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shel talmy

  • CHRONIQUES DE POURPRE 376 : KR'TNT ! 396 : SHEL TALMY / DON BRYANT / LAZURITE / ACROSS THE DIVIDE / OUT OF MY EYES / REDEEM REVIVE / / ROCKAMBOLESQUES ( 10 )

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 396

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    07 / 12 / 2018

     

    SHEL TALMY / DON BRYANT / LAZURITE

    ACROSS THE DIVIDE / OUT OF MY EYES

    REEDEEM/REVIVE

     

    Talmy ça où ? - Part Two

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    Shel Talmy s’installe dans l’actualité et c’est tant mieux. Il vient d’autoriser l’accès à ses archives. C’est Alec Palao qui se charge de l’inventaire. Pauvre Alec ! Il vient tout simplement d’entrer dans la caverne d’Ali-Baba. Rien n’est plus dangereux pour l’équilibre mental d’un amateur de British beat. Dans Shindig, Alec Palao avoue qu’il est devenu fou. Mais vraiment fou. Il n’a pas l’air de plaisanter :

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    — Jamais vu ça de ma vie ! Jamais ! Vous n’imaginez pas ! Des inédits ! Des bombes ! C’est dingue ! Complètement diiiiiiingue ! Ahhhhhhh c’est diiiiiiiiiiiigue ! Arrrrrrhhhhhhhhhh !

    Et il se roule par terre. Il se redresse péniblement pour gueuler encore une fois :

    — C’est dingue ! Diiiiiiingue ! Complètement diiiiiiiiiiinnnngue !

    Et il replonge dans une crise d’extase carambolique.

    Voici quelques mois, on saluait dans ‘Talmy ça où - Part One’ la parution d’un premier shoot compilatoire intitulé Making Time. Cette fois Alec Palao nous annonce la parution de TROIS nouvelles compiles, covering the beat, the mod/R&B and girl genres. Diiiiiiiiiiiiiiiiingue !

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    Dans l’interview qui accompagne les éructations psychotiques d’Alec Palao, Shel Talmy rappelle qu’il ne comptait pas s’installer en Angleterre, en 1962. Il était en vacances pour quelques semaines. Et quand l’un des journalistes de Shindig fait allusion à son problème de vue, Shel Talmy lui rétorque poliment que ça ne le regarde pas - My eyesight problem is and has always been personal and would appreciate it remaining that way - On appelle ça recadrer poliment.

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    On l’amène forcément à revenir sur l’incident qui a mis fin à sa collaboration avec les Who qu’il avait pourtant lancés : «Lambert et Stamp ont tout simplement déchiré mon contrat. Ils ne savaient pas que j’avais financé les sessions des Who. On avait fait des hits ensemble. Je n’ai jamais eu de problèmes avec les musiciens. Les problèmes viennent toujours des managers.» Kit Lambert voulait produire les Who. Bon alors produis-les, mon gars. Même question concernant les Kinks. Shel Talmy fait à peu près le même genre de réponse : «C’est encore plus simple. Notre contrat arrivait à terme et Ray voulait produire.» Bon alors produis-toi, mon gars. Séparation amicale. Parmi les autres géants de cette terre qu’aida Shel Talmy, on trouve aussi Lemmy, au temps des Rockin’ Vickers : «Ils étaient fantastiques. Ils auraient dû avoir plus de succès.»

     

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    Shel Talmy fonde Planet Records, mais un mauvais arrangement avec Phillips l’oblige à fermer boutique en 1966. Ouf on l’a échappé belle, car on aurait vu pulluler sur nos étagères des milliers de disques supplémentaires. Merci Phillips d’avoir coulé Planet Records. Rusés comme des renards du désert, les journalistes de Shindig font ensuite remarquer à Shel Talmy qu’il était l’un de rares producteurs à laisser les groupes jouer fort en studio. Évidemment, leur répond l’intéressé, puisqu’il cherchait à capturer le feedback - I liked my records to be the most present (okay, loud !) when played - et il ajoute avec un petit sourire en coin : «Call it contained implosion.» (Vous pouvez appeler ça de l’implosion en boîte). Et parmi les loudest de ses clients, Shel Talmy cite les Who et les Creation. Quand il évoque les Easybeats, il raconte qu’ils débarquaient avec des tas de chansons - I didn’t hear a hit until Friday On My Mind - Eh oui, Shel Talmy bosse comme Sam Phillips : «Qu’as-tu à me proposer, mon gars ?» C’est Shel qui shait, pas le groupe. Et ça vaut aussi bien pour les Easybeats que pour Johnny Cash. En clair, ça veut dire que sans Shel Talmy et sans Sam Phillips, pas d’Easybeats ni de Johnny Cash ni de rien de tout.

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    Dans les années soixante-dix, Shel Talmy va aussi travailler avec des gens moins connus, comme Chris White, Fumble ou encore The Sensational Alex Harvey Band. Il garde aussi un bon souvenir des Damned dont il produit «Stretcher Case Baby» et de Rudi Protudi pour lequel il produit l’In Heat des Fuzztones. Il trouvait Rudi ‘interesting’. Quand on lui demande qui sont ses meilleures no-hit productions, Shel Talmy cite en vrac les noms de Chris White, Small Faces, Bowie et Goldie & The Gingerbreads. Et quand ces fins renards de Shindig lui demandent quels sont les hits dont il est le plus fier, il cite en vrac : «You Really Got Me», «My Generation», «Making Time», «Waterloo Sunset», «Friday On My Mind», «Sunny Afternoon», excusez du peu. Puis il ajoute «Summer Song» de Chad & Jeremy et «Light Flight» de Pentangle.

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    Planet Beat grouille aussi de merveilles inconnues. On comprend qu’Alec Palao soit devenu fou. Qui peut résister au killer solo flash que passe Little Jimmy Page dans le «Leave My Kitten Alone» de The First Gear ? Personne. En plus, c’est un first take qui date de 1964. Ce groupe de Doncaster est depuis longtemps retombé dans l’oubli, mais quel panache ! Par sécurité, Shel Talmy prévoyait toujours des pros pour jouer sur les démos destinées aux labels. Pour l’anecdote, le chanteur David Walton raconte que le jour de son arrivée dans le studio, trois musiciens qu’il ne connaissait pas étaient déjà installés : Bobby Graham (drums), Nicky Hopkins (keys) et Jimmy Page. On demanda au batteur et au guitariste de the First Gear de s’asseoir et de regarder. Inutile d’ajouter qu’ils faisaient la gueule. D’ailleurs, le groupe allait splitter peu de temps après. Mais Shel Talmy savait très bien ce qu’il faisait. Sans l’off-the-cuff guitar break de Jimmy Page, le single serait allé nulle part. On retrouve Jimmy Page sur le «Lucy» des Dennisons, une fantastique compo signée Pomus/Shuman. Quel son ! Personne ne se souvient des Dennisons, mais il est important de savoir qu’ils venaient de Liverpool. Tout aussi important : en 1963, Jimmy Page venait de s’acheter une fuzzbox et c’est elle qu’on entend dans le «See You Later Alligator» de Wayne Gibson. Fantastique chanteur que ce Gibson. Il est accompagné par le trio de choc Graham/Hopkins/Page, mais hélas, il ne parviendra pas à percer. Shel Talmy produisit deux singles des Zephyrs. Il chouchoutait ce groupe capable de jouer une pop urgente et pleine d’allant. Dans «There’s Somthing About You», on entend Mike Leave jouer un fantastique solo d’orgue. Avec l’«Everybody Knows» de Sean Buckley & the Breadcrumbs, on entre dans le territoire des grosses énormités poilues. Voilà un cut violent et mal famé, percé en plein cœur d’un killer solo flash de Jimmy Page, bien sûr. C’est du trash anglais à l’état le plus pur. Palao va loin dans le délire érudit, puisqu’il indique que cet «Everybody Knows» est une reprise d’un groupe de Nashville, the James Gang. On reste dans les virulentes énormités avec «I’m Leaving» by The Tribe, pur shoot de primitive r’n’b throwback. Un vrai coup de génie cracra. Comme Brian Jones, The Talismen venaient de Cheltenham et c’est encore Jimmy Page qui vient incendier le primitive beat de «Casting My Spell». Pure démence de la sentence. Par contre, ce n’est pas Jimmy Page qu’on entend jouer dans le «Black Eyes» des Hearts. Il s’agit du fingered Jim Duncombe, l’un des guitaristes les plus évolués de cette époque. Il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Quel son ! Le «Lonely Man» des Lancastrians est chaudement recommandé aux amateurs de pop miraculeuse, celle d’Ivy League et des Searchers : pur jus de dream pop à l’Anglaise, imbattable. Tiens, encore une belle énormité avec le «Talk To Me Baby» des Rising Sons, un groupe plein d’avenir qui allait devenir les mighty Unit 4+2. Autre groupe légendaire de l’underground Talmyque, voici The Untamed, avec «Kids Take Over», un fantastique slab de Mod jerk de cave joué sous le boisseau d’argent du big Shel. Ça groove encore plus que chez Alan Price, comme si c’était possible ! Le chanteur du groupe s’appelle Lindsay Muir et il faut l’entendre envoyer son anymore ! Anymore ! Tout ce qu’on aime sur cette terre.

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    Alors justement, on retrouve le gratin de Planet Beat sur Planet Mod : The Tribe et The Untamed. À commencer par deux coups du sort signés The Tribe : «Don’t Let It Be» et «The Gamma Goochie». Pur jus de Mod Sound, toute l’agressivité du teenage rampage accourt au rendez-vous. Sur «Don’t Let It Be», la basse dévore tout, crouch crouch, et avec le Goochie, ils sha-ma-la-mina-ouh-wah-ouh-wahtent la baraque à la glotte éraillée, c’est une d’une sauvagerie presque américaine, on croirait entendre les chicanos de Detroit, chikikkikichi ! Fameux ! Les Untamed attaquent leur triplette de Belleville avec «Daddy Longlegs», slab de Mod Sound sorti des soutes de Londonderry et relancé au petit riff acariâtre, ça colle bien à la peau, pas aussi explosif que les Who, mais pas loin. Que de son chez Shel ! Avec «I’m Leaving», les Untamed font le plein de Shel et Lindsay Muir mène le bal au singalong. Avec «I’m Going Out Tonight», on atteint le haut de gamme. Muir chante comme un dieu, yes I am now. C’est lui la star de Planet Mod, il sonne comme un Soul Brother, il swingue sa Soul à l’abattage. S’il faut suivre un groupe, c’est bien les Untamed. Le problème, c’est que tous les groupes qui débarquent chez Shel veulent sonner comme les Who, ce qui est aussi le cas de The New Breed. Ils grattent comme des cons et laissent planer le doute - God was on my side - c’est bien énervé, mais le chanteur n’est pas bon. Par contre, John Lee Hooker ne cherche pas à sonner comme les Who. Il n’est pas surprenant de voir Shel accueillir un géant comme Hooky. C’est du son gagné d’avance.

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    En réalité, l’arrivée d’Hooky en studio à Londres résulte d’un accord passé entre Don Arden et Shel. Don Arden supervisait les tournées des grands artistes américains en Angleterre et organisait parfois des sessions d’enregistrement. On voit bien qu’avec «Mai Lee», Hooky drive son truc. Il n’a besoin de personne en Harley Davidson. C’est sa vie et ça s’entend. Par contre, ce n’est pas Hooky qui chante «Over You Baby» avec John Lee’s Groundhogs, mais ‘John Lee’ Cruickshank, le frangin du bassman Pete. Les Groundhogs nous sortent là du pur jus de club craze, gratté à la spartiate par un Tony McPhee qui ne rêve que d’une chose : revenir au blues. On le retrouve dans «I’ll Never Fall In Love Again». Il y croit dur comme fer, il passe un fabuleux shake de solo en sous-main. On sent naître la légende. Tiens, voilà encore un single extraordinaire : «Take My Trip» de Kenny Miller. Non seulement c’est embarqué au groove de basse, mais en plus, ça sent bon le vieux club privé. Kenny Miller nous chante ça du coin des lèvres. Quelle bonne affaire ! On découvre là un admirable performer et un jive d’une considérable énergie. Autre surprise de taille et d’estoc, «Too Much Of A Woman» par les Corduroys. Très white niggers, énorme présence, pur jus de London Mod Mop de move avec un son de basse dément. Merchi Shel ! C’est lui qui est derrière toute cette modernité, toute cette acuité du son, tout ce punch sonique et tout cet écho blast. Avec «Goodbye Girl», les Preachers sonnent plus classiques mais ils swinguent leur shoot de shit à la vie à la mort, on a même un solo de sax et une bassline à la Chas Chandler, entreprenante et volubile. Un vrai festival ! Comme Shel devait se régaler, avec tous ces one-shots. Ce genre de compile vaut bien une caisse de dynamite. On trouve aussi l’un des combos phares de Shel, Goldie & The Gingerbreads. Mais Goldie ne chante pas sur cet heavy rumble qu’est «The Sky». On voit aussi The Thoughts reprendre le «Pretty Girls» des Easybeats, mais autant écouter les Easybeats. Si on retrouve Screamin’ Jay Hawkins sur Planet Mod, c’est aussi dû à un accord passé entre Shel et Don Arden. Mister Big avait organisé des sessions d’enregistrement à Abbey Road.

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    Ce sont les fameuses Planet Sessions que Shel va éditer un peu plus tard sur l’album The Night And Day Of Screamin’ Jay Hawkins. On y retrouve un Screamin’ Jay moins boogaloo qu’à son habitude, mais sa version de «Stone Crazy» est une pure merveille de Mod jazz. C’est littéralement bardé de son. L’autre grosse surprise de cette compile est le «Life’s Too Good To Waste» de Tony Christie & the Trackers. Une vraie voix. Présence extraordinaire, même si c’est un brin festif. Ce mec chante à la force de la majesté. Il sonne comme un Lord. C’est l’une des grandes gueules de la pop anglaise.

    Signé : Cazengler, Shel et poivre

    Planet Beat. From The Shel Talmy Vaults. Ace Records 2018

    Planet Mod. From The Shel Talmy Vaults. Ace Records 2018

    Anyway Anyhow Anywhere. Shindig # 67 - May 2017

    Brillant Bryant

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    L’impression de voir arriver sur scène une légende vivante ne trompe jamais. On sait peu de choses de Don Bryant mais on sait tout de suite qu’il va faire le show. Après l’instro d’intro des Bo-Keys, une ovation salue l’arrivée de ce vieux pépère noir à cheveux blancs.

