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across the divide

  • CHRONIQUES DE POURPRE 664 : KR'TNT ! 664 : TCHOTCHKE / DARTS / JACKIE DESHANNON / LIVERBIRDS / CHRIS CLARK / BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ + MARY / ASHEN / ACROSS THE DIVIDE / AUSTIN OSMAN SPARE

    KR’TNT ! 

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 664

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    07 / 11 / 2024

     

     

    TCHOTCHKE / DARTS / JACKIE DESHANNON

     LIVERBIRDS / CHRIS CLARK

    BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ + MARY

    ASHEN / ACROSS THE DIVIDE

    AUSTIN OSMAN SPARE

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 664

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

     - Tchotchke de choc

             — Comment pouvons-nous te choquer, avenir du rock ?

             — Ça risque d’être très difficile...

             — Si on te traite de gros con, ça va bien te choquer, non ?

             — Pas le moins du monde. C’est un fait que j’assume avec fierté.

             — Alors si on te traite de petite bite, tu vas blêmir, non ?

             — Vous ne connaissez pas les privilèges de l’hermaphrodisme, bande d’ignares...

             — Ah tu vas le prendre vraiment très mal si on te traite de sale juif !

             — Pfffff, c’est d’une banalité qui frise l’indigence, ou pire encore, le manque d’imagination. Comment veux-tu que ça puisse me choquer ? Par contre, si tu me traites de sale nègre, là, oui, c’est intolérable.

             — Bon alors, on va te clouer le bec pour de bon en te traitant de sale beauf...

             — C’est effectivement ce qui peut arriver de pire à un être humain. Chaque fois que t’en croises un, t’es partagé entre deux façons de réagir : le dégoût ou la compassion. Les beaufs se reproduisent comme les rats, ça prolifère, t’en as partout, même dans ta famille et tes cercles rapprochés. Tu soulèves une pierre sur le bord du chemin et tu les vois grouiller. Spectacle dégoûtant ! Les beaufs c’est ça, mais si tu traites de beauf quelqu’un qui ne l’est pas, ça ne sert à rien. C’est une injure gratuite, qui fait autant d’effet qu’une balle à blanc. C’est un coup d’épée dans l’eau. Désolé d’avoir à vous dire ça, les amis, mais votre notion de choc est complètement dépassée. Aujourd’hui, on ne parle plus de choc mais de Tchotchke. Attention, amigos, ce n’est plus du tout la même chose. 

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             T’arrive devant la scène avec la gueule enfarinée. Trois petites gonzesses déboulent sur scène. Tu ne sais même pas comment elles s’appellent. Bof, une première partie des Lemon Twigs, ça devrait pas être trop mal.

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    Devant toi, la petite bassiste s’applique et ramène, par sa seule présence, toute la fraîcheur du monde dans le set. Là-haut, sur son estrade, la batteuse/chanteuse allume ses cuts un par un, et là-bas, de l’autre côté, la guitariste gratte sa Strat sans effet, elle reste en mode clairette. On l’aura compris : zéro frime.

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    Tout est dans les chansons. En fait, elles jouent une pop très dépouillée, mais au fil des cuts, tu sens comme le poids d’un envoûtement sur ta pauvre vieille cervelle. Tu comprendras mieux plus tard, quand tu apprendras qu’elles ont enregistré leur album chez les frères d’Addario, ce qui est un sacré gage de qualité. Il est parfois bon de ne rien savoir quand tu vois un groupe sur scène. Tu juges sur pièces. C’est bon ou c’est pas bon. Les Tchotchke, c’est bon, et même super-bon. Cut après cut, elles étendent leur empire et ça te monte vite au cerveau.

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    La batteuse s’appelle Anastasia Sanchez, elle navigue exactement au même niveau que Curt Boettcher, elle sait vriller son chant pour créer de la magie pop, notamment sur «Oh Sweetheart One», ce chef-d’œuvre de candy pop collante et dégoulinante de candeur, monté sur une structure d’une ahurissante simplicité.

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    Derrière son micro et ses fûts, Anastasia vrille des couplets d’une indicible beauté. Tu vas retrouver cet objet d’art pop indubitable sur leur album sans titre. L’autre merveille du set s’appelle «Dizzy», qui sonne comme une fabuleuse descente dans le lagon d’argent de la pop, ces trois gonzesses sont aussi ambitieuses que les Lemon Twigs, elles flirtent elles aussi avec le génie pop de Brian Wilson. Elles tapent plein de merveilles qui ne figurent même pas sur l’album, franchement, t’en reviens pas de toute cette qualité. T’as l’impression que le monde pop s’enfonce dans la médiocrité, et tout à coup, les Tchotchkettes et puis les Lemon Twigs te remettent les pendules à l’heure. Alors tu reprends espoir. Grâce à ces deux groupes, les Byrds, les Beatles et Brian Wilson restent d’actualité. Ils sont aussi précieux que l’air qu’on respire.

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             L’album sans titre des Tchotchke est une petite merveille, cela va sans dire. T’es tout de suite dans le haut de gamme avec «You’ll Remember Me», belle pop ambivalente, d’essence impérissable, elles disposent de cette faculté extraordinaire à savoir vriller le chant pop. C’est du Brill d’obédience vertigineuse, quasi spectorienne sur le bonus track. Anastasia chante comme une reine de Nubie blanche. On recroise ces deux coups de génie que sont «Dizzy» et «Oh Sweetheart One», mais tu vois aussi Anastasia swinguer «Come On Sean» à la pointe de la glotte, et sur «What Should I Do», tu entends les frères d’Addario. Ce fantastique cut de salubrité publique sonne comme un hit du Brill. On croise aussi ce «Don’t Hang Up On Me» joué sur scène, une pop d’essence cristalline et aérienne. Elles s’en donnent toutes les trois à cœur joie, franchement c’est un bonheur que de les voir sur scène chanter cette merveille d’exubérance. Et comme l’album est bien produit, tu retrouves tout le punch de la version scénique. Nouveau coup de Jarnac avec «Whish You Were A Girl» : fantastique shoot de Brill, ah on peut dire qu’elles Brill au firmament, Anastasia mène sa pop flamboyante qui explose en solaces d’excelsior au moindre refrain. Et avec «Longing Delights», tu retrouves toute la folie des Lemon Twigs dans cette apothéose de pop wilsonienne.

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    Signé : Cazengler, le poids des mots, le tchotchtk des fautes

    Tchotchke. BBC. Caen (14). 25 septembre 2024

    Tchotchke. Tchotchke. Tchotchke Records 2022

     

     

    She Darts it right

     - Part Three

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             Sur scène, les Darts restent imbattables. Incompressibles. Irréprochables. Indéfectibles. Inévitables. Immédiates. Inoculables. Infaillibles. Irrésistibles. Immatures. Infectueuses. Impondérables. Indémodables. Intarissables. Indubitables. Mais prenons garde, car à force de plasticité gaga, elles finiront par nous insupporter autant que les Fleshtones. Pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour savoir que le gaga est un genre dramatiquement limité, surtout le gaga-dorgua, celui des Fuzztones et des Lords Of Altamont en particulier. Les gangs de gaga-dorgua passent leur vie à vouloir briser une routine qu’ils ne briseront jamais, car la routine est leur spécificité. La routine d’orgua est leur ADN. Seuls Question Mark & The Mysterians ont su briser le sort de la routine gaga-dorgua. Ils ont dû pour ce faire verser 96 larmes. Cry cry cry.

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             Un set des Darts s’avale d’un trait, pas de problème. Comme tous les sets, celui des Darts connaît des hauts et des bas, de beaux hauts dirons-nous, et des bas pas beaux. Jusques là, rien de nouveau. Fidèle à sa tradition, Nicole Laurenne multiplie les antics, à défaut d’être la reine du rodéo, elle est celle des cabrioles, elle bat même Jake Caveliere à la course, elle adore s’allonger au sol et faire tomber son Farfisa sur elle, elle adore empêcher sa guitariste de jouer en l’enlaçant comme un boa constrictor, elle adore sauter sur place, d’ailleurs, elle ne fait que ça, elle est très athlétique, incapable de rester calme plus de trois secondes. Elle observe bien le rituel du gaga-dorgua qui consiste à chasser les temps morts, tout doit sautiller en permanence, l’énergie doit couler à flots, ça doit pulser dans les tubulures, ça doit couiner dans les circuits. C’est drôle comme ce genre parvient à survivre, malgré ses limites. On continue d’aller voir ces groupes sur scène et, pire encore, on continue de ramasser les disks au merch. Cette manie pourrait s’apparenter à une bonne petite pathologie. T’es là, et dans les moments de grande intensité, tu te demandes pourquoi t’es là. T’en sais rien. Tu vois tout ça de l’extérieur. Tu ne peux pas faire semblant d’être le fan que tu n’es plus.

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    Alors tu observes, essayant désespérément de ne pas trouver le spectacle (dans son ensemble) grotesque. Quel sens ont les Darts aujourd’hui ? C’est en te posant ce genre de question que tu peux espérer y voir plus clair.

             Au pire, le set te fatigue. Au mieux, il te remonte un peu le moral. Dans l’in between, ça grouille de considérations :

             — Ouais, c’est bien de perpétuer la tradition.

             — Ouais, tant que des groupes comme les Darts monteront sur scène, le cœur du rock continuera de battre.

             — Ouais, elle en fait un peu trop, mais il vaut mieux en faire trop que pas assez.

             — Ouais, ça fait vingt ans qu’elle se maintient à niveau.

             — Ouais, elle est l’une des meilleures dans son genre, aussi bonne que la Flavia des Courettes et la Jackie des Jackets.

             — Ouais, les Darts, ça darde !

             — Ouais, c’est sûr qu’on va retourner les voir le mois prochain. Encore une bonne soirée en perspective ! Ouais ! Mille fois ouais !

             — Ouais, avec les Darts, c’est du zyva automatique. Tu ne te poses des questions qu’une fois arrivé sur place.

             Effectivement, tu te prends au mot et t’y retournes. Cette fois, dans ton spot préféré, au Petit Bain, là où ça rocke le boat pour de vrai. Quand elles déboulent sur scène, elles balaient le souvenir des deux premières parties, c’est tout de suite américain, c’est tout de suite en place, c’est tout de suite les Darts, c’est tout de suite wham bam, c’est tout de suite «Underground» et tout de suite suivi de «Graveyard», c’est tout de suite du 100 à l’heure, c’est tout de suite mal barré pour les canards boiteux, c’est tout de suite claqué du beignet, c’est tout de suite exactement la même set-list qu’à Rouen un mois auparavant, alors tu n’as plus qu’à te laisser porter, elles font tout le boulot, tu veux ta rasade ?

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    Elles te la servent sur le meilleur des plateaux d’argent, et t’as une salle bourrée de fans. Au moins ceux-là ont payé. Nicole Laurenne ressort tout son bataclan, la course sur place, le dos au sol avec le Farfisa sur le ventre, et toute la fantastique présence scénique dont elle est capable. Elle rampe pas mal, elle semble en donner encore plus aux Parisiens et puis c’est dit-elle le dernier set d’une tournée qui a commencé au mois d’avril. Le centième ! Elle devrait en avoir marre, mais elle y va. Elle est encore meilleure qu’avant, et le set des Darts prend du relief, le jeu de scène est bien rôdé, t’en veux pour ton billet ? Tiens-en voilà pour ton billet.

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    Ça rocke à outrance, les deux bras droits de Nicole Laurenne s’en donnent à cœur joie, elles voyagent pas mal sur scène, et derrière, la petite  Mary Rose aux cheveux verts bat un beurre de tous les diables, elle ne fait pas dans la dentelle. Nicole Laurenne communique bien avec le public, elle a fait des progrès en français. Et puis elle a cette façon de lancer les cuts qui tape chaque fois en plein dans le mille, la main droite sur le clavier et, face au public, elle court sur place en secouant les cheveux. Elle court très vite, on a même l’impression qu’elle accélère.

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    Et au bout d’une heure de bons et loyaux services, elles finiront de gaver les oies : t’auras exactement le même rappel qu’à Rouen, avec «Love Tsunami», «Shit Show» et «Liar». Ensuite ? Eh bien ensuite, tu sortiras de là sonné et ravi. T’auras vu trente-six chandelles et, last but not least, t’auras aussi vu le real deal des girl-groups contemporains. Et t’auras bien mérité un dernier tonic à la cantine.

             Et les disks dans tout ça ?

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             Avec Snake Oil, tu t’aperçois que Christina Nunez vole bien le show avec son fat bassmatic, notamment dans le morceau titre d’ouverture de bal. Les Darts sont folles : elles attaquent à la stoogerie avec un bassmatic pétaradé. Ah comme elle patate bien, la grosse Christina ! Elle est mixée à l’avant du son et ça lui donne de sacrées coudées franches. Les Darts adorent filer tout droit, comme le montre encore «Love Tsunami», et on assiste toujours au même déroulé. Nicole Laurenne compose tout, elle contrôle tout le monde des Darts. Même le merch, c’est elle. Elle tape son «Love Song» en mode Big Astmospherix assez hellish. Avec «Underground», on assiste à un fabuleux déroulé périphérique, elle rafle la mise à coups de put it down, elle adore faire exploser ses cuts, en studio comme sur scène. Avec elle, ça se remet en route vite fait. Elle tape son «Donne Moi Tout» en français. Dommage que le chant soit noyé dans la morasse. Les derniers fans de gaga-dorgua vont forcément bien se régaler avec cet album qui a pour principal mérite celui d’exister.  

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             Comme elles traversent une grosse crise de productivité, elles sortent un tout nouvel album : Boomerang. Pochette superbe, avec une sorte de graphisme crypté. Ambiance murs tagués du CBGB. Elles repartent de plus belle à la conquête du Mondo Bizarro, elles enfoncent bien leur clou dans la paume de la routine et attaquent au gros tatapoum. Il faut attendre «Pour Another» pour frémir sincèrement. Belle attaque de bassmatic invasif. Elles développent un fantastique heartbeat. Christina Nunez gratte un sacré thème, il faut bien admettre qu’elle est l’une des cracks du bassmatic moderne. Puis les Darts replongent dans leur fontaine de jouvence avec un «Liar» classique mais bienvenu, et ça explose plus loin avec «Photograph». C’est encore Christina qui attaque ça en coupe réglée. Pas de pitié pour les canards boiteux ! Darty for real ! Elle lâche encore un bassmatic de destruction massive sur «Hell Yeah». En fait, c’est elle, la grosse, la star des Darts. Belle énormité encore avec «Night». Toujours cette fantastique énergie pulsative, même dans les cuts lents. Le turbo processeur est de retour avec «Welcome To My Doldrums» : basse pouet pouet et drive d’orgua, véritable effusion d’effervescence, c’est brillant et dévastateur. Du coup, t’as hâte de les revoir sur scène. C’est comme si tu ne pouvais plus t’en passer.

    Signé : Cazengler, Dark

    Darts. Le 106. Rouen (76). 22 septembre 2024

    Darts. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 19 octobre 2024

    Darts. Snake Oil. Alternative Tentacles Records 2023

    Darts. Boomerang. Alternative Tentacles Records 2024

     

     

    Wizards & True Stars

     - Shine on De Shannon

     (Part One)

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             On va profiter d’une petite actu sur la belle Jackie DeShannon pour lui consacrer un Part One plus que bien mérité. S’il en est une qui entre de plain-pied dans la cour des Wizards & True Stars, c’est bien elle. Dans Record Collector, Lois Wilson indique que la belle Jackie atteint l’âge canonique de 83 balais et qu’elle se produit encore - Still performing - Elle a fait ça toute sa vie. Elle dit ne pas se souvenir d’un seul instant où elle ne composait pas, ou ne chantait pas.

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    (Sharon Sheeley & Eddie Cochran)

             Pas compliqué la vie : il suffit de devenir pote avec les Beatles quand ils font leur première tournée américaine en 1964. Puis t’as les Byrds et les Searchers qui reprennent tes compos. Alors ça devient easy. «When You Walk In The Room», c’est elle, et la naissance du folk-soul-rock de Laurel Canyon, c’est encore elle avec, justement l’album Laurel Canyon. C’est assez con à dire, mais il n’existe pas de blonde plus légendaire que la belle Jackie. Elle a aussi pas mal tapé dans Burt («What The World Needs Now Is Love»). Elle est très prématurée, elle se fait connaître à l’âge de 13 ans sous le nom de Sherry Lee, et à 16 ans sous le nom de Jackie Dee. En 1960, elle signe un publishing deal avec Liberty et devient pote avec Sharon Sheeley, la poule d’Eddie Cochran, qui a déjà pondu des hits pour Eddie et Ricky Nelson. Cot cot ! Elles bossent ensemble, Jackie fourbit la mélodie et elles tapent les lyrics ensemble. Mais son deal chez Liberty n’est pas bon. Ils veulent la voir composer, pas chanter. Elle parvient quand même à enregistrer un premier album en 1963. Elle y tape trois covers de Dylan. Elle voulait faire tout l’album avec des covers de Dylan, mais les mecs de Liberty n’ont pas voulu. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont rien pigé à Dylan. On y reviendra dans un Part Two, car cet album est un gros morceau. Elle raconte aussi qu’elle a dû se battre pour enregistrer le «Needles & Pins» de Sonny Bono et Jack Nitzsche - Liberty didn’t like that song either. They thought it was strange. But I put my foot down this time. I knew I had to do it - Eh oui, elle a eu raison de tenir bon. C’est l’un des plus beaux hits d’Amérique. 1963 ! Elle est déjà très en avance sur son temps. Le seul qui la comprenne, c’est Jack Nitzsche. Ensemble, ils écoutent Malher, Stockhausen, Wolf et Robert Johnson. Il n’y a pas de hasard, Balthazar. En 1963, les Searchers sont à Hambourg avec les Beatles et Cliff Bennett. Ils découvrent «Needles & Pins». Flash immédiat - We were awestruck by the song - La même année, ils tapent leur cover de «When You Walk In The Room». Pendant la fameuse tournée américaine des Beatles en 1964, le public hue les premières parties, même les Righteous Brothers. La seule qui tient le choc, c’est la belle Jackie.   

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             En 1965, elle rencontre Burt. Elle flashe sur «What The World Needs Now Is Love». Mais Burt ne veut pas lui filer la chanson. Pourquoi ? Parque que Dionne la lionne n’a pas voulu l’enregistrer - she turned it down - Pareil pour Timi Yuro qui l’a aussi refusée. Hal David insiste. Burt cède. Ce sera le hit que l’on sait. Et bien sûr, Dionne la lionne va se dépêcher de l’enregistrer.

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             En 1966, les Byrds accompagnent la belle Jackie quand elle enregistre «Splendor In The Grass». Croz : «Jackie was amazing. She was an inspiration and she was fun. She’s a one-off original.» Les Byrds tapent une belle compo de Jackie sur leur premier album, «Don’t Doubt Yourself Babe». C’est l’année où Los Angeles explose - So many clubs on Sunset. It was wonderful - C’est là qu’elle enregistre le fabuleux Laurel Canyon. Derrière elle, on retrouve Dr John au piano, Barry White dans les chœurs. Elle ouvre la voie pour Joni Mitchell et Carole King.

             Elle quitte Liberty en 1970, et Capitol lui bousille son Songs en 1971 (on y revient plus loin). Elle débarque ensuite sur Atlantic. Wexler l’envoie aussitôt à Memphis. Elle enregistre Jackie chez Chips. Autour de Chips, Arif Mardin, Tom Dowd et Wexler s’entassent dans la cabine. Les Memphis Boys assurent le backing de Jackie superstar. Pour les becs fins, Jackie navigue exactement au même niveau que Dusty in Memphis. Pareil, on y revient dans un Part Two.

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             Voilà-t-y pas qu’Ace réédite son album de covers de Ray Charles, Nothing Can Stop Me. Liberty Records Rareties 1960-1962 - I’m really proud of them - Elle explique qu’à l’époque elle savait tout faire, du Burt, du Ray Charles, du Needles, du Dylan, et son label voulait qu’elle reste dans un genre bien défini, alors qu’aujourd’hui, dit-elle, on demande aux artistes de se diversifier. Elle prend l’exemple de Rod The Mod - Back then, my diversity was a curse. But I was actually ahead of the curve.

             Alors oui, on saute sur Nothing Can Stop Me. Liberty Records Rareties 1960-1962. Elle est en effet très jeune sur la photo de pochette. Mais elle chante son Ray d’une voix rauque, presque black. Elle est très sauvage. Elle aurait pu taper du rockab. Avec «I Got A Sweetie», elle claque un gospel black de petite vertu. Par contre, elle force trop son «What’d I Say», elle y va au tell you mama de bonne bourre. Elle jette toute sa niaque dans la balance de «Georgia On My Mind» et devient fabuleuse d’à-propos dans «Hallelujah I Love Her So». Yes I know ! Elle s’en sort vraiment avec les honneurs. Comme toujours chez Ace, les bonus grouillent de puces. On la sent folle de Ray. On la voit twister près du juke sur «Stand Up & Testify» et son «Baby (When Ya Kiss Me)» est de très haut niveau, fast & battu sec, avec des violons. On est frappé par la qualité des interprétations et des orchestrations. Elle devient folle avec «That’s What Boys Are Made Of» et ça se termine avec l’heavy pop de «Don’t You Feel Sorry For Me», fantastique cut d’époque avec le solo de sax et les clap-hands.

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             Chez Ace, on ne fait jamais les choses à moitié. Nos amis anglais ont entrepris de compiler tous les singles de Jackie sur trois volumes. C’est très consistant, très passionnant et recommandé pour les longues soirées d’hiver. Le volume 1 couvre la période Liberty - qui était aussi le label de Bobby Vee, de Johnny Burnette et d’Eddie Cochran - de 1960 à 1963. Certains morceaux sortis du contexte des albums redeviennent des bombes, d’où l’intérêt de ce genre de compile. On note aussi que les premiers singles de Jackie sonnent comme ceux des Coasters et de Brenda Lee. Elle faisait sa gutturale des cavernes. Elle bricolait un rock de fille et elle se battait bien avec son micro. Elle a commencé à virer jerk avec « Ain’t That Love » qu’elle prenait d’une voix fêlée et qu’elle chantait comme une bête fauve. Elle révélait son animalité. Elle prit à partir de là l’habitude de se racler la gorge et de se faire passer pour une méchante. Elle enregistrait aussi pas mal de slows super-frotteurs qui ont dû favoriser l’éclosion du baby-boom américain. Avec « Needles And Pins », on entrait enfin dans le vif du sujet : elle devenait l’inventeuse de la pop moderne. Elle tirait ça d’une voix de meneuse qui cinquante après impressionne toujours autant. Elle montrait au passage sa passion pour le gospel avec « Oh Sweet Charriot » et balançait un hit de r’n’b digne des Supremes, « Till Ya Say You’ll Be Mine » qui explosait de vigueur éclatante. Et bien sûr on avait à la suite l’éclair de génie du Walk In the Room, avec ses tambourins et ses maracas, un point de repère dans l’histoire du rock.

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             Avec le volume 2, on monte en puissance. Il est à cheval sur Liberty et Imperial, et couvre la période qui va de 1964 à 1967. On y retrouve cette monstruosité punk, cette énormité de jerk de cave qu’est « It’s Love Baby ». Sur « Don’t Turn Your Back On Me », Jimmy page bat le riff. Complètement légendaire. « A Lifetime Of Loneliness » est une merveille de Burt mélodiquement parfaite. Riche car travaillée dans l’essence même du capiteux. Elle remonte au signal pour fracasser le plafond de verre. Cette fille là, mon vieux, elle est terrible ! On assiste à une montée d’intensité quasi-orgasmique. Puis elle chante « I Remember The Boy » à la cantonade. Elle montre sa puissance en tapant dans le haut de la mélodie. Elle s’y révèle la fabuleuse shouteuse qu’on va retrouver ensuite au fil des albums. C’est ferrailleux, solide. Elle dégouline de classe. Elle joue son folk-rock princier en montant dans les octaves et elle fait sauter tous les bouchons. Monstrueux. On retrouve le fabuleux « Come And Get Me » de Burt et « Splendor In The Grass », où les Byrds l’accompagnent. Avec tous ces singles extraordinaires, elle atteint son âge d’or. Ce volume est le plus dense des trois.

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             Le volume 3 couvre la période 1967-1970, jusqu’à la fin de son contrat avec Imperial. On la sent attirée par le son hollywoodien, car elle commence par sortir une série de singles trop produits (« Changin’ My Mind », « It’s All In The Game » et « I Keep Wanting You »). Avec « Me About You », on la voit embobiner la mélodie. Elle joue à la superstar hollywoodienne, elle mène sa barque et tout le monde se prosterne à ses pieds. Elle fait rêver l’Amérique blanche. « Effervescent Blue » est une pure merveille insolite chantée à la manière de Diana Ross. C’est d’une classe extrême. Elle s’y révèle l’égale des grandes shouteuses de jazz. Elle brise les mythes sur ses genoux. On retrouve le beautiful folk-rock de « Laurel Canyon » et ce furieux hit qu’est « What Is This », tout secoué de guitares. « Always Together » est une belle pièce lumineuse qu’elle éclaire de sa voix. Imbattable. C’est à ce genre de single qu’on voit la grandeur d’une interprète. Elle a une façon particulière de monter son feeling dans la lumière de l’harmonie. Encore une pure merveille avec « Keep Me In Mind », mid-tempo élégant et mélodique, prodigieusement inspiré et qu’elle amène à sa façon pour en faire une pop étrangement veloutée et artistement décolletée. On retrouve aussi l’éclat de « Brighton Hill » qu’elle passe au filtre hollywoodien. Elle ne s’arrête jamais. Elle enfile les hits comme des perles. Les gentils compileurs d’Ace ont aussi pensé à mettre l’effarant medley « You Keep Me Hanging On/Hurt So Bad », version ultime et mortelle randonnée, elle en fait de la charpie, comme le fit le Vanilla Fudge. Les trois derniers singles sont faramineux : « It’s So Nice » (hit soul), « Mediterranean Skies » (incroyablement moderne pour l’époque) et « Bird On the Wire ».

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             Dans sa collection « Songwriters », Ace a bien sûr pensé à bricoler un volume Jackie DeShannon qui s’intitule Break-A-Way. Ça commence avec la version endiablée de « Break-A-Way » d’Irma Thomas, qui est accompagnée par un batteur drôlement énervé. On tombe ensuite sur le « When You Walk In The Room » des Searchers qui fut l’un des groupes préférés de Mark E Smith. Idéal pour les soirées sixties. Hit parfait. Ces mecs-là avaient tout l’arsenal : l’énergie et les harmonies vocales. Cher reprend « Comme And Stay With Me ». Elle préfigure Chrissie Hynde. Cher est sublimement punkoïde, même si la chanson vire poppy avec des clochettes à tous les coins de rues. Cher était une vraie hargneuse. Elle connaissait tous les secrets du frisson. Mais on trouve aussi pas mal de déchets : les reprises des Fleetwoods, d’Helen Shapiro, de Dick Lory, de Brenda Lee, de Peter James et de Dobie Gray ne volent pas haut. « Carrying A Torch » par Wynona Carr vaut le détour, car c’est magistralement interprété. La valse des déchets se poursuit jusqu’à la reprise de « Splendor In The Grass » par les Boys et leur gros son gloomy, mais c’est facile, car la chanson est bonne. Les Boys sonnent comme des Byrds, mais ce sont des filles. On a là un pur joyau de Californian Hell. Fabuleuse reprise de « Should I Cry » par les Concords. Leur version est complètement dévoyée. S’ensuit un autre chef-d’œuvre, « Thank You Darling » repris par Rick Nelson, chanteur exceptionnel. Autre merveille : « Would You Come Back » par Eddie Hodges, traitée au laid-back alcoolisé du matin difficile et joliment ramassé dans le titubant. Une autre perle avec « Day Dreaming Of You » par les Fashionnettes, exercice de style admirable signé par un girl-group kitschy. C’est aux Byrds que revient l’insigne honneur de refermer le cortège avec une version exceptionnelle de « Don’t Doubt Yourself Babe » qu’ils traitent à la mode de l’apothéose. On en n’attendait pas moins des Byrds.          

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             Le volume 2 consacré à la songwriteuse vient de sortir : She Did It. The Songs Of Jackie DeShannon Volume 2. Comme le précédent, cet album dégage un petit parfum de dynamite. S’il en est une qui sait écrire des chansons, c’est bien Jackie. Les volumes Ace jettent une lumière crue sur les grands artistes. Elles sont un complément indispensable à la discographie de ces artistes, surtout dans le cas de Jackie. C’est à Dorothy Morrison que revient l’honneur de taper dans « Put A Little Love In Your Heart », un gros r’n’b monté sur la basse. Dorothy se montre digne des géantes de Stax. On retrouve un peu plus loin le grand Dave Berry et « I’ve Got My Tears To Remind Me », avec l’énergie du Swinging London. Pure merveille d’antiquaire. Brenda Lee tape dans « My Baby Likes Western Guys » et elle y va au guttural. Elle s’arrache tout, mais on salue la beauté du geste. On retrouve la grandeur des Ronettes pour « He Did It » vieux hit sixties sha-la-la-té et extrêmement juteux. Gros choc émotionnel avec Marianne Faithfull qui reprend « With You In Mind » au gothique moyenâgeux. Elle en fait même un peu trop et se prend pour Guenièvre. Par contre, les Righteous Brothers ne rigolent pas. Dans leurs pattes, « Burn On Love » devient une monstruosité, ils chauffent la tambouille et multiplient les renvois de voix au loin. Avec Jackie, on retrouve l’équation magique Spector/Righteous. Encore une merveille oubliée : « Each Time » par les Searchers. Fantastique écho. Ces mecs de Liverpool auraient mérité d’exploser comme les Beatles. Et puis on tombe sur la perle de l’album : « The Greener Side » par Tammy Grines. Véritable énormité, elle chante à la ramasse du dévolu. Pur génie. Tammy Grines est terrifiante de classe. Encore un génie avalé par l’oubli : PJ Proby. Il tape dans « The Other Side Of Town ». Il grimpe très vite dans les violonades. PJ est le roi indétrônable des stentors. Puis on tombe sur « Till You Say You’ll Be Mine » chanté par Olivia Newton John qui bénéficie d’une prod à la Spector. Incroyable mais vrai. La fête se poursuit avec « I Shook The World » par Bob B Sox & The Blue Jeans, pur r’n’b de grande cuvée, vrai hit de juke, mais ça on le savait depuis longtemps. Delaney Bramlett chante « You Have No Choice » tout seul comme un pauvre malheureux et Rita Coolidge vient nous rappeler avec « I Wanted It All » qu’elle fut l’une des grandes chanteuses américaines. Même chose avec les Carpenters et « Boat To Sail », pure merveille pop qu’il faudra bien un jour redécouvrir. C’est l’avantage des compiles bien foutues (comme les sont quasiment toutes les compiles Ace) : on voyage à travers l’histoire du rock et on fait de belles rencontres. Alors on se dit : Oh il faudra que je revienne ici. Et là !

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             Vient de paraître All The Love - The Lost Atlantic Recordings, des morceaux pilotés par Jerry Wexler et qui ne figurent pas sur les deux albums Atlantic de Jackie, Jackie et Your Baby Is A Lady. Elle attaque avec « When I’m Gone », un fantastique balladif sensible. Ne prenez pas Jackie à la légère, c’est une femme fantastique. Elle sait tenir un mid-tempo avec intégrité. Elle a autant de classe que Dylan. Elle sait driver un hit. Encore un beau balladif avec « Drift Away ». Et elle passe à la country-motion avec « All The Love That’s In You ». Elle chante un peu comme Vanessa Paradis, elle est marrante. En fait, elle cherche le petit hit de la joie et de la bonne humeur. Elle nous sort là le joli groove des jours heureux, chanté à la petite voix sucrée et c’est orchestré de main de maître, on peut faire confiance à Tom Dowd et Arif Mardin, l’A-team de Jerry Wexler. On sent aussi une fantastique aisance sur ce joli folk-rock qu’est « Grand Canyon Blues ». Avec « If You Like My Music, », Jackie fait autorité - My music ! - Elle tient à préciser les choses sur un gros fond de nappes d’orgue. On tombe plus loin sur « Spare Me A Little Of You », un fantastique balladif pulsé à coups d’acou. Puis elle reprend le fameux « Don’t Think Twice It’s Alright » de Dylan. Courage ma fille ! Tiens bon la rampe ! Jackie est très forte. S’ensuivent quatre bonus pour le moins exceptionnels : un « Sweet Sixteen » de fantastique allure, un « Flamingos Fly » d’incommensurable ampleur, un « Santa Fe » qui sonne exactement comme un groove de rêve et « The Wonder Of You » qui va ta laisser seul, définitivement seul.

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             Après le re-parution des Lost Atlantic Recordings, voici celle des Complete Capitol Recordings, une sorte de nouveau passage obligé. On y retrouve tout ce qui fait la grandeur de cette artiste, à commencer par l’immense « Stone Cold Soul », une compo signée Mark James. C’est l’époque où Jackie enregistre à Memphis, chez Chips Moman et il faut entendre cette country Soul prodigieusement inspirée. Reggie Young joue des déluges sur sa guitare et Tommy Cogbill multiplie ses triplettes de Belleville sur le manche de sa basse. On a là une pure énormité et cette folle de Jackie s’accroche au Stone à coups de yeah-eh-eh. Allez, on va dire qu’on a là la meilleure pop de tous les temps. Chips laissait entendre que ces sessions avec Jackie comptaient parmi ses préférées. Magnifique version du « Child Of Mine » signé Goffin & King. Elle chante au timbre sucré, quasi-nubile, et passe sans crier gare au timbre fêlé. Elle regorge de feeling et Reggie Young fait des prodiges sur son acou. Elle tape ensuite dans un cut d’Emmit Rhodes, « Love Till You Die » et renoue avec le génie dans « Seven Years From Yesterday », un shoot d’heavy pop de Soul of American, joué sous un certain boisseau, à la Bobbie Gentry. Elle chante sa Soul avec la foi du pâté de foi et ça donne le Memphis swamp. En réalité, elle fait ce qu’elle veut, sa voix lui permet toutes les audaces. Elle tape plus loin dans George Harrison avec « Isn’t It A Pity ». Elle reprend sa voix nubile pour clamer isn’t it a pity/ Isn’t it a shame, elle atteint des profondeurs réellement dramatiques. Le plus stupéfiant de toute cette histoire, c’est que l’ensemble des cuts enregistrés chez Chips ne vont pas plaire à Capitol. Hop, à la fosse ! Ils rejettent ce «Sweet Inspiration» pourtant signé Dan Penn & Spooner Oldham. C’est pourtant du pur Deep South genius - I need a sweet inspiration - C’est du gospel batch de Memphis, il ne manque plus que les Edwin Hawkins Singers. C’est Johnny Christopher, l’un des songwriters d’American, qui signe « Johnny Joe From California ». C’est un hit, et pourtant il finit lui aussi à la fosse. Le monde à l’envers ! D’autant qu’elle le pousse à fond. Il faut bien dire que tout est extrêmement produit, ici, Chips ne rigole pas avec l’American mood. « Now That The Desert Is Blooming » et « Sleeping With Love » sont d’authentiques modèles productivistes. Reggie Young gratte à l’arrière et c’est embarqué au big heavy Memphis sound. « Gabriel’s Mother’s Highway » est un cut d’Arlo Guthrie, elle embarque ça aux chœurs de gospel et passe à Van Morrison avec « And It Stoned Me », nouveau shoot de Memphis Sound sur le compte du Van. Chips en fait une fois encore une merveille productiviste. Mais comme tout cela ne plait pas à Capitol, elle doit enregistrer l’album Songs à Hollywood et là, ce n’est plus du tout le même son. On a quelque chose de beaucoup plus commercial. Le « West Virginia Mine » déjà enregistré à Memphis retombe sur Songs comme un soufflé. Un violon y remplace le piano de Bobby Emmons, c’est chanté au bazar de l’Hôtel de ville. Atroce. « Bad Water » sonne comme du rock US m’as-tu-vu à la Dolly Parton et dans « Ease Your Pain », Capitol balance des chœurs de gospel d’Hollywood, autant dire du Walt Disney. Ça n’a pas d’âme, pas de chien, pas de rien. L’album a tous les défauts du coup foireux : prod sèche, pas de grain, l’anti-Chips. Merci Capitol ! 

    Signé : Cazengler, Jacky Dechochotte

    Jackie DeShannon. You Won’t Forget Me. The Complete Imperial/Liberty Singles. Vol. 1. Ace 2009

    Jackie DeShannon. Come And Get Me. The Complete Imperial/Liberty Singles. Vol. 2. Ace 2011

    Jackie DeShannon. Keep Me In Mind. The Complete Imperial/Liberty Singles. Vol. 3. Ace 2012

    Break-A-Way. The Songs Of Jackie DeShannon. 1961-1967. Ace Records 2008

    She Did It. The Songs Of Jackie DeShannon Volume 2. Ace Records 2014

    Jackie DeShannon. All The Love - The Lost Atlantic Recordings. Real Gone Music 2015

    Jackie DeShannon. Stone Cold Soul - The Complete Capitol Recordings. Real Gone Music 2018

    Jackie DeShannon. Nothing Can Stop Me. Liberty Records Rareties 1960-1962. Ace Records 2024

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    Lois Wilson : Lady of the canyon. Record Collector # 558 - June 2024

     

     

    Bye Bye (Liver)birds

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             Pas le book du siècle ni le girls-group du siècle, pas non plus la compile du siècle ni les covers du siècle, mais bon, l’un dans l’autre, tu passes un bon moment avec les Liverbirds de Liverpool. Les deux survivantes du groupe, Mary McGlory (bass) & Sylvia Saunders (beurre) ont croisé leurs souvenirs pour pondre - cot cot - une autobio : The Liverbirds. Our Life In Britain’s First Female Rock’n’Roll Band. L’idéal est de croiser ces souvenirs croisés avec l’écoute d’une solide compile Big Beat des Liverbirds parue en 2010, From Merseyside To Hamburg - The Complete Star-Club Recordings.

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             La grande force du book est qu’il te ramène à l’aube de l’âge d’or du rock anglais, lorsque tout se passait à Liverpool et au Star-Club de Hambourg. Comme l’éditeur a dû leur demander d’entrer dans les détails, elles ne t’épargnent rien du contexte socio-économique du working-class system de Liverpool : les familles, les jobs des parents, l’eau courante/pas l’eau courante, les zécoles, les zozos et les zinzins des zazimuts. Mary et Sylvia sont intarissables. Ce n’est pas que tu t’ennuies, mais bon, t’es là pour le Star-Club et la Cavern. Mary s’y rend avec ses cousines Veronica et Rita, et qui-qu’elles voient sur scène ? Les Beatles ! Et t’as John Lennon qui annonce au micro : «This is another song that we wrote ourselves.» Et là Mary nous explique : «As the band ripped into ‘Please Please Me’, the audience went into a frenzy.» Alors les filles décident qu’elles veulent faire ça : jouer du rock sur scène. Elles vont trouver les Remo Four qui sont eux aussi au pied de la scène et leur demandent où ils achètent leurs instruments.

             On est en 1963. Sylvia a 16 ans. Elle se pointe chez le marchand Rushworth & Dreaper’s. Elle dit au vendeur qu’elle veut une batterie - I’d like a kit of drums - Elle flashe sur un kit noir et blanc. Le vendeur l’observe et lui demande comme elle va payer. «I’ll pay weekly.» Il lui demande son âge. Sixteen. Le mec lui dit qu’elle ne peut pas. Soit daddy soit mummy. Il lui file le formulaire. Sylvia rentre chez elle et colle le formulaire sous le nez de sa mère : «Mother, sign that.» La mère répond : «What now, Syl?». Et Syl ne se déballonne pas : «Me and Val are gonna form a group. We’re going to play rock’n’roll.» Et la mère fait : «Oh, all right.» T’es à Liverpool, amigo, chez des gens éclairés.

             Val, c’est Valerie Gell, la guitariste qui a cassé sa pipe en bois en 2016. L’autre guitariste, la blonde Pamela Birch a aussi cassé sa pipe en bois en 2009. Des quatre, Val est la plus douée : elle peut jouer les cuts des Shadows et le «Peter Gunn» de Mancini. Le groupe devait s’appeler les Squaws, puis elles ont choisi les Liverbirds qui sont des oiseaux d’acier fixés sur un bâtiment du front de mer. La légende dit que si les Liverbirds s’envolaient un jour, Liverpool disparaîtrait.

