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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 8

  • CHRONIQUES DE POURPRE 617 : KR'TNT 617 : LAWRENCE / BLOOD RED SHOES / LEON RUSSELL / GREG DULLI / GARLAND GREEN / C' KOI Z' BORDEL / BURNING SISTER / RED CLOUD / TELESTERION

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 617

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    26 / 10 / 2023

      

    LAWRENCE / BLOOD RED SHOES

    LEON RUSSELL / GREG DULLI / GARLAND GREEN

    C’KOI Z’ BORDEL / BURNING SISTER

    RED CLOUD / TELESTERION

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 617

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Lawrence d’Arabie

     - Part Two

     

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             Jon Dale nous dit de Felt : «One of the most mysterious and idiosyncratic indie groups of the 1980s.» Et il ajoute que ce phénomène est dû à Lawrence, lead singer et arch-conceptualist. Son truc est de donner aux fans ce qu’ils attendent et ce qu’ils n’attendraient jamais. Dale brosse ensuite le portait d’un Lawrence obsédé par la propreté, dans son appartement de Birmingham, et sa façon de gérer le quotidien grâce à a micro-industry of books. Point de départ de tout ça ? Lawrence vit T. Rex à la télé et trouva sa vocation. Et comme beaucoup de groupes de cette génération, Felt naquit de deux choses : l’éthique DIY du punk-rock et ce que Dale appelle the tedium of living in a backwater, c’est-à-dire l’ennui provincial. Et troisième élément : Maurice Deebank.

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             Si on écoute les premiers albums de Felt, ce n’est pas pour Lawrence d’Arabie, oh no no no, c’est pour Maurice Deebank. Paru en 1982, Crumbling The Antiseptic Beauty est un album de Momo Deebank, et ça saute aux yeux dès «Evergreen Dazed». Ce guitariste joue avec une fluidité exceptionnelle - Those guitar lines just kept on keeping on - Son son frappe l’imagination. En engageant un tel prodige de l’échappée belle, Lawrence d’Arabie avait tout bon. Momo crée un monde à lui tout seul, c’est autre chose que de fédérer les tribus de bédouins. Momo joue du pur crystal clear et il se montre en plus inventif. On reste dans les climats très clairs avec «Fortune». Deux guitares voyagent dans l’azur, plus aucune attache, rien qu’un son libre, Momo n’en finit plus de se fondre dans l’essence de l’éther. Mais au bout du troisième cut, forcément, la formule s’essouffle. On les sent moins déterminés à vaincre. Ils s’engluent dans l’essence de leur éther. Momo tente de redresser la barre en B avec «Cathedral», il sort un gros paquet d’arpèges d’acid-rock et encorbelle des contreforts des citadelles, il embobine ses bonnes gammes et les drape de plaids d’organdi et de somptueuses dégringolades de gammes. Ce groupe capte bien l’attention, grâce à un son intrigant et pur comme de l’eau de roche. Avec ce premier album, Lawrence ambitionnait de pondre the best English album ever. Et il ajoute : «I wanted my band to be something really special.»

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             Paru en 1984, The Splendour Of Fear est selon Dale a massive stride forward. C’est là qu’on trouve «The World Is As Soft As Lace», l’une des most beautiful songs de Felt. Lawrence et Momo y visent la paix étale, celle du lac. C’est d’une paisibilité sans fin. Momo est là et ça s’entend dès «Red Indians». Quelle présence ! On note aussi que Gary Ainge bat bien. Ce démon de Momo inscrit les arpèges de «The Optimist And The Poet» dans la durée. Son art relève d’une certaine forme d’éternité, celle du bonheur ineffable. En B, Lawrence d’Arabie se veut plus formel avec «The Stagnant Fool». Il cherche une petite veine à l’éplorée et frise le Bowie. Mais ça reste indéniablement indie dans l’esprit. Lawrence était tellement persuadé de la modernité de son son qu’il disait à Momo et aux autres : «The fans of this band haven’t been born yet.»

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             Avec The Strange Idols Pattern And Other Short Stories paru la même année, ils font encore un sacré bond en avant, car John Leckie produit l’album. Il nous pourlèche une belle pop anglaise des années quatre-vingt et on entend Momo broder sa dentelle translucide derrière le chant déterminé de Lawrence d’Arabie. Ah quelle équipe ! Momo ressort ses arpèges de cristal pour «Sempiternel Darkness» et ils embarquent tous les quatre «Spanish House» au beat déterministe. Lawrence d’Arabie va chercher la clarté de ton, soutenu par les intrépides arpeggios de Momo. Il y fait même ruisseler une véritable rivière de diamants. On sent qu’à l’époque, ces petits mecs savaient très bien ce qu’ils voulaient. On a là un cut spacieux, et aérien, totalement irréprochable. Et les petits interludes instro de Momo sont des havres de paix préraphaélite. On s’effare aussi de la belle santé d’un «Sunlight Balked The Golden Glow». Belle pop racée, solidement étayée par le plus efficace des bassmatics. Avec «Crucifix Heaven» qui se dresse en B, Momo charge la barque d’espagnolades et d’échos des temps anciens. Ce diable de Momo lagoyate comme un beau diable. Lawrence d’Arabie attaque son «Dismantled King Is Off The Throne» avec un gut extraordinaire. On le sent féru d’histoire. «Crystal Ball» est probablement le hit du disk. Lawrence d’Arabie y sonne un peu comme Tom Verlaine, il chevrote délicieusement et ce bel album s’achève avec «Whirlpool Vision Of Shame». La formule Felt tient bien la route : chant déterminé et background scintillant, dentelle de crystal clear et charpente à l’ancienne. Momo vieille bien au grain de la délicatesse et la bassmatic amène pas mal de viande.

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             Lawrence voulait Tom Verlaine pour produire Ignite The Seven Cannons And Set Sail For The Sun. Il obtint Robin Guthrie, des Cocteau Twins. Très bel album que cet Ignite. Et ce pour trois raisons, la première étant bien sûr «Primitive Painters», qui reste le grand hit de Felt devant l’éternel. C’est littéralement bardé de son. Lawrence d’Arabie chante ça avec une mâle assurance et une petite gonzesse vient mêler sa bave à la sienne. Ils se taillent une belle route dans l’apothéose et Momo cisèle des tournures pour le moins vertigineuses. Oui, c’est franchement de l’ordre du vertige, avec des relances démentes du grand Momo. Voilà ce qu’il faut bien appeler un hit séculaire. Andrew Male décrit ça comme un mariage entre Deebank’s glistening guitar, Duffy’s tranquil keyboards on some of Lawrence most melodically upbeat, cryptically-autobographical pop-songs, get lost in a chruchy echo and murk. L’autre phare dans la nuit s’appelle «Black Ship In The Harbor». Lawrence d’Arabie chante comme un décadent du XIXe siècle. On a là un cut joliment harmonique, accrocheur au possible, avec l’excellent Momo dans le paysage. Et on passe au coup de génie avec «Elegance Of An Only Dream», instro d’une élégance suprême. Ils sont mille fois plus élégants que le Monochrome Set. On note la fabuleuse finesse de l’intelligence mélodique. Rien qu’avec cet instro délié et détaché des contingences, ils créent la sensation. Et Momo n’en finit plus d’ajouter des couches. Oh bien sûr, les autres cuts valent aussi le détour, comme par exemple «My Darkest Light Will Shine», qui sonne comme de l’indie pop pas sûre d’elle, jouée au petit écho du temps, avec un Momo qui éclaire les lanternes. On l’entend aussi faire la fête foraine à lui tout seul dans «The Day The Rain Came Down». Il faut bien redire que on si écoute Felt, c’est d’abord pour Momo. Il lâche dans «Scarlet Servents» des cascades effarantes de notes libres et claires. Il tricote sa dentelle dans «Textile Ranch», sur un beau beat rebondi. Et voilà qu’ils se mettent à sonner comme le Monochrome Set avec «Caspian See». Même attaque de voix. Lawrence d’Arabie fait son Bid, même accent, même désinvolture, même beat serré. Pur Set. Quel étonnant mélange. Ils finissent cet album extrêmement riche avec «Southern State Tapestry», un nouvel instro de bistrot emmené au trot. Felt se distinguait des autres groupes de la Brit-pop par l’originalité de sa démarche.

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             Oui, c’est bien Martin Duffy qu’on voit sur la pochette de Forever Breathes The Lonely Word, paru sur Creation en 1986. On peut considérer cet album comme un classique de la pop anglaise et ce dès «Rain Of Crystal Spheres». Lawrence et Duffy sont tout simplement des experts en matière de beauté boréale - Seven brothers on their way to Avalon - Musicalité extrême ! C’est avec son côté dylanesque que Lawence va emporter la partie : «September Lady» et «Hours Of Darkness» basculent dans une ambiance sélective d’une grande ampleur. Lawrence vise le stellaire des choses de la vie et sa pop chargée d’orgue dylanesque éclate dans l’azur prométhéen. Il ramène toute l’insistance qui faisait la force du Dylan de l’âge d’or. Même chose pour «Hours Of Darkness», cette puissante pop d’Arabie - Got into something/ Dangerous & strange - Pop toxique et capiteuse - It’s your second nature/ Oh don’t fool around/ Till that’s gone/ A man is a boy is a child/ A woman’s son - Avec des retours dignes du Dylan d’antan. Tout est bien sur cet album, tiens, par exemple ce «Grey Streets», éclaté aux arpèges florentins de Marco Thomas. Cette pop fond comme beurre en broche avec tout le panache de la fusion moderniste. Exemplaire ! - Grey streets and streets of grey - Lawrence prend toujours le taureau pop par les cornes - Aw c’mon/ You say I looked kind - Et puis on voit qu’avec «All The People I Like Are Those That Are Dead», il aime bien ceux qui sont morts. Lawrence tartine sa pop avec un tour de poignet unique au monde, un petit côté gouape à casquette - The people I like are in the ground - Ce mec fait ce qu’il veut de l’Angleterre. S’il se proclamait empereur, personne ne s’y opposerait. Il chante avec une mâle assurance - It’s better to be lost than to be found - et il nous rassure en déclarant : «It’s better to be a man than to be a mouse.» On sent revenir le dylanex dans «Gather Up Your Wings And Fly». Tout est énormément écrit, sur cet album, tout sonne - Dowtnown London/ That’s not your scene - et même lors des constats d’échecs («A Wave Crashed On Rocks»), Duffy l’épaule superbement.

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             Paru aussi en 1986, Let The Snakes Crinkle Their Heads To Death, ressort sous un autre titre : The Seventeenth Century. Lawrence D’Arabie dit s’être mordu les doigts d’avoir voulu faire le malin à l’époque avec un titre aussi hermétique que Let The Snakes Crinkle Their Heads To Death. Personne n’en comprenait le sens. Deux choses concernant cet album : Momo brille par son absence et tous les cuts sont des instros. L’album n’avait donc aucune chance. Si on l’écoute aujourd’hui, c’est plus par commisération que par fanatisme. Bon d’accord, les instros se veulent frais et pimpants, mais ça reste des instros. Martin Duffy fait son apparition dans le groupe et il joue de l’orgue. Par charité, on dira que tout est délicieusement raffiné et paisible sur cet album. Ce diable de Lawrence d’Arabie y joue de la guitare diaphane. Il s’en sort avec tous les honneurs et va chercher l’océanique à sa façon.

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             L’année suivante paraît Poem Of The River, sous une pochette abstraite. De vagues silhouettes... Lawrence d’Arabie revient à ses chères obsessions dès «Silver Plane», et une diction à l’insistance dylanesque - And you’re/ Still/ Hanging/ Around - d’autant plus prépondérante que Duffy bombarde ça d’orgue Hammond - I didn’t know that you cared - Fantastique ! On reste dans le dylanex avec «Riding On The Equator». Tout y est : l’envolée, les montées de fièvre et l’insistance mélodique et littéraire à la fois. C’est là où Lawrence d’Arabie se rapproche de Dylan - And you always spent your life/ In some kind of prism/ I said those two stones/ Are the hardest to sell - Pur genius et Duffy pulse, Marco Thomas aussi, ils sonnent tous comme de beaux démons d’apparat. Ils n’en finissent plus de couler leur bronze de rêve. Avec Felt, on file au firmament de la belle pop anglaise, la plus parfaite du monde, même si la paternité de la chose revient à Dylan. Deux autres merveilles guettent l’imprudent voyageur, à commencer par «She Lives By The Castle». Lawrence d’Arabie pose bien ses arguments et la chaleur de son ton. Mais c’est Duffy qui crée la magie du son. Il joue tout simplement comme un virtuose, un enchanteur, et nous nappe ça d’orgue. Tiens et puis cet admirable rumble de pop felty qu’est «Stained Glass Windows In The Sky», monté sur un bassdrive extraordinairement sourd et profond signé Marco Thomas. Tous ces gens sont des surdoués, il ne faut donc pas s’étonner du résultat. On peut allez chez Felt les yeux fermés.

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             The Pictorial Jackson Review sort sur Creation en 1988. Pochette dépouille, aucune fantaisie. Martin Duffy et Gary Aing s’y livrent à des parties de piano jazz chabadabada. Lawrence d’Arabie ne fournit que les titres. Il laisse ses amis s’amuser. Un cut comme «On Weegee’s Sidewalk» constitue une belle base d’étude pour the Bongolian. Si on aime le piano jazz, c’est un régal. Martin Duffy joue comme un cake. Il ne se connaît pas de limites. Les gens qui croient avoir trouvé un album de pop se retrouvent le bec dans l’eau du lac. Martin Duffy revient à sa fascination pour Erik Satie dans «Seahorses On Broadway». Il joue des notes suspendues dans l’air, ce qui constitue pour l’oreille du lapin blanc une véritable bénédiction.

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             Étrange album que ce Train Above The City paru sur Creation la même année. Parti-pris de sobriété pour la pochette et Lawrence d’Arabie a l’idée de faire ce que personne n’a encore jamais fait en Angleterre : ne pas apparaître sur l’album de son groupe. Avec «Ivory Past», on sent poindre le grand songcraft. C’est du pur jus de Creation Sound des années 80, une bavette de belle petite pop lumineuse et vaguement décatie. «Until The Fools Get Wise» nous donne une idée du jour où les poules auront des dents. Tout sur cette A reste d’un niveau irréprochable. Un certain Marco Thomas joue en lead. Et puis Lawrence va faire son Dylan 65 avec «How Spook Got Her Man». Il chante au hoquet juvénile et Duffy nous nappe ça d’orgue. On retrouve des tendances dylanesques dans «Don’t Die On My Doorstep». On y sent aussi le grand méchant Lou - Don’t you cry-yh-yh-yh - et Duffy se fend d’un beau shuffle d’orgue anglais. Alors Duffy, justement : c’est lui qui se tape la B, mais d’une manière assez spectaculaire. Il attaque «Sending Lady Lord» au pianotis de round midnight. C’est même très Satie dans l’esprit. Lawrence d’Arabie nous fait là un joli cadeau : il nous laisse en compagnie du pianiste Duffy pour douze minutes d’une dérive boréale digne de Satie, et même de Debussy dans les moments d’exaltation, il crée de l’enchantement et de l’espace. Ça ne plaira pas aux amateurs de rock, mais les amateurs de grand air y trouveront leur compte. C’est de l’oxygène à l’état pur, une revanche du beau sur le laid, une aventure monumentale, un bel hommage à ce créateur d’espace que fut Erik Satie.

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             Paru en 1989, Me And A Monkey On The Moon est un album un peu plus difficile d’accès. Il faut se taper quelques cuts de pop gentillette des années quatre-vingt avant de tomber sur la viande, et quelle viande ! «New Day Dawning» est un fantastique exercice de style gratté à la cocotte de glam sourde. Et ça s’emballe au quatrième couplet - Don’t turn your back/ Today’s a moment that won’t last - et ça se termine sur un solo pour le moins pugnace. Puis Lawrence d’Arabie se met à sonner comme Nikki Sudden dans «Down An August Path». On a là un vrai balladif underground. C’est drôle, ils racontent tous leurs petites histoires, les chansons ne servent que de prétextes. Mais c’est littéralement bardé de feeling vocal. Ce mec vit ses songs, c’est un intrinsèque de la beautiful song. Il lègue à la postérité un balladif admirable et sensible. Lawrence d’Arabie va chercher la belle pop en permanence, on le constate une fois encore à l’écoute de «Never Let You Go». Si on veut comprendre le génie de Go-Kart Mozart, il faut entrer par le jardin magique de Felt. Pop inoffensive au premier abord, mais on y revient, comme attiré. Il nous surprend encore avec «She Deals In Crosses» et cette façon d’envoyer son hey sister/ What are you doing with yourself : pure magie pop. Ce hey sister crée de l’enchantement. Il termine cet album attachant avec «Get Out Of My Mirror», joué aux steel guitars de l’Americana britannique. Eh oui, Lawrence d’Arabie est capable de ce genre de prodige ! Une Americana qu’on retrouve aussi dans «Budgie Jacket». Impressionnant !

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             Dans le très bel interview qu’il accorde à Ian Shirley pour Record Collector, Lawrence d’Arabie rappelle que son premier disque fut le «Starman» de David Bowie et son premier concert, T. Rex au Birmingham Odeon. Il avait 13 ans. Quand il revient sur Felt - 10 albums in 10 years - il concède que oui, il était un peu directif - Every single thing on these 10 records was my idea. Everything down to the plectrums we used - Il voulait des médiators blancs, qui étaient à ses yeux plus modernes que les autres. L’obsession du détail est selon Shirley ce qui caractérise le mieux Lawrence d’Arabie. Mettre un terme à Felt fut relativement facile, Lawrence d’Arabie en avait marre - I was sick of it.

    Signé : Cazengler, le rance d’Arabie

    Felt. Crumbling The Antiseptic Beauty. Cherry Red 1982

    Felt. The Strange Idols Pattern And Other Short Stories. Cherry Red 1984

    Felt. The Splendour Of Fear. Cherry Red 1984 

    Felt. Ignite The Seven Cannons And Set Sail For The Sun. Cherry Red 1985

    Felt. Forever Breathes The Lonely Word. Creation Records 1986

    Felt. Let The Snakes Crinkle Their Heads To Death. Creation Records 1986

    Felt. Poem Of The River. Creation Records 1987

    Felt. Train Above The City. Creation Records 1988

    Felt. The Pictorial Jackson Review. Creation Records 1988

    Felt. Me And A Monkey On The Moon. ÉI 1989

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    Felt Reissues. Uncut #250 - March 2018

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    Felt Reissues. Mojo #292 - March 2018

    Ian Shirley : The RC Inrerview. Record Collector # 488 - January 2019

     

     

    Don’t step on my Blood Red Shoes

     

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             Ils sont deux, Laura-Mary Carter et Stephen Ansell. On les attendait de pied ferme. Concert maintes fois reporté, grâce à Pandemic.

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    La petite Carter est habillée en fille au pair, c’est-à-dire en petite robe en velours noir, avec un ruban de dentelle blanche dans sa coiffure de nunuche attardée. Pour accroître le malaise vestimentaire, elle porte des santiags noires. Elle va gratter majoritairement une Tele noire. Ansell est déguisé en Ansell, et va battre tout le beurre qu’il peut. Ah on peut dire qu’il en bat du beurre, en un heure. Il finira dans le Guinness book. Il va en plus assurer le trafic des interactions avec le public français bien dégourdi. La réputation des Shoes repose sur six albums, ils disposent donc d’un vaste choix de cuts. Normalement, c’est une bonne aubaine, pour un groupe, à condition que tous les albums soient bons, ce qui, ici, n’est pas vraiment le cas : les deux premiers sont excellents, fougueux comme des poneys apaches, et les deux derniers flirtent avec les synthés et frisent dangereusement la bonne vieille mormoille. Toujours pareil : on fait comme on peut, avec ses petits bras et ses petites jambes.

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             Bien évidemment, ils démarrent sur un «Elijah» tiré de Get Tragic, l’un des deux derniers albums. Ils font ce que font les groupes depuis l’aube des temps : la promo de leurs derniers disques. Ils tirent «Bangsar», et plus loin «Murder Me», de Ghosts On Tape, le petit dernier qui n’est pas fameux. Tous ces cuts ne laisseront aucun souvenir : ni riff, ni mélodie. On gardera le souvenir d’une certaine présence scénique. La petite Carter doit bien sentir qu’elle n’est pas les Pixies, même si elle s’efforce de sonner comme Kim Deal. C’est en puisant dans leur premier album, Box Of Secrets, qu’ils stabilisent un set titubant de faiblesse : très tôt dans le set arrive le wild stomp d’«It’s Getting Boring By The Sea», une sorte de cut Saint-Bernard sauveur d’espoirs, puis «This Is Not For You» et ses fabuleuses descentes au barbu.

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    Un peu plus loin, ils tapent un solide «Doesn’t Matter Much», et puis juste avant la fin, ça percute dans l’uppercut avec «I Wish I Was Someone Better» drivé au driving fast fuzz. Le meilleur cut du set est l’effarant «Red River» qu’on trouve uniquement sur le Water EP. Elle le joue sur une SG et fait du Sabbath pur, avec toute la rémona dont elle est capable. Et là, oui, tu dis oui. Tu imagines même tout un set monté sur le modèle de «Red River», avec la petite Carter sur sa SG. Fantastique ! Dommage que le reste ne soit pas du même niveau. Elle t’aura fait rêver le temps d’un cut. Mais quel cut ! Bon, ils bouclent leur set avec un «Morbid Fascination» tiré de Ghost et reviennent en rappel avec Ciel pour taper un cut qu’on ne connaît pas et c’est tant mieux. Dommage que la belle Michelle soit reléguée au rang d’arpète.

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             Si tu commences par écouter Get Tragic paru en 2019, tu vas au devant de gros ennuis, car tu vas perdre la pulpe des Blood Red Shoes. Get Tragic n’est pas un bon album. Trop pop de pute.

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    On perd ce qui faisait le charme des Shoes dix ans auparavant. Le fait qu’ils soient passés à la pop de pute est significatif : il s’agit de toute évidence d’une pression commerciale. Pour vendre des places de concert, il faut faire la pop de pute à la mode. On sent pourtant de bonnes intentions dans «Mexican Dress», le beat est bien binaire, mais l’habillage sonore est putassier. Ils ont perdu leur fil. Les machines ont remplacé les grattes. Ils se répandent dans l’horreur des drones. Les deux voix copulent dans l’ignominie. Les Shoes végètent dans le vieil underground des duos à synthés. Ils sont trop dans les machines. Ansell a pourtant l’air sincère. Mais les machines auront sa peau. Il ne fait pas le poids. Les cuts atroces se succèdent. Ils perdent leur dignité. Il faut attendre «Vertigo» pour retrouver espoir. Il déclenche enfin l’enfer sur la terre. Il drive son Vertigo au ramshakle des machines. Et il enchaîne avec «Elijah», un incroyable retour de manivelle. Il mélange le havoc flush avec des nappes de synthés, et la petite Carter ramène son sucre, c’est très particulier. Aw Elijah, elle amène sa petite poussée intestinale et ça explose comme un nuage atomique. Ansell profite de la déflagration pour injecter de la congestion cérébrale dans le son, et ils couronnent ça d’un refrain marmoréen.  

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             Dommage, vraiment dommage, car Box Of Secrets, le premier album des Shoes, était prometteur. Infiniment prometteur. Ils attaquent avec un «Doesn’t Matter Much» assez wild, gratté au big gaga de duo d’enfer. Tous les ingrédients sont alignés au garde à vous. Elle y va la coquine, elle se fourvoie encore dans la braguette de la pop avec «You Bring Me Down», elle est parfaitement à l’aise, très criarde, même un peu agressive. Ils passent au «Try Harder» avec du big stomp er reviennent au bon vieux wild as fuck avec «Say Something Say Anything». Mais c’est avec «I Wish I Was Someone Better» qu’ils gagnent véritablement les hauteurs, sur un beau beat bien fast des Everglades forgé au drive de fuzz. Clameur et montée en neige sont les deux mamelles de la réussite, dans ce domaine particulier. Ils tapent «Take The Weight» à deux voix. Ansell a presque une voix de femme, sa copine amène le sucre. Il chante à la décadence et elle fait des chœurs d’écho déments. Ils se renvoient bien la baballe. C’est elle qui chante «This Is Not For You» à la girl-group flavor, avec des descentes de son terribles. Et ça continue avec le wild stomp d’«It’s Getting Boring By The Sea». Ils ont décidément plus d’un tour dans leur sac. Quand ils montent leur neige à deux voix, ils sont infiniment crédibles. Ils terminent avec un «Hope You’re Holding Up» intense au possible, ils tapent dans le big buzz, ils n’ont peur de rien, à la façon dont les Raveonettes n’avaient peur de rien. Ils tapent fièrement dans l’expressif.

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             Ce qui frappe le plus sur Fire Like This, c’est la capacité des deux Shoes à monter un Wall of Sound, comme le révèlent «When We Wake» et «Keeping It Close». C’est elle qui entre au sucre sur Wake et monte vite en température, dans une ambiance très Joy Division. Ils jettent tout leur dévolu dans le son. Pareil avec «Keeping It Close», ils le plombent d’entrée de jeu. Ansell ne pense qu’à ratiboiser la planète, alors il répand ses légions de démons. Pire encore : sur deux cuts, ils sonnent comme les Pixies. C’est elle qui attaque «Count Me Out» au counting on the words that just repeat, et elle reprend pied après la tempête au count me out I’m not here. Même chose avec «Colours Fade», tapé au heavy stomp des Shoes, mais avec la Méricourt des Pixies, ils y vont cette fois au walking forwards with the light, Ansell n’a pas la voix du gros, mais il en a l’esprit, le super climaxing n’a aucun secret pour lui. Leur «Light It Pup» n’est pas non plus très loin des Pixies : même volonté de paraître à la cour. «Heartsink» est frappé du crâne d’intro, mené à deux voix dans la clameur et «Follow The Lines» repart comme si de rien n’était, au where are you now/ Dancing with the lights on. C’est assez succulent, bien inscrit dans la veine Velvet/Pixies.

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             On peut dire sans trop de risque d’erreur d’appréciation qu’In Time To Voices est un bon album. Au moins pour trois raisons, la première étant le morceau titre d’ouverture de bal. C’est elle qui attaque, un peu sucrée, un peu Kim Deal. Bel univers, féminin et coloré, bien monté en épingle. Elle s’accroche à son cut comme la moule à son rocher. Puis, le temps de quelques cuts, ça vire drôle de pop, c’est-à-dire une pop collée au plafond, une pop aux dents longues et étincelantes, une pop qui rêve de cimes. C’est vrai qu’ils créent de beaux climax («Two Dead Minutes»), ce que les Anglais appellent des musical landscapes, et nous des paysages sonores, mais des paysages sonores intéressants. Elle revient avec son sucre pour «The Silence & The Drones». Elle gratte sec et son gratté s’envenime, ça prend des allures de montagne qui sort de terre, c’est du pur sonic power, ah on peut dire qu’ils savent couler un bronze de Big Atmospherix. Ça s’auto-sature, ça s’étrangle. Plus loin, Ansell te bat «Je Me Perds» au Punk’s Not Dead, et avec «Stop Kicking», ils offrent une vision musicale du power de Zeus. On les respecte pour l’énormité de leur son. Ils referment la marche avec une belle tentative pop : «7 Years». Belle énergie du duo, pas de miracle, mais une présence des Shoes à la recherche du temps perdu.

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             Blood Red Shoes fait partie des bons albums de Blood Red Shoes. L’album s’accompagne d’un CD live, qui donne une idée on ne peut plus exacte de ce que valent les Shoes sur scène. Ce qui les rend éminemment sympathiques, c’est leur tendance à vouloir sonner comme les Pixies. «Tight Wire» est en le parfait exemple. En fait, c’est plus Breeders que Pixies, bien gorgé de son et de sucre à la Kim Deal. Même sens du soupir pop dans l’enfer de Dante. Deux cuts live confortent cette belle théorie : «In Time To Voices» et «Colourless Fade». Il faut attendre que ça décolle, Laura-Mary Carter sonne exactement comme Kim Deal. Elle a les mêmes clameurs de la torpeur d’Elseneur. Le Fade tiré de Fire Like This est aussi very heavy, elle sort le grand jeu : élévation, déplacement des plaques, le power lève le cœur et Ansell bat ça sec. Les ah-ah-ah sont ceux des Pixies, c’est en plein dans le Pix Me Up des enfers. L’enfer toujours. Ah comme on s’ennuierait si l’enfer n’existait pas. Connais-tu quelque chose de plus barbant que le paradis ? Bien sûr que non. Le pire, c’est que tout le monde veut aller au paradis ! Quelle rigolade ! Bon enfin bref, revenons à notre mouton, l’album studio, qui s’ouvre sur une belle énormité, «Welcome Home». Ça craque de partout, la petite Carter gratte ça sec, bien soutenue par le pounding Ansellien. L’album prend vite des allures de big album grâce à l’«An Animal» noyé de gratte incendiaire; suivi de «Grey Smoke», une fantastique clameur de l’ampleur, à moins que ça ne soit le contraire, en tous les cas, ils dégagent pas mal de fumée, c’est la petite Carter qui chante, toujours avec ses accents Breeders. Puis voilà venu le temps des coups de génie avec «Far Away», en plein dans les Breeders, suivi de «The Perfect Mess» drivé aux power chords, et monté sur une sorte de pounding définitif. Le son rebondit dans la clameur. On salue la qualité extrême du stomp, c’est une orgie de son, couronnée par un gratté de poux triomphal. Elle chante encore son «Beyond A Wall» avec ostentation, elle fait sa Blondie profonde, c’est écœurant de power. Avec «Speech Coma», elle se tortille encore dans la mélasse d’un caramel sonique, elle avance en rampant et dans «Don’t Get Caught», la gratte vole dans le ciel noir comme en vampire en flammes. Comme déjà dit, le live donne une idée assez juste de ce que vaut le duo sur scène. Ils ont une fâcheuse tendance à tremper dans la new wave. Elle éclate bien le Sénégal de «Say Something Say Anything» tiré du premier album. Ils font une version plutôt incendiaire de «Light It Up». On ne se lasse pas de leurs conneries. Ils remplissent tous leurs cuts de son à ras-bord. Ils terminent leur set avec un spectaculaire «Je Me Perds», tiré d’In Time To Voices. Ils piquent tous les deux leur crise et deviennent complètement psycho. 

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             Album étrange que ce Ghosts On Tape : il démarre sur une bonne note et finit en beauté, mais entre deux, c’est un peu morne plaine, mon petit Waterloo. «Comply» est en effet monté sur un beau thème de piano et Ansell se prend pour Bono le bonobo, ça chauffe pendant un temps et ça retombe sur le thème de piano, après une belle flambée des prix. Vers la fin, tu tombes sur «Dig A Hole» et tu les vois enfiler leur tunnel, Ansell chante à la voix de fille, il développe une belle énergie urbaine, avec des machines, et ça donne un étonnant mélange de mauvaise new wave avec des éclairs de glam. Justement, le voilà le glam, avec «I Lose Wathever I Own», ce mec adore le glam, il sait y faire. Il tape de heavy glam de la dernière chance. Le reste de l’album ne vaut pas tripette, c’est une new wave à la mormoille. On sauve aussi «I Am Not You» et la gratte qui craque. Dommage qu’il vire new wave à la fin. 

    Signé : Cazengler, pompe usée

    Blood Red Shoes. Le 106. Rouen (76). 5 octobre 2023

    Blood Red Shoes. Box Of Secrets. V2 2007  

    Blood Red Shoes. Fire Like This. V2 2010 

    Blood Red Shoes. In Time To Voices. V2 2012

    Blood Red Shoes. Blood Red Shoes. Jazz Life 2014

    Blood Red Shoes. Get Tragic. Jazz Life 2019  

    Blood Red Shoes. Ghosts On Tape. Jazz Life 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Russell & Poivre

    (Part Five)

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             Si on y revient pour la cinquième fois, c’est qu’il y a des raisons. La principale étant la parution récente d’une somme de Bill Janovitz, remarquable rock writer spécialisé dans les Stones (The Rolling Stones’ Exile On Main Street et Rocks Off). Janovitz consacre cette fois son énergie et son talent à Tonton Leon, avec l’imposant Leon Russell - The Master Of Space And Time’s Journey Through Rock & Roll History, un fat book qui frise les 600 pages. Quand tu attaques la somme, c’est un peu comme si tu faisais une fois de plus le tour du propriétaire. Tu as vraiment l’impression de tout reprendre à zéro. Toujours le même refrain : tu prétends tout savoir, et au fond, tu dois bien admettre que tu ne sais pas grand-chose. Ce genre d’exercice te permet de relativiser et de regagner ta place, une place de presque rien, et comme tu vas bientôt mourir, tu redeviendras ENFIN rien du tout, ce que tu n’as au fond jamais cessé d’être. Le drame, c’est qu’on passe sa vie à l’ignorer, consciemment ou inconsciemment.

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             Pourquoi 600 pages ? Parce que la vie de Tonton Leon est ce qu’on appelle communément une vie extraordinaire. Il faut entendre ‘vie extraordinaire’ au sens littéraire. Osons un parallèle avec Blaise Cendrars : il part très tôt à la découverte du monde, il commence par la Sibérie, puis il s’illustre dans la boucherie de la Grand Guerre, il ne craint pas la mort et perd un bras lors de la grande offensive de Champagne, puis il repart en voyage pour nourrir une œuvre et devenir, avec Guillaume Apollinaire, l’écrivain le plus moderne de son temps, c’est-à-dire un pur équivalent littéraire de Modigliani et de Picasso.

             Tonton Leon est lui aussi un chantre de la modernité, le monde qu’il découvre tout au long de sa vie est celui du rock‘n’roll. Il faut bien 600 pages pour raconter une vie aussi extraordinaire que celle d’un homme qu’on surnommait au temps où il était devenu superstar The Master Of Space And Time.

             Avant d’entrer dans le détail du Space and Time, il est sans doute nécessaire de rappeler que le monde du rock’n’roll grouille de superstars, mais beaucoup d’entre-elles le sont pour de mauvaises raisons : on ne va pas citer de noms. La putasserie est vieille comme le monde, ça ne changera jamais. Beaucoup d’appelés mais peu d’élus. Et ce sont les élus qui nous intéressent : leur œuvre nourrit des œuvres. La semaine dernière, Chucky Chuckah nourrissait l’œuvre d’un brillant biographe, et cette semaine Tonton Leon nourrit celle de Bill Janovitz. Entrer dans son fat book, c’est une façon d’entrer dans le Jardin d’Eden, ou mieux encore, dans le Lotissement Du Ciel du Rock.   

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             En suivant les aventures de Tonton Leon, tu vas croiser des tas de géants du rock américain : Jerry Lee, Jackie DeShannon, Totor, Jack Nitzsche, Terry Melcher, Gary Lewis, Brian Wilson, Don Nix, Van Dyke Parks, Delaney & Bonnie, Dwight Twilley, Kim Fowley et bien sûr Bob Dylan, autant dire la crème de la crème. Si Tonton Leon les fréquente tous, les uns après les autres, c’est parce qu’il est d’une certaine façon un être exceptionnel, tel que le décrit Janovitz.

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             Tonton Leon grandit à Tulsa, Oklahoma. Jeune, il n’est pas joli, il porte des lunettes à grosses montures noires, comme Buddy, et il joue du piano. Il en joue si bien qu’il commence sa carrière de superstar en accompagnant son idole Jerry Lee. Tonton Leon joue tellement bien que certains soirs, Jerry Lee lui laisse le piano. Tonton Leon flashe aussi sur Lloyd Price, Ruth Brown, Chucky Chuckah, Fatsy, Bobby Blue Bland, Jackie Wilson, et surtout Ray Charles qu’il qualifie d’«one of the great innovators». Tonton Leon se dit fasciné par Ray Charles. Il s’émerveille aussi d’Esquerita - He made Little Richard look like a choirboy - et il balance un sacré souvenir : «Il est venu me trouver un soir et m’a dit : ‘Honey, monte dans ma chambre au Small Hotel, et si je ne parviens pas à te faire crier de plaisir en 30 secondes, je te donne ma télé.’» Puis le jeune Tonton Leon qui s’appelle encore Russell Bridges emprunte 40 dollars et prend le bus pour Los Angeles. Il va devenir session man et, grâce à son talent de pianiste, entrer dans le fameux Wrecking Crew.

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             Il commence par devenir pote avec James Burton qui lui apprend à gratter des licky licks. Tonton Leon s’entraîne toute la journée sur un album de Freddie King. Ils jouent un peu ensemble dans des clubs. Burton l’emmène en session pour Ricky Nelson. Et de fil en aiguille, il entre dans le circuit des sessions, se retrouve en studio avec Glen Campbell, Del Shannon, son copain de Tulsa David Gates, la belle Jackie DeShannon, et puis les Blossoms de Fanita Jones que Totor va rebaptiser Darlene Love. Janovitz indique que Tonton Leon flirte pendant quelques mois avec la belle Jackie. Il joue aussi sur les démos de Sharon Sheeley, la fiancée d’Eddie Cochran. Big set de démos : en plus de Tonton Leon, tu as David Gates on bass, Hal Blaine au beurre, et Glen Campbell gratte ses poux. Herb Alpert, P.J. Proby, Glen Campbell et Delaney Bramlett font les chœurs. Tout cela sous l’égide de Tommy LiPuma et de Snuff Garrett. Un vrai carnet mondain ! Tonton Leon sort à peine de l’adolescence, et le voilà entré dans la cour des grands.   

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             On retrouve ces démos sur Sharon Sheeley - Songwriter, un RPM de l’an 2000. Cette pop datant du tout début des années soixante vieillit affreusement mal. Avec «Guitar Child», Glen Campbell s’en sort bien, car ça sonne comme un hit de juke tapé aux tambourins. Glen prend le chant du menton et balance un solo à l’écho sale. Stupéfiant ! Mais le «Blue Ribbons» qu’il chante à la suite est à pleurer, tellement c’est mauvais. La pauvre Sharon excellait dans la mièvrerie et un chanteur aussi fantastique que P.J. Proby s’est fait piéger à chanter des conneries comme «Trouble», une incroyable soupe aux choux orchestrée aux trompettes mariachi. Ah, il faut avoir écouté «Trouble» pour savoir que ça existe ! Dans «Blue Dreams», Glen Campbell dit : «Your lips I’d like to taste !» - Vas-y mon gars, taste donc ! - On reste dans la pire daube qui se puisse concevoir avec «Thank Heaven For Tears» que psalmodie le pauvre P.J. Glen et P.J. rivalisent d’interprétations ineptes. Encore pire : «It’s Just Terrible». On se demande ce que P.J. fout là. On entend aussi Larry Collins des Collins Kids. Il a grandi, il porte la moustache et il chante «See The Hills» d’une voix de lieutenant du Huitième de Cavalerie. Delaney Bramlett se couvre lui aussi de ridicule avec «Love Is A Stranger», apocalyptique de mièvrerie. Bref, cette compile est surtout difficile à revendre. Même un fan d’Eddie Cochran n’en voudrait pas. 

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             Tonton Leon va faire pas mal de middle of the road : Pat Boone, Connie Francis, Duane Eddy, Johnny Rivers, c’est la musique qui se vend en 1964, aux États-Unis. Il va aussi accompagne Irma Thomas et bosser pour Gary Usher. On l’entend aussi pianoter sur le «Surf City» de Jan & Dean. Gary S. Paxton le recrute pour quelques sessions. Tonton Leon est fier de bosser pour ce géant de Paxton : «He was known for hiring the down-and-out and was a big supporter of musicians in general.» Tonton Leon pianote sur le «Monster Mash» de Bobby Boris Pickett. Paxton permet même à Tonton Leon d’enregistrer en 1962 son premier single avec David Gates : «Sad September», by David & Lee, Lee étant Tonton Leon. C’est James Burton qui gratte ses poux sur la B-side, «Tryin’ To Be Someone». Janovitz dit que Gates et Tonton Leon sonnent comme «the Everly Brothers fronting Buck Owen’s Buckaroos».

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             Alors bien sûr, qui dit Wrecking Crew dit Totor. Janovitz nous emmène au Gold Star. En 1963, Tonton Leon pianote sur le «Be My Baby» des Ronettes. La session dure 36 heures. Quatre pianistes. L’un d’eux s’appelle Michael Spencer : «À ma gauche se trouvait ce mec en costard trois pièces coiffé d’un ducktail. That was Leon Russell before he took acid.» C’est Jack Nitzsche qui ramène Tonton Leon chez Totor : «Leon was an innovative piano player.» Il ramène d’autres surdoués au Gold Star - Harold Battiste, Earl Palmer, Don Randi, Hal Blaine, Glen Campbell: a lot of the players came out of my phone book - En 1963, Nitzsche enregistre son album solo The Lonely Surfer, avec Tonton Leon, David Gates, Hal Blaine et Tommy Tedesco.

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             Lors de l’enregistrement de «Zip-a-Dee-Doo-Dah», Totor s’approche de Tonton Leon, «fait un geste, comme s’il voulait conjurer un vampire et dit : ‘Dumb. Play dumb’.» Tonton Leon rappelle aussi que le studio A du Gold Star pouvait contenir 6 musiciens, mais Totor en faisait entrer 25. Janovitz revient longuement sur ses techniques d’enregistrement : construction de la partie instrumentale, avant d’ajouter les voix. Des dizaines de takes, parfois une centaine, avant qu’il ne soit satisfait. Totor épuisait les musiciens, tant et si bien qu’ils finissaient par oublier toute forme d’individualisme et sonner vraiment comme un ensemble - More of a team, a system, the Wall - Selon Ahmet Ertengun, Totor est le seul producteur capable de sortir «a hit record without a hit artist».

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             Tonton Leon pianote aussi sur A Christmas Gift For You From Phil Spector. Brian Wilson affirme que c’est son album préféré. C’est Darlene Love qui chante «Chritmas (Baby Please Come Home)», co-écrit par Ellie Greenwich, Jeff Barry et Totor. Darlene se souvient qu’au piano, Tonton Leon est devenu fou : «We called it Leon’s little concerto. He just went wild on the piano and when it was finished, he just fell right off the stool.» Janovitz ajoute que Totor fut tellement excité par le piano climax qu’il signa un chèque de bonus pour Tonton Leon. Les musiciens s’accordent à dire que Totor est un peu rude en session, mais tout le monde s’écrase, «because we realized what a great talent he was». Don Randi : «Phil Spector was always excentric, let’s put up this way.» Et puis un jour, Tonton Leon fait une grosse connerie. Pour supporter la tension de la session, il va siffler un litre de vodka pendant une pause. Trois heures et 80 takes plus tard, Tonton Leon grimpe sur le piano et fait un numéro de prêcheur. Alors, Totor, via le micro de la cabine de contrôle, demande : «Leon, don’t you know what teamwork means?», et Leon lui envoie ça dans la barbe : «Phil, do you know what ‘fuck you’ means?». Boom, viré. Ils rebosseront ensemble plus tard, en 1973, sur le brillant Rock’n’Roll de John Lennon.

             Finalement, Tonton Leon n’est pas resté longtemps dans le Wrecking Crew, moins que Carol Kaye, Hal Blaine, Don Randi et Tommy Tedesco - I wasn’t one of the main guys - Ça lui a permis d’acquérir une bonne expérience du studio - That was quite something - Et il conclut à sa façon, pince-sans-rire : «90 percent of the records that I did were bullshit. I mean I didn’t play on any Ray Charles records. Didn’t play on any Mancini records.»

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             Grâce à Jack Nitzsche, Tonton Leon rencontre Terry Melcher, qui n’a que 21 ans et qui est staff producer pour Columbia. Tonton Leon joue sur l’«Hey Little Cobra» que produit Melcher pour les Rip Chords, et en 1965, il joue sur le «Mr. Tambourine Man» des Byrds. Le seul Byrd autorisé à jouer en studio est Roger McGuinn. Melcher fait jouer Hal Blaine et Jerry Cole. Croz et Michael Clarke sont livides de rage. Croz déclare : «So those cats were good, et il y avait de prodigieux musiciens dans le tas. And Leon I guess would be the most highly developped of all of them. He’s some fucking genius.» Melcher demande à Tonton Leon d’accompagner sa mère Doris Day. Leon raconte qu’il flashe sur elle. Par contre, elle ne flashe pas sur son pianotage, mais sur sa «beige Cadillac convertible». Ah les Américaines ! Elles sont d’une vulgarité !

