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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 7

  • CHRONIQUES DE POURPRE 624 : KR'TNT 624 : WILLIE DIXON / PROTOMARTYR / BETTYE LAVETTE / THE MIRETTES / TAJ MAHAL / HOWLIN' JAWS / POGO CAR CRASH CONTROL /BANDSHEE / MOLLY MIDNIGHT VILLAINS / SOG CITY

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 624

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    14 / 12 / 2023

     

    WILLIE DIXON / PROTOMARTYR

    BETTYE LAVETTE / THE MIRETTES

    TAJ MAHAL / HOWLIN’ JAWS

      POGO CAR CRASH CONTROL / BANDSHEE

    MOLLY’S MIDNIGHT VILLAINS / SOG CITY

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 624

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Wizards & True Stars

    - Le président Dixon

     

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             D’une grosse voix de fausset à voyelles édentées, Willie Dixon rappelle que le blues, c’est les racines, et que tout le reste, c’est les fruits : « The blues is the roots. Everything else is the fruit. »

             Big Dix, c’est le boss. Big Dix bosse sa basse et les bat tous. Big Dix, c’est la bête, le boss du bon beat, le bull du blues. Il est le seul à pouvoir dire qu’il EST le blues.

             Willie a douze ans quand il se fait choper dans une maison abandonnée en train de récupérer des tuyaux de cuivre pour les revendre. Ça se passe du côté de Vicksburg, dans le Mississippi, où il est né. Pouf, au ballon direct, Ball Ground Country Farm, l’une de ces petites taules rurales dont les blancs racistes avaient le secret, et où tous les pauvres nègres ramassés dans le secteur étaient condamnés à travailler gratuitement dans les champs. Comme au temps de l’esclavage qui était pourtant aboli aux États-Unis, depuis le vote du 13e amendement en 1865.

             Puis il se fait ramasser une deuxième fois pour vagabondage près de Clarksdale, Mississippi. On lui inflige une peine de trente jours. Trente jours de prison parce que tu traînes dans la rue, pas mal, non ? Au bout de ses trente jours, le petit Willie a le cran de dire au gardien : « Hey man, my 30 days I know they’re up now ! » (Hey toi, mes trente jours, je sais qu’ils sont faits !) Le gardien ? Plié de rire. Arff Arff ! « Personne ne s’en va d’ici au bout de trente jours ! T’es là jusqu’à la fin de tes jours ! » La gueule à Willie !

             — Hein ? Quoi ? Non, non, non, c’est pas possible !

             — Mais si mon gars. Si tu veux partir, pars, mais tu dois courir plus vite que les chiens et les balles de fusil.

             Le type ne raconte pas d’histoires. Ici, à la Harvey Allen County Farm, ils tirent dans le dos des nègres qui cavalent dans les champs. C’est leur distraction favorite. Vas-y niggah, on te laisse trente secondes d’avance. Vas-y, sauve-toi niggah, n’aie pas peur ! Le niggah détale, comme aux Jeux Olympiques de Mexico, il fait à peine quelques mètres - bang ! - qu’il a déjà pris une balle de calibre 72 dans le dos. Ils font aussi le coup avec des chiens. Ils choisissent un jeune nègre qui court vite. Tu vois les bois, niggah ? Si tu arrives là-bas, t’es libre ! Le jeune nègre affolé se carapate mais ces ordures lâchent une vingtaine de chiens qui rattrapent le pauvre gars et qui lui sautent dessus. Il essaie de se défendre, il hurle, mais ça ne dure pas longtemps. Quelques secondes. Les chiens le dévorent, comme les loups dévorent l’élan isolé. Les chiens reviennent couverts de sang et ces ordures disent aux autres nègres d’aller laver les chiens. Quoi ? Willie et les autres emmènent les chiens à la pompe. T’as déjà essayé de laver un Beauceron couvert de sang ? Willie et les autres se font mordre. Les chiens ne se laissent pas faire. Du haut de ses douze ans, Willie voit tout le bordel des blancs. Il sait qu’il va risquer sa peau en s’enfuyant, mais il ne peut pas rester dans cet enfer. Au bout de deux mois, il réussit à se planquer et à voler une mule. Il fait confiance à la mule pour remonter au Nord. Faut pas traîner dans les parages, parce que les autres ordures le recherchent pour le donner à manger aux chiens. C’est un miracle s’il arrive sain et sauf chez sa frangine à Chicago. Exactement la même histoire que celle d’Hound Dog Taylor. Le rock revient de loin. Big Dix fera ensuite un voyage en train jusqu’à New York.

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             Il raconte tout ça dans son autobio, I Am The Blues. On ne peut pas écouter la musique des bluesmen noirs du delta sans connaître la réalité de leurs conditions de vie, dans ce maudit Deep South d’avant-guerre. Ces gens-là étaient en danger de mort parce qu’ils avaient la peau noire. Les Rednecks exerçaient exactement le même genre de barbarie que les nazis. Ils tuaient par simple haine et leur cruauté ne connaissait pas de limites. Si Willie Dixon ne s’était pas évadé de la Harvey Allen County Farm, il y serait resté toute sa vie. Tu vois un peu le plan ? Les fermiers du coin y trouvaient de la main d’œuvre gratuite. C’était du tout bénef, comme on dit à la campagne. Et Big Dix raconte que Captain Crush s’amusait à fouetter les nègres à mort. Les lanières de son fouet avaient des nœuds. En dix coups, il tuait un nègre en lui mettant les vertèbres à nu. Captain Crush les prenait un par un. Les nègres hurlaient : « Pitié monsieur ! » mais Captain Crush était un sadique et ces atroces bâtards pullulaient dans les plantations et les petites taules blanches du Sud.

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             Voilà en gros les souvenirs d’enfance de Willie Dixon. Pas de sapins de Noël ni de jeudis à la piscine. On comprend qu’après tout ça, il valait mieux éviter de l’importuner. D’autant qu’il a vite appris à se battre, au point de devenir champion de boxe poids lourd dans l’Illinois. Il s’entraînait avec Joe Louis. Et puis un jour, il a découvert un truc qui ne lui plaisait pas, alors il a tout cassé dans le bureau de l’organisateur du championnat et ça a mis fin à sa carrière de boxeur. Big Dix a connu le même destin qu’Arthur Cravan et Champion Jack Dupree. Comme Wolf, il était une force de la nature : « When I fought the Golden Gloves, I didn’t have any training. I just knocked out every damn body and that was it ! » (Quand j’ai combattu pour les Golden Gloves, je n’avais aucun entraînement. Je tapais dans le tas et voilà.) Big Dix grimpait sur le ring et envoyait au tapis tous ceux qu’on lui présentait. Quelle rigolade !

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             Heureusement, Big Dix va s’investir dans la contrebasse, mais à sa façon, « I was one of the most flashy bass players around. » Il ne voulait pas se retrouver au fond de la scène, dans le rôle de l’accompagnateur qu’on n’entend pas. Il voulait passer devant, « Give me a solo ! When it comes my time, I want to be seen and heard ! » Il veut qu’on le voie et qu’on l’entende. Alors Big Dix devient le stand-up man le plus heavy de Chicago. Il s’achète les fringues qui vont avec. « Back then, we started wearing real loud colors - red and green, yellow and purple suits and sharp, you know. » Big Dix porte des costards rouges et verts - comme celui de Muddy Waters - jaunes et mauves. On imagine le résultat : une armoire à glace black de 180 kilos en costume rouge dans les années quarante ! Le premier blanc qui marche sur mes pompes en daim, je lui démonte la gueule. Fini de rigoler. Les nègres renversent la vapeur. Ils marchent dans la rue et ce sont les blancs syphilitiques et dégénérés qui changent de trottoir. Avec le blues, les Blacks deviennent les rois de monde. Ils l’étaient déjà à New York avec le jazz. Mais ils s’emparent de Chicago et préparent la plus grande révolution des temps modernes : celle du rock, évidemment. Big Dix, Wolf et Muddy vont absolument tout inventer. Et on entre fatalement dans le chapitre Chess.

             Sans Chess, Big Dix n’est pas grand-chose. Sans Big Dix, Chess n’est rien. Voilà ce qu’il faut retenir.

             En 1940, Big Dix refusa l’incorporation, parce que dans son pays on traitait mal les gens de sa race (my people, comme il dit). Il s’est retrouvé en tant qu’objecteur de conscience devant des juges en 1942 et l’armée a fini par lui foutre la paix. Black and proud bien avant les Black Panthers et les poings levés de Tommie Smith et de John Carlos aux Jeux Olympiques de Mexico en 1968. Quand Cassius Clay devenu Muhammad Ali sera appelé sous les drapeaux, il suivra l’exemple de Big Dix. Pas question d’aller au Vietnam combattre des gens qui ne m’ont rien fait. Votre fucking guerre, vous pouvez vous la carrer dans le cul !

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    ( Leonard & Phill Chess)

             Leonard Chess fait de Big Dix son bras droit. Et comme Big Dix c’est le Gargantua du blues et qu’il connaît tout le monde, qu’il écrit des classiques et qu’il peut accompagner à la stand-up n’importe quelle pointure, il devient le héros Chess. Il gère tous les poulains de l’écurie la plus prestigieuse de l’époque, Muddy et Wolf, mais aussi Little Walter, Willie Mabon, Eddie Boyd, Jimmy Witherspoon et Lowell Fulson. Il accompagne Chuck et Bo sur scène. Il est dans tous les coups fumants de la grande époque. Mais les fucking frères Chess ont un problème assez grave avec l’argent. Big Dix fait tout, il fait le ménage, il fait les paquets quand il faut expédier des disques, il répond au téléphone, il cale des séances, mais il ne voit pas un rond. « They promised to give me so much against my royalties and then every week I’d have to damn near fight or beg for the money. » Et voilà, le cirque continue. Ces rats de Chess lui promettent de l’argent, mais l’argent ne vient pas, et toutes les semaines, Big Dix se dit qu’il va devoir gueuler ou quémander pour récupérer un peu de ce blé qui n’est qu’une « avance sur ses royalties ». C’est dingue, cette mentalité. Et après, on va tresser des couronnes aux frères Chess. Le seul qui se soit refusé à le faire, justement, c’est Willie Dixon. Parce qu’il s’est bien fait rouler la gueule. À cause de leur mentalité pourrie, les frères Chess méritaient mille fois de prendre son poing dans la gueule. Muddy a toujours su qu’il se faisait plumer par ces deux rats, mais il était d’un tempérament plus doux, et de toute façon, il avait reçu l’éducation de la plantation qui fait qu’on accepte tout, au nom de la survie. C’est Big Dix qui va déclencher les procès.

             Willie, Lafayette Leake et Harold Ashby sont le premier backing-band de Chuck en tournée. Willie raconte que Chuck conduisait vite et chaque fois qu’ils s’arrêtaient pour manger un morceau, Chuck commandait du chili. C’est tout ce qu’ils pouvaient se payer. Et Bo ! Alors Bo reprenait à son compte la tradition des tambours africains qui servaient à transmettre des nouvelles de village en village. « The drums are speaking and he’ll tell you what the drums are saying. »   

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             Willie observait le cirque de Leonard le renard. Il le voyait traiter avec de pauvres nègres qui n’y connaissaient rien, et il appelait ça de l’escroquerie. Évidemment, Big Dix ne savait rien du principe de copyright et quand il a découvert le pot aux roses, les frères Chess avaient déjà empoché des millions de dollars grâce à ses chansons. Regardez les crédits sur les rondelles des disques. Vous y retrouvez souvent le nom de Dixon. Comme ces disques des Rolling Stones et de tous les autres se sont vendus à des millions d’exemplaires, ça représente des paquets de millions de dollars.

             Big Dix a douze enfants, sept avec Elenora, puis cinq avec Marie Booker.

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             En 1959, il enregistre son premier album solo avec Memphis Slim, Willie’s Blues. On trouve quelques merveilles sur ce disque. Notamment « Nervous » où l’on entend Big Dix bégayer et slapper. On va retrouver dans tout l’album le jump blues de ses racines, avec des morceaux bourrés de swing comme « Good Understanding » et où l’on entend Al Ashby souffler dans son vieux saxophone en étain. On sent que l’enthousiasme des vieux blacks de Clarksdale est intact. Dans la voix de Big Dix, il y a du gras et de la gourmandise. Dans « That’s My Baby », on l’entend tirer le chewing-gum de ses syllabes. Big Dix se fait roi de la langueur et on l’entend faire un festival de slap dans « Youth To You », il fait ses petits ta ta ta et remonte, tong tong tong, il met son slap bien devant et devient le slapman sublime de Chicago. Il fait même un solo de slap dans « Built For Comfort ». Mais la perle rare se trouve en fin de balda. « I Got A Razor » est un classique vaudou superbe pourri de feeling. Now look, voilà Big Dix le voyou. « Man, you know I ain’t never/ Lost no fight/ I’m way too fast for that cat. » (Mec, je n’ai jamais perdu un seul combat. Je suis bien trop rapide pour ce mec.) C’est un peu le boxeur qui parle. Et il enfonce son clou avec l’histoire du grizzly. « Now look ! If me and a grizzly’s havin’ a fight/ No ! Don’t you think the fight ain’t fair/ You talkin’ ‘bout helpin’ me ?/ You better help that grizzly bear. » (Maintenant, regarde. Si je me bats avec un ours, tu vas croire que le combat est perdu d’avance et tu vas chercher comment m’aider, mais tu ferais mieux d’aider cet ours.) Ce qui fait la force du cut, c’est la crédibilité de Big Dix. « Man, you know I’ve got a razor/ And can’t nobody win over me/ When I got a razor. » Personne ne peut battre Big Dix quand il a un rasoir. Prodigieux.

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             Songs Of Memphis Slim & Willie Dixon sort beaucoup plus tard, en 1968. On y retrouve nos deux géants favoris dans une série de classiques du type « Joggie Boogie », animé par le piano western de Slim et les triplettes d’un Big Dix qui sonne comme un gamin atteint d’une crise d’allégresse. « Stewball » sent les chants des champs. Ils tirent cette prodigieuse énergie des vieux bagnes agricoles et en font de l’art moderne. Voilà comment deux nègres sortis de nulle part font éclater la modernité - All day round the race track all day long, all day long - S’ensuivent les trois parties de « Kansas City », occasion pour Slim de saluer Jim Jackson, guitar player from Memphis Tennessee. Leur « Roll And Tumble » n’est autre que l’ancêtre du « Rollin’ And Trumblin’ » popularisé par Cream. Et on tombe à la suite sur un fabuleux « Chicago House Rent Party » chanté à deux voix sous la forme du dialogue qu’affectionne particulièrement Big Dix. Ils se mettent au défi de jouer des parties sidérantes, et Big Dix sort un solo - You like it like that ? - I don’t know man try it again - Et Big Dix repart en solo de plus belle. L’effarant « 44 Blues » raconte l’histoire d’un mec qui se balade armé d’un 44, et « Unlucky » boucle la marche en racontant l’histoire d’un mec qui n’a vraiment pas de chance - I didn’t go to school, do you know/ The school burned down - Le KKK avait pris la fâcheuse habitude de brûler les églises et les écoles.   

              Big Dix flashe sur JB Lenoir : « He was a helluva showman’s cause he had this long tiger-striped coat with tails. We used to call it a two-tailed Peter. » Big Dix est fasciné par la queue de pie zébrée de JB Lenoir, qu’il appelait un Peter à deux queues.

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             Il existe un extraordinaire album intitulé One Of These Mornings. Big Dix et JB discutent dans le salon d’un appartement. On entend un baby pleurer. Big Dix demande à JeeBee de lui présenter ses morceaux et notamment « I Feel So Good ». Pas de problème lui répond JeeBee d’une voix fluette et enjouée, et paf, il attaque son boogie-blues des enfers, et tout seul, il swingue autant qu’un garage-band, et même mieux. Big Dix s’esclaffe - awite ! awite ! et il tape du pied - ils chantent ensemble - I’m so glad I know what’s on your mind/ I’m so glad I know what’s on your mind - pureté de l’instant, deux des plus grands artistes de blues à l’unisson. Puis JeeBee prend « One Of These Mornings » très haut - I will be gone/ I’ll get my suitcase made/ and up the road I’ll find my hone - yeah yeah fait Big Dix. Puis JeeBee va chercher son baryton pour chanter « Mumble Low ». En B, le cirque continue. JeeBee monte sur son falsetto pour aller chercher « Mama Talk To You Daughter » et Big Dix fait ses commentaires - No more - et ils reprennent à deux - you don’t talk to your daughter - et  JeeBee prend un solo à l’arrache - oh boy ! fait Big Dix. Et quand JeeBee annonce qu’il va jouer « My Mama Told Me », Big Dix répond : I tink that it’s gonna be awite. JeeBee le prend très haut, chat perché et Big Dix fait Good ! man ! Puis JeeBee tape dans le dur avec « Alabama Blues » - I’ll never go back to Alabama/ Alabama’s not a place for me - l’un des chefs-d’œuvre du blues moderne.

             Lors d’une tournée en Israël, Big Dix monte sur un chameau, comme le fit Gustave Flaubert lors de son voyage en Égypte avec Maxime Du Camp. « Slim was going to take my picture on the camel and when you’re sitting on it and they raise up behind you first, you almost fall forward and when they raise up in front, you almost fall backward. Slim was all set with his camera to take my picture and he ain’t got the picture yet. Some other guy took the picture of me on the camel because Slim was laying out, laughing. » (Slim devait me prendre en photo sur le chameau. Quand il se lève, le chameau se lève d’abord de l’arrière, et tu bascules vers l’avant et tu tombes presque, puis il se lève de l’avant et tu bascules vers l’arrière, et pareil, t’as vraiment intérêt à te cramponner. Slim n’a pas pris de photo. C’est un autre type qui l’a prise. Slim était écroulé de rire par terre).

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             Slim et Big Dix ont enregistré ensemble un album miraculeux, The Blues Every Which Way. Ils ouvrent le bal avec « Choo Choo », pur blues de train et Big Dix fait ses petits ponts pa pa pa papapa. On entend bien ses gros doigts boudinés claquer le caoutchouc des cordes de Chicago. Il adore voyager sur les entrelacs, il multiplie les incartades. Il va dans le slap et Slim chante avec une pureté de ton qui te réchauffe le cœur. Ce sont deux géants, au propre comme au figuré. Sur « 4 O’clock Boogie », Big Dix joue comme un dieu, c’est presque du slap drum, il pounde ses notes avec une incroyable déférence, et ajoute des effets de tagada de temps à autre. Il faut l’entendre emmener son boogie ventre à terre. C’est Big Dix qui chante « Rub My Root » en battant le beat sur le caoutchouc. Il a cette voix de portefeuille crapaud, grasse et tendue, cette voix de gentil géant avec des syllabes mouillées qu’il trempe dans le feeling de Vicksburg. Il fait ses séries de pivert sur les ponts. Sa chanson parle de la racine John The Conqueror capable de résoudre tous les problèmes. Dans « C-Rocker », il fait son numéro de virtuose de la triplette démultipliée et il envoie un solo de slap épatant. Il donne ensuite quelques leçons de maintien aux slappeurs blancs, en montrant comment le slap remplace la batterie et peut tirer comme une loco le train du boogie. C’est Big Dix qu’on voit foncer à travers la plaine. Slim ne fait que le suivre ventre à terre. Quelle superbe virée ! Big Dix revient au chant avec « Home To Mama ». Pour tous les nègres, Mama est le phare dans la nuit, car les familles ont été ravagées par la haine des blancs dégénérés. Le blues de Big Dix fend l’âme. Il met autant de Soul dans son blues que Marvin Gaye met de blues dans sa Soul. Big Dix voit Mama in the cold cold ground. La tuberculose faisait pas mal de ravages chez les nègres. Aller voir un médecin ? Tu rigoles ?

             En B, c’est la suite du festival, avec « Shaky » (Big Dix bégaye quand une gonzesse approche, fabuleuse intensité jazzy), « After Hours » (piano blues de rêve, intense qualité auditive), « One More Time » (jump-blues subtil coulé dans l’ambiance, encore une preuve de l’existence de Dieu - Willie conte les exploits d’une jeune négresse qui ne veut jamais s’arrêter de danser), « John Henry » (boogie blues chanté à deux voix - deux géants de Chicago), et « Now Howdy » (dialogue de génie entre Slim et Big Dix - Hello Slim, Hello Dix - If you don’t know how to do/You better ask somebody).

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             Un autre album solo de Willie Dixon vaut le détour : I Am The Blues, paru en 1970. Il y chante neuf de ses classiques, dont « Back Door Man », où il se montre moins convainquant que Wolf. Il est beaucoup plus décontracté, et cette version arrive vingt ans après l’âge d’or chez Chess. Big Dix recherchait une atmosphère plus conviviale, n’hésitant pas à latiniser son beat et à faire jouer un guitariste de manière sporadique, avec un glissé de manche ici et là. Pas trop souvent. Il reprend l’« I Can’t Quit You Baby » que lui a pompé Led Zep pour en faire autre chose. Pas question de jouer à chat perché comme Robert Plant. Big Dix préfère ses syllabes mouillées. Il est chez lui, il fait ce qu’il veut, c’est son blues, alors on peut lui faire confiance, non ? Il ne fera pas n’importe quoi. Quand on a vécu ce qu’il a vécu, on ne fait jamais n’importe quoi. On voit la vie d’un autre œil. On profite des instants, on vit la vie et on chante le blues avec un aplomb qui synthétise tout cet art de la survie. La perle de ce disque est la version vaudou de « Spoonful », montée sur un beat terrific. Big Dix prend ça à la manière de Wolf. Il se glisse dans la nuit des temps. En B, il tape dans d’autres classiques comme « I Ain’t Superstitious », « You Shook Me » (froti-frotah des nuits chaudes de Harlem, c’est Big Dix l’inventeur, il reprend à son compte toute la luxure développée par les nègres dans les ténèbres de l’esclavage - même enchaînés, ils baisaient), « I’m Your Hoochie Coochie Man » (Big Dix y va de toute l’ampleur de son registre, il sait faire traîner son everybody) et « The Little Rooster » (où il tient le blues par la barbichette).

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             Autre très bel album solo, Catalyst, enregistré en 1974. Big Dix va de plus en plus sur le funk, l’époque veut ça. Il va à l’essentiel, et fait comme tous les vieux crabes, il balance sa leçon de morale - I don’t trust nobody/ When it comes to my girl - Dans « God’s Gift To Man », il fait de la philo - l’amour est plus précieux que l’argent et l’or - Il frise le gospel. Big Dix sait de quoi il parle. Il a rendu ses femmes heureuses. Et puis on tombe sur une version faramineuse de « My Babe », swinguée jusqu’à l’os du swing. En B, il reprend son « Wang Dang Doodle » en mode bien primitif. Avec lui, c’est toujours all night long. Pas question de dormir, poulette. Quoi, t’es fatiguée ? Hopla babe, wang dang doodle, babe ! Et ça groove entre tes reins. Il a même un cut qui s’appelle « When I Make Love » où il explique tout - I don’t drink, I don’t smoke/ And I bring it up - Le roi Big Dix explique aux petits culs blancs comment on s’y prend pour rendre une femme heureuse tout la nuit - All I do is just satisfy... - Et ça continue dans le haut de gamme avec « I Think I Got The Blues ». Il sait comment entrer dans le lard du big fat Chicago blues - I tink I’got da blues - Fameux.

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             Deux ans plus tard, il enregistre l’excellent What happened To My Blues. Il chante « Moon Cat » à la pure puissance, comme Wolf. Même calibre, même férocité d’accent et même façon de mordre dans la gorge du cut. Il tape ensuite dans le heavy blues pour le morceau titre. Il sait driver la carriole, pas de problème, et Lafayette Leake pianote avec tout le poids de sa légende, et il ramène du limon en plus. Avec « Got To Love You Baby », on a une sacrée belle pièce de niaque à la Big Dix. Il est superbe. On sent qu’il se battra jusqu’à la fin. C’est un niaqueur de boogie sans pareil. Comme Wolf, il niaque au-delà de toute expectative. En B, on tombe sur une monstruosité de Chicago : « Oh Hugh Baby ». C’est gorgé de swing et Big Dix nous jive le booty du boogah, babe ! Encore un boogie de poids avec « Put It All In There ». Quel carnassier ! Big Dix bouffe son boogie tout cru. Il boucle avec « Hey Hey Pretty Mama », encore un cut écrasant de poids. Il est bel et bien le seigneur du boogie, le Capone du binaire de Pretty Mama, le trésorier du cul, l’excellence d’ambassade, l’oriflamme des troops, il éclate dans l’azur des légendes du rock et du blues.

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             Il revient dans l’actualité en 1988 avec Hidden Charms. Il chante comme un ogre las de vivre. « I Don’t Trust Myself » est incroyable de présence. Il affirme ne croire en rien - ni en lui, ni la police, ni le priest, ni le plane. Rien ni personne. Dans « Jungle Swing », il renoue avec son africanité - Oh Abyssinia my home ! - Big Dix se réclame de ses ancêtres - Listen to the rhythm swinging/ The drummer come rumbling down - Effectivement, c’est Earl Palmer qui tape le jungle beat ! Il donne des leçons de morale dans « Don’t Mess With The Messer » - I’m gonna bug the bugger/ I’m gonna trick the tricker - et il conclut - You can’t mess with the messer/ The messer gonna mess with you - On devrait l’appeler Willie Diction, car il chante à l’exquisite. En B, il passe au gospel avec « Study War No More ». Il renoue avec l’allant du prêche évangéliste d’église en bois. Et il nous redonne une fantastique leçon de swing avec « Good Advice » - You see you guys & girls in school/ You better study your books and don’t be no fool - Encore une fantastique leçon de diction - And if you keep on bettin’/ Then you’re bound to win - Il termine avec « I Do The Job », un heavy blues à la Big Dix, forcément monstrueux - You may be quick and slide/ You may be fast and greasy/ But I take my time/ And I’m slow and esay - Ça sent bon le sexe.

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             Paru en 1989, Ginger Ale Afternoon est la bande originale d’un film. On retrouve Big Dix au chant sur quelques morceaux comme « I Don’t Trust Anybody » (où il rappelle qu’il n’aime pas qu’on tourne autour de sa poule), « I Just Want To Make Love To You » (I don’t want you to be no slave/ I don’t want you to wait for days) et « That’s My Baby », blues jazzy de round midnite qu’il chante à la syllabe mouillée de vieil hippopotame, histoire de rappeler qu’il est une bonne pâte.

             L’essentiel du slap de Willie Dixon se trouve dans les disques de ses compagnons d’infortune, chez Chess. Comme sa discographie est devenue un marécage de compilations de toutes sortes, il faut rester prudent et se diriger vers des valeurs sûres comme la Chess Box ou le Blues Dictionary qui se complémentent assez bien.

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             Grâce à la Willie Dixon Chess Box, on peut réécouter le swing dément de Little Walter avec « My Babe »  (compo de Big Dix inspirée du vieux « This Train » de Sister Rosetta Tharpe). Ce morceau est l’archétype du gros swing des familles. Quand Big Dix  chante, il faut dresser l’oreille. Il chante « Pain In My Heart » d’un ton fêlé qui évoque Esther Phillips. Il a cette petite diction du nègre du delta héritée de ses ancêtres. La Chess Box est une merveille qui permet de réécouter à la suite Muddy Waters, Wolf et Willie Mabon. Mais le plus intéressant de tous, c’est probablement Little Walter, dont le « Mellow Down Easy » tire un peu sur le vaudou. Little Walter sait y faire pour déclencher les passions intestines. C’est l’un des artistes les plus sauvages de Chicago, et pas seulement à cause des cicatrices qu’il porte sur tout le corps. Il souffle dans son harmo comme un dingue. C’est lui le dieu de l’harmo. Autre retour de manivelle avec Bo Diddley dont le « Pretty Thing » a présidé à l’éclosion de bien des vocations. C’est tellement sauvage qu’on comprend que Phil May ait flashé dessus. Tout y est, le dépouillé de la classe, le jungle beat qui tue les mouches, le primitif de la forêt qui vaut largement tous les murs de briques de l’East End. Le fait que Big Dix  soit mêlé à ces purs moments de magie n’est pas un hasard. Mais la merveille du disk 1, c’est « Walkin’ The Blues », reprise de Champion Jack Dupree, que Willie traite à la manière laid-back des gros durs de Chicago - Slow down, man/ Don’t run so fast/ That’s the way to relax ! - C’est absolument somptueux de classe dixy.

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             Le disk 2 démarre avec le punk à la petite cuillère, l’infernal Wolf, une cuillère de café, une cuillère de thé, non, il veut juste une cuillère d’amour, et Bo Diddley revient avec le sidérant « You Can’t Judge A Book » monté sur une partie de basse démoniaque, mais apparemment, ce n’est pas Big Dix  qui joue sur la version originale. Dans le livret, on a indiqué « bass unknown ». Et pourtant, c’est la basse qui fait la classe du cut. Bo le dingue ! Pur génie. Et après ça s’enchaîne avec du Wolf et du Muddy haut de gamme, on retrouve tous les hits qui ont traumatisé les jeunes Anglais, « I Ain’t Superstitious », « You Need Love », « Little Red Rooster », « Back Door Man », « Hidden Charm » avec un solo fantastique d’Hubert Sumlin, « You Shook Me », avec le travail rampant d’Earl Hooker et soudain, on tombe nez à nez avec Sonny Boy Williamson, l’homme qui avale son harmo. C’est une version démente de « Bring It On Home », avec un strumming digne des géants du rokab et un swing furibard. L’excellence de la merveille ! Derrière, Matt Murphy gratte ses poux. Pur génie, une fois de plus. Et bien entendu, Big Dix est mêlé à tout ça. Le disk 2 se termine avec Koko Taylor, que Big Dix essayait de lancer. Mais Koko a trop de chien, elle frise même la vulgarité, mais il faut essayer de l’accepter comme elle est, puisqu’elle est la protégée de Big Dix. Il chante en duo avec elle dans « Insane Asylum ». Pure merveille. Big Dix sait planter un décor. Ce qu’il fait sur ce morceau est purement extravagant. Koko en rajoute. Ils sont fabuleux. Rien que pour « Insane Asylum », ça vaut le coup de choper la Box.

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             En fait, Big Dix  a eu la chance d’accompagner tous ces interprètes qui comptent parmi les plus grands de l’histoire du rock : Wolf, Muddy, Buddy Guy, Etta James et tous les autres. Dans le Blues Dixionary, on trouve un autre choix de morceaux. On retrouve les ouuuh-ouuuh de Wolf dans « Howlin’ For My Darling », la démence de Buddy Guy dans « Broken Hearted Blues », la fabuleuse pétaudière d’Elmore James dans « Talk To Me Baby », l’arrachage de glotte d’Etta James dans « I Just Want To Make Love To You » et encore une fois, le monstrueux « Back Door Man » de Wolf. Et puis Little Walter décroche la timbale une fois de plus avec « As Long As I Have You », il fait lui aussi le punk avant l’heure, il pousse des ah-ouh et défraie brillamment la chronique.  

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    (Scott Cameron)

             Mais Big Dix sent qu’un truc lui reste coincé en travers de la gorge : les magouilles des frères Chess. Alors il ne lâche plus le morceau, même après la mort de Leonard le renard : « You think of all the time Muddy spent with Chess, he got a few bucks but nothing like the amount of money you’d think he’d have. » C’est Scott Cameron qui met le nez là-dedans lorsqu’il devient le manager de Muddy. Il accepte de mener l’enquête. Il trouve la faille dans le système Chess : ces rats versaient à Big Dix un salaire hebdomadaire en guise d’avance sur les royalties. Donc ils employaient l’auteur et lui versaient une somme ridicule, par rapport à ce que rapportaient les droits d’auteur. Et c’est grâce à cette faille immonde qu’ils ont gagné le procès contre Arc, la société montée par les frères Chess pour encaisser les droits.

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             C’est Horst Lippmann - organisateur de l’American Folk Blues Festival en Europe - qui va secouer le cocotier pour de bon. Horst avait réussi à entrer en contact avec Big Dix et à devenir son ami. Quand il a compris ce qui se passait à Chicago, il a accusé les frères Chess de pratiquer une nouvelle forme d’esclavage. Même leur avocat noir était d’accord avec ce que disait Horst. Big Dix qui assistait à la shoote a blêmi car c’était la première fois qu’il voyait un mec attaquer les frères Chess de front. Leonard le renard était à la fois un père et un exploiteur. Il incarnait le patron blanc des plantations. C’est Horst qui fit basculer la situation. Il rappelait qu’il avait affronté la Gestapo pendant la guerre, alors, les frères Chess ça le faisait bien marrer. « I must say the Chess brothers did a lot for the blues, but they did even more for their own money. That’s okay in a way - only when they do tricky things, then it becomes problematic. » (Je dois dire que les frères Chess ont beaucoup fait pour le blues, mais ils ont encore mieux fait pour leur compte personnel. D’un côté, c’est OK - mais quand ils trafiquent les choses à leur profit, ça devient un problème. »

             Le livre de Willie Dixon est donc l’histoire d’un règlement de comptes, et heureusement qu’il s’en est mêlé, car les frères Chess seraient rentrés dans la légende sans avoir de comptes à rendre, alors qu’ils se sont enrichis sur le dos de pauvres nègres.

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             Et pour finir, on peut aller jeter un œil sur le film de Charles Burnett, Devil’s Fire, volume 4 de la série sur le Blues produite par Martin Scorsese : on y voit Big Dix taper un solo de slap en dansant du cul. Et comme il a un cul énorme, tu es comme marqué à vie par cette séquence. Alors laisse tomber les punks : Big Dix, Bo et Wolf étaient les vrais punks.

    Signé : Cazengler, Willie Picton

    Willie Dixon & Memphis Slim. Catalyst. Every Wich Way. Verve 1960

    Willie Dixon & Memphis Slim. Willie’s Blues. Prestige Records 1960

    Willie Dixon & Memphis Slim. Songs Of Memphis Slim & Willie Dixon. Folkway Records 1968

    Willie Dixon. I Am The Blues. Columbia 1970

    Willie Dixon. Catalyst. Ovation Records 1974

    Willie Dixon. What Happened To My Blues. Ovation Records 1976

    Willie Dixon & JB Lenoir. One Of These Mornings. JSP Records 1986

    Willie Dixon. Hidden Charms. Capitol Records 1988

    Willie Dixon. Ginger Ale Afternoon. Varese Sarabande 1989

    Willie Dixon. Blues Dixionary. Volume 2. Roots 1993.

    Willie Dixon. The Chess Box. MCA Records 1988

    Willie Dixon & Don Snowden. I Am The Blues. The Willie Dixon Story. Da Capo Press 1989.

    Charles Burnett. Devil’s Fire. The Blues, A Musical Journey Vol 4. DVD 2004

     

     

    Protomartyr de la résistance

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             We’re Protomartyr from Michigan. Laconique, le gros. Pas trop de contact avec le public. Il s’appelle Joe Casey. Comme ses collègues, il se fout du look. Casey porte un costard noir et une chemise noire. Zéro frime. Rien à foutre. Le pire, c’est les pompes.

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    Ils portent tous des pompes atroces, surtout celui qui gratte ses poux juste devant. Le bassman itou. On appelait ça autrefois le look MJC. Mais d’une certaine façon, ça repose de voir des mecs monter sur scène sans vouloir frimer. Les Proto sont des anti-rockstars et du coup, ça les rend éminemment sympathiques. Ils sont là pour jouer. Ils tapent un set d’une rare densité, ça joue à deux grattes, ils donnent une idée de ce que peut donner la modernité dans le Michigan, et ça passe par la violence, mais il s’agit bien sûr d’une violence expressionniste que canalise l’art.

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    Joe Casey chante une canette de bière à la main. Il la fout de temps en temps dans sa poche. Il a une dimension énigmatique, car il ressemble plus à un employé de bureau qu’à un chanteur de rock. Il s’impose à la force du poignet. Pour un gros, il ne transpire pas trop, il luit un peu sous les projecteurs, mais il ne dégouline pas. Il semble complètement en osmose avec son chaos, il déroule son écheveau mécaniquement et passe le plus clair de son temps à beugler dans son micro. Il a une dimension purement gargantuesque.

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    On a parfois l’impression qu’il va avaler le micro, tellement il ouvre sa gueule de shouter apoplectique. Pourtant, il n’en fait pas un spectacle, il ne cherche pas à impressionner avec des regards de fou, il reste dans son climax sonique et palpite comme un gros cœur. S’il avait une gratte, on pourrait le comparer à Frank Black. Ils se contenter de haranguer sans fin. Ils démarrent bien sûr avec un «Make Way» tiré de leur dernier album Formal Growth In The Desert, et dans la foulée, on retrouve d’autres cuts très tourmentés tirés du même album, «3800 Tigers», «For Tomorrow», «Elimination Dances» et plus loin l’excellent «Polacrilex Kid». Et tout va exploser vers la fin avec «Pontiac 87» et «I Forgive You» tirés  de The Agent Intellect.

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     Les Proto montent leur sonic trash à deux grattes au plus haut niveau, celui de l’exultation transcendantale, celle qui entre par tous les pores de la peau. Les deux grattes trament une cisaille intense qui se brûle les ailes, il tapent un rock fusion icarien qui chamboule tellement l’imaginaire que le set finit par prendre une dimension mythologique : il plonge l’auditoire dans la stupeur, comme si l’immense corps carbonisé d’Icare allait tomber lourdement et tous nous écraser.

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             Indéniablement, les Protomartyr de la résistance ont un truc, et plus particulièrement Joe Casey. Il suffit de l’écouter dans «Polacrilex Kid», l’un des hauts lieux de Formal Growth In The Desert, pour s’en convaincre définitivement.

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    Il a les deux mamelles qui font foi, la vraie voix et la big energy. Il chante tous ses cuts à la force du poignet, il établit une dominance spécifique. On l’imagine aisément en seigneur de l’An Mil, avec ses bijoux primitifs et ses fourrures. «Fulfilment Center» sonne comme un belle énormité, balayée par des vents de this is heartbreaking. Les Proto jouent tout à l’envers, à rebrousse-poil. Mais leur vrai fonds de commerce, c’est le Big Atmospherix, tu vois arriver «For Tomorrow» sous des violentes averses de son, même des dégelées royales. Joe Casey tient bien sa voix, elle ne flanche pas. Son Tomorrow résiste bien, car c’est un cut puissant et solide. Avec «We Know The Rats», ils replongent dans leur univers qui est un bel univers. On sent chez eux un goût de l’ostentation, regardez comme je suis balèze, leurs grattés de poux sont d’une rare démence, ils se payent de beaux passages à vide de petite pop à la mode, mais c’est pour mieux rebondir, comme par exemple avec «3800 Tigers», le Casey se hisse au sommet du son. Il lui faut des compos. Ils tapent «The Author» à la cisaille atroce. Ils bricolent leur petit univers de monstres à trois doigts. Vient qui veut. Ils se drapent dans la pourpre impériale de leurs climats sonores.

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             No Passion All Technique restera de toute évidence le meilleur album des Proto. Ça grouille de coups de génie, dans cette marmite. Leur son ne pardonne pas. Ils proposent la version moderne de la fournaise de Michigan, dès l’ouverture de bal, l’«In My Room» te saute au pif, avec un vrai rush de dégelée royale et un final explosif. Cette splendeur irradiée tombe du ciel. Les Proto développent autant de chevaux vapeur que les Pixies. Même sens inné de la démesure. La rafale des coups de génie commence avec «Machinist Man» : power pur, gratté aux entrailles, ça gratte avec des étincelles, il s’appelle Greg Ahee. Les Proto jouent à la relance méphistophélique. Tu n’en es qu’au deuxième blaster et te voilà sidéré pour de vrai. Ils varient les formats, chaque cut est différent du précédent, ils s’enfoncent comme un train fou dans des tunnels et tout explose à nouveau avec «3 Swallows». Joe Casey impose sa présence avec le même aplomb de Mark E. Smith. Format pop sublime, les Proto tapent dans le très haut de gamme. Tout explose en permanence. Encore plus demented, voilà «Free Supper». Greg Ahee cisaille ses poux, ça sent le cramé, et ça reste d’une violence suprême. Suite de la rafale des cuts intemporels avec «Ypsilanti» embarqué ventre à terre, cisaillé aussi sec, ces mecs-là ne s’accordent aucun répit, et voilà l’histoire de Lazare, «How He Lived After He Died», toutes les textures sont richissimes, cousues d’or du Rhin, Greg Ahee joue l’essaim définitif, il n’existe rien d’aussi tendu. Tout aussi passionnant, voilà un «Feral Cats» punchy, avec un riff raff claqué du beignet, c’est complètement explosé au sonic trash, ces mecs-là ne rigolent pas, tout est voué aux gémonies de l’hégémonie michiganne, et boom les voilà dans The Fall avec «Wine Of Ape», mais en plus virulent. Comment est-ce possible ? 

