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eddy mitchell

  • CHRONIQUES DE POURPRE 670 : KR'TNT ! 670 : THE DAMNED / LAWRENCE / JAKE CALYPSO / SHEL TALMY / RONNIE WALTER/ ROCKABILLY GENERATION NEWS/ TWO RUNNER / CLAUSTRA / POGO CAR CRASH CONTROL / CHARLES EAST / EDDY MITCHELL

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 670

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    19 / 12 / 2024

      

     THE DAMNED / LAWRENCE

    JAKE CALYPSO / SHEL TALMY / RONNIE WALTER

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    TWO RUNNER / CLAUSTRA  

    POGO CAR CRASH CONTROL / CHARLES EAST

     EDDY MITCHELL

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 670

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Au bonheur des Damned

    (Part One)

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             Alors les Damned, c’était comment ? Power ! Élysée ! Captain ! Second Time Around ! Tempête ! Cap Horn ! Démâtage ! Wild as phoque ! Punk-rock ! Ni-Ni-Ni Neat ! Rat ! Bim ! Bam ! Boom ! New Rose ! I don’t know why/ I don’t know why ! Tonnerre de Brest ! It’s a Love Song ! Moule à gaufres ! In my face ! Flash-back ! 1977 ! I break my heart to please/ Eloise ! Te voilà fétu pour deux heures, les Damned te charrient et t’emportent. Depuis 1977, les Damned t’ont toujours charrié. Ils n’ont fait que ça. T’adores te faire charrier. T’es fait pour ça. La vie et puis la mort, le temps t’emporte, et les Damned sont un groupe purement métaphorique, ils ont le même pouvoir que ce temps qui t’emporte. Alors tu t’en délectes. Pire, tu te livres. Tu assumes parfaitement ton destin de fétu. C’est même une occasion en or de l’assumer. C’est très physique et en même temps très abstrait. En plus, t’as le spectacle. L’un des meilleurs spectacles de rock qui se puisse imaginer ici-bas. Tu le sais depuis Mont-de-Marsan, en 1977 : t’avais jamais rien vu d’aussi wild sur scène que les Damned à Mont-de-Marsan, Dave Vanian torse nu dans le cagnard, un vrai snake, et puis Captain et Rat et Brian James comme autant de rock stars sorties de nulle part, surtout Brian James. Et quasiment cinquante ans plus tard, ça recommence, avec exactement le même genre d’intensité sauvage. Le même genre de wild-as-fuckiness. C’est plus joli en anglais.

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             L’Élysée est rempli à ras-bord de vieux punks. Tu les entends raconter leurs souvenirs du temps jadis. Tu vois tous ces T-shirts des Damned. T’attends des heures et les voilà. Ovation. Double ovation. Triple ovation. Bordel, voilà les Damned ! T’écarquilles bien les yeux. Radadadadadam ! Ouverture des hostilités avec «Love Song». Oui, parfaitement, radadadadadam, Paul Gray gratte l’intro historique que grattait jadis Algy Ward with a coin, et l’énorme machine de guerre des Damned se met en route. L’Élysée tangue comme un trois-mâts pris dans la tempête du Cap Horn, ça ondule merveilleusement, tu commences à prendre des coups dans le dos. Ils enchaînent avec «Machine Gun Etiquette» et la foule en délire reprend le second time around avec Dave Vanian. Second time around ! Clameur monumentale ! Second time around ! On se croirait dans un film révolutionnaire d’Abel Gance, avec ces milliers de figurants alignés sur la falaise. T’as clairement l’impression de vivre un moment historique. Les Damned fédèrent le monde entier ! Alors tu brailles avec les autres ! Second time around ! Tu vis l’un des sommets de la clameur du rock anglais. T’en peux plus ! Tu te gaves du bonheur de la clameur. Tu bloques l’instant pour l’éternité en gueulant comme un veau ! Second time around ! Tous les fétus gueulent. Ça n’en finit plus de gueuler. Ça n’en finit plus de finit plus ! Encore ! Encore ! Second time around ! Mais les hits des Damned ne durent que trois minutes et tu vas bloquer que dalle. La tempête se calme soudainement et les Damned entrent dans le ventre mou du set. C’est une chance. Sans ce retour au calme, l’Élysée se serait écroulé.

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             Sur scène, t’as quasiment la mouture originale, ne manque que Brian James. Rat vient faire des ronds de jambe devant la foule avant d’aller s’installer derrière son kit. Il est assez haut et semble solide, même avec sa tête de pivert déplumé. Au fond t’as Monty Oxymoron, et dans un coin Paul Gray sur sa basse Rickenbacker. Devant, t’as Dave Vanian, tout en noir, gants noirs, lunettes noires, et comme tu le vois d’assez près, tu constates qu’il n’a pas pris une seule ride, rien, pas la moindre trace de vieillissement. Un vampire ? Va-t-en savoir ! Voix intacte. Dave Vanian reste l’un des meilleurs.

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    Et pour compléter ce fastueux panorama, t’as Captain. C’est lui le héros, un vrai clown et l’un des rois du killer solo flash, il tape tous ses plans sur une SG, comme le faisait jadis Brian James. Sous son béret rouge, il multiplie les grimaces, il lève la patte en l’air, il fait le clown, mais joue comme un dieu. Captain, c’est l’Haddock du rock, le clown suprême, ton meilleur ami, le punk-rock à deux pattes, le dernier des Mohicans, le claqueur de claquemures, l’extrême onction, le polichinelle de la Comedia des temps modernes, le Don Quichotte de la punka, l’impératif de l’imparfait, l’en-veux-tu-voilà plein les mains, le zébulon en large et en travers, l’espace intermédiaire, le réfectoire des références, l’apologie du rigorisme, le médiateur des médiators, le beret rouge sur Kolwezi, le Victor des Gogos, l’essuyeur d’emplâtres, l’allons voir si la New Rose est éclose, oui, amigo, Captain c’est tout ça et beaucoup plus encore, l’Achab des accablés, le blé des pauvres, le pote aux roses, le Rose-Croix du Golgotha, le quota des cote-parts, le partisan du parmesan, le zan du zazou, le zou-prolétariat du rock, l’eurock des 27, le set d’étable, ça n’en finirait plus, avec ce mec-là, et pendant ce temps, les Damned déroulent leur répertoire, ils réveillent un peu le Cap Horn avec «I Just Can’t Be Happy Today» qui n’est malheureusement pas au niveau des cuts du premier album tarte-à-la-crème, par contre, ils explosent «Eloise», ce magnifique hit de Paul & Barry Ryan que bizarrement les gens n’aiment pas trop, mais pour Dave Vanian, c’est l’occasion de réaliser un véritable exploit, car il faut aller la chercher, l’Eloise ! Et il la trouve, à la pointe de sa glotte de vampire. Ils vont boucler le set avec «Neat Neat Neat» et nous jeter à nouveau dans les remous du Cap Horn. Ils vont faire deux rappels. Le premier avec «Curtain Call» et bien sûr «New Rose», et là, c’est l’apocalypse selon Saint-Qui-tu-veux. Puis Captain va revenir et se demander, à voix haute, au micro, quel est le meilleur moyen de finir. «Smash It Up» ? Eh oui, Captain ! Smash it Up ! Ah il aime bien smasher son vieux Smash It Up. Ça lui rappelle sa jeunesse et nous la nôtre. Fin de la rigolade : les Damned se barrent. Fallait bien t’y attendre.

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             Captain revient au micro une première fois pour balancer ça : «Marci (sic) Marc Zermati, Little Bob, Stiff Records.» T’en a des frissons dans le dos. Puis il revient une deuxième fois pour rebalancer ça : «Hope we’ll live long enough to be back.» Old punk Captain prend soin de ses fans. Nous aussi on espère être encore en vie la prochaine fois.

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             Personnage tout aussi fascinant que Captain, Dave Vanian entre dans la cour des grands avec le Mojo Interview, rubrique habituellement réservée aux têtes de gondole. Il s’agit pour Dave Vanian, et donc les Damned, d’une sorte de consécration. Il précise très vite qu’il ne donne jamais d’interviews car il considère que la musique parle d’elle-même, et il ajoute que dans ce monde obsédé par la transparence, il préfère préserver sa privacy. Il rappelle ensuite l’épisode de la formation des Damned, après l’échec des Masters Of The Backside, projet qu’avait monté McLaren avec Chrissie Hynde. Rat lui présente Brian et c’est parti. Dave Vanian voit tout de suite que ce mec a quelque chose d’autre - I knew he had something different - Ce qui pour Vanian fait la force des Damned, c’est qu’ils étaient quatre fortes personnalités - As individuals they would have been stars in their own right - et il ajoute : «It reminded me of a wild jazz band.» Quatre fortes personnalités, ça ne vous rappelle rien ? John, Paul, George & Ringo. Ou encore Johnny, Jerry, Walter & Billy. Ou encore Alex, Chris, Andy & Jody. Vous voyez le genre ? Oui, les Damned c’est exactement le même concentré de génie que les Beatles, les Heartbreakers ou Big Star. Et quand Pat Gilbert lui demande pourquoi il a choisi de devenir un vampire, Vanian prend une pause avant de répondre - I’ve always preferred my own company - Et quand bien sûr Gilbert aborde l’aspect drunken hellraisers du duo Captain/Rat, Vanian répond sèchement que ça a bousillé pas mal d’opportunités - It was a bit stupid, basically overgrown schoolboys stuff - Alors que les autres sifflaient des pintes, Vanian préférait un verre de brandy. Et quand ils roulaient leurs clopes, Vanian fumait des cigarettes russes - I just preferred the taste - Mais en matière de chaos, Dave Vanian préférait laisser faire. Ou plutôt feignait de ne rien voir. Il rappelle que Captain et lui n’ont jamais socialised together, and still don’t, mais ils s’entendaient bien pour composer, comme le montre Machine Gun Etiquette. Au plan business, Dave Vanian rappelle qu’il n’a jamais gagné un rond avec Stiff. Il a seulement commencé à se faire du blé avec MCA, mais pas tant que ça - Je ne me plains pas, mais les gens croient qu’on est millionnaires, comme Billy Idol, mais ça n’a jamais été le cas, loin de là - Et pour lui, deux choses n’ont jamais changé avec les Damned : «It never gets any easier and it’s never as glamourous as it should be.» Il finit par faire cette confidence extraordinaire : «Ce qui m’a toujours motivé, c’est que savoir que les Damned avaient toujours a new good album à venir. I’m amazed we’d lasted that long. But I’m very proud of what we’ve done.»

    Signé : Cazengler, damé du pion

    The Damned. Élysée Montmartre. Paris XVIIIe. 1er décembre 2024

    Pat Gilbert : The Mojo Interview. Mojo #293 - April 2018

     

     

    Wizards & True Stars

    - Lawrence d’Arabie

    (Part Four)

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             Tiens ! Un book sur Lawrence d’Arabie ! Comment cela se fait-ce ? Qui peut avoir eu cette idée saugrenue ? L’idée vient du cerveau d’un certain Will Hodgkinson qui, pour parvenir à ses fins, a passé un an à sillonner les rues de Londres et de ses interminables banlieues avec Lawrence d’Arabie, qu’il qualifie, pour les besoins de la postérité, de Street-level Superstar. D’où le titre de ce book événementiel : Street-level Superstar - A Year With Lawrence.

             Force est d’entrer dans la danse des superlatifs car Hodgkinson a raison. On tient là l’une des dernières superstars d’Angleterre. Street-level, pour ne pas dire underground. On a déjà épluché tout Felt, tout Denim, tout Go-Kart Mozart, tout Mozart Estate dans les Parts One, Two Three, on ne va donc pas y revenir, même si l’envie brûle les lèvres de rappeler que certains de ces albums atteignent des sommets.

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             Lawrence d’Arabie s’est taillé un petit look sur mesure, à base de casquette à visière bleue, de grosses lunettes noires, et de mèches de cheveux filasses, ce qui d’une certaine façon le plastifie. Il est sans âge. Il fait ce que Ziggy fit avant lui : il s’auto-invente, il s’auto-fige, il devient iconique. Il est entré dans la peau de son personnage et il s’y tient. Il le maîtrise. Il l’incarne à la perfection. Il a les albums qui lui permettent de jouer ce jeu qui pour lui n’est pas un jeu. C’est toute sa vie. Il mérite pour ça un immense respect. Le plus immense. Il ne demande rien d’autre que d’être Lawrence d’Arabie et de briller au firmament de la grande pop anglaise. C’est donc avec un terrible bonheur qu’on entre dans ce book, car Lawrence d’Arabie s’y exprime au long de 300 pages agréables au toucher, admirablement composées dans un corps 12 bien aéré, la vie circule bien dans l’interlignage, et l’esprit règne en permanence, car rien de ce que dit Lawrence d’Arabie ne va te laisser indifférent. Quelques images rassemblées à la fin et imprimées sur le bouffant semblent vouloir résumer la trajectoire terrestre de l’icône. Les gris sont lavés à cause du bouffant, mais les images parlent. On va donc pouvoir se livrer une fois encore à cette petite manie des fièvres citatoires, mais n’est-ce pas là le plus sûr moyen de donner envie de lire ?

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             Au dos, t’as six hommages de personnalités (dont Jarvis Cocker, Bobby Gillespie, Miki Berenyi), et les deux plus intéressantes sont peut-être celle de Brett Anderson qui explique en trois lignes que Lawrence d’Arabie s’est toujours situé entre le succès et l’échec - Lawrence’s destiny was to be something uniquely in-between - et puis celle de Lawrence d’Arabie himself qui est un chef-d’œuvre d’auto-distanciation : «Will has finally written his masterpiece. Glad I could be of service.» Il sublime ainsi l’aspect plastique de son personnage. Il se prête à l’auteur pour que celui-ci fasse un bon book. Tiens, Will, voilà Lawrence d’Arabie, cadeau ! C’est pour toi, prends ! Will prend.

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             Il n’empêche que Will et son icône ont parfois des échanges comiques. Un jour Lawrence dit à Will que «d’écrire mon book me fera le plus grand bien», et Will est obligé de le recadrer en lui disant que ce n’est pas lui, Lawrence qui écrit : «I am.» Et il enfonce son clou dans la paume de l’icône : «You are the subject, I’m the writer.» Lawrence revient à la charge en posant toutefois ses conditions. Pas question de citer certaines anecdotes, par exemple celle de l’omelette au fromage. Il argumente : «Ce n’est pas ce que les fans veulent lire.» Quels fans ?, lui rétorque Will. Alors Lawrence répond «The fans around the world», et Will lui dit que l’omelette au fromage sera dans le book. Et là, t’a Lawrence qui lâche : «No omelette is going in my book.» Du Dada pur.

             Alors Will plonge dans l’icône et s’en donne à cœur-joie. Il commence par la situer dans notre pauvre époque : l’icône méprise Internet et les smartphones, l’icône ne se nourrit que de crackers, de tasses de thé et de liquorice (réglisse), l’icône ne peut pas vivre sans projet - To be without purpose is the worst thing I can think of - L’icône s’avoue dégoûtée par la vulgarité de la vie moderne. Parce qu’elle n’a jamais eu de hit, l’icône est encore obligée à 61 ans de faire gaffe à tout, c’est-à-dire de compter ses sous, comme le font beaucoup d’entre-nous.

             Encore plus épineux : l’aspect relationnel, il y a des femmes, bien sûr, mais l’idéal est de rencontrer someone with the same record collection, ce qui dans la vraie vie n’arrive jamais. L’icône dit aussi avoir été morbidly obssessed with The Exoercist à l’âge de 11 ans (le book, pas le film), d’autant qu’on racontait à l’époque que ce n’était pas une fiction.

             L’icône mène une vie monastique, à base de livres, de disques et de fringues - Books are the house bricks of my world. Records are the slate roof. Clothes are the soft furnishing - Il évoque sa dernière copine, the French girl. Il se dit presque soulagé de l’avoir vue partir - I said, «I’ll never be in a relationship ever again.» I never have. I like my own company. The sex part, you forget about it after a while. And I wasn’t, what do you call it, testosterone-heavy. I was a two-minute wonder. They’re not missing much - L’icône s’est asexuée - I’ve been asuxual ever since - Terminé, la gaudriole.

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             L’icône parle très bien de sa condition. Ses amis Peter Astor et Douglas Hart trouvent des jobs. Pas Lawrence d’Arabie. Il prend l’exemple de Knut Hamsun qui préférait mourir de faim et manger du papier plutôt que de décrocher un job - Si quelqu’un le voyait par exemple faire la plonge, ça aurait détruit sa crédibilité, et c’est comme ça que je fonctionne. Quoi qu’il arrive, je suis un compositeur et un musicien, et je ne peux pas faire autre chose - Et il conclut ainsi : «I cannot admit I’m not an artist.» C’est ça ou rien. Crever la dalle, pas de blé : aucun problème. L’icône s’assume.

             Autre chose. Le genre de petit détail qui en dit long : l’icône ne supporte pas les lézards. Quand il est invité à jouer à Glastonbury, on lui dit qu’il va devoir dormir sous une tente. Une tente ? Pas question ! Il s’insurge : «Where are the cottages for the stars?». On lui redit la tente. Alors Lawrence balance : «What if a lizard runs over my face?».

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             Côté influences, il n’est pas avare de merveilles - Il avait 12 ans quand il a vu en 1972 T. Rex jouer «Metal Guru» à Top Of The Pops et ça a changé quelque chose en lui. ‘From then on, I was T.Rex mad. Je crois que j’étais amoureux de Marc Bolan. C’est le moment où j’ai su ce que je voulais faire de ma vie.’ - L’icône trouve sa vocation. Il avoue aussi un petit faible pour «unsung geniuses like Chicory Tip and Lieutenant Pigeon.» Il salue aussi les Vibrators - They had the sound I liked: fast and angry - et bien sûr David Bowie. Puis il traverse cette époque où tous les groupes anglais (Weather Prophets, Primal Scream et les Mary Chain) voulaient être le Velvet Underground, «mais il n’y a qu’un seul Velvet Underground». Puis il flashe sur Nick Drake et notamment «River Man». Puis sur l’«I Threw It All Away» de Dylan qui se trouve sur Nashville Skyline, un cut qui lui montre qu’il est possible de composer une «love song with subtlety and originality.» Taxi Driver reste son film préféré - Harvey Keitel est le mac, et sa scène avec De Niro m’a fait pleurer parce que je n’avais jamais vu d’acting aussi intense avant. It is uncompromising.

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             Retour sur Felt, dont le premier album, Crumbling The Antiseptic Beauty date de 1982. L’icône en devenir avait mis trois ans à mûrir ce projet «in his teenage bedroom in the Birmingham village of Water Orton: Felt allait enregistrer 10 albums en 10 ans, en suivant un tight musical and visual aesthetic. This was to be an art band, avec des photos en noir et blanc de Lawrence et de ses co-conspirators affichant des moues profondes, un look qui s’accordait parfaitement avec cette musique hazy and dream-like dominée par le jeu fluide du guitariste Maurice Deebank, un virtuose discret que Lawrence avait découvert dans le village et qu’il voyait comme son passeport pour la gloire.» C’est admirablement bien résumé. L’icône en devenir se dit fière d’avoir découvert un génie dans son village - In a small village of a couple of thousand people, right on my doorstep was a genius. I was very lucky - Le problème, c’est qu’à l’époque, l’icône en devenir flashe sur Television. Pas Maurice - Maurice didn’t know Television, didn’t hear Television, didn’t like Television, wasn’t bothered about Television. He thought punk was ridiculous and he didn’t care about the subtleties of the fashions I was interested in - Et donc, dès le départ, il y des tensions dans Felt.  

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             Et puis Lawrence impose sa loi : par de grattes sunburst et uniquement des médiators blancs. Comme Maurice a une gratte sunburst, il doit la faire repeindre en noir. Puis l’icône en devenir va se transformer en tyran, s’inspirant, nous dit Will, de Kevin Rowland qui réveillait ses Dexys Midnight Runners à 6 h du mat pour aller faire du jogging. Pour recruter, l’icône en devenir hésite : prendre un bassman parce qu’il sait jouer ou parce qu’il est bien habillé ? En tournée, il interdit aux autres Felt de picoler, il leur impose de porter un uniforme et d’avoir des étuis de guitares rectangulaires. Il veut aussi fouiller les sacs de voyage, pour voir si les fringues sont conformes. Il veut surtout voyager à bord de «cool vintage cars.» - Being tyrannical on tour was the dream and God knows I tried, but they didn’t like it. Didn’t like it at all. And unfortunately, I didn’t have the money to buy their loyalty - Il avait aussi demandé à Tom Verlaine de produire Felt et Verlaine avait répondu non, car les chansons de Felt n’avaient à ses yeux ni début, ni middle, ni fin, «no light or shade, no arrangements.» Et bien sûr pas question de reformer Felt - Lou Reed a reformé le Velvet Underground, but I’m stronger than him - Et il a joute ceci qui est terrible : «Je pense que Lou Reed voulait reformer le Velvet Underground pour avoir son heure de gloire - his day in the sun - et en faisant ça, il a détruit la magie du groupe. I would never dismantle the magic of Felt.» Et Will surenchérit : «And he never has.» Fin de Felt. Tout ce qu’on peut faire à ce stade des opérations, c’est réécouter les albums. On ne perdra pas son temps.

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             L’icône va ensuite se jeter dans l’aventure Denim. L’icône dit qu’au temps de Denim elle était à la recherche d’un Londres qui n’existait plus, «Terence Stamp’s London in particular, avec des groupes comme Middle Of The Road, the Glitter Band - but not Gary Glitter - et Opportunity Knocks.» Elle ajoute plus loin : «On top of this, j’aimais les chansons courtes, quinze minutes sur chaque face de l’album. Put it all together and you are up with Denim.» Will corrobore tout ça en rappelant que Back In Denim, paru en 1992, était en avance de trois ans sur la Britpop. L’icône se dit aussi fière d’avoir fait cracker John Leckie, un producteur qui avait bossé avec tous les cracks, «John Lennon, Phil Spector, Mark E. Smith, and I was the one who drove him over the edge.» L’épisode Denim le plus hilarant est celui de Denim On Ice, inspiré d’un concert du «progressive keyboard wizard» Rick Wakeman en 1975 au Wembley Empire Pool, et intitulé ‘The Myths & Legends Of The Knights Of The Round Table On Ice’. Will nous donne quelques détails : «Un horn player rond comme une queue de pelle tenta de poursuivre Guinevere alors qu’elle glissait sur la piste, un combat entre deux chevaliers ne put avoir lieu parce qu’il en manquait un, des patineurs lancés dans des figures mythiques se cassaient la gueule sur la glace, et Wakeman fut tellement affecté par ce désastre qu’il en fit une crise cardiaque à l’âge de 25 ans.» 

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             Après Denim, voilà venu le temps de Go-Kart Mozart et de Mozart Estate qu’il qualifie de «world’s first B-sides band.» Comme pour Felt, il veut que ça reste «a band that doesn’t drink.» Le rider du groupe spécifie : «Only chocolate, Cadburys Daily Milk ideally, alongside raw cashew nuts, pistachios and confectionnery. No tea because nobody can make it to my specifications, and the band want 0 per cent beer. A can of Coke for me, pas la grande bouteille qu’on ne peut pas emmener partout. C’est très simple - le rider le plus simple in the UK, I reckon.»

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             On croise aussi un fantastique hommage à Peter Astor. L’icône le découvre au temps de the Loft - The Jasmine Minks jouaient : great name, awful band. The Loft jouaient en première partie : awful name, great band - Et il ajoute plus loin : «Peter Astor allait devenir une big star et il avait tout : the looks, the songs, the image. Mais il a commis une fatale erreur : il a splitté son groupe au mauvais moment. He wanted complete control, and when he got complete control, it wasn’t as good.» Il rend aussi hommage au book de Jim Carroll - Jim Carroll’s teenage New York teenage drug memoir The Basketball Diairies - «I’ve still got it. Very good book.»

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             Le cœur battant du book, c’est l’hommage à Vic Godard. Il s’agit d’une admiration qui remonte au «September 1976 punk special» du 100 Club quand les Subway Sect «rejetaient la mode punk en faveur du gris, et composaient des sharp songs inspirées du cinéma et de la littérature française.» - Vic Godard fournit alors à Lawrence le modèle de ce que pouvait être une vision pop - Et l’icône en devenir d’ajouter ceci qui est assez royal : «Number One Subway Sect Fan in Birmingham was my official title.» Vic va devenir the guiding light de Lawrence d’Arabie. Au point d’affirmer : «He’s the best songwriter who ever lived.» Au moins, comme ça, les choses sont claires. Et boom, l’icône emmène son portraitiste Will à Kew, où vit Vic. Vic n’a jamais quitté Kew. En 2006, il s’est installé dans le «bungalow» avec son père Harry qui a aujourd’hui 102 ans. On le voit en photo dans les gris lavés des pages de fin. Vic, Will et Lawrence entrent tous les trois dans la chambre du vieux qui croasse : «I remember you.» Puis il ajoute en pointant le doigt vers Lawrence : «You’re in that terrible band.» Attention, on est chez les cracks en Angleterre, et les échanges nous dépassent. Et Vic avoue à l’icône transie d’admiration qu’il ne peut plus donner de concerts, car il s’occupe d’Harry à plein temps - I’m here the whole time looking after him - Vic va dans la kitchen et met l’eau à bouillir pour faire un thé. Will se marre : «C’est bien la première fois que je vois Lawrence accepter une tasse de thé chez quelqu’un.» Et puis t’as ça qui va t’envoyer au tapis : Lawrence d’Arabie compare le jeune Vic à Antoine, «the naughty but philosophical boy hero of Truffaut’s The 400 Blows.» Pas mal. Bien vu ! Personne n’est plus punk qu’Antoine Doinel. Tu vois le punk courir à la fin des 400 Coups. Punk car innocent. Quelle connexion ! Lawrence/Truffaut/Godard ! Lawrence et Will ont tout compris. Et c’est pas fini : Vic dit à Lawrence éberlué que son inspiration lui est venue à l’époque d’une photo de Richard Hell et Tom Verlaine dans Interview magazine - Tom Verlaine is wearing a budgie jacket and Richard Hell has a ripped jumper. I hadn’t heard a note of their music - Quand Lawrence voit Subway Sect pour la première fois en décembre 1977 au Top Rank, «it was the greatest concert he had ever seen.» L’échange se poursuit et Will nous dit que Lawrence est tellement excité en présence de son héros qu’il passe son temps à l’interrompre - Tu portais des pantalons gris et un flash jumper. I still do that combination to this day - Et Vic commence à balancer des infos de choc. Il explique par exemple que son amitié avec le guitariste Rob Symmons s’est cimentée quand il a découvert que le gardien de l’immeuble où Symmons vivait à Putney n’était autre que le père de Marc Bolan. Puis il y a l’histoire du bras de fer avec la manager Bernie Rhodes qui leur dit de trouver un batteur avec les cheveux courts - Alors on a cherché le batteur qui avait les cheveux les plus longs - Will assiste à cet échange de rêve et nous propose de méditer sur ça : «Alors que Vic Gogard expliquait d’une voix claire et lente sa façon de voir les choses, il apparaissait clairement qu’il disposait d’une nature aussi contradictoire que celle de Lawrence. Le punk-rock l’avait défini, mais ses héros étaient Hoagy Carmichael, Johnny Mercer, Irving Berlin, Cole Porter... All the old names, as he called them.» Vic ajoute qu’il est allé voir chanter Frank Sinatra en 1977, «right in the middle of punk». Mais il dit aussi avoir flashé sur «Something In The Air» de Thunderclap Newman, et «Somethin’ Stupid» de Frank & Nancy Sinatra - Rod Stewart’s Every Picture Tells A Story was the first album I bought. I loved Rod Stewart... until he went really shit - Puis il avoue sa passion pour Guy de Maupassant - Notre bibliothèque municipale avait tous les scripts des films de Jean-Luc Godard et je les recopiais pour mes chansons - Après le split de Subway Sect, Vic dit que Bernie Rhodes le payait «£50 pour écrire dix chansons par semaine.» Mais il n’en est rien sorti - Meanwhile, I wanted to get as far away from punk as possible, so I went towards jazz and swing on Songs For Sale. My upbringing allowed me to do that - Évidemment, cet album est l’un des favoris de Lawrence d’Arabie - To me, Songs For Sale is unquestionably the best album of the 1980s. It has the best songs; the best music, the best ideas, the tightest band. It was on London records, which is great, because that’s the label Denim signed on - Puis il demande à Vic ce que signifie cette phrase dans «Moving Bed» : «I may fall asleep while composing a verse, I may set myself alight again.» Et Vic lui explique : «It’s about gear» - Will développe : «Vic spent much of the 1990s on heroin, cleaning up in 1989 after becoming a postman, although he had a relapse in the late ‘90 after his mother died.»

             C’est l’occasion ou jamais de sortir les Vic de l’étagère.

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             Vic porte un beau smoking sur la pochette de Songs For Sale. Ce crack du croon est parfaitement à l’aise dès «Hey Now (I’m In Love)», il fait du Sinatra à l’anglaise. Notez bien les noms des cracks qui swinguent derrière Vic Sinatra : Chris Brostock on bass et Sean McLusky au jazz drum. Vic appelle sa fine équipe The Subway Sect. Ils swinguent encore comme des démons sur «Crazy Crazy». Tu peux y aller les yeux fermés. Hommage à Tony Bennett avec «Mr Bennett». En B, t’as encore deux merveilles de swing : «Dilletante», bien swingué sous le boisseau, et «No Style», au bout de la B, plus bossa. Vic Sinatra roule bien sa bossa. T’as là un cut puissant et léger, avec le piano en roue libre.  

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             Paru en 1993, The End Of The Surray People est un fabuleux album. Vic Godard y rend un hommage qu’il faut bien qualifier de mythique à Johnny Thunders dans «Johnny Thunders», c’mon boys ! Il siffle ! On suppose que c’est Edwyn Collins qui gratte les poux de Johnny T. C’est du pur mythe d’I’m gonna quit this town forever/ Quit this town for good/ Just like Johnny Thunders, avec les chœurs des Dolls et le bassmatic mirobolant et ultra malveillant de Paul Baker, ou de Clare Kenny, le saura-t-on jamais ? L’autre grosse pointure de l’album, c’est Paul Cook qu’on entend mener l’instro «Inbalance» tambour battant et qu’on retrouve plus loin dans «The Pain Barrier». Ah le Cookie sait battre le beurre ! Avec «Some Mistake», Vic Godard tape une pop godardienne d’excellence suprême. Présence miraculeuse ! Encore deux coups de génie sur cet album : «Talent To Follow» et le morceau titre à la fin. Pur génie que ce Talent, avec son bassmatic élévateur et les gimmicks flamboyants, Godard allume comme un punk de la première heure et ça donne la meilleure pop d’Angleterre. Et puis ce morceau titre que tu va réécouter en boucle, car c’est l’Americana de London town, admirable de singalong, Vic Vodard chante ça d’un ton prodigieusement inspiré, c’est gratté à coups de slide mirifiques. Les épithètes font la fête car c’est un cut magique ! Pas étonnant que Lawrence ait flashé sur Godard.

    , the damned, lawrence, jake calypso, shel talmy, ronnie walter, two runner, claustra, pogo car crash control, charles east, eddy mitchell,

             Et puis t’as la poisse. Une street-level superstar sans la poisse, ça ne serait pas crédible. Il est sûr de son coup avec «Summer Smash». Mais au moment du lancement officiel du single, la Princesse Diana se tape un summer smash en vrai sous un tunnel parisien. Le lancement officiel du «Summer Smash» de Lawrence est annulé. «It was over», said Lawrence. What happened next? «I Had a mental collapse.»

             Un designer de mode nommé Rick Owens voulait monter le «Mount Rushmore of ageing rock» avec des «craggy-faced rock characters». Alors il en choisit quatre : «the communist fashion victim Ian Svenonious, Saul Adamczewski from the South London grots the Fat White Family, and Peter Perrett of the punk-era band the Only Ones, a man to match Lawrence with his apparent indestructability in the face of a less-than-healthy lifestyle.» Si Rick Owens avait monté ce plan dans les sixties, il aurait sûrement choisi Ace Kefford, Syd Barrett, Brian Jones et Vince Taylor.

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             Un autre projet qui fait la fierté de l’icône : elle participe à la compile Light In The Attic And Friends, avec une cover du «Low Life» de Public Image Limited, «turning John Lydon’s caustic eulogy to Sid Vicious into a punk singalong with added easy-listening pizzazz.» Alors on l’écoute. Comme c’est du Light In The Attic, c’est un bel objet, un double album richement illustré mais mal documenté (le texte sur Barbara Lynn ne mentionne même pas le nom d’Huey P. Meaux). Ce ne sont que des covers. Lawrence est en B avec Mozart Estate et une version glammy du «Low Life». Il se répand bien sur la terre d’Angleterre. L’autre grand bénéficiaire de cette opération n’est autre qu’Iggy Pop avec une cover de l’«I’m In Luck I Might Get Picked Up» de Betty Davis. L’Ig se jette corps et âme dans la purée. Il n’a jamais été aussi Stoogien. Deux autres champions hors catégorie sauvent le projet : Barbara Lynn et Acetone. Barbara tape une cover de «We’ll Understand» à la vieille voix, c’est une vraie merveille de délicatesse black. Il faut attendre l’excellent «Plain As Your Eyes Can See» par Acetone, en D, pour flasher abondamment : vraie atmosphère, c’est même carrément envoûtant, deep & groovy, lourd de conséquences, avec un solo liquide. Les covers de Rodriguez («Slip Away» par Charles Bradley), de Wendy Rene («After Laughter») et du «Sad Old Man» de Karen Dalton par Mark Lanegan ne marchent pas.

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             Will cerne admirablement bien la personnalité de ce personnage complexe qu’est Lawrence d’Arabie. Vers la fin du book, il tente ce très beau résumé : «C’était un homme qui gueulait après ses musiciens s’ils jouaient une fausse note (ou une note juste), et qui leur tapait gentiment sur l’épaule lorsqu’ils sortaient de scène. Il avait de la sympathie pour les fous, les pauvres et les addicts, mais il avait aussi une forme d’admiration pour les gens riches et célèbres. C’était un célibataire qui allait au lit en rêvant de Kate Moss, un ascète que les privations avaient presque tué, un homme obsédé par le contrôle qui ne voulait pas que j’utilise le mot ‘just’, mais qui contribuait tellement à son book. Le monde allait dans un sens et Lawrence dans un autre, et je ne pouvais m’empêcher de penser qu’il en serait toujours ainsi.» Will fait le portait un excentrique britannique. Et il résume encore mieux, à la dernière page : «Quel est le prix du rêve ? Pour le payer, Lawrence a sacrifié sa santé, sa famille, ses relations et sans doute sa santé mentale pour l’art, la gloire, la pop et une vision singulière. Maybe sacrifice is the wrong word, though.» Il se pourrait que ce soit la définition d’un artiste. «Lawrence était destiné à parcourir sa route tout seul. Cette route pouvait être à Beckenham, Welling, Waltham Cross, ou n’importe à quel endroit où nous sommes allés pendant l’année que nous avons passé ensemble, mais cette route n’a ni point de départ et point d’arrivée et il se pourrait bien que Lawrence continue de parcourir cette route jusqu’à la fin de sa vie.» C’est beaucoup mieux écrit en anglais, bien sûr. Ce book est tellement bien écrit, et le personnage de Lawrence tellement bien cerné, qu’on se promet de le relire.

    Signé : Cazengler, le rance

    Will Hodgkinson. Street-level Superstar - A Year With Lawrence. Nine Eight Books 2024

    Light In The Attic & Friends. Light In The Attic 2023

    Vic Godard & The Subway Sect. Songs For Sale. London Records 1981

    Vic Godard. The End Of The Surray People. Postcard Records 1993

     

     

    L’avenir du rock

     - Hit the road Jake

    (Part Three)

             En bon descendant du singe, l’avenir du Rock aura passé toute se vie de concept à singer. Il singeait différemment selon les années. À l’aube des années 70, il adorait porter un masque de truite puant et un chapeau de quaker en l’honneur de son chouchou préféré, Don Van Vliet. Il lui arrivait aussi de porter un costard blanc auréolé de transpiration coloniale en hommage à Luke la main froide et à Calimero, ses deux littérateurs préférés, aussitôt après Houellebecq dont il a cherché à imiter la coiffure sans jamais y parvenir. Il adorait aussi se mettre en trave pour aller faire la New York Doll au bois de Boulogne et se faire casser la gueule dans les fourrés par des loubards de la Porte de Vanves. Dans la vie, il faut toujours savoir pousser le bouchon, et l’avenir du rock n’a jamais été pingre en la matière. Au contraire. Il s’est mis à bouffer comme un porc et à porter des lunettes d’aviateur pour défendre la mémoire d’Elvis que tous les cons du monde s’ingéniaient à calomnier. Et comme ça ne servait à rien, il s’est acheté une paire de lunettes à monture écaille et un veston d’un beau bleu électrique pour singer le Buddy de «Reminiscing». Bon, c’est vrai, il ne serait jamais allé jusqu’au look Brian Setzer car il faut en avoir les moyens capillaires, alors il a préféré opter à cette époque pour la boîte de cirage, les lunettes noires et le petit chapeau pour faire l’Hooky, se balader avec un flingot et chanter «Boom Boom Boom Boom». Il a aussi fait l’Indien avec une plume dans le cul pour honorer la mémoire de Linky Link, mais aussi celle de Marvin Rainwater, et s’il porte une salopette bien crade, avec de la vraie bouse, c’est bien sûr en l’honneur de Carl Perkins. Ah les culs terreux de Tiptonville, dans le Tennessee ! Il a bien sûr appris à cracher sa chique comme Charlie Feathers, à se curer les dents avec un cran d’arrêt comme Sonny Boy Williamson et à se faire sucer la queue pendant qu’il chante comme Jimbo. S’il t’accepte dans son intimité, l’avenir du rock te confiera qu’il n’a d’yeux que pour le punk-rock, d’oreille que pour le wild gaga des Gories, de goût que pour le rockab 56, de passion que pour la Soul d’Hi, d’envie que pour l’Hill Country blues de Como, avec en prime un faible pour le Calypso.   

