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CHRONIQUES DE POURPRE 692 : KR'TNT ! 692 : ANTON NEWCOMBE / EARLY JAMES / PERE UBU / DUKE GARWOOD / ALBERT WASHINGTON / ALICIA F ! / APHONIC THRENODIC / HOFFA / GENE VINCENT

KR’TNT !

KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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LIVRAISON 692

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR’TNT KR’TNT

29 / 05 / 2025

 

 

ANTON NEWCOMBE / EARLY JAMES /

PERE UBU / DUKE GARWOOD /

ALBERT WASHINGTON

ALICIA F !  / APHONIC THRENODIC

HOFFA / GENE VINCENT

  

 

Sur ce site : livraisons 318 – 692

Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

http://kr’tnt.hautetfort.com/

 

 

Wizards & True Stars

- Massacre à la ronronneuse

(Part Three)

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         Aux grandes histoires de chaos, de sex and drugs and rock’n’roll que sont celles des Stones, de Jerry Lee Lewis, des Stooges, des Pistols et des 13th Elevators, il faut désormais ajouter celle du Brian Jonestown Massacre, et plus précisément d’Anton Newcombe. Jesse Valencia (avec son livre Keep Musil Evil) et Ondi Timoner (avec son film Dig!) en témoignent de façon assez spectaculaire. Même trop spectaculaire dans le cas du film. Il n’en demeure pas moins que l’histoire du Brian Jonestown Massacre (qu’on va simplifier par BJM) est celle d’un joli bordel.

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         Au commencement était le verbe, celui de Brian Jones. Anton Newcombe ancre le groupe dans un esprit résolument sixties. D’ailleurs son tambourine man Joel Gion porte les superfly shades que porte Brian Jones dans le clip de «Jumping Jack Flash». Au commencement, tout le monde, y compris les Dandy Warhols, chante les louanges du BJM. À sa sortie en salle, Dig! fit sensation, même si on ne comprenait pas qu’Ondi Timoner ait pu tourner des kilomètres de rushes sur des groupes aussi peu excitants que les Dandy Warhols et le BJM, alors qu’elle disposait d’autres grosses poissecailles californiennes, du type early Lords Of Altamont ou Dwarves. Pendant une demi-heure on pataugeait dans une gadouille de bad movie, on croisait beaucoup trop de personnages aux identités incertaines. Avec Keep The Music Evil, Jesse Valencia passe un temps fou à réparer les dégâts en donnant des informations. D’ailleurs l’analyse descriptive du film occupe un bon tiers de son livre, c’est-à-dire une centaine de pages. Malgré tout cet amateurisme cinématographique, on reste en alerte, car non seulement les BJM ont du son, mais ils arborent les oripeaux qui firent la grandeur mythique de Brian Jones, énormes rouflaquettes, guitares Vox, tambourins, franges de cheveux, bug eye shades et sens aigu du psyché Satanic Majesties.

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         Très vite, Ondi Timoner centre son film sur Anton Newcombe, un brun aux cheveux raides qui écrit des centaines de chansons, qui joue de tous les instruments, qui ne pense qu’à la musique et qui frappe violemment ses musiciens quand ils font des fausses notes. Il est l’œil du cyclone. Grâce à la progression du film, on découvre peu à peu son envergure, ses drogues et ce chaos permanent qu’il s’ingénie à instaurer. Anton Newcombe n’a rien, pas d’argent, pas de maison. C’est un SDF. Le portrait est si bien fait qu’il chasse très vite les mauvais souvenirs qu’ont pu laisser ses albums. Il faut bien dire qu’on ne se relève pas la nuit pour écouter Strung Out In Heaven. On gardait le souvenir d’un rock sixties un peu mou du genou, alors qu’Alternative Press encensait le groupe. Dans le film, les extraits de concerts californiens sont extravagants. Anton Newcombe n’hésite pas à se présenter comme le next big thing. Sur scène, la ligne de front du BJM comprend trois guitaristes et Joel Gion au tambourin. Ils détiennent le pouvoir suprême. Leur son est raunchy. Attiré par le fromage, le business accourt au Viper Room de Los Angeles. Mais Anton opte pour cette forme de chaos ultime qu’on appelle le sabotage. Il vire ses guitaristes et Joel Gion qui avoue en rigolant avoir été déjà viré à 21 reprises. Pour Anton, c’est le chaos ou rien. Pas question de vendre son cul à ces majors qu’il hait profondément. No sell out. Il n’en finit plus de marteler «I’m not for sale !» Les gens d’Elektra étaient venus lui proposer un contrat d’un million de dollars. Il préfère saboter le show. C’est là où ce mec devient fascinant. 

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Greg Shaw

         Par contre il s’entend bien avec Greg Shaw, le boss de Bomp!. Aux yeux de Shaw, Anton Newcombe est une sorte de prophète, pas un jerk. Anton accepte d’enregistrer son prochain disque sur Bomp!. En échange, Greg Shaw loue une maison à Los Angeles pour le groupe. C’est la fameuse Larga House qu’Ondi Timoner filme en long et en large. L’épisode Larga House renvoie aux grands mythes des maisons rock’n’roll : la villa des Stones à Villefranche-sur-Mer, la maison du MC5 à Ann Arbor, la ‘Woodland Hills house’ du Magic Band, sur Ensanada Drive. Ondi Timoner va rentrer dans cette maison avec sa caméra et ramener quelques-unes des plus grandes images de l’histoire du cinéma rock. Elle surprend Matt Hollywood au réveil : il s’empare immédiatement d’une guitare, avant même d’avoir bu un café. Pas de meubles. Pas d’hygiène. C’est une party-house. Des gens comme Harry Dean Stanton y traînent. C’est là que le BJM enregistre l’album Give It Back. Ces coqueluches de Capitol que sont les Dandy Warhols viennent même y faire une séance photo, histoire de s’encanailler. Voilà tout le paradoxe du film : les membres des deux groupes sont amis mais tout les sépare. Chaque fois qu’Anton Newcombe écrit une chanson, il écrase Courtney Taylor par son génie de songwriter. Les Dandy Warhols sont dans le carriérisme et le BJM dans le no sell out. Anton Newcombe a une classe que Courtney Taylor n’aura jamais. On l’entend clairement. On sait à quel point les albums des Dandy Warhols sont mauvais. Il faut voir Anton coiffé de sa toque en fourrure et les joues mangées par d’énormes rouflaquettes déambuler dans les rues de New York en patins à roulettes et se casser la gueule. Une vraie dégaine d’Elvis trash, vêtu de blanc et le visage dévoré par d’immenses lunettes à verres jaunes. Il veut entrer dans une fête où jouent les Dandy Warhols mais la grosse à la caisse le fait dégager. Bizarrement, Ondi Timoner insiste beaucoup sur les Dandy Warhols, et leur côté putassier, en montrant notamment des extraits des mauvais clips MTV. Leur musique frappe par son insignifiance. Ils tentent même de réinventer la Factory à Portland parce qu’ils ont le mot Warhol dans le nom de leur groupe. Ondi Timoner nous montrera aussi leurs mariages et on entendra même les membres du groupe dire qu’il vaut mieux avoir la tête sur les épaules pour pouvoir payer les factures. De toute évidence, le conformisme des Dandy Warhols sert à mettre en valeur le génie trash d’Anton Newcombe.

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         Le clou du film, c’est la tournée américaine du BJM, qu’Hector Valencia surnomme The Tragical Mystery Tour. Suivi par l’équipe de tournage, ils roulent à travers les USA à bord d’un van et donnent des concerts improbables. À Cleveland, ils jouent dans le local du parti communiste pour dix personnes. C’est le sommet du trash. Des mecs tapent sur les musiciens. Ils embarquent Joel Gion dans un coin pour le tabasser. Chaos total. Sur la route, Anton fume de l’herbe et de l’héro pour se maintenir éveillé et pouvoir continuer à conduire, sans permis, bien sûr. À Homer, en Georgie, ils tombent sur un contrôle. Permis ? Pas de permis et les  flics ventripotents trouvent de l’herbe dans le van. Ondi Timoner filme tout ça. Joel Gion se marre. Il ne fait que ça tout au long du film, se marrer. Anton Newcombe va au trou et Greg Shaw le fait sortir. Mais le groupe explose. Une fois de plus.

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         Quand TVT Records signe le groupe, on envoie Joel à la place d’Anton à New York. Le mec qui tente de manager le BJM a la trouille qu’Anton fasse tout foirer une fois de plus. Derrière ses grandes lunettes de Rolling Stone, Joel est plié de rire. Il signe les paperasses qu’on lui présente. Lors de la sortie du film en salle, tout le monde se marrait, comme s’il s’agissait d’un film comique. L’autre grande scène riveuse de clou du film est celle où Anton fait monter Courtney Taylor dans une bagnole pour lui faire écouter «Not If You Were The Last Dandy On Earth» sur l’auto-radio. Taylor est sidéré par le son du BJM. C’est Matt Hollywood qui chante ça. Comme Brian Wilson, Anton s’enferme dans son univers. Il passe à l’héro et plonge dans un maelström musical permanent, il compose et expérimente, enregistre des bandes et des bandes qu’il stocke dans des boîtes et qu’il oublie. C’est l’époque de Strung Out in Heaven, un album un peu ennuyeux qu’il faut cependant réécouter. Anton finit par virer tous les musiciens. Il repart en tournée avec sa sœur qui chante comme une casserole. Un mec du public l’insulte, alors Anton lui dit : «Approche, si t’es un homme !». Le mec approche et Anton shoote dans sa tête comme s’il shootait dans un ballon de foot. En pleine gueule ! C’est d’une rare violence. Les flics le coffrent pour agression. Chaos, suite et jamais fin. Enchaîné et enfermé dans une cage, Anton continue d’éructer. Il crache sur le music business et sur tous ces fucking assholes qui ruinent la musique.

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         De son côté, Jesse Valencia révèle dans son livre que les avis sur le film sont partagés. Tout n’est pas aussi automatique qu’on veut bien le croire. Ondi Timoner est persuadée d’avoir rendu un grand service au BJM : partout où passe le film, les gens achètent les disques du BJM - The record stores sell out - Mais Anton Newcombe ne partage pas du tout l’enthousiasme d’Ondi Timoner. Aussitôt après la sortie du film, Anton balançait ça sur le site du BJM : «Je m’investis beaucoup dans ma musique, je l’ai toujours fait et j’espère que le film est assez clair là-dessus. Mais quand j’ai vu le résultat final, c’est-à-dire le film tel qu’il est sorti, j’ai été choqué. Il résumait plusieurs années de travail acharné à une série de bagarres et d’incidents sortis de leur contexte, avec en plus des mensonges flagrants et des mauvaises interprétations des faits réels. J’espère que les gens qui verront ce film sauront quoi en penser.» Jeff Davies est du même avis. Il dit que ce fut très pénible les deux premières fois où il est allé voir le film en salle. Ça ne correspondait pas du tout à la réalité - It was so untrue - Davies dit qu’Ondi Timoner s’arrangeait pour filmer en cachette des plans de shooting up d’héro ou de baise - Elle te parlait et tu remarquais, à l’autre bout de la pièce, une caméra planquée sous un chapeau - Betsy Palmer qui faisait tout pour ramener le focus sur la musique et non sur les punch-up fut aussi déçue par le film : elle voulait que le film montre le processus créatif du BJM. Elle est furieuse, car le film s’achève avec la désintégration du groupe, alors qu’en réalité, le BJM continuait de tourner et de travailler. Ce dont se sont aperçus tous ceux qui continuaient d’acheter les albums. Les albums sonnaient plutôt bien.