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             Un chien méchant orne la pochette d’Under Color Of Official Right. Toutes leurs pochettes sont très dépenaillées : un gros visuel moderniste, quasiment pas d’infos et le track-listing au dos dans une typo savamment bringuebalante. Inutile de dire que c’est encore un wild album. Avec «Tarpeian Rock», ils sonnent comme The Fall. Greed bastards ! Joe Casey dénonce, comme le fit Mark E. Smith en son temps, même niaque décapante. Tu as clairement l’impression que les Proto te jettent leurs albums en travers de la gueule, c’est en tous les cas l’impression que laisse une première écoute de «Maidenhaed». Tu restes ou tu te casses, c’est simple. Ça vaut le coup de rester. Rassure-toi, ça explose très vite, tu as les grattes de Méricourt, c’est-à-dire Greg Ahee. Et soudain tu réalises que tu te trouvais au pied d’un American guitar slinger de génie. C’est lui autant que Joe Casey qui est l’âme de ce brillant Detroit band. Le cut sur lequel il fait des miracles s’appelle «What The Wall Said». C’est noyé de poux. Greg Ahee persévère inlassablement. Il vole le show en permanence. On observe encore une grande variété d’approches dans un genre connu pour son austérité, la Post. Mais les Proto en font une fontaine DC de jouvence. «Trust Me Billy» sent l’habit noir et soudain, ça explose avec «Pagans», explosé par une dynamique de dynamite power-pop. Encore du Fall de Detroit avec «Bad Advice». Ils n’en finissent plus de tomber dans The Fall. Ces mecs-là vénèrent assez The Fall pour entrer en osmose avec leur esprit. L’album se réveille encore plus loin avec «I Stare At Floors», ils enfoncent le clou de la Post dans la paume du qu’en dira-t-on, bim bam, on entend d’ici les coups de marteau et ce démon de Greg Ahee arrose tout ça d’essaims dangereux. Énorme pression ! Comme le montre encore «Come & See», ils disposent de ressources inépuisables, ils n’en finissent de renaître comme des phénix du rock de Detroit, c’est lumineux et gratté à l’entre-deux. Les structures des cuts sont toutes riches et passionnées. Il terminent avec l’explosif «I’ll Take That Applause». Les Proto ont le power. Ils jettent tout leur dévolu dans la balance et te voilà conquis comme une cité antique.  

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             Orné d’un dieu grec, The Agent Intellect est un fantastique album. C’est un 12/12, ce qui est rarissime. Sur trois cuts, ils sonnent comme The Fall : «Cowards Starve», «I Forgive You» et «Boyce Or Boice». Belle tension, belle pression, c’est plein de vie et de mort, terrific d’übervalles et d’ultra spurge. Joe Casey pose ses mots comme le fait Mark E. Smith. Ils changent de structure à chaque nouveau cut, concassage différent pour «I Forgive You», chant plus pressant, c’est même la harangue de MES, et il entre encore à la MES dans «Boyce Or Boice». Décidément, c’est une obsession. Globalement, les Proto sont des Fall du Michigan. Chacun de leurs albums grouille de vie et d’invention. Voilà le «Pontiac 87» qu’ils tapent sur scène, vite embarqué par Greg Ahee. C’est lui le génie des Proto. Il injecte du fiel dans le cul du Pontiac. Quelle violence ! Et puis tu as le «The Devil In His Youth» d’ouvertured de bal, entrée en matière royale, ils entrent au palais en explosant la porte, tu as tout le power du Detroit punk servi sur un plateau d’argent nommé Greg Ahee. Pur genius, conquérant, voilà un cut gangrené de poux purulents, explosivement beau, monté à la clameur. Joe Casey chante son «Uncle Mother’s» au caoutchouc de la titube, c’est encore en plein dans The Fall. Ils sont effarants d’anglicisme. Même dévolu de va-pas-bien. Ils ramonent jusqu’à l’overdose, avec la puissance d’une marche militaire, sabrée au cristal d’Ahee. Wild world encore avec «Dope Cloud». Wild wild world ! Tout le poids du Michigan, beau et puissant, ils jouent à l’inclination définitive, les climax renvoient au génie sonique des Mary Chain. Assaut différent encore pour «The Hermit». Celui-là est d’une rare brutalité. Joe Casey relance sans fin - I don’t think so ! - Encore du climax purulent avec «Clandestine Time». Ils ne vivent que pour la démesure. Tout le monde sut le pont pour «Why Does It Shake», Ahee et Casey sont les premiers, avec juste derrière eux le big beurre d’Alex Leonard. Ahee ahane bien sur la fin, il répand son sonic trash à l’infini. Ils taillent encore «Ellen» à la serpe de cavalcade. Pur Detroit Sound, extraordinaire vélocité, Casey la veloute à la folie, on retrouve des échos d’Adorable dans cette fournaise. Qualifions ça de Big Atmospherix noyé de virulences. Fausse fin et explosion finale. Ils bouclent avec un «Feast Of Stephen» brisé de la mâchoire dès l’accord d’intro. Ça joue à coups rebondis, avec des dissonances qui te font rêver. C’est hallucinant, tellement ce Feast est drivé et beau, carrossé pour traverser les siècles. 

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             Tu retrouves une espèce d’Isabelle Eberhardt sur la pochette de Relatives In Descent. Le coup de génie de l’album s’appelle «Windsor Hum», qu’ils reprennent d’ailleurs sur scène. Greg Ahee le gratte à l’entêtement. Le cut est hanté par un gimmick tétanique - Everything’s fine - Et ils explosent comme seuls les Pixies savent exploser. C’est saturé d’Everything’s fine. Terrific ! Le beurreman Alex Leonard fait des étincelles sur «Here Is The Thing». Il bat son beurre à la vie à la mort. Il bat sec, très sec, il est encore plus sec qu’un olivier oublié au fond du champ. Il faut bien dire que les quatre Proto de base sont des surdoués. Le deuxième guitariste qu’on a vu sur scène est juste un renfort. «Here Is The Thing» est encore du pur Fall sound. Greg Ahee joue le plus souvent en tir de barrage. Il arrose sans discrimination. On entend presque des accords du Velvet sur «My Children». Greg Ahee y injecte du Fall power. En pur Post, c’est très tiré par les cheveux, vite cavalé sur l’haricot. My children ! Voilà encore un «Caitriona» bien martyrisé. Ils ne sont pas Proto pour rien. Joe Casey chante ça à la sauvette relentless, comme un vieux renard du désert. Bon, c’est vrai que cet album n’a pas le cachet de No Passion All Technique, mais ils cachent la misère avec de soudains accès de fièvre. Ça reste saugrenu de virulence, les tempêtes soniques virevoltent, et l’admirable Joe Casey déclame ses vers décomposés au milieu du chaos. Tu restes en arrêt devant «Don’t Go To Anacita» : grosse attaque, beurre, chant, sonic trash, tu as là un bel avant-goût de l’apocalypse, et plus loin, ils te cisaillent «Male Plague» à la base. Joe Casey sort sa meilleure harangue en hommage à Mark E. Smith. Et pour finir, «Half Sister» te tombe dessus, comme une apocalypse molle. Si tu veux qualifier l’art des Proto d’un seul mot, c’est ‘splash’. Ça te tombe sur la gueule.  

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             Un âne orne la pochette d’Ultimate Success Today. Encore un wild & crazy Proto-disk. Ils donnent le ton dès «Day Without End» : hommage à The Fall. Deux coups de génie se planquent plus loin : «Tranquilizer» et «Modern Business Hymns». Joe Casey chante le premier aux clameurs du carnage. Sonic trash d’hallali atomique, fusion de guerre nucléaire et de barbarie antique. «Modern Business Hymns» explose encore plus, attaqué à la marche forcée, broyé de la cervelle, le Killer Casey danse sa ronde de nuit, il plonge Rembrandt dans les carnages de Goya, il place un couplet mélodique au cœur d’une apocalypse saturée d’ad nauseam. À force de violence sonique, les Proto deviennent héroïques. S’ensuit un «Bridge & Town» insidieux. Cut malsain, qui semble ramper au fond de la pièce. Rock cancrelat. Berk. Osseux. Dissonant. Ils renouent ensuite avec les apocalypses verticales d’Adorable. Effet d’ascenseur. Encore de la Michigan craze avec «Possessed By The Boys». Greg Ahee forever ! Encore plus violent et sans pitié, voilà «I Am You Now», et «The Aphorist» marche sur des charbons ardents. Encore une fois, l’album est très varié. Joe Casey chante tout au punch pur. Les Proto produisent énormément, ce sont des industriels de l’anguleux claustrophobique, tout est fracassé et recollé au sonic trash, alors ça tient et c’est même tout terrain. «Michigan Hammers» ? Comme son nom l’indique. Greg Ahee te claque ça à la clairette du Michigan. Incroyable brutalité du son ! Leurs Michigan Hammers sonnent comme la Post de Mondrian. Ils terminent avec «Worm In Heaven» qu’ils amènent comme un balladif de rêve éveillé - So it’s time to say goodbye - Les voilà dans une ambiance à la Radiohead, on reconnaît la progression d’«I’m A Creep». Joe Casey entre dans ses cuts comme un vrai pro, et avec ses Proto-potes, ils travaillent la matière du rock avec acharnement.  

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             Mis à part le concert et les albums, la rubrique ‘My life in music’ offre un bel éclairage. On la trouve à la dernière page d’Uncut et c’est Joe Casey qui s’y colle. Quand on voit son choix de disques, on comprend tout : pas de post-punk, mais Stevie Wonder, les Pogues et Ghostface Killah. Il rappelle que si tu nais à Detroit, on t’offre un album de Stevie Wonder à ta naissance, mais il reconnaît avoir compris le génie de Stevie Wonder plus tard dans la vie. Il parle même d’une career of masterpieces - To me, Stevie is the quintessential Detroit artist making something great out of what he’s been given - Il dit des Pogues qu’ils sont sa «biggest lyrical inspiration». Il rappelle qu’au lycée, il avait à choisir entre Nirvana et le rap, alors il a choisi le rap - Wu-Tang forever - et c’est par le rap qu’il est arrivé à son «later love for The Fall». Il rend aussi hommage à Tyvek, un groupe de Detroit pas très connu. C’est grâce à eux qu’il est devenu chanteur dans un groupe. Il cite l’album On Triple Beams, sorti sur In The Red la même année que le premier Proto. Bel hommage aussi à Ted Leo & The Pharmacists qu’il voit comme un mélange de «Thin Lizzy, mod, punk, The Pogues, ska and more». Puis voilà les deux cerises sur le gâtö : Rocket From The Tombs (The Day The Earth Met The Rocket From The Tombs) et The Country Teasers (Destroy All Human Life). Il démarre son apologie de Rocket ainsi : «Proof that the Midwest is the best.» Il se dit même fier de ce qui vient d’Ohio. Le Rocket le connecte à «Pere Ubu, The Dead Boys, Peter Laughner, it was all there.» Il se dit chanceux d’avoir vu la reformation de Rocket sur scène à Detroit, avec Richard Lloyd, «and it remains my favourite concert experience.» L’hommage aux Country Teasers permet de comprendre la grandeur d’un album comme No Passion All Technique. Pour Joe Casey, les Teasers allaient plus loin que Wire et The Fall - The Teasers are the real deal - Deux des cuts de Destroy All Human Life («Golden Apples» et «David Hope You Don’t Mind») sont «two of the best songs ever». Voilà ENFIN un fan des Country Teasers.

    Signé : Cazengler, Protozoaire

    Protomartyr. Le 106. Rouen (76). 28 octobre 2023

    Protomartyr. No Passion All Technique. Urinal Cake Records 2012

    Protomartyr. Under Color Of Official Right. Hardly Art 2014

    Protomartyr. The Agent Intellect. Hardly Art 2015

    Protomartyr. Relatives In Descent. Domino 2017

    Protomartyr. Ultimate Success Today. Domino 2020

    Protomartyr. Formal Growth In The Desert. Domino 2023

    John Casey : My life in music. Unct # 316 - September 2023

     

     

    L’avenir du rock

    - Bettye n’est pas une lavette

    (Part Two)

             L’avenir du rock lance régulièrement des invitations à dîner. Lorsque ses amis arrivent, ils commencent par papillonner dans le salon. Oh bah dis donc ! Oh bah ça alors ! Ils n’en finissent plus de s’extasier. Ils poussent des oh et des ah d’admiration, ils rivalisent de surenchère, ils chantent des louanges et des louanges à n’en plus finir, oh ben ça alors, fait l’un, oh bah dis donc, fait l’autre, ils n’arrêtent pas ! L’avenir du rock les implore de revenir au calme. En vain. Leurs pépiements ne font que redoubler. Oh bah dis donc ! Oh bah ça alors ! Ils frisent tellement l’hystérie collective qu’ils ne voient même pas la mine fermée de leur hôte. Il ne cache plus son agacement. «C’est la dernière fois que je les invite», se dit-il en grinçant des dents. Il tente une manœuvre de diversion en servant l’apéro. Mais ça repart de plus belle !  Oh bah dis donc ! Oh bah ça alors ! Les voilà qui s’extasient à la contemplation des verres. Oh bah dis donc ! Oh bah ça alors ! «Quel éclat !», fait l’un. «Quelle mirifique transparence !», fait l’autre. C’est exaspérant. Ils ne complimentent pas l’avenir du rock sur ses choix musicaux ou sur la splendeur de son état de santé, non, ils le complimentent sur la tenue de sa maison, sur la propreté des verres et des carrelages, sur la translucidité des baies vitrées donnant sur les toits de Paris, ils s’extasient sur la netteté parfaite des surfaces qu’aucun grain de poussière ne vient contredire, ils s’ébahissent de l’imposante maturité du cuir de cet immense Chesterfield, ils disent renoncer à trouver le moindre défaut, ils vont même jusqu’à prétendre qu’aucune araignée n’est possible dans cette vaste pièce si magnifiquement entretenue. Et comme ils savent se montrer taquins, ils balancent une petite vanne :

             — Dommage que tu ne sois pas un trave, avenir du rock, on t’aurait appelé la fée du logis et on t’aurait pincé les fesses...

             — Gardez vos ambivalences pour vous, messieurs les pâmés.

             — Nous diras-tu le secret de ton immaculée conception domestique ?

             — Bettye LaVette !

     

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             Si Bettye LaVette savait quel usage on fait des lavettes en France, elle changerait de nom. Bettye est une très jolie femme. Elle ne supporterait pas qu’on l’assimile à une petite serpillière, ou pire encore, à une lavette, c’est-à-dire une couille molle, pour dire les choses crûment. 

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             On chantait ses louanges récemment tout au long d’un Part One bien dodu, et on va les rechanter de plus belle pour saluer la parution de son nouvel album, le sobrement nommé LaVette!. C’est d’autant plus un big album qu’il est produit par le remplaçant de Charlie Watts dans les Rolling Stones, l’éminent Steve Jordan, gage à deux pattes de bon goût et de gros son. C’est lui qui est derrière les X-Pensive Winos de Keef Keef bourricot. Bettye nous cueille dès l’arrivée avec «See Through Me». Elle traîne encore quelques vieux restes de Tina, mais elle tente quand même d’exister pour elle-même. Elle a des accents intéressants de vieille Soul Sister, elle chante toujours un peu au bord du précipice. Elle adore nous faire peur et tituber dans le vent tiède du groove. Des Esseintes dirait d’elle qu’elle chante d’une voix d’éclat éteint. C’est très spécial. Elle est beaucoup plus abîmée qu’il n’y paraît et ça la rend encore plus désirable. Bettye est beaucoup d’essence baudelairienne qu’huysmanienne. Elle enchaîne avec un vrai coup de génie en forme d’avertissement : «Don’t Get Me Started». Elle sait driver le wild r’n’b à merveille. Elle est experte en termes de manipulation du hard on. Fabuleuse Bettye ! Stevie Winwood l’accompagne au B3 sur ce coup-là. C’est un groove puissant et roboratif. L’autre standout track de l’album s’appelle «Mad About It». Tu y retrouves la Bettye en lunettes noires et tu as le groove de Steve Jordan entre les reins. On peut même dire que ça groove au son d’Hi. Elle manœuvre ça dans les moiteurs, sous le boisseau. Elle sait rester très directive. Tiens puisqu’on parlait du loup d’Hi, voici le Rev. Charles Hodges au B3 sur «Sooner Or Later». Bettye a du beau monde derrière elle. Son Sooner est un heavy stuff, elle s’en étrangle de plaisir, c’est une virtuose du râle, elle sait jouer de sa glotte experte, elle règne sans partage sur Saba, aucun doute là-dessus. Elle chante encore son «Plan B» comme une vieille locataire neurasthénique, elle a cette voix acariâtre qui fait la grandeur du has-beendom. Chaque cut est pour elle l’occasion de ramener sa voix de vieille revienzy. Elle en joue éperdument. Sur «Concrete Mind», elle sonne comme une vieille casserole. Elle n’a jamais perdu ni son bric, ni son broc. Bettye est une délicieuse survivante, une fantastique followeuse of the faction. C’est la raison pour laquelle il faut la suivre à la trace. Son authenticité ne fait pas le moindre doute. Avec «Hard To Be Human», Steve Jordan lui tape un hard funk dans le dos. Elle retourne la situation à son avantage. Elle va très vite en besogne. Elle se prête bien au jeu du big fat funk de wild-a-gogo. Mais elle refait sa Tina avec «Not Gonna Waste My Love». C’est plus fort qu’elle. LaVette fait sa tinette. Elle n’est plus à ça près. Elle va tout gâcher en ne voulant plus rien gâcher. Va-t-en comprendre.

    Signé : Cazengler, pauvre lavette

    Bettye LaVette. LaVette! Jay-Vee Records 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - Plein les Mirettes

             Contrairement à ce que laisse entendre son nom, Lady Minette n’avait rien de câlin. Oh ce n’était pas son genre ! Forte femme, Lady Minette ne s’intéressait qu’à l’intelligence des gens. Elle n’avait aucune indulgence pour les cons et les m’as-tu-vu. Elle œuvrait au sein d’organisations diverses, souvent d’extrême-gauche, et possédait plusieurs domaines aux alentours de Paris, dont un moulin célèbre pour ses soirées littéraires. Lorsqu’elle se trouvait à Paris, elle recevait ses amis pour dîner dans un appartement labyrinthique du quartier de la Gare de Lyon, puis à une autre époque, elle s’éprit de Belleville et y élut domicile. Elle ne recevait plus chez elle, mais dans les restos chinois du quartier dont elle connaissait les propriétaires. Son expertise des réseaux facilitait grandement les choses. Elle se disait femme de ressources. Elle appréciait beaucoup les Chinois, car ils savaient comme les Corses régler n’importe quel type de problème, du plus simple au plus épineux. Sans vouloir en dire trop, elle m’expliqua un soir, dans un resto de karaoké, que tout fonctionnait par échange de services. Comme elle connaissait des hauts fonctionnaires, des académiciens, des dirigeants de grandes entreprises, elle disposait d’un éventail de solutions qui valait largement celui que proposaient ses amis chinois. Lady Minette semblait sortir tout droit d’un roman du XIXe siècle, elle était sans doute la dernière descendante d’une longue lignée d’intrigantes. La seule différence, c’est qu’elle ne couchait pas avec ses contacts. Personne ne savait rien de sa vie privée. Elle portait le cheveu coupé court, à la garçonne. Au milieu de son visage parfaitement rond trônait un nez en trompette. On ne pouvait détacher le regard de ses yeux clairs, d’un bleu presque transparent. Elle incarnait à la fois le père et la mère qu’on rêvait d’avoir, alors que par nature et par idéologie, elle restait définitivement hermétique à tout ce fatras d’imbécillités. Il ne serait jamais venue à l’idée de Lady Minette d’enfanter. Mentorer, oui, mais certainement pas enfanter !

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             Lady Minette aurait adoré les Mirettes, ça ne fait aucun doute. Elle adorait par-dessus tout les gens de caractère et les Mirettes sont des Soul Sisters de caractère. Si veux t’en mettre plein les Mirettes, tu as trois possibilités : soit tu rapatries leurs deux albums parus à la fin des sixties, soit tu tapes dans les compiles Northern Soul et tu les croiseras, notamment dans Cream Of 60’s Soul. Si tu t’en fous plein les Mirettes, c’est à cause de Venetta Fields, qui fit partie - avec Robbie Montgomery et Jessie Smith - de la première vague d’Ikettes qui, après s’être mutinée, fut remplacée par une deuxième vague dans laquelle tu avais P.P. Arnold, Gloria Scott et Maxine Smith. Venetta fit ensuite partie des Blackberries, les trios de backing singers d’Humble Pie. Venetta Fields est une star, mais très peu de gens le savent.

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             Tu en prends vraiment pour ton grade quand tu écoutes In The Midnight Hour, un beau cartonné US paru en 1968. Tu as tout de suite les voix et les chœurs Motown, aussitôt le «Take Me For A Little While» d’ouverture de bon balda. Tu sais tout de suite que tu entres sur un big album et les sexy girls que tu vois au dos de la pochette vont te jerker la paillasse. Elles sont de-men-ted ! Elles montent vite en pression. Il faut entendre Venetta exploser «The Real Thing». La qualité de leur Soul est effarante. Elles tapent encore dans le mille avec «I’m A Whole New Thing» et si tu vas traîner en B, tu vas tomber sur une cover magistrale de «Keep On Running». Pas de basse fuzz, mais des Mirettes. Elle passent pas en-dessous du boisseau, avec une basse bien ronde et elle te dégomment ça vite fait, ah les garces ! Elles compensent l’absence de fuzz par de la niaque. Elles terminent par une belle version d’«In The Midnight Hour» à la Mirette immaculée. Venetta tape dans le tas. 

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             L’année suivante paraît un nouvel album, le supra-excellentissime Whirlpool. Le coup de génie se trouve au bout de la B des cochons et s’appelle «O Miss You Babe (How I Miss You)», un fantastique jerky jerk de Mironton Mirontaine, tu en prends plein la barbe, elles développent un énorme jive de r’n’b, c’est ce qu’on appelle le pur genius de since you’ve been gone, on ne peut pas échapper à ça, elles le montent bien au sucre et c’est propulsé par l’énorme beat local. Et pour sandwicher tout ça, tu as en ouverture de balda l’effarant «Sister Watch Yourself», un heayv popotin motorisé à la Motown, Sister, watch yourself !, c’est bien dans la ligne du party. Elles y vont les copines, et ça continue avec le heavy groove de «Somethin’s Wrong», suivi du morceau titre attaqué au hard Soul Sistering, alors la Venetta y va, elle te groove sa chipolata sous le boisseau du meilleur popotin, tu peux lui faire confiance, elle a fait ses armes dans les Ikettes, alors elle sait de quoi elle parle. C’est excellent, au-delà de toute expectitude. Pas la peine d’aller chercher ailleurs, tu as toute la Soul de tes rêves sur cet album. Elles bouclent ce véhément balda avec «At Last (I Found A Love)», classique et bien vu, oh si bien vu. Clarence Paul te produit ça comme un cake, et on peut ajouter, pour faire bonne mesure, que Marvin Gaye co-signe cette petite merveille de fort tempérament. C’est dingue comme les Mirettes sont bonnes ! Mais dingue ! On ne comprend pas qu’elles soient passées à l’ass, comme d’ailleurs Honey Cone et les Velvelettes, qui étaient le temps d’un hit les reines du monde. Les Mirettes repartent de plus belle en B avec l’effarant «Heart Full Of Gladness», encore un heavy popotin de type Motown, elles dégagent autant d’air qu’Aretha, et c’est pas peu dire, elles te roulent leur r’n’b dans la farine de Motown et elles te montent ça en neige au aaaahhhh d’Aretha. S’ensuit «Ain’t You Tryin’ To Cross Over», une petite Soul plus sucrée mais fabuleusement embarquée pour Cythère. On ne les quitte plus d’une semelle, elles ont le même genre de punch que les Sweet Inspiration de Cissy l’impératrice. Aw my Gawd, il faut les voir régner sur la terre comme au ciel. Encore un coup de baume au cœur avec «Stand By Your Man», un slow groove tellement Southern, qu’on le croirait sorti de Muscle Shoals, et c’est en plus chanté avec des accents d’Aretha, au petit sucre des backwoods confédérés, là où se planquent encore les bataillons de fantômes rebelles.

    Signé : Cazengler, miraud

    The Mirettes. In The Midnight Hour. Revue 1968

    The Mirettes. Whirlpool. UNI Records 1969

     

     

    Taj à tous les étages

     - Part Two

     

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             Printemps 68. Le disquaire caennais te met Taj entre les pattes. «Tiens ! Écoute ça !». Au lycée, on commence à s’agiter. Le copain Yves vend des cartes d’adhésion au fameux CAL, le Comité d’Action Lycéen. Comité radical de lutte armée. Et le copain Pierrot roule en BSA. Et l’autre copain Yves prend des cours de guitare classique dans le but de monter un groupe. Tout semble bouger en même temps, surtout la musique de ce blackos inconnu qu’on voit, sur la pochette, assis dans une chaise avec sa gratte, devant une belle maison en bois peint. La musique grouille, à l’image des oiseaux et des papillons qui volent autour du mystérieux Taj Mahal.

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             Il s’agissait du premier album de Taj Mahal sur CBS. Au dos de la pochette on trouvait les noms d’autres inconnus, Jesse Ed Davis et Ry Cooder. Il y avait aussi trois reprises d’un autre inconnu, Sleepy John Estes. À l’époque, on ne faisait pas le cake, on ne savait pas grand chose. On se contentait de découvrir. Par miracle, le disquaire était un bon. Taj Mahal ouvrait le bal avec un fantastique « Leaving Trunk » porté par une bassline extrêmement dynamique. Avec ce premier cut, Taj Mahal devint un héros. Il chantait au guttural joyeux et donnait de bons coups d’harp. Il enchaînait avec « Statesboro Blues », un fabuleux groove de blues à la limite du rock-gospel-country-funk-screamin’ jive, si tu vois ce que je veux dire. Un vrai son, goulayé à la cantonade - You know I love that woman/ The better woman I’ve ever seen - Encore une fantastique reprise de Sleepy John Este, « Everybody Got To Change Sometimes », une véritable horreur évolutive montée sur une bassline cavaleuse. Il faut saluer l’omniprésent James Thomas derrière sa basse. C’est un voyageur aussi infatigable qu’impénitent. Il cavale sur l’haricot de son manche. En B, Taj claque son « Dust My Broom » et revient à Sleepy avec « Diving Duck Blues ». Il finit cet album magistral avec un hommage à Robert Johnson, « The Celebrated Walking Blues ». Ry Cooder y joue de la mandoline et c’est très beau car Taj va chercher l’esprit du blues dans l’essence même de la pulpe.

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             La suite de ce petit chef-d’œuvre s’appelle The Natch’l Blues. La pochette anglaise est sidérante, avec un Taj cadré en gros plan : il porte ses lunettes noires, son chapeau de caballero et il tire sur sa clope. Black dandy, un brin hendrixien. Dandy de la frontière. Le son est beaucoup plus traditionnel, on l’entend gratter son banjo et envoyer des coups d’harp. Il faut attendre « I Ain’t Gonna Let Nobody Steal My Jellyroll » pour renouer avec la classe du premier album. On retrouve le raunchy, le plein-comme-un-œuf qui en faisait la grandeur. Il renoue avec l’excellence de l’appartenance. Taj avance en vainqueur. Il passe ensuite au heavy blues avec « Going Up To The Country Painting My Mailbox Blue ». Il y ajoute cette véracité qui nourrit la vraie histoire du rock. Taj privilégie le velouté du groove, l’ampleur du meilleur et le suif du swing. S’ensuit une autre pièce de groove extraordinaire, « Done Changed My Way Of Living ». Il offre là tout le rudiment du blues d’antan, le vieux butt-shaking des juke joints. En B, se planque une pure merveille de blues psyché : « The Cuckoo ». Taj ramène toute sa science du blues dans cette intervention radicale.

             Très vite, Taj Mahal va se heurter à un problème : les gens de l’industrie du disque lui demandent de se positionner : « Mr Mahal will you please get in the box ? », à quoi Taj répond : « No, thank you, it doesn’t fit me ! ».

             Alors, quand on tombe sous le charme de ses deux premiers albums, on décide de le suivre à la trace. Ce sera parfois difficile, car Taj Mahal va en effet passer sa vie à explorer las racines profondes du blues et taper dans les connections avec le gospel, le latino, le r’n’b, l’Africana et nous emmener faire un tour dans ce qu’il existe de plus primitif. Il finira même par s’habiller comme ses ancêtres, en vêtements africains. C’est un voyage étonnant à travers l’histoire du blues, au moins aussi étonnant que peut l’être la belle série des sept films consacrés eux aussi à l’histoire du blues, que produisit Martin Scorsese.

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             On a évoqué l’épisode Rising Sons dans un Part One. Pour Columbia, le split des Rising Sons n’était pas grave. L’essentiel était de conserver Taj Mahal sous contrat. Alors Taj va enfiler les albums comme des perles.

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              En 1969 paraît Giant Step/De Ole Folks At Home. Taj se dresse sur la colline, toujours habillé en dandy de la frontière, chapeau, foulard rouge et énorme boucle de ceinturon. Il reprend le « Take A Giant Step » de Rising Sons et gratte son banjo. Il revient au blues avec « Give Your Woman What She Wants » et il a diantrement raison, car c’est une petite fournaise. Il chauffe ça à coups d’harp. Il prend une version de « Good Morning Little Schoolgirl » très rootsy. Sans doute la version la plus intéressante qu’on ait entendue depuis des lustres. Puis il donne une petite leçon de boogie blues éclairé avec « You’re Gonna Need Somebody On Your Bond », vrai swing californien, un modèle du genre, effrayant de direction et de maîtrise. On trouve en B un petit groove à la ramasse qui s’appelle « Farther On Down The Road » et qui révèle une petite tendance paradisiaque. Taj Mahal est une sorte de magicien, son groove coule tout seul et il chante ça avec le pire feeling qui soit. On se régalera aussi du « Bacon Fat » embarqué par une bassline de dingue, Taj rigole - hé hé - il sait pourquoi il rit. Comme l’indique son titre, le deuxième disque de ce double album se situe plus au bord du fleuve. Taj gratte son banjo et échappe à tous les formats. Il s’amuse bien. Il fait un « Stagger Lee » à la sèche des bois et il nous claque ça sec. Il tape aussi « Cajun Tune » à coups d’harp, et au fil des cuts, il devient de plus en plus primitif. Taj va aux roots avec une classe insolente.

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             The Real Thing est le dernier album où il apparaît sous une allure afro-américaine. C’est un album live. Il y gratte encore du banjo, et avec « Fishin’ Blues », il revient aux sources. Taj sifflote le groove dans « Ain’t Gwinen To Whistle Dixie ». Le Fillmore tape des mains car c’est un bon gospel, et derrière Taj, ça cuivre sec. Avec « Sweet Mama Janisse », il explose le contrat. C’est un boogie-blues infernal qu’on retrouvera tout au long de sa carrière. Il y balance un solo de banjo et derrière, ça pulse aux trombones des gémonies et à la basse funk. Démence pure ! Taj fait jerker le Fillmore ! Avec « Big Kneed Gal », il attaque le blues de charme. Taj est un fin renard. Il crée les conditions de la magie en feulant le blues. Il attaque « Tom And Sally Drake » au banjo des Appalaches et revient ensuite à son vieux « Diving Duck Blues ». Il en tire un jus de rumble de r’n’b effarant. Il chante aussi « John Ain’t It Hard » avec le feeling du diable et derrière lui, ça souffle dans des tubas. Sur ce live, tout est extraordinaire d’invention et de densité. Quel artiste !

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           Quand tu ouvres la pochette d’Happy Just To Be Like I Am, tu vois Taj jouer de la flûte dans un champs moissonné. Ambiance de sol jaune et de ciel bleu. Le morceau titre de l’album est chargé de toutes les dynamiques internes que l’on peut imaginer. Taj fouille l’innovation. Il secoue son cut comme un cocotier, il tend ses syllabes et ça devient vivant comme un vivier. Ça grouille de vie. Incroyable mais vrai ! « Stealin’ » est un blues qu’il attaque au banjo. Il adore ce vieux banjo qui remonte comme un saumon à contre-courant du blues. Son blues est prodigieusement dégingandé. En fait, Taj Mahal invente un style de blues, une sorte de blues de cabane tajique qui reste incroyablement persuasif. Puis il passe à la flûte pour jouer « Oh Suzanna », une vraie merveille de boogie original. Il réinvente tout. Son boogie grouille de vie. Il œuvre comme un visionnaire. Taj Mahal cultive le même genre de génie que celui cultivé jadis par Ronnie Lane. « Eighteen Hammers » ? Oh yeah ! Il va chercher l’incroyable profondeur du delta dans les dix-huit hammers. Voilà du primitif définitif. Derrière lui, les autres jouent sur des casseroles. En B, on tombe sur un gros boogie soufflé aux tubas, « Tomorrow May Not Be Your Day ». On sent qu’ils sont nombreux, au moins quatre à souffler comme des brutes. Taj Mahal est un artiste complet. On n’en finira plus d’explorer son œuvre. Il reprend l’« Hey Gyp » de Donovan pour en faire « Chevrolet » et ça rebascule dans le génie. Harp ! Taj s’approche avec un côté suave, mais en réalité, c’est un puissant démon noir. Comme tous ses hits, « West Indian Reservation » a une coloration particulière, effrayante d’énergie et de modernité. Il ne lâche rien. Sa musique lui appartient. Il reste intense de bout en bout. Il joue « Back Spirit Boogie » au bottleneck de la rivière et il y va de bon cœur. Il fait claquer ses coups de slide pendant une éternité. Avec ce cut, il marque l’affirmation maîtrisée du boogie d’instro de fin de parcours. 

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             Sur la pochette de Recycling The Blues & Other Related Stuff, il est photographié en compagnie du vieux crapaud Mississipi John Hurt. Fantastique image de filiation. Taj gratte son banjo dans « Ricochet » et refait « Délivrance » à lui tout seul. Il fait aussi du gospel avec « A Free Song ». Il claque des mains et le public claque des mains. S’ensuit une énorme version de « Corinna » qu’il tape dans le haut de gamme interprétatif. Les Pointer Sisters l’accompagnent sur « Sweet Home Chicago » et ensemble ils produisent un blues de la meilleure qualité johnsonienne. Les Pointer Sisters l’accompagnent aussi sur « Texas Woman Blues ». Elles jettent du swing dans l’extraordinaire crunch de Taj. Pur génie, et Taj monte ses syllabes au chat perché pourri de feeling, alors on atteint des sommets. C’est même Taj qui joue de la stand-up !

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             Pas mal de merveilles aussi dans Sounder, et notamment « Needed Time », un gospel sacré de Lightnin’ Hopkins. Il va piocher au plus profond de sa condition humaine pour recréer l’Americana. Sur « Sounder Chase A Coon », il joue de l’harp et se perd dans l’antiquité. Il reprend ensuite « Needed Time » au banjo et murmure au bord du chemin. C’est effroyablement inspiré. Au fil de l’album, on le voit s’enfoncer dans un mélange d’antiquité et d’Americana. Il claque même une version de « Motherless Children » au bâton. Absolument dément. Avec « Jailhouse Blues », on est dans le très ancien, le très lent et le très fatigué. Il revient aussi aux chants des champs avec « Just Workin’ » - Lord early in the morning - Des filles charrient le groove et ça claque des mains. Avec « Two Spirits Revisited », on se croirait dans une fable antique de Pasolini, car Taj joue de la flûte grecque ancienne, il sonne comme un pâtre macédonien. Et avec « David Runs Again », il banjote comme un démon. Mais on sent qu’il se perd dans des mondes parallèles. Avec « David’s Dream », il retourne dans l’antiquité et s’y perd pour la postérité.

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             Le voilà donc complètement africanisé pour Ooooh So Good ‘N Blues. Les Pointer Sisters sont toujours là et l’accompagnent sur « Little Red Hen », pur gospel batch qui vire au gospel des champs, et Taj gratte son banjo par-dessus tout ça. S’il en est un qui respecte l’esprit du blues agricole, c’est bien Taj ! Il va chercher « Oh Mama Don’t You Know » au feulé du primitif. Il claque ses notes dans le néant de l’éternité. Les Pointer Sisters volent de nouveau à son secours dans « Frankie & Albert ». On se retrouve une fois encore dans le blues supérieur claqué à l’ongle sec. L’incroyable de toute cette histoire, c’est qu’un black réussisse à réinventer l’Americana. Taj gratte son dobro pour « Railroad Bill » et il devient le maître des Appalaches en boubou nigérian. Il fait danser les ours et les castors. Il tape une version incroyablement primitive de « Dust My Broom ». Il fallait oser. Taj gratte avec des séquelles. On se retrouve dans le wagon avec les hobos. Taj crée de vraies atmosphères, ce n’est pas un baratineur. Il sort le vrai truc. Il gratte comme un con, avec une sorte de rage épouvantable. C’est effarant de son sec d’affluence de la prescience. Puis il rend un hommage assez spectaculaire à Big Dix en reprenant « Built For Comfort » en boogie de stand-up. C’est comme on s’en doute bien ravageur. Et il boucle cet album sidérant avec « Teacup’s Jazzy Blues Tune » qu’il slappe, accompagné par les Pointer Sisters. Encore une fois, c’est digne de Pasolini, d’autant qu’il siffle. C’est très directement lié à l’antiquité de Saint-Germain-des-Prés, avec des clochettes et du do-bee-ya-bam. Superbe de fantômisation. Doo-bee ban dam bond ! Pur génie des catacombes. Il ne manque plus que Juliette Greco et Miles Davis.

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             Plus on avance dans l’univers de Taj Mahal et plus on comprend qu’on ne sortira pas indemne de ce voyage. Car voilà Mo’ Roots paru l’année suivante, encore un album fantastique. Il nous emmène aux Caraïbes avec « Black Jack Davey » le pirate. Le travail qu’il fait sur ce cut est exceptionnel : il tire ses syllabes dans les effluves des cocotiers et c’est battu aux tambours des îles. Admirable. La fête continue avec « Big Mama » et là Taj se fâche ! Il joue les gros bras et se prend pour Deep Purple. Il nous sort un gros groove pulsatif noyé d’orgue et des can you can you terriblement agressifs. Il fait un r’n’b de premier niveau. Soudain, il se met à jerker la cambuse comme une Soul Sister ! Puis il attaque « Cajun Watte » au piano - My negresse voulez-vous danser avec moâ voulez-vous danser hé hé - fantastique pièce de rêve cajun. Plus loin, il revient au r’n’b avec « Why Did You Have To Desert Me », encore un groove extraordinaire des îles. Taj chante en espagnol sur un groove dément. Il chante comme l’espion des pirates de la mouzica. C’est le beat des pirates ! Énergie et envergures sont les deux mamelles de l’espion des pirates, et le groove explose littéralement.

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             Une toile représentant des danseuses africaines orne la pochette de Music Keeps Me Together. Quelle énormité que ce morceau-titre ! On a là une pièce de groove africain coloré de sax free, avec en prime le timbre blanc de Taj Mahal - blanc au sens de la voix blanche, évidemment - Avec ce groove de flûte, on retrouve le mélange de Guinée et de Grèce antique, avec en plus du sax en fusion. Taj sublime l’énormité. « Aristrocracy » libère une énergie considérable. Il gratte ça au banjo de saloon. Et avec « Roll Turn Spin », il revient aux Caraïbes. Il se lance dans un beau groove antillais qu’il gratte à la dévastatrice. L’énergie des îles peut tout balayer. Il fait pas mal de reggae sur cet album et il faut attendre « Why And We Repeat Why And We Repeat » pour renouer avec le groove soufflé au sax. Embarquement pour le cosmos. On se retrouve dans la chair à saucisse d’un groove énorme. Ça jazze dans le jive. On voit rarement des grooves d’une telle violence et d’une telle jazz class. Côté gratte, c’est de la folie pure, il faut écouter Taj Mahal, car ses disques réservent pas mal de surprises. « Why And We Repeat Why And We Repeat » relève encore une fois du génie à l’état pur.

