient pas aux Blue Caps que nous ne pouvions confondre avec cette formation, mais bien sûr nous sommes restés, c’était incroyable et le combo était aussi bien que possible, mais nous étions désappointés de ne pas voir Cliff, ni   Wee Williams le guitariste rythmique, ni Dickie Harrell, nous étions profondément déçus, ce n’était pas ce que nous attendions, après ce premier concert alors que quelques groupes de filles hurlaient en face de moi proclamant qu’elles partaient à la recherche de Gene pour le rencontrer, je sais que vous n’êtes pas comme moi mais je ne pouvais pas supporter l’idée que n’importe qui puisse rencontrer mon idole, je ne voulais pas m’approcher aussi près, je voulais juste le voir sur scène au Majestic Spotlight, sous les feux de la rampe, comme je l’avais vu dans les films. The Girl Can’t Help It, c’était la meilleure image, non seulement de Vincent mais du rock’n’roll, à coup sûr c’était un grand film, un peu comédie, un peu drame sur la fin quand les gangsters tentent de vous avoir… Tom Miller il me semble, mais quel film, encore maintenant il est fantastique, ce fut pour moi le truc qui a réellement compté, pas seulement d’entendre Be Bop A Lula, ou le tourne-disques de ma sœur, mais d’avoir vu le film avec ma sœur qui m’avait emmené, ô merci soeurette, puis Hot Road Gang que j’ai vu ensuite, Gene était en plus un très  bon acteur, diablement bon, pas du tout embarrassé de sa personne comme vous pourriez l’imaginer, je veux dire ce que Gene incarnait à lui tout seul, comme s’il était prêt à renverser la table, à tel point que par la suite il s’est effondré à la suite de la sortie de Bluejean Bop qui ne fut pas un aussi grand succès, et à partir de là il a été pris dans une spirale descendante, il a allumé le feu à Londres et n’a jamais remonté le courant, quand il est venu en Angleterre, on ne pouvait pas s’en rendre compte, c’est ainsi que moi j’ai pu le voir, il était énormément populaire, il était cornaqué par Jack Good, il n’avait jamais porté de cuir noir ni le médaillon avant que Jack Good ne lui ait dit, tu ne peux pas porter ces vêtements de péquenaud, je pense que Jack

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    Jack Good + Gene vincent

    Good était davantage un dramaturge, un entrepreneur de théâtre qui imposait sa propre vision de  Gene, et ça a marché parce que tout le monde aimait Gene. Je n’ai jamais été particulièrement fasciné par tout cela, vous pouvez facilement décider que Jack a tué Gene ou qu’il l’a créé,  logiquement  cela lui a valu de nombreux passages à la télé qu’il n’aurait jamais eus sans cela, assis devant mon poste je le regardais sur l’écran, je pensais que ce spectacle ne donnait pas à voir  ce qu’était vraiment l’authenticité de Gene, la véritable chose c’était Gene lui-même, dans la grisaille d’une semaine anglaise habituelle ce truc n’arrive jamais, je veux dire qu’il y avait des saxophones frayant leur chemins et des orgues un peu partout, ce n’était pas le rockabilly pur et dur que nous nous aurions aimé entendre, c’était l’habituel divertissement familial et Gene arrivait avec ses gants noirs quelque peu terrifiants, mais c’était un truc de toute manière peu élaboré, ces programmes n’avaient aucun effet sur  moi, il aurait dû me laisser produire cette merde, j’aurais renvoyé les autres à leurs habitudes, et mis les Blue Caps sur scène nous délivrer un spectacle qui aurait cassé la baraque, et je les aurais payés proprement, je les aurais surveillés, je ne les aurais pas au sens médical du mot  quittés des yeux, parce que je les aurais juste laissés à eux-mêmes, ils avaient apparemment un manager qui avait vraiment l’habitude de peser de tout son poids, je ne suis pas en train de lâcher quelques noms mais je sais que ce que je dis est la vérité, vous savez j’ai entendu de toute première main que lorsque les coiffures ont évolué, passant de ces grappes graisseuses sur le front à ces cheveux souples,  du coup Gene a pris un coup de vieux, la mode avait changé du tout au tout,  même si les fans de rockabilly pur et dur, les fans de rock’n’roll n’auraient jamais adopté cette coupe à la scarabée,  prédominaient alors les vents du changement avec Bob Dylan, les Beatles et les Stones,  et Gene était comme d’avant-hier, et même s’il a survécu, et est devenu incontournable dans la mémoire du rockabilly, il a quand même été laissé sur le côté de la route, car datant d’antan  comme vos Johnny Tillotson et Bobby Vee, et tous les autres, ils ont disparu avec l’arrivée des Beatles, c’est incroyable car ils ont quand même surnagé et ils ont acquis et vécut dans ce statut de notoriété de fondateurs, mais le vieux Gene, je veux

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    dire, vous savez c’est aussi la façon de la manière dont il est mort, il ne voulait pas que ses jambes soient correctement soignées, les gens ont eu le réflexe de le qualifier d’ ’’infirme’’ quand ils ont vu qu’il avait une jambe en mauvais état, il n’était pas sexy, vraiment, sur scène il ressemblait juste à un tueur psychopathe. ( question inaudible) Je l’ai aimé à la manière de Peter Grant qui a géré Zeppelin et par la suite moi-même, nous avons eu droit à quelques anecdotes révélatrices à son sujet, il n’était pas facile de travailler avec lui, il était agressif et buvait, et d’autres trucs du même genre, mais il a toujours offert un spectacle de grande qualité, l’une des meilleures paroles est celle de Johnny Meeks, il a dit que quand Gene est mort il n’a même pas pu mourir correctement, il a dit qu’il n’est pas parvenu à tenir ce rôle correctement, sa vie était empêtrée dans une telle tourmente, le truc anglais c’est ce qui l’a probablement tué, le fait qu’il avait juste derrière lui  une carrière et un public pour le soutenir, mais il en était revenu à ses débuts, à jouer dans des pubs et à survivre, je ne pouvais pas supporter de voir son déclin, mais il était reconnu, comme je l’ai dit les Beatles ont tout balayé, à moins qu’il ne fasse un contrat avec Little Richard, vous savez il y a eu le phénomène rétro des années cinquante, mais il a été laissé plus ou moins dans le désert de Londres, de l’Angleterre, puis de l’Allemagne, de la France, la France était grande, il était grand là-bas, enfin le Beatles, pour commencer  ils ont commencé par se faire les dents dans des boîtes de nuit en Allemagne, de vrais taudis, vous savez jouer et se taper dix heures dans le camion et Vincent était là, ils étaient tous complices, ils aimaient tous cette pression, ils aiment Vincent, ils aiment sa mystique, vous savez, la façon dont il délivrait ses chansons, menaçant, rampant sur scène, sa façon dont il balançait son micro, Rod Stewart a chopé le truc, vous savez le moment où il tenait son micro en l’air, c’était tout le truc de Vincent, mais beaucoup de gens, j’en suis sûr, même si vous parlez aujourd’hui à beaucoup de gens qui savent tout sur les Beatles, vous répondront,

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    mais qui diable est ce Vincent, vous savez c’est triste parce qu’il n’y a pas vraiment d’informations approfondies à portée de main, vous savez maintenant vous regardez la télé, il y a 5 600 chaînes de conneries et aucune mention sur quoi que ce soit qui évoque l’histoire du rock’n’roll, non pas que je ne puisse trouver quelqu’un mais parce que je ne vois aucun concert de Cliff, il n’y a pas une seule séquence de film de Cliff Gallup ce qui est incroyable, vous savez pour un gars qui n’a été dans le groupe que neuf mois, il ne reste aucune séquence de tournée, euh c’est quoi le Big Show, Perry Como oui c’est ça, un gars l’a perdue, il l’a juste jetée, un préposé aux archives, il a dit je n’en ai plus besoin maintenant, de toute façon, c’était une sorte d’excuse, un truc pour frimer,  j’en ai entendu parler… C’était aussi le style de Cliff et les Playboys étaient là aussi, ils connaissaient l’ambiance exacte et le son dont nous avions besoin, l’attitude sur la batterie, la contrebasse, at avant que vous vous en rendiez compte nous avions un bon son comme les Blue Caps, les Blue Caps originaux et aussi il me manquait un album, avec ceux-là derrière  moi, je l’ai donc enregistré moi-même, c’était une idée stupide, en double package avec un orchestre

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    original, ils ne pouvaient même pas me sortir un album,  alors je me suis dit, bon ça au moins c’est un album sincère, vous savez il m’a fallu des années et des années pour perfectionner le style, quelqu’un pourrait aussi bien l’entendre dans ce cadre, donc c’était un hommage à Cliff, vraiment il n’y avait personne à qui vous pouviez parler dans l’industrie de la musique, vous connaissez James Burton à cause d’Elvis mais les héros que j’admirais vraiment étaient Cliff Gallup, Paul Burlison qui était sur les premiers disques du Rock’n’Roll Trio, et Johnny Burnette, il n’y avait pas beaucoup de rockers purs et durs à l’époque de Scotty Moore,  il n’y en avait que trois, triste que les gens n’aient pas la capacité d’apprécier ce qui s’est passé auparavant, ils ont en quelque sorte tout aplani au bulldozer comme si cela n’avait jamais existé, dans le but d’assister à quelque chose de nouveau, vous savez que les fans des Beatles ne se seraient pas sentis dépaysés  dans un concert de Vincent, vous savez et je me suis dit, que se passe-t-il avec vous, cela fait partie des éléments constitutifs de la raison pour laquelle nous sommes ici.

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    Damie Chad.

    P. S. : le nom de Johnny Tillotson n’est guère connu par chez nous, il fut une grande vedette aux Etats-Unis et en Angleterre, chanteur et compositeur, son It’s Keep Right On A Hurtin’ fut repris par Elvis. Nous lui consacrerons prochainement une chronique. Bob Dylan dresse dans ses Chroniques un bel hommage à Bobby Vee qu’il accompagna sur scène dans sa jeunesse, auprès duquel il apprit les rudiments du métier. Rappelons qu’après la mort de Buddy Holly, ce fut à Bobby Vee qu’échut la lourde tâche de continuer la tournée en tant que tête d’affiche…

             Dans la dernière partie de son monologue Jeff Beck évoque l’enregistrement de Crazy Legs par Jeff Beck & The Big Town Playboys, que nous chroniquerons quand nous aurons terminé cette série de documents en consultation libre sur la chaîne  YT : VanShots – RocknRoll Videos.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 664 : KR'TNT ! 664 : TCHOTCHKE / DARTS / JACKIE DESHANNON / LIVERBIRDS / CHRIS CLARK / BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ + MARY / ASHEN / ACROSS THE DIVIDE / AUSTIN OSMAN SPARE

    KR’TNT ! 

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 664

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    07 / 11 / 2024

     

     

    TCHOTCHKE / DARTS / JACKIE DESHANNON

     LIVERBIRDS / CHRIS CLARK

    BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ + MARY

    ASHEN / ACROSS THE DIVIDE

    AUSTIN OSMAN SPARE

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 664

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

     - Tchotchke de choc

             — Comment pouvons-nous te choquer, avenir du rock ?

             — Ça risque d’être très difficile...

             — Si on te traite de gros con, ça va bien te choquer, non ?

             — Pas le moins du monde. C’est un fait que j’assume avec fierté.

             — Alors si on te traite de petite bite, tu vas blêmir, non ?

             — Vous ne connaissez pas les privilèges de l’hermaphrodisme, bande d’ignares...

             — Ah tu vas le prendre vraiment très mal si on te traite de sale juif !

             — Pfffff, c’est d’une banalité qui frise l’indigence, ou pire encore, le manque d’imagination. Comment veux-tu que ça puisse me choquer ? Par contre, si tu me traites de sale nègre, là, oui, c’est intolérable.

             — Bon alors, on va te clouer le bec pour de bon en te traitant de sale beauf...

             — C’est effectivement ce qui peut arriver de pire à un être humain. Chaque fois que t’en croises un, t’es partagé entre deux façons de réagir : le dégoût ou la compassion. Les beaufs se reproduisent comme les rats, ça prolifère, t’en as partout, même dans ta famille et tes cercles rapprochés. Tu soulèves une pierre sur le bord du chemin et tu les vois grouiller. Spectacle dégoûtant ! Les beaufs c’est ça, mais si tu traites de beauf quelqu’un qui ne l’est pas, ça ne sert à rien. C’est une injure gratuite, qui fait autant d’effet qu’une balle à blanc. C’est un coup d’épée dans l’eau. Désolé d’avoir à vous dire ça, les amis, mais votre notion de choc est complètement dépassée. Aujourd’hui, on ne parle plus de choc mais de Tchotchke. Attention, amigos, ce n’est plus du tout la même chose. 

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             T’arrive devant la scène avec la gueule enfarinée. Trois petites gonzesses déboulent sur scène. Tu ne sais même pas comment elles s’appellent. Bof, une première partie des Lemon Twigs, ça devrait pas être trop mal.

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    Devant toi, la petite bassiste s’applique et ramène, par sa seule présence, toute la fraîcheur du monde dans le set. Là-haut, sur son estrade, la batteuse/chanteuse allume ses cuts un par un, et là-bas, de l’autre côté, la guitariste gratte sa Strat sans effet, elle reste en mode clairette. On l’aura compris : zéro frime.

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    Tout est dans les chansons. En fait, elles jouent une pop très dépouillée, mais au fil des cuts, tu sens comme le poids d’un envoûtement sur ta pauvre vieille cervelle. Tu comprendras mieux plus tard, quand tu apprendras qu’elles ont enregistré leur album chez les frères d’Addario, ce qui est un sacré gage de qualité. Il est parfois bon de ne rien savoir quand tu vois un groupe sur scène. Tu juges sur pièces. C’est bon ou c’est pas bon. Les Tchotchke, c’est bon, et même super-bon. Cut après cut, elles étendent leur empire et ça te monte vite au cerveau.

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    La batteuse s’appelle Anastasia Sanchez, elle navigue exactement au même niveau que Curt Boettcher, elle sait vriller son chant pour créer de la magie pop, notamment sur «Oh Sweetheart One», ce chef-d’œuvre de candy pop collante et dégoulinante de candeur, monté sur une structure d’une ahurissante simplicité.

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    Derrière son micro et ses fûts, Anastasia vrille des couplets d’une indicible beauté. Tu vas retrouver cet objet d’art pop indubitable sur leur album sans titre. L’autre merveille du set s’appelle «Dizzy», qui sonne comme une fabuleuse descente dans le lagon d’argent de la pop, ces trois gonzesses sont aussi ambitieuses que les Lemon Twigs, elles flirtent elles aussi avec le génie pop de Brian Wilson. Elles tapent plein de merveilles qui ne figurent même pas sur l’album, franchement, t’en reviens pas de toute cette qualité. T’as l’impression que le monde pop s’enfonce dans la médiocrité, et tout à coup, les Tchotchkettes et puis les Lemon Twigs te remettent les pendules à l’heure. Alors tu reprends espoir. Grâce à ces deux groupes, les Byrds, les Beatles et Brian Wilson restent d’actualité. Ils sont aussi précieux que l’air qu’on respire.

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             L’album sans titre des Tchotchke est une petite merveille, cela va sans dire. T’es tout de suite dans le haut de gamme avec «You’ll Remember Me», belle pop ambivalente, d’essence impérissable, elles disposent de cette faculté extraordinaire à savoir vriller le chant pop. C’est du Brill d’obédience vertigineuse, quasi spectorienne sur le bonus track. Anastasia chante comme une reine de Nubie blanche. On recroise ces deux coups de génie que sont «Dizzy» et «Oh Sweetheart One», mais tu vois aussi Anastasia swinguer «Come On Sean» à la pointe de la glotte, et sur «What Should I Do», tu entends les frères d’Addario. Ce fantastique cut de salubrité publique sonne comme un hit du Brill. On croise aussi ce «Don’t Hang Up On Me» joué sur scène, une pop d’essence cristalline et aérienne. Elles s’en donnent toutes les trois à cœur joie, franchement c’est un bonheur que de les voir sur scène chanter cette merveille d’exubérance. Et comme l’album est bien produit, tu retrouves tout le punch de la version scénique. Nouveau coup de Jarnac avec «Whish You Were A Girl» : fantastique shoot de Brill, ah on peut dire qu’elles Brill au firmament, Anastasia mène sa pop flamboyante qui explose en solaces d’excelsior au moindre refrain. Et avec «Longing Delights», tu retrouves toute la folie des Lemon Twigs dans cette apothéose de pop wilsonienne.

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    Signé : Cazengler, le poids des mots, le tchotchtk des fautes

    Tchotchke. BBC. Caen (14). 25 septembre 2024

    Tchotchke. Tchotchke. Tchotchke Records 2022

     

     

    She Darts it right

     - Part Three

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             Sur scène, les Darts restent imbattables. Incompressibles. Irréprochables. Indéfectibles. Inévitables. Immédiates. Inoculables. Infaillibles. Irrésistibles. Immatures. Infectueuses. Impondérables. Indémodables. Intarissables. Indubitables. Mais prenons garde, car à force de plasticité gaga, elles finiront par nous insupporter autant que les Fleshtones. Pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour savoir que le gaga est un genre dramatiquement limité, surtout le gaga-dorgua, celui des Fuzztones et des Lords Of Altamont en particulier. Les gangs de gaga-dorgua passent leur vie à vouloir briser une routine qu’ils ne briseront jamais, car la routine est leur spécificité. La routine d’orgua est leur ADN. Seuls Question Mark & The Mysterians ont su briser le sort de la routine gaga-dorgua. Ils ont dû pour ce faire verser 96 larmes. Cry cry cry.

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             Un set des Darts s’avale d’un trait, pas de problème. Comme tous les sets, celui des Darts connaît des hauts et des bas, de beaux hauts dirons-nous, et des bas pas beaux. Jusques là, rien de nouveau. Fidèle à sa tradition, Nicole Laurenne multiplie les antics, à défaut d’être la reine du rodéo, elle est celle des cabrioles, elle bat même Jake Caveliere à la course, elle adore s’allonger au sol et faire tomber son Farfisa sur elle, elle adore empêcher sa guitariste de jouer en l’enlaçant comme un boa constrictor, elle adore sauter sur place, d’ailleurs, elle ne fait que ça, elle est très athlétique, incapable de rester calme plus de trois secondes. Elle observe bien le rituel du gaga-dorgua qui consiste à chasser les temps morts, tout doit sautiller en permanence, l’énergie doit couler à flots, ça doit pulser dans les tubulures, ça doit couiner dans les circuits. C’est drôle comme ce genre parvient à survivre, malgré ses limites. On continue d’aller voir ces groupes sur scène et, pire encore, on continue de ramasser les disks au merch. Cette manie pourrait s’apparenter à une bonne petite pathologie. T’es là, et dans les moments de grande intensité, tu te demandes pourquoi t’es là. T’en sais rien. Tu vois tout ça de l’extérieur. Tu ne peux pas faire semblant d’être le fan que tu n’es plus.

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    Alors tu observes, essayant désespérément de ne pas trouver le spectacle (dans son ensemble) grotesque. Quel sens ont les Darts aujourd’hui ? C’est en te posant ce genre de question que tu peux espérer y voir plus clair.

             Au pire, le set te fatigue. Au mieux, il te remonte un peu le moral. Dans l’in between, ça grouille de considérations :

             — Ouais, c’est bien de perpétuer la tradition.

             — Ouais, tant que des groupes comme les Darts monteront sur scène, le cœur du rock continuera de battre.

             — Ouais, elle en fait un peu trop, mais il vaut mieux en faire trop que pas assez.

             — Ouais, ça fait vingt ans qu’elle se maintient à niveau.

             — Ouais, elle est l’une des meilleures dans son genre, aussi bonne que la Flavia des Courettes et la Jackie des Jackets.

             — Ouais, les Darts, ça darde !

             — Ouais, c’est sûr qu’on va retourner les voir le mois prochain. Encore une bonne soirée en perspective ! Ouais ! Mille fois ouais !

             — Ouais, avec les Darts, c’est du zyva automatique. Tu ne te poses des questions qu’une fois arrivé sur place.

             Effectivement, tu te prends au mot et t’y retournes. Cette fois, dans ton spot préféré, au Petit Bain, là où ça rocke le boat pour de vrai. Quand elles déboulent sur scène, elles balaient le souvenir des deux premières parties, c’est tout de suite américain, c’est tout de suite en place, c’est tout de suite les Darts, c’est tout de suite wham bam, c’est tout de suite «Underground» et tout de suite suivi de «Graveyard», c’est tout de suite du 100 à l’heure, c’est tout de suite mal barré pour les canards boiteux, c’est tout de suite claqué du beignet, c’est tout de suite exactement la même set-list qu’à Rouen un mois auparavant, alors tu n’as plus qu’à te laisser porter, elles font tout le boulot, tu veux ta rasade ?

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    Elles te la servent sur le meilleur des plateaux d’argent, et t’as une salle bourrée de fans. Au moins ceux-là ont payé. Nicole Laurenne ressort tout son bataclan, la course sur place, le dos au sol avec le Farfisa sur le ventre, et toute la fantastique présence scénique dont elle est capable. Elle rampe pas mal, elle semble en donner encore plus aux Parisiens et puis c’est dit-elle le dernier set d’une tournée qui a commencé au mois d’avril. Le centième ! Elle devrait en avoir marre, mais elle y va. Elle est encore meilleure qu’avant, et le set des Darts prend du relief, le jeu de scène est bien rôdé, t’en veux pour ton billet ? Tiens-en voilà pour ton billet.

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    Ça rocke à outrance, les deux bras droits de Nicole Laurenne s’en donnent à cœur joie, elles voyagent pas mal sur scène, et derrière, la petite  Mary Rose aux cheveux verts bat un beurre de tous les diables, elle ne fait pas dans la dentelle. Nicole Laurenne communique bien avec le public, elle a fait des progrès en français. Et puis elle a cette façon de lancer les cuts qui tape chaque fois en plein dans le mille, la main droite sur le clavier et, face au public, elle court sur place en secouant les cheveux. Elle court très vite, on a même l’impression qu’elle accélère.

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    Et au bout d’une heure de bons et loyaux services, elles finiront de gaver les oies : t’auras exactement le même rappel qu’à Rouen, avec «Love Tsunami», «Shit Show» et «Liar». Ensuite ? Eh bien ensuite, tu sortiras de là sonné et ravi. T’auras vu trente-six chandelles et, last but not least, t’auras aussi vu le real deal des girl-groups contemporains. Et t’auras bien mérité un dernier tonic à la cantine.

             Et les disks dans tout ça ?

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             Avec Snake Oil, tu t’aperçois que Christina Nunez vole bien le show avec son fat bassmatic, notamment dans le morceau titre d’ouverture de bal. Les Darts sont folles : elles attaquent à la stoogerie avec un bassmatic pétaradé. Ah comme elle patate bien, la grosse Christina ! Elle est mixée à l’avant du son et ça lui donne de sacrées coudées franches. Les Darts adorent filer tout droit, comme le montre encore «Love Tsunami», et on assiste toujours au même déroulé. Nicole Laurenne compose tout, elle contrôle tout le monde des Darts. Même le merch, c’est elle. Elle tape son «Love Song» en mode Big Astmospherix assez hellish. Avec «Underground», on assiste à un fabuleux déroulé périphérique, elle rafle la mise à coups de put it down, elle adore faire exploser ses cuts, en studio comme sur scène. Avec elle, ça se remet en route vite fait. Elle tape son «Donne Moi Tout» en français. Dommage que le chant soit noyé dans la morasse. Les derniers fans de gaga-dorgua vont forcément bien se régaler avec cet album qui a pour principal mérite celui d’exister.  

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             Comme elles traversent une grosse crise de productivité, elles sortent un tout nouvel album : Boomerang. Pochette superbe, avec une sorte de graphisme crypté. Ambiance murs tagués du CBGB. Elles repartent de plus belle à la conquête du Mondo Bizarro, elles enfoncent bien leur clou dans la paume de la routine et attaquent au gros tatapoum. Il faut attendre «Pour Another» pour frémir sincèrement. Belle attaque de bassmatic invasif. Elles développent un fantastique heartbeat. Christina Nunez gratte un sacré thème, il faut bien admettre qu’elle est l’une des cracks du bassmatic moderne. Puis les Darts replongent dans leur fontaine de jouvence avec un «Liar» classique mais bienvenu, et ça explose plus loin avec «Photograph». C’est encore Christina qui attaque ça en coupe réglée. Pas de pitié pour les canards boiteux ! Darty for real ! Elle lâche encore un bassmatic de destruction massive sur «Hell Yeah». En fait, c’est elle, la grosse, la star des Darts. Belle énormité encore avec «Night». Toujours cette fantastique énergie pulsative, même dans les cuts lents. Le turbo processeur est de retour avec «Welcome To My Doldrums» : basse pouet pouet et drive d’orgua, véritable effusion d’effervescence, c’est brillant et dévastateur. Du coup, t’as hâte de les revoir sur scène. C’est comme si tu ne pouvais plus t’en passer.

    Signé : Cazengler, Dark

    Darts. Le 106. Rouen (76). 22 septembre 2024

    Darts. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 19 octobre 2024

    Darts. Snake Oil. Alternative Tentacles Records 2023

    Darts. Boomerang. Alternative Tentacles Records 2024

     

     

    Wizards & True Stars

     - Shine on De Shannon

     (Part One)

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             On va profiter d’une petite actu sur la belle Jackie DeShannon pour lui consacrer un Part One plus que bien mérité. S’il en est une qui entre de plain-pied dans la cour des Wizards & True Stars, c’est bien elle. Dans Record Collector, Lois Wilson indique que la belle Jackie atteint l’âge canonique de 83 balais et qu’elle se produit encore - Still performing - Elle a fait ça toute sa vie. Elle dit ne pas se souvenir d’un seul instant où elle ne composait pas, ou ne chantait pas.

