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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 10

  • CHRONIQUES DE POURPRE 639: KR'TNT 639 : ANDREW LAUDER / MUDDY GURDY / D'ANGELO / GRUFF RHYS / BILL CALLAHAN / LIKE WIRES / PENITENCE ONIRIQUE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 639

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    04 / 04 / 2024

     

     ANDREW LAUDER / MUDDY GORDY

    D’ANGELO / GRUFF RHIS / BILL CALLAHAN

    LIKE WIRES / PENITENCE ONIRIQUE

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 639

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

     

    Wizards & True Stars

     - Lauder de sainteté

     (Part One)

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             Admirable ! Chez Andrew Lauder, tout est admirable : son autobio, ses choix, son comportement en tant qu’A&R et surtout sa discrétion. Pas ou peu de photos de lui, ce sont les artistes qui priment. L’histoire d’Andrew Lauder est celle d’un âge d’or du rock anglais qui démarre dans les sixties, et donc celle d’un fan qui parce qu’il n’est pas dans un groupe opte pour le music biz. C’est la même chose. Andrew Lauder va fréquenter des gens qui comptent parmi les plus intéressants de son temps : Guy Stevens, Tony McPhee, Hawkwind, les Groovies, Feelgood. Il a pour particularité d’avoir trempé dans la scène pré-punk qu’on appelait aussi le pub rock, avec Man, Brinsley Schwarz et Dave Edmunds, mais aussi, hélas, Costello, ce mec qui ose s’appeler Elvis. Lauder l’appelle aussi Elvis tout court dans les passages qu’il lui consacre, Elvis par ci, Elvis pas là, c’est agaçant. Quand on a une tronche comme celle de Costello, la première chose qu’on fait est d’éviter de se faire appeler Elvis. Ça n’a pas de sens et, plus grave, ça frise le manque de respect. Mais Lauder est un mec gentil, il ne se rend pas compte. C’est son seul défaut. Il aurait peut-être dû conseiller à Costello de choisir un autre prénom, André ou Albert. Ça allait mieux avec les lunettes.

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             Au départ, Lauder a tout bon : il flashe sur Wolf et «Smokestack Lightning» qu’il qualifie de «greatest thing of all time». Well done, Andrew ! Dans l’intro du big book, Richard Williams cite les hits qui illustrent le parcours de Lauder : «Silver Machine» d’Hawkwind, «Vitamin C» de Can, «Surrender To The Rhythm» de Brinsley Schwarz, «She Does It Right» de Feelgood, «My Flamingo» de Nick Kent, «Is Vic There» de Depatment S, «Lipstick Sunset» de John Hiatt, «King Strut» de Peter Blegvad et «Fools Gold» des Stone Roses. Pas mal, très underground et hautement qualitatif.

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             Comme tout le monde, le jeune Andrew commence par ramasser des singles de Little Richard et de Lerry Lee, c’est le point de départ, l’origine des abscisses et des ordonnées, sans oublier Elvis, le vrai, le Sun. Il flashe aussi comme tout le monde sur Buddy Holly. Puis les Rolling Stones, qui tapent un «Not Fade Away» qu’Andrew connaît bien. Il prend modèle sur un autre Andrew, le Loog, qui en 1964 mène les Stones vers la gloire à coups d’«It’s All Over Now» et de «Little Red Rooster». Andrew se dit : «I can do that. I can follow in Andrew’s footsteps.» Mais il ne sait pas comment s’y prendre. Il flashe comme un fou sur le premier album des Stones, et comme c’est un album de covers, il fait comme tout le monde, il va piocher dans les originaux : «Willie Dixon, Muddy Waters, Slim Harpo, Jimmy Reed and Rufus Thomas», une ribambelle explosive à laquelle il rajoute les blazes de Chucky Chuckah et de Bo Diddley. Il a raison, l’Andrew, car là tu as déjà tout le rock et tout le roll. Puis il voit les groupes anglais fondre comme des aigles sur les mêmes belettes noires : les Kinks, les Animals, Manfred Mann, Them et les Pretties. Ça grouille de partout. Dans la confusion, les joues rouges, le jeune Andrew comprend une chose fondamentale : il est in the right place at the right time. Quand on est fan de rock, c’est l’époque qu’il faut vivre. Les décades suivantes ne seront qu’un long déclin de l’empire romain du rock, si l’on considère qu’Elvis (le vrai, pas l’autre), Dylan, Brian Jones, Lou Reed, Iggy, Totor, Sly Stone, John Lydon, John Lennon, James Brown, Isaac le prophète, Tonton Leon, Frank Black, Marvin Gaye et quelques autres sont les empereurs successifs de cet empire.

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             Comme le jeune Andrew met le nez dans les affaires du blues via Elmores James, Wolf, Little Walter et tous les autres, il croise fatalement la piste de Guy Stevens qui est alors la tête pensante du blues à Londres, et la tête de pont d’un label déjà mythique, Sue Records. Pantelant, l’Andrew revient sur «Smokestack Lightning» qu’il qualifie cette fois de «greatest achievement of all time», en quoi il rejoint Uncle Sam qui considérait Wolf comme le meilleur. Le plus drôle c’est qu’Andrew essaye d’imiter Wolf et il s’en arrache les cordes vocales - I was up in my room howling - Puis il flashe comme un caribou dans les phares d’un truck sur les Pretties - The roughest and the hairiest of the  lot - Alors il décide de se laisser pousser les cheveux pour ressembler à Phil May. Il est vraiment très bien, le jeune Andrew, jusque là, il a tout bon. Cette autobio est un régal, pour peu qu’on appartienne à la même famille de pensée. Andrew voit les Pretties à la télé, ils passent dans Ready Steady Go et son père qui est assis à côté dans son fauteuil s’écrie horrifié : «What in God’s name is that?». On a tous vécu ça, le paternel qui gueule devant la télé des trucs du genre «c’est quoi cette musique de singes ?», alors que la séquence est cruciale. Ces vieux abrutis ne comprenaient rien. Fuck ‘em !

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             L’Andrew nous raconte donc son Éducation Sentimentale. Il se prépare pour entrer dans «la vie active». Il décroche un premier job dans une boîte de sheet music qui s’appelle Southern Music - No. 8 Denmark Street - Il y fait le petit gratte-papier qui comptabilise les ventes de partitions et voit débarquer des gens comme Donovan et les Artwoods. Alors il papote avec eux. C’est facile, car il est fan, et ces mecs-là aussi. Donovan lui dit qu’il va bientôt sortir un single, «Catch The Wind». Et comme il bosse sur Denmark Street, l’Andrew en herbe voit passer des tas de gens qui vont enregistrer au Regent Sound - No 4 Denmark Street - Les Stones y ont enregistré leur premier album et les Kinks «You Really Got Me». Larry Page a son bureau au No. 25 Denmark Street. Les Troggs enregistrent aussi «Wild Thing» au Regent Sound. Il n’existe pas d’endroit plus mythique à Londres que Denmark Street. À côté de Southern Music se trouve le fameux Giaconda, où on mange des spaghettis bolognaise. Il y voit manger Keith, Bill & Charlie, il papote avec Mitch Mitchell (very chatty) et Noel Redding. Mitch raconte au jeune Andrew qu’il vient tout juste d’auditionner pour un job de batteur dans un trio «with an unknown guitarist called Jimi Hendrix.» The right place in the right time. On ne peut pas faire mieux. On est assis à la table voisine et on suit l’affaire de près. De très près.

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             L’Andrew en herbe découvre Buddy Guy sur scène et comprend soudain d’où vient Jimi Hendrix. 25 ans plus tard, il aura la chance de fréquenter Buddy Guy qui lui expliquera qu’il doit tout à Guitar Slim - It was all part of a tradition where each new player added their own unique brand of showmanship - Voilà, c’est exactement ce qu’il faut comprendre : une tradition et donc une lignée. Jimi Hendrix hérite de Buddy Guy qui lui-même héritait de Guitar Slim, mais il développe l’héritage et le sublime. «Hey Joe» vient d’entrer au hit-parade. L’Andrew en herbe voit Jimi Hendrix sur scène. Il pense bien sûr à Buddy Guy «but Hendrix brought something new.» Il comprend qu’Hendrix invente un style et qu’il joue «ferociously loud». L’Andrew comprend ça et s’en émerveille. Dans le même ordre d’idée, il découvre avec stupeur Larry Williams et Johnny Guitar Watson - Another outrageous showman - Ça se passe encore au Flamingo. La deuxième fois qu’il y va, il tombe sur Sugar Pie DeSanto - «Soulful Dress» was a real mods’ favourite - Il parle de «crazy dancing and even back flips». Et comme tout le monde à Londres à l’époque, il prend les Who en pleine poire - They completely blew my socks off - Boom ! «Can’t Explain» ! Il tombe en pâmoison devant «Anyway Anyhow Anywhere» - Avant de voir les Who, je pensais que les Pretty Things incarnaient the sound of disrespectful youth, but the Who upped the ante - Oui, ils montaient d’un cran, et même d’un sacré cran - «Anyway Anyhow Anywhere» ? «One of the most innovatory singles ever.» Là, l’Andrew est obligé de faire une pause. Il a le souffle court et les joues rouges : «Après trois mois de gigs-going, seeing the Who and Buddy Guy had me hooked for life.» Il comprend aussi que d’aller voir des concerts devient une «occupational necessity». Bienvenue au club, Andrew. Pas de pot, il n’arrive pas à choper les Pretties sur scène, mais il chope les Small Faces en 1966, avec un McLagan fraîchement enrôlé. Il voit aussi The Graham Bond Organisation au 100 Club et dit le plus grand bien  de The Sound Of 65. C’est incroyable comme le jeune Andrew peut avoir tout bon. Jusque-là, c’est un parcours sans faute.

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             Puis il décroche un job chez Liberty Records, un label américain qui a une antenne à Londres. L’artiste phare du label n’est autre qu’Eddie Cochran. L’Andrew rappelle que Liberty a avalé Imperial et Minit, des labels qu’il connaît bien, car il est friand de Fatsy et d’Allen Toussaint, d’Irma Thomas, et d’Aaron Neville. Si Liberty ouvre une antenne à Londres, c’est pour signer des groupes anglais. L’Andrew bosse aussi sur la promotion des artistes Liberty en Angleterre - the Ventures, Bobby Vee et Johnny Rivers - mais il préfère, et de loin, Jackie De Shannon. Hélas, pas de promo pour elle, car elle est considérée comme songwriteuse. Puis comme tout le monde, l’Andrew se met à flasher like airplane lights sur la scène de San Francisco, et plus particulièrement sur les Charlatans. Comme par hasard - They had peaked up too early, been horribly screwed on a lousy deal and split up - C’est admirablement bien résumé. Arrivés trop tôt, baisés par un mauvais contrat et pouf, le split. L’Andrew va se passionner pour cette scène et développer une petite obsession, au point de décorer son bureau comme le Red Dog Saloon de Virginia City où jouèrent les Charlatans durant l’été 1965.

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             Comme Liberty veut profiter de la manne des groupes anglais, le boss de l’antenne Ray Williams passe une annonce en 1967 dans le New Musical Express : «LIBERTY WANTS TALENT». Alors les TALENT ramènent leurs fraises : Idle Race, Family et The Bonzo Dog Doo-Dah Band. Il y a aussi le futur Elton John, mais on va le mettre dans le même sac que le faux Elvis. John Peel chouchoute aussitôt Idle Race. Nous aussi d’ailleurs. Jeff Lyne allait ensuite rejoindre les Move. Et bien sûr les Bonzos - Their live act was hysterical - L’Andrew rappelle qu’avec Gorilla, les Bonzos furent énormes en Angleterre et qu’il comptaient parmi les groupes les mieux payés sans avoir de hit-single. Il fait surtout l’éloge de l’excellent Doughnut In Granny’s Greenhouse - much more of a rock album than Gorilla - L’Andrew dit qu’on les comparait aux Mothers alors que ça n’avait rien à voir.

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             Il passe ensuite à un épisode qu’il faut bien qualifier de mythique : Hapshash & The Coloured Coat en 1967. Pourquoi mythique ? Parce que Guy Stevens. Un Stevens qui se pointe avec un projet enregistré avec les «ultra-hip underground artists Nigel Weymouth and Michael English», des mecs qui dessinent des posters pour l’UFO et qui sont à l’origine de Granny Takes A Trip on Kings Road. L’Andrew rencontre enfin Guy Stevens qu’il qualifie de «real mover and shaker in that mod in-crowd». C’est Chris Blackwell qui lui demande en 1964 de s’occuper de la distribution du catalogue Sue en Angleterre, puis qui le nomme A&R d’Island Records, avec le succès que l’on sait (Spooky Tooth, Free, Mott The Hoople and co). L’Hapshash qu’il amène chez Liberty est selon l’Andrew «a psychedelic, bongo freak-out jam» featuring the Human Hits and the heavy Metal Kids qui ne sont rien de moins qu’Art, c’est-à-dire les VIPs qui vont devenir Spooky Tooth.  

             Sur Liberty on trouve aussi Canned Heat - The most important act I picked up in those early months as a product manager - L’Andrew rappelle qu’il fait la promo des artistes signés sur Liberty aux États-Unis - Le département A&R américain avait enfin signé un groupe qui m’excitait - Il s’exclame : «Canned Heat became my cause célèbre», qu’il écrit en italique avec les accents. Il les fait tourner en Angleterre et les accueille à l’aéroport. Il voit Henry Vestine débarquer avec une boîte contenant ses 45 tours préférés qu’il emmène partout. Puis voilà Al Wilson qui, avec John Fahey, a redécouvert Son House en 1964. Pour l’anecdote, Son House avait oublié toutes ses vieilles chansons et Al Wilson, qui les connaissait bien, les lui a ré-apprises. Plus loin dans le book, l’Andrew revient sur l’excellent Hooker ‘N Heat, enregistré par Hooky et Canned Heat sur United Artists. Alors l’occasion est trop belle de le sortir de l’étagère.

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             C’est l’Hooky qui ouvre le bal d’Hooker ‘N Heat. Il t’embarque ça vite fait au hey hey look what you did/ Got my money babe. Quelle présence ! On l’entend claquer sa corde basse à l’ongle sec sur «Send Me Your Pillow». Il est tout seul. Sur «Sittin’ Here Thinkin’», il y va au lookin’ through my window pane, avec une baby gone with another man. Il tape du pied sur la planche. Superbe artiste ! En B, il tape un «Drifter» en suspension et Al Wilson passe des coups d’harp. Mais au moment où paraît l’album, Al a cassé sa pipe en bois, et on voit son portrait accroché au mur. Ça continue au deep boogie blues d’Hooky le cake avec «You Talk Too Much», puis c’est l’hypno voodoo de «Burning Hell» - When I’ll die/ Nobody knows where I’m going - Il n’y a que lui qui puisse chanter ça. En C, l’Al gratte le boogie africain avec l’Hooky sur «I Got My Eyes On You». Et la grosse machine de Canned Heat se met en route sur «Whiskey & Wimen». Fabuleux heavy boogie, avec le bassmatic dévorant de Larry Taylor. On n’en finira jamais d’adorer cet album. En D, Hooky monte «Let’s Make It» sur le riff raff de Boom Boom Boom, Aw aw aw aw ! Et tu as en prime tout le power de Canned Heat. Stupéfiant ! L’Hooky a du pot d’avoir ces mecs-là derrière lui. «Peavine» est gorgé de son, d’énergie et de passion. Canned Heat accompagne un dieu vivant. Ils terminent avec «Boogie Chillen No 2» chauffé à blanc et Henry Vestine part en vrille amphétaminée. C’est bien que cet album extraordinaire soit sur le label d’Andrew Lauder.

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             Le voilà encore chez les Wizards & True Stars avec Captain Beefheart. Comme Strictly Personnal floppe aux États-Unis, l’Andrew part en croisade pour laver l’honneur du bon Captain. Il trouve l’album «still very Delta blues based», mais avec des tendances avant-gardistes et psychédéliques. L’Andrew s’avoue profondément déçu «car il n’a pu rencontrer the great man qui n’est pas venu faire la promotion de l’album en Angleterre after all.» Il passe directement à un autre Wizard, Tony McPhee - So the Groundhogs were my first bona fide signing and quite a bargain at £52 - Il sort Scratching The Surface, «a pure British blues album». Selon l’Andrew, Tony McPhee s’inspire directement d’Hooky et de Buddy Guy «who Tony would always say was the first to really investigate feedback.» Mais le breakthrough album sera Thank Christ For The Bomb. McPhee y dit adieu aux sixties. John Peel n’aimait pas leurs deux premiers albums qu’il trouvait boring, mais il raffole de Thank Christ et, nous dit l’Andrew, de «Soldier» qu’il passait en boucle. Toujours sur sa lancée, l’Andrew rappelle un truc essentiel : les Groundhogs jouaient très fort - Pre-Motörhead, the Groundhogs were as loud as anything I’d ever heard - Il évoque un Top Of The Pops où les Groundhogs jouaient «Cherry Red», un épisode dont les gens parlent encore. Pour l’Andrew ça ne faisait aucun doute : «the Groundhogs were going to be a truly mega band.» Le meilleur publiciste du groupe fut sans doute Kurt Cobain, comme le rappelle l’Andrew un peu plus loin, les voilà élus précurseurs du grunge, comme ils furent dix ans avant élus précurseurs du punk. Ils sont aussi vénérés par The Fall, Steven Malkmus, Captain Sensible et Julian Cope. Et comme sur cerise sur le gâtö, nous avons Split, l’un des plus beaux albums de l’histoire du rock anglais. 

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             Chez Liberty, puis United Artist, il est aussi en charge de Creedence pour l’Europe. Et ce joli bouquet de gros bonnets éclot avec Hawkwind, qui est sans doute le point culminant de la carrière d’Andrew. Le soir où il découvre Group X à l’All Saints Hall, Peely est là aussi, et c’est lui qui indique que Group X va devenir énorme et qu’il faut les signer. Les deux moteurs du groupe sont Dave Brock et Nik Turner. Dick Taylor produit leur premier album. Il vient de quitter les Pretties après SF Sorrow et veut faire autre chose, alors il devient producteur. L’Andrew revient sur l’extraordinaire saga d’Hawkwind, il évoque tous ces personnages abracadabrants, Robert Calvert, Michael Moorcock, Barney Bubbles et puis bien sûr Lemmy qui avait été auparavant roadie pour The Nice et Jimi Hendrix. Il n’avait jamais joué de basse avant son premier gig avec Hawkwind, il grattait des accords comme au temps de Rockin’ Vicars. L’Andrew remet les pendules à l’heure : «On a jamais considéré Hawkwind comme des innovateurs, mais qui a réussi à sonner comme eux ? Ils ont aussi préfiguré Roxy Music.» Il en rajoute une belle louche deux pages plus loin : «Même s’ils partaient loin dans l’espace, ils avaient bien les pieds sur terre et ils ont parcouru un sacré bout de chemin depuis les concerts gratuits sous les arcades du Westway à Notting Hill.» Seul Andrew Lauder peut se permettre un tel éloge, car ce n’est pas sans raison qu’il a protégé le groupe et sorti leurs albums : «Il n’y avait rien de flashy dans le drug-fuelled space rock d’Hawkwind, pas de frime non plus, et il n’y avait avait rien de prévisible chez eux, ce qui n’était pas le cas du groupe qu’était devenu Pink Floyd.» Et aux États-Unis, nous dit Andrew, il n’existait aucun groupe qui sonnait comme Hawkwind. C’est sans doute la plus belle des louanges. Quand Lemmy fut viré du groupe, l’Andrew dit que son enthousiasme pour le groupe a baissé d’un cran. Pour lui, Hawkwind commettait une grosse erreur. Puis le groupe va quitter United Artists, puis une guerre éclate entre Dave Brock et Nik Turner, mais l’Andrew s’en lave les mains. Aux yeux d’Andrew, Hawkwind reste l’antithèse du glam et du prog. Ils font partie du proto-punk anglais. John Lydon était fan, les Pistols tenteront même de reprendre «Silver Machine». D’où la grande fierté d’Andrew Lauder.

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             Quand il met le nez dans le rock allemand, il ne fait pas semblant : Amon Düül, Can et Neu!. Pardonnez du peu. Il sort Phallus Dei en 1969 - and it totally complemented High Tide and probable signings Hawkwind - Car oui, il a déjà High Tide (on y reviendra). Pour lui, Amon Düül est le plus «psychedelic and most shambolic» des groupes kraut. Il est encore plus dithyrambique sur Can  - Je n’ai pas le souvenir de beaucoup d’albums qui m’aient autant excité à la première écoute - Il parle de Monster Movie. Malcolm Mooney, black déserteur américain, n’avait jamais chanté avant Monster Movie - Le seul équivalent de Monster Movie est le Velvet Underground, mais c’est une comparaison superficielle. La musique de Can had broader perimeters - L’Andrew titille son parallélisme en rappelant qu’Irmin Schmidt avec étudié avec Stockhausen, et John Cale avec John Cage et La Monte Young, puis il salue la section rythmique d’Holger Czukay et de Jaki Liebezeit, puissants maîtres de l’hypno cannoise. L’Andrew rappelle aussi que Can n’a jamais eu de set-list et n’a jamais fait de concerts «de promo du dernier album». Rien à cirer ! Fuck it ! Sur scène, ils improvisent. Ils recyclent les thèmes des cuts connus dans l’impro. L’Andrew aime aussi à rappeler que les Buzzcocks ont signé avec lui «because of my involment with Can». Attends, c’est pas fini : l’Andrew cite dans la foulée le fameux éloge d’Eno - Le premier album du Velvet ne s’est vendu qu’à 10 000 exemplaires, mais tous ceux qui l’ont acheté ont formé des groupes - Selon l’Andrew, cette formule s’applique encore plus à Can. Parmi les fans de Can, il cite les noms de John Lydon, Mark E. Smith, Julian Cope, Pete Shelley and Jesus & Mary Chain. Jolie brochette ! Alors on sort Monster Movie de l’étagère.

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             On est tout de suite frappé par «Father Cannot Yell», bien pulsé du beat. Unique pour l’époque, c’est âcre et solide, sans répit, loin des mots, loin du cœur, mais au cœur du mythe. L’Andrew a pris ça en pleine poire, comme tout le monde. Black Mooney au micro. Les dissonances sont directement inspirées de «Sister Ray». Ils bouclent leur fier balda avec «Outside My Door». Heavy beat cannois mais à rebrousse poil, avec Mooney en tête de gondole. Ah cette façon qu’ils ont de développer en tirant l’overdrive, en transparence et sans à-coup ! Mooney dévore vivante la fin apocalyptique. Par contre, rien à dire de la B, à part bof. 

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             L’Andrew embraye aussi sec sur Neu! - J’ai adoré le premier Neu! dès la première écoute - Il flashe particulièrement sur «Hallogallo». Il n’en finit plus de flasher. Flish flash flosh, 36 chandelles ! Son book est un book de flashman. Une flash bible ! Il donne tous les détails de l’histoire de Neu!. On savait l’Andrew passionné, mais avec le temps, ça ne va pas en s’arrangeant. Plus on vieillit et plus on s’excite, c’est logique. Bon après il se vautre lamentablement avec Tangerine Dream. Au fond, c’est une bonne chose qu’un mec comme Andrew Lauder ait des défauts. Ça rassure.

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             Côté copines, l’Andrew en a une belle : Maureen, une Américaine qui a bossé pour Morris Levy chez Roulette, pour Florence Greenberg chez Scepter, et qui est bien pote avec Juggy Murray Jones de Sue Records. Et puis il y a le fameux fiasco du concert new-yorkais de Brinsley Schwarz au Fillmore, avec 140 journalistes anglais invités, nourris et logés, l’Andrew donne tous les détails. De toute façon, Brinsley Schwarz n’a jamais marché nulle part. L’autre fiasco est celui des Groovies qu’il réussit à faire venir à Londres. L’Andrew est fan de leurs albums sortis sur Epic et Kama Sutra. En tant que fan inconditionnel des Charlatans, il est aussi en contact avec Mike Wilhelm, il connaît Loose Gravel et ça le botte bien l’Andrew que Chris Wilson soit désormais dans les Groovies. Il fait d’abord venir Cyril Jordan à Londres. Maureen et lui l’accueillent dans leur appart à Queensgate. Mais c’est compliqué d’avoir un lascar comme Cyril Jordan à la maison, il sort le soir, rentre à des heures impossibles et fout la musique à fond, réveillant Maureen et Andrew. Ah ça par exemple ! En plus, il n’écoute qu’un seul cut, le Cyril, «Tumbling Dice» qui vient de sortir. Sous leurs bonnets de nuit, Maureen et Andrew sont consternés - We felt like parents with a troublesome teenager at home - C’est drôle, Marc Z disait exactement la même chose du Cyril : gâté-pourri, insupportable, auto-centré, ma gueule, rien que ma gueule, wouah ma gueule. Puis l’Andrew fait venir le reste des Groovies à Londres. Il les installe dans une ferme à Chingford, dans l’Essex et ils commencent à tourner en Angleterre et en France. 60 dates environ en 7 mois, nous dit l’Andrew, et non 250 comme l’affirme le Cyril - Which mathematically was a complete impossibility - Ils enregistrent à Rockfield et s’y plaisent tellement qu’ils envisagent de titrer leur album Bucket Of Brains, d’après la «Welsh local beer, Brain’s beer». Pour l’Andrew, l’épisode Groovies tourne au cauchemar. Ils lui prennent trop de temps. Trop de problèmes qu’ils pourraient régler eux-mêmes. L’Andrew réussit à sortir deux singles magiques, «Slow Death», puis la cover du «Married Woman» de Frankie Lee Sims, mais il ne peut plus prendre le groupe en charge. Shake Some Action ne sortira pas sur United Artists mais sur Sire - They hadn’t made the impact I expected - L’Andrew finance leur voyage de retour à San Francisco et coupe le cordon ombilical. Il leur file les cuts enregistrés à Rockfield, car ça n’intéresse personne en Angleterre. Par contre, Greg Shaw saute dessus. L’Andrew l’autorise à sortir «You Tore Me Down» sur Bomp!. Et c’est grâce à Greg Shaw que les Groovies signent sur Sire en 1975 - Shake Some Action avait tout pour décrocher le pompon, mais les Ramones et Talking Heads sont arrivés. Alors les Groovies se sont retrouvés le bec dans l’eau, incapables d’entrer dans la danse du punk - Fabuleuse chute du Niagara. Rien n’est plus vrai que cette épouvantable tragédie. Marc Z dit aussi avoir tout fait pour les aider et qu’en retour, rien, nada. Nada aussi pour l’Andrew. On sent à travers ces pages remonter un gros relent d’amertume. Par contre, il garde de bons souvenirs de Rockfield qui dit-il était entre 1971 et 1976 «a second home». Il y enregistrait Hawkwind, Brinsley Schwarz, Help Yourself, Motörhead, les Groovies, Feelgood, Del Shannon et plus tard les Stone Roses.

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             L’autre groupe chouchou, c’est Man - this tight, free-flowing jamming band with that classic West coast dual guitar sound - Il compare Micky & Deke à John Cipollina et Gary Duncan. Des cuts de 20 minutes. C’est ça le problème. Le ventre mou du rock anglais à cette époque. On ne gardait pas les albums, ni ceux de Man et encore moins ceux de Brinsley Schwarz. L’Andrew fait l’éloge de Rhinos Winos & Lunatics. Cipollina viendra même tourner avec eux en Angleterre en 1975. L’Andrew enregistre les concerts et sort Maximum Darkness. Il soutient le groupe tant qu’il peut. Ils s’allument avec de tonnes de dope et du serious drinking. Sur scène, Micky lance : «We may not be the best band in the world but we smoke the most dope.» «That’s a pretty fiffing epitaph», ajoute l’Andrew, «et parfois, il m’arrivait de penser qu’ils étaient le meilleur groupe du monde. They could be so good, it was scary.» Ces pages sur Man sont palpitantes. On sent bien le fan qui tartine son miel. 

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             Retour du fan en fanfare avec Feelgood ! Il commence par dire que «Wilco ne faisait pas confiance aux record companies, et il avait bien raison.» Alors ils se mettent d’accord sur la méthode d’enregistrement - It was only about the edge - Vic Maile est l’ingé-son, l’Andrew l’a déjà fait bosser sur Hawkwind, Amon Düül et Greasy Truckers. C’est aussi Vic Maile qui a enregistré le Live At Leeds des Who pour Polydor. Wilko ne veut aucune interférence - We kept it simple - Down By The Jetty sort en 1975, on s’en souvient tous comme si c’était hier. Pochette en noir et blanc, son mono. Pour l’Andrew, Feelgood, c’est le retour du beat boom. Il ne se pose pas de questions, ça va se vendre ou pas ? - J’ai toujours pensé que quelqu’un aimerait ça de la même façon que moi. Et j’ai vite découvert que je n’étais pas seul à aimer ça - Et hop ça s’accélère, la période est chaude, il évoque Stiff avec Barney Bubbles aux graphics, Dave Robinson, Jake Riviera et Nick Lowe, rien que des vieilles connaissances. Boom, le BUY1 de Nick Lowe sort en août 1976, suivi des Pink Fairies, de Roogalator, du Tyla Gang et de Lew Lewis. Le BUY6, c’est «New Rose». Pourquoi Stiff ? Parce que Stiff passe par l’Andrew pour la fab. Et bien sûr, ils ont sa bénédiction. Il rencontre alors McLaren qui lui demande si ça l’intéresse de signer les Pistols - Maybe I’m the person that can handle them - Il vient d’ailleurs de signer les Stranglers. Et comme il a déjà bossé avec Hawkwind et Lemmy, les Pistols ne lui font pas peur. Mais il réfléchit et se dit que ce n’est pas pour lui. Pourquoi ? Parce qu’il a signé les Stranglers et les deux groupes se haïssent profondément. Il rappelle McLaren pour lui dire qu’il décline, et deux jours après, les Pistols sont sur Virgin. Ainsi va la vie.

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             Après United Artists, l’Andrew va monter Edsel et Demon Records. Il commence par sortir le single de Nick Kent & The Subterraneans sur Demon, l’excellent «My Flamingo». Le premier album paru sur Edsel est The Ultimate Action, produit par George Martin. Puis il débarque chez Island, mais il sent qu’il n’a pas les coudées franches. Il explique que les Groundhogs et Hawkwind seraient impossibles chez Island. Blackwell lui demande d’aller voir Vic Goddard sur scène et de lui faire un rapport, et l’Andrew n’y va pas de main morte : «He was trying to be a crooner and simply couldn’t sing.» Pas question de le signer. Blackwell s’intéresse à des choses qui n’intéressent pas l’Andrew : Robert Palmer, Grace Jones, Spandau ballet et Blue Rondo A La Turk, «so-called purveyors of cool jazz pop». Il exprime son désaccord et bien sûr se fait virer. Il y a aussi des pages sur U2 dont on se passerait bien. Il a aussi signé les Meteors sur Island, mais ils se sont fait virer aussi sec. Allez hop, à dégager ! En gros, l’Andrew dit : «On n’est pas du même monde.»

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             Pas grave, il navigue en père peinard avec Edsel et Demon. Premier LP Demon : Dr John Plays Mac Rebennack. C’est le Demon FIEND  1. Puis il sort Clarence Gatemouth Brown, Johnny Copeland, Del Shannon, le Bigger Than Life de Lamont Dozier, et crack, il sort tout l’Hot Wax, c’est-à-dire Freda Payne, Chairmen Of The Board, Laura Lee, puis il entre en contact avec Al Bennett chez Hi pour sortir Al Green, Otis Clay, O.V. Wright et Ann Peebles. Tu vois un peu le niveau d’Andrew Lauder ? Il ressort en Angleterre tout le gratin dauphinois de la meilleure Soul américaine. Puis il sort sur Edsel l’ahurissant Frenzy de Screaming Jay Hawkins, et quand il tape dans le rock anglais, c’est pas triste non plus : The Creation, puis The Merseybeats, The Big Three, The Mojos, The Paramounts, et The Artwoods qu’il avait rencontrés à ses débuts chez Southern. Et ça explose avec le Roger The Engeener des Yardbirds, puis The Larry Williams Show. La liste est longue, il faut lire ces pages, ce sont les pages d’un fan devenu fou, ça tourne au Fantasia de Walt Disney, les balais sont des disks classiques, et ça continue avec Albert King, Major Lance, Clyde McPhatter, Rufus Thomas, Sam & Dave, puis retour en Californie chérie avec Kaleidoscope, Moby Grape, The Beau Brummels, Mad River et Quicksilver Messenger Service, which was our 200th release. Avec un mec comme l’Andrew, tu es en de bonnes mains. Sur Demon, il sort Robert Cray et pour lui les deux albums du grand Robert - Bad Influence et False Accusation - «are amongst the highlights for me at Demon». Et ça continue avec les Long Ryders, The Dream Syndicate, Green On Red et bien sûr The Rain Parade. Wham bam thank you Laud ! 

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              Puis arrive le chapitre Silvertone et donc les Stone Roses - When they were good, they were very good, but at times they were awful - Il aura ensuite le privilège de rater Sonic Boom. Il avait voulu signer Spacemen 3, mais le groupe battait de l’aile à l’époque. L’Andrew réussit toutefois à sortir Spectrum. Puis nouveau label : This Way Up, avec The Tindersticks et puis Redd Kross, c’est dire si l’Andrew a le bec fin. Il sort Phaseshifter en 1993. Pour lui, Redd Kross a dix ans d’avance sur les autres. Wham bam ! Il réussit même à les faire tourner en Angleterre, alors t’as qu’à voir ! Puis il monte Cello Recordings et sort des gens comme Jerry Boogie McCain et Beverley Guitar Watkins, rien que des superstars méconnues. L’Andrew rappelle que Beverley Guitar Watkins, dont on a fait grand cas inside the goldmine, a accompagné Ray Charles et B.B. King. C’est encore l’Andrew qui sort More Oar, l’extraordinaire tribute à Skip Spence. Et sur un nouveau label de red nommé Acadia, il sort une centaine de CDs, dont les Sir Douglas Quintet, Hot Tuna, Jorma Kaukonen, Sons Of Champlin, les Charlatans et bien sûr Kaleidoscope. On en revient toujours à Kaleidoscope. Evangeline, c’est encore lui. Mais comme c’est dur à vendre, il arrête les machines en 2008, quitte le Devon et part s’installer dans le Sud de la France, à Seillans, dans le Var. Il vend du vin et des produits locaux. Il a aussi un petit rack de CDs - Je n’irai pas stocker des choses que je n’aime pas, aussi les clients ne trouveront chez moi que Del Shannon, The Artwoods, Jefferson Airplane ou Howlin’ Wolf». Il a démarré avec Wolf et il finit avec lui.

             Il continue cependant de fouiner : il dit adorer «Jason Isbell, Drive-By Truckers, and Wilco and a lot of harder to find stuff. It’s mostly country that’s rough around the edges and steeped in rock’n’roll.» Il a découvert Turnpike Troubadours et American Aquarium.

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             La chute est spectaculaire, c’est un vieil homme qui s’exprime : il cite le nom de Chris Knight qui était un ami de John Prine - Il sonne comme un vieil homme très en colère. On le décrit comme le dernier d’une lignée mourante. Je m’identifie à ça. Quand on est mordu par la musique, on ne peut plus rien faire. J’étais au départ a music fan et j’ai fini par en vivre. Mais maintenant, ça appartient au passé - Andrew Lauder ! Fascinant personnage. Fascinant book. Fascinante époque. Merci Andrew pour ce big book qui d’une certaine façon te réconcilie avec la vie, enfin ce qu’il en reste.   

    Signé : Cazengler, Andrew Lourdaud

    Andrew Lauder. Happy Trails: Andrew Lauder’s Charmed Life And High Times In The Record Business. White Rabbit 2023

    Can. Monster Movie. Liberty 1970

    Canned Heat & John Lee Hooker. Hooker ‘N Heat. United Artists 1971

     

     

    L’avenir du rock

     - Muddy Gurdy manne

    (Part Three)

             Tout compte fait, l’avenir du rock adore errer dans le désert. Il y hallucine plus que dans la vie normale, alors il ne va pas s’en plaindre. Au contraire. C’est même un luxe que beaucoup de gens lui envieraient, s’ils savaient. Notre erreur dans le désert vient de contourner une grande dune et il tombe soudain sur trois personnes alignées côte à côte, au milieu de nulle part. Pour ajouter à l’incongruité de la scène, ils sont tous les trois étrangement vêtus. Surmontant sa stupéfaction, l’avenir du rock s’approche du plus petit, un moustachu basané aux cheveux crépus, vêtu d’un costume gris anthracite et d’une cravate, et demande :

             — Que faites-vous là ? Vous attendez le déluge ?

             — Non ! Nous attendons li Tigévé Muddy Pylinées di 14 houls 15 !

             Intrigué, l’avenir du rock ne pense même pas à lui demander s’il a quelque chose à boire.

             — Je vous ai déjà vu quelque part !

             — Yé souis Muddy Ben Balka ! Citte crapoule d’Hassan y m’a jité dans li disert !

             — Et lui, à côté... Je connais cette gueule d’empeigne...

             L’homme porte un chapeau et un manteau noir, par soixante degrés à l’ombre. Il fixe l’horizon de ses gros yeux liquides, et de sa bouche ouverte coule un filet de bave. Muddy Ben Barka reprend, mais en chuchotant : 

             — Ci M li Muddy, y vous dila pas un mot. L’est mouet comme oune calpe di l’Oued !

             L’avenir du rock est soufflé de rencontrer Peter Lorre en plein désert. Quant au troisième personnage, c’est encore autre chose : il est assez jeune, coiffé d’une frange épaisse et vêtu d’un costard rouge vif très moulant. L’avenir du rock s’excite soudain :

             — Mais je vous reconnais ! Vous êtes Ronnie Bird !

             Ronnie se met alors à chanter :

             — Vous avez l’air heureux/ Après tout ça m’est bien égal/ On dit qu’entre vous c’est sérieux dans ce muddy journal !

             — Ah Ronnie comme ça fait du bien d’entendre ce Muddy Journal dans le désert ! Hey Ronnie, c’est qui ton groupe préféré ?

             — Les Muddy Blues ! Et toi, avenir du rock ?

             — Muddy Gurdy !

             — Ah c’est des babs ?

             — Non c’est des Bibs !

     

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             Ça fait du bien de voir redébarquer Muddy Gurdy. Comme on connaît tout leur set par cœur, on se contente de savourer chaque seconde de leur présence. L’attention se concentre essentiellement sur Tia. Cette fois encore, on a l’impression qu’elle a «progressé», que sa voix est plus black, plus gospel-black. Quand elle descend dans les profondeurs de «Down In Mississippi», elle réussit à atteindre le fond du désespoir black, tel que l’exprimait J.B. Lenoir. Elle est fabuleusement juste et fascinante d’intégrité, si l’on part du principe que J.B. Lenoir est l’un des artistes les plus purs du cheptel sacré, par la qualité de sa voix et par la force de son engagement : nul mieux que J.B. n’a su chanter le traumatisme causé par le racisme des blancs dégénérés.