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             Ça pourrait être la danse, mais l’avenir du rock parle bien sûr de Jake Calypso. En plus c’est pratique, car c’est un Français. Une sorte de superstar pas très connue, qui à l’inverse des superstars trop connues, ne fait que des bons disks. Jake Calypso multiplie les projets. En voici une nouvelle rafale.

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             Le nouvel album des Nut Jumpers vient de sortir : Generation Rock N’ Roll. Dans un monde idéal, chacun devrait le rapatrier. Un monde idéal, ça voudrait dire des millions de fans de Jake à travers le monde et donc de millions de rapatriements. Alors Jake pourrait se payer un Graceland du côté de Béthune et faire ce qu’Elvis n’a pas réussi à faire : continuer d’enregistrer des albums de rockab sauvage. Du rockab sauvage, t’en as plein dans Generation Rock N’ Roll : «Back In Black», t’as le slap qui fouette couenne du lard, t’en as aussi dans le morceau titre et dans «Stop Drinkin’ Still Play Rock’n’Roll». Jake reste fidèle au pulsatif des origines, celui de Bill Black. Alors attention, t’as Helen Shadow qui prend le chant sur «Chickies». Wow, comme elle est bonne, comme est fabuleuse d’à-propos, elle sait couiner ses fins de phrases. Et t’as trois cuts qui sonnent comme du Buddy Holly : «I Ain’t Messing Around», «So Good So Good» et «Pearly Doll Got Married», tous les trois embarqués au paradis, avec belle tension rockab et le chant Buddy. Comme sur son Tribute à Buddy, Fool’s Paradise, Jake refait de l’heavy Buddy sur fond de deep slap, c’est une merveille ! Avec «Don’t Know Where I’m Going», il va plus sur l’Elvis de «My Baby Left Me». Il est dessus. Et puis t’as cette autre merveille de French rock, «A Plein Cœur». Il enfonce les cracks du genre. C’est vaillant, beau et demented. 

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             Le Music For Females du Wild Boogie Combo est dédié à Hasil Adkins. Alors attention, fini la rigolade. Démarrage en trombe avec «She’s Mine», wild-catism de base et de rigueur ! Jake pousse des cris de souris. Il s’y jette à corps perdu. Avec Lux Interior, Jake est le seul à avoir pigé le principe d’Hasil. «Tornado», c’est tout bêtement la tornade du bulldozer, l’heavy weirdy weird, avec tout l’éclat de Buddy Holly. Heavy on the beat ! C’est même quasi-primitf, claqué à l’écho des cavernes. Jake explore et explose toutes les possibilités du rockab. Il retombe en plein Hasil avec «Bip Bop Boom». Il prend aussi «Bertha Lou» en mode heavy, il lui écrase le beat, il bat largement Tav Falco à la course, sur ce coup-là. Puis il fait son Jerry Lee avec «High School Confidential», il t’explose ça à coups de bop-a-school-high - Honey get your boppin’ shoes - Il y met toute son énergie et ça devient spectaculaire. Et puis, t’as ce «Roll Roll Train» écœurant de classe, gratté à la sourde, classique mais tellement gorgé de spirit. Il passe au trash-punk avec «Bonie Moronie». Il se couronne Empereur du blasting blast. Retour au pulsatif rockab avec «Baby Won’t Come Out Tonight», le beat est tellement détaché que ça frise le purisme extrême, Jake te gratte l’oss du beat à la sourde et chante exactement comme Hasil Adkins. Il pousse ensuite Buddy dans la friteuse trash-punk pour une version endiablée de «Rave On». Il reprend tout à zéro. C’est effarant d’explosivité. Il a encore la main lourde sur «Susie Q» et revient à Hasil avec «Woodpecker Rock», il en halète de sauvagerie, ah-ah-ah-ah ! Et ça continue dans l’Hasil avec le mighty «Chicken Walk», wild blast de Virgine, c’mon baby ! T’as peu d’albums d’un tel niveau de sauvagerie dans l’histoire du rock. Jake nous fait ses adieux avec le blast de la lutte finale, «Tore Up». Wild as fucked-up fuck !

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             Un nouvel album du Wild Boogie Combo paraît en 2020 : Black Hills Country Blues, avec un terril sur la pochette, comme on en voit dans les environs de Béthune. Lumière crépusculaire. Image en noir et blanc. Ça ne peut être que du noir et blanc. Influences : Junior Kimbrough, Fred McDowell, Dr Ross et Tony Joe White. L’heavy rumble de «Magic Pill» tombe en plein dans ce spot d’influences. Jake tape toujours en plein dans le mille. Plus loin, il secoue bien le cocotier d’«Eggs & Bacon», avec un admirable drive de c’mon baby. Il tape encore son «Baby Hold Me» au Mississippi beat, celui de Fred McDowell, tempo élastique noyé d’harp, sauvage et domestiqué à la fois. Incomparable. Puis il trempe son «Black Days» dans la mouise des dirt roads, mmmmm I don’t know. De la fantastique allure encore avec «Saturday Night Boogie». Jake est le cake du wild boogie, ça ne s’appelle pas le Wild Boogie Combo pour rien. Et il tape bien sûr un coup de Gospel batch avec «I Pray For Him». Tout sonne juste sur cet album. Pur jus d’Americana.

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             C’est Jake le gardien du temple, comme le montre Rockabilly Star. Cette fois le combo s’appelle Jake Calypso & His Red Hot et tu te prends «Rockabilly By Plane» de plein fouet. Tu l’as tout de suite dans le baba, c’est du big fat bop de don’t wait at the station. L’autre power-coup de génie de l’album est le morceau titre. Jake a tout le swagger des géants du rockab US, encore une merveille d’authenticité boppy, avec un killer solo flash de Christophe Gillet, l’un des cracks du real deal. La troisième perle noire de cet album est l’extraordinaire «She Bops Around The Clock», c’est même l’un des hits les plus faramineux du rockab moderne, il a tout : le yah!, le killer solo flash et le drive de bop. Ses yah! sont tellement purs ! Il fait encore de l’Americana avec «Blue Moon Bill», il te groove le rootsy rootsah avec un tact infernal, il fait aussi du Buddy avec «21st Century Boy» et du wild-catism avec «Alone With My Cabs & Dogs», bbbbbbopp it to the core ! Les Red Hot perdent un peu le rockab avec «My Baby Is Gone», mais en attendant, ils restent de sérieux clients.

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             Nouveau projet avec The Memphis Blues Cream et un fabuleux album, 706 Union Avenue. Ça commence avec «Bear Cat», un hommage délirant à Rufus Thomas - Jump & meow with the band - Jake y atteint l’un de ses sommets de tongue in cheek. Il tape ensuite le «Tiger Man» de Joe Hill Louis, heavy boogie down de Sun magic. Il tape à la suite le «Red Hot» de Billy The Kid Emerson, que va populariser Billy Lee Riley. Jake lui redonne sa fonction boogie originelle. Hommage à Pat Hare avec «I’m Gonna Murder My Baby», cover déchirante avec Earl The Pearl Banks on guitar ! Ça grouille de viande en B, à commencer par «Last Time» de Woodrow Adams, un heavy boogie tapé au Memphis Beat avec les coups d’harp de Vince Johnson. On reste dans la légende avec le «Barber Shop Boogie» de Willie Nix : hommage suprême au Sun Sound, c’est plein comme un œuf, et Jake chante à l’édentée, comme un Blackos. Jake dit aussi que Junior Parker «opened the way for the rockabilly guitar style», c’est vrai qu’avec «Love My Baby», on est aux sources de «Mystery Train». Et boom, tu prends la cover du «Come Back Baby» de Dr Ross en pleine poire, car Jake te gratte ça en mode proto-punk. Quel mélange ! C’est unique au monde : le proto et le Memphis Beat. Jake y injecte toute sa niaque rockab. S’il avait pu rencontrer Uncle Sam, il lui aurait redonné le goût d’enregistrer, aucun doute là-dessus. Nouvel hommage de poids à Joe Hill Louis, «the first overdriven & distorded guitar sound». Boom ! «Boogie In The Park» ! Jake et ses potes le tapent au train, au beat fouetté, avec un incroyable pouvoir d’évocation. C’est exactement ce pouvoir qu’avait en tête Uncle Sam. Chaque cut est ici taillé dans un son différent. Jake leur redonne à tous une forte personnalité. Exactement ce que fit Sam Phillips en son temps.

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             Tu vas faire une bonne opération en te tapant One Take Jake 2009/2019 et son petit frère, Second Take Jake 2010/2019. Ces deux compiles te permettent de revisiter toute l’œuvre de Jake Calypso. Il attaque l’One Take Jake avec un «My Baby Rocks» chanté de l’intérieur du menton. Il fait aussi le chicken de Rosco Gordon dans «Call Me Baby», tiré de Father & Sons. Retour à cet extraordinaire album que fut Vance Mississippi, avec le morceau titre, monté sur un beat primitif de caisse en bois, chanté au redneck growl pur, et quand Archie Lee Hooker, le neveu d’Hooky, entre dans la danse, alors ça explose en mode Boogie Chillun. Tiré aussi de Father & Sons, voilà l’indéfectible «Indian Boppin’». Jake y va au fast heavy bop de Charlie, au wild-catism délibéré. Il croone à la lune avec «I Was A Fool About You» et repart en mode hard bop avec «I’m Fed Up» encore tiré de cet album d’une incroyable qualité que fut Father & Sons. «Plans Of Love» sonne tout simplement comme un hit inter-galactique. C’est l’apothéose du cool. Il égrène les villes du Sud dans «Rock’n’Roll Train» tiré de Grandaddy’s Grease et te claque «Cause You’re My Baby» en mode Jerry Lee. Il a ce genre de niaque. Il sait aussi taper le Cajun comme le montre «C’est Ça Qu’est Bon». Dans «Born & Die», il salue tous ses héros, George Jones, Charlie Feathers, et Carl Perkins. Voilà un inédit : «Save Your Soul», pur jus d’Amaricana, avec un yodell du Kentucky. Le bop est au rendez-vous de «Baby That You Fall», et en fin de parcours, on tombe sur cette merveille qu’est «Cotton Field Day» et qu’on retrouvera sur le Blues Never Lies de Lonely Jake. Pur shake de champ. Il connaît ça par cœur.

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             La suite de ta bonne opération s’appelle Second Take Jake 2010/2019. Tu peux y aller les yeux fermés, alors yallah ! Ça pleut des cats & dogs, «You Killing Me» (tiré de Downtown Memphis, Jake y rivalise de grandeur tutélaire avec les rois du croon), «Ciderella» (gratté à la sourde, encore tiré de l’extraordinaire Grandaddy’s Grease), «Gonna Bring You Back» (bien claqué du beignet, tiré aussi de Grandaddy’s), «I’m A Real Cool Cat» (un smash de hard bop tiré des Lockdown Sessions, c’est hallucinant de verdeur bop !), «Babe Babe Baby» (pur jus de Sun rockab), et avec «Tell Me Lou», tu te croirais sur un single Meteor ou Starday, tellement c’est criant de véracité rockab. Coup de génie bop encore avec «Hey Barber Barber», avec tout le deepy deep de Vance, Mississippi, et qui dira la fantastique allure de «Torrid Love» ? Et t’as encore un mirifique hommage à Elvis avec «That’s All Right». T’es en plein cœur de Downtown Memphis. Et à la fin, t’as cette perle noire d’«If I Had Me A Woman», pur rootsy rockab. On se régale aussi de «Passion & Fashion», tiré de Father & Sons, pur jus d’Americana dans l’esprit d’O Brother. Jake montre une singulière aptitude à sonner vrai.

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             Grand retour des Hot Chickens en 2022 avec le joliment titré It’s Time To Rock Again. Alors oui, ça rocke le boat chez les Chickens avec, tiens, pour commencer, une cover ventre à terre de «Surfin’ Bird». Pur destroy oh boy ! Encore pire que celle des Cramps, ils y vont au ba-ba ooouh mama ! Autre stab de trash : «Unchained Melody». Vraiment ultimate, ils tapent ça au garage-trash fondamental. Jake joue avec le chant comme le chat avec la souris. Et tout l’album est un peu comme ça, débridé. Tiens, ‘coute cet «It Surely Ain’t The Rolling Stones» d’ouverture de bal. C’est bien sonné des cloches. Jake et ses deux potes te tapent ça au wild gaga sauvage. Wild as f-f-f-f-f-f-f-f-fuck. Impossible de qualifier ça autrement. Wild as fucking fuck ! Puisqu’on parle du loup, le voilà : «F***k You», gratté à la Gloria-mania. Suivi d’un gros clin d’œil endiablé à Chucky Chuckah : «Repose Beethoven» - Repose Beethoven/ Dans ta dernière demeure ! - Schmoll n’aurait pas fait mieux. À quand un tribute à Chucky Chuckah, Jake ? L’autre cover de choc, c’est bien sûr «L’Hymne À l’Amour», Jake y va au Piaf de si tu m’aimes et au Piaf de je me fou-ouuuhhh du monde entier ! Et ils repiquent une crise de wild-catism avec «We Are A Rock’n’Roll Trio». C’est leur fonds de commerce. Pur rockab de just set up and go ! Et avec «Take On Me», t’as tout le power du surnuméraire, mais au débotté.

    Signé : Cazengler, Calypso dans le vide

    Nut Jumpers. Generation Rock N’ Roll. Rhythm Bomb Records 2024

    Wild Boogie Combo. Music For Females. Chickens Records 2010

    Wild Boogie Combo. Black Hills Country Blues. Around The Shack Records 2020

    Jake Calypso & His Red Hot. Rockabilly Star. Around The Shack Records 2021

    The Memphis Blues Cream. 706 Union Avenue. Around The Shack Records 2022

    Jake Calypso. One Take Jake 2009/2019. Rock Paradise 2018

    Jake Calypso. Second Take Jake 2010/2019. Rock Paradise 2021

    Hot Chickens. It’s Time To Rock Again. Rock Paradise 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Talmy ça où ?

    (Part Three)

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             Bon d’accord, il n’était plus très jeune, mais ça cause tout de même un choc d’apprendre que Shel Talmy vient de casser sa pipe en bois. Plus très jeune, ça veut dire qu’il datait d’une autre époque, un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, celui des débuts des Kinks, des Who et des Easybeats, pour n’en citer que trois. Eh oui, amigo, ces groupes doivent tout à cet expat américain transplanté à Londres, et qui avait le génie du son. Ils ne sont pas des masses à pouvoir se prévaloir de ce genre de génie. Avec Shel Talmy, t’as Totor, Uncle Sam, Joe Meek, Kim Fowley, Jim Dickinson, Brian Wilson, Jack Nitzsche, Chips Moman, Gary S. Paxton, Norman Petty, Todd Rundgren, Gus Dudgeon, Huey P. Meaux, Shadow Morton, Norman Whitfield, Gary Usher, Charles Stepney, Liam Watson, Allen Toussaint, Cosimo Matassa, Carl Davis, et puis Andy Paley qui comme par hasard vient lui aussi de casser sa pipe en bois. On a déjà longuement célébré ici même les génies soniques respectifs d’Andy Paley (Inside the goldmine, en 2022) et de Shel Talmy (en 2017), aussi n’allons-nous pas remettre le couvert, car ce serait abuser, même si ces deux-là méritent qu’on radote à tire-larigot. Car tout ce qu’ils ont approché et produit relève du passage obligé.

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             Ce sont les gens d’Ace qui se sont principalement chargés d’œuvrer pour la postérité de Shel Talmy, avec une série de compiles majeures (Making Time - A Shel Talmy Production (2017), Planet Beat - From The Shel Talmy Vaults (2018) et Planet Mod - From The Shel Talmy Vaults (2018)

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             Les gens d’Ace en firent paraître une quatrième : Shel’s Girls - From The Planet Records Vaults. Que de son, my son et ça prend des allures mirobolantes avec Perpetual Langley et cette vieille pop sucrée de Belfast teenage très spectorienne. C’est elle la star des Shel’s Girls, on la retrouve avec «We Wanna Stay Home» - My name is Perpetual - elle chante son jerk de juke pour Shel, elle est épouvantable de sixties fever. Elle réapparaît avec «Two By Two», feverish as hell, elle chauffe sa pop avec un style qui vaut tout l’or du monde, c’est salué aux trompettes mariachi yeah yeah. Ça vaut bien les Detroit Cobras ! Elle boucle la compile avec «So Sad». Shel fait du big ambiant autour de cette star invraisemblable. The Orchids ? Tu crois entendre les Beach Boys. «OO-Chang-A-Lang» dispose de la même énergie balnéaire, et Shel fait une fois encore son Totor. On trouve plus loin deux autres cuts des Orchids, «Gonna Make Him Mine», un jerk de petite vertu, et «Stay At Home», chef-d’œuvre de pop craze qu’elles chantent ensemble. Jamais entendu parler de Van Lenton, et pourtant son «You Don’t Care» vaut le déplacement. Elle chante ça au petit chien de sa chienne. Margo & The Marvettes vont plus sur le garage avec «Say You Will». C’est atrocement électrique, avec des shoots hirsutes de freakbeat. Le guitariste s’appelle Trevor Burns. L’«A Ladies Man» de Colette & The Bandits est assez définitif d’un point de vue jukeboxique, et Liz Shelley chante «Make Me Your Baby» au sommet de son art avec un certain côté magique. On est encore en plein Spector sound, et avec son grain de voix, elle rajoute de la poudre de Perlimpinpin dans le son. Pure magie que ce «Songs Of Love» de Dani Sheridan. La prod de Shel y poursuit son petit bonhomme de chemin pendant le solo de trompette. Dani est une bonne. On va de merveille en merveille sur cette compile, il n’y aucun mauvais cut là-dedans, le «Surrender» de The Plain & Fancy sonne comme le jerk du diable et Sherri Weine chante son «Don’t Forget» à la folie.

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             L’idéal serait de se jeter ensuite sur The Best Of Planet Records - A Shel Talmy Production, une belle petite compile RPM parue en l’an 2000. Ne serait-ce que pour y retrouver les fabuleux Untamed avec le très Whoish «It’s Not True», un hit signé Pete Townshend. Seulement 5 singles, mais quel carnage ! Ils tapent en plein dans la cocarde, au big bash out, ça joue à la revoyure. Plus loin tu retrouves la même équipe sous le nom de Lindsay Muir’s Untamed, avec un «Daddy Long Legs» savamment enlevé. Passionnant et toujours cette prod impeccable de l’ami Talmy. Les autres grosses poissecailles de l’ami Talmy sont bien sûr les Creation qu’on retrouve ici avec l’heavy blast de «Biff Bang Pow», encore en plein dans la cocarde, complètement Whoish, fruit  du génie combiné d’Eddie Phillips et de l’ami Talmy qui a su capter tout le jus de ces démons. Le «Too Much Of A Woman» des Curduroys sonne comme un hymne Mod, et côté bonnes surprises, t’as le John Lee’s Groundhogs de Tony McPhee avec «I’ll Never Fall In Love Again», c’est tendu, bien cuivré, bien sec. Prod maximale ! Côté Shel’s Girls, tu retombes sur Dani Sheridan et «Guess I’m Dumb». Elle est tellement impubère qu’elle fout le souk dans la médina du Swinging London. On retrouve aussi bien sûr Perpetual Langley avec «We Wanna Stay Home», c’est elle la star du sucre candy, la reine de la pop du diable, car elle t’emmène en enfer. Plus loin, elle sonne comme les Supremes avec «Surrender», c’est dire si l’ami Talmy a le bras long. Les Orlons se croient aussi chez Motown avec «Spinning Top».

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             Dans les liners RPM (que signe Jon Mojo Mills), l’ami Talmy chante les louanges des Untamed : «I thought the Untamed were too far ahead of the market.» «It’s Not True» sera le troisième single Planet. À une époque, Detour vantait bien les mérites des Untamed. C’est vrai qu’It’s All True paru en 1999 est un album compilatoire attachant. On y retrouve l’«It’s Not True» signé Pete Townshend et paru sur Planet. S’ensuit «Fever», une pure giclée de Mod craze, enregistrée au De Lane Lea Studio de Dean Street, à Soho, en 1967, au cœur du Swinging London. Lindsay Muir y passe un killer solo flash pas piqué des hannetons. Muir est un mec qui a beaucoup d’allure et qui aime bien les cuts atmosphériques comme «Little Brown Baby». Il s’y investit à fond. En B, on croise une honnête mouture de «Land Of 1000 Dances» et un «Hush Your Mouth» un peu hush poppy nappé d’orgue sucré. Il faut attendre «Where She Gone» pour frémir un coup. Albert Lee y gratte ses poux. C’est du British Beat de Muir à cuire, il chante à la bonne arrache paradoxale, et Albert fout le feu, il claque du killer flash pur. On regagne la sortie avec «Cry On My Own» et le fantastique bassmatic de Ronnie Thomas. Les Untamed sortent en beauté. Ils groovent le British Beat et Muir chante comme un white nigger famélique. 

    Signé : Cazengler, Talmygondis

    Shel Talmy. Disparu le 13 novembre 2024

    Shel’s Girls. From The Planet Records Vaults. Ace Records 2019

    The Best Of Planet Records - A Shel Talmy Production. RPM Records 2000

    The Untamed. It’s All True. Circle Records 1999

     

     

    Inside the goldmine

     - Walker brother

             Son étoile n’a pas brillé longtemps, à peine quelques années, mais elle brilla si bien qu’elle brille encore dans le souvenir des habitants de cette petite ville. Grâce à Walbyt, ils connurent une période de grâce divine. Oui, la ville entière se découvrit une passion nouvelle pour les disques rares et la musique populaire. On faisait la queue le long du trottoir pour entrer dans la modeste échoppe de Walbyt. Derrière son comptoir, il jonglait avec les pochettes, vantait les mérites d’artistes inconnus et multipliait les remises, alors les gens achetaient, puis ils revenaient le lendemain pour dire qu’ils étaient contents de leur achat - Qu’avez-vous d’autre à nous proposer dans les 9 euros, monsieur Walbyt ? - Alors Walbyt filait dans sa réserve et réapparaissait avec une belle pochette dans chaque main. Un vrai gamin ! Il gesticulait sur ses petites jambes. Les gens adoraient le voir à l’œuvre. Walbyt était en plus d’un abord agréable, son embonpoint faisait plaisir à voir, il avait une bonne bouille, le cheveu rare et les yeux très clairs. Comme il voyait la file d’attente s’allonger à l’extérieur, il s’efforçait d’écourter les apologies : «Excusez-moi d’être aussi expéditif, mais les gens attendent pour entrer...», alors les clients le rassuraient - Non non, Monsieur Walbyt, c’est nous qui nous excusons de prendre sur votre temps - Ils payaient et partaient après avoir chaudement serré la main de Walbyt. Pauvre Walbyt, il n’avait même plus le temps d’aller faire son petit pipi, car déjà d’autres clients s’arrimaient au comptoir et l’interpellaient - Monsieur Walbyt, faites-vous des remises sur les soldes ? - Ah comme Walbyt adorait conseiller ses clients ! C’était presque une vocation religieuse. On le voyait avec des ailes dans le dos, comme Damiel dans Les Ailes Du Désir, des grandes ailes blanches, bien duveteuses. Ses mains blanches distribuaient les cartes de fidélité. Il semblait descendre mollement parmi les vivants pour se porter garant de leur bonheur, pour les conforter dans leur intelligence, pour les entraîner dans les voies impénétrables de la félicité, pour assurer leur salut culturel. Walbyt veillait à tout cela en même temps. Sa rigueur et sa conscience professionnelle faisaient de lui un Saint. Jamais aucun disquaire en France n’avait prodigué autant de bienfaits à des prix défiant toute concurrence.

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             Walbyt n’est pas le seul bienfaiteur de l’humanité. L’autre s’appelle Walker. Ronnie Walker. Espérons qu’un jour le Vatican les canonisera tous les deux. Walbyt et Walker font bien la paire. Ils sont hélas aussi peu connus l’un que l’autre. Walbyt a disparu corps et âme, quant à Walker, personne ne sait qu’il existe, excepté ceux qui écoutent les Masterpieces Of Modern Soul compilées par les cakes de Kent. Une fois que t’as déniché ce fabuleux Philadelphia Soul Brother qu’est Ronnie Walker, t’en dors plus la nuit.

             Il est bon de rappeler que Philadelphie fut dans les années 70 le paradis de la sweet Soul music. Parmi les gens qui accompagnent Ronnie Walker en 1968, on retrouve bien sûr Thom Bell et Leon Huff. 

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             Côté discographique, c’est la croix et la bannière. Il existe un album qui a pour étrange particularité d’être introuvable, et une poignée de singles réservés aux collectionneurs. Miraculeusement, il existe sur le marché une petite compile Philly intitulée Someday. Alors on la chope et on la dévore toute crue. Ronnie Walker sonne un peu comme Lee Fields, mais avec du sucre en plus. Il monte très haut quand il veut («Ain’t It Funny») et fait montre d’une extraordinaire présence, même avec un son pourri («I’m Singing Goodbye»). Il est comme noyé dans un son provincial, mais il épouse le serpent de la caducée. Il fait dirons-nous de l’excellent menu fretin. On sent le manque de moyens, il faut juste lui laisser un peu de temps. Ça commence à chauffer avec «You’re The One» et «Thanks To You». Il tape pas mal de cuts au chat perché bien gras et bien gorgeous. Ronnie Walker s’affirme très vite comme un immense Soul Brother. Son falsetto est comparable à celui de Smokey Robinson. Et voilà le coup de génie tant attendu : «Precious». Il se montre fantastiquement intrusif. Voilà ce qu’on appelle un absolute beginner. Il attaque «Everything Is Everything» en mode angélique, juste en dessous du boisseau de la Soul. C’est un malin, le Ronnie, il va sous les jupes de la Soul pour faire son sucre. Si ce n’est pas du génie, alors qu’est-ce que c’est ? Il se montre fabuleux d’ingénuité. Il te chante encore «It’s A Good Feeling» au chat perché sucré de rêve, sa petite glotte rose en palpite frénétiquement. Il tape dans le sucre supérieur, c’est ce qu’il faut retenir de lui. Il crée encore de l’enchantement avec «Now That You’re Gone», et porté par un bassmatic dévorant, il te drive tout ça out of this world. Cette bassline descendante est un chef-d’œuvre d’art contemporain. Il te ravit encore l’assemblée avec «Guess I’ll Never Understand». Ronnie Walker est un artiste brillant, il défonce bien la rondelle des annales. S’il ne s’appelait Ronnie Walker, il faudrait l’appeler Jo-l’insistant. Son chat perché est d’une puissance terrible. Pourquoi n’est-il pas devenu une superstar ? Bonne question. Il pose toujours sa voix avec du power, il réalise chaque fois une performance qu’il faut bien qualifier d’extraordinaire. Avec «In Search Of Love», il monte au chat suprême. Encore un coup de génie avec «Now There Is You». Quand on voit Ronnie Walker au dos de la boîboîte, on est frappé par sa ressemblance avec Lee Fields. «Can You Love A Poor Boy» est plus diskoïde, mais ça reste chanté à la voix d’ange de miséricorde. C’est même de la magie pure. Il crée sa magie rien qu’avec un chat, comme le font d’ailleurs Aaron Neville et Eddie Kendricks.     

    Signé : Cazengler, Ronnie Water (closet)

    Ronnie Walker. Someday. Philly Archives 2000

     

    *

             Insensé, tout ce bruit, comment peaufiner une kronic avec ce grabuge de cris discordants. Malgré les fenêtres à triple vitrage, je suis incapable de me concentrer. Je sais c’est la rançon de la gloire, toutes ces groupies, au minimum une vingtaine, assommant ! Les clameurs redoublent, des cris d’effroi, elles s’y mettent toutes à l’unisson ‘’ Damiiiiie ! Damiiiiiiie vite ! Damiiiiiiiiiiiiiie ! Viens vite ! Au secours !’’ Je suis un rocker, je ne saurais laisser des demoiselles en danger de mort. J’entrouvre la fenêtre :

    • Que se passe-t-il mes douces colombes !
    • Enfin Damie viens vite, on l’a repéré, il en veut à ton domicile !
    • Viens nous aider à le retenir, il se débat, il va s’enfuir !
    • Il est armé ! Il prépare un attentat contre toi !
    • On l’a reconnu, il porte une barbe, ses habits sont tachés de sang, c’est un Islamiste !
    • Pas de panique ! j’arrive !

    Je saute dans mes santiags, en peau de cobra prélevée sur la bête encore vivante, toute neuves, n’ai même pas eu le temps d’enlever le certificat d’authenticité international BPP  (Britifh Plastic Petroleum). Je rafle la batte de baseball toujours prête à l’emploi à côté de la porte d’entrée et me précipite vers mon fan club qui caquette à qui mieux mieux comme une volée de pintades en furie. Elles sont quinze entassées par terre en couches superposées mouvantes, je comprends elles se sont ruées sur le terroriste, du poids de leurs corps elles tentent de le retenir.

    • Charmantes oiselles, relevez-vous, je suis là, je me charge tout seul de cet olibrius, laissez-moi faire, c’est une affaire d’homme, vous ne craignez plus rien puisque je suis là !

    Elles s’écartent, dans la cohue qui se retire j’entrevois des taches sanglantes sur ses vêtements, diable l’affaire est sérieuse. Le gars parvient à se relever, ses yeux accrochent mon visage, c’est vrai qu’il a une barbe ! Mais elle est blanche !

             - Allons Damie c’est moi, ton facteur. Tu vois bien que je suis déguisé en Père Noël, une opération promotionnelle de la Poste !

             - Il ment, il porte une fausse barbe !

             - Il porte deux boîtes explosives dans sa main gauche !

             - Enfin ! ce sont les deux derniers numéros de la revue rock préférée de Damie !

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 32

    JANVIER – FEVRIER - MARS (2025)

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            C’est Noël ! Sergio nous gâte ! Quelles sont les revues qui de nos jours proposent encore un papier glacé aussi épais à ses lecteurs, idéal pour les photos !  Pour mieux comprendre mon enthousiasme aux quatorze pages   consacrées par Jean-Louis Rancurel au grand Schmall j’invite le lecteur à lire ma déception, voir la dernière chronique de cette livraison, dans laquelle je fais part de ma déconvenue quant à la biographie d’Eddy Mitchell qui vient de paraître. Peu de textes mais agrémentés de clichés rares ou inédits, cela suffit pour que l’on ressente la ferveur que dégageait le personnage d’Eddy à cette époque (1964 – 1980), que l’on prenne conscience de cet émoi que suscita parmi une frange assez large de la jeunesse de notre pays sa présence. Ce n'est pas l’Eddy qui nous déroule son plan de carrière dans son dernier bouquin, mais le fan de rock qui cherche à apprendre, à connaître, à savoir, ce n’est pas la fièvre de l’or mais la fièvre du rock… Merci à Jean-Louis Rancurel de nous faire partager ses moments de combat pour le rock’n’roll. Un témoin capital.

             L’on change d’idole mais pas d’histoire. Bye-bye Eddy, respect à Crazy Cavan. Julien Bollinger nous raconte une renaissance, celle du rock ‘n’roll en Angleterre, on le croyait mort et enterré, au mieux en train de croupir dans les oubliettes de l’immémoire, son souvenir oblitéré par le tsunami de la pop-music et le raz-de-marée de la disco… Cavan ralliera à lui les derniers fans retranchés dans le souvenir des années cinquante et soixante, il suscitera la déferlante rockabilly qui s’étendra sur une bonne partie de l’Europe… son exemple exhumera des cendres froides de l’oubli jusqu’à la première génération des pionniers américains.  Lorsque l’effet de mode cessera, l’on retrouvera Cavan, imperturbable, fidèle à lui-même, qui regroupera autour de lui un public de fidèles et d’inconditionnels, une mouvance dont l’aventure dure encore de nos jours. Rockabilly Generation est un parfait exemple de cette continuité.

             Autres exemples, le Kustom Festival & Tattoo de Parmains et le Rock’n’roll in Pleugeneuc, entre tradition et renouvellement, les générations se suivent et ne se ressemblent pas tout à fait, les photos de Sergio mais aussi ses  perspicaces chroniques. La scène est le lieu incandescent de l’incessante survie du rock’n’roll.

             Un autre pionnier, Jean-Claude Coulonge, un rescapé de l’époque du premier rock français, qui n’a jamais abdiqué qui a continué le combat, soixante-cinq années au service du rock’n’roll, à lui seul autant que trois légionnaires romains ! Pour fêter ses quatre-vingt ans il prépare un petit quelque chose, une grosse fête…

             Si vous êtes aussi maladroit de vos mains que moi, abstenez-vous des quatre pages consacrées à Laurent Manet. Vous serez jaloux. Vous explique comment il confectionne ses figurines rock, des objets d’art, mais que de travail, de patience et d’habileté… Un artiste. Un créateur.

             Du nouveau dans les dernières pages, je vous laisse découvrir. Elles m’ont permis de me rendre compte que j’avais fait l’impasse sur le book Histoire du Rock, (années cinquante) j’ai dû filer passer la commande chez mon libraire.

             Encore merci pour ce nouveau numéro à Sergio et à toute l’équipe, un travail de fond et d’avant-poste…

    Damie Chad

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,30 de frais de port soit 10,30 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 38 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( Rajouter 1,10 € ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

    ROCKABILLY GENERATION

    CRAZY CAVAN’N’THE RYTHM ROCKERS

    HORS-SERIE # 6 / JANVIER 2025

     

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             Une courte intro de Julien Bollinger. Le rock c’est le son, la scène et les disques. C’est aussi l’image. L’image rock donne sens au son. Tout fait sens dans une image rock. Elles se regardent, elles s’imposent, elles se décryptent.

             Rockabilly a su créer un lien de confiance avec Crazy Cavan. Les premières pages dévoilent les photos de la famille Grogan, L’album de famille. Cavan gamin. Ses frères. Ses sœurs. Sa mère, son père. Ses enfants. Toute une vie. L’on regarde, l’on s’interroge. L’on essaie d’être davantage voyant que voyeur. Pénétrer dans le mystère des êtres. De ce qui adviendra. De ce qui est advenu. Pourquoi devient-on ce que l’on est. La part de la volonté, le jeu des hasards, le destin… La photo la plus émouvante, celle où Cavan n’est pas, il y en a plusieurs, mais là il ne pouvait vraiment pas, c’est sa stèle funéraire réceptionnée par les amis et les proches.

             L’on respire. L’on entre dans la grande Histoire, le groupe, la scène, les concerts en France sont privilégiés. Beaucoup de noir et blanc pleines-pages. Le look, la dégaine, la pose, le charisme. La magie rock’n’roll, l’individu s’identifie à son propre signe, à ce qu’il est en lui-même à ce qu’il représente pour les autres. Une histoire collective détenue par un seul, éparpillée en beaucoup d’autres.

             Les Rhythm Rockers mais aussi Breathless le groupe de Colin and Pat deux frères de Cavan… Chacun vole de ses propres ailes, mais toujours la famille. Dans la famille Grogan, voici le fils, Joe. Lui aussi sera musicien. Il répond à une longue interview. Parle de son père. Un homme simple. La semaine au travail, le weekend sur la route. Ce n’est que plus tard que Joe comprendra l’importance et l’aura de son père, dans les milieux du rockabilly européen. Une envergure qu’il n’avait pas devinée auprès de cet homme attaché à sa mère, à ses enfants, à son pub, à la famille. Rocker sur scène, père de famille à la maison…

             Indispensable. La vie d’un homme. D’un être humain qui ranima la flamme du rock’n’roll. Peut-être pas grand-chose. Beaucoup pour beaucoup. L’on mesure la vie d’un homme à ses actes, à ses réalisations.

             Un bel hommage. Emouvant.

    Damie Chad.

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    *

             Même pas besoin d’attendre le sapin, le Père Noël m’a envoyé un cadeau, en avance. Le malheureux n’a pas pu passer  par la cheminée, je n’en ai pas. L’a déposé sur YT, comme je ne suis pas un égoïste, je partage avec vous.

    LIVE ON GERM

    TWO RUNNER

    (Western AF / 03 / 12 / 2024)

             Western AF est basé à Laramie, modeste cité située au sud-est de la ville de Cheyenne, dans l’Etat du Wyoming qui signifie lieu de grande prairie, pas étonnant que le symbole de cet état  situé juste sous le Montana soit un bison.

    Profitons de cette modeste leçon de géographie pour adresser un hommage fraternel aux glorieuses tribus des Natives.   

             Western AF, lire Western As Fuck, engrange des armes pour le futur, leur but est simple : ils accumulent des vidéos d’enregistrements live de chanteurs actuels (country) pour les archives de l’Histoire.  C’est ainsi que l’on construit des bibliothèques d’Alexandrie sonores.  

    Paige Anderson : vocals, guitar / Paige McGinnis : fiddle, vocals / Sean Newman : bass.

    Enregistré au Gryphon Thater qui appartient au Laramie Plains Civic Center.

    Le théâtre du Griffon ne doit pas accueillir plus de trois cents personnes, il est vide, nos trois artistes sont sur scène face à nous, tournent le dos à l’absence du public. Le mieux est de les laisser jouer. Derrière la caméra et au mixage : Will Ross.