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             En 1963, tous les kids de Liverpool veulent monter des groupes. Le succès des Beatles fait des ravages dans toutes les couches de la société, surtout chez les plus pauvres - Même si vous veniez d’un milieu pauvre, vous pouviez avoir un vie différente - Elles bossent tant et si bien qu’elle finissant par jouer six fois à la Cavern. Elles n’aiment pas Lennon qui est un provocateur : il affirme que les filles ne savent pas jouer de guitare. John Wiggins, le copain de Sylvia, a un jour collé Lennon au mur parce qu’il avait été trop insultant. T’apprends des tas de petites choses comme celle-ci. Le regard des filles sur les Beatles est extrêmement intéressant.

             Mary doit lâcher son boulet chez Hunters, une usine à viande froide. Elle n’a pas le courage d’aller annoncer sa démission, aussi envoie-t-elle son père. Son père revient et lui annonce qu’elle a fait une grosse connerie, parce que le boss a dit qu’elle avait un bel avenir dans la viande froide. Mary est sciée : «A big future in cold meats?».

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             En novembre 1963, elles jouent au Co-op Ballroom de Nuneaton avec des débutants, les Rolling Stones. Le Jag a 20 piges. Les gosses bombardent la scène de petits pains fourrés à la crème. Les Stones parviennent à éviter les missiles, sauf Charlie coincé derrière sa batterie. Mary dit qu’il finit le show couvert de crème. C’est moins pire que d’être couvert de glaviots, after all.  Et grâce aux Stones, les Liverbirds passent de la Beatlemania à un son plus raunchy - a grittier, bluesy direction - Elles vont vraiment commencer à taper dans Bo et dans Chucky Chuckah. Elles jouent aussi au Club a’Gogo de Newcastle, dont les stars locales sont les Animals, pareil, avec du gritty plein les pattes. En février 1964, elles jouent avec un «new band called the Kinks». C’est Ray qui leur dit que Sheila, la cousine de Mary, n’est pas bonne, et il leur présente Pam, «wearing a black cap, striped jacket and Chelsea boots.» Pam la blonde, qui flirte avec Ray Davies, et qui remplace Sheila. Les Loverbirds sont enfin au complet : Sylvia, Mary, Val & Pam. Elles peuvent partir à la conquête du Star-Club.

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    ( Assis à son bureau Manfred Weissleder)

             Elles partent à Hambourg au moment où Brian Epstein s’intéresse à elles. Trop tard. Elles sont déjà dans le bateau. Pareil, Larry Page qui s’occupe des Kinks leur fait aussi une offre qu’elles déclinent. C’est le boss du Star-Club, Manfred Weissleder, qui va s’occuper d’elles.

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             Et là, on entre dans l’un des endroits les plus mythiques de l’histoire du rock. Sylvia et Mary regorgent de détails fascinants sur le Star-Club. Elles nous apprennent que les barmaids sont les stars du Star-Club. Si elles t’ont à la bonne, ça va marcher. Dans le cas contraire, tu peux renter en Angleterre. Si elles aiment un groupe, elles allument les lampions au-dessus du bar. Le premier soir, les Liverbirds se retrouvent sur scène devant 2 000 personnes ! C’est énorme ! Alors, elles mettent le paquet - It was like something ignited and the audience went wild - Comme à Liverpool. Ça explose dans la salle. Elles démarrent avec «Road Runner». Mary et Pam courent sur scène en jouant - Pam looked like a big glamourous cavewoman.

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             Tu retrouves ce «Road Runner» sur la compile. La cover est tout simplement fabuleuse, le son est sec et Sylvia bat un beurre terrific.

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    (Klauss Woorman en 2018)

             Et le sexe dans tout ça ? Sylvia est la première à en parler : «Même si Mary et moi avions fait le vœu de rester vierges jusqu’au mariage, on a vite changé d’idée et je fus la première à craquer. En décembre 1964, j’étais au pieu avec Klaus Voorman, my first love.»

             En matière de girl-bands, les seules concurrentes sont Goldie & The Gingerbreads, des Américaines. Elles sont restées un mois au Star-Club, en attendant leurs visas pour l’Angleterre, où elles étaient invitées par les Stones et les Animals qui les avaient vues à New York dans une party chez Warhol pour la superstar fashion icon Baby Jane Holzer. Mary indique cependant que Goldie & The Gingerbreads avaient un son trop «bombastic power pop» pour le Star-Club qui en pinçait plus pour le rock’n’roll. Les Allemands préféraient les Liverbirds.

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             C’est Manfred qui les emmène en studio enregistrer leur premier album. Il a monté son label pour promouvoir les groupes qu’il programme sur scène. L’album des Liverbirds (Star-Club Show 4) est le quatrième, après les Searchers, les Rattles et Lee Curtis & The All-Stars. Elles démarrent avec un premier single, une cover du «Shop Around» de Smokey, qu’on retrouve bien sûr sur la compile Big Beat. Elles tapent là dans l’œil du cyclope et y ramènent toute l’énergie des Pirates - Oh yeah you’d better shop around/ Yeah - Leur deuxième single est un gros clin d’œil à Bo, «Diddley Daddy», qu’elles font bien rampant - Yeah Bo Diddley/ He’s a gun slinger/ He rides again - Tu retrouves tous les cuts de Star-Club Show 4 sur la compile, à commencer par ce «Talking About You» de fantastique allure, avec du Merseybeat clair et net et sans bavure, et un fabuleux solo de clairette. Fantastique cover de «You Can’t Judge A Book By Looking At The Cover» : niaque incroyable, bassmatic dynamique à l’anglaise, et Pam au let’s go yeah ! Leur «Johnny B Goode» est assez imbattable, énergie du diable et section rythmique stupéfiante.

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             Leur deuxième album, More Of The Liverbirds, est encore plus impressionnant, car elles tapent dans des hits superbes : «For Your Love» des Yardbirds (belle crise de craze), «Around & Around» (irréprochable), «Peanut Butter» de Chubby Checker, hey c’mon now !, «Oh No Not My Baby» de Goffin & King (cover gorgée de feeling), «Heatwave» (elles font bien Martha), «Long Tall Shorty» de Don Covay (wild sound, ça vaut largement les Milkshakes), «He’s About A Mover» de Doug Sahm (en plein dans l’œil du cyclope texan), et puis tu croises aussi sur la compile une cover de «Before You Accuse Me», où elles sonnent comme des Américaines, avec tout le chien de Liverpool - Before you accuse me/ Take a look at yourself - Et si tu adores Bo, alors tu vas te régaler de «Bo Diddley Is A Lover». ça vaut tout Lord Rochester. Yeah yeah Pam Birch !

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             Sylvia couche aussi avec Bob Garner, qui joue avec Tony Sheridan et qui ira ensuite rejoindre les Creation. Elle aime bien Bob, mais comme elle dit, ils sont, elle et lui, so busy touring it didn’t last. Les Liverbirds se mettent à tourner dans l’Europe entière et deviennent des big stars. Elles sont au hit-parade allemand avec «Diddley Daddy» et «Peanut Butter». Pam la blonde chante tout ça merveilleusement. C’est aussi elle, nous dit Sylvia, qui insiste pour taper une cover d’«Heatwave». C’est encore l’époque où on a le droit de conduire bourré sur la route, et Johnny Kidd, nous dit Sylvia, aimait boire un coup et prendre le volant. Bing ! Car crash sur la route.  Johnny Kidd était une star énorme au Star-Club.

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             Elles voient aussi Jimi Hendrix jouer au Star-Club trois soirs de duite. Elles sentent que le son change, «moving from beat pop to psychedelic sounds.» Le rideau se lève sur un Jimi qui claque le premier accord de «Foxy Lady». C’est aussi le big time pour les drugs. Mary en voit à gogo backstage, des amphètes qui ne coûtent rien ou presque, «known as the Preludin and Captagon» et qu’on va surnommer les «Prellies», que les Stones appelaient aussi «Mother’s Little Helper». Elles retrouvent d’ailleurs les Stones à Dortmund, elles sont au bar de l’hôtel et Brian Jones qui arrive demande à Pam si elle a de la coke. C’est la tournée Between The Buttons. Pour Mary, ce souvenir est important, car c’est la dernière fois qu’elle voit Brian Jones vivant.

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             Puis le groupe va entamer son déclin. Il ne reste plus que Pam et Mary dans les Liverbirds quand elles partent au Japon. Chris et Dixie ont remplacé Val et Sylvia. Le dernier concert des Liverbirds a lieu en août 1968. Sylvia se souvient que les Liverbirds sont arrivées à Hambourg en 1964. Elles ne devaient rester que six semaines et elles sont restées quatre ans, pendant lesquels elles ont enregistré deux albums et fréquenté Chucky Chuckah, Jimi Hendrix, Johnny Kidd, the Remo Four, the Big Six, testé les drogues et le sexe. Quatre ans de paradis. Le Star-Club qui avait ouvert ses portes en 1962 les fermera 14 mois après la fin des Liverbirds, au jour de l’an 1969, «the very last day of the sixties.» Comme Sam Phillips et d’autres géants avant lui, Manfred Weissleder «had lost interest».

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             Bon alors, après, les Liverbirds font des gosses, enfin, celles qui sont mariées. Puis elles se reforment et on les qualifie d’«original punks». Elles participent à la Big Beat Party, à Hambourg, avec Gerry & The Peacemakers, les Troggs, Dave Dee Dozy Beaky Mick & Titch, Ian & The Zodiacs, Lee Curtis, les Pirates sans Johnny Kidd et Screaming Lord Sutch. C’est la formation originale des Liverbirds qui déboule sur scène, Val, Pam, Sylvia et Mary, avec Barbara pour filer un coup de main sur les solos.

             Puis Pam qui a toujours fumé 40 Dunhills par jour chope un petit cancer et casse sa pipe en bois au moment où on lui enlève un poumon. Val va ensuite valdinguer dans les décors. It’s only rock’n’roll. 

    Signé : Cazengler, livide bird

    Mary McGlory & Sylvia Saunders. The Liverbirds. Our Life In Britain’s First Female Rock’n’Roll Band. Faber & Faber 2024

    The Liverbirds. From Merseyside To Hamburg - The Complete Star-Club Recordings. Big Beat 2010

     

     

    Inside the goldmine

     - Quelle Clark !

             Baby Click dansait tout le temps. Même quand il n’y avait pas de musique, elle papotait en se dandinant d’un pied sur l’autre et en hochant la tête sur un rythme qu’elle était la seule à entendre. Au début, ça t’épatait, tu enviais son feeling. Wouah Baby Click tu danses le jerk au Palladium ! De toute évidence, elle était restée ancrée dans les sixties. En plein trip Teenie Weenie Boppie ! Ses fringues, ses expressions, ses sourires, ses enthousiasmes, sa ligne, tout était sixties. Pas un poil de graisse. Une vraie jerkeuse. Un corps magnifique. Pour elle, la vie consistait à jerker. Jamais un mot sur son histoire sentimentale. Rien sur son parcours professionnel. Devenue retraitée, elle était restée incroyablement désirable. Quelques mecs lui tournaient encore autour, mais ça la faisait rire de bon cœur, et hop, elle se mettait à danser et à claquer des doigts. Elle adorait quasiment tout : la Soul, le funk, le garage quand il était dansant, la pop, bien sûr, on l’a aussi vue danser sur des trucs compliqués, mais elle avait cette facilité qui lui permettait d’adapter les mouvements de ses jambes et de ses hanches à toutes sortes de déboires rythmiques, et plus tu la voyais hocher la tête sur le beat, plus tu l’admirais. Admirer une femme, c’est une façon déguisée de la désirer. Mais tu savais bien au fond que ça n’irait pas plus loin. Pourtant, c’est toujours elle qui revenait à la charge, qui proposait des plans, des voyages et des soirées, elle restait à l’affût de tout ce qui pouvait être intéressant, elle multipliait des situations de proximité, les bises d’adieu dans les parkings étaient parfois tendancieuses, et elle accepta même un jour de venir boire un verre à la maison au retour d’un trip parisien, mais au moment de basculer dans l’irréparable, elle demanda à écouter des choses qu’elle aimait à la folie, «T’as pas Sam & Dave ?». Alors on sortait le stock de Stax et ça repartait pour une heure ou deux de jerk endiablé, elle tombait la veste et jerkait toute seule jusqu’à l’aube. Puis elle te remerciait pour cette excellente soirée, faisant bien sonner l’«excellente», et rentrait chez elle. Une heure plus tard, tu recevais un SMS te disant qu’elle était bien rentrée, qu’elle avait passé une excellente soirée et qu’elle avait hâte de récidiver. De toutes les allumeuses connues au bataillon, Baby Click était sans conteste la plus merveilleuse.

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             C’est une façon comme une autre de prendre ses Click et ses Clark. Autant Baby Click est brune, autant Chris Clark est blonde. Alors on prend ses Clark mais pas ses Click, et on file chez Motown. Quoi ? Une blonde chez Motown ? Ça par exemple ! Eh oui, Chris Clark s’est pointée un beau jour de 1963 dans le bureau de Berry Gordy et lui a chanté on the spot une tonitruante mouture d’«All I Could Do Was Cry» d’Etta James. Troublé, Gordy l’a gardée. Mais avant d’essayer d’en faire une star, il va lui demander de bosser deux ans à la réception.

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             Quelques singles sur VIP et boom premier album sur Motown en 1967, l’excellent Soul Sounds. Il faut la voir taper «Love’s Gone Bad», un hit signé HDH, elle est dans le bain jusqu’au cou, wild as Motown fuck ! Elle tape plus loin dans l’«If You Should Walk Away» de Frank Wilson, elle te le drive dans les règles, pas de problème. Elle finit ce brillant balda avec une cover de «Got To Get You Into My Life», elle pique sa crise de Beatlemania à la belle attaque, mais elle n’a pas le raunch de McCartney. En B, elle tape dans Smokey avec «From Head To Toe», elle a tout, les clap-hands et la classe qui va avec. Dernier smash de l’album, un «Until You Love Someone» signé HDH. C’est tout de suite happy comme pas deux - You can’t be happy/ Until you love someone - Ah elle y va, la White Negress, comme on la surnomme en Angleterre.

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             Son deuxième album s’appelle CC Rides Again et sort en 1969 sur le label rock de Deke Richards, un jeune producteur blanc signé par Berry Gordy. Au dos, elle est grimpée sur un éléphant, une idée de Deke Richards. C’est un album de covers, dont la plus spectaculaire est celle d’«You’ve Made Me So Very Happy», l’hit de Brenda Holloway. Chris Clark n’a pas la niaque de Brenda, mais elle attaque au mieux de sa voix blanche de blanche - You treated me so kind - C’est sans doute l’une des plus belles chansons d’amour de tous les temps, avec celles de Piaf et d’Esther Phillips - I’m so glad you/ Came into my life - Et elle tartine avec passion - Thank you babe - Elle explose de bonheur. C’est le sommet du genre. Elle fait aussi une petite cover de «Spinning Wheel», elle n’a pas la niaque de David Clayton Thomas, mais elle s’y frotte bien, avec son bon feeling de blanche noircie. Et puis voilà la chanson magique, co-signée par Deke Richards et l’arrangeur Van De Pitte : «How About You». Chris Clark épouse la magie pop - Baby I love you/ How about you - C’est quasiment du Burt. Elle se vautre lamentablement avec «With A Little Help From My Friends», elle en fait de la petite pop, dommage, mais elle fait du «One» de Nilsson un jerk de fantastique allure. Elle écrase bien son champignon. Elle se frotte à ses risques et périls à l’«In The Ghetto» et tape son «Get Back» dans le fond de la casserole.  

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             Le petit conseil qu’on pourrait donner aux fans de Chris Clark serait de rapatrier The Motown Collection : on y trouve les deux albums Motown pré-cités, et une montagne de cuts inédits. Encore une fois, on saute en l’air quand on découvre la qualité d’inédits comme «Ask My Girl». Quoi ? C’est un véritable coup de génie pop groové chez Motown et signé HDH. C’est incompréhensible qu’un tel smash soit resté dans un tiroir. Et attends, c’est le premier d’une série de 25. Le compileur en a rempli un CD entier. Encore un pur hit Motown avec «Everything’s Good About You». Du HDH encore avec «Take Me In Your Arms (Rock A Little While)» et voilà un hit signé Mickey Stevenson, «In The Neighbourhood». C’est une blondasse qui te claque le beignet de Motown. Ambiance «Something To Remember» (Ray Charles) avec «I Just Can’t Forget Him», et elle repart à l’assaut des charts avec «If You Let Me Baby», tout est bon, sur ce CD d’inédits, Chris Clark finit par sonner comme une black, elle chante parfois d’une voix fêlée et joue un peu avec le feu, elle n’est jamais très loin de la vérité. Et pouf, voilà qu’elle tape «Crying In The Chapel», elle se prélasse dans l’excellence de la chapelle. Plus loin, elle défonce encore la rondelle des annales avec un «He’s Good For Me» bombardé au bassmatic Motown. Chris Clark monte sur tous les coups. «Bad Seed» et «Something’s Wrong» t’envoient directement au tapis, elle y va au wild r’n’b d’I got to lose. Elle bascule à n’en plus finir dans le génie r’n’b. Tout est alarmant de véracité, ici. Elle excelle, cut après cut. Une vraie sinécure. C’est tout de même dingue que Chris Clark ne soit pas devenue superstar ! On s’en étonnera encore dans 10 000 ans. 

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    Signé : Cazengler, Chris Clown

    Chris Clark. Soul Sounds. Motown 1967

    Chris Clark. CC Rides Again. Weed 1969 

    Chris Clark. The Motown Collection. Motown 2005

     

     

     

     

    *

    La teuf-teuf roule dans la nuit. Mais elle possède deux phares lumineux pour se guider, alors que moi les neurones de mon esprit pataugent dans la plus profonde des pénombres. Tout cela par la faute de Béatrice la patronne et son incroyable affiche, d’où a-t-elle sorti ce groupe au nom impossible, cela demande quelques éclaircissements, jugez-en par vous-même :

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    BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ & GUEST

    3 B / Troyes / 02 – 11 - 2024

            Pas grand-monde, j’arrive de bonne heure, la salle se remplit doucement mais sûrement, la curiosité du public est en attente, à première vue, un groupe de rockabilly comme les autres, la contrebasse, la batterie, et la guitare en témoignent, avec en plus, goutte d’eau qui fait déborder le vase, ce saxophone argenté sur son perchoir. Les quatre musiciens apparaissent, pas de panique, l’on va tout savoir.

    PREMIER SET

             Paniquons, pour du rockabilly c’est rudement fort, mais tellement bon. Un mur d’airain infranchissable. La guitare de Benny, d’habitude c’est lui qui règle (à merveille) le son des groupes qui passent au 3 B, est implacable, sèche, dure, genre no prisonners, derrière lui la baratte qui n’en rate pas une ne vous laisse aucune chance, quant à la up-right elle n’est pas à l’unisson, elle ne joue pas, elle pousse au crime. Jusque-là tout serait parfait. Mais nous allons vite apprendre qu’il existe un stade supérieur à la perfection. L’axe du mal existe, c’est le sax. Ce n’est pas un sax, c’est un sabre d’abordage, l’est le premier à se jeter sur l’ennemi, avez-vous déjà entendu un sax mugir avec cette force, mille cerfs en rut qui brament, il rauque et il rocke au-dessus de la normale, de l’anormal, dix mille gouttières de zinc qui s’effondrent, ce n’est pas l’appel de la forêt, c‘est le scalpel du diable, une tonitruance gargantuesque, un tel déluge sonique surhumain ne serait-il pas dû au changement climatique, la Bible s’est trompée, ce n’est pas la trompette du jugement dernier, c’est le saxophone de la mort irrémédiable pour tout le monde. En tout cas l’on adore et ce quatuor fastueux aussi, puisqu’ils enchaînent derechef un autre instrumental.

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             Je l’ai remarquée dès que j’ai eu franchi le seuil, dans sa robe noire, chevelure rousse et visage impassible, elle m’a tout de suite rappelé la sombre silhouette de Moïra, la moire noire du Destin, sur la couverture d’un ancien livre de poche du roman éponyme de Julien Green, et là tout s’éclaire, en quelques mots Benny nous met au parfum pour ce premier set ils accompagneront, c’est ici que l’identité du guest est enfin révélée : Mary. Apparemment Mary n’a peur de rien, elle se pose tout tranquillou devant le micro en avant de nos quatre gladiateurs surphoniques comme s’ils étaient un orchestre à cordes de musique de chambre.

             Ne sont pas des mufles mais ils ne mettent pas de pantoufles à leurs instrus, un peu  moins de clinquanteries mais un son si épais que nul couteau ne saurait couper. Ambiances sixties, privilégiez le rumble au slow frotti-frotta langoureux. Vous pensez que Mary va poser sa voix sur ce magma de feu. Point du tout, elle impose son vocal avec une facilité déconcertante, sans forcer, sans peine, cette aisance incroyable tient à la densité de ses émotions et de la passion qu’elle porte aux titres qu’elle interprète, on la sent habitée d’une ferveur secrète mais palpable, elle ne chante pas, elle voue un culte à ce répertoire fondateur. Pas de simagrées, elle ne cherche pas à amadouer le public, c’est à prendre ou à laisser. Et le public du 3 B, qui s’y connaît un tantinet, n’en laisse pas une miette, chaque morceau est ponctué de longs applaudissements et de vifs vivats. Elle s’en ira comme elle est venue, avec une simplicité, une humilité de diva qui a accompli sa tâche, qui s’est acquittée d’une dette envers la musique qu’elle aime.

             Les cadors du quatuor reprennent les rênes pour deux ou trois morceaux. Je ne m’attarderai pas, nous revenons longuement sur eux pour le set suivant. Par contre je vous demanderai avec la plus grande insistance d’interdire à vos enfants la lecture du paragraphe suivant.

    DEUXIEME SET

             Benny est revenu le premier. Il s’empare de sa guitare et s’évertue de répéter inlassablement une même note, une manière, pensions-nous naïvement, de rappeler au turbin ses trois copains attardés derrière le rideau des coulisses. Ils arrivent sans se presser et s’affairent en toute quiétude autour de leurs instruments.

             Le grand avec sa verte argentée et son saxo c’est Grant Seeflay, pas du genre à siffler la fin se la partie au plus vite, le mec assis au fond avec sa veste noire et son col blanc n’a pas l’air méchant se prénomme tout de même Terric ( vous êtes prévenu), accoudé sur sa contrebasse il porte le surnom d’un amie de Fantômette : Fi-Cell, z’oui mais c’est peut-être la corde pour vous pendre, bon ça y est ils rejoignent Benny de Jongh qui répète inlassablement la même note, attention, de plus en plus stridente, et les trois autres vous pondent en douceur et profondeur une purée de poix phonique des plus inquiétantes, l’ambiance se tend, si l’on y réfléchit un tant soit peu c’est un tantinet étrange, l’on se croirait dans un château en Ecosse perdu sur ce promontoire brumeux, près du lock Ness, les notes effilées comme un poignard maltais de Benny ressemblent de plus en plus à ce glas terrifiant qui résonne dans Le Mystère de Cloomber de Conan Doyle, c’est alors que l’Innommable se produit, une voix, non un borborygme dégoûtant d’Oran Outang dérangé surgit de nulle part, une espèce de grondement issu du gosier d’un lion préhistorique,  à mes côtés Jerry, mais oui vous connaissez le saxophoniste des Monarchs que nous avons vus au 3 B il n’y a pas si longtemps, ses yeux comme les miens, se portent sur les musicos, z’ont tous la boucle close et à des kilomètres du micro, en tout cas le monstre invisible insiste, sans doute un chat monstrueux de quinze mètres de haut, devant la peur d’une de ses petites filles une maman décide de rapatrier toute sa nichée à l’autre bout du café, elle n’a pas tort, c’est un truc à rattraper une jaunisse, d’autant plus qu’il semble s’instaurer une course entre les musicos et cette voix hideuse d’outre-tombe, ils ont beau augmenter le son, la bête immonde les couvre de ses tonitruances vomitoires, pire elle se rapproche, maintenant elle est tout près, les yeux de l’assistance se fixent sur le bas du rideau des coulisses, ils remuent salement, la bête nuisible et gévaudanique sort, elle se porte à quatre pattes sur le devant de la scène, je le reconnais c’était le mec à mes côtés qui mirait la prestation de Mary, l’a enfoncé le micro dans sa bouche, l’émet des barrissements d’éléphant en colère, il se relève, retire le micro de ses amygdales, et sourit à la foule. Ouf nous l’avons échappé belle. C’est donc lui Bee Dee Kay.

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             Intro fabuleuse, Jerry qui a vu des centaines de concert me confie à l’oreille, qu’il n’a jamais vu une telle entrée en matière. Digne d’Hasil Adkins, de  Screamin’ Jay Hawkins, de Lord Sutch, de tous les embrochés de la cafetière du rock’n’roll. Maintenant que le prologue est terminé si vous croyez que vous allez redescendre vers le rockabilly carré et sans bavure comme le buffet que votre grand-mère astique toutes les semaines, vous êtes dans l’erreur. Ce n’est plus du rockabilly, ce n’est pas du rock’n’roll, c’est la folie du rockabilly et la fureur du rock’n’roll. De l’after-rockak, de l’after-rock, nos quatre mousquetaires instrumentaux ne jouent pas, et Bee Dee Kay ne chante pas. Ils miment. Ne criez pas parodie, contentez-vous du paradis. Ils connaissent tous les plans à merveille, ils vous édifient des palais sonores hallucinatoires,  Dee Bee s’amuse, vous a des poses pharamineuses, une seconde il est John Kay et à la suivante David Bowie, le mâle et l’androgyne, la brute et le truand, il n’est pas le bon parce qu’il le meilleur, le voici Elvis et Gene Vincent, ce coup-ci il se vautre sur le comptoir tel un Lux Interior, chacun y aura reconnu ses propres figures tutélaires du rock’n’roll, vous vous croyez en plein délire, et plaf un geste, et tout s’écroule, Terric d’un seul break envoie en éclats the wall of sound, Fi-Cell s’introduit dans la brèche tel un bulldozer, le saxo de Grand Seeflay tousse comme un tuberculeux, la guitare de Benny se transforme en lance-flammes pour réduire en cendres les derniers déchets, l’on est au cœur de catastrophe, à un millimètre de l’anéantissement, et hop ça repart comme en quarante, comme si de rien n’était, quelle maîtrise, quelle virtuosité. Ah le sourire d’enfant de Bee Dee ! ce grand gaillard aux tempes argentées, il batifole, il s’amuse comme un gosse qui casse son train électrique pour le transformer en soucoupe volante U.F.O. ZZZ, nous transporte sur une autre planète, celle du rock’n’roll, la vraie, la délirante, la fracassante, l’upercutante, celle de l’éternelle jeunesse du débordement vital.

    TROISIEME SET

             Malgré l’heure tardive, nous aurons droit à un troisième set. Pas très long, le temps de revoir Mary nous offrant deux magistrale versions de Jezebel, et Funnel of love, le group prend son envol mais au troisième morceau Béatrice la patronne nous rappelle que sur la planète terre toutes les choses ont une fin. Hélas, les meilleures aussi.

             Lot de consolation j’ai récupéré leur unique 45 tours, nous reparlerons de Bee Dee Kay Drives the U.F.O. ZZZ dès la semaine prochaine !

    Damie Chad.

     

     

    *

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             Depuis combien de temps suivons-nous Ashen ? Depuis toujours. Je ne vous donnerai pas de date, pour une fois vous serez privés de récapitulatifs. Il y a des groupes qui touchent à l’intemporel. Non pas parce qu’ils se prévalent d’obscurs mythes originels ou qu’ils s’en aillent cogner dans les obscures contrées du futur morturial dans le but inavoué que l’on puisse prendre connaissance de l’écho morcelé de leur choc intrusif dans l’inconnaissable, simplement parce qu’ils s’inscrivent dans le présent de la présence du monde dans lequel ils vivent, ou pour être plus exact, dans lequel ils tentent de survivre.

    SACRIFICE

    ASHEN (feat. ten56)

    (Out Of Line Music / Official Visualizer / Juin 2024)

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    Pour une fois nous n’avons pas droit à une de ces vidéos mystérieusement attirantes et déchirantes auxquelles le groupe nous a habitués. Pour autant l’on ne nous a pas jeté un os sans viande en pâture, nous offrent un riche faisceau de symboles qui nous inclinent à de clivantes rêveries.

    Un rouge que d’instinct l’on n’aime pas. Rouge cœur de taureau immolé en hécatombe sur l’autel propitiatoire. Les Dieux ont-ils accepté le sacrifice ? Sur ce fond voici un œuf. Un rouge éclatant. Triomphal. Ne serait-ce ces nervures cramoisies dont il est parcouru on reconnaîtrait en lui l’œuf d’Eros originel de la plus vielle mythologie grecque. Les lyrics qui apparaissent nous interdisent cette appropriation. C’est un œuf, certes, mais plein de son trop-plein, prêt à éclater. Ici il n’est point question d’ovule générationnelle, c’est œuf est une tête. Trop pleine, trop peine, prête à exploser. Cet œuf n’est pas neuf, il est mûr, il est arrivé à maturité, à son immaturité. C’est l’œuf de la folie, souvent il reste en nous stérile, il ne donne naissance à aucune créature, on l’oublie, on ignore qu’il repose dans le lit douillet de notre cervelle, dans laquelle éclosent nos pensées les plus sublimes. Il tourne sur lui-même dans son coquetier de bois, comme s’il était fier de lui, il nous dévoile toute son ovoïdité, comme si nous n’avions d’autres tâches à effectuer, si ce n’est de l’admirer.

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    Sans préavis, un deuxième symbole. La forme d’un avion furtif, une flèche d’indien, à moins que ce ne soit le trait empoisonné de Zénon d’Elée qui ne parvient jamais à sa cible, presque rassurant puisqu’il n’atteindra jamais la mort dont il ne nous transpercera pas, mais alors quelle est sa cible, à ce poignard effilé, à cette épée d’obsidienne, à ce sabre de samouraï destiné à porter le fatal coup du seppuku létal, lui aussi tourne sur lui-même, tel un missile qui cherche sa proie et s’obstine à calculer l’angle de la plus forte nuisance.

    Un troisième objet, à croire que l’on scrute les vitrines d’un musée. Celui-ci possède un piédestal de marbre sur lequel est ancré un avant-bras couronné d’une main, paume ouverte, levée vers le ciel, arborant à son poignet un collier de perles de bois. Entre ses doigts elle tient un objet, elle tourne sur elle-même, il est difficile de se le représenter, serait-ce dans le cercle de fer forgé la silhouette d’un cheval, qui porterait un cavalier, de petite taille, serait-ce Alexandre le Conquérant sur Bucéphale, non plutôt le cheval noir de l’attelage platonicien de notre intelligence,  la monture rétive qui refuse de marcher droit, qui cherche à nous faire dérailler, certes nous ne sommes pas un train, mais notre esprit est censé suivre les rails du logos … même si parfois en toute inconscience nous piquons droit vers la folie.

    Voilà, nous n’en verrons pas davantage. Nos trois symboles reviennent. Ne sont pas des marionnettes qui font trois petits tours et s’en vont, tournoient lentement d’une manière prémonitoirement menaçante, est-ce que le cheval d’orgueil  que nous avons aperçu une première fois fut une illusion d’optique, car maintenant nous reconnaissons entre les doigts un des cinq sigils affichés tout en haut de l’écran, seraient-ils appropriés aux cinq membres du groupe…

    Damie, si tu nous parlais un peu du son et de la song, c’est tout de même un peu important en musique, écoutez l’on raconte que lorsque Attila est sorti du ventre maternel, dans son poing fermé il tenait un caillot de sang, eh bien les gars ce morceau ressemble à ce caillot de sang que le fléau de Dieu avait arraché en passant aux entrailles de sa mère, il palpite, l’on sent que rien ne pourra arrêter son rythme insatiable, une barbaque qui refuse de s’éteindre, à cette différence près, ce n’est pas de la viande qui bat mais de la folie, de la folie pure.  

    Admirez la prouesse vocale de Clem, il ne chante pas, s’échappe de lui un gargouillement hideux de souffrance mentale, vous y croyez, vous le voyez recroquevillé sur lui-même, refermé en ses pensées délirantes comme une huitre schizophrène qui tenterait à tout prix de s’enfuir de sa coquille, il veut tout et n’importe quoi, le royaume souverain de sa solitude et le désir de s’exiler de lui-même auprès des autres qui le rejettent, à moins que ce ne soit lui qui  les expulse hors de sa misérable sphère d’appropriation du monde dont il refuse la présence. Quant à la musique vous ne l’entendez même pas, comment Ashen est-il parvenu à établir cette osmose visqueuse indissoluble entre vocal et instrumentation, à tel point que la musique chante et que la voix joue.  Salmigondis indiscernable, hachis indubitable, purée inépuisable, mais dès que ce bruit gloutouneux entre dans vos oreilles, il se transforme en nectar ouïtisque, il se produit une alchimie auditive qui métamorphose les stridences de la folie, les vacarmes expectorés par une âme malade, les ramonages hallucinatoires, en le chant des sirènes dont seuls de rares héros  homériques eurent  jouissance…

    Ne croyez pas vous en tirer à si bon compte, ce mal-être exprimé par Ashen ne vous concerne peut-être pas, mais il vous donne un aperçu de ce qui se passe dans la tête de la génération actuelle qui entre dans l’âge adulte. Le monde qui les attend est kaotique. Ils en ont la prescience, ils en expriment la dureté imminente, trop courageux pour refuser le suicide, il ne leur reste que cette notion d’auto-sacrifice qu’ils acceptent car ils ne veulent pas endosser le rôle de victimes sacrifiées. Le monde est fou, mais le seul refuge qui leur soit encore accessible, le dernier rempart dérélictoire qu’ils peuvent lui opposer s’avère être leur propre folie.

    Très fort.

    Damie Chad.

    *

    Encore un groupe que nous suivons depuis longtemps. En octobre 2022 nous avions regardé leur vidéo Unforgotten, en février 2023 ce fut le tour d’Eternal suivi d’Another Day au mois de septembre, voici le tour de :

     ACROSS THE DIVIDE

    AWAY

    (Avalone Studio / Août 2024)

    Rendons à César les lauriers qui lui reviennent. Alexandre Lhéritier est le responsable d’Avalone Studio, il s’est chargé de l’enregistrement du morceau.

    Pour les images il nous est spécifié : IA generated vidéo. Sans plus. Il serait intéressant de savoir quelle part de liberté l’Intelligence Humaine aura laissée à l’Intelligence Artificielle. A moins qu’il ne faille inverser les termes de la question.

    Le résultat est là : de belles images. Elles n’illustrent pas vraiment les paroles du morceau. Elles lui apportent même un plus que je qualifierai d’interprétation écologique du texte. A croire que le poids des mots est moins fort que le choc des images.

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    L’Intelligence Artificielle ne crée pas, elle produit. Entre nous, parmi les écrivains : peu créent et beaucoup produisent. Nous retrouvons le même pourcentage différentiel chez les peintres. Les premières soixante secondes sont splendides, vous ne savez pas où vous trouvez exactement, sont-ce des illustrations anglaises d’un livre d’enfants, sont-ce des images inspirées par les photos de la forêt de Mortefontaine chère à Gérard de Nerval, ou par des scènes du Seigneur des Anneaux, en tout cas notre Intelligence Artificielle connaît les bois de Watteau et toute la période romantique de la peinture occidentale… Nous aurions aimé qu’elle nous donne un aperçu de la manière dont nos descendants représenteront les arbres en l’an, barrez au choix la partie du mot qui ne vous convient pas, de dis/grâce 2524… Toutefois aurions-nous su entrevoir le futur en cette curiosité éloignée. Tout comme l’IA, nous procédons mais nous ne précédons pas.

    Que nous conte la chanson ?  Une histoire banale. Celle de tout le monde. Du gars qui aimerait être ailleurs. Non pas aux Amériques, de lui-même, de sa vie étriquée, de son impuissance à être ce qu’il voudrait être, libre et supérieur, non pas aux autres mais à lui-même. Beaucoup d’espoir, beaucoup de rêve, mais encore davantage de doute et de peur… il aimerait que quelqu’un le rejoigne mais il ne possède rien… A la vue des images en nous armant de cynisme nous demanderions s’il vit dans les bois…

    Des colères, des remontrances, des encouragements, les voix se succèdent, se répondent, s’entraident, se poussent en avant en un très bel oratorio. Symphonie vocale qui se marie magnifiquement au vert sombre des houppes, aux éclairs de feu orangé, aux instants impulsifs de notre vie ne sommes-nous pas des incendies dévastateurs sous les frondaisons de nos chairs intérieures. Tout homme n’est-il pas une forêt première qui brûle ?

    J’aurais aimé écrire le contraire, parce que la maudite technique bla-bla-bla, parce que la singulière grandeur de l’Homme bla-bla-bla, parce que bla-bla-bla, je vous donne trois heures et je ramasse les copies, mais non je dois le reconnaître, ici les images artificielles, les paroles et les musiques humaines se confortent mutuellement, elles s’allument de reflets réciproques, elles se chargent de mystères et s’interpénètrent de telles manières que seules et séparées elle perdraient de leur force persuasive et de leur aura magique.

    Across the divide nous surprend toujours.

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    Damie Chad.

     

    *

             Les choses ne sont jamais difficiles. Certaines d’entre elles s’avèrent subtiles. Nous pénètrerons donc en notre sujet par l’évocation d’un groupe de rock. Blondie ! Les trognes des lecteurs s’illuminent. Ah ! Deborah ! Désolé, mais je voulais parler de Chris Stein. Vous préférez Debbie, je comprends, toutefois Chris est un mec intéressant. Tiens saviez-vous que Chris possédait un tableau de Spare ? Non, vous voudriez des détails, alors plongez-vous dans :

    ŒUVRES

    AUSTIN OSMAN SPARE

    (Tome III)

    Editions Anima / Octobre 2024

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    Nous avions déjà  krotntniqué les tomes I et II, parus en 2017 et 2021, ce troisième opus, cornaqué par VINCENT CAPES, s’annonce fastueux par le grand nombre de reproductions de dessins et de peintures d’OSMAN SPARE, un régal pour les yeux et l’esprit. Nous évoquerons tour à tour mais en un ordre qui ne suivra pas celui du volume les traductions de textes de SPARE établies par PHILIPPE PISSIER, ainsi que l’ensemble des diverses contributions éclairantes qui permettent quelque peu d’entrevoir la portée opérative de l’œuvre de celui qui reste, avec Aleister Crowley, un des plus grands représentants de la Magie du vingtième siècle.

    Si vous n’éprouvez aucune accointance particulière avec la Magie, je vous conseille de débuter votre lecture par l’avant-dernier texte du volume.

    LES ANGES FOSSILES

    ALAN MOORE

             Les amateurs de bande dessinée et de Death Metal ont reconnu le célèbre auteur de From Hell. Né en 1953, Alan Moore n’en n’est pas moins relié à la personne d’Alexandre le Grand. Le lien qui les unit n’est pas tant l’admiration que notre dessinateur  porterait au Conquérant, la légende raconte que Philippe II de Macédoine ne serait pas son père, il serait né de l’étreinte de sa mère Olympias avec un de ses pythons – était-ce une énième métamorphose de Zeus - qui partageaient sa couche… Or Alan Moore s’est revendiqué adepte de Glykon, serpent mythique d’origine macédonienne adoré au deuxième siècle de notre ère par les romains. Voilà de quoi faire lever les yeux au ciel à bien des lecteurs qui auront vite fait de juger l’auteur de cet article, rédigé en 2002, comme un huluberlu, ne nous étonnons pas s’ils s’apprêtent à aborder le texte avec réticence.

             Ils seront surpris. Agréablement. Moore manie la verve avec autant de dextérité que le crayon. Il est aussi écrivain. Les pages qu’il consacre à la description des milieux occultes vous feront rire aux éclats. Le marteau d’Héphaïstos n’a aucun secret pour lui. L’a l’humour qui tue. Se refuse à prendre aux sérieux les agissements des occultistes modernes, les anges fossiles ce sont eux. Ne leur concède rien. Selon lui des magiciens de pacotille, engoncés dans l’imitation naphtalinatoire, s’avèrent totalement inopératifs.

             Après une telle charge, quel avenir pour la Magie. Moore ne se dérobe pas. La Magie ne saurait être ni une psychologie, ni une science. Ni autre chose. Sa seule chance de survie réside en un renouvellement de ses pratiques. Foin des rituels, remisez déguisements et tenues  au vestiaire, un peu d’inventivités et de création, chers mages ! La Magie doit être considérée comme un art majeur, musique, peinture, et celui le mieux approprié : la littérature. L’artiste n’est-il pas par essence celui qui suscite le désir… Vingt pages grand-format, d’une plénitude exceptionnelle.