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    Ce n’est pas non plus un hasard si Tia tape plus loin dans le «Strange Fruit» de Billie Holiday, elle semble avoir pris fait et cause pour les pauvres nègres que les blancs s’amusaient à pendre haut et court. Plus aucune trace de Jessie Mae Hemphill dans son set, dommage, car Jessie Mae est au cœur de sa mythologie. Dans le petit article que consacre Soul Bag à Jessie Mae, Tia dit avoir récupéré des objets lui ayant appartenu, dont apparemment une guitare. L’occasion ne s’est pas présentée d’en parler avec elle après le concert. Dommage. Sur scène, Tia porte une petite robe noire, qu’elle doit souvent ajuster, car le haut glisse sur sa poitrine. Entre chaque cut, elle parle un peu aux gens, et tripote le gris-gris qu’elle attache au micro. Elle fait son vieux «Black Madonnas» et l’excellent «Boogie/Bourrée» qu’elle base sur une théorie : boogie et bourrée auraient des racines communes, et ce genre de subjectivité plaît infiniment à un public visiblement acquis, puisque constitué essentiellement des fans de la première heure.

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    Tia et ses deux amis parviennent comme chaque fois à faire décoller l’énorme hydravion d’Howard North Mississippi Country Blues, et une fois décollé, la carcasse vrombit de tous ses moteurs, pulsé par les basses de la vielle électrique et allumé en pleine gueule par les plans boogie hérités d’Hooky et de Fred McDowell que Tia gratte sur son Epiphone. Dans ces moments d’extrême power, Muddy Gurdy rivalise de sauvagerie contenue avec les géants du genre, à commencer par les North Mississippi Allstars. L’autre smash n’est autre que le «Skinny Boy» de R.L. Burnide, pareil, boogie down in the face, claqué sévère par Tia et pulsé par les basses de la vielle, dans un savant mélange d’osmose et d’alternance, qui rappelle le freakout du «Snake Drive» des North Mississippi Allstars. Encore un joli coup avec le «Chain Gang» de Sam Cooke où elle sort d’une manche qu’elle n’a pas les meilleurs accents gospel.

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             On en finirait plus de chanter les louanges de Tia Gouttebel. En marge de Muddy Gurdy, elle enregistre de temps en temps des albums solo captivants. Le dernier en date s’appelle Lil’ Bird. Elle y tape quelques covers, dont deux cuts signés Don Cavalli ! Elle monte bien «Black Coal», elle va le chercher pour lui rendre hommage, elle jette toute sa niaque dans la balance et cavale sur l’haricot du Cavalli. Le deuxième s’appelle «No Friend No Love», elle l’épouse au plus près. Ces deux cuts ne sont sur aucun des albums de Don Cavalli, pour la simple et bonne raison qu’il les lui a offerts. Avec «Serial Cooker», elle distille des finesses perchées de kingdom. C’est d’une beauté tutélaire, Tia est une artiste complète, hey sugar, et elle relance ! Elle revient aussi à sa chouchoute, Jessie Mae Hemphill, avec «Lord Help The Poor & Lonely». Une flûte Peule la suit. C’est fabuleux de rising sun. Elle refait tout le boulot de Junior Kimbrough, du Mali au Mississippi. C’est très pur, vraiment chanté à la revoyure, superbement hanté par la flûte et les percus. Elle tape son «Mississippi Scream» d’ouverture de bal au Missip stomp. En plein dans l’esprit. Elle est dessus au pur jus d’esprit pur. Avec son morceau titre, elle charge fantastiquement la barcasse. Elle joue au plus près de la vérité, elle est dans l’authenticité. Le beurre, c’est Francis Arnaud, il bat dans la baratte. Avec «Sweet Lotus Blossom», elle fait son Tav Falco, au cha cha cha de la rue de la Lune. Et comme la polyvalence n’a plus de secret pour elle, elle finit avec l’«El Paso Rock» de Long John Hunter qui fut jadis arraché à l’oubli par Billy Miller, sur Norton. Rien de révolutionnaire, juste du good jiving d’El Paso, un shuffle d’orgue assez manic. Belle démonstration de force. 

    Signé : Cazengler, maudit gourbi

    Muddy Gurdy. Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 3 février 2024

    Tia Gouttebel. Lil’ Bird. Not On Label 2017

     

     

    Inside the goldmine

    - D’Angelo Biafra

             Quand on entrait chez Angelou, on avait clairement l’impression d’entrer dans un autre monde, un monde chargé de mystère et de danger. Vue de l’extérieur, cette maison paraissait petite, construite de bric et de broc, mais une fois à l’intérieur, elle paraissait immense. On arrivait dans une espèce de cuisine trash. Sur la gauche se trouvaient deux portes fermées, sans doute des chambres, et sur la droite s’étendait un espace mal éclairé, très bas de plafond, qui semblait très profond. Sur de très longs canapés en simili-cuir gisaient des corps, beaucoup de corps, oh une bonne dizaine. Ces gens dormaient-ils, étaient-ils sous l’emprise de drogues ? On entendait une musique un peu diffuse - Shiny shiny shiny boots of leather - et après avoir fait le tour, le regard revenait se porter sur Angelou qui trônait derrière sa table de cuisine, en compagnie de sa compagne et de quelques adolescents. Angelou devait mesurer deux mètres et peser deux cents kilos. Un buisson de broussailles couvrait sa grosse tête ronde et des lunettes à fines montures lui donnaient l’allure d’un barbare converti au christianisme. Il parlait d’une voix bourrue à la Michel Simon. Il t’indiquait une chaise - Tiens pose ton cul ! - et te remplissait un grand verre à bière d’alcool pur - À ta tienne ! - C’était le verre de bienvenue. Sa façon de t’accepter chez lui. Mais tu devais surveiller tes propos, car tu n’appartenais pas au cercle rapproché. Angelou était le petit frère d’un très bon ami et c’est en tant qu’ami de son frère qu’il m’acceptait. Entrer chez Angelou, c’est la même chose que d’entrer dans un pays en guerre avec un passeport. Tu prends tes risques, personne ne te force à les prendre. La conversation se mit à rouler - Roule ma poule ! - Angelou brandissait sa bouteille - Vide ton verre ! - Il était extraordinairement drôle, il était même irrésistible, mais il fallait se forcer pour rire, car la tension restait palpable. Angelou hébergeait des dealers - Tout ce que tu veux ! - et prenait des commandes de contrats. Les heures passaient. Angelou monologuait. Sa compagne et les ados grignotaient des morceaux de pizza froide et ne disaient rien. La mauvaise ampoule accrochée au-dessus de la table se reflétait dans les verres de ses lunettes. Et au moment où t’y attendais le moins, il te demandait ce que tu voulais. Payable d’avance. Cash. Tu venais du néant, tu croisais Angelou et tu retournais au néant.   

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             À la différence d’Angelou, D’Angelo n’habite pas une petite maison, mais probablement un palais. Et plutôt que de groover le néant, D’Angelo groove la modernité. On le présente généralement comme la tête de pont de la néo Soul. Il se caractérise surtout par une phobie des médias et une discographie assez maigrichonne. Quand les médias voulurent faire de lui le nouveau sex symbol, il disparut pendant quinze ans, un peu à la manière de Sly Stone. Bon, on trouve comme d’habitude tous les détails dans wiki, alors passe le bonjour à wiki. Le plus simple, pour prendre la mesure du génie D’Angelo, c’est encore d’écouter ses trois albums.

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    Et surtout de commencer par le troisième, Black Messiah, car c’est une façon directe de renouer avec la modernité, comme on le faisait au temps où on écoutait Funkadelic ou Sly & The Family Stone. Black Messiah est un chef d’œuvre d’ultra-modernité, tiens commence par sauter sur «The Charade», tu verras D’Angelo partir de biais, c’est son truc, le biais, il réécrit en même temps le dictionnaire des élégances. S’il tape de biais, c’est au power pur, il fait une Soul mal famée qui est, comme chacun sait, l’apanage de la modernité. Il enchaîne avec une autre merveille biaisée, «Sugah Daddy», il va loin, bien au-delà de toute expectitude, il va chercher des noises à la noise avec une dextérité qui laisse pantois, et c’est peu dire. Le festin se poursuit avec «Really Love», gratté à la bloblote manouche, il indique la direction du futur de la Soul, il tape ça de biais, forcément, il plonge la tête de sa Soul dans la baignoire de la modernité. Ce n’est pas fini ! Voici «Back To The Future (Part 1)», just wanna go back/ Baby, il se montre encore une fois incroyablement délicat. Merci de ne pas faire l’impasse sur l’«Ain’t That Easy» d’ouverture de bal, c’est un heavy groove de complication pulmonaire, mais c’est bien, c’est même transgressif, la Soul ne va pas bien, mentalement parlant, elle part à l’envers. Fantastique coup de weird ! «1000 Deaths» entre dans la même catégorie, D’Angelo vise l’experiment du Sound System, c’est merveilleux et incongru à la fois. Tout sur cet album pue la modernité. Gawd, quel est donc ce génie moderniste ? Il invente le biseau du biais, il provoque la surprise en permanence, il faut vite se conformer à sa modernité. Encore une fantastique expression de l’immanence de sa prestance avec «Prayer», on peut même parler de prescience orbitale - Lawd keep me away/ From temptation - D’Angelo repousse les frontières. Il vire jazz avec «Betray My Heart», il jazze dans la java, il vise l’atonalité de l’antithèse et pour finir, il nous plonge dans un stupéfiant groove d’after modernity avec «Another Life», à coups de notes de piano atonales et de chant impubère. Il répand sa lumière sur l’assemblée des apôtres, c’est tordu et tellement beau, bien gluant, avec du sax. On y reviendra. 

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             Son premier album date de 1995. Il s’appelle Brown Sugar et s’est vendu à des millions d’exemplaires, ce qui n’est pas forcément un bon critère, en ce qui nous concerne. Par ici, on se méfie des grosses ventes comme de la peste. Par chance, l’album est bon car il s’y niche une première trace de cette modernité qui va éclore comme la rose dans Black Messiah. Le cut s’appelle «Jonz In My Bonz», D’Angelo l’embarque au groove organique, avec des bulles et des infra basses. C’est violemment beau. Ce mec a beaucoup d’avance sur son époque. Si on en pince pour le groove, alors il faut écouter «Alright», monté sur un heavy bassmatic, D’Andelo pointe du nez, that’s alright, il chante à la diaphane, il crée son monde, avec ce groove bien coloré. Encore du groove de rêve avec «Cruisin’», il va closer & closer oooh babeh dans le velours de l’estomac pour faire du groove renversé, cruisin’ togethah, il se coule dans son caramel. Il tape «Me & Those Dreamin’ Eyes of Mine» à la voix d’ange de miséricorde, il cueille sa Soul au menton avec une douceur surnaturelle, il groove son smooth. Justement, le voilà le «Smooth», il le travaille au son liquide, avec un vague relent de tatapoum, il semble rôder autour de son groove. Ah on peut dire qu’il se passe des choses intéressantes chez D’Angelo. Il faut aussi le voir chanter son morceau titre à l’évaporée. Il tape «When We Get By» à la glotte liquide, ce mec est un grand amateur de fluides. On garde le meilleur pour la fin, un «Higher» qui n’est ni celui d’Yves Adrien, ni celui de Sly, c’est un autre Higher, bien liquide, une fois de plus. Ça peine à s’élever, malgré les chœurs de gospel qui voudraient bien monter au ciel, mais D’Angelo semble vouloir les en empêcher avec ses harmonies tordues. On assiste à ce conflit impuissant. Il continue de titiller sa musique liquide, mais au bout d’un certain temps, ça ne réagit plus. Le groove ressemble à une nouille molle, malgré de spectaculaires relances. Alors il tape un chant d’harmonies de biais et ça donne le gospel moderne. 

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             Effectivement, wiki a raison, 14 ans séparent Voodoo (paru en l’an 2000) de Black Messiah, salué juste au-dessus. Alors Voodoo ? Oui, mille fois oui, rien que pour «Playa Playa», ce pur jus de voodoo trance, le groove d’hard fuck Angelique, un monde à la David Lynch, groove de la mort à la Nouvelle Orleans - Sailor & Lula - petite balade dans l’au-delà, tu flottes un moment dans la mort et tu reviens à la vie alors que tu n’as rien demandé, fuck, D’Angelo, burry me ! Groove liquide, presque nauséeux, l’un des pires de l’histoire du groove. D’Angelo te fond dessus comme l’aigle sur la belette, son «Devil’s Pie» n’est rien d’autre qu’un real deal, heavy as hell et avec «Left & Right», il passe directement à l’apanage du Black Power, et pour ça, il ramène les rappers Method Man et Red Man, du coup, ça vire rap de destruction massive, t’as intérêt à planquer tes abattis, c’est puissant, ça balaye les blancs dégénérés. On le voit ensuite prendre sa voix d’entertainer de miséricorde pour entonner «The Line». Il ooouuuhte sa Soul léchée par des vagues, c’est du groove expurgé, mais dans les pattes de l’Angelo, ça devient du prurit suprême, l’essence même du groove liquide, il te le chante dans la bouche, il va là où personne n’est encore allé. Retour à la modernité avec «Chicken Grease», un groove africain de la meilleure auspice, il en fait du lard moderne avec des chickens vieux comme le monde. Le festival se poursuit avec un «One Mo’ Gin» quasi hendrixien, voodoo baby, pur jus de heavyness hendrixienne, sans doute la suite météorique de «Voodoo Chile», il va chercher du sens, et comme si tout cela ne suffisait pas, il va encore titiller la modernité avec «The Root», une heavy Soul d’incongruité patente, jouée en mode colimaçon, d’où cette impression d’effroyable modernité, perlée d’éclats de voix diaphanes, D’Angelo travaille pour le compte de l’avenir, il allume des petits brasiers de voix ici et là, dans la plaine d’un Sahel de Soul aride. S’il décolle les voix du son, c’est sûrement volontaire. Avec «Feel Like Making Love», il passe à la petite heavy Soul de plainte non formulée. Il chante dans le blanc d’œuf, c’est très éclectique, il prend prétexte du touch me pour chercher la petite bête, mais il veille à rester en suspension d’un bout à l’autre. Il cherche probablement à faire de l’enrobé surnaturel. Il finit cet album extrêmement riche avec «Africa». Il va chercher l’esprit là où il se trouve. Son groove met parfois du temps à trouver ses marques.

    Signé : Cazengler, Dangelopette

    D’Angelo. Brown Sugar. EMI 1995 

    D’Angelo. Voodoo. Virgin 2000

    D’Angelo And The Vangard. Black Messiah. RCA 2014

     

     

    Dans les griffes de Gruff

     - Part Two

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             Dans Mojo, Keith Cameron qualifie les Super Furry Animals de «tank-driving, melancholic-psychedelic-powerpop rave machine». Pour le ceusses qui ne le sauraient pas, les Furry se firent photographier à une époque aux commandes d’un char d’assaut, pour faire la une du NME. Si un groupe sait passer en force, c’est bien les Furry. Avec les Boo, ils sont le plus grand groupe pop anglais de la seconde vague. Pour eux, c’était assez génial d’être signés par Creation, étant donné qu’ils avaient grandi en écoutant les groupes signés sur Creation, notamment les Boo - Creation had the right attitude, dit Gruff Rhys à Jamie Atkins - Les Furry débarquent chez Creation à l’époque où le label devient complètement crazy, à cause d’Oasis. Trop de blé, trop de drogues. À cette époque, l’un des membres du staff de Creation a pour mission d’organiser des parties - It was insane - Surtout pour les Furry qui n’avaient pas de ronds pour se payer un verre et qui tout à coup peuvent boire à volonté. Mais toutes ces insanités hédonistiques restent ancrées dans la musique, et c’est ce qui plaît à Gruff - It was all about the music - Il avoue aussi une énorme frustration : the frustration of not making full futuristic music. Il se trouve trop conventionnel, trop mélodique - I wanna make music and songs that are about progress and the future - Mais bon, ce qu’il fait nous convient très bien.

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             Dès leur premier album paru en 1996, les Super Furry Animals se jettent dans les extravagances. Fuzzy Logic est une mine d’or - A psych-pop wonderland - Impossible de résister à «God Show Me Magic» mené au push des Stooges et des Welsh, assaut frénétique, puis ils enchaînent avec la triplette de Belleville, «Something For The Weekend», «Frisbee» et Hometown Unicorn», avec ça ils recréent la magie de Brian Wilson et des Beatles, Gruff veille à l’énormité du son, ça doit égaler Brian Wilson, alors ça égale, et puis tu as «Frisbee» balayé par des vents de génie rock, il n’existe rien d’aussi explosif en Angleterre, puis la heavy pop de l’Unicorn ravage tout, la magie s’additionne à la magie et on voit s’élever une tour de Babel pareille à celle de Breughel l’Ancien. Gruff chante «If You Don’t Want Me To Destroy You» avec des accents de Ray Davies. Rassure-toi Ray, la relève et assurée. Ils amènent «Bad Behaviour» au big bad bad, c’est un heavy rock à l’Anglaise fouetté dans la tempête des Cornouailles et puis tout explose à nouveau avec «Mario Man» doté d’un killer solo flash. Et comme si tout cela ne suffisait pas, voilà-t-y pas qu’ils éclatent «Hanging With Howard Marks» aux pires power chords d’Angleterre, des blasters encore plus puissants que ceux de Steve Jones, et Gruff arrive là-dessus comme une rock star, ça gratte à la cocote épaisse, c’est congestionné de son. Voilà de quoi sont capables les Furry, de ce type d’extravaganza. Il pleut du son comme vache qui pisse. Gruff fait comme Teenage, mais au lieu d’envoyer les cornemuses, il envoie les guitares et ça donne le même effet dévastateur. Ils terminent avec «For Now And Ever», un heavy slow rock demented. Gruff semble réinventer le rock anglais, en tous les cas, il lui donne une nouvelle dimension, c’est du big stomp d’after glam chanté au ah ah ah ah. Ce n’est rien, vraiment rien, de dire que ces mecs ont du génie. Frappé par l’éclat de cet album, Jamie Atkins parle d’un «kind of screwbal, hopped-up take on psych power-pop with a drop or two of melancholy acid-floating on the surface».

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             Les Super Furry Animals resteront un mystère. On ne gardait pas un grand souvenir de Radiator et pourtant c’est un very very very big album, déjà rien que pour ces quatre énormités que sont «Play It Cool», «Torra Fy Ngwallt Yn Hir», «Bass Tuned To Dead» et «Mountain People» - No finer place to visit - Oui, ils sont capables de mettre le power en balancement, comme les Pixies, ils sont de véritables pourvoyeurs de pépites, d’ailleurs avec «Torra Fy Ngwallt Yn Hir», ils sonnent comme les Pixies, mais sans le faire exprès, ils jouent plein vent. Le «Bass Tuned To Dead» qui suit est passionnant, ils jonglent avec les prototypes, ils challengent les modèles et chaque fois, c’est admirable, comme chez les Pixies. Leur «Mountain People» vaut bien Big Star, mais sans prétention. Les Gallois veillent à garder les distances de la grâce. «Mountain People» sonne comme une merveille inexorable. Ils font du Big Atmopherix avec «Down A Different River». C’est amené au doux d’acou. Les Furry sont des génies du son, ils descendent dans l’effet de son, c’est pushé aux wild guitars, mais maîtrisé, il faut imaginer une descente de puissance inexorable, c’est un chef-d’œuvre bien intentionné. Ne perdons pas ces gens-là de vue. Ils sont les rois du climax. Tiens, encore une petite merveille : «The International Language Of Screaming». Quelle énergie ! C’est convaincu d’avance. Il faut les voir claquer leur chique. Ils ne font que des cuts irrépressibles, «Demons», «She’s Got Spies», encore des climats superbes, ils te coupent la chique à chaque instant, ils calment le jeu avant de gerber sur le rock anglais, et les gerbes sont spectaculaires. Ils amènent «Herman VS Pauline» à la big energy, au stomp de règlement de compte. Absolute stomp de beginner, ils jouent avec les idées, ils ont toujours du son. Ils se jettent dans le trash-punk du Pays de Galles avec «Chupacacabras» et rivent encore un clou. 

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             Toujours sur Creation, l’album suivant s’appelle Guerrilla et comme son prédécesseur, il grouille littéralement de coups de génie. Tiens on va en épingler trois : «Do Or Die», «Night Vision» et «The Teacher». Ils sont tous les trois bien claqués du beignet Welsh et tu prends tout de suite le «Do Or Die» en pleine poire, les Furry sont les rois du rock, ils taillent la route et peu de groupes sont capables de rivaliser avec cette violence épique. Tout aussi demented, voilà «Night Vision». C’est puissant et sans retour, comme la rivière du même nom. «Night Vision» est une merveille d’ultra-maximalisme, doté d’un beau retour en enfer. Avec leurs guitares et «The Teacher» ils s’en vont exploser la pop anglaise. C’est exactement ça : explosif. Avec un bouquet faramineux de la la la, mais il faut imaginer un la la la démesuré. Leurs power chords sont les meilleurs d’Angleterre. Aucun groupe n’est capable de produire une telle allégresse. Ils plongent encore dans la pop avec «The Turning Tide». Ils sonnent comme une révélation permanente et ça continue avec l’exotica de «Northern Lites», ils ont en plus cette capacité à déconner. Cette fois, on est obligé de raisonner en termes de musicalité, ils montrent une stupéfiante maîtrise des tenants et des aboutissants. Ils terminent ce bumping ride en fanfare avec «Keep The Cosmic Trigger Happy», mais Gruff le chante à l’heavy pop. Diable, comme ce mec peut être brillant !    

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             Paru en 2001, Rings Around The World est tout bêtement un album hommage à Brian Wilson. Pour au moins deux raisons : «It’s Not The End Of The World» et «Presidential Suite». Gruff amène le premier au wouahhh wouahhh. Ce mec se comporte comme un alchimiste, il transforme tout le plomb de la pop en or, fucking alchimiste, «It’s Not The End Of The World» est l’un des hits que Brian Wilson n’a pas écrit. Gruff le monte au chant d’it’s not, et il redéploie sa connaissance de Brian Wilson dans «Presidential Suite», il tape exactement dans le même univers de pureté évangélique. Dans le fond du son, des trompettes indiquent que la voie est libre, alors cap sur le firmament ! Gruff chante avec bonhomie, il offre là un exercice de mimétisme spectaculaire. Le festin se poursuit avec «Sidewalk Surfer Girl». Gruff s’y connaît en surfer girls, il a écouté tous les bons albumz de Brian et de ses frères. Sa pop coule comme du miel dans la manche. S’ensuit un hommage au Velvet : «(Drawing) Rings Around The World». C’est en plein dedans. C’est exactement la même énergie. On croit rêver. Ils passent à la pop sensitive avec «Respectable». Les Furry sont des surdoués, ils tapent dans tous les genres avec un égal bonheur. Ça ne te rappelle rien ? Oui, bien sûr, le White Album. Ils défraient encore la chronique avec «Juxtapozed With U». Gruff taquine sa muse et se prélasse dans l’effarance de l’excellence. Il groove le juxta/ pozed au mieux du groove paradisiaque qui est en fait la griffe de Gruff. Il fait danser les anges de Juxta. On ne croise pas tous les jours ce genre de merveille immaculée. Il s’abreuve encore à la fontaine de la jouvence pop pour «Run Christian Run». Il fait cette fois du pur Neil Young, un nouvel exercice de mimétisme éblouissant. Rings Around The World aurait dû bouffer la tête des charts, malheureusement sont arrivés en même temps le Strokes (Is This It) et le White Stripes (White Blood Cells). Gruff raconte à Shindig! qu’ils voulaient à l’époque enregistrer un over the top, over-ambitious album. Rings Around The World sera élu album of the year par Mojo en 2001.

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             Le problème avec le Furry c’est qu’ils ne font que des very very very big albums. Inutile de rêver, tu ne trouveras pas un seul mauvais album chez eux. Mwng fait partie de ces bombes dont seuls les Anglais sont capables, full of rustic melancholic beatitude. Tu es balayé dès «Drygioni». Ces Gallois sont bien plus puissants que ne l’ont jamais été les Manic. Leur pop-rock est violente et belle à la fois. Par contre, inutile de vouloir mémoriser les titres des cuts, tout est en Gallois. S’ensuit un «Ymaelodi Â’r Ymylon» bien ravagé par des montées de fièvre. Non seulement ce rock sonne comme un violent pied de nez à l’Angleterre, mais les Furry sont en plus de fiers dadaïstes. Leur booklet est blanc, on ne comprend rien à cette langue, mais la musique est un monde en soi, presque un appel à l’insurrection. C’est pourquoi il faut les écouter. Ils font de la heavy pop sur pieds palmés et elle avance au ouh-ouh-ouh. À la question : les Furry sont-ils solides ?, la réponse est oui. Ils enfilent les hits comme des perles, ils ont un sens de l’énormité qui nous dépasse. Comment peut-on imaginer que des paysans gallois puisent détrôner les rois du rock anglais ? En fait, Gruff ne fait que rendre hommage aux Beatles, mais avec son énergie. Ces mecs ont tellement de son, c’est hallucinant ! Plus on avance dans cet album et plus on s’en effare. On peut parler de violence du génie. Gruff chante d’ailleurs sa folk («Nythod Cacwn») au sommet de son mystérieux génie. Tout est très dense dans cet album, ils avancent dans «Pan Ddaw’r Wawr» à marche forcée, aux chœurs de fraternité. Puis ils attaquent «Ysbeidiau Heulog» à la jugulaire et là les Furry deviennent très violents. Quoi qu’ils fassent, ils restent fascinants, ils tapent dans des registres inconnus, ils naviguent aux frontières d’un Dada gallois. Qualifions ça de big Furry. Ils ont toutes les audaces et ils sonnent juste à chaque fois, c’est du grand art. Encore une violente poussée dans «Sarn Helen», un chef-d’œuvre de Big Atmospherix et ils embouchent la trompette de Miles pour lancer «Gwreiddiau Dwfn». Gruff sait les choses. Il fait de la magie. Il chante d’ailleurs dans une langue de magicien. Merlin est d’origine galloise.

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             Encore une rude épreuve avec Phantom Power, pondu en 2003. Si on cherche les œufs d’or, il faut aller directement sur le 9, «Out Of Control», bim bam boom, on n’avait encore jamais entendu une intro aussi hargneuse, même chez les Stooges. Ils font ici le big pam pam pam du Pays de Galles. Ça grouille encore d’énormités sur cet album, par exemple le power immédiat d’«Hello Sunshine», ou encore cette façon de chanter la pop avec un bonheur inégalé («Liberty Belle»), et puis voilà une vieille dégelée monumentale en forme d’heavy boogie Furry, «Golden Retriever». Plus loin «Father Father #1» décolle tout seul. Gruff a trop écouté les Beatles, sa pop retombe toujours sur ses pattes. Avec chaque cut, il ramène des tonnes de son et d’excellence, les guitares virevoltent dans la mélodie chant («Valet Parking»), les coups de guitare sont des sommets du genre avec un Gruff posé au sommet comme la cerise sur le gâtö. Dans «Slow Life», on entend de faux accents de Martin Carr qui lui même a de vrais accents de Liverpool, une ville qui a de faux accents de John Lennon. Cette lignée d’excellence n’en finira donc jamais ? Gruff déconne avec ses cuts, mais quand il ramène du son, ça redevient le Furry Power, une sorte d’iceberg immergé dans le néant de la modernité. 

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             En 2005, les Furry calment leur fureur avec Love Kraft. Ils se contentent juste de surpasser CS&N avec «Ohio Heat», ils s’américanisent juste comme ça, pour rigoler - Ohio heat/ Sweet as sugar from a beet - Mais ils n’ont rien perdu de leur Super power comme le montre «Atomik Lust». C’est le vrai power de la pop, le grand tentateur, serti d’un solo bien gaga d’effarance. En fait cet album est farci comme une dinde froide de Beatlemania, la musique des Furry reste égale à elle-même, c’est-à-dire une pop d’une richesse extrême montée sur des architectures soniques héroïques. Ils ne lésinent pas sur la grandiloquence, mais diable comme c’est beau. Avec cet album, ils vont plus sur la Beatlemania de la fin. Gruff continue d’abuser de toutes les libertés que permet la construction mélodique («Walk You Home»), il dote son «Frequency» de mélodie chant et de climats sonores exceptionnels - Take another leaflet/ From ths stand - Même les instros ont fière allure («Oi Frango»). Avec «Back On A Roll», Gruff reste dans cette perfection de la pop digne du White Album, histoire de se montrer classique jusqu’au bout des griffes.          

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             Si tu écoutes Hey Venus, mets un casque. Car tu es aussitôt bombardé. Ces mecs sont les rois du bombing. Et voilà qu’ils font du Spector avec «Run-Away». Saluons l’avènement de la heavy pop du Pays de Galles ! C’est même carrément du Brill Spectorish. Ces Gallois ont plus de rémona que n’en ont jamais eu les cadors du Brill. Ils ont le Super Power, ils ont la Furry pop, ils montent même dans des crans insolubles. Et boom, voilà que ça explose avec «Show Your Hand», ils mènent chaque cut à la victoire, chez eux c’est une manie. Ils sont dans l’expression du génie pop. Ils restent dans cette énergie extraordinaire avec «Neo Consumer». Ils ne se connaissent pas de limites. Si on en pince pour la pop, franchement, c’est eux qu’il faut écouter. Gruff part dans tous les sens et chaque fois, il est bon, car il ramène aussi du son. Avec «Into The Night», c’est le bassmatic qui passe en tête et Gruff fait une Soul de haut du panier avec la sauvagerie d’un petit branleur. Il passe même un solo de disto. Et ça continue avec «Baby Ate My Eightball», une nouvelle énormité cavalante, Gruff s’amuse, il plane all over the sound, il mélange le beat r’n’b avec le trash Welsh. Les Furry ne vivent décidément que pour la beauté du geste, comme le montre encore cette merveille, «Suckers», ils développent une fois de plus une ampleur spectaculaire, et on s’inquiète pour les concurrents, car aucun groupe ne peut rivaliser avec un tel faste, en Angleterre. Pas de doute, les Furry sont bien les héritiers des Beatles, la preuve avec «Battersea Odyssey». Ils s’inscrivent dans la lignée du power de John Lennon, c’est la même énergie. Les Furry réinventent en permanence ce vieux mythe qu’est l’excellence de la pop anglaise. Bien sûr, les lyrics sont imprimés en rouge sur un fond bleu primaire pour qu’on ne puisse pas les lire. 

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             Le dernier album des Furry date de 2009 et s’appelle Dark Days/Light Years. Pas de coups de génie là-dessus, mais trois raison d’espérer des jours meilleurs, la première étant «Inconvenience», le glam de Gruff, joué avec une telle énergie que ça dépasse le glam, ça pleut de partout, ça va ça vient entre les reins, sur un beat de rêve. La deuxième raison d’espérer s’appelle «Cardiff In The Sun». Gruff s’y positionne comme l’héritier de Brian Wilson, alors on l’écoute religieusement. T’es vite embarqué avec les guitares. Ce mec Gruff peut déclencher des agapes et transcender le génie pop. Il revient à son penchant pour les vieilles dégelées avec «White Socks/ Flip Flop». Il fait flip-flopper ses white socks et on danse le jerk. Quelle allégresse ! On le voit aussi ramener du stomp dans son Mountain («Mt»), mais pas n’importe quel stomp : le vieux stomp de Carter The Unstoppable Sex Machine. Les Furry sont fiables à 100%. Chaque cut est une aventure, du vrai Jules Verne du Pays de Galles. Ils sont moins virulents qu’au temps des grands albums mais d’une présence indéniable. Tu veux de la pop ? Tiens voilà «Inaugural Trans». Gruff n’est pas avare, il te donne toute la belle pop dont tu peux rêver. Il part toujours au quart de tour comme le montre encore «Where Do You Wanna Go». Ce Big Boss Man ne traîne pas en chemin. Il reste à l’affût. Il mène sa meute de pingouins. Sa pop file toujours droit vers un horizon de carton pâte et il fait tout pour brouiller les pistes. Alors chacun se débrouille pour démêler l’écheveau référentiel.

    Signé : Cazengler, Rhys orangis

    Super Furry Animals. Fuzzy Logic. Creation Records 1996  

    Super Furry Animals. Radiator. Creation Records 1997

    Super Furry Animals. Guerrilla. Creation Records 1999    

    Super Furry Animals. Rings Around The World. Epic 2001

    Super Furry Animals. Mwng. Placid Casual Recording 2000

    Super Furry Animals. Phantom Power. Epic 2003 

    Super Furry Animals. Love Kraft. Epic 2005           

    Super Furry Animals. Hey Venus. Rough Trade 2007 

    Super Furry Animals. Dark Days/Light Years. Rough Trade 2009

     

     

    Smog on the water

     - Part Two

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             Bill Callahan est un gentil roi du laid-back. Il peut être capable de plus profond désespoir comme des plus belles envolées lyriques. Alors on l’écoute album par album, en marchant sur des œufs.

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             Une chaise orne la pochette de Forgotten Foundation. La chaise est un thème qui lui est cher, puisqu’on va la retrouver sur la pochette de l’album suivant, Julius Caesar. Comme on est à l’âge d’or du college rock américain, le jeune Bill se spécialise dans le Weird, comme tant d’autres, de Daniel Johnston à Sebadoh, en passant par Jad Fair. Le Weird ça veut dire quoi ? Ça veut dire le vieux gratté d’arrière-garde d’«Head Of Stone II» et de «Long Gray Hair». Il sait aussi balancer des jolis shoots de disto comme le montre aimablement «Dead River». Globalement le jeune Bill teste des idées. Ses perspectives de disto se vautrent dans l’underground, comme des cochons dans leur auge. Tout est très dévié du but, assez tuberculeux, peu fiable, couvert de tâches, des expériences insalubres, rien de probant, le Smog t’enfume. Rien que des pauvres petits délires qui mettent ta patience à rude épreuve. Ça tombe bien si t’es maso. Il joue «Kiss Your Lips» sur les accords de Dave Davies dans «Really Got Me»

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             Le portrait de Julius Caesar est donc une chaise. Dès qu’on entend grincer le cello dans «Your Wedding», on sait que ça va être douloureux. Bill nous fait du laid-back expérimental un peu barré et gratté au flamenco. Si tu aimes bâiller aux corneilles, ce balda est idéal. Réveil en fanfare en B avec «I Am Star Wars», claqué aux gros accords de Stonesy. Bill pique une crise de délinquance juvénile. Il continue de ramener du très gros son dans «When The Power Goes Out» et «Chose One» ressemble presque à une chanson. Il ramène une guitare vampire dans «What Kind Of Angel», alors forcément, ça te chatouille l’intellect.

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             Sur la pochette de Wild Love, le cadre est vide. Après le portrait de Jules César en forme de chaise, le jeune Bill s’enfonce dans l’irrévérence. De l’irrévérence à Dada, il n’y a qu’un pas, franchi d’un petit bond avec «Limited Capacity». Le jeune Bill est avec Robert Pollard le dernier grand Dadaïste d’Amérique, capable de dérives artistiques réconfortantes. Avec «It’s Rough», il tape une powerful song. Il sait forcer un passage, on l’écoute en rigolant, mais au bout du compte, on s’incline, il devient en quelque sorte le seigneur de l’insistance homérique. Puis il gratte une belle gratte électrique pour s’énerver avec «Sleepy Joe». Les petits coups de piano sont censés évoquer l’apocalypse. Le Smog a un petit côté Swellmaps. Ses albums sont de modestes ouvrages d’art moderne. On y trouve des bonheurs et des prédilections. Son «Prince Alone In The Studio» est un chef d’œuvre de déliquescence. Prince Alone In The Studio, ça veut dire ce que ça veut dire. Pas loin de Procol quant à l’ambiance et quant à l’ampleur, on croit entendre Syd Barrett et l’orgue de Matthew Fisher. Le Smog chante avec la voix d’un bateau qui coule et qui s’en fout de couler, c’est à la fois somptueux et dramatique, Smog crée les conditions extraordinaires de son naufrage artistique. Ça se passe chez Smog, nulle part ailleurs. Encore une petite pincée de Dada avec «Goldfish Bowl» et après ça, le Smog s’en va coucher au panier, jusqu’à l’album suivant.

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             Joli titre et joli voilier pour The Doctor Came At Dawn, paru au siècle dernier, en 1996. Eh oui, passent, passent les siècles, soupire le vampire. Tu veux un joli shoot de primitivisme ? Alors écoute «Whistling Teapot» - Aw who needs you lying on/ Your crummy bed - Il est assez direct. Dans «All Your Woman Things», il reproche à sa poule de s’être barrée en laissant toutes ses affaires - Where you left them/ Scatered round my room - Le roi du baryton en fait une chanson. Chez Bill, rien ne se perd. Mais il se dit détruit surtout par cette conne - Now could I ignore your left breast/ Your right breast - Il parle bien sût de ses seins. Il a aussi pas mal de cuts travaillés au vinaigre de violoncelle. Avec «Somewhere In The Night», il fait du Velvet à l’envers, gratté bien sec. Et puis avec «Lize», il se prend pour Dan Penn. Globalement, Bill ne va pas très bien. Il collectionne les cuts paumés. L’album refuse de décoller, en dépit du beau voilier. Bill vire soudainement country avec «Four Hearts In A Can» - Four hearts in a can/ Speeding through the country side - Magnifique ! - Trying to out-run four thousand problems/ And four thousand girls as fast as they can - Ses cuts sont parfois des petits movies underground à la Easy Rider. On ne perd pas son temps à les écouter.

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             Avec Red Apple Falls paru la même année, Bill Smog continuer de cultiver son groove du va-pas-bien. Il fait une espèce de Lanegan à l’envers, il se focalise sur sa désaille. Trop facile d’aller mal, encore faut-il savoir en faire un art. Les Anglais raffolent de cette daube moite. Avec «Blood Red Bird», il tente de recréer sa magie noire, mais c’est top désespéré. Va-pas-bien, le Bill Smog. C’est compliqué avec des mecs comme lui, il faut juste attendre qu’il aille un peu mieux. Tout est lourd, comme plombé, même ses accords. Il se prend pour Jacques Brel dans «Red Apples», il trimballe une corde pour se pendre. Dommage, car la pochette de l’album est belle. Il passe à la petite pop avec «I Was A Strayer», il fait son Johnny Cash, ce qui n’est pas un compliment. On l’écoute jusqu’à la lie, c’est-à-dire «To Be Of Use», il semble glisser vers la tombe, il ne tient que par un arpège de trois notes. Il passe au heavy va-pas-bien avec le morceau titre. Il développe un incroyable sens du laid-back définitif. Oh ça va mal, tout est plombé, mais beau. Il cultive son petit champ de navets. Il faut attendre les beaux jours. Il se lance dans l’exercice périlleux d’une fast pop de Brill avec «Ex Con». Dès qu’il bouge un peu dans son cercueil, il devient excellent. Ah si Bill Smog n’existait pas, il faudrait l’inventer ! Pour un cadavre purulent, il est superbe, il est même plutôt alerte, avec sa petite voix de Brill. On crève d’envie de le féliciter. Il finit avec un «Finer Days» qu’il gratte au petit taquet. Il s’amuse bien avec ses petits cuts. Un vrai gamin. Il cherche la petite bête, avec son petit gratté de lowdown. Mais à la fin, ça ne passe plus. Ça finit par indisposer, c’est un coup à se rendre malade. Il joue sur une note et se plait à décevoir.

