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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 13

  • CHRONIQUES DE POURPRE 630: KR'TNT 630 : SHANGRI-LAS / MARC BOLAN / NUDE PARTY / WHITEOUT / GIÖBIA / JEAN-FRANCOIS JACQ / KIVA / PIRATE HYMN / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 630

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    01 / 02 / 2024

     

    SHANGRI-LAS / MARC BOLAN

    NUDE PARTY / WHITEOUT / GIÖBIA

      JEAN-FRANCOIS JACQ / KIVA

    PIRATE HYMN / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 630

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    Le chant gris des Shangri-Las

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             Curieuse histoire que celle des Shangri-Las, quatre petites gonzesses du Queens réunies dans un studio par un producteur fantôme. On surnommait George Morton « Shadow » parce qu’il lui arrivait de disparaître comme un fantôme. Il est là, et soudain, il n’est plus là. George ? Good Lord, George ! Arrête ton cirque ! Ça nous fait pas rire ! Mais où est-il passé ? C’est incroyable ! Ho George ! Tu pourrais au moins nous répondre, espèce d’abruti ! 

             Les Shangri-Las étaient ce qu’on appelait à l’époque un quatuor vocal, comme il en existait des milliers à New York. Mais celui-ci était particulier, car constitué de deux paires de sisters, Betty et Mary Weiss d’un côté, Mary Ann et Marge Ganser de l’autre, deux jumelles. L’autre élément qui les distinguait des autres girl-groups, c’était leur réputation de bad girls. Mary Weiss trimballait un calibre avec elle. Quand les flics du FBI lui demandaient pourquoi elle était armée, elle répondait que c’était réservé au premier bâtard qui allait essayer d’entrer dans sa chambre d’hôtel. Tu veux un dessin, flicard ?

             Et puisque Mary Weiss vient de casser sa pipe en bois, nous allons procéder à une modeste oraison funèbre, comme il est d’usage sur ce bloggy-bloggah béni des dieux du web. Ici nous célébrons la mémoire de nos idoles et leur sacrifions non pas des agneaux mais nos ferveurs.

             La légende des Shangri-Las repose sur deux mamelles déterminantes : la production géniale de Shadow Morton et la voix de Mary Weiss. Mais cette légende doit aussi énormément aux clins d’yeux de fans célèbres comme les Dolls qui reprenaient « Give Him A Great Big Kiss », ou encore les Damned qui démarraient « New Rose » - leur single historique - avec la première phrase de « Leader Of The Pack » : « Is she really goin’ out with him ? » Beaucoup de gens en 1977 ne savaient pas trop qui étaient les Shangri-Las, et puisque Dave Vanian les citait, alors les Shangri-Las sont apparues dans les bacs des disquaires cupides qui n’avaient plus qu’un seul mot à la bouche : mythique !

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             La discographie des Shangri-Las n’est pas très dodue : seulement deux albums et une poignée de singles. Leader Of The Pack est sorti en 1964, et encore, ce n’est qu’une moitié d’album, car les deux paires de sisters n’avaient alors enregistré que quelques singles. Le label a rempli la B avec des cuts live de mauvaise qualité. Cet album a donc souffert d’une réputation pour le moins surfaite. De là à dire que c’est une fabuleuse arnaque, c’est un pas qu’on franchit avec allégresse. Jackie DeShannon n’aurait jamais toléré une telle arnaque.

             Mais c’est vrai, souviens-toi, les Shangri-Las sont des bad girls. Pour aggraver les choses, elles sont tombées dans les pattes de gens peu scrupuleux qui ont fait du blé sur leur dos. La pratique était courante à l’époque. Ça foutait les deux paires de sisters en rogne de voir que leurs singles se vendaient à des millions d’exemplaires et qu’elles ne palpaient pas un seul bifton.

             Tous les hits des Shangri-Las se trouvent sur le balda de Leader Of The Pack. À commencer par un « Give Him A Great Big Kiss » sévèrement claqué aux clap-hands. Quand il entendait ça à la radio en 1965, le jeune Johnny Thunders tombait en pâmoison. Pour composer le morceau titre de l’album, Shadow Morton s’était acoquiné avec Ellie Greenwich. Et pour corser l’affaire, il a fait entrer des gros bikers tatoués - avec leurs motos - dans le studio. Il voulait le vrai son. Alors OK. Tu veux le gros son ? Écoute ça ! Les mecs débrayaient et mettaient les gaz, vroaaaaar, en direct, et les filles chantaient sans tousser, malgré toute la fumée. Mary Weiss miaulait ça très perché. On sentait dans la rythmique un groove gigantesque à la Sonny & Cher. Le génie d’Ellie Greenwich avait encore frappé. Vroarrrrr ! On comprend que Dave Vanian soit tombé dingue de ce morceau qui sortait de son petit transistor alors qu’il creusait une tombe sous la pluie. « Leader Of The Pack » est à la fois une pièce fabuleuse de profondeur et une chanson affreusement triste. C’est avec ça que Shadow Morton s’est taillé une réputation de producteur légendaire. Plus tard, les Dolls le voudront comme producteur et il acceptera de produire leur second album, Too Much Too Soon.

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             Son autre coup de maître fut de faire entrer des mouettes dans le studio pour « Remember (Waiting In The Sand) » une mélopée bien sirupeuse, comme on les aimait à l’époque. T’as déjà essayé de faire rentrer des mouettes chez toi ? Pas facile. Ces bestioles sont particulièrement bêtes, au moins autant que les poules, il faut presque les assommer pour en tirer quelque chose. Shadow Morton a réussi un véritable coup de maître. Malgré le son pourri, on trouve des reprises prometteuses en B et notamment une version live de « Twist And Shout » chantée très perché. Mary et les jumelles arrivaient à sortir des trucs incroyablement sexy et sucrés.

             Quand elles ont démarré, elles étaient encore adolescentes. Mary n’avait que 15 ans et les jumelles 16. Pour partir en tournée avec les Beatles, elles durent quitter l’école et renoncer à l’éducation, ce qui les arrangeait bien, car en bonnes bad girls qui se respectent, elles ne pouvaient pas encadrer leurs profs. Elles ont donc passé les plus belles années de leur vie à sillonner les États-Unis avec des blanc-becs comme les Rolling Stones, les Animals, Vanilla Fudge et les Sonics, puis elles ont débarqué en Angleterre pour tourner avec des branleurs encore plus boutonneux, du style Herman’s Hermits.

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             Leur deuxième album, Shangri-Las 65, est sorti dans la foulée. Il est beaucoup plus solide que le premier. Avec « Right Now And Not Later », on a un son de rêve, un shuffle exceptionnel, soutenu aux tambourins, chanté à fond de train. C’est d’une puissance infernale. On trouve sur cet album pas mal de compos d’Ellie Greenwich et notamment « Give Us Your Blessings », une belle pièce de pop élancée qui plonge ses racines dans le gospel et que Mary Weiss chante à la mode californienne. Stupéfiant ! Shadow Morton signe « Sophisticated Boom Boom » que reprend aujourd’hui Kid Congo sur scène. « I’m Blue » est carrément une reprise des fabuleuses Ikettes. C’est groovy en diable et monté sur une big bassline. L’un de leurs plus gros hits restera sans doute « The Train From Kansas City », une grosse compo signée Ellie Greenwich, une vraie merveille taillée dans l’harmonique. On sent le drive d’Ellie, the beast of the Brill. Ellie avait du génie. Il faut voir comme elle tortille son couplet pour le faire sonner comme un hit planétaire, en plein cœur des sixties qui sont déjà congestionnées par des milliers de hits planétaires. On reste dans la magie sixties avec « What’s A Girl Supposed To Do », chanté aux voix perchées. Mary Weiss y va de bon cœur - woo oh woo oh yeah - c’est l’époque qui veut ça.

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             Puis leur étoile s’éteint et elles replongent dans l’anonymat. Les deux jumelles vont casser leur pipe. Mary et Betty essaieront de revenir en 1977, aidées par Andy Paley, mais le projet d’album restera à l’état de projet. Il faudra attendre 2007 et l’aide de Billy Miller (Norton) pour qu’un album de Mary Weiss apparaisse chez les disquaires. Ce sera le fameux Dangerous Games. Fameux car salué par Shadow Morton qui était alors encore vivant, mastérisé chez Sundazed et doté d’une pochette signée Roberta Bayley - la photographe qui a fait la pochette du premier album des Ramones, et les portraits officiels de Richard Hell, des Dolls (devant Gem Spa) et des Heartbreakers, entre autres. Ce sont les Reigning Sound qui accompagnent Mary Weiss sur Dangerous Games. Ce gros coquin de Greg Cartwright est remonté au Nord pour se rapprocher des femmes fatales. On l’a vu sur scène avec Rachel Nagy et ce qui reste des Detroit Cobras. Voilà maintenant qu’il fricote avec Mary Weiss et qu’il lui compose des chansons, souvent très bien foutues. Et dans les chœurs on retrouve Miriam Linna, elle aussi bien pourvue, côté légende. Très vite, on tombe sous le charme de « Nobody Knows (But I Do) » une belle power-pop signée Greg Cartwright. Voilà une grosse pop à la mode new-yorkaise superbement travaillée et lumineuse, dynamique et entêtante. Mary Weiss chante désormais d’une voix de tête très mûre. On tombe ensuite sur une énormité qui s’appelle « Stop And Think It Over », une power-pop d’allure royale, embarquée au bassmatic aérodynamique et dotée d’une grâce presque typique des Oblivians. Mary Weiss montre qu’elle peut encore monter très haut, over the rainbow, si elle veut. Les compos des autres copains sont un peu plus faibles. Les seules qui tiennent la route sont celles de Greg Cartwright. On sent que l’animal veut s’inscrire dans la légende. Elle fait aussi une reprise des Real Kids, « Tell Me What You Want Me To Do », traitée en tressauté avec des nappes d’orgue à la Blondie. C’est un audacieux mélange de pop new-yorkaise monté sur le riff du « Venus » des Shocking Blue. D’autant plus surprenant que le solo est quasiment le même, note pour note. Sans doute un clin d’œil. Retour en force d’Ellie Greenwich avec « Heaven Only Knows », la vraie pop du Brill avec des chœurs agonisants. Lorsqu’Ellie traîne dans les parages, on ne craint pas l’ennui. S’ensuit un « I Don’t Care » qui reste dans la haute volée. Compo soignée, agitée aux tambourins, inspirée et dotée d’une jolie mélodie, comme dirait Robert Charlebois.

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             Et Shadow ? Mais où est-il passé ? Les gens d’Ace se sont occupés de lui en publiant en 2013 une rétrospective : Sophisticated Boom Boom! The Shadow Morton Story. On y entend les artistes que découvrit ou produisit Shadow Morton : les Shangri-Las, Janis Ian, Blues Project, Vanilla Fudge, Iron Butterfly, Mott The Hoople et les Dolls. Si on ne connaît pas Janis Ian, c’est l’occasion de la découvrir avec « Too Old To Go ‘Way Little Girl », grosse pièce de folk-rock psyché chantée à fond de train, complètement extravagante.

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             La vraie merveille qui se niche sur cette antho à Toto, ce sont les deux titres enregistrés par Ellie Greenwich. Et là, on entre dans la légende, comme si deux esprits supérieurs, Ellie et Shadow, nous conviaient à partager un moment de leur intimité artistique. « Baby » est un hit planétaire. Ellie, c’est la reine de New York, elle embarque son baby-baby et rentre dans le lard du retour de manivelle. Elle a le sens parfait du jerk - So close to my heart ! - C’est une merveille. Elle fait un autre titre moins spectaculaire, « You Don’t Know » qu’elle taille dans la mélodie.

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    Une fois qu’on a bien épluché l’antho, on peut se plonger dans le booklet de 40 pages qui l’accompagne et là, on trouve tout ce qu’on a besoin d’apprendre sur Shadow Morton. Mick Patrick avait entrepris une correspondance par mail avec Shadow et là attention, attachez vos ceintures, car on fonce droit dans la mythologie, la vraie. Shadow raconte ses souvenirs de gamin dans le gang des Red Devils, au sud de Flatbush Avenue, puis il raconte comment il a voulu entrer dans le show-biz en montant au neuvième étage du Brill Building pour proposer une chanson qu’il n’avait pas encore à Ellie Greenwich qui le reçoit bien, mais il y a ce con de Jeff Barry qui le snobbe. Ça ne plaît pas du tout à Morton qui vient de Brooklyn, qui est irlandais et alcoolique. Il ne faut pas trop lui courir sur l’haricot - You don’t take that attitude with me very long ! - Barry lui demande de quoi il vit, alors Shadow prend ça comme une insulte et lui répond avec morgue : 

             — La même chose que vous, j’écris des chansons !

             — Quel genre de chansons ? 

             — Des hits ! 

             — Alors ramenez-en un ! 

             Shadow sort du bureau aussi sec, il attend quelques secondes et il revient dans le bureau avec un grand sourire :

             — On a oublié de préciser une chose. Un hit rapide ou un hit lent ?

             Barry se marre et lui dit :

             — Kid, bring me a slow hit !

             Fantastique démarrage en trombe, complètement à l’esbrouffe. Shadow a rendez-vous le mardi suivant. Il connaît un nommé George Sterner qui connaît des musiciens. Il connaît aussi quatre filles du Queens, qui accepteraient d’enregistrer une démo dans un studio de bricolo. Il lui manque encore le plus important : la chanson. Il compose « Remember (Walkin In The Sand) » dans sa tête et pouf, c’est parti ! Ce qu’il fait plait beaucoup à Jerry Leiber qui l’engage comme compositeur et producteur. Quand il touche son premier chèque de royalties, Shadow s’achète une Harley. Et il replonge dans la mythologie de son adolescence, il se souvient de l’énorme gang de bikers au soda shop, et il compose « Leader Of The Pack » ! Petite cerise sur le gâteau, il fait mourir son héros biker. On lui dit que ça ne passera jamais à la radio. Les histoires de voyous en motocyclettes n’intéressent pas les gens. Shadow croit que sa dernière heure est arrivée et qu’il va se faire virer du Brill. Mais « Leader Of The Pack » devient un hit interplanétaire qui dégomme le « Baby Love » des Supremes de la tête des charts. Et pour les Shangri-Las, c’est la consécration.

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             C’est l’une des grandes histoires de rêve du rock américain. Ce petit mec de Brooklyn et ces trois filles du Queens ont réussi à monter une belle cabale à partir de rien. Jeff Barry admet que les Shangri-las étaient avant tout la vision de Shadow Morton - He was such a dramatic guy - Et comme « Leader Of The Pack » devient un hit énorme, Shadow offre une Harley à Jeff Barry. C’est certainement cette machine que Barry va piloter pour accompagner son pote Bert Berns en virée dans les Catskills Mountains, au Nord de New York. En fait, Shadow fabrique des petits opéras de quat’ sous avec des effets sonores, et ça plaira beaucoup au public, car les effets favorisent le travail de l’imagination. Fermez les yeux et vous verrez le biker foncer dans un mur.

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             C’est George Goldner, patron de Leiber & Stoller, qui surnomme George Morton ‘Shadow’, à cause de sa manie de la disparition - I did the bars on Long Island, shot some pool, made some bets, played some liar’s poker - Shadow disparaît dans les bars de Long Island, il joue au billard, fait des paris et joue au poker menteur. Ellie Greenwich trouvait les Shangri-Las à la fois dures et vulnérables. Elle trouve que Mary Weiss n’était pas une grande chanteuse, mais elle avait exactement ce qu’il fallait pour faire des disques intéressants - Her whole thing was her look and her sound - Et elle avait cette voix de nez et cette attitude de fille de la rue - The best of both worlds - Puis Shadow découvre Janis Ian, une petite prodige de 15 ans originaire de Manhattan. C’est un nommé Vigola qui ramène Janis un matin dans le bureau de Shadow. Vas-y chante un coup. Elle gratte sa guitare Ovation et chante son truc. Shadow lit un journal, le pieds croisés sur son bureau et marmonne des injures destinées à Vigola, du genre je vais te balancer par la fenêtre. Janis remet sa guitare dans l’étui, sort un briquet de sa poche, fout le feu à un papier qui dépasse du bureau et s’en va en claquant la porte. Jeff Barry la rattrape dans l’ascenseur et la ramène chez Shadow qui lui demande de rejouer sa chanson. Puis il appelle Ahmet Ertegun pour lui dire qu’il a une nouvelle artiste et qu’il veut l’enregistrer. Ahmet demande s’il peut l’entendre. Shadow lui dit non. Mais aucun label ne veut d’elle, pas même Atlantic qui fait la fine bouche. C’est MGM qui sort le premier disque de Janis Ian, en même temps qu’une autre énormité de l’époque, « Wedding Bell Blues » de Laura Nyro. Puis un jour, Shadow reçoit un coup de fil de Leonard Bernstein. Sa secrétaire croit que c’est un gag. Mais non, c’est bien le grand Leonard. Il veut rencontrer Janis. Et pouf, un nouveau mythe prend forme.

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             Atlantic se plaint à un moment de n’avoir que des noirs dans son cheptel. Ahmet demande à Shadow de lui trouver un white soul group. Atlantic perd de l’argent chez les blancs et il veut un groupe blanc pour reconquérir le marché. Pas de problème, Shadow a repéré les Young Rascals. Puis on lui présente les Pigeons. Shadow n’aime pas le nom du groupe. Mais quand il les voit jouer su scène, il est complètement fasciné par les quatre compères, Tim Bogert, Vinnie Martell, Mark Stein et Carmine Appice. Il fait une démo avec eux et la balance à Atlantic qui demande à les voir. Shadow dit non. Les Vanilla Fudge sont dans les pattes du producteur idéal. C’est lui qui lance ce groupe monstrueusement doué. Shadow balaie aussi les réticences d’Atlantic qui ne voyait pas de hit single dans le premier album. En 1968, Shadow participe aux sessions d’enregistrement d’Eli And The Testament Confession de Laura Nyro et d’Electric Ladyland de Jimi Hendrix  - I happened to be one of the two who ended up three days in the studio recording with him. We cut about seven or eight sides - Puis Ahmet Ertegun insiste pour que Shadow produise l’« In-A-Gadda-Da-Vida » d’Iron Butterfly. Ils voulaient le Long Island sound.

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             Dernier grand épisode de la saga Shadow : les New York Dolls. Ils voulaient Jerry Leiber et Mike Stoller comme producteurs, mais ceux-ci se désistèrent. Alors ce fut Shadow. À l’époque, Shadow est fatigué du business et la musique l’ennuie. Il accepte cependant de relever le défi des Dolls - The Dolls can certainly snap you out of boredom - Ils travaillent 24 heures sur 24 - They had an incredible amount of energy. God, I remember the scenes in the studio. The word intense is not intense enough - Il les laisse faire ce qu’ils font habituellement et se contente de les enregistrer - I try to capture what they, the artists, do - Le booklet est en plus bardé d’images fantastiques de Shadow. Sans les gens d’Ace, que serions-nous devenus ?   

    Signé : Cazengler, Shangri-gros lard

    Mary Weiss. Disparue le 19 janvier 2024

    Shangri-Las. Leader Of The Pack. Red Bird Records 1964

    Shangri-Las. Shangri-Las 65. Red Bird Records 1965

    Mary Weiss. Dangerous Game. Norton Records 2007

    Sophisticated Boom Boom! The Shadow Morton Story. Ace Records 2013

    De gauche à droite sur l’illustration : Marge Ganser, Mary Weiss et Mary Ann Ganser, ou Mary Ann Ganser, Mary Weiss et Marge Ganser, c’est comme on veut.

     

     

    Wizards & True Stars

     - Bolan mal an (Part One)

     

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             Marc Bolan revient dans l’actu via un beau tribute : Elemental Child - The Words And Music Of Marc Bolan. Cet Easy Action sort tout juste du four. Une façon comme une autre de nous rappeler que Marc Bolan fut une star aussi énorme qu’éphémère, principalement en Angleterre. Quelques souvenirs d’aventures romantiques restent imprégnés de «Get It On». À Londres, dans les early seventies, il fallait traîner dans certaines discothèques pour rencontrer des filles, et le glam faisait rage, surtout celui de Marc Bolan. Dans les boutiques de fringues, on entendait T. Rex et Slade. Plus tard, ce sera le «Star Sign» des Fannies. Et encore plus tard «Rock’n’Roll Star» d’Oasis. Tout cela est si terriblement anglais. Voilà comment dans la vie on se fait façonner.

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             Pour goûter aux délices de cette époque révolue, rien de tel qu’un bon tribute. Elemental Child est en soi un événement, même si les contributeurs ne sont pas les plus connus, exceptés Andy Ellison, Swervedriver et Rachel Stamp. Comme chacun sait, Andy Ellison et Marc Bolan ont à une époque navigué ensemble dans John’s Children, un groupe culte rival des Who.

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    Jet et les Radio Stars naîtront des cendres de John’s Children. Puis Boz Boorer, le mec des Polecats, remontera John’s Chidren dans les années 90. Il n’est donc pas surprenant de retrouver Andy Ellison et Boz Boorer sur deux des cuts du tribute, «The Third Degree» et «Menthol Dan». Belle tension Mod pop, bien contrebalancée, avec du big bass drum d’Andy, Oh Andy, l’une des rock stars britanniques les moins connues. Quel swagger ! Il ramène toute la vieille niaque de John’s Children. Quel bonheur encore que de retrouver Swervedriver. Ces mecs ont toujours navigué au-dessus de tout soupçon. Ils tapent «Chateau In Virginia Waters» avec tout le velouté de leur classe et leur génie liquide. Ils ont toujours su se répandre en douceur. Rachel Stamp se planque sur le disk 2 et tape une cover stoogienne de «Calling All Destroyers» - They change the key & add a few extra chords, nous dit le liner-man - Belle vison du monde magique de Marc Bolan. Les Polecats de Boz Boorer tapent une belle cover rockab de «Jeepster» : double wild craze, celle de Boz, et celle de la stand-up. C’est ce que Jack Rabbit Slim n’a pas compris : on peut claquer les sixties en mode rockab, et même y conserver l’esprit du glam. Et puis voilà le bataillon des inconnus qui nous offrent un festin de belles covers : Witchwood avec «Child Star» (ces mecs connaissent tous les secrets des vagues, ils reviennent inlassablement lécher la rive, et comme ils sont persuadés d’être des élus, ils visent le sommet de la Mad Psychedelia, avec de gros moyens, dont une flûte), Chris Connelly & The Liquid Gang avec «Cat Black (The Wizard Hat)» (Gorgé d’écho, inspiré, puissant et plongé), The Charms avec «Elemental Child» (produit par Jim Diamond, c’est le glam de Detroit, même veine que Timmy’s Organism, touillé dans le brasier au tison-solo). Et sur le disk 2, les Black Bombers avec «Raw Ramp» (tapé à la vie à la mort du petit cheval, puissant parfum glam dans le feu de l’action), Kelly Relly avec «Ballroom Of Stars» (elle découvre le glam à 11 ans, la voilà avec le top hat et c’est elle qui passe le solo), Mexican Dogs avec «Life’s A Gas» (tout le glam est dans le chant, ils tapent d’ailleurs leur glam à coups d’acou), et Burn It To The Ground avec l’imparable «Children Of The Revolution» : version hardcore, mais dans le feu de l’action, ils fourbissent bien le glam, c’mon ! Dans le mix du diable, ils parviennent à maintenir le refrain magique.

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             Tant qu’on y est, on peut feuilleter l’excellente bio de Mark Paytress, Bolan: The Rise And Fall Of A 20th Century Superstar. Comme le font la plupart des grands biographes, Paytress parvient à arracher son sujet au passé pour le recaler dans le présent, et accessoirement lui redonner vie, le temps d’une lecture. Et pour chasser toute ambiguïté, il propose dès les premières pages un rééchelonnage, affirmant que Bolan était une pop idol au même titre que Jimi Hendrix et Elvis - He was simply one of those characters that was a star almost by nature - Il ajoute que la gloire ne vint que plus tard, sous forme d’un by-product - Superstardom was his destiny - Son destin prend forme lorsqu’à 9 ans il découvre «the singing dancing demigod Elvis». Choc terrible en 1956 avec «Hound Dog». Il abandonne aussitôt ses héros d’enfance, Davy Crockett et Geronimo. Hail! Hail! Rock’n’roll

             Il s’appelle encore Mark Feld et devient Mod, l’un de ces obsessive stylists qui hantaient les London modern jazz clubs. Paytress entre alors dans le lagon d’argent de la culture Mod. Bolan devient Mod à 11 ans, il cultive ce style incarné par Frankie Laine, un mélange de modernité et de sophistication, de soin du détail et d’originalité. Il devient la «star of three streets in Hackney», il porte la cravate et collectionne les costards. Comme il est pauvre, il doit se débrouiller pour trouver des fringues pas chères et les faire retaper à la maison. Il possède 40 costards. Marc the Mod change de fringues quatre fois par jour. Il salue d’un hochement de tête les gens hip dans la rue. Mais il n’a pas d’amis. Et il a la trouille des scooters. Il déteste aller au bord de la mer. Pas à cause des crabes. Il ne veut pas que l’eau le décoiffe.

             Il se passionne pour Woodie Guthrie, puis pour Dylan, un solitaire, comme lui - the archetypal romantic rock artist - L’ex-Mod Bolan se conçoit désormais comme un mystère et devient poète. Le Mod devient un hippie, c’est-à-dire une extension du romantic rebel dont l’archétype est Bob Dylan. Bolan veille à rester cohérent. Il cultive un «Beatnick-inspired poverty chic» et reste obsédé par son image. Il flirte nous dit Paytress avec a kind of cerebral striptease. Il devient le fruit de son imagination et découvre grâce à Dylan que la musique peut aller sur un terrain jusque-là réservé à la littérature. Il apprend à gratter ses poux et à souffler des coups d’harp. Sous son romantisme couvent ses aspirations au superstardom. Paytress établit vite un autre parallèle fondamental avec Syd Barrett. Ils sont tous les deux bruns, bouclés, «and incredibly cute Aquarian pin-ups with suggestions of androginy who radiated airs of unblemished innocence.» Syd et Marc vont aussi avoir la même poule, June Child. Mais comme le dit si joliment Paytress, en quelques mois, les abus d’acides et de mandrax allaient «libérer Barrett de ses responsabilités de pop star.» Bolan ne l’oubliera pas : «One of the few people I’d actually call a genius. He inspired me beyond belief.» Pete Brown précise toutefois que Syd Barrett était beaucoup plus convainquan «car il était beaucoup moins préoccupé de son talent poétique.» Brown ajoute que Barrett avait fréquenté l’art school, ce qui le rendait beaucoup plus sophistiqué. Il dit aussi que la comparaison de Bolan avec Dylan est un peu exagérée : «Quand Dylan faisait du mysticisme, il tapait dans l’imagerie de la Bible, il était beaucoup plus pointu que le fut jamais Bolan.» Il ne supporte pas non plus le côté féerique, the Tolkien stuff, qu’ont exploité les hippies. Bullshit ! Combiné aux acides, ça a bousillé les gens - It sent people off to a kind of numbskull cloud cuckooland.

             Le producteur indépendant Jim Economides prend Bolan sous son aile et l’emmène pousser la chansonnette chez le Decca boss Dick Rowe qui lui offre un one-single record deal. Comme il s’appelle encore Mark Feld, il sent venir le moment de changer de nom. Il fréquente un acteur nommé James Bolam et il aime bien son nom - Mark liked the sound of it - Puis Mark devient Marc. Comme il a besoin d’un svengali, il va trouver en 1966 Simon Napier-Bell. Il sonne à sa porte, Napier ouvre - He liked what he saw - Napier voit Bolan comme un «Charles Dickens urchin». Bolan rentre avec sa gratte, s’assoit et gratte ses cuts - His guitar playing was appalling, but I just loved the voice - Bolan s’inspire de ses idoles, Dylan, Cliff Richard et même Sonny Bono et trouve un style vocal unique à l’époque. On a aussi comparé sa voix à celles de Bessie Smith et de Buffy Sainte-Marie, dont il s’était épris. Napier est aux anges. Il voit Bolan développer un style complètement innovant. Petite cerise sur le gâtö : il compose. Et ses compos impressionnent Napier qui est encore le manager des Yardbirds. Mais Napier en a marre du bordel interne des Yardbirds, il trouve Bolan plus reposant et «plus intéressant», «a nobody with a great face, a distinctive voice, a handful of good songs and bags of enthusiasm.» En plus Napier trouve les Yardbirds ringards - The boring old Yardbirds were the straightest, dullest bunch ever - Il explique qu’il est hédoniste, il cite l’exemple de Brian Epstein qui louchait sue les Beatles, alors il louche sur Bolan et John’s Children.

             À l’époque, Bolan couche avec tout le monde, y compris Napier. Lequel Napier rappelle que durant les sixties, «c’était impossible d’avoir des relations normales avec les gens. Elles ne pouvaient être que sexuelles. Mais les relations restaient ponctuelles. Pas d’engagement. Rien de plus que de fumer un joint ensemble. Je pense que Marc avait des relations avec des tas de gens qui n’étaient pas intimes, mais des nice, easy relationships.»   

             Paytresss qualifie John’s Children de «ramshackle bunch from Leatherhead». Napier ne jure que par eux. Il vire le guitariste Geoff McClelland et le remplace par Bolan. Le groupe rivalise de chaos avec les Who. Bolan frappe son ampli à coups de chaîne. Ils tournent en Allemagne avec les Who et finissent par se faire virer de la tournée. Irrité par leur «almost immature appetite for destruction», Townshend s’en débarrasse. Napier et les John’s vont rentrer à Londres la queue entre les jambes, avec 25 000 £ de dettes - and I’d wrecked my car, ajoute Napier - C’est la fin du groupe. Bolan ne jouera plus avec eux. Dommage, car en 1967, les John’s Children ont enregistré une douzaine de compos de Bolan. Paytress indique que si «Desdemona» avait décollé, les John’s Children seraient devenus «a very Bristish response to the Velvet Underground.» Il ajoute plus loin qu’avec «Hot Rod Mama», «John’s Children were Britain’s premier garageland rockers.» Quand paraît le single «Midsummer Night’s Scene», Bolan a quitté le groupe.

             Après l’épisode John’s Children, Bolan se réinvente. Il abandonne le pop world capricieux pour se repositionner dans l’underground. Il va travailler son image obsessivement, l’ex-Mod crée sa légende vestimentaire avec des jackets en patchwork, des «green girl shoes and a cascading crown of Pre-Raphaelite hair.» C’est l’avènement de Tyrannosaurus Rex, un nom trouvé dans une nouvelle de Ray Bradbury, A Sound Of Thunder. Baptême du feu avec le «Debora» de sinistre mémoire. Ah comme on a pu détester ce mauvais single et ces bêlements de chèvre.

             Bolan monte le duo avec Steve Peregrin Took, salué ici même en 2017, lorsque Luke la main froide lui rendit hommage dans sa column de Record Collector. C’est aussi le début d’une belle romance avec John Peel qui flashe sur la voix de Bolan. Ils partagent en outre une passion immodérée pour les «old Gene Vincent and Eddie Cochran 45s.» Joe Boyd voit Tyrannosaurus Rex sur scène. Bien qu’ils sonnent acoustiques, il trouve que les cuts de Marc sont toujours «rock oriented». C’est là que Tony Visconti entre en scène. Comme Peely, il flashe sur Bolan - Alors que Steve avait l’air d’un hippie, Marc ressemblait à un exotic gypsy with his curly hair - Comme Tony Visconti bosse pour Denny Cordell, il insiste pour les signer. Mais Cordell dit qu’il ne comprend rien à leur son. Mais il fait confiance à Visconti et les signe.

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             Il est indispensable de remettre le nez dans les albums qui précédent la T-Rexamania, à commencer par My People Were Fair And Had Sky In Their Hair... But Now They’re Content To Wear Stars On Their Brows paru en 1968. Bolan y ramène «Hot Rod Mama» et «Mustang Ford» qu’il jouait déjà dans John’s Chidren, le Mod-band mythique qui l’avait accueilli en 1967. À la fin du groupe, Marc dut restituer la Gibson SG et l’ampli. Pas grave ! Il ressortit aussi sec sa vieille acou Suzuki, se convertit au hippisme et engagea Took pour jouer des congas. Ils jouaient à deux, assis par terre sur des tapis. Avec «Hot Rod Mama», Bolan invente le rockab hippie et il se met à bêler comme la chèvre de Monsieur Seguin. C’est d’une extraordinaire vitalité hippie. Mais ça marche uniquement parce que Took y croit.

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    Ils se placent tous les deux sous le patronage de William Blake et John Peel les prend vraiment au sérieux. La version de «Mustang Ford» qui ouvre le bal de la B vaut largement le détour. Le parallèle avec le monde magique de Syd Barrett saute aux yeux, gentil monde d’étrangeté et d’innocence. Bolan devient le prince des poètes du paranormal. Paytress fait aussi un parallèle avec Donovan - un Donovan que Peely surnomme the prince of loveliness - Avec The Piper At The Gates Of Dawn et A Gift From A Flower To A Garden, le premier album de Tyrannosaurus Rex complète la trilogie du summer of love londonien. «Child Star» continuera de fasciner jusqu’à la fin des temps, car Bolan chante ça à la savate traînée, avec du child star craché dans l’écume des jours. C’est stupéfiant de présence et complètement licornique. On sent l’ombre de Took planer sur un «Strange Orchestras» gorgé de cette volonté de transe londonienne. On les sent tous les deux déterminés à vaincre. Ils se spécialisent dans les beaux mantras, comme on le constate à l’écoute de «Chateau In Virginia Waters». C’est fou ce qu’à l’époque leur truc pouvait accrocher. Avec Chateau, on comprend les raisons pour lesquelles un bon gars comme Peely a pu craquer. Bolan invente le «neo-pyschedelic pastoral» avec «Dwarfish Trumpet Blues», un fabuleux groove de drone hippie. En B, on tombe sur le fantastique «Knight», une transe épique et translucide. Voilà l’un des sons les plus intéressants du Londres d’alors, gorgé d’une énergie de bongos et de Took attitude. Ils étaient ce qu’on appelait alors des beautiful freaks, des créatures qu’on ne croisait que dans les rues de Londres, certainement pas à Paris. On tombe plus loin sur le joli freakout de «Weilder Of Words» et ils terminent avec un pur mantra, «Frowning Atahualpa», chargé de ces effluves orientales dont Londres raffolait à l’époque. On respirait tout ça chez Biba et au Kensington Market.  

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             Avec Prophets, Seers & Sages: The Angels Of The Ages, Bolan et Took s’affirment, Tony Visconti les produit, et dès «Stacey Grove», ils sortent un son plus sourd et ineffablement judicieux. On sent nettement que Bolan prend son envol, il chante à la corde sensible et bêle à l’occasion. L’amusant de cette histoire, c’est que ce hippie invétéré va devenir une glam-rock idol et même the Godfather Of Punk. Captain Sensible le vénère et les Damned partiront en tournée avec T. Rex. On tombe en B sur «Salamanda Palaganda», un parfait délire hippie que Paytress taxe de mesmerizing frenzy. C’est vrai qu’à deux ils parviennent à créer les conditions d’une espèce de transe. Quelque chose d’assez fascinant se dégage en permanence de ce concept sonore imaginé par Bolan. En même temps, on ne sait plus si on écoute ces vieux albums pour Bolan ou pour Took. Encore un coup de Jarnac hypno avec «Juniper Suction». Took y prend le contre-chant. Et c’est avec «Scenesof Dinasty» que se joue véritablement le destin de cet album. Ce long poème fleuve joué aux clap-hands est un authentique coup de génie. Bolan le chante si bien qu’on croirait presque entendre Dylan chez les hippies. Pur génie de la diction et du travail de souffle. S’il faut emmener un cut de Bolan sur l’île déserte, c’est forcément «Scenesof Dinasty». C’est là que Marc Bolan entre dans la légende.

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             Nouveau bond en avant avec Unicorn, paru en 1969. Il faut dire que les pochettes des trois albums sont particulièrement réussies : la première est une illustration féerique, la seconde nous montre Bolan et Took photographiés en noir et blanc dans un parc et la troisième nous les montre tous les deux cadrés en gros plan. Ce troisième album du duo est une véritable pépinière de hits, à commencer par l’excellent «Chariots Of Silk», solide, envoûtant, gorgé d’adrénaline hippie et déjà T. Rexy jusqu’à l’oss de l’ass. Ce cut sonne vraiment comme un hit, avec sa descente mélodique et ses tchoo-tchoo-tchoo à la Mary Chain. Bolan se paye une belle tranche de décadence dans «The Threat Of Winter», une pop-song d’une effarante élégance, pleine de légèreté et de mystery bliss. On monte encore d’un cran dans l’extase avec «Cat Black (The Wizard’s Hat)». Paytress rappelle que Bolan est une fervent admirateur de Dion’s Runaround Sue sort of songs. Bolan emmène sa mélodie au firmament, voilà un hit visité par la grâce préraphaélite et qui éclôt dans l’azur immaculé des sixties. Le génie de Marc Bolan s’y entend à l’infini. Par contre, la B est complètement ratée. On se consolera en rapatriant la réédition de l’album parue sur A&M en 2014. Il s’agit en effet d’un double album proposant sur le deuxième disque des choses qui ne figurent pas sur les albums officiels, comme par exemple le dernier single du duo Bolan/Took. N’ayons pas peur des mots : «King Of The Rumbling Spires» est pour le fan de base du duo un passage obligé : Bolan et Took s’électrifient. C’est du T. Rex avant la lettre, a riffy, mesmerizing gothic folly, avec Took on bass et Marc qui joue de la fuzzed-up reverberated guitar. C’est énorme et à l’époque, ça passa à l’as ! Voilà un hit qui sonne comme ceux des Move. Le Tyrannosaurus fait de l’œil au Brontosaurus à venir des mighty Move. Pure merveille ! La B-side du single s’appelle «Do You Remember», claustrophobique en diable. On trouve aussi sur ce disk de bonus l’une des ultimes démos du duo : «Once Upon The Seas Of Abyssinia». Mais attention, ce n’est pas fini. Il reste à écouter l’excellent «Ill Starred Man» qui sonne littéralement comme du Ray Davies. Stupéfiant ! Bolan se rapproche de la raie de Ray et préfigure Bowie. Il est le maillon manquant du décadentisme dont on se fera les gorges chaudes un peu plus tard. Le dernier cut de la B s’appelle «Blossom Wild Apple Girl», une fois encore absolument brillant et sevré de décadence. La voix de Bolan se pose comme une plume dans une lumière de printemps imaginée par Edward Burne-Jones. Ce hit solide, précieux et anglais jusqu’au bout des ongles corrobore les corridors. 

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             Keith Altham est surpris par l’évolution de l’ex-Mod, de l’ex-Beatnik et de l’ex-John’s Children dynamo : «I saw Tyrannosaurus Rex at the Albert Hall and they bored me to death.» Puis au retour d’une tournée américaine chaotique, Bolan se débarrasse de Took et le remplace par Mickey Finn, un gentil toutou qui dit oui à tout. Visconti : «Mickey was a breath of fresh air after Steve who was very heavy.» La relation avec Peely va aussi tourner court. Peely avoue qu’il n’était pas dupe, Bolan se servait de lui pour passer à la radio. Peely dit aussi que Bolan a quelque chose de dur en lui, et que généralement, le succès ne fait qu’empirer les choses. Quand plus tard, Peely refuse de passer «Get It On» dans son émission, car il estime que Bolan devenu superstar n’a plus besoin de son aide, Bolan le prend mal et lui tourne le dos. Peely : «Marc didn’t become a monster but he didn’t have to be Mr. Nice Guy any more.» Peely pense que Bolan l’associait avec le souvenir des jours difficiles et qu’il voulait fréquenter d’autres gens. Napier pense que c’est Mungo Jerry qui a aidé Bolan à décoller, à le sortir de l’ornière du circuit des universités. Quand il arrive sur Fly Records, un petit label monté par Kit Lambert, Bolan largue le Tyrannosaurus et passe à T. Rex. Il va décoller avec un 12-bar record, «Hot Love», en 1971, en même temps que deux autres 12-bars, «I Hear You Knocking» de Dave Edmunds et «Baby Jump» de Mungo Jerry. Bolan passe du statut de «cross-legged hippie troubadour» à celui de «swaggering pop idol».

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             Bon, pas la peine de tourner autour du pot : le premier album sans titre de T. Rex ne casse pas des briques. Dommage, car la pochette inspire confiance : Bolan et Mickey Finn ressemblent à des superstars. Par contre, quand on lit les notes de pochette, le nom de Finn n’apparaît nulle part. Il sert de faire-valoir. Bolan voulait juste un good-looking kid près de lui. Globalement, ce premier T. Rex sonne très Tyrannosaurus Rex, avec les tablas et la position de lotus. Bolan fait sa chèvre comme au temps de «Debora» dans «It Is Love», c’est encore très tablas sur «Summer Deep» mais avec un gratté de poux électrique. Avec «Root Of Star», Bolan impose un style vocal unique, très fruité. On sauve cependant deux cuts : «Jewel», joli de shoot de boogie, real deal de British Underground doté d’un fantastique développé. Bolan grimpe au sommet de son lard en devenir. L’autre cut s’appelle «Seagull Woman», très T-Rextasy, traversé par un fantastique filet de solo fin.

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             Bolan sent qu’il faut sortir les crocs et durcir le son. Il engage Steve Currie et Bill Legend. Visconti est aux manettes pour capter ce nouveau son raw and primitive. Ils enregistrent l’Electric Warrior live au Media Sound Studio de New York. Bolan : «We recorded like the early Sun records.» Avec sa pochette en forme de «first iconic image of the Seventies», Electric Warrior frappe les imaginations. Paytress dit qu’Electric Warrior est l’héritier du Plastic Ono Band de John Lennon paru juste avant : même simplicité, même immédiateté. no-frills rock’n’roll sound. On y trouve des perles rares du genre «Monolith», un fantastique balladif de charme que Bolan chante au tremblé de glotte. Quel enchanteur ! C’est aussi sur cet album que se trouve l’un des plus grands hits de l’ère glam, «Get It On», l’archétype de l’apanage des alpages. On peut dire la même chose de «Jeepster», monté sur un riff de boogie. Glam joyeux et digne de cette grande époque que fut l’adolescence, temps béni du libre arbitre et des métabolismes changeants. On comprend rapidement que Bolan crée son monde, comme va le faire Bowie. Autre hit glam : «Mambo Sun», doté d’une belle tension sexuelle. Avec «Girl», Bolan retrouve ses vieux accents charmants, Bolan mal an. C’est ici qu’il swingue la décadence, comme va le faire Bowie. Dans «The Motivator», Bolan laisse remonter des relents de «Deborah», à base de tablas et de groove intimiste. Il préfigure encore Bowie avec «Life’s A Gas», dans le chaud du ton. Bolan est aussi à l’aise sur les balladifs que sur les hits glam. Cet album attachant est bourré de son et de proximité. Album emblématique d’une rockstar anglaise.

    T-Rex explose en Angleterre. Electric Warrior déclenche la T-Rextasy, suite de la Beatlemania. C’est aussi l’avènement du glam. Tout repart à zéro, comme en 1956 et en 1964. Bolan devient le «20th century schizoid rock man», et Paytress indique que dans la presse il est victime d’une «overdose of hype». Devenu riche, Bolan se paye une AC sports car et une Rolls. En studio, il peaufine avec Visconti un T. Rex Sound à l’image du personnage - extravagant, magnificent, unmistakeable - Iggy qui est alors à Londres voit T. Rex sur scène et trouve le show «kinda Chipmunky». Il ne succombe pas au charme de Bolan. Mais pour tous les autres, «T. Rex are the new Beatles, the biggest pop sensation in years.» Avec «Telegram Sam», Bolan et Visconti veulent se démarquer du hit factory de Totor et du Motown Sound. Ils basent tout sur le fuzzed-up guitar riff, ils créent le concept de «pocket symphony». Bolan ne sortira plus de ce concept.

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    ( Marc Bolan + Mickey Finn)

             Visconti raconte un épisode étrange : «On est en route, dans la limo, je suis assis à l’arrière avec Marc, Mickey, Steve et Bill. Marc est bourré. Il boit du cognac au goulot. C’est le matin. Soudain, il attaque une chanson. ‘I’m an old boon dog from the boon docks.’ Il essaye de nous faire chanter avec lui. On a tous un peu la trouille. The leader is out of control. Je n’ai jamais eu peur de me confronter à lui, mais je savais que ce n’était pas le bon moment pour le faire. Il insiste : ‘C’mon everybody sing! C’mon Mickey you cunt!’. Il aboie comme un chien, il est complètement soûl. Pour faire baisser la tension, Mickey se met à chanter, et Marc passe son bras autour de son épaule. That’s how the Slider began.»   

