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across the divide

  • CHRONIQUES DE POURPRE 593: KR'TNT 593 : TOM POTTER / WIPERS / CHARLIE WATTS / ANN SEXTON / MOONLIGHT BENJAMIN / ACROSS THE DIVIDE / EIGHT FOOT MANCHILD / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 593

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    23 / 03 / 2023

     

    TOM POTTER /  WIPERS

    CHARLIE WATTS / ANN SEXTON

    MOONLIGHT BENJAMIN / ACROSS THE DIVIDE  

    EIGTH FOOT MANCHILD / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 593

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Le pote Potter

     

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             Il fut un temps où Tim Warren régnait sur le monde. Les fans de garage ne juraient que par Crypt. Ce label devint aussi mythique que Bomp et Skydog. L’un des groupes phares de Crypt s’appelait Bantam Rooster. Il s’agissait en fait d’une paire de petits mecs surexcités, Tom Potter et son ami batteur (kick & snare) Eric Cook.

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             L’écoute de leur premier album Deal Me In permettait de prendre la mesure du phénomène. Il était difficile d’admettre qu’un duo pouvait occasionner autant de ravages dans les oreilles d’un lapin blanc. Le pote Potter attaquait son morceau titre à la hurlette dégénérée. Il s’inscrivait directement dans la lignée de grands screamers, ceux qu’on dit définitifs et qu’on enferme à vie. Son «In The Manner To Which I’m Accustomed» était complètement trépigné de la trépignette, on le sentait incapable de revenir au calme. Il dépassait encore les bornes du scream dans «Ain’t Gonna Touch You». Il s’y conduisait en vrai diable cornu. Il arrosait la terre du scream le plus incendiaire qui se put alors concevoir. Et il atteignait à une sorte de génie lapidaire avec «Bantam Rooster Theme», véritable giclée de freakout extrême. Cette violente explosion d’exaction excédée relevait du pur génie trash. On aurait même pu parler de souffle atomique et de blast du siècle, tant qu’on y était. Le problème était que tout l’album ruait dans les brancards. Le pote Potter et son sbire n’avaient jamais envisagé le moindre répit. Cette notion devait même leur être complètement étrangère. Ils préféraient s’adonner au stomp des forges de Detroit avec «Lawdy Lawdy» ou emprunter quelques riffs au MC5 pour «Miss Luxury». Tom Potter n’en finissait plus de hurler, à seule fin de relancer sa machine. On avait là du jamais vu. Il braillait son «Man Of Wealth And Taste» au scream protubérant et se livrait à une sorte de devastating sludge dans «Fuck You Muh Man». Il portait le Potter à incandescence. Il ne pouvait pas non plus s’empêcher de désintégrer le pauvre «Shit Town» et on savait d’avance comment ça allait se terminer pour «Panther». Horrible ! Il screamait ça jusqu’à l’oss de l’ass. Il fallait le voir pour le croire. Ils amenaient des cuts comme «Brokeback Fit» et «Down & Out» au bord de la folie. On espérait bien ne jamais croiser ces deux fous dans la rue. Ils symbolisaient tout ce qu’on craignait, principalement l’esprit de non-retour. Et jusqu’à la fin de cet album terrifiant, Tom Potter se montrait incapable de la moindre humanité, il hurlait de plus belle sur «Mammon», il dépassait toutes les bornes. Aucun médecin n’aurait pu l’aider.

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             Avec The Cross And The Switchblade paru deux ans plus tard, le duo montait encore d’un cran dans l’insanité. Ils blastaient leur maximum overdrive dès «State Cracker», un cut complètement trépigné du bulbique. On sentait bien qu’on allait passer un mauvais quart d’heure en écoutant cet album. «Goin’ Cold» paraissait plus construit, avec ses semblants de couplets, mais ça basculait très vite dans la physique nucléaire. Ils finissaient l’A avec deux merveilles, «Tom Skinner» - Call me Tom Skinner  ! - et «You Ain’t The Boss Of Me», pur chef-d’œuvre de garage vénéneux. En B, le pote Potter inventait un nouveau genre avec «Shot Down» : la garage apocalyptique. Au fil des cuts, on se passionnait pour le travail de cet homme, à commencer par «Catfight», un cut bardé de dynamiques internes, tellement bardé que ça en devenait fascinant. Matthew Sweet d’Outrageous Cherry jouait de l’orgue sur «Ghost» et on avait là une sorte d’heavy groove bienfaiteur de l’humanité. Et puis, tout rebasculait dans le jusqu’au-boutisme potterien avec «Electricity», car il chantait ça à la hurlette purulente. Et là franchement, on craignait pour sa santé. Pourtant cinglé, Little Richard ne serait jamais allé jusque-là.

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             Leur troisième album Fuck All Y’All parut en l’an 2000 sur le label de Long Gone John, Sympathy For The Record Industry, concurrent direct de Crypt. Cet album est un véritable chef-d’œuvre d’insanité. Si l’insanité figure au premier rang de vos valeurs, alors vous devez impérativement vous jeter sur ce chef-d’œuvre. Ça explose dès «Dum It Down», mais de manière incontrôlable. Tom Potter et Mike Alonso jouent dans la pire urgence qui se puisse imaginer, leur démesure renvoie à l’incendie de Rome jadis imaginé par Néron pour la seule beauté du spectacle. Jamais aucun humain n’a hurlé comme ça dans un micro. Tom Potter pousse l’art du scream dans ses retranchements. Tiendra-t-il jusqu’au bout de l’album ? Franchement, on s’inquiète pour sa glotte. Il enchaîne avec une nouvelle preuve de l’existence du diable qui s’appelle «High Priestess». C’est un pounding éhonté, on a là le pur stomp de Detroit. On a l’impression que les cuts se succèdent comme des petits exercices de style visant à démontrer la suprématie du Detroit Sound. Mike Alonso se fend d’une belle pétarade évangélique et tout bascule dans l’insanité. On entend ce fou de Tom Potter hurler au fond de «Crack Your System», et comme si ça ne suffisait pas, il finit même par l’exploser en mille morceaux. Et puis avec «You’re The Sun», il flirte une fois encore avec le génie. Comme Artaud, il veut en finir avec le jugement de Dieu, alors il hurle tout ce qu’il peut. Il atomise le rock, il en fond tous les atomes, il en désintègre l’essence et en piétine la quintessence. Tom Potter s’inscrit en faux dans le vrai, il devient le temps d’un cut le plus grand screamer de l’univers. «Burn Down» sonne comme une incitation à l’émeute. Tom Potter est un apôtre de la folie, il explose systématiquement tous ses cuts, les uns après les autres, il n’en finit plus de burn it down, Alonso pilonne et le pote Potter hurle à s’en arracher les ovaires. On croit que ça va se calmer. Ha ha ha ! Potter se calmer ? Impossible, car voilà «Lockdown Monologue», une nouvelle abomination explosée d’entrée de jeu. Il hurle son cut dans son pantalon, et ça gicle. Il plonge une fois de plus dans le chaos avec «Dealbreaker». On a parfois l’impression qu’il veut se spécialiser dans la folie. Il n’existe rien de comparable dans le monde du rock. Il termine avec «This Close To Suicide» et passe un killer solo histoire de finir en beauté.

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             Et pouf, le pote Potter monte Beasteater avec Aaron Adduci (guitar), Traci Volker (bass) et Nick Lloyd (drums), et sort un premier album sans titre en 2016. Dès «The Night Air» qui ouvre le balda, on est frappé par le génie de ce big sounder qu’est le pote Potter. Il attaque à la hurlette massive, des gros sabots de plomb splouchent dans une marée de gélatine et la chair humaine à la Druillet, flic floc, c’est épais et barbare, gras et mauvais, au sens de l’intention, bien sûr. Le pote Potter dispose d’un sens aigu du riff porteur. On irait même jusqu’à dire qu’il fait de l’universalisme garage. En tous les cas, si le garage moderne doit ressembler à quelque chose, c’est au son de Beasteater. Attention, cet album se joue en 45 tours. Le plus drôle, c’est qu’on ne l’indique nulle part sur la pochette. Et tout l’album bascule dans la fournaise, mais une fournaise intéressante, à commencer par «I Eat Scum», où tout explose, Tom tape dans le tas, ça power-riffe dans le souk et Traci Volker lui répond du tac au tac, c’est le top de l’attaque, I’m losing my mind et Traci le singe. Admirable !  Le pote Potter continue d’ignorer la notion de répit. Les cuts avanceraient presque à marche forcée, au beat du pilon des forges du Creusot ou de Sheffield, peu importe, en tous les cas, ça emboutit la tôle et ça fume et avec toute cette vapeur, on ne voit plus grand chose. On tombe en B sur une terrible enfilade : «Scum Of The Earth», «Ovary Action» et «Taste The Floor», une enfilade qui justifie pleinement l’emplette. Scum c’est en effet du pur jus de Potter de pot de fer, le teutonné du bulbe, le destructeur de tour Eiffel, l’ogre aux dents d’acier, il arrache tout sur son passage, même les marronniers de l’avenue des Tilleuls, et puis avec Action, on monte encore d’un cran dans le détroitisme, c’est allumé aux riffs pyromaniaques, voilà le son dont rêvent tous les groupes garage, mais c’est le pote Potter qui a trouvé le truc. Oh et puis cet immonde Taste, qui te replonge dans l’heavy liquid des Stooges, c’est rampant en diable, explosé du cortex, émincé à l’échalote, farci aux gémonies, ça rôtit en broche, ça rissole dans le jus des enfers. Quel admirable sens des affaires ! Il termine cet album fabuleux avec deux autre brûlots, un «Slight Overnight» tendu à l’extrême, Tom y pétrit bien sa pâte, il soigne ses clameurs et puis un «Wood Shampoo», qui sonne comme la pure démence en partance pour Detroit, ça joue ventre à terre, lui, si on veut l’arrêter, c’est impossible, il enfonce les barricades et explose les cars de flics qui tentaient de barrer la route. Malheureux, tu veux stopper le pote Potter dans son élan ? Impossible ! Sache que le pote Potter joue son va-tout en permanence. Et ça va même plus loin : il ouvre des portes. Réfléchis à ça.     

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             Quand on parle du Detroit Sound, on cite généralement les noms des Stooges et du MC5, accessoirement ceux de Frost et des Amboy Dukes, mais rarement celui de Bob Seger, qui fut pourtant l’un des fers de lance du Detroit Sound avec des singles énormes comme «Heavy Music» et «Ramblin’ Gamblin’ Man». Pour réparer cette injustice, Tom Potter monte en 2008 The Seger Liberation Army et enregistre Down Home, un album de reprises du early Bob. Pat Pantano et Jim Diamond sont dans les rangs. Et forcément, l’Army attaque avec «Heavy Music». Le pote Potter ne s’embête pas, il tape dans l’un des pires classiques du Detroit Sound. Il en fait une abomination désespérée en le montant sur un beat Tamla. C’est exceptionnel, chargé à ras-bord de chœurs et de nappes d’orgue. Le pote Potter enfonce son clou de prime abord d’abordeur dédouané. Il balance tout ça dans la gueule des gémonies. Des cuts comme «Chain Smokin’» et «Get Down On Your Knees» sonnent comme de véritables énormités concomitantes, noyées de son et battues comme plâtre. L’Army claque «Down Home» au pire garage de Detroit. Le pote Potter pousse le bouchon de Bob un peu trop loin. Les choses montent encore d’un cran avec l’imparable «2+2=?», le hit définitif du vieux Bob. Le pote Potter l’expatrie ad patres. Il dispose de cette niaque qui lui permet d’exploser les choses de la vie - Two plass two is on my mind - C’est le hit idéal du Detroit Sound, monté en mayo d’assembly line. Le pote Potter travaille son cut au corps, il shoote toute la folie des matins du monde dans le vieux cul segérien, avec une fabuleuse insistance délétère, et ça repart de plus belle après l’inopiné d’un break béant. Il prend ensuite «East Side Story» à la pire fuzz rampante qu’on ait vue depuis le Gloria des Them. Voilà un chef-d’œuvre garage nocturne et dangereux, aussi dément et déterminé que ce vieux Gloria de Marine Hotel. Tout est là. Évidement, s’il tape dans «Ramblin’ Gamblin’ Man», c’est pour en faire de la charpie. Il explose ce hit incontournable des sixties. Le pote Potter le ré-explose de plus belle. Ah il ne faut pas lui confier les clés de la baraque ! Surtout pas ! Ce screamer fou bouffe le Ramblin’ tout cru. Il réduit tout effort langagier en bouillie et saute à pieds joints sur la syntaxe. Il finit avec un «Florida Time» qui sonne comme un pied de nez aux frères Wilson.

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             Un deuxième album du Seger Liberation Army paraît en 2016, avec quasiment tous les titres du précédent. On retrouve en effet sur Innervenus Eyes les somptueuses reprises d’«Heavy Music», d’«East Side Story», de «2+2=?», de «Chain Smokin’», de «Down Home» et de «Ramblin’ Gamblin’ Man». Very big business ! C’est un brouet sonique unique au monde. Parmi les cuts nouveaux, on trouve le morceau titre, porté par le souffle des vainqueurs, celui de ceux qui, comme la vieille garde, ne se rendent pas. Le pote Potter pulvérise sa version de «Death Row» au scream et travaille «Lucifer» au corps, alors que derrière lui s’écoule un solo liquide bien alambiqué. Ces gens ne laissent absolument rien au hasard. 

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             Nouvelle aventure sonique avec Choke Chains, un groupe que le pote Potter monte avec Chizz (bass), Linsey Crappor (guitar) et Mark Millionnaire (drums). L’album vient de paraître, produit par Jim Diamond, et petite info de choix, masterisé par Tim Warren. On y trouve quatre authentiques énormités, à commencer par ce «Safe Word» d’ouverture de bal. On sent le pote Potter possédé par le diable dès l’intro. Il maintient en effet son enfer sous le boisseau, il chante la bouche tordue et soudain, il se met à hurler, mais vraiment à hurler, on croirait entendre un ignoble barbare exaspéré, un monstre sorti des bois qui cherche désespérément à en découdre soit avec la légion romaine, soit avec les dieux, mais il ne peut plus se contrôler, c’est au-delà de ses forces, il suinte de colère noire, il hurle avec les yeux injectés de sang, il écume, il bave. Quel atroce spectacle ! Deuxième énormité en bout de balda : «Let’s Try Suicide». Joli programme ! Cette fois, le pote Potter vise l’extrémité du jusqu’au-boutisme outrancier. C’est un chercheur de petite bête, un allumeur de shootes, un détonateur à deux pattes, un spécialiste de la menace. Les deux autres énormités se nichent au bout de la B des cochons, à commencer par «Rock Paper Rapist». Cette fois, le pote Potter nous replonge dans l’un de ces cauchemars soniques dont il a le secret. On entend rôder un sax dans le coin. Ah quel fabuleux fouteur de bordel ! Il est bel et bien le roi des ribauds, le Detroit Sounder définitif. Tom Potter a tout compris, il est certainement le plus bel héritier des Stooges de 1969. Toute la sauvagerie urbaine est en lui. Il termine cet album puissant avec le morceau titre, «Choke Chain», infernal et fouillé aux tisons du grand Inquisiteur, ça pue la chair brûlée et la sueur de l’immense horreur des caves pontificales. On se régalera aussi du solo qui traverse en crabe «Moisture Technician». T’as déjà entendu un truc pareil ? Bien sûr que non. Quand on écoute «Cosmic Shadow», on réalise que Tom Potter peut aussi ratisser large. Il brasse tous les genres, mais il est visité par la grâce, et ça s’entend. Sur cet album, tout est chanté à la stoogerie, en mode voilé, avec l’insistance des bas-fonds et une ferveur abyssale. Tout ce que fait ce mec est absolument passionnant, il sort en permanence un son épais et jouissif, il chante le plus souvent en mode laid-back de la menace et s’autorise ici et là des petites crises d’épilepsie qui font notre bonheur. Son «Cracked Dracula» relève d’une pure puissance festive, mais au sens de Gilles de Rais, murailles humides, chaînes, bijoux et peaux de bêtes. Il traite aussi «Random Number Generator» en mode heavy mais avec un panache aussi sidérant que fédérateur. C’est presque une anomalie que de voir surgir du néant un groupe aussi génial. 

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             Le pote Chocker revient à la charge un an plus tard avec Android Sex Worker, un album mastered by Tim Warren, s’il vous plaît. Autant le dire tout de suite, le real deal se trouve en B, à commencer par «Lie From Hell». Back to the heavy Detroit Sound monté sur un bassmatic joliment métallique et les Chokers partent à l’assaut du ciel gris du Michigan. Ils enchaînent avec un «Galactic Overland» absolument dévastateur. Le pote Potter calcule bien ses effets, il dépote du Potter de Choker, épaulé par des chœurs de mâles. S’ensuit un «Sunday Goin’ To Meeting Whore» lesté d’une excellente pesanteur de beat. Ces mecs pilonnent les tranchées. C’est tellement hypno qu’il est impossible d’en réchapper. Ils mènent leur débinade de Detroit Sound à terme et on s’extasie face à l’excellence de la beatitude. Le bassman s’appelle Chizz et joue tout au bassmatic de metallic KO. On note aussi la virulence du morceau titre qui ouvre la B. Le pote Potter y joue la carte du tourbillon. On sent nettement l’influence de Brother Wayne, c’est sûr. Et puis avec «Put Your Hands»,  il plonge dans le désespoir et s’en va rôtir en enfer. Oh ce n’est pas que l’A soit mauvaise, mais elle se montre d’accès plus difficile. Comme toujours, le mieux est d’écouter. Les radios prennent toujours l’avantage sur les chroniques, qu’elles soient pertinentes ou non. Le pote Potter joue son «Mayan Starship» à la petite insidieuse cabalistique. Ce n’est qu’un dévoreur d’attention, un charmeur de serpents. On entend le batteur Mark Million baratter comme un beau diable dans «Cairo Scholars» et on assiste à un joli départ de feu, comme diraient les pompiers. Le pote Potter boucle son balda avec un «Rat Ladder» sacrément rebondi. Le marteau et l’enclume n’ont plus de secrets pour lui. Chez Potter, pas de fioritures.  

    Signé : Cazengler, pot de chambre

    Bantam Rooster. Deal Me In. Crypt Records 1997

    Bantam Rooster. The Cross And The Switchblade. Crypt Records 1999

    Bantam Rooster. Fuck All Y’All. Sympathy For The Record Industry 2000

    Beasteater. ST. Big Neck Records 2016            

    Seger Liberation Army. Down Home. Big Neck Records 2008

    Seger Liberation Army. Innervenus Eyes. Big Neck Records 2016

    Choke Chains. ST. Slovenly Recordings 2016

    Choke Chains. Android Sex Worker. Slovenly Recordings 2017

     

     

    Wiper Noël

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             Dans un SMS, Karim me disait l’an dernier : «Greg Sage est un génie !». Rien de tel qu’un bon SMS pour piquer la curiosité. Alors on est allé voir ce qui se passait sous les jupes de Greg Sage et de son groupe, les Wipers, un power trio de Portland, Oregon, qui sévissait dans les années 80/90. Quelle découverte ! Onze albums et pas un seul canard boiteux. Alors oui, on confirme : Greg Sage est un génie.

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             Embarquement pour Cythère dès le premier album, l’interrogatif Is This Real?. Ça démarre sur une triplette de Belleville, «Return Of The Rat», «Up Front» et «Let’s Go Let’s Go Away» : ça joue au heavy punch, c’est gorgé de son, ça file en mode heavy sludge. De vrais démons, wild as fuck, tout brûle dans la combustion de l’upfront. Ces mecs y vont pour de vrai, ils dégagent de la fumée, tout est submergé de son et tu as même, luxe suprême, des départs en solo dans la côte de la fournaise. Même le morceau titre est inespéré de power. Tout va très vite sur cet album, comme chez Hüsker Dü. Ils n’en finissent plus de déterrer la hache de guerre. Wipers all over ! Et puis, ils commencent vraiment à jouer avec le feu de l’hypno sur «Potential Suicide». Le Sage est le maître de l’heavy hypno d’erase the pain. Il ne cherche même pas à s’en sortir, il tartine son getting so depressed. Avec «Don’t Know What I Am», ils sonnent comme des Buzzcocks américains, ça joue vite et c’est bardé d’éclats de grattes. Sage qu’est pas sage referme sa marche avec un «Wait A Minute» gratté aux accords frais de la marée, des accords vivants prêts à être bouffés, les claqués resplendissent, c’est du gros Sage, bien sabré, wild et beau. On accueille ce mec à bras ouverts.

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             Youth Of America est certainement le meilleur album des Wipers. Sage qu’est pas sage démarre son affaire en mode punk’s not dead. Ah ils n’y vont pas de main morte ! Ni par quatre chemins ! Ils récidivent avec «Can This Be», joué aux gros accords bien gras. Mais c’est surtout le morceau titre qui nous interpelle, car voilà de l’hypno bien ravagée du bulbe. Ils sonnent comme de vrais héros, avec un son de heavy revienzy, on se croirait chez Can avec ce wild ride de dix minutes, ils jouent all over les dix minutes, c’est bourré d’énergie. Encore une belle énormité avec «Pushing The Extreme», nouveau shoot d’hypno extrêmement bienvenu. Et puis voilà le coup de génie : «When It’s Over», un instro bourré de charpie de son et de climats invulnérables. Sur la red Zeno, tu as des bonus extraordinaires. Forcément, avec un mec comme Sage, on est gâté. Il claque à sec «Scared Stuff» et ajoute des tortillettes atroces. Cette belle dégelée d’overtime te coule dessus. C’est extravagant de power. Sage n’est décidément pas sage. Même chose pour «No Fair». Les bonus restent les bonus, des lacs inespérés, des lunes de la lune, des bienfaits bienvenus. Dans ses bonus, Sage est encore moins sage. Il ne sera jamais sage. Il a des compos et du son, alors pas de problème. On tombe bien sûr sur des versions alternatives des cuts de l’album, comme par exemple le morceau titre. Sage est toujours le seul maître à bord, mais derrière lui, c’est l’overdrive incontrôlable. Bass & beurre on fire ! Sage se pavane dans les giclées de disto, il embarque tout en enfer. 

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             Sur Over The Edge, on trouve un énorme clin d’œil aux Saints : «No One Wants An Alien». Extraordinaire proximité. Sage fait son Bailey. Retour à l’hypno de choc avec «Romeo», on assiste à une fusion du rentre-dedans, Sage joue au lance-flammes, comme les Nazis, il nettoie les tranchées. Belle hypno de schlouffff ! Il ne respecte rien. Dès le morceau titre d’ouverture de bal, Sage et sa troupe défoncent le barrage de Marguerite contre le Pacifique, le cut porte bien son nom. Aucun espoir d’en réchapper. Il claque ensuite son «Doom Town» aux accords de Doom Town. Comment veux-tu échapper à ça ? C’est impossible. Sage est un sorcier. Il crée des clameurs à sec. Il exploite toutes les failles psychologiques. C’est extrêmement heavy, claqué aux meilleurs accords de l’Oregon. Il s’en va jouer «So Young» sous le boisseau, aux accords underground, C’est l’une de ses spécialités. Ses accords d’entre-deux sont très beaux. Pas de retour possible avec «Now Is The Time». Il gratte à l’efflanquée, il gratte en permanence tout ce qu’il peut gratter, ses poux et tout le reste. Son «What Is» est encore pire. On peut même parler de cut irrépressible. Sage arrose tout à la cantonade. Il referme la marche avec «This Time» qui sonne comme une plongée en enfer, bien monolithique. Dans les bonus de la red Zeno, tu as du live et c’est encore plus effarant : «Mistaken ID» live in San Francisco, ça vaut le détour ! Sage passe tout à la moulinette, la version de «Now Is The Time» est wild as fuck, comme noyée dans les aventures, le «Romeo» (+ horn section) bascule dans l’hypno demented et là tu ne rêves plus que d’une seule chose : serrer la pince de Sage pour le remercier de n’être pas sage.

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             Land Of The Lost date de 1986. Ce n’est pas le meilleur album du grand Sage, loin de là, mais on se régale du bassmatic de Brad Davidson dans «The Search». Ça gronde derrière le Sage. Le bassmatic dévore le cut de l’intérieur et le digère. Brad Davidson récidive avec «Nothing Left To Lose», c’est lui qui drive cette belle ambiance d’ambivalence. «Different Ways» est encore un joli groove wiperain et le «Just A Dream Away» d’ouverture de balda offre à qui sait voir une réelle profondeur de champ. Le grand Sage construit bien son ambiance. Il la veut pesante. On peut même dire que «Way Of Love» est un cut très concerné. Globalement, on peut dire que Sage qui n’est pas sage mène tout à la baguette, il ne traîne jamais en chemin, il faut que ça avance, coûte que coûte. Et bien sûr, tu retrouves le riff de «Death Party» dans le morceau titre.      

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             Paru l’année suivante, Follow Blind est un album nettement supérieur. Il faut attendre «Any Time You Find» pour voir le grand Sage renouer avec sa chère hypno. Il y passe des solos redoutables, qui font l’effet de coulées étincelantes, c’est d’une parfaite élégance sonique. Il illumine aussi le cut suivant, «The Chill Remains», le grand Sage joue en layers sur le doux du son et c’est extrêmement puissant. On peut comparer ce qu’il fait au travail des deux guitares sur Marquee Moon. Le Sage navigue à ce niveau d’excellence. On ne se lasse pas de cet énergumène et de sa sagesse. Il repart de plus belle en B avec «No Doubt About It», il joue ça au son plein, c’est une aubaine inespérée pour les oreilles, le voilà une fois de plus lancé à travers la plaine. C’est un slinger frénétique. Encore une fantastique embardée avec «Don’t Belong To You», monté sur le beat rebondi de Portland, pas de chichis, grosse section rythmique, ces trois mecs ne sont pas là pour rigoler. Ils finissent cet album béni des dieux avec deux gros shoots d’hypno, «Coming Down» et «Next Time», menés au beat rebondi. Cet album est enthousiasmant. Les Wipers sont les rois de l’hypno. Ils ont le Kraut dans le sang.

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             Bien obligé de l’admettre : The Circle est encore un big fat album. Cette fois, Sage qu’est pas sage envoie trois clins d’œil : un aux Stooges, un aux Saints et un au Gun Club. Monsieur Sage ne fait pas dans la dentelle. La stoogerie s’appelle «Make Or Break». C’est un petit fleuve de lave. Sage adore le power brûlant et les riffs des Stooges. Il est capable de démesure. Tu peux lui faire confiance. Pas de problème, tu peux lui confier tes clés et ta femme. La Gun-Clubberie s’appelle «True Believer». Il crée la bonne tension avec le son des poumons d’acier. Il revient à son cher «Death Party», la basse te rebondit sur l’haricot et là tu te dis une fois de plus : «C’est énorme !». La Sainterie s’appelle «Good Thing». On se croirait sur «I’m Stranded», ce sont les mêmes accords power-punkish. Sage n’a pas la voix mais il a le son, alors bravo quand même ! Et puis son «I Want A Way» d’ouverture de bal est une ravissante énormité. Sage est un fou. Il allume dès l’ouverture, il a du son, du rebondi, de la profondeur de champ, c’est complètement saturé de couenne de lard. Ce Sage n’est vraiment pas sage. Ils ne sont que trois pour sortir tout ce ramdam. Le mec au beurre s’appelle Steve Plouf. Il sortent le heavy power de surrender dans «Time Marches On». «All The Same» est vite expédié ad patrès, et il faut voir le Sage qu’est pas sage chevaucher son cut, un vrai cavalier de l’apocalypse, il fonce droit dans le décor, en vrai seigneur de l’hypno. Alors on le suit à califourchon. Sage est un artiste complet, on se régale de la qualité de son hypno. Et puis voilà le morceau titre, wild as fuck ! Sage est vraiment fou, il démolit son Circle et ça se tient quand même. Il maintient une pression extraordinaire, il joue du fast heavy pop rock de lard fumant.         

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             Tu vas encore trouver un sacré coup de génie sur Silver Sail, un Tim/Kerr Records paru en 1993 : «On A Roll». Comme sur la plupart de ses albums, le grand Sage s’énerve à la fin. Cette fois, il recycle des vieux réflexes glam, il réussit à faire du glam d’Amérique, c’est dire l’étendue de son registre, il y va avec un solo trash sous l’aile, bien dans l’angle, tu le reçois en pleine poire, cadeau du Sage, et il continue de cavaler on the roll, avec ce génie interventionniste qui le caractérise si bien. Il est partout dans son cut, il en carbonise la fin au solo trash. Tu entends rarement des guitaristes aussi doués. Avec «Prisoner,» il plonge dans de drôles de profondeurs, c’est noyé d’ombre et de no way out. Et même assez toxique. Il réussit toujours à l’alpaguer. Il monte comme Jimi Hendrix dans le Watchtower. Cet album est enregistré et mixé en Arizona. Il revient à sa chère heavyness avec «Line». Bienvenue en enfer ! Son solo coule comme un jus brûlant. Bien heavy lui aussi, son «Never Win» tranche dans l’épaule. Il t’enfarine ça dans un solo de trash-punk. Tu crois rêver. Le grand Sage qu’est pas Sage est un fast runner, un coureur de distance. On l’admire pour cette faculté qu’il a de courir en fin d’album («Silver Trail»). Bizarrement, le début d’album n’est pas très bon : trop conventionnel, trop soupe aux choux, rrrhuu, rrrrrhuuu. Il a du mal à sortir de sa casserole. Les trois premiers cuts sont atrocement connotés, on dirait du gratté de poux à la Dire Straits, comme si le Sage était devenu bien sage. On le préfère quand il repart en fast tempo, par exemple avec «Sign Of The Times». Il remonte à cheval et file à travers la plaine. Il tagadate à l’éclate du Sénégal, il n’est pas près de s’arrêter. Ses fast rides sont secs et sanctionnés, alors tu peux le suivre, si tu sais courir vite. 

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             Deuxième album sur le label de Tim Kerr : The Herd. Ça commence mal, car «Psychic Vampire» te tombe littéralement sur le coin de la gueule. Ce Sage qu’est pas sage te cavale à travers ta plaine, il t’écrase ton petite champignon et te court sur l’haricot. Tu n’as pas le choix, tu ne peux que le vénérer. Il est effarant de power et toujours cette profondeur de champ, cette extrême tension, il faut le voir gratter ses poux dans l’écho du temps. Greg Sage et Eddie Bo dans la même soirée, ça fait beaucoup trop. Sage qu’est pas sage est le roi de la dégelée, il a le génie du son, il est une sorte de Totor du pauvre, rien qu’avec ce «Psychic Vampire», t’es repassé au pli. L’autre coup de génie de l’album est le «Resist» qui se planque vers la fin. Bardé de Sage sound, ce mec te remplit à ras-bord, c’est extrêmement puissant. Il va toujours vite, avec du son. Encore une belle énormité avec «Last Chance». Il crée son monde sur place, au débotté, il malaxe l’argile de sa heavyness, il pétrit la latence de la pertinence, c’est miraculeux de le voir à l’œuvre. Il sait aussi bombarder, comme le montre «No Place Safe». Aw comme c’est chargé, un vrai ciel d’apocalypse ! Il y flotte comme un psychic vampire et ses solos remontent jusqu’au firmament, au note à note. Ce mec te carbonise de bonheur sonique. Avec «Stormy», il taille sa route dans la jungle. Il est bon dans tous les registres, il s’accorde à toutes les imageries, même celles d’Épinal. C’est vrai que ce mec gagne à être connu. Son «Green Light Legion» est bien charpenté, hérissé de rafales. Pas de place pour le hasard, ici. Sage qu’est pas sage bâtit son empire cut après cut. Il revient à sa chère hypno avec «Defiant». Cavaler ventre à terre dans la plaine en flammes, c’est tout ce qui l’intéresse.

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             Ah, encore un album imparable : The Power In One. Ça grouille de coups de génie, là-dedans, dès «The Fall», fracassé aux accords de fricassée, on sent la fibre des notes de clairette dans le bazar de la frondaison, c’est un son extrêmement puisant, ce mec orme son tourment apocalyptique de finesses florentines, il torture le spectre sonore pour lui faire avouer ses avanies. Le grand Sage te plonge dans sa bassine d’huile bouillante, il développe une ambiance de densité extrême. Et ça continue avec «Shaken», il est partout dans le son, il renoue avec l’énergie du Gun Club, son Shaken est du pur jus de «Death Party». Il repart de plus belle avec «Rest Of My Life», il joue sur du rebondi avec des layers fantastiques, il est aussi fin que l’était Jeffrey Lee Pierce, tu retrouves dans ce Rest toute la navigation du Gun Club. Avec «Rocket», il sonne comme Thin Lizzy, il est on fire, il a des pétards dans le cul, il force bien le passage, comme le fit Phil Lynott en son temps. Le Sage veille sur notre incurie. Avec le morceau titre, il arrose la terre de brillants accords bruissants, il joue à l’automne du rock hypnotique, c’est incroyablement bien dosé. Il faut dire que la prod d’Arizona est superbe. Il remonte au créneau du heavy sludge avec «Misleading». Tu entends rarement des heavy boogies de cette qualité. Le Sage a tous les pouvoirs. Encore un déluge de son avec «Still Inside Of Me», il pleut du son et du Sage. Il trace son chemin de croix à coups de solos d’élévation. Tout aussi wild as fuck, voilà «Ship Of Dream», il entasse les layers de gratte, c’est hallucinant. Greg Sage est un artiste passionnant. Il est l’un de ceux qui savent gratter des accords sautillants dans la tourmente d’un heavy mood.

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             Entre deux rafales de Wipers, Greg Sage enregistre des albums solo. Le premier s’appelle Straight Ahead. La tendance globale de l’album est le balladif enragé. Sage qu’est pas sage gratte à sec. Dans «Soul’s Tongue», il lui demande de lui parler avec sa langue : «Speak to me with your soul’s tongue». Et puis au détour d’un «Blue Cowboy», il se met à sonner comme Chris Bailey. Petit à petit on le voit s’énerver, toujours avec du son Sainty, sur «Your Empathy» et comme il a de l’énergie à revendre, il devient sautillant sur «Seems So Clear». Il se perd un peu en B («Lost In Space») et continue de tout gratter à la clairette d’electrac («World Without Fear»), avec une belle unicité de ton et de son. Il termine avec un «Keep On Keepin’ On» plus sombre, gratté dans les ténèbres de va-pas-bien, l’a pas été sage, le Sage. Puni. Alors il gratte au fond du placard à balais où l’a enfermé le diable.

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             Pour la pochette de Sacrifice (For Love), le Sage qu’est pas sage a pensé à des petits squelettes mexicains. Quel farceur ! En attendant, il continue de gratter ses poux. Pour le morceau titre, il gratte vite et sec à la surface de la peau du cut. Pas facile de savoir avec un mec comme lui, il tente un peu le diable, il cultive la tension, ce qui peut expliquer la présence de squelettes sur la pochette. Avec «Forever», il tente encore de créer l’illusion, il est tout près, et puis il finit par te harponner avec ses vieux accords. Curieux mélange de oui/non. Ça paraît bon et ça ne l’est pas vraiment. Il a perdu l’éperdu des premiers albums. Mais il rebondit toujours. Avec «No Turning Back», il dégouline de no turning back aw ! Il redevient enfin monstrueux avec «Ready Or Not». C’est même du pur jus Gun Clubbish, du «Death Party» à la sauce de Sage avec du killer solo flash en retour de manivelle. Sage a du génie, qu’on se le dise ! Rien qu’avec «Ready Or Not», t’es content d’écouter cet album. Et pouf, il enchaîne sur une cover démente de «For Your Love», il tape dans le yard des Yardbirds, il en a les moyens, il en fait un Sage Yard, il a tout le son du monde. Il réussit à rehausser le power des Yardbirds avec le sien et il amène son beat en plus. «For Your Love» devient autre chose, Sage le joue au super power. Il y a là un truc qui te dépasse. Il reste dans le heavy Sage avec «This Planet Earth», il redevient magique, il gratte ses poux dans un overall de sonic boom, il te barbouille l’horizon au beat énorme, il est là, debout avec un chant un peu épais, il revient à son péché mignon, l’hypno. Il referme la marche des squelettes avec «Dreams». Au milieu des arpèges, il sonne comme Lou Reed. Ce mec t’épuise. Il est trop bon. Il faut le voir descendre dans la fosse. Oui, c’est un génie.

    Signé : Cazengler, Wiper fouettard

    Wipers. Is This Real? Park Avenue Records 1980

    Wipers. Youth Of America. Park Avenue Records 1981

    Wipers. Over The Edge. Brain Eater 1983

    Wipers. Land Of The Lost. Restless Records 1986    

    Wipers. Follow Blind. Restless Records 1987           

    Wipers. The Circle. Restless Records 1988         

    Wipers. Silver Sail. Tim/Kerr Records 1993   

    Wipers. The Herd. Tim/Kerr Records 1996  

    Wipers. The Power In One. Zeno Records 1999

    Greg Sage. Straight Ahead. Enigma 1985

    Greg Sage. Sacrifice (For Love). Restless Records 1991

     

     

    Wizards & True Stars

    - J’ai la Watts qui s’dilate (Part Three)

     

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             L’autre jour, on musardait dans les pages de chroniques de livres que proposent chaque mois les canards anglais et pouf, sur qui qu’on tombe ? Oh ! Charlie Watts ! What, encore un Watts book ? What the fuck ! L’«À-quoi-bon» fut la première formule à s’inscrire dans la bulle de BD qui se formait au-dessus de la tête. Mais au fond, cette persistance éditoriale avait un petit côté tellement mutin, tellement espiègle, que dans les bulles suivantes s’inscrivirent des formules du genre «Là Charlie tu charries», ou mieux encore, «Arrête ton Char, lie.»

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             Oui, car la légende de Charlie Watts n’en est pas à son coup d’essai. On avait ici même salué en 2021 l’excellent book de Mike Edison, Sympathy For The Drummer - Why Charlie Watts Matters. Book doublement excellent, puisque ce fut d’une part le dernier cadeau de Gildas, et d’autre part une fantastique incitation à réécouter tous les albums des Stones, via Charlie. Mike Edison loue si bien le talent de Charlie Watts qu’on réécoute les Stones avec une oreille complètement vierge. Dans les vieux blah-blahtages marathoniens, les spécialistes citent toujours les deux mêmes : Keef et Brian Jones, rarement Charlie Watts. Avec un brio surnaturel, Mike Edison avait réussi à colmater cette atroce carence. Et voilà que Paul Sexton prend la suite avec Charlie’s Good Tonight.

             Bon alors attention, ce n’est pas du tout la même approche. À force d’enthousiasme, Mike Edison réussissait à transformer un beurreman effacé en clé de voûte de la Stonesy. Sexton propose une collection d’anecdotes et de témoignages qui puent le déjà vu, mais comme il s’agit de Charlies Watts, le déjà vu convient parfaitement, puisqu’il s’agit avant tout d’alimenter la rubrique des True Stars. Les tours de Brian Jones et de Keef viendront plus tard. Pour une fois, Charlie passe en proms.

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             Au dos du Sexton book, tu vas tomber sur un portrait extraordinaire de Charlie : il prend la pose, accoudé sur une commode, le buste serré dans un blazer prince de galles croisé, fermé d’un seul bouton, avec la main droite qui pend dans le vide. On pense immédiatement au portrait de Robert de Montesquiou par Boldini : c’est exactement la même élégance de jeté d’épaule, à la canne près. Montesquiou déboutonne sa vareuse en soie, c’est le côté français. Charlie boutonne son blazer, c’est le côté anglais.

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             Sexton ne prétend pas être écrivain. Il compile. Il réussit toutefois à bien approcher la psychologie de son personnage, n’utilisant que la partie visible de l’iceberg. Pour structurer son récit, il opte pour la facilité : le fil chronologique. Pour un auteur, un personnage du calibre de Charlie, c’est vraiment du gâtö : il n’existe pas de vie plus lisse que celle de Charlie Watts : une seule femme, Shirley, une seule fille, une seule petite-fille, un seul groupe, une seule passion, l’élégance, et un seul vice : les collections. Collections d’objets, de 78 tours, de drum kits, de bagnoles, de livres, et de chevaux de course. Car oui, on finit par devenir millionnaire quand on bat le beurre dans les Stones pendant soixante ans. Ah n’oublions pas le plus important : un seul talent, indépendamment du beurre, l’humour. Attention, c’est de l’humour anglais. Un petit exemple. Charlie s’adresse à la presse qu’il n’aime pas beaucoup et leur balance : «Je donne l’impression de m’ennuyer - of being bored - Mais je ne m’ennuie pas vraiment. I’ve just got an incredibly boring face.»