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             Par contre, Knock Knock pourrait bien être le BIG album de Bill Smog, rien qu’avec ce coup de génie intitulé «Hit The Ground Running». Il te fait le Grand Jeu, voix d’outre-tombe, chœurs pré-pubères et heavy riffing. Son cut se met en toute. Le groove s’ébranle. Il te passe sur le corps. Cowboy running. Une aubaine pour l’humanité. Il fait son Lou Reed. Il t’allume au coin du bois - All I know is hit the ground running - Sa façon de relancer le groove est exceptionnelle. Il reste dans l’expression du génie smoggy avec «I Could Drive Forever», il reclaque un coup de magie noire à coups de should have left a long time ago, il sait qu’il aurait dû se barrer depuis longtemps, il te coule son should have left dans le moule d’I could drive forever, il traîne son désespoir all down the road et te cloue comme une chouette à la porte de l’église avec the best idea I ever had. Tiens, encore une hit inter-galactique : «Held», il tape ça au heavy Smog et hop, il monte au créneau du chant, il se rend - I surrender - il dirige sa tourelle vers l’ennemi et passe au takatak, c’est un aiguilleur du ciel, il chante tellement à bride abattue qu’il en devient génial. Il vire glam avec «No Dancing», mais glam épais de va-pas-bien, glam desperate, incroyable mais vrai. Il chante à l’épaisseur assermentée. Il profite de «Teenage Spaceship» pour t’arroser de teenage spatial, c’est du pur Lou Reed, assez merveilleux. Et logiquement, il bascule dans le Velvet avec «Cold Blooded Old Times», mais du Velvet avec en prime le Weirdy Weirdah de Bill Smog. Pas de problème, ce sont les accords du Velvet, mais avec un esprit révélateur, Bill Smog s’interroge, how could I stand, rien de plus Velvet que cette vipère.

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             Dongs Of Sevotion est certainement l’un des plus beaux albums de Bill Smog. C’est là qu’on trouve «Strayed». Il ramène des accents si chaleureux et cultive un intimisme contagieux - Oh I know I’ve strayed - C’est envoûtant, il diffuse une sorte de perfection infectueuse. Alors attention, c’est un double album. Tous les cuts sont saturés de basses, dès «Justice Aversion». Il jette tout son poids dans la balance de «Dress Sexy At My Funeral». Il chante d’une vraie voix de timbre profond, à l’accent cassant - Dress sexy at my funeral/ My good wife/ For the first time in your life - Encore de la fantastique présence en C avec «The Hard Road» - When summer comes/ It’s almost impossible not to have/ Good times/ Out on the hard road - C’est ce qu’on appelle le timbre des profondeurs, Bill Smog est moins gothique que Lanegan, mais ils chantent tous les deux merveilleusement bien. Bill Smog mène son bal aux infra-basses. Il crée avec «Bloodflow» un subtil équilibre entre l’hold on du chant et l’underbeat des infra-basses. C’est un son unique. «Distance» montre encore qu’il sait monter ses œufs en neige. Il joue la carte du big laid-back avec des infra-basses encore plus infra et il se paye le luxe d’une beau développement avec une guitare électrique. Il atteint les tréfonds du désespoir avec «Devotion» et c’est tellement désespéré que ça en devient beau, comme suspendu dans le temps, my dearest friend, immobile, I will protect you until the end.

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             Paru en 2001, Rain On Lens sonne comme l’album de la maturité. Bill Smog est un fabuleux crooner, comme le montre «Natural Decline». Sa façon de pulser le natural decline est unique au monde. Elle te hante vite fait. Bill Smog sait tendre sa toile, il sait rester actif dans les entrelacs, ça donne du vrai rock US, bien secoué des cloches. En plus, il peut te donner des petits conseils, comme le montre «Keep Some Steady Friends Around». Voilà ce qu’on appelle une présence. Avec un mec comme Bill Smog, tu peux y aller, il est assez franc du collier. Il ne te prendra pas pour un con. Il te fait cavaler sur le côté, c’est un chic type, il te met en confiance, car il chante d’une voix ferme et définitive. Il s’entoure de heavy guitars pour «Short Drive». C’est forcément bon. Au beau milieu d’un aréopage de power chords, il chante d’une voix de rêve - I put my hand on your knee - Bill Smog est là avec toi, tout près. Il reste dans la heavyness avec «Life As If Someone’s Always Watching You», il est parfait dans son rôle de Père Fouettard - You know you doooo - Il te chante ça à contre-courant de la mélodie, il se permet tous les excès, c’est spécial, intègre, profond, d’une incroyable modernité. Bill Smog taille bien sa route sous le boisseau. Il s’y connaît en boisseaux. Il chante d’une voix de mille-pattes, imbu de son humidité. Il claque un brin de dark Soul avec «Lazy Rain» et ramène son baryton de vieil alligator dans «Revanchism». Il s’amuse bien avec sa glotte.

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             Encore une anti-pochette avec Supper. Et donc des anti-chansons, bienvenue au paradis du laid-back underground. Bill ramène sa fraise de laid-back avec «Feather By Feather». On note une très grande présence vocale, raison pour laquelle on le suit à la trace. Il rocke son «Morality» avec une certaine fermeté de ton et chante «Ambition» à la voix de son maître. Il est marrant avec sa casquette base-ball. «Vessel In Vain» sonne comme du typical Callahan, romantica désespérée chantée aux accents chauds - My ideal got me on the run/ Towards my connections with everyone - On boit ses paroles. On trouve en B un petit chef-d’œuvre de laid-back mélodique, «Our Anniversary». Les basses vibrent.

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             Le dernier coup de Smog s’appelle A River Ain’t Too Much To Love et date de 2005. Big album pour trois raisons. Un, «I Feel Like The Mother Of The World». Bill joue sur le contraste de son baryton avec la joie du gratté de poux. Il sonne comme le héros du how do I feel dans les éclats florentins d’une authentique excellence sonique. Le contraste est saisissant. Il sait en jouer. C’est hallucinant d’how I feel. Il souffle ici un incroyable vent de liberté. Deux, il fait son Lanegan en tapant dans l’«In The Pines» de Leadbelly. Smog fait sa sauce de low down. C’est exactement le where the sun never shines de Lanegan - Where we shiver when the North wind blows - Trois, il veut voir les flingots dans «Let Me See The Colts». Fantastique allure de lock on the door at dawn. C’est plein d’avenir. À sa façon, il réinvente l’Americana. Il gratte son «Rock Bottom Riser» à coups d’acou et il boit au barrage avec «Drinking At The Dam». Bill ne se sépare jamais de son baryton. Il devient une sorte de cabri agile avec «Running & Loping», mais le baryton s’écroule sur le château de cartes de sa délicatesse. Bill domine néanmoins son sous-continent à coups de my body inside out. Il croasse dans son marécage comme un gentil petit crapaud.

    Signé : Cazengler, Bill Callagland

    Smog. Forgotten Foundation. Drag City 1992

    Smog. Julius Caesar. Drag City 1993  

    Smog. Wild Love. Drag City 1995

    Smog. The Doctor Came At Dawn. Drag City 1996

    Smog. Red Apple Falls. Drag City 1996

    Smog. Knock Knock. Drag City 1997

    Smog. Dongs Of Sevotion. Drag City 2000

    Smog. Rain On Lens. Drag City 2001

    Smog. Supper. Drag City 2003

    Smog. A River Ain’t Too Much To Love. Drag City 2005

     

    *

    Attention, cette chronique ne présente pas deux opus d’un même groupe, mais une Saison 1 et une Saison 2. Rien d’extraordinaire en soi. Si ce n’est qu’entre se sont écoulées une dizaine d’années.

    LIKE WIRES

    ( Dingleberry Records  / 15 -09 - 2015)

    Belle couve de Brian Cougar. Adepte de la sérigraphie, principalement affiches et tissus. L’on regarde, l’on ne voit rien. Dans un deuxième temps apparaît devant nos yeux comme en image subliminale un autre tableau. Puis l’on hausse les épaules, ce peut être celui-là, quoique la composition partagée en deux, zébrée par un éclair… non ce n’est pas la Mélancolie, se superpose alors Le Chevalier, la Mort et le Diable, deux gravures de Dürer, non, le temps que le cerveau reprenne ses esprits c’est Saint Eustache, d’ Albrecht Dürer bien sûr… le bas et le haut de la gravure ont été coupés, le cerf est devenu pratiquement invisible, la partie gauche a été retouchée par notre sérigraphiste, au premier coup d’œil les changements restent invisibles. Du beau travail.

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    Comme l’on se dit qu’il y a fort peu de chance pour qu’à l’encontre du dénommé Eustache le groupe Like Wires ait été touché par la grâce divine et récompensé par une merveilleuse apparition, l’on en déduit que le choix de cette image iconique doit être en relation avec le contenu de l’enregistrement, l’on s’attend donc à un choc sonique. 

    Antoine / Julien / Martin / Matthieu

    Garrot : des intros instrumentales en début d’albums j’en ai écouté des tonnes, toutes plus ou moins semblables, celle-ci est comme toutes les autres avec cette particularité qu’elle est différente de toutes les autres, très courte mais qui prend son temps, un peu comme un bourreau sympathique qui ne précipite pas les choses vous laissant une minute de plus avant de vous occire, ne vous inquiétez pas le gars est consciencieux il fera son boulot jusqu’au bout, et vous allez en profiter à mort, pareil que Like Wires qui se permet de mettre des paroles sur son instrumental, un truc glacial qui vous coupe l’envie de vivre tout en vous conseillant de profiter de la moindre miette qui vous reste ! Blurry : il y a quelque chose de terrible chez Like  Wires, c’est que c’est méchamment beau mais c’est un peu comme ce fil chamarré qui dépasse du mur de cette accueillante chambre d’hôtel, vous le tirez avec gourmandise et curiosité, le problème c’est ce qui vient après, apparaissent très vite les excréments d’une fosse d’aisance, inutile de vous précipiter dans les toilettes, l’abysse excrémentiel se trouve dans toutes les impuissances qui nagent entre les eaux troubles de votre boîte crânienne, toutes vos colères vaines, tous vos désirs refoulés, tous vos errements, et pour finir cette explosion de haine pure, un peu comme les tentacules pustuleux du poulpe de la vengeance qui vous promet de s’en prendre au monde entier, à tel point que le chanteur en oublie de chanter pour se livrer à des imprécations vocales d’une excécrabilité ignominieusement irremplaçable. Merveilleusement beau et irréfragable comme une baïonnette qui s’enfonce dans votre corps. Hierophants : toujours cette guitare ensorcelante et cette batterie que vous suivriez jusqu’au bout du monde, puis ce chanteur qui s’enfuit de sa mélodie pour hurler, l’on comprend mieux cette espèce de dichotomie entre violence et luxuriance, entre assonance et dissonance, entre galop chaotique et ventre à terre sur les vertes et grasses prairies d’herbe tendre, Like Wires n’habite pas un monde ni tout blanc, ni tout noir, sont autant fascinés par les vives couleurs chatoyantes que par ces leurres grisâtres qui les emprisonnent et dont ils essaient de s’extraire, l’envie de tout culbuter, de tout détruire, d’envoyer tout chier, exquisité d’une punkitude pharamineuse portée au dernier degré du nihilisme de la révolte. Convict : tornade sonore, rien de plus terrible que le doute qui s’amalgame aux convictions les plus extrêmes, tout peser mais sans concession, tout casser jusqu’à soi-même, plus le temps de réfléchir, se laisser entraîner, mais mener la course en tête jusqu’au fond du gouffre, pas de répit dans ce morceau qui défile comme une horde de huns assoiffée de meurtres et de crimes, là où passent leurs instruments l’innocence ne repousse pas. Kick out the jam, ni brothers, ni sisters. Resurgence : chant de triomphe, n’en profitez pas pour exulter, crier et chanter, Like Wires est encore dans la fièvre des barricades, profitez de ces guitares qui marchent à l’amble pour relire Lorenzaccio d’Alfred de Musset, faites fissa parce que chez Like Wires la déprime se métamorphose très vite en colère, mais là c’est le moment de la dépression tourmentueuse des sentiments, quand Lorenzaccio s’aperçoit que les conjurés ne valent pas mieux que le tyran qu’ils veulent abattre, ça ne leur a pas coupé le sifflet mais maintenant le screamer  éructe et prêche comme ces prédicateurs fous des westerns qui promettent l’imminence apocalyptique du monde. Drapeau blanc : drapeau en berne oui, batterie mortuaire et guitares aux relents bluesy qui s’évaporent, Like Wires n’est pas au mieux de sa forme, colère et capitulation, heureusement il reste toujours un ennemi à abattre, cela vous donne du punch et de la hargne, facile de le désigner, la batterie appuie méchant pour vous obliger à comprendre que c’est vous-même, le cœur éclaté et la rancœur de soi-même en explosion souveraine, la guitare se traîne comme un oiseau agonisant qui bat de l’aile, quand tout est fini ne reste que le rêve et Like Wires vous repasse le début de l’intro, mais à l’envers, façon de terminer exactement comme ça a commencé, la boucle est bouclée. Que dire de plus. Que faire de moins. Si ce n’est s’enfermer dans l’hallucinatoire désillusion d’un songe angélique qui de lui-même prend la décision de découper avec un grand couteau ses ailes qui ne voleront plus. Jamais plus.

             Un jeune groupe qui s’est très vite dissout. L’on ne sait pas pourquoi. Dissensions, aléas de la vie, l’on pourrait allonger la liste hypothétique à l’infini, mais en filigrane de tout ce qui les a emmenés à splitter devait se trouver dans cette impression consciente ou non consciente, qu’ils avaient tout dit, et peut-être même qu’ils n’avaient plus rien à dire tant ils avaient tout expectoré du premier coup, un premier jet qui avait accouché d’un chef-d’œuvre.  

    Donc dix ans plus tard le groupe de Clermont-Ferrand récidive avec :

    COLD MATTER

    LIKE WIRES

    (Les Disques Bleus Enregistrement / 05 – 04 – 2024)

    Quelle est cette fleur sur la pochette, je ne suis pas un botaniste, il me plaît d’y entrevoir un chardon, la nourriture préférée des ânes que nous sommes, nous nous y ruons dessus pour la dévorer goulument malgré ses épines douloureuses. Avec au fond le cercle rutilant et infini de la vie que nous lapons jusqu’à la dernière goutte comme un nectar revigorant alors qu’il n’est que le poison qui nous tuera. Lentement. Mais sûrement.

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    L’artwork est de Bertrand Blanchard. Ils ne l’ont pas choisi au hasard. Sur son instagram il nous dévoile ses œuvres, un monde froid, figé, angoissant. Un univers qui n’est pas sans relation avec le groupe.

    Quant à cette matière froide, vous la connaissez bien. C’est celle qui nous constitue. Qui nous permet d’entrer en relation, de produire nos propres réseaux de communication avec nos semblables aussi frileux que nous, présences fantomatique errant sans but dans la calotte polaire du monde, inhospitalière et mentale, qui nous englobe.

    Antoine / Bounce / Jean / Yoann. Attention le groupe a changé

    Dark wine : (poème de Bukowski: la poésie a tué beaucoup de monde ce n’est pas une raison pour ne pas en lire. Cette étamine noire, sombre et souterrainement rouge, ainsi hissé au début de ce nouvel opus est-elle un signe au drapeau blanc qui terminait l’opus précédent, en tous les cas un avertissement aux nouveaux auditeurs, chez Like Wires les textes sont fondamentalement importants : le son a changé, plus dur, plus lourd, plus noir, la voix comme un crachat de haine désespérée, mais bientôt tout se calme, juste une guitare en fond de tympan, la batterie qui fait le gros dos mais qui ne vous déchire pas les chairs comme un tigre altéré de sang, pourquoi des poëtes en des temps désespérés demandait Hölderlin, pourquoi pas après tout, sur la bande son Bukowski lit un de ses poème Consummation of  grief, moment de calme sans volupté, maintenant les lyrics anglais du groupe rejoignent le vide vertigineux de la solitude de l’écrivain dépossédé du monde mais en plus sauvages, plus exacerbés, comme quand, enfermés dans vous-même vous vous cognez la tête contre les parois membraneuses de votre cerveau, ainsi vous comprenez d’où proviennent ces filaments de distorsion finale. Olympe : après un chant d’amour désespéré, voici un péan de haine espérée, corps à corps hardcore, un classe contre classe posthardcore les guitares qui brisent, la batterie qui casse, la voix qui prône la révolte et la vengeance, attention baisse de ton mais pas de tonus, juste pour captiver l’auditoire et hurler la revendication ultime, l’appel à la grande moissonneuse, la déglingueuse épidémiqude de têtes, l’émondeuse souveraine.  Waouf ! à vous couper le souffle. Future past : à l’emporte-pièce, est-ce que le lieu du bonheur serait celui du crime, celui du retour, une course éperdue vers la source souveraine, avec ce constat amer que ce qui nous paraissait immense est devenu tout petit, pourtant nous revenons les mains et la tête vides, nostalgie rieuse et regrets éternels, à fond de train, des cymbales qui jouent au cheval emballé, une voix qui vomit l’inaptitude au bonheur de tout être humain, une batterie qui pulvérise le tout, et ces cordes en lesquelles résonne  toute la beauté des illusions perdues.

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    Vice : les mêmes accords nostalgiques sur lesquels nous avons terminé l’écoute du précédent, c’est un peu vice-versa, celui-ci commence sur quoi celui-là se terminait, l’intensité gagne du terrain, la tempête sonore s’annonce de loin, réminiscences vocaliques, éruption laryngée, tout ce que la vie peut apporter de puissance et de tumulte. La vraie vie dirait Arthur le revenant. Tout est consommé, mais l’espoir subsiste, le désir que le chaos vital recommence une fois de plus, une fois encore, til the end. Une balade sur le côté sauvage de la vie. Une saison en enfer illuminative. Magnifique. Shards : levez-vous orages désirés, qui sème le vent des paroles récolte le vent des tempêtes prométhéennes, anti -olympiennes les chaînes que l’on se doit de briser, des glaciers étincelants des cimes les plus extravagantes aux combes glaciales les plus sombres, parmi tous ces fragments épars il s’agit d’avancer, par les hauts et les bas, jusqu’à ce sentiment final de libération suprême.

             L’on reconnaît en ces deux opus, un même esprit, je supposons celui d’Antoine puisqu’il est présent sur les deux artefacts. Une vision du monde et mieux encore une écriture du monde très particulière. L’a des affres âpres, son âme n’est pas un couteau sans lame auquel il manque le manche. Quand il la lance, il vous atteint toujours en plein cœur.

             Espérons que nous n’attendrons pas encore dix ans pour le prochain album !

    Damie Chad.

     

    *

    Il est important de remonter à l’origine des choses, même s’il faut se méfier, Heidegger nous a avertis, l’origine n’est pas nécessairement au début, elle peut être avant ou après, un peu comme l’entéléchie d’Aristote.  Quoi qu’il en soit, voici le premier opus de Pénitence Onirique.

    .........................................V. I. T. R. I. O. L.       .............................

    PENITENCE ONIRIQUE

    ( / Mai 2016)

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    La couve est de Mathieu Voisin, un compagnon de route du groupe, très belle. J’y vois une porte, quelque part et nulle part, dans les terres mouvantes du songe ou sur une autre planète. Une fente kaotique, un lieu de passage. Il ne s’agit pas de savoir où l’on va en l’empruntant mais d’où l’on vient quand on se contente de la regarder. Joue-t-elle le rôle de la lune dans le monde métaphysique aristotélicien, en deçà ou au-delà de l’astre sélénique. Dans les deux cas le mystère reste entier.

    Pas besoin d’être un initié pour comprendre que l’opus traite d’alchimie. Lecteurs avides, ne vous réjouissez pas trop vite, à la fin de l’écoute Pénitence Onirique ne vous aura pas communiqué la recette de la fabrication de l’or. D’abord parce que l’alchimie est un art de longue patience, ensuite parce qu’il ne s’agit pas avant tout d’aider à la lente métamorphose d’un vil morceau tout tordu de plomb en un cube d’or pur, mais de travailler à affiner tant soit peu la masse gélatineuse et neuronale de votre cerveau. Et croyez-moi il y a du travail à faire !

    Bellovesos : all instruments / Diviciados : chant, lyric.

    L’âme sur les pavés : l’idée musicale d’un long cheminement, étrange maintenant les guitares fusent, la batterie roule monstrueusement, le chant écorché noyé comme s’il était perdu dans un magma gélatineux, en gros malgré un ruissellement dévastateur ça se traîne, non ça ne prend pas son temps, c’est comme s’il y avait une dissociation entre le temps qui fuit et celui intérieur de l’âme humaine, ne croyez pas qu’elle soit différente de l’animale, une longue marche, les pieds nus sont peut-être enveloppés de la peau de l’âme mais ils ne marchent pas sur la terre sacrée, juste sur un résidu noirâtre, une poubelle d’athanor dont vous auriez entrevu la dérive quelque part au nord de votre ignorance, une procession solitaire d’un seul qui marche en lui-même mais face à lui-même comme si l’image de vous arpentant les contrées stériles et désolées que vous renvoie le miroir ne pourrait jamais vous rejoindre et se fondre en vous, sans cesse un décalage infinitésimal qui vous demande de durs calculs d’ajustements mathématiques entre la théorie et la praxis, entre l’échec et la réussite, entre l’éloignement de vous-même et le rapprochement de ce qui est votre absence cristalline au monde. Au bout du bout après bien des étapes opératoires l’on rencontre la mort. N’y voir aucun mal, un acte de désintégration est semblable à un acte d’agrégation, l’Alchimiste se doit de mourir plusieurs fois, lion vert et deuil de la lune noire, pour acquérir l’immortalité. Etymologiquement l’immortalité ne réside-t-elle pas dans ( = in latin ) la mortalité. Le soufre : une flamme qui rampe et s’enflamme, que de temps pour brûler l’édifice de sa propre ossature, une question de principe, le feu brûle mais ne purifie pas, il épure, il est ton meilleur ami et ton meilleur ennemi, toute consumation lente est une préservation, le danger est de se figer en soi-même, la tentation d’habiter ton propre bûcher est grande, l’ardence du feu te communique ton ardeur et tu te crois invincible, tu penses avoir atteint la plus grande subtilité, mais il faut aller encore de l’avant, écarter les tentures du deuil qui obstrue ton chemin, un grand acte de courage que de porter la main sur la matière noire du monde, après tant de noirceur il semble que la musique entonne doucement un péan apollinien, le soleil s’enflamme il disparaît pour que bientôt ne reste plus que sa rougeur, cette pourpre de cinabre dont tu te revêts. L’explosion de ta puissance est encore une désintégration. Le sel : de l’eau qui court, clinquements de vagues qui se heurtent aux falaises pour les mieux abolir, un long morceau, peut-être parce dans le processus alchimique paracelsique  de Pénitence Onirique le sel a dévoré le mercure principiel, car si l’on privilégie l’existence de l’un et l’autre, le couple royal du moi et du soi, du moi et du non-moi, le tiers est exclu,  toute descendance doit mourir, ne pas accéder à l’être, le processus alchimique n’engendre pas,  ils se perpétue dans une solitude onaniste, c’est peut-être pour cela que le vocal grogne comme un lion rouge, pas de descendants, juste des ascendants, le roi est sans royaume, le roi est le seul royaume possible. La solitude est la meilleure conseillère puisqu’elle ne peut t’apporter d’aide que tu ne connaisses déjà. V.I.T.R.I.O.L : ( acronyme latin : Visita Interiora Terrae, Rectificando Invenies  Occultam Lapidem / Visite l’intérieur de terre en rectifiant tu trouveras la pierre cachée ) : cette formule est à méditer comme un résumé opératoire de l’opérativité alchimique : ici elle est employée par Pénitence Onirique pour nous projeter au résultat final, ce qui explique l’introduction un peu solennelle, attention ce n’est pas l’érection musicale triomphale à laquelle l’on pourrait s’attendre, la basse est si lourde qu’elle instille un doute… bientôt se déchaîne un torrent de haine noire, toutes les étapes ont été respectées, l’on s’attarde sur le rappel de l’éclosion finale, cette pureté transparente de l’âme à laquelle on a atteint, mais lorsque l’on porte un regard sur le monde, il a perdu toutes ses couleurs comme si elles avaient été happées par le processus alchimique, qu’importe devant moi n’ai-je pas le joyau rubescent de l’œuvre accomplie, l’incomparable preuve absolue de ma grandeur, je lève les yeux, oculaires pulpeux sur le monde, ce sont les hommes auxquels  je veux m’affronter, je n’aperçois que des regards fuyants. Carapace fantôme vide : (il existe an official video de ce morceau produite par Les Acteurs de l’Ombre, amusons nous à dire que l’on n’voit pas un nombre minimal d’acteur ( comprenez zéro ) et un maximum d’ombre, qui explose sur un blanc luminescent… Non ce n’est pas une représentation de l’œuvre au noir et de l’œuvre au blanc, à la limite nous dirions de l’œuvre au rouge, mais de la couleur d’un feu noir, celui de la désespérance infinie.) : explosion musicale, vocal exacerbé, l’on ne peut haïr fortement que soi-même, l’adepte voulait gagner la partie contre lui-même. Il a gagné mais en même temps il a perdu, il n’avait pas réfléchi que son obscure tâche, sa lente patience, son travail ardu, tous ses efforts, toute sa ténacité l’avaient coupé de l’autre partie de lui-même, celle qui n’est pas nous, celle qui est constituée du décor du monde et surtout de ce qui n’est pas nous, non pas l’autre moi, mais les autres de moi, de la vulgaire humanité pour employer les mots justes. Se retrouve comme un bernard-l’hermite qui n’a pas su construire sa maison et qui en est réduit à habiter ce crâne mortuaire qu’il s’est obstiné à vider de la moitié de son âme. L’est condamné à tourner sans fin, la structure de la musique imite tant  ces spirales entrelacées et confinatoires du poisson rouge dans son bocal qu’elle en devient  oppressante, il hurle son désespoir, il a tenté de se rapprocher de ses frères et sœurs humain, l’on comprend maintenant pourquoi il n’a pas exposé à part entière le principe mercuriel, cet élément féminin, il ne peut plus maintenir auprès du sien un autre corps, il croyait trouver une puissance rayonnante, influente, mais non il s’est si bien retranché que les autres s’écartent de lui. L’est bien puni, il s’est infligé tout seul une dure pénitence onirique. Condamnés à vivre entre les phantasmes de son savoir absolu et les fantômes de l’humanité qui s’échappent de ses bras dès qu’il tente de les saisir et de les retenir.

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    Il existe une vidéo live de ce titre enregistrée le 19 août 2023 au Motocultor, please play loud, six sur scène, habillés de noir,  masqués,  musicalement  à la hauteur du disque, toutefois malgré l’éclairage prodigué, (le spectacle n’est pas nocturne) il manque cette dimension que votre imagination produit lorsque vous écoutez un disque tout seul chez vous, une démesure scénique que l’on retrouve par exemple dans les mises en scène symboliques de la Tétralogie de Wagner à Bayreuth, une traduction évènementielle qui serait comme une projection extérieure des tourments intimes les plus intérieurs.

    Par contre le groupe joue ici la quasi intégralité de l’album, il ne manque que le premier morceau, le Live@ Les Feux de Beltane enregistré le 08 / 07 / 2018, est bien plus agréable à voir, L’obscurité de la nuit confère une certaine magie à la prestation du groupe, cerise sur le gâteau le jeu des caméras et des prises de vue change la donne du tout au tout. Privilégiez cette vidéo, suprême avantage : le son est meilleur. !

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             Inutile de rajouter que cet album est à écouter. C’est le troisième que nous chroniquons, la première chronique (Nature Morte) a été motivée par l’attrait de la nouveauté, précisons ce n‘est parce qu’un opus vient tout juste de paraître que nous le chroniquons automatiquement, la tâche serait titanesque, encore faut-il qu’il nous intéresse.  Les goûts et les couleurs y sont sans doute pour quelque chose mais ne sauraient être totalement significatifs, de fait nous jetons notre dévolu sur ce qui nous ressemble et sur ce qui est le plus éloigné de nous. C’est ainsi que nous délimitons notre angle d’attaque appropriatoire et chroniqueuse.   Pour Vestige nous avons adopté la marche arrière de l’écrevisse, une esthétique relativement proche d’ A Rebours de Huysmans, nous y avons appris pourquoi le groupe a choisi le terme de Pénitence, l’écoute de ce premier enregistrement nous permet de comprendre pourquoi ce mot a été accouplé à l’adjectif onirique. Le langage et la pensée sont les vecteurs de toute déambulation onirique. Ce qui n’est pas dit reste du domaine de l’inconnaissable pour parodier Wittgenstein.

             Un des groupes français les plus originaux et surtout des plus authentiques en le sens où le discours musical colle au plus près des intentions induites par une démarche d’une honnêteté intellectuelle sans faille.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

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    La grille n’était pas fermée, au haut du perron la porte d’entrée était restée elle aussi ouverte. Le chef s’arrêta :

             _ Agent Chad, rien ne presse, la demeure est vide, laissez passer les chiens d’abord, suivez-les doucement, je prends le temps d’allumer un cigare et je vous rejoins.

    La maison n’était que sommairement meublée. Les chiens entamèrent une partie de trape-trape au travers des pièces. Au bout d’un moment ils disparurent, ils s’amusaient, cela m’agréait, leur flair fureteur était infaillible, j’étais sûr qu’aucune anomalie ne leur échapperait. Quatre larges chambres à l’étage (il n’y en avait qu’un) cuisine, salon, salle-à-manger, une salle que plus tard le Chef baptisera de fumoir. Une vaste cave, aux murs blanchis à la craie, d’une propreté méticuleuse, m’étonna. Totalement vide. Aucun mystère n’émanait de cette demeure. Toutefois la plus exigüe des pièces devaient dépasser les cinquante mètres carrés. Les volets étaient fermés, à la lumière de ma lampe torche je retrouvai le Chef assis sur un divan dans le ‘’ fumoir’’. Je crus qu’il inspectait d’un œil de connaisseur un Coronado. Je me trompai, l’avait comme un collégien les yeux rivés sur son portable.

             _ Voyez-vous agent Chad vous devriez vous économiser, regardez j’ai visité cette baraque sans bouger grâce à mon appli ‘’ Je visite la maison que je veux acheter’’. Entre nous soit-dit, je me demande en quoi elle intéresse la CIA. Les parents des propriétaires sont morts depuis trois ans, les enfants l’ont mise en vente. Du banal de chez banal.

    J’allai répondre lorsque l’on entendit les chiens aboyer. Plus malins que nous ils avaient trouvé quelque chose ! Nous les rejoignîmes à l’étage. Nous les retrouvâmes assis sur leur derrière visiblement captivés par un panneau de tapisserie à fleurs. Il n’y avait rien. Si ce n’est un trou de souris au ras de la plinthe. Je voulus y introduire un doigt, mais le Chef fut plus rapide, il sortit un étui métallique de Coronado de sa poche et l’enfonça. Un déclic se produisit, toute une partie de mur s’avança vers nous d’une vingtaine de centimètre. Derrière le panneau déplacé nous découvrîmes une niche peu profonde, vide. Le Chef grogna :

             _ Hum ! le coffre-fort de la maison, devait contenir deux liasses de billets de 500 euros et le collier de diamants de Madame. Inintéressant au possible ! Allez les cabotos on décampe !

    55

    Durant le trajet du retour, le Chef n’arrêtait pas de tripoter son portable. Ce n’était pas dans ses habitudes. Cela m’intriguait. Nous étions presque arrivés au local lorsqu’enfin il sortit un Coronado de sa poche. A ma grande surprise il ne l’alluma pas.

             _ Chef cette voiture possède un allume cigare !

             _ Merci Agent Chad, je n’en ai pas besoin !

    Hop d’un coup, il appuya sur une touche de son portable. Une flamme jaillit, avec laquelle il alluma son Coronado.

             _ Un portable briquet ! Ils ne savent plus quoi inventer :

             _ Agent Chad, ceci n’est pas un gadget, je me le suis procuré le week-end dernier au Salon de la Panoplie du Parfait Agent Secret, je vous ai d’ailleurs apporté un petit cadeau, montez avec moi au service je vous le donnerai.

    Je n’avais pas fini mon créneau pour me garer que Molossa grogna.

             _ Chef, cette fois je ne crois pas qu’elle a flairé un trou de souris !

             _ Bien sûr Agent Chad nous avons un comité d’accueil qui nous ! Ne bougez pas je m’en occupe !

    Le Chef ouvrit la portière et se dirigea d’un pas distrait vers les trois malabars qui barraient la porte d’entrée de l’immeuble.

             _ Messieurs, je m’excuse de vous déranger, zut, mon Coronado s’est éteint je vais le rallumer !

             _ Si vous voulez, mais ce n’est pas la peine, puisque nous sommes là pour vous tuer !

             _ Pas de problème, toutefois d’abord j’allume mon Coronado.

    Les trois gros éclatèrent de rire, déjà ils sortaient leurs pétoires de leurs poches intérieures. Ils n’eurent pas le temps de les utiliser. Le Chef m’expliqua peu après que c’était la touche chalumeau. Une flamme aveuglante jaillit. Déjà elle leur mordait les yeux. Leur cornée s’embrasa et leurs globes oculaires fondirent comme cornet de glace vanille dans un four à émail. Les malheureux hurlaient de douleur. Ils tentèrent de fuir, par pure compassion le Chef les abattit d’une balle de Rafalos dans le dos.

    La scène s’était déroulée si vite que je n’avais pas eu le temps d’intervenir. Le Chef traversait la rue, visiblement content de lui. Molossito poussa un jappement. Une grosse berline fonçait droit sur le Chef. Le Chef se contenta d’appuyer sur son nouveau portable. Un énorme trait de feu rampa à toute vitesse sur la chaussée, déjà elle s’était emparée de l’habitacle, des cris fusèrent, ils n’eurent même pas le temps d’ouvrir les portières, le véhicule explosa.

    _ Voyez-vous Agent Chad, c’est la touche lance-flamme, une invention des services chinois ! Sont des as de la miniaturisation, il faut le reconnaître. En progrès constant, nos renseignements sont certains que d’ici quelques mois ils auront mis au point la touche lance-missile. Passons aux choses sérieuses, laissons ces cadavres en paix, les services de la voirie les emmèneront dans leurs véhicules. Montez quelques instants avec moi, vous récupèrerez le petit cadeau que je vous ai ramenés, exprès pour vous, non ne me remerciez pas, même pas dix euros, je suis sûr que vous en ferez bon usage, je vous connais Agent Chad, je suis certain que dans votre caboche vous méditez dans votre tête un plan X ou un plan Y. Dès qu’il sera au point, venez me trouver, je vous donne deux jours de congé pour les derniers préparatifs. Je ne veux pas me vanter mais je pense que mon nouveau portable pourra vous être utile.

    56

    Le Chef me connaissait bien, c’était la pure vérité, mais pas tout à fait, lui manquait un presque rien, je ne dirais pas un je ne sais quoi, car je savais exactement l’étendue de ses connaissances… et le gouffre de son ignorance. Lui manquait juste la dernière lettre. Il y avait longtemps que j’avais dépassé les plans X et Y. J’en étais au plan Z ! Le plus dangereux, après lui il n’y en avait pas d’autres.

    J’ouvris l’enveloppe. Elle contenait une seconde enveloppe. Sur celle-ci je reconnus l’écriture du Chef, ses grosses lettres majuscules rouges qu’il utilisait pour les annotations impératives. Celles dont l’exécution ne souffrait d’aucun détail. AGENT CHAD CECI EST UN DOCUMENT ULTRE-SECRET. LISEZ-LE ET DETRUISEZ-LE IMMEDIATEMENT. Il NE DOIT SOUS AUCUN PRETEXTE TOMBER ENTRE LES MAINS DE VOS ENNEMIS. JE VOUS EN CONJURE : LISEZ-LE NON PAS DE L’ALPHA A L’OMEGA MAIS  DE A à Z.

    J’avoue qu’il me fit une grosse impression. Les ennemis avaient tenté voici à peine trois heures de liquider froidement le Chef. Il leur avait échappé chaudement. Toutefois il n’avait pas écrit ‘’Nos’’ ennemis mais ‘’Vos’’ ennemis. Et puis surtout : pourquoi donc cette lettre minuscule devant le Z ! Le Chef m’avait-il deviné !

    Au toucher, c’était un dossier assez épais, une centaine de feuilles au minimum, mais plus lourd que du simple papier. Je déchirai l’enveloppe, le temps pressait. Le Chef m’avait donné deux jours. Je poussai un cri de surprise qui tira Molossa et Molossito de leu sommeil. Un document secret, mais il y a au moins trois millions de français et plusieurs centaines de milliers d’autres qui l’avaintt lu. Moi-même je l’avais aperçu à plusieurs reprises ces trois dernières journées.

    Le dernier numéro du magazine ELLE ! Le Chef n’étant pas ce que l’on pourrait appeler un féministe enragé, je me devais de l’écouter. Le lire certes, avant tout l’étudier. Le Chef avait écrit lire et non pas regarder. Dommage, rien que la fille sur la couverture était particulièrement jolie, je ne devais pas me laisser distraire. Je l’ai lu de bout en bout. Je n’ai rien trouvé, aucun détail qui m’aurait aidé dans l’élaboration du Plan Z. Je l’ai relu et encore une troisième fois, en commençant par la fin. Je suis resté sur ma faim. Il était cinq heures du matin lorsque j’ai abandonné. Avant de me coucher, j’ai suivi la consigne, je l’ai brûlé dans la cheminée et écoulé les cendres dans la cuvette WC

    La mort dans l’âme je me suis couché. L’on dit que la nuit porte conseil. Ce doit être vrai. Le matin, au réveil, tout était clair. Le plan était bouclé du début à la fin. Dans ma tête. Il ne restait plus qu’à exécuter.

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 638: KR'TNT 638 : BILL CALLAHAN / GRUFF RHIS / LEON WARE / DITZ /THE PEARLFISHERS / ROCKABILLY GENERATION NEWS / JEZEBEL ROCK / JOHN LANNY / PENITENCE ONIRIQUE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 638

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    29 / 03 / 2024

     

    BILL CALLAHAN / GRUFF RHIS

    LEON WARE / DITZ / PEARLFISHERS

      ROCKABILLY GENERATION NEWS

    JEZEBEL ROCK / JOHN LANNY

    PRESENCE ONIRIQUE / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 638

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    L’avenir du rock

    - Smog on the water

    (Part One)

             L’avenir du rock n’en revient pas : ça fait la troisième fois en deux mois qu’il croise Jeremiah Johnson dans l’hiver rude du Colorado. Johnson arrête son cheval à dix mètres de distance. Toujours aussi peu avenant, la mine renfrognée, il lance, d’une voix qui résonne dans l’écho de la vallée :

             — Encore vous ? Vous vous croyez où ? Dans un western ? C’est pour éviter les pipelettes de votre espèce que je suis venu me réfugier dans ces montagnes ! Vous commencez à me briser le bollocking !