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    Assez court sur pattes, il porte une veste à fleurs et lève les bras au ciel pour capter le souffle de l’ovation. Son visage se fend d’un immense sourire. Oh ce n’est pas n’importe quel sourire. Il s’agit du big grin de Soul Man du Deep South, celui qu’on voyait jadis éclater sur les visages ruisselants d’Otis ou d’Al Green.

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    Don Bryant attaque son set d’une voix extraordinairement intacte avec ce vieux hit torride d’O.V. Wright, «A Nickel & A Nail». Il tape ça à l’arrache des géants de la Soul. Comme Sharon Jones, il perpétue la tradition d’une hot Soul sixties, celle qui se danse des hanches et qui rend la vie si belle. Avec Don Bryant, la Soul reprend des couleurs. Le gospel batch remonte à la surface de ses échappées belles, comme chez Ray Charles, et il peut se montrer aussi hargneux que Sam & Dave lorsque le beat palpite sous la ceinture, comme c’est le cas avec «Something About You».

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    Et quel beat, baby ! Cette section rythmique de rêve renvoie forcément au team Al Jackson/Duck Dunn, la dynamo des MGs. Scott Bomar et un fantastique batteur black nommé David Mason drivent si bien le set qu’ils recréent la magie d’un groove qu’on croyait disparu. Avec leurs cuivres, Kirk Smothers et Mark Franklin renforcent encore l’illusion, eh oui, on croirait entendre Wayne Jackson & the Memphis Horns, ils jouent dans l’esprit de surchauffe staxy. C’est un véritable retour aux sources. Fantastique shoot de Soul que cet «One Ain’t Enough», and two two is better, Don Bryant descend dans les tréfonds du groove pour hipper son shake pendant que Scott Bomar digonne impassiblement ses doublettes, dressé comme une statue de sel.

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    Pour les amateurs de Memphis Soul, c’est le paradis sur terre. Don Bryant fait même passer un message avec «Don’t Give Up About Love». Il faut entendre Love au sens universel du terme, bien sûr. Il termine avec un enchaînement de classiques, «Everything’s Gonna Be Alright» et le fameux «Can’t Stand The Rain» d’Ann Peebles. Serrez-lui la main, surtout, il vous transmettra quelque chose d’assez puissant.

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    Pour le situer rapidement, Don Bryant fait partie des survivants de l’âge d’or du big Memphis Soul. Il a travaillé toute sa vie en tant qu’interprète, puis compositeur/producteur avec Willie Mitchell, chez Hi, le deuxième grand label Soul de Memphis, après Stax. Don n’a pas enregistré grand chose, juste deux albums (dont un l’an passé) et une poignée de singles qu’on trouve sur des compiles. Il est aussi le mari d’Ann Peebles, qui fit avec Al Green et Syl Johnson le prestige d’Hi Records.

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    Quand on retourne la pochette de l’album de Don Bryant paru en 2017, Don’t Give Up On Love, on tombe sur un beau portrait de Don Bryant, 76 ans. Il est un peu plus jeune qu’Eddie Floyd (81 ans). Il ressemble aussi beaucoup à Furry Lewis. Évidemment, c’est Robert Gordon qui rédige les liner notes. Aujourd’hui, qui d’autre que ce spécialiste d’Hi et d’Al Green pourrait le faire, maintenant que Dickinson a disparu ? Dans son hommage, Robert Gordon souligne deux choses fondamentales : un, Don chante le gospel dès l’âge de 5 ans au Memphis’ Carnegie Church Of God In Christ et deux, il va chanter plus tard avec Willie Mitchell au Danny’s Inn de West Memphis. Don fut à l’époque le lead du Willie Mitchell Orchestra, le fin du fin. Gordon va très loin dans son approche, puisqu’il indique que Don Bryant ralentit la Soul pour la rendre plus profonde. Il rappelle aussi que Don a lancé Ann Peebles chez Hi, qu’ils ont co-écrit ensemble le smash «Can’t Stand The Rain» en 1973 et qu’ils se sont mariés l’année suivante.

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    Comme le set, l’album Don’t Give Up On Love s’ouvre sur «A Nickel & A Nail», le vieux hit d’O.V. Wright. On comprend immédiatement que Don est un shooter issu du sérail des églises de gospel. Une effrayante machine Soul se met en route. Pur jus d’overdrive, avec une voix de shooter par dessus les toits - My friends Lord/ They just don’t know - Il chante à la vieille arrache. Il peut screamer et s’inscrire à la suite dans le groove. Il enchaîne avec un turbo-r’n’b qui s’appelle «Something About You». Il sonne comme James Brown, à coups d’aïie ! Il faut aller chercher «How Do I Get There» pour renouer avec l’émotion. C’est du gospel d’esclaves. Don enchaîne ça avec «One Ain’t Enough», une superbe dégelée de modern Soul, mais avec la patine du Hi Sound System. Il fait du neuf avec du vieux et ça tourne à l’énormité. Quand il fait de la Deep Southern Soul, il peut être aussi brillant, c’est le cas avec un «First You Cry» qui transperce le cœur du lapin blanc. Il y a quelque chose de l’ordre de la clameur dans sa voix. Il fait du church blast d’origine profane. Il repend aussi l’«I Got To Know» qu’il avait composé pour les Five Royales. Quel extraordinaire Soul man ! Avec «Can’t Hide The Hurt», le Memphis Sound is alive and well, ce grand mélange de Soul et de blues, de raw et de smooth. Il termine avec «What Kind Of Love», vieux coup de r’n’b chanté sous le boisseau. Don Bryant est effarant de présence. Il jerke sa Soul avec une énergie qui en dit long sur sa grandeur d’âme. Robert Gordon résume bien la situation : «It’s completely new with an old soul.» Et il ajoute pince sans rire : «Did you grab your boogie shoes or a handkerchief to wipe away the tears ?» Alors, tu danses ou tu chiales ?

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    Il existe quelques compiles Hi de ses débuts, comme par exemple ce Comin’ On Strong paru en 1992. Le petit conseil qu’on pourrait donner aux becs fins serait de se jeter dessus. C’est excellent. D’abord dix morceaux lents, puis dix hot shoots de r’n’b. Don est jeune quand il chante «I’ll Do The Rest». Il chante sur la pointe des pieds, comme Al Green. On est chez Willie Mitchell, et le son revêt un caractère très particulier. On peut parler d’une énergie du son. «The Lonely Soldier» est torride à souhait, hanté par une guitare fantôme. Don brame sa détresse. Il reste dans le heavy slow pour «The Call Of Distress» et son «I’ll Go Crazy» n’est pas celui de James Brown. On l’entend remonter le courant du slowah comme un saumon du Tennessee. Tout est superbement arrangé, et on imagine aisément que James Hunter a dû beaucoup écouter ce son si particulier. Et pouf, ça se met à chauffer avec «I Like It Like That», admirable pulsion d’Hi. Il enchaîne avec un «My Baby» râpeux et jouissif, gonflé de vie, un vrai jerk de fête foraine. Il tape l’«Everything Is Gonna Be Alright» qu’il reprend aujourd’hui sur scène au Shotgun de Jr Walker. Joli pompage. Puis avec «The Glory Of Love», il fait délibérément du Stax. On note son effarante classe dans «Coming On Strong», chef-d’œuvre de Soul psyché bardé de chœurs géniaux. C’est un son unique au monde. Don sait donner de sa personne comme on le voit avec «Can’t Hide The Hurt». Son r’n’b rampe sous le tapis, sur fond de groove algébrique. Il va de performance en performance. Pas moyen d’échapper à son emprise. Il fait un clin d’œil à Smokey avec une cover de «Shop Around», il la bouffe toute crue. Don finit par prendre le contrôle du Hi Sound System avec «What Are You Doing To My World». Que de puissance dans un seul petit bonhomme !

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    Precious Soul est un album de reprises qui date de 1969. Sur la pochette, Don Bryant ressemble à James Brown. Et tiens toi bien, il y sonne aussi comme James Brown, dont il reprend le «Try Me» - I say you tried James Brown - mais il sonne aussi comme Mr Dynamite sur «Expressway To Your Heart», qui fut un hit pour les Soul Survivors en 1967. Don Bryant y reprend les rênes de la Philly Soul de Gamble & Huff et y screame comme un beau diable. L’album est marrant car il se compose d’une B lente et d’une A dansante, comme les Formidable Rhythm & Blues d’Atlantic. Alors, si on se penche sur le cas de l’A, attention aux yeux ! Dès «She’s Looking Good», Don Bryant sonne les cloches avec une niaque qui vaut bien celle de Wilson Pickett ou encore Sam & Dave. Il est aussi hot and sharp que le bad bad boy Pickett - Looking good/ Just like I knew that you would - Il n’a pas non plus de problème pour retapisser «Soul Man». Il y rivalise d’ardeur pentatonique avec Sam & Dave, il swingue son Sam et il charcle son Dave d’un seul coup de dent, avec toute la niaque surnuméraire de Wicked Pickett. Tiens, puisqu’on parle de Wilson, voilà «Land Of 1000 Dances». Eh oui, Don Bryant tape dans l’intapable, aucun problème, mon gars, on va t’arranger ça, waoouuuuh ! Et Mabon Hodges nous gratte ça si sec. Autre surprise de choc avec une version spectaculaire de «Funky Broadway», une version ultra Hi. Don Bryant y met toute la retenue dont il est capable et ça change la donne. Autre belle reprise de taille : l’excellent «(You’re A) Wonderful One» de Marvin Gaye, monté sur une progression à la High Heel Sneakers. This is a Don Bryant special ! Et Mabon Hadges joue le riff avec l’appétit d’un carnassier. Pur jus d’Hi !

    Signé : Cazengler, Don Brillantine

    Don Bryant. Le 106. Rouen (76). 29 novembre 2018

    Don Bryant. Precious Soul. London Records 1969

    Don Bryant. Comin’ On Strong. Hi Records 1992

    Don Bryant. Don’t Give Up On Love. Fat Possum Records 2017

    02 / 12 / 2018LE MEE-SUR-SEINE

    LE CHAUDRON

    LAZURITE / ACROSS THE DIVIDE

    OUT OF MY EYES / REDEEM/REVIVE

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    Erreur fatale ce jeudi. M. S. T. à Fontainebleau. Je ne connais point, mais l'ami Jean-Jacques est formel : avec un nom comme ça, ce sont sûrement des punks. Je ne lui donne pas tort. Me suis trompé sur toute la ligne et beaucoup plus grave de ligne. Le shoot de Maladie Sexuellement Transmissible c'était le 21, pas le 29. Ce soir-là, c'était le Trio Celtic Band. Davantage une bande – z'étaient six au coin de la cheminée – qu'un trio, sympathiques avec un joueur de pipeau infatigable, et un organiste pour étoffer le son, j'ai poliment écouté le premier set et j'ai dégagé en râlant. Je l'avoue bêtement, j'ai des préventions folk, je le trouve trop bavard. Le reste de la semaine coincé par d'autres convulsions à voir trente six mille étoiles, plus une, située à la perpendiculaire parisienne. Bref pas de concert, cette semaine. Une malédiction, les dieux allaient-ils m'abandonner ! Dix neuf heures, Hermès le messager me prévient, le metalcore remet la marmite à vingt heures au Chaudron. Je saute illico dans la teuf-teuf bolide qui bondit comme Jolly Jumper. Rien à dire, je suis lucky.

    Trois groupes plus une exposition photos. De quoi rendre un rocker heureux.

    ART'CORE / LAZURITE

    ( Exposition photographique )

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    Lazurite, les kr'tntreaders connaissent. Souvent elle nous a permis d'illustrer nos chroniques de ces photos, nous les créditons alors sous l'appellation ( de son facebook ) de Mlle Lazurite. Il est facile de rencontrer Mlle Lazurite, vous ne pouvez manquer sa longue chevelure blonde et son appareil photo et la grâce avec laquelle elle virevolte autour des groupes de metalcore qui transitent dans le sud de la Seine & Marne. Elle voltige de tous bords, devant la scène et backstage, elle n'est pas du genre à mitrailler à tout-va, elfe intrépide et bondissant elle sait choisir ses angles d'attaque. Elle donne l'impression de pressentir l'instant décisif où le cliché ne sera pas une simple vue mais l'expression essentialisée de ce moment magique où la chose représentée n'apparaît plus en tant que simple description d'elle-même, mais en tant qu'image-signe qui vous interpelle et vous révèle la profondeur d'une réalité qui vous force à darder votre regard au-delà de la frivolité des apparences.

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    ( photo : Jordan Darey )

    Mlle Lazurite ne prétend à rien. '' Je fais de la photo par passion uniquement, je ne suis pas photographe'' ose-telle dire dans sa présentation. Dans la même optique elle se contente de photographier les groupes qui partagent ou traversent les cantonnements géographiques de son propre lieu de résidence. Dans la série I support my local scene, il est difficile de faire mieux. Les groupes de par ici ne sont pas fous, savent qu'ils ne trouveront jamais meilleure représentation d'eux-mêmes, ils lui demandent souvent de couvrir leurs concerts. Autant la prier de chevaucher le tigre. Il y a une violence et une démesure dans l'esthétique du hardcore. N'importe qui peut prendre une photo – la plupart ne s'en privent pas – mais si vous désirez que les grands fauves en liberté sur leur terrain de chasse s'en viennent manger dans votre main, l'appareil ne suffit pas. Mlle Lazurite possède l'œil orphique, capable de capturer la beauté sauvage du rock'n'roll en pleine liberté.

    L'exposition se compose de vingt-quatre photographies, toutes prises dans différents concerts au Chaudron, ces deux dernières années. Nous-mêmes y avons parfois assisté et les avons-nous chroniqués. Vous en connaissez quelques uns : Anvil, Pogo Car Crash Control, Nakht, FRCTD, Aqme, Beast, Atlantis Chronicle...

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    ( Betraying The Martyrs )

    Il existe au travers du monde des milliers de photographies de concerts de rock. Pour la plupart elles souffrent d'un gros défaut. L'on n'entend pas la musique. Laissons de côté les milliers de vidéos qui dans quatre-vingt dix-neuf pour cent des cas ont une épaisseur sonore indigente. Il ne s'agit pas ici de jouer sur les paradoxes. C'est un vieux problème. Le lecteur curieux se rapportera aux écrits et déclarations théoriques de Stéphane Mallarmé sur la supériorité sonique de la poésie par rapport à l'intumescence orchestrale wagnérienne. De toutes les manières l'on ne peut qualifier une chose que par ce qu'elle n'est pas. Mlle Lazurite excelle en cet art. Le rock est musique, mais le rock est avant tout une attitude. Un art de vivre. De haute flamboyance.