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             Alors évidemment, ça démarre avec les deux préfaces prévisibles : celle de Jag et celle de Keef. Ça commence mal avec celle de Keef, car il explique qu’à chaque fois qu’il doit parler de Charlie Watts, il s’aperçoit qu’on ne peut pas en parler - you realise the essential man wasn’t something you put into words - Keef en déduit que Charlie était une présence, «and when you were with him, that was it.» Il conclut avec cette phrase qui sonne comme un aphorisme : «Charlie was just what you got, which was Charlie. He was the realest guy I ever met.» On peut le croire , le Keef Keef bourricot, car des guys, il en a pratiqué des tonnes.

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             Sexton commence par nous radiner la fraise d’un jeune Charlie passionné de jazz et de design. Avant d’intégrer les Stones, il bosse dans une petite agence de pub à Londres. Et comme bon nombre de ses contemporains devenus célèbres par la suite - Jack Bruce, Ginger Baker, Graham Bond, Davy Graham, Long John Baldry, Dick Heckstall-Smith, Jagger - il débute dans le Blues Incorporated d’Alexis Korner. Quand Charlie bat le beurre pour Korner, Jack Bruce joue de la stand-up. Charlie indique d’ailleurs que Jack va passer rapidement à la basse électrique. En plus de Jag, d’autres chanteurs se bousculent au portillon. Charlie se souvient de Paul Jones et d’un Américain nommé Ronnie Jones.

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             Alors évidement, ce book est l’occasion rêvée de replonger dans l’histoire des early Stones, un temps béni où Brian Jones se faisait appeler Elmo Lewis en hommage à Elmore James, il y avait aussi Stu Stewart qu’Andrew Loog Oldham allait écarter pour cause de non-look, et dans la toute première mouture des Stones, avant l’arrivée de Bill & Charlie, tu avais Dick Taylor à la basse et Mick Avory au beurre. On parle aussi d’un certain Tony Chapman, qui jouait avec Bill dans les Cliftons, ou encore de Carlo Little, qui jouait dans le groupe de Screamin’ Lord Sutch. Charlie les connaît tous. Puis les early Stones s’installent à Edith Grove, Chelsea : d’abord Jag et Brian Jones, puis Keef. Charlie dit qu’il s’y installe aussi, mais il rentre chez ses parents le week-end. Il ne faut tout de même pas exagérer. Il en garde cependant un bon souvenir - It was a bloody laugh, actually - On est en 1962, à l’aube des temps. Bill est engagé plus pour son ampli que pour sa technique, ironise Sexton, et Charlie donne sa dem à Blues Incorparated pour rejoindre les Stones. Comme motif de démission, il dit qu’il n’est pas au niveau des autres Blues Incorporated.

             Charlie admire énormément Ginger Baker, il le trouve américain - He sounded more to me like Elvin Jones than Elvin does - Il faut s’habituer à ce genre de facétie. Charlie est un pince sans rire. En quittant les Blues Incorparated, Charlie refile le job à Ginger et lui dit qu’il se casse parce que le groupe n’est pas «a secure future». Nettie, la fille de Ginger, rapporte que son père a trouvé cette répartie hilarante. En échange, Ginger lui refile le plan Brian Jones. Nettie : «My dad liked Brian because he said he was a good musician.» Un soir, après un concert des early Stones, Ginger chope Brian Jones pour lui dire ceci : «Ton batteur est une vraie catastrophe. Why don’t you get Charlie Watts ?».

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    ( Fred Below )

             Mais les Stones ne savent pas s’ils ont les moyens de s’offrir Charlie Watts. C’est en tous les cas ce qu’affirme Keef dans son autobio - God, we’d love that Charlie Watts if we could afford him - Ils finissent par se l’offrir, lui faisant miroiter un CDI. Un fois embauché, Charlie écoute les albums de Jimmy Reed avec Keef et Brian Jones, à Edith Grove. Il écoute surtout Earl Phillips, le batteur de Jimmy Reed, il découvre ensuite qu’Earl Phillips joue comme un batteur de jazz, «playing swing, with a straight four.» Puis il passe à Fred Below, le batteur Chess qu’on entend sur les albums de Chucky Chuckah et de Muddy - Freddy Below, on the other hand, played shuffle, which is what they did in Chicago - Il rend un hommage fondamental à cet homme qui fut à sa façon la clé de voûte du Chess sound - So we learned to play the Freddy Below way - Et pouf, les voilà sur Decca, les early Sones, avec une cover de «Come On». Charlie se marre : «We never did it as good as Chuck Berry, nobody ever does.» Il ajoute que Chucky Chuckah en fit une «very hip version. The rhythm is great. It’s like a New Orleans rhythm he plays, it’s fantastic. We played it straight, like a Liverpool beat group. When we were young, we played things bloody fast.» «On ne se posait pas de questions», conclut Charlie en éclatant de rire.

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             Bill indique que si les early hits des Stones sont tellement brillants, c’est un peu grâce à Charlie, «because he was a jazz drummer, and so we were streets ahead of anybody that ever wanted to imitate us. They never could quite get the feel we had.» Les Stones se font virer des clubs de jazz à Londres et sont obligés d’aller jouer à Richmond ou à Twickenham. Charlie rappelle que les Stones en pincent pour le down home blues, the Diddley stuff and Muddy Waters.

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             Et puis en 1964, les Stones explosent. Sexton sort les chiffres : 206 gigs dans l’année, deux tournées américaines, et les gros shows télévisés. Bill ramène toujours son grain de sel à bon escient : «Les Beatles composaient des chansons meilleures que les nôtres, ils chantaient mieux que nous, but we were so much better than them alive.» Très vite, il apparaît que la vie en tournée ne plaît pas trop à Charlie qui est assez casanier et qui ne rêve que d’une chose : retrouver sa chère Shirley et sa fille Seraphina. Charlie menace régulièrement de faire la grève des tournées : «I’m not touring anymore», et les autres lui rétorquent : «You are». Bill dit que Charlie mettait du temps à accepter de repartir - But he didn’t like it - Alors en tournée, il dessine. Il dessine toutes ses chambres d’hôtel, les lits, les postes de télé. De toute façon, Charlie n’aime pas la musique des Stones. Quand on lui dit : «I’m a great fan of the Stones», il répond : «I’m not. It’s what I do. Mick and Keith and Ronnie are my friends and the band is a very good one, but that’s it.» Sec et net. Comme son beurre.

             Il ne s’attarde pas trop sur la fin de Brian Jones, une fin qui dit-il était prévisible, mais il le dit à l’anglaise : «It wasn’t unexpected, to be honest with you.» Bon, il précise : «On ne s’attendait pas à ce qu’il casse sa pipe en bois, mais ça faisait au moins deux ans qu’il allait très mal.» Il a une façon très wattsienne de dire les choses : «Brian, you could see him going, or not going but getting very unwell. Il était très jeune, on ne meurt pas à son âge. Il est allé de plus en plus en plus mal. So there was that ‘knock, boink, pick up again’, et on ne tournait plus depuis longtemps. I guess that’s what happened.» Pour d’autres détails, il faudra repasser un autre jour.

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             Quand les Stones s’exilent et qu’ils s’installent dans le Sud de la France, la famille Watts s’installe à Saint-Jean-du-Gard, dans les Cévennes. Séraphina va à l’école du village. C’est l’époque Mick Taylor, puis Ronnie Wood arrive. Sexton salue Some Girls, un album qui selon lui out-punked punk, avec «Respectable» et «Shattered». Il a raison, le Sexton. Charlie dit avoir adoré les Pistols, mais détesté le look punk autant qu’il avait détesté le «bloody flower power».

             Sexton passe un temps fou sur le chapitre vestimentaire. Charlie entre un jour chez Cleverley demander s’il pourrait se faire faire des pompes sur mesure. Le shoemaker lui répond qu’il en serait ravi. Alors Charlie indique qu’il a déjà un shoemaker qui lui fait des pompes sur mesure, mais dit-il ça prend du temps : «Il leur faut deux ans et demi. Pouvez-vous réduire ce délai ?». Le mec le rassure : «Oui, deux ou trois mois». Charlie est ravi : «Oh, that’s wonderful.» Puis il demande au loufiat s’il va lui prendre ses mesures. Bien sûr dit le loufiat. La scène se déroule en 1993 et Charlie sera client du shoemaker d’Old Bond Street jusqu’à la fin, en 2021. Une paire de pompes chez Cleverley coûte la bagatelle de £4,000. Charlie s’est fait faire 80 paires de pompes chez eux. Bien sûr, il se fait aussi faire des costards sur mesure. Si un jour il s’aperçoit qu’il a du mal à entrer dans son futal, il arrête de manger. Il surveille sa ligne. Quand il monte sur scène, il porte aussi du sur-mesure. Pas question de jouer en costard trois pièces, bien sûr, alors il se fait faire des T-shirts sur mesure. Même quand il se trouve chez lui, dans le Devon, au fond de sa cambrousse, Charlie porte un costard trois pièces à table. Jools Holland dit que «Charlie was the best dressed man I think I’ve ever met.» Charlie prend en fait comme modèles les fameux jazz greats qui s’arrangeaient toujours pour être tirés à quatre épingles. Charlie s’inspirait en outre de personnages historiques du XVIIIe siècle ou des années 30. Dommage qu’il ne soit pas fait mention d’Oscar Wilde, ni de George Brummel. Sexton ne s’aventure pas trop sur le sujet des dandies. Peut-être est-il inculte sur le sujet. Va-t-en savoir. 

             Quand il pique sa crise de midlife, Charlie tape dans la dope. C’est la seule explication qu’il donne. Plus jeune, il n’avait jamais approché les drogues, «but at that point in my life I went ‘Sod it, I’ll do it now.» Il est le premier à savoir que les drogues sont dangereuses pour lui parce qu’il sait qu’il est déjà bizarre naturellement. Il reconnaît en outre qu’il n’a pas la constitution idéale pour jouer avec junk. La crise a duré deux ans - And I very nearly killed myself, je veux dire, pas en overdosant, I mean I nearly killed myself spiritually, I nearly ruined my life - Alors il arrête tout, même de bouffer. Pendant six mois, il a vécu de «water, sultanas and nuts.» Keef l’admire car en ce qui le concerne, il a mis dix ans à s’en sortir.

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             Et puis voilà Bill qui s’en va. La nouvelle est annoncée en 1993. Bill sort d’un mariage compliqué avec Mandy Smith et il se maque avec Suzanne Accosta. Il veut reprendre sa liberté artistique et développer ses propres projets. Charlie est triste de voir partir son meilleur ami. Quelques années après son départ, Bill raconte qu’un soir Charlie l’appelle d’Amérique du Sud pour lui dire : «Ce soir, en plein milieu du show, je me suis tourné vers toi pour te dire un truc, mais tu n’étais pas là.» Fantastique anecdote. Elle en dit long sur la qualité du lien qui unissait Bill et Charlie. Keef demande à Charlie de choisir un successeur à Bill. Le remplaçant n’est autre que Darryl Jones, un bassman black qui a joué avec Miles Davis. Encore l’une de ces petites infos rigolotes dont se pourlèche Sexton : pour le 75e anniversaire de Bill en 2011, les Stones lui ont offert 75 roses. Dead roses ?

             Puis on arrive à l’époque où les tournées des Stones deviennent extrêmement lucratives. Charlie a beau rechigner à tourner, les autres se marrent en douce. Ronnie raconte que Charlie et Shirley sont allés acheter des étalons arabes à Albuquerque, au Nouveau Mexique : «Il faut qu’il puisse les payer, ses canassons. Alors il doit repartir en tournée, sinon, il est fauché.»

             Entre deux tournées, les Stones sont éparpillés à travers le monde. Charlie : «Mick est celui auquel je parle le plus. Par contre, tu n’as pas de nouvelles de Keith pendant un ou deux mois, parce qu’il hait les téléphones. Il est le plus excentrique de nous tous. Il adore partir en tournée. Quand je lui dis que je vais prendre ma retraite, il me dit : ‘Mais qu’est-ce que tu vas faire ?’. Il lit des tas de bouquins. Il ne lit que des très gros livres. Plus ils sont gros, plus il est content. Il ne regarde jamais la télé.» Charlie déteste que Keef lui pose cette question : «Qu’est-ce que tu vas faire ?» - I actually don’t do anything except play the bloody drums. So it’s a very difficult one to answer.

              Charlie collectionne les batteries : celle que Kenny Clarke a filé à Max Roach, celle de Sonny Greer qui jouait dans le Duke Ellington’s band, il collectionne aussi les premières éditions d’Agatha Christie, de Graham Greene, de Pelham Grenville Wodehouse, d’Evelyn Waugh, all signed, ajoute Sexton haletant. Charlie collectionne aussi les costards, les bijoux, il possède la montre de Benny Goodman. Il entasse ses collections dans une pièce - It’s a museum that‘s out of control - Sexton en tartine des pages entières, Charlie collectionne aussi les bagnoles, alors qu’il n’a jamais passé son permis, et ça repart de plus belle, il adore s’habiller pour aller s’asseoir dans ses bagnoles et écouter le bruit du moteur, il possède une Lagonda Rapide Cabriolet de 1937 avec un moteur V12, une Bugatti Atlantic des années 30, une 2CV Citroën jaune, un Méhari, une Lamborghini Miura et quelques Rolls-Royces - Il ne voyait pas l’intérêt d’ajouter à sa collection un camion de marchand de glace ou un hovercraft, comme l’avait fait son ami Keith Moon.

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             Et puis l’humour rejaillit à tout instant. Charlie confie ceci à Sexton à la fin des années 1990 : «Mobile phones I think are a pain in the arse, mais la plupart des gens les trouvent fantastiques. Je ne sais comme ferait Mick sans son mobile phone. Je ne peux pas les supporter. But I think I’m more of a dinosaur than he is.» C’est d’une finesse extrême et d’une grande drôlerie sous-jacente. En juin 2018, Charlie est sur scène pour son 77e anniversaire. Les gens le verront pour la dernière sur scène le 30 août 2019, lors du concert final du No Filter tour.

    Signé : Cazengler, Charlie Ouaf (va chercher la baballe)

    Paul Sexton. Charlie’s Good Tonight. Mudlark 2022

      

     

    Inside the goldmine - Sexton machine

     

             Pendant quelques années, nous passions notre temps à réinventer la vie. Avec Baby Brain, c’était un jeu d’enfant. Nous mettions nos idées en commun et elle savait comment assurer leur mise en œuvre. Encore fallait-il que les idées soient crédibles et qu’elles fussent en concordance avec ce que nous savions de nos profondes aspirations. Notre mode de fonctionnement reposait sur un étrange mélange d’audace, de fantaisie, d’admiration mutuelle et de soif de vie. Il fallut donner un toit à ces jaillissements quotidiens de créativité, ce que nous fîmes en finançant la réhabilitation d’une ancienne usine à bonbons, puis pour donner corps à notre audace, nous nous mîmes à remporter des appels d’offres et à collectionner les gros budgets, en veillant à ne pas nous compromettre avec des rabat-joie institutionnels. Baby Brain valait franchement le coup d’œil. Il émanait d’elle un charme extrêmement subtil, un mélange de Lady Chatterley et de regard clair, de crinière fauve et de léger accent, elle savait choisir un parfum, elle disposait de cette intelligence très vive qui distingue les Anglaises des continentales. Pendant que neuf continentales sur dix s’observaient le nombril, Baby Brain imaginait l’avenir, elle entrevoyait les possibilités, et quand elle décrivait les façons d’y parvenir, c’était en rigolant, car pour elle, tout n’était qu’un jeu. Nous découvrîmes en nous une source d’énergie intarissable. Nous repartions de plus belle chaque matin, aussitôt le breakfast : les plans sur la comète, les rendez-vous prévus avec tous ces gens qu’on aimait bien, et la perspective d’une soirée au théâtre ou dans un cabaret, il suffisait de feuilleter l’Officiel qui regorgeait alors de possibilités. On appelle généralement ce type de tranche de vie un conte de fées. Comme Baby Brain savait pertinemment qu’un conte de fées ne peut pas durer éternellement, elle décida un jour d’anticiper et d’y mettre un terme. La scène se déroula de façon très formelle, un dimanche matin. Nous prenions le breakfast sur la grande terrasse surplombant la Seine et d’une voix absolument normale, elle déclara : «Puisque nous devons mettre un terme à notre histoire, tu vas devoir te suicider.» Elle avait raison, il n’existait pas d’autre moyen de mettre fin à ce conte de fées.  

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             Pendant que Baby Brain réinventait la vie, Ann Sexton réinventait la Soul, ce qui revient à peu près au même. Ann Sexton n’est pas anglaise mais américaine, descendante d’esclaves de Caroline du Nord. Aux États-Unis, tous les blacks et toutes les blackettes descendent d’esclaves, puisqu’il apparaît qu’aucun d’entre eux n’a traversé l’océan de son plein gré. Le fait que cette tragédie ait généré la Soul est une maigre consolation, disons qu’il s’agit là d’une façon d’illustrer le désuétisme de l’expression «faire bon cœur contre mauvaise fortune». Ann Sexton n’est pas facile à localiser, elle n’est connue que des amateurs chevronnés de Northern Soul, on croise son nom sur les fameux Northern Soul Weekenders, et comme elle sonne particulièrement bien, on fait l’effort d’aller fouiner dans sa discographie. Oh, il n’y a pas grand chose, à part les singles, juste deux albums.

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             Le premier date de 1973 et s’appelle Loving You Loving Me. Ann Sexton fait de la heavy Soul et chante d’un timbre légèrement altéré. Elle fait partie des petites Soul Sisters qu’on vénère, car sans prétention. Elle fait de la petite Soul fine avec «You’ve Been Gone Too Long», elle est suivie par une guitare funky fluette et ça file bon train. Avec «I Still Love You», elle vire plus shaky. Elle drive son modeste r’n’b avec cet élan vital qui fait les grandes Soul Sisters de l’underground magnétique et, petite cerise sur le gâtö, tu as un solo de jazz joué en atonalités dans le flux du groove. Tout est extrêmement fin sur cet album, tout est tiré à quatre épingles. Rien à voir avec Stax ou Motown. C’est encore une autre école. Il faut savoir que l’album est produit par deux blancs, David Lee et John Richbourg, surnommé «the Daddy of Rhythm & Blues». En B, Ann Sexton fait du pur Muscle Shoals avec «You’re Gonna Miss Me». Bien vu, bien foutu, magnifique mise en place des chœurs et des cuivres, oh honey !  You’re gonna lose a good thang ! Elle fait aussi  un «Love Love Love» avec des chœurs de gospel et nous ramène un peu plus loin un joli shoot de cuddle up avec «Let’s Huddle Up And Cuddle Up», pianoté dans le lard des règles avec un bassmatic proéminent et un beurre de jazz. Magnifico !    

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             Son deuxième album s’appelle The Beginning. L’amateur de dancing Soul se régalera de «You Can’t Lose With The Stuff I Use». Solide et beau, elle fait danser le dancing floor, elle est bonne au petit jeu du gros popotin. L’autre standout track de l’album est celui qui ouvre le bal de la B, «Colour My World Blue». Elle poursuit son petit bonhomme de chemin et chante d’un beau timbre black bien rond. Son «Sugar Daddy» semble rester en suspension, mais c’est extraordinairement bien articulé. Ann Sexton est une petite Soul Sister passionnante. Elle sait se montrer languide quand il le faut, attachante et elle n’oublie jamais de se maintenir à un niveau d’excellence.

    Signé : Cazengler, Âne sectaire

    Ann Sexton. Loving You Loving Me. Seventy Seven Records 1973  

    Ann Sexton. The Beginning. Sound Stage 7 1977

     

     

    L’avenir du rock - Moonlight my fire

     

             When the sun goes down and the moon comes up, l’avenir du rock chante son petit couplet et sort faire un tour. Les soirs de pleine lune, de longs poils noirs poussent sur ses mains et son visage. Il rase les murs et file directement jusqu’au cimetière. Il ouvre une tombe avec son pied de biche pour en extraire un squelette et danse le jerk avec lui. Et puis soudain, il s’arrête. Il se dit que c’est trop facile de faire le con dans un cimetière une nuit de pleine lune. Le voilà en plein cliché, lui qui en a une sainte horreur. Il ne manque plus que les ouuhhhh-ooouhhh de Wolf pour que le tableau soit complet. La messe est dite depuis tellement longtemps. De rage, il jette le crâne qu’il a déterré et rentre chez lui. Il croise un chat qui lui souhaite le bonsoir d’une voix humaine. Excédé, l’avenir du rock lui flanque un coup de pied terrible. Le chat s’écrase contre un mur. Au coin de la rue, l’avenir du rock tombe sur Bryan Gregory. Ah non pas lui ! Cette fois, c’en est trop. Il brandit son pied de biche pour aller éradiquer le cliché qui, épouvanté, s’enfuit en poussant des cris d’orfraie. Bryan Gregory court trop vite. L’avenir du rock le poursuit jusqu’au cimetière, bien décidé à en finir une bonne fois pour toutes avec ces maudits clichés. Évidemment, une fois arrivé dans le cimetière, Bryan Gregory se volatilise. L’avenir du rock réfléchit un moment. Cet imbécile a dû se planquer dans un caveau. Il commence à inspecter les gros bâtiments funéraires et soudain, il tombe sur une porte entrebâillée. Il s’y faufile. Il aperçoit dans la pénombre une dalle déplacée. Il la pousse et découvre l’accès d’un tunnel. Il y descend et au loin brille une petite lueur. Il s’en approche, c’est une torche. Et plus il avance, plus il sent qu’il s’enfonce dans le ridicule. Le cliché le mène par le bout du nez. Ah non ! Cette fois c’en est trop ! Il fait demi-tour, rentre chez lui. Il commence par raser les poils qui ont poussé sur ses mains et son visage. Fin du cliché. Puis il passe aux choses sérieuses : il s’installe confortablement dans son fauteuil pour écouter le dernier album de Moonlight Benjamin.

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             Si tu veux voir et entendre du Voodoo, c’est pas compliqué : tu prends ton journal régional, tu vas directement à la page des actualités culturelles de ta fucking région chérie et tu cherches un concert voodoo. Comme c’est ton jour de chance, tu tombes sur le nom de Moonlight Benjamin. Haïtienne ? Tu ne peux pas espérer plus voodoo. Il ne te reste plus qu’à prendre tes cliques et tes claques et filer au concert.

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             On ne sait pas d’où elle sort, mais elle sort. Pas seulement de l’ordinaire. Elle sort. Elle échappe à tout. Pourtant jeune, elle semble avoir traversé les siècles, pas vampire, juste voodoo, un cran légèrement au-dessus, elle porte une robe noire de prêtresse voodoo du XVIIIe siècle, mais elle danse aussi comme ces magiciennes de Libye que décrit Marcel Schwob dans l’un de ses contes les plus lunaires, «Les Embaumeuses». En évoluant sur scène, elle croise les sons et les époques, elle exhale toute l’Africanité d’Haïti et véhicule dans son sillage la clameur des révoltes d’esclaves qui ont conduit cette île à l’indépendance, elle est le voodoo de la colère du peuple noir, et pourtant, elle s’entoure de musiciens blancs, comme pour mieux dérouter les cargos d’hypothèses entrepreneuriales, elle visite les replis du temps et jette sa poudre magique dans les tempêtes soniques que lève sur sa guitare le petit blanc à sa droite, elle traverse la salle d’Est en Ouest et ses voiles noirs flottent comme des mauvais songes, pire encore, comme des mauvais présages, elle dégage l’âcre odeur des sortilèges, elle charge l’atmosphère à outrance, seule une grande prêtresse voodoo issue des siècles passés peut prétendre à une telle démesure.

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             C’est vrai, on cède dès le premier coup d’œil, on se laisse aller à délirer, mais le son de sa voix ne trompe pas : comment une voix aussi sourde et aussi puissante peut sourdre du corps d’une blackette aussi jeune ? Elle ne chante pas, elle tonne, elle ne tonne pas, elle dégomme, elle ne dégomme pas, elle boule de gomme, elle ne boule de gomme pas, elle bourre et bourre et ratatame, elle n’a même pas besoin de tam-tams, elle bourre et bourre les dindes idéologiques, elle bourre le mou du consensus mou, elle bourlingue l’angle, elle ne s’offre pas en spectacle, elle crucifie l’idée du spectacle sur l’autel voodoo.

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    Elle chope le poulet spectacle des blancs pour lui couper cabèche et prendre une douche fictive de sang voodoo, alors tout ça se met à danser dans l’imaginaire, mais il manque l’essentiel : la transe. No transe en France.

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             Ce qui fascine certainement le plus chez Moonlight Benjamin, c’est l’ovale parfait de son visage, l’extraordinaire dessin de ses yeux en amandes, cette beauté parfaite qu’on retrouve chez toutes les grandes artistes noires, de Dionne la Lionne à Miriam Makeba et passant par Nina Simone, cette façon qu’elle a de fixer les gens, et pour les ceusses qui auront eu le bon goût de rapatrier les albums, il y aussi des tatouages éphémères sur son visage. Ce sont les tatouages des gens du désert, elle aura sûrement vécu en Somalie, au temps de Richard Burton et d’Arthur Rimbaud, au temps où on tatouait le visage des plus belles femmes. Tu vois encore des très beaux visages tatoués dans certaines régions du Maroc, lorsque tu descends vers le Sud, après Ouarzazate. L’art scénique de Moonlight Benjamin consiste à s’accroupir au fond de la scène pour éclore comme une fleur maléfique, puis revenir arpenter la scène d’Est en Ouest. Elle peut tournoyer comme les derviches des montagnes du Rif. Lorsque la tension musicale atteint son paroxysme, elle peut s’élever de quelques centimètres. Elle danse pieds nus, des pieds qu’on aperçoit très peu, car longue est sa traîne.

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             Tu as tout ça pour une bouchée de pain, dans un théâtre de quartier populaire, sur ce que les gens d’ici appellent les hauts de Rouen, pas très loin d’un immense cimetière pas voodoo qui porte le doux nom de Monumental.

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             Elle est cadrée plein pot sur la pochette de Simido. Dès «Nat Chape», elle donne le ton : heavy beat voodoo. Elle chante au gut d’undergut avec toute l’Africanité dont elle est capable. Les deux petits culs blancs aux grattes se tiennent à carreau car Moonlight Benjamin ramène le souvenir des révoltes d’esclaves, c’est puissant, plein de coups de machettes dans la gueule des békés. Toute l’Afrique est derrière elle. Tu as des sons comme celui-là qui reprennent la compétition. Espérons que les fils d’esclaves vont conquérir le monde. Ça ne serait que justice. Moonlight Benjamin monte au créneau, elle chante avec autorité, elle ne s’écrase pas comme si elle avait grandi dans le Mississippi et dans la peur du patron blanc. Sur «Ki Novel», les grattés de poux sont admirables. Ils attaquent «Salwe» au heavy shuffle de gratte, ça vire JSBX, c’est explosé de son et de congestion et Moonlight Benjamin explore des régions inconnues du spectre sidéral. Cette dimension du voodoo n’est pas apparue pendant le concert, on a vu autre chose, mais pas cette dimension atrocement épaisse de domination spirituelle du peuple noir sur le monde, ça joue à la pire heavyness voodoo, une heavyness montée sur un riff hypnotique et bien ravagé par des lèpres, les plaies sont profondes, ça va chercher loin, dans un concert montant de fièvres et de rancœurs. Tu ne trouveras pas cette ferveur atroce sous le sabot d’un cheval. C’est wild as hell. Elle fouille les entrailles de l’Africanité dès l’intro de «Pale Pawol», elle danse autour des riffs, tu as enfin la transe. Étrange alchimie que celle des riffs blancs et de l’Africanité intrinsèque. «Tchoule» part en mode wild guitar slinging, elle allume le comment du pourquoi, le profond des surfaces, elle retourne le rock des blancs comme une peau de lapin. Elle est dans l’Haïti dont on ne sait rien, elle ratiboise le clair de lune, elle vise les hauteurs de la niaque, elle propose un mix de rock voodoo qui se fige à la Pointe du Ras des pâquerettes. Tout est puissant sur cet album, les petits culs blancs jouent bien le jeu, tu as de l’Africanité à tous les étages en montant chez Moonlight, elle touille tout ça dans son chaudron et te sert l’Africana du diable. Ça gratte pour de vrai sur «Pasay», elle a du pot d’avoir ces mecs derrière elle, alors elle peut exploser encore et encore, elle injecte des zèbres et des girafes dans le tourbillon, elle réinvente la notion d’intemporalité. Sur «Kafou», les petits culs blancs jouent comme des Africains, même le batteur réussit à jouer comme un blackos, et le guitar slinger claque des contretemps, alors Moonlight répand la clameur de son Africana dans l’éclat d’un jour d’ici ou d’ailleurs, on assiste avec «Kafou» à l’éclosion d’un effet participatif de la meilleure auspice, rien d’aussi pur dans le mélange des races, on n’avait pas vu ça depuis Sly & The Family Stone et Booker T & The MGs. Pur génius de mixed blast.

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             L’album précédent s’appelle Siltane. C’est l’album aux tatouages. Visage et dos. Les images sont magnifiques. Ça chauffe dès «Memwa’n» au heavy rockalama de Somalie, elle ouate ses sortilèges à la surface du son et derrière ça gratte le hard funk. C’est l’un des cuts du set sur scène. Oh oui, ça gratte au real funk, elle moule le funk dans sa voix vieille de plusieurs siècles, elle groove dans les ténèbres. Elle est bien plus puissante que ne le fut jamais le JSBX, elle te claque une Africana subliminale. Voilà enfin «Papa Legba», le plus connu des personnages mythiques haïtiens. Et pour les ceusses qui ne le sauraient pas, Papa Legba est un diable, elle l’invite à venir danser le sabbat, alors bienvenue en enfer ! On se croirait dans la scène mortelle de Wild At Heart à la Nouvelle Orleans. Aw comme c’est tribal ! Ça résonne si profondément dans ta conscience ! Retour à la pure Africana avec «Moso Moso», c’est un cut de batteur bien renchéri par des percus. Ils s’appellent Claude Saturne et Bertrand Noël. Pour le morceau titre, elle propose du heavy JSBX, mais c’est amené au sludge de no way out, elle tripote le groove de ses doigts crochus, elle fout la trouille, elle aménage des orifices, elle est atrocement reptilienne. Elle tape «Chan Dayiva» avec heavy groove voodoo, mais elle fait à la voix d’airain. C’est incroyable comme ses amis blancs sont à la hauteur. Elle enfonce encore son clou voodoo avec «Tan Malouk» et puis «Des Murs», qui est quasi r’n’b, ce sont les accords de «Gloria» qui se fondent la soupe aux choux et elle termine avec un «Met Agwe» qu’elle fait sonner comme un hit de Nina Simone. Elle fait autorité dans l’au-delà des guitares électriques.

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             Vient tout juste de paraître son nouvel album, Wayo. Même ambiance, elle sort encore des ténèbres pour la pochette. Esthétique maîtrisée. On sent qu’il y a une grosse équipe derrière. Dès le morceau titre d’ouverture de bal, on est en Haïti, elle ramène le son à l’essentiel, elle monte son Africana en neige noire, aye aye aye, elle te dévore de l’intérieur. On reste au pays des merveilles avec l’oh la oh de «Haut Là haut», elle te groove l’oh la oh à la mandingue de dingue, elle ramène carrément de la dignité dans le stomp des blancs, elle en fait le stomp d’Haïti, elle s’implique fabuleusement dans le process de démentoïsation de l’Africana. Le fantôme du JSBX hante encore «Taye Banda», cette fois c’est Jon Spencer qui hante le voodoo de Moonlight Benjamin, elle s’en accommode fort bien. Que de power dans ce Banda ! C’est claqué au heavy chords, à ce niveau de heavy blast, on est obligé de raisonner en termes de génie haïtien. Il faut bien admettre que les interconnections de fantômes finissent par nous dépasser. Elle tape dans le heavy groove de blues pour «Ouve Lespri», elle s’y fond avec l’aplomb d’une reine. Chaque fois, elle reprend le contrôle pour insuffler sa magie. C’est d’autant plus spectaculaire que ses amis blancs jouent comme des cracks. Elle taille encore «Pé» à sa mesure et entre en osmose avec le heavy goove de «Limyé». Sa voix sonne comme la grondement des flammes d’un immense incendie. Elle devient sculpturale dans «Bafon», elle s’enfonce dans les ténèbres du voodoo symphonique. C’est un peu comme si elle créait l’hymne national des temples voodoo. Rien d’aussi spectaculaire ! Tout est absolument noyé de son. Elle attaque encore «Ale» à la dure, avec sa belle énergie primitive. Elle chevauche son drive, Ale ale, elle y va, elle semble filer à travers une savane imaginaire. Quelle exubérance !

             On apprend à l’issue du concert que Moonlight Benjamin est installée à Toulouse et que ses amis blancs sont basés à Paris. Heureuse conjonction. 

    Signé : Cazengler, Benjaminable

    Moonlight Benjamin. L’Étincelle. Salle Louis Jouvet. Rouen (76). 28 février 2023

    Moonlight Benjamin. Simido. Ma Case 2020

    Moonlight Benjamin. Siltane. Ma Case 2017

    Moonlight Benjamin. Wayo. Ma Case 2023

     

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    C’était le printemps. Un des mois les plus beaux de l’année. L’ont-ils fait exprès, voulaient-ils gâcher notre allégresse, je n’en sais rien, ne soyons pas complotiste, toujours est-il que Across The Divide sortait une vidéo du premier morceau de son proximal opus. Une horreur sans nom, d’une beauté inoubliable, je ne vous parle que de la première image, la suite n’était pas gaie mais nous avons tous des filtres de réception qui nous permettent de classer les émotions les plus insupportables dans des petites cases conceptuelles prévues à cet effet : exemple : dans la famille des Suicidés je voudrais la mort par pendaison. Si vous trouvez ce jeu un peu enfantin, il en existe une version davantage ésotérique : exemple dans les arcanes divinatoires du tarot me voici en possession de la carte du Pendu. Je dis cela pour vous faire sourire, car la première image de cette vidéo, s’inscrit en vous avec autant de force que le tableau L’île des morts d’Arnold Böcklin, un de ces engrammes qui s’en viennent tatouer votre cerveau pour en infléchir la marche. Vous n’avez pas de chance c’est ce titre qui ouvre cet opus que nous attendions avec impatience. 

    ETERNAL

    ACROSS THE DIVIDE

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    L’esthétique de la couverture n’est pas sans rappeler celle de Disarray leur dernier album, voir en notre livraison 497 du 11 / 02 / 2021 son élogieuse recension, prédominance de la couleur orange et importance donnée au nom du groupe. Sur Disarray il occulte la photo, sur Eternal réduit à son logo, il apparaît tout de même comme si l’on avait voulu l’agrandir au maximum de son support alors qu’à l’origine il n’occupait qu’une toute petite surface de l’écorce de l’arbre initial sur laquelle il aurait été gravé, pensons à la formule X + Y = A E qui perdure beaucoup plus longtemps que le lien affectif des naïfs amoureux qui l’ont tracé. Surtout si par mégarde il aurait été inscrit sur le tronc de l’Yggdrasil éternel.

    Ce qui tombe très bien quand on songe au titre de l’EP Eternal. Je ne pense pas que Across The Divide soit persuadé que son EP est éternel, mais qu’ils veulent nous avertir que la seule chose de la vie qui ne puisse pas mourir est la mort elle-même. Car si la mort mourait elle deviendrait vie. Across The Divide porte bien son nom. Ils explorent cette faille – Mallarmé la surnommait ‘’ un peu profond ruisseau calomnié’’ – qui sépare – et qui donc en même temps en exprime la jointure négative – la mort de la vie. Ou la vie de la mort.

    Charles Bogan / Regan McGowan / Axel Biodore / Maxime Weber / Alexandre Lhéritier

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    Unforgotten : au taquet, au maximum musical, une voix colérique comme qui sourd d’un cercueil refermé ou qui s’exhale  d’un chaos de grumeaux de terre enfoncée dans la gorge, une musique noire qui se plie et se replie sur elle-même tel un suaire infini qui ne parvient pas à étouffer la révolte intérieure, ne pas mourir définitivement, le cadavre crie ses dernières volontés, la consolation du pauvre, celle de vivre dans la mémoire des autres, des vivants qui lui ont survécu, ne pas être dissout dans le néant léthéen, chaque fois que leur nom est prononcé les morts ressuscitent-ils ne serait-ce que quelques secondes demande Rilke, la musique aurait-elle ce pouvoir, Across The Divide tente une résurrection orphique, instrumentation en lave de serpent qui tente de se mordre la queue, de boucler la boucle de la vie afin de nouer le nœud gorgien de l’éternité. La couleur de l’espoir est encore plus noire que les paroles prononcées par la bouche d’ombre. Ecoutez ce morceau à plusieurs reprises, au début vous avez l’impression d’une coulée uniforme, plus tard vous discernerez un entremêlement kaotique disparate, opposition de volitions contradictoires, par laquelle le groupe parvient au point dis harmonique d’instabilité absolu dans lequel rien ne se résout. Nothing left : s’il n’y a plus d’après il y a eu un avant. Musique sérielle répétitivement martelée, rehaussée d’élans lyriques, derniers efforts de la flamme de la bougie vacillante prête à s’éteindre qui durant de courtes secondes s’exalte d’elle-même et illumine la conscience de l’être au plus haut, et une voix chargée de colère et de hargne, qui se retourne contre tout le monde, qui accuse le monde entier en commençant masochistement par soi-même et qui finit par vilipender le Sauveur hypothétique qui a totalement échoué en sa mission. Du plus bas au plus haut, malgré leurs efforts, il ne restera rien. Sait-on jamais ? La vengeance est un plat de viande morte qui se mange froid. Dead : ( reprise du groupe The Legendary Pink Dots ( voir plus loin ) : petit apéritif en vue d’une meilleure appréciation :  il y a les morts et les morts-vivants, ne pas confondre avec les zombies des films d’horreur, il y a des vivants qui sont déjà morts, des gens comme vous chers lecteurs qui vous ressemblent  étrangement, au lieu de morigéner taisez-vous et écoutez : musique futuriste, les punks diraient no-futuriste, mais c’est un détail, morceau davantage sériel que le précédent mais tout aussi chaotique, à cette différence que le chaos est vécu de l’intérieur, rien ne vaut les exemples de chair et d’os, avec toutes ces fracturations sonores l’on aurait tendance à penser que le pauvre gars terminera en hachis menu. Pas du tout reste calfeutré chez lui. Un peu forcé puisque l’électricité est coupée. Une situation à la Ravages de René Barjavel, toutefois à notre époque moderne, connectée pour la définir rapidement. Une aubaine cette ‘’ panne’’, le moyen idéal de faire le point sur sa propre situation, désespérante, tous ces liens immatériels qui nous permettent de nous ouvrir aux autres, ne sont-ils pas des ersatz de solitude, est-cela la vraie vie. Deux voix qui se répondent, le gars se parle à lui-même. Désespération, exaspération, acceptation. Humour sombre terriblement ambigu, il lui reste encore des livres à lire. Avant de… Sufferer : brutal, le vocal éclipse le background musical qui virevolte, pensez à la musique qui accompagne les corridas, ne pas être victime comme le taureau, appel à la révolte, à l’insurrection, devenir maître de son propre destin, ne suffit-il pas de vouloir, n'empêche que parfois l’on veut et que le système nous dicte ses volontés, l’éternité possède deux faces, l’une négative celle de ton infini servage, de ton abandon, de ta résignation, et l’autre plus claire celle de ta révolte par laquelle tu existes pour toujours. Ce n’est pas facile, ne demandez pas pourquoi le morceau est empli de violence, de dégoût de soi-même et de hargne nécessaire pour atteindre à l’apogée de son unique royauté. Stirnérien.   A thousand times : encore plus rapide, encore plus lyrique, sur la ligne de crête, parfois le problème se pose à vous très concrètement, continuer à se battre, ou abdiquer. Définitivement. Faire le saut. Final. Fatal. Eternité dans la mort ou éternité dans la vie. L’une est irrémédiable, l’autre est incertaine. C’est ici que finit la solitude, que commence la sollicitude de l’entraide kropotkinienne. Etrange comme cet ensemble de titres est à écouter comme une méditation de philosophie anarchiste. Peut-être cela ne participe pas de la démarche initiale d’Across The Divide, lorsque l’on creuse à l’endroit adéquat l’on finit par entrer en résonnance avec des sillons déjà tracés. Another day : un titre optimiste, une chanson d’amour, le son n’est-il pas plus doux, le refrain ne demande-t-il pas une autre chance, ceux qui détestent se pencher sur les abysses préfèreront, préserveront, se réserveront cette lecture, la fin est pourtant sans appel, n’est-ce pas la revendication d’une solitude absolue. L’autre n’est-il pas au fond du gouffre. N’a-t-il pas choisi de passer la ligne de crête. Ni du bon. Ni du mauvais côté. Juste sur le versant éternel.

