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subway cowboys

  • CHRONIQUES DE POURPRE 600: KR'TNT 600 : SUBWAY COWBOYS / BRIAN JONES / TODD RUNDGREN / SYDNEY JOE QUALLS / GENE CLARK / MARLOW RIDER / RED EYED CULT / GERALD WITTOCK / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 600

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    11 / 05 / 2023

      

    SUBWAY COWBOYS / BRIAN JONES

    TODD RUNDGREN / SYDNEY JOE QUALLS

    GENE CLARK / MARLOW RIDER

    RED EYED CULT / GERALD WITTOCK   

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 600

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

      

    L’avenir du rock

    - Cowboys movie

     

             L’avenir du rock a fini par en avoir marre des montages du Colorado. Il ne pouvait plus faire un pas sans tomber sur Jeremiah Johnson. Ne nous méprenons pas : l’avenir du rock n’a rien contre Jeremiah Johnson qui est un chic type, par contre, il hait profondément la routine. Donc, il chevauche vers le Sud, en chantonnant I’m a poor lonesome cowboy. Il traverse plusieurs frontières sans encombre, et un beau matin, il croise une fine équipe.

             — Oh ça par exemple !

             L’avenir du rock n’en croit pas ses yeux : Croz, Young Billy, Eli et Fat Albert !

             — Comme je suis content de te croiser, Croz ! If I Could Only Remember My Name n’en finit plus de m’en boucher un coin.

             — On peut te le déboucher, avenir du rock...

             — Et ton «Cowboy Movie» me move le groove. Je l’ai d’ailleurs recommandé à Jeremiah Johnson. 

             — Merci du renvoi d’ascenseur, avenir du rock.

             Croz se gratte le menton. Il a rarement vu un mec aussi con que l’avenir du rock.

             — Bon, c’est pas tout ça, avenir du rock, mais on a ces démons de Pinkerton aux trousses. La poussière que tu vois là-bas au fond de la vallée, c’est celle de leurs chevaux. On vient de piller un train et on file rejoindre notre planque dans la montagne.   

             — Oh je connais la chanson ! Avant de mourir, vous pourriez peut-être me renseigner ?

             — Magne-toi !

             — J’envisage d’aller enquêter pour le compte du blog de mon ami Damie Chad sur les préjudices causés aux ouvriers noirs dans les champs de coton et dans les champs de canne à sucre, des préjudices qui sont, comme vous le savez tous les quatre, d’ordre à la fois physique et mental, ils recouvrent toute la biosphère médicale et psychiatrique, ça va des plaies aux mains jusqu’au mal de dos, en passant par les traumatismes liberticides, les conséquences des relations sexuelles non consenties, les entorses aux réglementations prud’homales, le non-paiement des heures supplémentaires, et le pire, ces bols de haricots qu’on leur distribue une fois par jour en leur faisant croire que ce sont des points de retraite, tu te rends compte, Croz ? Ces champs de coton du Deep South constituent un domaine d’études unique au monde, un vivier scientifique d’une dimension pharaonique ! Alors peut-être pourriez-vous m’aider en m’indiquant la direction de la case de l’Honk Tom...

             — Honky qui ?

     

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             Laissons l’avenir du rock se dépatouiller avec Croz et son équipe de féroces desperados, et allons en retrouver une autre, celle des Subway Cowboys, les princes de l’honky-tonk. Ils pourraient très bien sortir eux aussi du «Cowboy Movie» de Croz. Bien qu’ils soient français, ils ont assez fière allure. Le chanteur Will a d’ailleurs des faux airs de Young Billy. Plutôt que d’avoir la gâchette facile et l’index psychotique, disons qu’il a une belle présence scénique et un gratté de poux orthodoxe.

             C’est en 2018 qu’on a chopé les Subway Cowboys sur scène pour la première fois, en première partie de Tony Marlow. Leur set estomaqua tous les macaques ! Une sorte de révélation. On les croyait américains ! Ils reviennent cinq ans plus tard estomaquer le maquis normand, en première partie de Pokey LaFarge. Si tu aimes bien te faire estomaquer, c’est le moment ou jamais. Wow, il faut voir ces mecs tailler leur route sur scène ! Ils t’honky-tonkent l’honkologie d’entrée de jeu.

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    Même si t’es pas fan d’honky-tonk, tu tombes sous le charme du grand cowboy tout sec qui chante et qui gratte ses poux orthodoxes. Sous son chapeau de cowboy gothique, il trimballe des faux airs de Rufus. Sa salopette et sa chemise à carreau renforcent cette impression de maigreur puritaine, car il semble sortir tout droit d’une photo de colons texans du XIXe siècle. Country ? Nashville ? Non pas vraiment. Son truc, c’est plutôt l’honky-tonk. Il évoque souvent la Louisiane. La disposition scénique des Subway Cowboys a évolué.

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    La section rythmique d’antan a disparu. Un kid absolument brillant claque le beignet du bop à la stand-up. Et de l’autre côté, un mec t’enkode l’honky-tonk à grands coups de pedal steel. Le soliste qui jouait au centre la dernière fois est maintenant sur le côté, mais toujours aussi prodigue de fulgurances.

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    Il devrait s’appeler Jo l’éclair, pas Fabien. Il bat James Burton à la course. Toutes ses incursions sont fatidiques. Il entre chaque fois à point nommé et ne vit que pour le cisaillé de gamme intra-communautaire. Il biseaute ses solos pour les rendre plus agressifs. Et Rufus enfile les cuts comme des perles, impassible sous le porch de son vaste Stetson, il déroule sa prestigieuse Americana avec un aplomb qui fait autorité. Il pousse le côté colon assez loin car il émane de lui une réelle austérité, ce n’est pas dans sa nature ni de rigoler ni de se rouler par terre, mais quand il annonce ses deux reprises d’Hank III, alors on se prosterne jusqu’à terre, car celui-là, il faut aller le chercher. Apparemment, le petit fils d’Hank Williams se serait retiré du circuit, en proie à une sévère dépression. On est ravi, car Rufus nous donne des nouvelles fraîches. Ils tapent une autre cover de choix, le «Get Rhythm» du Cash, ils le tiennent par la barbichette du tacatac des Memphis Three. Ils tapent aussi en début de set l’«I’m Movin’ On» rendu célèbre par un autre cowboy gothique, Johnny Horton.

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    Et ce n’est pas fini : au beau milieu du set, Rufus demande à Dédé de monter sur scène pour bopper une cover de «Lonesome Train» à la stand-up. Pur moment de rockab ! Tu nages en plein rêve. Les wild cats sont de sortie.  

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             Leur premier album date de 2015 et s’appelle comme par hasard Honk Tonk Time. Cet album de reprises grouille de bonnes surprises, à commencer par l’«Honky Tonk Blues» d’Hank Williams. Will le prend au chant d’éplorée, c’est criant de véracité. Le «Big River» du Cash ouvre la bal des Cowboys. Ils y affichent une réelle volonté de clairette, donc solo de Tele clair comme de l’eau de roche. Ils tapent aussi dans David Allen Coe avec «Take This Job And Shove It», ils en font une cover heavy as hell, nappée de béton. Ces mecs tapent dans l’éclat des légendes mirifiques. Tiens, voilà le «Get Rhythm» qu’ils jouent sur scène. Version bien sèche à la Rufus. Ils la tamponnent dans le coquillard. Autre cover de choix : le «Walking The Floor Over You» d’Ernest Tubb. Ils la cavalent ventre à terre, avec dans la course un solo de Tele stellaire. Ils adorent s’illuminer au paradis de la country de fête foraine. Tournez manèges ! Ils sont en plein dedans, avec des violons qui te graissent la patte. Ces mecs ont forcément une belle collection de disks. Encore de l’Hank avec «Ramblin’ Man». Will lui tord le cou et yodelle sa valse à trois temps. C’est très impressionnant. Ils font aussi de la grosse country palpitante avec le «Tonight The Bottle Let Me Down» du beau Merle. Nouveau coup de Jarnac avec leur vison du «White Lightnin’», cut chouchou de Gene Vincent. Les Cowboys s’aventurent dans le Lightnin’ avec leur petit gusto de derrière les fagots, c’est gratté sec à la française mais chanté avec esprit. Et comme il n’est de bonne compagnie qui ne se quitte, Fabien se tape la part du lion sur le «Rawhide» de fin de bal.

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             Drôle d’album que ce Possum’s Good For You. Pochette détestable mais contenu adorable. Pourquoi ont-ils été chercher cette photo dégueulasse ? On y voit deux gros porcs en blouses tachées posant fièrement sous un étalage de gros rats crevés. Les rats sont en fait des opossums, que les Américains appellent des possums. L’idéal aurait été que cet album sorte sur Fat Possum. Et le morceau titre de l’album est à l’image de la pochette : raté. Mais le reste de l’album est génial. Ils attaquent avec un fantastique «Goin’ My Way» propulsé par la stand-up. Stupéfiante tenue de route, le Will te chante ça au downhome de derrière les fagots du bush, et ça te donne un brouet demented infesté d’incursions intestines du fabulous Fab. Il faut le voir touiller le heavy mud ! On trouve plus loin un autre classique rockab, «I Tell It Like It Is». Encore plus demented are go. C’est d’une rare puissance. Le Will te chante ça à la folie Méricourt, il chevauche le wild craze, et le slap te ravale la façade. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «Back In The Wind». Ils le tapent au power blast, dans l’esprit d’un supra-wild «Please Don’t Touch», fabulous Fab le gave d’une cisaille gravissime et ce démon de Will la chante à la pleureuse de Millet. Ils font aussi de la fast country de cowboys avec «Time To Take A Break», ils sont terrifics, gorgés de véracité, avec du violon de saloon et un beurre de baratte de rêve. Le Will est encore plus crédible sur «Blind Man», assis au bord du fleuve, il observe les libellules. Tous les cuts sont extrêmement bien produits, ils ont du gros son et le Will est all over. Il sait asseoir son autorité. Tu as parfois l’impression d’entendre chanter une superstar, ce qu’il est en réalité. Il sait poser sa voix, comme le font Dorsey Burnette ou David Allen Coe. Les Cowboys embarquent le soft rockab «Sixteen Tons» sous le boisseau. Extraordinaire qualité du boisseau ! En prime, tu as un solo de jazz. C’est assez extravagant de distinction. Fabulous Fab y va au wild as fuck sur «Guitar Boogie», c’est un cake, alors pas de problème. Et voilà la cerise sur le gâtö : «Got Into A Fight Last Night». le Will devient fou. Il fait l’Hasil Adkins. Il te démolit tout, la légende, les colonnes du temple, tout !  Merveilleux coup de chapeau d’un géant à un autre géant.   

    Signé : Cazengler, gros conboy

    Subway Cowboys. Le 106. Rouen (76). 28 avril 2023

    Subway Cowboys. Honk Tonk Time. L’Autre Studio 2015

    Subway Cowboys. Possum’s Good For You. Celebration Days Records 2017

     

     

    Il faut sauver le soldat Brian

    (Part Three)

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             Le sauveur du soldat Brian s’appelle Paul Trynka. Dans un book en tous points remarquable, Sympathy For The Devil - The Birth Of The Rolling Stones And The Death Of Brian Jones, Trynka célèbre le génie de cet homme, d’une façon éblouissante, comme s’il développait une loi mathématique censée établir une vérité qui crève pourtant les yeux. Zorro Trynka surgit hors de la nuit des books, court vers l’aventure au galop et vole au secours du pauvre Brian Jones, humilié et détruit méthodiquement par ceux qu’il appelait ses brothers, les Stones. Le Trynka book est un book qu’il faut mettre dans les pattes de tous les fans des Stones, pour commencer, mais aussi dans les pattes de tous les fans de (bon) rock, et bien sûr, dans celles de tous les fans de tragédie. Car quelle tragédie ! L’histoire est épouvantable. On n’aimait pas trop le Jag auparavant, mais là, sous la plume de Zorro Trynka, il devient encore pire que ce qu’on pouvait imaginer.

             Tu as deux façons de lire le Trynka book : soit tu t’effares du génie de Brian Jones, tel que le matérialise Trynka, soit tu te tortilles les mains de chagrin à suivre toutes les étapes du démantèlement de Brian Jones. Le coup de grâce fut l’embauche de Mick Taylor. Quelle abomination !

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             C’est d’une certaine façon le portrait d’un gentil géant que brosse Trynka, alors qu’il titre son book Sympathy For The Devil. On croit lire le portrait d’un diable, mais le diable, ce n’est pas lui, ce sont les autres. Trynka tripote les zones d’ombre avec une certaine habileté, oh bien sûr, Brian Jones n’est pas un saint, mais à plusieurs reprises, dans sa vie, il se fait jeter, et ce sera son talon d’Achille. En 1960, les lycéens et les lycéennes de Cheltenham lui tournent le dos. En décembre de la même année, il se fait virer de chez lui par ses parents qui partent en vacances de Noël et qui laissent sa valise sur le perron. Le voilà devenu outcast. Dans un premier temps, il va réussir à en faire une force. Mais le coup de grâce sera le fameux épisode de Marrakech, quand Jag, Keef et Anita se barrent en douce, l’abandonnant à l’hôtel sans un rond.   

             Attaquons le versant ensoleillé du mythe : tout au long des 350 pages de son mighty book, Trynka rétablit l’écrasante suprématie de Brian Jones. On en sort conforté, car ça correspond exactement à ce qu’on pensait de lui en 1965, quand on le voyait sur les pochettes d’albums et dans les pages des magazines. On ne voyait que lui. Les autres n’existaient pas. Le génie de Trynka est d’avoir su rétablir cette fameuse vérité qui crève les yeux. Dans ces conversations nocturnes que nous avions avec Jean-Yves, il disait souvent : «J’aime bien Brian Jones.» C’était en quelque sorte notre point de ralliement.

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             Dès qu’il s’installe à Londres en 1961, Brian s’impose. Paul Jones qui le fréquente dit qu’il ne connaissait personne qui jouait aussi bien que lui - No one, not Alexis for that matter - Trynka pense que Brian Jones, qui se faisait alors appeler Elmo Lewis, fut un pionnier - Perhaps the very first British musician to pick up on the potency of Johnson’s myth and music - Eh oui, Dylan parle lui aussi de Robert Johnson dans Chronicles, comme d’une influence de base, et Trynka se marre bien quand il dit qu’à la même époque «Mick Jagger was enchanting mums in the front rooms of Dartfod singing songs by Buddy Holly.» Trynka amène alors son premier postulat : «Brian Jones n’était pas seulement responsable de l’inspiration musicale des Rolling Stones, mais aussi de leur dark magic. He was the Stone with something of the dark about him.» La formule est magnifique. Trynka est un auteur littéraire. Un Zola dont le Dreyfus serait Brian Jones. Littérature toujours : en 1961, Brian Jones lisait déjà le Marquis de Sade, qui se vendait encore sous le comptoir. Sade et Robert Johnson ? Merveilleux point de départ. Dark magic. Bientôt sex & drugs & rock’n’roll. Brian Jones en sera la plus parfaite incarnation.

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             C’est en mars 1962, à Ealing, que le Jag, Keef et Dick Taylor voient Brian Jones sur scène pour la première fois. Brian est sur scène avec Paul Jones qui s’appelle encore P.P. Pond. Ça ne s’invente pas. Brian est déjà très en avance sur son temps, il a étudié Robert Johnson, Elmore James et Muddy Waters - Powerful and arcane knowledge in the spring of 1962 - Un knowledge que les Stones vont continuer d’exploiter pendant soixante ans. Qu’est-ce qu’on dit, les Stones ? Merci Brian Jones ! Mais ils sont tellement jaloux de Brian Jones qu’ils ne le remercieront jamais. Au contraire. Ils vont lui mettre la tête sous l’eau. Façon de parler. Marianne Faithfull dit dans son autobio que la mort de Brian a permis à Keef «de devenir Brian». Dick Taylor rappelle de son côté que le fameux Open G tuning vient de Brian Jones - Keef le regardait jouer en Open tuning et donc il savait. Je ne sais pas pourquoi il raconte qu’il tient ça de Ry Cooder. It’s strange.    

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             Bon, c’est bien Brian Jones qui monte les Stones et qui recrute les quatre autres. Ce n’est pas le Père Noël, comme le croient certains. Pour monter son groupe, Brian commence par embaucher le Jag, mais il ne veut pas des deux Dartford boys dans son groupe. Alexis Korner qui a pris Brian Jones sous son aile lui dit de ne pas prendre les deux. Prémonition ? Non simple logique : Alexis sait que Brian va perdre le contrôle dans son groupe s’il prend les deux. Mais le Jag pose sa petite condition à la mormoille : si Keef ne vient pas, alors il ne vient pas non plus. Bon d’accord, Brian est gentil, il prend les deux. Puis il recrute Dick Taylor et le batteur Tony Chapman, en passant une annonce dans le Melody Maker. Donc les Stones, C’EST Brian Jones. Il a une vision. Il ne définit pas que le son, il définit aussi ce que Trynka appelle the vibe, l’esprit. Dick Taylor sait que Brian Jones voit clair - He was more worldly-wise than us, most definitely - Le groupe s’appelle encore the Brian Jones Blues Band, puis Brian leur propose d’appeler le groupe The Rolling Stones, un nom qu’il tire comme chacun sait du «Mannish Boy» de Muddy. Premier gig en 1962, et Trynka y va fort : «It marked the beginning of an irrevocable change in popular culture.» Cleo Sylvestre ajoute que c’était «very exciting and very raw.»

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             Brian et Keef bossent alors constamment ensemble, working up their sound. Ils sont aussi les deux premiers à renoncer à la vie normale : ni études, ni day job. Ils s’installent au 102 Edith Grove, à Chelsea. Ils ont quelques albums sous la main, un Robert Johnson, Muddy At Newport, le fameux Best Of Muddy Waters, Chuck Berry et Jimmy Reed - That was the basic diet, grommelle Keef.

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             Andrew Loog Oldham bosse déjà avec les Stones quand ils enregistrent «I Wanna Be Your Man». Mais il ne participe pas à la session et c’est Brian qui supervise, qui double la voix du Jag et qui envoie des rasades de «slashing electric slide all over the track» - Wanna Be Your Man is a mess but touched by genius - Oldham est encore absent quand une nuit Brian vient rebosser sur les cuts du premier album - Brian brancha sa nouvelle Gretsch vert pâle dans son AC30, ready to make it sound better, just a bit funkier, just a bit dirtier - Brian remplaçait une piste jouée par Keef, puis une piste de basse. Trynka ne rentre pas plus dans les détails, c’est dommage, mais on garde l’image de Brian avec sa Gretsch vert pâle - His concentration was intense - Apparemment Brian n’était jamais content - Brian invented the Stones, hot-wired their music, out of this sense of dissatisfaction - Can’t get no satisfaction ?      

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             Brian nous dit Trynka se shampouine les cheveux tous les jours, il soigne son perfect golden halo et l’associe à un white polo neck. On voulait tous des cols roulés blancs à l’époque, à cause de Brian Jones. Trynka en profite pour rappeler que Brian est devenu le modèle de centaines de garage bands across the USA. Lors du TAMI show, il invente un autre concept visuel : il joue en tournant le dos au public. Toni Basil flashe sur lui : «This blond hair, bright red sideburns, those green eyes and he dressed flamboyantly. And wow, he was really a knockout.» Oui, on le sait bien qu’il est un knockout, mais on aime bien l’entendre dire. Lors d’une interview pour le TV show Shindig!, Jimmy O’Neill interviewe le Jag et soudain Brian intervient pour dire qu’il est temps de la fermer car Howlin’ Wolf arrive sur scène. Brian qualifie Wolf de hero et va s’asseoir à ses pieds pendant qu’il chante - Si un épisode incarne the life work of Brian Jones, c’est celui-ci, dans toute sa pureté et son côté sexy - Un autre personnage de légende est invité à l’émission, mais Brian ne le connaît pas. Alors il approche de son manager Dick Waterman et lui demande qui est ce venerable gentleman. Quand il entend prononcer le nom de Son House, Brian s’extasie : «Ah the man who knew Robert Johsnon and Charley Patton.» Cette anecdote situe bien le niveau de Brian Jones à l’époque, il navigue au même niveau de John Fahey et Al Wilson qui eux aussi étaient fascinés par les vieux crabes du blues.