    A première vue et en caricaturant il n'y a que des hommes et des guitares sur ces clichés. Mais cela est pratiquement superfétatoire. Avant tout il y a des postures et des positions. Des postures physiques et des positions métaphysiques. Mlle Lazurite est une fée objectivisante, elle fixe le mouvement dans son surpassement. L'image n'est que le point d'une asymptote proliférante de par son immobilité même dont la prégnance lazuritienne vous permet d'entrevoir l'idéalité de la courbure qui vous mène d'ici à l'ailleurs.

    Je n'en décrirai qu'une. Je ne l'ai pas choisie. Le sort et la fortune en ont décidé ainsi. Tombola à un euro, j'ai hérité de la photographie de Charlotte Aqme, bassiste du groupe Aqme. Qu'y voit-on ? Rien, qu'une guitare et une fille. Deux objets ( dans l'acception philosophique du terme ), cela est amplement suffisant pour susciter le désir de musique et de fusion, le don et l'appel. Représentation d'une bassiste, par sa basse, la table en guise de bouclier protectif et l'effilé du manche en harpon prêt à attaquer le monde. Le metalcore est avant tout une musique agressive. L'on ne voit pas le visage de Charlotte obstrué par ses cheveux, elle n'est plus Charlotte mais Diane Chasseresse, Artémis souveraine, armée de sa guitare carquois, de sa basse flèche. Ses doigts retenus sur le cordier indiquent la précision et la préciosité de la visée. L'image rejoint le mythe, cher à Platon. Reste que la féminité de Charlotte n'en est pas moins affirmée par le bombement de ses seins qui suscite la courbe idéelle de l'arc de sa chair. Mlle Lazurite vous profile l'âme, l'arme et l'acmé de Charlotte et du metalcore par la simple exposition de détails symboliques que son œil a su saisir, et disposer, afin de figurer la signifiance du réel.

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    Autre particularité des photographies de Mlle Lazurite. D'autant plus perceptible dans l'exposition qu'elle permet d'entrevoir beaucoup de clichés en grande dimension en même temps. De fait il n'y a aucune différence de perception entre le traitement du blanc & noir et de la couleur. Cette dernière n'ajoute aucune clinquance. Elle n'aguiche pas le regard, elle refuse de vous sourire. Tout comme son blanc & noir dédaigne de se la jouer dans le genre prétentieux. L'artiste ne cligne pas de l'œil, elle montre le monstre, et cela lui suffit. A vous de savoir voir. Et pourtant, il y a chez Mlle Lazurite des bistres démentiels et des mauves somptuaires. Pratique un filtrage alchimique de haut lignage dont elle garde le secret tout en l'exposant à la vue de tous. Tant pis pour les aveugles.

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    ( Across the divide )

    L'art de Mlle Lazurite procède d'une terrible exigence, celle de révéler la beauté convulsive du rock'n'roll et du metalcore à ceux qui sont dignes de la recevoir. Les photos de Mlle Lazurite palpitent à la manière des bleus intenses et profonds que sont les lapis lazuli qui irradient secrètement au plus fort de la nuit chaotique du monde.

    Damie Chad.

    N.B. : des centaines de photographies sur le FB : Mlle Lazurite. Plus qu'un témoignage, un regard.

    ACROSS THE DIVIDE

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    Sont tous les cinq figés en des poses hiératiques. Maxime Weber, les bras étendus en ailes de palmipède éployées, les jambes écartées de Régis Sainte-Rose dessinent un vaste arc-en-ciel hémisphérique, un sampler lyrico-tonitruant inonde la salle d'une profonde noirceur. Les deux guitaristes Jonathan Lefevre et Axel Biodore sont sur leur piédestal immobiles comme des statues de sel noir. Alexandre Lheritier se saisit de son micro et brutalement la voûte du ciel se fend en deux.

    Emporté, c'est le terme, vous êtes assailli d'une matière noire qui se referme sur vous. Une glue d'une extraordinaire densité dans laquelle vous devez vous frayer un passage. Across The Divide fore le tunnel. Vous n'avez que la voix stentorique d'Alexandre pour vous guider. Aux guitares Jonathan Lefèvre et Axel Biodore répandent de l'opacité mentale qui s'interpénètre en vous et étrangement cette musique brutale à angles droits et coupants devient intellectuelle. Une intelligence autre s'est emparée de votre cerveau et vous avez l'impression que vous pensez mieux, plus vite et plus juste que d'habitude. Une sorte de cocaïne à la puissance mille démultiplie l'acuité de votre perception, vous n'êtes plus vous, petit à petit vous éprouvez cette étrange sensation que vous devenez matière musicale que vous vous amalgamez à ce mur qui vous entoure et vous protège. Mystérieuse schizophrénie qui coagule en une seule coulée de lave sonore ce que vous êtes et ce que vous n'êtes pas.

    Et ces moments de repos, la musique tourne autour de vous comme des pales d'hélicoptères qui chercheraient à vous décapiter, vous aspirez à vous endormir dans ce vrombissement incessant... mais la donne change déjà, la pâte sonore se froisse comme un papier argenté de bonbon empoisonné. Vous n'êtes plus que concassage et marécage. Vous parvenez à vous extraire de vous-même et vos yeux sont happés par la scène, sont là tous les cinq dans leur assourdissance prophétique, le silence règne, ce n'est qu'une illusion, mais le bras de Régis en arrondi au-dessus du manche de sa basse, est-ce Sainte Cécile jouant de la harpe sur l'aile d'un ange ou l'aile blessée d'un albatros que le gouffre amer de la mer tempétueuse se prépare à avaler ? Across The Divide est une invitation aux voyages dans les pays du rêve et des cauchemars.

    Across The Divide déploie les tentures de l'angoisse du minuit. Ce cœur de l'obscurité, cet instant fatidique pendant lequel la nuit qui agonise laisse place à une autre nuitée encore plus longue. Peut-être existe-t-il un interstice, une jointure signe de brisure entre ces deux dalles funèbres, Across The Divide le laisse entendre mais vous pousse en avant, vous indique le passage mais vous interdit de faire halte afin d'en démasquer le système secret d'ouverture. Le son s'enserre autour de vous et s'insère en vous comme un poème funéraire, enfermé dans votre cercueil, il vous faut du temps pour comprendre et encore plus pour admettre que vous êtes en train d'entendre le requiem de vos obsèques. Lorsque la musique s'achève – le set a été somptueusement long – vous vous apercevez que vous êtes vivant. Tout juste si vous ne le regrettez pas. Troisième fois que j'entends le groupe, il a gagné en intensité et en cohésion. Des trois sets, il est celui qui s'est approché le plus d'une certaine idée liturgique de la beauté.

    OUT OF MY EYES

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    Sont tout contents. Viennent en remplacement de Resolve qui s'est désisté. Un batteur, deux guitares et un chanteur. Trois costauds et un petit. Mais dès qu'il a porté le micro à ses lèvres tout le monde a compris qu'il aboyait plus fort que le tonnerre. Pourtant derrière ils en font du bruit, remuent la tourmente bellement, tempête dans le désert et océan en furie. Mais ce n'est rien. Pas pour rien que leur dernier morceau s'appelle Anubis. Corentin Graveiro glapit entre les pyramides et des murailles de pierres s'écroulent sur vous. Même pas le temps de vous en rendre compte, c'est déjà fini. Un extraordinaire show-man qui se fout du spectacle. N'est pas là pour se faire valoir. L'est ici pour emmener le son à son plus haut point d'incandescence. Court partout. Difficile à suivre des yeux et tout à coup sans prévenir, il lui suffit d'un geste pour que tout s'arrête au dixième de seconde près. Ce n'est pas le silence, car les samplers règnent en bruit de fond, mais la rupture est là. Franche, nette sans bavure. Les morceaux ne sont jamais très longs mais quand ils stoppent c'est alors que l'impact déboule sur vous. Jusques à lors vous ne ressentiez que l'onde et maintenant le choc vous démantibule les neurones. Un trente-huit tonnes, freins serrés à mort et roues ancrées dans le goudron, mais que l'énergie cinétique de sa seule masse projette en avant. Un peu comme si l'irradiation atomique de votre volonté s'arrachait de vous et s'enfuyait par vos yeux.

    Corentin vous surprend toujours, jamais là où l'on l'attend mais d'une présence absolue. Porte le blouson et la hargne du rocker prêt à vous enfoncer encore la lame de métal de son cran d'arrêt dans votre moelle épinière pour mieux vous faire comprendre que la vie est une épine empoisonnée dont vous devriez vous méfier. Enchaîne les titres sans perte de temps, Og Gold, Renegade, Addictions, Ritual, laisse le temps à ses acolytes de tisser leur trame de fer. La batterie jouée comme à l'envers, comme s'il s'agissait non pas de sortir le son mais au contraire de l'enterrer, de l'effondrer dans des abysses souterraines sans fond. Le son capté selon une chute tonitruante, le bruit de l'engloutissement de la maison d'Usher à la fin du conte d'Edgar Poe, Out Of My Eyes joue sur l'ampleur focalisatrice du ressassement sonore sur lui-même, le serpent maléfique qui s'enroule sur ses propres anneaux, et Corentin le farfadet à haute voix qui s'en vient tuer le monstre. Le saisit à peines mains et l'étrangle avec le lacet de ses cordes vocales. Ce sont les cruelles meutes perverses d'Hécate qui hurlent au fond de son gosier.

    Rien ne dépasse. Une boule de feu noire refermée sur elle-même. Qui brûle sans flamme apparente. Combustion intérieure. L'ovni venu de nulle part qui se pose dans un champ de marguerites et stérilise la terre entière. Les guitares cisaillent les racines de la vie et aspirent l'oxygène que vous tentez encore d'inhaler, mais il est trop tard, Out Of My Eyes referme ses yeux et la couleur du monde disparaît.

    Un set relativement court, mais ô combien percutant. Genre de groupe qui s'impose par l'estime. Rien à reprocher. Vous laisse muets d'étonnement. Une démonstration. De ce qu'il faut faire si vous voulez parvenir à un maximal de cohérence et de reconnaissance. Séduisant et percutant. Boxe française.

    REDEEM/REVIVE

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    Proviennent de Californie. Une véritable migration, six sur scène. Un drummer, deux chanteurs et trois guitares. Bien sûr qu'il y a un bassiste parmi elles, mais ça ne se voit pas et ça ne s'entend pas. Vous avez trois guitares, un point c'est tout. Qui jouent ensemble et pas à côté l'une de l'autre. C'est la différence de culture entre les amerloques et les frenchies. Ont des racines rock'n'roll que nos métalleux ne connaissent plus, nos formations se contentant de bâtir leur empire sonore sur les groupes préexistant à leur génération. Parfois de très peu de temps. La différence est éclatante ce soir, les ricains puisent aux racines, n'ont peut-être aucun mérite car ils en sont imbibés depuis leur enfance, et les grenouilles s'en tirent comme elles peuvent. Pas si mal que cela. N'ont pas reçu la substantifique moelle nourricière, alors ils la remplacent d'instinct par un certain esthétisme sonore. Sont en cela fidèle à leur provenance culturelle européenne. Suffit d'écouter le rock anglais pour s'apercevoir que les britihs quoique en partie épargnés grâce à leur transmission folklorique populaire ont engendré une pléthore d'artistes qui de Led Zeppelin à Bowie ont été longuement obnubilés par le traitement esthétique des formes musicales venues d'ailleurs qu'ils essayaient de s'approprier.

    Mais revenons à nos californiens en tournée en Europe. N'ont pas quitté la salle durant les passages des deux groupes précédents, visiblement intéressés et se lançant entre eux dans de longs commentaires que leur impossible accent rendait parfaitement inaudibles. Dommage, c'était le moment de se livrer à de l'espionnage industriel. Z'ont deux shouters, l'un blond, l'autre brun, l'un jeune affublé d'une tunique marquée en grosses lettres de l'inscription punkitozoïdale '' I hate everyone'', le senior d'une stature avantageuse qui hurle de toute sa voix. Se partagent les lyrics, le blondinet hélas mal desservi par un micro défectueux. Pas possible d'apprécier à leur juste valeur les jeux d'impédance de leurs deux timbres, la rugosité de l'un mise en valeur ( pour le peu qui fut audible ) par la blancheur déstructurante de l'autre. Embêtant certes, mais le reste de la formation tricote si bien que cela en devient quasi secondaire. Un maillage serré, nous tissent un superbe background d'une terrible efficacité. Un bel exemple d'adaptabilité aux circonstances. Quand le vent emporte la mâture, ce n'est pas bien grave, l'on sort les rames et personne ne verra la différence. Une belle leçon à méditer. Malgré les défaillances techniques, un set superbe.

    Damie Chad.

    ENCOUNTERS / ACROSS THE DIVIDE

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    Enigmatique pochette. Un ciel terrestre, couleur croûte, seule une lueur orange éclaire quelque peu un profil de montagne, sur un mamelon se dessine une solitaire silhouette trop grande peut-être pour être humaine, au dos de ce double feuillet qui sert de livret intérieur, un paysage de même type s'offre à notre vue, la voûte non étoilée présente toujours la même couleur brune si ce n'est qu'un trait jaune et blanc semble la dernière marque d'un soleil en train de s'effondrer. Le dos du boîtier semble plus rassurant, un paysage se dévoile, est-ce un fleuve ou une piste d'atterrissage, dans le ciel marron est tracée une étrange constellation qui semble représenter un pantin en marche, maladroit dessin tracé à la règle par un enfant géométrique. Le CD et le fond sur lequel il repose évoque un kaotique paysage lunaire.

    Intro / Forgive me ( Fear and Fallen Part 1 ) / A tale / The mirror / Sail away / Defenseless / Carry on / Lies / Succeeders ( Fear and Fallen Part 2 ) / Repent / Dull / Unfalling grace / My last dawn : treize titres à entrevoir comme un seul oratorio crépusculaire. Avec cette incertitude que le crépuscule du matin vous libère de la nuit et celui du soir vous y emmène. La musique d'Across the Divide oscille entre ces deux postulations, celle de l'éveil et celle de la menace. L'intro résonne comme un coup de trompette mécanique qui ne laisse présager rien de bon, et rien de mauvais. Il y a deux voix – et peut-être deux voies – celle qui grogne, le loup dans sa tanière, le sanglier dans sa bauge, la brute en vous, et l'autre plus fine, celle du chien qui s'efforce à ressembler à l'homme que nous portons en nous. Une alternance, le noir charbonneux et des éclairs de lumière. Across The Divide a mis la machine en marche, celle qui émiette l'aube et qui en même temps fragmente la nuit. Rythme rapide et intraitable, parfois vous avez l'impression que l'on allège le son pour prendre de la hauteur, mais très vite on remplit les cales de lest pour mieux toucher le fond. Deux voix et pas vraiment un dialogue, l'impression d'une solitude tour à tour insupportable et festive. Se répondent comme l'écho qui se répercute mais qui revient au même, se mirent en elles-mêmes comme si la traversée du miroir était une parallèle infinie. C'est pourtant l'opposition de ces deux timbres, l'un clair de lune, et l'autre face cachée, qui imposent le tempo. Accélérations de vomissures, et dégueulis de yaourt sonore pour l'une, et réminiscence d'une certaine sérénité perdue, mais pas oubliée, pour l'autre. Peut-être parce qu'il est plus difficile de se rencontrer soi-même que de croiser ses congénères. Une musique pour ainsi dire sérielle qui se perd dans le mouvement infini de ses notes bâties comme une succession d'alvéoles solitaires. Across The Divide sonne le glas – froid et glissant – de la partition individuelle. Difficile de recoller ses propres morceaux et de s'en aller tout guilleret gambader sur la voie lactée. Nous sommes un puzzle de sauvageries inouïes et de fragilités innocentes. Parfois la musique d'Across The Divide s'abandonne sur des plages de pur lyrisme et parfois elle s'engouffre dans des cul-de-sacs labyrinthiques. Mais nous savons où elle nous mène. Au bout de nous-mêmes. Peut-être pas le meilleur endroit où il fasse bon vivre. C'est à vous d'en juger. Une superbe réussite.