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             Bolan se tape encore une pochette iconique pour The Slider. Tous les fans de glam chérissent cet album pour au moins deux raisons : «Metal Guru» et «Telegram Sam». C’est le glam dans toute sa splendeur conquérante. Bolan chante à la fantastique allure. Il préfigure tout le Ziggy à venir. Le «Telegram Sam» qui ouvre le bal de la B est l’autre mamelle du glam, un Telegram mené au allonzy d’alley hop. Superbe et ravageur - Purple pie Pete/ Your lips are like lightening girls melt in the heat - Imbattable. Mais le reste des cuts est moins flamboyant, même s’il chante «Mystic Lady» magnifiquement. Autre hit glam : le morceau titre qu’il chante à la coulée douce - And when I’m sad/ I slide - Et puis avec «Baby Strange», on voit bien qu’il tourne autour du pot de miel.

             Quand T. Rex repart en tournée américaine, ils prennent l’avion sans B.P. Fallon qui était l’attaché de presse de Bolan depuis deux ans. Alors B.P. paraphrase Dylan pour donner sa démission : «It’s Alright Marc, I’m only leaving.» Alors que Bolan devient millionnaire, Steve Currie et Bill Legend sont toujours payé 40 £ par semaine, plus 26,50 £ par session d’enregistrement, sur des albums qui rapportent quand même plusieurs millions de £. Dans la presse, Bolan se vante : «Today I’m not making £40 a week but £40 every second.» En Angleterre, des gens comme Vincent Crane d’Atomic Rooster le détestent : «I feel Marc Bolan is totally mediocre in every respect.» Dave Hill de Slade dit bien aimer ses chansons, mais il trouve que le groupe n’apporte rien. Don Powell qui bat le beurre de Slade raconte que Bolan leur a proposé d’alterner les parutions de singles, afin que chacun puisse accéder au sommet des charts à tour de rôle - Chas Chandler (Slade’s Manager)  told him to fuck off - Slade aura 6 number ones et Bolan 4. Bolan s’acoquine avec Tony Secunda. Ils montent ensemble The T. Rex Wax Co label et une publishing company qui vend les cuts sous licence à EMI. Bolan garde ainsi le contrôle de tout ce qu’il fait. En six mois, ils ramassent six millions de dollars «on worldwhile records deals alone», se vante Secunda qui est un négociateur hors pair. Puis Bolan se débarrasse d’un Secunda qui s’en sort pas si mal - Still I made a lot of money and I got a Ferrari out of it.

             Bolan tourne à la coke et au champagne - It was Marc and June’s poison - Les bouchons sautent pour la sortie en salle du film Born To Boogie, qui sera le dernier spasme de la T-Rextasy.

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             Ringo a filmé Bolan en 1972, à l’Empire Pool de Wembley. Merci Ringo, car plus qu’aucun autre docu tourné à l’époque, celui-ci montre à quel point Bolan était bon sur scène. Mais vraiment bon. Il avait fini par laisser tomber le côté gnangnan de Tyrannosaurus Rex pour aller sur un son plus rock. Il est bien sûr très bien accompagné (Mickey Finn, qui ne sert pas à grand-chose, Steve Currie au bassmatic, et surtout l’excellent Bill Legend au beurre), mais c’est Bolan qui vole son propre show. Il est la parfaite rockstar anglaise. Il a toutes les mamelles du destin : la voix, le look, le son et les poux, car il n’en finit plus de les gratter et d’épater la galerie. Si on veut prendre la mesure de Bolan, après avoir digéré une bonne bio, il faut voir et revoir Born To Boogie.

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             Petit, il est déjà fan d’Eddie Cochran, ça veut dire qu’il a déjà tout bon. Pas étonnant de le retrouver sur scène dix ans plus tard avec une Les Paul dans les pattes. The Les Paul power ! Bolan a fini par devenir le roi du gimmick, clack clack, yes you are, tel que le montre «Jeepster». Temps béni de l’Angleterre bénie des dieux, veste de satin blanc, You’re so sweet/ You’re so fine, aw my Gawd, il tape en plein dans le mille à coups d’I’m just a Jeepster for you love. Qui pouvait résister à ça ? Personne ! Et Ringo l’avait bien compris, puisqu’il était là avec ses caméras. Sur scène, tout est centré sur Bolan, les autres ne comptent que pour beurre. Le pauvre Mickey Finn bat ses bongos, et c’est pas le mec de Santana. Il n’est pas très bon. Bolan joue pas mal en La, il a son public, tout le monde saute en l’air dans les premiers rangs. Ringo filme les gamines maquillées. Big hard fan-base. Il alterne aussi les séquences de Wembley avec des plans filmés dans le studio d’Apple à Saville Road. Bolan tape un «Blue Suede Shoes» accompagné par Ringo au beurre et Elton John au piano. Puis il tape un «Chidren Of The Revolution» avec sa grosse gratte rouge et du rouge à lèvres.

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             Hélas, le côté Tyrannosaurus reprend le dessus à Wembley puisqu’on retrouve Bolan assis en lotus avec une acou. Il tape un «Cosmic Dancer» passé de mode. Disons que ça fait partie du jeu, mais on perd le rockalama qui a fait de lui une superstar. Tout revient dans l’ordre lorsqu’il annonce : «This song is called Telegram Sam !». Power chords all over the glam era ! C’est l’apanage de l’archétype, il cale des incursions intestines entre deux gimmicks de monster stroke, il maîtrise l’art des petits incendies, il peut même hendrixer dans le feu du glam, il est unique en Angleterre. Il joue clair et net, cartes sur table, il va et il vient entre les reins de l’or du Rhin, il va claquer ses beignets et revient au micro télégrammer Sam. Fantastique artiste ! Avec Bolan, le glam est beaucoup plus que le glam. C’est le gloom du glare.

             Ringo l’a aussi filmé dans le jardin de John Lennon, assis dans l’herbe, il y gratte ses hits glam à coups d’acou, «Jeepster», «Get It On». On est frappé par la simplicité de ses hits. Tout repose en fait sur son maniérisme vocal qui est vraiment du grand art. La richesse de sa voix et de ses intonations contrebalance l’apparente simplicité des carcasses. Ringo le filme coiffé de ce haut de forme en cuir brun qui d’une certaine façon est devenu son logo, un logo que reprendra le fan number one de Bolan, Nikki Sudden. Encore un cut fondateur du glam : «Hot Love» et «Get It On» qui va plus sur le raw glam, bien tenu en laisse, Bolan le module au petit chat perché perverti. Il gratte aussi une Strato blanche. Il est partout dans le son, il n’a vraiment besoin de personne en Harley Davidson. Bolan does it right, même le killer solo flash en bas du manche. Pour les kids, Bolan est la star parfaite : du son et si good-looking ! On le voit soloter pendant des plombes sur «Cadillac», il sort du glam pour rocker la bête, et puis voilà qu’il rend hommage à son point de départ : Eddie Cochran avec «Summertime Blues».

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             Comme Rolan Bolan est le fil de Bolan et de Gloria Jones, il est métis. Alors on le voit dans les bonus conduire quelques belles interviews de prestige. Il rappelle quand même qu’il n’avait que deux ans quand son dad a cassé sa pipe en bois, dans l’Austin que conduisait sa mère. Au micro de Rolan, Tony Visconti est égal à lui-même : il explique qu’il a tout fait. Il dit aussi : «Your dad was one of the icons.» On profite des bonus pour relever quelques petits détails qui ont leur importance. Ringo filme avec cinq caméras syncro - Crazy but under control, rappelle le technicien en chef - On voit aussi Rosco qui a pris un violent coup de vieux. C’est lui qui annonce Bolan sur scène à Wembley. Et Ringo qui a tant filmé le public rappelle un truc essentiel : «The audience is part of the show.» La morale de cette histoire selon Ringo est que la T-Rextasy est la suite logique de la Beatlemania.  

             Nick Kent ne trouve pas le film très bon. Il pense que Bolan s’est tiré une balle dans le pied en incluant une scène d’acou «where he strums the most blatantly out-of-tune guitar I’ve posibly ever heard and whines obnoxiously for over five minutes.» Paytress ajoute que Kent avait pour héros des gens comme Syd Barrett, Brian Wilson, Keith Richards et Iggy Pop, et, pour lui, Marc Bolan était loin de leur arriver à la cheville.

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             Encore deux hits glam sur Tanx : «Shock Rock» et «Born To Boogie». On ne va pas s’en plaindre, on est là pour ça. Bolan maîtrise l’art du glam et passe un petit solo à l’excédée. «Born To Boogie» est l’endroit exact où le glam sucre les fraises du boogie. Bolan couronne le tout d’un chant outrancier. On pourrait lui reprocher de se répéter, mais il s’arrange toujours pour que ça sonne comme du big Bolan. Avec «Tenement Lady», il shoote une jolie dose de glam dans le champ des possibles. On assiste aussi au retour de la chèvre dans le chant. On le voit un peu plus loin trousser les jupes du rock anglais avec «Country Honey». Belles guitares. On retrouve Bolan au sommet de son art pétillant avec un «Mad Donna» bien sonné des cloches, bardé d’accords, de chant, de piano, et de glam. Encore une belle opération de charme avec «Highway Knees». Il sait émoustiller les muqueuses. N’oublions jamais que Bolan est avant toute chose un fantastique chanteur de charme. Il boucle cet album superbe avec «Left Hand Luke», un heavy balladif joliment soutenu par des chœurs de filles, des violons et un solo au long cours. C’est excellent, gorgé de bonne énergie londonienne. On sent chez Bolan le pur plaisir de faire du rock, et il le fait à son idée, avec un style qu’il faut bien qualifier d’unique.

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             Paytress se fend d’un étrange parallèle entre Zinc Alloy et Exile In Main Street, parus en même temps et qui ont pour points commun le «rock’n’roll abandon with an urgency and directness mistaken at the time for vulgarity.» Et il ajoute ceci qui est déterminant : «The musical directors on both (Keith Richards and Marc) are out of control, the producers reduced to vitual bystanders.» Bolan se fait colorier les yeux en bleu pour la pochette de Zinc Alloy & The Hidden Riders Of Tomorrow. C’est de bonne guerre, on ne va pas le lui reprocher. Ceci dit, il continue d’honorer les dieux du glam avec «Interstellar Soul». Ça reste du grand art, du glam d’usage courant joué avec doigté et délicatesse. Le hit de l’album s’appelle «Teenage Dream», sans doute le plus décadent de ses hits. Sa magie opère, à base de violons et de guitare électrique. Le voici au sommet de la T-Rexmania - Silver surfer and the ragged kid/ Are all sad and rusted boy - Encore un superbe bouquet de glam avec «Venus Loon» et des paroles à l’avenant - Going to see my baby in the afternoon/ Going to take my baby on a Venus loon - Bolan est l’artiste idéal pour les ados affamés de glamour rock. Il fait aussi du slow glam avec «Explosive Mouth». Il revisite l’art rock anglais à sa façon, sans forcer. Il termine avec «The Leopards Featuring Gardenia & The Mighty Slug» et les filles font we’re the leopards. On l’a dit, Bolan est brillant sur les morceaux lents. Il peut même se montrer envoûtant.

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             L’album suivant s’appelle Light Of Love aux États-Unis et Bolan’s Zip Gun en Angleterre. Paytress ne jure que par «Think Zinc» - A mutant metal-techno refashioning of the vintage T. Rex sound, it opened on the footstomping manner of the Supremes’ «Where Did Our Love Go», then hit he manic button with a demonic, fuzzed up guitar riff, filth-honking horns and a pulsating backing track overlaid with vocals that sweated and swelled as Bolan repeated the title like an out of control monomaniac - On entend Gloria Jones dans «Think Zinc», c’est très bien foutu. Bolan maintient bien son cap. L’un dans l’autre, Zip Gun est un excellent album et même un classique du rock anglais des seventies. Nouveau hit glam avec «Zip Gun Boogie». Il sucre les fraises du glam. Mélange détonnant de boogie et de chant juvénile. C’est une véritable bénédiction glammaire. Mais c’est avec «Till Down» qu’il emporte la partie. Bolan est un chanteur de charme fou. Il se veut fin et décadent, au moins autant qu’Oscar Wilde. Nouvelle merveille constituante avec «Girl In The Thunderbolt Surf». Il chante à l’accent d’elfe, un rôle qui lui va à ravir. Il fait aussi du glam frileux avec «Light Of Love». Il passe en mode heavy blues pour «Token Of My Love», mais avec le charme de sa voix, ça passe très bien.

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             Fin 1974, Bolan se sépare de Mickey Finn, qui était une sorte de talisman - Now Bolan ne pouvait plus se permettre d’être sentimental - Il semble encore monter d’un cran avec Futuristic Dragon. Véritable coup de génie que ce «Casual Agent», avec sa copine de cheval Gloria Jones aux chœurs. Fantastique exercice de diction - Dejected like Delilah/ She sucked upon my peach - Il revient à sa chère décadence avec «Dawn Storm» et chante son times they are strange/ And I won’t rearrange à la dégoulinade. Back to the glam avec «Jupiter Liar». Bolan est un petit Merlin, il enchante son monde. Son would you lie to me se pose comme une pétale de fleur sur les lèvres de l’ange Gabriel. Nouveau shoot de décadence avec «All Alone». Il sait bêler à bon escient - Zeus never loose with his Grecian kiss/ His Grecian kiss - «New York City» sonne comme un petit boogie glammy bien documenté du cagibi : Bolan demande si on a vu une femme arriver de New York City avec une grenouille dans la main. En B, il veut qu’on l’emmène sur «Sensation Boulevard». Il veut absolument y aller, ahh tak me down to Sensation Boulevard. Joli solo de guitare et fantastique maestria. Il peut même se montrer assez coquin car dans «Ride My Wheels», il veut lubrifier sa poule toute la nuit - But lady I want to oil your engines all night - Futuristic Dragon est certainement son album le plus décadent. 

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             L’album du chant du cygne s’appelle Dandy In the Underworld et paraît l’année de tous les dangers, en 1977. Décadence et glam à tous les étages en montant chez Marc, à commencer par l’heavy glam du morceau titre d’ouverture de balda. Il chante ça au mieux des possibilités bolanesques. Quelle fantastique présence ! Glam toujours avec «Teen Riot Structure» en B, plus pop mais servi bien frais. Il est à la fin de son parcours mais au sommet de son petit art. Le Teen Riot lui va si bien. Il ne sait pas encore qu’il va mourir dans un accident de voiture. Il chante suprêmement «The Soul Of My Suit». Son vibré de glotte finit par faire merveille, I love you yeah yeah, un parfum de glam flatte les mannes de la vieille Angleterre. Il ramène sa cocote glam dans «Crimson Moon» - I wanna feel your heat/ Under the crimson moon - Joli coup de boogie glam, son de rêve, présence extrême - Hey little girl you move so fine/ I want to make you mine/ Under the moon - Mais il tourne un peu en rond avec son boogie, comme le montrent «Groove A Litle» ou «I Love To Boogie». C’est très Bolan dans l’esprit, ça n’a aucun intérêt, mais c’est ultra-chanté.

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             La même année, il se proclame «Godfather Of Punk». D’ailleurs Captain Sensible porte un T-shirt T. Rex, alors Bolan emmène les Damned en tournée, des Damned qui lui demandent d’enregistrer an album of really raw stuff. Captain raconte que Bolan et les Damned voyageaient à bord du même bus. Bolan ne fumait plus, ne buvait plus et ne touchait plus à la dope. L’épisode punk est fondamental pour bien comprendre Bolan : il pige l’air du temps. Pour lui, le Punk c’est «the early Sixties American girl group The Angels, maverik film director Federico Fellini, pop falsetto Frankie Valli and Hollywood outsider Orson Welles.» Il sait qu’il faut rejeter «the conventional icons» pour aller dans les marges. Dans la presse, Bolan pontifie : «I consider myself to be the elder statesman of punk. The Godfather Of Punk, if you like.» Il flashe aussi sur Siouxie & The Banshees et caresse le projet de les produire. Trois raisons à ce flash : «Siouxie’s ‘Dreamy Lady’ make-up, the band’s Bolan-like sense of drama and the inclusion of ‘20th Century Boy’ in their set.» Il a aussi une émission de télé, Marc, et pour présenter Generation X, il déclare face à la caméra : «They have a new singer called Billy Idol , who’s supposed to be as (takes a pink tose to his nose and sniffs it) pretty as me.»

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             Mais pas que le punk. Il tapait déjà dans la Soul avant Bowie et Lennon. Il produit l’album de Pat Hall, avec des reprises de «Keep On Truckin’» (Eddie Kendricks) et «Clean Up Woman» (Betty Wright) qui font partie de ses cuts favoris. Il adore aussi le «Money Honey» de Clyde McPhatters et l’«Ain’t That A Shame» de Fatsy. Il compose «High» et «Cry Baby» avec Gloria Jones, des cuts qu’on retrouve sur l’album solo de Gloria paru en 1976. Bolan s’entend bien avec le frère de Gloria, Richard Jones, qui est une sorte de Barry White. Il admire aussi Kenny Gamble, Leon Huff et Thom Bell, les architectes de la Philly Soul d’Harold Melvin & The Blue Notes et des O’Jays. La Soul règne sans partage dans la limo qui emmène Pat, Gloria et Marc à travers les rues américaines. C’est la facette qu’on connaît moins chez Bolan : le précurseur.

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             En 1974, Bolan s’est séparé de June et il tombe amoureux de Gloria Jones. Il l’a déjà rencontrée en 1969, lors de la première tournée américaine de Tyrannosaurus Rex. Bolan fut invité  à la party de Miss Mercy, l’une des GTO’s, et Gloria était là. Puis en 1972, Gloria faisait les chœurs sur scène à San Francisco pour T. Rex. Elle était aussi devenue «an in-house Tamla Motown songwriter». À ses débuts, dans les early sixties, il y avait déjà trop de stars chez Motown. Berry Gordy venait de signer Brenda Holloway. Les Supremes et Martha Reeves commençaient à décoller, il n’y avait donc pas de place pour Gloria, alors Hal Davis qui l’avait repérée l’a présentée à Ed Cobb, oui, l’Ed Cobb des Standells. Cobb a une petite compo pour Gloria : «Tainted Love». Puis on va entendre Gloria la backing-singer sur pas mal de gros coups, comme le Christmas Album de Totor, et sur le «Salt Of The Earth» des Stones - That was Merry Clayton, Brenda and Patrice Holloway and myself - Elle a aussi fait des baking-vocals pour Delaney & Bonnie, les Supremes et Ike & Tina Turner, avant de rejoindre Bolan. Gloria Jones est déjà une artiste complète lorsqu’elle entre dans la vie de Bolan.

             Oh et puis le glam ! Les gens qui sont arrivés à la suite de Bolan ont pompé ce qu’ils pouvaient pomper, nous dit Dave Thompson dans sa bible Gam Rock : «Gary Glitter took the primeval stomp, Slade took the terrace simplicity, The Sweet took the pre-pubescent awareness and David Bowie took the sex.» «And some of Marc’s audience», ajoute Paytress, goguenard. En 1973, le Melody Maker titrait : «Glam Rock is dead says Marc», mais c’était faux, car Roxy Music, Lou Reed, les Carpenters et Suzi Quatro déboulaient. Puis une nouvelle vague va heurter les rivages d’Angleterre en 1974 avec Showaddywaddy, les Rubettes, Alvin Stardust et les Bay City Rollers. On verra encore bien d’autres vagues par la suite, avec les Sirens, les 1990s à Glasgow, et, cette année, Gyasi en Amérique.

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             Paytress passe aussi pas mal de temps sur la relation Bowie/Bolan, qui fait par ailleurs l’objet d’un ouvrage complet sur lequel nous reviendrons (Mark Burrows : The London Boys: David Bowie, Marc Bolan and the 60s Teenage Dream). Visconti qui connaît les deux loustics depuis le début parle d’une rivalité et d’une admiration réciproque. Bowie et Bolan se croisent souvent sur Denmark Street alors qu’ils grenouillent à la recherche d’un contrat. Ils jamment pas mal ensemble, et leur principale préoccupation était «to get high and listen to Beach Boys and Phil Spector albums.» Ils préféraient Smiley Smile et Wild Honey à Pet Sounds. Ils jouaient «Vegetables» ensemble et se délectaient d’«Heroes & Villains». Ils sont ensemble en studio pour «The Prettiest Star», mais Bolan est jaloux du succès de Bowie avec «Space Oddity». Visconti précise un truc fondamental : Bowie admirait Marc. Il adorait sa compagnie - Bowie l’admirait ouvertement, il le respectait et le qualifiait de cosmic punk. Il a tout fait pour devenir l’ami de Marc qui, réciproquement l’admirait en secret - Bolan assiste au concert de The Hype, le pre-Glam infamy monté par Bowie avec Visconti à la basse : du glam avant le glam.

             Puis Bowie va prendre la place de Bolan à la une des canards. Il s’attire aussi les louanges des critiques et reçoit un accueil favorable aux États-Unis lors de sa première tournée, ce qui ne fut pas le cas pour Bolan - Lillan Boxon : a star is born - Mick Gray ajoute : «Marc was pissed off when David started to take off both at home and in the elusive USA. They had a love/hate relantionship, they were similar people, both control freaks out of control.» Puis en 1974, Bowie récupère Visconti pour Diamond Dogs - futuristic space-age soul epic - qui va cartonner, alors que le Zinc Alloy de Bolan patauge dans la marmelade. C’est l’époque où Bolan grossit. Paytress se marre : «Marc got fat. David got thin. Marc got soul. David got America.» Gloria Jones ajoute que Marc adorait la Soul, mais David est allé beaucoup plus loin, ce fut la clé de son succès aux États-Unis. La conversion de Bowie au R&B était totale. Bowie avait l’avantage sur Marc de savoir changer rapidement. Mickey Finn : «Marc had this hit formula but he never moved on.» Le parallèle est extrêmement intéressant : on en voit un qui avance et l’autre qui stagne. Bolan qui n’est pas dupe s’amuse de ce parallèle avec son vieux rival : «Bowie called his child Zowie so I thought I‘d call mine Rolan Bolan.» L’ironie de l’histoire, c’est que Bolan va entrer dans la légende en disparaissant brutalement, alors que Bowie va se griller auprès de ses fans de la première heure avec son délire de Thin White Duke. Les choses sont toujours beaucoup plus complexes qu’elles ne paraissent.

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    Marc and June

             Paytress finit par amorcer le chapitre du déclin de Bolan le magnifique. En 1972, Bolan se noie déjà dans un océan de coke et de champagne. Fortifié par the ego-swilling stimulants, il n’écoute plus les conseils de ses amis. Petit à petit, il va virer tous les gens qui l’ont aidé : B.P. Fallon, John Peel, Tony Secunda, Mickey Finn, June Bolan, Bill Legend & Steve Currie, la liste est longue. Il va même réussir à s’aliéner son public en Angleterre. En tournée américaine, il joue des solos trop longs, les gens s’ennuient. Même Visconti se lasse de ses excès d’égotisme et de substances. Bolan devient tout ce qu’il détestait chez Took. Le succès a transformé le «softly spoken child starlet with ascetic tendancies en V.I.P. ayant signé un pacte faustien le menaçant de perdre toute dignité.» Puis Marc qui sait tout engage le bras de fer avec Visconti. Ça chauffe dans la cabine. Bolan met l’autorité technique de Visconti à rude épreuve. Visconti finit par jeter l’éponge en 1973. June Bolan est persuadée que l’Amérique a détruit Bolan. Bolan va commencer à enfler, comme Elvis - Bolan was slipping into a Presley-like netherwold - La presse le traite de «Porky Pixie», et de «Glittering Chipolata Sausage». Bolan est devenu une sorte de Gary Glitter croisé avec Leslie West, and he didn’t give a damn. Rien à foutre. Alors que Bowie maigrit grâce à la coke, Bolan enfle comme une patate - Marc simply expanded.

             Il enregistre sur son magnéto, complètement défoncé, et le lendemain matin, il a toutes les peines du monde à se rappeler ce qu’il a foutu la veille. Il séjourne énormément sur la Côte d’Azur, mais Paytress rigole, car il ajoute que Marc ne voyait pas beaucoup la plage. Pas son truc, after all. Bolan boit comme un trou. Ted Dicks le voit descendre 16 bouteilles de rosé dans la journée. Le lendemain, il n’avait aucun souvenir de ce qu’il avait fait en studio. Ah comme les gens sont moqueurs. Puis EMI rechigne à sortir un nouvel album de T. Rex. Ça tombe bien, car Bolan rechigne, lui aussi. Sans doute usé par la routine du star-system, il était peut-être parvenu à se convaincre, de la même façon que Syd Barrett, qu’un exil volontaire pouvait favoriser l’éclosion de sa légende.

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             Et puis en septembre 1977, Gloria et Marc sortent au petit jour d’une fête bien arrosée. Gloria prend le volant de la purple Mini 1275 GT pour ramener Marc au bercail. Personne dans les rues, à cette heure, alors on peut foncer. Vroom vroom ! Rhhhaaa Vroom vroom ! Boom ! La gueule dans un platane. Aux obsèques, tu as Bowie, Rod The Mod, Steve Harley, Linda Lewis, les Damned, Alvin Stardust, et Visconti. Bolan mal an, ça s’est bien terminé : il est entré brutalement dans la légende. C’est tout ce qu’on attend du rock.  

    Signé : Cazengler, Bo-l’âne

    Tyrannosaurus Rex. My People Were Fair And Had Sky In Their Hair... But Now They’re Content To Wear Stars On Their Brows. Regal Zonophone 1968

    Tyrannosaurus Rex. Prophets, Seers & Sages: The Angels Of The Ages. Regal Zonophone 1968

    Tyrannosaurus Rex. Unicorn. Regal Zonophone 1969Rex. T. Rex. Fly Records 1970

    T-Rex. Electric Warrior. Fly records 1971

    T-Rex. The Slider. EMI 1972

    T-Rex. Tanx. EMI 1973

    T-Rex. Zinc Alloy & The Hidden Riders Of Tomorrow. EMI 1974

    T-Rex. Bolan’s Zip Gun. EMI 1975

    T-Rex. Futuristic Dragon. EMI 1976

    T-Rex. Dandy In the Underworld. EMI 1977

    Elemental Child. The Words And Music Of Marc Bolan. Easy Action 2023

    Mark Paytress. Bolan: The Rise And Fall Of A 20th Century Superstar. Omnibus Press 2006

    T-Rex : Born To Boogie. DVD 2005

     

     

    L’avenir du rock

    - Hey Nude

             L’avenir du rock ne porte pas les jeux de société en très haute estime. Il en est un qui trouve cependant grâce à ses yeux : le poker déshabillant. Il fut un temps où il adorait le pratiquer dans un petit cercle d’amis on va dire évolués, surtout les amies, car ce genre de divertissement demande des dispositions particulières. On ne s’effeuille pas devant n’importe qui, ni n’importe comment. À l’usage, l’avenir du rock découvrit que le fin du fin n’était pas de voir les amies à poil, mais de se retrouver soi-même à poil. La pratique de ce jeu requiert donc des aptitudes stratégiques. Bien sûr, il n’était pas le seul à se découvrir une passion pour l’exhibitionnisme. Il la détecta chez les autres, notamment chez ces fameuses amies qui étaient tellement fières de montrer leur cul qu’elles redoublaient de malignité pour perdre la main, osant même parfois tricher. «Oh zut, j’ai encore perdu... J’enlève le haut ?». Les règles de ce jeu infiniment social sont simples : chacun des participants, six idéalement, doit porter le même nombre de vêtements, abandonner tout a-priori, et bien sûr, savoir mesurer ses émotions. On peut s’arrêter au premier corps nu, ou continuer, les règles restent assez flexibles. Généralement l’ambiance est bonne, on ne plaint jamais le perdant ou la perdante, au contraire, on le ou on la félicite :

             — Ah quels jolis seins tu as, ma puce, on peut toucher ?

             — Bien sûr

             — Ah comme ils sont fermes, Pierre a bien de la chance !

             L’avenir du rock doit cependant rester prudent pour ne pas choquer la copine du moment. Elle participe bien sûr au jeu et rêve d’avoir des seins aussi fermes, mais comme le précise aimablement l’avenir du rock, «Elle n’a pas d’aussi jolis seins, mais elle a d’autres qualités.» Toutes ces raisons mêlées à de délicieux souvenirs font que l’avenir du rock adore The Nude Party. 

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             Il a raison l’avenir du rock. Comment ne pas en pincer pour The Nude Party, ce groupe basé en Caroline du Nord ? Six membres, un goût immodéré pour la débauche et déjà trois albums imbattables. C’est un peu comme si tout recommençait. Les Stones, le Velvet, les Kinks, tout ! Une façon comme une autre de dire que le rock est un éternel recommencement.

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             Une chronique extrêmement élogieuse dans Shindig! de leur troisième album nous mit récemment sur la piste de The Nude Party. Le mec disait en gros qu’on ne pouvait pas résister à la joie et à la bonne humeur qui règnent sur Rides On. On trouve rarement un tel enthousiasme dans une chronique. Alors on est allé voir et le mec a raison : les Nude Party réinventent la Stonesy, dès les deux premiers cuts, «Word Gets Around» et «Hard Times (All Around)». Oui, c’est de la Stonesy, hey hey, mais avec un entrain démesuré. Une Stonesy inespérée de power, une Stonesy encore meilleure que la Stonesy, plus royaliste que le roi. «Hard Times (All Around)» pourrait sortir de Let It Bleed, c’est claqué à la «Live With Me», ils descendent au barbu avec délectation.  Et puis il se met à pleuvoir des coups de génie : «Cherry Red Books» et «Somebody Tryin’ To Hoodoo Me». Avec le premier, ils tapent dans le big Californian Hook avec de l’écho, voilà un cut excellent, déviant et bien balancé, quasi Stonesy early 65, pur génie de genèse, la basse pouette et la gratte couine dans l’écho du temps, on croit entendre Brian Jones sur sa Gretsch vert pâle. Ils amènent le Hoodoo Me au heavy groove de Stylish Stills, ils sont dessus, sérieux et graves, ils sont infiniment crédibles, Patton Magee chante au tranchant, dans un hoodoo de rêve. Il attaque encore «Tell Em» au sévère et chante «Sold Out Of Love» comme un crack. Il sait chanter à l’accent cassé. Album fabuleux : tu as du son et de vrais riders on the storm. Les grattés de poux et l’énergie sont extraordinaires. Ils terminent Rides On avec «Red Rocket Ride», en se payant le luxe d’un balladif aussi immense que l’horizon. Ils y flirtent avec le Dylanex et ça groove à coups d’harp.

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             Leur premier album sans titre date de 2018. Esthétique sixties pour la pochette et nouveau shoot de Stonessy avec «Chevrolet Man». On entend la slide d’Exile et Patton Magee chante exactement comme le Jag. Il fait encore des siennes sur «Gringo Che». Cette fois, il opte pour l’exotica punk. Ce mec est vraiment bon - Viva el Gringo ! - Ça se termine en belle apocalypse et ça continue avec «Wild Coyote», dans un esprit western spaghetti. Patton Magee chante vraiment à la surface des choses. C’est un punk indubitable. On se régale aussi du «Water On Mars» d’ouverture, bien emmené au gratté de poux et aux nappes d’orgue. Vibe énorme ! Ils naviguent à très haut niveau. Avec «Feels Alright», ils vont plus sur le Lou Reed de Transformer, c’est heavy et beau, ils dégagent leur rock des convenances, ils tapent dans l’arrière-boutique de bon ton. «War Is Coming» sonne plus gaga sixties. Ils se permettent toutes les audaces. Ils drivent «Live Like Me» dans le heavy Nude. Il faut un talent fou pour réussir un coup pareil. Le coup de génie de l’album se trouve juste avant la fin : «Astral Man». Thème toxique, alors tu plonges. Ils réussissent chaque fois cet étonnant mélange d’élévation sonique et de chant punk. Ils développent d’extraordinaires rebondissements, ils te claquent le thème toxique à l’accord de réverb, alors t’es baisé.

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             Midnight Manor date de 2020. Attention, c’est une bête. Elle grouille de puces. Quatre coups de génie, pour commencer. «Lonely Heather» te met tout de suite au parfum : voilà un cut effroyable de wild rockalama. Ils te défoncent vite fait la rondelle des annales. On entend rarement des cuts aussi sauvages. «Pardon Me Satan» est encore plus terrific. C’est un balladif avec les castagnettes de Totor. Les Nude te swiguent le bas des reins. Fantastique allure, pleurésie de Stonesy, fabuleusement chantée à l’interne de punkster. Avec «Cure On You», ils te font une Stonesy de trash out so far out. Les Nude sont l’un des groupes les plus importants de cette époque. Chaque cut est noyé de son et chanté au sommet du lard. Sur «Easier Said Than Done», Patton Magee chante comme Peter Perrett. Il chante à l’under my skin. Ils adressent un gros clin d’œil aux Stones avec «Shine Your Light» et «What’s The Deal» sonne comme la Stonesy du paradis. Oh le Deal ! Ils font éclater les notes de clear guitar dans l’azur subterranean. Encore de la Stonesy à la Nude avec «Thirsty Drinking Blues». Nous voilà donc une fois de plus sur un album faramineux. Ils amènent «Times Moves On» à la désaille extrême, avec des castagnettes. Leur rock s’accroche comme la moule à son rocher. Et puis avec «Judith» ils reshootent tout le Nude power dans la Stonesy. Ces mecs savent dégringoler de très haut. Le son des Nude ? Un fracas permanent de good times Nudies.

    Signé : Cazengler, Nude Pâteux

    Nude Party. The Nude Party.  New West Records 2018

    Nude Party. Midnight Manor. New West Records 2020

    Nude Party. Rides On. New West Records 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - Whiteout of my mind

             Dans cet hôtel pouilleux des bas-fonds, Wetoo occupait la chambre voisine. On se croisait parfois, tard le soir, et on échangeait quelques mots. Il disait venir du Zaïre. Il parlait dans un français très sommaire. La pauvre Wetoo ne payait pas de mine : ce black malingre ne devait pas manger souvent. Il avait des allures de chat pelé, il ne se coiffait jamais. Ses mèches de cheveux qui tire-bouchonnaient à la verticale semblaient électrisées. La peau de son visage étroit était comme grêlée de petites cicatrices et piquée de poils de barbe épars. Wetoo portait toujours la même veste à carreaux et le même pantalon feu de plancher, sans doute récupérés à l’Armée du Salut. Par contre, il portait des boots blanches à hauts talons de bois clair, ces talons qu’on appelle à Londres the Cuban heels.

             — Wetoo, je flashe sur tes boots. Tu les vendrais pas ? Combien t’en veux ?

             — Non. Pas possible.

             Plus tard, en pleine nuit, Wetoo était tellement affamé qu’il frappa à la porte :

             — Moi très faim. Toi donne à manger.

             — Non. Pas possible.

             Il retourna se coucher. À travers le mur trop fin, je l’entendis pleurer. Il était à bout. On se revit le lendemain, il avait les yeux gonflés et semblait avoir d’immenses difficultés à respirer. Pour cesser ce jeu stupide, je lui pris la main pour y fourrer un billet :

             — Paye-toi un casse-dalle !

             Il revint frapper à la porte de la chambre dix minutes plus tard. Il brandissait un énorme jambon-beurre.

             — Viens. Nous parler.

             Il me fit entrer dans sa chambre qui était l’exacte illustration du dénuement : à part le lit, la chaise et le lavabo, il n’y avait rien. Wetoo prit la chaise et me fit asseoir sur le lit. Et en grignotant à toutes petites bouchées son énorme casse-dalle, il commença le récit de sa vie de petit Zaïrois né dans un camp de mineurs réduits en esclavage par Mobutu. Ils sont des milliers à exploiter les mines de diamants pour le compte du tyran et peu ont réussi à s’évader. Wetoo fait partie de ces miraculés. Il a fait tout le chemin depuis l’Afrique jusqu’ici par les moyens habituels : sous des camions, dans des barcasses de fortune, il n’a pas de papiers. Puis, avec un drôle de sourire, il fit glisser la fermeture éclair de sa boot droite, la retourna et fit pivoter le talon : il transportait des diamants qu’il avait réussi à voler avant de s’enfuir. Il n’était bien sûr pas question de les vendre. Trophée ! 

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             De la même manière que Wetoo, Whiteout bat tous les records de la poisse. Paul Ritchie leur accorde six pages dans Shindig! et conclut son chapô ainsi : «Why Weren’t Whiteout huge?». Ils auraient pu et n’ont pas pu. Vu la qualité des chansons, c’est incompréhensible. Ces Écossais de Glasgow ne sont devenus énormes qu’au Japon. Pour le reste du monde, et notamment l’Angleterre : tintin. On les qualifiait pourtant de next big thing in the Face magazine. Ritchie les qualifie d’«as diminutive as the Small Faces, with the good times vibes of Rod Stewart and the Faces.»

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             Le chanteur s’appelle Andrew Caldwell et le guitariste Eric Lindsay. Whiteout démarre à peu près à la même époque que les Stone Roses et c’est en voyant les Stone Roses sur scène qu’Eric Lindsey pige tout : «I got a real sense of ‘anyone can do it’.» Il bosse pour 65 £ par semaine chez un comptable, et jouer le samedi soir sur scène rapporte 500 £, alors le choix est vite fait. Andrew Caldwell compose avec le bassman, Paul Carroll. Les Whiteout débarquent à Londres et découvrent avec ravissement la scène de Camden - This was pre-Britpop and Camden was fucking great - Puis on leur propose une première tournée avec Oasis. Le manager Andrew McDermid (McD) rappelle qu’Oasis et Whiteout étaient deux groupes très différents, Oasis, «quite conservative», alors que Whiteout développait des influences «soul, country and folk». Ils vont vivre leur pic de carrière au Japon, puis sortir Bite It.

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             On considère généralement Bite It comme un classique. L’album porte bien son nom : t’es mordu à la gorge dès «Thirty Eight». Eh oui, ils te tapent ça à la heavy psychedelia. C’est littéralement noyé de son. Psyché boom de Glasgow ! Ils rivalisent de power surge avec les Creation. Ça splouche par tous les pores. Ils ont le power des Fannies et des Beatles. Le «No Time» qui suit est tout aussi gorgé d’esprit et de son. Imparable. Ils incarnaient alors l’avenir du rock, avec un glamour de clameur excédentaire, ils proposaient sans doute l’une des meilleurs heavy pop d’Angleterre. Ils peuvent se montrer plus pubères («Jackie’s Racing»), mais ils restent bénis des dieux. C’est tout de même incroyable que ce groupe n’ait pas explosé à la face du monde ! Nouvelle merveille extraordinaire : «Shine On You», ça tombe du ciel une fois de plus, et là tu n’as plus que tes yeux pour pleurer, car oui, quelle pluie de lumière, c’est hallucinant de qualité, bardé de retours de manivelle, ils jouent aux guitares de cristal et ça explose sur le tard, mais de façon si maîtrisée ! Sur l’heavy pop de «U Drag Me», Andrew Caldwell sonne comme John Lennon. On sent clairement l’influence. Ils auraient sans doute pu devenir aussi énormes que les Beatles. S’ensuit un «Baby Don’t Give Up On Me Yet» encore plus bealtlemaniaque, même aplomb, même power, Eric Lindsay joue comme le roi George, il se fond dans le chant. Ils montrent aussi un goût prononcé pour les balladifs intensifs, comme le montre «You Left Me Seeing Stars», ils sont parfaitement capables de panavision en technicolor. «Everyday» révèle encore un répondant extraordinaire. Ils valent cent fois les autres prétendants au trône. Ils disposent de la meilleure des aubaines : le gros son fouillé aux grattes vengeresses, ils sont les rois de l’efficacité confondante. Franchement, Whiteout aurait dû régner sans partage.

             Ils commencent à enregistrer les démos du deuxième album quand Andrew Caldwell lâche sa bombe : il quitte le groupe. Ils auditionnent des chanteurs pour le remplacer, mais ne trouvent personne. Alors Eric Lindsay prend le chant. Pour aggraver encore les choses, leur label Silvertone les vire. En désespoir de cause, McD va sortir Big Wow sur son label YoYo ! Well done, McD !  

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             Paru en 1998, Big Wow s’ouvre sur un sacré coup de génie : «Kickout», le bien nommé. Voilà un cut bardé de poux, «Kickout» tombe du ciel ! Wow, comme ces mecs sont doués ! Ils te balayent tout le Brit rock d’un revers de main, ils t’explosent le subterranean à coups de sunshine et arrosent tout de coulées de lave, c’est d’un absolutisme total. Ils ont le power chevillé au corps. On ne peut pas faire autrement que de les comparer à Nazz. Ces surdoués montrent la voie. On peut qualifier leur son d’agent fabuleusement actif. Ils touillent le lard fumant avec une rare dextérité. Cet album est gorgé de son et de vie, à tous les niveaux de l’échelle boréale. Ils tapent un merveilleux shoot de power-pop avec «I Don’t Wanna Hear About It» et leur «Out On The Town» est bien déculotté, c’est même une vraie dégelée de printemps, ils tapent ça aux gros accords de surge, ces surdoués sont beaucoup trop doués, ils jouent une pop épaisse et revendicatrice. Encore de l’extrême ampleur avec «Take It With Ease», ils sont les harmonies vocales et l’élan vital, plus des riffs acides, ça sonne presque comme un hit. Fantastique énergie des oh-oh ! Tout est tellement enrichi sur cet album, tellement serti de pierreries, tout est si joyeusement envoyé, ces mecs ont toute la vie devant eux. Et ça se termine avec le big heavy sound de «Back Where I Used To Be». Là tu te prosternes, mon frère, c’est d’une classe infernale, ils sont même insolents, c’est bercé de notes languides, chanté au léché, on assiste au fantastique développement du Whiteout System. Un enchantement !

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             Il existe aussi une compile de Whiteout. Elle s’appelle Young Tribe Rule et date de 1995. Ils perpétuent leur tradition de heavy pop bien sous-tendue. Avec «Get Me Through (Outta Here)», ils sonnent même comme un groupe de rock psychédélique californien, c’est heavy et assez pulpeux. On s’en pourlèche les babines. Le «Cousin Jane» qui referme le balda n’est pas celui de Larry Page composé pour les Troggs. Celui de Whitout est un cut psyché axé sur «Norvegian Wood» et grouillant de tortillettes, extrêmement puissant et raffiné. Le coup de Jarnac de l’album, c’est leur cover du «Rocks Off» des Stones. Alors bravo à tous les repreneurs de Stonesy car chacun sait qu’on ne battra jamais les Stones à la course. Whiteout leur rend un bel hommage. Quel panache de bravado !

    Signé : Cazengler, white outre

    Whiteout. Bite It. Silvertone Records 1995 

    Whiteout. Young Tribe Rule. Silvertone Records 1995

    Whiteout. Big Wow. YOYO 1998

    Paul Ritchie : Whaterver happened to the likely lads. Shindig! # 135 - January 2023

     

     

    Jobi Giöbia

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             Ce soir-là, les Italiens de Giöbia devaient relever un sacré défi : monter sur scène après Fomies.

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    Les Italiens n’ont que deux atouts : leur réputation de groupe psyché avec une palanquée d’albums sur Heavy Psych Sounds, l’un des labels de pointe du genre, et un look de rock stars. Ils sont quatre, trois mecs et une petite gonzesse. Elle claviote, et les trois autres se répartissent les rôles habituels, poux, beurre et bassmatic. On apprendra plus tard que le bassman s’appelle Paolo et le blond qui gratte ses poux Stefano. C’est lui qui nous intéresse, car il a un charisme épouvantable. Cheveux longs, chemise à fleurs, taille basse noir et ceinturon clouté. Il est just perfect. Tu peux lui confier les clés.

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    Tu vois ces mecs sur scène et ça te remonte bien le moral, car ils y croient encore dur comme fer, le rock et sa légende ne disparaîtront pas tant que des petits mecs comme eux monteront sur scène pour vendre les albums qu’ils enregistrent. Ils jouent leur psyché pour de vrai, ils n’inventent pas la poudre, Sun Dial, Moon Duo/ Wooden Shjips, Vibravoid, The Heads, Loop, Doctors Of Space, Tame Impala et des tas d’autres sont déjà passés par là avec le brio que l’on sait, alors Giöbia se contente d’incarner cette essence souveraine et de lui donner du volume, le temps d’un concert sans prétention. Tu es là et tu es content d’être là. Ils jouent bien sûr dans les fumées, ce qui fait qu’on ne distingue pas grand-chose. Ils plantent leur décor et font décoller leur hydravion, pas de la même façon que Fomies, ils le font de façon plus classique, et ça marche, même si parfois, ça semble laborieux. Encore une fois, le bon psyché n’est pas une musique qui s’écoute à jeun. Elle est conçue pour les voyages, et non pour la simple observation. C’est une musique qui s’adresse directement à ta cervelle, elle ne flatte pas les bas instincts.