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    ( Brian + Stash )

             Trynka n’en finit plus de dire à quel point Brian Jones est spécial - The protoype of a sixties rock star : languide, softly spoken, presque efféminé, a charming blond choirboy with something  of the night about him - C’est extrêmement bien écrit et d’une infinie justesse. Presque trop beau pour être vrai. Trynka va encore plus loin dans l’approche psychologique. Plutôt que de le voir associé à Satan, il préfère le voir associé à une divinité plus subtile, le dieu Pan, dieu de la fertilité, mi-homme mi-chèvre - The rock’n’roll spirit comes from Pan, affirme Stash, le fils de Balthus et proche/très proche de Brian Jones - Pan fut diabolisé par le christianisme, mais en réalité, c’était un dieu bienveillant. C’est l’une des clés du mythe de Brian Jones. Il est victime d’une grave erreur d’appréciation. Sade et Oscar Wilde furent aussi diabolisés de leur vivant, alors qu’à leur façon, ils étaient aussi des «divinités» bienveillantes. «Ce sont les passions et les obsessions de Brian Jones qui vont définir les Rolling Stones», affirme Trynka. «Sa fascination pour le chaos, les forces des ténèbres et la lascivité allait imprégner l’image et la musique du groupe. Mick and Keith allaient suivre son exemple. Dancing with the devil would come at high cost.» Encore faut-il savoir danser avec le diable.

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             En 1966, Brian devient la tête de gondole des Stones - a new figurehead - Il devient the peacock at the cutting edge of dressing and drugging, the two major innovations of 1966 - C’est vrai qu’on ne voit plus que lui. Et quand la psychedelia arrive, le Jag est complètement out of place. Brian teste toutes les drogues, il vit dans son époque, alors que Jag en a la trouille, nous dit Marianne Faithfull, écroulée de rire : «Mick wasn’t the rebel». Elle n’ose pas dire comme le fera Keef un peu plus tard qu’il est une petite bite, mais ça revient au même. Quand les Beatles enregistrent Revolver, c’est Brian qu’ils invitent aux sessions, certainement pas les autres. Gene Clark s’entend lui aussi très avec Brian. Ils bricolent ensemble une première mouture d’«Eight Miles High», en 1965. McGuinn osera dire après la mort de Gene Clark qu’il est le véritable auteur de ce cut. Non mais franchement ! Des fois les gens exagèrent ! C’est Brian qui transforme «Under My Thumb» en cut magique, en ajoutant tout simplement le marimba, sous l’œil éberlué de Jack Nitzsche, lorsque les Stones enregistrent Aftermath au studio RCA de Los Angeles. Eddie Kramer n’en finit plus de s’extasier sur le génie de Brian Jones : «I always considered Brian the most gifted of the Stones, musically speaking.» Bill Wyman en rigole encore : «Well, sans le marimba, ce n’est pas une chanson, pas vrai ?» Et puis il y a le dulcimer sur «Lady Jane». Encore un coup de génie. On se souvient plus des ambiances de ces deux hits que du chant médiocre du Jag. C’est Brian qui compose la mélodie de «Paint It Black». Brian ne joue plus de guitare et fait de la magie.

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             Trynka lève un autre lièvre : la recherche obsessionnelle du plaisir charnel. Chez Brian elle est de nature «divine» - C’était un être indomptable qui ne pouvait pas devenir, comme Mick (Jagger) un carriériste conventionnel - Anita et Brian forment le nouveau centre de gravité des Stones. Apparemment, c’est Anita qui le pousse à s’habiller de façon de plus en plus flamboyante, alors Brian qui est bien sûr narcissique se prête au jeu - The Arabian pashas, the nazi uniforms - oui, on a toutes ces images-là en mémoire. Brian ne s’arrête pas aux drogues psychédéliques, «it was velvet and William Morris prints, and frilly shirts.» Tara Brown, héritier de l’empire Guinness, participe aux acid sessions de Brian et Anita. Quand Dylan vient donner son show historique à l’Albert Hall, Brian et Stash vont le retrouver au Mayfair Hotel. Ils sont choqués nous dit Trynka de voir autant de gens se shooter à l’héro en public. Et là, Stash lâche l’info du siècle : «Aucun doute, Dylan fut pendant un certain temps obsédé par le fondateur des Stones. Comme le disait aussi Nico qui avait couché avec les deux hommes, ‘Dylan voulait être Brian Jones, pas un folk singer.’» Les souvenirs de virées nocturnes sont légion dans ce book grouillant de vie, par exemple celle qui nous fait monter dans la petite auto de Dana Gillepsie en compagnie de Brian, Anita et Stash qui vont finir la nuit chez Christopher Gibbs, un Gibbs qui les accueille en leur offrant un verre : «drink this» - I think it was liquid mescaline - Ou encore cette nuit surnaturelle à Paris, avec Stash, Anita, Françoise Hardy, Zouzou dont on trouve le détail dans la très belle bio d’Anita, She’s a Rainbow: The Extraordinary Life Of Anita Pallenberg, un bio qui fut saluée bien bas ici-même en 2021.

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             Arrivé à ce stade, on frise l’overdose. Mais on continue, car l’étoile de Brian Jones brille de plus en plus ardemment. Trynka revient bien sûr sur l’amitié qui liait Brian à Jimi Hendrix. Puis on attaque le chapitre Courtfield Road - one of london’s most legendary rock star pads, overlooking, précise l’auteur, Gloucester Road tube station - Et pour la tournée anglaise, Brian se pointe sur scène en veste de velours, avec une Gibson Firebird, la guitare qui va tous nous faire rêver, au moins autant que la Gretsch orange d’Eddie Cochran.

             Quand en 1967, Anita va en Allemagne tourner Mord und Totschlag pour Volker Schlöndorff, Brian l’accompagne. Il demande à Schlöndorff s’il peut composer la B.O. du film. Schlöndorff lui dit qu’il aimerait bien, mais il n’a pas de budget. Alors Brian lui propose de le faire gratuitement - Well I’ll do it for free - Schlöndorff est fasciné par Brian - Amazing. He was a Shelley-style character, a dandy - et il ajoute qu’il était l’incarnation de la créativité. Un dieu Pan ? Eh oui, la créativité, c’est exactement la même chose que la fertilité.

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             Le temps passe et nous voilà rendus au fameux trip vers le Maroc, à bord de la Blue Lena, la Bentley de Keef conduite par Tom Keylock. Brian et Anita voyagent en compagnie de Keef. Un Keef toujours un peu jaloux de Brian qui reste l’âme du groupe. Un Keef qui vit depuis le début dans l’ombre de Brian Jones. Un Brian Jones qui reste meilleur en tout. Trynka propose un nouvel exemple de cette supériorité : l’enregistrement de «We Love You». C’est Brian qui joue du Mellotron, nous dit George Chkiantz, l’ingé-son d’Olympic. Il rappelle que les Beatles l’ont utilisé sur «Strawberry Fields Forever» et que le Mellotron d’Olympic était très primitif, très compliqué à manier - Playing it took a special kind of genius - Et voilà ! C’est pas Trynka qui le dit, c’est Chkiantz ! Et c’est bien que Trynka cite Chkiantz. On a l’impression qu’ils réparent une grave injustice. Trynka évoque encore un bel épisode : Brian marchant dans les rues de Greenwich Village, New York, avec à son bras Nedra Talley des Ronettes, et affrontant les injures racistes - He’d laugh, give them the finger and keep walking, unconcerned - Il n’y a pas que les racistes, nous dit Trynka, qui vont haïr Brian Jones : les pires seront les stups anglais et les tabloids. Les Stups vont essayer de le coincer 7 fois. Pourquoi cette haine viscérale ? Jeff Dexter a la réponse : «He was a dandy». On se souvient de ce qui est arrivé à Oscar Wilde.

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    ( Brian + Eric Burdon )

             Quand McCartney l’invite à Abbey Road pour une session d’enregistrement, Brian se pointe avec un saxo et joue sur «You Know My Name (Look Up The Number)», cut expérimental qu’on trouve en B-side de «Let It Be». Puis Brian s’envole pour San Francisco. Il voyage sous acide en compagnie d’Eric Burdon, et arrivé sur place, il retrouve Nico, his old femme fatale. Keith Altham : «He was happy, walking around in lace frills and finery, a long flowing robe like he was Queen Boudicca of the pop festival. Considerably out of it, making dreamy little comments... he was good at dreamy little comments.» Merveilleuse description. Comme s’il décrivait un ange. C’est Brian qui présente son ami Jimi sur scène au festival de Monterey. Une séquence historique de plus. Trynka ajoute : «And Jimi was like Brian - he would try anything.» Jimi restera l’un des plus fidèles amis de Brian, c’est important de le souligner. À San Francisco, Brian rencontre aussi le mandrax. Stash : «That was a disaster».

             Brian retourne au Maroc avec Glyn Jones pour enregistrer la transe des Gwana à Marrahech. Son idée est d’emmener ensuite les bandes à New-York pour overdubber des musiciens de r’n’b - It was a visionary concept - Mais Brian est trop défoncé et Glyn Johns se barre. On retrouve ensuite Brian dans le clip de «Jumping Jack Flash» - Sporting bug-eye alien specs, silver lipstick and an ice blue Telecaster, Brian dominated the visuals - Eh oui, Trynka a raison, la messe est dite ! Quand on voit les autres Stones, on rigole, car ils sont ridicules. Et puis Godard et One + One, Brian the fugitive ghost, isolé dans son box, avec une acou qu’on n’entend même pas.

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             Retour au Maroc, cette fois Brian se met en quête des Pipes of Pan from Joujouka. Il fait équipe avec Hamri, Brion Gysin et George Chkiantz. Il s’agit là de l’épisode le plus fascinant de la vie de Brian Jones. Ils vont assister au Bou Jeloud ceremony, «the most potent example of the harnessing of ancient forces.» Ils quittent Tanger à bord de deux bagnoles. La première personne qui écoutera les bandes enregistrées à Joujouka sera William Burroughs qui vénérait lui aussi la musique des Ahl Serif musicians. Elektra se montrera intéressé par le Joujouka album, mais Allen Klein qui supervise le biz des Stones bloque le projet. Brian voulait rajouter des guitars on top et faire chanter Cleo Sylvestre. Ça ne sortira qu’en 1971, soit deux ans après sa disparition.

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             D’autres gens rendent hommage à Brian Jones : Taj Mahal («My favourite sound of the Stones was when Brian had his hand on the tiller»), ou encore Ginger Baker («Brian Jones was the main man in the Stones, Jagger got everything from him»). Et Trynka en remet une couche : «He formed the band, he named the band, he taught Keith Richards Open G tuning, and he taught Mick Jagger how to bring a girl to orgasm.» Et vers la fin, ils sort sa botte de Nevers : il indique que la disparition de Brian Jones est perturbante, puisqu’elle a initié des théories sulfureuses, «mais aussi un révisionnisme initié par Mick Jagger, Keith Richards, Andrew Loog Oldham et d’autres, visant à réduire considérablement l’importance de l’un des musiciens les plus révolutionnaires du XXe siècle.»

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             Le mot révisionnisme est un euphémisme dans le cas de Brian Jones. Trynka n’en finit plus de rappeler à quel point les Stones ont été odieux avec le pauvre soldat Brian. Comme l’observe Jack Nitzsche, «peace and love were in short supply in the Stones camp.» Pas de pitié pour les canards boiteux, sauf que Brian Jones n’est ni un canard, ni un boiteux. Il est l’âme des Stones et les autres en crèvent de jalousie. Sauf peut-être Bill, lui aussi victime de malveillance, comme le rappelle Trynka. Et là on attaque la face cachée de la lune. Très tôt, Trynka positionne le Jag comme un rival de Brian Jones. Il en fait une histoire de mâles dominants. C’est très anglais comme approche. The top-dog syndrome. Jagger commence par baiser Pat Andrews, la poule de Brian, qui est absent. Puis Jag développe un goût prononcé pour la ruse. Keith Altham explique que Brian n’était vraiment pas doué pour la ruse - Brian wasn’t good at being bad. Mick was - Et voilà, le décor est planté. Le top-dog sera le Jag. Brian va s’écrouler comme un château de cartes. Avant de se débarrasser de Brian, le Jag va se débarrasser d’Andrew Loog Oldham. Comment ? En lui réclamant un tiers du gâteau Immediate et Oldham lui répond : «You’re fucking joking?». Oldham commet l’erreur de sa vie, dit Tony Calder, son associé. Un Oldham qui est aussi membre actif du démembrement de Brian Ravaillac. Comme le rappelle Trynka, Oldham dégrade systématiquement Brian dans ses trois volumes de mémoires. Oldham n’a qu’une seule stratégie managériale : pousser le Jag, il n’a donc pas besoin de Brian Jones. Il faut le virer. Mais il faut commencer par virer Giorgio Gomelski, le premier à s’occuper des Stones, puis Eric Easton, premier associé d’Oldham. C’est une épouvantable série d’éliminations. On se croirait dans la mafia. Oldham et Brian Jones ont pourtant plusieurs points commun, l’ambition et le narcissisme, plus une certaine fascination pour les gangsters. Puis il faut se débarrasser de Stu, le pianiste. Pas de look - Stu was one Stone too many, with a face that didn’t fit - Oldham vend du sexe avec les Stones et Stu n’a pas la gueule de l’emploi. Trynka utilise une jolie formule pour décrire l’épisode : «Avec le sacking of Ian Stewart, c’était la troisième fois que le serpent entrait dans the Rolling Stones’ little Garden of Eden, mais cette fois, le sacking était plus violent que ceux de Gomelsky et Glyn Johns.» Oldham est un génie du marketing : le but de la manœuvre est de mettre en place le team Jagger/Richards pour rivaliser avec le team Lennon/McCartney.

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    ( Brian + Andrew Loog Holdham)

             La première crevasse au sein du gang que forment les Stones à l’origine apparaît avec les 5 livres en plus que Brian reçoit de la part d’Eric Easton, comme une sorte de bonus. Five pounds. Eric Easton a pris Brian à la bonne. Oldham va retourner cette affaire ridicule à son avantage. Trynka indique que le déclin de Brian Jones commence avec ce pauvre billet de cinq livres. Les autres Stones le regardent désormais de travers. Fin du friendship des origines. Brian va devoir affronter la Jagger/Oldham/Richards troika. Après Edith Grove, la troïka s’installe à Mapesbury Road. Sans Brian, bien sûr qu’Oldham surnomme ‘the cunt in the barrio’. La haine s’installe, la pire : la viscérale.

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             C’est Phil May qui raconte la première attaque que lance la troïka contre Brian. Les Stones enregistrent «Red Little Rooster» et quand Brian arrive au studio, les autres sont déjà partis, laissant une note : «enregistre ci et ça». Brian est consterné. Phil May est choqué par la malveillance du Jag et la brutalité d’Oldham. Comment ont-ils pu faire une chose pareille ? Dawn Mollow assiste à des shootes : quand Keef s’énerve, il balance des objets et ça peut faire très mal. Phil May : «Loogie for me was a bastard. Very good for them but a real bastard. Brutal. Jagger and Oldham were the absolute masters of the ruthless approach.» Jagger et Richards arrivent au pouvoir en 1965 avec «The Last Time». Tony Calder indique qu’il existe des acetates de compos de Brian et quand il en fait écouter un à Oldham, celui-ci répond : «Fuck off !» - And of course Mick wasn’t interested in singing it. They were cruel. Cruel fuckers - Les compos de Brian sont donc systématiquement rejetées. On met pour l’instant cette haine sur le compte du billet de cinq livres. Phil May dit aussi que la troïka a tout fait pour démembrer Bill Wyman, mais Bill a su faire le dos rond et fermer sa gueule. La pression est terrible. Lors d’une tournée américaine, Brian choisit tout simplement de disparaître. Le mec qui l’héberge à New York connaît bien les Stones. Il sait que Brian n’a aucune chance. Ross dit en outre qu’Andrew a empoisonné la relation de Brian avec Mick & Keef et qu’il n’y a aucune chance de réconciliation. Phil May voit bien que Brian vit en dehors des Stones - There was the band, the Stones, and there was Brian on the outside - Les Stones sont devenus un affreux panier de crabes. Le Jag a longuement étudié Brian pour pouvoir se passer de lui, puis il a étudié Oldham et appris à annoncer des décisions avec brutalité. Capital encore le témoignage de Marianne Faithfull qui a vu le Jag diaboliser Brian, puis Oldham, et elle est ensuite passée à la casserole.

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             Oldham n’a d’yeux que pour le Jag et son suprême talent, nous dit Trynka, est de savoir le manipuler. C’est la tendance, à l’époque, rappelle encore Trynka, il prend l’exemple des Animals qui ont connu le même genre de bordel, rivalités internes, une mort mystérieuse et des sommes énormes volatilisées. Il précise toutefois que the Stones story is bigger, «sans doute à cause de ce manager qui voulait contrôler toute la scène anglaise, pas seulement un groupe et dont le génie consistait à savoir arnaquer un arnaqueur.» C’est Oldham qui fait entrer le loup Allen Klein dans la bergerie. Les décisions se prennent à quatre (Klein/ Oldham/ Jagger/ Richards), on informe les autres après coup, et accessoirement on vire Eric Easton qui du coup ne sert plus à rien. Lors de la quatrième tournée américaine des Stones, Brian préfère passer son temps en compagnie de Dylan plutôt qu’avec les autres Stones. Au moins, comme ça, les choses sont claires. Sur la côte Ouest, Brian passe son temps en petit comité avec Jack Nitzsche, Toni Basil et d’autres membres de la jet set californienne, ce qui ne fait qu’envenimer les choses au sein des Stones. En 1965, le personnage hip des Stones, c’est toujours Brian. C’est lui qui prend les drogues - Brian inhaled, the others didn’t. They were tourists - Jack Nitzsche adore Brian - He’s the real Rolling Stone. (...) The adventurer - C’est pendant les sessions d’Aftermath que Jack Nitzsche découvre à quel point Brian est maltraité par les autres - Comme Phil May, Chris Hutchins et Dave Thompson avant lui, la brutalité au sein des Stones le choquait - En studio, ils font refaire plusieurs fois une piste d’harmonica à Brian, il finit par avoir du sang sur les lèvres, à force de souffler, et ils n’ont même pas lancé l’enregistrement, dit Denny Bruce, l’ingé-son. Bien sûr, Brian aurait dû quitter les Stones. En choisissant de rester, il s’exposait, nous dit Trynka, à de cruels sévices, mais de ce combat, il tirait une musique of quite extraordinary sweetness.

             Leur jeu favori consiste à faire venir Brian en studio pour lui dire au bout de cinq heures qu’ils n’ont pas besoin de lui. Alors Brian les supplie de le laisser jouer, «n’importe quoi, même des bongos». Marianne assiste à cette boucherie : «this was a man being destroyed and humiliated.» Dawn Mollow se souvient que Keef s’en prenait à Brian en permanence - It was often plain, bloody nasty - Marianne, Sam Cutler et Jack Nitzsche ne font que le répéter : ils agissaient de sang froid : «totally, utterly cold.» Jack Nitzsche : «They could be real nasty.» Brian paye pour un billet de cinq livres et les 12 gigs qu’il a manqués sur un total de 930. En 1967, nous dit encore Trynka, Brian ne se plaint à personne, ni en public ni en privé.

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             Ce ne sont pas les Stones qui auront la peau de Brian Jones : ce sont les stups qui vont le harceler. Au moment où les procès font de Keef un héros, les mêmes procès brisent la résistance du pauvre soldat Brian. Quand au moment des procès, Oldham va se planquer en Californie, Klein prend le contrôle des Stones. Quand Brian plaide coupable à son premier procès, Keef et le Jag se mettent à le haïr encore plus, comme si c’était possible. L’apothéose de cette haine sera l’abandon de Brian à Marrakech et pour bien enfoncer le clou, Keef lui barbote Anita. Brian est complètement détruit par cette trahison. Il ne pensait pas que des gens qu’il considérait comme des brothers iraient jusqu’à le traiter ainsi. Cette histoire est épouvantable. Même Shakespeare ne serait pas descendu aussi bas dans l’abjection et le dark - Abandonné. No money. Just stuck in a hotel, on his own, dit Stash. Pour Trynka, ce geste est the embodiment of their nastiness, il parle bien sûr de la mauvaiseté du Jag et de Keef. Pire encore : le Jag et Keef sentent qu’ils doivent évoluer et Brian Jones les empêche d’avancer. Ils commencent par le considérer comme nul et non avenu, comme s’il n’existait pas - You don’t exist - À la fin de la session de «Sister Morphine», le Jag va trouver Brian qui est écroulé dans un coin et lui dit : «Just go home Brian.» Puis ils enregistrent «Honky Tonk Woman» avec Mick Taylor, et le 8 juin 1969, ils vont trouver Brian chez lui à Cotchford Farm pour lui annoncer qu’il est viré. Trynka précise qu’ils emmènent Charlie Watts avec eux, au cas où il y aurait du grabuge. D’après Trynka, Brian se sent enfin soulagé. Mais quelqu’un dit ailleurs qu’après leur départ, Brian s’est mis à chialer. Alexis Korner et sa femme Bobbie viendront ensuite à Cotchford Farm tenter de le réconforter, en l’aidant à monter un nouveau projet. Trynka fait d’Alexis Korner un prodigieux personnage, un ange de miséricorde à la Wenders. Encore une bonne raison de lire ce book. Il y a aussi du Alexandre Dumas chez Trynka : de grands personnages apparaissent à point nommé.