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    (Sharon Sheeley & Eddie Cochran)

             Pas compliqué la vie : il suffit de devenir pote avec les Beatles quand ils font leur première tournée américaine en 1964. Puis t’as les Byrds et les Searchers qui reprennent tes compos. Alors ça devient easy. «When You Walk In The Room», c’est elle, et la naissance du folk-soul-rock de Laurel Canyon, c’est encore elle avec, justement l’album Laurel Canyon. C’est assez con à dire, mais il n’existe pas de blonde plus légendaire que la belle Jackie. Elle a aussi pas mal tapé dans Burt («What The World Needs Now Is Love»). Elle est très prématurée, elle se fait connaître à l’âge de 13 ans sous le nom de Sherry Lee, et à 16 ans sous le nom de Jackie Dee. En 1960, elle signe un publishing deal avec Liberty et devient pote avec Sharon Sheeley, la poule d’Eddie Cochran, qui a déjà pondu des hits pour Eddie et Ricky Nelson. Cot cot ! Elles bossent ensemble, Jackie fourbit la mélodie et elles tapent les lyrics ensemble. Mais son deal chez Liberty n’est pas bon. Ils veulent la voir composer, pas chanter. Elle parvient quand même à enregistrer un premier album en 1963. Elle y tape trois covers de Dylan. Elle voulait faire tout l’album avec des covers de Dylan, mais les mecs de Liberty n’ont pas voulu. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont rien pigé à Dylan. On y reviendra dans un Part Two, car cet album est un gros morceau. Elle raconte aussi qu’elle a dû se battre pour enregistrer le «Needles & Pins» de Sonny Bono et Jack Nitzsche - Liberty didn’t like that song either. They thought it was strange. But I put my foot down this time. I knew I had to do it - Eh oui, elle a eu raison de tenir bon. C’est l’un des plus beaux hits d’Amérique. 1963 ! Elle est déjà très en avance sur son temps. Le seul qui la comprenne, c’est Jack Nitzsche. Ensemble, ils écoutent Malher, Stockhausen, Wolf et Robert Johnson. Il n’y a pas de hasard, Balthazar. En 1963, les Searchers sont à Hambourg avec les Beatles et Cliff Bennett. Ils découvrent «Needles & Pins». Flash immédiat - We were awestruck by the song - La même année, ils tapent leur cover de «When You Walk In The Room». Pendant la fameuse tournée américaine des Beatles en 1964, le public hue les premières parties, même les Righteous Brothers. La seule qui tient le choc, c’est la belle Jackie.   

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             En 1965, elle rencontre Burt. Elle flashe sur «What The World Needs Now Is Love». Mais Burt ne veut pas lui filer la chanson. Pourquoi ? Parque que Dionne la lionne n’a pas voulu l’enregistrer - she turned it down - Pareil pour Timi Yuro qui l’a aussi refusée. Hal David insiste. Burt cède. Ce sera le hit que l’on sait. Et bien sûr, Dionne la lionne va se dépêcher de l’enregistrer.

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             En 1966, les Byrds accompagnent la belle Jackie quand elle enregistre «Splendor In The Grass». Croz : «Jackie was amazing. She was an inspiration and she was fun. She’s a one-off original.» Les Byrds tapent une belle compo de Jackie sur leur premier album, «Don’t Doubt Yourself Babe». C’est l’année où Los Angeles explose - So many clubs on Sunset. It was wonderful - C’est là qu’elle enregistre le fabuleux Laurel Canyon. Derrière elle, on retrouve Dr John au piano, Barry White dans les chœurs. Elle ouvre la voie pour Joni Mitchell et Carole King.

             Elle quitte Liberty en 1970, et Capitol lui bousille son Songs en 1971 (on y revient plus loin). Elle débarque ensuite sur Atlantic. Wexler l’envoie aussitôt à Memphis. Elle enregistre Jackie chez Chips. Autour de Chips, Arif Mardin, Tom Dowd et Wexler s’entassent dans la cabine. Les Memphis Boys assurent le backing de Jackie superstar. Pour les becs fins, Jackie navigue exactement au même niveau que Dusty in Memphis. Pareil, on y revient dans un Part Two.

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             Voilà-t-y pas qu’Ace réédite son album de covers de Ray Charles, Nothing Can Stop Me. Liberty Records Rareties 1960-1962 - I’m really proud of them - Elle explique qu’à l’époque elle savait tout faire, du Burt, du Ray Charles, du Needles, du Dylan, et son label voulait qu’elle reste dans un genre bien défini, alors qu’aujourd’hui, dit-elle, on demande aux artistes de se diversifier. Elle prend l’exemple de Rod The Mod - Back then, my diversity was a curse. But I was actually ahead of the curve.

             Alors oui, on saute sur Nothing Can Stop Me. Liberty Records Rareties 1960-1962. Elle est en effet très jeune sur la photo de pochette. Mais elle chante son Ray d’une voix rauque, presque black. Elle est très sauvage. Elle aurait pu taper du rockab. Avec «I Got A Sweetie», elle claque un gospel black de petite vertu. Par contre, elle force trop son «What’d I Say», elle y va au tell you mama de bonne bourre. Elle jette toute sa niaque dans la balance de «Georgia On My Mind» et devient fabuleuse d’à-propos dans «Hallelujah I Love Her So». Yes I know ! Elle s’en sort vraiment avec les honneurs. Comme toujours chez Ace, les bonus grouillent de puces. On la sent folle de Ray. On la voit twister près du juke sur «Stand Up & Testify» et son «Baby (When Ya Kiss Me)» est de très haut niveau, fast & battu sec, avec des violons. On est frappé par la qualité des interprétations et des orchestrations. Elle devient folle avec «That’s What Boys Are Made Of» et ça se termine avec l’heavy pop de «Don’t You Feel Sorry For Me», fantastique cut d’époque avec le solo de sax et les clap-hands.

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             Chez Ace, on ne fait jamais les choses à moitié. Nos amis anglais ont entrepris de compiler tous les singles de Jackie sur trois volumes. C’est très consistant, très passionnant et recommandé pour les longues soirées d’hiver. Le volume 1 couvre la période Liberty - qui était aussi le label de Bobby Vee, de Johnny Burnette et d’Eddie Cochran - de 1960 à 1963. Certains morceaux sortis du contexte des albums redeviennent des bombes, d’où l’intérêt de ce genre de compile. On note aussi que les premiers singles de Jackie sonnent comme ceux des Coasters et de Brenda Lee. Elle faisait sa gutturale des cavernes. Elle bricolait un rock de fille et elle se battait bien avec son micro. Elle a commencé à virer jerk avec « Ain’t That Love » qu’elle prenait d’une voix fêlée et qu’elle chantait comme une bête fauve. Elle révélait son animalité. Elle prit à partir de là l’habitude de se racler la gorge et de se faire passer pour une méchante. Elle enregistrait aussi pas mal de slows super-frotteurs qui ont dû favoriser l’éclosion du baby-boom américain. Avec « Needles And Pins », on entrait enfin dans le vif du sujet : elle devenait l’inventeuse de la pop moderne. Elle tirait ça d’une voix de meneuse qui cinquante après impressionne toujours autant. Elle montrait au passage sa passion pour le gospel avec « Oh Sweet Charriot » et balançait un hit de r’n’b digne des Supremes, « Till Ya Say You’ll Be Mine » qui explosait de vigueur éclatante. Et bien sûr on avait à la suite l’éclair de génie du Walk In the Room, avec ses tambourins et ses maracas, un point de repère dans l’histoire du rock.

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             Avec le volume 2, on monte en puissance. Il est à cheval sur Liberty et Imperial, et couvre la période qui va de 1964 à 1967. On y retrouve cette monstruosité punk, cette énormité de jerk de cave qu’est « It’s Love Baby ». Sur « Don’t Turn Your Back On Me », Jimmy page bat le riff. Complètement légendaire. « A Lifetime Of Loneliness » est une merveille de Burt mélodiquement parfaite. Riche car travaillée dans l’essence même du capiteux. Elle remonte au signal pour fracasser le plafond de verre. Cette fille là, mon vieux, elle est terrible ! On assiste à une montée d’intensité quasi-orgasmique. Puis elle chante « I Remember The Boy » à la cantonade. Elle montre sa puissance en tapant dans le haut de la mélodie. Elle s’y révèle la fabuleuse shouteuse qu’on va retrouver ensuite au fil des albums. C’est ferrailleux, solide. Elle dégouline de classe. Elle joue son folk-rock princier en montant dans les octaves et elle fait sauter tous les bouchons. Monstrueux. On retrouve le fabuleux « Come And Get Me » de Burt et « Splendor In The Grass », où les Byrds l’accompagnent. Avec tous ces singles extraordinaires, elle atteint son âge d’or. Ce volume est le plus dense des trois.

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             Le volume 3 couvre la période 1967-1970, jusqu’à la fin de son contrat avec Imperial. On la sent attirée par le son hollywoodien, car elle commence par sortir une série de singles trop produits (« Changin’ My Mind », « It’s All In The Game » et « I Keep Wanting You »). Avec « Me About You », on la voit embobiner la mélodie. Elle joue à la superstar hollywoodienne, elle mène sa barque et tout le monde se prosterne à ses pieds. Elle fait rêver l’Amérique blanche. « Effervescent Blue » est une pure merveille insolite chantée à la manière de Diana Ross. C’est d’une classe extrême. Elle s’y révèle l’égale des grandes shouteuses de jazz. Elle brise les mythes sur ses genoux. On retrouve le beautiful folk-rock de « Laurel Canyon » et ce furieux hit qu’est « What Is This », tout secoué de guitares. « Always Together » est une belle pièce lumineuse qu’elle éclaire de sa voix. Imbattable. C’est à ce genre de single qu’on voit la grandeur d’une interprète. Elle a une façon particulière de monter son feeling dans la lumière de l’harmonie. Encore une pure merveille avec « Keep Me In Mind », mid-tempo élégant et mélodique, prodigieusement inspiré et qu’elle amène à sa façon pour en faire une pop étrangement veloutée et artistement décolletée. On retrouve aussi l’éclat de « Brighton Hill » qu’elle passe au filtre hollywoodien. Elle ne s’arrête jamais. Elle enfile les hits comme des perles. Les gentils compileurs d’Ace ont aussi pensé à mettre l’effarant medley « You Keep Me Hanging On/Hurt So Bad », version ultime et mortelle randonnée, elle en fait de la charpie, comme le fit le Vanilla Fudge. Les trois derniers singles sont faramineux : « It’s So Nice » (hit soul), « Mediterranean Skies » (incroyablement moderne pour l’époque) et « Bird On the Wire ».

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             Dans sa collection « Songwriters », Ace a bien sûr pensé à bricoler un volume Jackie DeShannon qui s’intitule Break-A-Way. Ça commence avec la version endiablée de « Break-A-Way » d’Irma Thomas, qui est accompagnée par un batteur drôlement énervé. On tombe ensuite sur le « When You Walk In The Room » des Searchers qui fut l’un des groupes préférés de Mark E Smith. Idéal pour les soirées sixties. Hit parfait. Ces mecs-là avaient tout l’arsenal : l’énergie et les harmonies vocales. Cher reprend « Comme And Stay With Me ». Elle préfigure Chrissie Hynde. Cher est sublimement punkoïde, même si la chanson vire poppy avec des clochettes à tous les coins de rues. Cher était une vraie hargneuse. Elle connaissait tous les secrets du frisson. Mais on trouve aussi pas mal de déchets : les reprises des Fleetwoods, d’Helen Shapiro, de Dick Lory, de Brenda Lee, de Peter James et de Dobie Gray ne volent pas haut. « Carrying A Torch » par Wynona Carr vaut le détour, car c’est magistralement interprété. La valse des déchets se poursuit jusqu’à la reprise de « Splendor In The Grass » par les Boys et leur gros son gloomy, mais c’est facile, car la chanson est bonne. Les Boys sonnent comme des Byrds, mais ce sont des filles. On a là un pur joyau de Californian Hell. Fabuleuse reprise de « Should I Cry » par les Concords. Leur version est complètement dévoyée. S’ensuit un autre chef-d’œuvre, « Thank You Darling » repris par Rick Nelson, chanteur exceptionnel. Autre merveille : « Would You Come Back » par Eddie Hodges, traitée au laid-back alcoolisé du matin difficile et joliment ramassé dans le titubant. Une autre perle avec « Day Dreaming Of You » par les Fashionnettes, exercice de style admirable signé par un girl-group kitschy. C’est aux Byrds que revient l’insigne honneur de refermer le cortège avec une version exceptionnelle de « Don’t Doubt Yourself Babe » qu’ils traitent à la mode de l’apothéose. On en n’attendait pas moins des Byrds.          

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             Le volume 2 consacré à la songwriteuse vient de sortir : She Did It. The Songs Of Jackie DeShannon Volume 2. Comme le précédent, cet album dégage un petit parfum de dynamite. S’il en est une qui sait écrire des chansons, c’est bien Jackie. Les volumes Ace jettent une lumière crue sur les grands artistes. Elles sont un complément indispensable à la discographie de ces artistes, surtout dans le cas de Jackie. C’est à Dorothy Morrison que revient l’honneur de taper dans « Put A Little Love In Your Heart », un gros r’n’b monté sur la basse. Dorothy se montre digne des géantes de Stax. On retrouve un peu plus loin le grand Dave Berry et « I’ve Got My Tears To Remind Me », avec l’énergie du Swinging London. Pure merveille d’antiquaire. Brenda Lee tape dans « My Baby Likes Western Guys » et elle y va au guttural. Elle s’arrache tout, mais on salue la beauté du geste. On retrouve la grandeur des Ronettes pour « He Did It » vieux hit sixties sha-la-la-té et extrêmement juteux. Gros choc émotionnel avec Marianne Faithfull qui reprend « With You In Mind » au gothique moyenâgeux. Elle en fait même un peu trop et se prend pour Guenièvre. Par contre, les Righteous Brothers ne rigolent pas. Dans leurs pattes, « Burn On Love » devient une monstruosité, ils chauffent la tambouille et multiplient les renvois de voix au loin. Avec Jackie, on retrouve l’équation magique Spector/Righteous. Encore une merveille oubliée : « Each Time » par les Searchers. Fantastique écho. Ces mecs de Liverpool auraient mérité d’exploser comme les Beatles. Et puis on tombe sur la perle de l’album : « The Greener Side » par Tammy Grines. Véritable énormité, elle chante à la ramasse du dévolu. Pur génie. Tammy Grines est terrifiante de classe. Encore un génie avalé par l’oubli : PJ Proby. Il tape dans « The Other Side Of Town ». Il grimpe très vite dans les violonades. PJ est le roi indétrônable des stentors. Puis on tombe sur « Till You Say You’ll Be Mine » chanté par Olivia Newton John qui bénéficie d’une prod à la Spector. Incroyable mais vrai. La fête se poursuit avec « I Shook The World » par Bob B Sox & The Blue Jeans, pur r’n’b de grande cuvée, vrai hit de juke, mais ça on le savait depuis longtemps. Delaney Bramlett chante « You Have No Choice » tout seul comme un pauvre malheureux et Rita Coolidge vient nous rappeler avec « I Wanted It All » qu’elle fut l’une des grandes chanteuses américaines. Même chose avec les Carpenters et « Boat To Sail », pure merveille pop qu’il faudra bien un jour redécouvrir. C’est l’avantage des compiles bien foutues (comme les sont quasiment toutes les compiles Ace) : on voyage à travers l’histoire du rock et on fait de belles rencontres. Alors on se dit : Oh il faudra que je revienne ici. Et là !

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             Vient de paraître All The Love - The Lost Atlantic Recordings, des morceaux pilotés par Jerry Wexler et qui ne figurent pas sur les deux albums Atlantic de Jackie, Jackie et Your Baby Is A Lady. Elle attaque avec « When I’m Gone », un fantastique balladif sensible. Ne prenez pas Jackie à la légère, c’est une femme fantastique. Elle sait tenir un mid-tempo avec intégrité. Elle a autant de classe que Dylan. Elle sait driver un hit. Encore un beau balladif avec « Drift Away ». Et elle passe à la country-motion avec « All The Love That’s In You ». Elle chante un peu comme Vanessa Paradis, elle est marrante. En fait, elle cherche le petit hit de la joie et de la bonne humeur. Elle nous sort là le joli groove des jours heureux, chanté à la petite voix sucrée et c’est orchestré de main de maître, on peut faire confiance à Tom Dowd et Arif Mardin, l’A-team de Jerry Wexler. On sent aussi une fantastique aisance sur ce joli folk-rock qu’est « Grand Canyon Blues ». Avec « If You Like My Music, », Jackie fait autorité - My music ! - Elle tient à préciser les choses sur un gros fond de nappes d’orgue. On tombe plus loin sur « Spare Me A Little Of You », un fantastique balladif pulsé à coups d’acou. Puis elle reprend le fameux « Don’t Think Twice It’s Alright » de Dylan. Courage ma fille ! Tiens bon la rampe ! Jackie est très forte. S’ensuivent quatre bonus pour le moins exceptionnels : un « Sweet Sixteen » de fantastique allure, un « Flamingos Fly » d’incommensurable ampleur, un « Santa Fe » qui sonne exactement comme un groove de rêve et « The Wonder Of You » qui va ta laisser seul, définitivement seul.

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             Après le re-parution des Lost Atlantic Recordings, voici celle des Complete Capitol Recordings, une sorte de nouveau passage obligé. On y retrouve tout ce qui fait la grandeur de cette artiste, à commencer par l’immense « Stone Cold Soul », une compo signée Mark James. C’est l’époque où Jackie enregistre à Memphis, chez Chips Moman et il faut entendre cette country Soul prodigieusement inspirée. Reggie Young joue des déluges sur sa guitare et Tommy Cogbill multiplie ses triplettes de Belleville sur le manche de sa basse. On a là une pure énormité et cette folle de Jackie s’accroche au Stone à coups de yeah-eh-eh. Allez, on va dire qu’on a là la meilleure pop de tous les temps. Chips laissait entendre que ces sessions avec Jackie comptaient parmi ses préférées. Magnifique version du « Child Of Mine » signé Goffin & King. Elle chante au timbre sucré, quasi-nubile, et passe sans crier gare au timbre fêlé. Elle regorge de feeling et Reggie Young fait des prodiges sur son acou. Elle tape ensuite dans un cut d’Emmit Rhodes, « Love Till You Die » et renoue avec le génie dans « Seven Years From Yesterday », un shoot d’heavy pop de Soul of American, joué sous un certain boisseau, à la Bobbie Gentry. Elle chante sa Soul avec la foi du pâté de foi et ça donne le Memphis swamp. En réalité, elle fait ce qu’elle veut, sa voix lui permet toutes les audaces. Elle tape plus loin dans George Harrison avec « Isn’t It A Pity ». Elle reprend sa voix nubile pour clamer isn’t it a pity/ Isn’t it a shame, elle atteint des profondeurs réellement dramatiques. Le plus stupéfiant de toute cette histoire, c’est que l’ensemble des cuts enregistrés chez Chips ne vont pas plaire à Capitol. Hop, à la fosse ! Ils rejettent ce «Sweet Inspiration» pourtant signé Dan Penn & Spooner Oldham. C’est pourtant du pur Deep South genius - I need a sweet inspiration - C’est du gospel batch de Memphis, il ne manque plus que les Edwin Hawkins Singers. C’est Johnny Christopher, l’un des songwriters d’American, qui signe « Johnny Joe From California ». C’est un hit, et pourtant il finit lui aussi à la fosse. Le monde à l’envers ! D’autant qu’elle le pousse à fond. Il faut bien dire que tout est extrêmement produit, ici, Chips ne rigole pas avec l’American mood. « Now That The Desert Is Blooming » et « Sleeping With Love » sont d’authentiques modèles productivistes. Reggie Young gratte à l’arrière et c’est embarqué au big heavy Memphis sound. « Gabriel’s Mother’s Highway » est un cut d’Arlo Guthrie, elle embarque ça aux chœurs de gospel et passe à Van Morrison avec « And It Stoned Me », nouveau shoot de Memphis Sound sur le compte du Van. Chips en fait une fois encore une merveille productiviste. Mais comme tout cela ne plait pas à Capitol, elle doit enregistrer l’album Songs à Hollywood et là, ce n’est plus du tout le même son. On a quelque chose de beaucoup plus commercial. Le « West Virginia Mine » déjà enregistré à Memphis retombe sur Songs comme un soufflé. Un violon y remplace le piano de Bobby Emmons, c’est chanté au bazar de l’Hôtel de ville. Atroce. « Bad Water » sonne comme du rock US m’as-tu-vu à la Dolly Parton et dans « Ease Your Pain », Capitol balance des chœurs de gospel d’Hollywood, autant dire du Walt Disney. Ça n’a pas d’âme, pas de chien, pas de rien. L’album a tous les défauts du coup foireux : prod sèche, pas de grain, l’anti-Chips. Merci Capitol ! 

    Signé : Cazengler, Jacky Dechochotte

    Jackie DeShannon. You Won’t Forget Me. The Complete Imperial/Liberty Singles. Vol. 1. Ace 2009

    Jackie DeShannon. Come And Get Me. The Complete Imperial/Liberty Singles. Vol. 2. Ace 2011

    Jackie DeShannon. Keep Me In Mind. The Complete Imperial/Liberty Singles. Vol. 3. Ace 2012

    Break-A-Way. The Songs Of Jackie DeShannon. 1961-1967. Ace Records 2008

    She Did It. The Songs Of Jackie DeShannon Volume 2. Ace Records 2014

    Jackie DeShannon. All The Love - The Lost Atlantic Recordings. Real Gone Music 2015

    Jackie DeShannon. Stone Cold Soul - The Complete Capitol Recordings. Real Gone Music 2018

    Jackie DeShannon. Nothing Can Stop Me. Liberty Records Rareties 1960-1962. Ace Records 2024

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    Lois Wilson : Lady of the canyon. Record Collector # 558 - June 2024

     

     

    Bye Bye (Liver)birds

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             Pas le book du siècle ni le girls-group du siècle, pas non plus la compile du siècle ni les covers du siècle, mais bon, l’un dans l’autre, tu passes un bon moment avec les Liverbirds de Liverpool. Les deux survivantes du groupe, Mary McGlory (bass) & Sylvia Saunders (beurre) ont croisé leurs souvenirs pour pondre - cot cot - une autobio : The Liverbirds. Our Life In Britain’s First Female Rock’n’Roll Band. L’idéal est de croiser ces souvenirs croisés avec l’écoute d’une solide compile Big Beat des Liverbirds parue en 2010, From Merseyside To Hamburg - The Complete Star-Club Recordings.

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             La grande force du book est qu’il te ramène à l’aube de l’âge d’or du rock anglais, lorsque tout se passait à Liverpool et au Star-Club de Hambourg. Comme l’éditeur a dû leur demander d’entrer dans les détails, elles ne t’épargnent rien du contexte socio-économique du working-class system de Liverpool : les familles, les jobs des parents, l’eau courante/pas l’eau courante, les zécoles, les zozos et les zinzins des zazimuts. Mary et Sylvia sont intarissables. Ce n’est pas que tu t’ennuies, mais bon, t’es là pour le Star-Club et la Cavern. Mary s’y rend avec ses cousines Veronica et Rita, et qui-qu’elles voient sur scène ? Les Beatles ! Et t’as John Lennon qui annonce au micro : «This is another song that we wrote ourselves.» Et là Mary nous explique : «As the band ripped into ‘Please Please Me’, the audience went into a frenzy.» Alors les filles décident qu’elles veulent faire ça : jouer du rock sur scène. Elles vont trouver les Remo Four qui sont eux aussi au pied de la scène et leur demandent où ils achètent leurs instruments.

             On est en 1963. Sylvia a 16 ans. Elle se pointe chez le marchand Rushworth & Dreaper’s. Elle dit au vendeur qu’elle veut une batterie - I’d like a kit of drums - Elle flashe sur un kit noir et blanc. Le vendeur l’observe et lui demande comme elle va payer. «I’ll pay weekly.» Il lui demande son âge. Sixteen. Le mec lui dit qu’elle ne peut pas. Soit daddy soit mummy. Il lui file le formulaire. Sylvia rentre chez elle et colle le formulaire sous le nez de sa mère : «Mother, sign that.» La mère répond : «What now, Syl?». Et Syl ne se déballonne pas : «Me and Val are gonna form a group. We’re going to play rock’n’roll.» Et la mère fait : «Oh, all right.» T’es à Liverpool, amigo, chez des gens éclairés.

             Val, c’est Valerie Gell, la guitariste qui a cassé sa pipe en bois en 2016. L’autre guitariste, la blonde Pamela Birch a aussi cassé sa pipe en bois en 2009. Des quatre, Val est la plus douée : elle peut jouer les cuts des Shadows et le «Peter Gunn» de Mancini. Le groupe devait s’appeler les Squaws, puis elles ont choisi les Liverbirds qui sont des oiseaux d’acier fixés sur un bâtiment du front de mer. La légende dit que si les Liverbirds s’envolaient un jour, Liverpool disparaîtrait.

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             En 1963, tous les kids de Liverpool veulent monter des groupes. Le succès des Beatles fait des ravages dans toutes les couches de la société, surtout chez les plus pauvres - Même si vous veniez d’un milieu pauvre, vous pouviez avoir un vie différente - Elles bossent tant et si bien qu’elle finissant par jouer six fois à la Cavern. Elles n’aiment pas Lennon qui est un provocateur : il affirme que les filles ne savent pas jouer de guitare. John Wiggins, le copain de Sylvia, a un jour collé Lennon au mur parce qu’il avait été trop insultant. T’apprends des tas de petites choses comme celle-ci. Le regard des filles sur les Beatles est extrêmement intéressant.

             Mary doit lâcher son boulet chez Hunters, une usine à viande froide. Elle n’a pas le courage d’aller annoncer sa démission, aussi envoie-t-elle son père. Son père revient et lui annonce qu’elle a fait une grosse connerie, parce que le boss a dit qu’elle avait un bel avenir dans la viande froide. Mary est sciée : «A big future in cold meats?».