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             On le retrouve un an plus tard avec Satisfied ‘N Tickeld Too. Il a maintenant une tête d’Antillais. Il fait du reggae carribéen de haut niveau. Il chante d’une voix douce et colorée. Il nous sort un groove d’exotica qui flirte avec l’enchantement. Taj Mahal a le sens des choses dépareillées. Il ramène le rooster, rooster, rooster, c’est le roi du désarroi - I love you sweet mama - Sa chanson est fabuleusement fraîche et fruitée. Pas étonnant, puisque ça vient d’un artiste qui s’est écarté des feux de la rampe pour cultiver les racines. Il est tellement relaxé qu’il siffle. Il attaque ensuite « New E-Z Rider Blues » en posant ses conditions. Il va chercher du groove dans les chœurs des sisters. Fantastique explosion. Wow ! Nous voilà au cœur de la Soul californienne. Tous les albums de Taj Mahal sont des aventures extraordinaires. Avec « It Ain’t Nobody Business », il titille l’Americana - Champagne don’t drive me crazy/ Cocaine don’t make me lazy - Il fait un boogie business de bastringue digne des blancs. On revient au grand air des Caraïbes avec « Misty Morning Ride » et ça décolle. Taj donne de la voile. On file au vent des îles. C’est merveilleux car gratté à la vie à la mort. Avec « Easy To Love », on croirait entendre Earth Wind & Fire ! C’est du funk flûté de première main. Sacré Taj, il tourne tout à son avantage. Puis il dégringole « Old Time Song » à la désaille du blues. Taj le magicien revient aux percus pour « We Tune » et tout redevient joyeux et vivant. On a même de la pompe manouche !  

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             Attention à ce double album intitulé The Hidden Treasures Of Taj Mahal 1969-1973, car il renferme de la dynamite, et notamment un « Sweet Mama Janisse » enregistré en 1970 à Miami avec les Dixie Flyers qui étaient alors salariés par Jerry Wexler pour accompagner les artistes signés sur Atlantic. Cette version est littéralement explosive. Les Dixie jouent le groove de la cabane de Memphis, monté sur un riff préhistorique. C’est hallucinant de vermoulu. Il y a là-dedans tout le cajun, tout le rock et tout le banjo du monde, y compris le beat du diable. Taj en fait une pièce d’antho à Toto. Dans la même session, ils ont aussi enregistré « Yan-Nah Mamo-Loo » et on reste au cœur du rythme, on reste dans le cut de cot cot, c’est tellement énorme qu’on finit par raconter n’importe quoi. Taj souffle dans son harmo et Tommy McClure sort un drive de basse infernal. Quelle déballonnade ! Les Dixie Flyers font exploser le langage. Ils nous plongent dans les conditions ultimes du groove. Charlie Freeman gratte ses poux. Cette session est tellement bonne qu’elle efface complètement les autres rassemblées sur le premier disque. Le second disque est enregistré live au Royal Albert Hall. Taj ramène le bord du fleuve à Londres et gratte « John Ain’t It Hard » au banjo. C’est du pur « Love In vain ». Puis il reprend son fabuleux « Sweet Mama Janisse ». Jesse Ed Davis et d’autres mecs l’accompagnent. On retrouve l’histoire de cette woman qui come from Louisiana. C’est allumé dès l’intro. Voilà le hit du Taj. Alors il y va. Ils font aussi une version du « Diving Duck Blues » qui est sur le premier album. C’est sacrément troussé. Pas le temps de discuter, ces gens-là vont très vite.

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             Et puis Taj Mahal va égrener au fil des décennies une série d’albums pour le moins fascinants, comme par exemple Music Fuh Ya, paru en 1976. Il tape dans le vieux mythe du blues de train avec « Freight train ». Il envoie ses coups d’ahrmo sonner dans la nuit des temps. On sent que c’est gratté aux arpèges du diable. Aucun être humain ne sait jouer comme ça et les coups d’harmo instillent une certaine frayeur. Il passe au jumpy jumpah avec « Baby You’re My Destiny ». Ce coquin de Taj nous ramène à la Nouvelle Orleans. Il sait lancer les dés et provoquer le destin - Sugar & spice, you’re so nice - C’est terrible car pulsé à la pompe jazzy. La voix de Taj se pose là-dessus comme une cerise sur un gâtö. Wow ! Il part en virée jazz, mais pas le petit jazz du coin de la rue, non le jazz de Bob le baobab shooba dibah doo. Il enchaîne avec « Sailin’ Into Walker’s Cay », un merveilleux swing de groove du paradis des îles. De toute évidence, le but de Taj est de nous emmener là où il fait bon vivre. Puis il chante un groove universel intitulé « Truck Driver’s Two Step ». Oui, il chante ça à la purée de voix géniale. Il revient avec ses ahhh yeahhh et nous rappelle au passage qu’il est un grand sorcier.

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             Alors que les punks déferlent dans les rues de Londres, Taj enregistre la BO de Brothers. Ouverture terrible avec « Love Theme In The Key Of D ». On sent le Taj un peu édenté à la remorque du meilleur blues fruité d’Amérique. Un sax vient poivrer le cut. Terrible, car il traîne et se veut fantastique de tajerie épuisée sur les chemins de traverse - oh yeah sugar sweet - Taj joue le blues à sa façon. Ça donne un blues hanté par l’inspiration. Les gens devraient comprendre. Il faut apprendre à aimer Taj Mahal. Quand il chante « Brother’s Doin’ Time », il s’implique pour ses brothers les taulards. Puis il revient au groove de rêve avec « Night Rider ». Il joue ça à la Taj, forcément. Il en fait un groove joyeux et gorgé de bon jus - ooooooohhh - et c’est gratté aux guitares. Il revendique l’impossible liberté dans « Free The Brothers ». La liberté pour les esclaves ? Foutu d’avance ! Même lui, grand sorcier Taj Mahal, n’y comprend rien. Comment les nègres d’Afrique ont-ils pu accepter l’esclavage ? C’est tellement incompréhensible. Mais oui, tout simplement parce que les noirs sont supérieurs en tout : en danse, en rythme, en musique. Sauf en business, hélas. Ou tant mieux. Son « Centidos Dulce (Sweet Feelings) » regorge de jus d’exotica fantastico. Il termine cet album superbe avec « David & Angela ». Au bout d’un moment, Taj laisse tomber. Alors ça continue en instro. Il a raison de quitter le studio. Inutile de continuer à engraisser les blancs.

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             Evolution paraît la même année. Il attaque avec « Sing A Happy Song », un petit cut sautillant. Taj excelle dans la constance. On sent qu’il va bien. Il porte un chapeau blanc et une chemise hawaïenne. Il pose au dos de la pochette accroupi sur un rocher de l’île. Il connaît les bons coins. Pour « Queen Bee », il va chercher un son à cheval entre l’îlien et l’africain. Il s’amuse à brouiller les pistes pour mieux illuminer son groove. On tombe plus loin sur un énorme instro de groove intitulé «  Salsa De Laventille ». Il revient à ses racines avec « The Big Blues » - Lawd she’s fine as she can be/ She must like cherries hanging on a cherry tree - Taj Mahal est l’un des plus grands bluesmen de tous les temps - I love my babe/ better than I love myself - Il reprend tous les vieux poncifs du blues et leur redonne vie. Stupéfiant.

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             Dix ans plus tard, Taj refait surface avec Taj. Belle pochette avec un portait signé Robert Mapplethorpe. Il attaque avec du bon groove antillais, et un peu plus loin, il tape dans le groove musculeux avec « Do I Love Her ». Taj joue même les gros bras et tire sur ses syllabes pour les malaxer. Il leur fait rendre du jus. Comme c’est beau ! Son harmo revient même hanter le cut. Il parle de Muddy Waters, du blues de Chicago et il fait le Wolf en hululant. Fantistico ! Il connaît toutes les ficelles, ce qui pour un musicologue paraît logique. Il revient au groove des Caraïbes avec « Pillow Talk ». Il évoque une belle journée de bonheur - Oooh sugar baby - Taj sait rendre une femme heureuse. On entend un beau son de basse et un guitariste virtuose des îles, mais surtout cette voix cassée qui ensorcelle, la voix de Taj, reconnaissable entre toutes. Pure merveille et final à l’harmo. Taj Mahal a du génie. Et quand on écoute « Kasuai Kalypso », on songe à l’eau verte de la baie et à la frégate du Capitaine Flint qui s’y trouve ancrée.

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             Un an plus tard paraît Shake Sugaree, sous une pochette bleue et joyeuse. Dès le premier cut, « Fishin’ Blues », on sent l’air frais. Taj annonce le blues du pêcheur. Il joue au bord du fleuve sur sa vieille gratte gondolée. Il tricote et fait le talkin’ blues - C’mon down - Il connaît toutes les vieilles histoires à dormir debout. Avec « Light Rain », on a du pur jus de gros Taj. Il prend son cut sous le vent et gratte sa gratte africaine. Il crée les conditions d’un son profond, donc terrible. Ça vire à l’hypnotisme. Seuls les Africains savent fabriquer de l’hypnotique aussi raffiné. Il enchaîne avec « Quavi Quavi » - a song from Senegal/ from the fruit men - Bananes ! Melons ! Nous voilà en Afrique enchantée. Sur le morceau titre de l’album, il est accompagné par des gosses. L’enchantement se poursuit. En vaillant vainqueur, il joue le jeu du funk avec « Funky Bluesy ABC » et fait le con avec l’alphabet. Voilà encore un groove de niveau supérieur. Si on veut tomber de sa chaise, alors il fait écouter « Railroad Bill » - He was a character - Taj gratte ça en picking des enfers. Le dernier cut de l’album vaut lui aussi largement le détour : « Little Brown Dog ». Taj ramène le blues au bercail. C’est une tenace, un vrai bluesman de légende. Il s’éloigne en sifflant dès qu’il sent qu’on va l’embêter.

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             On trouve un cut génial sur Mule Bone  : « The Intermission Blues ». Eh oui, il incarne le blues primitif mieux que personne. Il le laisse macérer dans sa gorge et le pousse au uh-uh-uh, puis il se lâche. Taj Mahal reste un merveilleux swinger de blues qualitatif. En prime, il laisse filer un solo de rêve. On ne trouve ce genre de chose que chez Taj Mahal. Il transforme ses blues en merveilles absolues. Il sait driver le mythe. Il chante jazz avec des onomatopées er repart en solo de rêve. Personne ne songerait à chanter le blues ainsi. Il crée une véritable ambiance de jazz-blues transparente. Un rêve. Mais il adore aussi faire le con au bal du 14 juillet et danser avec le facteur Tati, c’est en tous cas ce qu’on entend dans « Song For A Banjo Dance ». Son boogie blues « But I Rode Some » part au tripe galop, bien content d’avoir mangé tant d’avoine. Avec « Hey Hey Blues », il plonge  les mains et son banjo dans le limon. Tous ces cuts restent incroyablement inspirés, surtout quand il les gratte au banjo. Il a toujours su réveiller les ardeurs du blues dans la fournaise des jours d’été. Et son « Shake That Thong » vaut pour une belle prise de bec. Les chœurs lui renvoient la belle haleine de phoque du honky tonk. Le dernier gros cut de cet album n’est autre que « Bound No ‘Th Blues », encore plus primitif que les autres. Ses interjections remontent à la nuit des temps. Son blues sonne comme un blues antique, mélodiquement envoûtant. L’ombre du temple plane sur ce disque magnifique.

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             Like Never Before est un album rattrapé par la mauvaise prod. Il faut attendre « Squat Hat Rabbit » pour retrouve le grand Taj libre, le Taj swingué aux castagnettes. Il crée là une sorte d’événement qui dépasse les abrutis de la prod. Taj leur montre qu’on ne peut ni le formater ni le commercialiser. Il échappe à toutes les cages et à toutes les chaînes. Il nous donne à savourer un joli jive et sur le tard du cut, il fait son Beefheart. Il balance aussi un jumpy jumpah à la mode de Kansas City avec « Big Legged Mamas Are Bad In Style ». Il reprend l’art des anciens. Puis c’est « Take A Giant Step ». Ouf ! Taj revient à ses racines et retrouve le dépouillé de l’Africana. Il erre seul au long du chemin de traverse. Fantastique. Il renoue avec la véracité du chant. Il respire par les trous de nez et chante avec détachement. Il se dégage du cut un énorme sentiment de solitude émerveillée - Take a giant step outside your mind - C’est d’une beauté poignante.

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             Encore un album dément avec Dancing The Blues paru en 1993. Célèbre pour ses nombreuses biographies (dont celles d’Etta, de Marvin, de Jerry Wexler et de Smokey,) David Ritz rédige les notes de pochette. Taj reprend « Hard Way » de T-Bone Walker. Pour Taj, T-Bone est le cat qui a inventé le « modern urban blues ». Taj se souvient de T-Bone et Lowell Fulson qui entrèrent un soir de 1968 au Whisky A Go Go. Eh oui les amis, il fut un temps où ces gens-là régnaient sur la terre comme au ciel. Il reprend ensuite « Going To The River » de Fats - part of the Afro American genius - Pour lui, ça sonne comme du Leadbelly. Il rend un fantastique hommage et c’est long comme un jour sans pain et pesant comme la barbe chargée d’or de Crésus. Attention, il invite Etta James à duetter avec lui sur « Mockingbird », un vieux hit d’Inez & Charlie Foxx. Taj rappelle au passage qu’il était amoureux d’Etta à l’âge de 13 ans - Etta was the mainline with Ma Rainey and Bessie Smith - Évidemment, c’est une version énorme, pétrie de génie humain. Etta tient tête à Taj avec une niaque fulgurante. Le pauvre Taj s’accroche comme il peut. Puis il rend hommage à Louis Jourdan avec « Blue Light Boogie » - Louis is the great master of the jump band genre. Also on of the most important precursors of rock n’ roll - Fantastico ! Et pour couronner le tout, Ian McLagan joue de l’orgue sur ce cut. Taj reprend ensuite « The Hoochie Coocha Coo » d’Hank Ballard - When I was a kid I must have worn out copies of that sucker ! I mean if this ain’t dancing the blues, nothing is - Mac est toujours là. C’est pulsé au sax et joué à la sauce de la Nouvelle Orleans. Quelle fantastique énergie ! Il rend ensuite hommage à Otis avec « Tha’t How Strong My Love Is ». On trouve plus loin deux autres perles rares : « Stranger In My Own Town » de Percy Mayfield, que Taj embarque au paradis. Il semble parfois ses situer au-delà de ce qu’on appelle vulgairement le génie. Il crée sa propre dimension. Puis il dédie « Sitting On Top Of The World » aus conducteurs de mules - That’s cause those hard headed mule drivers got to hear the beat chonking - et Taj fait claquer ses coups de dobro. 

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             Énorme album que ce Phantom Blues paru en 1996 ! Tout est bon là-dessus, il n’y a rien à jeter. Avec « Lovin’ In My Baby’s Eyes », Taj reste dans le vieux blues d’harmo sacrément chauffé au soleil et rootsy comme pas deux. Un véritable enchantement pour l’amateur de blues. Puis il embarque son « Cheatin’ On You » d’une manière incroyablement tonique. C’est bourré de swing jusqu’à la gueule. Et les énormités se succèdent, comme par exemple ce « The Hustle Is On », un jumpy doté de l’énergie du diable. On n’avait encore jamais entendu ça. Taj drive son cut à l’énergie maximaliste. Avec son orchestre de dingos, il lève l’enfer sur la terre. Les solos de piano et de sax pleuvent comme des boulets. C’est du pur élastomère de boogie. Absolument terrifiant. Puis Taj replonge sans le pire Deep blues qui soit avec « Here In The Dark ». L’invité s’appelle Clapton et il joue gras, l’animal. Voilà encore un cut hallucinant de puissance bluesy. Taj fait encore feu de tous bois avec « I Need Your Loving », un vieux classique explosif de jump blues et ça tourne à la monstruosité. Les filles envoient des chœurs terribles. Taj fait le con avec les cœurs d’artiche - Oh wo wo wo wo - Puis il tape dans l’« Ooh Poo Pah Doo » des Rivingtons et l’explose ! Taj explose tout. Il chante à la raclette de glotte. Il tape aussi dans Doc Pomus avec « Lonely Avenue ». Il connaît tous les bons coup d’Amérique. Il en fait un heavy blues stompé. Il enchaîne avec « Don’t Tell Me » et plonge dans le groove avec une audace qui l’honore - Don’t tell me baby - Il plonge carrément ses crocs dans le lard du vieux beat. Quelle démence ! Taj rivalise de grandeur groovy avec le Graham Bond ORGANization. Il continue d’enregistrer des albums extraordinaires. Nouveau tour de magie avec la fanfare de « What Am I Living For ». Puis il fait son Sam Cooke pour « We’re Gonna Make It » qu’il chauffe à blanc. Tu aimes le cajun ? Alors tu vas te régaler avec « Little Four Wind Blows », un hit de Fats qu’il remet en perspective. Il injecte une nouvelle énergie dans le cajun du diable. Il reste terrifiant de véracité, en toutes occasions.

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             Il nous refait le coup de l’album énorme avec Señor Blues. Taj porte son chapeau de cowboy et tient une National. Il gratte ses blues et chante à l’édentée. Il sort un « Irresistible You » salement swingué au big band. Pure tajerie ! Désormais, Taj Mahal s’impose comme le protecteur des arts et des lettres du blues. Le morceau titre sonne comme le groove des alizés. On sent planer un son de cuivres inconnus. C’est éclatant de classe jouissive. Il embarque son cut au jazz de grande marée. Les frissons montent, son cut se vit comme une aventure. Taj entre dans le groove avec une classe effarante. Il roule ses r de señor blues. Puis il nous entraîne dans un bastringue des années 20 pour « Sophisticated Mama ». Terrible. Certainement le pire ragtime de l’histoire. Tiens, voilà qu’il nous sort de sa manche un gros r’n’b : «  Oh Lord Things Are Getting Crazy Up In Here ». C’est joué à fond de train. Taj bousille l’overdrive. Un mec joue un solo de sax à 200 à l’heure. Lee Allen ne pourrait pas jouer aussi vite. S’ensuit une autre monstruosité, « I Miss You Baby », un heavy blues slappé et traversé par un solo de Wes Montgomery. Taj nous jazze ça à outrance. Puis il revient au groove juteux avec « You Racsal You ». Il plonge à nouveau dans l’historiologie du jump blues et envoie les chocolats. Rien d’aussi jouissif sur cette terre que ce jumpy jumpah joué à la stand-up. Retour au primitivisme à la Robert Johnson avec « Mind Your Own Business ». Il relaye ça au dixieland, alors on se prosterne devant tant de génie. Encore une pièce de choix : « 21st Century Gypsy Singin’ Lover Man ». Le blues de charme est l’une des spécialités de Taj Mahal. Ce mec fait des miracles depuis 40 ans et il continue - I’m like a fish in the water - Il accroche sa mélodie au firmament et il gratte sa National. On goûte la saveur de sa voix unique au monde. Voilà une énormité, du type de celles que l’on ne croise que très rarement. Tout est là, baby, dans la voix, dans le timbre, dans l’Africanité. Il finit ce disque avec deux hits de r’n’b dont une reprise tétanique de « Mr Pitiful ». Eh oui, Taj peut aussi chanter comme Wilson Pickett.

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             Par miracle, l’album suivant est peu moins génial. Ouf ! paru en 1998, Sacred Island sent bon les Caraïbes. Il suffit de voir Taj sur la pochette avec son chapeau blanc. Il chante « The Calypsonians » d’une voix graveleuse et il gratte savamment son banjo des îles. Franchement, on croirait entendre un vieux pirate qui a navigué sur tous les océans. Attention, la bête du disque s’appelle « Betty & Dupree ». Taj joue le blues des îles - Put your arms around me baby/ Like a circle around the sun - Une fois encore, il transforme ce blues en merveille absolue - Kiss me baby/ Right on my ruby lips - Jamais on ne trouvera ça ailleurs. Taj recycle les clichés du blues à l’infini, mais avec une chaleur et une coloration surnaturelles. Il n’est rien de plus inspiré en ce monde qu’un blues chanté par Tal Mahal. Autre merveille : « The New Hula Blues ». Il replonge une fois encore dans le lagon - You can call me on my cell phone/ But I’ll be out of reach - Il s’amuse bien et nous aussi  - Sweet mama sweet daddy/ Get the new hula blues - Et il hoquette à coups de menton.

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             Il enregistre Kulanjan l’année suivante avec Toumani Diabaté. Encore un album énorme. Avec « Queen Bee », il tape dans la pure Africana. Ramalou chante en duo avec lui et Toumani gratte son kora. Pure démence des racines. On bascule dans l’ère florentine de la culture africaine. Aw my God, c’est le vrai truc, la beauté d’avant le blues des plantations et des bagnes, ça coule de source. Pure magie blanche jouée par des noirs. Taj ne pourrait pas remonter plus loin dans la pureté des origines du blues. Le bord du fleuve, c’est l’Afrique. Ramalou est une fantastique chanteuse, elle apporte sa part d’animalité à la chanson. On goûte là une fois de plus au pur génie. Taj revient au groove avec « Ol Georgie Buck ». Il envoie la troupe. Ça tourne au stormer africain. Ils jouent avec des instruments préhistoriques. Ça yeah-yeah-yeahète dans l’Afrique d’avant les blancs. On entend le solo du démon des forêts, des claquements de mains. Taj fait danser ses ancêtres. Nouvelle éclate de kora avec « Kulanjan », le morceau titre, un vrai blues africain. On bascule dans une sorte de virtuosité indécente. Encore pire : « Guede Man Na », gratté à l’arrache d’une virtuosité qui échappe à toutes les normes. On reste au Mali et on échappe aux clichés. Les filles chantent comme dans un rêve africain. On entend deux koras. Voilà des virtuoses magnifiques. Grâce à Taj, on les entend jouer. Il reprend « Catfish Blues » et fait subir au cut de Muddy le traitement koranique. Ça devient terrible. On appelle ça un retour aux sources. Oui, car Muddy vient de là en droite ligne. C’est gratté à la régalade maximaliste. C’est d’un jouissif dont on n’a pas idée. Et ça continue ainsi jusqu’au bout du bout avec des exercices de virtuosité périlleux. Seul un musicologue averti comme Taj Mahal pouvait entreprendre un tel périple à travers le temps.

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             On retrouve Taj sur la pochette d’Hanapepe Dream avec une barbe blanche. Il ressemble désormais à un vieux nègre, mais il a la stature d’un héros. Encore un album fantastique, eh oui... C’est une idée à laquelle il faut bien s’habituer. Il attaqua avec un groove d’une violence terrible, « Great Big Beat ». Ça cogne au groove des îles - Oh daddy yo yo - Quelle puissance incroyable ! On aimerait bien croire qu’il s’agit là du beat des pirates. Il entre plus loin dans un balladif intitulé « Moonlight Lady » avec une incroyable pureté d’intention. C’est d’ailleurs ce qui le caractérise depuis le début. Il chante « Baby You’re My Destiny » avec la malice d’un vieux sorcier du blues. Entrer dans un album de Taj, c’est entrer dans la caverne d’Ali-Baba. « Baby You’re My Destiny » est une merveille, un cooky cook orchestré à la mode des années vingt, mais il utilise les ficelles d’un sorcier vaudou. Il shoo-bah-doo bah-boo-dee da-boo-bah-doote. Il tournicote ensuite une version antillaise de « Stagger Lee ». Comme c’est un standard, il en fait une version spéciale, type mambo pressé. Il nous entraîne au cœur de l’exotica avec « My Creole Belle » - My creole belle I love her well/ My darling baby my creole belle - Taj transforme ce classique des îles en pur chef-d’œuvre. Il en fait un hit de stomp. Surprise de taille avec une reprise d’« All Along The Watchtower ». Il se lance sur les traces de Jimi Hendrix - No reason to get excited - Il le prend au beat des îles - Yeah all along the watchtower/ Princess kept the view - Évidemment, Taj Mahal ne peur pas en faire autre chose qu’une version démente - And the wind began to howl hey - Nous voilà au cœur de la mythologie. Taj Mahal se dresse parmi les géants de la terre.  

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             Maestro date de 2008. God, quel album ! Il démarre sur une reprise de Slim Harpo, « Scratch My Back ». Le son explose les tympans. Magnifique d’intentionnalité. Mais le baston du son nuit à l’entame de l’original. Il joue « Dust Me Down » avec Ben Harper et ça tourne au r’n’b enflammé. Voilà un blues rock digne des grands du genre. Retour au blues traînard avec « Further On Down The Road ». Taj le gratte au banjo et ça devient affolant de classe. C’est le Taj qu’on adore entendre, sous la pluie chaude d’un été de blues. On entend des coups d’harp et Taj chante de sa belle voix intermédiaire. Retour de Tounami Diabaté pour « Zanzibar ». Angélique Kidjo fait aussi partie de l’aventure. Son énorme. Ça ruisselle de jus africain. Los Lobos accompagnent Taj sur « TV Mama » et ça vire heavy blues. George Porter des Meters accompagne Taj sur « I Can Make You Happy » et là, on ne rigole plus. Si tu aimes les très grands disques, c’est là que ça se passe. Ivan Neville nappe ça d’orgue, et Taj chante avec une certaine mauvaiseté, quasiment comme un punk. Pas compliqué : il sonne exactement comme Captain Beefheart. On le croirait accompagné par les Downliners Sect. Pur génie punk. Taj Mahal est un démon. Il ne se calmera jamais. Plus loin, il reprend le fantastique « Hello Josephine » de Fats et en fait une version surnaturelle. Il fait son Wolf dans « Strong Man Holler ». Il termine ce disque épuisant avec un hommage à Bo Diddley et à Big Dix : « Diddy Wah Diddy ». Version terrible, mais on préfère nettement celle de Captain Beefheart.

             Infatigable, Taj Mahal continue d’explorer les rootsy roots. Comme il le dit si bien lui même : « Even at my age, I’m always fiding something new ! »

    Signé : Cazengler, Mahal embouché

    Taj Mahal. Taj Mahal. Columbia 1968

    Taj Mahal. The Natch’l Blues. Columbia 1968

    Taj Mahal. Giant Step/De Ole Folks At Home. Columbia 1969

    Taj Mahal. The Real Thing. Columbia 1971

    Taj Mahal. Happy Just To Be Like I Am. Columbia 1972

    Taj Mahal. Recycling The Blues & Other Related Stuff. Columbia 1972

    Taj Mahal. Sounder. Columbia 1972

    Taj Mahal. Ooooh So Good ‘N Blues. Columbia 1973

    Taj Mahal. Mo’ Roots. Columbia 1974

    Taj Mahal. Music Keeps Me Together. Columbia 1975

    Taj Mahal. Satisfied ‘N Tickeld Too. Columbia 1976

    Taj Mahal. The Hidden Treasures Of Taj Mahal 1969-1973. Sony Music 2012

    Taj Mahal. Music Fuh Ya. Warner Bros. 1976

    Taj Mahal. Brothers. Warner Bros. 1977

    Taj Mahal. Evolution. Warner Bros. 1977

    Taj Mahal. Taj. Gramavision 1987

    Taj Mahal. Shake Sugaree. Music For Little People 1988

    Taj Mahal / Lyrics Langston Hughes. Mule Bone. Gramavision 1991

    Taj Mahal. Like Never Before. Private Music 1991

    Taj Mahal. Dancing The Blues. Private Music 1993

    Taj Mahal. Phantom Blues. RCA Victor 1996

    Taj Mahal. Senor Blues. Private Music 1997

    Taj Mahal. Sacred Island. Private Music 1998

    Taj Mahal. Kulanjan. Hannibal 1999

    Taj Mahal. Hanapepe Dream. Tone Cool Records 2001

    Taj Mahal. Maestro. Heads Up International 2008

    Classic Rock #203. November 2014. Rising Son by Rob Hugues

     

    *

    Vous êtes gâtés, deux groupes que nous aimons bien dans la même chronique, l’on fait attention à ne pas vous emmêler la comprenette, on parlera de chacun des deux séparément. Pour la préséance l’on n’a pas choisi l’ordre alphabétique même si ça en a l’air.  D'abord le plaisir, ensuitte la nostalgie.

    HOWLIN’ JAWS

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             Regardez jusqu’où se love notre magnanimité, nous sommes obligés de parler d’un de nos concurrents pour évoquer les Howlin’, pas de n’importe lequel, ce mois de décembre 2023 z’en sont à leur numéro 675, nous dépassent un peu, mais on les rattrape, pourtant ils ont commencé presque un demi-siècle avant nous, nous en sommes au 624, dans deux ans on les aura dans le rétro !

             Si vous ne les reconnaissez pas c’est que vous êtes total miros, les Howlin’Jaws en première de couverture, très rare, un honneur pour un groupe français !

             Pour la petite histoire rappelons qu’au mois de novembre notre Cat Zengler nous chroniquait, livraison 621, leur dernier concert dans la bonne ville de Rouen, z’ont toujours été chaud dans ce bled depuis qu’ils ont brûlé la petite Jeanne de Domrémy, non je vous rassure le Cat n’y est pour rien, par contre ensuite il vous explique pourquoi vous avez intérêt à vous procurer leur premier et trois derniers opus.

             Les esprits chagrins renâcleront, chicaner entre Novembre et Décembre c’est mesquin. Certes mais alors reportez-vous à notre livraison 85 du 11 février 2012, oui je sais, voici plus de dix ans, les Howlin’ en concert avec les Spykers et Nelson Carrera, juste dix ans d’avance.

             Nos lecteurs assidus en connaissent un bout des Jaws, nous avons assisté à plusieurs de leurs prestations, oui même celle où ils arboraient fièrement une hélice sur leur casquette, nous avons écouté leurs 45 tours, nous avons commenté quelques uns de leurs clips, et nous vous avons emmenés à l’Olympia, sur France-Inter, au théâtre lorsqu’ils assuraient la partition musicale d’Electre des Bas-Fonds de Simon Abkarian… alors franchement nous nous jetons sur l’article.

             Chance sont tombés sur Isabelle Chelley. Nous avons aussi écrit une belle chronique d’amour sur Isabelle Chelley, mais ceci est une autre histoire.

    Consciencieuse l’Isabelle, les a suivis partout, une véritable groupie, en plus ils n’arrêtent pas de se déshabiller, l’a assisté au tournage du clip de ‘’ Lost song’’, elle cause en connaisseuse de leur parcours, sans oublier de leur laisser la parole, elle ne chipote pas sur leur dernier disque, tiens ils se sont servis de l’Intelligence Artificielle pour la pochette, mais ils y ont appliqué une bonne intelligence neuronale. L’écrit bien Isabelle, vous pouvez la suivre jusqu’au bout du monde, elle vous emmènera jusqu’aux Howlin’Jaws.

    POGO CAR CRASH CONTROL

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             Sont pas fous dans Rock & Folk, à la suite des Jaws ils mettent à l’affiche cinquante groupes français. J’avouons qu’il y en a beaucoup dont on ignore superbement jusqu’à leur existence, je fais un test, j’ouvre au hasard page 65, Komodrag and the Mounodor et Mad Foxes, inconnus au bataillon, mais Johnny Mafia et les Lulies pas de problème on les a déjà vus. Ouf ! L’honneur est sauf !

             Avant de refermer je vérifie l’impossible, voir s’ils les auraient oubliés. Non, par contre un trop court entrefilet. Méritent beaucoup plus, mais ils ne font que confirmer ce qu’ils ont déjà annoncé le 26 octobre dernier sur leur FaceBook.

             Encore un concert à Calonne le 16 décembre pour clôturer l’année. Puis un autre le 30 / 01 / 24 à La Mécanique Ondulatoire, un autre le 31 au Supersonic et un ultime à la Maroquinerie le 03 / 02 /24. Et après ?

             Font un break. Sept années de bons et loyaux services au rock’n’roll, Un Ep, trois albums, et 700 concerts, le besoin de reprendre souffle s’est fait sentir. Il ne suffit pas de dire que le Pogo est un des meilleurs groupes de rock de France, il n’y a qu’un seul mot qui puisse les définir : la folie. Nous les avons suivis, concerts, disques, vidéos et projets parallèles, nous n’avons jamais rien regretté.

             Nous espérons qu’ils reviendront. Vite. Très vite. Le rock ‘n’roll n’est pas un plat qui se mange froid. Quoi qu’ils fassent nous les remercions pour toute cette joie qu’ils ont apportées à des milliers de fans.

             Il est des matins gris qui s’illuminaient lorsque subitement surgissait l’idée salvatrice : ‘’ Pas grave si le monde ne tourne pas rond tant que les Pogo Car Crash Control existent ! ’’

    Damie Chad.

            

    *

             J’avoue que je garde 24 heures sur 24, un neurone spécial led en éveil dans mon cerveau. Pas d’erreur, ce n’est pas pour que ma réflexion soit tout le temps éclairée, je ne parle pas de ces nouvelles lampes économiques que l’on a achetées pour remplacer les ampoules traditionnelles très chères et propagatrices d’une lumière ombreuse, non juste un signal d’alerte qui m’avertit dès que quelque part il est fait une allusion quelconque à Led Zeppelin.

             J’ai violemment sursauté lorsque j’ai aperçu cette pochette : carambar mou, si ce n’est pas une réplique du Led Zeppe III, c’est que je suis devenu complètement gâteux. Jugez-en par vous-même !

    BANDSHEE III

    BANDSHEE

    (Numérique Bandcamp - 30 / 11 / 2023)

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            Ne pensez pas à Siouxsie and the Banshees, elle et ils n’y sont pour rien. The Bandshees se présentent comme un retro stoner band from Louisville située au nord du Kentucky.  Sont quatre : Romana Bereneth : lead vocal, guitare / Stephen K. Phillips : guitar / MacCammon : bass / Chris Miller : drums.

    Black cat : je ne sais pas si vous voyez exactement ce que c’est que du rétro stoner, je peux facilement éclairer votre lanterne, c’est du foutu rock’n’roll, vous allez aimer je vous le jure, grosse guitare, batterie endiablée, éclats cordiques et surtout Romana, z’avez tout de suite envie d’être un chat noir et de lui manifester votre admiration en se frottant à ses jambes,  question lyrics elle doit être manichéiste, vous rencontrez et Jésus et le Diable, en ces moments vous comprenez pourquoi le drummer bouscule et bascule le monde de ses baguettes magistrales, elle chante comme une maîtresse femme, elle maîtrise sec et se joue de vous. L’a été traversée par les radiations du chat noir, elle vous en fait profiter. Un hit. Bad day : moins sauvage que le précédent, lorsque Romana ouvre la bouche de son vocal poisseux elle vous indique que vous êtes au mauvais endroit au mauvais moment,  tout de suite elle hausse la voix, attention aux balles perdues, derrière ils vous miment un mélodrame glauque, le genre de morceau dans lequel il vaut mieux ne pas s’aventurer, dès que vous faites un pas le serpent noir du doute se faufile sous vos pieds, ça fonctionne comme un polar gris, ça sent le linceul et le motel abandonné au bord de la route, film à suspense suffocant, heureusement que de temps en temps Romana hausse la voix, vous avez au moins l’impression d’être encore vivant. Parties musicales rutilantes. Sex on a grave : là c’est vraiment grave, ni l’éros ni le thanatos, c’est ce blues qui tangue entre les deux, cette guitare qui s’insinue en vous, cette batterie qui culbute vers le néant, cette basse qui résonne et happe, Romana vous pousse à vos dernières extrémités, elle minaude, elle hurle, elle énonce, elle répand le chaud et le froid, elle tord et elle mord les désirs les plus inavouables.

    Play loud ! Tout simplement un EP rock. De taille et d’estoc. Pour la petite histoire le rapport avec la pochette du Dirigeable n’est pas évident, est-ce vraiment important ?

             Si bon que l’on court vers le premier EP du groupe :

    CURSE OF THE BANDSHEE

    (CD via Bandcamp / Décembre 2022)

    Surprise. Changement d’ambiance, est-ce le même groupe : Romana Bereneth : lead vocal, guitare / Stephen K. Phillips : guitar / Nick Beach : drums / Beverly Reed : flûte, saxophone, vocals / Jason Groves : bass.

             Artwork aux antipodes du précédent. D’Ashley Sego. Une toile, un tantinet médiévale par le sujet représenté, une sorcière, toute de blanc vêtue brûlée vive, deux moines habillés de noir devant le bûcher deux autres personnages de noir vêtus, sont-ce des femmes, seraient-elles victimes de convulsions hystériques, danseraient-elles une danse sabbatique… Une seule certitude, celle dont le bas de la robe est attaqué par les flammes possède une longue chevelure qui n’est pas sans rappeler celle de Romana Bereneth. Romana a écrit les textes de cette malédiction de la sorcière.

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    Black Magic : musicalement l’on est très loin de l’Ep qui a suivi. Intro acoustique, bientôt suivie d’un background plus appuyé, mais cette flûte incessante qui accompagne tout du long le morceau comme une sinueuse langue de feu nous oblige à penser à certains opus progressive-rock à la Jethro Tull, mais rupture drummique et voix vindicative de Romana  nous éloignent de cette piste, dynamisme et harmonie certes, mais aussi  violence gothique souterraine et exacerbée. Il existe aussi une official vidéo de ce morceau qui met en scène avec une très grande fidélité les lyrics. L’entrée, lent cheminement au travers d’une forêt sans savoir où l’on va, est très réussie. Les sorcières sont belles et inquiétantes. L’ensemble ressemble à un début de film. A petit budget mais à grosse impression. Curse of the bansshee : ça démarre comme le précédent, la flute encore, toute une ambiance, la voix de Romana batifole sur la rythmique, étrange différence entre la noirceur des lyrics et ce vocal souverain qui semble se jouer de la situation jusqu’à ce que sa colère éclate, l’on ne sait plus si c’est la sorcière qui est maudite ou si c’est elle qui lance sa malédiction depuis la mort. Guitare apocalyptique en final. Vous avez écouté, vous pouvez voir aussi l’Official Lyrics Vidéo, particulièrement réussie, basée sur le même principe que la précédente, belles images explicites qui assombrissent davantage le mystère qu’elles ne le dissipent.  Diamonds on your prime : toujours cette entrée primesautière et puis ce ramdam sonore et la voix de Romana qui articule et plane au-dessus de la mêlée. Elle essaie d’avertir cette femme du danger, mais d’où parle-telle, a-telle déjà connu cette situation, ou possède-t-elle, pourquoi et comment, une connaissance supérieure, à moins que ce soit elle-même qui parle à elle-même, lyrics terriblement ambigus, par sa rectitude la musique semble les démentir, oh ! ce long pont qui enjambe un ruisseau d’eau pure, la voix de Romana, froide, déterminée, un couteau tranchant de blizzard sans concession. Si vous ressentez un malaise, c’est normal. Une vidéo esthétiquement très différente des deux premières, montées à partir d’images un peu ringardes de vieux films, pour que l’on s’aperçoive que toute existence est par nature vintage car soumise à l’apocalypse mortelle que nous détenons en nous, telle une bombe nucléaire qui n’attend que son heure programmée pour exploser.  Forgotten daughter : entrée fracassante, Romana souveraine, tiens cette manière de poser la voix en début de morceau évoque Led Zeppelin mais je vous avertis : pas de rêverie romantique, même pas romanantique, elle n’est pas une jeune fille naïve qui croyait que tout ce brillait était de l’or, elle est la suzeraine, elle a traversé l’épreuve de la mort, elle est morte, elle a survécu, elle parle d’ailleurs, elle parle de désir impossible, est-ce son corps qui se balance sous l’arbre au pendu. Fort. Poignant. Emouvant. Une vidéo créée par Romana, d’animation, un dessin animé à moitié métaphysique, Une méditation ontologique sur la nature de la femme et de la mortalité humaine. Très beau, très réussi, très original.  Woman 4 sale : (Jake Reber : bass, backing vocal) : un morceau rentre-dedans qui se rapproche de l’Ep qui suivra. Lyrics trop directement féministes, les femmes sont à vendre, Romana joue le rôle d’un formidable commissaire-priseur. Lyrics cousus de fil blanc, dénonciation de l’exploitation sexuelle de la femme, en arrière-fond marché d’esclaves, les quatre premiers titres parce qu’ils sont davantage mystérieux, parce qu’ils jouent sur la peur victimisante que les hommes ressentent face à l’inquiétante puissance sorciérique de l’être féminin forment un tout… Bien sûr une lyric video. Une pub, qui dure cinq minutes, vous ne pouvez détacher les yeux de l’écran, tellement c’est excitant, tout ce qu’il faut jusqu’au symbole freudien du robinet à sperme écumeux qui n’en finit plus de couler, rockabilly pin up en pleine action, encore une idée de Romana, plaisante comme tout, oui mais elle en dit plus sur notre monde avec la rutilance joyeuse de ces images que bien des penseurs attitrés de nos réseaux médiatiques…

             Curse of the Bandshee était un tout autre projet initial que Bandshee lll, que s’est-il passé au juste entre ces deux enregistrements ? Ou alors est-ce que Romana et Stephens sont les deux têtes pensantes et agissantes de Bandshee  qui ont pris pour le deuxième opus le titre III du troisième album de Led Zeppe pour signifier qu’ils n’entendent point se répéter à chaque nouvelle création. Que nous offriront-ils pour leur troisième album ? A quelle surprise devrions-nous nous attendre…

             Pour être tout à fait franc, sur leur site vous pouvez écouter une longue interview de près d’une heure, Romana rieuse comme une mouette, Stephen au look intello, juste un problème, je dois être rétif à l’accent du Kentucky, je n’ai rien compris !