    Sans concession, un groupe que nous suivons depuis plusieurs années, qui se bonifie à chaque nouvel album, dont la démarche est une des plus originales du metal français.

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    Nothing Left : ( official Music Vidéo ) : dirigée par Danny Louzon : superbe réussite. Figure imposée : un groupe se met en image en train d’interpréter un de ses morceaux. Evidemment ce n’est pas du live. Un montage : vues d’ensembles, parties d’instruments, quelques silhouettes, quelques effets spéciaux, etc… Un genre chorégraphique auquel se plient de nombreuses formations, ce qui peut entraîner chez les amateurs une certaine lassitude, surtout quand une musique brutale se contente d’une esthétique brute. Dans ce cas-là on ne peut pas tricher. L’art de la ligne-obscure est vraisemblablement encore plus difficile que l’art de la ligne-claire, en le sens où les figures imposées s’imposent d’elles-mêmes de par leur rareté. Celle-ci est magnifique, l’économie de moyens y acquiert une force rarement atteinte.

    A voir. A admirer.

    Damie Chad.

    Appendice : sur The Legendary Pink Dots : vous êtes vraiment difficiles si vous ne trouvez pas au moins un titre de ce groupe à votre goût sur les deux centaines albums, plus quelques dizaines et sans compter les autres formats qu’ils ont sortis entre 1981 et 2023…

     

    *

    I wake up this morning… pas besoin d’être un musicographe averti pour deviner que c’est un morceau de blues. Ne jamais tuer l’ours avant de l’avoir entendu grognasser. J’utilise la seule porte de sortie qui se présente à moi, pas tout à fait du blues mes amis, plutôt du rhythm ‘n’ blues, vous savez que ce dernier procède du précédent. Ouf l’honneur est sauf ! Plaf ! survient un démenti cinglant, avec les gamins, même ceux qui mesurent huit pieds de haut, il faut se méfier. Non ils ne se définissent point comme un groupe de blues ou de rhythm ‘n’ blues, s’adjugent le prix du meilleur groupe de Doom-Brass existant sur cette terre qui a pourtant connu bien des horreurs, toutefois ils se la jouent modeste, z’ont une excuse pour se proclamer les meilleurs : ils sont les seuls au monde à pratiquer cet accouplement musicologique inédit. Des pionniers ! 

    THE GREGOR SAMSA BLUES

    EIGHT FOOT MANCHILD

     ( Piste numérique / Bandcamp / Mars 2023 )

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    Dylan Foley : guitar, vocals  / Sara Honeywell : trombone, vocals / Mr Squirrel : barytone sax / Alison Eamhart : tuba / Steve Kosinsky : drums.

    Franchement je ne sais pas comment ils ont fait, sont trois à jouer de la cuivrerie, à les entendre vous pensez qu’ils ont entassé une fanfare de souffleurs dans le studio. Pour les amateurs orthodoxes de doom, profitez des trois premières secondes, une espèce de hachis guitarique pour vous mettre en confiance, genre morceau de gruyère empoisonné, un piège à souriceaux inexpérimentés, ensuite la plomberie vous tombe sur le paletot, un véritable bain de saturnisme dont les méfaits sur la santé humaine ont été dénoncés par le docteur Théophile-René-Marie-Hyacinthe Laënnec ( remarquez le doomesque tréma patronymique ) dès l’an de grâce 1831, c’est dire si vous courez les plus grands périls à prolonger l’écoute… Même chez Stax, ils n’ont jamais réussi à créer le même impact sonore, d’après moi c’est la présence du tuba, que l’on retrouve sur les premiers enregistrements de Kid Ory, bref c’est méchamment bien foutu, en plus il y a de la place pour tout le monde même pour les cymbales de Steve, surtout n’oubliez pas le solo de de sax de l’Ecureuil, l’ont manifestement ligoté dans une cage durant quinze jours et libéré juste pour l’enregistrement afin qu’il donne le maximum. C’est comme cela que j’imagine le son du cor au fond des bois cher à Alfred de Vigny, du moins comme doit l’entendre le cerf au moment de l’halali. Je n’ai pas fini mon dithyrambe, car en plus de bouleverser l’accompagnement, ils filent un coup de balai aux vieilles paroles du blues, début classique, le gars se réveille le matin, se regarde dans son miroir, dans lequel s’agite un être dégoûtant. Vous auriez fait comme lui devant cette vision diabolique, vous courez chez la prêtresse vaudou du coin de la rue. Jusque-là, tout est normal, dès qu’elle ouvre la bouche c’est la douche froide, notre blues se teinte de rouge. Non ce n’est pas du sang. Ou alors métaphoriquement parlant, celui des patrons que tu n'as pas encore éliminés. Si le blues devient politique, ma pauvre dame ! Le mec s’affole et demande ce qu’il peut faire. La réponse est cinglante : Va te faire foutre !

    Jouissif et réjouissif. L’on se précipite sur leur enregistrement précédent.

    BORN INVINCIBLE

    ( Bandcamp / Février 2023 )

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    Opus seulement sur Bandcamp, les bénéfices engendrés par son écoute seront versés en faveur de rescue.org une association qui vient en aide aux réfugiés de tous pays, qui ont intérêt à s’unir ajouterait Karl Marx.

    Dylan Foley : guitar, vocals  / Sara Honeywell : doombone, vocals / Mr Squirrel : doomsax / Alison Eamhart doom tuba / Krys Kobiaka : drums.

    Born Invincible : une guitare échoïfiée tous azimuts, les cuivres s’imposent très vite, belle sonorité, disons que cette fois-ci l’animal n’est plus le résultat de l’improbable union d’un brontosaure cuivré avec doomonique la baleine bleue, mais que le saurien géant a sailli sans préavis la douce funkie, l’anacondate géante. Avouons que le bébé rutile et se porte bien,  il ne prononce encore que quelques mots, par contre il vagit et se débat comme un beau diable car il ne veut pas être tué. Âmes sensibles écoutez bien jusqu’à la fin, sans quoi vous passerez la nuit à pleurer. Born invincible ( Kill no more version ) : avez-vous déjà entendu des cuivres pleurer, pas doucement, parce qu’avec le bruit de la barate à beurre africaine qui fait un potin de tous les diables, ils ont intérêt à forcer sur le diapason. Rires sinistres, c’est la seule chose que l’on peut encore faire quand on est mort. N’en tuez pas davantage !

    C’est ce que l’on doit appeler un charity record contondant. Très réussi. Ne jamais mendier. Ne jamais se plaindre. Même vaincu l’on reste invincible.

    EIGHT FOOT MANCHILD

    ( Bandcamp / Décembre 2022 )

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    Dylan Foley : guitar, vocals  / Sara Honeywell : tromboneFX, vocals / Mr Squirrel : baritone saxFX / Alison Eamhart tubaFX / Krys Kobiaka : drums.

    Le lecteur pointilleux ne s’interrogera pas : FX signifie : effets spéciaux, un peu comme XXL pour les très grandes tailles. Dans la vie il est nécessaire d’afficher ses prétentions.

    Buddha finger : un titre prometteur, bourdonnement de guitare, les cuivres ne tardent pas à tirer la langue à l’impétrant qui veut devenir le disciple du maître, se foutent carrément de sa gueule, l’on croirait entendre Donald dans un dessin animé de Disney, ensuite ça se gâte comme chez tante Agathe, ça sonne comme un requiem funèbrement FX, ne serait-ce point un hymne anti- hiérarchique composé par d’acharnés partisans de l’idéologie anti-autoritaire ? Wisdom fist : la suite du morceau précédent, même pas de coupure, la quincaillerie se la joue grave, un enterrement de première classe, comme à l’école : une méditation philosophique sur l’expression ‘’ poing de la sagesse’’, l’on s’interroge mais encore une fois l’on apprend à penser par soi-même, à ne pas se prosterner devant les maîtres qui sont les chantres de l’économie capitalo-libérale, de légers coups de batterie nous mettent la puce à l’oreille, du poing théorique de la sagesse l’on passe à la pratique pugilistique, apprenons à nous servir de notre poing, la zinguerie devient écrasante. Ne serait-point un groupuscule de radicaux… Orgy at club Megalon : une voix enfantine, nous supposons Sara, nous interpelle, elle a trouvé une sorte de poudre marrante, je vous laisse hypothéser sur la réalité de cette farine rigolote, à chacun selon ses fantasmes, ce qui est sûr c’est que l’on plonge dans un superbe instrumental, un peu rhythm ‘n’ blues, un soupçon de jazz, une pincée de funk, qu’ont-ils mis au juste dans la marmite, ce qui est certain c’est que la soupe qui mijote là-dedans est délicieuse, une potion magique qui vous permettra de vaincre vos ennemis. Energisant. Monoliths and monkeyman : vous pensez à la première scène de 2001 Odyssée de l’Espace, vous avez raison, les cuivres vous offrent le générique grandiose adéquat, à l’entendre vous êtes prêt d’accéder au mystère originel de l’humanité, un accord discordant, la voix sur un rythme binaire et simiesque, attention le pompiérisme musical revient en fanfare, inutile de vous exciter, si vous voulez la vérité la voici, votre monolithe n’est qu’une dalle d’obsidienne. Méfiez-vous de votre imagination et des idoles.

    PANDEMOS

    ( Bandcamp / Février 2022 )

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    Nul besoin de lire la note explicative pour comprendre que ces démos ont été réalisées durant la dernière ère covidique.

    Dylan Foley : guitar, vocals  / Sara Honeywell : trombone, vocals / Mr Squirrel : baritone sax, tabla / Alison Eamhart tuba / Corey Schreppel & Don Music : drums

    Hecka witches n shit :  est-ce un trombone qui imite le bruit d’une mouche, pas besoin de la couper en quatre, la brasserie survient comme le septième de cavalerie, heureusement la situation est grave, la voix est couverte par les cuivres, elle ne hausse pas le ton, l’entendront ceux qui sont déjà prêt l’entendre, méfiez-vous des charlatans qui vous refilent des médicaments dont les effets sont bien plus dévastateurs que le mal dont vous souffrez. Ne prennent pas de risque, parlent de sorcières mais tout le monde comprend, pas pour rien que le frontground est si dramatique. The slouchening : une intro différente avec tablas à la clef de sol(itude), sonorités indiennes, qui auraient été parfaites pour Le doigt de Buddha, Eight Foot Manchild nous la font à la Ravi Shankar, comme ils n’ont pas de sitar se servent des cuivres pour réaliser le bourdonnement infini séquenciel, pas de parole, le titre suffit : amoindrissement, ne vous laissez pas dépérir lorsque l’on vous cloître inutilement chez vous. Wisdom fist : très différent de la version ultérieure, les cuivres donnent l’impression d’avoir davantage de souffle, plus charnel en quelque sorte. Le vocal plus enfoncé dans la gangue musicale. Je préfère cette version. Question de mixage ? Ou de support ? celle-ci est sur Suncloud. You’re gona die dumb and lonely : changement de thème, l’est d’autres maladies bien plus graves que le covid, la connerie humaine, se déchaînent cassent à coups de merlins les illusions de l’ado moyen prisonnier de la société de consommation, sont hyper-violents, faut que la leçon porte, même si elle est inutile puisqu’il est déjà trop tard, le gamin en prend plein la tronche, nous aussi, mais ce chant nerveux nous agrée, cette instrumentation aussi pesante et précieuse qu’un coffre-fort rempli à ras bord de lingots d’or nous ravit. ( Sans Shankar ). The Gregor Samsa Blues : la version précédente était cuivrée comme un canard laqué, celle-ci est toute ébouriffée, ce ne sont pas des cuivres mais des coups de klaxons lancés par des automobilistes hagards, quant au vocal, Dylan l’avait dû se faire un lavement à la cocaïne, l’a dû bouffer tous les cromis du studio, le mec l’a pas le cafard, se débat contre une invasion d’insectes carnivores. Sur la fin, vous avez un trombone qui mugit tel un cargo fracassé sur des récifs qui actionne sa sirène. En vain.

    Je suis trop sympa, un petit dernier qui n’est pas sur Bandcamp mais que vous trouverez sur Suncloud. Take it to the chorus, Titanosaurus : ( Robo Version ) :  un début à la ritournelle, avec déclaration d’amour, hélas toutes les bonnes choses ont une fin, surtout si vous avez un dinosaure dont les pas pesants font trembler la maison, même qu’il pousse quelques hennissements que je qualifierai d’inquiétants,  y a bien un tuba qui essaie de le charmer style joueur de pipe à Joujouka, mais la bestiole n’a pas l’air d’aimer les gammes orientales. L’on comprend pourquoi le morceau a été écarté, trop différent de tous les autres.

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             De fait Eight Foot Manchild est un vieux groupe, j’ai mis la main sur YT une vidéo délirante postée en 2011 Sushi Christmas, vous avez aussi Celestial Tumult un peu dada, Alexander’s Channel  Surfing Mescaline Nightmare Band, une espèce de Sgt. Peppers parodique, bref une bande de joyeux drilles un peu à l’image des artworks qui illustrent les pochettes desquelles nous n’élirons que la toute dernière, cette pièce de soutient gorge armurial microphoné… Elles sont dues à Dylan Foley, le meneur de cette bande d’allumés.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 21 ( Coupe-tif  ) :

    110

    En proie à une grande perplexité le Chef allumait Coronado sur Coronado :

             _ Je ne crois pas au hasard, je suis en quelque sorte visé personnellement par cet étui de Coronado que la belle Ecila tenait en sa main, pourquoi je n’en sais rien, je me suis interrogé toute la nuit, j’ai fouillé dans mes souvenirs, mais non je n’ai rien trouvé. Pourtant c’est bien moi au début de cette aventure qui ai décidé qu’il fallait chercher quelque chose au Père Lachaise, nous avons marché toute une semaine, sans but, sans un indice, nous avons abandonné, la mort d’Alice nous ayant entraîné sur d’autres pistes qui nous ont emmené… devant la tombe d’Ecila. Une dernière chose d’importance, depuis le début j’ai la ferme conviction que cette affaire est liée au rock ‘n’roll !

    Carlos se resservit d’une grande rasade de Moonshine qu’il avala cul-sec, sa langue claqua trois ou quatre fois avant qu’il ne prenne la parole :

              _ J’ai lu attentivement les pages que Damie a consacrées dans ses Mémoires d’un GSH à cette enquête qui nous préoccupe, il désirait qu’un œil neuf les lise et vous fit part de ses observations, je rappelle que je n’étais pas là au début de vos péripéties. Celle lecture me laisse perplexe, je ne prendrai qu’un exemple : qui vous a glissé le nom d’Ecila ? Mme Irma. Pourquoi êtes-vous allés chez cette devineresse plutôt qu’une autre ? Parce que le matin, l’on en parlait dans un article du Parisien Libéré. Un article posthume de Lamart et Sudreau dont nous avions vu de nos yeux les cadavres en décomposition dans leur bureau. Au départ de cet enchaînement de faits, une idée farfelue de l’agent Chad. Bref je résume, j’ai l’impression que quoique vous preniez comme décision vous retombez toujours sur l’affaire qui vous préoccupe, bref que vous êtes en quelque sorte manipulés.

    Il y eut un grand silence. Le Chef alluma un Coronado, j’en profitais pour rouvrir une deuxième bouteille de Moonshine. Carlos reprit la parole :

              _ Je propose que l’agent Chad et moi-même nous nous rendions d’abord une petite visite à Mme Irma et sur la lancée à Alice qui tient le bureau d’accueil du Parisien Libéré, cette petite qui occupe une position d’observation de choix nous a apporté la preuve qu’elle nous était dévouée corps et âme.

              _ Deux très bonnes propositions auxquelles j’acquiesce en toute unanimité. Ne tardez point, pour ma part je tiens à réfléchir encore à la présence de ce tube à Coronado dans la main d’Ecila.

    111

    Nous nous étions garés dans une rue adjacente. Un attroupement de badauds s’était formé aux alentours de l’immeuble dans lequel nous avions été reçus par Mme Irma.  L’on se serra pour nous permettre de profiter du spectacle. Pas d’erreur d’interprétation, des bandes plastiques blanches et rouges, une camionnette de police-secours, des voitures banalisées dont descendaient des visages à la mine grave, tout indiquait la présence d’un crime. Un policier voulut nous barrer le passage, ma carte d’agent du Service Secret du Rock’n’roll lui arracha un sourire : ‘’ J’adore Chuck Berry !’’ nous souffla-t-il, et d’un geste ample il nous désigna l’escalier. Derrière moi, une femme s’écria : ‘’ C’est un certain M. Truc Berry qui a été assassiné ! ’’ .

    Une désagréable odeur de pourriture flottait dans les escaliers. Au cinquième étage ça sentait carrément la charogne. Au huitième nous ne fûmes pas surpris par le spectacle, Mme Irma était à demi couchée sur sa son bureau. En état de décomposition avancée comme était en train de le spécifier un médecin légiste à la mine dégoûtée à un commissaire de quartier blanc comme un linge.

    112

    Carlos avait adopté une conduite peu citoyenne, la fenêtre ouverte il crachait sur les piétons qui s’obstinaient à vouloir emprunter les passages cloutés sous prétexte que le petit bonhomme vert leur permettait de passer. Les gens s’énervent pour un rien. J’ai dû descendre de la voiture pour fourrer le canon de mon Rafalos dans la bouche d’un imbécile colérique qui s’obstinait à rester immobile devant notre véhicule.  Quand je lui eus susurré doucement mais fermement à l’oreille que j’ignorai le sens du mot résilience, il se carapata à toute vitesse.

             _ Quel crétin, j’espère que notre Alice sera dans un état moins faisandé que Mme Irma quand nous serons arrivés !

    Les espoirs de Carlos furent exaucés. Dans sa cage vitrée Alice rosit de plaisir :

             _ Enfin vous revoilà, je commençais à me languir ! Notre dernière soirée a été si plaisante, je laisse ma place à la stagiaire, et l’on file à la cafétaria, je vous offre un café, je vous dois bien cela, j’ai un truc marrant et bizarre à vous raconter, à cette heure-ci, la cafet est vide.

    Je suis franc, malgré toute la sympathie que nous portions à Alice, le breuvage qu’elle nous apporta sur un plateau était dégueulasse. Par contre ce qu’elle nous révéla nous stupéfia :

              _ Lamart et Sudreau ont été remplacés !

              _ Rien d’étonnant, ils ont dû embaucher deux grosses pointures, observai-je.

              _ Je ne sais pas, ils n’ont encore signé aucun article, ce sont des jumeaux, ils signeront les articles : Les frères Did.

               _ Un nom peu commun !

               _ Oui Carlos, on murmure qu’ils ont choisi ce pseudonyme à cause de leur nom !

               _ Ils portent donc un nom si ridicule ?

               _ Ridicule je ne sais pas, mais étrange oui, le premier s’appelle Ladreau et le deuxième Sumart.

    La petite était toute chose, Carlos l’invita au restaurant pour lui changer les idées. Tous deux me raccompagnèrent en voiture au local.

    113

    Je montais les escaliers quatre à quatre, depuis le bas de l’immeuble j’entendais les aboiements rageurs de Molossa et Molssito. J’ouvris la porte avec précipitation. Le Chef était paisiblement assis son bureau, Coronado aux lèvres, en train de discuter avec un inconnu que je voyais pour la première fois. Le Chef fit les présentations :

    • Agent Chad, je vous présente le Professeur Laffont un des plus grands spécialistes de l’Hôpital Henri Mondor !
    • Enchanté M. Chad ! excusez-moi de m’absenter, je reviens d’ici une heure avec le matériel et le personnel nécessaires à la petite opération à laquelle nous allons nous livrer ! Avec un peu de chance, la Science risque de faire un grand pas en avant grâce à votre collaboration pour laquelle je vous remercie.

    114

    Je n’étais pas extrêmement fier, mais lorsque votre modeste personne a l’opportunité d’un progrès décisif de l’Humanité qui oserait s’opposer à un tel programme. Des infirmiers avaient installé deux lits voisins sur lesquels le Chef et moi-même étions confortablement installés. L’on nous fixa sur la tête de casque de virtualité intellectuelle. Derrière nous un technicien surveillait l’écran d’un ordinateur. Sourire didactique aux lèvres le Professeur Laffont se tourna vers moi :

              _ Cette après-midi sur la demande de votre supérieur hiérarchique je me suis livré à une expérience d’hypnose sur sa personne. Il voulait avoir accès à certains souvenirs enfouis dans sa mémoire. L’hypnose en elle-même a très bien fonctionné, mais le patient s’est trouvé, comment dire, devant un mur psychologique qui a refusé de s’ouvrir. Ce genre de cas est assez rare, je ne me vante pas, mais je pense avoir mis au point une théorie explicative de ces échecs. Secondé par une équipe diligente j’ai trouvé la méthode d’ouverture de ce mur psychologique. Il s’agit de transférer le contenu du subconscient d’un individu dans l’espace neuronal d’un autre individu préalablement vidé du contenu de son propre subconscient. Comment l’expliquer simplement : nous allons transférer vos deux subconscients dans la boîte crânienne de l’autre. Par contre nous vous laissons chacun vos propres murs de défense qui ne cadenassent pas les mêmes émotions. Conclusion lorsque vous aurez dans votre tête le contenu de M. Lechef, avec une simple séance d’hypnose vous nous révèlerez ce à quoi M. Lechef n’a pas accès. Evidemment, quelles que soient vos révélations elles sont couvertes par le secret médical. Pour votre confort, vous pouvez garder auprès de vous les objets qui vous sont chers. M. Lechef peut ainsi continuer à fumer quelques Coronados et M. Chad peut caresser sur son lit ses deux adorables canidés. Messieurs, êtes-vous prêt ?

    Tous deux d’un même élan, malgré notre état de cobaye humain d’une voix mâle et virile nous nous écriâmes :

               _ Prêts !

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 569 : KR'TNT 569 : TONY STRATTON SMITH / RIPLEY JOHNSON / LEN PRICE 3 / PATRICE HOLLOWAY / EDDIE COCHRAN / SPUNYBOYS / ACROSS THE DIVIDE / ALEXANDRE MATHIS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 569

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    06 / 10 / 2022

     

     TONY STRATTON SMITH / RIPLEY JOHNSON

    LEN PRICE 3 / PATRICE HOLLOWAY

     EDDIE COCHRAN / SPUNYBOYS

    ACROSS THE DIVIDE / ALEXANDRE MATHIS

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 569

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Strat O’sphère

     

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             Strat ? C’est ainsi qu’on surnomme Tony Stratton Smith dans le book extrêmement bien documenté de Chris Groom, Strat! The Charismatic Life & Times Of Tony Stratton Smith. Strat fit partie des fameux gay men qui présidaient aux destinées du showbiz britannique, au temps du Swingin’ London, les plus connus étant Brian Epstein, Robert Stigwood, Larry Parnes et Simon Napier-Bell. Mais il y a aussi Ken Pitt (David Bowie), Billy Gaff (Rod Stewart), Vic Billings (Dusty Springfield) et bien sûr Kit Lambert, co-manager des Who. Simon Napier-Bell : «Most of the best managers were gay.» Il ajoute : «Les gay managers semblaient être les meilleurs. La plupart d’entre-eux jouaient un double jeu, à la fois dans leur monde et le monde extérieur. Les Jewish managers était aussi excellents, la plupart d’entre-eux ayant joué le double jeu depuis leur enfance à l’école.»  

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             Avant d’entrer dans le showbiz, Strat fut journaliste sportif. C’était du temps des Brésiliens, de Pelé, des grands clubs anglais et de Bobby Charlton. Comme beaucoup d’entrepreneurs installés à Londres dans les early sixties, Strat flaira très vite le jackpot et se mit à manager des groupes et, pour avoir les mains libres, il monta dans la foulée son propre label, The Famous Charisma label. Comme Jac Holzman à la même époque à New York, Strat se spécialisa dans un son qui correspondait directement à ses goûts. Charisma fut donc un label de prog dont Van Der Graaf Generator, Lindisfarne et Genesis étaient les figures de proue. De son côté, Holzman tapait dans le folk un peu planplan et les musiques traditionnelles, mais il avait su se moderniser en signant les Doors, Love, les Stooges et MC5. Strat ne s’est jamais modernisé. Les Britanniques sont beaucoup plus traditionalistes.

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             C’est donc un book qui s’adresse principalement aux fans de prog : ça va de Phil Collins (pour le pire) à Peter Hammill (pour le meilleur) en passant par The Nice et les Bonzos. Ce n’est pas une raison pour jeter ce book par la fenêtre, car Groom fait un véritable travail d’investigation et nous fait entrer au cœur du London biz, à l’époque la plus fascinante. Il brosse surtout un portrait saisissant d’un homme haut en couleurs, qui installa ses bureaux à Soho et qui passait le plus clair de son temps dans les bars du coin, fréquentant, comme le dit Peter Grabriel, «the painters, the writers, the gangsters, all the Soho royalty.» Son quartier général était un endroit nommé La Chasse, au 100, Wardour Street, un club privé qui se trouvait à l’étage, au-dessus d’une boutique de paris. Strat y picolait et y gérait son biz. Et c’est au 2i’s Coffee Bar, sur Old Compton Street, que Strat reçoit son baptême du feu. Il se retrouve un soir avec deux ou trois cents personnes «in this awful cellar, payant pour le privilège de s’asseoir in this sweat-box for three hours.» Groom qui est bien documenté rappelle qu’à la fin des années 50, le 2i’s Coffee Bar était considéré comme the birthplace of British rock’n’roll et Mickie Most y bossait, working the cola machine. Comme Strat est gay, il fait gaffe. C’est encore un délit à cette époque que d’être gay. Sa vie privée reste donc secrète. Il ne s’affiche avec personne et comme tous les gens plongés dans le secret, il est parfaitement incapable d’entretenir une relation suivie. Aucun de ses proches ne se souvient de l’avoir vu avec un partenaire. Simon Napier-Bell dit de Strat que sa vie tournait autour des «fine wines, racehorses and rent boys.» Groom insinue que Strat louchait sur un groupe uniquement parce qu’il tombait amoureux de l’un de ses membres. Il cite l’exemple de Keith Ellis, dans les Koobas. Jack Barrie, le boss de La Chasse, le confirme : «I think Strat was madly in love with him.»  

             Cathy McKnight se souvient de l’homme Strat : «Strat was a large man, d’âge indéterminé, (presque) toujours très bien habillé, avec des yeux pétillants et un rire étrange qui ponctuait son discours à intervalles irréguliers. Je n’ai jamais pu le situer.» Elle ajoute un peu plus loin : «Ses principaux traits de caractère semblaient entrer en contradiction les uns avec les autres, était-il un génie ou un charlatan, un esprit original ou un escroc intellectuel de premier ordre ? Strat était de toute évidence un visionnaire, et si parfois certaines de ses visions le conduisaient dans une impasse, ses stratégies étaient le plus souvent d’un bon rapport.» Strat adorait faire la grasse matinée, aussi arrivait-il au bureau à midi, puis il allait déjeuner à 13 h, revenait au bureau à 16 h et sortait toute la nuit. Peter Jenner : «Great geezer, Old-school. Very sharp.» Il donnait aussi des rendez-vous dans un pub de Wardour Street qui s’appelait The Ship, entre 12 h et 12 h 30, nous dit Steve Weltman - My dear boy, I think we should have a meeting in The Ship - Et ça commençait par une pinte de Guinness pour faire passer la gueule de bois.

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             L’une des premières rencontres que fait Strat est celle de Brian Epstein. Ils se rencontrent à Amsterdam où Epstein organise une tournée des Beatles. Il demande à Start de ghost-writer son autobio, le fameux A Cellarful Of Noise. Mais comme Strat qui est alors écrivain bosse déjà sur un autre projet, il donne son accord mais demande six mois de délai. Quoi ? Six mois ? Epstein explose. Il veut ça tout de suite. Alors il va engager Derek Taylor. Strat est cependant ravi d’avoir rencontré Epstein : «J’ai appris beaucoup de Brian, notamment le fait que le rôle du manager est un rôle créatif. Il croit créer les conditions dans lesquelles les artistes vont pouvoir évoluer. Ce qui demande un talent et une discipline qui vont plus loin que celles des juristes et des comptables. J’aimerais croire que je suis devenu l’un de ces managers.»

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             Strat va démarrer sa carrière de manager avec des artistes extrêmement intéressants : Beryl Marsden, les Koobas et les Mark Four. Pour lancer Beryl, il bosse avec le producteur Ivor Raymonde et sort un premier single en 1965, «Who You Gonna Hurt». Mais la relation est tendue entre Beryl et Strat : elle lui reproche de ne pas assez s’occuper d’elle. Ce sont les Gunnell Brothers qui la récupèrent en 1966 et qui la mettent dans un groupe fraîchement assemblé, The Shotgun Express, un groupe dans lequel on retrouve Rod The Mod, l’organiste Peter Bardens, Peter Green, Dave Ambrose on bass et Mick Fleetwood au beurre. Les Gunnell Brothers vont aussi lancer Georgie Fame.

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             Il existe une belle compile de Beryl Marsden, Changes - The Story Of Beryl Marsden, parue en 2012 sur RPM, qui fut l’un des grands labels anglais de rééditions. Cette compile est une vraie caverne d’Ali-Baba. Cette petite gonzesse de Liverpool chante au sucre candy et comme toujours chez Strat, c’est très produit. Au fil des cuts, on voit sa voix s’affermir et quand elle attaque «Love Is Going To Happen To Me», elle devient en quelque sorte définitive. C’est un peu ce qui va la caractériser : le côté ferme et définitif. Elle chauffe admirablement «Who You Gonna Hurt», un slowah super-frotteur, ah la garce, comme elle frotte, et avec «Gonna Make Him My Baby», elle pique sa crise Motown. C’est elle la reine de Liverpool. Ce cut est un vrai coup de génie. La fête se poursuit avec «Music Talk», elle groove sa Soul blanche around the world, comme Martha Reeves, elle devient Beryl en la demeure, avec une mélodie qui est celle d’«Ode To Billie Joe». Elle tape à la suite dans le «Break A Way» de Jackie DeShannon. Wow, quelle heavy pop ! Elle revient à Motown avec le «Let’s Go Somewhere» d’Eddie Holland et tout explose avec le Shotgun Express et deux cuts ultra-chantés et ultra-orchestrés, «I Could Feel The Whole World Turn Round» et «Funny Cause Neither Could I». Elle braille avec Rod The Mod à l’unisson du saucisson, c’est excellent ! Elle traverse ensuite une période atroce de son à synthés et revient à la raison avec le «Baby It’s You» de Burt, au shalala, elle redevient la reine de la nuit, elle chante au vrai grain de voix. Et ça repart de plus belle avec le «Will You Love Me Tomorrow» de Goffin & King, elle est gonflée de s’attaquer à cette merveille, mais elle dispose de l’atout majeur : la voix. Tu n’es pas au bout de tes surprises, car voilà qu’elle monte au créneau avec sa niaque et sa compo : «Everything I Need». Et là tu te prosternes, car elle est vraiment bonne, elle est pleine de Soul blanche, de swing, et de présence à la puissance mille, un peu comme Lulu. Elle revient à sa vielle pop avec «Too Late», yeah yeah yeah, pur jus de Brill, encore une compo à elle. Beryl en la demeure finit par subjuguer. Elle rentre bien dans le chou de «Changes», elle est de plus en plus admirable. Ah quelle fantastique petite gonzesse ! Elle termine avec le «I’ll Be There» de Bobby Darin, elle tape ce slowah à la voix mure, Beryl en la demeure n’est pas une amatrice, elle peut chanter au creux du big stardom, elle en a le gut de l’undergut et la présence vocale. Elle atteint un niveau de niaque assez rare. On imagine qu’étant de Liverpool, elle est tombée dedans quand elle était petite. 

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             Puis Strat manage les Koobas, un groupe originaire de Liverpool. Pour les lancer, il demande à l’Américaine Nancy Carol Lewis de dessiner des pantalons à fleurs, ce qu’il appelle the kooba trews. Les Koobas partent en tournée avec les Beatles et Nancy les maquille chaque soir dans les loges. Groom rappelle au passage qu’à l’époque les Beatles se maquillaient eux aussi. On est en décembre 1965 pour une tournée de dix jours. En-dessous des Beatles, on trouve à l’affiche les Moody Blues, Beryl Marsden, Steve Aldo et les Koobas. Le backing-band pour Beryl et Aldo s’appelle The Paramounts qui vont devenir Procol Harum. Et puis comme l’album des Koobas ne se vend pas, le groupe se désagrège.

             Normal que l’album sans titre des Koobas ne se vende pas : il est mauvais. Dommage car belle pochette. D’autant plus dommage que ça démarre sur «Royston Rose», un joli shoot de British psych, ça joue énormément à l’intérieur du son avec une basse qui rue dans les brancards. Et ensuite, ça bascule dans le mauvais Pepper, une sorte de pop proggy, beaucoup trop évolutive. Ça ne peut pas marcher, sauf chez les bouffeurs de prog. Dommage que tout ne soit pas monté sur le modèle de «Royston Rose». La B est encore plus catastrophique. Ils visent l’épique pur sans en avoir les moyens. Ils tapent une reprise d’«A Little Piece Of My Heart», mais ils n’ont pas les étincelles de Janis. Ils méritent cependant une médaille pour services rendus à la nation.

             Strat repart de plus belle avec The Mark Four qui deviendront dans la foulée The Creation. C’est Robert Stigwood et s’occupait d’eux et Strat accepte de les reprendre à condition qu’ils changent de bassman et il propose Bob Garner, qui a joué dans les Merseybeats et dans le groupe de Tony Sheridan. Le groupe accepte et Strat leur propose de bosser avec son ami Shel Talmy - the hot independant record producer of the day - qui vient tout juste de lancer les Who et les Kinks. Alors attention, on ne rigole plus. Kenny Pickett se souvient très bien de Strat : «J’ai été présenté à ce mec avec un double-barrelled name, une poignée de main sympa mais un peu molle, qui parlait avec un public school accent issued from a rather weak mouth, dressed in a crumpled blue suit and just about the most unlikely rock’n’roll manager I could have wished for. Et puis, il y avait son regard fixé à distance, son air intellectuel et ses joues brillantes, il tenait délicatement sa cigarette entre des doigts d’une grande finesse, on aurait dit un Oscar Wilde accessory, il riait de bon cœur (he would laugh his laugh) et pendant une seconde, je crois que j’ai adoré me bourrer la gueule en compagnie du mec qui venait d’empocher notre cachet pour Ready Steady Go!».

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             Groom nous dit aussi que Shel Talmy ne supportait pas Kit Lambert, par contre, il appréciait Strat, l’un des rares music industry people avec lequel il s’entendait bien - The Creation could have been superstars, mais je n’arrivais pas à les maintenir ensemble et à les empêcher de se séparer tout le temps. Rétrospectivement, je regrette de n’avoir pas travaillé un peu plus pour Tony, parce que c’était un grand personnage et un label boss atypique. On est devenus de bons amis et on a passé de bonnes soirées, car nous pouvions parler de tout et de rien. Il avait beaucoup d’humour, c’était un smart guy et un homme très cultivé, dans beaucoup de domaines, mais il se piquait la ruche de temps en temps. Pour être manager, tu dois être un asshole, tu dois te mettre au niveau du groupe, devenir tordu et tout le cirque. Mais il y avait des exceptions. Je pense qu’Epstein en était une. Le seul mec qui à mes yeux était un good band manager, c’est Tony Stratton Smith. Je l’appréciais beaucoup.»

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             Si tu veux entendre les Mark Four, tu dois choper Creation Theory, un Edsel Box Set paru en 2017 : trois CDs et un DVD. Les Mark Four se trouvent sur le CD 1. Tu as huit cuts. En 1964, ils swinguaient bien, leur cover de «Rock Around The Clock» passe comme une lettre à la poste. Il faut aussi entendre le solo qu’Eddie Phillips passe dans «Crazy Country Hop». What a Hop, my friend ! Tout est trémoloté jusqu’à l’ass de l’oss. Et voilà un hit digne des Who : «Work All Day», joué au riff vengeur. Ils font aussi du Dylan («Going Down Fast») avec une pince à linge sur le nez. Incroyable mais vrai. Ils adorent le Dylan électrique de l’âge d’or. Puis après, ça passe aux Creation et aux versions mono des gros hits : «Making Time», «Painter Man», «Biff Bang Pow», «Nightmares», «Cool Jerk» et tout le reste. Le génie sonique des Creation dépasse tout ce qu’on peut imaginer.

             C’est avec The Nice et les Bonzos que Strat va décoller. Mais il a besoin d’aide pour manager tout ça. Alors, il embauche Gail Colson qui va devenir son bras droit. Groom dit qu’ils sont le recto et le verso du same coin, c’est-à-dire de la même pièce de monnaie. Ils dépendent l’un de l’autre, «lui impétueux, avec ses principes, et une pratique quasi infantile du job d’impresario, elle, la sympathique et prudente business manager qui, d’une certaine façon, réussissait à transformer l’excessive intégrité de Strat en profit.»

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             C’est Lee Jackson, le bassman/chanteur des Nice qui insiste pour que Strat vienne les voir jouer. Il y va et c’est le coup de foudre - I became emotionally involved - Au départ, c’est Andrew Loog Oldham qui avait monté The Nice pour accompagner P.P. Arnold. Quand Strat les rencontre en 1968, ils ont déjà enregistré deux albums pour Immediate, dont l’excellent The Thoughts Of Emerlist Davjack sur lequel joue Davey O’List, un Davey qu’on ne voit jamais orthographié de la même façon : Chris Welsh l’écrit Davy et Discogs David. Quand Strat rencontre le groupe, O’List n’est plus là et il n’est pas remplacé. Viré à cause de son erratic behaviour. On suppute que lors d’un séjour à Los Angeles, David Crosby a spiked his drink avec du LSD, mais en même temps, il était souvent en retard pour les concerts, et même parfois absent. Il doit donc dégager. Le groupe demande à Strat de provoquer une réunion pour annoncer la bonne nouvelle à O’List. The sack. Keith Emerson prend ensuite la barre et The Nice devient un trio. Grâce à Strat, ils ont la chance de pouvoir tourner aux États-Unis, mais ils y perdent de l’argent. Groom estime la perte à $15.000, suite au vol de la caisse à Boston et à des annulations de dates. Groom indique aussi que pendant la tournée, Strat a essayé de signer Captain Beefheart. Malgré le déficit, Strat prend les choses du bon côté : il considère ce déficit comme un investissement. De retour à Londres, il monte le coup du siècle : The Nice with The London Symphony Orchestra. Pour lui, c’est la même chose que d’inciter les Koobas à prendre des leçons de comédie ou d’encourager les Creation à faire de l’Action Art sur scène, «c’est une façon pour très excitante d’avancer». Groom rapporte aussi une anecdote succulente : Chris Blackwell voit un jour Strat sortir d’un terminal d’aéroport. Il marche en tête et derrière, le groupe suit, comme une couvée de poussins derrière la mère poule, alors ça amuse Lee Jackson qui déclare : «Great, that’s gonna be your name from now on... Mother!».  

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             C’est le bouillonnement d’énergie qui caractérise The Thoughts of Emerlist Davjack. Les Nice sortent un son assez typique du London 67, un power indéniable. Ils sont radicalement psychédéliques. C’est vrai que Lee Jackson ne chante pas très bien. Le morceau titre est assez puissant et en même temps inutile, comme bon nombre de cuts de prog. C’est avec «Bonnie K» qu’ils foutent le souk dans la médina. Keith Emerson chauffe sa Bonnie à l’orgue et on entend de magistrales interventions de ce grand guitariste qu’est l’O’List. Il sort un son bien gras, il part en goguette et va croiser le shuffle d’Emerson. C’est un son tellement énorme qu’il en devient américain. Emerson entre dans son domaine avec «Rondo», il lance ici une première incursion dans le domaine du classique, comme va le faire Dave Edmunds avec «Sabre Dance» et Love Sculpture. C’est de la haute voltige. En B, ils reviennent en force avec «War And Peace». Ils développent déjà un sens aigu des instrus à rallonges. Ils sont parfaitement au clair de notaire. Shuffle d’orgue et coups d’O’List qui gratte comme un malade en contrepoint. Pour un virtuose comme O’List, c’est du gâtö. Ils terminent avec «The Cry Of Eugene» chanté à plusieurs voix dans toutes les oreilles, et des flûtes se baladent derrière ton cul histoire de te mettre devant tes responsabilités, c’est assez pénible et ils touchent vite le fond en ramenant des trompettes à la mormoille. O’List veut revenir à la charge pour sauver Eugene, mais c’est trop tard, son heavy sound est noyé dans cette pop prétentieuse et privée d’avenir qui va devenir le prog, cette prétention malsaine à vouloir sonner comme des géants alors qu’ils n’ont sont pas.