             — Oh cessez vos jérémiades, Jeremiah ! Je ne vais pas vous demander un autographe. Je suis simplement à la recherche de Buffalo Bill.

             — Ouais c’est ça, t’as raison... Buffalo du lac...

             Comme il n’a pas envie de poursuivre cette conversation débile, Jeremiah Johnson éperonne son cheval qui repart au pas. L’avenir du rock le salue d’un hochement de tête, mais lui dit, au moment où leurs chevaux se croisent :

             — Vous savez que vous avez un javelot planté dans le dos ?

             — Of course !

             — Voulez-vous que je vous aide à le retirer ?

             — Non, car les Crows, qui sont cons comme des bites, me croient mort, et comme ils sont encore plus radins que les fucking Cauchois, ils n’iront pas gaspiller un autre javelot. Sur ce, bonjour chez vous, Buffalo tous les râteliers !

             — Vous êtes drôlement Buffalo salé, Jeremiah, la solitude ne vous réussit pas. Vous avez du Buffalo dans le gaz !

             — Te fais pas de Buffalo Bill, pauvre dé-Bill !

             — Des Bill, des Bill, oui mais des Callahan !

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             L’avenir du rock est prêt à tout pour vanter les mérites de Bill Callahan, il peut même aller jusqu’à contrepéter avec Jeremiah Johnson au fond des montagnes du Colorado.

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             Se pourrait-il que le nouvel album du bon Bill Callahan soit l’un des plus beaux albums des temps modernes ? L’objet en question est une REALITY inversée qu’on lit YTILAER, avec le l’L, l’E et l’R à l’envers, enfin bref, le bon Bill s’est bien amusé avec son outil ‘miroir’. Les chansons de cet album sont quasiment toutes des merveilles, à l’image de «First Bird». Ce fabuleux chanteur sort un baryton plus profond encore que celui de Lanegan et s’en va taper dans sa lumière. Il swingue son chant dans des profondeurs mirifiques. Comme ses chansons sont longues, ça te laisse le temps d’entrer dedans. Et comme il gratte sa gratte à la dérive, son baryton dérive merveilleusement. Il rappelle que «Bowevil» vient du Texas et profite de cette occasion pour devenir insalubre. Il se débarrasse de toutes les règles - Looking for a/ Home - Il use et abuse des profondeurs abyssales de son baryton - Goddam Bowevil - Il fait du raga d’hypno avec «Partition», il va chercher un vieux groove de do what you do to qui semble dater du temps de Smog. Il aménage sa niche et c’est battu sec. Ils joue avec son baryton comme d’un instrument, il faut le voir swinguer «Naked Souls», il est magnifique et tranquille à la fois, il s’offre en prime une belle tempête de trompettes. Il montre une capacité extraordinaire à embarquer chaque cut aussi loin que possible. Ce bon Bill est le prince des horizons. Il amène «Coyotes» au classic drive de Smog, une belle merveille de yes I am/ Your lover man, il ondule dans sa romantica - As she grows older/ And older - Il crée des climats fouillés extravagants de modernité, il fouille sa voix dans des fouilles ambiancières d’une ferveur extrême. Il semble parvenu au sommet d’un lard unique, le lard Callahan. Pour lancer «Natural Information», il gratte les accords de Peter Green et ça part aussi sec en flèche dans l’Americana, Bill ne se bile pas, il fonce sur le meilleur chemin du monde, pas celui de Damas, mais le sien. Wow, quelle belle Information ! Il fouette le cul de l’Americana, laisse tomber les autres coqs de basse-cour, c’est le Bill qu’il te faut, c’est lui le cake - Talent + voice = Bill - Il est aussi bon que Jerry Lee et les trompettes reviennent embraser l’horizon. «Natural Information» est un véritable coup de génie. Avec «Planets», il t’emmène creuser dans sa mine du Kentucky, staring at the sky. Comme Bill est très profond, on l’écoute avec un immense respect.

             Bill Callahan, c’est aussi Smog. On voit tout ça dans le détail d’un bon Part Two.

    Signé : Cazengler, Bill Callagland 

    Bill Callahan. Reality. Drag City 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    Dans les griffes de Gruff

    (Part One)

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             Il est marrant le Gruff : au lieu de publier une grosse autobio de 500 pages pour vanter les mérites de son génie pop, il se contente de lâcher dans la nature un petit graphic book intitulé Resist Phony Encores. Graphic car objet. Graphic car typo. Graphic car panneaux. Graphic car pictures. Objet énigmatique comme l’est parfois son lard Dada, que ce soit en solo à la Gruff Rhys ou dans la combine des Super Fury Animals, qui sont comme chacun sait, le secret pop le mieux gardé d’Angleterre. Les spécialistes te diront qu’il y a les Beatles puis les Super Furry Animals. Encore une fois, la pop anglaise est un art trop sacré pour être confié à des betteraviers. Rings Around The World est l’album que Brian Wilson rêvait d’enregistrer. On y reviendra.

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             Revenons à notre mouton. Comme le Gruff est un esprit libre, il ne foliote pas son graphic book. Tu te débrouilles avec on va dire une grosse centaine de pages libres comme l’air. Il explique rapidement qu’il éprouvait d’énormes difficultés à communiquer avec son public, alors il a trouvé l’idée des panneaux. Le titre du graphic book en est un. Quand tu l’ouvres à la première page, tu tombes sur un gros «FUCK OFF EVERYONE», avec écrit, en tout petit, en dessous : «Please don’t», à quoi il ajoute : «That’s just the name of my fisrt band, translated.» Rassuré, on reste, et on poursuit la lecture. Il ne faut jamais perdre de vue que le Gruff est un Dadaïste contemporain. Il faut donc s’attendre à de bonnes surprises.

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             Il donne à la suite quelques éléments autobiographiques, confiant par exemple qu’en 1986, il monte Ffa Coffi Pawb avec son pote Rhodi Puw. Il a 16 ans et en profite pour «quitter l’école», comme il dit. Ffa Coffi Pawb veut dire «Everyone’s coffee beans» et les paroles sont en Welsh, c’est-à-dire en gallois. Le Gruff dit aimer l’espace entre les langues, mais il ajoute aussitôt que ce book traite de l’espace entre les chansons. Comme il a une chanson qui s’appelle «Valium», on tombe sur un panneau qui dit : «VALIUM YUM YUM»

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             Il parle des années 80 comme d’un «dark time pour beaucoup de gens», mais lui s’en sort bien car il bénéficie du confort et fait de la musique. Il dit bien vite son admiration pour les Beatles : «Même si je ne vivais pas à la même époque que les Beatles, au moins, je partageais le même espace. Quand Lennon fut dégommé, j’avais dix ans et les jours suivants la télé rediffusait les films des Beatles, ce qui cimenta ma passion pour la composition de chansons mélodiques.» Puis il commence à franchir la frontière du Pays de Galles pour aller voir des groupes sur scène, «des groupes qui semblaient maintenir la tradition mélodique en la transcendant : Spacemen 3, My Bloody Valentine et The Jesus & The Mary Chain. Aucun de ces groupes ne communiquait avec le public, et je trouvais ça très rafraîchissant.» Il se raccroche à cette idée. Tout ce qu’il veut, c’est composer et chanter ses chansons. «Je n’étais pas très doué pour les relations sociales, je ne savais pas m’exprimer clairement ou regarder un public dans le blanc des yeux, et ça ne m’intéressait pas d’avoir à demander aux gens s’ils passaient un bon moment.»

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             Ffa Coffi Pawb splitte au bout de 7 ans et 3 albums, et le Gruff repart à l’aventure avec les Super Furry. Il embarque le beurreman de Ffa Coffi Pawb Dafydd Isuan, et ses copains de Cardiff Huw et Guto. Le Gruff se retrouve «fronting a rock band that had golden discs, le public était nombreux et je sentais que je devais trouver un moyen de lui transmettre les informations logistiques.» Lors du 4e show, il emprunte à Bruce Nauman le slogan suivant : «PAY ATTENTION MOTHERFUCKERS.» Mais il sent bien que le ton de sa voix n’est pas assez ferme. En 1995, les Super Furry se déguisent en pandas. Et petit à petit, le Gruff va développer sa tactique du panneau. On tombe sur une photo de Buf brandissant le panneau «RESIST PHONY ENCORES», inspiré d’un poster irlandais de lutte contre l’impérialisme britannique, «RESIST BRITISH RULES». Puis ça va dégénérer en «RESIST VONDA SHEPARD», «a MOR piano balladeer» qu’il soupçonne d’être la partie visible d’un iceberg des piano balladeers qui allaient détruire la musique. Une menace pour ce qu’il appelle la pop civilisation, mais il regrette d’avoir été aussi loin, alors il lève son verre à la santé de Vonda Shepard et à celle des «pataphysical studies students at the Normal College, I’m sorry, what the fuck was I thinking?». Et bien sûr, en face du texte, tu as la photo de la belle Vanda machin.

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             Quand il joue à Londres, il provoque des malaises avec le panneau «TAX THE RICH». Effectivement, une partie de son public fait partie des privilégiés. Il le brandit aussi sur scène un soir où il accompagne McCartney. Une photo montre la stupéfaction de McCartney. À l’occasion d’une collaboration au Brésil avec le hippie portugais Tony da Gatorra - a slow-burning artist - le Gruff aligne une série de panneaux sur le thème : «WHAT CORRUPS MY COUNTRY» : «VIOLENCE», «HYPOCRISY», «IMPUNITY», «EGOISM», «COWARDS», «TRAITORS», «CAPITALISTS». Et comme il joue de plus en plus à l’autre bout du monde, le Gruff est obligé de faire des panneaux en caractères chinois ou japonais. Il fait évoluer sa technique vers l’allemand, le français et d’autres langues européennes. Et comme au fond il n’a pas grand-chose à dire, il remplit la fin du book de doubles en forme de panneaux. Il a même un camion avec le panneau géant : «NO PROFIT IN PAIN». S’il veut une franche participation du public, il sort le panneau «WHOA!».    Et comme il perd ses panneaux d’un concert à l’autre, il fait refaire le «WHOA!» qui devient accidentellement «WOAH!». Il a même eu un «WOHA!» au Connecticut. Les panneaux vivent leur propre vie. Il termine avec un panneau «THANK YOU!», suivi à la page suivante d’un panneau «GOOD NIGHT!». On sort de ce book ravi. On n’en attendait pas moins d’un mec comme lui.

             Avant d’aller plonger dans le lagon magique des Super Furry, on peut s’arrêter un instant sur l’actu du Gruff. C’est une actu replète, qui se tient bien à table.

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             On ne s’ennuie pas un seul instant à écouter The Almond & The Seahorse (Original Soundtrack), un joli double album tout juste sorti des cuisses de Jupiter. Depuis le temps béni des Super Furry, on sait qu’il s’est spécialisé dans la petite pop entraînante. Il continue de gambader au long de son petit chemin de fortune poppy poppah, avec parfois une volonté d’hypno pas assez affirmée («People Are Pissed»). On peut qualifier son lard de petite pop métronomique, en tous les cas dans ce nouvel opus qui grouille de puces. Par contre, il tourne mal avec «Layer Upon Layer», car on croit entendre Etienne Daho. La honte ! On B, on va sauver la fast pop de «Sunshine & Laughter Ever After». Il est à l’aise dans tous les râteliers. C’est un brillant pique-assiette. Il drive sa fast pop au hard beat turgescent. Voilà la petite merveille tant convoitée : «Liberate Me From The Love Song». Il sonne comme les Tindersticks, c’est puissant et beau. Il repart de plus belle en C avec «I Want My Old Life Back». Il reste le magic man que l’on sait. Encore de la belle pop avec «Dance All Your Shadows To Death». C’est sa façon d’installer sa tente dans le pré-carré. Quant à la D, c’est de l’instro. Il pianote son «Toni’s Theme» au clair de la lune.

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             Le dernier bim-boom du Gruff vient de paraître. Il s’appelle Sadness Sets Me Free. On se précipite. On cherche les truffes du groin. Tiens en voilà presqu’une, le morceau titre d’ouverture de bal. Le Gruff y fait son crooner, il y va au «Dead Flowers» - C’mon set me free now/ My vain & selfish way - Il frise la Stonesy d’you can send me dead flowers for my wedding. On retrouve la griffe du Gruff qu’on aime bien. Puis il va continuer de faire du croon de Gruff, il sait envoûter une voûte, il propose une belle pop de petit mec confirmé. Maintenant il n’a plus rien à prouver. On aimerait simplement voir poindre un tout petit brin de magie Super Furry. Mais ça ne décolle pas. Il cherche à renouer avec le Super Furry, alors il groove à la surface des choses. On comprend soudain qu’on ne trouvera pas de truffes dans cet album. Quand ça stagne sur 5 cuts, c’est pas bon signe. Il fait une petite samba avec «They Sold My Home To Build A Skyscrapper». Plus entreprenant, ce mec a des assises, mais ça reste en plan. Son «Cover Up The Cover Up» est l’hit de l’alboom, mais ça ne griffe pas. Il redevient doux comme un agneau avec «I Tendered My Resignation», on le voit chercher à créer du climax mélodique, il frime un peu, il cherche des effets, mais il ne les a pas. Il est en perte de vitesse. Il reste dans une espèce de petite pop et chante d’un ton complice, mais il ne parvient pas à la transcender comme au temps des Super Furry. Sa pop est relativement agréable, mais loin d’être déterminante. C’est un peu comme s’il se mettait en retrait, comme s’il craignait de se brûler des ailes qu’il n’a plus. On s’ennuie à mourir de chagrin sur ce faux bel alboom. 

    Signé : Cazengler, Rhys orangis

    Gruff Rhys. The Almond & The Seahorse (Original Soundtrack). Rough Trade 2023

    Gruff Rhys. Sadness Sets Me Free. Rough Trade 2024

    Gruff Rhys. Resist Phony Encores. Hat & Beard, LLC 2020

     

     

    Inside the goldmine

     - Ware house

             Des quatre contremaîtres de maintenance, Monsieur Léon était le plus attachant. Pourquoi ? Sans doute à cause de son perpétuel air de bonhomie, cette bonté discrète qu’on croise si rarement dans le regard des hommes, surtout à notre époque. Monsieur Léon était un gros bonhomme ventripotent coiffé d’une casquette à carreaux, vêtu d’un bleu de travail rapiécé, qui se déplaçait lentement, un mégot toujours collé au coin des lèvres, allumé ou éteint. Et puis il y avait ce regard espiègle, toujours un peu en coin et ce sourire de petit garçon qui contrastait tellement avec son allure d’homme usé par le travail et le manque d’argent. On l’avait nommé contremaître car il savait conduire les chantiers de maintenance des turbines. Il les connaissait depuis leur naissance, il savait caler un rotor dans ses coussinets, il savait mesurer l’effort de serrage des boulons, il avait pour ce genre de mécanique des mains de magicien. Oh il fallait voir ces grosses mains ! Cœur battant de l’unité de production, la salle des turbines était aussi son domaine. Il ne semblait vivre que pour les arrêts. Il assistait à l’ouverture des carters qui pesaient plusieurs tonnes et avec un sourire encore plus appuyé qu’à l’ordinaire, il commençait l’inspection des zones d’usure. Les ingénieurs envoyés par le fabriquant écoutaient attentivement ses remarques. Ils savaient que Monsieur Léon avait une relation fusionnelle avec ces énormes machines et jamais, en quarante ans de carrière, il ne s’était trompé dans ses diagnostics. Son expertise en matière de maintenance avait dû rallonger considérablement la durée de vie de ces turbines. Et puis un jour, le directeur de production demanda un arrêt d’urgence. Ordre fut donné à tous d’intervenir dans un planning très serré, car les temps d’arrêt coûtaient une fortune. La première équipe devait intervenir de nuit. Arrêt des turbines, chute de la pression, puis ouverture de l’échangeur et pour finir ouverture des carters. Monsieur Léon attendait qu’on ait ouvert l’échangeur pour lancer le démontage des carters. Une équipe démontait les boulons de l’énorme échangeur horizontal, et au moment où tombaient les derniers boulons, le couvercle s’écrasa au sol, propulsé par un gigantesque geyser de vapeur brûlante, schlllooooffff, Monsieur Léon qui se trouvait là fut ébouillanté sur le coup, il avança en titubant vers la passerelle de sortie, bascula comme un gros sac par-dessus la rambarde et s’écrasa au sol six mètres plus bas, splllaaashhh ! Il gisait sur le dos, rouge comme une écrevisse ébouillantée, la peau du visage et des mains en lambeaux. Son sourire si prodigieux était devenu une grimace atroce.

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             De toute évidence, Leon Ware a eu plus de chance que Monsieur Léon. Ils n’ont de commun que trois petites choses, le nom, la bonhomie et d’une certaine façon, la légende. Sous son petit chapeau, Leon Ware était devenu une sorte de Monsieur Léon en black, pas en rouge.

             Légendaire, oui, car Leon est un petit black de Detroit qui a démarré avec Lamont Dozier dans les Romeos. Comme Doz, il a un peu fricoté chez Motown avant de voler de ses propres ailes pour aller fricoter avec d’autres géants, Ike & Tina Turner, Donny Hathaway, Minnie Riperton et des tas d’autres. Leon fut ce qu’on appelle un artiste complet, c’est-à-dire qu’il est à la fois auteur-compositeur, producteur et interprète, une sorte d’équivalent black de Tonton Leon, l’autre, le Russell. Inutile de préciser que tous les albums de Leon Ware sont chaudement recommandés.

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             Tiens, on va écouter le premier, l’album sans nom, Leon Ware, paru en 1972. Tu tombes sous sa coupe dès «The Spirit Never Dies», un fantastique groove de Soul, et là, t’es content du voyage. Groove sublime, Leon te roule dans sa farine de satin jaune pour une Beautiful Song de Soul. Puis il claque une fabuleuse Soul d’Able avec «Able Qualified & Ready». Quelle énergie ! Il te met les sens en alerte maximale, il a derrière lui les backings demented de Clydie King, Jessie Smith, Patrice Holloway, Julia Tillman et Maxine Willard. Leon est un fantastique artiste, il rôde bien dans la Soul, il chante son «Why Be Alone» à la cantonade. Il passe au heavy groove d’allure supérieure avec «Mr Evolution», il cultive son groove à la folie, il est dans l’excellence dès les premières mesures, et quand on écoute «Nothing’s Sweeter Than My Baby’s Love», on comprend qu’il ne vit que pour le smooth de sweeter, Leon est incroyablement attachant, on ne le quitte plus des yeux. Tiens, encore une clameur de groove supérieur avec «What’s Your World». Comme le fit Marvin, il arrose le monde, il navigue dans les mêmes eaux. D’ailleurs, Leon a produit l’I Want You de Marvin. Il attaque «It’s Just A Natural Thing» à la grandeur d’âme, avec les folles derrière. Elles te plombent ça vite fait et Leon charge la barcasse jusqu’à la fin. Il termine cet album faramineux avec «Tamed To Be Wild», il drive sa diskö-Soul sous le boisseau, il chante aux accents perçants de l’extrême blackitude et grimpe sur la barricade. C’est énorme !  

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             Dans Record Collector, Paul Bowler consacre la rubrique ‘Engine Room’ à Leon Ware. Il le sacre d’entrée de jeu «master of sensual Soul». Il le situe dans les parages du Marvin, et va d’ailleurs produire I Want You et en composer tous les titres. Bowler parle aussi d’erotically charged, silky-mouth brand of Soul qui allait inspirer Sade et la fameuse vague neo-Soul. En fait, Leon Ware lançait les carrières des autres, préférant rester dans le background. Un peu comme Allen Toussaint, Van McCoy ou encore Sam Dees. Et puis un jour, il voit son copain Lamont Dozier rouler en Cadillac, alors il se dit qu’il pourrait lui aussi en avoir une, after all.  

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             Bon alors, tant qu’on y est, on peut aller écouter Musical Massage, paru sur Gordy en  1976, la même année qu’I Want You. D’ailleurs, Bowler dit que si on veut entendre la version d’I Want Your par Leon Ware, c’est Musical Massage -Bedroom focused lyrics and slick Soul sonics - Quand Berry Gordy entend les maquettes de l’album, il demande à Leon de le filer à Marvin et Leon refuse. En guise de punition, l’album sort sans promo et Leon est dévasté de chagrin. Commençons si tu veux bien par les coups de génie, «Share Your Love» et «Phantom Lover». Ce sont des hits. Share your love, clame Leon en plein émoi, c’est fabuleusement profilé sous le boisseau d’un groove mirifique, les petites pointes de vitesse soulignent l’urgence du groove et au loin planent les nappes de violons. Leon aurait-il inventé groove liquide ? Comme d’habitude, la réponse est dans la question. «Phantom Lover» sonne encore comme l’un des meilleurs grooves de l’univers. La pureté groovytale de Leon te confond. Il ne te roule plus dans sa farine, mais dans la ouate. Globalement l’album sonne comme l’un des albums de Marvin à l’âge d’or : nappes de violons et percus. Leon délie «Learning How To Love You» au doux de menton. Sur «Instant Love», Minnie Riperton duette avec lui. Il muscle un peu son groove pour «Holiday», c’est excellent, chanté au lâcher de ballons, ça tourne au petit chef-d’œuvre de good time music. Avec «Journey Into You», tu entres dans le territoire de Leon. Il est soft au-delà de toute expectitude. Tu as l’impression de remonter le courant en sa compagnie. Son «French Waltz» renvoie aux films français, Les Choses De La Vie ou encore Un Homme Et Une Femme, et avec «Turn Out The Light», ce petit coquin de Leon veut éteindre la lumière. Aurait-il une idée derrière la tête ? 

             C’est après Musical Massage  que Leon quitte Motown.

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             Après un mauvais départ et une série de trois cuts ratés, Inside Is Love s’impose avec un coup de génie nommé non pas Wanda mais «Club Sashay». Leon amène ça comme un groove de Marvin et tu entres dans le vrai monde, celui du groove qui balance par-dessus les toits, et des chœurs de filles te pavent le chemin de bonnes intentions, it’s alrite, Leon tombe dans la démesure. Il est partout à la fois, dans le chant et dans le groove. Autre magic cut : «Small Café», big groove sentimental, typique de Leon, c’est un slow groove de rêve finement joué au violon tzigane, il te l’élève au bon niveau et ça finit par violonner à outrance. La troisième merveille de cet album s’appelle «On The Island», et Leon fonce dans le tas de l’exotica, il crée du rêve et des grands espaces, il fait du technicolor à l’état pur, il est capable d’ouvrir de grands espaces, c’est la raison pour laquelle on le suit à la trace, ici tout est knockouté à l’extrême de la Soul du bonheur, merci Leon de nous amener on The Island et de nous donner autant de joie.

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             Comme beaucoup d’autres grands artistes, Leon a connu sa petite période Elektra, oh pas longtemps, le temps de deux albums, Rockin’ You Eternally, en 1981 et un album sans titre l’année suivante. Tout ce qu’on peut dire, c’est que Leon a du génie. La preuve ? Elle est dans l’enchaînement de quatre cuts, «Sure Do Want You Now», «Our Time», «Rockin’ You Eternally» et «Got To Be Loved». Son fonds de commerce est le slow groove de Soul en forme d’entrelac de jouissance. Il ne chante pas, en réalité, il touille la magie. Avec «Our Time», il explore le Pôle Nord de la Soul, il affronte les vents, Leon tu le suis partout, même au Pôle Nord, il a de la Soul plein le Time. On prie sincèrement pour qu’il se calme, trop de génie tue le génie, c’est bien connu mais avec «Rockin’ You Eternally», il déploie de telles ailes d’ange qu’il en devient définitif, il te plonge dans un bouillon de Soul, Leon te retourne comme une saucisse dans sa friteuse de magie bouillonnante, il fait une Soul de sorcier, ça wave dans la Warehouse, ça explose littéralement de magie. Et ça continue avec «Got To Be Loved», il monte au chant supérieur de la Soul des temps modernes, il faut le voir prendre de l’élan, quel spectacle, I don’t care, il maîtrise bien la situation et il resurgit à coup d’I don’t care ! Il boucle cet album effarant avec «In Our Garden» et développe aussitôt une nouvelle vague de magie incommensurable, il te la travaille au mieux du Ware System, avec des coupes psychédéliques, mais il revient au chant pour t’exploser la conscience, au so far out, il est l’égal de Marvin Gaye et des plus beaux groovers d’Amérique. Jamais vu ça ! Quand tu écouteras l’«A Little Boogie (Never Hurt No One)», tu verras, tu seras accueilli par un déluge de son. Ça te tombe dessus. Leon ne plaisante pas. Il va très vite. C’est un fonceur. Son Little Boogie est plein comme un œuf, on n’y rentre rien d’autre.

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             Le deuxième Elektra est nettement moins dense. Le hit de cet album sans titre s’appelle «Why I Came To California» : ambiance diskö-pop avec un arty funk de bass dans le dos et des petites gonzesses aux backings et ça tourne vie au big biz, mais un big biz de super good time, et ça vire groove des jours heureux. Il faut suivre Leon pour ça, pour les jours heureux. Leon est un artiste fantastique, il est deeper than love comme le montre le cut du même titre, et puis avec «Cant I Touch You There», il veut la toucher, alors il entrelace sa colonne du temple à l’entrelac de la Soul grimpante. Il sait aussi te susurrer sa Soul de satin jaune dans le creux de l’oreille, comme le montre «Words Of Love». On le voit aussi se fondre dans un «Shelter» extraordinaire - She’s my shelter - et avec «Somewhere», il duette avec une poule qui est pas mal, car elle sait roucouler au sommet de la Tour Eiffel.

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             Paru en 1987, Undercover sonne comme un passage à vide. Le blue velvet de Leon est d’une douceur parfaite, mais un peu monotone. Il cultive une sorte de grande délicatesse sexy, il caresse le duvet de la peau de pêche et fait durer le plaisir. Leon est un orfèvre, toute sa glotte humide est impliquée. Avec son rythme, le graphisme de la pochette et tout le saint-frusquin, Undercover est un album typique des années 80

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             Taste The Love est un pur album de sexe. Leon te fourre la tête entre les cuisses de Jupiter dès «Come Live With Me Angel». Leon se polit bien le chinois, il adore le sexe. Sa musique suinte, elle goutte de scum. Mais du bon scum bien blanc de black God. Il va t’engrosser des juments, patron, oh oh, fais confiance à Leon, il a ça dans les reins. Encore du sexe avec «Feel Your Love», au doux du groove de feel your smile in your hands, et puis toujours plus de sexe avec «Can’t Stop Love», il descend de sa montagne, vêtu de rien, I see you, il administre ses sacrements, Leon est un dieu nuageux. Du sexe encore dans le «Taste Of Love» de fin de parcours, chanté à l’ouate de Marvin, time is right. C’est écrit au dos : «Every song is prepared with our main ingredient, LOVE. Bon appetit.» On le voit aussi aller et venir entre les reins du groove avec «Meltdown». Il ne fait que des cuts longs, jamais moins de 4 minutes. Avec «Cream Of Love», on s’attend au pire. Puis il vire légèrement Brazil avec «Telepathy». Un solo de sax vient lisser tout ça. Merci Leon pour cette embellie. Et puis il se produit un phénomène bizarre avec «Musical Massage» : le cut s’arrête quelque part au siècle d’avant, au milieu des terres, il chante parmi les patrons blancs, il suspend son chant.

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             Le pianiste Don Grusin accompagne Leon sur Candlelight. C’est donc un album de jazz.  Le piano jazz album de Leon. Il faut tout de suite se jeter sur «Red Top», car quelle effervescence ! Ça joue au piano jazz avec la stand-up. Fantastique ! Le stand-up man s’appelle Brian Brombey. Il fait son Charlie Mingus. Il joue le mystère du round midnite, il pulse bien le jazz d’after-hour et Leon revient au chant comme la vague sur la rive. L’autre temps fort de l’album s’appelle «How Insensitive». Le guitariste s’appelle Oscar Castro-Neves et il nous joue le groove du Brazil pur, logique puisque c’est signé Carlos Jobim. Belle exotica, Leon s’y fond. Ils tapent aussi une version de «My Funny Valetine». Rien de plus pur. Leon vise un absolu de pureté. On parlait du loup, le voici : «Round Midnight», fabuleux hommage à Monk, mais c’est trop jazz pour un groover comme Leon. En même temps, on sent bien dans ses autres albums qu’il est trop évolué pour la pop. Brombey revient groover «Misty» au heavy groove d’I get misty. Ça joue au fond du club, là-bas, dans la fumée bleue, ils tapent un «My Foolish Heart» assez éperdu, pas loin de Liza Minnelli, lorsqu’elle souffre dans New York New York. Ça ne tient qu’à un fil de piano pur. Et puis avec «Let Go», Leon fond comme le chocolat dans la casserole. 

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             Malgré sa pochette romantique, Love’s Drippin est un bon album. L’extrême qualité du groove de Leon te monte au cerveau dès «All Around The World». Leon gère son monde fabuleusement groovy. Il enchaîne avec «Underneath Your Sweetness», bon d’accord, il groove à la mode, mais Leon est un winner, alors il winne, et comme il va toujours chercher des noises à la noise, ça finit par le rendre génial. Il travaille son groove dans la matière de la Soul, et comme Marvin, il ouvre des horizons. Il laisse filer son groove céleste dans l’azur marmoréen. Il passe au sexe avec «Saveur», il déclenche des machines organiques et des dynamiques impavides, tout est bien foutu chez Leon. Il reste dans le sexe avec «Breathe On Me». On pourrait presque parler de groove direct, c’est aussi direct que de mettre la main au cul d’une allumeuse. D’ailleurs, dans «Is It Drippin’ On Yourself», il se demande si ça goutte sur elle, ooooh baby. Il file le parfait amour avec le charme chaud d’«I’m Ooin’ You Tonight» (sic). Leon est un expert sensoriel, il chante à la glotte de velours mauve. Si on l’écoute, c’est pour des raisons précises, il faut bien l’avouer. Parfois, ses cuts sont un peu gluants, enfin, il fait comme il veut, il est chez lui, inutile de l’embêter. Il attaque son «Finger Party» à la Marvin, mais c’est avec «Hands On My Heart» qu’il rafle définitivement la mise, et pire encore, il t’embobine. C’est violemment lourd de conséquences, on pourrait même parler de dérive abdominale d’éternité parallélépipédique, de boîte oblongue de groove de Poe, Leon travaille sa sauce à l’infini thaumaturge, son groove te caresse les côtes, voilà une Beautiful Song parfaite, le must de maître Leon.

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             Une chose est sûre : tu n’écoutes pas les albums de Leon en cinq minutes. Le meilleur exemple est sans doute Moon Ride. Tu ne prends pas l’album au sérieux à cause de la pochette. Quoi ? Une bagnole américaine ? Oui, mais attention, Leon ne fait jamais de tout-venant. Comme l’album sort sur Stax, ça démarre dans la Soul et un léger parfum de diskö-funk et il faut attendre «Just Take Your Time» pour voir Leon prendre sa mesure. Il susurre dans la chaleur de ton cou, relaxsssss, il te séduit au kisssing you baby, il a très bien compris que tout tournait autour de ça, relax your mind, et derrière tu as une guitare jazz qui groove entre tes reins. On le voit tâter de l’océanique avec «Loceans» et se battre avec la Soul dans «I Never Loved So Much», mais comme Russell Crowe dans Gladiator, il se bat pour la victoire. Il renoue avec Marvin dans «To Serve You (All My Love)», il le rejoint aux jardins suspendus du firmament, c’est extraordinairement bien chanté, Leon et Marvin, même combat ! Puis il amène «Soon» à l’espagnolade et redevient le temps d’un cut magique le puissant seigneur de l’ombre que l’on sait, le roi du groove d’exotica de jazz interlope. On le voit ensuite naviguer à la surface d’«A Whisper Away», un coconut groove jazzé au piano. C’est encore de la magie pure, il fluctue dans l’entre-deux, il est fabuleusement liquide, dans la lignée de Marvin, il tient son monde dans le creux de ses mains, un monde gorgé de finesses, de piano jazz, de percus et de stand-up, tout est porté au summum, comme béni des dieux. Il plonge encore une fois dans le lagon avec «From Inside». Au-dessus de Leon et de Marvin, il n’y a plus rien. Il finit cet album miraculeux avec «Urban Nights», il y ramène encore une jazz guitar et des chœurs de soubassement. Tout est surchargé de trésors sur cet album. 

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             Paru sur le tard, Rainbow Deux pourrait bien être l’album - le double album - de sa consécration. Leon l’attaque d’ailleurs avec l’heavy-oh-so-heavy «For The Rainbow», dominé par le bassmatic d’un nommé Stephen Bruner. Le festin se poursuit en B avec «The Darkest Night», deep dark groove de dark-oh-so-dark night, rien de plus deepy dark ici bas. Il passe à la sensualité avec «Surrender Now», d’ailleurs, à l’intérieur du gateford, il signe : «The Sensual Minister, aka Leon Ware». Puis il nous emmène au paradis de la good time music avec «Summer Is Her Name». Retour aux énormités en C avec «Are You Ready» et il passe au heavy groove de samba avec «Samba Dreams», il injecte carrément de la heavyness dans le lard de la samba et c’est énorme. Avant Leon, personne n’avait pensé à le faire. Cette course paradisiaque s’achève en D avec «Let’s Go Deep» (le courant file à travers lui, comme s’il était fait de cuivre, il vibre et il chauffe) et l’heavy-oh-so-hevy exotica de «Wishful Thinking». On croit entendre Marvin accompagné par les congas de Congo Square !

    Signé : Cazengler, Leon Whore

    Leon Ware. Leon Ware. United Artists 1972

    Leon Ware. Musical Massage. Gordy 1976 

    Leon Ware. Inside Is Love. Fabulous 1979

    Leon Ware. Rockin’ You Eternally. Elektra 1981

    Leon Ware. Leon Ware. Elektra 1982

    Leon Ware. Undercover. Sling Shot Records 1987

    Leon Ware. Taste The Love. Expansion 1995

    Leon Ware. Candlelight. Expansion 2001

    Leon Ware. Love’s Drippin. P-Vine 2003

    Leon Ware. Moon Ride. Stax 2008

    Leon Ware. Rainbow Deux. Be With Records 2019

    Paul Bowler : The Engine Room/ Leon Ware. Record Collector # 531 - May 2022

     

     

    Auto Ditz

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             Ditz ? Parlons-en. Contrairement à ce qu’indique le titre, Ditz n’a strictement rien d’automatique. L’auto Ditz n’est en réalité qu’un clin d’œil à Otto Dix. Mais tiens, le hasard fait bien les choses, car par le son, Ditz rejoint Dix. Dix se fout des perspectives et Ditz aussi. Dix concasse et provoque, Ditz aussi. Dix déforme, Ditz aussi, Dix sublime la laideur, Ditz aussi. Dix trempe ses pinceaux dans la putréfaction des tranchées, Ditz aussi. Dix catalyse la barbarie, Ditz aussi. C’est dire si Dix et Ditz vont bien ensemble.

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             Ditz ? Scène de Brighton. Vazy ! On en bouffe, du Brighton : Ciel, Squid, Wytches, il en pleut comme vache qui pisse, et maintenant Ditz, avec un son Dixien concassé et d’une ampleur considérable, même si ça rôde aux frontières de la Post. Alors on débarque au concert avec les oreilles vierges, histoire d’explorer une zone inconnue. On sait juste pour avoir vu une photo dans le programme qu’ils ne sont pas très beaux et qu’ils ont une chanteuse qui n’est pas sexy non plus. D’ailleurs, tiens, la voilà, elle débarque sur scène, une grande rouquine en petite robe noire, chaussée de bottes noire à très grosses semelles. Elle arpente la scène en attendant que les autres finissent d’accorder leurs grattes déjà accordées. Elle n’a pas l’air commode, elle marche un peu comme un docker du Havre, on voit son dos nu et ses cuisses musclées. Pas trop de tatouages, un de ci de là, derrière la cuisse et sur le bras. Elle est rousse, coiffée vite fait, pas de bijoux. Quand elle commence à chanter, elle le fait avec une voix de mec. Elle a même une voix superbe, bien grave, bien décadente, et elle mène le bal. On découvrira un peu plus tard qu’elle s’appelle Cal, diminutif de Callum. Cal mène un sacré bal des vampires, Ditz tape aux portes de la démesure, deux grattes, un gros bassman hyper-présent, un beurre du diable, et ça ira ça ira les aristocrates à la lanterne. Le guitariste du fond à droite n’a pas d’image, par contre celui qu’on sous le nez à gauche est un petit chétif avec de faux airs de Ian Curtis. Ces deux mecs bâtissent des décorums pharaoniques, un peu à la manière de Greg Ahee, l’artificier en chef de Protomartyr. Il faut bien dire que le début du set est un peu laborieux, mais au fil des cuts, la pression et la température montent, et ça finit par t’exploser la calebasse, avec un son dru d’emporium en flammes, dans une quête constante d’apocalypse selon Saint-Jean, ils rivalisent d’élan cathartique avec le Pandemonium de Killing Joke, et Cal s’en va marcher sur la foule, comme une sorte de trave christique sorti d’une toile mortifère d’Otto Dix. Tu vois la mort et la décadence marcher à la surface d’une petite foule, c’est un drôle de spectacle. Heureusement qu’il est allé de l’autre côté. Pas facile d’imposer un spectacle aussi ahurissant dans une région comme celle-ci. Les Normands n’ont pas pour habitude d’aller reluquer sous la jupe d’un trave.

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             Ce mec est un fantastique showman, qui, entre deux crises apoplectiques, s’adresse aux gens d’une voix délicieusement désabusée. Il se pourrait que Cal Davis soit une rockstar en devenir. Difficile, car il s’élève à la force du poignet, sans le secours d’aucune mélodie, il n’a qu’un son âpre et ingrat à nous mettre sous la dent, alors on doit s’en contenter. Ditz est un groupe qui n’aura jamais de hit, car leur rock vise trop l’aventure de la marge. Ils développent une énergie comparable à celles d’Idles et de Protomartyr. Leur ambition paraît évidente et démesurée, mais leur concept reste strictement anti-commercial. Et malgré tout ça, ils ont deux cuts qui tapent vraiment dans le mille : «Instinct», qu’ils jouent vers la fin du set, et l’explosif «No Thanks I’m Full» qui clôt à la fois le set et leur album The Great Regression, un titre qui, au passage, sonne très Dixien.