             Quelques explications tout de même : à l’origine Bandsheee était un projet folk-rock, jusqu’à ce que Stephens s’aperçoive que Romana, bien qu’âgée d’une trentaine d’années ignorait tout de l’existence de Black Sabbath… et de tout ce qui s’en suivit. Bref Romana se convertit au doom ! Ceci explique cela, disait Victor Hugo, par exemple que le dernier morceau de Curse of the Bandshee soit une reprise de Lunar Funeral ( voir Kr’TNT ! 517 du 30 / 06 / 2021.

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             Sur le site de Bandshee vous pouvez aussi voir plusieurs vidéos du groupe sur scène. Je ne vous offre qu’une photo de Romana et de sa chevelure, attention, n’y montez pas, ce n’est pas Rapunzel que vous rejoindrez mais la sorcière Bandshee !

    Damie Chad.

     

    *

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    Nous croyions en avoir fini avec notre chronique sur Bandshee, certes nous nous étions dit que nous y retournerions mais pas si vite. Il y avait encore ce dessin, la plupart du temps sur Bandcamp les groupes mettent leurs photos, certains se contentent de leur logo, mais là ce dessin qui n’est pas sans évoquer la pochette de Bandshee III, est crédité, piste instagrammique, à Mollyoakus, qui nous renvoie à Molly Broadhurst pour finalement parvenir à :

    MOLLY’S MIDNIGHT VILLAINS

            Seriez-vous surpris si je vous dis que nous avons affaire à un groupe basé à Louisville dans le Kentucky. Se définissent en toute simplicité comme un groupe de folk sorcièrement alernatif.

             Ne sont que deux. Si vous les croisez dans la rue vous les remarquerez. Z’ont un look étudié. Se ressemblent tous les deux. Parfois vous aurez du mal à discerner lequel est le garçon, laquelle est la fille.  Des mécheux qui n’ont pour coiffure qu’une seule grosse mèche de cheveux qu’ils inclinent et tordent dans tous les sens, un peu comme ces clignoteurs turgescents des anciennes 203 pour les amateurs de vieilles voitures françaises, un véritable effet (de langue de) bœuf. Parfois ils s’amusent à la teindre en couleur flashy. Par contre s’habillent le plus souvent en noir.

             Molly Broadhurst : vocal, rhythm guitar / Tom Crowley : lead guitar.

     Z’ont manifestement choisi leur nom de scène : Molly l’imprécatrice ( pas mal pour une sorcière ) quant au patronyme Crowley de Tom, il rappellera à nos lecteurs les nombreuses traductions effectuées par Philippe Pissier des ouvrages d’Aleister Crowley ( pas plus tard que dans notre livraison 621 du 23 / 11 / 2023 ) que nous chroniquons systématiquement.

    OUTLAWS WITCHCRAFT

    (Vinyl / CD / Juin 2021)

    Pour le deuxième anniversaire de cet album, Molly a préparé un livre d’artiste comportant collages, paroles des chansons et sigils. Nous renvoyons, en ce qui concerne les sigils nos lecteurs à nos chroniques des deux premiers livres d’Austin Osman Spare (Anima Editions) traduits par Philippe Pissier.

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    In througt the mirror : bruits suspects, une acoustique qui descend ses gammes, instrumental pour l’ambiance, qui s’épaissit, qui s’assombrit lorsque retentit les effets de voix de Molly, on ne peut pas dire qu’elle cherche à l’éclaircir, juste poser un point noir sur une page blanche qu’elle transformera en une ligne initiatrice dans les titres suivants.  En moins de deux minutes vous êtes dans une réalité légèrement décalée. Doin’ fine : l’acoustique tricote dur, toute la magie dans le timbre de Molly, elle chante peut-être, nous dirions plutôt qu’elle parle toute seule, à elle-même et au reste du monde. Tout va bien. Enfin presque. Toute remuée à l’intérieur. Elle ne veut plus se souiller au contact de qui que ce soit. Elle a besoin de cette espèce de virginité qu’il faut entendre comme un refus de pactiser non pas avec l’autre, mais chose plus subtile avec la notion d’autre. Quelle opérativité peut-on avoir sur le monde si c’est lui qui entre en vous. Pour les parties extravagantes de guitare de Tom, vous serez comblé. Two cards reading : deux cartes à lire. Elles ne sont pas routières. Même si celles-ci annoncent aussi le chemin proche. Guitare éclatante mais presque en sourdine, Molly décrit ce qu’elle voit, une tempête monocorde dans sa voix, les lyrics ont la force d’un drame shakespearien, restons français pensons à cette tour abolie de Gérard de Nerval, par quel feu a-t-elle été détruite, et pourquoi le roi n’a-t-il pas deux fois vainqueur traversé l’Achéron. Superbe. Crawl back to the light : un semblant de groove compressé de la part de Tom, la voix de Molly aussi tranchante que la lame de guillotine, Tom s’enfuit dans un pickin’ espagnol, alors Molly hausse le ton toujours implacable, elle semble nous raconter une histoire à la Lovecraft mais de fait elle aborde un sujet bien plus grave celui de la survie par le nom, pensez à une formule magique, et aussi à Victor Segalen dans Briques et Tuiles ou Stèles, à ce nom qui doit être à tout prix conservé mais caché pour ne pas courir le risque de mourir définitivement si quelqu’un mal approprié s’en emparait. Takin’you into the moon : la guitare roucoule bellement, Molly prend sa voix de tourterelle la plus douce même si de temps en temps elle ne peut s’empêcher de s’envoler vers la lune ou le paradis, une chanson d’amour, la joie d’être à deux protégée du monde dominé grâce à cette armure de dualité qui nous enserre, nos sorciers deviendraient-ils humains trop humains, heureusement qu’il y a ce serpent qui vient bénir leur union, peut-être sont-ils comme la queue et la bouche du reptile qui se suffit à lui-même. A little like me : encore plus rond, encore plus doux, l’espoir de ne pas être comme les autres et de trouver enfin l’âme frère, les doigts de Tom babillent et émettent de jolies broderies sonores, elle pétille, sifflements pas ceux du serpent, Molly toute molle de promesses et de prophéties, elle n’est pas ce qu’elle semble être, mais qui est-elle au juste… Over the rooftops we go : la guitare claironne à l’espagnole, le ton de Molly a changé, l’interlude amoureux s’achèvera-t-il en queue de poisson… elle veut et elle ne veut plus, elle doute de l’autre, Tom joue au picador et au torero pour la maintenir en de bonnes dispositions, mais sa voix s’envole vers les hauteurs, elle ne sait pas, elle ne sait plus, elle sait qu’elle ne sait pas. La traversée des miroirs n’est pas une sereine aventure nous a avertis Jean Cocteau. Why are you so far away : Tom discret, il se contente de tisser une couverture qu’elle foule des pieds, il n’est pas venu, ce n’est que partie remise, nous dit-elle, elle a autre chose à faire, une fois qu’elle aura vaincu le temps, Tom fait flamber sa guitare, les promesses rendent les fous joyeux, il est curieux d’entendre comment sur ces trois derniers morceaux Molly n’utilise plus son timbre métallique si tranchant, son chant s’apparente un peu aux chanteuses de bluegrass. Peace with the Devil : beaux arpèges, une sorcière sans imprécations aux esprits et au Devil c’est déroutant, Molly récite ses litanies, elle aimerait faire la paix avec le diable, mais ces mots veulent-ils, peuvent-ils dire quelque chose, timbre glaçant, elle marche pieds nus sur le fil de l’épée. Vous qui êtes tombés, nous qui sommes tombés, qui nous a poussés. L’Un ou la Dualité ? October : un bruit comme de l’eau qui coule, puis une guitare crépitante comme un feu dans la cheminée, une ballade froide, la voix qui n’arrive pas à se réchauffer, l’indécision de ne plus savoir, d’être ailleurs, et de désir de savoir, et d’être là-bas, Tom nous fait le coup de la rockstar qui fait gémir sa guitare, l’extase ne suffira pas, même si la voix s’adoucit un moment, elle retourne à cette atonalité ambigüe, marque d’une terrible déréliction. Tiraillements douloureux entre deux plans de réalités.     

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    Sur disque c’est toujours bien, donc voici un enregistrement live de Doin’ fine enregistré à la Saint Cat’s Sound House :  une quinzaine de personnes confortablement installées en de moelleux fauteuils, n’était-ce la batterie inoccupée derrière les artistes on se croirait chez soi, intérieur bourgeois-bohème soupçon fin de siècle (non pas le précédent, l’autre avant), tous les deux debout, habillés de noir ce qui éclaircit encore plus la blancheur gothique de leur épiderme. Sur les avant-bras de Molly, ce ne sont point d’énormes sangsues à queues multiples qui boivent son sang mais des tatouages mastoc, l’’on pourrait écrire une thèse sur l’art dont elle s’en sert sur certaines vidéos du groupe, avez-vous remarqué que 99, 99 % des tatoués n’usent jamais de leurs décalcomanies, je suis sûr que les japonais doivent avoir un mot pour désigner cet art, ne nous égarons point revenons à Molly, à ses yeux que le fard étire, à sa voix imperturbable que rien ne saurait arrêter. Vous cingle le visage avec le mot fuck comme vous ne l’avez jamais entendu. Je me demande comment Tom peut voir sa guitare avec sa mèche qui oblitère son œil gauche, de temps en temps il la chasse pour jeter un regard inquiet sur Molly qui ne s’en aperçoit même pas. Elle a raison, c’est aussi net, précis et sans bavure que sur disque.

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    Wolf : Music Vidéo : quand vous dites pierre précieuse vous ne tenez pas cet artefact dans votre main mais vous employez des mots qui la désignent mais qui ne sont en rien ni une pierre ni précieux, c’est idem pour cette vidéo : les lyrics nous content une scène de lycanthropie, profitons-en pour saluer Marie de France, pas la moindre queue de loup ( même empaillé) dans le clip  simplement Tom et sa nana ( je n’ai pas pu résister à ce mauvais jeu de mots intraduisible), images en blanc et noir,  sauf la mèche de Molly teint d’une jolie couleur renardière, sont dans un bois, Molly se glisse entre et contre des rochers, une merveilleuse symphonie de gris, donc pas de mutation génétique ni loup sauvage, vous n’en avez aucun besoin, toute la force de la scène invisible est transcrite par l’impact du vocal, quelle chanteuse, quelle interprète ( quelle autrice aussi ), elle chante l’innommable, la cruelle innocence de cette bestialité sauvage est si durement exprimée que vous fermez les yeux pour ne pas la voir.

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    Two cards reading : Music Video :  sépia rituel.  Tous deux dans les bois. Immobiles en pleine nature. Cette fois elle a teint sa mèche du rose de l’aurore. Ils chantent tranquillou. De temps en temps une main dessine des sigils. Puis calligraphie des paroles sur une feuille blanche. Plus tard les sigils seront découpés et brûlés sur un autel, sous un œil pyramidal insensible. Rien de bien spectaculaire. Ce n’est pas la théâtralité du geste qui compte mais l’effet qu’il produira. Sur vous. Si vous en êtes digne.

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    Strange, strange friends : Lyrics Video : économie de moyens, trois dessins qui se battent en duel, n’en faut pas plus pour entrer dans l’ambiance, un corbeau, un chat noir, un squelette, vous n’espérez pas tout de même que l’on va vous faire revenir Edgar Poe uniquement pour votre petit plaisir. Concentrez-vous sur cette guitare sèche, entre nous soit dit si vous décrétez qu’elle est country vous n’aurez pas tout à fait tort, une scène de beuverie dans un estaminet quelconque. Un peu inquiétant tout de même, malgré l’humour si blues des paroles, d’ailleurs le costume rayé si ça ne vous dit rien, marchez jusqu’au prochain carrefour. C’est tout de même fou le nombre de morts qui circulent incognito parmi les vivants.  Une pincée d’humour dans la voix si naturelle de Molly. Ne cherchez pas ce qui occasionne ces frissons le long de votre colonne vertébrale.

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    Taking you up  into the moon : live From the Midnight Lair : décontracté, ils sont chez eux, dans leur terrier, elle est en jeans et en chemisier bleu, y a un boa sur le canapé, à son air sympa et débonnaire il ne fait pas peur. J’oubliais le troisième homme (ou femme, cochez la case que vous voulez), une tête de mort, c’est leur côté Et in Arcadia ego, et moi aussi en Arcadie si vous avez séché vos cours de latin. De toutes les manières, il ou elle est toujours avec vous, vous accompagne partout, jusque dans le cercueil. Ne soyons pas triste, c’est une chanson d’amour, spécialement écrite pour une personne particulière expliquent-ils sous la vidéo sur YT, sont gentils tout le monde peut s’y reconnaître affirment-ils. Elle a le sourire aux lèvres quand elle chante, difficile d’apercevoir celui de Tom, surveille sa guitare comme le lait sur le feu, j’ai choisi cette vidéo car l’on voit bien l’agile gymnastique giratoire de ses doigts.

             Nous reviendrons les visiter. Z’ont un son, un look, un univers, des idées, un concept qui n’appartiennent qu’à eux. Un deuxième album et des morceaux isolés. Le seul truc qui m’étonne c’est qu’ils ne soient pas davantage célèbres. Signe d’authenticité.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Chic un groupe de Tolède, ninitas desnudas, puros espuantosos y toros de sangre y carne (c’est ainsi que les espagnols traduisent sex, drugs and  rock’n’roll) enfin la fiesta païenne, merci Damie. Ne me remerciez pas, nous ne partons pas en Espagne, mais dans la grande Amérique, dans l’Ohio pour être géographiquement précis.  Pas grave Damie, les Ricains le rock’n’roll ils connaissent. Z’oui mais là s’agit d’un truc non identifié, un gribouillis sonore informe et infâme… Toutes les chances que vous ne soyez pas épanouis après avoir subi ce tintouin (sans Milou)  inouï dans votre ouïe.

    THOROUGHBREDS

    SOG CITY

    Qui sont-ils : deux gars difficiles à identifier : Jason et Nick. Quoi qu’ils jouent on ne sait pas. Un indice sur le troisième homme qui doit être une femme puisque qualifié(e)) de l’adjectif beautifull, un(e) certain(e)) J. C. Griffin, inexplicablement son nom est suivi d’un instagram qui renvoie à un dessin animé canadien, Lake Bottom pour ceux qui connaissent, enfin Pat Peltier s’occupe du saxophone.

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    Lollygagger : attention ça va commencer, juste un détail que j’ai omis par inadvertance, ce n’est pas la musique qui est étonnante, vous savez avec les groupes noise il est nécessaire de s’attendre à tout, ce sont les lyrics, donc un truc inaudible mais sans plus, perso je trouve cela plutôt agréable, très vite les trois coups du destin, qui se répètent à la cadence d’une marche militaire, l’on sent qu’un évènement grave se prépare, erreur, il s’est déjà déroulé, z’avez intérêt à vous munir d’un stéthoscope pour saisir la voix, trop tard tant pis, pour vous, nous font le coup du riff poussif interminable, genre métro fantôme qui refuse obstinément de s’arrêter à la station où vous l’attendez, par deux fois six secondes le gargouillis incompréhensible vous donne un dernier indice incompréhensible. Dans l’esprit ça ressemble un peu, beaucoup, à la folie, aux Mamelles de Tirésias d’Apollinaire, pour les faits incontestables il y a un cadavre, est-ce lui qui parle entre ses dents agoniques ou un enquêteur qui en privé morigène dans sa barbe (évidemment rien n’indique qu’il soit barbu) si vous réfléchissez un peu trop vous finirez par décréter que ce sont les deux. Aurais-je le droit de vous faire confiance ?  Fool’ s Errand : c’est  complexe vous êtes perplexe, concrètement nous abordons la diagonale du fou, jeu dangereux, souvenez-vous de Nabokov, poum-poum ça repart, très vite c’est un peu cacophonique et même cacaphonique, au loin il y a un gars qui présente un numéro de cirque, apparemment un lion qui ayant bouffé son dompteur et ne sachant pas quoi faire se met avec ses grosses pattes à jouer du piano, y’a un musicien sur l’estrade qui se dit qu’il vaut mieux que ça se termine au plus vite avant que ça ne dégénère alors il vous fait de ces roulements avec sa grosses caisse comme s’il était Keith Moon. Faut bien foutre le cadavre dans un cercueil avant qu’il ne se mette à grandir comme dans une pièce de Ionesco. We trailed off on the middle name : pour comprendre se rappeler que l’américain moyen possède comme tout sénateur romain trois noms : hésitons, un télégraphe qui ne marche pas, une scie à découper, bref un bruit, de toutes les manières ça n’a aucune importance, c’est le moment du monologue dans l’acte III d’une pièce de Racine, le gars ne sait pas déclamer, normal un amerloque peuple jeune et barbare encore mal dégrossi ne peut posséder  les arcanes de cette culture européenne qui repose sur plus de vingt siècles de haute civilisation, en plus c’est peut être un cadavre ou un flic qui parle, ce qui ne vaut guère mieux, y en a tout de même un qui comprend qu’ils sont à la peine alors il appuie sur le bouton de la batterie et ça redémarre sec ( question rock les ricains sont au top ), l’on est au moment crucial, Oreste en tripatouillant ses papiers va-t-il endosser l’identité de Pyrrhus qu’il vient de tuer à moins que ça ne soit le contraire, en tout cas il y en a un dans la pièce à côté qui hurle, est-ce le trépassé ou le vivant, quels sont ces bruits qui carabossent sur sa mathématique bosse, avalanche sonore, folie extraordinaire, bon après la mania-crise, le mec se calme, il ahane comme un âne à qui sa maîtresse suce la queue. Valet parking : dans les thrillers vous avez la scène clef (de voiture), le meurtre dans le parking, nous y sommes, excusez le tintamarre avec toutes ces autos, en plus dans un disque de noise… c’est le moment du doute, le mec il est bien mort, ou a-t-il simplement mal aux dents, doit être chez le dentiste on lui oblitère la molaire car il vocifère, ou alors c’est une métaphore la clef que vous introduisez dans la serrure de la portière, peut-être ressent-elle cette ouverture comme un viol inqualifiable. Je sens que vous êtes perdn… Comment je le sais, facile la musique imite le bruit de vos méninges en cessation d’activité preuve que l’huile de votre intelligence ne les lubrifie plus. Depuis longtemps. Rodeo’s closet : ça y’est on passe à la scène des aveux, la rythmique imite l’agencement du mécano intellectuel qui se met en place. Bien sûr c’est le cadavre qui se confesse, vous pensez la scène confuse pourtant s’il y a un macchabée c’est tout de même de sa faute. Au bruit on devine que pour le faire parler le flic lui passe dessus avec sa voiture, lecteurs amicaux entendez-vous dans cette pièce lointaine rugir le moteur à perdre haleine. Thoroughbreds : vous avez tout compris, il n’y a plus de mystère, n’en profitent pas pour se taire, vous manquent encore quelques détails que généralement l’on omet dans les romans policiers. La question que l’on ne pense même pas à poser. Mais une fois qu’il est arrêté que devient le cadavre ? On ne peut pas le juger. Non on ne le laisse pas seul. Ayons quelque humanité, on se préoccupe de sa survie cadavérique. Y a un service pour cela. Vous n’avez pas compris qu’avec toutes sonorités funèbres, il vaudrait mieux laisser tomber, puisque vous voulez tout savoir : vous saurez tout. Thoroughbreds vous en donne plus. C’est tout simple pourtant : ce sont les mouches qui s’occupent de lui. Est-ce le saxophone de Pat Peltier qui s’en vient jouer le bourdonnement de la mouche enfouisseuse de larves et asticots divers ? Tiens les trois coups du destin reviennent. Qui joue du triangle ? Hop un gros riff monstrueux qui éclate comme ces cadavres que l’on enveloppe dans un grand sachet poubelle en plastique hermétiquech sans penser à  laisser des trous pour que les exhalaisons puissent s’échapper. Putain il y a de la viande d’allongé sur tous les murs, pire que quand vous avez chié dans le ventilateur. Dernier glouglou de cadavre. Cette fois-ci je crois qu’il est vraiment mort. Derniers tintements cristallins, quelque larmes (pas trop, on a quand même bien rigolé) qui tombent sur sa pierre tombale.

              L’ont enregistré à peu près, ce devait être, en quelque sorte vers 2019. Ils ne s’en rappellent plus trop. Sog signifie en bonne santé. Vous voyez ce qui vous arrivera si vous n’êtes pas soges.

             Moi, j’ai beaucoup aimé.

    On y reviendra, ont à leur actif tout un tas de monstruosités. Un complément d’enquête s’impose.

    Damie Chad.

           

  • CHRONIQUES DE POURPRE 623 : KR'TNT 623 : TAJ MAHAL / JIM JONES / BOBBY MARCHAND / WOVEN HAND / SUPERGRASS / DANIEL GIRAUD / STAIN / SLUGPHLEGM

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 623

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    07 / 11 /023

     

    TAJ MAHAL / JIM JONES

    BOBBY MARCHAND / WOVEN HAND

    SUPERGRASS / DANIEL GIRAUD

     STAIN / SLUGPHLEGM 

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 623

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Taj à tous les étages (Part One)

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             Le coup de cœur pour Taj Mahal est un vieux coup de cœur, car il remonte au printemps 68. Dans cette petite ville de province, tu avais un disquaire qui t’accueillait avec un grand sourire et qui te balançait sa formule magique : «Tiens écoute ça !». Chaque fois, il te ferrait comme une poissecaille. Il n’avait que des bons disques, le Shake Down de Savoy Brown, le Mr. Wonderful de Fleetwood Mac, le Forty Blue Fingers Freshly Packed And Ready To Serve de Chicken Shack, le Led Zep 1, Traffic, Buddy Guy et tous les autres ! Il en pleuvait de partout. Le premier album solo de Taj Mahal en faisait partie. C’était le genre d’album qui te formatait à vie.

             Pendant plus de 50 ans, Taj Mahal est resté une présence un peu mystérieuse, pas trop d’articles dans la presse rock anglaise, une apparition dans le Rock’n’Roll Circus des Stones, et environ une trentaine d’albums à son actif, dans des genres parfois exotiques. Solidement enraciné dans le blues, Taj Mahal est allé explorer le son des îles, ce qu’il appelle the West Indies, c’est-à-dire les Caraïbes, et le son des îles du Pacifique. Un jour, un imbécile qui se prend pour une sommité crut bon de dire qu’il trouvait Taj Mahal «trop reggae». Il n’avait pas compris que Taj Mahal échappait aux genres en bâtissant une œuvre riche et variée. Il est l’un des derniers grands musicologues modernes. Son dernier album, Savoy, est un hommage aux géants d’avant, Louis Jordan, Gershwin et Duke Ellington, et son avant-dernier album, un hommage à Sonny Terry & Brownie McGhee : avec Ry Cooder, ils ont ré-enregistré l’intégralité de Get On Board, un album de country blues paru en 1952, et dont on a fait grand cas ici, dans l’Avenir du rock.

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             Pour explorer le mystère de Taj Mahal, rien de tel qu’une bonne autobio. Ça tombe bien, il en existe une, parue en 2001 : Autobiography Of A Bluesman. Taj y parle bien sûr beaucoup de blues, mais aussi et surtout de ses nombreuses compagnes successives et de son énorme progéniture. Dans son introduction, Stephen Foehr rappelle que Taj est considéré comme le lien le plus authentique avec «the old feeling of the blues, alors qu’il continue de faire évoluer le langage du blues.» Foehr rappelle aussi que Taj est arrivé dans les sixties, un temps où tout était possible, et il conclut ainsi : «Taj est si légendaire que beaucoup de gens le croient mort, mais il n’a que 58 ans.» C’est-à-dire à la parution du book, voici 22 ans. Aujourd’hui, il a 81 ans.

             Fascinante autobio. Dès les premières pages, le musicologue entre en scène. Il y a le blues et le contexte sociologique du blues. C’est l’étude de ce contexte qui donne sa valeur au blues, alors Taj transmet ses connaissances. Il raconte par exemple que Mississippi John Hurt pouvait s’entraîner sur sa gratte, car son job consistait à surveiller chaque jour un troupeau de vaches. Il rappelle un peu plus loin que le Mexique avait donné des vaches au roi Kahmehamaha d’Hawaï, mais les vaches devenaient sauvages et détruisaient les récoltes. Alors des cowboys mexicains sont arrivés à Hawaï pour former des cowboys hawaïens. Les Mexicains ont amené leurs grattes et les Hawaïens qui ne connaissaient pas les instruments à cordes ont flashé dessus. Mais comme ils ne savaient pas accorder une gratte, ils ont inventé l’open tuning. Taj se passionne aussi pour l’histoire du blues train : «Charley Patton, Robert Johnson, Son House et d’autres early blues singers came up on the blues train. Memphis Minnie, Jimmy Yancey, Big Mama Thornton, Big Joe Turner, T-Bone Walker, Muddy Waters, Big Bill Broonzy et d’autres blues legends made the trip in the 1940s, and along the way, rural blues evolved into urban blues. But it’s all the blues.»

             Petit, Taj Mahal s’intéressait à l’histoire de l’Afrique et de l’Empire Britannique. Ça lui permettait de décoder le blues. Sa famille vivait sur la côte Est et son père était un pianiste arrangeur de renom. À l’état civil, Taj s’appelle Henry St Clair Fredericks Jr. Le nom de Taj Mahal lui est venu dans un rêve, en 1961, alors qu’il était inscrit à l’université du Massachusetts. Pour lui, le nom de Taj Mahal symbolise les forces positives du monde, auxquelles il choisit alors de s’identifier. Taj a beaucoup de chance, car ses parents lui disent qu’il pourra faire tout ce qu’il voudra dans la vie. Le contraire exact de ce que disent alors les parents blacks à leurs gosses : t’es black et tu vas en baver. Taj avoue qu’il n’a jamais douté de lui, pas une seule fois - Not even for one minute - Quand des gens essayaient de le freiner dans son avance, Taj les trouvait kinda stupid.

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             Alors qu’il est au lycée, il découvre grâce à «The Twist» d’Hank Ballard que la black music a quatre ans d’avance sur la musique populaire - To me, that song sounded like it was as loud as the sky - Il écoute Furry Lewis, Gus Cannon, Memphis Willie B, Big Joe Williams, Roosevelt Sykes - a transitional figure, connecting rural and urban blues traditions - Puis à Greenwich Village, il rencontre Maria Muldaur, Phil Ochs, John Sebastian, Barry Cornfield, Jack Elliott et Dylan - J’aimais bien les chansons de Dylan, sa poésie, mais je n’aimais pas sa façon de chanter - Taj dit qu’il veut jouer comme Mississippi John Hurt, ou comme le Reverend Gary Davis, ou Elizabeth Cotton et Etta Baker - As soon as I heard that stumbling sort of rumble-rumbe-rumble sound, I went like, ‘Oh, that’s it’ - Il se dit aussi fasciné par Jessie Fuller - Once I heard a little of it, like when I heard Jessie Fuller, then I always heard it - Il ajoute qu’il a entendu d’autres mecs faire du finger-picking, mais ils sortent un son fade - It needs to be more lopey (course à grandes enjambées, qu’on peut traduire par plus fluide), like animals running. It has to have that feeling. That’s what I was after - Il voit le blues comme une chute d’eau - The blues is like that. Water is coming down - Alors des gens lui demandent pourquoi il joue cette old-form music qui n’a pas d’avenir. «Pourquoi ne pas jouer du jazz ou de la musique contemporaine ? Parce que la musique est en connexion avec l’histoire et la culture d’un peuple. It’s legitimate music. C’est la raison pour laquelle je la joue.» Peter Coyote décrit à sa façon l’authenticité du blues : «Le blues est issu d’une réalité particulière. Beaucoup de white kids peuvent jouer les notes mais ils n’ont pas le jus. Puis tu vois jouer un mec comme John Lee Hooker, c’est un griot, il n’a pas de technique, mais il a tellement de juju qu’il fait trembler toute la salle. Il y a des gens comme Taj et Alvin Youngblood Hart et Keb’ Mo’ qui honorent leur tradition. They got the notes and the juju.» Plus loin, Taj revient sur Hooky : «Il a appris à jouer avec son beau-père, originaire d’une région de la Louisiane où étaient installés les descendants des Mande speakers, amenés là comme esclaves - A certain kind of sound comes out of those folks. An ancient sound.»

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             Pendant un temps, Taj joue en duo avec Jesse Lee Kincaid sur la côte Est. En janvier, ils grelottent de froid et Jesse propose à Taj d’aller se réchauffer en Europe. Puis, comme il est originaire de Los Angeles, il lui propose la Californie - It’s warm in L.A - et Taj dit : «Yeah.» Jesse connaît les clubs, notamment l’Ash Grove et le Troubadour. Il connaît aussi un jeune prodige nommé Ryland Peter Cooder - he had a definite style at an early age, and was definitely into the old blues - Jesse est fier de jouer avec Taj. Il explique que «les white boys were emulating the blues sound. They didn’t sound like the sound. Taj sounded like the real thing. He was the real thing.»

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             Et tout démarre à l’Ash Grove. Taj y voit Mississippi John Hurt et Bill Monroe and everything in between, avec une connexion to authentic music, Canned Heat, Kaleidoscope, The Firesign Theater. Il voit aussi les Chambers Brothers, Ligthnin’ Hopkins - La première fois que j’ai vu Johnny Guitar Watson, c’était à l’Ash Grove, il jouait du piano. He played the hell out of the piano. Big Mama Thornton was a regular there - Il dit aussi qu’Howlin’ Wolf et Lightnin’ Hopkins apprécient son picking - They would watch, not saying anything. That’s how they told me I was doing all right - Taj les rencontre tous à l’Ash Grove, Wolf, Muddy, Junior Wells, Buddy Guy, Sleepy John Estes et d’autres que nous ne connaissons pas, Louis & Dave Meyers, Yank Rachel et Hammy Nixon. Taj apprend en les voyant jouer. Il apprend plus de ces gens-là que des gens de la music industry. Il est effaré par le power d’Albert King - Going to see Albert King for the first time - whew! - La fréquentation de tous ces géants le conforte dans l’idée de préserver the authentic music alive, et pour lui, c’est d’autant plus vital qu’il sait que le blues n’intéresse pas the music industry. Pourquoi ? Parce que le blues ne génère pas de gros profits. On vire même les artistes de blues des labels parce qu’ils ne sont pas rentables. Le rock rapporte plus.

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             Et puis un soir, Ry Cooder vient voir jouer Taj et Jesse Lee Kincaid à l’Ash Grove. Il demande s’il peut jouer avec eux. Sure. Il a 17 ans et on le considère déjà comme un prodige. Il sait tout jouer : le blues, le ragtime, la country, le r’n’b. Il a aussi une bonne perception des music-business politics : il a grandi dans the L.A music business. Comme Taj, Ry est fasciné par la culture du blues et les possibilités qu’elle offre.

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             Ils montent un groupe pour continuer de jouer à l’Ash Grove : Ry, Taj, Jesse, Gary Marker, et Ed Cass Cassidy au beurre. Ils montent un répertoire d’old-time music avec des arrangements et un son modernes. Jesse baptise le groupe The Rising Sons. Quand Cass Cassidy s’en va monter Spirit avec Randy California, ils recrutent Kevin Kelly qui est le cousin de Chris Hillman - The Rising Sons quickly got to be a hot sensation - Le groupe est salué dans la presse, notamment par Rolling Stone, comme un mélange de Delta grind et de Beatles-esque pop vigor. Ils font la première partie d’Otis Redding au Whisly A Go Go et Taj dit la même chose que Bill Graham : c’est le meilleur concert qu’il ait jamais vu. Les Rising Sons enregistrent une démo, et quand Ry passe un solo de slide, l’A&R du label gueule dans l’intercom : «What’s that weird, eerie, sliding, distording guitar.?». Les Rising Sons sont consternés : cet abruti n’a jamais entendu de slide.

             Columbia les signe et demande à Terry Melcher de produire l’album. Taj se demande si Melcher va comprendre ce que font les Rising Sons. Oui, car Melcher  produit Bruce Johnston, les Beach Boys, les Byrds, Paul Revere & The Raiders, mais pas de blues. Taj raconte qu’ils sont convoqués chez Melcher qui pose ses conditions : 100% du publishing et le management du groupe. À prendre ou à laisser, pour rester chez Columbia - You have to do it our way. If you don’t, you’re history, baby - Bien sûr, Taj ne veut pas de ça. Il l’envoie sur les roses et lui dit dans le blanc des yeux - I looked at Melcher and said : ‘You know, that’s extorsion. Qu’est-ce que tu t’imagines, que tu vas ramasser 100% de mon publishing ? -  Ils enregistrent quand même, mais ça ne marche pas. Melcher se plaint d’avoir deux groupes dans le studio, Un groupe pop conduit par Jesse Lee Kincaid et un groupe folk-blues conduit par Taj et Ry Cooder - Melcher was inexperienced in the blues.

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             Melcher met donc sa menace à exécution : l’album des Rising Sons est enterré et le groupe viré. Cet album faramineux ne paraîtra que 26 ans plus tard sur Sundazed. Taj y fait ses débuts discographiques en compagnie de Ry Cooder et de Gary Marker qui étaient aussi des proches de Captain Beefheart. On y retrouve une version allégée de « Statesboro Blues » qui frise la pétaudière à roulettes. Ces mecs jouent léger, comme on jouait alors, à l’aube du West Coast sound. Tendu et gracile, « Take A Giant Step » nous renvoie à Moby Grape, normal puisque cette belle pop est signée Goffin & King. Taj emmène cette fantastique pièce d’exaction au sommet du folk-rock occidental. Jolie pièce byzantine que ce « 2.10 Train ». La section rythmique du groupe est un miracle de discrétion. On entend vaguement la basse de Gary Marker. Sous le couvert, ça reste fabuleux de feeling. « If The River Was Whiskey » est embarqué au banjo. Taj voit couler ça et il fait Aaah yeahhh. Quelle musicalité ! Cet album lumineux est à l’image de la photo de pochette qui est baignée de lumière californienne. Les cuts sont pour la plupart hantés par la mandoline de Ry Cooder. « 11th Street Overcrossing » sonne comme du grand Moby Grape. En B, on tombe sur une version du « 44 Blues » de Big Dix jouée à l’arrache des deux extrêmes : guttural et mandoline. Mélange surprenant. Avec « By And Bye (Poor Me) », on constate que Ry Cooder fait de la dentelle. Pour Taj, c’est du gâtö car Ry tisse des nappes de blues ultra-florentines qui feraient pâlir un maître préraphaélite. Ils envoient aussi une fantastique reprise de Dylan, « Walking Down The Line », digne de celles que firent les Byrds. Ils cascadent l’emportement à l’harmo.

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             Une compile Rising Sons sortie sur Columbia en 1992 propose d’autres morceaux en complément et quels morceaux ! « The Girl With Green Eyes » est une véritable énormité garage attaquée à rebrousse-poil. Même chose pour « Spanish Lace Blues », superbe pièce de folk-rock qui sent bon la veste à franges. Leur « Flyin’ So High » est à tomber, et Taj tape un « Dust My Broom » au lard fumant. Ils ont aussi une reprise absolument somptueuse de « Baby What You Want Me To Do » de Jimmy Reed. 

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             Puis Taj rencontre Jessie Ed Davis, fils d’une full-blood Kiowa et d’un père half Commanche, one-quarter Seminole and one-quarter Scottish, né en Oklahoma. Taj surnomme Jessie the Agent (as in Indian Agent) et Jessie surnomme Taj The Captain. Taj monte un groupe avec Jessie, Chuck Blackwell et Gary Gilmore, the Taj Mahal Band - a powerful mix - Taj est fier de son groupe - We were slamming it. You couldn’t have hit harder - C’est l’époque de l’album magique aux papillons - The whole Taj Mahal Band was some of the most real music I’ve played. We had a good time, more than I can say - Dommage qu’il n’en parle pas davantage.

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             Il rend plus loin hommage à Sleepy John Estes qui fut célèbre dans les années 20. Il fut nous dit Taj redécouvert dans les années 60. Yank Rachel grattait une mandoline et Sleepy John une guitare - Both of these guys are important in the development of the blues, and that’s why I listened to them - Taj reprend sur l’album aux papillons l’excellent «Diving Duck Blues». 

             Sur scène, il est capable de changer d’accord sans prévenir, comme le fait Miles Davis, pour sortir les musiciens de leur routine et les pousser à improviser. Le blues pour Taj est un élément essentiel - It’s a tone that puts me in contact with a lot of things, culturally, spiritually, cosmically - Vers la fin du book, il fait référence au warrior power, le pouvoir du guerrier. Il l’utilise dans ses rapports avec les record companies - I’m probably one of the most hostile people they know, because I’m smart. They tried to nigger me, mais avec moi, ça ne marche pas. I’m in their face. My grandfathers didn’t take this shit. My father didn’t take this shit - et il développe : «Je puise dans l’énergie du guerrier pour le blues, en me référant à l’ancien job of the griot class. Ce n’était pas un job qu’on faisait parce que quelqu’un te disait de le faire, you did it because that’s what you did. C’était ton droit en tant que personne. En tant que guerrier, tu devais te lever et faire ce que tu devais faire. George Clinton l’a fait avec sa chanson ‘America Eats Its Young’. Il a dit : ‘On en a assez et vous devriez aussi en avoir assez.’» Et Taj se proclame cultural warrior. So be it.

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             Très tôt, Taj a fière allure. On parle beaucoup d’Arthur Lee, mais le précurseur est en réalité Taj Mahal. Son frère Richard se souvient de l’avoir vu tiré à quatre épingles, il s’habillait différemment, «get into his individual style», «always sunday clean», il expérimentait un style vestimentaire. Linda Ronstadt flashe sur Taj - Taj was the guy everybody wanted to be. We all wanted to be Taj. On ne pouvait pas s’en empêcher. Quand tu faisais sa connaissance, tu avais l’impression qu’il te connaissait bien. It was vey cool. He was the highlight of the scene, the shining zenith - Elle met le doigt sur l’une des principales facettes du personnage : à côté du musicologue, tu as le sage. Taj est un sage. Taj incarne l’authenticité aux yeux de ceux qui le fréquentent. Il avoue lui-même être un peu particulier : «J’essaye de voir ce qui se passe autour de moi. Ma vision des choses est particulière, je capte le visuel et les vibrations derrière le visuel. Il m’arrive aussi de voir beaucoup d’aigles dans le ciel, même dans les villes. Je ne sais pas ce que ça veut dire. I guess I’m not afraid to be out there.» Sa chute est tellement superbe qu’elle reste intraduisible. Taj se sait différent, mais c’est l’out there qui fait tout le charme de son propos.