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    Helmet : morceau magique, ce pourrait être une ballade enlevée, mais sous les coups d’archets et la cabrioles vocales de Paige se glisse une sourde mélancolie, une indécision teintée de joie de vivre modulée par la fragmentation du monde, pour décor vous avez le soleil resplendissant, pour action une course échevelée de moto, rappelons-nous le goût prononcé de Paige pour la motocyclette, mais le désir amoureux est niché dans la tête, sous le heaume, c’est lui qui poursuit l’objet de Délie, qui le retient prisonnier et l’instant est beaucoup plus métaphysique que physique. Comment avec cette tresse de mots simples Paige peut-elle donner accès à la l’aperture du sentiment en même temps le moins indocile et le plus rétif, qui allie la fougue du pur-sang à la foudre consumante. Le trio guitare-violon-contrebasse possède l’amplitude sonore des quatuors de Bartok. Fortune : deuxième inédit : magnifique, un titre pour le fiddle-king, il ne se prive pas d’étendre le royaume de sa tristesse, basse et guitare scandent le rythme, la voix de Paige survole, tout ce qu’elle a tu dans le premier morceau elle le suggère dans celui-ci, presque rien, cet instant suprême que l’on ne vit qu’une fois, les flammes vous brûlent et vous annihilent, il ne vous reste plus qu’à vivre après cette bribe d’absolu… Wild dream : une reprise de leur album Modern Cowboy : Paige arrache les mots comme sa moto arrache la route, elle crie et l’orchestre s’envole, une demande en mariage, Paige possède cette faculté de transcender le bonheur en quelque chose d’impossible alors qu’il s’offre à vous, à croire que les rêves que l’on pourchasse sans fin sont plus beaux que ceux que l’on réalise, même Dylan n’est jamais parvenu à mettre tant d’immensité dans ses paroles.

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    Where did you go : plus de couleur, rien que du gris, du noir et du blanc, violoniste et bassiste ont posé leurs instruments, se tiennent derrière, fredonneront du bout des lèvres en toute humilité, seule Paige et sa guitare, et sa voix, un morceau glaçant, presque rien, il semble que Paige ne retienne pas plus la mort que l’amour. Une émotion d’une intensité redoutable. Certains écrivent que cette chanson leur fait peur. Paige est toujours tout contre nous, jamais avec nous. Enfermée dans une solitude de haute poésie.

             Quatre morceaux irradiants.

    Damie Chad.

     

    *

    Il est des prisons sans barreau, Claustra doit en être une puisque j’y reviens ! Voici donc Victor plus victorieux que jamais.

    LA PRISON DE CHAIR

    CLAUSTRA

    (Bandcamp / Décembre 2017)

    Depressive death metal. Si vous voulez. Regardez la couve. Moi je dirais plutôt animal death metal. Un carré noir traversé de rayons d’un vert glauque, au centre ce torse, une force qui va, trainées de sang, christique ou auto-flagellé, l’on ne peut dire, une tête de goret avec ce groin sans bouche qui  dépasse de la muselière, une force animale en action que nul obstacle ne saurait arrêter.

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    Forever gone : vous pouvez trouver le morceau accompagné d’une image, un homme solitaire sous son parapluie qui s’éloigne, il marche seul, entre deux rangées de maisons basses, le paysage pluvieux n’est que la transposition de son âme. L’on comprend que la rue qui s’étend devant lui ne mène nulle part, qu’elle se poursuit toute droite sans but vers un infini inachevé. Une intro de douceur et de mélancolie, une mélodie close sur elle-même, telle une bulle de rêve, que l’on désirerait éternelle mais dont on pressent qu’elle a éclaté depuis longtemps. Elle réapparaîtra au milieu du morceau ourlée d’un murmure quasi inaudible, mais ces deux fragmences d’éternité sont à chaque fois chassées par l’inéluctabilité du chagrin et de la rage. Une tourmente de batterie, une guitare tempétueuse et non pas une voix, une morsure sanguinolente qui emporte avec elle la chair et la souffrance. Les jours de bonheur sont partis, auraient-ils duré, les amants ne s’en seraient-ils pas éjectés d’eux-mêmes, car tout fini par s’effilocher, même le monde, d’ailleurs tu l’as emporté avec toi  qui t’en es retranchée. La prison de chair : si vous désirez savoir à quoi ressemble ce morceau c’est simple demandez à votre toubib une injection lente de cyanure, choisissez bien votre praticien , lui faut du doigté car votre agonie ne doit pas durer plus de six minutes, si vous croyez qu’au bout du tunnel vous aurez l’illuminescence terminale, non ce serait trop beau, l’on ne s’évade pas de soi-même, toute chair est une prison, la vôtre de laquelle vous êtes incapable de sortir, celle des autres qui vous empêchent de rentrer dans leur tour charnelle. Une horreur glacée que vous écoutez sans fin comme un candidat au suicide qui tresse minutieusement tous les jours la corde pour se pendre, et quand tout est au point, le cordon peu ombilical casse misérablement sous son poids. Vous êtes comme lui, obligé de recommencer encore une fois. Seul : n’oubliez pas les boules Quies, la guitare grince comme une corde de pendu dans un poème d’Emile Verhaeren, et la voix une charge monstrueuse de cavalerie  sabre au clair, la batterie tire à coups redoublés, tout compte fait c’est lorsque l’on est seul que ça fait le plus de bruit à l’intérieur de soi-même, appréciez tout de même au deuxième tiers de la catastrophe ce Tupolev qui s’écrase sur la piste d’atterrissage de votre jardin, âmes sensibles détournez les oreilles, l’eau du chagrin accumulé trouve toujours une pente pour s’écouler, ici vous avez deux déversoirs, la consolation du pauvre, tu ne souffriras plus cette terre, la consolation du riche, maintenant que tu n’es plus là tu es toute à moi. Relisez les poèmes d’Edgar Poe. Bleack fantazy : la fantaisie fut une des mamelles du Romantisme, la fascination de la mort s’avère le seul absolu à notre portée, ce n’est pas Clara Schumann qui joue du piano mais ça y ressemble, une voix creuse comme la tombe, avant que ne tombent les grandes décisions, pas besoin de lui tirer les vers du nez, la rage enroue sa voix, grande envolée vocale et instrumentale, l’on se rue comme un cheval dans la mort, les orages désirés ruissellent de tonnerre, Clara revient pour la coda. Ou le coma. Coup de feu, ou coup de théâtre. Hôpital : pas de bruit, instrumental, c’est à l’intérieur que ça se passe. Quand on rate son coup, rate-t-on sa vie. Bouffer des arpèges par les racines améliore-t-il vos chances de survie. Selfhatred : avez-vous déjà entendu un morceau qui se fracasse, la batterie y est pour beaucoup, la tête contre les parois translucide d’une tour d’ivoire. Vous n’êtes pas près de sortir vivant d’un tel opus. Pas mort pour autant non plus. L’est comme le serpent qui se mord la queue pour se donner l’illusion d’avoir la langue plus longue. C’est un peu fou, d’ailleurs le vocal chargé de hargne et de rage, est insensé. Rappelle un peu le symbole de Victor Segalen dans Equipée, cette pièce de monnaie que se disputent entre leurs dents le Dragon de l’Imaginaire et le tigre du Réel. Le problème ce ne sont pas les deux animaux, l’est sûr qu’ils symbolisent vous et vous-même, mais la nature de cette sapèque, de cet enjeu essentiel, ne serait-ce pas mort ? 

             Quand je vois le nombre ridicule de personnes qui en cinq ans ont écouté ce pur chef d’œuvre, je préfère me taire…

    Damie Chad.

     

    *

    Je m’excuse de vous annoncer une mauvaise nouvelle, comme s’il n’y avait pas assez de malheur en notre monde, il est urgent que notre pays  déclare la guerre à l’Angleterre et qu’au plus vite vous envahissions la perfide Albion !

    DON’T GET SORE

    POGO CAR CRASH CONTROL

    ( YT / Décembre 2024)

    Z’avaient pris des vacances. Méritées. Après cinq ans de folie. Le temps de reprendre pied en soi-même et de s’interroger sur le futur du groupe. Sur son évolution, l’on ne peut pas refaire ad vitam aeternam la même chose. La vie vous pousse dans le dos, elle a toujours un poignard de prêt à vous planter entre les omoplates. Souvenez-vous du logo du groupe. Bref, revenir c’est mourir un peu. C’est aussi renaître beaucoup. Sans illusion non plus. Il faut payer l’addition. Physiquement ça se voit, ils ont changé. Z’étaient des adolescents attardés poussés en graines quand ils ont dit stop. Z’ont maintenant le faciès de jeunes adultes. Sont moins beaux. Sont plus affirmés. On n’y peut rien, ils se doivent d’y pourvoir un max.

    Après le clap de fin, le clip de la faim. Celle des fans, les lions de l’arène dépités de ne pas avoir eu leur ration de chrétiens depuis des mois. L’est réalisé Antonin N’kruma (son nom serait-il un hommage au leader panafricain), photographe. Produit par Jon Markon qui si j’ai bien compris serait aussi le producteur de l’album à venir.

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    Avis aux amateurs le clip déchire. Très original. Pas les images. Tout ce que l’on attend d’un groupe de rock. Je vous laisse découvrir. Amusez-vous à reconnaître des réminiscences d’anciens clips. Non, tout réside dans la structuration du morceau, plutôt sa fracturation, le mot facturation conviendrait mieux car il colle beaucoup plus aux lyrics, l’est dommage qu’il soit un peu trop connoté au monde des échanges commerciaux qui n’est pas du tout évoqué in the opus.  Ce clip qui ne dure que trois minutes est un véritable triptyque, images, sons et sens. Ne sont pas présentés sur trois panneaux différents, sont tous réunis en un seul, une espèce de puzzle mélangé dans un sac plastique transparent, il ne sera pas ouvert, on ne vous laisse pas aligner sagement  les pièces sur une surface plane et intangible, on l’agite devant vos yeux et à vous de deviner ce qu’il représente. Les idiots, ils sont toujours utiles, affirmeront, c’est une simple histoire d’amour. Turlututut chapeau pointu, les poncifs sont nocifs. Non, c’est une mise en scène. De quoi, d’un renouvellement. Tout d’abord sonique. Finies les grandes charges et décharges électriques. Bien sûr vous avez votre ration d’avoine, mais le picotin ne se bâfre pas en trois coups de langue, vous êtes prié de le savourer, de le mâcher doucement pour en ressentir toute la volupté, sachez faire la différence entre la jouissance des brutes et l’extase des esthètes, idem pour les voix, ce n’est plus le cri rageur du révolté nihiliste prêt à tuer son père et sa mère, vecteurs indubitables de l’ordre sociétal, les voix sont traitées, l’on a envie de dire instrumentalisées, oui mais c’est vous qui êtes manipulé. Pogo Car Crash Control a changé. Pardon, Pogo Car Crash Control chante qu’il change. Tout continue, rien n’est plus pareil. Il vous Crash son passé – qui est aussi le vôtre – à la gueule, vous envoie  la limousine pour les Car-embolages, ne vous bilez pas pour les Pogo frénétiques tout est sur Control. Ne vous inquiétez pas ! Pour une fois dans le rock français les paroles – un mix d’anglais et de langue autochtone - taisent plus qu’elles ne disent tout en énonçant clairement leur propos. Le groupe a atteint une maturité d’écriture tridimensionnelle sans égale.

             OK, Damie, les Pogo ont encore marqué le calendrier du rock hexagonal  d’une pierre rouge, mais est-il vraiment nécessaire d’envahir l’Angleterre pour cela, franchement on ne voit pas trop le rapport. C’est fou, il y a des gens à qui il faut tout leur expliquer : à première écoute ça m’a sauté aux oreilles. J’ai immédiatement pensé au dernier album des Howlin’ Jaws, peut-être parce que j’avais relu l’après-midi dans le Hors-Série de R&F la chro de Jean-William Thoury, si pertinente, induisant l’idée qu’ils avaient acquis et décroché la timbale dorée du son anglais, inaccessible aux mangeurs de grenouilles que nous sommes. Pogo et Howlin sont deux groupes radicalement différents, mais les Pogo viennent eux aussi de franchir le Rubicon, le rubis sur cube, d’un rêve inaccessible. Ces maudits rosbifs sont en train de voler nos groupes…

    Damie Chad.

     

    *

    Il vient du sud de l’Afrique, pourtant il s’appelle East, est-il un peu givré parce qu’il a perdu le nord, en tout cas il est à l’Ouest, encore un de ces artistes inclassables à qui le rock’ n’roll ouvre grand ses portes et dont ils font un lieu d’exhibition. Un peu d’étymologie toutefois : l’occident est le côté de la mort.

    GHOULS

    CHARLES EAST

    (2018)

    Il vient d’Oudtshoorn, ville de 30 000 habitants d’Afrique du Sud, sans doute n’aurais-je pas noté ce détail insolite, elle est la capitale mondiale de l’autruche d’élevage, du coup la photo de la couve m’a immédiatement emmené à penser que la longue silhouette longiligne qui s’affiche s’apparentait quelque peu et symboliquement à ce volatile qui ne parvient à voler, tout comme notre chanteur accaparé par le malaise existentiel de vivre.

    Charles East : piano, vocals, synthé / Jo Ellis : drums, synthés.

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    Germane : le piano et la voix, la voix et le piano. Auxquels très vite viennent se sous-perposer  puis se superposer des bruits synthétiques de mauvais alois. Une voix un peu à la manière de Bowie dans la façon de la poser mais pas du tout postée sur le même timbre. Voix claire et perforante. Une longue introspection. Le gars traîne une tristesse à faire pleurer les pierres. Est-ce un hasard s’il parle d’ibis, titre d’un poème d’Ovide exilé qui vilipende Auguste responsable de sa relégation hellespontique, l’a l’art de tourner le couteau du chant sept fois dans sa plaie alors qu’il n’arrête pas une seconde  de se dénigrer. It’s hold my viscera : guitars Anthony Mikael Gunther : pas pumpin’ piano mais presque, Charles étire sa voix vers l’aigu, les percus tamponnent et notre héros, c’est le cas de le dire, mythifie sa malédictive attrition vitale, se décrit comme un Dieu pourchassé par la méchanceté des hommes, Saturne est à ses trousses, peut-être ses viscères finiront-elles dans un vase canope au creux obscur d’une pyramide. Délire de persécution ou de grandeur. L’autoportrait frise la folie. Heka : dans la série je m’éclate à l’hécatombe d’Hécate vous trouverez difficilement mieux, une galopade pianistique, magnificat introït, une percussion pressurisée, un vocal qui s’étire les cordes vocales, dites-vous que le killer s’est éveillé bien longtemps après l’aube, qu’il porte un couteau et qu’il ressemble fortement à notre héros ou à un dieu, lequel des deux portera le premier coup ?

    VENOM

    (Avril 2020)

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    Single. Le seul qui bénéficie d’une couve couleur créditée à Eva Bachman. Toutefois une mise en abime, photos de famille en noir et blanc, le père, la mère, ce sale gosse de Charlie, un bouquet de fleurs séchées de mariée ou déposé sur une tombe ? L’est agrémenté d’un beau crâne rigoleur de toutes ses dents.

    Charles East : piano, vocal, lyrics, musics / Jo Ellis : guitars.

    Venom : le venin, commence mal, le bruit d’un mort qui repousse le couvercle de son cercueil, attention on n’est pas là pour jouer au zombi macabre, soyez subtil, le cercueil c’est vous, celui qui en sort on ne sait pas, est-ce l’Homme ou le Dieu, totalement parano, il craint ses semblables, il préfèrerait être un dieu cruel, sûr que les deux postulations s’équivalent, vous avouerez que le choix est difficile, en tout cas ce qui est sûr c’est qu’il chante comme un Dieu l’a de ces envolées lyriques, vous parieriez qu’il lui pousse des ailes dans le dos, l’a des retombées, des dégringolades dans les escaliers des catacombes, il souffre, il crie, il se tait, le silence sépulcral l’appelle, reprise il sort de son tombeau, le soleil de la cruauté.

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    L’existe une vidéo, devrait retirer les bébêtes folkloriques : les vers, le hibou ; le scorpion, l’araignée, le  serpent et ne garder que son corps nu et ses longs cheveux noirs au bas du mur blanc et ses reptations comme un désir de retour dans la matrice originelle…

    DEAD BEAT DANCE

    (Août 2023)

     Je ne veux pas dire que la couve d’Emma Freysen n’est pas ressemblante, le problème c’est que les photos de Charles East dégagent un aspect beaucoup plus inquiétant, oui mais elle illustre une reprise de la bande-son du film The Return of the Living Dead. Comme quoi Charlie East a de la suite dans les idées noires.

    Charles East : piano, vocal, lyrics / Marisca Rain : guitars, bass.

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    Parfait pour la musique de votre enterrement, seuls resteront jusqu’au bout ceux qui vous aiment vraiment ou ceux qui sont sourds. Rien à voir avec l’original punkitoïde des Damned. Avec Charlie, la plaisanterie est finie. Z’avez l’impression de valser dans les bras de la Camarde. Un filet de voix hagard, z’aurez du mal à discerner s’il sort de sa tombe ou s’il s’y rend, parfait contraste avec le tamponnage de fête foraine. A la moitié du morceau il glapit comme si on l’enterrait vivant. Que voulez-vous l’erreur est humaine. L’horreur aussi.

    I’M YOUR CONSEQUENCE

    (Brucia Records / EP / Mars 2024)

    Pour la couve je supposons une photo issue de l’enregistrement de l’auto-réalisée vidéo Venom. Nu lové  contre le mur, pour le crâne du bouc, ne pensez pas à Belzebuth mais plutôt au mouton noir qu’Ulysse égorge pour que les morts viennent à lui.

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    I’m your consequence : une chanson d’amour, l’on sent qu’il a été pris en main par un label, l’orchestration a été étoffée, elle étouffe un peu la voix, pour l’amour fou vous repasserez, c’est l’amour à mort, à la mort de soi dans l’offrande de l’autre, le morceau se développe comme une flamme qui prend de l’ampleur, dévoration ambigüe, qui culmine sur le souffle rauque, rock and goth, de la bête du désir. Une espèce de psaume offert à l’impuissance humaine d’une communion non sacrificielle. Drain : la suite de l’aventure. La fuite. Nous n’avons que des lambeaux. Rythme processionnaire. Qui chasse ? Qui est le gibier. Une litanie de la mort. Intérieure. Qui vous ronge du dedans. Des voix, est-ce la mienne, est-ce celle de l’autre qui est moi, ou celle des autres qui ne sont pas moi. Une longue mélopée. Sacrificielle. Être l’officiant. Être la victime. En même temps. Dans chaque cas, une terrible solitude. Dans les deux cas en même temps, une absolution égoïste.

             Charles East vient de sortir sur Brucia son premier album Dislocated.

    Ecoutez-le, vous entendrez le ricanement chevalin de la Mort résonner à vos oreilles. Le piano, la voix, la Mort, c’est tout.

             Cela vous suffira amplement. Pour vivre.

    Damie Chad.

     

    *

             A treize ans je me suis fait traiter d’assassin par ma mère parce que j’écoutais Si tu n’étais pas mon frère, un des meilleurs morceaux de rock français, j’avoue que le son était à fond, que mon Mélovox crachait fort, que c’était (au moins) la vingtième fois que le repassais le morceau. J’admets que les paroles n’étaient pas des plus doucereuses, mais enfin ce n’était pas un appel au meurtre, de surcroit ce n’était pas moi le responsable, je n’avais rien fait, puisque je n’ai jamais eu de frère, ma mère aurait dû le savoir, comme de toute manière depuis soixante ans les délais de prescription sont caducs et que le coupable ne risque plus rien, je vous refile son nom :

    EDDY MITCHELL

    AUTOBIOGRAPHIE

    (Le Cherche Midi / Octobre 2004)

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              Bref une ambiance rock’n’roll ! Le hic haec hoc c’est que cette autobiographie n’est guère rock‘n’roll. Schmall nous fait le coup du vieux sage. Le problème ce n’est pas qu’il soit vieux c’est qu’il soit sage. Lui qui a déjà réservé sa place au cimetière de Saint-Tropez nous fait le coup de Valéry dans son Cimetière Marin, Ô récompense…qu’un long regard sur le calme des Dieux. Il précise même son épitaphe au cas vous auriez envie d’aller verser quelques larmes sur le marbre funèbre  ‘’ Ne pas déranger’’. Un véritable message ‘’fun-éraire’’.

             Mais reprenons au tout début. L’est né à Paris dans le neuvième, il nous épargne ses années vagissantes, les remplace par les meilleures pages de son bouquin. L’évoque le Paris disparu, celui qui nichait ses terrains vagues au bas des Fortifs aujourd’hui remplacées par le périph bitumeux et ses immeubles bétonnés. Architecturalement ce n’était pas Versailles, par contre c’est-là qu’il a reçu sa première leçon de vie, la plus importante, qui fonde votre personnalité. Administrée par personne en particulier mais par l’ensemble de la population bigarrée, toutes origines et nationalités confondues. Misère et entraide, maigres salaires et grosse joie de vivre. Eddy le raconte davantage en détail dans P’tit Claude un autre de ses livres paru en 1994. C’est dans ce terreau multinationaliste, rien à voir avec nos Multinationales, que naissent ses choix politiques, il le proclame haut et fort, il n’est pas un partisan du Front National. Pas un révolutionnaire non plus, il paye ses impôts, il vote et pour Sarko et pour Macron

             L’est comme Rimbaud, c’est la vie qu’il faut changer. L’a d’abord changé sa vie à lui, c’est déjà beaucoup, ne finira pas comme son frère directeur d’une agence au Crédit Lyonnais, ses déplorables aptitudes naturelles l’on empêché de devenir voyou, les intellectuels de gauche de nos jours le qualifieront de transfuge de classe, lui il n’éprouve aucune honte, aucun regret de sa réussite. N’est pas le genre de gars à se prendre la tête. Il n’a pas oublié d’où il vient, il rend  hommage à l’amour et à la sécurité affective que lui ont donné ses parents.

             Ses goûts s’affirment peu à peu, le cinéma, virus inoculé par son père et son grand-frère, la lecture grâce à son oncle qui ramène des livres de toutes sortes, jusqu’au choc fatal : Bill Haley. C’est le seul pionnier à qui il rend un véritable hommage. Ce qui aide à comprendre son évolution vers une musique plus cuivrée, big band et crooner. N’est pas un grand fan d’Elvis. Un beau portrait de Gene Vincent en personnage borderline. Une demi page et c’est tout. Je n’insiste pas car lui-même ne s’attarde pas.

             Idem pour Les Chaussettes noires, l’en parle certes, mais pas du tout de ce qui passe autour. L’émulsion pétillante des sixties vous ne la verrez pas. L’on ne peut même pas l’accuser de name dropping. Mitchell n’apporte aucune révélation fracassante, ceux qui le suivent depuis longtemps, connaissent le topo habituel déjà raconté - avec détails supplémentaires -au fil des années en de nombreuses interviewes… Il braque la caméra sur lui, et elle ne le quitte pas, ce n’est pas qu’il désire monopoliser l’attention, à tout bout de paragraphe il donne l’impression de vouloir terminer au plus vite. Aurait-il l’intention de nous découvrir des choses inédites ? Pas du tout.

             Quelques pages sur son voyage à Memphis et la venue des musiciens américains à Paris. Profitez-en bien car lorsque quelques années plus tard il retournera rocker à Nashville, il ne s’attardera point… La route de Memphis il la parcourt à trois cents milles à l’heure et pas une voiture de flics pour l’obliger à ralentir. S’étend davantage sur sa période creuse du début des années soixante-dix. Mea culpa, c’est ma faute, trop sûr de moi, j’avais tort… Nous ressort le même baratin depuis un demi-siècle.

             Z’ensuite, Mitchell devient ennuyant. Nous parle de sa carrière cinématographique. Deux ou trois anecdotes, même pas croustillantes, une longue liste de films, ceux qu’il a fait, ceux qu’il n’a pas faits, le tournage ici ou là avec celui-ci ou celle-là… Pour la musique, énorme disette. Nous glisse un paragraphe de temps en temps pour notifier l’enregistrement d’un album – la lecture de la pochette s’avèrera plus instructive – notifie quelques tournées, et puis c’est tout. Circulez, il n’y a rien à voir, rien à entendre.

             Se fait vieux le grand Schmall, n’a plus envie qu’on l’emmerde, devient cossard, remet au lendemain ce qu’il peut faire le jour même, il fume moins, y va mollo-mollo sur la bouteille, se cantonne aux bons crus, l’a rayé le bourbon et le crotale qui frétille dedans pour vous sauter à la gueule dès que vous sabrez la bouteille…

             Les plus belles pages sont consacrées à Johnny, notamment à la tournée des Vieilles Canailles, l’on sent l’amitié qui unissait les deux hommes… Johnny apparaît beaucoup plus rock’n’roll qu’Eddy, qui le reconnaît sans peine.

             Si vous voulez retrouver l’Eddy qu’on aime, vous avez une vidéo sur le net, très courte, prise pendant le Covid, il est chez lui et tente de répondre à quelques questions-bateau posées par téléphone, Eddy essaie de jouer le jeu, mais il reste un rocker dans sa maison, un cat, un vrai gros matou, qui s’en vient se faire caresser par son maître et s’interposer entre lui et la caméra, une dernière séance très rock’n’roll !

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 658 : KR'TNT ! 658 : SISTER ROSETTA THARPE / JOANIE SOMMERS / DEE C LEE / GRACE CUMMINGS / BRITTANY HOWARD / ARKONA / JESSE DANIEL / EDDY MITCHELL / DEAD LEVEL / BOLESKINE HOUSE

    KR’TNT ! 

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 658

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    26 / 09 / 2024

     

    SISTER ROSETTA THARPE / JOANIE SOMMERS

    DEE C LEE / GRACE CUMMINGS

    BRITTANY HOWARD / ARKONA

    JESSE DANIEL /  EDDY MITCHELL

      DEAD LEVEL  / BOLESKINE HOUSE

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 658

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Les tartes de Sister Tharpe

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             Avec Devil’s Fire, le pauvre Charles Burnett ne risque pas d’entrer dans les annales du cinéma. Dans ce film raté, il raconte son histoire, celle d’un petit black californien qui découvrit le blues lorsqu’il allait passer ses vacances scolaires chez l’oncle Buddy installé dans le Mississippi.

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             L’oncle collectionnait les 78 tours et écoutait un blues chaque matin au réveil. L’idée de départ est bonne, mais ça ne décolle pas, tout simplement parce que cette burne de Burnett plombe le scénario avec des clichés, le pire de tous étant celui du fameux carrefour où Robert Johnson vendit son âme au diable.

             Pour corser l’affaire, Burnett farcit son film d’images documentaires, comme on farcit une dinde. Il bourre son film par le croupion. On frise vite l’overdose, les figures de légende se succèdent à un rythme infernal : Son House qui claque son dobro, Ma Rainey, Ida Cox, Dinah Washington, Sonny Boy Williamson - le vrai - Mississippi John Hurt et sa bouille de vieux singe, Muddy Waters comme toujours écœurant de classe, T-Bone Walker le précurseur et... Sister Rosetta Tharpe qui nous fait un numéro de picking à faire blêmir Roger McGuinn.

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             Voir Sister Rosetta Tharpe, c’est prendre une grosse tarte en pleine poire. Dans son film intitulé Red White And Blues Mike Figgis nous colle lui aussi une minute trente chrono de Sister Rosetta Tharpe, pas plus, alors qu’elle mériterait un film entier à elle toute seule. Figgis et Burnett sont tous les deux des ânes. On voit Rosetta jouer un blues-rock torride dans la rue, en robe blanche, avec sa SG blanche, devant une chorale de gospel black. Il faut voir comme elle dépote. On la voit jouer de méchants riffs sur sa Gibson. Ces quelques images suffisent à nous faire comprendre qu’elle est la reine du blues, du rock’n’roll et qu’elle navigue au même niveau que Jerry Lee, Little Richard ou Wolf.

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             Jerry Lee chanta « Strange Things Happening Everyday » lorsqu’il passa sa première audition devant Sam Phillips. Il voulut ensuite enregistrer ce vieux tube de Rosetta datant de 1945. Il l’avait vue chanter et jouer sur scène et il sortait comme elle des églises pentecotistes - Assemblies of God of Ferriday - où l’on chante à en perdre la tête les louanges de Dieu et les grandes boules de feu divin. Jerry Lee confia aussi à Peter Guralnick qu’il avait vu « une négresse démente qui jouait de la guitare et qui chantait - She was shakin’ man ! » Cette histoire va très loin, puisque Sleepy LaBeef, lui aussi adorateur de Rosetta, déclarait, en parlant de Jerry Lee : « Écoute son jeu au piano. Il joue de la main droite comme Rosetta Tharpe ! »

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             Autre natif de l’Arkansas, Johnny Cash vénérait lui aussi Rosetta. Il avait grandi à Dyess, pas très loin de Cotton Plant, le patelin d’où venait Rosetta. Pur hasard, un copain à l’armée possédait un disque de Sister Rosetta Tharpe. Le Cash était tombé dingue de « Strange Things Happening Everyday ». Il l’écoutait en boucle. Beaucoup plus tard, Rosanne Cash déclara que Rosetta avait été l’artiste favorite de son défunt père. Carl Perkins tenait lui aussi le même genre de propos. « Strange Things Happening Everyday » avait été le morceau préféré de son daddy. Gosse, il allait le dimanche chez son grandaddy apprendre à jouer ce morceau sur sa petite guitare : « C’était du rockabilly, mon gars, du vrai rockabilly ! »

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             Quand Rosetta débarqua à Macon en 1945 pour donner un spectacle de gospel au City Auditorium, elle fit monter le jeune Richard Penniman sur scène pour chanter en duo avec elle. Little Richard ne s’en remit jamais. C’était, disait-il, la meilleure chose qui lui fût arrivée dans la vie, et en prime, Rosetta lui fila environ quarante dollars, ce qui était à l’époque une véritable fortune. Il n’avait encore jamais vu autant d’argent dans sa vie.

             Toujours dans le film de Figgis, George Melly nous raconte qu’officiellement, Rosetta chantait les louanges de Dieu, mais qu’en coulisse, elle aimait bien la gaudriole et se piquer la ruche (« brandy and glory »). Mais ça, on s’en fout comme de l’an quarante. Rosetta a tellement de classe qu’on se demande par quel bout la prendre.

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             La pauvre Gayle Wald a dû se poser exactement la même question, en attaquant la rédaction de l’ouvrage qu’elle voulait consacrer à Rosetta. Elle s’en sort honorablement, puisque son Shout Sister Shout se lit d’un trait. Rosetta est une héroïne du même calibre que Wolf : deux histoires parallèles par leur côté fascinant, deux talents prodigieux et deux physionomies étrangement comparables. Il suffit d’observer les photos et surtout la façon qu’ils ont l’une et l’autre de rigoler : la parfaite exubérance des géants.

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             Dès l’intro, Gayle Wald met le paquet sur la virtuosité de Rosetta, sur son charisme scénique et sur son talent fou de chanteuse de blues. Personne en Amérique ne pouvait aligner autant de qualités. Comme T-Bone Walker, elle avait inventé une nouvelle façon de jouer de la guitare électrique. Elle ne regardait JAMAIS son manche. Elle avait joué partout : au Cotton Club, à l’Apollo d’Harlem, au Carnegie Hall, au Grand Ole Opry, dans tous les stades et dans toutes les églises du pays. Personne ne jouait en picking comme elle à son époque, et par bien des aspects, elle préfigurait Elvis, Red Foley, Etta James, Bonnie Raitt, Isaac Hayes, Ruth Brown et ceux déjà cités. On considère « Strange Things Happening Everyday » comme le premier rock’n’roll (désolé pour Ike Turner, mais son « Rocket 88 » n’arrive que six ans plus tard). Bien avant Dickie Peterson et Lemmy, Rosetta foutait son ampli à fond. D’une part, elle voulait être sûre qu’on entende bien toutes les notes qu’elle jouait, mais c’était aussi l’une de ses croyances pentecotistes disant que « Dieu préférait ceux qui faisaient un barouf joyeux ».

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             Elle n’hésitait pas à se balader en pantalon et il lui arrivait de jurer comme un cocher. Rosetta était beaucoup trop en avance sur son temps. Grand amateur de légendes - et lui-même légendaire - Jim Dickinson ramène son grain de sel à la fin de la brillante préface du livre de Gayle Wald : « Une chanteuse de gospel en robe à paillettes qui jouait sur une guitare électrique, ce n’était pas très courant en 1955. Inutile d’ajouter que cinquante ans après, c’est toujours aussi peu courant. »

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    ( Rosetta, Duke Ellington, Rex tewart,cab Calloway, un frenchy non-identifié, Livie Anderson)

             Premier coup de génie de Rosetta : elle amène le gospel dans les music-halls et les nightclubs new-yorkais. Vous ne connaissez pas le Deep South, les gars ? Alors voilà comment ça se danse. Elle passe de Cotton Plant au Cotton Club et se taille une réputation de « religious shouter » et même d’« Holly Roller entertainer » qui balance des « loud blue tones ». Quand le Cotton Club ferme en 1940, elle part en tournée avec Cab Calloway. À l’époque, Cab est la plus grande star d’Amérique, ne l’oublions pas. Il y a même une photo qui montre une jam mythique de 1939 : alors que Rosetta se tord sur sa guitare, Duke Ellington et Cab Calloway pianotent et la dévorent des yeux.

             Rosetta tourne dans tout le pays et revient régulièrement dans le Deep South affronter les dangers réels de la ségrégation. Dans l’autocar, elle briefe ses musiciens - Gardez toujours le sourire et fermez vos gueules ! - Des nègres bien habillés sont toujours en danger de mort dans des états violents comme l’Alabama et le Mississippi.

             Gayle Wald raconte qu’un jour, alors que Rosetta achetait des trucs très chers dans un magasin de fringues, les Thénardiers derrière le comptoir chuchotaient entre eux - D’où elle sort tout ce blé, la négresse ? - Ils la soupçonnaient d’avoir volé cet argent. Ils appelèrent les flics en douce. Une négresse avec autant de blé, ce n’est pas Dieu possible ! Les flics arrivèrent au triple galop, ravis de pouvoir coffrer une voleuse nègre. Au ballon, Rosetta se mit à chanter. Elle fit fondre le cœur de ses tortionnaires. Tant de beauté finit par les éblouir et les grilles s’ouvrirent comme par enchantement. Cette histoire entra dans la légende de Rosetta. On n’enferme pas un ange. Même s’il est gros et noir.

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             En Angleterre, Chris Barber était dingue d’elle. Mais dingue à s’en cogner la tête dans ses portes de placards. Il réussit à la faire venir en Angleterre pour une tournée, le fameux American Folk-Blues And Gospel Caravan de 1964. Les blanc-becs de la presse vinrent voir cette négresse qui parlait fort et qui chantait ses spirituals « with a rock’n’roll beat ». En Europe, elle fracassa tout, comme l’avait fait LeadBelly juste avant elle (LeadBelly était devenu célèbre en Europe grâce à « Rock Island Line », l’un de ses classiques repris par l’ex-joueur de banjo de l’orchestre de Chris Barber, Lonnie Donegan). Dans les bonus d’un DVD intitulé « The American Folk Blues Festival. The British Tours 1963-1966 », on voit Rosetta arriver en calèche à la gare de Manchester, attraper sa SG blanche et jouer deux morceaux sur le quai, « Didn’t It Rain » et « Trouble In Mind ». On croit rêver. Elle porte un gros manteau blanc et joue au milieu des flaques d’eau. Elle prend ses solos en picking à l’onglet et dégage autant d’énergie que Wolf. Fantastique !

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             Mais le destin sera particulièrement cruel avec Rosetta, comme il le fut avec Big Mama Thornton qui aurait dû ramasser les millions qu’a ramassé Elvis avec « Hound Dog ». Willie Dixon va transformer « This Train » - un vieux hit de Rosetta - en « My Babe », juste en changeant les paroles. Ce sera un hit pour Little Walter sur Chess. 

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             Le rock’n’roll doit absolument tout à Rosetta et pourtant, elle va rester dans l’ombre. Ce sont essentiellement les petits culs blancs de Memphis et des alentours qui vont tirer les marrons du feu et faire fortune grâce au rock’n’roll. Seuls les admirateurs de Rosetta savent qu’elle a tout inventé. La rock attitude, c’est elle.

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             Ginger Baker se souvient très bien d’elle. En 1958, il jouait de la batterie dans le Diz Disley Band qui allait accompagner Rosetta pour une tournée en Scandinavie. Lors d’une répétition, Rosetta demanda à Ginger quelle teinture il utilisait pour avoir des cheveux aussi rouges. Ginger lui répondit que c’était sa couleur naturelle. Comment crois-tu que Rosetta a réagi ? Comme toi, quand tu demandes à une blonde si elle est vraiment blonde. Vazy, montre un peu, pour voir. Par contre, Ginger ne dit pas s’il a baissé son pantalon, comme le lui demandait Rosetta qui voulait vérifier.

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             Le meilleur moyen d’entrer dans l’univers magique de Rosetta, c’est encore d’écouter une compile. The Gospel Of The Blues est facile à trouver. « My Man And I » date de 1938 et tu vas entendre cette brute de Rosetta attaquer à la gratte. En 1939, elle enregistre son hit le plus connu, « This Train » dans lequel elle claque un killer solo stupéfiant. Même aujourd’hui, peu de gens jouent aussi bien qu’elle. Rosetta et Ray Campi sont les deux héros oubliés de l’histoire du rock américain. Elle joue tout en picking. Hallucinant. Avec « Trouble In Mind », elle chante comme une reine du blues et nous transperce de cœur. Elle rejoint Wolf au firmament. « Rock Me » est aussi du pur jus, même si un jazz-band l’accompagne. Elle va chercher Dieu dans les nuages. Elle braille, et derrière, ça swingue. Encore une fois, elle frise le pur génie, même si pour elle ça semble complètement ordinaire. Elle revient en reine du blues avec « Nobody’s Fault But Mine » et une intro démente. On est en 1941, soit vingt ans avant John Mayall. C’est à tomber. La voix de Rosetta contient toute la beauté du blues. Elle corse l’affaire avec un solo punk qu’elle claque sur sa gratte, et de vrais gimme-gimme-gimmicks des enfers. « I Want A Tall Skinny Papa » est big-bandé à fond. Rafales de cuivres et chœurs de mecs, tout est là. Une petite leçon de swing, ça ne fait jamais de mal. Histoire de rappeler que les noirs ont vraiment tout inventé et que le jour où un blanc sonnera comme ça, eh bien, les poules auront des dents.

