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daniel romano

  • CHRONIQUE DE POURPRE 669 : KR'TNT 669 : LARRY JON WILSON / DANIEL ROMANO / SWERVEDRIVER / LAURENCE MYERS / CRACK SOUL /JUNIORE / THE SUPER SOUL REVUE / ONCE UPON THE END / FREDERIC GOURNAY / WILLIAM BLAKE

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 669

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    12 / 12 / 2024 

     

    LARRY JON WILSON / DANIEL ROMANO

    SWERVEDRIVER / LAURENCE MYERS

    CRACK CLOUD / JUNIORE /  THE SUPER SOUL REVUE

    ONCE UPON THE END / FREDERIC GOURNAY

    WILLIAM BLAKE

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 670

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Larry Jonagold

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             Dans un texte imprimé sur la pochette intérieure de Let Me Sing My Song For You, Jeb Loy Nichols raconte qui est Larry Jon Wilson. Larry Jon était un corporate qui bossait depuis dix ans dans la pétrochimie, jusqu’au jour où il est arrivé à Coconut Grove, en Floride. Et là il a flashé sur les drop outs débarqués de Greenwich Village - Singers that had left Greenwich Village in search of somewhere to be poor. A Kind of run down neo Nashville by the sea - C’est là qu’il rencontre Fred Neil ! Et qu’il devient un homme libre. Ça lui prend 5 ans. Il se laisse pousser les cheveux et se paye une grosse moto. Puis il va aller s’installer à Nashville en 1975. Tony Joe White avait déjà fait 6 albums, Townes Van Zandt 7, Mickey Newbury 8 et Kris Kristofferson 5.

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             Donnie Fritts refile le numéro de Larry Jon à Jeb Loy Nichols. Jeb l’appelle et Larry Jon lui déballe ses conceptions sur le music biz : pas question d’enregistrer pour un label qui a plus d’avocats que d’artistes. Et chaque fois qu’un label l’appelle, il voit les vautours tourner au-dessus de sa maison. Puis il indique que sa porte est ouverte - there’s always whiskey waiting, scotch too and a place to crash - Larry Jon est pote avec tout le monde - serveuses, mécaniciens, former lovers, musiciens, drifters, drinking buddies, bank tellers, trapeze artists, poltergeists. All who crossed his path - Fantastique personnage. Et il ajoute qu’il n’y a rien de tel qu’une bonne chanson pour apprendre ce qui vaut la peine d’être appris. Il dit aussi qu’il est du côté de celui qui vient APRÈS - the guy who comes in second place. That’s the guy I wanna have a drink with. Le mec qui a bossé dur, qui est resté correct, honnête et qui n’a jamais rien gagné. That’s the guy with the best stories - Et emporté par son élan, Larry Jon clame que «Mickey Newbury oughta be president. Oughta be in charge of the whole damn show.» Puis il se reprend et dit qu’il ne souhaiterait pas ça, même à son pire ennemi. Larry Jon parle comme un prophète. Jeb recueille ses paroles - Grace and mercy, he once said. Ce sont les deux qualités les plus nécessaires aux gens et celles qui manquent chez la plupart des gens - Il parle bien sûr de la charité chrétienne. Puis il ajoute à propos d’une femme trop riche qu’«une culture basée sur le cash, le profit et l’intérêt personnel n’est pas une culture, but a state of madness.» Il dit que ça lui a pris des années pour apprendre à ne pas merder - to learn how not to bullshit.

             Bruce Dees et Rob Galbraith, qui ont produit les trois premiers albums de Larry Jon disent que ses chansons sont some of the best stuff we ever cut. On les croit sur parole. 

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             Larry Jon Wilson enregistre New Beginnings en 1975. Ça sort sur Monument, le label de Roy Orbison. «Ohoopee River Bottomland» et «Canoochie Revisited (Jesus Man)» renvoient directement à Tony Joe White. On a des chœurs de rêve. C’est du pur jus de Muscle Shoals avec Reggie Young et Tommy Cogbill. Dans Canoochie, il développe son story-telling - I hope I see Kay Simmons here/ I sit next to her every chance I can - Fantastique groove, fantastique qualité du texte, fantastique présence. «Throught The Eyes Of Little Children» est la Beautiful Song par excellence. Il refait encore son Tony Joe avec «The Truth Ain’t In You» et aménage un petit rebondissement avec You don’t love Jesus. La B bascule dans la pure magie balladive avec «Lay Me Down Again». Cet homme est un magicien. Reggie Young fait des étincelles sur «Melt Not My Igloo».

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             Il faut voir la dégaine de Larry Jon au dos de la pochette de Let Me Sing My Song For You. Il a une bonne bouille, il pourrait être charcutier ou prof de latin. Il est bien coiffé, barbichu et porte une chemise brodée. Il sonne vraiment comme Tony Joe White, «Drowning In The Mainstream» ne laisse aucun doute. C’est exactement la même ambiance, le même ton. Derrière, tu entends Reggie Young gratter ses poux. Tout est intense et beau sur ce balda, «Sheldom Churchyard» est gratté à sec. Cut profond et brûlant de ferveur. «I Remember It Well» est extravagant de qualité. Tu sens le gros calibre, tout ici est de qualité, les choix compositaux et l’interprétation. Il attaque sa B avec «Think I Feel A Hitchhike Coming On». On sent poindre le Fred Neil en lui. Ampleur considérable, timbre chaud d’immersion universelle. Il revient à Tony Joe avec «Life Of A Good Man». Même power de cool dude.

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    Larry Jon est un artiste complet et même fondamental.

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             Il enregistre Loose Change à Muscle Shoals en 1977 et ça s’entend ! Il gratte aussitôt les poux du paradis sur «In My Song» et il t’installe au paradis avec ce big groove de Muscle Shoals qu’est «I Betcha Heaven’s On A Dirt Road». Comme t’es au paradis, t’en profites encore avec ce coup de génie qu’est «Shake it Up (One More Time)» et Reggie Young on fire. La classe de la compo te laisse coi. Larry Jon tape en plein dans l’œil du cyclope, et en plus, t’as le solo du paradis et les chœurs du paradis. Franchement, t’en demandais pas tant. Mais Larry Jon te donne tout ça. Il tape ensuite un heavy boogie de Mose Allison, «Your Mind Is On Vacation» et Larry Byron te gratte des poux de gras double. En B, t’entends encore Reggie Young faire les étincelles sur «July The 12th 1934» (que Larry Jon transforme en 1939 dans le chant). C’est gorgé de vie intrinsèque et chanté à l’oss de l’ass. Encore une merveille de délicatesse avec «Song For Jonah». Reggie Young y étincelle. Tu sors de cet album transi de bonheur.   

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             Sur Sojourner, notre héros Larry Jon tape une petite cover de Dylan, «I’ll Be Your Baby Tonight», à coup de bring the bottle over here/ I’ll be your baby tonight. Pure merveille. Il tape une autre cover en B, le fameux «Stagger Lee». Derrière, t’as Reggie Young et Tommy Cogbill, alors ça s’entend. Fantastique allure ! T’as tout : la voix, le swing et Reggie Young. En A, il tape aussi une cover du «You Mean The World To Me» de Mickey Newbury, avec une fantastique chaleur humaine. Deep inside Larry Jon ! Le coup de génie de l’album s’appelle «It’s Just A Matter of Time», un heavy groove signé Brook Benton. Larry Jon y met tout son art vocal, bien épaulé par Reggie et Tommy, les démons de Muscle Shoals, ex-American boys de Chips Moman.    

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             Paru en 2008, Larry Jon Wilson n’est pas son meilleur album, même si «Shoulders» te prend à la gorge. On l’entend inspirer avant d’attaquer le chant. Il tape une cover du «Heartland» de Dylan - My American Dream/ Fell apart as it seems/ Tell me what it means - Classic balladif country dylanesque, tell me what it means. Il renoue avec l’admirabilité des choses de Tony Joe dans «Feel Alright Again» et passe au confessionnal avec «I Am No Dancer» - I’m no dancer/ Girl/ But watch me more -  et il y va à l’I can move with you et à l’I am what I am. Puis on se régale encore  d’un «Rock With You» très dense, très profond, très intime, il y déroule son as long as I’m rocking with you. Dans ses fantastiques liners, Jerry DeCiecca raconte comment cet album fut enregistré à Perdido Key, une île qui se trouve à la frontière de la Floride et de l’Alabama. En 7 jours, ils ont enregistré 20 cuts - Cet homme hors du temps racontait des histoires d’auto-stop, de billard, de paternité, de gambling, drinking, women, et les amitiés qu’il a partagées avec Townes Van Zandt et Mickey Newbury - DeCiecca ajoute qu’à part «Shoulders» joué deux fois, tout l’album is all first and only takes.

    Signé : Cazengler, fort marri Jon

    Larry Jon Wilson. New Beginnings. Monument 1975

    Larry Jon Wilson. Let Me Sing My Song For You. Monument 1976

    Larry Jon Wilson. Loose Change. Monument 1977  

    Larry Jon Wilson. Sojourner. Monument 1979  

    Larry Jon Wilson. Larry Jon Wilson. Drag City 2008

     

     

    L’avenir du rock

    - Romano n’est pas un romanichel

    (Part Two)

             De loin en loin, l’avenir du rock invite ses amis à dîner. Il n’en reste plus des tas. Les gens ont fini par se lasser de ses facéties. Un dîner chez l’avenir du rock n’est jamais un dîner conventionnel, au sens où l’entendent la plupart des cons. Si l’un des invités se pointe avec des fleurs ou une bouteille de champagne, la première chose que fait l’avenir du rock c’est de balancer tout ça par la fenêtre, puis d’ajouter, avec une pointe de mélancolie dans la voix :

             — M’enfin, amigo, nous n’en sommes plus là.

             L’invité interloqué croit que le plus dur est passé, mais il se trompe.

             Il est bon de préciser à ce stade des opérations que chaque dîner chez l’avenir du rock est un dîner à thème. Ce soir-là, l’avenir du rock porte un petit chapeau manouche et une fine moustache dessinée au feutre. Au milieu du salon brûle un feu de camp !

             — Dis donc, avenir du rock, ne crains-tu pas de foutre le feu à tout l’immeuble ?

             — Pour cuisiner cette ragougnasse, il me fallait un feu michto, gadjo.

             Il règne une ambiance extraordinaire dans le salon. Le plafond est déjà noir de suie. Les flammes crépitent et une petite marmite danse mollement au-dessus du brasier. L’avenir du rock y trempe une cuillère en bois, la porte à ses lèvres et hoche la tête en manière d’assentiment, avant de s’essuyer la bouche avec la manche de sa veste rapiécée. Les enceintes de la stéréo bombardent une belle pompe manouche. On se croirait dans la roulotte de Tchavolo Schmitt.

             — Prenez place les amis. Asseyez-vous autour du feu.

             — Par terre ?

             — Ben oui, gadjo. Les chaises sont dans le feu.

             L’avenir du rock sert le ragoût dans des timbales en fer pas très propres et bien cabossées.

             — Mais où est le chat Pompon, avenir du rock ? Il n’est pas venu nous saluer ?

             — Il est dans ta gamelle, gadjo.

             Un silence de mort s’abat sur la petite assemblée. L’un des convives trouve le courage de briser le silence :

             — T’es un vrai manouche ou tu fais semblant ?

             — Pas manouche, gadjo. Juste Romano.

     

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             L’avenir du rock ne fait jamais rien au hasard. Même ceux qui prétendent le connaître tombent encore des nues. Pour honorer Daniel Romano, il lui fallait sortir le Grand Jeu.

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             Romano ? Crack ! C’est Andy Morten qui s’y colle dans Shindig!. En bon samaritain, Morten y va comme il faut y aller, album par album. Et t’en as un paquet. Un cas comme celui du Romano, ça se travaille album par album. Il tire son génie de sa prolixité - Across 15 years, 25 albums - Morten parle d’un chameleon-like Romano qui a émergé «as an unstoppable creative force, dont la musique enjambe les genres, défie les attentes et suscite l’adulation.» Eh oui, on y est. Adulation. One more time. Ian et Daniel Romano, nous dit Morten, ont construit un studio à Toronto et l’ont baptisé Camera Varda en hommage à Agnès Varda. Pas de meilleure entrée en matière pour un chapô Shindigois.

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              Morten est à Totonto pour causer du nouvel album de l’Outfit qui s’appelle Too Hot To Sleep. On y trouve un savant mix de Stonesy et de glam. «You Can Steal My Kiss» est de la pure Stonesy chantée du nez, avec les riffs de Keef en clairette d’alerte rouge. Quelle bonne aubaine ! En B, ils passent au glam-punk avec «Chatter». C’est insolent de bonne santé et battu à la diable. Puis ils tapent «Field Of Ruins» à la décadence suprême. Daniel Romano est la nouvelle superstar, qu’on se le dise ! L’écho ne trompe pas. Il est pire que Peter Perrett. Encore un fantastique délibéré d’Outfit avec «Generation End». C’est à la fois excellent, flamboyant, irrépressible, c’est le glam infectueux de Toronto. Bon alors après t’as Juliana Riolino qui chante «Where’s Paradise». Elle semble un peu énervée. On entend encore de vieux relents de Stonesy canadienne dans «State Of Nature», un fantastique brouet de brouette. Entrain considérable encore avec «All Of Thee Above». Il est évident qu’avec un son de cette envergure, ils vont tout fracasser. C’est même trop fantastique. «That’s Too Rich» flirte avec le Punk’s Not Dead. Il chante aussi le morceau titre à l’excédée congénitale. C’est plus fort que lui. Quel Romano ! Depuis la sortie de l’album, Juliana Riolino et le bassman Roddy Rosetti ont quitté l’Outfit.

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             Le Romano concède que Too Hot To Sleep est radicalement différent du précédent, La Luna, qu’il qualifie d’«eloquent, grandiose and carefully constructed.» Il ose même dire : «Too Hot To Sleep is the Live At Leeds to La Luna’s Tommy.» La Luna est effectivement une sorte d’opéra, avec une ouverture et un final. Mais d’une certaine façon, il prend les gens pour des cons. C’est très proggy. Tu croyais avoir échappé à ça et le Romano t’y ramène. Il flirte avec ce qu’il y a de pire : Queen.

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             Puis Morten entre dans le tourbillon des albums avec la première époque du Romano en tant que «guitar-picking troubadour», qui baptise son son «mosey» et qui enregistre Workin’ For The Music Man, Sleep Beneath The Willow et Come Cry With Me, le tout avec de l’«eclectic instrumentation, pedal steel and the full nudie suit and Stetson imagery of country music.» À ce petit jeu, le Romano est plutôt bon. Bizarrement, Come Cry With Me fait un carton en Hollande. S’ensuivent deux albums sur New West, 11 Great Mosey Originals et If I’ve Only One Time Askin’, puis c’est l’excellent Mosey, toujours sur New West, dont on a dit dans le Part One tout le plus grand bien qu’il fallait en penser, avec un son, nous dit Morten, qui rappelle «Dylan’s mid-60s mutant R&B and Lee Hazlewood desert noir.» Et ça continue avec Modern Pressure - Blonde On Blonde-era electric Dylan remains a touchstone, but there are bright indie pop moves and diversions into sitar-flecked psychedelia - Et Morten de s’extasier : «He plays and sings every note.» Quand un mec comme Morten écrit every note, ça veut bien dire ce que ça veut dire. Dans le Part One, on n’en finissait plus de crier au loup avec Mosey et Modern Pressure - Ce petit veinard  a tout : la voix, la liberté, l’horizon, l’underground - Ces deux albums qu’il faut bien qualifier de mirobolants illustrent la facette dylanesque de son œuvre. Morten ajoute que «Mosey and Modern Pressure had been recommanded by music friends of redoutable taste.» Et dans sa lancée, il te claque ça : «It wasn’t until 2020 that I fell for Romano’s music. And boy, did I fall hard.» Il en rajoute une dernière caisse : «Le fait qu’il ait mis son nom sur 9 albums cette année-là didn’t hurt.» Ça ne l’a pas choqué. Ça n’a choqué personne, seulement ton porte-monnaie. 

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             Morten cite à la suite deux albums Bandcamp, Nerveless et Human Touch. Le Romano est tellement obsédé par l’indépendance qu’il vend lui-même ses disks sur son Bandcamp. Et une fois la tournée terminée, les disks disparaissent du Bandcamp. Ils vont paraît-il sortir en tant que Volumes 1 et 2 dans la fameuse collection Archive Series. Puis c’est Finally Free que Morten compare à de l’Incredible String Band et à Leonard Cohen.

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             C’est en 2019 que le Romano monte l’Outift avec Juliana Riolini, David Nardi et Roddy Rosetti. C’est aussi une avalanche d’albums non officiels, Okay Wow, Super Pollen, et le digital-only Content To Point The Way. Et une semaine plus tard, Forever’s Love Fool. Deux semaines plus tard sort Spider Bite - Come on, keep up, fait Morten, hilare - un album «more hardcore punk thrills.» Et puis voilà Dandelion - for this writer the most consumate solo Daniel outing so far - possibly ever - Il cite les Beatles, les Zombies et les Kinks - It’s the perfect entry point for anyone who’s still reading this without knowing what’s going on - Et le Romano d’exulter : «1968 was the greatest year for music.» Et il cite «those two perfect Incredible Band records, oh man.»

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             Dandelion forme avec Mosey et Modern Pressure la triplette de Belleville Romanienne. Dandelion sonne comme un album de John  Lennon. Eh oui, Romano peut sonner comme John Lennon et rester original, comme le montre «If You Don’t Or If You Do». On sent chez lui une terrifiante facilité. Il sait tout et il peut tout. Lennon encore avec «Novus». Il sait rester délicieusement suave, avec derrière lui des délicatesses de poux divins. Ça gratouille dans la lumière du paradis. Avec «Plum Forever», il bascule en pleine psychedelia de la Beatlemania, cette psychedelia de questions/ Don’t ask me any questions, il s’y fond merveilleusement, everything’s turning over my love, c’est miraculeux de beauté purpurine, Plum, the new grass is grown. En B, il illumine à nouveau la terre avec «She’s In A Folded Wing (But Flying)», avec un son psyché softy de Beatlemania d’aile pliée. Il n’en finit plus de fourbir une pop admirablement fagotée. Suite de ce fantastique élan pop avec «Ain’t That Enough For You». C’est du forever, à chaque tentative.

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             Content To Point The Way est un album plus country. Cette fois, il se rapproche des Sadies. «Bits & Pieces» est une belle country raffinée qui colle bien au papier. Si t’aimes bien la country, t’es gâté. Mais pas de surprise. Tu ne rentres pas dedans, même si «I’m So Lost Without You» est une pure merveille de délicatesse.

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             Back to the Beatlemania avec Visions Of The Higher Dream. Trois cuts font vraiment illusion : «Lilac About Thy Crown», «Boy In A Crow-Skin Cape» et «At Times The Fools Sing Freely». Tu crois entendre chanter John Lennon. Même timbre, même imaginaire, même sens mélodique, même classe. C’est l’album lennonien par excellence. Fabuleux hommage. Le Romano recrée l’enchantement vocal d’«Across The Universe». «Girl In A Bath Full Of Tears» pourrait aussi se trouver sur le White Album, c’est dire le niveau de raffinement. Même chose pour «Nobody Sees A Lowered Face», t’es en plein White, avec les accords de «Pinball Wizard» en fin de cut. Tiens puisqu’on parle des Who, voilà «Where May I Take My Rest», en plein claqué de Ricken, en plein dans le delicatessen Whoish. Il chante encore son morceau titre à la glotte vainqueuse. Quel merveilleux caméléon ! Il ramène de la country dans la Beatlemania. Le Romano est surprenant d’exemplarité, c’est le roi de la surenchère du surnuméraire.

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             Sur How Ill Thy World Is Ordered, «all five membres are on blistering form.» L’Outfit explose. Morten parle d’un «set of songs that remains one of the most cohesive in the Romano catalogue.» Morten ajoute encore que Romano y sonne comme «Dark Horse-era George Harrison.» Il détecte aussi des échos de Bowie et des Who. Alors tu l’écoutes. T’es aussitôt bluffé par «A Rat Without A Tale». Le Romano est un enchanteur, il touille une heavy pop de rêve et t’as du killer solo à gogo. David Nardi te sonne les cloches alors que résonne une clameur fondamentale. T’es vraiment obligé de choisir tes mots. Et ça continue avec «How Ill Thy World Is Ordered». Le Romano te chante ça au petit sucre de dents de lapin. Ça reste puissant et saturé d’un son qui te laisse coi. Voilà l’heavy pop de «First Yoke» saluée aux trompettes de Jericho. C’est encore une fois plein comme un œuf. T’a ce mélange étourdissant de petit sucre pincé et de rafales de cuivres. Avec ceux des Lemon Twigs, les albums du Romano sont des preuves que tout va pour le mieux dans le monde du rock. C’est un véritable camouflet adressé aux rabat-joie. Le rock ne s’est jamais aussi bien porté. Le Romano fait de la psychedelia anglaise avec «Drugged Vinegar». Te voilà au cœur d’une magie chaude de chemises à fleurs, et toujours puissamment orchestrée. Et t’as ce «No More Disheartened By The Dawn» qui explose de grandeur de no more. Il a cette puissance de feu pop qui fait la différence avec les mange-ta-yande à la mode. Pourquoi ? Parce qu’il écoute les bons disks, comme les Lemon Twigs : Beatles, Byrds, Brian Wilson. T’as aucun équivalent du Romano, aujourd’hui. Il remplit ses albums de pop et navigue systématiquement au niveau de ses modèles : Dylan, les Beatles, les Who. C’est un puriste.

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             Lorsque Morten dit attendre son bundle How Ill Thy World Is Ordered/T-shirt qui arrive par la poste, voilà que sort sur Bandcamp White Flag, suivi d’un book of love poems. Morten est stupéfait par cette productivité et la qualité de cette productivité. Il compare le Romano à Guided By Voices et aux Oh Sees qui ont eux aussi leurs propres labels.

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             Forever Love S Fool est l’Archives Volume 5. Bon, alors, c’est un album très spécial qui se joue en 45 tours. Deux cuts de 10 minutes, un par face. Du prog, avec des accents lennoniens dans le chant. T’es pas très content de ton achat.

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             Puis le Romano s’acoquine avec la photographe Carson McHone, une petite gonzesse d’Austin. Sort le Live Fully Plugged In. C’est l’album Whoish. Le prodigieux caméléon a encore frappé. T’as les harmonies vocales des Who sur «God’s Children», c’est sidérant ! T’as même le gratté de Ricken ! Grosse attaque Whoish encore sur «Anyone’s Arms». Il ramène tout le swagger anglais dans son son. Il a percé le secret des Who : fondu d’harmonies vocales et power chords. Il ramène encore de la clairette exacerbée dans «First Yoke». Ça sent bon les Who ! Même chose avec «All The Reaching Trims», véritable festival d’accords Whoish. C’est Juliana Riolono qui ouvre le balda avec «Rhythmic Blood». Elle attaque de front, bientôt rejointe par ce glamster patenté qu’est le Romano. On sent bien les surdoués. La B est encore assez explosive. «She Was The World To Me» est extrêmement statique, et pourtant tonitruant. Ils laissent tomber les Who pour aller sur un son plus country et puis voilà l’infernal «A Rat Without A Tale», transpercé en plein cœur par un killer solo flash de David Nardi, véritable giclée d’inespérette d’espolette. Ils terminent avec «The Pride Of Queens», un puissant balladif de rêve. Te voilà encore une fois avec un big album dans les pattes.

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             Puis c’est Cobra Poems, ovationné dans le Part One, très branché sur les Stones et les Faces. On n’en finirait pas et c’est tant mieux.

    Signé : Cazengler, romanichel

    Daniel Romano. Dandelion. Archives Volume 6. You’ve Changed Records 2020

    Daniel Romano’s Outfit. Content To Point The Way. Archives Volume 4. You’ve Changed Records 2020

    Daniel Romano. Visions Of The Higher Dream. Archives Volume 3. Not On Label 2020

    Daniel Romano’s Outfit. How Ill Thy World Is Ordered. You’ve Changed Records 2020

    Daniel Romano’s Outfit. Fully Plugged In. You’ve Changed Records 2021

    Daniel Romano’s Outfit. La Luna. You’ve Changed Records 2022

    Daniel Romano. Forever Love S Fool. Archives Volume 5. You’ve Changed Records 2023

    Daniel Romano’s Outfit . Too Hot To Sleep. You’ve Changed Records 2024

    Andy Morten : The boy who could. Shindig! # 149 - March 2024

     

     

    Inside the goldmine

    - Baby you can Swervedrive my car

             Dans le civil, Serge Driver était (ou avait été) chauffeur. Mais pas chauffeur de bus. Chauffeur de gang. C’est lui qui garait la bagnole devant l’entrée de la banque et qui attendait les autres en laissant tourner le moteur. Il était encore miraculeusement en vie. Plutôt sec, assez grand, aux alentours de la cinquantaine, le cheveu encore noir et lustré, Serge Driver était toujours sur son trente-et-un, en costard noir, avec une chemise blanche, col ouvert. Il n’avait rien perdu de son élégance de voyou. Il traînait au bar jusqu’à la fermeture, buvait des cognacs mais ne montrait jamais aucun signe d’ébriété. Comme le patron tolérait la clope, il fumait. Dire qu’il était criblé de balles serait un euphémisme. Ses mains et son visage portaient pas mal de cicatrices. Elles lui servaient de fil conducteur lorsqu’il racontait sa vie au bar.

             — Tu vois ce trou dans la joue ? Et là sous le menton ? La balle est ressortie par là. C’était à Montpellier en 1971. Crédit machin, me souviens plus trop du nom de cette putain d’agence. Les condés nous ont arrosés comme des malades, on est tous repartis avec du plomb dans l’aile.

             Il avala une gorgée de cognac et posa le doigt sur un autre trou, cette fois dans la tempe.

             — Dans les films, tu vois les mecs se tirer une balle dans la tempe pour se fumer. C’est un truc de baltringue ! Le pruneau est entré par là et on sait pas où il est passé !

             — T’as pas mal au crâne ? 

             — Jamais. Gégé le glaçon s’est bien foutu de ma gueule : il a dit que ça m’avait foutu du plomb dans la cervelle.

             Puis il déboutonna sa chemise. On aurait dit qu’il avait été fusillé par un peloton d’exécution. Il commenta les trous un par un, telle date, tel endroit, untel sur le carreau, tant de condés fumés, le montant du butin. Puis il défit sa ceinture et baissa son pantalon. Pareil, il avait les cuisses couvertes de trous de balles. Il les commenta un par un. Serge Driver était une vraie encyclopédie du grand banditisme. Puis il finit par baisser son calbut, se retourna et se baissa :

             — Vous voyez ce trou de balle ? C’est le seul que les condés m’ont pas fait.

             Il lâcha un pet énorme et éclata d’un rire hystérique. Cette vulgarité jeta un froid. Nous quittâmes le bar profondément déçus. 

     

             Pendant que Serge Driver défraye la chronique dans un bar, Swervedriver la défraye dans l’histoire du rock anglais. Chacun son truc.

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             Dans l’histoire du rock anglais, les Swervedriver ont toujours occupé une place à part. Ils sont assez incatalogables, ce qui les rend éminemment sympathiques. Des tas de gens ont essayé de les faire entrer dans un bocal, rien à faire : trop gros, trop indomptables. Qualifions-les de fonceurs dans le tas, d’archanges du sonic trash, d’amateurs de tempêtes éclairées, d’exploitants de tourmentes. Ils font partie comme les Boo Radleys, Primal Scream et Oasis des groupes chouchoutés par Creation, à l’époque de son âge d’or.

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             Le premier album de Swervedriver, c’est Raise. Il n’est pas arrivé dans les bacs, non, pas du tout, il nous est tombé dessus. Ces quatre petits mecs sont les héritiers directs de Totor. Leur religion : the Wall of Sound. Raise est bourré à craquer de Wall, dès «Sci-fi Flyer», c’est même du Wall in the face, du napalm de sonic trash, et Adam Franklin pose son chant malovélant sur un son en mouvement, une espèce de floraison délirante. Leur groove a pour particularité d’aller très mal, de ne pas marcher droit, comme s’il était torché. On reprochait à l’époque aux Swerve  d’être trop shoegaze, de s’ennuyer en jouant. Mais quand t’écoutes «Son Of A Mustang Ford», tu comprends tout, car voilà un hit frit dans l’énergie, jeté dans le mur, c’est une fabuleuse dégelée d’échevelée, grattée à outrance, c’est aussi une vraie machine à remonter le temps, te voilà bombardé en 1990, soit trente ans en arrière, la Ford Mustang a marqué son époque, ils ont hissé leur paradigme avec la Ford Mustang, ils te jettent ça dans le sonic fog, les grattes s’entremêlent, et ça se vautre dans la bouillasse avec un killer solo trash à l’agonie. Retour au Wall avec «Rave Down», un Rave éclairé par le haut, presque mélodique, les grattes bâtissent, les dynamiques purulentes pullulent dans le beurre du diable, c’est un mic-mac épouvantable. Du Wall encore avec «Soundblasted» le bien nommé. Après une intro trompeuse, un déluge de Swerve arrive par la bande, mais il s’agit d’ailleurs d’un déluge embourbé. S’il fallait qualifier les Swerve d’un seul mot, ce serait ‘embourbé’. Les embardées embourbées, c’est ça, exactement. Pour finir, ils s’en vont mourir en mer étale.