             Après les deux albums Immediate, The Nice va enregistrer trois albums sur Charisma. Mais Keith Emerson n’a pas l’intention de continuer avec ce groupe. Il pense que Lee Jackson n’est pas très bon au chant. Il propose à Duncan Browne de le remplacer, sans succès. Puis il rencontre Greg Lake (King Crimson) et Carl Palmer, le jeune et beau batteur d’Atomic Rooster que Strat connaît bien. Avec l’avènement d’ELP, c’est pour Strat la fin du Nice épisode.

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             Comme déjà dit, Strat manage à la même époque une autre équipe haute en couleurs, les Bonzos qui jusque-là étaient managés par Gerry Bron, le boss de Bronze. Pour Bron, ce fut un soulagement que de les perdre : «Ça devenait pénible de les manager et Tony leur disait qu’il pouvait faire ce que je ne pouvais pas : crack American wide open for them.» Il a essayé mais ça n’a pas vraiment marché. Bron pense que s’ils avaient été moins neurotic et plus patients, ils auraient pu devenir one of the biggest acts of all time. Il a raison le Bron, les Bonzos ne mégotaient pas sur la qualité. Ils font leur première tournée américaine en avril 1969 : pas de budget. Vivian Stanshall : «One dollar a day, that’s a burger and a beer - just. But Strat contrived to introduce me to dry Martinis at the Algonquin, Dorothy Parker, Benchleys, Kaufman. We were in New York, for Christ’s sake! It would be improper if we did not. Tony Stratton Smith was a gentleman and an adventurer. He was a very rare man.»

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             En 1970, Strat lance son label Charisma et choisit comme logo The Mad Hatter de Sir John Tenniel, une illustration qu’on trouve dans Alice in Wonderland de Lewis Carroll. Le «Sympathy» de Rare Bird est le premier disk paru sur Charisma, un hit mondial, suivi peu de temps après par l’album des nouveaux clients du manager Strat, Van Der Graaf Generator. Ils deviennent ses chouchous. Strat est persuadé que Peter Hammill «is one of the best lyric writers in the world.» Il le trouve aussi anti-music : «Chaque fois qu’il devient accessible, il fuit et se réfugie dans un royaume impénétrable.»

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             En montant Charisma, Strat a trois modèles en tête : Epstein, Oldham et Lambert : «He had a fine mind, Kit Lambert. C’était un homme très cultivé, a man with tremendous interest in all the visual arts, as well as music. C’était un charmeur très persuasif et les gens les plus durs lui mangeaient dans la main.» Par contre, Strat a du mal avec Andrew Loog Oldham, même s’il le prend comme modèle : «On n’apprenait pas grand-chose d’Andrew, he was one on his own. Son comportement infantile a brisé sa carrière. Ce côté infantile rendait toute négociation compliquée. Avec un vrai businessman, une vision claire et des gens honnêtes pour la mettre en œuvre, Immediate serait encore là aujourd’hui, parce qu’Andrew avait des idées. Il avait un flair énorme, mais il était irresponsable.»

             Les premières grosses ventes de Charisma sont le Five Bridges de The Nice, puis Lindisfarne, Audience et Genesis, suivis de près par le premier album de Van Der Graaf sur Charisma, 15 000 exemplaires en 9 mois. L’or coule à flots chez Charisma !

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             The Least We Can Do Is To Wave To Each Other paraît donc en février 1970. On est aussitôt saisi par le Big Atmospherix de «Darkness» et le sax de David Jackson. Balayé par des vents, Peter Hammill s’accroche à sa falaise, les autres derrière jouent comme ils peuvent, ah, on peut dire que le vent souffle sur Van Der Graaf. On sent qu’ils rêvent de big time. S’ensuit un «Refugees» assez pur, chanté à la Robert Wyatt, Hammill développe un incroyable morphisme dans l’art du Soft. Il devient tout simplement Robert, il dispose du même pouvoir extraordinaire de seigneur de pacotille. Son royaume est l’harmonie, la fantastique ampleur. C’est avec cet album qu’on découvre Peter Hammill, l’homme qui chante dans le punch du son, on le voit encore tailler sa route avec «White Hammer», il chante à la posture, comme un dandy de l’Ancien Régime, c’est un homme qui sait ce qu’il veut, il génère des délires et les drive de main de maître. La prog de Van Der Graaf est sans doute la seule qui ne soit pas ennuyeuse. C’est même une prog qui s’écoute passionnément. Sans doute est-ce la faute à Voltaire. En attendant, ils savent pelleter le charbon dans la chaudière et ce démon de David Jackson l’allume au free extrémiste, il est le crack de la bande, il passe un solo de pur free, il te coule vite fait une apocalypse d’hippie en casquette de cuir. Et ça repart de plus belle en B avec un «Whatever Would Robert Have Said» amené à la fournaise de vazy-mon-gars. C’est un univers totalement à part, ça chante à l’unisson du saucisson, Hammill est le roi du saucisson, il scande à l’Anglaise avec des accents qui préfigurent Johnny Rotten. Ils font aussi des petits coups bucoliques du genre «Out Of My Book», c’est très campagne britannique, avec la flûte de Jackson. Puis Hammill remonte sur la falaise affronter les éléments avec «After The Flood», il adore déclamer dans la tempête, c’est son péché mignon. Leur prog est pleine de surprises, ils passent d’un climat à l’autre sans coup férir et ce démon de Jackson passe un solo de flûte si violent qu’il en crache dans son bec. 

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             H To He Who Am The Only One paraît la même année, au mois de décembre. On y trouve une petite merveille, «House With No Door» qu’Hammill chante avec un tact infini, là-haut sur son chat perché. On retrouve aussi les grandes heures de Van Der Graaf dans «Killer», monté sur des accords connus, et bien harassé par le sax, un sax qui laboure les terres du Comte Zaroff. Mais ça n’est pas un hit car ça dure huit minutes, durée prohibitive. Ce sont les us et coutumes de l’époque. Encore du pur jus de Van Der Graaf avec «The Emperor In His War Room», prog à tous les étages en montant chez Graaf, chant de hargne, loopings d’orgue et de sax dans tous les coins, l’ensemble est assez épique. Hammill semble chevaucher. Il devient évident que Johnny Rotten s’est inspiré de sa façon de chanter. Hammill développe une réelle démesure. Et cette façon qu’il a de roucouler au cœur des tempêtes le rend délicieusement hugolien. Il peut aussi devenir féroce («Lost»), secoué par les ressacs de sax. Il y a des remous dans la soupe aux vermicelles ! En fait, la prog est une quête insensée. Une sorte de désert où on cherche l’humidité. Tous ces grands musiciens oublient tous de boire. Ils sont imbus. Comme le dit si bien le sage, qui a bu est imbu. Alors Hammill s’élance, il est très athlétique. Comme le précédent, cet album est très visité par l’esprit du son. Son y es-tu ? Oui grand-mère ! Alors je vais te manger... Comme le loup qui mange pour rien, Van Der Graff développe du son pour rien. Mais Strat adore ça. Tu as même des gens qui vont trouver ça très bien.

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             Avec Pawn Hearts, les Graaf continuent de cultiver leurs paradoxes. C’est de la prog, avec tout le décousu que cela suppose, mais chantée par Peter Hammill. Alors tu prends ton mal en patience. Tu écoutes. Ça reste une prog chargée de climats, très anglaise, très saine et très respectée, mais il faut bien dire que ça part dans tous les sens («Lemmings») et ça dure onze minutes. À l’époque, on ramassait ces albums pour une bouchée de pain, dans les second hand shops de Goldborne Road. Hammill reprend le pouvoir avec «Man Erg» et redevient l’un des grands shouters d’Angleterre. Il chante au plus juste, il peut même chanter comme un dieu dans les dédales de la prog, il peut devenir miraculeux et trancher dans le vif avec une autorité qui terrifie. Un seul cut en B qui est une suite : «A Plague Of Lighthouse Keepers». Tout le monde craignait les suites à l’époque, car elles ruinaient des faces d’albums, comme par exemple la B de Shine On Brightly. Les Van Der Graaf posent les conditions de la prog avec une certaine prestance, il faut bien l’admettre. Hammill fait l’héroïque, il se fait passer pour un seigneur de l’An Mil et pouf c’est parti pour 25 minutes. Ils passent par tous les états de l’échantillonnage, ils n’ont besoin de personne en Harley Davidson. Les passages sont parfois moyenâgeux et puis ça part en peu dans tous les sens, ça devient l’expression d’un délire que personne ne peut suivre, il faut être sous emprise pour l’écouter. À jeun, c’est imbuvable. David Jackson sauve les meubles avec une crise de free, le son se colore, à l’image de leur délire graphique de photos mauves. On ressort circonspect de cet album et on décide d’en rester là.

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             Mais Strat connaît aussi des échecs. Le premier exemple est Spreadeagle qu’il essaye de lancer en 1972, avec The Peace Of Paper, pourtant produit par Shel Talmy. Sur la pochette brûle un parchemin. Tu ne te relèveras pas la nuit pour écouter cet album mais les bassistes du monde entier devraient écouter «Brothers In The Sunshine», un cut bardé de son que l’omnipotence du bassmatic rend captivant. Tu es chez Shel et cha s’entend, surtout dans «Piece Of Paper», où Andy Blackford passe un solo d’une rare élégance. Le «Nightingale» qui ouvre le bal de la B rappelle un peu Stan Webb : bonne énergie. Spreadeagle est un groupe passé inaperçu, mais avec du son. L’autre point fort de l’album s’appelle «Eagles». Cette fois, ils ne sont pas loin des Who, ce qui n’a rien de surprenant, vu qu’on est chez Shel. Côté dynamiques, ils ont tout bon.

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             L’autre flop de Strat, c’est Capability Brown. Ils sont six sur scène et chantent tous. Tony Fergusson et Kenny Rowe faisaient partie d’Harmony Grass. Groom indique aussi que Rowe avait joué with Steve Marriott’s Moments. Alors on sort From Scratch de l’étagère. Pas le genre d’album qui laissait un grand souvenir. En gros, Capability Brown sonne comme CS&N, mais aussi comme les Beatles, ce qui explique qu’ils aient échappé aux purges. Ces mecs visent effectivement une certaine clameur harmonique. C’est à la fois très épique et très beau. Ils ont exactement le même déroulé que CS&N avec «Do You Believe», avec le gratté d’acou et les harmonies sous le boisseau. Mais c’est encore plus flagrant avec «Soul Survivor» en bout de B, c’est du pur jus de CS&N, ils s’appuient sur un heavy gras double à l’Anglaise pour partir en dérive dans le mékong de CS&N, on se croirait dans «Judy Blue Eyes Suite», c’est très déterminé à vaincre, ça défonce tous les barrages de police, ça fonce vers la lumière au pah pah pah, ils évoquent même les ancient seas de Croz. «Garden» est tellement pur qu’on pense au «Day In The Life» des Beatles. Même chose avec «Red Man», en B, ça sent bon la Beatlemania. Leur «No Range» est encore bardé de son. On comprend que Strat ait tout misé sur eux. Ces mecs disposent de ressources insoupçonnées, comme le montre encore «Liar», ça grouille de petites guitares incendiaires et de bouquets d’harmonies vocales à la CS&N. Ils ont tout de même un peu de sang américain dans les veines. Bizarre que Capability Brown n’ai pas explosé en Angleterre. C’est du haut niveau. 

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             Leur deuxième album s’appelle Voice et paraît l’année suivante. Même constat : c’est du solide, on les voit à l’intérieur du gatefold, ils chantent tous les six et produisent comme le montre «I Am And So Are You» un fantastique brouet charismatique. On sent nettement les influences californiennes. «Sad Am I» est just perfect. Mais ça se gâte en B avec ce que les Anglais appellent une suite, un long cut à épisodes qui vire prog. On perd la chanson, on perd la Californie.

             Les artistes s’accordent à dire que Strat est une vraie mère poule. Il accompagne les groupes en tournée et partage souvent des chambres avec des musiciens, qui soit dit en passant, se plaignent un peu de l’entendre ronfler. Strat a du respect pour les artistes qu’il prend sous son aile, ce qui est assez rare dans l’industrie du disk, nous dit Groom. Il cite trois exemple de gens respectueux : Ahmet Ertegun, David Geffen et Jimmy Iovine, et dans le circuit indépendant, Dave Robinson de Stiff. Parmi les gros loupés de Strat, il y a Queen. Il n’a pas su faire une offre assez importante.

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             Sur Charisma, on trouve aussi le fameux album raté de Leigh Stephens, And A Cast of Thousands. Sur la pochette, il est photographié sur la péniche dans laquelle il vivait à l’époque. Mais Stephens n’était pas très content du son de l’album : «Je n’aurais jamais dû enregistrer cet album. C’était trop tôt après Blue Cheer et je n’avais aucune visibilité. C’est Keith Emerson qui m’a présenté à Strat. Il avait entendu une de mes démos et l’avait bien aimée. Strat was a good guy. Il s’est parfaitement bien conduit avec moi mais un mec d’Island Studios a niqué le son de mon album, on a dû remixer et ça a explosé le budget, puis on a perdu les bandes.»

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             Bon alors après, on entre dans des eaux moins intéressantes : Genesis et Lindisfarne qui sont devenus les vaches à lait de Charisma. Strat a réinvesti la pluie d’or de Lindisfarne pour lancer Genesis. Puis il lance String Driven Thing que va produire Shel Talmy. En 1972, Strat louche sur les Dolls qui débarquent à Londres. Sur les rangs, il y a aussi Kit Lambert et son label Track. Lambert réussit à inviter les Dolls à dîner aussitôt après le fameux Wembley show avec les Faces. Strat rencontre plusieurs fois Marty Thau, le manager des Dolls, installé dans une suite du Dorchester. Richard Branson traîne aussi dans les parages. Mais Thau décide que Charisma ne peut pas convenir aux Dolls. Et quand Billy Murcia casse sa pipe en bois dans une baignoire, les Dolls retournent chez eux la queue entre les jambes, sans contrat ni batteur.

             Strat passe pas mal d’accords avec les Américains. Il parvient à passer un bon deal avec Neil Bogart qui bosse chez Buddah. Bogart cherche à développer le marché prog aux États-Unis, après avoir réussi à s’implanter dans le black marketplace en signant des deals avec Custom (Curtis Mayfield), Hot Wax (Holland/Dozier/Holland) et T-Neck (Isley Brothers).

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             Comme Strat est avant toute chose un écrivain, il monte une filiale de Charisma, Charisma Books. Il publie des poèmes de Peter Hammill, un recueil d’interviews de Peter Frame et l’autobio d’Oscar Zeta Acosta qui a servi de modèle au Dr Gonzo d’Hunter S. Thompson. Pour développer Charisma Books, Strat s’associe avec Leonard Cohen, mais ça ne débouche pas. En 1973, Strat s’associe avec Lee Gopthal (Trojan) pour monter le label Mooncrest. Strat rachète aussi le prestigieux fanzine Zigzag en 1972, et en 1975, ne parvenant à le revendre, il en fait cadeau à Peter Frame qui en était le rédacteur en chef : «He handed it back to me, lock, stock and barrel, together with all the copyrights. Free of charge.» C’est dire si Strat est un homme désintéressé. En 1974, il avait organisé un benefit concert à Londres et parmi les invités se trouvait Michael Nesmith. Un Nesmith qu’on retrouve comme producteur de Bert Jansch. Strat vient tout juste de le signer sur Charisma. L’album s’appelle L.A. Turnaround. Groom indique qu’on considère cet album comme le sommet de sa carrière - not far from being the perfect album, dit un critic du Melody Maker - Strat est lui-même expansif : «This is probably one of the five best albums Charisma has ever released.» Jansch va enregistrer quatre albums pour Charisma.

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             Sur L.A. Turnaround, le vieux Bert gratte ses poux dans le crépuscule des dieux de la campagne anglaise. C’est très spécial, un brin fané, pas très bien chanté, mais hyper-joué. Il claque énormément de notes. Pour l’amateur de gratté de poux, c’est un bonheur, d’autant qu’il en gratte douze à la dizaine. Cut après cut, il ramène toute sa science de folky folkah, on est en plein dans la soupière. Son «Travelling Man» reste du gratté de premier choix. Pas de surprise. Ce genre d’album repose le problème qu’on avait avec Jac : on se demande pourquoi Strat craque sur Bert. C’est un son très conventionnel, un son anglais orienté sur l’Amérique. Taj Mahal et Micheal Chapman font ça mille fois mieux. «Stone Monkey» sonne comme de l’Americana qui ne fonctionne pas. L’album a le cul lourd et ne parvient pas à se lever. Quelque chose ne fonctionne pas. Quand on arrive à «Of Love & Lullaby», Bert n’a conquis aucune cité. Il repart en mode vaincu avec «Needle Of Death». Il semble se battre pour du vent. De toute évidence, Bert n’est pas une superstar. Il tente de sauver son album avec «The Blacksmith», mais sa voix n’est pas sûre. Et le son n’y est pas. C’est très compliqué. Pas facile la vie. N’est pas génie qui veut. Bert Jansch est un fantastique guitariste mais ce n’est pas ça qui fait les grands albums. 

             Strat signe aussi Hawkwind et Astounding Sound Astounding Music sort sur Charisma en 1976, suivi l’année suivante de Quark Strangeness And Charm, deux albums qui vont forcer le respect des punks, notamment Johnny Rotten.

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             Il est bon de rappeler qu’on trouve une énormité sur chaque album d’Hawkwind. Celle d’Astounding Sound Astounding Music s’appelle «Kero Crawler». Hard rocking d’Hawk, ils renouent avec le proto-punk et ramènent toute leur niaque de buskers. Petite cerise sur le gâtö : Nik Turner passe un solo de sax ravageur. On retrouve le grand Nik dans «The Aubergine That Ate The Rangoon», un instro un peu free. «Kadu Flyer» est plus pop, mais ça se termine en trip orientaliste digne des carnets de voyage d’Eugène Delacroix. Et puis il faut écouter et réécouter le «Reefer Madness» d’ouverture de balda. Quelle énergie ! Hawkwind n’a jamais fait défaut de ce point de vue. Brock ramène toujours des heavy chords, un beat soutenu et Nik Turner part en vrille derrière le stole my stash.

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              Les deux énormités qui se nichent sur Quark Strangeness And Charm sont «Spirit Of The Age» et le morceau titre qui ouvre le bal de la B des cochons. Encore une belle dégelée que ce morceau titre, il sonne exactement comme le «Waiting For The Man» du Velvet, c’est tout de même incroyable qu’ils réussissent à créer l’illusion ! Chanté par Robert Calvert, «Spirit Of The Age» est un petit chef-d’œuvre hypnotique. C’est une grande mouture d’Hawk qui la joue : Brock + Simon House + Adrian Shaw et Simon King. Ça pulse ! Andrian Shaw voyage pas mal dans le son. Bassman remarquable qu’on retrouve chez Bevis Frond. Encore une belle échappée belle avec «Damnation Alley». Brock conduit sa meute et Andrian Shaw brode des drives dans le dur du mood. Avec «Hassan I Sahba», ils affichent clairement leur volonté d’orientalisme purulent. Ce subtil poison attaque les gênes du groove.

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             En 1979, Strat donne aussi le feu vert à Nik Turner pour P.X.R.5. L’énormité de cet excellent album s’appelle «Death Trap» et ouvre le balda. On retrouve Robert Calvert au chant. Ces mecs ont le diable au corps. Ils cultivent leur vieille veine proto-punk. Calvert est un enragé. Retour à l’hypno avec «Uncle Sam’s On Mars» et ils font une tentative d’infini océanique avec «Infinity». Dave Brock est capable de ce genre de miracle. En ouverture du bal de B, Calvert tape «Robot», un cut joliment épique qui convient parfaitement à cet excentrique. Il semble vouloir guider Hawk vers des terres inconnues, il se tient droit et fier dans l’azur immaculé.

             Puis en 1985, Strat vend Charisma à Richard Branson et à son fast-growing Virgin Group.  Comme tous les label-boss, Strat finit par en avoir un peu marre de tout ce cirque. Il finira par casser sa pipe en bois en 1987. Groom nous donne tous les détails : Strat vomit du sang, se retrouve à l’hosto avec deux cancers, foie et pancréas. Les chirurgiens ne peuvent pas le réparer.

    Signé : Cazengler, Tony Stracon

    Chris Groom. Strat! The Charismatic Life & Times Of Tony Stratton Smith. Wymer Publishing 2021

    Beryl Marsden. Changes: The Story Of Beryl Marsden. RPM Records 2012

    Koobas. Koobas. Columbia 1969

    Creation. Creation Theory. Edsel Box Set 2017

    The Nice. The Thoughts of Emerlist Davjack. Immediate 1967

    Van Der Graaf Generator. The Least We Can Do Is To Wave To Each Other. Charisma 1970 

    Van Der Graaf Generator. H To He Who Am The Only One. Charisma 1970

    Van Der Graaf Generator. Pawn Hearts. Charisma 1971

    Capability Brown. From Scratch. Charisma 1972

    Capability Brown. Voice. Charisma 1973

    Spreadeagle. The Piece Of Paper. Charisma 1972

    Bert Jansch. L.A. Turnaround. Charisma 1974

    Hawkwind. Astounding Sound Astounding Music. Charisma 1976

    Hawkwind. Quark Strangeness And Charm. Charisma 1977

    Hawkwind. P.X.R.5. Charisma

     

     

    Ripley it again, Sam - Part Two

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             C’est par hasard, chez un disquaire parisien du IXe arrondissement, qu’on fit la connaissance de Ripley Johnson. «‘Coute ça !» lança JP. Il posa le vinyle sur sa platine et le son se mit aussitôt à envahir la vieille boutique comme l’eau envahit la cale d’un vaisseau torpillé. Il me colla ensuite la pochette arty dans les pattes. Wooden Shjips ?

             — Connais pas... Quel drôle de nom de groupe... Wooden Shjips...

             — C’est l’un des groupes de Ripley Johnson, un psyché de San Francisco. Tu ne connais pas Moon Duo ?

             — Seulement de nom, mais depuis le ballon de baudruche des White Stripes, je me méfie un peu des duos à la mode.

             — Mais ça n’a rien à voir avec les White Stripes ! Tu devrais écouter Moon Duo, ils ont un son qui pourrait te plaire.

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             L’album de Wooden Shjips que passait JP dans son bouclard s’appelle Shjips In The Night. Live In San Francisco June 8 2018. Album somptueux. Pochette somptueuse. Ce Live in San Francisco sonne comme un classique lysergique, pour reprendre le jargon des mangeurs de champignons. Les Shjips appliquent la formule de base du bon psyché : un riff obsédant doublé d’une voix douce et d’un sens du ventre à terre bien pondéré. Alors ils sont capables de proposer la meilleure des mad psychedelias. La preuve ? «For So Long», où ils se montrent bien plus disciplinés que les Spacemen 3, mais ils n’en sont pas moins triés sur le volet. Voilà une hypno de rêve, bien montée sur le bassmatic. «Ruins» semble basé sur l’impavide pulsation de «Set The Controls For The Heart Of The Sun». Les cuts se veulent néanmoins courts et cavaleurs, bien structurés dans leur délire, aidés en cela par une rythmique fiable et même à toute épreuve. Le real deal de la mad psychedelia se trouve en B, avec «Staring At The Sun». On croirait entendre un cut de titube des Spacemen 3 : même ambiance de nonchalance vacillante. Et ça continue avec «Flight». Ils passent en mode heavyness psychotropique de bon augure, qu’ils ornent de jolis entrelacs de guitares et de langues fourchues. Ils jouent aussi «Death’s Not Your Friend» dans les règles du lard de la matière, ils se situent dans le fin du fin de la musicalité psychédélique et exploitent toutes les essences connues. Chaque note sonne juste, ils ne font jamais le moindre faux pas. Même le Death de fin de non-recevoir épate au plus haut point, c’est un Death qui épaterait n’importe quelle galerie, bien emmené, cœur vaillant rien d’impossible, menton en avant et regard rivé sur l’horizon, fantastique démarche d’avantisme, aucune hésitation, ces gens jouent cartes sur table, c’est une aubaine pour l’humanité, une façon d’échapper aux bourres du réalisme virologique.

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             Du coup, on est parti à la découverte de Wooden Shjips, un groupe monté en 2007 par Ripley Johnson avec trois camarades. Ils enregistrent un premier album sans titre qui ouvre une nouvelle voie vers le Graal de la Mad Psychedelia, avec notamment un «Losin’ Time» amené au heavy riffing gaga et bien ramoné au hérisson de Shjips. C’est même visité par les anges et ça vire très vite mad psyché. Absolute wonder de wonderer ! Ces mecs bouffent tout le gras sur le dos des grands, ils sonnent à la fois comme les Spacemen 3 et le Velvet, mais avec du velouté. L’autre voie impénétrable est un «Shine Like Suns» tartiné au long cours et monté en neige. Ils enclenchent le répétitif et au moment où on va décrocher, ça bascule dans l’enfer d’une authentique Mad Psyché-so-far-out. Absolute beginner d’extrême onction ! L’autre grosse influence de Ripley, c’est Can, bien sûr, comme le montre le petit beat hypno de «We Ask You To Ride». Ripley baigne dans son bouillon de culture, il file au trippy trippy petit bikini. «Lucy’s Ride» est encore un coup de ride à la Can, avec cet accord gratté à la surface de la planète et un Ripley qui vient chanter à l’étranglée. C’est très psychédélique, bien étalé dans le temps, l’ambiance reste crédible. Il va ensuite tartiner de la réverb sur un beat hypno pour les beaux yeux de «Blue Sky Bands». C’est très typé. Dans Uncut, Ripley nous explique qu’il jouait sur un «riculously loud Fender Quad Reverb amp. I wanted to get the super-oversatured fuzz sound».    

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             Deux ans plus tard, Ripley et ses amis récidivent avec Dos. Belle pochette et belle surprise avec une petite stoogerie intitulée «Aquarian Time». Ces gens-là savent donner du temps au temps, pas de problème, ils récupèrent les accords des Stooges et en voiture Simone ! Il se payent ce luxe effarant, ils naviguent un peu à la surface des Stooges, comme les Specamen 3. Ripley se prend pour Ron Asheton, mais il se contente de l’ambiance, juste de l’ambiance, sans la violence du chant. Les Shjips continuent de jouer des cuts longs et évolutifs, Ripley fait du stoner avec ostentation, il joue toujours avec les meilleures intentions. Joli shoot d’hypno que ce «For So Long». La guitare psyché entre bien dans le lard du beat, Ripley fait son biz à l’intérieur du groove. «Down By The Sea» est aussi monté sur un beat hypno de dix minutes. Tout est subtil et parfaitement maîtrisé, amené à l’insistance de la persistance, idéal pour un Shjipper comme Ripley. Il tortille bien sa nouille à travers les nappes de psychedelia subliminales, tellement subliminales qu’elles attaquent le système nerveux. C’est une invitation au suicide, ou à l’envolée, comme tu veux. Ripley mène encore bien sa barque avec un «Fallin’» qu’il pousse dans l’excès avec un petit orgue, ça tient bien la route, l’hypno est si pur qu’on pense au Velvet, c’est d’une finesse qui nous dépasse, qui se déplace dans le temps, un bonheur pour l’oreille aventureuse. Ripley entre dans la caste des géants des temps modernes, ses longs cuts sonnent comme des bénédictions.

             Quand Wooden Shjips commence à percer et qu’on leur propose des tournées en Europe, Ripley et ses amis déclinent les offres. Trop compliqué. Ils ne sont ni prêts à tourner ni vraiment organisés pour ça.

             Ripley vit avec une pianiste nommée Sanae Yamadain et un jour, il lui propose de monter un duo : Moon Duo - What if we start a band, just the two of us ? - À  deux, c’est beaucoup plus facile de s’organiser pour voyager. Une seule chambre d’hôtel, le matos dans le coffre, c’est très économique. En plus, ils sont fans de Suicide, des Silver Apples, Cluster et Royal Trux. Alors c’est facile. Ripley dit à Sanae : «Tu seras Martin Rev et je serai Alan Vega but with a guitar.»

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             Leur premier album s’appelle Escape et sort en 2010. Bel album, une fois de plus. Ils annoncent la couleur dès «Motorcycle I Love You», un big hypno sans échappatoire, avec un chant perdu derrière le rideau de son. On se fout de ce qu’il raconte. Ce sont les guitares qui règnent sur cet empire. Ripley est très Can et très mystérieux à la fois. Tout ce qu’on peut dire de lui c’est qu’il est le crack de l’hypno carnassier. Il tape en plein dans le mille, il développe une belle énergie exploratoire, ses solos courent sous le plafond, un peu phosphorescents, il mixe l’hypno avec la mad psyché et louvoie dans les méandres de la wah continentale, c’est assez toxique, on croit fumer un gros joint d’herbe. Avec «In The Trees», il passe au mix de destruction massive et de mad psyché. Tout est là : le poids des éléphants et les mouvements ralentis des phalanges antiques, un anglais appellerait ça du fat mad doggy scam. Tout repose sur la heavyness du tribal et Ripley déploie ses grandes ailes noires pour aller tournoyer dans le ciel rouge. Sa copine Sanae ramène de l’orgue dans «Stumbling 22nd St», mais c’est un riff d’orgue têtu comme un âne. Leurs cuts se prêtent à tous les subterfuges et ça vire très vite à la grosse attaque de marche forcée. Grimpé sur la crête du son, Ripley joue la cisaille à la folie. Power absolu ! «Escape» est tellement saturé de son que le casque saute. C’est un son ultra-masterisé qui explose la martingale et qui démantèle les clavicules de Salomon, qui Paracesse la paragenèse de Genovese, Ripley abandonne ses responsabilités, il scie l’arbre de sa branche, il va au-devant des dernières pauvres petites attentes, oh tu n’as pas idée de ce bordel. Moon Duo est une particule de mad doggy scam qui entre dans ta cervelle pour la bouffer, schloufff, schloufff, à belles dents.  

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             L’année suivante, ils enregistrent Mazes. Ripley avoue l’avoir enregistré sur Pro Tools, mais il est allé mixer l’album à Berlin avec deux Finnish guys qui ont un studio nommé Kaiku. Par contre, aucune information sur l’album. Il faut se débrouiller avec le son. Ça démarre avec «Seer», un big drive hypnotique, dans l’esprit de ce que font les Spacemen 3 et Lionel Limiñana. L’ultra-drone psychédélique. Ripley et Lionel seraient dit-on les derniers mages de l’univers. L’album grouille de références, on a déjà entendu «Scars» ailleurs. Ripley écoute trop d’albums, il démultiplie les flashes. Retour de la violence avec un «Fallout» riffé à la cotte de mailles. La disto sonne comme un cor de chasse, c’est aussi beau que du Velvet égaré dans les égouts. Le côté éclatant des guitares voilées rappelle les Boos, il a une façon spéciale de rogner dans le rognon du son et puis, comme ça, l’air de rien, il te joue le plus beau solo psyché des temps modernes. Nouveau coup de génie avec un «When You Cut» riffé dans le gras de l’idée. Il ramène des clap-hands à la volée et envoie son solo comme un punch in the face. Ripley est le killer flasheur ultime du monde psychédélique, il rajoute des bruits de casserole dans sa soupe aux choux, c’est complètement demented, ses solos tranchent la viande, il avance clic clic comme un train mécanique. Peu de gens sont capables de jouer le train au milieu des flammes. Il repart en maraude avec l’hypno rapide de «Run Around». Tout est solide sur cet album. Ripley pourrait donner des cours à tous les autres. Il sait mettre le feu aux plaines et cultiver les excès chers à Oscar Wilde.

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             Paru l’année suivante, Circles s’ouvre sur un coup de génie : «Sleepwalker». Tu es aussitôt embarqué, pas la peine de discuter. Ce mec-là t’arracherait le pain de la bouche, c’est un seigneur de la guerre du riff. Si tu entres chez lui, t’es baisé. Par de pire énormité groovytale, c’est une dégelée ultra-shamanique qui rivalise avec celles des Spacemen 3, tu as là tout le bataclan du no way out. L’énergie des Spacemen 3 rôde encore dans «I Can See» et surtout dans le morceau titre, même excédent endémique, c’est violent et bon à la fois, travaillé dans l’épaisseur du son. Et ça continue avec un «I Been Gone» digne des grandes heures du Velvet, assez pur dans l’approche de la déraison, Riplay vise en permanence l’excellence psychédélique. Ce mec n’est pas là pour s’amuser, mais pour te bombarder de son, il installe l’hypno de «Dance Pt 3» et pouf il part en tangente avec un solo de power destroy oh boy. Ah il y va le barbu, il va même singer Suicide avec «Free Action», il a un sens inné de l’hypno et avec son Dance, il rend certainement l’un des plus beaux hommages à Alan Vega. Il développe une énergie stroboscopique d’all nite long. On ne se lasse pas de cette violence bienveillante. Riplay it again Sam ! Son «Trails» sonne comme un shoot de Brian Jonestown Massacre, c’est-à-dire un heavy groove psychédélique, avec une pulsion in the flesh, il œuvre au nom de sacré, cet album est un oasis dans le désert. Il termine avec «Rolling Out», une embellie psychédélique qu’il embrasse à pleine bouche.     

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             Pochette surréaliste pour Shadow Of The Sun. L’album paraît en 2015. Livret réduit à portion congrue : juste un recto-verso avec des infos minimales. Si t’es pas content, la porte c’est par là. Ripley nous présente deux de ses plus grosses influences : les Stooges et le Velvet. Stooges avec l’effarant «Wilding». Au moins les choses sont claires. Il joue les accords des Stooges et lance des vagues de turbulence à la surface des riffs de Ron Asheton. C’est un hommage, pas d’inquiétude, Ripley ne se permettrait pas d’insulter le plus grand guitariste de tous les temps. Bien au contraire. Avec Ripley, c’est simple : un Stooge sinon rien. Velvet avec «Slow Down Low». Il reprend les accords de «Waiting For The Man». Pas de pire hommage ! À part Pat Fish et les Subsonics, personne ne peut Velveter aussi bien que Ripley. Il fait preuve d’une stupéfiante endurance et finit par barrer en couille de drouille sur un backing digne de John Cale. Par contre, on entend beaucoup de machines sur cet album. L’étau des machines new wave peut détruire l’espoir, comme le montrent «Ice» et «Animal». On finirait presque par le détester, le Ripley,  avec ses boîtes à rythme et ses boîtes à conneries. La new wave tue la mad psyché dans l’œuf. Dommage, car «Free The Skull» est un chef-d’œuvre de mad psyché, il redevient le grand seigneur du dégueulis convulsif, il vire complètement Spacemen 3.

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             Comme il a trop de cuts en réserve et qu’il veut pas faire un double album, alors il propose deux volumes d’Occult Architecture. Occult Architecture Vol. 1 sort en 2017. C’est selon Ripley l’album sombre, qui d’ailleurs démarre sur «The Death Set», petit chef-d’œuvre d’hypno élastique, ça joue dans la nuit sans craindre la panne. Tous les groupes qui ont des outils font ça, mais Ripley le fait mieux, avec esprit. C’est le principe de l’heavy psycho. Ce sont les machines qui amènent «Cold Fear», elles tuent encore une fois le psyché dans l’œuf mais Ripley ramène des guitares trash suspensives. C’est son côté génie du son et ça vire automatiquement hypno, mais hypno de drug scene. Il ramène encore beaucoup de son dans «Cross Town Fade». Ripley et Sanae jouent à deux comme s’ils étaient six. Trop de son, beaucoup trop de son, c’est gorgé d’éclats de violence. Ripley en veut, il est assez ultime dans sa détermination. Retour à la mad psyché avec «Cult Of Moloch», il envoie sa wah tourbillonner dans le ciel noir comme un ptérodactyle, il crée des visions dans l’épaisseur du son, il applique toutes ses vieilles recettes alchimiques, avec le chant à la renverse sous un ciel de plastique mauve, des solos en forme de lombrics géants, des échos encore plus éloignés que l’horizon, c’est hors du temps, et les retours de beat sont des chefs-d’œuvre d’articulation. Il termine avec «Fast Ride». Ripley ne traîne pas en chemin. Il adore balancer des bassines d’huile bouillante sur la gueule de sa fiancée qui se tient au pied du donjon, aw comme il est dur, gueule-t-elle, il m’a défigurée ! Quel goujat ! Oui, Ripley a autre chose à faire dans la vie que de courtiser les connes, il file droit dans son monde imputrescible de wah puante et de beat druggy et ça sent bon la dope dans tout ce bordel hypnotique, il tartine encore un solo de no way out, il est le seul maître à bord.

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             Occult Architecture Vol. 2 est donc l’album lumineux. «New Dawn» ouvre le bal et met du temps à se relever. Et ça part en mode Spacemen, beat hypno, un accord, mode pilote automatique et chant à la renverse. Ripley est capable de te faire tripper à jeun. C’est gratuit, en plus, pas la peine d’aller chercher ta fiole chez Sade. Ripley joue à l’excelsior de la dérive, il vise l’excellence de la partance. Mais après, ça se gâte : la new wave est de retour. Ripley sauve «Sevens» avec un solo final qui est une œuvre d’art. Il revient à sa chère mad psyché avec «Lost In Light». Même envergure que celle des Spacemen, même quête de pureté. Il joue à la main moite avec des descentes de chant bouffées aux mythes. Avec «Crystal World», il sait où il va. Il est bien le seul. Nous on suit, comme des cons. Ah il va par là ? Alors on va par là. C’est assez simple. Il faut juste suivre Ripley sinon t’es paumé.

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             Le dernier album en date de Moon Duo s’appelle Stars Are The Light. Belle pochette psychédélique. Ripley veut bosser avec Sonic Boom qu’il connaît bien. On dit dans la presse anglaise que Sanae Yamadain et Sonic Boom font des miracles avec leurs synthés sur cet album. C’est tout le contraire, l’album est très décevant, même si le groove de «Flying» te cueille au menton. Mais après ça se gâte car Sanae chante dans des effets à la petite mormoille new wave de Rocamadour. Cet album refuse de fonctionner malgré le groove de basse de «Fall (In Your Love)». Ils semblent un peu trop rigides, comme s’ils avaient un manche à balai dans le cul. Il y a trop d’effets sur cet album, pas assez de guitares. Quelques vieux relents de mad psyché remontent de «Lost Heads», mais les voix se perdent dans l’écho des machines. Il faut parfois savoir accepter de perdre son temps en sachant pertinemment qu’il ne va rien se passer de plus que ce qu’on sait déjà. Ils font du groove de carte postale avec «Eternal Shore», c’est bien agencé, très dedicated, on a du mal à l’avaler mais on l’écoute. Puis le coup du lapin arrive avec «Eye 2 Eye» : trop de machines, c’est insupportable, prétentieux et sans espoir. Ripley va chercher le Velvet pour boucler avec «Fever Night» mais on s’est emmerdé pendant une heure, alors désolé Ripley, ça ne passe pas, d’autant que le son n’est pas bon. Trop d’effets, trop de mormoille.  

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              Retour à Wooden Shjips. Si West est un si bel album, le mérite en revient à Sonic Boom qui le mastérise. Boom dès «Black Snake Rise», belle hypno saturée de son, toujours le même modèle, Ripley ne varie guère les plaisirs. Il propose une hypno crépusculaire enchantée. Avec «Crossing», il fait du Spacemen 3, il bascule dans la magie latente, dans ce demi-monde des drogues hallucinogènes et de descentes de basse épisodiques, Ripley revient au corporel, au groove organique, il propose une fantastique approche du ralentissement de tous les sens avec un son qui scintille au coin du bois de Brocéliande. Ce sont les écarts de la basse qui font le power du délire. Cette musique sent bon la dope. Puis ça repart en mode heavy as hell avec «Home», c’est même du subliminal infernal, une spatiale effervescence d’effarance concomitante, Ripley gère son enfer, il étend son empire, il annexe la mad psyché, tout est bardé de beat et ça bascule dans le purple heart of the inner world. Une merveille ! Il continue d’avancer dans West avec un planétarium d’effets de wild guitars («Flight»), hey baby low, tu danses dans la nuit orangée d’Holland Park. Il amène «Rising» au fast rising de shshhh. Ces mecs savent faire éclore la rose. Une fois de plus, la basse traverse sans regarder ni à droite ni çà gauche, comme chez les Spacemen 3, et pour être précis dans cette purée, il faut être extrêmement doué. Les lignes de basse croisent dans un lagon de réverb, pareils à de prodigieux requins psychédéliques, Ripley chante comme si on venait de lui arracher une jambe, il joue bien le jeu de l’agonie avec tous les bouillons qu’on imagine dans l’émeraude du lagon, aw ma patte, aw ma patte elle est partie, sa voix s’éloigne sous l’alizé du paradis, alors que le requin psychédélique se barre au large avec sa jambe.