    TABLEAUX D’UNE EXPOSITION

    DAVID TIBET

    (2002)

             Musicien, poëte, féru d’occultisme, David Tibet fut inspiré entre autres  aussi bien par Blue Öyster Cult, sans doute un indice qui explique pourquoi son groupe Current 93 fut un des pionniers de la musique industrielle que par The Incridible String Band d’où sa dérive, ce mot ici dépourvu d’intention péjorative, néo-folk.

             Ce texte est très court. David Tibet visite une exposition de tableaux de Spare. Sa préférence va au tableau représentant un petit garçon beau comme Apollon. J’ai l’habitude d’avertir les lecteurs de ce blogue, méfiez-vous d’Apollon. Non prévenu David Tibet tombe dans le piège. La couleur des yeux du petit garçon change à chacun de ses regards. Il faut donc aussi se méfier des peintures d’Austin Spare. Jusqu’à la mort.

    MIROIRS VIRTUELS EN TEMPS SOLIDE

    GENESIS BREYER P-ORRIDGE

    (1995)

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    Si Spare (1886-1956) peignit et écrivit, s’il fut un artiste pour reprendre le terme d’Alan Moore, il n’en fut pas moins un Mage. Dans cet article, P-Orridge analyse plusieurs œuvres de Spare, il ne se livre pas dans ses commentaires à une critique artistique, il n’examine les dessins qu’en dévoilant les desseins de leurs exécutions. En quoi ces œuvres sont-elles, au-delà de leur réussite graphique, des pratiques magiques ?  Spare ne cherche pas à agir sur les autres, ni pour les séduire, les influencer, s’attirer leur faveur, ou les maudire. La seule personne qui l’intéresse, c’est lui-même. Ses autoportraits en témoignent. Ce n’est pas qu’il veuille par stupide vanité se présenter sous ses plus beaux aspects. Soit il recherche les moments qui, notamment par la pratique de la magie sexuelle, lui ont permis d’atteindre des étapes de maîtrise fondamentale, soit il tente de parfaire par son dessin cette maîtrise magique en travaillant sur lui-même, en parvenant à atteindre des états de conscience de pleine puissance qui lui permette de s’affranchir de son incarnation historiale, pour pénétrer dans la dimension suivante. Certains collectionneurs ont éprouvé le besoin impératif de se débarrasser de dessins de Spare, car ils avaient l’impression d’une présence inquiétante dans ces feuilles de papier… Autosuggestion ?  Pensez à Honoré de Balzac, à Oscar Wilde, à Edgar Poe…  Puisque l’on parle de Maître Corbeau, pensons à cet opuscule de Ghemma Quiroga Galdo dans lequel elle tente de démontrer que l’auteur a tenté de rester en vie, de ne pas mourir, en inoculant son esprit, un peu comme l’on fait une transfusion sanguine, dans l’encre de ses livres…

    Tout cela est bien beau, oui mais après ? P-Orridge sort le grand jeu. N’oublions pas qu’il fut l’initiateur de Throbbing Christle, c’est un rockeur, et il le prouve. Nous voici dans une méditation métaphysique de haute intensité. L’on change de niveau. A partir de Jean Cocteau l’on effectue la traversée du miroir. Bien sûr d’un certain côté les tableaux sont comme des miroirs, le rôle est inversé, ce sont eux qui nous regardent. Oui, mais qu’y a-t-il dans un miroir. Non, ce n’est pas vous, le miroir ne reflète que l’espace. Celui qui lui fait face, celui qui est en lui, le miroir permet de faire la jonction entre l’intérieur et l’extérieur. C’est ce que l’on appelle la traversée des miroirs. Evidemment tout va de travers, nous avons oublié le troisième comparse, l’élément primordial. Non pas l’éther, le temps. Le temps ne serait-il pas, non pas une espèce unissive d’espace-temporel, mais une fragmentation d’atomes de temps qui dispersés tous azimuts ont pour fonction de structurer l’espace. Sans temps vous n’avez plus d’espace. Vous n’avez que du vide. Vous n’avez plus rien. Vous pouvez même vous amuser à affirmer que vous avez tout, que vous avez le plein, puisque vous accédez à la surface non-réfléchissante du miroir. Celui-ci est alors envisagé non selon sa fonction mais selon sa chosité. ( Je renvoie le lecteur intéressé à la lecture de Qu’est-ce qu’une chose de Martin Heidegger ). Si tant est qu’il existe encore un miroir. Le temps est la chose la plus concrète de toutes les choses qui existent et dans le monde intérieur (les idées nouméniques) et le monde extérieur (la matière phénoménale). Le temps ne passe pas. C’est lui qui permet le passage. Vu sous cet angle, vous avez là la possibilité de passer par la mort d’une incarnation à un état autre.

    AVENTURE DANS LES LIMBES

    1944 – 45

    AUSTIN OSMAN SPARE

            Une série de dessins de Spare que le lecteur aura intérêt à regarder longuement parallèlement aux tableaux commentés par P-Oridge. Pour notre part nous nous contenterons de réflexions générales quant à l’art de Spare. L’on évoque souvent Aubrey Beardsley lorsque l’on s’interroge sur Osman Spare. Beardsley le mignon, Spare le cru. Ce genre de synthétisation abrupte, je préfère d’autres parallèles. Par exemple ce qui rassemble et sépare Gustav Klimt d’Egon Schiele. Il ne s’agit pas d’opposer les tenants de l’Art pour l’Art aux partisans propédeutiques de l’Expressionisme. Simplement le constat que ces frères siamois artistiques diffèrent avant tout par la maniérisation érotique de la femme dont ces familles d’esprit usent. Et abusent, je rajoute ce verbe pour que les ligues féministes ne m’intentent pas un procès.

    SATYROS DUX

    1945

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Une deuxième série de dessins de Spare. A peine-écrivez-vous le mot femme que les satyres se radinent. Et cette fois-ci pas n’importe lequel, le chef. Il faut le dire : c’est plus fort que Picasso. Nous ne nous focalisons pas sur le trait, tous les personnages mythologiques du Catalan, ne sont que des ornements. Sont dans les tableaux pour faire antique. Au même titre qu’un tronçon de colonne. Chez Spare, les personnages ne se donnent pas systématiquement la peine de se mettre nu. Sont généralement habillés. Ces vingt dessins sont à lire comme une bande dessinée. A chacun d’imaginer son scénario. L’essentiel ne réside pas là. Ce serait oublier el Pintor. C’est lui donne corps et sens à chaque vignette. Nous ne nous risquerons pas à une lecture personnelle. D’autant plus qu’en toute fin du volume, quelqu’un d’autre s’en charge.

    VISIONS DE DIONYSOS

    2011

    JOHN ZORN

             Le lecteur se rendra sur YT écouter The Satyr’s Play (Visions of Dionysus) Ode I, II, III, IV, V, VI, VII, VIII, IX, X composé en hommage à Austin Osman Spare. L’ensemble dépourvu de paroles ne m’a guère convaincu… John Zorn est un musicien d’avant-garde qui a beaucoup produit s’inspirant de toutes sortes de musiques populaires américaines du jazz au classique.

             Le texte est une espèce de poème-rituel divisé en huit séquences, vous le préfèrerez au disque, un peu disert, un peu répétitif, sans surprise… Des sonorités que je me permettrai de qualifier d’agrestes, en rien novatrices. Texte d’une autre texture, requérant plusieurs niveaux de lectures. Aussi bien sur la numérologie sacrée que diverses et rapides évocations, philosophiques, ésotériques, sophistiques… En quelque sorte il peut se lire comme une réponse aux volontés de dépoussiérages de l’occultisme traditionnel souhaité par Alan Moore.

    RITUEL DE LA VENUE DU JOUR

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Avant tout l’on y sent l’influence évidente de Crowley, mais cette page ressemble à des notes écrites pour soi-même. Ce rituel malgré son imagerie égyptienne apparaît surtout non pas comme une invocation héliaque mais une adresse au soleil intérieur que chacun porte en soi.

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    DEDICACé A CELUI QUI VEUT

    ET A CELUI QUI DEMANDE

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Encore un texte rédigé pour soi-même et en même temps un avertissement au disciple. Spare ne fait pas l’aumône au disciple éventuel. Il   abhorre cette race de clones. Peut-être est-ce pour cela que l’on relève quelques accents nietzschéens dans le dernier paragraphe. Zarathoustra en pleine forme.

    LE SABBAT DES SORCIERES

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             D’abord un texte de réflexion sur la nature du Sabbat. Rien à voir avec la Nuit de Walpurgis de Goethe. Le mot sabbat désigne l’acte sexuel pratiqué en tant que pratique magique. Ce à quoi elle permet d’atteindre. A lire les pages restantes l’on a l’impression que l’on se trouve devant des notes préparées pour un cours, Spare en professeur consciencieux qui réunit toutes les pièces afférentes au sujet afin de palier  toute demande hypothétique d’un étudiant ou d’une étudiante. L’on ne peut s’empêcher de penser qu’il ne croit pas vraiment en l’efficacité de son cours théorique. Il est nécessaire de s’affronter à la pratique.

    DU MENTAL  AU MENTAL

    ET COMMENT PAR UN SORCIER

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Soyons héraclitéen : l’on ne se baigne jamais deux fois dans le fleuve de la pensée pour la simple raison que le fleuve de la pensée est partout, que l’on y est plongé en plein dedans, en plus il ne possède aucune rive… Pour une fois Spare se montre pédagogue. Il passe carrément aux applications techniques :  il vous démontre comment en deux ans vous pouvez devenir un as de la divination. Le courant de pensée de vos voisins se mêle à vos pensées. Un peu d’entraînement et un jeu de cinquante-deux cartes suffisent à répondre à toutes les questions d’un consultant inquiet pour son avenir. Cela n’a rien de magique au sens trivial du terme. Il suffit de le savoir et d’être conscient de ces confluences qui s’interpénètrent. Spare vous répète que c’est relativement facile… Les détails et les exemples qu’il fournit ne sont pas particulièrement stupides, mais vous quittez ces cinq pages en vous disant qu’il se contente de refiler le minimum, quelques encouragements, et puis vous êtes assez grand pour vous débrouiller par vous-même. Répétons-le, Spare n’est pas Crowley, il n’essaie pas de vous enseigner, de vous transformer, il respecte votre liberté. Le sorcier n’est pas un maître. Son but n’est pas d’instaurer envers vous un lien de domination ou de sujétion.

    AXIOMATA ou MICROLOGUS

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             D’abord remercions Philippe Pissier pour la clarté de  la traduction de ce texte fondamental. Mini-logos : mon œil (d’Horus – et même d’horreur tant vous êtes saisi par la force de ce texte), maximus logos je vous l’assure. Je ne sais pas si le grand Friedrich accepterait que ces sept pages de fragments numérotés soient ajoutées en appendice à une édition du Gai Savoir mais elles n’amoindriraient  en rien la pensée du solitaire d’Engadine. Tout y est : Dieu, l’Homme et même le Surhomme. Un exposé, un concentré de gaya scienzia explosif. A lire ce texte crucial – pensez à l’idée  qui fut clouée sur la croix – la continuité entre la pensée magique et la pensée philosophique devient une évidence. Un phénomène de trans-capillarité de deux traditions d’appréhension de l’être et de la chose, de l’être de la chose et de la chose de l’être. D’où l’importance du Mot qui transporte et l’Idée et la Chose. Ce texte est un miroir qui permet la traversée de la transparence de deux modes de pensée que l’on présente communément comme antagonistes et irréconciliables. Logos Pontifex !

    GALERIE

    (Dessins, Croquis, Aquarelles, Peintures)

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             Si les mots vous restent incompréhensiblement mystérieux regardez les dessins. Ce n’est pas un hasard si cette partie essentielle du volume est placée juste après le Micrologus. S’il est évident que chez Spare l’écriture cherche à éclaircir sa propre pensée et non à dispenser un enseignement, quel rôle a-t-il dévolu à l’exercice pictural, était-ce pour lui, vis-à-vis d’un public indélicat ou non auto-préparé, une manière d’obscurcir le but de ses entreprises, tant intimes qu’extimes, en leur offrant le trompe-l’œil ou le paravent de l’apparence première de ses opérations relatives aux choses magiques. Galerie présente plus de cent pages de dessins et de peintures effectués entre 1904 et 1956. S’il fallait résumer le travail magique de la peinture de Spare en deux mots, ce serait : nudité et portrait. Dans les deux cas, que ce soient les corps ou les têtes, il s’agit d’établir une projectivité pénétrative dans la chair ou l’esprit, de l’autre ou de soi-même, afin non pas de se les approprier mais en opérant un agrandissement de soi-même. Les dessins sont alors à considérer comme les écorces mortes de ce qui a eu lieu et pour les esprits avertis autant d’indices qui servent à concevoir et à comprendre.

             C’est fini… Non, ne faites pas les glavioteux, les treize pages de l’index des noms propres, elles ne sont pas fourrées en fin de volume, fourmillent de renseignements, si vous n’y apprenez rien, c’est que vous ne l’avez pas lu.

             Ce tome III est une petite merveille, vu la taille du mastodonte l’adjectif grande serait mieux approprié, quand on pense à Audrey Muller qui s’est chargée de la relecture, on la plaint, mais je crois que grâce à la présence de son chat roux (comme Osman Spare) à ses côtés on se dit qu’elle a bénéficié d’une véritable aide de sorcière.

             Ce livre n’est pas un livre de plus sur Spare, c’est un objet de première nécessité  pour apprendre à méditer, à réfléchir, à concevoir. Indispensable à ceux qui désirent être eux-mêmes. Et surtout plus qu’eux-mêmes.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 593: KR'TNT 593 : TOM POTTER / WIPERS / CHARLIE WATTS / ANN SEXTON / MOONLIGHT BENJAMIN / ACROSS THE DIVIDE / EIGHT FOOT MANCHILD / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 593

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    23 / 03 / 2023

     

    TOM POTTER /  WIPERS

    CHARLIE WATTS / ANN SEXTON

    MOONLIGHT BENJAMIN / ACROSS THE DIVIDE  

    EIGTH FOOT MANCHILD / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 593

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Le pote Potter

     

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             Il fut un temps où Tim Warren régnait sur le monde. Les fans de garage ne juraient que par Crypt. Ce label devint aussi mythique que Bomp et Skydog. L’un des groupes phares de Crypt s’appelait Bantam Rooster. Il s’agissait en fait d’une paire de petits mecs surexcités, Tom Potter et son ami batteur (kick & snare) Eric Cook.

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             L’écoute de leur premier album Deal Me In permettait de prendre la mesure du phénomène. Il était difficile d’admettre qu’un duo pouvait occasionner autant de ravages dans les oreilles d’un lapin blanc. Le pote Potter attaquait son morceau titre à la hurlette dégénérée. Il s’inscrivait directement dans la lignée de grands screamers, ceux qu’on dit définitifs et qu’on enferme à vie. Son «In The Manner To Which I’m Accustomed» était complètement trépigné de la trépignette, on le sentait incapable de revenir au calme. Il dépassait encore les bornes du scream dans «Ain’t Gonna Touch You». Il s’y conduisait en vrai diable cornu. Il arrosait la terre du scream le plus incendiaire qui se put alors concevoir. Et il atteignait à une sorte de génie lapidaire avec «Bantam Rooster Theme», véritable giclée de freakout extrême. Cette violente explosion d’exaction excédée relevait du pur génie trash. On aurait même pu parler de souffle atomique et de blast du siècle, tant qu’on y était. Le problème était que tout l’album ruait dans les brancards. Le pote Potter et son sbire n’avaient jamais envisagé le moindre répit. Cette notion devait même leur être complètement étrangère. Ils préféraient s’adonner au stomp des forges de Detroit avec «Lawdy Lawdy» ou emprunter quelques riffs au MC5 pour «Miss Luxury». Tom Potter n’en finissait plus de hurler, à seule fin de relancer sa machine. On avait là du jamais vu. Il braillait son «Man Of Wealth And Taste» au scream protubérant et se livrait à une sorte de devastating sludge dans «Fuck You Muh Man». Il portait le Potter à incandescence. Il ne pouvait pas non plus s’empêcher de désintégrer le pauvre «Shit Town» et on savait d’avance comment ça allait se terminer pour «Panther». Horrible ! Il screamait ça jusqu’à l’oss de l’ass. Il fallait le voir pour le croire. Ils amenaient des cuts comme «Brokeback Fit» et «Down & Out» au bord de la folie. On espérait bien ne jamais croiser ces deux fous dans la rue. Ils symbolisaient tout ce qu’on craignait, principalement l’esprit de non-retour. Et jusqu’à la fin de cet album terrifiant, Tom Potter se montrait incapable de la moindre humanité, il hurlait de plus belle sur «Mammon», il dépassait toutes les bornes. Aucun médecin n’aurait pu l’aider.

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             Avec The Cross And The Switchblade paru deux ans plus tard, le duo montait encore d’un cran dans l’insanité. Ils blastaient leur maximum overdrive dès «State Cracker», un cut complètement trépigné du bulbique. On sentait bien qu’on allait passer un mauvais quart d’heure en écoutant cet album. «Goin’ Cold» paraissait plus construit, avec ses semblants de couplets, mais ça basculait très vite dans la physique nucléaire. Ils finissaient l’A avec deux merveilles, «Tom Skinner» - Call me Tom Skinner  ! - et «You Ain’t The Boss Of Me», pur chef-d’œuvre de garage vénéneux. En B, le pote Potter inventait un nouveau genre avec «Shot Down» : la garage apocalyptique. Au fil des cuts, on se passionnait pour le travail de cet homme, à commencer par «Catfight», un cut bardé de dynamiques internes, tellement bardé que ça en devenait fascinant. Matthew Sweet d’Outrageous Cherry jouait de l’orgue sur «Ghost» et on avait là une sorte d’heavy groove bienfaiteur de l’humanité. Et puis, tout rebasculait dans le jusqu’au-boutisme potterien avec «Electricity», car il chantait ça à la hurlette purulente. Et là franchement, on craignait pour sa santé. Pourtant cinglé, Little Richard ne serait jamais allé jusque-là.

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             Leur troisième album Fuck All Y’All parut en l’an 2000 sur le label de Long Gone John, Sympathy For The Record Industry, concurrent direct de Crypt. Cet album est un véritable chef-d’œuvre d’insanité. Si l’insanité figure au premier rang de vos valeurs, alors vous devez impérativement vous jeter sur ce chef-d’œuvre. Ça explose dès «Dum It Down», mais de manière incontrôlable. Tom Potter et Mike Alonso jouent dans la pire urgence qui se puisse imaginer, leur démesure renvoie à l’incendie de Rome jadis imaginé par Néron pour la seule beauté du spectacle. Jamais aucun humain n’a hurlé comme ça dans un micro. Tom Potter pousse l’art du scream dans ses retranchements. Tiendra-t-il jusqu’au bout de l’album ? Franchement, on s’inquiète pour sa glotte. Il enchaîne avec une nouvelle preuve de l’existence du diable qui s’appelle «High Priestess». C’est un pounding éhonté, on a là le pur stomp de Detroit. On a l’impression que les cuts se succèdent comme des petits exercices de style visant à démontrer la suprématie du Detroit Sound. Mike Alonso se fend d’une belle pétarade évangélique et tout bascule dans l’insanité. On entend ce fou de Tom Potter hurler au fond de «Crack Your System», et comme si ça ne suffisait pas, il finit même par l’exploser en mille morceaux. Et puis avec «You’re The Sun», il flirte une fois encore avec le génie. Comme Artaud, il veut en finir avec le jugement de Dieu, alors il hurle tout ce qu’il peut. Il atomise le rock, il en fond tous les atomes, il en désintègre l’essence et en piétine la quintessence. Tom Potter s’inscrit en faux dans le vrai, il devient le temps d’un cut le plus grand screamer de l’univers. «Burn Down» sonne comme une incitation à l’émeute. Tom Potter est un apôtre de la folie, il explose systématiquement tous ses cuts, les uns après les autres, il n’en finit plus de burn it down, Alonso pilonne et le pote Potter hurle à s’en arracher les ovaires. On croit que ça va se calmer. Ha ha ha ! Potter se calmer ? Impossible, car voilà «Lockdown Monologue», une nouvelle abomination explosée d’entrée de jeu. Il hurle son cut dans son pantalon, et ça gicle. Il plonge une fois de plus dans le chaos avec «Dealbreaker». On a parfois l’impression qu’il veut se spécialiser dans la folie. Il n’existe rien de comparable dans le monde du rock. Il termine avec «This Close To Suicide» et passe un killer solo histoire de finir en beauté.

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             Et pouf, le pote Potter monte Beasteater avec Aaron Adduci (guitar), Traci Volker (bass) et Nick Lloyd (drums), et sort un premier album sans titre en 2016. Dès «The Night Air» qui ouvre le balda, on est frappé par le génie de ce big sounder qu’est le pote Potter. Il attaque à la hurlette massive, des gros sabots de plomb splouchent dans une marée de gélatine et la chair humaine à la Druillet, flic floc, c’est épais et barbare, gras et mauvais, au sens de l’intention, bien sûr. Le pote Potter dispose d’un sens aigu du riff porteur. On irait même jusqu’à dire qu’il fait de l’universalisme garage. En tous les cas, si le garage moderne doit ressembler à quelque chose, c’est au son de Beasteater. Attention, cet album se joue en 45 tours. Le plus drôle, c’est qu’on ne l’indique nulle part sur la pochette. Et tout l’album bascule dans la fournaise, mais une fournaise intéressante, à commencer par «I Eat Scum», où tout explose, Tom tape dans le tas, ça power-riffe dans le souk et Traci Volker lui répond du tac au tac, c’est le top de l’attaque, I’m losing my mind et Traci le singe. Admirable !  Le pote Potter continue d’ignorer la notion de répit. Les cuts avanceraient presque à marche forcée, au beat du pilon des forges du Creusot ou de Sheffield, peu importe, en tous les cas, ça emboutit la tôle et ça fume et avec toute cette vapeur, on ne voit plus grand chose. On tombe en B sur une terrible enfilade : «Scum Of The Earth», «Ovary Action» et «Taste The Floor», une enfilade qui justifie pleinement l’emplette. Scum c’est en effet du pur jus de Potter de pot de fer, le teutonné du bulbe, le destructeur de tour Eiffel, l’ogre aux dents d’acier, il arrache tout sur son passage, même les marronniers de l’avenue des Tilleuls, et puis avec Action, on monte encore d’un cran dans le détroitisme, c’est allumé aux riffs pyromaniaques, voilà le son dont rêvent tous les groupes garage, mais c’est le pote Potter qui a trouvé le truc. Oh et puis cet immonde Taste, qui te replonge dans l’heavy liquid des Stooges, c’est rampant en diable, explosé du cortex, émincé à l’échalote, farci aux gémonies, ça rôtit en broche, ça rissole dans le jus des enfers. Quel admirable sens des affaires ! Il termine cet album fabuleux avec deux autre brûlots, un «Slight Overnight» tendu à l’extrême, Tom y pétrit bien sa pâte, il soigne ses clameurs et puis un «Wood Shampoo», qui sonne comme la pure démence en partance pour Detroit, ça joue ventre à terre, lui, si on veut l’arrêter, c’est impossible, il enfonce les barricades et explose les cars de flics qui tentaient de barrer la route. Malheureux, tu veux stopper le pote Potter dans son élan ? Impossible ! Sache que le pote Potter joue son va-tout en permanence. Et ça va même plus loin : il ouvre des portes. Réfléchis à ça.     

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             Quand on parle du Detroit Sound, on cite généralement les noms des Stooges et du MC5, accessoirement ceux de Frost et des Amboy Dukes, mais rarement celui de Bob Seger, qui fut pourtant l’un des fers de lance du Detroit Sound avec des singles énormes comme «Heavy Music» et «Ramblin’ Gamblin’ Man». Pour réparer cette injustice, Tom Potter monte en 2008 The Seger Liberation Army et enregistre Down Home, un album de reprises du early Bob. Pat Pantano et Jim Diamond sont dans les rangs. Et forcément, l’Army attaque avec «Heavy Music». Le pote Potter ne s’embête pas, il tape dans l’un des pires classiques du Detroit Sound. Il en fait une abomination désespérée en le montant sur un beat Tamla. C’est exceptionnel, chargé à ras-bord de chœurs et de nappes d’orgue. Le pote Potter enfonce son clou de prime abord d’abordeur dédouané. Il balance tout ça dans la gueule des gémonies. Des cuts comme «Chain Smokin’» et «Get Down On Your Knees» sonnent comme de véritables énormités concomitantes, noyées de son et battues comme plâtre. L’Army claque «Down Home» au pire garage de Detroit. Le pote Potter pousse le bouchon de Bob un peu trop loin. Les choses montent encore d’un cran avec l’imparable «2+2=?», le hit définitif du vieux Bob. Le pote Potter l’expatrie ad patres. Il dispose de cette niaque qui lui permet d’exploser les choses de la vie - Two plass two is on my mind - C’est le hit idéal du Detroit Sound, monté en mayo d’assembly line. Le pote Potter travaille son cut au corps, il shoote toute la folie des matins du monde dans le vieux cul segérien, avec une fabuleuse insistance délétère, et ça repart de plus belle après l’inopiné d’un break béant. Il prend ensuite «East Side Story» à la pire fuzz rampante qu’on ait vue depuis le Gloria des Them. Voilà un chef-d’œuvre garage nocturne et dangereux, aussi dément et déterminé que ce vieux Gloria de Marine Hotel. Tout est là. Évidement, s’il tape dans «Ramblin’ Gamblin’ Man», c’est pour en faire de la charpie. Il explose ce hit incontournable des sixties. Le pote Potter le ré-explose de plus belle. Ah il ne faut pas lui confier les clés de la baraque ! Surtout pas ! Ce screamer fou bouffe le Ramblin’ tout cru. Il réduit tout effort langagier en bouillie et saute à pieds joints sur la syntaxe. Il finit avec un «Florida Time» qui sonne comme un pied de nez aux frères Wilson.

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             Un deuxième album du Seger Liberation Army paraît en 2016, avec quasiment tous les titres du précédent. On retrouve en effet sur Innervenus Eyes les somptueuses reprises d’«Heavy Music», d’«East Side Story», de «2+2=?», de «Chain Smokin’», de «Down Home» et de «Ramblin’ Gamblin’ Man». Very big business ! C’est un brouet sonique unique au monde. Parmi les cuts nouveaux, on trouve le morceau titre, porté par le souffle des vainqueurs, celui de ceux qui, comme la vieille garde, ne se rendent pas. Le pote Potter pulvérise sa version de «Death Row» au scream et travaille «Lucifer» au corps, alors que derrière lui s’écoule un solo liquide bien alambiqué. Ces gens ne laissent absolument rien au hasard. 

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             Nouvelle aventure sonique avec Choke Chains, un groupe que le pote Potter monte avec Chizz (bass), Linsey Crappor (guitar) et Mark Millionnaire (drums). L’album vient de paraître, produit par Jim Diamond, et petite info de choix, masterisé par Tim Warren. On y trouve quatre authentiques énormités, à commencer par ce «Safe Word» d’ouverture de bal. On sent le pote Potter possédé par le diable dès l’intro. Il maintient en effet son enfer sous le boisseau, il chante la bouche tordue et soudain, il se met à hurler, mais vraiment à hurler, on croirait entendre un ignoble barbare exaspéré, un monstre sorti des bois qui cherche désespérément à en découdre soit avec la légion romaine, soit avec les dieux, mais il ne peut plus se contrôler, c’est au-delà de ses forces, il suinte de colère noire, il hurle avec les yeux injectés de sang, il écume, il bave. Quel atroce spectacle ! Deuxième énormité en bout de balda : «Let’s Try Suicide». Joli programme ! Cette fois, le pote Potter vise l’extrémité du jusqu’au-boutisme outrancier. C’est un chercheur de petite bête, un allumeur de shootes, un détonateur à deux pattes, un spécialiste de la menace. Les deux autres énormités se nichent au bout de la B des cochons, à commencer par «Rock Paper Rapist». Cette fois, le pote Potter nous replonge dans l’un de ces cauchemars soniques dont il a le secret. On entend rôder un sax dans le coin. Ah quel fabuleux fouteur de bordel ! Il est bel et bien le roi des ribauds, le Detroit Sounder définitif. Tom Potter a tout compris, il est certainement le plus bel héritier des Stooges de 1969. Toute la sauvagerie urbaine est en lui. Il termine cet album puissant avec le morceau titre, «Choke Chain», infernal et fouillé aux tisons du grand Inquisiteur, ça pue la chair brûlée et la sueur de l’immense horreur des caves pontificales. On se régalera aussi du solo qui traverse en crabe «Moisture Technician». T’as déjà entendu un truc pareil ? Bien sûr que non. Quand on écoute «Cosmic Shadow», on réalise que Tom Potter peut aussi ratisser large. Il brasse tous les genres, mais il est visité par la grâce, et ça s’entend. Sur cet album, tout est chanté à la stoogerie, en mode voilé, avec l’insistance des bas-fonds et une ferveur abyssale. Tout ce que fait ce mec est absolument passionnant, il sort en permanence un son épais et jouissif, il chante le plus souvent en mode laid-back de la menace et s’autorise ici et là des petites crises d’épilepsie qui font notre bonheur. Son «Cracked Dracula» relève d’une pure puissance festive, mais au sens de Gilles de Rais, murailles humides, chaînes, bijoux et peaux de bêtes. Il traite aussi «Random Number Generator» en mode heavy mais avec un panache aussi sidérant que fédérateur. C’est presque une anomalie que de voir surgir du néant un groupe aussi génial. 

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             Le pote Chocker revient à la charge un an plus tard avec Android Sex Worker, un album mastered by Tim Warren, s’il vous plaît. Autant le dire tout de suite, le real deal se trouve en B, à commencer par «Lie From Hell». Back to the heavy Detroit Sound monté sur un bassmatic joliment métallique et les Chokers partent à l’assaut du ciel gris du Michigan. Ils enchaînent avec un «Galactic Overland» absolument dévastateur. Le pote Potter calcule bien ses effets, il dépote du Potter de Choker, épaulé par des chœurs de mâles. S’ensuit un «Sunday Goin’ To Meeting Whore» lesté d’une excellente pesanteur de beat. Ces mecs pilonnent les tranchées. C’est tellement hypno qu’il est impossible d’en réchapper. Ils mènent leur débinade de Detroit Sound à terme et on s’extasie face à l’excellence de la beatitude. Le bassman s’appelle Chizz et joue tout au bassmatic de metallic KO. On note aussi la virulence du morceau titre qui ouvre la B. Le pote Potter y joue la carte du tourbillon. On sent nettement l’influence de Brother Wayne, c’est sûr. Et puis avec «Put Your Hands»,  il plonge dans le désespoir et s’en va rôtir en enfer. Oh ce n’est pas que l’A soit mauvaise, mais elle se montre d’accès plus difficile. Comme toujours, le mieux est d’écouter. Les radios prennent toujours l’avantage sur les chroniques, qu’elles soient pertinentes ou non. Le pote Potter joue son «Mayan Starship» à la petite insidieuse cabalistique. Ce n’est qu’un dévoreur d’attention, un charmeur de serpents. On entend le batteur Mark Million baratter comme un beau diable dans «Cairo Scholars» et on assiste à un joli départ de feu, comme diraient les pompiers. Le pote Potter boucle son balda avec un «Rat Ladder» sacrément rebondi. Le marteau et l’enclume n’ont plus de secrets pour lui. Chez Potter, pas de fioritures.  

    Signé : Cazengler, pot de chambre

    Bantam Rooster. Deal Me In. Crypt Records 1997

    Bantam Rooster. The Cross And The Switchblade. Crypt Records 1999

    Bantam Rooster. Fuck All Y’All. Sympathy For The Record Industry 2000

    Beasteater. ST. Big Neck Records 2016            

    Seger Liberation Army. Down Home. Big Neck Records 2008

    Seger Liberation Army. Innervenus Eyes. Big Neck Records 2016

    Choke Chains. ST. Slovenly Recordings 2016

    Choke Chains. Android Sex Worker. Slovenly Recordings 2017

     

     

    Wiper Noël

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             Dans un SMS, Karim me disait l’an dernier : «Greg Sage est un génie !». Rien de tel qu’un bon SMS pour piquer la curiosité. Alors on est allé voir ce qui se passait sous les jupes de Greg Sage et de son groupe, les Wipers, un power trio de Portland, Oregon, qui sévissait dans les années 80/90. Quelle découverte ! Onze albums et pas un seul canard boiteux. Alors oui, on confirme : Greg Sage est un génie.

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             Embarquement pour Cythère dès le premier album, l’interrogatif Is This Real?. Ça démarre sur une triplette de Belleville, «Return Of The Rat», «Up Front» et «Let’s Go Let’s Go Away» : ça joue au heavy punch, c’est gorgé de son, ça file en mode heavy sludge. De vrais démons, wild as fuck, tout brûle dans la combustion de l’upfront. Ces mecs y vont pour de vrai, ils dégagent de la fumée, tout est submergé de son et tu as même, luxe suprême, des départs en solo dans la côte de la fournaise. Même le morceau titre est inespéré de power. Tout va très vite sur cet album, comme chez Hüsker Dü. Ils n’en finissent plus de déterrer la hache de guerre. Wipers all over ! Et puis, ils commencent vraiment à jouer avec le feu de l’hypno sur «Potential Suicide». Le Sage est le maître de l’heavy hypno d’erase the pain. Il ne cherche même pas à s’en sortir, il tartine son getting so depressed. Avec «Don’t Know What I Am», ils sonnent comme des Buzzcocks américains, ça joue vite et c’est bardé d’éclats de grattes. Sage qu’est pas sage referme sa marche avec un «Wait A Minute» gratté aux accords frais de la marée, des accords vivants prêts à être bouffés, les claqués resplendissent, c’est du gros Sage, bien sabré, wild et beau. On accueille ce mec à bras ouverts.

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             Youth Of America est certainement le meilleur album des Wipers. Sage qu’est pas sage démarre son affaire en mode punk’s not dead. Ah ils n’y vont pas de main morte ! Ni par quatre chemins ! Ils récidivent avec «Can This Be», joué aux gros accords bien gras. Mais c’est surtout le morceau titre qui nous interpelle, car voilà de l’hypno bien ravagée du bulbe. Ils sonnent comme de vrais héros, avec un son de heavy revienzy, on se croirait chez Can avec ce wild ride de dix minutes, ils jouent all over les dix minutes, c’est bourré d’énergie. Encore une belle énormité avec «Pushing The Extreme», nouveau shoot d’hypno extrêmement bienvenu. Et puis voilà le coup de génie : «When It’s Over», un instro bourré de charpie de son et de climats invulnérables. Sur la red Zeno, tu as des bonus extraordinaires. Forcément, avec un mec comme Sage, on est gâté. Il claque à sec «Scared Stuff» et ajoute des tortillettes atroces. Cette belle dégelée d’overtime te coule dessus. C’est extravagant de power. Sage n’est décidément pas sage. Même chose pour «No Fair». Les bonus restent les bonus, des lacs inespérés, des lunes de la lune, des bienfaits bienvenus. Dans ses bonus, Sage est encore moins sage. Il ne sera jamais sage. Il a des compos et du son, alors pas de problème. On tombe bien sûr sur des versions alternatives des cuts de l’album, comme par exemple le morceau titre. Sage est toujours le seul maître à bord, mais derrière lui, c’est l’overdrive incontrôlable. Bass & beurre on fire ! Sage se pavane dans les giclées de disto, il embarque tout en enfer. 

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             Sur Over The Edge, on trouve un énorme clin d’œil aux Saints : «No One Wants An Alien». Extraordinaire proximité. Sage fait son Bailey. Retour à l’hypno de choc avec «Romeo», on assiste à une fusion du rentre-dedans, Sage joue au lance-flammes, comme les Nazis, il nettoie les tranchées. Belle hypno de schlouffff ! Il ne respecte rien. Dès le morceau titre d’ouverture de bal, Sage et sa troupe défoncent le barrage de Marguerite contre le Pacifique, le cut porte bien son nom. Aucun espoir d’en réchapper. Il claque ensuite son «Doom Town» aux accords de Doom Town. Comment veux-tu échapper à ça ? C’est impossible. Sage est un sorcier. Il crée des clameurs à sec. Il exploite toutes les failles psychologiques. C’est extrêmement heavy, claqué aux meilleurs accords de l’Oregon. Il s’en va jouer «So Young» sous le boisseau, aux accords underground, C’est l’une de ses spécialités. Ses accords d’entre-deux sont très beaux. Pas de retour possible avec «Now Is The Time». Il gratte à l’efflanquée, il gratte en permanence tout ce qu’il peut gratter, ses poux et tout le reste. Son «What Is» est encore pire. On peut même parler de cut irrépressible. Sage arrose tout à la cantonade. Il referme la marche avec «This Time» qui sonne comme une plongée en enfer, bien monolithique. Dans les bonus de la red Zeno, tu as du live et c’est encore plus effarant : «Mistaken ID» live in San Francisco, ça vaut le détour ! Sage passe tout à la moulinette, la version de «Now Is The Time» est wild as fuck, comme noyée dans les aventures, le «Romeo» (+ horn section) bascule dans l’hypno demented et là tu ne rêves plus que d’une seule chose : serrer la pince de Sage pour le remercier de n’être pas sage.

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             Land Of The Lost date de 1986. Ce n’est pas le meilleur album du grand Sage, loin de là, mais on se régale du bassmatic de Brad Davidson dans «The Search». Ça gronde derrière le Sage. Le bassmatic dévore le cut de l’intérieur et le digère. Brad Davidson récidive avec «Nothing Left To Lose», c’est lui qui drive cette belle ambiance d’ambivalence. «Different Ways» est encore un joli groove wiperain et le «Just A Dream Away» d’ouverture de balda offre à qui sait voir une réelle profondeur de champ. Le grand Sage construit bien son ambiance. Il la veut pesante. On peut même dire que «Way Of Love» est un cut très concerné. Globalement, on peut dire que Sage qui n’est pas sage mène tout à la baguette, il ne traîne jamais en chemin, il faut que ça avance, coûte que coûte. Et bien sûr, tu retrouves le riff de «Death Party» dans le morceau titre.      

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             Paru l’année suivante, Follow Blind est un album nettement supérieur. Il faut attendre «Any Time You Find» pour voir le grand Sage renouer avec sa chère hypno. Il y passe des solos redoutables, qui font l’effet de coulées étincelantes, c’est d’une parfaite élégance sonique. Il illumine aussi le cut suivant, «The Chill Remains», le grand Sage joue en layers sur le doux du son et c’est extrêmement puissant. On peut comparer ce qu’il fait au travail des deux guitares sur Marquee Moon. Le Sage navigue à ce niveau d’excellence. On ne se lasse pas de cet énergumène et de sa sagesse. Il repart de plus belle en B avec «No Doubt About It», il joue ça au son plein, c’est une aubaine inespérée pour les oreilles, le voilà une fois de plus lancé à travers la plaine. C’est un slinger frénétique. Encore une fantastique embardée avec «Don’t Belong To You», monté sur le beat rebondi de Portland, pas de chichis, grosse section rythmique, ces trois mecs ne sont pas là pour rigoler. Ils finissent cet album béni des dieux avec deux gros shoots d’hypno, «Coming Down» et «Next Time», menés au beat rebondi. Cet album est enthousiasmant. Les Wipers sont les rois de l’hypno. Ils ont le Kraut dans le sang.

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             Bien obligé de l’admettre : The Circle est encore un big fat album. Cette fois, Sage qu’est pas sage envoie trois clins d’œil : un aux Stooges, un aux Saints et un au Gun Club. Monsieur Sage ne fait pas dans la dentelle. La stoogerie s’appelle «Make Or Break». C’est un petit fleuve de lave. Sage adore le power brûlant et les riffs des Stooges. Il est capable de démesure. Tu peux lui faire confiance. Pas de problème, tu peux lui confier tes clés et ta femme. La Gun-Clubberie s’appelle «True Believer». Il crée la bonne tension avec le son des poumons d’acier. Il revient à son cher «Death Party», la basse te rebondit sur l’haricot et là tu te dis une fois de plus : «C’est énorme !». La Sainterie s’appelle «Good Thing». On se croirait sur «I’m Stranded», ce sont les mêmes accords power-punkish. Sage n’a pas la voix mais il a le son, alors bravo quand même ! Et puis son «I Want A Way» d’ouverture de bal est une ravissante énormité. Sage est un fou. Il allume dès l’ouverture, il a du son, du rebondi, de la profondeur de champ, c’est complètement saturé de couenne de lard. Ce Sage n’est vraiment pas sage. Ils ne sont que trois pour sortir tout ce ramdam. Le mec au beurre s’appelle Steve Plouf. Il sortent le heavy power de surrender dans «Time Marches On». «All The Same» est vite expédié ad patrès, et il faut voir le Sage qu’est pas sage chevaucher son cut, un vrai cavalier de l’apocalypse, il fonce droit dans le décor, en vrai seigneur de l’hypno. Alors on le suit à califourchon. Sage est un artiste complet, on se régale de la qualité de son hypno. Et puis voilà le morceau titre, wild as fuck ! Sage est vraiment fou, il démolit son Circle et ça se tient quand même. Il maintient une pression extraordinaire, il joue du fast heavy pop rock de lard fumant.         