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             Tonton Leon a aussi le privilège de jouer pour Brian Wilson. On l’entend pianoter sur «California Girls» et «Help Me Rhonda». Il est fasciné par le gros Brian : «Au Studio Western, il y avait entre 15 et 20 musiciens. Il commençait avec le premier et lui chantait la ligne qu’il devait jouer. Puis il passait au deuxième, puis au troisième, jusqu’au dernier. Alors il revenait au premier qui avait oublié sa ligne et Brian la lui rechantait. Pareil pour le deuxième. Il leur apprenait le morceau. Et soudain, l’orchestre jouait that shit. I mean, Brian is, when you want to talk about genius, there’s not any like him that I know of. He’s unbelievable.»

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             En 1965-1966, Tonton Leon bosse aussi avec Gary Lewis & The Playboys. Quand les Playboys sont appelés sous les drapeaux, the Tulsa Mafia prend le relais : Tonton Leon, Carl Radle et Jim Keltner. Puis Don Nix fait son apparition dans le circuit. Il ramène ses potes de Memphis, Duck Dunn et Steve Cropper. Nix est fasciné par Tonton Leon : «He was a rock star before he was a rock star.» Comme Dylan, Tonton Leon entre dans une pièce et capte toute l’attention. Leon rencontre aussi Van Dyke Parks avec lequel il s’entend bien. Un Tonton reste un tonton. L’exploit le plus remarquable de cette époque est son rôle actif dans l’enregistrement de Gene Clark With The Gosdin Brothers. Geno déclare : «It was all very intense. Je me souviens d’avoir dit à des gens que je faisais un album avec Leon, Clarence White, Glen Campbell, Chris Hillman, Chip Douglas, and Vern and Rex Gosdin et ils pensaient que j’étais fou.» Les gens disaient : «What a weird combination of people.» Oui, sauf que c’est le meilleur album des Byrds. Et Tonton Leon y a pondu tous les arrangements. Il bosse aussi pour Lenny Waronker, notamment comme arrangeur pour Harpers Bizarre. Selon Waronker, les deux principales sources d’inspiration pour ces sessions étaient les Beach Boys et les Swingle Singers de Paris.

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             Avec Delaney & Bonnie, Tonton Leon entre dans son âge d’or artistique. En évoquant le couple, Janovitz parle d’un «explosive, abusive and toxic mariage.» On les surnomme the Beverly Hillbillies. Delaney & Bonnie allaient attirer pas mal de grands musiciens, dont Tonton Leon. Le couple développe un special power - They sounded like a male-female Sam & Dave - En 1967, Tonton Leon bosse sur un concept, the New Electric Horn Band, avec des musiciens qu’on va retrouver dans le Taj Mahal’s band, dans Delaney & Bonnie & Friends, Mad Dogs & English Men, et Leon Russell & the Shelter People. Il donne des détails : «It was Delaney & Bonnie Bramlett, Don Preston, Don Nix, Chuck Blackwell, Carl Radle, John Gallie, Jim Horn et un mec qui joue maintenant avec Ike & Tina Turner.» Tonton Leon organise de grandes jam-sessions le dimanche. Puis Delaney & Bonnie enregistrent Home, leur premier album chez Stax, produit par Duck Dunn et Don Nix. On y entend les Stax all-stars, Isaac Hayes, The Memphis Horns, William Bell et bien sûr le piano de Tonton Leon. Mais la compagnie de Delaney & Bonnie n’est pas appréciée. Au mieux, on les considère comme des manipulateurs, au pire comme des tyrans. Rita Coolidge les admire : «That band was one of the best bands ever. Je pense qu’ils ont élevé la barre pour tout le monde, partout dans le monde. Bonnie was the powerhouse singer, mais Delaney voulait être the boss and the king. At that time, he hadn’t really turned into such an asshole yet, ou alors ça n’apparaissait pas encore, mais ça n’allait pas tarder.»

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             Mad Dogs sort donc de cette mouvance, du New Electronic Horn Band. Les musiciens constituent une sorte de pot commun. Plus tard, Delaney & Bonnie accuseront Tonton Leon d’avoir volé leur groupe. Pour Mad Dogs, Tonton Leon recrute Bobby Keys, Jim Price, Jim Keltner, Rita Coolidge, Jim Gordon, Carl Radle. Seul Bobby Whitlock reste avec Delaney & Bonnie. Bonnie en chiale encore : «On a été les derniers à le savoir et ça nous a brisé le cœur.» Mais bon, faut avancer. Mad Dogs devient un phénomène, format libre, tribu en tournée, vingt personnes sur scène, du jamais vu, Dylan louche sur le projet. Il le reproduira plus tard sous la forme de la Rolling Thunder Revue. Jim Karstein : «Mad Dogs were a little over the top. They started smoking angel dust and doing a lot of acid and I think cocaine started filtering in.» Tonton Leon voit ça comme un projet purement communautaire : tout le monde mange ensemble et tout le monde baise ensemble. Il voit de grands saladiers de salade - huge trash cans of potato salad, macaroni salad, egg salad - Chris Stainton ajoute : «It was an anything-goes sort of scene, with girls around, and Leon was pretty permissive: let’s put it that way.» Tonton Leon voulait surtout que chacun se sente bienvenu et en sécurité (welcome and safe). Il sait ce qu’il fait, car lors des répètes, il obtient de la tribu un son «tight and so exciting, and Leon was like Duke Ellington.» Tommy Vicari : «It was like a train.» Et il ajoute, émerveillé : «Joe was the star, but Leon was in control of the whole thing.» Vicari est effaré par cette concentration d’énergies et de talents. Pendant toute la tournée Mad Dogs & Englishmen, Joe Cocker est soul. Jim Keltner affirme que tout le monde était sous MDA, l’ancêtre de l’ecstasy - You really get high on that. There were some that had smoked angel dust. We were all drunk. It was a mess - Claudia Lennear confirme que the Mad Dogs & Englishmen thing was cultural - Elle évoque le free love and sex - That’s what that period was all about in the seventies - Toutes les nuits, des gonzesses font la queue dans les couloirs d’hôtels, aux portes de Tonton Leon et de Joe Cocker. Et ce n’était pas que des groupies. Carla Brown : «At the Fillmore East, Janis Joplin said she wanted to suck Leon’s dick until his head fell off.» Ah les Américaines ! Des gens filent de tout à Joe Cocker. Il ne demande même ce que c’est, straight into his mouth. Cocker : «The only difference between one tab and ten tabs of acid is the pain in the back of me neck (sic) Le film qui documente la tournée est resté un classique du ciné rock. Il montre aussi la fin d’un temps, le côté communautaire du rock va disparaître pour laisser place à un rock centré sur le profit, the cashing-in of the sesventies. Mad Dogs va notoirement influencer The Tedeschi Trucks Band. Des promoteurs tenteront même de monter une tournée de reformation, mais Joe Cocker ne voudra pas en entendre parler. Il pense que Tonton Leon s’est servi de lui pour sa propre promo.

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             Pourtant, au début, Joe admirait Tonton Leon, surtout le jour où il lui a joué pour la première fois «Delta Lady» au piano. Tonton Leon l’avait composé en hommage à Rita Coolidge, laquelle protesta car elle affirmait n’avoir jamais été «wet and naked in the garden». «Delta Lady» figure sur le fantastique premier album de Joe Cocker, qui en plus des deux cuts signés Tonton Leon, tape dans Dylan, Leonard Cohen, Lloyd Price, John Sebastian, Lennon/McCartney et George Harrison. Tonton Leon produit l’album et fait les arrangements. Il fait chanter Merry Clayton et Bonnie Bramlett dans les chœurs. Joe vit un temps chez Tonton Leon at 7709 Skyhill Drive - People were very naked. I got the clap there - Il parle de la chtouille, bien sûr. Comme Kim Fowley, il baise les dirty hippie whores. Joe traverse une mauvaise passe, car son manager Dee Anthony lui met la pression pour qu’il tourne aux États-Unis et Joe se dit épuisé. Mais Anthony est une brute. Denny Cordell n’aime pas Dee Anthony - I hated him.

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             Denny Cordell est un producteur anglais à succès : il est connu pour avoir lancé les Moody Blues et Procol Harum. C’est lui qui conseille aux Moody Blues de reprendre le «Go Now» de Bessie Banks - Cordell’s taste was impeccable - Puis «A Whiter Shade Of Pale» fait de lui un homme très riche. Il se réinstalle en Californie en 1970 et rachète le contrat de Tonton Leon chez Mercury pour fonder Shelter Records avec lui. Dans la foulée, Cordell ramène son poulain Joe Cocker en Californie. Ils vont aussi relancer la carrière de Freddie King qui est déjà une légende. Tonton Leon décide d’enregistrer Getting Ready chez Chess à Chicago. Il le co-produit avec Don Nix qui déclare : «That’s where the big blues hits were cut.» Duck Dunn débarque à Chicago pour jouer sur l’album. Don Nix est émerveillé par la classe de Freddie, «with this biggest-ass grin on his face» - He was just one of the best artists I’ve ever had anything to do with - Don Nix ramène son «Going Down» qu’il avait composé pour Moloch à Memphis. Mais Tonton Leon n’aime pas le cut. Là, il se fout le doigt dans l’œil. Freddie adore «Going Down» - So Leon had no choice - Tonton Leon flashe aussi sur Willis Alan Ramsey - He was a very strange guy, a beautiful singer and guitar player and writer - Ramsey lui gratouille quelques cuts et Tonton Leon le signe right on the spot. On voit Ramsey dans A Poem Is A Naked Person, le film qui documente la vie de  Tonton Leon de 1972 à 1973. Tonton Leon tire le titre du film des liners de Bringing It All Back Home. L’album Willis Alan Ramsey est devenu culte. On y reviendra. Quant à Les Blank, le réalisateur du film, c’est encore toute une histoire. Janovitz en fait des pages et des pages. Passionnant ! Pour résumer, Cordell et Tonton Leon ont repéré Blank via son docu The Blues Accordin’ To Lightnin’ Hopkins. Ils lui demandent de tourner un «verité-style (sic) profile of Leon for television». Les Blank finissait juste de tourner Dry Wood et Hop Pepper, un docu sur Clifton Chenier, c’est dire si ce mec est intéressant. Tonton Leon est friand de cinéma underground, notamment les films d’Andy Warhol et de Dennis Hopper. Son film préféré est Mondo Cane. Mais il va bloquer la parution d’A Poem Is A Naked Person. Pas question de le commercialiser. Les Blank mourra avant que Tonton Leon ne donne enfin son autorisation. C’est Harrod, le fils de Les Blank, qui va l’obtenir. 

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             Alors on revoit le film. Blank le tourne à Grand Lake, pas très loin de Tulsa, Oklahoma. Tonton Leon est un beau mec. On le voit pianoter «Jimabalaya» sur scène - Son of a gun - Plan rock parfait. Puis Blank filme George Jones en studio. Il chante sa country song avec une classe terrifiante - The first time I heard your voice - On tombe immédiatement sous le charme. Blank essaye de faire un film surréaliste : il filme ensuite le peintre Jim Franklin dans la piscine que Tonton Leon vient de faire construire. Franklin ramasse les scorpions dans un bocal, puis voilà Willie Nelson encore jeune. Ce n’est pas un hasard si Tonton Leon s’intéresse à des artistes aussi magnifiques que George Jones et Willie Nelson. Lorsqu’on voit danser les Navajos, on comprend que Blank tourne un film surréaliste sur l’Americana - Le Bliss Hotel explose, un boa avale un chicken, un mec mange du verre, alors forcément ce docu sur Leon n’est pas un docu, mais un Blank movie. Apparaît un mec étrange, Eric Anderson, une sorte de hippie punk qui chante un peu comme Nicck Drake. Le percussionniste Ambrose Campbell s’exprime et puis on voit les Shelter People sur scène, Chuck Blackwell et Don Preston qui sont un peu des clones de Tonton Leon. Résultat final : Tonton Leon n’aime pas le film. 

             Aux yeux de Janovitz, Cordell est plus un music fan qu’un record executive comme Clive Davis ou Ahmet Ertegun. Tonton Leon et lui finiront pourtant par se fâcher. Un jour, Jimmy Karstein demande la raison de cette fâcherie à Tonton Leon qui lui répond : «Well, I asked him a question, and he failed.» Quelle question ?, demande Karstein. Leon : «Where’s the money?»

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             Celui que Tonton Leon admire le plus, c’est Dylan, un Dylan qui l’emmène faire un tour dans Greenwich Village et qui lui montre les endroits qui lui ont inspiré des chansons. Dylan vient participer au Bengladesh concert. Il chante deux cuts tout seul puis demande au roi George et à Tonton Leon de l’accompagner : le roi Geoge à la gratte et Tonton Leon on bass - We tried a song or two, then I suggested that Ringo join us on tambourine - C’est avec le concert du Bengladesh que Tonton Leon devient an absolute superstar. Peter Nicholls : «The crowd went absolutely fucking nuts.» Et il ajoute, en proie à l’émerveillement congénital : «The sound of his voice!». Leon fait des banshee yowls avec les chœurs sur «Jumping Jack Flash». En coulisse, il assiste aussi à la métamorphose de son idole : «Quand Bob Dylan était en coulisse, il avait l’air d’un mec ordinaire, mais en arrivant sur scène, il changeait du tout au tout... His presence became all-powerful.»

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             Tonton Leon tombe amoureux d’une black nommée Mary McCreaty et l’épouse. Mary n’est pas née de la dernière pluie : elle a fréquenté Vaetta Vet Stewart, la sœur de Sly Stone, et monté avec elle un gospel group, the Heavenly Tones. Elle est pote avec Patrick Henderson, the Gap Band et surtout la fabuleuse Maxyan Lewis, qu’on a croisée ici, inside the goldmine. Mary a aussi enregistré l’un des premiers albums parus sur Shelter, Butterflies In Heaven. Tonton Leon et Mary vont enregistrer deux fantastiques albums ensemble, Wedding Album et Make Love To The Music, faire deux gosses ensemble, Tina Rose et Teddy Jack. Puis Mary va devenir la pire ennemie de Tonton Leon. Elle va même le traîner en justice pour lui pomper du blé et lui interdire de voir ses gosses pendant dix ans, jusqu’à leur majorité. Majeurs, Tina Rose et Teddy Jack viendront s’installer chez leur père. Le Gap Band enregistre son premier album Magician’s Holiday sur Shelter. Tonton Leon prendra ensuite le Gap Band comme backing band en tournée, et pour l’enregistrement de Stop All That Jazz. Avec le Gap Band, Tonton Leon renoue avec le son qu’il aime, Billy Preston, Allen Toussaint, les Meters, Stevie Wonder et Sly & The Family Stone.

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             Shelter, c’est aussi le Dwight Twilley Band, eux aussi originaires de Tulsa, comme Tonton Leon. Dwight Twilley quitte Tulsa pour échapper à l’ombre de Tonton Leon qui est partout et pouf, il arrive à Los Angeles et sur qui qu’il tombe ? Sur Tonton Leon. Ça s’appelle un destin. Twilley ajoute même qu’il avait peur de Tonton Leon à Tulsa : «He kind of scared me.» Puis il finit par faire sa connaissance à Los Angeles et l’apprécie. Il est même invité chez lui, à Skyhill. On apprend à l’instant que Dwight Twilley vient de casser sa pipe en bois. On y revient. 

             Et voilà Kim Fowley qui refait surface 18 ans après l’épisode Gary S. Paxton. Paxton et Kim avaient filé à Tonton Leon l’un de ses premiers jobs de session man. En 1978, Tonton Leon et Kim co-écrivent les cuts d’Americana. Kim raconte dans ses souvenirs que Tonton Leon l’a fait chialer lors de l’enregistrement de l’album : «Il s’est tourné vers moi et m’a dit : ‘Do you know how good you are?»’. Je me suis mis à chialer devant lui et devant tout l’orchestre, parce qu’il était le premier à me dire que j’étais bon.»  

             Tedeschi et Trucks seront donc les seuls héritiers du phénomène Mad Dogs & Englishmen. Ils voient le film la tournée Mad Dogs en 2005 et flashent dessus - Our band was loosely based on that concert footage - L’oncle de Trucks, Butch Trucks, jouait dans les Allman Brothers, «another family/communal band», donc il y avait de sérieuses prédispositions. Trucks flashe aussi sur le look Father Time de Tonton Leon. Il tente de relancer la machine avec une sacrée affiche : Tedeschi Trucks Band presents Mad Dogs & Englishmen with Leon Russell, Rita Coolidge, Claudia Lennaer, Chris Stainton. Ils embauchent aussi Chris Robinson des Black Crowes qui avoue que l’album Mads Dogs & Englishmen constitue son ADN. Même chose pour Steve Earle. Trucks & Tedeschi rêvaient aussi accompagner Joe Cocker, mais le vieux Joe venait tout juste de casser sa pipe en bois - He died from cancer before the concert.

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             En 1965, Tonton Leon transforme sa baraque de Skyhill, au Nord de Mulloland Drive, en studio - The whole house is a studio - Il devient un vampire, vit la nuit et dort le jour. Les voisins croient que des Hells Angels vivent à Skyhill, car ils voient des tas de bagnoles et de motos, «and loud music at all hours of the day and night». Karstein : «It was a twenty-four-hours-a-day deal there», et un autre témoins ajoute : «There were plenty of girls around». Il apparaît bien vite que Tonton Leon aime partouzer. Influencé par ce qu’il a vu à Muscle Shoals et chez Stax à Memphis, il monte un house-band. C’est l’époque où il essaye de chanter comme Bonnie Bramlett - At that time, we was all trying to sing like Bonnie Bramlett - On le compare plus volontiers à Doctor John qui, à l’inverse de Tonton Leon, en bave pour survivre. Tonton Leon impressionne Bobby Keys : «Tout le monde savait que Leon was superior. He was a phenomenal pianist and stylist. Il était ce que tous les autres Okies et Texans voulaient devenir : he had a black Cadillac, he had his own house in the hills, he had a studio in his house and he had chicks up there day and night.» C’est la Dolce Vita hollywoodienne. Skyhill devient un lieu célèbre. Don Nix y vivra un certain temps.

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             C’est là que Tonton Leon enregistre les deux fabuleux albums d’Asylum Choir avec Marc Benno. Pour «Soul Food», il invente a new funky rock’n’roll blend of gospel, Soul, country and blues. «Soul Food» se trouve sur le balda de Look Inside The Asylum Choir. L’album est un vrai shoot de Beatlemania, dès «Welcome To Hollywood», on entend les trompettes de Sergent Pepper. «Icicle Star Tree» sonne très anglais. On sent bien la graine de superstars. On croit entendre les Beatles dans «Death Of The Flowers», mais la tendance se confirme en B avec «Thieves In The Choir» qu’il chante exactement comme le ferait John Lennon, puis «Black Sheep Boogaloo», qui charrie des échos de «Drive My Car». Tonton Leon pousse bien le bouchon du bye/ Bye bye. Il sait déjà rocker la masse volumique d’un gros cut.

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             L’Asylum Choir II tape moins dans la Beatlemania. C’est le pur Skyhill sound. Tonton Leon et Marc Benno tapent une belle cover de «Sweet Home Chicago». Ça sent bon le studio cosy. On tombe au bout du balda sur l’énorme «Tryin’ To Stay ‘Live», nettement plus honky tonk, pianoté à la Tontonnerie affirmée. Il affecte bien sa voix. En B, il se fâche encore avec «Straight Brother». Il y va au heavy pounding. Il sait driver un Asylum. Comme son nom l’ind-ique, «Learn How To Boogie» est un solide boogie bardé de maniérismes à la Lennon. Il propose globalement un rock extrêmement pianoté, bien produit, souvent ambitieux et toujours chanté avec caractère, comme le fait Dr John sur ses albums. Leon sonne comme un chevalier Tontonique, «When You Wish Upon A Fag» swirle bien au gratté de poux.

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             Avant d’être une superstar, Tonton Leon est un amateur de femmes. C’est en tous les cas ce qui ressort de ce fat book. Quand il voit Rita Coolidge pour la première fois, il tombe amoureux d’elle. Mais elle vit avec Don Nix. Il dit à Don Nix de le prévenir si leur histoire s’arrête - If you ever break up with Rita, let me know - Six mois plus tard, Don Nix l’appelle pour lui dire qu’il peut venir récupérer Rita, redevenue célibataire. Tonton Leon débarque le lendemain, après avoir largué sa poule Donna. Don Nix va récupérer Tonton Leon à l’aéroport et l’amène au Sam Phillips Recording studio où Rita et sa sœur Priscilla font des backing vocals. Pouf, c’est vite réglé. Tonton Leon achète une ‘60 Ford Thunderbird et ramène Rita en Californie, en novembre 1968. Tout se passe bien pendant un temps, mais Tonton Leon veut partouzer avec Rita, et elle n’aime pas trop ça. Il commence par proposer un threesome avec Carl Radle - Maybe if we had Carl Radle come over, cause I know you like Carl - Tout le monde à poil ! Ça fout la relation par terre, en tous les cas, c’est ce qu’elle raconte dans son autobio. Tonton Leon la vire. Puis il tombe amoureux de Chris O’Dell, une expat américaine qui a vécu à Londres et bossé pour les Beatles. Tonton Leon réussit à la faire revenir en Californie - There was some weird, interesting sexual experimentation - et rebelote, il propose à Chris de partouzer. Chris O’Dell trouve ça uncomfortable. Claudia Lennear n’est pas très partante non plus pour les orgies. Elle est aussi l’une des muses de Tonton Leon. Comme Jesse Ed Davis ramène de l’angel dust à Skyhill, ça n’arrange pas les choses. Tonton Leon en fait une grosse conso. Eh oui, c’est non pas le temps des cerises, mais le temps du sex & drugs & rock’n’roll, c’est-à-dire le sel de la terre. 

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             Avec le Bengladesh concert, Tonton Leon atteint son pic de célébrité. Selon Al Aaronowitz, les freaks vont trouver Leon pour lui dire qu’il est le nouveau Jésus - Ça faisait dix ans que Dylan et les Beatles se tapaient cette adulatory crap et Leon affirmait que ça n’allait certainement pas lui tourner la tête - T Bone Burnett dit même qu’il aurait pu devenir «a huge star if he had wanted to be. But I guess he didn’t want to be.» Lorsqu’il se retrouve on top of the world, il décide de se mettre au vert, à Tulsa. Il n’aime pas tout ce qui accompagne la célébrité, «having to schmooze, the interviews, record executives, radio promotion. He moved back to Tulsa to get away from the hype.» Il s’installe dans ce qu’il appelle «a small fishing cabin on Grand lake O’ the Cherokees», à 100 bornes au nord de Tulsa. Il y recrée l’ambiance de Skyhill - a creative gathering spot on the lake - En 1972, il envoie Patrick Henderson recruter des backing singers à Dallas. Il en ramène quatre. Blue, qui est la fille aînée de Tonton Leon se marre : «From late ‘72 to ‘73, my dad had many many many girfriends.» Il en pince pour la musique noire, mais aussi pour la country. Willie Nelson indique qu’ils ont tous les deux le mêmes «musical roots : Hank Williams, Bob Wills, country black blues.» À Grand Lake, Tonton Leon bosse avec the Shelter People, le groupe qui l’accompagne en tournée. Il se fait faire dix costards de cosmic cowboy et fait coudre des pierreries dessus (rhinestones). Il devient une sorte de rhinestone cowboy, comme David Allen Coe. On parle aussi de lui en termes de «dark magnetism» et même de «rock evangelism». En 1974, il fait une petite crise de parano et se sépare de Peter Nicholls, de son groupe et prend ses distances avec Shelter et Denny Cordell. Il passe du stade de Master of Space and Time à celui d’«Oklahoma patriarch». Il n’a que 35 ans et Mary, sa femme, 25. Mais comme les blancs du coin sont racistes et que Mary est black, Tonton Leon est obligé de quitter la région.

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    ( Dernière demeure de Leon Russell)

             Il reste cependant un homme complexe. Bill Maxwell le compare à Dylan, «extremely friendly, intelligent, extremely kind, until they don’t want to talk to you anymore, and a wall goes up.» Il faut faire avec, et pour les potes de Tonton Leon, c’est pas simple. Côté addictions, il s’est un peu calmé depuis le temps de l’angel dust à Skyhill. Blue dit que ses addictions étaient «straight-up food and sex». Il voit pas mal de porno à la télé, même dans le bus de tournée. Il prend aussi du poids et dit que de porter ses lourds costards de rhinestone cowboy lui en fait perdre. À 33 ans, il a déjà un look de vieux pépère. Il a les cheveux blancs et marche en boitant.  Quand mary le quitte et lui déclare la guerre, il tombe en ruine. Elle lui fait des procès, «just basically nuisance suits». Cette vache lui réclame 500 000 $ qu’elle obtient, car il veut passer à autre chose, mais elle continuera de lui pomper du blé jusqu’à la fin - She was evil, dira-t-il à Jan, sa nouvelle poule - Tonton Leon est au plus bas et Willie Nelson vole à son secours. Puis en 1981, il s’installe à Hendersonville, dans le Tennessee, avec Jan qui va lui faire trois gosses, Shugaree, Coco et Honey, ce qui avec Blue, Teddy Jack et Tina Rose lui en fait six en tout. La maison du Tennessee avait appartenu à Felice et Boudheaux Bryant, les fameux auteurs de hits pour les Everly Brothers. Dans le milieu des années 80, Tonton Leon a perdu le cap. Il est passé du superstardom au rien-du-tout-dom. Sa seule consolation est de voir arriver chez lui Teddy Jack et Tina Rose, devenus majeurs. Ils s’entendent bien avec Jan, qu’ils appellent Mommy. Ils vont vivre avec leur père durant les années 90. Puis le couple s’installe avec toute la tribu à Sideview, c’est-à-dire à Gallatin, dans le Tennessee. Blues qui a aussi fondé une famille vient s’installer à Sideview. Bien qu’affaibli par un vieillissement précoce, Tonton Leon continue de tourner. Hank Williams Jr. lui propose 14 dates en première partie, mais Tonton Leon le prévient que si ça déraille à cause de ses percussionnistes nigérians, il quittera la tournée. Tom Britt : «En plein milieu de la première chanson, un mec lance une bouteille de whisky sur les Nigérians. We all walk off. End of tour.» Tonton Leon traverse une période misérable, conduisant des bus pas très fiables à travers les états, ce qui lui vaut le surnom the Miser of Space and Time. Eh oui, les temps sont durs. Tonton Leon survit à la fois artistiquement et financièrement. Le couple finit par s’installer à Harmitage, à proximité de Nashville. Cette belle demeure avait été construite pour Dennis Linde, l’auteur de «Burnin’ Love».

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             Il revient dans le rond du projecteur avec le projet d’Elton John et l’album The Union. Mais on l’a dit dans un Part Two, Elton John squatte quasiment tout l’album et fout la pression sur Tonton Leon qui n’aime pas ça : «Elton sort of insisted that I have a producer. Well I’m not a guy that has producers.» Pour Life Journey, l’avant-dernier album qu’il enregistre, son manager Barbis veut mettre Don Was sur le coup pour faire un rock’n’roll album, mais Tonton Leon préfère Tommy LiPuma «from the Blue Thumb days». LiPuma avait produit des gens comme Al Jarreau, Dr John et Diana Krall, mais aussi le Tutu de Miles Davis. Janovitz ajoute que pendant les deux dernières années de sa vie, Tonton Leon se bat pour boucler les fins de mois. Et tout ça se termine à l’hosto avec des problèmes de santé classiques, comme dans tous les romans dignes de ce nom. Tonton Leon est un peu le Johann August Suter que décrit Cendrars dans l’Or. Cette bio a le souffle d’un destin qui n’a de tragique que sa banalité. Chacun de nous finit par mourir, au terme d’une vie bien remplie ou pas.

             Selon Janovitz, Tonton Leon restera «an elite songwriter and one of the greatst arrangers and bandleaders of his generation.»

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             Alors qu’on allait refermer provisoirement ce chapitre, un beau Tribute est tombé du ciel : A Song For Leon - A Tribute To Leon Russell. Une petite équipe d’artistes s’est amusée à taper dans tous les vieux hits du Père Noël, à commencer par l’excellent chanteur masqué Orville Peck. Il tape directement dans «This Masquerade». Belle présence vocale. Le mec est bon, la compo est bonne, alors que peut-on espérer de plus ? Rien. Autre surprise de taille avec U.S. Girls & Bootsy Collins qui tapent «Superstar». C’est fabuleusement travaillé à la black, bien nappé de sucre candydo black, ils traînent le groove dans une étonnante poussière d’étoiles. On passe aux choses très sérieuses avec les Pixies et «Crystal Closet Queen». Okay ! Le gros tape dans le tas. Sans fioritures. Dans le vrai tout de suite. C’est Pixelisé à outrance. Le gros te déglingue vite fait la carlingue. Il abuse de son génie purulent pour exploser Tonton Leon. Et puis voilà Monica Martin et «A Song For You», the Beautiful Song par excellence. Océanique, chanté au fil de la respiration, avec des accents connus de type «Imagine». Quand on réécoute la version originale sur l’album bleu sans titre de Leon Russell, on trouve la voix trop maniérée, effet bizarre. C’était très stéréotypé. La bonne surprise du Tribute vient aussi de Bret McKenzie & Preservation Hall Jazz Band avec «Back To The Island», mid-tempo tapé au big power de big bassmatic et de slide volage, pur jus d’Americana, très fidèle à l’esprit leonien. Signalons aussi le très beau développement durable de Margo Price avec «Stranger In A Strange Land», et cette belle Soul qui aurait tant plu à Tonton Leon, celle de Durand Jones & The Indications avec une cover d’«Out In The Woods». Durand ne fait pas semblant. En plus ça rime.

    Signé : Cazengler, Léon recèle

    Bill Janovitz. Leon Russell. The Master Of Space And Time’s Journey Through Rock & Roll History. Hachett Book Group 2023

    Asylum Choir. Look Inside The Asylum Choir. Smash Records 1968

    Leon Russell & Mark Benno. Asylum Choir II. Shelter Records 1969

    A Song For Leon. A Tribute To Leon Russell

    Les Blank. A Poem Is A Naked Person. 1974. Réédité en DVD

     

     

    L’avenir du rock

     - Hello Dulli, mon joli Dulli

     (Part Three)

     

             La scène se déroule au club. Confortablement calé dans un Chesterfield, l’avenir du rock passe une agréable soirée en compagnie de ses amis, tous des professionnels versés dans les nouvelles technologies.

             — Alors tu résistes toujours à l’appel des sirènes, avenir du rock ? Toujours pas de smartphone ?

             — Nulle envie d’entendre bip-bipper ces machines à tout instant, écoute la tienne, c’est infernal ! Cling... Cling... Aucun smartphone, si smart soit-il, ne me sortira Dulli.

             — Tu as tort de te priver du confort de cet outil. Il te permet de checker tes mails lorsque tu es en déplacement, de surveiller tes comptes au Luxembourg et de visio-conférer avec tes prospects. Tu peux tourner des vidéos en MP4 pour e-coacher tes modules d’e-learning et même stocker des gigas de data. Tu peux aussi visionner des clips de rock sur YouTube...

             — Pas de chance, Marco, je ne vais jamais sur YouTube. Trop de pub. Je vais plutôt sur Dulli Motion.

             — Tu es tout de même très atypique, comme profil. Désolé d’avoir à te dire ça. Tu ne fais rien comme les autres. Il y a quelque chose d’élitiste chez toi, non ?

             — Tu te plantes, Marco. Il m’arrive comme tout le monde de prendre un Dulliprane 1000 effervescent quand j’ai mal au crâne.

             — Ce qui m’épate le plus, c’est que contrairement à nous, tu passes très peu de temps sur le net. Tu pourrais te créer un fil à la patte du caméléon, ha ha ha ha !

             — Non, ces outils-là ne m’intéressent pas. J’ai pas mal de chats à fouetter. Même trop ! Never a Dulli moment !

             — Tu devrais au moins prendre l’avion de temps en temps et voyager. Appelle l’agence Nouvelles Frontières à Montparnasse et demande Erwin de ma part, il te fera des prix. Et comme ça, tu pourras passer au duty free et nous ramener une bonne bouteille de scotch irlandais !

             — Quand je voyage, figure-toi que je ne passe jamais au duty free. Je préfère le Dulli free.

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             Une fois de plus, il s’en sort bien, l’avenir du rock. Il préfère parler de Greg Dulli plutôt que des gadgets de la modernité. Greg Dulli est un artiste tellement génial qu’il échappe au radar du mainstream. C’est à ça, aujourd’hui, qu’on reconnaît les vrais artistes. Ils passent à travers les mailles du filet corporatiste et parviennent ainsi à préserver leur intégrité, comme le firent jadis résistants traqués par la Gestapo. 

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             Greg Dulli a remonté les Afghan Whigs et le nouvel album s’appelle How Do You Burn? Rien qu’à voir la pochette, on sait que c’est un magnifique album : voyons-le comme le Miami du Gun Club qui serait revu et corrigé par le plus tragiquement neurasthénique des visionnaires, Dulli de la terre.  Crack boom dès «I’ll Make You See God». Explosif ! Noyé de son, le pauvre Dulli chante la gueule dans l’eau, ahhhhhbllbllbblll, avec des accords électrocutés, schherrkkrkkrk, c’est d’une violence de la mort qui tue, ça coule dans le dos comme une eau glacée, ça pulse au froid qui extermine toute idée de chaud, ça te fatalise une falaise de marbre. Les Whigs compressent tout le power du rock américain dans un seul cut, un cut qui respire à peine, congestionné à l’extrême, c’est d’une violence qui force la courbe des tropiques, yeah yeah yeah, il n’existe plus rien après un tel ramdam, c’est un beffroi qui s’écroule sur toi, là, tu sais que tu as besoin de prendre du temps pour comprendre ce qui se passe, pour appréhender cette dégelée ultra-dullique, ça grimpe encore dans les degrés du fucking hell et ça brûle à l’intérieur, comme un alcool beaucoup trop fort. Puis Dulli nous fait du heavy Dulli de Getaway avec «The Getaway». Pire encore : l’«I’ll Make You See God» te sonne tellement les cloches que tu as du mal à prendre les cuts suivants au sérieux. Voilà qu’arrive dans tes oreilles «Catch A Colt», un cut inqualifiable, presque putassier. Mais c’est du Dulli, alors tu fermes ta gueule. Le problème est qu’on attend des miracles de cet homme et les miracles se raréfient. «Jyja» peine à jouir, Dulli plonge au plus profond du deepy deep, c’est assez heavy, mais toujours pas de hit dans la hutte. Il remonte à la surface pour «A Line Of Shots». Pas facile de faire des big albums, n’est-ce pas, Dulli ? Il finit par sonner comme U2 ce qui n’est pas un compliment. Il ramène encore tout le son qu’il peut dans «Domino & Jimmy», c’est une belle apocalypse, mais rien de plus. Il pourrait bien être profondément affecté par la disparition de son ami Lanegan. Il semble avoir perdu sa voie. Maintenant il est tout seul, il semble paumé. Ses cuts ne mènent nulle part. On assiste en direct à la Bérézina de Napoléon Dulli. Ça s’agite encore un peu avec «Take Me There». C’est tragique, car le power brille par son absence. Dulli finit par aller se crasher dans les flammes d’«In Flames», criblé par les notes d’un solo problématique, il rend l’âme dans des convulsions extravagantes et nous laisse en héritage un monstrueux shoot d’Atmopshérix vénéneux. 

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             Pour se remonter le moral, le mieux est de plonger dans la rubrique ‘Album by Album’ que propose Uncut, et qui est ce mois-ci consacrée à Greg Dulli, qualifié par la chapôteuse Sharon O’Connor de «torrid grunge Soul man». Dulli passe en revue tous ses classiques et donne de sacrés éclairages. Il dit s’inspirer du classic rock et du classic metal. Quand on lui dit qu’«I’ll Make You See God» qui ouvre le bal d’How You Burn sonne comme du Queens Of The Stone Age, il répond que l’«Highway Star» de Deep Purple était sa North Star. Il indique ensuite que «Line Of Shots» «is built on a mash of Buzzcocks and The Smiths.» Puis il révèle que Van Hunt chante «Jyia» et «Take Me There» - He’s kind of the secret weapon of the record - Il revient aussi sur Lanegan et les Gutter Twins. Il leur a fallu 5 ans pour enregistrer Saturnalia - I named the record, he named the band - Dulli dit qu’il est très fier de cet album - I know we were making something cool, and we did - Il célèbre aussi la trilogie Congregation/Gentlemen/Black Love. Il dit que «Blame Etc» «is really my attempt at writing a Norman Whitfield-style Temptations song. That’s where I was coming from with that, with the wah-wah and the strings. I remember trying to get inside the David Ruffin head, a little bit.» Il rend un fantastique hommage à David Ruffin, «he seemed like a guy who had it all and just destroyed it.» Il revient aussi sur les Twilight Singers et Blackberry Belle - It might be my favorite record - Dulli a raison : Blackberry Belle est une bombe.

    Signé : Cazengler, Salvatorve Duli

    Afghan Whigs. How Do You Burn? Royal Cream Records 2022

    Greg Dulli. Album by Album. Uncut # 305 - October 2022

     

     

    Inside the goldmine

     - Le vert Garland

     

             Au premier abord, Michel Garant semblait extrêmement sympathique. Il passait son temps à sourire et à bavacher. Rien ne pouvait le contenir. Son débit oral était celui d’un fleuve en crue. Il charriait de tout, surtout du rock et du moi-je. Il passait d’un sujet à l’autre sans crier gare et soudain, il trébuchait, tournait trois fois autour d’un mot pour repartir dans une direction opposée, ce qu’on fait tous lorsqu’on perd le fil face à un auditoire. Si par hasard tu lui coupais la parole, il sautait sur la première occasion de reprendre le leadership. Pas par souci de domination. Michel Garant était naturellement extraverti. Il ne se rendait même pas compte qu’il devenait pénible, et, à force de vouloir se faire passer pour un être charitable, bienveillant, intelligent, «de gauche», comme il disait, et soit disant ouvert sur le monde, il finissait par provoquer l’effet inverse. Il transgressait tellement son pseudo-angélisme qu’il générait chez certains de ses interlocuteurs un agacement tel qu’ils peinaient à le dissimuler. Le problème, c’est que Michel Garant était très con, mais il ne s’en rendait même pas compte. À ses yeux, «tout le monde il était beau et tout le monde il était gentil», à commencer par lui. Lui, rien que lui. Lui, encore lui. Si son nombril avait eu des dents et une langue, il aurait parlé du nombril. Il gravitait en orbite autour de lui-même, il ne captait le monde extérieur qu’à travers son prisme, ce qu’on fait tous, mais il l’assujettissait à son modèle mental pour le transformer en ce discours insupportable qu’il déroulait à l’infini et qui donnait la nausée à tous, sauf à lui. On le plaignait secrètement, mais bien sûr, il n’était pas question de lui causer la moindre peine. Son ultra-suffisance, cette adoration immodérée de lui-même cachait de toute évidence une fragilité extrême. Le prier de fermer sa gueule l’aurait sans doute anéanti. Comment peut-on vouloir du mal au roi des cons ?

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             Michel Garant et Garland Green, n’ont rien de commun, si ce n’est une vague forme de consonance. Garant vit dans son monde, et Garland dans le sien. D’un côté le blanc et de l’autre le noir. D’un côté le néant absolu, et de l’autre l’avenir du monde, c’est-à-dire la Soul. Garland Green est un Soul Brother de Chicago. On le croise sur ses albums, mais aussi dans toutes les bonnes compiles de Soul.

             Éminent spécialiste de la Chicago Soul, Robert Pruter transforme la vie de Garland Green en conte de fées. Le roi du barbecue Argia B. Collins trouva la voix du jeune Garland intéressante, alors il l’envoya au Conservatoire de Chicago étudier le piano et le chant, puis il transforma son prénom Garfield en Garland. Dans la foulée, un certain Mel Collins tomba sous le charme de Garland. La femme de Collins n’était autre que l’ex-Ikette Joshie Jo Armstead, devenue une compositrice de talent. Elle allait co-signer «Jealous Kind Of Fella».

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              Quand tu vois Garland Green sur la pochette de Jealous Kind Of Fella, tu as l’impression de voir un gentil géant. Il est accueilli dans son morceau titre par des chœurs de Sisters. Ce gentil géant est un crack. Il crack-boom-hue la Soul avec le power du vert Garland. Son «Jealous Kind Of Fella» est le froti le plus gluant de l’histoire des frotas. Ce hit date de 1969. Avec «Mr Misery», il passe aussi sec au coup de génie. Il éclate son cut dans l’écho du temps et on comprend qu’il soit devenu culte. Pur genius - Won’t you leave me alone - Stupéfiante qualité. On reste dans le très haut niveau avec «All She Did (Was Wave Goodbye To Me)». Ce mec est bon, il règne sur son empire. Ce magnifique artiste fait de la Soul des jours heureux avec «Ain’t That Good Enough», puis il épouse les courbes du groove avec «You Played On A Player», mais il le fait avec la poigne d’un black aux mâchoires d’acier. Il enchaîne avec une fabuleuse pop-Soul d’anticipation, «Angel Baby». Il profile son hit sous l’horizon. Il sait driver un suspense. Il grimpe à l’Ararat avec ses nerfs d’acier. Des mecs comme lui, tu n’en verras pas beaucoup. Encore de la fabuleuse Soul d’Uni Records avec «He Didn’t Know (He Kept On Talking)», c’est travaillé au doux du doux, ambiance magique à la Fred Neil avec des nappes de cuivres. Et cette belle aventure s’achève avec un «Let The Good Times Roll» amené au groove élastique. Baby !, tu le reçois en plein, le vert Garland y va, sa voix fait le poids et c’est vaillamment coiffé aux nappes de cuivres.

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             On retrouve notre gentil géant sur la pochette de Love Is What We Came Here For. Au dos, tu le vois faire du jogging sur la plage. Le vert Garland est un géant éminemment sympathique. Son «Let’s Celebrate» est un coup de génie diskö. Il est le roi du dancefloor. Mais cet album est essentiellement un album de groove, comme le montre «Shake Your Shaker», il te shake ça avec une classe inébranlable. Il est dans le lose control, dans l’all over, il tape ça au mieux des possibilités. Le vert Garland est un diable Vauvert, on est content d’avoir fait sa connaissance. Il groove de plus belle avec «Let Me Be Your Preacher». On aime bien l’idée que ce black soit heureux et qu’il puisse courir sur la plage pour entretenir sa santé. Allez Garland, au boulot ! Il revient avec «I’ve Quit Running The Streets», pas de problème, Garland does it right - I’m going ho-ho ! - Il fait aussi des balladifs fantastiques, comme le morceau titre. Il a de l’appétit pour l’horizon. Il groove encore le r’n’b d’une voix grave dans «I Found Myself When I Lost You», c’est excellent, coloré, juteux, fruité, groovy. Garland vise toujours le côté coloré du son. Il manie l’insistance avec dextérité. Tu as deux bonus à la suite, dont un «Shale Your Shaker» plus diskö et plus sexe. Big bassmatic to the diskö sound !  - The way you shake around - Il y a en Garland Green une pâte d’amande, une Green touch, il groove au shake it on up, ça veut dire ce que ça veut dire. Et puis avec «Don’t Let Love Walk Out On Us», il fait son Barry White. Il t’enrobe les trompes d’Eustache vite fait. Il te ramollit les fourches caudines. Le vert Garland est un prince de la Soul. 

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             En 1983, alors qu’il est installé en Californie, il enregistre un album sans titre, Garland Green. Le plus stupéfiant est qu’il n’y aucun liner dans la boîte : le 4 pages n’est même pas imprimé, à part la une. Mais on sait que c’est produit par Lamont Dozier. Alors, on se console avec «Nobody Ever Came Close», une heavy Soul de dude en forme de Beautiful Song. Il attaque sur le ton de la confession, c’est excellent, une vraie chape. C’est un slow groove de rêve éveillé. Il te l’emballe vite fait. Il attaque d’ailleurs avec un hit de Lamont, «Tryin’ To Hold On». Il est sincère - I’m just tryin’ to hold on/ To my woman/ To my life - Ça va, Garland, on te croit. Mais il insiste. Alors on l’écoute. Lamont fait les backing vocals. Il fait aussi les arrangements de «You Make Me Feel (So Good)». Il chante son «System» la main sur le cœur et son «Love’s Calling» d’une voix solide. C’est un Soul Brother effarant d’assise. Garland est du genre à ne jamais lâcher la rampe. Il faut le signaler, car ça ne court pas les rues. «Love’s Calling» reste de la big Soul de calling you/Calling me. Il boucle l’album avec «These Arms», une heavy dance Soul de Lamont Dozier. C’est forcément énorme. On est une fois de plus effaré par l’incroyable power du vert Garland. Il est superbe et invincible. Black power all over. Grâce à Lamont, ça bascule dans la magie noire. 