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Ondi Timoner

         Il n’empêche qu’en tant que cinéaste, Ondi Timoner s’en sort avec les honneurs. Quels que soient les avis, le film continue d’échauffer les cervelles, et c’est bon signe. Jesse Valencia avoue qu’il découvre de nouvelles choses à chaque fois qu’il revoit Dig! C’est parfaitement exact. On peut revoir ce film de loin en loin et on découvrira toujours de nouveaux détails, ou des choses mal interprétées auparavant. Aux yeux de Jesse Valencia, Dig! se situe au niveau des grands classiques du cinéma rock. Il cite comme exemples Don’t Look Back, Gimme Shelter et The Kids Are Alright. Il indique aussi qu’Ondi Timoner a dédié son film à Greg Shaw, rappelant au passage que le BJM fut le dernier groupe dont s’était occupé Shaw avant de casser sa pipe en bois - Shaw remained the BJM most faithful champion until his death in 2004 - C’est en 2005, lorsque le film est sorti sur DVD que le BJM est devenu culte. Les places de concerts s’arrachaient en deux heures. Voir le BJM à Paris était devenu impossible. Anton continuait pourtant de grogner : «Ce film raconte une histoire et cette histoire n’est pas vraie. J’ai été arnaqué. Je pense qu’elle aurait pu faire un grand film. Quel gâchis !» Furieuse, Ondi Timoner répond par interview interposée : «Il n’en finit plus de m’insulter. Je ne supporte plus d’entendre son faux accent anglais !»

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         Jesse Valencia indique qu’il est devenu fan du BJM en voyant le film, fasciné par la personnalité ‘abrasive et charismatique’ d’Anton. Alors il s’est mis à écouter les disques, à aller voir le groupe sur scène, puis il s’est lancé dans la rédaction d’un livre qui est en fait un pensum extraordinaire, une mine d’information sur le plus underground des groupes californiens. On peut considérer cet ouvrage comme l’œuvre d’un fan et la profondeur de sa perspicacité rejoint celle d’un Richie Unterberger. Tout est ruminé dans le moindre détail. Les notes de bas de pages ralentissent la lecture mais n’en finissent plus de ramener des détails à la surface d’un océan d’informations.

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Joel Gion

         Joel Gion fait très vite son apparition dans le groupe en tant que God of Cool & party animal - I was really really into being fucked up back then - Joel affirme que personne ne pouvait l’égaler au petit jeu du fuck-it-up. À l’époque de la sortie du film en salle, nous étions nombreux à penser qu’il volait la vedette à Anton Newcombe. Le God of Cool se marrait quand Newcombe s’énervait.

         Valencia revient longuement sur l’héro qui selon lui a failli détruire le groupe. Un témoin raconte que the Larga House was a train wreck, c’est-à-dire le désastre d’un train qui a déraillé, avec un Anton qui ne se lave plus et qui ne change plus de vêtements. D’ailleurs, on le voit un peu allumé à un moment donné dans le film, avec des rouflaquettes qui ont doublé de volume. ‘Anton was pretty far gone’, ajoute Dawn Thomas. Valencia collecte aussi tous les récits d’incidents, allant un peu dans le même sens qu’Ondi Timoner : bon d’accord, il est bien gentil le rock psychédélique, mais les gens s’intéressent beaucoup plus aux scènes de violence. À lire le book de Valencia, on finit aussi par croire qu’Anton Newcombe passe son temps à se battre et à se fâcher avec les gens de son entourage. Des shootes éclatent quasiment à chaque page. Dans une scène que décrit minutieusement Valencia, on voit Anton pisser sur le blouson de Dave Deresinski, le premier manager du groupe.

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Matt Hollywood

         Le livre ramène aussi quantité de détails sur le Tragical Mystery Tour. Les membres du BJM en ont tellement marre du despotisme d’Anton qu’ils profitent de son sommeil pour se tirer en douce avec le van et le matos. Mais un concert du BJM est booké à Austin, alors Anton monte seul sur scène et forcément le public gueule, ce qui le fout en pétard. Malgré tous ces revers de fortune, Anton réussit miraculeusement à maintenir le cap. Sa volonté dit un témoin lui permettait de surmonter tous les obstacles - It was the most superhuman feat I’ve ever seen - C’est là où il devient spectaculaire. Les gens le voient même comme une sorte de Raspoutine, charismatique, avec des zones d’ombre, presque un personnage de fiction. Il finit par ne plus porter que du blanc. Et dès qu’il signe un nouveau deal avec TVT, Anton achète des tas d’instruments : trois douze cordes, un Hammond B3, des guitares Vox, des sitars, un kit Pearl Ludwig et avec sa toque en fourrure, il se donne des airs de Charles Manson. Pendant qu’il dépense sans compter, Joel et Matt doivent se contenter de 20 $ par semaine. Pas de voiture. Ils sont coincés dans la maison d’Echo Park qu’Anton transforme en studio. Avec le temps, Joel est devenu fataliste : il a fini par comprendre qu’il ne gagnerait pas un rond dans le BJM. Anton récupère tout. Kate Fuqua qui séjourne un peu à Echo Park à l’époque raconte qu’Anton prenait tellement de drogues qu’il lui arrivait de perdre tout contrôle : il pouvait subitement bondir par-dessus la table pour sauter à la gorge d’un mec et tenter de l’étrangler. Mais Greg Shaw reste confiant : «Pourquoi auraient-ils réussi à tenir tant de temps pour finir par se détruire ? Impossible ! Ça voudrait dire qu’ils ressemblent à tous les autres groupes.»

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         Puis Anton s’installe dans une maison sur Lookout Mountain, à Laurel Canyon, une maison où avait vécu LeadBelly. On trouve aussi dans ce livre les petites frasques du record business, incarné ici par un nommé Dutcher qui pendant qu’Anton et Joel font la manche dans la rue pour gagner de quoi s’acheter à bouffer et des clopes, se paye un voyage de noces d’un mois en Europe avec sa femme Debbie. Dutcher dément, bien sûr. Il rétorque en accusant Anton d’avoir claqué tout le blé en dope. Parmi les gens qui gravitent autour d’Anton, on retrouve Bobby Hecksher et Peter Hayes. Bobby voudrait bien jouer avec le BJM, mais il arrive au moment où le groupe sombre dans la déprime, alors il va monter les Warlocks. Lors de cette même répète, Peter Hayes monte le Black Rebel Motorcycle Club. Quand un mec qui se croit malin demande à Anton s’il va aller voir le Black Rebel Motocycle Club sur scène, Anton lui répond que Peter Hayes a appris à jouer de la guitare avec lui - Know what I mean ?  I’m going to the pub to have a pint ! - Ces deux groupes doivent tout à Anton, notamment leur son et leur état d’esprit. Valencia dit aussi que Moon Duo s’inspire directement de ce son - That droning driving psychedelic rock sound.

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         Quand Anton perd tout, son groupe, son manager, son label, son père et son matériel, il redémarre à zéro avec l’EP Zero. On retrouve ces cuts sur l’album Bravery. Témoignage fascinant aussi que celui d’Ed Harcourt qui est accosté dans la rue par un maniaque aux yeux ronds comme des soucoupes : Anton lui demande de venir faire des voix sur un cut, il a besoin d’un British singer. La séance dure toute la nuit, Anton et Ed s’engueulent, et au matin Anton raccompagne Ed à son hôtel.

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         Valencia revient assez régulièrement sur le line-up du BJM, mais on a un peu de mal à suivre. Il semble tout de même qu’à une époque Anton ait réussi à stabiliser un line-up avec Don Allaire, Frankie Teardrop, Rob Campanella et Ricky Maymi. Mais les gens continuent de le voir comme un mec insupportable, jamais content, qui se plaint des éclairages et du son, qui engueule ses musiciens et qui insulte le public. Il annule encore des concerts, et se barre dès que les gens commencent à le huer. Il réalise à un moment qu’il tourne en rond aux États-Unis. Sick of America. Il s’est installé à New York et il sent que ça lui tire sur la couenne. Il ne veut plus non plus se voir rattaché à l’image que donne Dig! du BJM, l’image d’un groupe stupide, violent et drogué. Dès qu’un journaliste mentionne Dig! dans une interview, Anton se barre. C’est là qu’il décide de changer d’environnement. Direction l’Europe. En 2008, il s’installe à Berlin.

         Il commence par arrêter de boire. Pas facile - J’ai vite compris que j’allais crever si je continuais à boire, et ce n’était pas mon intention de finir comme ça. Pourtant j’adorais être pété du soir au matin, mais à la façon d’un cowboy, où comme le dit Sinatra, ‘La fête continue, let’s all drink Martinis forever.’ Ça n’avait pas grand-chose à voir avec le rock’n’roll - Mais même sobre, ses proches le perçoivent mal - Ce n’est pas qu’il ait changé, he was a sober dick, c’est-à-dire un con sobre. Pour son entourage, Anton est cinglé, qu’il soit à jeun, pété ou sous héro. C’est la même chose.

         Tout ceci n’en finit plus de jeter des éclairages sur l’œuvre d’Anton Newcombe, l’une des œuvres majeures du rock moderne. Un certain Alan Ranta déclare que le génie d’Anton Newcombe est palpable dans la période 93-03 du BJM. Pour lui, certains cuts figurent parmi ‘the finest experiences of rock’n’roll’.

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         Tiens on va faire un petit break et entrer dans le rond de l’actu : le BJM est à la Cigale, alors pas question de rater ça. Tu viens Jean-Yves ? Oui ! Anton Newcombe a pris du bide, et il planque ses cheveux blancs sous un grand chapeau. Il a deux guitaristes avec lui et le sosie de Brian Jones en bug eye shades à la basse. T’as toute la magie du BJM dès le «Maybe Make It Right» d’ouverture de set, mise en place impeccable, vitesse de croisière immédiate, et t’as ce «Vacuum Boots» qui suit et qui

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sonne comme un hit des sixties. La bonne nouvelle est que Joel Gion est aussi là, et que, comme d’usage, il ne sert strictement à rien, il sourit et claque son tambourin sur les fantastiques heavy grooves californiens qui se succèdent. Il ne se passera rien de plus que tout ce que tu sais déjà du BJM, mais tu savoures chaque seconde de BJM, car tu sens vibrer les racines en toi, c’est un son qui te parle et que joue sous tes yeux l’une des dernières grandes rock stars. On lui passe très vite une Vox douze cordes. Quand il part en solo psychédélique, il se rapproche de son Brian Jones et ils font leur petit cirque au fond de la scène en tête à tête. Sacré Anton, même ventru, il

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continue d’avoir de l’allure. Tous ces grooves se mettent merveilleusement en place. Il les chante un par un, il va en chercher des plus anciens comme le «Vacuum Boots» et des plus récents comme «Do Rainbows Have Ends». Il aménage des grandes zones de vague à l’âme entre chaque cut, et fait semblant de s’interroger sur la suite. Il semble être devenu extrêmement pacifique. Il ne distribue plus des coups de poing dans la gueule des gens comme avant. Dommage, ça avait du charme.