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             Ce swing te réchauffe la cervelle. Malcolm X aurait adoré danser avec Rosetta sur la scène du Cotton Club. Ils auraient ri comme des enfants devant un public mondain. Elle embarque « God Don’t Like It » à la guitare et elle continue de dérouler ce gimmickage insistant qui fait d’elle la reine du rodéo. Avec « What’s The Soul Of A Man », elle tape dans le blues des cabanes de l’Arkansas, et ça l’amuse de dynamiter le carcan des douze mesures. La voix de Rosetta n’en finit plus de briller au ciel du blues et du rock. Rosetta est réellement la star de nos rêves, drôle, douée et elle shake, comme le dit si bien Jerry Lee. Un jour à Copenhague, une gamine lui tendit un bouquet de fleurs alors qu’elle allait descendre du train. Rosetta n’avait pas vu la marche. Elle disparut. Elle était tombée dans la fosse de voie. On vit réapparaître sa tête quelques secondes plus tard. Elle souriait. « Keep smiling and keep your big mouth shut ! »

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             De ce côté-ci du joint, Rosetta est la meilleure Queen de juke. Inutile d’aller perdre son temps avec les petites chanteuses de blues actuelles. C’est Sister Tharpe qu’il te faut. Et puis on tombe sur le loup blanc, « Strange Things Happening Everyday », le rock des origines. Tout est déjà là, bien avant les premiers standards du rock’n’roll : le swing, le solo, l’énergie. Le solo est même fatal, et elle embarque les chœurs à la force de la voix. Coup de génie enfin avec son duo sur « Didn’t It Rain » avec Marie Knight, mélange de gospel et de guitare punk. Elles font les chœurs et derrière Rosetta gratte comme une folle.

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             L’album Spirituals In Rhythm date de 1960. Le disquaire d’occase qui l’avait dans son bac de blues me disait que personne n’en voulait. Tant mieux. Ce n’est pas le disque du siècle, c’est vrai, mais il y a sur cet album une bonne demi-douzaine de choses qui valent grandement le détour. Elle rocke le gospel avec « He’s The Lily Of The Valley » comme d’autres rockent le craddle. Ça va même plus loin : elle explose le gospel de God. Elle gratte ses cordes et tire la langue, lilly-lilililly of the valley ! Puis elle wouaffe comme un petit roquet. Dingue. Sur « I Do Don’t You », chef-d’œuvre absolu du gospel-blues, on a des chœurs qui rappellent les grandes heures des Edwin Hawkins Singers. On est même frappé par l’éclatante grandeur de ces chœurs démentoïdes, par la fantastique énergie des filles qui vibrillonnent les harmonies vocales à l’extrême. Elles organisent d’extraordinaires relances et tout cela s’articule sur une mélodie imparable. Rosetta fait monter son talking à la mode de l’Arkansas, elle le prend par en-dessous - Oh yeahhh I do/ Talk to you ! - Effarant de beauté. Encore un gospel-blues nappé d’orgue avec « God Lead Us Along ». Rosetta y va à l’énergie. On commence à mesurer l’immense grandeur de cette femme tournée vers la lumière du gospel. Parvenue au sommet de sa hurlette, elle arrache encore. Elle dépasse toutes les limites et elle subjugue. Elle est tout simplement renversante d’élan vital. « The Family Prayer » est swingué jusqu’à la moelle des os. Rosetta peut aussi chanter comme Esther Phillips. Dans « I Saw The Light », elle swingue la chair grasse des chœurs d’enfer. Les Tharpettes sont déchaînées. On assiste à une extraordinaire débauche de chœurs dynamiques.  Tout explose, elle tape dans le tas, ça jute de partout, c’est une shooteuse fatale. Rien ne peut l’arrêter. On ne retrouvera cette énergie que chez d’autres géantes comme Aretha, Sarah Vaughan ou l’immense Ella Fitzgerald, mais sans la gratte.

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             Quelques merveilles se nichent sur l’album Gospel Train, comme « Jonah », qu’elle écoule avec un phrasé d’une sidérante limpidité et elle passe un solo en picking. « Jesus Is Here Today », c’est tout simplement le rumble de Rosetta - Pray ! Pray ! - ça swingue, c’est dingue, et elle nous refait le coup du solo en picking. Fantastique duo avec Marie Knight pour « Up Above My Head ». Elles swinguent autant, sinon plus, qu’un big band des années trente. Avec « Didn’t It Rain », on retrouve le picking et Marie : le rêve. On a là le nec plus ultra du swing. Rosetta embarque ça avec des cliquetis de virtuose. Et elle joue ! Il faut voir comme elle joue !

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             L’idéal est aussi de l’entendre sur le Live in Paris, en 1964. On retrouve tout ce qui fait sa grandeur dans cette série de morceaux. Elle est accompagnée sur l’A par Ransom Knowling à la stand-up, et Willie Smith, le drummer de Muddy. C’est le plus grand power trio de tous les temps, pas de doute. Le swing, rien que le swing. Sans swing, la musique ne va pas loin. Sur « Jesus Is Everywhere », ils font un véritable festival. Ransom slappe comme une bête de Gévaudan. Rosetta fait swinguer le gros cul du gospel avec « Go Ahead » et place une fois de plus un solo de guitare punky. Fantastique version de « This Train » qu’elle joue en continu à la guitare. Ransom éclate de rire - Ha-ha-ha - comme un gros jazzman nègre de Chicago émoustillé par le talent du collègue. Un big band accompagne Rosetta sur la B, mais on entend toujours le son de la SG blanche. Elle joue en permanence et jusqu’à la fin du disque, elle n’en finira plus de subjuguer nos oreilles. « That’s All » est un pur classique de rock’n’roll, une vraie perle de juke à l’ancienne. Elle embarque tout à la voix et elle place l’un de ces killer solos flash dont elle a le secret. Version toute aussi hallucinante d’« How It Rains ». On sort de ce disque à quatre pattes et la queue entre les jambes.

             Comme les grands prêcheurs du Deep South, Rosetta savait enflammer un public. Elle pouvait se pointer sur scène avec des fourrures, des bijoux et une perruque, mais elle n’oubliait jamais de se mettre au niveau des gens qui venaient assister à son spectacle. Chez Rosetta, il n’y avait pas les chichis du star-system. Elle veillait scrupuleusement à rester la petite négresse élevée à Cotton Plant par Katie Bell. 

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             Bill Doggett : « Au Savoy, Rosetta était accompagnée par l’orchestre de Lucky Millinder. Quand elle arrivait sur scène, les gens devenaient carrément dingues. Tout le monde adorait Sister. Elle savait comment parler aux gens. Elle avait un charisme incroyable. » Dizzy Gillespie fit partie en 1941 de l’orchestre de Lucky Millinder. Il était lui aussi fasciné par Rosetta.

             Rosetta croisait les stars de son époque et ça ne lui tournait pas la tête.

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             Pendant toute une période, elle partagea la scène avec Marie Knight. Elles avaient mis au point un numéro spectaculaire pour « Saints & Sinners » : Marie la pécheresse arrivait déguisée en petite paysanne avec un ukulélé, et Rosetta la sainte déboulait en robe et en grattant sa grosse gratte. Le public explosait de rire, tapait des pieds, ovationnait les deux farceuses. Alors Rosetta en rajoutait une couche et le public devenait incontrôlable. C’est ainsi que Gayle Wald décrit un concert ordinaire de Rosetta - A typical performance, circa 1949 - L’album Sister Rosetta Tharpe & Marie Knight donne une petite idée de ce que pouvait être ce numéro. Dans « Milky White Way », on les entend grimper dans des hauteurs immaculées. Sur « Who Rolled The Stone Away », Marie chante seule et sort un gospel swing d’enfer. Sur ce disque, tout est infernal, on entend Rosetta placer des killer solos ici et là, comme si pour elle, il n’y avait rien de plus naturel.

             Au soir de sa vie, Rosetta eut pitié des pauvres petits blancs qui ne comprenaient pas grand-chose à la musique noire et elle fit un peu de pédagogie. Elle expliqua que le blues, c’était le nom théâtral du gospel et que le vrai gospel devait rester très lent, comme « Amazing Grace ».

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             — Si vous commencez à claquer des mains, ça donne le gospel revival et si vous rendez ça encore un peu plus joyeux, ça donne le jazz... Puis ça devient éventuellement le rock’n’roll.

             Non seulement Rosetta fut une star du gospel et une guitariste spectaculaire, mais elle fut aussi et surtout une flamboyante rockeuse noire. Elle fit des étincelles, bien avant l’apparition du rock’n’roll de grand-papa.

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             On profite d’une petite actu pour sortir Sister Tharpe du bocal. Vient en effet de paraître Live In France - The 1966 Concert In Limoges. Par ici, on appelle ça de l’inespérette d’espolette. Ailleurs, on parlerait plus prosaïquement de dynamite. Dans le booklet, t’as des images de Rosetta avec sa SG blanche. Et tu l’entends parler en français aux gens de Limoges - Et maintenant je vais cheteeeeh This Train - Et boom, «This Train», elle part en picking du diable. Elle reste en picking pour «Didn’t It Rain» et dans la salle, ça claque des mains. Rosetta est complètement possédée. C’est le diable qui gratte ses poux. Elle fait encore sa guitar herotte dans «Moonshine». Dommage que les gens applaudissent à tout rompre. Les applaudissements sont même gonflés et ça finit par te gonfler. Elle jive le jazz de «Sit Down» à la Méricourt et balance un fabuleux shoot de gospel rock avec «When The Saints Go Marching On». Elle reprend encore toute la mighty Americana à son compte avec «Joshua Fought The Battle Of Jericho». Elle fait du classic stuff de Sister avertie. Elle refait sa guitar herotte dans «Travelin’ Shoes» - Travelin’ shoes Lawd ! - et chante «Beams Of Heaven» à pleine gueule. Elle dévore le gospel tout cru. Please my Lawd ! Elle tape encore dans l’œil du cyvclone avec «Go Ahead» et montre qu’elle connaît toutes les ficelle de caleçon du gospel boogie avec «Bring Back Those Happy Days». Et puis tu la vois partir en mode rockab dans «If Anybody Above Me». T’en connais beaucoup des superstars aussi merveilleuses ?

    Signé : Cazengler Tartignole

    Sister Rosetta Tharpe. Spirituals In Rhythm. Diplomat Records 1960

    Sister Rosetta Tharpe & Marie Knight. MCA Records 1975

    Sister Rosetta Tharpe. Gospel Train. MCA Records 1975

    Sister Rosetta Tharpe. Live In Paris 1964. France’s Concert 1988

    Sister Rosetta Tharpe. The Gospel Of The Blues. MCA Records 2003

    Sister Rosetta Tharpe. Live In France. The 1966 Concert In Limoges. Elemental 2024

    Charles Burnett. Devil’s Fire. The Blues, A Musical Journey Vol 4. DVD 2004

    The American Folk Blues Festival. The British Tours 1963-1966.  DVD 200

    Gayle F. Wald. Shout Siter Shout. The Untold Story of Rock-And-Roll Trailblazer Sister Rosetta Tharpe. Beacon Press 2007

     

     

    Inside the goldmine

     - Sommers in the city

             Avec Baby Joana, ce fut le coup de foudre. Mais un coup de foudre un peu bizarre. Elle débarqua cet été-là au camping de Singère avec trois copines. Elles étaient complètement autonomes, pas de parents dans les parages. À cette époque, c’était assez inhabituel. Alors il y eut des fêtes sauvages chaque nuit sur la plage. Alcool, crises de rires, seins à l’air, copulation, liberté totale, joie de vivre. Le paradis. Chaque nuit, le même cirque. Encore et encore. Et comme c’est un âge où on tombe facilement amoureux, alors il est tombé amoureux. Mais amoureux des quatre. Elles s’étaient toutes les quatre offertes à lui, et il se sentait bien incapable de faire un choix, car chacune d’elles avait une sensualité exacerbée, au point que dans la journée, il se sentait dévoré d’une passion anarchique pour une hydre à quatre visages et huit mains. Il sentait cependant poindre en lui une préférence pour Baby Joana, mais il ne pouvait la détacher de ses trois copines. Cet hiver-là, il alla passer les vacances de Noël dans la région où elles vivaient toutes les quatre, et il les revit, mais séparément, car le contexte était beaucoup plus austère. Lycéennes, elles vivaient bien sûr chez leurs parents et semblaient toutes subir une sorte de petit joug totalitaire, surtout Baby Joana qui semblait physiquement transformée. Elle portait ses cheveux châtain clair tirés vers l’arrière en queue de cheval, et comme ses parents lui interdisaient de se maquiller, elle offrait le spectacle d’un regard bleu extrêmement cru. Elle portait une espèce d’affreux caban, une jupe longue, des mocassins noirs et des chaussettes blanches. Il ne restait plus rien de ces formes divines palpées avec ivresse pendant les fêtes dionysiaques de l’été. Baby Joana faisait peine à voir. Elle en avait les yeux humides de tristesse. Elle s’était arrêtée de vivre. Elle devait mentir pour venir au rendez-vous, et son temps était compté : devait rentrer à 17 h chaque jour. Elle craignait par dessus tout les représailles de ses parents. Elle marchait dans la rue en poussant son Solex et se retournait à chaque instant pour vérifier qu’on ne la suivait pas. Quand il voulut l’embrasser, elle se mit à pleurer. Elle ne supportait pas de revenir en enfer après avoir connu le paradis.

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             Joanie Sommers est aussi belle que Baby Joana. C’est sur une compile Northern Soul qu’on découvrit Joanie Sommers, avec l’irrésistible «Don’t Pity Me». Tous les fans de Northern Soul connaissent ce smash. La belle Joanie est une Buffalotte de Buffalo, état de New-York, transplantée en Californie, dans les années cinquante, et qui fit carrière chez Warner Bros dans les early sixties. Comme les grandes chanteuses blanches de son temps, elle savait tout faire : le jazz, le groove et la variette.

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             «Don’t Pity Me» ouvre le bal de cette fantastique compile qu’est Hits And Rareties. Joanie est la plus sexy de toutes les blanches, elle y va au don’t pity me de petite chatte demented, elle te le sucre sur fond de wall of sound, elle te le danse, elle te le prend à la main de petite brune sexy, c’est du délire, te voilà baisé, tu tombes dans les bras de Sommers in the city. Cette compile est une vraie caisse de dynamite. Tu l’ouvres à tes risques et périls. Plus loin, tu tombes sur l’«I’m Gonna Know He’s Mine» de Mann & Weil, elle t’explose le Brill. Même chose avec «I’d Be So Good To You». Diable comme elle est belle sur la pochette et diable comme elle casse bien le sucre du Brill. Elle est la cerise sur le gâtö du Brill. Plus loin, encore deux super-productions : «My Block» et «Since Randy Moved Away», deux cuts tentateurs, ultra-violonnés, elle y rentre chaque fois au sucre candy. Avec «Call Me», elle bascule dans la délinquance juvénile, elle chante à la candeur de la chandeleur. Et puis tu as «A Lot Of Livin’ To Do», elle y va envers et contre tout, avec cette voix de sucrette du diable et une niaque qui pourrait faire peur. Elle évolue dans un heavy jazz sound, fabuleuse Joanie, elle tape le jazz nubile, c’est explosif, jazzé jusqu’à l’oss de l’ass. Embarquée comme un fétu de paille, elle gueule encore. Elle jazze son sucre héroïquement, elle tient son cap jusqu’au bout. Ah il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie ! Sur les 31 cuts de la compile, la moitié sont des smash. Avec «Mean To Me», elle fait du pur jus de Billie Holiday. Elle détient ce pouvoir extravagant. La blanche bascule dans le swing de black. Elle chante encore son «Goodbye Summer» à outrance. Serait-elle plus royaliste que le roi ? Son sucre te rendra fou («Goodbye Joey»). Mine de rêve, voix de rêve. Elle chante encore «I’m Nobody’s Baby» comme une blackette, à cheval sur le champ de coton et la case de l’Honk Tom. Elle te coule encore ta flotte à la bataille navale avec «I’ll Never Stop Loving You», elle oscille en permanence entre le black world et le sucre candy, elle en abuse d’ailleurs dans «Out Of This World». mais il faut dire qu’elle a toujours un angle d’attaque spectaculaire, comme si elle voulait se poster à l’avant-garde de la variété américaine. Son attaque plait bien. Elle a du sexe plein la voix («Johnny Get Angry»). D’une certaine façon, elle éclaire la pop, elle te prend bien sous les aisselles. Elle fait une belle cover de «Summertime», elle y remonte bien le courant. Elle se prête à tous les genres avec une souplesse épouvantable, notamment à l’exotica de «That Old Devil Moon». Elle revient au jazz pour «What Wrong With Me», elle est folle de swing. Elle devient stupéfiante, elle sucre le swing ! Puis elle refait sa blackette pour aller taper «Henry Penny» au coin de la rue. Bizarrement, le mec qui a pondu cette compile n’a pas jugé bon d’inclure des liners.

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             Par contre, les mecs de Real Gone Music sont un peu moins rats : un petit booklet accompagne The Complete Warner Bros. Singles. On y apprend rien de plus que ce qu’on sait déjà, si ce n’est que «Don’t Pity Me» fut son dernier single sur Warner Bros. Elle signa ensuite chez Columbia. Ce double CD fait un peu double emploi avec la compile précédente, mais bon, on s’en accommode fort bien. Sur le disk 2, on retrouve tous les smash évoqués plus haut, «Don’t Pity Me» (elle bat les Supremes à la course), «My Block», co-écrit par Bert Berns, dont on se délecte une fois encore, et puis l’«I’d Be So Good For You» qui est une raison supplémentaire d’adorer Joanie. Elle sonne exactement comme les Ronettes. Elle monte directement au firmament de la pop, et puis avec «I’m Gonna Know He’s Mine», elle groove le Brill au mieux des possibilités. On croise aussi pas mal de variette, comme ce «Little Girl Bad» qui se noie dans un océan de sucre.

             La viande est sur le disk 1, à commencer par «I’ll Never Be Free». Elle chante comme une blackette, c’est même écrasant de white-niggerisme. Comment s’y prend-elle pour parvenir à ce résultat ? On ne le saura jamais. Elle dégouline littéralement de blackitude. Elle chante son «Be My Love» au fourreau de soie, elle est fabuleusement hollywoodienne. Elle revient à son cher sucre candy avec «Ruby-Duby-Du», c’est dire l’étendue de sa polyvalence. Et de là, elle passe au groove de round midnite un peu sucré avec «Bob White (Watcha Gonna Swing Tonight)», elle claque son tonite avec une niaque particulière. Sacrée pouliche. Joanie gagne à être connue. Elle te jazze tout ça à la black. Elle sait aussi travailler la clameur de Broadway, elle s’éclate au Sénégal avec «I Don’t Want To Walk Without You», il faut l’écouter c’est sûr, mais à petites doses. Ces grosses compiles sont dangereuses, car c’est un son difficile, extrêmement sophistiqué, celui des early sixties américaines. Elle se montre encore spectaculaire avec le wild jazz de «Seems Like Long Long Ago». Une constante chez elle : sa fantastique énergie. On tombe plus loin sur un «Makin’ Woopee» tapé à la stand-up, elle rentre encore dans le chou du groove comme une black. On peut bien dire qu’elle a du génie. Ce que vient confirmer le «What’s Wrong With Me» déjà croisé sur la compile précédente, avec une orthographe différente («What Wrong With Me»). Elle le vibre à la Billie, Joanie est une énorme shooteuse, elle initie la propulsion maximale. Ça te coupe carrément la respiration. Tu découvres des architectures de son au dessus de ta tête, ce sont les arcanes du génie pur.

    Signé : Cazengler, Joanie Sommaire

    Joanie Sommers. The Complete Warner Bros. Singles. Real Gone Music 2011

    Joanie Sommers. Hits And Rareties. Marginal records 1995

     

     

    L’avenir du rock

     - Signed Dee C

             Une nuit que l’avenir du rock se promenait dans un cimetière, il croisa un singulier personnage. Sous son élégant chapeau, il avait noué un bandana. Il portait des lunettes noires, comparables à celles de Ray Charles. De haute taille, de peau noire et plutôt élancé, il déambulait avec la nonchalance d’un dandy. L’avenir du rock s’émut plus que de coutume, car croiser un black dandy la nuit dans un cimetière n’est pas chose courante. C’était une nuit de pleine lune. Le silence régnait sur les tombes aux silhouettes parfaitement dessinées. L’avenir du rock leva son chapeau pour saluer l’inconnu qui avançait à sa rencontre. 

             — Enchanté de vous rencontrer en ce lieu insolite. Permettez-moi de me présenter : je suis l’avenir du rock, mais rassurez-vous, un avenir dénué de toute prétention. Ça vous rassurera sans doute de savoir que je ne suis qu’un simple concept.

             L’homme hocha la tête et se mit à psalmodier :

             — Sometimes I feel so lonely/ My comedown I’m scared to face...

             L’avenir du rock ne sut quoi répondre. L’homme reprit :

             — I’ve pierced my skin again/ Lord/ No one cares/ For me...

             L’avenir du rock s’interloqua :

             — Vous n’avez pourtant pas l’air d’aller mal. Vous savez, il vaut mieux éviter de me prendre pour une andouille.

             L’homme reprit sur le même ton :

             — My soul belongs to the dealer/ He keeps my mind as well/ I play the part of the leecher/ No one cares/ For me/ Cares for me...

             Et là il sortit un harmo de sa poche et se mit à jouer un solo déchirant de beauté.

             — Ah je savais bien que je vous avais déjà croisé quelque part ! Vous êtes Arthur Lee ! Jouez moins fort, Arthur, car vous allez réveiller le voisinage.

             — Look out avenir du rock/ I’m fallin’/ I can’t unfold my arms/ I’ve got one foot in the graveyard/ No one cares/ For me/ Cares for me...

             — Tu nous fatigues Arthur avec tes problèmes et ton Signed D.C. Écoute plutôt Dee C. Lee, ça te remettra l’équerre au carré.

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             Contrairement à ce que laisse entendre son nom, Dee C Lee ne sort pas d’une chanson d’Arthur Lee, mais de la scène Soul anglaise, puisqu’ex-Style Council et ex-madame Weller. Dans Mojo, Ian Harrison salue son retour après 26 ans d’absence. Dee C vient tout juste d’enregistrer Just Something et ça sort sur Acid Jazz, le label d’Eddie Piller. C’est grâce à Piller qu’elle reprend du service. Elle a enregistré avec des mecs des Brand New Heavies et de James Taylor Quartet.

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             Just Something est un très bel album de groove, comme le montrent «Be There In The Morning» et «Walk Away». Elle est assez fabuleuse, experte en entertainment d’excelsior. Acid Jazz ramène toute la niaque orchestrale et tu finis par te croire arrivé au paradis. Dans «Walk Away», l’éclat des cuivres t’éblouit. Elle attaque son album avec un heavy diskö groove d’Acid Jazz, «Back In Time». Elle est tellement à l’aise. Tu assistes à l’éclosion d’un magical time monté à la clameur. Puis ça flûte dans «Don’t Forget About Love». Elle groove des reins comme une reine de Saba. Elle frise parfois le Burt, l’ensemble est d’une luminosité aveuglante. La classe intersidérale du groove finit par te fasciner. Tu renoues avec le souvenir des jours heureux. Elle sait charger sa barcasse d’ampleur. Elle sait aussi traîner en longueur. Tout est très-très sur cet album, et même très très-très. Très heavy, très heureux et très Acid Jazz. Elle sait poser sa voix de vétérane de toutes les guerres. Miss Dee C Lee est assez exceptionnelle.

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             Puisque la curiosité est un vilain défaut, on va aller fouiner un peu sous les jupes de Dee C, histoire de voir à qui ressemble le déficit des années antérieures. Son premier album Shrine date de 1986. Belle pochette, elle ressemble à la Reine de Saba et tape avec son morceau titre un heavy diskö funk d’une voix ferme et sans détour. Elle adore aussi se prélasser dans le satin jaune. C’est typiquement le genre d’album dont il n’y a rien à dire, un album de dancing Soul à la mode. Quand t’entends «He’s Gone», tu fais patacam patacam. Tout est à la mode là-dessus. Elle sauve les meubles avec la lanterne rouge «Hold On», tout au bout de la B, un joli slow groove syncopé.

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             Elle enregistre quatre ans plus tard l’excellent Slam Slam. Bel album de diskö dance. Il est à cette époque délicieusement à la mode. Dans son cas, ce n’est pas une tare. L’époque veut ça. «What Dreams Are Made Of» finit par devenir intéressant. Elle a une bonne attaque de velours black. Elle sait poser sa voix. Mais elle adore aussi aller sautiller sur le dance floor, la coquine. Elle revient faire sensation avec l’heavy groove synthétique de «Death Charge». Pour l’époque, elle était déjà très d’actualité. Elle te fait plus loin le coup du groove de charme avec «Tender Love». L’album s’écoute avec plaisir. Tu ne peux pas prendre Dee C Lee à la leegère. Elle termine avec un «Nothing Like It» de rang diskö princier. Elle est juste derrière son cut, au nothing like it.

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             Paru en 1994, Things Will Be Sweeter est un très bel album de groove type Acid Jazz. Elle campe dans son pré carré dès «I’m Somebody». Elle groove son heavy groove fluide, ça coule comme une fontaine de jouvence. Elle sait aussi groover en profondeur. Tu entends «Sympathy For The Devil» dans l’intro de «Set Your Spirit Free» et ça groove au xylo. Well done, Dee C ! Encore une extraordinaire qualité du climax dans le morceau titre. Elle se répand bien sur la terre, elle est pure et douce, it’s alright it’s okay ! Elle sonne comme un diamant brut d’Acid Jazz. Groove à fleur de peau. Elle est tellement pure qu’elle semble envoûtée. Son groove sent bon le Jazzmatazz. Elle développe encore une fantastique énergie du groove dans «Walk Away From The Floor». Elle tape ça à l’insistance congénitale et n’en finit plus de groover l’or du Rhin entre tes reins.

    Signé : Cazengler, Dee solu

    Dee C Lee. Shrine. CBS 1986    

    Dee C Lee. Slam Slam. Free Your Feelings. MCA Records 1991

    Dee C Lee. Things Will Be Sweeter. Cleartone Records 1994

    Dee C Lee. Just Something. Acid Jazz 2024

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    Ian Harrison : Back after 26 years. Mojo # 364 - March 2024

     

     

    Grace is Cummings back

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             Comme t’as écouté Ramona, tu t’attends à un gros choc émotionnel. Mais c’est mal barré parce tu te retrouves assis dans l’herbe dans un parc à la mormoille. Et pour encore aggraver les choses, t’es à deux doigts de cailler. Mais le cul dans l’herbe, c’est tout ce que tu as toujours détesté dans ta vie, t’es là comme une larve à changer de position toutes les cinq minutes parce que t’as mal au cul. Alors pour écouter chanter Grace Cummings, c’est compliqué. Toutes les trois secondes, tu te dis que tu vas te barrer, mais elle t’intrigue, la mini-Australienne au décolleté un peu trop vertigineux. C’est pas son décolleté qui t’intrigue, c’est le contraste qui existe entre la mini-corpulence (un gros 1,50 m et 30 kg) et la portée de sa voix. Quand on chante avec une voix aussi balèze, on pèse son poids, d’où le ton de l’illusse. Mais en réalité, t’as une gamine quasi-impubère sous les yeux et ça t’intrigue. Petite, brune, minimale.

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    Plutôt jolie. Et elle bouge bien. Trois mecs l’accompagnent, un hippie chapeauté à la gratte, un bassman déplumé, et derrière, un troisième lascar bat le beurre en toute impunité. Grace a deux petits défauts, sans doute liés à la configuration du set : elle force parfois sa voix et ça devient pénible, alors que sur Ramona, elle te fascine au point que tu l’imagines femme forte. Et d’autre part, elle se croit parfois à Woodstock, avec une façon un peu niaise de sourire à «l’immense» foule. Dommage, car en plus du mal au cul, ces deux petits défauts gâchent un peu le plaisir de la découvrir sur scène. En salle, elle aurait de toute évidence fait un carnage. Mais là, dans le contexte du plein air, le son se barre dans tous les coins, et elle se sent obligée de gueuler comme un veau, et c’est pas beau. Par chance, les compos de Ramona tiennent admirablement bien la route, elle ramène du climax et des structures édifiantes, elle refait du P.J. Harvey à sa façon, et finalement l’heure de set finit par passer. Tu fais ouf ! en te relevant péniblement. Te voilà frigorifié, avec un glaçon au bout du pif. Elle aurait joué au Pôle Nord, c’était pareil. Le côté positif de tout ça, c’est que t’as au moins appris une chose : ça peut cailler sec au moins de juin.

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             Pas compliqué : Ramona grouille de coups de génie, et ce dès le «Something Going Round» d’ouverture de bal, avec son côté profond, très Totor. Magnifique pop d’élan lointain, Grace est puissante - And I think about begging/ For tobacco & time - Subliminal d’I think it was autumn/ I think it was an autumn day. Quelle allure, elle dispose de toutes les ressources de la démesure absolue. Encore de l’heavy Soul system avec «Everybody’s Somebody», elle nage dans l’océan du bonheur, elle est tentaculaire, elle t’éclate ton petit Sénégal au cry cry cry you want to know them. Elle te chante encore «A Precious Thing» au plafond, et c’est ultra-orchestré - Love is just a thing/ That I’m trying to live without - hallucinant d’intensité - And time is just a time/ It passes/ It dies/ Just stay and play - Tu croises rarement les jardins suspendus de Babylone. Dans «I’m Getting Married To The War», elle a les castagnettes de Totor. Tous ses cuts sonnent comme de fortes implications chargées d’audace. Elle travaille les syllabes de «Work Today (And Tomorrow)» comme le fait Billie Holiday avec les siennes. Encore de la fantastique maturité dans «Common Man». Elle te fend bien le cœur. Elle t’en impose. Quelle force de caractère ! Et son morceau titre est tellement bardé de bada que le casque chevrote.

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             Par contre, Storm Queen - l’album au perroquet qui précède Ramona - te laissera sans doute sur ta faim. Elle sort déjà une voix de femme mûre qui peut aller gueuler là-haut sur la montagne, mais il manque la magie. Son «Always New Days Always» humide et chaud s’enroule autour de ton oreille, mais elle est beaucoup plus folk que sur Ramona. Et même un peu lourde. Les cuts sont problématiques, pas très bons. Elle se prend parfois pour Leonard Cohen, («Up In Flames»), mais ça ne marche pas. Trop pâté de foie. «Here Is The Rose» est trop perlé de lumière. Trop dentelle de Calais. Elle est encore lourde avec «Raglan», et c’est avec le dernier cut qu’elle décolle. Elle atteint enfin l’ampleur extraordinaire avec «Fly A Kite». Pure merveille de chant tordu. 

    Signé : Cazengler, cum tout court

    Grace Cummings. Festival Rush. Jardin De L’Hotel De Ville. Rouen (76). 6 juin 2024

    Grace Cummings. Storm Queen. ATO Records 2022

    Grace Cummings. Ramona. Grace Cummings 2024

     

     

    Shaking with the Shakes

     - Part Two

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             Après avoir atteint des sommets insurpassables avec les deux albums d’Alabama Shakes (Boys & Girls et Sound & Color), Brittany Howard retombe de tout son poids au fond du bottom de la dégringolade, avec un album de musique à la mode. C’est important qu’on en parle, car la grosse Brittany incarnait tous les espoirs de l’avenir du rock. Alors pour une fois, on peut s’attarder sur une dégringolade qui vaut bien celle de Lucien de Rubempré. Ce n’est pas qu’on soit sadique, au point d’aller se repaître d’un tel revers de fortune, non il s’agit plutôt d’examiner un mystère qui vaut bien celui de la Chambre Jaune.

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             Le pire, c’est qu’elle a pas mal de presse et notamment le fameux Mojo Interview. Aussi est-on allé quérir What Now sans coup férir. On est tellement sûr du coup qu’on ne pense plus à la simili déception de son premier album solo, Jaime. Dans les pages de magazine, la grosse Brittany apparaît encore plus grande et plus pulpeuse qu’auparavant. On se dit, diable, comment une femme peut-elle prospérer physiquement de la sorte ? Même la crinière semble hors de proportion. Et pour achever le tableau, elle porte des petites lunettes de pédale punk à montures blanches. Tu vois un peu le tableau ? Mais vu qu’elle est une superstar, elle a le droit de mettre tous tes petits a priori en déroute.

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             Le seul problème, c’est que What Now sonne comme une déroute. Le buzz retombe comme un soufflé. T’en reviens pas d’entendre un album aussi à la mode. Elle commence par écraser le son, comme si elle s’asseyait dessus. Et comme elle est grosse, le son capote. Elle tape dans l’ambiancier pépère, dans l’à la mode, elle cherche le confort de l’élastique et du téflon, comme le font toutes les grosses, il fait chaud, alors faut-pas-que-faut-pas-que. Et puis ça se barre dans un délire teknoïde, c’est patacam patacam. Bizarre qu’elle ait abandonné le filon d’or d’Alabama Shakes. Plus on avance dans cet album et plus il devient antipathique, avec un son trop saturé, trop electro, pas de mélodie ni de final éblouissant. Serait-elle paumée dans le labyrinthe de la gloriole, comme Lucien de Rubempré avant elle ? Elle fait pitié à voir, dans sa grande robe psychédélique. Elle ramène enfin une mélodie chant dans «To Be Still», mais il est trop tard. Le mal est fait. Elle s’est grillée. On va jusqu’au bout parce que c’est elle, mais tous ses cuts sonnent comme un grand foutoir Teknö, un abandon d’île, une débinade de baroud bidon. Elle perd définitivement le peu de crédit Soul qui lui reste avec «Samson», et avec «Patience», elle se branche sur une sorte de Soul à la Prince. C’est sans doute le seul bon cut de cet album décevant, elle joue bien des effets des Soul Sisters à la mode. Mais globalement, What Now laissera le souvenir d’un album de baltringue à la mode. Elle a perdu le power et la grâce de la graisse. Elle tente encore de passer en force sur «Every Colour In Blue» mais c’est une Sargasse de Blue sévèrement trashée à coups de trompette. Bizarre que les journalistes anglais ne parlent pas de suicide artistique.

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             Dans Uncut, Sharon O’Connell donne 9 sur 10 pour cet album foireux. Elle parle même de «border sonic invention». C’est dingue comme on se fait encore mener par le bout du nez, même à un âge avancé. Plutôt que de rester sur les sommets avec les Shakes, elle a préféré quitter le groupe et partir à l’aventure. La pauvre O’Connell se débat sur 4 pages avec son baratin. Elle trouve même dans What Now des traces de «Southern Soul, R&B, astral jazz, psychedelic funk, doo-wop, garage blues and rap.» Il faudra qu’elle nous explique où elle a trouvé tout ça, parce que ça n’existe pas dans What Now. Dans l’interview qui suit, la grosse Brittany déclare qu’elle s’est un peu laissée aller, au plan musical - Wathever comes out is OK - Elle se dit qu’elle va faire un nouveau disk, puis un autre, et puis encore un autre. All the styles. Ça promet ! Si on lit cet interview tout pourri, c’est dans l’espoir d’y trouver l’annonce d’une reformation des Shakes. Rien. Par contre, elle chante les louanges de Prince. Elle se dit aussi intéressée par Nina Simone et James Brown. I’m interested in emotional connection.

             Tapis rouge dans Mojo avec le Mojo Interview. Elle dit qu’elle a quitté les Shakes pour «suivre la musique» - What drove me was following the music - Puis Bill DeMain la ramène sagement sur le chemin chronologique, alors elle évoque tous ses vieux groupes d’Athens, Alabama, puis la rencontre avec Zac Cockrell, le futur bassman des Shakes. Des Shakes qui démarrent en 2009. Elle parle aussi d’Heath (gratte) qu’elle surnomme Abraham Lincoln, parce qu’il aime prendre son temps et réfléchir. Elle raconte l’ascension fulgurante des Shakes, à partir d’un cut mis en ligne sur un blog. Et boom ! C’est Patterson Hood des Drive-By Truckers qui met les Shakes en contact avec un management et boom, les voilà sur ATO, le label des Truckers. Puis c’est les gros sous, l’achat d’une baraque à Nashville et les concerts avec Prince et McCartney. Puis arrive l’inévitable question : «Will you ever reunite?». Elle répond qu’elle ne veut pas parler des Shakes comme si c’était fini. This is where we are for now. Elle dit qu’elle a des relations «périphériques» avec le batteur et Hearth. Seul Zac est resté avec elle.

    Signé : Cazengler, Alabama Shit

    Brittany Howard. What Now. EMI 2024

    Sharon O’Connell. Brittany Howard. Uncut # 322 - February 2024

    Bill DeMain : Brittany Howard - The Mojo Interview. Mojo # 363 - February 2024

     

    *

    Longtemps qu’un groupe polonais n’ait attiré mon attention, et plouf celui-ci est de Perzow commune rurale sise en le district de Grande Pologne, un peu au centre-ouest du pays, entre nous, je ne voudrais pas être méchant ou méprisant, ça m’a tout l’air d’un coin perdu, laissons ces géographiques considération pour nous intéresser  au groupe lui-même, vous me ferez le plaisir de ne pas le confondre avec le groupe russe  Arkona. 

    L’Arkona de cette chronique se qualifie lui-même de horde, dénomination qui fleure bon la barbarie, toutefois paganisme et anti-christianisme s’avèrent être les deux mamelles amalthéennes auxquelles le groupe  s’abreuve. Leur premier opus sorti en 1994 ne se nomme-t-il pas An Eternal Curse of the Pagan Godz et leur deuxième ne se réfère-t-il pas aux Dieux de l’Oubli, à moins que le traducteur ne se soit mélangé les pinceaux et que ce  ne soit l’analyse heideggerienne de l’Oubli des Dieux ce qui intellectuellement nous ramène vers le concept de romanité, serait-ce un hasard si leur troisième album, paru en 1996, arbore fièrement le nom d’Imperium. Si les Dieux se rapportent au Dire du Mythe, le terme d’Imperium est une référence explicite au Domaine du Politique. Qu’en est-il au juste, le mieux serait d’y aller voir.