    Bonus Tracks : The mirror ( Trap version ) / Worthless : ( Rose Thaler remix ) : il semblerait qu'Across The Divide, ait voulu nous quitter sur une note plus sereine. Un peu comme s'ils voulaient se faire pardonner la transparente noirceur de leur vision existentielle qu'ils viennent de nous exposer. Ces deux versions sont rassurantes certes, mais l'attirance des gouffres intérieurs, quoique dangereuse, est autrement plus fascinante.

    Damie Chad.

    ROCKAMBOLESQUES

    FEUILLETON HEBDOMADAIRE

    ( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

    prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

    en butte à de sombres menaces... )

    EPISODE 10 : LE BOUT DU CHEMIN

    ( adagio angoissono )

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    Au même instant je perçus un léger tapotement amical sur mon épaule droite, je me retournai et me trouvai illico face à face avec Alfred. L'était suivi par une splendide jeune fille qui portait un stylo bille, ma secrétaire dit-il, et tout de suite il exhiba le numéro Spécial-Catastrophe-Roissy de Match. Nous l'avions oublié, mais Alfred avait vraiment fait du super boulot. En une, une fantastique photo de Darky, de tout son long, les pieds sur le tableau de bord, de là votre regard remontait sur son jean déchiré à l'entre-cuisse, l'on quittait à regret cet endroit paradisiaque pour l'horreur de son T-shirt taché de sang, et l'on frissonnait d'horreur et de pitié devant son visage exsangue, ses cheveux aussi emmêlés que les huit pattes d'une tarentule, la photo choc éros et chic abîmal. L'article relatait comment deux berlines noires et officielles du gouvernement français avaient imprudemment traversé les pistes de l'aéroport causant la plus terrible des catastrophes aériennes et le dévouement exemplaire du brigadier Lechef, brillamment secondé par la gendarmette Kruchet et l'agent Chad, ils s'étaient élancés « ils n'étaient pas en service et dégustaient innocemment après une dure journée de travail un petit verre de Moonshine Polonais à la terrasse d'un café de l'aérogare » n'écoutant que leur courage et leur esprit d'initiative ils avaient récupéré une camionnette de police dont les membres étaient descendus pour coller une contravention et quelques baffes bien appliquées au jeune conducteur d'un scooter, manifestement en état d'ivresse, puisque noir de la tête au pied, bref ils s'étaient approchés d'un avion en flammes, et n'avaient pas hésité à pénétrer dans la carlingue en feu dont ils avaient réussi à extraire le corps pantelant et inanimé d'une pure jeune fille, qui leur devait la vie... La suite de l'article était beaucoup plus politique et soulevait des questions embarrassantes, que venait donc faire les deux berlines noires officielles, quelle était leur mission, et pourquoi le gouvernement avait-il organisé le black-out sur cet événement ?

      • L'on en a vendu cinq cent mille exemplaires dans tout l'hexagone, une idée de marketing géniale, des voitures arrêtées sur les ronds-points avec des vendeurs revêtus d'un gilet jaune, une pagaille monstre sur tout le territoire, des milliers de tricheurs revêtant leur gilet fluorescent dans l'espoir d'en grapiller un gratuit ! Ah ! Damie le pays est en ébullition, depuis le début de la journée mon salaire a déjà été doublé six fois, et ce soir c'est le summun ! Darky est en concert, j'ai déjà commencé à dicter le Spécial numéro 2 à Lisette, ma secrétaire, quelle chance extraordinaire, notre jeune fille romantique transformée en meneuse de revue rock'n'roll, un truc à décoiffer la France, faut que je m'approche de la scène pour les photos.

    THE SWARTS

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    Darky fut splendide, s'enroulait autour du micro comme un boa autour de la plus haute branche d'un baobab, et puis crac elle se laissait tomber sur la foule qui se saisissait d'elle, la pétrissait de mille mains avides, la prédatrice se transformait en proie, laissait échapper des miaulements de panthère coïtée par le membre viril d'un mâle en furie, se laissait porter en triomphe à bout de bras, dans la pose languissante de Cléopâtre sur son lit de mort – le lecteur curieux se rapportera au tableau de Jean-André Rixens – pendant ce temps les Eric produisaient une espèce de bouillie sonore que l'on ne pourrait comparer qu'au buisson d'épines ardent par lequel Dieu est censé se manifester aux esprits désormais éclairés par sa présence. Les fournaises du Diable en surchauffe... Le concert dura deux heures. Il en existe une vidéo-pirate que vous pouvez acquérir à prix d'or, certains ont revendu leur maison pour entre en sa possession, couchent sous les ponts depuis, mais ne l'ont jamais regretté. Toutefois je ne suis pas ici en train de rédiger une kronic pour KR'TNT, aussi passerai-je au plus vite à la suite des évènements que le Chef – je vous le rappelle, chers alzheimériens – avait qualifié de la nuit la plus longue...

    VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT ( 1 )

    Svarty faisait ses au revoirs à public – aussi émouvants que l'abdication de Napoléon dans la cour des Adieux de Fontainebleau '' Hey ! Fuckin'girls and fuckin boys, bye-bye ! Keep rockin' till next time !'' Lorsque deux fusées rouges s'élevèrent des deux bouts de la rue. Je ne vous l'ai pas dit pour ne pas vous gâcher la soirée mais ce que le Chef m'avait demandé de regarder, c'étaient ces centaines de CRS et de gardes-mobiles qui barraient les deux entrées... Il y eut un grésillement et une voix s'éleva – je reconnus sans peine celle du Président : '' Ne bougez plus, vous êtes tous en état d'arrestation, nos valeureux policiers vont venir vous chercher pour vous faire monter dans les fourgons qui vous conduiront en prison ! Désormais le rock'n'roll est interdit sur tout le territoire français ! ''. Sur ce les fenêtres de nombreuses fenêtres s'ouvrirent – elles avaient été investies à notre insu par les jardins de derrière dont sont pourvues de nombreuses maisons provisoires - et apparurent des policiers munis de teasers et de lance-grenades. Jubilatoire la voix reprit : '' Rendez-vous, vous êtes cernés, toute fuite est impossible''.

    Hélas, impossible n'est pas rocker. Il n'y eut même pas un demi-dixième de seconde de stupéfaction, le Président avait tout prévu dans son plan diabolique d'éradication du rock'n'roll, sauf que les réactions du rocker de base échauffé depuis des heures par le Moonshine Polonais sont imprévisibles. En un même mouvement la foule se précipita sur les milliers de cadavres de Moonshine qui traînaient partout, n'y avait qu'à se baisser... Une pluie de bouteilles s'écrasa sur les pauvres pandores envoyés au casse-pipe. Pensèrent se protéger derrière leurs boucliers de plastique transparents. Ce fut encore pire, arrêtèrent bien les premiers lancés mais le verre fracassé volait en éclat et tailladait leurs costumes de Ninja. Ne tardèrent pas à reculer et à déserter les fenêtres, mais il y a toujours des petits futés, certains s'aperçurent qu'il suffisait de mettre la flamme de leur briquet devant une bouteille de Mooshine pour la transformer en cocktail molotov, les fourgons et les camions à eau en firent la triste expérience...

    Le guet-à-pan se transforma en désastre. Durant des heures la ville se transforma en chasse à courre. Au petit matin les derniers groupes de sécurité républicaine et sociale s'enfuyait dans les champs de betteraves poursuivis par des hordes de rockers vindicatifs animés par un l'esprit de vengeance fortement déçus et furieux de n'avoir pas eu le temps de recueillir un autographe de Darky...

    VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT ( 2 )

    Pendant ce temps pour nous remettre de nos émotions, nous savourions à petites lampées gustatives, un Moonshine de derrière les fagots, la cuvée spéciale du patron, l'orgueil de Popol, dont il entreprit pendant que nous devisions sereinement de transvaser le contenu de quinze bouteilles dans son nabuchonodosor, devant nos yeux étonnés, il se contenta de marmonner :

      • Non d'une pipe, il n'y a pas de raison !

    Nous aurions bien aimé en savoir plus, mais les déclarations de Cruchettes nous empêchèrent de poser les questions adéquates :

      • C'est décidé Chef, à la fin du mois je rends mon tablier, je vous file ma démission, fini le ménage et la cuisine, je fais comme Darky, je deviens chanteuse de rock'n'roll, j'ai enfin trouvé ma voie !

      • Mais avez-vous une voix, tenta d'implorer le Chef, je vous avoue que penser que je devrais désormais me priver de vos pizzas, me navre, j'en suis tout désarçonné, agent Chad passez-moi vite un Coronado, et avez-vous réfléchi à ce qu'en aurait dit votre père ?

      • Chef, mon père, c'est de l'histoire ancienne, il est mort, et avec lui, c'est la noire époque du patriarcat qui a été enterrée. Ma décision est prise, elle est irrévocable, désormais je ne porterai plus jamais de culotte, et je suis le futur du rock'n'roll !

    Les applaudissements approbateurs des Eric furent brusquement recouverts par un énorme grondement de moteurs. Nous n'eûmes pas à attendre longtemps pour savoir de quoi il en retournait. Décidément le Président était un teigneux. Cherchait la guerre. L'avait fait appel à l'armée. A vingt mètres de la devanture trois énormes chars d'assaut s'en vinrent pointer leur canons droit sur nous.

      • Mazette, murmura le Chef, j'ai intérêt à allumer un nouveau Coronado.

    Mais ce n'était pas fini, un vaste cordon de commandos de marines, se déploya en un vaste arc de cercles, la plupart étaient porteurs de lance-roquettes des plus prometteurs. J'ai la l'honneur et la tristesse d'avoir à rendre compte pour la vérité historique de deux faits des plus importants. L'un glorieux. Kruchette n'hésita pas une seconde, elle sortit, tourna le dos aux militaires et souleva sa jupe. '' Et mon cul, ce n'est pas du poulet !'' hurla-telle, Alfred et le réflexe d'immortaliser cet instant historial où l'on put découvrir que Kruchette fidèle à sa parole ne portait plus de dessous. L'on peut dire que c'est la première déculottée qui fut infligée à l'ennemi.

    Il me faut en venir maintenant à ce que j'aurais aimé n'avoir jamais à relater. La désertion de l'un des nôtres. Une souillure sans nom. Une tache que nul sang expiatoire ne saurait lavé. Qui me touche particulièrement. J'eusse même préféré que ce fût moi qui eus commis cet acte ignoble. Mais non, il était écrit que je porterai une croix plus lourde que celle du petit Jésus. La prunelle de mes yeux, l'amour de ma vie, ma raison de vivre, s'enfuit au galop. Non je n'accepterais aucune circonstance atténuante, il est vrai que Popol lui avait versé une grosse rasade de sa cuvée spéciale, mais ce n'est pas une excuse. J'eus l'impression que mon coeur se déchirait en deux, au début je crus être victime d'une vapeur cauchemardesque hallucinatoitre, mais non, je dus admettre la terrible vérité, Molossa, ma Molossa, la divine Molossa, s'enfuyait à la vitesse de ses quatre pattes, les oreilles baissées, la queue entre les jambes, elle disparaissait déjà derrière les blindés quand la voix du Président s'éleva :

      • J'ai horreur que l'on abuse de ma patience, je vous donne une heure pour vous rendre, juste pour permettre aux médias du monde entier de venir filmer en direct la destruction d'une entreprise terroriste du rock'n'roll qui depuis des années mine sournoisement le moral de notre saine jeunesse. Quand je pense à la déplorable exposition voici à peine quelques minutes de cette délurée...

      • Je m'appelle Cuchette et je t'emmerde !

    Rien à dire Kruchette avait du répondant et une belle voix ! En plus elle l'avait réussi à vexer le Président '' Puisque vous le prenez comme cela, je me tais, tant pis pour vous, il vous reste cinquante-neuf minutes à vivre, au revoir''

    J'ai le regret de le dire mais nous n'étions pas fiers, la situation était désespérée, le Chef avait beau fumé un dernier Coronado avec son flegme habituel, cela ne nous rassurait que moyennement. Par les vitres nous aperçûmes les caméras du monde entier qui commençaient à s'installer fébrilement, un peu partout, de partout du Japon et des USA, de Tanzanie au Portugal... Le temps s'écoulait lentement et très vite... '' Plus que deux minutes'' susurra Popol, en débouchant une dernière bouteille de Moonshine, Elisabeth voulut m'embrasser, le hasard voulut que mes yeux se portassent à l'extrême gauche de la ligne des commandos, le soldat qui était appuyé sur le mur d'une maison, s'écarta d'un geste agacé, je pensais que c'était le dernier détail insignifiant que mon cerveau enregistrerait. La voix du Président s'éleva : « cinquante-huit, cinquante sept, cinquan...''

    ( A suivre )

  • CHRONIQUES DE POURPRE 220 : KR'TNT ! ¤ 339 : WILDFIRE WILLIE + BETHUNE / SHEL TALMY / EIGHBALL BOPPERS / JAKE CALYPSO / OSCAR ALEMAN / JIM MORRISON

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 339

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    14 / 09 / 2017

     

    WILDFIRE WILLIE + BETHUNE / SHEL TALMY /

    EIGHTBALL BOPPERs / JAKE CALYPSO

    OSCAR ALEMAN / JIM MORRISON

     

    Wildfire Willie fout le feu

     

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    On l’annonçait comme le messie et il est arrivé sur la grande scène du Rétro avec des allures non pas de messie, mais de vétéran de toutes les guerres. Ah il faut avoir vu le vieux Wildfire Willie bopper le rockab sauvage. On devrait l’appeler Willie la classe. Bon d’accord, il n’est plus tout jeune mais il croque son rockab à belles dents, on voit que ce mec est heureux de monter sur scène pour claquer quelques vieux beignets de crevettes.