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Ils font même monter sur scène le mec des Big Byrd qui jouait en première partie. Ce set est à la fois un événement et un non-événement. Diable comme la Cigale est belle, diable comme les parisiens aiment à surfer sur la tête des gens, diable comme la bière est bonne au bar après le set et diable comme les T-shirts à l’effigie de Brian Jones sont chers, mais comme ils sont beaux, diable comme la foule est dense et diable comme la scène est haute, diable comme les grooves te caressent la peau, et diable comme tu aimerais que le BJM joue jusqu’à la fin des temps, diable comme «When The Jokers Attack» a pu garder toute sa candeur virginale, diable comme tu te sens seul sur le trottoir à la sortie. Tu repars avec tes fantômes.

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Signé : Cazengler, Newcon tout court

Brian Jonestown Massacre. La Cigale. Paris XVIIIe. 20 mai 2025

Jesse Valencia. Keep Music Evil. The Brian Jonestown Massacre Story. Jawbone Press 2019

Ondi Timoner. Dig! DVD 2004

 

 

L’avenir du rock

- Early n’est pas en retard

         Histoire de rigoler un bon coup, l’avenir du rock va voir un psy.

         — Allongez-vous sur le divan, avenir du rock.

         Le psy s’assoit un peu en retrait. Il attend. Une longue minute passe. Puis deux...

         — Je vous écoute, avenir du rock...

         — Ah c’est à moi de parler ? Je croyais que vous alliez me poser des questions.

         — En vertu de mes principes éthologiques, je ne pose pas de questions. Ce serait prendre la place du père. Vous pourriez souffrir du complexe d’intrusion. Parlez-moi de vous...

         — J’ai tous les défauts. Je suis une vraie catastrophe...

         — Les défauts élaborent l’image spéculaire de vos qualités...

         L’avenir du rock ne pige rien à ce que raconte ce con, mais il poursuit:

         — Je suis égoïste, et même un gros porc d’égoïste, je suis malveillant, jaloux, tordu, raciste, avare, macho, envieux, pourri, colérique, paresseux, obsédé sexuel, libidineux, dépravé, frimeur, menteur, lâche, hypocrite, vous zavez pas idée, mytho et miso à un point qui me dépasse, et des fois je me demande si je suis pas homophobe, mais comme j’adore Ziggy Stardust, ça me rassure, vous voyez le truc ?    

         — Poursuivez, je vous prie...

         — Sais pas si l’orgueil est un défaut ou une qualité, mais on me l’a souvent reproché, notamment toutes mes ex. C’est pas fini ! Chuis un gros ringard, un bas du front têtu comme une bourrique, mais le plus grave, c’est le côté ténébreux, suis sournois comme une grosse araignée, superficiel comme un clerc de notaire...

         — Tout cela est assez banal. Quel est le pire défaut selon vous ? Celui que vous n’acceptez pas ?

         — Une ex m’a dit un jour, au moment du coït : « Tu pues de la gueule ! ».

         — Brossez-vous les dents. Pendant que votre ego peine à pousser son rocher sisyphien vers le sommet, votre alter ego couve les œufs d’or de vos qualités. Vous les connaissez certainement...

         — Une seule : la ponctualité ! Suis jamais en retard !

         — Comment vous représentez-vous cette représentation ?

         — Toujours early ! Early James, bien sûr !

 

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         Alors ça c’est une bonne surprise ! Un petit Alabama boy débarque en Normandie et vole le show. On peut dire qu’il a la main leste. Pouf, ni vu ni connu. Il joue en première partie et on se fait vraiment du souci pour les Lowland Brothers qui vont devoir jouer après lui. En une petite heure, il a mis le club dans sa poche.

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On voit rarement des mecs aussi brillants. Artistiquement, il est complet. Voix et poux. Il gratte sa Tele comme un beau diable, il va chercher la craziness country, il tape des pointes de vitesse et peut rivaliser de fluidité avec James Burton et Larry Collins. Côté voix, il tape dans un baryton de type Nick Cave, mais en nettement plus fruité, plus élégiaque, plus technicolor. Early James est LE nouveau crack du boum-hue, il devrait faire des ravages chez les becs fins. Ses compos montent droit au cerveau, et quand il part en solo, il file droit sur l’horizon. Il gratte avec un onglet de pouce et tiguilite mille notes à la seconde, sans même jeter un œil sur son manche. Il tape dans tous les registres, le dirt boogie d’Alabama, l’heavy blues d’Alabama, le Southern Gothic d’Alabama, enfin tout ce qu’on peut bien imaginer. Il n’a pas l’air de connaître le mot limite. Par l’extrême beauté de ses compos, par la force de sa présence scénique et par sa technique de picking, il sort du lot. Sa dimension artistique est réelle. Early James est un géant.

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         Un géant sans doute timide, car il n’est pas d’un abord facile. Il enregistre sur le label de Dan Auerbach, mais il est d’accord sur le fait qu’Auerbach transforme le son des Blackos. S’il connaît Matt Patton ? Oui, bien sûr. Il évoque aussitôt les Drive-By-Truckers. Il vit dans ce monde-là, le nouveau monde des cracks du Deep South. Même s’ils sont blancs, ce n’est pas grave, l’essentiel est qu’ils perpétuent cette tradition issue de Muscle Shoals.

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         Sur scène, deux mecs des Lowland Brothers l’accompagnent : Max (basse) et Hugo (beurre). Pas de problèmes, ils jouent comme des vieux pros. L’Early tape surtout des cuts tirés du troisième album, Medium Raw, notamment «Steely Knives», enlevé en mode fast country, ou encore «Gravy Train» et «Tinfoil Hat» qu’il tape vers la fin du set et qu’il charge bien de la barcasse. Il articule tout ça avec les arpèges du diable. On se re-régale de ce «Gravy Train» qu’il emmène la gueule au vent. Encore des retrouvailles avec «Rag Doll» qu’il agrémente au gras de cabaret incertain, mais il arrondit les angles avec des variantes roundy. Il passe à l’heavy

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country avec «I Could Just Die Right Now», il l’arrange à la traînasse du singing the blues, il reste à la fois intense et cool as fuck. Il passe à l’heavy doom d’Alabama avec «Dig To China», il peut descendre dans l’heavyness de la meilleure espèce, avec les vieux ressorts du seventies blasting. Il termine en mode heavy blues-rockalama avec «I Get This Problem», il claque son cloaque à la mode ancienne. Doté d’une présence vocale inexorable, il groove dans le dur d’Alabama, mama.

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         Ses albums sont là pour rappeler qu’Early james est un touche-à-tout de génie. Sur Strange Time To Be Alive, il peut faire le white nigger («Racing To A Red Light», heavy gloom d’Alabama qu’il place en cœur de set), il tape le Big Atmospherix au plus haut niveau («My Sweet Camelia», puissant dans les ténèbres), il fait aussi du cabaret d’Alabama («Pigsty», pur jus de round midnite), les Beautiful Songs n’ont aucun secret pour lui («Splenda Daddy» et «Wasted & Wanting», qu’il arrose de parfum des îles, avec un chant incroyablement raw to the bone). Il sait aussi taper un

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duo d’enfer («Real Low Down Lonemome») avec Sierra Powell. Il profite d’ailleurs de l’occasion pour y claquer des espagnolades d’Alabama. Il regagne la sortie avec le captivant «Something For Nothing» - I just want something/ For nothing/ Some kind/ Of strange alchemy - Te voilà conquis.

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         On peut même remonter sa piste jusqu’au premier album, Singing For My Supper, un Nonesuch de 2020. Il se pourrait bien que ce soit son meilleur album. Il met une grosse machine en route dès «Blue Pill Blues». Il a tellement de son et tellement de gras dans le timbre. Il chante d’un timbre assez unique, gras et plat à la fois, un timbre colérique et puissant, très écrasé. Il se planque derrière son ombre. Il n’est ni Van The Man, ni Scott Walker, ni Tom Waits. C’est encore autre chose. Early James. Il craque bien le climat avec «Way Of The Dinosaur». Sa voix porte en profondeur. Il attaque toujours de bonne heure. Il crée des climats à la seule force de la voix. Il peut descendre dans des abysses jusque-là réservées à Lanegan. «Way Of The Dinosaur» sonne comme un sommet de la gloire. Il tape son «Easter Eggs» en mode country légère. C’est lumineux, bienvenu, accueilli à bras ouverts. Quel entrain et quelle ampleur ! Il en fait une valse à trois temps. Il passe à la grosse dramaturgie avec «It Doesn’t Matter Now». Il se jette à corps perdu dans la balance qui s’écroule. C’est toujours la même histoire : les balances ne sont pas faites pour ça. Il tient encore la dragée très haute avec une samba du diable, «Gone As A Ghost». Peu de gens sont capables d’aller chercher une telle puissance interprétative. Il crève le ciel !

Signé : Cazengler, Early in the morning

Early James. Le 106. Rouen (76). 16 mai 2025

Early James. Singing For My Supper. Nonesuch 2020

Early James. Strange Time To Be Alive. Easy Eye Sound 2022

Early James. Medium Raw. Easy Eye Sound 2025

 

 

Devil in the Garwood

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         Pas la peine de te raconter des histoires : tu vas voir jouer Duke Garwood uniquement parce qu’il a fréquenté Lanegan. Assister à son récital, c’est une façon de se rapprocher de Dieu, c’est-à-dire Lanegan. Mais si on l’aborde pour lui demander d’évoquer Dieu, Garwood botte en touche. Deux fois, une fois avant, et

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 une fois après le set. Garwood est comme Dieu, il n’en a rien à foutre. Rien à foutre de rien. Ni du temps, ni du public, ni des conventions. Il s’en fout comme de l’an 40. En une heure trente, il réussit à vider la salle. On n’avait pas vu ça depuis longtemps.

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Pendant une heure trente, il s’accorde et se désaccorde, il enchaîne les cuts les plus désespérés qu’on ait pu entendre ici-bas depuis ceux du camp tsigane d’Auschwitz-Birkenau. Si tu veux te suicider, écoute Duke Garwood. Il cultive le désespoir extrême, celui des ceusses qui se paument dans le désert. Il s’égare dans l’immensité de son austérité. Il est le prince de la désolation. Il bat les Birthday Party à la course.