    IMPERIUM

    ARKONA

    (Astral Wings Rec. /1996)

    Khorzon : guitar, bass / Messiah : vocals, lyrics / Sylvain : drums / Pitzer : guitar  / T. Lewinski : keyboards, composition.

    Ce mois de septembre 2024, Arkona vient de sortir l’album Stella Pandora, de l’équipe quasi initiale d’Imperium ne reste plus que Khorzon. Khorzon possède plusieurs cordes à sa lyre de fer puisqu’il officie aussi au chant et aux claviers, c’est lui qui est le maître d’œuvre de la pochette.

    Arkona était une ville située en la mer Baltique sur l’île poméranique de Rugen, tout au nord sur un cap rocheux, au centre de la cité  s’élevait un temple consacré à Svantevit Dieu slave de la guerre, de la fertilité et de l’abondance. Il peut paraître étrange pour notre mentalité d’occidentaux déclinatoires d’associer l’idée de guerre avec celle d’une profusion excédentaire mais nous sommes en des temps sombres. En 1160, l’armée danoise de Valdemar I secondé par les très chrétien évêque Roskilde Absalon s’emparèrent de la ville s’empressant de détruiret du même coup le dernier temple païen des différents peuples slaves. Les polarités  de Svantevit sont nombreuses, elles recoupent la plupart des attributs des principaux Dieux grecs : Zeus, Apollon, Janus, Arès, Poseidon, Démeter, Leucothée, liste non exhaustive…

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    A première vue une panoplie d’armes que l’on accrochait aux murs de sa demeure pour rappeler les exploits militaires du maître de maison, un peu comme ces trophées que l’on se hâtait dans l’affolement général de décrocher des pièces d’apparat des grandes maisons romaines alors que l’armée d’Hannibal marchait sur Rome, ne nous laissons pas hypnotiser par les yeux glacés de la tête de Méduse à la chevelure entremêlée de serpents, les lances, les hallebardes, les mousquets, jusqu’à la forme des cors, les drapeaux, malgré la tête du bélier de Mars nous sommes dans une imagerie guerrière qui emprunte d’après moi à une iconographie post-médiévalo-germaine, tributaire des lansquenets allemands chargés d’arrêter les charges de cavalerie… Un symbole de résistance d’autant plus poignant qu’il semble sculpté sur le tablier d’ouverture d’un tombeau…

    Que le lecteur ne soit pas surpris par l’étrangeté des titres, en ses débuts Arkona utilisait leur langue nationale : le polonais. Comme nous sommes trop bons nous les avons fait suivre de leur traduction.

    Skrajna nienawiść egoistycznej egzystencji : La haine extrême de l'existence égoïste : même traduit le titre procure une impression étrange, l’on s’attend à une scène d’épopée, un fourmillent kaotique de champ de bataille et nous voici renvoyés à l’intérieur de la citadelle intime de tout un chacun, ego, ego, égo… Claviers et tintements, des arpèges à la Bach enfin le chant s’élève porté sur le dos galopant des guitares, il nous nous montre le chemin, d’abord celui de l’arrachement, déjà derrière soi… le rythme s’accélère, la voix djente comme un serpent qui siffle, qui ne laisse aucun espoir, si l’on s’est enfui du lourd manteau des mensonges christiques,  l’on n’en est pas plus libre pour autant, l’on court dans les marécages d’une solitude glacée,  le bonheur n’est pas au bout du chemin, l’on se retrouve seul avec soi-même, aucun dieu consolateur pour nous réconforter, les claviers glissent à la manières des bateaux que la vague pousse dans l’immensité des gouffres, nous possédions la tristesse des jours enfouis sous la chappe de plomb des croyances, nous voici à l’air libre dépossédés de toute illusion, ô la grisâtre lénifiante, nous voici plongés dans la désespérance nihiliste, courir sans fin, se précipiter, ne plus croire en rien, ne plus compter que sur soi-même même si notre cerveau est aussi vide que l’abîme dans lequel nous nous jetons hardiment. Epidemia rozczarowania i nędza duchowa : Une épidémie de déception et de pauvreté spirituelle : comme de l’eau qui coule, le vocal vomit tout ce qui a été vécu, c’est l’heure du ressentiment dirait Nietzsche, le plus dangereux celui qui ne s’adresse pas aux autres mais à soi-même, une espèce d’auto-lapidation impitoyable, oh, l’on n’a pas peur de lancer la première pierre, Descartes nous rassure en affirmant que c’est l’heure du doute, n’empêche qu’Hegel nous a appris que la négativité de soi-même est un grand pas en avant vers la guérison, est-ce pour cela que la musique est entraînante, pratiquement envoûtante, que le rythme s’accélère, se replie sur lui-même pour se détendre pour se projeter encore plus vite, encore plus rapidement, vers l’avant, la grande interrogation se métamorphose en immense exclamation, en zénithale exultation de soi-même, mieux vaut la mort que le mensonge, prenez exemple, que votre joie soit celle de Zarathoustra. Métaphysique festive. Każdy los to cień : chaque destin est une ombre : heure décisive et effroyable, quand on a tué Dieu, il ne reste plus qu’à faire confiance à son propre destin. Le chant appuie très fort, il s’agit de convaincre, d’ouvrir la porte, le destin n’est pas une voie tracée d’avance, notre déclin dépend de notre choix, il suffit de penser, de s’être démuni de toutes les valeurs, chaque pas est dicté par notre pensée, nous ne savons pas où nous allons, rythme rapide mais lourd, la batterie halète, mais nous savons ce que nous sommes, que nous allons vers ce que nous sommes en train de devenir. Conseils donnés à ceux qui hésitent sur le pas de la porte. C’est pourtant en soi-même qu’il faut rentrer. Suprême ordalie. Jesienne cienie czekające na kolejną reinkarnację : Ombres d’automne attendant la réincarnation : un train qui fuse dans la nuit, l’arrivée est certaine, c’est la station mort, mais c’est toi qui meurs en toi-même, en ta mort tu renfermes tout ce qui a été toi, tu es ton propre maître , tu t’enfermes dans ta mort pour la revivre, c’est sans fin, les saisons passeront et reviendront sans cesse en ton royaume dont tu es le roi absolu, décrochement musical, un envol parallèle à lui-même, et la vie reprend de plus belle à l’intérieur de ta mort, musique joyeuse, chant de triomphe, ce que tu as vécu renaît et revient, maintenant tu ne souffres plus, tu regardes les scènes une par une, tu t’es détaché de ta propre prégnance, depuis ta tour de guet de toi-même tu portes un regard serein, tout cela a été toi et malgré leurs courtes durées toi tu as le temps de les regarder, de leur accorder un peu d’attention. Ce qui a été vécu est toujours vécu. Wściekłość która nadchodzi : la fureur qui vient : ouragan phonique, la philosophie à coups de marteau de Nietzsche mise en musique, une éructation de haine, un torrent d’invectives, il s’agit d’éveiller et de maudire ceux qui ne sauraient s’arracher à la drogue christique, la tourmente s’arrête pour mieux repartir, un déluge imprécatif, nouvelle pose pour un nouveau souffle, la cavalcade effrénée reprend avec encore davantage de virulence, pas de pitié, pas de remédiation, pas d’arrangement, pas de conciliation, simplement être soi, entre le bien et le mal pour forcer le barrage et se retrouver par l’entremise de cette violence absolue enfin libre par-delà le bien et le mal. Au-delà de la négativité de soi-même. Pluję na twą marność psie ! : J’ai craché sur ta vanité, chien ! : la suite musicale du morceau précédent, avec en prime, l’invective, l’insulte, l’injure, le gardien du cimetière se moque du chien, de celui qui a cru en son maître, celui qui a changé de croyance, de celui qui a cru en l’inanité du néant et en la vanité de son propre moi, contente-toi de savoir mourir dignement, l’esclave des dieux n’est pas digne de survivre en lui-même, la croyance n’a pas de fond, tu t’enseveliras en ton propre vide, puisque tu n’as pas atteint à la pensée de toi-même, tu ne seras même pas toi-même dans ta mort, tu resteras prisonnier de la négativité du nihilisme. Puissance dévastatrice de ta propre illusion. Puissance dévastatrice de ta propre désillusion. Pogarda dla wrogów imperium wszechmocy : Mépris des ennemis de l’empire de la toute-puissance : un instrumental de toute beauté qui dépasse à peine les deux minutes et qui vous donne un inimaginable sensation d’éternité, après les deux typhons précédents, l’on croirait que l’on a atteint l’œil de l’ouragan, solitudes glacées, l’on pense au cygne de Mallarmé prisonnier de sa propre blancheur, aux neiges éternelles, au Voyageur contemplant les solitudes glacées de son propre moi de Caspar David Friedrich, une espèce de symphonie bruitiste, une irradiation de ce à quoi pouvait penser Nietzsche après son effondrement, nous sommes au faite de la puissance, du plus grand pouvoir auquel l’on puisse atteindre, n’oublions que l’étymologie d’imperium provient du mot latin pars, partis, la part qui nous revient, celle à laquelle l’on se donne la puissance d’accéder. 

             Même si les trois derniers morceaux de l’opus sont prodigieux, ayons une pensée émue pour Messiah le lyriciste disparu en 2017, nous restons toutefois un peu sur notre faim, nous sommes comme des enfants gâtés à qui l’on donne l’absolu et qui demandent ce qu’il y aura encore à manger après. En 1996 Imperium est sorti en K7, un format qui se prête mal à de longues temporalités, en 2005, Arkona a donné une réédition CD augmentée de deux titres.

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             La couve de cette réédition nous interroge. A priori une vue médiévale, la tour d’entrée d’une enceinte fortifiée qui semble défendre l’étroit accès d’un passage entre deux surplombs rocheux, malgré les deux courtines crénelées l’ensemble paraît avoir été construit en bois, nous préférons y voir l’entrée peinte en rouge, les nombreux villages nommés Maison Rouge parsemés sur le territoire français nous le suggèrent, l’entrée des baraquements militaires de garde du limes des légions romaines qui ceinturaient l’Imperium… Un pas de deux, certainement artificiel, qui relie Mythe et Politique…

    Długa Ciężka Zima : Un hiver long et dur : : ré-enregistrement du morceau   Long hard Winter issu de la démo An Eternal Curse of the Pagan Godz  (1994) :  chuintement, hurlement du loup dans sa tanière,  la dernière garde, à l’intérieur de la tour de guet, la nuit est froide, encore plus froide est la nuit hostile qui s’étend sur le monde, angoisse l’inéluctable est en marche, le chant s’arrête, que dire de plus si ce n’est crier encore et encore lorsque la fin s’approche, la mort est là, une glaciation intellectuelle s’accapare la terre… aujourd’hui encore certains veillent et attendent le retour. W Wiecznej Zemście Pogańskich Bogów : Dans la vengeance éternelle des dieux païens : ré-enregistrement du morceau An eternal Curse of the Pagan Godz issu de la démo éponyme de 1994 : course folle, rituel de la désespérance et du retour, les Dieux ne sont pas morts, ils sont toujours là, éternellement ici et maintenant, vous n’y pouvez rien, ce qui a eu lieu reste figé dans le sable mouvant de l’éternité, toute présence est une malédiction, une revanche sur le simple fait d’avoir été, la musique passe telle une tornade, la voix s’époumone dans le Dire du Mythe et du Politique.

    Damie Chad.

             Pour ceux qui n’auraient pas compris Arkona précise qu’il ne soutient ni n’appartient à aucune organisation à visée totalitaire. L’exemple de l’expérience séculaire de l’hégémonie christique sur les esprits suffit de vous dissuader de toute velléité d’imitation…

     

    *

    C’est comme les long horns, vous ne voyez que leurs grandes cornes, ensuite vous vous apercevez qu’il y a une vache dessous, ben là c’est pareil, sur la photo vous avez trois jolies filles, really delicious, et votre cerveau ne les calcule même pas, il dirige vos mirettes droit sur elle, il a raison, vous n’y croyez pas, ce n’est pas possible, comment ose-telle s’exhiber ainsi, ce ne devrait pas être permis, vous regardez la légende, vous faites confiance, elle a été rédigée par Rose et Paige de Two Runner, vous leur faites confiance, les yeux fermés, mais là vous les gardez grand ouverts, elles précisent que c’est leur ‘’fav country band Jesse Daniel’’, bien sûr vous ne connaissez pas, alors vous essayez d’en savoir plus. Un mec qui se balade avec une moustache en fer à cheval, ce doit être facile à repérer.

    JESSE DANIEL

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             Quelques clics sur lui et j’en sais davantage que si la CIA m’avait refilé un double de son dossier. Une bio américaine comme vous ne pourrez jamais vous vanter. D’abord l’american dream dans toute sa splendeur : au creux de la Californie, une maman aimante et un papa qui joue de la guitare, Creedence Clearwater Revival par exemple, donne même des petits concerts dans les coins, une enfance baignée par la musique… Une première cassure, le couple se sépare, l’enfant grandit, adolescent avec quelques copains il forme un groupe punk.

             Le punk c’est bien, mais la route de l’enfer est pavée de bonnes intentions, le lycée, les filles, les concerts, une belle adolescence, un gars sympa, serviable, toujours le sourire aux lèvres, un esprit créatif, bosseur, en forme parfaite. Enfin presque, il donne le change, un peu de fumette, quelques pilules… je vous épargne la longue route, la lente descente, addiction, trafic, prison, déchéance, notre héros est tombé dans l’héroïne…

    Cure de désintox sur cure de désintox, mais comme dans la plupart des bons films américains, un beau jour un ange lui tend la main. En fait ce n’est pas un ange mais un gars qui lui tend sa guitare. Ouf le déclic salvateur ! Il se souvient des morceaux country que son père jouait… Rédemption ! Non ça ne se passe pas que dans les films, soyez de votre époque, maintenant ça se passe dans les séries.

    S’est fait un petit nom avec sa guitare et sa voix dans les bars et les occasions du coin, un coup de téléphone qui demande une chanson pour Netflix… la roue tourne du bon côté, ses trois premiers simples DIY se retrouvent sur son premier album Jesse Daniel, sorti chez Die True Records, son label personnel. Il vient de sortir son cinquième album Countin’ The Miles, sur Lightin’ Rod Records… L’on se permet d’y piocher dedans. Pourquoi commencer par celle-ci et pas une autre. Parce que c’est une Lyric Video et qu’elle définit totalement le style de Jesse Daniel.

    TOMORROW’ S GOOD OL’ DAYS

    A tel point que vous ne savez pas où donner de la tête, à la première seconde vous êtes percuté par plusieurs obus mortels. Essayons de procéder avec ordre et méthode. Premièrement l’oriflamme majeur, la mention featuring Ben Haggard. Ne soyez pas hagard à l’énoncé de ce nom, sortez du  hangar de votre incroyance, oui, il s’agit bien du fils de Merle Haggard. Question filiation vous ne trouverez pas mieux, Merle Haggard c’est tout un pan de la légende de la country, le mauvais garçon, le bagarreur, le voleur qui se retrouve en prison, à San Quentin, ce qui lui permet de voir Johnny Cash et lui donne envie de changer de vie, de faire de la musique, il deviendra un des grands lui qui a croisé Lefty Frizzell et qui fera partie de la bande des Outlaws, un des grands noms de la country, mais pourquoi Ben est-il là, par hasard, que nenni il a déjà entendu les premiers titres de Jesse Daniel et il a reconnu. Si vous voulez savoir quoi, cliquez sur la vidéo vous n’attendrez pas longtemps, un petit peu de pedal steel guitar et vroom : la guitare vous cueille à l’estomac, oui Jesse revendique l’héritage de Merle, ce n’est pas tout, vous avez la voix, rugueuse sans concession, cela ne vous suffit pas, il vous manque le petit sortilège en plus sans lequel le country n’est pas du country, oui un brin de nostalgie, qui vous susurre tout fort à l’oreille que vous n’êtes pas heureux dans ce monde qu’il doit y avoir un ailleurs, les paroles de Jesse vous le confirment, ce pays où l’on n’arrive jamais se situe derrière vous, dans le passé et l’on a intérêt à y revenir au plus vite si l’on ne veut courir vers la catastrophe. Pour vous le confirmer vous avez les images, la beauté des paysages américains, et les méfaits de l’industrialisation à outrance…

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             Un bon morceau. Evidemment si vous attendez une analyse marxiste sur la lutte de classe aux Etats Unis vous êtes déçus. Pourquoi des milliardaires, pourquoi des paumés, Trump vous traitera de communiste, la country possède (et professe) sa morale, si vous êtes dans la mouise, il n’y a que vous qui pourrez vous aider. Prenons un exemple au hasard, celui de Jesse Daniel, avant-hier une loque, aujourd’hui une star montante du la country moderne.

    OL’ MONTANA

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    Je vous connais, le précédent morceau était trop beau pour y croire, bricolé à merveille avec l’harmonica qui tombe à pic pour susciter le frisson fatal, alors voici Jesse tout seul dans un bar avec sa guitare à Nashville. Même pas un verre de whisky pour s’épaissir la voix. Son chapeau, sa moustache, sa veste de jeans ses tatouages bleuâtres qui ne semblent pas avoir été coloriés par un grand artiste…

    Une triste histoire, un mec trompé par sa gerce qui est partie avec ce garçon qu’il avait accueilli comme un ami. Bien sûr il l’a tué, c’est la moindre des choses. Bien sûr il est en prison, c’est l’injustice de la vie. Lui il regrette. Surtout pas de l’avoir tué, mais son amour qui l’a trahi. Ne lui en veut même pas. Le coupable c’est le gars. Faut du courage pour entonner une telle tragédie sans rire. Ou sans pleurer. Le Jesse reste imperturbable. Dévide ses couplets et ses refrains sans faillir. C’est son rôle, il vous rappelle ce que vous savez déjà, que la vie n’est pas rose, même si vous n'avez encore jamais tué personne, vous savez que cela arrive, que cela peut vous arriver, même qu’un tel morceau ne peut que vous aider à accomplir ce que vous n’avez pas encore osé faire, si le monde va mal c’est parce qu’il y a trop de lâcheté, la preuve il y en a vous… le country quand c’est réussi c’est entre le mélodrame, voire le boulevard le plus pathétique, et Homère, tous ces guerriers qui s’entretuent parce que le destin le veut… c’est Achilles qui pleure avec Priam et qui lui remet le cadavre d’Hector qu’il a occis  et mutilé… Un genre d’exercice qui n’est pas donné à tout le monde. Les turpitudes humaines ont leur grandeur, Jesse Daniel excelle en cet art d’une grande simplicité, d’une pureté inaltérable.

             Un bon morceau de country équivaut à la Comédie Humaine d’Honoré de Balzac résumée en trois couplets et trois minutes. Du grand art.

    Damie Chad.

     

    *

             Eddy Mitchell m’a écrit. Oui à moi, Monsieur Damie Chad. Enfin un envoi groupé. Quelques milliers de personnes, je suppose. Pour m’avertir de la sortie de son quarantième album, le huit novembre prochain. Pour m’appâter il m’a tendu un gros hameçon, la primeur d’un des nouveaux titres. 

             Dans mon intransigeante prime jeunesse j’ai beaucoup aimé Eddy, l’avais vu à la TV avec les Chaussettes Noires et les adultes de la famille horrifiés qui couvraient la musique de leurs cris horrifiés, l’était un point de repère quand j’étais au collège,  j’ai toujours gardé un œil sur lui, vu plusieurs fois en concerts,  j’ai décroché définitivement à la sortie de Grand Ecran, en 2009, un peu trop fadasse à mon goût, vieillir is not a good trip, l’Eddy de J’avais deux amis, de Société anonyme, de Je touche le fond, de Si tu n’étais pas mon frère, de Fortissimo, restera mon Eddy à moi, l’avait la niaque… ensuite  une carrière avec des hauts et des bas, quelques bons titres, des trucs trop chiadés, son incompréhension déroutante du retour du rock’n’roll au tout début des seventies… toutefois je ne résiste pas à écouter :

    EN DECAPOTABLE PONTIAC

    EDDY MITCHELL

            Pure country, c’est fou comme l’instrumentation adoucit la voix d’Eddy, bon Eddy roule en décapotable Pontiac la pedal steel guitar pleure tout son soul, au début cela sent la carte postale, surprise l’on quitte les bons sentiments pour les déclarations anarchisantes, les banques sont faites pour être braquées, y croit-il seulement, nous n’aurons pas le temps d’en débattre, survient la police… La société a gagné, qu’est-ce qu’on est loin de La Route de Memphis… Country mais pas Outlaw !

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             La pochette n’est pas une réussite. L’a une sale tête Eddy dessus, derrière un petit côté à la Edward Hopper, manque ce qui fait la grandeur de Hopper, l’autre face du rêve américain, la solitude américaine. Le titre de l’album me donne raison : Amigos. Surtout quand sur Tf1 l’on vous donne la liste des invités, les Souchon père et fils, William Sheller, Sanseverino, Pascal Obispo, aux compos. Inutile d’épiloguer.

    Damie Chad.

     

    *

             Ce qu’il y a de bien avec le doom c’est qu’il permet de voyager sur tous les continents, ce qu’il y a de mal avec le doom c’est que la question politique reste trop-souvent abordée de façon allusive, nous voici donc au Brésil avec un groupe qui n’a pas la langue dans sa poche.

    SETBACKS (TERRIBLE DAYS)

    DEAD LEVEL

    (Piste Numérique / 18 -09 – 2024)

    Seidi Ulra : vocals / Aramys Souza : guitars / Arthur Correa : bass / Beto Brasil : drums.

             Le groupe est de Belem au nord du pays, s’est formé en 2015, possède déjà à son actif deux Ep et un album.

    En France les média nous ont seriné que Jair Bolsonaro, président du Brésil entre 1919 et 2022 était un politicien libéral, Dead Level ne se gêne pas pour le qualifier de néo-fasciste. Vous comprenez que les jours terribles qu’évoque le titre sont ceux de son mandat présidentiel marqués par un accroissement de la misère et des inégalités sociales. Une loi simple à ne pas oublier dans notre propre pays qui glisse sur la pente douce, ne soyez pas pressé, de la tiers-mondialisation rampante : plus il y a de pauvres, plus les riches sont riches.

    La couverture est explicite : en bas un gars qui se prend la tête, en haut les quatre piliers de la Sagesse : mainmise sur l’information, ordre et morale fascistes, religion et abrutissements médicamenteux. En prime, the last but not the least, les armes pour faire taire les récalcitrants.

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    Rajoutons notre petit commentaire personnel : certes Bolsonaro a été remplacé par Lula, ce qui est mieux que rien, mais cette gauche molle qui ne se donne pas les moyens d’éradiquer le loup malfaisant du capitalisme et de la chèvre rongeuse du libéralisme ne saurait être à notre gré une solution politique performative…

    Dès les premiers coups de batterie vous comprenez que l’on n’est pas ici pour écouter des frivolités d’avant-garde, la musique est lourde, elle avance lentement, un background définitivement posé pour ne plus bouger, bien sûr on laisse la guitare se faire entendre mais pour le trampoline exagératif n’y comptez pas, nous sommes sur le mode de l’incantation, tout repose sur la voix en quelque sorte légèrement échoïfiée pour lui administrer une dimension chorale, une espèce de récitatif qui oblige à penser au rôle du Chœur dans les tragédies grecques, tout à la fin elle laisse la place à la clameur de la foule qui marque la fin du cauchemar.  Question paroles c’est très intelligemment écrit. Le texte n’est pas un réquisitoire à l’encontre des exactions politiques, économiques et sécuritaires du dictateur démocratique, il a été élu, donc l’on accuse les vrais coupables, ceux qui ont voté pour lui, qui ont opté pour le pire par peur du terrible avenir que les medias leur prédisaient s’ils ne donnaient pas leur voix au sauveur attendu par la nation. Toute cette petite-bourgeoisie timorée et ces larges fractions populaires qui ont failli, qui se sont démises de leurs responsabilités, qui n’ont pas osé, qui ont fermé les yeux, qui ont fait semblant d’espérer, bref qui ont eu peur, le trouillomètre à zéro, comme si on leur enfonçait le bulletin de vote dans le trou du cul pour qu’ils le revomissent, avec ordre et discipline, dans l’urne accueillante. Ils ne le disent peut-être pas d’une manière aussi crue que mon commentaire, il faut savoir lire entre les lignes et écouter entre les notes.

             Nul n’est parfait (puisque personne ne pense exactement comme moi) : dans leur petit texte de présentation de leur morceau, ils ont le défaut de faire silence sur les stratégies financières des groupes  pharmaceutiques lors du Covid. Big Pharma s’occupe de votre santé…

    Damie Chad.

     

    *

    Il y a des disques vers lesquels vous vous dirigez sans savoir pourquoi. L’on m’objectera que le nom du groupe, référence explicite à Aleister Crowley, a dû agir sur ma soi-disant mystérieuse attraction, vous avez parfaitement raison mais vous avez totalement tort, ce n’est pas Crowley qui m’a attiré mais le manque évident entre le titre de l’album et la couve de l’album, et puis le titre de l’album si authentiquement blues, le tout en ayant parfaitement conscience que comme dans une enquête policière parfois les indices trouvés sur la scène du crime ni ne concordent entre eux, ni ne présentent aucune cohérence, d’ailleurs y-at-il seulement un cadavre ?

    MISERABILIST BLUES

    BOLESKINE HOUSE

    (Masked Dead Records / 17 – 04 - 2024)

    Raven Borsi : vocals, lyrics /  Nicolò Misrachi : instruments, songwriting.

    La compagnie Masked Dead Records, bonjour Le Masque de la Mort Rouge d’Edgar Allan Poe, est sise en Lombardie dans la bonne ville de Brescia, si je m’en rapporte aux patronymes des deux artistes j’en déduis que le groupe est originaire d’Italie, détail supplémentaire Giulia Frump photographe qui a participé à l’artwork est née à Milan. La façon dont sa participation est dévoilée me laisse rêveur : ‘’ Visual concept by Boleskine House and Giulia Frump’’ , nous ne sommes pas dans un simple disque de metal, le mot concept nous pousse à penser que nous sommes face à un concept poétique musical.

    Petite parenthèse parallèle et hypothétique : The House of the Holy de Led Zeppelin m’a toujours paru être raté, non pas parce qu’il est mauvais en soi, mais parce qu’il ne correspond pas à la force évocatoire de son titre, la demeure zéplinienne du titre ne serait-elle pas celle d’Aleister Crowley…

    L’opus est dédicacé à Carlos Ruiz Zafon, auteur espagnol décédé en 2020, auteur de mystérieux roman, se déroulant dans d’énigmatiques manoirs, emplis de sombres malédictions destinales s’étendant sur plusieurs génération, et d’une grande bibliothèque dans laquelle je vous conseille de ne pas choisir un livre même si l’on vous le propose, car vous n’avez aucune idée des nuisances que pourrait occasionner cette lecture le long de votre existence… sombres maisons et littérature, un univers aleistérien par excellence…

    Généralement, musiciens et chanteurs ne vous donnent pas quelques conseils pour écouter leurs opus quel que soit l’appareil d’écoute dont vous vous servez. Ici vous avez deux notes d’avertissement de quelques lignes, que je recopie in extenso : Tout d’abord sur la manière d’appréhender l’espace mental du groupe : ‘’ Boleskine House est un lieu où chacun peut trouver refuge contre sa vie ruinée, un espace immatériel où il peut se plonger dans ses fantasmes de nostalgie avant de disparaître à jamais sans laisser de trace. Une demeure qui change inévitablement en fonction des expériences personnelles de l’auditeur.’’.

    En second lieu, goûtez la force de ce vocable, sur l’album lui-même : ‘’ Miserabilist Blues est la première œuvre de Boleskine House. Le disque raconte un moment poignant et insaisissable, mais apparemment sans fin, sans horizon. Le temps, les lieux aimés, les personnes connues, les personnes perdues, les promesses fragiles des jours dorés de la jeunesse, les rêves brisés et les désirs impossibles se fondent dans un brouillard éternel.’’

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             Bref, il ne reste plus qu’à entrer sans se faire prier, prenons toutefois le temps de regarder la couverture : au centre une jeune femme à l’épaule dénudée, certainement une photographie de Giulia Frump, elle aime la beauté des corps humain dénudés, visitez son Instagram, qui tient sur sa poitrine une espèce de cadre rudimentaire,  semblable à ceux qui entourent la photo, à considérer comme les exvotos symboliques des nœuds gordiens de nos angoisses ou de nos préférences que les visiteurs de la demeure seraient censés laisser sur place en signe de leurs passages

    Black House Painters : tiens, peinture, photographie, musique, poésie, littérature, sacrées confluences, serions-nous face à une tentative d’œuvre totale… : quelques notes, déjà une ambiance, une atmosphère, qui se développe, qui se zèbre d’éclairs, la charge des lanciers de la cavalerie et le chant qui growle comme une meute de loups qui galopent après vous, à votre recherche, ne craignez rien, vous ne risquez rien dans cette masse phonique gazeuse qui vous enveloppe, ces bêtes malfaisantes, des notes comme les reposoirs de la procession de Saint-Pol-Roux, leurs mufles vous enserrent ils ne vous attendaient pas cette maison, ils sont en vous, c’est dans votre tête qu’ils courent sans cesse en rond, une chaîne dont vous apprenez à vous défaire, dépêchez-vous, d’autres cauchemars vont poindre issus des marécages de votre cervelle, prenez-les dans vos bras, ces pauvres diablotins, n’ayez pas peur, bercez-les, apprenez à les apprivoiser, c’est ainsi que vous connaîtrez la paix, que vos terreurs s’amenuiseront, que la vie vous apparaîtra comme une clairière ensoleillée, une paix rayonnante vous enveloppe, vous retrouvez une jouvence, les loups hurlent, ils se disputent pour lécher vos mains, vous les avez amadoués, ils vous ressemblent, ils vous suivent, vos pas s’éloignent dans la longue galerie, vous disparaissez, hurlent-ils à votre mort… Need : quels sont nos besoins au juste, nous nous sommes débarrassés de nos peurs superficielles, nous voici maintenant face à la mer mouvementée de nos désirs profonds qui sont remontés à la surface, guitares en vagues et grondements du vent qui ne vous fait aucun cadeau, vous voici dans le vortex incommensurables de vos envies les plus sombres, sur la ligne de crête d’une corde de guitare glissante, il vous faut apprendre à les accepter, charmez les serpents que vous avez engendrés pour qu’ils vous piquent, pour qu’ils enroulent leur puissants anneaux autour de votre corps et qu’ils vous mordent à la nuque pour que vos pensées ne soient que l’agitation kaotique de votre kaléidoscope intérieur.

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    A place to mourn forever : vous l’avez voulu, il est inutile de pleurer, le plus misérable des blues vous assaille, une tornade, vous attendiez une valse chaloupée en consolation, fausse route, vous êtes au fond du maelström, celui qui mène la barque est le masque de la mort rouge, il vous sourit, il n’a plus de dents, il a trop sucé de sang aux gorges qui se sont offertes, surtout la vôtre, attention vous êtes la reine des putains, la maîtresse de vos propres désirs inavouables, acceptez-vous, entendez-vous cette musique monumentale qui vous salue, qui joue la marche triomphale de votre victoire sur vous-même, une procession, un défilé, tout le peuple est après vous et chante en chœur vos louanges, le monde entier est suspendu à vos pieds, joie incoercible de vos phantasmes exacerbés, la guitare glisse comme un serpent d’or qui se faufile parmi les invités, quelle fête, les pleurs qui tombent de vos yeux sont comme des feux d’artifice extatiques qui montent dans le ciel, le plus misérable des blues est aussi le plus riche, voyez la force de l’orchestration car ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, growlements de remerciements, rien ne saurait éteindre le soleil de votre présence. Sérénité totale, intensité maximale. Seules subsistent quelques notes de clavier pour ne pas effaroucher le vol de l’hirondelle de la fragilité humaine et du rêve. When you sleep (Adaptation du groupe irlandais shoegaze My Bloody Valentine) : je ne comprends pas pourquoi ils ont eu besoin de reprendre ce titre qui vole en sa version originale au ras des pâquerettes : leur interprétation est bien meilleure, mais le charme des trois morceaux précédents est perdu…

             Lorsque l’on a un concept, il est nécessaire de le garder jusqu’au bout…

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 540 : KR'TNT 540 : HOWARD GRIMES / MICHAEL CHAPMAN / CURTIS HARDING / EVERYOTHERS / GREY AURA / EDDY MITCHELL / ROCKAMBOLESQUES

     

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 540

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    03 / 02 / 2022

     

    HOWARD GRIMES / MICHAEL CHAPMAN

    CURTIS HARDING / EVERYOTHERS

    GREY AURA / EDDY MITCHELL

    ROCKAMBOLESQUES

     

     Howard the reward

     

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             En français, reward veut dire récompense. On aurait pu titrer ‘Upward Howard’ ou encore ‘An award for Howard’, les possibilités sont infinies dès lors qu’on entre dans les parages d’un homme aussi lumineux. Pour l’amateur comme pour le fureteur, la petite autobiographie d’Howard Gimes est une authentique aubaine. My Life In Rhythm semble tomber du ciel. Peu de petits livres sont capables de labourer aussi profondément nos vieilles cervelles éculées par tant d’abus. C’est pourquoi Howard is a reward.

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             Howard Grimes est un nom qui parle aux ceusses qui ont lu les dos des pochettes d’albums d’Al Green, d’O.V. Wright, d’Ann Peebles, de Syl Johnson, de Denise LaSalle ou encore d’Otis Clay. Howard Grimes - qu’on va appeler Howard parce qu’il est devenu un copain - fut le batteur de l’house-band d’Hi Records, le troisième studio/label mythique de Memphis, avec Sun et Stax. Howard n’a besoin que de 150 pages pour nous faire entrer au Royal Studio, au 1320 South Lauderdale Street, chez Willie Mitchell - boulevard qu’on a depuis lors rebaptisé Willie Mitchell Boulevard - De la même façon que le fit Chips Moman pour Stax, les fondateurs du studio/label Hi, Joe Cuoghi, Quinton Claunch et John Novarese optèrent pour une salle de cinéma désaffectée du quartier black de Memphis. Hi et Stax même combat ! Ce sont des blancs qui font du business. Fondé en 1956, Hi - House of Instrumentals, mais aussi Hi pour les deux dernières lettres du nom de Joe Cuoghi, comme le précise Howard - commence par commercialiser de la musique de blancs, avec comme figure de proue le Bill Black Combo. Quand en 1965, Bill Black, le brillant stand-up man d’Elvis, casse sa pipe en bois, Willie Mitchell qui est l’ingé-son du studio reprend la main en tant que producteur et Hi devient un label de Soul, mais pas n’importe quelle Soul, la Memphis Soul.

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             Howard entre pour la première fois au Royal en août 1960, le jour de l’enregistrement du «Gee Whiz» de Carla Thomas. L’enregistrement devait avoir lieu chez Stax, mais comme la bécane était en panne, ils sont tous allés au Royal, chez Willie Mitchell. Howard rappelle que «Gee Whiz» est un hit historique, car produit par la crème de la crème des producteurs locaux : Willie Mitchell et Chips Moman. Howard précise que Chips dirigeait la session et que Willie l’observait - Willie was so cool and laid back - Howard donne pas mal de détails sur le fonctionnement un peu obscur d’Hi. Les musiciens de l’house-band recevaient un chèque chaque semaine (Howard ramassait 106 $, alors dit-il que son copain Al Jackson en ramassait 500 chez Stax) et il devait aller récupérer son chèque chez Popular Tunes, que tout le monde appelle Pop Tunes. Avec le label Hi, ce magasin de disques qui appartenait au trio d’Italo-américains Cuoghi/Beretta/Novarese. C’est Frank Beretta qui signait le chèque. Il avait nous dit Howard toujours un gros cigare au bec. Howard le charriait en l’appelant Mr Magoo.                    

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             Howard nous fait donc entrer dans l’arrière-boutique de Pop Tunes qui est un entrepôt de jukeboxes. On se croirait dans un film de Scorsese - Ils étaient assis dans l’entrepôt et jouaient aux cartes, ils sifflaient leur whisky, et quand ils me voyaient arriver, they’d say, ‘Hey Howard! Get you a drink.’ - À l’étage de Pop Tunes, il y a trois secrétaires et une table couverte de cash - I’ve never seen so much cash in my life - Les trois secrétaires comptent les billets et font des tas. Howard ne comprend pas d’où vient tout ce blé. Il voit aussi que ses collègues de l’house-band Leroy et Charles Hodges récupèrent du blé par la bande, ils s’achètent des bagnoles et des maisons. Howard n’y comprend rien - They had my goddamn head swimming. In the dark’s where they kept me - Howard n’en croque pas. En plus, il doit reverser une partie de ce qu’il gagne à Willie - Willie had me paying a kickback. That shows how stupid I was - Pauvre Howard, tout le monde profite de lui, comment peut-on l’aider ? 

             Quand Joe Cuoghi casse sa pipe en 1970, c’est Nick Pesce, l’avocat du trio, qui reprend le contrôle du business. Tout au long de la phase de démarrage d’Hi - the making of Al Green - Howard se dit content, il accompagne toutes ces stars, Ann Peebles que Bowlegs Miller a ramenée de Saint-Louis, O.V. Wright, etc., mais il est soucieux car il gagne tout juste de quoi manger.