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             En matière de compiles, la reine de Nubie s’appelle The Very Best Of Garlan Green. Comme c’est sur Kent Soul, Ady Croasdell partage le booklet avec Robert Pruter, spécialiste de la Chicago Soul et auteur d’une somme du même nom. Est-il bien utile d’ajouter que cette compile grouille de puces ? Tu te grattes dès le «Jealous Kind Of Fella» évoqué plus haut. Heavy groove de Chicago. La Soul de tes rêves, Garland te berce dans ses bras. C’est à la fois épais et imparable. On retrouve aussi «These Arms», ce vieux shoot de Green diskö, et l’excellent «Don’t Think That I’m A Violent Guy» tapé au toc toc toc de wild beurre. Oh la présence de l’immanence ! Retrouvailles encore avec «I’ve Quit Running The Streets» qu’il chante à l’accent gras. Il ne traîne plus en ville, ça rassure sa poule. Il met encore une pression artistique terrible avec «Angel Baby», sa classe flirte en permanence avec le génie. Tu vas aussi retrouver son vieux «Let The Good Times Roll» qui ne doit rien à celui de Shirley & Lee. Il navigue toujours entre la joie de vivre et les nerfs d’acier. Retrouvailles encore avec «He Didn’t Know (He Kept On Talkin’)», il te groove la Soul dans l’âme, il est aussi océanique du Fred Neil. Il tartine sa Soul comme du miel. On retrouve encore «You Played On A Player», heavy groove teinté de gospel, «Ask Me What You Want», sans doute l’un des meilleurs shoots de Soul d’Amérique, il peut aussi ruer dans les brancards comme le montre le wild «It Rained Forty Days & Nights», et avec «Sending My Best Wishes», tu touches au cœur du mythe Garland. Il fait son Barry White dans «Don’t Let Love Walk Out On Us», et de la heavy Soul de Deep South avec «Nothing Can Take You From Me», cette Soul qui colle dans le pantalon. 

    Signé : Cazengler, Garland Gris

    Garland Green. Jealous Kind Of Fella. Uni Records 1969

    Garland Green. Love Is What We Came Here For. RCA 1977

    Garland Green. Garland Green. Ocean Front Records 1983

    Garland Green. The Very Best Of Garlan Green. Kent Soul 2008

     

    *

    _ C’est quoi encore ce bordel ?

    _ Monsieur le Préfet, votre flair nous étonnera toujours, vous avez raison, c’est un regroupement séditieux d’individus mal intentionnés que nous suivons étroitement depuis plusieurs mois. Nous les suspectons de faire tourner la tête à toute une innocente partie de notre belle et saine jeunesse hélas trop naïve…

    _ Ne perdons pas notre temps, que proposez-vous pour nous en défaire ?

    _ Nous pourrions sous n’importe quel prétexte futile les enfermer en prison…

    _ Vous plaisantez, les nourrir grassement à ne rien faire et à regarder la télé aux frais du contribuables, faites comme pour Socrate !

    _ Excusez-moi Monsieur le Préfet, je ne connais pas cet individu, quel châtiment lui avions-nous infligé ?

    _ Le seul qui vaille la peine, la peine de mort !

    _ Ce n’est que justice Monsieur le Préfet, je n’ose même pas imaginer les méfaits qu’ils avaient commis.

    _ Le même que vos trois futurs condamnés, quod corrumpet juventum !

    _ Excusez-moi Monsieur le préfet, je n’ai pas compris, mais ce doit être terrible !

    _ Plus que vous ne le croyez mon brave sous-fifre ! Exécution immédiate !

    BASTA

    C’ KOI Z’ BORDEL

    Ne vous trompez pas d’objets sonore, Basta tiens n’y a-t-il pas un disque de Léo Ferré qui porte le même titre ? Pas tout à fait, un album de 1973 qui se nomme Et… Basta ! Ah bon ! Pourtant Ni Dieu ni maître, c’est de Ferré je pourrais même le chanter, ‘’il n’y en a pas un sur cent et pourtant ils existent’’, exactement même si Ferré chantait mieux que vous, sa version la plus aboutie est celle de l’enregistrement public à la Mutualité en 1970. Question Chimpanzé Léo n’entretenait-il pas une relation amoureuse avec une guenon… Ce sont donc des reprises de Ferré ? Non, des créations originales ! Alors pourquoi toutes ces connotations ?

    Peut-être pour nous faire réfléchir que depuis les révoltes de mai 68, rien n’a vraiment été bouleversé mais que tout a changé. Expliquez-moi, je ne comprends pas. L’après 68 fut le temps de l’illusion lyrique, la Révolution semblait toute proche, l’on en parlait avec emphase, l’on prenait modèle sur les chuchotements insidieux de Verlaine et la barbare violence de Rimbaud, un demi-siècle plus tard le constat est amer : le grand soir n’a jamais eu lieu… Donc c’est un disque passéiste empli de nostalgie ! Pas du tout, C’ Koi’ Z’ Bordel ne regarde pas en arrière, vous plonge le nez dans le caca du présent qui nous dit que le pire est à venir si l’on ne se bouge pas le cul.

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    Une pochette noire comme la misère mentale qui nous accable. Trois têtes, trois bustes estompés par la noirceur du monde. Ce ne sont pas les individus qu’il faut admirer, c’est le message qui prime.

    Cyril : guitariste, chanteur / Olivier : batteur / Stéphane : bassiste.

    Ni dieu ni maître : une batterie qui ricoche comme des balles sur le bitume, tout de suite c’est l’emballement, une guitare qui part en vrille, une batterie fracassante et un vocal qui vous saute à la gorge, des lyrics qui n’ont pas peur de s’encombrer de gros étrons, religions, capitalisme, théocratie, despotisme, gerber, cracher… Méfiez-vous, les étoiles ninja que lance la guitare de Cyril sont tranchantes…  Ne courez pas aux abris, criez plutôt Kick out the Jam, comme le chantait un groupe de Destroy City. Sous-race de Chimpanzés : un peu de classification zoologique n’a jamais fait de mal à personne, c’est un peu dur pour nous les hominiens, soyons justes, nous nous ne sommes pas une espèce très écologique, comment Olivier peut-il tenir ce beat incandescent tout en produisant ces flots de roulements tourbillonnants battériaux incessants, l’on dirait qu’il répand du round up à profusion sur des champs pollués. Basta : Vous avez eu le constat édifiant dressé en moins de six minutes, c’est très bien, en fait c’est très mal, maintenant faut conclure. Que faire se demandait Lénine. Nos bordellistes lui répondent : c’est assez. Cyril vous envoie à plein gosier des rafales de bastos de ‘’basta’’ la meilleure des mécadicamentations pour combattre l’épidémie des lâchetés individuelles. Assez : au cas où vous n’auriez pas compris, vous ont traduit Basta en français, en plus rapide, en plus violent, un vocal dégueulis, une basse tarabustante, une guitare vitriolée, une batterie gourdinée, 78 secondes dont vous ne vous relèverez pas. Dix de plus que 68, faut augmenter la dose !

             C’ Koi Z’ Bordel hisse l’étamine noire. Un cri de rage et de haine, pour réveiller les morts-vivants qui passent leur temps à se plaindre. Un chef-d’œuvre nécessaire.

    Damie Chad.

     

    *

    Du nouveau pour Burning Sister, la presse underground américaine, The Obelisk, Doomed Nation, The Sleeping Shaman, commence à s’intéresser à eux, nous avons été probablement les premiers à parler d’eux, voir KR’TNT 560 du 20 / 06 / 2022 et KR’TNT du 24 / 11 / 2022… Dave Brownfield a laissé sa place à Nathan Rorabaugh d’Alamo Black autre groupe de Denver ( Colorado )… Ils viennent de sortir un nouvel EP.

    GET YOUR HEAD RIGHT

    BURNING SISTER

    (Sleeping Sentinel Records / Octobre 2023 )

    Steve Miller : bass, synth, vocals / Nathan Rorabaugh : guitar / Alison Salutz : drums

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    Une ligne de chemin de fer enfoncée dans une tranchée forestière, elle ne court pas vers un horizon infini mais s’engouffre dans un tunnel d’où pour ceux qui prennent tout au pied de la lettre le conseil de tenir sa tête droite, et pour ceux qui décryptent la portée symbolique des paroles un mot d’ordre à rester droit et debout devant les difficultés…

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    Fade out : ( paru en août 2023 sous forme d’une Official Video )  : tout ce qu’il y a de plus classique : le groupe en train de jouer, de temps en temps l’image défile comme en surimpression en couleur rouge, bleu, vert, sans doute  pour éviter la monotonie d’une vidéo peut-être pour que l’auditeur  comprenne que Burning Sister flirte avec le psychédélisme, le plus intuitif serait à mettre le flou de ces images avec l’intitulé des titres du morceau et de l’album, chacun tranchera dialectiquement la contradiction exposée à sa guise, parfois la meilleure stratégie ne serait-elle pas, au lieu d’affronter un système qui finira par vous broyer, de se fondre dans le monstre, de devenir un monstre invisible, bientôt n’apparaît-il pas en sur-sur-impression évanescente un individu, un enfant de la taille d’un adulte, qui s’amuse à courir, à bondir, à faire de la balançoire, déguisé en Captain America, jusqu’au moment où à la fin du morceau l’image d’une clarté absolue nous découvre que ce n’est autre que Steve Miller, le bassiste. Dès le début l’on entend gronder la basse de Steve, mais ce n’est rien comparé à sa voix qui vous ligote et vous retient prisonnier dans ses cordes vocales, c’est un régal de voir le groupe se saisir du riff initial plus noir que noir pour le mener au bout des cinquante nuances de gris du rock’n’roll. Une superbe démonstration que les combos débutants auraient intérêt à étudier. Barbiturate Lizard : coups de basse comme autant de coups de butoir, bientôt amplifiés par une guitare qui pousse à la roue, un fond de synthé perforant et Sister Alison qui vous martèle un tempo implacable tandis que la voix de Steve qui semble résonner sous la voûte d’un souterrain enfoui au creux de la terre vous envoûte pour l’éternité, ensuite comme à tous ses morceaux le groupe vous ensorcèle, bien sûr il riffe comme des milliers de combos de par le monde à cette différence près que quand ils ont bien le riff en main il commence à ronronner comme un chat puis à rugir comme un lion et enfin à se débattre comme un dinosaure qui endormi depuis des millions d’années se réveillerait, juste, ce n’est pas de chance, sous votre maison qui s’écroule sur vous comme un château de cartes en plomb fondu. Get your head right : trois petits coups de baguettes ( magiques) et un monstre riffique déboule sur vous, ça tonne comme l’orage, ça arrache les toitures, ça écroule les gratte-ciel, je me demande qui pourra garder la tête haute sous une telle tempête, z’avez envie de rentrer tel un escargot dans une coquille de béton armé, mais la batterie tape sur votre abri anti-atomique et déjà se forment des lézardes pas du tout sous barbituriques, il y a une guitare qui ricane sinistrement, un vocal qui vous maudit jusqu’à la soixante dix-septième génération, mes chiens qui quittent leur panier ( j’écoute au casque ) heureusement c’est fini, ouf, non ça recommence en plus lent mais en plus lourd, vous en veulent à mort, vous ignorez pourquoi, mais eux ils le savent là, maintenant vous touchez du doigt, qu’ils sont en guerre contre votre lâcheté congénitale. Tant pis pour nous ! Looking through me : au cas où vous n’auriez pas compris le morceau précédent, vous refont le coup des trois petites baguettes maléfiques, ensuite ils vous prennent un riff et vous le malaxent comme quand vous jouez avec un chewing gum sonore, c’est alors que vous vous apercevez que vous avez beau le mastiquer de toutes vos forces, ils s’amusent de vous, ils vous brisent les plombages et vous scellent le dentier si fort qu’ils vous empêchent d’ouvrir la bouche et de respirer, en plus ils vous calfeutrent les fosses nasales, dix mille orchestres déchaînés se mettent à vous jouer le Te deum du Requiem de Mozart, une masse phonique en fusion vous engloutit à jamais pour l’éternité ( plus un jour, on ne sait jamais ). Le pire c’est que vous ne vous plaignez pas, c’est grandiose.

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     When tomorrow hits : une reprise de Mudhoney, manière d’affirmer haut et fort son pédigré, le morceau est sorti en avant-première assorti d’une magnifique pochette ouverte à tous les rêves, à tous les cauchemars : L’est sûr que lorsque le destin frappe il est trop tard, une basse qui sonne comme une cloche funèbre, une batterie qui enfonce les clous du cercueil une voix d’outre-tombe ( sortie tout droit des grandes orgues de la sombre magnificence de la prose des  Mémoires de Chateaubriand ), une guitare qui n’en finit pas de pleurer à chaudes larmes, à moins qu’elle ne ricane tout haut, si vous pensez qu’ils en font trop qu’ils vont mettre la pédale douce, vous n’avez rien compris au film, c’est dommage parce qu’il est déjà fini. Perso je pense qu’ils écrasent la version de Mudhoney avec beaucoup plus de boue que de miel.

             EP étourdissant. Sister Burning brûle les étapes. Il se murmure qu’ils préparent un album. Pauvre de nous tant de temps à attendre !

    Damie Chad.      

     

    *

    Des groupes qui se prénomment Red Cloud il en existe aux quatre coins du monde toute une tribu, mais celui-ci est français, z’ont leur camp sur Paris, j’avoue que tout ce qui évoque de près ou de loin la lutte désespérée menée par les grands chefs sioux pour préserver leur liberté me fascine.

    BAD REPUTATION

    RED CLOUD

    (Single : Février 2023 / BC / YT)

    Roxane Sigre : vocals / Rémi Bottriaux : guitar / Maxime Mestre : bass / Laura Luis : organ / Mano Comet : drums.

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    Roxane toute seule sur la couve rouge, une bouche grande ouverte à avaler le monde, de rondes lunettes à la Janis Joplin, elle le mérite, un trottinement de souris sur le tambour, deux éclats de guitare, dès que vous entendez le feulement de sa voix vous oubliez tout ce qui précède, une espèce de glapissement modulé de chacal ou de chien de prairie, pas besoin de sortir de polytechnique pour décréter qu’il y a une véritable chanteuse dans le groupe. Ses congénères le savent, lui clouent aussitôt le bec pour que vous vous rendiez compte qu’ils lui préparent un tapis rouge de flammes, des pyromanes qui vous dressent une barrière de feu infranchissable, elle s’en fout, elle en joue, elle maîtrise la situation, la voix pointue comme une flèche qui se fiche dans votre cœur et c’est parti pour la longue traversée, Laura vous englobe la scène d’une cavalcade de poneys affolés, Rémi érige un vol de frelons, Maxime rampe comme un serpent et Mano porte un coup à tous les ennemis qu’il écrase, Roxane medecine-squaw vous guérira de tous vos maux de son vocal tranchant comme un couteau de scalp.

    Vous avez aimé Bad Reputation : voici une vidéo promotionnelle d’Arno Vincendo, vous les voyez jouer en playback, c’est bien fait, cela permet de les admirer, soulagement Roxane ne singe pas Janis, elle se contente d’être elle-même et c’est bien. Enfants gâtés vous aimeriez voir Bad Reputation : Live à L’International : vous ne savez pas tout ce Kr’tnt ! peut faire pour vous : les voilà dans un halo de nuage rouge, le son est davantage terre à terre, moins incisif que sur disque, mais l’ensemble tient bien la route et l’on entend le public apprécier. Comme un bonheur ne vient jamais seule vous avez encore Velvet Trap et Swallow deux titres issus du même concert et n’en jetez plus  dix autres vidéos sur la chaine de Matt Diskeyes, la plupart des titres parus sur leur album éponyme paru en mars 2023 que nous chroniquerons prochainement.

             ( Sur la même chaîne vous avez le concert de Bordeaux de Gyasi auquel le Cat Zengler a consacré ( voir livraison 608 du 31 / 08 / 2023 ) une magnifique chro sur son concert au Binic Folk Blues festival 2023 + dernier album.)

    Damie Chad.

     

    *

    Laissons la parole à plus doué que nous :

    ‘’ Car parmi les nombreuses institutions excellentes et même divines que votre Athènes a créées contribuant ainsi à la vie humaine, aucune, à mon avis, n’est meilleure que ces mystères. Car grâce à eux, nous avons été sortis de notre mode de vie barbare et sauvage, et éduqués et raffinés jusqu’à un état de civilisation ; ainsi comme ces rites sont appelés ‘’ initiations’’, ainsi en vérité nous avons appris d’eux les commencements de la vie et avons acquis le pouvoir non seulement de vivre heureux, mais aussi de mourir avec une meilleure assurance.’’

    Cicéron.  Les Lois II, XIV, 36.

             L’on ne se rend pas compte de l’apport de Cicéron quant à l’élaboration de la pensée occidentale, c’est lui qui a choisi et défini les mots latins afin de traduire l’ensemble des concepts philosophiques initiés par les Grecs. Vocables grecs et latins enracinés dans les langues européennes forment les deux branches séminales et constitutives de l’ADN de toute démarche de pensée. Ce n’est sûrement pas un hasard si Telesterion a posé ce passage en épigraphe à son nouvel opus.

    EPOPTEIA

    TELESTERION

    (Snow  Wolf Records / CD - K7 / Octobre 2023)

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    Rites performés par les prêtres de Demeter : Celeus / Dioclese / Eumolpos / Triptolemus / Plolysceinus.

    J’entends déjà certains lecteurs : écoute Damie, tu nous les brises, tes rituels d’Eleusis, la petite graine d’où sort la plante, sur laquelle se développe une fleur qui engendre un fruit porteur d’une ou plusieurs nouvelles graines, n’y a pas de quoi en faire un fromage, l’on apprend ça en CM1, alors lâche-nous la grappe.

    Z’oui, mais. C’est le moment de relire attentivement l’extrait de Cicéron. La graine qui meurt mais qui se faisant engendre une nouvelle plante, pour résumer : la mort qui donne naissance à la vie, évidemment c’est un peu simpliste encore faudrait-il se demander ce que ce cycle végétatif signifie et signifiait au regard des Grecs.

    Cicéron ne parle pas de graine mais de civilisation, non pas en tant que déploiement culturel mais en tant que nouveau stade d’une maturation de l’humanité animale de l’Homme. Il faut bien comprendre qu’un mythe ou un rite n’est pas une belle histoire qui a su séduire les imaginations de dizaines de générations, qu’il suffit de répéter pour être satisfait de soi-même. Celui qui regarde une table en décrétant tout content de lui ‘’ ceci est une table’’ occulte par cette constatation péremptoire tout ce qui a précédé : par exemple : ne serait-ce que le mode de production, de distribution, d’usage de cette table… N’envisageons même pas les opérations intellectuelles nécessaires à la construction de cette table, Platon a déjà analysé ce processus intellectuel dans son dialogue Le Sophiste.

             Tout ce préambule pour affirmer qu’avec Epopteia, Telesterion a choisi de se rapprocher de la réalité de ce furent les mystères d’Eleusis. Un drôle de challenge puisque la documentation sur ses fameux mystères ne couvre pas tous les aspects de ce phénomène cultuel. Rappelons qu’il était interdit sous peine de condamnation à mort de dévoiler La partie secrète des rites éleusiniens. Nous ne possédons que des renseignements dus à des recoupements conjecturaux de textes divers qui ne se corroborent pas nécessairement… Un puzzle aux nombreuses pièces manquantes dont les éléments qui nous restent ont bien du mal à jointer entre eux. A titre d’exemple commençons par le commencement : la couve du CD.

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             Reproduction de La Danse des Bacchantes tableau du peintre Charles Gleyre. Né en 1806, mort en 1873. Le format carré du CD ne rend pas justice à cette toile, pour la voir en son entier il est préférable de regarder la vue intégrale qu’en offre l’illustration de la K7. Natif de Suisse Charles Gleyre recevra dans son atelier parisien de nombreux jeunes peintres qui rompant avec lui formeront la première phalange des impressionnistes, notamment Sisley et Monet. Autant dire qu’on le classe facilement parmi les Pompiers. Le musée d’Orsay lui a consacré une exposition en 2016. Il est une autre façon de le considérer en le définissant comme un précurseur des Symbolistes.

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             A l’intérieur du CD ce tableau de Charles Gleyre côtoie Le Retour de Perséphone de Frédéric Leighton. Né en 1830, mort en 1896. Bien oublié aujourd’hui si on compare le succès et la reconnaissance officielle de l’Etat Britannique dont il jouit de son vivant. Peintre académique qui par certains aspects n’est pas sans lien avec le préraphaélisme.

              Une question se pose : pourquoi Le Retour de Perséphone de Frédéric Leighton dont le sujet est en lien direct avec les mystères d’Eleusis consacrés à Demeter la mère de Perséphone est-il posé à côté de La guerre des Bacchantes que l’on relie généralement à Dionysos. Apportons une réponse qui demandera à être explicitée. Selon la – il vaudrait mieux employer l’adjectif indéfini ‘’une’’ - tradition, c’est Orphée - qui mourut démembré par les bacchantes du cortège de Dionysos - qui aurait institué les mystères d’Eleusis.

    La sortie des neuf titres d’Epopteia a bénéficié d’un mode de lancement   quelque peu bizarre, un titre par jour du 30 septembre au 8 Octobre. Rien à voir avec un coup publicitaire, aucune envie de faire le buzz sur les réseaux sociaux, simplement faire coïncider la parution des neuf titres avec la date anniversaire de leur déroulement lors de l’Antiquité. Le disque est donc une sorte de reprise du rituel antique. Certains l’entendront comme une fable musicale, d’autres reconnaîtront dans les quelques mots anglais   par lesquels Telesterion se définit en anglais sur son bandcamp à savoir : ‘’I begin to sing of Demeter’’ – le début de l’Hymne à Demeter dont voici la traduction du texte original grec par Leconte de Lisle : ‘’ Je commence à chanter Demeter…’’.

    Entonner l’Hymne à Demeter peut-il être efficient ? Cette question est des plus épineuses, elle soulève la problématique fondamentale en laquelle réside l’attribution que l’on donne ou que l’on s’interdit de prêter à l’essence de la poésie. Serait-elle orphique et par cela aurait-elle une action sur la nature du monde. Si non, en quoi réside le distinguo opéré entre prose et poésie. La question peut paraître oiseuse, mais elle permet de percer le sens du concept de surhomme nietzschéen, en tant qu’homme capable d’œuvrer à l’Eternel Retour des choses. Une manière de s’approprier le rôle des Dieux. La fascinante compréhension des mystères d’Eleusis touche à cette ontologie fondamentale du rapport de l’être avec l’energeia originelle si tant est qu’elle soit originelle.

             Cet Hymne à Demeter raconte comment Demeter désespérée d’avoir perdu sa fille, parvient à Eleusis, elle est reçue dans la maison du roi Keleos, pour le remercier de son accueil et de son hospitalité elle fonde le temple d’Eleusis, dans lequel elle et sa fille  Perséphone seront célébrées.

             Nous allons écouter Epoteia en essayant d’analyser l’interprétation qu’en propose Telesterion. Il n’existe, même pas de nos jours, de doxa fixe. Le déroulé sera interprété au cours des siècles différemment par les anciens grecs eux-mêmes.  Plusieurs niveaux d’interprétations coexistent : niveau strictement historial, rituellique, religieux, mythologique, mythique, politique, poétique, philosophique, métaphysique. Souvent, selon l’élément déterminé expliqué l’on passe d’un niveau à un autre sans crier gare. De plus   plusieurs grades d’initiation sont proposés, même si celle-ci est ouverte à tous : hommes, femmes, esclaves. L’epoteia est le plus élevé, réservé à ceux qui possèdent de par leur savoir ou leurs fonctions politiques des connaissances culturelles étendues et qui sont capables d’atteindre à une abstraction intellectuelle élevée.

    Gathering : ( jour 1 ) : un peu comme l’ouverture d’un opéra, l’on pense à Lohengrin, chœurs célestes et tambourinades appuyées, des milliers de pieds foulent le sol, Demeter la terre et Zeus la divinité en tant que principe de connaissance. Cette intro est magnifique, somptueuse et grandiose malgré sa brièveté. Le premier jour des mystères est une procession publique. Elle part d’Eleusis et se rend à Athènes. Les mystagogues, ceux qui enseignent les mystes, candidats à l’initiation, portent précieusement des sacs ans lesquels sont cachés les objets sacrés qui seront utilisés lors des futurs rituels. To the sea : normalement les mystes passent le deuxième jour à l’abri invités par certains athéniens dans des demeures particulières, ils ne doivent pas sortir et prendre du repos car l’initiation exige une grande dépense d’énergie physique et psychique. Cette marche vers la mer est censée se passer le troisième jour, il semble que Telesterion tout en respectant le déroulement des initiations privilégie davantage certaines phases que le calendrier stricto sensu. Mais tout cela se discute, tout dépend des chercheurs dont on suit les résultats et les propositions. Un départ plein d’allant, une course précipitée pleine d’enthousiasme, pas une procession emplie de ferveur, les chœurs chantent et accompagnent le tempo rapide de la batterie, dès qu’il nous semble percevoir un léger essoufflement, un semblant de ralentissement, le déluge sonore reprend de l’ampleur, trois coups de batterie théâtrale, de grandes vagues sonores nous assaillent nous baignons dans une allégresse purificatrice. Les mystes vont se purifier dans la mer, pourquoi la mer et pas dans une eau non salée, à proprement parler ce n’est pas une lustration dans la mer mais dans la mer posidonienne. Dans son passé tumultueux Demeter a eu une liaison avec Poseidon. Demeter, Zeus, Poseidon, la terre, le feu, l’eau, cette union élémentale n’est point hasardeuse, nous y reviendrons. Hither the victims : musique lourde et pesante, les chœurs ne s’envolent pas vers les aigus, ils semblent épouser le lent rythme percussif, les guitares laissent échapper leur riff telle une flaque de sang qui s’étendrait lentement à même le sol. Après la purification par l’eau le sacrifice par le sang. La bête immolée par le myste est un pacte de reconnaissance de l’ordre divin et sacré. Les morts aiment à boire le sang des sacrifices, n’oublions pas que les mystères d’Eleusis touchent à la mort. L’animal propitiatoire est le cochon. On en trouve peu de représentations dans les diverses images qui nous sont parvenues de l’antiquité grecque. Songeons toutefois que de retour à Ithaque Ulysse est accueilli par Eumée le porcher, un des seuls qui lui soit resté fidèle. Demeter est une vieille déesse, ses toutes premières représentations la montrent sous forme d’un porc. Le lien entre Demeter déesse du blé et le cochon est évident : la nourriture. Festival : un moment essentiel, la batterie talonne le sol, les chœurs respirent une joyeuse espérance, c’est une procession imposante, une certaine solennité accompagne ce défilé : les mystes précédés par les mystagogues sous la direction de l’hiérophante qui dirigera l’accomplissement des rituels. Ils ne sont pas seuls, les prêtres et les prêtresses de nombreux temples athéniens, les autorités politiques de la cité, les cinq cents membres de la Boulé, et le peuple qui suit… lors du passage du pont qui relie la cité d’Athènes à Eleusis les mystes sont l’objet de moqueries et de brocarts divers. C’est le retour à Eleusis des objets sacrés qui ont été au premier jour des mystères emmenés à Athènes. Pilgrimage : bruits, confusion sonore, la batterie essaie de trouver sa place, nous sommes entrés dans le Telesterion, la grande salle aux quarante – deux colonnes dans laquelle évolue lentement la procession, seuls mystes et mystagogues sont entrés, les chants s’élèvent, est-ce l’Hymne à Demeter, la tonalité baisse d’un ton, sans doute a-t-on éteint les torches, l’hiérophante est devant, dans le noir la foule le suit, l’on passe brutalement de la nuit au jour, longs tâtonnements labyrinthiques, les statues des Dieux s’illuminent d’un coup, premier enseignement symbolique, la nuit de la mort épargne les Dieux, si vous ne voulez pas mourir rejoignez les Dieux. Reverly : musicalement ce morceau est dans la continuité du précédent mais le son s’alourdit, l’on arrive au moment crucial de la révélation, une prêtresse dévoile l’objet sacré par excellence, l’épi de blé, sans doute est-il en or, et d’une taille démesurée, mais l’on n’en reste pas là, l’épi est de nouveau voilé, sans doute les torches sont-elles masquées quelques secondes, lorsqu’elles réétincellent l’épi est  une nouvelle fois encore dévoilé, mais ce n’est pas l’épi qui apparaît mais un phallus qui se dresse. L’hiérophante et la prêtresse, sont-ils retirés dans une entrée de souterrain, miment ou exécutent le mariage hiérogamique de la déesse Demeter avec Poseidon et peut-être même avec Zeus dont elle a été l’amante… Il se peut qu’au tout début des mystères l’hiérophante ait été castré ou rendu impuissant par une dose de cigüe, comment un mortel aurait-il la prétention de pénétrer ne serait-ce qu’un substitut de déesse représentée par une prêtresse…  Nous sommes loin de l’histoire de la petite graine, l’enseignement ne se contente pas de ce qui est divulgué dans les Petits Mystères. Ici l’on aborde un sujet bien plus délicat, celui de l’union de l’être humain avec le divin. Certains lecteurs seront déçus, quoi les mystères, une simple partie de jambes en l’air au fond de la terre. L’origine des mystères d’Eleusis remontent à mille cinq cents ans avant notre heure. Sans doute l’histoire de la petite graine… fait-elle allusion au lointain moment de la préhistoire néolithique ou les tribus de chasseurs-cueilleurs se sont sédentarisées en agriculteurs-éleveurs à partir desquels ont été édifiées les premières cités. Cicéron ne dit pas autre chose…The descent : une guitare égrène des notes comme si elle frappait sur un gong, cette nudité sonore correspond à la déception ressentie par le myste durant l’initiation, tout a été dit, tout a été montré, et tout compte fait l’initié est-il vraiment différent, ne va-t-il pas mourir comme tous les hommes lorsque son tour viendra, n’a-t-il pas participé à un jeu de dupe, les chœurs consolateurs s’élèvent, oui tu mourras comme tous les autres, mais puisque tu as reçu l’initiation, tu es certain que lorsque tu mourras tu ne seras pas forcé de revenir sur terre pour essayer de trouver la lumière qui t’a été donnée par l’initiation. Le lecteur tant soit peu fûté estimera que le chrétien qui a reçu le baptême et l’absolution est censé monté directement au paradis. Ce n’est pas un hasard si les pères de l’Eglise ont abondamment commenté les mystères d’Eleusis. Il suffit d’y croire. Or les Grecs ne croyaient en rien. Ils préféraient penser. The search : la musique s’alourdit encore, mais commence à s’élever une crête lumineuse de notes plus claires tandis que les chœurs deviennent célébration, la batterie conquérante va de l’avant. Dans le commentaire du morceau précédent, le lecteur aura remarqué que l’on est passé de la simple description explicative des mystères à une allusion à la pensée de Platon quant à la survie de l’âme immortelle obligée de se réincarner dans un autre corps en espérant que cette nouvelle enveloppe charnelle lui permettra de vivre une vie de haute sagesse, non engluée en les passions humaines, trop humaines c’est-à-dire mortelles, et que cette âme pourra alors entrer en contact avec le monde divin… Le myste ne peut entrevoir cela qu’en comptant sur lui-même. L’initiation est une ouverture, un dévoilement, qu’il s’agit de concrétiser par soi-même en soi-même. The ascent : le titre précédent évoque cette ascension de l’âme tels que l’ont décrite dans la suite de Platon les derniers philosophes païens, Julien, Plotin, Proclus. Il ne s’agit pas d’atteindre le divin en se projetant hors de soi mais en réalisant la graine de volonté de divin qui est en nous. Qui a toutes les chances de se désagréger si nous ne réalisons pas cet accès au divin. Les gnostiques l’ont tenté, Nietzsche à la suite de Goethe parlera de surhumanité qui ne peut être accomplie que par l’éternel retour de la volonté de son propre désir. La fin d’Epoteia est magnifique. Elle ne culmine pas en une apothéose grandiloquente. Elle s’arrête pour que chacun puisse en écrire la suite.         

    c' koi t' bordel,burning sister,red cloud,telesterion

      

               Notre commentaire n’est qu’une lecture possible parmi tant d’autres. Sans doute ne correspond-elle pas à celle souhaitée par Telesterion. Elle n’est qu’une approche. Nous avons par exemple omis la relation Perséphone-Demeter que nous avons déjà développée en d’autres chroniques. Nous avons aussi passé sous silence la probable influence des mythes et des religions égyptiennes sur Eleusis. Le couple Isis-Osiris n’est-il pas à mettre en relation avec le couple pour ainsi dire en filigrane Demeter-Dionysos. De même malgré la présence du tableau de Charles Gleyre nous ne nous sommes pas aventurés sur les relations Demeter-Orphée-Dionysos. Nous explorerons cette triade en une autre occasion. Le lecteur qui désirerait en savoir plus peut déjà lire les deux tomes de Les mythes grecs de Robert Graves qui conte l’occultation dorienne des lieux sacrés de la Grande Déesse…

                Avec Epoteia et les quatre opus qui l’ont précédé, Telesterion a acquis parmi les groupes de metal une place à part qui attire de plus en plus de curieux…

    Damie Chad. 

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 616 : KR'TNT 616 : DAVID EUGENE EDWARS / LUKE HAINES / ANDREW LOOG OLDHAM / LAWRENCE / CHET IVEY / LES VAUTOURS / LES FANTÔMES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 616

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    19 / 10 / 2023

     

    DAVID EUGENE EDWARDS / LUKE HAINES

    ANDREW LOOG OLDHAM

    LAUWRENCE / CHET IVEY

    LES VAUTOURS / LES FANTÔMES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 616

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Be careful with that axe, Eugene

     - Part One

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    David Eugene Edwards arrive sur scène. Il ne s’agit pas d’une arrivée comme les autres. L’homme cumule pas mal d’attributs : prestance, prestige, prescience. Il n’a pas encore ouvert le bec qu’on sent déjà la prescience en lui, cette espèce de qualité divine propre aux êtres profondément spirituels.

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    Son port altier et ses pas légers indiquent l’éminence de sa prestance, l’imminence de sa condescendance, l’omniscience de sa transcendance. Il paraît sans âge. Ce blond mystérieux porte les cheveux longs et un foulard noué sous un chapeau noir incliné vers l’avant, ce qui pourrait passer pour une coquetterie, s’il nous prenait l’idée saugrenue de se moquer. Mais on ne se moque pas. Au mieux, on cède à la fascination, au pire, on s’intrigue. Le mystère qui entoure sa personne impose le plus profond respect. Cumulées à l’ombre du chapeau, ses lunettes à verres teintés achèvent de masquer son regard, ce qui épaissit encore son mystère. Il porte un blouson de jean, un jean moulant qui luit un peu et des boots argentées. Il est l’Homme aux Pieds d’Argent. Haut et sec, il se déplace comme Captain America, dans Easy Rider. Même esthétique de cosmic cowboy, même désarmante aisance à incarner un mythe. Le pas ailé, la stature, le foulard sous le chapeau, tout cela renvoie aussi à Arthur Lee, qui fit en 2004 le même genre d’apparition surnaturelle au Trabendo. Rien qu’à voir David Eugene Edwards arriver sur scène, le public comprend qu’il va vivre un moment hors du commun.

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    La scène ? C’est pas compliqué. Vide. D’un côté un poste de travail qu’occupe un side-man en casquette, et de l’autre côté, un pied de micro, un retour de scène et un ampli enveloppé dans le drapeau américain qu’on se plait à qualifier de génocidaire. Au milieu, un gigantesque écran sur lequel vont éclore des corolles emblématiques, une symbolique de l’au-delà et de l’éternelle beauté, aux antipodes des contraintes morales, par-delà le bien et le mal, on verra se succéder des reconstitutions numériques d’espaces intersidéraux et des choses plus organiques comme ce lit de roses noires où l’on voit bouger d’immenses pattes d’araignée,

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    ou encore ces mécanismes d’horlogerie prodigieusement graphiques, censés illustrer le décompte du temps qui passe et qui conduit inexorablement à la mort, et bien sûr, des crânes d’oiseaux plaqués d’or, véritables bijoux macabres, comme si le graphiste avait réussi à convertir Félicien Rops à la quadrichromie. Puisque David Eugene Edwards ne bouge pas, on regarde ces images qui finiront par donner le vertige.

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    Et pendant un peu plus d’une heure, David Eugene Edwards va plonger la salle dans ce qu’on appelle communément l’American Gothic, une série de complaintes extrêmement funèbres tirées pour la plupart de son nouvel album Hyacinth, et dont l’éclat lunaire finit par fasciner. Edwards s’enfonce dans son monde et enchaîne ses complaintes. Le contact avec le public se limite uniquement au chant. Les gens applaudissent à la fin de chaque complainte, mais Eugene se mure dans son silence. Il s’entoure de mystère, comme un poète enfermé dans sa tour d’ivoire. Il cultive ses climats, charge la barque de ses visions prophétiques. Il développe un sentiment d’extrême austérité que contredirait presque sa dégaine de cosmic cowboy. Il scande inlassablement. Il utilise parfois des langues inconnues, comme s’il était possédé. Il erre dans sa liturgie, il scande d’une voix forte le désir de rédemption impossible, il offre une suite au Prions Dieu que tous nous veuille absoudre de François Villon, mais l’Amérique étant beaucoup plus vaste que Montfaucon, alors la perdition d’Eugene est plus vaste, plus interminable, plus irrévocable.

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    Soudain on réalise qu’il fait de l’American Gothic purement littéraire, Eugene est l’Edgar Poe des temps modernes, l’Ambrose Bierce de la métempsychose contemporaine, on sort enfin de l’ère numérique et de tous ses pièges à cons pour retrouver le sel de la terre, c’est-à-dire une dimension artistique intimement liée à la mort, à la douleur du vivant et à la spiritualité. Il chante l’old time, il chante la Bible, il chante le Christ, il fait du gospel blanc qui est à l’exact opposé du gospel noir. Il prêche dans le désert et pourtant les gens boivent ses paroles. Enfin une poignée de gens. La salle n’est pas pleine. Le monde n’est pas peut-être pas prêt pour un artiste aussi métaphysique que David Eugene Edwards. On se plait à penser que si Jeffrey Lee Pierce était encore de ce monde, il proposerait exactement le même genre de récital.

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    Alors écouter Hyacinth dans ton fauteuil, c’est à tes risques et périls. Car tu n’as plus la présence d’Eugene. Tu dois te débrouiller tout seul avec les complaintes, et ça peut être long comme un jour sans rhum. Contrairement à ce qu’on a vu sur scène, son shamanisme est très orchestré. Dès «Seraph», il sonne comme Leonard Cohen et fait régner une tension énorme. C’est même du dark Cohen. Et puis, au fil des cuts, on replonge dans la démesure de ce récital, dans ce mélange de deep Atmospherix et d’éclatants mystères organiques. Avec «Celeste», il s’adresse non pas au Christ, mais à Demeter, la Mère de la Terre - Dweller in the dwelling - Eugene s’adresse aux dieux - Speak this way/ To all the gods - Le voilà paumé dans «Though The Lattice» - I have no question/ No question for anyone - il gratte sous le soleil d’un spot, l’ambiance reste très littéraire, très edwardienne. Il scande le dark comme le fait si bien Leonard Cohen, You are the real art of Mars Aries, clame-t-il dans «Apparition» et il ramène le Veil of Venus dans «Bright Boy». Il scande ses strophes mythologiques, il n’en finit plus d’offrir des offrandes aux dieux. Cet album est un temple. Il peut devenir wagnérien comme le montre le morceau titre, il navigue à bord d’un vessel sublime et scande son Perpetua Persephonea/ Pythic perfect, il exhale le Breath de fin. Tout semble lié sur cet album, il sacrifie son chant sur l’autel  de «Lionisis», psalmodiant Rose of Sharon Dragon/ thou shalt/ Rise hidden lion, et lâche dans un dernier souffle Earth born Orion, comme une ultime indication

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    Pour se remettre un peu dans le bain, on avait ressorti de l’étagère tous les albums de Sixteen Horsepower. Le premier date de 1984 et s’appelle Sackcmoth ‘N Ashes. Quarante ans, déjà ! Et pourtant, c’est un peu comme si c’était hier. C’est là qu’on trouve le gros hit d’Horsepower, «American Wheeze», tapé au riff de bandonéon - I’ve grown tired/ Of the moods of the single man - Il ramène son apothéose et envoie son Wheeze exploser au we’ll see/ We’ll see, et boom de Bring your blade and your gun/ And if I die by your hand/ I’ve gotta home in glory land. On comprend que les foules françaises se soient extasiées à l’époque. L’autre énormité, c’est «Harm’s Way», monté sur un beat bien ahané, réchauffé une fois encore au bandonéon. Les autres cuts sonnent comme des harangues patibulaires, Eugene fait parfois son Jeffrey Lee Pierce («Scrawled In Sap»), et il gratte son banjo à la pointe du progrès («Ruthie Lingle»). Il sait aussi cavaler ventre à terre («Heel On The Shovel») et chante «Prison Shoe Romp» à la desperate d’Ida done better from craddle to coffin. Il ultra-chante, c’est son fonds de commerce. Sa raison d’être. Il évoque le sang de l’agneau (the blood of the lamb) dans «Strong Man» et là, on ne rigole plus, car il s’agit de pendre un homme - Get a rope and make it quick.

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    On comparait jadis l’Horsepower au Gun Club. La preuve de cette allégation se trouve sur Low Estate. Eugene y tape une magistrale cover de «Fire Spirit». Voilà le vrai power de l’Horsepower. C’est en plein dans le mille, effarant de Spirit. Eugene sait rocker les colonnes du temple. Il fait un autre numéro de cirque avec «Sac Of Religion». Ce fantastique shouter sait chauffer son voodoo. Gratté au banjo, «Brimstone Rock» somme comme un mélopif sacrificiel d’here comes the father yeah. Eugene devient alors le roi du plaintif alambiqué. Il crée son créneau et n’en sortira plus. Il fait entrer un violon sur «My Narrow Mind», une façon comme une autre de cumuler les fonctions. Il impose un style. Il yodelle plus qu’il ne chante. On dit d’Eugene qu’il a la glotte agile. Le morceau titre sonne comme un gros boogaloo de cimetière blanc. Il peut devenir aussi funéraire et aussi pénible que Nick Cave. «For Heaven’s Sake» est plus rocky-mountain, car on y entend une belle guitare électrique, Eugene se positionne cette fois au rock de come along. Il revient vite à ses roots chéries avec «The Denver Grab». Ça sent bon la mine de cuivre en hiver et les doigts gelés.

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    Premier album live avec Hoarse en l’an 2000. Occasion rêvée de réviser ses leçons. Boom dès «American Wheeze». Pas de meilleure entrée en matière, une merveille. Sur scène, l’Horsepower développe une énergie considérable. Plus rien à voir avec les albums studio. Ils tapent une belle cover du «Bad Moon Risin’» de Fog. C’est bien plombé, bien lourd de conséquences, traîné devant l’autel pour le sacrifice. C’est dire le poids de ce Bad Moon Risin’. L’Horsepower se fait une spécialité de l’explosion sous le boisseau. Live, «For Heaven’s Sake» sonne comme un hit du Gun Club. Ça prend de sacrées tournures. Eugene et ses copains français sont capables d’apocalypses. Leur Heaven’s Sake prend une dimension shamanique, ils jouent avec un élan congénital, la tension dramatique est extrême, complètement Piercienne, et les vieilles cocotes fauchent comme la mort. Petit conseil d’ami : privilégiez les albums live aux albums studio de l’Horsepower. Ils tapent à la suite «Black Lung» au heavy banjo. Ils n’en ratent pas une. Ils creusent leur mine de cuivre à mains nues. On croirait entendre des mineurs primitifs envahis d’aspirations. Voilà encore un «South Pennsyvania Waltz» bien chargé de la barcasse, l’Eugene est emporté par les vagues, beat élastique, fantastique de get your boots on boy/ get out. L’Eugene est le roi du Big Atmospherix minier. Il attaque son «Brimstone Rock» au banjo blast. L’Horsepower ? Une affaire en or ! Eugene savait alors déclencher l’enfer sur la terre. La pluie de feu se calme et puis repart. Ils détiennent le pouvoir de Zeus.