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             Plus loin, il tente encore de s’expliquer : «Je prends le chemin le plus long, ce qui veut dire chercher en moi pour voir ce que je dois faire, ce que je dois ressentir, pour rester connecté. J’ai toujours voulu garder mon indépendance, j’ai toujours refusé qu’on me dise ce que je dois faire. Plus tu restes indépendant et plus ton art est authentique. Tu te fixes cette règle et tu avances.» Taj est aussi un contemplatif. Il dit adorer aller à la pêche - J’allais pêcher presque chaque jour, au bout de la jetée, pour ramener à manger. Mais pour moi, la pêche, c’était beaucoup plus que de ramener à manger à la maison. C’était un moment de méditation. Je suis à un endroit précis et si rien ne se produit, that’s okay, or if music happens, that’s okay too. Une chanson peut apparaître dans ma tête alors que je regarde le ciel, loin des bruits de la terre, I hear music, lots of music, all around me. Parfois Anna venait à la jetée et restait jusqu’à 11 h du soir. Je pêchais jusqu’à 1 ou 2 h du matin et rentrais à la maison avec mes prises. Elle se levait, faisait frire les poissons et nous dînions aux chandelles. Si j’avais un concert le soir, je pêchais  l’après-midi de 16 h à 20 h. Anna venait me chercher, car il m’arrivait d’oublier le concert. Elle insistait pour que je me change pour monter sur scène - Taj insiste beaucoup pour dire qu’il ne vivait pas ce qu’il appelle the rock’n’roll lifestyle. Il ne recevait chez lui que «the older, traditional blues players», «like Mance Liscomb, Sleepy John Estes and Yank Rachel, when they played in town. Mance was a farmer, a singer, an exceptional guitar player. That man could pick. He had a real light, soft touch, and I learned from him.» Taj ajoute que Mance ne fut connu qu’à l’âge de 64 ans, alors qu’il travaillait encore à la ferme. Il jouait surtout chez lui à Navasota, au Texas, jusqu’au jour où un couple d’ethno-musicologues l’a découvert - He was a real human being with lots of warmth. Il n’y avait rien de faux en lui. Il préférait rester fermier plutôt que de devenir célèbre. Il est mort un an avant Sleepy John - Taj évoque son univers et le cercle de ses amis avec une simplicité confondante. On boit ses paroles. En plus de la pêche, il raconte qu’il monte des maquettes d’avions en balsa - Building model airplanes and flying them calmed me down, ça me permettait de rester dans mon espace. It was like meditation, like fishing, playing the guitar, having a garden. It settled me, got me in my own trip - Sa femme d’alors, Anna, est pote avec Charles Bukowski. Anna est peintre et Buck lui a demandé de faire une couve pour lui. Taj ajoute qu’elle a aussi peint deux de ses pochettes d’albums : The Natch’l Blues et The Real Thing. Dans le book, Anna évoque cette période de sa vie avec Taj tellement heureuse - kind of an organic whole : la musique, la pêche, le jardin, les chiens et avoir un enfant ensemble. I loved the life we were living. It was so terrific - Mais Taj part en tournée et le couple se sépare en 1969. Ils se remettent ensemble en 1970, puis se séparent encore en 1972, nous dit-elle. Taj aime les femmes, toutes les femmes. Anna et Taj vont rester amis, Anna fait beaucoup d’efforts pour se montrer digne de cette amitié - The connection between us is very, very deep - Mais elle a du mal à surmonter cette rupture : «En vérité, la fin de cette vie qui mêlait l’amour, la famille et la musique a été pour moi un coup très dur (very devastating).» Si le témoignage figure dans le book, c’est que Taj désire l’entendre.

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             Taj revient aussi longuement sur l’intégrité artistique. Il n’a jamais fait aucune concession au showbiz - Si tu entres dans le moule corporate, tu cours le risque d’avoir du succès et de courir d’hit en hit. Ta popularité n’est alors basée que là-dessus et non sur les valeurs que tu défends. Il y a les chanteurs et il y a les artistes. Les artistes ont une responsabilité. Mingus, c’était ça - Comme CBS ne le suit pas, Taj tourne sans support. On ne trouve pas ses disques dans les concerts - Pour la plupart les musiciens, les tournées sont associées à la promotion. Mes tournées étaient associées with my being an artist. My music was a re-affirmation of the individual - Pour lui, le pire exemple de music biz est celui de Morris Levy qui avait sur son bureau une plaque disant : «Send me a talented, ignorant bastard.» Et Taj ajoute : «Le music biz est un coupe-gorge. Si pour faire du blé, les managers ou les executives devaient trancher la gorge de leur mère, ils le feraient. This is what their business is about.» Il vit un temps à Ibiza, et quand il rentre aux États-Unis, il réalise qu’il ne supporte plus the corporate music-business people I was working with. Il voulait travailler avec des gens en qui il pouvait avoir confiance, et il demande à son frère Samuel de devenir son manager. De toute façon, Taj n’est pas assez commercial pour CBS. C’est là qu’il décide d’aller sur un son plus africain - I’m not going to compromise myself with what you guys got going. I’m just not going to compromise like that anymore - Déclaration d’indépendance. Les blancs du showbiz n’ont rien compris à Taj Mahal. Strictement rien. Leur seule préoccupation était de savoir comment vendre Taj - He’s black. This is how we market black music, but he is totally different - C’est justement cette singularité qui faisait la force de son premier album, l’album aux papillons. Taj ne vient ni du r’n’b, ni du Chitlin’ Circuit. Il jouait en première partie des Rolling Stones et il fut le seul blackos invité au Rock’n’Roll Circus. Ses disques ne passaient pas sur les stations de r’n’b, les DJs ne savaient pas qui il était - Who is he? What kind of music is this? Can I dance to it? - Connie, la grande sœur de Taj, dit qu’il n’est pas un grand chanteur : sur une échelle de 1 à 10, elle lui donne 5/10, «mais avec lui, tu écoutes la vraie note, tu entends l’émotion derrière la note. That’s the key to black singing.»

             Taj revient aussi sur l’esclavage et le passé - Il n’existe aucun moyen de surmonter ça. Mais il existe un moyen de calmer la douleur : nous avons connu le pire et nous évoluons tous ensemble vers autre chose. Mais on surmonte pas ce passé en devenant riche, en s’achetant le respect et la dignité. Si tu deviens un rich black man, tes ancêtres ne seront pas forcément fiers de toi - Plus on avance dans ce book et plus le ton se fait profond. Il y a de l’humanisme dans les propos de Taj Mahal, on gagne à le connaître. Comme si chaque page nous rapprochait de lui.

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             En 2001, Taj avait eu 15 enfants, dont trois sont morts peu après leur naissance. Foehr les énumère : Cybelle, puis Aya, fille d’Anna de Leon, puis Ghamela et Taj Jr., les jumeaux de Siena, puis les 7 enfants d’Inshirah : Kali et Fatimah, disparues, puis Ahmen, Deva, Nani et Zoe, la jumelle de Sachi, elle aussi disparue très tôt. Puis Yasmeen, le fille de Victoria Montgomery, Joseph Binch, le fils de Caroline, Corrina, la fille de Theresa, et le plus jeune, Micah Martin, fils de Valerie (nommé Martin en hommage à Martin Luther King). Comme Todd Rundgren, Taj s’installe avec sa famille à Kauai, dans l’archipel d’Hawaï et y reste 12 ans. Son album Sacred Island est un tribute à Hawaï.

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             Les témoignages de ses épouses successives constituent la fin du book. Inshirah se plaint des infidélités de Taj - Il me disait : ‘J’ai arrêté, je ne recommencerai plus. C’est fini.’ Mais ce n’était jamais fini. Il ne supporte pas d’être coincé, même par lui-même - Il propose de ramener une deuxième épouse à la maison. Pour lui, c’est une question de franchise. Il propose à Inshirah de vivre avec la vérité. La nouvelle s’appelle Dawn. Elle s’installe à Hawaï. Enceinte des jumelles, Inshirah ne la reçoit pas très bien. Elle demande à Taj de choisir entre elle et Dawn. Il choisit Inshirah, mais il mène une double vie. Alors elle pose ses conditions : six mois sans baiser et un test du sida.

             Victoria Montgomory propose une vision différente de la vie avec Taj, à Berkeley : ils hébergent des Jamaïcains and they had quite a bit of spliffs - We smoked a lot of weed and snorted a lot of coke in those days, dancing and partying and having fun - Victoria fait un beau portrait de Taj : «Taj is Taj. He’s one of a kind. C’est difficile de communiquer avec lui pour plein de raisons, mais je pense qu’il a bon cœur. He’s a real unusual person.» Valerie Celine, mère de Micah Martin, a rencontré Taj lors d’une interview, alors qu’elle bossait pour une radio locale, avant de devenir «psychic consultant» : «Taj a été le plus puisant professeur de ma vie, il m’a donné accès à des domaines que je n’imaginais pas. Grâce à lui, j’ai appris que la vie n’est pas toujours celle qu’on croit, surtout en matière d’amour et de rencontres.» C’est vrai que Taj devait pas mal baratiner. Elle dit aussi que Taj est en partie réalité, en partie fiction. Mais elle lui en veut, car quand Micah Martin est né, Taj a disparu pendant deux ans. «Adios amiga.» Elle ne l’a pas encaissé. Pareil pour Dawn, elle n’accepte pas que Taj baise avec une autre - I wanted a monogamous relationship - Pas facile de coincer le Taj. Après tous ces témoignages, il reprend la parole : «Je n’ai pas quitté Inshirah pour Dawn. Je l’ai quittée parce qu’au bout de 7 ou 8 ans, notre relation n’était plus bonne, ni pour elle ni pour moi. Je ne voulais pas la quitter. Ce fut une décision difficile à prendre, parce qu’il y avait les enfants.»

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             L’un des héritiers de Taj n’est autre que Keb’ Mo’, un nom dérivé de son vrai nom, Kevin Moore. Il flashe sur The Natch’l Blues et devient bluesman. Bonnie Raitt est aussi une vieille fan de Taj - Je l’ai vu pour la première fois au Club 47 à Cambridge en 1968 - Et en 1970, elle joue en première partie de Taj - Il a co-produit mon troisième album en 1973.

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             On reviendra dans un Part Two sur tous les grands albums de Taj the cultural warrior. En attendant, on peut écouter son nouvel album, Savoy.  On est frappé dès «Stomping At The Savoy» par le génie vocal du vieux Taj. Il chante d’une voix de vieux griot, ils te groove la nuit des temps. Il enchaîne avec un autre heavy groove, «I’m Just A Lucky So And So». À travers lui, on comprend que le groove est un métier. Il tape dans Nat King Cole et dans Gershwin, il rétablit avec sa cover de «Summertime» la relation primordiale entre Gil Evans et Miles Davis. Terrific ! Il tape le «Mood Indigo» de Duke Ellington avec des chœurs de rêve. Puis il va droit sur Louis Jordan avec «Is You is Or Is You Ain’t My Baby», monté sur le riff d’«Hit The Road Jack», Taj y va au wild biz. Il est sûrement le dernier représentant de ce grand art. Il duette avec Maria Muldaur sur «Baby It’s Cold Outside». Dans les liners, Maria se souvient d’avoir rencontré Taj pour la première fois en 1962 «at Gerde’s Folk City in Greenwich Village» - Elle était en bas en train de bosser une partie de violon avec Bob Dylan qui voulait essayer une nouvelle chanson. Taj est arrivé avec un banjo et a dit : ‘On m’a dit que je pouvais venir ici me préparer à jouer. I’m nervous’. Après avoir vu Taj se préparer à jouer, Dylan et Maria lui ont dit qu’il n’avait aucune raison d’être nerveux - Cette version de Cold Outside est chargée d’histoire de Greenwich Village, une histoire qu’on adore. Vieux shoot de jump avec «Lady Be Good». On se demande bien qui, à part les vieux fans de Taj, va aller écouter cet album aujourd’hui - Ooooh sweet and lovely lady/ Be goog to me - Il tape bien sûr le vieux «Caldonia» de Louis Jordan, il chante à la silicose, et ça groove à coups de trompettes. Il finit cet album magistral avec «One For My Baby (And One More For The Road)», un heavy groove de fin de soirée. Ils se fond dans le groove de Miles Davis comme d’autres se fondent dans l’ombre. Cette pure magie est sans doute le chant du cygne d’un géant. 

    Signé : Cazengler, Mahal embouché

    Taj Mahal. Autobiography Of A Bluesman. Sanctuary Publishing 2001

    Rising Sons. Rising Sons. Sundazed 2001

    Rising Sons. Featuring Taj Mahal & Ry Cooder. Columbia 1992

    Taj Mahal. Savoy. Stony Plain Records 2023

     

     

    L’avenir du rock

    - Le péril Jones (Part Four)

             Certains font collection de porte-clés. D’autres collection de timbres. D’autres encore collection de capsules ou de voitures miniatures. D’autres vont faire collection de maillots de foot, ou de pinces de crabes. Tu as ceux qui collectionnent les papillons, ceux qui collectionnent les fossiles et ceux qui collectionnent les pièces de monnaie. Les plus lunatiques sont ceux, dit-on, qui collectionnent les pingouins. Tu en as même qui font collection de disques ! Ceux qui font collection de livres sont un peu à part, on les appelle les bibliophiles, à condition bien sûr qu’il s’agisse de bons auteurs, le bibliophile n’a que mépris pour la mormoille des romans de gare et les prix littéraires contemporains qu’on croise dans les super-marchés. La vraie démesure consiste à collectionner les collections. Ceux-là flirtent avec la pathologie. Contrairement aux apparences, l’avenir du rock couve lui aussi une jolie petite pathologie. Tu sais ce qu’il collectionne ? Oh c’est pas compliqué à deviner... Tu donnes ta langue au chat ? Les Jones ! Il en a plein ses étagères, il prétend posséder tous les Jones ! Il en sort un au hasard, Tom Jones, «Bamalama Bamaloo» - Hello Gildas - et puis celui-là, un autre chouchou, Booker T. Jones avec «Green Onions», le summum du Memphis Beat, oh et puis voilà Quincy Jones, le producteur/protecteur de la petite Lesley Gore et ce fabuleux My Town My Guy & Me. Alors après, tu as les deux Jones anglais, le Steve, celui de «God Save The Queen», l’inénarrable, le Jonesy, le fier slinger, et l’autre, le Mick, le Clash, mais seulement pour le premier album, pour «London’s Burning» et puis aussi le No Elvis Beatles or The Rolling Stones dans «1977», ce fier single totalitaire qui tomba sur London town comme une bombe atomique. Pris d’une soudaine poussée de fièvre, l’avenir du rock va aussi te sortir de l’étagère le premier Led Zep où rôde John Paul Jones, histoire de se taper vite fait un petit shoot de «Communication Breakdown», et puis alors voilà le top-chouchou, Brian Jones, pour une bonne rasade d’«I’m A King Bee», l’hit fondateur de la Stonesy. Bon allez, il passe directement aux Small Faces avec «Hey Girl», histoire d’entendre la bravado de Kenney Jones, un petit tour par Gloria Jones histoire d’entendre l’excellent «Tainted Love», pas question d’oublier Linda Jones, ni l’Edgar Jones de Liverpool, ni le Paul Jones de Manfred Mann, ni Durand Jones, ni le protégé de Tonton Leon, Wornell Jones, ni George Jones ou encore Spencer P. Jones, c’est ça les collections, c’est tellement convulsif que ça finit par devenir indécent, mais comme il se fout du qu’en dira-t-on, l’avenir du rock en sort encore, Rich Jones, oh et puis voilà l’un de ses fleurons, Jim Jones !

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             Et si Jim Jones était l’artiste rock parfait ? Tu peux le photographier sous toutes les coutures, il sera toujours le parfait rocker, le parfait roller, le parfait screamer, le parfait shouter, le parfait performer, le parfait va-et-vient entre tes reins, il arpente des tonnes d’arpents, il saute, il court, il génuflexe, il claque ses chords, il roule sa bosse dans sa farine, il méprise les complexes, il prend ses grands airs, il fait son débonnaire, il promène son regard sur la foule française, mais on sent bien qu’il n’est pas commode, il sort le Grand Jeu, il remplit tous les instants, il rocke the boat, il shake le booty, il est sur scène, il devient roi du monde pour une bonne heure, tu en as pour ton billet, amigo, alors oui, Jim Jones for ever, pas de problème, on reviendra, il ne prend pas les gens pour des cons, tu veux du rock, tiens, mon gars, voilà du rock, du vrai, de l’à gogo, du vieux rock d’Angleterre, le cinquante ans d’âge, truffé de Little Richard, de Beatles, de Stooges et tout ce que tu aimes bien. Jim Jones et sa chemise à pois, Jim Jones super-shouter, Jim Jones l’increvable, Jim Jones le Bénédictin du wildo-wild, son étoile brille encore au firmament après tant d’aventures et tant de grands concerts. Alors l’avenir du rock peut dormir sur ses deux oreilles et ronfler comme une brute avinée.

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             Et boum, les All Stars attaquent avec «Cement Mixer», tiré du premier album de The Jim Jones Revue, pianoté comme à l’aube des temps, et hanté par un thème fantôme tiré d’une BO de western crépusculaire, le genre de cut parfait, shouté à volonté, Lord Jim le télescope de plein fouet, il le prend à pleine gueule, ses screams restent d’une pureté inexorable, il éructe son here we go au pire guttural négroïde, il est capable de ce genre de tour de passe-passe. Ils tapent plus loin le «Burning Your House Down» tiré de l’album du même nom. Quoi de plus heavy, de plus greasy que «Burning Your House Down» dans les pattes du Jim Jones All Stars ? C’est une bonne question. Lord Jim a du monde derrière lui, à commencer par Carlton Mounsher, un fantastique guitar slinger aux allures de croque-mort, chapeau melon, Jaguar et chemise à fleur, et puis tu as aussi un pianiste et deux sax, plus le beurre du diable, et le vétéran Gavin Jay au bassmatic. Tout le monde danse sur scène, selon le principe de la Revue. Rien n’est laissé au hasard.

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             Ils enchaînent deux covers tonitruantes : le «Parchman Farm» bien connu des fans de Cactus et de Georgie Fame, et le «Cant Believe You Wanna Leave» de Little Richard, qui reste avec les Stooges le chouchou de Lord Jim. Oui, on peut l’appeler Lord Jim, il n’y verra aucun inconvénient. Sa prestation scénique relève d’une certaine aristocratie. Et pour corser l’affaire, voilà qu’il tape une cover de «Run Run Run», il fait son Velvet, mais délie trop la sauce et tente le coup du participatif. C’est de bonne guerre. Il tente de rouler la merguez du Velvet dans une farine de r’n’b. Ah ces Anglais !

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             Et voilà «Satan’s Got His Heart Set On You», vieux boogie blues de bon aloi, monté sur un riffalama combiné de Gavin Jay et du fabuleux croque-mort. Sur scène Lord Jim reste le fantastique mover shaker que l’on sait, sans doute l’un des derniers de sa catégorie. Il sait tout faire : onduler des hanches comme Oum Kalthoum, claquer le raw comme Wilson Pickett, friser l’embolie cabalistique, invoquer le diable, céder aux sirènes et courir après son ombre. Lord Jim est réellement l’artiste complet par excellence. On n’en perd pas une seule miette. Il va encore taper dans des covers de luxe : «Everybody’s Got Something To Hide Except Me And My Monkey» des Beatles, que reprenait aussi Tim Kerrr au temps béni des Lord High Fixers. Imparable ! À se damner pour l’éternité ! Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, voilà qu’il tape dans le «Troglodyte» du Jimmy Castor Bunch. Quoi de plus dansant que ce «Troglodyte» ? Non, il n’existe pas de dancing beat plus engageant, tout le monde claque des mains et Lord Jim fait move !, il essaye de chanter comme Screamin’ Jay Hawkins, il va chercher une équivalence de baryton métaphysique pour créer un dialogue entre le profane et le sacré, il fait monter une extraordinaire température, tout en réussissant à maintenir son groove sous un certain boisseau, à coups de sock it to me. Il sait faire exploser sa carlingue, c’est savamment amené, le cut exulte, bien ramoné par le bassmatic binaire de l’excellent Gavin Jay.

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             Comme son nom l’indique, «Rock’n’Roll Psychosis» ne traîne pas en chemin. Wild as fuck. Lord Jim nous replonge dans l’époque de la Revue et revient au temps du premier album avec «Princess & The Frog» avant de plonger délibérément dans l’âge d’or des Hypnotics avec une version chauffée à blanc et cuivrée de frais de «Shakedown». Les hits sont là, pas de problème, Lord Jim peut monter au front, il a tout le matos pour ça, les nappes de cuivres foutent le souk dans la médina du Shakedown, gros boulot pour Carlton Mounsher qui doit entrer dans les godasses de Ray Hanson. Pour le rappel, Lord Jim va encore taper dans le nec plus ultra, le «Big Bird» d’Eddie Floyd, qui fit jadis les choux gras de Tav Falco. À la fin du set, tu t’ébroues comme un poney apache qui vient de courser la diligence.

             Comme c’est pas ton jour de chance, tu arrives au merch et une petite gonzesse te souffle sous le nez le dernier exemplaire d’Ain’t No Peril. Le marchand te dit : «Y’n na plus !». Te voilà chocolat, et même sacrément chocolat, car l’album est sold-out partout, même sur le bandcamp. Que fait-on dans ces cas-là ? On se gratte l’os du genou et on reste sur les bons souvenirs.

     Signé : Cazengler, Jim Jaune

    Jim Jones All Stars. Le Petit Bain. Paris XIIIe. Le 25 novembre 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Marchandising

             Robert Marché parlait d’une voix extrêmement grave. Sa voix nous mystifiait tous. Au point d’aller croire qu’elle forgeait son autorité, alors qu’en réalité, cette autorité s’appuyait sur une vive intelligence. De le voir réagir dans des situations extrêmement dangereuses était un spectacle fascinant. Il donnait ses instructions au cœur du sinistre, et s’il en avait le temps, il précisait le pourquoi du comment. Donc tu savais pour quelle raison exacte tu agissais. Non seulement tu apprenais à régler les problèmes, mais tu avais eu le privilège de voir un homme t’apprendre à apprendre. Mythologiquement, il avait autant d’impact que Gregory Peck, perché à la proue du Pequod, le baleinier lancé par Herman Melville à la poursuite de la baleine blanche, mais sans le côté démoniaque du personnage. Sous ses allures de chef de meute, Robert Marché abritait une bienveillance remarquable, qui est souvent caractéristique des gens très intelligents. Pourtant jeune, il avait déjà les cheveux blancs comme neige, taillés comme des blés en un fort boisseau qui allongeait son visage vers le haut. On le comparait volontiers à Jean Marais. C’est dire s’il était bel homme. Il préparait toujours les interventions de la même façon. Il demandait des volontaires pour entrer avec lui dans les entrailles de l’enfer. Il préférait les célibataires, pour des raisons évidentes. Il donnait tout le détail des risques, tout le détail du process et des incidences du process, ce qui permettait d’anticiper les risques, et concluait chaque fois en nous remerciant de risquer notre peau pour «des salaires de misère». Telle était son expression. À l’heure dite, nous fumes en position. L’équipe des clés de frappe fit tomber les derniers boulons et la plaque du trou d’homme fut enlevée par la grue. Il se jeta le premier dans l’ouverture, au milieu des fumées et des vapeurs infernales. Nous nous engouffrâmes à la suite. Éclairés par nos lampes frontales, nous avancions à l’intérieur de cet énorme cylindre d’acier en direction de l’autre extrémité lorsque soudain jaillit d’une poche d’ombre une immonde tête de dragon. La créature se jeta sur Robert Marché et l’éventra d’un seul coup de dents. Dans un dernier spasme, il nous ordonna de rebrousser chemin, mais il n’en était pas question. Nous le tirâmes par le pied pour l’arracher aux crocs du dragon. Sa jambe se détacha avec un ploc épouvantable. Par quel miracle en sommes-nous sortis indemnes ? Le diable seul le sait. Dans le grand hall d’accueil de l’usine, là où sont décernées les médailles du travail et où l’on dresse chaque année le sapin de Noël pour les familles des travailleurs, se trouve une vitrine : on peut y admirer, plongée dans un grand bocal de formol, la jambe de Robert Marché. Le directeur de l’usine en fait dans chacun de ses discours un symbole d’héroïsme professionnel.

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             Alors qu’un dragon dévorait vivant Robert Marché, Bobby Marchan dévorait vivante la légende de la Nouvelle Orleans, mentoré par un autre dragon, mais un gentil dragon, Huey Piano Smith. Si on aime bien Bobby Marchan, alors il faut écouter les albums de Huey Piano Smith & His Clowns. Mais on peut aussi pousser le vice jusqu’à écouter une belle compile Kent parue en 2011, Get Down With It: The Soul Sides 1963-1967.

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    C’est Tony Rounce qui fait les présentations. Il nous rappelle que Bobby a grandi dans l’Ohio, et fasciné par les chanteuses, il a rejoint une troupe itinérante. En arrivant au Dew Drop Inn à la Nouvelle Orleans, ce fut le coup de foudre. Sur scène, Bobby is in full drag, c’est-à-dire qu’il se déguise en trave. C’est Huey Piano Smith qui le découvre. Comme il bosse pour l’Ace Records de Jackson, Mississippi, il fait venir son boss Johnny Vincent au Dew Drop. Vincent signe Bobby immédiatement. Plié de rire, Rounce dit que Vincent croit signer une chanteuse. On trouve pas mal d’images de Bobby en robe avec une perruque blonde. En 1954, Bobby enregistre pour Ace sous le nom de Bobby Fields. Fatigué des petites arnaques de Johnny Vincent, Bobby va quitter Ace en 1959, après que Vincent ait refilé son «Loberta» à Frankie Ford. Au passage, «Loberta» change de sexe et devient «Roberta». Le «Loberta» de Bobby ne verra le jour qu’en 1971, nous dit Rounce chagriné. Après un passage par le label Fire du new-yorkais Bobby Robinson, Bobby se retrouve chez Stax à Memphis en 1963 et c’est là que Rounce démarre sa compile. Bobby y enregistre deux singles, «What Can I Do Pt 1 & 2» qu’il tape au chat perché, et «You Won’t Do Right», un heavy groove de blues. Selon Rounce, Bobby aurait dû exploser sur Volt/Stax, mais Jim Stewart préféra donner la priorité à Otis Redding. Alors Bobby s’en va chez Dial à Nashville. Les grosses pointures de Dial sont Joe Tex et Clarence Reid. Bobby enregistre «Hello Happiness» et le «Funny Style» de Clarence Reid à Muscle Shoals. «Funny Style» est un fantastique rumble, Bobby does it right, sur un big shuffle d’orgue, une merveille de jerking blast. Énorme ! Il faut le voir allumer «Hello Happiness» aux clameurs de gospel. C’est du génie pur. Il y ramène tous les jardins de Nabuchodonosor. Bobby Marchan est l’un des plus beaux chanteurs de son temps.

             Puis il se retrouve sur Cameo, le label de Philadephie qui est alors en plein déclin. L’hot as hell «Shake Your Tambourine» et l’excellentissime «Meet Me In Church» sont aussi enregistrés chez FAME, avec Spoon et toute la bande habituelle. Même chose pour «Help Yourself» et la cover de «Rocking Pneumonia». Cameo se casse la gueule en 1967. Alors Bobby va enregistrer l’«I Just Want What Belongs To Me» de Joe Tex et «Sad Sack» chez Chips à Memphis. «I Just Want What Belongs To Me» est un heavy r’n’b que Bobby laboure en profondeur. Il chante «Too Late For Our Love» d’une voix de gonzesse, il épouse le caramel de la Soul, il est fabuleusement gluant. Il devient un artiste fondamental. Puis il te chauffe «I’ve Got A Thing Going On» aux tisons ardents pour en faire un coup de génie. Et ça continue avec «Gimme Your Love», Bobby shakes it hard, il a autant de power que Wilson Pickett, il screame sa route à travers la jungle, il tisonne ça au gimme gimme. Il reste dans la fantastique allure jusqu’au bout des ongles avec «Don’t Worry About Tomorrow» et puis voilà le pot aux rose, le fameux «Get Down With It» dont Little Richard et Slade feront leurs choux gras. Mais c’est lui, le Bobby, qui est l’origine de cette craze, Il le screame au stomp your feet/ Yeah that feet/ Everybody clap your hands - And a little bit of twist, il sait driver son stop/start ! Encore un jerk fantastique avec «Everything A Poor Man Needs», il y break a fight à la Stax motion, il rivalise d’ardeur avec Sam & Dave. Encore un coup de génie avec «There’s Something About My Baby», un heavy blues de Soul superbe et raffiné à la fois - I’m going home/ Gonna kiss my baby - il épouse les courbes et là, tu touches au génie de l’interprétation - There’s something about my baby/ That satisfies - On reste dans le jerking genius avec «Hooked», monté au gros popotin Staxy. Ah il faut encore le voir jerker «That’s The Way It Goes» dans le gras du lard ! Tous ces cuts sont parfaits : le «Sad Sack» chez Chips et puis «Help Yourself», explosif mais maîtrisé à la main tendue. Même «Just A Little Bit» est d’un niveau atrocement supérieur. 

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             Pour faire bonne mesure, tu peux aussi mettre le grappin sur une autre compile de Bobby, The Very Best Of Bobby Marchan, ne serait-ce que pour ces deux coups de génie que sont «I Miss You So» et «This Is The Life». Bobby tape le heavy boogie du premier au chat perché, et derrière lui, ça overwhelme aux grattes de Bristish Blues. On peut qualifier «This Is The Life» de pop de rêve, cette clameur épouvantable est écœurante de génie kitsch. On retrouve aussi le gros popotin de la Nouvelle Orleans dans «What You Don’t Know Won’t Hurt You», Bobby y va au don’t care what people say. Avec «You’re Still My Baby Pt 1», il propose un heavy groove de classe infiniment supérieure, bye bye baby, c’est le frotti le plus gluant de l’histoire des frottis, Lawd have mercy, et il enchaîne avec un Pt 2 rappé. C’est du grand art, il chante à pleine gueule son bye bye baby good luck darling/ You’re still my baby. Bobby peut se montrer encore plus gluant qu’Elvis, même s’il chante à l’accent tranchant, avec des pointes de falsetto. Cette compile chevauche la suivante, Booty Green.

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             Oui, Booty Green fait partie des passages obligés. On y retrouve tous les légendaires singles enregistrés sur Fire Records enregistrés entre 1960 et 1962, à commencer par «The Things I Used To Do Pt 1» et Pt2, avec le heavy Guitar Slim Sound de la Nouvelle Orleans. Il tape aussi «Hurts Me To My Heart» au heavy blues - I hurts me to my heart/ To say that I’m in love with someone - Raw power ! On retrouve aussi le «This Is The Life» de la compile précédente, il te tartine ça avec une voix de géant. Bobby t’embarque chaque fois dans on monde interlope, il est le roi du doo-wop de la Nouvelle Orleans, c’est la niaque suprême, la niaque du doo-wop de street corner. Pur jus de New Orleans encore avec «Snoopin And Accusin», ça chante au coin de la rue. Il impose encore sa street magic avec «The Booty Green», you shake to the East, you shake to the West/ Oooh Booty Green ! Il plonge ensuite dans le heavy shuffle de gospel avec «I Need Someone». Avec Bobby, ça n’en finit pas. Dans ses liners, Don Fileti rappelle que Bobby a démarré sa carrière en drag queen avec The Powder Box Revue, en 1954, à la Nouvelle Orleans. Puis comme déjà dit, Huey l’a découvert au Dew Drop Inn et Bobby est devenu lead singer des Clowns.

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             Ça tombe bien, car il existe aussi une superbe compile consacrée aux Clowns, Clown Jewels. Même si on connaît tout ça par cœur, via Huey Piano Smith, on y retourne sans discuter, car c’est de la dy-na-mite ! Non seulement c’est de la dynamite, mais ça grouille d’inédits. Bobby s’appelle encore Bobby Fields quand il enregistre «Helping Hands». Il reflirte avec le génie dans «Don’t Take Your Love From Me», c’est magnifique, plein de glamour ! Et voilà le fameux «Chicken Wah Wah» sur lequel a flashé Don Fileti : fantastique rintintin de cha cha wah wah wah ! Il faut voir comment Bobby fracasse le heavy groove de «Can’t Stop Loving You». Il a vraiment un truc en plume. On peut même dire que la fournaise de la Nouvelle Orleans est le beat définitif. Et ça continue avec «You Can’t Stop Her», tu as tout de suite le son des Clowns, c’est battu à la diable, tu as même le shoot de baryton dans les chœurs. Coup de génie encore avec «Loberta», Huey l’embarque au piano, welcome in hell, Bobby genius ! Chœurs de mecs ! Loberta ! Même énergie que celle des Beach Boys. Avec les Clows, Bobby est invincible. «Loberta» est l’un des plus beaux hits de tous les temps. Magie encore avec «Dearest Darling» et Bobby fait le crocodile dans «Hush Your Mouth». Saura-t-on un jour dire la grandeur du power des Clowns ? Encore de l’heavy r’n’b avec «We’ll Be John Brown», big Clown brawl, c’est là où Huey et Bobby épousent les Coasters. La compile s’achève avec quatre titres de Bobby solo, dont un «What Can I Do» monté au gras double de chat perché, et un «Push The Button» en mode heavy groove de funk à la James Brown. Bobby peut allumer la gueule du funk. Ce mec est effarant !

    Signé : Cazengler, Bobby Marchiant

    Bobby Marchan. Get Down With It: The Soul Sides 1963-1967. Kent Soul 2011

    Bobby Marchan. Something On Your Mind. Relic 1994   

    Bobby Marchan. Clown Jewels: The Ace Masters 1956-75. Westside 1998

    Bobby Marchan. The Very Best Of Bobby Marchan. Collectables 1999

     

     

    Be careful with that axe Eugene

    - Part Two  

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             Aussitôt après sa phase Sixteen Horsepower, David Eugene Edwards s’est lancé à corps perdu dans une nouvelle aventure, qu’on va qualifier d’inexorablement passionnante, l’aventure Woven Hand. Au début il sépare le Woven du Hand, puis il les rattache. Il est comme ça, l’Eugene, il avance, il change, il évolue, il rattache, il transforme, il n’a pas les deux pieds dans le même sabot, il ne perd pas son temps à couper les cheveux en quatre.  

             En 20 ans, il va pondre 11 albums et faire la joie des amateurs de rock indé, une frange particulière du rock qui ne sait pas vraiment se situer, une espèce de gros sac dans lequel les médias ont fourré tout ce qui n’était pas du rockab, du metal, du punk, du folk ou du hardcore, et tout ce qui n’était pas les Stones, les Stooges, les Cramps, le Gun Club et les Mary Chain. Comme beaucoup d’autres groupes, l’Eugene et son Woven Hand n’avaient pas une identité artistique assez affirmée pour échapper au fourre-tout de l’indie rock. Chez les disquaires spécialisés dans les nouveautés (comme Gibert), tu trouvais les Woven Hand au rayon «Rock Indépendant», qui dans ces années-là rivalisait d’importance avec le rayon «Rock International». Le côté pratique, c’est que tu trouvais les disques que tu recherchais. Le problème du rock indé, c’est qu’il était globalement intéressant, mais rarement excitant. Tu écoutais tous ces groupes pour combler des lacunes. Des articles dans la presse anglaise piquaient ta curiosité, alors tu partais à la chasse pour  choper les albums. Il y eut de bonnes surprises, bien sûr, comme les Butthole Surfers, Grand Mal ou les Soup Dragons. Mais il fallait rester sur ses gardes et se méfier de tous ces esthètes à la mormoille qui infestaient à l’époque les bacs des disquaires. 

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             Si on faisait confiance à l’Eugene, c’était bien sûr parce qu’il prêtait allégeance au Gun Club. On l’avait vu à l’œuvre au temps de Sixteen Horsepower avec sa brillante cover de «Fire Spirit». Alors on écoutait Woven Hand en espérant retrouver cette allégeance. Mais les deux premiers albums, Woven Hand et Blush Music, furent décevants, même si l’Eugene maîtrisait bien les finesses de l’American Gothic. Avec «Glass Eye», il proposait une espèce de petite Americana foutraque grattée au banjo, par contre, son «Wooden Brother» se voulait plus pompeux, avec ses allures de menuet à la cour du roi. On croyait entendre Lulli claquer sa canne au sol. On vit l’espoir renaître avec «Ain’t No Sunshine», car l’Eugene sonnait comme Jeffrey Lee Pierce. Bizarrement, la plupart des cuts manifestaient une volonté réelle de décollage, comme cet «Arrowhead» amené au menuet rowdy, et l’heavy groove de «Your Russia», cosmic trip traîné dans la boue.

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             On retrouve d’ailleurs «Your Russia (Without Hands)» sur Blush Music : l’heavyness devient intéressante, l’Eugene bombarde sa Russie au stomp, c’est un bon retour sur investissement. Mais le reste de l’album peine à jouir. Ça reste tendu, sombre, gratté au banjo. L’Eugene n’est pas heureux, et tu finis par perdre patience. Avec «White Bird», il presse le pas, il faut aller vite pour sauver cet album en péril, il doit éviter de prendre les gens trop longtemps pour des cons, alors il refait son Jeffrey Lee Pierce et chevauche en tête de sa horde. C’est un album expérimental, il enregistre des bêtes et des respirations («Aeolian Harp (Under The World)»), ça chuchote, et tu passes outre. Il achève son périple avec un «Story & Pictures» visité par des vents très anciens. L’Eugene connecte les fantômes de Russie avec ceux des Carthaginois, il revient au chant pour une prière, et c’est assez somptueux. Il invente le son du moyen-âge à la glotte vibrante. On sort de cet album déçu mais tout de même intrigué. 

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             C’est en 2004 que Woven Hand devient Wovenhand, avec Consider The Birds. Big album ! Enfin ! Après deux cuts calamiteux, l’Eugene trouve enfin la délivrance avec «To Make A Ring», un Big Atmospherix joué à l’ancienne, au boisseau de miséricorde, on entend des cornes de brume et le son des fêtes antiques, il réveille de vieux démons, ça joue aux tambours et aux flûtes carthaginoises, et ça devient vertigineux. Tout à coup ça s’anime ! Power ! Glory ! Horror ! Te voilà conquis, comme une citadelle. «Off The Cut» ? Ça chevauche sous un ciel bas. Superbe, dark & dense. L’écheveau se déroule encore avec «Chest Of Drawers», joli balladif intense et crépu, auréolé de pustules crépusculaires. Il s’amuse bien l’Eugene. Chaque cut revêt une dimension historique et soudain, tu sors du fucking indie rock et tu prends l’Eugene très au sérieux, car voilà «Oil On The Panel», Roma Roma where is my country, œuvre très sculpturale, il roule même ses R pour lancer son Roma. Cet album est d’une rare intensité, l’Eugene se coltine tout pied à pied comme s’il traversait les Alpes avec des éléphants, il se confronte à ses démons et s’acharne. Il passe au glorieux heavy folk avec «Down In Yon Forest», il te tarpouine ça comme un punk troubadour, c’est puissant, bien écrasé du champignon, il sait amener un power considérable dans sa vision du folk US, là, oui, tu adhères au parti. Nouveau choc thermique avec «Tin Finger», il te gratte ça au banjo et te bat le beat des frontières, c’est intense et éblouissant comme une révélation.     

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             Le fortune de l’Eugene connaît des hauts et des bas. Après les grisants sommets de Consider The Birds, Mosaic impose une sorte de retour au calme. On est frappé par la désolation musicale de «Winter Shaker» : rien à l’horizon. C’est un Big Atmopsherix de plaine désolée, digne de Dino Buzzati. Avec «Swedish Purse», l’Eugene rappelle qu’il est amateur d’art baroque. Il joue au pincé de banjo presbytérien. Ça pue l’habit noir et l’austérité. Et puis avec «Twig», il reste très liturgique. Il chante dans l’église. Il prêche pour sa paroisse. Coincé dans son format austère, il ne crée plus de surprise et on s’ennuie comme un rat mort. Alors il se fâche avec «Elktooth», il charge sa barcasse de tout le poids du monde, c’est lourd de conséquences, antique et démoniaque. Et soudain, le cœur de l’album se met à battre avec ce «Dirty Blue» gorgé d’un étrange moyen-âge, le cut te parle à travers les siècles. Et tout explose avec «Slota Prow Full Armour», un cut chargé de bad vibes, articulé au violon du diable, l’Eugene chante même comme un diable, il agite les eaux troubles, on entend la BO de Rosemary’s Baby, une horreur fantastique, et ça devient un stomp du Moyen-âge. Stupéfiant ! Il reste dans cette ambiance d’une autre époque pour «Deerskin Doll», il sonne comme un vieux troubadour perdu dans la nuit des temps. Et si l’Eugene était le Don Quichotte du rock ? On finit bien sûr par s’attacher à lui. S’il n’a que deux gros cuts par album, ça suffit. C’est tout ce qui compte.     

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             On en trouve pas deux, mais trois sur Ten Stones. Trois véritables coups de génie eugéniques constituent le cœur battant de l’album : «White Knuckle Grip», «Quiet Nights Of Quiet Stars» et «Kicking Bird». Rien qu’avec ça, t’es gavé comme une oie du Périgord. Heavy boogie d’Eugene avec «White Knuckle Grip», il peut t’exploser la rate d’un cut, c’est violent, massif et surnaturel, il relance l’abattage à coups d’hey white knuckle grip on my/ Saturday night, il allume comme un démon - I’m taking the heavy way/ Get a grip and make it tight - Il enchaîne ça avec une cover de Carlos Jobim, «Quiet Nights Of Quiet Stars», le voilà dans la matière de l’antimatière, c’est une cover miraculeuse, et puis voilà qu’arrive dans la foulée le puissant «Kicking Bird», fantastique clameur d’Hey hey de char de combat, le voilà de retour dans l’Antiquité, c’est un vertige balsamique, une everglade d’evertrue, avec l’Orient barbaresque en fond de toile, hey hey hey ! On trouve aussi des choses très anciennes dans «Horse Tail», le power d’un autre temps, comme si l’Eugene s’évertuait à échapper à toutes les modes. «Not One Stone» est solide, c’est sûr, mais perdu dans la pampa. Il y va au behold the lamb, par contre «Cohawkin Road» et «Iron Feather» glissent doucement à la tombe.