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             Mezcal Head paraît trois ans plus tard. Pas de littérature ni de photos, juste un visuel et de la musique. Retour direct au Wall avec «Duel», épicé d’un soupçon de mélodie et lesté d’une grosse descente au barbu, le ciel s’affaisse sur la terre, you can’t ask why, on assiste à des chassés-croisés obliques entre les deux grattes émérites, ça grouille d’idées soniques et de grandeur, et c’est merveilleusement relancé. Tout est bien étalé sur la tartine, t’as là son très anglais, très dynamique, un son à part, très Swerve. On croise plus loin l’excellent «Last Train To Satansville». Attention, ce n’est pas Clarksville. Les Swerve font des embardées sous un certain boisseau et ça vire hypno avec un fat bass sound. Chaque cut a sa propre identité. Avec «Harris & Maggie», ils reviennent à la formule magique d’air hagard et de bouche béante, ils courtisent la clameur du néant. L’«A Change Is Gonna Come» n’est pas celui de Sam Cooke, ils optent pour une purée de wah furibarde et la calment aussi sec à la sortie du solo. Nouveau coup de Jarnac avec «Duress» : une wah en disto lui bouffe le foie. Spectacle atroce, languide, glauquissime, avec des remous dans les eaux troubles. Et puis Adam Franklin arrive avec sa voix tortueuse, il traîne pas mal dans la longueur. Duress est un beau cut dévoré vivant par des cannibales. En fait, les cuts sont longs. Les Swerve sont chronophages. Ils ne te bouffent pas le foie mais le temps dont tu disposes, ce qui est pire.

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             Ejector Seat Reservation est leur dernier album sur Creation. Sans doute le meilleur des trois. Ejector grouille littéralement de coups de génie, à commencer par «Bring Me The Head Of The Fortune Teller». Ah comme ils sont bons ! Ils tartinent leur big heavy psychedelia à la barbe de Dieu. Ils se montrent stupéfiants de verdeur, ils maîtrisent l’art des gros développements organiques, ça joue énormément. Le bassmatic avale très vite «The Other Jesus». Les Swerve ont un son unique, un sens du groove underground qui fait d’eux des géants. Les solos roulent comme des ouragans. Après le «Son Of A Mustang Ford», ils ramènent un «Son Of Jaguar E» plus poppy et bien arrosé. Le killer flasher est un fou, il traverse sans regarder. Et boom ! Voilà «I Am Superman», les Swerve y vont la plume au vent, rien ne peut les arrêter, Adam Franklin chante «Bubbling Up» au crevé de bouche ouverte, dans un oasis à sec, au fond d’un underground oublié de tous, et soudain, tout explose avec le morceau titre, le pur heavy rock des Swerve, just perfect, le bon poids, le bon aloi, l’excellence des British rockers avec des syllabes jetées et des accords de cuir noir, ça joue dans la mine d’or, ils tapent dans le même son que Grand Mal, même sens aigu du boogie pourri, des relances avariées, et de la nonchalance d’overdose. Dans ces années -là, les deux groupes qui cultivaient les Fleurs du Mal étaient Grand Mal et les Swerve, ils savaient s’allonger dans une fosse commune et continuer de faire de l’art, ils savaient ramper dans les ossements et se comporter comme des rock stars. La clameur qu’on entend ici est supra-sensorielle. Et ça continue avec «How Does It Feel To Look Like Candy». Somptueux ! Les Swerve arrosent le Candy de dégelées. Par l’éclat de leurs idées, ils se rapprochent des Mary Chain. Puis ils terminent avec «The Bird», une mad psyché de power pur, explosive, très Bandwagonesque.  

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             Puis les Swerve vont plonger dans le limbo des labels incertains. En 1997 paraît 99th Dream sur Zero Hour, un label qui porte bien son nom. Les Swerve relèvent bien le défi avec le morceau titre d’ouverture de bal, une symphonie de disto, une envergure sonique digne de Gustav Malher, ils proposent tout simplement une fantastique élévation du domaine de la psychedelia. Ils s’y prennent toujours de la même façon, avec un sens aigu de l’empathie transversale, ça bouillonne, c’est chaud et c’est doux, ça culmine dans les clameurs. Plus loin, tu vas tomber sur «These Times». Adam Franklin se prend pour Liam Gallagher, sauf que les grattes sont du Swerve pur. Superbe Beautiful Song coulée dans un Wall of Sound, une merveille de contre-collage de son et de poux. On reste dans l’extrêmement Beautiful avec «Electric 77». Même dans leur delta du Mekong, il se produit des événements extraordinaires. Ces mecs te drivent le Swerve avec une autorité qui tranche - Show me the way away - Les accents penchent et fascinent. Les montées en température sont leur fonds de commerce. S’ensuit un brillantissime «Stellar Caprice», puis ils te déversent sur le crâne un seau plein d’heavy pop-rock, «Wrong Treats», une heavy pop-rock bardée de poux, ça gratte dans tous les coins, ça explose en bouquets faramineux, tu as là tout le son du monde. Avec les Swerve, tu passes des soirées extraordinaires. Et la fête continue avec «You’ve Sealed My Fate», bien dense, avec des loops. Cet album est une merveille de port altier. Ils ramènent un brin de weird dans «In My Time» et flirtent avec «Season Of The Witch» sur «Expressway». On ne se lasse pas de cette omelette sonique qui se casse la gueule en permanence. Les Swerve sont les rois de la dégoulinade.   

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             Retour inopiné en 2015 avec cet I Wasn’t Born To Lose You qui pourrait bien être leur meilleur album. Tu aimes le Wall ? Alors écoute «Autodicact», mais au casque, de préférence, pour bien en profiter. Cette pop est tellement gorgée de son ! Les Swerve te gavent de l’un des meilleurs sons d’Angleterre. Adam Franklin et Jimmy Hartridge se répartissent les channels, ça joue à la démesure, ils te saturent tout d’excellence. S’ensuit un «Last Rites» plus dans l’esprit du wild Mezcal. Ils n’ont rien perdu de leur primal power, ça balance toujours dans des horizons embrasés, avec une stupéfiante vitesse de la prestance accorte. Encore plus infectueux et gratté aux deux grattes, voici «For A Day Like Tomorrow». Infernal ! Ils bourrent leur box de son et le chant s’y pose comme un papillon exotique d’une grande rareté. Sur cet album tombé encore une fois du ciel, tout est énorme, ils créent leur bulle de sonic trash et restent inexorablement inventifs. «For A Day Like Tomorrow» grelotte de son. Les Swerve savent monter une température en neige, comme le montre «Everso». Quelle belle tension harmonique ! C’est dingue ce qu’on peut raffoler de ce son. Les Swerve aiment à exploser en plein ciel, c’est leur péché mignon. On y entend de jolis éclats de Teenage Fanclub, de jolis éclairs de Tanahauser à l’épaule d’Orion, avec des accords en suspension. On croit qu’ils vont se calmer. Fatale erreur. «English Subtitles» explose sous ton nez. So very British, carillonné aux harmonies vocales, ils font les Byrds à l’Anglaise, ils montent encore plus haut que les Fannies. Puis ils tapent «Red Queen Arms Race» à la vilaine sature de Saturne. Ils passent en mode ‘mouvements limités’, la disto craque, c’est bon signe, la bête vit encore, les grattes des Swerve dévorent tout. Ils ne vivent que pour la saturation. Chez les Swerve, tout valdingue dans la carlingue. Ils ne sortiront jamais de leur tempête de sable. Dans «Lone Star», le chant d’Adam Franklin est comme assailli par des vagues de notes acides. Tu as toujours une gratte qui brame comme un éléphant de combat, ça balance en permanence entre la pop et Salammbô. Pour finir cet album qu’il faut bien qualifier de faramineux, voilà «I Wonder» qui bascule dans l’ignominie Swervy, une merveilleuse ignominie, une destruction de ta cervelle, neurone après neurone, ces mecs vont te grignoter et se régaler de ta chair frelatée, tu en suffoques d’extase, tout éclate en rosaces de la solace, c’est un incroyable power rosicrucien, ça se dissémine en rayons luminescents, les harmonies vocales se fondent dans l’effroyable poussière rougeâtre d’un crépuscule des dieux. En Angleterre, les Swerve sont certainement les seuls à cultiver cet art de la démesure viscontienne. Tu ne sors pas indemne de cette écoute. Si tu ne craignais pas d’abuser, tu dirais que tu vibres pour l’éternité.

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             Et voilà le petit dernier : Future Ruins. On y trouve un clin d’œil au Velvet : «Spilked Flower». Ça traînasse dans l’ancien beat purulent, you hit me with a spilked flower. L’énergie du beat est bien celle du Velvet, aucun doute là-dessus. Sur les autres cuts, ils reviennent à leur formule : la nappe de son qui se répand sur la surface de la terre. Rien de nouveau sous le soleil des Swerve. Toujours un peu le même déroulé, mais c’est un bon déroulé. Ils passent en mode tortue avec «Theeascending» et l’achèvent en apothéose. On retrouve l’heavy Swerve dans «Drone Lover», avec tout le poids des accords et le chant invertébré. Ils percutent leurs électrons dans la machine à vapeur. Et puis à un moment, on se pose des questions. «Everybody’s Going Somewhere & No One’s Going Anywhere : panne d’inspi ? Pause pipi ? Pause du peuple ? Plan pipo ? Heureusement, «Golden Remedy» vole à leur secours, miel épais, bien heavy, tentaculaire. Leurs connexions larvaires sont des merveilles. Si tu cherches l’exotisme sonique, c’est là. Encore un bel étendard avec «Good Times Are So Hard To Follow», ils te claquent ça bien au vent, ils ressortent leur vieux mic mac d’accords flottants, des grattes entrecroisées et ce chant qui se prélasse dans la mélasse comme un roi fainéant. Perdition assurée et magnifiée. Le «Radio Silent» de fin coule dans les abysses avec ses palmes, comme Enzo dans Le Grand Bleu

    Signé : Cazengler, Suaire d’hiver

    Swervedriver. Raise. Creation Records 1986

    Swervedriver. Mezcal Head. Creation Records 1993

    Swervedriver. Ejector Seat Reservation. Creation Records 1995  

    Swervedriver. 99th Dream. Zero Hour 1997

    Swervedriver. I Wasn’t Born To Lose You. Cobraside Distribution Inc. 2015

    Swervedriver. Future Ruins. Rock Action Records 2018

     

     

    L’eau rance de Laurence

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             Pour dire les choses franchement, le rapatriement du book dont on va parler ici est dû à une petite confusion : on feuilletait l’autre jour l’un de ces beaux mensuels rock publiés en Angleterre et, dans les pages «books», on est tombé sur la kro d’Hunky Dory (Who Knew?). Laurence Myers ? Ahhhh oui ! Alors on a fait, comme le font tous les gros cons qui se prennent pour des connaisseurs : «Tiens donc ! Le voilà enfin ! Le sbire du Loog ! L’homme de l’ombre ! Le second couteau d’Immediate !». Évidemment, on confondait avec Tony Calder. C’est en feuilletant le cahier central de photos qu’on a subitement réalisé que Laurence Myers n’était pas Tony Calder. Ce sont des choses qui arrivent, surtout aux gros cons.

     

             L’idée première était bien sûr d’en apprendre davantage sur l’un des grands chouchous d’ici, Andrew Loog Oldham. Raté. À ce stade des opérations, il ne restait plus qu’une seule chose à faire : lire l’usurpateur.

             Gros problème : les a-prioris négatifs s’accumulaient au portillon : couve putassière avec Ziggy et Iggy (qui sont pas Jerry Lee), titre emprunté à un album sacré, Laurence Myers n’est pas joli sur les photos, enfin bref, il y en avait à la pelle. Pour entrer dans ce book, il fallut donc discipliner les troupes et ramener le calme dans les rangs.

             Finalement, la lecture s’est révélée relativement agréable. Dire qu’Hunky Dory (Who Knew?) se lit d’un trait est à peine exagéré. Dans certaines circonstances, il faut savoir se montrer conciliant. Alors on concilie. Car c’est en concilisant qu’on devient conciliseron. Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, une solution s’est imposée au sortir de cette lecture en forme de conciliabule : on a tracé un trait vertical, pour mettre d’un côté les avantages et de l’autre les inconvénients, comme on le fait dans la vie courante, lorsqu’il faut prendre une décision importante.

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             Avant d’attaquer le gros tas des avantages, il est utile de rappeler que Laurence Myers est un comptable. Il tient les livres de comptes du rock. On le paye pour ça. Recettes/Dépenses/Taxes/Rétributions. Donc l’argent est au cœur de sa vie. Et comme il grenouille en plein Swinging London, il rencontre tous les grands tireurs de ficelles : Mickie Most, Don Arden, Peter Grant, Allen Klein, Andrew Loog Oldham et Tony Defries. Avec lui, on entre dans l’antichambre des magouilles du rock. Et dans certaines pages, il va même se montrer très technique, plus encore que Klein dans le book que lui consacre Fred Goodman (Allen Klein. The Man Who Bailed Out The Beatles, Made The Stones And Transformed Rock & Roll).

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             C’est avec Mickie Most que Myers démarre sa carrière. Most vient tout juste de lancer les Animals avec «House Of The Rising Sun». Most et Myers vont devenir amis et même passer des vacances ensemble. Myers ne rentre pas trop dans les détails. Il indique simplement que Most ouvrit à une époque son propre studio à St John’s Wood et que sa veuve Chris le tient encore aujourd’hui. Par contre, c’est avec le chapitre Don Arden que Myers rafle la mise. Il relate un épisode qui s’est déroulé en 1964 dans le bureau d’Arden. Big Man Arden venait d’organiser une tournée américaine des Animals et devait 6 000 £ au groupe et à leur manager, Mike Jeffery. Comme Jeffery était aux États-Unis à l’époque, il demanda à Mickie Most de voir Arden pour le persuader de payer ce qu’il devait. Myers assiste au meeting en tant que comptable de Most. Un Most qui explique à Myers qu’Arden ne comprend qu’un seul langage : la violence. Aussi, demande-t-il à l’armoire à glace Peter Grant d’assister au meeting pour intervenir en cas de grabuge. Ils se rendent donc tous les trois à Mayfair où se trouve le burlingue de Don Arden. C’est une scène qu’aurait pu filmer Scorsese. Myers nous restitue les dialogues dans leur intégralité. On se croirait dans le bureau de Don Corleone, lors de la première scène du Godfather. Ils sont tous les trois assis face à l’Arden. Quand Myers prend la parole, Arden lui demande qui il est. Alors Myers dit qu’il représente les Animals. Arden fait : «Oh, yeah?». Puis il demande à Most : «Who is this schmuck?». Et Most répond qu’il est le comptable. Alors Arden revient à Myers et lui balance : «Alors, comptable, qu’est-ce que tu veux ?». Sous-entendu ‘comptable de mes deux’. Myers répond comme un comptable : il veut juste le blé qu’Arden doit aux Animals. Arden hausse les sourcils. «Quel blé ?» Alors Myers sort sa petite note de comptable : «6 370 £.» Arden fait : «So?», c’est-à-dire «et alors ?». Myers ne se dégonfle pas, et lui dit qu’il doit payer. Pffff... Arden chiffonne la facture, la jette à la poubelle et tranche : «Fuck off.» Myers insiste. Alors Arden lui dit que s’il ne sort pas immédiatement de son bureau, il va passer par la fenêtre, comme Robert Stigwood. Myers raconte qu’il fut le premier à sortir, que Mickie Most le suivait, explosé de rire, et que Peter Grant est resté dans le bureau pour tout casser, comme c’était prévu. Bien sûr, Don Arden n’a jamais payé ce qu’il devait aux Animals, nous dit le comptable.

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             L’autre grosse poissecaille du book, c’est Allen Klein. Un Klein qui comme Myers démarre comme comptable pour le compte de Don Kirshner, au Brill Building, on the corner of Broadway and 49th Street in Manhattan. Comme le fait Myers en Angleterre, Klein est mandaté par ses clients pour auditer les comptes des record companies. Ils découvrent tous les deux que les record companies ont pour fâcheuse habitude de truquer les comptes, pour ne pas verser toutes les royalties sur les ventes dues aux artistes. Tous les moyens sont bons pour baiser les artistes. C’est Mike Jeffery qui introduit le loup dans la bergerie : il met Klein en contact avec Mickie Most, qui est alors le producteur des Animals, et sans doute le producteur le plus hot d’Angleterre, à cette époque. Klein débarque à Londres, au Grosvenor Hotel et propose un meeting à Most. Bien sûr, Myers l’accompagne au rendez-vous. Il nous fait donc entrer dans la suite qu’occupe Klein, un Klein qui les reçoit en robe de chambre avec une pipe au bec. Il fait venir du thé par le room service et donne un pourboire généreux ce qui, selon Myers, est censé impressionner ses visiteurs, but we were not. Et soudain, Klein balance son hameçon : «Mickie, I can get you a million dollars.» En sortant du rendez-vous, Mickie est écroulé de rire. Il prend même Klein pour un charlot - a bit of a joke - Mais Klein n’est pas un charlot. Pouf, il emmène Most chez EMI pour un rendez-vous. Clive Kelly, le managing director, leur demande s’ils veulent du thé et Klein répond sèchement : «No. We don’t want tea.» Puis il balance ça dans la barbe de Kelly : «Mickie’s not going to make any more records for you.» L’autre en face ne comprend pas : «I beg your pardon?». Alors, Klein répète lentement, et ajoute : «No more records from The Animals or Heman’s Hermits.» Klein audite les comptes et obtient toujours ce qu’il demande. Un million de dollars ? Pas de problème.

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             Klein va ensuite rencontrer Andrew Loog Oldham et gagner la confiance du Jag, puis des Stones, lors d’un rendez-vous à l’Hilton Hotel, on Park Lane. Puis il refait son cirque avec Decca pour re-négocier le contrat des Stones. Il rencontre Sir Edward qui s’inquiète de l’absence d’Eric Easton, le co-manager des Stones, et Klein lui met ça dans la barbe : «Eric ne joue pas dans le groupe. You can speak to me.» Comme chacun sait, Klein va devenir propriétaire des droits américains des Stones : masters & music copyrights. Une fortune. Après les Stones, Klein va avaler les Beatles. Même stratégie d’approche, un rendez-vous dans une suite au Grosvenor, l’hameçon du million de dollars, suivi de la technique de l’anaconda. Le comptable Myers se régale et nous en fait profiter.

             Myers rappelle aussi qu’Andrew Loog Oldham n’avait que 20 ans lorsqu’il approcha Brian Jones pour signer les Stones. En tant que managers, Eric Easton et le Loog prenaient 25 % des revenus du groupe. Le book grouille d’informations de ce genre, toutes d’une précision... comptable.

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             Et puis voilà l’autre grosse poissecaille du book : Tony Defries, et donc Bowie. Myers remonte au fameux séjour new-yorkais du team Bowie/Defries : rencontres avec Lou Reed puis Iggy. Quand Defries rentre à Londres, il dit à Myers qu’il peut manager Warhol, Lou Reed et Iggy. Myers qui est alors associé avec lui le met en garde : attention à ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre (we were taking on more than we could chew). 1972, c’est aussi l’année où Alice Cooper débarque au Rainbow et Bowie affirme qu’il peut faire mieux. Il est alors en train d’enregistrer Hunky Dory. Sur l’album, on peut voir le logo de Gem Productions, qui appartient à Myers. Defries est son associé dans Gem. Et quand Myers voit Defries dépenser le blé de Gem, ça le rend malade - Les dépenses de Defries devenaient incontrôlables. Il insistait pour avoir toujours sur lui beaucoup de cash, afin de pouvoir se montrer généreux envers David et d’autres artistes (c’est-à-dire avec mon argent). Les gens traversaient l’Atlantique en avion aux frais de Gem. On louait des studios et des musiciens aux frais de Gem - La gueule du comptable ! Pire encore : il possède une petite maison à St John’s Wood et la prête à Iggy et à Williamson, pour la durée de leur séjour à Londres. Myers trouve Iggy poli et courtois jusqu’à ce qu’il découvre des traces de brûlure sur la moquette, «where he had made little fires, no doubt to warm spoons for eating soup.» Dans son délire de pingre, il se permet de faire de l’humour. Ah le saligot d’Iggy !

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             Heureusement, Defries se sépare de Myers et monte sa boîte, MainMan. Ouf ! Le comptable Myers s’éponge le front avec son grand mouchoir à carreaux. Defries qui a la folie des grandeurs monte même deux MainMan, MainMan London et MainMan New York. Comme il n’a pas un rond, Myers lui alloue un prêt de 40 000 $. Puis la machine new-yorkaise se met en route et s’emballe, avec Tony Zanetta, Dana Gillespie, la coke, le sexe. En plus du délire dépensier, il y a le sexual merry-go-round. Angie dit que David baisait tout ce qui traînait dans les parages, aussi bien les gonzesses que les mecs. Defries baise Dana puis il épouse Melanie, que lui a présentée Rodney Bigenheimer. Avec le recul, il apparaît finalement que tout ce cirque n’a aucun intérêt. Bowie finira par se débarrasser de Defries. Myers rappelle que Mick Ronson était payé 50 £ par semaine, les Spiders Trevor et Woody n’en touchaient que 30. Par contre, Mick Garson recevait 800 $ par semaine. Mick Ronson ne commencera à gagner du blé que lorsqu’il produira Your Arsenal pour Morrisey. Le portrait que Myers fait de l’aventure MainMan est extrêmement glauque.

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             Voyons maintenant les inconvénients. Ce book est un book de comptable. Un vrai livre de comptes. Et là, franchement, on ne se sent pas très bien en lisant certaines pages. Car elles révèlent une drôle de mentalité. Myers commence par raconter une soirée dans un restau chicos de Londres : ils sont quatre, lui et son épouse, Klein et la sienne. Et le jeu consiste à faire payer l’autre couple. Ce que Myers ne sait pas à l’époque, c’est que Klein n’a pas de blé, pas encore. Alors il déploie des trésors d’ingéniosité pour éviter le moment où le garçon présente la note, par exemple en allant danser avec son épouse à la fin du repas. L’épouse de Myers insiste pour que ce soit Klein qui paye, mais Myers va se faire baiser. On assiste à cette scène qui est un peu le concours des rats. Myers ne se rend même pas compte qu’il salit sa réputation en racontant ce concours de pingrerie. Il en raconte un autre encore pire. Cette fois il est à Cannes pour signer un deal avec un Japonais. Afin de bien ferrer sa prise, il l’invite à prendre le petit déjeuner au Carlton. Le Jap se pointe, et Myers lui énonce les points du contrat. Le Jap dit oui à tout. Mais au moment où Myers demande si le deal est fait, le Jap lui dit qu’il doit d’abord en parler à ses supérieurs - Je me suis rassis et il est parti, me laissant payer the outrageous price of breakfast for two at one of the most expansive hotels in Cannes - Plus loin, il raconte comment il s’est occupé à une époque de Glenn Wheatley, un ex-Masters Apprentice. Dans les années 2000, le pauvre Glenn s’est retrouvé au ballon suite à des démêlés financiers, puis il est venu à Londres et Myers lui a alloué un prêt de 10 000 £ - no paperwork, no payback date, no interest, which he said ‘saved his life - Apparemment, Glenn serait tiré d’affaire, mais, ajoute le comptable, «en dépit de plusieurs relances, il n’a jamais jugé utile de rembourser ce prêt. Disappointing.» Il y a des gens pour lesquels un sou est un sou.

    Signé : Cazengler, le rance

    Laurence Myers. Hunky Dory (Who Knew?). B&B Books 2019

     

     

    Automnales 2024

    (Crack, Juniore, Sin et les autres)

     - Part Two

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             Tu sors du concert d’un groupe qui sort de nulle part : Crack Cloud. Qu’est-ce que tu peux en dire ? Crack Cloud ? Taty cracké ? Taty cloudé ? Taty sorti des clouds ? Tu pourrais broder sur le thème-tarte à la crème du collectif canadien, mais tapatenvie. Non tapatenvie de rabâcher la vieille bouillasse de wiki-monkiki et de véhiculer ce gros tas de clichés qu’on véhicule au babar après le gros con-cert. Tapatenvie de rester au garde-à-vous devant l’idée fixe, tapatenvie d’ânonner l’«ah cétébien» du bon chrétien (tien, pas tin, mais au fond ça revient au même). Tapatenvie de rien du tout, en fait. T’es là avec tes mots à la main, face à l’immensité du champ des possibilités du quendiraton. La grande désolation des discours possibles. À perte de vue. Même ça, tapatenvie.

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             Pour situer les choses, avant que l’oubli ne les avale : sont six sur scène (pas loin du saucisson sec), sont jeunes, sont drivés par un batteur chanteur sculptural (qui s’alimente à la bombonne d’eau), t’en as deux qui grattent des poux et t’en as un qui sort son sax pour frire du free, plus une petite gonzesse là-bas par derrière et un Indien des Indes sur une basse à cornes. Sickh sans turban. Paria. Leur truc, c’est le trip. Ils tripent. Alors tu tripes. Comme t’as grandi à Caen, tu connais bien le trip. C’est bon le trip, avec les petites rondelles de carottes. Et la patate occasionnelle. Miam miam. Tu tripes tellement que tu les perds de vue. Ils vont par là, et toi tu vas par là. C’est un peu le but du trip. Le trip date du temps d’avant le GPS, c’est même fait pour se perdre. C’est en te perdant que tu deviens perdant. Loser. Et que tu fais des découvertes. La perdition est l’un des accès à la révélation. Mais pour le savoir, il faut s’être perdu pour de bon. Donc tu tripes, et tu te paumes. Vague conscience de silhouettes animées devant toi sur la scène, mais tu n’es pas là. Tu penses à tout à rien, tu écris des vers de la prose an attendant le jour qui vient. C’est toujours à cet endroit pas précis qu’Aragon te rejoint. Tu pars. Tu viens. Les applaudissements te ramènent dans la dimension des autres. Mais dès le cut suivant, tu repars en vadrouille. Les petits Crack Cloud n’inventent rien. Peter Hammill et David Jackson sont déjà passés par là, en 1970, avec Van Der Graaf, ils visitaient exactement les mêmes labyrinthes, et tu t’y perdais exactement de la même façon, tu ne les retrouvais qu’en bout de face lorsque le saphir ticitiquait. Outété ? Tétéou ? Là-bas.

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             Zont un album, comme dirait mon ami Damie. Un album planant, Red Mile. Planant par la pochette, pas par la pop impliquée. «Crack Of Life» veut plaire. Vilain défaut. Tu ne sais pas quoi faire de «Crack Of Life». Ça plaît et puis après ? Après t’as «The Medium». Le petit batteur sculptural chante à la dure. Il se croit sur scène. Oh ce n’est pas un défaut. C’est juste qu’il s’y croit. Mais globalement, on ne voit pas bien l’intérêt de tout ça. Pour parler franchement, ça n’en en aucun. T’as même pas le trip sur Red Mile. Ni les carottes. Ni la patate occasionnelle. Leur narratif est un peu déconvenu. «Lack Of Lack» renoue avec le set, car très alambiqué, avec un beau biseau saxé à l’unisson pas du saucisson, cette fois, mais du thème. Ça devient vite volumineux, on sent pointer le Van Der Graaf. Et ça devient un fier album avec «I Am (I Was)». Ils couvrent tous les territoires et développent un sens extraordinaire de la clameur, surtout sur le final. Ils cultivent très bien la porcelaine de sax («Ballad Of Billy») et puis voilà qu’ils referment la marche avec un «Lost On The Red Mile» assez puissant, mélancolique comme une colique, c’est-à-dire que ça coule tout seul, mais avec un petit air de revienzy. Et tu retrouves le solo du Sikh qui t’impressionnait tant sur scène.