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             Tu vas encore trouver un sacré coup de génie sur Silver Sail, un Tim/Kerr Records paru en 1993 : «On A Roll». Comme sur la plupart de ses albums, le grand Sage s’énerve à la fin. Cette fois, il recycle des vieux réflexes glam, il réussit à faire du glam d’Amérique, c’est dire l’étendue de son registre, il y va avec un solo trash sous l’aile, bien dans l’angle, tu le reçois en pleine poire, cadeau du Sage, et il continue de cavaler on the roll, avec ce génie interventionniste qui le caractérise si bien. Il est partout dans son cut, il en carbonise la fin au solo trash. Tu entends rarement des guitaristes aussi doués. Avec «Prisoner,» il plonge dans de drôles de profondeurs, c’est noyé d’ombre et de no way out. Et même assez toxique. Il réussit toujours à l’alpaguer. Il monte comme Jimi Hendrix dans le Watchtower. Cet album est enregistré et mixé en Arizona. Il revient à sa chère heavyness avec «Line». Bienvenue en enfer ! Son solo coule comme un jus brûlant. Bien heavy lui aussi, son «Never Win» tranche dans l’épaule. Il t’enfarine ça dans un solo de trash-punk. Tu crois rêver. Le grand Sage qu’est pas Sage est un fast runner, un coureur de distance. On l’admire pour cette faculté qu’il a de courir en fin d’album («Silver Trail»). Bizarrement, le début d’album n’est pas très bon : trop conventionnel, trop soupe aux choux, rrrhuu, rrrrrhuuu. Il a du mal à sortir de sa casserole. Les trois premiers cuts sont atrocement connotés, on dirait du gratté de poux à la Dire Straits, comme si le Sage était devenu bien sage. On le préfère quand il repart en fast tempo, par exemple avec «Sign Of The Times». Il remonte à cheval et file à travers la plaine. Il tagadate à l’éclate du Sénégal, il n’est pas près de s’arrêter. Ses fast rides sont secs et sanctionnés, alors tu peux le suivre, si tu sais courir vite. 

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             Deuxième album sur le label de Tim Kerr : The Herd. Ça commence mal, car «Psychic Vampire» te tombe littéralement sur le coin de la gueule. Ce Sage qu’est pas sage te cavale à travers ta plaine, il t’écrase ton petite champignon et te court sur l’haricot. Tu n’as pas le choix, tu ne peux que le vénérer. Il est effarant de power et toujours cette profondeur de champ, cette extrême tension, il faut le voir gratter ses poux dans l’écho du temps. Greg Sage et Eddie Bo dans la même soirée, ça fait beaucoup trop. Sage qu’est pas sage est le roi de la dégelée, il a le génie du son, il est une sorte de Totor du pauvre, rien qu’avec ce «Psychic Vampire», t’es repassé au pli. L’autre coup de génie de l’album est le «Resist» qui se planque vers la fin. Bardé de Sage sound, ce mec te remplit à ras-bord, c’est extrêmement puissant. Il va toujours vite, avec du son. Encore une belle énormité avec «Last Chance». Il crée son monde sur place, au débotté, il malaxe l’argile de sa heavyness, il pétrit la latence de la pertinence, c’est miraculeux de le voir à l’œuvre. Il sait aussi bombarder, comme le montre «No Place Safe». Aw comme c’est chargé, un vrai ciel d’apocalypse ! Il y flotte comme un psychic vampire et ses solos remontent jusqu’au firmament, au note à note. Ce mec te carbonise de bonheur sonique. Avec «Stormy», il taille sa route dans la jungle. Il est bon dans tous les registres, il s’accorde à toutes les imageries, même celles d’Épinal. C’est vrai que ce mec gagne à être connu. Son «Green Light Legion» est bien charpenté, hérissé de rafales. Pas de place pour le hasard, ici. Sage qu’est pas sage bâtit son empire cut après cut. Il revient à sa chère hypno avec «Defiant». Cavaler ventre à terre dans la plaine en flammes, c’est tout ce qui l’intéresse.

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             Ah, encore un album imparable : The Power In One. Ça grouille de coups de génie, là-dedans, dès «The Fall», fracassé aux accords de fricassée, on sent la fibre des notes de clairette dans le bazar de la frondaison, c’est un son extrêmement puisant, ce mec orme son tourment apocalyptique de finesses florentines, il torture le spectre sonore pour lui faire avouer ses avanies. Le grand Sage te plonge dans sa bassine d’huile bouillante, il développe une ambiance de densité extrême. Et ça continue avec «Shaken», il est partout dans le son, il renoue avec l’énergie du Gun Club, son Shaken est du pur jus de «Death Party». Il repart de plus belle avec «Rest Of My Life», il joue sur du rebondi avec des layers fantastiques, il est aussi fin que l’était Jeffrey Lee Pierce, tu retrouves dans ce Rest toute la navigation du Gun Club. Avec «Rocket», il sonne comme Thin Lizzy, il est on fire, il a des pétards dans le cul, il force bien le passage, comme le fit Phil Lynott en son temps. Le Sage veille sur notre incurie. Avec le morceau titre, il arrose la terre de brillants accords bruissants, il joue à l’automne du rock hypnotique, c’est incroyablement bien dosé. Il faut dire que la prod d’Arizona est superbe. Il remonte au créneau du heavy sludge avec «Misleading». Tu entends rarement des heavy boogies de cette qualité. Le Sage a tous les pouvoirs. Encore un déluge de son avec «Still Inside Of Me», il pleut du son et du Sage. Il trace son chemin de croix à coups de solos d’élévation. Tout aussi wild as fuck, voilà «Ship Of Dream», il entasse les layers de gratte, c’est hallucinant. Greg Sage est un artiste passionnant. Il est l’un de ceux qui savent gratter des accords sautillants dans la tourmente d’un heavy mood.

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             Entre deux rafales de Wipers, Greg Sage enregistre des albums solo. Le premier s’appelle Straight Ahead. La tendance globale de l’album est le balladif enragé. Sage qu’est pas sage gratte à sec. Dans «Soul’s Tongue», il lui demande de lui parler avec sa langue : «Speak to me with your soul’s tongue». Et puis au détour d’un «Blue Cowboy», il se met à sonner comme Chris Bailey. Petit à petit on le voit s’énerver, toujours avec du son Sainty, sur «Your Empathy» et comme il a de l’énergie à revendre, il devient sautillant sur «Seems So Clear». Il se perd un peu en B («Lost In Space») et continue de tout gratter à la clairette d’electrac («World Without Fear»), avec une belle unicité de ton et de son. Il termine avec un «Keep On Keepin’ On» plus sombre, gratté dans les ténèbres de va-pas-bien, l’a pas été sage, le Sage. Puni. Alors il gratte au fond du placard à balais où l’a enfermé le diable.

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             Pour la pochette de Sacrifice (For Love), le Sage qu’est pas sage a pensé à des petits squelettes mexicains. Quel farceur ! En attendant, il continue de gratter ses poux. Pour le morceau titre, il gratte vite et sec à la surface de la peau du cut. Pas facile de savoir avec un mec comme lui, il tente un peu le diable, il cultive la tension, ce qui peut expliquer la présence de squelettes sur la pochette. Avec «Forever», il tente encore de créer l’illusion, il est tout près, et puis il finit par te harponner avec ses vieux accords. Curieux mélange de oui/non. Ça paraît bon et ça ne l’est pas vraiment. Il a perdu l’éperdu des premiers albums. Mais il rebondit toujours. Avec «No Turning Back», il dégouline de no turning back aw ! Il redevient enfin monstrueux avec «Ready Or Not». C’est même du pur jus Gun Clubbish, du «Death Party» à la sauce de Sage avec du killer solo flash en retour de manivelle. Sage a du génie, qu’on se le dise ! Rien qu’avec «Ready Or Not», t’es content d’écouter cet album. Et pouf, il enchaîne sur une cover démente de «For Your Love», il tape dans le yard des Yardbirds, il en a les moyens, il en fait un Sage Yard, il a tout le son du monde. Il réussit à rehausser le power des Yardbirds avec le sien et il amène son beat en plus. «For Your Love» devient autre chose, Sage le joue au super power. Il y a là un truc qui te dépasse. Il reste dans le heavy Sage avec «This Planet Earth», il redevient magique, il gratte ses poux dans un overall de sonic boom, il te barbouille l’horizon au beat énorme, il est là, debout avec un chant un peu épais, il revient à son péché mignon, l’hypno. Il referme la marche des squelettes avec «Dreams». Au milieu des arpèges, il sonne comme Lou Reed. Ce mec t’épuise. Il est trop bon. Il faut le voir descendre dans la fosse. Oui, c’est un génie.

    Signé : Cazengler, Wiper fouettard

    Wipers. Is This Real? Park Avenue Records 1980

    Wipers. Youth Of America. Park Avenue Records 1981

    Wipers. Over The Edge. Brain Eater 1983

    Wipers. Land Of The Lost. Restless Records 1986    

    Wipers. Follow Blind. Restless Records 1987           

    Wipers. The Circle. Restless Records 1988         

    Wipers. Silver Sail. Tim/Kerr Records 1993   

    Wipers. The Herd. Tim/Kerr Records 1996  

    Wipers. The Power In One. Zeno Records 1999

    Greg Sage. Straight Ahead. Enigma 1985

    Greg Sage. Sacrifice (For Love). Restless Records 1991

     

     

    Wizards & True Stars

    - J’ai la Watts qui s’dilate (Part Three)

     

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             L’autre jour, on musardait dans les pages de chroniques de livres que proposent chaque mois les canards anglais et pouf, sur qui qu’on tombe ? Oh ! Charlie Watts ! What, encore un Watts book ? What the fuck ! L’«À-quoi-bon» fut la première formule à s’inscrire dans la bulle de BD qui se formait au-dessus de la tête. Mais au fond, cette persistance éditoriale avait un petit côté tellement mutin, tellement espiègle, que dans les bulles suivantes s’inscrivirent des formules du genre «Là Charlie tu charries», ou mieux encore, «Arrête ton Char, lie.»

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             Oui, car la légende de Charlie Watts n’en est pas à son coup d’essai. On avait ici même salué en 2021 l’excellent book de Mike Edison, Sympathy For The Drummer - Why Charlie Watts Matters. Book doublement excellent, puisque ce fut d’une part le dernier cadeau de Gildas, et d’autre part une fantastique incitation à réécouter tous les albums des Stones, via Charlie. Mike Edison loue si bien le talent de Charlie Watts qu’on réécoute les Stones avec une oreille complètement vierge. Dans les vieux blah-blahtages marathoniens, les spécialistes citent toujours les deux mêmes : Keef et Brian Jones, rarement Charlie Watts. Avec un brio surnaturel, Mike Edison avait réussi à colmater cette atroce carence. Et voilà que Paul Sexton prend la suite avec Charlie’s Good Tonight.

             Bon alors attention, ce n’est pas du tout la même approche. À force d’enthousiasme, Mike Edison réussissait à transformer un beurreman effacé en clé de voûte de la Stonesy. Sexton propose une collection d’anecdotes et de témoignages qui puent le déjà vu, mais comme il s’agit de Charlies Watts, le déjà vu convient parfaitement, puisqu’il s’agit avant tout d’alimenter la rubrique des True Stars. Les tours de Brian Jones et de Keef viendront plus tard. Pour une fois, Charlie passe en proms.

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             Au dos du Sexton book, tu vas tomber sur un portrait extraordinaire de Charlie : il prend la pose, accoudé sur une commode, le buste serré dans un blazer prince de galles croisé, fermé d’un seul bouton, avec la main droite qui pend dans le vide. On pense immédiatement au portrait de Robert de Montesquiou par Boldini : c’est exactement la même élégance de jeté d’épaule, à la canne près. Montesquiou déboutonne sa vareuse en soie, c’est le côté français. Charlie boutonne son blazer, c’est le côté anglais.

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             Sexton ne prétend pas être écrivain. Il compile. Il réussit toutefois à bien approcher la psychologie de son personnage, n’utilisant que la partie visible de l’iceberg. Pour structurer son récit, il opte pour la facilité : le fil chronologique. Pour un auteur, un personnage du calibre de Charlie, c’est vraiment du gâtö : il n’existe pas de vie plus lisse que celle de Charlie Watts : une seule femme, Shirley, une seule fille, une seule petite-fille, un seul groupe, une seule passion, l’élégance, et un seul vice : les collections. Collections d’objets, de 78 tours, de drum kits, de bagnoles, de livres, et de chevaux de course. Car oui, on finit par devenir millionnaire quand on bat le beurre dans les Stones pendant soixante ans. Ah n’oublions pas le plus important : un seul talent, indépendamment du beurre, l’humour. Attention, c’est de l’humour anglais. Un petit exemple. Charlie s’adresse à la presse qu’il n’aime pas beaucoup et leur balance : «Je donne l’impression de m’ennuyer - of being bored - Mais je ne m’ennuie pas vraiment. I’ve just got an incredibly boring face.»

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             Alors évidemment, ça démarre avec les deux préfaces prévisibles : celle de Jag et celle de Keef. Ça commence mal avec celle de Keef, car il explique qu’à chaque fois qu’il doit parler de Charlie Watts, il s’aperçoit qu’on ne peut pas en parler - you realise the essential man wasn’t something you put into words - Keef en déduit que Charlie était une présence, «and when you were with him, that was it.» Il conclut avec cette phrase qui sonne comme un aphorisme : «Charlie was just what you got, which was Charlie. He was the realest guy I ever met.» On peut le croire , le Keef Keef bourricot, car des guys, il en a pratiqué des tonnes.

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             Sexton commence par nous radiner la fraise d’un jeune Charlie passionné de jazz et de design. Avant d’intégrer les Stones, il bosse dans une petite agence de pub à Londres. Et comme bon nombre de ses contemporains devenus célèbres par la suite - Jack Bruce, Ginger Baker, Graham Bond, Davy Graham, Long John Baldry, Dick Heckstall-Smith, Jagger - il débute dans le Blues Incorporated d’Alexis Korner. Quand Charlie bat le beurre pour Korner, Jack Bruce joue de la stand-up. Charlie indique d’ailleurs que Jack va passer rapidement à la basse électrique. En plus de Jag, d’autres chanteurs se bousculent au portillon. Charlie se souvient de Paul Jones et d’un Américain nommé Ronnie Jones.

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             Alors évidement, ce book est l’occasion rêvée de replonger dans l’histoire des early Stones, un temps béni où Brian Jones se faisait appeler Elmo Lewis en hommage à Elmore James, il y avait aussi Stu Stewart qu’Andrew Loog Oldham allait écarter pour cause de non-look, et dans la toute première mouture des Stones, avant l’arrivée de Bill & Charlie, tu avais Dick Taylor à la basse et Mick Avory au beurre. On parle aussi d’un certain Tony Chapman, qui jouait avec Bill dans les Cliftons, ou encore de Carlo Little, qui jouait dans le groupe de Screamin’ Lord Sutch. Charlie les connaît tous. Puis les early Stones s’installent à Edith Grove, Chelsea : d’abord Jag et Brian Jones, puis Keef. Charlie dit qu’il s’y installe aussi, mais il rentre chez ses parents le week-end. Il ne faut tout de même pas exagérer. Il en garde cependant un bon souvenir - It was a bloody laugh, actually - On est en 1962, à l’aube des temps. Bill est engagé plus pour son ampli que pour sa technique, ironise Sexton, et Charlie donne sa dem à Blues Incorparated pour rejoindre les Stones. Comme motif de démission, il dit qu’il n’est pas au niveau des autres Blues Incorporated.

             Charlie admire énormément Ginger Baker, il le trouve américain - He sounded more to me like Elvin Jones than Elvin does - Il faut s’habituer à ce genre de facétie. Charlie est un pince sans rire. En quittant les Blues Incorparated, Charlie refile le job à Ginger et lui dit qu’il se casse parce que le groupe n’est pas «a secure future». Nettie, la fille de Ginger, rapporte que son père a trouvé cette répartie hilarante. En échange, Ginger lui refile le plan Brian Jones. Nettie : «My dad liked Brian because he said he was a good musician.» Un soir, après un concert des early Stones, Ginger chope Brian Jones pour lui dire ceci : «Ton batteur est une vraie catastrophe. Why don’t you get Charlie Watts ?».

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    ( Fred Below )

             Mais les Stones ne savent pas s’ils ont les moyens de s’offrir Charlie Watts. C’est en tous les cas ce qu’affirme Keef dans son autobio - God, we’d love that Charlie Watts if we could afford him - Ils finissent par se l’offrir, lui faisant miroiter un CDI. Un fois embauché, Charlie écoute les albums de Jimmy Reed avec Keef et Brian Jones, à Edith Grove. Il écoute surtout Earl Phillips, le batteur de Jimmy Reed, il découvre ensuite qu’Earl Phillips joue comme un batteur de jazz, «playing swing, with a straight four.» Puis il passe à Fred Below, le batteur Chess qu’on entend sur les albums de Chucky Chuckah et de Muddy - Freddy Below, on the other hand, played shuffle, which is what they did in Chicago - Il rend un hommage fondamental à cet homme qui fut à sa façon la clé de voûte du Chess sound - So we learned to play the Freddy Below way - Et pouf, les voilà sur Decca, les early Sones, avec une cover de «Come On». Charlie se marre : «We never did it as good as Chuck Berry, nobody ever does.» Il ajoute que Chucky Chuckah en fit une «very hip version. The rhythm is great. It’s like a New Orleans rhythm he plays, it’s fantastic. We played it straight, like a Liverpool beat group. When we were young, we played things bloody fast.» «On ne se posait pas de questions», conclut Charlie en éclatant de rire.

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             Bill indique que si les early hits des Stones sont tellement brillants, c’est un peu grâce à Charlie, «because he was a jazz drummer, and so we were streets ahead of anybody that ever wanted to imitate us. They never could quite get the feel we had.» Les Stones se font virer des clubs de jazz à Londres et sont obligés d’aller jouer à Richmond ou à Twickenham. Charlie rappelle que les Stones en pincent pour le down home blues, the Diddley stuff and Muddy Waters.

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             Et puis en 1964, les Stones explosent. Sexton sort les chiffres : 206 gigs dans l’année, deux tournées américaines, et les gros shows télévisés. Bill ramène toujours son grain de sel à bon escient : «Les Beatles composaient des chansons meilleures que les nôtres, ils chantaient mieux que nous, but we were so much better than them alive.» Très vite, il apparaît que la vie en tournée ne plaît pas trop à Charlie qui est assez casanier et qui ne rêve que d’une chose : retrouver sa chère Shirley et sa fille Seraphina. Charlie menace régulièrement de faire la grève des tournées : «I’m not touring anymore», et les autres lui rétorquent : «You are». Bill dit que Charlie mettait du temps à accepter de repartir - But he didn’t like it - Alors en tournée, il dessine. Il dessine toutes ses chambres d’hôtel, les lits, les postes de télé. De toute façon, Charlie n’aime pas la musique des Stones. Quand on lui dit : «I’m a great fan of the Stones», il répond : «I’m not. It’s what I do. Mick and Keith and Ronnie are my friends and the band is a very good one, but that’s it.» Sec et net. Comme son beurre.

             Il ne s’attarde pas trop sur la fin de Brian Jones, une fin qui dit-il était prévisible, mais il le dit à l’anglaise : «It wasn’t unexpected, to be honest with you.» Bon, il précise : «On ne s’attendait pas à ce qu’il casse sa pipe en bois, mais ça faisait au moins deux ans qu’il allait très mal.» Il a une façon très wattsienne de dire les choses : «Brian, you could see him going, or not going but getting very unwell. Il était très jeune, on ne meurt pas à son âge. Il est allé de plus en plus en plus mal. So there was that ‘knock, boink, pick up again’, et on ne tournait plus depuis longtemps. I guess that’s what happened.» Pour d’autres détails, il faudra repasser un autre jour.

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             Quand les Stones s’exilent et qu’ils s’installent dans le Sud de la France, la famille Watts s’installe à Saint-Jean-du-Gard, dans les Cévennes. Séraphina va à l’école du village. C’est l’époque Mick Taylor, puis Ronnie Wood arrive. Sexton salue Some Girls, un album qui selon lui out-punked punk, avec «Respectable» et «Shattered». Il a raison, le Sexton. Charlie dit avoir adoré les Pistols, mais détesté le look punk autant qu’il avait détesté le «bloody flower power».

             Sexton passe un temps fou sur le chapitre vestimentaire. Charlie entre un jour chez Cleverley demander s’il pourrait se faire faire des pompes sur mesure. Le shoemaker lui répond qu’il en serait ravi. Alors Charlie indique qu’il a déjà un shoemaker qui lui fait des pompes sur mesure, mais dit-il ça prend du temps : «Il leur faut deux ans et demi. Pouvez-vous réduire ce délai ?». Le mec le rassure : «Oui, deux ou trois mois». Charlie est ravi : «Oh, that’s wonderful.» Puis il demande au loufiat s’il va lui prendre ses mesures. Bien sûr dit le loufiat. La scène se déroule en 1993 et Charlie sera client du shoemaker d’Old Bond Street jusqu’à la fin, en 2021. Une paire de pompes chez Cleverley coûte la bagatelle de £4,000. Charlie s’est fait faire 80 paires de pompes chez eux. Bien sûr, il se fait aussi faire des costards sur mesure. Si un jour il s’aperçoit qu’il a du mal à entrer dans son futal, il arrête de manger. Il surveille sa ligne. Quand il monte sur scène, il porte aussi du sur-mesure. Pas question de jouer en costard trois pièces, bien sûr, alors il se fait faire des T-shirts sur mesure. Même quand il se trouve chez lui, dans le Devon, au fond de sa cambrousse, Charlie porte un costard trois pièces à table. Jools Holland dit que «Charlie was the best dressed man I think I’ve ever met.» Charlie prend en fait comme modèles les fameux jazz greats qui s’arrangeaient toujours pour être tirés à quatre épingles. Charlie s’inspirait en outre de personnages historiques du XVIIIe siècle ou des années 30. Dommage qu’il ne soit pas fait mention d’Oscar Wilde, ni de George Brummel. Sexton ne s’aventure pas trop sur le sujet des dandies. Peut-être est-il inculte sur le sujet. Va-t-en savoir. 

             Quand il pique sa crise de midlife, Charlie tape dans la dope. C’est la seule explication qu’il donne. Plus jeune, il n’avait jamais approché les drogues, «but at that point in my life I went ‘Sod it, I’ll do it now.» Il est le premier à savoir que les drogues sont dangereuses pour lui parce qu’il sait qu’il est déjà bizarre naturellement. Il reconnaît en outre qu’il n’a pas la constitution idéale pour jouer avec junk. La crise a duré deux ans - And I very nearly killed myself, je veux dire, pas en overdosant, I mean I nearly killed myself spiritually, I nearly ruined my life - Alors il arrête tout, même de bouffer. Pendant six mois, il a vécu de «water, sultanas and nuts.» Keef l’admire car en ce qui le concerne, il a mis dix ans à s’en sortir.

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             Et puis voilà Bill qui s’en va. La nouvelle est annoncée en 1993. Bill sort d’un mariage compliqué avec Mandy Smith et il se maque avec Suzanne Accosta. Il veut reprendre sa liberté artistique et développer ses propres projets. Charlie est triste de voir partir son meilleur ami. Quelques années après son départ, Bill raconte qu’un soir Charlie l’appelle d’Amérique du Sud pour lui dire : «Ce soir, en plein milieu du show, je me suis tourné vers toi pour te dire un truc, mais tu n’étais pas là.» Fantastique anecdote. Elle en dit long sur la qualité du lien qui unissait Bill et Charlie. Keef demande à Charlie de choisir un successeur à Bill. Le remplaçant n’est autre que Darryl Jones, un bassman black qui a joué avec Miles Davis. Encore l’une de ces petites infos rigolotes dont se pourlèche Sexton : pour le 75e anniversaire de Bill en 2011, les Stones lui ont offert 75 roses. Dead roses ?

             Puis on arrive à l’époque où les tournées des Stones deviennent extrêmement lucratives. Charlie a beau rechigner à tourner, les autres se marrent en douce. Ronnie raconte que Charlie et Shirley sont allés acheter des étalons arabes à Albuquerque, au Nouveau Mexique : «Il faut qu’il puisse les payer, ses canassons. Alors il doit repartir en tournée, sinon, il est fauché.»

             Entre deux tournées, les Stones sont éparpillés à travers le monde. Charlie : «Mick est celui auquel je parle le plus. Par contre, tu n’as pas de nouvelles de Keith pendant un ou deux mois, parce qu’il hait les téléphones. Il est le plus excentrique de nous tous. Il adore partir en tournée. Quand je lui dis que je vais prendre ma retraite, il me dit : ‘Mais qu’est-ce que tu vas faire ?’. Il lit des tas de bouquins. Il ne lit que des très gros livres. Plus ils sont gros, plus il est content. Il ne regarde jamais la télé.» Charlie déteste que Keef lui pose cette question : «Qu’est-ce que tu vas faire ?» - I actually don’t do anything except play the bloody drums. So it’s a very difficult one to answer.

              Charlie collectionne les batteries : celle que Kenny Clarke a filé à Max Roach, celle de Sonny Greer qui jouait dans le Duke Ellington’s band, il collectionne aussi les premières éditions d’Agatha Christie, de Graham Greene, de Pelham Grenville Wodehouse, d’Evelyn Waugh, all signed, ajoute Sexton haletant. Charlie collectionne aussi les costards, les bijoux, il possède la montre de Benny Goodman. Il entasse ses collections dans une pièce - It’s a museum that‘s out of control - Sexton en tartine des pages entières, Charlie collectionne aussi les bagnoles, alors qu’il n’a jamais passé son permis, et ça repart de plus belle, il adore s’habiller pour aller s’asseoir dans ses bagnoles et écouter le bruit du moteur, il possède une Lagonda Rapide Cabriolet de 1937 avec un moteur V12, une Bugatti Atlantic des années 30, une 2CV Citroën jaune, un Méhari, une Lamborghini Miura et quelques Rolls-Royces - Il ne voyait pas l’intérêt d’ajouter à sa collection un camion de marchand de glace ou un hovercraft, comme l’avait fait son ami Keith Moon.

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             Et puis l’humour rejaillit à tout instant. Charlie confie ceci à Sexton à la fin des années 1990 : «Mobile phones I think are a pain in the arse, mais la plupart des gens les trouvent fantastiques. Je ne sais comme ferait Mick sans son mobile phone. Je ne peux pas les supporter. But I think I’m more of a dinosaur than he is.» C’est d’une finesse extrême et d’une grande drôlerie sous-jacente. En juin 2018, Charlie est sur scène pour son 77e anniversaire. Les gens le verront pour la dernière sur scène le 30 août 2019, lors du concert final du No Filter tour.

    Signé : Cazengler, Charlie Ouaf (va chercher la baballe)

    Paul Sexton. Charlie’s Good Tonight. Mudlark 2022

      

     

    Inside the goldmine - Sexton machine

     

             Pendant quelques années, nous passions notre temps à réinventer la vie. Avec Baby Brain, c’était un jeu d’enfant. Nous mettions nos idées en commun et elle savait comment assurer leur mise en œuvre. Encore fallait-il que les idées soient crédibles et qu’elles fussent en concordance avec ce que nous savions de nos profondes aspirations. Notre mode de fonctionnement reposait sur un étrange mélange d’audace, de fantaisie, d’admiration mutuelle et de soif de vie. Il fallut donner un toit à ces jaillissements quotidiens de créativité, ce que nous fîmes en finançant la réhabilitation d’une ancienne usine à bonbons, puis pour donner corps à notre audace, nous nous mîmes à remporter des appels d’offres et à collectionner les gros budgets, en veillant à ne pas nous compromettre avec des rabat-joie institutionnels. Baby Brain valait franchement le coup d’œil. Il émanait d’elle un charme extrêmement subtil, un mélange de Lady Chatterley et de regard clair, de crinière fauve et de léger accent, elle savait choisir un parfum, elle disposait de cette intelligence très vive qui distingue les Anglaises des continentales. Pendant que neuf continentales sur dix s’observaient le nombril, Baby Brain imaginait l’avenir, elle entrevoyait les possibilités, et quand elle décrivait les façons d’y parvenir, c’était en rigolant, car pour elle, tout n’était qu’un jeu. Nous découvrîmes en nous une source d’énergie intarissable. Nous repartions de plus belle chaque matin, aussitôt le breakfast : les plans sur la comète, les rendez-vous prévus avec tous ces gens qu’on aimait bien, et la perspective d’une soirée au théâtre ou dans un cabaret, il suffisait de feuilleter l’Officiel qui regorgeait alors de possibilités. On appelle généralement ce type de tranche de vie un conte de fées. Comme Baby Brain savait pertinemment qu’un conte de fées ne peut pas durer éternellement, elle décida un jour d’anticiper et d’y mettre un terme. La scène se déroula de façon très formelle, un dimanche matin. Nous prenions le breakfast sur la grande terrasse surplombant la Seine et d’une voix absolument normale, elle déclara : «Puisque nous devons mettre un terme à notre histoire, tu vas devoir te suicider.» Elle avait raison, il n’existait pas d’autre moyen de mettre fin à ce conte de fées.  

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             Pendant que Baby Brain réinventait la vie, Ann Sexton réinventait la Soul, ce qui revient à peu près au même. Ann Sexton n’est pas anglaise mais américaine, descendante d’esclaves de Caroline du Nord. Aux États-Unis, tous les blacks et toutes les blackettes descendent d’esclaves, puisqu’il apparaît qu’aucun d’entre eux n’a traversé l’océan de son plein gré. Le fait que cette tragédie ait généré la Soul est une maigre consolation, disons qu’il s’agit là d’une façon d’illustrer le désuétisme de l’expression «faire bon cœur contre mauvaise fortune». Ann Sexton n’est pas facile à localiser, elle n’est connue que des amateurs chevronnés de Northern Soul, on croise son nom sur les fameux Northern Soul Weekenders, et comme elle sonne particulièrement bien, on fait l’effort d’aller fouiner dans sa discographie. Oh, il n’y a pas grand chose, à part les singles, juste deux albums.

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             Le premier date de 1973 et s’appelle Loving You Loving Me. Ann Sexton fait de la heavy Soul et chante d’un timbre légèrement altéré. Elle fait partie des petites Soul Sisters qu’on vénère, car sans prétention. Elle fait de la petite Soul fine avec «You’ve Been Gone Too Long», elle est suivie par une guitare funky fluette et ça file bon train. Avec «I Still Love You», elle vire plus shaky. Elle drive son modeste r’n’b avec cet élan vital qui fait les grandes Soul Sisters de l’underground magnétique et, petite cerise sur le gâtö, tu as un solo de jazz joué en atonalités dans le flux du groove. Tout est extrêmement fin sur cet album, tout est tiré à quatre épingles. Rien à voir avec Stax ou Motown. C’est encore une autre école. Il faut savoir que l’album est produit par deux blancs, David Lee et John Richbourg, surnommé «the Daddy of Rhythm & Blues». En B, Ann Sexton fait du pur Muscle Shoals avec «You’re Gonna Miss Me». Bien vu, bien foutu, magnifique mise en place des chœurs et des cuivres, oh honey !  You’re gonna lose a good thang ! Elle fait aussi  un «Love Love Love» avec des chœurs de gospel et nous ramène un peu plus loin un joli shoot de cuddle up avec «Let’s Huddle Up And Cuddle Up», pianoté dans le lard des règles avec un bassmatic proéminent et un beurre de jazz. Magnifico !    

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             Son deuxième album s’appelle The Beginning. L’amateur de dancing Soul se régalera de «You Can’t Lose With The Stuff I Use». Solide et beau, elle fait danser le dancing floor, elle est bonne au petit jeu du gros popotin. L’autre standout track de l’album est celui qui ouvre le bal de la B, «Colour My World Blue». Elle poursuit son petit bonhomme de chemin et chante d’un beau timbre black bien rond. Son «Sugar Daddy» semble rester en suspension, mais c’est extraordinairement bien articulé. Ann Sexton est une petite Soul Sister passionnante. Elle sait se montrer languide quand il le faut, attachante et elle n’oublie jamais de se maintenir à un niveau d’excellence.

    Signé : Cazengler, Âne sectaire

    Ann Sexton. Loving You Loving Me. Seventy Seven Records 1973  

    Ann Sexton. The Beginning. Sound Stage 7 1977

     

     

    L’avenir du rock - Moonlight my fire

     

             When the sun goes down and the moon comes up, l’avenir du rock chante son petit couplet et sort faire un tour. Les soirs de pleine lune, de longs poils noirs poussent sur ses mains et son visage. Il rase les murs et file directement jusqu’au cimetière. Il ouvre une tombe avec son pied de biche pour en extraire un squelette et danse le jerk avec lui. Et puis soudain, il s’arrête. Il se dit que c’est trop facile de faire le con dans un cimetière une nuit de pleine lune. Le voilà en plein cliché, lui qui en a une sainte horreur. Il ne manque plus que les ouuhhhh-ooouhhh de Wolf pour que le tableau soit complet. La messe est dite depuis tellement longtemps. De rage, il jette le crâne qu’il a déterré et rentre chez lui. Il croise un chat qui lui souhaite le bonsoir d’une voix humaine. Excédé, l’avenir du rock lui flanque un coup de pied terrible. Le chat s’écrase contre un mur. Au coin de la rue, l’avenir du rock tombe sur Bryan Gregory. Ah non pas lui ! Cette fois, c’en est trop. Il brandit son pied de biche pour aller éradiquer le cliché qui, épouvanté, s’enfuit en poussant des cris d’orfraie. Bryan Gregory court trop vite. L’avenir du rock le poursuit jusqu’au cimetière, bien décidé à en finir une bonne fois pour toutes avec ces maudits clichés. Évidemment, une fois arrivé dans le cimetière, Bryan Gregory se volatilise. L’avenir du rock réfléchit un moment. Cet imbécile a dû se planquer dans un caveau. Il commence à inspecter les gros bâtiments funéraires et soudain, il tombe sur une porte entrebâillée. Il s’y faufile. Il aperçoit dans la pénombre une dalle déplacée. Il la pousse et découvre l’accès d’un tunnel. Il y descend et au loin brille une petite lueur. Il s’en approche, c’est une torche. Et plus il avance, plus il sent qu’il s’enfonce dans le ridicule. Le cliché le mène par le bout du nez. Ah non ! Cette fois c’en est trop ! Il fait demi-tour, rentre chez lui. Il commence par raser les poils qui ont poussé sur ses mains et son visage. Fin du cliché. Puis il passe aux choses sérieuses : il s’installe confortablement dans son fauteuil pour écouter le dernier album de Moonlight Benjamin.

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             Si tu veux voir et entendre du Voodoo, c’est pas compliqué : tu prends ton journal régional, tu vas directement à la page des actualités culturelles de ta fucking région chérie et tu cherches un concert voodoo. Comme c’est ton jour de chance, tu tombes sur le nom de Moonlight Benjamin. Haïtienne ? Tu ne peux pas espérer plus voodoo. Il ne te reste plus qu’à prendre tes cliques et tes claques et filer au concert.

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             On ne sait pas d’où elle sort, mais elle sort. Pas seulement de l’ordinaire. Elle sort. Elle échappe à tout. Pourtant jeune, elle semble avoir traversé les siècles, pas vampire, juste voodoo, un cran légèrement au-dessus, elle porte une robe noire de prêtresse voodoo du XVIIIe siècle, mais elle danse aussi comme ces magiciennes de Libye que décrit Marcel Schwob dans l’un de ses contes les plus lunaires, «Les Embaumeuses». En évoluant sur scène, elle croise les sons et les époques, elle exhale toute l’Africanité d’Haïti et véhicule dans son sillage la clameur des révoltes d’esclaves qui ont conduit cette île à l’indépendance, elle est le voodoo de la colère du peuple noir, et pourtant, elle s’entoure de musiciens blancs, comme pour mieux dérouter les cargos d’hypothèses entrepreneuriales, elle visite les replis du temps et jette sa poudre magique dans les tempêtes soniques que lève sur sa guitare le petit blanc à sa droite, elle traverse la salle d’Est en Ouest et ses voiles noirs flottent comme des mauvais songes, pire encore, comme des mauvais présages, elle dégage l’âcre odeur des sortilèges, elle charge l’atmosphère à outrance, seule une grande prêtresse voodoo issue des siècles passés peut prétendre à une telle démesure.

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             C’est vrai, on cède dès le premier coup d’œil, on se laisse aller à délirer, mais le son de sa voix ne trompe pas : comment une voix aussi sourde et aussi puissante peut sourdre du corps d’une blackette aussi jeune ? Elle ne chante pas, elle tonne, elle ne tonne pas, elle dégomme, elle ne dégomme pas, elle boule de gomme, elle ne boule de gomme pas, elle bourre et bourre et ratatame, elle n’a même pas besoin de tam-tams, elle bourre et bourre les dindes idéologiques, elle bourre le mou du consensus mou, elle bourlingue l’angle, elle ne s’offre pas en spectacle, elle crucifie l’idée du spectacle sur l’autel voodoo.

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    Elle chope le poulet spectacle des blancs pour lui couper cabèche et prendre une douche fictive de sang voodoo, alors tout ça se met à danser dans l’imaginaire, mais il manque l’essentiel : la transe. No transe en France.

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             Ce qui fascine certainement le plus chez Moonlight Benjamin, c’est l’ovale parfait de son visage, l’extraordinaire dessin de ses yeux en amandes, cette beauté parfaite qu’on retrouve chez toutes les grandes artistes noires, de Dionne la Lionne à Miriam Makeba et passant par Nina Simone, cette façon qu’elle a de fixer les gens, et pour les ceusses qui auront eu le bon goût de rapatrier les albums, il y aussi des tatouages éphémères sur son visage. Ce sont les tatouages des gens du désert, elle aura sûrement vécu en Somalie, au temps de Richard Burton et d’Arthur Rimbaud, au temps où on tatouait le visage des plus belles femmes. Tu vois encore des très beaux visages tatoués dans certaines régions du Maroc, lorsque tu descends vers le Sud, après Ouarzazate. L’art scénique de Moonlight Benjamin consiste à s’accroupir au fond de la scène pour éclore comme une fleur maléfique, puis revenir arpenter la scène d’Est en Ouest. Elle peut tournoyer comme les derviches des montagnes du Rif. Lorsque la tension musicale atteint son paroxysme, elle peut s’élever de quelques centimètres. Elle danse pieds nus, des pieds qu’on aperçoit très peu, car longue est sa traîne.

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             Tu as tout ça pour une bouchée de pain, dans un théâtre de quartier populaire, sur ce que les gens d’ici appellent les hauts de Rouen, pas très loin d’un immense cimetière pas voodoo qui porte le doux nom de Monumental.

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             Elle est cadrée plein pot sur la pochette de Simido. Dès «Nat Chape», elle donne le ton : heavy beat voodoo. Elle chante au gut d’undergut avec toute l’Africanité dont elle est capable. Les deux petits culs blancs aux grattes se tiennent à carreau car Moonlight Benjamin ramène le souvenir des révoltes d’esclaves, c’est puissant, plein de coups de machettes dans la gueule des békés. Toute l’Afrique est derrière elle. Tu as des sons comme celui-là qui reprennent la compétition. Espérons que les fils d’esclaves vont conquérir le monde. Ça ne serait que justice. Moonlight Benjamin monte au créneau, elle chante avec autorité, elle ne s’écrase pas comme si elle avait grandi dans le Mississippi et dans la peur du patron blanc. Sur «Ki Novel», les grattés de poux sont admirables. Ils attaquent «Salwe» au heavy shuffle de gratte, ça vire JSBX, c’est explosé de son et de congestion et Moonlight Benjamin explore des régions inconnues du spectre sidéral. Cette dimension du voodoo n’est pas apparue pendant le concert, on a vu autre chose, mais pas cette dimension atrocement épaisse de domination spirituelle du peuple noir sur le monde, ça joue à la pire heavyness voodoo, une heavyness montée sur un riff hypnotique et bien ravagé par des lèpres, les plaies sont profondes, ça va chercher loin, dans un concert montant de fièvres et de rancœurs. Tu ne trouveras pas cette ferveur atroce sous le sabot d’un cheval. C’est wild as hell. Elle fouille les entrailles de l’Africanité dès l’intro de «Pale Pawol», elle danse autour des riffs, tu as enfin la transe. Étrange alchimie que celle des riffs blancs et de l’Africanité intrinsèque. «Tchoule» part en mode wild guitar slinging, elle allume le comment du pourquoi, le profond des surfaces, elle retourne le rock des blancs comme une peau de lapin. Elle est dans l’Haïti dont on ne sait rien, elle ratiboise le clair de lune, elle vise les hauteurs de la niaque, elle propose un mix de rock voodoo qui se fige à la Pointe du Ras des pâquerettes. Tout est puissant sur cet album, les petits culs blancs jouent bien le jeu, tu as de l’Africanité à tous les étages en montant chez Moonlight, elle touille tout ça dans son chaudron et te sert l’Africana du diable. Ça gratte pour de vrai sur «Pasay», elle a du pot d’avoir ces mecs derrière elle, alors elle peut exploser encore et encore, elle injecte des zèbres et des girafes dans le tourbillon, elle réinvente la notion d’intemporalité. Sur «Kafou», les petits culs blancs jouent comme des Africains, même le batteur réussit à jouer comme un blackos, et le guitar slinger claque des contretemps, alors Moonlight répand la clameur de son Africana dans l’éclat d’un jour d’ici ou d’ailleurs, on assiste avec «Kafou» à l’éclosion d’un effet participatif de la meilleure auspice, rien d’aussi pur dans le mélange des races, on n’avait pas vu ça depuis Sly & The Family Stone et Booker T & The MGs. Pur génius de mixed blast.