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    ( Phil May )

             Brian Jones a vécu ses cinq années de Rolling Stone entouré comme on l’a vu des personnalités les plus fascinantes de son époque, Jimi Hendrix, Phil May (Brian vit un temps à Chester Street, chez les Pretties, un groupe qu’Oldham haïssait, car il les voyait comme des concurrents), Jack Nitzsche (lui aussi protecteur de Brian), Brion Gysin, Alexis Korner, et puis Paul Jones, auquel Brian enseigne le secret du ‘cross-harp’ à l’harmonica - a fifth up from its nominal key - Brian, nous dit Trynka, partage volontiers ses secrets, et Paul Jones ajoute : «It was like he’s opened doors to an unseen kingdom.» Et puis Chris Barber qui avait accompagné Muddy en 1959, un Barber qui tente le coup du blues électrique avec Alexis Korner, l’ange protecteur de Brian, un Korner qui a découvert le blues grâce à Leadbelly. Korner est le premier à prendre Brian au sérieux - Alexis realized that Brian was utterly devoted to the cause, dit John Keen - C’est l’époque magique d’Elmo Lewis à laquelle on revient toujours, et en 1962, les gens s’extasiaient de voir jouer le jeune Brian - How the hell did he get to be so good ? - Elmo Williams, premier spécialiste britannique de Robert Johnson, Trynka ressort l’histoire du pacte avec le diable, une histoire qui ne pouvait que plaire au jeune Brian, et puis il en profite pour tracer un parallèle, avec le coup de la short existence, eh oui, ni Brian ni son père spirituel Robert Johnson n’ont fait de vieux os. Dark Magic. On pourrait délirer à l’infini sur ce thème, alors que la réalité doit être beaucoup plus prosaïque. Mais bien sûr, on préfère nettement la version délirante des choses. Fuck the reality !

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             Et puis Nico, plus haute que Brian, et qui lui dit qu’elle adore se faire enculer - I like it the Turkish way: my father was Turkish - Elle s’entend bien avec Brian qu’elle trouve décadent et lui aussi bien versé in the dark sexual arts, un Brian qui présente Nico à Andy Warhol, c’est la fameuse photo mythique en noir et blanc qu’on voyait à l’expo Velvet à la Villette, Nico au bras de Brian Jones, une image qui revient comme un leitmotiv. Tu compares cette image à la pochette de Black & Blue et tu vois tout de suite où est le problème : les Stones n’ont plus d’image. Elle est partie avec Nico à la Villette. Ce jour-là, Nico donne comme carte de visite à Andy Warhol silver screen son single enregistré sur Immediate, et ce sera son ticket d’entrée dans le Velvet. Nico n’en finira plus de chanter les louanges de Brian Jones : «He gave the best sex. Better than Jim Morrison.» Ah les femmes ! Elles nous rendront marteau, chantaient l’Au Bonheur des Dames. Trynka nous les présente toutes : en 1958, Brian a 16 ans et fait un gosse à Hope, gosse adopté évidemment, puis en 1959, il engrosse sa copine Valerie Corbett à laquelle il est attaché, son fils Barry David est lui aussi adopté, puis une femme mariée lui donne une fille, Belinda, et c’est Pat Andrews qui lui donne un quatrième enfant, Julian Mark Anthony, il va ensuite collectionner les conquêtes, Linda Lawrence qui a 16 ans et qui met au monde en 1964 son cinquième enfant, Julian, puis Dawn Molloy qui met au monde son sixième enfant et qui le fait adopter, puis Zouzou Salut les Copains qui vient vivre à Londres chez le zazou Brian au 7 Elm Park Lane, puis c’est Anita qu’il rencontre comme dit plus haut lors d’une nuit magique à Paris, puis Suki Potier, qui ressemble étrangement à Anita, et la dernière «officielle» sera Anna Wohlin avec laquelle Brian semblait heureux à Cotchford Farm. Trynka évoque aussi les deux putes berbères tatouées de Marrakesh avec lesquelles il prévoyait de faire une partie carrée avec Anita, mais Anita ne voulait pas.

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             Trynka referme le chapitre Brian Jones avec l’histoire de la piscine macabre : trente pages de témoignages, les proches, les pas proches, les flicards, les suspects, un vrai bordel, et bien sûr la mort du fondateur des Rolling Stones n’a jamais été élucidée. Au fond, tout le monde s’en fout. Sauf Marianne Faithfull qui, apprenant la funeste nouvelle, a avalé un flacon entier de barbituriques pour se foutre en l’air. Bon, il faut savoir que les suicides ne marchent pas à tous les coups. Et plus on essaye, moins ça marche. Le suicide est sans aucun doute réservé aux professionnels.

    Signé : Cazengler, pas brillant

    Paul Trynka. Symapathy For The Devil. The Birth Of The Rolling Stones And The Death Of Brian Jones. Bantam Press 2014

     

     

    Todd of the pop

    - Part Two

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             Difficile d’accepter l’idée que nos chouchous vieillissent. Eh oui, Todd Rundgren A Wizard A True Star atteint l’âge canonique de 71 ans. Comme Dylan et quelques autres, Todd Rundgren laisse derrière lui ce qu’on appelle a body of work, c’est-à-dire une œuvre gigantesque. Attention, aller zigzaguer dans cette œuvre peut donner le vertige. L’ami Todd ne fait jamais les choses à moitié.

             Il part du bon pied puisqu’ado, il tombe sous le charme des Beatles. Ce n’est pas seulement le son qui le fascine, c’est surtout le phénomène de groupe que les Beatles incarnent : trouver deux ou trois mecs dans les parages, bricoler quelques chansons et démarrer un groupe. Il adore aussi le Paul Butterfield Blues Band, puis passe à Burt Bacharach et à Laura Nyro. Lois Wilson rappelle que Laura Nyro voulait Todd comme band leader, mais celui-ci ne se sentait pas prêt à endosser une telle responsabilité. Il était en outre tenu par ses engagements envers ses collègues de Nazz.

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    Puis Rundgren attaque le sujet central du contexte Wizardien : les drogues. Il explique tout simplement qu’elles faisaient partie de son processus créatif. Il prend du ritalin pour Something/Anything. Ça lui donne de l’énergie pour passer la journée entière au studio et rentrer chez lui pour continuer à composer - The songs were coming quickly - Avec A Wizard A True Star, it got psychedelic. Il prend de la mescaline. C’est là qu’il décide de construire son studio pour expérimenter en toute liberté, seul et sans aucune contrainte de temps.

             En fait, Rundgren ne se soucie pas trop de sa carrière solo, il vit bien de son job de producteur. Il est même très demandé, à partir du moment où Albert Grossman s’occupe de lui. Il sauve le Straight Up de Badfinger menacé de naufrage après que Geoff Emerick et George Harrison aient jeté l’éponge. Puis il devient très riche grâce à Meat Loaf et entre dans la légende avec le premier album des New York Dolls. Pas question de leur donner des consignes, ils ne savent jouer que d’une seule manière. Il voit que Johansen se prend pour Jagger et Johnny Thunders pour Keef. Il va aussi produire le fameux War Babies de Hall & Oates.

             Quand on veut le comparer à Bowie, Rundgren s’en défend. Selon lui, Bowie conçoit la musique comme l’univers sonore d’un personnage imaginaire, il en fait une sorte de concept artistique. Rundgren utilise la musique comme un facteur d’introspection. Self-discovery.    

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             Il monte Nazz («The Nazz Are Blue», hommage aux Yardbirds) en 1968 avec trois autres playboys, Carson Van Olson on bass, Thom Mooney en drums et le plus charmant, Stewkey Antoni on keys. Ils enregistrent un premier album sobrement titré Nazz. L’album sort sur Screen Gem Columbia, une filiale d’Atlantic. Tout ce qu’on peut en dire, c’est wow. Alors Wow ! «Open My Eyes» fait partie des hits qui ont survécu depuis 1968. Eh oui, Todd est déjà dans la modernité du son avec ce shoot de Nazz, son rock entre dans les annales comme dans du beurre, il balance de l’écho et des clap-hands et revitalise toute l’industrie américaine. Avec ses réflexes à la Brian Wilson, on voit qu’il sait tempérer. Voilà un hit gorgé de magie sucrée et de prestance, claqué des mains, Todd croise Dancing In The Streets avec The Beat Goes On et le Rain des Beatles. Il enchaîne avec un «Back Of Your Mind» tout aussi énorme, joué dans les règles de l’art du son d’alors. Todd part même en solo de gras double et sonne toutes les cloches à la volée. Il est précoce et affreusement doué, il place un killer solo flash sur les accords de la menace. En 1968, c’est inédit. Il revient au sommet du lard fumant avec «Hello It’s Me», une pop d’antho à Toto, la pop du Todd des origines. The Todd of the pop. Une pop dont on s’approche les mains tremblantes. Une pop envahissante, incroyablement puissante. C’est un phénomène inespéré pour l’époque. Il boucle l’A avec «Wilwood Blues», un heavy boogie prévisible, mais Todd décide de le saccager, alors il taille sa route à la machette dans la jungle. Il devient stupéfiant de polyvalence et nous fait le coup du big Todd. Il repart de plus belle en B avec «If That’s The Way You Feel», un cut de pop prog très ambitieux à la Brian Wilson, très évolutif et plutôt inattendu sur un early Nazz. On y entend des chœurs de miel. Et puis voilà le coup de génie : «When I Get My Plane». On le sentait venir. Nazz sonne ici comme un énorme concept, Todd se sert du Plane pour lancer ses idées révolutionnaires. Il ne veut pas de petits hits au hit-parade, il veut du big heavy Todd. Alors il sonne comme les Beatles. Il pousse la magie des chœurs d’artichauts loin devant, c’est pulsé à l’énergie d’un collectif beatlemaniaque. Du coup, l’album sonne comme une aventure extravagante. S’ensuit un «Lemming Song» assez déterminé à vaincre. Aucun obstacle, le drive de basse emmène la charge. Todd s’octroie déjà toutes les fantaisies. Quel album ! Si jeune, il est déjà pourvoyeur d’excellence.

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             L’année suivante, ils récidivent avec Nazz Nazz. L’histoire de l’album est intéressante. Rundgren venait de découvrir Eli And The Thirteenth Confession de Laura Nyro et voulait aller sur ce genre de son plus travaillé, alors que Stewkey et Thom Mooney voulaient rester dans la veine Beatles/Yardbirds du premier album. Rundgren voulait faire un double album et les autres un album simple. Tension et dissension. Atlantic se range dans le camp de Stewkey et de Thom Mooney, et sort le Nazz Nazz qu’on connaît. Mais quel album ! On est frappé dès «Forget All About It», une belle pop traversée par une descente de chant vertigineuse. Descente aux enfers du paradis. On sent déjà le virtuose des coups tordus. Rundgren est un chaud lapin beatlemaniaque. Il passe en plus un solo bien décalqué dans la trame du speed dating. Quelle énergie et quel éclat ! Avec son admirable brouet de heavy rumble et de fructification d’harmonies vocales astronomiques, «Rain Rider» renvoie directement à Rubber Soul. Plus loin ce démon de Rundgren pousse encore la pop dans ses retranchements avec «Under The Ice». Puissant et épais, chanté à l’éclat de voix, d’une extraordinaire modernité. Des milliers de groupes ont par la suite cherché à sonner comme Nazz sans jamais y parvenir. Ajoutons que Nazz est certainement le seul groupe américain capable de rivaliser avec les Beatles. Ils attaquent la B avec le powerfull «Hang On Paul», pur jus de beatlemania new-yorkaise, en plein dans les fourches caudines de Drive My Car. Quel souffle ! Ils travaillent l’art suprême de la précipitation excessive et du chat perché up-tempique, et Rundgren passe un killer solo flash. «Kiddie Boy» reste dans la même veine, c’est le boogie nazzy de prédilection - Kiddie boy/ Kiddie boy/ Don’t kid around with me - Même sens du boogie supérieur que Chicken Shack. Encore une belle énormité avec «A Beautiful Song», un cut bourré de dynamiques, de shuffle d’orgue et de panache guitaristique. Sur une red Sanctuary parue en 2006, on trouve des bonus et quels bonus ! «Sydney Lunchbox» sonne comme un hit des Small Faces et ils tapent «Magic Me» au heavy Nazz. Ils taillent la route avec un côté Blue Cheer et ça sonne comme une admirable décharge de la brigade légère. Ils amènent «Kicks» au Magic Carpet Ride. «Not Wrong Long» sonne bien les cloches - I’m not wrong long ! - c’est de la pop explosive qui saute par paliers en fonction du régime. Ça se termine avec une version heavy d’«Under The Ice», c’est battu à la diable et projeté de plein fouet dans le mur du son. On croit entendre les Beatles des enfers.

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             Il faut éviter le Nazz III édité l’année suivante par Atlantic sans le consentement du groupe, enfin de ce qu’il en restait, car Rundgren et Van Olson avaient quitté Nazz au moment où paraissait l’album. Selon des sources bien informées, on a viré la voix de Rundgren sur les vieilles bandes pour la remplacer par celle de Stewkey.

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     Si on veut entendre la voix de Rundgren, il faut rapatrier The Fungo Bat Sessions rééditées en 2006. Après tous les cuts de Nazz III privés de Rundgren («Kicks», Magic Me», «Losen Up» monté sur le riff de «Tighten Up», «Christopher Columbus» rocké à la force du poignet et «You Are My Window», véritable énormité que chante Rundgren), on passe aux bonus Fungo avec encore un «Magic Me» indomptable et une guitare qui roule sous la peau du beat. Rundgren joue comme Jimi Hendrix, à l’incidence. Tous les cuts sont à tomber de sa chaise, «No Wrong Long» et «Meridian Leeward», un groove des Caraïbes. Rundgren chante «Letters Don’t Count» et tout redevient de la magie pure : «Only One Winner», c’est tout simplement the Todd of the pop, puis voilà le renversant«It’s Not That Easy» et ce coup de génie terminal qu’est «Forget All About It».

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             Pour éviter tous les problèmes rencontrés dans Nazz, Rundgren décide se simplifier la vie et de naviguer en solitaire. Il se lance dans une carrière solo. Il construit un studio secret qui va devenir un mythe et attaque en 1970 l’enregistrement d’albums qui vont forger sa légende. Le premier s’appelle Runt. Il attaque cet album extrêmement sous-estimé avec un «Broke Down & Busted» monté sur le riff du «Cowboy Movie» de Croz. Il l’équipe de ponts plus pop et imagine un développement plus rebondi, ce qui ne l’empêche pas de replonger dans l’épaisseur du groove. Il peut même aller chercher l’hendrixité des choses lorsqu’il se prête au vieux rituel soloïque. On retrouvera ce riff un peu plus tard dans «Number One Common Lowest Denominator». Avec Nazz, Rundgren montrait qu’il savait déjà travailler la lumière. Ça se confirme avec «We Gotta Get You A Woman». Il allume son cut tant au chant qu’aux arrangements. Il fabrique de la vraie pop américaine, comme Jimmy Webb et Brian Wilson. Retour au pur Nazz Sound avec «Who’s That Man». Rundgren pulse littéralement le beat par dessus les toits, il propose ici une pop rutilante et nerveuse. Il se livre à un fantastique exercice de contre-chant. Il règne sur son empire à coups de who’s that man ! Nouveau coup de Jarnac rundgrenien avec «Devil’s Bite». Il chante ça à la désaille beatlemaniaque. Il fait dérailler sa voix en plein Bite. Il dispose réellement de tout l’arsenal : le génie vocal, la talent de compositeur, le jeu de guitare et le look de rock star. Il n’a donc besoin de personne en Harley Davidson. Il se livre en B à l’un de ses futurs dadas, le medley, avec «Babby Let’s Swing/The Last Thing You Said/Don’t Tie My Hands». Il en fait une confiture magique. Les trois cuts sonnent comme du Rundgren pur, délicats et fruités, mélodiques et de grande amplitude. Rundgren fait ce qu’ont fait les Beatles en Angleterre : il sublime la pop. Il termine avec un beau carnage : «Birthday Carol», un instro ultra-tonique et il solote ça avec une niaque épouvantable, il semble jouer contre vents et marées, c’est un voltigeur de première ligne. Il s’arrête soudain et repart en mode mélopif douceâtre. Quel album !

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             Encore un coup d’avorton (runt) avec Runt - The Ballad Of Todd Rundgren paru l’année suivante. Sur la pochette, Rundgren joue assis à son piano avec la corde au cou. C’est ici qu’on fait connaissance avec deux autres personnages à dimension mythique, Hunt & Tony Sales, qu’on retrouvera plus tard dans Tin Machine. Le point fort de l’album se trouve au bout de la B et s’appelle «Parole». Back to the big heavy rock - Put down that phone and listen/ Baby how can you be so unkind - Les frères Sales jouent leurs asses off, comme on dit là-bas - Put down that gun/ And listen/ If you shoot/ It would be such a waste - Que ce violence dans cette essence ! Dès «Long Following Robe», on sent une énergie pop extraordinaire. On sent le mec prêt à conquérir le monde. Il casse encore la baraque avec sa guitare vrilleuse dans «Bleeding». Et puis on sent monter l’influence de Laura Nyro dans des cuts plus tranquilles comme «A Long Time A Long Way To Go» ou «Hope I’m Around». «Boat On The Charles» groove bien le Runt. Globalement  Rundgren propose une pop très ambitieuse qui ne cherche pas à vendre son cul. 

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             En 1972, Rundgren passe aux choses très sérieuses avec Something Anything. Ce double album propose pas moins de trois coups de génie, à commencer par «I Saw The Light». Ça ne te rappelle rien ? Mais oui, les jours heureux, only you, only you/ And a feeling hit me oh so strong about you et cet enfoiré s’envole avec cause I saw the light in your eyes. C’est tout simplement l’expression lumineuse et chaude du génie de Todd Rundgren. Le deuxième moment fort se trouve en C et s’appelle «Couldn’t I Just Tell You». Il attaque ça au guttural beatlemaniaque. Belle harmonie entre sa niaque new-yorkaise et cette voix de sucre anglais. Wow, ce hear me out/ Why don’t you lend me an ear et cette façon de remonter les bretelles de son I wanna talk to you. Comme Brian Wilson, Todd Rundgren nous emmène au paradis. Et puis comment ne pas tomber de sa chaise à l’écoute de «Little Red Lights» ? Il surjoue sa heavyness couche sur couche au fondu de voix d’electro-sonic trash, et soudain, il écrase le champignon, alors les little red lights filent de partout. C’est hendrixien dans l’âme, digne de «Crosstown Traffic». Il rend aussi un hommage extatique à Wolfman Jack avec le titre du même nom - Hey baby you’re on a subliminal trip to nowhere/ You better set your trip together before you step here with us - Il fait un hit de r’n’b sixties mixé au drive - I may miss your loving while on my back/ But you can’t escape from Wolfman Jack - Il finit l’A avec deux merveilles de pop épique ultra-orchestrée, «It Takes Two To Tango» et «Sweeter Memories», cette pop extraordinairement ambitieuse dont il va nous sevrer dans les années à venir - Keep the goog leave the bad/ Take a few of theses sewwrter memories - Assez pur, dans le genre océanique. En B, «Saving Grace» sonne comme un hit - I think I’m gonna love it - et il revient au heavy mood en C avec «Black Maria». Il ramène les power chords et tout le pathos. Sa voix coule comme du miel, c’est une merveille d’osmose de la comatose. Il nous fait les harmonies vocales du «Swlabr» de Cream. En D, «Hello It’s Me» sonne comme un hit, mais on va plus sur «Some Folks Is Even Whiter Than Me», un solide groove de pop rock visité par un sax free. Ce diable de Rundgren va chercher le guttural des cavernes. Il termine avec «Slut», un heavy rock de see that girl, doté de chœurs fantastiques - She may be a slut/ But she looks good to me ! - Diable, comme on a pu adorer cet album à sa parution.

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             Et plus encore le suivant, A Wizard A True Star, paru un an plus tard et annoncé par Creem comme le messie. Album culte dont on a dit dans un Part One tout le bien qu’il fallait en penser. Dans l’étagère, tu ranges A Wizard A True Star à côté de Pet Sounds, d’Electric Ladyland, d’L.A. Woman, du White Album, de Blonde On Blonde, de Forever Changes et de Gene Clark With Ths Gosdin Brothers.