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             Ce sont les Anglais qui ont commencé à s’emballer pour the French trio Juniore. Piers Martin les qualifie même de chic Parisian retro-rockers. Dans l’interview, Anna Jean dit qu’au départ le trio était mauvais - we were bad. We sounded like the Shaggs - Et Martin qui n’est pas un âne sort sa belle formule pour situer les parisiennes : «Juniore’s smouldering blend of surf rock, blues, ‘60s chanson and nouvelle vague ennui.» Puis il poivre sa soupe de subtiles références : Françoise Hardy, Nico, Mazzy Star, sauf que le son de Juniore n’a RIEN à voir ni avec Nico ni avec Mazzy Star. Anna Jean préfère employer la formule «yéyé noir», ce qui sonne plus juste. Elle dit s’intéresser à la mélancolie des sixties, c’est pourquoi on entend des échos de Gainsbourg dans leur son. Et paf, Martin qui n’est pas un âne indique qu’Anna est la fille du prix Nobel JMG Le Clezio. Et quand on évoque avec elle la chose après le concert, Anna dit que «c’est pas un secret de polichinelle», ce qui est une vraie réplique de fille d’écrivain. Et elle redit son admiration pour Françoise Hardy et la façon dont elle exprime sa tristesse dans ses chansons. Martin qui n’est pas un âne insiste sur le côté bittersweet du son d’Anna, mais elle préfère parler de «joyful apocalypse» et de «dark lyrics that you can dance to.»  

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             C’est exactement ce qui se passe sur scène. Après une demi-heure d’ennui profond, de total bore de bourre de mou, Anna Jean et ses trois complices déclenchent cette parfaite «joyful apocalypse». Et ça marche ! Au-delà de toutes les espérances du Cap de Bonne Espérance. T’en reviens pas du tout, surtout de la batteuse ! Elle bat son beurre là-bas au fond, avec une persistance et un power qui te laissent bien baba, elle bat avec un sens aigu du bahboum bahboum, c’est une vraie loco de powerhouse et elle n’en finit plus de s’abandonner, ses cheveux volent tellement qu’elle vole le show. Elle bat un beurre à la fois heavy et délié, elle te surprend à la sortie du virage et puis ces cheveux qui volent en permanence disent bien ce que ça veut dire. Elle amène de la Méricourt dans le yéyé noir, elle fabule les falbalas, elle démonte les réticules et elle dilate les renoncules, elle débraye le beat pour mieux féconder l’up-tempo, elle décaisse sa casse et roule sa poule avec des ramages raffinés qu’elle translate en rase-motte, elle bim-bam-boume ses deux toms bass et fait l’hurricane de blonde bomb shell, et puis, entre les deux eaux, Anna nous dit qu’elle s’appelle Swanny. Sois nique ta lope, soit bonne et bat, sois ni figue ni raisin, sois Swanny, eh oui, t’en as pas deux comme elle, et franchement, t’es bien content de voir jouer une batteuse de cet acabit, my dear Achab. Elle arrache Juniore à l’ennui qui commençait à engloutir le set, elle tire le groupe vers la surface, alors qu’il s’enfonçait dans les sables mouvants d’une pop mormoilleuse à la mode. Ah les trois autres lui doivent une fière chandelle. Les dynamiques explosives de «Panique», de «Magnifique», et d’«Ah Bah d’Accord», c’est Swanny, le big bah-boom de «Monumental» et du «Sauvage» final, c’est elle. Swanny ny-ny-neat !, comme diraient le Damned.

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             On retrouve «Monumental» et «Sauvage» sur leur dernier album, Trois Deux Un. C’est vrai que ce «Monumental» bien speedé du popotin sonne comme un hit de set. Elles n’inventent rien, juste du beat à l’air. Elles ne s’en sortent qu’avec les cuts musclés, comme «Sauvage». Dès que ça bombarde au beat à l’air, ça tient debout. Sinon, aucun espoir. Tu sauves encore «Déjà Vu», monté sur le bassmatic boing boing de Melody Nelson. Mais partout ailleurs, le chant est plombé. Paroles incompréhensibles. Volonté artistique ? T’as toute une série de cuts qui plantent les uns après les autres : «Amour Fou», «Grand Voyageur», «Méditerranée» et «En Fumée». C’est une hécatombe.

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             Deux ou trois bricoles intéressantes sur Un Deux Trois. À commencer par le petit stomp de «Grave». On les voit chercher les voies impénétrables de la pop, mais on ne comprend pas bien les paroles, car la prod est plombée. «Drôle d’Histoire» est encore plombé par la basse : elle dévore le son et couvre le chant. Le mix a la main lourde sur les fréquences basses. Le mixeur voulait une basse à la Melody Nelson, mais c’est pas bien maîtrisé. Du coup les cuts ne sont pas si bons. Encore du buzz pour des prunes. La voix ne sort pas non plus sur «La Vérité Nue». Mix pourri. Puis ça devient énorme avec «Bizarre» - J’me sens bizarre/ Bizarre bizarre - bien psyché dans l’intention. Dans «Tu Mens», elle lui dit : «Tu mens comme tu respires.» Et puis on tombe inopinément sur un sacré coup de génie pop : «Ah Bah d’Accord», un vieux stomp d’electro, ah bah oui ça fait danser le popotin et ça sonne comme un hit de juke, avec un solo d’orgue en intraveineuse. Ah bah d’accord ! Le bassmatic harassant joue bien le jeu.

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             Dans Shindig!, Anna cite les dix chansons qui ont influencé Trois Deux Un. À commencer par quatre Françaises, Françoise Hardy, of course, avec «Comme Tant d’Autres» («She’s the queen of yé-yé chanteuses» et elle prétend qu’elle n’est qu’une fille ordinaire alors qu’elle est une icône), puis Marie Laforêt avec «Mon Amour Mon Ami» («A Californian vibe with its 12-strings guitar, loud organ and cool tempo» et ce qui intéresse Anna, c’est cette «fashion of being light and dark at the same time.») T’as aussi Stone avec «Buffalo Bill» (compo de Gainsbarre) et Stella avec «Si Vous Connaissiez etc., etc., etc.» Encore une compo de Gainsbarre pour Marianne Faithfull («Hier Ou Demain»). Elle cite aussi les B-52’s comme «our favourite band of all times» et Planet Claire comme l’une de leurs «biggest inspirations». Elle parle encore de riffs «immensely catchy and impossible not to dance to.» Elle traite aussi Los Saicos de «best garage band». Elle passe aux choses sérieuses avec les Coasters et «Three Cool Cats», «one of our absolute favourites». Elle dit tenter de retrouver ce «smooth rock vibe» et de le dépasser. T’as encore du boulot. Et puis la cerise sur le gâtö, c’est Al Green avec «For The Good Times» - An endless source of inspiration, for the crisp drums and the smooth chords and luscious atmosphere - Eh oui, merci à Willie Mitchell, merci à Howard Grimes et aux frères Hodges - Nothing is as cool as an Al Green song, and nothing ever sounds quite like one - On est bien d’accord.

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             On se méfiait de tous ces groupes que Gabe Roth avait rassemblés sur Penrose Showcase Vol. 1. Il lançait alors son nouveau label de Soul, Penrose et, à l’écoute de cette belle galette chicos,  nous constatâmes avec effroi que dans son élan, le Gabe avait perdu les deux mamelles qui avaient fait la grandeur de Daptone, le funk et le raw r’n’b. Il optait désormais pour la Soul de charme. On a donc vu défiler les nouveaux poulains du Gabe, Thee Sacred Souls (Soul de charme qui colle bien au papier), Los Yesterdays (idéal pour le bar de la plage, à l’heure de l’apéro, avec les grosses coquines de service), le plus intéressant était sans doute Jason Joshua avec son parfum reggae très toxique. The Altons semblaient honteusement irréprochables, le mec poussait des petites pointes comme Aaron Neville, pas de problème, tu ne te faisais pas de souci pour son avenir. En B, Thee Sinseers tapaient l’heavy Soul de nuits chaudes de Spanish Harlem. En fait tous ces groupes avaient le même son et allaient exactement dans le même sens. Ce qui au sortir de l’écoute, nous laissa quelque peu circonspect. Beau, certes, mais affreusement mou du genou. On venait de se faire niquer en beauté avec les Black Pumas, on était donc devenu extrêmement méfiant.

             Et voilà que deux des groupes Penrosés, Thee Sinseers et The Altons, déboulent en Normandie dans le cadre d’une belle affiche : The Super Soul Revue. Thee Sinseers sont passés entre temps sur Colemine, car il semble que Penrose ait planté, ce qui n’a rien de surprenant. En première partie de la Super Soul Revue, tu retrouves Sugarmen 3, les rois de l’instro Soul jazz new-yorkais. T’as testé jadis un album et c’est bon, pas la peine d’insister. Patacam/patacam. T’as failli overdoser avec les albums du James Taylor Quartet, alors pas la peine d’insister.

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             T’espères sans trop y croire que les Altons vont chauffer la salle. Ils sont deux au chant : une blackette nommée Adriana Flores, et un chicano nommé Bryan Ponce qui gratte une Tele rouge. C’est lui l’Aaron Neville de la compile Penrose. Le mec est assez brillant, comme l’indique son prénom, il va chercher la finesse extrême du mou du genou et il fait sombrer la salle dans la torpeur. À côté de lui, Adriana Flores cherche à danser un peu, mais c’est impossible. Car ils tapent la pire Soul de charme qui ait jamais existé depuis l’âge d’or de la Philly Soul. Sur scène, c’est l’enfer. Rien ne groove. Ton corps se bloque et ta cervelle baigne dans un jus d’ennui carabiné. Flic floc. Tu passes ton temps à te demander ce que tu fous là. Et pourtant, tu te dis que ces mecs-là ont traversé l’Atlantique pour conquérir ta pauvre petite Asie Minable, alors on espère encore un miracle. Derrière, ils ont une batteuse blonde et à droite, t’as un gros chicano qui gratte des poux d’une délicatesse extrême, voire extrémiste.

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             Le gros chicano s’appelle Joey Quiñones. Il est en fait le chanteur des Sinseers qui déboulent sur scène en troisième partie, avec une section de cuivres complète, un batteur moustachu et un petit guitariste sec et dévoué. Et pour compléter cette fière équipe, on retrouve bien sûr Adriana Flores et le brillant Bryan Ponce aux chœurs sur la droite. Pendant une heure, tu vas te demander si le gros Joey Quiñones sera un jour une superstar. En a-t-il les épaules ? Et puis t’es bien désorienté, car la Soul n’est pas forcement l’apanage des chicanos. C’est très bizarre, tout cela t’intrigue, mais tu t’ennuies tellement que tu dis non à l’idée de rapatrier leur album sorti sur Colemine. Ça ne sera jamais mieux que ce que tu vois sur scène, et sur scène, ça ne marche pas, même si ces gens sont artistiquement très évolués, on pourrait même dire infiniment au-dessus de la moyenne. Encore faut-il savoir ce qu’on appelle la moyenne. Bon sujet de dissertation.

    Signé : Cazengler, Auto-naze 2024

    Crack Cloud. Le 106. Rouen (76). 19 septembre 2024

    Crack Cloud. Red Mile. Jagjaguwar 2024

    Juniore. Le 106. Rouen (76). 4 octobre 2024

    Juniore. Un Deux Trois. Outré Disque 2020

    Juniore. Trois Deux Un. Le Phonographe 2024

    Countdown to Ecstasy. Shindig! # 155 - September 2024

    Piers Martin. Juniore. Uncut # 275 - April 2020

    The Super Soul Revue. Le 106. Rouen (76). 16 novembre 2024

     

    *

    Quel intérêt aurait le conte de Perrault si le loup ne mangeait pas le petit chaperon rouge. Aucun. Je vais donc vous raconter une histoire qui se termine mal. Le problème c’est que c’est la vôtre. Tant pis pour vous. Commençons par le commencement :

    PRELUDE

    ONCE UPON THE END

    (CD / Bandcamp / 2019)

    Des français from Paris, le groupe s’est formé autour de Paul et Damien, très vite rejoints par Ludovic et Victor, ces deux-là nous les connaissons, voir dans notre livraison 668 la chronic consacrée  à Claustra, ils partiront en 2017 vers de nouvelles aventures.

             Sur leur premier opus l’équipe remaniée  aborde des  noms de guerre :

    Seditius : vocal / Koal : guitare rythmique / Loerk : lead guitar / Groly : basse / Chimey : drums

             Seditius s’est chargé de l’artwork de la couve. N’a pas cherché à vous tromper sur la marchandise. Ce n’est pas sur la plage sous les cocotiers à Bahamas comme durant vos dernières vacances, ou alors c’est après, je vous rassure :  c’est après maintenant, quoique si l’on regarde un peu les infos à la TV certains endroits du monde ressemblent étrangement à notre futur, restons optimiste : c’est pour après et pas dans très longtemps. Je vous révèle la vérité vraie, c’est après l’apocalypse, n’injuriez pas Dieu, pour une fois il n’y est pour rien, vue plongeante sur l’effondrement de la civilisation humaine. Ces gars-là quand ils racontent le petit chaperon rouge, ils commencent par la fin. Comme disait, voici deux mille ans, le poëte latin Horace, l’homme est un loup pour  l’homme. Un requin prêt à se dévorer la nageoire dorsale pour assouvir sa haine.

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    Killer sisters : on s’attend au moins à l’explosion d’une bombe atomique, non une guitare pointue presque guillerette, trop occupée pour faire du bruit, se contente du bruissement discret d’une scie égoïne remarquez la batterie vous file sans exagération des coups de hachoirs, mais sommes à l’époque post-atomique, la seule arme qui reste c’est celle du bon vieux couteau de cuisine, Seditius vous fait la grosse voix comme quand le loup se jette sur la grand-mère, ici les petits chaperons sont rouges de sang, scène de survivance cannibalistique, Orphée déchiré par les Ménades, nécessité fait loi, c’est atroce mais les spectateurs autour savent que bientôt ce sera un bon miam-miam, sont entre répulsion et admiration, les tueuses osent ce qu’ils ne font pas, ils seront les premiers à s’asseoir à la table du festin. Oui pas très ragoûtant mais mettez-vous à leur place, une scène de la vie quotidienne du monde qui vient, un vocal aussi prenant qu’un roman de Balzac. Moon Scavengers : prenons de la hauteur, Chimey tape comme un fou comme s’il voulait être un lanceur d’alertes, la guitare toujours un peu lointaine comme si elle ouvrait le bal de la folie sans vouloir se salir les mains, Seditius éructe, il commente le bilan de ces scènes d’inhumanité, nous prévient que les survivants sont en train de couper la branche de leur survie, la basse de Groly de joue à saute-mouton sur des ruisseaux de sang, la rythmique court comme si elle était poursuivie par les ombres de ses propres remords, les bandes de pillards qui tuent et se bâfrent n’iront pas très loin, ils finiront par se bouffer entre eux, ils n’hésiteraient pas à croquer la lune, l’Homme est aussi un prédateur pour l’univers. Fresque épique. The old ones : grave basse, le temps n’est plus à l’action mais à la réflexion, le vocal bulldozer remet les choses en place, l’Homme est un mythomane qui s’ignore, il cherche la vérité mais il ne trouve rien, réquisitoire d’une extrême violence, Dieu n’existe pas, l’Homme non plus, guitares en paquets et piquets de déclivités ardentes, l’instrumentation prend le relais des discours illusoires, elle écrit la partition des illusions perdues, même le néant n’existe plus, nous ne sommes rien, nous ne savons rien. Les Anciens l’ont su. Peut-être. Mais pas nous. Vaine exacerbation nihiliste. Requiem ante mortem. Froid dans le dos. Mort de toutes les légendes avant-coureuses de nos croyances. Dying concrete : retour à la réalité hurlante et perçante, la batterie tape sur les tours de béton comme la balle sur le jeu de quilles, ivresse de la destruction, le monde meurt et s’effondre, le vocal vaticine, en vain, colère et désespoir, les villes sont comme ces châteaux de sable abandonnés sur les plages que l’on n’essaie même de raffermir à coups de pelles car la marée montante du pur néant a déjà programmé leur fin, tant pis pour elles, je ne me battrai pas pour elles, de toutes les manières ne suis-je pas moi aussi programmé pour disparaître. Les guitares flambent avant de se consumer.

             Pour un premier EP, c’est EPouvantant, un son original, des lyrics parfaitement construits. L’on a tout de suite envie de connaître la suite.

    THE ALTAR

    (Bandcamp / Septembre 2019)

             Tentrom a pris la place de Chimey à la batterie. Ils annoncent que cet Autel solitaire est un hommage aux dieux puissants et intemporels du metal. Devraient ajouter aussi à Lovecraft. Seditius s’est chargé de la couve.

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             Très réussie. Séparés par une lagune  d’eau noire d’une ville titanesque quasi abandonnée, parmi laquelle errent de rares silhouettes humaines, les restes d’un temple, quelques pierres, une colonne, une ogive, témoignent de la présence enfouie des Dieux anciens.

             Festival de guitares, dès les premières notes l’on comprend que l’on est dans un morceau type de metal, un parangon monstrueux, une épure platonicienne même si la lourdeur du son fuyant et graisseux et les clameurs vocales pèsent de tous leurs poids pour contredire cette idée d’épure, du forgé d’orichalque extrait d’une météorite échappée des confins stellaires, question paroles, du cousu d’or mythologique, un chant adressé au Dieu tapi au creux de la terre qui dort. Qui attend.

             Un morceau un peu à part dans leur discographie. Cela aussi nous pouvons le faire affirment-ils. Sous-entendu mais nous vaquons à nos propres affaires plus urgentes. Si une personne ignorante vous demande : c’est quoi au juste le metal. Ne vous lancez pas de longues explications oiseuses. Faites-leur écouter ce morceau. Cela suffira. Dites-leur aussi que c’est très Cthulhurel !

     

    THE NEXT CHAPTER

    (CD / Bandcamp / Décembre 2021)

    Seditius : vocal / Koal : guitare rythmique, choeurs / Loerk : lead guitar, claviers, chœurs / Groly : basse /Tentrom : drums

             Un petit tour sur le FB et l’Instagram d’Egregore Design s’impose, c’est lui qui s’est chargé de la pochette. Dès les premières images vous entrez dans un univers, très metal, mais surtout dans le monde mental d’un artiste maître de sa démarche.

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             Une vision d’horreur. Ils posent devant les ruines d’une mégalopole. Qui sont-ils, les derniers moines soldats qui tentent de reconquérir un univers post-apocalyptique définitivement perdu, ou du moins d’en garder le précieux souvenir, quels dieux honoreraient-ils, l’un d’entre eux tient fermement la hampe du logo du groupe, dessiné par Daphné Vichot, comme un légionnaire de l’antique Rome brandissait l’enseigne des lettres fatidiques de la puissance romaine.

    Memories in the rust : juste une intro, au tout début comme le glissement d’une main sur une rambarde de fer rouillée, et puis le plein-chant d’une guitare adoubée du contre-chant d’un clavier, l’histoire a commencé il y a longtemps, robinet de la nostalgie de ce qui n’a pas été, que vous ne voudriez pas refermer, alors ils s’en chargent, il est temps de passer au chapitre suivant. Overseers : avant l’histoire, l’histoire a déjà commencé, le morceau avance lentement, ce qui n’exclut pas des séquences rapides, toute situation exige éclaircissements, renseignements, dénonciations, comme l’on déplie une carte pli par pli pour que chacun ait la possibilité de se faire une idée exacte de la situation, étape par étape, la batterie joue un peu à enfoncez- vous ça dans la tête, parfois le chant éructe, parfois il explicite, il existe deux niveaux d’êtralité, ceux qui pataugent dans le monde d’en haut en déshérence ou ceux qui cachés dans les vastes palais souterrains vous manipulent. Ce sont les mêmes qui par un goût insatiable du lucre ont mené le monde à sa perte. Ce sont eux qui depuis leurs bunkers vous surveillent et vous épient. Méfiez-vous. La structure du morceau n’est pas simple, elle ressemble à un fouillis indescriptible mais son ossature est d’une grande subtilité, ils commandent votre monde avec une telle dextérité que vous pouvez jouer leur jeu en croyant décider du votre.  Children of the dust : la hargne et la survie, un morceau coups de poings, se battre, sans pitié, les enfants d’un monde tombé en poussière  n’ont rien à perdre ni à gagner, simplement réussir à se tenir debout, sont des petits groupes soudés comme les doigts des mains qui ne se séparent pas de leurs squelettes, ils se débrouillent, ils oppriment les autres, manger ou être mangé, il n’y a pas d’alternative. Aucune sentimentalité. Juste la nécessité. N’en sont pas particulièrement fiers, mais pas du tout honteux non plus. Ils crient, ils bousculent, pour ne pas tomber, pour ne pas être piétinés. Ils sont les descendants des premiers survivants, ils ont leur loi, celle du plus fort, et leur code de fer, leur seule armure. Hollow : dans ce monde de brutes méfiez-vous des instants de douceurs, l’ennemi est parmi vous, en apparence des espèces de zombies solitaires, de terribles pièges, des hommes vides, qui ont abdiqué, des décervelés, des espèces de drones humains qui se livrent aux crimes et aux sabotages les plus inattendus, la tension croît, le vocal vous avertit, la musique accélère, ce sont les cadeaux empoisonnés des gardiens, ils sonnent creux, ils sont bourrés de dynamite, vous comprenez maintenant tout cet affolement qui règne dans ce titre. Demons in the sky : ne croyez pas que Satan et ses armées vont s’en mêler, non les démons qui tombent du ciel sont bien plus dangereux que ces pauvres diables de pacotille,  c’est sans doute pour cette raison que la ballade des peurs enfantines se mue en torrent de haine, ce qui tombe du ciel c’est l’horreur, les radiations atomiques et les pluies astringentes, l’orchestration se resserre comme si elle voulait créer un plafond protecteur, un parapluie qui ne protège pas, cris d’angoisses, cauchemars d’enfance, rien n’arrêtera ce déluge de feu invisible, ni imprécations, ni vaines protections, notre inhumanité de survivant n’est-elle pas le reflet de cette menace impitoyable.

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    Cries of the voiceless : encore une douce introduction, nous redoutons le pire, nous avons raison, un déferlement metallique ne viendra pas à notre secours, quelques notes de piano, un solo bémolisé de guitare, ce sera tout, il n’y a rien à recouvrir d’une cotte de maille. Il n’y a plus rien, ni oiseaux, ni poissons, ni bêtes, le monde est mort. The flesh harvest : âme sensible, le premier EP nous a offert une scène de cannibalisme tel qu’il devait être pratiqué au néolithique, si ce morceau est ultra-violent traversé de moments de tendresse insensée c’est parce que dans l’après-modernité rien se perd, on récupère sur les cadavres ou sur les mourants tout ce qui peut servir, comme les indiens qui utilisaient toutes les parties du corps des bisons, mais n’est-ce pas une espèce de satisfaction quand on y pense de voir nos lambeaux de chair revivre sur /et dans le corps des autres. C’est cela l’immortalité, l’évasion des damnés hors d’un monde pourri, plus de souffrance et cette survivance dans / et par le corps des autres. La seule salvation. L’unique échappatoire. Ride with the wind : fini de ramper, partons, fuyons les villes, soyons romantiques, transformons notre misère en une chevauchée fantastique, le morceau galope, un intermède pour souffler, mais la course repart, infatigable, la terre vide nous appartient, sensation de la plus grande liberté, nous ne nous arrêterons que lorsque nous serons parvenus au bord du monde, nous sommes des conquérants, nous avons retrouvé notre fierté, le monde nous appartient, on a voulu nous tuer mais nous sommes devenus tempête incoercible… Crimson dusk : nous avons conquis la terre, peut-être uniquement dans notre tête, mais ils ont tué le soleil. L’astre de vie ne rayonne plus. Il s’éteint , le brouillard s’empare de la terre, triste chanson, le background se traîne, il essaie de se relever de s’enfuir dans un dernier galop pour échapper à la sinistre réalité, le chant du cygne. Extinction : no happy end, pour que l’on comprenne mieux ils chantent en français, ils ne nous laissent aucun espoir, this is the end beautiful ( façon de parler) friends, il ne reste plus rien, si ce n’est la mémoire des spectres, tristesse certes, mais il subsiste encore la rage, celle de n’avoir pas gagné celle d’avoir perdu.

             Un superbe oratorio sur la fin du monde que l’Homme a détruit, mais élevé à la gloire de l’être humain, qui n’abdique jamais, même dans la plus grande déréliction, même dans la mort.

             Un chef d’œuvre.

     

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    ARCHIVES 200

    ( CD / Bandcamp / Avril 2024)

             Je n’avais pas écouté les opus précédents. J’avais trouvé étonnante ces archives 200, une faute de frappe, z’ont oublié le zéro pour 2000, mais non un peu partout c’est 200 et pas 2000. Proposent une explication : si votre cœur bat à 200 BMP, vous frôlez l’accident cardiaque. Deuxième étonnement pour ce nouvel EP, trois titres sont des reprises de leurs premiers opus. Un peu étrange tout de même. C’est vrai qu’il y a un changement dans le personnel.

    Ezalyr : chant /Koal : guitare rythmique / Loerk : guitare solo / Groly : basse /Tentrom : batterie.

             Physiquement Elazyr et Claustra se ressemblent étrangement, une unité androgynique étonnante, doublée ou dédoublé en quelque sorte. Dans notre prochaine livraison nous nous pencherons sur un album de Claustra  paru voici deux mois intitulé : La Prison de Chair.

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             La couve du CD, elle est de Dorian Becker, joue le jeu, elle représente une vieille K7 que l’on vient de déterrer peut-être deux cents ans après son inhumation, un témoignage laissé par une humanité mourante, une espèce de bouteille à la terre, un legs adressé à de nouveaux venus ou à quelques groupes épars qui auraient survécu… Il faut qu’il y ait une manifestation de certaines ‘’présences’’ si le groupe veut continuer à produire de nouveaux chapitres. En une courte phrase Once Upon The End évoque des’’ survivants lovecraftiens’’… Veulent-ils sous-entendre que tout se passe dans nos têtes…

    Dying concrete : le son est peut-être davantage ramassé, et les vocaux davantage découpés, comme mis en évidence, ces différences mettent en valeur la teneur magique et structurelle de la musique de Once Upon The End nous avons affaire à de sacrés musiciens, ce n’est pas qu’ils surpassent tous les autres, ils sont inventifs, ils travaillent et peaufinent tous les instants, ne s’endorment jamais sur le rosbeef, ni sous leurs lauriers, ont toujours une petite gâterie, une curiosité inédite  à vous proposer,  il est impossible de s’ennuyer en les écoutant. We are the dead : (featuring Claustra) : le seul inédit de l’Ep, à écouter et à réécouter, l’on dit que l’esprit arrive sur des pattes de colombe, oui mais ici c’est la mort qui déboule, alors ne vous étonnez pas de ces crises de démences terrifiantes, pourtant ce n’est pas le squelette légendaire qui joue au loup-garou, non la mort est en nous, nous sommes vivants et nous devons nous battre, l’expulser hors de notre âme, redevenir des guerriers, ce ne sont pas nos ennemis, le monde et la société, qui sont plus forts que nous, c’est nous qui ne sommes que faiblesse, nous détenons les clefs de notre paralysie mentale. Scavengers : une interprétation cosmique et prophétique à la mesure de notre monde qui lance des fusées pour coloniser Mars, les charognards que nous sommes se servent directement sur la bête, les guitares fusent tout droit comme les géants antiques qui voulaient escalader les Cieux, la foudre nous tombera dessus. Nous brisera dans notre élan. Le vocal brûle, la batterie boute le feu, et les guitares flambent. Le morceau explose comme un engin interplanétaire en plein ciel. The old ones : une intro lourde comme une pluie de plomb, l’on entend mugir les Anciens Dieux qui s’éveillent dans les sombres cavernes de la terre, ils sont déjà en marche, ils accourent, ils foncent sur nous, l’Humanité retient son souffle, elle attend entre espoir et désespoir, le calme avant la tempête, ce qui survient hors de toute nature, une force incoercible, la touche féminine de la voix d’Elazir ne nous sauvera pas. Peut-être passeront-ils à côté de nous sans nous prêter la moindre attention. Serait-il trop tard…

              S’il est un EP qui mérite la qualification d’opus post-apocalyptique, c’est bien celui-ci. Je sais l’Apocalypse on en parle souvent, mais vous avez fini par penser qu’elle était inscrite sur la liste aux abonnés absents. Ecoutez cet opus, vous vous apercevrez qu’elle est déjà passée. Accaparés par vos occupations subalternes vous n’avez rien vu, rien entendu. Heureusement que Once Upon The End veillait. Ils en apportent la preuve : ils ont pris la peine d’enregistrer une photographie sonique.

             Rien que pour vous ! Le méritez-vous ?

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    Damie Chad.

     

              

    *

              Nietzsche, le philosophe, disait que pour bien connaître un phénomène il fallait remonter à son origine, méthode généalogique dont il a démontré avec brio l’efficacité par exemple dans son ouvrage : Généalogie de la morale. Or voici que l’écrivain Frédéric Gournay s’est attelé à une tâche généalogique qui intéresse notre blogue rock, il nous présente donc sa propre induction généalogique du rock.  