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             L’album précédent s’appelle Siltane. C’est l’album aux tatouages. Visage et dos. Les images sont magnifiques. Ça chauffe dès «Memwa’n» au heavy rockalama de Somalie, elle ouate ses sortilèges à la surface du son et derrière ça gratte le hard funk. C’est l’un des cuts du set sur scène. Oh oui, ça gratte au real funk, elle moule le funk dans sa voix vieille de plusieurs siècles, elle groove dans les ténèbres. Elle est bien plus puissante que ne le fut jamais le JSBX, elle te claque une Africana subliminale. Voilà enfin «Papa Legba», le plus connu des personnages mythiques haïtiens. Et pour les ceusses qui ne le sauraient pas, Papa Legba est un diable, elle l’invite à venir danser le sabbat, alors bienvenue en enfer ! On se croirait dans la scène mortelle de Wild At Heart à la Nouvelle Orleans. Aw comme c’est tribal ! Ça résonne si profondément dans ta conscience ! Retour à la pure Africana avec «Moso Moso», c’est un cut de batteur bien renchéri par des percus. Ils s’appellent Claude Saturne et Bertrand Noël. Pour le morceau titre, elle propose du heavy JSBX, mais c’est amené au sludge de no way out, elle tripote le groove de ses doigts crochus, elle fout la trouille, elle aménage des orifices, elle est atrocement reptilienne. Elle tape «Chan Dayiva» avec heavy groove voodoo, mais elle fait à la voix d’airain. C’est incroyable comme ses amis blancs sont à la hauteur. Elle enfonce encore son clou voodoo avec «Tan Malouk» et puis «Des Murs», qui est quasi r’n’b, ce sont les accords de «Gloria» qui se fondent la soupe aux choux et elle termine avec un «Met Agwe» qu’elle fait sonner comme un hit de Nina Simone. Elle fait autorité dans l’au-delà des guitares électriques.

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             Vient tout juste de paraître son nouvel album, Wayo. Même ambiance, elle sort encore des ténèbres pour la pochette. Esthétique maîtrisée. On sent qu’il y a une grosse équipe derrière. Dès le morceau titre d’ouverture de bal, on est en Haïti, elle ramène le son à l’essentiel, elle monte son Africana en neige noire, aye aye aye, elle te dévore de l’intérieur. On reste au pays des merveilles avec l’oh la oh de «Haut Là haut», elle te groove l’oh la oh à la mandingue de dingue, elle ramène carrément de la dignité dans le stomp des blancs, elle en fait le stomp d’Haïti, elle s’implique fabuleusement dans le process de démentoïsation de l’Africana. Le fantôme du JSBX hante encore «Taye Banda», cette fois c’est Jon Spencer qui hante le voodoo de Moonlight Benjamin, elle s’en accommode fort bien. Que de power dans ce Banda ! C’est claqué au heavy chords, à ce niveau de heavy blast, on est obligé de raisonner en termes de génie haïtien. Il faut bien admettre que les interconnections de fantômes finissent par nous dépasser. Elle tape dans le heavy groove de blues pour «Ouve Lespri», elle s’y fond avec l’aplomb d’une reine. Chaque fois, elle reprend le contrôle pour insuffler sa magie. C’est d’autant plus spectaculaire que ses amis blancs jouent comme des cracks. Elle taille encore «Pé» à sa mesure et entre en osmose avec le heavy goove de «Limyé». Sa voix sonne comme la grondement des flammes d’un immense incendie. Elle devient sculpturale dans «Bafon», elle s’enfonce dans les ténèbres du voodoo symphonique. C’est un peu comme si elle créait l’hymne national des temples voodoo. Rien d’aussi spectaculaire ! Tout est absolument noyé de son. Elle attaque encore «Ale» à la dure, avec sa belle énergie primitive. Elle chevauche son drive, Ale ale, elle y va, elle semble filer à travers une savane imaginaire. Quelle exubérance !

             On apprend à l’issue du concert que Moonlight Benjamin est installée à Toulouse et que ses amis blancs sont basés à Paris. Heureuse conjonction. 

    Signé : Cazengler, Benjaminable

    Moonlight Benjamin. L’Étincelle. Salle Louis Jouvet. Rouen (76). 28 février 2023

    Moonlight Benjamin. Simido. Ma Case 2020

    Moonlight Benjamin. Siltane. Ma Case 2017

    Moonlight Benjamin. Wayo. Ma Case 2023

     

    *

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    C’était le printemps. Un des mois les plus beaux de l’année. L’ont-ils fait exprès, voulaient-ils gâcher notre allégresse, je n’en sais rien, ne soyons pas complotiste, toujours est-il que Across The Divide sortait une vidéo du premier morceau de son proximal opus. Une horreur sans nom, d’une beauté inoubliable, je ne vous parle que de la première image, la suite n’était pas gaie mais nous avons tous des filtres de réception qui nous permettent de classer les émotions les plus insupportables dans des petites cases conceptuelles prévues à cet effet : exemple : dans la famille des Suicidés je voudrais la mort par pendaison. Si vous trouvez ce jeu un peu enfantin, il en existe une version davantage ésotérique : exemple dans les arcanes divinatoires du tarot me voici en possession de la carte du Pendu. Je dis cela pour vous faire sourire, car la première image de cette vidéo, s’inscrit en vous avec autant de force que le tableau L’île des morts d’Arnold Böcklin, un de ces engrammes qui s’en viennent tatouer votre cerveau pour en infléchir la marche. Vous n’avez pas de chance c’est ce titre qui ouvre cet opus que nous attendions avec impatience. 

    ETERNAL

    ACROSS THE DIVIDE

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    L’esthétique de la couverture n’est pas sans rappeler celle de Disarray leur dernier album, voir en notre livraison 497 du 11 / 02 / 2021 son élogieuse recension, prédominance de la couleur orange et importance donnée au nom du groupe. Sur Disarray il occulte la photo, sur Eternal réduit à son logo, il apparaît tout de même comme si l’on avait voulu l’agrandir au maximum de son support alors qu’à l’origine il n’occupait qu’une toute petite surface de l’écorce de l’arbre initial sur laquelle il aurait été gravé, pensons à la formule X + Y = A E qui perdure beaucoup plus longtemps que le lien affectif des naïfs amoureux qui l’ont tracé. Surtout si par mégarde il aurait été inscrit sur le tronc de l’Yggdrasil éternel.

    Ce qui tombe très bien quand on songe au titre de l’EP Eternal. Je ne pense pas que Across The Divide soit persuadé que son EP est éternel, mais qu’ils veulent nous avertir que la seule chose de la vie qui ne puisse pas mourir est la mort elle-même. Car si la mort mourait elle deviendrait vie. Across The Divide porte bien son nom. Ils explorent cette faille – Mallarmé la surnommait ‘’ un peu profond ruisseau calomnié’’ – qui sépare – et qui donc en même temps en exprime la jointure négative – la mort de la vie. Ou la vie de la mort.

    Charles Bogan / Regan McGowan / Axel Biodore / Maxime Weber / Alexandre Lhéritier

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    Unforgotten : au taquet, au maximum musical, une voix colérique comme qui sourd d’un cercueil refermé ou qui s’exhale  d’un chaos de grumeaux de terre enfoncée dans la gorge, une musique noire qui se plie et se replie sur elle-même tel un suaire infini qui ne parvient pas à étouffer la révolte intérieure, ne pas mourir définitivement, le cadavre crie ses dernières volontés, la consolation du pauvre, celle de vivre dans la mémoire des autres, des vivants qui lui ont survécu, ne pas être dissout dans le néant léthéen, chaque fois que leur nom est prononcé les morts ressuscitent-ils ne serait-ce que quelques secondes demande Rilke, la musique aurait-elle ce pouvoir, Across The Divide tente une résurrection orphique, instrumentation en lave de serpent qui tente de se mordre la queue, de boucler la boucle de la vie afin de nouer le nœud gorgien de l’éternité. La couleur de l’espoir est encore plus noire que les paroles prononcées par la bouche d’ombre. Ecoutez ce morceau à plusieurs reprises, au début vous avez l’impression d’une coulée uniforme, plus tard vous discernerez un entremêlement kaotique disparate, opposition de volitions contradictoires, par laquelle le groupe parvient au point dis harmonique d’instabilité absolu dans lequel rien ne se résout. Nothing left : s’il n’y a plus d’après il y a eu un avant. Musique sérielle répétitivement martelée, rehaussée d’élans lyriques, derniers efforts de la flamme de la bougie vacillante prête à s’éteindre qui durant de courtes secondes s’exalte d’elle-même et illumine la conscience de l’être au plus haut, et une voix chargée de colère et de hargne, qui se retourne contre tout le monde, qui accuse le monde entier en commençant masochistement par soi-même et qui finit par vilipender le Sauveur hypothétique qui a totalement échoué en sa mission. Du plus bas au plus haut, malgré leurs efforts, il ne restera rien. Sait-on jamais ? La vengeance est un plat de viande morte qui se mange froid. Dead : ( reprise du groupe The Legendary Pink Dots ( voir plus loin ) : petit apéritif en vue d’une meilleure appréciation :  il y a les morts et les morts-vivants, ne pas confondre avec les zombies des films d’horreur, il y a des vivants qui sont déjà morts, des gens comme vous chers lecteurs qui vous ressemblent  étrangement, au lieu de morigéner taisez-vous et écoutez : musique futuriste, les punks diraient no-futuriste, mais c’est un détail, morceau davantage sériel que le précédent mais tout aussi chaotique, à cette différence que le chaos est vécu de l’intérieur, rien ne vaut les exemples de chair et d’os, avec toutes ces fracturations sonores l’on aurait tendance à penser que le pauvre gars terminera en hachis menu. Pas du tout reste calfeutré chez lui. Un peu forcé puisque l’électricité est coupée. Une situation à la Ravages de René Barjavel, toutefois à notre époque moderne, connectée pour la définir rapidement. Une aubaine cette ‘’ panne’’, le moyen idéal de faire le point sur sa propre situation, désespérante, tous ces liens immatériels qui nous permettent de nous ouvrir aux autres, ne sont-ils pas des ersatz de solitude, est-cela la vraie vie. Deux voix qui se répondent, le gars se parle à lui-même. Désespération, exaspération, acceptation. Humour sombre terriblement ambigu, il lui reste encore des livres à lire. Avant de… Sufferer : brutal, le vocal éclipse le background musical qui virevolte, pensez à la musique qui accompagne les corridas, ne pas être victime comme le taureau, appel à la révolte, à l’insurrection, devenir maître de son propre destin, ne suffit-il pas de vouloir, n'empêche que parfois l’on veut et que le système nous dicte ses volontés, l’éternité possède deux faces, l’une négative celle de ton infini servage, de ton abandon, de ta résignation, et l’autre plus claire celle de ta révolte par laquelle tu existes pour toujours. Ce n’est pas facile, ne demandez pas pourquoi le morceau est empli de violence, de dégoût de soi-même et de hargne nécessaire pour atteindre à l’apogée de son unique royauté. Stirnérien.   A thousand times : encore plus rapide, encore plus lyrique, sur la ligne de crête, parfois le problème se pose à vous très concrètement, continuer à se battre, ou abdiquer. Définitivement. Faire le saut. Final. Fatal. Eternité dans la mort ou éternité dans la vie. L’une est irrémédiable, l’autre est incertaine. C’est ici que finit la solitude, que commence la sollicitude de l’entraide kropotkinienne. Etrange comme cet ensemble de titres est à écouter comme une méditation de philosophie anarchiste. Peut-être cela ne participe pas de la démarche initiale d’Across The Divide, lorsque l’on creuse à l’endroit adéquat l’on finit par entrer en résonnance avec des sillons déjà tracés. Another day : un titre optimiste, une chanson d’amour, le son n’est-il pas plus doux, le refrain ne demande-t-il pas une autre chance, ceux qui détestent se pencher sur les abysses préfèreront, préserveront, se réserveront cette lecture, la fin est pourtant sans appel, n’est-ce pas la revendication d’une solitude absolue. L’autre n’est-il pas au fond du gouffre. N’a-t-il pas choisi de passer la ligne de crête. Ni du bon. Ni du mauvais côté. Juste sur le versant éternel.

    Sans concession, un groupe que nous suivons depuis plusieurs années, qui se bonifie à chaque nouvel album, dont la démarche est une des plus originales du metal français.

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    Nothing Left : ( official Music Vidéo ) : dirigée par Danny Louzon : superbe réussite. Figure imposée : un groupe se met en image en train d’interpréter un de ses morceaux. Evidemment ce n’est pas du live. Un montage : vues d’ensembles, parties d’instruments, quelques silhouettes, quelques effets spéciaux, etc… Un genre chorégraphique auquel se plient de nombreuses formations, ce qui peut entraîner chez les amateurs une certaine lassitude, surtout quand une musique brutale se contente d’une esthétique brute. Dans ce cas-là on ne peut pas tricher. L’art de la ligne-obscure est vraisemblablement encore plus difficile que l’art de la ligne-claire, en le sens où les figures imposées s’imposent d’elles-mêmes de par leur rareté. Celle-ci est magnifique, l’économie de moyens y acquiert une force rarement atteinte.

    A voir. A admirer.

    Damie Chad.

    Appendice : sur The Legendary Pink Dots : vous êtes vraiment difficiles si vous ne trouvez pas au moins un titre de ce groupe à votre goût sur les deux centaines albums, plus quelques dizaines et sans compter les autres formats qu’ils ont sortis entre 1981 et 2023…

     

    *

    I wake up this morning… pas besoin d’être un musicographe averti pour deviner que c’est un morceau de blues. Ne jamais tuer l’ours avant de l’avoir entendu grognasser. J’utilise la seule porte de sortie qui se présente à moi, pas tout à fait du blues mes amis, plutôt du rhythm ‘n’ blues, vous savez que ce dernier procède du précédent. Ouf l’honneur est sauf ! Plaf ! survient un démenti cinglant, avec les gamins, même ceux qui mesurent huit pieds de haut, il faut se méfier. Non ils ne se définissent point comme un groupe de blues ou de rhythm ‘n’ blues, s’adjugent le prix du meilleur groupe de Doom-Brass existant sur cette terre qui a pourtant connu bien des horreurs, toutefois ils se la jouent modeste, z’ont une excuse pour se proclamer les meilleurs : ils sont les seuls au monde à pratiquer cet accouplement musicologique inédit. Des pionniers ! 

    THE GREGOR SAMSA BLUES

    EIGHT FOOT MANCHILD

     ( Piste numérique / Bandcamp / Mars 2023 )

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    Dylan Foley : guitar, vocals  / Sara Honeywell : trombone, vocals / Mr Squirrel : barytone sax / Alison Eamhart : tuba / Steve Kosinsky : drums.

    Franchement je ne sais pas comment ils ont fait, sont trois à jouer de la cuivrerie, à les entendre vous pensez qu’ils ont entassé une fanfare de souffleurs dans le studio. Pour les amateurs orthodoxes de doom, profitez des trois premières secondes, une espèce de hachis guitarique pour vous mettre en confiance, genre morceau de gruyère empoisonné, un piège à souriceaux inexpérimentés, ensuite la plomberie vous tombe sur le paletot, un véritable bain de saturnisme dont les méfaits sur la santé humaine ont été dénoncés par le docteur Théophile-René-Marie-Hyacinthe Laënnec ( remarquez le doomesque tréma patronymique ) dès l’an de grâce 1831, c’est dire si vous courez les plus grands périls à prolonger l’écoute… Même chez Stax, ils n’ont jamais réussi à créer le même impact sonore, d’après moi c’est la présence du tuba, que l’on retrouve sur les premiers enregistrements de Kid Ory, bref c’est méchamment bien foutu, en plus il y a de la place pour tout le monde même pour les cymbales de Steve, surtout n’oubliez pas le solo de de sax de l’Ecureuil, l’ont manifestement ligoté dans une cage durant quinze jours et libéré juste pour l’enregistrement afin qu’il donne le maximum. C’est comme cela que j’imagine le son du cor au fond des bois cher à Alfred de Vigny, du moins comme doit l’entendre le cerf au moment de l’halali. Je n’ai pas fini mon dithyrambe, car en plus de bouleverser l’accompagnement, ils filent un coup de balai aux vieilles paroles du blues, début classique, le gars se réveille le matin, se regarde dans son miroir, dans lequel s’agite un être dégoûtant. Vous auriez fait comme lui devant cette vision diabolique, vous courez chez la prêtresse vaudou du coin de la rue. Jusque-là, tout est normal, dès qu’elle ouvre la bouche c’est la douche froide, notre blues se teinte de rouge. Non ce n’est pas du sang. Ou alors métaphoriquement parlant, celui des patrons que tu n'as pas encore éliminés. Si le blues devient politique, ma pauvre dame ! Le mec s’affole et demande ce qu’il peut faire. La réponse est cinglante : Va te faire foutre !

    Jouissif et réjouissif. L’on se précipite sur leur enregistrement précédent.

    BORN INVINCIBLE

    ( Bandcamp / Février 2023 )

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    Opus seulement sur Bandcamp, les bénéfices engendrés par son écoute seront versés en faveur de rescue.org une association qui vient en aide aux réfugiés de tous pays, qui ont intérêt à s’unir ajouterait Karl Marx.

    Dylan Foley : guitar, vocals  / Sara Honeywell : doombone, vocals / Mr Squirrel : doomsax / Alison Eamhart doom tuba / Krys Kobiaka : drums.

    Born Invincible : une guitare échoïfiée tous azimuts, les cuivres s’imposent très vite, belle sonorité, disons que cette fois-ci l’animal n’est plus le résultat de l’improbable union d’un brontosaure cuivré avec doomonique la baleine bleue, mais que le saurien géant a sailli sans préavis la douce funkie, l’anacondate géante. Avouons que le bébé rutile et se porte bien,  il ne prononce encore que quelques mots, par contre il vagit et se débat comme un beau diable car il ne veut pas être tué. Âmes sensibles écoutez bien jusqu’à la fin, sans quoi vous passerez la nuit à pleurer. Born invincible ( Kill no more version ) : avez-vous déjà entendu des cuivres pleurer, pas doucement, parce qu’avec le bruit de la barate à beurre africaine qui fait un potin de tous les diables, ils ont intérêt à forcer sur le diapason. Rires sinistres, c’est la seule chose que l’on peut encore faire quand on est mort. N’en tuez pas davantage !

    C’est ce que l’on doit appeler un charity record contondant. Très réussi. Ne jamais mendier. Ne jamais se plaindre. Même vaincu l’on reste invincible.

    EIGHT FOOT MANCHILD

    ( Bandcamp / Décembre 2022 )

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    Dylan Foley : guitar, vocals  / Sara Honeywell : tromboneFX, vocals / Mr Squirrel : baritone saxFX / Alison Eamhart tubaFX / Krys Kobiaka : drums.

    Le lecteur pointilleux ne s’interrogera pas : FX signifie : effets spéciaux, un peu comme XXL pour les très grandes tailles. Dans la vie il est nécessaire d’afficher ses prétentions.

    Buddha finger : un titre prometteur, bourdonnement de guitare, les cuivres ne tardent pas à tirer la langue à l’impétrant qui veut devenir le disciple du maître, se foutent carrément de sa gueule, l’on croirait entendre Donald dans un dessin animé de Disney, ensuite ça se gâte comme chez tante Agathe, ça sonne comme un requiem funèbrement FX, ne serait-ce point un hymne anti- hiérarchique composé par d’acharnés partisans de l’idéologie anti-autoritaire ? Wisdom fist : la suite du morceau précédent, même pas de coupure, la quincaillerie se la joue grave, un enterrement de première classe, comme à l’école : une méditation philosophique sur l’expression ‘’ poing de la sagesse’’, l’on s’interroge mais encore une fois l’on apprend à penser par soi-même, à ne pas se prosterner devant les maîtres qui sont les chantres de l’économie capitalo-libérale, de légers coups de batterie nous mettent la puce à l’oreille, du poing théorique de la sagesse l’on passe à la pratique pugilistique, apprenons à nous servir de notre poing, la zinguerie devient écrasante. Ne serait-point un groupuscule de radicaux… Orgy at club Megalon : une voix enfantine, nous supposons Sara, nous interpelle, elle a trouvé une sorte de poudre marrante, je vous laisse hypothéser sur la réalité de cette farine rigolote, à chacun selon ses fantasmes, ce qui est sûr c’est que l’on plonge dans un superbe instrumental, un peu rhythm ‘n’ blues, un soupçon de jazz, une pincée de funk, qu’ont-ils mis au juste dans la marmite, ce qui est certain c’est que la soupe qui mijote là-dedans est délicieuse, une potion magique qui vous permettra de vaincre vos ennemis. Energisant. Monoliths and monkeyman : vous pensez à la première scène de 2001 Odyssée de l’Espace, vous avez raison, les cuivres vous offrent le générique grandiose adéquat, à l’entendre vous êtes prêt d’accéder au mystère originel de l’humanité, un accord discordant, la voix sur un rythme binaire et simiesque, attention le pompiérisme musical revient en fanfare, inutile de vous exciter, si vous voulez la vérité la voici, votre monolithe n’est qu’une dalle d’obsidienne. Méfiez-vous de votre imagination et des idoles.

    PANDEMOS

    ( Bandcamp / Février 2022 )

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    Nul besoin de lire la note explicative pour comprendre que ces démos ont été réalisées durant la dernière ère covidique.

    Dylan Foley : guitar, vocals  / Sara Honeywell : trombone, vocals / Mr Squirrel : baritone sax, tabla / Alison Eamhart tuba / Corey Schreppel & Don Music : drums

    Hecka witches n shit :  est-ce un trombone qui imite le bruit d’une mouche, pas besoin de la couper en quatre, la brasserie survient comme le septième de cavalerie, heureusement la situation est grave, la voix est couverte par les cuivres, elle ne hausse pas le ton, l’entendront ceux qui sont déjà prêt l’entendre, méfiez-vous des charlatans qui vous refilent des médicaments dont les effets sont bien plus dévastateurs que le mal dont vous souffrez. Ne prennent pas de risque, parlent de sorcières mais tout le monde comprend, pas pour rien que le frontground est si dramatique. The slouchening : une intro différente avec tablas à la clef de sol(itude), sonorités indiennes, qui auraient été parfaites pour Le doigt de Buddha, Eight Foot Manchild nous la font à la Ravi Shankar, comme ils n’ont pas de sitar se servent des cuivres pour réaliser le bourdonnement infini séquenciel, pas de parole, le titre suffit : amoindrissement, ne vous laissez pas dépérir lorsque l’on vous cloître inutilement chez vous. Wisdom fist : très différent de la version ultérieure, les cuivres donnent l’impression d’avoir davantage de souffle, plus charnel en quelque sorte. Le vocal plus enfoncé dans la gangue musicale. Je préfère cette version. Question de mixage ? Ou de support ? celle-ci est sur Suncloud. You’re gona die dumb and lonely : changement de thème, l’est d’autres maladies bien plus graves que le covid, la connerie humaine, se déchaînent cassent à coups de merlins les illusions de l’ado moyen prisonnier de la société de consommation, sont hyper-violents, faut que la leçon porte, même si elle est inutile puisqu’il est déjà trop tard, le gamin en prend plein la tronche, nous aussi, mais ce chant nerveux nous agrée, cette instrumentation aussi pesante et précieuse qu’un coffre-fort rempli à ras bord de lingots d’or nous ravit. ( Sans Shankar ). The Gregor Samsa Blues : la version précédente était cuivrée comme un canard laqué, celle-ci est toute ébouriffée, ce ne sont pas des cuivres mais des coups de klaxons lancés par des automobilistes hagards, quant au vocal, Dylan l’avait dû se faire un lavement à la cocaïne, l’a dû bouffer tous les cromis du studio, le mec l’a pas le cafard, se débat contre une invasion d’insectes carnivores. Sur la fin, vous avez un trombone qui mugit tel un cargo fracassé sur des récifs qui actionne sa sirène. En vain.

    Je suis trop sympa, un petit dernier qui n’est pas sur Bandcamp mais que vous trouverez sur Suncloud. Take it to the chorus, Titanosaurus : ( Robo Version ) :  un début à la ritournelle, avec déclaration d’amour, hélas toutes les bonnes choses ont une fin, surtout si vous avez un dinosaure dont les pas pesants font trembler la maison, même qu’il pousse quelques hennissements que je qualifierai d’inquiétants,  y a bien un tuba qui essaie de le charmer style joueur de pipe à Joujouka, mais la bestiole n’a pas l’air d’aimer les gammes orientales. L’on comprend pourquoi le morceau a été écarté, trop différent de tous les autres.

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             De fait Eight Foot Manchild est un vieux groupe, j’ai mis la main sur YT une vidéo délirante postée en 2011 Sushi Christmas, vous avez aussi Celestial Tumult un peu dada, Alexander’s Channel  Surfing Mescaline Nightmare Band, une espèce de Sgt. Peppers parodique, bref une bande de joyeux drilles un peu à l’image des artworks qui illustrent les pochettes desquelles nous n’élirons que la toute dernière, cette pièce de soutient gorge armurial microphoné… Elles sont dues à Dylan Foley, le meneur de cette bande d’allumés.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 21 ( Coupe-tif  ) :

    110

    En proie à une grande perplexité le Chef allumait Coronado sur Coronado :

             _ Je ne crois pas au hasard, je suis en quelque sorte visé personnellement par cet étui de Coronado que la belle Ecila tenait en sa main, pourquoi je n’en sais rien, je me suis interrogé toute la nuit, j’ai fouillé dans mes souvenirs, mais non je n’ai rien trouvé. Pourtant c’est bien moi au début de cette aventure qui ai décidé qu’il fallait chercher quelque chose au Père Lachaise, nous avons marché toute une semaine, sans but, sans un indice, nous avons abandonné, la mort d’Alice nous ayant entraîné sur d’autres pistes qui nous ont emmené… devant la tombe d’Ecila. Une dernière chose d’importance, depuis le début j’ai la ferme conviction que cette affaire est liée au rock ‘n’roll !

    Carlos se resservit d’une grande rasade de Moonshine qu’il avala cul-sec, sa langue claqua trois ou quatre fois avant qu’il ne prenne la parole :

              _ J’ai lu attentivement les pages que Damie a consacrées dans ses Mémoires d’un GSH à cette enquête qui nous préoccupe, il désirait qu’un œil neuf les lise et vous fit part de ses observations, je rappelle que je n’étais pas là au début de vos péripéties. Celle lecture me laisse perplexe, je ne prendrai qu’un exemple : qui vous a glissé le nom d’Ecila ? Mme Irma. Pourquoi êtes-vous allés chez cette devineresse plutôt qu’une autre ? Parce que le matin, l’on en parlait dans un article du Parisien Libéré. Un article posthume de Lamart et Sudreau dont nous avions vu de nos yeux les cadavres en décomposition dans leur bureau. Au départ de cet enchaînement de faits, une idée farfelue de l’agent Chad. Bref je résume, j’ai l’impression que quoique vous preniez comme décision vous retombez toujours sur l’affaire qui vous préoccupe, bref que vous êtes en quelque sorte manipulés.

    Il y eut un grand silence. Le Chef alluma un Coronado, j’en profitais pour rouvrir une deuxième bouteille de Moonshine. Carlos reprit la parole :

              _ Je propose que l’agent Chad et moi-même nous nous rendions d’abord une petite visite à Mme Irma et sur la lancée à Alice qui tient le bureau d’accueil du Parisien Libéré, cette petite qui occupe une position d’observation de choix nous a apporté la preuve qu’elle nous était dévouée corps et âme.

              _ Deux très bonnes propositions auxquelles j’acquiesce en toute unanimité. Ne tardez point, pour ma part je tiens à réfléchir encore à la présence de ce tube à Coronado dans la main d’Ecila.

    111

    Nous nous étions garés dans une rue adjacente. Un attroupement de badauds s’était formé aux alentours de l’immeuble dans lequel nous avions été reçus par Mme Irma.  L’on se serra pour nous permettre de profiter du spectacle. Pas d’erreur d’interprétation, des bandes plastiques blanches et rouges, une camionnette de police-secours, des voitures banalisées dont descendaient des visages à la mine grave, tout indiquait la présence d’un crime. Un policier voulut nous barrer le passage, ma carte d’agent du Service Secret du Rock’n’roll lui arracha un sourire : ‘’ J’adore Chuck Berry !’’ nous souffla-t-il, et d’un geste ample il nous désigna l’escalier. Derrière moi, une femme s’écria : ‘’ C’est un certain M. Truc Berry qui a été assassiné ! ’’ .

    Une désagréable odeur de pourriture flottait dans les escaliers. Au cinquième étage ça sentait carrément la charogne. Au huitième nous ne fûmes pas surpris par le spectacle, Mme Irma était à demi couchée sur sa son bureau. En état de décomposition avancée comme était en train de le spécifier un médecin légiste à la mine dégoûtée à un commissaire de quartier blanc comme un linge.

    112

    Carlos avait adopté une conduite peu citoyenne, la fenêtre ouverte il crachait sur les piétons qui s’obstinaient à vouloir emprunter les passages cloutés sous prétexte que le petit bonhomme vert leur permettait de passer. Les gens s’énervent pour un rien. J’ai dû descendre de la voiture pour fourrer le canon de mon Rafalos dans la bouche d’un imbécile colérique qui s’obstinait à rester immobile devant notre véhicule.  Quand je lui eus susurré doucement mais fermement à l’oreille que j’ignorai le sens du mot résilience, il se carapata à toute vitesse.

             _ Quel crétin, j’espère que notre Alice sera dans un état moins faisandé que Mme Irma quand nous serons arrivés !

    Les espoirs de Carlos furent exaucés. Dans sa cage vitrée Alice rosit de plaisir :

             _ Enfin vous revoilà, je commençais à me languir ! Notre dernière soirée a été si plaisante, je laisse ma place à la stagiaire, et l’on file à la cafétaria, je vous offre un café, je vous dois bien cela, j’ai un truc marrant et bizarre à vous raconter, à cette heure-ci, la cafet est vide.

    Je suis franc, malgré toute la sympathie que nous portions à Alice, le breuvage qu’elle nous apporta sur un plateau était dégueulasse. Par contre ce qu’elle nous révéla nous stupéfia :

              _ Lamart et Sudreau ont été remplacés !

              _ Rien d’étonnant, ils ont dû embaucher deux grosses pointures, observai-je.

              _ Je ne sais pas, ils n’ont encore signé aucun article, ce sont des jumeaux, ils signeront les articles : Les frères Did.

               _ Un nom peu commun !

               _ Oui Carlos, on murmure qu’ils ont choisi ce pseudonyme à cause de leur nom !

               _ Ils portent donc un nom si ridicule ?

               _ Ridicule je ne sais pas, mais étrange oui, le premier s’appelle Ladreau et le deuxième Sumart.

    La petite était toute chose, Carlos l’invita au restaurant pour lui changer les idées. Tous deux me raccompagnèrent en voiture au local.

    113

    Je montais les escaliers quatre à quatre, depuis le bas de l’immeuble j’entendais les aboiements rageurs de Molossa et Molssito. J’ouvris la porte avec précipitation. Le Chef était paisiblement assis son bureau, Coronado aux lèvres, en train de discuter avec un inconnu que je voyais pour la première fois. Le Chef fit les présentations :

    • Agent Chad, je vous présente le Professeur Laffont un des plus grands spécialistes de l’Hôpital Henri Mondor !
    • Enchanté M. Chad ! excusez-moi de m’absenter, je reviens d’ici une heure avec le matériel et le personnel nécessaires à la petite opération à laquelle nous allons nous livrer ! Avec un peu de chance, la Science risque de faire un grand pas en avant grâce à votre collaboration pour laquelle je vous remercie.

    114

    Je n’étais pas extrêmement fier, mais lorsque votre modeste personne a l’opportunité d’un progrès décisif de l’Humanité qui oserait s’opposer à un tel programme. Des infirmiers avaient installé deux lits voisins sur lesquels le Chef et moi-même étions confortablement installés. L’on nous fixa sur la tête de casque de virtualité intellectuelle. Derrière nous un technicien surveillait l’écran d’un ordinateur. Sourire didactique aux lèvres le Professeur Laffont se tourna vers moi :

              _ Cette après-midi sur la demande de votre supérieur hiérarchique je me suis livré à une expérience d’hypnose sur sa personne. Il voulait avoir accès à certains souvenirs enfouis dans sa mémoire. L’hypnose en elle-même a très bien fonctionné, mais le patient s’est trouvé, comment dire, devant un mur psychologique qui a refusé de s’ouvrir. Ce genre de cas est assez rare, je ne me vante pas, mais je pense avoir mis au point une théorie explicative de ces échecs. Secondé par une équipe diligente j’ai trouvé la méthode d’ouverture de ce mur psychologique. Il s’agit de transférer le contenu du subconscient d’un individu dans l’espace neuronal d’un autre individu préalablement vidé du contenu de son propre subconscient. Comment l’expliquer simplement : nous allons transférer vos deux subconscients dans la boîte crânienne de l’autre. Par contre nous vous laissons chacun vos propres murs de défense qui ne cadenassent pas les mêmes émotions. Conclusion lorsque vous aurez dans votre tête le contenu de M. Lechef, avec une simple séance d’hypnose vous nous révèlerez ce à quoi M. Lechef n’a pas accès. Evidemment, quelles que soient vos révélations elles sont couvertes par le secret médical. Pour votre confort, vous pouvez garder auprès de vous les objets qui vous sont chers. M. Lechef peut ainsi continuer à fumer quelques Coronados et M. Chad peut caresser sur son lit ses deux adorables canidés. Messieurs, êtes-vous prêt ?

    Tous deux d’un même élan, malgré notre état de cobaye humain d’une voix mâle et virile nous nous écriâmes :

               _ Prêts !

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 569 : KR'TNT 569 : TONY STRATTON SMITH / RIPLEY JOHNSON / LEN PRICE 3 / PATRICE HOLLOWAY / EDDIE COCHRAN / SPUNYBOYS / ACROSS THE DIVIDE / ALEXANDRE MATHIS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 569

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    06 / 10 / 2022

     

     TONY STRATTON SMITH / RIPLEY JOHNSON

    LEN PRICE 3 / PATRICE HOLLOWAY

     EDDIE COCHRAN / SPUNYBOYS

    ACROSS THE DIVIDE / ALEXANDRE MATHIS

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 569

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Strat O’sphère

     

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             Strat ? C’est ainsi qu’on surnomme Tony Stratton Smith dans le book extrêmement bien documenté de Chris Groom, Strat! The Charismatic Life & Times Of Tony Stratton Smith. Strat fit partie des fameux gay men qui présidaient aux destinées du showbiz britannique, au temps du Swingin’ London, les plus connus étant Brian Epstein, Robert Stigwood, Larry Parnes et Simon Napier-Bell. Mais il y a aussi Ken Pitt (David Bowie), Billy Gaff (Rod Stewart), Vic Billings (Dusty Springfield) et bien sûr Kit Lambert, co-manager des Who. Simon Napier-Bell : «Most of the best managers were gay.» Il ajoute : «Les gay managers semblaient être les meilleurs. La plupart d’entre-eux jouaient un double jeu, à la fois dans leur monde et le monde extérieur. Les Jewish managers était aussi excellents, la plupart d’entre-eux ayant joué le double jeu depuis leur enfance à l’école.»  

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             Avant d’entrer dans le showbiz, Strat fut journaliste sportif. C’était du temps des Brésiliens, de Pelé, des grands clubs anglais et de Bobby Charlton. Comme beaucoup d’entrepreneurs installés à Londres dans les early sixties, Strat flaira très vite le jackpot et se mit à manager des groupes et, pour avoir les mains libres, il monta dans la foulée son propre label, The Famous Charisma label. Comme Jac Holzman à la même époque à New York, Strat se spécialisa dans un son qui correspondait directement à ses goûts. Charisma fut donc un label de prog dont Van Der Graaf Generator, Lindisfarne et Genesis étaient les figures de proue. De son côté, Holzman tapait dans le folk un peu planplan et les musiques traditionnelles, mais il avait su se moderniser en signant les Doors, Love, les Stooges et MC5. Strat ne s’est jamais modernisé. Les Britanniques sont beaucoup plus traditionalistes.

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             C’est donc un book qui s’adresse principalement aux fans de prog : ça va de Phil Collins (pour le pire) à Peter Hammill (pour le meilleur) en passant par The Nice et les Bonzos. Ce n’est pas une raison pour jeter ce book par la fenêtre, car Groom fait un véritable travail d’investigation et nous fait entrer au cœur du London biz, à l’époque la plus fascinante. Il brosse surtout un portrait saisissant d’un homme haut en couleurs, qui installa ses bureaux à Soho et qui passait le plus clair de son temps dans les bars du coin, fréquentant, comme le dit Peter Grabriel, «the painters, the writers, the gangsters, all the Soho royalty.» Son quartier général était un endroit nommé La Chasse, au 100, Wardour Street, un club privé qui se trouvait à l’étage, au-dessus d’une boutique de paris. Strat y picolait et y gérait son biz. Et c’est au 2i’s Coffee Bar, sur Old Compton Street, que Strat reçoit son baptême du feu. Il se retrouve un soir avec deux ou trois cents personnes «in this awful cellar, payant pour le privilège de s’asseoir in this sweat-box for three hours.» Groom qui est bien documenté rappelle qu’à la fin des années 50, le 2i’s Coffee Bar était considéré comme the birthplace of British rock’n’roll et Mickie Most y bossait, working the cola machine. Comme Strat est gay, il fait gaffe. C’est encore un délit à cette époque que d’être gay. Sa vie privée reste donc secrète. Il ne s’affiche avec personne et comme tous les gens plongés dans le secret, il est parfaitement incapable d’entretenir une relation suivie. Aucun de ses proches ne se souvient de l’avoir vu avec un partenaire. Simon Napier-Bell dit de Strat que sa vie tournait autour des «fine wines, racehorses and rent boys.» Groom insinue que Strat louchait sur un groupe uniquement parce qu’il tombait amoureux de l’un de ses membres. Il cite l’exemple de Keith Ellis, dans les Koobas. Jack Barrie, le boss de La Chasse, le confirme : «I think Strat was madly in love with him.»  

             Cathy McKnight se souvient de l’homme Strat : «Strat was a large man, d’âge indéterminé, (presque) toujours très bien habillé, avec des yeux pétillants et un rire étrange qui ponctuait son discours à intervalles irréguliers. Je n’ai jamais pu le situer.» Elle ajoute un peu plus loin : «Ses principaux traits de caractère semblaient entrer en contradiction les uns avec les autres, était-il un génie ou un charlatan, un esprit original ou un escroc intellectuel de premier ordre ? Strat était de toute évidence un visionnaire, et si parfois certaines de ses visions le conduisaient dans une impasse, ses stratégies étaient le plus souvent d’un bon rapport.» Strat adorait faire la grasse matinée, aussi arrivait-il au bureau à midi, puis il allait déjeuner à 13 h, revenait au bureau à 16 h et sortait toute la nuit. Peter Jenner : «Great geezer, Old-school. Very sharp.» Il donnait aussi des rendez-vous dans un pub de Wardour Street qui s’appelait The Ship, entre 12 h et 12 h 30, nous dit Steve Weltman - My dear boy, I think we should have a meeting in The Ship - Et ça commençait par une pinte de Guinness pour faire passer la gueule de bois.