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    Stefano gratte principalement une belle bête à cornes, mais il a aussi un bouzouki et un sitar, histoire de décorer son hydravion d’effluves orientales. Ce qu’ils tentent de faire est héroïque : emmener un maigre public en voyage cosmique, car c’est ainsi qu’ils se situent, cosmic psychedelia, mais ils n’ont pas les reins d’Hawkwind, leur Space Ritual est différent, moins brutal, moins païen. Ils tentent le so far out, cut après cut, et ça finit par marcher, au point qu’on s’attriste de voir arriver la fin du set. Stefano est une authentique rockstar, comme tant d’autres, condamné à l’underground.  

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             Encore une fois, c’est important de voir ces mecs jouer, car ils perpétuent à leur façon une tradition vieille de cinquante ans. Ils sont les héritiers directs du Floyd de Syd Barrett et des grandes heures de la psychedelia californienne qu’incarnèrent brièvement les Byrds au temps de Geno.

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    On ramasse vite fait l’Acid Disorder au merch histoire de voir s’ils décollent plus facilement en studio. Belle pochette et bel album, c’est un pur album de Mad Psychedelia. Belle ambiance, presque familière, avec un synthé cosmique. Stefano reprend la main sur le tard de «Queens Of Wands» avec des plans nerveux de speed freak. Il ramène son sitar dans «The Sweetest Nightmare», et passe à l’heavyness à coups de bête à cornes. Les Italiens visent clairement l’horizon embrumé de la Mad Psychedelia, ils savent enquiller un cut jusqu’à l’oss de l’ass, et Stefano chante depuis le fond du maelström. Il attaque son «Conciousness Equals Energy» au triple galop. Ça rue bien dans les brancards, ils adorent raser la smala d’Abdelkader, ils chargent à l’Italienne, au tagada milano, c’est d’une efficacité souveraine, ils bourrent le mou du so far out, et comme si tout cela ne suffisait pas, ils envoient leur Conciousness glisser sur la peau de banane du real deal, alors on adhère au parti. Encore une belle explosion nucléaire avec «Screaming Souls». Ça vaut largement Kadavar. C’est excellent, bien tapé dans le mille, secoué à la tempête sonique, et même explosif. C’est avec ce «Screaming Souls» qu’ils prennent leur vitesse de croisière. Autre cut de premier choix : «Blood Is Gone», un brouillard sonique que Stefano traverse à la note fluorescente. Il joue comme une superstar du rock psychédélique, il faut voir la crise qu’il pique ! Il tire sa note jusqu’à plus soif. On voit cette note fusée mauve traverser l’univers orange en fusion. Pas besoin de sortir ta pipe à herbe. Ils tapent ensuite leur «In Line» au big time de réverb, une réverb qui chante dans le cosmos, avec ses notes en suspension, et cette fière équipée milanaise s’achève avec le morceau titre, qui s’inscrit naturellement dans la belle tradition planante. C’est même un cut extraordinaire d’aisance planétaire. Ils se prélassent chez Nabuchodonosor, dans leurs robes de pourpre, c’est très acclimaté, très fluvial, bien orné de grelots, épaissi de soupirs orientalisants, belle séance d’élévation, ils savent courtiser une muse. L’Acid Disorder porte bien son nom.

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             Bizarrement, on s’ennuie un peu sur Plasmatic Idol. Ils proposent des cuts très sculpturaux, tellement sidéraux qu’ils se paument. Aucune trace de mad psychedelia dans les premiers cuts. Ils embarquent à bord du vaisseau spatial «Hardwar» et se barrent très loin. Mais tu ne frémis pas vraiment. Ils planent, c’est sûr, mais ça ne plane que pour eux, comme dirait l’autre. Le power arrive enfin avec «The Escape», ils entrent dans le forum d’Herculanum, ça wahte bien sous les semelles d’Hermes, ils battent la chamade vite fait, puis ils reprennent leur routine. C’est un son trop synthé. Ça demande à voyager dans l’outrospace, mais il ne se passe pas grand chose. Beaucoup de bruit pour rien. Stefano chante comme il peu dans l’écho du temps qui passe.

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             En 2021, Giöbia sort un split avec The Cosmic Dead : The Intergalactic Connection Exploring The Sideral Remote Hyperspace. Bon, c’est pas l’album du siècle. On ne se régale que du «Canyon Moon» d’ouverture de bal. Comme c’est une invitation à voyager dans l’espace, tu y vas, c’est certain. Grand retour du big power de Space Ritual avec une basse voyageuse qui traverse tout le fourbi avec une élégance extrême. Stephano joue à mille années-lumière du rock, il est complètement barré ailleurs. Ses camarades et lui détiennent tous les tenants et les aboutissants de la mad psychedelia et ça repart inlassablement en voyage. C’est le genre de cut qui ne devrait jamais s’arrêter.

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             Gardons le meilleur pour la fin : Magnifier. Là oui, tu y vas les yeux fermés. Le joyau intersidéral de l’album s’appelle «Devil’s Howl», ils l’attaquent à la défiance de l’effarance, au beat pantelant, ils repoussent les limites du genre et atteignent enfin l’outrospace, avec un son d’écho terrible et distendu, ils pénètrent la vulve du son et enfantent un Howl puissant et vivifiant, d’une rare violence. Magnifier est un pur album de Mad Psychedelia, avec une mise en bouche superbe : «This World Was Being Watched Closely», les poux de Stefan tournoient au plafond, on sent un gigantesque appel d’air, une profondeur inconnue, c’est tellement bien claqué du beignet qu’on sent venir l’explosion, mais ils se contiennent, ils n’extrapolent pas encore, ils cultivent un son plein comme un œuf et sur le tard, se livrent à une fabuleuse envolée. Stefano ramone bien «The Stain» à coups d’SG. Il allume son sentier de la guerre à la main lourde et lente. Il connaît tous les secrets de l’ampleur, il joue sur tous les niveaux et vise clairement l’échappée belle. «The Stain» est un cut puissant visité par des lames de fond, chanté au plafond de verre et qui monte bien en température. S’ensuit un cut italien heavy as hell, «Lantamenta La Luce Svanirà». Cette fois, ils sortent les gros arguments, ils s’inscrivent dans le haut du panier, ils tapent à la bonne porte, ils tablent sur les émeraudes de Salomon, ils fouillent à l’italienne et se coulent comme des fluides luminescents dans l’écho du temps. Quelle superbe allure ! Pas de doute, Magnifier est leur plus bel album. Avec «Sun Spectre», ils se livrent à un nouveau voyage de flash intersidéral merveilleusement orchestré et aligné sur les planètes. C’est à la fois somptueux et so far out, quasi hypno, bien enfoncé du clou, tapé au big heartbeat. Ah quel beurre et quelles semelles de plomb !   

    Signé : Cazengler, Jobi Giobard

    Giöbia. Le Trois Pièces. Rouen (76). 13 décembre 2023

    Giöbia. Magnifier. Sulatron Records 2015

    Giöbia. Plasmatic Idol. Heavy Psych Sounds 2020

    Giöbia & The Cosmic Dead. The Intergalactic Connection Exploring The Sideral Remote Hyperspace. Heavy Psych Sounds 2021

    Giöbia. Acid Disorder. Heavy Psych Sounds 2023

     

    *

    Jean-François Jacq n’est pas un inconnu chez Kr’tnt, nous avons déjà chroniqué son Bijou. Vie et mort d’un groupe français et son Ian Dury & Sex & Drugs & Rock’n’roll. Normal ce sont des livres qui causent de rock’n’roll. And we like it.

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    Oui mais il y a un autre Jean-François Jacq (c’est exactement le même) qui écrit d’autres livres d’un autre registre. Dans notre livraison 252 du 12 / 10 / 2015, nous lisions Hémorragie à l’errance (Genèse) et Heurt-Limite (récit incantatoire), nous recensions Fragments d’un amour suprême dans notre livraison 273 du 17 /03 / 2016.

    Trois récits biographiques bouleversants, d’une qualité d’écriture sans égale, Jean-François n’est pas né avec une sugar spoonful dans le gosier, la vie lui a plutôt coulé du vinaigre cyanurisé dans la gorge. Il s’en est bien sorti, c’est notre version optimiste pour nos lecteurs sensibles qui confondraient monde-bleu et monde-blues. Ce dernier vous colle à la peau chaque matin quand vous vous awokez…

    Vient de paraître ce que l’on pourrait appeler le quatrième tome des Mémoires d’Outre-Tombe de Jean-François Jacq, non pas parce qu’elles auraient été destinées, comme celles de Chateaubriand, à paraître après sa mort, mais parce que parfois il faut d’abord s’extirper de la tombe dans laquelle on vous a enfermé pour commencer à vivre… Serez-vous surpris du titre de ce nouveau livre :

    IL FERA BON MOURIR UN JOUR

    JEAN-FRANCOIS JACQ

    (Ardavena Editions / 2023

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             Au cas où vous n’auriez pas compris, la couverture vous offre la reproduction d’une Vanité de N. L. Peschier, peintre franco-néernlandais mort en 1661. Le sujet n’est pas gai, je vous l’accorde, mais pour assurer une parfaite coalescence entre la couve et la teneur du récit, l’éditeur a occulté les parties les plus frivoles du tableau, ne restent que le crâne, le livre et une carte. Le sort qui vous incombe, l’illusoire immortalité de la littérature et la mort.

             Si vous aimez les raids de la mort, il n’y a que deux manières de placer la caméra. Sur le devant de la moto. Elle enregistre le paysage, les péripéties, les dangers, le sel de la vie en accéléré. Jean-François Jacq n’est pas un frimeur. Il place la caméra au plus près de son visage, son écriture est un véritable face à face avec la mort. Une course éperdue, sans pitié, sans tricherie, juste la peur, les angoisses, la détermination. Pour le spectacle, les rodomontades, les effets de manche, c’est raté. Par contre pour la véracité évènementielle réduite à son essencialité survenante et l’authenticité réactionnelle vous êtes aux premières loges. Vous n’assistez pas au spectacle du monde, vous voyez sa cruauté.

             Les premières années sont fondatrices, les psychologues nous l’assurent. Chacun fait comme il peut avec le paquet-cadeau familial que lui a décerné le sort. Jean-François Jacq n’a pas été gâté. Je vous rassure. Aucune jérémiade. Ne cherche pas à apitoyer le lecteur sur son enfance malheureuse. Ni sur sa jeunesse calamiteuse. Gardez vos larmes, il s’occupe du crocodile. L’a vite compris la première leçon de la vie. Tout est en vous, votre faiblesse et votre force. Le bureau des larmes est fermé. Ou alors le guichetier vous veut du mal.

             Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. Il a survécu. Il a étonné les médecins. Il n’a jamais hésité à s’affronter au taureau des circonstances les mains nues. S’est retrouvé à plusieurs reprises sur le sable des banderilles psychiques. Saignant de toute son âme. N’évoquons point son corps roué de souffrances. L’a été trahi. L’a été aidé. Un peu. Pas trop. Surtout par lui-même. De toutes les façons quand le monde entier se retire de vous, seule la solitude de votre hargne à vouloir vivre vous tendra la main. Il n’en tire aucune gloriole, il ne s’en cache pas il aurait préféré un chemin plus facile. Que voulez-vous, faute de grive vous êtes obligé de manger la merde existentielle qui vous colle à la peau.

             Je n’écris pas cette chronique pour vous énumérer une par une toutes les épreuves qu’il a traversées. Il les raconte bien mieux que moi. Mais ne lisez pas ce livre pour savoir ce que je ne vous détaille pas. Pour sûr vous trouverez difficilement pire, mais ne vous faites aucune illusion. En cherchant bien vous dénicherez autour de vous ce que vous cherchez.  Les voyageurs du bout de la nuit sont plus nombreux que vous ne le supposiez. Jean-François Jacq braque un projecteur cru sur cette déshérence sociale, affective, physique et psychique.

             Les trois récits évoqués dans notre chapeau introductifs nous avaient prévenus. Ils sont comme des épisodes détachés de la tourmentique saga de la vie de Jean-François Jacq. Mais cette fois-ci il a décidé de remonter à l’origine. De redescendre le torrent écumeux depuis sa source. Afin d’établir une perspective au plus près. Non pas de la vérité, mais de l’écriture. Voici quelques semaines de cela je lisais sur son Face Book une courte notule de notre auteur, faisant part de sa difficulté à mettre la dernière main à son récit. Je n’y ai pas cru, nous fait le coup de la vanité d’auteur, ai-je pensé, genre je n’y arriverai jamais et puis il va nous servir un book aussi bien écrit que les trois précédents.

             Ne mentait pas le bougre. De fait, aucune allusion à son écriture. L’était en train de passer à la dimension supérieure : celle du style. Cet instant ou la manière de dire s’identifie de si près à ce qui est dit qu’il s’établit un équilibre mystérieux entre le fond et la forme, ce moment où les morceaux de bois que l’on a longtemps frottés l’un contre l’autre donnent naissance au feu. Temps de fulgurance alchimique et rimbaldiennne où le témoignage devient littérature. Des livres de prisonniers qui racontent leurs années d’enfermement ne manquent pas, mais lorsque Jean Genet écrit Miracle de la Rose, c’est une rose littéraire qui s’épanouit. Attention, je ne dis pas que Jean-François Jacq imite Jean Genet, pas du tout, au contraire il est parvenu à écrire comme seul Jean-François Jacq sait et peut  le faire,  à ce niveau d’incandescence où l’on reconnaît la patte particulière d’un grand écrivain, dès les premières lignes, qui vous emportent, dans la grande confluence des mots qui charrient d’autant plus la beauté de la langue qu’ils sont inséminés par le sens personnel que leur impose l’auteur, ils sont venus à lui, barques vides portées par le courant du langage, et il nous les renvoie  ployant sur le faix de toutes les expériences existentielles et ruminations méditatives par lesquelles  il a construit sa vision de la réalité du monde vécu.

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             Dans un ouvrage tout élément doit concourir à sa fin. Nous l’avons déjà dit : dans ce livre Jean-François Jacq remonte à l’origine de son existence. Biographiquement il raconte chronologiquement sa vie depuis ses premières années jusqu’à sa rencontre avec Frida. Ne rêvez pas, ce n’est pas sa petite amie. L’a déroulé un bon morceau du serpent de sa vie. Maintenant les serpents ont tous une mauvaise habitude. Oui ils piquent. Mais ce n’est pas le plus grave, avec tout ce qu’il a déjà supporté… Non, ces maudits reptiles ont la mauvaise habitude de se mordre la queue. L’a voulu raconter l’histoire depuis le début, et maintenant qu’il a terminé, l’histoire le rattrape et le ramène au début. Retour. L’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. C’est donc le début sans être le début. Vous êtes au-delà du bien et du mal. C’est pire. C’est la même chose. Peut-être même la chose-même.

             Sans concession. Glaçant. Brûlant.

             Un grand livre. Magnifique.

    Damie Chad.

     

    *

    Pour une fois, c’est la longueur du titre qui a attiré mon attention, surtout ce premier mot si rilkéen, j’ai voulu en savoir plus, tiens comme par hasard des grecs, redoublement de moins en moins hasardeux : je m’aperçois sur leur Instagram qu’ils sont suivis par Thumos. Décidément tos les chemins mènent à Athènes…

    AN ELEGY OF SCARS AND PAST REFLECTIONS

    KIVA

    (Album numérique / Bandcamp / Janvier 2024)

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    La couve interroge. Qu’est-ce : un miroir noir ? Une stèle ? Une fosse ? Ce qui est sûr c’est la bordure de pierres rugueuses. Pourquoi pas la porte des Enfers, ou une représentation du néant. N’oublions pas qu’en grec le mot ‘’élégie’’ selon l’étymologie signifiait avant tout : chant de deuil. L’on assure que l’animal sacrifié était un bouc, mais dans les tout premiers temps c’était un homme qui était sacrifié. Plus tard on se contenta de le chasser du territoire de la cité. Dans les deux cas il était retranché de la communauté humaine.

    Kiva désigne une pièce ronde souterraine et fermée dans lesquelles les indiens Pueblos s’adonnaient à leurs rituels. On y accédait par une étroite ouverture supérieure fermée par une trappe… Dans leur courte présentation Kivas se présente comme s’immergeant dans des rituels musicaux étonnants, destinés à se transformer en paysages musicaux dans l’esprit de celui qui les écoute en silence. Autrement dit le groupe essaie de susciter des visions intérieures…

    Le géométrique logo du groupe avec son octogone, dans lequel s’inscrivent deux carrés, tranché du K initial, symbolise-t-il le fer du sacrifice qui entaille la victime…

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    Dimitris : vocals / Antonis : guitar / George : bass / Stefanos : drums.

    In silence : question silence c’est un peu raté, beaucoup plus une impression de vide rempli par les hurlements sludgisés de Dimitris, il rugit comme un pauvre diable qui n’a aucune envie de se laisser maltraiter, ce n’est pas que la musique soit lente, même qu’à un moment il ne chante plus, il récite les lyrics comme un poème, c’est qu’elle ne se presse pas, elle se déploie à sa propre vitesse, elle prend son temps, elle est dans une autre direction, elle plonge, est-ce dans l’eau mémorielle ou dans le léthé infernal, revit-on sa propre mort qui n’a pas encore eu lieu, est-ce bêtement une histoire d’amour qui se termine mal au fond du canal le plus proche, l’on dit que la noyade est la plus douce des morts, que l’on revoit toute sa vie comme un film, que l’on emporte ses regrets avec soi, une manière comme une autre de rester en présence avec l’idée de son bonheur, c’est sans doute pour cela que cette musique est si consolante. Woe, is me : basse sombre, tapotements vitaux et guitare presque joyeuse, malheur c’est toujours moi, que je sois encore vivant, que je sois enfin moi, impossible de m’extraire de moi-même, énormément d’emphase dans le chant de Dimitris, il doit embrasser les tourments de la vie et la quiétude de la mort, à moins que ce ne soit le contraire, car peut-être que les morts vivent-ils, ils dansent dans leur immobilité, ils espèrent le retour, à la maison, ils ne sont jamais seuls puisqu’ils ont emporté avec eux les affres de leurs souffrances et la présence de ce qu’ils ont été, la musique est un nœud de contradictions, elle tire à hue et à dia, elle s’agite, on espère, pourtant jamais elle desserrera le nœud coulant de la vie et de la morts étroitement imbriquées. Explosion orchestrale finale. Dans les deux cas, ça se passera mal. Delusion : vocals : Victor Kaas : ce coup-ci les instrus frappent fort à la porte de votre âme, voix grave de Kaas, celui qui parle n’est plus d’ici, il est de l’autre côté déjà mort, encore être vivant pensant dans sa mort, il est ailleurs et en même temps à l’intérieur de lui-même, son corps existe toujours mais son esprit n’est plus que cendres, grand désarroi, la musique se précipite, elle concasse le néant, et il hurle beaucoup plus fortement qu’il n’a jamais eu l’occasion de le faire du temps de son vivant, il parle à toi qui es au-dessus dans le règne de l’existence, tu l’entends si fort parce que c’est lui que tu recherches, pourquoi ne lui réponds-tu pas, se pourrait-il qu’il se parle uniquement à lui-même. From the ego of our ancestors : notes translucides et perforantes, et si elles imitaient les pas lourds de ceux qui reviennent, car les morts reviennent puisque depuis toujours ils hantent les esprits des vivants, amplifications sonores, traverser la boule de feu et de lumière, chuchotements indistincts, désormais tout est inversé, les morts revivent et les vivants aspirent à la mort, la musique ébranle la terre des certitudes intellectuelles, la bouche d’ombre s’est collée à ton oreille, tu ne sais si les pensées qui t’agitent sont les tiennes ou celles de l’infra-monde, une statue de pierre chemine lourdement, les pas d’Orphée remontant vers la lumière avaient-ils cette force, il est trop tard pour prier, mais l’on ne peut s’empêcher de prier, des coups ébranlent la porte qui sépare la vie de la mort, qui frappe, de quel côté se trouve le cogneur fou, veut-il entrer, veut-il sortir, n’appartiennent-ils pas tous deux à la même famille. Est-ce vraiment important de savoir qui a engendré l’autre. Pourquoi voudriez-vous une réponse.

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    Voracious soul : la noirceur du monde s’estompe, l’on est sorti de la caverne platonicienne, l’on marche vers le soleil, on ne l’atteindra pas, l’on ne s’y brûlerait pas puisque nos cœurs ne sont que cendres froides, ce n’est pas nous qui mourons c’est le monde que nous habitons, que nous croyons habiter, car nous ne sommes que présence de notre présence, ne sommes-nous pas depuis le début présents au monde des vivants et au monde des morts, et ce sont ces deux mondes qui meurent à chaque instant pour pouvoir vivre de leur propre mort et de leur propre vie. Arrêt brutal. Tout a été. Comprenne qui pourra. Orphée monte vers le soleil mais son âme s’enfuit dans les corridors obscurs.

             Tout ceci n’est qu’une interprétation. Ce qui est certain c’est que Kiva s’adonne à un rituel musical. Ecoutez bien, vous comprendrez, que l’on appelle quelque chose, une forme, que l’on lui demande de venir. Elle ne se matérialise pas mais vous sentez sa présence. C’est déjà trop.

             Ce disque peut mette mal à l’aise. Phoniquement parlant il n’est en rien novateur. Kiva use de moyens éprouvés. Musicalement vous êtes en terrain connu. Le malaise est d’autant plus fort qu’il n’est jamais fait appel à des conjurations sonores extraordinaires, seulement la vie et la mort. Rien de plus. Rien de moins. Vous connaissez. Toutefois attention, Kiva vous emmène sur un drôle de chemin. Il se peut que vous n’en reveniez point. Mais vous ne le regretterez pas.

    Damie Chad.

     

    *

    Parfois l’envie vous prend de tout plaquer et d’aller voir si l’herbe des sargasses est plus verte que par ici. Quand j’ai vu la silhouette du brick se profiler sur le fond de l’image, mon cœur a fait un bond, mais lorsque s’est inscrit au premier plan la figure de ce capitaine pirate abordant le rivage d’une île maudite ou au trésor, j’ai tout de suite embarqué sans même savoir ce que c’était. Faut dire que c’était alléchant : independant pirate metal band. En plus un groupe polonais.

    EXPLORER

    PIRATE HYMN

    ( Album Numérique : Bandcamp / Janvier 2024)

    Le groupe a déjà trois albums et un EP a son actif.  Des instrumentaux, ce dernier est le seul à comporter des parties vocales. Tassos Lazaris est crédité aux parties vocales et Damian Gzajkowski : aux solos de guitare. N’empêche que le projet est l’œuvre d’un solitaire, un certain Jean-Michel – prénom à consonnance peu polonaise – qui revendique la composition des morceaux.  Non pas un one-man-band, plutôt un one-man-dream. J’adore ces individus, un peu monomaniaques, qui s’obstinent dans leurs passions.

    Jean-Michel a fait partie sous le nom de Jan Pawel jusqu’en 2019 de Blazon Stone groupe allemand dans lequel il tenait les claviers. Blazon Stone n’a jamais caché son admiration pour le groupe allemand Runnin’ Wild dont le titre du premier album : Under Jolly Roger est assez évocateur et se passe de tout commentaire. Pour ceux qui adorent les généalogies, n’oublions pas que la pensée généalogique fut par excellence une des méthodes d’analyse du réel de Nietzsche, Runnin’ Wild a pris pour oriflamme nominatif le titre d’un morceau de Judas Priest.

    Petit hors-d’œuvre : mon film de pirate préféré : L’île sanglante de Michael Ritchie. Ce n’est pas un bon film, mais c’est le plus bel hommage qui ait été rendu à la piraterie. Le film se déroule à notre époque (années 70). Vous n’y verrez pas de vrais pirates d’antan, mais le rêve de la piraterie incarnée. Parfois le rêve s’empare de la réalité et triomphe d’elle. Un film moral (très cucul la praline) puisque la réalité reprend en la dernière minute ses droits. Mais si vous y réfléchissez, ce film démontre que le désordre de l’impossible est inscrit dans les cadres du possible. Aux rêveurs, aux railleurs comme disait Villiers de L’isle ( sanglante) Adam.

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    Captain’s diary : instrumental : belle intro, des chœurs masculins s’élèvent, vous êtes propulsé en quelques secondes sur un rivage inconnu, une guitare chantonne les notes de l’avenir, le danger vous guette, tout peut survenir, et brutalement une guitare endiablée déboule sur vous, bonjour le metal, le solo charge sur vous à la baïonnette, les chœurs essaient de le surpasser, il leur tient la dragée haute et passe à côté de vous par miracle, et c’est fini. Vous n’auriez jamais dû entamer la lecture de ce journal de bord, vos passerez toute la nuit à le lire et le relire. Explorer : certes la rythmique folle est des plus metalliques, mais l’intro vous a scié, on se croirait en Irlande, va falloir s’y faire, moitié folk celtique, moitié metal, et le mélange est super bien fait, entre la guitare de Damian, mérite son prénom démoniaque, qui mange ses cordes tels ces requins affamés qui s’ouvrent le ventre pour dévorer leurs propres entrailles, la voix de Tassos qu’il est obligé de hausser jusqu’au nid de pie pour suivre le rythme, et les chœurs de l’équipage qui scandent et augmentent  la vitesse, vous ne savez plus où donner de la  tête, c’est le portrait de l’aventurier à la lunette, le Capitaine sur la dunette, seul face à l’océan et à  l’inconnu, homme libre toujours tu chériras la mer.  Dance of death : un peu d’accordéon pour le chant de l’équipage, ce n’est pas un menuet de salon, plutôt un remué d’os sauvages, la guitare fonce au travers des embruns sur une mer en colère, elle file droit quinze nœuds, un vaisseau fantôme, tiens les chœurs reviennent et vous enveloppent de leurs clameurs, l’on se demande comment Tassos respire, le romantisme possède deux visages, avec le morceau précédent c’était la face claire du Héros, seul contre le monde, maintenant c’est la face sombre, les squelettes, la mort, la damnation, une ronde infernale,  à chacun son lot, égalité des chances devant la camarde, une cloche sonne, la vision horrible s’évanouit.

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    Hoist the sails : Hissez les voiles, l’injonction suprême, plus fort, plus vite, l’équipage prend la mer, le Capitaine Rolf – hommage au captain singer De Running Wild – la batterie bat le rappel, elle a la cadence de ces lames infatigables qui cognent contre la coque. La course est le seul remède contre les ennuis terrestres. Le morceau vous secoue comme un ouragan, vont-ils survivre à sa force, tout autre que Tassos en ressortirait la voix brisée, mais non ils passent le cap des tempêtes comme si c’était une partie de plaisir. Pour ceux qui veulent en voir plus, une Lyric Video pour préparer la sortie de l’album est visible sur YT, pas exceptionnelle, les couleurs sont trop pâles, extraits de film de pirate et drapeau noir. Suffisant toutefois pour regretter de ne pas être né à cette époque. Volta do mar : retour de mer, instrumental, la guitare éclate comme une corne de brume, le soleil éclaire les chœurs, l’on pressent l’alcool des tavernes enfumées et l’on sent le corps des filles qui se pressent contre vous, des pièces d’or roulent sur la table. Jour de fête. Drunken Whales : ce serait le moment de se poser, l’on a bien bu, la nuit est tombée depuis longtemps, c’est l’heure de se taire et d’écouter la parole du vieux marin qui raconte la merveilleuse légende de la baleine ivre, eh bien non c’est une bacchanale sans fin, à croire qu’ils ont décidé que chaque morceau serait plus rapide et plus fou que le précédent. Les pirates ne connaissent pas le blues tout est prétexte, les chiens de mer chassent en meute que ce soit l’or ou les filles. Réjouissances faustiennes. Storm wind riders : tiens le bruit de la mer, une guitare acoustique, les plaisirs de la plage sont vite terminés, le drapeau noir est hissé, metal et celtic musics se tirent la bourre, l’on chevauche la tempête, un solo de guitare qui imite le cri des pétrels dans les nuées, le vent les porte vers de futurs combats, tout s’apaise, va-t-on terminer comme au début, le charivari reprend de plus belle, monstrueuse apothéose. L’on entend plus que les vagues et les mouettes.

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    Fancy : l’on finit par une fantaisie, la Fancy était un navire de guerre de 46 canons dont s’empara Every Long Ben, un des plus célèbres pirates anglais qui sévit dans l’Océan Indien et les Caraïbes, il s’empara notamment d’un navire transportant la fille du Grand Moghol (souverain de l’Inde) et l’équivalent de quatre-vingt millions d’euros de pierreries et de pièces d’or. Il ne fut jamais pris par la couronne d’Angleterre, l’on ne sait trop ce qu’il devenu, est-il mort pauvre comme le prétendent certains où a-t-il survécu rangé des affaires quelque part en Amérique du Sud. L’on pense au pirate français Jean Lafitte, paisible retraité de la New Orleans, qui devenu vieux voyagea en Europe et discuta avec Karl Marx… L’existe aussi une Lyric Video supérieure à celle de Hoist the sails, composée elle aussi à partir d’extraits de film. Ce dernier morceau est l’hymne définitif de la piraterie, brutal comme une bordée de canon, enlevé comme un abordage, rutilant comme une balafre de sabre sur un visage de vieux loup de mer. Tout ce que vous n’avez pas eu le courage de vivre, Pirate Hymn le chante.

             Toux ceux qui aiment les pirates aimeront cet album. Les autres ne le méritent pas.

    Damie Chad.

                       Un Ennui désolé par les cruels espoirs

                       Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs !

                       Et, peut-être, les mâts, invitant les orages,

                                  Sont-ils de ceux qu'un vent penche sur les naufrages

                       Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots

                       Mais, ô mon coeur, entends le chant des matelots !

                                                                                        Stéphane Mallarmé.

     

     ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

    18

    Le Chel était d’une humeur exécrable :

             _ Agent Chad, filez au premier bureau de tabac venu et ramenez-moi douze boîtes de Coronados, au plus vite.

    Quand je suis revenu à ma grande surprise le Chef était tout sourire, planté devant le mur d’où suintaient les gouttes de sang que Molossa et Molossito continuaient à lécher en remuant la queue de contentement. Le Chef se saisit sans se presser du paquet que je lui ramenai.

             _ Merci Agent Chad, vous me sauvez la vie !

    Mais à la lenteur avec laquelle il ouvrit précautionneusement une première boîte, et entreprit de dévisser avec un soin extrême le capuchon du tube du métal, le temps qu’il prit à soupeser avec une scrupuleuse attention le cigare essayant de le maintenir en équilibre sur son index, et cette insistance à chercher une boîte d’allumettes dans tous les endroits où il ne les rangeait jamais, j’en conclus qu’il n’était pas mourant.

             _ Agent Chad, vous souvenez-vous de ces affiches de la Résistance : Les murs ont des oreilles ?

             _ Bien sûr Chef !

             _ En effet Agent Chad, d’une esthétique expressive particulièrement réussi, mais évitons de nous lancer dans une discussion artistique, j’ai une nouvelle surprenante à vous apprendre : non seulement les murs ont des oreilles mais en plus ils parlent. Collez votre esgourde gauche sur ce mur et écoutez.

    Ce n’était pas une plaisanterie. A peine eus-je posé mon appendice ouïstique que j’entendis :

             _ Par pitié, sortez-moi de là, je suis blessé, je n’ai plus assez de force pour m’extraire moi-même de ce béton, faites vite, je vous en prie !

    Le Chef n’était pas de cet avis :

             _ Cet individu est totalement fou, il déchiquète ma provision de Coronados et il s’imagine que l’on va le tirer du pétrin dans lequel il s’est mis au plus vite. Je pense qu’il doit encore souffrir un peu. Au minimum le temps de terminer les quatorze autres Coronados de la boîte que je viens d’entamer. Comme le temps passe vite, je suis déjà en train d’allumer mon deuxième ! Peut-être ouvrirais-je ensuite une nouvelle boîte !

    19

    Ce ne fut pas facile d’extraire notre quidam de sa gangue de métal. Je dus aller voler un marteau-piqueur et un compresseur sur un chantier. Après plusieurs heures d’efforts entrecoupées de poses coronadiques, il s’affala enfin sur le plancher, il ne tenait plus debout ayant reçu une balle de Rafalos dans chacune de ces deux cuisses. Le Chef se chargea de mener l’interrogatoire :

             _ Quel est ton nom ?

             _ Je ne sais pas !

             _ Je te préviens que l’Agent Chad est insensible à l’humour !

    Le gars put aussitôt vérifier que le Chef ne mentait pas. D’une balle de Rafalos je m’amusai à lui arracher le pouce de son pied gauche. Le gars poussa un rugissement de douleur.

             _ Arrête de crier comme une fillette, je te préviens que l’Agent Chad possède encore neuf balles dans son chargeur. Une pour chacun de tes orteils.

    Sur l’instant, afin de corroborer les dires du Chef je lui décanillai les quatre orteils qui lui restaient sur son pied gauche.

             _ Arrête de jouer au courageux, avec nous ça ne marche pas, ton pied n’est pas beau, veux-tu vraiment avoir un deuxième pied-bot ? Si oui l’Agent Chad avec sa gentillesse coutumière se chargera de te satisfaire.

    Le gars devait être un pied tendre. N’arrêta plus de parler. Pour le faire taire je dus lui envoyer un bastos dans le crâne puis me débarrasser de son cadavre dans le vide-ordure.

    20

             Le Chef alluma un Coronado.

             _ Agent Chad, pendant que je savoure ce cigare pourriez-vous résumer tout ce que ce gaillard nous a appris.

             _ Il s’appelait Jean Thorieux. L’était au chômage lorsque les Assédics lui ont proposé de faire un stage pour se remettre au niveau. Le premier jour il n’a rien remarqué de particulier. Avec une dizaine d’autres gars on lui a demandé de monter un mur de parpaings. C’était dans leurs cordes, z’étaient tous des travailleurs du bâtiment, et c’était un stage bâtiment.

             _ Agent Chad, attendez une minute dix-sept secondes que j’allume un Coronado, la suite est palpitante !

             _ Oui Chef, le deuxième jour ce n’était plus le même instructeur. Un grand mec avec une drôle de voix. Leur a dit, que niveau construction ils assuraient, que ce qui leur faisait défaut ce n’était pas les qualités professionnelles mais la force mentale. Le gus leur a dit de se poster devant le mur, et de penser qu’ils étaient capables de traverser le mur qu’ils avaient construit. Z’ont cru à une blague. Mais non ils ont dû rester sept heures devant le mur les yeux fermés. Sans pause-déjeuner et interdiction d’aller aux toilettes. Pire que du travail d’usine sur la chaîne.

             _ Remarquez agent Chad que ce genre d’exercice n’est pas nouveau. L’est directement inspiré des stages d’entreprise des années quatre-vingt, pour souder les équipes et leur inculquer l’idée de se surpasser on leur proposait de sauter à l’élastique depuis le haut d’un pont ou de marcher pieds nus sur un tapis de braises brûlantes. Au moins pendant ce temps le personnel ne pensait pas à demander des augmentations de salaires. Mais continuez Agent Chad, je vous en prie.

             _ Au soir du troisième jour, l’on a dit à l’un d’entre eux, qu’il ne faisait pas assez d’effort, qu’il était radié du stage et que puisqu’il y mettait de la mauvaise volonté, on allait lui sucrer ses allocations chômage. Ensuite chaque soir, un d’entre eux a été systématiquement licencié. Jean Thorieux s’est accroché, l’avait une femme et des enfants. Il ne voulait pas perdre ses indemnités. Ala fin il est resté tout seul. Il pensait être renvoyé le soir même, mais à sa grande surprise il s’est retrouvé de l’autre côté du mur sans trop y penser.

             _ Vous voyez Agent Chad, quand on veut un peu. Tenez, prenons un exemple au hasard : je veux allumer un Coronado, regardez j’allume un Coronado !

    21

    J’ai arrêté la bagnole devant le HLM d’une cité d’Aulnay-sous-bois. Suis directement monté au quatrième étage à la porte 401. J’ai sonné. J’ai entendu des pas à l’intérieur se dirigeant vers la porte d’entrée. Qui s’est ouverte. Une jeune femme avenante posa sur moi ses beaux yeux bleus.

             _ Monsieur, que puis-je pour vous ?

             _ Excusez-moi madame de vous déranger si tard, vous et vos enfants, il est huit heures et demie, je peux repasser dans une demi-heure, voire une heure si vous le désirez, il est important que les bambins puissent entendre une histoire avant de s’endormir.

             _ Je n’ai pas d’enfants Monsieur, que voulez-vous au juste, je ne vous connais pas.

             _ Je voulais parler à votre mari Jean Thorieux !

             _ Je ne suis pas mariée, Jean Thorieux est mon frère, je suis sa sœur Gisèle Thorieux, mais que lui voulez-vous au juste, j’espère qu’il ne lui est rien arrivé. Mais ne restez pas devant la porte, puisque vous connaissez Jean, entrez, vous prendrez bien un café ?

    Gisèle apporta deux tasses de café et prit place à mes côtés sur le canapé.  

             _ Non je n’attendais pas Jean ce soir, il n’habite pas avec moi, il loge au 402, sur l’appartement en face sur le palier. Je le vois peu, un gentil garçon, un instable, il ne dégage pas du tout l’air sérieux et posé qui émane de vous, à peine a-t-il trouvé un boulot qu’il se fait mettre à la porte pour en cherche un autre. Un insatisfait. Un exalté. Depuis trois semaines il s’est entiché de paranormal, il est sûr que nous possédons tous des pouvoirs, que nous les laissons dormir au fond de nous. Pas plus tard que la semaine dernière, il m’a bien fait rire, il m’affirmait   que si l’on voulait l’on serait capable de traverser les murs, qu’il était sûr que de par le monde il devait déjà exister une SBM, une Société des Briseurs de Murs. Il m’a bien fait rire, hi ! hi ! hi ! ne trouvez pas cela idiot vous aussi !

             _ Totalement Gisèle, je ne pense pas que l’Homme sera capable de passer les murs avant plusieurs siècles, avec l’aide de la Science bien sûr, aujourd’hui cela relève de la folie pure. Par contre je suis d’accord avec ses prolégomènes, il est sûr que nous possédons tous des pouvoirs d’une force considérable au fond de nous qui ne demandent qu’à être éveillés. Tenez prenons votre propre exemple Gisèle, quand je vous vois assise sur ce canapé tout près de moi, je dois avouer que quelque chose, une force inconnue m’attire contre vous, si je me retenais Gisèle, aussi vrai que je m’appelle Damie je vous assure que je me jetterais sur vous, et peut-être même dans quelques instants serais-je incapable de me contrôler, ah Gisèle !

             _ Damie je vous en prie, succombez à cet instinct qui vous jette vers moi, je consens à tout ce que voulez, et même à ce que je ne veux pas !

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 629: KR'TNT 629 : RONNIE BIRD / LORD ROCHESTER / JIMI HENDRIX / KILLING JOKE / ERNIE JOHNSON / THE BANDIT QUEEN OF SORROWS / A-ORATOS / 6Exhance

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 629

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    25 / 01 / 2024

     

    RONNIE BIRD / LORD ROCHESTER

    JIMI HENDRIX / KILLING JOKE / ERNIE JOHNSON

    THE BANDIT QUEEN OF SORROWS

    A-ORATOS // 6Exhance

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 629

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Wizards & True Stars

     - Red Bird

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             Inespéré ! Six pages sur Ronnie Bird dans Shindig! C’est une forme de reconnaissance. Gareth Jones le traite même de «one-man Rolling Stone» qui avait tout bon - Ronnie Bird had it all: cool, hip cachet, impeccable musical taste, top-class musicians and a perfect feel for the progressive R&B sounds pouring across the channel - C’est non seulement un gros chapô, mais aussi un sacré coup de chapô. Jones dit aussi que Ronnie fut le premier et le meilleur French performer à se frotter au Bristish beat et donc, il aurait dû devenir une superstar. Tous les kids qui l’écoutaient en 1965 le savaient, mais il n’est pas devenu une superstar. Après cinq ans de «stellar releases», il a disparu, pour entrer dans la légende. Il est arrivé exactement la même chose à Brian Jones : 5 ans.

             Alors Gareth Jones fait son boulot de journaliste, il plonge dans l’histoire et découvre «a remarkable catalogue». Ben oui, a-t-on envie de lui dire d’un ton exaspéré.

             L’idéal, quand on admire Ronnie Bird, c’est d’avoir grandi avec lui. On peut retourner cet idéal comme une peau de lapin : l’idéal pour Ronnie Bird, c’est d’avoir grandi avec toi. Le fin du fin du saint des saints est d’avoir pu jerker à la bonne époque. Tu rentrais en courant du collège pour écouter la radio, et retrouver ton idole Ronnie Bird, mais aussi les Who, les Kinks, les Easybeats, Donavan, Dutronc, les Stones, les Beatles, les Yardbirds, les Troggs, les Animals, les Pretty Things, Dylan, les Moody Blues, et comme si tout cela ne suffisait pas, tu filais chaque jeudi au Monoprix du quartier barboter tous ces EPs magiques, car oui, à tes yeux, il s’agissait bien de magie. Pire encore : cette magie devenait nécessaire à ta vie.

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             Comme les lecteurs anglais de Shindig! ne savent pas qui est Ronnie Bird, Jones est obligé de raconter son histoire, sa naissance à Paris en 1946, non pas en tant que petit Bird mais en tant que Ronald Mehu. Ce sont bien sûr les voyages en Angleterre qui le rendent anglophile, et il commence par se passionner pour Jerry Lee et especially Little Richard, puis en 1964, boom, les Stones, et boom, Carnaby Street. Jones n’y va pas par quatre chemins pour rappeler que Johnny Halliday adaptait déjà du R&B en 1964, «but his sartorial style looked old compared with the sharply-attired newcomer.» Jones ajoute qu’à la ville, Ronnie était timide et réservé, mais à la scène, «he blew up a storm» à coups de «non-stop sonic assault». Il est vite repéré par Decca et hop, direction le studio.

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             Les 9 EPs de Ronnie Bird sont encore là, dans l’une des petites caisses. Ils n’ont pas pris une seule ride. En 1964, Ronnie porte une casquette sur la pochette de son premier EP, qui est le fameux hommage à Buddy Holly, Adieu À Un Ami, cover du «Tribute To Buddy Holly» de Mike Berry. Le son est digne de Joe Meek - Whoo-oh oh/ Non jamais je n’oublierai mon vieux copain - C’est Mickey Baker qui gratte ses poux derrière Ronnie. On l’entend encore sur «Tu Ferais Mieux De Filer», c’est gratté sec, crois-moi ! Encore une douche écossaise de l’autre côté sur «On S’Aime En Secret». Pour un premier jet, c’est un joli coup. Ronnie a du pot d’avoir derrière lui ce black killah de Mickey Baker.

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             Un Mickey Baker qui fait encore pas mal de ravages sur le deuxième EP, L’Amour Nous Rend Fou. Le morceau titre est une cover de Buddy Holly et Bob Montgomery, «Love’s Made A Fool Of You», tapée au «Not Fade Away» façon Stones, «with maracas underpinning the driving rhythm, bass, guitar, and organ pounding the central riff.» En B-side, Ronnie tape une cover du «Black Night» d’Arthur Alexander qui s’appelle «Tout Seul» - Je n’ai plus un ami/ Pour me consoler - et derrière Mickey Baker fait de la haute voltige. Ça devient carrément wild avec «Je Ne Mens Pas», Mickey Baker devient killer punk de pur genius et là, ça vaut tout le rock anglais, tout le Beck des Yardbirds. Tu sautes partout ! C’est ce wild killer solo flash qu’il faut écouter !