             Parlant de West, Ripley dit qu’à l’époque il restait assez proche de ses influences : «Neil Young, les Stones, The Band, le Dead, Zep, the Faces, whatever.»

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             Back To Land est sans doute le meilleur album de Wooden Shjips, en tous les cas celui qu’on n’hésiterait pas à recommander, même à son pire ennemi. Parce que sur les 8 cuts de l’album, on ne compte pas moins de 6 merveilles, à commencer par le «Back To Land» d’ouverture de bal, un cut qui t’embarque aussitôt. Alors embarquement immédiat, comme chez les Spacemen 3, et le chant synthétise la meilleure psyché défoncée du monde. C’est l’hypno de tes rêves les plus humides. Autre prodige hypnotique : «In The Roses», embarqué cette fois au fast ride et chanté à l’évaporée. La force de Ripley consiste à tenir le beat pendant cinq minutes sans faiblir. Il attaque «Other Stars» au va-pas-bien des Spacemen 3, il joue un acid trip perforateur, au revoir et à bientôt. Tu ne trouveras rien d’aussi pur ailleurs. Ripley et ses amis amènent aussi «Ruins» à la véracité de l’hypno psychédélique. Personne ne peut résister à ça. C’est du grand art, joué à sec et mis en perspective. Le «Ghouls» qui suit est assez touffu, quasi Hawkwind, balayé par des vents de sable, Ripley reprend les tornades d’Hawkwind à son compte et passe un killer solo. Encore une belle envolée belle avec «Servants», ça louvoie une fois de plus dans les méandres de la meilleure psychedelia de San Francisco. Pour finir, Ripley amène «Everybody Knows» au sommet du lard fumant. Il ouvre un incroyable chapitre de possibilités. Il pose son chant au sommet d’une montagne de son, ce mec a du génie, il joue à l’ordonnée, c’est un visionnaire, un Brian Wilson psychédélique, il dégringole sa psyché au Soul charme de chant chaud, avec un solo furtif en ligne de mire, mais calé dans la mélodie, c’est dire si, messie mais si, c’est encore une stupéfiante prestation digne des Spacemen 3.

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             Quand Phil Istine demande à Ripley quelles sont les influences de Back To Land, Ripley parle de primitive psychedelic music and minimalist music. Et pouf il te sort le nom de Träd Gräs Och Stenar et des autres groupes suédois qui constituent le Pärson Sound. Il parle de primitive tribal jam stuff, qu’il préfère au Velvet - The direct opposite of prog, music that almost anyone could play - Pour lui, la dimension de l’hypno est essentielle, this universal primal thing that everyone could relate to - Ripley rappelle que dans son premier groupe, personne ne savait jouer d’un instrument. It grew from there - Fantastique ! Ripley rappelle aussi que vendre des albums n’a jamais été le but principal du groupe. Ce qui compte pour lui, c’est jouer pour les gens. Alors Istine lui demande ce qu’est le but principal du groupe. Ripley : «The records are the most important thing.» Il indique qu’il est amateur de vinyles et de découvertes - Making a good record with some shelf is always the most important thing to me.

             On sent une petite baisse de tension dans le V paru en 2018. Ripley joue du petit strapontin d’hypno, il tâte son «Eclipse» à l’orée de la vulve, c’est un tactile, il continue de vouloir jouer envers et contre tout. On sent surtout qu’il ne pense qu’à une chose : s’amuser. Il fait ensuite du replay de Ripley, il lance des petits grooves hypnotiques et les laisse se débrouiller tout seuls. Ça devient assez pépère. On a même parfois l’impression qu’il prend les gens pour des cons, mais bon, ça n’est pas si grave, au fond. Il faut attendre «Staring At The Sun» pour renouer avec la viande. Cette fois, Ripley nous propose une Marychiennerie, c’est en plein dedans, quelle vague de son ! Il se prend pour William Reid. Ripley sait tout faire, c’est un magicien. Il termine avec un «Golden Flower» puissant et séditieux qu’il allume à la voix à peine éclose sur un drive de basse indus, et il conclut avec «Ride On», une nouvelle Marychiennerie superbe et sans espoir, jouée à la dérive abdominale, qu’il orne d’un solo sculptural.

             Après l’enregistrement de V, Ripley se demande s’il fera un autre album avec Wooden Shjips. Il n’en sait rien. But never say never. Maybe we’ll all live to 120 - you know you gotta do something with your time.               

    Signé : Cazengler, Ri-plaie

    Moon Duo. Escape. Woodsit 2010 

    Moon Duo. Mazes. Sacred Bones Records 2011     

    Moon Duo. Circles. Sacred Bones Records 2012     

    Moon Duo. Shadow Of The Sun. Sacred Bones Records 2015

    Moon Duo. Occult Architecture Vol. 1. Sacred Bones Records 2017  

    Moon Duo. Occult Architecture Vol. 2. Sacred Bones Records 2017

    Moon Duo. Stars Are The Light. Sacred Bones Records 2019

    Wooden Shjips. ST. Holy Mountain 2007

    Wooden Shjips. Dos. Holy Mountain 2009

    Wooden Shjips. West. Thrill Jockey 2011

    Wooden Shjips. Back To Land. Thrill Jockey 2013

    Wooden Shjips. V. Thrill Jockey 2018

    Wooden Shjips. Shjips In The Night. Live In San Francisco June 8 2018. Silver Current Records 2019

    Phil Istine : Wooden Shjips. Shindig! # 39 - 2014 – Reverberate

     

     

    L’avenir du rock - Pure Len vierge

     

             L’avenir du rock s’amuse beaucoup avec les raccourcis. En voilà un au hasard, histoire d’illustrer notre propos : Mod, mouton, confort. Dans l’épouvantable labyrinthe qui lui sert de cervelle, l’avenir du rock trouve des liens pour asseoir ses petites mythologies : la laine du mouton, Shetland de préférence, revoie directement à l’idée de confort intellectuel et donc à Mod. Mod/mouton/confort, c’est en plein dans le mille de la cocarde. Rien n’est plus Mod que de porter un Shetland bien chaud dans les rues venteuses de London town, même quand on n’habite pas London town. C’est le principe qui compte. Tous les Mods le savent. Mod ça commence sur ton paillasson, tu ne fais pas entrer n’importe quoi ni n’importe qui chez toi. Et si Mod constituait le dernier rempart contre la vulgarité des télévisions et des magazines français ? L’avenir du rock aime caresser cette idée, pas seulement pour la faire jouir et l’entendre miauler au clair de la lune, mais aussi pour en tirer une essence métaphysique invisible à l’œil nu, cette essence que depuis plus de cinquante ans, quelques dandys londoniens diffusent au compte-goutte sous le manteau. L’autre soir, à l’heure de l’apéro, l’avenir du rock trinquait avec un collègue, et pour animer la conversation, il lui dévoila son raccourci Mod/mouton/confort. Le collègue prit son air le plus intelligent pour afficher son désaveu et proposer un rectificatif : Mod/parka/scooter, arguant de l’invincible principe de l’immédiateté des choses. Frappé par l’insondable bêtise de son interlocuteur, l’avenir du rock avala son Pastis de travers. Fallait-il argumenter pour dire qu’un scoot n’a rien à voir avec le confort, et pourquoi pas Stong et tous les clichés à la mormoille, tant qu’on y est ? L’avenir du rock espérait engager un dialogue intéressant, mais il lui fallut couper court en payant une rincette cul sec et en prétextant un rendez-vous pour s’ôter des yeux le spectacle de cette trogne immonde. Comme tout le monde, l’avenir du rock déteste qu’on vienne lui manger la Len sur le dos, d’autant que des coups comme ça, il s’en paye 3 à la douzaine. Ce qui le conduit tout naturellement à faire évoluer son raccourci en Mod/Len Price 3/confort, pour l’offrir aux fidèles lecteurs des Chroniques de Pourpre.    

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             The Len Price 3 est un trio du Kent, hélas trop peu connu. Pour un groupe aussi underground, décrocher un 10/10 dans les pages de chroniques de disques, ça doit être une sorte de consécration suprême. Surtout que les journalistes anglais sont assez avares de 10/10. Il faut vraiment que l’album soit miraculeux pour qu’ils se décident à lui allouer un 10/10. L’événement est d’autant plus remarquable qu’il se déroule dans les pages de l’un des derniers grands magazines de rock anglais, le fringuant Vive le Rock qui paraît tous les deux mois et qui propose un choix d’articles assez hauts de gamme sur des gens qu’on ne voit pas forcément ailleurs, comme les Damned, les DeRellas, les Wildhearts ou encore les Afghan Whigs. Ces groupes furent un peu l’apanage de Kerrang! à une autre époque, mais aujourd’hui, ils se font rares dans les pages des autres titans de la presse rock anglaise.

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             Dans sa chronique magique, Dick Porter démarre ainsi : «You can’t go wrong with the Len Price 3». Effectivement, on ne prend aucun risque en achetant un album de ce trio du Kent, leurs quatre albums sont bourrés de ce que Dick Porter qualifie de «dynamite garage rock» et cite en référence les Who, les Small Faces et les Move. Pas mal, non ? Puis il balance les inévitables «savage guitar breaks» et «outstanding songs». L’album que salue Dick Porter s’appelle Nobody Knows. Avec sur la pochette, les vestes à grosses rayures de nos trois brillants amis : Glenn Pace (lead), Neil Fromow (drums) et Steve Huggins (bass). Alors, effectivement, on entre dans ce disque comme on entre au paradis du gaga-Mod britannique, tel que l’ont défini les Prisonners ou les Masonics. Le morceau titre de l’album est une sorte d’ultime avertissement : tu veux du smoking gaga ? Eh bien, en voilà ! C’est riffé à la Downliners Sect avec les chœurs des Who et arrosé d’un killer solo à la Dave Davies. Ce qui nous donne en gros une synthèse de ce qui peut exister de mieux dans le domaine. Les chœurs tripotent la biscotte. Ils te riffent «Swing Like A Monkey» à la manière des Kinks, avec une belle progression d’accords et des chœurs latents. On se croirait sur Pye en 1965. Petite explosivité vite rassemblée sous le manteau pour «My Grandad Jim». Pur jus Whoish. On retrouve bien l’échevelé du riffing de Pete Townshend et l’admirable folie des chœurs, le tout couronné d’un solo de Whitechapell killer. Encore plus stupéfiant, voilà «Lonely», un hit digne des Beatles, comme si cela était encore possible ! Retour à l’extrême puissance avec «Words Won’t Care». Glenn Pace attaque comme Ray Davies - Girl ! I got so much to tell ya - Et ça bascule dans la violence - Cu Cu Cu C’mon - et il essaye de faire son Daltrey. Ils sont tous les trois au cœur de l’épaisseur du beat anglais, c’est un petit moins typé que les Kinks, ça tire plutôt sur les Headcoats, car on retrouve la folie de «Troubled Mind». Ils font ensuite ce qu’ils appellent une reprise du morceau titre et concluent avec la perle de cet album indomptable, «The London Institute». Glenn Pace s’en prend aux bocaux qui contiennent des fœtus et il obtient l’appui de l’artillerie lourde. Ça donne la meilleure power-pop d’Angleterre. Ils finissent par exploser au firmament d’un psyché hendrixien hallucinant - In the name of the science - On sort scié de cet album.

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             Le gros problème avec The Len Price 3, c’est que chaque album dépasse les espérances bien connues du Cap de Bonne Expectitude. Comme son nom l’indique, Chinese Burn brûle. Ils tapent dans les Kinks dès «Christian In The Desert», mais avec l’énergie des Hammersmith Gorillas - I’m a christian in the secret baby/ For you ! - S’ensuit le morceau titre qui explose littéralement. C’est battu à la Keith Moon, claqué à la Ricken et chanté à l’aune de l’éternelle jeunesse. Les pauvres Jam auraient dû prendre des notes. Tout est explosif sur cet album. Power-pop démentoïde avec «The Last Hotel», c’est d’une qualité qui va bien au-delà de la possibilité d’une île : ils sonnent comme des Byrds survoltés et dotés de l’énergie des Afghan Whigs. Ils sont beaucoup trop puissants. Ces mecs ont tout le power du monde. Ce n’est que le balda et ils alignent déjà quatre hits planétaires. Nouveau coup de Jarnac avec un «Swine Fever» cisaillé à vif - Go !, et ça part en solo. Il faut voir l’extrême sévérité du son. Ils font aussi de la Mod pop avec «Amsterdam», le hit que tout le monde attend. Ils renouent avec le Childish punk en envoyant «Chatham Town Spawns Devils» ad patres. Ils font des breaks orchestraux avec les trois instrus, histoire de nous stupéfier un peu plus. On rencontre un album comme celui-là une fois tous les dix ans, et encore. Retour à l’explosivité des choses avec «Shirley Crabtree» et aux Who avec un «She’s Lost Control», gorgé de chœurs têtus et de poison toxique. On descend aux enfers des Who, c’est bien martelé, les chœurs partent au coup de cymbale et t’aplatiront comme une crêpe si tu te mets en travers. «Midway Eye» infeste l’Angleterre. The Len Price 3 sont un fléau, l’un des meilleurs fléaux de l’histoire du rock anglais.  

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             L’album suivant s’appelle Rentacrowd. Un bon conseil, ne l’écoute pas, car tu vas encore tomber de ta chaise. Dès le premier cut, ils sonnent comme les Who de 1964. L’évidence troue le cul. Ils ont retrouvé le secret de l’énergie des early Who avec des chœurs de tapettes et des tours de windmill. C’est exactement la même pétaudière, le même jus de chaussette et le même carnage. On croyait les Who inimitables. Grave erreur. Aussitôt après arrive un hit Mod, «If I Ain’t Got You», bien serré dans son petit pantalon, avec sa petite coiffure, son énergie de Purple Heart, c’est le hit Mod de rêve, la cocarde dans l’œil, l’enfilade des annales et les montées d’une basse devenue folle. Voilà sans doute le trio le plus explosif de l’histoire du rock anglais. Les gens ne se doutent de rien. «Sailor’s Sweetheart» est un morceau beaucoup trop excité. Il faudrait pouvoir calmer ces mecs, mais comment faire ? Ils sont tellement intenses. Si on les écoute au casque, on bave comme une limace. Surtout qu’il y a des notes de basse en suspension, et généralement, ça ne pardonne pas. Ils restent dans l’univers magique des Who avec «Doctor Gee», encore un hit poignant de génie intrinsèque. Neil Fromow bat ça à la volée. «Girl Like You» ? Directement inspiré des early Kinks. C’est d’une violence ! Au-delà de tout ce que tu peux imaginer. Ils sont encore plus sauvages que les trogglodytes. On reste dans l’énormité cavalante avec «With Your Love», digne du musée de cire de Madame Tussaud. Apanage du beat sauvage. Ils vont même jusqu’à faire swinguer le beat, ils fracassent le langage, ils explosent le format étriqué du rock. Ils nous entraînent dans leur monde qui est celui du vrai rock. Ils jouent tous leurs cuts avec un entrain confondant. Tout est furieux, solide comme l’acier et indéniable. Ils sauvent le British Beat de la mort. «No Good» ? Révolutionnaire. Plus énorme que l’énormité. C’est un punch-up claqué violent. Ce groupe est-il humain ? Ils nous gavent de chœurs de fous et solos traînants. On retrouve les accords de Dave Davies dans «Cold 500». Encore un truc violent, sec et sans bavure. Ah les vaches ! Ils ont tout compris. Ils font tout exploser, même les Kinks. Solo à la Dave, glou-glou surprenant de véracité métabolique. Et ça continue comme ça jusqu’à la fin, avec «She’s Not Really There» (rien à voir avec les Zombies, c’est du wild gaga qui monte par la jambe du pantalon) ou «Turn It Around» (encore une resucée des Kinks twistée du bassin, véritable bestiau de juke, idéal pour faire onduler le plancher).  

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             Pictures fut aussi un album particulièrement décoiffant. Du genre de ceux qu’on ne croise qu’une fois tous les dix ans, comme les trois autres albums du groupe, d’ailleurs. Allez, c’est pas compliqué, sur treize titres, dix sont des bombes atomiques. Ils passent des Who aux Kinks sans crier gare, avec ce génie du son qu’on croyait disparu depuis les derniers exploits d’Hipbone Slim & the Kneetremblers. Ça commence à chauffer dès «Pictures», car on se croirait sur le premier EP des Who enregistré par Shel Talmy, tellement ils ont le son. C’est un festival de claque et de jute mélodique, de tension et de panache - Down at the club/ The cut price drink is flowing - fantastique ambiance dévastatrice. Mais qui a besoin de nouveaux Who aujourd’hui ? Nous, surtout quand on entend «Keep Your Eyes On Me», on ne se pose plus de questions. Voilà une nouvelle pièce de choix bourrée d’éclats d’harmonies vocales typiques des Who de «I’m A Boy». Fabuleuse ambiance insouciante et jouissive, claquée au son de la Rickenbacker, c’est fait pour danser et transpirer à grosse gouttes, comme au bon vieux temps des cerises. Encore du freakbeat teigneux avec «I Don’t Believe You», bardé de chœurs à la Troggs. Nous voilà en plein trip Mod - If there’s a God, then you’re going to hell - encore une histoire de règlement de compte et de manque de confiance. «Girl Who Became A Machine» s’appuie sur une progression d’accords digne des Kinks et ce n’est pas rien de le dire. Même son. Ils savent taper dans tous les grands sons des sixties. Solo magnifique de teigne, on a là du garage de rêve, imparable, secoué, tenu, battu sec et bardé de bouquets de chœurs spectaculaires. Belle pièce de power-pop avec «After You’re Gone», exemplaire et gonflée aux vents d’Ouest. Ils sonnent encore comme les Kinks dans «Mr Grey», timbre et son, esprit et désespoir. Ça finit par un suicide, évidemment. B toute aussi explosive, avec «Nothing Like You», un garage déterminé, écraseur de champignon, freakbeat écœurant d’exemplarité, avec des petits breaks et un solo dévasté de fuzz qui rampe hagard pendant quelques secondes. Toujours les Kinks avec «If You Live Round Here» où Glenn Pace raconte l’histoire d’un quartier - And I don’t think it’s right beating up a stranger on a saturday night - il prend son plus bel accent cockney pour dire qu’en effet, ce n’est pas terrible de casser la gueule à un étranger qui traîne dans le quartier le samedi soir puis il ajoute - You think you’re better than the population/ Don’t get ideas so above your station - il dit qu’en effet, ça ne vole pas très haut, dans le quartier. Ils reviennent à la folie des Who avec «You Tell Lies» et des lalalas de rêve. Les Who avaient déjà un Lies, bon eh bien voilà, ils en ont un autre, tout aussi brillant, avec un solo de fuzz d’antho à Toto. Pulsif, malingre et malveillant, c’est ainsi qu’on pourrait situer cette abomination qu’est «Man Who Used To Be», avec ses refrains sucrés, son drive musclé, voilà encore un raver de compétition, une bombe garage qui tombe du ciel. Parfaite démonstration de l’over-puissance du power trio, l’imparabilité du trident vainqueur. Claque directe dans le beignet avec «Under The Thumb», un gros binaire de choc - You make me cry cry cry - encore un hit de juke qu’il faudrait citer à l’ordre du mérite. C’est tout simplement un classique effarant et couvert d’harmo. Brillant album. 

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             Retour en force avec Kentish Longtails. Eau et gaz à tous les étages, ça pisse et ça pète en montant chez Kate. Coup de génie en B avec «Ride On Cottails», slab de heavy gaga kentish, monstrueux de big pumping. Encore mieux : «Lisa Baker», excellente Mod pop chantée à la cockney motion, avec des chœurs de Who. Admirable d’archétypisme - Dancing in your underwear/ Lisa baker you’re not right - S’ensuit un «Paint Your Picture Well» power-poppy, joué à l’énergie des reins, somptueux, vainqueur, tellement anglo-luminous. On reste dans la solide power-pop avec «If You See What I See», ils nous savonnent bien la pente et chauffent leur cœur de cut à blanc. On a là l’une de ces montées de sève qui peuvent rendre un homme heureux. Avec «Man In The Woods», ils nous racontent l’histoire triste du mec qui vit dans les bois. Les gosses lui crachent dessus, les bulldozers arrivent, alors il n’a plus de cabane, ni d’avenir. Le «Childish Words» qui ouvre le bal de l’A est un règlement de comptes à OK Corral avec Billy Childish - We don’t need approval from the likes of you - Quand on écoute «Sucking The Life Out Of Me», on comprend que The Len Price 3 est l’un des meilleurs groupes anglais actuels. L’autre grosse bombe s’appelle «Nothing I Want». Ils nous stompent ça avec des oh-oh dignes des Who. Mais ils sonnent aussi comme les Clash du premier album, c’est exactement la même énergie. Ils dénoncent le système pourri - I’d like to take your stuff/ Ram it down yout throat/ With your plasma screen telly/ And your UKIP vote.

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             Leur nouvel album vient de paraître : Ipdipdo. Introuvable chez les marchands habituels. Comme Jacques les avait chroniqués au temps de Dig It!, je lui en parle et le lendemain, il me transmet les fichiers de l’album. Elle est pas belle la vie ? Dès «Chav Squad», on est prévenu : agression Moddish et chœurs Whoish, te voilà de retour à la Mecque des Mods, avec un riff qui te pousse bien au cul, l’énergie des early Who est intacte, on peut dire que ces trois petits mecs s’en portent garants. Le festival se poursuit avec «She Came From Out Of The Sun» qui pourrait aussi sortir d’un album des early Who, refrain magique, texture sonique unique au monde, ça sent bon la brique rouge et la gasoline alley, le working class et la grisaille emblématique. Ils ne sont plus très nombreux à porter ce flambeau : Graham Day, Jarvis Humby, Len Price 3, Galileo 7, mais ça pourrait suffire. Fantastique attaque d’accords en réverb pour «Bag Of Bones», gros clin d’œil aux Prisoners, ça riffe dans l’os du Bag of Bones, c’est tellement beau et classique qu’on croit rêver, ça veut dire en clair qu’on peut encore jouer le wild Mod rock aujourd’hui, pourvu bien sûr qu’on soit inspiré, et en prime, un killer solo flash te transperce le cœur. Ils en passent un autre dans «Billy The Quid» qui va plus sur les Jam. Le chant reste bien fidèle au poste, un brin cokney, ces mecs dégagent un enthousiasme contagieux. Mélangé à une certaine fureur, ça donne le Mod Sound britannique. Tous les cuts sont impeccablement taillés pour la route, chacun d’eux est serti d’un killer solo d’antho à Toto, ces trois petits mecs ne font pas les choses à moitié. Back to ‘64 avec «Charlie», attaqué au Dave Davies’ riffing. Tu descend à la cave et leur come down te cueille au menton, avec le wouahh qui amène le killer solo. Tout ça pue la sueur des amphètes et les pustules adolescentes. Ces mecs n’en finissent plus d’aligner des mini-hits qui comme les mini-tortues n’ont aucune chance d’atteindre l’eau. Les Len Price 3 semblent condamnés aux ténèbres de l’underground et à la dématérialisation, alors qu’ils jouent comme des princes. Encore une intro d’accords géniale pour «Bad Vibe Machine», avec en prime des coups d’harmo, back to some residency at the Marquee, oh yeah, ils jouent sur leur tapis volant et traversent l’histoire de London town avec une classe épouvantable, oh yeah, she makes me feel bad ! Comment s’appelait ce roi de France qui hurla au cœur de la bataille : «Mon royaume pour un Super Marine !».

    Signé : Cazengler, petite Len

    Len Price 3. Chinese Burn. Laughin Outlaw Records 2005

    Len Price 3. Rentacrowd. Wicked Cool Records 2007

    Len Price 3. Pictures. Wicked Cool Records 2010

    Len Price 3. Nobody Knows. JLM Recordings 2013

    Len Price 3. Kentish Longtails. JLM Recordings 2017

    Len Price 3. Ipdipdo. Strood Recording Company 2021

     

     

    Inside the goldmine - Patrice n’est pas triste

     

             Nous avions le même âge et étions dans la même classe. Il était brun, lui aussi, mais il était fils unique. Il habitait là-haut, du côté de la Route de la Délivrande, dans une maison très ancienne. De grandes dalles pavaient le chemin qui menait aux marches du perron, et lorsqu’on entrait à l’intérieur, une singulière odeur de gâteau de tapioca nous flattait les narines. Il parlait d’une voix étrangement grave pour un gosse de son âge, ce qui lui conférait une sorte d’autorité. Et puis un jour où nous nous étions donné rendez-vous à l’angle des Galeries Lafayette, il apparût vêtu d’un long manteau noir, ces manteaux qui descendaient jusqu’aux chevilles et qui cette année-là étaient à la mode. Ils valaient horriblement cher. Il semblait déjà maîtriser son destin, sans doute épaulé par des parents qui voyaient en lui un être exceptionnel. De tous les gosses qu’on fréquentait à cette époque, il était le plus «avancé». À l’âge adulte, on appelle ça du charisme. Il dégageait véritablement quelque chose, ce n’était pas uniquement lié à une question de moyens. Il savait comment parler aux filles. Nous prîmes la direction du Grand Cours pour aller faire un tour de camors, l’endroit idéal pour, disait-il, «lever des petites gonzesses». Nous achetâmes des jetons pour faire un tour de repérage. Il désigna du doigt les deux petites blondes de l’autre côté de la piste et il lança le camor qui prit de la vitesse. Zzzzzzzz.... Boooong ! Nous percutâmes de plein fouet le flanc du camor des filles qui éclatèrent de rire. Ça voulait dire ce que ça voulait dire. Elles nous avaient forcément repérés. Elles furent d’accord pour aller faire un tour dans le petit bois derrière le Grand Cours. Elles n’avaient d’yeux que pour lui. Elles s’appelaient Brigitte et Martine. Elles portaient des jupes très courtes et se coiffaient comme France Gall. Il leur passa le bras sur les épaules et ils pressèrent le pas. Ils finirent par disparaître tous les trois dans un chemin. Le lendemain, nous nous retrouvâmes à l’entrée du collège. Comme nous nous entendions bien, il prit les devants. Il me devait une explication. Il avoua qu’il draguait toujours deux filles à la fois et voyant que je ne comprenais pas, il ajouta qu’il avait deux queues. Il s’appelait Patrice.

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             Bien sûr, Patrice Holloway n’a rien à voir avec l’étrange Patrice évoqué ci-dessus. Patrice Holloway n’est pas un Patrice, mais une Patrice, elle n’est pas blanche mais black et, petite cerise sur le gâtö, c’est la frangine de Brenda Holloway. Les gens de Kent qui comme on le sait font toujours très bien les choses ont mis en circulation l’une de ces bonnes vieilles compiles dont ils ont le secret : Love & Desire: The Patrice Holloway Anthology. On trouve des photos de Patrice dans le booklet. Diable comme elle est belle, avec ses yeux en amandes. Dennis Garvey nous rappelle qu’elle n’a jamais eu de hit, qu’elle n’a jamais enregistré d’album et qu’elle fut contrainte de se retirer du biz alors qu’elle avait un peu plus de 20 ans. Comme d’habitude ce sont les fans anglais de Northern Soul qui l’ont arrachée à l’oubli.

             Sa frangine Brenda est plus connue car elle fut repérée par Motown et signée sur ce qui était alors le plus prestigieux label Soul d’Amérique. Dans les early sixties, les deux sœurs font aussi pas mal de backings pour Sam Cooke. Brenda n’en finit plus de dire à quel point sa sœur est belle, elle est The girl, dit-elle, elle flirte avec Muhammad Ali puis à 13 ans, elle devient la girlfriend du 12-Year-Old Genius Stevie Wonder. Ils se roulent des tas de pelles devant tout le monde - They were a hot item - Patrice enregistre en 1963 «(He Is) The Boy Of My Dreams» pour un sous-label de Motown, V.I.P., cut génial qu’on retrouve d’ailleurs sur la compile Kent. La similitude entre the pre-pubescent Stevie et la pré-pubère Patrice est stupéfiante. Ils n’ont que 12 et 13 ans ! Garvey suppose que le single a été retiré des ventes à cause du côté sulfureux de leur relation. En 1966, Patrice est signée par Capitol, elle démarre une carrière solo à l’âge de 15 ans ! C’est là qu’elle enregistre «Love And Desire» et «Ecstasy». C’est David Axelrod qui produit «Stay With Your Own Kind», une histoire d’amour inter-racial. Mais bon, Capitol fout le paquet sur Lou Rawls et donc Patrice ne perce pas. Elle continue de faire des backings de choc avec sa frangine, notamment derrière Joe Cocker sur «With A Little Help From My Friends». Patrice se fait pas mal de blé avec les sessions et se paye deux Corvettes Stringray. Berry Gordy l’admire pas seulement pour sa voix, mais surtout pour ses qualités de businesswoman. Elle gère merveilleusement bien ses deals. Elle participe à des sessions de backings légendaires, de type «Someday We’ll Be Together» pour Diana Ross & the Supremes, avec Merry Clayton, Clydie King et Venetta Fields, pardonnez du peu.

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             On la retrouve aussi dans les chœurs de Brothers & Sisters pour le fameux Dylan’s Gospel produit par Lou Adler, avec la ribambelle habituelle : Edna Wright d’Honey Cone, Merry Clayton, Clydie King et toutes les autres. C’est un album qu’on recommande chaudement aux amateurs de gospel rock, car certaines covers de Dylan y sont spectaculaires, à commencer par celle de «Mr Tambourine Man» : les filles ramènent tout le power du gospel batch dans le Tambourine. Elles font aussi une version spectaculaire d’«All Along The Watchtower», ooh it’s getting so late, ça marche à tous les coups, c’est un groove d’orgue qui embarque cette merveille crépusculaire, outside in the distance. En B, les reprises de «Chimes Of Freedom» et de «My Back Pages» comptent parmi les sommets du gospel : tout y est, l’énergie et la mélodie, c’est chanté au lead de Soul Sister. L’album se termine sur une magic cover de «Just Like A Woman» et là ça devient biblical, c’est chanté au sommet du lard total, ça éclate en geysers d’harmonies vocales, des mecs relancent et les filles deviennent folles de bonheur sacré.

             On entend aussi Patrice dans Josie & The Pussycats, mais la productrice du show ne voulait pas de black à l’écran. On voit trois blanches. Il n’empêche que Patrice chante.  

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             Inutile de préciser que cette compile Kent grouille de pépites. Patrice est épaisse, elle respire la Soul et son «Stolen Hours» est calé au stolen hours, elle est éperdue de grâce black, il faut la voir se jeter sur son stolen, fabuleuse Patrice ! C’est une Soul de rêve, une Soul tentatrice, oh no no no no, une Soul jouissive qui monte droit au cerveau. Patrice règne sans partage sur son petit monde, elle est de toutes les bordées. Elle fait essentiellement du Motown, elle se coule dans le moule, elle est en plein dedans, même à Los Angeles en 1966. Le morceau titre est du pur Motown, même chose pour les cuts suivants, elle met bien la pression, elle pousse au push, elle accuse bien le coup, elle est pleine d’allant et d’allure, son «Stay With Your Own Kind» sonne comme un hit entreprenant. Avec «Evidence», elle fait sa Aretha, c’est bien envoyé, by your face, oh yeah, ces petites blackettes t’envoient rôtir en enfer, c’est un hit monstrueux. Elle fait du stomp de r’n’b avec «The Touch Of Venus» et tape dans Smokey avec «Those DJ Shows» et «For The Love Of Mike». Là, c’est du Detroit 65, solo de sax et heavy Motown beat. Extraordinaire essence de la prestance ! Elle sait monter un cut en neige, pas de problème. Ça continue de monter en température avec «Come Into My Palace». Brenda et Patrice duettent. On imagine la gueule du Palace ! Un vrai paradis pour bite en rut, elle est assez saute-au-paf, yeah, assez surboum surchauffée, c’mon, c’mon, elle ne chante pas si bien au fond, mais fuck, c’est Patrice, la frangine de Brenda. Elle fait sa Supreme avec «All That’s Good», elle se prend pour la Ross, elle a raison car elle ondule bien sous sa robe noire, crazy about it, quel shoot de groove ! Elle se prête à tous les jeux, elle saute à dada, elle est d’une transparence à toute épreuve. Pour «Tall Boy», elle bénéficie du son de Marvin Gaye tapé au sommet du lard Motown, on a là une vraie pépite de Tall Boy, elle crève le plafond Motown et la fête se poursuit avec «Flippity Flop» et ses clap-hands, c’est encore une fois en plein Motown Sound. Attention, ce n’est pas fini, elle repart de plus belle avec «The Go Gang», un heavy shuffle plein de jus, elle sait se montrer ultimate. Les trois derniers cuts sont des petites merveilles, à commencer par ce «Face In The Crowd» qui se situe à la croisée de deux mythes, Motown et les Shangri-Las. Quel mélange ! Elle est en plein milieu, le cul entre deux chaises, Brill d’un côté et Motown de l’autre, c’est un mélange stupéfiant et assez rare, on croit vraiment entendre les Shangri-Las. Avec «Surf Stomp», elle éclate dans l’écho du temps, c’mon c’mon do the surf stomp, encore une fois c’est propulsé à l’énergie Soul, Patrice est une géante. Et le festin se termine avec «(He Is) The Boy Of My Dreams», on croit qu’elle se calme au prix d’un grand coup de frein, plus rien à voir avec la folle du Surf Stomp, mais en fait elle repart de plus belle, sans voix, à l’énergie pure, elle monte à l’assaut du cut final, elle est déchirante, délirante, awfully great, cette petite reine du scream stupéfie.

    Signé : Cazengler, Patrice Hollovrac

    The Brothers And Sisters. Dylan’s Gospel. Ode Records 1969

    Patrice Holloway. Love & Desire: The Patrice Holloway Anthology. Kent Soul 2011

     

     

    EDDIE COCHRAN

    ROCK A TOUS LES ETAGES

    THIERRY LIESENFELD

    ( Saphyr 2013 /Avril 2022 )

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             C’est donc écrit en notre langue françoise qu’est paru le livre définitif sur Eddie Cochran. Les fans américains et anglais doivent en pâlir de jalousie, c’est ainsi. Nous sommes dans la logique des choses, les fans français ont depuis toujours rendu un culte aux pionniers du rock.  D’autant plus vif et inconditionnel que dans les années soixante les renseignements et les disques étaient rares et que la barrière de l’anglais ajoutait une aura de trouble et de mystère. Les fondations des mythes sont souvent coulées dans le béton de ce que Joe Bousquet nommait l’inconnaissance. Pour les dieux du rock, comme pour les dieux de l’Olympe.

             Un grand merci à Thierry Liesenfeld pour cette œuvre de longue patience.  Nous avait déjà comblé avec son Vince Taylor, le perdant magnifique paru en 2015, un ouvrage essentiel pour tous ceux qui s’intéressent à l’ange noir du rock ‘n’ roll. Rappelons que Thierry Liesenfeld a aussi consacré des monographies aux Chaussettes noires, aux Chats Sauvages, à Cliff Richard et aux Beatles. Voici un programmes de saines lectures pour les amateurs des premières et deuxièmes heures du rock ‘n’ roll européen.

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             Mais Eddie Cochran. Disparu à un âge où la plupart des musiciens et des chanteurs n’en sont qu’aux prémices de leur œuvre. A tel point que Liberty, sa maison de disques, n’a entrevu la potentialité de sa personnalité que dans les derniers mois de son existence. N’accusons point les autres même s’ils ont commis des erreurs, le principal fautif en est peut-être l’intéressé lui-même.

             Les circonstances ne l’ont pas aidé, il est parfois difficile de pressentir le vent de l’Histoire, surtout s’il souffle sous forme d’une petite brise. En 1953 le rock ‘n’ roll n’existe pas encore même si son jumeau adultérin le rhythm ‘n’ blues des noirs est déjà bien installé. Cochran né en 1938, gratouille sa guitare. L’est pourvu  d’une forte volonté, très vite dans sa tête son avenir se dessine : il sera musicien ou rien. Cherche et trouve toutes les occasions de jouer autour de lui. Fréquentent des musiciens plus âgés que lui, se rend très vite compte de leurs qualités et de ses propres manques. En deux années il améliore son jeu d’une manière prodigieuse. L’a compris l’essentiel : l’a de petites mains certains accords, certaines positions lui sont difficilement accessibles, il ne se plaint pas, il ne se désespère pas, ce qu’il ne peut pas faire comme le commun des musicos il le fera à sa manière. Sans être tout à fait conscient il développe non pas une nouvelle manière de jouer mais un son bien à lui, différent des autres guitaristes. A dix-sept ans ceux qui jouent avec lui entendent sa différence, il n’en tire aucune gloire, il n’aura jamais la grosse tête, restera toujours accueillant, les témoignages concordent un gars ouvert, sympathique, fourmillant d’idées. 

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             Cela ne suffit pas faire de vous un des pionniers du rock. Encore est-il nécessaire de prendre la bonne route. Le problème c’est que le seul chemin qui s’offre à lui n’est pas le bon. Amateur d’armes à feu depuis son enfance, passionné de western, une culture musicale de base acquise en écoutant la radio, tout concourt en lui pour être un adepte de country. C’est déjà mieux que la chansonnette.  Sa carrière débute avec les Cochran  Brothers. Ne sont que deux lascars, ne sont pas frères, mais possèdent le même nom de famille. De concert en concert il apprend le métier. Accompagneront même Lefty Frizzel un des rois du country de l’époque bien oublié aujourd’hui par chez nous. Rencontreront un autre personnage beaucoup moins célèbre mais qui infléchira la destinée d’Eddie, Jerry Capehart, lui-même chanteur, prêt à endosser tous les rôles, tourneur, producteur, rien ne lui fait peur…

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             En 1956 éclate la bombe Elvis Presley. Ce n’est pas un inconnu. Les Cochran Brothers ont eu vent de ses premiers disques chez Sun, c’est le moment des grandes décisions, ne serait-ce pas une bonne idée de mettre un peu de rock ‘n’roll dans leur country. Ils essaient, Cochran veut continuer dans cette voie, son compère Hank refuse, se séparent en bons amis… Eddie jouit d’une notoriété de bon guitariste, ce qui lui permet de devenir un familier des studio Gold Star de Los Angeles.

             Une bonne rampe de lancement, quelque peu gâchée par le talent d’Eddie. L’adore jouer, ne dit jamais non pour participer à une session. Caméléon tous styles. Possède cette faculté de rentrer en osmose avec le projet de l’artiste, il l’aide de son mieux, apporte des idées, ne mégote pas sur sa guitare. N’est pas un monomaniaque, s’intéresse à toutes les musiques, country, blues, jazz, rock, et même classique… Un gars que sa passion rend utile, très utile, trop utile. Quand on a un tel numéro dans un studio, on ne le laisse pas partir, il y a toujours du boulot pour lui. A tel point que le temps lui manque pour sa création personnelle…

             Mais lui ne le voit pas comme cela, bidouille tout à son aise, rêve d’enregistrer un disque composé uniquement d’instrumentaux, n’est pas pressé l’attend son heure… Capehart parvient à lui dégoter un contrat chez Liberty. On a toujours besoin d’un musicien doué pour relever le disque d’un confrère de l’écurie. A part cela, l’on ne sait pas trop quoi faire de lui. Pas de plan de carrière. Le mieux c’est d’aller au plus simple, lui dégoter un hit. N’importe quoi, mais un hit. Ce sera Sittin’ in the balcony. Un truc mièvre et sans aucun intérêt. Oui mais un succès !

             Eddie lui-même en est satisfait. Pas du morceau, mais de sa popularité. C’est l’époque où il déclare qu’il veut devenir célèbre. Par tous les moyens. La musique d’accord, le cinéma aussi. N’a-t-il pas fait une apparition ( courte mais remarquée ) dans The girl can’t help hit et tenu un petit rôle dans Cotton picker ! Pas de panique ce n’est pas le triomphe des films d’Elvis Presley…

             1957, c’est la grande tournée en Australie avec Gene Vincent et Little Richard. Un succès, pour la première fois Eddie est emporté par l’ouragan du rock ‘n’ roll. Après cette tournée rien ne sera plus comme avant. Les filles, l’alcool, Eddie connaissait déjà mais ces concerts de folie portés à leur incandescence par Little Richard ont dû agir comme un électro choc.