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    Comme tous les autres, il gratte une acou serrée sur la poitrine, avec le manche pointé vers le sol, mais il met une telle intensité dans son jeu qu’il parvient à échapper aux clichés. Wildfire Willie ne vit que d’authenticité et d’eau fraîche, il boppe avec ferveur et répand la bonne parole du rockab dans toute l’Europe. Heureusement qu’il existe encore des Suédois comme lui pour propager le fléau du rockab par delà les frontières. Il put his cat clothes on et son petit pote le stand-up man assure un pulsatif vraiment digne de l’âge d’or. Wildfire danse un peu, les frissons l’émoustillent, il relance toujours sa machine avec l’énergie d’un géant. Il te dog son cat avec brio et n’hésite pas à se rouler par terre, pour offrir du spectacle au petit peuple, il fait ses vieux pas de danse d’Elvis, il te visse le set et boppe son cut de cat comme un crack, il te crashe même du party en souvenir de Benny Joy. Wow, Wildfire ne se prive d’aucun éclat.

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    Et comme Sonny Burgess vient de monter au ciel, Wildfire lui rend un ultime hommage avec une version stupéfiante d’«Ain’t Got A Thing» ! Toute la place tressaute en rythme - I got a car/ Ain’t got no gas - On se retourne et que voit-on ? Un beffroi qui twiste le bop - I got a clock/ Ain’t got no hands - Ce démon de Willie rallume tous les vieux brasiers. Il est bien certain que Sonny aurait été ravi de voir son vieux hit fourrager ainsi le cul d’une vieille ville.

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    Toute cette énergie, on la retrouve sur les disques, évidemment. À commencer par cette énorme slap-machine qu’est Rarin’ To Go, un album paru en 2004 sur un petit label suédois. Rarin’ To Go est tellement bien foutu qu’on se relèverait la nuit pour le réécouter. Willie embarque tous ses cuts un par un au pur jus de western swing, «Cool Curves» vaut pour un heavy jive de rockab. Ces mecs sont indiscutablement doués pour la quête du Graal.

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    C’est en tous les cas ce que montre ce «Come Back Baby» finement amené au minimalisme militant. Ce diable de Willie joue la carte du doux rockab. Tiens, voilà une magnifique pièce de country bop enjouée : «I Dig You The Most». Puis ils passent au pur jus de kabykab avec «Get Carried Away». Le festin se poursuit en B avec «Speakin’ Of My Heart», excellent shoot de rockab boppé bon esprit et harangué à la pure traînasse du Tennessee. Et puis tiens, encore du pur jus de juke avec «Cut It Out», bien enragé et presque sauvage. Willie finit son album en apothéose avec un enchaînement de cuts terribles : «Tease Me Baby» (heavy rockab admirablement dosé au chant), «Killer Diller Pills» (joué dans les règles de l’art du meilleur kabykab de cool cat), «If You’ll Be A Baby To Me» (boppé au beat pur, ces mecs jouent comme des dieux du stade) et ça se termine avec l’effarant «Great Cooga Mooga», un cut de bop pour lequel on vendrait sans hésiter son âme au diable. Rrraaaahhhhh !

    Wildfire Willie passait en début d’après-midi, le dimanche. La veille au soir, les Ramblers et lui accompagnaient le légendaire batteur Jimmy Van Eaton, mais, curieusement, pas sur la grande scène. Le vieux Jimmy atteint les quatre-vingt piges, mais il semble conserver un goût pour la frappe sèche, enfin c’est très spécial. On comprend cependant qu’il ait pu faire partie du house-band de Sun Records. Il raconte bien sûr quelques anecdotes. Les gens sont là pour ça.

    La grosse surprise du Rétro vient de deux groupes européens : l’un est belge (Shorty Jetson), et l’autre portugais (Roy Dee & the Spitfires). Deux groupes réellement excellents, chacun dans son style, mais diable, comme cette scène peut être vivante ! Shorty Jetson passait le dimanche après-midi.

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    Ce petit brun au physique de jeune premier grattait son acou comme les autres, accompagné de la formation classique, stand-up/drums/guitare. Au premier abord, le guitariste n’attirait pas l’œil. Il jouait sur Tele et n’avait pas de look, mais il se mit à jouer des descentes de gammes vertigineuses en picking et là, ça devint extrêmement intéressant. Sorti de nulle part, ce mec rivalisait de fluidité avec James Burton. Oui, il tapait carrément dans la véracité de la vélocité.

     

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    Ça semblait donner des ailes à Shorty Jestson qui, cut après cut, finissait par s’imposer, comme une sorte de petite star. Il chantait son rockab à la revoyure, la mèche dans les yeux. Il y avait du Vince Taylor en lui, mais aussi quelque chose qui relevait d’un mélange d’early Jack Palance, d’Indien d’Amérique, de petite arsouille et de branleur. Comme son guitariste Jo la fulgure, ce petit mec brillait comme un sou neuf. Il sortait de nulle part et régalait les amateurs entassés au pied de la scène. Il jouait tout simplement l’un des meilleurs rockabs qu’on pût espérer entendre à l’ombre du vieux beffroi de Béthune.

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    Franchement, ce genre de set relève de l’irrationnel : comment quatre petits mecs sortis du néant parviennent-ils à recréer la magie du rockab, un art éminemment difficile ? Mille fois plus difficile que le garage ou toute autre forme de musique moderne. Pour que ça marche, il faut une vraie voix, une diction parfaite, un vrai look, un sens de l’équilibre et une passion ardente, pas une passion du samedi soir. Le rockab relève plus de la vocation, c’est en tous les cas ce qu’on comprend lorsqu’on voit Shorty ou Wildfire Willie arriver sur scène. Shorty Jetson shakait son shook en rigolant, tellement il semblait heureux de se retrouver sur une grande scène. Sans doute beaucoup trop grande. Il fit tomber la chemise et continua de rocker torse nu.

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    Un immense trois-mâts ornait sa poitrine. Oui, en prime, ce mec arborait des tatouages de cité à l’ancienne, il poussait le sens de la classe jusque-là. Son rockab jubilait et crachait des flammes, comme le pot d’échappement d’un moteur mal réglé, ils osèrent même jouer «Get A Grip», un cut qui se brise comme une coque sur une cassure de rythme et qui repart comme par enchantement. C’est à ça qu’on reconnaît les bons. Après son set, Shorty Jetson vint se balader torse nu dans le public. Il lui restait six exemplaires d’un CD 4 titres sans doute édité à compte d’auteur. Il les offrait.

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    On retrouve sur ce CD toute sa hargne et toute sa classe. Dès «Cry Baby Boogy», il jette sa foi dans le pâté de foie. Ça swingue à la démence et ça rocke jusqu’à l’os à moelle - This kid is soooo gooood ! Puis il fourre «Rocket In Your Pocket» sous le boisseau et le guitariste en profite pour enfiler un coup de driving de dingue. Il ne reste plus qu’à se poster à la fenêtre pour guetter l’arrivée d’un hypothétique album.

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    Roy Dee & the Spitfires viennent du Portugal. C’est l’autre révélation du festival. Wild Records vient de les signer, mais leur album n’est hélas pas encore paru. Il n’avaient que leur talent à offrir. Alors attention, ils pourraient bien devenir aussi énormes que les Wise Guyz, mais dans un genre différent. Alors que les Ukrainiens jonglent avec l’ultra-swing et un look à la Cochran, les Portugais vont plus sur le rockab wildy-wildo et le look marlou, celui des Bouges de Pierre Mac Orlan. Ces mecs sortent tout droit d’une taverne borgne du port, surtout le chanteur et le stand-up man, deux petits formats courts sur pattes, râblés, épais, coiffés de casquettes de gavroches, et pour la chanteur, maillot rayé et bras couverts de tatouages de matelot. Oh et des gueules ! Ils ont ces fabuleuses trognes dignes des collections de gueules cassées qu’on achetait autrefois à Saint-Malo, les fameux portraits d’Étienne Blandin. Le stand-up man porte d’immenses anneaux aux oreilles, il ne fait pas semblant. Si tu veux voir un frère de la côte, c’est lui ! Et puis le son ! Ces mecs-là se spécialisent dans les violentes montées et puissance, c’est-à-dire l’essence même du rockab. Le stand-up cat les génère de tout son corps, c’est hallucinant, il a en lui toute la hargne motrice d’un Johnny Powers, il fait la loco du train de Johnny Burnette, bah-boom bah-boom, il donne des coups sur ses cordes et tortille du cul en cadence. On sent battre le vrai cœur du rockab sauvage. C’est imparable. Roy Dee pique lui aussi de crises de folie furieuse, il part en vrille de Saint-Guy et s’en va zigzaguer au moment où tout menace d’exploser, mais chaque fois, leur train se remet dans les rails et repart comme si de rien n’était. Ces mecs dégagent une énergie bien plus sauvage que n’en dégagent les chevaux de la Brigade Légère, celle de Tony Richardson, bien sûr. Ça plait tellement au public du 73e qu’ils obtiennent deux rappels. Eh oui, on ne trouve pas des hot cats comme ça sous le sabot d’un cheval.

    Signé : Cazengler, Wildfire mouillé

     

    Wildfire Willie & The Ramblers. Béthune Retro. Béthune (62). 27 août 2017

    Wildfire Willie & The Ramblers. Rarin’ To Go. Tessy Records 2004

    Shorty Jetson & The Racketeers. No label.

     

    Talmy ça où ?

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    Et puis comme un miracle n’arrive jamais seul, Record Collector propose à la suite du panorama d’Oregano sur les Creation un article de Bill Kopp sur Shel Talmy. C’est dans ces occasions qu’on loue le seigneur pour de vrai. Comme l’indique le cat Kopp, Shel Talmy devint à l’époque une star, à l’instar de Phil Spector et de George Martin, ce qui était encore assez rare, pour les producteurs. À Londres, les plus connus étaient Mickie Most et bien sûr George Martin qui lui était associé aux Beatles. Mais comme Joe Meek, Shel Talmy avait la particularité d’être à la fois ingénieur du son et producteur. Technical expert with artistic focus. Et comme Andy Warhol avec le Velvet, il veillait au full control over the project.

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    Shel Talmy ne se contentait pas de produire, il découvrait. Hormis les Who, les Kinks et les Creation, il produisit aussi les Easybeats, Bowie et Roy Harper. Excusez du peu. Et comme Eddie Phillips, il ne rajeunit pas, puisqu’il va sur ses quatre-vingt ans. Mais apparemment, il est toujours en activité.

    Au début des années soixante, Shel se fit les dents à Los Angeles. Boss de Conway Recorders, Phil Yeend lui donna sa chance et le petit Shel enregistra des cuts de surf et de r’n’b. Il devint pote avec l’un des personnages clés de l’époque, le fameux Nick Venet qui bossait chez Capitol. Nick lui disait le plus grand bien de l’Angleterre, alors Shel eut l’idée d’y passer six semaines de vacances pour y tâter le terrain. Nick lui donna des acétates : tu peux t’en servir et dire que ce sont les tiens. Oh merci Nick ! C’était pas n’importe quoi : Nick lui filait carrément des acetates des Beach Boys et de Lou Rawls. Arrivé à Londres, Shel prit des rendez-vous. Il commença par demander à voir Dick Rowe chez Decca. Il y alla au flanc : «Je suis le truc le plus génial qu’on ait inventé depuis le fil à couper le beurre !» Intrigué, Dick écouta les acetates de Nick. Bingo ! Dick embaucha Shel sur le champ comme producteur. Son séjour de six semaines allait durer 17 ans.

    Son premier job consistait à produire les Bachelors. Shel rappelle qu’en 1962 British music was very polite, very precise, restrained and without much feel - oui, c’est encore à l’époque une musique bien polie et bien lisse qui ne fait pas de vagues. C’est justement ce qui ne plaisait pas à Shel. Il décida de faire à sa manière - So I chose to do it my way - Il devint producteur indépendant et comptait bien sûr Decca parmi ses clients. Il se fit vite un renom en tant que Famous American record producer et reçut la visite d’Andrew Loog Oldham. Il préférait monter sa boîte et vivre de royalties plutôt que d’être salarié par une grosse maison de disques comme Decca. Il faut dire que Decca battait tous les records de connerie. Souvenez-vous, ils avaient refusé de signer les Beatles. Quand Shel proposa Georgie Fame et Manfred Mann à Decca, ils déclinèrent. Decca allait aussi rater les Who que Shel leur amenait sur un plateau - Faut pas parler aux cons, ça les instruit - S’appuyant sur ce vieil adage, Shel cessa donc d’aller perdre son temps chez Decca et fila démarcher Pye.

    C’est dans une boutique de Denmark Street qu’il rencontra Robert Wace, un mec qui manageait les Ravens. Wace lui fit écouter une démo. Shel flasha sur ce groupe qui allait changer de nom pour devenir les Kinks. Ce fut donc le premier groupe que Shel présenta à Louis Benjamin, le boss de Pye. Louis fit d’une pierre deux coups : il signa immédiatement les Kinks et prit Shel comme producteur indépendant. «Long Tall Sally», premier single des Kinks, parut chez Pye. Shel allait y produire cinq albums et une bonne douzaine de singles des Kinks.

    Il avait des techniques de prise de son inconnues des techniciens britanniques : il voulait douze micros sur la batterie et trois sur l’ampli guitare, un tout près, un à quelques mètres et un autre dans la pièce pour choper le feedback - I wanted my records to be the loudest thing out there - Le rock n’en était encore qu’à ses débuts et Shel sentait qu’il avait the great good fortune of setting the standards. Il fallait donc tout inventer. Il fit travailler des gens comme Bobby Graham, Jimmy Page, Nicky Hopkins et l’arrangeur David Whitaker. Shel était alors ce qu’on appelait un «Hands-on» producer, un producteur clés en mains : il choisissait les chansons, faisait répéter le groupe, faisait les arrangements, enregistrait, overdubbait, mixait et mastérisait. Il voyait Ray Davies chaque semaine pour faire le point sur ses compos. Un jour, Ray commença à lui jouer «Sunny Afternoon» et après seulement quatre mesures, Shel lui dit : «That’s our next #1 !».