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             Avec Elle M’Attend, le troisième EP, Ronnie monte brutalement en température. Il affiche une petite mine de délinquant et porte le genre de gilet rouge qui te faisait baver à l’époque. «Elle M’Attend» ! Violemment bon ! Cover de «The Last Time» riffée dans l’écho du temps, tapée au tambourin, ça se passe en 1965, en plein dans l’œil du cyclone, le beat est bath, tu te lèves et tu jerkes au Palladium - Ronnie’s vocal overflowing with confidence - Ce démon de Ronnie enchaîne avec une cover encore plus sauvage, celle du «Don’t Bring Me Down» des Pretties qui devient «Tu Perds Ton Temps» - Ya rien à faire - Fuzz à gogo - Elle prend des airs à vous faire fuir - Avec ces deux merveilles, Ronnie invente l’art de la cover sacrée, celle qui ne surpasse pas l’original, mais qui navigue exactement au même niveau. Ronnie ne se contente pas de rendre hommage, il place son style. Pour l’époque c’est assez révolutionnaire. Comment ce jeune coq a-t-il pu réussir un coup pareil ? Parce qu’il s’appelle Ronnie Bird. On va se contenter de cette réponse qui n’en est pas une. Mais une chose est bien certaine : à la réécoute, c’est toujours aussi balèze. En B-side, tu as encore un coup de Jarnac : «Fais Attention», cover du «Find My Way Back Home» des Easybeats, et des Nashville Teens, pur génie proto-punk, mené par le bout du nez d’un jour viendra - Bird took the original version and kicked its arse all the way home - Ronnie est aussi protozozo que Jessie Hector. Il aurait dû s’appeler Wild Ronnie Bird, comme l’ont fait Wild Jimmy Spruill et Wild Billy Childish. Jones dit aussi que cet EP fut sa meilleure vente. Le groupe qui accompagne Ronnie s’appelle les Tarés.

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             Wild Ronnie Bird atteint son sommet avec son quatrième EP, Où Va-t-elle ?. Pochette classique en hommage à Brian Jones. On est en 1965, au cœur battant du mythe. Boom dès «Où Va-t-elle ?» - Me voilà devenu jaloux - Beurre du diable, coups d’harp, son d’Antoine Rubio, power du beat. Voilà le vrai rock de Paris. Wild Ronnie t’embarque ça au je n’ose/ je n’ose/ je n’ose pas le croire. C’est une reprise du «Come Back Home» des Hollies, mais on s’en fout des Hollies, Wild Ronnie claque son beignet avec des allures intersidérales de superstar du protozozo. C’est à l’époque le seul rock électrique digne de ce nom en France. Jones parle ici de «demolition job» et de «driving slice of primal rock». Oui, Ronnie explose complètement les originaux. Il amène à la suite «Ma Vie S’Enfuit» et c’est vrai, on a tellement adoré la détresse sentimentale de Ronnie - Car ma vie entre mes doigts/ S’enfuit si vite - Ça tellement rococo ! Attention à la B-side, elle est explosive ! Boom dès «Je Voudrais Dire», il retrouve la dynamique des Pretties pour cette cover d’«I’ll Go Crazy» de James Brown, reprise par les Moody Blues. Pur genius interprétatoire, une fois encore, il n’a pas besoin de shouter comme James Brown, il fait du Ronnie et ça passe comme une lettre à la poste. Puis il allume en pleine gueule un vieux hit des Turtles et en fait «Ce Maudit Journal», bing bang !, à coups de Bravo tu soignes ta publicité, ah il faut entendre cette riffalama, et ce vous avez l’air heureux si vindicatif et si proto-punk, Wild Ronnie s’arrache la rate à coups d’après tout ça m’est bien égal, il y va au power de Zeus, je vais le déchirer, et le mec riff derrière comme une brute. Il n’y a pas eu beaucoup de superstars en France dans les sixties, mais on en dénombre trois : Vince Taylor, Wild Ronnie et Dutronc. C’est après cet EP du diable que les Tarés quittent Ronnie pour devenir les Problèmes et accompagner un autre newcomer, Antoine.

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             La fête continue avec Chante, le cinquième EP de la voie sacrée. Wild Ronnie rend hommage aux Them (et taille Antoine) avec ce «Chante» qui est une cover d’«I Can Only Give You Everything». Une fois de plus, les paroles sont un must - L’autoroute à présent devient remplie de gens - Ça dégouline de fuzz - On paye très mal ingénieur atomique/ La musique a du bon lorsqu’on pense au fric - C’est encore une fois complètement demented et battu à la diable. Son d’Antoine Rubio. On entend encore un killer solo sur «T’En Fais Pas Pour Ronnie», une reprise d’«A Legal Matter» des Who. En B-side, il prend des risques en tapant une cover du «Lies» des Knickerbockers. Il en fait «Chesse». Incroyable qu’il aille chercher cet obscur gaga-cut américain qu’on découvrira en 1972, sur Nuggets. Ce n’est pas le meilleur choix, mais derrière, ça joue à la vie à la mort.   

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             Wild Ronnie amorce son déclin avec son sixième EP, N’Écoute Pas Ton Cœur. Belle pochette, mais le son change avec l’arrivée de Tommy Brown et Micky Jones. Trop pop. Ça ne marche pas. C’est même un peu putassier. On perd tout le protozozo et le Maudit Journal. L’époque veut ça. On lime les dents du rock. Cover du «Sloop John B» des Beach Boys, «Seul Dans La Nuit» est encore plus poppy. L’arrivée du duo Tommy Brown/Micky Jones est une malédiction pour Wild Ronnie. Ces mecs-là traînent d’ailleurs avec Johnny Halliday et vont finir par monter Foreigner. Berk. En B-side, le pauvre Ronnie tente de sauver sa voie sacrée avec une cover de l’«Hey Girl» des Small Faces. Retour du style anglais. Big time ! Ça swingue à Paris. Il fait son Marriott - Ferme les yeux/ C’est bien mieux - Il le fait bien sûr en français, c’est le wild style birdy - Hey hey embrasse-moi/ Hey hey plusieurs fois.

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             Avec Tu En Dis Trop, son septième EP, Wild Ronnie passe au r’n’b. Il y va franco de port avec «Tu En Dis Trop», une cover d’«You Don’t Know Like I Know», le vieux hit qu’Isaac le prophète pondit pour Sam & Dave. Cover bien tapée - Des ennuis pourraient bien t’arriver - Wild Ronnie réussit l’exploit de balancer un vrai shout de wild r’n’b parisien. Il est le seul à avoir réussi un coup pareil avec Noel Deschamps et Nino Ferrer. De l’autre côté, il tape une cover de «See See Rider» qui devient «Tu Ne Sais Pas» - Bien des choses en toi pourraient changer - C’est balèze, bien chargé de la barcasse avec le killer solo flash et les trompettes de la renommée. 

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             Son huitième EP s’appelle La Surprise. Toujours l’époque Tommy Brown/Micky Jones. C’est pas bon. Ronnie qui n’est plus Wild tente le coup d’une cover sensible avec «New York Mining Disaster 1941». Les Bee Gees étaient alors à la mode. Ronnie en fait «Si Quelque Chose M’Arrivait» et lui donne tout le tremblement. De l’autre côté, il fait encore de la petite pop insalubre («Les Petites Filles En Sucre D’Orge») et tape dans Tim Hardin avec «Ne Me Promets Rien». Ronnie est passé à autre chose. Fini les Pretties. On lui a limé les dents. Comme on l’a fait pour Elvis. Gentil toutou, y veut un susucre ?  

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             Neuvième et dernier EP : Le Pivert. Grosse surprise ! Big pop sound, c’est violonné et produit à outrance. Ronnie chante son chant du cygne. On se demande si le petit oiseau vert dont il chante si goulûment les charmes n’est pas sa bite. De l’autre côté, nouvelle surprise de taille avec un «SOS Mesdemoiselles» quasi-hendrixien. Il se retrouve en plein dans «Purple Haze» ! Il a du son, c’est évident. Bizarre que cet EP n’ait pas marché. Même l’«Aimez-Moi» qui vient à la suite est bon.

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             On termine avec un single, «Sad Soul/Rain In The City». Intéressant, car il chante en anglais. Il se glisse dans la heavy psyché anglaise, avec sa petite magie vocale un peu sucrée. «Rain In The City» sonne comme un hit, encore une fois hyper-joué. Excellent.

             Sur scène, c’est un groupe nommé Cruciferius qui l’accompagne, pas Tommy Brown et Micky Jones, avec lesquels Ronnie va essayer de monter un groupe, proposant même de prendre le bassmatic à sa charge. L’idée est de monter un power-trio, avec Ronnie the ideal frontman. Il va à New York en 1968 essayer de négocier un contrat avec Mercury qui dit non. Il rentre à Paris et décide d’enregistrer un opéra rock avec son trio, mais des problèmes de fric l’acculent et il jette l’éponge. Il entre alors dans la troupe d’Hair pour trois ans, puis dans celle de Jesus Christ Superstar. Ronnie ira ensuite s’installer à New York et bosser dans la télévision.

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             Pour les ceusses qui n’ont pas eu la chance de barboter les EPs à leur parution, il existe au moins trois bonnes solutions : des LP compilatoires, dont le premier - et le meilleur - parut en 1976, à l’aube de l’ère punk. Il s’appelle 63-66. Même si tu possédais tous les EPs, tu te jetais là-dessus, histoire de réécouter tous ces proto-hits sur un autre format. Ils sont tous là, tu peux y aller les yeux fermés : «Elle M’Attend» (Après d’elle/ Conduisez-moi, pure Stonesy), «Tu Perds Ton Temps» (Comment lui plaire - Pretties on fire, swingin’ Paris), «Je Ne Mens Pas» (harsh and raw, c’est dingue comme Ronnie a pu taper dans le mille), «Adieu À Un Ami» (just perfect), et ça déroule encore en B avec «Où Va-t-elle ?» (Il swingue comme un démon), «Fais Attention» (Pur protozozo de Yeah Yeah, voix tranchante er riffalama de la pire espèce), «Ce Maudit Journal» (rien de plus protozozo que cette débinade de raw punk) et «Je Voudrais Dire» (incroyable comme le bassmatic swingue l’I’ll Go Crazy).

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             Le Style Anglais est un coup de Libé qui date de 1984. Tu y retrouves «Chante» et sa fuzz, le Legal Matter des Who («Ne T’En Fais Pas Pour Ronnie»), l’«Hey Girl» des Small Faces, le «Tu En Dis Trop» de Sam & Dave et la cover du «New York Mining Disaster 1941» des Bee Gees («Si Quelque Chose M’Arrivait»). Ça se termine avec «Le Pivert» et l’«SOS Mesdemoiselles» complètement hendrixien. Le Style Anglais complémente parfaitement le 63-66. Avec ces deux compiles, tu fais bien le tour du propriétaire.

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             Il existe encore une bonne compile, 1965, parue sur Big Beat Records et qui tape dans les deux époques, la première (Mickey Baker) avec «Adieu À Un Ami» et «On S’Aime En Secret», la deuxième (Antoine Rubio) avec «Où Va-t-elle ?», «Tu perds Ton Temps», «Ce Maudit Journal» et «Fais Attention».

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             L’idéal serait aussi d’écouter son premier album sans titre, Ronnie Bird, paru en 1965, car on y trouve des cuts qui ne figurent pas sur les EPs. C’est surtout un album de Mickey Baker qui casse bien la baraque dans «Je Ne Mens Pas», virulence maximaliste. Mickey Baker = Wild Jimmy Spruill. On le retrouve sur «On S’Aime En Secret», il ramène tout le ruckus new-yorkais derrière le petit Ronnie. Toujours lui sur «Tout Seul». Fabuleuse attaque. L’album mixe aussi les deux époques, car tu as tu du Rubio Sound avec «Fais Atention» (Les filles pourraient se venger et te faire pleurer), «Elle M’Attend» (Wouah vous là-bas/ n’attendez pas !) et «Tu perds Ton Temps» (Ya rien à faire !). Tous ça est gravé au fer rouge dans ta mémoire.

             Jones termine son brillant dithyrambe en suggérant que Ronnie était trop classe pour aller se compromettre dans des mauvaises émissions de variétés - Il était ce qu’il était, pour le pire et pour le meilleur, et c’est cette authenticité, couplée avec sa peerless recording legacy, qui font que sa légende dure encore - Peerless, c’est le mot exact. Inégalable.

    Signé : Ronnie Beurre

    Ronnie Bird. Adieu À Un Ami. Decca 1964

    Ronnie Bird. L’Amour Nous Rend Fou. Decca 1964

    Ronnie Bird. Elle M’Attend. Decca 1965

    Ronnie Bird. Où Va-t-elle ? Decca 1965

    Ronnie Bird. Chante. Philips 1966

    Ronnie Bird. N’Écoute Pas Ton Cœur. Philips 1966

    Ronnie Bird. Tu En Dis Trop. Philips 1967

    Ronnie Bird. La Surprise. Philips 1967

    Ronnie Bird. Le Pivert. Philips 1968

    Ronnie Bird. Sad Soul/Rain In The City. Philips 1969

    Ronnie Bird. Ronnie Bird. Decca 1965

    Ronnie Bird. 63-66. Decca 1976

    Ronnie Bird. Le Style Anglais. Philips 1984

    Ronnie Bird. 1965. Big Beat Records

    Gareth Jones : The Bird is the word. Shindig! # 143 - September 2023

     

     

    L’avenir du rock

     - My sweet Lord

     

             Comme Gainsbarre, l’avenir du rock adore groover la beauté du Bo/du Bo, qui se boit sans délai/délai, mais sous boisseau/boisson, il pense bien sûr à Dubonnet, boisson/poison apéritive/itérative hâtive/rétive. L’avenir du rut/du rite raffole tellement du Bo/du Bon qu’il ne sait plus trop si c’est du boisseau ou du biseau, il louvoie péniblement entre du Bo et Dubonnet/bonnet, et va même jusqu’à se prendre pour Gainsbarre qui, lui, louvoie littérairement/rarement entre Arthur et Henry, pendant qu’au lit/Holly, il tient l’orifice/office de Marylin en ligne de mire. Mais comme l’abus du Bo/du Bo rend miraud, il mélange tout, la line et la ligne, la mire et la mare, le Miller et le mille, l’accord et l’hardcore, un hardcore qui, soit dit en passant, aurait pu rimer avec encore. Encore quoi ? Mais encore du Bo/du Bo. Il en est là, l’avenir du ric/du rac, comme le pauv’ toutou qui ne buvait pas du Bo/du Bo, mais les paroles du maître/du mec, et qu’est mort d’une cirrhose que Gainsbarre/à la barre rime avec l’osmose, comme s’il rimait la beauté des laids/des laids avec le delay/delay de Big Russ, un fervent/fer blanc admirateur/mateur du Bo/du Bo. Depuis cinquante ans, chacun sait/say que la beauté du Bo/du Bo se voit sans délai/delay. La beauté du Bo/du Bo est un cas unique dans l’histoire du groove/du grave. Personne n’a jamais pu rimer un autre nom avec délai/delay. La beauté du Bo/du Bo échappe à toutes les catégories/Gories, à toutes les expectitudes/études, à toutes les combinaisons/liaisons, et après Gainsbarre, un nouveau chantre chante/hante la beauté du Bo/du Bo : l’inestimable/aimable Big Russ/big rush, un vétéran/torrent écossais/cossu. 

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             Il ne raconte pas que des conneries, l’avenir du rock. Il a raison, une fois de plus : Big Russ Wilkins fait partie des légendes vivantes de la scène anglaise, enfin, la petite scène anglaise, celle qu’on appelle l’underground et qui n’intéresse plus grand monde : Milkshakes, Delmonas, Len Bright Combo, Wildebeests. Plus underground, ça n’existe pas. Si tu veux voir jouer Big Russ en France, tu devras te contenter d’un petit théâtre municipal de banlieue et encore, il te faudra un sacré coup de pot : si un copain ne te montre pas le flyer qu’il vient de récupérer à la sortie d’un récent concert, t’es baisé, tu passes à côté, tu ne sais même pas que le concert de Big Russ a lieu. Mais quand tu chopes l’info, branle-bas de combat ! Tu t’organises immédiatement pour ne pas rater ça.

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             Et hop, te voilà à Montreuil par une belle journée de novembre. Quartier populaire et théâtre municipal, faune d’aficionados et ambiance des grands concerts d’antan. La première chose que tu vois en arrivant dans la salle, c’est la gratte rouge de Bo Diddley. Bon, ce n’est pas la Gretsch, mais on s’en fout. C’est vraiment pas le moment de commencer à chipoter. Et boom, le voilà le Russ, l’extraordinaire Russell Wilkins, sur scène depuis 1979, au temps des Pop Rivets de Wild Billy Childish. Super bien conservé, une vraie rock star, mais de celles qui ne se prennent pas au sérieux, l’anti-Bono and co par excellence. On renoue enfin avec cette authenticité qui fut pendant cinquante ans le cœur battant du rock anglais.

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    Big Russ va nous faire pendant une heure du pur et dur, superbement accompagné par une délicieuse bassmatiqueuse, Saskia et un beurre man qui n’hésite pas à sortir les maracas pour rocker le Diddley Beat. Le set de Lord Rochester est sans doute le plus bel hommage à Bo Diddley qu’on puisse voir ici-bas. Big Russ porte la veste en tartan rouge et gratte ses poux avec une énergie surnaturelle, il a tout pigé, il rend un hommage direct au génie révolutionnaire de Bo Diddley.

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    Il fait pour Bo ce que Guitar Wolf fait pour Link Wray, il restitue la grandeur de l’Originator avec une vigueur qui t’en bouche un coin. Tout repose sur son gratté de poux, cette façon qu’il a de plaquer un barré de l’index et de jouer le gimmick des trois autres doigts en même temps. Bon d’accord, il a du métier, mais quand même, il faut savoir jouer ça tout seul, sans le confort d’une deuxième gratte. En plus, il chante, et en plus il fait quelques pas de danse. Il claque même trois ou quatre conneries avec la gratte derrière la tête. Wild as fuck ! L’un des mariages les plus réussis entre l’Amérique des early giants, et l’Angleterre des dedicated followers of the function at the junction. Tout ça sonne incroyablement juste. Ça percute de plein fouet l’or du temps.

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    Si tu vénères Bo Diddley, alors tu vénères Big Russ. Rien à voir avec un trip passéiste : Big Russ se contente de faire éclater au grand jour l’une des grandes vérités de l’histoire du rock : l’incroyable modernité de Bo Diddley. Dommage que Big Russ ne tape pas une cover de «Bring It To Jerome». Mais il termine en apothéose avec l’insubmersible «Hey Bo Diddley», que toute la salle reprend en cœur. Ça sonne comme un hymne national. À cet instant précis, on pense à Phil May et à Dick Taylor qui étaient tellement fascinés par Bo qu’ils ont choisi d’appeler leur groupe The Pretty Things. On reste en famille : Bo, Big Russ et les Pretties. Et un set qui se situe bien au-delà de toutes les espérances du Cap de Bonne Espérance. So far out.

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             L’Hey de Lord Rochester est un album génial. Big Russ commence par rendre hommage à Bo avec «Hey Little Jermyn», mais avec une niaque gaga pure, un souffle d’aéroport.

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    Big Russ fait du Bo par-dessus les toits. Avec «Deathbed», il va plus sur le rockab, mais bizarrement, il tape dans le mille à chaque fois. Il est en plein dans l’exaspération du wild cat tamer. Incroyable pureté de l’intention ! Il repart en mode heavy rockab avec «Godzilla». Big Russ culmine dans les arts appliqués, il claque des shouts de disto du diable, avec encore plus de jus qu’en ont Wild Billy Childish ou Graham Day. Le heavy cat dans toute cette histoire, c’est Big Russ Wilkins. Il retape un heavy romp avec «All Night Long» et bascule dans le wild as fuck avec «Mr Pineapple». Les Rochester ont tellement de son ! Big Russ travaille au Diddley beat avec des chœurs d’orfraies, whaaah wap wap ! Il fait encore son Big Russ Man avec «Monkey Monkey», il est monstrueusement impliqué et déborde encore d’énergie avec «I Tried To Send A Monkey By UPS». C’est un peu comme s’il enveloppait son rock’n’roll dans son giron, le Monkey est une fois encore apocalyptique de weird rockab. Russ the Boss rend un dernier hommage à Bo avec «Seasick». L’Hey vaut vraiment le détour.

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             Pas facile à choper le Twistin’ With Lord Rochester, un Off The Hip de l’an passé. En fait c’est une compile qui reprend 7 cuts d’Hey, et 7 cuts tirés des EPs dont on va parler à la suite. Mais comme on dit à l’école, c’est une excellente occasion de réviser ses leçons, d’autant que Big Russ attaque avec l’imbattable «Hey Little Jermyn», Bo-ish en diable, magnifique de maracas et d’hey ! Ça grouille forcément de coups de génie là-dessus : «Deadly Daddy» (vieux romp de type Memphis tiré du single «Hey Little Jermyn», devenu introuvable, alors merci la comp), «I Tried To Send A Monkey By UPS» (belle dégelée de clairette éclairée), «Lady Luck» (la beauté du Bo du Bo, se voit sans délai/delay), et «Monkey Monkey» (Big Russ le gratte aux poux primitifs, il a tout l’héritage du British Beat). Et puis tu as «Monkey’s Fist», tiré du Shetland Sessions EP, un instro pas du tout tempéré, et à la suite, «Liza Jane», tiré du Mods & Rockers EP, belle descente au barbu du rock’n’roll, du pain béni pour un crack comme Russ. Il y va franco de port. Tout est fabuleusement inspiré sur cette compile, tiens, voilà encore «Seven Steps To Heaven», tiré de l’Oben Road EP, un wild rockab qui avale les distances, suivi de «Christine», tiré du single Ears Of A Prince, lui aussi disparu des radars, alors merci encore la comp. On lui serre la main avec effusion.  

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             L’idéal, quand tu craques pour Lord Rochester, c’est d’aller farfouiller dans les EPs. C’est du régal assuré et ça ne fait pas double emploi avec les deux albums, même avec le Twistin’ With Lord Rochester. Sur l’Asturian Sessions EP, tu retrouves le wild «Lady Luck» qui tape en plein dans le mille du Bo. Big Russ zèbre ça de Bo zéclairs ! Et en B-side, tu tombes sur l’incroyable «Round My Finger», un shoot de rockab d’une densité impressionnante. Ils réussissent à aller chercher cet éclat de véracité, ce foin de bop extraordinaire. Au dos, tu les vois tous les trois photographiés à la plage en maillots rayés 1900, et bien sûr, Big Russ porte sa gratte rectangulaire en bandoulière. Il reste Bo jusqu’au bout des ongles. C’est enregistré chez Jorge Explosion, en Asturie.  

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             Sur le Mods And Rockers EP, tu retrouves le fabuleux «Deadly Daddy» salué plus haut, chef d’œuvre de British Beat, et en B-side, Big Russ te gratte au quart de poil «My Baby (Won’t Ride Beside Me)». Au dos, on les voit tous les trois chez le coiffeur. Big Russ se fait faire la barbe comme Al Capone, et en dessous, on peut lire la légende suivante : «Hairdresser: Joe Meek.»    

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             Pour la pochette de l’Oban Road EP, Bug Russ et Mike Tim Matthew chevauchent une vieille moto qui ressemble à un mono-cylindre, ce qui paraît logique pour un EP en mono. Ils portent tous les deux leurs vestes à carreaux, et Lady Muck se tient tout près, appuyée sur une simili basse Hofner blanche. On peut dire que le décor est planté ! Bon tu te régales du morceau titre, c’est sûr, mais quand tu retournes l’oiseau, tu tombes sur «Don’t Understand» et tu crois entendre les Stones du premier album. Big Russ te tape là le pire des heavy grooves vénéneux. Tu n’es jamais au bout de tes surprises avec un mec comme lui. Et sur «Sweating Out The Spirits», on entend Tim Matthew battre le beurre du diable.    

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             Pour le Shetland Sessions EP, (The Viking Adventures of Lord Rochester) Big Russ, Lady Muck et Tim Matthew sortent tout droit d’un album de Tintin. Lady Muck est la Castafiore, Matthew Tintin et Big Russ saute en l’air avec la gratte rectangulaire. La titraille est celle des albums de Tintin et le rock sonne comme du Bo, dès «Up Helly AA», hey hey ! Et ça rocke encore plus en B-side avec l’effarant «Monkey’s Fist». 

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             Pas question de faire l’impasse sur le single Driving My Car/Tiger Feet, car on y voit Big Russ conduire, avec à côté de lui Lady Muck et derrière, Matthew embouche une trompette. Big Russ gratte «Driving My Car» à la Bo, avec une once de génie. Tu ne peux pas te lasser de ce son. 

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             L’Australian Sessions EP est donc le dernier en date. Coup d’envoi avec «Teenage Mosquito», fantastique groove rochestérien allumé par les chœurs pointus de Lady Muck. Et en B-side, ils basculent à nouveau dans le rockab avec l’effarant «Chicken Salt». Wild as fuck !

    Signé : Cazengler, Lord Terre-à-terre

    Lord Rochester. Théâtre Municipal Berthelot. Montreuil (93). Le 17 novembre 2023

    Lord Rochester. Hey. Twenty Stone Blatt Records 2009

    Lord Rochester. Twistin’ With. Off The Hip 2022

    Lord Rochester. Asturian Sessions. Saturno Records 2011

    Lord Rochester. Mods And Rockers. Saturno Records 2012     

    Lord Rochester. Oban Road. Saturno Records 2014    

    Lord Rochester. Shetland Sessions. Saturno Records 2016  

    Lord Rochester. Driving My Car/Tiger Feet. Folc Records 2021

    Lord Rochester. Australian Sessions. Folc Records 2023

     

    HendriX file

    - Part two 

    ronnie bird, lord rochester, jimi hendrix, killing joke, ernie johnson, the bandit queen of sorrows, a/orato, 6exhance,

             Tu vois passer l’info dans Shindig! ou ailleurs : parution d’un fat Hendrix book, Jimi: The official 80th Birthday Anniversary Edition, avec des tonnes de photos et toute la memorabilia du monde. Tu commences par te dire : «Arf ! À quoi bon ?». Tu connais l’histoire par cœur, et puis de toute façon, la messe est dite et redite depuis l’excellent Two Riders Were Approaching: The Life & Death of Jimi Hendrix, signé Mick Wall. Puis tu y réfléchis. L’idée revient. Arf ! Tu la repousses. Mais elle insiste. Elle est tenace. Elle tape l’incruste, la garce. Elle fait du charme. Elle fait sa grosse pute. Tu lui dis non d’un ton ferme. Elle te dit si d’une voix mielleuse. Non ! Si ! Non ! Si ! Au bout de trois jours, tu cèdes, comme toujours, en vertu du premier commandement d’Oscar Wilde - Le meilleur moyen de résister à une tentation est d’y céder.

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             Quand tu l’as en main, ce book qui pèse une tonne, tu te dis bien sûr que tu viens de faire une connerie. «Arf, une de plus.» Puis tu le feuillettes, puisqu’il est là. Objet plaisant. C’est ce qu’on appelle ‘un livre d’art’, un grand format, 300 pages, beau choix de papier, un couché satiné qui flirte avec le 170 g, c’est remarquablement imprimé, bien sûr en Chine, comme tous les très beaux livres d’art depuis vingt ans. Les printers chinois ont fini par détrôner les Anglais.

             Et puis tu re-rentres dans cette histoire dont tu connais le moindre recoin, mais comme c’est une histoire magique, tu y replonges avec délectation. La courte vie de Jimi Hendrix est un conte de fées. On relit les contes d’Andersen jusqu’à un certain âge, puis plus tard, lorsqu’on devient adulte, on lit et on relit les contes et nouvelles des auteurs qu’on vénère, par exemple Marcel Schwob ou Apollinaire. On relit pour le simple plaisir de relire.

             Ce fat Hendrix book est un coup de biz, bien sûr, mais c’est aussi un livre d’images extraordinaires, car il faut bien dire que l’ami Jimi était, avec Elvis, Brian Jones et Syd Barrett, la plus parfaite des rockstars, l’icône définitive. Bon, tout ça, on le sait déjà. 

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             On croise aussi dans le book ces photos qu’on voyait partout à une époque, jusqu’à l’overdose, les images faites à l’île de Wight en 1970. Le torchon qui s’appelait Best en faisait même des posters, mais ce ne sont pas les images les plus intéressantes. Par contre, la première époque est fascinante. Tu as une photo de l’early Jimi avec Billy Cox et tu vois comment Billy Cox tient sa basse, très bas sur les cuisses, c’est un modèle d’attitude. Black Power.

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             Tu tombes plus loin sur une image datée de 1965, de l’early Jimi avec Curtis Knight, et tu comprends aussitôt à voir sa bobine que Jimi est un petit mec extrêmement intelligent. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Puis c’est l’avalanche des premières images de l’early Experience et le début du conte de fées, ils sont tous les trois incroyablement jeunes, de vrais branleurs, et ils vont révolutionner le rock, tu vois Noel Redding, tu crois qu’il a 12 ans, coiffé comme l’as de pic, Mitch Mitchell, c’est encore pire, avec sa gueule d’enfant de chœur et sa petite bouche en cul de poule, et l’autre, là, le Jimi, en chemise de satin blanc et en pantalon orange, l’air mal réveillé, pas coiffé, mais c’est lui, ce petit blackos gaulé comme un asticot, qui va te claquer «Purple Haze» et «Crosstown Traffic» - Arf you’re just like/ Crosstown traffic ! - La BO de tes années de braise.

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             C’est avec cette image de l’early Experience que commence le conte de fées : Chas Chandler vient tout juste de ramener Jimi à Londres. Il ne reste plus qu’à monter un groupe. Chas cherche un beurrier et un bassman. Il profite d’une séance d’audition qu’organise Eric Burdon pour monter ses New Animals. Les mecs font la queue. Un branleur du Kent nommé Noel Redding se pointe pour la place de guitariste, mais il arrive trop tard. Le poste est pourvu - Arf, me chuis fait baiser la gueule ! - Alors Chas branche le dépité - Dis voir, min ch’tio quinquin, tu saurais-ty jouer d’la basse ? - Redding flaire l’occase - Arf ! Ben j’peux ben essayer ! - Chas lui file sa basse - Vens donc par là, min ch’tio quinquin, tu vas jammer avec Jimi et l’Aynsley Dunbar - Chas présente le candidat et Jimi l’accueille avec un grand sourire - Arf, tiens, look at the chords, Papa Noel, Eiii, Diii, Aiiii, got it ? - Redding ajuste ses binocles - Arf Arf ! - Après avoir jammé trois cuts à sec, Jimi l’invite - Arf, come on, let the good time roll, Papa Noel, on va siffler une pinte au pub d’en face - Ils trinquent et soudain, Jimi prend un air sérieux - Arf ! Dis-voir Papa Noel, tu veux bien  jouer dans mon groupe ? - Redding ajuste ses binocles - Arf Arf ! - Voilà comment se montent les groupes qui font l’histoire du rock.

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             Il faut encore trouver un mec au beurre. C’est plus épineux. Jimi et Papa Noel jamment avec Dunbar, puis avec John Banks des Merseybeats, et enfin avec Mitch Mitchell qui a joué avec Georgie Fame et qui est plus jazz. Jimi hésite - Arf, mon cœur balance entre Dunbar et Mitchell - Alors Chas lève les bras en l’air - T’inquéquète don’ pas, min ch’tio quinquin, on va s’faire un coup d’pile ou face - Il sort une grosse pièce de monnaie de sa poche. Mitch choisit pile et Dunbar face. Pouf ! Pile ! Chas rigole de bon cœur - Te v’là-ti pas embauché, min ch’tio quinquin ? J’vous baptise tous les trois The Jimi Hendrix Experience ! - On sera pas mal de gens à être Experienced avant l’heure.  

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             L’instigateur de ce conte de fées est donc Chas Chandler, l’ancien bassman des Animals. Il est allé vite en besogne. Grâce à Linda Keith, il a flashé sur Jimi au Cafe Wah?, à Greenwich Village. Il était temps, car Jimi en avait bavé durant les années précédentes, de 1961 à 1966. Il avait monté les King Kasuals avec Billy Cox, un pote de l’armée, et tourné comme tant d’autres sur le Chitlin’ Circuit, puis il avait débarqué à Harlem sans une thune, hébergé un temps par Fayne Pridgeon, qui grâce à ses contacts, l’avait branché sur les Isley Brothers. Il avait intégré leur backing band et l’avait quitté en 1964. Il était ensuite entré au service de Little Richard qui gérait ses musiciens à l’ancienne, avec le dress code et les prunes, Jimi avait tenu le coup pendant 5 ou 6 mois avant d’arrêter les frais - Arf l’autorité me court sur l’haricot, c’est pour ça que j’ai quitté l’armée - En 1965, Jimi était entré au service de Curtis Knight, il s’était cassé et avait fini par monter son groupe, Jimmy James & The Blue Flames, avec Randy Wolfe, qu’il avait rebaptisé Randy California. Le groupe jouait au Cafe Wah?, et c’est là que se joua son destin. Jimi tapait sur scène des classiques du blues, plus «Hey Joe», «Like A Rolling Stone» et «Wild Thing». La poule de Keith Richards, Linda Keith, avait flashé sur lui. Elle avait amené Andrew Loog Oldham et Seymour Stein au Cafe Wah?, mais Jimi ne les intéressait pas. Tant mieux pour Chas - Quoâ ? Personne n’a encore fait main basse sur c’t’asticot ? Ça m’dépasse ! - Après le set, Chas était allé trouver Jimi - J’vas t’emmener à Londres vite fait, tu vas vouère, min ch’tio quinquin ! J’vas t’faire faire un passeport vit’ fait ! - Jimi accepta de bon cœur - Arf, j’me fais que trois dollars par soir et j’crève la dalle ! Alors banco ! Nothing to lose !

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             On vient de voir le côté féérique des choses. Avec l’arrivée de Michael Jeffery, ça s’assombrit très vite. Chas n’a pas les reins assez solides pour financer le lancement d’un groupe, alors il s’associe avec Jeffery qui est l’ancien manager des Animals. Et là, c’est pas terrible. Car Jeffery va voir Jimi comme une vache à lait et lui mettre une pression terrible. Meuuuhhhh ! Album/tournée, album/tournée, et plus le succès arrive et plus la pression est forte. Meuuuhhhh ! C’est cette pression qui va tuer Jimi, Kurt Kobain, mais aussi Brian Jones, et abîmer Syd Barrett.

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             Tant que Chas est encore aux commandes, ça va à peu près. Première tournée de l’Experience en Europe avec Johnny Halliday. Le répertoire de l’Experience se limite toujours à «Hey Joe», «Wild Thing» et quelques covers de r’n’b comme «Have Mercy» et «Land Of 1000 Dances». Le premier single du groupe sera «Hey Joe», mais il faut une B-side. Jimi propose «Land Of 1000 Dances», mais Chas renâcle - Non min ch’tio quinquin, pas question ! Tu vas nous composer une ‘tite chanson vite fait - Jimi est un gentil mec - Arf, bon d’accord. Tiens ‘coute ça. Everyday in the week/ I’m in a different city. Ça te va ? - Chas est éberlué - Allez hop, prends ton paletot, on file au studio ! - Ils enregistrent «Stone Free» le jour même. Puis Jeffery va commencer à dealer avec les gros labels anglais. Il va trouver Dick Rowe, chez Decca, l’homme qui a rejeté les Beatles. Rowe écoute la cassette - Grumble grumble, beeeeh non, ça m’plait pas - Jeffery remet la cassette dans son attaché case et file chez Kit Lambert et Chris Stamp. Bingo ! «Hey Joe» sort sur Track Records. Des rockstars en devenir sur le label rock par excellence, que peut-on imaginer de mieux ?

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             Jimi est SDF à Londres. Chas l’héberge - Viens loger à la maison, min ch’tio quinquin, Lottie te f’ra cuire des bons p’tits plats et elle te f’ra ton linge - Jimi est ravi - Arf ! T’es chic Chas - Comme il se sent bien chez Chas, il compose et se met à pondre des hits. Chas est scié. Jimi lui gratte le riff de «Purple Haze». Chas en tombe de sa chaise - T’as des paroles ? - Jimi opine du chef - Arf, of course, Purple haze all in my brain/ Lately things just don’t seem the same - Chas devient hystérique - Wow wow woooo min ch’tio quinquin, c’est le prochain tube national ! Allez Hop ! Mets ton paletot on file au studio ! - Avec Chas, ça ne traîne pas. Les Animals allaient vite. Jimi fait confiance à Chas, car c’est le seul mec qui l’a vraiment pris au sérieux. Cette relation entre Jimi et Chas est un modèle du genre. On pourrait même aller jusqu’à dire que sans Chas, pas de Jimi.

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             Tout explose en 1967. C’est un peu grâce à McCartney que Jimi va jouer à Monterey. McCartney fait partie du comité de sélection et il recommande Jimi à John Phillips et Lou Adler qui sont les décisionnaires. Qui va présenter l’Experience sur scène ? Brian Jones, bien sûr. Applaudissements polis. Jimi passe après les Who, donc il doit les surpasser. Pas facile. Il va profiter de l’occasion pour entrer dans l’histoire du rock. Les Who ont basé leur set sur le chaos, Jimi choisit le sexe, il va et vient entre les reins du rock, sa gratte est un prolongement de son corps, il gratte entre ses cuisses, puis il va foutre le feu à sa gratte, une belle Strato peinte à la main. Public choqué. Jimi Superstar. Il sort de l’obscurité de Greenwich Village et devient une magnifique rockstar, un chef-d’œuvre d’animalité et de sonic trash - Sexuality & raw power.

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             Puis ça commence à déconner. Jeffery fout l’Experience sur une tournée américaine des Monkees. Les teenagers américains ne veulent pas de Jimi, ils veulent les Monkees. La tournée recrache l’Experience comme un noyau. En 1967, l’Experience fait sa dernière tournée anglaise. Jeffery n’en finit plus de loucher sur l’Amérique, dont le marché est beaucoup plus lucratif. En 1968, le groupe s’installe à New York. Entre deux concerts, Jimi enregistre. Are You Experienced est un smash, Axis Bold As Love un peu moins un smash, et Jimi continue d’enregistrer des cuts à l’Olympic de Barnes pour le troisième album, Electric Ladyland. C’est là, à Barnes, qu’il enregistre «All Along The Watchtower», avec Dave Mason, Mitch Mitchell et Brian Jones au piano. Puis Jimi va reprendre le Watchtower et virer le piano. C’est à cette époque que la relation entre Jimi et Chas commence à se détériorer. Jimi devient perfectionniste. Et ses nouvelles idées musicales ne plaisent pas à Chas. 

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             En 1968, les tournées américaines s’enchaînent, toutes plus épuisantes les unes que les autre - Arf ! J’en peux plus ! - Ce rat de Jeffery ne finance rien, ni avion, ni bus, l’Experience est obligée de voyager en bagnole avec Gerry Stickells : soixante concerts en soixante jours à travers les USA. Quand il peut souffler un peu, Jimi va enregistrer au Record Plant, à New York. Il fait venir son vieux complice de Barnes, l’ingé-son Eddie Kramer. Le premier cut qu’il enregistre au Record Plant et l’excellent «Long Hot Summer Night», et les jours suivants, il met en boîte «Gypsy Eyes» et le renversant «1983 (A Merman I Should Turn To Be)». Mais les 41 prises de «Gypsy Eyes» courent sur l’haricot de Chas. Et pas que Chas. Papa Noel commence à renâcler - Arf, Jimi, t’amène trop de monde en studio, qu’est-ce que c’est qu’ce cirque ! Faudra qu’t’arrête tout ce bordel ! - Jimi se marre - Relax Papa Noel ! - Mais Papa Noel le prend complètement de traviole et se barre en claquant la porte. Bammmm !

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             Une nuit, près avoir traîné dans le fameux club de Steve Paul, Jimi ramène Jack Casady, Stevie Winwood, Mitch Mitchell et Eddie Kramer au Record Plant - Arf, on va jammer l’ass du Voodoo les gars - La joyeuse bande tape «Voodoo Chile». C’est la troisième prise qu’on trouve sur Electric Ladyland, l’un des plus beaux albums de l’histoire du rock. Mais comme d’habitude, les labels foutent le souk dans la médina. À la grande surprise de Jimi, les Américain de Reprise ont bidouillé la pochette et viré les photos que Jimi voulait à l’intérieur, et Track a foutu 19 gonzesses à poil sur la pochette anglaise. Jimi est scié - Arf, c’est quoi ce wang dang doodle ? - Bon, les choses ne vont pas aller en s’arrangeant. Jimi grosse vache à lait, viens par ici qu’on te traie. Meuuhhh ! Chas se retire. C’est Jeffery qui va traire la vache tout seul avec ses gros doigts. Pour Jimi, c’est raide : il a perdu son meilleur fan, son cher Chas.

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             La pression monte encore. Trois ans que ça dure - Arf j’en peux plus. Chuis complètement over yonder - Fatigue et frustration sont devenues les deux mamelles de Jimi. Il réussit encore un exploit avec le concert de l’Albert Hall, qu’on dit être le plus beau. Il commence aussi à fricoter avec Buddy Miles. L’Experience joue maintenant dans des stades américains pour 20 000 personnes. En 1969, Jimi monte une nouvelle équipe pour jouer à  Woodstock avec Larry Lee, Billy Velez, Billy Cox, Juma Sultan et Mitch Mitchell, et comme on approche de la fin du fat book, ça sent la fin des haricots.

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             Construction à New York de l’Electric Ladyland studio. Jimi commence à bosser sur son quatrième album, avec Billy Cox et Mitch Mitchell, The First Rays Of The New Rising Sun, mais comme on sait, il n’ira pas au bout, et ce sont les charognards qui vont finir le boulot et accessoirement s’en foutre plein les poches. Meuhhhh ! Merci la vache à lait. Mais comment font les gens pour acheter du Dead Hendrix ? C’est un mystère encore plus épais que celui de Toutânkhamon. Bien sûr, à l’époque, on a voulu écouter Cry Of Love, mais franchement, ça n’avait aucun sens.   

    Signé : Cazengler, Jimi Harpic

    John McDermott & Janie Hendrix. Jimi: The official 80th Birthday Anniversary Edition. Chronicle Chroma 2022

     

     

    Killing Joke ne plaisante pas

    - Part Two

     

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             Il avait raison, le mec, l’autre soir, quand il affirmait que Geordie Walker ne jouait pas sur Gretsch mais sur Gibson.

             — T’es sûr ?

             — Oui. J’ai étudié son matos en détail.

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             Quelques jours plus tard arrivait le nouveau numéro de Vive Le Rock, avec Geordie Walker en couve. À l’intérieur, quatre pages sur ce prodigieux guitar slinger, et que propose la deuxième double ? Une immense photo de Geordie grattant une Gibson. Toujours la même histoire : on croit tout savoir et on ne sait rien. Plus on apprend et plus il faut se méfier de la vanité.

             Si Geordie Walker se retrouve en couverture du canard, ce n’est pas pour ses beaux yeux : il vient de casser sa pipe en bois, alors nul canard n’est mieux placé que Vive Le Rock pour lui rendre hommage. Car Geordie Walker fut avec Roland S Howard et Keith Levene le guitar slinger le plus insolite de la scène anglaise - Geordie took Keith Levene’s guitar sound to another almost inhuman and extreme level - Même dans les années 80, au temps où Killing Joke faisait encore de la petite new wave de la post à la mormoille, Georgie sonnait insolite. Il créait des ambiances et avec le temps, ses ambiances sont devenues des apocalypses.

             Bruce Turnbull n’y va pas de main morte dans l’hommage. Il jongle avec les formules délétères du genre «cold and metallic style», «crancking up the amp», «metallic and unconventional sound», «dissonant, discordant melodies», et rappelle que Killing Joke a joué pour la première fois en 1979. Geordie raconte qu’à 12 ans, il avait une acou avec deux cordes - But I could play along on Gary Glitter. Mes parents m’ont dit que si je voulais apprendre, je devais prendre des cours, et comme le cours de folk était complet, je me suis retrouvé en cours de fucking classical guitar. Puis j’ai eu une electric guitar. I was real lucky. Je suis allé dans une boutique à Northampton et je louchais sur les copies de Les Paul. Ma mère m’a dit : «Why don’t you try this one?». C’était un samedi matin,  et tous les local kids étaient dans la boutique. And that was that fucking guitar: it was a 1969 Les Paul Deluxe. The fucking thing played itself. My old man est devenu pâle. Ma mère l’a baratiné. Elle avait vu Jimi Hendrix en 1967, lors d’un package tour en Angleterre. Elle y allait pour voir Engelbert Humperdinck et Jimi Hendrix était à l’affiche. C’est comme ça que j’ai eu ma guitare - Quand il parle de son son, il reste d’une effarante modestie : «I think I was lucky to be honest. Je me branchais, made this noise and by hook or crook, I’ve managed to survive on it. It’s actually an honour. It’s just a fabulous instrument. If you get it right, it’s an orchestra in a fucking box, the guitar. It really is.»

             Alors pour rendre hommage à cet immense guitar slinger que fut Geordie Walker, nous allons extraire un texte jadis paru dans les Cent Contes Rock.