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             Entre 1958 et 1959, Eddie donne trois titres qui sont au fondement du rock, Summertime Blues, C’mon Everybody et Something Else. Bien sûr il a enregistré quelques autres merveilles, mais ces trois morceaux à eux seuls reconstruisent le rock ‘n’roll. Les trois pyramides qui éclipsent tous les autres monuments.

    Eddie en fut-il lui-même conscient ? Une réponse de normand s’avère nécessaire. Oui et non. Non, parce qu’il ne savait pas comment dans les décennies suivantes cette trilogie allait influencer le devenir du rock ‘n’ roll. Oui, parce qu’il est désormais convaincu de sa valeur. Il sait que désormais il a rejoint le club très fermé des très grands.

             Nous sommes déjà au début de l’année fatidique. La tournée en Angleterre avec Gene Vincent. Si Gene est la face sombre, maléfique et inquiétante du rock ‘n’ roll, Eddie en est la figure de proue rayonnante. Les musicos britishs sont estomaqués par sa virtuosité, Eddie les fait progresser, il montre, il explique, il ne cache rien, an excellent rock ‘n’roll teacher. L’éclosion du rock britannique lui doit beaucoup…

             Vient de fêter son anniversaire, l’avenir s’ouvre devant lui, la mort l’attend au tournant…

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             Ce que je viens de résumer hâtivement Thierry Liesenfeld le raconte en détails. Certes le livre ne recèle aucune révélation fracassante. Les faits rapportés parlent d’eux-mêmes. L’art de les avoir collationnés avec une minutieuse précision chronologique permet d’appréhender le parcours d’Eddie d’une nouvelle manière. Si Cochran n’avait pas été si brutalement interrompu par la grande faucheuse, longtemps j’ai redouté qu’il se soit engagé à son corps défendant dans une impasse à la Elvis, qu’il se soit fourvoyé dans une carrière engluée dans la guimauve… Ce livre écarte le cauchemar. Cochran avait compris qu’en cinq tumultueuses années le rock avait changé, qu’il était une musique en perpétuel mouvement. Et qu’il était à la pointe de cette mutation. Cochran n'était pas un devin, le présent nous confronte à la grande inconnue du présent proche, où que nous portions nos yeux le futur est opaque. Pour nous Cochran est un grand chanteur de rock, lui se voyait plutôt comme un musicien en devenir. Entre l’image évidente et la réalité insaisissable il existe un espace aussi mince qu’un feuillet de cigarette, autrement dit un gouffre insondable. Ce qui est sûr c’est qu’Eddie avait hâte de retrouver la Californie – la tournée avait été harassante – le soleil et la bonne bouffe du pays des hamburgers lui manquaient, besoin d’un peu de repos aussi, et vraisemblablement des heures de réflexion et de création en studio. L’escale américaine prévue était de courte durée, la tournée anglaise devait reprendre au bout de quelques jours… Eddie était à cheval entre la désaffection de l’Amérique envers un rock sauvage et l’engouement de l’Angleterre pour le grand tumulte en gestation, sur la ligne de partage des eaux…  Aurait-il fait cet album de blues fortement électrifié dont il avait le projet, l’on peut rêver que les Rolling Stones l’auraient écouté… Et ce spectacle dans les night-clubs dont nous ignorons tout que je mets en parallèle   avec Twist-Appeal,  mis en scène par Nicolas Bataille que  Vince Taylor a réalisé aux Folies-Pigalle après la grande bourrasque de son explosive apparition en France…   Arrêtons mes élucubrations…

             Juste quelques mots sur l’impact photographique de l’opus, superbement mis en pages, bourrés de documents. Un livre à voir, à avoir.

    Damie Chad.

     

    *

    Plus de nouvelles d’Across the divide depuis deux ans, depuis la sortie de Disarray que nous avions chroniqué ( voir livraison 497 du 11 / 02 / 2021 ) et que nous avions beaucoup apprécié. Le fameux flair du rocker voici quatre jours a tilté dans mon cerveau. Depuis deux ans leurs posts sur FB se faisaient rares. Dans la série allons au bois voir si le loup y était, il y était, avec l’annonce d’un nouveau clip pour le premier octobre. Ce n’est pas tout, en début d’après-midi ils annoncent qu’ils sont en concert ce même samedi soir. Ne pouvaient-ils pas prévenir avant, les aurais revus avec plaisir, mais là impossible ! Faute de grive nous contenterons d’un merle. Noir.

    UNFORGOTTEN

    ACROSS THE DIVIDE

    ( Anubis Production / 01 – 10 – 2022 )

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            Du noir plus que noir. Âmes sensibles abstenez-vous. Eau trouble et herbes glauques. Tout un climat en deux secondes. Une forme blanche indiscernable sur le gazon nocturne : Ils l’ont donnée à la fangeuse mort, le vers de Shakespeare annonçant la mort d’Ophélie résonne en votre tête. Ensuite nous n’avons droit qu’à des fragments d’une triste histoire qui se reconstitue toute seule entrecoupés d’images sauvages des membres du groupe en train de jouer. Rapt d’enfant et survie mortuaire des parents. Circulez, il n’y a plus rien à voir. Mais ces flashs de baguettes brandies comme des haches d’assassin, ces cris vomis au micro, ces corps sciés sur les guitares, éclairs de haine, éclats de désespoir vous entaillent le cortex. La tragédie descend l’escalier, la mort vous pend au bout du nez. Clip funèbre pour faire-part de deuil. Il suffit de le regarder une fois. Il est inoubliable.

             Danny Louzon est aux commandes. Plus tout à fait un clip, une scène de film, un clinéma. Deux acteurs Raymond Olry et Sandra Vandroux plus le groupe : Charles Bogan, Regan McGowan, Axel Biodore, Maxime Weber, Alexandre Lhéritier.  

    Damie Chad.

     

     

    SPUNYBOYS

    Les Spunyboys ne font jamais rien comme les autres. C’est en 2013 qu’est sorti leur premier album Rock’n’roll legacy, ensuite plus rien. Pas une crise aigüe de flemmardise, n’ont pas arrêté de tourner un peu partout en France, en Belgique, aux Nederlands, en Finlande etc… des sets incandescents, ont dépassé depuis belle lurette les mille concerts, qui les classent parmi les meilleurs groupes de rockabilly d’Europe. Voici quelques années avant un concert à Fontainebleau ils discutaient d’un hypothétique EP consacré à George Jones   qui n’est jamais arrivé. En 2020, ils ont frappé un grand coup deux albums en même temps, les fans s’impatientaient, promettaient même un troisième ‘’live’’. Ce n’est pas le matériel qui doit leur manquer ! Il est plus que temps, sur ce coup Kr’tnt n’est pas à la pointe de l’actualité, de chroniquer les deux petites merveilles suivantes :

    JUST A LITTLE BEAT

    ( 2020 / Not on label )

    Belle couve jaune, fait un peu pochette de groupe de surf ( j’va me faire traiter de tous les noms d’oiseaux, m’en fous, je suis un phénix je renais de mes cendres. ) signée de Jake Smithies  ( des Dead Mans Uke, contrebasse et ukelel, exactly a resonator uke ), en haut l’adorable bébête qu’ils ont pris pour emblème. Les sept titres suivis de la mention RL sont des reprises de Rock ‘n’roll Legacy.

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    Losing at your own game : très hillbilly, voix voilée de Rémi, little beat dansant de Guillaume, retenez le solo d’Eddie, il poinçonne les tickets dans le métro comme au bon vieux temps. Don’t ring the bell : RL : le démarrage en trombe que l’on attendait pour ouvrir les hostilités arrive en deuxième position, encore est-il urgent de moduler, la cloche que l’on se devait de ne pas agiter était déjà sur leur premier album, une auto-reprise, moins rentre dedans – ils étaient jeunes et fous, maintenant ils n’ont plus rien à prouver, simplement nous montrer comment ils ont gagné en subtilité, ils polissaient au marteau en sont au stade de la lime à ongles,  un régal de les écouter. Tout n’est que luxe et volupté, pour le calme et la langueur baudelairienne, c’est totalement raté. Honey hides the bottle : RL : sur leur original l’on entendait la bouteille se fracasser sur le crâne de ladite honey, maintenant le morceau a un peu perdu ses assonances Bil Haleyenne, l’est davantage country jump, le meilleur passage c’est quand la voix de Rémi saute par-dessus la baguette de Guillaume, très beau duo de steeple-chase. Better to home : Ah le solo d’Eddie sur le contrepoint de la batterie, la meilleure scène du western, prenons le temps de noter que le mix a pris soin pour cette galette chocolatée de mettre la voix de Rémi devant, et les instrus qui brodent le fastueux décor derrière. Trouble in town : RL : changement d’ambiance, jusqu’à maintenant les morceaux sonnaient white rock, et là sans équivoque un beau démarquage ravageur à la Little Richard, Eddie poinçonne en bleu et la basse de Rémi est seule à rappeler les moutonnements rock’n’rolll de Send me some lovin’. Car un soupçon vaporeux de douceur ne gâte en rien la folie du monde.  Glad to be home : RL : ça sonne Sun, le truc où tout est en place et où rien ne manque. La batterie de Guillaume nous rappelle qu’il ne faut pas non plus s’endormir sur les lauriers du passé.  I’m an one-woman man : tiens le fantôme de Johnny Horton refait surface. Prennent leur plaisir, comment comprendre une telle déclaration si ce n’est pour de l’antiphrase, pour le plus gros mensonge qu’un homme puisse proférer, alors ils vous l’interprètent au clin d’œil de l’ironie, moque and roll !

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    Another farewell : y a des adieux moins chagrineux que d’autres, celui-ci au triple galop vous ne le regretterez pas, la voix de Rémy traîne comme un millepatte qui n’en finit pas de se déchausser, en plus il tripote sa contrebasse comme un clitoris en caoutchouc, Guillaume cogne son tam-tam sans perdre de temps, Eddie a troqué sa guitare contre une sarbacane, il envoie les notes une à une et fait mouche sur les mouches tsé-tsé qui volètent dans votre œsophage. That’s all right : une hérésie plus dangereuse que les Cathares, quoi le nom de Mickie Most le producteur des Animals et du Jeff Beck’group sur la pochette d’un disque de rockabilly !  Oui Mickie a eu sa période rock de 1959 à 1964, mais enfin il ne faut pas exagérer, reconnaissons toutefois que le morceau qu’il chantait avec les Gear n’est pas sans évoquer Brand New Cadillac de Vince Taylor, que vont donc nous proposer nos héros ? Ben, ils restent près de Mickie et de Vince, un régal pour Eddie de mettre ses pattes dans les pas de Joe Moretti et de Jimmy Page session man de service. Rockabilly legacy : RL : morceau éponyme de leur premier album, un titre qui fleure bon les Teddy Boys, un festival, nous l’interprètent à la Buddy Holly qui aurait avalé un cougar. Et qui ainsi n’aurait pas permis aux Beatles de mettre de l’eau dans le bourbon du rock’n’roll.  How low can you feel : RL : dans la série Country Legacy Jimmie Skinner, l’a eu son heure de gloire dans les années cinquante, un peu oublié maintenant, preuve que les Spuny farfouillent dans le coffre aux trésors américains, nos boys ont laissé de côté le banjo, un super exercice de style pour Eddie, et le fiddle bluegrass, Guillaume a bazardé l’accent nasillard des ploucs du pays de l’herbe bleue, ils nous refilent une version carabinée, entre nous je préfère Skinner. Peaches and cream : après Little Richard carrément un titre de Larry Williams.  Ce n’est pas l’avalanche de Dizzy Miss Lizzy ou de Slow down, disons un rhythm and blues plus roots,  vous le font très rock’n’roll, évidemment ils n’ont pas de saxophone, mais Guillaume a une de ses pêches sur sa batterie et les couches de crème de la guitare ont une belle épaisseur. Bop for your life : RL : le Bop est aux Teds ce que la crinière est au lion, se déchaînent sur le morceau, l’agitent salement, vous le fragmentent en mille éclats de verre qui brillent au soleil. Dommage que ce soit si court !

    MOONSHINE

     ( 2020 )

             Couve d’un bleu pénombre. Un peu vignette de bande dessinée. Si sur Just a little beat on apercevait tout au fond la silhouette du Capitole, sur celle-ci Big Ben squatte la première place. Ce CD serait-il plus axé Britain Sound. Quittons-nous le soleil de l’american South pour le fog londonien ? En tout cas Rémi affiche le ricanement démoniaque de Jack L’éventreur prêt à bondir sur sa victime, ce petit chef d’œuvre d’humour bleuâtre est aussi signé de Jacke Smithies.

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    Natural born lover : bonjour le changement de son, davantage compact, et employons un adjectif qui ne veut rien dire, musical. Oui ça klaxonne british, une basse plus grasse, une batterie moins furie, une guitare moins barbare, moins bop, plus pop. None of my business : reviennent à quelque chose de plus dur, Guillaume descend les escaliers avec des sabots de bois vert, Rémi jette ses mots à la fronde, Eddie se permet des tremblotements de guitare aussi périlleux qu’un numéro au grand trapèze sans filet. I hear Little Rock calling : chanteur country Ferlin Husky n’a pas subi l’appel du rock ‘n’ roll mais la nostalgie de Little Rock sa ville natale. Que vont nous faire nos trois héros de ce mid-tempo mignonitou, vont-ils se mélanger les pédal-steel guitars ? Ne renient pas leurs modèles, peut-être lors de leurs nombreuses tournées éprouvent-ils l’envie de retourner chez eux, accélèrent un tout petit peu le tempo, s’ils ont repris le chant en tir groupé du début, Rémi a abandonné le passage guimauve-voix-parlé-j-ai-beaucoup-vécu un peu has been, son vocal tire le morceau comme la locomotive ses wagons. Sweet loneliness : tristesse punchy, ça pue l’anglois, le rosbeef saignant, un peu loin du rockab, très groovy, très moderne, Rémi à cheval sur la vapeur et les instrus qui bougent les bielles, ressemble un peu à Watcha gonna do de Little Richard mais en beaucoup moins cool, z’ont dû bouffer de la barbaque avariée. Muy bien, comme disent les Espagnols lorsque le taureau rend l’âme dans l’arène. Moonshine : les cats amoureux miaulent joliment sur les toits les soirs de pleine lune, même qu’ils titubent un peu quand ils ont bu un coup de trop, agréable balade mid-tempo qui ne casse pas les manivelles, mais l’on reprendrait un petit verre avec plaisir. Lights out : retour dans la mouvance de Little Richard avec le morceau le plus connu de Jerry Byrne, avec un très beau passage sur lequel il hache ses mots comme sur Long Tall Sally, il ne faut pas le divulguer mais leur version à l’identique est meilleure que celle de Jerry Byrne, pourquoi ? Parce qu’elle est davantage rock ‘n’roll. Si nous étions Président de la République nous décorerions Guillaume pour sa performance battériale. Too young to cry : un titre à la Elvis, heureusement que Rémi a une voix plus anguleuse que le King, il sauve le morceau, le background derrière est bien propre, bien joli, bien ficelé, parfois les trucs mal emmaillotés  sont meilleurs. Well come back : dès qu’un titre commence par Well pensez à Little Richard, votre boussole indiquera la bonne direction, une belle réussite, très raw, un baston comme on les aime, aurait pu être enregistré dans le studio de Cosimo Matassa, à la grande époque.  Got get drink : une déjante country avec violon de l’amiral Nelson, Willie pour les intimes, Rémi s’en sort comme un chef, n’empêche que la guitare rupestre d’Eddie n’arrive pas à la cheville du violon pousse-au-crime et tire-bouchon joué par un ange déchu. N’écoutez pas l’original, la version des Spuny vaut le détour.

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    Get wild for my child : à l’énoncé du titre l’on a compris que l’on ne va pas s’ennuyer, un harmonica comme un sifflet de locomotive et l’on est parti pour la rivière sans retour, ça cahote dans tous les sens et ça remue comme dans un western italien. De la belle ouvrage, un shuffle suffocant ! El camino real : une ballade country de Lee Dresser chanteur des Krazy Kats, le camino real, le chemin royal est une route qui part de San Diego au fin fond du fond de la Californie et qui remonte au nord en passant par Monterey, San Francisco, Los Angeles… autant la version de Dresser se la joue majestueuse autant celle des Spuny a mis un tigre dans son moteur, un beau challenge pour Remi qui s’en tire comme un chef. Nowhere : une belle surprise, les garçons tourbillonnants démontrent qu’ils sont aussi à l’aise dans le hillbilly que dans le rockab. Rock around the clock : faut aller la chercher la version de Rock round the clock  de Li’l Millet enregistrée en 1956. En plus à mon goût elle ne vaut pas celle du gros Bill, l’est vrai que celle des Comets est un peu plus cuivrée que celle de Li’l Milet qui possède tout de même un bon sax, entre nous soit dit la version des Spuny n’emporte pas l’adhésion, un peu trop disparate. Peter Borough : beaucoup plus convaincant, ils remuent salement les cocotiers, arrivent à ce miracle que si vous incluez le titre dans une playlist pure original rockab vous ne verrez pas la différence. C’est cela les Spuny, ils ne copient pas, ils recréent. Le morceau précédent c’est quand ils cherchent, ne trouvent pas toujours mais ils accumulent des expériences, ils sèment des graines ( de violence) qui éclosent plus tard ?

    Gone with the wind : encore une gageure, comment reprend ce morceau de Wayne Rainey qui puise ses racines dans l’early hillbilly, no problem, Remi vous pousse le yodel comme un cowboy galopant après un long horn rebelle sans être une seule seconde ridicule. Ce n’est pas de l’imitation, retrouve l’esprit. Deux bonus tracks : Natural born lover : (+ Don Cavalli ) : et Get wild wih my child : ( + Thibaut Chopin ) : sympathiques, très agréables mais n’apportent rien de révolutionnaire à l’ensemble.

             Ayons un stupide comportement binaire : lequel des deux préférer ? Just a little beat est davantage monolithique, Moonshine davantage inégal mais ô combien plus aventureux avec d’exceptionnelles réussites. Ces deux opus permettent d’entendre les Spunyboys d’une autre manière. En public l’extraordinaire force de la batterie et les interventions fracassantes de la guitare monopolisent l’attention, elles égalisent un peu le chant de Rémi d’autant plus que ses acrobaties sur, autour, avec, sa contrebasse attirent l’œil. Ces deux CD’s sont l’occasion de vérifier combien nous avons un chanteur exceptionnellement doué qui ne recule devant aucune difficulté. Les Spunyboys sont un groupe incomparable.

    Damie Chad.

     

     

    LSD 67

    ALEXANDRE MATHIS

    ( Serge Safran / Août 2012 )

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    J’ai trois fenêtres à ma chambre

    L’amour, la mer, la mort

    Sang vif, vert calme, violet

     Ainsi débutait le poème Hiéroglyphes de Charles Cros, inventeur du phonographe ( le paradis des rockers ) et du procédé de la photographie couleur… les fenêtres d’Alexandre Mathis s’ouvrent sur d’autres domaines, Paris, la littérature, le cinéma. Ces trois domaines forment un nœud inextricablement lié, mais les couleurs dominantes en sont le noir et blanc cinématographique.

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    Alexandre Mathis a composé quelques livres et tourné quelques films expérimentaux. Il n’est guère connu du grand public. Avant de nous plonger dans ce LSD 67, il convient de poser deux jalons d’importance.

    Le premier est un roman policier, Maryan l’amour dans le béton. Paru en 1999. Un ovni littéraire. Grand format, police minuscule, 661 pages. Ce n’est rien, l’important c’est le choc, un peu ce qu’ont dû ressentir les premiers lecteurs de Céline à la lecture de Voyage au bout de la nuit. Là, pas besoin de voyager, propulsés au bout du bout de la nuit dès la première page. Alexandre Mathis s’est enfermé durant dix ans dans un minuscule studio pour l’écrire. Une ascèse littéraire, rien à voir avec celle de bourgeois bougon de Flaubert, le feu ne brûle pas dans la cheminée, c’est notre monde qui part en lambeaux de fumée noire et sale. Ce livre ne se résume pas, un tsunami déboule sur le lecteur et c’est tout. Bonne chance. La fin ? Elle est comme le serpent à deux têtes, autant dire qu’il se mord la queue sans clore définitivement le cercle. Une fois que vous l’avez lu, un porte-avions navigue dans votre tête, il cogne fort et jusqu’au dernier moment de votre vie vous avez peur qu’un jour il ne vous défonce l’os pariétal de votre crâne pour s’échapper de votre médiocrité congénitale. Les rockers apprécieront la bande-son : Jeffrey Lee Pierce, Gene Vincent, Johnny Thunders, Sex Pistols, Cramps… Un livre qui fait peur. La preuve : en avez-vous entendu parler ?

    La deuxième monstruosité est aussi un roman : Les condors de Montfaucon (2004 ). 620 pages, un sous-marin, un cachalot abyssal bourré d’ogives nucléaires. Porteur de mort en suspens. Visitons-le d’une manière innocente. Paris s’offre à nous. Les rues sordides, les vieux quartiers. Non pas pour les examiner mais pour se rappeler les vieux cinémas qui n’existent plus ou qui sont fermés en attendant le jour de leur destruction. Se rappeler qu’à tel endroit, l’on a vu tel film. Mathis ne nous épargne aucun détail. Où, quand, comment, avec qui, en quelles circonstances… Paris s’oublie, il se modifie, il change, la population n’est plus la même. Nostalgie ? Sûrement. Mais vous lisez alors le livre avec le petit bout de la lorgnette. Vous cédez à l’attrait du pittoresque. Ne confondez pas avec La dernière séance d’Eddy Mitchell. Alexandre Mathis n’expédie pas la bagatelle en une chansonnette de trois minutes. Un gros livre, foisonnant de milliers de détails. Parfois agrémentés de photographies de l’auteur. Maintenant attention où vous mettez les pas, vous errez dans le Paris des années cinquante et tout à coup vous avez franchi une limite, le gibet de Montfaucon se dresse devant vous avec ses dizaines de pendus. Zone dangereuse. Êtes-vous entré par effraction dans un fissure de l’espace-temps, à moins que les choses ne restent figées dans leur éternelle présence… Un livre, terrible, sombre, sur l’impermanence du passé de l’être humain qui n’ose se raccrocher aux herbes mandragoriennes qui poussent aux pieds des gibets.

    Et donc ce dernier livre de la trilogie, ce LSD 67, cinq cents pages, paru en 2013. Nous voici à Paris dans les limites étroites du Quartier Latin. Non ce n’est pas un livre qui parle de drogue. Simplement de cette première génération de jeunes filles et de jeunes gens qui entre 1966 et 1968 ont décidé de vivre. Selon leurs désirs. Un signe de ralliement : les cheveux longs. Insupportables pour le commun de leurs contemporains ankilosés dans leurs certitudes d’emmurés vivants volontaires. Eux ne cherchent qu’à s’échapper le plus loin possible de ces existences quadrillées. Ont trouvé leur porte de sortie qui leur permet de passer de l’autre côté de cet univers carcéral qu’ils refusent. N’emploient pas des mots pompeux, ne tiennent pas le discours attendu sur les portes de la perception. Ils utilisent des mots simples. La défonce, en point c’est tout. Ne théorisent pas. Ils l’expérimentent à toute heure du jour. Et de la nuit.

    Alexandre Mathis ne cache rien, montre tout. Les extases et les angoisses. Les effets, tant au niveau social – ne travaillent pas, sempiternellement à court d’argent - qu’au niveau psychique. Une attitude nietzschéenne, au-delà du bien et du mal, aucune moraline. Une vie dangereuse, dorment souvent dehors, les flics, les larcins, les trafics, les règlements de compte, chacun se débrouille à sa manière. Nous suivons un petit groupe, qui n’arrête pas de se croiser et de séparer, le hasard les réunit, leurs envies du moment les disjoignent. Ne rejettent pas la faute sur la société ou sur le système, assument leur choix de vie.

    N'arrêtent pas d’errer, il faut marcher pour ne pas céder aux vertiges des produits, Mathis ne peut enfiler une rue sans préciser d’où elle part, où elle s’arrête, de nommer les artères ou les ruelles qui la coupent, les cafés, les bars, les librairies, les pharmacies, les boutiques qui la bordent. Cette manière de procéder n’est pas sans produire un effet de vertige, on repasse souvent par les mêmes lieux, l’on est entraîné malgré soi sur un gigantesque échiquier sur lequel se déroule une partie qui ne s’achève jamais… Hervé le Narrateur a tout essayé, ses préférences vont à l’opium, mais il est une autre addiction dont il est totalement dépendant : les cinémas et les films. Lui faut ses quatre films par jour pour être heureux. Saute de séance en séance

    Ce roman est une ode au cinéma. Mathis est atteint de boulimie, il veut voir tout ce qu’il n’a pas vu, il lit le moindre article serait-ce un entrefilet de deux lignes, de n’importe quelle revue de n’importe quel journal… Peu à peu il se forge non pas son propre jugement mais sa propre vision du cinéma, il commence à placer quelques articles par ci par là…

    Le livre s’arrête parce qu’il faut bien qu’il finisse. LSD 67 se termine au mois de mars 1968. Pas un hasard. L’auteur n’explique rien. Il faut comprendre. Mai 68 marque une rupture. La drogue se démocratise. Rien à voir avec cette expérience primale d’un groupe de quelques centaines de personnes qui ont vécu ces deux années d’expérimentation innocentes. Après cette date débute l’ère de consommation de masse. Le lecteur fûté réalisera que la même dégénérescence a frappé la production cinématographique…

    Le roman ne possède pas d’intrigue. L’est constitué de textes d’une à dix pages. Les personnages vont et viennent, Le lecteur les suit. En ressort une incroyable sensation de liberté. Et de respect mutuel entre les protagonistes, ne se font pas de cadeaux non plus, mais chacun tient trop à son indépendance pour anéantir celle de ses collatéraux.

    Ok, Damie, on a vu the drugs but what about sex and rock’n’roll ? Pour le rock, tout ce qui s’écoutait à l’époque des Them à Jimi Hendrix, du Grateful Dead aux Beatles.  Pretty Things et consorts. N’y en a qu’un Chico qui soutient mordicus la cause des pionniers, Gene Vincent, Eddie Cochran, Buddy Holly, Elvis, Bo Diddley, Vince Taylor…

    J’en viens à ce qui vous titille au-dessous de la ceinture. Les filles sont présentes, Dora, Liliane, Cybèle… libres dans leur tête et leur corps, compagnes d’une nuit, par intermittences, pour une saison, rien de fixe, les produits amenuisent les jalousies… mais ce n’est pas le plus important, certaines disparaissent, ont-elles quitté le milieu, sont-elles mortes, et ne sont-elles pas plus présentes une fois mortes… Rien n’est dit, tout est en filigrane. Les conversations ne s’attardent guère, elles passent vite à un autre sujet… si elles étaient des intercesseuses, les véritables portes vers la mort, est-il vraiment utile de se précipiter pour les ouvrir… Maryann Lamour est-elle vraiment dans le béton, Lili dans le noir n’est-il pas le sous-titre de Les condors de Montfaucon, Alexandre Mathis n’a-t-il pas écrit un roman titré Edgar Poe ( dernières heures mornes ) et tourné un film intitulé Lady Usher’s diary inspiré de La chute de la maison Usher de l’auteur du Corbeau ? Omettons ce chat noir qui semble hanter La rue du chat qui pêche et s’attarder un peu trop souvent dans le cerveau de Sandrine…

    Enfin sous le pseudonyme transparent de Herbert P. Mathese, Alexandre Mathis n’a-t-il pas consacré un livre de 472 pages au cinéaste érotique José Benazeraf  An 2002, la caméra irréductible

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 508 : KR'TNT ! 508 : BADFINGER / COBRA VERDE / LOVE AS LAUGHTER / RITA JONES / LEE O' NELL BLUES GANG / ACROSS THE DIVIDE / MICHEL EMBARECK/ ERIC BURDON/ ROCKAMBOLESQUES XXXI

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 508

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    29 / 04 / 2021

     

    BADFINGER / COBRA VERDE

    LOVE AS LAUGHTER / RITA ROSE

    LEE O' NELL BLUES GANG / ACROSS THE DIVIDE

    MICHEL EMBARECK / ERIC BURDON

    ROCKAMBOLESQUE XXXI

    Badfinger in the nose

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    Tout le monde s’accorde à dire que l’histoire de Badfinger est une histoire tragique. En effet, deux pendus, ça vous plombe une histoire. C’est un peu comme si on passait brutalement du jardin magique (la musique) aux poubelles (les faits divers). La vie souriait pourtant à Badfinger. Elle lui souriait de ses trente-deux dents. Son avenir semblait assuré. Ces quatre surdoués savaient composer et les Beatles les chouchoutaient, au point de les signer sur Apple en 1970. Ils en imposaient sur les photos : ouvrez le gatefold de No Dice et vous les verrez rayonner tous les quatre dans la lumière orangée d’un crépuscule gallois. Le grand, derrière, c’est Pete Ham, ou si vous préférez Pete Jambon, dressé comme un phare dans la nuit et principal compositeur du groupe. Le petit rastaquouère, devant, c’est Tom Evans. Une vraie petite gueule de berger calabrais. Il joue de la basse et compose lui aussi pas mal de trucs. À gauche, le mec qui ne ressemble pas à grand chose, c’est Mike Gibbins, le batteur. Et de l’autre côté, la petite gueule de rock star évaporée appartient à Joey Molland, le guitariste et second phare dans la nuit de Badfinger. Alors qui sont les deux pendus ? Pete Jambon et le berger calabrais. On les a retrouvé tous deux pendus, le premier dans son garage, l’autre à un arbre parce qu’il n’avait pas de garage. Que s’est-il passé ? L’histoire classique du groupe à succès qui se fait arnaquer en bonne et due forme par un intermédiaire véreux. Homme d’affaires new-yorkais Stan Polley prend les Anglais sous contrat et ça donne le résultat suivant : une tournée américaine en 1971 rapporte environ 25 000 $ aux quatre musiciens et 75 000 $ à Stan. Ça, c’est du business ! Les plus malins diront : Ah, si les musiciens sont assez cons pour accepter ça, tant pis pour eux ! Mais dans la réalité, les choses ne sont jamais aussi simples qu’on le croit. Déjà, pour commencer, les musiciens ne voyaient pas la paperasse. Ils faisaient confiance. On fait toujours confiance à un spécialiste. On fait même confiance à un comptable.

    Le résultat ne se fait pas attendre : les quatre Badfinger n’ont pas un rond alors qu’ils voient leurs singles parader en tête des charts. Pete Jambon se demande comment il va pouvoir rembourser l’emprunt qu’il a contracté pour s’acheter sa baraque. Il finit par se convaincre qu’il n’y parviendra pas. Il flippe tellement qu’il se pend. Dans sa lettre d’adieu, Pete Jambon traite Polley de bâtard. Le berger calabrais finira lui aussi par craquer, huit ans plus tard, suite à une engueulade téléphonique avec Joey.

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    Dans un récent numéro de Record Collector, Bill Kopp rend hommage à ce groupe décimé par le destin. Kopp rappelle que le nom du groupe provient du working title d’un célèbre cut des Beatles : «With A Little Help From My Friends» s’appelait au début «Badfinger Boogie». C’est McCartney qui leur compose leur premier hit («Come And Get It»), mais très vite Pete Jambon montre qu’il sait lui aussi pondre des œufs. Les quatre Badfinger sont tellement potes avec les Beatles qu’ils sont invités à jouer sur les albums solo de Ringo, de John Lennon (Imagine) et de George Harrison (All Things Must Pass).

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    Les interviews de Joey Molland menés par Michael Cimino et rassemblés dans Badfinger And Beyond apportent un bel éclairage sur l’histoire de ce groupe qui faillit bien devenir énorme. Indépendamment du fait que George Harrison les avait à la bonne au point de les signer sur Apple, il est important de savoir que Pete Jambon et le berger calabrais étaient gallois, alors que Joey Molland venait de Liverpool et qu’à l’époque où il rejoignit Badfinger, il pouvait déjà se targuer d’un joli parcours. Eh oui, Joey avait connu la mythique Cavern - The Cavern was probably the best Rock club there ever was - Il évoque Rory Storm, Gerry & the Pacemakers et bien sûr les Beatles - The sound was punchy and hard - Il évoque aussi The Big Three, avec le batteur Johnny Hutchinson au chant, Johnny Gustafson à la basse et Brian Griffith à la guitare. Joey était tellement fasciné par Grif qu’il se rendit chez lui, tapa à la porte et lui demanda de lui apprendre à jouer de la guitare, mais Grif lui dit non. Pourquoi ? «Parce que je ne sais pas jouer de la guitare !». On raconte pourtant que Grif a formé George Harrison. Joey raconte aussi son enfance à Liverpool. Chez lui, il y avait un piano, comme dit-il dans toutes les maisons à l’époque. Il rend hommage à son père qui lui enseigna la patience et qui l’autorisa à commettre des erreurs pour apprendre. Il rappelle aussi que le Liverpool de son enfance était une ville très dure, il fallait apprendre à courir vite. Les gangs régnaient dans les quartiers et on se battait à coups de marteau. Et puis on découvre au fil des pages que Joey est un mec charmant. Richard DiLello dit de lui qu’il était toujours de bonne humeur - a Liverpudlian rocker who never seemed to have a bad day - On voit à sa bouille qu’il est à part. Joey fit aussi partie d’un groupe mythique, Gary Walker & The Rain. C’est Gary Leeds, alias Gary Walker, qui lui enseigne le cool - Gary was a very cool guy and he wanted the people around him to be cool. To look cool and to be cool - Le groupe s’installe à Chelsea et Joey n’en revient pas de vivre avec une giant rock star. C’est là dans les clubs du Swinging London qu’il commence à fréquenter la crème de la crème du gratin dauphinois. En 1967, il a vingt ans. Tout le monde portait des futals en mohair et des pulls à col roulé. Le moindre détail avait son importance. Il rappelle que les Londoniens voulaient tous aller en Allemagne, car c’est là qu’on trouvait les meilleures écharpes et les plus beaux cols roulés.

    L’histoire de Badfinger remonte au temps où les Beatles cherchaient de nouveaux talents pour leur label Apple. George Harrison avait déjà ramené chez Apple Jackie Lomax, lui aussi de Liverpool, Doris Troy et le clavier de Little Richard, Billy Preston. C’est Mal Evans qui déniche the Iveys, le groupe qui accompagne David Garrick. C’est dans ce groupe que se trouvent les trois autres Badfinger. Avec Joey en complément, le groupe trouve un son. Chez Apple, Joey voit bien sûr Allen Klein et ne l’aime pas beaucoup. Il garde par contre des bons souvenirs de l’enregistrement d’All Things Must Pass, auquel George Harrison leur demande de participer. Parmi les stars qui traînaient au studio 3 d’Abbey Road, il y avait Ringo, Klaus Voorman, Bobby Whitlock, Carl Radle, Leon Russell et bien sûr Phil Spector.

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    Alors, la réputation de Badfinger est-elle surfaite ? Pour répondre à la question, le mieux est d’écouter les albums. Ce n’est pas une expérience désagréable. Au temps de leur parution, ces albums ne laissaient pas indifférent, même si pour les gueules à fuel le son paraissait un peu trop poppy. Par contre, les obsédés sexuels pouvaient se branler sur la pochette de No Dice. Une fois dépliée, on y voyait une splendide créature au regard torve s’exhiber dans un costume de courtisane orientale. Elle dégageait cet érotisme littéraire à la Pierre Louÿs qui au temps jadis réveillait aisément les bas instincts. S’il l’avait aperçu en vitrine, Baudelaire aurait de toute évidence acheté l’album rien que pour la pochette. Sans doute l’aurait-il ensuite écouté. Sans doute aurait-il succombé au charme de «Love Me Do», cette solide machination inspirée de «The Ballad Of John And Yoko».

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    Sans doute aurait-il salivé à l’écoute de «No Matter What», cette pièce scintillante et pleine de vie, en qui tout est, comme en un ange, aussi subtil qu’harmonieux. Sans doute se serait-il réjoui d’apprendre que Pete Jambon jouait sur la Gibson SG utilisée pour «Paperback Writer», une guitare que lui avait offert George Harrison, et Joey Molland sur sa Firebird de débutant, tous les deux branchés sur des Vox AC30. Sans doute se serait-il agacé de ce «Without You» connu comme l’albatros, cette mélopée torride et bêtement romantique qui, bien que popularisée par Nilsson, ne pouvait plaire qu’aux Belges et à Mariah Carey. Sans doute aurait-il levé un sourcil à l’écoute du jeu byzantin de Joey Molland dans «Better Days», sans doute se serait-il rapproché pour mieux entendre couler cette rivière de diamants dans la texture même du son. Ah, mais ne nous méprenons pas, Baudelaire n’est pas Des Esseintes, il n’ira pas jusqu’à l’évanouissement. Intrigué par tant d’allure, il aura sans doute poursuivi l’examen et découvert que Joey Molland hantait à nouveau un autre château d’Écosse, «Watford John». Comment pouvait-on résister à ce succédané d’élévation spirituelle, à cette touche démiurgicale d’éclat lunaire ? Baudelaire en convenait, c’était impossible. Agité d’une fièvre de curiosité, il aura sans doute poussé jusqu’à «Believe Me», étrangeté chantée d’une petite voix funeste, mais gonflée comme une voile de démesure ancillaire. On ne saura jamais ce que Baudelaire aurait pensé de tout ceci, mais il plaît aux esprits fantasques de l’imaginer.

    Dans le cours de ses interviews avec l’ami Cimino, Joey Molland rappelle que No Dice fut enregistré sur du temps libre de studio à Abbey Road, à raison de trois heures par jour, au moment où le groupe qui louait le studio allait déjeuner. Une chanson par jour pendant dix ou douze jours.

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    La pochette de Magic Christian Music paru sur Apple Records en 1970 nous renvoie tous non pas au vestiaire, mais chez Giorgio De Chirico, ce peintre des architectures somnolentes annexé par les Surréalistes dans les années vingt. Mais nos amis de Badfinger n’ont rien de particulièrement surréaliste. Ils optent pour une petite pop inoffensive et relativement bien intentionnée, au plan des harmonies vocales. Le cut qui sort du lot s’appelle «Dear Angie», un groove de Beatlemania dûment violonné, doux et brillant, admirablement travaillé au corps. Et puis au fil des cuts, une certaine forme de solidité s’impose, digne du meilleur cru albionnesque. On s’effare même du très beau niveau composital de «Beautiful And Blue». C’est une pop qui se tient, une matière chamarrée, nappée de violons et anoblie par l’ampleur des harmonies vocales. Ils frisent la Slademania avec les mah-mah de «Rock Of All Ages». Encore de jolies choses en B, notamment «I’m In Love», un bel exercice de style tapé au drive de basse bondissant. Voilà un cut à la fois convaincu et convaincant, qui flirte avec les progressions de jazz. On est à Liverpool, ne l’oublions pas. Pete Jambon nous chante «Walk Out In The Rain» au fil ténu de sa sensiblerie et «Knocking Down Our Home» flirte avec l’esprit de «Martha My Dear», un esprit généreux et légèrement rétro. C’est à peu près tout ce qu’on peut en dire.

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    On les voit tous les quatre poser pour la pochette de Straight Up paru un an plus tard. Ce sont les coiffures rococo de l’époque. Le seul des quatre qui sache rester intemporel est Joey Molland, à gauche. Pete Jambon affiche l’air perplexe d’une tête de broc et Tom Evans celle d’une tête de coiffeur pour dames. Todd Rundgren produit quelques cuts et George Harrison d’autres. Deux des cut produits par Todd Rundgren vont éclater au grand jour : «Flying» et «Sometimes» qui est en B. On le sait, Rundgren est un fan des Beatles et comme les quatre Fingers jouent comme des dieux, ça prend une tournure captivante. Les deux cuts sonnent littéralement comme des hits des Beatles. C’est aussi simple que ça. George Harrison passe un solo sur «Day After Day». On note aussi la présence de Leon Russell - Little piano fill. That’s how great those people are, nous dit Joey Molland dans l’une de ses interviews. Tiens, encore un hit digne des Beatles : «Suitcase», doté d’une fantastique émotivité - Pusher pusher/ All alone - Avec «Baby Blue», ils proposent un hit de power-pop et Joey Molland se tape une fois encore la part du lion en déliant un solo magistral. Mais il précise qu’il n’aime pas Todd Rundgren. Pourquoi ? Parce qu’en studio, Rundgren les insulte et leur dit qu’ils ne savent pas jouer - He was openly rude - Il n’a accepté de produire cet album que pour ramasser du blé. Ça se passe mieux avec George Harrison. C’est lui qui joue le Strat stuff sur «I Die Babe» - You make me loving like crazy/ You make my daisy grow high - On entend Nicky Hopkins sur «Name Of The Game». C’est assez puissant car la musicalité est celle d’All Things Must Pass.