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             En 1974, Todd revient à la une de l’actu avec un nouveau double album sobrement titré Todd. Pour lustrer plus encore le blason de sa légende, il s’est teint les cheveux de toutes les couleurs. Quelle pochette ! Quelle gueule de rock star ! Il propose toujours une pop ambitieuse très orchestrée («I Think You Know») et très fantaisiste, pour ne pas dire très libre («Drunken Blue Rooster»), ce qui, à l’époque, dérouta tous les moutons de Panurge. Pour rester dans le filon du Zen Archer, il proposait «The Last Ride», une pop océanique qui s’étend jusqu’à l’horizon et qui ne se connaît pas de limite. Mais c’est avec «Everybody’s Going To Heaven» qu’il crée l’événement. Il replonge une fois encore dans la heavyness hendrixifiée et les vapeurs mauves du Crosstown Traffic. En C, il inscrit «No.1 Lowest Common Denominator» dans les tables de la loi, comme s’il réinventait la heavyness. C’est un chef-d’œuvre de coulage de bronze - I wanna be your No.1 lowest common denominator - Il sort des sons très crosstown, une fois de plus. Il reste dans le meilleur heavy blast de forty second street avec «Heavy Metal Kids». Il part en solo de fulgure et bat tous les records d’admirabilité des choses. Franchement, les clameurs extrêmes n’ont aucun secret pour lui.

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             Quel album bizarre, cet Initiation qui date de 1975. Bizarre car coupé en deux : la B est du pur prog d’Utopia, alors laisse tomber, et l’A, du pur Rundgren, alors laisse surtout pas tomber, au moins pour ces trois cuts que sont «Real Man», «The Death Of Rock And Roll» et le morceau titre. «Real Man», c’est de la pop de Todd et même de Wizard, même ampleur, même élan, même distinction. Pour «The Death Of Rock And Roll», il ressort les mêmes ficelles de caleçon, il sait se fâcher et jouer le heavy rock US mieux que personne. Quant au morceau titre, il nous récompense d’avoir chopé l’album, car c’est the Todd of the pop, du génie de bon cœur, il fonce dans le tas, avec un son exaltant, très fourni. Du pur Rundgren.

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             On considère aussi Faithfull comme l’un des grands classiques rundgreniens. Il y propose une A bourrée de covers et une B à lui. Son choix de covers le ramène au sources du mythe rundgrenien : Yardbirds, Beatles, Beach Boys, Dylan et... Hendrix, bien sûr, surtout Hendrix avec une version monumentale d’«If Six Was Nine». Il le prend d’ailleurs d’un peu haut, comme s’il voulait y shooter un peu de violence new-yorkaise. On le sent fasciné par Hendrix, il va chercher l’hendrixité des choses dans son monde, il joue des figures de style aériennes, il revient inlassablement flotter dans des vents d’écho. Résultat stupéfiant. Il paye son écot à Dylan avec «Most Likely You Go Your Way» et aux Beatles avec «Rain» qu’il agrémente de chœurs doux à la volée. Sa version de «Good Vibrations» est du pur copy cat. Comment pourrait-il en être autrement ? Il n’amène rien de plus que ce qui existe déjà dans la version originale. Il se montre juste l’égal de son dieu. Pour saluer les Yardbirds, il plonge dans un bain d’«Happening Ten Years Ago» avec des guitares qui gently weep. Admirable clin d’œil d’un kid américain au psyché de l’âge d’or britannique. Et quand il part en solo, il part en solo. Rundgren joue toujours pour de vrai. En fait, avec cette A, il tape dans les pires intouchables de l’histoire du rock, et «Strawberry Fields Forever» en fait partie. À part Todd Rundgren, personne n’a jamais osé s’attaquer à ça, ni à «Good Vibrations». Mais sa version est très américaine, il manque forcément le doigté de John Lennon. Il démarre sa B avec «Black And White», un heavy rock psyché - Guess you can believe anything - C’est énorme, chargé du meilleur son qui se puisse espérer ici bas. Non, franchement, on se saurait espérer mieux dans le genre. Avec «Love Of The Common Man», il propose son habituel mix de heavyness et de pop lumineuse. Comme les Beatles sur le White Album, Rundgren se livre à quelques exercices de style du type «When I Pray», assez africain d’esprit. D’ailleurs la pochette de Faithfull est aussi blanche que celle du White Album. Il faut aussi se souvenir que ces quelques excentricités pouvaient à l’époque ruiner un album. Cette face ne pouvait évidemment pas marcher à l’époque. Trop poppy, «The Verb To Love» ne passait pas. Il termine sa B sur un épisode assez glammy, «Boogie (Hamburger Hell)». Il sait tout faire, même glammer comme un gang de droogs.

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             Retour de la rock star sur la pochette de Hermit Of Mink Hollow paru en 1978. Le stand-out cut se l’album se trouve en fin de B et s’appelle «Out Of Control». Il porte bien son nom, hot damn ! C’est monté sur un big heavy riff. Rundgren l’a déjà montré : il sait allumer un cut au riffing et aux descentes de chant qui vont se fondre dans le chorus de guitare. Oh, il faut le voir partir en maraude de solo gras. Admirable corker ! Il emmène son hot shit au bout du bout et s’en vient lui hurler dessus. Il appelle l’A the easy side et la B the difficult side. Côté easy, on trouve «All The Children Sing», une pop très symphonique bâtie autour de ponts complexes qu’il jette par-dessus des vallées de synthèse. Tout reste très allégorique, chez Rundgren, il ne lâche jamais la grappe de sa vigne. Il s’adresse ici à tous les mecs de la terre, the Chinaman, wise and old, the Eskimo, brave and cold, the Jew in the holy hand, the Arab in his caravan, the African, strong ans proud, the Redneck, good and loud. Bravo ! Ce sont des paroles qu’on a presque envie d’apprendre par cœur. Il reste avec «Can We Still Be Friends» dans cette pop dont il a le secret, une pop connue de lui seul, très libre, très ouvragée, un monde en soi. Il rappelle aussi sur la pochette intérieure qu’il joue tous les instruments. Avec «Hurting For You», il explore de nouvelles contrées lysergiques et pianote dans l’ouate des chœurs. Il reste dans la pop élancée en B avec «You Cried Wolf». À force de crier au loup, comme on dit !

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             Healing paraît l’année de l’élection de François Miterrand. Il commence à expérimenter avec ses keys et ses boxes, comme il va le faire avec Utopia. Disons que l’album ne fonctionne pas. On s’y ennuie, et c’est la première fois qu’une telle chose se produit.

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             Sur The Ever Popular Tortured Artist Effect paru l’année suivante, Rundgren rend hommage aux Small Faces avec une version exemplaire de «Tin Soldier». Il monte sur ses grands chevaux pour imiter la bravado de Stevie Marriott. Il est mille fois dessus, il va même chercher le chat perché du vieux Stevie. Les autres bouts de viande se trouvent en A, à commencer par «Hideaway», belle pop avantageuse chargée de toute l’ambition rundgrenienne. Il revient inlassablement à cette pop énergétique pleine d’allant et tendue vers un avenir certain. On pourrait dire la même chose d’«Influenza», pop radieuse et clavecinée derrière les oreilles, jouée au mieux des possibilités du genre. Il fait des re-re sur sa voix, c’est un artiste complet - I can feel my will slip away/ Under your influenza - Quelle musicalité ! Puis avec «There Goes Your Baybay», il n’en revient pas de voir sa baby partir - Now I can’t believe it’s happened to me ! - En B, il tape «Drive» au son des Byrds, il est capable de ce genre de coup d’éclat. D’ailleurs, les Byrds étaient étrangement absents de Faithfull. Défaut réparé.

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             Encore un fascinant album : A Capella, paru en 1985. Rundgren tape dans le gospel avec «Hodja». On le sait depuis le début, s’il est bien un mec qui n’a besoin de personne en Harley Davidson, c’est bien Todd Rundgren. Le voilà lancé dans le jump de doo-wop, il fait son Blind Boy Of Alabama aux clap-hands, Hodja make me spin/ I want to dance ‘til I forget who I am - Puis il sort de sa manche une Beautiful Song intitulée «Lost Horizon». Il s’accompagne à la basse et swingue sa pop dans les altitudes - Maybe someday/ I’ll sing with you - Admirable, Todd Rundgren montre qu’il sait encore faire des miracles. Il monte son «Blue Orpheus» d’ouverture de bal sur un beat electro, mais ça captive. Curieux mélange de pop épique et de beat electro primitif. Il chante «Pretenders To Care» a capella, sur ses propres chœurs et son doom de doo-wop. Ce mec est très complet, trop diraient même certains. Il mélange les gens dans sa pop d’adolescent attardé. En B, il revient au pop world avec «Something Fall Back On Me», cut épique et lumineux dans la meilleure veine de Something Anything. Il règne sans partage sur son empire des sens. Avec «Miracle In The Bazaar», il fait le muezzin dans la medina et avec «Lockjaw», il fait l’ogre qui rôde dans la forêt noire. Il chante le magnifique «Honest Work» a capella - My family is lost to me/ They could not bear the hurt/ To see the state their boy is in/ For lack of honest work - C’est très poignant. Il termine avec «Mighty Love», un doo-wop en solitaire avec un boom boom derrière son chant étoffé de chœurs. Très bel album.

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             Encore un coup d’éclat avec Nearly Human paru quatre ans plus tard. Bobby Womack vient duetter avec Todd sur «The Want Of A Nail». Du coup ça prend une fantastique allure de white Soul à la Womack. Rundgren mêle sa bave de Philly Soul à celle du petit Bobby. Quelle belle paire, the white dandy and the black dandy together, c’est quelque chose ! Autre invité de marque : Prairie Prince, qu’on entend en B battre le beurre sur «Feel It». On a là une atmosphère à la Marvin, violonnée et travaillée au groove incertain. Rundgren mène bien sa barque de white Soul somptueuse et charnue. Retour à la grande puissance pop avec «I Love The Life», chœurs énormes avec un Todd on fire sur sa guitare. Les chœurs sonnent comme des bouquets d’excellence, il finit en apothéose de gospel batch. Stupéfiant ! C’est encore une fois un album exceptionnel. Rundgren revient à sa blue-eyed Soul avec «The Waiting Game», il tarabiscote à la Laura Nyro, c’est forcément bien vu et fantastiquement soutenu aux backing vocals. S’il fallait définir Rundgren en seul mot, ça pourrait bien être le mot éther. Avec «Unloved Children», il revient à ses chers solos incendiaires. Il faut le voir se glisser dans le heavy groove. Il nous gratifie aussi avec «Can’t Stop Running» d’un final explosif, tout y est, les chœurs, le solo, la folie douce. Il reprend son bâton de pèlerin avec «Fidelity» pour aller prêcher la blue-eyed Soul. Admirable sens du déroulé paradisiaque. Cet album s’inscrit dans la lignée des grands albums rundgreniens d’antan. Et puis voilà qu’avec «Hawking», il rejoint l’infini océanique du Zen Archer. Que peut-on espérer de mieux ?

             Suite des aventures du Wizard dans un Part Three.

    Signé : Cazengler, Todd Rengaine

    Nazz. Nazz. SGC 1968

    Nazz. Nazz Nazz. SGC 1969

    Nazz. III Including The Fungo Beat Sessions. Sanctuary Records 2006

    Todd Rundgren. Runt. Bearsville Records 1970

    Todd Rundgren. Runt. The Ballad Of Todd Rundgren. Bearsville Records 1971 

    Todd Rundgren. Something Anything. Bearsville Records 1972

    Todd Rundgren. A Wizard A True Star. Bearsville Records 1973

    Todd Rundgren. Todd. Bearsville Records 1974

    Todd Rundgren. Initiation. Bearsville Records 1975

    Todd Rundgren. Faithfull. Bearsville Records 1976

    Todd Rundgren. Hermit Of Mink Hollow. Bearsville Records 1978

    Todd Rundgren. Healing. Bearsville Records 1981

    Todd Rundgren. The Ever Popular Tortured Artist Effect. Bearsville Records 1982

    Todd Rundgren. A Capella. Warner Bros Records 1985

    Todd Rundgren. Nearly Human. Warner Bros Records 1989

    Lois Wilson : Drugs worked for me. Record Collector # 491 - April 2019

     

     

    Inside the goldmine

    - Qualls qu’il fasse

     

             On l’appelait OPQ parce qu’il se situait entre le KLM(N) de sa KTM et le RST de son air resté. Resté où ? Là-bas. Ne cherchez pas à comprendre. OPQ avait du cul, c’est-à-dire de la chance. Il pouvait barboter n’importe quoi sans jamais se faire poirer. Il comptait même en faire un métier, mais il était aussi père de famille, alors il dût accepter l’idée de prendre un job. Comme tout le monde, il devait payer son loyer et ses impôts. Mais dès qu’il avait un moment de libre, il donnait libre cours à sa cleptomanie. Comme on bossait ensemble, on y allait ensemble. Il repérait une boutique. Le jeu consistait à sortir deux objets identiques, les plus gros possibles. Le voir à l’œuvre était un spectacle hallucinant. Il sortait une main blanche de la poche de son imperméable et vif comme l’éclair, il subtilisait l’objet convoité. Il agissait sans jamais se retourner, comme s’il avait un œil à l’arrière du crâne. Il suffisait de l’observer et d’agir au même moment pour comprendre qu’on ne risquait rien. OPQ fonctionnait à l’instinct animal. Il savait exactement quand il fallait agir, au dixième de seconde près. Sa cleptomanie était un don, au même titre que l’oreille musicale pour un instrumentiste. Il analysait rapidement les ambiances, il ignorait les risques. C’est même une notion qui le faisait bien rire. Le risque ? Mais ça n’existe pas ! Ça n’existe que dans ta tête ! Il s’intéressait aux objets coûteux, objets de déco chez les designers, objets anciens chez les antiquaires, bouteilles de parfum chez les grands parfumeurs, et bien sûr grands crus chez les cavistes. Pas de bijoux, à cause des caméras. La condition était que ces objets fussent en double. Et puis bien sûr les disques. OPQ en avait rempli une armoire normande et se vantait de n’en avoir acheté aucun. Ça illustrait bien le rendement de la petite industrie. Sa femme sentait bon, sa maison était joliment décorée, ses enfants jouaient avec des jouets anciens qui valaient une petite fortune et il arrosait chaque repas d’un grand cru sélectionné avec un soin maniaque. Il y avait quelque chose de princier dans la voyoucratie d’OPQ. On aurait pu le surnommer Arsène Lupin.

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             Il existe un autre Arsène Lupin, mais c’est un Arsène Lupin de la Soul : Sidney Joe Qualls. C’est grâce à Sam Dees qu’on a fait sa connaissance : il figure sur la compile Ace One In A Million (The Songs Of Sam Dees). Un Sidney qui s’écrit aussi Sydney, ça dépend des labels. En plus de la connexion Sam Dees, tu as la connexion Carl Davis, le boss de Brunswick et de Dakar à Chicago, l’un des producteurs les plus brillants des années 70.

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           C’est d’ailleurs sur Dakar qu’est paru en 1974 le premier album de Sidney Joe Qualls, I Enjoy Loving You. Mise en bouche avec le groove du morceau titre, un groove de charme excédentaire. Qualls chante comme un dieu noir, il est le Marvin de Chicago. Il épouse parfaitement les formes du groove de Carl Davis. C’est sur cet album qu’on trouves les compos de Sam Dees, «Shut Your Mouth» (r’n’b classique chanté au doux du ton) et «Run To Me» en B, attaqué à la Marvin. Qualls le crack est dans de bonnes mains avec Sam Dees. Il groove l’une des meilleures sources de Soul du monde. Il tape aussi dans Gamble & Huff avec «If You Don’t Know Me By Now». Qualls tape là dans le nec plus ultraïque de l’upper state. Il tape plus loin dans une groove signé Carl Davis, «The Next Time I Fall In Love». C’est d’une magnanimité sans nom, une magnitude digne d’Anna Magnani. Il érige l’édifice d’une ineffable Soul sophistiquée. Il faut le voir feuler l’«I’m Being Held Hostage». Les blacks sont souvent des chanteurs de chèvre chaud. Et puis voilà le coup de génie de l’album : «When The Lilies Grow». Qualls fait danser ses hautes notes dans les tourbillons du bonheur, au yeah-ehh-ehh. Il boucle son balda avec l’excellent «Can’t Get Enough Of  Your Love», il reste pour ça dans le mood de groove urbain, Qualls a le doux gai de Marvin Gaye et le pied ailé de Leroy Hutson.

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             Un deuxième album paraît en 1978, le goûteux So Sexy. Dès le morceau titre d’ouverture de balda, le génie Soul de Qualls te saute au kiki, c’est-à-dire à la gorge, sur un heavy diskö beat ! Le cat Qualls chante comme un crack. Mais attention, ce n’est pas un album diskö, car avec «Let The Woman Know», Qualls passe à la Soul dansante très haut de gamme, les trois blackettes qui font les chœurs derrière Qualls sont superbes. Et puis il faut voir les violons de Marvin saluer «I Don’t Do This», ce mec Qualls est bon, il se prélasse dans l’oooh baby you’re so sweet. Comme c’est supervisé par Carl Davis, on a un chef d’œuvre de Soul moderne, dans l’esprit de Freddie Scott. En B, Qualls tape dans le funk avec «Good Ol’ Funky Music». On se croirait chez Parliament, babbehhh ! - I like funky music ehh ehh - il groove ça au big Qualls kick. Il fait du Richie Havens avec «Bad Risk», c’est puissant et mâtiné de violons, bien porté par le chant, les arrangements battent tous les records d’élégance. On trouve encore des grands éclats de Soul moderne dans «Where Have You Been», ça nous renvoie aux grands albums que Freda Payne enregistra avec Lamont Dozier et les frères Holland. Qualls finit ce bel album avec «I Could Be So Good For You», en mode Soul d’élégance suprême. Il groove son pré carré et monte au chat perché pour l’éclairer. Encore un album dont on espère ne jamais voir la fin. 

    Signé : Cazengler, Sidney crochu

    Sidney Joe Qualls. I Enjoy Loving You. Daker Records 1974 

    Sidney Joe Qualls. So Sexy. 20th Century Fox Records 1978 

     

     

    Wizards & True Stars

    - Last train to Clark’s ville (Part One)

     

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             Avec les Byrds, c’est un peu comme avec les Beatles, tu as tes chouchous. Sans doute George et John d’un côté, Croz et Gene Clark de l’autre. Chacun des quatre est une true star à part entière, et en même temps, ils ne sont rien les uns sans les autres. Pas de Byrds sans Gene Clark ni Croz. Bon d’accord, tu as les autres derrière, Jim McGuinn qui se rebaptise Roger, va-t-en savoir pourquoi, et puis la section rythmique Michael Clarke/Chris Hillman, mais on voit bien qu’après les départs de Gene Clark et de Croz, les Byrds sont retombés comme un soufflé, ce qui veut bien dire ce que ça veut dire.

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             Si les quatre chouchous sont réunis ici, ce n’est pas un hasard, Balthazar. Ils sont tous les quatre des musiciens et des compositeurs exceptionnels. Tape dans les albums solo de Lennon et de Croz, et tu verras qu’il n’y a quasiment rien à jeter. Chez George, c’est du pareil au même : All Things Must Pass est un joyau de la couronne d’Angleterre, l’un de ces albums parfaits que savaient enregistrer les grands artistes des années 70. Et puis tu as Gene Clark, dans un style post-Byrds beaucoup plus austère, mais tellement fascinant. Plus tu l’écoutes, plus tu comprends que les Byrds, c’est Gene Clark, sans vouloir manquer de respect à Croz. Gene Clark composait énormément et les autres Byrds le jalousaient un peu, car c’est lui qui empochait le gros des royalties.

             Il existe cinq façons d’entrer sur le continent Clark pour l’explorer : un, via les trois premiers albums des Byrds + Preflyte. Deux : via la bio de John Einarson, Mr. Tambourine Man - The Life And Legacy Of The Byrds’ Gene Clark. Trois : via les big bio des Byrds qui fait référence, celle de Johnny Rogan, Byrds - Requiem for the Timeless en deux volumes. Quatre : via la carrière solo de Gene Clark. Et cinq, via une compile Ace qui vient de paraître : You Showed Me - The Songs Of Gene Clark. Cette compile est la façon la plus légère d’entrer sur le continent Clark. Bizarrement, ce n’est pas John Einarson qui mène le bal du booklet, comme il le fait dans quasiment toutes les rééditions de Gene Clark, mais Kris Needs.