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             Jaz Coleman lève un gobelet d’étain serti de pierreries. Il est vautré dans un amas de fourrures.

             — À la santé du diable, Ha-ha ! Ha-ha-ha !

             Son groupe s’appelle Killing Joke. Ce n’est pas par hasard. Ses trilles de rire roulent sous les voûtes de pierre et s’écrasent contre les colonnes d’étai. Un feu aux flammes gigantesques gronde dans l’âtre de la salle principale du château de Tiffauges. Une incessante noria de valets encapuchonnés et pourvus des plus horribles disgrâces osseuses arrive des cuisines. Ils trottent en se déhanchant et s’en viennent entasser sur les tables les mets les plus fins et les vins les plus capiteux. Jaz Coleman est baron. Pour le récompenser de ses exploits guerriers, le roi son cousin l’a fait Pair de France. Il ripaille, comme chaque nuit, avant d’aller se jeter sur ses cornues, ses pélicans et ses alambics. Il dansera comme un ours, jusqu’à l’aube, autour du four des alchimistes qu’on appelle aussi l’athanor.

             Affalés près de lui, Geordie et Raven avalent de grandes rasades de vin et rient bruyamment, singeant leur maître. Geordie a le teint pâle des créatures hermaphrodites. Son petit crâne s’orne d’une toison de fins cheveux coupés court et subtilement délavés. Il a les manières de ces prélats qu’on voit rôder dans les caves de l’Inquisition, chargés par le Pape d’administrer les tourments les plus raffinés. Geordie porte une chasuble de brocart sombre sur lequel est brodée à l’or fin une longue tête de mort. De ses doigts frêles, il peut jouer sur une guitare des airs sataniques issus des époques les plus reculées. Il passe pour un envoûteur.

             Avec ses yeux bridés de cavalier mongol, son bustier d’acier digne d’un conquistador et sa casquette américaine, Raven s’inscrit dans un registre beaucoup plus rustique. On détecte en lui le soudard saturé d’abus barbares. Dans l’incendie de lumière qui lèche les murailles du château, sa barbiche semble dégoutter du sang de ses victimes. Il lâche des quintes de rire qui révèlent un caractère d’une extrême cruauté.

             Geordie et Raven sont les plus fidèles compagnons d’aventures de Jaz Coleman, dernier grand baron du rock de l’apocalypse. Jaz se lève brusquement, jette son gobelet contre la muraille et beugle :

              — Il est temps d’aller taquiner le lion vert !

             Il porte une ample combinaison brune de mécanicien, fermée jusqu’au cou. Elle est censée dissimuler la naissance d’un embonpoint. Un col de clergyman menace sa gorge comme une lame. Ses joues sont abondamment plâtrées de fard, ses lèvres peintes et ses yeux soutenus par de larges traces noires hâtivement dessinées. Il ramasse son épaisse crinière de cheveux noirs vers l’arrière du crâne et allume un cigare cubain. Geordie et Raven se lèvent pour le suivre vers l’aile éloignée du château où est installé le laboratoire. Après avoir parcouru des corridors si étroits que l’on n’y peut cheminer à deux, ils arrivent devant une porte basse bardée de ferrures.

             — À nous deux, Belzébut !

             Ils pénètrent tous les trois dans une belle salle circulaire à voûte gothique. Des calorifères crachent des trombes de fumée âcre, répandant une abominable odeur de pourriture, de moisi, de cuve à fuel, encore exaspérée par des senteurs irritées d’ammoniac, de résine synthétique et de pneu brûlé. Au centre de la pièce ronfle le four des alchimistes. Prodigieusement cultivé, Jaz Coleman connaît parfaitement tous les volumes ésotériques, notamment les écrits de Raymond Lulle et d’Arnaud de Villeneuve. Les manuscrits de Nicolas Flamel, traduits et commentés par Eliphas Lévi, n’ont plus de secrets pour lui. Il y a de cela quelques années, Jaz alla étudier les sciences arabes de l’harmonie au Caire. Il talonna les secrets des vieux arcanes jusqu’à Aukland en Nouvelle-Zélande, et jusqu’à Prague, où il crut bien aboutir. Têtu comme un âne, il poursuit inlassablement ses recherches. Cette nuit encore, il va psalmodier des allégories, des métaphores cocasses et obscures, des paraboles embrouillées, des énigmes bourrées de chiffres, il va mêler à ses imprécations des croissants de lune, des colombes, des grenouilles et des étoiles. Il cherche le secret de la pierre philosophale du rock, le grand élixir de quintessence et de teinture qui permet de transmuer le métal vil en rock intemporel, un élixir qui guérit aussi toutes les maladies et prolonge, sans infirmités, la vie jusqu’aux limites jadis assignées aux patriarches. Il va de nouveau tenter le coït chimique pour enfin tenir dans la paume de sa main cette pierre des Sages qu’on dit flexible, cassante, rouge, et sentant le sel marin calciné.

             Geordie a étudié les sciences occultes à Rome. C’est là qu’il apprit de source sûre qu’on ne perce pas le secret du grand magistère sans faire appel aux démons de l’enfer. Aussi essaye-t-il chaque nuit de convaincre Jaz d’entreprendre les rites maléfiques. Jaz y rechigne, alors Geordie se moque. Vexé, Jaz s’enflamme :

             — Que te moques-tu là, ribaud, les flammes de l’enfer ne m’effraient point !

             Réjoui de cet assentiment, Geordie, qui fut évocateur et noueur d’aiguillettes pour les princes italiens, trace un grand cercle magique au sol et commande à Jaz d’entrer dedans. Il entame le long processus des incantations de la magie noire, adjurant le grand Entremetteur de se manifester :

             — Ô Très-Bas ! Manifeste-toi !

             Les voûtes du laboratoire se mettent soudain à vibrer. La gueule tordue par un rire ignoble, Jaz Coleman somme le diable de se présenter à lui. Il est soudain saisi à la nuque par une poigne terrible et jeté hors du cercle magique comme un chiffon. Des forces invisibles s’abattent alors sur Geordie et le rouent de coups. Jaz et Raven voient le pauvre Geordie hurler de douleur et crier grâce alors que roule autour de lui un fracas de coups métalliques portés contre la pierre du sol. Lorsque la colère du Diable s’apaise enfin, Jaz et Raven ramassent le pauvre Geordie et l’emportent tout sanguinolent jusqu’à sa chambre, ne sachant s’il survivra à cette infernale correction. La coction du grand œuvre a une nouvelle fois échoué.

             Pendant les jours suivants, le baron replonge de plus belle dans la consultation de ses grimoires. Il fait venir de toutes les cours d’Europe des sorciers et des adeptes, des manieurs de métaux et des prêtres sacrilèges, des détenteurs des vieux secrets et des évocateurs de démons. Mais aucun d’eux ne lui apporte les réponses qu’il attend. Malade de dépit, Jaz les confie alors à Raven qui les fait disparaître. Il faut attendre le rétablissement de Geordie. Celui-ci revient lentement à la vie. Louée soit la commotion, car la lumière jaillit soudain sous son crâne :

             — Ô Maître ! J’entrevois enfin le moyen de percer le secret du mercure des philosophes !

             Geordie demande qu’on fasse apporter au château un matériel très précis. Jaz lui en accorde la faveur. Aussitôt sur ses jambes, il prend le chemin du laboratoire. Jaz et Raven lui emboîtent le pas. Le matériel est installé. Tout est prêt. Geordie trace de nouveau au sol le grand cercle magique. Mais cette fois, ils y entrent tous les trois. Geordie est armé d’une Gretsch et Raven d’une basse. Les instruments sont reliés par des cordons à un amoncellement d’amplificateurs adossés à la muraille. Raven n’est pas très rassuré. Le surnaturel lui inspire une frayeur instinctive. Il veut se signer mais Geordie lui assène un terrible coup de guitare en plein visage.

             — Ne refais jamais ça, maudit niais, tu nous tuerais !

             En guise d’amorce incantatoire, Geordie gratte les accords les plus hachés qu’on ait entendu ici-bas. Un vent glacial se lève et ramène sur eux les puanteurs vomies par les calorifères. Les yeux exorbités, Jaz avance d’un pas et commence à psalmodier un texte improvisé :

             — Quand l’été s’en va, et qu’il se met à pleuvoir, ooooh...

             Sa voix caverneuse déroule de mystérieux arcanes :

             — Quand la rivière déborde, et que la crue engloutit Prague...

             Il bat l’air de ses mains crispées, il halète :

             — Ils empoisonnent l’eau, seules les OGM poussent, oooh...

             Et soudain il se met à hurler comme une bête qu’on égorge :

             — Cinq corporations gagnent plus que quarante-six nations !

             Pour une raison inexplicable, il s’en prend aux multinationales.

             — You’ve got blood on your hands !

             Penché sur le tablier de sa guitare, comme l’Inquisiteur sur la plaie béante d’un hérétique, Geordie tisse d’infinies complexités qui doivent plus au satanisme qu’à l’harmonie. Le chaos des apocalypses roule dans les veines de Jaz Coleman. Sa voix devient si rauque et si grandiose qu’elle force les limites de l’horreur. Il hurle à s’en décrocher la mâchoire :

             — You’ve got blood on your hands ! You’ve got blood on your hands !

             De violents soubresauts agitent le trio. Le baron transfiguré hurle de plus belle :

             — L’homme a fabriqué l’enfer, l’homme a fabriqué le diable !

             Possédé, Jaz entre dans une transe froide et mécanique, ses pas le guident à l’intérieur du cercle, il avance au rythme désordonné d’un automate conçu pour détruire l’humanité, poussant un pied après l’autre, toujours le nez en l’air, le regard fixe et injecté de sang. La sueur creuse de grandes rigoles dans le fard qui plâtre son visage. Il hurle à s’en déchirer les muscles du cou :

             — You’ve got blood on your hands ! You’ve got blood on your hands !

             Ses doigts crochus griffent l’air. Il est secoué de spasmes violents. Il pousse le chant toujours plus haut. Il atteint le registre du pachyderme rendu fou par les flèches des pygmées. Des écailles apparaissent sur ses doigts crispés et des cornes lui poussent sur les tempes. Ses lèvres crachent de la fumée. Il hurle de plus en plus fort, réussissant à couvrir le fracas des instruments. Ivre de démonisme et comme atteint de langueurs malveillantes, Geordie commence à danser sur place, imitant ces créatures dépravées qu’on voit rouler des hanches dans les bouges du Caire. Les tourbillons de fumée noire des calorifères enveloppent les trois candidats au désastre.

             — You’ve got blood on your hands ! You’ve got blood on your hands !

             Possédé par des forces qui le dépassent, Jaz saisit soudain Raven à la gorge et plonge ses doigts crochus dans les chairs boucanées du vieux bassiste qui se met à hurler de terreur et à se défendre à coups de basse. Il frappe à coups redoublés, espérant faire lâcher prise à son agresseur devenu fou. D’un coup de basse que lui envierait le champion de monde de golf, Raven envoie Jaz voler à travers le laboratoire.

             — You’ve got blood on your hands ! You’ve got blood on your...

             Il heurte de plein fouet l’athanor qui s’écroule dans un fracas épouvantable. Une mer de feu se répand dans la pièce, comme si une bombe au napalm y était tombée. Le son se noie dans des gargouillis infâmes et bientôt une âcre odeur de chair brûlée emplit la pièce. Killing Joke finit toujours ses chansons par inadvertance.

    Signé : Cazengler, Silly Joke

    Geordie Walker. Disparu le 26 novembre 2023

    Bruce  Turnbull : Brighter than a tousand suns. Vive Le Rock # 108 – 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - La bataille d’Erninie

     

             Des quatre de la bande des quatre, Ernus était le plus enjoué, le plus exubérant. Il riait comme une chanteuse d’opéra, à grands jets de trilles suraiguës. Il avait en lui cette fraîcheur et cette légèreté de l’être que tout le monde lui enviait. Il était fil unique, né sur le tard d’un couple d’ouvriers qui évidemment l’idolâtrait. À cause de ses cheveux blancs, son père passait pour son grand-père. Il voulait que son fils suive le même chemin que le sien dans l’industrie automobile et donc il inscrivit Ernus dans un lycée technique. C’est là que se constitua la bande des quatre. Inscrits contre leur gré dans ce lycée technique, ils s’étaient tous les quatre très vite marginalisés, refusant de toutes leurs forces le modèle qu’on leur proposait : une formation bien carrée, un emploi assuré grâce au Bac Technique et le meilleur niveau de salaire de la région. Un jour qu’on emmenait la classe de Terminale visiter la fonderie de l’usine, les quatre de la bande des quatre s’insurgèrent en découvrant le spectacle de ce qui s’apparentait, selon eux, à l’enfer sur la terre. Ils sortirent en trombe du gigantesque atelier de fonderie et allèrent s’asseoir dans le bus, en attendant les autres. Hors de question d’aller rôtir en enfer après le Bac ! D’autant plus qu’ils connaissaient déjà le paradis, une petite discothèque nommée Les Galéjades où ils passaient chaque week-end, invités par l’oncle d’Ernus qui en était le propriétaire. L’oncle avait installé un restaurant à l’étage, nous pouvions boire et manger à notre guise. Voir son neveu heureux rendait l’oncle heureux. Le barman Yoyo servait tout ce qu’on lui demandait. L’endroit avait pour particularité d’être une boîte de traves. Vers deux heures du matin, les stars d’un célèbre cabaret parisien de la rue Lepic arrivaient pour faire la fête et chanter Piaf. La bande des quatre n’eut jamais à se plaindre de quoi que ce fût. Jamais aucun geste déplacé ni d’avances. Tous ces gens montraient un savoir-vivre exemplaire. Il régnait dans cet endroit une ambiance surréaliste de fête perpétuelle. Nous repartions au petit matin pour regagner nos pénates et il nous arrivait fréquemment de nous retrouver en cours au lycée avec du vernis sur les ongles, ce qui nous faisait beaucoup rire. Ernus ne parvint pas à échapper au destin que lui avait tracé son père : pour ne pas lui causer de chagrin, il accepta d’entrer au bureau d’études de l’usine de construction automobile. Lorsque nous nous croisâmes en ville un an plus tard, il accompagnait une jeune femme et poussait un landau. Plutôt que de s’éclairer en me voyant, son visage s’assombrit. Il hocha la tête et poursuivit sa route. Ernus était mort avant d’avoir commencé à vivre.     

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             Espérons qu’Ernie ait connu un destin moins sombre que celui d’Ernus. Certains pourront dire qu’il y a pire, comme destin, mais si on y réfléchit, bien, il ne faut souhaiter à personne de passer sa vie dans une usine. Bon, c’est vrai, la question n’est pas là. A-t-on vraiment le choix ?

             L’Ernie en question n’est pas celle qu’on croit. Pas l’hernie discale que tout le monde redoute au moins autant que la peste. Il s’agit d’un Ernie, le grand Ernie Johnson, le Louisianais qu’il ne faut pas confondre avec l’autre Ernie Johnson, un Texan qui chantait dans Eddie & Ernie.

             Comme Ted Taylor et Artie White, Ernie Johnson est un ancien Ronn qu’on retrouve dix ans plus tard sur Waldoxy, label héritier de Malaco.

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             Sur la pochette de Just In Time, un album Ronn paru en 1984, l’Ernie pose déguisé en funkster. L’amateur de hot sex va se régaler de «Mouth To Mouth Rescucitation» en ouverture de bal de B. L’Ernie nous tape là un heavy groove érotique et la blackette qui duette avec lui atteint l’orgasme. Aucun doute là-dessus. Le morceau titre d’ouverture de balda sonne un brin diskoïdal, mais avec une solide souche de Soul, donc pas d’inquiétude. Avec «Party All Night», il propose un heavy groove de baby what’s your name et il annonce la couleur : tonite is the nite. L’Ernie a du son, c’est du Ronn. Il est crédible quand il annonce qu’elle en baver when I’m gone dans «You’re Gonna Miss Me» - qui n’est pas celui qu’on croit - Il sait aussi gérer l’heavy blues, comme le montre «Cold Woman», mais avec un faux air de Bobby Blue Bland. Il est incroyablement crédible. Il finit en mode big boogie blues avec «Give Me A Little Bit Of Your Loving». Ernie a plusieurs cordes à son arc, il maîtrise toutes les vieilles disciplines. Inventer le fil à couper le beurre ? Ça ne l’intéresse pas, oh la la pas du tout ! 

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             L’Ernie gagne encore la Bataille d’Erninie avec It’s Party Time, un big Paula de 1993. Il attaque au big boogie party d’«It’s Party Time», monté sur le plus revanchard des bassmatics. Wow, ça joue derrière le crack boom hue ! Il a un sens inné de l’inner boogie blues, il va droit au but. Il passe à l’heavy popotin avec «That Thang», l’Ernie lui tombe sur le râble et frise l’heavy Soul. Il sonne un peu comme Bobby Blue Bland sur «Broke Man Can’t Win», même tremblé dans l’attaque, il faut savoir le faire. Il injecte encore du Bobby Blue Bland dans «Hard Times» et il colle bien au terrain avec «Am I Losing You». C’est du frotti parfait. Il termine avec un super heavy blues, «I’m Doing Alright» et un big gospel batch, «Jesus Is A Way Maker» - I love you Jesus/ Eve-ry day ! - Il a derrière lui les chœurs de l’église en bois et là, mon gars, ça swingue !

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             Il enregistre In The Mood en 1995 à Muscle Shoals. Si Muscle Shoals veut encore dire quelque chose à cette époque. Il attaque en mode heavy blues avec «I’m In The Mood For The Blues», l’Erninie te jive le blues vite fait. Il y va au raw. David Hood est au bassmatic. Comme George Jackson signe «Cold This Winter», ça décolle, même si ça reste très classique. Le cut dégage un vieux parfum de Sam Cooke, aw babe, freeze it. L’Erninie refait son Bobby Blue Bland dans «Don’t Waste My Time», il dispose des deux atouts principaux : le gut et l’undergut. Il tape «Bouncin’ Back» au heavy groove et revient à George Jackson avec «Share You With Someone Else». Nouvelle combinaison de rêve : compo + singer. Il chante comme un cake. Il reste chez George Jackson avec «Move Away», un cut plus convivial qu’il amène à l’aw yeah. L’Erninie rend hommage au génie de George Jackson, il chante sa heavy power-Soul de toute son âme, c’est classique mais beau, bien contrebalancé par les cuivres. À Muscle Shoals, ils ne sont pas avares de cuivres. 

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             L’Ernie adore porter du rouge, comme on le voit encore une fois sur la pochette d’Hot & Steamy. Il attaque avec un «Kiss It» hautement suggestif, un heavy romp de coming up. Il y va au honey bunch de you’re so hot. Sexe pur. On se doute bien qu’il ne demande pas à sa poule de lui embrasser la joue. Avec «Can’t Keep A Good Woman Down», il tape un heavy slowah dévastateur, un frotti-frottah de compétition, le pire de tous. L’Ernie est fabuleux, car il s’y tient, il se coule dans la braise, il chante au perçant, à la vie à la mort. Plus loin, il rallume sa Soul avec «Made Your Bed Hard». Il entre dans la Soul par la grande porte. L’Ernie est un Soul Brother de mess around extraordinaire, il tortille du cul en vainqueur. Puis il entame une série de cuts prévisibles. Ce sont les limites de l’Ernie System. On s’ennuie, c’est pas bon signe. Il piétine les plates-bandes de Percy Sledge avec «My Lover’s Prayer» et termine avec l’excellent «EJ Story», du big Ernie de c’mon now. Here we go ! C’est énorme. L’Ernie stompe sa Soul !

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             Mine de rien, avec sa pochette rococo, Squeeze It est un fantastique album. Ça grouille de puces, là-dedans, «It’s Getting Hard» te laisse comme deux ronds de flan, l’Ernie effare par son ampleur, il tape une Soul de haut rang, il flirte en permanence avec l’Upper Black, ce que vient confirmer l’étincelant «It’s Party Time Again 2000», il groove et colore sa voix, il est fabuleux d’Hey babe, c’mon down with me, c’est l’implacabilité du Black Power, le beat parfait. Il explose l’«I’ve Been Loving You Too Long», il explose l’Otis au Sénégal, ce démon d’Ernie brûle la Soul par les deux bouts. D’ailleurs tu comprends tout dès le «Who Is The Man» d’ouverture de bal. Ernie est un pro, un vrai boogie man, il tortille son swing à la pointe du beat. Ce fabuleux Soul Brother chante d’une voix d’aptitude au chat perché. Le morceau titre est un heavy r’n’b à tendance funk. Il y va franco de port au when you’re dancing with your woman. C’est extrêmement balèze - C’mon now ! Squeeze it ! - Avec «Who Told You», il tâte encore du heavy r’n’b, il s’éclate au tell me lies, il ne supporte pas les bobards, baby, do you understand. Il rivalise d’ardeur avec Wilson Pickett - Who told you you could use my car ? - Il chauffe «The Entertainer» à la bravado de chat perché. L’Ernie exubère. Il fait les grands albums que n’a pas réussi à faire Little Richard sur le tard. Et puis voilà la cerise sur le gâtö. : «I Remember JT», un hommage à Johnnie Taylor. Lawd ! N’ayons pas peur des grands mots : c’est l’un des hommages du siècle. He was the wailer, lawd ! Et il en rajoute - Yeah everybody knew he was the star on the show/ His real name was Johnnie Taylor, Lawd ! - Dans les pattes d’Ernie, c’est une aubaine, il évoque Marvin Gaye et les Temptations - Sing on my choir ! - Et il termine ce fantastique album avec «Sexy», un groove de Soul. Tu crois rêver. Ce mec t’embarque. Il est l’un des Soul Brothers les plus vindicatifs du XXIe siècle. Son Hey babe en dérapage contrôlé est une merveille.

    Signé : Cazengler, Ernie disquale

    Ernie Johnson. Just In Time. Ronn Records 1984

    Ernie Johnson. It’s Party Time. Paula Records 1993

    Ernie Johnson. In The Mood. Waldoxy Records 1995 

    Ernie Johnson. Hot & Steamy. Waldoxy Records 1998 

    Ernie Johnson. Squeeze It. Phat Sound Records

     

    *

    Tiens, Two Runner a sorti une nouvelle vidéo sur Sweet Harmonies Sessions, Tie your dog, Sally Gall un instrumental dans lequel le fiddle d’Emilie Rose se croit sur les montagnes russes, vous grimpe et vous descend les pentes vertigineuses à vous rendre malade, il court, il court le chien de Sally, il n’est déjà plus ici, il n’est déjà plus là-bas, quant au banjo d’Anderson Paige il galope à la vitesse des pattes du bâtard fou… un morceau oublié du violoniste Will Adams, enregistré en 1953, à cette époque notre africano-américain frisait la soixantaine…

    Sweet Harmonies Sessions vous propose des vidéos enregistrées en pleine nature, dans les grandioses paysages de la Sierra Nevada. Une des activités préférées de Two Runner, mais elles ne sont pas les seules. C’est ainsi que j’ai découvert :

    THE BANDIT QUEEN OF SORROWS

    Bandcamp, You Tube, Instagram, en dehors de ces vaches laitières je n’ai pas trouvé grand-chose sur elle, notamment aucun article dans la presse folk-blues-(alternative)country-blue-grass américaine. Des annonces de concerts oui, question textes : deux  ou trois lignes qui s’entrecroisent et s’entre-copient.

    N'en voulons pas à la terre entière, c’est un peu de sa faute. L’anarchie vissée au corps et à l’âme. Un indice qui ne trompe pas, ces  Roses at my table morceau hommagial à Emma Goldman doivent dégager des senteurs peu appréciées dans l’Amérique trumpiste… Comme par hasard la couve de ce morceau représente le document (face et profil) de l’Identité Judiciaire, prise le 10 septembre 1901 à Chicago… Ne demandez-pas pourquoi notre reine se qualifie de ‘’Bandit’’, un petit côté hors-la-loi (des riches contre les pauvres) sympathique.

    En vrai, mais qu’est-ce la vérité si ce n’est une chose aussi factice que n’importe quelle représentation humaine, elle se nomme : Leslie Fox-Humphreys, ce renard qui pointe si ardemment son museau me paraît suspect. N’emploie-t-elle pas le terme de foxy-blues pour qualifier son style musical. Souvenons-nous que dans les paysages de notre douce France le Renard est inscrit sur la liste des nuisible…

    Elle vient de Bozeman grande ville (50 000 habitants) du Montana, à proximité du Parc de Yellowstone… Un état digne de notre enfance peuplé quasi exclusivement de descendants de cowboys et d’indiens, évidemment l’on préfère les Sioux et les Cheyennes, car ils paraissent davantage habités par l’esprit du renard qu’investis de la manie accaparatrice des civilisateurs.

    Pour ceux qui veulent voir notre renarde d’un peu plus près, il existe une chaîne YT Leslie Fox-Humphreys qui présente quatre vidéo, trois reprises, Spoonfull, Everybody loves my baby, Gloomy Sunday, à la guitare, vieilles de six ou sept ans, rien de bien personnel, il faut bien commencer… et une autre, qui date de quatre ans, déjà beaucoup plus originale, dans laquelle le Renard Bleu se métamorphose en Bandit Queen, harmonica, banjo, percu, et très symptomatique derrière elle un dépôt de vieux wagons… Une compo, sa voix a gagné en maturité. Elle ne s’inspire plus, elle devient elle-même.

    Elle n’a besoin de personne même si elle n’a pas une Harley, elle voyage en van. Elle se suffit à elle-même. Elle est une one-woman-band, elle joue un peu de tout de l’accordéon au violoncelle en passant par le cor…

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    Elle a déjà sorti trois albums, en 2018 : Bobby’s Super Shack (un titre qui plaira à Hervé Loison), en 2019 : Godless Sleep (inspiré par la série Twiglight Zone), en 2021 : The Bandit Queen. Ce n’est pas l’écoute de ces trois opus qui m’a attiré vers elle, mais l’affirmation maintes fois réitérée de se définir comme un deadbeat railroad rambling poet : poëte, vous ne saurez lui accorder le moindre crédit, errant le long des rails. Le train s’inscrit dans la mythologie américaine du blues et du rock ‘n’ roll, à la locomotive et à ses wagons Bandit Queen semble préférer la tristesse des rails qui courent vers l’infini sans jamais se rejoindre. Ce qui importe ce n’est ni le voyage, ni l’aventure, mais les pensées que l’on balade en sa tête en cheminant en solitaire sur ces chemins de traverses que plus personne ne suit. Son dernier album :

    WHERE THE BRAVE RUN FREE

    (CD Bandcamp /Janvier 2023)

    L’artwork de James Clark est assez éloquent pour se passer de commentaire. Il est inutile d’attendre autre chose que la mort. Noir de chez noir. L’on ne va jamais plus loin que sa propre carcasse. Le titre de cet album est un pied de nez à la patriotique devise américaine We run free because the brave qui rappelle le souvenir des braves qui se sont sacrifiés pour que nous puissions être libres… Le disque est dédié aux enfances écorchées, à ceux qui ne font que passer, aux déchirures des crises existentielles, à ces bords de falaises qui vous rendent invulnérables à toutes les balles. L’on ne court librement que vers son propre destin.

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    Hobo yearning : l’on s’attend à tout sauf cela. Elle nous a pourtant prévenus. Elle ne se déclare pas musicienne, ou chanteuse. Non, poëte. Elle récite donc un poème. Est-ce pour elle une façon d’indiquer qu’il faut prêter une plus grande attention au sens des mots qu’à la sonorité des notes. La voix nue, à peine ce cliquètement de criquet perdu dans les herbes, monotonement répétés, afin que l’on entende encore plus le silence. Elle lit, et l’on écoute, juste une voix juste, sans trémolo, sans ostentation, sans effets de glottes. Le hobo, personnage aussi mythique que Bilbo the Hobbit, se remémore - l’on a envie d’écrire se remémort - sa jeunesse, l’a choisi d’être hobo, une vie dure, de bons moments, la jeunesse est passée mais elle n’est pas morte. C’est pour cela qu’elle est encore dangereuse. Boxcar blues : enfin l’harmonica et la guitare, la couleur locale est assurée, rien à redire sur l’orgue à bouche, question guitare c’est assez simple, la loco ne fonce pas, elle se balade tranquillou, non c’est la voix de la Reine des chagrins qui mène le bal, claire et rauque un moment elle caresse l’herbe, de temps en temps elle arrache les cailloux, puis elle hoquette comme un cowboy qui a un whisky étrangleur de trop  dans le gosier, la chanson de l’éternel joueur, de l’éternel perdant, celui qui mise à mort et ne récolte jamais sa mise, ça ne l’empêche pas de croire que la vie est belle. Tant qu’on est envie. Talkin’ I won’t Marry ya blues : attention l’harmo est pointu et grinçant, la guitare roule et gronde, elle chante les deux mains sur les hanches, elle met les points sur les i, elle parle, invective et se moque plus qu’elle ne chante. Elle a déclaré tout ce qu’elle avait à dire, de sa voix vibrante, sur la fin elle laisse la six-cordes jacter pour elle. Ce qu’elle veut, c’est juste sa liberté. Ce n’est pas une revendication féministe, seulement le rappel des règles du jeu. Surtout quand elle ne joue plus. 

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    The rising sun : oui c’est bien la maison du soleil levant, des accords de guitare assez proches de la version originelle, mais l’on s’en fout, l’important c’est cette voix qui mord, qui vous agresse, qui se débat avec elle-même, ne nous la fait pas à la grandiose, à la dramatique, à l’emphatique, à la pathétique, elle cloue les mots dans son propre cercueil,  elle nous donne sa version à elle, avec ses mots à l’emporte-pièce, à l’arrache viscères, sa voix brûle et prend feu, vous n’avez jamais entendu une version si forte, ô quand ses piaulets vous trouent la tête, le pire c’est que vous n’êtes pas près d’en écouter une autre qui l’approcherait. Le blues dans ce qu’il a de plus primal, le country dans ce qu’il a de plus terminal. That’s all folks. Baby’s on the borderline : changement d’ambiance, une espèce de ragtime concassé au ralenti, un kazoo qui se fout de vous et vous tire-bouchonne les amygdales comme une langue de belle-mère, quant à notre Reine, elle joue à la Diva Jazz, elle se prend pour Odessa Harris, sa baby est peut-être cinglée mais elle n’est pas tout à fait square comme disent les ricains, l’est même totalement déjantée. Caroline : après la folie pure, un moment d’accomplissement serein, y a les cordes graves qui ronronnent comme le chat au coin du feu, et les cordes hautes qui n’arrêtent pas de klaxonner et de s’exalter, c’est l’heure du bonheur et du slow qui tue. Et celui-ci il est mortel. La Reine miaule comme une chatte en chaleur. On the hot tin  roof. Imaginez notre Françoise Hardy qui ne saurait plus chanter, et qui se laisserait aller à ses penchants les plus vils en public. Le problème c’est qu’elle n’arriverait jamais aux chevilles de notre reine des sept bonheurs. Feels like sin : ça y va tout doux, six secondes, jusqu’à ce qu’elle ouvre la bouche, si vous avez lu L’Amour fou de Breton dites-vous que c’est de la roupie de sansonnet, ici c’est de l’impudique, déjà sa manière de frapper sa guitare avec cette force, Dylan n’a jamais osé le faire, bien sûr il crache ses quatre vérités, mais il reste dans le domaine du politique, ici pas de filtre, l’intime dans sa plus abjecte nudité, ici rêve, phantasme et réalité se télescopent avec une telle violence que vous n’en ressortirez pas indemnes. Poëte, elle a dit. Même qu’il y a des anges qui passent. Aux ailes cassées.  The loss of my fight : revenons à des sentiments simples, c’est peut-être pour cela que l’on a droit à un simili solo de banjo qui se désagrège un peu trop vite. La jalousie, nous voici en territoire connu, elle griffe, elle mord, elle fait sa comediante et sa tragediante, se retient tout de même, elle tape du marteau sur son banjo et vous prend un de ces tons péremptoires qui vous fait peur, heureusement qu’elle s’adresse à elle-même, sinon on s’enfuirait. Que voulez-vous, l’on ne saurait gagner à tous les coups. Au cœur. That perfect storm : tiens elle sait être douce, elle tire sur son harmonica à la Dylan, bien sûr elle parle un peu trop haut, un peu trop fort, sans quoi on ne l’aurait jamais crue, elle reconnaît ses erreurs, elle essaie de ne pas être injuste, elle se parle surtout à elle-même, il y a longtemps qu’elle a compris que nous sommes la seule personne qui pouvons prêter une oreille à peu près compatissante à ce que nous disons, de temps en temps lorsqu’elle a accumulé trop de déchets elle pousse le bulldozer de son harmonica pour faire place nette. Ce n’est pas un nettoyage idéal, mais ça cautérise un max. A vif. Where the brave run free : non elle ne parle pas, elle joue du violoncelle, après tout ce détour en soi-même, après s’être enivré si longtemps de l’alcool frelaté de sa propre lymphe, il vaut mieux ne pas s’endormir sur ses lauriers fanés, introspection sans concession, ne jamais être dupe, reprendre la métaphore du train et reprendre la route de sa propre existence. C’est que pour arriver à sa mort il faut traverser des kilomètres et des kilomètres de vie.

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    J’ai envie de dire de The bandit Queen of sorrows, de cette fille sortie de nulle part, ce que l’on disait de Dylan à ses débuts, qu’elle joue de travers, qu’elle ne sait pas poser sa voix, z’oui, mais une force, une persuasion, une originalité, une cruauté, une authenticité sans faille. Surtout qu’elle ne change rien. Elle a tout ce dont nous n’avons pas besoin pour continuer à faire semblant de vivre.

    Que nos contemporains s’en aperçoivent assez vite.

    Admirable.

    Damie Chad.

     

    *

    Comme l’assassin qui revient toujours sur les lieux de ses (ce pluriel trahit mon côté serial killer) crimes je cherchais du nouveau, du côté de chez Thumos et de Telesterion, et plouf, le net me signale une vidéo Le Hiérophante, toute allusion à la Grèce Antique étant pour moi sacrée, plof je tombe sur un groupe français. Pourquoi aller chercher si loin, ce que l’on a déjà chez soi, je cours, je vole, je découvre :

    A / ORATOS

    Grec ou latin, j’hésite, certes ce n’est pas du linéaire B, que comprendre : aratos me renvoie aux aratoires travaux des Georgiques de Virgile, et oratos à l’art oratoire cher à Cicéron.  Voire à la prière. Fausses pistes. C’est un jeu de mots, issu du grec, par bonheur il se traduit facilement en notre douce langue françoise, c’est un peu comme si vous écriviez : IN / VISIBLE pour signifier que Visible et Invisible entretiennent d’étroites relations dont il est nécessaire de tenir compte lorsque nous braquons notre regard sur le monde.

    Nous sommes le 18 janvier, or A-ORATOS sort son album le 19 ! Je m’apprête à les maudire jusqu’à la douzième génération, lorsque Bandcamp me propose leur premier ouvrage :

    EPIGNOSIS

    (CD / Mai 2019)

    Aharon : vocals / Wilhehm : lead & rhythm guitars / Tancrède : rhythm guitar / Yoann : bass / Malkut : drums.

    Essayons de faire simple, mais le sujet est complexe. Epignosis signifie Connaissance, mais l’on peut connaître bien des choses, l’on a pris donc l’habitude de le traduire par ‘’ Connaissance totale’’. Entendez cette totalité non pas comme la somme de toutes les choses qui existent et de toutes celles qui n’existent pas, ce serait là un chemin philosophique qui nous mènerait de Protagoras à Hegel, mais pour rester au plus près d’A / ORATOS de toutes les choses visibles que l’on voit et de toutes les choses invisibles que l’on ne voit pas et qui n’en existent pas moins.

    Etymologiquement parlant ‘’epi’’ signifie : autour et ‘’gnosis’’ : connaissance. La lecture d’Aristote nous aide à mieux comprendre : physis signifie les choses que l’on voit, que l’on touche, et metaphysis ces choses qui sont au-delà des choses physiques, on ne peut pas les voir ni les toucher mais on peut les connaître. Comment ? : en étudiant la philosophie. 

    Au troisième siècle de notre ère, alors que déjà les esprits les plus subtils pressentent la disparition prochaine de l’Imperium Romanum, le philosophe Plotin théorise (et pratique) une nouvelle sagesse (sophia), celle pour l’être humain d’un accès direct à la sphère du divin, cet ascenseur qui vous permet d’accéder de plain-pied avec la divinité, cette nouvelle connaissance sera vite surnommée gnose. Le mot ascenseur est employé ici pour que les fans distraits de Led Zeppelin écoutent Stairway to Heaven d’une manière plus élaborée.

    Jusque-là tout est simple. L’Histoire s’en mêle. La montée du christianisme parmi une minorité de la population ( beaucoup d’esclaves, de pauvres, d’intellectuels et une partie des élites dirigeantes) va provoquer de grands affrontements théoriques. Les chrétiens s’emparent du mot gnose et argumentent que la véritable gnose est donc chrétienne puisque la connaissance du Christ vous offre l’accès direct à Dieu que vous rencontrerez après votre mort au paradis… Il existe donc une gnose chrétienne que l’Eglise théorisera.

    Attendre de mourir pour connaître Dieu c’est bien, mais l’homme est un animal pétri d’impatience. Se regrouperont des espèces de confréries qui vont accepter le Christ en tant que figure de la divinité et qui vont un peu barjoter au sujet de la messe. Pas besoin d’un prêtre pour communier, l’on peut communier tous ensemble, l’individu se charge de son propre salut. Boire une bonne rasade de vin de messe ne peut pas faire de mal, pour le pain c’est moins appétissant, symboliquement si le vin remplace le sang pourquoi la chair ne jouerait-elle pas le rôle du pain, que l’on partagera en toute fraternité avec son voisin ou sa voisine. On a beaucoup jasé des orgies de spermes pratiquées par les sectes gnostiques…

    Ces sectes gnostiques firent une sacrée concurrence aux pieuses confréries strictement chrétienne… L’Eglise les combattit. Âprement… Elle gagna le combat. Ce ne fut pas simple. Les gnostiques sentirent très bien où l’Eglise voulait en venir : un seul Dieu, un seul peuple, un seul pouvoir spirituel, un seul pouvoir politique… Au Dieu Unique ils en substituèrent deux, un mauvais qui avait créé les choses que l’on peut voir et toucher, comme le corps de sa voisine, et un bon qui avait créé les choses que l’on ne pouvait ni voir, ni toucher comme l’âme immatérielle prisonnière dans la gangue charnelle de votre corps. Evidemment vous essayez d’aider votre âme à rejoindre le dieu gentil hors de ce bas-monde, mais le dieu mauvais qui commandait votre corps ignominieux il n’était pas facile de s’en abstraire, nul ne saurait vous reprocher vos incessantes et visqueuses retombées dans le stupre… 

    Lorsque Constantin institua le christianisme catholique comme religion d’état, les gnostiques connurent répressions et interdictions. Mais l’Eglise ne s’en tint pas là : durant des siècles elle fit la chasse à tous les textes théoriques gnostiques. Comprendre qu’elle les détruisit. Pendant des siècles l’on ne parla plus des gnostiques…

    La chappe de plomb dura jusqu’en 1945. En Egypte, près de Louxor, tout proche de la localité de Nag Hammadi furent retrouvés plusieurs manuscrits d’anciens textes, apparemment des textes chrétiens, mais lorsqu’on les traduisit il fallut reconnaître que c’étaient surtout des écrits gnostiques qui révélaient des ‘’choses pas très catholiques’’ de la vie du Christ. On se hâta de les parer du mot un peu compliqué de ‘’gnosticisme’’ pour bien les différencier de la vraie gnose chrétienne… Ces textes se retrouvent de nos jours dans toutes les bonnes librairies. Par un curieux hasard nous les évoquerons dans la chronique suivante dans la chronique d’un groupe qui n’a rien à voir avec A / Oratos.

    En 1973 Raymond Abellio, l’auteur de La structure absolue, théorisa en Le dévoilement de l’ésotérisme l’idée que notre époque moderne entamait un nouveau cycle, que le plus grand nombre pouvait désormais entrer en connaissance avec des doctrines ou des savoirs longtemps interdits, longtemps cachés, longtemps véhiculés par des organisations secrètes, occultes, ésotériques… La démarche d’une formation de rock comme A / Oratos qui se revendique en toutes lettres comme un groupe de black metal gnostique participe de cette vision abellienne…

    Enfonçons le clou : dans une ancienne livraison nous présentions Cabala Led Zeppelin Occulte ouvrage de Pacôme Thiellement (pour la petite histoire synchronique rappelons que les Codex de Nag Hammadi ont été retrouvés dans ce qui doit être l’emplacement d’un monastère copte disparu dédié à Saint Pacôme), or actuellement vous pouvez retrouver sur des sites que nous définirions hâtivement plutôt d’extrême-gauche que d’extrême-droite de longs exposés christo-gnostiques sur le personnage du Christ sous la doctrinale houlette de Pacôme Thiellement. Comprendre le concept de dévoilement de l’ésotérisme comme un fait culturel ne suffit pas si on ne l’associe pas à une dimension politico-historiale.

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    The sin offering : belles harmoniques, ici tout n’est que calme luxe et volupté a-t-on envie de réciter, méfions-nous les apparences sont trompeuses, le déluge sonore qui fond sur nous remet les pendules à l’heure originelle. Egyptienne comme il se doit. Nous sommes aux confins du désert biblique et néolithique. Trois mythes se superposent et s’imbriquent les uns dans les autres. Nous semblons très loin de la gnose mais les séquences de plénitude harmoniques sont là pour nous rappeler les belles prairies immortelles de l’âme pacifiée et les typhons phoniques destructeurs nous dévoilent les images mythiques. A l’arrière-plan, le dieu Apis, et sa contrefaçon, le veau d’or hébraïque, souvenons-nous que l’or est la merde l’Eternel, Aaron (frère de Moïse) qui a laissé proliférer cette adoration de la matérialité la plus abjecte, devra offrir en sacrifice le Taureau, la seule offrande qui lavera l’affront du péché originel qui consiste à rejeter l’Eternel pour idolâtrer un autre dieu représentant de notre animalité corporelle. Mais la mise à mort d’Apis – historialement il était-là avant l’Eternel – ne suffit pas, il faut encore délivrer les esprits de leurs souillures, cette azazélie consiste à envoyer au loin dans le désert un bouc symboliquement porteur des souillures pêcheresses du peuple Hébreux… Le morceau est musicalement construit à l’image de la couve du CD, si le serpent du Bien et du Mal sont dissemblables ils sont si entrelacés qu’en quelque sorte ils ne forment plus qu’un. Si au début les parties sereines réduites à une seule guitare sont nettement séparées du tsunami instrumental et vocal qui survient, bientôt vous avez comme des espaces de sérénités qui s’insinuent dans les parties phoniques oragiques, un peu comme les clairières ensoleillées de l’être heideggerien sont disséminées dans la sombre profondeur des forêts de l’absence de l’être. Toutefois la dernière séquence laisse présager que le reptile de l’immatérialité s’est séparé du reptile des gluances matérielles. L’enstase, les harmoniques de l’âme :  Plotin parlait d’extase, cet instant où l’âme humaine accède, monte vers, se hisse, jusqu’à l’état divin. Il existe un autre moyen de connaître cet état : l’enstase, parfois nommée instase, selon laquelle il est inutile de sortir de soi pour accéder au divin, puisqu’une parcelle du divin est déjà au-dedans de nous, il suffit de descendre au plus profond de soi pour entrer en communication avec ce que vulgairement l’on appelle l’âme. Ces moments privilégiés sont très courts, ce deuxième morceau dépasse à peine les deux minutes, l’on y retrouve ces rondeurs rutilantes de guitare emplie de luxe intérieur, de calme ou plutôt d’absence de bruits organiques, et d’une volupté non sexuelle. Faites un effort, non de dieu, pour imaginer cette dernière chose qui vous étonne tant ! Hymne au firmament : sonorités effilées qui se métamorphosent en une cavalcade échevelée, il ne s’agit plus de lésiner, il est nécessaire d’expliciter ce que l’on a présenté si brièvement en le morceau précédent, le chant se transforme en exhortation vocale, mais l’on ne peut se contenter d’un seul aspect de ce qui est innommable, tout est dit, mais selon des registres contrastés, car la tranquillité n’est que la négation de la fureur et le silence la négation du bruit, ce que vous n’entendez pas existe autant que ce que vous entendez. Grandiose vocation du firmament céleste, reflet de la transparence de notre âme, mais si semblable que l’on ne sait plus qui reflète l’autre, puisque les deux sont d’une seule et même nature. Car nous sommes semblables au divin.