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             Et puis voilà The Treshinglfoor qu’il faut considérer comme son plus bel album. C’est un véritable chef-d’œuvre de modernité ancrée dans l’Antiquité. On le sent dès le «Sinking Hand» d’ouverture de bal, c’est un son issu d’un passé lointain, mais puissant, gonflé comme une voile. Et tout explose avec le morceau titre qui arrive à la suite. On retrouve l’Orient dans le son, ce fabuleux power des tribus du désert. L’Eugene conquiert son empire, il roule des R dans une fournaise démente. Il chante comme un démon, un vrai démon qui parle les langues. Tout sur cet album est puissant et admirable. «A Holy Measure» sonne comme une fantastique clameur flaubertienne, puis avec «Raise Her Hands», l’Eugene sonne très indien, au sens de la tribu, il fait sonner les tambours de guerre, sa musique semble contempler plusieurs siècles d’histoire. «His Rest» est tout de suite chargé de son, avec une fantastique présence de la pression, il flirte en permanence avec le génie atmosphérique, c’est très beau, solaire et radieux à la fois. Il charge encore sa barcasse avec «Behind Your Breath» et ses ambiances d’une grande ancienneté, et «Truth», où il provoque les éléments, où il lève des tempêtes, il recrée la démesure de l’Antiquité, voilà encore un cut babylonien, chargé de pierreries, païen et somptueux, un vrai Gustave Moreau. Il ramène des flûtes arabes dans «Terre Haute», il frise le Rachid Taha avec cette merveilleuse exotica, il fait le bim bam boum du désert. Magistral ! C’est digne de Diwan, l’un des meilleurs albums de tous les temps. Dans «Orchard Gate», l’Eugene sonne comme Saladin qui va prendre Jérusalem. Encore une fois, tu te fonds dans cette fabuleuse clameur. Il revient au pur rock’n’roll avec «Denver City», awite yeah ! Il te claque mine de rien le meilleur rock d’ici bas. C’est même bien claqué du beignet. Il sait renverser les tendances. Il te déglingue un boisseau vite fait. C’est du pur wild as fuck.      

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             Plus on avance dans la discographie d’Eugene superstar et plus on se sent entrer dans une espèce de mythologie. S’il en est un qui crée son monde, c’est bien lui. Encore une pochette ésotérique pour The Laughing Stalk. Ça rue dans les brancards dès «Long Horns». Violente entrée en matière s’il en fut. Heavy Woven rock chargé de menace - Long horn trigger happy gun shy/ I hear the laughing stalk - suivi du refrain de come on come on inner man, et ça finit en apocalypse d’in the tall corn now. L’Eugene te bluffe pour de bon. Adios Indie rock, welcome Woven rock. L’Eugene sature son son à l’extrême, il salue Abraham dans le morceau titre, un cut épique, très ancien, dans l’esprit du biblical tale. Puis il chante «In The Temple» à l’excédée fondamentale, il vise la densité du vibré de son extrême, pur power sidéral, pur genius d’excavation, ça balaye devant toutes les portes, y compris la tienne, ce mec ne vit que pour les ciels - This is done is done is done/ In this temple now - et là tu as l’Orient qui jaillit dans le Wall of Sound - That confess thy name - Il impose encore son sens aigu de l’Antiquité avec «King O King» et passe aux Stooges avec «Closer», car oui, c’est le riff de «No Fun». Et ce n’est pas fini. L’Eugene te réserve encore des surprises, comme «Maize» qu’il semble chanter du fond des âges, du fond d’un désert de Nubie à la Marcel Schwob, comme s’il pratiquait une religion préhistorique d’êtres tatoués et parfumés d’ambre. Il s’enracine encore dans les profondeurs de «Coup Stick», dans un deepy deep intraitable, dans des clameurs de voix et le beat des éléphants de combat. Eugene, c’est Hannibal ! Encore de l’eugénisme cathartique avec «Glistering Black». Tu sors de cet album émerveillé, comme au sortir d’une première lecture de Salammbô.

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             Par contre, l’album live ne fonctionne pas. Live At Roepaen ne tient que par la force de certaines compos comme «Speaking Hands» qui tournoie dans l’ombilic des limbes, ou «Raise Her Hands», où il conduit une grosse diligence, heya heya. Sinon, le reste est trop contemplatif. L’Eugene s’enferme dans sa mélopée. Il plonge chaque fois dans la même friture avariée, ça tourne joliment en rond. On retrouve «His Rest», joliment mélodique, et les gens applaudissent. Ils n’en finissent plus d’applaudir. Sur «Flutter», il sonne comme le troubadour du diable qui répand la mort et la destruction, et live, «Orchard Gate» sonne très indien shamanique. On ne comprend pas pourquoi les gens applaudissent alors qu’il ne se passe rien. Sur scène, l’Eugene ne mégote pas sur la tourmente. C’est son fonds de commerce. On perd tout ce qui fait sa force : les trompettes d’Orient et les éléphants de combat. Même pas envie de voir le DVD.

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             Tu vas trouver un sacré coup de génie sur Refractory Obdurate : «Good Shepherd». Ancré encore une fois dans l’Antiquité, from the house of Bread and Battle, ça joue dur, au big time - My good shepherd/ From the house of Bread and Battle - Quelle allure, l’Eugene peut rocker comme un démon. L’autre énormité s’appelle «Field Of Hedon», vite embarqué au Master say on ! C’est l’assaut ! - Who is this who come from Hedon/ Dressed in death’s red robe ? - Tu seras mort avant d’obtenir la réponse. L’Eugene se retrouve vaillant troubadour lancé au triple galop sur «Corsicana Clip». Rien n’arrête un si beau sire - High above the praises of the people - Tu t’enivres de la littérature sacrée d’Eugene le troubadour du diable. Il te rentre sous la peau. Il invente la heavyness antique pour «Masonic Youth». On sent bien qu’il porte une armure, notre heavy troubadour. Il n’en finit plus de prêcher dans le désert, comme le montre encore «The Refractory», il prêche the son of the foaming sea et il t’emmène plus loin faire un tour dans le palais de «Salome». Il crée de la mythologie en permanence, comme le montre encore ce «King David» très oppressant, et puis avec «Hiss», il rocke la bataille des Thermophyles. Grandiose ! Il chante les trônes et les bones.

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             Sur la pochette de Star Treatment, il est photographié de dos et porte le fameux blouson de jean décoré d’un teepee qu’il portait l’autre soir sur scène. On s’en doute, l’album grouille d’énormités, c’est l’un de ses albums les plus lourds de conséquences, à l’image du «Come Brave» d’ouverture de bal, heavy as hell, frappé au beurre des démons de l’enfer. L’Eugene prêche en sa chaire d’apocalypse, il rivalise avec Jaz Coleman et le Pandemonium de Killing Joke. Beurre d’Ordy Garrison, un fou, et Sir Charles French gratte ses poux. L’Eugene lance «The Hired Hand» au big beat de Woven. Il se transforme en wild rocker et ça lui va plutôt bien. Il monte un mur du son pour «The Quiver» et monte un énorme boisseau pour couvrir «All Your Waves», il vise l’atteinte sous-cutanée et le beat bat comme un gros cœur cosmique. Le hit de cet album flashy s’appelle «Go Ye Light», un psyché so far out fouillé par des poux complexes. Sir Charles French se prend pour les Byrds.

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             Dernier album en date de Wovenhand : Silver Sash, paru l’an dernier. L’Eugene est bon, jusqu’au bon des ongles, jusqu’au bout de la nuit, jusqu’au bout du bout, et tu te prosternes devant ce «Dead Dead Beat» amené aux machines et qui tourne mal, fast & furious, comme il sait l’être lorsque la situation l’impose - The dead dead beat - Il peut rocker une transe de type Gun Club et pousser des ouh! d’uppercut. S’ensuit un «Omaha» encore plus furibard. Pure folie sonique ! La Méricourt des enfers, il développe son petit Wall of Sound et chante à l’encontre de la bienséance. Et soudain, il arrose tout de vitriol. Il trempe son Omaha dans la pure violence sonique, un Wall of sonic trash s’élève jusqu’au ciel, alors oui, tu cries au loup, l’Eugene redevient l’héritier direct de Jeffrey Lee Pierce, wild & heavy as fuck. Il reprend encore de la hauteur avec «Sicagnu». Il devient le temps d’un cut une imposante figure du rock, un terrifiant seigneur des annales. Et puis voilà «8 Of 9», battu au beat tribal, retour du rock dans l’Antiquité, l’Eugene renoue avec cette notion de puissante armée et de puissants parfums.

    Signé : Cazengler, Eugène sue (à grosses gouttes)

    Woven Hand. Woven Hand. Glitterhouse Records 2002

    Woven Hand. Blush Music. Glitterhouse Records 2003 

    Woven Hand. Consider The Birds. Glitterhouse Records 2004     

    Woven Hand. Mosaic. Glitterhouse Records 2006     

    Woven Hand. Ten Stones. Glitterhouse Records 2008       

    Woven Hand. The Treshinglfoor. Glitterhouse Records 2010       

    Woven Hand. The Laughing Stalk. Glitterhouse Records 2012

    Woven Hand. Live At Roepaen. Glitterhouse Records 2012  

    Woven Hand. Refractory Obdurate. Glitterhouse Records 2014

    Woven Hand. Star Treatment. Glitterhouse Records 2016

    Woven Hand. Silver Sash. Glitterhouse Records 2022

     

     

    I can hear the Supergrass grow

    - Part Two 

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             Dans le numéro 100 de Shindig, le Bronco Bullfrog Andy Morten traite Supergrass de masters of the three-minute pop single. Autant les traiter de branleurs géniaux, ce qu’il fait d’ailleurs dans le chapô d’intro en les qualifiant d’erberts from Oxfordshire. Et pouf, huit pages pour Supergrass, ce qui est une première pour ce trio sans prétention. En plus de l’excellence de leurs singles, c’est leur look qui les rendait populaires auprès des kids anglais. Eh oui, les trois Supergrass s’habillaient et se coiffaient comme tous les kids qui venaient les voir sur scène. Morten insiste beaucoup sur cette notion d’identification. Les trois cocos de Should Coco avaient à leurs débuts un joli choix de reprises : «Stone Free» de Jimi Hendrix, «Where Have All The Good Times Gone» des Kinks et «Just Dropped In» de Kenny Rogers & the First Edition, des reprises qu’on ne peut d’ailleurs même pas entendre, sauf le Stone Free, mais il faut acheter le bullshit remastérisé du premier album. Morten n’en finit plus d’encenser Supergrass, il démultiplie le roaring du rock language, à coups d’amphetamine-paced et de stomping ground. Et plus loin il résume Supergrass avec cette formule magique : pop classicism, punk attitude and gang camaraderie. Retour à la big lad culture du temps des Small Faces. Côté influences, Supergrass se réclame des Kinks, des Beatles, d’XTC et des Smiths. En 1995, ils signent sur Parlophone et font une première tournée anglaise avec les Bluetones. Morten s’ébahit très vite du sense of playfulness and fun qui se dégage de leur premier album.

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             Morten a raison de dire que Supergrass est un groupe bien énervé. Il suffit d’écouter le bien nommé I Should Coco. C’est cavalé ventre à terre dès «I’d Like To Know», cavalé oui, mais à l’anglaise. Ces mecs n’ont qu’une seule ambition dans la vie : exploser au coin de la rue. On a du Gaz à tous les étages, tight unit, power trio, garage-punk snarl, ils jouent leur va-tout dans l’œil du cyclone. C’est imbattable et même trop joué. Le son arrive par giclées, comme des paquets de mer dans la tempête. Et ça continue avec un «Caught By The Fuzz» au souffle court. Ils explosent bien leur budget au wooh-wah-oooh. À l’époque, ce fut un hit. Ils passent au glam avec «Nansize Rooster», un stomp cousu de fil blanc. Comme ils ont brûlé leurs cartouches, ils passent à la petite pop bon enfant et c’est là que le bât blesse car ils peuvent se montrer horriblement putassiers. Heureusement, ils redressent la barre avec un «Lose It» joué au guitar power. Le cut l’emporte, même s’ils chargent leur mule de pop. Ils attaquent «Lenny» au riff de barrage. On sent les bonnes racines, c’est excellent, bien balancé. Ils sont le groupe de Britpop anglaise idéal, comme on le dit du gendre. Gaz sait envenimer les choses avec des départs en pointe. Pour «Sitting Up Straight», ils vont chercher du petit background de Shaft et ça explose comme une éjaculation, mais on sent bien à travers cette frénésie ridicule qu’ils cherchent à plaire. On atteint là les limites de la Britpop. Ils jouent leur «Time» au heavy Supergrass. Visiblement, ces mecs écoutent des bons disques. Puisque leur «Time» flirte avec la heavyness, il prend des faux airs de glam. Et comme les Beatles du White Album, ils finissent en beauté avec «Time To Go». Wow, ces mecs ont du fucking répondant.

             Comme ça marche bien, Gaz peut quitter son job de cuisinier. Lui et des deux amis adorent monter sur scène.

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             Oh les gars, avec le morceau titre d’In It For The Money, on se croirait dans «Needles In Camel’s Eyes» de Brian Eno ! C’est vraiment bien vu, on a tout de suite du son. Bon petit chant glam, bel éclat du bec de Gaz. Et en plus, la pochette de l’album est marrante : on dirait trois clodos devant un hangar de l’armée du salut. L’autre point fort de l’album s’appelle «Cheapstake», un cut plus fort que le roquefort, Gaz allume tous ses becs de gaz. Il faut saluer leur énergie, ces trois petits mecs ne lâchent jamais leur rampe. Ils sont dans le son, personne ne peut leur enlever ça. Et comme «Going Out» le prouve, cet album est chargé de mille trésors. On a là un cut productiviste qui sonne comme un modèle du genre. Et on voit aussi qu’avec «Richard III», ils ne relâchent pas la pression. Bien vu, les gars, on est avec vous. Ils gorgent leur prod de son et redoublent de power cavaleur. Ils taillent leur haillon dans la jungle du rock anglais et il faut les encourager. «Tonight» sonne aussi un brin glammy. Ils jouent leur carte d’impending, c’est extrêmement vif, bien convaincu d’avance, conforme à ce qu’on attend d’un bon slut de cut de pop-rock nerveux et indomptable, un cut à l’échine exacerbée, un cut de peau chatouilleuse qui fume dans la nuit des combats de Gaz. Il rallume son bec avec «Sun Hits The Sky». On peut lui faire confiance, il essaiera toujours de complaire au complaisants qui conspirent dans la continuité du continuum confiné des con finis. Excellent bash boom de pop anglaise, on y va les yeux fermés. Gaz sort des effets pour le moins demented. 

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             Ne jamais perdre de vue le fait suivant : Supergrass, c’est juste trois kids, rien de plus. C’est en gros ce que nous dit l’album Supergrass paru en 1999. Gaz devient bon avec «EDN». Il se prend pour les Beatles de l’ère psychédélique et se glisse dans le move avec une belle grâce gazeuse. Il renoue avec son cher glam dans «Pumping Our Stereo». Ils poivrent leur glam de chœurs de train fantôme. On se croirait chez les Spiders Form Mars. C’est un véritable chef-d’œuvre d’underbelly psychedelia. Tout aussi aguicheur, voici «Jesus Came From Outta Space». On dirait du faux Bowie. Avec tout ce backlash de heavy beat, Gaz se sent investi de sa mission. Il a des ressources inépuisables, comme le montre encore «Beautiful People». Mais ça n’en fait pas une star pour autant. On les voit aussi sonner comme Mansun avec «Moving» et chercher leur Graal avec «Faraway». Ils vont loin, bien au-delà du son. 

             Le batteur Danny Goffey apporte un bel éclairage : «Le premier album était joliment ball-out - qu’on traduirait ici par couillu - On allait au pub, on buvait comme des trous, on entrait en studio et on enregistrait vite fait. Puis certains ont eu des gosses, des femmes, ont acheté des maisons et ça a commencé à changer.»         

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             Une bien belle énormité se niche sur Life On Other Planets : «LA Song». Gaz s’y prend pour un Américain. Comme il sait capitaliser sur son enthousiasme, ça le sauvera. C’est un winner, il sait convaincre. Il faut le saluer pour cette performance extravagante. L’écoute d’un album de Supergrass est toujours une expérience intéressante. Que penser d’un cut comme «Evening Of The Day» ? Rien de particulier. On voit bien qu’ils cherchent des idées, pendant ce temps, on les écoute chercher des idées. Allez-y les gars, cherchez des idées, prenez votre temps. Ce sont des gens intelligents, alors pas d’inquiétude. Il ne vous en coûtera que vingt euros. Qu’est-ce qu’un billet de vingt euros, comparé à l’univers ? «Rush Hour Soul» pourrait sonner comme un hit de rock anglais, car monté sur un solid daily basis de big whooping drive, mais ce n’est rien de plus qu’un cut de plus. Gaz chante «See The Light» avec la voix de Marc Bolan, puis on les voit faire les punks avec «Never Done Nothing Like That Before». Ils sont à géométrie variable, comme le montre encore «Funniest Thing». Ils alternent pointes de vitesse et montées en température. Et puis on l’a déjà remarqué, les Grass deviennent fascinants dans les derniers tours de leurs albums, ce que montre encore «Grace». C’en est la preuve vivante, une vraie démo de vérité vraie, pulsée au mieux de la Brit pop. Gaz se fait heavy avec «Run». Il est parfaitement capable de driver un heavy groove de fin de soirée, mais l’essai n’est pas convaincu d’avance. Il y a cependant quelque chose de profondément attachant dans leurs albums. Bon d’accord, ce ne sont pas les albums du siècle, mais ils ont de la tenue. Gaz et ses amis tentent de surnager dans la tempête Britpop.    

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             Road To Rouen est certainement leur album le plus faible. C’est l’époque où Gaz traverse une sale période avec la mort de sa mère. Ils enregistrent l’album dans la ferme que Gaz possède en Normandie. Ils ne se sentent pas très inspirés et éclusent du pinard. On ne trouve rien de spécial sur cet album. Ils jouent leurs petits trucs. Mon pauvre Gaz, il ne suffit pas de mettre les gaz pour pondre des œufs d’or. On note aussi que le titre de l’album est un clin d’œil aux Ramones de Road To Ruin. L’écoute d’un cut comme «St Pertersburg» permet de réfléchir : on se demande parfois à quoi sert d’écouter un album de Supergrass. Se croient-ils assez dédouanés pour pouvoir chanter ce qui leur passe par la tête ? «Roxy» n’a rien dans le citron et «Coffee In The Pot» est joué aux percus de manque d’idées. En réalité, Road To Rouen est un album de funk, comme le montre le morceau titre monté sur un big bassmatic et décoré de petits tiguilis de guitare funk. C’est de bonne guerre. On les voit encore tenter de créer la surprise avec «Kick In The Teeth», mais pas de surprise. Voilà enfin un «Low C» assez bien balancé. Gaz et ses deux amis tiennent bien la distance. Ça ne mange pas de pain d’écouter leurs albums jusqu’au bout. Gaz est un mec attachant et il finit en beauté avec le fin du fin de «Fin».    

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             En 2008, ils remontaient dans les sondages avec Diamond Hoo Ha, enregistré au Hansa studio de Berlin où Bowie avait lui aussi enregistré. Trois belles merveilles palpitantes s’y nichent, à commencer par un hit glam, «Rebel In You». Gaz y fait son Bowie. Bel exercice de mimétisme. En plein dans le mille ! Dommage que tout ne soit pas aussi mimétique sur l’album. Gaz bouffe l’écran. Sa voix dégouline d’accents de vérité. Autre pusher : «Whiskey & Green Tea». Gaz y fait du early Bowie, celui de la heavy psychedelia, il travaille son cut au corps et shake son refrain au whiskey and some green tea à la pure élégance. Fabuleuse élévation d’heavy psychout ! Gaz is the king of the green tea. Ce chef-d’œuvre sauve l’album. S’ensuit une autre énormité : «Butterfly». Belle attaque. Encore un cut soldat inconnu sauveur de la nation. Gaz le chante à l’éperdue exacerbée. Sacré Gaz, il se réveille toujours à la dernière minute. Il faut aussi le voir chanter le morceau titre à la voix de conquérant. Mais le milieu de l’album est bien plus laborieux. C’est un gros boulot que de remplir un album, une tâche à laquelle sont confrontés tous les groupes qui manquent d’imagination. Avec «345», ils ne sont pas loin d’Oasis, mais avec le son des guitares en moins. Et avec «The Return Of», ils sonnent littéralement comme Pulp. Eau & Gaz à tous les étals. Monsieur Gaz bouffe à tous les râteliers. Vas-y mon Gaz, bouffe ! Ils passent au post-punk avec «Rough Kuckles». Gaz devient parfois tellement protéiforme qu’il en devient écœurant.

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             S’ensuit une belle catastrophe : Mick Quinn, qui est somnambule, tombe du premier étage et s’en sort mieux que Robert Wyatt : seulement deux vertèbres cassées et un talon. Pendant qu’il se rétablit, Gaz et Goffey se produisent en duo. Quand Quinn revient, le groupe tente de redémarrer en enregistrant un nouvel album, Release The Drones, mais comme le dit Morten, la magie n’est y pas. Ils commencent à s’engueuler. Plan classique. Gaz veut arrêter les frais. Fuck it. Pas facile de splitter. Gaz dit que c’est comme dans un couple. C’est pire.

             Alors ils démarrent tous les trois des carrières solo. Quinn fricote avec Bruce Brand dans The Beat Seeking Missiles et avec ses copains d’enfance Swervedriver. Goffey fricote avec Vangoffey et Gaz enregistre trois albums solo. Et bien sûr, attiré par l’appât du gain, Supergrass se reforme en 2019 pour des bons concerts sold-out et la parution d’une box qui coûte la peau des fesses.

    Signé : Cazengler, supergras-double

    Supergrass. I Should Coco. Parlophone 1995

    Supergrass. In It For The Money. Parlophone 1997  

    Supergrass. Supergrass. Parlophone 1999                 

    Supergrass. Life On Other Planets. Parlophone 2002    

    Supergrass. Road To Rouen. Parlophone 2005     

    Supergrass. Diamond Hoo Ha. Parlophone 2008

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    Andy Morten : Keep on the grass. Shindig # 100 - February 2020

     

     

    DE DAN, DEHORS

     

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    1/ PREMIERE APPROCHE

            Librairie Privat, Toulouse, coin (je n’ose pas faire précéder ce mot de l’adjectif ‘’petit’’ par respect pour son contenu) poésie, à ne pas confondre avec le Rayon Poésie, réservé aux ouvrages des ‘’grands’’ éditeurs, non une table minuscule sur laquelle était jetée la profuse production poétique underground, revues mal agrafées, tirages parcimonieux, encrages Gestetner défectueux, toute la poésie vivante se retrouvait-là, un amoncellement sans cesse renouvelé, un peu comme ces coquillages que la mer rejette sur le rivage, ils semblent attendre qu’une main distraite se saisisse de l’un d’entre eux et le transforme posé sur un bureau, loin de l’écume et des vagues, en cendrier…

             Cette fois-ci le rouge carminé d’une mince et élégante plaquette attirait le regard. Je l’ai lue illico, pas mal du tout, je l’ai reposée, le mantra aum mani padme hum… maintes fois répété me gênait quelque peu, moi qui ne vois le monde qu’au prisme de la Grèce Antique cet orientalisme ne me semblait présenter que peu d’intérêt, pire en tant que rocker pur et dur je trouvais que ça fleurait un peu trop le patchouli et les hippies, je l’ai reposée, et m’en suis allé.

             Je suis revenu le matin suivant. J’y avais pensé toute la nuit… La tentation tentaculaire m’a saisi, le nom de l’auteur et son adresse appelaient une lettre. Il m’a répondu, j’avais dû dire mon adoration immodéré du rock ‘n’ roll, ne voilà-t-il pas qu’il me proposait de monter avec lui à Paris pour voir Jerry Lee Lewis à la fête de l’Humanité. Mon flair légendaire de rocker ne m’avait pas trahi !

    2 / PLANTONS LE DECOR

    Je ne vais pas encore parler de Daniel Giraud mais de mon chien. Zeus. Il nous a sauvé la vie, ma compagne et moi. Nous nous rendions chez Dan au Ruère au-dessus de Saint-Girons. La voiture s’arrêta, faute de route. Oui c’est par ici, au haut du versant, sur la crête de la colline. On a coupé à travers bois. Maintenant il ne restait plus qu’à traverser un immense pré. Squatté tout en bas par une centaine de chèvres qui paissaient en paix. Elles devaient se méfier des êtres humains. Elles avaient raison, nous sommes l’espèce prédatrice par excellence. Nous ne leur voulions aucun mal. Au début c’était marrant, ce long corridor de chèvres qui nous suivaient, lorsque tous les jeunes mâles se mirent à nous pousser en avant de légers coups de cornes dans nos postérieurs, ce l’était moins. Fais quelque chose, me dit-elle. Cherchant l’inspiration je levai les yeux au ciel, une forme blanche batifolait au loin dans les herbes. Ce n’était pas un ange qui se portait à notre secours, mais Zeus notre Coton de Tuléar, notoire assoiffé de canapés, il faut le reconnaître sur l’instant totalement insouciant de l’extrême péril qui menaçait ses maîtres. Je ne sais pas pourquoi j’ai tendu le bras vers lui et désignant le troupeau à nos basques je lui ai intimé l’ordre salvateur : Vas-y Zeus ! L’est parti en aboyant, en moins de deux minutes il a ramené les ovins opiniâtres tout en bas de la pente où ils se sont regroupés sagement en rond… Ainsi grâce à Zeus nous atteignîmes en toute sérénité la maison de Daniel Giraud.

    3 / NAISSANCE D’UN REBELLE

    Lorsque j’ai averti Daniel Giraud que je commençais ce blogue rock, il m’envoya pour le numéro 03 du 05 / 11 / 2009 le texte que voici :

    SOUVENIRS, SOUVENIRS

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    JOHNNY EN 58

    C'est en 1956 que j'ai découvert le rock'n'roll grâce au Tutti Frutti de Little Richard, Rock around the clock de Bill Haley et les cinq premiers 45 tours d'Elvis Presley. J'avais dix ans.

    Je préférais les américains aux européens et dans les années suivantes j'aimais bien mieux les noirs aux visages pâles, plus ou moins bons imitateurs. C'est plus tard, à quinze piges, que je découvrais le blues à l'origine du rock comme du jazz.

    Nez en moins, comme écrivait San Antonio dont je dévorais les bouquins, deux ans après, en 1958, j'ai apprécié ce blanc-bec de Johnny qui débarquait face au pantouflard Richard Anthony... J'avais donc douze ans et avec un ami du même âge, Pierre Alleaume, nous sortions pour la première fois sans nos parents... Nos mères respectives étant amies et voisines, au square Groze-Magnan où je jouais au foot dans la rue avec les enfants de Ben Barek, un grand joueur de l'O. M.

    Je ne sais si ce concert à l'Alcazar de Marseille était le tout premier de Johnny mais c'était sûrement un des premiers ( Souvenirs, Souvenirs   n'était même pas sorti ). C'était un vieux théâtre en bois (hélas aujourd'hui rasé pour construire la Bibliothèque de Marseille) où mon marseillais de père allait régulièrement à l'entre-deux guerres pour des cafés-concerts à une époque où les chanteurs chantaient sans micro, comme il aimait me le rappeler...

    En première partie, donnait de la voix une chanteuse de négro-spirituals (comme l'on disait avant que l'on confonde racisme et sens des mots, tout comme le doigt avec la lune qu'il désigne...) C'était June Richmond dont je n'ai jamais trouvé de disques alors même que je connaissais déjà bien le Gospel grâce aux émissions dominicales de radio (à l'ORTF) de Sim Copans.

    Quand le rideau s'est levé et que Johnny est entré en chantant un inédit ( Je cherche une fille ) on s'est aperçu qu'un grand voile séparait le chanteur de son orchestre dont on ne distinguait que des silhouettes... Il était vêtu de noir, pantalon de cuir et chemise à trous. Puis il chanta son premier tube : T'aimer follement, version française édulcorée de Making Love...

    On a tous cru que le vieux théâtre allait s'effondrer sous le martèlement des pieds des jeunes gens entassés de l'orchestre aux balcons. Encore pire qu'en Mai 68 au théâtre de l'Odéon à Paris...

    Bien sûr, c'était une époque où les français ne savaient pas taper dans leurs mains en mesure (dans les temps faibles ce qui entraîne un rythme déhanché et syncopé ce qui m'énervait beaucoup puisque pour moi la musique c'était le rythme ( pour les paroles il y a les livres... ). Ainsi je m'évertuais à frapper des mains le plus fort possible en cadence. J'étais particulièrement excité en écoutant le morceau que je préférais :

    « J'suis mordu pour un p'tit oiseau bleu,

    tellement mordu que j'en deviens gâteux ! »

    Quand nous sommes sortis, avec mon copain abasourdi, nos paumes de mains rougies chauffaient un max ! Et nos coeurs battaient à rompre grâce à cette musique de révolte, celle des blousons noirs et des rebelles de l'époque.

    Daniel Giraud.

    4 / LE BLUES

    Nous nous sommes souvent retrouvés au festival Blues in Sem en haute Ariège, après Sem la route s’arrête (vous allez finir par croire que si tous les chemins mènent à Rome toutes les routes s’arrêtent en Ariège), dans la foule vous ne pouviez pas manquer ce grand gaillard à la dégaine incroyable, entouré d’un groupe de copains, déjà âgé, nous sommes dans les années 2010, Dan venait en connaisseur et mieux que cela en chanteur de blues.

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    Dan a enregistré trois disques de blues. Voici la chronique que nous avions écrite pour l’un d’entre eux pour le mensuel de Littérature Polycontemporaine ALEXANDRE. Sauf mention contraire, tous les textes qui suivront nos paragraphes d’introduction seront tirés de cette revue. Ces textes ne sont pas exhaustifs. Par exemple, nous ne parlons pas des ouvrages de Dan sur le Tao, sur l’Alchimie, de ses traductions des poëtes chinois... Son œuvre est immense et demande à être explorée.

    Cet hommage pour évoquer une silhouette qui n’a fait que passer dans le monde, mais sans doute le monde aussi est-il passé dans Daniel Giraud.

    LA PALPITE SANS GARDE-FOU

    DANIEL GIRAUD

    ( Editions Révoltion Intérieure / 1999)

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             L’on savait que Daniel Giraud arpentait les montagnes ariégeoises avec son ampli sur le dos et sa guitare à la main mais on ne l’avait jamais entendu jouer, riche idée donc d’avoir enregistré ce CD qui permet aux non-autochtones du Saint-Gironnais d’entendre la bête comme s’ils étaient présents à une nuitée de La Note Bleue (le café anar-blues du coin) ou à une longue veillée entres potes dans une ferme perdue.

               Les amateurs du clean et du 4 fois quatre-vingt-seize pistes seront déçus : le son n’est pas bon, ça râpe et ça bouffe les vibratos à plein tube. Mais là n’est pas l’important. Ça n’a pas été enregistré dans le mobil-home de chez Sony mais avec le magnéto posé sur le buffet de la cuisine. La même callosité que ces vieux 78 tours de blues enregistrés dans les chambres d’hôtel de Clarksdale. L’on y entend les oiseaux qui piaillent à toute turbine au travers de la fenêtre ouverte et aussi une sacrée dose d’authenticité qui vous tombe sur le coin de la gueule sans prévenir.

             Daniel Giraud tel qu’en ses textes, métaphysiques du vide et vide de la métaphysique à (club-a-) gogo, plus la rage de l’impro mêlé à l’esprit de dérision et de rébellion. Une guitare qui sniffe le blues par les deux bouts, un harmonica qui déraille, et toujours la syncope obsédante des blue-notes qui se barrent en couille et pied de biche sur le velours des mots et le tergal de la voix.

             Ça s’écoute bien, l’engin terminé on le remet encore pour l’avoir dans l’oreille et le garder près de soi. Ça sonne good et surtout originalement. Différent de ce que l’on peut entendre dans la production rock habituelle. Achetez-le si vous tenez à vous faire votre idée : m’étonnerait que vous puissiez le repiquer sur France Inter ou France Culture.

    Alexandre N° 60 ( Février 2000).

    FEELING

    DAN GIRAUD

    Préface de BOBBY MICHOT

    (Editions Révolution Intérieure / 2007)

    Vous êtes peut-être comme moi, toutes les Acadiennes, vous ne connaissez pas. A part King Creole et la Jambalaya de Hank Williams... J'exagère un peu, Bobby Michot est un musicien de la Nouvelle-Orléans – genre de gars aussi à l'aise sur un accordéon que sur un violon – un nom pour les amateurs de cajun et de zydéco. L'est souvent venu en Europe et en France, notamment au Festival des Baroudeurs, c'est par là en Creuse que je subodore qu'il a dû rencontrer Daniel Giraud. Vous êtes ici en terrain de connaissance, le Giraud nous a donné un texte ( in  KR'TNT ! N° 3 du 05 / 11 / 2009 ).  Dan Giraud a écrit une quarantaine de livres et enregistré deux CD de blues...

    Ne confondez pas Dan et Dan. Se ressemblent beaucoup. Le premier, Giraud, a écrit le bouquin, le deuxième a donné son prénom pour le titre. Dan Evans pour ceux qui veulent vérifier ses papiers d'identité. N'existe pas en vrai. Un clone de l'auteur qui s'imagine une vie parallèle. Un héros de roman. Vécu, spécifiera-t-il sur la page de garde. N'imaginez ni une longue introspection, ni La Recherche du temps perdu. Quarante-deux pages, pas une de plus. Mais bien remplies. Z'attention dès les premières lignes, la sonnerie est inhabituelle. N’ayez crainte on s’y fait assez vite. Ce n'est pas écrit en français. Nous l'avons toutefois échappé belle. Daniel Giraud est aussi célèbre chez les sinologues de gros calibre pour ses superbes traductions de poëtes de l'Empire du Milieu. Ne connaît pas plus le chinois que vous et moi, mais il se débrouille comme il peut. Dictionnaires et une certaine appétence préférentielle pour les philosophies orientales du rien. Restez zen, ne nous a pas fait le coup du texte en idéogrammes. C'est presque du français, c'est du cajun. Les constructions de phrase de guingois, et le vocabulaire un peu à côté de nos acceptions nationales.

    Ce n'est pas une lubie. Mais son héros – le fameux Dan Evans – est né là-bas, c'est donc un déraciné de partout. N'est pas à la recherche de son identité non plus. Pas le genre de gars qui mettrait un drapeau tricolore sur son profil de facebook. D'abord parce que la France a retiré ses billes de la Louisiane depuis plus de deux siècles, ensuite parce qu'il a plutôt l'impression de faire partie de la grande famille internationale des oubliés, des pourchassés, des laissés pour compte. Ces prolétaires de tous pays qui n'ont pas encore réussi à s'unir contre les forces astringentes du Capital et des prisons coercitives des Etats... Mais le prêche politique, ce n'est pas son genre. Vit sa vie, en toute simplicité, washboard dans les mains pour courir de bal en bal, alcools, rires et jolies filles... Ces dernières plus rares maintenant que le cap de la cinquantaine est dépassé. La tête bien faite, aussi à l'aise dans le tourbillon frénétique de ces corps juteux et de toutes les couleurs qu'un alligator local dans le bocal du marais.

             La tête bien pleine aussi, les poètes de la Beat Generation et les écrivains cajuns inconnus dans nos campagnes sont ses références. Pas celle du journaliste de France-Culture qui l'interviewe, ce qui nous vaut une scène finale hilarante... Pas un roman comique, même si la Gaya Scienza est à l'honneur en ces pages truculentes. Sont aussi pleins de hargne, les deux Dan. Pas tant contre Kaltrina. Que peut-on faire contre un ouragan ? Sinon rien. Mais pour les hommes beaucoup. Surtout pour les pauvres. Surtout pour les noirs pauvres. L'est par exemple inutile de les tirer à coups de fusil comme des poules d'eau pendant que l'autre moitié des escadrons de police est en train de piller les magasins. Quarante-deux pages mais aussi débordantes de joies et de colères que les eaux du Mississippi qui emportent les digues.

    Un livre de blues dézingué, pour tous les amateurs de zydéco.

    In Kr’tnt 257 du 26 / 11 / 2015.

    5 / BLUES DEPRESSION

    Il existe deux sortes de blues, celui natif qui vous teinte l’âme, puis l’autre que je nommerai en l’honneur de la déesse Vénus : le Shocking Blue. 

    QUELQUE PART

    DANIEL GIRAUD

    (Journal)

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            Every day I have the blues. L’on n’y peut rien. Journal. D’une longue dérive. Intérieure. Remontée en fin de bouquin. Mais rien ne sera plus comme avant. Ah ! Giraud ! le vieux babos de la mort ! Ainsi parlent les jeunes générations. La beat generation goes out. Pas plus que la suivante, she can’t get no satisfaction. Sortie de route pour les rois de la déjante. Tout commence par une virée au Sénégal en méga-loup solitaire. On the road again. L’Afrique en moins touristique que le guide du Routard. Pas de triche. Au ras de l’autochtone. Pas vraiment beau à regarder. L’argent a tout pourri. Rapports humains pervertis. Chez nous aussi. Mais ça se voit moins. Blue Boy Guitar Hero ne s’en sort pas trop mal. Sait louvoyer entre bourges-blancs-arnaqueurs et pauvres-noirs-ripoux. Y perd ses illusions mais pas ses plumes. De toutes les manières ce n’était qu’une introduction. Le plus dur reste à venir.

            I wanna be home. L’aurait dû continuer sans danger là-bas. Il n’a plus de cannibales depuis longtemps en Afrique. Les dernières tribus squattent les huttes européennes. Pendant que le mâle court après ses rêves les femelles astiquent le rouleau à pâtisserie. Va s’en prendre quelques gadins sur la gueule au retour Giraud. Savait pas qu’on lui préparait une marmite d’eau bouillante. Ça lui est tombé sur le museau dès qu’il a poussé la porte. Bien sûr il ne s’en est pas aperçu sur l’instant. L’aurait dû se méfier pourtant. Le feu couvait sous la cendre depuis longtemps. Lui, Dan, il avait toujours pensé que l’amour c’était avant tout métaphysique. Elle, Dominique, elle dansait un tango très physique dans les bras de son amant argentin.

             Il n’a pas fait comme Nerval, Giraud. Il n’a pas deux fois vainqueur traversé l’Achéron. Lui, le cocu magnifique il s’est contenté d’une mesquine dépression avec manque cardiaco-respiratoire somatique. Deux ans à jouer le coucou pleurnicheur. De quoi faire rigoler le lecteur et ricaner les copains.

             S’il fallait écrire un livre de deux cents pages chaque fois qu’une nana lâche son mec, la terre entière serait transformée en une immense bibliothèque. L’on ne pourrait plus allonger la jambe sans trébucher sur de sombres jérémiades. Oui.  Pas sûr qu’à chaque fois l’on tombe sur un Giraud. Un qui a la grâce. D’écriture. La savante petite musique. Celle dont jactait si fort Céline. Qui vous pousse de l’avant. A dévorer page après page. Alors même qu’on n’en a rien à foutre du roman feuilleton à l’eau de rose souffrance du grand Dam !

             Sûr qu’il ne faudrait jamais vieillir. La beat molle génération c’est un peu dur à vivre. Quarante ans de pratique de sagesse indienne pour en arriver à ce dérisoire constat. Que le cœur, l’esprit et le corps ne peuvent rien contre la première gourgandine de princesse qui fout le camp. De quoi désespérer des impératifs poétiques ! Mais non de Zeus, quel style !

             Tout compte fait il peut remercier sa Dom chérie, le grand Dam. Si elle n’était pas partie. L’aurait sûrement pas trempé sa queue dans de nouvelles cerises tout aussi appétissantes que sa guigne enfuie. Et surtout ne se serait peut-être pas poussé dans les derniers retranchements de l’écriture, Giraud. Car ce putain de livre (lecteurs antiféministes, ne lisez pas ce ‘’livre de putain’’) est peut-être le meilleur qu’il ait sorti. De sa chair.

    In Louve 1 / Février 2002.