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    Nouveau shoot de Gun Clubbing sur Secret South, paru lui aussi en l’an 2000 : «Clogger» pourrait figurer sur n’importe quel album du Gun Club. L’Eugene prêche plus qu’il ne chante. C’est heavy et bien hanté. L’autre point fort de l’album s’appelle «Cinder Alley», attaqué comme «American Wheeze» au riff de bandonéon. Le son s’étrangle et l’Eugene aussi. Puis l’album s’enlise. On dirait qu’Eugene s’écoute chanter, comme d’autres s’écoutent parler. Avec «Silver Saddle», on sent le trop dans-la-plaine, mais on s’ennuie. C’est long la plaine. Sur cet album, tout n’est pas bon, loin de là. Très loin de là. Trop de westerns de pacotille. «Just Like Birds» sonne comme une petite Americana à la ramasse de la rascasse. L’Eugene tente de sauver l’album avec la cover d’un outtake de Dylan, «Nobody ‘Cept You», mais ça reste litigieux. L’Eugene ne parvient pas à s’arracher du sol. Sa cover brille pourtant de mille feux, mais ce n’est pas vraiment le bon choix. Dans les pattes d’Eugene, ça devient banal.

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    Il s’enfonce encore plus profondément dans l’Americana avec le bien-nommé Folklore. Il tape dans la Cajun avec «La Robe A Parasol» - Va danser/ Va danser dans les bras d’ton gars/ Si t’as des hanches/ Ta robe un parasol - Wild country strut avec «Single Grit», heavy banjo bound de she’s goin’ dressed fine. Fantastique énergie ! Il attaque encore «Outlaw Song» au banjo. Logique, pas d’outlaw sans banjo. Un vrai western. Il est fait prisonnier et demande : «What do you want from me ?». Alors il tire - They were dead before they could move - Puis on s’ennuie avec «Blessed Persistance» et son you burned my bridges for me. Il repend l’«Alone & Forsaken» d’Hank Williams et se prend pour Nico avec «Horse Head Fiddle».

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    Tu vas trouver deux beaux hommages au Gun Club sur Olden : «Slow Guilt Trot» et «Dead Run». Il est en plein Pierce, tendu à se rompre, comme cavalé. L’Eugene sonne comme un vrai desperado, «Slow Guilt Trot» est bardé de booming, ça bat à la baratte folle. C’est encore pire avec «Dead Run». Il fait un gros fric-frac d’Americana avec «Heel On The Shovel» et part ventre à terre. L’album propose en fait trois sessions. La première est très plaintive, même inaugurée par l’«American Wheeze». L’Eugene se plaint tout le temps. Il a grandi dans une mine de cuivre. Avec lui, on sort les mouchoirs. Les Horsepower ont pourtant du son, mais «Prison Shoe Romp» reste très intrinsèque, très exacerbé écorché vif. On finit par sympathiser. Belle ambiance. C’est une autre époque. Avec la deuxième session, ils passent à autre chose, dès «South Pennsylvania Waltz». Toujours cette manie de traîner la savate en pleurnichant mais ça devient fascinant, avec le big bassmatic des profondeurs. On peut parler de profondeur abyssale. Le son change tout. Nouvelle version d’«American Wheeze» vite avalée par le beat. L’Eugene est encore très Piercien sur ce coup-là, ça tourne au hard blues d’Horsepower, ça monte comme la marée. Encore du wild Horsepower avec «Shametown». L’Eugene te dégage les bronches à coups de banjo. Puis il tape «Train Serenade» à la slide fantôme et le train se met en branle. Les deux cuts Gun Clubbish épinglés plus haut sortent de la troisième session.

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    Live March 2001 va tout seul sur l’île déserte. On y retrouve tous les hits avec un son énorme, à commencer par l’«American Wheeze» et son riff prométhéen de bandonéon, suivi du Gun-Clubbish «I Seen What I Saw», en plein prêche de Pierce, heavy comme pas deux - Thank you for clapping ! - Plus loin, tu as encore du pur jus de Gun Club avec «Clogger», power du diable, boom boom boom, c’est bombardé d’électrons. Ces mecs te démolissent toute la façade. Tu as aussi «Cinder Alley», monté comme American Wheeze sur un riff qui devient tentaculaire, et «Straw Foot», défoncé à coups de bassmatic et ramoné au gratté de banjo. Après tu as les textes. «Harm’s Way» ratiboise tout sur son passage et «Haw» sonne comme un coup de génie éclaté à coups de slide, bardé de tout le bim bam boom qui se puisse concevoir ici bas. Powerus inexorabilus !, s’écrie l’archiprêtre face à cette purge d’excellence totémique. Les Horsepower ne reculent devant aucun excès, comme le montre encore «Praying Arm Lane». Ils sont dans l’énergie shamanique de Jeffrey Lee Pierce. L’Eugene pousse très loin le bouchon du plaintif d’extrême onction. Ce festin se poursuit avec le disk 2 et «Splinterers», l’Eugene groove son va-pas-bien, ça monte comme la marée du siècle. Il s’en va au bord de la falaise gueuler «Phyllis Ruth» face à l’océan. Il adore prêcher dans le désert. Puis il tape «24 Hours» à la dure et déclenche l’enfer sur la terre. Une vraie machine ! Il fait le «Partisan» en anglais et referme la marche avec une version explosive de «Dead Run». L’Horsepower aura su marquer son époque. Les dégelées antédiluviennes n’ont aucun secret pour lui. L’Eugene sait se fâcher pour de vrai. C’est là, dans Dead Run, qu’il entre en osmose avec son héros Jeffrey Lee Pierce.

    Et puis tu as Wooven Hand. Pas ce soir. Un autre soir.

    Signé : Cazengler, Eugèle en hiver

    David Eugene Edwards. Le 106. Rouen (76). 28 septembre 2023

    16 Horsepower. Sackcmoth ‘N Ashes. A&M Records 1984

    16 Horsepower. Low Estate. A&M Records 1997

    16 Horsepower. Hoarse. Glitterhouse Records 2000

    16 Horsepower. Secret South. Glitterhouse Records 2000

    16 Horsepower. Folklore. Glitterhouse Records 2002

    16 Horsepower. Olden. Jestset records 2003

    16 Horsepower. Live March 2001. Glitterhouse Records 2008

    David Eugene Edwards. Hyacinth. Sargent House 2023

     

     

    Luke la main froide

    - Part Four

     

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    Dans l’une de ses columns, Luke la main froide rappelait tout le bien qu’il pensait d’Hawkwind. Il commence par déclarer qu’il existe quatre époques d’Hawkwind : «The early embryonic stoner busker phase, suivie du classic United Artist space-rock period, incorporating the twin towers of Lemmy as speed-freak-biker-talisman and Stacia as topless-acid-dancing-Dolly-Dorris-petrol-pump-attendant-gone-rogue. Puis il y a la troisième époque avec the ‘Wind led by Captains Dave Brock and Robert Calvert. Puis il y la quatrième époque qui démarre en 1980 avec Levitation : the trance, les donjons et les dragons, bad heavy metal period.» Selon la main froide, Robert Calvert est de toutes les époques même si, précise-t-il, il casse sa pipe en bois en 1988.

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    Un premier album sans titre d’Hawkwind paraît sur Liberty en 1971. C’est là-dessus que se trouve l’excellent «Hurry On Sundown», gratté à coups d’acou. C’est la première mouture d’Hawkwind avec, autour de Dave Brock, John Harrison (bass), Huw Lloyd-Langton (lead), Terry Ollis (beurre), Nik Turner et Dikmik. C’est Dave Brock qui balance les coups d’harp. Aw quel son ! Alors après, ça se gâte terriblement. Ils font un peu n’importe quoi, ça jamme dans tous les coins. Il faut attendre «Mirror Of Illusion» pour les voir renouer avec l’excellence et Dikmik envoie ses spoutniks. Il est essentiel de rappeler que Dick Taylor produit ce premier album.

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    Calvert devient pote avec Nik Turner et grenouille dans l’underground. Il est déjà all over In Search Of Space, mais il n’y chante pas. C’est sur cet album qu’on trouve l’énorme «Master Of The Universe». Dave Brock est l’un des grands rois du riff, c’est aussi solide que le «Silver Machine» à venir, même unité de l’unicité, même embolie de l’embellie, même solidité de la solidarité. L’autre bonne affaire de l’album est le «You Shouldn’t Do That» d’ouverture de balda, joué à la violence intentionnelle. Ah on peut dire que les Anglais savent battre la campagne du space-rock ! Ils proposent ici un bel élan d’hypno avec le sax tourbillonnaire de Nik Turner. N’oublions pas qu’ils font partie du fameux proto-punk britannique, ils créent leur monde à la force du poignet. Fantastique énergie d’équipe, avec un line-up qui a déjà commencé à changer : autour de Dave Brock, on trouve Dave Anderson (bass), Dikmik & Del Dettmar (spoutniks) et Terry Ollis (beurre).

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    L’année suivante paraît l’un des meilleurs albums d’Hawkwind, Doremi Fasol Latido. Lemmy est entré dans la bergerie et Simon King a remplacé Terry Ollis. On assiste à l’incroyable décollage de «Space is Deep», en plein cœur du cut. Luke la main froide devait se pâmer devant un tel phénomène. On entend aussi Lemmy jouer en solo dans «Lord Of Light». Il joue littéralement dans le cours du fleuve, son drive brouteur bouffe le Lord de l’intérieur. Il n’en finit plus de remonter à la surface du fleuve avec ses drives mécaniques. Encore une merveille avec «Time We Left This World Today», un cut frappé en plein cœur par un énorme break de basse signé Lemmy.  Ça vaut tous les breaks de Tim Bogert. Lemmy est un grand fracasseur, un titan du break, qu’on se le dise. Et ça repart de plus belle avec «Urban Guerilla». Comme ces mecs sont bons ! Ils bombardent comme des avions américains, avec cette basse sous-jacente qui avance comme une walking bass dans le chaos.

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    On trouve «Silver Machine» sur le Space Ritual Alive paru en 1973. C’est Calvert qui écrit les paroles de cet albatross of a summer hit. La main froide se marre car tout le monde croit qu’il s’agit d’un texte sur un vaisseau spatial alors qu’en fait Calvert raconte ses virées en mobylette à Margate, où il a grandi. Puis Calvert est promu Space Poët et se retrouve sur Space Ritual. La main froide a raison de dire que tout a été dit sur Space Ritual, mais à toutes les gloses, il préfère le slogan publicitaire qui accompagna la parution de l’album : «Ninety Minutes of Brain Damage». Voilà pourquoi Hawkwind et Luke la main froide nous sont si précieux. Sur ce fastueux album live, on retrouve tous les hits qui font déjà la réputation d’Hawkwind, à commencer par l’effarant «Master Of The Universe», proto-punk de bon aloi, fast tempo avec un bassmatic dévorant et des spoutniks. On retrouve aussi en D l’inestimable «Time We Left This World Today» qui cette fois repose sur les chœurs. Lemmy s’empresse de démolir ce cut infiniment totémique. Les coups de sax et les harangues sonnent comme des clameurs antiques. C’est très spectaculaire. Sur «Born To Go», Lemmy prend tout de suite la main avec son bassmatic mangeur de foie. Il met tout le cut sous tension. C’est extravagant ! En B, on l’entend encore chevroter dans «Lord Of The Light», survolé par le vampire Nik Turner. Ils jamment comme des dingues. C’est un album qui s’écoute et qui se réécoute sans modération. Un seul défaut : la guitare de Dave Brock se perd dans le mix. Lemmy et Nik Turner se partagent donc le festin. Ils se tapent une belle montée en température avec «Space Is Deep». Tous ces cuts sont parfaits, taillés pour la route. Ces punks d’avant le punk savent voyager dans l’espace. Nik Turner vient hanter «Orgone Accumulator» en B et on assiste à une pure Hawk Attack avec «Brainstorm». Grande allure, riff en avant toutes, heavy proto-push plein de poux et de spoutniks. Un riff que vont d’ailleurs pomper goulûment les Damned pour «Net Neat Neat».

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    Encore un big album l’année suivante avec Hall Of The Mountain Grill. Qu’est-ce qu’on a pu fantasmer à l’époque sur cet album et sur cette pochette ! Il faut bien dire qu’on était dingues d’Hawkwind comme de Third World War, d’Edgar Broughton et des Pink Fairies. Tous ces groupes relevaient du sacré et leurs albums ne décevaient guère. Sur Hall, se trouvent trois bombes, à commencer par «The Psychedelic Warlords (Disappear In Smoke)» : classic Hawk, bien riffé et superbement chanté, avec Dave Brock en tête de la meute. C’est un hit tentaculaire, assez tribal dans son essence, chanté à la clameur, avec une fantastique insistance de la persistance. Dave Brock nous plonge là dans un véritable lagon d’excelsior mélodique. Sur la réédition d’Hall Of The Mountain Grill parue en 2014, on trouve en D la version single de ce hit fantastique. La deuxième bombe est un autre gros précurseur proto-punk : «You’d Better Believe It», un cut directement inspiré du Velvet, avec le délire de Nik Turner embarqué par le tourbillon. La troisième bombe s’appelle «Lost Johnny». Dave Brock l’embarque et le chante à la revoyure. On se régale aussi de «Paradox» et de son indéniable présence. Ces mecs savent mettre en marche l’armée d’un cut. Dans les bonus de la red, on trouve «It’s So Easy» monté sur les chœurs de «You Can’t Always Get What You Want». Fantastique résurgence !

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    Dernier album sur United Artists : Warrior On The Edge Of Time. Belle pochette mais compos plus proggy. Nik Turner joue de la flûte, ce n’est pas bon signe. Ça turbine pourtant bien derrière, avec Lemmy et deux batteurs, Simon King et Alan Powell. On voit Lemmy se balader sur le beat d’«Opa-Loka». Dave Brock sauve l’A avec «The Demented Man», un balladif d’un très haut niveau mélodique. La viande se trouve au bout de la B avec deux cuts, «Dying Seas» et «Kings Of Speed». Tout le power d’Hawk est de retour, ça joue heavy au pays d’Hawk. Surtout sur «Kings Of Speed», et son fantastique déballage. Dave Brock sait générer des chevaux vapeur, c’est un exubérant, il doit être la réincarnation d’une locomotive. On entend même un violon dans cette volée de bois vert.

    Luke la main froide consacrait sa sixième chronique aux Television Personalities, a sad story mais au cœur de laquelle se niche perhaps the great lost psychedelic album of the 80s : Mummy Your Not Watching Me. Selon la main froide, «If I Could Write Poetry» n’a d’égal que le «Pale Blues Eyes» du Velvet - I’m not kidding - En 1981, les Television Personalities sont trois : Dan Treacy, Ed Ball et le drummer Empire. La main froide raconte ensuite le tragique destin de Dan Treacy, booze & drugs, la rue et les vols. Il va trois fois au ballon pour vol. Il ne lui reste plus que sa légende de cult-hero, ce qui lui fait une belle jambe. Puis Dan se fait tabasser dans la rue, des coups à la tête et c’est le coma. La main froide n’a pas beaucoup de détails. Dan doit subir une opération pour virer un caillot de son cerveau. Aux dernières nouvelles, il serait en train de se retaper dans une maison de repos. Luke : «I hope he gets to make music again, of that’s what he wants. And I hope that the world is a little kinder next time to Dan Treacy.»

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    Elle a encore raison la main froide de mettre le paquet sur Mummy Your Not Watching Me. Quel album ! «Adventure Playground» sonne comme un hymne Mod, emmené par le féroce bassmatic d’Ed Ball. Dan chante à la manière de Syd Barrett et distille l’énergie des Who. Ça donne une vraie teigne de petit cut cockney. Puis voilà «Brian’s Magic Car», magnifique de décadence, tapé à la Mark E Smith. Dan nous gratte ça à aux puces d’arpège. Le cut est tellement barré qu’il semble se captiver pour sa propre captivation. Puis Dan tape dans l’une de ses prédilections, les chansons consacrées à des personnalités. «David Hockney Diaries» est une heavy pop davidienne, mais sans l’eau bleue des piscines - I want to fly around the world in my own private plane/ I want to party every night so I can sleep all day - Dan est drôle. Il s’autorise même quelques petites sorties à la Johnny Rotten. Il revient aux Who avec «Painting By Numbers» et la bonne grosse énergie foutraque. Il nous gratte ça au happy go lucky. Retour à la belle pop dégingandée avec «If I Could Write Poetry», petite merveille montée sur un bassmatic épique. Dan et Ed Ball sont effarants de prestance, ils jouent dans l’éclat d’un matin d’été à Chelsea. TV Dan est un garçon magique.

    Dans une autre column, la main froide salue Donovan qui vient de fêter ses 70 balais. Elle commence par fracasser l’autobio de Big Don d’un coup de hache - lui reprochant une certaine vantardise, with claims to have pretty much invented everything ftom the wheel, God, spoons and raga rock onwards - mais il devient plus charitable en insinuant que Donovan est l’un de ceux qui vieillit le mieux, mais il faut lire ça en anglais : «But it is my contention that Big Don’s 60s canon has aged remarkably better than that of many of his more revered contemporaries.» Les tournures d’un écrivain restent les tournures d’un écrivain. Inutile de tourner autour. L’écrivain est né pour être lu, puis cité. La main froide rappelle que Donovan a pris la route très tôt pour suivre ses Kerouac fantasies puis il s’est installé sur une plage à Torquay avec the excellently named Gipsy Dave - However far-out and kaftanned-up Don got, there was always something gloriously provincial about him he could never escape - La main froide salue ensuite Fairytale, un album qui va influencer des tas de gens, à commencer par Nick Drake qui, selon la main froide, va lui pomper sa voix quatre ans plus tard. Jamais en reste de pics, la main froide ajoute que McCartney devait être terrorisé. Eh oui, Donovan n’avait que 19 ans. Et boom, Mickie Most entre dans la danse pour enregistrer en 1965 the truly first psychedelic album, Sunshine Superman qui va se vendre à un million d’exemplaires aux États-Unis en 1966 - Don was now Pop Imperial - La main froide ajoute que «Mellow Yellow» ‘invented’ The Velvet Underground («electrical banana»). Puis Donovan invente le concept du box set avec A Gift From A Flower To A Garden, une boîte qui contient deux albums. La main froide espère bien être encore là dans dix ans pour fêter les 80 balais de Donovan.

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    En réalité, Fairytale n’est pas un très bon album. Trop folky folkah. La pochette psychédélique trompe sur la marchandise. Au mieux, Don revient à la pop par la bande («Circus Of Sour»), mais il s’égare avec cette pop ingénue sans direction, ni but dans la vie. Il revient au Dylanex avec deux Ballads en fin de B, celle du Crystal Man et celle de Geraldine, mais on s’ennuie. Pire encore : avec «Candy Man», Don se chante dessus, il joue la surenchère de coin du feu et arrose tout ça d’harmo. L’album est d’une faiblesse endémique. C’est là où Mickie Most intervient. Il emmène Don chez un tailleur hip de Londres. Il fout la casquette, les jeans et le rack d’harmo à la poubelle et transforme son poulain en dandy psychédélique. Ça tombe à pic, car Don vient de pondre un hit : «Sunshine Superman». Most est ravi. Un single suffirait mais Epic décide d’en faire un album qui paraît en 1966. «Sunshine Superman» entre dans la catégorie des hits éternels, ceux qui fonctionnent comme des machines à remonter le temps. Most propose de rallonger la sauce avec une version de «Season Of The Witch» bien étendue et fabuleusement inspirée. Don s’y montre fantastique, oh no ! Sa version est plus psyché que celle de Stephen Stills dans Supersession. Nouveau coup de Jarnac avec «The Trip», Don swingue la pop anglaise. On le sent parfaitement à l’aise dans les formats légers. Il va et vient comme une libellule psychédélique. Mais attention, tout n’est pas rose chez lui. Il arrive que sa psyché orientée nous endorme lentement mais sûrement, comme c’est le cas avec «Three King Fishers» et «Ferris Wheel». Si tous les cuts de Donovan étaient des hits, ça se saurait. Il boucle cet album mi-figue mi-raisin avec l’excellent «Celeste». Il chante à l’intimisme et c’est imparable car il réunit toutes les conditions idéales : voix, compo, mélodie. Ça file droit au firmament de la pop anglaise.

    Dans une autre column, la main froide se prosterne jusqu’à terre devant Soft Machine qu’il qualifie de «one of the most influential of the original British psychedelic groups - and psych as blazing hell they were.» La main froide ajoute qu’après avoir viré Robert Wyatt, «their, erm, jazzier recordings are a whole different trip - a weird, stiffy English and sometimes rather boring one.» Elle a raison la main froide, qualifiant même Fourth de totally jazz and totally not good. Retour à l’extase avec l’évocation des débuts du groupe à Canterbury with nous dit-elle (la main froide) «full-blown genius Daevid Allen, Kevin Ayers, Mike Ratledge and pagan rock god Robert Wyatt on wild drums», puis house-band de l’UFO de Joe Boyd, chouchous de Jimi Hendrix qui les emmène en tournée aux États-Unis, puis le premier album enregistré live avec «Kevin Ayers on lead bass, a free rock classic» et comme Daevid Allen avait quitté le groupe, «it was a guitar less, bass heavy, organ-led Dada racket. You should own it.» La main froide ajoute la bave aux lèvres qu’après «this huge artistic success», les Soft firent ce que font tous les grands groupes : splitter. Kevin Ayers se barre. «A whole another story» nous dit cette gourmande de main froide. C’est là que Robert et Ratledge se maquent avec l’all-purpose Open Uniniversity lecturer lookalike Hugh Hopper pour enregistrer Volume 2, que la main froide trouve encore meilleur que le premier, heavier on the Dada, post-moderne et avec plus de voix. The Voice. Mais les choses vont comme on sait mal tourner, puisque pour Third, Ratledge et Hopper décident de marginaliser The Voice en engageant the non-rock god Elton Dean. Bizarrement, la main froide qualifie Third de masterpiece.

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    Un point de vue qu’on ne partage pas : Third est un album privé de chansons, beaucoup trop jazz-rock. Il faut avoir du courage pour écouter ça. Sur sa face, Ratledge se montre tentaculaire. Il faut attendre «Moon In June» en C pour retrouver Robert et son joli son troublé de gouttes. Après un beau solo d’orgue syncopé, Robert reprend le chant d’une belle voix de nez et swingue son chat perché. On assiste à de belles descentes dans les tourbillons de fusion basse/cornet, comme dans le premier album. La voix de Robert vient se fondre dans la luxuriance d’un jazz de tourneboule. Au cœur de ce délire impénitent, ils créent du rêve harmonique. «Moon In June» est la seule raison d’écouter Third.

    La main froide consacre aussi une column à l’Airplane, qualifiant After Bathing At Baxter’s d’acid-as-life manifesto. Elle salue (la main froide) le brain-blitzingly audacious «White Rabbit» et le super-nasty «Somebody To Love», puis traite Grace Slick de big badass. Visiblement, la main froide a lu son autobio : Grace Slick n’est en effet pas avare de détails crapoteux. La main froide indique que Baxter est un nom de code pour LSD, que l’album aurait dû s’appeler We Are Absurdly High et qu’il ne doit rien au côté mou du genou de la counterculture hippie «because that album in particular is as hard as Henry Rollins’ personal trainer.» Le concert de louanges continue avec l’opener «The Ballad Of You & Me & Pooneil» qui sort d’un vent de feedback, avec «Grace and co-lead vocalist Marty Balin howling ‘I get high When I die’ over primal freak-beat.» La main froide n’en peut plus, elle voit le «Young Girl Sunday Blues» de Marty Balin comme une engueulade avec God. Man this album is relentless and at the heart of it is Grace’s Wild Thyme. Alors la main froide entre en transe : Up against the wall, muthafucker.

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    After Bathing At Baxter’s bénéficie en outre du prestige d’une pochette dessinée par Ron Cobb, illustrateur en vogue à l’époque. «The Ballad Of You & Me & The Pooneil» est en effet l’un des grands hits de l’Airplane. Pur jus de gaga-psyché d’antho à Toto, secoué par des rafales d’accords sévères. Portés par un drive puissant, Marty et Grace se partagent les tâches ménagères. Ils groovent magnifiquement. Ce chant insurrectionnel va devenir leur marque de fabrique. Des tocades de pasionaria et des petits coups de solos flash entrelardent le son. Jorma, c’est le bâton du berger. Il est taillé dans le bois d’olivier. Et puis on se régale bien sûr du walking bass sound de Jack Casady. Quelle énormité ! Groove encore avec «Young Girl Sunday Blues». Grace fait monter sa voix comme une salade retardataire de potager. Grâce à Grace, le son de l’Airplane est reconnaissable entre mille. Encore un chant d’assaut avec «Wild Tyme» - la main froide rajoute un h dans Tyme - mais des ponts ineptes brisent leur élan. Dans les albums suivants, les chansons de l’Airplane partiront souvent au combat, sur un beat tribal fait de basse massive et de vibrillons digressifs.

    Nouveau shoot de ferveur Lukinienne avec Swell Maps. Elle commence (la main froide) par ironiser sur l’historique de l’avant-gardisme domestique britannique : l’inutilisable reel-ro-reel tape machine permettant de faire des cut-ups à la William Burroughs, qui coûte cher et encore plus cher avec the heroin habit qui va avec. Puis vient le temps du built-in cassette recorder and condenser microphone qui permet de donner voix au Joe Meek qui dort en chacun de nous. Et pouf, la main froide cite en exemple l’astonishing Trip To Marineville paru en 1979. Elle leur rend hommage en affirmant que les frères Godfrey (Nikki Sudden et Epic Soundtracks) et leurs copains Jowe Head, Biggle Books et Phones Sportsman surent créer leur monde, dans le salon des parents. En enregistrant tout simplement sur leur tape-recorder de family music center. Pas de batterie ? Epic fait des bulles dans un seau d’eau. Pas de basse ? Jowe met l’aspirateur en route. C’est ce qu’on entend sur the Maps fabled debut. La main froide ajoute que les Maps n’avaient rien à voir avec le punk, ils sonnaient plutôt comme T.Rex, or Syd Barrett or just a cacophony.

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    Sur la pochette d’A Trip To Marineville, une baraque prend feu. Ils jouent en effet un punk-rock de front-room on fire, mais avec les moyens du bord. Ils sont dans le DIY de Spiral Scratch, comme le montre «Another Song». Swell Maps entre en osmose avec Buzzcocks. Et voilà le coup de génie pressenti : «Vertical Slum» - The weather ! The leather/ The weather ! The leather - Ce punk primitif vaut bien celui du Magic Band. Nous voilà au cœur du primitivisme, la sinécure de Buzzcocks. Retour à l’excelsior du Magic Band avec «Harmony In Your Bathroom», ils tapent dans l’irrévérence absolue, on entend les bubbles dont parle la main froide dans sa column. C’est dans «Midget Submarines», excellent cut de rock insidieux, qu’on entend l’aspirateur dont parle aussi la main froide. En B, ils rendent hommage à l’hypno de Faust avec «Full Moon In My Pocket» et visent le hit avec un «Blam» bien tendu, plein de small Swell, hanté par une basse intermittente et le vaillant Nikki monte sur la barricade - I don’t care/ I guess I’m nearly dead.

    Dans une column datée de Christmas 2021, la main froide raconte comment elle fut invitée par Jowe Head à participer au concert de reformation de Swell Maps, avec Phones Sportsman, Golden Cockrill (membres originaux), Lee McFadden et Jeff Bloom (des Television Personalities), Dave Callahan (des Wolfhounds) et Gina Birch (des Raincoats). La main froide dit ensuite tout le mal qu’il pense des reformations - I’m not keen - et pour se dédouaner, il explique que Swell Maps n’a quasiment pas joué en public, et donc ce n’est pas une reformation, puisque les gens n’ont pas vu le groupe sur scène, et d’autre part, il indique qu’il était trop jeune en 1979 pour jouer dans Swell Maps, «so rather than being involved in a band reformation, I see this escapade as me temporarily joining my favourite band ever.»

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    Franchement, on se demande vraiment ce que la main froide a pu trouver d’intéressant dans l’Anomie And Bonhomie de Scritti Politti. La violence de la pop ? Mais c’est une violence en plastique. Green Gartside pique sa petite crise. Il fait une petite pop de blanc à la mormoille. On perd complètement le côté Robert Wyatt qui illumine Songs To Remember. Pourquoi la main froide a-t-elle flashé sur cet album ? C’est un mystère. Et plus on avance dans l’album et plus ça se dégrade. Il fait du rap de blanc à la mormoille, une pop de mas-tu-vu, la new wave anglaise de 1999 dans toute son horreur. Par contre «Here Comes July» sauve les meubles, ça nous rappelle l’excellente pop des Wannadies.

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    La main froide rappelle quelque part qu’il fit partie des Servants de David Westlake. C’est d’ailleurs elle, la main froide, qui signe les liners de cette somptueuse réédition, un double album baptisé Small Time/ Hey Hey We’re The Manqués (habile clin d’œil aux Monkees) et paru en 2012. De sa belle plume, la main froide nous explique que cet album enregistré en 1991 s’appelait Small Time et qu’il n’est jamais sorti, d’où l’idée du Manqué. Elle qualifie The Servants de Middlesex’s more cerebral answer to the Monkees. Elle indique que le groupe voulait Steve Albini comme producteur, puis Kramer. Nope. Pour situer le son de cet album étrange, elle parle d’avant expressionnist angles dans les compos d’un David Westlake moins Bacharach qu’à ses débuts et more outisder in existential crisis. Comme Creation ne les suit pas, trop occupé avec Teenage Fanclub, le groupe se désagrège. Plus de batteur ni de bassiste. La main froide et Westlake se retrouvent à deux avec du petit mathos, deux quatre pistes et une boîte à rythme. Ils enregistrent les démos qu’on entend sur la red - The new songs are looser, more mysterious, strange and beautiful, transcending their influence and sounding... like nothing else really - Comme toujours, elle a raison la main froide. L’ambiance générale de Small Time est celle d’une petite pop orchestrée, très insidieuse et quasi-Dada, et pour tout dire, assez envoûtante. Comme c’est très spécial, ça passionne. «Complete Works» est même ultra-Dada, assez pur dans l’intention, processionnaire comme l’est la chenille du même nom. En B, on tombe sur «The Thrill Of It All» qui n’est pas celui de Roxy, mais un petit chef-d’œuvre de weird music. On pense à une petite pop odorante. Le «Word Around Town» qui ouvre la bal de la C s’inscrit dans une certaine forme de préciosité, cette petite pop ramassée paraît même assez imbue d’elle-même. La préciosité finit toujours par tuer Dada. C’est prouvé. Au fil de la C, on finit un peu par passer à travers la traviole. On s’arrête un moment devant «She Grew And She Grew», curieux cut filigrané, assez doux au toucher. «She’s Always Hiding» tombe à pic pour nous remercier de notre patience, oui car voilà une petite merveille délicate digne de «Pale Blue Eyes». On les sent prédestinés à de grandes œuvres. Le «Third Wheel» qu’on croise en D sent bon le Magic Band et «Big Future» renoue avec le weirdy weirdy petit bikini.

    La main froide fait aussi grand cas des Go-Betweens, mais nous en ferons grand cas un peu plus tard, car c’est un gros chapitre à part entière.

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    Elle a raison, cette bonne main froide, d’insister sur les premiers albums des Status Quo, car avant qu’ils ne deviennent les champions du mindless boogie, les Quo enregistraient des albums de boogie-rock anglais très pertinents, notamment Ma Kelly’s Greasy Spoon, du pur Pye de 1970. Le «Spinning Wheel Blues» d’ouverture de balda est assez imparable. On comprend ce que la jeune main froide dut éprouver au fond de sa culotte en entendant ça pour la première fois. Well done, Quo ! Et comment résister à cette pochette, à cette dame tellement anglaise accoudée au bar avec ce mégot au coin des lèvres. On s’épate encore de l’«April Spring Summer And Wednesdays» de bout d’A, cut superbe et insidieux, bien amené à la traînarde et groové sous le boisseau. La B est un peu plus dense, avec son boogie-blues à la Fleetwood Mac («Junior’s Wailing»), même démarche, même son, même spirit. Toutes les structures du Quo sont des structures de blues, ils montent leur petite entreprise au twelve bar blues boom. D’ailleurs ils reprennent le «Lazy Poker Blues» de Peter Green, comme ça, au moins, les choses sont claires. Ils bouclent leur bouclard avec un boogie aventureux de 9 minutes, «Is It Really Me? Gotta Go Home», ils envoient ça vite fait ad patres, c’est bien claqué derrière les oreilles, ça ne reste pas en sommeil, c’est du quick Quo qui kicke.

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    On reste dans le gros boogie cousu de fil blanc avec le Dog Of The Two Head paru l’année suivante. Toujours du pur Pye avec un vrai boogie anglais en ouverture de balda, l’aussi imparable «Umleitung». Leur formule est parfaite, ce boogie taille sa route à travers les décennies. Quand on le réécoute quarante ans plus tard, il n’a rien perdu de sa vigueur emblématique. Les Quo savent faire durer le plaisir et cette fois ils sonnent vraiment comme Chicken Shack. Classic boogie, sans bavure et sans histoire. Quand ils passent en mode fast boogie avec «Mean Girl», ça Telecaste dans les brancards. L’autre point fort du Dog est le «Railroad» qui se planque sur la face cachée. Ce boogie est un modèle du genre. Pour qui aime les choses carrées, «Railroad» est le cut idéal. C’est chanté à la petite traînasse de la rascasse, et ils passent en mode heavy blues en plein milieu. Voilà, c’est à peu près tout ce qu’on peut dire du Dog.

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    Elle a encore raison, la main froide, de se prosterner devant les six premiers albums Vertigo de Sabbath - Without doubt some of the greatest rock’n’roll ever made. These records fucking swing, man - Ils font partie des albums fondateurs de l’empire du rock anglais. Tony Iommi est l’un des grands guitaristes classiques du rock anglais, il fait partie de ceux qui ont tout inventé. Ah comme on pu adorer le premier album sans titre paru en 1970 ! Chaque fois qu’on le réécoute, il fonctionne comme une machine à remonter le temps. Tous les cuts de l’album sonnent comme des classiques, cette belle et étrange musicalité s’installe avec «Behind The Wall Of Sleep». Rien à voir avec le hard rock, c’est de la belle heavy pop avec une mélodie chant d’une indicible qualité. Le génie riffeur de Tony Iommi prend forme avec «NIB» et l’Ozzy entre dans l’histoire avec son fameux Oh yeah ! Fabuleuse énergie ! Très beaux longings de Tony Io, il est fabuleux d’à-propos. Ils ouvrent leur bal de B avec «Evil Woman Don’t Play Your Games With Me», monté sur un riff classique bien contrebalancé par le bassmatic de Geezer Butler. Ces quatre Brummies fabriquent du rock classique, et cette fois c’est le Geezer qui vole le show. Ils finissent en beauté avec «Warning» et l’Ozzy revient au chant après une longue absence, une si longue absence.

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    Paranoid paraît la même année. On imagine l’ado Luke dans sa cave en train d’écouter «War Pigs» en secouant ses petits cheveux blonds. Heavy, baby ! Voilà d’où vient toute cette culture heavy. Ils jouent à la respiration interrompue, c’est un peu emprunté, mais c’est Sab, alors respect. Ils réussissent l’exploit de créer un monde à partir d’un riff puis ça part en virée seventies. Voici venu le temps des classiques avec «Paranoid» et «Iron Man». Le riff de Parano est tellement classique qu’on dirait du Led Zep. Bravo Tony Io ! Stop to fuck my brain, gueule Ozzy et pendant ce temps, Geezer Butler fait un carnage. «Iron Man» est aussi monté sur un riff classique, et Tony Io le ralentit pour l’alourdir. Tout le heavy métal vient de là, de l’Iron. Et cette manie qu’ils ont de partir en virée ! En B, on trouve deux autres belles pièces palpitantes : «Electric Funeral», d’abord, plus tarabiscoté, même si c’est monté sur un riff funéraire du grand Tony, un riff d’une portée universelle, c’est dire la grandeur de sa hauteur. Puis voilà «Fairies Wear Boots», un titre qui a dû beaucoup plaire à la main froide, mais ça se présente comme une jam, with no direction home, perdu dans la pampa, avec une succession de thèmes impies, et l’Ozzy entre dans la danse à l’impromptu, il s’installe dans l’ambiance du power Sab, c’est très fairy witchy, il raconte son histoire d’une voix étrangement pointue.

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    Paru l’année suivante, Master Of Reality a dû mettre la jeune main froide sur la paille. On retrouve notre cher heavy Sab dès «Sweet Leaf». Tony Io joue du gras double, ils sont dans leur élément, c’est saturé d’heavyness ralentie, mais après un moment, ça barre en courgette de vrille prog, et ils reviennent on ne sait comment en mode rouleau compresseur. Le Geezer fait vrombir sa basse. Sur toute l’A, le Sab se montre bien déterminé, il fait même du boogie rock anglais avec «Children Of The Grave». Pas de hit sur cet album, mais une constance sabbatique, comme le montre encore «Lord Of The World», ils restent dans leur formule, pas de surprise, Tony Io se place en embuscade et malgré les apparences, le son reste très linéaire. Ils reviennent au big sound avec «Into The Void». Chez Sab, ce n’est pas le gros popotin, mais le gros patapouf qui a le vent en poupe. Il est tellement gros, le patapouf, qu’il a du mal à respirer... Si on cherche des aventures, il faut aller voir ailleurs. Les kids adorent le gros patapouf de Tony Io.

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    La jeune main froide a dû beaucoup admirer la pochette du Black Sabbath Vol. 4. Quel rocking artwork ! Et hop ça démarre avec du classic Sab monté sur une nouvelle trouvaille du vieux Tony Io. Pas question de s’énerver, il joue son riff en retenue et miraculeusement, on échappe cette fois au petit développement prog de mi-parcours. Tous les cuts de Sab sont montés sur un riff de Tony Io. Alors pour l’Ozzy, c’est du gâtö. Il peut enfourcher son canasson et chanter «Tomorrow’s Dream» au chat perché. Tony Io remplit le son à ras-bord. Il lui donne de l’ampleur. «Changes» pourrait être un balladif de Croz, car c’est assez océanique. Peut-être s’agit-il du meilleur sob de Sab. Pour boucler l’A, Tony Io charge la barque de «Supernaut». Il est l’un des plus gros démolisseurs d’Angleterre et l’Ozzy s’élance comme un loup à l’assaut de l’homme, ça joue pour de vrai. Tony Io a plus de son qu’avant, on voit qu’ils enregistrent à Los Angeles. La B se tient bien elle aussi, «Snowblind» reste du classic Sab. L’Ozzy ne change rien à sa méthode, il va droit sur son petit chat perché. Tony Io boucle ce valeureux Snowblind à l’embrasée de Birmingham. «Laguna Sunrise» montre qu’ils sont capables de climat lumineux et d’espagnolades, et ce gros mélange de riffing et d’orientalisme qu’est «St Vitus Dance» montre qu’ils adorent danser la danse de Saint-Guy. Cet album surprenant s’achève avec «Under The Sun», classic package de Sab monté comme un millefeuille, bien bourré de crème au beurre et concassé à tous les instants comme le corps d’un hérétique soumis au supplice de la roue.

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    Paru en 1973, Sabbath Bloody Sabbath n’est pas le meilleur Sab. C’est du classic Sab, bourré de climats, de cocotes et de chat perché. L’Oz se veut criard, mais il n’est pas toujours juste. Ils amènent l’«A National Acrobat» au heavy Sab, mais ça vire troubled troubadour un peu proggy.  Tony Io a du mal à renouveler le cheptel. Ses compos peinent à jouir. C’est encore dans la délicatesse diaphane qu’il excelle le mieux («Fluff»). Il revient à son pré-carré et à ses vieilles racines de mandragore avec «Sabbra Cadabra», on se croirait sur le premier Sab, tellement c’est bien foutu. C’est même le hit de ce bloody album. Le «Killing Yourself To Live» qui ouvre le bal de la B semble lui aussi sortir du premier Sab. Merci Tony Io de ce retour aux sources. L’Oz s’en donne à cœur joie. Ils font de la petite pop bien intentionnée avec «Looking For Today» et pour «Spiral Architect», Tony Io pompe les accords des Who dans Tommy. Cette fois, ils tombent dans le n’importe quoi, et ça finit par devenir trop poli pour être honnête.

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    La jeune main froide n’en finissait plus de loucher sur la pochette de Sabotage, «the most psychologically damaged record (just look at the sleeve)». Et il ajoute, emporté par son élan : «Le Midland death trip d’Ozzy culmine en 1975 avec l’album Sabotage qui depuis la pochette jusqu’au contenu est l’un des albums de rock les plus étranges jamais enregistrés. Les paroles sont pour la plupart signées by Brummie shaman Terry ‘Geezer’ Butler.» C’est l’album chouchou des fans de Sab, à cause de cette énormité qu’est «Hole In The Sky», un nouveau modèle riff anglais sorti du cerveau de Tony Io. Il fabrique du Sab en permanence, et quand Ozzy ramène son chat perché, ça fait l’identité de Sab, avec en plus derrière les deux cavemen qui frappent sec. C’est dans «Symptom Of The Universe» qu’on entend cracher les haut-fourneaux de Birmingham. Dommage que les petits épisodes prog viennent perturber le bel équilibre. Il semble que Tony Io ne gratte que des séquences mythiques, comme ces espagnolades de fin de parcours. Et puis avec «Megalomania», ils se rapprochent du premier album, ils sont si heavy et si présents ! Ils disposent d’une science inégalée en matière de redémarrage en côte et se payent en plus le luxe d’un final épouvantable aux lueurs du génie sabbatique. L’autre hit de Sabotage est le dernier cut de la B, «The Writ», un heavy blues chanté au chat perché d’Ozzy, sans doute le perché le plus perçant de tous. Ils ont du panache, le monde entier le sait, on ne fait pas l’impasse sur le Sab, on les connaît par cœur, ces beaux cuts de Sabotage, sans doute les a-t-on trop écoutés. Avec «Am I Going Insane», ils sonnent comme Syd Barrett. Tout est beau et puissant sur cet album. Tony Io fait exploser des bouquets fatals sur «The Thrill Of It All», il soigne ses fins de loup. «Supertzar» est le cut qui a dû impressionner le plus la main froide, car on y entend des voix surgies du passé. On se croirait dans un film d’Eisenstein, c’est la même ampleur catégorielle.

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    En novembre 2021, la main froide rendait hommage aux Groundhogs avec une column titrée Getting high on a Hog. L’avantage avec un chroniqueur comme la main froide, c’est qu’il ne parle que de bon rock anglais. Il salue en particulier the mightier-than-God Two Sides Of Tony (TS) McPhee, mais aussi le post-psych bummed-out down-in-the-gutter Ladbroke Grove masterpiece Thank Christ For The Bomb, et puis bien sûr Split, an anti-stoner guitar suite that everyone owned and loved - Imagine if Hendrix had joined Television and they’d relocated to New Cross. That’s Split - Après avoir énuméré tous ces coups d’éclat, la main froide replonge dans Two Sides : «Side 1 is the heaviest gutbucket blues this side of Charlie Patton and Hound Dog Taylor.» Comme ça au moins les choses sont claires. Puis il affirme qu’à l’instar de Beefheart, McPhee peut chanter le Dada blues. Il reprend ensuite sa respiration pour attaquer la B, «The Hunt», qu’il qualifie de demented fuckery - It sounds not unlike a dying fox, which is probably the point - La main froide se régale avec cette insanité qu’est «The Hunt», insinuant qu’on ne sait qui de l’auditeur ou de McPhee a perdu la tête. Typical main froide.

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    Et pour conclure, une mauvaise nouvelle : la main froide a cessé de faire paraître sa column dans Record Colector. En juillet 2023, il consacrait son ultime column à Jerry Lee (Live At The Star Club), Larry Williams, et à son idole ultime, Gene Vincent, sous un très bau titre : Britain’s favourite rock’n’roll bad boy. Il revenait sur the 1969 ITC documentary ‘Gene Vincent  - Rock And Roll Singer’, the tragic tale of Gene Vincent’s disastrous UK tour of 1969, qui avait déjà fait l’objet d’une column, et donc d’un écho vibrant sur KRTNT. Pendant cette disastrous tournée, Gene Vincent fut accompagné par «The Wild Angels, Gene’s best group since the original Blue Caps. There was some heavy juju going on between those American bad boys and those English lads in the 60s.» La classe de la main froide va nous manquer. Elle et Damie Chad étaient les derniers grands prêtres du culte de Gene Vincent.