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Il bat même le «Ballad Of The Dying Raven» de Dieu, c’est-à-dire Lanegan, à la course. Il bat aussi le «Dead In The Head» de Lydia Lunch à la course. Il bat Smog, Big Maybelle, tous les cracks du désespoir, et pourtant, tu ne t’en lasses pas. Quand croyant lui faire un compliment, tu lui dis qu’il sonne exactement comme Lanegan,

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ça le bloque encore plus. Il se ferme comme une huître. Crack. T’en tireras rien. Que dalle. Pas un mot sur Dieu. Au fond qu’espérais-tu ? Allait-il te dire que Dieu était génial ? Allait-il te dire que Dieu avait créé le monde ? Allait-il te dire que Dieu n’était pas mort ?

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         Bon, à ce stade des opérations, il est important d’aller voir ce qui se passe dans les disks. On ramasse Rogues Gospel au merch de la désolation. Deux clébards sur la pochette. Ouaf ouaf ! Un batteur accompagne le Duke. C’est un big album. On croit tout simplement entendre Lanegan. Le Duke tape «Country Syrup» à la plaintive horizontale et retrouve les accents chauds de Lanegan. Même chose avec «Maharajah Blues», «Neon Rain Is Falling» et le morceau titre, qui sonnent comme des complaintes de nuit de pleine lune. Son hypno du désert est tellement riche qu’il en devient spongieux. On sent comme une résurgence des Screaming Trees dans «Neon Rain Is Falling». C’est exactement le même son. En B, il va chercher des infra-basses dans les ténèbres laneganiennes pour «Heavy Motor». Les enceintes vibrent  et menacent de rendre l’âme. Le Duke cultive la latence de la persévérance et ramène un sax oublieux dans «Whispering Truckers». Il regagne la sortie avec un «Lion On Ice» aussi paumé qu’un lion sur la banquise.

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         Comme on avait au temps de Lanegan ramassé tout ce qu’il avait enregistré, on retrouve Duke Garwood dans l’étagère. Pas grand-chose à dire de Black Pudding qu’il enregistrait voici 12 ans avec Dieu, c’est-à-dire Lanegan. On s’y ennuie un peu. La guitare de Garwood se perd dans le désert. La perdition est son fonds de commerce. On croirait entendre Ali Farka Touré en plus gris. Lanegan psalmodie. Il parle de Jésus, ce qui paraît logique vu qu’il s’agit de son fils. On tombe plus loin sur un «Mescalito» tapé en mode beat machine. Lanegan y évoque un autre fonds de commerce, le sien, qui est le sorrow. Les chansons, comme l’album, sonnent comme des causes perdues. Le désespoir qui y règne est d’une profondeur insondable. À force de dénuement, «Death Rides A White Horse» paraît beau. Avec «Cold Molly», Dieu se livre à un fantastique exercice de cold cold style. Il nous boppe son cold et avance en crabe sur une plage de sable noir. T’as l’image. 

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         Dieu & Duke remettent ça cinq ans plus tard avec With Animals. C’est bien planté du décor. Ils te font le désert sans eau. Dieu dans ses œuvres. Dieu quémande de l’amour dès «Save Me». Dieu fait du pur Lanegan avec «Feast To Famine», un heavy balladif de when you cut me/ I bleed. C’est bien épais et sans le moindre espoir. Au coin d’un couplet, Dieu te confie ceci : «You know I’m good for the damage.» On s’en serait douté. Cet album est gorgé d’une présence indicible. Dieu y va au I love you baby. Dieu fait le show, il psalmodie à la plaintive décharnée. Le Duke claque les notes d’«LA Blue» out of the blue. Tout est bien plombé sur cet album. Ça grince dans la tombe du rock et t’as même l’orgue de barbarie dans «Lonesome Infidel». C’est pire que tout, funèbre à l’extrême. Encore du classic Lanegan avec «One Way Glass». Ce fantastique chanteur de rock groove les profondeurs de son âme ténébreuse.

Signé : Cazengler, Duke Gare du Nord

Duke Garwood. Le Kalif. Rouen (76). 3 mai 2025

Mark Lanegan & Duke Garwood. Black Pudding. Ipecac Recordings 2013

Mark Lanegan & Duke Garwood. With Animals. Heavenly 2018

Duke Garwood. Rogues Gospel. God Unknown Records 2022

 

 

Wizards & True Stars

 - Ubu Roi

 (Part One)

 

         Le vieil Ubu David Thomas vient tout juste de casser sa pipe en bois, aussi allons-nous de ce pas lui dresser un autel funéraire et célébrer une messe païenne puisqu’il nous incombe d’honorer son honorifique mémoire. Pour ce faire, nous sortirons du formol un texte ubuesque paru dans les Cent Contes Rock. Ce texte fit d’une pierre deux coups, puisqu’il chantait les louanges du deuxième single de Pere Ubu («The Final Solution»), et celle du Grand Précurseur de tout devant l’éternel, le spécialiste des solutions imaginaires Alfred Jarry.

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Principaux personnages :

Crocus Behemoth : gros chanteur palotin

Mère Ubu : protagoniste circonstanciée

Tom Herman : premier guitariste

Peter Laughner : second guitariste

Tim Wright : bassiste court sur pattes

Scott Krauss : tambour de guerre

Dave Taylor : pilote de spoutnick

 

Crocus Behemoth

— Merdre !

Mère Ubu

— Oh ! En voilà du joli, Crocus Behemoth ! Qu’avez-vous donc à jurer comme un cocher anglais ?

Crocus Behemoth

— En tant que leader charismatique de Pere Ubu, je dois faire une déclaration universelle !

Mère Ubu

— Ici, à Cleveland ? Dans le trou du cul du monde moderne ?

Crocus Behemoth

— À Cleveland, à Varsovie ou à Pétaouchnock, cela reviendrait au même. De par ma chandelle verte, ce que j’ai à déclarer est de la plus haute importance ! Ôtez-vous de mon chemin car ma voix doit porter loin ! Qu’on fasse venir mes fidèles musiciens illico-presto !

Tom Herman

— Nous voici au grand complet, sire, prêts à vous servir jusqu’à notre dernière goutte de sueur.

Crocus Behemoth

— Accorde ta guitare et ferme ta boîte à camembert, vil guitariste ! Tu nous feras des commentaires lorsque je t’aurai sonné, est-ce bien compris, face de rat ? Il s’agit pour l’heure de s’adresser à la postérité et le monde attend que Crocus Behemoth fasse sa déclaration universelle.

Mère Ubu

— Et alors, gros sac à foutre, qu’as-tu donc à déclarer de si important, toi qui es plus con qu’une queue de curé ?

Crocus Behemoth

— Justement, Mère Ubu, j’y viens. Prenez garde qu’à coups de génie je ne vous fasse ravaler vos paroles. Orchestre, êtes-vous prêts à sonner l’hallali ?

L’orchestre

— Nous voilà fin prêts, sire. Nous épouserons les lignes harmonieuses du moindre de vos désirs et vous suivrons jusqu’aux cimes de votre génie, sans cordes ni piolets !

Crocus Behemoth

— Jetez plutôt vos métaphores à mes chiens, bande d’étraves. Je ne mange pas de ce pain-là ! Alors, hâtez-vous de vous mettre en ordre de bataille. Je veux un tempo lourd comme le pas d’un éléphant, et veillez à ce qu’il se charge des plus grandes menaces ! Que les peuples d’Aragon, de Pologne et du Michigan s’enfuient comme des volées de moineaux à notre arrivée...

 

L’orchestre exécute les ordres du roi jean-foutre à la lettre. Tim Wright frappe sur ses cordes de basse, martelant un rythme digne des éléphants de Scipion l’Africain traversant les Alpes. Dom do-do dom... Dom do-do dom. Au bout de deux mesures, il est rejoint par la meute au grand complet. Ils entrent dans la danse et rudoient leurs instruments, les yeux fixés sur les pointes de leurs escarpins. Un spoutnick s’élève et traverse la salle du trône en zigouinant.

Crocus Behemoth, d’une voix d’outre-tombe :

— Les filles ne me touchent pas car je suis atteint d’une déviance...

Crocus Behemoth lâche un pet atomique.

Mère Ubu

— C’est fort honnête à vous de bien vouloir reconnaître que vous êtes déviant, gros dégueulasse !

Crocus Behemoth, sur le même registre :

— Et vivre la nuit n’embellit pas mon teint...

Crocus Behemoth lâche un second pet atomique.

Mère Ubu

— Ah quelle pestilence ! Plus je vous contemple et plus vous me faites l’effet d’un gigantesque navet puant !

Crocus Behemoth, d’une voix hystérique :

— D’après les symptômes, il s’agit d’une épidémie sociale...

Mère Ubu

— C’est vous, pachyderme au cul crotté, qui êtes une épidémie !

Crocus Behemoth, d’une voix de bête traquée :

— Le fait de s’amuser un peu n’a jamais été une insurrection !

Mère Ubu

— Vous allez nous faire pleurer avec vos jérémiades. Avez-vous d’autres couplets ?

Crocus Behemoth, d’une voix mielleuse :

— Ma mère m’a foutu à la porte jusqu’à ce que je trouve une culotte qui m’aille...

Crocus Behemoth lâche un pet rachitique.

Mère Ubu

— Avec un cul pareil, vous avez dû en baver.

Crocus Behemoth, sur le même registre :

— Elle n’apprécie pas vraiment mon sens de l’humour...

Mère Ubu

— Vous êtes bien le seul que le grotesque n’effraie pas. Je vous plains amèrement.

Crocus Behemoth, d’une voix de castrat à l’agonie :

— Je suis tellement excité, je serai toujours perdant, on me jette de partout, je n’insiste pas...

Mère Ubu

— Bien fait pour vous. Vous mangez comme un porc. Regardez-vous dans un miroir !

Crocus Behemoth, sentant la moutarde lui monter au nez :

— J’ai pas besoin d’une cure d’amaigrissement ! Je veux une solution finale ! J’ai pas besoin d’une cure d’amaigrissement ! Je veux une solution finale !

 

Une accalmie s’ensuit, embellie par des gazouillis d’oiseaux. Tim Herman joue un pont dada, grattant quelques subtiles variations destinées à tromper la vigilance de l’ennemi massé aux frontières.

Crocus Behemoth, d’un ton guerrier :

— Achetez-moi un ticket pour un voyage sonique...

Crocus Behemoth lâche un pet embarrassé de tuberculeux.

Mère Ubu

— Alors bon voyage ! Nous allons de nouveau pouvoir respirer l’air pur !

Crocus Behemoth, d’une voix de boucher :

— Les guitares devraient sonner comme la destruction atomique...

L’orchestre s’arrête. Une chape de plomb tombe sur la salle du trône.

Crocus Behemoth, d’une voix nietzschéenne :

— J’ai l’impression d’être victime de la sélection naturelle...

Mère Ubu

— Oh voilà qu’il recommence ! Mon cœur battait de joie à l’idée que ce numéro de cirque fût enfin terminé !