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             Égal à lui-même, Needs écrit avec une passion d’écolier transi. Il a déjà réussi à convaincre tous ses lecteurs de ramasser l’intégralité des albums de Sun Ra et de Funkadelic. Le voilà qui récidive avec Gene Clark qui pour lui est «one of the last century greatest voices, charismatic performers and supernaturally talented songwriters.» On le sait depuis longtemps, Needs ne lésine pas sur l’emphase et tant qu’il s’agit de très grands artistes, ça nous convient parfaitement. Qu’il en rajoute un peu, c’est normal, puisque c’est dans sa nature. Il s’excite tout seul en écrivant et il a raison. L’enthousiasme est toujours le bienvenu, même si on retrouve ici et là sa fâcheuse tendance à se placer au centre du récit. On aurait presque envie d’être un esclave debout près de lui sur le char qui traverse la ville pour lui murmurer à l’oreille : «N’oublie pas Needs que tu n’es pas Clark.» Comme beaucoup de gens passionnés de rock, il semble vouloir se grandir à travers ses dévotions. C’est un phénomène courant. C’est un peu la même chose que de dire au Professor avant d’entrer dans le studio du radio show : «Souviens-toi que tu n’es pas là pour parler de toi, mais des Cramps.» Bien sûr, il ne pourra pas s’empêcher de parler de lui. La dévotion passe parfois par le nombril.

             Il n’empêche que Needs s’y prend habilement pour bricoler sa compile : il fait un choix osé de covers et d’interprètes pas trop connus, ce qui occasionne quelques belles surprises, notamment le «Some Misunderstanding» de l’electronic gospel duo Soulsavers featuring Mark Lanegan. On avait cru bon de faire l’économie de cet album. Grave erreur car Lanegan + Gene Clark, ça donne un cocktail explosif. Needs parle de «towering emotional devastation» qui atteint un pic de no-retour avec «We all need a fix», en écho avec l’ineffable autobio de Lanegan, Sing Backwards And Weep. Needs en profite pour faire l’apologie de l’album Broken, dont est tiré le so spectral «Some Misunderstanding», spectral, oh yeah, avec un Lanegan blanc comme un cierge tapi au fond du spectre, et ça monte à l’éclate, ça se transforme en une aubaine pour le genre humain. On a là une sorte de conjonction inespérée : Lanegan + Gene Clark. Rien de tel qu’un interprète surnaturel pour mettre en valeur la grandeur élégiaque d’une compo. L’histoire du rock fourmille d’exemples de conjonctions inespérées : Totor/Righteous Brothers, Jerry Ragovoy/Dusty chérie, Burt/Dionne la lionne, HDH/Marvin Gaye, Isaac & Porter/Sam & Dave, et la liste continue. Cette liste constitue l’une des dimensions magiques de l’histoire du rock.

             Autre conjonction inespérée : Death In Vegas/Paul Weller avec une cover de «So You Say You Lost Your Baby», tiré du premier album solo de Gene Clark avec les Gosdin Brothers. C’est toujours très carré avec l’electro beat de Death In Vegas, mais cette fois ils tapent dans la compo du diable. Weller chante. What a mélange ! Ce fabuleux rock californien décolle comme un gros vaisseau spatial. C’est là que le compositeur Clark devient immense. À travers ce choix, Needs nous dit que Gene Clark traverse toutes les époques - It’s a mark of the eternel resonance of Gene songwriting - On connaît le faible de Needs pour l’electronic dance music. Dans son autobio, il nous soûlait avec ça. Alors il récidive et entre dans le détail de Death In Vegas, revient sur les fameuses Continuo Sessions, featuring Iggy et Baby Gillespie, puis sur Scorpio Rising, featuring Liam Gallag, Hope Sandoval et Weller, d’où est tiré ce véritable coup de génie qu’est la cover de «So You Say You Lost Your Baby».

             Tu sens nettement qu’une grosse énergie sous-tend tous les cuts de cette compile. Tiens on va prendre l’exemple des power pop kings Velvet Crush de Rhode Island. Ils tapent une fabuleuse cover d’«Elevator Opratator», chef d’œuvre lui aussi tiré de Gene Clark With The Gosdin Brothers. Nec de nec. Pas de choix plus juste que celui-ci. À travers ses choix, Needs revisite l’envol du Byrd solo. Alors bien sûr, on n’échappe pas aux Groovies qui ramènent leur fraise avec «She Don’t Care About Time», un cut qui aurait dû figurer sur Turn Turn Turn, le deuxième album des Byrds. Needs : «Perhaps my favorite Gene Clark song.» Mais la cover des Groovies n’est pas terrible, un peu confuse. Ils se prennent les pieds dans le tapis volant. On ne voit pas bien l’intérêt. On a d’ailleurs eu le même problème avec les Barracudas qui s’’épuisaient en vain à vouloir sonner comme les Byrds. Mais qui avait besoin de nouveaux Byrds à Londres ? Il valait mieux écouter les trois premiers albums des Byrds parus sur Columbia. Needs en profite pour rappeler que les Groovies «took their homaging of 60s Byrds, Beatles and Stones to nuclear levels at the height of ‘77 punk, in smart suits.» Cyril Jordan qui fréquentait les Byrds à leurs débuts n’en démord pas : pour lui, c’était de la magie, et c’est pourquoi il reprenait leurs cuts. Needs raconte aussi l’histoire des fameuses Gold Star Tapes : l’un des rêves de Cyril Jordan était d’enregistrer avec Totor et quand le projet est arrivé sur le bureau de Seymour Stein, il a préféré envoyer les Ramones chez Totor. C’est Marc Zermati qui a repris le projet au Gold Star et qui a proposé de le financer. Mais il n’avait pas de blé. Il est rentré en France avec un acétate et a réussi à sortir ses Gold Star Tapes. C’est bien que Needs salue Marc.

             «Eight Miles High» fut la seule compo de Gene Clark sur Fifth Dimension, le troisième album des Byrds. Curieusement, Needs a choisi la cover de Roxy Music. Weird choice car c’est une version diskö-funk, alors qu’«Eight Miles High» est avec «Arnold Layne» l’un des hymnes de la psychedelia. Le son est très anglais, on voit tout de suite la surface de vente et ce m’as-tu-vu de Ferry fait du glam de Byrds, c’est atrocement détourné, complètement pourri. Là, Needs se vautre en beauté. En même temps, c’est bien de savoir que des gens aussi en vue que Roxy peuvent faire n’importe quoi.

             Retour aux choses sérieuses avec «Echoes», un autre hit intemporel tiré lui aussi de Gene Clark With The Gosdin Brothers. «Echoes» est l’un des hits les plus faramineux de cet immense artiste. Needs s’étend d’ailleurs longuement sur cet album qui vaut largement les trois premiers Byrds, il rappelle tout de même que Tonton Leon, Glen Campbell, Jerry Cole, Van Dyke Parks et Clarence White sont dans le studio. Avec en plus Doug Dillard qui fera équipe avec Gene Clark aussitôt après, et dans les backing, tu as bien sûr Vern et Rex Gosdin dont les albums sont chaudement recommandés. C’est à Starry Eyed And Laughing que revient l’honneur de taper l’«Echoes» et miraculeusement, ils parviennent à restituer la magie de l’original. Needs qualifie ce groupe anglais des seventies de Byrds maniacs. Il rappelle aussi que le nom du groupe sort de «Chimes Of Freedom» et que Pete Frame, le boss de Needs chez Zigzag, les manageait. Et pour couronner le tout, le chanteur Terry Poole gratte une douze Rickenbacker.

             L’autre bonne pioche du compileur Needs, c’est The Rose Garden avec l’énorme «Till Today». N’oublions pas qu’il existe un EP inédit, The Rose Garden EP, qu’on trouve sur Gene Clark Sings For You, une red Omnivore de 2018. Ils font avec «Till Today» une belle descente de heavy country avec un fabuleux sens de l’entre-deux. Après celles des Groovies, de Roxy Music et de Juice Newton, c’est la première cover sérieuse de la compile.  

             Needs rappelle aussi que The Fantastic Expedition Of Dillard & Clark enregistré à l’époque où il fréquente The Rose Garden est un timeless triumph, «crystallising burgeonning country-rock and planting bluging seeds for Americana with its folk-rock-bluegrass-country amalgam.» Hélas, en 1968, le bluegrass ne se vend pas. Les Flying Burritos Brothers feront aussi les frais de ce constat. Ils sont là, les Burritos, avec «Tried So Hard», merveilleux shoot de country volante et bien sûr, on pense à Jean-Yves qui, dès 1969, vénérait déjà The Gilded Palace Of Sin.

             Pour Needs, le cut le plus fascinating de la compile est «Train Leaves Here This Morning» par Kai Clark, le fils de Gene, tiré d’un tribute album inaccessible. Kai ramène en effet la heavy country de son père. Par contre, on croise pas mal de plantards : Juice Newton («I Feel A Whole Lot Better» trop glacé), Thin White Rope («I Knew I’d Want You», si loin du compte), Linda Ronstadt (elle non, jamais de la vie, pauvre femme atroce et vulgaire), Pure Prairie League («Kansas City Spouthern», petit bivouac sur le cadavre de Gene Clark, aucune considération, fuck it), The Mother Hips («Why Not You Baby», encore une bande de m’as-tu-vu qui se croient tout permis) et puis tu as la reformation des Byrds et un «Full Circle» forcément énorme. Avec Gene Clark c’est tout l’un ou tout l’autre. En fait tout dépend des interprètes. Il est vraiment très spécial.

    Signé : Cazengler, tête à clarques

    You Showed Me. The Songs Of Gene Clark. Ace Records 2022

     

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         - La livraison 599 est parue avec trois jours d’avance, because j’étais en déplacement sur la route 6…

    • On the road 66 et tu ne nous as pas emmenés avec toi, Damie tu mérites soixante-six fois la mort !
    • Pas d’affolement les gars, je n’étais pas sur la soixante -six mais sur la 6…
    • Sur la 666, celle de la bête crowleyenne, invité par Jimmy Page au manoir Boleskine, Damie nous te maudissons jusqu’à la six-cent-soixante-sixième génération !
    • Doucement les gars, y a longtemps que Jimmy a tourné la page Boleskine, de toutes les façons je n’ai emprunté ni la 66, ni la 666, mais la 606 !
    • La 606, on ne connaît pas, une route pour les blaireaux comme toi, tu sais où tu peux te la mettre ta 606…
    • Bon puisque ça ne vous intéresse pas, je ne vous raconterai pas qui j’ai vu, y avait plein de rockers, une super nana, un concert de rock et…
    • Damie, arrête de nous faire languir, nous sommes tout ouïe pour ce truc inouï !
    • La route 606, comme vous l’ignorez, ne passe pas très loin de Provins et mène à Sens, donc je l’emprunte, au bout d’une quarantaine de kilomètres je sors de la route 606 et trois cents mètres plus loin je m’arrête pile sur la route 606.
    • Damie tu affabules si tu sors de la route 606 comment peux-tu t’arrêter sur la route 606.
    • C’est qu’il y a route 606 et route 606, la première est une route tout ce qu’il y a de plus route, pour ceux qui veulent tout savoir, il y a même une route 606 A et une route 606 B, mais moi je ne m’arrête ni sur la A ni sur la B, mais sur la route 606.
    • Damie, tu n’es pas un peu fatigué, tu devrais surtout arrêter le moonshine !
    • Essayez de comprendre, la Route 606 est bien une route, mais Route 606 est le nom d’un restaurant qui ne se trouve pas sur la Route 606 !

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    Route 606, vous ne pouvez pas ne pas le voir, c’est écrit en gros sur la façade noire. Un diner est-il spécifié. Pas besoin de s’inquiéter pour stationner. Dans dix ans ce sera autre chose. Nous sommes à la sortie de Sens, sur une zone d’activité en construction. Le resto en pointe et sur sa gauche une large rue toute droite sur laquelle s’alignent des locaux d’entreprises tout neuf. Aujourd’hui un désert. Demain une fourmilière. Ainsi va le monde. Mal.

    En tout cas ça sent la barbaque et le rocker. Normal, des flibustiers en perfecto s’activent autour d’un barbecue, tout de suite l’on se sent comme chez soi. Un bar et une grande salle à manger et boire durant le concert. Au mur la décoration appropriée au lieu, motos, fifty, rock’n’roll. Je ne m’attarde pas, juste une exception pour le coin de l’estrade à musicos. Une tapisserie de couvertures de livres dont une qui me fait chaud au cœur, la couverture de René Leys de Victor Segalen. Un de mes héros. Poëte, romancier, essayiste, médecin, marin, explorateur, sinologue, éditeur, peintre… Bretagne, Tahiti, Chine, né en 1878, mort en 1919, l’exote par excellence qui a exploré le monde pour mieux se retrouver en lui-même. Etranger qui passait.

    Cerise sur le gâteau, je retrouve Duduche, Franck et Christophe, la fine équipe du 3 B ! Le cheval de Troyes !

    MARLOW RIDER

    ROUTE 606

    ( Sens - 22 / 04 / 2023 )

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    ( Dessin : Patrick Cazengler )

    Si tu ne vas pas à Marlow, Marlow ira à toi. Un trio rock, tout comme tout triangle, possède trois angles. Ce soir l’angle de tête est relégué dans l’encoignure occupée par Fred Kolinski, un peu fiévreux mais toujours cette pose hiératique de roi du monde, aux cheveux transparents de sagesse imperturbable, qui sur ses tambours orchestre la mécanique des fluides qui relient les hommes entre eux, et les coups de semonce du destin qui les écrasent sur les vitres de leurs existences toujours trop brèves. 

    Un autre roi, Amine Leroy, si Fred est le monarque de la clarté ponctuante, Amine nonobstant sa chemise colorée est celui de l’ombre, yeux noirs, chevelure sombre, contrebasse fuligineuse que les autocollants colorés ne parviennent pas à égayer, Amine joue depuis l’intérieur de lui-même, l’est en dialogue constant avec sa big mama, entendez par là qu’elle parle pour lui, tout ce qu’il a à dire il le tait, elle est son medium, son interface, c’est elle qui s’exprime, parfois tous deux restent pratiquement immobiles, seuls les doigts d’Amine s’animent, souvent un vent de folie semble l’animaliser, la big mama reste stable tel l’axe incliné du monde qui ne bouge pas mais Amine se lance dans de courtes danses, son corps se détend en de brusques mouvements, se change en karatéka portant ses coups de pieds à des ennemis invisibles, dans ces moments son instrument émet des grondements intumescents qui déferlent sur le monde en onde sonores, en noirs serpents étrangleurs qui pénètrent et s’enroulent au plus profond de votre cœur.  

    Marlow le marlou, l’Argow, le pirate dont la guitare parle un argot électrique, de ce trio alchimique il est malgré son costume noir la pointe de feu, l’étamine rouge de l’incandescence. Dès le deuxième morceau, Sunshine of your love, traduisons par soleil rouge de lave, de Cream et crime, le diapason, le diapoison de la soirée est donné, joueront principalement les titres de First Ride mais aussi pratiquement la totalité de Cryptogenèse sorti depuis seulement deux jours au moment où j’écris ces lignes. Autrement dit un régal sonore, un défi car comment un trio de rockabilly peut-il subvenir au volume de cette musique psychédélique qui joue sur l’ampleur auditive. Cela nécessite maîtrise et débordement, chacune de toutes les notes doivent être comme des gemmes ciselées, mais l’ensemble doit se transmuer en tonnerre flamboyant. Le bruit subsume mais ne doit jamais couvrir la fureur de l’attaque instrumentale. Marlow a deux guitares, tout comme Zeus détenait la foudre et l’éclair, l’impact et la beauté. Notamment celle du geste, cette élégance qui fait qu’un grand guitariste est aussi un danseur, que si ses doigts s’affairent – ils semblent rivés sur les cordes dont il essaie sans cesse de se désengluer de l’attirance quasi-maléfique qu’elles exercent sur ses phalanges - de se son corps il dessine des courbes et glisse dans l’espace. Et puis la voix, la septième corde de la guitare, tour à tour la colombe qui prend son envol mais le plus souvent l’aigle qui fond sur sa proie, voire le vautour qui guette votre mort extatique. Marlow plane haut en toute tranquillité, Fred est toujours au rendez-vous des ponctuations effervescentes et Amine s’enflamme à volonté tel ces brandons que l’on lance par défi vers la voûte de la nuit pour y ajouter une étoile filante.

    Je vous ai promis une jolie fille, vous l’attendez, vous la connaissez, Alicia F, ce F comme une faucille à double tranchant, elle ne fera qu’une apparition, mais ô combien éblouissante, la femme faite désir, voix tranchante et attitude hiératiquement aguicheuse, la jouissance du rock à l’état pur, le jeu du don et du refus, en trois minutes elle a tout donné, en trois secondes elle s’est éclipsée, elle a tout repris.

    Nous n’avons pas tout perdu puisque nos trois Marlow Riders continueront à nous régaler. Le public exigera et obtiendra plusieurs rappels, je n’en dirai pas plus. Une soirée démons et merveilles.

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    ( Clap de fin : Tony, Franck, Alicia )

    Damie Chad.

     

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    Le nom du groupe a opéré comme un clin d’œil, marrant ça rappelle Blue Öyster Cult, j’ai lu la phrase dessous, se revendiquent de Black Sabbath, entre nous pas très original pour un groupe de doom ou de stoner, ah ! ce n’était pas un hasard, juste une synchronicité, citent le Culte de l’Huitre bleue aussi, z’ont déjà décroché un bon point, et puis encore  Mountain, ces gens-là me plaisent de plus en plus, et cette pochette qui rappelle Steppenwoolf, trois de mes groupes préférés, pas d’hésitation, écoute immédiate.

    UNIT 61

    RED EYED CULT

    ( Album digital / Bandcamp / 20 – 04-2023)

    Trio originaire de Norwich, du comté de Norfolk, cette étrange bosse de dromadaire située sur la façade est de l’Angleterre, composé de Lewis Doran, de Max Lungley et de John Franks. Peu de renseignements sur ces trois zèbres qui se présentent comme Cerbère, le chien à trois têtes aux yeux vitreux et aux naseaux fumants, gardien de la porte des Enfers. L’album a été enregistré au Bomb Store Studio qu’ils métaphorisent comme une installation de stockage de bombes nucléaires ultra-secrète.

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    Belle pochette, le lecteur se rapportera au Monster de Steppenwolf, recto et verso, pour méditer sur les intéressantes analogies. Un chaudron de sorcière en ébullition, un infâme clapotis de têtes de morts débordant, une armée de morts-vivants, ravage dégoûtant surmonté d’une hideuse figure, les yeux rouges sont encore au-dessus, affligés d’un strabisme divergent, un œuf poché, cassé, éclaté de lumière jaune pour l’un et l’autre menaçant tel un faisceau de DCA à la recherche d’une proie.

    Mithrandir : si vous n’aimez pas le rock ce titre est pour vous, je ne parle que des deux premières secondes, cette voix rassurante de prof de mathématiques qui vous explique l’immense joie que vous retirerez à résoudre une équation du dix-septième degré, après quoi je vous conseille de vaquer à d’autres occupations, sinon vous risquez d’avoir peur, reconnaissons que cette espèce ronronnement vomitoire de glaviot purulent n’est guère engageant, terrain glissant, une faille riffique s’écroule sur vous, aussi lourde qu’une montagne pesante, aggravée par le craquèlement de cette voix rugueuse dont vous n’attendrez aucune pitié, un torrent de cailloux qui descend lentement creusant un sillon sanglant dans votre âme piétinée en mille lambeaux, une beauté grandiose, un paysage sonore qui vous englobe dans son immensité, une basse lourde, une batterie sans cœur qui forge la cadence de quelque chose d’obscur qui avance, une force dévastatrice qui semble progresser à la vitesse d’une tortue, longue plainte d’agonie d’une guitare dont les doigts déroulent les tripes cordiques, la machine se remet en route, bulldozer historial en marche-arrière que rien n’arrêtera, s’il n’est pas de futur il est des passés cauchemardesques dont on reste prisonnier, sommes-nous du côté de Sauron ou de Mithrandir ? un des autres noms de Gandalf, l’arène de l’anneau vient de se refermer sur nous. Up in smoke : toute cette musique me tourne la tête, tout dépend de moi, ce qui vous écrase, qui pèse si fort sur votre corps peut devenir aussi léger qu’une plume, la voix n’est qu’un râle, mais imprécative, c’est le temps de la volte-face métaphysique celle qui égalise le haut et le bas, qui arase le bien et le mal, guitare victorieuse tourne la meule de la présence du monde, il suffit de transformer la dure réalité en douceur rêveuse, écoute la voix du serpent qui mue et qui depuis ton gosier tinte agréablement à ton oreille, dans le jeu de rôle du monde c’est toi qui lances et pipes les dés, chant de triomphe existentiel de paradis artificiel, ce morceau dévoile la splendeur miroitante du cosmos, tu n’étais rien, tu deviens tout. Le monde est à tes pieds, tu en jouis, et il explose comme un ballon de fumée extatique. Grögg : l’autre côté du rêve, le cauchemar, une voix de reptile, la musique pèse des tonnes, le cauchemar n’est pas horrible, il est lié à la plus grande compréhension du monde à laquelle tu es parvenu, la batterie abat les colonnes des faux-semblants, au fur et à mesure que tu avances les couloirs du retour s’effondrent. L’ennemi marche derrière toi, il est si près qu’il n’est peut-être que l’ombre de toi-même qui te suit, dont il faudrait te débarrasser, froissements paroxysmiques de basse, la guitare miaule de détresse, elle s’enfonce en toi comme pointes de poignards, les morts te coursent, peut-être es-tu déjà mort ou alors simplement une image de la mort qui te poursuit. Ambiance dramatique, tu as envie de crier tel un héros de Shakespeare mon royaume pour un cheval mais tu sais que le royaume est monté sur le cheval qui fonce sur toi. Hammerhands : que forge la basse sur l’enclume battériale, le rythme s’accroît, il se rapidise, s’accélère méthodiquement, et la guitare gagne en ampleur, tu ne peux compter que sur toi-même, les coups du destin hachent menu les remontrances que tu adresses au dieu que tu n’es pas, la musique est si lourde qu’elle éventre les tombes de ceux qui sont morts, tu glapis comme le renard qui arrache sa patte des mâchoires d’acier qui la retiennent prisonnière, maintenant tu claudiques dans la réalité du monde, une seule échappatoire, te perdre dans les fourrés du rêve, saisis-toi du marteau philosophique et détruis tous les cauchemars qui clapotent et croassent dans ton âme, ces grenouilles méandreuses de bénitier marécageux que tu écrases se muent en une superbe symphonie, tu es devenu le chef d’orchestre de ta propre délivrance, est-ce la batterie qui se teinte de folie, ou est-ce l’allégresse qui t’habite qui klaxonne dans ta tête, des sons que n’as jamais entendus jusqu’à lors, tu te tais et tu écoutes. Tu as raison ce morceau tient du prodige. Snowcome : percussions tapissées en accélération, changement de dimension, tu ne rampes plus sur la réalité du monde, tu voles dans le vril du rêve, tes cris exaltés percent la voûte des cieux, guitare et batterie déversent une averse de neige, tu hurles comme le loup, ta gueule effroyable lance des mots-tempêtes, tu es si loin, hors de toi et hors du monde, la musique devient un serpent charivarique qui se mord la queue comme s’il gobait l’œuf initial de l’origine érosique du monde. La guitare flamboie, telle une constellation ouranienne qui prendrait feu et purifierait le charbon calciné de ta cervelle en un monstrueux diamant cristallin dont chaque facette reflèterait des myriades d’univers. Et survient le riff final, tempête d’écume tsunamique, dieu merci ce n’est que du rock’n’roll. But we like it.