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             L’une des premières rencontres que fait Strat est celle de Brian Epstein. Ils se rencontrent à Amsterdam où Epstein organise une tournée des Beatles. Il demande à Start de ghost-writer son autobio, le fameux A Cellarful Of Noise. Mais comme Strat qui est alors écrivain bosse déjà sur un autre projet, il donne son accord mais demande six mois de délai. Quoi ? Six mois ? Epstein explose. Il veut ça tout de suite. Alors il va engager Derek Taylor. Strat est cependant ravi d’avoir rencontré Epstein : «J’ai appris beaucoup de Brian, notamment le fait que le rôle du manager est un rôle créatif. Il croit créer les conditions dans lesquelles les artistes vont pouvoir évoluer. Ce qui demande un talent et une discipline qui vont plus loin que celles des juristes et des comptables. J’aimerais croire que je suis devenu l’un de ces managers.»

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             Strat va démarrer sa carrière de manager avec des artistes extrêmement intéressants : Beryl Marsden, les Koobas et les Mark Four. Pour lancer Beryl, il bosse avec le producteur Ivor Raymonde et sort un premier single en 1965, «Who You Gonna Hurt». Mais la relation est tendue entre Beryl et Strat : elle lui reproche de ne pas assez s’occuper d’elle. Ce sont les Gunnell Brothers qui la récupèrent en 1966 et qui la mettent dans un groupe fraîchement assemblé, The Shotgun Express, un groupe dans lequel on retrouve Rod The Mod, l’organiste Peter Bardens, Peter Green, Dave Ambrose on bass et Mick Fleetwood au beurre. Les Gunnell Brothers vont aussi lancer Georgie Fame.

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             Il existe une belle compile de Beryl Marsden, Changes - The Story Of Beryl Marsden, parue en 2012 sur RPM, qui fut l’un des grands labels anglais de rééditions. Cette compile est une vraie caverne d’Ali-Baba. Cette petite gonzesse de Liverpool chante au sucre candy et comme toujours chez Strat, c’est très produit. Au fil des cuts, on voit sa voix s’affermir et quand elle attaque «Love Is Going To Happen To Me», elle devient en quelque sorte définitive. C’est un peu ce qui va la caractériser : le côté ferme et définitif. Elle chauffe admirablement «Who You Gonna Hurt», un slowah super-frotteur, ah la garce, comme elle frotte, et avec «Gonna Make Him My Baby», elle pique sa crise Motown. C’est elle la reine de Liverpool. Ce cut est un vrai coup de génie. La fête se poursuit avec «Music Talk», elle groove sa Soul blanche around the world, comme Martha Reeves, elle devient Beryl en la demeure, avec une mélodie qui est celle d’«Ode To Billie Joe». Elle tape à la suite dans le «Break A Way» de Jackie DeShannon. Wow, quelle heavy pop ! Elle revient à Motown avec le «Let’s Go Somewhere» d’Eddie Holland et tout explose avec le Shotgun Express et deux cuts ultra-chantés et ultra-orchestrés, «I Could Feel The Whole World Turn Round» et «Funny Cause Neither Could I». Elle braille avec Rod The Mod à l’unisson du saucisson, c’est excellent ! Elle traverse ensuite une période atroce de son à synthés et revient à la raison avec le «Baby It’s You» de Burt, au shalala, elle redevient la reine de la nuit, elle chante au vrai grain de voix. Et ça repart de plus belle avec le «Will You Love Me Tomorrow» de Goffin & King, elle est gonflée de s’attaquer à cette merveille, mais elle dispose de l’atout majeur : la voix. Tu n’es pas au bout de tes surprises, car voilà qu’elle monte au créneau avec sa niaque et sa compo : «Everything I Need». Et là tu te prosternes, car elle est vraiment bonne, elle est pleine de Soul blanche, de swing, et de présence à la puissance mille, un peu comme Lulu. Elle revient à sa vielle pop avec «Too Late», yeah yeah yeah, pur jus de Brill, encore une compo à elle. Beryl en la demeure finit par subjuguer. Elle rentre bien dans le chou de «Changes», elle est de plus en plus admirable. Ah quelle fantastique petite gonzesse ! Elle termine avec le «I’ll Be There» de Bobby Darin, elle tape ce slowah à la voix mure, Beryl en la demeure n’est pas une amatrice, elle peut chanter au creux du big stardom, elle en a le gut de l’undergut et la présence vocale. Elle atteint un niveau de niaque assez rare. On imagine qu’étant de Liverpool, elle est tombée dedans quand elle était petite. 

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             Puis Strat manage les Koobas, un groupe originaire de Liverpool. Pour les lancer, il demande à l’Américaine Nancy Carol Lewis de dessiner des pantalons à fleurs, ce qu’il appelle the kooba trews. Les Koobas partent en tournée avec les Beatles et Nancy les maquille chaque soir dans les loges. Groom rappelle au passage qu’à l’époque les Beatles se maquillaient eux aussi. On est en décembre 1965 pour une tournée de dix jours. En-dessous des Beatles, on trouve à l’affiche les Moody Blues, Beryl Marsden, Steve Aldo et les Koobas. Le backing-band pour Beryl et Aldo s’appelle The Paramounts qui vont devenir Procol Harum. Et puis comme l’album des Koobas ne se vend pas, le groupe se désagrège.

             Normal que l’album sans titre des Koobas ne se vende pas : il est mauvais. Dommage car belle pochette. D’autant plus dommage que ça démarre sur «Royston Rose», un joli shoot de British psych, ça joue énormément à l’intérieur du son avec une basse qui rue dans les brancards. Et ensuite, ça bascule dans le mauvais Pepper, une sorte de pop proggy, beaucoup trop évolutive. Ça ne peut pas marcher, sauf chez les bouffeurs de prog. Dommage que tout ne soit pas monté sur le modèle de «Royston Rose». La B est encore plus catastrophique. Ils visent l’épique pur sans en avoir les moyens. Ils tapent une reprise d’«A Little Piece Of My Heart», mais ils n’ont pas les étincelles de Janis. Ils méritent cependant une médaille pour services rendus à la nation.

             Strat repart de plus belle avec The Mark Four qui deviendront dans la foulée The Creation. C’est Robert Stigwood et s’occupait d’eux et Strat accepte de les reprendre à condition qu’ils changent de bassman et il propose Bob Garner, qui a joué dans les Merseybeats et dans le groupe de Tony Sheridan. Le groupe accepte et Strat leur propose de bosser avec son ami Shel Talmy - the hot independant record producer of the day - qui vient tout juste de lancer les Who et les Kinks. Alors attention, on ne rigole plus. Kenny Pickett se souvient très bien de Strat : «J’ai été présenté à ce mec avec un double-barrelled name, une poignée de main sympa mais un peu molle, qui parlait avec un public school accent issued from a rather weak mouth, dressed in a crumpled blue suit and just about the most unlikely rock’n’roll manager I could have wished for. Et puis, il y avait son regard fixé à distance, son air intellectuel et ses joues brillantes, il tenait délicatement sa cigarette entre des doigts d’une grande finesse, on aurait dit un Oscar Wilde accessory, il riait de bon cœur (he would laugh his laugh) et pendant une seconde, je crois que j’ai adoré me bourrer la gueule en compagnie du mec qui venait d’empocher notre cachet pour Ready Steady Go!».

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             Groom nous dit aussi que Shel Talmy ne supportait pas Kit Lambert, par contre, il appréciait Strat, l’un des rares music industry people avec lequel il s’entendait bien - The Creation could have been superstars, mais je n’arrivais pas à les maintenir ensemble et à les empêcher de se séparer tout le temps. Rétrospectivement, je regrette de n’avoir pas travaillé un peu plus pour Tony, parce que c’était un grand personnage et un label boss atypique. On est devenus de bons amis et on a passé de bonnes soirées, car nous pouvions parler de tout et de rien. Il avait beaucoup d’humour, c’était un smart guy et un homme très cultivé, dans beaucoup de domaines, mais il se piquait la ruche de temps en temps. Pour être manager, tu dois être un asshole, tu dois te mettre au niveau du groupe, devenir tordu et tout le cirque. Mais il y avait des exceptions. Je pense qu’Epstein en était une. Le seul mec qui à mes yeux était un good band manager, c’est Tony Stratton Smith. Je l’appréciais beaucoup.»

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             Si tu veux entendre les Mark Four, tu dois choper Creation Theory, un Edsel Box Set paru en 2017 : trois CDs et un DVD. Les Mark Four se trouvent sur le CD 1. Tu as huit cuts. En 1964, ils swinguaient bien, leur cover de «Rock Around The Clock» passe comme une lettre à la poste. Il faut aussi entendre le solo qu’Eddie Phillips passe dans «Crazy Country Hop». What a Hop, my friend ! Tout est trémoloté jusqu’à l’ass de l’oss. Et voilà un hit digne des Who : «Work All Day», joué au riff vengeur. Ils font aussi du Dylan («Going Down Fast») avec une pince à linge sur le nez. Incroyable mais vrai. Ils adorent le Dylan électrique de l’âge d’or. Puis après, ça passe aux Creation et aux versions mono des gros hits : «Making Time», «Painter Man», «Biff Bang Pow», «Nightmares», «Cool Jerk» et tout le reste. Le génie sonique des Creation dépasse tout ce qu’on peut imaginer.

             C’est avec The Nice et les Bonzos que Strat va décoller. Mais il a besoin d’aide pour manager tout ça. Alors, il embauche Gail Colson qui va devenir son bras droit. Groom dit qu’ils sont le recto et le verso du same coin, c’est-à-dire de la même pièce de monnaie. Ils dépendent l’un de l’autre, «lui impétueux, avec ses principes, et une pratique quasi infantile du job d’impresario, elle, la sympathique et prudente business manager qui, d’une certaine façon, réussissait à transformer l’excessive intégrité de Strat en profit.»

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             C’est Lee Jackson, le bassman/chanteur des Nice qui insiste pour que Strat vienne les voir jouer. Il y va et c’est le coup de foudre - I became emotionally involved - Au départ, c’est Andrew Loog Oldham qui avait monté The Nice pour accompagner P.P. Arnold. Quand Strat les rencontre en 1968, ils ont déjà enregistré deux albums pour Immediate, dont l’excellent The Thoughts Of Emerlist Davjack sur lequel joue Davey O’List, un Davey qu’on ne voit jamais orthographié de la même façon : Chris Welsh l’écrit Davy et Discogs David. Quand Strat rencontre le groupe, O’List n’est plus là et il n’est pas remplacé. Viré à cause de son erratic behaviour. On suppute que lors d’un séjour à Los Angeles, David Crosby a spiked his drink avec du LSD, mais en même temps, il était souvent en retard pour les concerts, et même parfois absent. Il doit donc dégager. Le groupe demande à Strat de provoquer une réunion pour annoncer la bonne nouvelle à O’List. The sack. Keith Emerson prend ensuite la barre et The Nice devient un trio. Grâce à Strat, ils ont la chance de pouvoir tourner aux États-Unis, mais ils y perdent de l’argent. Groom estime la perte à $15.000, suite au vol de la caisse à Boston et à des annulations de dates. Groom indique aussi que pendant la tournée, Strat a essayé de signer Captain Beefheart. Malgré le déficit, Strat prend les choses du bon côté : il considère ce déficit comme un investissement. De retour à Londres, il monte le coup du siècle : The Nice with The London Symphony Orchestra. Pour lui, c’est la même chose que d’inciter les Koobas à prendre des leçons de comédie ou d’encourager les Creation à faire de l’Action Art sur scène, «c’est une façon pour très excitante d’avancer». Groom rapporte aussi une anecdote succulente : Chris Blackwell voit un jour Strat sortir d’un terminal d’aéroport. Il marche en tête et derrière, le groupe suit, comme une couvée de poussins derrière la mère poule, alors ça amuse Lee Jackson qui déclare : «Great, that’s gonna be your name from now on... Mother!».  

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             C’est le bouillonnement d’énergie qui caractérise The Thoughts of Emerlist Davjack. Les Nice sortent un son assez typique du London 67, un power indéniable. Ils sont radicalement psychédéliques. C’est vrai que Lee Jackson ne chante pas très bien. Le morceau titre est assez puissant et en même temps inutile, comme bon nombre de cuts de prog. C’est avec «Bonnie K» qu’ils foutent le souk dans la médina. Keith Emerson chauffe sa Bonnie à l’orgue et on entend de magistrales interventions de ce grand guitariste qu’est l’O’List. Il sort un son bien gras, il part en goguette et va croiser le shuffle d’Emerson. C’est un son tellement énorme qu’il en devient américain. Emerson entre dans son domaine avec «Rondo», il lance ici une première incursion dans le domaine du classique, comme va le faire Dave Edmunds avec «Sabre Dance» et Love Sculpture. C’est de la haute voltige. En B, ils reviennent en force avec «War And Peace». Ils développent déjà un sens aigu des instrus à rallonges. Ils sont parfaitement au clair de notaire. Shuffle d’orgue et coups d’O’List qui gratte comme un malade en contrepoint. Pour un virtuose comme O’List, c’est du gâtö. Ils terminent avec «The Cry Of Eugene» chanté à plusieurs voix dans toutes les oreilles, et des flûtes se baladent derrière ton cul histoire de te mettre devant tes responsabilités, c’est assez pénible et ils touchent vite le fond en ramenant des trompettes à la mormoille. O’List veut revenir à la charge pour sauver Eugene, mais c’est trop tard, son heavy sound est noyé dans cette pop prétentieuse et privée d’avenir qui va devenir le prog, cette prétention malsaine à vouloir sonner comme des géants alors qu’ils n’ont sont pas.

             Après les deux albums Immediate, The Nice va enregistrer trois albums sur Charisma. Mais Keith Emerson n’a pas l’intention de continuer avec ce groupe. Il pense que Lee Jackson n’est pas très bon au chant. Il propose à Duncan Browne de le remplacer, sans succès. Puis il rencontre Greg Lake (King Crimson) et Carl Palmer, le jeune et beau batteur d’Atomic Rooster que Strat connaît bien. Avec l’avènement d’ELP, c’est pour Strat la fin du Nice épisode.

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             Comme déjà dit, Strat manage à la même époque une autre équipe haute en couleurs, les Bonzos qui jusque-là étaient managés par Gerry Bron, le boss de Bronze. Pour Bron, ce fut un soulagement que de les perdre : «Ça devenait pénible de les manager et Tony leur disait qu’il pouvait faire ce que je ne pouvais pas : crack American wide open for them.» Il a essayé mais ça n’a pas vraiment marché. Bron pense que s’ils avaient été moins neurotic et plus patients, ils auraient pu devenir one of the biggest acts of all time. Il a raison le Bron, les Bonzos ne mégotaient pas sur la qualité. Ils font leur première tournée américaine en avril 1969 : pas de budget. Vivian Stanshall : «One dollar a day, that’s a burger and a beer - just. But Strat contrived to introduce me to dry Martinis at the Algonquin, Dorothy Parker, Benchleys, Kaufman. We were in New York, for Christ’s sake! It would be improper if we did not. Tony Stratton Smith was a gentleman and an adventurer. He was a very rare man.»

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             En 1970, Strat lance son label Charisma et choisit comme logo The Mad Hatter de Sir John Tenniel, une illustration qu’on trouve dans Alice in Wonderland de Lewis Carroll. Le «Sympathy» de Rare Bird est le premier disk paru sur Charisma, un hit mondial, suivi peu de temps après par l’album des nouveaux clients du manager Strat, Van Der Graaf Generator. Ils deviennent ses chouchous. Strat est persuadé que Peter Hammill «is one of the best lyric writers in the world.» Il le trouve aussi anti-music : «Chaque fois qu’il devient accessible, il fuit et se réfugie dans un royaume impénétrable.»

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             En montant Charisma, Strat a trois modèles en tête : Epstein, Oldham et Lambert : «He had a fine mind, Kit Lambert. C’était un homme très cultivé, a man with tremendous interest in all the visual arts, as well as music. C’était un charmeur très persuasif et les gens les plus durs lui mangeaient dans la main.» Par contre, Strat a du mal avec Andrew Loog Oldham, même s’il le prend comme modèle : «On n’apprenait pas grand-chose d’Andrew, he was one on his own. Son comportement infantile a brisé sa carrière. Ce côté infantile rendait toute négociation compliquée. Avec un vrai businessman, une vision claire et des gens honnêtes pour la mettre en œuvre, Immediate serait encore là aujourd’hui, parce qu’Andrew avait des idées. Il avait un flair énorme, mais il était irresponsable.»

             Les premières grosses ventes de Charisma sont le Five Bridges de The Nice, puis Lindisfarne, Audience et Genesis, suivis de près par le premier album de Van Der Graaf sur Charisma, 15 000 exemplaires en 9 mois. L’or coule à flots chez Charisma !

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             The Least We Can Do Is To Wave To Each Other paraît donc en février 1970. On est aussitôt saisi par le Big Atmospherix de «Darkness» et le sax de David Jackson. Balayé par des vents, Peter Hammill s’accroche à sa falaise, les autres derrière jouent comme ils peuvent, ah, on peut dire que le vent souffle sur Van Der Graaf. On sent qu’ils rêvent de big time. S’ensuit un «Refugees» assez pur, chanté à la Robert Wyatt, Hammill développe un incroyable morphisme dans l’art du Soft. Il devient tout simplement Robert, il dispose du même pouvoir extraordinaire de seigneur de pacotille. Son royaume est l’harmonie, la fantastique ampleur. C’est avec cet album qu’on découvre Peter Hammill, l’homme qui chante dans le punch du son, on le voit encore tailler sa route avec «White Hammer», il chante à la posture, comme un dandy de l’Ancien Régime, c’est un homme qui sait ce qu’il veut, il génère des délires et les drive de main de maître. La prog de Van Der Graaf est sans doute la seule qui ne soit pas ennuyeuse. C’est même une prog qui s’écoute passionnément. Sans doute est-ce la faute à Voltaire. En attendant, ils savent pelleter le charbon dans la chaudière et ce démon de David Jackson l’allume au free extrémiste, il est le crack de la bande, il passe un solo de pur free, il te coule vite fait une apocalypse d’hippie en casquette de cuir. Et ça repart de plus belle en B avec un «Whatever Would Robert Have Said» amené à la fournaise de vazy-mon-gars. C’est un univers totalement à part, ça chante à l’unisson du saucisson, Hammill est le roi du saucisson, il scande à l’Anglaise avec des accents qui préfigurent Johnny Rotten. Ils font aussi des petits coups bucoliques du genre «Out Of My Book», c’est très campagne britannique, avec la flûte de Jackson. Puis Hammill remonte sur la falaise affronter les éléments avec «After The Flood», il adore déclamer dans la tempête, c’est son péché mignon. Leur prog est pleine de surprises, ils passent d’un climat à l’autre sans coup férir et ce démon de Jackson passe un solo de flûte si violent qu’il en crache dans son bec. 

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             H To He Who Am The Only One paraît la même année, au mois de décembre. On y trouve une petite merveille, «House With No Door» qu’Hammill chante avec un tact infini, là-haut sur son chat perché. On retrouve aussi les grandes heures de Van Der Graaf dans «Killer», monté sur des accords connus, et bien harassé par le sax, un sax qui laboure les terres du Comte Zaroff. Mais ça n’est pas un hit car ça dure huit minutes, durée prohibitive. Ce sont les us et coutumes de l’époque. Encore du pur jus de Van Der Graaf avec «The Emperor In His War Room», prog à tous les étages en montant chez Graaf, chant de hargne, loopings d’orgue et de sax dans tous les coins, l’ensemble est assez épique. Hammill semble chevaucher. Il devient évident que Johnny Rotten s’est inspiré de sa façon de chanter. Hammill développe une réelle démesure. Et cette façon qu’il a de roucouler au cœur des tempêtes le rend délicieusement hugolien. Il peut aussi devenir féroce («Lost»), secoué par les ressacs de sax. Il y a des remous dans la soupe aux vermicelles ! En fait, la prog est une quête insensée. Une sorte de désert où on cherche l’humidité. Tous ces grands musiciens oublient tous de boire. Ils sont imbus. Comme le dit si bien le sage, qui a bu est imbu. Alors Hammill s’élance, il est très athlétique. Comme le précédent, cet album est très visité par l’esprit du son. Son y es-tu ? Oui grand-mère ! Alors je vais te manger... Comme le loup qui mange pour rien, Van Der Graff développe du son pour rien. Mais Strat adore ça. Tu as même des gens qui vont trouver ça très bien.

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             Avec Pawn Hearts, les Graaf continuent de cultiver leurs paradoxes. C’est de la prog, avec tout le décousu que cela suppose, mais chantée par Peter Hammill. Alors tu prends ton mal en patience. Tu écoutes. Ça reste une prog chargée de climats, très anglaise, très saine et très respectée, mais il faut bien dire que ça part dans tous les sens («Lemmings») et ça dure onze minutes. À l’époque, on ramassait ces albums pour une bouchée de pain, dans les second hand shops de Goldborne Road. Hammill reprend le pouvoir avec «Man Erg» et redevient l’un des grands shouters d’Angleterre. Il chante au plus juste, il peut même chanter comme un dieu dans les dédales de la prog, il peut devenir miraculeux et trancher dans le vif avec une autorité qui terrifie. Un seul cut en B qui est une suite : «A Plague Of Lighthouse Keepers». Tout le monde craignait les suites à l’époque, car elles ruinaient des faces d’albums, comme par exemple la B de Shine On Brightly. Les Van Der Graaf posent les conditions de la prog avec une certaine prestance, il faut bien l’admettre. Hammill fait l’héroïque, il se fait passer pour un seigneur de l’An Mil et pouf c’est parti pour 25 minutes. Ils passent par tous les états de l’échantillonnage, ils n’ont besoin de personne en Harley Davidson. Les passages sont parfois moyenâgeux et puis ça part en peu dans tous les sens, ça devient l’expression d’un délire que personne ne peut suivre, il faut être sous emprise pour l’écouter. À jeun, c’est imbuvable. David Jackson sauve les meubles avec une crise de free, le son se colore, à l’image de leur délire graphique de photos mauves. On ressort circonspect de cet album et on décide d’en rester là.

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             Mais Strat connaît aussi des échecs. Le premier exemple est Spreadeagle qu’il essaye de lancer en 1972, avec The Peace Of Paper, pourtant produit par Shel Talmy. Sur la pochette brûle un parchemin. Tu ne te relèveras pas la nuit pour écouter cet album mais les bassistes du monde entier devraient écouter «Brothers In The Sunshine», un cut bardé de son que l’omnipotence du bassmatic rend captivant. Tu es chez Shel et cha s’entend, surtout dans «Piece Of Paper», où Andy Blackford passe un solo d’une rare élégance. Le «Nightingale» qui ouvre le bal de la B rappelle un peu Stan Webb : bonne énergie. Spreadeagle est un groupe passé inaperçu, mais avec du son. L’autre point fort de l’album s’appelle «Eagles». Cette fois, ils ne sont pas loin des Who, ce qui n’a rien de surprenant, vu qu’on est chez Shel. Côté dynamiques, ils ont tout bon.

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             L’autre flop de Strat, c’est Capability Brown. Ils sont six sur scène et chantent tous. Tony Fergusson et Kenny Rowe faisaient partie d’Harmony Grass. Groom indique aussi que Rowe avait joué with Steve Marriott’s Moments. Alors on sort From Scratch de l’étagère. Pas le genre d’album qui laissait un grand souvenir. En gros, Capability Brown sonne comme CS&N, mais aussi comme les Beatles, ce qui explique qu’ils aient échappé aux purges. Ces mecs visent effectivement une certaine clameur harmonique. C’est à la fois très épique et très beau. Ils ont exactement le même déroulé que CS&N avec «Do You Believe», avec le gratté d’acou et les harmonies sous le boisseau. Mais c’est encore plus flagrant avec «Soul Survivor» en bout de B, c’est du pur jus de CS&N, ils s’appuient sur un heavy gras double à l’Anglaise pour partir en dérive dans le mékong de CS&N, on se croirait dans «Judy Blue Eyes Suite», c’est très déterminé à vaincre, ça défonce tous les barrages de police, ça fonce vers la lumière au pah pah pah, ils évoquent même les ancient seas de Croz. «Garden» est tellement pur qu’on pense au «Day In The Life» des Beatles. Même chose avec «Red Man», en B, ça sent bon la Beatlemania. Leur «No Range» est encore bardé de son. On comprend que Strat ait tout misé sur eux. Ces mecs disposent de ressources insoupçonnées, comme le montre encore «Liar», ça grouille de petites guitares incendiaires et de bouquets d’harmonies vocales à la CS&N. Ils ont tout de même un peu de sang américain dans les veines. Bizarre que Capability Brown n’ai pas explosé en Angleterre. C’est du haut niveau. 

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             Leur deuxième album s’appelle Voice et paraît l’année suivante. Même constat : c’est du solide, on les voit à l’intérieur du gatefold, ils chantent tous les six et produisent comme le montre «I Am And So Are You» un fantastique brouet charismatique. On sent nettement les influences californiennes. «Sad Am I» est just perfect. Mais ça se gâte en B avec ce que les Anglais appellent une suite, un long cut à épisodes qui vire prog. On perd la chanson, on perd la Californie.

             Les artistes s’accordent à dire que Strat est une vraie mère poule. Il accompagne les groupes en tournée et partage souvent des chambres avec des musiciens, qui soit dit en passant, se plaignent un peu de l’entendre ronfler. Strat a du respect pour les artistes qu’il prend sous son aile, ce qui est assez rare dans l’industrie du disk, nous dit Groom. Il cite trois exemple de gens respectueux : Ahmet Ertegun, David Geffen et Jimmy Iovine, et dans le circuit indépendant, Dave Robinson de Stiff. Parmi les gros loupés de Strat, il y a Queen. Il n’a pas su faire une offre assez importante.

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             Sur Charisma, on trouve aussi le fameux album raté de Leigh Stephens, And A Cast of Thousands. Sur la pochette, il est photographié sur la péniche dans laquelle il vivait à l’époque. Mais Stephens n’était pas très content du son de l’album : «Je n’aurais jamais dû enregistrer cet album. C’était trop tôt après Blue Cheer et je n’avais aucune visibilité. C’est Keith Emerson qui m’a présenté à Strat. Il avait entendu une de mes démos et l’avait bien aimée. Strat was a good guy. Il s’est parfaitement bien conduit avec moi mais un mec d’Island Studios a niqué le son de mon album, on a dû remixer et ça a explosé le budget, puis on a perdu les bandes.»

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             Bon alors après, on entre dans des eaux moins intéressantes : Genesis et Lindisfarne qui sont devenus les vaches à lait de Charisma. Strat a réinvesti la pluie d’or de Lindisfarne pour lancer Genesis. Puis il lance String Driven Thing que va produire Shel Talmy. En 1972, Strat louche sur les Dolls qui débarquent à Londres. Sur les rangs, il y a aussi Kit Lambert et son label Track. Lambert réussit à inviter les Dolls à dîner aussitôt après le fameux Wembley show avec les Faces. Strat rencontre plusieurs fois Marty Thau, le manager des Dolls, installé dans une suite du Dorchester. Richard Branson traîne aussi dans les parages. Mais Thau décide que Charisma ne peut pas convenir aux Dolls. Et quand Billy Murcia casse sa pipe en bois dans une baignoire, les Dolls retournent chez eux la queue entre les jambes, sans contrat ni batteur.

             Strat passe pas mal d’accords avec les Américains. Il parvient à passer un bon deal avec Neil Bogart qui bosse chez Buddah. Bogart cherche à développer le marché prog aux États-Unis, après avoir réussi à s’implanter dans le black marketplace en signant des deals avec Custom (Curtis Mayfield), Hot Wax (Holland/Dozier/Holland) et T-Neck (Isley Brothers).

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             Comme Strat est avant toute chose un écrivain, il monte une filiale de Charisma, Charisma Books. Il publie des poèmes de Peter Hammill, un recueil d’interviews de Peter Frame et l’autobio d’Oscar Zeta Acosta qui a servi de modèle au Dr Gonzo d’Hunter S. Thompson. Pour développer Charisma Books, Strat s’associe avec Leonard Cohen, mais ça ne débouche pas. En 1973, Strat s’associe avec Lee Gopthal (Trojan) pour monter le label Mooncrest. Strat rachète aussi le prestigieux fanzine Zigzag en 1972, et en 1975, ne parvenant à le revendre, il en fait cadeau à Peter Frame qui en était le rédacteur en chef : «He handed it back to me, lock, stock and barrel, together with all the copyrights. Free of charge.» C’est dire si Strat est un homme désintéressé. En 1974, il avait organisé un benefit concert à Londres et parmi les invités se trouvait Michael Nesmith. Un Nesmith qu’on retrouve comme producteur de Bert Jansch. Strat vient tout juste de le signer sur Charisma. L’album s’appelle L.A. Turnaround. Groom indique qu’on considère cet album comme le sommet de sa carrière - not far from being the perfect album, dit un critic du Melody Maker - Strat est lui-même expansif : «This is probably one of the five best albums Charisma has ever released.» Jansch va enregistrer quatre albums pour Charisma.

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             Sur L.A. Turnaround, le vieux Bert gratte ses poux dans le crépuscule des dieux de la campagne anglaise. C’est très spécial, un brin fané, pas très bien chanté, mais hyper-joué. Il claque énormément de notes. Pour l’amateur de gratté de poux, c’est un bonheur, d’autant qu’il en gratte douze à la dizaine. Cut après cut, il ramène toute sa science de folky folkah, on est en plein dans la soupière. Son «Travelling Man» reste du gratté de premier choix. Pas de surprise. Ce genre d’album repose le problème qu’on avait avec Jac : on se demande pourquoi Strat craque sur Bert. C’est un son très conventionnel, un son anglais orienté sur l’Amérique. Taj Mahal et Micheal Chapman font ça mille fois mieux. «Stone Monkey» sonne comme de l’Americana qui ne fonctionne pas. L’album a le cul lourd et ne parvient pas à se lever. Quelque chose ne fonctionne pas. Quand on arrive à «Of Love & Lullaby», Bert n’a conquis aucune cité. Il repart en mode vaincu avec «Needle Of Death». Il semble se battre pour du vent. De toute évidence, Bert n’est pas une superstar. Il tente de sauver son album avec «The Blacksmith», mais sa voix n’est pas sûre. Et le son n’y est pas. C’est très compliqué. Pas facile la vie. N’est pas génie qui veut. Bert Jansch est un fantastique guitariste mais ce n’est pas ça qui fait les grands albums. 

             Strat signe aussi Hawkwind et Astounding Sound Astounding Music sort sur Charisma en 1976, suivi l’année suivante de Quark Strangeness And Charm, deux albums qui vont forcer le respect des punks, notamment Johnny Rotten.

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             Il est bon de rappeler qu’on trouve une énormité sur chaque album d’Hawkwind. Celle d’Astounding Sound Astounding Music s’appelle «Kero Crawler». Hard rocking d’Hawk, ils renouent avec le proto-punk et ramènent toute leur niaque de buskers. Petite cerise sur le gâtö : Nik Turner passe un solo de sax ravageur. On retrouve le grand Nik dans «The Aubergine That Ate The Rangoon», un instro un peu free. «Kadu Flyer» est plus pop, mais ça se termine en trip orientaliste digne des carnets de voyage d’Eugène Delacroix. Et puis il faut écouter et réécouter le «Reefer Madness» d’ouverture de balda. Quelle énergie ! Hawkwind n’a jamais fait défaut de ce point de vue. Brock ramène toujours des heavy chords, un beat soutenu et Nik Turner part en vrille derrière le stole my stash.

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              Les deux énormités qui se nichent sur Quark Strangeness And Charm sont «Spirit Of The Age» et le morceau titre qui ouvre le bal de la B des cochons. Encore une belle dégelée que ce morceau titre, il sonne exactement comme le «Waiting For The Man» du Velvet, c’est tout de même incroyable qu’ils réussissent à créer l’illusion ! Chanté par Robert Calvert, «Spirit Of The Age» est un petit chef-d’œuvre hypnotique. C’est une grande mouture d’Hawk qui la joue : Brock + Simon House + Adrian Shaw et Simon King. Ça pulse ! Andrian Shaw voyage pas mal dans le son. Bassman remarquable qu’on retrouve chez Bevis Frond. Encore une belle échappée belle avec «Damnation Alley». Brock conduit sa meute et Andrian Shaw brode des drives dans le dur du mood. Avec «Hassan I Sahba», ils affichent clairement leur volonté d’orientalisme purulent. Ce subtil poison attaque les gênes du groove.

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             En 1979, Strat donne aussi le feu vert à Nik Turner pour P.X.R.5. L’énormité de cet excellent album s’appelle «Death Trap» et ouvre le balda. On retrouve Robert Calvert au chant. Ces mecs ont le diable au corps. Ils cultivent leur vieille veine proto-punk. Calvert est un enragé. Retour à l’hypno avec «Uncle Sam’s On Mars» et ils font une tentative d’infini océanique avec «Infinity». Dave Brock est capable de ce genre de miracle. En ouverture du bal de B, Calvert tape «Robot», un cut joliment épique qui convient parfaitement à cet excentrique. Il semble vouloir guider Hawk vers des terres inconnues, il se tient droit et fier dans l’azur immaculé.

             Puis en 1985, Strat vend Charisma à Richard Branson et à son fast-growing Virgin Group.  Comme tous les label-boss, Strat finit par en avoir un peu marre de tout ce cirque. Il finira par casser sa pipe en bois en 1987. Groom nous donne tous les détails : Strat vomit du sang, se retrouve à l’hosto avec deux cancers, foie et pancréas. Les chirurgiens ne peuvent pas le réparer.

    Signé : Cazengler, Tony Stracon

    Chris Groom. Strat! The Charismatic Life & Times Of Tony Stratton Smith. Wymer Publishing 2021

    Beryl Marsden. Changes: The Story Of Beryl Marsden. RPM Records 2012

    Koobas. Koobas. Columbia 1969

    Creation. Creation Theory. Edsel Box Set 2017

    The Nice. The Thoughts of Emerlist Davjack. Immediate 1967

    Van Der Graaf Generator. The Least We Can Do Is To Wave To Each Other. Charisma 1970 

    Van Der Graaf Generator. H To He Who Am The Only One. Charisma 1970

    Van Der Graaf Generator. Pawn Hearts. Charisma 1971

    Capability Brown. From Scratch. Charisma 1972

    Capability Brown. Voice. Charisma 1973

    Spreadeagle. The Piece Of Paper. Charisma 1972

    Bert Jansch. L.A. Turnaround. Charisma 1974

    Hawkwind. Astounding Sound Astounding Music. Charisma 1976

    Hawkwind. Quark Strangeness And Charm. Charisma 1977

    Hawkwind. P.X.R.5. Charisma

     

     

    Ripley it again, Sam - Part Two

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             C’est par hasard, chez un disquaire parisien du IXe arrondissement, qu’on fit la connaissance de Ripley Johnson. «‘Coute ça !» lança JP. Il posa le vinyle sur sa platine et le son se mit aussitôt à envahir la vieille boutique comme l’eau envahit la cale d’un vaisseau torpillé. Il me colla ensuite la pochette arty dans les pattes. Wooden Shjips ?

             — Connais pas... Quel drôle de nom de groupe... Wooden Shjips...

             — C’est l’un des groupes de Ripley Johnson, un psyché de San Francisco. Tu ne connais pas Moon Duo ?

             — Seulement de nom, mais depuis le ballon de baudruche des White Stripes, je me méfie un peu des duos à la mode.

             — Mais ça n’a rien à voir avec les White Stripes ! Tu devrais écouter Moon Duo, ils ont un son qui pourrait te plaire.

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             L’album de Wooden Shjips que passait JP dans son bouclard s’appelle Shjips In The Night. Live In San Francisco June 8 2018. Album somptueux. Pochette somptueuse. Ce Live in San Francisco sonne comme un classique lysergique, pour reprendre le jargon des mangeurs de champignons. Les Shjips appliquent la formule de base du bon psyché : un riff obsédant doublé d’une voix douce et d’un sens du ventre à terre bien pondéré. Alors ils sont capables de proposer la meilleure des mad psychedelias. La preuve ? «For So Long», où ils se montrent bien plus disciplinés que les Spacemen 3, mais ils n’en sont pas moins triés sur le volet. Voilà une hypno de rêve, bien montée sur le bassmatic. «Ruins» semble basé sur l’impavide pulsation de «Set The Controls For The Heart Of The Sun». Les cuts se veulent néanmoins courts et cavaleurs, bien structurés dans leur délire, aidés en cela par une rythmique fiable et même à toute épreuve. Le real deal de la mad psychedelia se trouve en B, avec «Staring At The Sun». On croirait entendre un cut de titube des Spacemen 3 : même ambiance de nonchalance vacillante. Et ça continue avec «Flight». Ils passent en mode heavyness psychotropique de bon augure, qu’ils ornent de jolis entrelacs de guitares et de langues fourchues. Ils jouent aussi «Death’s Not Your Friend» dans les règles du lard de la matière, ils se situent dans le fin du fin de la musicalité psychédélique et exploitent toutes les essences connues. Chaque note sonne juste, ils ne font jamais le moindre faux pas. Même le Death de fin de non-recevoir épate au plus haut point, c’est un Death qui épaterait n’importe quelle galerie, bien emmené, cœur vaillant rien d’impossible, menton en avant et regard rivé sur l’horizon, fantastique démarche d’avantisme, aucune hésitation, ces gens jouent cartes sur table, c’est une aubaine pour l’humanité, une façon d’échapper aux bourres du réalisme virologique.

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             Du coup, on est parti à la découverte de Wooden Shjips, un groupe monté en 2007 par Ripley Johnson avec trois camarades. Ils enregistrent un premier album sans titre qui ouvre une nouvelle voie vers le Graal de la Mad Psychedelia, avec notamment un «Losin’ Time» amené au heavy riffing gaga et bien ramoné au hérisson de Shjips. C’est même visité par les anges et ça vire très vite mad psyché. Absolute wonder de wonderer ! Ces mecs bouffent tout le gras sur le dos des grands, ils sonnent à la fois comme les Spacemen 3 et le Velvet, mais avec du velouté. L’autre voie impénétrable est un «Shine Like Suns» tartiné au long cours et monté en neige. Ils enclenchent le répétitif et au moment où on va décrocher, ça bascule dans l’enfer d’une authentique Mad Psyché-so-far-out. Absolute beginner d’extrême onction ! L’autre grosse influence de Ripley, c’est Can, bien sûr, comme le montre le petit beat hypno de «We Ask You To Ride». Ripley baigne dans son bouillon de culture, il file au trippy trippy petit bikini. «Lucy’s Ride» est encore un coup de ride à la Can, avec cet accord gratté à la surface de la planète et un Ripley qui vient chanter à l’étranglée. C’est très psychédélique, bien étalé dans le temps, l’ambiance reste crédible. Il va ensuite tartiner de la réverb sur un beat hypno pour les beaux yeux de «Blue Sky Bands». C’est très typé. Dans Uncut, Ripley nous explique qu’il jouait sur un «riculously loud Fender Quad Reverb amp. I wanted to get the super-oversatured fuzz sound».    

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             Deux ans plus tard, Ripley et ses amis récidivent avec Dos. Belle pochette et belle surprise avec une petite stoogerie intitulée «Aquarian Time». Ces gens-là savent donner du temps au temps, pas de problème, ils récupèrent les accords des Stooges et en voiture Simone ! Il se payent ce luxe effarant, ils naviguent un peu à la surface des Stooges, comme les Specamen 3. Ripley se prend pour Ron Asheton, mais il se contente de l’ambiance, juste de l’ambiance, sans la violence du chant. Les Shjips continuent de jouer des cuts longs et évolutifs, Ripley fait du stoner avec ostentation, il joue toujours avec les meilleures intentions. Joli shoot d’hypno que ce «For So Long». La guitare psyché entre bien dans le lard du beat, Ripley fait son biz à l’intérieur du groove. «Down By The Sea» est aussi monté sur un beat hypno de dix minutes. Tout est subtil et parfaitement maîtrisé, amené à l’insistance de la persistance, idéal pour un Shjipper comme Ripley. Il tortille bien sa nouille à travers les nappes de psychedelia subliminales, tellement subliminales qu’elles attaquent le système nerveux. C’est une invitation au suicide, ou à l’envolée, comme tu veux. Ripley mène encore bien sa barque avec un «Fallin’» qu’il pousse dans l’excès avec un petit orgue, ça tient bien la route, l’hypno est si pur qu’on pense au Velvet, c’est d’une finesse qui nous dépasse, qui se déplace dans le temps, un bonheur pour l’oreille aventureuse. Ripley entre dans la caste des géants des temps modernes, ses longs cuts sonnent comme des bénédictions.