    FREDERIC GOURNAY

             Vous ne connaissez pas Philippe Gournay, je vous rassure moi non plus, pour un premier aperçu je me contente de recopier sans vergogne sur son blogue personnel  quelques lignes d’auto présentation : Frédéric Gournay est né en 1969 et habite Paris. Il est auteur de romans (La course aux étoiles, Le mal-aimant, Contradictions, Faux-Frère), de divers essais [ …]. Il a   également publié dans la presse et sur internet des articles et des critiques, rassemblés dans des recueils intitulés Chroniques des années zéro, Textes en liberté et Futurs Contingents.                                        

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    Je me permets de rajouter le titre d’un autre de ses ouvrages : Métaphysique du Rock, dont je ne vous parlerai pas pour la bonne raison que je ne l’ai pas (encore) lu.

             Par contre sur son blogue il donne quelques extraits d’un autre de ses ouvrages Portraits de Social-Traîtres, du beau monde, à savoir Rimbaud, Nietzsche, Céline, Gauguin, Flaubert, Guy Debord ou encore Pierre Guyotat, notamment quelques pages de : Nietzsche et les 120 ans du rock.

             A l’option ‘’ l’on peut tout dire et n’importe quoi ‘’ il en est une autre : ‘’l’on peut tout dire mais pas n’importe quoi’’. Cela signifie que l’on ne s’embarque pas sans biscuit sur la mer des sargasses de la doxa.  Heidegger nous l’a appris : l’origine d’une chose ne réside pas obligatoirement en son commencement, elle peut se situer  avant et même après.  Tout est question du moment de son dévoilement. Pour Frédéric Gournay l’origine du rock’n’roll réside en la poésie. Nous pensons de même, selon notre modeste personne le rock’n’roll n’est que la dernière, ce qui ne signifie pas nécessairement l’ultime, manifestation du romantisme européen dont les prémices sont à rechercher au dix-huitième siècle  en Angleterre et en Allemagne, avant de se répandre comme une traînée de poudre… nous renvoyons à titre d’exemple  à notre kronic l’interprétation de La Fin de Satan de Victor Hugo par le groupe L’Oeuvre au Noir dans notre livraison (668) précédente.

             La thèse développée par Frédéric Gournay est loin d’être fantaisiste, ce qui ne vous interdit pas de ne point y souscrire, toutefois n’oubliez pas que les vues de l’esprit, à partir du moment où vous vous y intéressez un tant soit peu, se métamorphosent pour reprendre un titre de Victor Hugo en Choses Vues.   

             Que nous affirme Frédéric Gournay : que Nietzsche a en quelque sorte prophétisé et décrit l’advenue au siècle suivant du rock’n’roll par sa description de la post-musique wagnérienne dont il souhaitait l’avènement. Citations à l’appui, tirées d’Ecce Homo et de La Naissance de la Tragédie, Nietzsche définit la musique future puisant ses sources dans les chansons populaires. De même il affirme que les générations futures qui se reconnaîtront en ce nouveau courant seront plus agressives que les précédentes… Notre philosophe n’emploie pas les mots de rebelles et de blousons noirs… Frédéric Gournay évoque aussi la dichotomie Apollon / Dionysos, il ne profite pas de l’occasion pour citer Jim Morrison mais on lui pardonne d’autant plus que nous n’avons que les trois premières pages du texte.

             Nietzsche aurait-il préféré les Beatles au Rolling Stones, je n’en suis pas convaincu. La radicalité nietzschéenne se serait d’après moi davantage reconnue dans  les albums des Stooges… Reste selon moi toutefois un problème de taille que dans ce début d’article Frédéric Gournay n’aborde point, j’ignore si plus loin il y fait allusion.

    Le rock est traversé de multiples courants. Comme bien d’autres musiques. Notamment celle des compositeurs qui s’inscrivent dans la ‘’grande’’ musique classique. Que l’on ne se méprenne pas, que l’on n’en déduise pas que toute création musicale qui ne se revendique pas de la musique que parfois certains idéologues qualifient de ‘’bourgeoise’’ mériterait d’être qualifiée de ‘’petite’’… Or justement lorsque l’on considère le rock et la musique classique l’on s’aperçoit que ces deux formes s’éparpillent en multiples styles mais qu’il existe une courbe générale qui conduit chacune d’elles, au travers de mille pérégrinations parfois en totale opposition entre elles, à se jeter dans le delta du noise. Ce phénomène est peut-être beaucoup plus visible (surtout audible) si l’on considère le jazz qui culmine, certains diront qu’il s’avachit, dans la New Thing ou le Free. Les goûts et les jugements individuels peuvent diverger mais ne sont que les conséquences annexes, pour ne pas dire des dommages collatéraux, d’une forme qui naît, se développe, s’accomplit, et se termine en laissant libre cours à une nouvelle forme. Qui la subsume, la répète ou se perd en elle-même… Nous empruntons ici le mot ‘’forme’’ au vocabulaire platonicien, mais puisque nous parlons de Nietzsche nous n’oublions pas de casser l’idée éternelle à coups de marteaux aristotéliciens, pour lui apprendre que tout ce qui évolue finit par mourir un jour ou l’autre.

    Nietzsche s’est séparé de Wagner pour diverses raisons, il est hors de question de les analyser dans cette chronique, elles n’étaient pas toutes pas obligatoirement musicales, mais à l’écoute de la partition de  Tristan und Isold il en a jugé la musique trop dissolutoire, magnifiant l’instinct de mort au détriment de l’élan vital impératif. Trop de dissonances nihilistes pour l’auteur de Zarathoustra

             Nous y reviendrons après notre prochaine lecture de Métaphysique du rock.

    Damie Chad.

     

    *

             Dans notre livraison 664 du 07 / 11 / 2024 nous rendions compte du Troisième tome des Œuvres d’Austin Osman Spare des éditions Anima. Un superbe volume, de toute beauté, grand format idéal pour l’approche des textes, des dessins et des peintures du magicien. Voici qu’au courrier nous recevons de la part d’Anima une élégante plaquette que l’on se plaît à garder dans sa main, dans sa poche afin d’y revenir sans cesse, il y a près de soixante ans nous ne pouvions nous empêcher de tourner en nos menottes et sur notre tourne-disques Are you experienced ? de Jimi Hendrix.  Lisez le nom de l’auteur disparu depuis presque trois siècles et vous comprendrez le rapport du guitariste américain avec cet auteur et :

    LES PORTES DU PARADIS

    WILLIAM BLAKE

    Traduit par : VINCENT CAPES

    (Editions Anima / 2024)

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             L’innocence est-elle dans la poésie et l’expérience dans la peinture, peut-être est-ce le contraire, sûrement cette ambivalence est-elle  beaucoup plus subtile. William Blake, peintre et poëte, l’immortel scripteur des Chants d’Innocence et d’Expérience fascine. Poëtes, cinéastes, musiciens ne cessent de s’inspirer de William Blake. Question rock nous ne citerons que les Doors et Rotting Christ, nous leur avons consacré moultes chroniques. Ce n’est pas un hasard si nous nous attardons souvent sur les pochettes des disques. Elles sont pour les groupes non pas une manière de se distinguer mais de distinguer le miroitement de l’éclat de leur propre univers mental.

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             Il est des constellations qui s’attirent, dans notre chronique sur La Fin de Satan de Victor Hugo par L’Oeuvre au Noir nous évoquions John Milton qui écrivit Le Paradis Perdu, jugez de la concomitance William Blake illustra  Lost Paradise de Milton… Une excellente manière de passer ces fameuses portes du Paradis… Pour ceux voudraient s’y essayer nous recommandons la lecture d’Un Rameau dans la Nuit d’Henri Bosco.

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             Dans une courte préface Vincent Capes resitue cette œuvre de William Blake dans son implantation historiale. Le fonctionnement de l’opus est d’une simplicité extrême, sur chaque page une gravure, au-dessous de celle-ci, quelques mots, une phrase lapidaire, une sorte de formule proverbiale, de très courtes épigrammes non dénuées de mystère… Blake n’invente rien, il emprunte la structure des Livres d’Emblèmes qui connurent un énorme succès aux seizième et dix-septième siècles dans toute l’Europe. Ils étaient faciles à lire, le texte était bref et l’image retenait l’attention, il fallait la décrypter… Point de révélations fracassantes, illustration et lettrage dispensaient des préceptes moralisateurs ou de profondes vérités évidentes…

             Oui mais l’on ne peut s’empêcher de faire le lien avec les figures d’ordre symbolique et ésotérique du Tarot, d’autant plus que Le Songe de Poliphile (1467) de Francesco Colonna est réputé en tant que roman illustré pour  avoir inspiré les livres d’emblèmes. Rappelons que Le songe de Poliphile est un des livres fondateurs de l’ésotérisme occidental. A l’autre bout de cette étrange chaîne le lecteur se penchera sur les ‘’Painted plates’’ d’Arthur Rimbaud et s’efforcera de prêter à ses Illuminations ses vertus illuminatives… Un tel titre : Les Portes du Paradis n’incite pas à une lecture moutonnière et moralisante. Si de telles portes existent, la tentation de les passer et de revenir dans le paradis perdu  ne saurait que déplaire à toute obédience christique. Dans cet opuscule Blake emprunte le chemin du Retour, vers l’arbre de vie. De vie éternelle. Devenir soi-même un Dieu est le plus grand des péchés. Les contemporains de Blake le traitaient de fou. Quelques siècles auparavant il aurait été supplicié.

             En 1793, la page de titre est surmontée d’une espèce de dédicace : Pour les enfants, êtres d’innocence par excellence. Quelques mois plus tard elle sera remplacée par Pour les sexes, êtres d’expériences, ne sentez-vous pas comme une odeur de soufre… Première image, le frontispice, un enfant dans ses langes, sur sa botte de paille il ressemble à un papillon. Derrière lui, une larve attend son heure. Elle surmonte, elle festonne  une espèce d’entrée de grotte obscure, Victor Hugo emploierait l’expression Bouche d’Ombre. Une question qui s’interroge non pas sur l’existence de Dieu mais sur celle de l’Homme. La réponse est simple, elle dépend de celui qui répond.

             Suivent deux poèmes. Le premier sous la dédicace Pour les sexes. Seulement dix vers, une démolition en règle des premiers chapitres de la Genèse. Dix vers, mais si condensés qu’ils en deviennent hermétiques, le péché originel point pêchu, la punition par la Mort, est-il bon de figurer l’arche d’Alliance sur les autels ?  Si Dieu condamne l’Homme pourquoi l’Homme ne condamne-t-il pas Dieu. Œil pour œil ! Expéditif.

             Le second poème Les Clefs Des Portes, cinquante vers, plus complexe que le précédent en le sens où il explicite les parties ombreuses du premier en rajoutant davantage d’opacité. Des détails supplémentaires : le rôle de la femme, pas de quoi mécontenter les ligues féministes d’aujourd’hui, celui du Serpent à la langue fourchue, et celui de Dieu, qui s’est emmêlé les pinceaux qui a fait des portes du paradis celles de la Mort. Une seule consolation : si Dieu est néfaste séparation : l’Homme est immortel.

             Soyons jésuite, posons une hypothèse d’école : Blake ne serait-il pas un précurseur d’un certain mouvement contemporain du christianisme moderne effectuant une translation théologico-affective de l’amour du petit Jésus à la figure de Marie Madeleine, en tant que restauration érotique de la femme. Blake avancerait-il à mots cachés et à dessins décryptibles, instituant ainsi la poésie en tant que parole obscure et la peinture en tant que vision théophanique de la réalité des choses.

    Suivent ensuite seize images illustrées simplement de quelques mots. Le blanc et noir de la gravure interdit de les confondre avec des icônes russes. Elles en ont pourtant la force. Est-ce pour cela que la couverture de cette plaquette n’offre pas le spectacle sépulcral de l’encre noire de la mort mais se pare de l’éblouissance éclaircissante de l’or…  Il  existe une correspondance chiffrée dans le poème Les clefs Des Portes  qui permet de mieux comprendre ce que représente chacun de ces seize arcanes majeurs. Pour le titre de ce poème, pensez que Julien Green a mis en exergue d’un de ses plus mystérieux récits Les clefs de la mort une citation du premier chapitre  premierde l’Apocalypse : Je détiens les clefs de la mort.

    Enfin  la dernière image surmontée d’un poème de huit vers. A décrypter selon votre convenance. D’après moi explosif. Au pire un dynamitage en règle du christianisme depuis l’intérieur. Au mieux, une vision gnostique. Pour le mieux et le pire, songez que tout regard dépend de celui qui regarde. Comme ne le disait pas Johnny Hallyday : Blake is Blake.

    Quelle expérience peut-on tirer de sa propre innocence…

    Merci à Philippe Capes pour la traduction et l’édition de ce texte de William Blake.

    Ramifications germinatives.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 611 : KR'TNT 611 : LOU REED / DANIEL ROMANO / LESTER CHAMBERS / CASH SAVAGE / JOE HICKS / THUMOS SPACESEER / X RAY CAT TRIO / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 611

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    14 / 09 / 2023

     

    LOU REED / DANIEL ROMANO

    LESTER CHAMBERS / CASH SAVAGE

    JOE HICKS / THUMOS / SPACESEER

    X RAY CAT TRIO

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 611

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Le grand méchant Lou - Part Two

     

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             Le grand méchant Lou renaît de ses cendres en 1972 avec un premier album solo, le tant décrié Lou Reed. Et pourtant quel album ! Enregistré à Londres avec un ramassis de mercenaires, dont deux mecs de Yes, Wakeman et Howe. C’est Richard Robinson qui pousse à la roue et qui a décroché le contrat chez RCA pour un Lou qui ne voulait plus trop sortir du bois. Lou y es-tu ? Grrrrr, répond le Lou, «I Can’t Stand It» ! Il te fait là du pur Velvet de pur genius, il faut bien appeler un Lou un Lou. Ça sonne comme un classique.

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    Il fait aussi de l’ultra-clairette de petit matin blême sur «Walk & Talk It» et boucle son balda avec le mélodiquement pur «Berlin» - You’re right/ And I’m wrong/ You know I’m gonna miss you/ When you’re gone - Et puis voilà qu’en B il réédite l’exploit de «Pale Blue Eyes» avec «I Love You», un chef-d’œuvre de délicatesse chanté à l’accent fêlé. Il passe ensuite au classic Lou avec «Wild Child», une rock-song à la Lou grattée aux accords majeurs, et toujours cette fantastique présence vocale. Toute la teigne est intacte. Encore une bonne surprise avec «Ride Into The Sun», fantastique balladif de la désaille, mais une désaille de haut de gamme, pas accessible à tous.

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             On a déjà chanté les louanges de Transformer. Rechantons-les ! Le son ! Bowie & Ronno, le summum de l’époque. «Vicious» - You do it every hour/ Oh baby you’re so vicious - Klaus ou Herbie on bass. Il existe aussi sur le marché une édition DVD de la série «Classic Albums» consacrée à Transformer. Indispensable, car le Lou sort du bois. Après une belle giclée de footage Velvet, il déclare : «I’ve always known we were the best. And I still doooo.» Il évoque aussi son premier album solo qui n’a pas marché : «The first record was a flop. So let’s do another one.» L’another one est donc Transformer. Back to London with David & Ronno. New stuff. Le Lou rappelle l’origine de «Vicious».

             Andy : «Je veux une chanson vicious».

             Lou : «What kind of vicious ?»

             Andy : «Vicious, you hit me with a flower.

             Lou : «Ahhhh. What a good idea.»

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             Sur Transformer, tu as aussi «Perfect Day» et sa texture parfaite, puis «Hangin’ Round», harsh rock gratté à l’anglaise, le big power du boogie anglais mêlé au Lou, ça donne un mélange divin. C’est Ken Scott qui enregistre. Et puis «Walk On The Wild Side», le groove définitif de New York City. Le mec qui fait le docu interviewe Joe Dalessandro, et Holly Woodlawn qui se plaint de se retrouver dans «Walk On The Wild Side», alors qu’elle ne connaît pas le Lou. Herbie Flowers raconte qu’il touchait 12 £ pour 3 heures, alors pour doubler son cachet, il a proposé de doubler sa piste de bassmatic. C’est de l’humour anglais. En attendant, on voit l’Herbie jouer la bassline à la stand-up - Upright first, with the guitar & the percussions. Puis j’ai demandé à Ken si je pouvais descendre d’une octave et enregistrer la basse électrique en intervalles de dix. Je voulais donner au cut a little bit more atmosphere of character - La classe de l’Herbie ! Ken Scott demande au batteur de jouer avec des balais. Voilà le travail. Le Lou a du mal à comprendre ce que lui dit Ronno : that Hull accent. Ronno apparaît aussi à l’écran, pour évoquer la guitare du Lou, way out of tune. Puis on voit le Lou rendre hommage au Bowie de Satellite - Very few people can do that - Il insiste beaucoup sur la note aiguë qui chante Bowie à la fin. On trouve aussi des chœurs déments sur «I’m So Free» : pur genius combinatoire de chœurs d’artichauts et de heavy chords. Dans le docu, le Lou reprend la parole pour bien situer les choses : «Je n’écris pas pour vous, j’écris pour moi. Et comme vous n’êtes pas si différent de moi, si ça me plait, alors ça peut vous plaire.» Et pouf, il gratte quelques bricoles à coups d’acou, «Waiting For The Man», «Sweet Jane», et il croasse : «It’s only 3 chords. If I can do that, you can do that.»

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              Pour Wally et beaucoup d’autres gens, Berlin «would both become his masterpiece and effectively end his carreer as a major recording star.» Berlin est effectivement a very depressing album - interesting but very depressing, déclare Aynsley Dunbar - I believe Lou was doing heroin, and what came out of it was depression - Dans «The Bed», Jim et Caroline se tranchent les veines dans leur lit. «Alors que Bowie enregistre des crowd-pleasers comme Aladdin Sane, Lou sabote délibérément sa carrière in the name of... what? Art? Arrogance? Disdain? That and more?». Comme d’usage, Wally pose les bonnes questions. Wally ajoute que Berlin fut l’album «le plus profond, au plan émotionnel, le plus challenging au plan musical, et le plus monumentally despised and misunderstood.» Lou devra attendre 20 ans avant de revoir un de ses albums entrer au hit-parade, car bien sûr, Berlin est un énorme flop. Dans Creem, nous dit Wally, Robert Christgrau refuse d’être choqué par Berlin, il disait simplement s’ennuyer. C’est vrai qu’on s’y ennuie. Le Lou y fait de la valse à trois temps à la manière de Jimbo/Kurt Weil («Lazy Day»). On entend le bassmatic pouet pouet de Jack Bruce sur «Caroline Says I» - She’s a German queen -  et Dick Wagner sature «How Do You Think It Feels» de guitare, comme il l’a toujours fait. Ce mec n’arrête jamais. En B, le Lou chante «The Bed» jusqu’à l’extrême délicatesse du feeling, ça donne une dentelle de Calais horriblement macabre. La meilleure chanson de cet album résolument anti-commercial est le «Sad Song» du bout de la B, cut mélodiquement puissant, chargé de tout le pâté du Lou. Il a des chœurs de cathédrale, de l’écho à gogo et le Wagner qui turbine son chocolat. 

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             Les gens ne supportent pas non plus Sally Can’t Dance. «The second-most reviled of his career», c’est-à-dire vilipendé, après Berlin. Lou est au sommet de sa «blond-nazi Lou mania», il y règle des comptes avec du «glam-rock-by-numbers trash». Sally Can’t Dance est, selon Wally, le plus gros hit record qu’il ait jamais eu en Amérique, home of the slave, as Lou saw it. Laugh? He never did more anyway. Avec Transformer, Lou pouvait devenir superstar, mais il en a décidé autrement, «he was out to become the world triple-champion of slamming the door on your own success. Et il allait le faire avec un style que ses fans les plus dévoués n’étaient plus capables d’encaisser.» Tu sauves un cut sur Sally : «Ennui», un très beau mélopif océanique. Donny Weis et Prakash John ramènent du son dans «Kill Your Son», son d’époque avec la basse qui pouette, comme celle de Jack Bruce et «Billy» sonne un peu comme «We’re Gonna Have A Good Time Together», même volonté d’entrain. Mais le Lou n’y est pas. 

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             Au yeux du Lou, Rock N Roll Animal «is still one of the best live recordings ever done». Pour une fois, nous ne sommes pas d’accord avec lui. On s’y ennuie. Les cuts sont tartinés et retartinés par Dick Wagner et Steve Hunter. Défaut d’époque, guitaristes trop bavards. Ils dénaturent l’esprit originel d’«Heroin». L’And I guess I just don’t know devient ennuyeux. On peut même parler de long délire ennuyeux suicidaire. Le Lou chante son «White Light White heat» au gut de vieux Lou de mer.

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              Le Lou Reed Live paru à la suite souffre des mêmes carences. Prakash John vole le show sur «Vicious» avec son bassmatic. Avec «Satellite Of Love», le Lou sonne exactement comme Bowie, même accent, même sens aigu de la décadence. Prakash reste mixé très haut dans le son. Puis ils s’en vont taper «Walk On The Wild Side». Sans Bowie, Ronno et l’Herbie, c’est risqué. Alors Prakash fait son Herbie et les autres font doo dodoo, mais ce n’est pas la même chose. En B, ils tapent «I’m Waiting For The Man», mais on perd complètement l’essence de la version originale. La voix, d’accord, mais pas le backing.

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             Metal Music Machine : pas de paroles, pas de chant, pas d’instruments - A shit-storm of feedback distorsion and high-frequency noise - Un mec d’RCA qualifie la bête de «torture music», mais le Lou reste impassible et indique qu’il y bosse depuis 5 ans. Wally : «Nothing to do with music, but everything to do with Lou Reed wanting to stick it to the man.» Le man c’est RCA et Dennis Katz. L’idée du Lou était qu’avec cet album personne ne puisse être heureux ni faire du blé. RCA retire l’album de la vente au bout de trois semaines, après que les disquaires se soient plaints de trop de «dissatisfied customers». Outragé par les réactions, le Lou piqua une crise, qualifiant Metal Music Machine de ‘giant fuck-you’ «to all those fucking assholes» qui venaient à ses concerts et qui réclamaient «Vicious» et «Walk On The Wild Side». Du pur grand méchant Lou. 

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             Bizarrement, RCA accepte de financer l’album suivant, Coney Island Baby, «the most-listener-friendly collection of post-Velvets songs since Transformer, mais sans les totemeic album touches of musical genius from Bowie and Ronson, of course.» Le Lou compose «Crazy Feeling» pour Rachel, the queen of the scene - And you/ You’re such a queen - Wally compare «Kicks» à «Sister Ray» - the dark, down-at-heel and dangerous to know «Kicks» - Wally a raison de s’extasier sur «Kicks», amené par le plus deepy deep des bassmatics. Le Lou entre en ville conquise. Il est capable de sombres miracles, ‘cause I need kicks ! Ça sort tout droit du Velvet. On retrouve la descente de couplet de «Walk On The Wild Side» et le même type de cha-la-la des coloured girls sur «Charley’s Girl». Le Lou se prend pour un cadeau dans l’«A Gift» - I’m just a gift/ To the women of the world - Puis il monte «Ooohhh Baby» sur les accords de «Sweet Jane». Toujours la même dynamique et la même autorité. Wally rappelle que Mick Rock, l’homme des pochettes iconiques (Transformer et Raw Power) signe la pochette de Coney Island Baby. On l’applaudit bien fort.    

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             En 1976, le Lou signe avec Clive Davis. Début de la période Arista avec Rock And Roll Heart. Bon album, avec la trogne du grand méchant Lou blueté en gros plan. Deux belles énormités sur cet Arista d’aristo : «Banging On My Drum» et «Follow The Leader». Le Banging est très Velvet dans l’esprit. Même son, fast and hard, et belle résonance. Le Leader est plus confus, mais agité par un sax free, c’est vraiment excellent, avec un bassmatic virtuose de Bruce Yaw et le beurre de Suchorsky. Avec «Ladies Pay», la magie du grand méchant Lou opère toujours - Night and day I’m a ladies’ pay - et ses musiciens assurent comme des bêtes de Gévaudan. Environnement idéal. Les lyrics sont fascinants, tiens par exemple ceux du morceau titre - I guess that I’m dumb/ Cause I know I ain’t smart/ But deep down inside/ I got a rock’n’roll heart - Tu ne bats pas ça à la course.  On retrouve l’élan vital du grand méchant Lou en B avec «Senselessly Cruel». Ça sonne comme un classique. Un de plus. Avec «Temporary Thing», on est bien obligé de parler de présence intensive. L’album est excellent. Pourquoi Wally ne l’aime pas ? Mystère et boules de gomme !  

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             Wally décrète que Street Hassle contient «some of the most audacious work for years» et il a raison. Le Lou enregistre les cuts live on stage, because it was more punk - Lou was talking fast again. This had better be good - Le Lou recrache du venin - They’d eat shit and say it tasted good/ If there was some money in it for them - Street Hassle est l’un de ses meilleurs albums, ça grouille de coups de génie, à commencer par «Gimme Some Good Times», heavy Lou System, gimme gimme gimme some good times, il écrase sa tartine à coups de power chords et te précipite dans l’absolu concomitant du pur rock genius. Wow ! C’est d’une rare puissance ! Il gorge son «Dirt» de grosse disto - You’re just dirt - Tu t’en goinfres comme un porc. Et il remet ça en B avec «Shooting Star», rien de plus heavy que ce «Shooting Star» noyé de disto, avec un grand méchant Lou qui navigue à la surface. Son «Real Good Time Together» renoue avec le Velvet, et après le break des chœurs de filles, le cut explose, embarqué par le beurre de Suchorsky. Le morceau titre est un mélopif attachant, aussi attachant que tout ce que peut faire le grand méchant Lou, c’est monté sur un thème insistant et porté par une section de cordes. Un véritable coup de maître. Et puis tu as aussi «I Wanna Be Black», plein comme un œuf, pur New York City Sound. Avec «Leave Me Alone», le grand méchant Lou reste dans l’épaisseur du riff raff métabolique, il te fait là un véritable coup de Jarnac : un stomp new-yorkais primitif doublé au sax. 

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             «Take No Prisoners was the live summation of everything the post-Velvets Lou Reed had been and become over the past near-decade». Lou y provoque le public. Il cite Yeats : «The best lack all conviction while the worst are filled with a passion and intensity. Now you figure out where I am.» Une vraie profession de foi. Il s’en prend nous dit Wally à «fucking Barbra Streisand pour avoir remercié all the little people lors de son discours aux Academy Awards.» Lou : «Fuck short people and tall people, man? I like middle people. People from Wyoming.» Take No Prisoners vaut sacrément le détour. Ça démarre sur les heavy chords de «Sweet Jane». Tu as tout de suite le Lou qui fait son cirque et des cons dans le public font «yeah !». Le Lou y va au fast talk. Tu chopes ce que tu peux. Son Sweet Jane est un prétexte au n’importe quoi. Il fait aussi un «Satellite Of Love», mais il vaut mieux écouter l’original sur Transformer. Bien sûr la voix, bien sûr l’accroche mélodique, mais on perd la magie. On perd la concision. Version pourrie de «Pale Blue Eyes». On perd la pureté. Michael Fonfara er Stuart Heinrich coulent le cut. Le backing est catastrophique. Le pauvre Lou se débat, il flingue sa poule aux œufs d’or, mais il sauve les meubles avec une version démente de «Berlin». Il recouvre les désastres précédents avec une belle couche de trash, il t’explose Berlin au chant du seigneur. Pas de plus beau seigneur de l’An Mil que le Lou. À travers Berlin, il rejoint le Moyen-Age et ses ténèbres. Il a ce pouvoir, il est capable de prodiges et de Sad Café, il remonte son fleuve à la force du chant et finit par devenir lumineux, il devient le temps de ce Berlin-là le plus grand chanteur d’Amérique, il doit être épuisé, un sax le suit comme un chien. L’autre merveille de cet album live est la version de «Coney Island Baby». C’est un orage. Le grand méchant Lou sait provoquer les foudres. Ses hits ne sont que des prétextes à défier les dieux. Il crée du climat à gogo, le Lou sort du bois une fois encore, c’est extravagant, monté en neige, le Lou s’implique à outrance. Il enchaîne avec un «Street Hassle» relentless, idéal pour un ténor du barreau. Il transforme tous ses cuts en grosses tartes à la crème et nous les balance en pleine gueule. Il refait six minutes de «Walk On The Wild Side». Il fait ce qu’il veut, alfter all. Il abuse cependant du street talking. Il attaque «Leave Me Alone» au drone de Velvet. C’est complètement apocalyptique. Il refait «Sister Ray», avec un sax in tow. Même énergie ! Sept minutes d’hot as hell. Bonne pioche. On est content de pouvoir écouter ça. Le Lou fait son Hiroshima Mon Amour.