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             Le flair du rocker a encore frappé. Les amateurs d’ heavy doom stonerien ne regretteront pas le détour. Red Eyed Cult n’a pas à rougir des ses influences. Le groupe à suivre.

    Damie Chad.

     

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    Une belle enveloppe dans la boîte à lettres. Un envoi de Guilaine Depis, attachée de presse (La Balustrade). Un livre paru aux Editions The Melmac Cat. Cat est un mot qui cliquette agréablement aux oreilles des rockers. Sur le tract d’envoi, il est spécifié que le bouquin s’inscrit dans un nouveau courant littéraire le ‘’ pop roman’’.

    Le terme roman ne pose point de problème, celui de pop me hérisse quelque peu. Depuis quelques années la merchandisation de la littérature tend à creuser un fossé entre littérature dite ‘’élitiste’’ et la pop culture. Alors que dans les années soixante ce dernier terme désignait une volonté séditieuse d’ouvrir le champ littéraire et musical à des expérimentations éloignées des corsetages académiques, de nos jours le mot pop tend à désigner des œuvres facilement accessibles, pour ne pas dire subalternes, destinées à un public de masse. Ceci dit, ne nous fions pas aux étiquettes.

    1M976

    GERALD WITTOCK

    ( The Melmac Cat / Avril 2023 )

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    Gérald Wittock n’est pas tout à fait un inconnu. Une succincte biographie au dos de la couverture nous apprend qu’il est le descendant direct de Lucien Bonaparte. C’était le fils aîné de sa mère Letizia qui le préféra toujours à Napoléon. Ce détail historial n’est pas donné au hasard. Notre auteur a déjà publié plusieurs romans, notamment La Mutation, qui évoque un monde où les femmes ont pris le pouvoir… l’a aussi fait de la musique, notamment un disque (quatre semaines N°1 en Angleterre) Make Luv sous le nom de Room 5

    Couverture pop colorée, un mix manga-Warhol, de Bolo, agréable à regarder, attention un livre musical, chaque chapitre possède son QR code qui renvoie à une vidéo, le choix musical commence bien avec Riders on the storm des Doors, la suite est moins alléchante puisque l’on y trouve jusqu’à Sheila & B. Devotion. Il y a à boire et à ne pas manger dans cette playlist… Que voulez-vous, question Q avec ou sans R les rockers n’aiment que Suzie Q.

    Un livre gigogne. Ne serait-ce que cet avertissement de l’éditeur, suivie d’une fausse préface d’un ami, remplacée par une fausse interview de l’auteur, un véritable miroir aux alouettes ce roman. Peut-être avant de commencer notre analyse devrions-nous le résumer en quelques lignes afin de ne pas perdre le lecteur. Que se passe-t-il donc dans ce roman ? Toute question simple exige une réponse aussi simple. La voici donc : rien, il ne s’y passe rien du tout. Attention, je n’ai pas dit qu’il ne nous offre que deux cents pages blanches. Encore qu’en fin de volume Gérald Wittock termine ses remerciements par un grand merci à Malevitch et à son carré noir, ce qui tout de suite obscurcit le sujet. Après quoi il ajoute une petite phrase assassine : La littérature défie la censure. Une invitation à lire entre les lignes.

    Mais de quoi parle-t-il au juste s’impatientent les lecteurs. Le tract de présentation ne donne pas dans la nuance : annonce tout de go : Thématique de l’autisme. Reste qu’il y a autisme et autisme. Faut-il entendre ce mot comme l’affection dont nombre d’adolescents sont atteints depuis quelques années, ou le comprendre comme une métaphore descriptive du fonctionnement de notre société.

    Le roman se déroule à New York au milieu des années-soixante-dix. S’il se passait à Tokyo, au lieu d’user du vocable autiste on emploierait le mot hikikomori, ces adolescents japonais qui s’enferment dans leur chambre à lire des mangas et à jouer aux jeux-vidéo. Mais nous sommes à New York ce qui n’empêche pas Gérald Wittock d’user de l’esthétique du théâtre français classique. Du dix-septième siècle. Un seul lieu : un appartement. Et encore notre héros 1M976 n’a pas le droit de rentrer dans la chambre de sa mère ( voir Letizia ). Ce n’est pas grave, puisque toute l’action se déroule dans un lieu exigu. Pire que les toilettes. Dans sa tête.

    Est-ce que Gérald Wittock triche avec la règle de l’unité de temps. Nous avons envie de répondre oui. Nous avons envie de répondre non. Ce n’est pas que nous hésiterions. Nous conseillons nos lecteurs à relire les pages dans lesquelles Paul Valéry rapporte son entretient avec Albert Einstein, tous deux discutent de la notion d’élasticité du temps. C’est un peu comme un élastique : plus vous l’étirez, plus il s’allonge, et pourtant c’est toujours le même élastique. Une fois que vous aurez fini le livre vous aurez tout votre temps pour réfléchir sur la durée effective du récit.

    J’ai peur d’effrayer le lecteur, je le rassure tout de suite, aucun temps mort, l’action n’est jamais linéaire, elle comporte de nombreux hauts et de multiples bas. Gérald Wittock est un homme de son temps, si dans Racine et Corneille, Néron et Chimène entrent et sortent stupidement comme tout un chacun par une porte, le roman est pourvu d’un ascenseur. Qui monte et qui descend. Sans jamais faillir. Une fois que vous aurez fini le livre, vous aurez tout votre temps pour savoir si, ou pour savoir combien de fois, 1m976 emprunte l’ascenseur.

    Tout ce qui précède procède du cadre conceptuel de ce livre. Si je m’y suis tant soit peu étendu, c’est qu’happé par l’action, entraîné par l’enchaînement des évènements vous risquez comme le poisson prisonnier de son aquarium aux flancs transparents de ne pas vous apercevoir des murs de la prison mentale qui vous claustrophobisent. Soyez vigilants, les indices les plus anodins sont les plus ambigus.

    C’est que Gérald Wittock possède un esprit particulièrement retors. Excusez-moi, je me suis trompé d’adverbe, je voulais dire doublement retors. D’abord il se sert d’un truc qui marche toujours. Il vous raconte une histoire loufoque tout en vous assurant que rien n’est plus sérieux que son récit, vous met juste le nez dans le caca de votre époque en vous contant des choses effroyables qui, dieu merci, ne se passent pas par chez nous. Vous êtes prêt à lui épingler sur le veston la Légion d’Honneur du Mec bien, le Mérite Agricole du Citoyen Conscient, la Croix de Guerre de défenseur de la Femme et même de l’Homme. Jusque là tout va bien. La livre est terminé. Eh bien non, Gérald Wittock ne mégote pas, vous rajoute un épilogue. Au cas où vous auriez tout compris, il vous instille le doute. Le ver rongeur. Vous refile le coup de l’explication psychanalytique, autrement dit le coup du miroir qui vous reflète pour que vous réfléchissiez mieux.

    Si vous n’avez pas tout compris, je (tout comme l’auteur) ne peux plus rien pour vous.

    Ah ! si, pourquoi le héros possède-t-il ce nom bizarre, pas la peine que je vous en fasse une tartine, c’est très bien expliqué dans les toutes premières pages.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    marlow rider,red eyed cult,gérald wittock,rockamnolesques

    Death, Sex and Rock’n’roll !

    EPISODE 26 ( Festif  ) :

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    Nous sommes revenus sur nos pas. Les chiens avaient cessé d’aboyer, mais n’en gardaient pas moins les yeux fixés sur la tombe d’Alice. Il y eut une longue minute de silence. Rien de suspect n’apparut à nos yeux. Un grognement sourd monta de la gorge des cabotos. Le Chef alluma un Coronado :

    • Je parie une palette de mille coffrets de Coronados que nous n’allons pas tarder à avoir des nouvelles d’une ancienne amie, je suis sûr qu’elle ne nous oublie pas !

    Nous attendîmes plus d’une heure dans le silence et la froidure du petit matin. Molossa arrêta de grogner et posa sa truffe sur mon mollet. Le danger se précisait. Molossito se posta derrière moi, le poil hérissé, les yeux emplis de terreur. Carlos sortit son Rafalos, je regardai dans la direction où se fixait son regard. Il n’y avait rien. Presque rien. Si ce n’est comme une irisation rosée, deux points pratiquement indiscernables. Je songeai à deux pétales de rose d’une pâleur extrême, un reflet évanescent d’on ne savait quoi, une trace furtive appelée à disparaître. Je compris, les yeux rouges de la Mort étaient braqués sur nous. Contrairement à ce que je pensais ils restèrent aussi pâles, il fallut encore une demi-heure avant qu’une silhouette assise sur la tombe d’Alice soit visible. Les contours restaient flous, donnaient l’impression de ces filigranes que cachent à l’intérieur de leur trame certains papiers de luxe dans les livres d’art. Bientôt il n’y eut plus de doute, c’était Elle. Nous entendîmes un ricanement de mauvais augure

    • Si Monsieur Carlos se donnait la peine de remiser dans la poche de son veston, son joujou inutile, peut-être aurions-nous alors l’occasion d’entamer une discussion intéressante.

    Je n’étais pas d’accord. Je me souvenais des désagréments que nos Rafalos avaient causé à la grande pourvoyeuse des cimetières lorsque nous avions le Chef et moi, réussi à l’aveugler en tirant sur ses yeux. Elle dut deviner mes pensées, car elle esquissa un léger sourire sarcastique :

    • J’ai été très gentille la dernière fois, mais si je ferme les yeux vous ne saurez plus où viser !

    Carlos soupira et rengaina son arme.

    • Pour des vivants je concède que vous soyez bien plus courageux que la plupart de vos contemporains. Des teigneux, qui s’accrochent à moi comme les tiques sur les chiens.

    Molossa et Molossito visiblement vexés ne purent se retenir d’aboyer furieusement. J’eus un mal fou à les faire taire.

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    Le Chef en profita pour allumer un Coronado :

          _ Sans doute pourrions-nous maintenant utiliser cette accalmie canine pour bavarder en toute tranquillité, j’avoue que votre remarque sur notre courage m’a fait plaisir et…

    • Ce n’était que le début de ma phrase brutalement interrompue par vos corniauds, certes je reconnais votre courage, toutefois votre bêtise crasse me suffoque. Je prends un exemple parmi tant d’autres : vous n’arrêtez pas de courir après moi, je vaque tranquillement dans mes cimetières, ce sont des lieux calmes, j’aime m’étendre sur une tombe et chauffer mes vieux os au granit que le soleil inonde de ses rayons, et plouf vous vous radinez sans préavis et vous faites n’importe quoi, vous ouvrez les cercueils, ou comme tout à l’heure vous vous amusez à tuer les morts à qui je laisse quelques instants de délassements hors de leur dernière demeure, pire encore vous vous permettez de lutiner les jeunes mortes dès que l’occasion se présente !
    • Que voulez-vous Madame, la vie est si ennuyeuse il faut bien s’amuser comme l’on peut…
    • Vous le Grand Chef je vous avertis qu’une fois mort il est strictement interdit de fumer, votre futur risque de vous paraître très long !
    • Ah Madame, vous me rassurez, j’avais peur que peu à peu mon cercueil ne se transformât en cendrier, je me sens donc obligé de devenir, que dis-je, de rester immortel !

    Je crus qu’elle allait se jeter sur le Chef pour le faire passer de vie à trépas dans la seconde qui suivit. Mais non elle se retint à grand-peine si j’en juge par le flamboiement subit de ses globes oculaires, elle respira un grand coup et reprit la parole d’une voix mielleuse :

    • Il y a une chose que je ne comprends pas, vous le Chef du Service Secret du Rock’n’roll, vous avez eu au début de votre enquête l’intuition que ce que vous cherchiez dans le Père Lachaise était en relation avec la survie du rock ‘n’ roll, je veux bien le croire, mais alors pourquoi vous entêter à courir après les morts qui ne craignent plus rien au lieu de focaliser votre enquête sur le danger qui guette le rock ‘n’roll.

    Le Chef sourit placidement, il prit le temps d’allumer un Coronado avant de répondre :

    • Je tiens Madame à vous remercier pour cette judicieuse remarque, toutefois je me permettrais de vous rappeler que si l’on éprouve du mal à se saisir du chat, l’attraper par le bout de sa queue est parfois la solution de dernier recours. Comment empêcher le rock ‘n’roll de mourir si ce n’est en s’en prenant à la mort elle-même.

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    La Mort voulut répondre mais elle ne le put. Au mot Chat, Molossa et Molossito avaient éclaté en aboiements féroces. La scène qui s’en suivit la rendit folle de jalousie. Les deux chiens oublièrent tout à fait sa présence. Ils crurent qu’un infâme greffier parcourait le cimetière, aussi se jetèrent-ils à sa poursuite. Leur fallut une heure et demie pour s’assurer qu’aucun spécimen de la race féline ne hantait le jardin édénique du repos éternel. Lorsqu’ils revinrent se coucher à mes pieds, Molossito tout excité, extrêmement satisfait de n’avoir trouvé aucun rejeton de de leur ennemi héréditaire, pour imprimer à jamais le sceau royal de la présence canine sur les lieux leva la patte sur les brodequins de la Mort qui furent ainsi copieusement baptisés de cette ondée libératoire.

    J’ai tout de suite eu l’intuition qu’elle allait s’en prendre à moi. Je n’étais point dans le registre de l’erreur :

    • Quant à vous Agent Chad, qui osez intituler vos souvenirs Mémoires d’un Génie supérieur de l’Humanité, vous êtes comme votre chien, vous ne vous sentez plus pisser, vous avez juré de me tuer, moi La Mort, rien que ça, tout cela pour l’amour d’une gourgandine de bas-étage qui refilait les chamallows de sa patronne à vos deux clebs pouilleux qui sont pourtant tous les deux, même si on les prend un par un, plus intelligents que cette stupide péronnelle qui ouvrait ses yeux de merlans frits chaque fois qu’elle vous apercevait, une idiote même pas ravissante, vous devriez me remercier de l’avoir supprimée de votre déplorable existence, vous me devez une fière chandelle, jeune crétin d’humanoïde, il y a longtemps que je vous aurais trucidé si je n’avais pas compris qu’à peine mort vous iriez tout heureux vous étendre dans le cercueil de cette stupide mijaurée pour lui réciter durant toute l’éternité au creux de son oreille l’Annabel Lee d’Edgar Allan Poe jusqu’à la fin de l’éternité !

    Vous me connaissez. Je suis un garçon placide qui n’a jamais fait de mal à une mouche. Mais là c’était trop. Les circonstances ne m’ont pas aidé. Alors qu’elle finissait sa tirade, les grilles du cimetière s’ouvrirent. Il était neuf heures du matin, un peu tôt pour un enterrement à mon goût, mais un fourgon mortuaire suivi d’une cinquantaine de personnes pénétra dans l’allée principale. Qu’il y ait des gens vivants sur cette planète alors que mon Alice à moi, ma douce et tendre amie était sous la terre me parut comme une terrible injustice que je décidai sur le champ de réparer. Je saisis mon Rafalos, et commençai à tirer sur le cercueil que les croque-morts descendaient du véhicule, j’ai cru que ce geste anodin me calmerait, il n’en fut rien, tous ces vivants qui poussaient des cris perçants et m’insultaient m’exaspérèrent, ils n’auraient pas dû, je ne fis pas de quartier, je les tuais tous jusqu’au dernier, femmes, enfants, vieillards, hommes valides, sans pitié et sans regret. Carlos et Alice tentèrent de m’arrêter – le Chef en profita pour allumer un Coronado – mais j’étais possédé, un guerrier, un berserker qui sur les drakkars vikings pris d’une fureur sacrée n’hésitait pas à morde les boucliers, même la Mort essaya de s’interposer, en vain. Elle criait comme une folle :

    • Tu me donnes trop de travail !

    Le Chef prit la décision de nous exfiltrer du cimetière, la Mort resta à la grille, elle brandit une faux menaçante :

    • Vous me le paierez !

    Nous nous éloignâmes au plus vite…

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 249 : KRTNT ! 369 : TONY MARLOW / SUBWAY COWBOYS / CRYSTAL & RUNNIN' WILD / NOËL DESCHAMPS / HOT CHICKENS / JAMES BALDWIN / SEBASTIEN QUAGEBEUR

     KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 369

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    12 / 04 / 2018

    TONY MARLOW / SUBWAY COWBOYS

    CRYSTAL & RUNNIN' WILD

    NOËL DESCHAMPS / HOT CHICKENS

    JAMES BALDWIN / SEBASTIEN QUAGEBEUR

     

    Marlow le marlou

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    Qu’est-ce qui rend un personnage comme Tony Marlow si attachant ? Sa passion pour le rock’n’roll et le rockab ? Sa gentillesse naturelle ? Son côté vieille France franco-belge ? Et s’il s’agissait d’un subtil mélange des trois ? Tony Marlow fait partie de ceux qu’on pourrait appeler les survivants passionnants. Il vient d’une époque qui paraît s’éloigner un peu plus vite chaque jour, mais s’il joue sur scène c’est justement pour lui redonner vie. Il rallume la flamme, mais à sa façon, légère, souriante, extrêmement artistique. On sent un côté music-hall chez Tony Marlow. D’ailleurs, s’il tape dans la môme Piaf avec «L’Homme A La Moto», ce n’est pas un hasard, Balthazar. Oui, on sent chez lui l’enfant de la balle, au sens fort. Si l’une de ses chansons s’appelle «Rockabilly Troubadour», ce n’est pas non plus un hasard. Il porte une chemise western noire et un pantalon de cuir noir, il joue sur une Gibson SG, mais ce qui frappe le plus, c’est la finesse de ses traits et l’éclat de son sourire.

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    Tony Marlow appartient à cette caste d’artistes vieille France, à cette aristocratie artistique issue des faubourgs et des vieilles vagues d’immigration, celles qui firent de Paris la capitale culturelle du monde, les vagues d’Italiens, d’Espagnols, de Russes et puis bien sûr les Pieds Noirs. Un soupçon de guerre d’Algérie, une pincée de jazz, quelques grammes de bases militaires américaines, et la radio : cette époque va disparaître avec ses témoins, mais pour l’heure, elle reste bien vivante. Quand on voit Tony Marlow, on pense bien sûr à Marc Zermati, car ils ont en commun une forte présence physique et cette passion pour le rock qui relève du meilleur instinct. Et toute la poésie, la légèreté, l’entrain et le talent qui émanent de Tony Marlow renvoient bien sûr à Charles Trénet. Rockabilly troubadour ! Oui, il se situe à ce niveau d’excellence. Dans les rades de banlieue, on appelait ce genre de mec un aristo-chat. En qui, disait Baudelaire, tout est comme en un ange aussi subtil qu’harmonieux.