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             Cal te chante «Instinct» dans le creux du cou, l’haleine chaude et profonde, tu adores cette proximité et derrière, c’est fabuleusement orchestré, et tellement explosif que les immeubles s’écroulent, ils tapent dans l’apanage de la fin du monde, ils mettent un point d’honneur à battre tous les records d’apoplexie. Mais c’est avec «No Thanks I’m Full» qu’ils te laissent sur ta faim, avec une fin de set comme on en voit peu, ils optent pour une violente intro Post-hardcore et le Cal entre immédiatement dans le chou du lard, il pose sa voix dans l’enfer des tranchées d’Otto Ditz, c’est puissant, bien déroulé, gorgé de power, la version enregistrée est à la hauteur, tu peux y aller si tu aimes l’embrasement sonique, ils atteignent un niveau qu’on n’imagine pas, et ça se décuple, aussi bien sur scène qu’en studio, ils sont tellement dans le full blown que ça saute partout dans la cambuse du Docteur Mabuse, c’est drivé sec par le bassman et battu à la diable. Normalement, tu ne t’en remets pas. Ou alors très difficilement. Comme d’un méchant coup de poing dans l’estomac.

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             L’album s’appelle donc The Great Regression. Ils optent pour un visuel macabre, sous film plastique, qui rappelle The Thoughts Of Emerlist Davjack des Nice, à une autre époque.

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    Ils ont un son très anglais, très énervé, ils démarrent avec le gros ragnagna de la Post, «Clocks», et enchaînent avec un «Ded Wurst» amené à la grosse cocote de la Post. Ils visent le big atmo à Momo. On comprend que ce sont des cuts de chauffe, comme d’ailleurs lors du set. Un peu plus loin, on entend les chutes du Niagara de la Post dans «Three». Ils charpentent bien leur son, ces mecs ne mégotent pas sur la mortaise. Avec «The Warden», ils se font passer pour les maîtres de la dégelée Postale. Cal tient bien son rang d’égérie des annales. Il se prend ensuite pour Kate Moss dans «I Am Kate Moss», il joue beaucoup sur le calme après la tempête. Le Cal s’accroche au son comme la moule à son rocher. Ils ont des stridences d’attaques biseautées, comme dans «He He», mais ça devient riche avec ce chant de dark angel en robe noire. Tout est très chargé musicalement, le Kate Moss sonne comme une compression de layers, avec des trucs qui grattent dans le mix et des poussées de fièvre, et voilà qu’ils enchaînent à nouveau dans la douleur de la Post avec «Teeth», ils deviennent féroces et décuplent la violence de leurs crises. Ils finissent par rivaliser de démesure avec les Pixies. Ils développent un pouvoir totalitaire.    

    Signé : Cazengler, quoi qu’il en Ditz

    Ditz. Le 106. Rouen (76). 16 février 2024

    Ditz. The Great Regression. Alcopop! Records 2022

     

     

    Les Pearlfishers enfilent des perles

     

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             Pas la peine de tourner autour du pot : les Pearlfishers, c’est David Scott, un autre surdoué du rock anglais. Cet Écossais est aussi membre actif des BMX Bandits, l’une des grandes institutions écossaises. Pour mieux situer le Scott Scott, on peut le comparer à Paddy McAlloon : il cultive exactement la même perfection du lard fumant. Et c’est aussi la raison pour laquelle ses albums sont tous réussis. Le Scott Scott squatte le paradis depuis vingt ans.

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             Le premier album de Scott Pearlfisher s’appelle The Strange Underworld Of The Tall Poppies. Il date de 1997. Graphiquement, quasiment toutes les pochettes vont se caler sur la première : une simple image de la vie quotidienne cadrée sur un fond blanc. Ouverture de bal avec «Even On A Sunday Afternoon» et Scott met la main au Paddy. Même élan pop chatoyant. Une vraie merveille. Le Scott Scott condescend dans le cours du fleuve, it doesn’t matter. Il compose comme il respire, sans effort. Il remplit des albums entiers. Son «Banana Sandwich» éclate de fraîcheur, il est tellement plein d’élan vers l’avenir - Just feeling the sun in the snow - Encore plus puissant, voici «Waiting On The Flood», il swingue son floo-ooood et t’en explose la fin, fabuleuse fin d’explosivita en gerbes de génie prévalent. Encore de la heavy pop de Scott avec «Jelly Shoes». Il vise toujours l’horizon, avec la même ampleur que Paddy God, avec des montées en puissance herculéennes. Tous ses cuts sont puissants, il fait du ric et rac de Paddy Padirac, il ne lésine pas sur l’envergure, il s’adosse aux Everglades du forever et relance en permanence son relentless. Il ne se lasse plus d’élancer. Il joue son rôle de songsmith jusqu’au bout, il gratte les poux d’«Away From It All» avec du soleil plein la bouche, il est tellement convaincu d’avance !

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             The Young Picnickers pourrait bien être son album le plus affolant. À cause notamment de ce violent coup de génie, «Every Day I Read Your Stars» qu’il attaque au jingle jangle des Byrds. Là, tu affrontes le vent du rock extrême, le cut explose dans le ciel, tu n’en reviens pas, tu entends des clap hands et des contre-coups d’«Oh Happy Day», ça explose en gerbes, c’est sa spécialité, oui les retenues viennent d’Oh Happy Day, les tombées aussi, tu imagines un peu la grandeur de la cascade ? Et il monte encore au chant à coups d’I read your stars. Le Scott Scott est en passe de devenir l’un de tes meilleurs amis, avec Paddy Padirac et Brian Wilson. Alors attends, c’est pas fini. Écoute un peu «You Justify My Life». Ce ne sont pas des choses qu’on dit à la légère. Il enchante son Justify au chat perché, il yodelle dans le bonheur, il sonne comme une superstar, mais au sens fort du terme. Et puis tu as cette pop magique d’Écosse, «We’re Gonna Save The Summer», une pop impitoyable d’éclat mordoré, gorgée de références à Big Star et à Brian Wilson, en passant par Paddy Padirac et tous les anges du paradis pop, il te plug ça dans le Summer pur, ce mec explose de bonheur, c’est tout ce qu’on entend. Il trafique aussi «We’ll Get By» à la bonne mesure, ça prend vite de l’ampleur et ça devient stupéfiant d’excelsior parégorique. On écoute le Scott Scott avec un profond respect. Il déroule une œuvre d’une infinie délicatesse. Pour son morceau titre, il descend dans un groove à taille humaine. C’est très impressionnant, il dépote là un instro de fête foraine, il y a de la magie dans ses Young Picnickers. Quand il fait de la power pop («Once There Was A Man»), il sonne comme Martin Carr ou Paddy Padirac, c’est le même genre de gabarit impérieux. 

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             S’enfoncer dans le dédale des albums de David Scott, c’est une façon de se noyer dans l’excellence. Across The Milky Way est encore un album remarquable, dont le joyau s’appelle «We’ll Be The Summer». Bienvenue dans le domaine royal de David Scott. Il commence par te groover le bas des reins. Oh rien de sexuel là-dedans, il swingue sa pop avec panache et il emprunte les bah-bah-bah de Brian Wilson. «Steady With You» pourrait sortir d’un album de Paddy. Scottish Scott s’y livre à de prodigieuses accélérations. Sa pop peut être aussi évangélique et se montrer digne des Beatles (le morceau titre). Scottish Scott soigne sa droite. On attend que tombent les hits, comme au temps de Grandaddy. Tiens, en voilà un : «New Stars». Quand tu entends ça, tu sais où tu mets les pieds. Ses harmonies vocales éclatent au Sénégal d’Écosse. Il y a du Big Star là-dedans. Il attaque l’«I Was A Cowboy» à la Lennon et on s’effare de la qualité du sucre dans «Sweet William», mais aussi de la qualité de la prod, de la qualité de tout. Oui car tout sur cet album sent bon l’esprit. Il continue d’exploiter ses inépuisables réserves naturelles avec «Shine It Out». Il repart toujours à l’assaut, avec chaque fois la même grâce. Il rappelle parfois les grandes heures de Belle & Sebastian. Il tartine son «Where The Highway Ends» en contre-bas et il termine cet album idyllique avec un «Is It Any Wonder» salué aux trompettes urbaines. Il fait du pur Paddy, même voix, même sens aigu de la magie pop, celle qui filtre sous la toile du cirque. Te voilà donc avec un nouveau génie sur les bras. David Scott coule de source, comme Martin Carr, Brian Wilson ou encore Michael Head.

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             Continuons de voyager au paradis de la pop avec Sky Meadows. Il y rend un hommage qu’il faut bien qualifier de mythique à Todd of the pop : «Todd Is God». Ils sortent tous les deux de la même fontaine de jouvence. David Scott chante comme le Todd du temps de Something/Anything. Il démarre aussi l’album avec «Flora Belle» qu’il faut hélas qualifier une fois encore de coup de génie. Il l’attaque à la Paddy, il grimpe tout de suite à un très haut niveau d’intellect mélodique, te voilà conquis, amigo, inutile de résister, David Scott est un empereur génial, tu vas lui donner tout ce que tu possèdes, ta femme, les clés de ta bagnole, ta carte bleue, tes mots de passe sur internet, t’es content de lui donner tout ça en mains propres, tiens mon David, c’est pour toi, et en échange, il va te déverser des torrents de beauté dans les oreilles, alors tu peux te dire heureux d’avoir croisé son chemin. «Sky Meadows» est encore une fois du pur Paddy, David Scott suit la voix tracée par son maître. Même chose avec «My Dad The Weatherfan», ça tourne en pop de rêve à la McAlloon. David Scott s’amuse en permanence, il fait plaisir à voir. Avec «I Can’t Believe You Met Nancy», il te lèche les bottes, il t’abreuve dans le désert, il t’initie à l’harmonie d’un jour naissant. Il repart à la conquête de la perfection avec «Haricot Bean And Bill» qu’il arrose de big guitars et termine avec «Say Goodbye To The Fairground», qui semble aussi sortir du cerveau psychédélique de Paddy Padirac : même magie évanescente. C’est de l’extrême pureté pop, David Scott revient toujours à Paddy par la bande. 

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             Paru en 2004, A Sunflower At Christmas est un album heureusement beaucoup moins dense. Ça permet aux oreilles de se reposer. Le «Snowboardin’» d’ouverture de bal sonne comme une pop magique et automatique digne de celle de Brian Wilson : même élan vers l’éternité. Le Scott Scott monte bien ses éclats d’harmonies vocales. Et le «Winter Roads» qui suit est du pur Paddy. On se croirait sur Jordan: The Comeback. Même volonté de parcours initiatique. Et puis après ça se calme terriblement. Le Scott Scott tient néanmoins très bien sa maison. Ce n’est pas le genre de mec qu’on repasse à la pattemouille. C’est un maître de forge. Comme Totor, il fait son Christmas album.  

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             Par contre, ça chauffe terriblement avec Up With The Larks. Shindig! lui attribue 5 étoiles, ça les vaut largement. L’album grouille de puces, et ce dès le morceau titre, un shoot d’heavy power pop sur-déterminée. On se voit une fois encore contraint de parler de magie. Il s’agit là de sunshine pop révélatoire. Et ça continue avec «The Blue Bells», tu tombes dans le fleuve pour de vrai, tout est beau, les violons, le chant. David Scott, pur genius. Le Pearlfisher enfile les hits comme des perles, «Send Me A Letter» (heavy groove d’excelsior), «The Umbrellas Of Shibuya» (big Glasgow sound), «Womack & Womack» (il plonge dans la diskö de Womack & Womack, mais avec sa bravado de Glasgow, il met tout à sa main, comme le fait Martin Carr à Liverpool), «London’s In Love» (heavy balladif de sensation forte, il évoque les busy streets of London, c’est du si haut niveau ! Il éclate ça au chat perché, final explosif). Avec «Eco Schools», il va chercher la difficulté harmonique pour se l’approprier. David Scott est un effarant songsmith, il navigue au niveau des grands compositeurs américains de type Brian Wilson ou Jimmy Webb, mais avec le petit truc de Glasgow en plus. Il chante son «Blue Riders On The Rage» à la pointe de la glotte, au pur feeling. Cet mec est une authentique superstar. Il ne vit que pour l’échappée belle. Son «Ring The Bells For A Day» est heavy as hell, il monte ça aux harmonies vocales, tout est harponné là-haut. 

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             On retrouve de sacrés clins d’yeux à Paddy Padirac sur Open Up Your Coloring Book : «You Can’t Escape The Way You Feel» et «A Christmas Tree In A Hurricane». T’es baisé car te voilà obligé de te prosterner. Le Scott Scott règne sur la pop avec bienveillance. Rien de plus Padirac que le Christmas Tree, il chante ça avec le même grain de voix. Le hit de l’album s’appelle «Gone In The Winter». Il tombe le rideau. David Scott a une réelle autorité. Il est le roi de la grosse attraction. Il sait faire monter la sauce. Il sait aussi teinter sa pop de Soul comme le montre «Diamonds». Réflexe magique. Il fait sa fable de La Fontaine avec «A Peacock And A King». Il joue ça au piano et se montre une nouvelle fois délicieusement fondu de Paddy Padirac. Il travaille tout au corps sur cet album, tout est beau, sculpté dans le cristal. Scottish Scott est le Rodin du Paddy rock. Il semble naviguer dans l’inconscient collectif. Tous les cuts font six minutes. Il a besoin de temps pour se développer. Il poursuit la pop de ses attentions. Mais il ne se montre jamais pressant. Il est ardent, mais ne le montre pas. C’est un charmeur. Il sait qu’elle viendra à lui au bout de six minutes.

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             Son dernier album en date s’appelle Love & Other Hopeless Things. Il fait encore son Paddy au soleil d’Écosse avec «Could Be A Street Could Be A Street». Même power. Même imparabilité des choses. Même volonté d’épanouissement. All my life. Power pur ! Il passe en mode fast pop vampirique avec «You’ll Miss Her When She’ Gone», il survole le monde avec ses ailes de vampire génial à la Joann Sfar, il gratte ses poux avec passion. La passion, c’est ce qu’il faut retenir de ce mec. Magnifique encore, ce «You Can Take Me There» ponctué par des gonzesses intrusives. Il refait son Paddy avec «Once I Lived In London» et passe au heavy Pearl avec «One For The Bairns». Il se montre encore inlassable avec «I Couldn’t Stop The Tide». Du coup, tu t’en lasses plus.

    Signé : Cazengler, Pearl Harbour

    The Pearlfishers. The Strange Underworld Of The Tall Poppies. Marina Records 1997

    The Pearlfishers. The Young Picnickers. Marina Records 1999

    The Pearlfishers. Across The Milky Way. Marina Records 2001

    The Pearlfishers. Sky Meadows. Marina Records 2003

    The Pearlfishers. A Sunflower At Christmas. Marina Records 2004 

    The Pearlfishers. Up With The Larks. Marina Records 2007

    The Pearlfishers. Open Up Your Coloring Book. Marina Records 2014

    The Pearlfishers. Love & Other Hopeless Things. Marina Records 2019

     

    *

    Demain le printemps, tiens des oiseaux se sont installés dans la boîte à lettres. Approchons-nous doucement pour ne pas les effrayer. Brr ! ça croasse méchamment là-dedans, sûrement pas des mésanges, encore moins des anges !  Je n’ose pas ouvrir. Un rocker n’a jamais peur. Vivement je tire la porte ! Aucune bête à plumes, juste une épaisse enveloppe d’un blanc virginal !  Bien compris comme disait Vince Taylor, c’est le nouveau :

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 29

    AVRIL  – MAI – JUIN ( 2024 )

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            Une fois n’est pas coutume, l’on saute pratiquement à la fin de la revue, la situation est grave, je vous rassure, pas pour nous (quoique si l’on y pense un peu…), pour un groupe que nous aimons bien. Nous les avons vus sur le blogue à plusieurs reprises en concert et ils étaient sur la couve du numéro 2 de Rockabilly Generation News, les WiseGuys, nos garçons avisés ont donné un nom anglais à leur formation, jusqu’ici rien d’original pour un groupe de rockabilly, oui mais ils sont ukrainiens… Nous avions reçu quelques nouvelles au tout début du conflit, mais depuis plus rien. C’est donc un plaisir de les savoir encore vivants. L’on espère pour longtemps, Saturnus le batteur : En marchant dans la rue il a été ‘’invité’’ par les recruteurs à rejoindre l’armée. Nous lui souhaitons bonne chance…

             Chris nous parle de l’ambiance, beaucoup d’alertes journalières, des bombes pleuvent un peu partout, la mort peut survenir à chaque instant, le moral n’est pas très bon, il lui semble que l’Ukraine est bien seule… elle reçoit de l’aide mais ce dont elle a le plus besoin, ce sont des armes… Le groupe réussit à donner quelques concerts, les bénéfices sont en très grande partie pour l’armée et des associations d’aide à la population… Chris n’est pas optimiste… On le sent désemparé, avec ce sentiment désagréable de ne pouvoir peser en aucune manière sur la suite des évènements…

             Je pense que la majorité de nos lecteurs sont au courant de la situation, mais l’entendre raconter avec ses mots à lui, par quelqu’un qui partage notre passion rock, avec qui l’on a vécu de festives soirées, les mots pèsent plus lourd. Oui la guerre est faite pour tuer les gens.

             Un beau portrait de Lavern Baker en page 2, la beauté des femmes nous fait oublier la laideur des hommes. Jean-Louis Rancurel nous offre des photos d’une époque beaucoup plus insouciante, celle de la naissance du rock français, focus sur Danny Boy et ses Pénitents, l’est vrai que des pionniers français du rock Danny reste l’un des plus oubliés. Moi-même j’avoue avoir fait l’impasse sur lui et sur ses premières apparitions discographiques sous le nom de Claude Piron, en tout cas l’article de Jean-LouisRancurel est savoureux à lire autant pour le photographe que pour le chanteur, un monde où tout semblait possible, même si le miroir du rêve s’est cassé assez vite… Les noirs et blancs de Rancurel sont magnifiques et surprenants d’authenticité…

             Sautons page 22 retrouver Lavern Baker, J. Bollinger réussit en deux pages, malgré la place prise par les documents d’époque à nous apprendre un tas de détails ignorés. Il est vrai que dès que surgit le nom de Lavern Baker dans notre tête résonne sa voix et l’on ne pense plus à rien… Elle est une des racines du rock certes mais aussi une de ses plus belles frondaisons.

             Whaow !!! de tous les posters publiés par Rockabilly c’est le plus fort, un coup de poing dans les yeux arrachés, le prince du rock’n’roll est-il marqué sur la couverture, un prince comme on les aime, wild and rock, quand j’aurais ajouté un émule de Jerry Lou, il a été adoubé par le Maître in person, l’interview de Lewis Jordan Brown est passionnante, une personnalité de rocker jusqu’au bout des doigts (de pieds aussi), mais qui se défend d’être puriste. Un être libre. Les photos de Sergio sont sublimes, sur  la toute dernière, l’on dirait un portrait d’Arsène Lupin, un parfait gentleman, pas cambrioleur, mais cabrioleur si l’on en juge de ses acrobaties sur son piano.

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    Info ultra-secrète : vous retrouvez le jeune prince en live à Quimper accompagné par les Starlights. Pas de répétition, et en avant non pas la musique, mais la folie. Y avait du monde à Quimper, en ce début de janvier pour fêter 2024, sur scène les Big Shots et les Evil Teds, en dehors des planches Marc et Rozenn les organisateurs, l’article est précis et chacun des protagonistes de cette soirée est assez longuement présenté, textes et photos.

    L’on arrive à la fin, pardon au début, au tout début d’une longue aventure, les grandes personnes ont souvent de mauvaises influences sur les enfants, prenons au hasard le grand-père de Tiloé qui l’a biberonné au rock’n’roll, les chats engendrent des cats c’est bien connu, du haut de ses neuf ans et demi il lit Rockabilly Generation, il apprend la guitare, il est imbattable sur Elvis. Un futur prince du rock’n’roll.

             Plein d’autres choses, les reports sur le dix-huitième Rockin’Gone, l’Atomic Rockin’ de décembre 2023, le Good Rockin’Tonight du 24 février dernier par exemple, vous aimeriez tout savoir sans payer, vous avez raison, mais c’est encore mieux de s’abonner !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,30 de frais de port soit 10,30 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 38 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( Rajouter 1,10 € ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

    *

    Je les croisais souvent à Toulouse. A la fin des années 70. Faciles à reconnaître. Portaient toujours leurs instruments à la main ou sous le bras, avec une obstination que je qualifierai d’Egyptienne.  En tout cas ils ont édifié une des premières pyramides sonores du rockabilly français.

    En 1978, Jezebel Rock sort en 1978 un 45 tours sur le petit label toulousain de Gérard Vincent : Baccara International. Deux titres : Can you feel it et Peggy Sue. Plus tard en 1979 un nouveau 45 sur Oxygène un curieux label, un peu passé dans les oubliettes, qui s’était fait la spécialité d’enregistrer des groupes et chanteurs français de tous genres, ils publient un deuxième deux titres : Teenage queen et That’s all right. Le nom du groupe évoque Gene Vincent, c’est pourtant deux des titres les plus célèbres de Buddy Holly que l’on trouve sur ces deux disques.

    En 1979 rencontre avec Jacky Chalard en train de monter le légendaire label, made in France, Big Beat RecordJacky Chalard ex-bassiste de Dynastie Crisis groupe qui accompagna Dick Rivers sur Dick’n’Roll et Rock Machine enregistrés au studio Condorcet à Toulouse. Ces deux albums parus en 1971 et 1972 constitués en leurs majeures parties de classiques issus de répertoires des pionniers marquent le début de l’intérêt porté au rock’n’roll des origines, qui se concrétisera au début de la décennie suivante par la rockabillyenne explosion des Stray Cats…

    Mais nous n’en sommes pas encore là, Jezebel Rock est des un des tout premiers groupes issus de nos lointaines provinces françaises qui s’acharne à redécouvrir le legs américain originel, à l’époque au mieux ignoré, au pire décrié, dans le seul but de le remettre au goût du jour tout en y imprimant leur propre marque.

    Il n’était pas simple de trouver des disques old rock dans le Sud-Ouest de la France en ces époques de disette rock, heureusement qu’à Toulouse la boutique de Jacky Allen vous permettait d’acquérir pour 3 ou 6 francs bien des merveilles…

    ROUTES OF ROCK

    JEZEBEL ROCK

    (Big Beat Records / 0001

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    La photo (les deux premiers 45 n’en portent pas) et les notes de présentation sont d’Alain Mallaret, un infatigable activiste rock, auquel nous devons beaucoup, qui durant des années tint le blogue Roll Call, nous en avons parlé et encouragé nos lecteurs à écrire auprès de l’hébergeur lorsqu’il fut désactivé, il fut aussi le directeur de la revue, Big Beat Magazine, à l’origine sur papier puis numérique.  

    Jean-Jacques Moncet : guitare, chant / Denis Rebeillard : basse / Gérard Moncet : batterie.

    Hot doc boogie : dès l’intro l’on sait que le toubib nous a refilé le bon sirop, une guitare caramel à pointe d’asperge à l’arsenic, une basse qui joue à saute kangourou, et une batteuse qui décalque les tickets de métro à la perfection, que demander de plus, surtout qu’il y a cette voix qui a l’air d’échapper à l’attraction terrestre à chaque fin de ligne, deux minutes de perfection, c’est peu mais en notre monde de brutes l’on ne peut espérer davantage. La finesse de Buddy Holly mais sur un groove de bop. Le rockab parfait, rien de trop, rien de moins. Moonstruck : z’avez pas le temps de respirer que le vocal vous cueille comme une marguerite sur le bord du chemin, vous avez le moteur qui gronde en-dessous pas trop fort, juste assez pour vous inquiéter et la guitare qui s’amuse à imiter un jeu de bielles qui se déglingue, prennent leur temps, un soupçon de rhythm ‘n’ blues et c’est parti pour un balade sous la lune glauque, vous n’avez pas l’impression mademoiselle que peu à peu le chauffeur parle à l'astre sélénique comme un loup. Brand new lover : la légèreté entraînante du rockabilly, tout dans la voix, pour un peu vous vous laisseriez faire, attention, c’est aussi piégeux qu’un bayou, vos croyez avoir posé le pied sur une branche d’arbre, c’est un museau d’alligator, qui se pourlèche les babines. Caroline : le Jean-Jacques vous imite le timbre de Buddy à la perfection, ce côté innocent et candide qui vous pousserait à lui donner le bon dieu sans confession, le slow insidieux qui perdra le petit chaperon rouge. Crazy beat : rien à voir avec le Crazy beat de Gene Vincent, deux titres sur lesquels ils viennent de jouer les jolis cœurs, alors ce coup-ci ils sortent la grosse artillerie, ce Diddley Beat qui affleure dans les titres les plus rentre-dedans d’Holly, cette noirceur africaine de forêts primaires dont les fourmis vous rongeront les chairs jusqu’aux os. Le pire c’est que l’on adore.

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    Teenage queen : la voix de Jean-Jacques Moncet claudique gentiment, nous font le coup du charme, son frère Gérard donne le rythme mais essaie de ne pas faire trop de bruit. La basse de Denis caresse gentiment le bouton du plaisir des jeunes adolescentes en fleur. Boppin’ cat boogie : (slow version) : le rockab est pliable corvéable à merci, vous pouvez tout faire avec lui. Vous le voulez tout doux, voici une petite merveille, pour les enfants, un véritable dessin animé, une voix typiquement américaine, une basse qui joue au petit train, c’est mignon tout plein. Boppin’ cat boogie : (fast version) : attention, version pour les plus grands, une guitare qui pétille comme un feu de joie, une ambiance cow-boy en mode détente. Oui l’on danse, mais le colt toujours à la ceinture. Ne tirent pas, ils aiment toutefois le dégainer pour se faire respecter. Truckin’ babe : sucré comme une fraise tagada, un peu trop, un peu trop long aussi. S’amusent bien mais l’on s’ennuie un peu. Elle y met vraiment de la mauvaise volonté à ne pas revenir à la maison.  Mercy go round : un instrumental, davantage en place que bien des premiers groupes français des sixties, mais il manque l’audace de proposer quelque chose de neuf. Osons le mot : de moderne.

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             Avec ce premier 25 centimètres de compositions Jezebel Rock recherchait avant tout l’authenticité. Pour un jeune public aux oreilles façonnées par Deep Purple, Zeppelin et consorts, c’était un son nouveau venu de nulle part. Soit on (beaucoup) s’en moquait, soit on (beaucoup moins) adorait. Jezebel aurait attiré davantage s’ils avaient été fans d’Eddie Cochran et de sa guitare accrocheuse, mais non eux c’était Buddy Holly, sa finesse, sa légèreté, sa fluidité…

             Pour ceux qui connaissaient les originaux, ce fut un signe, on louait leur courage de se tenir au plus près d’une production des premiers rockers qui n’ont pas toujours été rock à fond de train dans leur discographie… on pressentait qu’ils rouvraient une route abandonnée depuis longtemps, et l’on attendait la suite… Qui finit par arriver. Un disque de pionnier en quelque sorte.  

    Damie Chad.

    Si Jacky Chalard vous raconte l’épopée de Big Beat Record ainsi que celle de sa vie dans un numéro de Rockabilly Generation News. Lequel. Vous n’avez qu’à tous les relire !

     

    *

    Avouez que lorsque vous êtes fan de Vince Taylor et que vous tombez sur l’inscription suivante comme titre d’une vidéo : ‘’Vince Taylor buvait beaucoup parce qu’il avait du temps à perdre’’, vous perdez votre respiration, vous suffoquez, vous frisez la crise cardiaque, une envie de meurtre vous saisit, bref vous cherchez à en savoir plus.

    JOHN LANNY

                    Au début vous ne le voyez même pas, vos yeux sont fixés sur l’écran TV géant, l’on y cause de Vince Taylor à Mâcon, une des parties les plus vertigineuses de sa vie,  lisez Vince Taylor- Le Perdant magnifique de Thierry Liesenfield, l’on explique que Vince Taylor buvait pour se sevrer de la drogue, mais le gars qui passe sans arrêt devant l’écran devient gênant, l’attire manifestement l’attention sur lui, je le reluque : n’arrête pas de se verser des verres ( à la relecture je m’aperçois que j’avais écrit des rêves) de vin rouge, manifeste ainsi sa solidarité avec l’ange noir, bientôt il éteint la télé et commence à parler. N’arrête pas durant vingt minutes. Non ce n’est pas un pochtron qui radote, l’est soul mais l’a toute son âme. L’avoue sans drame ni larme sa dépendance à l’alcool. Parfois les anges ont besoin d’une béquille pour voler. Pas une infirmité, il suffit de savoir lire les signes pour comprendre les manquements des êtres humains à leur imperfection.  Cause des gens qu’il aime, sur certains comme Yves Mourousi ou Laure Adler, je ne dirai rien, ils ne font pas partie de mon monde. Mais il cite aussi Elvis, Chucky Chucka (ainsi le nomme notre Cart Zengler), Jerry Lou, et le petit Richard, son quatuor gagnant. Plein d’autres aussi.

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             L’est émouvant, un fracassé du rock’n’roll, nous sommes tous des fracassés du rock’n’roll, chez certains ça se voit davantage, peut-être parce qu’ils se sont davantage brûlés que les autres… John Lanny est un être authentique puisqu’il ressemble à lui-même, à nous aussi.

             Sur son site YT vous trouverez des tas de vidéos. L’est aussi connu sous un autre pseudo, Sammy Ace. Chanteur. Fête ses cinquante ans en donnant un concert au Rio’s Banana Club à Golfe-Juan. ‘’Dans ma vie j’ai réussi à survivre sans argent mais je n’ai jamais réussi à survivre sans reconnaissance’’ déclare-t-il, alors allez faire un tour sur sa chaîne. Vous y rencontrez un être humain. C’est rare par ces temps qui courent. A leur perte.

    Damie Chad.

     

    *

    Sans être un masochiste invétéré vu le plaisir que j’ai pris à écouter l’album Nature Morte la semaine dernière, je m’impose de mon chef derechef une douce pénitence onirique en écoutant leur précédent album.

    VESTIGE

    PENITENCE ONIRIQUE

    (Les Acteurs de l’Ombre / Juillet 2019)

    Une phrase de Philippe Muray est pour ainsi dire mise en exergue de cet album : ‘’ Le monde est ce qui doit être subi de toute façon sans possibilité de le critiquer et encore moins de le combattre.’’ Cette citation ne permet pas de comprendre directement les textes de Vestige, en les lisant abruptement ils m’ont évoqué Les minutes de sable mémorial d’Alfred Jarry, par contre de mieux intuiter le sens du nom du groupe. Je rangerais Philippe Muray dans les nouveaux réactionnaires. Ces écrivains qui considèrent, notons qu’ils n’ont pas tort, la Modernité comme une catastrophe. Très logiquement l’on peut en conclure que vivre en nos âges délétères équivaut à une terrible pénitence. Selon Muray la modernité est une prison dont on ne peut physiquement s’échapper, la seule évasion reste donc le rêve.

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    La critique de Muray envers notre époque n’est pas sans fondement. Il fustige ce que j’appellerai le carcan métaphysique de la Morale érigée en dogme absolu qui condamne tout déviationisme normatif, à tel point que tout est permis à la condition expresse de ne pas sortir de cette notion de permissivité, l’individu se retrouve ainsi dans une solitude incapacitante prisonnier de sa propre individualité, puisqu’il lui est interdit de penser la globalité du monde. Un seul hiatus à cette vision de la modernité : Muray pense que son déploiement repose sur l’hégémonie d’une idéologie gauchisante. Il ne le dit pas expressément mais il le sous-entend si fort qu’il en oublie que toute critique d’une idéologie (quelle qu’elle soit) appartient elle-même à un discours idéologique. Toute critique idéologique est par essence idéologique. Souvent d’ailleurs, sous prétexte qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, nos idéologues naviguent selon le courant, très à gauche quand l’air du temps porte à gauche, très à droite quand l’air du temps s’incline à droite. Pensons au Foucault de Surveiller et punir et au Foucault du début des années quatre-vingt qui penche de plus en plus vers l’idéologie libérale. La mort l’empêchera de faire le grand saut. Le plus grand défaut des écrivains est de se prendre pour des penseurs.  Ce paragraphe critique relève évidemment de l’idéologie.

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    La couve est d’Aurore Lepheliponnat. (Voir notre chronique de Nature Morte dans notre livraison 637 du 21 / 03 / 2024). Un visage d’homme, assez âgé. Aucun détail ne peut nous aider à trouver son identité. Le portrait est posé sur un fond noir de toute opacité. Ce n’est pas quelqu’un de célèbre, mais sa mise en évidence péremptoire indique que ce n’est pas n’importe qui. Une seule solution s’impose, si cette tête ne nous dit rien, ce sont les morceaux de l’album qui vont nous révéler son identité, au sens large du terme. Un portrait intérieur en quelque sorte. Le titre de l’album nous aide à comprendre : Vestige, l’homme n’est pas un croulant, encore moins un écroulé de la vie, son visage porte les traces de ceux qui ont beaucoup vécu. Mais de tout ce qu’il a traversé, il ne reste rien, il ne reste que lui, les vestiges sont enfouis en lui, il peut les ressusciter en lui, dans sa pensée.

    Dimiourgos : basse / Noktürnos : guitare / Cathbad : drums / Bellovesos : guitar, sampler / Ebrietas : vocal / Vorace : guitare.

    Le corps gelé de Lise : comme des traits de neige qui tombent, je m’inspire de la vidéo, la musique vient jusqu’à former une épaisse couche tympanique qui glisse vers vous, et la voix qui sludge en allongé avec par derrière comme des bises froides et sifflantes, des chœurs s’en viennent et s’en vont preuve que l’on est en un endroit sanctifié où resonnent les échos du passé et du présent, il est beaucoup de reines qui portent le prénom de Lise (Elise, Elisabeth, Isabelle) en voici une statufiée, ciselée en une belle strophe ornée d’or, dans un lieu sacré et royal, le temps a passé, elle n’est plus qu’un objet touristique de curiosité, une foule renégate dont la seule présence est un blasphème à ce qui a été, ils l’entourent de leur haine et de leur rejet, mais un rayon de soleil illumine sa couronne et la désigne souveraine à ceux qui l’exècrent et ne voient en elle qu’un épisode historial honni, il faudra un jour futur les chasser. Ampleurs sonores comme rappel des lourdes tapisseries des châteaux en feu, ravagés par les forces révolutionnaires, qui se tordent sous le souffle dégagé par la violence de l’incendie, une clameur vengeresse qui pousse le passé devant la porte du présent. Haine contre haine. Tumulte oratorien. Pour le Roi ! l’on baise la lame, avant le duel final espéré. La Cité des larmes : grondements, il faut battre le fer tant qu’il est froid, la cité est en ruines mais qu’importe les murailles démantelées, là n’est pas le drame, il est une autre cité répliquée à l’infini dont la situation est beaucoup plus dramatique, ce sont les âmes égarées en elles-mêmes de nos contemporains, leurs esprits défaillants, une foule d’esclaves qui ne pensent qu’à se plaindre de leur situation désastreuse, alors qu’ils devraient s’atteler à relever les murailles  écroulées de leur citadelle intérieure,  que dire de plus, le vocal est pour ainsi dire intermittent, il faut déjà se débattre soi-même contre les sables stériles qui nous assiègent, la musique souffle en rafales infinies comme le vent porteur des miasmes de l’engloutissement, il ne tient qu’à nous, à chacun, à moi, de préserver le lointain souvenir de ce qui n’est plus, de ce qui a été, juste survivre au milieu de la délétère autoflagellation universelle, se battre jusqu’au bout, être soi-même le fer que rien ne pourra briser, qui résistera à la lèpre de la rouille. Les sirènes misérables : douces sonorités, des sirènes d’Ulysse émanait-il d’aussi suaves et captivantes mélodies, la mer  moutonne à l’infini, les sirènes d’aujourd’hui ne chantent pas au-dehors des hommes, leur île se trouve dans les têtes humaines, écoutez le chant qui s’allonge démesurément comme s’il racontait un étrange conte inouï et incroyable, transplantation cérébrale, nous voici au cœur de la manipulation mentale, les esclaves écoutent leurs propres voix intérieure qui se moquent d’eux, le chant se transforme en dénonciation guerrière, les esclaves ont élu des maîtres, sans quoi ils seraient des êtres libres,  leurs potentats se servent d’eux, ils croient se battre pour leur liberté, mais ils luttent contre leurs propres intérêts. Douce musique aux oreilles de leurs maîtres Hespéros : instrumental, lumière du soir, batterie lente et guitare processionnaire, toute chose s’enfuit vers son déclin, c’est ainsi que s’achèvent les rêves et le destin, nous sommes à la mitan de l’opus, nous dirigeons-nous au plus noir de la nuit... Extase exquise : non ce n’est pas la petite traîtrise pour laquelle il faut être deux pour l’accomplir, c’est la grande, car l’on n’est jamais trahi que par soi-même, la musique tisse des voiles funèbres, mais le vocal essaie d’arracher ce suaire dans lequel quiconque aimerait se rouler, abdiquer à tout jamais, se laisser emporter par la communion des esprits serviles, ne serait-ce pas la solution de fermer les yeux et de mourir à soi-même comme l’autruche qui se cache les yeux pour ne pas voir sa lâcheté, maintenant il hurle, il refuse de s’adonner à la sérénité du renoncement, il se dresse en lui-même, les dieux ne vivent que si on les pense, désormais l’énergie parcourt son corps, il triomphe de lui-même, des miasmes putrides, de ses peurs, et de ses découragements. Au bout de la nuit se profile l’aube. Souveraineté suprême : le background musical infuse l’énergie, tu as vaincu la peur, tu revois tous les obstacles mentaux qui t’ont assailli et maintenant tu rugis comme le lion face à la réalité du monde moderne, jamais tu n'as été aussi conscient de la situation mondiale, la batterie assène coup sur coup, la guitare n’a jamais été aussi cinglante, tu te lèves en toi-même, tu es ta propre volonté, ton propre dieu,  c’est ainsi que tu retrouves l’accès interdit au divin, tu éclates de joie et de certitude, tu as toujours condamné les esclaves, cela ne suffit pas, il faut d’abord ne plus revêtir cette carapace servile pour être un être libre. Libéré des autres et de soi-même. Tuer l’hydre de la modernité. Treizième travail herculéen. Vestige : un aigle funèbre fond sur toi, après l’exaltation la réalité refait surface, retrouvailles avec la même colère, la même exécration, une bataille remportée en soi n’est pas une victoire sur le monde qui s’obstine à persévérer dans son horreur tentaculaire, la catastrophe subsiste et refuse de disparaître, vestige est un vertige, pas de happy end, l’on ne dépasse pas le réel, toute ta hargne, toute ta rage ne sont pas parvenues à faire reculer le monstre, la batterie frappe d’estoc et de taille, toute pensée est réduite en poudre, l’homme est perdu, le souvenir du jardin d’éden aussi, il ne reste que la mort.