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             Wally voit The Bells comme «a disjointed jazz-rock mix of songs», et Growing Up In Public comme un «open-hearted if musically underwhelming collaboration with Michael Fonfara». Lester Bangs voit The Bells comme «the only true jazz-rock fusion anybody’s come up with since Miles Davis’s On the Corner.» Deux belles merveilles sur The Bells : «I Want To Boogie With You» et «Families».  le Boogie sonne comme un heavy nonchalama de l’immense Lou de mer. C’est noyé de sax. Et de l’autre côté, tu as «Families» bien contrebalancé par une trompette lancinante et des chœurs de lads désabusés. Pur jus d’hypno, le Lou vise la vieille transe du Velvet. «Disco Mystic» sonne  comme le «Night Clubbing» d’Iggy, en plus lourd. Attention à l’«All Trought The Night» co-écrit avec Don Cherry. On l’entend même souffler dans sa trompette lancinante. Le Lou adore les trompettes lancinantes. Et nous aussi. Et puis tu as le morceau titre. Comme Django Reinhardt, le Lou vise l’absolu de la conservation organique.

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             Growing Up In Public est un album intéressant. Le Lou peut redevenir impérieux comme pas deux avec un cut comme «Keep Away» et il chante «Standing On Ceremony» du haut de sa superbe. C’est excellent, avec un côté Bowie indéniable, mais ce n’est pas un hit. Le hit se planque en B et s’appelle «Smiles». Envoûtement garanti à 100 %. Son Smile se faufile sous la peau. Son Smile est beau comme un Walk On The Wild Side. Il finit d’ailleurs avec une resucée de doo doobe doo doo. Il termine cet album qui-aurait-pu faire-mieux avec un gospel monté sur les accords de «Sweet Jane» : «Teach The Gifted Children» - Take me to the river/ And put me in the water - Le Lou tourne en rond. C’est son problème, pas le nôtre.

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             Un jour, Sylvia Reed emmène le Lou rencontrer Robert Quine, dont elle est l’amie. Robert dit à Lou qu’ils se sont déjà rencontrés à San Francisco, en 1969, au temps du Velvet. Robert Quine avait enregistré le Velvet, et depuis, les Quine Tapes ont été commercialisées. Le Lou et Robert commencent à jammer et ils vont enregistrer The Blue Mask ensemble. Wally estime que «The Blue Mask ranks in the upper echelon of Lou Reed’s greatest works.» Parfaitement d’accord avec Wally, The Blue Mask est une merveille absolue, pour au moins quatre raisons d’acier, à commencer par le morceau titre, une stupéfiante énormité hantée par le Quine, et tu as le Lou qui chante le Blue Mask à la colère rouge. Le Quine te claque encore  des heavy chords sur «Underneath The Bottle», ça devient tentaculaire - Ouuuh ouuuh wee/ Son of a bitch - On voit aussi Fernando Saunders voler sur show sur «My House» avec son bassmatic. Et le Quine carillonner dans «Women». C’est un enchantement de tous les instants. On entend encore le Quine saturer «The Gun» de dissonances, pendant que le grand méchant Lou chante à la menace sourde. Tu ne battras jamais ces deux mecs-là à la course. Encore du heavy Lou en B avec «Waves Of Fear». Le Quine joue comme un dieu, il s’en va inventer des atonalités de sulfure, il joue des vagues d’outer-space, et le Lou renoue enfin avec la grandeur avant-gardiste du Velvet. Il termine cet album génial avec «Heavenly Arms», un puissant balladif hanté par le jingle jangle du Quine. C’est du grand lard fumant.  

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             Sur Legendary Hearts, le Lou explore «the emotional terrain». On le voit avec cette moto dont il est très fier à l’époque, une Suzuque. D’ailleurs il chante ses louanges en B sur «Bottoming Out» - I’m cruising fast on a motorcycle/ Down this windy country road - Excellence du songwriting et du jeu en clair de transparence du Quine. La tension pop est à son maximum. On retrouve le Quine sur le morceau titre qui ouvre la balda. Gros son et grosse compo, tout est là. Les mêmes dynamiques resurgissent dans «Don’t Talk To Me About Work». La période Quine semble aussi féconde que celle du Velvet. Le Quine joue en cisaille de Strato et injecte du venin sonique dans le cul du cut. «Make Up Mind» est encore un exemple de mariage heureux. Le Quine joue en dégradé et le Lou fait le plein. En fait, le Quine multiplie les impertinences. Avec «Home Of The Brave», Bob Quine et Saunders tissent en dentelle infernale, ils s’entrelacent dans le Brave ciel du Lou. C’est d’une musicalité hallucinante.

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             Wally se marre avec New Sensations et son «almost hit single», «I Love You Suzanne», «grown-up Lou sounds like he’s actually faving FUN.» Effectivement, «I Love You Suzanne» te saute au paf. Fernando Saunders fait la pluie et le beau temps chez le Lou, bassmatic plus slap, il devient inexorable. Et puis comme toujours, la voix fait tout. «Turn To Me» a un léger parfum de Stonesy. Saunders entre au deuxième couplet. Que peut-on en dire de plus ? Rien. En B, «Doin’ The Things That We Want To» sonne comme une belle déclaration d’intention et le Lou vire un brin reggae avec «High In The City», soutenu par des jolis chœurs de femmes espiègles et une trompette mariachi, pour faire bonne mesure. 

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             Le Live In Italy est un big one, parce que le Quine y gratte ses poux. On sent que le Quine s’émerveille de gratter derrière son idole, il gratte «Sweet Jane» et «Waiting For The Man» aux accords purs. Il doit être au paradis. Sur «Martial Law», il bâtit un mur du son. Il faut entendre ce ramdam de random. «Satellite Of Love» reste une chanson parfaite, hantée par Fernando Saunders et les arpèges du Quine. En B, il faut entendre le Quine s’extraire de la mélasse de «Kill Your Sons» pour passer un solo mentalement retardé. Pour le Lou, le Quine est le guitariste idéal, aussitôt après Sterling Morrison. Il monte chaque fois un petit mur du son. Ils attaquent la C avec «White Light White Heat». Pour le Quine, c’est la suite du rêve. Tous les guitaristes rêvent ce jouer cet énorme classique. Le Quine gratte tout le Velvet qu’il peut. Ça donne une version explosive. Par contre, ils font un «Some Kinda Love/Sister Ray» un peu popotin. Soudain, le rythme s’emballe et tout bascule dans le chaos de Sister Ray. C’est Saunders qui fait l’Herbie sur «Walk On The Wild Side». Il en a les moyens. Et derrière, ça gratouille sec. 

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             Wally n’a rien à dire de spécial sur Mistrial. Un RCA de 1986, avec un Lou qui gratte ses poux. Il envoie une belle dégelée dans le morceau titre d’ouverture de balda et le Saunders n’est pas en reste. Le Lou est en forme, il fait maintenant des albums de big hard rock. Saunders est omniprésent dans le son. En plus, il produit, alors t’as qu’à voir ! Le Lou reste dans les structures simples du Velvet, mais il a perdu l’avant-garde de Calimero. Il fait du bon vieux story-telling avec «Video Violence». Saunders soigne le son. Pas de batteur, mais une boîte à rythme. Le Lou fait du rap de New York City avec «The Original Wrapper». Diction parfaite. Le Lou est avec Dylan le grand chanteur d’Amérique. Ambiance «Sweet Jane» pour «Mama’s Got A Lover». Le Lou a toujours le même swagger - The essence of urban decay - C’est excellent - I wish she was on the last page

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             C’est John Cale qui passe un coup de fil au Lou «out of the blue» en 1988, pour lui demander s’il veut bien prêter une «oreille critique to his now completed Andy Warhol memorial piece.» Et là Mick Wall exulte : «Lou was more than ready.» Alors il demande poliment à John Cale s’il peut ajouter quelques paroles ici et là. C’est au tour de Calimero d’être soulagé et ravi. Wally utilise le mot «delighted». Toute l’hostilité a disparu et Wally se lâche : «Ils ont de nouveau rassemblé leurs forces pour produire something meaningful.» On n’est pas loin du «something new and even dangerous» des débuts. Songs For Drella est un album prodigieusement littéraire. Calimero y joue ses valses à trois temps et le Lou fait son cirque. Premier coup de génie avec un «Open House» fascinant d’Open House, on y retrouve les pentes de «Walk On The Wild Side», quelques coups de gratte et les notes de piano de Calimero. Dans «Style It Takes», le Lou évoque the Velvet days - You do movie portraits out of the camera - c’est violonné, fantastiquement Velvetty - This is a rock group called The Velvet Underground - Hommage suprême à Andy. Nouvel hommage suprême avec «Trouble With Classiscists» - The trouble with a classicist/ He looks at a tree/ That’s all he sees/ He paints a tree - Même chose avec le sky. Le Lou et Calimero ont le diable au corps, ils indiquent la voie du monde moderne. Cut après cut, l’album devient fascinant. Le Lou attaque «Starlight» à la big disto. Si tu cherches un vrai punk, il est là, c’est le Lou. Lou y es-tu ? Il balaye tout du revers de la main, everybody’s a star. Ils marchent ensuite sur des œufs avec un «Faces & Names» admirable de retenue, et boom, ils te refont le coup du lapin Velvet avec «Images», bien gratté dans la plaie, c’est la spécialité du Lou, il gratte à la sévère, il ramène tout le Velvet dans le son, c’est plein d’accidents, de congestion et de Calimero. Le Lou fait gicler le pus et Calimero travaille sous la peau du son, c’est du Velvet pur, de l’hypno des temps modernes. Le Lou fait encore son vampire dans «It Wasn’t Me» et il s’enfonce dans la mort avec «A Dream». Calimero prend enfin le micro avec «Forever Changed». Il est encore plus exacerbé que le Lou. Cet album somptueux s’achève avec «Hello It’s Me» - I wished to talk to you when you were alive - Le Lou fait ses adieux - I really miss you - Il paraît sincère. Quelle oraison ! On peut parler d’album mythique.

             Alors qu’ils terminent leur messe pour Andy, le 18 juillet 1988, ils reçoivent un coup de fil macabre : Nico s’est cassée la gueule. Accident de vélo à Ibiza. Tombée sur un gros caillou. Kaput.

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             Le grand méchant Lou compose les chansons de New York à la suite de la disparition d’Andy. Il voulait que New York soit «the first big musical statement in years.» L’album reçoit nous dit Wally le même accueil triomphal que les ‘comeback’ albums de Bob Dylan. C’est tout simplement l’un de ses meilleurs albums. Il est déjà très Velvet avec «Romeo & Juliette» et il l’est encore plus avec le «Busload of Faith» qui ouvre le bal de la B des anges. C’est à peu près la même attaque que celle de «Sister Ray» - You can depend on your family/ You can depend on your friends = Doc and Sally inside/ They’re cooking for the down five - c’est exactement le même fabuleux entrain, et il amène son refrain avec un brio inégalable - You need a busload of faith to get by - Il continue de bien gratter ses poux avec «Good Evening Mr. Waldheim», le Lou est en forme, il recrée son vieil hypno tentaculaire. Avec «Sick Of You», il fait du Dylanex à l’état le plus pur. Back to the heavy rockalama avec «There is No Time» battu par Fred Maher. Ça ne rigole pas. Le Lou fait des ravages et il ramène la grosse stand-up de «Walk On The Wild Side» sur «The Last Great American Whale». Et tiens, encore un coup de génie : «Beginning Of A Great Adventure», jazzé à la stand-up. Le Lou te refait le coup du big New York City groove.

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             Avec le «beautiful» Magic And Loss, le Lou rend hommage à deux «dearly departed old friends» : Doc Pomus et Rotten Rita, «the opera-and-speed freak who was always known at the Factory as the Mayor.» Doc Pomus, ça remonte à l’enfance : Lou adorait ses hits. Plus tard, il le fréquentera assidûment, lui rendant visite dans la chambre qu’il occupe à l’hôtel. Le Lou dédie donc Magic And Loss à Doc. On y entend des cuts extraordinaires, à commencer par «Power & Glory» où chante Little Jimmy Scott, l’un des chouchous de Doc. Il y a un Part II de «Power & Glory» que le Lou chante en mode Velvet, c’est noyé de guitares et stupéfiant de grandeur totémique. Avec «Magician» il ramène sa présence inexorable - I want some magic to sweep me away - puis il atteint le cœur du dark avec «Dreamin’» - If I close my eyes I see your face - Il monte «Gassed & Stoked» au sommet du lard, il est probable que ce soit dédié à Doc - This is no longer a working number, baby - Le Lou parle de cendres dispersées sur la mer - You had your ashes scattered at sea - et puis bien sûr le morceau titre, le Lou y va. Lou y es-tu ?

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             Dans Set The Twilight Reeling, le Lou rend cette fois hommage à son vieil ami Sterling Morrison. Et Wally ajoute que l’album est assez gai, car le cœur du Lou bat pour Laurie Anderson. Wally parle carrément de love affair. Mais il doit d’abord divorcer de Sylvia. À 54 ans, le Lou semble avoir trouvé «the perfect-day relationship». Il se pourrait bien que Set The Twilight Reeling soit l’un des meilleurs albums du Lou et comme c’est dédié à Sterling, c’est vite noyé de disto, et ce dès l’affreusement beau «Egg Cream». Wild as Lou. C’est lui qui gratte. Le Lou devient le roi de la purée. Si tu aimes la belle disto, c’est là. Encore un coup fatal avec un «Trade In» complètement désespéré. Sa gratte surmonte le chant, l’idée est fantastique. L’autre coup de génie de l’album est le «Riptide» du bout de la nuit, le Lou plonge dans l’heavy downtown rock des seventies, il atteint un niveau d’intensité assez rare, il retient son cut par l’élastique du pantalon, c’est trop lourd, il éclate dans le rayonnement de ses accords, il grave son génie dans la falaise de marbre, il noie son Riptide dans la purée de disto, c’est très faramineux, le Lou sort du bois une fois encore, il enfonce tous ses clous à la fois, il s’en étrangle, in the riptide, il compte les secondes de son, les secondes de Soul, tu as la mélodie qui fond dans le gratté de poux, c’est quasi-hendrixien. Il rend aussi hommage à New York City avec «NYC Man» qu’il attaque à la Transformer - I’m a NYC man baby ! - La classe de la voix fait tout. Cet album bleu nuit est un so very big album. Le Lou n’en finit plus de faire autorité. Il tape «Sex With Your Parents (Motherfucker) Part II» à l’heavy groove provocateur. Il arrose ça de disto piss off, et ça donne un gros mix de Velvet d’antho à Toto et de NYC rap. Il descend ensuite au barbu avec «Hooky Wooky». Le Lou is on the run, spectacle fascinant. Il n’a pas l’air de s’affoler. Il joue de tous les effets. Sa gratte scintille under the wheels of a car. Il se place encore au-devant du chant avec «Adventurer». Il sonne comme une superstar. C’est l’apanage du Lou que d’être imparable.

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             Pour Wally, il n’y a rien d’étonnant à ce que l’album suivant s’appelle Ecstasy. L’happy Lou vit désormais sur son petit nuage et enregistre un «cool album». Pas moins de quatre coups de génie sur ce cool album, et ce dès «Paranoia Key Of E», énorme ramshackle, avec Fernando derrière. On croirait entendre Larry Graham au temps de Sly. Le Lou brille dans la nuit, Mick Rathke titille dans son coin et Fernando gronde comme le dragon des légendes obscures. Deuxième coup de semonce avec «Modern Dance», quasi-Dylanex dans le gratté de poux. Le Lou va au Van Gogh Museum d’Amsterdam et en fait une merveille - Doin’ a modern dance - Il te titille ça au mieux. Il ramène sa disto dans «Rock Mindset» et son chant du haut du crâne. Il rétablit la continuité avec le Velvet, il reste dans l’impertinence sonique, avec une prodigieuse gourmandise d’anti-conformisme, il noie son Mindset dans la graisse de disto - When you dance to the rock mindset - Et il enchaîne avec «Like A Possum», qu’il tape encore à la disto maximaliste et au chant noyé. C’est là que ça se passe : si tu veux comprendre quelque chose au Lou, alors écoute le Velvet et «Like A Possum». Ce cut est sans doute son testament, il te tient déjà en haleine depuis douze minutes avec de la disto et du chant d’hallali, ça donne l’un des moments rock les plus spectaculaires, tu n’entendras jamais une telle disto ailleurs. C’est du génie sonique à l’état pur. Tu crois que tu vas craquer à mi-chemin et le cut te berce, c’est infernal. Il règne sans partage sur toutes les régions de ta cervelle. Il revient toujours au chant, comme au temps du Velvet, cette fois sans Calimero, comme s’il voulait prouver que Calimero ne servait à rien. «Like A Possum» sonne comme l’extrême apanage du rock américain. Tu as le Lou en odeur de sainteté. En chair et en os. Tu renoues avec l’ampleur mirifique du Velvet. Au bout de 18 minutes, tu y es encore. Le Lou t’écrase sous sa prégnance indéfectible, et tu en voudrais toujours plus. Il descend du cut comme on descend d’un train dans un Western. On se régale encore de «Mystic Child», bien monté en neige. Leur parti-pris est le ramshakle. Rathke part en vrille et Fernando bassmatique au Love Supreme. Le Lou fait la part des choses dans «Tatters» - Some couples live in harmony/ Some do not - et il tape «Future Farmers Of America» au wild rockalama. Le Lou adore remonter au front. C’est sa raison d’être. Il chante sous un déluge de feu. Il déploie toute son envergure. Le Lou reste une artiste passionnant. Il sort une dernière fois du bois pour «Big Sky». Cut conventionnel, mais avec du power. Six minutes de Lou in the big sky. Tu n’apprends rien de plus que ce que te dit le Lou. Sa voix vibre de plaisir. Ce cut ordinaire dégage quelque chose de spécial. Ses amis lui sont très dévoués. Ils reviennent sans fin. C’est dingue ce qu’ils lui sont dévoués. 

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             Il ne reste pas cool très longtemps. Typical Lou. Il passe du septième ciel à Edgar Allan Poe avec The Raven. Un album dédié à Damie Chad - A series of extraordinary musical set-pieces inspirées des nouvelles et des poèmes de son vieux héros littéraire - Le Lou invite Ornette Coleman, David Bowie et bien sûr Laurie Anderson. Prends ton temps, car c’est un double CD. Il lit les poèmes d’Edgar Allan Poe. Il faut attendre «Prologue» pour commencer à claquer des dents. Le Lou descend dans l’émotion poétique - Oh pitiful soul - Il sort son meilleur baryton - The bed of death & the emotional corpses - La poésie de Poe rebondit dans la glotte du Lou. C’est très spectaculaire. Il passe en mode heavy boogie pour «Edgar Allan Poe». Le Lou semble brouiller les pistes, car Poe est tout le contraire du boogie. C’est comme si tu rendais hommage à Baudelaire avec de la diskö. Avec «The City In The Sea/Shadow», Willem Dafoe et Steve Buscemi font de la poésie cinématographique. Et voilà le coup de génie tant attendu : «A Thousand Departed Friends». C’est du Lou travaillé à la serpe, avec Paul Shapiro au sax, c’est à la fois demented et vénéneux, chargé des grattes du diable et tapé à la fanfare du village. Le Lou ramène tout son power et son gratté de poux inexorable. Puis ça devient purement littéraire avec «The Fall Of The Usher House» - And then I had a vision - On se croirait dans Les Tréteaux De La Nuit, tellement c’est bien foutu. Le Lou fait du théâtre, Poe est l’Hugo américain - Music is a projection of our inner self - Il reste au sommet du lard poétique avec «The Raven». Il crache méthodiquement ses syllabes. Tous les amateurs de poésie doivent écouter cet album.

             Le disk 2 est encore plus spectaculaire. C’est un pèlerinage interminable. Le Lou sort du bois avec «Burning Embers». Il choisit d’en faire un cut brutal et tribal. Il chante avec des glaires plein la glotte. Il bave du sang et des nurses volent à son secours. Il dialogue avec une goule dans «Imp Of The Perverse». On se croirait au Théâtre de la Cruauté. Tous les cuts sont longs, aventureux et intellectuels. On perd définitivement le Velvet mais on gagne un Lou qui prend ses distances avec son passé. Il fait de l’experiment littéraire avec «Vanishing Act», il barytonne pendant cinq bonnes minutes - Looking fort a kiss - Il recherche une certaine forme de pureté - With the young lady - Sa quête de modernité semble aboutir avec «Guilty». Ornette Coleman entre en scène et ça change la donne. Tu n’auras jamais mieux que «Guilty» avec Ornette. Il amène l’énergie du free dans le groove du Lou et ça tourne au miracle - Guilty what can I do - et Ornette pulse son free dans le call on my head. Le free fait bon ménage avec le Lou - Don’t do that - Puis le Lou continue de naviguer dans les mystères de la Boîte Oblongue avant de renouer avec l’éternité pour «I Wanna Know (The Pit & The Pendulum)», avec les Blind Boys Of Alabama qui te groovent le Gospel blues. Cette fois, le génie du Lou consiste à donner le micro aux Blind Boys. Puis il invite Bowie sur «Hop Frog» et ça donne en cut encore plus mythique, car c’est une sorte de réconciliation. Nouveau coup de génie avec «Who Am I? (The Tripitena’s Song)». Il plie son cut comme on plie un roseau. Nouveau shoot de Poe Power, le Lou donne toute sa mesure, l’orchestration démultiplie ses injonctions, il jette tout son poids de superstar dans la balance, il n’en finit plus d’écraser son champignon, il n’a jamais été aussi puissant - Who started this ? - Cet album faramineux s’achève avec «Guardian Angel», l’un des cuts les plus émouvants du Lou, un cut qu’il faut associer avec les magnifiques photos de l’album, l’épée, le Poe, le pacte.

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             S’il fallait résumer Animal Serenade en une seule phrase, ce serait : «Lou Reed est un magnifique artiste.» Magnifique dès «Tell It To Your Heart». Le Lou est capable de beauté intrinsèque. Il y va au Tell It. Avec le Lou, tu as la Chanson. Et la Voix. Avec des majuscules. Il t’en fait six minutes sans problème. Derrière, tu as Anthony et Fernando Saunders. Il enchaîne avec une magnifique mouture de «Men Of Good Fortune», puis son «How Do You Think It Feel» vire «Sister Ray», avec un vieux gratté de poux de Mike Rathke, le Lou ramène sa vieille niaque de Velvet craze. Pure émanation de «Sister Ray» ! Le Lou remonte au sommet de son lard fumant avec «Vanishing Act» - I hope you like it/ It must be nice to disappear/ To have a vanishing act - C’est poignant de beauté profonde. On se goinfre encore d’un «Ecstasy» claqué au Brazil du Lou et éclaté par un solo trash de Mike Rathke. Un Rathke qui refait des étincelles dans «Street Hassle», le Lou cite Tennesse Williams and maybe Raymond Chander. Mais quand Fernando Saunders chante («Reviens Cherie»), on perd tout. Le Lou boucle le bouclard du disk 1 avec l’indémodable «Venus In Furs». Profond et magnifique de shiny shiny boots of leather et ça retombe sur ses pattes d’I am tired et d’I could sleep for a thousand years, avec un solo étranglé d’agonie définitive, Anthony vient faire sa Nico, et le Lou claque son hit pour l’éternité. Le disk 2 est encore plus spectaculaire, car voilà «Sunday Morning» et «All Tomorrow’s Parties» qu’il chante à la glotte Velvet. Attaque sérieuse de bille en tête sur Tomorrow’s. On perd le violon de Calimero, c’est autre chose. Le Lou en fait un blast. Il annone plus loin «The Raven» - This is from the great American writer called Edgar Allan Poe and this is The Raven - Pur Poe sound. Groove morbide. Lecture du poème électrique - Some visitor intruding - Le Lou n’en finit plus de sortir du bois. Il attaque «Set The Twilight Reeling» au gratté victorieux, ça devient du big biz, pire encore, du big Lou. C’est Anthony qui chante «Candy Says», alors on perd le Lou. Il sort une dernière fois du bois pour «Heroin» - I - On sait tout de suite. C’est lui - Don’t know - Il revient faire son cirque - Just where I’m going - La foule chante avec lui - I’m gonna try/ For the kingdom/ If I can - Clameur populaire d’I just don’t know, c’est sans doute le hit du siècle dernier, le hit emblématique de toutes les dérives, avec «Like A Rolling Stone». Le Lou t’expédie ça dans l’enfer du paradis. Il connaît son bois par cœur. Il est le maître du guess I Just don’t know. Il joue de tous les climats d’I/ I wish that, il connaît tous les pourtours de l’excellence du when I’m rushing on my run et du when I put the spike into my vein, il combine toutes les dégelées d’Here/ Roin, il est le fabuleux Impersonator d’it’s my wife and it’s my life, il en fait un hit universel, il transcende tous les a-priori, il balaye tous les pères-la-morale, tous les rois de la petite semaine, le Lou sort du bois avec le plus bel art du monde, il est le full bloom de l’apologie des paradis artificiels et du my blood is in my head, le Lou est le Rimbaud du XXe siècle, il est à l’apogée du Just don’t know, à l’apogée d’une sorte de poésie définitive, la poésie rimbaldienne électrique.

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             Avec Hudson River Wind Meditations, Lou propose «an appealing collection of ambiant sound and noise.» Wally n’a encore rencontré personne qui ait réussi à méditer sur ces «collections d’ambiant sound & noise». Bon alors laisse tomber. Tu n’es pas obligé de tout écouter. Surtout pas ce machin-là.

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             Le dernier album du grand méchant Lou s’appelle Lulu, enregistré avec Metallica. Bon, là, il y a du boulot. Un sacré boulot. Pas seulement parce que c’est un double CD, mais parce que le mythe se mord la queue. On va essayer de dire pourquoi. Admettons que le premier soir, on écoute le disk 1. Ça commence bien ou ça commence mal, tout dépend comment on est luné et de ce qu’on s’est déjà mis dans le cornet. Avec «Brandenburg Gate», le Lou plonge dans l’insanité, ce n’est pas lui qui sort du bois, mais le son. Une énorme purée macabre, tu as un environnement funèbre balayé par des mauvaises odeurs - I would cut my leg and tits off/ Thinking of Boris Karloff and Kinski/ In the dark of the moon - Le Lou paraît à son avantage, il gueule par-dessus le chaos. On écoute son testament, il faut en rester conscient. Le Lou chante jusqu’à la dernière goutte de son. Dommage que ce soit avec ces mecs-là. «This View» ? Voilà pourquoi on ne voulait pas écouter cet album à sa parution. Le Lou est traîné dans la boue du metal. C’est la défaite d’un empereur. Commencer avec le Velvet et finir en compagnie de ces mecs atroces, quelle déconfiture ! Le Lou fait son biz, mais c’est trop metal, trop fucking metal, on n’est pas là pour ça - I am the table/ I am the view - Le vieux Lou de mer s’auto-détruit en explosant. «Pumping Blood» est une insulte à l’injury, ça devient blasphématoire. Ce disk 1 s’enfonce dans le metal. Le Lou renie ses racines, il brouille les pistes. Et soudain, alors qu’on commençait à perdre tout espoir, il revient aux trois accords avec «Iced Honey», bien gratté à la cocote malovelante. Derrière lui, les Metallica se prennent pour le Velvet. C’est assez comique. Le Lou mène le bal - If I can’t trap a butterfly or a bee/ If I can’t keep my heart/ When I want it to be - Il tartine son Iced Honey et réussit à domestiquer ces brutes horribles de Metallica. Avec «Cheat On Me», le Lou veut savoir - Why do you cheat on me ? - C’est normal - I have the loves of many men/ But I don’t love any of them - C’mon ! Et les Metallica s’autorisent à chanter, alors ça frôle la catastrophe.

             Curieusement, le disk 2 laisse une impression mille fois plus favorable. Les quatre cuts sont superbes ! «Frustration» et «Little Dog» sont dignes de Velvet. Le Lou t’enfonce son Frustration dans la gorge. La clameur metal vire Velvet, c’est très spectaculaire. Le Lou taille sa dernière route. Il la taille incroyablement. Il avance dans l’enfer de la ferveur. Il rétablit les équilibres anciens. Les Metallica fourbissent l’heavy redémarrage de la Frustration, ils fourbissent une authentique fournaise et du coup ça devient génial. Le Lou transforme le plomb du metal en or du Velvet. «Little Dog» est du pur Velvet. C’est travaillé dans un son pas violon électrique, mais c’est autre chose. Le Lou rôde encore. Le Lou travaille son mythe jusqu’au bout. Quand on écoute «Dragon», on comprend pourquoi le Lou a choisi Metallica : pour pouvoir plonger. Il avait besoin de replonger dans du son, comme au temps du Velvet. Le Lou est aux abois, c’est l’hallali du Lou, c’est ainsi qu’il faut l’entendre, il chante comme s’il allait mourir, il balance tout ce qu’il peut avant la fin - Ain’t it another way of dying ? - Solo de Metallica, purée surnaturelle, la purée rebondit ! La purée vit sa vie et le Lou revient dedans, le «Dragon» se noie dans le génie sonique. Ils ont réussi à dépasser les bornes, ça cogne dans les digues, c’est incroyable comme le Lou y revient, ça devient de l’immense intensité du Lou mythique, il chevrote à force de présence et de so rejected, c’est pulsé dans la purée des reins, du coup le Lou se retrouve avec une drôle de fière équipe derrière lui, what a flash et quelle leçon ! Aw my Gawd ! Le «Dragon» est tellement bon que tu le réécoutes dans la foulée. Puis il nous fait ses adieux avec «Junior Dad». Les Metallica travaillent bien les atmosphères, comme s’ils remettaient les compteurs du Velvet à zéro. Et là, tu as un son qui singe le violon de Calimero, c’est assez perturbant. Le Lou sort une dernière fois du bois. Sa voix prévaut dans tous les cas. Même avec Metallica. C’est d’autant Velvet que c’est Metallica. Difficile à expliquer, mais c’est ce qu’on ressent. On finit par comprendre que le Lou sait. Que le Lou fait. Et que ça devient sérieux. Because of Metallica. Pur genius. Tout le poids du Lou est là. Magie pure. 