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             En novembre 1963, elles jouent au Co-op Ballroom de Nuneaton avec des débutants, les Rolling Stones. Le Jag a 20 piges. Les gosses bombardent la scène de petits pains fourrés à la crème. Les Stones parviennent à éviter les missiles, sauf Charlie coincé derrière sa batterie. Mary dit qu’il finit le show couvert de crème. C’est moins pire que d’être couvert de glaviots, after all.  Et grâce aux Stones, les Liverbirds passent de la Beatlemania à un son plus raunchy - a grittier, bluesy direction - Elles vont vraiment commencer à taper dans Bo et dans Chucky Chuckah. Elles jouent aussi au Club a’Gogo de Newcastle, dont les stars locales sont les Animals, pareil, avec du gritty plein les pattes. En février 1964, elles jouent avec un «new band called the Kinks». C’est Ray qui leur dit que Sheila, la cousine de Mary, n’est pas bonne, et il leur présente Pam, «wearing a black cap, striped jacket and Chelsea boots.» Pam la blonde, qui flirte avec Ray Davies, et qui remplace Sheila. Les Loverbirds sont enfin au complet : Sylvia, Mary, Val & Pam. Elles peuvent partir à la conquête du Star-Club.

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    ( Assis à son bureau Manfred Weissleder)

             Elles partent à Hambourg au moment où Brian Epstein s’intéresse à elles. Trop tard. Elles sont déjà dans le bateau. Pareil, Larry Page qui s’occupe des Kinks leur fait aussi une offre qu’elles déclinent. C’est le boss du Star-Club, Manfred Weissleder, qui va s’occuper d’elles.

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             Et là, on entre dans l’un des endroits les plus mythiques de l’histoire du rock. Sylvia et Mary regorgent de détails fascinants sur le Star-Club. Elles nous apprennent que les barmaids sont les stars du Star-Club. Si elles t’ont à la bonne, ça va marcher. Dans le cas contraire, tu peux renter en Angleterre. Si elles aiment un groupe, elles allument les lampions au-dessus du bar. Le premier soir, les Liverbirds se retrouvent sur scène devant 2 000 personnes ! C’est énorme ! Alors, elles mettent le paquet - It was like something ignited and the audience went wild - Comme à Liverpool. Ça explose dans la salle. Elles démarrent avec «Road Runner». Mary et Pam courent sur scène en jouant - Pam looked like a big glamourous cavewoman.

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             Tu retrouves ce «Road Runner» sur la compile. La cover est tout simplement fabuleuse, le son est sec et Sylvia bat un beurre terrific.

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    (Klauss Woorman en 2018)

             Et le sexe dans tout ça ? Sylvia est la première à en parler : «Même si Mary et moi avions fait le vœu de rester vierges jusqu’au mariage, on a vite changé d’idée et je fus la première à craquer. En décembre 1964, j’étais au pieu avec Klaus Voorman, my first love.»

             En matière de girl-bands, les seules concurrentes sont Goldie & The Gingerbreads, des Américaines. Elles sont restées un mois au Star-Club, en attendant leurs visas pour l’Angleterre, où elles étaient invitées par les Stones et les Animals qui les avaient vues à New York dans une party chez Warhol pour la superstar fashion icon Baby Jane Holzer. Mary indique cependant que Goldie & The Gingerbreads avaient un son trop «bombastic power pop» pour le Star-Club qui en pinçait plus pour le rock’n’roll. Les Allemands préféraient les Liverbirds.

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             C’est Manfred qui les emmène en studio enregistrer leur premier album. Il a monté son label pour promouvoir les groupes qu’il programme sur scène. L’album des Liverbirds (Star-Club Show 4) est le quatrième, après les Searchers, les Rattles et Lee Curtis & The All-Stars. Elles démarrent avec un premier single, une cover du «Shop Around» de Smokey, qu’on retrouve bien sûr sur la compile Big Beat. Elles tapent là dans l’œil du cyclope et y ramènent toute l’énergie des Pirates - Oh yeah you’d better shop around/ Yeah - Leur deuxième single est un gros clin d’œil à Bo, «Diddley Daddy», qu’elles font bien rampant - Yeah Bo Diddley/ He’s a gun slinger/ He rides again - Tu retrouves tous les cuts de Star-Club Show 4 sur la compile, à commencer par ce «Talking About You» de fantastique allure, avec du Merseybeat clair et net et sans bavure, et un fabuleux solo de clairette. Fantastique cover de «You Can’t Judge A Book By Looking At The Cover» : niaque incroyable, bassmatic dynamique à l’anglaise, et Pam au let’s go yeah ! Leur «Johnny B Goode» est assez imbattable, énergie du diable et section rythmique stupéfiante.

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             Leur deuxième album, More Of The Liverbirds, est encore plus impressionnant, car elles tapent dans des hits superbes : «For Your Love» des Yardbirds (belle crise de craze), «Around & Around» (irréprochable), «Peanut Butter» de Chubby Checker, hey c’mon now !, «Oh No Not My Baby» de Goffin & King (cover gorgée de feeling), «Heatwave» (elles font bien Martha), «Long Tall Shorty» de Don Covay (wild sound, ça vaut largement les Milkshakes), «He’s About A Mover» de Doug Sahm (en plein dans l’œil du cyclope texan), et puis tu croises aussi sur la compile une cover de «Before You Accuse Me», où elles sonnent comme des Américaines, avec tout le chien de Liverpool - Before you accuse me/ Take a look at yourself - Et si tu adores Bo, alors tu vas te régaler de «Bo Diddley Is A Lover». ça vaut tout Lord Rochester. Yeah yeah Pam Birch !

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             Sylvia couche aussi avec Bob Garner, qui joue avec Tony Sheridan et qui ira ensuite rejoindre les Creation. Elle aime bien Bob, mais comme elle dit, ils sont, elle et lui, so busy touring it didn’t last. Les Liverbirds se mettent à tourner dans l’Europe entière et deviennent des big stars. Elles sont au hit-parade allemand avec «Diddley Daddy» et «Peanut Butter». Pam la blonde chante tout ça merveilleusement. C’est aussi elle, nous dit Sylvia, qui insiste pour taper une cover d’«Heatwave». C’est encore l’époque où on a le droit de conduire bourré sur la route, et Johnny Kidd, nous dit Sylvia, aimait boire un coup et prendre le volant. Bing ! Car crash sur la route.  Johnny Kidd était une star énorme au Star-Club.

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             Elles voient aussi Jimi Hendrix jouer au Star-Club trois soirs de duite. Elles sentent que le son change, «moving from beat pop to psychedelic sounds.» Le rideau se lève sur un Jimi qui claque le premier accord de «Foxy Lady». C’est aussi le big time pour les drugs. Mary en voit à gogo backstage, des amphètes qui ne coûtent rien ou presque, «known as the Preludin and Captagon» et qu’on va surnommer les «Prellies», que les Stones appelaient aussi «Mother’s Little Helper». Elles retrouvent d’ailleurs les Stones à Dortmund, elles sont au bar de l’hôtel et Brian Jones qui arrive demande à Pam si elle a de la coke. C’est la tournée Between The Buttons. Pour Mary, ce souvenir est important, car c’est la dernière fois qu’elle voit Brian Jones vivant.

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             Puis le groupe va entamer son déclin. Il ne reste plus que Pam et Mary dans les Liverbirds quand elles partent au Japon. Chris et Dixie ont remplacé Val et Sylvia. Le dernier concert des Liverbirds a lieu en août 1968. Sylvia se souvient que les Liverbirds sont arrivées à Hambourg en 1964. Elles ne devaient rester que six semaines et elles sont restées quatre ans, pendant lesquels elles ont enregistré deux albums et fréquenté Chucky Chuckah, Jimi Hendrix, Johnny Kidd, the Remo Four, the Big Six, testé les drogues et le sexe. Quatre ans de paradis. Le Star-Club qui avait ouvert ses portes en 1962 les fermera 14 mois après la fin des Liverbirds, au jour de l’an 1969, «the very last day of the sixties.» Comme Sam Phillips et d’autres géants avant lui, Manfred Weissleder «had lost interest».

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             Bon alors, après, les Liverbirds font des gosses, enfin, celles qui sont mariées. Puis elles se reforment et on les qualifie d’«original punks». Elles participent à la Big Beat Party, à Hambourg, avec Gerry & The Peacemakers, les Troggs, Dave Dee Dozy Beaky Mick & Titch, Ian & The Zodiacs, Lee Curtis, les Pirates sans Johnny Kidd et Screaming Lord Sutch. C’est la formation originale des Liverbirds qui déboule sur scène, Val, Pam, Sylvia et Mary, avec Barbara pour filer un coup de main sur les solos.

             Puis Pam qui a toujours fumé 40 Dunhills par jour chope un petit cancer et casse sa pipe en bois au moment où on lui enlève un poumon. Val va ensuite valdinguer dans les décors. It’s only rock’n’roll. 

    Signé : Cazengler, livide bird

    Mary McGlory & Sylvia Saunders. The Liverbirds. Our Life In Britain’s First Female Rock’n’Roll Band. Faber & Faber 2024

    The Liverbirds. From Merseyside To Hamburg - The Complete Star-Club Recordings. Big Beat 2010

     

     

    Inside the goldmine

     - Quelle Clark !

             Baby Click dansait tout le temps. Même quand il n’y avait pas de musique, elle papotait en se dandinant d’un pied sur l’autre et en hochant la tête sur un rythme qu’elle était la seule à entendre. Au début, ça t’épatait, tu enviais son feeling. Wouah Baby Click tu danses le jerk au Palladium ! De toute évidence, elle était restée ancrée dans les sixties. En plein trip Teenie Weenie Boppie ! Ses fringues, ses expressions, ses sourires, ses enthousiasmes, sa ligne, tout était sixties. Pas un poil de graisse. Une vraie jerkeuse. Un corps magnifique. Pour elle, la vie consistait à jerker. Jamais un mot sur son histoire sentimentale. Rien sur son parcours professionnel. Devenue retraitée, elle était restée incroyablement désirable. Quelques mecs lui tournaient encore autour, mais ça la faisait rire de bon cœur, et hop, elle se mettait à danser et à claquer des doigts. Elle adorait quasiment tout : la Soul, le funk, le garage quand il était dansant, la pop, bien sûr, on l’a aussi vue danser sur des trucs compliqués, mais elle avait cette facilité qui lui permettait d’adapter les mouvements de ses jambes et de ses hanches à toutes sortes de déboires rythmiques, et plus tu la voyais hocher la tête sur le beat, plus tu l’admirais. Admirer une femme, c’est une façon déguisée de la désirer. Mais tu savais bien au fond que ça n’irait pas plus loin. Pourtant, c’est toujours elle qui revenait à la charge, qui proposait des plans, des voyages et des soirées, elle restait à l’affût de tout ce qui pouvait être intéressant, elle multipliait des situations de proximité, les bises d’adieu dans les parkings étaient parfois tendancieuses, et elle accepta même un jour de venir boire un verre à la maison au retour d’un trip parisien, mais au moment de basculer dans l’irréparable, elle demanda à écouter des choses qu’elle aimait à la folie, «T’as pas Sam & Dave ?». Alors on sortait le stock de Stax et ça repartait pour une heure ou deux de jerk endiablé, elle tombait la veste et jerkait toute seule jusqu’à l’aube. Puis elle te remerciait pour cette excellente soirée, faisant bien sonner l’«excellente», et rentrait chez elle. Une heure plus tard, tu recevais un SMS te disant qu’elle était bien rentrée, qu’elle avait passé une excellente soirée et qu’elle avait hâte de récidiver. De toutes les allumeuses connues au bataillon, Baby Click était sans conteste la plus merveilleuse.

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             C’est une façon comme une autre de prendre ses Click et ses Clark. Autant Baby Click est brune, autant Chris Clark est blonde. Alors on prend ses Clark mais pas ses Click, et on file chez Motown. Quoi ? Une blonde chez Motown ? Ça par exemple ! Eh oui, Chris Clark s’est pointée un beau jour de 1963 dans le bureau de Berry Gordy et lui a chanté on the spot une tonitruante mouture d’«All I Could Do Was Cry» d’Etta James. Troublé, Gordy l’a gardée. Mais avant d’essayer d’en faire une star, il va lui demander de bosser deux ans à la réception.

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             Quelques singles sur VIP et boom premier album sur Motown en 1967, l’excellent Soul Sounds. Il faut la voir taper «Love’s Gone Bad», un hit signé HDH, elle est dans le bain jusqu’au cou, wild as Motown fuck ! Elle tape plus loin dans l’«If You Should Walk Away» de Frank Wilson, elle te le drive dans les règles, pas de problème. Elle finit ce brillant balda avec une cover de «Got To Get You Into My Life», elle pique sa crise de Beatlemania à la belle attaque, mais elle n’a pas le raunch de McCartney. En B, elle tape dans Smokey avec «From Head To Toe», elle a tout, les clap-hands et la classe qui va avec. Dernier smash de l’album, un «Until You Love Someone» signé HDH. C’est tout de suite happy comme pas deux - You can’t be happy/ Until you love someone - Ah elle y va, la White Negress, comme on la surnomme en Angleterre.

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             Son deuxième album s’appelle CC Rides Again et sort en 1969 sur le label rock de Deke Richards, un jeune producteur blanc signé par Berry Gordy. Au dos, elle est grimpée sur un éléphant, une idée de Deke Richards. C’est un album de covers, dont la plus spectaculaire est celle d’«You’ve Made Me So Very Happy», l’hit de Brenda Holloway. Chris Clark n’a pas la niaque de Brenda, mais elle attaque au mieux de sa voix blanche de blanche - You treated me so kind - C’est sans doute l’une des plus belles chansons d’amour de tous les temps, avec celles de Piaf et d’Esther Phillips - I’m so glad you/ Came into my life - Et elle tartine avec passion - Thank you babe - Elle explose de bonheur. C’est le sommet du genre. Elle fait aussi une petite cover de «Spinning Wheel», elle n’a pas la niaque de David Clayton Thomas, mais elle s’y frotte bien, avec son bon feeling de blanche noircie. Et puis voilà la chanson magique, co-signée par Deke Richards et l’arrangeur Van De Pitte : «How About You». Chris Clark épouse la magie pop - Baby I love you/ How about you - C’est quasiment du Burt. Elle se vautre lamentablement avec «With A Little Help From My Friends», elle en fait de la petite pop, dommage, mais elle fait du «One» de Nilsson un jerk de fantastique allure. Elle écrase bien son champignon. Elle se frotte à ses risques et périls à l’«In The Ghetto» et tape son «Get Back» dans le fond de la casserole.  

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             Le petit conseil qu’on pourrait donner aux fans de Chris Clark serait de rapatrier The Motown Collection : on y trouve les deux albums Motown pré-cités, et une montagne de cuts inédits. Encore une fois, on saute en l’air quand on découvre la qualité d’inédits comme «Ask My Girl». Quoi ? C’est un véritable coup de génie pop groové chez Motown et signé HDH. C’est incompréhensible qu’un tel smash soit resté dans un tiroir. Et attends, c’est le premier d’une série de 25. Le compileur en a rempli un CD entier. Encore un pur hit Motown avec «Everything’s Good About You». Du HDH encore avec «Take Me In Your Arms (Rock A Little While)» et voilà un hit signé Mickey Stevenson, «In The Neighbourhood». C’est une blondasse qui te claque le beignet de Motown. Ambiance «Something To Remember» (Ray Charles) avec «I Just Can’t Forget Him», et elle repart à l’assaut des charts avec «If You Let Me Baby», tout est bon, sur ce CD d’inédits, Chris Clark finit par sonner comme une black, elle chante parfois d’une voix fêlée et joue un peu avec le feu, elle n’est jamais très loin de la vérité. Et pouf, voilà qu’elle tape «Crying In The Chapel», elle se prélasse dans l’excellence de la chapelle. Plus loin, elle défonce encore la rondelle des annales avec un «He’s Good For Me» bombardé au bassmatic Motown. Chris Clark monte sur tous les coups. «Bad Seed» et «Something’s Wrong» t’envoient directement au tapis, elle y va au wild r’n’b d’I got to lose. Elle bascule à n’en plus finir dans le génie r’n’b. Tout est alarmant de véracité, ici. Elle excelle, cut après cut. Une vraie sinécure. C’est tout de même dingue que Chris Clark ne soit pas devenue superstar ! On s’en étonnera encore dans 10 000 ans. 

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    Signé : Cazengler, Chris Clown

    Chris Clark. Soul Sounds. Motown 1967

    Chris Clark. CC Rides Again. Weed 1969 

    Chris Clark. The Motown Collection. Motown 2005

     

     

     

     

    *

    La teuf-teuf roule dans la nuit. Mais elle possède deux phares lumineux pour se guider, alors que moi les neurones de mon esprit pataugent dans la plus profonde des pénombres. Tout cela par la faute de Béatrice la patronne et son incroyable affiche, d’où a-t-elle sorti ce groupe au nom impossible, cela demande quelques éclaircissements, jugez-en par vous-même :

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    BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ & GUEST

    3 B / Troyes / 02 – 11 - 2024

            Pas grand-monde, j’arrive de bonne heure, la salle se remplit doucement mais sûrement, la curiosité du public est en attente, à première vue, un groupe de rockabilly comme les autres, la contrebasse, la batterie, et la guitare en témoignent, avec en plus, goutte d’eau qui fait déborder le vase, ce saxophone argenté sur son perchoir. Les quatre musiciens apparaissent, pas de panique, l’on va tout savoir.

    PREMIER SET

             Paniquons, pour du rockabilly c’est rudement fort, mais tellement bon. Un mur d’airain infranchissable. La guitare de Benny, d’habitude c’est lui qui règle (à merveille) le son des groupes qui passent au 3 B, est implacable, sèche, dure, genre no prisonners, derrière lui la baratte qui n’en rate pas une ne vous laisse aucune chance, quant à la up-right elle n’est pas à l’unisson, elle ne joue pas, elle pousse au crime. Jusque-là tout serait parfait. Mais nous allons vite apprendre qu’il existe un stade supérieur à la perfection. L’axe du mal existe, c’est le sax. Ce n’est pas un sax, c’est un sabre d’abordage, l’est le premier à se jeter sur l’ennemi, avez-vous déjà entendu un sax mugir avec cette force, mille cerfs en rut qui brament, il rauque et il rocke au-dessus de la normale, de l’anormal, dix mille gouttières de zinc qui s’effondrent, ce n’est pas l’appel de la forêt, c‘est le scalpel du diable, une tonitruance gargantuesque, un tel déluge sonique surhumain ne serait-il pas dû au changement climatique, la Bible s’est trompée, ce n’est pas la trompette du jugement dernier, c’est le saxophone de la mort irrémédiable pour tout le monde. En tout cas l’on adore et ce quatuor fastueux aussi, puisqu’ils enchaînent derechef un autre instrumental.

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             Je l’ai remarquée dès que j’ai eu franchi le seuil, dans sa robe noire, chevelure rousse et visage impassible, elle m’a tout de suite rappelé la sombre silhouette de Moïra, la moire noire du Destin, sur la couverture d’un ancien livre de poche du roman éponyme de Julien Green, et là tout s’éclaire, en quelques mots Benny nous met au parfum pour ce premier set ils accompagneront, c’est ici que l’identité du guest est enfin révélée : Mary. Apparemment Mary n’a peur de rien, elle se pose tout tranquillou devant le micro en avant de nos quatre gladiateurs surphoniques comme s’ils étaient un orchestre à cordes de musique de chambre.

             Ne sont pas des mufles mais ils ne mettent pas de pantoufles à leurs instrus, un peu  moins de clinquanteries mais un son si épais que nul couteau ne saurait couper. Ambiances sixties, privilégiez le rumble au slow frotti-frotta langoureux. Vous pensez que Mary va poser sa voix sur ce magma de feu. Point du tout, elle impose son vocal avec une facilité déconcertante, sans forcer, sans peine, cette aisance incroyable tient à la densité de ses émotions et de la passion qu’elle porte aux titres qu’elle interprète, on la sent habitée d’une ferveur secrète mais palpable, elle ne chante pas, elle voue un culte à ce répertoire fondateur. Pas de simagrées, elle ne cherche pas à amadouer le public, c’est à prendre ou à laisser. Et le public du 3 B, qui s’y connaît un tantinet, n’en laisse pas une miette, chaque morceau est ponctué de longs applaudissements et de vifs vivats. Elle s’en ira comme elle est venue, avec une simplicité, une humilité de diva qui a accompli sa tâche, qui s’est acquittée d’une dette envers la musique qu’elle aime.

             Les cadors du quatuor reprennent les rênes pour deux ou trois morceaux. Je ne m’attarderai pas, nous revenons longuement sur eux pour le set suivant. Par contre je vous demanderai avec la plus grande insistance d’interdire à vos enfants la lecture du paragraphe suivant.

    DEUXIEME SET

             Benny est revenu le premier. Il s’empare de sa guitare et s’évertue de répéter inlassablement une même note, une manière, pensions-nous naïvement, de rappeler au turbin ses trois copains attardés derrière le rideau des coulisses. Ils arrivent sans se presser et s’affairent en toute quiétude autour de leurs instruments.

             Le grand avec sa verte argentée et son saxo c’est Grant Seeflay, pas du genre à siffler la fin se la partie au plus vite, le mec assis au fond avec sa veste noire et son col blanc n’a pas l’air méchant se prénomme tout de même Terric ( vous êtes prévenu), accoudé sur sa contrebasse il porte le surnom d’un amie de Fantômette : Fi-Cell, z’oui mais c’est peut-être la corde pour vous pendre, bon ça y est ils rejoignent Benny de Jongh qui répète inlassablement la même note, attention, de plus en plus stridente, et les trois autres vous pondent en douceur et profondeur une purée de poix phonique des plus inquiétantes, l’ambiance se tend, si l’on y réfléchit un tant soit peu c’est un tantinet étrange, l’on se croirait dans un château en Ecosse perdu sur ce promontoire brumeux, près du lock Ness, les notes effilées comme un poignard maltais de Benny ressemblent de plus en plus à ce glas terrifiant qui résonne dans Le Mystère de Cloomber de Conan Doyle, c’est alors que l’Innommable se produit, une voix, non un borborygme dégoûtant d’Oran Outang dérangé surgit de nulle part, une espèce de grondement issu du gosier d’un lion préhistorique,  à mes côtés Jerry, mais oui vous connaissez le saxophoniste des Monarchs que nous avons vus au 3 B il n’y a pas si longtemps, ses yeux comme les miens, se portent sur les musicos, z’ont tous la boucle close et à des kilomètres du micro, en tout cas le monstre invisible insiste, sans doute un chat monstrueux de quinze mètres de haut, devant la peur d’une de ses petites filles une maman décide de rapatrier toute sa nichée à l’autre bout du café, elle n’a pas tort, c’est un truc à rattraper une jaunisse, d’autant plus qu’il semble s’instaurer une course entre les musicos et cette voix hideuse d’outre-tombe, ils ont beau augmenter le son, la bête immonde les couvre de ses tonitruances vomitoires, pire elle se rapproche, maintenant elle est tout près, les yeux de l’assistance se fixent sur le bas du rideau des coulisses, ils remuent salement, la bête nuisible et gévaudanique sort, elle se porte à quatre pattes sur le devant de la scène, je le reconnais c’était le mec à mes côtés qui mirait la prestation de Mary, l’a enfoncé le micro dans sa bouche, l’émet des barrissements d’éléphant en colère, il se relève, retire le micro de ses amygdales, et sourit à la foule. Ouf nous l’avons échappé belle. C’est donc lui Bee Dee Kay.

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             Intro fabuleuse, Jerry qui a vu des centaines de concert me confie à l’oreille, qu’il n’a jamais vu une telle entrée en matière. Digne d’Hasil Adkins, de  Screamin’ Jay Hawkins, de Lord Sutch, de tous les embrochés de la cafetière du rock’n’roll. Maintenant que le prologue est terminé si vous croyez que vous allez redescendre vers le rockabilly carré et sans bavure comme le buffet que votre grand-mère astique toutes les semaines, vous êtes dans l’erreur. Ce n’est plus du rockabilly, ce n’est pas du rock’n’roll, c’est la folie du rockabilly et la fureur du rock’n’roll. De l’after-rockak, de l’after-rock, nos quatre mousquetaires instrumentaux ne jouent pas, et Bee Dee Kay ne chante pas. Ils miment. Ne criez pas parodie, contentez-vous du paradis. Ils connaissent tous les plans à merveille, ils vous édifient des palais sonores hallucinatoires,  Dee Bee s’amuse, vous a des poses pharamineuses, une seconde il est John Kay et à la suivante David Bowie, le mâle et l’androgyne, la brute et le truand, il n’est pas le bon parce qu’il le meilleur, le voici Elvis et Gene Vincent, ce coup-ci il se vautre sur le comptoir tel un Lux Interior, chacun y aura reconnu ses propres figures tutélaires du rock’n’roll, vous vous croyez en plein délire, et plaf un geste, et tout s’écroule, Terric d’un seul break envoie en éclats the wall of sound, Fi-Cell s’introduit dans la brèche tel un bulldozer, le saxo de Grand Seeflay tousse comme un tuberculeux, la guitare de Benny se transforme en lance-flammes pour réduire en cendres les derniers déchets, l’on est au cœur de catastrophe, à un millimètre de l’anéantissement, et hop ça repart comme en quarante, comme si de rien n’était, quelle maîtrise, quelle virtuosité. Ah le sourire d’enfant de Bee Dee ! ce grand gaillard aux tempes argentées, il batifole, il s’amuse comme un gosse qui casse son train électrique pour le transformer en soucoupe volante U.F.O. ZZZ, nous transporte sur une autre planète, celle du rock’n’roll, la vraie, la délirante, la fracassante, l’upercutante, celle de l’éternelle jeunesse du débordement vital.

    TROISIEME SET

             Malgré l’heure tardive, nous aurons droit à un troisième set. Pas très long, le temps de revoir Mary nous offrant deux magistrale versions de Jezebel, et Funnel of love, le group prend son envol mais au troisième morceau Béatrice la patronne nous rappelle que sur la planète terre toutes les choses ont une fin. Hélas, les meilleures aussi.

             Lot de consolation j’ai récupéré leur unique 45 tours, nous reparlerons de Bee Dee Kay Drives the U.F.O. ZZZ dès la semaine prochaine !

    Damie Chad.