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    Entre chaque chanson, il éclaire les lanternes, il rappelle par exemple qu’il a commencé comme batteur dans les Rockin’ Rebels, sur Skydog, avec Marc Zermati comme producteur. Et pouf, il propose le tout premier titre qu’il ait enregistré, «Western». Il nous replonge dans le sacré d’un son ancien. Oh, il était de bon ton de cracher sur les Rockin’ Rebels, mais on le sait, les cracheurs ne sont pas les écouteurs. En 1982, les Rockin’ Rebels enregistrèrent 1, 2, 3... Jump, un album de swing phénoménal. Dès «Loli Lola», JP Joannes drivait le bop sur sa stand-up. On sentait un côté très Boris Vian et un fort parfum de jazz hot dans «Hoodoo». Ce dingue de Joannes swinguait son beat sans vergogne. Un cut comme «Bleu Comme Jean» incroyablement groovy et mal chanté pouvait interloquer, c’est vrai, mais les Rebels maintenaient le cap droit sur l’étoile polaire, c’est-à-dire la solidité du romp. Ils donnaient une belle leçon de swing avec «A Kiss From New Orleans». JP Joannes et JJ Bonnet constituaient une section rythmique de rêve. Dans «Gallupin’», ce démon de Joannes gamifiait ses gammes à outrance. Et ça repartait de plus belle en B avec un «Hey Bon Temps» mal chanté mais swingué jusqu’à l’os. «Cinq Chats de Gouttière» sonnait très Chaussettes Noires, mais comme ça slappait oh boy ! Ils nous shootaient du New Orleans barrelhouse dans «Bim Bam Ring A Leavio» et redoublaient de jivin’ juicy jive dans «Preacher Ring The Bell». Et jusqu’au bout de la B, ils swinguaient à la vie à la mort, avec des merveilles comme «Dansez Dansez» et «Bop Jump And Run».

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    Pendant son set, Tony Marlow rend aussi hommage à Victor Leed avec «Le Swing Du Tennessee», puis à Chuck Berry, avec une édifiante reprise de «Rock At The Philarmonic». Pur jus de swing ! D’autant plus pur qu’Amine le slappeur fou fait un véritable numéro de cirque sur sa stand-up. Depuis le début du set, on voit bien qu’il laboure à tort et à travers et qu’il piaffe. Par moments, il joue tellement de dédoublements de doublettes dédoublées qu’il semble à côté, comme s’il fonçait à l’aventure, tel un poulet décapité. Il fait des petits bonds d’exacerbation congénitale et bam-balamme littéralement ses cordes de coups de paume.

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    On n’avait encore jamais vu ça ! Autant Tony Marlow joue la double carte du délié byzantin et de la précision, autant Amin rue et piaffe comme un étalon sauvage que personne ne saura jamais dompter, même pas Zorro. Ce slappeur fou ne regarde jamais où il met les mains, il joue à deux cent à l’heure en fixant des gens dans le public. Le contraste des deux styles fait l’incroyable force du set. Autre reprise de choix : «My Baby Left Me» qu’Amine introduit à sa façon, en vraie bête de Gévaudan. Et quand il rend hommage aux Blue Caps, on voit bien que Tony Marlow a travaillé les gammes du vieux galopeur Gallopin’. Musicalement, il est irréprochable. Joli travail d’artisto-chat.

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    L’autre album de Tony Marlow qu’on pourrait recommander s’appelle Knock Out, sorti lui aussi sur Skydog. Tony Marlow y propose une A rockab et une B rock’n’roll. Il attaque sa face rockab avec un «Action Baby» bien boppé de la bobinette. Il atchoume son action - Don’t stand hangin’ on the line - Et ça repart de plus belle avec «Just The Talk Of The Town» qu’il chante d’une voix de mineur cancéreux, c’en est presque boogaloo, mais quelle santé pulsative ! Encore une belle pièce de jive pantelante avec «Swamp Sinner». Tony y sort son meilleur boogaloo et derrière lui, il a du beau monde. Quel son ! Il finit l’A avec un «Get Crazy» amené au petit riff d’attentisme carabinant. Pure rockab attack - Get crazy ! - très beau son de dos rond et puissances des ténèbres en filigrane. Fatalement, la B accroche moins, car le rock’n’roll vire assez vite au cousu de fil blanc comme neige. Il faut attendre «My Search» pour frémir. Tony le prend à l’insidieuse sur un gros son sourd et il termine avec deux reprises de choix, «Jezebel» et «Fought The Law».

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    En première partie jouaient les Subway Cowboys. Pas facile de monter sur scène après des mecs aussi brillants. Aux qualités de Tony Marlow, il faut ajouter le courage. Et pas n’importe quel courage : celui de l’intelligence. Grâce à Tony, les Subway Cowboys ont du monde. Pendant le premier cut, ils font illusion : on pourrait les prendre pour des mecs de Nashville, tellement c’est en place, bien chanté, bien slappé, bien battu et bien télécasté. Mais non, ce sont des banlieusards. Une sorte de James Burton en herbe joue en lead. Tout ce qu’il joue relève du plus haut niveau, d’où le référentiel. Il dispose de cette facilité à égaler les plus grands, chacune de ses interventions est un miracle d’élégance jivy, il tire ses accents country dans un rumble d’Americana qui lui semble propre. Il joue avec ce qu’on pourrait appeler une précision inspiratoire. C’est d’autant plus stupéfiant qu’il parvient à rocker tous ces cuts d’Honky Tonk et à leur donner vie. On le sait, le Honky Tonk est un genre difficile, situé à la lisière du fleuve et de la country, et pour tenir une heure, il faut l’étincelle. Les Subway l’ont. Et quelle étincelle ! Il faut voir ce batteur jouer à l’économie, avec souvent des balais pour fouetter le cul rebondi du beat, et ce slappeur qui bat ses cordes comme s’il jouait des congas à Congo Square. Rien qu’avec une telle section rythmique, la partie est gagnée d’avance. Ils tapent une belle version de Folsom et terminent avec un vieux coup d’Hank Williams. Mais curieusement, ce sont leurs compos qui accrochent vraiment. Le James Burton en herbe s’appelle Fabien et le chanteur du groupe vaut tous les géants d’Amérique : posture, allure, galure, césure, il a tout, et cette façon de battre les accords à la syncope de cyclope. Fantastique équipe !

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    Signé : Cazengler, Tony Barjow

     

    Tony Marlow. Le 106. Rouen (76). 23 février 2018

    Rockin Rebels. 1, 2, 3... Jump ! Underdog 1982

    Tony Marlow. Knock Out. Skydog 2009

    TROYES07 / 04 / 2018

    3B

    CRYSTAL & RUNNIN' WILD

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    Je conduis comme une brute. Je brûle les feux rouges, j'écrase les grands-mères sur les passages piétons. La teuf-teuf laisse une trace sanguinolente derrière elle. Je suis pressé. Que voulez-vous un problème de conscience me taraude et me rend insensible à toute souffrance humaine.

    Je suis un tricheur, un voleur, un meurtrier, un assassin, je ne trouve pas un mot qui puisse exprimer toute mon ignominie, il ne doit pas en exister dans la noble langue françoise. Ce n'est pas de ma faute. Je n'y suis pour rien, un malheureux clic sur internet et en un milliardième de seconde j'ai piétiné mes principes les plus sacrés. Je m'explique, lorsque je file au 3 B, je suis toujours la même règle de fer que je ma suis prescrite. Lorsque je vais voir un groupe que je ne connais pas, je m'interdis de chercher à en savoir plus. Je ne surfe pas sur You Tube pour trouver des vidéos, je ne visite ni son FB, ni son site. J'entends juger le gibier sur place et sur pièce, en direct et en public, je me méfie des jugements hâtifs – des miens comme des autres – j'entends appréhender l'objet de ma curiosité insatiable de rocker incorruptible, hors de toute prévention, qu'elle soit positive ou mauvaise.

    Z'oui mais voilà voici huit jours, par la plus grande inadvertance, sans même le vouloir j'ai enfoncé la touche de Rhythm Bomb Records, voulais vérifier je ne sais plus quoi et plouf je tombe sur une vidéo de démonstration, un montage de groupes, qui se suivent sur scène, je zieute d'un œil distrait, entre parenthèses je suis obligé de reconnaître qu'ils n'envoient pas la purée au compte goutte, lorsque tout à coup je reste tétanisé, la plus grande catastrophe depuis l'extinction des dinosaures me tombe sur le coin de l'oreille, un truc à vous casser les éléphants en deux, mais qui sont ces sauvages, de quel endroit reculé du Tennessee sortent-ils, de quel bayou de la plus profonde Louisiane émerge-t-il ? Lorsque le nom s'inscrit sur l'écran, je sursaute, je les connais, non je n'ai pas la berlue, Berlot Béatrice la patronne nous a prévenus qu'elle les avait programmés, oui Cristal & Runnin' Wild passent dans une semaine au 3 B !

    Confronter le rêve entrevu à la plate réalité n'est-ce pas courir au-devant de la plus amère déception ? Ce soir en pénétrant dans le 3B j'ai l'impression de marcher sur des œufs de brontosaure. Coquille pleines ou vides. Même pas quitte ou double. Plutôt meurs de déréliction ou crève d'enthousiasme.

    CRYSTAL & RUNNIN' WILD

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    Il y a des secondes qui vous réconcilient avec le bonheur. L'est pourtant tout seul. Les trois autres lui laissent tout le boulot d'intro. Pas grand-chose, quinze secondes, pas une de plus, mais pas une de moins. Solitaire, yeux bleus, chemisette rose, cheveux tirés en arrière, s'appelle Jack O Roonnie, ne donne pas stupidement le la sur sa contrebasse, vous refile la pulsation originelle, les poètes vous parleront de la première vibration universelle dont les échos se solidifiant donneront naissance à notre monde. Les esprits cartésiens – ils sont légions – n'iront pas chercher midi à quatorze heures, arrêtez de bavasser les gars, c'est juste du jazz. Ils n'ont pas tort non plus. Même que l'autre escogriffe avec sa queue de cheval et son chapeau de cowboy, pique des deux sur la grosse caisse, et vous met en branle la charleston, va vous la faire fonctionner à toute vapeur durant les trois sets, une véritable soupape pulsatrice d'induction rythmique. Johnny Trash est son nom. Je vous conseille de ne pas le quitter des yeux. L'est comme la dynamite sur le feu, sourit à pleines dents, en recherche perpétuelle de la bêtise à ne pas faire. L'a la banane méchante, les cheveux qui pointent par-devant à la manière des rostres des navires de combats de la marine romaine. Si on ne le connaissait pas, on aurait peur, mais on l'a reconnu, à sa guitare, Patrick Ouchene qui officiait dans les Bop A-Tones aux côtés de Michel Texier alias Mike Phantom – résumé de cet épisode homérique dans la livraison 358 du 28 / 01 / 2018 – vous remet en trois coups de strings, le bop dans le bon sens.

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    Là, vous vous dites, pas mal les Runnin' Wild. Vous n'aurez pas tort. Mais il vous manque un peu de lucidité dans le cristallin, car s'il est vrai que les Runnin' vont être plus sauvages que vous ne l'espériez, vous n'avez encore rien vu et surtout rien entendu. Sur le premier morceau vous aviez des excuses, le cowboy qui vous fait des chœurs foutraques d'opéra, et puis il y a sûrement un truc qui ne va pas à la sono, Fab s'est trompé, lui a mis le micro trop fort et n'a pas assez poussé sur les musicos. Mais non Fab ne se trompe jamais. C'est qu'elle est là, vos perceptions auditives et visuelles en sont chamboulées, toute belle, toute simple, cheveux blonds et lèvres rouges, pudique foulard blanc qui cache la naissance de sa gorge, Crystal, elle l'annonce un morceau de Patsy Cline. Pastis fortement alcoolisé. Sans eau. Quelle voix, quelle beauté, quelle aisance ! Une manière d'écraser la première syllabe d'attaque – me fait immédiatement penser aux tout premiers enregistrements de June Carter – que voulez-vous l'on est doué de naissance ou on ne l'est pas – et de monter très haut en puissance. Même pas une technique mais l'instinct divin et le feeling diabolique – le père Noël a dû lui vider sa hotte entière dans ses chaussures au premier jour de sa naissance. A maudire vos parents pour le peu qu'ils vous ont transmis. D'ailleurs son Dad à elle est à ses côtés. Patrick Ouchene, guitare en bandoulière, les doigts en perpétuelle recherche. Mais attention l'esprit veille et commande. Adore l'audace, un riff est un bon riff, certes mais l'a intérêt à ne pas se répéter, faut qu'il sache se déstructurer pour apparaître sous une autre forme, ce soir notre guitar-héros est d'inspiration cubiste, comme ces portraits de Picasso qui vous mélangent tous les détails d'un visage avec les objets du décor pour qu'il en sorte encore plus étrangement ressemblant.

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    Voyage au travers de cent cinquante ans de musique populaire américaines escale dans tous les genres, blues, country, jazz, hillbilly, rockabilly, rawkabilly, psychobilly, doo wop, surfin', arrêt à tous les étages du rock'n'roll. Quatre fous amoureux du rock'n'roll. Jack le taiseux, laisse parler sa big mama pour lui, heureusement que de temps en temps les autres s'arrêtent de jouer pour qu'on puisse se rappeler que sans sa brasse généreuse, tout le quatuor coulerait au fond de l'eau comme un fer à repasser. Encore un irremplaçable, mais d'un tout autre genre, Johnny Trash – la voix caverneuse de Johnny Cash, mais pas le tempérament. Trop exubérant pour cela. Pourrais difficilement décrire son style à la batterie, tout ce que je peux affirmer, c'est qu'il tape, fort, juste et à bon escient. Mais il semble toujours être en train de faire autre chose, viendra par exemple nous jouer de sa guitare customisée avec cordier en fil de fer, l'a dû avoir une nostalgie de banjo au montage car il a piqué le hublot de la machine à laver, et cela s'entrechoque en produisant le son caractéristique d'une washboard entre blues et jazz. Frappe aussi sur ses tambours avec ses maracas manière de glisser des petits cailloux dans les souliers du rythme.

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    Sont trois à accompagner Crystal, et Crystal sait s'écarter et les laisser s'éclater ensemble. Plus de Crystal, de l'instrumental. Un splendide Link Wray, Patrick Ouchene en maître symphonique, la guitare qui rumble à mort, maîtrise la secousse sismique, agite des mains en sorcier indien qui appelle les orages, guide la tornade droit sur vous et la renvoie au loin au dernier moment, vous emporte dans des imprécations tonitruantes, vous fait chevaucher la foudre et la tempête, et tout s'arrête aussi brutalement que cela avait débuté. Vous laisse abasourdis, privés de sens et de son.

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    Oui mais Crystal. Sidérante. Déconcertante. Quel que soit le rythme, quelle que soit la tonalité, et parfois les entames des morceaux sont d'une trame si resserrée qu'il vous paraît impossible que quiconque puisse y placer sa voix, mais elle la pose naturellement, vous facture la porte, en douceur, s'installe, l'est chez elle, se promène dans l'appartement, s'allonge sur le sofa, ouvre le frigo, ou alors elle vous bazarde les meubles par la fenêtre parce qu'elle a envie de changer la tapisserie. Princesse de sang royal, qui ne se permet jamais un caprice qui ne vous semblerait l'évidence d'une nécessité absolue. Un Etta James à vous mettre dans tous vos états, un Jezebel ricochant entre la version de Gene Vincent et celle d'Edith Piaf, mais ce n'est pas tout, nous n'avons pas encore quitté le rayon des classiques, un sentier somme toute assez bien délimité, une petite acrobatie jazz sans filet, les trois musicos s'enfuyant grand-est alors que toute seule elle file vers l'abîme en surfant sur la cime des vagues géantes. Un peu de sport, juste pour se mettre en forme.

    Il est temps d'ouvrir les portes de la folie pure. Surprise, c'est le chat qui entre. Pas celui des Stray Cats, le greffier de Crystal. Toute la salle en profite pour se mettre à miauler. Notre chance de tous finir en camisole de force à Charenton. Une seule consolation c'est qu'on embarquera en priorité le combo. Sans come back. Crystal s'amuse comme une possédée. L'on ne saura jamais exactement ce qui est arrivée à cette maudite bestiole porteuse de malheur, et peut-être vaut-il mieux ainsi. Séance films d'horreur. La pure jeune fille et les quarante zombies, que voulez-vous qu'elle fît devant un tel défi ? Lui courent après, alors elle crie comme si sa dernière heure était arrivée. Doit y prendre un plaisir pervers, car maintenant elle screame comme si elle découvrait une grosse araignée noire et velue dans sa chambre. Elle en a les yeux qui pétillent de malice et la voix qui vous percerait le plafond. D'autant plus que les Runnin' Wheels n'en perdent pas une pour nous construire une séquence bruitage, jusqu'à Jack qui vous pousse un glapissement de renard à vous glacer le sang.

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    C'est fini. Ovation et sidération. Les disques et les T-shirts sont pris d'assaut. Une soirée exceptionnelle. Crystal toute belle, toute fraîche, jambes fuselées, franges blanches au bout de sa robe, anneaux de gitanes et yeux de biche, toute simple, une grande chanteuse. Merveilleuse.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB  : Béatrice Berlot /

    FB : DjRockin Cats with Fab )

    PARIS / 24 – 02 - 2018

    JAZZ CLUB MERIDIEN ETOILE

    NOËL DESCHAMPS

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    Nous avons tous nos petites manies innocentes même si nous préférons nos travers les plus nocifs, pour moi c'est tout simple une fois par mois je pars en maraude. Pas très loin, sur You Tube. Je vais voir au cas où. Peut-être quelqu'un aura eu l'idée de rajouter une vidéo de Noël Deschamps. J'avoue que je rentre très très souvent totalement bredouille. Me console en visionnant la majorité de celles qui y sont déjà. Mais ce coup-ci, je ferre le gros poisson, trente-neuf minutes de Noël Deschamps sur scène. Pas très loin à Paris au Jazz Club du Méridien Etoile – rappelez-vous le Cat Zengler nous avait emmené y voir Vigon ( voir Kr'tnt ! 161 du 30 / 10 / 2013 ) - voici pas très longtemps, le 24 février 2018, le genre de truc que je n'aurais pas manqué pour deux empires et qui a malheureusement échappé à mon flair de rocker, vraisemblablement un coup tordu de la CIA.

    Les apparitions de Noël Deschamps sont rares. Il fut pourtant un de nos plus valeureux et originaux pionniers. De 1964 à 1968 il fut un des rares à porter le flambeau du rock français. Fut malheureusement oublié après Mai 1968, la nouvelle vague de jeunes chevelus qui découvrirent le rock, en leur an de révélation 1969, fit totale impasse sur tout ce qui s'était passé de par chez nous, les années précédentes. Fit partie de la toute première génération, celle du Golf-Drouot, l'est né en 1942 – Johnny en 43 – ce n'est donc pas un dernier-né qui gesticule sur scène. Vous laisse faire le calcul vous mêmes.

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    L'a la classe Noël dans sa chemise blanche, le cheveu blanc, le gestes souples et sûrs, bouge comme un jeune homme. Une chose qui ne choquera pas les nouveaux venus, l'a gardé son timbre de voix si particulier, intact. Ce que je trouve de fabuleux chez Noël Deschamps c'est qu'il est le seul français à chanter le rock sans chercher comme tous les autres à imiter le phrasé anglais ou américain. L'a un organe particulier, l'on disait que sa voix courait sur trois octaves, moi j'ajouterai qu'elle se faufile dans l'herbe tendre de la mélodie pour brusquement se lever comme une tête de cobra royal, et vous êtes déjà mort que vous n'avez pas encore compris ce qui vous arrive. L'a dans son larynx un grain de démesure qui n'appartient qu'à lui, un soupçon voilée et d'une clarté extraordinaire.

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    Nous interprète neuf de ses titres les plus connus : Tout ira très bien, une tambourinade échevelée d'une précision extrême, Je n'ai à t'offrir que mon amour, belle cover de Don't Let be me Misunderstood des Animals, Bye Bye Monsieur une composition qui à l'époque ( 1967 ) témoignait que Gérard Hugé son producteur connaissait les Memphis Horns mais refusait de copier platement, une très belle version de Lonely Avenue sur laquelle il joue aussi de l'harmonica, sa superbe adaptation du Bird Doggin de Gene Vincent réécrite en art de vire rock'n'roll, Oh la hey ! compo originale de Bashung des mieux enlevées, Noir mon frère, un titre de son album de 1984 chez Big Beat, et Te Voilà le tube de Rob Argent des Zombies sur lequel Pussy Cat – elle fut l'égérie de Gérard Hugé - lui donne la réplique.