             Même si vous êtes imperméables à la pensée gnostique cet EP est un diamant noir qui luit dans la nuit du black metal.

             Nous voici le 19, il est temps d’écouter :

    ECCLESIA GNOSTICA

    (CD / Les Acteurs de l’Ombre / Janvier 2024)

    Aharon et Wilhehm, têtes pensantes du groupe, ont peaufiné durant plus de quatre ans leur deuxième opus, signe d’une démarche intellectuelle et spirituelle des plus authentiques. Ils ont encore fait confiance à Vincent Fouquet pour la couve de l’album. Un artiste qui puise son inspiration en lui-même. Ses œuvres sont à l’image du nom de son site :  Above Chaos. Des visions issues des cauchemars les plus noirs pétries d’une beauté fascinante. Yeux immondes de Gorgone qui vous regardent sans vous voir mais vous entraînent en des abîmes sans fond. Parmi ses inspirations il cite aussi bien Gustave Doré que Philippe Druillet.

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    Cette deuxième couve est différente de la première. Beaucoup plus symbolique. Il convient de la déchiffrer pour la regarder. La première s’offre à vous, par la monumentalité des deux colonnes du Temple et ce gros plan serpentique, si expressif que chacun se sent investi d’un pouvoir d’interprétation hermétiste.

    Les titres des deux albums nous font passer de la notion de Connaissance à celle d’Eglise. Une tendance hégémonique dont il faut se méfier.  Dans une interview donnée à Metal Obs’ Magazine, Wilhelm indique que ‘’la pointe de lance au-dessus l’ossement humain symbolise (…) le rejet de la chair humaine’’. Nous sommes ici loin de la gnose grecque entachée de paganisme, et bien proche d’une vision kabbalistique entée sur le monothéisme élitiste égyptien.

    Aharon : vocals / Wilhehm : lead & rhythm guitars / Léo Dieleman : bass  / Kampen Turbokot : batterie.

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    Le hiérophante : il existe une Official Lyric Video postée en avant-première sur YT que nous vous invitons à regarder : originale, une belle mise en scène de la parole rituellique sacrée, une musique qui du début à la fin fonce droit devant comme si elle tenait à exprimer la grandeur démesurée de l’univers, une espèce de tourbillon, de vent de sable du désert, qui emporte tout sur son passage, l’immuabilité du monde résidant dans la parole sacrée de l’hiérophante qui conte la sagesse du Dieu Eternel, au-dessus de tout. Il ne suffit pas d’écouter, il faut lire aussi les symboles, ne serait-ce que le premier stylisé qui représente le soleil, lui-même présent sous forme de poudre d’or sur le visage du récitant, il récite une généalogie sacrée, celle qui serpente de l’Eternel à Hermès Trismégiste, au pharaon, au prêtre récitant qui n’est que celui qui transmet la parole du premier prêtre hiérophantique. Hormis l’or du soleil beaucoup de noir sur cette vidéo, comprenons que le Dieu Soleil se voit le jour, mais disparaît la nuit. Où est-il ? Est-il mort ? Existe-t-il encore alors que l’on ne le voit plus, et quel est cet espace, ce pays, qu’il traverse durant la nuit. ? Qu’est-ce que ce mystérieux Douât dont il s’extrait chaque matin ? Nous aussi ne devons-nous pas à notre mort explorer cette lande que l’on pressent terrible, dangereuse et infertile.

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    Daath : il existe aussi une Official Lyric Video postée en avant-première sur YT qui reprend avant tout les symboles de la couve du CD : toujours le même entrain musical, la batterie davantage marquée, le sludge du chant est rehaussé de paroles prononcées d’une voix un peu trop blanche à notre goût, est-ce pour marquer la peur de l’impétrant appelé par lui-même à faire le choix ou le non-choix du daath, irrémédiable séphiroth de la connaissance absolue qui équivaut à la mort. Si vous refusez vous mourez tout de même, mais il n’y aura plus d’après, si vous acceptez vous voici projeté dans cette zone noire du Douât qui invisibilise le Soleil et maintenant vous accédez à la connaissance des choses visibles et invisibles, vous voyez le char du Soleil resplendissant glisser dans le Douât et vous comprenez que maintenant vous ne mourrez plus puisque vous êtes vivant. Puisque vous avez atteint le Dieu éternel et que vous partagez son illimitation. Pour votre édification digitale il existe une Official Guitar Playthrough Vidéo où l’on zieute Wilhelm jouer sa partie de guitare du morceau, on ne le voit pas en entier, il joue assis, l’instrument posé sur son giron, l’on jauge surtout son habit blanc d’allure sacerdotale, bordé d’un liseret d’or. Please play very loud.  Deuteros : permettons-nous une pointe de gémellité satanique, peut-être parce que ce troisième morceau encore plus beau et plus fort de les précédents, une structure d’une grande complexité, imaginons une partie d’échecs dont les coups se suivent si rapidement que l’on ne sait plus lequel des deux challengers poussent telle ou telle pièce…Est-ce-un dityrambe ou une mise en garde, Deuter désigne le Démiurge, le deuxième Dieu, celui qui a emprisonné votre âme éthérée dans le cloaque charnel de votre corps. Disciplina arcani : intro foudroyante qui tombe sur vous comme l’aigle sur sa proie, même si bientôt l’instrumentation se désagrège, si la terre se dérobe sous vos pieds, vous entrez en une longue marche difficile, le Dieu suprême l’émanation première n’a pas l’air de faire la moitié du chemin pour venir à votre encontre, c’est à vous de vous coltiner par vos propres moyens la montée de la colline la plus haute. Musicalement parlant l’architecture phonique est sensationnelle, idéologiquement je ne suis pas prêt à souffrir pour manger la part du gâteau que le Dieu Numéro 1 me garde en son frigo, qu’il me l’apporte tout de suite sur un plateau, ou qu’il aille ailleurs, me suis très bien passé de lui jusqu’à présent. Ô roi des éons : quelle introduction grandiloquente, l’est sûr que l’on s’adresse au Roi de Eons, autant dire au fin du fin, à la sommité du sommet, celui qui siège tout en haut des trente dalles d’éternité éonique qui sont comme autant de marches constitutives de sa royauté, qui vous rapprochent de lui, hymne hommagial mais le disciple qui s’approche comprend bientôt que la plénitude du roi est quelque part totalement étrangère à sa nature humaine, que l’on ne touche pas à la flamme de la lumière sans s’y brûler, que l’instant pur est aussi long que l’éternité et qu’il n’est pas encore prêt à franchir le dernier cercle qui semble reculer chaque fois que son incomplétude risque un pas en avant. De la gnose éternelle : la Connaissance ne peut que nous délivrer de nos manquements, il existe une guérison, une panacée qui nous guérit de notre mort éternelle, musique violente, le dernier effort, l’on dit que le mourant connaît quelques heures avant son trépas une espèce de sursaut de vie, mais cette rémission ne serait-elle pas un piège, une dernière succion de la matière pour nous faire accroire que nous sommes de ce côté-ci, pour nous retenir dans notre mort  alors que la gnose éternelle nous apprend que notre partie immortelle se doit de passer, de retourner dans la part éternelle qui nous constitue. Le septième sceau : aux premières notes nous avons l’impression que la musique tonitruante tient avant tout à manifester le Silence qui suit l’ouverture du septième sceau de l’Apocalypse, la musique se change en un super générique de film rempli d’angoisse, avec des instants de solitude où le feu rampe sur l’autel du Seigneur, jusqu’à ce que l’Ange lance le feu exterminateur sur la terre, destinée à la destruction. Le feu n’est-il pas le signe, l’autre face de la glorieuse lumière de l‘Un.

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             Musicalement cet opus de A / Oratos, ravira les âmes (s’ils en ont encore une) des amateurs de Black Metal Mélodique. Sombre, violent, lyrique. De la très belle ouvrage inspirée. Pour ma part je trouve cette gnose éternelle un peu trop proche d’une gnose christique.

    Damie Chad.

     

    *

    Lionel Beyet me signale la parution du numéro 180 de P.O.G.O Records, des disques pour les Pour les Oreilles Grandes Ouvertes. Je jette un coup d’œil sur la pochette, what is it ?. Peut-être que le nom de l’album écrit tout en bas dans le coin droit de la pochette me renseignera, un peu difficile à déchiffre cette espèce de police-graffiti. Je n’en crois pas mes yeux, oh que oui que ça me parle :

    ET IN CACOPHONIA EGO

    6Exhance

    ( Pogo Records / Décembre 2023)

    J’ignore tout de ces gars, mais z’ont un sens de l’humour développé, z’ont calqué le titre de l’album sur l'inscription Ei in Arcadia Ego que déchiffrent les trois bergers du du célèbre tableau de Poussin : Les bergers d'Arcadie.

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    Pour ceux qui ne connaissent pas ce tableau et qui poussés par une stérile curiosité voudraient ne serait-ce que le regarder de plus près sur le net, je les conjure de n’en rien faire. Si vous comptez ne pas suivre mes conseils, enfermez-vous seul à clef dans votre logis, coupez votre téléphone, prévoyez un minimum de trois jours de vivre, et tentez votre chance. Vous vous apprêtez à tirer le fil d’une étrange énigme qui risque de vous emmener loin très loin de vos préoccupations les plus immédiates. Pour vous donner un exemple précis tiré de cette livraison 629, dites-vous qu’il existe des liens très étroits entre le sujet du disque d’A / Oratos chroniqué juste ci-dessus et ce chef-d’œuvre de Poussin. Je n’en dis pas plus, qui cherche trouve. Attention aux implications politiques…

    Passons à des choses plus simples :

    David Jean’s Nokerman : guitar, bass effects / Peter Verdonck : vocal, saxophone / Kjell De Raes : drums.

             Nos trois héros ne sont pas eux-aussi en Arcadie mais en Cacophonie, une indication des plus précises quant à leur genre de musique. Vous le disent par deux fois d’une manière plus détaillée sur l’en-tête de leur FB : Very_math metal versus free jazz et Very math-metal avec influences free jazz.

             Certains blêmissent en lisant le mot math. Inutile d’être un crack en résolutions d’équations pour les écouter. L’expression math  metal a été créée pour signifier que certains groupes de metal utilisent des changements de rythme incessants, bref ne se complaisent pas dans les lignes mélodiques qui coulent comme un long fleuve tranquille, un coup vous êtes sur l’Everest, et cinq secondes après dans la fosse des Philippines. La relation fractionnaire entre mathématique et musique ne date pas d’hier, voici plus de vingt-cinq siècles Pythagore théorisa cette promiscuité entre les deux arts… Durant toute l’Antiquité l’on enseigna la musique en relation avec la mathématique… Je ne me suis jamais autant ennuyé qu’en écoutant Les Variations Goldberg de Bach, composées selon une logique mathématique à toute épreuve.

             Ne cherchez pas une contradiction fondamentale entre ‘’contre’’ et ‘’avec’’, parfois l’on a l’impression de se battre contre un bête, ou avec un ange, dans les deux cas l’on a affaire au même ennemi, qui épouse successivement votre double nature.

    Est-ce du Metal ? Est-ce du Jazz ?  Est-ce du Math ? Est-ce du Free ? Si vous voulez apprendre à voler comme un oiseau, commencez par bazarder votre parachute. Les deux. Le dorsal. Et le ventral. C’est tout simplement de la musique. Essentielle. Non pas parce qu’elle vous procure une grande joie et que vous pensez que vous ne pourrez jamais vivre sans elle. Ce qui est faux. La preuve vous mourrez sans elle. Ce n’est pas moi qui ai décrété qu’elle est essentielle. Ce sont nos trois lascars. L’ont écrit en toutes lettres. Pas de titre ronflant. Juste des verbes. Le minimum vital. Ne désignent pas des choses, désignent juste les actions. Qui permettent d’être. De vivre. De survivre. Dans le moment où l’on est.

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    Nourrir : si vous ne mangez pas, vous crèverez. Il y a une Official Music Vidéo qui vous le prouve. Pas de couleur. Du noir et du blanc. L’essentiel. De la musique. Non. Des musiciens qui jouent. Si personne ne joue vous n’aurez pas de musique. La caméra ne les met pas en scène. Elle filme davantage leurs instruments que ceux qui en jouent. Si, de temps en temps vous les voyez. Pas très longtemps. Jute la position de leurs corps adonnés à leurs instruments. Comme des signes noirs dessinés sur une portée blanche. Ne sont pas ici pour la gloriole. Faut qu’ils nourrissent leurs instruments. Peter file la becquée à son sax. Kjell tape sur ses peaux pour que ça rentre mieux. David gratouille le ventre de sa guitare pour lui chauffer l’estomac. Vital pour eux. Ce qu’ils donnent les instrus le leur rendent, le vomissent au centuple même. Une espèce de 69 – ne s’appellent pas 6Exance par hasard – nutritif. Je sais bien que nous sommes dans la civilisation de l’image, mais il est temps d’écouter. Ce n’est pas du bruit. Une lave bouillonnante. Un magma terrifiant. Non pas parce que ça vous prend les oreilles mais parce que vous percevez chaque instrument en lui-même. Tous ensemble, chacun apporte sa pierre, mais dans le mur édifié vous savez à qui appartient tel ou tel caillou. Ça ressemble à quoi ? A des déchirures constructives. Un peu comme la dérive des continents, ils s’écartent les uns des autres pour mieux former la pangée. Feuler : l’être humain pleure, le tigre feule. Il faut choisir son camp. Celui de la puissance. Avec des hauts et des bas. Des bouleversements. Et des à rebrousse-poil. La guerre est l’art majeur. Le sax sonne la trompette, la batterie massacre, la guitare est moteur d’avion, plaintes, bombardements, agonies, cris, l’homme est un prédateur, un destructeur, Peter hurle comme un barbare, il grogne, il hargne, la musique n’a jamais été faite pour vous rendre heureux mais pour vous pousser dans vos derniers retranchements, elle pousse, elle catapulte, elle détruit vos certitudes, elle est son propre mode opératoire qui s’empare de votre planète égotique et colonise vos sens et votre cerveau. La musique culbute et subjugue. Vous devez vous avouer vaincu. Le tigre qui est en vous a soumis la misérable bébête humaine. Ahaner : après la guerre, le rut. J’ahane comme un âne. Le sax braie, la batterie tape du pied, la guitare remue la queue. Violent et croustillant. Enfourne ta gourme. Vous avez des descentes de gamme comme des descentes d’organe ou de lit. Alarme, la Sirène vagit. Un véritable charivari pousse la charrue, le sax hennit, joue le rôle de l’étalon fou qui galope dans ses tripes. L’amour la guerre c’est du pareil au même. Du pareil à l’autre. Terrible décharge.

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    Sourdre : un verbe rare. Si je vous demandais : vous sourdez souvent ? Une lueur d’égarement flotterait dans votre regard. Mais que vais-je pouvoir lui sortir comme réponse, vous demanderiez-vous ? Preuve que quand on croit ne pas savoir, l’on sait déjà. Chez 6Exance ils sont gentils. Vous ont concocté une Official Music Video pour vous aider à comprendre. Avec même une musique d’accompagnement qui suit et souligne l’action. Pour une fois l’on a l’impression que leur musique peut aussi vouloir dire quelque chose. Je vous recommande le passage où le sax vous prend des airs de trompette de Miles Davis dans Ascenseur pour l’échafaud. Entre nous ce serait plutôt ascenseur vers la folie. Ressemble à quoi ?  Imaginez dans les années cinquante les mises en scènes des Frères Jacques pour présenter leurs chansons, assurez-vous toutefois qu’ils aient auparavant sniffé un rail de quatre kilomètres de cocaïne et ingurgité une trentaine de comprimés lysergiques… pour ceux qui n’aiment guère la chanson française, soyons un chouïa davantage américanpphiles, pensons à l’esthétique débridée des vaudevilles, du blackface et des films muets comiques de Buster Keaton.  Peut-être même à certaines interventions de Bretch dans les usines en grève d’Allemagne. Raconte quoi ? Que chacun se fabrique sa petite histoire : une histoire de cœur, une histoire de vampire, une satire anti-fachiste ? Ce qui est sûr, c’est que ce qui sourd de notre monde, ne sera pas obligatoirement joli-joli. Le free-jazz a toujours porté un regard critique sur les conditions sociétales du monde dans et par lequel il a été et il s’est auto-engendré. Enfin vaut mieux être sourdre et entendre cela.

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    Nosographier : par l’emploi de ce verbe, nos trois jeunes gens veulent-ils insinuer que notre monde serait malade. L’existe aussi une Official Music Video. L’on va finir par croire qu’ils ne font pas de la musique noisique juste pour le plaisir du bruit. Certes vous les voyez jouer. Mais ce n’est pas du tout genre regardez comment on est beau sur scène et comme on joue bien ! D’ailleurs parfois ils n’ont rien dans les mains. Bye-bye l’instru s’est barré. Preuve que ce qui compte ce sont les regards qu’ils portent sur-mêmes. Ne veulent pas être dupes, ni de leur rôle de stars, ni des tortillements de leur public, ni d’eux-mêmes et surtout même pas de leur musique. Non seulement ils font de la musique mais en plus ils se demandent ce que cela veut dire. De quelle maladie de notre monde ils seraient le symptôme. Minauder : quel verbe gentillet mais quelle musique angoissante, une chappe de plomb liquide qui tombe sur vous comme un linceul. Un sax qui glapit, une guitare tronçonneuse, un batterie tonnerre, z’avons oublié qu’ils se prévalaient de la cacophonie, un ouragan d’apocalypse s’en vient trouer vos oreilles. Quelle noire vision de notre monde ! Et des postures que nous adoptons pour tenter d’y survivre. Peroraisonner : à la fin d’une traversée, il faut ne pas oublier  son mot-valise. Demandons à la musique ce qu’elle veut dire. Premièrement que nos trois compagnons ont réussi leur pari, qu’ils ont parfaitement réussi l’accouplement alchimique du math metal et du free jazz. Une masse sonore qui écrase mâtinée d’une échappée indissoluble, d’un débordement intransitif vers on ne sait quoi. Bref, nous pouvons boire le champage. Non ce n’est pas tout à fait la fin. Reste encore à sabrer. Non pas le champagne. A s’auto-sabrer, Ils ont le son. Indubitable. Mais qu’en est-il du sens ? Auraient-ils joué pour ne rien dire ?

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             Nous reste une image, celle de la couve. Elle est de David. Avec un nom de groupe comme 6Exhance et cette paire de ciseaux, vont-ils se mutiler, considèrent-ils leur musique comme une castration. Non ils ne se sont pas privés des bijoux de famille. Se sont juste coupé la tête. A moins que ce ne soit notre monde qui ait perdu la tête et qu’ils considèrent que les efforts des artistes comme eux sont dérisoires. Mais absolument nécessaires puisqu’ils le font.

             Si certains recherchent l’Arcadie d’autres, ils viennent de Belgique, construisent des forteresses sonores de résistance en cacophonia…

    Dans quel monde vivons-nous maintenant si le rock‘n’roll nous demande de réfléchir…

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 628: KR'TNT 628 : WILD JIMMY SPRUILL / BIG JOANIE / BRENDA & THE TABULATIONS / GHOST HIGWAY + ROCKABILLY GENERATION NEWS / HOLLY GOLLIGHTLY / MARLOW RIDER / SIAPIENTIA DIABOLI / BILL CRANE / ROCKAMBOLESQUES

     

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 628

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    18 / 01 / 2024

      

    WILD JIMMY SPRUILL / BIG JOANIE

    BRENDA & THE TABULATIONS

    GHOST HIGHWAY + ROCKABILLY GENERATION NEWS

    HOLLY GOLIGHTLY / MARLOW RIDER / SAPIENTIA DIABOLI  BILL CRANE / ROCKAMBOLESQUES

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 628

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Spruill building

     

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             Tiens tiens, qu’est-ce que c’est que cette compile ? Ace nous sort un New York City Blues  ? Comme la curiosité est un vilain défaut, on y va en courant. Toujours le même moteur : la hantise de rater un gros truc. Et comme Ace est en quelque sorte le spécialiste des grands inconnus au bataillon, on ne cherche même pas à savoir le pourquoi du comment, on rapatrie New York City Blues aussi sec. On jugera sur pièce.

             Et le résultat ne se fait pas attendre. Tu te retrouves dans les godasses de Christophe Colomb. Tu découvres un continent.

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             Joli comp/coup d’Ace que ce New York City Blues. Comp/coup d’audace d’autant plus joli qu’il est drivé par John Broven, LE grand spécialiste de la Nouvelle Orleans et des movers-shakers. Ça grouille de puces dans la comp/coup de Jarnac. Tiens, tu vas te gratter avec Tarheel Slim & Little Ann, et leur «Security». Mari et femme. Vrai shake de jump ! Imparable ! Wild as wild ! Battu au sec des enfers. Même niveau que Shirley & Lee ou encore Mickey & Sylvia. On croise plus loin l’excellent Rosco Gordon avec «I Wanna Get High», ce vieux crabe de Memphis réinstallé à New York est toujours en plein dedans. Joli shoot de swing avec Stick McGhee & His Buddies et «Drinkin Wine Spo-Dee-O-Dee». Gros bastringue - Down in New Orleans/ Where Everything Is Fine - Granville ‘Stick’ McGhee est le frère de Brownie. Broven nous dit que Brownie takes second vocal and guitar duties. Ce qui est frappant, c’est qu’avec cette compile et ce son, on est aussitôt dans le vrai. Dans l’absolu d’Absalon. Encore du real deal de New York City Blues avec Larry Dale & The House Rockers et «New York City Blues». C’est l’essence même de ce qu’on appelle le primitif. Merci Ace pour cette bombe atomique. Heavy power encore avec Wilbert Harrison et «Goodbye Kansas City». New York here I come ! Il dit adieu à Kansas City. Broven donne l’une de ces infos qu’on qualifie ici de définitives : «This record was first issued en 1965 by Guy Stevens on his ahead-of-its-time ‘50 Minutes 24 Seconds Of Recorded Dynamite’ UK Sue LP.» Tiens encore une bombe avec Ruth Brown And Her Rhythmakers et «Mambo Baby». Elle y va la Ruth, elle te plie ça en quatre vite fait. En prime, tu as un solo de sax dément. Broven qui ne perd pas une occasion de briller en société rappelle qu’on surnommait Atlantic ‘The House That Ruth Built’, juste avant que Ray Charles et Aretha ne radinent leurs fraises respectives. Encore un génie inconnu : Wild Jimmy Spruill et «Kansas City March». Comme Mickey Baker, il est top session man in New York City. Guy Stevens a aussi collé l’«Hard Grind» de Wild Jimmy Spruill sur son 50 Minutes 24 Seconds Of Recorded Dynamite. C’est lui, Wild Jimmy Spruill, qu’on voit danser sur la pochette avec sa guitare dans le cou. Il balaye son cut aux quatre vents. Wild as Spruill ! Avec «Step It Up And Go», Blind Boy Fuller est trop primitif. Champion Jack Dupree fait du deep round midnite avec «Bad Blood», et Bob Gaddy fait du heavy blues avec «Stormy Monday Blues». On note au passage que le New York City blues est beaucoup plus âpre.

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    John Broven nous rappelle que le Rev. Gary Davis est un vieux de la vieille et qu’il a influencé des tas de gens, comme Brownie McGhee, Blind Boy Fuller, Tarheel Slim et Larry Johnson. Mais il a aussi formé Dave Van Ronk, John Sebastian et Bob Weir. On l’entend gratter un «Say No To The Devil» antique et réfractaire en diable. On se régale d’«Hard Times The Slop», le fantastique shuffle de Noble Watts & His Rhythm Sparks. Ces mecs jouent leur va-tout, un brin New Orleans, mais avec un son plus urbain. June Bateman est la femme de Noble ‘Thin Man’ Watts. Elle tape un «Believe Me Darling», heavy et juvénile à la fois, elle s’applique à la vie à la mort. C’est un cut signé Wild Jimmy Spruill, un Spruill qu’on retrouve sur cette compile à tous les coins de rue. Ce cut nous dit Broven apparaît aussi sur le fameux 50 Minutes 24 Seconds Of Recorded Dynamite. Et puis voilà John Hammond avec l’«I Wish You Would» de Billy Boy Arnold, accompagné nous dit Broven par Robbie Robertson, Bill Wyman et Charles Honeyboy Otis (le beurre-man de Professor Longhair). Hammond te tape ça au pire heavy blues de la conjecture. C’est l’époque Red Bird, le label de Leiber & Stoller. Quel flash. Tu vois trente-six chandelles !

             Petite cerise sur le gâtö, la compile s’accompagne de la parution d’un book de Larry Simon, préfacé par John Broven. Même titre : New York City Blues: Postwar Portraits From Harlem To The Village And Beyond. Bien sûr, tu lui sautes dessus. Tu attaques la diligence. Yahooh Rintintin ! Et tu vas droit sur l’héros du jour : Wild Jimmy Spruill !

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             Dans sa fastueuse préface, Broven se pose la question : pourquoi Spruill n’est-il pas plus connu ? Peut-être parce qu’avant d’être un guitar hero, il était un session man et à cette époque, on ne créditait pas les session men. Effectivement, le nom de Spruill n’apparaît pas sur les pochettes de Wilbert Harrison. Broven rappelle aussi qu’on qualifiait le style de Spruill de scratchin’ style. Broven veut savoir d’où ça vient, et Spruill lui explique qu’au cours d’une session, il ne savait pas quoi faire, alors il scratchait. Bobby Robinson qui enregistrait lui a dit qu’il ne voulait pas de ce scratchin’, alors Spruill l’a envoyé sur les roses - Je jouerai comme j’ai envie de jouer. Si t’es pas content, c’est pareil - Le scratchin’ style vient de là. Car oui, Spruill est une forte tête.

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    Il faut lire l’interview qu’il accorde à Larry Simon, en 1993. Simon lui demande pourquoi il est venu à New York et Spruill lui raconte qu’il est venu voir son frère, et comme il pouvait vivre en jouant de la guitare, alors il est resté - I think it was around 1955 or ‘56 around june 8 - Simon lui demande ce qu’on attendait de lui en studio, et Spruill dit qu’on n’exigeait rien de lui en particulier - Because they wanted me to play how I feel. Ils savaient comment je sonnais. C’était probablement King Curtis, il me faisait confiance, il me disait : «Jimmy do what you can do, show me what you got.» J’ai toujours joué comme je le sentais. Quand ça vient de moi, il sait que ça va être bien - Alors Simon lui demande s’ils ont enregistré ensemble, et Spruill ne sait plus trop bien, car il a enregistré avec tellement de gens - I think we did a thing called «Chicken Scratch» - Simon le branche ensuite sur Wilbert Harrison, alors Spruill y va - It was OK. Je l’aimais bien. Il buvait comme un trou, mais ça ne me posait pas de problème. Il me donnait tout ce que je demandais - Puis c’est au tour d’Elmore James - He was a great guitar player, but he liked his bottle - Simon lui demande si Elmore lui laissait les coudées franches et Spruill précise - No, he wanted his music right. If it was not right he would get on your butt right then. Sur l’un de ses albums, tu peux l’entendre parler à un autre mec. «Wait a minute, wait a minute, that ain’t right.» Je crois que j’ai fait deux albums avec lui, chez Bobby Robinson - Plus loin, Simon dit que peu de gens savent qu’Elmore pouvait jouer du jazz, alors Spruill se cabre - Tu rigoles ? Ce mec pouvait jouer en tournant autour de B.B. King, autour de n’importe qui, Albert Collins, tous ces mecs. Albert King n’était pas au niveau d’Elmore. Et je ne parle pas de la slide. Elmore c’était quelque chose ! Nice guy.

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             En plus d’être un fantastique guitar slinger, Wild Jimmy Spruill a des idées bien arrêtées. Il a joué avec Miles Davis, mais ne se souvient plus trop bien si Miles est venu au studio. Il rigole, «he was a crazy man et je ne veux rien dire sur lui. He was a nut but I know I’m a nut.» Puis il embraye aussi sec sur Chucky Chuckah - Et Chuck Berry, forget about this guy! J’ai joué trois soirs avec lui à New York. Le premier soir, il m’a dit : «Ce que je veux, Jimmy, c’est que tu restes derrière moi. Je ne veux pas te voir sauter partout.» Je lui ai répondu : «C’est mon groupe. Si tu ne veux pas jouer avec mon groupe, you can get your long ass back where you came from.» Après, on s’entendait bien. Mais il voulait quand même que je reste derrière lui. Alors je lui ai dit : «Personne ne me donne des ordres. Le seul boss que j’ai, c’est God, and you’re not God so get the hell out of my face.» I don’t take no boss stuff, parce que quand tu as un boss, tu perds ton esprit, quelqu’un d’autre te dit ce que tu dois faire. That’s why  I never have a boss. A boss is like a slave driver. Donc jamais de boss. Si t’as un boss, you’re in trouble - Les concerts dont Spruill parle datent de 1959. 

             Wild Jimmy Spruill est un mec vraiment entier. Simon le rebranche sur ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. Spruill embraye aussi sec - Si c’est pas bon, je ne le fais pas. Je ne bosse pas pour le blé. Je bosse parce que ça me rend heureux. Si je fais un truc qui ne me rend pas heureux, alors je ne le fais pas. Si je ne suis pas heureux avec cette guitare, je la scie en deux - L’ironie de l’histoire, c’est que Spruill joue sur une guitare qu’il a sciée en deux, une Les Paul Studio model, comme on le voit sur la couve du book. Idée que reprendra plus tard Pete Shelley avec Buzzcocks.

             Simon lui demande à la suite s’il s’intéresse à autre chose que la musique. Spruill dit qu’il sait tout faire - I’m a brick mason, a plumber, an electrician, a carpet layer, an interior decorator. I draw. Je ne peux pas t’énumérer tout ce que je fais - Puis Simon revient sur la musique et s’interroge sur ce silence de 18 ans. Alors pourquoi cette longue interruption ? Spruill dit qu’il en avait marre de la routine - I can’t stand the the blues over and over and over. Tu sais, il y a une différence entre le blues and blues music. When you play the music, you hear the blues. Quand tu es dans un champ à cueillir le coton avec ta mère, à tirer le gros sac down the road avec un serpent qui file entre tes jambes, that’s the blues. Ce que les gens ne comprennent pas, c’est que le blues n’a pas d’accords. Vous le jouez tous avec des accords. Il n’y a pas d’accords dans le blues. Oh Lord help me make it through the day - Spruill chante a field-style work song - Le jour d’après, elle va chanter deux ou trois mesures en plus, la même chose, et encore dans les deux ou trois semaines suivantes. So that were the blues - Spruill insiste : «Blues is a prayer, and people don’t realize what blues is.»

             Plus loin, Paul Oscher rappelle que pour combattre la routine, Wild Jimmy Spruill changeait constamment ses patterns, c’est-à-dire les motifs dans les gammes de blues - He always changed up stuff, he was really dynamite. He changed the in-between patterns.

             Broven se positionne en tant qu’amateur de vieux coucous : «Pourquoi écouter des enregistrements si anciens ? Parce qu’ils sonnent souvent aussi bien, sinon mieux aujourd’hui. Pour moi, c’est la définition de la musique classique.» Puis il revient sur la scène new-yorkaise : «For blues guitar, pas la peine de chercher plus loin que Billy Butler et son jeu classique sur «Honky Tonk», les accompagnements de Jimmy Spruill et les superbes licks de Larry Dale sur le Blues From The Gutter de Champion Jack Dupree, ou encore Tarhell Slim sur «Number 9 Train», puis il y a le boulot majestueux de Mickey Guitar Baker, qui comme Butler et Spruill, a un style immédiatement identifiable. Saxophone ? Les first-call players sont King Curtis, Sam The Man Taylor, Big Al Sears et Nobel Watts. Blues Piano ? New York a des fameux pianistes comme Van Walls, Dave Baby Cortez, Bob Gaddy et Dupree.»

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             Comme tout ce qu’écrit John Broven, son introduction est extrêmement balèze. Il commence par flasher sur la scène new-yorkaise via Blind Boy Fuller, «qui a directement influencé Brownie McGhee et Tarheel Slim in a style known as Piemond Blues.» Broven qui est anglais s’est passionné pour la musique noire dans les années 50, grâce à Atlantic qui était distribué en Grande-Bretagne par London American Records, et boom !, les Coasters («Searching/Young Blood»), Chuck Willis («C.C. Rider» et «Betty & Dupree»), les Bobbettes («Mr. Lee»), puis les albums de Ray Charles (Yes Indeed!) et Champion Jack Dupree (Blues From The Gutter). C’est le début de la frénésie, Broven enquille Wilbert Harrison («Kansas City»), Dave Baby Cortez («The Happy Organ») et Buster Brown («Fannie Mae»). Broven lâche alors son boulot de banquier (Midland Bank) et devient consultant pour Ace Records de 1991 à 2006 - Je voyais le business de l’intérieur et je dois tout à Roger Armstrong, Ted Carroll et Trevor Churchill for the sharp-end education - Alors il s’installe en 1995 à Long Island pour explorer la scène new-yorkaise.

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    C’est là qu’il écrit l’une des bibles du XXe siècle, Record Makers & Brokers: Voices Of The Independant Rock’n’Roll Pioneers, pour laquelle il interviewe des tas de gens - Ce livre est le sommet de ma carrière en tant que chercheur, collectionneur, auteur, consultant et label manager - Ils découvre que pas mal de gonzesses sont actives dans le New York music biz : «Bess Berman (Apollo), Miriam Abramson (Atlantic), Bea Kaslin (Mascot and Hull), Zell Sanders (J&S) et Florence Greenberg (Scepter & Wand).» - Their accomplishments were extraordinary - Pour Broven, le gros label new-yorkais reste Atlantic, focalisé sur le r’n’b, avec Ruth Brown, les Clovers, Clyde McPhatter & the Drifters, car comme le lui dit Ahmet Ertegun, «there were no blue players in New York». Un seul mec parvient à enregistrer du blues new-yrokais : Bobby Robinson sur ses labels Fire & Fury Records. C’est lui qui sort le «Kansas City» de Wilbert Harrison. Voilà pourquoi, nous dit Broven, Bobby Robinson est très présent dans ce book. Il sort des down-home recordings d’Elmore James et de Lightnin’ Hopkins with New York session men.

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             Simon interviewe Bobby Robinson dans sa boutique de disques à Harlem en 1993. Boom, direct sur Elmore James. Il raconte qu’Elmore et lui sont sous une pluie battante et Elmore lui dit qu’it’s like the sky crying. Bobby lui demande de répéter. Elmore répète : «It looks like the sky is cruying. L’eau roule comme des larmes down the street.» Arrivé au studio, Bobby demande à Elmore de s’asseoir, il attrape un crayon et dit : «Strike me a lonely weird sound.» Elmore le fait et la basse arrive derrière - J’ai écrit les paroles sur le tas. Et en quelques minutes, on avait «The Sky Is Crying» - Voilà, Bobby Robinson, c’est ça, du down-home on the spot. Fascinant personnage !

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    Il fait aussi «Ya Ya « avec Lee Dorsey. Il l’a écrit dans un bar à la Nouvelle Orleans, en juin 1961 - J’ai demandé un bout de papier à la serveuse. Elle m’a passé un petit bloc avec des lignes rouges qu’elle avait près de sa caisse. J’ai écrit le truc sur le tas, down here, see how you feel that, see if she could feel this (il chante), Sitting here la la, waiting for my ya ya. La la that’s just like a song, and ya ya, that means a girl - Bobby veut Allen Toussaint pour enregistrer «Ya Ya», mais Allen vient de signer un contrat d’exclusivité, alors il lui propose Harold Battiste - You’ll be satisfied - Harold radine sa fraise. Lee lui chante le truc et Harold pond les arrangement sur le tas - It was simple - Puis Harold rassemble un orchestre et fixe un rancart at five o’clock. Voilà la genèse d’un hit intemporel. «Ya Ya». C’est grâce à Bobby Marchan que Bobby Robinson est entré en contact avec Lee Dorsey. Au téléphone, Bobby Robinson demande à Bobby Marchan s’il connaît un mec du nom de Lee Dorsey. Bobby Marchan rigole : «Yeah he lives right down the street here.» Alors Bobby Robinson lui demande de ne pas raccrocher et d’aller le chercher immédiatement - That was amazing - Ce sont les petits détails qui font la grande rivière du rock. Un peu plus tard, Bobby va trouver Lee Dorsey chez lui à la Nouvelle Orleans, in the Ninth Ward, le quartier black et pauvre où vivait aussi Fatsy. Ils s’assoient pour papoter et Lee lui dit : «I’m not a singer, I just like singing. I used to be a lightweight fighter.» Oui, Bobby était boxeur avant de chanter. Quant à Bobby Marchan, Bobby Robinson l’a trouvé via the Clowns et Huey Piano Smith. Après avoir quitté les Clowns, Bobby Marchan est allé à Salt Lake City faire la drag-queen dans les clubs.

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             Simon branche Robinson sur Willis Gator Jackson et un fantastique guitariste du nom de Bill Jennings. Robinson saute en l’air - Terrific. Terrific. It’s a shame. I did a couple of things on him - Puis Simon le branche sur Skeeter Best, un autre guitar player. Robinson lui dit qu’il a cassé sa pipe en bois, mais il a accompagné «quite a few of my artists». Et Billy Butler ? Il était avec King Curtis ? - Yeah. King Curtis. Terrific player. Bill was a great guy - Peu de gens savent que Bobby Robinson a composé «When A Man Loves A Woman’», le hit de Percy Sledge, sorti sur Atlantic. Il l’a enregistré une première fois avec Joe Haywood sur Enjoy, Percy Sledge l’a entendu et en a fait un hit en 1966. Robinson dit avoir gagné plus de $100.000 avec cet hit - That’s my biggest song moneywise. On reviendra sur Bobby Robinson.

             Ce book de Larry Simon grouille de puces. Après Bobby Robinson, Simon va trouver Hy Weiss chez lui, à Long Island, toujours en 1993. Weiss se souvient d’avoir bossé avec Brownie McGhee, Sonny Terry, Larry Dale et Jack Dupree, tous ceux qui étaient là avant la bataille. Comme Ahmet Ertegun, Hy Weiss allait dans les clubs de blackos à Harlem. Il dit avoir fait un album avec Brownie McGhee, qui est sorti su Ace Records (UK) - Ce sont les seuls auxquels j’accorde une licence. Tous les autres piratent mes disques.  

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             Ça tombe bien, Ace a pondu en 2003 une petite comp d’Hy : Hy Weiss Presents Old Town Records. Pour les ceusses qui ne seraient pas au courant, Old Town Records est un label de doo-wop. Un mighty label ! Pour l’amateur de doo-wop, cette compile est une aubaine en forme de bombe atomique. Tu vas d’extase en extase, ça grouille de puces, à commencer par The Earls qui sonnent comme les Rivingtons avec «Remember Then». Tu es aussitôt frappé par deux choses : la qualité du son ET la qualité des interprètes, tous bien sûr inconnus au bataillon. C’est le genre de compile qui te réconcilie avec la vie. Sur les 60 cuts de la comp, tu as au moins 20 hits de hutte. On retrouve bien sûr des gens que Simon a interviewé dans son book, comme Billy Bland qui fait du Bo avec «Chicken In The Basket», et l’excellent «Let The Little Girl Dance», pur jus de New York City Sound d’avant l’heure. Sur le disk 2, on croise un single demented de Larry Dale, «Big Muddy». C’est tellement bon que tu te demandes d’où ça sort, il tape un big boogie avec un son extraordinaire, il claque le beignet de ses poux, et sur «Let The Doorbell Ring», il passe un wild killer solo. Te voilà prévenu. Tu graves le nom de Larry Dale sur tes tablettes d’argile. Côté kitsch, on est servis comme des princes avec «Robert & Johnny («We Belong Together», qui coule dans la manche), The Valentines («Tonight Kathleen», qui dégouline dans la culotte), The Solitaires («The Wedding», yes I dooo, ils sont terrific de romantica) et The Supremes («Tonight», pas les Supremes de la Ross, évidemment). Il pleut des coups de génie comme vache qui pisse : The Haptones avec «Life Is But A Dream» (une pure merveille d’harmonies vocales), The Co-Eds + Gwen Edwards avec «Love You Baby All The Time», un wild jump battu à l’oss de l’ass et la Gwen devient folle, et puis l’effarante Ruth McFadder & The Haptones, avec «Dream Is No Good For You», le heavy blues le plus urba d’orbi. Bon, il y a plein d’autres choses, mais avec ce genre de comp, on n’en finirait plus. Hy Weiss a fait un boulot fantastique. Ça grouille encore de puces sur le disk 2 avec The Fiestas («Last Night I Dreamed», gluant et chanté à outrance, big time de doo-wop d’Hy en mode Rivingtons, du son, rien que du son !), on retrouve l’excellente Ruth McFadden avec «Teenage Blues» (elle te drive ça sec, dirty girl, heavy sur le beat, digne des géantes comme Etta James et Big Maybelle), Gene Humford & The Serenaders avec «Please Give Me One More Chance» (superbe de mâle assurance et d’élégance jazzy, capiteux mélange de groove et de dandysme), on croise aussi Brownie McGhee et Sonny Terry, les cracks du deep Southern Sound, et tu tombes en arrêt devant

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    Arthur Prysock et sa cover de «Good Rocking Tonight», swing et voix de rêve, cover de choc révélatoire, et puis tu aussi The Vocaleers avec «One For My Baby (And One For The Road)», ils font le doo-wop des Flamingos, le doo-wop genius à l’état le plus pur, tu croises plus loin The Bonnevilles avec «Lorraine», le pire doo-wop de l’univers connu des hommes, hurlé dans les harmonies vocales. Incroyable power underground ! Si Hy était là, on lui serrerait bien fort la pince pour le remercier. Tu croises aussi Rosco Gordon, et plus loin Buddy & Ella Johnson avec «Like You Do». Ella t’interloque littéralement. Surprise de taille avec Lester Young avec «Down To The River», un wild boogie blues digne d’Hooky, et c’est pas peu dire ! On termine avec deux smashing smashes : Eddie Alston avec «I Just Can’t Help It», monté sur l’heavy beat de «Memphis Tennessee», wild as fuck, puis The Gypsies avec un «Jerk It» qui vaut largement tout Motown. Te voilà pétrifié. D’autant plus pétrifié que les Gypsies allaient devenir les Flirtations et venir rocker la vieille Angleterre.

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             Puis Larry Simon rencontre Rosco Gordon en 2002, l’ancienne légende vivante de Memphis, l’un des premiers blackos qu’enregistre Uncle Sam dans son Memphis Recording Service studio, juste avant de lancer Sun Records - Rosco avait un off-beat rhythmic feel unique que Phillips baptisa «Rosco’s Rhythm» - Rosco est resté avec Uncle Sam de 1951 à 1957. Rosco raconte qu’Uncle Sam lui a proposé de chanter «Booted» - That was a strange tune - «Booted» devient un hit et Uncle Sam file 100 $ à Rosco - No royalties, no nothing, just $100 - Puis il explique qu’Ike Turner déboule en ville et demande à Rosco d’enregistrer «Booted» pour les Bihari Brothers. Rosco est jeune et ne connaît rien au business, alors il enregistre le «Booted» d’Uncle Sam pour les Bihari. C’est là qu’Uncle Sam s’est fâché avec Rosco.

             Simon rappelle que Rosco fut aussi important à Memphis que l’étaient Johnny Ace, Bobby Bland, Junior Parker et B.B. King. Comme sa carrière a capoté, il s’est réinstallé dans le Queens en 1962. Il y a monté un label et a continué de se produire sur scène. Puis il a gagné au poker une boutique de pressing - Yeah I was in the dry cleaning business for seventeen years. I made a good living. I was home with my family every night. That meant more to me than all the money in the world and the fame. My family - Le fleuron de l’interview, c’est Butch, le fameux chicken qu’on voit d’ailleurs dans Rock Baby Rock, un superbe rock’n’roll movie de 1957 - That’s the original Butch - Le poulet est resté un an et demi avec Rosco. Il pense que c’est le scotch qui l’a tué. Chaque soir sur scène, Rosco lui donnait un peu de scotch à boire et les gens disaient : «Here comes Roco and his drunk chicken.» Simon le branche aussi sur Beale Street et boom, Rosco part bille en tête sur les Beale Streeters - all of us, you know, all the Memphis musicians, B.B. King, Bobby Bland, Johnny Ace, Earl Forest and myself. We were supposed to be the Beale Streeters - Mais c’est un coup monté par Don Robey, Rosco avoue n’avoir bossé qu’avec Bobby Bland - Je n’avais pas de bagnole et Bobby Bland nous conduisait au concert. Bobby chantait au volant et assis à l’arrière je me disais que j’aurais dû être son chauffeur et non l’inverse.