     

     

    *

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             Depuis combien de temps suivons-nous Ashen ? Depuis toujours. Je ne vous donnerai pas de date, pour une fois vous serez privés de récapitulatifs. Il y a des groupes qui touchent à l’intemporel. Non pas parce qu’ils se prévalent d’obscurs mythes originels ou qu’ils s’en aillent cogner dans les obscures contrées du futur morturial dans le but inavoué que l’on puisse prendre connaissance de l’écho morcelé de leur choc intrusif dans l’inconnaissable, simplement parce qu’ils s’inscrivent dans le présent de la présence du monde dans lequel ils vivent, ou pour être plus exact, dans lequel ils tentent de survivre.

    SACRIFICE

    ASHEN (feat. ten56)

    (Out Of Line Music / Official Visualizer / Juin 2024)

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    Pour une fois nous n’avons pas droit à une de ces vidéos mystérieusement attirantes et déchirantes auxquelles le groupe nous a habitués. Pour autant l’on ne nous a pas jeté un os sans viande en pâture, nous offrent un riche faisceau de symboles qui nous inclinent à de clivantes rêveries.

    Un rouge que d’instinct l’on n’aime pas. Rouge cœur de taureau immolé en hécatombe sur l’autel propitiatoire. Les Dieux ont-ils accepté le sacrifice ? Sur ce fond voici un œuf. Un rouge éclatant. Triomphal. Ne serait-ce ces nervures cramoisies dont il est parcouru on reconnaîtrait en lui l’œuf d’Eros originel de la plus vielle mythologie grecque. Les lyrics qui apparaissent nous interdisent cette appropriation. C’est un œuf, certes, mais plein de son trop-plein, prêt à éclater. Ici il n’est point question d’ovule générationnelle, c’est œuf est une tête. Trop pleine, trop peine, prête à exploser. Cet œuf n’est pas neuf, il est mûr, il est arrivé à maturité, à son immaturité. C’est l’œuf de la folie, souvent il reste en nous stérile, il ne donne naissance à aucune créature, on l’oublie, on ignore qu’il repose dans le lit douillet de notre cervelle, dans laquelle éclosent nos pensées les plus sublimes. Il tourne sur lui-même dans son coquetier de bois, comme s’il était fier de lui, il nous dévoile toute son ovoïdité, comme si nous n’avions d’autres tâches à effectuer, si ce n’est de l’admirer.

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    Sans préavis, un deuxième symbole. La forme d’un avion furtif, une flèche d’indien, à moins que ce ne soit le trait empoisonné de Zénon d’Elée qui ne parvient jamais à sa cible, presque rassurant puisqu’il n’atteindra jamais la mort dont il ne nous transpercera pas, mais alors quelle est sa cible, à ce poignard effilé, à cette épée d’obsidienne, à ce sabre de samouraï destiné à porter le fatal coup du seppuku létal, lui aussi tourne sur lui-même, tel un missile qui cherche sa proie et s’obstine à calculer l’angle de la plus forte nuisance.

    Un troisième objet, à croire que l’on scrute les vitrines d’un musée. Celui-ci possède un piédestal de marbre sur lequel est ancré un avant-bras couronné d’une main, paume ouverte, levée vers le ciel, arborant à son poignet un collier de perles de bois. Entre ses doigts elle tient un objet, elle tourne sur elle-même, il est difficile de se le représenter, serait-ce dans le cercle de fer forgé la silhouette d’un cheval, qui porterait un cavalier, de petite taille, serait-ce Alexandre le Conquérant sur Bucéphale, non plutôt le cheval noir de l’attelage platonicien de notre intelligence,  la monture rétive qui refuse de marcher droit, qui cherche à nous faire dérailler, certes nous ne sommes pas un train, mais notre esprit est censé suivre les rails du logos … même si parfois en toute inconscience nous piquons droit vers la folie.

    Voilà, nous n’en verrons pas davantage. Nos trois symboles reviennent. Ne sont pas des marionnettes qui font trois petits tours et s’en vont, tournoient lentement d’une manière prémonitoirement menaçante, est-ce que le cheval d’orgueil  que nous avons aperçu une première fois fut une illusion d’optique, car maintenant nous reconnaissons entre les doigts un des cinq sigils affichés tout en haut de l’écran, seraient-ils appropriés aux cinq membres du groupe…

    Damie, si tu nous parlais un peu du son et de la song, c’est tout de même un peu important en musique, écoutez l’on raconte que lorsque Attila est sorti du ventre maternel, dans son poing fermé il tenait un caillot de sang, eh bien les gars ce morceau ressemble à ce caillot de sang que le fléau de Dieu avait arraché en passant aux entrailles de sa mère, il palpite, l’on sent que rien ne pourra arrêter son rythme insatiable, une barbaque qui refuse de s’éteindre, à cette différence près, ce n’est pas de la viande qui bat mais de la folie, de la folie pure.  

    Admirez la prouesse vocale de Clem, il ne chante pas, s’échappe de lui un gargouillement hideux de souffrance mentale, vous y croyez, vous le voyez recroquevillé sur lui-même, refermé en ses pensées délirantes comme une huitre schizophrène qui tenterait à tout prix de s’enfuir de sa coquille, il veut tout et n’importe quoi, le royaume souverain de sa solitude et le désir de s’exiler de lui-même auprès des autres qui le rejettent, à moins que ce ne soit lui qui  les expulse hors de sa misérable sphère d’appropriation du monde dont il refuse la présence. Quant à la musique vous ne l’entendez même pas, comment Ashen est-il parvenu à établir cette osmose visqueuse indissoluble entre vocal et instrumentation, à tel point que la musique chante et que la voix joue.  Salmigondis indiscernable, hachis indubitable, purée inépuisable, mais dès que ce bruit gloutouneux entre dans vos oreilles, il se transforme en nectar ouïtisque, il se produit une alchimie auditive qui métamorphose les stridences de la folie, les vacarmes expectorés par une âme malade, les ramonages hallucinatoires, en le chant des sirènes dont seuls de rares héros  homériques eurent  jouissance…

    Ne croyez pas vous en tirer à si bon compte, ce mal-être exprimé par Ashen ne vous concerne peut-être pas, mais il vous donne un aperçu de ce qui se passe dans la tête de la génération actuelle qui entre dans l’âge adulte. Le monde qui les attend est kaotique. Ils en ont la prescience, ils en expriment la dureté imminente, trop courageux pour refuser le suicide, il ne leur reste que cette notion d’auto-sacrifice qu’ils acceptent car ils ne veulent pas endosser le rôle de victimes sacrifiées. Le monde est fou, mais le seul refuge qui leur soit encore accessible, le dernier rempart dérélictoire qu’ils peuvent lui opposer s’avère être leur propre folie.

    Très fort.

    Damie Chad.

    *

    Encore un groupe que nous suivons depuis longtemps. En octobre 2022 nous avions regardé leur vidéo Unforgotten, en février 2023 ce fut le tour d’Eternal suivi d’Another Day au mois de septembre, voici le tour de :

     ACROSS THE DIVIDE

    AWAY

    (Avalone Studio / Août 2024)

    Rendons à César les lauriers qui lui reviennent. Alexandre Lhéritier est le responsable d’Avalone Studio, il s’est chargé de l’enregistrement du morceau.

    Pour les images il nous est spécifié : IA generated vidéo. Sans plus. Il serait intéressant de savoir quelle part de liberté l’Intelligence Humaine aura laissée à l’Intelligence Artificielle. A moins qu’il ne faille inverser les termes de la question.

    Le résultat est là : de belles images. Elles n’illustrent pas vraiment les paroles du morceau. Elles lui apportent même un plus que je qualifierai d’interprétation écologique du texte. A croire que le poids des mots est moins fort que le choc des images.

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    L’Intelligence Artificielle ne crée pas, elle produit. Entre nous, parmi les écrivains : peu créent et beaucoup produisent. Nous retrouvons le même pourcentage différentiel chez les peintres. Les premières soixante secondes sont splendides, vous ne savez pas où vous trouvez exactement, sont-ce des illustrations anglaises d’un livre d’enfants, sont-ce des images inspirées par les photos de la forêt de Mortefontaine chère à Gérard de Nerval, ou par des scènes du Seigneur des Anneaux, en tout cas notre Intelligence Artificielle connaît les bois de Watteau et toute la période romantique de la peinture occidentale… Nous aurions aimé qu’elle nous donne un aperçu de la manière dont nos descendants représenteront les arbres en l’an, barrez au choix la partie du mot qui ne vous convient pas, de dis/grâce 2524… Toutefois aurions-nous su entrevoir le futur en cette curiosité éloignée. Tout comme l’IA, nous procédons mais nous ne précédons pas.

    Que nous conte la chanson ?  Une histoire banale. Celle de tout le monde. Du gars qui aimerait être ailleurs. Non pas aux Amériques, de lui-même, de sa vie étriquée, de son impuissance à être ce qu’il voudrait être, libre et supérieur, non pas aux autres mais à lui-même. Beaucoup d’espoir, beaucoup de rêve, mais encore davantage de doute et de peur… il aimerait que quelqu’un le rejoigne mais il ne possède rien… A la vue des images en nous armant de cynisme nous demanderions s’il vit dans les bois…

    Des colères, des remontrances, des encouragements, les voix se succèdent, se répondent, s’entraident, se poussent en avant en un très bel oratorio. Symphonie vocale qui se marie magnifiquement au vert sombre des houppes, aux éclairs de feu orangé, aux instants impulsifs de notre vie ne sommes-nous pas des incendies dévastateurs sous les frondaisons de nos chairs intérieures. Tout homme n’est-il pas une forêt première qui brûle ?

    J’aurais aimé écrire le contraire, parce que la maudite technique bla-bla-bla, parce que la singulière grandeur de l’Homme bla-bla-bla, parce que bla-bla-bla, je vous donne trois heures et je ramasse les copies, mais non je dois le reconnaître, ici les images artificielles, les paroles et les musiques humaines se confortent mutuellement, elles s’allument de reflets réciproques, elles se chargent de mystères et s’interpénètrent de telles manières que seules et séparées elle perdraient de leur force persuasive et de leur aura magique.

    Across the divide nous surprend toujours.

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    Damie Chad.

     

    *

             Les choses ne sont jamais difficiles. Certaines d’entre elles s’avèrent subtiles. Nous pénètrerons donc en notre sujet par l’évocation d’un groupe de rock. Blondie ! Les trognes des lecteurs s’illuminent. Ah ! Deborah ! Désolé, mais je voulais parler de Chris Stein. Vous préférez Debbie, je comprends, toutefois Chris est un mec intéressant. Tiens saviez-vous que Chris possédait un tableau de Spare ? Non, vous voudriez des détails, alors plongez-vous dans :

    ŒUVRES

    AUSTIN OSMAN SPARE

    (Tome III)

    Editions Anima / Octobre 2024

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    Nous avions déjà  krotntniqué les tomes I et II, parus en 2017 et 2021, ce troisième opus, cornaqué par VINCENT CAPES, s’annonce fastueux par le grand nombre de reproductions de dessins et de peintures d’OSMAN SPARE, un régal pour les yeux et l’esprit. Nous évoquerons tour à tour mais en un ordre qui ne suivra pas celui du volume les traductions de textes de SPARE établies par PHILIPPE PISSIER, ainsi que l’ensemble des diverses contributions éclairantes qui permettent quelque peu d’entrevoir la portée opérative de l’œuvre de celui qui reste, avec Aleister Crowley, un des plus grands représentants de la Magie du vingtième siècle.

    Si vous n’éprouvez aucune accointance particulière avec la Magie, je vous conseille de débuter votre lecture par l’avant-dernier texte du volume.

    LES ANGES FOSSILES

    ALAN MOORE

             Les amateurs de bande dessinée et de Death Metal ont reconnu le célèbre auteur de From Hell. Né en 1953, Alan Moore n’en n’est pas moins relié à la personne d’Alexandre le Grand. Le lien qui les unit n’est pas tant l’admiration que notre dessinateur  porterait au Conquérant, la légende raconte que Philippe II de Macédoine ne serait pas son père, il serait né de l’étreinte de sa mère Olympias avec un de ses pythons – était-ce une énième métamorphose de Zeus - qui partageaient sa couche… Or Alan Moore s’est revendiqué adepte de Glykon, serpent mythique d’origine macédonienne adoré au deuxième siècle de notre ère par les romains. Voilà de quoi faire lever les yeux au ciel à bien des lecteurs qui auront vite fait de juger l’auteur de cet article, rédigé en 2002, comme un huluberlu, ne nous étonnons pas s’ils s’apprêtent à aborder le texte avec réticence.

             Ils seront surpris. Agréablement. Moore manie la verve avec autant de dextérité que le crayon. Il est aussi écrivain. Les pages qu’il consacre à la description des milieux occultes vous feront rire aux éclats. Le marteau d’Héphaïstos n’a aucun secret pour lui. L’a l’humour qui tue. Se refuse à prendre aux sérieux les agissements des occultistes modernes, les anges fossiles ce sont eux. Ne leur concède rien. Selon lui des magiciens de pacotille, engoncés dans l’imitation naphtalinatoire, s’avèrent totalement inopératifs.

             Après une telle charge, quel avenir pour la Magie. Moore ne se dérobe pas. La Magie ne saurait être ni une psychologie, ni une science. Ni autre chose. Sa seule chance de survie réside en un renouvellement de ses pratiques. Foin des rituels, remisez déguisements et tenues  au vestiaire, un peu d’inventivités et de création, chers mages ! La Magie doit être considérée comme un art majeur, musique, peinture, et celui le mieux approprié : la littérature. L’artiste n’est-il pas par essence celui qui suscite le désir… Vingt pages grand-format, d’une plénitude exceptionnelle.

    TABLEAUX D’UNE EXPOSITION

    DAVID TIBET

    (2002)

             Musicien, poëte, féru d’occultisme, David Tibet fut inspiré entre autres  aussi bien par Blue Öyster Cult, sans doute un indice qui explique pourquoi son groupe Current 93 fut un des pionniers de la musique industrielle que par The Incridible String Band d’où sa dérive, ce mot ici dépourvu d’intention péjorative, néo-folk.

             Ce texte est très court. David Tibet visite une exposition de tableaux de Spare. Sa préférence va au tableau représentant un petit garçon beau comme Apollon. J’ai l’habitude d’avertir les lecteurs de ce blogue, méfiez-vous d’Apollon. Non prévenu David Tibet tombe dans le piège. La couleur des yeux du petit garçon change à chacun de ses regards. Il faut donc aussi se méfier des peintures d’Austin Spare. Jusqu’à la mort.

    MIROIRS VIRTUELS EN TEMPS SOLIDE

    GENESIS BREYER P-ORRIDGE

    (1995)

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    Si Spare (1886-1956) peignit et écrivit, s’il fut un artiste pour reprendre le terme d’Alan Moore, il n’en fut pas moins un Mage. Dans cet article, P-Orridge analyse plusieurs œuvres de Spare, il ne se livre pas dans ses commentaires à une critique artistique, il n’examine les dessins qu’en dévoilant les desseins de leurs exécutions. En quoi ces œuvres sont-elles, au-delà de leur réussite graphique, des pratiques magiques ?  Spare ne cherche pas à agir sur les autres, ni pour les séduire, les influencer, s’attirer leur faveur, ou les maudire. La seule personne qui l’intéresse, c’est lui-même. Ses autoportraits en témoignent. Ce n’est pas qu’il veuille par stupide vanité se présenter sous ses plus beaux aspects. Soit il recherche les moments qui, notamment par la pratique de la magie sexuelle, lui ont permis d’atteindre des étapes de maîtrise fondamentale, soit il tente de parfaire par son dessin cette maîtrise magique en travaillant sur lui-même, en parvenant à atteindre des états de conscience de pleine puissance qui lui permette de s’affranchir de son incarnation historiale, pour pénétrer dans la dimension suivante. Certains collectionneurs ont éprouvé le besoin impératif de se débarrasser de dessins de Spare, car ils avaient l’impression d’une présence inquiétante dans ces feuilles de papier… Autosuggestion ?  Pensez à Honoré de Balzac, à Oscar Wilde, à Edgar Poe…  Puisque l’on parle de Maître Corbeau, pensons à cet opuscule de Ghemma Quiroga Galdo dans lequel elle tente de démontrer que l’auteur a tenté de rester en vie, de ne pas mourir, en inoculant son esprit, un peu comme l’on fait une transfusion sanguine, dans l’encre de ses livres…

    Tout cela est bien beau, oui mais après ? P-Orridge sort le grand jeu. N’oublions pas qu’il fut l’initiateur de Throbbing Christle, c’est un rockeur, et il le prouve. Nous voici dans une méditation métaphysique de haute intensité. L’on change de niveau. A partir de Jean Cocteau l’on effectue la traversée du miroir. Bien sûr d’un certain côté les tableaux sont comme des miroirs, le rôle est inversé, ce sont eux qui nous regardent. Oui, mais qu’y a-t-il dans un miroir. Non, ce n’est pas vous, le miroir ne reflète que l’espace. Celui qui lui fait face, celui qui est en lui, le miroir permet de faire la jonction entre l’intérieur et l’extérieur. C’est ce que l’on appelle la traversée des miroirs. Evidemment tout va de travers, nous avons oublié le troisième comparse, l’élément primordial. Non pas l’éther, le temps. Le temps ne serait-il pas, non pas une espèce unissive d’espace-temporel, mais une fragmentation d’atomes de temps qui dispersés tous azimuts ont pour fonction de structurer l’espace. Sans temps vous n’avez plus d’espace. Vous n’avez que du vide. Vous n’avez plus rien. Vous pouvez même vous amuser à affirmer que vous avez tout, que vous avez le plein, puisque vous accédez à la surface non-réfléchissante du miroir. Celui-ci est alors envisagé non selon sa fonction mais selon sa chosité. ( Je renvoie le lecteur intéressé à la lecture de Qu’est-ce qu’une chose de Martin Heidegger ). Si tant est qu’il existe encore un miroir. Le temps est la chose la plus concrète de toutes les choses qui existent et dans le monde intérieur (les idées nouméniques) et le monde extérieur (la matière phénoménale). Le temps ne passe pas. C’est lui qui permet le passage. Vu sous cet angle, vous avez là la possibilité de passer par la mort d’une incarnation à un état autre.

    AVENTURE DANS LES LIMBES

    1944 – 45

    AUSTIN OSMAN SPARE

            Une série de dessins de Spare que le lecteur aura intérêt à regarder longuement parallèlement aux tableaux commentés par P-Oridge. Pour notre part nous nous contenterons de réflexions générales quant à l’art de Spare. L’on évoque souvent Aubrey Beardsley lorsque l’on s’interroge sur Osman Spare. Beardsley le mignon, Spare le cru. Ce genre de synthétisation abrupte, je préfère d’autres parallèles. Par exemple ce qui rassemble et sépare Gustav Klimt d’Egon Schiele. Il ne s’agit pas d’opposer les tenants de l’Art pour l’Art aux partisans propédeutiques de l’Expressionisme. Simplement le constat que ces frères siamois artistiques diffèrent avant tout par la maniérisation érotique de la femme dont ces familles d’esprit usent. Et abusent, je rajoute ce verbe pour que les ligues féministes ne m’intentent pas un procès.

    SATYROS DUX

    1945

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Une deuxième série de dessins de Spare. A peine-écrivez-vous le mot femme que les satyres se radinent. Et cette fois-ci pas n’importe lequel, le chef. Il faut le dire : c’est plus fort que Picasso. Nous ne nous focalisons pas sur le trait, tous les personnages mythologiques du Catalan, ne sont que des ornements. Sont dans les tableaux pour faire antique. Au même titre qu’un tronçon de colonne. Chez Spare, les personnages ne se donnent pas systématiquement la peine de se mettre nu. Sont généralement habillés. Ces vingt dessins sont à lire comme une bande dessinée. A chacun d’imaginer son scénario. L’essentiel ne réside pas là. Ce serait oublier el Pintor. C’est lui donne corps et sens à chaque vignette. Nous ne nous risquerons pas à une lecture personnelle. D’autant plus qu’en toute fin du volume, quelqu’un d’autre s’en charge.

    VISIONS DE DIONYSOS

    2011

    JOHN ZORN

             Le lecteur se rendra sur YT écouter The Satyr’s Play (Visions of Dionysus) Ode I, II, III, IV, V, VI, VII, VIII, IX, X composé en hommage à Austin Osman Spare. L’ensemble dépourvu de paroles ne m’a guère convaincu… John Zorn est un musicien d’avant-garde qui a beaucoup produit s’inspirant de toutes sortes de musiques populaires américaines du jazz au classique.

             Le texte est une espèce de poème-rituel divisé en huit séquences, vous le préfèrerez au disque, un peu disert, un peu répétitif, sans surprise… Des sonorités que je me permettrai de qualifier d’agrestes, en rien novatrices. Texte d’une autre texture, requérant plusieurs niveaux de lectures. Aussi bien sur la numérologie sacrée que diverses et rapides évocations, philosophiques, ésotériques, sophistiques… En quelque sorte il peut se lire comme une réponse aux volontés de dépoussiérages de l’occultisme traditionnel souhaité par Alan Moore.

    RITUEL DE LA VENUE DU JOUR

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Avant tout l’on y sent l’influence évidente de Crowley, mais cette page ressemble à des notes écrites pour soi-même. Ce rituel malgré son imagerie égyptienne apparaît surtout non pas comme une invocation héliaque mais une adresse au soleil intérieur que chacun porte en soi.

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    DEDICACé A CELUI QUI VEUT

    ET A CELUI QUI DEMANDE

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Encore un texte rédigé pour soi-même et en même temps un avertissement au disciple. Spare ne fait pas l’aumône au disciple éventuel. Il   abhorre cette race de clones. Peut-être est-ce pour cela que l’on relève quelques accents nietzschéens dans le dernier paragraphe. Zarathoustra en pleine forme.

    LE SABBAT DES SORCIERES

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             D’abord un texte de réflexion sur la nature du Sabbat. Rien à voir avec la Nuit de Walpurgis de Goethe. Le mot sabbat désigne l’acte sexuel pratiqué en tant que pratique magique. Ce à quoi elle permet d’atteindre. A lire les pages restantes l’on a l’impression que l’on se trouve devant des notes préparées pour un cours, Spare en professeur consciencieux qui réunit toutes les pièces afférentes au sujet afin de palier  toute demande hypothétique d’un étudiant ou d’une étudiante. L’on ne peut s’empêcher de penser qu’il ne croit pas vraiment en l’efficacité de son cours théorique. Il est nécessaire de s’affronter à la pratique.

    DU MENTAL  AU MENTAL

    ET COMMENT PAR UN SORCIER

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Soyons héraclitéen : l’on ne se baigne jamais deux fois dans le fleuve de la pensée pour la simple raison que le fleuve de la pensée est partout, que l’on y est plongé en plein dedans, en plus il ne possède aucune rive… Pour une fois Spare se montre pédagogue. Il passe carrément aux applications techniques :  il vous démontre comment en deux ans vous pouvez devenir un as de la divination. Le courant de pensée de vos voisins se mêle à vos pensées. Un peu d’entraînement et un jeu de cinquante-deux cartes suffisent à répondre à toutes les questions d’un consultant inquiet pour son avenir. Cela n’a rien de magique au sens trivial du terme. Il suffit de le savoir et d’être conscient de ces confluences qui s’interpénètrent. Spare vous répète que c’est relativement facile… Les détails et les exemples qu’il fournit ne sont pas particulièrement stupides, mais vous quittez ces cinq pages en vous disant qu’il se contente de refiler le minimum, quelques encouragements, et puis vous êtes assez grand pour vous débrouiller par vous-même. Répétons-le, Spare n’est pas Crowley, il n’essaie pas de vous enseigner, de vous transformer, il respecte votre liberté. Le sorcier n’est pas un maître. Son but n’est pas d’instaurer envers vous un lien de domination ou de sujétion.

    AXIOMATA ou MICROLOGUS

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             D’abord remercions Philippe Pissier pour la clarté de  la traduction de ce texte fondamental. Mini-logos : mon œil (d’Horus – et même d’horreur tant vous êtes saisi par la force de ce texte), maximus logos je vous l’assure. Je ne sais pas si le grand Friedrich accepterait que ces sept pages de fragments numérotés soient ajoutées en appendice à une édition du Gai Savoir mais elles n’amoindriraient  en rien la pensée du solitaire d’Engadine. Tout y est : Dieu, l’Homme et même le Surhomme. Un exposé, un concentré de gaya scienzia explosif. A lire ce texte crucial – pensez à l’idée  qui fut clouée sur la croix – la continuité entre la pensée magique et la pensée philosophique devient une évidence. Un phénomène de trans-capillarité de deux traditions d’appréhension de l’être et de la chose, de l’être de la chose et de la chose de l’être. D’où l’importance du Mot qui transporte et l’Idée et la Chose. Ce texte est un miroir qui permet la traversée de la transparence de deux modes de pensée que l’on présente communément comme antagonistes et irréconciliables. Logos Pontifex !

    GALERIE

    (Dessins, Croquis, Aquarelles, Peintures)

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             Si les mots vous restent incompréhensiblement mystérieux regardez les dessins. Ce n’est pas un hasard si cette partie essentielle du volume est placée juste après le Micrologus. S’il est évident que chez Spare l’écriture cherche à éclaircir sa propre pensée et non à dispenser un enseignement, quel rôle a-t-il dévolu à l’exercice pictural, était-ce pour lui, vis-à-vis d’un public indélicat ou non auto-préparé, une manière d’obscurcir le but de ses entreprises, tant intimes qu’extimes, en leur offrant le trompe-l’œil ou le paravent de l’apparence première de ses opérations relatives aux choses magiques. Galerie présente plus de cent pages de dessins et de peintures effectués entre 1904 et 1956. S’il fallait résumer le travail magique de la peinture de Spare en deux mots, ce serait : nudité et portrait. Dans les deux cas, que ce soient les corps ou les têtes, il s’agit d’établir une projectivité pénétrative dans la chair ou l’esprit, de l’autre ou de soi-même, afin non pas de se les approprier mais en opérant un agrandissement de soi-même. Les dessins sont alors à considérer comme les écorces mortes de ce qui a eu lieu et pour les esprits avertis autant d’indices qui servent à concevoir et à comprendre.