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             Howard évoque aussi l’épisode Atlantic. Willie reçoit un jour un coup de fil d’Atlantic qui propose s’envoyer chez lui Roberta Flack, Aretha et Donnie Hathaway. Jerry Wexler et Tom Dowd étaient déjà venus faire un tour chez Willie pour jeter un œil, mais Willie ne voulait  pas de ces mecs-là - He didn’t want to be bothered with all them crooks - Willie savait qu’Atlantic avait mis le grappin sur Stax et les avait quasiment mis sur la paille. Une sale histoire que raconte Robert Gordon dans son Stax book. Comme Willie lui claque la porte au nez, Jerry Wexler va envoyer une partie de ses artistes chez Chips qui après avoir été viré de Stax a monté American. Howard est resté en bons termes avec Chips. Il va faire un tour chez American et revoit Tom Dowd qui l’avait complimenté pour son talent de batteur. Howard voit surtout le succès d’American et le blé qui coule à flots, alors que lui ne roule pas sur l’or. La politique d’austérité de Willie a ruiné tous ses espoirs. Il aurait bien aimé gagner un peu plus de blé - It didn’t happen. We all felt let down - Pourtant Hi connaît son âge d’or avec une belle série de hits : «Trapped By A Thing Called Love» de Denise LaSalle, «A Nickle And A Dime» d’O.V. Wright, et bien sûr «Tired Of Being Alone» et «Let’s Stay Together» d’Al Green. Puis Otis Clay et Syl Johnson débarquent de Chicago. Voyant que ça marche bien chez Hi, Tyrone Davis débarque à son tour. Mais Howard discute avec lui et lui recommande de faire demi-tour, car dit-il, tous les œufs d’Hi sont dans le même panier : Al Green. Aucune promo pour les autres. Willie concentre en effet tous ses efforts sur Al Green.  

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             Howard nous brosse un paquet de portraits croquignolesques. Son copain d’école s’appelle Isaac Hayes. Comme Isaac est trop doué et qu’il joue de tous les instruments, une enseignante nommée Mrs Barbara Blake Jones le prend sous son aile et lui apprend les arrangements. C’est comme ça nous dit Howard qu’Isaac est devenu ce qu’il est. Encore débutant, Howard a la chance d’accompagner des stars comme Marvin Gaye et Jackie Wilson, but maybe the biggest star I ever played with was one of the first. Il parle bien sûr d’Isaac, the true Spirit of Memphis.

             Howard parle d’ailleurs de Memphis aussi bien qu’en parle Dickinson : «The Memphis sound is all about that backbeat.» Howard apprend à jouer dans les clubs de Memphis, «those clubs we played every night. Il y avait des organistes au Flamingo Room et au Sunbeam’s Club Handy. Un mec nommé Blind Oscar jouait de l’orgue at the Handy - he was bad (c’est-à-dire bon). Avec Booker T. Jones at Stax et Charles Hodges at Hi, that organ became part of the soul of the Memphis sound. Take those clubs out of the picture of Memphis music and there isn’t any picture.» 

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             Comme les package tours des early sixties passaient par l’Ellis Auditorium de Memphis, Howard y accompagnait toutes les stars : Jackie Wilson et Marvin Gaye comme on l’a dit plus haut, mais aussi Bo Diddley, Jo Jo Benson, Dee Clark, et encore Fats Domino et Mickey & Sylvia qui furent ses idoles de jeunesse - Marvin Gaye came to play the revue before he was a star and I baked him on ‘Hitch Hike’ - Quel veinard ce Howard ! Quand il va jouer au Plantation Inn de West Memphis, c’est-à-dire de l’autre côté du pont, c’est pour accompagner Floyd Newman qui le félicite : «That beat is your identity. No other drummer can play that.» Alors Howard devient un géant. En 1963, il rentre en studio avec Floyd Newman pour enregistrer «Frog Stomp», un mighty single Stax : «We went to the studio because of that beat. Isaac is on top with the organ, I’m driving the rhythm with the foot, playing 4-4 on the bass drum and 6-8 on the high-hat.» Howard the reward fait même swinguer ses phrases. Il faut faire gaffe avec ce genre de mec, car on finit par réécouter tous les grands albums d’Hi rien que pour l’entendre jouer. C’est le syndrome Charlie Watts : à cause du fantastique bouquin de Mike Edison (Sympathy For The Drummer), on a réécouté tous les albums des Stones pour entendre ce que fait Charlie. Et là on comprend pourquoi Edison met en sous-titre : Why Charlie Watts matters.

             On va rester un moment au Plantation Inn avec Howard car il a un sacré coco à nous présenter : «At the Plantation, on jouait du blues et du rock’n’roll derrière un mec qui s’appelait Sissy Charles. Strange cat. Il ressemblait à un gorille. On voyait son impertinence à sa façon de marcher et à la façon dont il vous regardait. Floyd et lui s’appréciaient mais moi, il me regardait de travers. Il était l’un des meilleurs chanteurs de blues du coin. That Sissy Charle was a trip. Je n’avais pas trop de rapports avec lui. I was scared of that motherfucker. Il était fort comme un bœuf. Il avait l’air d’un caveman. Les blancs l’adoraient. Il jouait  dans les white clubs.» En fait Howard nous refait le coup de Dickinson qui dans l’excellentissime I’m Just Dead I’m Not Gone nous décrivait le show de The Bullet, un homme tronc noir qu’on amenait sur scène et dont le numéro consistait à hurler, car c’est tout ce qu’il pouvait faire. Howard nous décrit d’autres artistes extraordinaires, comme Peaches qui s’habillait en femme, ou encore Ms. Shake Right qui s’enfonçait une ampoule dans le vagin et bien sûr l’ampoule s’allumait. Howard qui l’accompagnait se demandait où était le truc - I thought she must have something hot in there - Comme Ms. Shake Right était une amie de sa mère, il la respectait - Ms. Shake Right was a lovely woman - Et pendant qu’il bat le beurre, il peut observer le public, notamment celui des white clubs : «Les blancs dansaient off beat, they were all in different time and doing different moves. La première fois que j’ai vu des blancs danser, j’ai éclaté de rire. Ils restaient on the beat aussi longtemps qu’ils l’entendaient, mais ils étaient vite paumés. Dans les clubs des blancs, je n’ai jamais vu de bagarres, de manifestations de haine ou de négativité. Ça a transformé ma vision des blancs. Je n’aime pas entendre les black people dire du mal des blancs.» Howard développe en expliquant que les blacks ont la sale manie de se battre dans les clubs, ce qu’il ne supporte pas.

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             Howard voit donc le démarrage de Satellite/Stax. Ils sont tous blancs sauf Floyd Newman et Booker T. Jones. L’house-band des débuts est entièrement blanc, puisque ce sont les Mar-Keys - Ils ont eu un hit, «Last Night» et sont partis en tournée. Mais ils n’ont pas emmené Floyd Newman avec eux. Pourtant c’est lui qui chante ‘Ooooooh last night’ - Sur scène, les Mar-Keys ne sont pas aussi bons que sur disque. Il paraît nous dit Howard qu’à Detroit, le public gueule. Il ajoute : «Quand ils se sont aperçus que le batteur blanc des Mar-Keys ne savait pas tenir le tempo, Chips Moman a demandé que je participe aux sessions. Une fois que Chips m’a fait entrer dans le circuit, j’ai commencé à bosser pour de vrai. J’ai accompagné les Mar-Keys sur tout ce qui a suivi ‘Last Night’, mais on ne m’a jamais accepté comme membre du groupe. No matter what, I am a Mar-Key.» Howard rappelle aussi qu’à cette époque, il fallait faire gaffe de ne pas sortir du studio avec un blanc, même si on jouait ensemble à l’intérieur - We had to be careful outside because we didn’t want any trouble for the studio - Howard et donc le premier batteur black de Stax. Il sera remplacé par Al Jackson, qui à cette époque est le batteur d’Hi. Howard insiste beaucoup pour dire qu’il n’existe aucune rivalité entre Al Jackson et lui. Ils ont démarré ensemble et quand Al est arrivé chez Stax, Howard est allé chez Hi - Al avait un jeu plus vif et plus léger que le mien. He played a twenty-two inch ride cymbal, a great cymbal. On l’entend sur much of the Stax stuff - Willie Mitchell disait de ces deux batteurs : «Je ne pourrais pas avoir de meilleurs batteurs qu’Al Jackson et Howard Grimes. The best of two worlds.» À quoi Howard ajoute : «Willie disait aussi que j’étais plus créatif et que j’avais plus d’idées de rythme.» En fait, c’est Willie Mitchell qui fait la différence. Howard cite un exemple très parlant : «Willie Mitchell expliqua comment il voyait les choses. Il s’était fâché avec Al pendant l’enregistrement de ‘Love And Happiness’. Il disait à Al qu’il ne voulait pas the motherfucker pretty, il voulait the motherfucker funky. Alors c’est moi qui ait joué là-dessus. I would drive the beat, it’s a funky thing. Al Jackson played pretty.» Seul Willie Mitchell pouvait voir ces nuances. Tous les grands albums d’Al Green sont des albums de nuances. Howard raconte aussi qu’Al Jackson trimballait une petite sacoche d’appareil photo - Je lui ai demandé pourquoi il trimballait un appareil photo alors qu’il ne prenait jamais de photos. He said : ‘It ain’t no camera’. Il ouvrit la sacoche et en sortit un Luger. Je sus alors qu’il devait avoir de sacrés ennuis (I knew he must be in some serious shit) - Howard reprend un peu plus loin : «La dernière fois que j’ai vu Al Jackson, il m’a dit qu’il allait voir sa femme. He said she had the best pussy in the world. Comme elle lui avait déjà tiré dessus, je lui ai dit de ne pas y aller. (...) Le lendemain, Leroy m’appela pour me dire : ‘Al Jackson is dead.’ Al était allé dans cette maison. Il y avait quelqu’un d’autre.»

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             Comme Howard accompagne tout le monde, il se retrouve un jour embarqué dans une tournée de Paul Revere & The Raiders. Ils sont comme chacun sait venus enregistrer un album à Memphis (Goin’ To Memphis) et Mark Lindsay a repéré Howard. C’est l’époque où les Raiders sont énormes aux États-Unis, Howard nous rappelle qu’ils jouent dans des stades devant 50 000 personnes. Il voit les kids hurler comme dans les Beatles shows. Pour Howard, ce sera la première et dernière expérience de tournée, car ça ne se passe pas très bien. Paul Revere & The Raiders tournent dans le Sud avec un batteur noir, et forcément ça pose un gros problème quand ils arrivent à Montgomery, Alabama, fief du gouverneur Wallace, le gouverneur le plus raciste de tous les temps. Quand le boss du Montgomery Coliseum voit arriver un batteur nègre, il déclare aux responsables de la tournée : «The nigger ain’t playin’ in here. We never have James Brown in here. Ain’t no nigger played in here. Ain’t no nigger ever gonna play here. This is my building.» Pas question de laisser jouer le nigger dans son Coliseum. Le road manager et les Raiders font bloc avec Howard : si Howard ne joue pas, les Raiders ne jouent pas. Howard est fier des Raiders mais inquiet pour la suite. Alors comme les fils du gouverneur sont des fans de Paul Revere & The Raiders, ils implorent la clémence de leur père. Le gouverneur fait donc pression pour que le concert ait lieu. Il dit au boss du Coliseum de fermer sa gueule et il envoie même une escorte de la Garde Nationale pour protéger le tour bus, car bien sûr, Howard et les Raiders sont en danger. Du coup Howard devient une sorte de héros. Le mec du light-show l’éclaire sur scène de façon à ce que tout le monde le voie bien. Il est en plus installé sur une plate-forme qui domine les musiciens. Le concert est nous dit Howard exceptionnel. Le groupe reçoit un ovation. Et ce n’est pas fini : après le concert, les fils du gouverneur viennent même demander à Howard de dédicacer leurs albums des Raiders. Elle est pas belle la vie ?

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             C’est dans ce petit book qu’on trouvera sans doute le meilleur portait de Willie Mitchell, l’une des légendes de Memphis avec Uncle Sam, Stan Kesler, Jim Dickinson, Isaac Hayes et Chips Moman. Un Willie Mitchell humain trop humain : on sort des hommages à l’eau de rose, car Howard ne nous épargne rien du dark side of Willie Mitchell.

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             Quand Howard vient passer son audition, il doit jouer avec les frères Hodges que Willie a formés pour devenir l’house-band de ses rêves : Teenie (guitar), Charles (organ) et Leroy (bassmatic). Howard s’entend tout de suite très bien avec eux. Il décrit fabuleusement bien cette première audition, c’est pourquoi il faut lire ce petit book. À un moment, Willie dit stop et demande à Howard de ralentir : «Slooooow down, Goddammit! We gon’ aaaallll get ther at the saaaaaaaame time.» Howard comprend immédiatement - Willie avait son propre sens du groove, alors j’ai bien écouté le ton de sa voix. Peace was there. Il disait : ‘Here’s where I want it at. I want the motherfucker right there, so play it there’ - Willie forme Howard comme il a formé Teenie, Charles, Leroy et Al Green. Alors Howard sent le son entrer en lui - I thought : ‘This is where I’m supposed to be.’ Willie se tenait debout avec sa trompette, il écoutait. Il tapait du pied on the one. Je voulais qu’il soit content de moi, je désirais tellement faire partie de ce house-band. The Lord told me : ‘Watch his foot. If his foot moves, he’s listening. If It ain’t moving, you have to make it move. That’s how I learned to stay on the one -  Howard ajoute que Willie avait une vision du son pour Al Green, Ann Peebles, Otis Clay, Syl Johnson, O.V. Wright, mais la constante était bien sûr le groove de l’Hi Rhythm Section - Il existe d’autres great studio bands out there, mais je ne pense pas qu’un seul d’entre eux pouvait rivaliser avec nous, hit for hit, style for style, playing live and recording - Howard précise que les frères Hodges sont issus de la campagne, Germantown, outisde Memphis. Leur père Leroy Hodges Sr. avait un groupe, the Blue Dots, dans lequel jouait un guitariste nommé Earl the Pearl qui a tout appris à Teenie.

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             C’est le boss de Duke, Peacock et Back Beat Records Don Robey qui amène O.V. Wright enregistrer chez Hi. Pour la petite histoire, il faut savoir que Don Robey est un boss qui bosse à l’ancienne, gun sur la table et tartes dans la gueule. Il faut aussi savoir qu’O.V. Wright est l’un des plus grands Soul Brothers de tous les temps. Howard pense qu’O.V. est «the finest vocalist I ever worked with. I loved him from the top.» Mais O.V. a ses démons nous dit Howard, il parle bien sûr des drogues. Howard explique ailleurs qu’il n’approche ni les drogues ni les orgies assez courantes à l’époque. Il préfère rester à l’écart de tout ça. Lors d’une session, nous dit Howard, O.V. a sifflé une bouteille entière de sirop et il transpirait tellement qu’il dut enlever sa chemise pour chanter, «but his voice rang out clear as a bell». Un beau jour, Willie reçoit un coup de fil annonçant la mort de Don Robey. O.V. qui est dans le studio déclare : «Dirty dog took my money with him.» Et tout le monde explose de rire. Mais O.V. a pas mal d’ennuis avec les flics, il ne paye pas la pension alimentaire qu’il doit à son ex et quand les flics le collent au trou, Willie le fait sortir. Willie lui paye aussi la rehab et quand O.V. sort clean de rehab, il part en tournée. Mais ses drug buddies le chopent et O.V. replonge - That’s the way he died.

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             Howard raconte aussi comment au cours d’une tournée avec Willie, ils rencontrent un jeune black nommé Al Green. Ça se passe dans un club de Waco, Texas et Al Green demande à chanter avec eux. Howard ne rentre pas trop dans les détails mais la scène est fabuleusement bien documentée dans l’autobio d’Al Green, Take Me To The River. Les rapports entre Howard et Al Green seront assez mouvementés. Sans aucune raison valable, Al va demander à Willie de virer Howard. Willie se contentera de trouver un autre batteur pour accompagner Al, mais Howard se sera pas viré tout de suite. Plus tard, hanté par les remords, Al Green volera au secours d’Howard tombé dans la misère. 

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             Howard précise aussi qu’Abe Tilmon et les Detroit Emeralds sont venus enregistrer des hits chez Hi, «Wear This Ring», «You Want It You Got It», «Baby Let Me Take You» et «Feel The Need In Me» - The best music ever to come out of Memphis. People don’t even know - Howard ajoute qu’Abe Tilmon écrivit ces hits pour sa femme, mais elle lui brisa le cœur - He came back to Memphis half out of his brain from whiskey. He died not long after - Destin tragique comme ceux d’Al Jackson et d’O.V. Wright. Howard évoque aussi Ann Peebles, d’un caractère joyeux, qui riait beaucoup. Don Bryant qui composait pour Hi la faisait beaucoup rire. Mais nous dit Howard, elle avait deux défauts : son timing et sa diction. Elle ne savait pas entrer au bon moment dans une chanson, alors Howard lui apprit à compter. Un deux trois quatre, et tu entres - She stayed relaxed, she stayed with the drums and didn’t jump times - Willie s’intéressait à Ann parce qu’elle avait une voix superbe - We worked her up. So much church in her - Pour la diction, Willie confie le job à Don Bryant : «Teach her to sing clearly». Évidemment Don tombe amoureux d’Ann et ils se marient. Aux dernières nouvelles, ils sont toujours ensemble. On a vu Don Bryant sur scène en 2018 et ce fut une sacrée révélation. Howard ajoute que Don mériterait un book of his own - Don’s a little like I am - Et Howard continue sur sa lancée : «Après être resté tranquille pendant des années, il est revenu avec deux albums enregistrés à Memphis avec Scott Bomar. Je joue sur les deux. Il chante encore comme un jeune homme et il revient vers Willie Mitchell plus que n’importe qui, même les frères Hodges ne vont pas aussi loin.» On a rendu hommage à Don Bryant sur KRTNT en 2018 ( livraison  387 du 06  / 12 / 2018 ) Les deux albums sont parus sur Fat Possum : Don’t Give Up On Love et You Make Me Feel.

             Don Bryant et Earl Randle étaient les deux Hi Records staff songwriters. Howard en évoque un autre, Dan Greer, qui se pointait de temps en temps - Dan Greer a peint l’enseigne de Satellite Records. Je l’ai vu grimpé sur l’échelle le jour où avec Rufus on est venus enregistrer «Cause I Love You». Dan filait des compos à Willie. Il a aussi composé pour Wilson Pickett, Arthur Conley et James Carr - Il existe d’ailleurs une très belle compile Kent Soul, Beale Street Soul Man: The Sound Of Memphis Sessions, et une autre encore plus capiteuse, qui date du temps où Dan duettait avec George Jackson sous le nom de George & Greer, chez Goldwax : George Jackson And Dan Greer – At Goldwax. Tout ceci fait l’objet de futurs chapitres. 

             Par contre, Howard voit les choses se gâter chez Stax avec l’arrivée de Johnny Baylor, engagé comme garde du corps avec Dino Woodard par Isaac. Ces deux blackos viennent de New York. Depuis que Martin Luther King a reçu une balle dans le cou, la tension est montée à Memphis. Baylor fait entrer les guns chez Stax et il prend petit à petit le pouvoir. Satx le charge d’aller percevoir les impayés. Pas de problème. Au moment où Isaac connaît son heure de gloire, il fait travailler Chin, un copain d’école. Howard : «Me and Isaac went to school with Chin. Chin vivait à l’hôtel avec des prostituées, il fumait le cigare et dépensait le blé qu’il devait utiliser pour assurer la promo d’Isaac, par exemple arroser les DJs pour qu’ils passent les disques à la radio. Johnny Baylor a fait rosser Chin.» Ce sont bien sûr les méthodes de la mafia.

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             Un jour, Willie annonce à l’house-band qu’il est grand temps pour eux de faire un album. C’est On The Loose, le fameux Hi Rhythm Section record. Willie suggère d’enregistrer cinq instros et cinq cuts chantés par différents chanteurs. Mais Teenie veut chanter et Willie lui répond : «You can’t sing motherfucker.» Teenie rétorque : «Mick Jagger can’t sing.» Et Willie lui balance du tac au tac : «You ain’t Mick Jagger.» Howard nous restitue ce fabuleux dialogue. Howard et Leroy veulent faire chanter Ann Peebles et Al Green, mais Teenie, Charles et Hubbie veulent garder le singing. Ils l’obtiennent. Ce sont donc les frères Hodges qu’on entend sur cet album qui finalement tient bien la route. On retrouve le groove d’Hi dès le morceau titre d’ouverture de balda. Ils groovent comme des dieux. Le chant n’est pas très bon sur «Superstar», mais ils compensent par une extraordinaire musicalité. Howard a raison, ils ont un problème avec les voix, ce ne sont pas des belles voix et pourtant on se régale de «Purple Raindrops». C’est Howard qui mène la danse, au Memphis beat sec et net. Nouvelle merveille avec «Save All My Lovin’», ces mecs ont du génie, ils développent leur groove, ça chante à la ramasse mais le beat bat comme un cœur de bœuf. On s’habitue très bien au pas de voix. La chaleur du groove sur «You Got Me Comin’» est un modèle du genre. Ils terminent cet album étonnant avec «Skinny Dippin’» et Teenie Hodges joue psyché en fond de toile, c’est un vrai coup de génie ! Quasi hendrixien dans l’esprit.

             Mais l’album ne sort pas. Willie nous dit Howard ne voulait pas perdre le groupe. Il craignait que l’album ait du succès. Howard : «Trente ans après qu’on ait enregistré l’album, Don Bryant m’appela pour me dire de venir le rejoindre chez un disquaire de Beale Street. Il avait l’album. Je ne savais pas qu’il était sorti. Un label anglais nommé Demon Records l’avait publié et le disquaire en avait trouvé quelques exemplaires lors d’un voyage à Londres. Sur la pochette, on aurait dit que Teenie a un sandwich glissé dans son pantalon. Mais il a dit que ce n’était pas un sandwich.» Et pour conclure ce chapitre un peu tristounet, Howard jette un dernier éclairage sur la politique de Willie : «Willie n’a pas voulu qu’Al me vire. Il n’a pas voulu que Lou Rawls me fasse jouer.» Il craignait trop de perdre sa poule aux œufs d’or.

             Un jour que Syl Johnson est en studio chez Hi, il dit à Howard : «God put the pussy on earth and put me down here to get it», ce qui fait bien marrer Howard - Syl always had crazy thoughts in his head.

             Puis un jour Willie arrive en session avec une drôle de nouvelle : Hi est vendu. Les propriétaires ont vendu le label à un autre label qui s’appelle Cream. Willie rassure les musiciens en leur annonçant qu’ils vont toucher un dédommagement. Howard se frotte les mains. Comme Hi a beaucoup de disques d’or, il pense pouvoir palper dans les 100 000 $. Il sait que les ventes de disques représentent des millions de dollars. Nick Pesce l’appelle dans son bureau pour lui remettre un chèque. Howard n’en revient pas : il touche un chèque de 10 000 $ et il doit reverser un bakchich de 400 $ à Pesce. Alors il gueule et Pesce se met en rogne, se lève d’un bond et hurle : «Take your money and get the fuck out of here !». Viré.

             En réalité, ce qui fait la force de ce récit, aussitôt après les hommages rendus aux artistes, c’est la vie spirituelle d’Howard Grimes. Il dit souvent dans son récit que Dieu lui parle. Howard Grimes est tellement sincère qu’il serait capable de nous faire croire en Dieu. Lorsqu’il relate ses souvenirs d’adolescent, il fait un jour une demande à Dieu : «I want to be in the family of God’s great drummers.» - He didn’ answer but things were to be happening - C’est son ami Darryl Carter qui lui dit un jour : «Quand je vois tous les disques que tu as enregistré, tous ces hits, tous les grands artistes avec lesquels tu as joué, I believe you are in the family of God’s great drummers.» Dans sa vie, Howard a toujours écouté ce que lui disait God. Il évoque aussi sa mère qui était fière qu’il soit devenu batteur - That’s my son, playing them drums.

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             Quand il est viré d’Hi après la revente, Howard sombre dans la misère. Plus de revenus. On lui coupe même le courant - Il ne me restait plus que ma maison. No wife, no job, no income. I had no future. The death of Hi Records began my crisis - Alors il demande à God : «Why me ? What did I do wrong ?». God lui redit de l’écouter - You obey me well. I’ll send you back up - Plongé dans le silence et dans le noir, Howard dit entendre tous les bruits de la ville, les sirènes, les gunshots.  God commence par lui envoyer son ex-femme qui vient demander pardon, et Howard lui dit qu’il lui pardonne et elle repart. Puis God lui envoie Al Green. Howard n’en revient pas. Al entre avec une mallette à la main, la pose sur la table, l’ouvre et sort 500 $. Alors Howard lui demande pourquoi il fait ça. Al lui répond simplement qu’il suit des instructions. Plus tard, Howard se rendra dans la chapelle d’Al, the Full Gospel Tabernacle Church, à Memphis. 

             Dans les dernières pages de cette bouleversante autobio, Howard ne cache rien de ses inquiétudes : «Le monde d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui dans lequel j’ai grandi. The joy, the fun, the safety are all gone. Memphis, Tennessee turned rotten. Pendant mon enfance, les rues étaient sûres. Aujourd’hui tout le monde a un gun. My friend Willie Wine tells me, ‘Lucifer got ‘em.’» Et plus loin il ajoute : «It’s been darkness around Memphis. People love darkness.» Pas Howard, il n’aime pas la darkness.

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             Vers la fin du book, Howard rend un fier hommage à Scott Bomar, le mec qui a monté les Bo-Keys à Memphis. Le survivant des Bar-Kays Ben Cauley a joué dans les Bo-Keys, ainsi que Skip Pitts, le guitariste d’Isaac. Sur scène, les Bo-Keys nous dit Howard ont accompagné Don Bryant et William Bell - Je ne suis pas en colère après Hi, ni après Stax, but Scott Bomar at Electraphonic est la seule personne qui m’ait payé rubis sur l’ongle. Ça m’a choqué qu’il me paye pour la session de Cyndi Lauper. Il a juste dit que je le méritais. Bosser avec Scott, c’est un peu comme bosser avec Willie Mitchell. Electraphonic is the only place left that feels like the glory days.

             Puis il revient à l’essentiel, qui est le mythe de Memphis : «J’ai vu la music faire renaître cette ville (années 50/60). Avant, il n’y avait rien à Memphis. Et rien ne s’est vraiment produit depuis que tout est mort. Le hip hop ne marche pas. Les jeunes récupèrent notre travail et font de l’argent avec, mais personne ne joue comme on jouait. Il n’existe aucune valeur éducative dans ce qu’ils font. Leur seul message est un message de violence et de colère. Pas un message d’amour. Les gens viennent encore de partout dans le monde à Memphis en pèlerinage.» Howard est tellement amer. Il pense que c’est l’argent qui a tué le Memphis Sound, «Greed, corruption and violence killed us. It killed Al Jackson Jr. It killed Stax. It killed Hi Records. Si on était restés solidaires dans la paix, on serait encore au sommet.»

             Et puis il y a cette dernière phrase d’Howard qui sonne comme une prophétie : «The city’s music has to be reborn. The Memphis sound will return. When it does, my time will come again. That’s my dream.»

             Comme Howard, les frères Hodges sont toujours en vie. On peut les entendre accompagner quelques luminaries comme Syl Johnson, Robert Cray ou encore Alex Chilton.

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             Syl Johnson enregistre Back In The Game avec Hi Rhythm en 1994 et remet sa couronne de groover en jeu. On est saisi dès les premières mesures du morceau titre par l’énormité du son. C’est monté au beat insubmersible, groové dans le deepy deep, dans l’Hi des Hodges brothers. Même percuté par une torpille, ce groove ne peut pas couler. Tous les cuts de l’album rivalisent d’énormité, comme l’infectueux «I Can’t Stop», une véritable horreur jouée aux accords de r’n’b, ou encore ce violent coup de boogie qu’est «Keep On Loving Me», silly thang, absolute vodka de force majeure, fabuleux shook de shake, ils y vont doucement mais sûrement, no problemo, et le solo télescope une embrouille de funk. Et voilà l’un des hits majeurs du grand Syl Johnson, une cover du «Take Me To The River» d’Al Green - I don’t know why/ I love her like I do - Et il part en vrille sur le wanna know. Cette version glisse comme la boue vers la mer. Ceux qui ont bivouaqué au bord d’un fleuve sauvage savent de quoi on parle - Won’t you tell me - Syl chante avec un timbre unique au monde - Take me to the river/ Wash me down - La fantastique Syleena Thompson vient prêter main forte à Syl sur «Dripped In The Water». Ah ces brutes n’en finissent plus de dripper in the water, et l’orgue nous noie tout ça. Back to the heavy blues avec «Driving Wheel» et puis Syl renaît de ses cendres avec «Clean Up Man», un hit de funk extraordinaire, avant de replonger dans l’enfer vert du groove avec «I Will Rise Again». Wow quelle partie de groove ! - You got me feeling.

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             L’autre gros coup d’Hi Rhythm, c’est l’album enregistré avec Robert Cray en 2017. Hélas Howard the reward n’y joue pas, Steve Jordan prend sa place et à aucun moment on regrette l’absence d’Howard car voilà l’un de ces albums énormes dont on ne se lasse pas. Tiens on va commencer par les deux cuts mythiques qui s’y nichent, «Aspen Colorado» et «Don’t Steal My Love». Pourquoi mythiques ? Parce que Tony Joe White y joue. Normal, ce sont ses compos. Tony Joe gratte sa gratte et souffle dans l’harp de triomphe et comme Robert Cray chante comme un dieu, alors ça vire real cool time. Tony Joe supervise son Aspen, il descend un solo dément et là, tu as tout le son de l’Amérique, le vrai. Même chose avec «Don’t Steal My Love». Tony Joe l’emmène au fast tempo du swamp, il joue ça au gratté de poux, il lance des éclairs, il gratte en lousdé et ça tourne au génie purulent avec les coups de wah. Alors on imagine le travail, avec les frères Hodges en plus ! Et si on en pince pour le Memphis beat, alors il faut se jeter sur «The Same Love That Made Me Laugh» d’ouverture de bal. Steve Jordan bat le beurre et produit, alors Robert Cray devient énorme, comme le sont Keef & the X-Pensive Winos dans les pattes de ce mec-là. Et des tas d’autres gens, Candi Staton, Boz Scaggs, Solomon Burke, etc. Du coup l’album de Robert Cray prend des proportions gigantesques. Comme Teenie Hodges brille par son absence, c’est Robert Cray qui joue le simili solo d’Hi. Et boom ça explose avec «You Must Be Yourself», big Memphis beat, Robert se prend au jeu, c’est stupéfiant de power, il part en vrille au fond du Royal et les cuivres l’attaquent en contrebas. Ce son n’existe qu’à Memphis. Il enchaîne avec un «I Don’t Care» signé Sir Mack Rice et là t’es encore baisé. Back to Memphis, all over the rainbow, Robert nous plonge dans l’I don’t care if the sun refuse to shine/ I don’t care if it’s raining cats and dogs, c’est du pur jus de Mack Rice. On sort du cut en s’ébrouant comme ce poney apache qui vient de traverser le Rio Grande. Plus loin, Robert amène «Just How Long» au heavy groove. Ça tombe bien, car c’est la spécialité des frères Hodges et Dieu sait que c’est bon, c’est même du pur génie, le meilleur rampant de tous les temps - I’ll never know just how long - Il claque des accords farouchement déments. Puis il s’en va éclater «I’m With You» au Sénégal - Hey baby I want to know/ Oh yes I am - Il swingue sa Soul en mode doo-wop. Encore un shoot de Mack Rice avec «Honey Bad» et là, Leroy Hodges bassmatique au devant du mix. Tu es à Memphis, boyo, chez Willie, au paradis du groove ! Alors Robert est aux anges avec tous ces mecs-là. Il s’amuse comme un fou avec sa guitare et multiplie les petites descentes au barbu. 

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             Vient de paraître cet album live d’Alex Chilton & Hi Rhythm Section, Boogie Shoes: Live On Beale Street, bourré de covers triées sur le volet, comme on s’en doute, à commencer par «Precious Precious» d’Isaac. Excellence de la prestance, c’est subtilement horné et quel backing : Howard, Teenie, Charles & Leroy. Ils sont tous là ! Ils tapent ensuite le «634-5789» d’Eddie Floyd, encore un beau groove de boogie blues. Leroy croise dans le lagon du groove comme un requin bassmatiqueur. Pour Howard et Leroy, c’est ensuite du gâtö que de taper dans «Kansas City». Ils groovent ça sec et net et sans bavure. Et Alex le chante au pur jus. Par contre, ils font n’importe quoi avec des reprises de «Lucille, de «Maybelline» et de «Big Boss Man». Ils remontent le niveau de l’ensemble avec un hommage aux Supremes, «When Did Our Love Go», puis un hommage à Fatsy avec «Hello Josephine». Idéal pour un gang de surdoués comme l’Hi Rhythm. Alex annonce some real music for you et balance un «Trying To Live My Life Without You» qui sonne un peu mythique - Here we go/ Turn around - Il marie le r’n’b avec le Memphis beat.

    Signé : Cazengler, Howard Gris

    Howard Grimes. Timekeeper. My Life In Rhythm. DeVault Graves Books 2021

    Hi Rhythm. On The Loose. Hi Records 1976

    Syl Johnson With Hi Rhythm. Back In The Game. Delmark Records 1994

    Robert Cray & Hi Rhythm. Vee-Jay Records 2017

    Alex Chilton & Hi Rhythm Section. Boogie Shoes: Live On Beale Street. Omnivore Recordings 2021

     

    Chapman of constant sorrow

             Alors folky folkah, le vieux Chapman ? Pas tant que ça. À force de lire des beaux hommages dans la presse anglaise, on a fini par aller y mettre le nez, comme on dit. Et comme la presse anglaise c’est pas des bœufs (comme on dit encore), on finit par découvrir grâce à elle un artiste extrêmement attachant. Alors attention, c’est un gratteux, comme John Fahey, Bert Jansch, John Renbourn et tous ces mecs-là, il propose un univers très austère, mais bon, des fois, ça fait du bien d’aller traîner chez les austères. C’est un peu comme d’aller séjourner chez les moines, ça remet les pendules à l’heure. On écoute de la musique. C’est comme de passer sa soirée à lire un livre, on se sent un tout petit moins con à la fin de la journée.

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             Comme l’Old Chap vient de casser sa pipe en bois, le conseil d’administration de KRTNT s’est réuni pour prendre la décision de lui rendre hommage. Les quatre membres du conseil (Damie, le Cat, Rahan et Rouchka) ont voté à l’unanimité, ce qui n’était pas évident, car l’Old Chap n’est pas très connu en France. En plus, il n’est pas très sexy, commercialement parlant. C’est comme si on rendait hommage au vieux cordonnier du coin de la rue ou au marchand de quatre saisons qui passait encore avec sa charrette avant que l’arthrose ne l’en empêche. Old Chap est lui aussi un artisan à l’ancienne et mine de rien, on préfère mille fois ce genre de vieux crabe à toutes ces tronches de cakes qui déambulent dans les médias et qui affichent complet dans les smacks. Smack toi-même !

             Étant donné qu’Old Chap a enregistré une cinquantaine d’albums, on est confronté au dilemme de Fantasia. Alors on fait profil bas et on va se contenter d’écouter ce que les journalistes de la presse anglaise - qui ne sont toujours pas des bœufs - recommandent. Bienvenue dans l’Old Chapland.

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             En 2016, Tom Pinnock interviewait Old Chap pour Uncut. En guise d’hommage funèbre, Uncut publie pour la première fois l’intégralité de cette interview, six pages très denses avec comme il se doit le petit encadré ‘Essential records’. Six en tout et le premier, Fully Qualified Survivor, paru sur Harvest en 1970, reçoit la note suprême : 10/10. Le court texte rappelle que cet album fut a favourite of Pohn Peel’s. On est tout de suite frappé par la qualité du son. Eh oui, Gus Dudgeon produit. Il est en Angleterre le roi de la profondeur de champ. Ace vient d’ailleurs de lui consacrer une compile dans sa collection ‘Producer Series’. L’Old Chap fait à cette époque une pop assez conquérante. Avec «Stranger In The Room», il taille sa route dans l’univers et c’est fabuleusement bien produit, guitare adroite et climats du paradis, on admire les envols de guitare. Belle tension famélique, unique en Angleterre. Voilà ce qu’il faut bien appeler une merveille inexorable. Au fil des cuts, on le voit organiser sa fantastique prescience, avec «Postcards Of Scarborough», il nous emmène au cœur du London groove, Gus fait monter la neige de prod et ce démon d’Old Chap retombe sur des tapis de son magique. Cet album est une mine d’or. «Soulful Lady» démarre dans le moelleux d’un son inespéré. C’est du rock anglais, mais devenu beau et élastique, comme par enchantement. Là tu touches au but, comme avec Fred Neil. On se grise littéralement de cette qualité du son. De la même façon que Totor a fait les Ronettes, Gus fait l’Old Chap. Seul Gus sait interjecter dans l’élastique du groove. Il met du gras et du deep dans le son de «Rabbit Hills». Il a bien capté le bottom d’Old Chap. Ce spongieux défie toute concurrence. On comprend que cet album soit devenu culte. Old Chap gratte sa gratte sur l’île déserte. Avec «March Rain», la prod prend le pas sur le gratté d’Old Chap, car c’est Gus qui fait le son de la gratte. L’Old Chap revient à la charge avec «Kodak Ghosts», il gratte allègrement, c’est assez fin, bien tiré par les cheveux. On entend tout clairement, les petits arpèges et la petite purée au fond du son. Dans «Andru’s Easy Rider», Gus rattrape les arpèges du delta au vol et cet album mirifique s’achève avec un «Trinkets & Rings» qui démarre sur les percus de «Sympathy For The Devil» : l’Old Chap envoie des coups de slide résonner dans l’écho du temps de Gus. 