    6 / DAN REDRESSE LA BARRE

    Ne croyez pas que Dan se soit fait moine… 

    L’AMOUR NUIT GRAVEMENT A LA SANTE

    (Virée 98)

    DANIEL GIRAUD

    (Editions Clapas)

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             On the road again. Tu parles. La galère plutôt. Sacrée virée. Putain de virage oui. La voiture dans le décor, les dents de Dan ne sont plus dedans, elles courent déjà prendre le train à La Franquie. Ça fait mal oui, mais moins que le mal d’amour. Quinze jours qu’il barjotait sur la plage dans sa tente et les embruns, campement de survie et hutte de sudation. Le blues, le bleu sombre, le vrai, celui qui poisse et dépoisse, à l’envie. Le refrain est connu, since my baby left me i found a new place to dwell, très bien lorsque l’on est minot, mais à cinquante balais y-a-de-quoi avoir le cafard, she is gone, gone, gone, (conne aussi peut-être) mais pas de mauvaises pensées, ne pas se laisser distraire, la vie est vide mais le vide est plein de vide. Restons zen. Sur un dernier signe de la main. Daniel Giraud. Ermite tantrique.

    In Alexandre.

    LE JOURNAL DES SECRETS.

     NIAGARA LA DETREMPEE

    ( Editions Révolution Intérieure / 1997)

             Correspondance érotique entre Niagara et Dan. La joie du corps et le plaisir de cette joie. L’écriture est ici vécue comme le dévoilement des caresses les plus intimes. Le poids des corps et le choc de l’éros. Le mâle et la femelle, le mâle et le bien, le mâle et le feu qui se mêlent. Au diable le tantra et le kama-sutra ! simplement le désir de tenir l’autre au plus près de soi, d’en être palpé ou éclaboussé, de revenir à la charge, de donner et d’offrir, n’être plus qu’un phantasme réalisé, l’envie accomplie, le désir tendu, l’arc et la cible, la bouche et le bouton, la rose sans les épines.

             Evidemment le lecteur risque de se sentir de trop. Nos deux tourtereaux sont trop occupés d’eux-mêmes pour s’intéresser au triomino. Il vous faudra jouer tout seul, dans votre coin et vous n’aurez même pas la possibilité de vous déguiser en voyeur. Au vu et au su de tout le monde littéraire qu’ils s’esbaudissent sans attente nos amants de foutre et de foudre. Et ma foi le jeu semble si plaisant que j’en connais plusieurs qui n’auront de cesse de tenir la chandelle de la lecture tant que le livre n’aura pas été consommé jusqu’au bout. Révolution extérieure.

    Alexandre 35 / Janvier 98.

    7 / UNGRUND

    Recherche de la base sans sommet 

    LE RIEN DU TOUT

    DANIEL GIRAUD

    (Editions Révolution Intérieure / 1999)

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             Il n’y a rien. Aucun fondement pour poser une quelconque valeur. L’être n’est même pas un fluide en devenir. L’être est une immédiateté a-métaphysique. Le solipsisme ne fonde pas plus l’ego que l’ego ne fonde le solipsisme. Nous sommes des filtres qui ne filtrent qu’eux-mêmes.

             J’ai toujours pensé que Parménide contient davantage la voie du vide que Gorgias. Les accointances de Nietzsche avec la pensée orientale ont été maintes fois remarquées. Selon moi elles s’articulent plus sur le fait que la pensée de Nietzche est une destruction de la pensée de Parménide.

             Mais je me demande pourquoi je parle de Nietzsche ? Daniel Giraud n’en cause point dans son traité de philosophie. A vrai dire il ne cause pas de grand-chose, si ce n’est du rien.  Mais écrire soixante pages sur rien n’est pas facile. Pourtant le précis de métaphysique de Daniel Giraud se lit d’un trait.

             La démarche giraudienne est évidemment plus tordue qu’il n’y paraîtrait au premier abord. Il ne s’agit pas de décréter la vacuité de toute chose et de s’en laver les mains par la suite. Bouddha (et d’autres) l’ont fait avant lui, mais en sus d’expliciter en quoi cette déclaration de néantisation de toute phénoménalisation n’induit ni l’absurde ni la vérité.

             La constatation du rien ne saurait être assimilée à un bien ou à un mal. Il faut que la déclaration d’état des non-lieux fasse sens. Non pas en l’érection optimiste ou pessimiste de leur négativité mais en l’affirmation incessante de leur non-êtralité. Nous ne sommes pas loin de l’energeia aristotélicienne ou de la danse nietzschéenne.

             Daniel Giraud est bien le fils de l’occident. La théorisation contemplative du rien ne le vide nie ne le comble parfaitement. Il a toujours besoin de cette redite incessante. Pour l’occidental il y a, inhérente au rien, toujours l’action. Ce dernier livre de Daniel Giraud est donc essentiellement politique. Le rien n’admet pas tout, et encore moins n’importe quoi !

    In Alexandre 53 / Juillet 1999

    LE FOND DE L’AIR ET L’ÂME DE FOND

    DANIEL GIRAUD

    (Editions Blochaus 1996)

             24 pages/ 14 / 19 cm. Couverture rouge pompéïen. Les éditions Under-Black-Bockhaus-Résistance continuent leurs rafales livresques. Après le noir somptuaire des premières plaquettes, l’écarlate de celle-ci vous claque à la gueule comme un jolly roger à la grande vergue du mât de misaine.

             A l’intérieur huit collages noir et blanc : psychedelic-blues-archétypal-éros-karma. Et le texte : errance d’existence, comme un long fleuve tranquille aux eaux de vieillesse limoneuse. Longue méditation qui cherche à donner un sens, à signifier quelque chose de ces atermoiements géographiques sur les routes sans fin de la campagne française et de l’underground poético-littéraire des seventies. ‘’Animal de hondo’’ disait Juan Ramon Jimenez. Ce n’est pas le fond qui manque mais la forme, cette eidos platonicienne à laquelle notre fondement occidental nous a habitués en tant que Destin.

             Réflexions sur la misère, la marge, la récupération, la route, la poésie. Rimbaud et Dada-blues, le texte de Daniel Giraud avance à pieds de fourmi, ou alors à grands pas de casserole comme dans les cours de récréation – un, deux, trois, Soleil, mais l’astre horoscopal est absent de toute maison, le Sol Invictus de toute affirmation ouranienne jamais tenté.

             Ce livre comme une croisée de chemin : le Vide Céleste ou l’Ungrund Originel peuvent mener au pire : la théologie négative de l’affirmation monothéiste d’une unique vérité, ou son corollaire, la mise en adéquation de toute parcelle du vécu qui se donne à voir. Trente ans de route et encore à demander son chemin. Daniel Giraud serait-il enfin mûr pour l’angoisse métaphysique ? Quel étrange cheminement que le sien : partir d’une contemplation orientalisante pour en arriver à ce questionnement des plus philosophiquement grec surprendra le lecteur fidèle. Il est vrai que même les lacets ariégeois se détournent de leur première direction. Aussi attendrons nous avec impatience le prochain livre de Daniel Giraud même si celui-ci nous séduit fortement. (Suite au prochain épisode.).

    In Alexandre 16 / Juin 1996

    7 / CHINOISERIES

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    On ne l’attendait pas là. Dan Giraud qui ne connaissait pas un mot de chinois se mit à traduire les poëtes chinois. La chose peut paraître invraisemblable. L’appliqua la méthode de Nabokov qui exilé de sa Russie natale ne connaissant pas l’anglais décida que désormais il rédigerait ses romans en langue anglaise. Dan acheta tous les dictionnaires français / chinois et chinois / français et ensuite travail de haute patience et sapience, mot à mot, faut un sacré caractère… 

    FLANANT SOUS LE CIEL

    (Editions Blockhaus 1994)

            Quatre saisons. Printemps. Eté. Automne. Hiver. Le temps d’une mise en quarantaine métaphysique. Quelques quarante poèmes chinois du Tao et de Ch’an traduits par Daniel Giraud, chinoisement calligraphiés par Patrick Carré, longuement commentés par Daniel Giraud. Certains crieront au faire-valoir : ils auront tort. Ce serait oublier qu’avant toute chose la poésie est commentaire du monde et du vécu.

             Poésies entremêlées donc : celles plusieurs fois séculaires de l’Empire du Milieu, celle erratique d’un baladin européen, buveur de bière, joueur de guitare électrique, solitaire sur les pentes enneigées des montagnes d’Ariège. Mais un même chemin. La voie qui se détourne des ambitions humaines, trop humaines, avec en bout de sente ce retournement vers ce que l’on n’est plus. Seulement les uns sont des orientaux : leurs poèmes monosyllabiques se perdent dans une théorie d’in-connaissance, une pratique du non-agir, un effondrement du reflet de l’existant dans l’inexistant. Daniel Giraud lui reste un occidental. Sa prose réflexive charrie trop de rébellion pour ne pas être revendication d’une autre manière de considérer le non-être.

             Car Diogène n’est pas Bouddha. Le premier est un empêcheur de tourner en rond, le deuxième un simple je-m’en-foutiste. Et si la balade d’écriture de Daniel Giraud se charge de l’essentiel poétique des poèmes présentés, rejetés dans l’anecdote de leur présence, c’est que celui qui fait signe donne sens à l’aventure humaine.

             Beaucoup d’humour aussi dans ce beau livre… (à lire)

    Alexandre 1 / Février 95.

    TANKER

    SPECIAL GIRAUD

    (Editions Blockhaus)

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             Ce Tanker s’intéresse plus à l’anecdotique qu’à l’essentiel. Peut-être faut-il ajouter que la philosophie de Giraud se plaît à équaliser les différents aspects du monde pour tempérer notre première impression de lecture.

             En pleine tourmente soixante-huitarde Daniel Giraud osait crier que la révolution serait intérieure ou ne serait pas. A l’époque personne n’y croyait. Aujourd’hui aussi d’ailleurs, à une différence près : en 1968 on se méfiait de l’esprit ; en 1995 on ne veut plus de révolution. Avec sa gueule de patriarche Daniel Giraud est le premier sage qui refuse de donner des leçons de conduite et de morale. Il y a longtemps qu’il a compris que sagesse et folie ne sont que deux mots différents pour nommer une certaine aptitude de l’homme à se regarder vivre sans pouvoir s’empêcher de commenter son propre vécu.

             Savoir que notre pensée est aussi inopérante que la parole du journaliste qui couvre un exploit sportif ouvre de larges possibilités intellectuelles. Ainsi si les ‘’traductions’’ de Daniel Giraud rendent les spécialistes de l’idéogramme jaloux, on le pressent davantage virtuose du baby-foot que sinologue averti. L’on n’a pas toujours besoin de respecter les rites du Yi-king : quelques capsules de bière négligemment jetées sur le sol peuvent aussi bien configurer un itinéraire des plus authentiques.

    In Alexandre 5 / Juillet 1995

    DANS LES MONTAGNES CHAUDES

    DANIEL GIRAUD

    ( Les carnets de la montagne froide)

             Une plaquette reliée à la chinoise. Il ne faut pas s’attendre à moins avec le grand Dan, surtout lorsqu’il nous livre six petites proses méditatives relatant un voyage au pays jaune et dans le monde subliminal du poëte Han Shan.

    La brièveté de Dans les montagnes chaudes ne doit pas nous tromper. En moins d’une trentaine de lignes Daniel Giraud redonne vie à toute une culture trop souvent éloignée de nos certitudes, mais ses réflexions sur la voie du milieu qui se peut aussi s’approprier par la martingale de la joie, du plaisir, du rire, voire de la plaisanterie, sont un grand coup de balai décerné à de multiples ratiocinations tant orientales qu’occidentales. Quant aux aperçus troublants sur la permanence du geste vécu dans l’espace même qui le vit naître (ce que l’on peut interpréter soit comme la néantisation sociale, soit au contraire comme l’absolutisation, de tout acte dans le monde) ils aident à comprendre et entrevoir l’éternel retour nietzschéen d’une manière moins héraclitéenne que celle fixée par la tradition christo-stoïcienne qui hante les cervelles philo-universitaires de notre douce France.

    Alexandre 42 / Août 1998

    L'ART D'APPRIVOISER LE BUFFLE

    DANIEL GIRAUD

    ( Arqa Editions)

    A la seule lecture de ce titre le lectorat de KR'TNT ! se partage en deux clans. Une première moitié qui dit : « Ah ! Je vois ! Des chansons sur les bisons et les teepees, Damie va nous causer de la contribution des peaux-rouges aux rock'n'roll, genre Link Wray, Jimi Hendrix, Redbones et tout le reste de la tribu ! » et une seconde qui répond « Pas du tout, c'est un trip country, sur le rodéo, long corns sauvages, vaches folles, pom-pom girls, et chevaux.  Je parie une monographie sur Alan Jackson !  ».

    Illustration parfaite du vieil antagonisme séculaire qui oppose indiens et cowboys ! Inutile de sortir les Winchesters et les coutelas à scalper.  Amis rockers, le buffle dont il est question ici est un véritable buffle, pas un lointain cousin dégénéré made in USA, il s'agit de l'original buffle chinois. Du made in China, tout ce qu'il y a de plus authentique. Comme vous pouvez le voir sur la couverture du livre.

    Réponse générale : « Un livre ! Nous croyions que c'était le dernier CD du chanteur de blues ariégeois Daniel Giraud ! Tu sais, nous la lecture... et puis franchement sans vouloir te vexer nous n'avons pas particulièrement envisagé d'acheter un buffle, du moins dans l'immédiat, alors un bouquin sur l'élevage du buffle... tu n'aurais pas plutôt un book sur les rockabillies pin-up par hasard ! »

    Amis rockers, je vous rassure, le bouquin est minuscule, 15 centimètres sur dix, et seulement huit pages. Dont deux d'illustrations. Une véritable bande dessinée en dix vignettes, rondes, de petites bulles, sans phylactère. Même pas besoin de lire les notules explicatives de Daniel Giraud pour comprendre. En plus je vous explique. Ecoutez moi bien, je commente les images :

    1° ) Je cherche le buffle que j'ai perdu. 2° ) Chouette, les empreintes du buffle  ! 3° ) D'ailleurs le voici en muscle et en cornes ! 4° ) Il n'aime pas trop que je lui passe une corde autour du cou. 5° ) Un bon coup de fouet sur les fesses pour lui apprendre à se tenir tranquille ! 6° ) Hop, je monte sur son dos et le ramène à l'étable. 7° ) Désormais le buffle se le tient pour dit et ne songe plus à s'enfuir. 8° ) Plus de problème, je ne pense  même plus au buffle. 9° ) Mon buffle m'indiffère totalement. 10° ) A tel point que quand je vais au marché pour le vendre j'oublie de l'emmener. Voilà, c'est fini !

    Heu ! Vachement intéressant Damie, l'est sûr que les histoires les plus courtes sont les meilleures. Mais enfin Damie, l'aurait tout de même été moins fatigant de laisser le buffle là où il était au début de l'histoire !

    Amis rockers vous me décevez, la membrane imperméable qui comprime le pois chiche de votre cerveau est aussi épaisse que le cuir de votre perfecto. Vous n'avez rien compris ! Le buffle n'est qu'une image !

    Tu nous avais dit qu'il y en avait dix !

    Le buffle représente le corps que votre esprit doit savoir dompter, puis oublier, pour finir par en être totalement séparé, c'est ainsi que vous obtiendrez le nirvana !

    Nirvana, ne t'inquiète pas, on a déjà tous les disques ! Par contre on veut bien oublier notre corps mais pas celui de la petite Suzie ! Tu vois Damie, ton book, il est trop intellectuel ! Comme disait Buffalo Bill, faut un minimum de chair autour de l'os ! Fût-il de buffle chinois ! Tant pis si tu riz jaune !

    Allo Daniel, tu sais les illustrations de Tensho Shodun le moine zen du quinzième siècle et les gravures contemporaines de Tomikichiro To Kusari n'ont pas provoqué un raz-de-marée spirituel chez les kr'tnt readers ! Tu devrais songer à écrire L'Art d'Apprivoiser le Rocker !

    in Kr’tnt 353 du 21 / 12 / 2017.

    8 : LA VOIE DE L’ENTRE-MILIEU 

    OUAILLE !

    DANIEL GIRAUD

    (Clapas / 2012)

    De Daniel Giraud nous avons déjà chroniqué disques et différents recueils de poèmes. En voici un autre édité aux Editions Clapas. Même pas un petit éditeur, un groupe d'activistes fous qui ont durant plus de dix ans donné la parole à plus de deux cents poëtes, faites un tour sur leur site, semblent en sommeil depuis quelques années, mais si les ours parviennent à sortir de leur hibernation...

    Joli petit format qui s'étire et se pelotonne entre vos mains, couverture chromo, et même un dos carré pour un ensemble de 24 pages. C'est dedans que ça se gâte. Un seul poème aussi long et mince qu'une queue de marsupilami bleu. De cette couleur vous n'en trouvez pas chez Franquin. Ailleurs non plus. Foutre le Ouaï ! Attardez-vous sur le titre. Parce qu'après c'est toute la misère humaine qui se colle à vous. Pas la noire. Non celle-là, c'est facile de la chasser, ouvrez les infos et un spécialiste viendra vous expliquez que tout va bien, qu'il faut se méfier de vos ressentis. Non la bleue, la bleu-blême, celle qui se colle à votre âme et vous la teint jusqu'au jour de votre enterrement. Daniel Giraud vous raconte sa vie. Je vous rassure, aussi moche que la vôtre. Quelques pépites, mais des tonnes de scories. En plus le Giraud l'habite dans la cambrousse, à 15 kilomètres non carrossables, porte le ravitaillement dans le sac-à-dos, surtout que des fois il revient de loin, des States ou du Maroc, alors les souvenirs déboulent et s'entremêlent. L'esprit on the road again et l'âge qui encroûte les artères. Derrière la porte, c'est quitte ou double, la copine qui s'est tirée ou les copains qui attendent avec les guitares pour taper le blues, fumer et boire. Et puis les chats qui viennent vous aider à vivre et qui s'en vont à la mort. Version inaccoutumée de la théorie du ruissellement. Le malheur du monde tombe sur le poëte, super-chouette, l'occasion rêvée de se transformer en samouraï-philosophe. Vous sépare l'être du néant, la pelure de la réalité de l'orange creuse du vide, vous envoie valser dans le nirvana pour mieux vous catapulter dans les emmerdements du quotidien. '' Sans avoir de présent / comment avoir un avenir'' demande-t-il comme il vient de nous affirmer que le passé n'est plus ce qu'il était, vous voyez ce qu'il vous reste à vivre. Philosophie hippie et nihilisme punk se rejoignent en un étonnant optimisme désespéré. Mélange détonnant. Ça pète et vous éclatez. De rire. Ni humour noir, ni humour jaune. Humour-blues. Parfois à la terrasse d'un café, Daniel Giraud sort sa guitare de son étui et un recueil de sa poche et vogue la galère c'est parti pour une heure de blues-métaphysique, et les passants s'attroupent autour de lui, comme les mouches sur la merde – plus poli Cendrars employait l'expression la moitié de la face de Dieu pour désigner cette matière si fécale - comme les avares sur leur or. Les deux postulations humaines, ceux qui aiment ce qui leur ressemble et ceux qui s'accroupissent devant leur propre petitesse. Le blues, ça vous décape jusqu'à l'os.

    In Kr’tnt 361 du 15 / 02 /1998.

    PAR VOIE ET CHEMINS

    DANIEL GIRAUD

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               Récidiviste. A double titre. Daniel Giraud publie deux livres en même temps. L’on retrouve dans Par voie et chemins quelques textes éparpillés en différentes revues.

               La quatrième de couverture nous avertit que l’essentiel ‘’n’ est pas le sens des mots mais la source d’où les mots surgissent’’. Mais pour le lecteur de ce recueil les mots surgissent du poème et le poème pousse racine à ce vide absolu du mental que les errances du poëte essaient de préserver. Ame, esprit, souffle : qu’importe. Cette caisse de résonnance, ce creux du vivant, il faut la distraire des spectacles du monde en investissant le monde, du dérisoire de toute présence au monde. Sourire sardonique de l’existant à l’existence. Mais Mistigri meurt et la voix du vide s’altère du plein de la souffrance. Daniel Giraud ne sera jamais un parnassien. C’est cette blessure suintante que le lecteur appréciera.

    In Alexandre 1 / Février 1995

    9 / LE BOUT DE LA PISTE 

      LE PASSAGER DES BANCS PUBLICS

    DANIEL GIRAUD

    (Les Editions Libertalia / 2021) 

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             Lecteurs, ne vous interrogez pas Lecteurs, ne vous demandez pas qui c'est ce mec-là. L'était-là bien avant vous.  Présent dès la troisième livraison de votre blogue favori, ayant appris que je fondais un blogue-rock, l'a tout de suite envoyé le récit de sa première expérience rock, sa participation à un concert de concert Johnny Hallyday à la fin des années cinquante... Depuis j'avons chroniqué quelques uns de ses livres et deux de ses disques de blues... Daniel Giraud est né en 1946, l'a bourlingué sur toutes les routes du monde, l'a publié des dizaines de plaquettes, l'a fondé la revue-culte Révolution Intérieure, l'a traduit les plus grands poëtes chinois, l'a même écrit un poème sur Éric Cantona, l'a tout fait. Je l'entends me reprendre, erreur cher Chad, je n'ai rien fait.

             Si vous vous demandez lequel de Dam ou de Dan ment, vous êtes prêt à vous lancer dans la lecture de ce livre. Pas très long, cent trente pages, mais qui risque de vous laisser de cul. Sur le banc. Bien sûr. Si vous pensez que vous êtes assis à la bonne place et que vous allez bécoter à bouche-que-veux-tu sur un de ces bancs publics chantés par Brassens vous vous trompez. Essayez plutôt de vous poser une question intelligente, par exemple : Qu'est-ce que la métaphysique du blues ? Cela vous mettra en condition. Remarquez que le blues n'est pas vraiment le sujet du bouquin.

             L'évoque un peu sans s'attarder, une dizaine de lignes. Puis il passe à autre chose. Normal, c'est un passager. Le Dan a beaucoup roulé sa bosse. En stop, en train, en voiture, à pattes. Oui mais maintenant il est légèrement moins jeune. Alors quand il marche, l'aime bien de temps en temps poser son popotin sur un strapontin public. Question de reprendre souffle. Vous comprenez. Hélas, ce n'est pas tout à fait cela. C'est plus complexe. Pensez-vous que les actes de votre vie ont un sens ? Celui que vous leur donnez, certes. Mais existe-t-il une congruence quelconque entre ce que vous vivez et ce que vous êtes. Question gênante. Qui instille un doute. N'est-ce point être trop présomptueux de répondre oui, et de faire preuve d'une fausse humilité en affirmant :  non. Dans les deux cas vous êtes piégé.

             Le Dan pose le problème d'une autre manière, je suis ce que j'ai vécu, et ma vie présente n'est que la résultante de tout ce que j'ai vécu. Vous suivez. C'est maintenant qu'il porte son coup de Jarnac. De toutes les manières, tout ce que j'ai fait n'a aucune importance, car si je ne l'avais pas fait, cela n'aurait pas plus d'importance. Agir = Non-Agir. D'où cette habitude de poursuivre la route de son existence, tout en se ménageant des instants de repos (par exemple sur un banc public), vivre et ne pas oublier de se regarder vivre alors que l'on ne fait rien, si ce n'est regarder le monde : les arbres, les passants, ceux qui passent et ceux qui viennent taper un brin de causette. 

             Le Dan, l'a son litron et son sandwich, avec ces deux éléments indispensables il peut aller de banc en banc jusqu'au bout du monde. Mais il n'y va pas. Vous intuitez : il s'assoit pour draguer ! Que nenni, ce sont souvent des octogénaires qui s'assoient à ses côtés, pour se reposer. Rien de bien folichon. Non le Dan, il a autre chose à faire, un autre endroit où aller. Ne s'aventure pas au bout du monde, il va juste au bout de lui-même. Sa propre existence, remonte dans ses souvenirs. Vous aussi. C'est bien, mais Dan il y rajoute un zeste de méditation nietzschéenne, retourner sur ses pas, n'est-ce pas se plier au mythe de l'éternel retour du monde, n'est-ce pas affirmer sa présence passagère en ce monde pour toute l'éternité. Vous pensez qu'il a la grosse tête, qu'il finira fou comme l'auteur de Par-delà le bien et le mal, c'est là que le Dan vous prend à contre-pied, le monde notre présence au monde n'est-elle pas une illusion, le monde n'est-il pas égal au néant, ne sommes-nous pas toute notre existence le cul entre deux chaises et non plus sur un banc. Ne vaut-il pas mieux ne point trop se mêler au monde, plutôt se mettre sur un banc pour le regarder...

             C'est ainsi qu'a vécu et que vit Dan Giraud. Sans jamais être dupe de sa propre présence au monde. Neruda a donné pour titre à sa biographie J'avoue que j'ai vécu, l'aurait pu tout aussi bien la nommer : J'avoue que je n'ai pas vécu.

             Mais comment s'y prend-on pour vivre sa vie sans la vivre. Avant d'aborder cette vision strictement existentielle, résumons en quelques mots : si la position métaphysique de Daniel Giraud paraissait déroutante à certains lecteurs c'est que ceux-ci se trouvent plus ou moins à leur insu et à leur corps défendant pris dans le réseau inconscient de la pensée occidentale qui, au contraire de la pensée orientale exprimée par Lao Tseu pose l'équivalence de la présence à celle de la non-présence, différencie l'être du non-être, ce dernier pouvant s'inscrire dans le registre de l'être, ou y échapper.

             Assis sur son banc, Giraud vagabonde, du moins sa pensée, le moindre fragment de la réalité hasardeuse qui accroche son œil ouvre en lui des pistes de réflexions, s'aventure sous les sentes obscures des remembrances. Offre tout en vrac serait-on tenté de dire. Il n'en est rien, le kaos apparent de l'intérieur, se révèle à la longue une cosmographie unifiée. Au début vous avez l'impression d'être parachuté dans un labyrinthe sans queue ni tête mais à tourner les pages vous êtes obligé de reconnaître qu'il s'agit d'une construction mentale, une weltanschauung qui répond à sa propre logique idiosyncratique.

             Daniel Giraud porte un regard sur le monde profondément libertaire. Pas pour rien le livre soit édité chez Libertalia. S'asseoir sur un banc est un acte d'une haute portée symbolique. C'est se mettre en retrait du monde, pire que cela se désinvestir de la comédie humaine du pouvoir, des liens de domination et des hiérarchies sociétales. Des plus dangereuses, armée, école, usine, oppression pour reprendre un slogan du joli mois de mai à celles plus insidieuses des regards que la société et les individus des masses anonymes portent sur ces êtres vivants que leurs attitudes dénoncent et trahissent. Des marginaux qui refusent de rejoindre la morale communautaire et de pactiser avec l'hypocrisie du contrat social censé garantir protection et sécurité alors qu'il n'est qu'asservissement et amoindrissement des moindres libertés. Pour être heureux, vivons quelque peu détaché. De la société. Des autres. Et de soi.

             Ce troisième point est le plus difficile. Malgré les préceptes et la pensée de Lao Tseu il est difficile de s'arracher de soi. Giraud ne s'assoit pas sur n'importe quel banc. L'a ses préférences. Certains sont mieux situés, un peu d'ombre un jour de soleil n'a jamais tué quelqu'un, une certaine tranquillité n'est pas à dédaigner... mais les bancs de Giraud sont souvent inclus dans un itinéraire. L'assassin revient sur les lieux de ses crimes. Point de terribles turpitudes, les lieux de l'enfance, de l'adolescence, de plus tard. Plus masochiste, de ceux qui ont marqué des étapes difficiles de l'existence. Il n'y a pas d'amour heureux a dit Aragon, l'on aime à revenir lécher ses plaies même quand elles ne suintent plus, ne nous ont-elles pas appris que nos affects si constitutifs soient-ils eux aussi transitoires.

             Reste à aborder l'aspect politique d'une telle démarche métaphysique. Giraud ne s'inscrit pas dans le carcan de la militance, l'idée d'agir pour changer (en mieux) le monde ne le séduit pas. Ce genre de volonté lui paraît totalement inopératoire. Il ne croit pas en l'efficacité des regroupements idéologiques ou identitaires. Ce ne sont que des hochets inutiles dont il ne peut naître que des perversions. Que chacun soit ce qu'il veut être. A sa guise. Selon son choix qui lui appartient. Sous-entendu, que l'on me laisse libre d'être ce que moi je désire être.

             Comportement égotiste dénué de toute volonté de dominance. Être soi n'est pas facile dans notre monde. Une existence de retirement n'est pas un long fleuve tranquille. Sur la fin de son livre Giraud se lance dans une longue diatribe au vitriol – fortement jouissive pour le lecteur - de tous ceux qui par leur comportement et par les représentations qu'ils se font de leurs petites personnes sont des obstacles à l'épanouissement de toute simple vie humaine. Même la leur !

             Encore faut-il réussir la dernière opérativité de l'indivis, être soi est impossible. Encore est-il nécessaire de comprendre que l'on ne peut pas être soi autant que l'on peut être. Le Soi est à détacher de l'être égoïste qui croit en être le propriétaire. Il faut tuer le Moi pour atteindre le Soi qui se tient à la jonction de l'être et du non-être. Position extra-êtrale. Il est permis de sourire du mot extra à qui l'on peut prêter deux sens totalement antithétiques (extrêmement le plus près possible de/ hors de). Si vous parvenez à rire de cette ambiguïté, vous êtes sur la bonne voie. N'hésitez pas à vous assoir de temps en temps sur le premier banc qui vous tendrait les bras, afin de vous reposer et de laisser vaquer votre esprit librement...

             Si malgré tout vous ressentez un léger ennui, sortez Le passager des bancs publics de Daniel Giraud de votre poche, cette lecture vous aidera.  Vous en avez grande nécessité.

     In Kr’tnt 535 du 23 / 12 /2021.

    LA CROISEE DES CHEMINS

    Virées 1992 – 2000

    (Editions Associatives Clapas)

            Vite refilez-moi un attaché-case avec costume trois-pièces incorporé. Maman je ne veux pas mourir, ni hippie blues, ni beatnik. C’est trop dur, trop triste. Ah ! Giraud ! la couverture est verte mais l’intérieur est tout blues. L’ensemble est fortement recommandé à ceux qui ont des envies de se suicider, mais qui n’osent pas. Ça va les guérir de cette terrible maladie que l’on appelle l’existence. Invasion de cafard à toutes les étapes. Quoi qu’il fasse, où qu’il aille il se traîne une sacrée déprime l’ami Dan ! Il porte son chagrin d’amour comme une valise trop lourde et aussi un certain sentiment d’insatisfaction chronique qui ne le quitte jamais, sans parler de cette idée absurdement absorbante selon laquelle partout ailleurs ce n’est guère mieux qu’ici mais qu’en allant y voir ce ne sera pas pire non plus. L’adage est connu : la vie ne vaut rien, rien ne vaut la vie. Jusqu’à en crever. Ainsi passe Daniel Giraud. Silhouette aussi pathétique que celle de Glatigny (mais qui lit encore Les flèches d’or), plus métaphysique que celle de Rimbaud (passant considérable trop vénéré à notre goût), en route vers cette croisée des chemins à laquelle le destin n’offre aucune bifurcation que de continuer tout droit. Un très beau livre. Pas spécialement joyeux.

    In Louve 1 / Juillet 2002

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    DANIEL GIRAUD S’EST DONNE LA MORT

    LE 06 OCTOBRE 2023

     

    Damie Chad.

     

    *

            Sans trop savoir pourquoi l’on est indiciblement attiré par certains groupes, j’ignorais leur existence, je n’avais même pas écouté six secondes de leur musique, le survol de leur instagram m’a suffi, à peine une quarantaine de spots en plusieurs années, se dégage de l’ensemble assez disparate un je ne sais quoi esthétique qui incite à en savoir plus. Apparemment si l’on en croit une photo sur scène, ils sont trois, batterie, basse, guitare, formation minimale qui fait le maximum, manifestement un groupe underground finlandais, d’Helsinki, sortent leurs opus en cassettes, sont sludge, alliage métallique qui combine selon des proportions orichalquiques variables : grunge, noise, hardcore, doom, stoner… en quelque sorte de l’inécoutable ravissant. Pas parce que c’est joli, mais parce que ça vous ronge l’âme à la manière du vautour qui s’acharnait sur le foie de Prométhée enchaîné sur son roc(k).

    ONLY BLACK

    STAIN

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    Pochette noire représentant une tête, peut-être d’enfant, ou d’un être féminin ou masculin, cela n’a pas d’importance, juste pour signifier que le rock se passe avant tout dans le trou noir de votre tête qui absorbe tout ce qui passe à sa portée par le réseau de vos sens. Certains esprits primesautiers croiront entendre un infâme vacarme, alors qu’il s’agit d’une musique avant tout purement intellectuelle.

    Only black : bourdonnement électrifié coupé d’une stridence guitarique rehaussé d’une chute de batterie, l’on avance lentement, rythme pesant d’une bête de somme qui tire un charriot pour elle, larsens, l’on presse le pas, une basse funèbre transmet le tempo, voix glaciale de serpent dont vous enserrez le cou dans le seul but de le tuer. Pas de chance c’est lui qui est train de vous insérer dans ses puissants anneaux et un par un tous vos sens ne vous transmettent que du noir. Vous êtes en train d’agoniser, le serpent aussi, les instruments imitent le battement spasmodique de sa queue, ce sont vos derniers instants à tous les deux, tout ce que vous avez tué vous tue aussi.  Deformed : larsen agonique, pas de blanc entre les morceaux, normal c’est simplement noir, un background musical davantage normalisé, dommage qu’il y ait ce vocal qui vous laisse si peu d’espoir, d’ailleurs pourquoi en auriez-vous sur cette planète abîmée, elle vous inocule la mort par le simple fait de respirer, d’être vivant, au point où l’on en est, tuez et violez qui vous voulez tout cela ne veut plus rien dire, un riff résonnateur se moque de vous, subit changement catastrophique de climat, le chant devient presque humain, hurlements de désolation angoissée, une montagneuse avalanche riffique  vous emporte au bas de la pente, au fond du trou, la trombe sonique s’amenuis en un interminable larsen primal… Rage overall : sombre, des portes que l’on ferme avec fracs, des escadrilles porteurs de mort foncent vers vous, la batterie transformée en entreprise de démolition, une voix ulcérée qui se mord la langue, des camions bennes qui déchargent des poubelles, extrême confusion dans notre tête, que l’on cogne sur les murs de notre prison existentielles, toutes ces actions répétitives qui sont notre lot quotidien, un semblant de calme qui ne laisse présager rien de bon, une seule réponse possible à notre misère morale, la rage, une rage incoercible, l’envie de tuer, d’être un fauve, un prédateur, un oiseau de proie, un riff tangue à la manière d’un bateau pris dans une tempête, sifflements, larsens, œil de l’ouragan, nous avons la solution, il nous reste à la mettre en pratique. N’ayez aucune honte, c’est un bien pour un mal, des coups de pied dans la porte, l’on veut sortir de soi et courir dans le monde la bave aux lèvres.

             Il existe sur You Tube : Stain – Only Black [Music Video] : l’on entrevoit les musiciens interpréter en studio ce premier morceau de l’EP, très bien faite, beaucoup d’images qui s’entrecroisent, filmées en noir et blanc, belles à voir mais qui peuvent produire un certain malaise… chacun l’interprètera à partir de lui-même.

             Le même morceau en public Only Black [Live  @ Kenneli D. I. Y] : une interprétation que je qualifierais de davantage noise, décomposent non pas le son mais les sons, batteur monumental, basse écrasante, guitare lamentine abandonnée sur la grève, vocal époustouflant, différent du disque et vraisemblablement meilleur. Un aspect de sauvagerie hiératique indéniable.  Mixé, masterisé et enregistré par Ismo Vuori.

    SAVAGE

    ( CD Misprint  /Mars 2022)

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             Belle couve. Rien à voir avec la cabane au Canada de Line Renaud. Ce n’est pas un home douillet, une bicoque en mauvais état, même pas une habitation abandonnée peuplée de fantômes, juste une métaphore, de votre âme, de votre état intérieur, de la ruine que vous êtes devenue…

             Vous vous attendiez à quoi, ce deuxième opus est la suite du précédent, dans un livre le chapitre qui suit le premier doit être encore plus fort que le premier, sans quoi le lecteur déçu prend un autre bouquin, non ils ne vous décevront pas !

    Ashes : encore plus violent, ils vous conseillent de dormir, dehors l’orage gronde, oubliez votre douleur, votre malaise dans le soleil, avez-vous déjà entendu une basse aussi lourde, attention de l’intérieur vous passez à l’extérieur, vous brûlez de rage, frappez, frappez, évitez les couteaux du larsen, les vomissures du vocal, le de profundis de la batterie et ces cordes assourdissantes qui vous prennent au lasso et vous enserrent, vous avez tout détruit, cendres dehors, cendres dedans. Ce morceau est somptueux. Lurk prowl : hurlements de terreurs, cris de cochons saigné, vocal sludge caverneux, la bête dans son antre, chaos sonore, tout doit périr au-dedans de soi, au-dehors de soi, larsen, la basse imite le croque-mort qui rôde autour de votre tombe, sans doute n’êtes-vous pas assez mort en vous-même et il va falloir qu’il vous trépasse à coups de barre de fer. Prodigieux. Desolate : ne cherchez pas d’excuse, vous voici face à votre cadavre, pas beau à voir, des vers larseniques s’échappent de vos yeux, des mouches cymbales se posent sur vos os, votre voix d’outre-tombe parle à vous-même puisque vous ne faites qu’un avec le croquemort. Batterie latifundiaire, éructations himalayennes, le son se désagrège, il siffle dans vos oreilles sourdes, la basse ahane et la batterie détruit tout ce qui existe, tire à coups de canon sur tout ce qui bouge et ne bouge plus. Désolé de vous causer tant de dérangement. Monstrueux.

             Vous n’entendrez jamais pire.

    Deuxième extrait du concert : Ashes  [Live  @ Kenneli D. I. Y] : davantage d’attaque, sauvage, batterie tribale, basse machette, guitare guirlande de feu, un train qui gronde et qui écrase tout sur son passage, vocal dégueulis, inexorablement barbare, larsens anguilles, oui ils sont meilleurs sur scène car ils atteignent à une dimension rituellique incroyable.

    SPLIT / FACE A

    STAIN

    (Bandcamp / YT /Sept 2023)

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    Couve peu engageante. Cage thoracique ou masque de fer. En transparence un pantin qui joue à ressembler à l’homme de Léonard de Vinci.

    Penetrates tne head : guitare grillée, bruits blizzards, comme un chapitre de crime et châtiments, énumérations des déjections corporelles et mentales, liste des éléments terrestres, la batterie fait entrer la matière  du monde dans le pot à confiture du cerveau, vocal amphigourique telle une chenille qui ne parvient pas se transformer en papillon, étonnez-vous si le tambour tape si fort à coups de cuillère à pots pour tout faire rentrer, ça tremblote de tous les côtés, pour sûr le verre va se fissurer et le cerveau va se répandre dans le monde. Le contenu et le contenant sont réversibles. Morceau métaphysique.

    *

    Ce dernier opus de Stain est un split partagé avec autre groupe finlandais. Des amis qui eux aussi font partie de la scène sludge finlandaise. Ecoutons notre Limace Flegmatique.

    SPLIT / FACE B

    SLUGPHLEGM

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    (Piste digitale / Bandcamp/ Sept 2023)

    Une belle couve, tête expressive, en accord avec le style de leur musique qu’ils qualifient de Mental Doom.

    Summerwawes : égrenages de notes transperçant les tympans, bourdonnement par-dessous, ricochets de cymbales, l’impression d’un monstre qui fait trembler la terre à chaque pas, cataracte sonore impressionnante, déroulé de catastrophe, clameur de ruminant asthmatique, normal ce que le groupe raconte n’est pas gai, comment l’on quitte notre immortalité native et devenons par étapes incessantes malade de cette maladie que l’on nomme la mort. Nous rassurent à la fin. Non ce n’est pas de la paranoïa. Juste un phénomène naturel. Effarant. Un groupe à suivre.

    Damie Chad.