    Comme ce fut le cas pour la plupart des groupes qui commençaient à marcher à cette époque, le business leur mettait la pression : «Make a hit record !». Ça devint une obsession pour le berger calabrais et Pete Jambon. Ça les rendait fous - Tommy drove himself crazy trying to make a hit record, absolutely crazy - Pete Jambon n’a jamais réussi à écrire un hit, ça le rendait fou, lui aussi. Plus on lui mettait la pression, plus il devenait fou. Il finira par détruire sa guitare préférée.

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    La carotte qu’on voit sur la pochette d’Ass est une idée du berger calabrais. C’est la fameuse carotte de Magritte (Ceci N’est Pas Une Carotte) qu’on utilisait jadis pour symboliser la motivation, lorsqu’on menait une opération de communication interne dans une grande entreprise. Ass pourrait aussi vouloir dire : tu l’as dans le cul. Il y avait du ressentiment dans les rangs de Badfinger. Ceci dit, Ass reste un très bel album de pop anglaise. Cette pop d’Apple qui jadis nous faisait tant baver. Dès «Apple Of My Eyes», on se retrouve au cœur du Apple Sound System : admirable facture mélodique et Chris Thomas produit, alors, ça fait encore plus la différence. Le hit du disk ouvre le bal de la B et s’appelle «Constitution». Ils sonnent là-dessus comme les Beatles du White Album. Joey Molland signe cette imparable resucée beatlemaniaque. «Icicles» sonne comme un hit de George Harrison, avec un fabuleux son de guitare océanique. Quel cachet ! On trouve aussi sur Ass deux cuts produits par Todd Rundgren et tirés des sessions de l’album précédent, à commencer par «The Winner», qui se veut plus rocky, avec une belle approche du son carré. Alors là, on peut dire qu’ils savent monter un œuf de pop en neige du Kilimandjaro ! Joey Molland explique que sa chanson concerne John Lennon qui passait à son temps à se plaindre de tout. Et quand on écoute «Blind Owl», on se dit qu’on n’en attendait pas moins de Badfinger. Pete Jambon nous entortille ça au riff de guitare virtuose et on voit ces quatre mecs s’auto-émerveiller par tant de brio. Ils éclatent tellement au grand jour que ce spectacle fait plaisir à voir. L’autre cut produit par Rundgren s’appelle «I Can Love You», un immense balladif à prétention romantico-universaliste. Ils savent s’en donner les moyens, c’est vraiment le moins qu’on puisse en dire. Ils savent mailler les moyeux et mouiller les maillets. Au fond, la présence de Rundgren dans les parages n’étonnera personne quand on sait à quel point il vénère lui aussi les Beatles. Il suffit d’écouter les trois albums de Nazz. Et puis nos vaillants héros tragiques bouclent l’Ass avec un «Timeless» extrêmement joué à la guitare. Joey Molland joue au gras tout au long de ce balladif typiquement britannique, il sort ce bon gras spécifique de la panacée, il fait vraiment le show et son solo compte parmi les merveilles du rock anglais. On le voit revenir par vagues, inlassablement, pareil à l’océan hugolien - Ces enfers et ces paradis de l’immensité éternellement émue.

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    Jolie pochette que celle de ce Badfinger paru en 1974 sur Warner Bros. Eh oui, l’empire Apple s’est écroulé et le vieux label américain, flairant la bonne affaire, les accueille à son bord. Nos héros tragiques ne prennent pas de risques, puisque Chris Thomas veille au grain. «Love Is Easy» sonne comme un hit. On y va les yeux fermés. Ils ramènent tout le bon son dont ils sont capables, d’autant que ça bat bien au devant du mix. Et bien sûr, Joey Molland fait à nouveau des merveilles. En B, on se régalera du r’n’b Mod pop action de «Matted Spam», et plus loin de «Lonely You», une belle pop anglaise soutenue par des harmonies vocales de premier choix et un jeu de guitare bien tempéré. Mais le hit de l’album pourrait bien être «Give It Up», un jaillissement de belle pop immaculée dûment monté en apothéose. Une vraie réussite, tant au plan atmosphérique qu’affectif, parsemée de très beaux éclats de guitare. Nos quatre héros tragiques portent le poids du monde sur leurs épaules et se montrent capables de sacrés coups de Jarnac.

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    Il semble que le soufflé retombe un peu avec Wish You Were Here paru la même année. Deux cuts sauvent l’album, à commencer par l’excellent «Just A Chance», nouveau coup de pop de grande ampleur, cuivré et chanté à pleine voix. On sent la patte des vieux briscards de la pop. Mais on sent aussi chez eux une tendance à s’endormir sur leurs lauriers, car cette pop devient souvent très pépère. «Know One Knows» se laisse consommer tranquillement. On appelle ça de la petite pop sans histoires. Le «Love Time» qui se planque de l’autre côté sonnerait presque comme un hit, car ce balladif se prévaut d’une élégance suprême. On croirait presque entendre «Across The Universe». Mais il faut attendre «Meanwhile Back At The Ranch» pour enfin trouver chaussure à son pied. Voilà encore de la belle pop à la Lennon, on sent frémir le son d’une belle détermination. Ce cut visité par l’esprit du White Album, indéniablement. Avec les Buffalo Killers et Ty Segall, ils sont sans doute les seuls capables de jouer à ce petit jeu-là.

    Joey quitte le groupe en 1974, complètement ruiné. Il perd sa maison à Londres et se retrouve dans un minuscule appart à Golden Green, Lyons avenue. Pete Jambon est mort et Joey se rend à ses funérailles au pays de Galles. Sa famille dit-il était détruite. Ils le croyaient à l’abri du besoin, comme n’importe quelle rock star et ne savaient pas qu’il en bavait et que la dépression due à sa pauvreté allait le pousser à finir pendu comme un paysan ardéchois.

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    Les voilà sur Elektra pour l’album Airwaves qui sort en 1979. Sur la pochette, on ne voit plus que Joey Molland et Tom Evans, les survivants. Tom Evans compose et chante énormément, mais il ne crée pas forcément la sensation. Joey pense que «Love Is Gonna Come At Last» est une great song et avoue que le riff est difficile à jouer. Mais si on veut de la viande, il faut aller la chercher en B, et ce dès «The Winner» et son festin d’harmonies vocales. Ça joue dans les règles de l’art fingerien et ce n’est pas Joey qui se tape la partie de lead, mais Joe Tansin. D’ailleurs Joey dit de Joe qu’il sait vraiment bien jouer. On retrouve Tansin au lead dans «The Dreamer». Joey dit que ça sonne comme une Ringo song, doesn’t it ? Les voix se fondent dans l’excellence des arrangements orchestraux. Quel fieffé mélodiste que ce Tansin. «Come Down Hard» sonne comme un hit d’entrée de jeu. Joe Tansin rôde dans les parages et perpétue bien l’esprit in the nose de Badfinger.

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    Tom Evans est encore vivant quand Badfinger enregistre Say No More en 1981. En bons vétérans de toutes les guerres, lui et Joey Molland s’adonnent aux joies du rock’n’roll dès «I Get You». C’est un très anglais et presque trop parfait. Leur «Come On» sonne comme du boogie rock à dents blanches. Le pire, c’est que cet album tient bien la route, même si Pete Jambon n’est plus là. «Hold On» s’orne d’un fil mélodique à l’or fin et «Because I Love You» renoue avec l’ampleur du souffle pop d’antan. C’est exactement ce qu’on attend de Badfinger : une pop cousue de fil d’or. On s’extasie aussi devant la belle tenue de «Rock’nRoll Contact», même si ça chante au guttural. Les retours au calme y fonctionnent comme des havres de paix et Joey Molland gratifie son cut d’un éblouissant final guitaristique. L’un dans l’autre, c’est un beau brin d’A. Il faut bien comprendre que ces mecs ne font pas n’importe quoi. Le «Passin’ Time» qui ouvre le bal de la B sonne incroyablement juste. C’est encore une pop très entreprenante, avec des parties chant gonflées d’énergie - I couldn’t believe it/ Oh no - Et ça accroche terriblement. Idem pour «Too Hung Up On You», chanté à l’Anglaise, c’est-à-dire à l’inspirette carabinée, dans le pur esprit pop, avec tout le répondant du palpité de glotte. Tout est incroyablement solide et bardé de son. Badfinger fait vraiment partie des élus de Palestine. Ils terminent cet album tonique avec «No More», une pop qui comble bien les vides, qui captive et qui nourrit bien son homme. Belle ambiance progressiste et même assez envoûtante. Joey Molland et le berger calabrais ultra-jouent leur va-tout en permanence.

    La fin du groupe est moins glorieuse. Joey et le berger calabrais attendent une avance promise par le management. Comme l’argent ne vient pas, Joey refuse de commencer à travailler sur le prochain album. Il quitte le studio et annonce qu’il ne reviendra que si le blé est là. Puis il apprend que le berger calabrais et Tony Kaye continuent tous les deux en tant que Badfinger, annonçant à qui veut bien l’entendre que Joey a quitté le groupe. What ? Joey tente de joindre ses amis, mais personne ne prend ses appels. En désespoir de cause, Joey finit par former un autre Badfinger aux États-Unis. On a donc deux Badfinger en circulation qui finissent par enterrer la légende. C’est une fin d’histoire assez pitoyable.

    La nuit où le berger calabrais va se pendre, il appelle Joey pour lui raconter ses déboires financiers. Il avait signé un contrat avec un certain John Cass et comme il n’avait pas honoré ce contrat, Cass lui collait un procès au cul pour plusieurs millions de dollars. Il se savait donc fait comme un rat. Au téléphone, il semblait nous dit Joey très détendu, mais il annonçait tout de même qu’il allait se foutre en l’air. Bien sûr, Joey n’en croyait pas un mot.

    Signé : Cazengler, badfinger dans le cul

    Badfinger. No Dice. Apple Records 1970

    Badfinger. Magic Christian Music. Apple Records 1970

    Badfinger. Straight Up. Apple Records 1971

    Badfinger. Ass. Apple Records 1973

    Badfinger. Badfinger. Warner Bros. Records 1974

    Badfinger. Wish You Were Here. Warner Bros. Records 1974

    Badfinger. Airwaves. Elektra 1979

    Badfinger. Say No More. Radio Records 1981

    Michael A. Cimino. Badfinger And Beyond. CreateSpace Independant Publishing 2011

    Bill Kopp. Maybe Tomorrow. Record Collector #487 - Christmas 2018

     

    La morsure du Cobra

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    Cobra Verbe et son chanteur John Petkovic sont probablement l’un des secrets les mieux gardés d’Amérique. Quand on parle de la scène de Cleveland, on mentionne généralement les Dead Boys et Pere Ubu, mais on oublie hélas Cobra Verde. Ce n’est pas la même époque, bien sûr, mais au niveau prestige, Cobra Verde vaut mille fois les Dead Boys. Six albums sont là pour le prouver. À commencer par l’excellent Viva La Muerte paru en 1994. C’est là que se niche «Montenegro» - Montenegro/ In your mountains of my worthlessness - Fabuleux balladif infectueux, hit en forme de puissant sortilège. Petko mène bien sa barque vers l’autre rive du Styx de l’underground. On trouve plus loin «Debt» qui sonne un peu pareil, avec un bel aperçu sur les abysses - She’s a suicide/ And I’m a cyanide/ Look at us die/ She cries I’m blind - Effarant ! Toutes les puissances des ténèbres se pressent dans le corridor - So in debt/ The days I’ve blown away - John Petkovic est l’un des grands auteurs américains. Même trempe que Mark Lanegan ou Greg Dulli. «Despair» sonne comme une vraie stoogerie clevelandaise. Tout est là, même les clap-hands. Son Awite est stoogy en diable et c’est claqué aux accords de Detroit. Petko jette de l’huile sur le feu, il chante son all the way to the bank à l’arrache impétueuse. Attention aussi au «Was It Good» d’ouverture de bal, car ça joue au funk clevelandais, avec de grosses dynamiques et une basse métallique, invendable mais si présentable. Cet album spectaculairement artistique se termine avec une sacrée doublette : «I Thought You Knew (What Pleasure Was)» et «Cease To Exist». Le premier reste très Velvet d’aspect. Petko vise l’explosion du bouquet final - Don’t make me wait - C’est exemplaire. Il va au bout du wait - I don’t wanna wait in the valley of kings - Puis il taille son Cease dans une matière d’apothéose, c’est très écrit, pulsé à l’ultraïque - I am the richess/ You are the pain/ I’ll never see you ever again - Voilà ce que les historiens appelleront dans 150 ans un classic album.

    C’est dans la presse rock américaine de type Spin que paraissaient les rares articles sur Cobra Verde, des textes plutôt bien foutus qui bien sûr mettaient l’eau à la bouche. Le journaliste qui les suivait en faisait une sorte de légende underground et Viva La Muerte répondit bien aux attentes. Cobra Verde devint comme les Saints l’un des groupes à suivre de près.

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    On retrouve les big atmospherix petkoviens sur Egomania (Love Songs) paru trois ans plus tard. Dès «Everything To You», on retrouve le charme toxique de «Montenegro». Beaucoup d’allure et gros impact - What else could I do but leave everything to you ? - Il lui laisse tout. Pekto a cette générosité, celle du big atmospherix, du larger than life, c’est tellement bardé de son, my son, il va même jusqu’à exploser les annales de sa rafale. S’ensuit un «A Story I Can Sell» battu à la vie à la mort et tout aussi dévastateur - I lost my pride/ I lost myself - On note l’indéniable power du Cobra Sound. Il s’adresse à des chicks from Babylon. Il chante tous ses cuts à la pire intensité de l’incandescence. Avec «Leather», Petko s’énerve - Born in different dreams/ Every stranger is an enemy - Il taille son rock dans la falaise, porté par un gros drive de basse - Same bed/ Different dreams - Ce mec est atrocement doué. Tiens, encore deux passages obligés : «Blood On The Moon» et «For My Woman». Avec Blood, il tape dans le heavy balladif captivant, atmospherix en diable, sacrément bien senti, bien foutu, bien ficelé, bien gaulé, tout tient par la présence de cette voix ultraïque. Même chose avec Woman, Petko fait son cro-magnon - I need to be your man - Quelle clameur ! - Yeah I’m gonna understand - Solide, punkoïde as the fuck of hell, solo de rêve, rond et flashy - You know I love you woman/ More than the world - C’est la réponse du Cobra au défi du love affair de deep end.

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    Backseat, champagne et poules pour la pochette du Nightlife paru en 1999. Une fois de plus, on se retrouve avec un très gros album dans les pattes. On le sent dès cette puissante démiurgerie clevelandaise qu’est «One Step Away From Myself». Ils nous bardent ça de son, nous cisaillent tout au riffing et il faut voir comme ça descend sur le manche de basse. En gros, ça dégueule de son. Il semble que Cobra Verde crée la sensation sans même le vouloir. Ils sortent un «Conflict» travaillé au corps défendant, bâti par des charpentiers de marine. Et puis soudain, on tombe sur le furieux et glorieux «Crashing In A Plane» - Baby I’m a detour - Petko ressort son meilleur guttural montenegrain - Baby I’m the dustbin - Il envoie ça à l’outrance princière, avec toute la bravado dont il est capable et le sax s’en vient rallumer les brasiers du Shotgun de Junior Walker. Véritable coup de génie que ce «Don’t Let Me Love You», véritable hit d’insistance parabolique - My baby’s desperation/ Is driving me insane - Il faut le voir touiller sa fournaise, c’est absolument faramineux de menace sous-jacente, effarant d’inventivité du glauque. Il n’en finit plus d’allumer les plus bas instincts du rock, il chante à la voix d’orfraie, porté par un sax de free en perdition mentale. Il reste encore une énormité sur cet album : «Don’t Burden Me With Dreams» qui sonne comme une délivrance catatonique, Petko charge en tête du Cobra, il chante à la vie à la mort avec toutes les foisons du monde. Il tape aussi «Casino» aux gros climats d’extrême violence, il s’en va laper du sang dans le creux des mains. Bel exploit aussi que cet «Heaven In The Gutter» tapé à la basse métallique. Ces mecs n’offrent que des solutions extravagantes, il faut le savoir. Joli coup aussi que ce «Back To Venus», ça joue au heavy groove de guitar slinger. Encore un cut que les Stones auraient sans doute rêvé de jouer.

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    Après cette fantastique triplette, trois membres originaux disparaissent : Don Depew, Dave Swanson et Goug Gillard. Frank Vazzano (guitar), Mark Klein (drums) et Ed Sotelo (bass) les remplacent pour enregistrer cet album effarant qu’est Easy Listening. Trop de son, sans doute. Trop écrit. Trop chanté. Comme le furent les grands albums des Pixies et des Saints. Un cut comme «Whores» frappe par la violence du volontariat. Petko explose la comète - I don’t care cause I got away - Ça explose des deux côtés, par le chant et par le son. Même chose pour «Terrosist» amené aux riffs de non-retour, Petko chante à la glotte en fer, c’est sa force. Back to the big atmospherix avec «The Speed Of Dreams». On a l’impression de voir cette merveille s’écrouler dans la mer comme une falaise de marbre. Ça tombe dans la bascule de l’énormité rien qu’au son du chant - I can’t remember how it is/ You disappeared - Avec «Riot Industry», il fait du rentre-dedans clevelandais. Ça se situe vraiment un cran au dessus du reste. Petko fait régner la terreur de son génie sur le rock américain. Il emmène très vite «Til Sunrise» dans l’enfer clevelandais et jette des lyrics de «Hosanna To Your Pretty Face» au ciel. On trouve un peu de Bowie en Petko, justement dans cette façon de jeter au ciel. Même genre de puissance. Cobra Verde est une vraie usine à tubes. Ils jouent «My Name Is Nobody» au surjeu et traînent leur «Mortified Frankenstein» dans un anglicisme à la Led Zep. Fantastique energy of surgery, fantastique shake up de yeah yeah yeah. Avec «Throw It Away», Petko retrouve son titre de champion du monde du Big Atmospherix - Raise a glass to the dead and gone - Et back to the big Cobra Sound avec «Here Comes Nothing», bardé de relents de Montenegro et forcément ça vire à l’énormité, wow, cette façon qu’il a de swinger et de crawler sous le boisseau du Cleveland Sound of steel, il embarque tout au chant comme dans «Debt».

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    Nouveau point commun entre Petko et Bowie : l’album de reprises réussi. Oui, car Copycat Killers est aussi brillant, aussi viscéralement bon que Pinups. Petko tape un peu dans les silver sixties, comme Bowie, avec l’«I Want You» des Troggs, qu’il transfigure au stomp de Cleveland, c’est l’une des plus belles versions jamais enregistrées, alone on my own. Quel fantastique écraseur de mégots que ce Petko, il fait son Reg du midwest, c’est punk jusqu’à l’os et il faut voir le départ en solo clevelandais, la torchère devient folle et éclaire la nuit comme un phare breton. Son prophétique, apocalypse démesurée, le solo place le Cobra au panthéon des crève-cœurs. Ils tapent aussi dans le «Play With Fire» des Stones. On s’étonnera toujours de la fascination des Américains pour la Stonesy de série B. Jolie reprise du «Yesterday’s Numbers» des Groovies. Petko veille à chanter à la Roy Loney. Eh oui. Ça donne une petite merveille d’absolutisme absolu. On les voit aussi taper dans un cut de New Order qui s’appelle «Temptation», qu’ils transforment en bête de somme. Petko tord le bras à la new wave pour lui faire pleurer des larmes de sang. Même traitement infligé à Donna Summer et à son hit diskö «I Feel Love». Petko et ses amis transforment ça en shoot de furie clevelandaise. Ah il faut voir le travail ! Quelle admirable incursion dans la pétaudière du dance-floor ! Autre coup de Jarnac : le fameux «Urban Guelilla» d’Hawkwind, ce hit qui rendit Lemmy tellement furieux car il fut censuré sur la BBC. Le Cobra nous claque ça à la volée, ils redonnent vie au vieux coucou d’Hawk, ils le gavent de toute la niaque du monde et développent une puissance de marteau-pilon. C’est embouti à la vapeur. Ils vont loin, bien au-delà du Cap de Bonne Expectation. Encore un hommage de taille avec the «Dice Man», hommage au géant de ‘Chester, Mark E. Smith, via le Diddley Beat, push push, les Clevelandais retroussent les manches, ce n’est pas si simple, et puis voilà le clin d’œil à Mott avec «Rock And Roll Queen», ils sautent au paf, avec de quoi ridiculiser cette vieille moute de Mott. On le sait, Cleveland est une ville infiniment rock. Comme à Detroit, le son, rien que le son. Belle cerise sur le gâteau : un «Teenage Kicks» amené à la baravado, c’est tout de suite over the rainbow, Petko le chante à l’urgence de la démence, c’est déjà un hit monstrueusement beau, alors tu imagines ça dans les pattes de ces mecs-là ! Ils ramènent les clap-hands, ils jouent comme d’habitude à la vie à la mort, c’est d’une profonde véracité fanatique. On sort de là à quatre pattes.

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    Paru en 2008, Haven’t Slept All Year est encore un album à tomber par terre. L’urgence du beat qu’on trouve dans «World Can’t Have Her» est sans équivalent. On voit ce diable de Petko entrer dans la danse et ça cisaille dans les parages. C’est bien lui, le beat clevelandais, assez ultime, ultra-chargé, d’une terrifiante puissance, c’est même battu au stomp des forges avec des breaks exacerbés et ce diable de Petko hurle dans la fournaise alors que coule l’acier liquide des riffs à la Zep. S’ensuit un «Wildweed» embarqué au meilleur rock de bonne constance. Allez-y les gars, c’est gagné d’avance. Pour ceux qui auraient raté un épisode, les Cobra Verde sont l’un des fleurons du rock américain. Ils font tout beaucoup mieux que les grands groupes, avec une énergie convaincante. C’est ultra-électrique, joué à fond de train, avec un roaring Petko au sommet de son art - I won’t let you go now - Un vrai modèle d’exemplarité concurrentielle. Petko renoue avec la magie des grands balladifs dès «Home In The Highrise». Véritable consécration eucharistique, c’est même un éclair dans le ciel de la pop, une Beautiful Song maximaliste, une merveille assez rare. Petko sait éveiller l’instinct d’un album à des fins mélodiques, cousues de fil blanc, certes, mais quel souffle ! On pourrait dire la même chose du «Haunted Hyena» qui referme la marche, d’autant qu’un killer solo flash lui en transperce le cœur. Ces mecs grouillent de coups de génie comme d’autres grouillent de puces. On trouve aussi un bel exercice de style intitulé «Wasted Again», tapé au groove de jump, assez risqué et pire encore : inutile. Même si les trompettes de Miles viennent saluer la confrérie. Autre cut intriguant : «Something About The Bedroom». Il s’agit là d’une puissante pop sous le boisseau, ou si tu préfères, un puissant boisseau sous la pop. Oui, le Cobra peut aussi sonner pop, presque anglais, même s’ils frappent la pop derrière les oreilles de la pop, et elle n’est pas contente. Elle devra s’arranger avec le batteur. Figure-toi qu’ils se montrent aussi capables d’Americana de haut vol avec «Free Ride» - Bye bye West coast - Quelle équipe ! Et quel album !

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    L’ère post-Cobra Verde porte le doux nom de Sweet Apple. Petko s’y acoquine avec J Mascis. Les journalistes appellent ça une rencontre au sommet. Leur premier album, Love & Desperation, paraît en 2009. La pochette est un délicieux pastiche de celle du quatrième album de Roxy Music, Country Life : deux belles poules s’y pavanent en petite tenue. Comme le Roxy, on ne l’achète que pour la pochette. Mais on est bien récompensé, car voilà le vieux stomp d’«Hold Me I’m Dying». Petko adore les grandes mesures. Encore de la viande en B, avec «Blindfold». Petko joue la carte du plomb, c’est-à-dire celle du heavy doom suspensif, hanté par les envolées cosmiques du vieux J, la sorcière du Massachusetts. «Somebody’s Else Problem» sonne comme un hit et J y fait carrément des chœurs de Dolls. On assiste là à une véritable débauche cobra-verdesque, une pavane de carrure extravagante. Tiens, tu as encore du heavy rock de Cobra avec «Crawling Over Bodies». Petko le coco revient à l’attaque avec des effets dévastateurs. Ce cut semble sortir tout droit de l’un des grands albums de Cobra Verde. Et ça continue avec «Never Came», fantastique et sur-puissant. Ah ces mecs-là savent ficeler un cut de rock ! C’est le filon du Cleveland rock, les mêmes racines que celles de Rocket From The Tombs. Ils bouclent ce disque ahurissant avec «Goodnight», solide et bien élancé. Avec un J en contrefort, ça donne de la power-pop moderne et riante.

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    Cinq ans plus tard paraît The Golden Age Of Glitter. On y trouve des invités de marque : Mark Lanegan et Robert Pollard, la fine fleur de l’underground américain. Avec Petko, on entre au royaume de la power-pop par la grande porte, et ce dès «Wish You Could Stay (A Little Longer)». Derrière, J ne chôme pas. Avec des mecs comme J et Petko, on a toujours l’impression de passer aux choses sérieuses. J bat le beurre sur «Reunion» et nos amis flirtent avec le Cheap Trick sound. «Boys In Her Fanclub» sonne comme l’absolu d’Absalon. Laissez tomber Paul Collins et écoutez ça, car on parle ici de haute voltige, d’une power-pop explosive et fraîche comme l’eau d’un torrent d’Écosse. Petko renoue avec son cher stomp de glam dans «Another Dent Skyline». Tous les vieux fans de Cobra Verde sont ravis de retrouver Petko le coco. Et en B ça dégénère avec «I Surrender». Ça s’envole littéralement. Quelle tenue et quelle ampleur ! Il faut voir avec quelle classe Petko manage ses syllabes dans le feu de l’action. J repasse à la guitare pour «Troubled Sleep» et il ramène sa violence proverbiale. En Amérique, il doit bien être le seul à savoir jouer comme ça, sans vergogne, avec un son épais, saturé, infesté de départs de solos apocalyptiques. Il rivalise de démesure avec Bob Mould. Lanegan vient chanter «You Made A Fool Out Of Me», un vieux heavy blues de circonstance. Et ils terminent cet album exceptionnel avec un nouvel hymne planétaire, «Under The Liquor Sing». Ils se situent immédiatement à la croisée des Raspberries et de Brian Wilson. Petko n’en finit plus d’exploser la coque de la power-pop pour en faire jaillir le lait jusqu’au ciel. C’est un homme libre qui chante à l’envie pure. Il réinvente le paradis et la clameur des anges.

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    Troisième set de Sweet Apple avec Sing The Night In Sorrow. La pochette montre le très gros plan d’une bouche nubile qui fume sa clope, sans doute en écho au délicieux Green Mind de Dinosaur. J Mascis joue essentiellement de la batterie sur l’album et laisse Tim Parmin s’exprimer sur «World I’m Gonna Leave You». John Petkovic cultive toujours ses idées suicidaires et ne souhaite qu’une chose : quitter ce monde cruel. On tombe très vite sur un hit avec «You Don’t Belong To Me». Quelle fantastique élévation power-poppy ! C’est la force du grand Petko que de savoir donner le l’élan. J Mascis revient à sa chère lead guitar sur «She Wants To Run». Voilà encore un hit inter-galactique, chanté à la puissance Byrdsy, mais en power mode heavy. En vérité, on pense plus au Teenage Fanclub, car cette pop roule joliment ses muscles sous la peau. Et J l’honore d’un solo exemplaire. En B, il reste en lead pour l’effarant «Candles In The Sun». On a là une sorte de heavy blues à la Screaming Trees. Admirable, beau et wild. J rôde dans le fond du cut comme un aigle en maraude, il joue loin là-bas dans l’écho du canyon, il plane sur le rock comme l’Empereur sur le pays des aigles, c’est-à-dire l’Albanie. Le tour de force se poursuit avec «Thank You». C’est littéralement bardé du meilleur son d’Amérique, voilà de l’heureuse pop de heavy rock et Pekto la mène au combat, il chante à l’énergie pure, avec toute la grâce et toute la bravado du pur rock’n’roll animal clevelandais. C’est bourré à craquer de stomp et J graisse sa disto à outrance. C’est le genre d’album qui marque la mémoire au fer rouge.

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    Quant à l’ère pré-Cobra Verde, elle porte le non moins doux nom de Death Of Samantha. Doug Gillard fait partie de cette aventure qui démarre en 1985 avec Strungout On Jargon. Sans doute leur meilleur album, mais à l’époque, on ne le sait pas. Cet album fourmille de hits, à commencer par le «Coca Cola & Liquorice» d’ouverture de bal. Petko chante ça comme un Beefheart de Cleveland, à l’incantatoire, avec un aplomb qui en dit long sur ses intentions. Quelle fabuleuse lutte intestine ! Quel brouet déterminant ! C’est joué au bactériel agressif, à la hargne du Midwest, celle des gens qui liquorisent en lice et qui poussent si loin le bouchon qu’on ne le voit même plus. Avec sa merveilleuse aisance ambulatoire, «Simple As That» renvoie directement au Velvet, car ils jouent ça la dépouille de Lou Reed. Petko scie plus d’un tronc et descend les vallées de son immense Jargon. Ça se corse encore en B avec «Grapeland (I’m Getting Sick)», violemment gratté à l’énergie du MC5. Petko et ses amis renouent avec l’énergie du Grande Ballroom, ils sortent la meilleure des attaques, ils vont vite et bien et Doug Gillard part en virée psyché en pleine cavalcade, alors forcément, ça sidère. Dans «Sexual Dreaming» Petko déclare : «I got to stop/ Sexual Dreaming». Le grand Doug Gillard nous infecte ça à coups de virées intestines. Petko étale ses whaooouh à la surface du groove, un peu dans le style de ce que fait John Lennon dans «Cold Turkey». Ils bouclent cet album captivant avec «Couldn’t Forget ‘Bout That (One Item)», un very big atmospherix. Dans ses moments de rage, Petko sonne comme Jim Morrison, il s’envole dans le taffetas des riffs du bout de la nuit. On a là un thème mélodique imparable doublé d’une atmosphère grandiose qui rappelle Adorable, ne serait-ce que par le côté brillant du dépôt de voix sur l’aile du désir. Là où Petko fait la différence, c’est quand il emmène sa chanson loin dans la démesure. Il la ravive et l’anime indéfiniment, And I got up to there.

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    Paraît l’année suivante un sacré beau brin de mini-album, Laughing In The Face Of A Dead Man. Pourquoi ce groupe n’a pas explosé comme un pétard dans la bouche d’un crapaud, on ne le saura jamais. On a là un rock extrêmement agité, bardé de son, avec de jolis échos de stonesy, joué au panache clevelandais, très désordonné, littéralement emmené à la force du poignet : bref, tout ce qu’on peut aimer dans le rock. Dans «Blood & Shaving Cream», on a tout le dépenaillé de braguette ouverte qu’on peut espérer. On retrouve en B l’énorme présence vocale de Petko dès «The Set Up (Of Madame Sosostris)». Ces mecs n’en finissent plus d’éclairer l’underground. Ils ont du répondant à revendre. Même chose avec «Yellow Fever», Petko n’en finit plus de ramener sa petite niaque clevelandaise - I’m so/ Sick sick sick.

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    Ils reviennent avec un nom d’album à coucher dehors : Where The Women Wear The Glory And The Men Wear The Pants. Ça saute à la gueule dès «Harlequin Tragedy». Petko en impose dès le git go. Il ramène sa fraise épique et bien enlevée et sort du cut vainqueur, avec un éblouissant final d’exaction mercuriale. Imbattable. Avec «Good Friday», ils sonnent presque comme les Damned - C’mon round ! - L’autre énormité de cet album se niche au bout de la B : «Blood Creek» : en voilà encore un chargé de son comme une mule, dira le voisin à sa fenêtre - We are/ Going to/ Blood Creek/ baby ! - C’est du rock décidé et sans compromission, une belle viande lardée d’intrusions, les deux guitares surjouent à la mortadelle du cheval blanc d’Henri IV, pas de tergiverse sur le Pont des Arts, ça swingue et ça avance. Petko chauffe son rock avec toute l’énergie clevelandaise - Blood Creek/ Put your hands/ Into the wa/ Ter ! - Dire que tout est bon sur cet album serait un euphémisme. On ne se lasse pas de la présence d’un tel son ni du panache d’un tel Petko. «Lucky Day (Lost My Pride)» sonne si américain. C’est extrêmement travaillé au corps. Avec «Monkey Face», ils trempent dans le Detroit Sound malevolent - You’re so evil - Comme Jagger qui ne supportait pas the man on the radio, Pekto ne supporte pas qu’on vienne lui raconter n’importe quoi on the TV et justement, il part en sucette jaggerienne d’I’m a monkey, et on assiste médusé à une fabuleuse sortie de route - Evil monkey/ Monkey evil ! - Et ça repart de plus belle en B avec «Savior City». Qui aurait pu se douter que l’album était aussi bon ? Petko pose encore une fois sa voix sur un admirable slab de rock, il cale bien son wording sur le beat d’acier bleu du midwest - No one seems to really care/ Baby/ What you’re talking about - Et ça continue avec «Start Through It Now» - We’re gonna have some fun tonite - Il faut dire que Doug Gillard joue comme un dieu. Il reste en effervescence permanente.

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    Pour leur ultime album, Petko et ses amis vont s’amuser à sonner comme les Dolls. Come All Ye Faithless va tout seul sur l’île déserte. En effet, trois cuts sonnent too much too soon, à commencer par «Geisha Girl» - Geisha Girl get in my Chevrolet/ We’ll make love the American way - Spectaculaire beau et sexy, comme les hits des Dolls. Tout y est, l’énergie du déroulé, les coups de cuivres et le bouquet final digne de Johansen. Même chose avec «Looking For A Face», fantastique déballage de rock samanthy - And we both know/ We’re looking for a face - Ce n’est pas le Looking for a kiss des Dolls, mais tout juste, car flamboyant et comme emporté. Ils remettent ça en B avec un «Machine Language» magnifiquement riffé. Doug et Petko se livrent à une sorte de carnage guitaristique de la pire espèce et on a toujours ce chant héroïque monté au dessus de la mêlée. Petko repart ensuite dans l’un de ces immenses balladifs crépusculaires dont il a le secret, «Oh Laughter». Ça s’étend à l’infini. Il est d’ailleurs l’un des grands specialistes de ce genre d’évasion. Avec «New Soldier/New Sailor», il raconte une nouvelle histoire d’amour, mais il ne traite jamais ça deux fois de la même façon, il trouve chaque fois un nouvel angle - You know and I say/ That we’re both big nothings - Et voilà qu’avec «Come To Me», il sonne exactement comme le Jim Morrison de «When The Music’s Over». Il chante à la supplique de la vint-cinquième heure. Ce mec reste tendu de bout en bout. Quel chantre de la désespérance relationnelle ! Il clame tout à la clameur de la chandeleur.

    Signé : Cazengler, cobra cassé

    Cobra Verde. Viva La Muerte. Scat Records 1994

    Cobra Verde. Egomania (Love Songs). Scat Records 1997

    Cobra Verde. Nightlife. Motel Records 1999

    Cobra Verde. Easy Listening. Muscle Tone Records 2003

    Cobra Verde. Copycat Killers. Scat Records 2005

    Cobra Verde. Haven’t Slept All Year. Scat Records 2008

    Sweet Apple. Love & Desperation. Tee Pee Records 2009

    Sweet Apple. The Golden Age Of Glitter. Tee Pee Records 2014

    Sweet Apple. Sing The Night In Sorrow. Tee Pee Records 2017

    Death Of Samantha. Strungout On Jargon. Homestead Records 1985

    Death Of Samantha. Laughing In The Face Of A Dead Man. Homestead Records 1986

    Death Of Samantha. Where The Women Wear The Glory And The Men Wear The Pants. Homestead Records 1988

    Death Of Samantha. Come All Ye Faithless. Homestead Records 1989

     

    Laughter ne rigole plus

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    Perdu dans l’océan des groupes garagindés américains, il y avait ce groupe au nom rêveur, Love As Laughter. Remember ? Spin qui fut dans les années 90 le canard référentiel en la matière disait le plus grand bien de ce groupe et donc on suivait les recommandations de Spin.

    Love As Laughter se distinguait des autres groupes garagindés par un côté expérimentateur qui n’était pas sans rappeler l’early Sonic Youth. Bon, ça pouvait engendrer quelques malentendus, mais au fond, ce n’était pas si grave. Comme beaucoup d’autres pêcheurs, Sam Jayne et ses amis cherchaient le chemin de la rédemption. Il se peut d’ailleurs que Sam Jayne l’ait trouvé, car en cassant sa pipe en bois, il est monté tout droit au paradis.

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    Il ne nous reste pas que nos yeux pour pleureur. Sam Jayne laisse aussi cinq albums extrêmement intéressants qui au temps de leur parution furent toujours salués dans une certaine presse. Avec son air de ne vouloir toucher à rien et sa chemise à carreaux, Sam Jayne était capable de coups de génie. On en trouvait deux sur ce premier album si difficile à trouver à l’époque, The Greks Bring Gifts. À commencer par l’incroyable «Singing Sores Make Perfect Swords», cette heavy oh so heavy Beautiful Song tartinée au riff de plomb, cette rengaine d’une beauté béatifiante plongée dans le meilleur vinaigre d’Amérique, ces mecs développaient un climax mélodique digne des grandes heures du Duc de Mercury Rev. C’est un Sores qu’il faut saluer. L’autre merveille de cet album s’appelle «Half Assed». Sam Jayne chante à l’anglaise, maybe I’m half to be, mais il le fait de manière seigneuriale, comme s’il avait grandi en Franche-Comté en 1210. Et voilà qu’il part à dada avec «Eeyore Crush It». En sortant son dada flush, il frise l’excellence inversée, il va loin dans le cat cat cat, il a du dada plein la disette, c’est fabuleux de non-sens. Du coup, il devient éminemment sympathique. Et ce n’est pas fini, il dispose de ressources insoupçonnables, comme le montre encore «If I Ever Need Someone Like You». Il va là où le vent le porte. Il nous fait le coup du balladif d’arpèges magiques, tu veux du by one ? Il est là. Sers-toi. Les LAL, comme les appellent les journalistes, cultivent aussi la démesure, comme le montre l’«It’s Only Lena» d’ouverture de bal. C’est sur-saturé de son et Sam Jayne chante en plein cœur de tout ce bordel. Par contre, ils ont pas mal de cuts invertébrés qui n’avaient aucune chance d’atteindre le rivage. Le rock indé introverti était insupportable. Les marchands classaient Love As Laughter dans le bac du garagindé, alors qu’ils n’avaient rien à voir avec ça. Ils s’apparentaient plus à une sorte de mouvance dada paumée, enfin disons qu’ils affichaient clairement leur mépris des conventions. Comment pouvait-on écouter des trucs comme «Uninvited Trumpets» ou «Next Time You Fall Apart» à l’époque ? Ces cuts invertébrés n’avaient aucune chance. Mais on s’extasiait encore de «High Noon». Sam Jayne devenait une sorte de fabuleux essayiste, il testait des idées de son à mains nues avec de l’harmo et du gratté d’acou, alors on lui accordait du temps.

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    Deux ans plus tard, les LAL réapparaissaient avec #1 USA, un album dramatiquement privé d’information. Le packaging du CD est réduit à sa plus simple expression. Merci K. Ça veut dire en clair : débrouille-toi avec les chansons. Il faut attendre «Fever» pour retrouver la heavy disto de Sores. Et en plus Sam Jayne chante ça à la dégueulante maximaliste. Il est capable d’excès terribles, il faut entendre ses hoquets de dégueulade et cette guitare qui s’étrangle dans le prurit. Sur cet album, il rend deux hommages superbes : le premier aux Stones avec «Pudget Sound Station», un rumble de Stonesy drivé d’une main de fer, le deuxième au Velvet avec «I Am A Bee», gratté au no way out, et là il explose littéralement le fantôme du Velvet, il drive ça de main de maître. Il fait aussi un heartbreaking Blues avec «Slow Blues Fever». Sam Jayne sait allumer la gueule d’un heavy blues, pas de problème. Il propose aussi un «California Dreaming» ravagé par les vinaigres. C’est violent et sans espoir. Ces mecs jouent dans une sorte de dimension supérieure. Le «Old Gold» d’ouverture de bal est assez révélateur. Ils drivent ça comme on drivait les choses à l’époque, au riffing féroce. D’ailleurs, ils grattent pas mal de cuts sans peur et sans reproche. Ils étaient les chevaliers Bayard des années 90.