Crocus Behemoth, d’une voix de paria épileptique :

— Retrouvez-moi de l’autre côté, dans une autre direction !

Mère Ubu

— Bon débarras. Voilà enfin une bonne nouvelle pour le royaume !

Crocus Behemoth, frisant l’apoplexie :

— J’ai pas besoin d’une cure d’amaigrissement ! Je veux une solution finale ! J’ai pas besoin d’une cure d’amaigrissement ! I want a final solution !

 

S’ensuit une nouvelle accalmie. Des gazouillis succèdent à l’épouvantable tintamarre de l’orchestre.

L’orchestre

— Ouuuh ouh-ouuuh !

Crocus Behemoth

— Solouchionne...

L’orchestre

— Ouuuh ouh-ouuuh !

Crocus Behemoth

— Solouchionne...

L’orchestre

— Ouuuh ouh-ouuuh !

Crocus Behemoth

— Solouchionne...

L’orchestre

— Ouuuh ouh-ouuuh !

Crocus Behemoth

— Solouchionne...

Puis, mugissant comme un bœuf qu’on fait entrer de force à l’abattoir :

— SOLOUCHIONNNNNNNNNE !

Agité de spasmes, Crocus Behemoth lève le bras en l’air et fait le signe de la victoire.

 

C’est le signal. Un officier sanglé dans un costume austro-hongrois présente à son roi une télécommande surmontée d’un gros bouton rouge. Crocus Behemoth assène un formidable coup de poing sur le bouton rouge. Une bombe à hydrogène explose quelque part au Japon. Le souffle de l’explosion fait trois fois le tour de la terre. Les cheveux des musiciens de l’orchestre s’envolent. Les radiations leur flétrissent la peau. Crocus Behemoth pointe son sceptre sur Tom Herman. Celui-ci s’incline respectueusement et attaque un solo de guitare qui s’envole majestueusement, wah-wahté avec raffinement. Le solo prend toujours plus de hauteur, atteignant les cimes de l’Olympe.

Crocus Behemoth

— Solouchionne !

Tim Herman suit des chemins escarpés, repoussant toujours plus loin les limites de la splendeur, donnant à son solo des tournures proprement aventurières.

Crocus Behemoth

— Solouchionne !

 

Tim Herman élève toujours sa mélodie dans les nues, menaçant à chaque instant d’échapper à l’entendement, et donc au roi. Les cimes de l’Olympe ne sont plus pour lui qu’un pâle souvenir.

Crocus Behemoth

— Solouchionne !

 

Pourvu d’une nature céleste, Tim Herman maintient son solo en vie pendant d’interminables minutes, réinjectant sans cesse de la vie dans ses gammes éphémères.

Crocus Behemoth

— Solouchionne !

 

Tim Herman déroule toujours son écheveau mirifique. Il devient une excroissance du royaume. Il étend sans cesse son empire. Il délie de fabuleuses lignes mélodiques qui montent au ciel et s’en viennent chatouiller les couilles de Dieu. Agréablement surpris, Dieu s’allonge sur son nuage et écarte les cuisses. Il retrousse sa jupe de coton immaculé. Oh ! Il croyait qu’il ne bandait plus. La musique s’arrête. Dieu débande. Il appelle un ange et ordonne qu’on lui amène ce terrien qui est l’égal de ses fils, les demi-dieux. L’ange qui est un peu con descend sur terre et remonte un an plus tard avec Peter Laughner.

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         Signé : Cazengler, Pere Abus

David Thomas. Disparu le 23 avril 2025

Pere Ubu. The Final Solution. Hearthan 1976

 

 

Inside the goldmine

- Washington d’ici

 

         Tous ceux qui le connaissaient le disaient érudit, mais Albite ne parlait jamais de rock. Il ne parlait que de ses mésaventures sentimentales. Enfin, sentimentales, c’est un bien grand mot. Albite était obsédé par le sexe. Il nous arrivait parfois de faire route ensemble, et c’était plus fort que lui : il monopolisait la conversation pour évoquer une à une ses conquêtes, ça n’en finissait pas, et il n’existait aucun moyen de l’interrompre pour le ramener dans le droit chemin. Il les décrivait une par une, les classait dans les chaudes et les pas chaudes, celles qui avaient du répondant et celles qui n’en avaient pas, il préférait celles «qui aimaient les hommes», comme la Toulousaine qui bien qu’étant chaude, lui donnait pas mal de fil à retordre.

         — Quel genre de fil ?

         — Elle veut pas que j’la sodomise !

         Avec ça, on était bien avancé, et il repartait de plus belle sur la Martiniquaise qui l’arrosait de sang de poulet avant la copulation, il passait ensuite directement à cette jeune femme juive qu’il avait traquée pendant des mois et qui avait fini par céder, mais il y eut un sacré problème.

         — Quel genre de problème ?

         — C’était une trans.

         Le pauvre Albite collectionnait les revers de fortune, mais ça ne l’empêchait pas de persévérer. Son appétit sexuel était tel qu’il n’existait aucune limite. Il lui fallait de la chair, fraîche ou pas fraîche, ça l’excitait rien que d’en parler :

         — Ah putain si tu voyais le cul qu’elle a !

         Il levait les bras au ciel, il clamait sa soif de toisons, son besoin maladif de palper des seins, il râlait son rut, il tanguait au cœur d’une violente tempête libidinale et atteignait une sorte d’extase organique. Lorsqu’il lâchait le volant, il fallait vite le rattraper, car la bagnole partait de travers. Il roulait à 160.  

 

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         Pendant qu’Albite collectionnait les conquêtes, Albert collectionnait les hits inconnus. On le sait grâce à une compile Ace qui s’appelle Blues & Soul Man.

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         Franchement, c’est un choc ! Albert Washington forever ! Cette compile est une bombe atomique ! Tu vois Albert sur la pochette avec sa veste de charlot et sa guitare et tu te dis : «No Way !». Hé bé, comme on dit à Toulouse, ton no way, tu peux te le carrer où tu penses, car Albert est une bête ! T’es hooké dès l’heavy blues de «Doggin’ Around». Avec «Tellin’ All Your Friends», il passe à l’heavy Soul noyée d’orgue. Albert insiste bien sur la qualité. Il gorge sa Soul de Soul. Il a le diable au corps, il est encore perçant et définitif avec «Rome CA»,  et affolant d’hot avec «You Get To Pay Your Dues». Albert est une diable, il groove la Soul du rock. Il sait chauffer le cul d’un cut, comme le montre encore «I’m The Man». Il a le power et l’argent du power. «Woman Love» sonne comme un heavy groove descendant, c’est d’une invraisemblable modernité, une vraie révélation, là t’as un groove incroyablement crépusculaire. On note encore l’incroyable qualité du solo de gras double de Lonnie Mack dans «Turn On The Bright Lights» - What a fool have I been - Albert est un surdoué, complètement inconnu au bataillon. Encore de la fantastique modernité avec «Hold Me Baby», tout est terrific, chez Albert et t’as en permanence ce que les Anglais appellent des killer guitars - Mack is at his manic best - Tu tombes plus loin sur «Crazy Legs Pt 1», fantastique dancing jive tapé au beat de syncope aventureux. Idem pour le Pt 2. Everybody ! Tu t’effares encore de l’incroyable audace du dancing beat de «Mischevious Ways». T’as toutes les mamelles que tu veux : la vélocité du beat et le gras du chant. Il réclame son heure de power dans «Hour Of Power». Il a tous les pouvoirs, surtout celui du power. Il sonne comme les Capitols et t’as Lonnie Mack dans la course. Retour à l’heavy blues avec «If You Need Me». Il chante ça d’une voix juvénile très pure, à la Sam Cooke. Ce fabuleux Soul Brother qu’est Albert Washington sait aussi faire du Sam Cooke ! 

         C’est un universitaire, le Dr Steven C Tracy, qui se tape les liners de la compile. Il raconte qu’il est allé voir Albert en 1996 à l’hosto universitaire de Cincinnati. Albert fait partie de la génération des années 30, et son éducation passe comme de bien entendu par le gospel. Puis il est attiré très jeune par le Deep South country blues - His main blues artist in them days wad Blind Boy Fuller, a performer of salacious blues to be sure - Et puis en 1949, nous dit l’universitaire, la famille Washington s’installe au Kentucky. Le père casse sa pipe en bois, écrasé sur un chantier, et Albert finit de grandir en se passionnant pour Sam Cooke et B.B. King. C’est là qu’il puise son inspiration pour gratter ses poux. Il flashe aussi sur Big Maybelle et Cab Calloway. Puis il va devenir the King of the Cincinnati blues scene. Il enregistre, mais ça ne marche pas. Il ne vit que grâce aux clubs. Les cuts rassemblés sur la compile Ace sont ceux enregistrés pour un petit label de Cincinnati, Fraternity Records d’Harry Carlson. L’un des artistes signés sur Fraternity n’est autre que Lonnie Mack, d’où la collusion.

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         On retrouve l’excellent Albert sur trois albums, à commencer par Sad And Lonely, un Eastbound de 1973 devenu culte. On comprend le comment du pourquoi dès «No Matter What The Cost May Be», un fast funk aventureux. C’est le funk le plus sauvage du coin. Ahurissante modernité ! C’est enregistré à Memphis, au studio TMI de Steve Cropper ! Il s’installe dans l’hard funk avec «You’re Messing Up My Mind», c’mon tell me, il veut savoir, listen yah ! C’est l’hard funk de rêve, sous-tendu à la vie à la mort. On retrouve l’hard funk dans «Mischievous». C’est là qu’il est bon. L’hard funk vipérin n’a aucun secret pour lui. Sinon, il fait un peu d’heavy blues («Wings Of A Dove»). Il perd un peu de hauteur, dommage mais il a des chœurs de rêve. Retour à l’heavy funk avec le morceau titre et ça bascule dans la pop de Soul. Il fait aussi du petit boogie de Memphis avec «I Can’t Stand It No More», mais il ne dégage rien de particulier. Il s’accroche une dernière fois avec «Do You Really Love Me» et ça se termine en giclée de belle Soul.

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         Il revient dans l’actu en 1992 avec Step it Up And Go. Bon c’est pas l’album du siècle, mais on sent la singularité d’Albert, notamment cette façon qu’il a de chanter d’une voix pincée. Il drive à merveille l’heavy boogie de «Things Are Getting Bad», et l’heavy blues d’«Hold On To A Good Woman» montre qu’il est très axé sur l’édentée. Il campe bien sur ses vieilles positions, il bêle plus qu’il ne chante, mais c’est pas mal. Ses cuts sont classiques mais beaux. Il swingue la good time music d’«Everything Seems Brand New», c’est une merveille de délicatesse. Quelle fantastique présence vocale ! Il chante d’une petite voix fine admirablement altérée, pas méchante pour deux sous. Il fait sa petite leçon de morale avec le slow boogie blues de «Leave Them Drugs Alone», if you wanna live a long time. Il chante son «You’re Too Late» au feeling pur et claque un coup de génie avec l’extraordinaire boogie down de «Keep On Walkin’». C’est le boogie archétypal d’Albert le crack. 