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             Et pour finir en beauté, un petit coup d’Ace : What Goes On - The Songs Of Lou Reed, une compile parue en 2021 dans la prestigieuse collection ‘Songwriter Series’. Comme si la grandeur du grand méchant Lou ne suffisait pas, Ace te colle en plus la grandeur d’interprètes comme Alenjadro Escovedo, Iggy Pop ou encore les Swervedriver. Escovedo se tape «Pale Blue Eyes», il se risque sur le chemin du sometimes I feel so happy, il est pur, alors il s’y colle, il linger on pale blue eyes. Avec Swervedriver, tu as tout de suite du son. Leur mouture de «Jesus» est à tomber dans les pommes. Ils ont autant de profondeur que Yo La Tengo. Ce fabuleux crocodile qu’est Iggy se tape «We Are The People» - We are the people without land/ We are the people without traditions - Il swingue le poème du Lou - We are the people without rights/ Without a country/ A voice/ Or a mirror - Iggy rend hommage au peuple noir - Beyond emotion - Une sorte de poème définitif. Iggy : «The poem is a statement. Lou Reed’s statement.» C’est l’hommage final. «We Are The People» sort de l’album Free. La version de «Walk On the Wild Side» est celle des Dynamics, «reggae dub from France». Ils sont complètement à côté, mais c’est osé. Le choix d’Ace est judicieux. Ils ont tapé dans une cover aussi éloignée que possible de la perfection. Yo La Tengo a choisi «I’m Set Free». L’Ira sait y faire. Il gratte ça au mieux des possibilités. Il gratte au cœur du mythe, il va là où c’est bien. On retrouve aussi le «Rock’n’Roll» de Detroit, le groupe de Mitch Ryder. Ça baigne dans la graisse. Il rend un hommage greasy au grand méchant Lou. On le connaît par cœur. On a tellement écouté cet album dur comme fer. Mitch Ryder pousse on petit scream. Sacré Mitch. C’est à Beck que revient l’honneur d’ouvrir le bal de la compile avec «I’m Waiting For Thr Man». Écoute plutôt l’original. Laisse tomber le Beck dans l’eau. Bryan Ferry s’en sort mieux avec «What Goes On». Le Bryan sait allumer son Lou. Il sait s’affirmer. C’est dingue comme tous ces mecs à la mode ont pompé le Lou. Bon il y a pas mal de plantards (Lloyd Cole, Kristy McCall & Evan Dando, Tracey Horn, Rachel Sweet), même Nico se plante avec «Wrap Your Troubles In Dreams». Elle est sculpturale et pénible. La compile reprend du poil de la bête avec les Primitives et «I’ll Be Your Mirror». Pure merveille hommagière. Tu as enfin le vrai truc, parfait dosage d’ingénuité et de big sound. On savait les Primitives fameux, mais là, ils rayonnent. Quel shoot de Velveting ! Le «Run Run Run» d’Echo & The Bunnymen est assez balèze, car chanté à la niaque de Liverpool. Autre merveilleux hommage britannique : le «Train Round The Bend» des Soft Boys. Ils te l’aplatissent vite fait. Sans la voix mais avec l’esprit. Les Delmonas font une version délinquante de «Why Don’t You Smile Now». Classic Childism. Rien que du beau monde. 

    Signé : Lou Ridé

    Lou Reed. Lou Reed. RCA Victor 1972

    Lou Reed. Transformer. RCA Victor 1972

    Lou Reed. Berlin. RCA Victor 1973

    Lou Reed. Sally Can’t Dance. RCA Victor 1974

    Lou Reed. Rock N Roll Animal. RCA Victor 1974

    Lou Reed. Lou Reed Live. RCA Victor 1975

    Lou Reed. Coney Island Baby. RCA Victor 1975 

    Lou Reed. Rock And Roll Heart. Arista 1976

    Lou Reed. Take No Prisoners. Arista 1978

    Lou Reed. Street Hassle. Arista 1978

    Lou Reed. The Bells. Arista 1979      

    Lou Reed. Growing Up In Public. Arista 1980

    Lou Reed. The Blue Mask. RCA 1982

    Lou Reed. Legendary Hearts. RCA 1983

    Lou Reed. New Sensations. RCA 1984 

    Lou Reed. Live In Italy. RCA 1984

    Lou Reed. Mistrial. RCA 1986  

    Lou Reed. New York. Sire 1989

    Lou Reed/ John Cale. Songs For Drella. Sire 1990

    Lou Reed. Magic And Loss. Sire 1992

    Lou Reed. Set The Twilight Reeling. Warner Bros Records 1996

    Lou Reed. Ecstasy. Reprise Records 1998

    Lou Reed. The Raven. Sire 2003 

    Lou Reed. Animal Serenade. Sire 2004 

    Lou Reed. Hudson River Wind Meditations. Sounds True 2007

    Lou Reed & Metallica. Lulu. Warner Bros. Records 2011

    What Goes On. The Songs Of Lou Reed. Songwriter Series. Ace Records 2021

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    Mick Wall. Lou Reed: The Life. Orion 2014

    Lou Reed. Transformer. Classic Albums. DVD 2001

     

     

     Romano n’est pas un romanichel

     - Part One

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             Bon alors Daniel Romano devait installer sa roulotte dans le coin, et finalement, il n’est pas venu. Dommage. On peut se consoler avec une poignée d’albums, en attendant son retour.

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             Avec le petit Romano du Canada, on est dans la strong pop et la country d’adoption. Il s’est fait une tête d’Américain du XIXe siècle pour la pochette de Workin’ For The Music Man. Il est bon, il fait son petit storytelling. On se croirait à Nashville. Son «Losing Song» plane comme un coucher de soleil sur la plaine du Far West - It’s so easy to have a losing song - Il chante d’un très beau tranchant. Il y va doucement, alors on le suit. On est là pour ça. Il tourne un peu en rond sur cet album, mais on l’aime bien le petit Romano dans sa roulette. Il nous fait penser à Reda Kateb dans Django. Une ravissante petite gonzesse vient le retrouver dans «On The Night» avec sa petite glotte humide. Même chose dans «So Free», elle arrive comme une prune offerte, elle duette, c’est très sexuel cette affaire-là. Cette folle de sexe continue de duetter avec le petit Romano dans «She Was The World To Me». Ils n’en finissent plus de choquer le bourgeois. Sa complainte est belle comme une langue à la sauce piquante. Et puis soudain, le petit Romano passe au heavy drive avec «Poor Girls Of Ontario». La roulotte danse toute seule. Il a l’orgue de Bob Dylan derrière lui. Puis il va commencer à s’enfoncer dans la routine de la roulotte. Il tape son «Joseph Arthur» au tatapoum des Memphis Three de Cash. Il s’amuse bien le petit Romanao avec ses roots.

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             Rien qu’à voir la pochette de Come Cry With Me, on sait qu’on est dans un album de country pure. Le petit Romano s’est déguisé en cowboy d’opérette. L’album est insupportable de country, une vraie collection de clichés. Et pourtant le petit Romano chante d’une voix dévorante. Le cut Saint-Bernard sauveur d’album s’appelle «Chicken Bill», shoot de wild country, il y va au baryton de desperado. Sinon, le reste est à pleurer de country despair, pleurer dans sa bière, bien sûr. So please take my heart.  

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             Il s’est fait une tête de jeune Tom Waits pour la pochette d’If I’ve Only One Time Askin’. C’est encore un album country qu’il tape à l’accent tranchant. Comme il a une vraie voix, il tartine. Cette fois, il propose de la heavy country avec du son. Il impose son incroyable présence vocale. Il tente de passer en force, à la manière de Geno qui lui ne passait jamais en force. Le petit Romano ramasse ses suffrages à coups de présence vocale intense. Il attaque «Strange Faces» en mode wild country, et c’est passionnant, car très chanté. Il fait même de la country de rêve avec «All The Way Under The Hill». Il dispose d’un son épais et sec, à la Hazlewood. Mais ce type d’album est dur à driver, il s’enfonce de plus en plus dans sa routine country et s’enlise. Heureusement qu’il a du son et une vraie voix, car ça pourrait devenir pénible. Il bourre la heavy country sexuelle de «Learning To Do Without Me» de violons et de larmes de crocodile. Il fait son big Romano avec «Two Word Joe», encore un shoot de heavy country qui passe comme une lettre à la poste. Le petit Romano est bien trop pur. Il t’épuise avec sa country de Canadien mal embouché. Il est encore pire que Gram Parsons.

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             En 2016, il arrête les conneries et passe aux choses extrêmement sérieuses avec Mosey. Il se fait une tête de Dylan 65 et jette sa country aux orties pour passer à la fast pop de fast ride. D’ailleurs son «One Hundred Regrets Avenue» est du Dylanex pur jus, il chante du nez, avec la pince à linge, et s’accompagne au piano. Il est à l’aise, pas de problème. Il profite d’«I Had To Hide Your Poem In A Song» pour se fondre dans le groove avec une voix de crotale, le petit Romano devient un surdoué de la ténèbre. Il est un peu comme Lou Reed, il tartine dans l’underground. Il est intense et incroyablement underground. Il s’en va ensuite groover «Toulouse» au you got me smiling. C’est bardé de son et de swing. Le petit Romano sait driver une diligence, comme le montre encore «Hunger Is A Dream You Die In». Il chante ça au doux du menton, sa pop est monstrueusement bien en place, il chante tout en plein dans le mille. Chaque cut est spectaculairement bon. Encore une énormité avec «Mr. E. Me», cette pop âcre et belle te prend à la gorge. Quel cirque ! Il chante toujours à l’accent tranchant, comme au temps de ses albums country, mais désormais, il vise la cosmic Americana avec «I’m Alone Now». Il profite de «Sorrow (For Leonard Cohen And William)» pour descendre dans sa cave chercher des accents à la Cohen et rendre hommage à Leonard. Il bâtit une sorte de bonne petite mythologie, avec «(Gone Is) All but A Quarry Of Stone» : c’est le cabaret de la cosmic Americana au soleil couchant, juste derrière les cactus. Le petit Romano est un effarant caméléon, un génie du do it all. Il visite le haut de sa toile avec «The Collector», il adore se brûler les ailes. Ici, tout n’est que chant, grosse compo, essai, bon album, il en remplirait des tonnes, et il termine cet album indomptable avec un «Dead Medium» tapé aux heavy chords. Il sait très bien éclater un Sénégal, pas besoin de lui faire un dessin. Il chante toujours à la voix de nez et veille à ce que le son reste énorme. À l’intérieur du digi, on le voit en T-shirt avec les bras couverts de tatouages.         

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            Ça se corse encore avec Modern Pressure. Quel album ! Il revient au Dylanex pur jus avec le morceau titre et «Dancing With Ladies In The Moon». Il pousse le jeu de la pince à linge à fond. Avec «The Pride Of Queens», il tape une country pop de haut vol, bien portée par l’orgue Hammond. Il reste dans le même son pour «Sucking The Old World Dry». Que de son, my son ! Le petit Romano finit par devenir aussi puissant que Geno. C’est un bonheur que de l’écouter chanter son Sucking. Il tape «When I Learned Your Name» en mode fast boogie par-dessus la jambe. Le petit Romanao est un fier à bras. Il enfile les cuts comme des perles, tout est alerte et clean, sur cet album. Son «Ugly Woman Heart Pt 2» sonne sec et net, ce cut se faufile comme une couleuvre de printemps. Le petit Romano remonte le courant du country rock. D’ailleurs, il n’en finit plus de remonter le courant de son album, avec un talent mirobolant. Ce petit veinard a tout : la voix, la liberté, l’horizon, l’underground. Il finit avec une petite merveille de country dylanesque, «What’s Become Of The Meaning Of Love». Il t’en bouche encore un coin, car le cut est assez pur et dur, on peut même parler de Beautiful Country Song, c’est somptueux, enduit de son, gorgé d’excellence, très impressionnant. 

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             Tiens encore un big album : Finally Free. Le Romano n’a que des chansons. Cette fois il prend le parti de chanter d’une voix d’hermaphrodite ajourné, mais belle voix au demeurant, et son «Empty Husk» d’ouverture de bal finit en big schlouff d’exaction météorique. C’est important de le souligner. Cet album fonctionne comme un sortilège, car il propose une pop d’entre-deux, une sorte de Fairport romanichel à la crème anglaise, généreux et foisonnant. Le petit Romano a les coudées franches et les dents longues, il vise la Cosmic Americana avec «The Long Mirror Of Time». Il flirte dangereusement avec la perfection, comme le montre encore «Celestial Manis», il va chercher d’extraordinaires textures anatoliennes, il groove dans les racines du ciel. Son art paraît si ancien. C’est d’une certaine façon l’album des tourbillons inespérés. Avec «Between The Blades of Grass», Romano travaille des climats complètement magiques, il y va à la Lennon, il pose sa voix aux portes du paradis. Finally Free est un album fondateur. Les échos de Beatlemania sont superbes, il les tempère à la spatule. Il orchestre encore de sacrées dérives d’orientalisme psychédélique avec «Gleaming Sects Of Aniram», il tisse des climax richissimes, sa technique consiste à traîner dans la longueur.

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             Il attaque sa période Daniel Romano’s Outfit en 2021 avec Cobra Poems. Il va encore créer la surprise avec deux cuts glam, «Animals Above Our Town» et «Baby If We Stick It Out». L’Animals est même assez wild. Le petit Romano peur provoquer des dégâts considérables. Il passe un solo en roue libre et revient dans sa bonne bourre. Il tape son Stick It Out aux congas de Santana. Il sait ce qu’il fait. Il sait chauffer le cul d’un cut et c’est tellement bon que ça vire glam. Ce cut est une merveille d’évolution intrinsèque, il bascule dans le meilleur glam d’après la bataille. Tu vois très peu de gens capables d’un tel exploit sportif. Le petit Romano charge sa barque à la Méricourt. Il chante encore son «Still Dreaming» au sommet des seventies. Il a du génie, il faut le voir gratter sa fin de «Camera Varda» à la débine. Pur Grevious Angel, d’autant qu’il s’agit d’un hommage à l’Agnès de la rue Daguerre. Nouveau clin d’œil à Dylan avec «Tragic Head». Il s’y coule comme un camembert trop fait. Le petit Romano reste incroyablement véridique, c’est puissant, gorgé d’esprit, en plein Dylan 65. Encore du glam avec «Nocturne Child». Bel exercice de style glam. Après, s’il se fait traiter de caméléon, il l’aura bien cherché. Retour au heavy boogie blues avec «Holy Trumpeteer». Pur jus de seventies sound, quasi Stonesy. C’est Juliana Riolino qui chante «Tears Through A Sunrise». Elle y va la mémère, elle a du monde derrière, alors elle y va au la la la. Quelle belle dérive des continents.    

    Signé : Cazengler, romanichel

    Daniel Romano. Workin’ For The Music Man. You’ve Changed Records 2010

    Daniel Romano. Come Cry With Me. Normaltown Records 2013   

    Daniel Romano. If I’ve Only One Time Askin’. New West Records 2015 

    Daniel Romano. Mosey. New West Records 2016                  

    Daniel Romano. Modern Pressure. You’ve Changed Records 2017

    Daniel Romano. Finally Free. New West Records 2018

    Daniel Romano’s Outfit. Cobra Poems. You’ve Changed Records 2021 

     

     

    Wizards & True Stars –

     Musique de Chambers (Part Two)

     

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             À quoi tient la grandeur de l’histoire d’un groupe ? Parfois à bien peu de chose. Une poignée de souvenirs. Le meilleur exemple est l’histoire des Chambers Brothers qu’éclaire le modeste book que vient de faire paraître, quasiment à compte d’auteur, Lester Chambers, Time Has Come. Revelations Of A Mississippi Hippie. On chope l’info de cette parution dans Mojo qui fait un petit focus sur «Time Has Come Today», et en parcourant ces trois pages, on se pose tout naturellement la question : qui s’intéresse encore aujourd’hui aux Chambers Brothers ?

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             Et pourtant, le diable sait si les Chambers Brothers ont frappé les imaginations en 1968 avec «Time Has Come Today», ce single sorti sur CBS dans la fameuse collection Gemini et qu’on est tous allés barboter au Monoprix du quartier. Toute la réputation du groupe est bâtie sur ce hit superbe, réparti sur les deux faces du single, ponctué par la fameuse cowbell de Lester Chambers. Pour les petits culs blancs de France et de Navarre, les Chambers Brothers s’auréolaient de mystère, on les croyait puissants, primitifs et psychédéliques, ils naviguaient au même niveau que Jimi Hendrix et Sly & The Family Stone. Ils sont restés pendant plus de cinquante ans de mystérieuses superstars dont on ne savait pas grand-chose, et c’était bien comme ça. Dans l’expo consacrée au Velvet, New York Extravaganza, à la Villette, on pouvait voir un plan filmé complètement explosif : les Chambers Brothers sur scène chez Ondine’s. 

             Dans un Part One, quelque part en 2019, on a rendu hommage à George Chambers, l’aîné des Brothers, qui venait de casser sa pipe en bois. L’occasion était trop belle de dresser un autel de fortune pour saluer l’œuvre des Chambers Brothers. Leur discographie reste un don des dieux. Dans son book, Lester Chambers ne s’attarde pas trop sur les albums, il raconte quelques souvenirs, comme le font tous les vieux nègres au soir de leur vie, et ces souvenirs valent tout l’or du Rhin. Lester Chambers n’est pas n’importe qui. On le considère comme un sage. D’ailleurs, il suffit d’examiner la photo qui orne la couve. Lester semble rayonner de sagesse psychédélique.

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             Sa préface est un modèle du genre. Il commence par raconter qu’il a joué devant des centaines de milliers de personnes au festival d’Atlanta et au fameux Newport Folk Festival, histoire de rappeler que les Chambers Brothers étaient durant les sixties un groupe extrêmement populaire aux États-Unis. Il enchaîne aussi sec avec le biz : «J’ai reçu mon premier chèque de royalties en 1994, mais entre 1967 et 1994 : rien. Les music giants avec lesquels j’ai enregistré ne m’ont payé que pour 7 albums, je n’ai jamais reçu un penny pour les 10 autres.» Et il conclut le chapitre biz ainsi : «À 79 ans, j’essayais de vivre avec 1200 $ par mois. Un fond de soutien nommé Sweet Relief m’a donné de quoi vivre. Seulement 1% des artistes peuvent engager des poursuites. I am the 99%.»  

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             À l’origine, Lester, George, Joe et Willie Chambers sont un quatuor de gospel, mais ils sont capables de jouer du folk et surtout du rock, ce qui va les rendre inclassables et terriblement en avance sur leur époque - The Brothers had no home. Ils étaient too Rock for Folk, too secular for Gospel, and too raw, real and passionate for Rock - Robert Darden les classe dans les great Soul shouters, qui selon lui, inclut le plus grand d’entre eux, Archie Brownlee des Blind Boys Of Mississippi. Il ajoute que la musique des Chambers «still confronts listeners», au même titre que celle de Sly & The Family Stone et d’Andrae Crouch & the Disciples. Pete Sears voit Lester Chambers comme un pionnier : «Lester Chambers is the real deal. Il fait partie d’une élite d’artistes comme Otis Redding, Sam Cooke et Curtis Mayfield qui ont cassé le moule et inventé une musique nouvelle qu’on appelle la Soul Music.» 

             Au début était non pas le Verbe, mais une pauvre ferme de Carthage, in Echo Hills, Mississippi. La famille Chambers compte 13 enfants, 8 garçons et 5 filles. L’aîné s’appelle George, comme son père, puis viennent Willie, qui sera le guitariste du groupe, Lester et Joe. Le père George est sharecropper, c’est-à-dire métayer, pour le compte d’un patron blanc, Mr. Doug, qui est aussi Grand Dragon du KKK. Mais il protège ses nègres, car ils bossent pour lui. Comme dans toutes ces histoires-là, le patron blanc vient voir le chef de famille une fois l’an pour lui donner ce qu’il a gagné dans son année aux champs : 50 cents - That’s all you cleared this year, George. Mais réfléchis bien, ta famille a un toit sur la tête et tu sais que tu peux avoir tout ce que tu veux au magasin - Toujours la même histoire, Fred McDowell racontait exactement la même, une vie de travail aux champs pour rien. Endetté à vie. C’est le patron blanc qui s’enrichit et le nègre s’endette, car il doit acheter ses semences, ses engrais et tout le reste. Un jour, Daddy George va en ville faire deux trois courses et des gamins blancs commencent à l’embêter, du genre let’s have some fun with the nigger, mais Daddy George a du métier, il sort son couteau. Il rentre chez lui et dit à toute la famille de se planquer dans la pièce de fond, car les blancs vont rappliquer et ça va chauffer. Ils rappliquent le soir même avec des torches et une corde. Daddy George sort sur le perron avec son flingue et leur dit qu’il va y avoir des morts. Alors les blancs se barrent, car ils n’ont pas d’arme. Voilà en gros ce que Lester raconte de son enfance. Le Mississippi dans les années 40 est un endroit extrêmement dangereux pour les nègres. La vie d’un nègre ne vaut pas cher, sauf dans les champs pour bosser à l’œil.

             Le frère aîné George sera le premier à échapper à cet enfer en s’engageant dans l’armée. À sa démobilisation, il va directement s’installer en Californie. Pas question de revenir dans l’enfer raciste du Mississippi. Avec ses deux beaux-frères, il organise l’évasion de la famille. Les deux beaux-frères dont l’un s’appelle Arthur Lee, embarquent nuitamment Willie, Joe et Lester. Ils font gaffe, car Mr. Doug surveille la ferme. Les parents ne partent pas tout de suite. Daddy George préfère négocier son départ avec Mr. Doug. Comme tous les garçons sont partis, Mr. Doug va finir par lâcher prise. Il trouvera facilement une autre famille de nègres à exploiter dans les champs. En gros, Hound Dog Taylor a vécu la même chose et il est allé vers le Nord. Les Chambers vers l’Ouest.  

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             En Californie, les Chambers Brothers commencent à se produire sur scène et chantent du Gospel. Puis on leur demande d’électriser leur set, alors okay, fait Lester - We like Jimmy Reed. We like Hank Ballard. We like Lightnin’ Hopkins as well as Brownie and Sonny. Alors on a décidé de jouer those slow Blues, speed ‘em up and turn them into Blues rock. So, in my opinion, we invented the genre of Blues Rock and never got credit for it - Ils s’électrifient. Grâce à leur relation avec Barbara Dane qu’ils accompagnent en tournée, ils entrent en contact avec Pete Seeger et se retrouvent au Newport Folk Festival en 1965, devant 54 000 personnes, en remplacement de Josh White qui est malade. Ils font du Jimmy Reed with gospel harmonies. Dylan les voit. C’est l’année où il s’électrifie, lui aussi.

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             Eh oui, Dylan flashe sur les Chambers. Il les fait venir à New York car il les veut comme backing singers sur Highway 61 Revisited. Mais Columbia finit par virer les backing vocals, donc on n’entend pas les Chambers. Pour les entendre, il faut choper un bootleg d’Highway. Après la session, Dylan les emmène chez Ondine où il joue. C’est là qu’ils rencontrent Brian Keenan qui va devenir leur batteur et le «5th Chambers Brother». Puis les Chambers vont devenir pendant six mois the house band at Ondine’s - We became the in thing in New York - Berry Gordy vient les trouver pour leur proposer un deal, mais ils gagnent déjà plus que ce que propose Gordy. Il les fait cependant attendre dans la limousine et quand il ressort du club avec Diana Ross, elle ouvre la porte de la limousine et s’exclame : «Mais qui sont ces nègres in my car ?». Fin de l’épisode Gordy. Pendant qu’ils vivent à Greenwich Village, ils voient beaucoup Jimi Hendrix sur scène, et Jimi vient beaucoup les voir. Alors ils se mettent à papoter et deviennent super friends - We did a lot of hangin’ out, girl chasin’ and catchin’ you know? All that good stuff! - Pas mal, non, pour quatre blackos échappés de l’enfer du Mississippi ? Ils sont potes avec deux des plus grands artistes de leur époque : Dylan et Jimi Hendrix.

             C’est grâce à la Dylan connection qu’ils rencontrent John Hammond Sr. Hammond les signe sur Columbia, l’un de ses derniers «coups» avant la fin de son contrat d’A&R chez Columbia. Mais Lester découvre vite que ce contrat est une nouvelle forme de sharecropping. Columbia les exploite et ne leur verse rien : «On devait financer nos propres enregistrements et les musiciens qui jouaient avec nous.» Ils ont en plus le taux de royalties le plus bas, car on les considère comme des nègres des champs. En prime, ils font peur au staff de Columbia.

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    ( David Rubinson)

             Les Chambers connaissent leur âge d’or avec «Time Has Come Today» - Everything on Time Has Come Today was done in one take. Not the first take, mais une fois qu’on a démarré sur la bonne, on ne s’est plus arrêtés - L’idée de la chanson leur est venue en voyant des tas de jeunes faire du stop sans savoir où ils allaient - The times were very psychedelic. People were taking a lot of acid - C’est grâce à David Rubinson que le hit existe. Le boss de Columbia Clive Davis ne veut pas de «Time Has Come Today», c’est hors de question, alors Rubinson décide de l’enregistrer en cachette. Il propose de l’enregistrer live, pas d’overbud, pas de rien, direct. Clive Davis n’est pas au courant, et quand le single sort, il vire Rubinson qui a une femme et deux enfants. Lester dit aussi que Rubinson a battu le beurre pour eux quand Brian Kennan était malade. Profitons de cette belle parenthèse pour rappeler que David Rubinson aida Skip Spence à enregistrer Oar. C’est aussi lui qui produit les premiers albums légendaires de Taj Mahal, de Moby Grape et de Santana. On retrouve son nom au dos des pochettes d’un paquet d’albums de Taj Mahal et de quasiment tous ceux de Moby Grape. Plus The Voices of East Harlem. Enfin bref, avec des mecs comme lui, on n’en finirait plus.

             Les Chambers se produisent at Steve Paul’s Scene, le club le plus hip de New York, Lester fréquent tout le gratin dauphinois de l’époque - Tu pouvais voir John Lennon ou George Harrison. George Harrison was quite the cat. Not Ringo or Paul. They had a different mindset. Jimi Hendrix, the McCoys, the Winter Brothers, Johnny and Edgar, Tim Leary et Donovan traînaient at the Scene - Lester y découvre aussi l’acide - I believed in living life to the fullest - Il en parle merveilleusement bien - You could do everything you wanted to do. You had to see it at first. You could sit and visualize things - Il dit avoir tellement adoré ça qu’il a pris de l’acide chaque jour pendant trois ans et demi. Un soir, sur scène au Fillmore, il sent qu’il quitte son corps - Je me suis envolé, j’ai plané au-dessus du public et j’ai vu mon corps sur scène - Lester dit qu’il doit tout ça à God. Une nuit, son téléphone sonne. C’est l’une de ses copines du Connecticut. Elle lui demande où il se trouve. Il lui répond qu’il est à Los Angeles. Mais elle lui dit qu’il était là, avec elle - I think we were both astral traveling - Il dit avoir vécu ses plus beaux trips while having sex - It’s a great connection. I give God all the credit. I’m a living miracle - Il va loin : «Life can be extended. I’ve been granted an extension.» Il dit être l’un de hommes les plus heureux sur cette terre. C’est Owsley en personne qui lui donne de l’acide. Avec ses frères, ils organisent des parties et tout le monde est sous acide - It was just so peaceful - Chez Steve Paul, Lester rencontre Andy Warhol et Timothy Leary. Et soudain, la coke arrive - True hippies hated it - Il préfère rester sous acide.

             Puis ils font une expérience malheureuse avec Gamble & Huff - The chemistry wasn’t there - L’album ne sort pas. Et Willie Chambers accuse Gamble & Huff d’avoir pompé les Chambers pour alimenter les O’Jays. Et soudain, le monde des Chambers s’écroule : Columbia les lâche. Ils perdent tout : les bagnoles et les maisons. Ils se retrouvent à la rue.