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    Ils débarquent sur Sub Pop en 1999 pour Destination 2000. C’est leur album le plus connu et sans doute celui qui s’est le mieux vendu. Dès le «Stay Out Of Jail», on sent les chevaux vapeur, comme dirait Lavoisier. Mais il faut attendre «On The Run» pour retrouver l’ampleur compositale de Sam Jayne. Il nous sort là les power-chords de la romantica et retrouve sa couronne de roi des Beautiful Songs. Puis il passe à son autre marotte, qui est celle des énormités, avec le morceau titre, joué à la ferveur du chaos, un cut bardé de tout le barda du régiment, il gave ses cuts de son et développe des puissances incontrôlables, et boom, voilà que ça explose dans un final dément avec du piano et des cascades du Niagara dans les sous-couches. C’est stupéfiant ! Sam et son gang repartent à l’assaut du ciel avec «Stakes Avenue», ils deviennent passionnants, ils créent leur monde à coups de douches froides et montrent d’excellentes dispositions au power. En prime, Sam Jayne screame son ass out. Nouveau shoot de Stonesy avec «Statuette». Ils ont du répondant à revendre et ils savent lester un cut de plomb. Quel power ! Nouveau prodige avec «Freedom Cop». Sam Jayne arrose son délire de délire, il n’en finit de montrer des dispositions à tout, il fait même du distodada. Quelle singulière aventure que cet album ! Voilà un nouvel épisode avec «Demon Contacts», un mélopif de type Sister Morphine. C’est exactement la même ambiance - Are you sick of fucking your life - Même délire que When are you coming round, Sam the charm jette tout son pathos dans la balance et pour ça, cet enfoiré a la main lourde. Quel stupéfiant power de la mainmise ! Il explose tout. Les tenants fondent dans la graisse des aboutissants. Merci de ne pas prendre Sam Jayne pour un branleur. Il termine son album avec le big surge de «Body Double», au no way out. C’est le côté Sam de Sam, il peut lui exploser la gueule si l’envie lui en prend. En attendant, c’est bardé de gaga à gogo. Il faut aussi le voir amener son «Margaritas» au run down de mec qui va tomber à la renverse. Belle potée aux choux. Ça sonnerait presque comme un hit tellement c’est parfait.

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    On reste dans les gros disks énergétiques de Sub Pop avec Sea To Shining Sea paru en 2001. On y va de bon cœur car comme Nash Kato dans Urge Overkill ou encore Greg Dulli dans Afghan Whigs, ce mec Jayne a un truc. Son «Coast To Coast» d’ouverture de bal est dévastateur. On comprend qu’ils aient pu se bâtir une grosse réputation. En plus, ça sent bon les drogues. Sam Jayne chante son «Temptation Island» à la petite précipitation. Il cherche le train wreck et chante comme une folle échappée de l’asile. Il entre dans le territoire des énormités avec «Sam Jayne = Dead», un cut terriblement précurseur. Il sonne exactement comme Neil Young dans le Gold Rush - Shoot me in the hand man - Il demande à l’autre de lui faire un shoot dans la pogne alors bienvenue dans le délire de LAL, dans ce fabuleux shake de druggy motion. Monstrueuse dérive ! Il revient à l’experiment avec «Put It Together» et 8 minutes de blast all over, il colle tous les morceaux au plafond d’un rock acrobatique. C’est le rock de Jayne, Sam, mais en même temps il faut suivre. Et puis avec «Miss Direction», il bascule dans le Dylanex. Il est le boss du disk. Et voilà revenu le temps des cerises avec «Druggachusetts». Wow, ça sent bon la titube. Il mise sur sa connaissance des gouffres et ça passe par des excès, il sature ça de solos clairs et nous entraîne dans sa misère psychologique. C’est explosif et beau à la fois, mais d’une beauté plombée comme peut l’être celle de Syd Barrett. Il fait une fois de plus exploser son cut en lui enfonçant un pétard dans le cul. Et ça continue avec «French Heroin», explosif d’entrée de jeu, allumé aux accords de white heat, incroyable renversement des réacteurs abdominaux, le cut explose dans l’œuf du serpent, c’est violent, vraiment digne du Velvet. Sam Jayne a du génie, qu’on se le dise. Il faut le voir allumer sans fin son «French Heroin», il vise la fin des limites qu’on appelle aussi l’infinitude et chante à la clameur fatale de la vingt-cinquième heure. Ses morceaux longs ne tiennent que par l’intensité de la fournaise, comme ceux de Lou Reed au temps du Velvet. Il faut le voir se jeter dans le combat. Beautiful loser.

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    Le dernier album de LAL date de 2005 et s’appelle Laughter’s Fifth. On y dénombre pas moins de trois coups de génie, pas mal pour un groupe underground, non ? Avec «Every Midnight Song», il repasse un contrat avec la heavyness. Son truc à trac, c’est le big atmospherix. Alors voilà une belle tempête de sonic trash demented. Sam Jayne redevient le temps d’un cut le prince des ténèbres et du débordement. Il se montre encore extrêmement passionnant avec «I’m A Ghost». Il a des idées de son et entre vite dans le vif du sujet. Il drive son power surge dans une madness de ponts audacieux comme pas deux et ça explose de bonheur, aw comme ce mec est doué. Il joue sur les alternances avec du fruit dans le son. Avec «Pulsar Radio», ils se prennent pour les Spacemen 3, puisque c’est amené à l’orgue des drogues. L’ambiance évoque une fois encore le Velvet, Sam Jayne hurle dans le chaos spongieux et là tu vois défiler toute l’histoire du rock, mêlée à son désespoir et à ses tempêtes. Sam Jayne bat bien des records de puissance. Il peut aussi faire son Neil Young comme le montre «An Amber» et tremper son biscuit dans le Crazy Horse, comme le montre «Survivors», mais quand il le faut, il sait ramener des paquets de mer. Il ramène même du Tonnerre de Brest dans «Fool Worship Fool Worship». il claque sa pop-rock sur une guitare rouillée et cultive l’effervescence.

    Signé : Cazengler, torve as laughter

    Sam Jayne. Disparu le 15 décembre 2020

    Love As Laughter. The Greks Bring Gifts. K 1996

    Love As Laughter. #1 USA. K 1998

    Love As Laughter. Destination 2000. Sub Pop 1999

    Love As Laughter. Sea To Shining Sea. Sub Pop 2001

    Love As Laughter. Laughter’s Fifth. Sub Pop 2005

     

    *

    Les temps ne sont pas roses pour les groupes. Une année épineuse pour tout le monde. Les avoir privés de concerts c'est comme leur avoir ôté leur raison d'être. En attendant la reprise chacun s'est organisé selon ses moyens. Certains ont sorti un disque, d'autres se sont rabattus sur les radios, on a tourné des clips, on a jammé entre copains, on a joué live devant un public absent calfeutré chez lui derrière l'écran de son ordinateur... bien sûr il y a eu des concerts sauvages de-ci de-là, mais il vaut mieux ne pas ébruiter... Big Brother is hearing you.

    Rita Rose est un groupe de reprises, AC / DC, Stones, Pixies, Steppenwolf, des gens que l'on imagine jeter leur dévolu plus facilement sur Guns N' Roses que Les Roses Blanches de Berthe Sylva. A défaut de scènes se sont réunis exactly au DGD Music Studio, et là l'idée leur est venue qu'au lieu de transplanter les boutures déjà existantes ils pourraient créer comme dans le roman d'Alexandre Dumas leur propre tulipe noire. N'ont pas l'âme commerciale, ils ne vendent rien et on ne les achète pas, donc ils l'ont laissé en accès libre et chacun peut la cueillir à sa guise.

    TOMORROW MAYBE

    RITA ROSE

    ( Clip / YT )

    Chant : Dénis / Guitare : Eric Coudrais / Guitare : Manu Doucy / Basse : Jean-Claude Aubry / Batterie : Michel Dutot.

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    Quand on a lu dans le paragraphe précédent leur goût pour les reprises hot, l'on est sûr qu'ils vont extirper triomphalement de leur hotte une espèce de hot-rod brûlant dégoulinant de bruit et de fureur, pas du tout, z'ont opté pour la douceur et la nostalgie, une ballade électrique, qui vous emmène doucement en balade, vous prend par la main et vous entraîne sur un sentier tapissé de pétales de roses. Malheureux vous marchez les yeux fermés sur la sente des vipères. Ce Dénis, quel enchanteur, une voix qui coule comme de l'eau pure. N'y buvez pas elle est empoisonnée. Ensorcelante, cascade comme du kaolin sur le verre de vos artères, vous mène par le bout des oreilles, vous emplit le cœur de mélancolie, vous phagocyte la mémoire de souvenirs beaux comme hier, les guitares glissent et la batterie vous attire plus qu'elle ne vous pousse, demain le monde sera plus beau et la nuit s'évapore et l'aube se lève, Rita vous passe exactement le film que vous vous tournez dans votre tête, méfiez-vous des magiciens, ils pétrissent à votre guise la gangue de vos émotions, vous emportent sur les tapis volants des rêves vertigineux d'innocence, et vous suivez la route que l'on vous trace, plus vous avancez plus vous retournez vers le néant du passé et vous vous croyez en partance pour un futur radieux, mais c'est la fin, un susurrement de langue d'aspic et le doute s'installe en vous pour toujours. Seriez-vous cette abeille enivrée dans le calice refermée d'une rose carnivore. Peut-être.

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    Maintenant que vous avez rouvert les yeux, vous vous apercevez qu'ils sont plus cruels que vous ne l'imaginiez, le clip est empli d'images muettes et remuantes des concerts d'avant...

    Damie Chad.

     

    LEE O' NELL BLUES GANG

     

    Bien avant le temps de la prohibition les vieux bluesmen ne voyageaient pas de ville en ville les mains dans les poches, bien sûr se dépatouillaient pour porter leur guitare, mais la plupart n'oubliaient jamais de se munir de leur assurance tous risques, rien de mieux qu'un calibre en état de marche pour faire son chemin dans la vie. Les temps étaient durs, il était nécessaire de savoir se défendre contre les aigrefins de toutes espèces avec des arguments convaincants. L'association des mots blues et gang s'avère historialement correcte, reste encore à savoir qui se cache derrière cette redoutable association.

    Sont français. Cette précision ne relève d'aucun chauvinisme, simplement le fait que l'on peut être amené à les rencontrer au hasard de nos pérégrinations. Respirons, ne sont que deux. Pas beaucoup, mais pensons au gang Barrow plus connus sous le nom de Bonnie and Clyde, justement, sont bâtis sur le même modèle, un couple, aussi venimeux qu'une paire de crotales qui auraient élu domicile dans une de vos bottes ( voir la Mine de l'allemand perdue de Blue Berry ), donc un gars Lionel Wernert et une gerce Gipsy Bacuet. Pas des tendrons de la dernière couvée, citer la liste des mauvais coups auxquels au sein de diverses formations ils se sont livrés, soit séparément, soit ensemble, serait trop long. Ils ont fini par se faire repérer, l'agence Bluekerton de la revue Soul Bag les tient à l'œil. En ces temps covidiques ils ont réussi un gros coup, ils ont sorti en décembre 2020 un album Shades of Love, en cette occasion a éclaté au grand jour les ramifications secrètes de leur influence occulte, notamment leur amitié avec Fred Chapelier, une sommité du blues ( blanc rouge ).

    WALKING BY MYSELF ( YT )

    Vocal : Gipsy Bacuet, Leadfoot Rivet, Fred Chapelier, Neal Walden Black / Guitars : Lionel Werner, Fred Chapelier / Slide : Neal Walden Black /  Drums : Jonathan Thillot / Bass : Philippe Dandrimont / Keys : François Barisaux

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    Walking by myself because Jimmy Rogers a longtemps été dans l'orchestre de Muddy Waters, vous le chante d'ailleurs assez gentiment sur une rythmique qui musarde doucettement, notre gang le commence comme finissaient les morceaux de musique dans l'antiquité, tous les instruments ensemble en une espèce d'apocalypse sonore, puristes du blues ne criez pas au scandale, le balancement de gondole vénitienne particulier à la zique bleue, il arrive très vite, prenez cette expression au pied de la lettre, sur une espèce d'aircraft électrisé qui fonce droit devant sans se poser de question sur la métaphysique du blues, la Gipsy elle n'aime pas que les gars se reposent, vous envoie le vocal à la batte de baseball et chacun essaie ( et réussit ) de rester sur le même diapason, deux solo de corrida et des lyrics à la rasetta entre les cornes du taureau impulsif. C'est du rapide et ça se déguste, donc il faut réécouter septante sep fois. Avis personnel : ne vous laissez pas happer par les photos réalisées lors de l'enregistrement, elles mangent votre attention et vous empêchent de vous plonger dans la musique, qui vous attend gueule ouverte style les dents de la mer.

    ALONE ( YT )

    ( Official Music Video )

    Vocal : Gipsy Bacuet / Guitars : Lionel Werner, Fred Chapelier / Drums : Jonathan Thillot / Bass : Philippe Dandrimont / Keys : François Barisaux

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    Tout ce que vous n'avez pas eu le temps de goûter à sa juste valeur dans le morceau précédent, Alone vous le permet, les images bistres suivent les musiciens de près, les doigts sur les guitares et le bonheur dans la prise. Ne chôment pas pour autant, mais Gipsy a dosé un entrefilet de jazz dans sa manière distinguée de dispatcher les syllabes, elle n'essaie pas d'arriver la première, elle pousse vers le haut, du coup les guitares prennent de l'altitude et deviennent aériennes. Ici la rythmique ne joue pas à la terre brûlée, rapide et relax en même temps, Lionel et Fred se tirent la bourre de la fraternité, montrent ce qu' ils savent faire, mais sans esbroufe, pas à la m'as-tu-vu-je-te-tue, ils distillent leur style félin flexible sur les fusibles, un régal.

    DIFFERENT SHADES OF LOVE ( YT )

    ( Live / La Scène / Sens / Octobre 2020 )

    ( Organisé par l'association Red & Blue 606 )

    Vocal : Gipsy Bacuet / Guitars : Lionel Werner / Drums : Jonathan Thillot / Bass : Philippe Dandrimont / Keys : François Barisaux

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    Blues, soul, rock, tout ce que vous voulez, les gars ont une chanteuse avec eux, alors ils la servent, la gâtent, sont à ses petits soins, pas un qui essaie de tirer la couverture à soi, mais sans cesse un petit yoyo à lui refiler sous chaque intonation, l'air de rien, sans démonstration, juste de temps en temps un petit sourire satisfait car tout baigne, z'auraient d'ailleurs tort d'essayer de se pousser devant, car Gipsy elle survole, l'épeire qui danse dans le soleil de l'aurore sur la toile perlée de rosée, une équilibriste, une funambule, n'a pas le vocal bancal, elle hausse à peine le ton et le monde change de couleur, n'en fait jamais trop, une simplicité renversante, vous donne l'impression qu'elle lit à mi-voix la liste des commissions, mais avec une aisance, un tact et une classe infinis. Le tout sans la froideur de la perfection, sans ostentation, infiniment naturelle.

    Damie Chad.

     

    BURRIED MEMORIES

    ACROSS THE DIVIDE

    ( Clip / YT / 04 – 04 -2021 )

     

    Dans notre livraison 497 du 11 / 02 / 2021 nous présentions Disaray le dernier CD de Across The Divide, nous en avions profité pour évoquer certaines vidéos reprenant certains titres de l'album. Au début du mois est parue une nouvelle vidéo de Regan MacGowan illustrant le deuxième titre de cet opus, que nous avons beaucoup apprécié, un artefact soigné tant au niveau esthétique que musical.

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    Le clip est à l'image de Across The Divide, un objet fini qui se suffit à lui-même qui de surcroit est facile à appréhender puisqu'il est loin d'atteindre les cinq minutes. De belles prises de vue, un bon son, d'une lecture agréable et facile. Apparemment une situation idyllique, le groupe en pleine nature interprétant une de ses dernières œuvres. La face claire des phénomènes. Cette dernière phrase induit qu'elle coexiste avec une face plus sombre.

    Nous n'en dirons pas plus ne voulant pas davantage effleurer le contenu de cette chose. La chose diffère de l'objet, si l'objet relève du mental, la chose participe du mystère de sa propre présence. L'esprit ne l'a pas scannée. Elle fait encore partie de l'informe, du mystérieux, du menaçant, ce n'est pas qu'elle serait non humaine, c'est qu'elle est a-humaine. D'une nature autre. A vous de regarder ce clip. Pas uniquement du début à la fin. De d'avant le début à après la fin. Sachez voir. Ensuite vous êtes libre de l'interprétation. Quand on raconte une histoire, l'on n'est pas obligé de tout dire, à vous d'interpréter les indices. De monter votre propre scénario. A partir de vos malaises et de vos angoisses, et de la réalité dans laquelle vous évoluez.

    Ce clip est une merveilleuse réussite, une clef qui s'adapte à de nombreuses serrures. Choisissez la porte qui vous correspond. Celle d'ivoire ou celle d'ébène.

    Damie Chad.

     

    TROIS CARTOUCHES POUR

    LA SAINT-INNOCENT

    MICHEL EMBARECK

    ( L'Archipel / Mars 2021 )

     

    Fût-il aristocrate Michel Embareck pourrait se vanter d'avoir des ancêtres qui auraient participé à la première croisade, ceci pour vous dire que notre homme possède ses quartiers de noblesse rock, n'était-il pas une des plumes des plus talentueuses qui en des temps anciens s'illustrèrent dans la revue Best. Si le nom de ce magazine ne vous dit rien c'est que vous êtes jeunes, ce qui n'est pas, je vous rassure, une tare rédhibitoire... Depuis Michel Embareck a publié une bonne trentaine d'ouvrages, nous avons déjà chroniqué en ce blog-rock Jim Morrison et le diable boîteux ( livraison 322 du 29 / 03 / 17 ) et Bob Dylan et le rôdeur de minuit ( livraison 361 du 15 / 02 18 ), le voici qui revient parmi nous avec un roman, qualifié selon sa couverture, de noir. Evitez les raccourcis dangereux, noir ne signifie pas policier.

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    Certes vous avez un cadavre en ouverture, dès le premier chapitre, mais ce n'est pas le bon, celui-là s'apparente à un cadeau Bonux, circulez il n'y a rien à voir, très vite nous tenons l'assassin, une femme ( elles sont dangereuses ), inutile d'endosser votre chapeau à la Sherlock et de vous munir d'une loupe pour les indices. L'Embareck ne vous laisse pas dans l'embarras, nous refile son nom et nous signale qu'elle a depuis longtemps été jugée et qu'elle a purgé sa peine. Ce n'est pas non plus une serial killer qui aurait avoué un meurtre pour mieux faire silence sur les soixante autres bonshommes qu'elle aurait précédemment occis sans que nul ne la soupçonne. Bref le livre commence alors que l'histoire est terminée, je n'ose pas écrire morte et enterrée.

    La victime est aussi au fond du trou. Un gars sympa, un blouson noir – chez Kr'tnt cela équivaut à un certificat de bonne conduite - un bosseur, certes il tapait peut-être sur sa femme – c'est elle qui le dit – mais qui en ce bas-monde n'a pas ses petits défauts... Elle devait bien aimer ça puisqu'elle s'était mariée avec lui.

    Donc Michel Embareck rouvre l'enquête. Pourquoi pas. Toutefois quelques détails nous interpellent quant à cette démarche. Premièrement, il ne fait pas cela au grand jour, se déguise en journaliste, pour brouiller les pistes, pour qu'on ne le reconnaisse pas, lui l'amateur émérite de rock'n'roll, il s'adjuge le nom d'un musicien classique : Wagner. Deuxièmement : il nous tend un piège, file au lecteur un détail foireux à se mettre sous la dent. Dans quel ordre ont été tirées les trois bastos qui ont envoyé l'innocent trucidé ad patres ? Non il n' y a pas de troisièmement. Notre perspicacité nous permet dès maintenant de vous filer la véritable identité du meurtrier. Ne poussez pas des oh de stupéfaction ou d'indignation en l'apprenant. Nous fournirons les preuves et les terribles révélations qui marchent avec, dès la fin de ce paragraphe. Tiens, il est fini.

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    Le criminel c'est... Michel Embareck ! Mais enfin Damie tu dérailles, n'est-ce pas Jeanne Moreau – pas l'actrice, l'autre – qui s'est dénoncée elle-même à la gendarmerie, z'oui âme naïve, mais c'est Michel Embareck qui a créé le personnage de Jeanne et l'assassinat de son mari. Il en est donc pleinement responsable. L'auteur du crime, c'est lui. Mais ce n'est pas tout. Ce n'est qu'un début. Assez médiocre quand on connaît la suite. Ne jetons pas la pierre sur Michel Embareck, ce n'est pas de sa faute, l'a sans doute été atteint du terrible syndrome du tigre altéré de sang. Mangeur d'hommes. Et de femmes. ( Soyons respectueux de la parité ).

    Un peu la problématique de la carabine. Si elle ne tire qu'un coup et si vous attrapez un coup de sang, vous ne tuez qu'une seule personne. A répétition, c'est le carnage. L'aurait dû intituler son book, ''Midnight rambler sur piste sanglante'', au long de son enquête l'Embareck wagnérien, il ne s'économise pas, vous offre la tétralogie in extenso, Crépuscule des Dieux compris avec embrasement final terminator. Méfiez-vous si vous ouvrez le bouquin, attention aux balles perdues, parce que l'Embareck en colère ne respecte personne, l'est prêt à abattre son lecteur ( et même sa lectrice ) sans sommation si sa figure ne lui revient pas. Non, n'ayez pas peur, il ne dum-dumise pas au fusil à cinq balles mais à symboles. Plus il avance dans son enquête plus notre confiance en nos institutions s'estompe. N'épargne aucune de nos vaches sacrées. Remonte le troupeau jusqu'au vacher en chef. Un crime peut en cacher un autre.

    Attention dear kr'tntreaders, ne vous précipitez pas sur une courageuse lettre anonyme pour dénoncer aux autorités la malfaisance anarchisante de cet ignoble individu qui répond au nom de Michel Embareck, c'est que pour le moment nous n'avons traité que le roman. L'intrigue romanesque si vous préférez. Le plus dur reste à venir. On vous a avertis, c'est noir. Très noir. Non, pas tout à fait le noir anarchie. Plutôt le noir opaque. L'est comme cela l'Embareck vous raconte une petite histoire de rien du tout. Une bonne femme qui se débarrasse de son mari. Ça ne va pas chercher loin. Vingt ans maximum. ( Vingt ans pour avoir tué un blouson noir, perso je lui en aurais filé quarante et l'on n'en parlait plus. ) Le malheur c'est qu'à partir de ce fait divers, Michel Embareck vous fait visiter les sept cercles de l'Enfer de Dante.

    Depuis la Divine Comédie les choses ont bien changé, l'Enfer n'est plus en Enfer, s'est déplacé, l'est partout, ses tentacules ont envahi le Purgatoire et le Paradis. Ce ne sont plus les morts qui occupent l'Enfer mais les vivants comme vous et moi qui y résidons. Vous pensez que j'exagère, que je dépeins l'existence terrestre sous une couleur un peu trop sombre. Vous avez totalement raison. C'est plus que sombre, c'est noir. ( Cf la couverture ).

    Michel Embareck se gausse tel un gosse, il laisse traîner le fil de l'intrigue et vous vous amusez à le tirer. C'est idiot parce que c'était le cordon du bâton de dynamite qui vous explose à la figure. Ah ! vous croyiez être dans un livre policier, erreur sur toutes les lignes, Embareck vous a embarqué dans un essai politique. Philosophiquement parlant traduisons par : Marx a remis la dialectique de Hegel sur ses pieds. Les crimes ne sont que le miroir de notre société. Si vous inversez la phrase cela donne : notre société est criminelle.

    Imaginons que vous soyez de bonne composition. D'accord Damie, Michel Embareck n'a pas tout à fait tort, plus on monte dans la pyramide, moins c'est beau. Vous vous rendez à la raison, oui dear lector avec Embareck l'on part de la mésentente d'un couple pour se retrouver tout en haut, nous l'avons déjà dit, mais en reconnaissant cela vous n'aurez fait que la petite moitié du chemin. En fait vous vous débrouillez pour ressortir de cette histoire ( noire ) blanc ou blanche comme neige, ce n'est pas moi, c'est les autres. Ben non ! vous démontre Embareck que vous aussi ( pas tous, beaucoup d'élus mais peu qui refusent de céder à l'appel trompeur ) vous marchez dans les entourloupes, pardon vous y courez, vous y galopez ventre à terre, car vous êtes totalement manipulés par les instances politiques, médiatiques et marchandiques, elles ont bien compris que vous ne croyez plus en leur combine, alors elles vous préparent et vous proposent la contre-combine, voire l'anti-combine, pour soi-disant esquiver la première, mais qui dans les faits se révèlent encore plus piégeuses. Ce n'est pas de votre faute, c'est que vous êtes bêtes.

    Pas moi ! Pas moi ! tout ça c'est de la théorie de l'emberlificotage, vous écriez-vous, alors Michel Embareck qui est très gentil, vous plonge le nez dans votre caca, au moins vous n'êtes pas dépaysé, vous parle du quotidien dans lequel vous tracez votre route, et c'est-là qu'il décanille sec, vous ouvre les yeux, vous révèle ce que Balzac nommait l'envers de l'histoire contemporaine, vous n'êtes que des marionnettes qui récitez le texte que l'on attend de vous. Vous sciez en toute stupide bonne foi la branche sur laquelle vous êtes assis, vous vous attaquez à ceux qui vous ressemblent mais qui gardent une vision claire de la situation que vous n'êtes plus capable d'appréhender...

    Ce n'est pas un livre optimiste. Michel Embareck ne se gêne pas pour crever les baudruches des idées nouvelles qui embrasent les fausses colères des révoltes auto-immunes. Talentueux et jouissif, surtout quand il porte direct la main au saint du sein.

    Aux lecteurs innocents, la cervelle pleine ! Distribution gratuite de coups de pied au cul pour les autres. Ce dernier mot s'entend aussi au féminin.

    Damie Chad.

     

    SURVIVOR

    ERIC BURDON

    ( 1977 )

     

    Lead vocals : Eric Burdon / Keyboards : Zoot Money – John Bundrick – Jürgen Fritz / Guitar : Alexis Korner – Frank Diez – Colin Pincott – Geoff Whitehorn – Ken Paris + vocals / Bass : Dave Dover – Steffi Stefan / Drums : Alvin Taylor / Backing vocals : Maggie Bell – P. P. Arnold – Vicky Brown

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    Une belle pochette due à Jim Newport. Un disque à la croisée des chemins pour Burdon. Ne sait plus trop où il en est. L'aventure War est terminée depuis longtemps mais en 1976 est sorti un album de vieilles bandes, il remonte la pente avec la création d'Eric Burdon Band, les Animals datent de la préhistoire pourtant quelques mois après la sortie de ce Survivor sortira le disque de la re-formation originale et cette aventure parallèle durera pratiquement jusqu'au milieu des eigthies, et il faudra attendre 1980 pour un nouveau disque d'Eric Burdon, preuve que le Survivant n'a pas trop bien survécu son titre fait froid dans le dos : Darkness, darkness... Survivor est enregistré en Angleterre, dans la flopée des musiciens l'on remarque un ami de la première heure Alexis Korner pionnier du blues anglais, mais aussi Alvin Taylor qui participa à Sun Secrets et surtout Zoot Money qui depuis la fin des Animals croise sans cesse la route de Burdon et qui co-signe avec lui huit titres sur dix de l'album Si l'on regarde Survivor avec le recul nécessaire, l'on se rend compte que cet album qui n'a jamais été réédité est bien meilleur que les deux derniers disques des Animals reformés, Ark et Greatest Hits Live, qui de fait apparaissent comme de pâles copies, de tristes tentatives avortées. La comparaison est d'autant plus significative que Zoot Money a participé à l'aventure de ces deux disques animaliers.

    Rocky : l'on peut partir d'un principe d'équivalence simple c'est que si Eric Burdon n'est pas au mieux de sa forme, c'est que le rock'n'roll a perdu son innocence, certains lecteurs tiqueront, en 77 le punk lui file un sacré coup de pied au fesse au vieux rocky des familles, c'est une époque explosive et séminale, certes mais quand on y réfléchit le Burdon est devenu un has been, la jeune génération n'a pas besoin de lui, ne l'attend pas, alors il va leur montrer comment on manie la dynamite, vous empoigne le vocal et ne vous le lâche pas d'un millimètre et derrière ça déménage un max, on dirait que tous les crédités sont présents sur cette séance et ça tourbillonne dans tous les sens, un bon vieux rock'n'roll comme l'en n'en fait plus et Burdon vous le chevauche comme s'il drivait les chevaux de Poseidon dans la tempête et se sert de sa voix comme du trident neptunien pour ébranler les consciences. Sur ce coup vous fout K.O. Au premier round. Woman of the rings : changement d'atmosphère, vous avez eu le rock, voici le blues. Mais un blues comme vous n'en avez jamais entendu. Comme le Led Zeppe n'a jamais eu l'idée, des guitares qui jouent comme des chats écorchés et un clavier qui roucoule comme la colombe poignardée d'Apollinaire, pas besoin de plus, là-dessus Burdon pose ses phrases sans emphase à tel point que les nanas se chargent de craquer l'allumette et l'orchestre s'engage dans le maelström, et c'est à cet instant que vous réalisez, maintenant qu'il se tait, l'art de Burdon, le mec qui fait semblant de chanter à moins qu'il ne fasse semblant de parler, funambule sur la ligne de crête.

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    The kid : un sale gamin qui brouille la piste et qui ne se laisse pas écouter. Tomb of the unknown singer : malheureux vous entendez les premiers arpèges et vous pensez être parti pour une ballade de toute coolitude d'un chanteur qui se meurt d'amour, et puis le Burdon l'on dirait qu'il a emprunté la voix écorchée de Dylan, good trip en perspective, d'ailleurs le titre se retrouve sur la compil Good Times, certes mais alors éloignez-vous tout au fond du jardin et écoutez le ramage des petits oiseaux … pour vous donner une idée de comparaison c'est le même scénario que Le chanteur abandonné de Johnny Hallyday mais avec Burdon le loup est entré dans la bergerie, l'a bouffé le Berger, l'a égorgé tous les agneaux et puis s'en est allé pousser sa plainte lugubre à la lune hécatienne, un iceberg de solitude vous tombe dessus, vous ressentez l'incomplétude humaine, ce titre est une invitation baudelairienne au suicide, une pente fatale qui vous happera sans pitié si par hasard vous ne vous sentez pas au mieux de votre forme, un faire-part de la mort qui vous spécifie l'heure de votre rendez-vous au cimetière. Glaçant. Toutes mes condoléances. Famous flames : réchauffons-nous, rythmique guillerette à conter le guilledou à Magie Bell et ses copines, Alvin Taylor bat le beurre mais ce n'est pas du bio, heureusement qu'il y en a qui se défoncent à la guitare, le Burdon rigole tout seul, mais vous avez du mal à participer à la fête, je vous le dis mais le répétez pas, les flammes ne sont pas aussi fameuses que promises, un peu longuet et la gueule du dragon cracheur de feu n'est pas au rendez-vous à l'autre bout de la queue. Hollywood woman : Burdon nous fait son cinéma country : au début ce n'est pas mal, à la suite aussi, c'est dans les refrains qu'il sourit un peu trop fort pour plaire au grand public, les musicos se la donnent, des petites trouvailles de partout, on en oublie le Burdon qui chante un peu trop dans le registre de l'attendu. C'est vrai que l'on ne peut pas être tout le temps Johnny Cash. Surtout si l'on part du principe que c'est une cause perdue. Hook of Holland : un morceau qui accroche qui arrive à point nommé après les deux relâchements précédents, dans la droite ligne du morceau introductif, un feu de bois qui pétille dans la cheminée et qui met le feu à la maison, Burdon est parfait en pyromane, les filles crient pour qu'il vienne les délivrer, mais non, il faut du combustible pour alimenter le feu de joie. Une guitare incendiaire et des chœurs de pompiers heureux du beau brasier qui s'offre à eux. Chaud. Très chaud. I was born to live the blues : le Burdon l'est comme les aristocrates, se souvient qu'il a le sang bleu, voix nue et une guitare dont les cordes sont en boyaux de chat, le vieux classique de Brownie McGhee qui se permettait de le chanter de sa face joviale et épanouie, le vieux renard qui en a trop vu pour ne pas sourire à la vie, le Burdon lui il emmêle ses tripes dans ses cordes vocales de tigre, la dureté de la vie vous cisaille sans pitié, chante comme une lame de guillotine qui tombe sur les condamnés à mort que nous sommes.

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    Highway dealer : rien qu'au titre l'on sent que l'on aime déjà et quand on écoute l'on est subjugué, non ce n'est pas pied au plancher en sens inverse sur l'autoroute ( si un peu quand même ) une ambiance proche de The man sur Stop, avec des guitares qui pètent les mégaphones à la Roadrunner du grand et du beau Bo Diddley, tout le début pue le soufre et l'enfer, le Burdon barrit comme une éléphante dont un car de touristes vient de buter son petit, bref un carnage. Quant au band derrière et devant il déploie plus d'inventivité et de nuances que le Deutches Symphonie-Orchester Berlin quand il était mené par Wilhelm Furtwangler. P. O. Box 500 : poste restante. Pas à perpétuité mais récidiviste. Rien de plus terrible que d'être mis en boîte par un ami ! Burdon en faux-jeton gagnant ! K. O. Boxe. Cinq sens éteints.

    Damie Chad.

     

    XXXI

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

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    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

    Suite à notre trentième livraison, nous avons reçu des centaines de lettres de la part des adhérents de la Société Protectrice des Animaux ulcérés nous reprochant l'absence de Molossa et de Molossito dans les évènements dramatiques relatés. Certains nous accusent même d'avoir falsifié notre document. Jamais, affirment-ils nous n'aurions pu sortir vivants de cette aventure sans leur aide précieuse. C'est la vérité vraie, mais les reproches qui nous sont adressés sont particulièrement injustes, ils méconnaissent surtout le génie stratégique du Chef. Il est évident que sans nos canidés nous aurions perdu la partie, mais il ne faut jamais oublier que dans toute attaque il convient d'assurer la protection de la base de repli. Cette besogne souvent ingrate mais nécessaire échut à nos quadrupèdes aguerris. Connaissez-vous quelque chose de plus féroce qu'un chien de garde ? Sinon deux chiens de garde.

    126

    Nous nous retrouvâmes tous dans la cuisine où nous avaient précédé Vince et Ludovic. Ce dernier avait repris des couleurs, des timbales fumantes de café extra-fort nous attendaient, nous en avions besoin pour nous remettre de nos émotions. Les filles auraient bien croqué un petit gâteau sec, mais le Chef s'y opposa :

      • Nous n'en avons pas le temps, nous repartons dans une minute, le temps que l'agent Chad récupère les chiens, et hop tout le monde dans le SUV !

    Molossa était sagement assise devant la porte, je remarquai immédiatement l'absence de Molossito, le museau de Molossa se posa comme par inadvertance sur mon jarret gauche, je la fis rentrer avec moi.

      • Chef, sûrement un problème, l'on doit nous épier, et Molossito n'est pas là !

      • Léger changement de programme dit le Chef, Vince, Ludovic, les filles, vous sortez en papotant comme si de rien n'était, vous ne risquez rien, s'ils ne sont pas intervenus c'est qu'ils attendent les ordres, Vince au volant, moteur allumé vous attendez que l'on revienne, l'Agent Chad et moi-même nous allons récupérer Molossito, Charlotte tu prends Molossa dans tes bras quand tu es devant le Suv tu fais semblant de la poser sur le siège arrière mais tu la relâches discrètement, les autres et les portières grande-ouvertes te faciliteront la manœuvre, que notre comité de surveillance ne s'aperçoive de rien, exécution immédiate !

    En passant derrière le tronc de l'ormeau, le Chef et moi nous nous engouffrâmes dans une zone d'ombre, Molossa nous rejoignit très vite et nous guida rapidement vers un bosquet, une longue voiture noire stationnait tout feu éteint. Nous nous accroupîmes sans bruit, le Chef alluma un Coronado en faisant attention qu'aucune flamme ne trahisse notre présence.

      • A toi de jouer Molossa !

    Elle ne se le fit pas dire deux fois. Trois secondes plus tard elle était sur le capot, grognant, aboyant de toutes ses forces, l'on s'agita dans la voiture, mais des piaillements aigus nous cisaillèrent les oreilles, l'otage Molossito donnait de la voix, la réaction ne se fit pas attendre, une vitre s'abaissa et Molossito fut rapidement éjecté sans ménagement.

      • Cassez-vous les cabots, vous allez nous faire repérer, proféra une voix sourde,

    Nous étions tout près je récupérai Molossito au vol, d'un geste vif le Chef balança son Coronado par l'entrebâillement de la vitre, la grosse limousine explosa illico !

    Trente secondes plus tard nous plongions dans le SUV que Vince arracha de son immobilité de main de maître. Le Chef nous conseillait d'avoir toujours un Coronado série El dynamitero dans sa poche, ça peut toujours servir, ajoutait-il.

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    Vince connaissait la région, il roulait à tombeau ouvert n'hésitant pas à éteindre régulièrement les phares, et changeant systématiquement de direction à chaque croisement. Malgré toutes ces précautions nous ne tardâmes pas à être repérés par un hélicoptère, qui bientôt nous prit carrément en chasse.

      • Décidément l'homme à deux mains n'aime vraiment pas le rock'n'roll soupirai-je !

      • Il n'a pas que deux mains bougonna Vince, il a aussi les moyens !

      • Hum-hum, le Chef toussota, si nous étions d'un optimisme béat nous pourrions dire que ce déploiement de moyens permet de l'identifier à coup sûr, mais comme nous sommes des pessimistes actifs, nous en déduirons que s'il se montre ainsi à visage découvert c'est qu'il est sûr que nous ne profiterons pas longtemps du renseignement qu'il nous a révélé.

      • Ce qui veut dire ? s'enquit Ludovic que l'on sentait dépassé par la cascades d'évènements qui avaient si abruptement bouleversé sa vie...

      • Vous pensez que bientôt nous allons donner du museau en plein dans un barrage proposa Brunette

      • Non, cela ne correspond pas au personnage, le Chef allumait un nouveau Coronado je suppose qu'il emploiera les grands moyens, il reste à deviner lesquels avant qu'il ne se présente

      • Vous avez-vu, ils ont changé d'hélicoptère, celui-ci il porte un long-tube sous lui !

      • Ce n'est pas un long-tube charmante Charline, mais un missile air-sol, à tête chercheuse, Vince arrête-toi tout de suite, sans vouloir t'offenser l'agent Chad s'est déjà trouvé dans de telles circonstances, ce n'est pas qu'il soit meilleur conducteur que toi, mais il connaît les procédures à suivre en de tels cas, que nous pourrions qualifier de dramatiques.

    128

    Je me mis à zigzaguer sur la chaussée, piètre échappatoire, essayant de me rabattre juste devant les rares voitures que je doublais les obligeant à me coller au cul, ralentissant si elles ralentissaient, accélérant si elles accéléraient de telle manière que nous ne formions qu'un seul véhicule et qu'avec un peu de chance le missile s'abattrait sur l'autre conducteur, mais le gars préférait piler net et s'arrêter sur place, je repartais donc à la recherche d'une tête brûlée qui trouverait ce jeu stupide intéressant. Hélas la nationale n'était visitée que par des pleutres. Ces velléités avaient dû inquiéter, car un deuxième hélicoptère vint se ranger à côté du premier, que je sois sur la voie de droite ou de gauche, j'étais toujours dans le viseur de l'un ou de l'autre.

      • Agent Chad nous avons affaire à des coriaces, sans doute auriez-vous intérêt à adopter une autre stratégie !

    Comme toujours le Chef avait raison. Ce fut le déclic qui me permit de prendre les bonnes décisions. Pour être risqué, c'était risqué, mais si je réussissais quel magnifique chapitre à ajouter aux Mémoires d'un Génie Supérieur de l'Humanité. Maintenant que nous connaissions l'identité de l'homme à deux mains il aurait été stupide d'échouer si près du but.

      • Chef je vais utiliser une tactique vieille comme le monde, mais qui au cours de l'Histoire a fait ses preuves.

      • Agent Chad, je n'en attendais pas moins de vous !

      • C'est simple Chef, quand l'ennemi est plus fort que vous il convient de l'attaquer sur son point le plus faible !

      • Agent Chad, cela me paraît d'une grande sagesse, je vous laisse faire, pendant que vous vous emploierez à nous défaire de nos ennemis, si cela ne vous dérange pas, je me permettrai, en toute sérénité de fumer un Coronado. Que le rock'n'roll soit avec nous !

    A suivre...