             Si l’Old Chap connaît Mick Ronson c’est tout simplement parce qu’à une époque il a enseigné à Hull, d’où est originaire Ronson. C’est aussi à Hull qu’il a rencontré Andru et le bassiste Rick Kemp. Dans cette extraordinaire interview qu’il accorde à Pinnock, Old Chap avoue qu’il aurait bien aimé jouer comme Kenny Burrell or Grant Green - But I was never good enough. So I played with anybody that would offer me £2 or £3 a night - Alors il joue dans des orchestres de rock ou de jazz. Quand Pinnock l’épingle sur la question des tunings, Old Chap fait son Old Chap. Pinnock lui demande s’il a pompé des tunings à Thurston Moore et il obtient la réponse qu’il mérite : «No, he leaves me miles behind. His are just too weird to consider. L’autre guy qui m’en bouche un coin, c’est Nick Drake. I don’t know how he’s come across some of his tunings without going to Brazil.» Old Chap a bien sûr rencontré Nick Drake mais aussi John Martyn, il a fait des tas de concerts, double headed university gigs - John was nuts but there you go - Et bien sûr, la question suivante concerne Mick Ronson, qu’Old Chap découvre alors qu’il jouait dans les Rats - They were awful, but Mick had ‘star’ written across him. Une fois qu’il est passé de la Strat à la Les Paul, wow that was something - Il évoque aussi Bert Jansch et John Renbourn, notorious fot not turning up, c’est-a-dire qu’on ne pouvait pas compter sur eux en concert. Ils jouaient ailleurs. L’Old Chap dit aussi que des gens comme Roy Harper et Al Stewart ne pouvaient pas marcher en Europe, car ils avaient trop de texte et les gens ne comprennent pas l’Anglais - With me, you get a lot of guitar and a few short lines and it works fine over there

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             Paru sur Harvest en 1971, Wrecked Again grouille de chansons, mais aucune ne prétend à trôner dans les charts. Old Chap fait de la heavy chapmannerie et veille à ce que tout soit bien articulé. Son morceau titre est quasiment pop, pas loin de ce que fait Croz à la même époque. Son country folk n’a pas la force de celui de Fred Neil, mais il dégage une certaine puissance. Chapman sonne très américain. En B, il repart en groove à la Croz avec «Fennario», il est même en plein dedans. Il reste dans l’Americana avec «Time Enough To Spare» et fait preuve d’une merveilleuse présence avec «Night Drive». Ses cuts sont comme visités par la grâce. Sa mélancolie évoque bien sûr celle de Nick Drake. Il passe à la heavy pop anglaise avec «Mozart Lives Upstairs». Ça devient bougrement intéressant, on pense à des tas de gens, Spooky Tooth ou l’early Led Zep, par exemple. Son «Shuffle Boat River Farewell» s’écoule comme un long fleuve au fil du temps - Don’t you know that it’s coming on so strong. Old Chap : «I never made a dime on Wrecked Again, for instance.»

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             On reste dans les années 70 avec 3 albums que Mooncrest vient de rassembler sous la forme d’un petit coffret digi : The Decca Years 1974 to 1977. Ces albums réservent pas mal de surprises. Sur Deal Gone Down enregistré en 1974 se niche une Beautiful Song, «Another Season Song». L’Old Chap nous sert un gratté d’acou franc du collier et bricole l’une de ces petites merveilles suspensives dont il a le secret, l’Old Chap éclot dans l’éclat des gros accords. Il attaque «Party Pieces» au gratté de coin du feu, il fait son Dylan avec des paroles de fancy clothes, mais il n’ose pas aller plus loin, comme s’il faisait un Dylan qui n’ose pas dire son nom. Puis on le voit naviguer au long cours sur «Stanger Passing By», il gratouille ses poux et crée de la petite tension. Avec le morceau titre, il se lance dans l’Americana, qui va devenir l’un de ses péchés mignons. Il est très pur, et ça tourne au génie car des chœurs de gospel le rejoignent. Quel fantastique artiste ! Il vise exactement le même genre de plan que Don Nix à la même époque : le mélange des genres. Il drive ensuite son «Banjo Song» au heavy boogie. C’est un merveilleux artiste. Il passe au heavy boogie boogah avec «Goodbye Sunny Sky». Il a du son, et même tout le son du monde. Il est marrant, car il se prend pour un rocker anglais alors qu’il trimballe un look de folkie, avec sa casquette et son manteau afghan. Mais ce mec dégage de bonnes vibrations, comme le montre encore «Journeyman» - Long way/ Long way/ Back to you - Ce Journeyman est une merveille de slow groove soutenue au picking. Old Chap est un mec fiable, infiniment fiable, son Journeyman est un chef-d’œuvre de fiabilité. On adore les mecs fiables. Son long way back to you te met du baume au cœur. Il ajoute encore des couplets et ça reste aussi puissant qu’une grande Dylan song, c’est travaillé au son et au chant. Décidément, l’Old Chap mérite tous les honneurs. 

             On tombe ensuite sur le pot-aux-roses : un Savage Amusement enregistré en 1976 chez Ardent à Memphis. Eh oui ! Et produit par devinez qui ? Don Nix ! Comme par hasard. L’album est solide mais pas aussi brillant que le précédent. L’Old Chap attaque avec un «Shuffleboat River Farewell» qui sonne comme du Mungo Jerry. Globalement, il joue de la heavy country américaine, son «Secret Of The Locks» est bien foutu, on se croirait dans le Nevada à cause de la poussière, mais c’est dommage, car on est à Memphis et l’Old Chap devrait en profiter. Il fait de la fake Americana comme son copain le Heron d’Incredible. Il n’empêche que les cuts sont bardés de son, la nonchalance règne sans partage sur l’album, mais pas de hit en perspective. L’Old Chap révèle pas mal de points communs avec Robert Forster. Et puis l’album se réveille en sursaut avec «It Didn’t Work Out». L’Old Chap pique sa crise de Stonesy et ça devient balèze, c’est le meilleur mélange des genres, the Memphis sound et l’Old Chap, avec des chœurs demented, ooouh ooouh ça devient sexy, roule ma poule avec le Memphis beat. On assiste même à un faux départ et à un faux retour. Cette belle escapade s’achève avec un «Devastation Hotel» tout de suite bardé d’orgue et de chœurs de filles. L’Old Chap n’a jamais été aussi choyé. Don Nix s’y connaît en matière de chœurs. Il transforme l’Old Chap en seigneur du Deep South. La transformation est spectaculaire.

             Puis en 1977, il enregistre The Man Who Hated Mornings. Keef Hartley bat le beurre sur l’album. Dans «I’m Sobber Now», l’Old Chap annonce qu’il a arrêté de boire. Mais ce n’est pas le fait qu’il arrête de boire qui rend le cut intéressant, c’est la présence de Mick Ronson on guitar ! Dommage que Ronno ne joue pas sur tout l’album. L’Old Chap part en virée jazz sur le morceau titre et il retourne dans la poussière du Nevada gratter «Steel Bonnets». «Dogs Get More Sense» sonne comme un petit boogie rock anglais inutile. Ça sent le vieux rock anglais qui ne se lave pas souvent, à cause de la rigueur du climat. L’Old Chap revient plus loin à son cher country rock avec «While Dancing The Pride Of Erie». Il domine tous les géants du genre avec une facilité écœurante.

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             Pinnock publie un premier article sur l’Old Chap en 2017, dans Uncut. Il est reçu dans la ferme - a weather-beaten farmhouse - où vivent l’Old Chap et se femme Andru depuis 1972, dans cette région sauvage du Northumberland, juste en dessous de la frontière écossaise. À part la machine à café, tout est ancien dans cette bicoque. L’Old Chap n’a jamais eu d’ordi. Il n’a que des disques, des books et des guitares dont une Martin qui aurait appartenu à Jimi Hendrix. Il est très content d’être resté éloigné du music biz - Don’t overthink things, that’s my motto. I’ve never wanted to be part of the club, the same way I’ve never wanted to move to London - L’Old Chap est un mec de Leeds, pas question de s’installer à Londres - I’m a Yorkshire man, I don’t waste money - Sur scène, il annonce : «Pour ceux qui ne sont pas contents, la porte c’est pas là.» S’il voit que très peu de gens quittent la salle, il se dit qu’il n’a pas été assez clair.

             Ben Thompson voit l’Old Chap comme un self-styled old white blues guy from Yorkshire, qui évoque les heavy-hitters John Renbourn et Bert Jansch, the muscular authority de Jimmy Page et the maverick edge de Roy Harper, sans altérer le moins du monde son own indisputably Chapman-esque character. Mais c’est à Davy Graham qu’Old Chap doit tout : «Davy was the first.» Thompson rappelle aussi qu’Old Chap jouait en première partie d’Emerson Lake & Palmer dans les années 70, qu’il a découvert Mick Ronson à Hull et qu’il a conquis le trône de John Fahey en devenant à son tour the Godfather of experimental rock-guitar (avec Pachyderm). L’Old Chap raconte aussi à Thompson son baptême du feu en 1958 à Leeds : Muddy Waters sur scène avec quatre Fender showman amps et sa Telecaster - It wasn’t just loud, it was the loudest thing ever heard in Leeds - Et bien sûr le public de jazz s’est enfui - These people fled in horror but they should‘ve stayed because it was perfect.

             Dans les années 80, l’Old Chap disparaît de la circulation parce qu’il boit comme un trou - That’s what Andru calls ‘Michael Chapman: The Missing Years’. I was drinking too much, fucking up gigs and being a bit of an arsehole - more than a bit of an arsehole - D’où une petite heart attack en 1990. Il est obligé de retourner jouer dans la bars, ce qui lui convient parfaitement. Il avoue à Pinnock avoir fait sa part de drinking et de doping - But I never went anywhere near hard drugs. Davy Graham went to Morocco and came back well fucked up - Il ajoute que c’était une tragédie - I did gigs with him where he was just stood in the dressing room for an hour laughing at the clock.

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             On attaque ensuite une série d’albums plus tardifs, comme ce The Twisted Road paru en 1999. Comme il enregistre énormément d’albums, il se dilue un peu dans la masse. Forcément on tombe sur des cuts comme «Another Crossroads» qui sont cousus de fil blanc. Il ne s’y passera rien, sauf que ce mec gratte divinement sa gratte, alors ça va plaire aux gratteux. Mais il chante comme un simili Clapton et on bâille à s’en arracher les ovaires. Il traîne sa voix de vieil épouvantail tout au long de l’album. Dommage, car le gratté scintille. Il donne envie d’aller réécouter Ralph McTell. L’Old Chap se fond dans son son comme la noix de beurre dans le poêle. Il n’envisage même pas de décrocher un hit, comme si ça ne l’intéressait pas. Il chante sa pop du pauvre, il crée son petit monde de fortune et ça donne des cuts bien coordonnés et assez puissants comme «All Day All Night». On sent des éclairs de grandeur dans «Memphis In Winter». C’est très intériorisé, au point que les arpèges descendent dans les soutes du son. Alors on admire la tension. Son mélange de chant et d’arpèges crée le buzz, mais il lui faut du temps, environ 7 minutes. Comme il est le seul maître à bord, il décide de tout, surtout des climats. Son «That Time Of Night» frise le Velvet par la pureté de l’intention. Et puis il finit par affecter son chant avec «Full Bottle Empty heart», on perd alors le goût de la pulpe. Il profite de «Cowboy On A Beach» pour danser sur le sable et finit en mode aéroplane d’Americana avec «I Got Plans», mais toujours avec ce chant imparfait qui remet en cause sa crédibilité. Du coup, on ne retient pas grand chose de cet album, dommage car la pochette est belle. On sent trop les limites du système Chappy, ça sent l’usure, ça tourne en rond, pas de magie, pas de mélodie. Il faudra attendre un peu.   

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             C’est la curiosité qui pousse à écouter ses deux albums d’Americana. Rien de plus intriguant qu’un Anglais qui prétend faire de l’Americana. On a déjà vu ce que ça donnait avec Incredible String Band. La vraie question qu’on se pose est celle-ci : à quoi ça sert ? C’est justement pour apporter une réponse à cette question qu’on écoute tous ces mecs-là. L’Old Chap monte bien son coup : ses onze instros sont conçus comme des cartes postales sonores et du coup, c’est passionnant, car ça fonctionne. «A Strangers Map Of Texas» exprime la douceur du temps dans le désert. Dans «Swamp», on entend les crapauds de Mr Quintron. C’est en plein dans le mille. «The Coming Of The Roads» se situe à la croisée des chemins du blues et l’Old Chap en fait un cut assez évangélique. Il nous fait visiter des tas de régions, il devient le roi de la carte postale, il charge bien la barque d’«Indian Annie’s Kitchen» et forcément on entend la sonnette du rattlesnake dans «Rattlesnake». Il nous fout même la trouille avec son bruitage de la mort certaine. Il adore interpréter la mort sur sa gratte. Il colle bien au titre d’«Anything But The Blues», une pure merveille. On sort de cet album éberlué.

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             Il récidive quelques années plus tard avec un Americana 2. Il commence par espagnoliser avec «La Madrugada», il s’y veut limpide et purpurin. Il part en longue dérive de blues pour «Blues For Mother Road» et amène «Apache Creek» à coups de banjo. On l’entend chevaucher dans l’eau, il pousse bien le bouchon des vignettes sonores. Il envoie une belle coulée de guitares dans «Looking For Charlie In Nogales» et sa guitare fait loi dans «White House». Il ressort ses plus gros arpèges et il remonte dans le courant du paradis. Quelle merveille. Il reste dans le grand art avec «Ghosts In The Sycamores». L’Old Chapman impose sa loi. Fully qualified survivor ! 

             Si les Américains l’adulent, c’est sans doute à cause de sa passion pour l’Americana. Steve Gunn dit qu’Old Chap is trying to go for this Big Bill Broonzy style. En fait, il est plus reconnu aux États-Unis qu’en Angleterre : des gens comme Kurt Vile, Bill Callahan et Steve Gunn l’adulent.

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             Il existe aussi trois volumes de Growing Pains. On peut écouter les deux premiers, ça ne mange pas de pain. Ces albums sont des compiles d’enregistrements live et en studio. Il démarre avec une belle cover du «Key To The Highway» de Big Bill Broonzy qu’il gratte à l’ongle sévère, pas de plus bel hommage, il y va, il s’y connaît en ongles secs, et le chant, c’est du bonus. Comme il est blanc, il fait de son mieux pour chanter le blues. Il fait ensuite une âpre version de «See See Rider» et se tape un numéro de virtuose avec «Let Me Go Home Whiskey», il gratte all over la gratte, c’est du cirque, les enfants applaudissent, il gratte tout ce qu’il peut, c’est un forcené. Puis il tape dans «Parchman Farm». Il reste cool, il ne fait pas son Cactus - I’m sitting here in Parchamn Farm/ And I’ve never done no man no harm - Il ressort ses vieux coucous, «Anniversary» et «It Didn’t Work Out» qu’il gratte à l’ongle sévère, et plus loin, il rend un hommage superbe à Tim Hardin avec «Reason To Believe», un hit inexorable enregistré live in Southampton. Globalement, il ne faut rien espérer de plus que du gratté de poux, mais quel gratté de poux ! Il gratte encore tout ce qu’il peut sur «A Scholarly Man». Il revient en studio avec «Here We Go Again» et du coup, il a trop de son. Il passe de rien à tout. Il s’amuse à groover «Dangerous When Sober» comme un punk. Il se veut libre et sans patrie.

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             On continue d’explorer l’Old Chapland avec Growing Pains 2. Il semble parfois vouloir faire exploser l’austérité et il démarre avec une cover du «Rockport Sunday» de Tom Rush. Il ressort son vieux «Andru’ Easy Rider». Comme Fahey, il gratte dans la nature, il explore les possibilités du manche. Il oublie parfois de chanter. Nous restons chez les Presbytériens avec «Not So Much A Garden» : ici pas de mélodie ni de miracle. Il suffit de regarder la bobine d’Old Chap. Ce n’est pas le genre de mec qui rigole. Les Anglais ont ce goût très prononcé par la grande austérité. «Time Enough To Spare» est enregistré live à Southampton en 1969, toujours avec Keef Hartley  au beurre. C’est bardé de guitares aériennes, Old Chap croise le fer avec Ray Martinez. Encore une belle merveille avec «How Can A Poor Man Stand Such Times And Live», un accordéon amène du grain et les chœurs de filles sont un chef-d’œuvre de discrétion. Ah comme les clameurs sont belles ! On comprend qu’Old Chap n’aurait jamais pu devenir une superstar, et c’est tant mieux.  

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             Plaindealer qui date de 2005 grouille d’Americana, enfin de fake Americana. Le meilleur exemple en est «Ramon & Durango» qu’il chante d’une voix de vieux desperado. Il fait aussi un clin d’œil aux Cajuns avec «Bon Ton Roolay», mais il pousse trop sa voix de cancéreux. Ça finit par éreinter la patience. Il démarre avec un «Streamline Train» qui n’est pas celui de Jessie Mae Hemphill, c’est du low mama embarqué au gratté de poux. Il attaque un peu plus loin un délire de 10 minutes intitulé «Anniversary». Il n’a peur de rien, il chante un peu comme Lanegan, le pire c’est que c’est beau et même extrêmement beau, complètement hanté, ce démon d’Old Chap tient bien la distance, et comme il attaque le final en contrefort, on se prosterne. Il amène «Georgia Gibson» aux arpèges du paradis et ça atteint des hauteurs subliminales. Pur Old Chap ! Dans «Deportees», il nous transporte à la frontière mexicaine avec sa voix d’agonisant et ses coups d’acou sonnent comme le glas. Tout aussi excellent, voici «Moonlight Ride», l’Old Chap fait sa mauvaise tête, il chante comme une teigne - Maybe it’s time for desperation - Le pire, c’est que c’est excellent. Il retrouve sa voix de cancéreux pour «Victory & Defeat», on entend sa glotte racler le charbon. Il travaille toujours ce mélange d’ambiance au chant et de symbiose d’acou, comme les autres grands louvoyeurs britanniques, John Martyn et Richard Thompson. On voit soudain l’Old Chap chercher le hit avec «Youth Is Wasted (On The Young)», il chante à la profondeur des mines du Pays de Galles et sa guitare enchante les boyaux. C’est bien éclaté dans la longueur, il chante un peu comme un con mais sa gratte sonne bien, il joue des délicatesses extravagantes et c’est relancé à coups de retours de manivelle.        

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             Quand il enregistre Sweet Powder en 2008, Old Chap a pris un sacré coup de vieux. Il a 70 balais. Il y fait une superbe cover d’«Hi Heel Sneakers», bien noyée sous la purée - Put on your red dress baby - Il s’énerve et devient le roi de la fake Americana, il joue ses classiques jusqu’à l’oss de l’ass. Il refait son desperado avec «A Spanish Incident» qui est en fait «Ramon & Durango». C’est infernal car il a du son, et une niaque de wild guy de la frontière. Même chose avec «Waiting For A Train». Il ressort aussi son vieux «Rabbit Hills», qui date du temps béni de Fully Qualified Survivor. Fabuleux singalong - or is it my imagination again - Il fait son Ry Cooder avec «In The Valley», il gratte son biz, il chante aussi «I Thought About You» à la gorge profonde. Il termine avec «Which Will», dans l’esprit de Steve Earle, il travaille un folk-rock américain chargé de son et d’histoire, à la voix sourde. Il finit toujours par impressionner.

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             Enregistré en 2010, Wrytree Drift est un album intéressant pour trois raisons. Un, «Soulful Lady», ressuscité. Il y fait du Lanegan à l’agonie. Il coule du liquid feel dans le groove et ça tourne à la magie. L’Old Chap sait faire durer le plaisir. Deux, le morceau titre, il y coule son groove aux arpèges de cristal mou, et le solo s’écoule comme chargé de lumière, alors on l’écoute jusqu’au bout, même si c’est long. Pas question d’en perdre une miette. Trois, «So Young», où il plonge dans un deepy deep à la Nick Drake, mais bizarrement, ses eaux troubles restent lumineuses. Il éclaire ça au riffing de vieil apothicaire. L’Old Chap est un mec passionnant, et puis il y a cette omniprésence du gratté de poux électrisé, ça finit par devenir toxique. Et il prend son temps. Chez lui, la notion de temps est fondamentale. Avec «Another Story», il se positionne à la croisée des chemins de Nick Drake et de Lanegan. Haunting presence, dirait un Anglais. L’Old Chap vise les climats, il propose un rare mélange de chant profond et de musicalité. On le voit plus loin gratter tout ce qu’il peut dans «Wish I Was A Twig». Il joue comme un vieux cowboy un peu trop surdoué. Il n’amuse que lui, en fait. Si t’es pas content, c’est pareil. Il nous refait un petit coup de «Parchman Farm» et refait son Lanegan avec «Blue Season». Avec l’Old Chap, ça reste solide jusqu’au bout, il faut le savoir. Inutile d’espérer un cut foireux, il veille au grain du son, il connaît toute les ressources des arpèges, son «Dewsbury Road» est une merveille, il gratte ça à l’exelsior.

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             Attention avec ce Pachyderm paru en 2012 : l’Old Chap propose un cut par face. Le morceau titre est une variation sur un accord gratté dans l’écho du temps, un arpège intermittent. Il crée ainsi une ambiance étrange et au bout de dix minutes, on comprend qu’il ne se passera rien de plus : 24 minutes de variations sur le même thème. Pinnock dit que c’est l’album le plus expérimental d’Old Chap. Toute la difficulté va consister à revendre l’album à un prix correct.

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             En février 2016, Old Chap et Andru prennent l’avion pour New York. Ils se rendent au Black Dirt Studio pour enregistrer 50. Bridget St John qui le connaît depuis 1968 fait aussi partie de l’aventure. «A celebration of Chapman’s half-century career», nous dit Pinnock, «enregistré avec un crack team of American musicians, including Steve Gunn et d’autres.» Et il ajoute : «It’s denser and glossier than much of his work, but that, as he explained, was the point.» Et Pinnock lui donne 9/10. C’est vrai qu’on y retrouve pas mal de vieux coucous, comme le fameux «Spanish Incident (Ramon & Durango)» qui devient ici un heavy cowboy movie - Drinking rough red wine - in a Basque road side bar - As the sun rises just like Lazarus - Power monumental ! L’Old Chap se pend pour Cash, c’est du recuit, mais quel recuit ! C’est avec cet album qu’on réalise à quel point l’Old Chap est bon. Il a de grosses compos, comme ce «Sometimes You Just Drive». Admirable, et même plus qu’admirable, c’est bourré de son et d’espoir, il a de la musicalité plein ses soutes. Les guitares font merveille dans «The Mallard». L’Old Chap y crée de la magie, c’est furieux, fin et racé à la fois, gratté sous le vent, tu as là un son plein comme un œuf, les arpèges génèrent de la magie. Il ramène aussi son vieux «Memphis In Winter», qu’il tape au gratté évangélique. Il développe parfois des heavy grooves sans intérêt («The Prospector»), mais bon, les guitares scintillent sous le soleil de Satan, the guitars first ! Encore un numéro de cirque avec «Falling From Grace», l’Old Chap reste fidèle à son art jusqu’au bout, il fait du Fred Neil en plus grave. Il ramène encore énormément de son dans «That Time Of The Night». C’est l’antithèse du rock électrique, l’Old Chap fait tout à la main, il reste intense, noueux, puissant, concentré, sec et déterminé. Il travaille ses mélodies dans la poudreuse du crépuscule. Dans un vieil Uncut de 2017, Jim Wirth encensait le 50 d’Old Chap. Wirth rappelle qu’en cinquante ans, l’Old Chap n’a pas eu beaucoup de succès, alors cet album est un peu sa revanche. À l’âge de 76 ans, il serait temps. Apparemment, des gens reprennent ses chansons : Bill Callahan, Ryley Walker et Kurt Vile. C’est justement le guitariste de Kurt Vile, Stev Gunn, qu’on retrouve sur 50.   

             Old Chap confie à Pinnock qu’il n’était pas très content du mix de 50, «but Andru talked to me». Pour éclaircir son point de vue, il ajoute : «Il y a deux façons de mixer un enregistrement : you can put everything flat across the front, which I always do, or you can make it very dense, and that’s 50. It’s just a different way of mixing records.» 

             Mais en fin de conversation, l’Old Chap avoue qu’il ne s’en sort pas très bien - I’m trying to take it easy, but I’m not doing very well - Il avoue être resté un sale caractère, a really bog-bottom working-class bloke - Si un mec m’appelle pour jouer en concert, j’hésite à lui dire non de peur qu’il ne me rappelle pas.   Pinnock qui ne rate pas une seule occasion de faire l’intéressant fait remarquer à l’Old Chap qu’il a enregistré énormément de disques. Pour amener de l’eau au moulin d’Alphonse Pinnock, l’Old Chap sort une petite anecdote : «Quand j’étais en tournée avec Bill Callahan, un mec au Troubadour m’a dit que Bert Jansch enregistrait un album tous les dix ans et moi un album toutes les dix minutes. Et j’ai répondu : ‘Well I like doing it.’» Et il ajoute, d’une voix sourde : «I love playing. I’ve never used a setlist, I’d be bored to tears. That’s the point in playing solo to me, there’s no restriction. All there is, is freedom.» La liberté, c’est tout ce qui compte.

    Signé : Cazengler, Michael Chapelure

    Michael Chapman. Disparu le 10 septembre 2021

    Michael Chapman. Fully Qualified Survivor. Harvest 1970

    Michael Chapman. Wrecked Again. Harvest 1971

    Michael Chapman. The Twisted Road. Mystic Records 1999 

    Michael Chapman. Americana. Siren Music 2000

    Michael Chapman. Americana 2. Moonscrest 2006 

    Michael Chapman. Growing Pains. Moonscrest 2000 

    Michael Chapman. Growing Pains 2. Moonscrest 2001 

    Michael Chapman. Plaindealer. Rural Retreat Records 2005          

    Michael Chapman. Sweet Powder. Rural Retreat Records 2008

    Michael Chapman. Wrytree Drift. Rural Retreat Records 2010

    Michael Chapman. Pachyderm. Blast First Petite 2012

    Michael Chapman. 50. Paradise Of Bachelors 2017

    Michael Chapman. The Decca Years 1974 to 1977. Moonscrest 2021

    Jim Wirth : 50. Uncut # 237 - February 2017

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    Ben Thompson : Hanging tough. Mojo # 279 - February 2017

    Tom Pinnock : Fully qualified survivor. Uncut # 238 - March 2017

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    Tom Pinnock : Fully qualified outsider. Uncut # 295 - December 2021

     

                                       Inside the goldmine

                                      - I’m not like Everyother else

                Nous étions deux frères et en ce temps-là notre jeu favori consistait à épier les allées et venues nocturnes des gens du village. Nous nous cachions la nuit dans les dunes. Ces mystérieux déplacements embrasaient nos imaginations au point que nous sentions germer en nous une vocation de bandits de grand chemin. Pour l’heure, nous nous contentions de revêtir les panoplies de mamelouks que nous avait offertes l’oncle Oussama au retour d’un voyage à Constantinople. Une nuit, nous vîmes arriver à dos de mule cet homme qu’on connaissait. Son visage en forme d’amphore et son fort accent méridional nous faisaient beaucoup rire. Il transportait amarrées au collet de la mule deux immenses jarres en terre cuite. Nous décidâmes de le suivre discrètement. Bien que cheminant dans le sable, il avait enveloppé de chiffons les sabots de la mule, ajoutant du silence au mystère de son équipée nocturne. Les gens le connaissaient sous le nom d’Ali Baba. La pleine lune nous permettait de le voir comme en plein jour. Il se retournait régulièrement pour vérifier qu’il n’était pas suivi. Il devait couver un bien grand mystère pour rester ainsi sur ses gardes. Il arriva enfin au pied d’une falaise. Il descendit de la mule et alla déplacer les buissons d’épineux qui semblaient masquer l’entrée d’une grotte. Puis il prononça une phrase étrange : «Sésame ouvrrre-toi !». Nous entendîmes un horrible grincement et Ali Baba s’engouffra dans une bouche d’ombre. Nous allions nous endormir lorsqu’il reparut. Il remonta sur sa mule et fit demi-tour. Bizarrement, il repartait avec ses deux jarres en terre cuite. La nuit suivante, nous nous rendîmes à la falaise, écartâmes des buissons d’épineux et prononçâmes la phrase mystérieuse. Nous nous engouffrâmes à notre tour dans la bouche d’ombre. Fixées aux murailles, des torches éclairaient nos pas. Nous descendîmes quelques marches et débouchâmes dans une vaste pièce circulaire. En son centre trônait un autel de taille modeste. Nous nous approchâmes. Il s’y trouvait posé un petit objet carré et noir sur lequel figurait en lettres rouges le mot Everyothers. Nous ne pouvions pas nous douter que ce mot allait bouleverser notre destin. 

     

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             D’autres victimes de ce sortilège le confirmeront : on ne ressort pas indemne de l’écoute d’un album comme celui-ci. The Everyothers date de 2003, donc de vingt ans, mais il reste d’une sidérante actualité. «Can’t Get Around It» te concasse l’office. Le cut dégage une haleine brûlante, à la fois Pistols, Beefheart et Stooges, c’est aussi le souffle du glam de Bowie, welcome in the demented back alleys du rock, chasin’ around yeah, chasin’ around yeah !

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    Le mec qui préside aux destinées des Everyothers s’appelle Owen McCarty et il se dresse comme l’apôtre du heavy glam. Il emboutit l’art au cul pincé, il donne l’extrême onction du glam dans sa représentation la plus extrême, Surprise Surprise, ce mec claque sa chique à la démesure, sur fond d’arpèges de la mort. Il chante «Make Up Something» sur une terrasse à peine voilée face à la vallée. Il chante le power du monde, ça ne demande qu’à exploser, là-bas, au loin, sous l’horizon, comme chez Adorable. Mais il décide de tout fracasser avec «Like A Drug», la violence l’emporte sur la beauté, il descend sur le râble du chant avec un aplomb terrifiant. Il trempe dans le heavy dudisme. Après les heavy dandies, voici venu le temps des heavy dudies. Ce mec en plus en a la gueule. Hey ho ! Il embarque tout dans sa dérive totalitaire, il explose cet album-sortilège cut after cut. Il s’arrache à la démesure avec «Get Down Soon», heavy glass de beautiful glam. Il se bat au ceinturon, il rugit comme un lion blessé, il claque sa chique à l’inespérée. Mis à part Johnny Rotten et Iggy Pop, personne n’atteint de tels sommets. Il claque son beat à la porte d’airain, il invente de nouvelles arcanes. Il traîne «Break That Bottle» dans le déjà connu, il chante ça par dessus bord, il jette sa Bottle au loin, beaucoup plus loin que tu n’imagines. Fuckin’ genius ! Il dispose des perceptions de l’inception, il a plus d’espace devant lui que Bowie n’en eut jamais, il est dans l’art de l’exponentiel, dans le gusto collectiviste. Il revient au heavy groove avec «In My Shoes», mais à ce stade il n’a plus rien à prouver. Il vole tranquillement au dessus du nid de cocos et s’en va allumer les putes de fin de cut. Il incarne le rêve des pères fondateurs. Il surplombe l’art élégiaque. Il est l’Everyother, l’emblématique. Il emmène son monde jusqu’au bout et lance un goodbye déchirant dans «Dead Star». Il n’en finit plus de se barrer.

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             Alors après, tu n’as plus que tes yeux pour pleureur. C’est-à-dire qu’il n’existe plus que des singles. Il faut savoir s’en contenter. En 2006, il en paraît deux, Like A Drug et Pink Sticky Lies. «Like A Drug» sort de l’album, mais c’est bien de pouvoir l’écouter sur un single. Owen McCarty casse bien sa baraque, il chante au revienzy, avec cette hargne spectaculaire qui regorge de brio. De l’autre côté, «Whatever You Want» rivalise de monstruosité. Ça bat aux forges de Vulcain. Owen McCarty harangue le rock avec une classe écœurante, il va plus loin que tous les autres dans l’edgy, il module ses syllabes dans les flammes. Il est le maître des enfers miam-miam.

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    L’autre 45 est un quatre titres. Ouverture du bal avec un «Too Far» bombardé de son, Owen McCarty se refait croisé du yeah yeah yeah, ça monte vite en neige, croyez-le bien, c’est excellent, mais comme tout ce qui est excellent, ça n’intéresse plus grand monde. L’indifférence et la médiocrité ont fini par avoir la peau des grands chanteurs de rock. Owen McCarty continue néanmoins de rocker son lard avec «Drive With You», un extraordinaire pulsatif digne d’entrer dans les annales. Il n’en existe pas beaucoup d’équivalents dans le monde moderne. Alors tu écoutes ça, tu te dis : ah tiens, voilà un chanteur exceptionnel, et tu te poses la question : mais enfin, pourquoi n’est-il pas célèbre ? Serait-il trop énorme ? Ce fabuleux meneur embarque ensuite «Pink Sticky Lies» à l’assaut du ciel et il finit en bon maître de cérémonie avec «A New Inebriation», l’occasion pour lui de ramener une dégelée de bon vieux glam, comme s’il voulait faire un petit cadeau aux inconsolables.

    Signé : Cazengler, everyjobard

    Everyothers. The Everyothers. Sidecho Records 2003

    Everyothers. Like A Drug. Kill Rock Stars 2006  

    Everyothers. Pink Sticky Lies. Kill Rock Stars 2006

     

    L’avenir du rock

    - Harding moussaillon !

             Laissé pour mort dans le désert, l’avenir du rock revient à lui. Il parvient à se relever et à se remettre en marche. Lui revient alors en mémoire l’apparition de Lawrence d’Arabie. Au fond, il n’en veut pas à Lawrence de l’avoir abandonné. Lawrence le croyait foutu. À sa place, on aurait tous fait la même chose. Il se dirige vers le soleil couchant. Il marche toute la nuit en claquant des dents et au lever du soleil, il aperçoit soudain dans le ciel deux hommes volants. Ils sont face à face et le plus fort serre l’autre dans ses bras. L’avenir du rock leur fait signe, Ohé ! Ohé ! Ils approchent et atterrissent à la verticale. L’homme aux cheveux rouges qui transportait l’autre en le serrant dans ses bras lâche son passager et se tourne vers l’avenir du rock :

             — Qui es-tu ?

             — Je suis l’avenir du rock...

             — Ta place n’est pas ici !

             L’homme aux cheveux rouges est torse nu. Il porte sur la poitrine une plaque d’acier attachée par le cou. Des versets en langue arabique y sont gravés. L’homme fixe l’avenir du rock d’un air mauvais :

             — Hé bien, avenir du rock, pourquoi ne trembles-tu pas ? Ne sais-tu pas que je suis un démon ?

             L’avenir du rock éclate du rire. Trop d’incongruité. Décidément, ce désert réserve bien des surprises !

             — Et pourquoi devrais-je vous craindre, monsieur le démon ?

             — Tu ne sais donc pas ce que sont les démons des Mille et Une Nuits ? Regarde bien, avenir du rock, je vais Pasoliner Shahzaman !

             Le démon se tourne vers le jeune homme brun et tend la main vers lui, le transformant en singe. Le démon éclate de rire, alors que le singe s’éloigne en jappant.

             — Alors me crains-tu à présent ?

             — Franchement, je ne comprends pas votre logique, monsieur le démon. Vous vous croyez malin mais vous Darwinez à l’envers ! Ôtez-vous de mon chemin, vous me décevez.

             Fou de rage, le démon tend la main vers l’avenir du rock :

             — Je vais te Darwiner dans le bon sens, misérable !

             Il transforme l’avenir du rock en Curtis Harding.

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             Tout est bien qui finit bien, car Curtis Harding repart dans le désert avec une guitare sur l’épaule et des grandes lunettes noires rococo sur le nez. Curtis ne le sait pas, mais il doit une fière chandelle à Pasolini. Basé à Atlanta, Curtis a enregistré trois albums en sept ans, trois albums très différents et tous très passionnants. L’idéal serait d’y mettre le nez.

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             Pas d’infos dans le digi du Soul Power paru en 2014, mais Curtis est là. C’est l’essentiel. Il approche de ses cuts avec des mains baladeuses : très spécial, «Castaway» sonne comme un cut de pop aventureuse qui ne doit rien à la Soul, mais ça reste une pop black. Big présence. Curtis sait exactement ce qu’il veut. Il drive son biz à la black, parfois Soul, toujours Harding, sur un beat énorme digne du Spencer Davis Group («Keep On Shining»). Ça devient vraiment passionnant avec «Freedom». Curtis échappe à tous les cadres, il vise le groove électrique. Il devient une mine d’or avec «Surf». C’est aussi infernal que le Nathaniel Meyer de «White Dress». Il tape dans le white power et ça devient monstrueux. Ce «Surf» est une merveille terrifique, bardée de Detroit sound et de solos. Curtis est un black God tatoué dans le cou. Il crée une ambiance énorme avec «I Don’t Wanna Go Home». Il fait du rock de blancs. Avec «The Drive», il vise la grandeur incommensurable, il devient une sorte de prince de la pression, une pression qu’il gère à la main lourde. C’est puissant et convaincu d’avance. L’album devient fantastique avec «Heaven’s On The Other Side», un drive sa Soul sur un diskö beat des meilleurs auspices. Curtis est un punk, il faut le voir shaker son «Drive My Car», il joue le jeu, Curtis is the king, en fait il se prête à tous les jeux - I just want to drive/ My/ Car - Ça joue au boogie rock des blancs, il s’engage dans un délire compliqué. Impossible de comprendre pourquoi l’album s’appelle Soul Power.       

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             Trois ans plus tard paraît Face Your Fear. Torse nu sur la pochette et groove avec le morceau titre. Il va sur une Soul plus ambitieuse, très belle, gorgée de son et d’horizon, it’s okay - Just face your fear - C’est un maître chanteur assez powerful, il mène une sacrée farandole, c’est le groove du Marvin des temps modernes. Puis il enchaîne trois énormités : «Go As You Are», «Till The End» et «Need Your Love». Il lance sa Soul avec des accords de reverb et des tablas, il se paye toutes les audaces, il devient le futur de la Soul - Go as you are/ Don’t come back the same - Il va chercher le meilleur groove pour «Till The End», les filles répondent comme elles peuvent. Curtis a le power, mais un power contenu, et c’est claqué aux guitares de Los Angeles. Il transforme son album en aventure extraordinaire, c’est le nouveau défi, les blackos prennent le pas sur les blancs, Curtis y va à l’énergie maximaliste d’I need your love baby, c’est du Stax moderne géré au break de basse demented, il surfe sur une vague de rêve. Pas de meilleur power ici bas. Il passe au gratté d’acou pour «Welcome To My World», c’est très blanc dans l’essence, il va cependant droit sur Terry Callier au chant de swing absolu, il se fond dans l’excellence d’une Beautiful Song, il chante à mi-voix et crée de l’enchantement. Il chante son «Dream Girl» à la levrette sur un heavy bassmatic de rêve et il se montre assez heavy dans l’expression du Harding avec le «Wednesday Morning Atonement» d’ouverture de bal. Il se fond dans sa psyché psychique d’excellence, il crée son monde, c’est aussi âpre que les falaises de marbre, il va même chercher des développements de prog. La belle Soul de «Ghost Of You» colle bien à la peau, chantée à la clameur des copains avec de belles chutes de tension. Il fait une Soul sensitive, il vise l’éclat mordoré, son I know est un chef-d’œuvre d’emprise. Puis il va chercher la grandeur à la force du poignet avec «Need My Baby». Il ramène des élans somptueux, il vise l’éhontée cabalistique, le sommet du lard fumant. Curtis Harding a du génie, qu’on se le dise.     