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    Puis il découvrit les Who via une gonzesse qui fréquentait Kit Lambert. Elle réussit à convaincre Shel de venir voir les Who répéter dans une église, quelque part dans Londres. À peine eut-il entendu huit mesures qu’il voulut les signer. Il venait de flairer le gros coup. Aucun groupe à Londres ne sonnait comme eux. Et pouf ! «I Can’t Expain», puis le premier album et une demi-douzaine de singles ahurissants ! Shel avait tout simplement réussi à capturer le chaos du groupe. Il tient toutefois à préciser que ce son ne sort pas de la cuisse de Jupiter - Pete and I did spend a lot of time in the studio on our own, trying various mic positions in order to wind up with the sounds you hear on the record - Puis une brouille juridique brisa cette belle union. En 1965, Shel produisit l’«I PityThe Fool» du jeune David Jones qui allait devenir David Bowie. Shel flaira le talent, évidemment - I thought he absolutely was going to make it - Mais David et Shel étaient beaucoup trop en avance sur leur époque.

    Puis il découvrit les Creation, qui furent ses préférés - His major regret - They were coming on great - Mais des tensions énormes déchiraient le groupe et Shel passait son temps à leur rappeler qu’ils étaient en studio pour enregistrer et non pour se taper dessus. Eddie Phillips et Kenny Pickett étaient en conflit avec Bob Garner qui avait une fâcheuse tendance à vouloir se mettre en avant. Shel est d’autant plus amer qu’il avait l’accord d’Ahmet Ertegun pour que l’album sorte sur Atlantic. Strat ne réussit pas non plus à éviter le gâchis. Shel les voyait déjà comme des stars. Ils étaient en tête des charts en Allemagne et un peu partout en Europe - I was going to put them over the top. And I think they would have succeeded. It didn’t happen and I regret it to this day - Si les cuts des Creation sonnent aussi divinement aujourd’hui, c’est bien grâce à Shel Talmy.

    Il produisit aussi un single des Damned, et des gens aussi divers que Lee Hazlewood, Amen Corner, Blues Project, les Small Faces, Goldie & The Gingerbreads et Chad & Jeremy. Et même l’album In Heat des Fuzztones en 1989. Son dernier coup de cœur est un London-based group, the Hidden Charms, dont le son lui rappelle les Kinks et les Who. On ne se refait pas.

    Shel Talmy aura passé sa vie à répéter : A lousy band with a great song will have a hit, but the reverse to that is not true (un mauvais groupe avec une grande chanson aura du succès, mais l’inverse est faux). Il est encore temps d’en prendre de la graine.

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    Et puis voilà qu’Ace propose un petit panorama du business productiviste de Shel Talmy, sous le titre de Making Time. A Shel Talmy Production. Alors oui, on saute dessus. On y trouve évidemment les Who («Anything Anywho Anywhere» - sheer excitement to tape - Les Who qui après Shel ne retrouveront jamais ce degré de perception dingoïde), les Kinks («Tired Of Waiting For You» - Shel is in charge of the visceral violent noise of early Kinks), les Creation («Making Time» - noyé de son dans le limon de Tin Pan, basse pulmonaire et same old song, pure démence de l’outrance), mais aussi des choses bien moins connues mais très spectaculaires, qui contribuent si bien à l’édification du génie productiviste de Shel Talmy, à commencer par l’infernal «Daddy Long Legs» de Lindsay Muir’s Untamed, un hit complètement inconnu au bataillon, monté sur un drive hors d’âge, pure giclée de concomitance suprême, parfait accouplement du talent de Lindsay et du productivisme latent du Talmy. La frangine de Lindsay s’appelle Mary Langley et on trouve sur la compile «Surrender», un hit de Mary ‘Perpetual’ Langley véritablement digne du Brill, elle chante comme une baby doll de rêve et, inexplicablement, elle est passée à la trappe de Père Ubu. Autre surprise de taille : les Sneekers avec «Bald Headed Woman», un rave-up monstrueux digne des Pretties. Le chanteur s’appelle Brian Howard. Il se livre ici à un joyeux trashy trash-out. On a là un pur wild bash-out à l’Anglaise qui sonne comme une fabuleuse explosivité multi-directionnelle, l’un des meilleurs garage-freakout d’Angleterre et Shel le tient bien en laisse. Tout aussi spectaculaire, voilà «Night Comes Down» des Mickey Finn, pur jus de savage beat, bardé de son. Le chanteur s’appelle Alan Mark et franchement, on se demande pourquoi ce groupe n’a pas explosé dans l’inconscient collectif. On passe aux groupes plus connus comme les Nashville Teens, amenés chez Shel par Don Arden. Alors oui, cette version d’«I’m Coming Home» est un petit chef-d’œuvre d’excitation, avec la double attaque de Ray Phillips/Art Sharp et ce killer solo en feedback ! C’est encore une fois bardé de son, incompressible, sauvage et glorieux. C’est là qu’on mesure une fois encore la hauteur du génie de Shel Talmy. L’un de ses gros espoirs était les Rockin’ Vickers de Blackpool. Si on connaît leur nom, c’est sans doute parce que Lemmy y fit ses débuts en tant que Ian Willis. Autre poulain de Shel : Oliver Norman, un black horriblement maigre qui chante «Drowning In My Own Despair» sur le beat de «Bernadette». On a là du pur Tamla Sound, c’est dire si Shel est bon. Même les cuts de Tim Rose et de Trini Lopez passent comme des lettres à la poste. Shel Talmy est une sorte de touche-à-tout de génie. Ses folkeux accrochent un petit peu moins bien. Il faut vraiment aimer le folk anglais pour écouter Pentangle, par exemple. Le duo Chad & Jeremy est beaucoup plus accessible : «A Summer Song» sonne comme un pur chef-d’œuvre de pop stellaire montée aux harmonies vocales subliminales. Ça vibre de beauté. Voilà encore une combinaison fatale de surdoués : même niveau que le team Righteous Brothers/Phil Spector, on est là dans l’ultimate etheric of it all. Au dessus, il n’existe plus rien. Shel dit aussi avoir énormément aimé les Easybeats, il suffit d’écouter «Lisa» pour comprendre ce qu’il veut dire, et Steve Wright reste un shouter exceptionnel. Puisqu’on est dans les Aussies, Shel aurait dû produire les Bee Gees, mais Robert Stigwood, lui-même Aussie, lui brûla la politesse. Autre épisode de taille : le pré-Bowie qui s’appelait encore Davy Jones et dont Shel produisit l’effarant «You’ve Got A Habit Of Leavin’», un slab de Mod pop entrelardé de shoots de freakout à la Talmy. C’est très spectaculaire ! Tiens, encore une merveilleuse surprise : The First Gear avec «A Certain Girl». British sound de 1964, très daté, mais on sent la patte du chef, on entend le travail indubitable du bassliner d’époque, on bouffe du son murky, comme dans les Creation et le son de guitare incroyablement agressif vaut pour une nouvelle preuve de l’existence de Dieu. Shel Talmy avait tout compris. Oh il faut aussi écouter le «Semi-Detached Suburban Mr Jones» de Manfred Mann, car c’est de la pop anglaise dotée d’une profondeur d’écho et d’allant inégalable. Ce fantastique Shel fait aussi du Brill avec Goldie & the Gingerbreads : «That’s Why I Love You» sonne comme un hit, avec ce fantastique trafic de prod prude.

    Signé : Cazengler, Talmygondis

    Making Time. A Shel Talmy Production. Ace Records 2017

    Bill Kopp : A Well Respected Talent. Record Collector #465 - April 2017

     

    TROYES / 08 – 09 – 2017

    3B

    EIGHTBALL BOPPERS

     

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    Sont baths les bataves, connaissent les bonnes adresses. Même là-bas dans leur pays au-dessous du niveau de la mer z'avaient entendu parler du 3 B de Troyes. Ce n'est pas Béatrice la patronne qui aurait laissé passer l'aubaine, les a plombés en plein vol ces hollandais volants qui avaient besoin d'une ville étape dans leur parcours vers le festival Rock'n'Road Stomp de La Souterraine. Une bien belle manière d'inaugurer la saison 2017-2018. Premier concert, apparemment tous les habitués ne sont pas rentrés mais il ne manque pas de têtes nouvelles. N'y a plus qu'à attendre que les Eightball Boppers finissent leurs repas pour que les festivités commencent.

    PREMIER SET

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    Suffit de savoir lire les signes. Surtout ceux qui ne trompent pas. Exemple : ces trois cymbales, cette caisse claire toute seulette avec cet unique long fut de grosse caisse dressé verticalement tel le premier étage d'une fusée sur son pas de tir, en robe zèbre démarquée du motif de la fastueuse veste onagrienne de Gene Vincent à Sidney – quoique à la réflexion ces traits noirs ondoyants sur fond blanc ne soient pas sans évoquer la frisotienne implantation pubienne d'une jeune fille, mais je m'égare, d'autant plus que Rat Rod se glisse derrière cette batterie rudimentaire dont il tient à nous démontrer tout le long de la soirée la redoutable efficacité. Ont bien choisi leur nom, des boppers de la mort, et Rat Ros qui officie debout à la Dickie Harrell est le maître stompeur de la huitième balle.

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    J'entrevois une question qui lève le doigt au fond de la cohorte des lecteurs, vénérable Damie pourriez-vous rappeler à nos ignorances profondément infinies la définition du Bop ? Ultra-simple, cher ami. Le bop c'est le swing. Mais le swing auquel vous prenez bien soin d'enlever au préalable le swing. C'est que voyez-vous le swing ronronne comme un moteur à quatre temps, une fois que c'est parti vous êtes tranquille pour la soirée. Le bop c'est itou, mais en plus fort, et de temps en temps – surtout sur un impair et gagne – vous assène un méchante beigne, toujours dans le rythme, mais genre coup de massue qui vous écrabouille. Hop ! Hop ! Hop ! Hop ! BOP ! Le bop c'est la saccade du coup de pied au cul qui vous éjecte du saloon juste au moment où vous croyiez recevoir sur l'épaule un discret effleurement d'éventail de la belle Lola pour vous inviter à monter au premier étage. Vous avez beau vous y attendre, savoir que le danger du mari jaloux vous guette, vous vous laissez prendre à chaque fois, disons toutes les huit secondes. Certains assurent que le bop est issu des tambours indiens, transbahuté par le rythme claudiquant du blues. Peut-être n'est-ce qu'un mythe fabriqué par un ethnologue qui voulait se faire remarquer. Ce qui est sûr c'est qu'il existe un étrange rapport entre le bop et le galop heurté d'un poney comanche sur le sentier de la guerre. Mais je vois que les 8BB ne m'ont pas attendu.

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    C'est Willy Cornelissen sous son chapeau gris qui a poussé de sa fender stratocaster une soufflante chalumique de dragon déchaîné, vous nettoie en cinq secondes l'œsophage pour le restant de votre vie, vous n'avez d'oreilles que pour ses giclées de fanfare fanfaronnante. Grave erreur, ce n'est pas lui le plus dangereux. Sachez identifier votre ennemi, surtout s'il vous veut du bien.

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    Certes on ne le voit pas bien, se cache un pas en arrière, entre le tronc d'arbre de la grosse caisse et la contrebasse de Henk Haning. Décorée façon char d'assaut. Imitation blindage. Fortes tôles tenues par les rivets style Nautilus de Jules Verne, pin up en écusson, et les flancs à damier jaune et noir comme les cuisines carrelées des années cinquante. L'est à son affaire, tire sur une corde et vous lâche une torpille chaque fois que Rat abat le bop sur son enclume.

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    Revenons à l'homme invisible Bert Damink - c'est son nom - qui joue au modeste, feutre noir aplati sur sa tête et yeux baissés sur sa Gretsch. Orange crochranien, un sacré indice mon cher Watson. Oui foi de Sherlock, n'est pas là pour faire le charlot. Dressez l'oreille, dans le déluge de Willy, ces petites notes, toutes fluides, toutes grêles qui s'insinuent l'air de rien et qui jouent le rôle de l'amorce sur les cocktails molotov, c'est lui. Sacré loustic. Quand vous apercevez que vous avez un couteau entre les omoplates, vous êtes déjà mort depuis longtemps. Aucun regret, passent leur temps à se marrer, échangent des mots incompréhensibles, sourient, rigolent, et enchaînent sans préavis un Flea Brain de Gene Vincent ou un Reelin' and rockin' de Chuck Berry. Le courant passe, Rat Rod possède quelques rudiments de français, coupe un peu les mots, mais établit une sympathique complicité avec l'assistance. Est plus souvent qu'à son tour au vocal. Vous l'assène sèchement sans fioriture ni friture. Une loi de base du rockab, les instrus se taillent la part du lion, mais c'est le singer qui découpe les morceaux. Faut avoir la voix acérée comme une machette, fait la partition, délimite le terrain pour chacun des soutiers, l'est le poteau qui délimite les intervalles, faut une sacrée complicité pour se retrouver tous ensemble pile-poil, les Eightball s'en amusent, il y en a toujours un qui commence quand les autres ne sont pas prêts mais deux secondes plus tard sont tous sur la même ligne. Du grand art. Je n'en veux pour preuve qu'une de leurs compositions. Commencent par répéter trois ou quatre fois Dentist avec la mine lugubre de celui qui va se faire arracher trois molaires sans anesthésie et tout de suite après c'est le paradis, le miracle, du pur Cochran, la guitare de Bert qui slalome entre les étocs et la voix de Rat qui enflent et diminuent tour à tour comme les vagues sur la mer, la contrebasse de Henk qui descend et remonte les escaliers en trombe, et la guitare de Willy qui vous claque une rythmique impitoyable comme une lanière de fouet ondulante. Même les Stay Cats ne nous ont jamais expliqué si clairement le lien structurel et séminal qui relie le bop de Gene à la rythmique d'Eddie. Eddie a raboté la rudesse du Bop, l'a transformé en inflexion, mais cet infléchissement n'est pas un adoucissement, rajoute de le courant électrique continu là où il n'y avait que tohu-bohu des ruptures rythmiques. La voix n'a plus besoin de se déchirer sur les éclats de verre brisé de l'instrumentation, c'est elle qui désormais mène le jeu et renforce de ses nuances sinusoïdales l'expressivité du morceau. Le set s'achève sous les applaudissements. La démonstration des Eightball Boppers est sans bavure. En une quinzaine de titres, ils ont montré qu'ils maîtrisaient parfaitement leur sujet.