             C’est fini… Non, ne faites pas les glavioteux, les treize pages de l’index des noms propres, elles ne sont pas fourrées en fin de volume, fourmillent de renseignements, si vous n’y apprenez rien, c’est que vous ne l’avez pas lu.

             Ce tome III est une petite merveille, vu la taille du mastodonte l’adjectif grande serait mieux approprié, quand on pense à Audrey Muller qui s’est chargée de la relecture, on la plaint, mais je crois que grâce à la présence de son chat roux (comme Osman Spare) à ses côtés on se dit qu’elle a bénéficié d’une véritable aide de sorcière.

             Ce livre n’est pas un livre de plus sur Spare, c’est un objet de première nécessité  pour apprendre à méditer, à réfléchir, à concevoir. Indispensable à ceux qui désirent être eux-mêmes. Et surtout plus qu’eux-mêmes.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 593: KR'TNT 593 : TOM POTTER / WIPERS / CHARLIE WATTS / ANN SEXTON / MOONLIGHT BENJAMIN / ACROSS THE DIVIDE / EIGHT FOOT MANCHILD / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 593

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    23 / 03 / 2023

     

    TOM POTTER /  WIPERS

    CHARLIE WATTS / ANN SEXTON

    MOONLIGHT BENJAMIN / ACROSS THE DIVIDE  

    EIGTH FOOT MANCHILD / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 593

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Le pote Potter

     

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             Il fut un temps où Tim Warren régnait sur le monde. Les fans de garage ne juraient que par Crypt. Ce label devint aussi mythique que Bomp et Skydog. L’un des groupes phares de Crypt s’appelait Bantam Rooster. Il s’agissait en fait d’une paire de petits mecs surexcités, Tom Potter et son ami batteur (kick & snare) Eric Cook.

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             L’écoute de leur premier album Deal Me In permettait de prendre la mesure du phénomène. Il était difficile d’admettre qu’un duo pouvait occasionner autant de ravages dans les oreilles d’un lapin blanc. Le pote Potter attaquait son morceau titre à la hurlette dégénérée. Il s’inscrivait directement dans la lignée de grands screamers, ceux qu’on dit définitifs et qu’on enferme à vie. Son «In The Manner To Which I’m Accustomed» était complètement trépigné de la trépignette, on le sentait incapable de revenir au calme. Il dépassait encore les bornes du scream dans «Ain’t Gonna Touch You». Il s’y conduisait en vrai diable cornu. Il arrosait la terre du scream le plus incendiaire qui se put alors concevoir. Et il atteignait à une sorte de génie lapidaire avec «Bantam Rooster Theme», véritable giclée de freakout extrême. Cette violente explosion d’exaction excédée relevait du pur génie trash. On aurait même pu parler de souffle atomique et de blast du siècle, tant qu’on y était. Le problème était que tout l’album ruait dans les brancards. Le pote Potter et son sbire n’avaient jamais envisagé le moindre répit. Cette notion devait même leur être complètement étrangère. Ils préféraient s’adonner au stomp des forges de Detroit avec «Lawdy Lawdy» ou emprunter quelques riffs au MC5 pour «Miss Luxury». Tom Potter n’en finissait plus de hurler, à seule fin de relancer sa machine. On avait là du jamais vu. Il braillait son «Man Of Wealth And Taste» au scream protubérant et se livrait à une sorte de devastating sludge dans «Fuck You Muh Man». Il portait le Potter à incandescence. Il ne pouvait pas non plus s’empêcher de désintégrer le pauvre «Shit Town» et on savait d’avance comment ça allait se terminer pour «Panther». Horrible ! Il screamait ça jusqu’à l’oss de l’ass. Il fallait le voir pour le croire. Ils amenaient des cuts comme «Brokeback Fit» et «Down & Out» au bord de la folie. On espérait bien ne jamais croiser ces deux fous dans la rue. Ils symbolisaient tout ce qu’on craignait, principalement l’esprit de non-retour. Et jusqu’à la fin de cet album terrifiant, Tom Potter se montrait incapable de la moindre humanité, il hurlait de plus belle sur «Mammon», il dépassait toutes les bornes. Aucun médecin n’aurait pu l’aider.

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             Avec The Cross And The Switchblade paru deux ans plus tard, le duo montait encore d’un cran dans l’insanité. Ils blastaient leur maximum overdrive dès «State Cracker», un cut complètement trépigné du bulbique. On sentait bien qu’on allait passer un mauvais quart d’heure en écoutant cet album. «Goin’ Cold» paraissait plus construit, avec ses semblants de couplets, mais ça basculait très vite dans la physique nucléaire. Ils finissaient l’A avec deux merveilles, «Tom Skinner» - Call me Tom Skinner  ! - et «You Ain’t The Boss Of Me», pur chef-d’œuvre de garage vénéneux. En B, le pote Potter inventait un nouveau genre avec «Shot Down» : la garage apocalyptique. Au fil des cuts, on se passionnait pour le travail de cet homme, à commencer par «Catfight», un cut bardé de dynamiques internes, tellement bardé que ça en devenait fascinant. Matthew Sweet d’Outrageous Cherry jouait de l’orgue sur «Ghost» et on avait là une sorte d’heavy groove bienfaiteur de l’humanité. Et puis, tout rebasculait dans le jusqu’au-boutisme potterien avec «Electricity», car il chantait ça à la hurlette purulente. Et là franchement, on craignait pour sa santé. Pourtant cinglé, Little Richard ne serait jamais allé jusque-là.

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             Leur troisième album Fuck All Y’All parut en l’an 2000 sur le label de Long Gone John, Sympathy For The Record Industry, concurrent direct de Crypt. Cet album est un véritable chef-d’œuvre d’insanité. Si l’insanité figure au premier rang de vos valeurs, alors vous devez impérativement vous jeter sur ce chef-d’œuvre. Ça explose dès «Dum It Down», mais de manière incontrôlable. Tom Potter et Mike Alonso jouent dans la pire urgence qui se puisse imaginer, leur démesure renvoie à l’incendie de Rome jadis imaginé par Néron pour la seule beauté du spectacle. Jamais aucun humain n’a hurlé comme ça dans un micro. Tom Potter pousse l’art du scream dans ses retranchements. Tiendra-t-il jusqu’au bout de l’album ? Franchement, on s’inquiète pour sa glotte. Il enchaîne avec une nouvelle preuve de l’existence du diable qui s’appelle «High Priestess». C’est un pounding éhonté, on a là le pur stomp de Detroit. On a l’impression que les cuts se succèdent comme des petits exercices de style visant à démontrer la suprématie du Detroit Sound. Mike Alonso se fend d’une belle pétarade évangélique et tout bascule dans l’insanité. On entend ce fou de Tom Potter hurler au fond de «Crack Your System», et comme si ça ne suffisait pas, il finit même par l’exploser en mille morceaux. Et puis avec «You’re The Sun», il flirte une fois encore avec le génie. Comme Artaud, il veut en finir avec le jugement de Dieu, alors il hurle tout ce qu’il peut. Il atomise le rock, il en fond tous les atomes, il en désintègre l’essence et en piétine la quintessence. Tom Potter s’inscrit en faux dans le vrai, il devient le temps d’un cut le plus grand screamer de l’univers. «Burn Down» sonne comme une incitation à l’émeute. Tom Potter est un apôtre de la folie, il explose systématiquement tous ses cuts, les uns après les autres, il n’en finit plus de burn it down, Alonso pilonne et le pote Potter hurle à s’en arracher les ovaires. On croit que ça va se calmer. Ha ha ha ! Potter se calmer ? Impossible, car voilà «Lockdown Monologue», une nouvelle abomination explosée d’entrée de jeu. Il hurle son cut dans son pantalon, et ça gicle. Il plonge une fois de plus dans le chaos avec «Dealbreaker». On a parfois l’impression qu’il veut se spécialiser dans la folie. Il n’existe rien de comparable dans le monde du rock. Il termine avec «This Close To Suicide» et passe un killer solo histoire de finir en beauté.

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             Et pouf, le pote Potter monte Beasteater avec Aaron Adduci (guitar), Traci Volker (bass) et Nick Lloyd (drums), et sort un premier album sans titre en 2016. Dès «The Night Air» qui ouvre le balda, on est frappé par le génie de ce big sounder qu’est le pote Potter. Il attaque à la hurlette massive, des gros sabots de plomb splouchent dans une marée de gélatine et la chair humaine à la Druillet, flic floc, c’est épais et barbare, gras et mauvais, au sens de l’intention, bien sûr. Le pote Potter dispose d’un sens aigu du riff porteur. On irait même jusqu’à dire qu’il fait de l’universalisme garage. En tous les cas, si le garage moderne doit ressembler à quelque chose, c’est au son de Beasteater. Attention, cet album se joue en 45 tours. Le plus drôle, c’est qu’on ne l’indique nulle part sur la pochette. Et tout l’album bascule dans la fournaise, mais une fournaise intéressante, à commencer par «I Eat Scum», où tout explose, Tom tape dans le tas, ça power-riffe dans le souk et Traci Volker lui répond du tac au tac, c’est le top de l’attaque, I’m losing my mind et Traci le singe. Admirable !  Le pote Potter continue d’ignorer la notion de répit. Les cuts avanceraient presque à marche forcée, au beat du pilon des forges du Creusot ou de Sheffield, peu importe, en tous les cas, ça emboutit la tôle et ça fume et avec toute cette vapeur, on ne voit plus grand chose. On tombe en B sur une terrible enfilade : «Scum Of The Earth», «Ovary Action» et «Taste The Floor», une enfilade qui justifie pleinement l’emplette. Scum c’est en effet du pur jus de Potter de pot de fer, le teutonné du bulbe, le destructeur de tour Eiffel, l’ogre aux dents d’acier, il arrache tout sur son passage, même les marronniers de l’avenue des Tilleuls, et puis avec Action, on monte encore d’un cran dans le détroitisme, c’est allumé aux riffs pyromaniaques, voilà le son dont rêvent tous les groupes garage, mais c’est le pote Potter qui a trouvé le truc. Oh et puis cet immonde Taste, qui te replonge dans l’heavy liquid des Stooges, c’est rampant en diable, explosé du cortex, émincé à l’échalote, farci aux gémonies, ça rôtit en broche, ça rissole dans le jus des enfers. Quel admirable sens des affaires ! Il termine cet album fabuleux avec deux autre brûlots, un «Slight Overnight» tendu à l’extrême, Tom y pétrit bien sa pâte, il soigne ses clameurs et puis un «Wood Shampoo», qui sonne comme la pure démence en partance pour Detroit, ça joue ventre à terre, lui, si on veut l’arrêter, c’est impossible, il enfonce les barricades et explose les cars de flics qui tentaient de barrer la route. Malheureux, tu veux stopper le pote Potter dans son élan ? Impossible ! Sache que le pote Potter joue son va-tout en permanence. Et ça va même plus loin : il ouvre des portes. Réfléchis à ça.     

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             Quand on parle du Detroit Sound, on cite généralement les noms des Stooges et du MC5, accessoirement ceux de Frost et des Amboy Dukes, mais rarement celui de Bob Seger, qui fut pourtant l’un des fers de lance du Detroit Sound avec des singles énormes comme «Heavy Music» et «Ramblin’ Gamblin’ Man». Pour réparer cette injustice, Tom Potter monte en 2008 The Seger Liberation Army et enregistre Down Home, un album de reprises du early Bob. Pat Pantano et Jim Diamond sont dans les rangs. Et forcément, l’Army attaque avec «Heavy Music». Le pote Potter ne s’embête pas, il tape dans l’un des pires classiques du Detroit Sound. Il en fait une abomination désespérée en le montant sur un beat Tamla. C’est exceptionnel, chargé à ras-bord de chœurs et de nappes d’orgue. Le pote Potter enfonce son clou de prime abord d’abordeur dédouané. Il balance tout ça dans la gueule des gémonies. Des cuts comme «Chain Smokin’» et «Get Down On Your Knees» sonnent comme de véritables énormités concomitantes, noyées de son et battues comme plâtre. L’Army claque «Down Home» au pire garage de Detroit. Le pote Potter pousse le bouchon de Bob un peu trop loin. Les choses montent encore d’un cran avec l’imparable «2+2=?», le hit définitif du vieux Bob. Le pote Potter l’expatrie ad patres. Il dispose de cette niaque qui lui permet d’exploser les choses de la vie - Two plass two is on my mind - C’est le hit idéal du Detroit Sound, monté en mayo d’assembly line. Le pote Potter travaille son cut au corps, il shoote toute la folie des matins du monde dans le vieux cul segérien, avec une fabuleuse insistance délétère, et ça repart de plus belle après l’inopiné d’un break béant. Il prend ensuite «East Side Story» à la pire fuzz rampante qu’on ait vue depuis le Gloria des Them. Voilà un chef-d’œuvre garage nocturne et dangereux, aussi dément et déterminé que ce vieux Gloria de Marine Hotel. Tout est là. Évidement, s’il tape dans «Ramblin’ Gamblin’ Man», c’est pour en faire de la charpie. Il explose ce hit incontournable des sixties. Le pote Potter le ré-explose de plus belle. Ah il ne faut pas lui confier les clés de la baraque ! Surtout pas ! Ce screamer fou bouffe le Ramblin’ tout cru. Il réduit tout effort langagier en bouillie et saute à pieds joints sur la syntaxe. Il finit avec un «Florida Time» qui sonne comme un pied de nez aux frères Wilson.

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             Un deuxième album du Seger Liberation Army paraît en 2016, avec quasiment tous les titres du précédent. On retrouve en effet sur Innervenus Eyes les somptueuses reprises d’«Heavy Music», d’«East Side Story», de «2+2=?», de «Chain Smokin’», de «Down Home» et de «Ramblin’ Gamblin’ Man». Very big business ! C’est un brouet sonique unique au monde. Parmi les cuts nouveaux, on trouve le morceau titre, porté par le souffle des vainqueurs, celui de ceux qui, comme la vieille garde, ne se rendent pas. Le pote Potter pulvérise sa version de «Death Row» au scream et travaille «Lucifer» au corps, alors que derrière lui s’écoule un solo liquide bien alambiqué. Ces gens ne laissent absolument rien au hasard. 

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             Nouvelle aventure sonique avec Choke Chains, un groupe que le pote Potter monte avec Chizz (bass), Linsey Crappor (guitar) et Mark Millionnaire (drums). L’album vient de paraître, produit par Jim Diamond, et petite info de choix, masterisé par Tim Warren. On y trouve quatre authentiques énormités, à commencer par ce «Safe Word» d’ouverture de bal. On sent le pote Potter possédé par le diable dès l’intro. Il maintient en effet son enfer sous le boisseau, il chante la bouche tordue et soudain, il se met à hurler, mais vraiment à hurler, on croirait entendre un ignoble barbare exaspéré, un monstre sorti des bois qui cherche désespérément à en découdre soit avec la légion romaine, soit avec les dieux, mais il ne peut plus se contrôler, c’est au-delà de ses forces, il suinte de colère noire, il hurle avec les yeux injectés de sang, il écume, il bave. Quel atroce spectacle ! Deuxième énormité en bout de balda : «Let’s Try Suicide». Joli programme ! Cette fois, le pote Potter vise l’extrémité du jusqu’au-boutisme outrancier. C’est un chercheur de petite bête, un allumeur de shootes, un détonateur à deux pattes, un spécialiste de la menace. Les deux autres énormités se nichent au bout de la B des cochons, à commencer par «Rock Paper Rapist». Cette fois, le pote Potter nous replonge dans l’un de ces cauchemars soniques dont il a le secret. On entend rôder un sax dans le coin. Ah quel fabuleux fouteur de bordel ! Il est bel et bien le roi des ribauds, le Detroit Sounder définitif. Tom Potter a tout compris, il est certainement le plus bel héritier des Stooges de 1969. Toute la sauvagerie urbaine est en lui. Il termine cet album puissant avec le morceau titre, «Choke Chain», infernal et fouillé aux tisons du grand Inquisiteur, ça pue la chair brûlée et la sueur de l’immense horreur des caves pontificales. On se régalera aussi du solo qui traverse en crabe «Moisture Technician». T’as déjà entendu un truc pareil ? Bien sûr que non. Quand on écoute «Cosmic Shadow», on réalise que Tom Potter peut aussi ratisser large. Il brasse tous les genres, mais il est visité par la grâce, et ça s’entend. Sur cet album, tout est chanté à la stoogerie, en mode voilé, avec l’insistance des bas-fonds et une ferveur abyssale. Tout ce que fait ce mec est absolument passionnant, il sort en permanence un son épais et jouissif, il chante le plus souvent en mode laid-back de la menace et s’autorise ici et là des petites crises d’épilepsie qui font notre bonheur. Son «Cracked Dracula» relève d’une pure puissance festive, mais au sens de Gilles de Rais, murailles humides, chaînes, bijoux et peaux de bêtes. Il traite aussi «Random Number Generator» en mode heavy mais avec un panache aussi sidérant que fédérateur. C’est presque une anomalie que de voir surgir du néant un groupe aussi génial. 

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             Le pote Chocker revient à la charge un an plus tard avec Android Sex Worker, un album mastered by Tim Warren, s’il vous plaît. Autant le dire tout de suite, le real deal se trouve en B, à commencer par «Lie From Hell». Back to the heavy Detroit Sound monté sur un bassmatic joliment métallique et les Chokers partent à l’assaut du ciel gris du Michigan. Ils enchaînent avec un «Galactic Overland» absolument dévastateur. Le pote Potter calcule bien ses effets, il dépote du Potter de Choker, épaulé par des chœurs de mâles. S’ensuit un «Sunday Goin’ To Meeting Whore» lesté d’une excellente pesanteur de beat. Ces mecs pilonnent les tranchées. C’est tellement hypno qu’il est impossible d’en réchapper. Ils mènent leur débinade de Detroit Sound à terme et on s’extasie face à l’excellence de la beatitude. Le bassman s’appelle Chizz et joue tout au bassmatic de metallic KO. On note aussi la virulence du morceau titre qui ouvre la B. Le pote Potter y joue la carte du tourbillon. On sent nettement l’influence de Brother Wayne, c’est sûr. Et puis avec «Put Your Hands»,  il plonge dans le désespoir et s’en va rôtir en enfer. Oh ce n’est pas que l’A soit mauvaise, mais elle se montre d’accès plus difficile. Comme toujours, le mieux est d’écouter. Les radios prennent toujours l’avantage sur les chroniques, qu’elles soient pertinentes ou non. Le pote Potter joue son «Mayan Starship» à la petite insidieuse cabalistique. Ce n’est qu’un dévoreur d’attention, un charmeur de serpents. On entend le batteur Mark Million baratter comme un beau diable dans «Cairo Scholars» et on assiste à un joli départ de feu, comme diraient les pompiers. Le pote Potter boucle son balda avec un «Rat Ladder» sacrément rebondi. Le marteau et l’enclume n’ont plus de secrets pour lui. Chez Potter, pas de fioritures.  

    Signé : Cazengler, pot de chambre

    Bantam Rooster. Deal Me In. Crypt Records 1997

    Bantam Rooster. The Cross And The Switchblade. Crypt Records 1999

    Bantam Rooster. Fuck All Y’All. Sympathy For The Record Industry 2000

    Beasteater. ST. Big Neck Records 2016            

    Seger Liberation Army. Down Home. Big Neck Records 2008

    Seger Liberation Army. Innervenus Eyes. Big Neck Records 2016

    Choke Chains. ST. Slovenly Recordings 2016

    Choke Chains. Android Sex Worker. Slovenly Recordings 2017

     

     

    Wiper Noël

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             Dans un SMS, Karim me disait l’an dernier : «Greg Sage est un génie !». Rien de tel qu’un bon SMS pour piquer la curiosité. Alors on est allé voir ce qui se passait sous les jupes de Greg Sage et de son groupe, les Wipers, un power trio de Portland, Oregon, qui sévissait dans les années 80/90. Quelle découverte ! Onze albums et pas un seul canard boiteux. Alors oui, on confirme : Greg Sage est un génie.

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             Embarquement pour Cythère dès le premier album, l’interrogatif Is This Real?. Ça démarre sur une triplette de Belleville, «Return Of The Rat», «Up Front» et «Let’s Go Let’s Go Away» : ça joue au heavy punch, c’est gorgé de son, ça file en mode heavy sludge. De vrais démons, wild as fuck, tout brûle dans la combustion de l’upfront. Ces mecs y vont pour de vrai, ils dégagent de la fumée, tout est submergé de son et tu as même, luxe suprême, des départs en solo dans la côte de la fournaise. Même le morceau titre est inespéré de power. Tout va très vite sur cet album, comme chez Hüsker Dü. Ils n’en finissent plus de déterrer la hache de guerre. Wipers all over ! Et puis, ils commencent vraiment à jouer avec le feu de l’hypno sur «Potential Suicide». Le Sage est le maître de l’heavy hypno d’erase the pain. Il ne cherche même pas à s’en sortir, il tartine son getting so depressed. Avec «Don’t Know What I Am», ils sonnent comme des Buzzcocks américains, ça joue vite et c’est bardé d’éclats de grattes. Sage qu’est pas sage referme sa marche avec un «Wait A Minute» gratté aux accords frais de la marée, des accords vivants prêts à être bouffés, les claqués resplendissent, c’est du gros Sage, bien sabré, wild et beau. On accueille ce mec à bras ouverts.

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             Youth Of America est certainement le meilleur album des Wipers. Sage qu’est pas sage démarre son affaire en mode punk’s not dead. Ah ils n’y vont pas de main morte ! Ni par quatre chemins ! Ils récidivent avec «Can This Be», joué aux gros accords bien gras. Mais c’est surtout le morceau titre qui nous interpelle, car voilà de l’hypno bien ravagée du bulbe. Ils sonnent comme de vrais héros, avec un son de heavy revienzy, on se croirait chez Can avec ce wild ride de dix minutes, ils jouent all over les dix minutes, c’est bourré d’énergie. Encore une belle énormité avec «Pushing The Extreme», nouveau shoot d’hypno extrêmement bienvenu. Et puis voilà le coup de génie : «When It’s Over», un instro bourré de charpie de son et de climats invulnérables. Sur la red Zeno, tu as des bonus extraordinaires. Forcément, avec un mec comme Sage, on est gâté. Il claque à sec «Scared Stuff» et ajoute des tortillettes atroces. Cette belle dégelée d’overtime te coule dessus. C’est extravagant de power. Sage n’est décidément pas sage. Même chose pour «No Fair». Les bonus restent les bonus, des lacs inespérés, des lunes de la lune, des bienfaits bienvenus. Dans ses bonus, Sage est encore moins sage. Il ne sera jamais sage. Il a des compos et du son, alors pas de problème. On tombe bien sûr sur des versions alternatives des cuts de l’album, comme par exemple le morceau titre. Sage est toujours le seul maître à bord, mais derrière lui, c’est l’overdrive incontrôlable. Bass & beurre on fire ! Sage se pavane dans les giclées de disto, il embarque tout en enfer. 

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             Sur Over The Edge, on trouve un énorme clin d’œil aux Saints : «No One Wants An Alien». Extraordinaire proximité. Sage fait son Bailey. Retour à l’hypno de choc avec «Romeo», on assiste à une fusion du rentre-dedans, Sage joue au lance-flammes, comme les Nazis, il nettoie les tranchées. Belle hypno de schlouffff ! Il ne respecte rien. Dès le morceau titre d’ouverture de bal, Sage et sa troupe défoncent le barrage de Marguerite contre le Pacifique, le cut porte bien son nom. Aucun espoir d’en réchapper. Il claque ensuite son «Doom Town» aux accords de Doom Town. Comment veux-tu échapper à ça ? C’est impossible. Sage est un sorcier. Il crée des clameurs à sec. Il exploite toutes les failles psychologiques. C’est extrêmement heavy, claqué aux meilleurs accords de l’Oregon. Il s’en va jouer «So Young» sous le boisseau, aux accords underground, C’est l’une de ses spécialités. Ses accords d’entre-deux sont très beaux. Pas de retour possible avec «Now Is The Time». Il gratte à l’efflanquée, il gratte en permanence tout ce qu’il peut gratter, ses poux et tout le reste. Son «What Is» est encore pire. On peut même parler de cut irrépressible. Sage arrose tout à la cantonade. Il referme la marche avec «This Time» qui sonne comme une plongée en enfer, bien monolithique. Dans les bonus de la red Zeno, tu as du live et c’est encore plus effarant : «Mistaken ID» live in San Francisco, ça vaut le détour ! Sage passe tout à la moulinette, la version de «Now Is The Time» est wild as fuck, comme noyée dans les aventures, le «Romeo» (+ horn section) bascule dans l’hypno demented et là tu ne rêves plus que d’une seule chose : serrer la pince de Sage pour le remercier de n’être pas sage.

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             Land Of The Lost date de 1986. Ce n’est pas le meilleur album du grand Sage, loin de là, mais on se régale du bassmatic de Brad Davidson dans «The Search». Ça gronde derrière le Sage. Le bassmatic dévore le cut de l’intérieur et le digère. Brad Davidson récidive avec «Nothing Left To Lose», c’est lui qui drive cette belle ambiance d’ambivalence. «Different Ways» est encore un joli groove wiperain et le «Just A Dream Away» d’ouverture de balda offre à qui sait voir une réelle profondeur de champ. Le grand Sage construit bien son ambiance. Il la veut pesante. On peut même dire que «Way Of Love» est un cut très concerné. Globalement, on peut dire que Sage qui n’est pas sage mène tout à la baguette, il ne traîne jamais en chemin, il faut que ça avance, coûte que coûte. Et bien sûr, tu retrouves le riff de «Death Party» dans le morceau titre.      