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         Sur A Brighter Day, t’as Harvey Brooks au bassmatic, alors attention ! Ça groove dès le morceau titre d’ouverture de bal. Albert chante aux dents de lapin. Il tape deux Heartbreaking Blues de choc, «You’re Gonna Lose The Best Man You’ve Ever Had» et «Standing There All Alone». Le premier est amené au riff d’I’m A Man et le deuxième sent bon la classe supérieure. Il revient à son cher boogie blues avec «I Walked A Long Way», c’est à la fois lourd de sens et lourd de conséquences, autrement dit heavy on the beat. Avec «Travelin’», il se glisse merveilleusement dans un shake de funk, puis il fait son ‘boire ou conduire’ avec «Don’t Drink & Drive». Globalement, il colle bien au terrain de l’heavy blues. Tout ce qu’il entreprend est assez fin. Albert est un orfèvre, un délicieux groover aux dents de lapin. Ah comme il affine ! 

Signé : Cazengler, Washingtorve

Albert Washington. Blues & Soul Man. Ace Records 1999

Albert Washington. Sad And Lonely. Eastbound Records 1973.

Albert Washington. Step it Up And Go. Iris Records 1992

Albert Washington. A Brighter Day. Iris Records 1994

 

*

         Laissez-moi rire avec la malédiction du deuxième opus. Le pauvre artefact incriminé n’y est pour rien. Par contre il existe deux sortes d’êtres humains, ceux qui se répètent, qui répépiègent à n’en plus finir, et ceux qui avancent sur leur chemin, tout droit, conscients que chaque pas les rapproche de leur propre fureur de vivre. Alicia Fiorucci fait partie de ceux-là. 

SANS DETOUR

ALICIA F !

(La Face Cachée / Avril 2025)

         Super belle couve. Alicia s’offre à vous sans détour, telle une citadelle imprenable qui vous toise du haut de ses murailles. Une pose de guerrière aguerrie qui vous défie d’un regard sombre et compatissant, qui attend sans hâte que vous portiez le premier coup, sûre que vous ne vous y risquerez pas, que vous ferez comme si vous ne l’aviez pas vue. Une volonté inexpugnable chevillée à son corps et à son âme.

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         Alicia F (comme fulgurante) est au chant un peu le d’Artagnan des quatre mousquetaires avec qui elle ferraille sur les douze pistes noires et rouges du disque : Tony Marlow qui use de sa guitare comme d’une rapière meurtrière, Gérald Coulondre qui frappe fort à l’aide de sa masse d’arme ensanglantée, Amine Leroy qui propulse de sa contrebasse des carreaux mortels d’arbalète.

Les assassins à ciel ouvert : avancent à pas couverts devrait-on avoir le temps d’écrire, mais la guitare froissée de Tony vous bouscule, Alicia lui emboîte le pas, avec un tel titre on augurait qu’elle prendrait un ton lugubre, ben non, l’est toute guillerette, pensez à ceux qui dansaient la Carmagnole durant la période révolutionnaire, l’insurrection n’est pas obligatoirement triste, dénoncer, remettre le cours des choses à l’endroit impulse un sentiment de libération et une vivacité débordante. Coulondre transforme sa batterie en feu d’artifice, Tony allume une chandelle romaine incandescente, le punk c’est comme Picasso, il a sa période bleu pétrole mais ici c’est la période rose délurée, qui domine, la joie de s’affranchir de ceux qui vous adressent des sourires cauteleux pour mieux vous asservir.  Abortion : le Marlou attaque à la hache d’abordage, les gars catapultent les chœurs et ça déboule grave, Alicia prend position pour la liberté d’avorter, pour le devoir de faire de son corps ce qu’elle veut, attention c’est une espèce d’éruption vésuvienne, un mini-opéra vénusien, contrechants wagnériens, imprécations gutturales, revendications en lettres de sang, Amine slappe à mort, Marlou et Gérald vous pondent à deux un solo comme vous n’en avez jamais entendu, Alicia vous a le dernier mot qu’elle dépose à la fin du morceau comme une couronne sur sa royauté de femme, Abortion ! La vie est une pute : un crachat punk, une intro de menuet, mais très vite ça remue un max, les gars vous dressent des guirlandes, car parfois il vaut mieux en rire qu’en pleurer, la vie n’est pas un conte de fées, faut prendre les choses comme elles viennent mal, les douces fraîcheurs mentholées se métamorphosent en senteurs mortifères, Alicia vous met le tréma sur le u de pute. Cielo drive love song : quand le présent n’est pas gai, que le futur ne promet pas une amélioration, une seule solution : se réfugier dans le passé, pourquoi croyez-vous que la guitare de Marlow sonne comme une cithare et que Gérald vous tamponne des rythmes festifs, même Amine rend sa contrebasse sautillante, et Alicia chante les jours heureux des sixties, en Californie, au temps des doux rêveurs, et des hippies inoffensifs… hélas ne gobez pas les mouches avec la chantilly du gâteau, Cielo Drive était l’adresse où Sharon Tate fut assassinée… Baltringue : ici pas de piège, franc et direct comme une décharge de chevrotines, un rock uppercut, Gérald frappe dur, le Marlou sonne le glas, l’Amine n’est pas réjoui, Alicia règle les comptes, pas de cadeau, l’emploie les mots qui tuent et le ton comminatoire qui chasse les nuisibles de son territoire. Teenager in grief : une rythmique country sympathique, Alicia vous prend sa voix de petite fille innocente, pourquoi les trois boys viennent tout gâcher en usant de leurs instruments comme d’une apocalypse, la forçant à casser sa voix et son rêve, parce que l’histoire qui commence bien, finit mal, ce n’est pas la peine de pleurnicher non plus, ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort, voilà pourquoi elle reprend son ton allègre. Méfiez-vous des apparences. Votre calvaire : intro surprenante, l’on ne sourit plus, l’on est dans une espèce de blues-noise qui vous écorche les oreilles, Alicia ne chante plus, elle parle, elle rappelle, elle accuse, elle crie, elle hurle, elle dénonce, elle condamne, les boys lui emboîtent le pas, maintenant elle chante et les instrus grincent et gémissent, Dieu jamais nommé puisqu’il n’existe pas - ce qui permet de circonscrire les coupables dans leur ignominie - est le paravent des bien-pensants à la morale étriquée. Le cache-sexe des grandes cruautés. Somptueux. Love is like a switchblade : elle s’en est pris à la vie, la voici qui s’occupe de l’amour. Elle décidé de crever les baudruches multicolores qui empêchent de voir la réalité. C’est sa manière à elle de verser de l’acide sur les caresses que l’on vous a prodiguées. La guitare du Marlou gronde comme un tigre, Alicia pousse des soupirs de jouissance, en plus elle vous chuchote tout fort ce qu’il faut savoir pour ne pas être dupe, ni des autres, ni de soi-même. Un bon rock prestement appuyé. Comme un coup de couteau. Charnelle détresse : encore un gars qui en prend pour son grade. Elle ne l’envoie pas dire. Mais elle prononce les mots qui blessent. Exploration de la misère sexuelle de nos contemporains. Les gars la suivent dans ses accusations. Lyrics assassins et musiciens qui tirent sans sommation. Joe Merrick : une trombe sonore dédiée à la souffrance de Joe Merrick surnommé Elephant Man, est-ce pour cela que les instruments cornaqués par le vocal de feu d’Alicia barrissent si fort, la colère contre l’humanité perpétuelle l’emporte sur la pitié aujourd’hui inopérante. Une vieille histoire, qui saigne encore. Trust no one : cette deuxième face se termine en feu d’artifice, rythmique punk renforcée par la fougue instrumentale. Un ballon de rugby entre les poteaux. Un single parfait. Non, je ne regrette rien : elle a gardé la reprise pour la fin, l’on aurait parié pour les Ramones, paf, c’est Piaf. Le genre de truc casse-gueule par excellence. L’a su s’y prendre. Pas d’emphase, pas de trémolo, juste l’énergie, une vague débordante qui emporte tout, et porte Alicia au pinacle.

         L’on sort de ce disque rincé. Dans chaque morceau gisent trois ou quatre trouvailles, ces petits trucs inattendus mais terriblement définitifs dès la première audition. L’on imagine mal ce qu’il y aurait pu avoir à leur place.

Alicia n’a pas réalisé un bon disque de plus. Elle a édifié, avec ses trois acolytes  une pierre angulaire de la production rock actuelle. Un album magnifiquement structuré qui a toutes les chances d’être une référence pour les créateurs et les amateurs de demain.  Ses lyrics tantôt en anglais, tantôt en français, révèlent le monde intérieur d’Alicia, son implantation critique et combattante dans la vie.

Damie Chad.

 

*

         Il suffit de suivre les traces, elles parlent d’elles-mêmes, nul besoin d’embaucher une équipe de détectives, un soupçon de flair et c’est in the pocket, comme disent les anglais, d’ailleurs ils sont anglais, z’ont produit dix opus depuis 2013, les pochettes ne sont pas des indices mais de véritables preuves accablantes, inutile de vous les montrer les titres parlent d’eux-mêmes…When Death Comes Again / The Loneliest Walk / The All Consuming Void / Of Loss And Grief / Of poison and grief (Four Litanies For The Deceased) / When Death Comes / Of Graves, Of Worms and Epitaphs / Immortal in Death / First Funeral… bref avant que la grande faucheuse ne les emporte, nous nous pencherons sur le dernier album, tout frais sorti, peut-être d’un casier réfrigéré de la morgue…

A SILENCE TOO OLD

APHONIC THRENODIC

( Bandcamp / Mai 2025)

         A mon avis un groupe qui se déclare a-phonique mérite le détour. Quant à Thrénodic, les amateurs d’antiquité auront d’instinct reconnu la racine thrène qui désignait les chants composés en l’honneur des héros morts.

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         Quant à la couve d’apparence paisible, un vieux sage, endormi sur un épais et antique grimoire, serait-ce un ermite ou un druide, en tout cas maintenant il sait - il a reçu les réponses qu’il a cherchées en vain durant toute sa vie – qu’au bout de l’existence se trouve la mort. Sans doute s’en doutait-il, mais maintenant il ne doute plus. Que cet enseignement vous serve de leçon.

Riccardo Veronese : guitars, bass, keys a appelé un vieux complice : JS Decline : drums, guitars solo. Tous d’eux ont l’habitude d’inviter un ou plusieurs artistes sur leurs réalisations : ce coup-ci ils ont choisi : Déhà : vocals.