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             Simon rencontre aussi Paul Oscher, un blanc qui a joué dans le groupe de Muddy Waters. Oscher a vécu chez Muddy pendant quatre ans. Quand il quitte Muddy en 1971, il revient s’installer à New York. Il évoque une blackette nommée Naomi Davis qui chantait dans les black clubs et qui est devenue la fameuse Naomi Shelton, and she just sings gospel music. Oscher évoque aussi Mickey Baker qui l’hébergea chez lui à Paris, quand il vivait du côté de Bastille. Oscher fait aussi l’éloge du Blues From The Gutter de Champion Jack Dupree - That whole crowd, Sticks McGhee, Jack Dupree, Bob Gaddy, Larry Dale, they hung out together - Oscher explique ensuite qu’il n’existe pas de Chicago blues, «it’s southern blues, just southerners that came from Mississippi, Alabama, Texas, Louisiana, Georgia, Florida - that moved to these places.»

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             C’est Jerry Wexler qui produit le Blues From The Gutter de Champion Jack Dupree, un Atlantic de 1958, mais Tom Dowd fait tout le boulot, car c’est lui l’ingé-son. Oscher a raison de le saluer, car c’est un album remarquable, avec Willie Jones au beurre sensible et le superbe piano blues de Jack Dupree. Il y va au so low down dans «T.B Blues», well I got the teebee, real deal de blues - Teebee down in my bones - Dupree a la voix encore verte, il n’est pas encore devenu le vieux boxeur aigri. Il propose un blues parfait, mais sans surprise. Difficile à accepter quand on est lancé dans la quête du Graal. Dupree fait son petit bonhomme de chemin Atlantic avec «Can’t Kick The Habit» et tu as un gros solo de gras double d’un cat nommé Ennis Lowery. «Evil Woman» est un judicieux mélange de heavy blues et de piano blues, Dupree ne se casse pas trop la nénette, il fait toujours le même cut. Puis ça chauffe avec «Nasty Boogie», wow !, ça swingue au jive de jazz. L’album se réveille enfin. Excellent ! Il attaque sa B avec une drug-song, «Junker’s Blues» - Some people call me a junker/ Cause I’m loaded all the time - Il parle ouvertement de la needle et de la coke - Said goodbye to whiskey - Il tape à la suite «Blad Blood» au round midnite, il est précis sur le jive de bad blood mama - Let the doctor see what you got - et arrive sur ses talons un gros solo agacé d’Ennis le killer. Dans «Goin’ Down Slow», il dit qu’il va se calmer - Yeah I had my fun - et il termine avec deux grooves de la Nouvelle Orleans, «Frankie & Johnny» et «Stack-O-Lee». Il y va au diamond ring, oh Johnny et finit en mode ti nah/ ti nah/ nah nah. Il te groove ça droit entre les deux yeux. Fantastique aisance !

             Et puis voilà bien sûr John Hammond. Il est fier d’avoir eu Wild Jimmy Spruill sur son bel album Big City Blues. Hammond dit aussi avoir enregistré un single («I Can Tell/I Wish You Would») pour Red Bird, le label de Leiber & Stoller. On reste donc en famille.

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    Larry Simon ressort aussi un article daté de 1975, publié dans le Melody Maker et consacré à Victoria Spivey, a classic woman blues singer des années 20 et 30, et boss d’un label de Brooklyn dans les années 60 et 70, Spivey Records. «Il est possible qu’elle soit à l’origine de la découverte de Bob Dylan, qu’on entend derrière Big Joe Williams sur le Spivey album Three Kings And The Queen, les deux autres kings étant Roosevelt Sykes et Lonnie Johnson.» Quand elle montait sur scène au Gerde’s Folk City (at 11 West Fourth Street), «elle mettait un point d’honneur à inviter le jeune Bob sur scène pour chanter avec elle.» Pour la remercier, Dylan va mettre une photo d’elle au dos de la pochette de New Morning, en 1970. Sans légender l’image, bien sûr. Tout le monde se demandait qui était cette blackette et voulait savoir son nom. Devenue une vieille dame, Mama Spivey dit qu’elle ne travaille «plus que quatre jours par mois» - I’ll drag my band around and headline them any time. I call it Spivey and Her Blues Power. I tore up those festivals in New York and Philadelphia - I really rocked ‘em! - À la fin de l’interview, Victoria Spivey lance : «Hey! Let’s all get drunk and be somebody!».

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             Autre personnage de légende : The Reverend Gary Davis, originaire de South Carolina et qui s’installe à Harlem dans les années 40. Il devient teacher et forme des tas de gens, Dave Van Ronk, Jorma Kaukonen, John Sebastian. Le Rev est un virtuose qui ne joue que du pouce et de l’index en picking - intricate picking - Simon dit qu’il a influencé tous les vieux de la vieille, «Blind Boy Fuller, Bull City Red, Brownie McGhee, Alec Seward, Tarheel Slim et Larry Johnson», et dans la génération suivante, «Bob Dylan, les Stones, Peter Paul & Mary, Keb’ Mo’, le Grateful Dead, Ry Cooder, Taj Mahal and more.»

             Tiens, justement, le voici, Tarheel Slim, un surdoué qui peut jouer ce qu’il entend - If I can hear it, I can play it - Que ce soit à l’église ou dans un club, I rock that - As long as I’m accepted, I’ll do my thing - En 1958, il enregistre «Number 9 Train» pour Fire Records, le label de Bobby Robinson, cut génial qu’on retrouve sur Scratchin’ - The Wild Jimmy Spruill Story, et sur la compile Ace New York City Blues. Il fait aussi un hit avec Little Ann, «It’s Too Late», enregistré lui aussi sur Fire et qu’on retrouve sur Scratchin’

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    (Tommy Dowds)

             Il semblait logique que tout ça se termine avec Doc Pomus. Comme Dickinson à Memphis, Doc est la mémoire vivante de New York City. Il a commencé par rencontrer Herb Abramson et Tommy Dowd - Herb Abramson était l’A&R de National Records et Tommy Dowd était l’ingé-son. En tant que producteur et ingé-son, ils étaient les rois du blues et du rhythm’n’blues. Ils ont amené leurs expertises chez Atlantic et je suis sûr qu’Ahmet Ertegun et Jerry Wexler ont tout appris d’Herb Abramson et Tommy Dowd - Doc évoque aussi Alan Freed qui ne passait dans son radio show que les disques qu’il appréciait. Pour Doc, Alan Freed a vraiment aidé des gens, et il s’y connaissait en musique. Doc dit aussi avoir découvert Elvis en 1956 avec «Mystery Train», on the Dorsey Brothers TV show - It sounded like some guy come out of the swamps - Il rend bien sûr hommage à Leiber & Stoller - First of all, they were real geniuses - Il évoque un autre genius : King Curtis - La plupart des gens ne le savent pas, King Curtis a été mon joueur de sax pendant longtemps. Curtis et Mickey Baker faisaient partie de mon groupe et c’est par moi que King Curtis a eu sa première session chez Atlantic. J’ai aussi recommandé Mickey Baker chez Atlantic - Pour Doc, Mickey était un innovateur, il avait toujours des idées.

             Pour entrer dans le monde magique de Wild Jimmy Spruill, il existe trois possibilités : The Hard Grin Bluesman 1956-1964, Scratch & Twist Rare & Unissued NY R&B 1956-62 et Scratchin’ - The Wild Jimmy Spruill Story. Si tu commences par le troisième, tu vas tomber de ta chaise à répétition. Au moins, comme ça, ce sera fait.

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             Scratchin’ - The Wild Jimmy Spruill Story est un double CD bourré de dynamite. Spruill Building claque des wild killer solos à tous les coins de rue et ça commence dès le «Kansas City» de Wilbert Harrison. Dans son hit le plus fameux, «Hard Grind», Spruill Building fait même exploser son killer solo flash. Il accompagne pas mal de gens intéressants, comme par exemple Tarhell Slim, sur «Wildcat Tamer». Spruill Building arrose par derrière. C’est un son magique, ça grouille de vie ! Terrific ! On l’entend aussi accompagner Larry Dale sur «Big Muddy», un heavy blues superbe de just the way you doo. Et tout explose plus loin avec «Kansas City March», Spruill Building t’explose tout au heavy power. Il est encore pire que Freddie King ! Ça monte encore d’un cran avec Elmore James et «Strange Angels», le heavy blues de why do yoooo treat me so mean. La fête au village ! Nouvelle révélation avec June Bateman, et «Possum Belly Overalls», accompagnée par son mari Noble Thin Man Watts & His Band. Raw et féminin, elle te chauffe le Possum à blanc. Révélation encore avec Chuck Bradford et «You’re Going To Miss Me (When I’m Gone)», effarant d’attaque au raw, pur genius primitif ! Plus loin, le «Sweet Little Girl» de Lynn Taylor & The Peachettes te saute à la gueule, tu as là un heavy groove extrêmement sauvage. Avec Spruill Building, les cadors du disk 1 sont bel et bien Tarheel Smith et Little Ann : «No 9 Train» fout un souk terrible dans la médina - Number 9/ Number 9/ Took my baby down the line - S’ensuit un Heartbreaking Blues de rêve, le «Hardworking Man» de B. Brown & His Rockin’ McVouts, ça chante dans la tenure de la saumure et Spruill Building gratte ses poux dans l’écho new-yorkais. On croise aussi Bobby Marchan, Solomon Burke et Maxine Brown. Ce démon de Spruill Building referme la marche avec «Scratchin’». Wild as fuck ! Spruill Building est aussi primordial que Link Wray, il faut le voir lancer sa wild attack, il te cisaille son killer solo dans le sens du vent.

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             Tu retrouves toutes ces superstars sur le disk 2, à commencer par Tarheel Slim & Little Ann avec «Don’t Ever Leave Me», un fantastique shout de heavy blues tapé au duo d’enfer. June Bateman revient aussi avec «Go Away Mr Blues», elle chante au perçant définitif. On reste dans le heavy blues révélatoire avec Little Danny et «Mind On Loving You», avec ce fou de Spruill Building derrière. Ah il est bon le Danny. Révélation encore avec Buster Brown et «Is You Is Or Is You Ain’t My Baby», il y va le Buster, avec une fantastique sonorité de l’entrain. Sur «I’m Worried», Elmore James refait son Dust My Blues, mais avec le barrelhouse et le Spruill Building en plus. C’est tout de même autre chose que le British Blues. Plus loin, tu vas tomber que les Shirelles et «Dedicated To The One I Love», que va reprendre Mama Cass. Nouveau choc émotionnel avec Rose Marie With Bill Ivey & The Sabers et «Most Of All» : big time de full magic avec le Spruill Building en solo trash. Tu crois rêver ! Et si tu veux avoir une petite idée du power du vrai New York City Sound, alors écoute Walkin’ Willie & His Orchestra et «If You Just Woulda Say Goodbye», un wild r’n’b avec des chœurs de blackettes délurées. Groove de flash tribal. Walkin’ Willie forever ! Ce démon de Spruill Building fait encore des ravages dans l’«After Hour Blues» d’Hal Page & The Whalers et le voilà en solo pour «Country Boy», il chante et tape ça au black yodell. Pas de surprise avec Little Anthony & The Imperials, toujours aussi sirupeux, et ça se termine en apocalypse avec The Dan-Dees et «Memphis», ces mecs jouent à la vie à la mort, c’est d’une rare violence, monté sur un heavy beat infernal, et c’est à Wilbert Harrison que revient l’honneur de boucler ce bouclard avec «Goodbye Kansas City» que va bien sûr exploser notre héros Wild Jimmy Spruill. Ce démon te pulvérise le moindre solo en mille morceaux.    

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             Il existe dans le commerce une autre compile sympa de Wild Jimmy Spruill : Scratch & Twist Rare & Unissued NY R&B 1956-62. Pour ce démon, «Memphis» c’est du gâtö. Il travaille sur la crête du sonic trash, il est à l’aboi des abus, c’est le pire franc-tireur des Amériques, le Capitaine Conan du proto-punk. Il reste le roi de la jungle avec ses deux indétrônables, «Kansas City March» et «Hard Grind», grattés à la clairette malfaisante. Dans le «Sweet Little Girl» de Lynn Taylor & The Peachettes, il passe un solo d’une rare acuité, et un autre solo beaucoup plus dégoulinant dans «Most Of All», que chantent Rose Marie & Bill Ivey. Et ça continue avec «The Rooster», il vitupère, et rôde comme un loup dans «Driving Home». C’est un bonheur que de l’écouter jouer. Il sait varier les genres. Il file ventre à terre dans le morceau titre de la compile et on assiste à un gros numéro de Black Power de street corner avec le «Please Don’t Hurt Me» de Jim & Bob Harrison. Tous les solos que passe Spruill building sont tellement inventifs qu’ils sonnent chaque fois comme des pieds de nez aux pitoyables frimeurs blancs. Il passe à l’Hawaï guitar sur «Lonely island». Il peut tout jouer, jusqu’à la nausée joyeuse. Et cette belle compile palpitante s’achève avec «Party Hardy» où il duette ses poux avec Larry Dale. Fantastique numéro de génie de New York City jive. Il faut avoir écouté «Party Hardy» au moins une fois dans sa vie. 

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             On retrouve les vieux coups d’éclat proto-punk du grand Wild Jimmy Spruill sur The Hard Grin Bluesman 1956-1964, notamment le «Kansas City March» et l’«Hard Grind». Faramineuse attaque, chaque fois on est surpris par la verdeur de son jeu, par son vibré délétère. On retrouve aussi tout le background de l’early Little Richard, une pétaudière à la Cosimo Matassa. Wild Jimmy Spruill est encore plus viscéral que Freddie King. Il claque ses notes acides à la revoyure. Il faut entendre le killer solo qu’il passe dans le «Drafted» de Wilbert Harrison, et en B, dans «Your Evil Thoughts» de Lee Roy Little. Chaque solo de Wild Jimmy Spruill est une jubilation extravertie, un jaillissement d’excelsior. Sur cet album, on retrouve bien sûr tous les acteurs de la légende de Wild Jimmy Spruill, Bobby Long, June Bateman, et en fin de B on retombe sur l’effarant «Country Boy». Il peut rocker le jump et rire comme le diable.

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             On ne perd pas son temps à écouter la petite compile que Jasmine consacre à l’excellent Noble Thin Man Watts, Honkin’ Shakin’ & Slidin’ - Noble Thin Man Watts Featuring June Bateman. Si on apprécie le heavy jump new-yorkais de l’aube des temps, on se régale. Bon, 31 cuts, c’est beaucoup, mais les cuts sont courts et pour la plupart instros, mais pas n’importe quels instros, ce sont des instros puissants et rebondis. De ci de là, Noble Thin Man Watts donne des petites leçons de swing, et on entend souvent son sax on the run. Tout est hallucinant de big time, mais encore une fois, il faut aimer ce son. Avec le wild groove de «South Shore Drive», Noble Thin Man Watts et son orchestre swinguent le jazz. Ah voilà enfin June Bateman, avec «Need Your Love». Elle chante ça à la petite arrache, et elle enchaîne avec un fantastique jumpy jumpah, «Yes I Will». C’est bardé d’énergie et de son. Encore plus extraordinaire, voilà «Easy Going Pt2», suivi d’un autre instro aux frontières du jazz, «Midnite Flight». Noble Thin Man Watts passe par toutes les embouchures, c’est très spectaculaire. Il tape une fabuleuse cover d’«I’m Walkin The Floor Over You». Ces mecs s’amusent bien, ils visitent tous les atours du pourtour. L’instro est leur royaume. Soit ils cavalent à travers la plaine et l’incendient au sax, soit ils t’emmènent à la fête foraine. Retour au gros beat des reins avec «Good Times», avec un solo de sax digne de ceux de Lee Allen. Plus loin «Flap Jack» radine sa fraise de heavy grrove, et comme il n’est pas question ni de baisser la garde, ni de souffler, ils bombardent «(The Original) Boogie Woogie» avec une profondeur de son extravagante. Ça préfigure Jr. Walker. Noble Thin Man Watts est un diable, une corne dans la brume. Tu deviens conscient de ce que signifie le New York City Sound. Ils embarquent le «Mashed Potatoes» au paradis, avec ce power unilatéral et cette assurance limpide teintée d’ironie. June Bateman revient casser la baraque avec «Come On Little Boy», un wild jump à la Little Richard. Elle te ramone ça vite fait. June Batemen est une Little Richard au féminin. Et dans «The Frog Hop», tu entends ce dingue de Wild Jimy Spruill. June Bateman duette avec Noble sur «What ‘Ya Gonna Do» et c’est su solide, pas la peine de te faire un dessin. Le solo de sax laisse rêveur, et ça s’emballe sur la tard. Cette aventure se termine avec un autre big timer, «Jookin’», fantastiquement amené sur un plateau d’argent. Big bassmatic et beurre bien black. Tu nages en plein rêve. Les poux, c’est forcément du Spruill building.  

    Signé : Cazengler, faible d’es Sprill

    New York City Blues. Ace Records 2022

    Wild Jimmy Spruill. The Hard Grin Bluesman 1956-1964. Krazy Kat 1984 

    Wild Jimmy Spruill. Scratch & Twist Rare & Unissued NY R&B 1956-62. Night Train 2005 

    Wild Jimmy Spruill. Scratchin’ - The Wild Jimmy Spruill Story. Great Voices Of The Century 2014

    Honkin’ Shakin’ & Slidin. Noble Thin Man Watts Featuring June Bateman. Jasmine Records 2019

    Hy Weiss Presents Old Town Records. Ace Records 2003

    Champion Jack Dupree. Blues From The Gutter. Atlantic 1958

    Larry Simon/ John Broven. New York City Blues: Postwar Portraits From Harlem To The Village And Beyond. University Press Of Mississippi 2021

     

     

    L’avenir du rock

    - Big Joanie tout en bloc 

             S’il est une dimension qu’affectionne particulièrement l’avenir du rock, c’est bien celle du Big. Plus c’est Big, et plus ça frétille dans sa culotte. L’avenir du rock est un jouisseur, sinon, il ne serait pas l’avenir du rock. Le rock est un art qui s’adresse aux régions du plaisir, dans l’éponge qui nous sert à tous de cervelle. Tu écoutes du rock pour éprouver du plaisir, sinon ça ne sert à rien. Le rock te flatte l’intellect et te met en rut. Pas besoin d’attendre le printemps. Et plus le rock est Big, plus ton intellect se dresse vers l’avenir. Tu veux des exemples ? Les deux qui viennent immédiatement à l’esprit sont Big Bill Broonzy et Big Joe Williams. Ah si l’avenir du rock avait huit bras comme Shiva, il remplirait le web d’éloges, mais ce n’est pas le cas, en attendant, il continue de se gargariser avec son big délire de Big, tiens il en chope deux au vol dans son manège enchanté, The Big Bopper et Big Star, oh pas des moindres, c’est même du super Big dans les deux cas, et pouf, comme il s’amuse bien, il épingle encore deux super-biggy Bigs, Big Joe Turner et Big Maybelle et là, il se marre, car il voit déjà l’embouteillage inside the goldmine, la foule des gros Bigs qui s’agglutinent au portillon, les intestins de la légende vont exploser, tant pis. L’avenir du rock continue de se gargariser, rrrrrrrrrr, rrrrrrrrrrr, il fait rouler sa glotte au Big délire. Ah il aurait dû commencer par Arthur Big Boy Crudup, ça c’est du Big, du bon gros Big, il en pouffe d’extase, puis il laisse venir à lui Big Mama Thornton, il se souvient aussi du grand Big Jim Sullivan, et de Big Brother & The Holding Company. Il ramène à la surface les fabuleux Big Three de Liverpool, mais aussi le Fifteen Big Ones des Beach Boys, et encore le Mr. Big Stuff de Jean Knight, Big et Big et Colégram, am stram gram !

             — Halte là !, dit le numérateur.

             — Quoi ?, répond l’avenir/dénominateur du rock.

             — Vous êtes à contre-emploi ! Vous êtes un âne. Tous les vieux crabes que vous énumérez bêtement appartiennent au passé du rock. Vous n’êtes qu’un imposteur. Quelle solution allez-vous trouver pour résoudre cette équation et laver votre honneur, avenir du rock ?

             — Oh c’est enfantin : Big Joanie.

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             Et pourtant, ça commence mal dans Uncut : «Feminist post punk trio». Si tu es normalement constitué, tu te tires en courant à la seule vue de cette formule. La journaliste Emily MacKay manie bien les formules ronflantes.

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    Elle s’en donne à cœur-joie : «girl-group flavoured, riot-grrrrl-laced indie punk». See Emily Play ! Elle ajoute que Thurston Moore a monté un label exprès pour Big Joanie. See Emily Play ajoute que Big Joanie navigue dans la mouvance Kill Rock Stars, Bikini Kill, Sleater-Kinney. Tous les archétypes accourent au rendez-vous. Comme la poule qui trouve un couteau, See Emily Play a aussi découvert des échos de Belly et des Throwing Muses dans leur son. N’importe quoi ! Elle argumente à coups de «swirling guitars and ghostly-sweet backing vocals». Elle a en plus découvert des «bouncy grunge attacks» de Nirvana, et comme grosse cerise sur le gâtö, elle fait référence aux Shangri-Las. Mais leur cœur de métier reste selon elle «that raw punk heart and touch of girl-group sugar». Celle-là, il faudra la faire piquer.

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             Bon, on va laisser See Emily Play refroidir un peu et aller voir ce que raconte sa consœur Lucy O’Brien dans Mojo. Pareil, une page, dans la rubrique ‘Rising’. Ça commence encore plus mal. La lead de Big Joanie Stephanie Phillips déclare : «I was getting interested in black feminism and intersectionality.» Quand tu lis une ânerie pareille, tu tournes aussitôt la page. Mais la curiosité l’emporte. Que va bien pouvoir nous raconter Lucy In The Sky With Diamonds ? Elle n’est pas avare elle non plus de formules ronflantes et gonflantes du genre «compelling feminist punk». On apprend que Stephanie Phillips fut une «self-confessed teenage music nerd» qui écoutait tout depuis Destiny’s Child jusqu’aux Yeah Yeah Yeah en passant par Franz Ferdinand. Puis elle monte Big Joanie à Londres avec la beurette Charline Taylor-Stone et la bassmatiqueuse Kiera Coward-Deyell, vite remplacée par la belle Estella Adeyeri.

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             La seule chose qui reste à faire est d’écouter les albums, en attendant Godot. Les deux albums se débrouillent très bien tout seuls. Ils n’ont besoin de personne en Harley Davidson, surtout pas des cloches de la presse. Le premier s’appelle Sistahs et date de 2018. Belle pochette et deux blackettes assises sur un banc : photo de famille, la mère et la tante, paraît-il. Attention : big sound ! Heavy ramshakle de London town. Ça devient vite abrupt avec «Fall Asleep». Stephanie Phillips chante en sous-main avec un aplomb qui te cloue le bec. «Fall Asleep» sonne comme un coup de génie. Dommage qu’il y ait un solo d’électro-shit. Elles raclent bien le plancher. Elles déballent plutôt crûment l’âpre vérité de l’underground. Elles restent dans l’éclat révélatoire avec «Used To Be Friends». C’est comme joué au cul du camion, elles ont un style délicieusement underground, pas sérieux, d’une fraîcheur incomparable. Et voilà la triplette de Belleville de la modernité : «Way Out», «Down Down» et «Tell A Lie». Elles tapent dans le tas. C’est du big Big Joanie. Elles profitent de «Down Down» pour foncer dans le tas. Quelle modernité ! Leur Down Down bascule dans un bain de sature. Avec «Tell A Lie», elles sonnent comme le Magic Band. Tropical Hot Dog Night in the London Underground. Magic Banditisme, c’est violent et beau, saturé de son. Elles passent leur temps à courtiser les chimères au big beat. Elles te saturent «How Could You Love Me» aux essences de Cocteau Twins. Cette heavy pop est impressionnante. Stephanie Phillips te tartine ça sur un gratté de basse fuzz. Cet album est une révélation. Elles tapent directement dans l’underground universaliste, c’est-à-dire accessible à tous.  

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             Leur deuxième album Back Home est du même acabit. Boom ! «Cactus Tree» ! Heavy psychedelia. Pur tremblement de terre. The Mamas & The Papas meet Blue Cheer. Effarant d’oouhh ouuhh. Elles poussent le bouchon au petit chant de Cactus Tree. Apocalyptic ! Elles cherchent quoi ? La noise ? Elles l’ont trouvée. C’est L’Apocalypse selon Saint-Joanie. Sur les photos de l’album, elles ont l’air de trois sorcières, celles de Shakespeare, bien sûr. Elles tapent tout au heavy sound et tartinent à bras raccourcis. Puis elles s’en vont te claquer «What Are You Waiting For» au post-punk, mais un post-punk particulier, puisque élastique et traîné dans la boue. Nouveau coup de génie avec «In My Arms», elles te courent bien sur l’haricot, tout est plein de jus sur cet album, Stephanie Phillips chante au poids de la ferraille. Pas de détails, pas de chichis. Elle t’enfonce son cut dans la gorge, elle dégouline littéralement de véracité, et derrière, elle a les chœurs du Saint-Esprit. Cet album est une mine d’or, comme le montre encore «Your Words». Les Trois Sorcières te fascinent, elles mènent le sabbat, elles semblent surgir des profondeurs et remonter vers la surface. Rien de plus excuriating qu’«Happier Still». Elles s’ébrouent dans les rafales d’heavy sound. Toute cette classe paraît irréelle. Avec «Increase», Stephanie Phillips sonne comme une superstar, elle chante du coin, comme une Billie Holiday trash-punk, elle tape ça en biseau, elle remonte des remugles de Brill, des trucs déments dont on n’a pas idée. Puis elle t’assomme «Today» à coup de meilleur son d’Angleterre. C’est extravagant, les Trois Sorcières jouent en permanence avec le feu. Encore un hit de Brill avec «In My Arms (Reprise)», elles ont tant s’écho que ça frise le Totor Sound. Tu nages avec elles en plein délire. Ils sont devenus rares les albums qui te déstabilisent.

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             On les attendait donc de pied ferme, les trois blackettes. Soif d’exotisme ? Probablement. Soif de modernité et de black rock, surtout quand on a pris la peine d’écouter les albums. Big thrill assuré. Dans ce monde pourri qui ressemble de plus en plus à une tartine puante, Big Joanie fait l’effet d’une petite fontaine de jouvence. Dès leur arrivée sur scène, c’est la classe, elles sentent bon le London underground, Stephanie Phillips trimballe un faux air d’institutrice frigide, mais elle va se défrigidiser vite fait.

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    En bonne Africaine, elle met ses formes généreuses en valeur, comme moulée par Jean-Paul Goude, et pouf, elle te gratte sa petite gratte verte underground et place sa voix, une voix incroyablement grave qui tranche sur le funky booty bringuebalant du trio. À sa gauche danse la merveilleuse Estella, haute et filiforme, surplombée d’un inexorable chignon de tresses, il n’y qu’à Londres que tu vois des black stars pareilles surgir de l’underground, elle porte du noir et bassmatique avec de très grandes mains.

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    Tu voulais du rock ? Te voilà servi. Wham bam ! «Cactus Tree» en amuse-gueule, on le connaît par cœur ce Cactus Tree, c’est lui qui ouvre le bal du fantastique Back Home, le deuxième album de ce trio incroyablement fastueux. Baraque cassée d’office, elles ramènent tellement de son, Stephanie Phillips chante au tranchant, elle te perfore le Mont-Blanc vite fait, et derrière, tu as cette petite beurette qui claque un beat afro-punk, une pure merveille d’undergrounding.

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    Oui, tout ça pour dire qu’il reste encore un milliard de possibilité dans l’expression de cet art qu’on nomme le rock, et Big Joanie semble ouvrir de nouvelles voies. Ces pauvres cloches de la presse anglaise essayent de les comparer à Nirvana et à chais pas quoi, mais non, c’est du pur Big Joanie, c’est l’Afrique qui rocke, et là, tu penses plutôt à Black Merda et à Sly Stone. Elles enchaînent avec «Happier Still» moins dévastateur sur scène que sur l’album, mais diable, comme ça rocke sous le boisseau. Elles ne s’accordent guère de répit, car les cuts foncent quasiment tous dans le tas, enfin dans un certain tas.

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    C’est une énergie qu’on sent différente, pas de grimaces de solistes, pas de big badaboum de petits culs blancs, elles développent une vieille force tranquille, la même que celle de François Mitterrand, et la belle Estella bassmatique à n’en plus finir tout en tanguant de babord vers tribord, mais avec une classe écœurante. Lorsque Stephanie Phillips pose sa gratte pour prendre un tambourin, Estella change d’instru et gratte ses poux avec une sens aigu de la négligence africaine. C’est un délire, un pied de nez définitif à tous les cons du rock qui s’imaginent qu’un grand solo de guitare est le fin du fin. Quelle erreur ! On verra même Stephanie Phillips jouer un solo magnifiquement approximatif sur sa belle gratte verte. Après le concert, au bar, un vieux schnoque viendra se plaindre :

             — Non mais t’as vu le solo ?

             Que répondre ? Rien. Les avis de ces gens-là sont à l’intelligence ce que le gravier est à la sodomie. Enfin bref, on ne va pas épiloguer, c’est déjà assez douloureux comme ça. Big Joanie fait une sorte de sans faute. Impossible de distinguer les temps forts des pas-temps forts, chaque cut se distingue par ses qualités intrinsèques et par ses ressorts secrets. L’idéal est de se faire une idée en écoutant les deux albums. Vers la fin, «Sainted» fait craquer, car puissant, tribal, hanté par des fantômes de chœurs - After the rain falls/ The rain falls - infiniment plus puissant que sur l’album, où le cut est gazé par les claviers, par contre, sur scène, il est drivé au note à note d’Estella qui hoche la tête au beat purpurin, elle gratte à la furibarde, il pleut du son et de l’esprit d’after the rain falls, ça te subjugue le jujube, ça t’extirpe des tropismes, ça l’implique à l’aplat, et Estella ramène son the rain falls dans cette extraordinaire fournaise de modernité. Te voilà conquis, Anatole. 

    Signé : Cazengler, Big Joabard

    Big Joanie. Le 106. Rouen (76). 19 octobre 2023

    Big Joanie. Sistahs. The Daydream Library Series 2018

    Big Joanie. Back Home. Kill Rock Stars 2022

    Lucy O’Brien : Joyfully decolonising London’s DIY punk scene. Mojo # 348 - November 2022

    Emily MacKay. Back Home. Uncut # 307 - December 2022

     

     

    Inside the goldmine

     - Brenda sied

             À l’origine des temps, nous mettions tous les deux un point d’honneur à observer les règles de la bienséance. Lady Claudia se prêtait au jeu subtil du badinage à forte tendance culturelle. Elle y prenait, semblait-il, plaisir, prenant soin d’échancrer toujours plus son décolleté. Le jeu consistait à ne révéler aucun trouble, ni d’un côté ni de l’autre. Notre configuration s’inspirait bien sûr de celle d’Harold et Maude. Lady Claudia avait un certain âge, celui que chante Brassens dans «Saturne» - C’est pas vilain, les fleurs d’automne/ Et tous les poètes l’ont dit - Dans son regard clair dansait une soif de vie extraordinaire, et elle semblait chanter en chœur avec Brassens : «Viens effeuiller la marguerite/ De l’été de la Saint-Martin.» Elle avait bien sûr «le grain de sel dans les cheveux», des boucles argentées encadraient un petit visage à la rondeur parfaite, qu’illuminaient deux yeux si clairs qu’ils semblaient transparents. Elle parlait d’une voix chantante, te faisant âprement regretter de n’avoir pu partager sa jeunesse. On devinait en elle des soifs gigantesques. Nous nous retrouvions chaque semaine dans un petit rade de la rue de Provence pour travailler sur les couvertures des ouvrages dont elle avait la charge éditoriale. Elle savait se montrer ouverte à toutes les propositions, et bien sûr, le froufrou des idées aiguisait jusqu’au délire les stratégies d’approche sensorielle. Tout se jouait dans les regards qui devaient rester muets, car telle était la règle tacite, mais tout semblait indiquer le contraire, les battements des cœurs, les craquements des digues libidinales, le rose aux joues, tout cela menaçait en permanence de se montrer criant de vérité. Le manège se poursuivit pendant quelques années, sans que rien ne se produisit. À aucun moment, il ne sous serait venu à l’idée de demander au tavernier s’il disposait d’une chambre libre. La volonté de conserver intacte cette chaleur relationnelle intense nous tenait implicitement à cœur. Et puis un jour, elle ne vint pas. Elle avait toujours été très ponctuelle. Un problème ? Il ne restait plus qu’à payer le café et à reprendre le métro. Je ne mis plus jamais les pieds dans ce petit rade de la rue de Provence qui s’appelait l’Arrivée.    

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             Claudia et Brenda ont un sacré point commun : le charme. On peut même parler de charme fou. Avec ses Tabulations, Brenda fit partie dans les années soixante-dix des poulains du grand Van McCoy. L’âge d’or des Tabulations va de 1966 à 1971, date à laquelle les trois doo-woppers d’origine furent remplacés par deux blackettes.

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             Brenda & The Tabulations est un groupe qu’il ne faut pas prendre à la légère. Leur premier album Dry Your Eyes propose une fantastique série de covers. Brenda tape dans le dur de Burt avec «Walk On By», puis dans le dur de Brian Wilson avec «God Only Knows», c’est joué à la trompette, elle le fait à la Ronette, elle s’éclate bien au Sénégal. Elle tape aussi dans le dur de «Summertime», c’est vermoulu mais extrêmement bon. Et ça continue avec le «Where Did Our Love Go» des Supremes, elle y va, la Brenda, il fait la nique à Motown. Et ça continue avec «Just Once In A Lifetime» qu’elle attaque à la limace extrême, elle s’y complaît, elle est bonne à la manœuvre, elle en fait une pure merveille océanique, une Soul de charme irréfutable. Tu crois qu’elle va finir par se calmer ? Là tu te fous le doigt dans l’œil, car voilà qu’elle allume le «Forever» des Marvelettes, nouveau shoot de pur génie. Elle revient au devant de la scène avec «Hey Boy» et elle atteint l’apothéose avec «Oh Lord What Are You Doing To Me», une chanson en forme d’attachement sexuel. De toute évidence, elle y prend du plaisir, elle monte au won’t you hear me & love me, elle est l’incarnation parfaite du sexe de cuisses ouvertes, let me love aw lawd.

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             Comme l’album est sorti du Dionn, on peut compléter l’écoute avec celle de The Dionn Singles Collection 1966-1969, une compile judicieuse parue en 2008. En 1966, Brenda et ses Tabs montaient déjà au front avec «The Wash» - Do the wash/ Everybody - hit de juke monté sur une bassline digne d’Archie Bell - C’mon people/ Do the wash - S’ensuit une belle série de petits balladifs sucrés, souvent pleurnichards, l’époque voulait ça, et soudain, avec «Baby You’re So Right For Me», on se croirait chez Motown : élan et allure accourent au rendez-vous. Et boom, Brenda recasse la baraque avec «That’s In The Past», un heavy groove de r’n’b, elle s’y plonge au baby sucré, elle te drive ça à coups de get off my life. Elle est merveilleuse, la Brenda, elle t’épouse en permanence. Elle fait de la Soul de haut de gamme avec «A Reason To Live» produit par Gamble & Huff, même chose avec «That’s The Price You have To Pay», Brenda s’y trouve contrebalancée par le power des orchestrations. Stupéfiant !

             Bon soyons clair : Brenda s’appelle Brenda Payton et les Tabulations sont Maurice Coates, Eddie Jackson et James Rucker. Brenda et Maurice bossaient en 1966 dans un jardin d’enfants in downtown Philadephia et une certaine Gilda Woods qui passait dans le coin en bagnole les entendit chanter. Boom ! Bill Dahl insiste pour dire que Brenda et ses Tabs savaient cooker un hit avant de rencontrer Van McCoy en 1970. Mais avec Van in tow, ça allait exploser. Dahl qualifie le team Van McCoy/Brenda & the Tabs d’«unbeatable combination». Oui, c’est l’une des combinaisons historiques qui font la grandeur de la Soul. Leur plus grand hit sera «Right On The Tip On My Tongue» qu’on retrouve sur la compile Top Bottom Singles Collection.

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             Brenda & The Tabulations enregistrent un deuxième album sans titre en 1970. Ils attaquent au heavy Burt avec «Don’t Make Me Over», Brenda tape ça au sucre et va l’exploser à la sortie. Cet album est de la dynamite. Il faut la voir fondre son sucre dans la fournaise de «The Touch Of You», elle y va au power maximal de baby baby ! Elle t’éclate ensuite «Lies Lies Lies», et comme c’est produit par Van McCoy, tu as les violons derrière. Elle ramène tout le power du peuple noir dans les violons de Lies Lies Lies. Elle tape ensuite le «California Soul» d’Ashford & Simpson, rendu célèbre par The 5th Dimension et le duo Marvin Gaye/Tammi Terrell. Coup de génie en B avec «You’ve Changed». Elle le prend au vibré de glotte à la Esther Phillips. Pure magie ! - And my darling/ You’re changed - Elle le monte bien, ça entre sous ta peau. Elle fait encore un carnage avec une cover du «Someday We’ll Be Together» des Supremes. Brenda est une vainqueuse.

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             Dans la foulée, il convient d’écouter The Top And Bottom Singles Collection 1969-1971. C’est là qu’on trouve l’excellent «Right On The Tip Of My Tongue» qui ne figure pas sur l’album Top Bottom. Elle s’y montre infiniment crédible, c’est un hit se Soul-pop. On retrouve aussi l’excellent «You’ve Changed» d’oh my darling et ses bouquets d’harmonies vocales ancrées dans le doo-wop. On retrouve aussi l’excellent «Stop Sneakin’ Around», pur jus de wild r’n’b, puis «Lies Lies Lies», Brenda mène la sarabande des chœurs déments. Elle est la reine des Tabulations et du heavy r’n’b. Retrouvailles encore avec la grosse cover de Burt, «Don’t Make Me Over», pas aussi spectaculaire que la mouture de Dionne la lionne, mais Brenda s’accroche bien à sa tartine. On se régale aussi d’«A Part Of You» et de l’extraordinaire latence de la Brenda. Elle t’épouse dans l’immensité du néant des disques oubliés et des artistes qui n’intéressent plus personne. Et puis tu retrouves aussi cette compo de rêve, «Where There’s A Will (There’s A Way)», elle te la chante au petit sucre envahissant. Van The Man l’aura protégée jusqu’au bout, «A Love You Can Depend On» est admirable, c’est du r’n’b éclairé, un fabuleux shake de revienzy. Elle te swingue le Van The Man au my love. Cette compile est une véritable aventure artistique.

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             Paru en 1977, I Keep Coming Back For More est beaucoup plus diskö. Dès «Superstar», les Tabulations tabulent sur le diskö funk de haut vol. Brenda choisit le bon côté des choses, la diskö dance des jours heureux. Le hit de l’album s’appelle «Everybody’s Fool», pur jus de diskö des jours heureux, c’est excellent, plein d’esprit, plein de promesses, de joie de vivre, une vraie révélation diskoïdale, avec de l’espagnolade sur la fin et, bien sûr, c’est noyé de violons. Elle est encore divinement bonne la Brenda avec «Let’s Go All The Way (Down)». Tout est inspiré sur cet album qui sent bon le revienzy. 

    Signé : Cazengler, Brendavoine

    Brenda & The Tabulations. Dry Your Eyes. Dionn Records 1967 

    Brenda & The Tabulations. Brenda & The Tabulations. Top And Bottom Records 1970 

    Brenda & The Tabulations. I Keep Coming Back For More. Chocolate City 1977

    Brenda & The Tabulations. The Top And Bottom Singles Collection 1969-1971. Jamie 2008

    Brenda & The Tabulations. The Dionn Singles Collection 1966-1969. Jamie 2008

     

     

    Talking ‘Bout My Generation

    - Part Nine

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             Joli coup que cette couve ! Rockabilly Generation démarre l’année en beauté avec T-Beker Trio, un upper-bopping trio dont on a dit ici tout le bien qu’il fallait en penser. Les fans de rockab peuvent y aller les yeux fermés. Et les yeux encore plus fermés avec Ghost Highway, accueillis eux aussi en héros dans les premières pages de ce numéro bien décidé à en découdre.

             Les Ghost, que Damie Chad suit à la trace depuis l’aube des temps, les Ghost qui constituent avec Barny & The Rhythm All Stars, Jake Calypso, les Hot Slap, T-Becker Trio, Tony Marlow et les Spunyboys le fleuron du French Rockab, le fer de lance d’une culture extraordinairement vivace et classieuse, il faut les voir bopper le blues sur scène, tous ces mecs, il faut les voir ignorer superbement les modes et les tendances, dire non à la médiocrité qui se répand sur la terre en proposant un son, une énergie et une inventivité qui n’en finissent plus de surprendre, tous ces mecs ne tournent pas en rond, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ils avancent et perpétuent la tradition, avec des albums incroyablement bien foutus. Rockab et gospel sont les deux mamelles du destin, comme dirait Boby Lapointe.

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             Back On The Road ? Les yeux fermés. Quel album ! Bourré de dynamite et de covers d’Eddie Cochran. Il faut voir les Ghost taper «Teenage Heaven» au heavy beat dévastateur ! C’est la cover du diable, t’a intérêt à faire tes prières, ils te relancent ça au beat de l’or des reins. Il n’existe rien de plus puissant et d’injecté que ce truc-là. Ils tapent un autre Eddie, «I’m Ready», et c’est encore du pur cavalé sur l’haricot, ils lui redonnent tout le punch de sa gloire éternelle, et ça éclate au grand jour, les solos sont de véritables rosaces de solace. Ils tapent aussi dans les frères Burnette avec «Warm Love» embarqué à ras la motte, en mode wild rock’n’roll, pas le temps de souffler, et plus, loin avec «Whenever You’re Ready», gratté à coups d’acou et soudain, ça bascule dans le génie burnettien, avec un son plein comme un œuf et finement veiné de jazz. Les Ghost sont fabuleusement doués. Ils tapent un autre énorme classique, le «Black Slacks» rendu populaire par Billy Lee Riley. Ils l’attaquent de front au bllllbllllblllll et en font une version wild as fuck. Ils respectent l’étiquette à la folie. Mais c’est avec leurs compos qu’ils raflent la mise. Les Ghost ont le rockab dans le sang, comme le montre cet «Hunter» superbe de wildcatisme, tapé au beat rebondi, avec un souci d’authenticité confondant. Ils cherchent encore la petite bête avec un «Nervous Wolfman» qui ne demande qu’une chose : s’encastrer dans un platane. Ça roule sur place, ça claque un solo de Wolfman et ça se couronne d’un joli coup d’apothéose. Ils sortent les crocs du bop avec un «Born To Love One Woman» embarqué au slap prévalent, une merveille de claqué du beignet. S’ensuit une «Female Hercules» elle aussi slappée de frais. Tu as tout le slap du monde dans cette Herculette. Toutes leurs compos sont du pur wild cats on fire, comme le montre encore «She Said I Love You Baby». Quand tu as ça dans les oreilles, les murs palpitent et ça sent bon les racines du monde. Rien de plus wild ici bas. Ils bouclent cet album haut en couleurs avec une autre cover, le «Gone Ridin’» de Chris Isaak. Ils le tapent au hard bop, celui qui a le front bas du taureau en colère, ils te mettent vite aux abois, c’est frénétique et gratté à la cocote barbare. Encore une écoute dont tu sors à quatre pattes avec la langue qui pendouille.

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             Mais tu en redemandes. Alors voilà l’album sans titre Ghost Highway qui démarre en fanfare avec «Snatch And Grab It» et qui va ensuite droit sur Big Dix avec une cover de «My Babe» slappée around the corner. Plus loin, ils tapent encore dans le mille avec l’«You Can Do No Wrong» de Carl Perkins, le roi du baby baby, fantastique énergie de can do no wrong, bien remonté des bretelles avec un solo wild as fuck. Le power des Ghost éclate encore au grand jour. Tiens, une autre cover du diable avec le «Big Fool» de Ronnie Self. Ils rendent ensuite hommage à Galloping Cliff Gallup avec «Cliff Tribute», un instro qui se carapate, slappé à l’oss de l’ass. Retour au wild cat strut avec «Shotgun Boogie». Ils disposent pour ça de toute l’énergie du monde, puis ils passent sans ciller au bopping craze avec «Tennessee Rock’n’Roll», et là tu as le slap pur et dur. Alors il faut s’arrêter un moment et saluer Zio le slappeur fou. Ils basculent ensuite dans l’Hank avec «Moaning The Blues», ils lui shootent une violente dose de rockab, et le mec chante comme un démon échappé du bréviaire de l’Americana, il yodelle dans les virages et chauffe le cul des syllabes au Country Honk. C’est gorgeous et gorgé de talent vocal. Zio bombarde ensuite «Going Up The Country», c’est lui qui propulse le rockab dans tes artères, Zio c’est Zeus, il te garantit la pureté du son, le real deal de tagada. Ils tapent aussi l’«All By Myself» de Dave Bartholomew et finissent en apothéose avec le «Tired & Sleepy» des Cochran Brothers, Zio te claque ça sec, il donne vie au beat.   