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             Paru l’année suivante, Follow Blind est un album nettement supérieur. Il faut attendre «Any Time You Find» pour voir le grand Sage renouer avec sa chère hypno. Il y passe des solos redoutables, qui font l’effet de coulées étincelantes, c’est d’une parfaite élégance sonique. Il illumine aussi le cut suivant, «The Chill Remains», le grand Sage joue en layers sur le doux du son et c’est extrêmement puissant. On peut comparer ce qu’il fait au travail des deux guitares sur Marquee Moon. Le Sage navigue à ce niveau d’excellence. On ne se lasse pas de cet énergumène et de sa sagesse. Il repart de plus belle en B avec «No Doubt About It», il joue ça au son plein, c’est une aubaine inespérée pour les oreilles, le voilà une fois de plus lancé à travers la plaine. C’est un slinger frénétique. Encore une fantastique embardée avec «Don’t Belong To You», monté sur le beat rebondi de Portland, pas de chichis, grosse section rythmique, ces trois mecs ne sont pas là pour rigoler. Ils finissent cet album béni des dieux avec deux gros shoots d’hypno, «Coming Down» et «Next Time», menés au beat rebondi. Cet album est enthousiasmant. Les Wipers sont les rois de l’hypno. Ils ont le Kraut dans le sang.

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             Bien obligé de l’admettre : The Circle est encore un big fat album. Cette fois, Sage qu’est pas sage envoie trois clins d’œil : un aux Stooges, un aux Saints et un au Gun Club. Monsieur Sage ne fait pas dans la dentelle. La stoogerie s’appelle «Make Or Break». C’est un petit fleuve de lave. Sage adore le power brûlant et les riffs des Stooges. Il est capable de démesure. Tu peux lui faire confiance. Pas de problème, tu peux lui confier tes clés et ta femme. La Gun-Clubberie s’appelle «True Believer». Il crée la bonne tension avec le son des poumons d’acier. Il revient à son cher «Death Party», la basse te rebondit sur l’haricot et là tu te dis une fois de plus : «C’est énorme !». La Sainterie s’appelle «Good Thing». On se croirait sur «I’m Stranded», ce sont les mêmes accords power-punkish. Sage n’a pas la voix mais il a le son, alors bravo quand même ! Et puis son «I Want A Way» d’ouverture de bal est une ravissante énormité. Sage est un fou. Il allume dès l’ouverture, il a du son, du rebondi, de la profondeur de champ, c’est complètement saturé de couenne de lard. Ce Sage n’est vraiment pas sage. Ils ne sont que trois pour sortir tout ce ramdam. Le mec au beurre s’appelle Steve Plouf. Il sortent le heavy power de surrender dans «Time Marches On». «All The Same» est vite expédié ad patrès, et il faut voir le Sage qu’est pas sage chevaucher son cut, un vrai cavalier de l’apocalypse, il fonce droit dans le décor, en vrai seigneur de l’hypno. Alors on le suit à califourchon. Sage est un artiste complet, on se régale de la qualité de son hypno. Et puis voilà le morceau titre, wild as fuck ! Sage est vraiment fou, il démolit son Circle et ça se tient quand même. Il maintient une pression extraordinaire, il joue du fast heavy pop rock de lard fumant.         

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             Tu vas encore trouver un sacré coup de génie sur Silver Sail, un Tim/Kerr Records paru en 1993 : «On A Roll». Comme sur la plupart de ses albums, le grand Sage s’énerve à la fin. Cette fois, il recycle des vieux réflexes glam, il réussit à faire du glam d’Amérique, c’est dire l’étendue de son registre, il y va avec un solo trash sous l’aile, bien dans l’angle, tu le reçois en pleine poire, cadeau du Sage, et il continue de cavaler on the roll, avec ce génie interventionniste qui le caractérise si bien. Il est partout dans son cut, il en carbonise la fin au solo trash. Tu entends rarement des guitaristes aussi doués. Avec «Prisoner,» il plonge dans de drôles de profondeurs, c’est noyé d’ombre et de no way out. Et même assez toxique. Il réussit toujours à l’alpaguer. Il monte comme Jimi Hendrix dans le Watchtower. Cet album est enregistré et mixé en Arizona. Il revient à sa chère heavyness avec «Line». Bienvenue en enfer ! Son solo coule comme un jus brûlant. Bien heavy lui aussi, son «Never Win» tranche dans l’épaule. Il t’enfarine ça dans un solo de trash-punk. Tu crois rêver. Le grand Sage qu’est pas Sage est un fast runner, un coureur de distance. On l’admire pour cette faculté qu’il a de courir en fin d’album («Silver Trail»). Bizarrement, le début d’album n’est pas très bon : trop conventionnel, trop soupe aux choux, rrrhuu, rrrrrhuuu. Il a du mal à sortir de sa casserole. Les trois premiers cuts sont atrocement connotés, on dirait du gratté de poux à la Dire Straits, comme si le Sage était devenu bien sage. On le préfère quand il repart en fast tempo, par exemple avec «Sign Of The Times». Il remonte à cheval et file à travers la plaine. Il tagadate à l’éclate du Sénégal, il n’est pas près de s’arrêter. Ses fast rides sont secs et sanctionnés, alors tu peux le suivre, si tu sais courir vite. 

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             Deuxième album sur le label de Tim Kerr : The Herd. Ça commence mal, car «Psychic Vampire» te tombe littéralement sur le coin de la gueule. Ce Sage qu’est pas sage te cavale à travers ta plaine, il t’écrase ton petite champignon et te court sur l’haricot. Tu n’as pas le choix, tu ne peux que le vénérer. Il est effarant de power et toujours cette profondeur de champ, cette extrême tension, il faut le voir gratter ses poux dans l’écho du temps. Greg Sage et Eddie Bo dans la même soirée, ça fait beaucoup trop. Sage qu’est pas sage est le roi de la dégelée, il a le génie du son, il est une sorte de Totor du pauvre, rien qu’avec ce «Psychic Vampire», t’es repassé au pli. L’autre coup de génie de l’album est le «Resist» qui se planque vers la fin. Bardé de Sage sound, ce mec te remplit à ras-bord, c’est extrêmement puissant. Il va toujours vite, avec du son. Encore une belle énormité avec «Last Chance». Il crée son monde sur place, au débotté, il malaxe l’argile de sa heavyness, il pétrit la latence de la pertinence, c’est miraculeux de le voir à l’œuvre. Il sait aussi bombarder, comme le montre «No Place Safe». Aw comme c’est chargé, un vrai ciel d’apocalypse ! Il y flotte comme un psychic vampire et ses solos remontent jusqu’au firmament, au note à note. Ce mec te carbonise de bonheur sonique. Avec «Stormy», il taille sa route dans la jungle. Il est bon dans tous les registres, il s’accorde à toutes les imageries, même celles d’Épinal. C’est vrai que ce mec gagne à être connu. Son «Green Light Legion» est bien charpenté, hérissé de rafales. Pas de place pour le hasard, ici. Sage qu’est pas sage bâtit son empire cut après cut. Il revient à sa chère hypno avec «Defiant». Cavaler ventre à terre dans la plaine en flammes, c’est tout ce qui l’intéresse.

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             Ah, encore un album imparable : The Power In One. Ça grouille de coups de génie, là-dedans, dès «The Fall», fracassé aux accords de fricassée, on sent la fibre des notes de clairette dans le bazar de la frondaison, c’est un son extrêmement puisant, ce mec orme son tourment apocalyptique de finesses florentines, il torture le spectre sonore pour lui faire avouer ses avanies. Le grand Sage te plonge dans sa bassine d’huile bouillante, il développe une ambiance de densité extrême. Et ça continue avec «Shaken», il est partout dans le son, il renoue avec l’énergie du Gun Club, son Shaken est du pur jus de «Death Party». Il repart de plus belle avec «Rest Of My Life», il joue sur du rebondi avec des layers fantastiques, il est aussi fin que l’était Jeffrey Lee Pierce, tu retrouves dans ce Rest toute la navigation du Gun Club. Avec «Rocket», il sonne comme Thin Lizzy, il est on fire, il a des pétards dans le cul, il force bien le passage, comme le fit Phil Lynott en son temps. Le Sage veille sur notre incurie. Avec le morceau titre, il arrose la terre de brillants accords bruissants, il joue à l’automne du rock hypnotique, c’est incroyablement bien dosé. Il faut dire que la prod d’Arizona est superbe. Il remonte au créneau du heavy sludge avec «Misleading». Tu entends rarement des heavy boogies de cette qualité. Le Sage a tous les pouvoirs. Encore un déluge de son avec «Still Inside Of Me», il pleut du son et du Sage. Il trace son chemin de croix à coups de solos d’élévation. Tout aussi wild as fuck, voilà «Ship Of Dream», il entasse les layers de gratte, c’est hallucinant. Greg Sage est un artiste passionnant. Il est l’un de ceux qui savent gratter des accords sautillants dans la tourmente d’un heavy mood.

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             Entre deux rafales de Wipers, Greg Sage enregistre des albums solo. Le premier s’appelle Straight Ahead. La tendance globale de l’album est le balladif enragé. Sage qu’est pas sage gratte à sec. Dans «Soul’s Tongue», il lui demande de lui parler avec sa langue : «Speak to me with your soul’s tongue». Et puis au détour d’un «Blue Cowboy», il se met à sonner comme Chris Bailey. Petit à petit on le voit s’énerver, toujours avec du son Sainty, sur «Your Empathy» et comme il a de l’énergie à revendre, il devient sautillant sur «Seems So Clear». Il se perd un peu en B («Lost In Space») et continue de tout gratter à la clairette d’electrac («World Without Fear»), avec une belle unicité de ton et de son. Il termine avec un «Keep On Keepin’ On» plus sombre, gratté dans les ténèbres de va-pas-bien, l’a pas été sage, le Sage. Puni. Alors il gratte au fond du placard à balais où l’a enfermé le diable.

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             Pour la pochette de Sacrifice (For Love), le Sage qu’est pas sage a pensé à des petits squelettes mexicains. Quel farceur ! En attendant, il continue de gratter ses poux. Pour le morceau titre, il gratte vite et sec à la surface de la peau du cut. Pas facile de savoir avec un mec comme lui, il tente un peu le diable, il cultive la tension, ce qui peut expliquer la présence de squelettes sur la pochette. Avec «Forever», il tente encore de créer l’illusion, il est tout près, et puis il finit par te harponner avec ses vieux accords. Curieux mélange de oui/non. Ça paraît bon et ça ne l’est pas vraiment. Il a perdu l’éperdu des premiers albums. Mais il rebondit toujours. Avec «No Turning Back», il dégouline de no turning back aw ! Il redevient enfin monstrueux avec «Ready Or Not». C’est même du pur jus Gun Clubbish, du «Death Party» à la sauce de Sage avec du killer solo flash en retour de manivelle. Sage a du génie, qu’on se le dise ! Rien qu’avec «Ready Or Not», t’es content d’écouter cet album. Et pouf, il enchaîne sur une cover démente de «For Your Love», il tape dans le yard des Yardbirds, il en a les moyens, il en fait un Sage Yard, il a tout le son du monde. Il réussit à rehausser le power des Yardbirds avec le sien et il amène son beat en plus. «For Your Love» devient autre chose, Sage le joue au super power. Il y a là un truc qui te dépasse. Il reste dans le heavy Sage avec «This Planet Earth», il redevient magique, il gratte ses poux dans un overall de sonic boom, il te barbouille l’horizon au beat énorme, il est là, debout avec un chant un peu épais, il revient à son péché mignon, l’hypno. Il referme la marche des squelettes avec «Dreams». Au milieu des arpèges, il sonne comme Lou Reed. Ce mec t’épuise. Il est trop bon. Il faut le voir descendre dans la fosse. Oui, c’est un génie.

    Signé : Cazengler, Wiper fouettard

    Wipers. Is This Real? Park Avenue Records 1980

    Wipers. Youth Of America. Park Avenue Records 1981

    Wipers. Over The Edge. Brain Eater 1983

    Wipers. Land Of The Lost. Restless Records 1986    

    Wipers. Follow Blind. Restless Records 1987           

    Wipers. The Circle. Restless Records 1988         

    Wipers. Silver Sail. Tim/Kerr Records 1993   

    Wipers. The Herd. Tim/Kerr Records 1996  

    Wipers. The Power In One. Zeno Records 1999

    Greg Sage. Straight Ahead. Enigma 1985

    Greg Sage. Sacrifice (For Love). Restless Records 1991

     

     

    Wizards & True Stars

    - J’ai la Watts qui s’dilate (Part Three)

     

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             L’autre jour, on musardait dans les pages de chroniques de livres que proposent chaque mois les canards anglais et pouf, sur qui qu’on tombe ? Oh ! Charlie Watts ! What, encore un Watts book ? What the fuck ! L’«À-quoi-bon» fut la première formule à s’inscrire dans la bulle de BD qui se formait au-dessus de la tête. Mais au fond, cette persistance éditoriale avait un petit côté tellement mutin, tellement espiègle, que dans les bulles suivantes s’inscrivirent des formules du genre «Là Charlie tu charries», ou mieux encore, «Arrête ton Char, lie.»

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             Oui, car la légende de Charlie Watts n’en est pas à son coup d’essai. On avait ici même salué en 2021 l’excellent book de Mike Edison, Sympathy For The Drummer - Why Charlie Watts Matters. Book doublement excellent, puisque ce fut d’une part le dernier cadeau de Gildas, et d’autre part une fantastique incitation à réécouter tous les albums des Stones, via Charlie. Mike Edison loue si bien le talent de Charlie Watts qu’on réécoute les Stones avec une oreille complètement vierge. Dans les vieux blah-blahtages marathoniens, les spécialistes citent toujours les deux mêmes : Keef et Brian Jones, rarement Charlie Watts. Avec un brio surnaturel, Mike Edison avait réussi à colmater cette atroce carence. Et voilà que Paul Sexton prend la suite avec Charlie’s Good Tonight.

             Bon alors attention, ce n’est pas du tout la même approche. À force d’enthousiasme, Mike Edison réussissait à transformer un beurreman effacé en clé de voûte de la Stonesy. Sexton propose une collection d’anecdotes et de témoignages qui puent le déjà vu, mais comme il s’agit de Charlies Watts, le déjà vu convient parfaitement, puisqu’il s’agit avant tout d’alimenter la rubrique des True Stars. Les tours de Brian Jones et de Keef viendront plus tard. Pour une fois, Charlie passe en proms.

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             Au dos du Sexton book, tu vas tomber sur un portrait extraordinaire de Charlie : il prend la pose, accoudé sur une commode, le buste serré dans un blazer prince de galles croisé, fermé d’un seul bouton, avec la main droite qui pend dans le vide. On pense immédiatement au portrait de Robert de Montesquiou par Boldini : c’est exactement la même élégance de jeté d’épaule, à la canne près. Montesquiou déboutonne sa vareuse en soie, c’est le côté français. Charlie boutonne son blazer, c’est le côté anglais.

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             Sexton ne prétend pas être écrivain. Il compile. Il réussit toutefois à bien approcher la psychologie de son personnage, n’utilisant que la partie visible de l’iceberg. Pour structurer son récit, il opte pour la facilité : le fil chronologique. Pour un auteur, un personnage du calibre de Charlie, c’est vraiment du gâtö : il n’existe pas de vie plus lisse que celle de Charlie Watts : une seule femme, Shirley, une seule fille, une seule petite-fille, un seul groupe, une seule passion, l’élégance, et un seul vice : les collections. Collections d’objets, de 78 tours, de drum kits, de bagnoles, de livres, et de chevaux de course. Car oui, on finit par devenir millionnaire quand on bat le beurre dans les Stones pendant soixante ans. Ah n’oublions pas le plus important : un seul talent, indépendamment du beurre, l’humour. Attention, c’est de l’humour anglais. Un petit exemple. Charlie s’adresse à la presse qu’il n’aime pas beaucoup et leur balance : «Je donne l’impression de m’ennuyer - of being bored - Mais je ne m’ennuie pas vraiment. I’ve just got an incredibly boring face.»

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             Alors évidemment, ça démarre avec les deux préfaces prévisibles : celle de Jag et celle de Keef. Ça commence mal avec celle de Keef, car il explique qu’à chaque fois qu’il doit parler de Charlie Watts, il s’aperçoit qu’on ne peut pas en parler - you realise the essential man wasn’t something you put into words - Keef en déduit que Charlie était une présence, «and when you were with him, that was it.» Il conclut avec cette phrase qui sonne comme un aphorisme : «Charlie was just what you got, which was Charlie. He was the realest guy I ever met.» On peut le croire , le Keef Keef bourricot, car des guys, il en a pratiqué des tonnes.

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             Sexton commence par nous radiner la fraise d’un jeune Charlie passionné de jazz et de design. Avant d’intégrer les Stones, il bosse dans une petite agence de pub à Londres. Et comme bon nombre de ses contemporains devenus célèbres par la suite - Jack Bruce, Ginger Baker, Graham Bond, Davy Graham, Long John Baldry, Dick Heckstall-Smith, Jagger - il débute dans le Blues Incorporated d’Alexis Korner. Quand Charlie bat le beurre pour Korner, Jack Bruce joue de la stand-up. Charlie indique d’ailleurs que Jack va passer rapidement à la basse électrique. En plus de Jag, d’autres chanteurs se bousculent au portillon. Charlie se souvient de Paul Jones et d’un Américain nommé Ronnie Jones.

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             Alors évidement, ce book est l’occasion rêvée de replonger dans l’histoire des early Stones, un temps béni où Brian Jones se faisait appeler Elmo Lewis en hommage à Elmore James, il y avait aussi Stu Stewart qu’Andrew Loog Oldham allait écarter pour cause de non-look, et dans la toute première mouture des Stones, avant l’arrivée de Bill & Charlie, tu avais Dick Taylor à la basse et Mick Avory au beurre. On parle aussi d’un certain Tony Chapman, qui jouait avec Bill dans les Cliftons, ou encore de Carlo Little, qui jouait dans le groupe de Screamin’ Lord Sutch. Charlie les connaît tous. Puis les early Stones s’installent à Edith Grove, Chelsea : d’abord Jag et Brian Jones, puis Keef. Charlie dit qu’il s’y installe aussi, mais il rentre chez ses parents le week-end. Il ne faut tout de même pas exagérer. Il en garde cependant un bon souvenir - It was a bloody laugh, actually - On est en 1962, à l’aube des temps. Bill est engagé plus pour son ampli que pour sa technique, ironise Sexton, et Charlie donne sa dem à Blues Incorparated pour rejoindre les Stones. Comme motif de démission, il dit qu’il n’est pas au niveau des autres Blues Incorporated.

             Charlie admire énormément Ginger Baker, il le trouve américain - He sounded more to me like Elvin Jones than Elvin does - Il faut s’habituer à ce genre de facétie. Charlie est un pince sans rire. En quittant les Blues Incorparated, Charlie refile le job à Ginger et lui dit qu’il se casse parce que le groupe n’est pas «a secure future». Nettie, la fille de Ginger, rapporte que son père a trouvé cette répartie hilarante. En échange, Ginger lui refile le plan Brian Jones. Nettie : «My dad liked Brian because he said he was a good musician.» Un soir, après un concert des early Stones, Ginger chope Brian Jones pour lui dire ceci : «Ton batteur est une vraie catastrophe. Why don’t you get Charlie Watts ?».

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    ( Fred Below )

             Mais les Stones ne savent pas s’ils ont les moyens de s’offrir Charlie Watts. C’est en tous les cas ce qu’affirme Keef dans son autobio - God, we’d love that Charlie Watts if we could afford him - Ils finissent par se l’offrir, lui faisant miroiter un CDI. Un fois embauché, Charlie écoute les albums de Jimmy Reed avec Keef et Brian Jones, à Edith Grove. Il écoute surtout Earl Phillips, le batteur de Jimmy Reed, il découvre ensuite qu’Earl Phillips joue comme un batteur de jazz, «playing swing, with a straight four.» Puis il passe à Fred Below, le batteur Chess qu’on entend sur les albums de Chucky Chuckah et de Muddy - Freddy Below, on the other hand, played shuffle, which is what they did in Chicago - Il rend un hommage fondamental à cet homme qui fut à sa façon la clé de voûte du Chess sound - So we learned to play the Freddy Below way - Et pouf, les voilà sur Decca, les early Sones, avec une cover de «Come On». Charlie se marre : «We never did it as good as Chuck Berry, nobody ever does.» Il ajoute que Chucky Chuckah en fit une «very hip version. The rhythm is great. It’s like a New Orleans rhythm he plays, it’s fantastic. We played it straight, like a Liverpool beat group. When we were young, we played things bloody fast.» «On ne se posait pas de questions», conclut Charlie en éclatant de rire.

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             Bill indique que si les early hits des Stones sont tellement brillants, c’est un peu grâce à Charlie, «because he was a jazz drummer, and so we were streets ahead of anybody that ever wanted to imitate us. They never could quite get the feel we had.» Les Stones se font virer des clubs de jazz à Londres et sont obligés d’aller jouer à Richmond ou à Twickenham. Charlie rappelle que les Stones en pincent pour le down home blues, the Diddley stuff and Muddy Waters.

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             Et puis en 1964, les Stones explosent. Sexton sort les chiffres : 206 gigs dans l’année, deux tournées américaines, et les gros shows télévisés. Bill ramène toujours son grain de sel à bon escient : «Les Beatles composaient des chansons meilleures que les nôtres, ils chantaient mieux que nous, but we were so much better than them alive.» Très vite, il apparaît que la vie en tournée ne plaît pas trop à Charlie qui est assez casanier et qui ne rêve que d’une chose : retrouver sa chère Shirley et sa fille Seraphina. Charlie menace régulièrement de faire la grève des tournées : «I’m not touring anymore», et les autres lui rétorquent : «You are». Bill dit que Charlie mettait du temps à accepter de repartir - But he didn’t like it - Alors en tournée, il dessine. Il dessine toutes ses chambres d’hôtel, les lits, les postes de télé. De toute façon, Charlie n’aime pas la musique des Stones. Quand on lui dit : «I’m a great fan of the Stones», il répond : «I’m not. It’s what I do. Mick and Keith and Ronnie are my friends and the band is a very good one, but that’s it.» Sec et net. Comme son beurre.

             Il ne s’attarde pas trop sur la fin de Brian Jones, une fin qui dit-il était prévisible, mais il le dit à l’anglaise : «It wasn’t unexpected, to be honest with you.» Bon, il précise : «On ne s’attendait pas à ce qu’il casse sa pipe en bois, mais ça faisait au moins deux ans qu’il allait très mal.» Il a une façon très wattsienne de dire les choses : «Brian, you could see him going, or not going but getting very unwell. Il était très jeune, on ne meurt pas à son âge. Il est allé de plus en plus en plus mal. So there was that ‘knock, boink, pick up again’, et on ne tournait plus depuis longtemps. I guess that’s what happened.» Pour d’autres détails, il faudra repasser un autre jour.

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             Quand les Stones s’exilent et qu’ils s’installent dans le Sud de la France, la famille Watts s’installe à Saint-Jean-du-Gard, dans les Cévennes. Séraphina va à l’école du village. C’est l’époque Mick Taylor, puis Ronnie Wood arrive. Sexton salue Some Girls, un album qui selon lui out-punked punk, avec «Respectable» et «Shattered». Il a raison, le Sexton. Charlie dit avoir adoré les Pistols, mais détesté le look punk autant qu’il avait détesté le «bloody flower power».

             Sexton passe un temps fou sur le chapitre vestimentaire. Charlie entre un jour chez Cleverley demander s’il pourrait se faire faire des pompes sur mesure. Le shoemaker lui répond qu’il en serait ravi. Alors Charlie indique qu’il a déjà un shoemaker qui lui fait des pompes sur mesure, mais dit-il ça prend du temps : «Il leur faut deux ans et demi. Pouvez-vous réduire ce délai ?». Le mec le rassure : «Oui, deux ou trois mois». Charlie est ravi : «Oh, that’s wonderful.» Puis il demande au loufiat s’il va lui prendre ses mesures. Bien sûr dit le loufiat. La scène se déroule en 1993 et Charlie sera client du shoemaker d’Old Bond Street jusqu’à la fin, en 2021. Une paire de pompes chez Cleverley coûte la bagatelle de £4,000. Charlie s’est fait faire 80 paires de pompes chez eux. Bien sûr, il se fait aussi faire des costards sur mesure. Si un jour il s’aperçoit qu’il a du mal à entrer dans son futal, il arrête de manger. Il surveille sa ligne. Quand il monte sur scène, il porte aussi du sur-mesure. Pas question de jouer en costard trois pièces, bien sûr, alors il se fait faire des T-shirts sur mesure. Même quand il se trouve chez lui, dans le Devon, au fond de sa cambrousse, Charlie porte un costard trois pièces à table. Jools Holland dit que «Charlie was the best dressed man I think I’ve ever met.» Charlie prend en fait comme modèles les fameux jazz greats qui s’arrangeaient toujours pour être tirés à quatre épingles. Charlie s’inspirait en outre de personnages historiques du XVIIIe siècle ou des années 30. Dommage qu’il ne soit pas fait mention d’Oscar Wilde, ni de George Brummel. Sexton ne s’aventure pas trop sur le sujet des dandies. Peut-être est-il inculte sur le sujet. Va-t-en savoir. 

             Quand il pique sa crise de midlife, Charlie tape dans la dope. C’est la seule explication qu’il donne. Plus jeune, il n’avait jamais approché les drogues, «but at that point in my life I went ‘Sod it, I’ll do it now.» Il est le premier à savoir que les drogues sont dangereuses pour lui parce qu’il sait qu’il est déjà bizarre naturellement. Il reconnaît en outre qu’il n’a pas la constitution idéale pour jouer avec junk. La crise a duré deux ans - And I very nearly killed myself, je veux dire, pas en overdosant, I mean I nearly killed myself spiritually, I nearly ruined my life - Alors il arrête tout, même de bouffer. Pendant six mois, il a vécu de «water, sultanas and nuts.» Keef l’admire car en ce qui le concerne, il a mis dix ans à s’en sortir.