     

    DEUXIEME SET

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    On ne se méfie jamais assez. L'on avait reçu une leçon de rockabilly. L'on croyait que c'était terminé que l'on allait se retrouver en territoire connu. Que nenni. Après la leçon, la raclée. Sur les deux premiers morceaux on n'y a pas fait gaffe, bien sûr il y avait cette façon de Bert de faire sonner ses cordes hautes de plus en plus fort. Un régal, un ronronnement de gros matou qui se pelotonne sur son coussin et qui s'apprête à passer à une nuit agréable après une fructueuse chasse aux souris. Puis il y a eu le sourire en coin de Rat Rot nous annonçant un titre en français. Enfin en belge. Et ploum, nous envoient un Ça Plane pour Moi, peu convaincant, genre de facétie qui n'apporte rien de neuf, OK, savent jouer aussi vite que des punks mais on le savait déjà. Z'ont décidé de nous faire perdre tous nos repères, voici These Boots are Made for Walkin', vous le troussent fort joliment le hit de Nancy, mais où veulent-ils en venir au juste ? Pas de panique, nous présentent un hit en dialecte – comprenez chanté en néerlandais – ne me demandez pas le titre par trop imprononçable pour nos gosiers gaulois – marqué pré-early sixtie, ça ressemble à nos premiers groupes français à la Chat Sauvage. Nous ont un peu menés par le bout du nez, mais c'était juste une tactique pour nous déstabiliser, car voici la guitare de Bert qui enfle, enfle, enfle comme un tsunami, ce coup-ci le temps des questions est passé, nous entrons dans l'ère des évidences. Formation rockabilly au carré, partie dans un rumble d'enfer, et ensuite faut suivre, car ça dépiaute sauvage et rapide, adieu le bop, voici les riffs rock qui s'enchaînent et se déchaînent, Raw Hide et le troupeau des long-horns déboule sur nous, l'on va être piétiné par ce millier de bisons qui foncent, quand la rythmique sautille narquoisement, serait-ce Louie-Louie ? pas le temps de lui serrer la main, quinze secondes de Satisfaction immédiatement suivi de Paint it Black qui s'accélère comme une loco qui quitte les rails, normal c'est Highway To Hell, arrêt en gare tout le monde descend sur les deux derniers vers de Stairway Heaven, pour repartir aussitôt sur Born to be Wild, mais j'arrête la liste, elle cache la guitare de Bert, plus de chat qui coucouche dans son panier, rugissement de tigres mangeurs d'hommes, et manque de peau nous faisons partie de l'espèce humaine ! Nous bouffe tout cru ! Diabolique cette succession de plans qui se métamorphosent à l'infini, et le combo qui suit comme les highlanders derrière les cornemuses, quand on enfonce les clous du rock'n'roll dans la croix, il faut que ça saigne un max, sinon, cela n'a pas d'intérêt. Une belle rouste rock'n'roll comme on aime en recevoir. Une apothéose.

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    TROISIEME SET

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    Il se fait tard. N'ont plus rien à prouver. Batifolent entre Stray Cats et classiques à la Tutti Frutti. De la belle ouvrage. Ni l'authenticité de la première partie, ni l'ouragan de la deuxième. Mais le hall des beaux modèles d'exposition que l'on ne se lasse pas d'admirer. Démonstration sur circuit avec dérapages incontrôlés sans faute. Finissent sous les acclamations, et les remerciements, écoulent une valise de CD et signent les affiches à tire larigrock. Pour l'ouverture de sa nouvelle saison Béatrice la patronne a frappé fort. Nous a offert une merveille. Merci les Eightball Boppers ! Une soirée diabolique !

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    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Béatrice Berlot et Christophe Banjac )

    100 MILES

    JAKE CALYPSO

    ( Rock Paradise / Chickens Records )

    ( Sortie : 16 août 2017 )

     

    KISMET / HOME IS WHERE THE HEART IS / I WILL BE HOME AGAIN / SUPPOSE / FLAMING STAR / I'LL REMEMBER YOU / POCKETFUL OF RAINBOWS / WILD IN THE COUNTRY / TODAY TOMORROW & FOREVER / IN MY WAY / MILKY WHITE WAY / THEY REMIND ME TOO MUCH OF YOU

     

    Jake Calypso : chant + guitars / Christophe Gillet : guitars + choeurs / Hubert Letombe : acoustic guitar + manettes / Didier Bourlon : guitar / Viktor Huganet : guitar + choeurs / Mehdi Wayball : guitar / Thierry Sellier : drums / Alexandre Letombe : drums / Guillaume Durieux : contrebasse / Ben D. Driver : Contrebasse / Serge Renard Bouzouki : violoncelles + accordéon + mandoline + bouzouki / Nick Anderson : piano / Fabrice Mailly : harmonica / Bernard Leblond : percussions / Jean-Charles Thibaut : choeurs.

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    A lire la liste des participants l'on pourrait croire que Hervé Loison avait décidé de convoquer l'entière tribu des derniers mohicans pour un grand pow-how d'enfer rock'n'rollien. N'en est rien. N'y a pas de disque plus solitaire que celui-là dans toute la production française. Un rêve de rocker. Forever. Comme personne n'oserait en faire. Une folie douce. Le type qui plante une pelouse pour les coccinelles en plein milieu de la jungle infesté de tigres sanguinaires. Remarquez l'on aurait pu s'y attendre. Des indices qui ne trompent pas : dans les premiers temps de son parcours : ce groupe nommé Mystery Train ou cet album enregistré à Memphis dans les studios Sun voici à peine deux ans, ne sont-ce point poinçons presleysiens à foison chez Loison ? Donc un disque dédié à Elvis cela tombe sous le sens pour quelqu'un qui vient de rééditer celui dédicated to Gene Vincent et qui a enregistré par ailleurs des albums consacrés à Little Richard et Johnny Burnette. L'on peut déjà dresser la set list, les incontournables comme Heartbreak Hotel, Hound Dog, Don't Be Cruel, tiens ce Milkcow Blues rugueux à souhait et... ramenons les vaches à lait à l'étable, Hervé ne mange pas de ce pain blanc de la facilité attendue. L'est un rocker, un vrai, un pur, à la dure caboche qui n'en fait qu'à sa tête. Faut toujours surprendre l'ennemi du côté par lequel il ne vous attend pas. Vous rêvez du Pelvis frénétique, erreur sur tous les sillons, ce sera le roucoulard des demoiselles, l'Elvis des plus ignobles ballades, celles qui vous font larmoyer de honte à l'idée qu'elles pourraient vous donner envie de pleurer car il est bien connu qu'un rocker au coeur de pierre ne pleure jamais... Pourrait se trouver au moins une excuse l'oison tapageur : morceaux immémoriaux de la mélancolie populaire que les cowboys chantaient le soir venu autour du feu, mais non fait exprès de puiser dans le répertoire le plus inavouable de l'enfant de Tupelo, quand il troque - à l'instigation dollarophile du colonel Parker - l'herbe bleue du Kentucky pour les champs de navets cinématographiques. Z'oui, mais pour Loison chez Elvis tout est bon. N'est-il pas le roi du rock ? Faut pas grand chose pour le prouver. Un petit magnéto et un billet d'avion. L'aéroplane c'est pour se rendre à Memphis, et le mini-cassette pour enregistrer, à mi-voix et parfois en cachette, et souvent à la sauvette, douze pépites d'Elvis dans les endroits où il a vécu : Tupelo, Graceland, Nashville... poussera le vice jusqu'en Allemagne. C'est de retour à la maison que Loison a rameuté les amis, faut habiller l'émotion de cette voix dénudée, lui tisser un habit transparent de cristal et de diamants.

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    Me suis posé la question : comment rendre compte d'un tel disque ? En même temps totalement hommagial et extrêmement personnel. Après avoir hésité me suis décidé pour l'épreuve ordalique. Par le feu. Morceau par morceau. Version Elvis. Version Jake Calypso. Méthode un peu traître. Nos deux lascars ne sont pas à armes égales. Confort du studio pour l'un, et enregistrement quasi-clandestin pour l'autre. Pas un match, Elvis hors catégorie de par son statut historial et Calypso qui ne se présente pas comme un challenger.

    Kismet : annonce fort la couleur Loison, dès le premier morceau. Perso, Kismet n'a jamais été qu'un morceau au mieux purement anecdotique de la discographie du King, extrait d'un film qui n'a pas laissé un souvenir impérissable dans l'histoire du cinéma. Et c'est-là que l'on se rend compte de l'habileté diabolique du projet. Ne s'agit pas d'une reconstitution à l'identique. Calypso dénude le chant, en accentue la limpide fragilité, donne à sa voix un tremblé que la mature facilité elvisienne a laissé de côté. Même parti-pris pour l'instrumentation qui accompagne plus en douceur qu'elle ne souligne chez Presley. Home is where the heart is : un morceau un peu moins rose ( même si l'héroïne de Kid Galahad s'appelle Rose ) que le précédent, davantage ballade country pour dire vite, Elvis y use sans abus de l'obus de son inflexion barytonnienne. Loison y susurre délicieusement, là où Elvis pousse au drame Calypso tire vers une taquinerie plus délicate. L'air de l'amoureux transi à première oreille, mais qui sait y faire pour embobiner les demoiselles... Moins sûr de lui que le chat des collines mais peut-être plus finaud. I will be home again : un titre de circonstance pour le premier album d'Elvis de retour à l'armée. Elvis met le paquet, voix doublée par celle de Charlie Hodge et derrière la musique balance et tangue comme dans une salle de ball. The Pelvis a les mains sur les hanches de la belle et l'est sûr qu'après   l'assaillira et la saillira à la hache d'abordage sur la banquette arrière... Loison ne se dérobe pas. L'attaque lui aussi bille en tête, guitares un tantinet un peu plus rustiques et des choeurs qui s'en donnent à coeur joie. Va encore y avoir des taches suspectes sur les sièges et Jake en rajoute au final, la voix qui éclate en trompette comme un coup de klaxon triomphal. Elvis n'y avait pas pensé, tant pis pour lui. Suppose : Elvis n'y va pas de voix morte, à l'écouter z'avez l'impression qu'il annonce l'imminence de la fin du monde, heureusement qu'il devient tout tendrou dès qu'il parle d'amour. Pas fou l'oison laisse le violoncelle de Serge Renard se charger de la promotion de la catastrophe, la voix reste à hauteur de demoiselle, la frôle, la cajole comme pas un. Je suppose qu'elle préfèrera l'homme de chair au super héros, même si avec les filles on ne sait jamais. Flaming star : générique d'un des films les plus aboutis Elvis. N'a pas peur Loison de s'attaquer à une de ces pépites du Maître. Genre de titre original dont l'interprétation d'une facilité déconcertante s'impose que aimiez ou non. Indépassable, mais Loison et son gang ont trouvé la parade. Tous ensemble. Une cavalcade digne du meilleur des westerns. Même que celui qui tire de l'accordéon, Serge Renard, joue plus vite que l'homme de main presleysien commis à cette même fonction, et Loison entraîne la troupe en galopant un cran au-dessus. S'en tire avec les honneurs de la guerre. I'll remember you : celui-ci Calypso est allé le chercher sur la dernière piste de la deuxième face de Spinout, Elvis devait l'aimer l'a souvent repris en public, guitare hawaïenne qui picore comme des tourterelles et voix de velours inimitable. Difficile d'être plus langoureux, Jake pose sa voix sur un fil angulaire, la rend plus fragile, plus blanche, le gars qui se déclare la peur au ventre, guitare qui grince en équilibre et traînées d'harmonica pour prendre courage. Pocketful of rainbows : Elvis lui file une allure de petit train d'interlude, le rythme trottine et la voix gambade en arrachant des touffes d'herbe, irrésistible. Coups de sabots sur la batterie, un petit coup d'accordéon pour emporter la décision, le timbre de Jake devient ardent, fouette cocher qui sera le premier à sortir un arc-en-ciel de sa poche ? Wild in the country : Sauvage est le country mais suave est la voix d'Elvis, des chœurs au loin chantonnent quelques cuillerées de miel, fermez les yeux vous êtes au paradis. La réalité doit être un peu plus rugueuse alors Calypso appuie un peu plus et les guitares cristallisent plus fort. Très convaincant. Deux dépliants touristiques alléchants. Today tomorrow & Foerever : Elvis triche, l'a le plus joli des jokers dans sa manche, la divine Ann Margret en personne – une de ses très rares conquêtes qui sera présente à ses obsèques – part avec un double handicap notre champion national si l'on pense à la débauche d'images en surimpression qui accompagnent la scène dans Viva Las Vegas, s'avance seul mais est très vite épaulé par son band d'amis, ce que vous ne voyez pas, vous l'entendrez, les guitares résonnent et bientôt vous marchez sur un tapis de mandoline. Bien joué ! In my way : Elvis. Tout doux, tout court. Sans fioriture. Le frottement des cordes comme comme de lointains pépiements de passereaux. Jake légèrement plus hésitant en sa déclaration. La voix plus nue, plus vulnérable aussi. Emotion pure. Le chant semble s'aventurer dans les orties de la parole. Pour donner plus de poids à la promesse éternelle. Milky white way : Ne s'agit plus pour Elvis de refermer dans sa patte de gentil méchant loup la menotte d'une fillette qu'il ne tardera pas à croquer mais de poser la sienne dans la paume de Dieu. Gospel chatoyant. Alors Jake se lâche. Nous donne les grandes orgues de sa voix qui résonne d'autant plus que l'accompagnement derrière est d'une tonalité plus authentiquement rupestre. They remind me too much of you : Les chœurs qui foncent sur la voix du King et puis qui fondent pour se mettre au diapason de ce mohair doucereux, Jake plus haut, plus affirmatif, avec parfois des clairières de repos et un piano qui laisse perler ses notes.

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    Calypso s'en tire mieux que bien. L'avait mis mis la barre haute. Mais son adversaire n'était pas Elvis. L'a tenté un pari contre lui-même. Crache mes tripes et montre-moi ce dont je suis capable. Fallait un sacré culot et une bonne dose de courage pour se lancer dans une telle entreprise. Et un sacré talent pour la réussir. Ce n'est pas qu'il chante aussi bien qu'Elvis – ce n'est pas la question – mais c'est qu'il se tient à ses côtés sans jamais faire un pas dans les sentiers du ridicule. Sans tricher. En lonely fugitive qui cesse de fuir et qui s'affronte au danger sans ciller. Ces douze morceaux sont les plus doux de toute sa discographie mais jamais il n'a su hausser le ton aussi fort. L'on ne s'en va pas houspiller le cobra dans son abri parce qu'il vous embête, mais pour se mesurer à ses rêves d'enfant. Ou de fan. Ne s'agit pas d'être le plus fort. Mais de combattre. Afin d'être digne de soi-même. A ses propres yeux. Parce qu'en certains moments importants de votre vie vous ne voyez plus les regards des autres. Et en cela Jake Calypso y a merveilleusement réussi.

    Damie Chad.