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              Il est temps de revenir à la pochette. L’Homme se souvient-il de ce qu’il fut vraiment. Les vestiges de ce qui a été affleure-t-il encore des sables de sa mémoire. Encore faut-il qu’il ait une mémoire ! Le vestige c’est lui, le sait-il seulement. Les pierres éparses de remparts écroulés gardent-elles le souvenir, ne serait-ce que le nom, du peuple qui les a édifiées et défendues… n’avons-nous pas oublié qu’autrefois nous portions l’immémorial nom d’Homme…  

             Opus noir. Celui d’une défaite annoncée. Qui a déjà eu lieu. Pénitence Onirique ne se paye pas de maux. Il dit vestige pour nous aider à comprendre qu’il n’y a plus rien à voir. Après le crépuscule wagnérien des Dieux Pénitence Onirique déclare le crépuscule des Hommes achevé. Un truc qui ne nous fait pas rêver.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

     

    50

    Le Chef allume un Coronado pendant que Jim Ferguson s’assied. Il n’y paraît pas mais il a jeté un regard circonspect sur la chaise que je lui ai apportée. Le gars n’est pas un perdreau de l’année, plutôt genre crotale qui fait semblant de sommeiller tapi dans l’herbe. Au deuxième regard je rectifie, un cobra royal sûr de sa force. A ne pas déranger pour des futilités. J’ai une intuition, le Chef me la confirmera en fin de soirée, non il n’est pas le directeur de la CIA pour la France, un gros calibre, il doit chapeauter tous les réseaux européens, qu’il se soit dérangé avec le micmac ukrainien actuel qu’il a sur les bras, ce doit être grave. J’apporte trois verres et une bouteille de Moonshine, il ne sourit pas quand il lit l’étiquette CUVEE JERRY LOU, CELLE QUI REND FOU ! S’en verse tout de même une grande lampée qu’il avale d’un coup, à croire qu’on lui tend un verre d’eau en plein Sahara. Il pose un mince porte-document noir sur le bureau dont il tire la fermeture éclair avec une précision. Attention me dis-je ce gars est un sniper, chaque fois qu’il s’intéresse à une cible il traite le sujet avec une efficacité maximale.

    Sans attendre il prend la parole.

             _ Chef, je vous remercie d’avoir pris contact avec nous. La mort du Professor Longhair ne nous étonne pas. Lors de mon entretien avec elle hier soir avant qu’elle ne retourne chez elle nous avions conclu que nous marchions sur un volcan… Nous ne nous trompions pas. Nous avions en lisant les rapports de notre Reconstutive Service rencontré une, comment dire, une… incongruité évènementielle dans les évènements auxquels nos deux services ont été mêlés, avec votre permission j’aimeras d’abord avoir un entretien avec l’agent Chad. Vous pouvez assister à cette conversation, toutefois je vous demanderais de ne pas y intervenir. C’est notre façon de procéder, une remarque adjacente et pertinente peut ouvrir de vastes perspectives mais un infime détail significatif qu’allait ajouter le témoin questionné sera passé sous silence puisque son esprit se tournera dans les réponses possibles à apporter à cette nouvelle injonction.

    Jim Ferguson déplie une feuille A3, je reconnais le tracé rectiligne de la rue Phillipe Daumier, deux croix rouges marquent l’endroit exact où les briseurs de murailles ont tenté de m’attirer à eux. Jim Ferguson me scrute longuement, il pose son index sur la première croix :

             _ Que s’est-il passé exactement ici ?

             _ Je marchais tranquillou, deux bras sont sortis de la muraille, mes deux chiens m’ont retenu !

             _ Ouah ! Ouah !

    Jim Ferguson ne tient aucun compte de la confirmation apportée par Molossa et Molossito.

              _ Disons que dans cette affaire c’est de l’ordre du plausible. Mais à cette deuxième croix ?

             _ Le briseur de murailles doit être vexé, il me fait un croc-en-jambe, les accompagnatrices au lieu de tenir les gamins m’assaillent à coups de parapluie, quelques gamins qui ont quitté les rangs se font écraser sur la chaussée et…

             _ Agent Chad nous ne sommes pas ici pour déblatérer sur les dégâts collatéraux… Pour ce deuxième cas nous dirons que nous sommes dans l’ordre du plausible.

    Jim Ferguson tire une deuxième feuille de son porte document, elle représente la rue Hector Marbreau elle est aussi marquée de deux croix rouges, il m’en désigne une :

             _ Là, je passe devant la vitrine d’une auto-école, cette fois ils sont deux à m’attirer, deux fortes et gaillardes commères m’arrachent à leurs étreintes.

             _ Vous les avez donc vus, une vitrine c’est transparent !

             _ Heu, je dirais oui, j’essayais de leur échapper, je suis incapable de les décrire, en toute logique je réponds oui !

             _ Hum, hum ! Passons à notre quatrième cas.

             _ Je passe devant une grille de fer forgée, je suis happée, ils me tiennent, je m’évanouis, heureusement que vos agents sont intervenus.

             _ Exactement, des agents chevronnés, issus de nos unités d’intervention les plus spécialisées. Leurs témoignages sont formels, il n’y avait personne de l’autre côté de la grille. D’après eux vous étiez comme pris d’une crise de folie, vous vous débattiez avec cette porte comme un forcené. Ils ont eu un mal fou à vous en décrocher. Dans ce dernier cas, cher Agent Chad, nous ne sommes plus dans l’ordre du plausible. Vous êtes simplement victime d’hallucination !

    Pour employer une expression populaire, je reste comme deux ronds de frites, ce satané amerloc m’a carrément traité de fou, je m’apprête à lui répondre vertement. Je n’en ai pas le temps, le Chef intervient :

             _ Cher ami, je m’étonne, je n’ignore rien du vaste travail qui vous incombe, c’est pourquoi je suis surpris que vous preniez le temps de vous interroger sur le cas d’un agent, nous le qualifierons de légèrement surmené, qui n’appartient même pas à un de vos services.

             _ Le SSR nous rend tous les jours de grands services à défendre la musique populaire de notre pays, cela mérite bien un petit renvoi d’ascenseur… toutefois je rajouterai avant de nous quitter, que l’affaire des briseurs de murailles nous intrigue vivement, évidemment l’aspect briseurs de murailles nous paraît, comment dire, des plus aléatoires. Mais je ne voudrais pas non plus abuser de votre temps. Messieurs au revoir et merci pour ce succulent Moonshine. Agent Chad, nous n’avons qu’une vie, prenez soin de votre santé.

    Deux shake-hands à vous briser l’épaule et Jim Ferguson s’éclipse en une mini-seconde.

    52

    Le Chef allume un Coronado :

             _ Voilà qui est clair comme de l'eau dr  roche, que dis-je comme de l’eau de rock !

             _ Chef vous vous rangez à son avis, tant que vous y êtes envoyez-moi à Charenton !

             _ Quelle idée bizarre, je vais finir un de ces jours par vous croire totalement madurle, filez-moi plutôt me faucher une voiture. Une grosse berline noire, vous viendrez me prendre ce soir au bas du local à 23 heures. Entre temps allez faire courir vos chiens au bois de Boulogne, qu’ils soient en forme pour cette nuit.

    53

    Sur la banquette arrière Molossa et Molossito font semblant de dormir. J’ai arrêté la voiture rue Marbreau, pas très loin de la grille où les briseurs de murailles ont tenté de me capturer. Je ne la quitte pas des yeux. A mes côtés le Chef fume paisiblement un Coronado.

             _ Chef, le bout incandescent de votre cigare trahit notre présence !

             _ J’espère bien, Agent Chad cessez d’admirer cette porte, vous êtes comme le fou qui regarde le doigt de celui qui lui montre la lune. 

    Je soupire, vexé je lève les yeux et fixe la maison qui se dresse derrière la grille. Dans la pénombre je la distingue mal, en tout cas, une superbe bâtisse, elle doit valoir quelques centaines de milliers d’Euros.

             _ Chef !

             _ Taisez-vous, contentez-vous de regarder.

    J’ouvre grand mes yeux, je ne vois rien. Les minutes s’égrènent lentement. Sur le siège arrière Molossa grogne en sourdine. Molossito ne tarde pas à l’imiter. What-is it ? Comment dire une parcelle de lumière un millionième de seconde sur la gauche de la façade. Non, un rayon de lune, ou l’éclairage public ! Et là maintenant le même phénomène sur la droite mais plus haut et encore le même phénomène sur le milieu, vers la porte d’entrée.

             _ Chef baissez-vous, dans le rétro une camionnette tous feux éteints !

             _ Oui, ils vont sortir, agent Chad ce n’est pas la peine de vous tapir sous le siège !

    La camionnette nous dépasse et s’arrête sur le trottoir juste à quelques mètres de la porte grillagée ! Je l’entends grincer. Je n’en crois pas mes yeux. Huit silhouettes se profilent, survêtement noir, cagoule noire, baskets noires, sans un bruit ils montent dans le véhicule qui s’éloigne. Je la suis des yeux jusqu’au bout de la rue. Elle ne tourne ni à gauche, ni à droite, elle opère un demi-tour et revient sur nous, feux toujours éteints, à petit vitesse.

             _ Agent Chad, plein-phare !

    J’obéis. Je perds pied. J’ai vraiment des hallucinations, la Camionnette est elle aussi passée en plein-phare, dans la seconde où j’ai braqué mes projecteurs sur elle, j’ai reconnu le chauffeur ! Jim Ferguson !

             _ Ah ces Ricains ils sont forts ! Ils ont les moyens, en plus ils sont sympathiques, ils nous ont fait signe, la voie est libre ! Agent Chad c’est à notre tour d’intervenir, ils ont nettoyé le chemin, mais l’on reste sur nos gardes, Molossa et Molossito devant, nous deux : Rafalos à la main !

    A suivre…

            

  • CHRONIQUES DE POURPRE 637: KR'TNT 637 : CARL DAVIS / LEWIS TAYLOR / CHRIS YOULDEN / UNSCHOOLING / BRONCO BULLFROG / PENITENCE ONIRIQUE / AVATAR / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 637

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    21 / 03 / 2024

     

    CARL DAVIS / LEWIS TAYLOR   

    CHRIS YOULDEN / UNSCHOOLING

    BRONCO BULLFROG /   PENITENCE ONIRIQUE

    AVATAR / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 637

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Wizards & True Stars

    - Pas de vice chez Carl Davis

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             Si la scène de Chicago brille au firmament des fans de Soul, c’est bien grâce à Carl Davis. Comme l’indique le titre de son autobio, The Man Behind The Music, Carl Davis est l’homme qui se tient derrière la musique, et pas n’importe quelle musique, puisqu’on parle ici de superstars du calibre de Walter Jackson, Otis Leavill, Major Lance, Barbara Acklin, Eugene Record, et d’autres cracks du boom-uhu.

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             La Soul de Chicago, c’est encore autre chose que celle de Detroit (Motown & Hot Wax), celle de Memphis (Stax & Hi), ou encore celle de Muscle Shoals. C’est une Soul extraordinairement sophistiquée, dont les grands maîtres sont avec Carl Davis des gens comme Charles Stepney et Curtis Mayfield. Ce sont eux qui ont forgé le fameux Chicago-sound, de la même façon qu’Holland/Dozier/Holland et Norman Whitfield ont forgé le Motown Sound, et Isaac le prophète le Memphis Sound.

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             La première chose qui frappe en découvrant le bobine de Carl Davis, c’est sa tête de beau boxeur. De toute évidence, Carl Davis est une force de la nature, et le fait qu’il soit un producteur de génie n’arrange rien. Nous voilà aux pieds d’un géant. D’ailleurs, il fréquente des géants : Cassius Clay - I produced a record for him before he changed his name for Muhammad Ali. Louis Armstrong, I worked on a session with him, too - Il cite aussi les noms de Sam Cooke, Curtis, Aretha, Little Richard, Sammy Davis Jr. Mais c’est presque anecdotique par rapport à ce qui va suivre. Carl Davis est surtout un découvreur extraordinaire.

             Il est né à Chicago, mais sa famille vient de la Louisiane. Deep South, dans les années 20. Carl rappelle que le nègre doit rester dans son coin et fermer sa gueule. Un jour sa mère fait des courses en ville et un blanc l’importune et la traite de pute. Elle rentre en pleurs à la cabane et Dad lui demande des explications. Bon tu vois la dégaine de Carl ? Il faut imaginer le père en mieux. Sa mère ne veut rien dire, car elle sait que Dad est impulsif. Il insiste. Elle finit par lâcher le morceau. Dad va en ville, chope le blanc et lui démonte la gueule, bim bam boom, «breaking his jaw and everything.» Quand tu es nègre et que tu démontes la gueule d’un blanc en Louisiane dans les années 20, tu as tout de suite le Ku Klux Klan au Kul. Alors toute la famille Davis grimpe dans le pick-up du boss qui les protège et qui les emmène prendre le premier train pour Chicago. Aller simple.

             Carl voit donc le jour à Chicago. Il est le quatrième gosse de la famille Davis. Il dit que ses parents se sont bien acclimatés à Chicago, car ils en ont fait encore sept - Edward, Clifford, Fred, Helen, Kenneth, George and me - Ils sont onze. Quand le petit délinquant Carl a des ennuis avec la justice, son père vient à la barre essayer de le sortir de là : «Your Honor, I have eleven kids at home - nine boys and two girls. And ain’t none of my kids been in no trouble with the law, cause I teach ‘em better than that.» Malgré la faramineuse plaidoirie de Big Daddy, Carl est condamné à trois mois d’Audy Home, une taule pour gamins de douze ans. Carl est soulagé de partir au Club Med, «because I knew my father was going to kill me.»

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             Il va s’engager dans l’Air Force puis il commencera à bosser en 1959 pour Arnold Distributing, une boîte qui distribue les petits labels et qui fournit les DJs des radios. De là, il passe chez Columbia en 1960 et devient promotion manager, et en 1962, Columbia lui confie les rênes d’OKeh, le subsidiary spécialisé dans la musique noire. Sa mission est de développer OKeh, alors il apprend vite à saisir the golden opportunity. Pour Carl, le Chicago Sound est «unique and majestic» - Il capturait la niaque du black struggle, mais il était tempéré par les idéaux mélodiques et poétiques de l’amour, du bonheur et de l’espoir en des jours meilleurs - Nul n’est mieux placé que Carl pour parler du Chicago Sound. Il évoque très vite Vee-Jay, «Chicago’s second biggest label after Chess», et dont l’A&R Calvin Carter est le frère de la co-owner Vivian Carter - Vivian was the «Vee» and Jimmy Bracken was the «Jay» de Vee-Jay - Et le boss du label s’appelle Ewart Abner. Mais le plus important est de savoir que Vee-Jay est un pur label black - the top black-owned record label in Chicago, and one of the biggest in the country - Carl s’émerveille de Vee-Jay qui avait «a very impressive talent roster, including hit makers like Jerry Butler, Dee Clark, Jimmy Reed, the Spaniels, and the Dells, long before Gene joined the roster.» Sacré coup de chapeau ! Tout le monde voulait entrer chez Vee-Jay. La salle d’accueil du label devenait un nightspot après les heures de bureau. On y jouait aux cartes, on y picolait au bar. Ewart Abner y traînait et jouait au poker. Il adorait le jeu et c’est le jeu qui nous dit Carl allait ruiner Vee-Jay. Le récit de Carl dégage une fantastique énergie. Vivian Carter et Jimmy Bracken finissent par virer Abner, parce qu’il va à Vegas, qu’il accumule les dettes et qu’il les couvre en partie avec des chèques Vee-Jay - Jimmy and Vivian were livid - Alors Abner monte son label, Constellation Records, et installe ses bureaux dans la même rue que ceux de Vee-Jay. Il embarque en même temps l’A&R Bunky, et Gene Chandler, «who used to be one of Vee-Jay’s top acts».

             Tête de gondole du Chicago Sound, voici Curtis Mayfield - Ce mélange unique de cuivres et de rhythm section, de compos de Curtis Mayfield, la production et les arrangements de Johnny Pate, c’était le Chicago Sound. Johnny écrivait des arrangements incomparables. C’est ce qui nous rendait meilleurs, uniques - La prod de Carl devient tellement balèze que tout le monde vient le trouver - Tous les mecs de Chess venaient me voir. Mais je ne voulais pas de ça. Je voulais travailler avec des gens que je choisissais. Je ne voulais pas de gens déjà formés par le son d’un autre label. Je ne voulais pas avoir à reformer des gens. Je voulais un son complètement différent, je voulais qu’on dise : «That’s a Carl Davis record» ou «That’s the Chicago Sound!» - Voilà pourquoi Carl Davis est tellement crucial : il a une vision et les moyens de sa vision. Et pour donner corps à sa vision, il lui faut des musiciens - Gerald Sims était l’un des musiciens qui m’a aidé à consolider ce son unique - Carl est tellement attaché à sa vision qu’il déclare : «Il y a un New York Sound bien distinct. On peut le distinguer de Motown. On peut aussi parler du California Sound. I want to develop the Chicago Sound.» Et quand Vee-Jay dépose le bilan en 1967, Carl récupère les locaux sur Michigan Avenue.

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             Alors attention, le boss de Carl chez Columbia n’est autre que David Kapralik, qui va devenir le manager de Sly & The Family Stone. Kapralik lui confie les clés d’OKeh, Carl doit apprendre à tout faire : produire les disks, les mixer, les masteriser, puis aller sur la route pour faire la promo - That was fine with me - Carl a son franc-parler. Il vient d’en bas, donc il est affûté, bien street-wise. OKeh est un label fondé en 1900 par Otto K.E. Heinemann nous dit Carl, et dans les années 50, on trouvait sur OKeh des gens comme les Treniers, Chuck Willis et Big Maybelle.

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             Carl fréquente pas mal Van McCoy, «a young, thin guy - really nice», et il ajoute : «He was a hell of a songwriter». Van écrit «Suddenly I’m All Alone» pour Walter Jackson qui chante aussi le «Welcome Home» de Chip Taylor. Carl produit aussi le deuxième album de Walter Jackson sur OKeh. Sa tête de gondole chez OKeh est Major Lance, the top-selling artist. Carl rappelle que Major Lance est son vrai nom, et que c’est un ancien boxeur, qui avait aussi chanté dans un gospel group, The Five Gospel Harmonaires. Au début, Carl sentait que Major lui courait sur l’haricot, car il se pointait chaque jour au bureau, qu’il pleuve ou qu’il vente, et passait son temps à ramener des tasses de café à Carl. Pour Major, Carl était sa dernière chance, alors il le harcelait gentiment. Plus loin dans le book, Carl revient sur Major Lance. Comme le succès brillait par son absence, Major est devenu dealer et s’est fait poirer. Alors Carl est allé le voir au ballon et l’a trouvé en forme. Major va y moisir trois piges, de 1978 à 1981. Carl se souvient de l’ancien boxeur qu’il voyait danser sur scène - His feet were mesmerizing and his movements almost choregraphied -  Major «glissait across the floor like Jackie Wilson and he would be spinning and spitting just like James Brown.» Major superstar.

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             Carl voit que les autres gros bonnets de la Soul ont leur son : Stax, Los Angeles et Philadelphie, alors il comprend qu’il lui faut un house-band pour OKeh. Il confie à son frère Cliff le soin de recruter les musiciens, et parmi eux voilà qu’arrivent Maurice White (futur Earth Wind & Fire), Phil Upchurch et Gerald Sims, guitares, Bobby Christian, percus. Puis il enregistre «The Monkey Time» avec Major Lance, et the Impressions en backing vocals. En 1963, c’est un smash !

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             C’est Carl qui rebaptise Eugene Dixon ‘Gene Chandler’, d’après le nom du l’acteur Jeff Chandler qui joue le rôle de Cochise dans La Flèche Brisée - A new star was born - «Duke Of Earl» devient un hit en 1962. Pour la promo de son hit, Gene Chandler se balade en cape, haut de forme et tuxedo, une idée à lui. Carl le trouve un peu trop sûr de lui, raison pour laquelle ils se fritent un peu tous les deux. Puis Carl demande à Curtis d’écrire des hits pour Chandler. Il existe trois époques Gene Chandler : la première, celle du Duke Of Earl (Vee-Jay & Constellation, le label d’Abe), puis Brunswick et enfin Chi-Sound. On reviendra sur Gene Chandler dans un chapitre à part.

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             Puis Carl a la chance de bosser avec des super-cracks comme Otis Clay et Ted Taylor - J’ai été le premier producteur à avoir «the future Soul star Otis Clay into the studio en 1962 to do secular material.» - Avant ça, il ne chantait que du gospel nous dit Carl, mais les quatre cuts que Carl enregistre avec Otis ne sont jamais sortis. Otis Clay descendra plus tard à Memphis enregistrer deux albums chez Willie Mitchell, sur Hi.

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             Carl reçoit donc l’immense Ted Taylor en studio - A natural tenor, mais sa voix était si haute que les gens croyaient entendre une voix de femme - Fin de la rigolade : «However, Ted had lots of feeling and plenty of Soul.» À l’époque où Carl le produit sur OKeh, Ted Taylor est déjà une star avec «Be Ever Wonderful». Et puis voilà une autre star : Walter Jackson - One of my first major discoveries while working at CBS was Walter Jackson, who remains my favorite singer to this day - C’est dire si Carl a le bec fin, car Walter Jackson est l’un des géants d’Amérique. Carl rappelle que Walter est né en Floride, mais élevé à Detroit. Carl l’évoque en termes de «golden vocal chords» et de «determined spirit». Début de l’histoire : la copine Skippy dit à Carl qu’elle a vu un chanteur extraordinaire dans un club de Detroit. Carl demande alors pourquoi Motown n’a pas encore mis le grappin sur lui. Elle répond que Motown lui a dit qu’il lui fallait un groupe et Walter ne voulait pas de groupe. Alors Carl prend l’avion aussi sec pour Detroit. Skippy le récupère à l’aéroport. Le soir-même, au club, Carl voit arriver un mec avec des béquilles sur scène. Il se dit que ça ne peut pas être Walter Jackson. Et puis le voilà qui empoigne le micro et qui chante «That Old Black Magic» - The next thing I know, he started singing in the richest baritone voice that I had ever heard. I was blown away - comme on l’est tous dès qu’on écoute chanter ce démon de Walter Jackson. Après le show, Carl lui propose de venir s’installer à Chicago. Walter est ravi - Fine with me. I’m ready to go! - Carl lui trouve un appart en ville, lui paye le loyer et commence à bosser sur des cuts. Walter s’attache à Carl et ne veut pas être produit par d’autres gens, même pas Curtis Mayfield. Plus tard, quand Carl montera Chi-Sound, il récupérera Walter pour enregistrer trois fantastiques albums, Feeling Good, I Want To Come Back As A Song et Good To See You. Selon Carl, Walter sait tout faire, «rock, pop or whatever, when he put his style to it, it made the difference that only his voice could make.»

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             L’autre immense star qui rôde dans l’ombre de Carl, c’est bien sûr Curtis Mayfield. Carl va chez lui à Markham, dans la banlieue de Chicago et découvre que Curtis enregistre toutes ses idées sur des cassettes qu’il stocke dans des paniers en osier. Seulement trois ou quatre mesures pour chacune d’elles. Alors Carl va faire ses courses chez Curtis, qui lui fait écouter des cassettes. Carl s’extasie - Man, I like that one - Mais Curtis garde les meilleures idées pour les Impressions. Puis il lui fait écouter «Monkey Time», et dit qu’il ne veut pas l’enregistrer avec les Impressions because that’s a dance tune, alors Carl qui sait flairer un hit le prend. Carl dit aussi que Curtis a confiance en lui, en son flair. Carl nous fait rêver avec des pages qui documentent une relation artistique de rêve. C’est tellement bien écrit qu’on assiste à la scène. Puis Carl propose à Curtis de bosser pour lui, comme assistant producteur.

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             L’autre grand collaborateur de Carl n’est autre qu’Otis Leavill, qui avait été le manager de Major Lance. Carl sent qu’Otis a de l’oreille, alors il l’embauche. C’est lui qui va dans la rue et qui déniche les artistes. Otis ramène Billy Butler, le petit frère de Jerry Butler, lead-singer des Impressions. Otis ramène aussi The Artistics - probably the best vocal group I ever had - Le lead-singer s’appelle Robert Dobyne et Carl veut les faire sonner comme les Temptations. Otis est non seulement le bras droit de Carl, mais il va devenir son meilleur ami. Otis est aussi un falsetto, mais il n’a pas enregistré grand-chose, et c’est dommage. Il n’existe qu’une compile dont on a dit ici le plus grand bien, The Class Of Mayfield High, une brave compile qu’Otis partage avec Billy Butler et Major Lance. Un peu plus tard, lorsque Gene Chandler manque de respect à Otis Leavill, Carl lui demande de sortir immédiatement du bureau. Et puis en 2002, Otis rentre chez lui, s’assoit devant la télé et casse sa pipe en bois. Sec et net. Carl est sous le choc. Il vient de perdre son meilleur ami.

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             Carl bosse aussi avec Mary Wells qui a été blacklistée par Berry Gordy pour avoir voulu reprendre son indépendance. Gene Chandler demande à Carl s’il veut bien la produire, alors okay, il va la trouver à New York - We immediately formed an alliance - Elle vit sur Park Avenue dans un bel appart décoré en blanc et mauve. Ça démarre en mode platonique et hop, ils passent vite fait au plumard. Carl est marié, mais bon, il vit sa vie d’homme. La relation avec Mary Wells ne va pas durer longtemps. Carl a aussi un petit accrochage avec Leonard le renard qui un jour, dans une conversation le traite de nigger. Carl qui n’est pas du genre «I’m a cool soul brother» le prend mal - That patronizing crap wasn’t about to wash with me - Carl balance à Leonard : «You don’t know me like that, and you don’t adress me in that manner.» Il recadre vite fait ce rat de Chess. Choqué, Leonard ne dit rien et Phil Chess tente de calmer le jeu : «Carl, tu sais comment est Leonard et il pense qu’il est black (he thinks he’s one of you guys).» Mais Carl lui dit qu’il n’est pas one of us. Surtout pas un mec comme Chess. Carl ne demande qu’une seule chose : du respect, en échange du sien.

             Puis il va se faire virer de Columbia par des super-cons qui viennent de prendre le pouvoir et qui l’accusent d’avoir tapé dans la caisse. Atteint dans sa dignité, Carl prend sa veste et se casse. Il laisse derrière lui Major Lance et Walter Jackson, sachant qu’il les reverra un jour.

             Mais le bilan OKeh est assez spectaculaire, comme en témoignent trois bonnes vieilles compiles : Carl Davis Presents: Chicago Soul Survey, Okeh - A Northern Soul Obsession et Okeh - A Northern Soul Obsession Vol.2

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             Carl Davis Presents: Chicago Soul Survey n’est pas une compile Ace, mais une compile Grapevine, ce qui revient à peu près au même. Un certain Paul Mooney signe les liners. Alors attention, on se gratte avec ce genre d’objet. Coups de génie en pagaille, avec pour commencer les Visitors avec «I’m In Danger» (hit énorme, puissance inexorable, fantastique allure, tu n’en peux plus, trois singles et puis plus rien), alors après tu as Johnny Sayles et «You’re So Right For Me» (fantastique groover, d’ailleurs, on va le retrouver inside the goldmine), puis Jean Shy et «Keep An Eye» (l’hot hit de rêve, elle y va la coquine avec son wild r’n’b de Chicago, elle est si parfaitement à l’aise), elle te groove encore la racine des dents avec «Love Had To Be You» (pur jus d’Esther Phillips à Chicago, une vraie révélation), et voilà Cicero Blake avec «You Got Me Walking» (fantastique groover d’accent pointu et de charme chaud, tu y vas les yeux fermés), puis BW & The Next Edition et «Stay With Me Baby» (big time de gros popotin extraordinaire) et puis voilà Channel 3 avec «The Sweetest Thing», fantastique Soul des jours heureux. Tout ce que touche Carl Davis devient magique. Pareil pour Wales Wallace et «A Love Like Mine (Ain’t The Finding Kind)», supra-chanté et supra-orchestré (une poignée de singles et pouf, à dégager). Ça continue de grouiller avec «Marshall & The Chi-lites et «Price Of Love» (pur jus de Motown Sound à Chicago), Otis Clay et «Baby Jane» (fantastique shake de hard r’n’b, il explose la rondelle du raw), oh voilà Carl Davis qui s’enregistre avec «You Babe» (le good time, c’est son truc), suivi de son poulain Major Lance et «Sweeter As The Boys Go By» (excellent de when I hold her in my arms, quelle prod !), et voilà l’autre poulain de choc, Otis Leavill et «You Brought The Good In Me», encore une voix d’ange exceptionnelle. Otis Leavill forever ! Tout est beau sur cette compile, tout est bardé de son et de grandes voix. Et ça continue avec Mister T et «Love Uprising» (voix ferme et définitive), même chose pour Chuck Jackson et «The Man & The Woman (The Boy And The Girl)» (il bouffe Chicago tout cru), et vers la fin, tu retrouves l’excellentissime Sidney Joe Qualls et «Run For Me», Soul Brother haut de gamme. Voilà, c’est à peu près tout ce qu’on peut dire de ce pataquès.  

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             Retour chez Ace/Kent avec les deux volumes d’Okeh - A Northern Soul Obsession. Ça grouille dès le volume 1, t’auras jamais vu autant de puces, avec en plus Ady Croasdell aux manettes. L’Ady nous rappelle qu’OKeh est un sous-label de Columbia et en 1962, l’A&R chef David Kapralik demande à Carl Davis de relancer OKeh. Tu retrouves donc les chouchous de Carl Davis : Major Lance et «You Don’t Want Me No More» (wild r’n’b allumé aux pires engeances de chœurs, énorme dynamique tapée au stomp de Chicago), The Artistics et «This Heart Of Mine» (prod géniale, Motown in Chicago), et le génie absolu de Walter Jackson avec «I’ts An Uphill Climb To The Bottom», pas produit par Carl Davis qui a quitté OKeh en 1967. C’est là que le label s’ouvre à d’autres artistes basés dans le Sud, comme cette pointure extraordinaire de Tommy Tate, avec «I’m Taking No Pain», ou à Detroit, comme les Little Foxes avec «So Glad Your Love Don’t Change» (une coquine sucrée au devant, elle inscrit les Little Foxes au patrimoine de l’humanité), et puis des inconnus de Detroit au bataillon comme Johnny Robinson avec «Gone But Not Forgotten» (très chanté, très produit, très génial), ça arrive aussi de New York, avec Ken Williams et «Come Back» (encore un winner absolu avec ce hard r’n’b de haut niveau). Puis ça vient de Californie avec Larry Williams & Johnny Watson et «A Quitter Never Miss» (fantastique énergie, duo d’enfer et wild punch, c’est même le heartbeat du Black Power, bien pompé sur Sam & Dave), puis Larry Williams se met à produire pour le compte d’OKeh : The Autographs et «I Can Do It» (Beat solide avec une blackette pleine de yeah yeah yeah, terrific ! - «Musical madness», s’écrie l’Ady), Little Richard et le big drive d’«I Don’t Want To Discuss It», il produit encore d’autres groupes : The Triumphs, the Seven Souls. Et d’autres merveilles encore chez OKeh, avec The Carstairs et «He Who Picks A Rose» (encore du wild r’n’b, une pure folie, le mec y va au eeh-ouuh, wild genius - d’ailleurs l’Ady le qualifie de «dance-floor favourite for people with disturbed minds»), Major Harris et «Call Me Tomorrow» (raw classic à la Wilson Pickett, surligné à la gratte électrique), Ted Taylor et «Somebody’s Always Trying» (une vraie bête de Gévaudan, l’authentique raw killer de r’n’b interlope), The Chymes et «Bring It Back Home (elles sonnent exactement comme les Supremes), et Jimmy Church avec «The Hurt» (Sacré scorcher, il y va au ah oh-oh oh yeah, quel épouvantable seigneur ! L’Ady le qualifie de «cult vocalist»). Oh et puis The Opals ! Pour l’Ady, The Opals et «I’m So Afraid» «were Chicago Soul at its best». Il précise en outre qu’elles furent découvertes par The Dells. Elles traînaient pas mal chez Vee-Jay et firent des back-up pour Betty Everett et Otis Leavill, pardonnez du peu. C’est donc Carl Davis qui finit par les signer sur OKeh.

             On prend les mêmes et on recommence avec le l’Okeh - A Northern Soul Obsession Vol.2.

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    L’Ady est encore là, fidèle au poste. On tombe très vite sur une belle énormité : The Vibrations avec «End Up Crying». Le mec y va à l’arrache, épaulé par des chœurs Motown. Ça vaut vraiment le coup d’aller creuser du côté de ces Californiens. Belle surprise avec les Tan Geers et «Let My Heart & Soul Be Free», ils ont un petit côté Betty Swann et ils s’appellent aussi The Tangeers. C’est Larry Williams qui produit Cookie Jackson et «Your Good Girl’s Gonna Go Bad» (a «dancefloor stormer» nous dit l’Ady). Cookie est une crack, une dure, il faut la voir déménager, la mémère. Une poignée de singles et puis plus rien. C’est encore Larry qui déniche Malcolm Hayes et «I Can’t Make It Without You». Power extraordinaire, en voilà encore un qui grimpe au firmament, il explose tout, à commencer par la Soul de Larry Williams. Encore une prod signée Larry Williams pour The Triumphs et «Memories». Retour triomphal des Triumphs avec un puissant shake de type Motown, elle chante au tremblé d’inspiration avec du punch plein les pattes, c’est miraculeux de black power et stupéfiant d’aplomb. Grand retour encore des Opals avec «You’re Gonna Be Sorry», elle y va au sucre de Chicago avec des coups de firmament, ça dégouline de sucre puissant ! Retour encore de Walter Jackson avec «After You There Can Be Nothing», il brasse à la fois le Burt, les Righteous Brothers et Totor. Et voilà les Variations qu’il ne faut pas confondre avec les Variations français, ce sont des cracks du boom-hue, leur «Yesterday Is Gone» est bourré d’énergie, ils sont portés par un son demented. On tombe plus loin sur Jean Dushon et «Second Class Lover», une poule sucrée de Chicago qu’on retrouve chez Chess. Et l’honneur de refermer ce volume 2 revient à Walter Jackson avec «That’s What Mama Say». Walter avale la Soul directement, il est le plus grand chaleureux de l’histoire.

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             Carl Davis ne va pas rester dans le limbo très longtemps. Il va rebondir de manière spectaculaire en devenant producteur chez Brunswick. Il rencontre Nat Tarnopol qui lui demande de produire des artistes pour Brunswick. Qui ? Nat se marre et balance un premier nom : Jackie Wilson ! L’idole de Carl ! Comme réceptionniste chez Brunswick, Carl a Barbara Acklin, amenée par Otis Leavill. Non seulement Barbara compose, mais elle sait aussi chanter. Elle compose «Whispers (Gettin’ Louder)» pour Jackie. Grâce à ce hit, Carl est promu A&R de Brunswick. Puis Barbara va entamer une relation avec Eugene Record des Chi-Lites. Et tout va tourner en eau de boudin chez Brunswick, avec un procès collectif pour corruption, où Nat demande à Carl de porter le chapeau. No way.

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             En 1967, Carl monte Dakar Records. C’est là qu’il s’installe dans les anciens locaux de Vee-Jay - ‘Da’ from Davis and ‘Car’ from Carl - Pour éviter la confusion avec Decca, il remplace le ‘c’ par un ‘k’. Il démarre avec Shirley Karol et Major Lance, puis il lance l’ancien chauffeur de B.B. King et ancien road manager d’Harold Burrage, Tyrone Fettson. Carl n’aime pas le nom de Fettson. Alors Tyrone demande s’il peut utiliser le nom de Carl et devient Tyrone Davis. En 1968, Tyrone Davis décroche un hit avec «Can I Change My Mind». Et comme Carl n’a pas les reins assez solides pour lancer Tyrone Davis, il passe un deal avec Jerry Wexler chez Atlantic - Tyrone was Dakar’s flagship as long as we ran the label - Puis Otis Leavill branche Carl sur un groupe nommé Marshall & The Chi-Lites. Boom, voilà qu’arrive Eugene Record, qui pour vivre à l’époque, est chauffeur de taxi. Carl le voit comme un grand compositeur, mais il n’est pas sûr de lui. Eugene demande s’il peut laisser tomber son job pour se consacrer aux compos et Carl qui flaire le talent lui propose un salaire de 150 $ par semaine et un local. Eugene ramène sa gratte et son ampli. Et il compose. Il écrit aussi pour sa poule Barbara Acklin. Eugene se sent tellement redevable envers Carl qu’il lui cède des parts de crédit sur ses compos. Plus tard, cette superbe relation entre Eugene et Carl va s’abîmer, car au procès Brunswick, Eugene va témoigner contre Carl, auquel il doit tout. Après le procès, Eugene revient voir Carl chez lui. Il s’excuse pendant 20 minutes : «on l’avait menacé, voilà pourquoi il avait témoigné contre moi.» Avec le temps, Carl réussira à lui pardonner et il produira d’autres titres des Chi-lites, «but it was never quite the same between Eugene And I.»

             Dakar signe aussi Chuck Jackson - he had a huge baritone voice - Et puis voilà Johnny Sayles, en 1973, avec un album sur Dakar, «a good blues singer, a nice guy», Carl ne tarit plus d’éloges sur ce crack qu’est Johnny Sayles. Il a aussi Jean Shy - She was good - Et Sydney Joe Qualls. Carl dit entendre Al Green quand il ferme les yeux en écoutant Sydney Joe Qualls.

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             Après OKeh, Dakar et Brunswick, Carl monte une boîte de prod, Carl Davis productions Inc., dont la filiale s’appelle Chi-Sound Records. Il redémarre avec Walter Jackson. Puis il lance Manchild. Il produit aussi Della Reese qui est déjà une «guenine mainstream star». Il engage Eugene Record et Gene Chandler comme A&R guys, et il est content d’avoir les Chi-lites sur Chi-Sound. Il signe aussi the Impressions en 1979. Il a aussi The Dells sur Chi-Sound - And I thought they were fantastic - Carl est content de son label, car il a autour de lui tous ses vieux amis. Il sort le So Sexy de Sydney Joe Qualls. Tout va bien jusqu’au moment où Carl fait une petite déprime après la fermeture de Chi-Sound. Il finit ruiné, obligé de reprendre un job dans la sécurité. Puis un label anglais nommé Westside lui propose de rééditer le Chi-Sound catalog, ce qui permet à Carl de se faire un billet. Westside est un des labels de red les plus intéressants.

             Le dernier chapitre de ce book émouvant est plus confessionnel - Je n’ai aucun regret. J’ai apprécié toute ma vie. Même les mauvais moments, quand le music business s’est écroulé pour moi en 1983, alors que la disco music faisait rage. I was a music man and disco was not my forte - Carl dit aussi avoir une relation très particulière avec ses artistes : «Je ne veux pas vous entendre me chanter une chanson. Je veux vous entendre me raconter une histoire. Et ils ont tous été d’accord, Jackie Wilson, Gene Chandler et tout particulièrement Walter Jackson.» Quand il déménage pour s’installer en Caroline du Sud avec sa nouvelle femme, Carl est surpris de voir que les gens écoutent encore ses vieux hits de Major Lance, de Gene Chandler, des Artistics et de Tyrone Davis, tous ces hits sortis sur OKeh, Constellation, Brunswick et Dakar. Comme toujours, les retours sur le passé donnent le vertige, surtout quand il s’agit d’un passé aussi lourdement chargé, au plan artistique. Quand en 2008, Obama est élu Président et qu’il monte sur le podium du Chicago Grand Park pour célébrer sa victoire devant 50 000 personnes, qu’entend Carl ? Le vieux «Higher And Higher» de Jackie Wilson qu’il avait produit au temps jadis. Pour lui, c’est la consécration ultime - I was so overcome with emotion that I broke down and cried - Ce géant se met à chialer et toi aussi, si tu as ce book dans les pattes - Parmi toutes les chansons qu’ils auraient pu choisir pour ce moment historique, ils ont choisi la mienne. J’aurais voulu que Jackie voie ça, lui aussi - On trouve à la suite un paragraphe encore plus bouleversant. Lis ce bon livre et tu verras trente-six chandelles.