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             Et puis voilà Bill qui s’en va. La nouvelle est annoncée en 1993. Bill sort d’un mariage compliqué avec Mandy Smith et il se maque avec Suzanne Accosta. Il veut reprendre sa liberté artistique et développer ses propres projets. Charlie est triste de voir partir son meilleur ami. Quelques années après son départ, Bill raconte qu’un soir Charlie l’appelle d’Amérique du Sud pour lui dire : «Ce soir, en plein milieu du show, je me suis tourné vers toi pour te dire un truc, mais tu n’étais pas là.» Fantastique anecdote. Elle en dit long sur la qualité du lien qui unissait Bill et Charlie. Keef demande à Charlie de choisir un successeur à Bill. Le remplaçant n’est autre que Darryl Jones, un bassman black qui a joué avec Miles Davis. Encore l’une de ces petites infos rigolotes dont se pourlèche Sexton : pour le 75e anniversaire de Bill en 2011, les Stones lui ont offert 75 roses. Dead roses ?

             Puis on arrive à l’époque où les tournées des Stones deviennent extrêmement lucratives. Charlie a beau rechigner à tourner, les autres se marrent en douce. Ronnie raconte que Charlie et Shirley sont allés acheter des étalons arabes à Albuquerque, au Nouveau Mexique : «Il faut qu’il puisse les payer, ses canassons. Alors il doit repartir en tournée, sinon, il est fauché.»

             Entre deux tournées, les Stones sont éparpillés à travers le monde. Charlie : «Mick est celui auquel je parle le plus. Par contre, tu n’as pas de nouvelles de Keith pendant un ou deux mois, parce qu’il hait les téléphones. Il est le plus excentrique de nous tous. Il adore partir en tournée. Quand je lui dis que je vais prendre ma retraite, il me dit : ‘Mais qu’est-ce que tu vas faire ?’. Il lit des tas de bouquins. Il ne lit que des très gros livres. Plus ils sont gros, plus il est content. Il ne regarde jamais la télé.» Charlie déteste que Keef lui pose cette question : «Qu’est-ce que tu vas faire ?» - I actually don’t do anything except play the bloody drums. So it’s a very difficult one to answer.

              Charlie collectionne les batteries : celle que Kenny Clarke a filé à Max Roach, celle de Sonny Greer qui jouait dans le Duke Ellington’s band, il collectionne aussi les premières éditions d’Agatha Christie, de Graham Greene, de Pelham Grenville Wodehouse, d’Evelyn Waugh, all signed, ajoute Sexton haletant. Charlie collectionne aussi les costards, les bijoux, il possède la montre de Benny Goodman. Il entasse ses collections dans une pièce - It’s a museum that‘s out of control - Sexton en tartine des pages entières, Charlie collectionne aussi les bagnoles, alors qu’il n’a jamais passé son permis, et ça repart de plus belle, il adore s’habiller pour aller s’asseoir dans ses bagnoles et écouter le bruit du moteur, il possède une Lagonda Rapide Cabriolet de 1937 avec un moteur V12, une Bugatti Atlantic des années 30, une 2CV Citroën jaune, un Méhari, une Lamborghini Miura et quelques Rolls-Royces - Il ne voyait pas l’intérêt d’ajouter à sa collection un camion de marchand de glace ou un hovercraft, comme l’avait fait son ami Keith Moon.

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             Et puis l’humour rejaillit à tout instant. Charlie confie ceci à Sexton à la fin des années 1990 : «Mobile phones I think are a pain in the arse, mais la plupart des gens les trouvent fantastiques. Je ne sais comme ferait Mick sans son mobile phone. Je ne peux pas les supporter. But I think I’m more of a dinosaur than he is.» C’est d’une finesse extrême et d’une grande drôlerie sous-jacente. En juin 2018, Charlie est sur scène pour son 77e anniversaire. Les gens le verront pour la dernière sur scène le 30 août 2019, lors du concert final du No Filter tour.

    Signé : Cazengler, Charlie Ouaf (va chercher la baballe)

    Paul Sexton. Charlie’s Good Tonight. Mudlark 2022

      

     

    Inside the goldmine - Sexton machine

     

             Pendant quelques années, nous passions notre temps à réinventer la vie. Avec Baby Brain, c’était un jeu d’enfant. Nous mettions nos idées en commun et elle savait comment assurer leur mise en œuvre. Encore fallait-il que les idées soient crédibles et qu’elles fussent en concordance avec ce que nous savions de nos profondes aspirations. Notre mode de fonctionnement reposait sur un étrange mélange d’audace, de fantaisie, d’admiration mutuelle et de soif de vie. Il fallut donner un toit à ces jaillissements quotidiens de créativité, ce que nous fîmes en finançant la réhabilitation d’une ancienne usine à bonbons, puis pour donner corps à notre audace, nous nous mîmes à remporter des appels d’offres et à collectionner les gros budgets, en veillant à ne pas nous compromettre avec des rabat-joie institutionnels. Baby Brain valait franchement le coup d’œil. Il émanait d’elle un charme extrêmement subtil, un mélange de Lady Chatterley et de regard clair, de crinière fauve et de léger accent, elle savait choisir un parfum, elle disposait de cette intelligence très vive qui distingue les Anglaises des continentales. Pendant que neuf continentales sur dix s’observaient le nombril, Baby Brain imaginait l’avenir, elle entrevoyait les possibilités, et quand elle décrivait les façons d’y parvenir, c’était en rigolant, car pour elle, tout n’était qu’un jeu. Nous découvrîmes en nous une source d’énergie intarissable. Nous repartions de plus belle chaque matin, aussitôt le breakfast : les plans sur la comète, les rendez-vous prévus avec tous ces gens qu’on aimait bien, et la perspective d’une soirée au théâtre ou dans un cabaret, il suffisait de feuilleter l’Officiel qui regorgeait alors de possibilités. On appelle généralement ce type de tranche de vie un conte de fées. Comme Baby Brain savait pertinemment qu’un conte de fées ne peut pas durer éternellement, elle décida un jour d’anticiper et d’y mettre un terme. La scène se déroula de façon très formelle, un dimanche matin. Nous prenions le breakfast sur la grande terrasse surplombant la Seine et d’une voix absolument normale, elle déclara : «Puisque nous devons mettre un terme à notre histoire, tu vas devoir te suicider.» Elle avait raison, il n’existait pas d’autre moyen de mettre fin à ce conte de fées.  

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             Pendant que Baby Brain réinventait la vie, Ann Sexton réinventait la Soul, ce qui revient à peu près au même. Ann Sexton n’est pas anglaise mais américaine, descendante d’esclaves de Caroline du Nord. Aux États-Unis, tous les blacks et toutes les blackettes descendent d’esclaves, puisqu’il apparaît qu’aucun d’entre eux n’a traversé l’océan de son plein gré. Le fait que cette tragédie ait généré la Soul est une maigre consolation, disons qu’il s’agit là d’une façon d’illustrer le désuétisme de l’expression «faire bon cœur contre mauvaise fortune». Ann Sexton n’est pas facile à localiser, elle n’est connue que des amateurs chevronnés de Northern Soul, on croise son nom sur les fameux Northern Soul Weekenders, et comme elle sonne particulièrement bien, on fait l’effort d’aller fouiner dans sa discographie. Oh, il n’y a pas grand chose, à part les singles, juste deux albums.

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             Le premier date de 1973 et s’appelle Loving You Loving Me. Ann Sexton fait de la heavy Soul et chante d’un timbre légèrement altéré. Elle fait partie des petites Soul Sisters qu’on vénère, car sans prétention. Elle fait de la petite Soul fine avec «You’ve Been Gone Too Long», elle est suivie par une guitare funky fluette et ça file bon train. Avec «I Still Love You», elle vire plus shaky. Elle drive son modeste r’n’b avec cet élan vital qui fait les grandes Soul Sisters de l’underground magnétique et, petite cerise sur le gâtö, tu as un solo de jazz joué en atonalités dans le flux du groove. Tout est extrêmement fin sur cet album, tout est tiré à quatre épingles. Rien à voir avec Stax ou Motown. C’est encore une autre école. Il faut savoir que l’album est produit par deux blancs, David Lee et John Richbourg, surnommé «the Daddy of Rhythm & Blues». En B, Ann Sexton fait du pur Muscle Shoals avec «You’re Gonna Miss Me». Bien vu, bien foutu, magnifique mise en place des chœurs et des cuivres, oh honey !  You’re gonna lose a good thang ! Elle fait aussi  un «Love Love Love» avec des chœurs de gospel et nous ramène un peu plus loin un joli shoot de cuddle up avec «Let’s Huddle Up And Cuddle Up», pianoté dans le lard des règles avec un bassmatic proéminent et un beurre de jazz. Magnifico !    

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             Son deuxième album s’appelle The Beginning. L’amateur de dancing Soul se régalera de «You Can’t Lose With The Stuff I Use». Solide et beau, elle fait danser le dancing floor, elle est bonne au petit jeu du gros popotin. L’autre standout track de l’album est celui qui ouvre le bal de la B, «Colour My World Blue». Elle poursuit son petit bonhomme de chemin et chante d’un beau timbre black bien rond. Son «Sugar Daddy» semble rester en suspension, mais c’est extraordinairement bien articulé. Ann Sexton est une petite Soul Sister passionnante. Elle sait se montrer languide quand il le faut, attachante et elle n’oublie jamais de se maintenir à un niveau d’excellence.

    Signé : Cazengler, Âne sectaire

    Ann Sexton. Loving You Loving Me. Seventy Seven Records 1973  

    Ann Sexton. The Beginning. Sound Stage 7 1977

     

     

    L’avenir du rock - Moonlight my fire

     

             When the sun goes down and the moon comes up, l’avenir du rock chante son petit couplet et sort faire un tour. Les soirs de pleine lune, de longs poils noirs poussent sur ses mains et son visage. Il rase les murs et file directement jusqu’au cimetière. Il ouvre une tombe avec son pied de biche pour en extraire un squelette et danse le jerk avec lui. Et puis soudain, il s’arrête. Il se dit que c’est trop facile de faire le con dans un cimetière une nuit de pleine lune. Le voilà en plein cliché, lui qui en a une sainte horreur. Il ne manque plus que les ouuhhhh-ooouhhh de Wolf pour que le tableau soit complet. La messe est dite depuis tellement longtemps. De rage, il jette le crâne qu’il a déterré et rentre chez lui. Il croise un chat qui lui souhaite le bonsoir d’une voix humaine. Excédé, l’avenir du rock lui flanque un coup de pied terrible. Le chat s’écrase contre un mur. Au coin de la rue, l’avenir du rock tombe sur Bryan Gregory. Ah non pas lui ! Cette fois, c’en est trop. Il brandit son pied de biche pour aller éradiquer le cliché qui, épouvanté, s’enfuit en poussant des cris d’orfraie. Bryan Gregory court trop vite. L’avenir du rock le poursuit jusqu’au cimetière, bien décidé à en finir une bonne fois pour toutes avec ces maudits clichés. Évidemment, une fois arrivé dans le cimetière, Bryan Gregory se volatilise. L’avenir du rock réfléchit un moment. Cet imbécile a dû se planquer dans un caveau. Il commence à inspecter les gros bâtiments funéraires et soudain, il tombe sur une porte entrebâillée. Il s’y faufile. Il aperçoit dans la pénombre une dalle déplacée. Il la pousse et découvre l’accès d’un tunnel. Il y descend et au loin brille une petite lueur. Il s’en approche, c’est une torche. Et plus il avance, plus il sent qu’il s’enfonce dans le ridicule. Le cliché le mène par le bout du nez. Ah non ! Cette fois c’en est trop ! Il fait demi-tour, rentre chez lui. Il commence par raser les poils qui ont poussé sur ses mains et son visage. Fin du cliché. Puis il passe aux choses sérieuses : il s’installe confortablement dans son fauteuil pour écouter le dernier album de Moonlight Benjamin.

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             Si tu veux voir et entendre du Voodoo, c’est pas compliqué : tu prends ton journal régional, tu vas directement à la page des actualités culturelles de ta fucking région chérie et tu cherches un concert voodoo. Comme c’est ton jour de chance, tu tombes sur le nom de Moonlight Benjamin. Haïtienne ? Tu ne peux pas espérer plus voodoo. Il ne te reste plus qu’à prendre tes cliques et tes claques et filer au concert.

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             On ne sait pas d’où elle sort, mais elle sort. Pas seulement de l’ordinaire. Elle sort. Elle échappe à tout. Pourtant jeune, elle semble avoir traversé les siècles, pas vampire, juste voodoo, un cran légèrement au-dessus, elle porte une robe noire de prêtresse voodoo du XVIIIe siècle, mais elle danse aussi comme ces magiciennes de Libye que décrit Marcel Schwob dans l’un de ses contes les plus lunaires, «Les Embaumeuses». En évoluant sur scène, elle croise les sons et les époques, elle exhale toute l’Africanité d’Haïti et véhicule dans son sillage la clameur des révoltes d’esclaves qui ont conduit cette île à l’indépendance, elle est le voodoo de la colère du peuple noir, et pourtant, elle s’entoure de musiciens blancs, comme pour mieux dérouter les cargos d’hypothèses entrepreneuriales, elle visite les replis du temps et jette sa poudre magique dans les tempêtes soniques que lève sur sa guitare le petit blanc à sa droite, elle traverse la salle d’Est en Ouest et ses voiles noirs flottent comme des mauvais songes, pire encore, comme des mauvais présages, elle dégage l’âcre odeur des sortilèges, elle charge l’atmosphère à outrance, seule une grande prêtresse voodoo issue des siècles passés peut prétendre à une telle démesure.

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             C’est vrai, on cède dès le premier coup d’œil, on se laisse aller à délirer, mais le son de sa voix ne trompe pas : comment une voix aussi sourde et aussi puissante peut sourdre du corps d’une blackette aussi jeune ? Elle ne chante pas, elle tonne, elle ne tonne pas, elle dégomme, elle ne dégomme pas, elle boule de gomme, elle ne boule de gomme pas, elle bourre et bourre et ratatame, elle n’a même pas besoin de tam-tams, elle bourre et bourre les dindes idéologiques, elle bourre le mou du consensus mou, elle bourlingue l’angle, elle ne s’offre pas en spectacle, elle crucifie l’idée du spectacle sur l’autel voodoo.

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    Elle chope le poulet spectacle des blancs pour lui couper cabèche et prendre une douche fictive de sang voodoo, alors tout ça se met à danser dans l’imaginaire, mais il manque l’essentiel : la transe. No transe en France.

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             Ce qui fascine certainement le plus chez Moonlight Benjamin, c’est l’ovale parfait de son visage, l’extraordinaire dessin de ses yeux en amandes, cette beauté parfaite qu’on retrouve chez toutes les grandes artistes noires, de Dionne la Lionne à Miriam Makeba et passant par Nina Simone, cette façon qu’elle a de fixer les gens, et pour les ceusses qui auront eu le bon goût de rapatrier les albums, il y aussi des tatouages éphémères sur son visage. Ce sont les tatouages des gens du désert, elle aura sûrement vécu en Somalie, au temps de Richard Burton et d’Arthur Rimbaud, au temps où on tatouait le visage des plus belles femmes. Tu vois encore des très beaux visages tatoués dans certaines régions du Maroc, lorsque tu descends vers le Sud, après Ouarzazate. L’art scénique de Moonlight Benjamin consiste à s’accroupir au fond de la scène pour éclore comme une fleur maléfique, puis revenir arpenter la scène d’Est en Ouest. Elle peut tournoyer comme les derviches des montagnes du Rif. Lorsque la tension musicale atteint son paroxysme, elle peut s’élever de quelques centimètres. Elle danse pieds nus, des pieds qu’on aperçoit très peu, car longue est sa traîne.

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             Tu as tout ça pour une bouchée de pain, dans un théâtre de quartier populaire, sur ce que les gens d’ici appellent les hauts de Rouen, pas très loin d’un immense cimetière pas voodoo qui porte le doux nom de Monumental.

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             Elle est cadrée plein pot sur la pochette de Simido. Dès «Nat Chape», elle donne le ton : heavy beat voodoo. Elle chante au gut d’undergut avec toute l’Africanité dont elle est capable. Les deux petits culs blancs aux grattes se tiennent à carreau car Moonlight Benjamin ramène le souvenir des révoltes d’esclaves, c’est puissant, plein de coups de machettes dans la gueule des békés. Toute l’Afrique est derrière elle. Tu as des sons comme celui-là qui reprennent la compétition. Espérons que les fils d’esclaves vont conquérir le monde. Ça ne serait que justice. Moonlight Benjamin monte au créneau, elle chante avec autorité, elle ne s’écrase pas comme si elle avait grandi dans le Mississippi et dans la peur du patron blanc. Sur «Ki Novel», les grattés de poux sont admirables. Ils attaquent «Salwe» au heavy shuffle de gratte, ça vire JSBX, c’est explosé de son et de congestion et Moonlight Benjamin explore des régions inconnues du spectre sidéral. Cette dimension du voodoo n’est pas apparue pendant le concert, on a vu autre chose, mais pas cette dimension atrocement épaisse de domination spirituelle du peuple noir sur le monde, ça joue à la pire heavyness voodoo, une heavyness montée sur un riff hypnotique et bien ravagé par des lèpres, les plaies sont profondes, ça va chercher loin, dans un concert montant de fièvres et de rancœurs. Tu ne trouveras pas cette ferveur atroce sous le sabot d’un cheval. C’est wild as hell. Elle fouille les entrailles de l’Africanité dès l’intro de «Pale Pawol», elle danse autour des riffs, tu as enfin la transe. Étrange alchimie que celle des riffs blancs et de l’Africanité intrinsèque. «Tchoule» part en mode wild guitar slinging, elle allume le comment du pourquoi, le profond des surfaces, elle retourne le rock des blancs comme une peau de lapin. Elle est dans l’Haïti dont on ne sait rien, elle ratiboise le clair de lune, elle vise les hauteurs de la niaque, elle propose un mix de rock voodoo qui se fige à la Pointe du Ras des pâquerettes. Tout est puissant sur cet album, les petits culs blancs jouent bien le jeu, tu as de l’Africanité à tous les étages en montant chez Moonlight, elle touille tout ça dans son chaudron et te sert l’Africana du diable. Ça gratte pour de vrai sur «Pasay», elle a du pot d’avoir ces mecs derrière elle, alors elle peut exploser encore et encore, elle injecte des zèbres et des girafes dans le tourbillon, elle réinvente la notion d’intemporalité. Sur «Kafou», les petits culs blancs jouent comme des Africains, même le batteur réussit à jouer comme un blackos, et le guitar slinger claque des contretemps, alors Moonlight répand la clameur de son Africana dans l’éclat d’un jour d’ici ou d’ailleurs, on assiste avec «Kafou» à l’éclosion d’un effet participatif de la meilleure auspice, rien d’aussi pur dans le mélange des races, on n’avait pas vu ça depuis Sly & The Family Stone et Booker T & The MGs. Pur génius de mixed blast.

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             L’album précédent s’appelle Siltane. C’est l’album aux tatouages. Visage et dos. Les images sont magnifiques. Ça chauffe dès «Memwa’n» au heavy rockalama de Somalie, elle ouate ses sortilèges à la surface du son et derrière ça gratte le hard funk. C’est l’un des cuts du set sur scène. Oh oui, ça gratte au real funk, elle moule le funk dans sa voix vieille de plusieurs siècles, elle groove dans les ténèbres. Elle est bien plus puissante que ne le fut jamais le JSBX, elle te claque une Africana subliminale. Voilà enfin «Papa Legba», le plus connu des personnages mythiques haïtiens. Et pour les ceusses qui ne le sauraient pas, Papa Legba est un diable, elle l’invite à venir danser le sabbat, alors bienvenue en enfer ! On se croirait dans la scène mortelle de Wild At Heart à la Nouvelle Orleans. Aw comme c’est tribal ! Ça résonne si profondément dans ta conscience ! Retour à la pure Africana avec «Moso Moso», c’est un cut de batteur bien renchéri par des percus. Ils s’appellent Claude Saturne et Bertrand Noël. Pour le morceau titre, elle propose du heavy JSBX, mais c’est amené au sludge de no way out, elle tripote le groove de ses doigts crochus, elle fout la trouille, elle aménage des orifices, elle est atrocement reptilienne. Elle tape «Chan Dayiva» avec heavy groove voodoo, mais elle fait à la voix d’airain. C’est incroyable comme ses amis blancs sont à la hauteur. Elle enfonce encore son clou voodoo avec «Tan Malouk» et puis «Des Murs», qui est quasi r’n’b, ce sont les accords de «Gloria» qui se fondent la soupe aux choux et elle termine avec un «Met Agwe» qu’elle fait sonner comme un hit de Nina Simone. Elle fait autorité dans l’au-delà des guitares électriques.

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             Vient tout juste de paraître son nouvel album, Wayo. Même ambiance, elle sort encore des ténèbres pour la pochette. Esthétique maîtrisée. On sent qu’il y a une grosse équipe derrière. Dès le morceau titre d’ouverture de bal, on est en Haïti, elle ramène le son à l’essentiel, elle monte son Africana en neige noire, aye aye aye, elle te dévore de l’intérieur. On reste au pays des merveilles avec l’oh la oh de «Haut Là haut», elle te groove l’oh la oh à la mandingue de dingue, elle ramène carrément de la dignité dans le stomp des blancs, elle en fait le stomp d’Haïti, elle s’implique fabuleusement dans le process de démentoïsation de l’Africana. Le fantôme du JSBX hante encore «Taye Banda», cette fois c’est Jon Spencer qui hante le voodoo de Moonlight Benjamin, elle s’en accommode fort bien. Que de power dans ce Banda ! C’est claqué au heavy chords, à ce niveau de heavy blast, on est obligé de raisonner en termes de génie haïtien. Il faut bien admettre que les interconnections de fantômes finissent par nous dépasser. Elle tape dans le heavy groove de blues pour «Ouve Lespri», elle s’y fond avec l’aplomb d’une reine. Chaque fois, elle reprend le contrôle pour insuffler sa magie. C’est d’autant plus spectaculaire que ses amis blancs jouent comme des cracks. Elle taille encore «Pé» à sa mesure et entre en osmose avec le heavy goove de «Limyé». Sa voix sonne comme la grondement des flammes d’un immense incendie. Elle devient sculpturale dans «Bafon», elle s’enfonce dans les ténèbres du voodoo symphonique. C’est un peu comme si elle créait l’hymne national des temples voodoo. Rien d’aussi spectaculaire ! Tout est absolument noyé de son. Elle attaque encore «Ale» à la dure, avec sa belle énergie primitive. Elle chevauche son drive, Ale ale, elle y va, elle semble filer à travers une savane imaginaire. Quelle exubérance !

             On apprend à l’issue du concert que Moonlight Benjamin est installée à Toulouse et que ses amis blancs sont basés à Paris. Heureuse conjonction. 

    Signé : Cazengler, Benjaminable

    Moonlight Benjamin. L’Étincelle. Salle Louis Jouvet. Rouen (76). 28 février 2023

    Moonlight Benjamin. Simido. Ma Case 2020

    Moonlight Benjamin. Siltane. Ma Case 2017

    Moonlight Benjamin. Wayo. Ma Case 2023

     

    *

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    C’était le printemps. Un des mois les plus beaux de l’année. L’ont-ils fait exprès, voulaient-ils gâcher notre allégresse, je n’en sais rien, ne soyons pas complotiste, toujours est-il que Across The Divide sortait une vidéo du premier morceau de son proximal opus. Une horreur sans nom, d’une beauté inoubliable, je ne vous parle que de la première image, la suite n’était pas gaie mais nous avons tous des filtres de réception qui nous permettent de classer les émotions les plus insupportables dans des petites cases conceptuelles prévues à cet effet : exemple : dans la famille des Suicidés je voudrais la mort par pendaison. Si vous trouvez ce jeu un peu enfantin, il en existe une version davantage ésotérique : exemple dans les arcanes divinatoires du tarot me voici en possession de la carte du Pendu. Je dis cela pour vous faire sourire, car la première image de cette vidéo, s’inscrit en vous avec autant de force que le tableau L’île des morts d’Arnold Böcklin, un de ces engrammes qui s’en viennent tatouer votre cerveau pour en infléchir la marche. Vous n’avez pas de chance c’est ce titre qui ouvre cet opus que nous attendions avec impatience. 

    ETERNAL

    ACROSS THE DIVIDE

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    L’esthétique de la couverture n’est pas sans rappeler celle de Disarray leur dernier album, voir en notre livraison 497 du 11 / 02 / 2021 son élogieuse recension, prédominance de la couleur orange et importance donnée au nom du groupe. Sur Disarray il occulte la photo, sur Eternal réduit à son logo, il apparaît tout de même comme si l’on avait voulu l’agrandir au maximum de son support alors qu’à l’origine il n’occupait qu’une toute petite surface de l’écorce de l’arbre initial sur laquelle il aurait été gravé, pensons à la formule X + Y = A E qui perdure beaucoup plus longtemps que le lien affectif des naïfs amoureux qui l’ont tracé. Surtout si par mégarde il aurait été inscrit sur le tronc de l’Yggdrasil éternel.

    Ce qui tombe très bien quand on songe au titre de l’EP Eternal. Je ne pense pas que Across The Divide soit persuadé que son EP est éternel, mais qu’ils veulent nous avertir que la seule chose de la vie qui ne puisse pas mourir est la mort elle-même. Car si la mort mourait elle deviendrait vie. Across The Divide porte bien son nom. Ils explorent cette faille – Mallarmé la surnommait ‘’ un peu profond ruisseau calomnié’’ – qui sépare – et qui donc en même temps en exprime la jointure négative – la mort de la vie. Ou la vie de la mort.