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             Lester indique aussi que Johnny Otis l’a contacté à une époque pour lui demander de produire son fils Shuggie, mais Lester a décliné, «cuz Shoggie had a problem with taking direction at the time.» Lester dit ailleurs qu’il n’aime pas Wilson Pickett, parce qu’il maltraite ses musiciens. Et puis un soir, après un concert, Lester voit ses musiciens remballer et il leur demande où ils vont : Wicked Pickett «had stolen my whole band». Quand Jimi Hendrix casse sa pipe en bois, Lester n’en croit pas ses oreilles. Pour lui, ce n’est possible : «how could a man so well designed mistakenly take too much medication?». Il n’est pas si loin de la vérité. S’il lisait Two Riders Were Approaching, le book de Mick Wall, il serait effaré de voir à quel point il avait raison de se poser cette question. Lester rend plus loin hommage à Steve Cropper : «Steve Cropper is a genius.» Ils ont joué pas mal de fois ensemble - He plays hard and he lives hard - Lester ajoute que Cropper met le volume de son Twin Reverb à fond - He says that’s the only way he can play - Et hop; il passe à Miles et Betty Davis. Il rappelle qu’il a présenté Betty Malbry à Miles. Il fait une grande apologie de Betty, she was the deal - Un jour elle vient trouver les Chambers pour leur dire qu’elle a composé une chanson pour eux, «Uptown» - I just wrote this song for Lester cuz I know he can sing it - Then she started singing it, «I’m goin’ uptown to Harlem» - Miles la repère et demande à Lester de la lui présenter. «Oh man, I like her. That’s my kind of woman. Who does she belongs to?», et Lester lui répond qu’elle n’appartient à personne, «we’re just good friends.» Miles va l’épouser puis la répudier. Miles veut aussi enregistrer avec Lester. Il veut l’harmo de Lester sur «Red China Blues». Mais sur le crédit, il change le nom de Lester en Wally. Alors Lester lui demande pourquoi il a changé son nom. «Who is Wally?», et Miles lui dit que Wally n’existe pas. Qu’il est rien. Wally ain’t got nothing. Lester le prend mal et lui dit qu’il n’est qu’un cold-blood motherfucker. Il se lève et s’en va. Il ne reverra jamais Miles. Lester a compris beaucoup plus tard : Miles voulait que Lester quitte les Chambers Brothers pour partir en tournée avec lui. Il avait tenté de lui expliquer que ses frères n’étaient pas à son niveau - I need you with me - Mais Lester avait refusé son offre - I can’t do that to my brothers. I am a Chambers Brother - Miles a encore essayé de l’avoir avec un salaire de 50 000 $ par mois, mais ça n’a pas marché. Alors Miles l’a éradiqué. Wally Chambers. 

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             On trouve aussi dans le book une fabuleuse interview de Mike Wilhelm. Il remonte jusqu’en 1963, au temps où Brownie McGhee lui apprenait des licks, et où Sonny Terry enseignait des coups d’harp à Lester. Wilhelm apprend aussi des licks avec Mance Lipscomb qui vient du Texas. Pour lui, Lipscomb descend d’une lignée royale africaine - Amazing skin, I thought this guy’s gotta be descended from African royalty. He had that tremendous dignity about him, ya know? His manner was regal - Puis il indique que les Chambers se sont fait plumer - Well boy, nobody got messed over worse than the Chambers - Il fait bien sûr référence à «Time Has Come Today», the gigantic hit qu’on a mis à toutes les sauces. Et il ajoute pour conclure : «They’re friends of mine.»

             L’un des témoignages fondamentaux rassemblés dans ce book est celui de la superfan Janet Davis. Elle explique qu’elle a toujours eu beaucoup d’admiration pour les quatre frères, et surtout pour Lester. Elle a découvert une grande tolérance chez lui, notamment pour les blancs, une tolérance qui lui vient de son père, car dit-elle, c’est ainsi qu’il les a élevés - Peu importe la façon dont ils avaient été traités, ils savaient que ce n’était pas bien. Mais si vous étiez bons avec eux, alors ils étaient bons avec vous - Janet en veut un peu à Lester de ne pas l’avoir appelée à l’aide quand il avait des problèmes de blé - On l’aurait aidé. Ce qu’on a fait quand on a su - Leur manager les a complètement plumés, ajoute-t-elle.

             Un autre témoignage captivant, celui de Jewel Chambers, l’une des sœurs de Lester. Elle raconte que Daddy George avait du sang indien et qu’il savait soigner les gens avec des herbes. Lui et sa femme ont vécu très vieux, presque 100 ans. Elle dit que selon les registres, Daddy George serait né en 1885, mais il était peut être né avant. Elle raconte aussi qu’au temps de la ferme du Mississippi, la famille était très unie. En rentrant le soir des champs, tout le monde se lavait et mangeait ce qu’il y avait à manger, milk and cornbread, et après manger, toute la famille s’asseyait au coin du feu pour chanter - Sing and harmonize - Willie Chambers raconte qu’il a appris à gratter à l’âge de 4 ans - It’s a funny thang. I never had to learn how to play it. I could already - Il explique ça avec une extraordinaire simplicité. Pas besoin d’apprendre, je savais déjà jouer. Il explique que son frère George a appris à jouer de la basse with a washtub bass, et plus tard, sur une Dan Electro. 

             Lester a des enfants, mais il adopte aussi Andre, surnommé Dre. Dre se souvient qu’ado il marchait dans Manhattan avec Lester, et c’était «comme si la Mer Rouge s’ouvrait devant eux. He was such a big star.» Il décrit Lester portant un grand manteau et un chapeau en cuir noir, des bijoux en or et en turquoise, «et les gens s’inclinaient comme s’il était un dieu». Pour Dre, les Chambers Brothers ont vraiment marqué leur temps. Afin d’illustrer son propos, il rappelle qu’une semaine avant de casser sa pipe en bois, Prince est allé chez un disquaire de Minneapolis acheter ses six derniers albums : Talking Book de Stevie Wonder, Hejira de Joni Mitchell, The Best Of Missing Persons des Missing Persons, Santana IV, Inspirational Classics des Swan Silvertones et The Time Has Come des Chambers Brothers.

             Puis Dylan, le fils de Lester, rappelle que Yoko Ono a fait un don à Lester, via Sweet Relief, pour qu’il puisse payer ses factures d’hôpital. Elle lui a aussi avancé un an de loyer - Dad and John were really great friends back in the day - et Lester ajoute : «God bless you, Yoko.»

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             Dans Mojo, Lester conclut le jeu des questions croisées ainsi : «Il y a eu Arthur Lee & Love, Jimi Hendrix, Sly & The Family Stone, but we did it first.»

    Signé : Cazengler, Chambête comme ses pieds

    Lester Chambers With T. Watts. Time Has Come. Revelations Of A Mississippi Hippie. Amazon 2022

    Lois Wilson : Time Has Come Today. Mojo # 355 - June 2023

     

     

    L’avenir du rock –

    Cash est cash (Part One)

             L’avenir du rock a parfois la folie des grandeurs. Il se pointe dans un magasin et remplit son caddy : une pierre, deux maisons, trois ruines, quatre fossoyeurs, un jardin, des fleurs, un raton laveur, une douzaine d’huîtres, un citron, un pain, un rayon de soleil, une lame de fond, six musiciens, une porte avec son paillasson, un monsieur décoré de la légion d’honneur, un autre raton laveur, un sculpteur qui sculpte des napoléon, la fleur qu’on appelle souci, deux amoureux sur un grand lit, un receveur des contributions, une chaise, trois dindons, un ecclésiastique, un furoncle, une guêpe, un rein flottant, une écurie de courses, un fils indigne, deux frères dominicains, trois sauterelles, un strapontin, deux filles de joie, un oncle Cyprien, une Mater dolorosa, trois papas gâteau, deux chèvres de Monsieur Seguin, un talon Louis XV, un fauteuil Louis XVI, un buffet Henri II, deux buffets Henri III, trois buffets Henri IV, un tiroir dépareillé, une pelote de ficelle, deux épingles de sûreté, un monsieur âgé, une Victoire de Samothrace, un comptable, deux aides comptables, un homme du monde, deux chirurgiens, trois végétariens, un cannibale, une expédition coloniale, un cheval entier, une demi-pinte de bon sang, une mouche tsé-tsé, un homard à l’américaine, un jardin à la française, deux pommes à l’anglaise, un face-à-main, un valet de pied, un orphelin, un poumon d’acier, un jour de gloire, une semaine de bonté, un mois de marie, une année terrible, une minute de silence, une seconde d’inattention, et cinq ou six ratons laveurs, un petit garçon qui entre à l’école en pleurant, un petit garçon qui sort de l’école en riant, une fourmi, deux pierres à briquet, dix-sept éléphants, un juge d’instruction en vacances assis sur un pliant, un paysage avec beaucoup d’herbe verte dedans, une vache, un taureau, deux belles amours, trois grandes orgues, un veau marengo, un soleil d’Austerlitz, un siphon d’eau de Seltz, un vin blanc citron, un Petit Poucet, un grand pardon, un calvaire de pierre, une échelle de corde, deux sœurs latines, trois dimensions, douze apôtres, mille et une nuits, trente-deux positions, six parties du monde, cinq points cardinaux, dix ans de bons et loyaux services, sept péchés capitaux, deux doigts de la main, dix gouttes avant chaque repas, trente jours de prison dont quinze de cellule, cinq minutes d’entracte et plusieurs ratons laveurs.

             Voyant le caddy surchargé, la caissière acariâtre demande d’un ton sec:

             — Comment comptez-vous payer tout ça ?

             — Cash Savage !

     

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             Oh bien sûr, il n’est pas utile de chercher un lien entre Jacques Prévert et Cash Savage. Il n’en existe pas. Prévert sert uniquement de prétexte. Une occasion en or de saluer un vieil ami. L’adoration de Prévert et de son Inventaire remonte à la petite enfance, à peu près en même temps que Tintin & Milou : cadeau d’annive d’un grand-père génial qui vendait des livres d’occasion à la Bastille. Et puis il y a Drôle D’Immeuble. Et puis il y a Gildas qui lui aussi connaissait bien les ratons laveurs.

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             On voit Cash Savage trois jours de suite. Le premier soir, c’est un peu compliqué, car on cherche des gens dans la foule. Mais bon, on entend des échos favorables. Le deuxième jour, on les voit faire leur sound check et soudain, on comprend mieux ce qui fait la particularité de leur son : la violoniste amène une énergie considérable. Deux guitares et un clavier, oui, d’accord, mais c’est le crin-crin qui jette de l’huile sur le feu. On se moquait jadis du violon, jusqu’au jour où on entendit celui de John Cale. Pas de Velvet sans violon électrique. Pas de Cash Savage sans la violoniste sauvage.

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     Pendant le set, dans les temps forts, on la voit danser, comme emportée par le tourbillon, ces gens-là sont de gros cultivateurs de climax, ils donnent du temps au temps et leurs cuts finissent par engendrer une sorte de heavy transe australienne, c’est très particulier. Ils ont beaucoup de mérite, car ils doivent faire oublier la réputation bourre-et-bourre et ratatam du rock australien, surtout le rock des bars de Melbourne, un rock qu’on pourrait appeler le rock-aligot, bien bourratif. Quand tu y plonges ta fourchette, tu as du mal à la retirer. Avec le rock-aligot, tu colmates les fissures dans les murailles d’un donjon. Si tu avales bêtement du rock-aligot au repas de midi et qu’après tu vas te baigner, tu coules à pic, comme si on t’avait scellé les pieds dans une bassine de béton. Mais curieusement, les Cash font décoller le rock-aligot. Et ça marche. C’est un phénomène physique assez fascinant.

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    Et tu as la Cash qui drive tout ça en fixant la foule d’un air mauvais. Certains croient même que c’est un mec, avec ses cheveux courts et ses bras de docker. Rien de féminin chez Cash. Elle est là pour rocker la Bretagne. Alors elle te la rocke de plein fouet. Elle coule son corps dans le groove des Last Drinks. Le deuxième soir, Cash Savage se produit sur la grande scène. Et ça marche encore mieux. La foule les adore. Binic’s burning ! Les revoir une troisième fois ne pose aucun problème, d’autant qu’ils mettent un point d’honneur à proposer des sets différents. L’ambiance reste la même, les deux guitaristes cavalent dans la pampa, la rythmique-turbo-compresseur propulse tout ça entre tes reins et la petite violoniste superstar mène la gigue du rock-aligot, ça prend des proportions faramineuses, ils grimpent au sommet du lard fumant, comme s’ils étaient ivres de popularité. Cash Savage allume la gueule du Folk Blues Festival qui adore ça.    

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             Mais ce n’est pas fini. Jacques a entendu dire qu’il existait un book sur Cash au merch. Alors on s’y rend. Effectivement, ça se passe au fond d’un merch noir de monde. Il faut jouer des coudes pour s’y rendre. L’auteur propose quelques exemplaires d’un petit polar intitulé Dans Les Yeux De Cash Savage. Barbu, petit, Xavier Le Roux est en plus très sympathique. Il se fend de deux belles dédicaces pour les deux ex qu’on lui achète. Très belle dédicace : «Toi qui connaît la musique, on a dû te dire qu’elle adoucissait les mœurs. Vraiment ?». Il propose qu’on aille siffler une bière tous les trois le lendemain, mais on ne retrouvera pas sa trace. Dommage. Il reste le book. Il se lit d’un trait d’un seul. L’auteur réussit un petit coup de maître en situant l’intrigue à Binic, justement, et ce qu’il décrit correspond exactement à ce qui se passe quand on y séjourne et qu’on y fait la fête. La plage, l’alcool, la bonne ambiance et la musique. Le personnage principal s’appelle Niels, et il flashe sur Cash Savage qui se produit sur la grande scène, la Banche. Il s’approche de Cash pour la voir de plus près et retrouve dans son regard celui de sa sœur Paule disparue dans d’étranges circonstances 20 ans plus tôt. Le Roux parle en fait très peu de Cash Savage. Juste deux petites allusions. C’est un polar, pas un rock book. Niels mène l’enquête. Il veut savoir ce qui est arrivé à sa frangine 20 ans plus tôt, chez les punks de Saint-Brieuc. L’ambiance du polar est très punks à chiens, la bande son aussi. Le Roux écoute essentiellement du punk-rock. On n’apprendra rien de particulier sur Cash Savage. Peut-être n’y a-t-il rien de particulier à apprendre. Contentons-nous des concerts et des disks encore disponibles.

             Le dimanche, on cassait la graine sur le port et qui qu’on voit arriver ? Cash Savage. Alors on lui court après, on la rattrape et on la voit de près. Très beau regard. Fascinant personnage. Elle dédicace le book de Jacques. Moment extrêmement émouvant.

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             Le dernier album de Cash Savage & The Last Drinks s’appelle So This Is Love. Le graphiste a essayé de faire du faux enfantin pour décorer la pochette. Bon enfin bref, on ne va pas épiloguer sur le faux enfantin. Par contre, on va pouvoir épiloguer sur deux sacrés coups de génie : «Push» et «Keep Working At Your Job». C’est un peu comme à Binic, le premier coup, on se force un peu, et le troisième coup, on commence à adorer. Parce que c’est à Binic ? En tous les cas, le «Push» est wild as Cash, elle est dessus, avec une réelle compassion pour la désaille, elle te plonge son Push de Cash dans la bassine d’huile bouillante et en ressort un beignet d’une grandeur marmoréenne, c’est-à-dire démesurée - I’m not feeling too hot today ! Push ! - Elle pousse son Push à la roue. Les Last Drinks tapent dans un registre différent avec «Keep Working At Your Job». Il n’y a rien d’australien dans ce rock, ils se montrent très ambitieux, avec un côté anglais, très têtu. Mid-tempo hypnotique, très combinatoire, capable de conquérir des empires. C’est le genre de cut qu’on réécoute dans la foulée. Cette façon de poser les accords est très anglaise, très get it, très control, c’est chanté de biais, avec des notes frelatées introduites dans la vulve, ça s’envenime, I’m doing my best, ça éclate comme un fruit trop mûr, et là ils raccrochent les wagons et ça prend une tournure à la Méricourt du keep working at his job, il y a des nappes de crème anglaise et du heavy dub de dumb. Le cut percute. L’autre grosse surprise de l’album est un clin d’œil au Velvet : «Everyday Is The Same». Elle enflamme tous ses cuts avec entrain, et cette façon de poser les choses est très Velvet. Avec «So This Is Love», elle joue sur les effets. Ça met du temps à monter et ça monte au pulsatif, les Last Drinks sont les maîtres du pulsatif d’Ararat, rien ne peut entraver leur ascension, la Cash vise le summum du sommet, dans une fantastique clameur d’Elseneur. Tous ces musiciens ne sont pas là pour rien. Et comme le montre «Hold On», on voit tout de suite qu’elle sait descendre dans l’arène. Elle a vraiment un truc. Elle est précise et killeuse. Une vraie Russell Crowe. Elle transforme le big Cash System en fonds de commerce. Globalement, Cash Savage se confronte avec ses cuts. Elle y va et elle est bonne. Son heavy boogie ne laisse jamais indifférent. 

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             On se doutait qu’ils avaient un truc sur scène. Figure-toi que sur Good Citizen, Cash et ses amis ont un «Pack Animals» qui sonne comme un vieux cut des Modern Lovers, rien que ça. Voilà pourquoi ça marche sur scène, il suffit d’avoir les bonnes références. Ce Pack Animal est du pur hypno Velvet, via Pablo Picasso. En plein dedans ! - I’m not being too sensitive - pur Modern Lovers de dot dot dot exploiting me. Elle t’explose ça au everything gonna be right. On se souviendra de son not being too sensitive. L’autre point fort de l’album est l’«Human I Am» d’ouverture de bal. Elle y ramène toute sa morgue de docker. Ça manque de crin-crin mais que de son ! Par contre, la violoniste amène des relents de Velvet dans «Sunday», mais juste des relents, faut pas exagérer. Et Cash repart vite à l’assaut avec «Found You», c’est du gros Last Drinking. Des fois, elle fait un peu mal aux oreilles. Elle tente encore de faire du lard avec «Kings», elle rentre dans le chou du cut avec un voix vibrante et pleine d’avenir, et ça se noie dans de fabuleux éclats de poux. On croit entendre une dérive mal assurée. Elle chante au heavy glissando, devient vaguement maniérée et tape sans le vouloir dans une sorte d’extrême décadentisme. Elle termine cette belle affaire en nous prévenant : the collapse is coming. Elle fait son job, la petite Cash et se barre dans un beau délire de she don’t be afraid/ Dont be afraid of the violence.  

    Signé : Cazengler, coche sauvage

    Cash Savage & The Last Drinks. Binic Folk Blues Festival (22). 28/29/30 juillet 2023

    Cash Savage & The Last Drinks. Good Citizen. Milstetone 2018

    Cash Savage & The Last Drinks. So This Is Love. Glitterhouse Records 2023

    Xavier Le Roux. Dans Les yeux De CashSavage. La Geste 2022

     

     

    Inside the goldmine –

    Hicks Hicks Hourrah !

     

             Nix ne payait pas de mine. Le cheveu rare, le visage mal dessiné, la barbe mangée aux mites, des lunettes de pauvre rafistolées avec du sparadrap rose et un peu sale, il semblait collectionner toutes les avanies physiologiques. Pour un mec qui sortait tout juste de l’adolescence, il offrait le spectacle d’une désolation précoce. Sa maigreur n’arrangeait rien. Il était même déjà légèrement voûté. Il offrait toutes les apparences d’une proie idéale. Il incarnait parfaitement le souffre-douleur tel qu’il a existé dans toutes les écoles, dans toutes les colos, dans tous les collèges et certainement dans toutes les casernes. Quand les vannes commençaient à pleuvoir, Nix était le premier à se marrer. C’était l’occasion pour nous d’apercevoir ses dents pourries. On aurait dit qu’il en faisait exprès d’avoir tout faux. Et il rigolait de bon cœur. Même quand on le traitait de face de cul. Il attendait juste la suite. Il savait qu’après les mots venaient les gestes. La petite bourrade d’épaule, le petit coup de pied au cul. Il connaissait tout ça par cœur. Il alla s’asseoir au soleil sur un banc et posa son sac près de lui. Il en sortit une cannette de bière qu’il décapsula avec ses dernières dents, puis un paquet de tabac gris et un carnet de feuilles. Il commença à rouler sa clope. Il mit un temps infini à la rouler, il la voulait parfaite, il en tortilla l’extrémité avant de la coincer entre ses lèvres. Avant qu’il n’ait eu le temps de sortir son briquet, l’un des houspilleurs s’approcha et lui demanda s’il voulait du feu. Il avança la main et d’une pichenette, il délogea la clope des lèvres de Nix. Éclat de rire général ! Ah qu’il est con ce Nix ! Ah la tâche ! Alors Nix se leva, il retroussa les manches de son gros pull marin. Les rires cessèrent immédiatement. Nix portait sur chaque avant-bras un énorme tatouage. Celui qui couvrait son avant-bras gauche figurait un calvaire, semblable à ceux qu’on voit aux carrefours des routes, dans les campagnes. Autour du calvaire dansaient des crânes horribles et des inscriptions en caractères gothiques. Celui de l’avant-bras droit figurait un immense poignard. Deux serpents s’enlaçaient autour de la lame. Leurs yeux et le manche du poignard étaient colorés en rouge. Avant que les houspilleurs n’aient eu le temps de revenir de leur surprise, Nix leur était tombé dessus. Il commença par en choper un par le col et le frappa dix fois au visage, puis il lui brisa des os. Crack ! Crack ! Il en chopa un deuxième puis un troisième. Tout ça en un éclair ! Les autres s’enfuirent, terrorisés. Nix aurait pu défoncer la porte d’un coffre-fort d’un seul coup de poing. C’est à l’école de la vie qu’on apprend à ne pas se fier aux apparences.  

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             Nix ne paye pas de mine ? Il n’est pas le seul dans ce cas. Joe Hicks ne paye pas de mine non plus. Hicks a des faux airs de rasta et au dos de la pochette de son seul album, on le retrouve assis sous une véranda, avec, semble-t-il, des chaussettes bleues trouées. C’est tout ce qu’on a :  la pochette de cet album. On ne trouvera rien d’autre sur Joe Hicks. Il faut donc se contenter de ce portrait mal éclairé. Mais comme dans le cas de Nix, ce serait commettre une grave erreur que de ne pas prendre Joe Hicks au sérieux.

             Comment croise-t-on la piste de Joe Hicks ? Dans les parages de Sly Stone. Joe Hicks a enregistré un single sur l’éphémère label de Sly Stone, Sun Flower («Life & Death In G&A»), une petite merveille qu’on retrouve d’ailleurs sur l’une des compile qu’Ace consacre à l’early Sly, Listen To The Voices (Sly Stone In The Studio 1965-70), une sorte de passage obligé pour tout amateur de wizards et de true stars. C’est à l’aune de ces compiles qu’on mesure les hauteurs totémiques. On trouve aussi sur cette compile deux autres cuts de Joe Hicks, «I’m Going Home» et «Home Sweet Home».

             Aucun de ces trois cuts produits par Sly Stone ne figure sur le seul album de Joe Hicks, Mighty Joe Hicks, sorti en 1973 sur un sous-label de Stax, Enterprise. Les albums d’Isaac Hayes sont aussi parus Enterprise.

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             Quand on écoute Mighty Joe Hicks, on regrette qu’il n’y ait eu qu’un seul album, car l’Hicks vaut sacrément le déplacement. Dès «The Team», tu tombes sur une énormité rampante. Stax sound, bien sûr, mais on sent l’énorme influence de Sly. Hicks est une bête de Gévaudan. Planquez-vous ! Il tape ensuite «Nobody Knows You When You’re Down And Out» au heavy blues classique mais il sort un beau chat perché bien gras, et il n’hésite pas à pousser le bouchon. On sent chez une lui fantastique liberté d’expression. «Train Of Thought» sonne presque comme un hit, logique car co-écrit par Hicks et Freddy Stone. Jusqu’au bout de son balda, Hicks fait corps avec sa matière, il rentre dans le chou de l’interprétation, il s’en empare pour l’enrichir. Il chante au cœur de lion. En B, il s’en va bouffer le slow blues d’«Allin» tout cru, up and down, il groove exactement comme Stephen Stills dans «Season Of The Witch», même génie interprétatif. Le guitariste s’appelle Ken Khristian. Puis il chante «Water Water» en suspension et clôt l’affaire avec un «Ruby Dream» frelaté aux relents de reggae, ce qui paraît logique vu que Bob Marley et lui se ressemblent comme deux gouttes d’eau.  

    Signé : Cazengler, gros hic

    Joe Hicks. Mighty Joe Hicks. Enterprise 1973

     

    *

    Thumos nous semble un des groupes de post-métal les plus intéressants, une musique forte, une vision intellectuelle du monde, une démarche difficile et osée. Tout pour nous plaire. Voici les deux EP qu’ils ont sortis cet été.

    TYRANTS AT THE FORUM

    THUMOS / SPACESEER

    ( K7 / Bandcamp / 4 Juillet 2023 )

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    La pochette est sans appel. Une photo du forum romain des restes de la basilique Julia. Pour la petite histoire une basilique romaine n’était pas un bâtiment religieux. Ce sont les chrétiens en quête de lieux assez larges pour accueillir une vaste foule venue assister à la messe qui à la fin de l’Empire squattèrent ce genre d’édifice qui offrait de grandes salles dévolues à plusieurs types d’activités, très souvent c’est-là où se déroulaient les procès. La colonnade de la basilique Julia se retrouve dans les guides touristiques vantant la beauté de Rome. Ici c’est un peu raté, la photographie, largement sous-exposée, aux tons quasi-cadavériques, présente un aspect peu engageant.

    Le titre est sans équivoque. Les tyrans gouvernent la cité. Les noms se pressent à nos lèvres, Marius, Sylla, César, Caligula, Commode… Dénoncer les despotes disparus depuis plus de deux mille ans ne mange pas de pain, un passe-temps sans danger, il est des symboles qui ne trompent pas, ce n’est pas un hasard si Tyrants at the forum est sorti le quatre juillet, jour de fête nationale de l’Indépendance Américaine, non les dictateurs ne siègent pas au Sénat Romain, ils résident à la Maison-Blanche. Thumos sort un EP politique.

    Ce n’est pas la première fois. N’avait-il pas déjà le quatre juillet 2022, voici à peine un an, grâce à la sortie de The Course of Empire initié à partir d’une série de tableaux de Thomas Cole une longue réflexion sur le destin des empires de leur naissance à leur écroulement… (Voir notre chronique 562 du 07 / 07 / 2022). Certes l’on pensait à Rome, l’iconographie nous y poussait, aussi un peu aux Etats-Unis car le passé n’a d’importance que par son influence sur le présent, toutefois le propos pouvait être pris sur un plan beaucoup plus général, comme une méditation philosophique sur l’inéluctabilité de la fin de toute chose en ce bas-monde… Mais cette fois les notes de pochette s’avèrent des plus explicites : le déclin des USA se précise, peut-être même se précipite-t-il, la Cour Suprême a défait ou promulgué des lois qui protégeaient minorités marginalisées (LGBTQ), classes sociales inférieures, femmes, personnes racisées… Les divisions sociétales s’accentuent, l’ensemble tient encore   mais pas pour très longtemps si l’on n’y remédie point…  

    The Course of Empire avait été réalisé avec l’aide de Spaceseer. Très naturellement ce disque qui s’inscrit dans la continuation de l’opus regroupe les mêmes participants, cette fois ils ne mêlent pas leur action, chacun bénéficie de deux plages de ce split d’un nouveau genre car il s’agit d’écrire à deux mains des chapitres qui ne n’expriment qu’une seule et même idée.