             Quand Wooden Shjips commence à percer et qu’on leur propose des tournées en Europe, Ripley et ses amis déclinent les offres. Trop compliqué. Ils ne sont ni prêts à tourner ni vraiment organisés pour ça.

             Ripley vit avec une pianiste nommée Sanae Yamadain et un jour, il lui propose de monter un duo : Moon Duo - What if we start a band, just the two of us ? - À  deux, c’est beaucoup plus facile de s’organiser pour voyager. Une seule chambre d’hôtel, le matos dans le coffre, c’est très économique. En plus, ils sont fans de Suicide, des Silver Apples, Cluster et Royal Trux. Alors c’est facile. Ripley dit à Sanae : «Tu seras Martin Rev et je serai Alan Vega but with a guitar.»

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             Leur premier album s’appelle Escape et sort en 2010. Bel album, une fois de plus. Ils annoncent la couleur dès «Motorcycle I Love You», un big hypno sans échappatoire, avec un chant perdu derrière le rideau de son. On se fout de ce qu’il raconte. Ce sont les guitares qui règnent sur cet empire. Ripley est très Can et très mystérieux à la fois. Tout ce qu’on peut dire de lui c’est qu’il est le crack de l’hypno carnassier. Il tape en plein dans le mille, il développe une belle énergie exploratoire, ses solos courent sous le plafond, un peu phosphorescents, il mixe l’hypno avec la mad psyché et louvoie dans les méandres de la wah continentale, c’est assez toxique, on croit fumer un gros joint d’herbe. Avec «In The Trees», il passe au mix de destruction massive et de mad psyché. Tout est là : le poids des éléphants et les mouvements ralentis des phalanges antiques, un anglais appellerait ça du fat mad doggy scam. Tout repose sur la heavyness du tribal et Ripley déploie ses grandes ailes noires pour aller tournoyer dans le ciel rouge. Sa copine Sanae ramène de l’orgue dans «Stumbling 22nd St», mais c’est un riff d’orgue têtu comme un âne. Leurs cuts se prêtent à tous les subterfuges et ça vire très vite à la grosse attaque de marche forcée. Grimpé sur la crête du son, Ripley joue la cisaille à la folie. Power absolu ! «Escape» est tellement saturé de son que le casque saute. C’est un son ultra-masterisé qui explose la martingale et qui démantèle les clavicules de Salomon, qui Paracesse la paragenèse de Genovese, Ripley abandonne ses responsabilités, il scie l’arbre de sa branche, il va au-devant des dernières pauvres petites attentes, oh tu n’as pas idée de ce bordel. Moon Duo est une particule de mad doggy scam qui entre dans ta cervelle pour la bouffer, schloufff, schloufff, à belles dents.  

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             L’année suivante, ils enregistrent Mazes. Ripley avoue l’avoir enregistré sur Pro Tools, mais il est allé mixer l’album à Berlin avec deux Finnish guys qui ont un studio nommé Kaiku. Par contre, aucune information sur l’album. Il faut se débrouiller avec le son. Ça démarre avec «Seer», un big drive hypnotique, dans l’esprit de ce que font les Spacemen 3 et Lionel Limiñana. L’ultra-drone psychédélique. Ripley et Lionel seraient dit-on les derniers mages de l’univers. L’album grouille de références, on a déjà entendu «Scars» ailleurs. Ripley écoute trop d’albums, il démultiplie les flashes. Retour de la violence avec un «Fallout» riffé à la cotte de mailles. La disto sonne comme un cor de chasse, c’est aussi beau que du Velvet égaré dans les égouts. Le côté éclatant des guitares voilées rappelle les Boos, il a une façon spéciale de rogner dans le rognon du son et puis, comme ça, l’air de rien, il te joue le plus beau solo psyché des temps modernes. Nouveau coup de génie avec un «When You Cut» riffé dans le gras de l’idée. Il ramène des clap-hands à la volée et envoie son solo comme un punch in the face. Ripley est le killer flasheur ultime du monde psychédélique, il rajoute des bruits de casserole dans sa soupe aux choux, c’est complètement demented, ses solos tranchent la viande, il avance clic clic comme un train mécanique. Peu de gens sont capables de jouer le train au milieu des flammes. Il repart en maraude avec l’hypno rapide de «Run Around». Tout est solide sur cet album. Ripley pourrait donner des cours à tous les autres. Il sait mettre le feu aux plaines et cultiver les excès chers à Oscar Wilde.

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             Paru l’année suivante, Circles s’ouvre sur un coup de génie : «Sleepwalker». Tu es aussitôt embarqué, pas la peine de discuter. Ce mec-là t’arracherait le pain de la bouche, c’est un seigneur de la guerre du riff. Si tu entres chez lui, t’es baisé. Par de pire énormité groovytale, c’est une dégelée ultra-shamanique qui rivalise avec celles des Spacemen 3, tu as là tout le bataclan du no way out. L’énergie des Spacemen 3 rôde encore dans «I Can See» et surtout dans le morceau titre, même excédent endémique, c’est violent et bon à la fois, travaillé dans l’épaisseur du son. Et ça continue avec un «I Been Gone» digne des grandes heures du Velvet, assez pur dans l’approche de la déraison, Riplay vise en permanence l’excellence psychédélique. Ce mec n’est pas là pour s’amuser, mais pour te bombarder de son, il installe l’hypno de «Dance Pt 3» et pouf il part en tangente avec un solo de power destroy oh boy. Ah il y va le barbu, il va même singer Suicide avec «Free Action», il a un sens inné de l’hypno et avec son Dance, il rend certainement l’un des plus beaux hommages à Alan Vega. Il développe une énergie stroboscopique d’all nite long. On ne se lasse pas de cette violence bienveillante. Riplay it again Sam ! Son «Trails» sonne comme un shoot de Brian Jonestown Massacre, c’est-à-dire un heavy groove psychédélique, avec une pulsion in the flesh, il œuvre au nom de sacré, cet album est un oasis dans le désert. Il termine avec «Rolling Out», une embellie psychédélique qu’il embrasse à pleine bouche.     

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             Pochette surréaliste pour Shadow Of The Sun. L’album paraît en 2015. Livret réduit à portion congrue : juste un recto-verso avec des infos minimales. Si t’es pas content, la porte c’est par là. Ripley nous présente deux de ses plus grosses influences : les Stooges et le Velvet. Stooges avec l’effarant «Wilding». Au moins les choses sont claires. Il joue les accords des Stooges et lance des vagues de turbulence à la surface des riffs de Ron Asheton. C’est un hommage, pas d’inquiétude, Ripley ne se permettrait pas d’insulter le plus grand guitariste de tous les temps. Bien au contraire. Avec Ripley, c’est simple : un Stooge sinon rien. Velvet avec «Slow Down Low». Il reprend les accords de «Waiting For The Man». Pas de pire hommage ! À part Pat Fish et les Subsonics, personne ne peut Velveter aussi bien que Ripley. Il fait preuve d’une stupéfiante endurance et finit par barrer en couille de drouille sur un backing digne de John Cale. Par contre, on entend beaucoup de machines sur cet album. L’étau des machines new wave peut détruire l’espoir, comme le montrent «Ice» et «Animal». On finirait presque par le détester, le Ripley,  avec ses boîtes à rythme et ses boîtes à conneries. La new wave tue la mad psyché dans l’œuf. Dommage, car «Free The Skull» est un chef-d’œuvre de mad psyché, il redevient le grand seigneur du dégueulis convulsif, il vire complètement Spacemen 3.

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             Comme il a trop de cuts en réserve et qu’il veut pas faire un double album, alors il propose deux volumes d’Occult Architecture. Occult Architecture Vol. 1 sort en 2017. C’est selon Ripley l’album sombre, qui d’ailleurs démarre sur «The Death Set», petit chef-d’œuvre d’hypno élastique, ça joue dans la nuit sans craindre la panne. Tous les groupes qui ont des outils font ça, mais Ripley le fait mieux, avec esprit. C’est le principe de l’heavy psycho. Ce sont les machines qui amènent «Cold Fear», elles tuent encore une fois le psyché dans l’œuf mais Ripley ramène des guitares trash suspensives. C’est son côté génie du son et ça vire automatiquement hypno, mais hypno de drug scene. Il ramène encore beaucoup de son dans «Cross Town Fade». Ripley et Sanae jouent à deux comme s’ils étaient six. Trop de son, beaucoup trop de son, c’est gorgé d’éclats de violence. Ripley en veut, il est assez ultime dans sa détermination. Retour à la mad psyché avec «Cult Of Moloch», il envoie sa wah tourbillonner dans le ciel noir comme un ptérodactyle, il crée des visions dans l’épaisseur du son, il applique toutes ses vieilles recettes alchimiques, avec le chant à la renverse sous un ciel de plastique mauve, des solos en forme de lombrics géants, des échos encore plus éloignés que l’horizon, c’est hors du temps, et les retours de beat sont des chefs-d’œuvre d’articulation. Il termine avec «Fast Ride». Ripley ne traîne pas en chemin. Il adore balancer des bassines d’huile bouillante sur la gueule de sa fiancée qui se tient au pied du donjon, aw comme il est dur, gueule-t-elle, il m’a défigurée ! Quel goujat ! Oui, Ripley a autre chose à faire dans la vie que de courtiser les connes, il file droit dans son monde imputrescible de wah puante et de beat druggy et ça sent bon la dope dans tout ce bordel hypnotique, il tartine encore un solo de no way out, il est le seul maître à bord.

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             Occult Architecture Vol. 2 est donc l’album lumineux. «New Dawn» ouvre le bal et met du temps à se relever. Et ça part en mode Spacemen, beat hypno, un accord, mode pilote automatique et chant à la renverse. Ripley est capable de te faire tripper à jeun. C’est gratuit, en plus, pas la peine d’aller chercher ta fiole chez Sade. Ripley joue à l’excelsior de la dérive, il vise l’excellence de la partance. Mais après, ça se gâte : la new wave est de retour. Ripley sauve «Sevens» avec un solo final qui est une œuvre d’art. Il revient à sa chère mad psyché avec «Lost In Light». Même envergure que celle des Spacemen, même quête de pureté. Il joue à la main moite avec des descentes de chant bouffées aux mythes. Avec «Crystal World», il sait où il va. Il est bien le seul. Nous on suit, comme des cons. Ah il va par là ? Alors on va par là. C’est assez simple. Il faut juste suivre Ripley sinon t’es paumé.

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             Le dernier album en date de Moon Duo s’appelle Stars Are The Light. Belle pochette psychédélique. Ripley veut bosser avec Sonic Boom qu’il connaît bien. On dit dans la presse anglaise que Sanae Yamadain et Sonic Boom font des miracles avec leurs synthés sur cet album. C’est tout le contraire, l’album est très décevant, même si le groove de «Flying» te cueille au menton. Mais après ça se gâte car Sanae chante dans des effets à la petite mormoille new wave de Rocamadour. Cet album refuse de fonctionner malgré le groove de basse de «Fall (In Your Love)». Ils semblent un peu trop rigides, comme s’ils avaient un manche à balai dans le cul. Il y a trop d’effets sur cet album, pas assez de guitares. Quelques vieux relents de mad psyché remontent de «Lost Heads», mais les voix se perdent dans l’écho des machines. Il faut parfois savoir accepter de perdre son temps en sachant pertinemment qu’il ne va rien se passer de plus que ce qu’on sait déjà. Ils font du groove de carte postale avec «Eternal Shore», c’est bien agencé, très dedicated, on a du mal à l’avaler mais on l’écoute. Puis le coup du lapin arrive avec «Eye 2 Eye» : trop de machines, c’est insupportable, prétentieux et sans espoir. Ripley va chercher le Velvet pour boucler avec «Fever Night» mais on s’est emmerdé pendant une heure, alors désolé Ripley, ça ne passe pas, d’autant que le son n’est pas bon. Trop d’effets, trop de mormoille.  

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              Retour à Wooden Shjips. Si West est un si bel album, le mérite en revient à Sonic Boom qui le mastérise. Boom dès «Black Snake Rise», belle hypno saturée de son, toujours le même modèle, Ripley ne varie guère les plaisirs. Il propose une hypno crépusculaire enchantée. Avec «Crossing», il fait du Spacemen 3, il bascule dans la magie latente, dans ce demi-monde des drogues hallucinogènes et de descentes de basse épisodiques, Ripley revient au corporel, au groove organique, il propose une fantastique approche du ralentissement de tous les sens avec un son qui scintille au coin du bois de Brocéliande. Ce sont les écarts de la basse qui font le power du délire. Cette musique sent bon la dope. Puis ça repart en mode heavy as hell avec «Home», c’est même du subliminal infernal, une spatiale effervescence d’effarance concomitante, Ripley gère son enfer, il étend son empire, il annexe la mad psyché, tout est bardé de beat et ça bascule dans le purple heart of the inner world. Une merveille ! Il continue d’avancer dans West avec un planétarium d’effets de wild guitars («Flight»), hey baby low, tu danses dans la nuit orangée d’Holland Park. Il amène «Rising» au fast rising de shshhh. Ces mecs savent faire éclore la rose. Une fois de plus, la basse traverse sans regarder ni à droite ni çà gauche, comme chez les Spacemen 3, et pour être précis dans cette purée, il faut être extrêmement doué. Les lignes de basse croisent dans un lagon de réverb, pareils à de prodigieux requins psychédéliques, Ripley chante comme si on venait de lui arracher une jambe, il joue bien le jeu de l’agonie avec tous les bouillons qu’on imagine dans l’émeraude du lagon, aw ma patte, aw ma patte elle est partie, sa voix s’éloigne sous l’alizé du paradis, alors que le requin psychédélique se barre au large avec sa jambe.

             Parlant de West, Ripley dit qu’à l’époque il restait assez proche de ses influences : «Neil Young, les Stones, The Band, le Dead, Zep, the Faces, whatever.»

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             Back To Land est sans doute le meilleur album de Wooden Shjips, en tous les cas celui qu’on n’hésiterait pas à recommander, même à son pire ennemi. Parce que sur les 8 cuts de l’album, on ne compte pas moins de 6 merveilles, à commencer par le «Back To Land» d’ouverture de bal, un cut qui t’embarque aussitôt. Alors embarquement immédiat, comme chez les Spacemen 3, et le chant synthétise la meilleure psyché défoncée du monde. C’est l’hypno de tes rêves les plus humides. Autre prodige hypnotique : «In The Roses», embarqué cette fois au fast ride et chanté à l’évaporée. La force de Ripley consiste à tenir le beat pendant cinq minutes sans faiblir. Il attaque «Other Stars» au va-pas-bien des Spacemen 3, il joue un acid trip perforateur, au revoir et à bientôt. Tu ne trouveras rien d’aussi pur ailleurs. Ripley et ses amis amènent aussi «Ruins» à la véracité de l’hypno psychédélique. Personne ne peut résister à ça. C’est du grand art, joué à sec et mis en perspective. Le «Ghouls» qui suit est assez touffu, quasi Hawkwind, balayé par des vents de sable, Ripley reprend les tornades d’Hawkwind à son compte et passe un killer solo. Encore une belle envolée belle avec «Servants», ça louvoie une fois de plus dans les méandres de la meilleure psychedelia de San Francisco. Pour finir, Ripley amène «Everybody Knows» au sommet du lard fumant. Il ouvre un incroyable chapitre de possibilités. Il pose son chant au sommet d’une montagne de son, ce mec a du génie, il joue à l’ordonnée, c’est un visionnaire, un Brian Wilson psychédélique, il dégringole sa psyché au Soul charme de chant chaud, avec un solo furtif en ligne de mire, mais calé dans la mélodie, c’est dire si, messie mais si, c’est encore une stupéfiante prestation digne des Spacemen 3.

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             Quand Phil Istine demande à Ripley quelles sont les influences de Back To Land, Ripley parle de primitive psychedelic music and minimalist music. Et pouf il te sort le nom de Träd Gräs Och Stenar et des autres groupes suédois qui constituent le Pärson Sound. Il parle de primitive tribal jam stuff, qu’il préfère au Velvet - The direct opposite of prog, music that almost anyone could play - Pour lui, la dimension de l’hypno est essentielle, this universal primal thing that everyone could relate to - Ripley rappelle que dans son premier groupe, personne ne savait jouer d’un instrument. It grew from there - Fantastique ! Ripley rappelle aussi que vendre des albums n’a jamais été le but principal du groupe. Ce qui compte pour lui, c’est jouer pour les gens. Alors Istine lui demande ce qu’est le but principal du groupe. Ripley : «The records are the most important thing.» Il indique qu’il est amateur de vinyles et de découvertes - Making a good record with some shelf is always the most important thing to me.

             On sent une petite baisse de tension dans le V paru en 2018. Ripley joue du petit strapontin d’hypno, il tâte son «Eclipse» à l’orée de la vulve, c’est un tactile, il continue de vouloir jouer envers et contre tout. On sent surtout qu’il ne pense qu’à une chose : s’amuser. Il fait ensuite du replay de Ripley, il lance des petits grooves hypnotiques et les laisse se débrouiller tout seuls. Ça devient assez pépère. On a même parfois l’impression qu’il prend les gens pour des cons, mais bon, ça n’est pas si grave, au fond. Il faut attendre «Staring At The Sun» pour renouer avec la viande. Cette fois, Ripley nous propose une Marychiennerie, c’est en plein dedans, quelle vague de son ! Il se prend pour William Reid. Ripley sait tout faire, c’est un magicien. Il termine avec un «Golden Flower» puissant et séditieux qu’il allume à la voix à peine éclose sur un drive de basse indus, et il conclut avec «Ride On», une nouvelle Marychiennerie superbe et sans espoir, jouée à la dérive abdominale, qu’il orne d’un solo sculptural.

             Après l’enregistrement de V, Ripley se demande s’il fera un autre album avec Wooden Shjips. Il n’en sait rien. But never say never. Maybe we’ll all live to 120 - you know you gotta do something with your time.               

    Signé : Cazengler, Ri-plaie

    Moon Duo. Escape. Woodsit 2010 

    Moon Duo. Mazes. Sacred Bones Records 2011     

    Moon Duo. Circles. Sacred Bones Records 2012     

    Moon Duo. Shadow Of The Sun. Sacred Bones Records 2015

    Moon Duo. Occult Architecture Vol. 1. Sacred Bones Records 2017  

    Moon Duo. Occult Architecture Vol. 2. Sacred Bones Records 2017

    Moon Duo. Stars Are The Light. Sacred Bones Records 2019

    Wooden Shjips. ST. Holy Mountain 2007

    Wooden Shjips. Dos. Holy Mountain 2009

    Wooden Shjips. West. Thrill Jockey 2011

    Wooden Shjips. Back To Land. Thrill Jockey 2013

    Wooden Shjips. V. Thrill Jockey 2018

    Wooden Shjips. Shjips In The Night. Live In San Francisco June 8 2018. Silver Current Records 2019

    Phil Istine : Wooden Shjips. Shindig! # 39 - 2014 – Reverberate

     

     

    L’avenir du rock - Pure Len vierge

     

             L’avenir du rock s’amuse beaucoup avec les raccourcis. En voilà un au hasard, histoire d’illustrer notre propos : Mod, mouton, confort. Dans l’épouvantable labyrinthe qui lui sert de cervelle, l’avenir du rock trouve des liens pour asseoir ses petites mythologies : la laine du mouton, Shetland de préférence, revoie directement à l’idée de confort intellectuel et donc à Mod. Mod/mouton/confort, c’est en plein dans le mille de la cocarde. Rien n’est plus Mod que de porter un Shetland bien chaud dans les rues venteuses de London town, même quand on n’habite pas London town. C’est le principe qui compte. Tous les Mods le savent. Mod ça commence sur ton paillasson, tu ne fais pas entrer n’importe quoi ni n’importe qui chez toi. Et si Mod constituait le dernier rempart contre la vulgarité des télévisions et des magazines français ? L’avenir du rock aime caresser cette idée, pas seulement pour la faire jouir et l’entendre miauler au clair de la lune, mais aussi pour en tirer une essence métaphysique invisible à l’œil nu, cette essence que depuis plus de cinquante ans, quelques dandys londoniens diffusent au compte-goutte sous le manteau. L’autre soir, à l’heure de l’apéro, l’avenir du rock trinquait avec un collègue, et pour animer la conversation, il lui dévoila son raccourci Mod/mouton/confort. Le collègue prit son air le plus intelligent pour afficher son désaveu et proposer un rectificatif : Mod/parka/scooter, arguant de l’invincible principe de l’immédiateté des choses. Frappé par l’insondable bêtise de son interlocuteur, l’avenir du rock avala son Pastis de travers. Fallait-il argumenter pour dire qu’un scoot n’a rien à voir avec le confort, et pourquoi pas Stong et tous les clichés à la mormoille, tant qu’on y est ? L’avenir du rock espérait engager un dialogue intéressant, mais il lui fallut couper court en payant une rincette cul sec et en prétextant un rendez-vous pour s’ôter des yeux le spectacle de cette trogne immonde. Comme tout le monde, l’avenir du rock déteste qu’on vienne lui manger la Len sur le dos, d’autant que des coups comme ça, il s’en paye 3 à la douzaine. Ce qui le conduit tout naturellement à faire évoluer son raccourci en Mod/Len Price 3/confort, pour l’offrir aux fidèles lecteurs des Chroniques de Pourpre.    

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             The Len Price 3 est un trio du Kent, hélas trop peu connu. Pour un groupe aussi underground, décrocher un 10/10 dans les pages de chroniques de disques, ça doit être une sorte de consécration suprême. Surtout que les journalistes anglais sont assez avares de 10/10. Il faut vraiment que l’album soit miraculeux pour qu’ils se décident à lui allouer un 10/10. L’événement est d’autant plus remarquable qu’il se déroule dans les pages de l’un des derniers grands magazines de rock anglais, le fringuant Vive le Rock qui paraît tous les deux mois et qui propose un choix d’articles assez hauts de gamme sur des gens qu’on ne voit pas forcément ailleurs, comme les Damned, les DeRellas, les Wildhearts ou encore les Afghan Whigs. Ces groupes furent un peu l’apanage de Kerrang! à une autre époque, mais aujourd’hui, ils se font rares dans les pages des autres titans de la presse rock anglaise.

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             Dans sa chronique magique, Dick Porter démarre ainsi : «You can’t go wrong with the Len Price 3». Effectivement, on ne prend aucun risque en achetant un album de ce trio du Kent, leurs quatre albums sont bourrés de ce que Dick Porter qualifie de «dynamite garage rock» et cite en référence les Who, les Small Faces et les Move. Pas mal, non ? Puis il balance les inévitables «savage guitar breaks» et «outstanding songs». L’album que salue Dick Porter s’appelle Nobody Knows. Avec sur la pochette, les vestes à grosses rayures de nos trois brillants amis : Glenn Pace (lead), Neil Fromow (drums) et Steve Huggins (bass). Alors, effectivement, on entre dans ce disque comme on entre au paradis du gaga-Mod britannique, tel que l’ont défini les Prisonners ou les Masonics. Le morceau titre de l’album est une sorte d’ultime avertissement : tu veux du smoking gaga ? Eh bien, en voilà ! C’est riffé à la Downliners Sect avec les chœurs des Who et arrosé d’un killer solo à la Dave Davies. Ce qui nous donne en gros une synthèse de ce qui peut exister de mieux dans le domaine. Les chœurs tripotent la biscotte. Ils te riffent «Swing Like A Monkey» à la manière des Kinks, avec une belle progression d’accords et des chœurs latents. On se croirait sur Pye en 1965. Petite explosivité vite rassemblée sous le manteau pour «My Grandad Jim». Pur jus Whoish. On retrouve bien l’échevelé du riffing de Pete Townshend et l’admirable folie des chœurs, le tout couronné d’un solo de Whitechapell killer. Encore plus stupéfiant, voilà «Lonely», un hit digne des Beatles, comme si cela était encore possible ! Retour à l’extrême puissance avec «Words Won’t Care». Glenn Pace attaque comme Ray Davies - Girl ! I got so much to tell ya - Et ça bascule dans la violence - Cu Cu Cu C’mon - et il essaye de faire son Daltrey. Ils sont tous les trois au cœur de l’épaisseur du beat anglais, c’est un petit moins typé que les Kinks, ça tire plutôt sur les Headcoats, car on retrouve la folie de «Troubled Mind». Ils font ensuite ce qu’ils appellent une reprise du morceau titre et concluent avec la perle de cet album indomptable, «The London Institute». Glenn Pace s’en prend aux bocaux qui contiennent des fœtus et il obtient l’appui de l’artillerie lourde. Ça donne la meilleure power-pop d’Angleterre. Ils finissent par exploser au firmament d’un psyché hendrixien hallucinant - In the name of the science - On sort scié de cet album.

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             Le gros problème avec The Len Price 3, c’est que chaque album dépasse les espérances bien connues du Cap de Bonne Expectitude. Comme son nom l’indique, Chinese Burn brûle. Ils tapent dans les Kinks dès «Christian In The Desert», mais avec l’énergie des Hammersmith Gorillas - I’m a christian in the secret baby/ For you ! - S’ensuit le morceau titre qui explose littéralement. C’est battu à la Keith Moon, claqué à la Ricken et chanté à l’aune de l’éternelle jeunesse. Les pauvres Jam auraient dû prendre des notes. Tout est explosif sur cet album. Power-pop démentoïde avec «The Last Hotel», c’est d’une qualité qui va bien au-delà de la possibilité d’une île : ils sonnent comme des Byrds survoltés et dotés de l’énergie des Afghan Whigs. Ils sont beaucoup trop puissants. Ces mecs ont tout le power du monde. Ce n’est que le balda et ils alignent déjà quatre hits planétaires. Nouveau coup de Jarnac avec un «Swine Fever» cisaillé à vif - Go !, et ça part en solo. Il faut voir l’extrême sévérité du son. Ils font aussi de la Mod pop avec «Amsterdam», le hit que tout le monde attend. Ils renouent avec le Childish punk en envoyant «Chatham Town Spawns Devils» ad patres. Ils font des breaks orchestraux avec les trois instrus, histoire de nous stupéfier un peu plus. On rencontre un album comme celui-là une fois tous les dix ans, et encore. Retour à l’explosivité des choses avec «Shirley Crabtree» et aux Who avec un «She’s Lost Control», gorgé de chœurs têtus et de poison toxique. On descend aux enfers des Who, c’est bien martelé, les chœurs partent au coup de cymbale et t’aplatiront comme une crêpe si tu te mets en travers. «Midway Eye» infeste l’Angleterre. The Len Price 3 sont un fléau, l’un des meilleurs fléaux de l’histoire du rock anglais.  

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             L’album suivant s’appelle Rentacrowd. Un bon conseil, ne l’écoute pas, car tu vas encore tomber de ta chaise. Dès le premier cut, ils sonnent comme les Who de 1964. L’évidence troue le cul. Ils ont retrouvé le secret de l’énergie des early Who avec des chœurs de tapettes et des tours de windmill. C’est exactement la même pétaudière, le même jus de chaussette et le même carnage. On croyait les Who inimitables. Grave erreur. Aussitôt après arrive un hit Mod, «If I Ain’t Got You», bien serré dans son petit pantalon, avec sa petite coiffure, son énergie de Purple Heart, c’est le hit Mod de rêve, la cocarde dans l’œil, l’enfilade des annales et les montées d’une basse devenue folle. Voilà sans doute le trio le plus explosif de l’histoire du rock anglais. Les gens ne se doutent de rien. «Sailor’s Sweetheart» est un morceau beaucoup trop excité. Il faudrait pouvoir calmer ces mecs, mais comment faire ? Ils sont tellement intenses. Si on les écoute au casque, on bave comme une limace. Surtout qu’il y a des notes de basse en suspension, et généralement, ça ne pardonne pas. Ils restent dans l’univers magique des Who avec «Doctor Gee», encore un hit poignant de génie intrinsèque. Neil Fromow bat ça à la volée. «Girl Like You» ? Directement inspiré des early Kinks. C’est d’une violence ! Au-delà de tout ce que tu peux imaginer. Ils sont encore plus sauvages que les trogglodytes. On reste dans l’énormité cavalante avec «With Your Love», digne du musée de cire de Madame Tussaud. Apanage du beat sauvage. Ils vont même jusqu’à faire swinguer le beat, ils fracassent le langage, ils explosent le format étriqué du rock. Ils nous entraînent dans leur monde qui est celui du vrai rock. Ils jouent tous leurs cuts avec un entrain confondant. Tout est furieux, solide comme l’acier et indéniable. Ils sauvent le British Beat de la mort. «No Good» ? Révolutionnaire. Plus énorme que l’énormité. C’est un punch-up claqué violent. Ce groupe est-il humain ? Ils nous gavent de chœurs de fous et solos traînants. On retrouve les accords de Dave Davies dans «Cold 500». Encore un truc violent, sec et sans bavure. Ah les vaches ! Ils ont tout compris. Ils font tout exploser, même les Kinks. Solo à la Dave, glou-glou surprenant de véracité métabolique. Et ça continue comme ça jusqu’à la fin, avec «She’s Not Really There» (rien à voir avec les Zombies, c’est du wild gaga qui monte par la jambe du pantalon) ou «Turn It Around» (encore une resucée des Kinks twistée du bassin, véritable bestiau de juke, idéal pour faire onduler le plancher).  

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             Pictures fut aussi un album particulièrement décoiffant. Du genre de ceux qu’on ne croise qu’une fois tous les dix ans, comme les trois autres albums du groupe, d’ailleurs. Allez, c’est pas compliqué, sur treize titres, dix sont des bombes atomiques. Ils passent des Who aux Kinks sans crier gare, avec ce génie du son qu’on croyait disparu depuis les derniers exploits d’Hipbone Slim & the Kneetremblers. Ça commence à chauffer dès «Pictures», car on se croirait sur le premier EP des Who enregistré par Shel Talmy, tellement ils ont le son. C’est un festival de claque et de jute mélodique, de tension et de panache - Down at the club/ The cut price drink is flowing - fantastique ambiance dévastatrice. Mais qui a besoin de nouveaux Who aujourd’hui ? Nous, surtout quand on entend «Keep Your Eyes On Me», on ne se pose plus de questions. Voilà une nouvelle pièce de choix bourrée d’éclats d’harmonies vocales typiques des Who de «I’m A Boy». Fabuleuse ambiance insouciante et jouissive, claquée au son de la Rickenbacker, c’est fait pour danser et transpirer à grosse gouttes, comme au bon vieux temps des cerises. Encore du freakbeat teigneux avec «I Don’t Believe You», bardé de chœurs à la Troggs. Nous voilà en plein trip Mod - If there’s a God, then you’re going to hell - encore une histoire de règlement de compte et de manque de confiance. «Girl Who Became A Machine» s’appuie sur une progression d’accords digne des Kinks et ce n’est pas rien de le dire. Même son. Ils savent taper dans tous les grands sons des sixties. Solo magnifique de teigne, on a là du garage de rêve, imparable, secoué, tenu, battu sec et bardé de bouquets de chœurs spectaculaires. Belle pièce de power-pop avec «After You’re Gone», exemplaire et gonflée aux vents d’Ouest. Ils sonnent encore comme les Kinks dans «Mr Grey», timbre et son, esprit et désespoir. Ça finit par un suicide, évidemment. B toute aussi explosive, avec «Nothing Like You», un garage déterminé, écraseur de champignon, freakbeat écœurant d’exemplarité, avec des petits breaks et un solo dévasté de fuzz qui rampe hagard pendant quelques secondes. Toujours les Kinks avec «If You Live Round Here» où Glenn Pace raconte l’histoire d’un quartier - And I don’t think it’s right beating up a stranger on a saturday night - il prend son plus bel accent cockney pour dire qu’en effet, ce n’est pas terrible de casser la gueule à un étranger qui traîne dans le quartier le samedi soir puis il ajoute - You think you’re better than the population/ Don’t get ideas so above your station - il dit qu’en effet, ça ne vole pas très haut, dans le quartier. Ils reviennent à la folie des Who avec «You Tell Lies» et des lalalas de rêve. Les Who avaient déjà un Lies, bon eh bien voilà, ils en ont un autre, tout aussi brillant, avec un solo de fuzz d’antho à Toto. Pulsif, malingre et malveillant, c’est ainsi qu’on pourrait situer cette abomination qu’est «Man Who Used To Be», avec ses refrains sucrés, son drive musclé, voilà encore un raver de compétition, une bombe garage qui tombe du ciel. Parfaite démonstration de l’over-puissance du power trio, l’imparabilité du trident vainqueur. Claque directe dans le beignet avec «Under The Thumb», un gros binaire de choc - You make me cry cry cry - encore un hit de juke qu’il faudrait citer à l’ordre du mérite. C’est tout simplement un classique effarant et couvert d’harmo. Brillant album. 

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             Retour en force avec Kentish Longtails. Eau et gaz à tous les étages, ça pisse et ça pète en montant chez Kate. Coup de génie en B avec «Ride On Cottails», slab de heavy gaga kentish, monstrueux de big pumping. Encore mieux : «Lisa Baker», excellente Mod pop chantée à la cockney motion, avec des chœurs de Who. Admirable d’archétypisme - Dancing in your underwear/ Lisa baker you’re not right - S’ensuit un «Paint Your Picture Well» power-poppy, joué à l’énergie des reins, somptueux, vainqueur, tellement anglo-luminous. On reste dans la solide power-pop avec «If You See What I See», ils nous savonnent bien la pente et chauffent leur cœur de cut à blanc. On a là l’une de ces montées de sève qui peuvent rendre un homme heureux. Avec «Man In The Woods», ils nous racontent l’histoire triste du mec qui vit dans les bois. Les gosses lui crachent dessus, les bulldozers arrivent, alors il n’a plus de cabane, ni d’avenir. Le «Childish Words» qui ouvre le bal de l’A est un règlement de comptes à OK Corral avec Billy Childish - We don’t need approval from the likes of you - Quand on écoute «Sucking The Life Out Of Me», on comprend que The Len Price 3 est l’un des meilleurs groupes anglais actuels. L’autre grosse bombe s’appelle «Nothing I Want». Ils nous stompent ça avec des oh-oh dignes des Who. Mais ils sonnent aussi comme les Clash du premier album, c’est exactement la même énergie. Ils dénoncent le système pourri - I’d like to take your stuff/ Ram it down yout throat/ With your plasma screen telly/ And your UKIP vote.

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             Leur nouvel album vient de paraître : Ipdipdo. Introuvable chez les marchands habituels. Comme Jacques les avait chroniqués au temps de Dig It!, je lui en parle et le lendemain, il me transmet les fichiers de l’album. Elle est pas belle la vie ? Dès «Chav Squad», on est prévenu : agression Moddish et chœurs Whoish, te voilà de retour à la Mecque des Mods, avec un riff qui te pousse bien au cul, l’énergie des early Who est intacte, on peut dire que ces trois petits mecs s’en portent garants. Le festival se poursuit avec «She Came From Out Of The Sun» qui pourrait aussi sortir d’un album des early Who, refrain magique, texture sonique unique au monde, ça sent bon la brique rouge et la gasoline alley, le working class et la grisaille emblématique. Ils ne sont plus très nombreux à porter ce flambeau : Graham Day, Jarvis Humby, Len Price 3, Galileo 7, mais ça pourrait suffire. Fantastique attaque d’accords en réverb pour «Bag Of Bones», gros clin d’œil aux Prisoners, ça riffe dans l’os du Bag of Bones, c’est tellement beau et classique qu’on croit rêver, ça veut dire en clair qu’on peut encore jouer le wild Mod rock aujourd’hui, pourvu bien sûr qu’on soit inspiré, et en prime, un killer solo flash te transperce le cœur. Ils en passent un autre dans «Billy The Quid» qui va plus sur les Jam. Le chant reste bien fidèle au poste, un brin cokney, ces mecs dégagent un enthousiasme contagieux. Mélangé à une certaine fureur, ça donne le Mod Sound britannique. Tous les cuts sont impeccablement taillés pour la route, chacun d’eux est serti d’un killer solo d’antho à Toto, ces trois petits mecs ne font pas les choses à moitié. Back to ‘64 avec «Charlie», attaqué au Dave Davies’ riffing. Tu descend à la cave et leur come down te cueille au menton, avec le wouahh qui amène le killer solo. Tout ça pue la sueur des amphètes et les pustules adolescentes. Ces mecs n’en finissent plus d’aligner des mini-hits qui comme les mini-tortues n’ont aucune chance d’atteindre l’eau. Les Len Price 3 semblent condamnés aux ténèbres de l’underground et à la dématérialisation, alors qu’ils jouent comme des princes. Encore une intro d’accords géniale pour «Bad Vibe Machine», avec en prime des coups d’harmo, back to some residency at the Marquee, oh yeah, ils jouent sur leur tapis volant et traversent l’histoire de London town avec une classe épouvantable, oh yeah, she makes me feel bad ! Comment s’appelait ce roi de France qui hurla au cœur de la bataille : «Mon royaume pour un Super Marine !».

    Signé : Cazengler, petite Len

    Len Price 3. Chinese Burn. Laughin Outlaw Records 2005

    Len Price 3. Rentacrowd. Wicked Cool Records 2007

    Len Price 3. Pictures. Wicked Cool Records 2010

    Len Price 3. Nobody Knows. JLM Recordings 2013

    Len Price 3. Kentish Longtails. JLM Recordings 2017

    Len Price 3. Ipdipdo. Strood Recording Company 2021

     

     

    Inside the goldmine - Patrice n’est pas triste

     

             Nous avions le même âge et étions dans la même classe. Il était brun, lui aussi, mais il était fils unique. Il habitait là-haut, du côté de la Route de la Délivrande, dans une maison très ancienne. De grandes dalles pavaient le chemin qui menait aux marches du perron, et lorsqu’on entrait à l’intérieur, une singulière odeur de gâteau de tapioca nous flattait les narines. Il parlait d’une voix étrangement grave pour un gosse de son âge, ce qui lui conférait une sorte d’autorité. Et puis un jour où nous nous étions donné rendez-vous à l’angle des Galeries Lafayette, il apparût vêtu d’un long manteau noir, ces manteaux qui descendaient jusqu’aux chevilles et qui cette année-là étaient à la mode. Ils valaient horriblement cher. Il semblait déjà maîtriser son destin, sans doute épaulé par des parents qui voyaient en lui un être exceptionnel. De tous les gosses qu’on fréquentait à cette époque, il était le plus «avancé». À l’âge adulte, on appelle ça du charisme. Il dégageait véritablement quelque chose, ce n’était pas uniquement lié à une question de moyens. Il savait comment parler aux filles. Nous prîmes la direction du Grand Cours pour aller faire un tour de camors, l’endroit idéal pour, disait-il, «lever des petites gonzesses». Nous achetâmes des jetons pour faire un tour de repérage. Il désigna du doigt les deux petites blondes de l’autre côté de la piste et il lança le camor qui prit de la vitesse. Zzzzzzzz.... Boooong ! Nous percutâmes de plein fouet le flanc du camor des filles qui éclatèrent de rire. Ça voulait dire ce que ça voulait dire. Elles nous avaient forcément repérés. Elles furent d’accord pour aller faire un tour dans le petit bois derrière le Grand Cours. Elles n’avaient d’yeux que pour lui. Elles s’appelaient Brigitte et Martine. Elles portaient des jupes très courtes et se coiffaient comme France Gall. Il leur passa le bras sur les épaules et ils pressèrent le pas. Ils finirent par disparaître tous les trois dans un chemin. Le lendemain, nous nous retrouvâmes à l’entrée du collège. Comme nous nous entendions bien, il prit les devants. Il me devait une explication. Il avoua qu’il draguait toujours deux filles à la fois et voyant que je ne comprenais pas, il ajouta qu’il avait deux queues. Il s’appelait Patrice.

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             Bien sûr, Patrice Holloway n’a rien à voir avec l’étrange Patrice évoqué ci-dessus. Patrice Holloway n’est pas un Patrice, mais une Patrice, elle n’est pas blanche mais black et, petite cerise sur le gâtö, c’est la frangine de Brenda Holloway. Les gens de Kent qui comme on le sait font toujours très bien les choses ont mis en circulation l’une de ces bonnes vieilles compiles dont ils ont le secret : Love & Desire: The Patrice Holloway Anthology. On trouve des photos de Patrice dans le booklet. Diable comme elle est belle, avec ses yeux en amandes. Dennis Garvey nous rappelle qu’elle n’a jamais eu de hit, qu’elle n’a jamais enregistré d’album et qu’elle fut contrainte de se retirer du biz alors qu’elle avait un peu plus de 20 ans. Comme d’habitude ce sont les fans anglais de Northern Soul qui l’ont arrachée à l’oubli.