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Annabelle : ces notes répétées, sûr ce n’est pas du dodécaphonique, un conseil profitez-en car dès que Déhà pose sa voix, tout change, ce qui n’était qu’une douce musique d’ambiance se transforme en une confession malédictoire, d’autant plus que JS vous Decline le destin trompeur de toutes choses avec ces frappes battérialles qui vous emphatisent l’ambiance, désormais vous êtes obligés de suivre, un fleuve sonore, tout ce qu’il y a de moins aphonique, je vous rassure, vous emporte dans ses méandres majestueux, la voix se crispe, se charge d’angoisse, de peur, et de terribles résolutions, pourquoi cette note revient-elle toujours, le chagrin appelle-t-il l’amertume, débouche-t-il vers les plus farouches décisions, deuxième pose, une demi-seconde, le temps de lancer un regard vers le couteau que vous vous apprêtez à planter dans le dos de celle qui est partie, Déhà énonce des paroles terribles, il a repris sa voix douce et profonde, endormeuse, mais les mots roulent comme des cailloux de haine et des caillots de sang. Il ne sait plus ce qu’il dit mais il sait ce qu’il va faire. Il n’hésitera plus, toutes les divinités seront punies, désormais il sera le bras armé de l’enfer terrestre. Light the way : fracas de lumière noire, penser est une chose mais passer à l’acte est ce qui importe. Une fois le geste accompli, encore faut-il l’assumer, affronter sa folie, métamorphoser sa noirceur en sa propre lumière, c’est le chœur de Déhà qui résonne, il déclare la guerre à la terre entière, il s’élève au plus haut de l’horreur, mais ce n’est pas l’horreur qui compte mais ce surplus de plénitude que par son acte il a atteint, il grogne tel un ours furieux, les tambours de la suprématie scandent sa marche, il ne se presse pas, il écrase tout ce qui ne saurait résister, le rythme est lent mais intraitable, des accords de guitares sombrement doucereux, il marche au-delà du bien et du mal, les assassins et les innocents ne sont-ils pas le scotch à double-face de toute personnalité qui se mure en sa démesure, c’est en grandissant que l’on traverse les limites de la mort pour accéder à la vie. A silence too old : méditation funèbre, un synthé joue du cor, c’est beau comme de la musique classique, un requiem doom tout doux, la marche à l’intérieur de soi-même, le temps a passé, l’assassin a vieilli, son épée victorieuse pèse un peu, mais cela n’est rien, c’est l’esprit qui tourne en rond sur lui-même, un tour face au soleil, un tour face à la nuit, la folie n’est-elle pas une lumière aveuglante, le guerrier tournoie en lui-même, la liberté n’est-elle pas l’autre visage de la folie, tout tourne, la musique vous a une de ces ampleurs virevoltantes, encore cet arrêt méditatif et la reprise d’évidence, toutes ces pensées incapacitantes qui tournent depuis trop longtemps dans ma tête que la lame y mette terme, et si c’était Icare qui tuait le soleil et non le contraire. Further on : plus fort, plus loin, ne croire qu’en soi, ne serait-on qu’une illusion, montée éclatante, victorieuse, en bas, bien plus bas, le soleil agonise, juste croire en soi, avancer toujours plus loin, toujours plus haut, la voix clame et plane au-dessus des glaciers les plus altiers, maintenant le haut et le bas s’égalisent et je suis aussi un insecte rampant, pitoyable, agonisant, au plus bas du plus bas, la basse s’en donne à cœur joie, moment de contrition, instant de contraction, il me reste encore une arme à portée de ma main, ne pas s’avouer vaincu, rester son propre maître, celui qui a tranché ses dilemmes par un fer sanglant peut encore répéter son geste par un suicide froid et méthodique, échos féminins et emprise masculine sur soi-même. Apothéose. Oath of nothing : sombres cordes, dernier acte, ultime épreuve, la porte s’ouvre sur un sentier de glace, l’ennemi m’attend, c’est le dernier duel, celui qui risque de vous inoculer la mort, lourdeur des membres, du mal à soulever l’épée, il est plus fort que moi, je grogne comme un animal blessé qui ne s’avoue pas, qui ne s’avouera jamais vaincu, à quoi sert-il d’ailleurs de se battre, l’un gagnera, l’autre perdra, tous deux triompheront car l’on ne se bat que contre soi-même, ne suis-je pas mon pire ennemi, une plainte musicale pointue comme un dard de scorpion s’enfonce dans mon cœur, tout cela n’est qu’une fausse mort, qu’une fosse vie, désormais une paix funérale nous englobe, nous réunit, c’est pourquoi nous ne faisons plus qu’un avec nous-mêmes. Avec soi-même. C’est ainsi que l’on obtient une sorte d’accalmie, une espèce d’apaisement. Retentit comme un hymne à la joie musicale qui se termine par un cri venu de très loin, d’une scène fondatrice. Tne void of existence : chant de sirène, ou trémolo d’un ange qui viendrait me caresser, serait-ce Dante reçu sur les bords de l’Eden perdu par la Beatrix retrouvée, quelques notes de piano paradisiaque qui rêveraient d’une existence humaine, très humaine, ai-je donc tant vécu selon mon enfer, qu’il me reste encore la moitié de mon existence à revivre avec ce fantôme d’Annabelle désincarnée, enfermée telle une reine dans ma tête, je crie, je glapis comme le renard, je vomis comme le serpent, je siffle comme l’homme, honneur et repos à tous ceux qui sont morts, et si je criais, y aurait-il un ange rilkéen qui m’entendrait quelque part, tout en haut, tout en bas, tout en moi-même. Une spirale sonore qui repasserait toujours sur-elle-même mais toutefois à chaque fois en dehors d’elle-même. Comme une trace d’elle-même obligée de s’effacer pour réapparaître d’elle-même. L’on ne va jamais plus loin que soi-même.

         Poetic doom. Mais ne sommes-nous pas trop vieux pour entendre ce silence qui sourd de cette funèbre mélopée. Fin magistrale.

Damie Chad.

 

*

         Tout pour déplaire, une tronche d’intello sur la couve, pas belle avec ses lunettes, à la John Lennon qui lui refile un air idiot, oui mais le titre de l’album est un tantinet bizarre, toutefois un genre de phrase où il y a à boire et à manger. J’ai décrété que c’était des anglais, leur humour, leur nonsense, ben non des amerloques, du Michigan, capitale tout en haut des States, bordé par les Grands Lacs.

WE KNOW WHERE THE BODY IS

HOFFA

(Bandcamp /Mai 2025)

         Retour sur la pochette. Elle mérite attention. Elle est de Jev et Alex Franks desquels j’ignore tout. Pas vraiment un beau gosse, on le devine mal dans sa peau. Impression que nous mettons en relation avec le titre : généralement l’on sent son corps quand il nous fait mal. D’ailleurs n’oublions pas le nom du groupe : le mal d’Hoffa est une inflammation du genou. Soyons franc, le gars a peut-être mal au genou, mais c’est surtout dans sa tête qu’il claudique. L’a des yeux jaunes, comme les chats, pourtant il n’est pas habité par la grâce féline, par contre si vous regardez les verres de ses besicles, vous apercevez ses obsessions. Au début je pensais à une fille, mais la silhouette pourrait aussi bien être celle d’un homme. En fait ce n’est pas une affaire de sexe, son problème numéro Un, c’est l’Autre. Au sens infernal de la misanthropie métaphysique sartrienne. L’on pourrait croire que le grand problème de l’Humanité soit la mort, perso j’opinerai plutôt pour la vie, la mort est un acte solitaire par lequel l’on se retrouve confronté avec soi-même, la vie vous force à vivre avec les autres, de près ou de loin, mais rarement seul. Or notre égo nous pousse à nous croire supérieurs aux autres…

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         Autre détail sur cette peinture : le titre de l’album qui suit la courbe des épaules de notre spécimen d’humanoïde patenté. A même la peau. Le tatouage est une habitude sociale amplement partagée ces dernières années, Paul Valéry ne disait-il pas que ce que l’homme avait de plus profond c’était sa peau.

Andrew Martin : guitar, bass, vox / Hank Belcher : guitar, bass, vox / Pete Free : drums.

Cockroaches : un titre qui n’est pas sans évoquer La Métamorphose de Franz Kafka, une certaine vision cafardeuse de notre espèce, si le ramage musical se rapporte à son état mental, notre hôte n’est pas revêtu de l’éclat du phénix de la bonne santé. Ne soyons pas surpris, Hoffa ne se présente-t-il pas par une phrase qui nous laisse une grande latitude d’interprétation : ‘’ Parfois nous faisons du punk, parfois du metal, parfois ni l’un ni l’autre’’. Pour les trente premières secondes ils ne mentent pas, un peu de bruit, une guitare toréador qui survole l’escarpolette balancée à toute vitesse et le gars qui s’égosille à crier toute sa haine, du punk de chez punk, l’on a envie de danser de tout casser, de se fracasser contre le mur du son, ( Saint Spector, priez pour nous), pour le metal qui normalement devrait suivre, ils font l’impasse, plongent tous habillés dans le ni l’un ni l’autre, direct le chaos, la folie, le gars déraille, l’instrumentation aussi, il craque, il pète la camisole de force du conditionnement social, l’envoie valdinguer sa petite vie bien proprette, il hurle comme King Kong quand il brise ses chaînes, il a envie de tuer, alors il tue, pousse des cris de serial killer, dommage que le disque ne soit pas en couleur, on le suivrait à la trace sanglante qu’il laisse derrière lui, mais que fait la police, elle arrive, elle vous conseille de vous mettre à l’abri, le killer peut tuer n’importe qui. Evidemment tous les rockers n’obéissent pas, ils ouvrent les fenêtres et descendent dans la rue, ne veulent pas perdre une miette de cette carbonisation intégrale. Le rock et la révolte ont toujours fait bon ménage. Nice carrot, but we already saw the stick : (la carotte et le bâton, pour une fois la langue française davantage concise et percussive que l’anglaise si pragmatique) : changement d’ambiance, fini la cavalcade, l’on se croirait à un concert des Pogues, l’amicale de la bonne franquette, bon dans sa tête ce n’est pas tout à fait pareil, l’est toujours habité par la haine, l’est dans un drôle d’endroit, les gentils flics ont dû l’emmener à l’asile, alors parfois il hurle dans une salle capitonnée, et les cinglés autour de lui chantent une chanson douce pour l’accueillir et lui faire comprendre qu’il est des leurs, qu’ils vont s’amuser comme des fous, sa mère vient le voir, les Beatles lui rendent visite, il habite au fond de l’océan, bien sûr il y a une guitare qui pond un solo comme un navire qui fait naufrage, et vous entendez la visserie de son cerveau qui grince et ne tourne plus rond… Homunculus : il fut un temps où dans l’asile, les fous se prenaient pour Napoléon, maintenant ce n’est plus tout à fait pareil, ils prophétisent, ils vous apportent la bonne nouvelle tout droit sortie de leur ciboulette détraquée, en plus il est modeste, il se décrit sans se prendre pour le bon Dieu, il pousse quelques hurlements à la Jim Morrison, l’orchestration essaie de calmer la bête musicale, faut tout de même comprendre ce qu’il annonce, lui qui modestement se présente comme un étron masturbatoire couvert de merde, il promet la société parfaite, elle s’occupe de vous, ne vous laisse même pas le temps de sortir du ventre de votre mère, l’enfançon grandira maladivement, son éducation fera de lui un esclave, l’a tout dit, il ne rajoute pas un mot, la musique essaie d’illustrer ce bonheur pressurisé et concentrationnaire, essayez d’imaginer les sons discordants qu’elle produit, pour vous mettre du baume au cœur, une voix d’infirmière sans âme vous rappelle les conditions optimales de votre bien-être. Pour bien goûter l’ironie du titre, l’Homonculus est une opération alchimique, ce petit homme symbolique désigne la matière déjà travaillée, en gestation d’elle-même qui finira par se transformer en pierre philosophale… Scylla : Scylla est le monstre marin et tentaculaire qui priva Ulysse de six de ses matelots… drôle d’idée de se prénommer Scylla, à moins que le groupe tienne à nous souffler dans l’oreille que les meilleures intentions débouchent parfois sur de terribles catastrophes, réduit à l’impuissance, la voix alentie par les cachets, la musique n'ose plus faire de bruit, juste quelques éclats lorsqu’il promet qu’une fois en possession de tous les pouvoirs, les gens heureux danseront dans les rues, le bonheur pour tous sera assuré, dans sa magnanimité il ira jusqu’à retirer le Christ de sa croix. Sacrilège ! Si la société n’a plus à offrir le rachat de l’âme humaine, pourquoi les hommes continueraient-ils à obéir… Est-ce pour cela que le directeur l’a affublé du nom de ce monstre hideux qu’est Scylla… Pink polo shirt neighbords : plus un mot, seulement sept minutes d’instrumentalité peu éclatante, un peu comme si des guitares souffraient d’asthme cordique qu’elles ne parvenaient plus à produire que des soubassements sonores incapables de la moindre vigueur, une espèce de sonorité taciturne, imaginons que les aliénés américains de haut niveau ou de grande profondeur abyssale ne puissent plus parler, ne plus émettre un son, la glotte bloquée, tétanisée, paralysée par des surdoses médicamenteuses, soient revêtus de camisole rose afin de souligner leur dangerosité… triste fin pour ceux qui avaient faim d’une autre vie…