     

    LE ROI INVISIBLE

    GANI JAKUPI

    ( Futuropolis / Mars 2009 )

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    Une guitare qui mange la couverture amarante, une gueule de nègre qui essaie de se trouver tant bien que mal une place, tiens une BD sur le blues, dans le bac à soldes, toute neuve, on dirait qu'elle sort des rotatives, un euro quatre-vingt dix neuf – j'adore ces prix psychiques – je prends d'office, sans même regarder à l'intérieur. C'est à la maison que je me suis aperçu que j'avais fait fausse route, un gratteur de tango argentin, un jazziste, au secours ! N'empêche qu'au premier coup d'œil, la mise en page est accrocheuse, les bulles sont rectangulaires ( ce qui n'est pas pour me déplaire ) et puis ces couleurs échec et mates, des bleus de nuits solitaires, des rouges sanguinaires, des jaunes dromadaires, des mauves mortuaires, et en dernière feuille des notes documentaires ( ce qui n'est pas sans me complaire ). Je lis, je me précipite sur You Tube pour vérifier, ce Gani Jakupi ne nous servirait-il pas un fake monstrueux ? Mais non, le sieur Oscar Aleman a bien existé ! Nombreux titres, photos à gogo et même extraits de scènes de film. Quant à ce Gani Ja-ne-sais-plus-qui, force est de reconnaître qu'il a une tronche sympathique et un pédigrée des plus foisonnants, vient du Kosovo, batifole entre la BD et une espèce non identifiée de big band de jazz interculturel, dirige une collection de disc-books sur les musicos oubliés, écrit, politise, enregistre, bref l'on subodore un agité tous azimuts qui essaie de vivre un tantinet plus intensément que la moyenne. L'a même reçu le prix Alexandre le Grand, mais je ne peux certifier que les mânes du Macédonien soient en accord avec l'attribution de cette distinction honorifique.

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    L'est temps de lever le rideau sur Oscar Aleman, illustre inconnu. L'avons toutefois croisé quatre ou cinq fois dans Kr'tnt ! - sans le voir ni le nommer. Un de ces personnages de l'ombre mangé par les brouillards de la grande ( et petite ) Histoire. L'a été dans les années trente le chef d'orchestre de Joséphine Baker et a refilé quelques plans de guitare à Django Reinhart, le tout à Paris bien sûr. Capitale culturelle du monde à l'époque. L'a fréquenté les milieux artistes, rencontré entre autres Cocteau et Van Donguen, tapé le boeuf avec Duke Ellington et Louis Armstrong, genre d'activités et de fréquentations mal vues par les occupants allemands qui lui lui feront vite comprendre qu'il vaudrait mieux qu'il disparût au plus vite. Ce sera pour lui le retour à la case départ, Amérique du Sud. N'y est pas un inconnu, en sa jeunesse l'avait été approché par Carlos Gardel le roi du tango, argentin comme il se doit ( né à Toulouse ), mais l'entourage du chanteur l'avait dissuadé de se passer de ce virtuose de la guitare qui aurait pu lui voler la vedette sur scène... Sa deuxième carrière en son pays natal se déroulera sous les auspices du swing et du jazz... Se retirera peu à peu du devant de la scène et finira par mourir en 1980 oublié de tout le monde... Son nom émergera des cendres du souvenir à l'orée du vingt-et-unième siècle, l'album de Gani Jakupi précéda même de quelques années le livre Hommage à Oscar Aleman qui apportera les éléments biographiques indispensables à la naissance d'une légende...

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    La BD de Gani Japuki est un véritable chef-d'oeuvre de composition narrative, sait nous rendre le tourbillon effréné que fut la vie d'Oscar Aleman, scènes chocs et introspections profondes, exploration des failles et des cimes. Oscar Aleman fut un danseur, suffit qu'il passe une jambe devant l'autre sur les images d'archive pour être subjugué, l'est le roi du tango sans saccade, sans ces arrêts brusques - et somme toute désopilants quand on y réfléchit - qui sont au fondement de l'ossature coq-régraphiques de ces combats de machos à l'origine dépourvus de partenaires féminines, y introduit une fluidité swinguante d'une modernité dévastatrice. L'a déployé sa vie selon la dialectique des seconds couteaux, misère originelle, longs ponts de joie débordante, amertume finale. Un triptyque conventionnel. Le lot de la commune humanité ( car tout le monde n'est pas Alexandre ). Mais encore faut-il l'habiter avec la grâce du talent et quelques étincelles de génie. Ce qui vous donne l'impression d'être une étoile dans l'azur noir de votre existence. Mais filante.

    A découvrir.

    Damie Chad.

     

    JIM MORRISON, LE ROI LEZARD

    JERRY HOPKINS

    ( 10 / 181994 )

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    Douze ans après sa première biographie de Jim Morrison qui reste un incontournable pour tous les admirateurs du chanteur Jerry Hopkins éprouva la nécessité de revenir sur le personnage qui entre temps avait acquis un statut légendaire auprès de la jeunesse occidentale. Le livre évite le piège de la redite, le texte est moins touffu, beaucoup plus nerveux, si rapide que que pour étoffer le bouquin notre auteur le fit suivre des grandes interviewes accordées par Morrison tout au long de sa carrière. Mais nous sommes loin d'un travail bâclé qui aurait voulu profiter de l'intérêt suscité par le film d'Oliver Stone sorti en 1991 un an avant la parution de The Lizard King, The Essential Morrison. Qui porte bien son titre. En seulement sept chapitres Hopkins parvient à circonscrire le parcours existentiel de James Douglas Morrison d'une manière fort étonnante puisqu'il dessine d'une main sûre le tracé parabolique de cet embrasement météoritique que fut la vie du poëte.

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    Un gamin attachant. Dans le livre. Car au quotidien ce ne dut pas être une partie de plaisir pour les parents que de tenter d'inculquer les bonnes manières à ce garnement. Le canard sauvage né par inadvertance au coeur de la sagesse poulaillère. Plus tard devait se révéler être le cygne noir de la portée familiale mais pour le moment il n'est qu'un gamin qui épidermiquement ne supporte pas l'autorité. Ce qui est dommageable quand on naît dans une famille de militaires. Ne suivra pas le sillage paternel, ne finira pas amiral. N'est pas idiot. Est même superbement intelligent. Adopte très vite une ligne de conduite qui semble répondre au titre du premier album d'un de ses fabuleux contemporains. Le Are You Experienced ? de Jimi Hendrix. Très tôt Morrison suit une conduite de vie des plus dérangeantes : toute rencontre avec un tiers humain n'est pas vécu comme une ouverture à l'autre mais comme une expérience. Pas scientifique. Poétique. Sachez entrevoir la différence ! N'est pas méchant, mais avant de vous admettre dans son intimité vous fait subir un examen de passage. Dont la validité permanente nécessite de temps à autre de nouveaux tests intempestifs de remise à niveau. L'est un expérimentateur. Vous pousse dans vos retranchements. Etudie vos réactions. Vous pose des défis. Mais il faut comprendre que lui-même se soumet à ce même genre de discipline. Ne demande pas plus de vous moins qu'il n'exige de lui-même. Paul Valéry – ô combien apollinien par rapport au dionysiaque Morrison - a conceptualisé dans sa jeunesse cette façon d'être sous le concept de Gladiator. Celui qui descend dans l'arène mais qui sait que le plus grand des adversaires ne se trouve pas parmi la fourmilière des myrmidons qui gravitent autour de lui à l'extérieur du monde, réside en lui-même. L'on ne comprend rien à Jim Morrison si l'on oublie cette figure agissante de l'Expérimentateur – autre figure tarotique du bourreau - qui le mènera jusqu'au bord du gouffre.

    La musique n'était pas sa première passion. L'avait compris que la civilisation moderne était celle de l'image, et sous sa forme dévoyée, de la communication. Voulait être cinéaste. James Dean et Marlon Brando furent les premiers rebelles, bien avant Elvis Presley. La collusion rock and roll-cinéma est des plus flagrantes. Le rock and roll possède un avantage indépassable, nécessite peu de mise de fond, trois amplis et deux micros et c'est parti mon kiki. Pas besoin dans un premier temps de se lancer à la recherche de millions et d'une société de production. Jim Morrison s'adonna au rock and roll comme ces alchimistes qui pratiquent la voie sèche infiniment plus rapide que la voie humide mais extrêmement plus dangereuse. Le creuset foudroyant vous pète plus facilement à la gueule que l'alambic qui mijote sur le coin du feu.

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    La collusion des Doors est unique dans l'histoire du rock. Trois musiciens qui ne sont pas faits pour jouer ensemble. Davantage des concertistes venus d'horizons musicaux différents qui par la force des choses se retrouvent... à jouer ensemble. N'y parviendront jamais, mais ils trouveront la parade ( pas du tout douce ), seront à côté, chacun dans son coin mais sans aménité envers les deux autres. Sont merveilleusement aidés par Jim, l'improvisateur, le cap est là, faut mettre en musique les lyrics, les accompagner, suivre les effets induits par les textes et si possible les préparer. Car Jim fidèle à lui-même expérimente ses poèmes. Les met en voix, les réécrit, supprime une strophe par ci, rajoute une stance par là. La musique des Doors est une peau de léopard, taches noires morrisoniennes, pourtours fauves du récitatif musical. Le son des Doors pourtant si bien étiquetable grâce aux opulentes sonorités de l'orgue si datées n'est pas plus démodée que le son maigrichon des premières grattes originelles du blues. C'est ainsi que l'on s'aperçoit en quoi les Doors sont profondément un groupe de blues et sans vouloir entamer un inutile débat, peut-être celui qui s'est davantage réinstallé au plus profond du sillon originel que ceux que l'on nommerait d'instinct avant eux, tel le Paul Butterfield Blues Band...

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    Mais il ne s'agit pas de s'arrêter au premier des ingrédients constitutifs de la structure tripartite du rock'n'roll. Morrison sera un grand consommateur de psychotropes. Pour ces derniers après les avoir tous essayés en prenant bien soin de dépasser les doses non prescrites il retournera à la denrée de base, facile à ingurgiter, en vente libre : l'alcool... S'en explique très bien dans ses interviewes, l'alcool est une expérimentation infinie, décapsuler un goulot équivaut à ouvrir une porte, à passer de l'autre côté. L'ivresse en tant qu'art de vivre, en tant que perpétuelle expérimentation. Un courant qui s'empare du bateau ivre de votre conscience. Un mode de connaissance de l'univers et des hommes embarqués sur la même nef des fous. Pas de panique le capitaine garde le contrôle. C'est là le but ultime. Le jeu qui vous emmène au coeur de l'ouragan. Sourcier indien qui suscite ou éloigne les pluies diluviennes.

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    Cela c'est la théorie, car une fois que les orages désirés se sont rués sur vous il convient de ne pas être emporté par les torrentielles ondées que votre désir a appelées. Le grand Expérimentateur se présente comme le grand Manipulateur. Morrison est allé jusqu'au bout. La scène lui enjoindra d'étendre son champ d'action. Elle lui permet de jouer à l'apprenti sorcier. Ne s'agit plus de faire tourner votre entourage en bourrique, genre chef de bureau pervers narcissique qui rend chèvres ses trois dactylos, son champ d'investigation est des plus grands, l'a affaire à des milliers de personnes. Les kids qui crient et qui s'époumonent il sait en jouer, mais le cercle des impétrants s'élargit, le chaman n'est qu'un showman, peut compter sur l'approbation du public acquis à sa cause, mais son succès réveille bien des haines, policiers et ligues de vertu voient d'un très mauvais oeil ce trublion anarchiste qui tourne trop facilement la tête des adolescent(e)s. Après le concert de Miami – sera accusé d'exhibition de ses libidineuses parties – ce n'est pas la maîtrise de la foule qui lui échappe mais ce sont les ennemis de cette libération sexuelle et des esprits qu'il représente qui s'emparent des ficelles.

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    Le voici devenu marionnette. Durant un an et demi la menace de la case prison pèsera sur lui. Le jeu n'en vaut plus la chandelle. Il cherchait ses limites il les a trouvées. Désormais il les connaît. Ce n'est pas une surprise, mais une confirmation. N'était peut-être pas le Roi Lézard mais il pouvait tout faire. Du moins se permettre beaucoup plus que la plupart de ses contemporains, son argent, sa notoriété, son statut de rockstar étaient de sacrés boucliers corybantiques. Possédait l'arme ultime, la foudre jupitérienne. Mais une fois cette puissance acquise, le rêve réalisé était terminé. Rock is dead avait-il l'habitude de dire. Comme pour beaucoup d'artistes le succès s'était insidieusement métamorphosé en dépression. Resta longtemps larvée chez Morrison, mais finit par être incapacitante. Mais il possédait une porte de sortie. Une carte joker que beaucoup d'autres n'ont pas. La poésie.

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    Car ce qui sépare Jim Morrison, ce qui le met à part, c'est la puissance dreamique de ses textes. Résonances ouraniennes qui le portent en avant à mille lieues de tous les autres. Son destin est ailleurs pressent-il. Dès la fin de l'enregistrement de LA Woman – symbolique adieu crépusculaire à la démence américaine - il s'envole pour l'Europe. Le continent de cette vieille culture littéraire dont la puissance prophétique a irradié ses textes. Remonte à la source. Le Roi Lézard entre en hibernation. Tourne la page. N'aura pas le temps d'écrire grand-chose sur la suivante. La mort le rattrape. A moins que ce ne soit lui qui l'attrape par la queue. Expression des mieux venues puisque l'alcool a diminué ses capacités érotiques, porte en lui à son corps défendant un germe inconscient de volonté d'impuissance. La fin reste obscure. Non pas en le sens où l'on ne sait pas exactement comment cela s'est passé mais parce qu'elle mêle et entremêle deux principes vitaux d'illimitation de la vie qui ne sauraient être maniés sans précaution. L'exaltation troubadourienne se brise sur le rocher de l'héroïne. Le serpent bifide possédait bien deux têtes. L'on ne saura jamais laquelle des deux aura porté le coup mortel. Rock is dead. Définitivement. Ce n'est pas grave le toast-blues survit. Le Grand Imprécateur de nos faiblesses n'en finit pas de tonner dans ses poèmes.

    Les interviewes rejetées en fin de volume sont à lire. Elles nous montrent un Jim Morrison des plus lucides. Sait que les formules qu'il jette à la presse ne sont pas de vieux os pourris où il ne reste rien à ronger, mais des mantras synthétiques et évocatoires aux résonances infinies. Des formules magiques. Au sens noble de ce terme. Raymond Abellio a théorisé l'apparition de la grande lyrique romantique comme l'expression du phénomène de dévoilement des connaissances ésotériques. En bout de ce cycle la geste morrisonnienne apparaît comme la finalisation et la destruction de la naïve légende ( pour esprits faibles ) des supérieurs inconnus au profit des activistes poétiques. Un conseil méfiez-vous davantage de ces derniers.

    Damie Chad.