    Signé : Cazengler, Carl dévisse

    Carl Davis. The Man Behind The Music. Life To Legacy 2009

    Carl Davis Presents: Chicago Soul Survey. Grapevine Records 2009

    Okeh - A Northern Soul Obsession. Ace Records 1996

    Okeh - A Northern Soul Obsession Vol. 2. Ace Records 1997

     

     

    L’avenir du rock

    - My Lewis Taylor is rich

    (Part Two)

     

             Longtemps l’avenir du rock s’est non pas couché de bonne heure mais épris de belles étoffes. La chouchoute fut longtemps l’alpaga, avec ce délicat moiré de texture et cette légèreté qu’il qualifiait de kunderanienne. Chaque matin, planté devant son dressing, il hésitait entre le trois pièces bleu marine, plus urbain, et le gris ardoise, plus corporate. Cravaté et boutonné, il se sentait propulsé dans une sorte d’upper-class mythologique, celui des Mods anglais qui, dans les early sixties, allaient hanter les clubs de jazz se Soho. Mohair Sam ! Tonic suit ! Mod craze ! Certains jours, l’avenir du rock préférait calmer le jeu avec l’un de ses complets en Prince de Galles. Ah cette coupe croisée et l’imbattable confort de la popeline ! Il avait bien sûr en tête le magnifique portrait de Charlie Watts nonchalamment accoudé sur une commode, en véritable gravure de mode. L’avenir du rock optait volontiers pour le Prince de Galles gris clair s’il sortait déjeuner avec une amie, ou alors le Prince de Galles blanc cassé, s’il se rendait dans ce qu’il appelait un dîner d’affaires. La discrète élégance du Prince de Galles lui permettait de passer relativement inaperçu et en même d’imposer un soupçon de présence. Tout repose sur les équilibres, et plus les équilibres sont fins, plus le jeu en vaut la chandelle. Dans ce monde moderne qui nous entoure, le premier stade de la raison d’être est d’exister. Le deuxième est de paraître. Après ça se complique, surtout depuis l’apparition du téléphone portable : le troisième serait de vouloir paraître intelligent. Beaucoup de gens s’y emploient. L’avenir du rock préfère s’efforcer de paraître sans vouloir paraître. Et pour cela, il faut oser s’habiller sans trop s’habiller. Il peut même oser la flanelle blanche, comme le fit en son temps John Cale. Contrairement à ce qu’on croit, le blanc permet de passer inaperçu, par exemple dans la lumière. Et quand il arrive à son rendez-vous et que fuse le compliment habituel, «Quelle élégance !», il prend un malin plaisir à répondre «My Lewis Taylor is rich», car c’est précisément de ça dont il compte parler.   

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             En devenant intarissable sur Lewis Taylor, l’avenir du rock oublie toute retenue et ruine tous ses efforts de non-paraître, mais il s’en bat l’œil. Il connaît les disques. Il connaît l’envergure de cette star en devenir. Il sait que Lewis Taylor a de beaux jours devant lui, et que des tas de gens seront ravis de claquer un billet de vingt pour rapatrier l’un de ses albums. D’ailleurs, dans la presse anglaise, des petits malins commencent à l’encenser. Ouf, il était temps !

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             Dans Record Collector, Matt Phillips n’y va pas par quatre chemins : «Along with Amy Winehouse and Adele, he must be the most musically talented British solo artist of the last 30 years.» Eh oui, il serait temps de s’en apercevoir : Lewis Taylor est une superstar inconnue. On a déjà dit ici, Inside the goldmine, quelque part en 2022, à quel point on l’admirait. Parmi ses admirateurs on trouve aussi Bowie, Paul Weller, Leon Ware, D’Angelo et Darryl Hall, alors pardonnez du peu.

             Phillips fait de Lewis Taylor un personnage mystérieux, fascinated with «art born of a disintegrated mind» et farcissant ses interviews de références à la maladie mentale, the drug use and reclusion. Phillips l’envoie même rejoindre Syd Barrett et Brian Wilson dans la cour des grands paumés. Il a d’ailleurs cessé d’exister en tant qu’artiste entre 2006 et 2022, jusqu’à son retour avec NUMB

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             NUMB se présente sous la forme d’un double album dont la pochette est floue. Pour être tout à fait franc, on s’y ennuie un peu. Lewis Taylor a beaucoup mal à se réinventer. Il propose une sorte de groove à la mode. Il alimente sa petite légende. Il crée un monde pour y régner, c’est aussi simple que ça. Il se spécialise dans l’océanique. Pour rester charitable, disons que tous ses cuts sont de facture parfaite, bien dosés dans l’écho du temps. Ça reste à la fois underground et à la mode, tout dépend comment on est luné. Disons qu’avec le temps, Lewis Taylor s’est un peu endurci. Avec «Worried Mind» en B, il se met en suspension à Babylone. Il flotte dans l’air tiède d’un groove babylonien, c’est excellent car très disturbed. Il vise une sorte de groove presque pop, mais toujours avec une ambition sous-jacente. Il y a quelque chose de précieux en lui, comme une lumière intérieure. Son «Brave Heart» en C est ravissant, à cœur brave rien d’impossible. Et «Is It Cool» pourrait bien devenir le morceau phare de la coolitude. Il finit avec un solo trash qui réveille brutalement. Inventer le fil à couper le beurre ne l’intéresse pas, il préfère groover en père peinard sur la grand-mare des canards. Il termine sa D avec un «Being Broken» beaucoup trop pop, mais d’une certaine façon, ça reste visité par la grâce. Lewis Taylor est un artiste magnifique, au même titre que le grand méchant Lou et le Todd of the pop. Il termine avec un petit solo à la Peter Green. 

             Phillips fait un petit retour en arrière pour indiquer qu’au temps de son premier album, Lewis Taylor chantait comme Marvin et grattait comme Ernie Isley, bassmatiquait comme James Jamerson et keyboardait comme Billy Preston. Il enregistrait ses hits interstellaires sur un deux pistes, dans son appartement de North London. Phillips est admirablement bien renseigné. Le père de Lewis Taylor jouait des bongos dans un orchestre de jazz et écoutait Tito Puente, alors forcément, le petit Lewis s’est retrouvé envoûté. Il a aussi flashé sur le bassmatic de Chris Squire dans Yessongs. Il s’est inspiré de Pete Townshend et de Ritchie Blackmore pour gratter ses poux, mais aussi de Jimi Hendrix, John McLaughin et des tas d’autres. Ado, il est devenu un jeune prodige. À dix ans, il est fan de l’Edgar Broughton Band, qu’il finira par rejoindre le groupe au moment de sa reformation, dans les années 80. Puis il va fréquenter Steve Burgess et les Soft Boys, et enregistrer deux albums psychédéliques en tant que Sheriff Jack, un nom tiré d’un album de The Red Krayola.

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             Le voilà donc one-man band Sheriff Jack avec Laugh Yourself Awake, un album de grande pop anglaise paru en 1986. Il met beaucoup d’écho sur le beurre. Il flirte avec le comedy act des Bonzos sur «The Queen Of Scotland», il sort un son très tonique avec un léger parfum de bluebeat. «Bird-Oh» est plus rockalama. Ce solide gaillard du rock mêle power et délirium. Les idées et le son renvoient aux grandes heures de Robert Pollard, et il passe en prime un trash solo fatal. Il bascule ensuite dans le psyché avec une «Charlotte» digne de Syd. Il recrée l’ampleur et passe le solo du diable. Tu as même des échos des Beatles au fond de la clameur. Il attaque sa B avec «Pylons». Il carillonne comme dans «Rain» et c’est beautiful d’élan beatlemaniaque. Lewis boy connaît ses classiques. Il tape à la suite une belle cover du «Back Of A Car» de Big Star. Il est dessus, en pur one-man band, avec un solo joué à la solace chiltonienne et un bassmatic en descente d’acide - Stuff written, arranged, played and sung entirely by a bipedal humanoid known as Sheriff Jack - Avec «Cock Anne At Marjorie’s Door», il revient à son rock bizarroïde à la Plonk Lane, il chante comme un Sheriff Syd en goguette du côté de Portobello. La prod est un modèle du genre. Il ramène les grattes des squelettes pour «A Chair Or A Table». Fantastique modernité de ton ! Tout est dans l’idée, il la pousse au maximum, yeah you betcha !  

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             Le second Sheriff Jack s’appelle What Lovely Melodies et baisse d’un ton. Il attaque pourtant très fort avec «Waterlog Me Easy», un fast groove enrichi aux grattes funk et monté sur un fat bassmatic, et il sert ensuite un gros cocktail d’influences avec «Drown In Your Car», où il part en heavy solo de Broughtonmania. Plus loin, il tape une belle pop atmosphérique avec «Walk West With Your Baby». Il sait lui donner de la profondeur de champ, et il gratte un solo faramineux. Il attaque son «Railings Of My Heart» au rétro de White Album, Oh Honey Pie, you’re making me crazy. Même magie. Sacré clin d’œil ! En B, il rend hommage à la Ross avec «Diana Ross». Il chante sur un groove à elle. Il sait tout faire, le petit Lewis boy, de la Soul, du rock, de la pop, des Beatles, même du Dada strut comme le montre «Dada Art Attack». Il boucle sa B avec «The Milk Bar», une belle pop de fin de non recevoir, extrêmement anglaise.

             Il va continuer de cultiver les obsessions : «Brian Wilson, Scott Walker, Bitches Brew, Marvin’s Trouble Man, Shuggie Otis, Syd, Robert Wyatt, Sam Cooke, Joe Meek and Howling Wolf.» Et comme si tout cela ne suffisait pas, il va surprendre tous les spécialistes des deux côtés de l’Atlantique avec ses «outlandish prog/fusion intros, deep neo-Soul grooves, floor-shaking bass, jazz chords, tasty harmonies and lovestruck lyrics.» Et à un moment, dans l’article, Taylor te balance ceci : «In my fantasy it’s what early Soft machone would’ve sounded like if Marvin Gaye was their lead singer.» Ses deux albums sur Island (épluchés dans le Part One) rencontrent un gros succès critique mais ne se vendent pas. Le pauvre Taylor is not rich. Il reste sur le carreau.

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             Il revient aux affaires avec Stoned Part 1 et Stoned Part 2. Les deux albums vont tout droit sur l’île déserte, surtout le Part 1. Il attaque son Stoned Part 1 avec le morceau titre. Comme son nom l’indique - I get stoned forever - Il y va au don’t ask me now, il chante d’une voix offerte comme une gonzesse en rut. C’est le groove magique du rich Taylor, il te groove ça à fond de cale et te passe en prime un solo de punk. Tu entres dans cet album comme si tu entrais en religion. Il a une sorte de sixième sens à la Norman Whitfield, comme le montre «Positively Beautiful». Il groove son affaire à la manière des Tempts. Wow, il ramène tout le génie productiviste de Norman Whitfield dans son groove démented. Il fait du pur Motown ! Le rich Taylor incarne encore le génie du groove avec «Lewis TV». Il développe des horizons, et non seulement il chante comme un dieu, mais il gratte comme un dieu. Chaque solo est sidéral. Il s’impose encore en white nigger des temps modernes avec «Stop Look Listen (To Your Heart)», il te tartine ça au chat perché, comme une sorte de Sam Cooke aux pieds ailés. Il fait une Soul blanche et pure, il coule comme le miel dans la vallée des plaisirs. Retour au heavy groove avec «Shame». Il s’y montre encore une fois fabuleusement black et il passe un killer solo flash de plus. Il passe au Spirit pur avec «When Will I Ever Learn Pt 1», il fait littéralement le tour du groove, never never, il est comme transi de blackitude céleste, il se prélasse dans un bain de chaleur humaine. Il passe au heavy groove de funk avec «Back Together». Ce démon entre dans le territoire de Funkadelic, il en a les moyens et le courage. Cut magique encore avec «Loving U More», baby you walked into the room, il t’intraveine ça de black groove, to keep loving U for ever ! Il finit avec «Melt Away» et va chercher une pop à la Lennon. C’est sa force.

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             Le Stoned Pt II est moins dense, mais les coups de génie n’en sont pas moins percutants. Le meilleur exemple est «Carried Away». Il revient à sa chère pureté Soul et zèbre son ciel d’éclairs.  Il travaille son Carried en biseau, c’est drivé à l’énergie du cerveau. Il enchaîne avec le morceau titre, un heavy groove liquide. Il fait du Sly Stone en plus liquide, il chante d’une voix blanche, le génie de Lewis Taylor est infini, comme Sly, il descend au yayanana aw aw yeah, c’est exactement le même apanage. Troisième coup de génie avec «Keep On Keeping On», il est le roi de la fin de non-recevoir, il s’en va exploser son Keep On très haut dans le ciel, il se bat avec des tendances diskö, mais il revient trasher tout ça au wild gratté de poux. Attention aux quatre premiers cuts : ils sont tout pourris. Il faut attendre «Out Of My Head Is The Way I Feel» pour retrouver cet artiste extraordinaire. Il en fait un groove de Soul enchanté. Avec «Won’t Fade Away», il pose ses conditions : ça doit rester du groove princier. Il étale son lard suprême et là, oui, ça prend une tournure fantastique, ça se développe comme une chrysalide au printemps de Stravinsky. Rich Taylor ne semble s’intéresser qu’à la beauté formelle. Il s’évade dans cette beauté. Sa pop atteint la pointe du continent, et il finit par t’allumer cette Beautiful Song aux wild guitars d’outlaw. 

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             Jim Irving quant à lui traite Taylor de British eclectic polymath. Chacun son style. Côté gratte, Irwin le compare à Eddie Hazel, et côté chant à Marvin Gaye, comme le fait son confrère Phillips. Irwin ajoute que NUMB est darker, «Brian Wilson-channels-Smokey Robinson atmospheres». Irwin voit NUMB comme un «concept album about life’s challenges with an optimistic beauty at its heart.» En gros, c’est exactement ça.

    Signé : Cazengler, Lewis Taylarve

    Lewis Taylor. NUMB. Slow Reality 2022

    Sheriff Jack. Laugh Yourself Awake. Midnight Music 1986

    Sheriff Jack. What Lovely Melodies. Midnight Music 1987

    Lewis Taylor. Stoned Part 1. Slow Reality 2002

    Lewis Taylor. Stoned Part 2. Slow Reality 2004

    Matt Phillips : Numb angel. Record Collector # 543 - April 2023

    Jim Irvin : Welcome back lost Soul phenomenon Lewis Taylor. Mojo # 348 - November 2022

     

     

    Inside the goldmine

     - Thank Youlden very much

             Pourquoi Youri a-t-il laissé des traces si profondes dans les mémoires ? Sans doute étions-nous assez jeunes. À la sortie de l’adolescence, on est encore très impressionnable. Youri débarqua un beau matin dans notre petit cercle. Il connaissait bien la règle du jeu : si tu ne t’imposes pas tout de suite, t’es baisé. Il disposait en outre de deux gros avantages : un confortable écart d’âge, cinq à dix ans de plus, on ne savait pas trop, et une moustache bien fournie. Il parlait par saccades d’une voix forte, avec un léger accent de l’Est, et utilisait un argot des bas-fonds. Il racontait à qui voulait bien les entendre ses exploits d’aventurier en Autriche. Il s’auréolait de légende, de la même façon que Napoléon se couronnait empereur, et cette audace nous impressionnait au plus haut point, même si on ne croyait pas un mot de ce qu’il racontait. Puis il mit son petit système en route. Au lieu de marquer sa distance, il sympathisait, il semblait nous prendre tous sous son aile, il rendait même des petits services, il livrait quelques confidences sur sa copine, une très belle blonde qu’on apercevait de temps à autre. Il passa à l’étape suivante qui était de nous prendre tous à part pour des entretiens plus confidentiels, il créait une sorte d’intimité, oh rien de sexuel, là-dedans, il te considérait un peu comme son meilleur ami, il gagnait ta confiance, il te fixait dans le blanc des yeux, te demandait si tu le comprenais, te mettant dans l’obligation de dire oui, puis il attaquait la phase finale qui était bien sûr un problème d’argent, que toi seul, son meilleur ami, pouvait résoudre, oh pas grande chose, de quoi acheter ci et ça, car il avouait être passablement à sec, mais il te rassurait en affirmant, sans bien sûr élever le ton, qu’il attendait une rentrée d’argent, et avant que tu n’aies eu le temps de poser la question, il t’affirmait que c’était sûr et il le jurait sur la tête de sa mère, alors comment ne pas le croire ? Et puis un jour, il disparut comme il était apparu, pfffff, plus de Youri ! Nous n’en parlâmes jamais entre nous. Nous préférions sans doute garder au plus profond de nos êtres le souvenir délicieux de s’être fait rouler par un escroc légendaire.

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             Pendant que Youri écumait les contrées et plumait les oies blanches, Youlden créait sa légende en plumant le British Blues, d’abord dans Savoy Brown, puis avec quelques albums solo.

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             Le Savoy Brown originel fut tout simplement un conglomérat de surdoués. On trouvait dans cette équipe Chris Youlden, Lonesome Dave Peverett et Kim Simmonds. Ces trois-là savaient chanter, composer et jouer de la guitare. D’ailleurs, ils se repassaient le micro et tout était bon, tout au moins sur les albums de l’âge d’or. Leur grand hit fut « Train To Nowhere », un boogie choo-choo chanté par le brillant Chris Youlden, l’homme au chapeau claque et au cigare qu’on aperçoit sur la pochette d’A Step Further. Youlden semble sortir d’un western sauvage, c’est exactement le genre de type qu’on devait croiser dans les relais de diligence, le mystérieux voyageur qui ne parlait pas : on devinait à l’observer qu’il avait écumé la frontière et fréquenté l’indien. Tous ceux qui l’ont écouté à l’époque s’en souviennent, « Train To Nowhere » est l’un des hits de l’âge d’or du British Blues, doté du meilleur son caoutchouteux. On retrouve cette merveille sur l’album Blue Matter, un album qui rivalisait de classe avec ceux de Chicken Shack. Chris Youlden chante les morceaux de l’A et Lonesome Dave Peverett ceux de la B. « Tolling Bell » sonne comme du Chicken Shack et exerce le même genre d’envoûtement. Le cut semble suspendu dans le temps, légèrement mouillé au chant. Chris Youlden chante le blues fabuleusement bien. Ils passent ensuite au boogie-blues avec « She’s Got A Ring In His Nose And A Ring On Her Hand », joliment amené par ce bassman génial qu’est Tone Stevens, honnête jazzeur de groove pulsatif. « Vicksburg Blues » est chanté à l’ancienne et accompagné au piano. N’oublions pas que Big Dix est né à Vicksburg, Mississippi. Puis ils tapent dans John Lee Hooker avec « Don’t Turn Me From Your Door ». Fantastique pièce de heavy blues rock, jouée avec une niaque digne de Wolf et des esclaves les plus vindicatifs parmi les révoltés. C’est affolant de réalité wolfienne. On sent bien que Chris Youlden a traîné dans les montagnes, qu’il a chassé l’ours pour se nourrir et qu’il a su s’entendre avec les Crows. Pas de problème. Chris Youlden porte sur le visage les stigmates de son courage.

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             Sur la pochette d’A Step Further, on les voit tous les cinq planqués dans les futaies. C’est Chris Youlden qui ouvre le bal avec « Made Up My Mind » et Lonesome Dave balance un gros solo. « Life’s One Act Play » sonne exactement comme le « Blue Jean Blues » des Zizimen, on a le même riff de basse à trois notes. Mais l’album est comment dire... ruiné par une B enregistrée en public. Ils jouent un mélange bizarre de Jerry Lee, de Chuck et de Jimi Hendrix, et ça ne marche pas, même s’ils sortent toute la panoplie du gros son. 

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             Chris Youlden entre dans Savoy Brown en 1968 pour l’enregistrement du deuxième album, Getting To The Point. L’arrivée d’un chanteur comme Chris Youlden change la donne. Ce mec est LE Bristish Blues Boomer par excellence. Il fait gicler le pus du blues à coups d’accents fêlés. Ah on voit qu’il adore se vautrer dans le gras du blues. Ils enchaînent avec un joli coup de boogie blues, « Stay With Me Baby ». Kim Simmonds joue comme un dieu et dans « Honey Bee », Chris Youlden sonne carrément comme un vieux cueilleur de coton. Encore un boogie anglais des années de braise avec « The Incredible Gnome Meets Taxman ». Wow, ces gens-là savaient jouer. Kim Simmonds joue tout en clair/gras, il s’impose dans l’immédiateté, mais il n’est cependant pas aussi fluide que Peter Green ou Mick Taylor. Il propose un jeu plus accidenté mais intéressant. Back to the mighty heavy blues avec « Give Me A Penny », mais sans prise de risque. Attention, Savoy Brown n’est pas le Jeff Beck Group. Le cut le plus intéressant de l’album est sans doute «Mr Downchild», sombre et tendu, joué au groove suburbain. Chris Youlden gère la chose d’une voix de rêve, à coups de syllabes bien mouillées. Mais leur vraie spécialité est bel et bien le boogie, comme le montre le morceau titre, une pétaudière farfouillée par ce soliste impénitent qu’est Kim Simmonds.

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             Chris Youlden fait encore partie de l’équipe des petits Savoyards pour Raw Sienna qui paraît à l’aube des seventies. C’est lui qui va amener toute la substance, avec ses compos et sa voix chaude. Ils attaquent cet album avec « A Hard Way To Go », un joli groovyta à la bravache anglaise, typique des années d’insouciance socio-économique. « That Same Feelin’ » est un excellent petit cut bien rebondi, bien solide et même un brin carnassier. Album extraordinairement solide, l’une des meilleures conjonctions du British Blues, avec la hargne glottale de Chris Youlden, le fondu de la basse de Tone Stevens et l’électricité acariâtre de Kim Simmonds. Ces mecs sonnent comme des géants de Stax avec des guitares psyché. « Master Hare » est un bel instro qui montre bien leur maîtrise de la prêtrise et des assises. Dans « Needle & Spoon », Chris Youlden croasse - I feel alright with my needle and my spoon - C’est du très haut de gamme vertueux et inspiré, joué à l’os de la côtelette et gras comme un manchot. Tout est chanté au meilleur des conditions savoyardes. Ils attaquent la B en beauté avec « I’m Cryin’ », un heavy blues bien balancé sur les twelve bars réglementaires - Hey I’m cryin’ - Il faut voir comme ils savent travailler leur viande ! Chris Youlden chante « Stay While The Night Is Young » avec tout le feeling du laid-back emblématique.

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             Après Savoy Brown, Chris Youlden attaque en 1973 sa carrière solo avec Nowhere Road. Il fait ce que font pas mal d’Anglais à cette époque, du boogie rock. Avec «One October Day»,  Yould fonce dans la nuit, avec un son nappé de cuivres. Il a gros moyens et il habite bien ses cuts, comme le montre «Chink Of Sanity». Il dispose d’une vraie voix, il est l’un des great ones du London underground. L’énormité de l’album s’appelle «Crying In The Road», amenée à la pure attaque, Yould ne rigole pas, il te prend par surprise, il est wild as fuck et Chris Spedding passe un solo demented. Bienvenue au paradis ! Il attaque sa B avec «Standing On The Corner», un excellent slab de r’n’b à l’anglaise. Yould mérite le respect, il pique encore une crise de fast groove avec «Wake Up Neighbours», il en devient presque américain, il vise un absolu très particulier. Son «Street Sounds» sonne comme un groove spécial, qu’on dirait enterré vivant. Il souffre mille morts, il ne peut pas affronter son destin, c’est quasiment le plus beau cut de l’album. Il termine avec «Pick Up My Dogs», un heavy groove d’excelsior, il chante à la grâce maximale. Ce mec te donne envie d’en savoir plus.                

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               Ça tombe bien, Citychild paraît l’année suivante. Ah il faut l’entendre faire son white nigger au bout de la B avec «It Ain’t Real». Il sonne comme un chef de meute et s’il calme le jeu à mi-chemin, c’est pour mieux revenir, il chante à l’accent tranchant. La deuxième merveille de l’album s’appelle «Love & Pain», un heavy froti-frotah de when you wake up in the morning, il navigue dans le satin brique de London town, il chante à l’encan, il s’en pète la voix, yeah yeah. Encore deux merveilles en A, à commencer par «Conjure Wife», fast boogie quasi Stonesy, mais early Stonesy, celle du premier album. Yould fait son punk. Ah comme il est âcre ! Cet album est plein de son, riche de percus et de cuivres. Il swingue «Keep Your Lamp Lit» avec une classe invraisemblable et quand on entend «Little Cog In A Big Wheel», on le soupçonne d’avoir du sang noir dans les veines. Il taille une route très hard, au r’n’b de London town. On entend des chœurs de filles superbes dans «Peace Of Mind», des chœurs étoilés qui se répandent par radiations. Yould est excellent, juste et mystérieusement underground.

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             Vingt ans plus tard, Yould revient aux affaires avec Second Sight. Ce serait une grave erreur que de faire l’impasse sur cet album, car quel album ! Il refait son white nigger avec «Soulmate» et «Turn Your Red Light Green». C’est de la heavy Soul, il en a les moyens. Il chante même son Red Light à l’édentée, Yould est un énorme shouter de back room. Il remet aussi les pendules à l’heure avec «Let It Rain», il chante ça sous le boisseau de la tangente, à la syllabe amochée et plus loin, il plonge dans le heavy jazz avec «Tongue Tied». Soudain, on réalise qu’on a encore dans les pattes un album exceptionnel, bourré de feeling, l’album d’un chanteur génial. C’est presque l’album d’un blackos en mal d’amour. Il fait aussi du swing anglais avec «You Got A Hold On My Heart». C’est d’une élégance à couper le souffle. Mais Yould veille à rester blanc, car il s’agit de sa sinécure. Il est excellent avec son «Making Love On The Telephone» et la soft Soul de bon ton de «The Name Of The Game Is Love» évoque bien sûr Robert Palmer. On entend deux guitaristes sur l’album, Innes Sibun fait des ravages sur «You Ain’t Foolin’ Me», un heavy blues bien appuyé, et Gary Shaw vole le show sur «That’ll Get It». Il y va de bon cœur, le Shaw. Quant à Yould, on le suit partout. Il va par là, on va là. Il va par ici, on va par ici, c’est simple, chien fidèle. Ouaf ouaf.  

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             On trouve aussi dans le commerce un album de Chris Youlden & The Slammers, Closing Time, paru en 2018, et qui propose deux sessions datant de 1987 et 1991. Dans ses liners bien touffues, le beurreman Malcolm Mills nous explique que Martin Stone fit partie de cette aventure, mais c’est David Briggs qu’on entend sur ces deux sessions. On retrouve aussi le fameux Geraint Watkins à l’orgue, un vétéran de toutes les guerres qui a joué avec Dave Edmunds, le Slim Chance de Plonk Lane, Nick Lowe, Graham Parker... Et Lazy Lester ! Justement, Yould attaque avec l’excellent «Sugar Coated Love» de Lazy Lester, le son est caverneux mais Yould le prend à la gorge. On a là le boogie anglais ultra raffiné, l’exemplarité définitive. Dans les pattes de Yould, ça reste pur. Raw Louisiana, man ! Ils enchaînent avec «Number Nine Train» - Number nine/ Took my baby off the line - Avec David Briggs on devilish guitar. Extraordinaire musicalité ! Ils nous font d’autres covers de rêve, comme par exemple «Nervous Breakdown», Aw mah heavinah/ Nervous breakdown ! Yould fait aussi du heavy Jerry Lee avec «Let’s Talk About Us». Yould le bouffe tout cru ! Il tape à la suite dans le «Sweet Love On My Mind» de Johnny Burnette, c’est en plein dans l’esprit du vieux Johnny qui gratte sa gratte avec des gants de boxe. Yould monte au paradis de «Fools Paradise». Fantastique exaltation de white kid fasciné par la musique noire. Demented are go ! Tout l’album est bardé de son, le «Wanna Stay Alive» est wild à gogo, c’est d’une dementia qui dépasse les bornes, c’est le boogie de London Town fouetté à la peau des fesses, Yould arrose d’I won’t take a drive. Le coup de génie s’appelle «In The Middle Of The Night», joué à l’extrême violence riffique et cette voix te tombe sur le râble comme un baume. Franchement, ils rivalisent de violence avec les Pretties.

    Signé : Cazengler, Chris Yaourt

    Savoy Brown. Getting To The Point. Decca 1968

    Savoy Brown. Blue Matter. Decca 1969

    Savoy Brown. A Step Further. Decca 1969

    Savoy Brown. Raw Sienna. Decca 1970

    Chris Youlden. Nowhere Road. London Records 1973                 

    Chris Youlden. Citychild. Deram 1974

    Chris Youlden. Second Sight. Line Records 1994  

    Chris Youlden & The Slammers. Closing Time. The Last Music Company 2018

     

     

    Unschool Days

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             Ce petit gang local s’appelle Unschooling. S’il tape du School, c’est à rebrousse-poil. Non seulement il va à l’encontre du «School Days» de Chucky Chuckah, mais il va en plus à l’encontre de tout, il fait fi des structures classiques, encore plus fi du fion des mélodies, il télescope de plein fouet le père fouettard, il fulmine de fulmigondis, il te tarpouette la bobinette, il esquinte tous les quintaux qu’il peut, y

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    compris les quintessentiels, ces fiévreux locaux bousculent tous les barrages, y compris celui que dresse Marguerite contre le Pacifique, ils ruent tellement dans les brancards que les branques s’enfuient en poussant des cris, si Unschooling te ring la belle, Bill, c’est pour mieux la fracasser en mille morceaux, on l’aura bien compris, Unschooling c’est le Capitaine Fracasse de la fuite en avant, les voilà lancés dans une quête éperdue de modernité contrepétée à tout crin. Il ne s’agit même plus d’une question de son.

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    Même si c’est pas ta came, et même pas du tout ta came, tu écoutes, car sous sa casquette, le petit mec qui joue devant toi a des allures d’anti-rockstar. Il chante ses cuts avec la gueule d’un guerrier en embuscade, il fixe le public d’un œil de lynx, il n’en finit plus de chanter d’une voix ferme et d’éclater sur sa Tele tout un Sénégal d’exactions inactiniques. Attention, ils sont trois à gratter des grattes, dont une douze qui ressemble à une Burns. Ces mecs travaillent un son anguleux, extrêmement sharp, fier et tendu, ils sont en quelque sorte les rois de la concasse, le rois du baston dans un verre d’eau, ils font une sorte d’âpre no-sell-out, d’aigre so far-out dématérialisé, de math-rock compulsif, ils concassent l’inconsidérable, ils piétinent tout, y compris les plates-bandes de la métamorphose des cloportes, c’est un rock sans pitié qui s’encastre dans des murs ou des platanes, rien ne va comme ça devrait aller, mais ça tient debout et ça finit par imposer une sorte de respect moite. C’est la Post poussée dans les orties, comme une vieille grand-mère qui ne mérite que ça. Ces cinq petits mecs dégagent une énergie énorme et sont capables de jolies crises d’épilepsie, de burst-out héroïques, d’éruptions de nitrates soniques, ceux qu’on préfère. Dommage qu’ils ne fassent pas que ça, car ils deviendraient en un rien de temps les nouvelles stars nationales.

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             Le guerrier en embuscade s’appelle Vincent Février. On peut sans risque le qualifier de guerrier car il semble extrêmement aguerri. Le seul défaut d’Unschooling serait peut-être de jouer trop longtemps. Un set de Post doit rester court, une demi-heure, ça suffit pour y voir clair. Sharp & short. Trop de sharp finit par tuer le sharp, et comme ils ne jouent que du sharp, ça finit par s’auto-annihiler.

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             Alors, intrigué, on file au merch ramasser un truc pour vérifier. Besoin de savoir si Vincent Février est réellement une star en devenir. Leur dernier album s’appelle New World Artifacts. On retrouve sa voix. Ce mec chante pour de vrai. Timbre crédible. Cuts baroques et peu orthodoxes, on s’y attendait. «Erase U» sonne comme une belle entente cordiale de la concasse prohibitive. Ce genre de rock post-moderne ouvre la boîte de Pandore. On se croit soudain autorisé à dire n’importe quoi, à condition que les mots swinguent à l’envers, à rebrousse-poil. On avait éprouvé un sentiment du même genre voici trente ou quarante ans lorsqu’on écoutait The Fall et qu’on frisait l’overdose à vouloir déchiffrer le baratin de Mark E. Smith. Car il est bien évident qu’on ne peut pas écouter The Fall si on ne comprend pas ce que raconte Mark E. Smith.

             Finalement, l’«Erase U» se révèle assez entraînant. On sent un potentiel. Comme Vincent Février dispose d’une voix et d’une réelle carrure, il pourrait faire aujourd’hui ce que The Fall fit voici trente ou quarante ans : re-dessiner la quadrature du cercle. Défier les lois du mainstream et imposer une ère nouvelle de rebrousse-poil. Fuck the system. Son rock, c’est exactement ça. Il ne respecte rien, surtout pas les règles de bienséance qui entraînent la pop culture vers le néant. Voilà ce qu’il faut retenir de cette démarche et de cette volonté de ne pas plaire. Vu sous cet angle, l’album devient passionnant. Février chante son «Brand New Storm» d’une petite voix de museau fouineur, et il dégage du charme. Ce qu’il propose ne pourra pas plaire non plus aux érudits du rock et aux tenants du bon chic bon genre qui vieillissent mal. Vincent Février est un franc-tireur. Il agit seul - avec ses quatre amis, bien sûr - mais c’est lui le driver, le mover & shaker du rebrousse-poil. L’architecte. Il se met enfin en colère avec «Excommunicated», et ça bombarde, un peu, mais pas trop. C’est mieux sur scène. Et puis Unschooling n’est pas Motörhead. En B, il reprend ses travaux d’architecture baroque avec «Ribbon Road», c’est très sci-fi, très Schuiten, très tours de cristal, très ciels d’aquarelle, très perspectives de subterfuges. Son «Shopping On The Left Bank» n’en finit plus de rechigner à plaire. Encore un cut typique de la Post qu’honnissait Gildas. Mais ici, c’est un cas particulier. Vincent Févier ne frime pas. C’est l’anti-frimeur par excellence. On est content d’avoir vu ce mec sur scène, et content, vraiment content, d’écouter son dernier album, juste pour vérifier. Son Shopping est bien secoué de la paillasse. Ça ne peut pas plaire, c’est impossible. D’où sa grandeur. C’est très imberbe, très dévertébré, gratté à l’hirsute. Mal aimable. Pas peigné. Grinçant. Désagréable. De l’art moderne, en quelque sorte, comme dirait Joost Swarte. Petite cerise sur le gâtö : l’album manque cruellement d’explosions. On te vend un album privé d’explosions. C’est une façon comme une autre de te dire : si tu veux les explosions, alors va les voir jouer sur scène. Ils réservent leurs pétards pour la scène.      

    Signé : Cazengler, Uncool

    Unschooling. Le 106. Rouen (76). 8 décembre 2023

    Unschooling. New World Artifacts. Bad Vibrations Recordings 2023

     

     

    Banco pour Bronco

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             Bronco Bullfrog bénéficie d’une bonne réputation : c’est en effet le groupe d’Andy Morten, grand Shindigger devant l’éternel et mentor du grand label de red Rev-Ola. Donc pas de problème, avec Morten, on est au cœur du Swinging London des temps modernes.

             Comme on réédite le premier Bronco, Hugh Dellar leur consacre une page dans Shindig!. Dellar précise aussi sec que Morten est co-founder de Shindig!. Dellar précise aussi que le nom du groupe est tiré du ‘69 Barney Platts-Mills movie. Louis Wiggett indique que son pote Johnny Gorilla en avait une copie VHS. Wiggett donne tout le détail de la genèse de ce premier album, qui s’étale sur un an ou deux, avec du swap de lead vocals et d’instruments - the shape of things to come, really - puis Bronco commence à tourner en Espagne, à la fin de la Britpop. Bon, une page c’est un peu court, mais ils n’ont peut-être pas grand-chose à raconter, after all.

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             Le premier album sans titre de Bronco Bullfrog date de 1998. Bon album de pop anglaise. Bronco est le typical British band, un groupe de fans de grande pop anglaise. «Together» est un vrai shoot de pop avec le tombé du son. Morten compose tout. Il ne quitte jamais le pré carré de la pop anglaise. Il est très casanier. Sa pop reste cousue de fil blanc, il navigue à la frontière du prog, on comprend que ça puisse plaire à Shinding! qui en fait tout un plat. C’mon baby, I’m English. «Poor Mrs Witherspoon» est un peu plus gras, mais on n’y croit plus. Morten est trop pur, trop fragile, trop délicat. Il ramène du heavy load en fin de cut, mais c’est un peu comme s’il arrivait après la bataille. Petit réveil en sursaut avec «Sun Tan Notion», un brin Mod craze et harmonique. On le sent profondément investi dans sa popérisation - And it feels so good to be alive - Avec «Greenacre Hill», il passe à la heavy pop rock de niveau supérieur, et là, ça devient bougrement intéressant. Morten a tous les bons réflexes, il fait de la big Power pop de London town, c’est bien monté en neige anglaise. Il reste dans la grande tradition avec «Lazy Grey Afternoon», mais il redevient un peu trop pur, trop précieux. Il se réserve toujours pour les fins de cuts qu’il aime voir éclore en bouquets psyché psycho. Il flirte dangereusement avec la Mad Psychedelia. Il finit l’album en beauté avec «History», passionnant shoot de big heavy pop, bien raviné des ravines, bien monté en neige sur le tard, puis «Paper Mask», très Beatlemaniaque, bien coulé du bronze. Morten fait son John Lennon, il travaille avec la ténacité harmonique du grand John Lennon. Superbe !