    Charles Bogan / Regan McGowan / Axel Biodore / Maxime Weber / Alexandre Lhéritier

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    Unforgotten : au taquet, au maximum musical, une voix colérique comme qui sourd d’un cercueil refermé ou qui s’exhale  d’un chaos de grumeaux de terre enfoncée dans la gorge, une musique noire qui se plie et se replie sur elle-même tel un suaire infini qui ne parvient pas à étouffer la révolte intérieure, ne pas mourir définitivement, le cadavre crie ses dernières volontés, la consolation du pauvre, celle de vivre dans la mémoire des autres, des vivants qui lui ont survécu, ne pas être dissout dans le néant léthéen, chaque fois que leur nom est prononcé les morts ressuscitent-ils ne serait-ce que quelques secondes demande Rilke, la musique aurait-elle ce pouvoir, Across The Divide tente une résurrection orphique, instrumentation en lave de serpent qui tente de se mordre la queue, de boucler la boucle de la vie afin de nouer le nœud gorgien de l’éternité. La couleur de l’espoir est encore plus noire que les paroles prononcées par la bouche d’ombre. Ecoutez ce morceau à plusieurs reprises, au début vous avez l’impression d’une coulée uniforme, plus tard vous discernerez un entremêlement kaotique disparate, opposition de volitions contradictoires, par laquelle le groupe parvient au point dis harmonique d’instabilité absolu dans lequel rien ne se résout. Nothing left : s’il n’y a plus d’après il y a eu un avant. Musique sérielle répétitivement martelée, rehaussée d’élans lyriques, derniers efforts de la flamme de la bougie vacillante prête à s’éteindre qui durant de courtes secondes s’exalte d’elle-même et illumine la conscience de l’être au plus haut, et une voix chargée de colère et de hargne, qui se retourne contre tout le monde, qui accuse le monde entier en commençant masochistement par soi-même et qui finit par vilipender le Sauveur hypothétique qui a totalement échoué en sa mission. Du plus bas au plus haut, malgré leurs efforts, il ne restera rien. Sait-on jamais ? La vengeance est un plat de viande morte qui se mange froid. Dead : ( reprise du groupe The Legendary Pink Dots ( voir plus loin ) : petit apéritif en vue d’une meilleure appréciation :  il y a les morts et les morts-vivants, ne pas confondre avec les zombies des films d’horreur, il y a des vivants qui sont déjà morts, des gens comme vous chers lecteurs qui vous ressemblent  étrangement, au lieu de morigéner taisez-vous et écoutez : musique futuriste, les punks diraient no-futuriste, mais c’est un détail, morceau davantage sériel que le précédent mais tout aussi chaotique, à cette différence que le chaos est vécu de l’intérieur, rien ne vaut les exemples de chair et d’os, avec toutes ces fracturations sonores l’on aurait tendance à penser que le pauvre gars terminera en hachis menu. Pas du tout reste calfeutré chez lui. Un peu forcé puisque l’électricité est coupée. Une situation à la Ravages de René Barjavel, toutefois à notre époque moderne, connectée pour la définir rapidement. Une aubaine cette ‘’ panne’’, le moyen idéal de faire le point sur sa propre situation, désespérante, tous ces liens immatériels qui nous permettent de nous ouvrir aux autres, ne sont-ils pas des ersatz de solitude, est-cela la vraie vie. Deux voix qui se répondent, le gars se parle à lui-même. Désespération, exaspération, acceptation. Humour sombre terriblement ambigu, il lui reste encore des livres à lire. Avant de… Sufferer : brutal, le vocal éclipse le background musical qui virevolte, pensez à la musique qui accompagne les corridas, ne pas être victime comme le taureau, appel à la révolte, à l’insurrection, devenir maître de son propre destin, ne suffit-il pas de vouloir, n'empêche que parfois l’on veut et que le système nous dicte ses volontés, l’éternité possède deux faces, l’une négative celle de ton infini servage, de ton abandon, de ta résignation, et l’autre plus claire celle de ta révolte par laquelle tu existes pour toujours. Ce n’est pas facile, ne demandez pas pourquoi le morceau est empli de violence, de dégoût de soi-même et de hargne nécessaire pour atteindre à l’apogée de son unique royauté. Stirnérien.   A thousand times : encore plus rapide, encore plus lyrique, sur la ligne de crête, parfois le problème se pose à vous très concrètement, continuer à se battre, ou abdiquer. Définitivement. Faire le saut. Final. Fatal. Eternité dans la mort ou éternité dans la vie. L’une est irrémédiable, l’autre est incertaine. C’est ici que finit la solitude, que commence la sollicitude de l’entraide kropotkinienne. Etrange comme cet ensemble de titres est à écouter comme une méditation de philosophie anarchiste. Peut-être cela ne participe pas de la démarche initiale d’Across The Divide, lorsque l’on creuse à l’endroit adéquat l’on finit par entrer en résonnance avec des sillons déjà tracés. Another day : un titre optimiste, une chanson d’amour, le son n’est-il pas plus doux, le refrain ne demande-t-il pas une autre chance, ceux qui détestent se pencher sur les abysses préfèreront, préserveront, se réserveront cette lecture, la fin est pourtant sans appel, n’est-ce pas la revendication d’une solitude absolue. L’autre n’est-il pas au fond du gouffre. N’a-t-il pas choisi de passer la ligne de crête. Ni du bon. Ni du mauvais côté. Juste sur le versant éternel.

    Sans concession, un groupe que nous suivons depuis plusieurs années, qui se bonifie à chaque nouvel album, dont la démarche est une des plus originales du metal français.

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    Nothing Left : ( official Music Vidéo ) : dirigée par Danny Louzon : superbe réussite. Figure imposée : un groupe se met en image en train d’interpréter un de ses morceaux. Evidemment ce n’est pas du live. Un montage : vues d’ensembles, parties d’instruments, quelques silhouettes, quelques effets spéciaux, etc… Un genre chorégraphique auquel se plient de nombreuses formations, ce qui peut entraîner chez les amateurs une certaine lassitude, surtout quand une musique brutale se contente d’une esthétique brute. Dans ce cas-là on ne peut pas tricher. L’art de la ligne-obscure est vraisemblablement encore plus difficile que l’art de la ligne-claire, en le sens où les figures imposées s’imposent d’elles-mêmes de par leur rareté. Celle-ci est magnifique, l’économie de moyens y acquiert une force rarement atteinte.

    A voir. A admirer.

    Damie Chad.

    Appendice : sur The Legendary Pink Dots : vous êtes vraiment difficiles si vous ne trouvez pas au moins un titre de ce groupe à votre goût sur les deux centaines albums, plus quelques dizaines et sans compter les autres formats qu’ils ont sortis entre 1981 et 2023…

     

    *

    I wake up this morning… pas besoin d’être un musicographe averti pour deviner que c’est un morceau de blues. Ne jamais tuer l’ours avant de l’avoir entendu grognasser. J’utilise la seule porte de sortie qui se présente à moi, pas tout à fait du blues mes amis, plutôt du rhythm ‘n’ blues, vous savez que ce dernier procède du précédent. Ouf l’honneur est sauf ! Plaf ! survient un démenti cinglant, avec les gamins, même ceux qui mesurent huit pieds de haut, il faut se méfier. Non ils ne se définissent point comme un groupe de blues ou de rhythm ‘n’ blues, s’adjugent le prix du meilleur groupe de Doom-Brass existant sur cette terre qui a pourtant connu bien des horreurs, toutefois ils se la jouent modeste, z’ont une excuse pour se proclamer les meilleurs : ils sont les seuls au monde à pratiquer cet accouplement musicologique inédit. Des pionniers ! 

    THE GREGOR SAMSA BLUES

    EIGHT FOOT MANCHILD

     ( Piste numérique / Bandcamp / Mars 2023 )

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    Dylan Foley : guitar, vocals  / Sara Honeywell : trombone, vocals / Mr Squirrel : barytone sax / Alison Eamhart : tuba / Steve Kosinsky : drums.

    Franchement je ne sais pas comment ils ont fait, sont trois à jouer de la cuivrerie, à les entendre vous pensez qu’ils ont entassé une fanfare de souffleurs dans le studio. Pour les amateurs orthodoxes de doom, profitez des trois premières secondes, une espèce de hachis guitarique pour vous mettre en confiance, genre morceau de gruyère empoisonné, un piège à souriceaux inexpérimentés, ensuite la plomberie vous tombe sur le paletot, un véritable bain de saturnisme dont les méfaits sur la santé humaine ont été dénoncés par le docteur Théophile-René-Marie-Hyacinthe Laënnec ( remarquez le doomesque tréma patronymique ) dès l’an de grâce 1831, c’est dire si vous courez les plus grands périls à prolonger l’écoute… Même chez Stax, ils n’ont jamais réussi à créer le même impact sonore, d’après moi c’est la présence du tuba, que l’on retrouve sur les premiers enregistrements de Kid Ory, bref c’est méchamment bien foutu, en plus il y a de la place pour tout le monde même pour les cymbales de Steve, surtout n’oubliez pas le solo de de sax de l’Ecureuil, l’ont manifestement ligoté dans une cage durant quinze jours et libéré juste pour l’enregistrement afin qu’il donne le maximum. C’est comme cela que j’imagine le son du cor au fond des bois cher à Alfred de Vigny, du moins comme doit l’entendre le cerf au moment de l’halali. Je n’ai pas fini mon dithyrambe, car en plus de bouleverser l’accompagnement, ils filent un coup de balai aux vieilles paroles du blues, début classique, le gars se réveille le matin, se regarde dans son miroir, dans lequel s’agite un être dégoûtant. Vous auriez fait comme lui devant cette vision diabolique, vous courez chez la prêtresse vaudou du coin de la rue. Jusque-là, tout est normal, dès qu’elle ouvre la bouche c’est la douche froide, notre blues se teinte de rouge. Non ce n’est pas du sang. Ou alors métaphoriquement parlant, celui des patrons que tu n'as pas encore éliminés. Si le blues devient politique, ma pauvre dame ! Le mec s’affole et demande ce qu’il peut faire. La réponse est cinglante : Va te faire foutre !

    Jouissif et réjouissif. L’on se précipite sur leur enregistrement précédent.

    BORN INVINCIBLE

    ( Bandcamp / Février 2023 )

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    Opus seulement sur Bandcamp, les bénéfices engendrés par son écoute seront versés en faveur de rescue.org une association qui vient en aide aux réfugiés de tous pays, qui ont intérêt à s’unir ajouterait Karl Marx.

    Dylan Foley : guitar, vocals  / Sara Honeywell : doombone, vocals / Mr Squirrel : doomsax / Alison Eamhart doom tuba / Krys Kobiaka : drums.

    Born Invincible : une guitare échoïfiée tous azimuts, les cuivres s’imposent très vite, belle sonorité, disons que cette fois-ci l’animal n’est plus le résultat de l’improbable union d’un brontosaure cuivré avec doomonique la baleine bleue, mais que le saurien géant a sailli sans préavis la douce funkie, l’anacondate géante. Avouons que le bébé rutile et se porte bien,  il ne prononce encore que quelques mots, par contre il vagit et se débat comme un beau diable car il ne veut pas être tué. Âmes sensibles écoutez bien jusqu’à la fin, sans quoi vous passerez la nuit à pleurer. Born invincible ( Kill no more version ) : avez-vous déjà entendu des cuivres pleurer, pas doucement, parce qu’avec le bruit de la barate à beurre africaine qui fait un potin de tous les diables, ils ont intérêt à forcer sur le diapason. Rires sinistres, c’est la seule chose que l’on peut encore faire quand on est mort. N’en tuez pas davantage !

    C’est ce que l’on doit appeler un charity record contondant. Très réussi. Ne jamais mendier. Ne jamais se plaindre. Même vaincu l’on reste invincible.

    EIGHT FOOT MANCHILD

    ( Bandcamp / Décembre 2022 )

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    Dylan Foley : guitar, vocals  / Sara Honeywell : tromboneFX, vocals / Mr Squirrel : baritone saxFX / Alison Eamhart tubaFX / Krys Kobiaka : drums.

    Le lecteur pointilleux ne s’interrogera pas : FX signifie : effets spéciaux, un peu comme XXL pour les très grandes tailles. Dans la vie il est nécessaire d’afficher ses prétentions.

    Buddha finger : un titre prometteur, bourdonnement de guitare, les cuivres ne tardent pas à tirer la langue à l’impétrant qui veut devenir le disciple du maître, se foutent carrément de sa gueule, l’on croirait entendre Donald dans un dessin animé de Disney, ensuite ça se gâte comme chez tante Agathe, ça sonne comme un requiem funèbrement FX, ne serait-ce point un hymne anti- hiérarchique composé par d’acharnés partisans de l’idéologie anti-autoritaire ? Wisdom fist : la suite du morceau précédent, même pas de coupure, la quincaillerie se la joue grave, un enterrement de première classe, comme à l’école : une méditation philosophique sur l’expression ‘’ poing de la sagesse’’, l’on s’interroge mais encore une fois l’on apprend à penser par soi-même, à ne pas se prosterner devant les maîtres qui sont les chantres de l’économie capitalo-libérale, de légers coups de batterie nous mettent la puce à l’oreille, du poing théorique de la sagesse l’on passe à la pratique pugilistique, apprenons à nous servir de notre poing, la zinguerie devient écrasante. Ne serait-point un groupuscule de radicaux… Orgy at club Megalon : une voix enfantine, nous supposons Sara, nous interpelle, elle a trouvé une sorte de poudre marrante, je vous laisse hypothéser sur la réalité de cette farine rigolote, à chacun selon ses fantasmes, ce qui est sûr c’est que l’on plonge dans un superbe instrumental, un peu rhythm ‘n’ blues, un soupçon de jazz, une pincée de funk, qu’ont-ils mis au juste dans la marmite, ce qui est certain c’est que la soupe qui mijote là-dedans est délicieuse, une potion magique qui vous permettra de vaincre vos ennemis. Energisant. Monoliths and monkeyman : vous pensez à la première scène de 2001 Odyssée de l’Espace, vous avez raison, les cuivres vous offrent le générique grandiose adéquat, à l’entendre vous êtes prêt d’accéder au mystère originel de l’humanité, un accord discordant, la voix sur un rythme binaire et simiesque, attention le pompiérisme musical revient en fanfare, inutile de vous exciter, si vous voulez la vérité la voici, votre monolithe n’est qu’une dalle d’obsidienne. Méfiez-vous de votre imagination et des idoles.

    PANDEMOS

    ( Bandcamp / Février 2022 )

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    Nul besoin de lire la note explicative pour comprendre que ces démos ont été réalisées durant la dernière ère covidique.

    Dylan Foley : guitar, vocals  / Sara Honeywell : trombone, vocals / Mr Squirrel : baritone sax, tabla / Alison Eamhart tuba / Corey Schreppel & Don Music : drums

    Hecka witches n shit :  est-ce un trombone qui imite le bruit d’une mouche, pas besoin de la couper en quatre, la brasserie survient comme le septième de cavalerie, heureusement la situation est grave, la voix est couverte par les cuivres, elle ne hausse pas le ton, l’entendront ceux qui sont déjà prêt l’entendre, méfiez-vous des charlatans qui vous refilent des médicaments dont les effets sont bien plus dévastateurs que le mal dont vous souffrez. Ne prennent pas de risque, parlent de sorcières mais tout le monde comprend, pas pour rien que le frontground est si dramatique. The slouchening : une intro différente avec tablas à la clef de sol(itude), sonorités indiennes, qui auraient été parfaites pour Le doigt de Buddha, Eight Foot Manchild nous la font à la Ravi Shankar, comme ils n’ont pas de sitar se servent des cuivres pour réaliser le bourdonnement infini séquenciel, pas de parole, le titre suffit : amoindrissement, ne vous laissez pas dépérir lorsque l’on vous cloître inutilement chez vous. Wisdom fist : très différent de la version ultérieure, les cuivres donnent l’impression d’avoir davantage de souffle, plus charnel en quelque sorte. Le vocal plus enfoncé dans la gangue musicale. Je préfère cette version. Question de mixage ? Ou de support ? celle-ci est sur Suncloud. You’re gona die dumb and lonely : changement de thème, l’est d’autres maladies bien plus graves que le covid, la connerie humaine, se déchaînent cassent à coups de merlins les illusions de l’ado moyen prisonnier de la société de consommation, sont hyper-violents, faut que la leçon porte, même si elle est inutile puisqu’il est déjà trop tard, le gamin en prend plein la tronche, nous aussi, mais ce chant nerveux nous agrée, cette instrumentation aussi pesante et précieuse qu’un coffre-fort rempli à ras bord de lingots d’or nous ravit. ( Sans Shankar ). The Gregor Samsa Blues : la version précédente était cuivrée comme un canard laqué, celle-ci est toute ébouriffée, ce ne sont pas des cuivres mais des coups de klaxons lancés par des automobilistes hagards, quant au vocal, Dylan l’avait dû se faire un lavement à la cocaïne, l’a dû bouffer tous les cromis du studio, le mec l’a pas le cafard, se débat contre une invasion d’insectes carnivores. Sur la fin, vous avez un trombone qui mugit tel un cargo fracassé sur des récifs qui actionne sa sirène. En vain.

    Je suis trop sympa, un petit dernier qui n’est pas sur Bandcamp mais que vous trouverez sur Suncloud. Take it to the chorus, Titanosaurus : ( Robo Version ) :  un début à la ritournelle, avec déclaration d’amour, hélas toutes les bonnes choses ont une fin, surtout si vous avez un dinosaure dont les pas pesants font trembler la maison, même qu’il pousse quelques hennissements que je qualifierai d’inquiétants,  y a bien un tuba qui essaie de le charmer style joueur de pipe à Joujouka, mais la bestiole n’a pas l’air d’aimer les gammes orientales. L’on comprend pourquoi le morceau a été écarté, trop différent de tous les autres.

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             De fait Eight Foot Manchild est un vieux groupe, j’ai mis la main sur YT une vidéo délirante postée en 2011 Sushi Christmas, vous avez aussi Celestial Tumult un peu dada, Alexander’s Channel  Surfing Mescaline Nightmare Band, une espèce de Sgt. Peppers parodique, bref une bande de joyeux drilles un peu à l’image des artworks qui illustrent les pochettes desquelles nous n’élirons que la toute dernière, cette pièce de soutient gorge armurial microphoné… Elles sont dues à Dylan Foley, le meneur de cette bande d’allumés.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 21 ( Coupe-tif  ) :

    110

    En proie à une grande perplexité le Chef allumait Coronado sur Coronado :

             _ Je ne crois pas au hasard, je suis en quelque sorte visé personnellement par cet étui de Coronado que la belle Ecila tenait en sa main, pourquoi je n’en sais rien, je me suis interrogé toute la nuit, j’ai fouillé dans mes souvenirs, mais non je n’ai rien trouvé. Pourtant c’est bien moi au début de cette aventure qui ai décidé qu’il fallait chercher quelque chose au Père Lachaise, nous avons marché toute une semaine, sans but, sans un indice, nous avons abandonné, la mort d’Alice nous ayant entraîné sur d’autres pistes qui nous ont emmené… devant la tombe d’Ecila. Une dernière chose d’importance, depuis le début j’ai la ferme conviction que cette affaire est liée au rock ‘n’roll !

    Carlos se resservit d’une grande rasade de Moonshine qu’il avala cul-sec, sa langue claqua trois ou quatre fois avant qu’il ne prenne la parole :

              _ J’ai lu attentivement les pages que Damie a consacrées dans ses Mémoires d’un GSH à cette enquête qui nous préoccupe, il désirait qu’un œil neuf les lise et vous fit part de ses observations, je rappelle que je n’étais pas là au début de vos péripéties. Celle lecture me laisse perplexe, je ne prendrai qu’un exemple : qui vous a glissé le nom d’Ecila ? Mme Irma. Pourquoi êtes-vous allés chez cette devineresse plutôt qu’une autre ? Parce que le matin, l’on en parlait dans un article du Parisien Libéré. Un article posthume de Lamart et Sudreau dont nous avions vu de nos yeux les cadavres en décomposition dans leur bureau. Au départ de cet enchaînement de faits, une idée farfelue de l’agent Chad. Bref je résume, j’ai l’impression que quoique vous preniez comme décision vous retombez toujours sur l’affaire qui vous préoccupe, bref que vous êtes en quelque sorte manipulés.

    Il y eut un grand silence. Le Chef alluma un Coronado, j’en profitais pour rouvrir une deuxième bouteille de Moonshine. Carlos reprit la parole :

              _ Je propose que l’agent Chad et moi-même nous nous rendions d’abord une petite visite à Mme Irma et sur la lancée à Alice qui tient le bureau d’accueil du Parisien Libéré, cette petite qui occupe une position d’observation de choix nous a apporté la preuve qu’elle nous était dévouée corps et âme.

              _ Deux très bonnes propositions auxquelles j’acquiesce en toute unanimité. Ne tardez point, pour ma part je tiens à réfléchir encore à la présence de ce tube à Coronado dans la main d’Ecila.

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    Nous nous étions garés dans une rue adjacente. Un attroupement de badauds s’était formé aux alentours de l’immeuble dans lequel nous avions été reçus par Mme Irma.  L’on se serra pour nous permettre de profiter du spectacle. Pas d’erreur d’interprétation, des bandes plastiques blanches et rouges, une camionnette de police-secours, des voitures banalisées dont descendaient des visages à la mine grave, tout indiquait la présence d’un crime. Un policier voulut nous barrer le passage, ma carte d’agent du Service Secret du Rock’n’roll lui arracha un sourire : ‘’ J’adore Chuck Berry !’’ nous souffla-t-il, et d’un geste ample il nous désigna l’escalier. Derrière moi, une femme s’écria : ‘’ C’est un certain M. Truc Berry qui a été assassiné ! ’’ .

    Une désagréable odeur de pourriture flottait dans les escaliers. Au cinquième étage ça sentait carrément la charogne. Au huitième nous ne fûmes pas surpris par le spectacle, Mme Irma était à demi couchée sur sa son bureau. En état de décomposition avancée comme était en train de le spécifier un médecin légiste à la mine dégoûtée à un commissaire de quartier blanc comme un linge.

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    Carlos avait adopté une conduite peu citoyenne, la fenêtre ouverte il crachait sur les piétons qui s’obstinaient à vouloir emprunter les passages cloutés sous prétexte que le petit bonhomme vert leur permettait de passer. Les gens s’énervent pour un rien. J’ai dû descendre de la voiture pour fourrer le canon de mon Rafalos dans la bouche d’un imbécile colérique qui s’obstinait à rester immobile devant notre véhicule.  Quand je lui eus susurré doucement mais fermement à l’oreille que j’ignorai le sens du mot résilience, il se carapata à toute vitesse.

             _ Quel crétin, j’espère que notre Alice sera dans un état moins faisandé que Mme Irma quand nous serons arrivés !

    Les espoirs de Carlos furent exaucés. Dans sa cage vitrée Alice rosit de plaisir :

             _ Enfin vous revoilà, je commençais à me languir ! Notre dernière soirée a été si plaisante, je laisse ma place à la stagiaire, et l’on file à la cafétaria, je vous offre un café, je vous dois bien cela, j’ai un truc marrant et bizarre à vous raconter, à cette heure-ci, la cafet est vide.

    Je suis franc, malgré toute la sympathie que nous portions à Alice, le breuvage qu’elle nous apporta sur un plateau était dégueulasse. Par contre ce qu’elle nous révéla nous stupéfia :

              _ Lamart et Sudreau ont été remplacés !

              _ Rien d’étonnant, ils ont dû embaucher deux grosses pointures, observai-je.

              _ Je ne sais pas, ils n’ont encore signé aucun article, ce sont des jumeaux, ils signeront les articles : Les frères Did.

               _ Un nom peu commun !

               _ Oui Carlos, on murmure qu’ils ont choisi ce pseudonyme à cause de leur nom !

               _ Ils portent donc un nom si ridicule ?

               _ Ridicule je ne sais pas, mais étrange oui, le premier s’appelle Ladreau et le deuxième Sumart.

    La petite était toute chose, Carlos l’invita au restaurant pour lui changer les idées. Tous deux me raccompagnèrent en voiture au local.

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    Je montais les escaliers quatre à quatre, depuis le bas de l’immeuble j’entendais les aboiements rageurs de Molossa et Molssito. J’ouvris la porte avec précipitation. Le Chef était paisiblement assis son bureau, Coronado aux lèvres, en train de discuter avec un inconnu que je voyais pour la première fois. Le Chef fit les présentations :

    • Agent Chad, je vous présente le Professeur Laffont un des plus grands spécialistes de l’Hôpital Henri Mondor !
    • Enchanté M. Chad ! excusez-moi de m’absenter, je reviens d’ici une heure avec le matériel et le personnel nécessaires à la petite opération à laquelle nous allons nous livrer ! Avec un peu de chance, la Science risque de faire un grand pas en avant grâce à votre collaboration pour laquelle je vous remercie.

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    Je n’étais pas extrêmement fier, mais lorsque votre modeste personne a l’opportunité d’un progrès décisif de l’Humanité qui oserait s’opposer à un tel programme. Des infirmiers avaient installé deux lits voisins sur lesquels le Chef et moi-même étions confortablement installés. L’on nous fixa sur la tête de casque de virtualité intellectuelle. Derrière nous un technicien surveillait l’écran d’un ordinateur. Sourire didactique aux lèvres le Professeur Laffont se tourna vers moi :

              _ Cette après-midi sur la demande de votre supérieur hiérarchique je me suis livré à une expérience d’hypnose sur sa personne. Il voulait avoir accès à certains souvenirs enfouis dans sa mémoire. L’hypnose en elle-même a très bien fonctionné, mais le patient s’est trouvé, comment dire, devant un mur psychologique qui a refusé de s’ouvrir. Ce genre de cas est assez rare, je ne me vante pas, mais je pense avoir mis au point une théorie explicative de ces échecs. Secondé par une équipe diligente j’ai trouvé la méthode d’ouverture de ce mur psychologique. Il s’agit de transférer le contenu du subconscient d’un individu dans l’espace neuronal d’un autre individu préalablement vidé du contenu de son propre subconscient. Comment l’expliquer simplement : nous allons transférer vos deux subconscients dans la boîte crânienne de l’autre. Par contre nous vous laissons chacun vos propres murs de défense qui ne cadenassent pas les mêmes émotions. Conclusion lorsque vous aurez dans votre tête le contenu de M. Lechef, avec une simple séance d’hypnose vous nous révèlerez ce à quoi M. Lechef n’a pas accès. Evidemment, quelles que soient vos révélations elles sont couvertes par le secret médical. Pour votre confort, vous pouvez garder auprès de vous les objets qui vous sont chers. M. Lechef peut ainsi continuer à fumer quelques Coronados et M. Chad peut caresser sur son lit ses deux adorables canidés. Messieurs, êtes-vous prêt ?

    Tous deux d’un même élan, malgré notre état de cobaye humain d’une voix mâle et virile nous nous écriâmes :

               _ Prêts !

    A suivre…