    Signé : Cazengler, Lancelot du Luke

    Hawkwind. Hawkwind. Liberty 1971

    Hawkwind. In Search Of Space. United Artists 1971

    Hawkwind. Doremi Fasol Latido. United Artists 1972

    Hawkwind. Space Ritual Alive. United Artists 1973

    Hawkwind. Hall Of The Mountain Grill. United Artists 1974

    Hawkwind. Warrior On The Edge Of Time. United Artists 1975

    Television Personalities. Mummy Your Not Watching Me. Whaam! Records 1982

    Soft Machine. Third. CBS 1970

    Jefferson Airplane. After Bathing At Baxter’s. RCA Victor 1967

    Swell Maps. A Trip To Marineville. Rough Trade 1979

    Scritti Politti. Anomie And Bonhomie. Virgin 1999

    The Servants. Small Time/ Hey hey We’re The Manqués. Cherry Red 2012

    Status Quo. Ma Kelly’s Greasy Spoon. Pye Records 1970

    Status Quo. Dog Of The Two Head. Pye Records 1971

    Black Sabbath. Black Sabbath. Vertigo 1970

    Black Sabbath. Paranoid. Vertigo 1970

    Black Sabbath. Master Of Reality. Vertigo 1971

    Black Sabbath. Vol 4. Vertigo 1972

    Black Sabbath. Sabbath Bloody Sabbath. Vertigo 1973

    Black Sabbath. Sabotage. Vertigo 1975

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    Luke Haines. Britain’s favourite rock’n’roll bad boy. Record Collector #546 - July 2023

     

     

    Wizards & True Stars

    - Le Loog des steppes

    (Part One)

     

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    Ah bah tiens ! Encore un styliste ! Andrew Loog Oldham ! Une chose est sûre : il aurait tapé dans l’œil de Léautaud, si ce grand amateur de stylistes avait vécu à notre époque. Le Loog s’est imposé dans un premier temps avec une autobio en deux parties, Stoned et 2Stoned, sur laquelle nous allons revenir incessamment, et puis voilà la suite, Stone Free, qui se présente comme une collection de portraits d’imprésarios, à la manière des Contemporains Pittoresques d’Apollinaire. En gros, le Loog navigue au même niveau que Nick Kent, il «bénéficie» des mêmes privilèges, dirons-nous : un souffle, un style unique et des fréquentations de premier ordre. Attention, une telle lecture se mérite : 400 pages, dans une typo variable, minimale et affreusement mal interlignée, un fer à gauche déplaisant, c’est pas loin du book à compte d’auteur, puisque c’est de l’Amazonzon, mais le choix d’illustrations lui donne en quelque sorte l’absolution. On rouspète à l’attaque du périple, car on aurait préféré le confort de lecture d’une bonne édition britannique, on aurait tant voulu se vautrer dans l’excellence combinée d’un chaud bouffant et d’un choix typo affirmé, mais à la sortie, même si les yeux piquent, on tremble de fièvre extatique. Car quelle galerie de portraits !

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    De la même manière que Nick Kent, le Loog jongle avec les tournures infernales. Il puise dans la même virtuosité et affine parfois ses tournures en les voilant de mystère, contraignant le lecteur à relire, ce qui n’est jamais du temps de perdu. Prenons un exemple, tiré du premier portrait de la galerie, celui de Serge de Diaghilev, impresario de Nijinski et directeur des Ballets Russes : «Soumis à la pression terrible d’un stardom sans précédent, Elvis a succombé, et la médiocrité s’est emparée de lui. Loué soit Keith Richards qui n’a jamais utilisé la drug addiction comme une excuse pour les mauvais albums. Mais imaginez un instant qu’Elvis ait pu être a rockin’ Nijinski to a rollin’ Diaghilev.» Ce qui à la première passe-passe pour une louange est en fait un constat loogien à double tranchant. Quatre personnages clés dans la même pirouette, deux dégommés d’une pichenette, et les deux autres sont magnifiés, les deux Russes. Honte au responsable de la déchéance d’Elvis, le Colonel Parker, et aux Stones post-Oldham. Le Loog nous dit à sa façon que seuls les deux Russes sont restés purs.

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    Diaghilev est donc le premier portrait de cette galerie extraordinaire. Ça fait du bien de retrouver Diaghilev qui fut l’un des acteurs clés de l’avant-garde parisienne des années folles. Diaghilev commande un ballet à Cocteau et lui lance : «Jean, étonne-moi !». Ce sera Parade, un ballet cubiste, Cocteau signe le livret, Erik Satie la musique et Picasso les costumes et le rideau. Apollinaire qualifie le spectacle de ‘sur-réaliste’. Il invente le mot, l’occasion est trop belle. Nous voilà au Châtelet en 1917, la première de Parade fait scandale. Dans l’orchestre, il y a une machine à écrire, une sirène et un pistolet. Un critique étrille le ballet, et Satie, outragé, lui envoie un mot : «Monsieur, vous n’êtes qu’un cul, mais un cul sans musique.» C’est quand même autre chose que Las Vegas, non ?

    Ici, on aime bien l’idée que le Loog soit associé à des géants comme Diaghilev, Satie, Cocteau et Picasso. Il descend de la même lignée. Il passe ensuite à Larry Parnes qui fut dans les early sixties, l’imprésario le plus puissant d’Angleterre, et dont on a en quelque sorte chanté les louanges ici l’an passé, via le bon book de Darryl W. Bullock, The Velvet Mafia - The Gay Men Who Ran The Swinging Sixties. Le Loog est obligé de rappeler ce qu’était l’ambiance musicale en Angleterre à cette époque, et il n’y va pas de main morte : «La British pop était une petite chose rabougrie en ce temps-là. L’industrie musicale britannique jouait les seconds couteaux et avalait tout ce que les Américains envoyaient ‘over there’, du ragtime au swing, en passant par les banjo-paying minstrels aux visages noircis et en canotiers, et les bobbysoxers. Puis il y eut le rock’n’roll, et Parnes, qui avait plus de goût pour les chanteurs que pour les chansons, n’avait aucune raison de ne pas croire en son avenir. Mieux encore : à partir du moment où il a ‘découvert’ les objets de son désir, il a vécu et couché avec eux, jusqu’à ce que le public découvre autre chose.» Dans ce portrait, on trouve à la fois du sarcasme et de l’admiration. Le Loog rend hommage à l’imprésario qui pour réussir, est allé jusqu’au bout de ses rêves, et puis en même temps, il se moque un peu, car il manque à Parnes l’essentiel : la vision. Raison pour laquelle Parnes a été balayé.

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    Il ne jurait que par les artistes solo, il ne croyait pas en l’avenir des groupes. Il s’est planté en rejetant les Silver Beatles et les Tornados de Joe Meek. Fatale erreur. Mais c’est vrai qu’il est difficile de coucher avec quatre mecs en même temps. Le Loog enfonce sa rapière plus loin encore dans le cœur du mythe Parnassien : «Parnes n’avait pas de formule magique, just a good brain for names, un goût prononcé pour les jeans serrés et les pretty faces, et un talent de marchand de fringues for schmoozing in the showroom.» En 1967, nous dit le Loog, Parnes annonce qu’il a fait le tour de la pop et qu’il va se consacrer au théâtre. C’est un portrait à l’anglaise, viscéralement juste et sans complaisance. Le Loog, comme d’ailleurs la plupart des Anglais, ne tourne jamais autour au pot. Il dit les choses. Que ça plaise ou non. Si t’es pas content, c’est pareil.

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    Il passe ensuite à Albert Grossman, le mentor/imprésario de Bob Dylan. Le Loog le présente comme un homme «silencieux et puissant, qui avait sous son aile l’un des plus grands talents du XXe siècle, et qui savait tenir à distance les escrocs de l’industrie, tout en les manipulant.» Son «industry of crooks» peut être lu dans les deux sens, celui proposé ici (escrocs de l’industrie), et celui d’un entourage volumineux. Le Loog semble nous laisser le choix. Chacun décrypte comme il peut. C’est pour le Loog une façon de laisser planer un léger voile de mystère et donc de laisser une certaine liberté d’interprétation. C’est extrêmement intéressant. Au point qu’on finit par ne chercher que les formules mystérieuses. Elles fascinent autant que les portes dérobées ou les meubles à tiroirs cachés. Le Loog est un prodigieux mystificateur. Mais ce qui l’intéresse, dans le destin d’Albert Grossman, c’est la façon dont il a réinventé avec Dylan le métier d’imprésario : «Entre l’aspect trop commercial de Peter Paul & Mary et le chaos de la carrière solo de Janis Joplin, Bob et Albert ont bâti une relation en forme d’ordination qui a permis à chacun d’eux de monter en puissance, mais dans des proportions historiques.» Cette fois, le Loog trouve la vision et donc il rend hommage : il met Grossman au même niveau que Dylan. Pas de Dylan sans Grossman, et inversement, de la même façon que pas de Stones sans le Loog. C’est là où il veut en venir. Mais dans la cas de Dylan & Grossman, la relation s’est épanouie, alors qu’avec les Stones ça s’est terminé en eau de boudin. Le Loog n’ose pas dire que c’est un problème pur d’intelligence ou de manque d’intelligence. On sent même que cette relation entre l’artiste et son imprésario lui fait envie : «Pendant la semaine qu’ils ont passé à Londres, Dylan et Grossman étaient inséparables et avaient des airs de conspirateurs, un exemple extrêmement rare à cette époque où le management était un mariage de convenance entre un mac et sa pute.» D.A. Pennebacker rappelle que pendant ce même séjour à Londres, Dylan traînait avec les Beatles, mais Brian Epstein était absent, alors que Grossman était là en permanence : «Dylan really liked that. Grossman was kind of a father.» Voilà, le mot est lâché. Father. Le Loog rend plus loin hommage à l’artiste extraordinaire que fut le Dylan des sixties : «Pendant ces années, Dylan a joué bien des rôles : le vagabond acolyte de Woody Guthrie, le rival et amant de Joan Baez, l’homme-enfant love-sick, the stoned visionary hipster, the absurdist pop star, le Judas haï, the motorcycle martyr.» Il ajoute que Bringing It All Back Home  a été autant inspiré par les Beatles que les Beatles ont été inspirés par cet album. Le portrait de Grossman est vibrant de qualité et d’humanité. Bien sûr, le Loog connaissait Grossman, car il a séjourné à Bearsville en 1978. Pour lui, Grossman est le fin du fin, «the man who had once dedicated his life to letting Bob be Bob.» Chute en forme de parole d’évangile. Letting Bob be Bob.

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    Brian Epstein, bien sûr. Le Loog tient à rappeler une chose fondamentale : Epstein n’a pas «fait» les Beatles tout seul : «George Martin, Norman Smith et Ron Richards furent rejoints par Richard Lester and PR hustling man extraordinaire, Derek Taylor.» Quand Epstein et Taylor se sont frittés, Epstein a perdu son collaborateur le plus important - It is perhaps our greatest loss that Derek was no longer available to set the record straight - Le Loog dit our, car il bossait à l’époque comme PR (agent de presse) pour Epstein à Londres. Derek Taylor est allé en Californie travailler pour les Byrds.

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    L’un des portraits les plus conséquents est celui du duo Kit Lambert/Chris Stamp, l’imprésario à deux têtes des Who et accessoirement double-boss de Track Records. Pour récupérer les Who, le duo a dû se débarrasser de Peter Maeden, l’une des idoles d’Eddie Piller, puis de Shel Talmy, et là, ce fut plus difficile, car c’est Shel qui a «fait» les Who, et accessoirement les Kinks. Encore une fois, le Loog n’y va pas de main morte : «Le dégoût qu’éprouvait Shel pour Kit Lambert était très prononcé. Ce Yank habituellement silencieux qualifiait l’homosexualité très British de Kit de ‘nasty’ - Il était le genre de pédé qui me dégoûtait. Je ne pouvais pas le supporter. Le voir draguer les jeunes garçons me dégoûtait. Il ne pensait qu’à ça. Il s’en prenait au groupe.» Quand Lambert & Stamp commencent à lui arracher les Who via les tribunaux, Shel résiste - C’est lui qui avait financé les enregistrements, after all, pas Lambert & Stamp. Pendant six mois, le temps de la procédure, il a dû attendre pour faire paraître «Substitute», une éternité à cette époque où les choses évoluaient très vite. Shel a gagné la bataille, mais il a perdu la guerre. Il n’a jamais revu les Who - Bel hommage à l’un des géants des sixties. Le Loog finit par raconter comment Lambert & Stamp perdent les Who, à cause de coups portés par «un certain nombre de gens et d’événements. David Platz, Allen Klein, Bill Curbishley, Pete Rudge, Pete Kameron, qui vous voulez, même le mec qui lave la bagnole, si ça vous arrange. Et bien sûr, Kit et Chris eux-mêmes. Ils furent considérés comme ingérables par leurs clients. Une nouvelle version de cette histoire finit toujours par sortir, toujours pour les mêmes raisons. Albert and Bob, Brian and the Beatles, myself and the Stones.» Et il rend l’hommage définitif : «Parmi mes contemporains, il est difficile de trouver un management partnership that had the successes, thrills and spills that Kit and Chris had.» Kit Lambert n’a pas fait long feu, mais Chris Stamp a duré plus longtemps. Le Loog insère à la fin du chapitre Lambert & Stamp un divin portrait de Chris Stamp. Beau comme un dieu.

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    Alors, c’est l’occasion ou jamais de revoir ce fantastique docu de James D. Cooper, Lambert And Stamp. Ça démarre très fort sur du ramdam contextuel de situatons of outright rebellion, c’est-à-dire les racines des Who. Middle class and working class. On voit très vite Chris Stamp paraître à l’écran, vieux mais classe. Il rappelle qu’en 1961, il est dissatisfied et il décide de devenir cinéaste - That’s the game - Il parle d’un ton sec, c’est une East-Ender. Il rencontre Kit Lambert dans un coffee shop et ils décident d’écrire ensemble un scénario. Chris dit à son frère l’acteur Terrence Stamp qu’il est interested in girls.

    — What kind of girls ?

    — Dancing girls.

    Il parle bien sûr des danseuses de ballet. On reste dans la mythologie des Ballets Russes. Kit & Chris en bavent. Ils ne parviennent pas à devenir réalisateurs, alors ils cherchent un groupe pour le manager et tourner un docu rock - Finding the group, working the band, making records, becoming successful - C’est exactement ce qu’ils vont faire. Ils cherchent pendant des mois et pouf, Kit débarque au Railway Hotel et flashe sur un groupe very loud, plein de feedback : les High Numbers. Kit & Chris shootent leur movie, c’est pour ça qu’on a ces images extraordinaires des early Who en noir et blanc. Très Nouvelle Vague - They saw the potential - Ils signent les Who pour 20 £ par semaine - A guaranteed salary - Terrence demande à son frère si les Who sont mignons, comme les Beatles.

    — Oh yeah !

    Quand il voit une photo du groupe, il pousse un cri d’horreur. The guys are ugly !

    Mais bon, c’est parti. Kit & Chris vendent des idées aux Who qui prennent tout. De toute façon, ils s’en foutent, Townshend est le premier à croire que la pop ne va pas dure plus de 18 mois, alors... Les Who jouent la carte des sharp dressed people, ils figurent parmi The Hundred Faces. Puis vient l’épisode Shel Talmy qui est rejeté car considéré comme un outsider. Il n’a pas la vision du groupe, seulement celle du son. Alors Kit & Chris s’improvisent producteurs. C’est vrai que les Who sont des surdoués. Dans une interview de l’époque, Townshend leur rend hommage à grand renfort de louanges. «My Generation» devient l’hymne des London Mods - My Generation as a kind blocked up on pills with a stutter - Tellement vrai, on bégaye vite sous speed - Not a gimmick at all. On pills, the kids stutter, on French Blues, and Black Bombers & Drinamyl - Une journaliste demande à Townshend : «Are you actually blocked up when you’re on stage Pete ?» et le Pete répond :

    — No, we’re blocked up all the time you know.

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    Kit & Chris montent leur label Track Records expressément pour Jimi Hendrix qu’ils viennent de rencontrer à Londres. Puis ça s’emballe. Townshend produit Thunderclap Newman et d’autres # 1 arrivent : Jimi Hendrix, Arthur Brown, John’s Children, et Marsha Hunt at # 4. Puis les Who perdent de la vitesse, bad songs, juste avant Tommy - Just prior to Tommy, we were finished - C’est avec Tommy qu’ils deviennent riches. Townshend devient «a composer, not a songwriter», et c’est vite la fin des haricots pour Kit qui sombre dans un chaos de dope. Les images ne sont pas terribles. On voit Chris à la fin du docu, toujours aussi magnifique. Un docu à voir impérativement.

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    Puis le Loog nous emmène dans les parages moins connus de Jerry Brandt et d’Adrian Millar. Brandt restera dans l’histoire du rock pour Jobriath qui n’a pas marché, et Millar pour les Babys qui n’ont pas marché non plus. Mais ces deux portraits sont sans doute les plus touchants de la galerie. Brandt a bossé longtemps chez le tourneur américain le plus important de cette époque, the William Morris Agency, il a fait tourner Sam Cooke, Sonny & Cher et les Stones, puis a tenté de lancer Jobriath - I see Jobriath as a combination Wagner, Tchaikovsky, Nureyev, Dietrich, Marceau and astronaut - Mais la presse rock rigole quand l’album de Jobriath sort sur Elektra. Jac Holzman reconnaît qu’il a fait une erreur en investissant dans Jobriath - It was an awful album. The music seemed secondary to everything else. C’était trop et trop tôt et ça ne collait pas avec le label. Pas à cause du côté gay, ça manquait juste de réalisme. Ce fut une hantise et elle restée en moi longtemps - Il n’empêche qu’Elektra a sorti un deuxième album qui a disparu sans laisser de trace. Le Loog ajoute qu’Elektra était très content de se débarrasser du latter day would-be Nijinsky, et Brandt a fini lui aussi par laisser tomber, en pleine tournée. Les Américains considéraient Jobriath comme un mauvais gag. «En parfait hustler, Brandt refusa d’admettre qu’il s’était planté, alors que la terre entière lui disait le contraire.» C’est la formule que tourne le Loog pour saluer le courage artistique de Jerry Brandt.

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    On reste dans les moins connus avec Pete Kameron, l’expat américain installé à Londres  dans les early sixties, boss de la branche européenne d’Essex Music et co-fondateur de Track Records, que le Loog qualifie de «Zen hustler». Le Loog brosse aussi un rapide portrait de Jean-Luc Young, le boss de Charly Records qu’il rencontre à Paris et qu’il apprécie pour son street spirit et pour ses connections avec la mafia corse et l’acteur Alain Delon. Il se dit même fasciné par ces connections - I could loathe the mob in England and love it in France - Il ajoute ceci qui est très mystérieux, donc très loogien : «Giorgio Gomelski a aussi bossé avec Jean-Luc pendant des années et quand on parlait de ‘Kid Cash’, comme on le surnommait, Giorgio te mettait en garde : ‘Beware the collector’.» Avant d’être le label sur lequel sortent ces belles compiles Northern Soul qu’adorait Jean-Yves, Charly est essentiellement un biz. Giorgio cite encore aussi Kid Cash disant : «Je suis celui qui fait tout le boulot et qui sort les disques. Pourquoi devrais-je payer des royalties ?». Biz. Alors après on rentre dans une sombre histoire de procédure judiciaire : le Loog attaque Kid Cash en justice pour tenter de récupérer son catalogue Immediate, mais il perd le procès, enfin bref, il en fait au moins dix pages et comme c’est bien écrit, ça met la cervelle en ébullition. Les esprits procéduriers devraient se régaler.

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    Le Loog salue aussi l’un des acteurs clés de la grande époque : Mickie Most - Pour moi, Mickie Most reste le producteur anglais le plus prolifique et le plus talentueux de tous les temps. George Martin et moi dépendions des compos de nos artistes respectifs (once I’d persuaded mine to write). Mickie avait seulement besoin de ses oreilles - Il disposait nous rappelle le Loog d’un «incredibly diverse roster : The Jeff Beck Group, Hot Chocolate, Suzi Quatro, Kim Wilde et Mud.» Il rappelle aussi pour les ceusses qui ne seraient pas au courant que sans ses deux auteurs-maison, Nicky Chinn et Mike Chapman - Chinn & Chap - le glam n’aurait pas existé.

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    Le Loog brosse aussi un portrait de McLaren, le seul hustler qu’il n’ait pas rencontré. Pour ouvrir ce redoutable chapitre, il cite Steve Jones : «Malcolm était le Brian Epstein of punk. Sans lui, le punk ne serait jamais devenu ce que c’était. J’adorais ce mec. Pour mes 21 ans, il m’a offert un beau cadeau d’anniversaire : une seringue et un peu d’hero.» Le Loog excelle dans l’art de l’entrée en matière. Il explique ensuite pourquoi ils ne se sont jamais rencontrés : «Le parallèle évident entre ses Sex Pistols et mes Rolling Stones, dont on disait qu’ils avaient les uns comme les autres découvert la Pierre de Rosette du rock’n’roll outrage, était une raison suffisante pour qu’on s’évite.» Le Loog ironise pas mal sur ce coup-là, avouant quand même qu’il se trouve pas mal de points communs avec McLaren, et qu’il se sentait plus lié spirituellement avec lui qu’ils ne l’étaient l’un et l’autre avec les groupes qu’ils avaient menés à la gloire - En rédigeant ce book qui est en fait l’hustler’s hall of fame, je ne pouvais pas faire l’impasse sur Malcolm McLaren, même s’il est le seul contemporain avec lequel je n’étais pas personnellement lié - Et pouf, il revient par la bande à Diaghilev, mais de façon hilarante : «Étant donné que McLaren s’enthousiasmait de la même manière que Diaghilev pour une vision politique et sociale de l’Art, je me demande s’il ne considérait pas Sid Vicious comme son Nijinsky.» Et là normalement, tu te roules par terre. L’humour anglais, lorsqu’il est manié avec une telle dextérité, est le pire de tous. Fatal ! Tout le monde a bien compris qu’avec cette raillerie, le Loog exécute McLaren. Mais ce n’est pas fini. Il revient un moment sur Sid Nijinsky pour dire qu’il était bon, lorsqu’il tapait sa cover d’Eddie Cochran - La plupart des gens étaient amusés ou horrifiés, mais j’ai vu en Sid le spirit de l’une de mes premières idoles, Jet Harris, et je l’ai trouvé excellent - Et il enfonce son clou dans la paume du mythe en affirmant que Sid était the only true Sex Pistol - Les autres, y compris Lydon, étaient des versions de Glen Matlock un peu plus brutes de fonderie - C’est toujours une bonne chose que d’avoir l’avis d’un Loog sur un sujet aussi brûlant que celui des Pistols et la controverse qui continue de courir.

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    Il passe ensuite au plus corsé de la bande, Don Arden, et là, on attache sa ceinture. C’est Don Arden qui organise la première tournée anglaise de Gene Vincent. Puis il fait venir Sam Cooke. Don Arden s’extasie : «Le seul artiste supérieur à Gene Vincent, c’est Sam Cooke.» Par contre, il s’entend mal avec Chucky Chuckah. Ce n’est pas une question de racisme, affirme le Loog - Don avait lui-même subi pas mal de discrimination dans sa vie, alors la couleur de peau n’était pas un problème. Il adorait John Lee Hooker et l’a vu dans la rue céder le passage à des blancs, ce qui l’a frappé - Le Loog indique aussi que Don Arden garde un mauvais souvenir de Peter Grant, qu’il avait embauché comme chauffeur de Gene Vincent et qu’il a dû virer parce qu’il tapait dans la caisse. Puis arrive l’inévitable épisode Stigwood que Don va trouver dans son bureau parce qu’il entend dire qu’il louche sur les Small Faces. Les gorilles qui l’accompagnent attrapent Stigwood pour le suspendre dans le vide à la fenêtre du 24e étage. Stigwood chie dans son froc. Alors que Stigwood est suspendu dans le vide, Don demande aux gorilles ce qu’il faut faire : pardonner à cette lope ou le lâcher, et les gorilles répondent à l’unisson : «Drop him», c’est-à-dire le lâcher. Et tu as le Stigwood qui hurle comme un porc qu’on égorge. Le Loog se régale de cet épisode, il en fait une page entière, avec tous les détails. Puis quand Don va passer aux choses sérieuses avec ELO aux États-Unis, il va devoir, nous dit le Loog, bosser avec des lascars du calibre de Walter Yetnikoff et Morris Levy. Le Loog évoque aussi la guerre entre Don et sa fille Sharon. Elle commence par lui piquer le management d’Ozzy - Don était pétrifié. Cet acte de traîtrise avait pris des proportions shakespeariennes. Elle tenta une réconciliation mais Don lâcha les chiens et Sharon fit une fausse couche - Au même moment, la justice tombe sur Don Arden et son fils David. Trop de magouilles. David va au trou et Don est acquitté. Pas terrible.  Le fils prend pour le père. Vingt ans après leur première dispute, nous dit le Loog, Sharon est toujours enragée contre Don : «Mon père n’a jamais vu aucun de mes trois gosses et il ne les verra jamais.» Elle dit ça du haut des remparts d’Elseneur, un soir de tempête. JAMAIS ! Don et le Loog se connaissent depuis longtemps. Le Loog lui avait racheté les Small Faces. Don Arden le considère comme un allié. Il lui demande de l’aider à écrire ses mémoires. Le Loog a déjà un titre en tête : Once Upon A Time In Showbiz, pour faire écho au Once Upon A Time In America de Sergio Leone. Mais c’est Mick Wall qui aidera Don à écrire ses mémoires, l’excellent Mr Big: The Autobiography of Don Arden - the Al Capone of Rock. Le Loog achève ce brillant portait en shakespearisant de plus belle : «Don ressemblait plus à Lear qu’à Richard III. Comme Grossman, il avait vécu assez longtemps pour survivre à la plupart de ses ennemis, mais à la différence d’Albert, il n’a jamais songé à prendre sa retraite.»

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    Le Loog ne consacre qu’un seul chapitre à Immediate - Immediate was always, howerver, two parts romance to one part capitalism. Je ne crois pas que les gens aient bien compris à quel point j’étais l’angel investor du label, injectant le blé que j’avais gagné avec les Rolling Stones dans des projets parfois rentables et le plus souvent excentriques - Il rappelle avoir démarré avec «Hang On Sloopy» et «the only bright spark of year one», c’était Chris Farlowe - En 1966, j’ai investi £40,000 dans deux albums, à une époque où avec cette somme on pouvait s’offrir une troïka de Rolls Royces ‘nicely equipped’, comme on dit in the States. Les albums de Twice As Much et de Chris Farlowe représentent l’alpha et l’omega of my Immediate dreams, et le commencement et la fin de ma lune de miel avec les Rolling Stones - Il ajoute que Twice As Much «était un folk rock duo dans la veine de Peter & Gordon ou Chad & Jeremy. David Skirner et Andrew Rose était ravis de porter mes Brian Wilson-inspired aspirations.» Les pressages Immediate de Twice As Much et de Billy Nicholls font aujourd’hui partie des albums les plus chers et les plus recherchés. Ce n’est pas un hasard. Le Loog est en quelque sorte le Michel-Ange du rock anglais. On a tendance à ne vouloir voir en lui que l’imprésario des Rolling Stones, mais non, c’est une erreur, il a joué avec Immediate un rôle crucial dans l’épanouissement artistique de la scène anglaise du Swingin’ London, le rôle d’un mécène italien au temps de la Renaissance, ou si tu préfères, le rôle d’un Diaghilev au temps des Ballets Russes... Le Loog est un puissant seigneur. Il roulait déjà dans les rues de Florence au XVe siècle, vautré à l’arrière de sa Rolls Silver Shadow. D’ailleurs, il précise ceci qui peut stupéfier : «Immediate had nothing to do with the real world and yet we did produce some great music.» Et pouf, il te sort les noms d’Humble Pie, de Fleetwood Mac et d’Amen Corner. Il pense que l’album de Chris Farlowe produit par Jagger «was Immediate’s finest hour». Il plonge encore plus profondément dans les délices du mystère lorsqu’il affirme que l’«Immediate dream was over before it began, et quand je dis que le label m’a aidé à perdre les Rolling Stones, c’est exactement ce que ça veut dire.» ll dit avoir rêvé d’un «mini Motown d’un pre-Apple vast empire présidé par the three of us, Mick, Keith and I. That was Imediate. Je les ai aidés à faire émerger leur talent de compositeurs, je voulais les aider à faire d’eux des producteurs.» Le Loog avoue avoir fini sur les rotules : «Entre mes 19 ans, l’âge où j’ai rencontré  les Stones, et mes 25 ans, l’âge où j’ai perdu Immediate, j’ai vécu plusieurs vies et je ne se savais plus trop laquelle je souhaitais vivre.» Plus tard, lors d’un procès, le Loog entend Jerry Shirley témoigner, et se dit frappé par son incapacité à dire la vérité. Pour avoir lu les mémoires de Shirley, on sait en effet qu’il y a un sérieux problème. On voit aussi Shirley se moquer de Syd Barrett dans le docu de la BBC consacré à Syd. Pauvre cloche.

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    On a gardé les deux gros morceaux pour la fin : Allen Klein et Totor, c’est-à-dire le racheteur du Loog et l’idole du Loog. Deux portraits absolument magistraux. Qui mieux que le Loog peut rendre hommage à ces deux monstres sacrés ? Pour survivre économiquement, le Loog a revendu ses recording rights à Klein en 1969 et ses publishing interests en 1972. C’est Klein qui nourrit la famille et le pif du Loog. Puis le Loog bosse pour Klein et produit des artistes, notamment Bobby Womack qui en studio «waved guns and did drugs». Le Loog devient caustique, extrêmement caustique : «Étant donné ma dépendance matérielle envers Allen, je ne saurais dire s’il me traitait comme une merde ou si c’est moi qui me faisais des idées. J’ai réalisé que dans tous les cas, Allen wanted the best for me, which was nice since he’s already had the best of me.» Le Loog va loin dans cette histoire puisqu’il parle de Stockholm Syndrom - Quand je me regardais dans un miroir, je n’aimais pas trop me retrouver en face de Patty Hearst - Il démarre d’ailleurs ce portrait par la fin, c’est-à-dire par l’enterrement de Klein, en 2009. Le Loog fait les comptes, cette relation a duré 44 ans, «presque un demi-siècle marqué par la rapacité, la générosité et cet incroyable instinct qu’il avait pour déceler les faiblesses des gens avec lesquels il était en affaires. Dire que je suis ambivalent est une façon de sous-estimer la complexité de mes sentiments envers Allen qui avait réussi à complètement altérer ma relation avec les Rolling Stones, et ce dès le jour de notre rencontre. Ce jour-là, j’aurais dû me casser une jambe.» Et il ajoute, en proie à l’amertume : «Si j’avais été soûl et qu’on m’avait dit que j’allais partager un karma avec Allen Klein pendant le restant de mes jours, ça m’aurait aussitôt dessoûlé.» Le Loog évoque aussi la position de Keef qui n’en veut pas tant que ça à Klein - He’s an operator, man - un Keef qui fataliste comme pas deux, ajoute : «The Stones got the silver, and Klein got the gold.» Comme on l’a longuement rappelé ici, quelque part en 2020, via le book de Fred Goodman, Allen Klein - The Man Who Bailed Out The Beatles, Made The Stones And Transformed Rock & Roll, Klein s’est fait une réputation d’éplucheur de comptes des gros labels au profit des artistes, et le Loog évoque bien sûr le cas de Sam Cooke. Klein commence par lui récupérer 150 000 $ de royalties, puis lui renégocie son contrat chez RCA, récupérant une avance de 450 000 $. Il monte ensuite une structure, et signe Sam Cooke, une structure dont bien sûr Cooke «n’a jamais été propriétaire une seule seconde» - La nouvelle entité portait le nom de la fille de Sam, Tracey. Pourquoi l’artiste aurait-il dû croire que cette entité lui appartenait ? - Le Loog se mare avec cette histoire, ajoutant que la structure appartenait en fait à Klein, et quand Sam est mort, Klein a déchargé sa veuve et le reste de la famille de toute responsabilité, devenant ainsi l’unique propriétaire des chansons du grand Sam Cooke. Et ça ne s’arrête pas là : le Loog entre dans le mystère qui entoure la mort de Sam, un mystère jamais élucidé. Sam allait virer Klein. Pire encore : le corps de Sam était dans un sale état, alors qu’officiellement il avait juste reçu une balle dans la poitrine. Etta James a dit que Sam avait les mains écrasées et que sa tête avait tellement pris de coups qu’elle se détachait de son corps. Pas de preuves. Pas de rien. Et le Loog conclut ainsi cette horrible histoire : «Eventually, the rights to Cooke’s entire legacy were firmly in Allen’s grasp.» Un jour Klein demande au Loog s’il sait pourquoi il ne lui a pas tout pris. Le Loog se méfie de la brutalité de Klein et il lui dit non, il ne sait pas. Alors Klein lui balance ça : «Because, Oldham, if I had taken everything, then I would have had to support you.» Quand Klein prend le pouvoir chez les Stones, il vire tous les comptables et tous les avocats et les remplace par des gens à lui - Du jour au lendemain, on est devenus entièrement dépendants d’Allen en matière de conseils «objectifs» - Et voilà le coup du lapin loogien : «Ironiquement, seul Bill Wyman, le troisième en partant du bas dans la hiérarchie aussitôt après Ian Stewart et Brian Jones, disait qu’il fallait protester. Le reste des Stones, moi y compris, lui a dit de fermer sa gueule and not rock the boat.» Selon le Loog, le seul qui a su résister à Klein, c’est Dave Clark. Klein veut le Dave Clark Five et propose deux millions de dollars. Dave Clark lui répond : «No thanks. I’s rather sleep at night.» Le Loog est formel : Dave Clark est le seul qui ait réussi cet exploit d’échapper à Klein. Mickie Most est tombé dans ses filets, et pour en sortir, il a dû lâcher ses masters des Animals et des Herman Hermits avec lesquels Klein et sa boîte ABKCO se sont prodigieusement enrichis. Le Loog évoque aussi la séance de signature des Stones avec Klein à New York et l’incroyable paperasserie - the most complex paperwork imaginable - séance supervisée par Marty Marchat, «the instruments of both our enrichment and destruction» - The Stones had got what we all thought we wanted and the train had left the station - Et comme dans le cas de Sam Cooke, Klein monte une entité du nom de Nanker Phelge - Soon enough «Nanker Phelge» would become a pseudonym for «Allen Klein and Co» and we would learn the true price of success - Au comble de l’ironie, le Loog rapporte une remarque de Marianne Faithfull : «Tu ne trouves pas ça drôle Andrew que la record company d’Allen soit la seule à me verser de l’argent ?». Après Sam Cooke et les Stones, Klein veut les Kinks - Allen commençait par écrémer le sommet, puis il descendait - Le Who venaient de l’envoyer sur les roses, alors il louchait sur les Kinks. Mais ça n’a pas marché. Oh, il reste les Beatles. Klein attend son heure, comme le dit si bien le Loog. Brian Epstein casse sa pipe en bois en 1967. Le loup va pouvoir entrer dans la bergerie. En 1969, les Beatles sont out of control. Ils ont besoin de quelqu’un. Ils envisagent Lord Beeching, puis Lee Eastman, le beau-père de McCartney. Le Loog dit que le loup met le pied dans la porte via Derek Taylor. Tout le monde connaît la fin de l’histoire : le split des Beatles. Klein est la raison numéro 2 du split, aussitôt après Yoko Ono.

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    En 8 ans, résume le Loog, Klein a fait main basse sur tout le Monopoly du rock. Il a récupéré tout ce qui rapporte le plus de blé : «Sam Cooke, Mickie Most, Donovan, les Rolling Stones et les Beatles.» Comme il avait récupéré les meilleurs, les autres ne l’intéressaient pas. Et puis voilà l’épilogue, terriblement Oldhamnien : «La dernière fois que je l’ai vu, il était atteint d’Alzheimer. On a dîné tous les quatre, Allen, son fils Jody, Iris Keitel et moi - dans son appartement new-yorkais. Allen m’observait. ‘I like your haircut, looks good on you’, dit-il. Il savait encore comment me posséder, même s’il ne se souvenait plus de mon nom.» Le Loog pose sur ses contemporains pittoresques le regard d’un écrivain. La différence avec nous autres les amateurs, c’est que le Loog, comme Nick Kent, sont sujets à un vertige qui n’est pas celui que nous connaissons : le vertige combiné des fréquentations hors normes et du right time at the right place à l’échelle d’une vie. Si l’on cédait à la jalousie, on pourrait presque insinuer que c’est trop facile, dans ces conditions, d’écrire un book comme Stone Free. Et puis la raison reprendrait le dessus, car il est facile de comprendre que le souffle porte ce vertige, dans le cas de Nick Kent, comme dans celui du Loog, ou encore celui de Mick Farren. Ils font partie tous les trois de l’establishment littéraire britannique, au même titre qu’Oscar Wilde, Somerset Maugham ou encore Wyndham Lewis.

    Une telle désinvolture ne court pas les rues : «J’ai baratiné Brian (Epstein) pour qu’il me laisse représenter les Beatles à Londres. À cette époque, j’avais déjà fait un peu de presse et de radio, et grands dieux, à 19 ans et self-empoyed, I was cheap enough. À côté de ça, personne n’avait postulé pour ce job, ce qui prouvait une fois de plus la maxime de Woody Allen : ‘Eighty percent of success is showing up.’» Une telle ironie ne court pas non plus les rues  : «Les Beatles ont gagné tellement d’argent que les arnaques des foreigh song publishers et de leur propre record company n’ont jamais bosselé ni les ailes de leurs Rolls ni les portes de leurs manoirs.» Le Loog est aussi le roi de la pirouette malicieuse : «Je devrais préciser que la girlfriend en question était Linda Keith, la copine de Keith Richards à l’époque. Elle m’avait invité à aller voir jouer Jimi Hendrix, alors que Keith et les Stones n’étaient pas en ville. J’ai donc vu Hendrix, mais je ne pouvais pas envisager de m’y intéresser de plus près, parce que j’avais déjà les mains pleines avec les Stones, et Jimi semblait avoir les mains pleines de Linda.»

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    Et Totor dans tout ça ? Il est bon de rappeler que Totor incarnait aux yeux du Loog le modèle absolu. Le Loog commence par le commencement, c’est-à-dire citer Tom Wolfe dans The First Tycoon Of Teen. On a déjà sorti le Wolfe du bois, mais on va le ressortir : «Phil Spector is a bona-fide Genius of Teen. Dans chaque époque baroque émerge un génie qui incarne la plus glorieuse expression de son style de vie - à la fin de la Rome antique, l’empereur Commodus, durant la Renaissance italienne, Benvenuto Cellini, dans l’Angleterre du XVIIIe siècle, the Earl of Chesterfield, dans l’Angleterre victorienne, Dante Gabriel Rossetti, dans la late-fancy neo-Greek Amérique fédérale, Thomas Jefferson, and in Teen America, Phil Spector is the bona-fide Genius of Teen.» Le Loog a raison de déterrer cet os magnifique. Ça situe tout de suite le niveau. Mais en même temps, il en tempère les effets, rappelant que Totor est arrivé en même temps que d’autres bêtes de Gévaudan, comme Jerry Leiber & Mike Stoller, Doc Pomus et Ahmet Ertegun - L’essai de Wolfe lui a fait plus de tort que de bien dans ce petit cercle new-yorkais très fermé. À mes yeux, ni Ahmet, ni Jerry ou Mike ne lui ont jamais pardonné ce qui fut, after all, le péché original de Wolfe - Et là, le Loog sort sa botte de Nevers, l’hommage énigmatique : «Phil of course fut toujours un artiste, mais aussi un businessman car il aimait gagner et voir les autres perdre. Il aurait fait beaucoup mieux si les proportions avaient été inversées : Lou Adler, Albert Grossman et Shep Gordon furent capables d’avoir leur gâteau et de le manger, sans avoir à traverser le miroir.» C’est là où le Loog est plus fort que le roquefort : avec cette botte de Nevers, il dit simplement que Totor a transcendé son art en traversant le miroir. On peut trouver une autre interprétation, le Loog laisse le choix, mais celle-ci nous plait bien. Il dit plus loin qu’on peine à imaginer ce que des albums comme Let It Be, Imagine ou All Things Must Pass seraient devenus sans la patte de Totor. Le Loog le rencontre une dernière fois dans d’étranges circonstances, en 2008. C’est Seymour Stein qui l’emmène chez Totor à Alhambra. Totor est encore libre sous caution, mais pas pour longtemps, il va être condamné. Il est déjà reclus, le trou ne changera pas grand-chose. Il fait encore bonne figure et accueille ses invités. Dans ce chapitre, le Loog est à l’apogée de son art, il maîtrise la tension dramatique avec un talent sidérant. Il cite même Hitchcock à un moment, mais pour d’autres raisons («Je n’ai jamais dit que les acteurs étaient du bétail. J’ai dit qu’on devrait traiter tous les acteurs comme du bétail.» C’est l’analogie avec la façon dont Totor traitait les interprètes). Le Loog établit un parallèle fabuleux entre sa vie et celle de Totor - Il me connaissait quand je n’avais pas les moyens de quitter la maison de ma mère, il me connaissait quand ‘Satisfaction’ est devenu un hit dont il aurait lui-même pu être fier, et il me connaissait pendant mes longues traversées du désert, avec ces painful memories of past glories - Et boom, il amène la chute du Niagara : «To know him is still to love him. Sa musique m’a inspiré et son amitié m’a donné le courage d’entrer dans l’arène et de me battre pour mes rêves. Il m’a mis au défi d’enlever mes gants et de me battre à mains nues. And as for loving him, yes I do And I do And I do.» Il finit sur les Ronettes, comme une sorte de Scorsese de la mémoire du rock. Ou mieux encore, comme un Diaghilev du Swingin’ London. Power rock littéraire.

    Pour terminer, voici une perle en forme de petit chef-d’œuvre de dérision wildienne : «Le book que vous lisez aurait pu être écrit voici 30 ans, mais il m’a fallu tout ce temps pour apprendre à taper sur un clavier, et j’ai surtout voulu être assez smart pour vouloir l’écrire moi-même.»

    Signé : Cazengler, dirty old man

    Andrew Loog Oldham. Stone Free. Because Entertainment, Inc. 2014

    James D. Cooper. Lambert And Stamp. DVD Sony 2015

     

     

    L’avenir du rock

     - Lawrence d’Arabie

    (Part One)

     

    Se perdre dans le désert, c’est une façon de ne pas s’en lasser. C’est aussi la seule parole de sagesse qu’a su pondre l’avenir du rock au bout de plusieurs mois d’errance. Pour se distraire, il inverse les tendances. Plutôt que de voir cette épreuve comme une infortune, il la voit comme une traversée du désert. Il sait qu’on doit en faire au moins une, dans sa vie. Ça permet, énonce-t-il, de tirer des enseignements de son bilan, ou plutôt de faire le bilan de ses enseignements. Avec la chaleur, ça devient confus. Jouer avec les mots, c’est le seul moyen qu’il a trouvé pour tromper sa soif. S’il n’y avait pas la soif, tout irait très bien. Il a retrouvé une taille de guêpe, il est obligé de tenir son pantalon en marchant. Il ne s’est jamais senti aussi léger. La barbe lui va bien, elle ragaillardit l’aventurier qui sommeillait en lui. Et puis ce bronzage ! Il se sent aussi beau qu’Alain Delon dans La Piscine. Dommage que Romi ne traîne pas dans le coin, elle lui aurait sauté dessus. Il voit déjà ses petites mains potelées caresser son abdomen. Ah les blondes en maillot de lycra noir ! Du coup, ça lui donne une petite érection. Plop ! Il éclate d’un grand rire incertain : «Tiens, ma bite pointe vers le Nord, comme au bon vieux temps !». Comme il n’a pas souvent l’occasion de rigoler, il en rajoute. Ha ha ha ! Ha ha ha ! Il est en plein ha ha ha lorsque paraît à l’horizon la silhouette d’un dromadaire. L’avenir du rock lui fait signe, Ouh ouh ! Ouh ouh ! Le dromadaire se rapproche. Il est tout seul. Il a l’air en pleine forme, comme tous les dromadaires errant dans le désert. Il porte une casquette avec une visière bleue. L’avenir du rock se présente :

    — Je suis l’avenir du rock, pour vous servir, cher drodro de Madère.

    — Oui je sais. J’ai croisé récemment Lawrence d’Arabie qui m’a dit que vous étiez complètement siphonné.

    — Va-t-il rapetisser parricide ?

    — Non, il est parti aquaquer Aqaba avec Jean-Claude Ouin-ouin !

    — Ben dis donc ! Ça craint pour le crin-crin !