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             Le Seventhirtyeight paru en l’an 2000 grouille de vie. Rien ne grouille autant de vie qu’un album de Bronco Bullfrog. Andy Morten gratte «My New Skin» au pur Brit Sound. Les Broncos campent dans l’invariable. Ils cultivent le bruissement urbain de London town. On reste dans le pur Brit Sound avec «Sweet Tooth». Il y règne un léger parfum de Beatlemania. C’est la pop des jours heureux, la pop du manège enchanté, la pop magique des Hollies et des Seekers. Encore plus explosif, voici «Blow Yourself Up», oh so British ! C’est claironnant d’harmonies vocales, ces trois petits mecs ont du génie, c’est gorgé d’énergie tellurique, tell me why it hurts me, suivi d’un solo à ras la motte. Les dynamiques sont exceptionnelles. Certains cuts comme «7:30 (Bug-Eyed And Breathless)» manquent à leurs devoirs, même s’ils restent intenses et bien drus, mais limite proggy. Ils attaquent le continent pop par tous les angles, comme le montre encore «So The Wind Won’t Blow It All Away», même sous l’angle mélopif, ça reste fruité, assez subliminal. C’est un album qu’on ne lâche pas en chemin. Retour au génie pop avec «Jigsaw Mind», pop Whoish de big élan, c’est du pur blossoming, eau et gaz à tous les étages en montant chez Andy, il chante ça à l’intrinsèque de Pure Brit Sound. Et ça continue avec «One Day With Melody Love» tapé à la Bronca de Bronco, donc très puissant, ils prennent leur Melody à l’unisson du wild saucisson et c’est zébré d’éclairs Whoish, traversé par un solo classique et beau. Ça bat la chamade à la Moonie. Retour aux Who avec «Get To Know You», c’est leur dada, ils adorent les Who mais sans Daltrey. Ils s’intéressent plus aux explosions.     

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             The Sidelong Glances Of A Pigeon Kicker est un beau Mushroom Pillow de 2002, qui fait maintenant l’objet d’un buzz, puisque Guerssen a mis le grappin dessus. Guerssen, c’est le Toy In The Attic du pauvre, ils tentent des coups, mais ce ne sont pas les mêmes moyens. Évidemment, ils attirent les amateurs de disques obscurs (et souvent ratés) comme des mouches. Sauf que cette fois, The Sidelong Glances Of A Pigeon Kicker n’est pas un disque raté. Oh la la pas du tout. Dès «Barnaby Slade», ils t’en mettent plein la barbe, on sent même un brin de Small Faces dans la rafale, et en plus tu as aussi des accents de Beatlemania. Ils sont dans leur trip, fiers et sans remords. L’«Octopus» qui suit n’est pas celui de Syd Barrett. Ils sont dans une espèce d’heavy pop nerveuse et lumineuse. Andy Morten et ses amis jouent à l’exubérance évolutive. S’ensuit un balladif bien construit, «Tea & Sympathy», ça sonne bien dans ta coupelle, toi qui mendies du son anglais. Ils attaquent «Look At Me» à la Who’s Next. Très impressionnant. Ni un hit ni un miracle, mais un shoot de rock anglais très inspiré. Encore plus convainquant, voilà «Snig’s Not Dead», plus poppy sucré, bien construit, tu adhères aussitôt au parti. Ils renouent avec l’énergie des Who dans «Wolly’s Dream», ils ont tout l’attirail : bassline voyageuse, wild killer solo flash - Tell you baby watcha you gonna dooo - On se régale des descentes de bassmatic. On se régale encore plus du what can I doo d’«I’m Not Getting Through», toujours aussi heavy, poppy et si prodigieusement inspiré, et tu as même un solo à la déglingue de clairette. On assiste à la suite à une fantastique remontée du courant pop avec «Last Chance To Smile», ils nagent dans la pop comme les dauphins savent nager, ils sont les Heroes de la pop anglaise, et ils se fendent d’un giving a try suspendu aux harmonies vocales. La pop est une religion en Angleterre, c’est la raison pour laquelle «Honeybus» impose le respect. Ces trois petits mecs taillent une route vers la beauté purpurine. Let me take you down in honeybus fields forever.

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             Et puis voilà le pompon, la cerise sur le gâtö de Bronco : Oak Apple Day. L’un des disques magiques les plus rares d’Angleterre. C’est un aboutissement ! Quand tu écoutes «You’re My Head», tu te crois sur l’album que les Who n’ont jamais enregistré. Les Bronco bombardent, c’est une pop de destruction massive. On retrouve toute la remona des Who et des Small Faces dans leur soupe, et le bassmatic délirant dévore tout. C’est le plus féroce depuis l’âge d’or de The Ox. Avec sa basse, Louis Wiggett vole le show, un Wiggett qu’on va retrouver plus tard dans Admiral Sir Cloudesly Shovell. Andy Morten bat le beurre et Michael Poulson chante et gratte ses poux. L’album explose au firmament dès «Sunday Wheeling». C’est une pop gorgée de jus. On a beau s’être habitué aux miracles avec les trois premiers albums, celui-ci semble monter un cran largement au-dessus. Ces mecs incarnaient à l’époque l’avenir de la pop anglaise. Ils sont les Big Star d’Angleterre, comme l’étaient aussi à leur façon les Fannies de Glasgow. Encore de la big energy de cross over avec «I Don’t Need The Sunshine», ils tapent une pop éclatante, vivifiée, alerte, gorgée d’allure, et tout éclate dans une solace de chœurs magiques. Ils restent fidèle à leur ethos de pathos avec «Hey Mary», ils renouent avec la grande énergie de early Hollies et on voit Poulson fondre un solo en quinconce. Encore une pop bien ramassée avec un «Wrong Things Right» gorgé de jus comme un fruit exotique extraordinaire, ça éclate de vie au soleil de la pop, ils sont en plein dans les Hollies. Et puis tu vois les pah pah pah de «Mock Orange Innocence» rayonner dans une incroyable solace de freakout, dans un véritable halo de descentes beatlemaniaques. Retour du wild bassmattic sur «I Got The Rain» et les carillons que tu entends sont bien ceux du Rain des Beatles, mais c’est explosé dans le ciel d’Angleterre. Ils font de la power sunshine pop. Personne ne peut résister à ça. Avec «Deep Six», on les voit se glisser subrepticement dans la magie pop avec une douceur sans égale. Ils sucrent la Beatlemania. Ce mec Poulson chante comme un dieu. Leur pop est une pop de power absolu, ils osent des dynamiques extravagantes, ils explorent tous les registres de la pop anglaise, ils poussent leur art au plus haut point. Avec «Between Here & Beyond»», ils reprennent les choses là où les Hollies les ont laissées en 1965, et ils tracent leur route vers la modernité. C’est explosif de might never get the chance again. Et puis voilà l’apothéose, «Emporium Days», drivé dans le sens du poil de la bête, imparable, vraie pop en rut, sans doute la meilleure power pop d’Angleterre, et ça finit en mode Whoish d’explosion nucléaire.

    Signé : Cazengler, Bronco Bullfroc

    Bronco Bullfrog. Bronco Bullfrog. Twist Records 1998

    Bronco Bullfrog. Seventhirtyeight. Twist Records 2000    

    Bronco Bullfrog. The Sidelong Glances of A Pigeon Kicker. Mushroom Pillow 2002

    Bronco Bullfrog. Oak Apple Day. Rock Indiana 2004

     

     

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    Tiens un groupe qui s’appelle Nature Morte, bizarre pour du Black Metal, doivent être français, quoique l’expression ‘’ nature morte’’ est reprise dans les livres d’art de langue anglaise, l’album se nomme Pénitence Critique, regardons de plus près, j’ai tout inversé Nature Morte est le titre de l’album et le groupe c’est, j’avais mal lu, Pénitence Onirique, étrange association, oui ils sont français, curieux, étrange, énigmatique, allons y voir ! En plus ils revendiquent d’utiliser notre noble langue françoise.

    NATURE MORTE

    PENITENCE HONIRIQUE

    (Les Acteurs de l’Ombre / Novembre 2023)

    Le groupe s’est formé en 2015. Manière de parler puisque Bellovesos est tout seul, l’est très vite rejoint par Diviciados, l’origine gauloise de ces noms ne vous aura pas échappé. Serait--ce une manière de se séparer symboliquement du milieu qui les a vu naître, viennent de Chartres, une ville historiale marquée par la tradition catholique. Relisez Les Tapisseries de Charles Péguy pour mieux comprendre. En 2016, paraîtra V.I.T.R.I.O.L. - passionnés d’alchimie me quittent pour illico presto pour aller écouter cet opus – un single Aphonie en 2018, un deuxième album, nous y reviendrons, Vestige, en juillet 2019, quatre ans après : cette Nature Morte qui, serait-ce une pointe de désir nécrophilique, nous excite.

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    Sur scène, ils sont six, ils arborent des masques – la grande mode chez les groupes de Black Metal Atmosphérique – et sont revêtus, bonjour les étés festivaliers et caniculaires, de longs costumes noirs. L’on pense à Magma et à leurs robes hiératiques.

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    Différente, cette couve, elle ne correspond pas à l’imagerie traditionnelle des groupes de Metal, l’a un côté suranné, je veux dire d’un autre monde disparu, non pas celui de la mythique Atlantis, beaucoup plus proche de nous, de ces salons littéraires de la fin du dix-neuvième siècle et du début du vingtième, j’ai tout de suite pensé aux floralies et bouquets de Madeleine Lemaire, Marcel Proust lui doit beaucoup…

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    Cette couve est éclose du pinceau d’Aurore Lephilipponnat, selon la formule consacrée un détour sur son instagram s’impose, art classique et religieux, de merveilleux fusains, des anges, des maternités, des corps de femmes nues, un art infusé de culture chrétienne mais une plume de Satan foudroyé a dû voleter pas très loin de l’âme de l’artiste toute une partie de l’œuvre s’irise d’un bestiaire peu orthodoxe et les chairs sont parfois pantelantes, disséquées jusqu’à l’os, à croire qu’elles ont subi d’innommables et extatiques tortures. Beauté et cruauté se regardent l’une dans l’autre comme dans un miroir.

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    Sur Bandcamp une courte notule : ‘’ Le concept de cet album est une interprétation romancée du travail de René Girard sur le désir mimétique, bouc émissaire et le sacrifice rituel.’’ La pensée de René Girard a été poussée en France par de nombreux médias lors de la sortie de son ouvrage : Le bouc émissaire paru en 1982, les mauvais esprits comme moi feront remarquer : dans les temps mêmes où l’idéologie libérale s’installe en France et où le personnage de Jean-Paul II (nommé pape en 1978) est porté au pinacle par ces mêmes médias. C’est ainsi que l’on présenta voici un demi-siècle conjointement les mécanismes de l’exploitation de l’homme par l’homme comme un bienfait économique et le christianisme comme un supplément d’âme nécessaire à cette nouvelle modernité tant vantée, hélas à cette époque encore trop mécréante.  Des journalistes désireux de simplifier les concepts un tantinet difficiles de Girard lui ont, dans le but de rassurer le lecteur, décerné le titre de philosophe chrétien. Nous pensons à l’instar de Julien qu’un philosophe ne saurait être chrétien puisque foi et pensée appartiennent à deux domaines différents. Pour notre part nous le qualifierons plutôt de théologien. Laïc certes, mais en son genre non dépourvu de logique. Si sa théorie mimétique nous semble, à l’instar de la théorie psychanalytique qu’il combattit, se penser davantage elle-même qu’expliquer le fonctionnement de l’esprit humain, sa réflexion sur le sacrifice rituel nous paraît faire totalement l’impasse sur le rôle des pratiques théurgiques païennes sur lesquelles, en les oblitérant totalement, le catholicisme a fondé l’aspect sacrificiel de la messe.

    Désir : il vous reste peu de temps à vivre, une minute,  profitez-en, quelles douceurs dans ces bruits de tubulures étouffés, le désir est-il censé de s’approcher de vous comme l’esprit saint sur des pattes de colombe, mitraillage battérial, trop tard l’hystérie phonique fonce sur vous, trois guitares, vous me faites pitié imaginez-vous être le colonel Chabert, ce héros de Balzac, deux coups de sabres sur la tête et un boulet de canon qui envoie voler votre cheval qui retombe sur vous, ensuite ce sont les quatre mille chevaux de la charge d’Eylau qui passent sur vous, ne bougez pas d’un cheveu, laissez-vous faire, imaginer le piétinement incessant de quatre mille centaures qui vous piétinent sans discontinuer. Ce n’était qu’une image pour vous signifier que vous aurez du mal à trouver plus violent, sinon c’est une histoire d’amour, girardienne ce qui change la donne, non vous n’êtes pas en train de vous adonner avec un ou une partenaire choisie à vos petites affaires intimes, vous n’êtes pas deux mais trois, mais non ce n’est un troisième larron qui viendrait se glisser dans votre duo, celui qui vous dérange c’est le désir, non pas celui que vous avez pour votre partenaire car si vous la ou le désirez c’est pour imiter quelqu’un d’autre car pour Girard l’on ne désire quelqu’un que par rapport à une autre que vous voulez imiter pour lui ressembler, et puis le surpasser. Le pire c’est que votre partenaire est dans le même cas que vous, deux triangles amoureux qui se confrontent ( nous ne sommes pas loin de la structure absolue ( = 6 ) de Raymond Abellio ), comment éviter que votre désir ne se transforme en haine, puisque à travers vous ce n’est pas vous qu’il ou elle cherche atteindre mais un ou une autre, maintenant vous comprenez pourquoi le morceau est si violent, l’on est au plus intime des rapports humains, l’homme est un carnassier pour l’homme, mais il ne se nourrit pas d’une seule chair. Les Mammonides : si vous êtes d’un optimisme indécrottable, si vous pensez que ce nouveau morceau ne saurait être pire que le précédent vous avez perdu. L’intro vous annonce clairement le propos, ce coup-ci c’est le combat des Lapithes contre les Centaures dont les Grecs avaient voulu perpétuer le souvenir en le sculptant sur le fronton du Parthénon, le screamer il n’a pas une voix, juste un presse-purée qui vous moud des tombereaux de granite aussi finement de la farine. Epique !  Vous avez eu le sexe en première partie, en deuxième vous aurez encore plus fort, ce n’est pas the drugs et pas le rock non plus. Vous avez la ruée, voici l’or. Dans notre monde dévitalisé on se contentera de l’argent. Les Mammonides furent une secte hébraïque qui adorèrent le veau d’or. Avec l’or vous achetez tout ce que vous voulez, des babioles, des esclaves, des voitures… tout cela n’est rien, des fariboles, le plus grave c’est que vous crochetez par l’envie que vous suscitez la pensée des autres, vous corrompez les populations, vous les écartez de leurs destinées humaines de sagesse. Nature morte : ce n’est pas la nature qui est morte, gardez vos craintes écologiques pour vous, z’ont un peu baissé le son et ralenti le rythme pour que vous entendiez le message. Ce n’est pas non plus le bouc émissaire que l’on conduit au supplice. C’est Dieu in person, ou plutôt le Christ, faut avouer que les guitares et les cris pourraient servir de générique à un superbe péplum, on s’y croirait, le son tourne autour de vous et vous avez l’impression d’être au milieu de l’envieuse foule assoiffée de sang… Par son innocence le Christ met fin à l’Histoire humaine. Sans lui les hommes seront soumis à des siècles de fer et de feu. Mais il reviendra, et pour ces résidus dégénérés que nous sommes il ouvrira un nouveau cycle. Lama Sabacthlani : après la folie phonique des trois premiers morceaux, ils vont sacrifier aux habitus metallifère, certes ils ont déjà sacrifié Dieu, alors ils profitent de ses tout derniers instants pour le morceau lent de rigueur dans les albums du genre, à peine plus de deux minutes, il ne faut quand même pas exagérer, une acoustique qui résonne un peu voilée pour exprimer la solitude du Dieu qui doute et de la désespérance du monde et de l’Humanité… quelques notes claires, presque radieuses symbole d’espoir. Je vois tomber Satan comme l’éclair : citation de l’Evangile de Luc que l’apôtre a lui-même reprise au prophète Isaïe, c’est aussi le titre d’un livre de René Girard paru en 1999. La musique survient comme une pierre qui tombe, c’est Satan que Dieu rejette parmi les humains après l’avoir enchaîné pendant mille ans, il lui livre les âmes à éprouver, les rares qui lui seront restés fidèles et la multitude mécréante et coupable seront jetés en l’enfer. Pénitence Onirique joue un peu trop sur le grandiose, la scène d’amour charnel du début est beaucoup plus violente que ce morceau d’apocalypse, les légions noires de Satan et les armées blanches de Dieu auraient mérité un affrontement davantage échevelé. Pharmakos : après la chute, l’envol. Thème orientalisant. Pénitence Onirique nous refait le coup de La Fin de Satan de Victor Hugo, ce n’est pas Dieu qui pardonne, ce sont ses adorateurs qui le sacrifient, l’antichrist par excellence qui va être sacrifié comme l’a été le Christ, le choix de Dieu et le choix des hommes est différent, le Christ était innocent et Satan un rebelle, le châtiment que les mécréants lui infligent lui octroie au regard de Dieu une nouvelle innocence. Très beau morceau, secoué de thèmes qui s’entrecroisent, l’on n’est plus dans un grandiose un peu kitch comme dans le morceau précédent, mais l’on ressent un sentiment de véritable grandeur. La scène ne se déroule pas dans un péplum, elle se passe à l’intérieur d’une âme. Les indifférenciés : le bon Dieu est-il bon ? Non il est Dieu. Tout le monde ne sera pas gracié, pendant que j’écris il est étrange d’entendre des réminiscences Zedpliniennes dans ce morceau, les indifférenciés sont ceux que le Seigneur a recraché de sa bouche, ils sont livrés non pas au feu mais à la matière, ils sont meulés, broyés, transformés en une pâte informe et anonyme avec laquelle Dieu s’amusera, s’il en a envie, à créer ce qu’il voudra, pour eux il n’y a plus de Dieu, ni de Diable, le désir d’être mieux ou pire que leurs modèles n’existe plus, chacun ne pourrait qu’aspirer à se mimer lui-même. Le vocal ressemble aux paroles que prononcerait un vieil ours grognon dans un conte imagé pour les enfants.

             Superbe, intelligent et puissant.

    Damie Chad.

     

    *

             Je ne sais pas pourquoi mais j’ai eu envie d’y retourner. J’ai voulu en savoir plus. En écouter davantage. Alors j’ai cédé. Parfois l’appel du Serpent est plus fort que vous.

     

    EMPERORS OF THE NIGHT

    AVATAR

    (K7 / Demo / 1994)

    Necromance : bass / Zynux : drums / Izaroth : keyboards / Occulta : guitar / Daema : lead female vocal.

    Une cassette, un trésor ! Du do it yourself, à l’époque on employait l’expression self-realised. De l’underground. Un autre monde, pas du tout pareil de refiler la platitude d’un CD à un copain, la K7 c’était autre chose, un objet que l’on se transmettait, un truc fragile auquel il fallait gaffe, une espèce de tablette sumérienne moderne porteuse d’un langage différent. Ce n’est pas un hasard si de nombreuses niches underground continuent à utiliser la K7 à tout petit tirage, trente devient un nombre pléthorique, l’anti objet transactionnel de la modernité, la transmission à quelques rares, à une élite clandestine, pas du tout un échange à duplication infinie, commerciale et industrielle… La rareté de préférence à l’unidimensionnalité impersonnalisante.

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             Comparez la belle couve rutilante de Memoriam Draconis (voir notre livraison 636 du 14 / 03 / 2024) au maléfique crachat gribouillé de noir qui orne l’étui de cette cassette, c’est un peu comme si vous étiez Billy Bones à qui Pew remettrait la marque noire… L’Aventure ne fait que commencer, la Grande, celle de la Mort…

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             Pour ceux qui ont peur de refermer la main sur la noirceur du monde, Babylon Doom Cult Records vient de sortir en toute fin de février ce premier opus d’Avatar, sous forme numérique et vinyle (300 exemplaires) agrémenté d’une couve couleur qui change un peu les perspectives. Bien sûr vous n’irez pas embrasser sur la bouche la méchante bébête, nous sommes toutefois dans le domaine de l’iconographie esthético-metallique traditionnelle.

    A lost city : vent nocturne, récit envoûtant, voyage au bout de la nuit, voix chuchotante, et soudain se dresse Innaya la cité perdue, l’horreur déferle sur vous, Daema continue son récit d’une voix enferraillée, coupante, cisaillante, l’horreur défile devant vous, la ville est vide, les dieux sont partis, tout change, le synthé d’Izaroth vous vend une espèce d’envolée digne d’un menuet du grand siècle, vous auriez dû vous boucher les oreilles pour ne pas être empoisonné par le plus doux et le plus maléfique des sortilèges, tout se précipite, respirez à pleins poumons ces déchets puants, maintenant vous entendez ce qui n’existe plus, les morts susurrent d’étranges ricanements, vous êtes sous le charme, ils vous appellent, désormais vous êtes le prisonnier volontaire d’Innaya, la cité perdue, à jamais perdu. Auriez-vous embrassé Eras le dieu de la peste….

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    The curse of Nosferatu : hymne murnauïque à Nosferatu, la musique épouse le balancement irrégulier du vol des chauve-souris, vous rejoignez la horde des vampires, vous avez soif, vous chassez en groupe, si quelqu’un vous abordait de plein jour avec l’étrange vocalisation éraillée de Daema vous vous enfuiriez, mais là vous lui prêtez une ouïe complaisante, elle vous révèle de bien étonnants mystères qui vous attirent, vous sentez des ailes pousser dans votre dos, rejoindre l’essaim maléfique devient une obsession, vous aussi vous désirez participer à cette ruée vers le sang, insecte maudit attiré par la flamme noire de la mort. Le fameux baiser du vampire ne saurait être pire. Queen of death : tourbillon sonore, prière insensée, appel nécrologique à la mort, tous les plaisirs les plus immondes sont permis, tourbillon battérial, se faire violer par l’Isis nyxienne, connaissez-vous plaisir suprême plus absolu, la voix n’est plus qu’un râle de pamoison exacerbée. Elle desserre son étreinte, la batterie imite les soubresauts de votre corps raidi par les pétrifiantes glaires clitoridiennes dont elle a vous a inondé.

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    The Vampires’ sleep : au commencement était le sommeil, Il dort pour mille ans, volutes phoniques sépulcrales, une voix raconte l’impossible, Il est comme mort mais il agit sur les esprits, il pénètre dans vos rêves, il les rend plus beaux, si grands que vous l’appelez, vous l’attendrez mille ans s’il le faut, mais il viendra. Les vampires sont immortels. Non ce n’est pas le conte de la belle au bois dormant. Version trash. Emperors of the night : vocal d’égorgement, séquences répétées de rythmes frénétiques, toujours cette voix qui vous parle, qui se livre et délivre d’inavouables secrets, les empereurs de la nuit sont des vampires qui voltigent follement et vous assaillent, vous emportent dans le maelström de leur folie,  le vampire s’éveille, il fonce sur le monde ivre de rage et de vengeance, il est l’Apollyon destructeur, l’abomination qui fond sur les chrétiens, le loup du grand carnage, définitivement du côté de la Nuit éternelle, une guitare étincelle,  l’obturateur final et terminatorien du soleil. Night of demonic worship : excavation rituellique abyssale, la voix devient chant, hymne au soleil noir, il vient, Il a dormi mille ans et il est décidé à ne rien laisser subsister, une voix énonce clairement à plusieurs reprises que la fin arrive, tout bouge, tout transmue, le chœur des anges déchus et des vampires de la nuit entonne le glorieux paean du retour. Hymn to the Ancient Ones : quelques notes claires, c’est l’appel aux Dieux Anciens, les premiers qui furent là bien avant le christianisme, et puis c’est un déferlement de joie, le vent souffle du bon côté, c’est le réveil du Serpent, extases vocaliques la masse musicale s’engloutit comme un cône volcanique qui s’effondrerait sur lui-même déchaînant un cataclysme sans fin. Quelques transparentes notes terminales pour annoncer au monde le retour du Serpent.

             Le kr’tntreader aura remarqué que l’antépénultième et le morceau final ont été réutilisés pour Memoriam Draconis. Nous sommes dans les soubassements de l’album. L’œuvre n’en est pas moins aboutie et mérite le détour.

    MILLENNIA

    (Enregistré en  2000 / Sortie numérique en 2011)

    Une couve pas aussi tape-à l’œil que celle de Memoriam Draconis, un paysage peuplé de brume fantomatique mais que vient faire cette rose rouge posée sur on ne sait trop quoi… A première vue un peu passe-partout, mais si votre regard s’y attarde, vous finissez par être attiré, vous finissez par y penser alors qu’elle n’est plus devant vos yeux depuis des heures. Une attirance mystérieuse s’en dégage.  L’artwork n’est pas crédité.

    Ivan : keyboards / Klaartje : female vocal  /  Jeroen : vocals, guitare / Filip : guitare / Stijn : basse + guitare acoustique.

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    Mirrors : instrumental : indéniablement le son n’est pas le même, dès les premières notes acoustiques vous le ressentez, plus fort, plus resserré. Davantage symphonique, ce pseudo piano qui sonne fort et bientôt cette lourde envolée instrumentale lyrique, le morceau est bâti sur une lente et inexorable montée, qui débouche sur une plainte de flûte synthétique emprise de tristesse. Des miroirs se renvoient à l’infini une image abyssale, à la manière du titre de l’album qui recouvre le même titre d’une calligraphie évanescente, un peu comme ces millénaires qui obstruent les souvenances des millénaires antérieurs qui gîtent néanmoins dans le regard qui ne les voit pas. The Unboldied Serpent : musique triomphante, voix grasseyeuse, au fond de l’abîme du temps se trouve le Serpent sans corps, qui-est-ce au juste, le serpent mort depuis des siècles ou un concept issu de nos songes, il est immortel, il est au-delà du passé et au-delà du futur, il se tient dans sa propre présence, seule la présence est éternelle, le serpent transcende le temps, les miroirs dans lesquels vous vous regardez vous renvoient son image, peut-être mentale, peut-être spectrale, quelque chose se détraque en vous, le background musical glisse dans un précipice d’où s’élève la voix pure du rêve de la femelle, s’allume un dialogue de haine et de désir, le néant engage une lutte atroce contre l’existence de tout ce qui demande à être, gouttes de cristal qui s’égouttent dans la brume du temps, l’énergie se rassemble, maintenant nous savons, nous apprenons que sur la peau du serpent sans corps se forme et naît une rose pourpre de son sang qui s’en vient fleurir la tombe du monde, la voix, la voie, féminine triomphe et par le final monstrueux de cette symphonie nous avons accès à la beauté du monde. The ancient king : superbe entrée royale, la batterie se charge du galop de la charge macédonienne, le Serpent s’est-il appelé Alexandre, sa mère ne l’a-t-elle pas engendré en dormant avec ses serpents sacrés, chant de violences et de victoires, une épopée résumée en quelques couplets, qui se termine sur un épisode célèbre, la confrontation du Roi avec Diogène le sophiste, le cynique, qui ne demande rien si ce n’est que le Roi ne voile son soleil, le soleil d’Alexandre est-il plus fort que l’astre divin, Alexandre en sa sagesse déclare que s’il n’était pas le Roi du monde il aimerait être ce chien de Diogène, lui qui a bâti un Empire ne sait-il pas qu’il existe un Empire encore plus grand ; plus profond, plus étendu que le sien, le néant. L’Un et l’Autre ne s’équivalent-ils pas, comment comprendre la vacuité du rien si on ne peut le comparer au Tout. Optimisme ravageur du Serpent. Smocky mountain : sombre introduction, le vent souffle, les grandes orgues du piano dramatisent  à mort, pourtant les méditations intérieures du Serpent ne sont pas sans évoquer le rire de Zarathoustra, mais le Serpent peut-il faire montre d’autre chose que d’une jovialité débonnaire vis-à-vis de ses adorateurs, la voix si pure de Klaartie s’élève vers les sommets alors que le héros nietzschéen descend des montagnes, il roule non pas vers le haut comme Sisyphe, mais vers le bas le rocher de la plus lourde pensée. Toute présence n’est-elle pas devenir qui a déjà eu lieu. C’est pour cela que les images mentent. Vous pouvez en rire. Pourquoi croyez-vous que le Serpent n’a pas de corps.

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    Millennia : sombre et chaotique, le Serpent déroule l’histoire du monde depuis le néolithique aux fusées interplanétaires, les hommes tiennent conseil ils font semblant d’être sages pour ne pas être fous, la musique court, elle roule les siècles, les hommes ne valent que peu de choses, comptez un génie par siècle pour donner du sens à cette mascarade, maintenant la musique, le même bruit que font les briquets qui mettent le feu au bûcher des grands hommes. Le secret du soleil : de l’eau qui coule, guitares apaisantes, n’est-ce pas étrange cet élément liquide pour célébrer la fusion du soleil, l’eau et le feu ne sont-ils pas identiques, l’océan n’engloutit-il pas les fières et puissantes Atlantis, le feu héraclitéen ne met-il pas fin aux cycles répétés. Pour les mieux recommencer. Ultramare : entrée roborative le serpent se souvient  de l’innocence de la chair, de l’amour qui recouvre la mort, outremer est le lieu de l’habitation humaine, une graine enfouie dans la mémoire, une rose qui refleurit chaque fois que l’on y pense, l’on aimerait entendre la voix pure de Klaartie et non celle rocailleuse de Jeroen, elle paraît elle est l’inextinguible rêve de notre chair qui ne veut pas mourir, elle plane et disparaît pour rester à jamais comme une épine plantée en la mémoire du monde. L’Eternel Féminin par lequel Goethe a fini son Faust . The summergate : entrée fracassante, grandiose et dramatique, le Lézard s’épanche,  il va à l’essentiel de sa geste héroïque il ne retient que les jours les plus intimes, les portes de l’été, la saison la plus heureuse de sa vie, un souvenir clos sur lui-même qui revient toujours, le zénith de son existence, le fait qu’il revienne sans cesse dans sa tête dans la roue du retour éternel de toutes choses n’est-ce pas la preuve que tout revient, que si elle est morte, elle est tout de même vivante, toujours présence dans sa seule présence, mais aussi dans sa présence à lui, n’a-t-il pas vaincu la mort, n’est-il pas pour l’éternité le Lézard le plus heureux du monde porté par une musique triomphale. Les portes de l’été ne sont-elles pas toujours restées ouvertes pour lui. Pas besoin comme Dylan d’aller frapper au portail du jardin fermé pour l’éternité. Weltschmerz : l’autre face de la même pièce, nous quittons le Serpent, une musique martiale qui court et qui défile au pas de gymnastique, le mieux y côtoie le pire, de très courts extraits de discours de Martin Luther King et d’Hitler, l’un qui brode nos rêves et l’autre qui forge nos cauchemars, nous sommes projetés dans le Serpent, dans le temps du Serpent qui est aussi le nôtre, dans les temps du Serpent qui sont aussi les nôtres. Réveil brutal et glacial. Nous sommes le Serpent. Tous des hommes-serpents. Ni pire, ni meilleur que Lui.

             Différent de Memoriam Draconis mais tout aussi passionnant. Avatar possédait toutes les qualités imaginatives et musicales pour devenir un groupe maximal.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

    45

    Je suis revenu chez moi. Je me suis couché. Molossa et Molossito me veillent ils savent que nous traversons des moments cruciaux. La tête sur l’oreiller je pense. Je m’imagine que je suis le penseur de Rodin juché sur la Porte des Enfers, un peu comme le corbeau d’Edgar Poe posé sur le buste pallide de Pallas. Les idées s’entrechoquent dans ma tête. Je ne me lèverais de ma couche que lorsque j’aurais pris une décision. N’importe laquelle, mais une décision, c’est le conseil du Chef, faites comme moi Agent Chad, en toutes circonstances je prends d’abord un Coronado, une véritable boussole ainsi je sais quelle que soit la différence sans me tromper dans quelle direction je dois faire mon premier pas, puisque vous n’êtes pas un de ces êtres supérieurs adeptes du Coranado, prenez une décision. Faute de Coronado une décision s’impose. Je tourne les mots du Chef dans ma tête, ils sont porteurs d’une sagesse décisive, j’en suis certain, le Chef ne se trompe jamais, oui mais comment extraire la substantifique moelle de cette problématique amande amère. Déclic brutal dans ma tête : la professeur Longhair n’a-t-elle pas déclaré que j’étais un Génie Supérieur de l’Humanité, je le savais déjà mais c’est sur ce terme de supérieur que je dois creuser…

    46

    La suite a été plus facile, comme un alignement de planètes, je vous résume mon raisonnement, j’espère que vous tirerez profit de la mise en application de la logique hégélienne :

    Premier mouvement : je pose la thèse : Voyons Damie tu es tout seul dans ton lit, je caresse la tête de mes chiens, je ne veux pas qu’ils croient qu’ils comptent pour du beurre dans ma vie, si tu étais vraiment supérieur, en toute logique  tu devrais être dans ce lit avec la professeur Longhair, même si  je la préfère en mini-jupe rouge qu’en blouse blanche de scientifique, ses divers accoutrements n’ont rien à voir avec le problème qui me préoccupe, si elle était là elle devrait être toute nue.

    Deuxième mouvement : j’ose l’antithèse : attention c’est la partie la plus difficile, celle par laquelle vous vous confrontez à la négativité, n’oubliez pas que ce que nie la négativité c’est vous : oui moi Damie, Génie Supérieur de l’Humanité, je dois le reconnaître, Joséphine n’est pas dans mes bras, soumise à mes turpitudes les plus dépravées, au mieux je suis donc un génie inférieur de l’Humanité. Je me dois de reconnaître l’humiliation de ma défaite. Ne serais-je qu’un mec sympa de mon quartier…

    Troisième mouvement : je glose la synthèse : cette conclusion nécessite une grande subtilité : essayez de suivre le raisonnement : normalement Joséphine devrait être là tout contre moi, or elle n’est pas là, mais si elle n’est pas là alors qu’elle devrait être là puisque je suis un Génie Supérieur de l’Humanité, c’est qu’elle n’a aucune raison d’être là !

    Je pousse un hurlement de triomphe. Je saute de mon lit, les chiens courent partout dans l’appartement en aboyant comme des sauvages. Contrairement à la majorité des kr’tntreaders ils ont compris, eux, les implications conséquentielles de cette dialectique hégélienne.

    47

    Le Chef est en train d’allumer un Coronado lorsque le lendemain nous rentrons tout sourires aux lèvres (ou aux babines) dans le local :

    • Agent Chad, si mes doigts ne me trompent pas, vous êtes trois et pas quatre !
    • Ah ! Chef, je vous ai écouté, j’ai pris ma décision !
    • Si je me fie à mon instinct, si ce matin notre porteuse de mini-jupe rouge n’est pas avec vous, c’est que vous avez porté votre dévolu sur une autre demoiselle !
    • Chef, vous comprenez tout, ce n’est pas possible, parfois j’ai l’impression que les Coronados jouent chez vous le rôle de divination des bâtonnets du Yi King chez les bonzes thibétains !
    • Agent Chad, cessez de flatter votre Chef, il m’a suffi de voir que vous étiez seulement accompagné de vos chiens pour comprendre, pas besoin de relire Hegel pour une déduction aussi enfantine ! Si vous voulez je peux même vous livrer le nom de ladite demoiselle !
    • Oui c’est Elle Chef !
    • Agent Chad, gardez la tête froide, pas d’idéalisme platonicien s’il vous plaît, les choses sont assez embrouillées comme cela pour que vous en rajoutiez !

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    Le briefing qui a suivi a été assez long. Au début pour moi tout était simple :

             _ Chef elle va revenir, n’est-elle pas d’ailleurs déjà revenue, elle n’a pas hésité à prendre la place de Josiane dans mon lit après lui avoir troué la tête d’une balle, ça ne l’a même pas dégoûtée de faire l’amour avec moi dans les draps dégoulinants du sang de sa rivale ! Je suis sûr qu’elle est déjà en route !

             _ Sur ce dernier point Agent Chad je suis d’accord avec vous, qu’elle soit en chemin je n’en doute point, mais pourquoi !

             _ Enfin Chef c’est évident, le professor Longhair nous a longuement explicité que j’étais capable, à distance de faire faire aux autres ce que je voulais qu’ils fassent, sans même en être conscient, or je désire Gisèle au fond de moi, sans savoir jusqu’à quel point, une jolie bibliothécaire, une mignonnette mini-jupe rouge et l’objet de mon désir s’est déplacé, mais après avoir longuement réfléchi toute la nuit, je sais que celle qui m’intéresse plus que n’importe quelle autre c’est Elle, Gisèle, donc elle vient !

             _ Agent Chad, notre professeur n’a pas dit que les gens que vous attirez à vous vous obéiraient comme des zombies. Vous auriez aimé traverser les murs, vous avez suscité sans le savoir chez des individus que vous ne connaissiez pas la possibilité de traverser les murs. Ils ont réussi, nous en avons les preuves, ils n’ont pas fait cela pour vous faire plaisir, ils ont simplement incarné votre rêve. Mais maintenant qu’ils en sont les dépositaires, ils vont s’en servir à leur avantage. Sont d’apprès moi en train de monter une espèce d’organisation maffieuse, pour se procurer ce qu’ils veulent : dans un premier temps de l’argent, dans un deuxième ce sera le pouvoir, avec les moyens qu’ils ont à leur disposition je pense que les prochains évènements qui défraieront les chroniques dans les jours qui viennent risquent d’être particulièrement gratinés. 

    J’allai répondre mais le Chef ne m’en a pas laissé le temps :

             _ Quant à votre Gisèle ne soyez pas si sûr de vous, qu’elle ait apprécié votre première rencontre, je veux bien l’admettre, mais qu’elle ne soit pas jalouse de votre bibliothécaire, n’oubliez pas qu’elle l’a froidement tuée dans son sommeil j’y verrais surtout un acte de jalousie foudroyant. Agent Chad c’est une tigresse altérée de sang et de vengeance qui vient vers vous, méfions-nous.

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    Le Chef n’eut même pas le temps d’allumer un Coronado que l’on frappa à la porte :

             _ Allez ouvrir, prenez votre air le plus naïf, je vous couvre avec mes deux Rafalos

    Je reconnus le gars tout de suite, un commissionnaire de la Poste qui souvent nous emmenait des colis divers.

             _ Rien de grave Chef, un petit paquet sans doute un groupe qui nous envoie des CD ou des vinyles pour les archives du SSR, au toucher je subodore deux T-Shirts !

             _ Occupez-vous en Agent Chad, j’allume un Coronado !

    Je m’appliquai à ouvrir la pochette matelassée :

             _ Youppie Chef, le Professor Longhair se rend, en gage de reddition, elle m’envoie sa petite mini-jupe rouge !

    Je l’agitai frénétiquement et l’apportai victorieusement au Chef :

             _ Agent Chad, vous êtes fou, c’est bien la mini-jupe de notre professor, mais ce rouge me semble bizarre, laissez-moi la tâter, hum, hum, c’est bien ce que je pense c’est du sang !

             _ Du sang Chef !

             _ Agent Chad, ne perdez pas votre temps, précipitez-vous pour ouvrir, je suis sûr que la CIA s’apprête à nous rendre visite !

    La porte s’ouvre d’elle-même, je reconnais l’agent d’accueil de la veille qui nous avait introduit dans le bureau de Joséphine :

    _ Nous l’avons retrouvée chez elle, morte, une balle dans la tête !

             _ Cher ami, vous prendrez bien un Coronado, Agent Chad avancez un siège à Jim Ferguson, le directeur de la CIA pour la France !

    A suivre…