    Spaceseer : Pseudonomas : le lecteur qui aura lu notre introduction risque d’être surpris, nous lui avons promis un drame et la musique de Spaceseer n’est en rien dramatique. Ceux qui connaissent Spaceseer ou qui auront lu chronique que nous lui avons consacrée (livraison 538 du 29 / 09 / 2022) le seront moins. Spaceseer évoque des univers fabuleux, cette œuvre évoque un conte merveilleux empli de rebondissements qui se déroulerait dans un monde féérique et de songe… Soyons logique, ce morceau se situe avant la catastrophe en gestation avancée. Une musique fluide, légère, allègre qui donne envie de danser, d’exulter, des synthétiseurs coule une eau pure, cristalline, euphorisante, un peu comme la pluie germinative qui tomba sur Woodstock porteuse de promesses non pas de liberté mais de libération, qui indique que le champ des possibles est en train de s’ouvrir… elle semble se transformer en torrent sonore mais la musique glougloute, ne reste plus maintenant que l’eau qui coule, qui ruisselle, porteuse d’espoir encore, mais qui se disperse, s’amenuise, se subdivise en minces filets invisibles, ils disparaissent goutte à goutte… absorbés par le sable de la réalité. Le rêve est terminé, éteint, mort.  Un conseil mettez le son très fort afin que vous puissiez entendre sur la fin les ultimes susurrements agoniques. Thumos : He spake thus : qui parle ? On s’en moque, d’autant plus que Thumos est un groupe instrumental, un tyran parle, ils disent tous la même chose, vous savez avant même qu’ils ouvrent la bouche. Les premières notes raviront ceux qui aiment les sagas grandioses et  les péplums tumultueux, cela vous a de la gueule, ça brille, vous vous calez dans votre fauteuil, vous voulez en prendre plein les oreilles, oui mais ça ne se passe pas comme vous le désirez, peu d’action, le rythme s’appesantit, c’est lourd, c’est noir, le son s’éternise, la batterie vous assomme avec la grâce d’un troupeau de pachydermes claudicants, refusent de disparaître, prennent un malin plaisir à tourner en rond autour de vous, vous comprenez que vous subissez les affres d’un ennui mortel, il tombe sur vous telle une chappe de plomb, mais vous ne saurez tenter de vous échapper, une grande menace plane sur vous et vous oblige à rester aux aguets, à vous méfier, à craindre, est-ce enfin la fin ce rebondissement et ce tintamarre qui vous strie les oreilles, silence, non le son revient, il tinte comme une berceuse funèbre, une nuit nauséeuse vous recouvre lentement. La structure finale de He spake thus est parallèle à celle de Pseudonomas, à une différence près : Spaceseer vous abandonne tout nu au milieu du désert, Thumos vous englue dans un cercueil de goudron. Thumos : Sophrosyne : une guitare davantage onctueuse, point du tout poisseuse, traversée de lumière mais des notes plus fortes viennent s’y greffer, pas destructrices, mais titillantes, inquiétantes, des éclairs, attention ils sont le signe de la foudre dévastatrice, avancez pas à pas, la sagesse n’est pas un acquis sous les lauriers de laquelle vous reposez, elle est une recherche, elle est une quête, une prudente avancée, danger les chausse-trappes et les coups tordus sont partout, surtout en vous-même,  la paix de l’esprit n’est pas pour vous, le voile de la vérité ne se nomme-t-il pas l’erreur,  vous ne triompherez de la grand menace incapacitante qui vous emprisonne que si vous parvenez à discerner ses faiblesses et à entrevoir la manière de la vaincre. N’espérez rien, contentez-vous de vous battre. La fin ressemble aux précédentes. La coupure n’est pas franche. L’entaille saigne. Vous n’êtes pas encore sorti de l’auberge. Ni de la caverne. Dans laquelle votre intelligence est engluée. Spaceseer : Hericium Hephaestus : Le titre peut paraître énigmatique. Il existe un ordre de champignons nommés Hericium. Au mois de janvier de cette année Spaceseer a sorti un opus dont la belle couve de Christopher Robert Andreasen représente un Héricium Crinière de Lion. Cet album numérique s’inscrit dans une suite dont les titres et les couves ne sont pas sans évoquer le monde des champignons : Pleurotos Djamora ( Pink Oyster Mushroom ), Pleurotos Ostreatos ( Blue Oyster Mushroom ), rajoutons Basileus Cerbensus, ces quatre albums content une étrange histoire, celle de deux peuples qui vivent en paix, mais cette entente osmosique résistera-t-elle au développement des mystérieux Colosses… le lecteur cartésien jugera ce récit un tantinet étrange, qu’il se souvienne des hallucinatoires vertus des champignons et qu’il se rende compte que ce conte cramoisi n’est pas sans rapport avec le thème de la désintégration des empires qui nous préoccupe.  A ma connaissance il n’existe pas dans le genre des Hericiaceae un Hericium Hephaestus. De même rien dans les légendes mythologiques consacrés à Héphaïstos ne me semble entretenir un rapport quelconque avec le monde des champignons. Puisque Hericium vient du latin hericius qui signifie qui porte des piquants, voir les formes des champignons qui appartiennent à cet ordre, notre Héphaïstos hérissé nous apparaîtra comme un Dieu contrefait d’autant plus redoutable qu’hérissé de pointes de feu. Intro hélicoïdale, grondements, souffles, un vent capable d’araser la terre, de balayer tout ce qui vit, tout ce qui existe, infiniment inextinguible, par en dessous peut-être une espèce d’écho indéfinissable, un moteur de désarticulation du monde agrémenté d’un sifflement si insidieux qu’il refuse de vous crisser les oreilles, un chaos sonore qui ne fait que passer, l’idée que vous ne pourrez rien bâtir sur cette base mouvante, elle semble maintenant si loin que le son faiblit, qu’elle vous a oublié, qu’elle ne se préoccupe pas de vous, une nuée d’orage, un aquilon insatiable qui vous a dédaigné, qui vous abandonne, qui vous laisse seul, terrible comme vous n’êtes qu’un grain de poussière pour des éléments déchaînés, si Héphaïstos est un habile artisan, la philosophie à coups de marteaux de Nietzsche n’en est pas moins redoutable. Ce n’est pas les dieux qui sont morts, c’est l’Empire qui a disparu emporté dans un tourbillon, identique à la tornade qui emmène Dorothy Gale au pays irréel du Magicien d’Oz. La musique s’arrête pour ne pas continuer indéfiniment. Ce morceau est bâti comme une traîne de queue de comète, à la manière de la coda des trois titres précédents. Des points de suspension qui laissent ouvert le domaine du possible…

    Notre interprétation est des plus pessimistes. Il n’est pas sûr que Thumos et Spaceseer partagent notre analyse. Les américains ne sont-ils pas un peuple fondamentalement optimiste.

     

    MUSICA UNIVERSALIS

    THUMOS

    Initiales grecques du prénom ou du nom des membres de Thumos : Δ ( delta) / Z ( zéta ) / M ( Mu) / Θ ( Théta).

    Quelle pochette disharmonieuse, qu’est-ce que cette cuvette de WC, quelle horreur, ne cédons pas à notre première répulsion, bien sûr tout le monde connaît ce truc innommable, ni plus ni moins qu’une représentation de notre deux pièces-cuisines que nous habitons, comprenez l’univers. Thumos nous surprendra toujours, après un EP politique, en voici un autre que nous qualifierons d’essai métaphysico-scientifico-musical. N’ont peur de rien, puisqu’ils se sont déjà attaqués (avec succès) à Platon pourquoi ne jetteraient-ils pas leur dévolu sur l’illustre astronome Johannes Kepler qui vécut à cheval sur les seizième et dix-septième siècles.

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    Attention il ne s’agit pas d’une biographie musicale, c’eût été facile, ce pauvre gamin rachitique peu aimé de ses parents, qui prétend devenir astronome alors que ses pauvres yeux ne voient pas très bien, c’était le succès assuré, pathétique bio musicale d’un handicapé persévérant qui réussit ce que les autres n’ont même pas pensé à faire, un sujet porteur comme l’on dit dans les rédactions,  non ils ont préféré se pencher sur la pensée de Kepler, ce n’est pas qu’elle n’est pas simple, c’est qu’elle est difficile. Rien que les illustrations de la pochette demandent de sérieuses connaissances pour prétendre la comprendre.  Thumos s’est seulement intéressé à seulement trois ouvrages de Kepler qui en a publié une quarantaine, oui mais les plus complexes.

    Mysterium cosmographycum : ( Le secret du monde, 1596: toute science procède des avancées qui l’ont précédée. Pour Kepler son prédécesseur est encore aujourd’hui célèbre il s’agit de Copernic qui lui-même n’a fait que confirmer par des calculs que oui Galilée avait raison la Terre tourne autour du Soleil et n’est donc plus au centre du monde… Reste à expliciter comment les planètes tournent autour du Soleil. Car apparemment ça ne tourne pas rond ! Kepler réfute la représentation du monde donnée par Ptolémée (deuxième siècle AP JC) basée sur le fait que la Terre était au centre du monde. Dans Le secret du Monde il avance une explication fausse qui ne demande qu’à être affinée… Comment et pourquoi se fait-il que toutes les planètes ne tournent pas sur une même orbite. Kepler ira chercher la réponse dans le Timée de Platon. Vraisemblablement son dialogue le plus difficile. Platon a établi une échelle de supériorité entre les différents solides le meilleur étant celui qui se rapproche le plus de la sphère conçue comme la forme parfaite d’où la gradation suivante : cube, tétraède, dodécaèdre, isocaèdre, octaèdre.

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    Ainsi s’explique l’image de la couverture que nous avons fort impertinemment décrit comme une cuvette de WC, chacun des polyèdres délimite les rapports de distances entre les orbes de deux planètes puisque ces polyèdres s’enchâssent les uns dans les autres. Ce qu’il faut retenir de cette sommaire présentation c’est que l’univers n’est pas soumis au hasard mais répond à des lois géométriques et arithmétiques. Son organisation est la preuve de la grandeur de Dieu… pour la plus grande gloire de l’Eglise catholique. A moins que vous n’y voyiez une preuve du génie de l’Homme capable d’ordonner mentalement l’univers. L’impression d’une équipe de constructeurs au travail, la batterie a ce mouvement incessant de charpentiers qui ne cessent une seconde de taper en cadence, avec derrière une onde majestueuse de recouvrement lent qui prend de plus en plus d’importance au fil du morceau, ruptures, un abattement qui ne dure que très peu de temps, et tout de suite s’établit un autre rythme, plus violent mais tout aussi ordonné, laissons-nous guider par l’image, l’on s’affaire à une étrange charpente, l’un après l’autre l’on s’attaque aux polyèdres de bois que l’on enchâsse dans le suivant, au fur et à mesure l’on tend la toile goudronnée de la voûte céleste que l’on a peinte par-dessus, évidemment ce n’est qu’une image qui représente le travail du cerveau humain qui fabrique et ajuste les concepts les uns aux autres, et exerce ainsi une mentale possession du monde. Musique un peu sèche, une espèce de taylorisme de neurones attelés à une tâche commune qui les obsède et les manipule. Astronomia nova : ( Astronomie nouvelle, 1609) : certes le monde est organisé et chaque planète possède son orbite mais cde quelle manièr au juste. Comment se fait-il qu’à l’observation les planètes semblent ne pas tourner totalement rondement autour du soleil. J’espère que vous êtes plus fort que moi en math pour comprendre comment Kepler formule sa première loi qui démontre que les planètes ne tournent pas en rond autour du Soleil mais qu’elles établissent leur rotation selon une trajectoire elliptique. L’en formule une deuxième : il prouve la régularité de ce mouvement elliptique. Non seulement ce n’est pas le hasard qui commande l’univers mais l’on peut désormais savoir et prévoir tout phénomène observable. Et même inobservable. Gazouillement printanier, qui n’est pas sans rappeler la Vita Nova de Dante, rythme allège, roulement incessant de battements, l’on a peine le temps de saisir l’allégresse triomphale de ce morceau qu’il est terminé, à peine plus d’une minute, pourquoi en rajouter, est-ce la peine, l’Homme grâce à son cerveau s’est donné les outils qui lui permettront de prendre mesure sur l’Univers. Harmonices mundi : ( Harmonie du Monde, 1619 ) : dans cet ouvrage Kepler expose sa troisième loi qui permet de comprendre pourquoi et comment les planètes ne tournent pas à la même vitesse. Pour lui ce n’est pas l’essentiel de son traité qui selon lui réside en cette constatation qu’il existe des similitudes entre ces calculs mathématiques et les lois de la musique. Il ne fait que reprendre le vieux concept de la musique des sphères établie par Pythagore selon lequel il existe une corrélation harmonique entre les intervalles qui séparent les planètes et l’intervalle de silence qui sépare les notes de musique. La silencieuse musique du cosmos que l’on n’entend pas, mais dont le sage est capable d’observer la partition en train de s’écrire dans le ciel, produite par le mouvement des planètes peut être nommée harmonie du monde. Ce concept d’harmonie du monde ne peut pas laisser insensible des musiciens. D’autant plus Thumos dont la musique instrumentale s’efforce de traduire et d’exprimer des pensées abstraites. Mais un tel projet demande un surpassement. Avec ce morceau Thumos nous donne la première véritable symphonie métallifère. Les impressions sont à leur maximum, il semble qu’il est impossible d’ajouter une seule note à ce morceau, tout l’espace sonore est occupée. C’est d’autant plus remarquable que nous sommes dans une espèce de connivence avec la musique spartiate de Mysterium Cosmosgraphycum. Seulement la sécheresse est ici remplacée par une profusion irrémédiable. Ce morceau a toutes les chances d’être écouté par les groupes qui voudront aller de l’avant. Anima Mundi : ce quatrième morceau ne se trouve pas sur l’EP présenté sur Bandcamp, il s’inscrit dans la suite logique de l’opus,  le concept d’âme du monde provient du Timée ( il n’y a pas de hasard ) pour employer un concept davantage moderne nous dirons que l’âme du monde est pour employer une notion chère à Gino Sandri l’égrégore, la force vitale dégagée par l’ensemble des éléments du monde réunis en une espèce de puissance agissante, indépendante du monde dont elle est l’émanation substantielle qui agit sur ce monde même. Fille du monde l’âme du monde est plus forte que le monde, Thumos se doit en quelque sorte obligé de surpasser l’occupation totalitaire de l’espace sonore exercé dans Harmonices Mundi. Imaginez un coureur qui vient de courir les cent mètres en zéro seconde et qui doit courir encore plus vite pour battre ce record insurpassable. Anima Mundi reprend la même amplitude sonore que Harmonices Mundi, mais il ménage dans l’intumescence maximale du flot sonore de brèves ruptures qui peuvent passer pour inaudibles. Ils donnent même au tout début l’impression de vouloir frapper plus fort, mais la problématique n’est pas là : si l’âme du monde est davantage que la totalité du monde, elle ne pourra être signifiée que par son absence, en d’autres termes il leur faut orchestrer la fin du morceau. Exercer sa décroissance, tout comme notre coureur se doit de courir en moins de zéro seconde, de sortir du temps pour battre son record. La gageure consiste maintenant à sortir de la totalité musicale en organisant une lente dégradation. Musique fragmentale qui prône la dissociation de la totalité. Peut-être l’équivalent de la dyade cette notion qui permettait à Platon de passer du Un au Deux. D’ouvrir les chemins du Multiple.

             Thumos vient de créer la musique metalphysique.

    Damie Chad.

     

    *

    Pire que le chat de Shrödringer qui peut être et ne pas être, une variante d’Hamlet que Shakespeare n’avait pas imaginé, celui-ci est bien vivant, il est vrai qu’il est anglais et que depuis les aventures d’Alice nous avons appris qu’il faut se méfier des britanniques matous, l’est apparu depuis près de trois ans, à première vue il semble inoffensif, ne cédez pas à la tentation de le caresser, un véritable réacteur nucléaire ambulant, l’irradiation des neurones que son miaulement provoque est irréversible.

    LIVE AT HOHM

    X RAY CAT TRIO

    ( Numérique Bandcamp / Vidéos YT  / Août 2023 )lou reed,daniel romano,lester chambers,joe hiks,thumos,spaseer,xray cat trio,rockambolesques

    Lied : Attention c’est du spartiate. Un studio, une prise, enregistrement direct sur K7, guitare + chant, basse, batterie. Filmé pour YT. Le trio du chat irradié ne donne pas pour cela dans le minimum syndical, vous les classerez en zone rouge entre garage et rockabilly, question lyrics ils aggravent leur cas, ne donnent pas dans le romantisme, ‘’quand je t’ai dit que je t’aimais j’ai menti’’, c’est le démenti éternel, carré, d’équerre, droit dans ses bottes. OK, la Gretch d’El Nico vous vlangue à la figure, une petite frappe, c’est Ric Howlin, ne perd pas son temps à faire des moulinets, frappe dur et sec, vous êtes déjà grimpé en haut des rideaux, c’est là que l’appartement se met à tanguer salement comme un bateau un jour de tempête, vous identifiez le fautif, Adam Richards, planté comme un if dans un cimetière il porte si haut le manche de sa basse sur son cœur que vous lui ouvrez illico les portes de l’enfer, de lui s’échappent de monstrueux rouleaux qui vous désossent la colonne vertébrale, sous sa moustache gauloise El Nico ne mâchonne pas son vocal, vous faudra réécouter le morceau plusieurs fois pour saisir toutes les subtilités soniques qu’ils vous assènent si rapidement que vous n’y voyez rien, heureusement que vos oreilles ont d’instinct reconnu que la bête malfaisante est aussi fascinante.  Sir Gawan and the Green Knight : aussi fort et violent que le précédent, mais changement d’ambiance. Un instrumental, notre chat triolique fut d’abord renommé pour être un groupe de surf, oui mais ce n’est pas une mince planche de polyuréthane qu’ils font glisser sur les vagues mais un char d’assaut qui crache du feu, lourd comme un cachalot et agile comme un dauphin, Nico a la dalle il vous bouffe Dick Dale tout cru, essayer aussi de choper la mince mimique de satisfaction d’Howlin lorsqu’il réalise sa rupture rythmique en catimini, pas vu pas pris, le pickpocket qui vient de vous chouraver votre portefeuille et qui vous sourit just for fun. Si vous avez déjà lu les aventures de Gauvain et du chevalier vert, dites-vous bien que cette version d’estoc et de taille est d’un vert particulièrement foncé. Morticia : Changement de braquet pour Adam Richards, jusqu’ à lors sa Big Mama était le seul objet du décor, mais rockabilly oblige ! Ne pas confondre avec Rawkabilly.  Ça sautille gentiment, c’est plus poppy que tout ce qui précède, Morticia nous rappelle Peggy Sue et Buddy Holly. Ne pas se fier aux apparences. L’on chantonne les paroles sans y prendre garde, pas tout à fait une bluette, du désir d’amour au désir de mort phonétiquement il n’y a pas une grande distance, c’est tout doux et tout enjoué mais notre Morticia est una noticia funebra. Certains acides qui ne bouillonnent pas sont aussi dangereux que le cyanure, vous avez la mort à vos côtés sur la photo, imitez-la, souriez. En plus avec les espèces d’hoquets ratés terminaux, vous avez l’impression que X Ray Cat Trio vous avertit du mauvais tour qu’ils vous ont joué.

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     Get a long gang :  vous remettent les pendules à l’heure, après la chanson d’amour vicieuse ils s’adonnent à ce qu’ils préfèrent : la chanson de haine, du genre je ne vous l’envoie pas dire, le rythme sautille aussi mais bien plus lourdement, chaque fois qu’ils touchent un instrument ( relativement souvent ) vous recevez une gifle, l’Howlin vous roule sur les pieds sans ménagement et vous enroule si fort  dans ses loopings battériaux  que vous commencez à croire qu’il a envie de casser ses baguettes de bois sur votre dos, vous n’êtes pas contre, à rock sado, fan maso. My mistake : Une reprise des Kingsbees,  l’est des fautes que l’on revendique tout fort, El Nico s’en charge très bien, vous aboie en pleine figure, c’est que, attention dans la vie, parfois les choix sont cruciaux, vous n’allez peut-être pas le croire, trouver la chose irréalisable, mais ils ont jeté leur dévolu sur le rock’n’roll et comptent s’y tenir, n’ont eu besoin de personne pour apprendre, ne regrettent rien et s’en donnent à cœur joie, Adam tape sur sa big mama comme s’il était le dernier des hommes à pouvoir le faire, Les éclats riffiques d’El Nico vous éblouissent et quand il essaie de filer un solo de derrière les fagots Ric prend un sacré plaisir à y taper dessus pour l’aiguiser afin qu’il vous perfore l’âme que vous n’avez pas.

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    Mad man on the loose : deuxième reprise, il me semble que les Flat Duo Jets sont moins mythiques que les Kingsbees ils ont pourtant lancé la vague des groupes à deux musiciens qui subsiste encore de nos jours. Très belle manière de terminer un disque. Profitez-en bien, le morceau ne dure pas deux minutes, c’est envoyé à fond les manettes, un El Nico apocalyptique qui répète les deux courtes lignes du vocal comme s’il récitait à gorge déployée un mantra réservé aux seuls serial-killers, et l’instrumentation qui sonne à la manière d’une batucada épileptique. Tout, tout de suite. Si vous n’aimez ni la défonce ni la déjante, abstenez-vous ce morceau n’est pas pour vous. Votre capacité intellectuelle n’aura jamais la puissance nécessaire pour l’appréhender à sa juste valeur.

    Que voulez-vous, it’s only rock ‘n’ roll !

    But we like it !

    Damie Chad.

    C’est la dernière parution du X Ray Cat Trio, ils en ont commis d’autres sur lesquelles nous reviendrons. N’oubliez pas que dans la nuit du monde tous les chats irradiés sont rock…

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 38 ( Paf-Pif ) :

    199

    Le Chef a déclaré qu’il allait fumer un Coronado car il avait besoin de méditer sur les mystérieuses intrications de cette préoccupante affaire.

              _ Agent Chad suivez mon exemple, prenez vos cabotos et promenez-les dans les rues adjacentes. Ces bêtes sont exceptionnellement intelligentes, capables de trouver un chaton abandonné en plein Paris, fiez-vous à leur flair, je suis sûr qu’elles découvriront une piste avant vous !

    Question rues adjacentes le Chef s’était trompé sur toute la ligne, z’ont posé le museau sur le bitume et les bestioles ont filé tout droit à toute vitesse. J’avais un mal fou à les suivre, apparemment elles tenaient une piste alors j’ai cavalé après elles sans trop me poser de question. Brutalement les cabotos se sont arrêtés, se sont assis sur leur derrière et m’ont regardé d’un air attentionné. Les sens en éveil j’ai jeté un regard circonspect autour de moi. L’endroit était des plus banals. Voitures stationnées, trottoir rectilignes, immeubles sans attraits. Etonnamment Molossa et Molossito ne prêtaient aucune attention à ce qui se passait autour d’eux. Leurs yeux restaient fixés sur moi avec obstination. Le danger serait-il derrière moi, je me suis retourné : rien de notable !

             _ Quéquya ?

    Ils n’ont pas répondu, Molossito a posé ses deux pattes sur la poche droite de mon jeans, à l’instant j’ai ressenti la vibration de mon portable, non de Zeus le Chef avait trouvé le chaînon manquant qui permettrait de débrouiller le mystère !

              _ Dix minutes que je vous appelle et vous ne répondez pas !

              _ Euh ! Oui…

              _ C’est moi c’est Alice !

              _ Alice !

              _ Venez me voir, 10 rue Championnet !

    Elle avait déjà raccroché ! Je n’eus pas le temps de vérifier où se trouvait la rue Championnet, les cabots filaient ventre à terre. Ils galopèrent sur deux cents mètres, et s’arrêtèrent inopinément à un croisement, je levais les yeux sur une plaque : Rue Championnet. Les chiens refusèrent d’y poser la patte. Je m’aventurai seul !

    Numéro 10, Tout pour le Matou ! Alice m’attendait à l’entrée de l’animalerie :

              _ Papa m’a donné deux billets de cinquante euros pour que j’achète une panière pour Alicia, c’est le nom du chaton, qui est une fille !

              _ Alice ton papa est un chic type !

              _ Il était trop content !

              _ D’Alicia !

              _ Non, du coup de fil qu’il a reçu ce matin, j’ai tout entendu, c’était la police, ils disaient qu’ils avaient retrouvé le corps de la sœur de Maman et qu’ils le replaceraient dans la tombe à 14 heures. Mais ce n’est pas tout, j’ai aussi entendu parler les employés !

              _ Du cimetière !

              _ Mais non, vous ne comprenez rien, de l’animalerie, ils disaient que hier soir quelqu’un leur a volé un chaton, de la même couleur qu’Alicia, ce serait marrant que ce soit elle ! En tout cas, vous pourriez m’offrir un coca !

    200

    J’ai hélé un taxi pour renter au local le plus vite. Quand le chauffeur a vu les chiens il a refusé de les prendre. Pas de temps à perdre pour discutailler. Je lui envoyé une balle de rafalos dans la tête, je sais ce n’est pas une balle juste, c’est juste une balle, juste pour lui apprendre à vivre, son cadavre éjecté sur la chaussée j’ai rejoint en toute hâte le Chef.

              _ Etrange !

    Le Chef ne partageait pas mon enthousiasme, il alluma un Coronado, puis un deuxième :

              _ Agent Chad, je n’y crois guère, téléphonez à Carlos qu’il passe nous prendre, bien sûr nous monterons la garde, mais croyez-en mon flair cela ne me dit rien qui vaille !

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             _ Agent Chad vous restez en faction dans la voiture à l’entrée du cimetière, que les chiens soient tapis à vos pieds, ils sont trop reconnaissables, vous nous prévenez par téléphone si vous remarquez quelque chose d’intéressant. Il n’est pas encore midi, Carlos et moi nous approcherons de l’objectif sans nous faire remarquer.

    Carlos et le Chef étaient méconnaissables. Le noir de leurs chapeaux de feutre jurait avec la blancheur de leur barbe et de leurs favoris, avec leur manteau sombre et le modique bouquet de roses qu’ils serraient contre leur cœur, ces deux petits veufs à la mine inconsolable ne pouvaient qu’arracher un sourire de pitié à quiconque les croiserait. Un par un ils rentrèrent dans le Père Lachaise et pas très loin de la tombe d’Oecila, ils s’abîmèrent dans la contemplation d’une pierre tombale… les rares personnes qui passèrent près d’eux respectant leur chagrin baissèrent la voix pour ne pas rompre leur méditation.

    Il était près de treize heures lorsque je les bipai par trois fois. Le père D’Alice entrait dans le cimetière. Les ordres sont les ordres, mais des ordres ne sont-ils pas aussi désordre, je suis sorti de la voiture et l’ai suivi de loin. Il paraissait nerveux et n’arrêta pas de faire les cent pas devant la pierre d’Oecila. A partir de treize heures trente, il ne manqua pas toutes les cinq minutes de sortir sa montre et de vérifier l’heure… 

    202

    A quatorze heures, il ne se passa rien. Gabriel tournoyait sur lui-même, se tordait le cou au moindre bruit dans l’espoir d’apercevoir un corbillard s’approcher. Quinze heures trente. Toujours rien. Tout dans son attitude trahissait l’incertitude. A plusieurs reprises il avait sorti son téléphone et tenté de rentrer en communication, en vain, ses gestes de dépit et son énervement croissant traduisaient son exaspération.

    Je pensais être invisible tapi entre deux gros tombeaux, il y eut comme de furtifs glissements pas très loin de moi, mon poing se referma sur la crosse de mon Rafalos, quelque chose déboula en silence dans mes jambes, je faillis pousser un cri de surprise : Molossa et Molossito ! Mais le pire ce fut cette main qui se posa sur mon épaule :

              _ N’ayez pas peur, c’est moi Alicia, je leur ai ouvert la porte de la voiture pour vous retrouver !

              _ Alicia, ce n’est pas la place d’une petite fille !

              _ Je n’ai pas peur moi, c’est Papa qui a peur d’Oecila, j’y vais !

    Avant que j’aie pu la retenir et elle courut vers son père :

              _ Papa, Papa, je suis là ! Tu ne crains plus rien maintenant !

    Gabriel se retourna et la saisit vivement dans ses bras :

              _ N’aie pas peur Alicia, il ne se passera plus rien maintenant !

              _ Mais je n’ai pas peur Papa, Maman m’a tout expliqué !

    Il voulut répondre mais il resta abasourdi, du monde qui l’entourait, moi, le Chef, Carlos – ils avaient retrouvé leur apparence habituelle - plus les aboiements sonores de Molossa et Molossito !

              _ C’est super tout le monde  est là, il ne manque plus qu’Alicia, je vais la chercher je l’ai laissée dans la voiture de Damie, j’avais trop peur qu’elle se perde dans le cimetière !

             _ Non Alice, je ne veux pas que tu me quittes, tu restes avec moi !

             _ Mais Papa elle va s’ennuyer si elle reste trop longtemps toute seule, c’est encore un bébé chat !

    Psychologue averti le Chef qui était en train d’allumer un Coronado prit la bonne décision :

             _ Ne vous chamaillez pas, vous avez raison tous les deux, nous partons tous ensemble à la voiture, plus vite nous y serons plus vite tu retrouveras ta minette, et plus vite nous pourrons enfin parler de choses intéressantes avec ton père !

    Toute heureuse Alice gambadait à une quinzaine de mètres devant nous, elle fit un bond pour ouvrir une portière mais elle poussa un cri et revint toute tremblante se jeter dans mes bras en hurlant :

              _ Il y a quelqu’un dans la voiture, à la place du chauffeur !

    Nous nous précipitâmes, il n’y avait personne à l’exception d’Alicia qui dormait sur la lunette arrière.

    A suivre…