    , david eugene edwards, luke haines, andrew loog oldham, lawrence, chet ivey, les vautours, les fantômes,

    Après avoir aquaqué Aqaba, Lawrence d’Arabie refait surface dans Uncut en petite tenue, mais aussi dans les bacs, avec un nouvel album, le supra-classieux Pop-Up! Ker-Ching! And The Possibilities Of Modern Shopping. Lawrence d’Arabie est aussi supra-classieux que Peter O’Toole. Sam Richards l’interviewe pour le compte d’Uncut. Lawrence d’Arabie était déjà là dans les années 80 avec Felt, et quand on lui demande la raison de sa longévité, il répond sans ambage : «A desire to be famous, really. A desire to taste the richness of fame. Gosh, can you imagine?». Et il continue d’imaginer : «Ne pas être obligé de prendre le métro, juste monter dans un avion. Puis être attendu par une big limo et ne pas avoir à monter dans le van avec tout l’équipement. Parce que je pense que j’ai quelque chose. Je le savais déjà quand j’étais petit et ça n’est jamais parti. J’ai écrit mon premier poème à 8 ans. J’ai toujours voulu faire un truc avec, mais je n’ai pas recherché le succès. Quand j’ai sorti mon premier single tiré à 500 ex, je savais qu’il n’irait pas dans les charts, je le voyais comme une étape. Je voulais évoluer dans l’underground. J’y suis encore.» Jolie profession de foi. Plus loin, il avoue qu’il n’a jamais cherché à forcer le passage : «I’ll keep my integrity intact.» Pas question de reformer Felt. So it’s a lonely road. Mais pour lui, that’s the good thing to do. Et quand on lui demande s’il compte écrire son autobio, il répond qu’il a reçu «a couple of offers, but what I don’t want to do is ‘Granddad worked down the mine’. That history of the family thing is so boring.» Il dit à l’éditeur qu’il a une idée : «It’s written as you don’t know wether it’s true or not», et il cite le Beneath The Underdog de Charlie Mingus : «He writes as three different Minguses, there’s three of them inside him. It’s the most brillant autobiography.» L’éditeur a dit : «Avez-vous d’autres idées ?». Et quand on lui demande s’il existe un album dont il ne se lasse pas, il répond The Psychomodo de Cockney Rebel - It’s travelled so well. It’s almost like glam Dylan.

    Glam Dylan ? Il ne croit pas si bien dire. Pop-Up! Ker-Ching! And The Possibilities Of Modern Shopping grouille de glam Dylan, tiens, par exemple ce «Relative Poverty» qui dégage des relents de «Bebop A Lula» et de Bowie. C’est brillant d’impétuosité. Glam Dylan aussi parce que tu as les lyrics et un poster entier couvert de commentaires. Au fil des cuts, tu t’émerveilles de voir à quel point Lawrence est un artiste complet, mais ça, tout le monde le sait. Il se marre bien avec son «Poundland» - Nothing costs a grand - Il termine sur l’everybody is happy in Poundland. Il enchaîne ce topic avec «Four White Men In A Black Car», un fast heavy kraut de Law, il swingue son four white men avec des retours de wild guitar. Lawrence n’est jamais en panne d’idées. Il passe au heavy stomp avec «I Wanna Murder You». Le pire, c’est que son stomp est bon, bien dans la ligne du parti. Le stomp est d’ailleurs l’une de ses vieilles spécialités. Lawrence est aussi un sacré farceur, comme le montre «Pink And The Purple» - Oh oh look at the purple/ Oh oh look at the pink - Il est fabuleusement Monty Python. Puis il s’en va faire du Burt avec «Flanca For Mr. Flowers», il y va à coups de take a look around, c’est là que se dessine le génie de Lawrence d’Arabie, il navigue exactement au même niveau d’excellence que Burt. Il sait aussi traiter le désespoir, comme le montre «Honey» - Honey say you love me - Il passe à la fast pop-punk avec «Record Store Day» - John Peel/ Mark E. Smith/ Rough Trade - Il salue toute la bande à Bonnot et termine cet album réjouissant avec un joli doublon, le cha cha cha de «Doin’ The Brickwall Crawl» et la fast pop de «Before And After The Barcode», il s’y montre atrocement punk de corps plié sous les coups.

    Signé : Cazengler, le rance d’Arabie

    Mozart Estate. Pop-Up! Ker-Ching! And The Possibilities Of Modern Shopping. West Midland Records 2023

    Sam Richards : An audience with Lawrence. Uncut # 309 - February 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Ivey César !

             Tout le monde dans le quartier connaissait Yvon. Certains le surnommaient la limace.  D’autres l’appelaient Tartine, on se savait pas pourquoi. Dans les deux cas, on sentait de la moquerie. Rien de surprenant, car Yvon ne faisait rien pour améliorer son image. Été comme hiver, il portait le même pull bleu marine, le même pantalon de bleu de travail et des chaussures noires récupérées aux Emmaüs. Il avait la peau très mate, les cheveux noirs coupés court, avec une petite frange sur le front, et le regard très noir empreint d’une mélancolie qui semblait naturelle. Il ne souriait jamais. Il semblait avoir été frappé par le destin. Personne ne savait rien de son histoire. Il vivait seul dans l’un des immeubles de la barre, on ne savait pas précisément où. Il donnait des coups de main au gardien, à sortir les poubelles ou à ramasser les chiens et les chats crevés que les loubards du quartier avaient traînés derrière leurs mobylettes pour se distraire. Yvon allait les enterrer à la lisière du bois, de l’autre côté de la ligne du RER. Lorsqu’ils le voyaient faire, les loubards le suivaient avec leurs mobylettes, ram-papapam, et lui promettaient qu’un jour c’est lui qu’ils traîneraient derrière eux. Yvon haussait les épaules. Il savait qu’il ne risquait rien. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il tatouait tout le monde dans le quartier, y compris les loubards en mobylettes. Yvon avait installé son «salon» dans une cave et c’est là qu’il tatouait. Il demandait des clopes ou des packs de bière en échange, il n’avait pas besoin d’argent. Il demandait aussi qu’on lui amène les dessins, car il ne savait pas très bien dessiner et il ne voulait plus d’ennuis à cause des tatouages ratés. On l’avait souvent vu à une époque avec les deux yeux au beurre noir. Il tatouait bien sûr à l’ancienne. Il versait un peu d’encre de Chine dans une petite casserole toute cabossée et taillait avec son cran d’arrêt un bout de son talon pour le faire fondre dans l’encre. Il portait son mélange à ébullition au-dessus d’un petit réchaud de camping. Il attachait deux grandes aiguilles ensemble avec du fil de fer et tatouait à la lueur d’une mauvaise lampe de poche. Il tatouait d’une seule traite, parfois pendant plusieurs heures. Une fois terminé, il rinçait le tatouage à la bière et indiquait à son «client» qu’il aurait sans doute de la fièvre, dans les jours à venir. Il donnait la consigne de ne pas s’inquiéter et d’attendre que ça cicatrise. «Si t’as du pus sous la croûte, tu rinces à la bière.» Effectivement, il y avait du pus.

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             Pauvre Yvon. Il aurait sans doute préféré vivre la vie d’Ivey aux États-Unis et faire du funk, plutôt que de tatouer les loubards de banlieue. Mais bon, comme le dit si bien le proverbe, on a la vie qu’on mérite, alors n’allons pas nous plaindre.     

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             Pour une fois, ce n’est pas directement Kent/Ace qui nous ramène Chet Ivey dans le rond du projecteur. C’est leur filiale BGP (Beat Goes Public) et la compile s’appelle A Dose Of Soul. The Sylvia Funk Recordings 1971-1975. Elle vaut sacrément le déplacement. Dean Rudland commence par t’expliquer qu’il n’existe quasiment pas d’infos sur Chet Poison Ivey, mais il en brosse tout de même un beau portrait, le basant à Washington DC, faisait de lui «the embodiment of a journeyman musician», et son job consistait à jouer dans les clubs, bars and lounges, avec un répertoire de «dance crazes, rewrites of 1960s pop hits, James Brown-style funkers, Sigma Sound-produced disco grooves and the electro funk found on his final 12-inch singles.» C’est un vétéran de toutes les guerres du jazz, Al Sears, qui produit le premier single d’Ivey. Lorsqu’Al Sears s’en va bosser pour Ray Charles et son label Tangerine à Los Angeles, le pauvre Ivey se retrouve le bec dans l’eau. Sa carrière redémarre en 1972 avec «Funky Chit Chat», paru sur le Sylvia label d’Al Sears. C’est avec le beau funk essoufflé du Chit Chat que Rudland démarre sa compile. Ivey est rauque, donc pur. Son funk paraît poussif, mais Ivey pousse à la roue. Hélas, le single ne marche pas. Ivey s’en va enregistrer «Get Down On The Geater» et «Bad On Bad» chez Sigma Sound, à Philadelphie, et là, c’est une autre paire de manches - You know what ? - C’est drivé à ras des pâquerettes, au wild funk, retenu à l’arrière, that’s bad on bad, c’est l’apanage du groove génial immobilisé. Ivey attaque son Geater au scream. C’est un seigneur - People are you ready - Il shoote son r’n’b à l’efflanquée. Il en fait le r’n’b des enfers - Hey babe looka here - Il en perd le souffle. Rudland ajoute, histoire de bien nous faire baver, qu’il a casé «He Say She Say» sur sa compile The Mighty Superfunk qu’on va bien sûr aller écouter. Mais il en case aussi une version ici, «He Say She Say» est un fantastique shoot de heavy Chet. Il chante comme si sa vie en dépendait, aw yeah. Et puis tiens, voilà une reprise des Fiestas, «So Fine», avec son distinctive clipped guitar riff, encore un funk de rêve, plein de répercussions, so fine yeah, ça roule sur les boules, Ivey nous pond là un funky r’n’b assez lointain avec du son sous le boisseau. Encore un classic funk d’attaque frontale avec «Movin’». Rudland fait cette fois référence à Sly Stone, à cause des cuivres. Il ajoute qu’Ivey joue du sax sur «Don’t Ever Change», un instro ravageur. Tout est drivé serré sur cette compile, pas de gras. «Dose Of Soul» est aussi enregistré chez Sigma Sound, il harangue tout de suite, hey hey people ! Rudland indique que le single est sorti sur le label d’Estelle Axton, Fretone, à Memphis. S’ensuit un «Party People» en deux parties, hommage évident à James Brown. Ivey le groove à la sourde, yeah yeah, ahhh-ahhhh get me down/ let’s do some mo’ - Ivey te groove ça sec au hey hey ahhh-ahhh. Pas de problème. Et quand la diskö envahit les clubs, les artistes comme Chet Poison Ivey sont vite dégommés. Alors il prend un boulot pour vivre et meurt assez vieux.   

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             On retrouve le mystérieux Chet Ivey sur une compile superbe, Mighty Superfunk. Rare 45s And Undiscoverd Masters 1967-1978 (Volume 6). Il se planque en C avec «He Say She Say» qu’il chante à l’essoufflée pantelante. On profite du voyage pour faire d’autres découvertes, comme le veut le principe des compiles, par exemple Eleonor Rigby avec «Queen Of Losers», un hit rampant du siècle dernier. Ces mecs t’aplatissent, ‘cause I’m the queen of losers ! Belle rencontre aussi que celle de Kim Tamanga avec «Groovy Baby», très staxé, superbe présence, elle est par dessus les toits ! Gloria Lucas fait sa Diana Ross avec «One Sweet Song» et The Phillips Brothers développent un sens aigu de la traînasserie avec «Who Stole My Cookie». En ouverture de bal de C, tu vas tomber sur 87th Off Broadwway et «Moving Woman», un énorme groove urbain, non seulement énorme mais complètement dévastateur ! Marie Franklin opte pour le hard funk avec «Bad Bad Woman Pt1», elle est fantastique de check it out. Ça bouillonne dans les veines du hard funk ! En D, un certain Julio Zavalla rend hommage à James Brown avec un «Cold Sweat» bien senti. Il est dessus, au micron près.

    Signé : Cazengler, Chet en bois

    Chet Ivey. A Dose Of Soul. The Sylvia Funk Recordings 1971-1975. BGP Records 2017

    Mighty Superfunk. Rare 45s And Undiscoverd Masters 1967-1978 (Volume 6). BGP Records 2008

     

    *

    Jean-Louis Rancurel avait si bien parlé des Vautours dans le numéro 27 de Rockabilly Generation News que j’avais promis dans ma chronique (livraison 614 du 05 / 10 / 2023) un petit topo sur ce groupe.

    LES VAUTOURS

    Ange Beltran : batteur / Christian Bois : bassiste / Pierre Klein : guitare solo / Vic Laurens : chanteur, guitariste.  

    Proviennent de Créteil, aujourd’hui Montreuil s’enorgueillit, avec raison, d’être la première cité rock de France mais au début des années soixante ce rôle était dévolu à Créteil. Les Chaussettes Noires étaient de Créteil, or le monde du rock à cette époque étant très petit Tony d’Arpa des Chaussettes était le frère de Laurent d’Arpa d’où son nom de scène de Vic Laurens.

    Le groupe formé en 1961 autour de Vic Laurens ne durera pas éternellement puisque fin 1962 il n’existera plus.

    1961

    FX 45 1272 M

    La pochette avec son fond rouge et ses silhouettes découpées risque de décevoir les amateurs de belles couves elle s’inscrit (en moins bien certes)  dans la grande tradition des premiers EP  français de Little Richard et de Bill Haley. Dommage que l’on n’ait pas employé un ton franchement criard.

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    Vautours ; instrumental, une bonne basse, une guitare un peu maigriotte, une autre davantage costaude, l’on ne s’ennuie pas, loin de là, carré en diable, une batterie qui tient et soutient son monde regroupé, une belle entrée en matière.  Betty et Jenny : l’influence du grand Schmoll sur le vocal et des Chaussettes sur l’accompagnement est évidente, le morceau est une parfaite réussite. Coule comme du champagne dans votre coupe, les bulles pétillent et vous en reprendrez bien une longue goulée à même la bouteille. Tu me donnes : une reprise de Gene Vincent, une belle réussite, Vic Laurens imite encore un peu Eddy Mitchell, qui s’en plaindrait, habituons-nous à cette guitare un peu grêle, surtout que l’autre par-dessus est beaucoup plus mégaphonique. La meilleure adaptation que l’on pouvait trouver sur le marché en ces temps archaïques. Claudine : on échappe au pire, on évite le slow qui claudique comme une vieille bique, un texte bêbête, z’y mettent du cœur et vous débitent la chansonnette en colis postal express. L’on est tout de même content quand c’est fini.

    FX 451277 M

    Le groupe en train de jouer, de poser pour être plus précis, l’idée n’est guère originale, je ne sais pas qui a eu l’idée de ces espèces de banderoles, mais cela vous transforme la pochette en petit chef d’œuvre qui rend parfaitement l’ambiance délurée de ces premières french sixties.

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    Tu peins ton visage : cette version est loin de surpasser celle des Chats sauvages beaucoup plus tumultueuse, l’on a l’impression qu’à part la batterie qui accomplit un énorme boulot, le reste de la bande a du mal à trouver sa place et l’inspiration pour se glisser dans la ronde. Ne me dis pas non : cette fois tous ensemble, on en profite pour décerner un vautour d’or aux cris plus près des hurlements de peaux rouges que des hoquets rockab dont Vic Laurens aime à parsemer ces fins de couplets, sont au zénith de leurs possibilités, vous entraînent à toute vitesse et quand ils finissent on n’aime pas. Oncle John : il fut un temps où Long Tall Sally était considéré comme l’un des plus grands morceaux de rock, l’a disparu l’on ne sait pourquoi des mémoires, Vic n’est pas Little Richard mais il se colle aux instrus qui décollent et s’y accroche sans se laisser submerger par la rafale instrumentale. Permettez-moi : vous leur filez un slow ils vous le transforment en blues, non ce n’est pas B. B. King, mais ils s’en tirent bien, surtout la guitare gracile qui n’a jamais été aussi judicieusement utilisée dans les morceaux précédents.

    1962

    FX 45 1281 M

    Cette fois la photo est prise en plongée, le même style de chemises que sur la précédente, ils vous adressent de tels joyeux sourires que vous avez envie de leur sourire en retour. La photo est de Ferembach le photographe attitré des disques Festival. L’on reconnaît le style.

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    Run around Sue : une reprise de Dion et des Chaussettes Noires, le titre est donné en anglais mais la chanson est chantée en français, de beaux roulements de batterie, un sax qui s’en vient aboyer, des chœurs qui scandent à fond de train, le vocal de Vic qui survole, que voulez-vous de plus ? Rien ! Jacky qu’as-tu fait de moi ? : ne faites pas comme l’imbécile qui regarde le doigt qui lui montre la lune, Jacky n’est pas la cause de ce morceau mais la conséquence, le coupable est un être tordu, vous avez reconnu le twist cet ersatz du rock que les groupes français adoreront, pour une fois l’on avait un sujet d’actualité pour les paroles. Ici vous adorerez les cinq dernières secondes.  Good luck charm : s’en sort bien le Vic, l’a fait des progrès, sa voix s’est arrondit et il en joue, reprendre ces petits bijoux de grâce exquise dans lequel Elvis a excellé lorsqu’il s’est laissé manœuvrer par RCA est un jeu périlleux autant pour le chanteur que pour les musiciens. Réalisent l’exploit de ne pas nous décevoir. Le jour de l’amour : heureusement que le sax vient cacher le bêlement du ‘’ je t’aime’’ de Vic il recommencera plus loin (juste un peu, le morceau dure 2 minutes et des poussières ) à faire la même chèvre sur ‘’ même’’ on a de la chance le loup revient déguisé en saxophone il bouffe la bique, le morceau n’en est pas moins dans les choux.

    FX 45 1288 M

    Ligne claire serais-je tenté de dire. Etalez une série de pochettes De ces années folles, celle-ci vous fera l’effet d’une trouée lumineuse. Ferembach toujours derrière l’objectif, est-ce lui qui a eu l’idée de cet arrière-plan bariolé qui pousse à son maximum les banderoles du deuxième 45 tours ? J’aurais aimé connaître le nom du designer pour employer un terme inconnu à l’époque.

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    Ya Ya twist : la plupart des twists commencent doucement pour démarrer en trombe au bout de quelques instants, ici il batifole à petites foulées légères, une basse qui fait des pointes, nouveauté la présence de chœurs féminins qui adoucissent les angles et rafraîchissent l’atmosphère. Le rock s’adapte doucement mais sûrement. Mon amour est trop grand : pas du tout larmoyant, une trottinette électrique qui zigzague sur les trottoirs entre les passants, la voix de Vic volette au-dessus des fleurettes, adjonction d’un piano qui frétille, voici un amour malheureux qui rend heureux l’auditeur. Le chemin de la joie : rien qu’au titre l’on comprend que le disque a été conçu pour vous rendre heureux de vivre, tout en douceur et en mollesse, même une espèce d’orchestration genre générique de film à l’eau de rose, pourquoi les rockers arborent-ils une moue dégoûtée, parce que les Vautours ne plus puent du croupion ! Hé ! tu me plais : une interjection bien venue, hélas l’on continue à patauger dans le fadasse, gentillet, les chœurs féminins soutiennent Vic, les guitares en sourdine, le piano qui sourit de toutes ses dents. L’ensemble n’est pas à la hauteur de la pochette.

    FX 45 1298 M

    Une photo différente, normal elle n’est pas de Ferembach mais de Gardé. Changement de décor, en extérieur, en pleine nature, n’exagérons rien plutôt un parc municipal. Horreur, sur le disque précédent on a eu droit à un simili rock, sur cette pochette nos quatre garçons dans le vent sont tous fagotés dans un costume noir. Respectabilité oblige.

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    Le coup du charme : bis repetita… serait-ce un titre porteur, ou un signe annonceur de la prochaine fin des haricots ou Festival qui presse les ultimes gouttes du citron… à la réécoute le titre me semble un peu pâle… Laissez-nous twister : la voix devant et le reste derrière, on les entend sur le long pont, ni pire, ni meilleur que les centaines de twists qui régnèrent en maître, la formule tend à s’épuiser, sur le dernier couplet cette main tendue aux anciennes générations est bien opportuniste. Ma Petite Angèle : l’intro angélique n’est pas mal du tout, ensuite l’on patauge dans la choucroute, une guitare cristalline, des voix éthérées de jeunes filles, cette ange ne vole pas haut. Qui te le dira : serait temps qu’ils se réveillent, la batterie lance l’assaut, Vic mâche un peu trop les mots, il y a tout pour un bon rock mais il faudrait un combo un peu moins cantonné dans l’attendu et un chanteur doué d’un timbre moins primesautier.

    FX 45 1315 M

    Au dos de la pochette précédente ce n’étaient pas Les Vautours mais les Vautours avec Vic Laurens. Sachez apprécier ou regretter la différence sur celle-ci, c’est Vic Laurent en gros et Les Vautours en gris. Pire les Vautours sont relégués sur la face B. Sur la A Vic est accompagné par Alain Gate et son orchestre. Bien sûr il y a des violons sirupeux. Comme quoi les vautours qui viennent manger les cadavres ne sont pas toujours où on pense…

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    Be Bop Boogie Boy : un morceau de Gene Vincent, l’adieu au rock des Vautours, un piano rock, un sax rôdeur, un vrai solo de guitare, moins de deux minutes, on regrette qu’ils ne se soient pas étendus davantage. Dancing party : les vacances sont terminées, ils promettent de continuer la fête, mais ils y vont mollo sur le rythme, le cœur n’y est pas.

              Voilà c’est fini. Non pas tout à fait. Il reste un titre sur un 25 centimètres. Pour la petite et honteuse histoire ce titre est d’abord sorti sur le 30 cm FLD 278 intitulé Twist et Tango. Festival était spécialisé dans les exoticas, typicas musicas espagnolitas. Mettre deux titres ‘Twist’’ sur cette compilation aidait à vendre des rythmes dont la jeunesse d’alors se détournait. Je vous mets la pochette car le ski nautique au même titre que le golf miniature et le karting étaient deux activités, sportives ou récréatives dont les jeunes raffolaient. 

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    FLD 285 STANDARD

    TWIST AVEC LES VAUTOURS

    Notons que c’est l’unique pochette assez bien réussie selon mon goût douteux sur laquelle se détache un spécimen de l’oiseau qui a donné son nom au groupe. La photo de la pochette sur la pochette doit être de Ferembach et le montage au charognard de Holmes-Lebel.

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    Ya Ya Twist / De t’aimer de t’aimer / Le jour de l’amour / Mon amour est trop grand / Run around Sue / Le chemin de la joie / Hé ! Jacky qu’as-tu fais de moi / Hey Little Angel.

    De t’aimer de t’aimer : un twist idéal pour danser, la voix trop joyeuse, des chœurs qui servent la moutarde, la batterie qui s’adjuge la part du lion et les guitares à corps perdu, le titre est un peu neuneu, mais vous ne pourrez vous empêcher de l’aimer, de l’aimer.

             J’ai parfois été un peu sévère, pas vraiment injuste, ils ont essuyé les plâtres du rock français et cela est respectable. Très râlant de se dire qu’ils étaient comme une fleur équatoriale dont la graine aurait été transportée en Alaska. Ils ont fait ce qu’ils ont pu et ce que l’on a voulu qu’ils fassent. Notre rock national est né hors sol, il n’y avait pas de directeurs artistiques et d’ingénieurs du son, pas de terreau culturel musical sur lequel s’appuyer. Ont imité les disques qu’ils avaient en leur possession. Comme à l’école quand on copiait sur la copie du voisin sans comprendre un traître mot de ce qu’il voulait dire. Risible et édifiant, mais éloquemment hommagial de mettre le titre original en langue anglaise pour faire plus rock !

             Si j’ai un conseil à vous donner c’est de vous procurer l’Intégrale de Magic Records mais de ne pas faire comme moi à écouter tous les titres à la suite, deux ou trois en même temps et laissez reposer avant de reprendre, ils se sont améliorés sur ces deux années mais ils n’ont pas significativement progressé, ne sont pas parvenus à bâtir une vision-rock de leur entreprise qui leur aurait permis d’évoluer. Ce n’est pas pour rien si cette première flambée rock - elle fut dévastatrice si l’on pense à tous les artistes installés et consacrés qui furent refoulés par cette première vague arrogante du jour au lendemain dans des oubliettes dont ils ne ressortirent jamais– ne dura guère. L’énergie initiale ne persista point, faute de matériaux propres les groupes ne bâtirent rien. Ne les oublions pas. Ce serait les tuer une deuxième fois.

    Damie Chad.

     

    *

    Inutile de résister à la nostalgie des époques résolues, voici donc :

     

    LES FANTÔMES

    Dean Noton : guitare lead /  Dany Maranne : basse / Jacky Pasut : guitare rythmique / Charles Benaroch : batterie /

    Z’ont du culot, sur tous leurs disques ils font suivre leurs noms de la mention : et leurs ‘’ Big Sound’’ guitares, ils ont raison comparez par exemple avec la mention ‘’ guitare aigrelette’’ avec laquelle je qualifie dans la chronique précédente le son des Vautours, les Fantômes sonnent électrique. Sont pris en main par les disques Vogue, maison de disques qui vient de perdre, au profit de Phillips, Johnny Hallyday.

    1962

    EPL 7918

    Pour cette première pochette je vous laisse chercher l’anomalie. Une activité qui fleure bon les années soixante, fallait découvrir les trucs bizarres dans les vitrines des commerçants, pour recevoir un cadeau. Mon aveu me coûte : je n’ai jamais rien gagné.

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    Le diable en personne : ne se refusent rien, attaquent bille en tête avec une version d’un des deux grands classiques du rock anglais, le Shakin’ All over de Johnny Kidd, Dany est au vocal, pose sa voix sans essayer de prendre des inflexions à l’américaine, derrière lui l’accompagnement est au plus près une superbe réussite. Un détail capital qui ne trompe pas Tony Marlow reprendra cette version française sur les deux disques qu’il a consacrés à Johnny Kidd et ses Pirates. Golden earrings : instrumental, Danny Maranne ayant signé un contrat en tant que chanteur avec les disques Barclay, les Fantômes continueront avec lui, se présentant comme un groupe instrumental, une reprise des Hunters groupe anglais émule des Shadows, en offrent une version plus policée que leurs homologues britanniques qui passent en force. Fort Chabrol : avec un tel titre l’on s’attend à une tuerie - l’est coécrit par Dean Noton, sera pendant de nombreuses années guitariste d’Eddy Mitchell,  et Jacques Dutronc, notons que si Dutronc fut le guitariste d’El Toro et Les Cyclones, Charles Benaroch est l’ancien batteur des Cyclones – l’on a droit à une belle ballade des plus harmonieuses, Françoise Hardy la reprendra sous le titre Le temps des Copains, certes l’on aurait préféré un envol tumultueux, mais faute de grive l’on mange des merles et tout compte-fait ce n’est pas mauvais. C’est même bon. Original twist : deuxième composition Noton-Dutronc, en quoi ce twist est-il original se demandera le lecteur curieux, parce qu’il évite la tarte à la crème des riffs à grosses cordes remplacés par de légers et subtils doigtés de guitares sans parler des effleurements battériaux des plus voluptueux.

    EPL 7945

    Belle pochette, seriez-vous aussi perspicace que moi, sans vous faire languir j’attire sur votre attention sur le fait que tout comme sur le disque précédent, le batteur n’est pas sur la couve. Je ne suis pas cruel, deuxième chance : au dos de la pochette il est affirmé que parmi nos quatre fantômes se cachent un véritable fantôme écossais. Cherchez l’intru !

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    Shazam : crédité à un certain Eddy ( Mitchell  ). Une intro magique, y a de temps en temps quelques brefs passages qui fleurent la facilité, toutefois une brillante démonstration de ce que le groupe peut faire. Pas de problème, la solution c’est qu’ils peuvent tout. Cafard : composition de Dany Maranne. Comme par hasard la basse pleure à grosses larmes, ce n’est pas un blues, mais c’est triste, non pas comme la mort mais comme la vie. Les fantômes se débrouillent pour avoir une petite idée originale ou un gimmick de génie pour chacun de leurs titres. Train fantôme : attribué à Thomas Davidson, inutile de feuilleter votre Encyclopédie du rock en soixante-quatre volumes, vous le connaissez c’est le véritable nom du fantôme écossais Dean Noton qui nous vient comme il se doit d’Ecosse. Ferait un parfait générique pour un superbe film empli à ras-bord de fantômes.  De temps en temps vous avez des traces d’Apache des Shadows, pensez à Geronimo et vous serez heureux. S’-inspirent mais ne copient pas. Méfie-toi : faut toujours se méfier, je n’aurais jamais imputé ce titre triste comme un jour sans cigare à Dutronc. Entre noux, un peu faiblard et un peu facile. N’ont pas forcé leur talent. Trop attendu, même pas peur.

    EPL 7965

    Sont bien quatre sur la pochette ! Par contre ce vert glabre en fond de pochette, ce n’est pas la fête. Pour une fois ils ne sourient pas, ont l’air de s’interroger sur la manière de jouer. Sont sérieux. Est-ce pour cela qu’ils ont rajouté ‘’ Twist’’ et ‘’ Special danse’’. Quatre nuances de twist : successivement : twist, madison twist, marche twist, slowtwist !

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    Twist 33 : pourquoi 33, nous sommes sur un 45 tours ! un twist comme tous les autres twists mais joué sans effet-bœuf, un beau solo de Benaroch au milieu juste pour avertir les esprits distraits, écoutez les gars on sait jouer, des guitares sans emphase mais pile-poil, elles ne grattent pas les oreilles, elles ne font que passer, dans leur rapidité elles vous séduisent mais disparaissent si vite que vous les regrettez aussitôt qu’elles s’éloignent. Pour le 33 j’ai  une semi-réponse à intervalles réguliers une voix énonce 33. Walk don’t run : enfin un madison qui n’est pas pour les handicapés, z’avez intérêt à ne pas vous emmêler les chaussures orthopédiques si vous désirez suivre le quadrillage masidonien, une guitare hors-bord vole au-dessus de l’eau, Benaroch devrait s’appeler Benarock. Marche twist : ce n’est pas le blue- rondo à la turk mais ça défile rondement, sur la fin le morceau ils se libèrent des entraves rythmiques et la guitare nous fait le vol du papillon qui déclenche une catastrophe dans vos oreilles à l’autre bout du monde. Je ne veux pas t’aimer : Clopin-galopant, je vous mets au défi de danser un slow sur ce rythme, pour les étreintes langoureuses vous repasserez, en toute logique puisqu’ils ne veulent pas l’aimer. Le premier et le troisième titre sont des compos du groupe.

    EPL 8013

    La grosse caisse au premier plan, les Fender derrière, sont alignés comme des représentants de commerce, impeccablement serrés dans leurs costumes sombres.

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    Watch your step : un twist parfait pour de petits rats d’opéras affolés en tutus roses qui courent partout sur leurs pointes, étrange ils parviennent à ne pas rendre le twist ennuyant. Un beau chassé-croisé de guitares. Si vous jouez à chat, croyez-vous que vous réussirez à les rattraper. No man’s land : drôle de titre pour un slow, ce coup-ci, ils nous le font à la besame mucho, c’est beau, c’est lent, n’exagérons bien, ils s’appliquent comme des forts en math qui résolvent une équation, c’est parfait pour ennuyer les rockers. The mexican : pourvu que ce ne soit pas de l’exotico de pacotille, notre souhait est réalisé mais c’est pour les scènes d’amour dans un western mexicain, à la fin ils sortent leurs guitares comme s’ils dégainaient un colt, hélass aucun yankee ne se précite sous les balles. Manque un peu d’hémoglobine. Mustang : il suffisait d’attendre, la charge indienne fonce sur vous et la vie se teinte de toutes les couleurs, un petit parfum Apache, normal c’est aussi composé par Jerry Lordan, reprennent la version des Shadows mais se permettent une petite ruse de peaux-rouges sur le sentier de la guerre, ils ne copient pas, ils ne s’inspirent plus, ils innovent.   

    V 45 986

    Jamin’ the twist : Part 1 : morceau de Dean  Noton, puisqu’ils disent que c’est un twist on les croit, plutôt un morceau hors-norme où ils se laissent la bride sur le cou, c’est fabuleux à entendre, se donnent à fond, sont loin des cadresors, un morceau pour les juke-boxes, Fantômes en liberté. Jamin’ the twist : part 2 : quand c’est fini on recommence, on eût aimé que Vogue ait eu l’audace de leur filer non pas l’espace d’un 45 tours deux titres mais les deux faces d’un trente centimètres.

    L’année 62 s’achève : sortiront encore une ribambelle de 45 Tours deux titres pour les Juke-boxes déjà parus et un 33 tours :

    LD 580

    TÊTE-A-TÊTE AVEC LES FANTÖMES

    Une photo désastreuse : sont alignés comme des boites de petits pois sur l’étagère d’une épicerie.

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    La Schlap / Je ne veux pas t’aimer / Walk don’t run / Cafard / Marche twist / Train fantôme / Shazam / Shazam / Méfie-toi / Golden earrings / Fort Chabrol.

    La schlap : dire qu’à l’époque fallait racheter ce 25 centimètres pour ce seul morceau qui ne figurait pas sur les 45 tours. Un de leurs meilleurs titres, une autoroute sans limitation de vitesse pour Benaroch !

    1963

    EPL 8055

    Un peu ridicules, en rang d’oignons dans leurs costumes marron et leur nœuds papillons noirs. Quel manque criant d’imagination !

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    Archimède : un grand esprit dans une conversation change la donne, n’ont jamais sonné ainsi nos Fantômes préférés, en font peut-être un peu trop pour que l’on ne s’ennuie pas, démonstration réussie, l’originalité déconcerte mais finit par l’emporter. C’est un principe. Reflexion : devaient être dans une période d’incubation intellectuelle, c’est que l’on doit appeler de la science molle, un slow escargot, la compo est de Dean Noton. Suis sûr que votre cavalière a dû s’ennuyer. Nous aussi. Le grand départ : ils ont bien fait de partir, chaque fois que Dany écrit une compo il pose sa basse au premier plan du début à la fin, alors les copains sont bien obligés de se pousser dans leurs derniers retranchements pour se faire entendre. Résultat, sans être grandiose, ce n’est pas mal du tout. Lover’s guitar : en traduction éloignée ils l’ont surnommée : Je t’aime tant. La guitare se la joue à l’italienne, gaie et entraînante, pas très finaude… par contre les dernières vingt secondes exigent une écoute attentionnée. L’on retrouve parmi les signataires du morceau la ravissante Eileen qui enregistra Love is strange avec Mickey Baker.

             Zut Pasut est parti à l’armée il est remplacé à la rythmique par Jean-Claude Chane ancien chanteur des Champions. L’armée et la guerre d’Algérie ont été deux grands facteurs de destruction des groupes rock de la première génération… Re-zut, Pasut finira cadre-sup chez Total !

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    Fond gris pour la pochette qui offre leur plus grand succès.

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    Loop de loop : j’en avais gardé un autre souvenir, magnifié par la beauté sonore du titre, ils cherchent à se renouveler, une démarche similaire à celle des Vautours, introduction de chœurs féminins et masculins qui occultent par leurs incessantes jacasseries les guitares.  L’on entend très distinctement les filles articuler Yé-Yé-Yé. Décevant. Pas raté, loopé. Marche des aigles : batterie et guitare cristalline, z’ont attrapé le son des Vautours. Un plom-plom de basse, l’on pense que c’est terminé mais non, nous n’en sommes qu’à la moitié. Ce n’est pas qu’ils se cherchent, c’est qu’ils ne se trouvent pas. Partisans : sont allés jusqu’en Russie ce qui nous vaut un morceau tonique, drivé par une batterie folle, sur laquelle les guitares brodent à satiété. Une réussite. Bastic : Dean se rattrape de sa Marche des aigles qui volaient trop bas, dans la continuité du précédent, tambours en avant-garde, cordes lugubres, de temps en temps graciles, juste ce qu’il faut pour rehausser la profondeur nocturne de l’atmosphère.

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    Une pochette qui tranche sur toutes les autres, pleines têtes, préfiguration ou influence des premiers 45 tours français des Beatles…

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    Hully bach : la connexion via Eileen avec Mickey Baker n’était pas due au hasard, voici une reprise du Maître. Les Fantômes tels qu’on les aime, très électrique avec de chœurs qui ont quitté l’air nounouille qu’ils avaient sur Loop de Loop. Moulin Rouge : typically french, un sous-entendu de valse, les guitares flottent dessus comme des cigognes qui bâtissent leurs nids sur les cheminées. Que ton cœur me soit fidèle : un titre de Barbara Lynn, chanteuse et guitariste américaine. Introduction d’un orgue et de chœurs féminins qui accaparent toute la place et changent totalement le son de notre quatuor. Tolhrac : ne me demandez pas ce que signifie, pour ce titre il faut remplacer leur ‘’ big sound’’ guitare par ‘’enormous sound drummin’’. Explosif ! Un des meilleurs titres du groupe. Benaroch éblouissant.

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    LES FANTÔMES

    Une pochette sympathique bien supérieure à leur premier 25 cm.

    Loop de loop / Black bird / Marche des aigles / Moulin Rouge / Que ton cœur me soit fidèle / Partisans / Summertime / Tolhac / Archimède / Bastic.

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    Black bird : une sucette à la fraise, toute douce, toute sucrée, parfaite pour un slow d’été, vous l’écoutez une fois et vous l’oubliez, des chœurs en pagaille, mais ce qui manque en fait c’est un chanteur pour faire passer la pilule. Summertime : dommage qu’il y ait ces chœurs qui n’apportent rien, les guitares dramatisent, la basse enfunèbre, la batterie imperturbablise. Une belle version tout de même.

    1964

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    Belle couve d’André Nisak, trois guitares pour quatre garçons. Dans la continuité du 45 tours précédents.

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    Les yeux noirs : attention cette vieille romance tsigane a été magnifiée par Django Reinhardt, l’existe une vidéo sur YT, au bord de la mer, où nos boys fantomatiques l’interprètent à toute vitesse, pas fous qui oserait rivaliser avec les nuances de Django, ces yeux noirs pétillent de malice et ne sont voilés d’aucune nostalgie. Caravane : ne doutent de rien, après Django, Ellington ? La vérité c’es que depuis quelques mois ils se sentent à l’étroit dans cette formule instrumentale… Cet EP sera le dernier disque des Fantômes… Ne vous la ménagent pas cette vieille caravane, l’ont attelée et elle cahote méchamment sur une route non goudronnée, Michel Gaucher (Chaussettes Noires puis Eddy Mitchell ) est venu avec son saxophone, l’est capable de faire à lui tout seul autant de bruit que la section cuivrée de l’orchestre du Duke.  Elle est bien bonne : guitares bruyantes et rires caverneux, même pas une minute trente, plutôt un gimmick qu’un morceau. S’écoute avec plaisir.

    Stone city : dernier titre, le rideau tombe, la nostalgie nous étreint déjà…

     

    Dean Noton a disparu en 2020. Dany Maranne rattrapé par son passé de mauvais garçon sera abattu de sept balles devant chez lui à Alfortville, le 16 juin 1988… Le 16 décembre 2006 les Fantômes organiseront en hommage à Danny Marranne un ultime concert à Alfortville.

    Les Fantômes furent et de loin le meilleur groupe de rock instrumental français. Ils accompagnèrent beaucoup d’artistes et notamment Gene Vincent.

    Nous croyions être désormais tranquille mais :

    2022

    ANTHOLOGIE

    LES FANTÖMES

    ( Williamsong Music )

    Fort Chabrol / Walk don’t run / Loop de loop / Bastic / Hully Batch / Tolhrac / Cafard / Les Yeux noirs + 7 inédits

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    No Stalgie : ( Charles Benarrach ) :bien sûr c’est nostalgique en diable, en plus cela dure presque quatre minutes, le temps de pleurer dans son mouchoir et de se demander si ces bandes retrouvées par Pasut et Benaroch remises en état par Joël Atlan n’ont pas été rallongées pour les besoins de la cause. Alabama song : ( Gérard Kawczynski ) : rien à voir avec les Doors, l’auteur du titre était-il présent le jour de l’enregistrement, le son ne correspond pas vraiment à celui des Fantômes. Le jeu de guitare me semble plus moderne. Agréable. Blue Sky : ( Gérard Kawczynski ) : même son et même tempo que No Stalgie. Trop long, trop différent. Twist 33 : ( Pasut – Marranne ) : n’a pas le brillant de l’original, manque de peps, et les soli de la guitare ne sont pas identiques. J’ai eu trente ans : ( Gérard Kawczynski / Maxime Le Forestier ) : ça pue la chansonnette, un son bien trop moderne, chronologiquement ça ne tient pas la route. Speedy : ( Gérard Kawczynski ) : dans la facture, ce morceau est celui qui se rapproche le plus des Fantômes, mais le son de la guitare et la manière d’en jouer ne correspondent pas. Marie Claire : ( Jean-Claude Shane ) : l’a une belle voix Jacky Shane, se remémore les belles virées sur la vieille Vespa vieux scooter de ses vingt ans, ce n’est pas mal mais rien dans l’orchestration ne rappelle Les Fantômes.

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             Sur une vidéo YT de Music TV Box le producteur Hervé Williamson - il a notamment produit Les Socquettes Blanches - nous révèle la clé du mystère, ce sont des bandes enregistrées par les Fantômes en 1984, ce qui explique la sonorité très moderne. Davantage que des inédits ce sont donc des documents qui possèdent une certaine authenticité mais qui n’ont plus trop rien à voir avec les années soixante…

             Dernières curiosités : un scopitone Loop de Loop les Fantômes qui n’est pas un chef-d’œuvre impérissable du cinéma… Beaucoup plus intéressant un extrait d’une émission de variété, on les voit interpréter Walk don’t run.

               Comme dans les tire-lires il reste toujours deux ou trois pièces qui ne veulent pas sortir, il reste encore quelques pépites fantomatiques pour une prochaine chronique.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 615 : KR'TNT 615 : CYNTHIA WEIL /MUDDY GORDY / CHUCK BERRY / LUKE HAINES / WILLIE TEE / TORONTO ROCK'N'ROLL FESTIVAL / HERETOIR / THE CASTELLOWS / LIPSTICK VIBRATORS

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 615

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    12 / 10 / 2023

     

    CYNTHIA WEIL / MUDDY GURDY / CHUCK BERRY

      LUKE HAINES / WILLIE TEE

    TORONTO ROCK ‘N’ ROLL FESTIVAL

    HERETOIR / THE CASTELLOWS

    LIPSTICK VIBRATORS

                                                                                                                                                                                                                                               

    Sur ce site : livraisons 318 – 615

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Weil que Weil

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             Goffin & King, Barry & Greenwich, et Mann & Weil furent les trois dream teams de choc du Brill, en tous les cas les plus connus. Ils sont entrés dans la légende du rock avec un tas de hits intemporels, certains co-écrits avec Totor qui n’était pas manchot quand il s’agissait de créer de la magie. «River Deep Mountain High» reste le meilleur exemple de collaboration entre Totor et Ellie Greenwich. Disons que les hits composés par Ellie Greenwich étaient les plus évidents. Ceux composé par le team Mann & Weil étaient beaucoup plus sophistiqués. Étant donné que Cynthia Weil vient de casser sa pipe en bois, nous allons lui rendre hommage avec, comme d’usage, les moyens du bord, c’est-à-dire deux bonnes vieilles compiles Ace.

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             La première s’appelle Glitter And Gold (Words And Music By Barry Mann And Cynthia Weil). Elle date de 2009. Treize ans déjà ! Chaque mois, dans Record Collector, la page de pub d’Ali Bab-Ace annonce les nouveautés et on saute systématiquement sur toutes ces compiles. C’est même une ligne de budget prioritaire. Ace d’abord, pour le reste on verra.