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             Pour la promo de son troisième album, Duncan Fletcher se fend d’une belle double dans Shindig!. Il indique - ce qu’on savait déjà - que Curtis propose un mix capiteux de vintage funk, R&B, symphonic Soul, psychedelic rock, rap and hip-hop. Fletcher rappelle que Curtis vient du Michigan et que sa mère chantait le gospel in the Menmonite church. Quant à son père, il fricotait avec des gens du Tennessee comme BB King, Isaac Hayes and all these guys. Côté influences, Curtis cite Curtis, forcément, le Mayfield de Chicago, et Sly Stone - He had the funk, he had the rock, Soul gospel, he had everything - Deusner refait deux pages sur le troisième album de Curtis dans Uncut. Il parle cette fois d’une «fantasia of sound, intricately arranged and produced, qui change en permanence et qui saute d’une idée à l’autre, pleine de références historiques et d’odball sons sortis de son imagination». Cette fois il parle d’un mix d’«old school Soul, private-press R&B, trippy psych rock, soft jazz, hard funk, catchy pop, gospel, rap and everything in between».  Deusner situe Curtis dans la vague du Soul revival qui a émergé dans les années 2000  et bien sûr il cite Leon Bridges et les Boulevards de Caroline du Nord. Quand Deusner écoute Curtis, il entend l’autre Curtis, celui de Chicago, Mahalia Jackson, Parliament, Pink Floyd, Miles et Stevie. Pardonnez du peu. Après avoir circulé dans le Gospel circuit avec sa mère, Curtis s’est installé à Atlanta où il a commencé à fricoter avec Mastodon et les Black Lips. 

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             Le titre de son troisième album, If Words Were Flowers lui vient de sa mère qui lui disait : «Give me flowers while I’m still here.» Du bon sens près de chez vous. Première énormité avec le morceau titre en ouverture de bal. Curtis tape dans la Soul avec des moyens énormes et il t’embarque aussitôt. Il crée un Wall of Sound superficiel, mais ça fonctionne, car la trompette relaye, et quand la trompette va, tout va. Il fait ensuite un peu de hip-hop avec «Hopeful» et revient au big r’n’b avec «Can’t Hide It». Des filles entreprenantes le rejoignent très vite, Curtis adore les filles entreprenantes, il adore aussi le fast drive de big day out et l’ensemble donne une énormité bien envoyée. Curtis veille à rester dans un r’n’b bien identifiable. Il ne brûle pas les ponts comme l’autre bridgeur de Leon. Il s’aventure aussi dans des territoires inexplorés, ceux du groove moderne («Explore»), et plus loin, il essaye de créer l’événement avec «The One Camp», mais il faut se lever de bonne heure pour créer l’événement. Pourtant son baby I’m the one sonne bien. Il faut attendre «Forever More» pour retrouver un peu de viande. Il revient en force - Can’t keep my cool - et renoue avec l’éclat de son Soul Power, cette douce arrogance soulignée par un solo de trompette. Il travaille l’«It’s A Wonder» à la caverneuse d’oh yeah et termine en beauté avec «I Won’t Let You Down», un puissant heavy groove de prévenance - Take your time/ Don’t worry baby - Curtis accorde du temps au temps, la sagesse vient du black power, comme chez Isaac le prophète, et c’est en place, alors on peut parler d’un Curtis Power.

    Signé : Cazengler, Curtis Radis

    Curtis Harding. Soul Power. Burger Records 2014     

    Curtis Harding. Face Your Fear. Anti- 2017          

    Curtis Harding. If Words Were Flowers. Anti- 2021

    Duncan Fletcher : In with the love crowd. Shindig! # 121 - November 2021

    Duncan Fletcher. Chronique d’ If Words Were Flowers. Uncut # 295 - December 2021 

    *

    Mal m'en a pris. Le deuxième album de Grey Aura m'ayant séduit ( voir KR'TNT ! 539 du 20 / 07 / 2021 ) j'ai décidé de chroniquer leur premier opus. Mes connaissances en néerlandais sont limitées, surtout quand il s'y mêle, d'après ce que j'ai compris, des mots d'un dialecte néerlandais d'origine belge, et vraisemblablement des mots de vieil Néerlandais. Le lecteur devra me pardonner mes hypothétiques approximations.

    Ce disque évoque Barentz qui à la fin du seizième siècle entreprit de trouver le passage du Nord-Est qui raccourcirait le voyage vers l'Inde, en passant au nord par les eaux du cercle polaire... La pochette évoque le moment crucial, où la mer se charge de glace nous   aurions préféré la toile Mort de Barentz (voir plus bas ) de Christiaan Julius Lodewyck Portman peinte en 1896.

    Le disque se présente sous la forme d'un double album enregistré en 1913 et 1914. Il est paru en novembre 2014. Il existe de par le monde un nombre important de concept-albums. Dans beaucoup de cas, les artistes traitent le thème projeté sur trois ou quatre morceaux et rajoutent quelques titres qui n'ont pas beaucoup à voir avec le projet. Ici chacune des  plages décrit une des étapes du périple du navigateur  Willem Barentz  ( 1550 – 1597 ) qui y laissa la vie... Le lecteur français se rappellera un des premiers Voyages Extraordinaires de Jules Verne : Les aventures du Capitaine Hatteras.

    ( Waerachtighe beschryvinghe van drie seylagien, ter werelt noyt soo vreemt ghehoort )

    VERITABLE RELATION DU TROISIEME VOYAGE

    DE WILLEM BARENTZ

    AUX CONFINS DU MONDE GLACé

    GREY AURA

    ( Blood Music / Novembre 2014 )

     

    TJEBBE BROEK :  guitar, percussion, bruitage, synthesizer, Spanish guitar / RUBEN WIJLJACKER :  vocals, lyrics, guitar, percussion, foley, synthesizer, mixing / BAS VAN DER PERK : drums, percussion  / 

    Voix : Menno de Groot : Gerrit de Veer ( officier qui a participé au troisième voyage et qui en a laissé un récit ) / Arie Vermeer : Willem Barentz / Eric van Esch : Jacob van Heemoherck  /  Maxim Slepier : matelot russe / Korn Makkelie : voix diverses.

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    Prologue : un clapotement de batterie, scène de film, manifestement les préparatifs, deux navires à quai,  bruits divers, cheval, voix, on ne comprend rien, on imagine, des pas sur la dunette, une grosse voix autoritaire, le Capitaine s'adresse à son équipage, les prévient que la navigation ne sera pas des plus simples. Vers le Nord : sans préavis une musique ample et lyrique nous enveloppe, la tension monte, le chant comme un chœur de marins englué dans la pâte musicale, mais la voix devient sinistre, ils étaient partis la rage de vaincre chevillée au corps, ils n'ignoraient pas l'importance et la témérité de l'entreprise, mais le soleil se voile, la brume les entoure, le voyage continue, au loin de merveilleux cygnes blancs apparaissent, les icebergs ne sont que les signes avant-coureurs de la banquise qui s'étend à l'infini sur laquelle il ne faut pas se fracasser, Barentz navigue au plus près pour éviter les dangers, ce n'est pas encore la peur, mais s'instille un sentiment d'incertitude, la partie s'avère plus difficile que rêvée, entre deux périls une certaine monotonie marquée par le rythme qui se scande, le courage revient dès qu'il faut faire face, les voix se sont tues, le navire glisse dans la brume, il a échappé à la barrière de glace, des riffs de guitare mélodramatiques sont de plus en plus en plus inquiétants, au loin apparaît une terre que l'on devine inhospitalière. L'île aux ours : l'appel de l'aventure éblouit le cœur des hommes, la musique défile à toute vitesse, un chant immense soulève les âmes, pourtant la terre est toute blanche, désertique sans arbre, qu'importe on descend un canot qui fonce vers les falaises sans ouverture, l'on parle, l'on n'en pense pas moins, rugissements du vent dans lequel planent des oiseaux tempétueux, rien de bon ne peut survenir de ce monde blanc et froid comme un immense cadavre, souque, souque matelot, droit devant, nous sommes dans un opéra symphonique, la musique emporte tout sur son passage. Keerwijck : souffle le vent, imperturbablement, le bateau avance, des oiseaux crient, l'on discute âprement, quelques arpèges de piano et un récitant qui conte le long voyage qui ne mène nulle part... Dispute : roulements de tambour il a fallu retourner, les esprits se tendent, musique implacable, entre les deux bateaux un désaccord surgit, faut-il monter encore vers le nord ou tourner vers l'ouest, lyrics grondeurs chargés de colère, qui l'emportera, aucun des deux, chacun suivra sa route, une brume épaisse recouvre les deux navires, chacun ira vers son destin. Le vent soufflait : la musique se traîne mais avance gaillardement, tout comme le navire qui tire bordée après bordée, l'important est de tenir le cap sans se décourager, parfois des champs de glace se forment mais l'étrave du bateau peut encore les disloquer, tenir, tenir, devant l'immensité nordique qui recule sans cesse au fur et à mesure que l'on avance, des géants de glace se dressent à l'horizon, la tension est à son comble, chant d'équipage rugissant et musique expressionniste, ils ont louvoyé, ils sont  passés entre les iceberg, terre en vue. Le vent souffle. L'île de la Croix : juste le vent, des voix qui interpellent le chef, des bruits de pas crissent dans la neige. Cet opéra rock est construit comme une opérette ( le mot ne convient guère ). Les fragments parlés ne font pas progresser l'action, sont distribués comme de très courts plans qui font la jonction entre deux scènes d'un film. La côte de la Nouvelle Zemblie : le vent toujours, le vent sans cesse, la musique n'est plus qu'une plainte lugubre, un mur de glace les entoure, la tempête se lève, dans ce chaos de glacier illustré par un feu de guitare Barentz tente une manœuvre désespérée, le navire est arrimé derrière un énorme morceau de glace qui le dépasse de plusieurs mètres, sans doute la mer poussera-t-elle les immenses glaçons vers le Sud, ils doivent se rendre à l'évidence leur glaçon est plaqué contre la banquise et ne bouge plus, la mer de glace s'écoule mais eux restent collés et immobiles. Les voici bloqués contre  la côte de la Nouvelle Zemblie, cette île interminable qui longe la côte russe. Une mer glaciale : ( vocal : Wessel Reijman ) : la musique s'est faite glace, elle glisse sans fin, ils se sont détachés de leur ventouse, le vent souffle et les voici en pleine tempête, tantôt vers le sud, tantôt vers l'est, ils aimeraient passer de l'autre côté de l'île de la Nouvelle Zélinde  mais ils sont obligés de descendre vers la côte russe à des centaines de kilomètres au nord de Saint-Pétesbourg, les rivages sont inhospitaliers, pas d'ours ou d'oiseaux à chasser, la musique s'affole, le temps presse, l'hiver n'est plus très loin, la musique se hâte, il faut se sortir du piège au plus vite, mais les éléments seront plus forts qu'eux, l'on n'entend plus que le vent, la glace qui s'entrechoque, la mer qui se ferme, le piège qui se transforme en nasse, la main inexorable du destin qui se referme sur eux en une immense clameur silencieuse. Intermède I : givre : ( violon : Sagitte de Ruich ) : musique moqueuse, le violon chante, malheur au vaincus, les cordes du violon grésillent, givrées, glacées, intermède ironique. Le rire de la mort annoncée. La cabane de survivance : est-ce le vent, sont-ce des hommes surgis de nulle part, ils sont descendus à terre, c'est le dernier combat pour la survie, avec des troncs d'arbres arrachés à la Sibérie qui ont dérivé avec les glaces du printemps, ils ont construit une cabane, précaire abri contre le froid, le gel, et le vent, musique violente, hyper-violente, lorsqu'elle s'arrête c'est pour reprendre sa course encore plus forte, encore plus violente, brutale, la voix explosive roule comme des trombes de neige hurlantes, elle devient insistante, il faut qu'elle peuple le silence de la mort qui avance à pas feutrés. Superbe morceau. Pays des ombres blanches. Sans fin. Monotonie et isolement : le vent encore et toujours qui déferle, emballement des guitares, ils se battent avec l'énergie des ours polaires, ils tentent d'améliorer leur cabane quitte à cannibaliser le navire, la plainte longue et monotone du vent qui souffle le froid et la mort, voix haletante, il  faut tenir coûte que coûte même s'ils ne sont plus que des fantômes essouflés, sous la froide lumière des étoiles, le vent et une voix sépulcrale qui raconte leur souffrance et leur combat, la musique forte et interminable se confond avec le vent, puis elle reprend et s'enfuit comme si elle savait comment tout cela se terminerait, et l'on murmure à nos oreilles des mots que nous ne comprenons pas mais dont nous n'ignorons pas le sens. Froid hivernal : juste le vent, des voix, l'une qui rit et se moque, l'autre qui se fâche.  Tricherie : musique glissante, gelée, une lueur rouge quelque part à l'horizon, annonce du printemps, le courage est là, il faut partir, avec des traineaux, surtout ne pas laisser le froid s'appesantir sur les corps, l'espoir et la joie propulse les instruments, même lorsque l'on stoppe pour reprendre souffle, l'espérance aiguillonne les hommes et les galvanise. Course vers le soleil, course contre la mort, se rapprocher du rivage, ne plus traîner, faire vite, la survie est là devant, il suffit de bander encore ses forces en un effort surhumain. Ce n'est plus le vent qui souffle mais la voix qui porte le souffle de la vie. Intermède II : Mer ouverte : intermède joyeux et bruit de vague, la mer est libre, mouvement de valse. La délivrance approche à grands pas. Arpents de glace : le navire a repris sa course, il vogue vers le nord et longe la Nouvelle Zemblie, la musique scintille, les cœurs débordent d'appétit de vire, bientôt ils doubleront le cap nord de l'île, ils seront vraiment sur le chemin de retour, il suffira de pointer vers l'ouest. Maladie : voix off, ils sont épuisés par le scorbut, la fin est proche... Absence de tout confort : ( vocal : Wessel Reijman, paroles du poëte national hollandais Hendrik Tollens 178o _ 1856 ) ) : musique dramatique, les éléments se déchaînent, les voici perdus, il n'y a plus de jour, il n'y a plus de nuit, juste un labyrinthe sans fin, des icebergs disloqués s'acharnent autour du bateau, il faut rejoindre le rivage, au prix d'un effort surhumain, ils y parviendront, mais l'épuisement les étreint, Barentz ne survivra pas, ses hommes le veillent. Il s'éteint. Il ne leur reste plus qu'à joindre leurs mains pour prier.

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    La voix s'égosille, elle conjure les éléments, rien n'y fait, le monde s'est empli de chaos, personne ne saurait s'y opposer. Ils ont lutté jusqu'au bout.

    Avouons-le ce premier opus de Grey Astra ne vaut pas leur deuxième album Zwart Vierkant. Un sujet original certes, mais traité d'une manière trop narrative. Un concept ne se raconte pas, il se déploie. Les intermèdes musicaux et parlés sont de trop. Ils entrecoupent l'audition de temps morts. Les morceaux violents n'en auraient eu que plus de force. Le son est totalement différent. La batterie n'est pas ce cheval fou qui mène le train sur l'ouvrage suivant. Dans ce disque c'est la voix des chanteurs qui joue ce rôle, c'est elle, rauque, lyrique, et récitative qui fomente les splendeurs orchestrales, aussi puissante à elle-seule que le chœur des matelots dans Le vaisseau fantôme de Wagner.  Une espèce d'orocktario, Un de  ces monstres antédiluviens surgis des abysses de la mer échoué sur les plages du black-metal.

    Damie Chad.

     

    RAUNCHY BUT FRENCHY ( 7 )

     

    BIG BAND AU CASINO DE PARIS

    EDDY MITCHELL

    ( Spectacle du 14 au 18 décembre 1993 )

    ( Polydor / 1995 )

    En 1995 Eddy Mitchell sort en même temps une triplette de trente-trois tours enregistrés en public. Le volume I,  je vous causerai je ne sais pas quand des deux suivants, un autre jour, peut-être, je ne suis pas un fanatique des disques live de Mitchell, trop glacés, trop déconnectés de l'ambiance de ses spectacles, qui ne donnent pas l'impression d'être vivants, un peu comme ces mammouths congelés que l'on arrache du permafrost sibérien, surtout à ne pas comparer au Palais des Sports de Paris de 1967, sur lequel la clameur insensée du public rendait inaudible l'orchestre et la voix de Johnny Hallyday. Ce Big Band au Casino de Paris, n'a pas marqué les mémoires, peut-être parce que le titre qui sonne un peu trop jazz a dû effrayer les fans amateurs de rock 'n' roll. C'est justement ce parti-pris je marche hors les clous et je piétine des plates-bandes peu fréquentées par les rockers purs et durs qui nous ont séduit. Les fans de rockabilly se souviendront que le leader des Stray Cats avait entrepris dès 1990 avec son disque Brian Setzer Orchestra une démarche similaire. Les rockers ne devraient jamais vieillir ou retomber en enfance en se souvenant des disques Louis Prima ou Franck Sinatra que les adultes ou leurs parents écoutaient lorsqu'ils étaient mômes...

    C'est très dur de rester rocker jusqu'au bout des ongles toute sa vie. Eddy Mitchell en est un parfait exemple. Passé la mi-temps de la trentaine ses textes évoluent, ils deviennent moins punchy, moins rentre-dedans, plus désabusés, un désenchantement psychique qu'il camoufle sous un vernis grinçant de sociologie hâtive, qu'il cache sous couvert d'humour. Non pas noir. Gris. En demi-teinte ironique. Ce qui ne l'empêchera pas encore d'écrire quelques lyrics percutants, mais qui n'ont plus rien à voir avec l'insolence débridée des années soixante.

    Dix-sept musiciens, nous faisons suivre leur nom d'une de leur autre activité   musicale afin de les situer dans le paysage musical français :

    Saxophones : Michel Gaucher, ténor, vieux complice des aventures mitchelliennes / Bruno  Ribera, ténor, Champs Elysée Orchestra / Patrick Bourgouin, alto, Orchestre de Jean-Claude Petit / Pierre Holassian, alto, Swing Family /  Gilles Meloton, Baryton, Grand Orchestre du Splendid.

    Trombones : Guy Arbion, bass, Paris Jazz Band / Bernard Camoin, Ornicar Brass Band / Jean-Louis Damant : Nicole Croisille.

    Trompettes : Eric Gousserand, Claude Nougaro / Kako Bessot, Swing Family / Michel Ragonnet, Ensemble Erwarton / Pierre Dutour, Claude Bolling Sextet.

    Keyboards : Yves d'Angelo, Michel Jonaz QuartetDrum : Kirk Rust, Dider Lockwood. Eectric bass : Evert Nerhees, musique de films.

    Electric Guitar : Basile Leroux, Jean-Pierre Danel / Jean Michel Kadan, David-Calvet-Kadjan.

    Chaque titre est suivi du nom de l'album dans lequel Mitchell l'a pioché, précédé de sa date de parution. On s'attendrait à ce que le disque débutât par Choco Choco Boogie espion bidon,  qui terminait l'album Made in USA ( 1975 ) reprise de Choo Choo Ch'Boogie de Louis Jordan ( interprété entre autres par Bill Haley ). Mais non, Mitchell ne s'est pas trop fatigué, l'a choisi ses titres parmi ses albums précédents, se contentant de modifier l'orchestration, ce qui donnera souvent à ce live censé être un hommage aux Big Bands, une allure beaucoup moins swing qu'attendu et pas plus proche des petits combos de rhythm 'n' blues d'après-guerre de Kansas City...

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    Je fais le singe ( Intro ) : ( 1978,  Après Minuit ) : cuivre + batterie, c'est parti, en voiture Simone, on eût aimé une fanfare annonciatrice digne des tonitruances de Bayreuth, mais non, ce n'est qu'un groove  d'une minute proprement emballé mais un peu passe-partout. Comment t'es devenu riche : ( 1986, Eddy Paris Mitchell ) : là y-a tout ce qu'il faut, une voix creuse et fluide qui ricoche sur les encoches cuivrées, et l'orchestre qui ruisselle de partout avec des cristaux de guitare éparpillés, des solos dans les coins, des draperies de trombes de trombones qui nous la sortent bonne et drue, plus un chorus de fin à repeindre la tour Eiffel en vert pomme. Y-a pas de mal à se faire du bien : ( 1993, Rio Grande ) : encore mieux, on critiquait l'intro, tout ce qui manquait nous est donné, ce grand déploiement de cuivres qui resplendit tel un soleil de midi, il triche un peu le Schmoll, l'a mis du blues dans son swing, sa voix ne flotte pas, elle pèse une tonne et blues oblige l'on nous sert un solo de guitare, un truc à vous déboucher les oreilles, d'autant plus que de de temps en temps vous recevez de grandes claques de trompettes à travers la gueule, survient un cri de rocker, faut lui pardonner ça lui a échappé, deuxième giclée de guitare, et l'on finit sur un écroulement de ferraille qui fait du bien. Fauché : ( 1964, Toute la ville en parle... Eddy Mitchell est formidable ) : le seul titre issu de la première moitié des années soixante, pas n'importe lequel, vraisemblablement la meilleure adaptation du grand Schmoll jamais réalisée, d'ailleurs en position d'entrée en face A, il s'agit du Busted de Ray Charles, cette version quoique fidèle à celle de l'album originel, n'apporte pas grand-chose, le dessin en paraît un peu trop dilué par des paroles (sans grand intérêt philosophique ) adressées au public. Le piano esbroufe le thème, mais ce que l'on attend c'est l'avalanche appuyée des cuivres, enfin ils arrivent... mais le pianiste se taille une part trop belle du gâteau, se termine trop brutalement. Un filon d'or pur qui n'a pas été exploité à fond. Le blues du blanc : ( 1984, Racines ) : belles larmoyances cuivrées en intro, Mitchell confond le blues avec la chansonnette de film américain des années cinquante, fin de soirée déprimante, du coup les cuivres ressemblent à des clinquances de ferblanterie. On n'y croit pas, le blues du blanc est déprimant, pas la moindre idée noire à l'horizon. Stressé : ( 1986, Eddy Paris Mitchell ) : bien envoyé, y aurait comme une dichotomie entre la voix de Mitchell qui ne s'élève que de peu au-dessus de la terre, et la zique qui de temps en temps  se permet des claquettes, les trompettes s'envolent taper la causette avec les anges tout là-haut dans le ciel, toutefois la jonction entre les deux est parfaite, un plaisir d'écoute qui ne vous procure aucun stress. Petite annonce : ( 1979, C'est bien fait ) : les guitares se taillent la part du lion, les cuivres jouent les arcs-boutants qui soutiennent les cathédrale gothiques, faut reconnaître que sur les refrains ils sont plutôt massifs et rutilants, mais les grandes orgues ce sont les écorchures guitariennes qui s'en chargent tout le long du morceau, en prime vous pouvez goûter à l'humour des paroles de Mitchell en pleine forme, un grand théâtreux. Under the rainbow : ( 1989, Ici Londres ) : non ce n'est pas over, un slow désenchanté, l'entrée des cuivres est aussi belle que le prologue de Lohengrin, mais cela ne dure pas, l'on retrouve le Mitchell des années 80-90, les cuivres viennent colmater les trous dans le refrain, mais l'on se demande ce que cette interprétation vient faire dans ce Big Band qui se transforme un peu en big bazar en période de soldes. Vigile : ( 1993, Rio Grande ) : un bon titre de Mitchell, traité à la manière du précédent, les cuivres en feuilles de salade accompagnent les hors-d'œuvres, et Mitchell emploie une voix blanche alors que sur le disque originel elle est nettement plus noire, décevant, on sauvera le solo de sax au premier tiers. Tiens une petite reprise de batterie et un sax qui cancane de belle manière avec le clavier, hélas trop millimétré. Toute improvisation reléguée dans le domaine de l'impossible. Cœur solitaire : ( 1993, Rio Grande ) : tube nickelé qui sonne creux, y a bien la flamberge de la guitare surmontée d'une entrée de cuivres fracassante, mais la suite est décevante, surtout si l'on songe aux morceaux lents de Muscle Shoals, ici ça tourne court, faut chercher le steak saignant sous la frite trop dure, pas étonnant qu'il ait pris deux guitaristes, s'en donnent à cœur joie, bluesent à mort, mais le Big Band joue les utilités. Vieille canaille : ( 1986, Eddy Paris Mitchell ) : tiens un peu de swing comme au bon vieux temps des Big Bands, trompettes jazzy punch, le vocal de Mitchell un peu trop rase-motte alors on a droit à un peu de piano, sur lequel Eddy est plus à l'aise. Trois minutes pas une seconde de plus, Mitchell ne sait pas faire durer le plaisir. De fait ce sont les musicos qui font tout le boulot. Le temps qui passe : ( 1986, Eddy Paris Mitchell ) : et plouf l'on retombe dans la citronnade pseudo-post-romantique, Mitchell case encore une fois un de ces slows délabrés dont il a le secret. Son public doit avoir vieilli et être complètement désillusionné car il applaudit à tout rompre à chaque fois. L'orchestre se fait tout petit, s'imagine qu'il est en train d'enregistrer une musique de film pour ménagères frisant la soixantaine. Vivement les scopitones de Vince Taylor ! Que reste-t-il de nos amours : ( Charles Trenet 1955 ) : n'ai jamais compris pourquoi l'on dit que Charles Trenet est l'introducteur du jazz dans la chanson française, Mitchell au début il y va sur des escarpins de feutrine mezzo-mezzo, mais bientôt il jargonne à gros pataugas, l'orchestre est derrière, difficile d'accompagner un chanteur qui ne module pas. Alors il pousse les meubles pour montrer qu'il n'est pas payé pour rien faire. Oldie but goldie : ( 1986, Eddy Paris Mitchell ) : l'on est encore parti pour pédaler dans la choucroute, l'orchestre en catimini apporte les saucisses de Strasbourg et le lard du cochon gras, Mitchell parle à sa fille, se raconte et ce qu'il dit ne correspond pas à la folie qu'il nous a fait partager en des temps sixtiques et mirifiques, avouons-le on ne l'écoute plus, depuis longtemps lorsque ça s'arrête... Le cimetière des éléphants : ( 1982, Le cimetière des Eléphants ) : au contraire de Mitchell qui  en offre deux versions sur le 33 originel je n'ai jamais aimé ce titre geignard aux paroles larmoyantes et affligeantes. Malgré ces dix-sept musicos, l'arrangement qui se traîne lamentablement ne lui file pas un gramme de peps. Vous donne l'impression d'un escargot paraplégique peu pressé d'aller se suicider. Alors vous l'écrasez sous votre pied. Sûr qu'au Paradis, Dieu vous assoira à sa droite pour vous remercier de cette bonne action. Le Big Band y va mollo, l'a peur de se faire réduire en bouillie par le troupeau des pachydermes, une trompe de sax de vingt secondes c'est tout ce l'on voit, au milieu ils y vont sur la pointe des pieds, c'est sur la fin lorsque l'interminable file des grosses bêtes s'estompe qu'ils se permettent quelques glissandi. Otis : ( 1969, Super 45 T ) : rien de mieux qu'un bon rhythm 'n' blues pour réchauffer l'atmosphère après tous les caramels mous précédents, n'arrive pas à la hauteur de l'original, faut pas mettre de l'eau dans le vin du groove ni dans la cuivrerie, même si l'on essaie une fausse impro qui améliore le morceau sur sa fin, mais Otis méritait une auréole enflammée. Pas de boogie woogie : ( 1976, 45 T ) : le morceau avait été interdit sur les ondes du rocher de Monaco pour son impiété,  que voulez-vous dès que Jerry Lou n'est pas loin ça branle dans le manche, les cuivres sont là pour supporter, Yves d'Angelo prend son pied, c'est lui le roi de la fête, dommage que les cuivres essaient de montrer qu'ils existent, et Mitchell appuie un peu trop grossièrement là où il faut filer comme un hors-bord de contrebandiers pris en chasse par une vedette des douanes. Couleur menthe à l'eau : ( 1980, Happy Birthday ) : un beau slow qui n'a pas grand-chose à faire  dans un tel disque, piano, batterie, basse, guitare suffisent bien, Mitchell et sa belle voix de velours, que voulez-vous de plus alors les cuivres ont mis la sourdine, ne font qu'acte de présence discrète sur le pont ( d'Avignon ). Je fais le singe ( final ) : ( 1978,  Après Minuit ) : retour du groove sans grand intérêt si ce n'est quelques mercis trop vite expédiés.

    C'est hier soir que je me suis dit qu'il ne fallait pas que je meure sans avoir écouté cet album d' Eddy Mitchell que j'ai beaucoup fréquenté durant ma basse adolescence, dont j'ai par la suite toujours suivi la carrière parfois avec approbation, souvent avec déception.  J'en sors un peu dépité, ce Big Band sent un peu la tromperie sur la marchandise. Revenir sur les cendres froides de son passé n'est peut-être pas une bonne solution.

    En plus il n'y a ni De la Musique, ni Fortissimo...

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    Episode 17

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    QUARANTE-HUIT

    Le Chef alluma un Coronado.

             _ Agent Chad, j'espère que vous avez compris notre participation au défilé des zigotos du pensionnat libertin !

             _ Cinq sur cinq, Chef, l'idée vous est venue de chercher un quelconque indice dans cette zone d'amour libre !

             _ Et pourquoi cette idée m'aurait-elle subitement traversé l'esprit cher Chad ?

             _ Elémentaire mon cher Dupin, vous avez simplement appliqué le principe d'Edgar Poe selon lequel ce que l'on cherche n'est jamais très loin de nous !

             _ Agent Chad je vois que vous n'êtes pas tout à fait un imbécile, fallait d'abord faire décamper les heureux jouisseurs du lieu, Joël et les filles ont frappé à toutes les portes en faisant croire à une descente de police imminente, cela a failli tourner au psychodrame, lorsque nous leur avons proposé de sortir tous en groupe de joyeux fêtards, ils ont foncé dans la combine à cent pour cent ! Mais vous  agent Chad avez-vous trouvé pourquoi les chiens ont grogné ?

             - Oui, ils ont compris, je ne sais comment, grâce à leurs antennes hyper-sensorielles que la police n'était pas loin, en poste dans un sous-marin, la camionnette qui vous a suivis.

             _ Ils connaissent donc notre repaire, demanda Françoise inquiète.

             _ Non, déclara péremptoirement le Chef, sans quoi ils seraient déjà intervenus, mais ils en savent  plus que nous, devaient avoir repéré le Neil dans les parages, lui nous avait sans aucun doute localisés, n'aurait pas tardé à entrer en contact avec nous, c'est pour cela qu'ils l'ont arrêté et abattu.  Les filles je vous avais donné l'ordre de rentrer dans les chambres pour repérer un indice quelconque, vous n'avez rien remarqué, heureusement que je suis passé derrière vous. Maintenant j'ai besoin des lumières de Joël.

             _ J'ai même inspecté à quatre-pattes sous les lits se défendit vivement Framboise !

             _ Mais vous n'avez pas pensé à glisser la main sous les oreillers ! Joël prenez ce sachet et dites-moi ce que vous en pensez.

    Joël ne prit même pas la peine d'ouvrir le la poche plastique transparente, à vue d'œil son contenu ne devait pas dépasser deux grammes, que le Chef  lui tendit

             _ De simples pétales de fleurs décréta-t-il sans hésitation, je précise, des pétales d'hibiscus !

             _ J'ai compté quarante-huit chambres, ajouta le Chef, j'ai exactement recueilli quarante-huit pétales !

             _  Quelle idée de glisser un pétale d'hibiscus sous l'oreiller pour faire l'amour, les gens sont étranges, j'essaierai sûrement la prochaine fois pour voir quel plaisir particulier cela procure ! ( Chers lecteurs je ne vous révèlerai pas le nom de cette âme de jeune fille en fleur douce et naïve ).

    Tout le monde sauf elle avait compris, derrière ces fragments d'innocentes corolles se cachait la mystérieuse société secrète de la conjuration de l'Ibis Rouge. Enfin nous tenions une piste sérieuse ! D'ailleurs le Chef ne perdit guère de temps. Il annonça que nous allions immédiatement nous livrer au contre-rituel secret d'annihilation de la grande menace imminente.

    CONTRE-RITUEL INITIATIQUE

             Nous déconseillons vivement à toutes nos lectrices et à tous nos lecteurs de tenter de reproduire le contre-rituel dont nous racontons le déroulement dans les lignes qui suivent. Ce n'est pas qu'ils ne trouveraient pas de volontaires pour participer à cette sombre cérémonie. Les préparatifs exigent une extrême minutie, les modalités du déroulement doivent être suivies à la lettre sans quoi rien ne se passera. Dans ces cas-là les participants s'accusent mutuellement d'avoir fait rater l'expérience, la déception générale est si forte que l'on en vient facilement aux mains, il n'est pas rare que cela se termine par un ou deux cadavres.

    Etape Un : nous passâmes toute une partie de la nuit à désherber une grande partie du terrain, puis à aplanir les bosses. Le Chef nous pressait :

    • Agent Chad et Joël laissez les filles poursuivre le travail, vous avez vingt minutes pour ramener quatre jerrycans de 50 litres d'essence.

    Par chance, pas très loin se trouvait une station ouverte ( chose rare en plein Paris ) nous nous dépêchâmes d'assommer le gardien, de lui faucher de gros bidons qu'il cachait dans sa guérite, et comme un automobiliste s'impatientait alors que nous monopolisions les deux seules pompes pour les remplir, je dus l'abattre froidement pour qu'il ne réveille pas le voisinage. Lorsque nous revînmes le travail avait avancé. Une large surface assez plane débarrassée de sa végétation touffue s'étendait devant nous. Les filles étaient en nage. Le Chef fumait péniblement un Coronado. Il avait aussi mis à contribution Molossa et Molossito qui finissaient de creuser quatre trous d'une vingtaine de centimètres de profondeur au pied des buissons d'hibiscus.

    Etape 2 : le Chef nous avait prévenus, c'était la plus difficile. Elle consistait à creuser le pourtour d'un cercle de six mètres de diamètre dans lequel devaient se verser les quatre rigoles qui partaient des cavités creusées par les cabotos. Il faut reconnaître que les diligentes bêtes nous aidèrent beaucoup. Le Chef les félicita.

    • C'est bien, normalement les animaux ne sont pas admis dans ce genre de cérémonie, au lieu de les enfermer dans l'abri, nous allons leur dessiner une double barrière de protection. Agent Chad tracez au centre du cercle une étoile à cinq branches à l'aide de petits cailloux que vous récupérez dans le terrain.

    Tout le monde joua au petit Poucet et bientôt les chiens s'assirent fièrement dans la figure rapidement dessinée.

             _ Bien, dit le Chef, maintenant écoutez-moi, Molossa et Molossito le fixèrent de leurs deux oreilles, si vous mettez une seule patte hors du tracé de l'étoile, vous êtes morts. Je compte sur votre sagesse. Je vous fais confiance. Soyez-en dignes.

    L'exactitude historiale m'oblige à rapporter qu'ils furent sages comme des images, un peu animées, il faut l'avouer, car si jamais ils ne sortirent de l'étoile ils s'amusèrent toutefois à singer les attitudes des six représentants de la race humaine que nous étions.

    Etape 3 : Déjà la nuit semblait plus claire. Nous nous étions mis entièrement nus, pour manifester notre innocence et notre pureté. Auparavant nous avions empli d'essence les quatre trous creusés au pied des hibiscus. Les rigoles et le pourtour du cercle en étaient remplis. Joël, moi et le Chef  étions couchés à l'intérieur du cercle, jambes écartées, nos pieds touchant celui de notre voisin de droite et de gauche, il en était de même de nos mains. Françoise, Noémie et Framboises en tenue d'Eve étaient accroupies entre nos jambes. Le chef imperturbable tirait sur son Coronado. Une minute avant le premier rayon de soleil, il prononça les premières paroles du rituel dont nous suivîmes les commandements pendant sa récitation :

    Incantation

    Salut ô toi Soleil Invaincu

    nous sommes ici pour demander ta protection

    contre les forces mauvaises de l'Ibis Rouge

    qui ne tardera pas à se manifester

    en contre-partie nous t'offrons

    cette ronde de feu

    ( à cet instant précis il rejeta son Coronado dans la rigole emplie d'essence qui s'enflamma,

    en quelques secondes les quatre buissons d'hibiscus crépitèrent )

    cette ronde de feu et de chair copulatoire

    prêtresses jetez-vous sur les pals fièrement dressés

    des officiants, et encerclez-les de vos pertuis vulveux

    vite, vite, que les officiants prennent votre place

    et vous prêtresses la leur

    afin qu'ils entrent en vos pertuis vulveux

    leur pal infatigable

    et que cent fois cette double opération soit recommencée

    à moins que l'apparition de l'Ibis Rouge

    nécessite d'y mettre fin

    Etape 5 : je ne sais combien de fois nous dûmes répéter cette ronde frénétique, tout ce dont je me souviens, c'est qu'à un moment Molossito et Molossa poussèrent des aboiements de terreur. Nous arrêtâmes notre circonvolution opératoire et levâmes les yeux au ciel. La monstrueuse figure de l'Ibis Rouge fixait sur nous ses yeux méchants en abaissant son bec cruel.

    A suivre...