             Sa frangine Brenda est plus connue car elle fut repérée par Motown et signée sur ce qui était alors le plus prestigieux label Soul d’Amérique. Dans les early sixties, les deux sœurs font aussi pas mal de backings pour Sam Cooke. Brenda n’en finit plus de dire à quel point sa sœur est belle, elle est The girl, dit-elle, elle flirte avec Muhammad Ali puis à 13 ans, elle devient la girlfriend du 12-Year-Old Genius Stevie Wonder. Ils se roulent des tas de pelles devant tout le monde - They were a hot item - Patrice enregistre en 1963 «(He Is) The Boy Of My Dreams» pour un sous-label de Motown, V.I.P., cut génial qu’on retrouve d’ailleurs sur la compile Kent. La similitude entre the pre-pubescent Stevie et la pré-pubère Patrice est stupéfiante. Ils n’ont que 12 et 13 ans ! Garvey suppose que le single a été retiré des ventes à cause du côté sulfureux de leur relation. En 1966, Patrice est signée par Capitol, elle démarre une carrière solo à l’âge de 15 ans ! C’est là qu’elle enregistre «Love And Desire» et «Ecstasy». C’est David Axelrod qui produit «Stay With Your Own Kind», une histoire d’amour inter-racial. Mais bon, Capitol fout le paquet sur Lou Rawls et donc Patrice ne perce pas. Elle continue de faire des backings de choc avec sa frangine, notamment derrière Joe Cocker sur «With A Little Help From My Friends». Patrice se fait pas mal de blé avec les sessions et se paye deux Corvettes Stringray. Berry Gordy l’admire pas seulement pour sa voix, mais surtout pour ses qualités de businesswoman. Elle gère merveilleusement bien ses deals. Elle participe à des sessions de backings légendaires, de type «Someday We’ll Be Together» pour Diana Ross & the Supremes, avec Merry Clayton, Clydie King et Venetta Fields, pardonnez du peu.

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             On la retrouve aussi dans les chœurs de Brothers & Sisters pour le fameux Dylan’s Gospel produit par Lou Adler, avec la ribambelle habituelle : Edna Wright d’Honey Cone, Merry Clayton, Clydie King et toutes les autres. C’est un album qu’on recommande chaudement aux amateurs de gospel rock, car certaines covers de Dylan y sont spectaculaires, à commencer par celle de «Mr Tambourine Man» : les filles ramènent tout le power du gospel batch dans le Tambourine. Elles font aussi une version spectaculaire d’«All Along The Watchtower», ooh it’s getting so late, ça marche à tous les coups, c’est un groove d’orgue qui embarque cette merveille crépusculaire, outside in the distance. En B, les reprises de «Chimes Of Freedom» et de «My Back Pages» comptent parmi les sommets du gospel : tout y est, l’énergie et la mélodie, c’est chanté au lead de Soul Sister. L’album se termine sur une magic cover de «Just Like A Woman» et là ça devient biblical, c’est chanté au sommet du lard total, ça éclate en geysers d’harmonies vocales, des mecs relancent et les filles deviennent folles de bonheur sacré.

             On entend aussi Patrice dans Josie & The Pussycats, mais la productrice du show ne voulait pas de black à l’écran. On voit trois blanches. Il n’empêche que Patrice chante.  

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             Inutile de préciser que cette compile Kent grouille de pépites. Patrice est épaisse, elle respire la Soul et son «Stolen Hours» est calé au stolen hours, elle est éperdue de grâce black, il faut la voir se jeter sur son stolen, fabuleuse Patrice ! C’est une Soul de rêve, une Soul tentatrice, oh no no no no, une Soul jouissive qui monte droit au cerveau. Patrice règne sans partage sur son petit monde, elle est de toutes les bordées. Elle fait essentiellement du Motown, elle se coule dans le moule, elle est en plein dedans, même à Los Angeles en 1966. Le morceau titre est du pur Motown, même chose pour les cuts suivants, elle met bien la pression, elle pousse au push, elle accuse bien le coup, elle est pleine d’allant et d’allure, son «Stay With Your Own Kind» sonne comme un hit entreprenant. Avec «Evidence», elle fait sa Aretha, c’est bien envoyé, by your face, oh yeah, ces petites blackettes t’envoient rôtir en enfer, c’est un hit monstrueux. Elle fait du stomp de r’n’b avec «The Touch Of Venus» et tape dans Smokey avec «Those DJ Shows» et «For The Love Of Mike». Là, c’est du Detroit 65, solo de sax et heavy Motown beat. Extraordinaire essence de la prestance ! Elle sait monter un cut en neige, pas de problème. Ça continue de monter en température avec «Come Into My Palace». Brenda et Patrice duettent. On imagine la gueule du Palace ! Un vrai paradis pour bite en rut, elle est assez saute-au-paf, yeah, assez surboum surchauffée, c’mon, c’mon, elle ne chante pas si bien au fond, mais fuck, c’est Patrice, la frangine de Brenda. Elle fait sa Supreme avec «All That’s Good», elle se prend pour la Ross, elle a raison car elle ondule bien sous sa robe noire, crazy about it, quel shoot de groove ! Elle se prête à tous les jeux, elle saute à dada, elle est d’une transparence à toute épreuve. Pour «Tall Boy», elle bénéficie du son de Marvin Gaye tapé au sommet du lard Motown, on a là une vraie pépite de Tall Boy, elle crève le plafond Motown et la fête se poursuit avec «Flippity Flop» et ses clap-hands, c’est encore une fois en plein Motown Sound. Attention, ce n’est pas fini, elle repart de plus belle avec «The Go Gang», un heavy shuffle plein de jus, elle sait se montrer ultimate. Les trois derniers cuts sont des petites merveilles, à commencer par ce «Face In The Crowd» qui se situe à la croisée de deux mythes, Motown et les Shangri-Las. Quel mélange ! Elle est en plein milieu, le cul entre deux chaises, Brill d’un côté et Motown de l’autre, c’est un mélange stupéfiant et assez rare, on croit vraiment entendre les Shangri-Las. Avec «Surf Stomp», elle éclate dans l’écho du temps, c’mon c’mon do the surf stomp, encore une fois c’est propulsé à l’énergie Soul, Patrice est une géante. Et le festin se termine avec «(He Is) The Boy Of My Dreams», on croit qu’elle se calme au prix d’un grand coup de frein, plus rien à voir avec la folle du Surf Stomp, mais en fait elle repart de plus belle, sans voix, à l’énergie pure, elle monte à l’assaut du cut final, elle est déchirante, délirante, awfully great, cette petite reine du scream stupéfie.

    Signé : Cazengler, Patrice Hollovrac

    The Brothers And Sisters. Dylan’s Gospel. Ode Records 1969

    Patrice Holloway. Love & Desire: The Patrice Holloway Anthology. Kent Soul 2011

     

     

    EDDIE COCHRAN

    ROCK A TOUS LES ETAGES

    THIERRY LIESENFELD

    ( Saphyr 2013 /Avril 2022 )

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             C’est donc écrit en notre langue françoise qu’est paru le livre définitif sur Eddie Cochran. Les fans américains et anglais doivent en pâlir de jalousie, c’est ainsi. Nous sommes dans la logique des choses, les fans français ont depuis toujours rendu un culte aux pionniers du rock.  D’autant plus vif et inconditionnel que dans les années soixante les renseignements et les disques étaient rares et que la barrière de l’anglais ajoutait une aura de trouble et de mystère. Les fondations des mythes sont souvent coulées dans le béton de ce que Joe Bousquet nommait l’inconnaissance. Pour les dieux du rock, comme pour les dieux de l’Olympe.

             Un grand merci à Thierry Liesenfeld pour cette œuvre de longue patience.  Nous avait déjà comblé avec son Vince Taylor, le perdant magnifique paru en 2015, un ouvrage essentiel pour tous ceux qui s’intéressent à l’ange noir du rock ‘n’ roll. Rappelons que Thierry Liesenfeld a aussi consacré des monographies aux Chaussettes noires, aux Chats Sauvages, à Cliff Richard et aux Beatles. Voici un programmes de saines lectures pour les amateurs des premières et deuxièmes heures du rock ‘n’ roll européen.

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             Mais Eddie Cochran. Disparu à un âge où la plupart des musiciens et des chanteurs n’en sont qu’aux prémices de leur œuvre. A tel point que Liberty, sa maison de disques, n’a entrevu la potentialité de sa personnalité que dans les derniers mois de son existence. N’accusons point les autres même s’ils ont commis des erreurs, le principal fautif en est peut-être l’intéressé lui-même.

             Les circonstances ne l’ont pas aidé, il est parfois difficile de pressentir le vent de l’Histoire, surtout s’il souffle sous forme d’une petite brise. En 1953 le rock ‘n’ roll n’existe pas encore même si son jumeau adultérin le rhythm ‘n’ blues des noirs est déjà bien installé. Cochran né en 1938, gratouille sa guitare. L’est pourvu  d’une forte volonté, très vite dans sa tête son avenir se dessine : il sera musicien ou rien. Cherche et trouve toutes les occasions de jouer autour de lui. Fréquentent des musiciens plus âgés que lui, se rend très vite compte de leurs qualités et de ses propres manques. En deux années il améliore son jeu d’une manière prodigieuse. L’a compris l’essentiel : l’a de petites mains certains accords, certaines positions lui sont difficilement accessibles, il ne se plaint pas, il ne se désespère pas, ce qu’il ne peut pas faire comme le commun des musicos il le fera à sa manière. Sans être tout à fait conscient il développe non pas une nouvelle manière de jouer mais un son bien à lui, différent des autres guitaristes. A dix-sept ans ceux qui jouent avec lui entendent sa différence, il n’en tire aucune gloire, il n’aura jamais la grosse tête, restera toujours accueillant, les témoignages concordent un gars ouvert, sympathique, fourmillant d’idées. 

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             Cela ne suffit pas faire de vous un des pionniers du rock. Encore est-il nécessaire de prendre la bonne route. Le problème c’est que le seul chemin qui s’offre à lui n’est pas le bon. Amateur d’armes à feu depuis son enfance, passionné de western, une culture musicale de base acquise en écoutant la radio, tout concourt en lui pour être un adepte de country. C’est déjà mieux que la chansonnette.  Sa carrière débute avec les Cochran  Brothers. Ne sont que deux lascars, ne sont pas frères, mais possèdent le même nom de famille. De concert en concert il apprend le métier. Accompagneront même Lefty Frizzel un des rois du country de l’époque bien oublié aujourd’hui par chez nous. Rencontreront un autre personnage beaucoup moins célèbre mais qui infléchira la destinée d’Eddie, Jerry Capehart, lui-même chanteur, prêt à endosser tous les rôles, tourneur, producteur, rien ne lui fait peur…

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             En 1956 éclate la bombe Elvis Presley. Ce n’est pas un inconnu. Les Cochran Brothers ont eu vent de ses premiers disques chez Sun, c’est le moment des grandes décisions, ne serait-ce pas une bonne idée de mettre un peu de rock ‘n’roll dans leur country. Ils essaient, Cochran veut continuer dans cette voie, son compère Hank refuse, se séparent en bons amis… Eddie jouit d’une notoriété de bon guitariste, ce qui lui permet de devenir un familier des studio Gold Star de Los Angeles.

             Une bonne rampe de lancement, quelque peu gâchée par le talent d’Eddie. L’adore jouer, ne dit jamais non pour participer à une session. Caméléon tous styles. Possède cette faculté de rentrer en osmose avec le projet de l’artiste, il l’aide de son mieux, apporte des idées, ne mégote pas sur sa guitare. N’est pas un monomaniaque, s’intéresse à toutes les musiques, country, blues, jazz, rock, et même classique… Un gars que sa passion rend utile, très utile, trop utile. Quand on a un tel numéro dans un studio, on ne le laisse pas partir, il y a toujours du boulot pour lui. A tel point que le temps lui manque pour sa création personnelle…

             Mais lui ne le voit pas comme cela, bidouille tout à son aise, rêve d’enregistrer un disque composé uniquement d’instrumentaux, n’est pas pressé l’attend son heure… Capehart parvient à lui dégoter un contrat chez Liberty. On a toujours besoin d’un musicien doué pour relever le disque d’un confrère de l’écurie. A part cela, l’on ne sait pas trop quoi faire de lui. Pas de plan de carrière. Le mieux c’est d’aller au plus simple, lui dégoter un hit. N’importe quoi, mais un hit. Ce sera Sittin’ in the balcony. Un truc mièvre et sans aucun intérêt. Oui mais un succès !

             Eddie lui-même en est satisfait. Pas du morceau, mais de sa popularité. C’est l’époque où il déclare qu’il veut devenir célèbre. Par tous les moyens. La musique d’accord, le cinéma aussi. N’a-t-il pas fait une apparition ( courte mais remarquée ) dans The girl can’t help hit et tenu un petit rôle dans Cotton picker ! Pas de panique ce n’est pas le triomphe des films d’Elvis Presley…

             1957, c’est la grande tournée en Australie avec Gene Vincent et Little Richard. Un succès, pour la première fois Eddie est emporté par l’ouragan du rock ‘n’ roll. Après cette tournée rien ne sera plus comme avant. Les filles, l’alcool, Eddie connaissait déjà mais ces concerts de folie portés à leur incandescence par Little Richard ont dû agir comme un électro choc.

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             Entre 1958 et 1959, Eddie donne trois titres qui sont au fondement du rock, Summertime Blues, C’mon Everybody et Something Else. Bien sûr il a enregistré quelques autres merveilles, mais ces trois morceaux à eux seuls reconstruisent le rock ‘n’roll. Les trois pyramides qui éclipsent tous les autres monuments.

    Eddie en fut-il lui-même conscient ? Une réponse de normand s’avère nécessaire. Oui et non. Non, parce qu’il ne savait pas comment dans les décennies suivantes cette trilogie allait influencer le devenir du rock ‘n’ roll. Oui, parce qu’il est désormais convaincu de sa valeur. Il sait que désormais il a rejoint le club très fermé des très grands.

             Nous sommes déjà au début de l’année fatidique. La tournée en Angleterre avec Gene Vincent. Si Gene est la face sombre, maléfique et inquiétante du rock ‘n’ roll, Eddie en est la figure de proue rayonnante. Les musicos britishs sont estomaqués par sa virtuosité, Eddie les fait progresser, il montre, il explique, il ne cache rien, an excellent rock ‘n’roll teacher. L’éclosion du rock britannique lui doit beaucoup…

             Vient de fêter son anniversaire, l’avenir s’ouvre devant lui, la mort l’attend au tournant…

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             Ce que je viens de résumer hâtivement Thierry Liesenfeld le raconte en détails. Certes le livre ne recèle aucune révélation fracassante. Les faits rapportés parlent d’eux-mêmes. L’art de les avoir collationnés avec une minutieuse précision chronologique permet d’appréhender le parcours d’Eddie d’une nouvelle manière. Si Cochran n’avait pas été si brutalement interrompu par la grande faucheuse, longtemps j’ai redouté qu’il se soit engagé à son corps défendant dans une impasse à la Elvis, qu’il se soit fourvoyé dans une carrière engluée dans la guimauve… Ce livre écarte le cauchemar. Cochran avait compris qu’en cinq tumultueuses années le rock avait changé, qu’il était une musique en perpétuel mouvement. Et qu’il était à la pointe de cette mutation. Cochran n'était pas un devin, le présent nous confronte à la grande inconnue du présent proche, où que nous portions nos yeux le futur est opaque. Pour nous Cochran est un grand chanteur de rock, lui se voyait plutôt comme un musicien en devenir. Entre l’image évidente et la réalité insaisissable il existe un espace aussi mince qu’un feuillet de cigarette, autrement dit un gouffre insondable. Ce qui est sûr c’est qu’Eddie avait hâte de retrouver la Californie – la tournée avait été harassante – le soleil et la bonne bouffe du pays des hamburgers lui manquaient, besoin d’un peu de repos aussi, et vraisemblablement des heures de réflexion et de création en studio. L’escale américaine prévue était de courte durée, la tournée anglaise devait reprendre au bout de quelques jours… Eddie était à cheval entre la désaffection de l’Amérique envers un rock sauvage et l’engouement de l’Angleterre pour le grand tumulte en gestation, sur la ligne de partage des eaux…  Aurait-il fait cet album de blues fortement électrifié dont il avait le projet, l’on peut rêver que les Rolling Stones l’auraient écouté… Et ce spectacle dans les night-clubs dont nous ignorons tout que je mets en parallèle   avec Twist-Appeal,  mis en scène par Nicolas Bataille que  Vince Taylor a réalisé aux Folies-Pigalle après la grande bourrasque de son explosive apparition en France…   Arrêtons mes élucubrations…

             Juste quelques mots sur l’impact photographique de l’opus, superbement mis en pages, bourrés de documents. Un livre à voir, à avoir.

    Damie Chad.

     

    *

    Plus de nouvelles d’Across the divide depuis deux ans, depuis la sortie de Disarray que nous avions chroniqué ( voir livraison 497 du 11 / 02 / 2021 ) et que nous avions beaucoup apprécié. Le fameux flair du rocker voici quatre jours a tilté dans mon cerveau. Depuis deux ans leurs posts sur FB se faisaient rares. Dans la série allons au bois voir si le loup y était, il y était, avec l’annonce d’un nouveau clip pour le premier octobre. Ce n’est pas tout, en début d’après-midi ils annoncent qu’ils sont en concert ce même samedi soir. Ne pouvaient-ils pas prévenir avant, les aurais revus avec plaisir, mais là impossible ! Faute de grive nous contenterons d’un merle. Noir.

    UNFORGOTTEN

    ACROSS THE DIVIDE

    ( Anubis Production / 01 – 10 – 2022 )

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            Du noir plus que noir. Âmes sensibles abstenez-vous. Eau trouble et herbes glauques. Tout un climat en deux secondes. Une forme blanche indiscernable sur le gazon nocturne : Ils l’ont donnée à la fangeuse mort, le vers de Shakespeare annonçant la mort d’Ophélie résonne en votre tête. Ensuite nous n’avons droit qu’à des fragments d’une triste histoire qui se reconstitue toute seule entrecoupés d’images sauvages des membres du groupe en train de jouer. Rapt d’enfant et survie mortuaire des parents. Circulez, il n’y a plus rien à voir. Mais ces flashs de baguettes brandies comme des haches d’assassin, ces cris vomis au micro, ces corps sciés sur les guitares, éclairs de haine, éclats de désespoir vous entaillent le cortex. La tragédie descend l’escalier, la mort vous pend au bout du nez. Clip funèbre pour faire-part de deuil. Il suffit de le regarder une fois. Il est inoubliable.

             Danny Louzon est aux commandes. Plus tout à fait un clip, une scène de film, un clinéma. Deux acteurs Raymond Olry et Sandra Vandroux plus le groupe : Charles Bogan, Regan McGowan, Axel Biodore, Maxime Weber, Alexandre Lhéritier.  

    Damie Chad.

     

     

    SPUNYBOYS

    Les Spunyboys ne font jamais rien comme les autres. C’est en 2013 qu’est sorti leur premier album Rock’n’roll legacy, ensuite plus rien. Pas une crise aigüe de flemmardise, n’ont pas arrêté de tourner un peu partout en France, en Belgique, aux Nederlands, en Finlande etc… des sets incandescents, ont dépassé depuis belle lurette les mille concerts, qui les classent parmi les meilleurs groupes de rockabilly d’Europe. Voici quelques années avant un concert à Fontainebleau ils discutaient d’un hypothétique EP consacré à George Jones   qui n’est jamais arrivé. En 2020, ils ont frappé un grand coup deux albums en même temps, les fans s’impatientaient, promettaient même un troisième ‘’live’’. Ce n’est pas le matériel qui doit leur manquer ! Il est plus que temps, sur ce coup Kr’tnt n’est pas à la pointe de l’actualité, de chroniquer les deux petites merveilles suivantes :

    JUST A LITTLE BEAT

    ( 2020 / Not on label )

    Belle couve jaune, fait un peu pochette de groupe de surf ( j’va me faire traiter de tous les noms d’oiseaux, m’en fous, je suis un phénix je renais de mes cendres. ) signée de Jake Smithies  ( des Dead Mans Uke, contrebasse et ukelel, exactly a resonator uke ), en haut l’adorable bébête qu’ils ont pris pour emblème. Les sept titres suivis de la mention RL sont des reprises de Rock ‘n’roll Legacy.

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    Losing at your own game : très hillbilly, voix voilée de Rémi, little beat dansant de Guillaume, retenez le solo d’Eddie, il poinçonne les tickets dans le métro comme au bon vieux temps. Don’t ring the bell : RL : le démarrage en trombe que l’on attendait pour ouvrir les hostilités arrive en deuxième position, encore est-il urgent de moduler, la cloche que l’on se devait de ne pas agiter était déjà sur leur premier album, une auto-reprise, moins rentre dedans – ils étaient jeunes et fous, maintenant ils n’ont plus rien à prouver, simplement nous montrer comment ils ont gagné en subtilité, ils polissaient au marteau en sont au stade de la lime à ongles,  un régal de les écouter. Tout n’est que luxe et volupté, pour le calme et la langueur baudelairienne, c’est totalement raté. Honey hides the bottle : RL : sur leur original l’on entendait la bouteille se fracasser sur le crâne de ladite honey, maintenant le morceau a un peu perdu ses assonances Bil Haleyenne, l’est davantage country jump, le meilleur passage c’est quand la voix de Rémi saute par-dessus la baguette de Guillaume, très beau duo de steeple-chase. Better to home : Ah le solo d’Eddie sur le contrepoint de la batterie, la meilleure scène du western, prenons le temps de noter que le mix a pris soin pour cette galette chocolatée de mettre la voix de Rémi devant, et les instrus qui brodent le fastueux décor derrière. Trouble in town : RL : changement d’ambiance, jusqu’à maintenant les morceaux sonnaient white rock, et là sans équivoque un beau démarquage ravageur à la Little Richard, Eddie poinçonne en bleu et la basse de Rémi est seule à rappeler les moutonnements rock’n’rolll de Send me some lovin’. Car un soupçon vaporeux de douceur ne gâte en rien la folie du monde.  Glad to be home : RL : ça sonne Sun, le truc où tout est en place et où rien ne manque. La batterie de Guillaume nous rappelle qu’il ne faut pas non plus s’endormir sur les lauriers du passé.  I’m an one-woman man : tiens le fantôme de Johnny Horton refait surface. Prennent leur plaisir, comment comprendre une telle déclaration si ce n’est pour de l’antiphrase, pour le plus gros mensonge qu’un homme puisse proférer, alors ils vous l’interprètent au clin d’œil de l’ironie, moque and roll !

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    Another farewell : y a des adieux moins chagrineux que d’autres, celui-ci au triple galop vous ne le regretterez pas, la voix de Rémy traîne comme un millepatte qui n’en finit pas de se déchausser, en plus il tripote sa contrebasse comme un clitoris en caoutchouc, Guillaume cogne son tam-tam sans perdre de temps, Eddie a troqué sa guitare contre une sarbacane, il envoie les notes une à une et fait mouche sur les mouches tsé-tsé qui volètent dans votre œsophage. That’s all right : une hérésie plus dangereuse que les Cathares, quoi le nom de Mickie Most le producteur des Animals et du Jeff Beck’group sur la pochette d’un disque de rockabilly !  Oui Mickie a eu sa période rock de 1959 à 1964, mais enfin il ne faut pas exagérer, reconnaissons toutefois que le morceau qu’il chantait avec les Gear n’est pas sans évoquer Brand New Cadillac de Vince Taylor, que vont donc nous proposer nos héros ? Ben, ils restent près de Mickie et de Vince, un régal pour Eddie de mettre ses pattes dans les pas de Joe Moretti et de Jimmy Page session man de service. Rockabilly legacy : RL : morceau éponyme de leur premier album, un titre qui fleure bon les Teddy Boys, un festival, nous l’interprètent à la Buddy Holly qui aurait avalé un cougar. Et qui ainsi n’aurait pas permis aux Beatles de mettre de l’eau dans le bourbon du rock’n’roll.  How low can you feel : RL : dans la série Country Legacy Jimmie Skinner, l’a eu son heure de gloire dans les années cinquante, un peu oublié maintenant, preuve que les Spuny farfouillent dans le coffre aux trésors américains, nos boys ont laissé de côté le banjo, un super exercice de style pour Eddie, et le fiddle bluegrass, Guillaume a bazardé l’accent nasillard des ploucs du pays de l’herbe bleue, ils nous refilent une version carabinée, entre nous je préfère Skinner. Peaches and cream : après Little Richard carrément un titre de Larry Williams.  Ce n’est pas l’avalanche de Dizzy Miss Lizzy ou de Slow down, disons un rhythm and blues plus roots,  vous le font très rock’n’roll, évidemment ils n’ont pas de saxophone, mais Guillaume a une de ses pêches sur sa batterie et les couches de crème de la guitare ont une belle épaisseur. Bop for your life : RL : le Bop est aux Teds ce que la crinière est au lion, se déchaînent sur le morceau, l’agitent salement, vous le fragmentent en mille éclats de verre qui brillent au soleil. Dommage que ce soit si court !

    MOONSHINE

     ( 2020 )

             Couve d’un bleu pénombre. Un peu vignette de bande dessinée. Si sur Just a little beat on apercevait tout au fond la silhouette du Capitole, sur celle-ci Big Ben squatte la première place. Ce CD serait-il plus axé Britain Sound. Quittons-nous le soleil de l’american South pour le fog londonien ? En tout cas Rémi affiche le ricanement démoniaque de Jack L’éventreur prêt à bondir sur sa victime, ce petit chef d’œuvre d’humour bleuâtre est aussi signé de Jacke Smithies.

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    Natural born lover : bonjour le changement de son, davantage compact, et employons un adjectif qui ne veut rien dire, musical. Oui ça klaxonne british, une basse plus grasse, une batterie moins furie, une guitare moins barbare, moins bop, plus pop. None of my business : reviennent à quelque chose de plus dur, Guillaume descend les escaliers avec des sabots de bois vert, Rémi jette ses mots à la fronde, Eddie se permet des tremblotements de guitare aussi périlleux qu’un numéro au grand trapèze sans filet. I hear Little Rock calling : chanteur country Ferlin Husky n’a pas subi l’appel du rock ‘n’ roll mais la nostalgie de Little Rock sa ville natale. Que vont nous faire nos trois héros de ce mid-tempo mignonitou, vont-ils se mélanger les pédal-steel guitars ? Ne renient pas leurs modèles, peut-être lors de leurs nombreuses tournées éprouvent-ils l’envie de retourner chez eux, accélèrent un tout petit peu le tempo, s’ils ont repris le chant en tir groupé du début, Rémi a abandonné le passage guimauve-voix-parlé-j-ai-beaucoup-vécu un peu has been, son vocal tire le morceau comme la locomotive ses wagons. Sweet loneliness : tristesse punchy, ça pue l’anglois, le rosbeef saignant, un peu loin du rockab, très groovy, très moderne, Rémi à cheval sur la vapeur et les instrus qui bougent les bielles, ressemble un peu à Watcha gonna do de Little Richard mais en beaucoup moins cool, z’ont dû bouffer de la barbaque avariée. Muy bien, comme disent les Espagnols lorsque le taureau rend l’âme dans l’arène. Moonshine : les cats amoureux miaulent joliment sur les toits les soirs de pleine lune, même qu’ils titubent un peu quand ils ont bu un coup de trop, agréable balade mid-tempo qui ne casse pas les manivelles, mais l’on reprendrait un petit verre avec plaisir. Lights out : retour dans la mouvance de Little Richard avec le morceau le plus connu de Jerry Byrne, avec un très beau passage sur lequel il hache ses mots comme sur Long Tall Sally, il ne faut pas le divulguer mais leur version à l’identique est meilleure que celle de Jerry Byrne, pourquoi ? Parce qu’elle est davantage rock ‘n’roll. Si nous étions Président de la République nous décorerions Guillaume pour sa performance battériale. Too young to cry : un titre à la Elvis, heureusement que Rémi a une voix plus anguleuse que le King, il sauve le morceau, le background derrière est bien propre, bien joli, bien ficelé, parfois les trucs mal emmaillotés  sont meilleurs. Well come back : dès qu’un titre commence par Well pensez à Little Richard, votre boussole indiquera la bonne direction, une belle réussite, très raw, un baston comme on les aime, aurait pu être enregistré dans le studio de Cosimo Matassa, à la grande époque.  Got get drink : une déjante country avec violon de l’amiral Nelson, Willie pour les intimes, Rémi s’en sort comme un chef, n’empêche que la guitare rupestre d’Eddie n’arrive pas à la cheville du violon pousse-au-crime et tire-bouchon joué par un ange déchu. N’écoutez pas l’original, la version des Spuny vaut le détour.

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    Get wild for my child : à l’énoncé du titre l’on a compris que l’on ne va pas s’ennuyer, un harmonica comme un sifflet de locomotive et l’on est parti pour la rivière sans retour, ça cahote dans tous les sens et ça remue comme dans un western italien. De la belle ouvrage, un shuffle suffocant ! El camino real : une ballade country de Lee Dresser chanteur des Krazy Kats, le camino real, le chemin royal est une route qui part de San Diego au fin fond du fond de la Californie et qui remonte au nord en passant par Monterey, San Francisco, Los Angeles… autant la version de Dresser se la joue majestueuse autant celle des Spuny a mis un tigre dans son moteur, un beau challenge pour Remi qui s’en tire comme un chef. Nowhere : une belle surprise, les garçons tourbillonnants démontrent qu’ils sont aussi à l’aise dans le hillbilly que dans le rockab. Rock around the clock : faut aller la chercher la version de Rock round the clock  de Li’l Millet enregistrée en 1956. En plus à mon goût elle ne vaut pas celle du gros Bill, l’est vrai que celle des Comets est un peu plus cuivrée que celle de Li’l Milet qui possède tout de même un bon sax, entre nous soit dit la version des Spuny n’emporte pas l’adhésion, un peu trop disparate. Peter Borough : beaucoup plus convaincant, ils remuent salement les cocotiers, arrivent à ce miracle que si vous incluez le titre dans une playlist pure original rockab vous ne verrez pas la différence. C’est cela les Spuny, ils ne copient pas, ils recréent. Le morceau précédent c’est quand ils cherchent, ne trouvent pas toujours mais ils accumulent des expériences, ils sèment des graines ( de violence) qui éclosent plus tard ?

    Gone with the wind : encore une gageure, comment reprend ce morceau de Wayne Rainey qui puise ses racines dans l’early hillbilly, no problem, Remi vous pousse le yodel comme un cowboy galopant après un long horn rebelle sans être une seule seconde ridicule. Ce n’est pas de l’imitation, retrouve l’esprit. Deux bonus tracks : Natural born lover : (+ Don Cavalli ) : et Get wild wih my child : ( + Thibaut Chopin ) : sympathiques, très agréables mais n’apportent rien de révolutionnaire à l’ensemble.

             Ayons un stupide comportement binaire : lequel des deux préférer ? Just a little beat est davantage monolithique, Moonshine davantage inégal mais ô combien plus aventureux avec d’exceptionnelles réussites. Ces deux opus permettent d’entendre les Spunyboys d’une autre manière. En public l’extraordinaire force de la batterie et les interventions fracassantes de la guitare monopolisent l’attention, elles égalisent un peu le chant de Rémi d’autant plus que ses acrobaties sur, autour, avec, sa contrebasse attirent l’œil. Ces deux CD’s sont l’occasion de vérifier combien nous avons un chanteur exceptionnellement doué qui ne recule devant aucune difficulté. Les Spunyboys sont un groupe incomparable.

    Damie Chad.

     

     

    LSD 67

    ALEXANDRE MATHIS

    ( Serge Safran / Août 2012 )

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    J’ai trois fenêtres à ma chambre

    L’amour, la mer, la mort

    Sang vif, vert calme, violet

     Ainsi débutait le poème Hiéroglyphes de Charles Cros, inventeur du phonographe ( le paradis des rockers ) et du procédé de la photographie couleur… les fenêtres d’Alexandre Mathis s’ouvrent sur d’autres domaines, Paris, la littérature, le cinéma. Ces trois domaines forment un nœud inextricablement lié, mais les couleurs dominantes en sont le noir et blanc cinématographique.

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    Alexandre Mathis a composé quelques livres et tourné quelques films expérimentaux. Il n’est guère connu du grand public. Avant de nous plonger dans ce LSD 67, il convient de poser deux jalons d’importance.

    Le premier est un roman policier, Maryan l’amour dans le béton. Paru en 1999. Un ovni littéraire. Grand format, police minuscule, 661 pages. Ce n’est rien, l’important c’est le choc, un peu ce qu’ont dû ressentir les premiers lecteurs de Céline à la lecture de Voyage au bout de la nuit. Là, pas besoin de voyager, propulsés au bout du bout de la nuit dès la première page. Alexandre Mathis s’est enfermé durant dix ans dans un minuscule studio pour l’écrire. Une ascèse littéraire, rien à voir avec celle de bourgeois bougon de Flaubert, le feu ne brûle pas dans la cheminée, c’est notre monde qui part en lambeaux de fumée noire et sale. Ce livre ne se résume pas, un tsunami déboule sur le lecteur et c’est tout. Bonne chance. La fin ? Elle est comme le serpent à deux têtes, autant dire qu’il se mord la queue sans clore définitivement le cercle. Une fois que vous l’avez lu, un porte-avions navigue dans votre tête, il cogne fort et jusqu’au dernier moment de votre vie vous avez peur qu’un jour il ne vous défonce l’os pariétal de votre crâne pour s’échapper de votre médiocrité congénitale. Les rockers apprécieront la bande-son : Jeffrey Lee Pierce, Gene Vincent, Johnny Thunders, Sex Pistols, Cramps… Un livre qui fait peur. La preuve : en avez-vous entendu parler ?

    La deuxième monstruosité est aussi un roman : Les condors de Montfaucon (2004 ). 620 pages, un sous-marin, un cachalot abyssal bourré d’ogives nucléaires. Porteur de mort en suspens. Visitons-le d’une manière innocente. Paris s’offre à nous. Les rues sordides, les vieux quartiers. Non pas pour les examiner mais pour se rappeler les vieux cinémas qui n’existent plus ou qui sont fermés en attendant le jour de leur destruction. Se rappeler qu’à tel endroit, l’on a vu tel film. Mathis ne nous épargne aucun détail. Où, quand, comment, avec qui, en quelles circonstances… Paris s’oublie, il se modifie, il change, la population n’est plus la même. Nostalgie ? Sûrement. Mais vous lisez alors le livre avec le petit bout de la lorgnette. Vous cédez à l’attrait du pittoresque. Ne confondez pas avec La dernière séance d’Eddy Mitchell. Alexandre Mathis n’expédie pas la bagatelle en une chansonnette de trois minutes. Un gros livre, foisonnant de milliers de détails. Parfois agrémentés de photographies de l’auteur. Maintenant attention où vous mettez les pas, vous errez dans le Paris des années cinquante et tout à coup vous avez franchi une limite, le gibet de Montfaucon se dresse devant vous avec ses dizaines de pendus. Zone dangereuse. Êtes-vous entré par effraction dans un fissure de l’espace-temps, à moins que les choses ne restent figées dans leur éternelle présence… Un livre, terrible, sombre, sur l’impermanence du passé de l’être humain qui n’ose se raccrocher aux herbes mandragoriennes qui poussent aux pieds des gibets.

    Et donc ce dernier livre de la trilogie, ce LSD 67, cinq cents pages, paru en 2013. Nous voici à Paris dans les limites étroites du Quartier Latin. Non ce n’est pas un livre qui parle de drogue. Simplement de cette première génération de jeunes filles et de jeunes gens qui entre 1966 et 1968 ont décidé de vivre. Selon leurs désirs. Un signe de ralliement : les cheveux longs. Insupportables pour le commun de leurs contemporains ankilosés dans leurs certitudes d’emmurés vivants volontaires. Eux ne cherchent qu’à s’échapper le plus loin possible de ces existences quadrillées. Ont trouvé leur porte de sortie qui leur permet de passer de l’autre côté de cet univers carcéral qu’ils refusent. N’emploient pas des mots pompeux, ne tiennent pas le discours attendu sur les portes de la perception. Ils utilisent des mots simples. La défonce, en point c’est tout. Ne théorisent pas. Ils l’expérimentent à toute heure du jour. Et de la nuit.

    Alexandre Mathis ne cache rien, montre tout. Les extases et les angoisses. Les effets, tant au niveau social – ne travaillent pas, sempiternellement à court d’argent - qu’au niveau psychique. Une attitude nietzschéenne, au-delà du bien et du mal, aucune moraline. Une vie dangereuse, dorment souvent dehors, les flics, les larcins, les trafics, les règlements de compte, chacun se débrouille à sa manière. Nous suivons un petit groupe, qui n’arrête pas de se croiser et de séparer, le hasard les réunit, leurs envies du moment les disjoignent. Ne rejettent pas la faute sur la société ou sur le système, assument leur choix de vie.

    N'arrêtent pas d’errer, il faut marcher pour ne pas céder aux vertiges des produits, Mathis ne peut enfiler une rue sans préciser d’où elle part, où elle s’arrête, de nommer les artères ou les ruelles qui la coupent, les cafés, les bars, les librairies, les pharmacies, les boutiques qui la bordent. Cette manière de procéder n’est pas sans produire un effet de vertige, on repasse souvent par les mêmes lieux, l’on est entraîné malgré soi sur un gigantesque échiquier sur lequel se déroule une partie qui ne s’achève jamais… Hervé le Narrateur a tout essayé, ses préférences vont à l’opium, mais il est une autre addiction dont il est totalement dépendant : les cinémas et les films. Lui faut ses quatre films par jour pour être heureux. Saute de séance en séance

    Ce roman est une ode au cinéma. Mathis est atteint de boulimie, il veut voir tout ce qu’il n’a pas vu, il lit le moindre article serait-ce un entrefilet de deux lignes, de n’importe quelle revue de n’importe quel journal… Peu à peu il se forge non pas son propre jugement mais sa propre vision du cinéma, il commence à placer quelques articles par ci par là…

    Le livre s’arrête parce qu’il faut bien qu’il finisse. LSD 67 se termine au mois de mars 1968. Pas un hasard. L’auteur n’explique rien. Il faut comprendre. Mai 68 marque une rupture. La drogue se démocratise. Rien à voir avec cette expérience primale d’un groupe de quelques centaines de personnes qui ont vécu ces deux années d’expérimentation innocentes. Après cette date débute l’ère de consommation de masse. Le lecteur fûté réalisera que la même dégénérescence a frappé la production cinématographique…

    Le roman ne possède pas d’intrigue. L’est constitué de textes d’une à dix pages. Les personnages vont et viennent, Le lecteur les suit. En ressort une incroyable sensation de liberté. Et de respect mutuel entre les protagonistes, ne se font pas de cadeaux non plus, mais chacun tient trop à son indépendance pour anéantir celle de ses collatéraux.

    Ok, Damie, on a vu the drugs but what about sex and rock’n’roll ? Pour le rock, tout ce qui s’écoutait à l’époque des Them à Jimi Hendrix, du Grateful Dead aux Beatles.  Pretty Things et consorts. N’y en a qu’un Chico qui soutient mordicus la cause des pionniers, Gene Vincent, Eddie Cochran, Buddy Holly, Elvis, Bo Diddley, Vince Taylor…

    J’en viens à ce qui vous titille au-dessous de la ceinture. Les filles sont présentes, Dora, Liliane, Cybèle… libres dans leur tête et leur corps, compagnes d’une nuit, par intermittences, pour une saison, rien de fixe, les produits amenuisent les jalousies… mais ce n’est pas le plus important, certaines disparaissent, ont-elles quitté le milieu, sont-elles mortes, et ne sont-elles pas plus présentes une fois mortes… Rien n’est dit, tout est en filigrane. Les conversations ne s’attardent guère, elles passent vite à un autre sujet… si elles étaient des intercesseuses, les véritables portes vers la mort, est-il vraiment utile de se précipiter pour les ouvrir… Maryann Lamour est-elle vraiment dans le béton, Lili dans le noir n’est-il pas le sous-titre de Les condors de Montfaucon, Alexandre Mathis n’a-t-il pas écrit un roman titré Edgar Poe ( dernières heures mornes ) et tourné un film intitulé Lady Usher’s diary inspiré de La chute de la maison Usher de l’auteur du Corbeau ? Omettons ce chat noir qui semble hanter La rue du chat qui pêche et s’attarder un peu trop souvent dans le cerveau de Sandrine…

    Enfin sous le pseudonyme transparent de Herbert P. Mathese, Alexandre Mathis n’a-t-il pas consacré un livre de 472 pages au cinéaste érotique José Benazeraf  An 2002, la caméra irréductible

    Damie Chad.