             Mick Patrick signe les liners de ce premier tome. On apprend qu’avant de collaborer avec Barry Mann, Cynthia bossait avec Carole King, à la demande de Don Kirshner. Puis comme elle avait flashé sur Barry qu’elle trouvait mignon (cute), elle a réussi à l’approcher pour bosser avec lui et pouf, ils se sont mariés dans la foulée. Mick Patrick dit qu’ils sont restés toute leur vie ensemble, avec, comme le font les gens intelligents, des coupures pour aller respirer un autre air. Changer de crémerie, comme on dit. Barry composait la musique et Cynthia écrivait les paroles. Voilà ce qu’on appelle un dream team. À la ville comme à la scène. Tous les ceusses qui ont vécu l’expérience du dream team dans le business créatif savent à quel point c’est une expérience irremplaçable. Monter une boîte avec une âme sœur et en vivre grassement, c’est l’expérience ultime. Après, c’est très compliqué de vivre des relations sentimentales classiques. On s’y ennuie comme un rat mort. Dans leur grande majorité, les gens n’ont aucune idée de ce qu’est une conduite de projet. Un projet est à l’image de la vie : ça se conçoit, dans l’optique d’un développement et accessoirement d’une réussite. Et c’est généralement beaucoup moins compliqué qu’on ne l’imagine. Bien sûr, il faut quelques dispositions on va dire culturelles, et une certaine vision des choses, qui inclut bien sûr un goût du risque. Il faut surtout éviter de vouloir gérer. Le rationalisme économique et l’élan créatif n’ont jamais fait bon ménage. Chacun sait qu’un bon gestionnaire peut être le pire des beaufs. Le beauf tue tout dans l’œuf. Dès qu’un mec commence à te parler de tableaux Excel, il faut se méfier.

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             Le premier gros hit de Mann & Weil est l’«On Broadway» des Drifters. À la place d’«On Broadway», on peut entendre «In The Park» sur cette compile et constater une fois encore que les Drifters chantent comme des dieux. Cynthia et Barry considèrent Don Kirshner comme leur père, même s’il n’est pas beaucoup plus vieux qu’eux. En 1964, Donnie revend sa boîte Aldon à Screen Gems-Columbia et il quitte le Brill pour s’installer dans les luxueux locaux de Columbia.

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    Ça casse un peu leur relation, mais bon, ils continuent de composer et boom, ils collaborent avec Totor et pondent le «Walking In The Rain» pour les Ronettes, et l’inexorable «You’ve Lost That Loving Feeling» pour les Righteous Brothers. C’est là que Cynthia et Barry entrent dans la légende, par la grande porte. Bien sûr, ces deux hits ne sont pas sur cette compile. Mick Patrick a préféré choisir «See That Girl», qu’il qualifie d’hidden gem. Cynthia et Barry composent aussi «Kicks» et «Hungry» pour Paul Revere & The Raiders. «Hungry» est là, extrêmement sophistiqué, et c’est Del Shannon qui tape le «Kicks» avec du power à revendre. Autre hit considérable, «I Just Can’t Help Believing» pour B.J. Thomas, le chouchou de Chips. Il fait du Fred Neil, quel fantastique chanteur ! Le premier coup de génie de la compile, c’est Bill Medley avec «Brown Eyed Woman», il a le power du diable, le même genre de power que Lanegan, il va loin dans les profondeurs, et il a des chœurs de cathédrale. Barry Mann reprendra «Brown Eyed Woman» sur Barry Mann, l’un de ses albums solo. Deuxième coup de génie avec Bruce & Terry et «Girl It’s Happening Right Now» : c’est l’apothéose de Bruce Johnston, futur Beach Boy, et de Terry Melcher, le producteur des early Byrds.

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    Le Patrick en profite pour nous rappeler que ce génie purulent de Bruce Johnston a produit l’album Survivor de Barry Mann, paru sur le label Equinox de Terry Melcher. N’en jetez plus, monsieur Patrick, la coupe est pleine ! Coup de génie encore avec The 2 Of Clubs et «Let Me Walk With You», deux filles magiques de Cincinnati qui ont beaucoup de goût (great taste) et qui font un festival. Et puis bien sûr Dion avec «Make The Woman Love Me», produit par Totor, pour bien enfoncer le clou. Le Patrick va même jusqu’à dire que Born To Be With You, dont est tirée cette merveille, is one of the best albums ever made. Ça n’engage que lui, mais il n’a pas tout à fait tort. On trouve aussi la grande Joanie Sommers avec un «I’d Be So Good For You» magnifique de sucre suprême. Elle reste l’une des reines des Sixties.

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    Magie pure encore avec Arthur Alexander et ««Where Have You Been (All My Life)», et surtout les Cinderellas et un «Please Don’t Wake Me», très Spectorish. Les Cinderellas sont aussi les Cookies, avec Margaret Ross on lead, à la place d’Earl-Jean McCrea. Ah les Tokens ! Toujours intéressants, même si «It’s A Happening World» est un peu poppy poppah. Petite révélation avec le «Chico’s Girl» des Girls, un girl-group dans la veine des Shangri-Las. Ces sales petites chipies tapent dans l’écho du temps, le temps de deux singles et puis s’en vont. Ambiance à la Righteous Brothers pour le «Magic Town» des Vogues. Donna Lauren bénéficie d’un petit Wall Of Sound pour «That’s The Boy». Elle est blanche mais elle sonne comme les Ronettes. Le Patrick indique que ce «Magic Town» est resté inédit et qu’il en existe une version par Lesley Gore. Pour «The Coldest Night Of The Year», Nino tempo et April Stevens y vont au beau chant du cygne. Sylvia Shemwell prend le lead des Sweet Inspirations sur «It’s Not Easy». Il injecte tout le gospel d’église en bois dont elle est capable. 

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             Sur la pochette de Born To Be Together - The Songs Of Barry Mann & Cynthia Weil, Cynthia et Barry forment un joli couple. Leur musique est à leur image, the Dream Team Sound. «Barry Mann and Cynthia Weil are songwriting royalty», nous dit Mick Patrick. Ils sont en effet servis par les plus grands interprètes de leur temps. Ceux qu’on épingle en premier sont Clyde McPhatter et Bobby Hebb.

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    Ce géant qu’est McPhatter descend comme une ombre sur l’«On Broadway». On se régale de sa fantastique présence vocale, de son timbre profond et tranchant. Bobby Hebb est l’un des rois du groove comme le montre «Good Good Lovin’». Fabuleux crooner de baby d’all I need. Ce sont les Ronettes qui ouvrent le bal avec le morceau titre. Magie d’époque. Ce «Born To Be Together» est beaucoup plus sophistiqué que «Be My Baby». S’ensuit l’«Angelica» de Scott Walker. C’est digne de Burt : puissant et raffiné.

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    Ace a la main lourde cette fois : voilà «You’ve Lost That Loving Feeling» des Righteous Brothers, le hit parfait et même définitif. Merci Totor. Merci Barry. Merci Cynthia. Absolue perfection de la pop de Brill. Le Patrick nous en conte la genèse : Barry et Cynthia viennent à Los Angeles pour bosser avec Brian Wilson, mais ils commencent à bosser ensemble dans leur chambre d’hôtel, inspirés par l’«I Need Your Loving» des Four Tops. Barry pond l’intro, «You never close your eyes anymore when I kiss your lips» et le premier couplet. Une heure plus tard, il a deux couplets et un titre provisoire, «You’ve Lost That Loving Feeling», qu’il compte remplacer plus tard. Le lendemain, ils vont chez Totor pour compléter la compo. Totor pianote une idée de pont sur le lick d’«Hang On Sloopy», et Cynthia miaule : «Baby I get down on my knees for you !». Ils ont le hit ! Quelques jours plus tard, Barry et Totor chantent la compo aux Righteous Brothers qui restent de marbre. Bill Medley dit : «Sounds good», et ajoute «for the Everly Brothers.» Totor leur demande d’essayer. Il dit à Bill de chanter le couplet et à Bobby Hatfield d’entrer dans le refrain. Bobby n’est pas content. Il ronchonne : «Qu’est-ce que je fais pendant que le big guy chante ?», et Totor lui balance : «You can go to the bank !». Quelques semaines plus tard, Totor a fini d’enregistrer le hit et il le fait écouter à Barry qui gueule : «Phil, you’ve got it on the wrong speed !». Bobby l’avait composé three ticks faster and a tone and a half higher. Of course, Totor savait ce qu’il faisait. Méchante histoire ! Mick Patrick conclut en indiquant que «You’ve Lost That Loving Feeling» a été le hit le plus diffusé du XXe siècle. Il ajoute que Barry et Cynthia n’ont par contre jamais composé avec Brian Wilson.  

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             On reste dans les monstres sacrés avec Dusty chérie et «I Wanna Make You Happy». elle se faufile dans la pop de Soul, elle s’adapte bien à la sophistication du couple. Nouveau coup de tonnerre avec les Animals et «We’ve Gotta Get Out Of This Place», emmené par un beau drive de Chas. Eric Burdon t’explose vite la carlingue du Gotta. Pur genius de Max la menace. On salue bien bas cette merveilleuse combinaison : Newcastle cats + Brill. Panache & power. Par contre, Barry et Cynthia détestent la version des Animals. Ils avaient composé «We’ve Gotta Get Out Of This Place» pour les Righteous Brothers, mais Barry avait montré la compo à Allen Klein qui l’a aussitôt refilée à Mickie Mort, le producteur des Animals. Barry et Cynthia étaient furieux, car Mickie Most avait charclé la moitié des textes pour en faire autre chose. Barry a réussi à enregistrer la bonne version en l’an 2000 sur son album Soul & Inspiration.

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             D’autres épouvantables merveilles arrivent à la suite : B.J. Thomas et «Rock And Roll Lullaby». Ces compiles soignées permettent de revisiter une partie de l’histoire du rock moderne à travers un choix d’interprètes somptueux. B.J. est un fabuleux crooner d’espérance, il chante de toute son âme. Pire encore : Carmen McRae With The Dixie Flyers et «Just A Little Lovin’ (Early In The Mornin’)». On se retrouve au plafond de l’étage supérieur du rock américain. Cet album fait dans doute partie des plus beaux albums de rock de tous les temps, tous mots bien pesés. Dikinson nous expliquait que Carmen avait accepté de faire un disque pop. Cette diva du jazz te déplace des montagnes, elle te balance le Little Lovin’ par-dessus les toits. Même si c’est violonné à outrance, on entend le beurre sec de Sammy Creason et le bassmatic demented de Tommy McClure, sans oublier les nappes d’orgue de Dickinson. Carmen tape dans le sommet du jazz de pop. C’est à Bill Medley qu’échoit l’honneur de refermer la marche avec «This Is A Love Song». Righteous Bill est le roi du baryton. Il sculpte le son comme Rodin l’argile. Il fait monter sa purée jusqu’en haut de l’Ararat où l’attend Moïse éberlué par le spectacle. Bill est une machine, il a dix bombes atomiques dans la poitrine, il tartine toute la pop à coups de pâté de foi, c’est un vrai charcutier, il travaille sa saucisse à pleines mains, il a vraiment des gros doigts. Vazy Bill !

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    On s’intéresse encore de près à Len Barry avec «You Baby». Ce mec est bon, même s’il est blanc. Belle pression pop. Classic New York stuff avec les Crystals et «Uptown», pur juju de silver sixties avec les castagnettes de Totor. Une belle transe d’exotica avec Rubi & The Romantics et «We’ll Love Again». Les alizés te caressent les cheveux alors que tu sirotes ton mojito. Attention à Doris Day avec «Love Him» : la mère de Terry Melcher vibre de toute sa glotte hollywoodienne. Elle a de la grâce et s’en va feuler au paradis. On croise aussi les pre-fame Slade managés par Chas, avec une version de «Shape Of Things To Come». Noddy Holder ramène tout le gras des Midlands dans la perfection pop de Mann & Weil. Tu croises aussi les Monkees avec «Love Is Only Sleeping», pur jus de Monkees, mais ce n’est pas aussi magistral que les compos de Boyce & Hart. Mama Cass Elliot a des chevaux sous le capot, comme le montre «New World Coming», mais aussi de la délicatesse. Par contre, Mariane Faithfull plonge son «Something Better» dans une belle désaille. C’est très spécial. On sent la vieille Anglaise merveilleusement anticonformiste.

    Singé : Cazengler, Weil peau

    Cynthia Weil. Disparue le 1er juin 2023

    Glitter And Gold (Words And Music By Barry Mann And Cynthia Weil). Ace Records 2009

    Born To Be Together. The Songs Of Barry Mann & Cynthia Weil. Ace Records 2013

     

     

    Muddy Gurdy manne

     - Part Two

     

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             Toujours une sorte de joie dionysiaque que de retrouver Muddy Gurdy sur scène. Tia te tient par la barbichette, avec sa sulfureuse mixture de North Mississippi Hill Country Blues, de vielle moyen-âgeuse, de boogie des champs de Millet, de vierges noires, de chants de laboureurs et bourrées auvergnates.

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    Elle propose tout simplement un art unique au monde, mais visiblement ça n’intéresse pas grand monde. Elle porte ce soir-là un délicieux taille basse et un haut très haut qui nous permet de loucher sur un ventre parfait. Elle reste en mode trio et l’homme à la vielle qui s’appelle Gilles Chabenat veille aux climats et drive le meilleur des bassmatics, celui qui a le dos rond et qui rôde dans l’ombre.

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    Sur scène, Tia invite tous les géants de la terre, Sam Cooke, J.B. Lenoir, R.L. Burnside, Fred McDowell, et pour faire bonne mesure, deux géantes, Jessie Mae Hemphill et Billie Holiday. Sa cover de «Strange Fruit» est fracassante de véracité. Tia jette dans la balance toute sa vénération pour Billie. Elle parvient à remoduler ces intonations à la perfection. C’est le meilleur hommage à Billie Holiday qu’on ait pu entendre jusqu’alors. Hommage d’autant plus marquant qu’il émane d’une blanche.

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    Un «Strange Fruit» qu’on retrouve aussi sur son dernier album, Homecoming. Même chose pour le «Chain Gang» de Sam Cooke, l’«You Gotta Move» de Fred McDowell, le «Down In Mississippi» de J.B. Lenoir et le «Tell Me You Love Me» de Jessie Mae Hemphill. Toutes les covers sont admirablement drivées et interprétées, elle est dans son monde magique et en fait profiter les gens. Elle a laissé tomber les Junior Kimbrough et le «She Wolf» de Jessie Mae Hemphill de la première époque. Mais elle garde quand même un vieux shoot de R.L. avec «Way Down South» dont elle restitue tout l’éclat.

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    Elle indique en présentant le cut qu’il est un peu devenu un hymne là-bas, dans le Mississippi. Elle termine ce fabuleux set avec un «Skinny Man» qui n’est sur aucun album, solide boogie blues monté sur un bassmatic de vielle dévorant. Et puis en rappel, ils proposent le vieux Gotta Move de Mississippi Fred McDowell qu’ont tapé les Stones en leur temps.

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             Homecoming est donc un album qui grouille de puces. Tu vas te gratter pendant une heure, mais tu vas adorer ça. Tia Gouttebel commence par taper dans Jessie Mae Hemphill avec «Lord Help The Poor & Needy». Avec la vielle, ça prend vite des tours historiques, au sens du moyen-âge, mais Tia contrôle bien la situation. Il y a plus d’esprit dans ce cut que de cheveux sur la tête à Mathieu. Avec la sauvagerie du beat moyen-âgeux, The Poor & Needy te monte vite au cerveau. Elle tape ensuite dans le «Chain Gang» de Sam Cooke, elle shake sa chique au ouh ah, elle rend un bel hommage aux forçats. On reste chez les géants avec J.B. Lenoir dont elle reprend le fabuleux «Down In Mississippi». Wow, Tia ! Elle y va au jeebee, elle plonge profondément dans le down, cet hommage est l’un des plus beaux du genre. Elle revient à son cher North Mississippi Hill Country Blues avec «MG’s Boogie», le boogie de Muddy Gurdy. Elle cavale à travers la plaine avec un brio stupéfiant. Elle attaque son «Land’s Song» au going down to the river. Tia est une pure et dure, comme on l’a déjà dit. On croise plus loin deux autres coups de Jarnac mythiques : une reprise de «Strange Fruit» (joli clin d’œil à Billie Holiday, avec le vent et la corde qui craque, elle est en plein dans le génie macabre du poplar tree) et puis elle tape aussi une version d’«You Gotta Move», le vieux classique de Mississippi Fred McDowell. Elle balaye les Stones. C’est sa cover qui fait foi. Elle chante du ventre. Avec un son qui monte. C’est mille fois plus movin’ que la version des Stones. On entend des coups sauvages de slide dans «Another Man Done Gone» et elle gratte l’«Afro Briolage» au fast trash punk-blues. C’est battu au beurre sauvage. Le mec qui chante s’appelle Maxence Latrémolière. Avec «Black Madonna», Tia se tape un beau deep gospel blues. Elle ramène son Moyen-âge chéri dans le gospel. Quelle merveilleuse artiste ! Elle finit avec sa chouchoute Jessie Mae Hemphill et «Tell Me You Love Me». Tia tape toujours dans le mille.

    Signé : Cazengler, Muddy Gourdin

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    Muddy Gurdy. Le 106. Rouen (76). 3 octobre 2023

    Muddy Gurdy. Homecoming. L’Autre Distribution 2021

     

     

    Wizards & True Stars

    - Chuck chose en son temps

    (Part Two)

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             S’il fallait établir le hit-parade des plus gros délinquants de l’histoire du rock, Chuck Berry paraderait en tête, talonné par Steve Jones. Tous les deux ont ce qu’on appelle le diable au corps, mais c’est à une autre échelle que celle du petit roman de Raymond Radiguet qui fut, t’en souvient-il, le poulain de Jean Cocteau. Mais ici, c’est la notion de diable qui nous intéresse, pas l’histoire littéraire, bien que les deux soient intimement liées. Si l’on considère le rock comme l’œuvre du diable, alors il n’est d’accès possible au diable que par la littérature, et donc par l’histoire littéraire. En cas d’absence de culture littéraire, ça donne ce que les Anglais appellent du blank. Dans la vie, tu as le choix : soit tu regardes le journal télévisé midi et soir pour cultiver ta beaufitude, soit tu lis Cocteau, et éventuellement Radiguet, et tu écoutes Chucky Chuckah, qui en plus d’être l’un des génies du XXe siècle, avait pour singulière particularité de vivre selon la loi de sa bite, une version américaine du fameux Jean-Foutre La Bite d’Aragon. Une façon comme une autre de dire que cet homme a vécu sa vie à outrance. Le lien avec le Marquis de Sade paraît assez évident. Tant qu’on y est, on peut encore se fendre d’un joli parallèle : ces deux oiseaux ont bâti une œuvre à partir de l’overdrive libidinal, c’est-à-dire l’obsession sexuelle. Nadine, c’est Justine. 

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             Alors que tu feuillettes le dernier numéro de Record Collector, voilà que tu tombes sur la chro d’une nouvelle bio de Chucky Chuckah. Tu te dis : «Oh la la, encore une, on connaît toute l’histoire pat cœur, alors à quoi bon ?». C’est là où tu te fous le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Tu crois connaître et tu ne connais pas grand-chose. Quand cesseras-tu enfin d’être si prétentieux ? Hâte-toi de te débarrasser de ton orgueil avant qu’il ne soit trop tard et qu’on t’enterre avec. Ceux que Barbey D’Aurevilly qualifiait de diaboliques acceptent aisément l’idée d’être enterrés avec leurs péchés, oui, mais certainement pas avec des tares.

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             Le book s’appelle Chuck Berry: An American Life et l’auteur RJ Smith. Jamais entendu parler du Smith en question, mais tu passes des heures extrêmement denses en sa compagnie. Il réussit l’exploit de réinstaller Chucky Chuckah sur le trône de roi du rock’n’roll, un trône qu’il partage bien sûr avec Elvis, Little Richard, Jerry Lee, Fatsy et Gene Vincent. Il faut à Smith 400 pages pour réussir cet exploit qui n’en est pas un, puisque tout le monde connaît l’histoire du trône. Mais Smith fouille dans la vie de ce co-roi et dissèque tellement les deux faces du personnage - l’obsédé sexuel et l’artiste superstar - qu’il finit par extraire l’homme de la gangue du mythe pour le rendre accessible, le temps d’un book. D’autres ont essayé, comme Peter Guralnick, avec Elvis, mais Elvis n’avait pas le même type de rapport avec le diable. Grâce ou à cause de Guralnick, Elvis est resté pris dans la gangue de son mythe. Grâce ou à cause de Smith, Chucky Chuckah en est sorti pour redevenir un homme en proie à ses démons. Humain, trop humain, comme dirait l’autre.

             Si tu es fan de Chucky Chuckah, ou plus simplement fan d’histoires de vie extra-ordinaires, alors il faut entrer dans ce fat book. Smith ne t’épargne aucun détail, ni sur les procès, ni sur les chefs d’accusation, Chucky Chuckah a poussé le bouchon assez loin, queuttard pathologique, voyeur, il a collectionné toutes les déviances, rien ne pouvait assouvir sa faim de petites chattes blanches. Mais en même temps, il écrivait des chansons, ce qui le distinguait d’Elvis, de Little Richard et de Gene Vincent. Chucky Chuckah baisait des blanches tout en créant un monde. Smith le qualifie même d’«one of the great makers of the twentielth century». Smith ajoute que c’est à partir de «Maybellene» que les Américains ont commencé à utiliser couramment l’expression «rock’n’roll».  

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             Jamais en panne d’idées, Smith propose très vite un autre parallèle, cette fois avec Ike Turner. À leurs débuts, Chucky Chuckah et Ike sont en concurrence, et les autres sont loin derrière - We was the biggest shit around, dit Chucky Chuckah - Les deux sont confrontés au racisme, alors que le père d’Ike est lynché par un gang de blancs de Mississippi, Chucky Chuckah est confronté à un racisme urbain plus «fluide». Ike reste concentré sur le blues, mais Chucky Chuckah écoute la radio. Et c’est là où Smith fait son entrée triomphale dans l’art de bio : il explique à longueur de récit que Chucky Chuckah observe et écoute. Il se nourrit de diverses influences. Il se nourrit littéralement de l’Amérique pour lui offrir en échange des chansons aussi intemporelles que celles de Charles Trenet, c’est-à-dire des chansons poétiques, mélodiques et tout simplement magiques. Il travaille sa diction, il cherche à intégrer «a country feel» - so that it was harder and whiter - il met du poids dans ses mots, et s’arrange pour qu’ils tombent pile sur le beat. Chucky Chuckah : «When I went into writing ‘Maybellene’, I had a desire or intention to say the words real clear. Nat Cole taught me that. Nat Cole had a diction that was just superb.» Il travaille en même temps sa technique de gratte - In 1954 he was playing full choruses without repeating things - Ça n’a l’air de rien comme ça, mais on voit très peu de guitaristes capables de se réinventer à chaque solo. Dick Taylor est un autre exemple : jamais deux fois le même solo. Puis Chucky Chuckah flashe sur le pouvoir de l’automobile. Maybellene adore les automobiles, surtout les V8 Fords. Les automobiles, c’est pratique pour baiser des blanches en chaleur. Surtout la Cadillac. Et baiser des blanches en chaleur, pour un blackos, c’est une façon de défier l’Amérique des racistes blancs - Ridin’ along in my automobile/ My baby beside me at the wheel - Chucky Chuckah va toutes les baiser. Smith le voit comme un «astronaute afro-américain en mission pour violer toutes les pratiques contractuelles, culturelles, sociales et légales.» Chucky Chuckah va surtout violer les lois, comme on va le voir.

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             Avec «Thirty Days», il fait du hillbilly boogie : il rentre chez les blancs par la grande porte, c’est-à-dire la radio. Avec «School Days», il invente la modernité - Hail hail rock’n’roll/ Deliver me from the days of old - Il fait même coup double, selon Smith : il sort «the first protest song of rock’n’roll, a protest against boredom.» - Long live rock and roll/ The beat of the drum is loud and bold/ Rock rock rock and roll/ The feelin’ is there/ Body and soul - Il ne se limite pas à écrire des chansons intemporelles. Il énonce aussi des postulats. Un journaliste lui demande si l’on peut établir un lien entre le rock et le boogie woogie, la country et le blues, alors Chucky Chuckah lui susurre ceci : «No, you can’t draw any lines like that. Vous ne pouvez pas établir un lien entre la science et la religion, man ! Même le fil d’une lame de rasoir est rond, si vous le regardez de près. C’est comme une ombre sur le mur - no sharp edges.» Et voilà comment Smith réussit à nous inoculer le poison toxique de la pensée Chucky-Chuckienne. Il y a le contenant et le contenu, le deepy deep du contenu et la diction malaxée du contenant. Cet homme extrêmement intelligent swingue sa diction. En citant la réponse de Chucky Chuckah, Smith passe l’any d’any lines like that en ital, pour marquer l’emphase orale. Smith écoute la voix de son maître. Quand un journaliste demande : «This music, called the Big Beat, do you think it’s here for a few more months or a few more years?», Chucky Chuckah lui répond avec délectation : «It’s been  here.» Il insiste et répète comme s’il chantait, «It’s been here. No it’s been here for a long while. As long as music will be here. It’s rhythm and Soul put together, that’s this big beat that you speak of. No it isn’t new - it’s new to a lot of people, believe me. But it’s not new. Beeeeeen around a long tiiiime, just being introduced under a new name.» Pareil Chucky Chuckah met le poids sur l’here d’it’s been here. Et pour que sa phrase prenne encore du poids, il ne dit pas for a long time, mais for a long while, parce que ça sonne mieux. Chucky Chuckah fait bien sûr référence à Congo Square qu’il est allé voir lorsqu’il se produisait à la Nouvelle Orleans. Been here for a long while, c’est quatre siècles d’esclavage. Chucky Chuckah est l’un de ceux qui a su le mieux régler ses comptes avec l’Amérique blanche esclavagiste.

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    ( Newport 1958 )

             Il s’y est pris différemment. Alors que Little Richard (et Jerry Lee) incarnaient Shiva the Destroyer, Chucky Chuckah bâtissait son œuvre et s’assurait que les fondations allaient tenir. Smith ajoute : «Little Richard was religion, or if you want, oblivion. Chuck was pure fun.» Et il est passé comme une lettre à la poste. L’un de ceux qui a le mieux compris l’emprise de Chucky Chuckah sur son temps, c’est Jim Dickinson qui a rassemblé tous ses talents sous un seul patronyme : Chuckabilly. Quand Chucky Chuckah va jouer au Newport Festival, il s’y rend au volant de sa Cadillac rouge, décorée d’une rangée de klaxons sur l’aile, avec des stores vénitiens sur les vitres arrière et une queue de raton laveur accrochée au pot d’échappement - It was like the Sex Pistols pulling into a megachurch - Et Smith pousse le bouchon encore plus loin : «Jack Johnson. Sugar Ray Robinson. Chuck Berry. African American grandeur. Ce n’était pas l’affirmation collective du talent qu’incarnaient les géants du jazz qui régnaient à Newport, this was stick-your-neck-out star power. It was style and fire, condensed like the Hope Diamond», c’est-à-dire le plus gros diamant d’Amérique. Quand Chucky Chuckah tourne en Angleterre, il rivalise d’élégance avec les British groups, le voilà en «bespoke suits, brass buttons, leather shoes, ties monogrammed», «a towering Black dandy confounding assumptions about the wild man of beat music». Smith rappelle un autre élément fondamental : «Rien ne pouvait garantir que la musique allait prévaloir. Même chose pour l’égalité raciale, qui n’est toujours pas acquise. The originators were different from us. Operating in chaos, they acted like they had already won.» 

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    ( Wembley 1972 )

             Et puis Chucky Chuckah continue de faire ce qu’il a toujours fait, always thinking, always listening. Il garde deux books à portée de main, un dico, et un dictionnaire des synonymes et des antonymes. Il fume des Kool menthol. Il passe partout, surtout au festival de Wembley où Little richard se fait huer et le MC5 sortir à coups de canettes pleines - lucky to be alive - Creem : «Only Chuck Berry was wonderful as ever.» Tous ceux qui l’ont vu sur scène le savent, ce mec est une épouvantable machine, un juke-box à deux pattes, sans doute l’artiste le plus complet qu’on ait pu voir à l’époque sur scène. Tout au long de sa vie, Chucky Chuckah n’a compté que sur lui-même, d’ailleurs il s’en explique merveilleusement bien : «The religion that I have is yourself. You gotta depend on yourself. In the end, it’s really up to you.» Pas d’ami. Pas confiance. Et il ajoute : «God gave man free will and he’s infinite. His possibilities are infinite and the only person who can evolve is you.» C’est clair comme de l’eau de roche, mais ça l’est encore plus dit par Chucky Chuckah.

             Il arrive seul au concert, il repart seul. Pas de répètes, pas de set-list, peu d’instructions, juste «watch my foot». Smith sort aussi un épisode extrêmement significatif : la scène se déroule en 1979 à Palo Alto. Chucky Chuckah joue dans un bar et un jeune blanc barbu s’est permis de jouer de l’harmo pendant son set. Alors Chucky Chuckah le fait monter sur scène, passe son bras autour de ses épaules et déclare au public, mais aussi à l’univers tout entier : «Voici cent ans, il était mon maître. Maintenant, il est mon fils. Come on up here, son, and blow your harmonica. Only when I’m pointing to you.» Il met l’emphase sur deux mots : son et l’Only d’Only when I’m pointing to you. Et Smith ajoute ceci qui semble fondamental : «Chaque soir, entre 1955 et l’an 2000, les shows de Chuck Berry sont devenus a portable Civil War memorendum. Somebody had to pay and Chuck was all about getting paid, right down to extracting reparations from ramdom harmonica players.» Il est le seul à avoir réussi cet exploit. Ni Martin Luther King, ni Malcolm X, ni Spike Lee n’ont réussi à faire payer les blancs. Le seul qui a su le faire, c’est Chucky Chuckah. Cash. C’est la raison pour laquelle cet homme est un héros des temps modernes. Avec ses chansons, il a redéfini les règles, «the letter of the law», celles qu’on avait utilisé contre lui, alors il les a démontées pour en faire d’autres, les siennes - If the law was the American way, space would be found in it for him. Here too he would be explaining America to Americans, night after night - Il réclame du cash, toujours plus de cash. Comme la salle est pleine et que le public le réclame, il tient bon.

             Il garde miraculeusement les idées claires : «I never looked for recognition. I just wanted to see how far a person could go if he applied himself.» Il rappelle qu’il a toujours adoré inventer. Son père bricolait un système de mouvement perpétuel, comme le fit ici Tinguely - I like to make things and go to places - Il récite un poème de Tennyson, Break Break Break, scande ses strophes à propos du temps et de la mort, le travail des mains, le mouvement perpétuel, la poésie qui a toujours été autour de lui - So we put it on the music, actually - Mais c’est une poésie typiquement américaine, Smith s’en gargarise, «the candy store, the soda fountain, the grill, the dinner» et il tire l’overdrive : «Pop’s Chock’lit Shoppe, Arnold’s Drive-in, Bob’s Big Boy», tout cette teen culture swingue toute seule, Chucky Chuckah l’observe pour la faire couler dans ses hits.

             Et puis voilà le délinquant. En 1944, Chucky Chuckah et ses deux potes siphonnent des réservoirs, fracturent des portières, volent dans les magasins et se collent aux fenêtres des salles de bain pour reluquer des grosses femmes blanches à poil. Un beau jour, ils montent tous les trois à bord de l’oldsmobile et décident d’aller à Los Angeles. Au bout d’une heure de route, ils s’arrêtent pour casser la graine au Southern Air, à Wentzville, mais on refuse de les servir à table. Les nègres doivent aller commander derrière, à la porte de la cuisine - Quarante ans plus tard, Chucky Chuckah rachètera ce restaurant, histoire de laver l’affront - Ils roulent, puis le copain Skip va braquer une boulangerie : 62 $. Le lendemain, ils arrivent à Kansas City et Chucky Chuckah va braquer un coiffeur avec son broken pistol : 32 $. Le cinquième jour, ils braquent un magasin de fringues : 51 $. Bien sûr, ils se font poirer, direction le trou. Le père de Chucky Chuckah réussit à trouver un avocat pour 125 $. Le jugement dure 20 minutes et ils se prennent tous les trois dix piges dans la barbe. Chucky Chuckah est envoyé à l’Algoa Intermediate Reformary for Young Men. Il va y moisir trois piges. C’est le premier épisode de sa carrière de délinquant. En 1959, il est à nouveau condamné pour violation du Mann Act (traverser une frontière d’état en compagnie d’une mineure blanche) et port d’arme illégal. 5 piges pour le port d’armes, et 5 pour le Mann Act. Comme dans le premier cas, Chucky Chuckah est victime de l’effroyable brutalité des juges blancs. Il fait appel et un juge finit par le condamner à 3 piges et à 5 000 $ d’amende. Il est obligé de fermer son club, le Bandstand, «a business run by a flamboyant Black man.» Smith rappelle qu’Edgar Hoover est obsédé par les affaires de sexe inter-racial, et donc l’idée du Bandstand ne passait pas : un club où les Blacks et les blanches peuvent danser ensemble, non ! Chucky Chuckah aimait rouler dans sa Cadillac rose, il aimait baiser à l’arrière avec une blanche, pendant que Johnnie Johnson conduisait - He was a target, a victim and victimizer.   

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             La deuxième fois qu’on l’envoie au trou, il atterrit à Springfied, Missouri. Là il apprend à jouer aux échecs et à taper à la machine. Il prend des cours de compta et de business management, et passe un diplôme. Il récupère une guitare et écrit des chansons qui vont figurer parmi les plus importantes de sa carrière : «Nadine», «No Particular Place To Go», «Promised Land», «Tulane» et «You Never Can Tell». C’est drôle, chaque fois qu’on tape ces titres, on les entend dans la tête, surtout «You Never Can Tell» - C’est la vie/ Say the old folks/ It goes to show you never can tell - encore un hit magique. On est chaque fois frappé par l’élégance mélodique et rythmique de ces vieux hits, et par leur modernité. Par contre, la versions des Stones vieillissent mal. Quand il sort du trou, Chucky Chuckah est assez content : «Quand je suis rentré chez moi, je savais ce qu’était une société. Je connaissais la comptabilité. Plus, it’s easy to count my blessings as well as my misfortunes and I did. And I weighted them. I came back in a better position to handle life.» Les blancs racistes n’ont pas réussi à le briser. Chucky Chuckah revient dans le circuit, plus solide que jamais. 

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             Côté influences, il en reconnaît deux : Charlie Christian - The greatest guitar player that ever was - et Carl Hogan, le guitariste de Louis Jordan - Most of my guitar licks came from Carl Hogan and Charlie Christian, lâche Chucky Chuckah dans un soupir. Smith apporte des précisions qui nous éclairent sur le style de Chucky Chuckah : «Hogan payed on the top of the beat, which was fresh, and he put his weight on the second and fourth beat in the measure, and these two things rendered him sly, together, casually commanding. Never playing too much.» Tout le chuckle de Chucky Chuckah vient de là. Le ding-a-ling.

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             C’est en 1955 qu’il débarque à Chicago, the blues town. C’est là que se trouve Muddy Waters. Chucky Chuckah veut le rencontrer. Il le chope au Drew Drop Lounge. Muddy lui donne l’adresse de Chess et lui dit que le bureau ouvre à 9 h et que Leonard le renard arrive à 10 h - Dis à Leonard que tu viens de ma part - Chucky Chuckah le chope le lendemain matin, Leonard l’écoute et lui dit de revenir avec une démo. Chucky Chuckah se magne de rentrer à Saint-Louis enregistrer sa démo avec Ebbie Hardy et Johnnie Johnson. C’est un fast hillbilly cut, «Ida Mae», pompé sur «Ida Red». Il ramène la démo à Leonard le renard. Et en mai 1955, Chucky Chuckah enregistre chez Chess. Il observe attentivement, voit que Phil n’est qu’un sous-fifre, le big kingpin, c’est Leonard le renard. Il voit aussi que le kingpin ne connaît qu’un seul mot : motherfucker. «Il le dit quand il est contrarié, quand il est excité ou quand il ne sait pas quoi dire.» Motherfucker ! Dans le studio se trouve Willie Dixon, the centerpiece of the Chicago blues scene. Ils rebaptisent «Ida Mae» «Maybellene». Chucky Chuckah dit que c’est lui qui rebaptise, Johnnie Johnson dit que c’est Leonard, enfin bref, on s’en fout, «Maybellene» est un cut révolutionnaire pour l’époque. Phil Chess : «This was an entirely different kind of music.» 36 prises. Chucky Chuckah entre dans la cour des grands, un an après Elvis («That’s Alright Mama»), quelques mois avant Little Richard («Tutti Frutti») et un an avant Gene Vincent («Be-Bop A Lula»). Mais il est vite confronté aux méthodes brutales de Leonard le renard. Quand il reçoit son premier chèque de song-writing royalties, il voit les noms de deux co-writers associés au sien : Russ Fratto et Alan Freed. Dans cette affaire, Chucky Chuckah n’est pas le seul délinquant. Leonard le renard est encore plus roublard. Il monte une boîte, ABC, qui lui permet de ne pas verser de royalties sur les ventes aux artistes, même s’il s’agit de 2 cents par disque vendu. Au lieu de lui rentrer dans la gueule, Chucky Chuckah va en prendre de la graine.

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             Il va faire du biz à sa façon. Il devient son propre Colonel Parker. Il part en tournée et gère tous le biz à SA façon. Le book de Smith regorge de biz, c’est un bonheur que de lire ces pages. La première chose que Chucky Chuckah fait quand il part en tournée, c’est charger son flingue. Avant son deuxième séjour au Club Med, son cachet s’élevait à 1 200 $, et à sa sortie, il est passé à 2 000 $. Pendant une tournée anglaise organisée par Don Arden, Chucky Chuckah leur fait le coup du supplément : il doit monter sur scène à L’Hammersmith Odeon et s’enferme dans sa loge. Il réclame 1 000 $ supplémentaires. C’est Eric Burdon qui observe la scène, hilare : il voit le gangster Arden et son gorille Peter Grant à quatre pattes glisser du cash sous la porte et supplier Chucky Chuckah de sortir. De l’autre côté de la porte, il en rajoute : «Nah, it’s still another 500 bucks till I come out.» Il pousse le bouchon, il a raison. Et dans la salle, les rockers s’impatientent et menacent de tout casser.

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    ( Toronto 1969 )

             En 1966, Chucky Chuckah quitte Chess pour Mercury qui lui propose le pactole : 60 000 $. Leonard le renard lui serre la main et lui souhaite bonne chance, ajoutant qu’il sera de retour dans trois ans. No bad feelings. Just a buiness deal, dit Chucky Chuckah. John Phillips, qui organise le festival de Monterey, l’invite : il lui explique au téléphone qu’il va devoir jouer à l’œil, car c’est un concert de charité, et Chucky Chuckah lui répond : «Chuck Berry has only one charity and that’s Chuck Berry. $2.000.» Cette cloche de Phillips conclut en disant qu’il ne pouvait pas faire une exception et c’est non. Un autre témoin voit Chucky Chuckah «négocier» avec un promoteur, juste avant un concert. Chucky Chuckah compte ses billets et dit au blanc : «This is short.» Puis il monte sur scène, accorde sa guitare et dit au public que les amplis ne correspondent pas à ce qui est écrit sur le contrat, alors il sort de scène. Il retourne voir le promoteur avec sa mallette, l’ouvre et le mec y rajoute du cash. Et puis il y a ce concert à Paris avec Jerry Lee. Un premier mai. Shoote habituelle avec Jerry Lee pour la tête d’affiche. Chucky Chuckah accepte de passer avant Jerry Lee for a little more cash. Mais quand il voit le stade plein comme un œuf, il se dit qu’il n’a pas demandé assez. Il demande un très gros supplément. Les Français expliquent que c’est une fête socialiste - Mr Berry, you do not understand. We are socialists - Chucky Chuckah : «Fuck socialism. I want my money.» Et puis il y a l’épisode le plus célèbre, celui du film Hail Hail Rock’n’Roll. La réalisatrice estime que Chucky Chuckah a «extorqué» 800 000 $ à la production. «Ils veulent le faire répéter ? Ça coûte tant. Utiliser ses amplis pour le film ? 500 $ cash. Aller chercher Linda Ronstadt à l’aéroport ? 500 $ pour utiliser la bagnole.» Keef qui observe tout ça éprouve de l’empathie pour cet homme qui se bat avec ses moyens. Le concert final qui doit être filmé a lieu au Fox Theatre et Chucky Chuckah demande du cash en plus pour le premier soir et 25 000 $ supplémentaires, cash, pour le concert final. Stephanie Bennett réussit à rassembler le cash, le fourre dans une enveloppe en papier brun, frappe à la porte de la loge, et balance l’enveloppe dans la gueule de Chucky Chuckah - It hit him in the head - Tous ces détails sont importants, ça permet de situer les choses. Inutile de préciser que Bennett est blanche. Dernière chose à propos de ce film : c’est Steve Jordan qui a assemblé le backing band. Il fallait bien sûr faire venir Johnnie Johnson qui à l’époque conduisait un bus pour vivre. Il a accepté de venir, à condition qu’on lui paye des dents neuves, ce que Bennett a fait.

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             Chucky Chuckah a fréquenté pas mal de gens intéressants, à commencer par Bo Diddley. Ils ont démarré exactement en même temps et ils s’entendaient bien. Deke Dickerson : «These early fifties rock’n’roll guys, they were all insane. And Chuck Berry is sort of famous for being a complete nut.» Smith explique ça très bien : «Pushed to the margins, they made the margins seem like an incredible place to be.» Smith analyse finement les choses. Il prend chaque fois un angle original. Et puis il y a Jerry Lee, l’habituelle compétition, mais les témoins de l’époque sont formels : Chucky Chuckah sort toujours vainqueur. John Sinclair : «Jerry Lee Lewis is a bad motherfucker, and Chuck mopped the floor with him. Chuck came out and fucking murdered. I will never forget that.»

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    Avec les Stones, la relation a toujours été compliquée. Les Stones tapent dans ses hits, mais Chucky Chuckah n’a aucune envie de les fréquenter. Pas facile de fricoter avec un blackos de 38 balais déjà plusieurs fois condamné. Keef est le plus dévoué, au point de vouloir faire un film. Lors de sa dernière rencontre avec Chucky Chuckah, il l’attendait dans sa loge. Il a vu la guitare, et alors qu’il s’en emparait pour gratter un peu, Chucky Chuckah est arrivé. Boom, son poing dans la gueule. Keef a admis plus tard qu’il avait commis une erreur. La guitare c’est sacré. Surtout celle de Chucky Chuckah. C’est elle qui a rendu les Stones possibles. 

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             L’autre grosse pointure qui apparaît dans la vie de Chucky Chuckah, c’est Bill Graham. Graham le veut au Fillmore. Chucky Chuckah lui répond : «The Fillmore, man? I don’t know.» Alors Graham vient le trouver chez lui à Wentzville. Chucky Chuckah l’écoute. Il fera la première partie du Dead. Mars 1967. 800 $ par concert. Le soir du premier concert, Chucky Chuckah arrive en retard. Graham le lui dit - You’re a little late - Chucky Chuckah pose sa mallette entre eux sans rien dire. Graham reçoit le message. Il veut être payé avant de jouer. Chèque ou cash ? Graham lui signe un chèque de 800 et le fait glisser sur le bureau vers Chucky Chuckah qui le signe au dos et qui le refait glisser vers Graham. Alors Graham sort le cash et Chucky Chuckah compte tranquillement les billets. Puis il lui tend la main. The deal is done. Et Chucky Chuckah miaule : «Mellow.» En 1965, Doug Sahm commet la même erreur que Keef : dans un studio de télé, il aperçoit la guitare de Chucky Chuckah. The Holy Grail, il la prend et à ce moment-là Chucky Chuckah arrive : «Hey white boy, get your hands off my guitar!». Doug a du pot, il ne s’est pas ramassé un tas comme Keef.  

             Oh et puis le sexe. Chucky Chuckah profite des tournées pour limer tout ce qu’il peut. Dès 1956, il fait partie d’un package tour avec Carl Perkins, les Spaniels, Illinois Jacquet et Shirley & Lee. Sur cette tournée, il devient pote avec Bobby Charles qui à l’époque est sur Chess. À Houston, il traîne dans le balcon réservé aux blanches et le road manager parvient à le tirer de ce guêpier juste à temps : un flic arrivait pour lui passer les menottes. À Little Rock, Arkansas, on voit Chucky Chuckah rouler une pelle à une blanche. Hyper dangereux. Le bus arrive à Mobile, Alabama et passe devant un panneau : «Welcome to the Home of the Ku Klux Klan». Bien sûr, Chucky Chuckah se fait choper sur la banquette arrière d’une bagnole avec une jeune blanche. On voit aussi régulièrement des femmes blanches sortir de sa loge - Sweet little sixteen - Il joue avec les tabous, ce qu’il appelle lui-même le «Southern hospitaboo», la collision d’hospitality, c’est-à-dire les femmes blanches affamées de bites noires, et le taboo, c’est-à-dire le danger que ça représente pour un noir dans les années 50. Pour lui, le sexe qu’il recherche et le racisme vont de pair. Baiser des blanches, il voit ça comme des représailles. Puis il fait des photos et filme ses propres parties de cul. Diane qui sera sa compagne pendant un temps fait pas mal de révélations. Au pieu, Chucky Chuckah est très inventif. C’est encore une bonne raison de lire ce fat book. Smith ne nous épargne aucun détail. Attention, ça va loin.