    Signé : Cazengler, ghostique

    Ghost Highway. Back On The Road. Rock Paradise 2009  

    Ghost Highway. Ghost Highway. Rock Paradise 2011

    Rockabilly Generation # 28 - Janvier Février Mars 2024

     

     

    Holly ne met pas le hola

     - Part Three

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             À partir de 2007, Holly s’acoquine avec Lawyer Dave pour enregistrer une ribambelle d’albums sous le nom d’Holly Golightly & The Brokeoffs. Sur la pochette de You Can’t Buy A Gun When You’re Crying, on voit une photo d’Holly et de Lawyer Dave déchirée. Alors, à quoi faut-il s’attendre avec cette nouvelle série d’aventures ?

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     Plutôt à quelque chose de rural, car ils jouent souvent à deux dans la cuisine, Lawyer Dave faisant le one-man band derrière Holly. Elle attaque l’album avec « Devil Do », un joli boogaloo musculeux et joliment vu, enregistré avec des bouts de ficelle et sacrément mystérieux, bien tapé, bien lancinant, du pur jus de duo inspiré par les trous de nez. Elle continue dans la lancinance avec « Just Around The Bend », pas très éloigné du Vanessa-paradigme. Au moins, elle sait de quoi elle parle. Et puis elle va enfiler les mélopifs de petite eau saumâtre comme des perles et s’enliser dans cet intimisme campagnard à coloration country. Elle va taper dans l’Americana pétri d’ennui des soirées austères sans télé et revenir de temps en temps à de la country lumineuse, comme c’est le cas avec « You Can’t Buy A Gun ». Joli cut que ce « So Long » joué au country blues, with my suitcase in my hand, so long I really go, vraiment digne de Robert Johnson - Tears in my eyes, so long I say goodbye - Ce cut très intéressant luit comme le diamant vert du Transvaal d’Alpes perdues - You keep my heart - et ça vire au magnifico. Holly parvient à recréer une sorte d’Americana dans sa cuisine de petites boîtes à sucre en fer. Le disque soubresaute avec les derniers cuts. « Jesus Don’t Love Me » est trop country pour être honnête. Ils se prennent tous les deux pour des colons des Appalaches et ils passent au vieux grattage de bord du fleuve avec « I Let My Daddy Do That », qui sonne comme du Bessie Smith de soixante-dix-huit tours tamisard. Au fond, on ne peut pas leur en vouloir de se vautrer dans la contre-façon, d’autant qu’Holly raconte qu’elle laisse son daddy la baiser - Because it satisfies my big dick, lui dit-il - S’ensuit un « Whoopie Ti Yi Yu » digne des grands soirs maudits de la Nouvelle Zélande. Terrible car ravagé par des tempêtes lentes. Elle termine avec un « Devil Don’t » nerveux et irritable, du pur jus de terreau. En gros, ils jouent une sorte de country-blues de buanderie.

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             Deux jolies choses se nichent sur ce Nobody Will Be There doté d’une pochette faussement infantile. « Hug Ya Kiss Ya Squeeze Ya » est monté sur un gros tatapoum rural et chanté à deux voix. Lawyer Dave le one-man band et Holly s’amusent bien. Ils restent dans ce beau beat de bastringue tapé au bass-drum d’occase. Ils tapent ensuite dans Lee Hazlewood avec « Dark In My Heart », bien monté au stomp de grosse caisse et gratouillé à la main molle, avec des couplets repris à la doublette de voix. Ils sont tous les deux exemplaires de fidélité harmonique. Leur « Devil Do » renoue avec le tatapoum rural. Ils adorent tripoter ce son déjà exploré par Dan John Miller et sa femme Tracee Mae Miller dans Blanche, un duo qui faillit devenir énorme dans les années 2003/2004. « Indeed You Do » sonnerait presque comme du blues-rock d’honky-tonk, quelque part du côté de chez T-Model Ford. Joli cut car épais comme pas deux, et on retrouve la poigne d’Holly qui fascinait tellement les garçons à l’époque des Headcoatees. On se régalera aussi d’« Escalator » qui ouvre la B, un joli country-rock monté à l’harmonie comme une salade oubliée au potager. Leur truc se veut superbe d’aisance élancée.

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             Malgré sa belle pochette, Dirt Don’t Hurt a tout du disque faiblard. « Burn You Fun » vaut pour une jolie tracasserie à deux voix. Ils sonnent tous les deux comme Blanche qui fut spécialisé en son temps dans la country gothique. Ils consacrent une chanson à la vieille poule, « Clutch Old Hen », cut claudiquant, assez expressionniste et un peu cucul la praline. Ils adorent évoquer leur basse-cour. Normal pour des ruraux. Dommage qu’Holly ne fasse pas sa cocotte. Retour au grand battage de British Beat avec « Gettin’ High For Jesus ». On se croirait à Richmond en 1963 ! Admirable, bien lié à l’harmo, bourré de bon gros shuffle et de cliquetis démonologiques. S’ensuit une traînarderie à la Lanegan, « Three Times Under ». L’autre gros cut du disque est « Boat’s Up The River », gratté avec des tas d’instruments, alors que la voix part à la dérive.

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             Petit regain de d’énergie avec Medicine County paru en 2011. Un peintre naïf orne la pochette d’une beau portrait du couple. Ils restent majoritairement dans cette country obsédante abondée au banjo, notamment avec « Murder In My Mind » chanté à deux voix confondues et fantastique d’esprit corrosif. La bonne surprise vient de « When He Comes », un vieux rock joué à la sauvagerie des instrus d’hillbillies. Excellent brouet de rock primitif et cauteleux. Si on veut se remonter le moral, on peut écouter « Escalator » qui est un petit chef-d’œuvre de good time music envoyé à deux voix dans la lumière crue du printemps. Holly ramène son ingéniosité avec deux cuts magistraux, « Eyes In The Back Of My Head » et « Deadly Departed ». Puis elle envoie un balladif abrasif de haut rang avec « Don’t Fail Me Now », incroyablement éclairé aux guitares atypiques, et même furieux dans l’essence. Et avec « Jack O Diamonds, » ils reviennent à leur son de petits outils grattés.

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             No Help Coming paraît la même année. Ils prennent le morceau titre d’ouverture au ton du vieux boogie blues, mais ils l’enrichissent d’un son d’instrus de bastringue approximatifs et c’est précisément ce qui fait le charme de leur underground de brocante. D’ailleurs on les voit tous les deux sur la pochette : Lawyer Dave porte la barbe et une casquette d’anarchiste russe, et Holly un tablier de fermière. Elle tient aussi une poule dans les bras. Voilà les glorieux rockers britanniques. On saute directement à l’« Here Lies My Love » car voilà un gros blues de promontoire. Holly connaît les secrets du stomp primitif - It was a bad situation/ From the beginning to the end - merveilleusement inspiré par les trous de nez. Ils montent « Get Out My House » sur un vieux shuffle de boogie blues et le swinguent dans la cuisine. Ils s’amusent bien, avec leurs instruments en bois et leurs casseroles en cuivre - Tire-toi de chez moi ! - Lawyer Dave attaque « Leave It Alone » directement au banjo. Il faut se souvenir qu’Holly tient à l’uniformité des choses. Elle reste sur la ligne barbu & roots. On tombe plus loin sur une belle chanson à boire, « Lord Knows We’re Drinking », idéale à l’heure de la rasade du pirate.

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             Long Distance n’est pas l’album du siècle. Pourtant on l’écoute avec un intérêt certain. Holly prélasse bien son « Mother Earth » dans la mélasse. C’est gratté avec toute l’aisance que permet le blues. On a là un son plein comme un œuf et Holly chante avec toute la prestance de la pertinence. « Dear John » est gratté au banjo et on pense encore à Blanche. C’est rengainard et traîne-savate, un brin négligé. Avec « Come The Day », Holly joue la carte de la persévérance. Elle nasille comme elle seule sait le faire, en maîtresse femme qui ne se refuse rien. Rien d’aussi surprenant qu’« I Don’t Know ». Le banjo fait son grand retour dans « My Love Is » - My love is a mountain side - Elle chante avec quelque chose de suranné dans le ton. Tiens ! Une nouvelle version de « Big Boss Man ». Cette fois, ils la jouent au trébuchet, au washboard et aux cuillères. Admirable ! Holly swingue comme une négresse de l’Alabama. Bon d’accord, ce n’est pas la version de Graham Bond, mais on ne va pas chipoter.  

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             Sunday Run Me Over parait en 2012 avec une pochette peinte par John Langford. L’album est enregistré à la campagne, à Camp Esco, dont on voit la photo à l’intérieur de la pochette. Ça ressemble au paradis avec des poules, des chiens et un âne. Holly et Lawyer Dave attaquent avec « Goddam Holy Roll », une grosse pétaudière de cabane du Sussex ou d’ailleurs. Ça sent la poule qui pond et le good time roll, la barbe et la bonne santé. Ils tournent à l’énergie pure et elle chante tout ça du nez. Admirable ! Avec « They Say », ils passent au heavy blues lugubre primitif. Encore plus terrible de primitivisme, voici « Tank », bien monté sur son riff élaboré, probablement un coup de Lawyer Dave. C’est terrible de présence divine. Ils jouent « One For The Road » à la casserole de Camp Esco. On les sent déterminés à faire la fête. Avec « Turn Around », Holly traque la country de façon balèze. Elle nasille admirablement son don’t come back again ! Avec « The Future’s Here », Holly passe au ragtime et s’amuse comme une diablesse de petite vertu. Et puis ça dégénère, car voici Dave qui nous fait avec « Hard To Be Humble » du flon-flon de bastringue à la ramasse de la revoyure. Et dans « Goodnight », Holly se prend pour Mark Lanegan. Ils finissent avec un beau « This Shit Is Gold » bourré d’énergie concomitante. Ça pulse le beat à Camp Esco ! Ils sortent là une vraie pétaudière de stomp à deux balles. Excellent !

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             Et puis voilà All Her Fault. Ils sont dessinés tous les deux sur la pochette comme Adam et Eve, les instruments dissimulant les parties honteuses. Lawyer Dave tient un dobro et Holly un banjo. Elle porte aussi des lunettes et deux mèches de cheveux dissimulent  ses tétons. Le cut d’ouverture s’intitule « SLC », ce qui ne veut pas dire Salut Les Copains, mais Salt Lake City - Why do you wanna go to Salt Lake City - Ils refont le Blanche country blend à deux voix sur fond de beat turgescent et de coups de charley intempestifs. On trouve trois véritables énormités sur cet album noyé dans la masse. Pour commencer, « Can’t Pretend », bien fouetté à la croupe d’étalon. C’est un cut long distance. Il avale la prairie. Il court la piste. Il franchit des frontières. Bon beat tagada. Holly chante bien sucré, comme au bon vieux temps des Headcoatees. Elle gère bien son devenir. La seconde perle se trouve en B et s’appelle « 1234 ». On sait maintenant qu’il existe au moins deux énormités sur chaque disque d’Holly. Elle sait pounder un beat sourd. Voilà encore une belle pièce de rock tonique et chargé d’or, d’orgue et de tous les onguents des Angles. La troisième perle fait la fermeture : « King Lee ». C’est un rocky folky-folka bien balancé qui renvoie aux grands classiques de juke, solidement joué, diablement inspiré, doté de descentes de basse et d’un refrain chanté aux voix concomitantes. Pure énormité ! Holly y ramène toute son élégance de petite reine britannique.

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             Son nouvel album vient de paraître : Slowtown Now. Alors ? Ça commence mal, car un horrible dessin de Tim Kerr orne la pochette. Ensuite, Holly veille à conserver son capital sympathie, mais elle n’en fait pas plus. Elle opère toutefois un net retour à ce bon garage vénéneux qui fit sa spécialité. « Fool Fool Fool » est un groove malveillant conduit au fil d’un riff de fuzz, très sixties dans l’esprit. Le « Frozen In Time » qui suit se veut jazzy dans l’approche, et admirable de bonne humeur musicale dans l’esprit. On retrouve Ed Deegan dans ses grandes heures grâce à « As You Go Down » et dans « Stopped My Heart », Holly raconte qu’un mec lui a stoppé le cœur, à l’Anglaise, et Ed Deegan part en solo vainqueur. Mais rien ne veut accrocher durablement sur cet album. Pourtant l’écoute se veut résolue, attentive et même tendue. Holly reste sur son registre de Mata-Hari à la voix sucrée qui ensorcelle. Elle finit en Brill à l’écho du temps d’antan avec « When I Wake ». C’est vraiment bien vu de sa part.

    Signé : Cazengler, Holy shit !

    Holly Golightly & The Brokeoffs. You Can’t Buy A Gun When You’re Crying. Damaged Goods 2007

    Holly Golightly & The Brokeoffs. Nobody Will Be There. Damaged Goods 2011

    Holly Golightly & The Brokeoffs. Dirt Don’t Hurt. Transdreamer Records 2008

    Holly Golightly & The Brokeoffs. Medicine County. Transdreamer Records 2011

    Holly Golightly & The Brokeoffs. No Help Coming, Transdreamer Records 2011

    Holly Golightly & The Brokeoffs. Long Distance. Damaged Goods 2012

    Holly Golightly & The Brokeoffs. Sunday Run Me Over. Transdreamer Records 2012

    Holly Golightly & The Brokeoffs. All Her Fault. Transdreamer Records 2014

    Holly Golightly. Slowtown Now. Damaged Goods 2015

     

     

    *

    J’en veux à mort à Marlow Rider, l’a annoncé la sortie de la seconde vidéo de Kriptogenèse juste la veille de mon départ en vacances. Je ne me plains pas, j’étais sur la plage entouré d’un essaim de jeunes filles nues qui secouaient avec vénération des palmes au-dessus de mon corps musclé pour que je n’attrapasse point une insolation caribéenne. Mais enfin, il aurait pu attendre que je revienne en France… Bref il est plus que temps de regarder cette vidéo.

    HARD DRIVING ROCK’N’ROLL

    MARLOW RIDER

    (Réal : Seb le Bison / Prod : Bullit Records)

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    Les premières images sont anodines, des vues de Paris, boulevards parisiens, un bobo écolo sur son vélo (mais pourquoi personne ne l’a-t-il pas encore écrasé), comme dans un début de film, l’on sait qu’il va arriver quelque chose… L’on n’attend que le Marlou, il survient sur sa moto ( pas du tout écolo), je conseillerai aux âmes sensibles de se contenter de dénombrer les patches de son blouson, Gene Vincent, Eddie Cochran, galons rock sur le haut de la manche de son Perfecto, le logo Sun, Johnny Kidd le rocker pirate, je les laisse compléter la liste, ensuite je leur conseille d’aller dans le jardin arroser leurs salades peuplées de limaces.

    C’est que voyez-vous le Marlow il vous a un de ces airs de méchant à cauchemarder toute la nuit, avec ses lunettes de batracien acariâtre et son casque rond qui transforme sa tête en obus volant, l’est un guerrier sans foi ni loi – ne lâche-t-il d’ailleurs pas son guidon d’une manière fort vindicative – l’on n’a pas envie de l’arrêter pour lui demander l’heure.

    Sur la prod ils se sont inquiétés, plus d’une minute et la vidéo serait interdite pour incitation à la haine, à la violence, peut-être même pour terrorisme. Mettons les rockers à leur place, non pas en déambulation motorisée au milieu de la foule innocente, mais sur scène, au moins là en lieu clos l’on peut limiter leurs débordements sur un espace réduit. Donc le Marlou en concert. Ce n’est guère mieux : les bras nus recouverts de tatouages, comme guitare il a pris un de ses tridents que du temps de Moby Dick l’on enfonçait dans le flanc des baleines, il chante avec la hargne du Capitaine Achab hurlant ses ordres sur le Pequod, bref un sacré moment de rock’n’roll.

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    Attention deux fois deux secondes d’images inquiétantes, cet étrange gros plan sur ce batteur à tête d’oiseau et puis sur Amine Leroy, habillé de noir, contrebasse noire et yeux noirs qui semble regarder sans voir, ô bien sûr après vous avez le Marlou qui vous turbine un de ces soli abrasifs dont il garde le secret, destiné à détourner votre attention, pour un peu vous n’y ferez pas gaffe, diable l’on est où là, dans une vidéo de Malow ou dans dans la première Elégie de Duino de Rilke, avec cet oiseau qui passe et repasse et se trémousse, l’a de drôles d’ailes, plutôt celle d’un ange, tiens encore Marlow sur son engin, question ange l’on serait plutôt du côté des Hell’s Angels, maintenant c’est l’alternance, un coup sur sa pétaudière, un coup derrière le micro, tout en continuant à chanter sans hiatus comme s’il était dans son deux pièces-cuisine,  puis Amine concentré en lui-même , puis l’oiseau à la batterie, maintenant sont tous les trois ensemble, Amine, l’oiseau blanc, drôle de formation de bric et de brock, un peu de glisse motocyclettée et tous les trois ont droit à un tiers dument délimité de l’image, z’y vont à fond, c’est la fin. Leur dernier mot Rock’n’roll ! Ecran noir. Inscription blanche : A LA MEMOIRE DE FRED KOLINSKI – 10 décembre 1954 – 16 mai 1923. Un ange passe. Dans votre mémoire. La photo de Fred s’affiche, souriant nimbé de ses cheveux blancs. Le compagnon de dix ans de gala et de galère rock ‘n’ roll.  

    z22822kolinski.jpg

    En fait c’est très bien de n’avoir pas pu la chroniquer cet été. L’impression que Fred est toujours là à nos côtés pour cette année 2024 !

    Damie Chad.

     

    *

    Je l’ai reconnu tout de suite. Aucun mérite à cela. L’œuvre est célèbre. Une fois que vous l’avez vue vous vous en souvenez. Mais ce ne sont pas les combattants qui ont obnubilé mon œil, mais l’homme dans sa toge blanche qui lui mange le bas du visage, l’autre aussi, avec son espèce de calotte rouge sur la tête. Qui s’agrippe au précédent comme si le spectacle lui faisait peur, c’est pourtant lui qui a décidé de décrire le funeste spectacle, l’est devenu célèbre pour la premier livre L’Enfer de ce son ouvrage La Divine Comédie, c’est Dante. Le premier c’est Virgile. Il ne montre aucune frayeur. Il sait, il connaît. Pour beaucoup de nos contemporains Virgile n’est qu’un lointain et vieux poëte latin. Il fut beaucoup plus que cela. Son œuvre est totalement cryptée. Donc elle dévoile tout. Il suffit d’avoir la patience de lire. Et de penser par la suite.

    Le tableau est de William Bouguereau. Un pompier. L’expression est malveillante, toutefois dès que l’on évoque les pompiers l’idée du feu héraclitéen n’est pas loin. Né en 1825, trop vieux pour la modernité, la jeunesse pré-Impressionniste et les Impressionnistes seront sans pitié, eux-mêmes subiront la même vindicte critique lorsque Dada et Surréalisme prendront le pouvoir, aux temps de l’Abstraction triomphante à leur tour les représentants de désormais l’ancienne génération encoururent le retour du bâton… la chaîne de la médisance et du dénigrement est sans fin… Bouguereau mourut en 1905. A peu près oublié. De tout le monde. Sauf des Américains, c’est en leur pays que pratiquement toute son œuvre se trouve…  

    Théophile Gautier commente longuement ce tableau, pour notre part nous nous contenterons d’un regard, loin de toute médiévale anecdote évènementielle, symbolique. Nous y verrons surtout la représentation métaphorique de la haine prédatrice qui peut embraser l’esprit et le corps des hommes, ce n’est plus Saturne dévorant ses enfants, mais les hommes s’entredévorant eux-mêmes. L’homme est un loup pour l’homme disait Horace poëte contemporain de Virgile.

    Ce qui est important, pour la chronique de la K7 qui suit, c’est qu’au-delà de sa force expressive la scène de ce tableau se déroule dans l’ Enfer. Vous comprendrez pourquoi en lisant le nom du groupe :

    LA MATTA BESTIALITADE

    SAPIENTIA DIABOLI

    (K7 / Bandcamp / Oct 2023)

             Je ne sais qui se cache derrière ce groupe, j’ai eu du mal à dénicher qu’ils étaient américains. D’où exactement ? Je les croirais volontiers européens.

    z22823bestialide.jpg

    Pape Satan, pape Satan aleppe : (premier vers du chant Sept de l’Enfer de Dante prononcé par un démon appelé Pluton – surnom du Dieu grec des Enfers - doit-on le traduire par : Paix Satan, Paix Satan, va en paix ?) : drôle de ziqmuc assez difficile à définir, d’ailleurs au bout d’une minute elle se finit pour ainsi dire d’elle-même comme si elle se rendait compte que bâtie comme elle l’était elle ne pourrait se maintenir bien longtemps, au passage on ara reconnu des sifflements aussi incertains que ceux des rhombes lors des processions rituelliques, au tout début l’espèce d’emballement noisique inaugural baisse d’un ton lorsque s’élève un chœur processionnel qui disparaît très vite alors que l’on s’attendait à un développement continuel, ce qui est certain c’est que l’on s’est psychiquement installé en un espace séquentiel d’écoute peu habituel, grande est notre déréliction mentale quand le morceau semble s’arrêter pour de bon pour mieux repartir à un rythme accéléré, une charge battériale emporte tout sur son passage, les chœurs reviennent ultrarapides même si l’on se rend compte que l’ampleur sonore est peut-être due à une seule ou deux voix, même si vous avez l’impression que les participants sont nombreux vous comprenez que la cérémonie qui anime et regroupe des dizaines de fidèles, s’adresse à chacun d’entre eux, que l’emprise collective n’a d’authenticité que si elle est la conjonction de ferveurs individuelles, chacune vécue et ressentie selon une seule intrication personnelle. N’employons pas le mot de vocalisation mais de proférations rythmiques qui bientôt culminent en un extraordinaire jeu de répons suscités par un maître de cérémonie qui recueille les réparties des participants, le tout s’alchimise en une espèce d’oratorio angélique final. N’oubliez jamais la double nature de Satan, pour être du mal il n’en reste pas moins le premier ange. L sol tace : (trois mots tirés du Chant I de l’Enfer, qui est aussi l’ouverture  de La Divina Comedia, Dante est poussé par l’apparition d’une Louve incarnation de toute l’imperfectibilité humaine vers la zone d’ombre – là où le soleil se tait – qui le mènera jusqu’à la porte infernale.) : il ne suffit pas d’invoquer Satan mais d’emprunter la sente qui mène à lui, vertigineuse descente battériale, l’on se doit de se précipiter vers cette lumière noire que l’on désire, une cavalcade à la hussarde, enthousiasmante, joyeuse et jubilatoire vers le maître de la mort et de l’autre vie, à mi-chemin l’on reprend quelque peu son souffle avant de s’élancer en toute connaissance de la portée de nos actes, un grand éclair blanc terminal de musique séraphique. Le morceau s’arrête non pas brusquement mais irrémédiablement. L’on est définitivement passé de l’autre côté. (Pour la petite histoire, il existe un groupe de Black Metal reconnu qui a pris pour nom L Sol Tace.) Il gran rifiuto : (encore une expression tirée du Livre des Enfers. Selon Dante le grand refus de servir Dieu à la place où il avait été appelé serait celui du Pape Célestin V qui se sentant trop vieux aurait démissionné de la charge pontificale suprême…) : le serment de la déposition de Dieu est répété ab libitem, profération intérieure et extérieure, à voix haute, et la basse celle que seule entend celui qui s’engage, les harmoniques, non pas celles du son, mais celles du sens, ces pensées qui adviennent et que l’on retient même dans le temps même où nous parlons, pour le son l’instrumentation s’en charge, jamais entendu une telle orchestration riffique chez un groupe de metal, chaque riff, la manière dont il se perpétue, dont il est posé, dont il surgit, dont il s’entrecroise, dont il disparaît est une nuance, composant ainsi une palette de la folie humaine qui se détache d’elle-même pour en même temps investir le vide de sa propre expulsion par l’appropriation métamorphosique substancielle d’une angélique nature a-humaine qui ne vous tue pas mais vous excède. Raphael masameche zabi almi : (paroles incompréhensibles prononcées par Nimrod dans le trente et unième chant de L’enfer de Dante. Le géant Nimrod est l’initiateur de la construction de la Tour de Babel construite par les hommes… Devant la menace que représente l’édification de cette tour censée atteindre le Ciel, Dieu divise les hommes en leur ôtant le privilège unificateur la langue originelle commune… Nimrod le principal fautif hérite d’un langage intraduisible…) : falaise de marbre   noir et barrage de glace blanche, l’inéluctable est arrivé, ce n’est pas que l’on ait pris le parti du Diable qui compte c’est, qu’envers et contre tout, malgré le prix à payer, l’on ait rejoint la phalange de ceux qui sont contre Dieu. C’est de se ranger du côté du meurtre infini, car Dieu ne meurt que… à quoi correspond cette coupure dans la monumentale avancée riffique de cette reprise, si ce n’est à la prise de conscience que Dieu ne peut être vraiment mort qu’au moment où on le tue. Qu’il faut sans cesse reprendre ce travail de boucherie métaphysique pour le mener à bien. Pour inverser le mal en bien. Comment sinon comprendre la devise auto-définitoire que le groupe a mis en exergue de son Bandcamp : ‘’ La sagesse du diable est sans fin’’ , cela ne signifie-t-il pas que l’œuvre satanique est infinie. Sans quoi il serait parfait. Sans quoi il serait Dieu. Sans quoi il faudrait qu’il s’auto-détruise pour engendrer le néant.

             Vous en voudriez encore et puisque vous n’aimez guère écouter les cassettes vous aimeriez l’avoir en CD, vous êtes insatiables, la sagesse du Diable vole à votre secours : ce premier janvier 2024 ils ont posté sur Bandcamp les trois derniers morceaux de La Matta Bestialitade sous le titre de :

    FLAGELLO IN TERRA

    SAPIENTIA DIABOLI

    (CD / Bandcamp / Janvier 2024)

    Evitez de passer pour un béotien devant votre petite amie lorsque le facteur vous livrera le CD. Non la couve ne représente, ni un vase de fleurs ni une large coupe posée à l’envers.  Il est sûr que le format cédéique n’aide pas à entrevoir les dimensions de l’objet. C’est un peu la Colonne Trajanne de la Renaissance. Elle n’a pas été commandée par Trajan à Apollodore de Damas pour commémorer ses victoires sur les Daces mais par Lorenzo Pierfrancesco de Médicis à Botticelli pour illustrer une copie manuscrite de La Divine Comédie de Dante. Si la Colonne Trajane est encore debout à Rome Botticelli mourut avant d’avoir terminé son œuvre. La plupart des dessins tracés par le peintre n’ont pas été colorés… Sandro Botticelli avait toutefois terminé une Carte de l’Enfer sur une seule page, 32 sur 45 centimètres. Ce qui nous permet d’imaginer la grandeur de l’œuvre finale si l’on avait réuni les feuilles sur un seul panneau, qui aurait atteint la dimension d’un vaste tableau de cinq mètres de largeur sur plus de trois mètres de hauteur.

    Flagello in terra, fléau de la terre, titre programmateur des trois morceaux du CD est une citation du Chant 12 de L’Enfer désignant Attila…

    Ces trois morceaux sont un peu comme le défilé des Enfers, l’on n’y présente que les grosses pointures. Le musée des horreurs absolues, si vous voulez, mais aussi les étapes nécessaires à accomplir si vous désirez rencontrez l’Adversaire, le seul qui ait et eu le courage de s’opposer à Dieu. De vous libérer de votre esclavage assureront certains.

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    Il gran vermo : (le gros ver c’est par ses mots peu flatteurs que Dante dans le Chant VI de l’Enfer qualifie Cerbère le féroce gardien des Enfers grecs) : trompettes de riffades tous azimuts en tournoiements successifs, il s’agit de célébrer le gardien de la porte primordiale, celui qui laisse entrer mais pas ressortir, vocal grondeur resserré sur lui-même comme un triple grognement de chien colérique et intraitable, l’on descend les marches infinies d’un escalier, l’écho bruyant ne saurait nous soustraire à l’examen canin, silence c’est le moment crucial du passage vers les profondeurs interdites, nous sommes tremblants et frissonnants devant lui, mais non il se couche et incline ses trois gueules baveuses. Nous avons notre sésame, nous enjambons son corps massif, il fait semblant de ne pas s’en apercevoir. L’infami di Creti : (l’infamie de Crète n’est autre que le fameux Minotaure qui n’a rien perdu de sa bestialité lorsque Dante le rencontre dans le douzième chant de L’Enfer.) : un chien même à trois têtes n’est qu’un chien mais nous nous dirigeons vers un être d’une autre nature, est-ce pour marquer qu’il est une déviation, une entorse à l’ordre des ordres intangibles que les premières notes de ce morceau sont erratique, à croire qu’elles s’éloignent dans l’espace pour nous signaler que nous entrons dans le règne de la contre-nature, et voici que la musique déferle que le vocal pousse en avant comme le vit du taureau païen qui s’enfonce dans ce bouillonnement visqueux de la femme qui jouit intensément de cette union interdite. Moment de rétention spermatique avant que la bête ne propulse son éjaculation dans le vagin de cette vache si moelleuse, la Bête est là le fils de la femme et du taureau, il meugle et nous tremblons de joie, nous sommes définitivement de l’autre côté. Vexilla regis prodeunt inferno : (les bannières des rois flottent en Enfer’’ Vers 1 du Chant 34 et dernier de L’Enfer de Dante, dans lequel Virgile et Dante font face au détestable Lucifer, ainsi s’appelait Satan alors qu’il était le premier des anges…) : attention ne reste plus que l’approbation finale, nous sommes face à lui, Dante nous dit qu’il a les pieds en haut, ce n’est pas qu’il n’ait plus toute sa tête, c’est qu’il est l’inverse de l’ordre humain et divin normal, l’appréhender en cette étrange position nous enjoint à entendre qu’à l’instar de cette bouillie riffique débordante qui nous recouvre tout désormais a changé, que nous sommes ailleurs, que nous sommes d’ailleurs, d’un anti-monde. Du côté obscurément lumineux de la force.

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             Un seul adjectif pour résumer les deux panneaux de cette œuvre qui n’en forme qu’une : dantesque.

    Damie Chad.

     

    *

             J’avais prévu un petit tour dans les opulents pâturages de l’herbe bleue, je vous promets la découverte d’une petite merveille la semaine prochaine, oui mais non un léger contretemps, je n’y suis doublement pour rien, je me hâte de dénoncer les deux coupables, le premier c’est le rock’n’roll, comment résister à l’attrait de cette maudite musique, je ne sais pas, alors je ne résiste pas. Le deuxième les lecteurs de la livraison 627 s’en souviennent, c’est Bill Crane, l’a terminé l’année 2023 par un album douze titres, très intéressant, l’est comme Jules César, il ne se repose pas sur ses lauriers, les dix premiers jours de janvier 2024 ne s’étaient pas écoulés qu’il a placé deux nouveaux titres sur YT, pas n’importe lesquels, on se hâte d’écouter.

             Le temps d’écrire ce premier paragraphe je m’aperçois qu’il vient d’en ajouter un troisième. Une véritable corne d’abondance. Par contre il vous remet trois fois le même décor. Très instructif. D’abord l’a rajouté un bouquet de fleur. Influence orientale peut-être parce qu’il vit en Thaïlande, ne comptez pas sur moi pour un cours d’Hanakotoba. Pour tout le reste de la photo, je sais. Je connais. Le coiffeur où mon père m’emmenait quand j’étais tout petit en avait posé un posé derrière sa vitrine pour protéger ses clients des rayons intempestifs du soleil. Store oriental en plastique, le must à la fin des années cinquante, la mode au début des sixties.

             Retenez bien le dernier mot du deuxième paragraphe, un indice fondamental, sans lui vous ne comprendrez rien au projet de Bill Crane.

    LOVE AGAIN

    BILL CRANE

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             Evidemment on pense à Eddie Cochran, à son Love again enregistré en 1958, écrit par Sharon Sheeley, ce n’est pas son meilleur morceau, une chansonnette sur laquelle il musèle sa voix de fauve, imaginez au début du conte le loup en train d’amadouer le petit Chaperon rouge. Un conseil jetez un coin d’oreille sur la guitare. Z’avez aussi le In love again, 58 aussi, de Gene Vincent, une dentelle traitée à la Bo Diddley, merci Clyde Pennington pour la tambourinade, avec Grady Owen à la basse, et surtout les clairvoyantes notes de velours de la guitare de Johnny Meeks. Plus la voix si fine Gene, quand je l’ai écouté en interview radio pour la première fois, j’ai cru entendre une jeune fille. Bill Crane possède une voix beaucoup plus forte.

             Toujours les trois premières secondes dévolues à la machine, la boîte à rythme que l’on oublie au premier vlang de guitare. La voix et la guitare. La première davantage grave, la deuxième davantage claire. Bizarrement Bill Crane ne joue ni de la guitare ni ne se sert de sa voix. Il joue du rêve, de la nostalgie, des bouffées de regrets, de temps perdu jamais retrouvé, nous chuchote à l’oreille que nous avançons vers notre tombe. Une chanson de rien du tout, elle ranime le souvenir des jours heureux qui n’ont pas fui, le cristal de notre âme fêlée à tout jamais. Un travail d’orfèvrerie. De poésie pure.

    CLOMPLETELY SWEET

    BILL CRANE

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             Completely Eddie Cochran, ce coup-ci Eddie mignardise, il joue au gros matou qui s’amuse avec la souris, l’avance la guitare à pas feutrés et brusquement de temps en temps il lui zèbre le dos d’un coup de griffes sanglantes. Jeu de voix, jeu de guitare, jeu de vilain.

             Bill Crane change la donne. Ce coup-ci le matou ne joue plus, l’a le cœur en confettis et la guitare en confiture. Le sucre rend son café amer. Même la possibilité du bonheur le rend triste. L’a le cerveau qui déraille grave. La voix vous file la saudade, la guitare vous jette dans les bras du blues. Le retour aux origines du rock ne se passe pas comme prévu. Quelque chose a vrillé, pourquoi, comment, l’on ne sait pas. Bill Crane pose une question grave. Le rock’n’roll est-il aussi comme toutes les autres une pauvre chose humaine ? Ou un serpent qui se mord la queue.

    BE BOP A LULA

    BILL CRANE

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    Y a tellement de versions de Be Bop a Lula de par le monde. Gene Vincent en a quatre, canoniques, l’originale insurpassable, la twist, la honky tonky, et la lente qu’il exécutait sur scène. Drôle de gageure pour Bill Crane.

    La prend bien, à sa manière, sur un tempo medium, tout dans la voix, chaque inflexion comme touche d’un pinceau qui contiendrait les chatoyances essentielles du monde, et ses clangs de guitare qui rythment les espaces de temps qui nous séparent d’on ne sait quoi, d’on ne sait qui, le plus terrible c’est quand ça s’arrête, il ne nous manque rien, ni les cris de Dickie Harrel ni les escadrilles mouchetées de Cliff Gallup, l’on était ailleurs, dans une espèce de soucoupe volante emportée dans la houle du cosmos. Elle forme un tout, un condensé, un truc qui n’appartient qu’à Bill Crane, comprendre comment il a manigancé son miracle demanderait trop de temps, il vaut mieux fermer les yeux et se laisser bercer par ce clapotis venu de l’autre côté de nous-mêmes.

    Remercions Bil Crane de cette relecture du rock’n’roll qu’il nous offre. Tout le blanc du passé, tout le jaune du présent condensés dans cet œuf séminal qu’il faudra un jour casser pour donner naissance au futur.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

    14

             Le Chef alluma un Coronado avant même de s’asseoir à son bureau qu’à ma grande surprise il me tendit aussitôt :

             _ Prenez-le, Agent Chad, c’est un Petulanto, lui a été le nom de ces légions gauloises qui se regroupèrent autour de l’Empereur Julien, pour lui offrir l’Empire, autant dire que dans les cas désespérés el Petulanto vous insuffle l’énergie et l’influx nécessaires aux accomplissements des grandes œuvres. Nous en avons un grand besoin.

             Le Chef avait (comme toujours) raison, le lecteur aura du mal à me croire, il y avait plus de quarante-huit heures que nous n’avions pas dormi. Nous avions parcouru de nuit comme de jour les rues de Paris. Au début les deux chiens marchaient allègrement devant nous. Nous les suivions d’un pas léger, dès que nous arrivions dans le dos d’un passant nous ralentissions. Hélas des centaines d’individus que nous filâmes discrètement sans bruit aucun n’émit le moindre mouvement à partir duquel nous aurions pu envisager qu’il se préparât à traverser un mur. Des citoyens lambda qui stupidement rentraient chez eux en passant par la porte. Certains s’arrêtaient dans un bar ou un magasin, d’autres hélaient un taxi ou se rendaient chez le coiffeur. Quelle triste humanité maugréions-nous entre nos dents. Les dernières heures, Molossito s’était écroulé de fatigue, j’avais dû le porter dans mes bras je ressentais sur mes mains la brûlure du bout de ses pattes. La pauvre bête n’en cessa point autant de surveiller le moindre individu qui marchait devant nous, la gueule entrouverte pour nous signaler au plus vite le moindre mouvement suspect.

             Je ne voudrais point que l’on m’accusât de publicité clandestine, voire de peyola, en faveur del Pétulanto, il ne s’était pas écoulé une demi-heure, que la fatigue et l’ensommeillement qui embrumait mon esprit disparurent comme par miracle. Non seulement je me sentais en pleine forme mais il se produisit comme une décharge électrique en ma boîte crânienne, mes neurones s’entrechoquaient à la vitesse de l’éclair.

    • Chef auriez-vous un mouchoir dans votre poche ?
    • Agent Chad, j’en ai toujours un sur mon Rafalos, dans les circonstances difficiles je fais mine d’être enrhumé et de me moucher, à la quatrième ou cinquième fois, c’est mon Rafalos que je sors et je liquide l’empêcheur de tourner en rond qui se met en travers de mon chemin. Tenez, le voici, ne l’abîmez pas c’est ma grand-mère qui…
    • Qui vous a enseigne le coup du mouchoir ! Ce devait-être une sainte femme !
    • Non Agent Chad c’est elle qui m’a offert ce mouchoir sur son lit de mort en me disant ‘’ Henri, ça peut toujours servir’’.
    • Chef j’ignorais que vous vous prénommiez Henri.
    • Pas du tout, dans les derniers mois de sa vie elle me confondait toujours, je n’ai jamais compris pourquoi, avec Henri IV.

    15

    Je vous raconterai un jour la suite de cette conversation étonnante qui dura bien deux heures. Je connais l’impatience de nos jeunes lecteurs pressés qui ont besoin d’action et de rebondissements.  Pour le moment je me contenterai d’en rapporter la fin.

    _ Chef, maintenant que vous m’aviez confié votre mouchoir, auriez-vos une craie rouge à me donner ?

    _ Bien sûr, tous les amateurs de Coronados connaissent l’astuce, dans votre tiroir à Coronado il est bon de mettre un bâton de craie, le calcaire empêche l’humidification de la cape, toutefois Agent Chad, j’entrevois  ce que vous êtes en train de mijoter, attention cela peut se révéler dangereux, faites-le au plus vite, puis nous rentrerons chez nous illico presto pour nous reposer. Nous avons besoin d’une bonne nuit, dans notre état de fatigue avancée il est inutile que nous nous confrontions immédiatement à nos ennemis.

    Un quart d’heure plus tard nous descendions les escaliers…

    17 (A)

    Non, je me suis pas emmêlé les pinceaux, le chapitre 16 sera interpolé entre le 17 A et le 17 B , nous voici donc au lendemain matin lorsque nous remontons les quinze étages ( parfois dans la relation d’aventures précédentes j’ai indiqué 14 pour déstabiliser, niveau psychologique évidemment, un ennemi qui voudrait lancer une attaque contre les bureaux du SSR), les chiens sur nos talons, nous devisons sereinement sans nous presser. Le Chef s’arrête au niveau du troisième étage pour allumer un Coronado :

             _Agent Chad prenons notre temps, l’intérêt d’une surprise réside non pas dans sa révélation finale, mais dans l’attente, tenez par exemple à cinq ans quand ma grand-mère m’avait offert un tank chenillé pour poursuivre le chat du voisin dans le jardin, mon cœur a palpité comme jamais dans l’attente ultime de l’arrivée du Père Noël et non pas quand j’ai eu ouvert le cadeau. Surtout qu’avec mon véhicule j’ai renversé le sapin et écrasé la poupée de ma petite sœur qu’i a fallu amputer. Mais arrêtons de parler de moi, que pensez-vous que nous allons découvrir ?

    16

             La veille d’un coup d’un désinvolte coup de mouchoir j’avais effacé sur la porte l’inscription :

    1 à 1

    A CHARGE DE REVANCHE !

    Que j’avais remplacée grâce à ma craie rouge par la mention :

    NOUS AVONS ATTENDU

    TOUTE LA JOURNEE

    EN VAIN !

    SVP

    SOYEZ PLUS REACTIFS !

    Je sais que c’est d’un goût douteux, mais dessous j’avais dessiné un gros doigt bien tendu, dans le style des graffitis retrouvés sur les murs de Pompéi.

    17 (B)

             C’était écrit en grosses lettres sanguinolentes :

    VOUS N’AVEZ RIEN PERDU POUR ATTENDRE !

             _ Chef, ce passé composé ne me dit rien qui vaille !

             _ Agent Chad, c’est ce que je redoute, de Borodino comme dirait Napoléon,

    Je pense qu’ils nous ont joué un mauvais tour à leur façon, ouvrez-moi vite la porte du local !

             A première vue rien n’avait bougé. Une première et rapide inspection nous révéla que l’on n’avait touché à rien, ni aux collections de disques, ni aux revues, ni aux ordinateurs. Quelques vérifications nous permirent de vérifier qu’ils n’avaient même pas forcé nos mots de passe.

             _ Apparemment ils n’ont pas profité de leur pouvoir de traverser les murs pour visiter le local, aurions-nous vraiment à faire à des gentlemen. Jusqu’à maintenant à part l’enlèvement de nos chiens qu’ils nous ont rendus et quelques inscriptions sur la porte d’entrée, nous n’avons pas grand-chose, reconnaissons-le, à leur reprocher.

             Hélas le Chef changea rapidement d’avis. Le sourire aux lèvres il avait pris sa place au bureau et instinctivement il plongeait sa main dans le tiroir Coronados. Je me souviendrai toute ma vie de ce cri de bête blessée qui me transperça. Je crus à une attaque d’apoplexie, le visage du Chef s’était figé, sa figure prit l’aspect hideux de la tête de la Gorgonne, je crus entrevoir un entrelacement de vipères et de haine autour de son visage, dans le tiroir sa main s’était refermée sur des débris de cigares, l’on avait méthodiquement écrasé sa réserve de Coronados, ses yeux sortaient de ses orbites, il n’arrivait plus qu’à articuler de vagues sons, je crus entendre :

    • A-O-A-O-A-O-A-O-A-O

    Il répéta ce désordre borborygmiques plus d’une trentaine de fois cette suite de A et de O, je crus que son esprit effondré s’était bloqué, que l’une des intelligences les plus géniales de ce siècle avait splitté,  qu’il ne pouvait plus que répéter sans fin le mot Coronado, mais non j’étais loin du compte, le Chef reprit ses esprits :

             _ Bordel agent Chad, RA-FFA-LOS, RA-FFA-LOS-RA-FFA-LOS, Ra-FFA-LOS !

             Je compris ce qu’il voulait dire : je sortis mon Raffalos et commençai à tirer méthodiquement sur les murs, le Chef ne tarda pas à m’imiter, durant vingt minutes nous criblâmes de balles toutes les parois du local. Les chiens surexcités de tous les côtés aboyaient de toutes leurs forces. Nous arrêtâmes faute de minutions. Un étrange silence remplit la pièce, nous n’entendîmes plus que les lapements des chiens… Ils étaient en train de lécher une longue trainée de sang qui coulait d’un mur.

    A suivre…