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    La vidéo donne des extraits des deux sets de la journée. Certains morceaux seront donc donnés deux fois. Ce qui ne fait que doubler notre plaisir. Nous avons même en prime une interprétation de Jusqu'à Minuit de Johnny – la voix de Noël fatigue un peu, mais l'énergie est là. Deux guitares, synthé, basse, batterie et un très bon saxophone. Pussy Cat pour les choeurs.

    Une de mes idoles. De toujours.

    Damie Chad.

    *

    L'exemple idéal de ce qu'il ne faut pas faire. Vous rentrez tout fier de concert, vous déposez religieusement le CD que vous en ramenez sur la pile des disques à écouter en urgence absolue. Vous connaissez la suite autant que moi : les nécessités cruelles de la vie, les aléas imprévisibles de l'existence qui se mettent en travers de vos décisions les plus péremptoires. Lendemain soir 21 heures, vous vous apprêtez à glisser la rondelle fabuleuse dans l'appareil quand fort inopportunément le téléphone sonne :

     

    - Allo Damie !

    - Salut Noémie !

    - Ecoute-moi bien Damie, c'est très grave ! J'avais décidé de passer chez toi pour te faire un bonjour surprise, je suis dans le métro et horreur je m'aperçois que j'ai oublié mon pyjama à la maison !

    - C'est terrible Noémie, je ne te l'ai jamais dit, mais je dors tout nu, depuis le jour où ma maman m'a jeté dans ce monde sans pitié !

    - Oh! Damie c'est affreux, comment allons-nous faire ?

     

    Exactement les genres de vicissitudes qui n'arrêtent pas d'empoisonner la vie du rocker de base. Comment voudriez-vous que le lendemain matin après une nuit sans sommeil à tenter de résoudre ce douloureux problème vous pensiez encore à votre disque ? Bref deux ans plus tard grâce à l'écroulement de la fatidique pile vous vous apercevez qu'il serait quand même temps de tenir vos engagements prioritaires. En plus, c'est du lourd :

     

     

    HOT CHICKENS

    OFFICIAL BOOTLEG

    Live @ Gedinne / August 24 th 2013

    ( Chikens Records )

    Hervé Loison : Vocal, Contrebasse, harmonica, guitare rythmique / Christopher Gillet : guitare / Thierry Sellier : batterie.

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    Keep a knocking : me souviens encore de l'avertissement du grand Jake quand j'ai choisi le CD «  Ah ! Tu sais, c'est pratiquement du garage ». Comme je n'ai nulle prévention envers le garage et ses huiles de vidange qui sentent le cocktail molotov je n'ai pas hésité une seconde et le monstre est sur l'appareil. J'avoue que ça commence mal, le bruit d'un démarrage de 2 Chevaux au starter ( je vous parle d'un monde que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître ) puis il y a ce ronflement hargneux de sanglier que vous venez de réveiller dans sa bauge et la bogue de châtaigne richardienne qui vous arrache le visage. Et c'est parti pour un fuckin'time de rock'n'roll, préfèrerais ne pas vous parler de Thierry Sellier qui tapote sur le tambour la marche militaire qui accompagna les grenadiers de l'Empire lorsqu'ils se mirent en marche vers le soleil d'Austerlitz, mais ça se transforme rapido en chasse à courre et Christophe Gillet qui vous dépose des riffs explosifs à la nitroglycérine juste pour vous rappeler que c'était comme ça au bon vieux temps du rock'n'roll. Et c'est sur ce background que Loison joue à la diva d'opéra, un rôle qui lui va à merveille, quant elle est en colère parce que l'on a reproché à son chiwahwa, une perle, d'avoir pissé au pied du micro et que la star souffle le ramdam sa grosse voix et son immense caprice pour que le directeur en personne vienne présenter ses excuses à l'adorable et innocente peluche. Bref vous l'avez compris, ça chauffe. Rockabilly boogie : hurlement d'entrée pour saluer Johnny Burnette, une espèce d'avalanche rocailleuse avec Thierry qui fend les rocks avec sa baguette Durandal et Christophe qui vous poinçonne les notes à la visseuse ultra-rapide. Quand à Loison quelqu'un a dû rayer un de ses trente-trois tours d'Elvis, car franchement il est d'une humeur massacrante. Tronçonnante même. Jeannie Jeannie Jeannie : petit Richard mais grand shouter, Christophe vous envoie la valse à forte amplitude, Thierry vous beurre la tartine des deux côtés au venin d'aspic et Loison vous rappelle la petite Jeannie d'une façon si autoritaire, l'en nasille de colère, que si une ligue féministe en vient à écouter le skud, il terminera sa vie en prison. My baby runs away : n'en fait pas mystère, le clame à haute voix, deux morceaux tirés de son ancien groupe Mystery Train, je ne sais pas si vous l'avez remarqué mais les rockers n'aiment pas que leurs poupées se cassent, l'en fait tout un roquefort affiné le Jake, et les deux autres en profitent pour se laisser aller aux plaisirs d'un background coupable, le poussent un peu dans ses retranchements, le Loison dans une colère de fou, il éructe à la manière d'un dromadaire à qui l'on vient d'interdire de boire. Motorcycle girl : éloignez les enfants, Jake pète trois durites d'un coup, ne chante plus, il crie, il hurle, imite le bruit d'une moto, un truc horrible même Thierry et Christophe ont la frousse de leur vie, vous hâtent la cadence à 323 kilomètres heure, sont pressés de finir le morceau, veulent rentrer vivants chez eux, mais pas de chance Loison les rattrape sur la bretelle de l'autoroute. Les carottes sont cuites et les chickens are very hot. The devil and me : ça ne pouvait que mal tourner, voici que le diable s'en mêle, Loison chante comme l'on ricane en bécane, et les deux acolytes vous tressent une tenture musicale de toute beauté, si vous n'en étiez pas convaincu maintenant vous l'admettez, rien n'est plus beau que le rock and roll, un solo de guitare à vous faire entrer dans les ordres, bon Loison vous scalpe un peu avec son vocal de chevrolet aux ailes carbonisées et Christophe rajoute une deuxième couche de coups de fourche. Don't touch what you can't afford : le titre en lui-même est un avertissement, l'interprétation une menace atomique, et la musique un accomplissement. Destructif. Quand Loison vous dicte les dix commandements du rocker vous avez intérêt à filer doux car la maison ne fait pas de crédit. Just reelin' & rockin' : un petit côté country, mais le bonheur est de courte durée sur cette planète, un serpent sous chaque motte de terre et un colt dans chaque saloon, en plus Christophe et Thierry déclenchent une bagarre générale et Hervé vous pousse des piolets de joie sur les décombres fumants. Cruel Lou : Loison s'en prend au public, un truc classique quand une fille vous a fait du mal vous cherchez du réconfort auprès des copains et c'est parti pour un chant indien, vous savez ceux que l'on entonne juste avant d'enfourcher les poneys sur le sentier de la guerre, le combo vous joue en sourdine l'attaque du fort, le moment idéal pour se plaindre de la jolie Lou, Thierry en massacre sa batterie, Christophe tire sur ses cordes comme sur les viscère d'un chat et c'est parti pour le grand pow-wow, miaulements d'horreur et tout le bataclan, la suite est déplorable, Hervé Loison est devenu fou, parle tout seul, vaticine comme s'il annonçait la venue du messie, Thierry essaie de le faire taire en lui enfonçant la tête à coups de baguettes-marteaux, mais la bête parvient à s'échapper, grognasse comme un ours blanc privé de banquise que vous venez d'expulser de votre frigidaire, chants d'indiens dans le lointain, charivari monstrueux qui se termine abruptement, l'on ne sait pas pourquoi. Miss Froggie : maintenant l'on sait : pour jouer un petit morceau de rock'n'roll ! Et Miss Froggie arrive en trombe, Christophe imite le froufrou de sa robe tournoyante, à chaque battement de sa baguette Thierry lui descend sa culotte, ne cherchez plus loin à comprendre pourquoi le rythme s'accélère soudain, elle est toute nue et Loison en claque sa langue de bonheur. La fin du morceau n'est pas morale. Folie collective. Lovin'up a storm : rien de tel qu'un gros orage pour électriser l'atmosphère qui n'en a pas besoin mais ça peut toujours servir surtout quand on appelle Saint Jerry Lou, le diable en personne, à la rescousse, Gillet martyrise sa pumpin' guitar et l'on subodore que Loison s'en va voler avec les anges portés à bout de bras par un public survolté. L'en revient tout excité, vous expédie le vocal au lance-pierre. Fait mouche et caïman à chaque fois. Ne vous reste que vos jambes cisaillées pour danser. Plus qu'il n'en faut pour être heureux. Shake your hips : Jake a sorti son harmonica comme l'on dégainait son colt dans les bouges de Chicago. L'est vrai que ça bouge salement. Le blues ne fait pas de pitié. Vous bouscule le rock'n'roll comme une vulgaire serpillère et vous l'accule dans ses derniers retranchements. Deux sacrés fils de pute qui déchargent sperme et balle dum-dum à foison. Le combo virevolte comme un groupe de derviches tourneurs. Et quand la machine s'arrête, vous repartez aussitôt en marche arrière. Stompe mais ne stoppe jamais. L'harmo siffle comme une locomotive et la batterie boogie-boogise à mort, le chauffeur Loison court sur les toits des wagons, ne sait plus où il a mis sa pelle à charbon alors il hurle à la lune et à tous les soleils intergalactiques, aussitôt imité par le public toujours prompt à s'embarquer dans le premier delirium tremens qui passe et trépasse. Unchained melody : après la tornade, un slow, six secondes, ne faut jamais abuser des bonnes choses, la suite ressemble à une catastrophe ambulante qui fonce sur vous et qui vous emporte au pays des exagérations putrides. L'on en pleurerait presque et la musique vous englobe comme une cloche à fromages charançonnés. Si vous aviez cru entourer de vos bras câlins votre voisine, c'est raté, il y longtemps qu'elle a dépassé l'extase clitoridienne dans cette tempête tonitruante. Vous n'existez plus. Pour elle. Pour vous, non plus. Surfin bird : Loison sort son petit oiseau de la cage. Un aigle royal qui déplie ses ailes et n'entend pas renoncer à sa liberté. Maintenant Jake aboie comme un chien en colère, transforme sa voix en bande-son de dessin animé désarticulé et c'est parti pour l'ultime ouragan de 1887 qui dévasta l'Oregon. Aucun survivant. Misirlou : Christophe prend le devant de la scène, surfe sur sa guitare comme Dick Dale sur sa planche à voile, et le public joue les jolis chœurs. Liesse collective, l'avion se pose en bout de piste et vous écrase consciencieusement. Tout le monde s'en fout, c'est trop bon. Bony Moronie : un dernier bal avec la petite Bonnie qui tournoie comme une toupie folle, le classique de Larry Williams, l'est mort d'une balle dans la tête le pauvre Larry mais ce n'est point grave, l'était immortel depuis qu'il avait gravé sa bombe humaine, que ce soir les Hot Chickens ont décidé de faire exploser une fois pour toutes ( une voix pour toutes selon Loison ), vous secouent la marionnette Moronie de bien belle manière. Délectable. Save your soul : une dernière prière avant le boogie du soir, Loison cet ami qui nous veut du mal a décidé de sauver nos âmes. Le problème c'est que nous ne savons plus où nous l'avons mise, c'est que l'on ressort d'un disque des Hot Chikens totalement chamboulés, Christophe Gillet a beau vous caresser de ses riffs pointus et Thierry Sellier faire baguette de velours, vous savez que le pire est à venir. Ne vous fiez pas à Hervé Loison lorsqu'il prend sa voix de clergyman, vous savez que le fléau est programmé et que rien ne l'arrêtera. Et en effet rien ne l'arrêta.

    Pour une raison bien simple. C'est que le disque terminé vous appuyez une nouvelle fois sur la touche on. Une parfaite introduction pour ceux qui n'ont jamais participé à un concert des Hot Chickens.

    Des malheureux.

    Qui ne connaissent rien du monde.

    Méritent-ils même de vivre ?

    Je préfère ne pas répondre.

    Damie Chad.

     

    15 / 03 / 2018 – PARIS

    AU 100 RUE DE CHARENTON

    THE PRICE OF THE TICKET

    KAREN THORSEN

    ( 1989 )

    Voici plusieurs années que nous présentons régulièrement dans KR'TNT ! des livres de James Baldwin, figure indissociable de la lutte des noirs aux Etats-Unis. James Baldwin est mort en France le 01 décembre 1987. Le Comité James Baldwin ne laisse pas passer une si belle occasion de sortir de l'oubli la haute figure de l'écrivain laissée quelque peu en déshérence depuis pratiquement deux décennies en notre pays. La réédition d'une dizaine de ses ouvrages et l'attribution du César du Documentaire 2018 au I'm Not Your Negro de Raoul Peck a suscité un nouvel élan autour de l'auteur de Si Beale Street Pouvait Parler.

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    Mais ce soir le Comité James Baldwin convie les amateurs de Baldwin à visionner une rareté, le film The Price of the Ticket de Karen Thorsen. Cette œuvre n'aurait jamais dû voir le jour. A l'origine Karen Thorsen devait suivre Baldwin en train d'écrire son dernier roman. Mais la mort s'est glissée au milieu du jeu avant même que la partie proprement dite commençât, et a rendu le projet caduc. Mais les producteurs ne renoncèrent pas, une nouvelle règle fut établie : le film se ferait tout de même, il existait, autant en France qu'aux Etats-Unis, de nombreuses archives d' interviewes du romancier et les témoins de son existence ne demandaient qu'à témoigner... Il était établi que la réalisatrice ne rajouterait aucun mot de son cru sur la bande son. Le film commence sur les obsèques de Baldwin – ce qui donnera à tous les rockers d'entrevoir quelques bribes de Rosetta Tharpe, rappelons que son jeu de guitare n'est pas étranger à la manière d'envisager l'emploi de cet instrument dans le rock'n'roll, en train de chanter... Et puis la narration adopte un cours chronologique des plus classiques.

    L'on suit Baldwin pas à pas, l'importance de son beau-père prêcheur intransigeant, la prise de conscience du gamin et de l'adolescent de la chape de misère qui l'emprisonne, lui, sa famille, et toute la nation noire. Baldwin cumule les difficultés, non content de n'être qu'un nègre il est aussi homosexuel et désire devenir écrivain. Comme beaucoup d'artistes noirs il fuira à Paris. Vivra dans la rue, connaîtra la solidarité des milieux les plus pauvres – les maghrébins parisiens qui subissent de la part des français un ostracisme racial qui étrangement l'épargne en tant que noir... Ce sont des années de formation éprouvantes mais c'est dans ce creuset qu'il écrit Va Dire à la Montagne – dynamitage du puritanisme religieux noir - et La Chambre de Giovanni – dynamitage du puritanisme sexuel blanc - qui lui apportent la gloire.

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    En 1957, il rentre aux Etats-Unis, il pense pouvoir aider à faire progresser la problématique noire. L'espoir soulevé par la Présidence de John Kenedy ne sera qu'un feu de paille. Baldwin est de tous les combats mais après les assassinats de Malcom X et de Martin Luther King, il se doute qu'il est le suivant sur la liste de la CIA... Il retourne en France, continuant la lutte par ses écrits et se faisant un devoir de payer les avocats qui défendent les militants et les dirigeants des Black Panthers. Ses écrits sur la cause noire comme La Prochaine Fois, le Feu se révélant malheureusement prophétiques...

    La projection sera suivie d''un débat entre la salle pleine et Eléonore Bassop et Samuel Légitimus qui apportent une quantité impressionnante de précisions sur la vie, l'activisme politique et la réception des écrits de James Baldwin. La discussion s'engage beaucoup plus vivement dès qu'il s'agit de porter un jugement sur l'action politique de Barack Obama en faveur des noirs aux Etats-Unis...

    Dans le même ordre d'idée, le fait que l'on ait proposé à Christiane Taubira d'écrire la préface de la réédition chez Folio de La Prochaine fois, le feu me fait doucement rigoler. Quand on a été ministre de la justice d'un gouvernement d'obédience libérale qui s'est comporté fort honteusement et moult ignominieusement quant à l'accueil des immigrés africains et que l'on n'a pas eu le courage de démissionner, il vaudrait mieux avoir la pudeur de se taire et le courage d'assumer la politique à laquelle on a souscrit durant des années.

     

    Dans une pièce attenante se tenait une exposition d'œuvres picturales et graphiques en relation avec les combats de James Baldwin et la possibilité de tenir en main et de feuilleter une belle collection d'éditions américaines de l'écrivain, présentée par Sébastien Quagebeur.

    Damie Chad.

    AU PAYS DES FUGUES

    SEBASTIEN QUAGEBEUR

    ( Editions Unicité / 2016 )

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    C'était un livre un peu à part sur la table d'exposition des éditions américaines de James Baldwin. L'est de Sébastien Quagebeur qui présente les ouvrages et qui appartient au Comité James Baldwin. Partant du principe qu'un individu qui parle si bien de Baldwin et si laudativement de Langston Hughes ne peut-être tout-à-fait mauvais, je prends d'office, j'aime les gens passionnés.

    Un livre de poésie. Peu de mots. Beaucoup de déchirures. A l'image de notre monde. Qui vole en éclats. Si dispersés qu'il est difficile de se voir en son miroir brisé. Alors on se rattrape aux petites branches, celle des vocables arrachés aux journaux et à des lambeaux de photos de magazines. L'art du collage tient autant du test de Rorschach que des bâtonnets du Yi-King. Vous jetez le sperme du hasard et vous retrouvez la structure de votre ADN. Tout est question de projection. Les bouts de papier dans le chapeau mou de Dada, et la flamboyance expressionniste des motifs de papiers peints isolés.

    N'empêche que chez Sébastien Quagebeur le texte prédomine. Vous saute au visage dès que vous ouvrez le livre, à n'importe quel endroit. La parole vous happe, les flashs iconiques sont derrière, comme un fond de poubelles renversées. Peut-être une manière d'indiquer que la fleur de la poésie pousse sur le fumier de l'univers. S'agit aussi de dresser des barricades de papier face à la fureur du monde. Lorsque tout est détruit, ne reste que l'appel à l'émergence de la révolte. La critique acerbe ne suffit plus. Ne reste plus que le nom des poètes, Prévert, Césaire, et tous les autres qui ne sont pas nommés, à brandir comme des boucliers dérisoires qui se révèleront un jour être têtes de Gorgone protectrices. Car la poésie est l'ultime rempart.

    Le livre fonctionne à la manière d'un kaléidoscope. Vous êtes le périscope qui de loin en loin reconnaît une image, amie ou ennemie, mais il suffit de tourner rapidement les pages pour que la confusion gouverne votre esprit. C'est alors que vous vous raccrochez aux mots comme le naufragé à une épave. Sans doute avez-vous tort, ne tentez pas de mettre de l'ordre dans le désordre. Les poèmes visuels ne sont pas des messages, juste des contre-ordres à la marche du monde. Sébastien Quagebeur les a éparpillés comme rochers affleurants, et vous zigzaguez sautant de l'un à l'autre, sans vous doutez qu'à chaque fois vous enjambez l'abîme du non-sens. Vous traversez le brasier en vous réfugiant dans le feu d'artifice qui étincelle comme un bombardement de neutrons.

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    Parfois il vous en met plein les yeux. Fini le blanc et noir de la reproduction économique, Quagebur vous initie à la magie des couleurs. Existe-t-il une chromancie qui reflèterait d'une manière plus subtile l'interprétation de l'âme du poète ? Rimbaud et ses voyelles colorées viendront-il à votre secours ? Dans ce monde n'espérez que l'espoir.

    Le lecteur curieux – il en existe encore, peu je vous l'accorde – qui aime en venir droit au but demandera – c'est bien connu, les plus curieux sont les plus naïfs qui croient au sens caché des choses – mais de quoi parle ce livre en fin de compte ? Elémentaire cher Watson, pour le savoir contentez-vous de vous pencher par la fenêtre. Cela ne vous en dira pas plus que ce que vous voyez. Il est sûr qu'il n'y a pas pire aveugle que celui qui se cache les yeux. Alors je vais vous répondre : il parle de la nature de la poésie. Un animal difficile à saisir. C'est pour cela qu'il a ajouté des images aux mots. Parfois un dessin vaut mieux qu'un long discours.

    Ça volette de tous les côtés dans cet imagier pour adultes. Vous avez vraisemblablement entendu parler des battements d'ailes du papillon et de la théorie des catastrophes.

    Devrais-je en conclure que le monde court à la catastrophe ?

    Pas exactement, la catastrophe c'est vous. Voilà, maintenant vous savez, dites merci à Sébastien Quagebeur, car un lecteur averti en vaut deux.

    Damie Chad.