    Signé : Cazengler, le chuck des mots, le poids des faux taux

    RJ Smith. Chuck Berry: An American Life. Omnibus Press 2022

     

     

    L’avenir du rock

    - Luke la main froide

    (Part Three)

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             Pas facile de porter du blanc, qu’on soit un homme ou une femme. L’avenir du rock a toujours eu beaucoup d’admiration pour John Cale : pas une seule tâche sur le costard blanc cassé qu’il portait au temps de Paris 1919. La classe du Cale ! Le blanc permet surtout d’afficher sa crasse. Au temps des Colonies, le blanc permettait aux colonisateurs d’afficher leur crasse intellectuelle, leur mélange de racisme et de cupidité. Le blanc douteux des costumes, étoilé d’auréoles de transpiration, illustrait superbement l’infamie des mentalités. On voit ça dans tous les films qui documentent l’horreur de la colonisation. Par contre, lorsque la crasse rock s’affiche sur du blanc, c’est une merveille, une sorte de fuck off bien tempéré. Lee Brillaux n’a jamais fait laver sa veste blanche, il avait bien compris que le destin du blanc était d’être sale. Il la portait sur scène pour se rouler sur les planches, il transpirait abondamment et personne n’aurait pu dire si les taches jaunes sur les manches étaient des tâches de bière ou de vomi. L’avenir du rock aimait bien voir David Johansen en smoking blanc, il dégageait une odeur de sexe qui depuis n’a jamais été égalée. Chaque fois que l’avenir du rock porte du blanc, il s’arrange pour manger un sandwich au thon gorgé de sauce. Soit ça coule dans sa manche, soit ça goutte sur ses cuisses. Il savoure ce pur moment de débauche rock’n’roll. Il adore aussi aller se faire tailler une pipe derrière les Maréchaux. Il demande à la pute de ne pas avaler et il porte ses tâches comme des trophées, lorsqu’il va ensuite boire un verre dans un bar gay du côté de la place Dauphine. Et comme sa bagnole est une poubelle jonchée de peaux de saucisson, de mégots et de kleenex usés, il sait qu’il se trimballe avec le dos et le cul pas très nets. L’avenir du rock part du principe que l’immaculé est réservé aux dieux, et non aux mortels. En bonne Main Froide, Luke Haines part sans doute lui aussi du même principe. Pas question de faire semblant et de jouer les immaculés. Il ne fait aucun effort pour dissimuler la crasse coloniale de son costard fripé. 

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             Luke la Main Froide et Peter Buck resignent leur pacte de non-agression avec un nouvel album, All The Kids Are Super Bummed Out, qui est en fait un double CD. Comme les Beatles, Jimi Hendrix et tant d’autres avant eux, ils ont donc beaucoup de choses à dire. D’une certaine manière, ils sont tous les deux des artistes accomplis et leur coalition se présente sous les meilleurs auspices. Dans tous les cas, le voyage promet d’être intéressant. Après un mauvais départ et un ridiculous «British Army On LSD» chanté à la suspicion méticuleuse, la Main Froide se reprend avec «The Skies Are Full Of Insane Machines», et comme il veut du son, alors il a du son. Il s’acharne tellement à vouloir remonter la pente que ça finit par devenir vraiment énorme. Il est l’un des rockers anglais les plus opiniâtres. Il tourne autour de ses compos comme un crabe autour d’un trou d’eau. Il paraît même parfois un peu paumé («Sunstroke»). Il se croit le roi et il n’est rien, il faut juste rester patient en attendant Godot, c’est-à-dire les miracles. Ils finissent par se produire, avec notamment «45 Revolutions», ils y vont cette fois au heavy modernisme. Dès qu’ils passent en mode heavy, ils deviennent captivants. Avec «Won’t Ever Get Out Of Bed», la Main Froide retrouve sa veine d’Auteur, elle a du mal à sortir du lit et c’est excellent. Voilà un heavy groove de Main Froide. On reste dans les énormités avec «Psychedelic Sitar Casual», Buck sort son meilleur guitarring, c’est violent, sick & fast. S’ensuit le gros clin d’œil au glam tant attendu, «Subterranean Earth Angel», la Main Froide rentre bien dans le chou du lard, elle s’englue dans le glam jusqu’au cou. Mais quand on connaît bien la Main Froide, on comprend qu’il s’agit surtout d’un pied de nez aux Subterraneans de Nick Kent. Elle ramène aussi tous les clichés de Carter & The Unstoppable Sex Machine, elle recherche le même effet, le superstardom stadium stomp. En réalité, elle tourne tout en dérision. La Main Froide vieillit et ventripote. Elle amène la menace des Commies dans «The Commies Are Coming», ça s’infecte très vite, Buck joue dans la boue du flux, c’est assez balèze, côté idées, ils envoient même des vents dans le beat. À ce niveau de no-happening, il est essentiel de saluer le génie glacé de la Main Froide. La voilà qui gratte sa gratte sur «When I Met God». Gros lard dégueulasse et ridicule, gros plein de soupe, avec le Buck derrière à la vrille, on sent bien qu’ils s’amusent dans leur bac à sable plein de crottes de chiens.   

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             La Main Froide continue de tartiner placidement sa pop glacée sur le disk 2. Il reproduit son vieux modèle et entraîne le Buck dans son délire stérile. On sait bien que les musiciens américains sont friands de popstars anglaises. Ils font tous les deux une sorte de glue-pop subjuguée.  Dans le morceau titre, la Main Froide fait du left over de wild & spaced out, elle lâche les ballons avec un redémarrage à 3 minutes. La Main Froide se croit décidément tout permis. Elle ramène ses kids au bummed out, fait la jungle et bat tous les records de ridiculous. Sous sa jupe, c’est pas terrible. Tu claques des dents, à la vue de ce spectacle. Et voilà qu’elle se prend pour un pacha avec «You’re My Kind Of Guru». So ridiculous ! Elle revient susurrer ses vieux airs d’Auteur à l’haleine rance. La Main Froide est par définition le personnage littéraire du rock, au sens où l’entendit Alfred Jarry avec Ubu. «You’re My Kind Of Guru» est un cut réellement odieux ! Mais comment osent-ils ? C’est tellement atroce qu’on perd patience, pour aller écouter «Flying People». Retour en mode fast rock. La Main Froide porte une mini-jupe et fait sa trash. Ça tient le temps que ça tient, elle frétille de la quéquette, comme un vieux teenager. Cette prodigieuse Main Froide s’enfonce encore dans l’auto-dérision avec «Diary Of A Crap Artist». Grimée en Léon Bloy et dansant dans les fumées, la Main Froide fait de la belle pop et perd son âme. 

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             Dans un Record Collector paru l’an passé, notre Main Froide préférée revient sur ses frasques. Ah chère Main Froide ! Que deviendrait-on sans elle ? Elle raconte qu’un interviewer lui demande s’il va reformer les Auteurs et la Main Froide se fend d’un beau «nope». Il ajoute dans l’éclat d’un rictus carnassier : «Besides I’m in a band with Peter Buck now. Why on earth would I get the Auteurs back together?». Il annonce qu’il s’embarque avec Peter Buck dans une tournée qui a été reportée quatre fois grâce à cette canaille de Pandemic. Il profite de sa colonne infernale pour revenir sur son histoire et narrer d’une manière comme toujours hilarante son tout premier concert en première partie des Lurkers : «À peine avait-on joué un cut qu’on fut bombardés de verres à bière par the 200-strong crowd of skins and anarcho punx, whose only distraction from killing us was killing each other. ‘This is what I want to do in my life’, I thought.» Puis il raconte sa première tournée au sein des Servants, en première partie des Weather Prophets et des Happy Mondays - Thirty-five years later I’m still friends with everyone on that tour - Puis il évoque ses trois tournées avec Suede au temps des Auteurs. Il le fait à la Main Froide, c’est-à-dire avec une classe épouvantable : «This was supercharged amyl nitrate glam Performance (the movie) chic. And it sold. Fifteen-years old girls and boys came out in their thousands from the suburbs, in the Suede St Vitus mania.» Et chaque fois, la Main Froide rappelle qu’en tant que support act, il touchait £50 per show. Et comme il repart en tournée avec Peter Buck, il se marre car il annonce qu’il dispose à présent d’un road manager, d’un «nice bus, work permits and a really big guitar rack to put all our electric guitars in.» La dernière tournée ? «Who knows.» «Une chose est sûre, conclut froidement la Main Froide, c’est que les support bands for Luke Haines et Peter Buck are being paid £50 per show.»

    Signé : Lancelot du Luke

    Luke Haines & Peter Buck. All The Kids Are Super Bummed Out. Cherry Red 2022

    Luke Haines : Back on the road, again. Record Collector # 532 - June 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - Tee veux ou Tee veux pas ? 

             Tito envisageait de devenir rock star. Il était d’ailleurs bien le seul à l’envisager. Ni sa femme ni ses amis n’auraient parié le moindre kopeck sur ses chances de réussir. Tito qui était loin d’être bête prenait tout ça en compte, mais ça n’entamait en rien sa détermination. Bien au contraire, ça la renforçait. Il était même très sûr de lui, il disait disposer d’atouts qu’il qualifiait de majeurs : une voix et une gueule. Et il ajoutait avec un franc sourire : «C’est la base, non ?». Il n’avait pas tout à fait tort : on ne croisait pas souvent des mecs au physique aussi impressionnant. Il avait ce qu’on appelle les pommettes hautes, les cheveux noirs mi-longs coiffés en épis, le menton carré et un regard clair qui plaisait aux femmes. Petit, mais présent. Intensément présent. Il pouvait chanter au chat perché et avait su travailler son anglais pour peaufiner sa diction. Il voulait une diction à l’anglaise. Il ne jurait que par Steve Marriott. Stevie, disait-il. Ne lui manquait plus que l’essentiel : un groupe, un son et des chansons. Il passa des années à chercher. Il chercha partout, dans tous les bars de la ville, dans les concerts, dans les locaux de répète, il mit des annonces dans tous les journaux locaux, et bien sûr dans les canards spécialisés. Le texte disait : «Superstar cherche trois rockers pour monter the French Small Faces.» Il rencontra quelques musiciens qui furent tellement impressionnés par sa classe qu’ils disparurent à la première occasion. Après les premières vagues d’allégresse, il traversa une phase de désenchantement. Il se mit à boire comme un trou, il démarrait le matin au blanc sec et finissait le soir au blanc sec, ce qui le rendait méchant et agressif. Alors il se battait. Il eut bientôt les deux yeux au beurre noir et le nez cassé. Il perdit bien sûr pas mal de dents. Il se mit aussi à grossir et craqua son jean plusieurs fois en public, alors qu’il se baissait pour ramasser un mégot. Sa femme le jeta dehors. Il dormait à la belle étoile en été, et dans un foyer pour clochards en hiver. Il n’était pas encore décidé à mourir. Il savait pour avoir étudié la vie de ses idoles qu’on passait facilement du stade de superstar à celui de légende vivante. Ça faisait, disait-il, «partie du boulot». Au fond de lui, Tito éprouvait un immense chagrin à voir flamme s’éteindre.      

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             Pendant que Tito brûle sa chandelle par les deux bouts, Tee tangue au gré du groove. Magnifique pianiste et groover de renom, Willie Tee fit surface à l’époque sur une compile Ace consacré à l’AFO de la Nouvelle Orleans, Gumbo Stew. Oh, il n’a pas enregistré grand chose, deux albums, mais quels albums !

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             Le premier date de 1970 et s’appelle I’m Only A Man. Il est devenu culte, pas seulement parce qu’il est produit par H.P. Barnum. Willie Tee signe la plupart de ses cuts sous son vrai nom, Earl Turbinton. On commence à frémir avec le morceau titre, un très beau groove de Soul, mais c’est un groove de Soul underground, extraordinairement pur. Il tape soudain dans le «Reach Out For Me» de Burt et ça bascule dans le génie. Willie Tee te groove le Burt à l’oss de l’ass, c’est puissant, infiltré, serré, mené à la poigne, darling reach out for me, et là tu as la clameur des Edwin Hawkins Singers. Il atteint ce qu’on appelle une rare dimension. Il balance entre les reins du Reach out et les filles claquent les chœurs comme si elles se faisaient trousser à la hussarde, wah-oouh wah-oouh. Il fait une Soul de timpani heavy jusqu’au délire avec «Walk Tall (Baby That’s What I Need)» et en B, il tape une cover de «By The Time I Get To Phoenix». Comme Isaac, il l’attaque au groove mystère, c’est-à-dire au groove black, et ça devient génial, les covers de Willie Tee sont des huitièmes merveilles du monde, il croise Jimmy Webb avec Fred Neil dans la black, sa cover te broie le cœur, ce mec te détruit et tu l’admires. Et ça continue comme ça jusqu’au bout de la B avec «Take Your Time», Willie Tee s’impose comme un roi du groove de génie, et puis voilà «I’m Related To You», groové au round midnite du coin du bar, il pianote comme un démon, il est si vivant. Il explose l’«I’m Related To You», il l’envenime, et voilà que coule un solo de gratte envenimé lui aussi, presque liquide. Tu écouterais Willie Tee jusqu’au bout de la nuit. C’est un magnifique artiste. Ses ambiances démentes l’ont rendu culte.     

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             Paru en 1976 et malgré une pochette fantastique, Anticipation n’a pas marché. Willie Tee a beau avoir de l’ampleur, Anticipation n’anticipe rien. Willie fait une Soul des jours heureux et du soft groove à forte valeur ajoutée. «Do What You Want» sonne comme un classic jive, sans distinction particulière. Il passe au heavy groove de Bogalusa avec «Liberty Belle». Il est bon le Tee, mais pas révolutionnaire. D’où le peu d’albums. Il attaque sa B avec le morceau titre et fait comme Marvin, il prône l’amour avec des nappes de violons. C’est admirable. La B est nettement plus convaincante que l’A. Willie Tee nage dans le bonheur. Avec «Let’s Live», il tape en plein dans le Marvin de What’s Going On, il a les même accents que le Marvin de «Save The Children».  

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                Les amateurs de jazz se régaleront de Brothers For Life, l’album qu’a enregistré Willie Tee avec son frangin Earl Turbinton. Willie pianote comme un crack, mais c’est un album de jazz instro.    

    Signé : Cazengler, Tee-nette

    Willie Tee. I’m Only A Man. Capitol Records 1970   

    Willie Tee. Anticipation. United Artists Records 1976   

    Earl Turbinton Featuring Willie Tee. Brothers For Life. Rounder Records 1988

     

    *

    A peine cinquante longues années d’impatience. Les rockers ne désespèrent jamais. Et ce soir dès que je me pointe sur YT une vidéo s’offre à mes regards hagards et éblouis :

    TORONTO ROCK ‘N’ ROLL REVIVAL

    13 SEPTEMBRE 1969

    (You Tube / Arte)

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    Non ce n’est pas le film Sweet Toronto / Keep on Rocking sorti en 1969 de D.  A. Pennebaker mais un documentaire de Ron Chapman diffusé à la TV canadienne. A l’inverse de Woodstock le Toronto Rock ‘n’ roll Festival n’a pas laissé auprès du grand public un souvenir impérissable… 

    La sortie du film de Pennebaker déçut une grande partie des fans de rock’n’roll non par ce qu’il montrait mais par une séquence qui n’avait pas été retenue au montage final. Pas plus tard que ce mois d’août j’en discutions encore avec Eric Calassou.

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    Toronto a failli être annulé. A peine 2000 billets vendus ! L’affiche était pourtant alléchante, Jerry Lee Lewis, Bo Diddley, Chuck Berry, Gene Vincent, Little Richard, plus une vingtaine de groupes d’époque comme Steppenwolf, même en rajoutant les Doors in extrémis pour friandiser la sauce la mayonnaise ne prenait pas. C’était pourtant une occasion inespérée de voir les Doors, tous leurs concerts venaient d’être annulés après leur tumultueuse prestation à Miami.  Pour bouger ces maudits canadiens fallait une énorme vedette, une figure tutélaire, encore plus fort qu’Elvis.

    Il n’y en avait qu’une : c’était John Lennon. L’idée provient de Kim Fowley qui se révèlera être un merveilleux aboyeur pour présenter et pulser l’énergie des groupes sur scène. L’incroyable se produisit, Lennon accepta de venir. Le docu vous explique tout cela en long et en large. L’est même centré sur sa personne (et celle de Yoko collée à lui comme le timbre sur l’enveloppe). Ce sera la première apparition du Plastic Ono Band sur scène. Public mitigé. Perso j’aime bien les glapissements de Yoko, très préfiguratifs de la moise-music et non sans accointances avec la musique expérimento-classique de l’époque dans la suite généaologique de L’Art des bruits de Luigi Russolo. Remarquons que sur le premier disque de Chicago Transit Authority, présent à Toronto, un titre de ce double-album était composé de stridences et de grondements larséniques et disharmoniques au possible, en avance de quelques années sur le Metal Machine Music de Lou Reed. De toutes les manières déjà le free-jazz était parvenu à cette idée praxistique de saturation phonique…  Un nouveau départ pour John qui signe la fin des Beatles, si l’on croit le docu, Toronto fut pour cette raison un évènement historique. Les fans de Lennon ont intérêt à regarder cette vidéo.

    Evidemment la parole est donnée aux organisateurs de ce festival. Le montage n’a gardé que l’essentiel de leurs interviewes, ce qui un demi-siècle plus tard oblitère la désagréable impression de vieux combattants un peu ennuyeux que l’on retrouve trop souvent dans les documentaires rock. Venons-en au nerf de la guerre : les concerts ne sont pas retransmis en entier, plusieurs heures seraient nécessaires, hormis les pionniers Alice Cooper et Chicago Transit Authority, et Plastic Ono Band sont privilégiés.

    Pour la petite histoire Alice Cooper qui servit aussi de backing group à Gene Vincent donna un concert mirifique qui lui conféra du jour au lendemain une réputation épouvantable, de celles à laquelle soit on ne survit point, soit on en tire un extraordinaire profit.

    La réunion de nos cinq pionniers du rock n’avait pas occasionné une ruée sur les billets. Ils font déjà partie d’une génération passée, le public rock s’est constamment renouvelé, pour chacun d’eux c’est une occasion inespérée de refaire surface. Ils vont saisir leur chance avec brio, ils surprennent et ravissent une grande partie de l’assistance qui n’était pas spécialement venue pour eux. Les séquences qui leur sont dévolues sont relativement brèves, elles doivent provenir du film ou des rushes de D. A. Pennebaker, mais pour la première fois depuis cinquante ans que les rockers en rêvaient l’on a enfin accès à quelques instants de la prestation de Gene Vincent. Cette tardive exhumation comblera tous les fans de Gene.

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    Trois ans plus tard, au mois d’août 1972, aura lieu au stade de Wembley le London Rock ‘n’ Roll Show qui inaugurera en Europe le véritable revival du rock’n’roll ‘’ old style’’ – une des racines les plus importantes du mouvement rockabilly français – l’on y retrouvera : Jerry Lee Lewis, Little Richard, Bo Diddley, Chuck Berry et Bill Haley avec ses comètes. Vous remarquez l’absence de Gene Vincent. Décédé au mois d’octobre 1971.

    Trop tôt. Trop tard.

    Damie Chad.

     

    *

    Les allemands sont réputés pour leur sensibilité écologique. Le metal aime  à se vautrer dans les sujets apocalyptiques. Beaucoup de groupes explorent les mythologies antiques, radios, télés, réseaux sociaux nous abreuvent toutes les heures de la proximale catastrophe climatologique qui se rapproche de nous à vitesse grand V… Puisque le pire s’essuie les pieds sur le paillasson de notre seuil à coups de tornades, de pluies diluviennes, et de sécheresses dévastatrices, la tentation est grande pour certains groupes d’utiliser ce cataclysme annoncé comme thématique principale. En préparation à la parution en ce mois d’octobre de Nightmare, leur troisième album, le groupe allemand Heretoir a posté sur YT une nouvelle vidéo.

    CLACIERHEART

    HERETOIR

     ( from Nigthmare / PN / Oct 2023)

     Eklatanz : vocals, guitars / Nathanael : bass, backing vocals / Max F : guitars / Nils Groth : drum / Kevin Storm : guitars.

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    Glacierheart : ( vocal : Nikita Kamprad de Der Weg einer Freihei = Le chemin de la liberté ) visuellement ils cherchent la difficulté, il ne se passe pas grand-chose sur cette vidéo de plus de dix minutes, pourtant on ne la quitte pas des yeux. L’est sûr que cette splendeur mélodique post-metal vous rive au paysage. Cimes de sapins ombreux en intro, vite subjuguées par le déferlement hymnique des guitares et la spectrale apparitions de ces troncs élancés serrés les uns contre les autres, vous avez l’impression d’être propulsé dans le bois perdu où nul être vivant n’oserait poser le pied. Pour tout compagnon de survie vous n’aurez que les gothiques lettres blanches des lyrics qui s’affichent sur l’émeraude crépusculaire envahissante dans laquelle sont englobées les formes noires des paysages.  Rase-mottes au-dessus de l’innombrable foret, la voix s’élève en même temps qu’un vol lourd de corbeaux, vite remplacé par l’éparpillement de rares flocons de neige dont la maigreur ajoute à la désolation ambiante. Un vocal surchargé de brouillard ne vous rassure pas, des arbres aux fûts gelés flambent, rémission, une guitare chantonne doucement, la caméra vole plus haut et dévoile de contraignants massifs montagneux aux flancs enneigés. Un homme, capuchon noir, silhouette erratique, marche dans ces vastitudes dépourvues d’âme, les paroles nous renseignent et nous enseignent, il cherche non pas un refuge mais au milieu de ces solitudes stériles le lieu où il pourra entendre l’esprit de la nature, des brumes l’ensorcèlent, d’infranchissables aiguilles rocheuses l’ensorcèlent, la batterie se déchaîne au moment où le lyric devient poésie où le dire délire, il chevauche les loups, il transporte les bois du dernier des Cerfs blancs, tout s’accélère, il cherche les paroles émises par les glaciers en train de fondre, la glace relâche des perles d’eau, clepsydre dont la dernière goutte sera l’heure de votre mort, musique et chants se transforment en une longue symphonie, la batterie roule comme la pierre dévale la pente du déclin, elle rebondit en derniers soubresauts, plus qu’une guitare et une prière, un adieu de désespérance, la bouche d’ombre des glaciers s’est tue, il est trop tard, en bas dans les plaines et les villes les machines broient les derniers arbres, une dernière tornade de colère et de haine contre ce monde technologique qui a secrété la mort de l’humanité. Nuages noirs et tempête sonore de grésil blanc nous recouvre.

    Beauté et puissance. Cette magnificence noire nous a donné envie d’en voir davantage. Voici le premier titre de leur avant-dernier ouvrage : Wastelands, tout comme le précédent sur YT l’Oficial Music Video avec lyrics.

    ANIMA

    HERETOIR

    ( from Wastelands / Supreme Chaos Records / Mai 2023)

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    Dans la même veine que le précédent. On l’attendait davantage expressionniste. Nuages noirs. Sombres bosquets hivernaux. Une intro qui surgit à la manière d’une longue rafale de vent que l’on pressent infinie, une tête s’affiche en transparence, une tête surmontée de bandage et deux mains agrippées sur les yeux, peut-être pour les arracher, peut-être pour ne pas voir, la caméra s’engouffre dans un paysage désertique pour déboucher sur un paysage incertain, terrestre ou maritime, la tête apparaît alors que sur sa droite déferle une eau de mer, une barre rocheuse  surmontée d’un village cèle  celles des vagues qui s’en viennent mourir sur les rivages, longue plage sableuse, le vocal démarre sur une l’image symbolique d’un arbre printanier entourée d’énormes  bougies pour souligner cette merveille, qui ne tarde pas à perdre ses feuilles et à se transformer en un tronc solitaire dont les branches semblent lancer un ultime appel au secours que ne sauraient entendre les bâtiments de la ville tassée sur elle-même au fond du paysage, le visage s’incruste sur l’écran, le corps de l’homme s’agite en vain devant nous, il lève les yeux vers le ciel, comme un ange qui regarde le paradis perdu, il tord ses membres, il demande à être entendu, ou plutôt à entendre quelque chose qui viendrait de lui, qui proviendrait de la partie animale de son âme, cette anima qui nous relie à tout ce qui n’est pas nous, à l’autre et à l’univers, sans quoi il va mourir pour rien, il a pris la place de l’arbre mort, au milieu d’un cercle de lanternes sourdes, il s’agite, il se tord, il supplie, sa silhouette s’inscrit en filigrane sur un vaste paysage, son désarroi atteint à une dimension planétaire et pratiquement universelle car pour l’humanité la terre est sa seule origine, en vain, il ne veut pas être comme nombre de ses semblables qui sont morts à l’intérieur d’eux-mêmes, il cherche une porte à l’intérieur de lui, ses doigts se referment spasmodiquement sur son totem, un bois de cert blanc, peut-être du dernier mâle de la harde qui vient de mourir, agenouillé ses ongles griffent la terre, léger arrêt de la musique, une infinitésimale coupure, tout est-il si vain, la mer se déchaîne indifférente à ses angoisses, mais le plus terrible reste le silence de son âme d’où rien ne sourd, stérile, il se voile la face, il clame qu’une porte est en lui, qu’elle s’ouvrira, la caméra inspecte la terre sans herbe, sans fleur, seules quelques jonchées de bois mort éparpillées, il a beau hurler la mort psychique se rapproche, l’anima figée au fond de lui ne répond pas. Aussi désespéré qu’un rapport du Giec !

    Comparée à la précédente cette vidéo très esthétique nous semble pour reprendre une célèbre parole de Nietzsche, humaine, trop humaine. L’espoir, fût-il insensé, fait vivre. Le lecteur aura remarqué la concordance des thèmes.

    En voici une autre tirée du même opus qu’ Anima et qui aborde un thème que nous avons à peine effleuré en chroniquant Glacierheart. Chronologiquement il indique la cause du désarroi, tant au niveau de la nature que de l’humanité, mis en scène dans les deux premiers clips.

    TWILIGHT OF THE MACHINE

    HERETOIR

    ( from Wastelands / Supreme Chaos Records / Octobre 2023)

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    D’un genre tout à fait différent que les deux précédentes. Une musique vite  mastédonienne, pesante, lourde et lente dès que disparaît de l’écran cette silhouette féminine dont la robe de mariée s’effeuille au vent  et des images bleutées, pas le bleu céleste ouranien mais le bleu sombre du blues, alternent alors les vues des musiciens, est-ce un hasard si le batteur forgeron apparaît en premier, avec ce visage d’ouvrier attaché à son boulot, guidant à l’aide d’une chaîne un lourd palan au crochet monstrueux, dur labeur qui capte sans rémission son esprit et son attention, hurlement du chanteur grande gueule ouverte, un peu comme s’il magnifiait toute la tension contenue dans les gestes du prolo, auquel bientôt vient s’adjoindre un deuxième  ouvrier qui porte en équilibre sur son épaule une lourde poutre, le lecteur français ne pourra s’empêcher d’évoquer le roman L’homme de la Scierie d’André Dhôtel, flashes des membres du groupe en train de battre le metal tant qu’il est brûlant contrastant avec ces travailleurs écrasés de fatigue regardant l’heure qui stagne au cadran de leur montre-gousset, sans doute est-ce le moment de se remémorer les textes de Marx sur l’aliénation au travail, et de réfléchir pourquoi il n’y a pas dans le titre de ‘’ s’’ à machine. Vraisemblablement parce qu’il faut entrevoir l’usine comme un lieu empli de machines qui rivent l’homme à un travail pénible et fastidieux mais surtout concevoir la machine en tant que matrice de la société moderne qui dans toute entreprise emprisonne l’ensemble des travailleurs quels que soient leurs métiers ou leurs grades dans le carcan d’une existence artificielle et peu épanouissante. Confirmation de cette analyse par les images suivantes, un homme déambulant dans un sentier de montagne, il suit un lacet qui le ramène dans la direction opposée à celle par laquelle il se dirigeait, l’on ne peut s’empêcher de penser à l’image poétique par laquelle la pensée humaine doit, selon Heidegger, se mouvoir en dehors du trajet rectiligne de l’emprise technologique en empruntant cette khere, ces tournements et retournements nécessaires à la lente et capricieuse élaboration d’une approche en route vers la nature de l’être humain que nous sommes en tant qu’Être, les uns sont attelés à des tâches ingrates et répétitives, l’un assis au bord d’un ruisseau griffonne un dessin sur un bout de papier, les musiciens jouent, notre voyageur torse nu dans une vaste rivière, retour à l’état primitif dans un vaste paysage coloré dont il n’est plus qu’une parcelle libre dénouée de toute obligation, la musique semble se désagréger pour reprendre par un martelage appuyé, notre vagabond nimbé d’un orange solaire se retrouve dans un atelier  à la pelle, sale, hirsute, soumis à une cadence accélérée, le doux rêve s’est métamorphosé en la dure réalité. Point de soleil, mais la fournaise des fours, notre héros fatigue, le vocal devient de plus en plus violent, un réquisitoire implacable contre cette société esclavagiste, le compagnon titube, il aperçoit notre mariée du début, serait-ce le symbole de cette nature dont le travail lui a fait perdre le contact, il s’approche, elle lui prend la montre, elle le libère du temps, le voici couché en pleine nature, belles visions de cartes postales du bonheur, n’ayez crainte ce n’est qu’un mirage, un antidote à l’écrasement du travail, à cette torture déshumanisante, il marche en pleine campagne, le groupe est là pour lui rappeler que le temps perdu ne se rattrape jamais. La musique s’assombrit, elle ralentit, il marchait dans la forêt, vues funèbres de l’atelier, endroit d’annihilation, son cadavre repose auprès de l’établi. Nous songions au crépuscule de la machine. C’était juste le crépuscule de l’Homme.

             Vidéo sans concession produite par Oliver König & Klara Bachmair.

    Rien à rajouter si ce n’est la nécessité de la révolte.

    Damie Chad.

     

    *

    Je venais juste de finir sur YT une des neuf émissions d’Arte sur Country Music : une histoire populaire des Etats-Unis, série didactique emplie d’archives que je recommande, sans que je fasse un seul clic s’affiche sur l’écran une nouvelle vidéo inconnue. Rien qu’à l’étendue profilée d’un champ de blé, je suppute, avec ce flair de rocker qui ne me quitte et ne me trompe jamais, que c’est un clip country. Je clique et évidemment mon instinct ne m’a point fourvoyé. Les mauvaises langues diront que c’est surtout ces trois jolies filles assises au premier plan, ah ! la blondeur de ces trois chevelures qui éclipse celle du blé, qui auraient motivé mon intérêt profond, je m’inscris en faux contre ces assertions venimeuses, juste ma sensibilité heideggerienne à la problématique de l’origine. Jugez-en par vous-même grâce au titre :

    THE CASTELLOWS : THE BEGINNING

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     Toute la mythologie américaine synthétisée en deux minutes. Sans une seconde supplémentaire. Premières images idylliques : trois petites filles, tour à tour devant un piano, chantant ou jouant, à la maison, devant leurs camarades de classe, lors d’une représentation de ce que je qualifierais, pour trouver un équivalant en notre langue, un spectacle de centre aéré. C’est mignon, c’est charmant. L’enfance ne dure jamais assez longtemps. Sur les images suivantes elles ont grandi, elles se présentent, LILY : lead singer / ELLIE : soprano, lead guitar / POWELL : alto, banjo / ensuite en de très courtes séquences, on les voit dans la ferme familiale poser devant un tracteur, monter à cheval, pagayer dans un canoé, jouer au cowgirl, pratiquer le tir à l’arc, chanter ensemble, caresser un chien… sur la fin de la pellicule la couleur disparaît, quelques images fugitive en un noir et blanc pas du tout contrasté et un peu évanescent, sans doute pour induire l’idée que le bon vieux temps n’est jamais tout à fait disparu. Sur leur site ne s’inscrit-il pas qu’elles produisent un country néo-traditionnel.

             C’est bien fait, du beau boulot, un bon travail promotionnel, j’aimerais en savoir davantage.  

             Nos sisters sont originaires de Georgetown (Georgie). Leur enfance se déroula dans la ferme parentale, elles ont été scolarisées à la maison ce qui leur permit d’apprendre plusieurs instruments… Notons que Eleanor ( Ellie ) et Powel sont jumelles, soyons précis elles ne forment pas avec leur frère Henry les triplettes de Belleville mais les triplés de la famille Balkom, Lily est leur cadette. La suite est des plus classique : en grandissant elles ont commencé à jouer un peu partout dans leur ville natale, église, écoles et festivités privées…  elles ont acquis une petite célébrité locale  qui leur a permis de monter sur scène dans avec des vedettes régionales Mill Jam et Elie Cain…

             Leur site nous apprend que depuis quelques mois elles résident à Nashville et qu’elles ont été remarquées (faudrait-être aveugle pour ne pas les voir) par les milieux musicaux… jusqu’à ce jour aucun album en vue… Elles présentent sur leur site et sur YT une série de vidéos intitulées Silo Sessions. Il existe à Nashville un immense bâtiment nommé Silo Studios dans lequel vous pouvez louer des espaces pour organiser toutes sortes d’évènements. J’ignore si ces Silo Sessions ont été enregistrées en cet endroit qui apparemment ne possède aucun studio d’enregistrement. A moins que ce soit un enregistrement au bas d’un silo de la ferme familiale.

             C’est Ellie qui compose les morceaux et écrit les paroles. D’après ce que j’ai compris elle exerce un certain ascendant sur ses sœurs.

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    Sophie and Buddy : toutes les trois, toute belles, poussez un peu les volumes pour mieux entendre les harmonies vocales, quelques accords de guitare et Lily qui vous fixe de ses yeux bleus, ne fermez pas les vôtres et admirez les trois grâces, la Lily elle vous mènerait au bout du monde, alors si vous ne comprenez pas grand-chose à l’anglais chanté, je vous en prie, restez-en là, elles sont si mignonnes avec leurs petites minauderies, charmantes, vous êtes sur un nuage rose, si une curiosité malsaine vous pousse à lire les lyrics sous la vidéo, vous ne dormirez pas de la nuit, votre nuage rose va se teinter de sang, comment peut-on raconter de telles horreurs avec cette voix toute gentillette que vous prenez pour lire Petit Ours Brun à votre gamin pelotonné contre vous. C’est un peu comme Frankie and Johnny mais en plus sordide. Un fait divers qui vous glace le sang. Traditional sure, but very gore.

    State-line living : le même décor, toutes trois devant un fond gris, vous remarquez que Powell fait un peu la moue, mais quand les notes de son banjo se superposent à la guitare d’Ellie vous l’entendez, une espèce de ballade, innocente avez-vous pensé, les paroles vous tournebouleront, toutes simples et parfaitement incompréhensibles, une solitude et une mélancolie qui vous est étrangère puisque vous ne savez pas quelle expérience précise elle relate, la tristesse, le malaise d’habiter à la frontière de l’Alabama et de la Georgie et de cette coupure que cela induit entre les êtres et à l’intérieur de soi..

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    Southeast past of home : guitare et banjo, on a du faire un signe à Powell parce que son visage s’épanouit d’un large sourire, le manche de la guitare d’Ellie semble vouloir percer l’écran de l’ordi, après tout ce sont ses paroles, sa sensibilité que Lily exprime avec autant d’émotion retenue, un truc vieux comme le monde, je suis mieux chez moi que partout ailleurs, mais si bien ancrée dans les paroles que vous sentez qu’en dehors du Sud-est de la Georgie rien ne vaut la peine, la chanson dépasse à peine les deux minutes, pas une seconde de répit pour Lily, une véritable épreuve vocale, avec cette manière particulière de détacher tous les mots qui vous offre une sensation d’éternité.

    Cowgirl blues : elles y mettent tout leur cœur, elles sourient, elles rient, l’on sent que le sujet les concerne, normal il parle des garçons, de l’incompréhension que leurs comportement suscitent, elles échangent des regards pleins de sous-entendus, elles savent très bien ce qu’elles veulent, et pas très bien ce qu’elles ne veulent pas, je crois que les mouvements féministes de par ici renâcleraient quelque peu, mais elles expriment des incertitudes et des volontés qui ne sont qu’à elles et l’on sent qu’elles n’en démordront pas.

    Bring a little home with you : accord total, very traditional, emmène toujours un peu de toi partout où tu iras, le chemin te ramènera à la maison, l’on sent qu’elles expriment leur être profond, peut-être pour cela que la voix monte plus haut, et que les harmonies se posent plus fortement, là où ça fait mal. Là où ça fait du bien.

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    Sticks without stones : on aperçoit davantage les instruments, Lily gratte un peu une guitare, une ballade davantage appuyée qui prend le contrepied de la précédente, les filles sont pleines de contradictions, je ne saurais rester avec toi si tu n’acceptes pas ma liberté. Un régal de les regarder chanter et s’exprimer par d’infimes mouvements, la voix de Lily est ensorcelante, elle ne la force jamais, mais elle détache les mots comme des perles qui se détachent d’un collier et que vous ne retrouverez jamais plus. Vous les regretterez tout le restant de votre vie.

    Date country : le banjo de Powell mange le coin gauche du bas de l’écran, Lily s’est coiffée d’une casquette, Elie arbore un visage plus romantique que sur les vidéos précédentes, Powell ferme les yeux, les filles chantent leur idéal amoureux, il faut qu’il soit avant tout épris du lieu où lui et sa famille ont vécu depuis longtemps. Le lieu et la formule dixit Rimbaud.

    A cette série est ajouté : I see fire : une cover d’Ed Sheeran ( chanteur et guitariste anglais ) : elles ne l’interprètent pas au hasard, elle évoque un incendie sur une montagne qui menace les habitations… : nous ne sommes plus au même endroit, vraisemblablement sur la véranda d’une ferme américaine, toutes les trois debout, on les croirait sur scène avec le noir de la nuit derrière elle, elles commencent à chanter et à jouer, le plus important ce sont les regards inquiets qu’elles échangent, des éclairs illuminent le ciel, la vidéo se coupe brutalement.

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             Sur leur chaîne You tube vous trouverez une douzaine de reels de moins d’une minute, ces courts extraits ont été vus des milliers de fois et ont dû drainer des milliers d’admirateurs sur YT .

             Je ne sais ce qu’elles deviendront, elles poursuivent leurs études, Powell suit une école d’agriculture pour reprendre la ferme de ses parents.

             Elles commencent à tourner…

    Damie Chad.

     

    *

     Une erreur peut se révéler bénéfique. Une image qui défile à toute vitesse, oh ! on aurait dit une vue du Golf Drouot, retour en arrière, non rien à voir, où avais-je la tête ! Tiens un groupe dont j’ignore tout. Une belle dégaine en tout cas. En piste et en chasse !

    LIPSTICK VIBRATORS

    Un truc qui vibre sur des lèvres, je vous laisse choisir lesquelles, cela interpelle. Pas de chance z’ont l’air de ne plus avoir fait grand-chose depuis 2014, se sont formés en 2006, mais sur le site Pirate-Punk j’apprends qu’ils se sont reformés en 2019 avec un nouveau line-up. Feu de paille ? Leur FB est aux abonnés absents. Je n’en sais rien. Il ne me semble pas avoir aperçu leur nom de-ci de-là ces dernières années. Quelques minutes se sont écoulées depuis la fin de la dernière phrase, une tournée voici une année et un concert à l’International ces dernières semaines. Plus un lien efficient vers leur FB ; Ils sévissent encore ! J’adore remonter les pistes, j’ai l’impression d’être le héros de James Olivier Curwood dans Le piège d’or. En attendant d’en savoir plus penchons-nous sur un des méfaits accomplis par cette horde barbare : ne se définissent-ils pas sur leur bandcamp comme un pure savage rock’n’roll band !

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    Une pochette qui vous met l’eau à la bouche. Blanche et noire. Toute la tragédie burlesque de la vie, malgré cela derrière leurs lunettes noires les guerriers du rock’n’roll résistent.

    Dandy Pumpkin : vocal / Cox Tornado : basse / Tom Idle : guitar, voval / Matt Crusher : drums, vocal

    LOW WINTER BLUES

    (CD : Altitude Records / 2014 / Smap Records / 2022 )

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    ( Pochette 2014 )

    To the outsiders : dès les premiers horribles grincements vous comprenez que ces gars-là ne sont pas des menteurs, tiennent leurs promesses, souveraine sauvagerie ! C’est si rapide que vous ne savez pas par quoi commencer. Pour moi c’est le batteur, Crusher vous a une de ces frappes élastiques, je cherche dans mes souvenirs, non je n’ai jamais un beat aussi rebondissant, un ressort, une balle de squash qui tamponne les murs avec une précision diabolique, puis il y a  le vocal, fondu dans le background, un peu comme ces bonbons qui collent si bien au papier que vous êtes obligé de l’avaler aussi et ça vous donne un petit goût acidulé d’imprimerie, car nous sommes en présence d’un gosier qui imprime fort, les mots jaillissent de sa bouche et vous cisaillent  le visage comme les pinces du homard que vous avalez vivant, elles dépassent de votre bouche, le crustacé règle ses comptes avec vous. Enfin les guitares, trois Triumphs qui se tirent la bourre sur le Circuit Carole et laissent échapper deux soli dantesques. Deux minutes, un hymne aux outsiders qui ne savent acquiescer à la laideur du monde. This side of brightness : une intro un peu en dérapage incontrôlée, de beaux reflets sur une carrosserie. Noire. Nous sommes bien de l’autre côté de la lumière sur le versant sombre des cauchemars qui peuplent les nuits de ceux qui passent leur vie à ne pas la vivre. Revendication de la marge. Batterie psychopathe, basse endémique, guitares froissées, vocal en cri de haine d’indiens sur le sentier de la guerre. Un shoot de rage et de révolte, qu’aucun bâillon ne saurait contenir. Retarded loser : celui-là on ne l’attendait pas, la balle qui arrive si vite sur vous et vous tue avant que la détonation n’ait eu le temps de vous avertir du danger, au milieu ce hennissement instrumentalisé d’un cheval édenté qui perd ses dents alors qu’il galope, l’ai peut-être remis vingt fois avant de passer au suivant. Un bijou, une œuvre d’art à part entière. ( I feel like) the dayy of my birth : un démarrage clopin-clopant, faut bien qu’ils reprennent leur souffle, bien sûr il y a cette guitare qui s’amuse à jouer du kazou, la basse qui trombonise, mais la batterie et le vocal ne l’entendent pas ainsi, jouent au klaxon qui arrivent sur les lieux du désastre avant l’ambulance. L’est vrai que le bébé est né avant de naître. Vous concevrez qu’il soit tout à fait normal que ce morceau revête une apparence de folie surréaliste. Jessica : martèlement des guitares, c’est reparti pour Cythère. Tarifé. A fond de train. Cette fois vous avez un refrain dans le morceau. Le chanteur se métamorphose en chateur, il miaule de toute son âme. Chaque miaulement comme un jet de sperme brûlant dans le vagin de Jessica qui l’ouvre à tous. Un véritable bordel ce morceau. Suis sûr que vous allez faire la queue pour l’écouter. Ne riez pas. C’est le destin qui vous choisit et pas le contraire. She’s living in fear : sujet délicat. Morceau brûlant. Qui oserait l’écrire de nos jours. Vous admirerez cette fausse fin sifflante qui siffle sur nos têtes, suivie de ce final monstrueux. Splendide. Magnifique. Cent pour cent rock ‘n’ roll. Irremplaçable. Something about a gun : une fusillade, ici on admire en esthète, le fuselage racé de ces guitares qui vous court dans les oreilles, cette batterie qui vous entraîne sur les mauvais chemins, ce chant qui fait la course en tête, un bel objet rock ‘n’ roll comme l’on n’en fait plus. Maîtrisé de la première note à la dernière, un cadeau à l’Humanité. I’m coming back to you : je n’en dirai pas plus, terminent l’opus comme ils l’ont commencé et continué tout du long. Pas un titre qui dépare dans cet album. Huit missiles à longue portée qui touchent leur but, vous détruisent et du même coup vous ressuscitent. D’une beauté noire et incandescente.  Sans concession. Rock ‘n’ roll.

             Les galons d’or du rock français. Qui a osé faire mieux par ici ? La classe internationale.

    Damie Chad.