         Hoffa nous livre un opus sur la réalité contemporaine. Un regard sans aménité mais d’une grande lucidité. Tout vous pousse à péter les plombs, mais l’on sait comment réparer les ampoules grillées. Il suffit de les mettre sur le mode opératoire ‘’ basse tension’’. Nous sommes tous des morts-vivants en attente. Réfléchissez avant qu’il ne soit trop tard.

         L’esprit en partance, le corps restera votre dernier refuge.

         Hoffa veut peut-être nous avertir  que c’est déjà trop tard. A écouter, même s’il n’y a plus d’urgence.

Damie Chad.

 

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         Longtemps que je ne regarde plus mon DVD sur les prestations Town Hall Party de Gene Vincent. Le son est loin d’être parfait, par contre je vous encourage à la visionner si vous n’avez jamais vu des images flottantes, elles se baladent un peu à droite, beaucoup à gauche, montent vers le haut et descendent vers le bas, elles ressemblent à des poissons prisonniers dans un aquarium cherchant vainement une issue… J’étais très heureux le jour où j’ai déniché une vidéo au contenu similaire sur un autre label. Hélas les images étaient aussi flottantes que sur la précédente, elles ont continué leur danse de saint-Guy… J’ai accusé mon ordinateur. J’en ai acheté un tout neuf… qui m’a offert le même désolant spectacle…

Or voici que depuis quelques mois paraissent sur You Tube de nouvelles vidéos sur Gene Vincent, j’ai pris mon courage à deux mains et me suis jeté sur les trois Town Hall Party présentées par la chaîne Beat Patrol, et à ma grande surprise les  images n’ont pas effectué leurs pérégrinations habituelles, elles sont restées sages comme des images !

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         Si Elvis Presley fut l’homme le plus photographié du vingtième siècle, ce ne fut pas le cas de Gene Vincent. De nos jours, si vous êtes au fond de la salle, vous ne voyez plus les artistes sur scène, vous les envisagez multipliés en petits formats autant de de fois qu’il y a de spectateurs (moins 1 = vous) en train de filmer le spectacle qu’ils ne regardent jamais plus, mais qu’ils gardent dans le cachot oublié de leurs insu-portables, lisez la chro du Cat Zengler, sur le Zénith des Viagra boys, livraison 690 du 15 / 05 / 2025… Les enregistrements des prestations scéniques de Gene Vincent sont rares… Elles sont le plus souvent confinées dans les archives des émissions télévisées.

TOWN HALL PARTY STORY

         Nous sommes dans la préhistoire du rock’n’roll, William B Wagnon organise des concerts de country music, notamment de Bob Wills, dans la région de Sacramento. Il ne tarde pas à acquérir une salle de bal pouvant accueillir jusqu’à trois mille danseurs, in Compton proche de Los Angeles… La suite coule de source, posséder son propre orchestre capable aussi d’accompagner des chanteurs de passage, et danse la galère. Wagnon suit le modèle du Grand Ole Opry qui depuis 1925 offre une émission de radio hebdomadaire à tous  les amateurs de musique populaire… En 1951 Town Hall Party possède ainsi son émission radio. Et en 1953 son émission de télévision est diffusée par KTTV-TV sur Los Angeles. Town Hall Party à l’origine très Country et Western ne sera pas insensible au rockabilly, en 1957 elle programmera Gene Vincent, Eddie Cochran, The Collins Kids, Carl Perkins…

         La dernière session de Town Hall Party se déroula le 14 janvier 1951. Nous reviendrons à plusieurs reprises sur l’histoire, notamment sur le tout début de cette aventure aux nombreuses ramifications. Pour cette fois nous nous pencherons sur les trois apparitions de : Gene Vincent.

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GENE VINCENT

TOWN HALL PARTY (1)

25 / 10 / 1958

        Si vous ne devez regarder une seule des trois sessions c’est celle-ci qu’il faut choisir, c’est elle qui possède le meilleur son - toutefois qualifié d’improbable – c’est la plus longue et surtout pour la présence de Johnny Meeks et Grady Owens, sans oublier Cliff Simmons au piano qui participa à certaines nuitées des premiers enregistrements Capitol. Clyde Pennington est à la batterie.

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         Quelques secondes sur le public sagement assis, la surprise vient de l’exiguïté de la scène, très étroite à tel point qu’il est difficile d’avoir tout le groupe dans le cadrage de la caméra. Pour l’instant elle est encombrée des membres de l’orchestre ‘’ officiel’’ du Town Hall. Tex Ritter au micro joue le Monsieur Loyal, il chante plus qu’il ne parle, ensuite il énumère le programme de la soirée, à ses côtés on reconnaît sous son chapeau de cowboy Joe Mathis le guitariste émérite. Ces deux premières minutes qui seront très écourtées sur les deux autres vidéos offrent une valeur documentaire sociologique inoubliable. Comme cela paraît daté !

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         Gene surgit et s’empare aussitôt du micro, à sa gauche Grady Owens et Johnny Meeks entament le ballet, il semble qu’ils tiennent en même temps les rôle de Clapper boys – il est vrai qu’a l’origine Grady maintenant à la basse a été embauché pour remplacer Tony Facenda – et celui de musiciens, se démènent, un ballet réglé au millimètre, bascules, déhanchements, pliures, et redressements se succèdent, ce qui n’empêche pas Johnny de mâcher placidement son chewing gum, au milieu de ce tourbillon Gene vêtu de noir mais la chemise sombre  engoncée dans un blouson clair, les yeux levés au ciel chante Be Bop A lula avec une étonnante ferveur décontractée, sur le pont mouvementé le piano de Simmons ricane méchamment pendant que Clyde semble chasser les mouches sur un capot de voiture à coups de marteaux. Tout de suite après un morceau de choix, le piano galope comme un dératé, Penning use de ses toms, mais l’intérêt d’High Blood Pressure réside en les vocalises, belle photo de famille, Grady, Gene, Johnny, leur trois têtes autour du

 

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 micro comme trois as de pique en folie, la voix de Gene rauque et sauvage à souhait, suit un Rip It Up dévastateur, les spectateurs les plus jeunes sont debout… déboule un  Dance to The Bop débité à grande vitesse, Gene et le piano  de Simmons font la course, tandis que Meeks vous pousse un solo cavalcade avec la même facilité avec laquelle vous tournez votre purée mousseline dans sa casserole sans vous en apercevoir. Gene annonce que la tournée s’arrêtera quelques jours pour subir une opération, sans s’attarder il annonce You Win Again, l’en profite pour citer une deuxième fois Jerry Lou, vous la joue un peu à la Platters, pas besoin de creuser profond pour trouver la palpitante veine noire  du rock’n’roll. Pour terminer le bouquet final, For Your Precious Love, une interprétation magique, quel chanteur, cette bluette sentimentale, toute douce, vous percute autant que les trois rocks endiablés du début.

TOWN HALL PARTY (2)

25 / 07/ 1959

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         Aïe ! Aïe ! Aïe ! un son déplorable ! Bye ! Bye ! les Blue Caps, Gene se produit avec le staff de service. Ce n’est pas qu’ils jouent comme des brêles, c’est qu’ils n’ont pas le feeling rock, heureusement qu’il y a Gene parce derrière ils jouent western swing, Jimmy Pruiitt active un piano peut-être pas civilisé mais pas assez sauvage, , le violon d’Harold Hersly reste inaudible, ce n’est pas de sa faute mais c’est dommage à l’origine Rocky Road Blues fleure bon le l’herbe bleue, quant à Rose Maphis, clapper girl d’office, elle applaudit poliment sans enthousiasme,  Hersly essaie de sauver Pretty Pearly avec son sax, mais le son calamiteux ruine ses efforts. Sur Be Bop A Lula la batterie de Pee Wee Adams est trop lourde, pour la première fois l’on a tout de même droit au jeu de jambe de Genes. Deuxième set : Gene revient en boîtant, il lance un  High School Confidential, boosté par l’exemple de Jerry Lou le piano se démène fort joliment, le guitariste sur Over The Rainbow serait-il Merle Travis, encore une fois Gene termine son set sur une douce mélodie. Sans nous décevoir.

TOWN HALL PARTY (3)

07 / 11 / 1959

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Gene porte un tricot semblable à celui qu’il arbore sur la pochette du 45 tours français de Baby Blue, Jerry Merritt assure la lead, parfait pour nous découper les angles purs et cassants de Roll Over Beethoven, une nouvelle version d’Over the Rainbow,  la voix de Gene bien plus pure que sur la deuxième session, mais Jimmy appruiitt vraiment trop fort sur son piano il casse les ailes des oiseaux bleus qui volent au-dessus de l’arc-en-ciel… l’on se quittera sur un She She Little Sheila frétillant tel un poisson d’argent… Gene quitte la scène en boîtant.

Damie Chad.

(A suivre).

 

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