             

  • CHRONIQUES DE POURPRE 622 : KR'TNT 622 : RAHSAAN ROLAND KIRK / GAZ COOMBES / JAMES DICKERSON / GLORIA SCOTT / BOBBY BYRD / CONIFER BEARD / DOZETHRONE / HIGH ON VIGERS / JOHNNY HALLYDAY

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 622

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    30 / 11 / 2023

     

    RAHSAAN ROLAND KIRK / GAZ COOMBES

    JAMES DICKERSON / GLORIA SCOTT

    BOBBY BYRD / CONIFER BEARD

     DOZETHRONE / HIGH ON VIGERS

    JOHNNY HALLYDAY

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 622

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Kirk out the jams

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     On aurait tort de vouloir enfermer Rahsaan Roland Kirk dans le bocal du jazz. C’est pourtant au rayon jazz qu’on le trouve chez les disquaires. Mais Kirk déteste le mot jazz. Il préfère employer l’expression «black classical music». Il explore les roots de l’African /American music et invente même un mot - That’s what we call BLACKNUSS - Grâce au film d’Adam Kahan - Rahsaan Roland Kirk - The Case Of The Three Sided Dream - on découvre que Kirk est un prodigieux militant. Pas de la CGT, mais de la liberté et du Black Power, ce qui veut dire la même chose : un combat sans fin pour la liberté, un combat qui dure depuis des siècles et qui va continuer. La musique de Rahsaan Roland Kirk charrie toutes ces images : révoltes dans les plantations, Black Panthers, ghettos urbains, Tommie Smith et John Carlos poings levés sur le podium à Mexico, Martin Luther King qui reçoit une balle dans le cou au  Lorraine Motel, les émeutes de Watts, la victoire de Barak Obama, le martyre de Steve Biko et la résurrection de Nelson Mandela, les flammes dans le regard de l’esclave qui massacre le béké martiniquais à coups de machette, les bruits des chaînes dans la forteresse de Gorée, la croix en flammes devant la cabane d’Hound Dog Taylor, les bombes dans les églises noires, Muddy Waters sur son tracteur à Stovall Plantation, le cadavre d’Albert Ayler dans les eaux troubles du port de New York, oui tu as tout ça dans le son de Kirk et beaucoup d’autres choses encore, on n’en finirait pas, avec ce son qui est un mélange unique de beauté et de colère. Comme Miles Davis, Monk, Coltrane et quelques autres, Rahsaan Roland Kirk est un homme précieux pour les fans de rock. Oui, car c’est un punk, il suffit de voir la fameuse séquence de l’Ed Sullivan Show : on invite Kirk pour qu’il joue un air de jazz bon chic bon genre et paf, il fait danser les caméras avec «The Inflated Tears & Haitian Fight Song», accompagné de Charlie Mingus sur sa stand-up et d’une grosse bande de copains blacks fabuleux, et puis tu vois Archie Shepp avec sa casquette en laine qui se met à danser de tout son corps en soufflant dans son sax, et là tu as les vrais punks, tu comprends, c’est pas les Stranglers, ce sont les blacks du ghetto et le shaman Kirk, vêtu de vinyle noir et couvert de breloques, se met à onduler avec ses trois sax en bouche, c’est wild as fuck, aussi wild que l’est The Graham Bond Organisation jouant «Harmonica Man» dans la jungle, un clip qu’on peut choper sur Dailymotion. Toutes ces merveilles sont en ligne, mais attention au son, car dans les deux cas, il faut du son.

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             À l’époque du passage à l’Ed Sullivan Show, Kirk milite dans un mouvement nommé The Jazz People’s Movement et publie un manifeste inspiré de la désobéissance civile et du mouvement de lutte pour les droits civiques. Ils estiment que le jazz a disparu des émissions de télé. Ils commencent par venir foutre le souk au Dick Cavett Show en soufflant dans des sifflets. Ils inspirent la trouille aux médias new-yorkais, d’où l’invitation à l’Ed Sullivan Show.

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             Kahan fait témoigner pas mal de gens dans son docu, notamment la femme et le fils de Rah, comme elle l’appelle, et puis des tas de musiciens qui l’ont accompagné sur scène. Tous nous font le portrait poignant d’un petit homme rendu aveugle après sa naissance par une super-conne d’infirmière qui lui a accidentellement brûlé la cornée des yeux avec un produit. Alors le son est devenu sa seule réalité - Sound is his life - Il se passionne pour tous les sons, il découvre des sons inconnus, puis il apprend à emboucher trois instruments d’un coup, il n’a que deux mains, il rajoute une flûte, il joue tout ce qu’il peut jouer. Un premier clip nous le montre en 1964, avec ses lunettes noires à la Ray Charles et sa barbichette. Il est déjà iconique. Il est évident que William Bell va s’inspirer de lui pour la pochette de Bound To Happen.

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             Kirk pousse le bouchon - He took everything to extrem - Tout lui vient de ses rêves, les trois instruments, il les voit en rêve. Il voit Rahsaan en rêve. On lui demande quelle est sa religion - My religion is dreams - D’où le titre du docu. En 1970, il porte un turban et des bagues. Il devient shamanique. Il joue en solo sur un sax et en rythmique sur l’autre. Il a développé une expertise du circular breathing, c’est-à-dire qu’il inspire par le nez et expire par la bouche, une technique séculaire, Kirk peut jouer longtemps sans avoir à reprendre son souffle, il inspire et expire en même temps. Il peut passer des solos demented, il peut pulser indéfiniment, on voit son corps onduler, comme s’il baisait. À la différence des autres géants du jazz qui sur scène ne disent rien, Kirk parle beaucoup avec le public.

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             Bill Graham est l’un de ses plus fervents admirateurs - He destroyed me. La première fois, ce fut au Fillmore Auditorium en 1967. Comme j’avais aussi l’Airplane qui remplissait systématiquement, je pouvais programmer qui je voulais - Alors il programme the Afro-Haitian Ballet et en ouverture, Roland Kirk - Il arriva dans l’après-midi. Forte personnalité. Aveugle de naissance, je crois. Il portait des lunettes noires très bizarres, une robe africaine et une casquette tribale. Il parlait énormément, à propos des injustices, du racisme, de la fraternité et de l’égalité. Mais il était en colère. Comme Nina Simone.

             Rah fait une attaque à 39 balais et fait modifier son sax pour continuer à jouer. Il ne joue plus que de la main droite. Sa femme nous raconte qu’il casse sa pipe en bois à l’arrière d’une bagnole, comme Alex Chilton. Il venait de jouer son dernier concert. Rah le punk casse sa pipe en bois en plein dans l’année punk, en 1977.

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             C’est à Rhino qu’on doit cette magnifique petite box, The Rahsaan Roland Kirk Anthology. Does Your House Have Lions. Le titre sort d’une anecdote relatée par Joel Dorn, qui fut le producteur de Rah. Dorn expliquait à Rah au téléphone qu’il venait tout juste d’acheter une maison. Alors Rah lui a demandé si sa maison avait des lions - You know concrete lions. My house has lions. Get a house with lions - Dans le booklet bien dodu, Hal Willner rend un sacré hommage à Rah : «The energy was heavier then anything I was seing in the punk rock world.» C’est exactement ce qu’on ressent à l’écoute de «Black Root», sur le disk 2 : on croirait entendre le Magic Band. C’est bourré de wild afro-beat. Globalement, Rah joue un heavy jazz groove qu’il ponctue de yeah. Sur «Wham Bam Thank You Ma’am», on entend Charlie Mingus on wild bass, yeah !, ça jazze dans le Rah, yeah !, ces mecs y vont au wild as fuck, yeah !, c’est explosif, une bite entre dans le printemps du jazz, yeah !, et féconde la vie par-dessus bord. Rah amène «Horses (Monogram Republic)» au grand melodica, il sature sa mélodie d’huile pour la faire entrer sous ta peau, mais il reste en même temps prodigieusement abrasif - That was me ! That was me ! - Il attaque «Old Rugged Cross» au bad heavy Kirking, mais il abrase son cœur de mélodie et attaque sa transition au heavy ramshakle de r’n’b, ça vire Jr Walker ! Il fout vite le feu aux immeubles. Genius pic ! Après une intro chant, ce démon de Rah souffle dans les bronches de «Volunteered Slavery», il l’amène au balancement du ventre d’avant/arrière, au vrai pulsatif de wild cat, il souffle dans tous ses cornets, il fusionne tous les sons pour faire de l’art, et tu te grises littéralement de son exubérance. Pour son «Medley», il souffle en continu des thèmes classiques avec une insistance de sale punk, ah la brute !, il déroule son déroulé à la déroulade de bouledogue boulimique. Il rend hommage à la Nouvelle Orleans avec «The Black & Crazy Blues», une heavy traînasserie funéraire fabuleusement façonnée, il écrase du talon le champignon du blues dans la mud de mad dog pendant qu’un pianiste égrène ses perles de lumière. On voit Rah taper une cover d’«I Say A Little Prayer» au fast swing, il lui troue le cul avec un solo schtroumphé, seuls les cats de jazz peuvent te défoncer une rondelle sans crier gare. Ces mecs développent sans fin, et t’es baisé. Rah reprend le thème au sax demented et ça repart en mode jazz craze. Quelle aventure !

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             Sur le disk 2, il te souffle «The Inflated Tear» à la concorde et part en mode Bird de mélodie pure. Un vrai baume au cœur. Il mixe ses deux vents. Genius pic ! C’est le sommet du lard de l’absolue pureté des vents. Dans «Blacknuss», il ressort son couplet sur les touches noires du piano, tel qu’on l’a vu faire dans le docu. Cissy Houston est dans les parages, c’est comme on s’en doute wild as fuck, et le courant emporte Rah. Il revient à la mélodie pure avec «I Love You Yes I Do», c’est même une mélodie fellinienne, bien écrasée dans le mortier. Rah plonge profondément dans l’excellence du jazz, comme le montre encore «Portrait Of Those Beautiful Ladies». Le thème rôde toujours dans le demi-jour de sa cécité. Rah est un héros, il te prélasse le thème, le berce aux alizés, il te propose sa version de la perfection, l’absolu mélodique au sax d’embouchure, il se fait saumon pour mieux remonter le courant. «The Enternainer (Done In The Style Of The Blues)» sonne comme une dernière tentative de réconciliation. Rah le prend à la bonne, il t’offre tout le jazz du monde en cadeau. Tiens, prends, c’est pour toi. Alors tu prends. Il passe au groove de Soul jazz avec «Anysha», la stand-up derrière sonne comme une apoplexie dans ce climat de séduction maximale et Rah joue l’amour suprême. Il termine avec «Thee For The Festival» en mode vite embarqué au fast jazz, Rah fait son Faster Pussycat Kill Kill. Tu te sens vraiment fier d’avoir croisé la route d’un cat comme Rah.

    Signé : Cazengler, Roland Quiche (lorraine)

    The Rahsaan Roland Kirk Anthology. Does Your House Have Lions. Rhino Records 1993

    Adam Kahan. Rahsaan Roland Kirk - The Case Of The Three Sided Dream. DVD 2014

     

                       

                                   I can hear the Supergrass grow

    - Part One

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             Trente ans après la bataille, Gaz Coombes déboule sur scène.

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    Il reste encore un vieux fond de Supergrass dans le Gaz, oh pas grand-chose, juste deux cuts, mais Gawd, quels cuts ! Le fast ride de «Deep Pockets», vite embarqué, ils jouent à trois avec une boîte à rythme. Derrière, un bon copain gratte les graves sur une gratte et une bonne copine claviote un mini-clavier.

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    C’est monté sur un programming, mais l’effet sur scène est imparable. D’autant que Gaz sort sa belle gratte électrique et revient aux sources : le fast British rock. Il n’a rien perdu de ses anciennes dispositions à rocker the boat. Il passe un solo de pure Méricourt. L’autre big bang s’appelle «Feel Loop (Lizard Dream)», tiré de son dernier album, Turn The Car Around. Pareil, il sort sa meilleure électricité pour l’occasion et ça groove comme au temps béni de Supergrass.

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    Pour un peu, on regretterait presque que tout le set ne soit pas aussi électrique. Pour le reste, il gratte pas mal de coups d’acou, mais les compos sont bienvenues, surtout «Detroit», tiré de Matador, même chose pour «The Girl Who Fell To Earth». Le copain Garo qui gratte les basses derrière finit par impressionner, car rien n’est plus difficile que de driver une bassline en suspension, sans batterie. Tout repose sur le feeling, et un sens aigu du tempo. Visiblement, le mec est doué. Il n’a pas de basse, juste deux grattes.

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    Gaz porte un petit costard noir et un chapeau appareillé, et lorsqu’il s’assoit au clavier pour clavioter, on voit qu’il transpire abondamment. Il fait une belle version de «Detroit», une autre sucrerie tirée de Matador, et la plupart du temps, il introduit ses cuts en racontant une petite histoire. Comme sa diction est bonne, on pige à peu près tout, ce qui nous arrange bien. En plus, ses histoires sont souvent intéressantes. Notamment celle de «Detroit», qui remonte au temps des never-ending American tours, et voilà que dans un bar, deux flics américains le fixent pendant 20 minutes, ce qui le fait flipper. Tous ces mecs ont des tas de souvenirs de tournées à raconter, c’est en quelque sorte une mine d’or, et Gaz l’exploite pour ses chansons. Il fait aussi une fantastique version du «White Noise» tiré d’Here Come The Bombs, on sent l’envergure, pas de problème, Gaz peut tenir une scène.

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    Et comme il fait la promo de Turn The Car Around, alors il en bombarde deux ou trois, comme le morceau titre ou encore le «Sonny The Strong», en hommage à Sonny Liston. Il tente aussi de faire du participatif avec «Long Live The Strange», mais ça ne prend pas.

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             Son premier album solo Here Come The Bombs date de 2012. On le sent déterminé à vaincre dès «Hot Fruit». Il fait un peu la révolution industrielle à lui tout seul. Il s’est trouvé un bon beat. Il a toujours sa voix de rêve. Il garde l’essentiel. «Hot Fruit» devient vite sérieux. Comme il adore exploser, alors il explose. C’est son truc. Il s’en sort encore très bien avec «Sub Divider». Il vise la belle apothéose, avec une gratte en fond de ciel et un beurre qui double. Cet album se présente en fait comme une aventure évolutive. Il met du temps à s’envoler, mais il s’envole. Il est plein d’élan et grand amateur de climaxing. Il fait de la fast techno avec «Simulator», il est pressé, comme au premier jour. Fantastic Gaz boy ! Il a un sens inné de la grandeur. Sur «White Noise», il gratte des arpèges à la hussarde et ça éclate dans le matin d’une pop radieuse. Gaz est un mec qui gagne à être connu. Il a le goût des grands espaces. S’ensuit un «Fanfare» noyé de son et assez babylonien, et il se montre encore plus déterminé avec «Break The Silence». Pas de problème, notre Gaz naturel trouve la voie de ses ouh ouh ouh et débroussaille à coups de c’mon d’assaut.

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             Une vraie merveille se niche sur Matador : «Buffalo». Il y vise clairement le Big Atmospherix saturé de génie sonique. Gaz est un géant, un Coombes de haut vol, il sature son ciel, il crie merveilleusement, il crée un monde éclatant, il navigue au même niveau que Greg Dulli et c’est d’autant plus spectaculaire qu’il fait le one-man band. L’autre bombe de Matador s’appelle «Detroit», qu’il finit en apothéose de can’t hide from it all oh and all the times. Quel prodigieux finisseur ! On se régalera aussi de «The English Ruse», fantastique cavalcade d’I’m cutting loose/ To some other place, c’mon, il file fabuleusement, il donne du volume à son take my suitcase/ I’m cutting loose. Il fait aussi «The Girl Who Fell To Earth» en hommage à sa fille qui est autiste, comme il le précise sur scène. Gaz a un talent fou. Il sait sourcer un hit. Il cherche en permanence le hit, comme le montre encore «Needle’s Eye», il chante au chat perché, à la hollywoodienne. Il sait se hausser. On sent aussi qu’il creuse son tunnel. Comme Edmond Dantes, il cherche à s’évader du Château d’If. On sent parfois qu’il s’enterre dans une pop à effets et qu’il perd son goût pour la splendeur. Il termine avec le morceau titre, cut étonnant qu’il charge de tambourins et d’I’ll face the beast & fight like a matador.

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             Pas mal de jolies choses sur World’s Strongest Man qui date de 2018, et qu’on pourrait appeler l’album à la piscine. Le graphiste a réussi à éliminer toute la perspective, si bien que Gaz est allongé au bord d’une très longue piscine merveilleusement horizontale. Le paysage qu’on voit en background semble lui aussi délicieusement factice. Voilà un bon usage de PSD au service d’une idée. Les coups de génie de l’album se planquent vers la fin. Le premier s’appelle «Wounded Egos», une fast pop dans laquelle il se jette à corps perdu. Il chante avec la gourmandise d’un cannibale qui observe attentivement le cul d’une grosse retraitée abrutie de télévision. C’est bien envoyé, tendu et frais comme un gardon, avec un chant glammy. Gaz est un petit dieu de la pop. Il n’en finit plus de faire la différence. Et puis tu vas tomber un peu avant la fin sur «Vanishing Act». Il parvient à surmonter l’absence d’un vrai batteur avec des prouesses vocales extraordinaires. Dans ce domaine, il pourrait bien devenir champion du monde. Il crée les conditions d’une apothéose biblique. Il passe son temps à chercher des noises à la noise. Gaz a l’envergure de Todd Rundgren, il peut exploser sa pop avec le tonnerre de Zeus. On en pince aussi pour le morceau titre d’ouverture de bal qu’il chante à la renverse, il est magnifique de dévolu, il fait sa mijaurée, il ramène des machines et du doom, ça tangue, comme lorsque tu en as un gros coup dans la gueule, il exploite bien la titube, c’est beau et weird à la fois. Et puis voilà le «Deep Pockets» qu’il tape sur scène. Il tape ça au fast beat de boîte à rythme et s’en sort avec des breaks de gratte vérolés. C’est fast and furious. Il refait sa mijaurée. Ses inter-saisons sont brillantes, il claque des chœurs d’interface superbes, il emmène son Pockets en enfer. Il charge encore sa petite barcasse de Gazier avec «Shit (I’ve Done It Again)». Il se prend pour la chute du Niagara et il a raison. Il se prend ensuite pour Mercury Rev avec «Slow Motion Life». Même attaque, il emprunte exactement le même chemin et il chante comme Jonathan Donahue. Il passe encore en finesse avec «Oxygen Mask», gratté à coups d’acou, il y ramène ses finasseries de Gazier impérial. On sent le pro. Même la pop contrebalancée et inconfortable d’«In Waves» passe comme une lettre à la poste. 

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             Son dernier album en date s’appelle Turn The Car Around. Il est nettement moins dense que le précédent. Il renoue avec sa vieille passion pour le glam dans «Long Live The Strange», qu’il reprend aussi sur scène en mode participatif. Le glam se trouve dans les descentes. L’idée est brillante : démarrer sur le refrain, c’est une idée glam. Dans la version studio, il a des accents bolanesques. En plein tourbillon, il éclate sa voix au candy glam. Tiens voilà le «Feel Loop (Lizard Dream)» qu’il tape aussi sur scène, mais cette fois, la version studio est trop synthétique. Dommage. Il ressort ses vieux licks exacerbés, mais c’est beaucoup plus percutant sur scène. La version studio fait chou blanc. Il cherche à créer du monumental avec «Don’t Say It’s Over», mais ça ne marche pas non plus. Il a du potentiel, c’est sûr et certain, il sait grimper dans ses harmonies, mais il se cogne au plafond, car ça pue trop la boîte à rythme. On entend des échos de Beatlemania dans le morceau titre. Des échos de Dwight Twilley aussi, avec des états d’âme à la renverse. Il est important de savoir que Gaz joue tous les instruments. Garo donne juste un coup de main. Vouloir tout gérer en one-band explique sans doute le fait qu’il tourne un peu en rond. Il termine avec «Dance On» et tape enfin dans le très haut de gamme. Un Gulf Stream mélodique l’emporte. C’est beau et puissant. On se rappellera de cet album pour «Dance On». Il renoue avec une tradition très anglaise du heavy balladif à la Lennon. Il est dans cette magie, son Dance On est très pointu. Un sommet du lard fumant.

    Signé : Cazengler, gazé

    Gaz Coombes. Le 106. Rouen (76). 25 octobre 2023

    Gaz Coombes. Here Come The Bombs. Hot Fruit Recordings 2012

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    The Memphis Beat

     - Bienvenue au paraDickerson

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             James Dickerson, qu’il ne faut pas confondre avec Jim Dickinson, pose sur Memphis le même regard que Robert Gordon, le regard d’un homme passionné par les artistes qui ont fait de cette ville le berceau d’un phénomène mondial qu’on appelle le rock’n’roll. Il utilise les mêmes méthodes que Gordon : il s’amourache des disques et s’en va rencontrer, quand ils sont encore en vie, ceux qui les ont enregistrés. Puis il rassemble tous ces portraits et nous donne à lire l’excellent Goin’ Back To Memphis, une somme qu’il faut ranger sur l’étagère à côté d’It Came From Memphis et de Memphis Rent Party (Robert Gordon), des trois tomes de Peter Guralnick (les deux Elvis et l’Uncle Sam), du Hellfire de Nick Tosches et bien sûr du I’m Just Dead I’m Not Gone de Jim Dickinson. Le héros de Dickerson n’est autre que Chips Moman et ça tombe bien, car c’est un vrai héros, l’un de ceux dont on ne se lasse pas. La dernière image du livre nous montre Chips, sa femme Toni Wine et l’auteur assis tous les trois sur une balancelle, sous le porche de la Moman farm in Nashville, 1985. Cette image illustre bien la force du lien qui unit Chips et l’auteur. Ces pages consacrées à Chips complémentent plutôt bien l’ouvrage que Ruben Jones a consacré au studio American et aux Memphis Boys. Ces deux livres constituent une source d’informations extrêmement précieuses sur notre cher Moman clé, un homme qui gagne à être connu.

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             Le saviez-vous ? Chips portait une arme sur lui, un petit calibre 25 automatique fourré dans la poche arrière de son pantalon. Il l’expliquait ainsi : «Je sais me battre et prendre une râclée, mais je ne laisserai personne me buter. Si je tire, c’est pour buter celui qui voudra me buter.» Dickerson nous rappelle que Chips a collectionné les hits de 1968 à 1971 : 26 disques d’or pour des singles et 11 pour des albums. Avec American et les Memphis Boys, il a réussi à loger 83 singles et 25 albums dans les national charts. Joli palmarès pour un petit studio de Memphis. Il faut aussi savoir que Chips indiqua l’adresse d’une vieille salle de cinéma du 924 East McLemore à Jim Stewart et Estelle Axton quand il les entendit dire qu’ils cherchaient un local pour monter un studio. Il s’agit bien sûr de Stax. Ils formaient tous les trois une drôle d’équipe : Chips avec ses mauvais tatouages et ses réflexes de zonard (teenage vagabond), joueur invétéré (cartes et billard), guitariste de rockab, et Jim Stewart, le banquier aux manières bien lisses. C’est après leur brouille que Chips monte American et qu’il enregistre et produit une hallucinante kyrielle d’artistes, dont bien sûr Elvis. Chips dit d’Elvis qu’il n’était pas le plus grand chanteur du monde, mais il avait un son - J’ai travaillé avec des gens plus doués que lui, mais aucun d’eux n’était plus célèbre - C’est du Chips. D’aucuns disent qu’avec Chips, Elvis enregistra ce qu’il avait fait de mieux depuis l’âge d’or des Sun Sessions.

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             Quand Chips apprend qu’Elvis ne veut pas revenir chez lui à American et qu’il va enregistrer chez Stax avec les Memphis Boys, il décide de lâcher l’affaire, se sentant trahi, à la fois par ses musiciens et par la ville de Memphis. Cette nuit-là, il fait ses bagages. Le dernier client d’American fut Billy Lee Riley, avec «I Got A Thing About You Baby».

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             S’ensuit un épisode que Ruben Jones ne détaille pas trop dans sa bible : le retour de Chips à Memphis. Dickerson peut entrer dans les détails car il est l’artisan de ce retour. L’aventure commence par une interview. Dickerson est journaliste. Il demande à Chips s’il regrette sa décision d’avoir quitté Memphis. Chips lui répond que c’était une grosse connerie. Depuis, il a enregistré à Nashville, mais dit-il, my music is in Memphis. That’s where I learned it, that’s where I felt it -  Puis Dickerson monte un projet fou : faire revenir Chips à Memphis en tant qu’héros de la scène locale, alors il mouille le maire Dick Hackett dans le projet. Hackett est intéressé et propose un bâtiment. Moman accepte de rentrer à Memphis et s’installe au Peabody, en attendant que son studio soit prêt. Il veut redémarrer avec un gros coup : la réunion des surviving stars of Sun Records. Et voilà que Jerry Lee, Cash, Roy Orbison et Carl Perkins radinent leurs fraises. Uncle Sam radine également la sienne - Memphis was ready to roll the dice - Chips met en boîte le Class Of ‘55 des Four Horsemen, et à sa grande surprise, les gros labels font la moue. Ça n’intéresse personne ! Effaré, Chips voit revenir les réponses négatives. Le projet sort trop de l’ordinaire. Ils ne savent pas comment le commercialiser. Le plus drôle de cette histoire est que les gros labels avaient dit la même chose à Uncle Sam en 1954 : invendable ! Alors Chips monte America Records avec des partenaires financiers et sort son Class Of ‘55 dont personne ne veut. Il décide à la suite d’enregistrer un nouvel album avec Bobby Womack pour MCA Records. Il tente aussi de proposer à des gros labels Reba And The Portables qu’il vient de signer, mais ça ne marche pas non plus. Le Womagic de Bobby sort en 1986. C’est le troisième album que Chips produit pour Bobby Womack : il le considère comme l’un des géants de l’époque.

             Et puis un soir, Gary Belz, qui fait partie des partenaires d’America, appelle Chips. La conversation tourne au vinaigre et Selz traite Chips de mortherfucker. Chips raccroche calmement, monte dans sa bagnole et va trouver Selz au studio Ardent. Il entre et lui colle son poing en pleine gueule. Puis il lui dit : «Quand tu veux m’insulter, fais-le devant moi - You call me a name, you do it in my face.» La scène de Memphis allait ensuite retomber dans les ténèbres. Chips finit par refaire ses bagages et par retourner à Nashville. Son dernier round à Memphis fut un échec cuisant et Dickerson avoue en porter la responsabilité, en ayant été l’instigateur. 

             Dickerson livre aussi de très beaux aperçus sur Memphis. Selon lui, Memphis est la seule ville d’Amérique où un country boy timide peut devenir un King, où des blancs et des noirs peuvent non seulement passer ensemble à la radio, mais aussi jouer ensemble dans des groupes. Elvis n’est pas le seul country boy devenu célèbre : Carl Perkins sortait de sa cambrousse de Jackson, Tennessee, Cash de sa cambrousse d’Arkansas, Jerry Lee de la Louisiane et Roy Orbison du Texas. Pour Dickerson, Memphis a redéfini le blues, puis l’a transformé en rythm’n’blues et a inventé le rock’n’roll, puis l’a retransformé en pop via une bâtardisation du jazz, grâce aux orchestrations. Et Dickerson en arrive à la même conclusion que Dickinson : Memphis n’est pas la ville des groupes, mais des individus - The individual was always supreme.

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             Mais cette région du Deep South n’est pas non plus du tout repos. Dickerson indique qu’à l’annonce de l’exécution du Président Kennedy à Dallas, le Campus de l’Université du Mississippi, plus connu sous le nom de Ole Miss, a explosé de joie et a sorti pour l’occasion les drapeaux confédérés. Dickerson rappelle aussi que «Wolly Bully», enregistré par Stan Kesler chez Uncle Sam en 1965 pour MGM, devint l’un des plus gros hits américains de l’époque. Memphis fut aussi la ville de la peur bleue pour les Beatles qui, en 1966, vinrent jouer au Memphis Coliseum. Comme John Lennon avait déclaré que les Beatles étaient plus populaires que Jésus-Christ, le Ku Klux Klan avait annoncé des représailles. Quand un mec fit sauter un pétard en plein milieu du set, le roi George faillit tomber dans les pommes.

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             Le côté chronologique de l’historique artistique fait sans doute la force de cet ouvrage, Dickerson explore méthodiquement chaque époque et commence par exhumer les légendes des origines pour aller dans les derniers chapitres saluer les nouvelles générations de groupes qui ont réussi à prendre le relais. Il démarre en force avec WC Handy, rappelant qu’il n’avait pas inventé le blues mais qu’il fut sans doute le premier à mêler le black folk blues avec l’instrumentation européenne, combinant le raw energy de son héritage africain avec la discipline d’une éducation à l’Européenne. Il passe directement à Memphis Minnnie qu’il qualifie de most accomplished female guitarist who ever lived. Elle  complétait ses revenus d’artiste avec des passes de pute. Pour baiser Memphis Minnie, il fallait sortir deux dollars. Les temps étaient durs, nous dit Dickerson, Minnie se contentait de survivre. Bonnie Raitt dit qu’elle devenue chanteuse à cause de Memphis Minnie. Johnny Shines dit que Memphis Minnie pouvait devenir très violente. Elle aurait coupé les bras d’un mec dans le Mississippi. Comme le fait si bien Tav Falco dans Ghosts Behind The Sun, Dickerson rappelle que dans les années 20, Memphis était devenue la capitale américaine du crime. Les commerçants vendaient de la coke dans des boîtes de dix sous. 70% de la population black de la ville était accro à la coke. Quand Coca-Cola monta son usine en 1902, la coke était l’ingrédient de base dans la fabrication du tonic, jusqu’en 1905.

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             Dickerson consacre aussi des chapitres croustillants à Furry Lewis et à Sleepy John Estes, qui apprit à jouer de la guitare en jammant avec ses voisins et un beau jour, il prit la route et joua pour vivre. Mais il ne s’éloigna jamais de Memphis. Puis voici Booker T Washington White, surnommé Bukka White, qui renonça un temps à sa carrière de bluesman pour ouvrir un magasin de meubles, jusqu’au moment où le succès de sa chanson «Fixin’ To Die» repris par Dylan l’incita à sortir de son magasin de meubles pour aller jouer un peu partout aux États-Unis et en Europe. L’un des plus importants personnages de la légende des siècles est sans doute Rice Miller, le vrai Sonny Boy Williamson - The most enterprising bluesman of the early 1940s - C’était un sorcier de l’harmo et Dickerson qualifie les textes de ses chansons d’earthy and passionate. Il fut l’un des premiers à utiliser l’harmo comme lead instrument. Rice mit un place un gang infernal : Robert Junior Lockwood, Houston Stackhouse et Joe Willie Wilkens se succédaient aux guitares, James Perk Curtis battait le beurre, et Joe Pinetop Perkins jouait du piano. C’est à Helena en Arkansas que Rice Miller démarra sa prodigieuse carrière, dans un radio show intitulé King Biscuit Time, diffusé chaque jour à midi. Chaque jour, Rice arrivait quelques minutes avant l’heure, les musiciens s’asseyaient et le présentateur Sunshine Sonny Paye leur demandait ce qu’ils allaient jouer, alors Rice lui disait qu’il n’en savait rien. Mais le show démarrait à l’heure, alors il se mettait à chanter et le groupe suivait. Made up on the spot. Rice enregistra «Dust My Broom» avec Elmore James, puis signa chez Chess en 1955. Il aligna trois hits monumentaux : «Bring It On Home», «Don’t Start Me Talking» et «Help Me» dont Alvin Lee allait faire ses choux gras sur le premier album de Ten Years After. Rice Miller débarqua en Europe et fit des concerts légendaires avec les Yardbirds et les Animals. Dickerson évoque bien sûr Riley Ben King qui écoute le King Biscuit Time en 1941 et qui décide de devenir Blues Boy King. L’émission ne faisait pas que lui donner du bon temps. Elle lui faisait envisager une vie meilleure. En 1946, il vient à Memphis voir son cousin Bukka White et il découvre Beale Street.

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             Et puis tiens, voilà Wolf ! Il lui arrive souvent d’oublier de se changer et de monter sur scène en salopette. Eh oui, Wolf travaille encore à la ferme. Chess engage à l’époque Ike Turner comme découvreur de talents. En 1948, Ike tombe sur Wolf et l’enregistre pour Chess sur un petit magnéto. Au même moment, Uncle Sam s’installe à Memphis à la recherche de nouvelles opportunités. Il écoute les radios : la blanche l’ennuie avec sa pop trop orchestrée et sa country soporifique. Par contre la noire l’intéresse, on y entend Wolf, B.B. King et Rice Miller, c’est-à-dire Sonny Boy - Sexual bravado of liberated black manhood ! - Les gens de Memphis le sentaient : il y avait quelque chose dans l’air. Comme si la moitié de la ville bandait pendant que l’autre moitié roupillait. Tous les blacks voulaient faire de la radio, c’mon man let’s do it ! Beale was the place for action. Now talk was king et la mode aussi, high fashion, Lansky vendait des fringues démentes, Elvis deviendra l’un des meilleurs clients. En 1950, B.B. King devient un héros dans la communauté noire, Wolf aussi. À Nutbush les gens saluaient Ike et sa future femme, Annie Mae Bullock. Et d’autres arrivaient : Little Milton, Junior Parker, James Cotton et Bobby Blue Bland. Un Bobby Blue Bland qui est toujours revenu à Memphis, une ville qui le boudait un peu, sans doute parce qu’il enregistrait à Nashville pour un label texan. Quand Dickerson lui demande comment il explique ce manque de reconnaissance, Bobby répond : «Memphis is sorta swishy-swatchy», qu’on pourrait traduire par soupe au lait. 

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             Dickerson rencontre aussi Uncle Sam, the Wild man from Memphis. Il le résume assez bien en la qualifiant de dreamer : il voulait faire des disques comparables à ceux qu’il entendait à la radio (noire) - Pop music was out of the question - De toute façon, les musiciens de Memphis n’étaient pas assez sophistiqués pour faire de la pop. Il y avait bien la country dans la région, mais ça se passait à Nashville. Les musiciens de Memphis n’étaient pas non plus assez bons pour la country. Il restait le r’n’b. Alors Uncle Sam décida de se concentrer sur le r’n’b. S’ensuivit «Rocket 88», le premier chart-topper de Chesss et le seul chart-topper qu’Ike aura avec ou sans Tina. Et comme il venait de pondre un chart-topper, Uncle Sam se sentit pousser des ailes. Il méprisait la ségrégation qui était encore la règle à Memphis, ce qui était de sa part très courageux. Socialiser avec les nègres était tout simplement hors la loi. To hell with the law, que la loi aille au diable, Uncle Sam se savait en mission. Il avait grandi avec Uncle Silas et avait compris bien des choses. Alors il ouvrit la porte de son studio à tous ces nègres : Walter Horton, Doctor Ross, Joe Hill Louis, Willie Johnson et Wolf. Un Wolf qui bouffait à tous les râteliers, chez Uncle Sam et chez les Bihari, par l’entremise d’Ike. Chess offrit 4.000 dollars et une bagnole à Wolf s’il acceptait de venir à Chicago. Uncle Sam n’avait pas les moyens de rivaliser avec Chess. Alors Wolf céda sa ferme à son beau-frère, chargea son pick-up et prit la route de Chicago, où il allait rester pour y mourir en 1976.

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             Uncle Sam voit Rufus Thomas comme un winner. Alors il lui confie la réplique à «Hound Dog», «Bear Cat». Mais au fond, Sam se lasse des artistes noirs qui ne sont pas bien carrés avec lui, comme par exemple Ike et Wolf qui jouent double jeu en allant enregistrer ailleurs. Aux yeux d’Uncle Sam, le manque de loyauté est impardonnable. Alors il laisse tomber Rufus et les autres blacks pour se concentrer sur les petits blancs : Elvis, Scotty Moore et Bill Black. C’est là que Dickerson ramène sa théorie fumeuse du Hoodoo Cartel qui fait la loi à Memphis : selon lui, Uncle Sam aurait vendu le contrat d’Elvis pour arracher Elvis des griffes du Hoodoo Cartel. Dickerson dit aussi que c’est le Hoodoo Cartel qui a eu la peau de Chips et tant qu’on y est, la peau de Stax. Selon Dickerson, Uncle Sam a vendu Elvis à RCA pour sauver sa carrière - In my eyes, Sam Phillips is a hero - Après Elvis, voici Roy Orbison. Quand Uncle Sam le rencontre pour la première fois, ça ne se passe pas très bien. Roy lui dit : «C’est Cash qui m’a recommandé d’aller chez Sun !», et Sam lui rétorque sèchement que Cash n’est pas le boss de Sun. Ils font néanmoins «Ooby Dooby» qui n’est pas un hit. Sam met Roy dans les pattes de Jack Clement et lui demande de chanter plus de rock’n’roll, mais Roy ne veut chanter que des balades sentimentales. Frustré, il quitte Sun en 1957 et va à Nashville où il compose toutes les balades sentimentales qui vont le rendre célèbre. 

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             Et puis voilà Stax, l’occasion pour Dickerson de revenir sur le trio infernal Estelle/Jim/Chips. Mariée à un mec nerveux, Estelle est la mère de deux enfants, dont Packy. Leur ménage s’est lourdement endetté pour acheter une baraque. Estelle parle à cœur ouvert, elle dit tout ce qu’elle pense, Chips la contredit par principe, s’appuyant sur son expérience de zonard, et Jim qui n’est d’accord avec ni l’un ni l’autre ne dit rien. Estelle s’occupe du magasin de disques qui se trouve à côté de l’entrée du studio. Dickerson indique que sans les revenus du magasin, le studio aurait coulé dès la première année. C’est là que Steve Cropper monte les Mar-Kays et Packy lui demande s’il peut venir jouer dans le groupe. Steve lui répond qu’ils n’ont pas besoin d’un sax. Alors Packy lui rétorque : «Ma mère est la boss de Satellite Productions, tu sais le studio où travaille Chips Moman !» Steve l’embauche immédiatement. C’est Estelle qui réussit à convaincre Jim de sortir le truc que les Mar-Keys répètent dans le studio, «Last Night». Elle est persuadée que c’est un hit. Jim et Chips leur organisent une tournée pour la promo de «Last Night». Le groupe se compose de Steve (guitar), Duck Dunn (bass), Packy (tenor sax), Smoothie Smith (keys), Terry Johnson (drums), Wayne Jackson (trumpet) et Don Nix (baritone sax). C’est le commencement de ce que Dickerson appelle the Memphis music’s second revolution. Alors Stax met le turbo. Dans son magasin, Estelle prédit les hits. Tous les blacks du quartier adorent Miz Estelle. Chips joue dans les clubs de Memphis et les gens l’idolâtrent. Il fait le même boulot qu’Ike, il repère les jeunes talents dans les clubs et un beau jour il ramène William Bell chez Stax. Époque magique : Jim, Estelle et Chips créent un soulful sound qui va bouleverser l’évolution de l’American music. Puis Booker T & the MGs cassent la baraque avec «Green Onions» et soudain une shoote éclate entre Jim et Chips. Estelle apporte un éclairage en révélant que Chips voulait prendre le contrôle de Stax. Elle dit aussi que Chips voulait la moitié de Stax, «ce qui m’excluait, alors que c’est moi qui ait mis les fonds dans l’affaire pour démarrer.» Jim proposa à Chips une trêve de deux semaines, au terme de laquelle il se disait prêt à le revoir. Mais Chips ne mange pas de ce pain-là. 

             Steve Cropper voit arriver de nouvelles têtes chez Stax : Homer Banks qui travaillait comme vendeur dans le magasin d’Estelle, et puis aussi deux habitués du magasin, Isaac Hayes et David Porter. Après l’âge d’or d’une histoire de rêve vient le déclin et l’exclusion d’Estelle. Dickerson : «The music business, as Jim learned, was no place for nice guys.»

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             Moins connu que Stax, Hi connut un destin moins violent. Willie Mitchell privilégiait la discrétion et Al Green fut le chanteur parfait pour illustrer sa vision d’un son : the smooth that oozed sweet Soul, le doux du doux de la sweet Soul music. Willie admire Al car il voit en lui un homme qui veut réussir coûte que coûte. Alors il le pousse à composer ses hits et pouf, voilà que commence la sarabande des disques d’or. En plus d’Al, Ann Peebles toppe les charts avec «I Can’t Stand The Rain», Syl Johnson avec «Take Me To The River» et Otis Clay avec «I Die A Little Each Day». Une belle poulette blanche traîne chez Hi : Rita Coolidge. À l’époque, ça fait scandale. Puis sa sœur Priscilla épouse Booker T, alors le scandale grossit encore. C’est en effet le premier mariage inter-racial dans le monde des musiciens. Quand une gonzesse se suicide après lui avoir ébouillanté le dos, Al Green se met à changer. Il commence par se séparer de Willie qui avait tout misé sur lui. Puis il cesse d’enregistrer des disques pour prêcher dans son église - Willie was devastated - D’autant plus devastated que les hits d’Al n’ont pas enrichi Hi. C’est London Records qui s’est enrichi. Willie se contentait de leur licencier les masters d’Al - We got a little bit of money but the record companies got most of it - Al et Willie se retrouveront en 1985 pour enregistrer He Is The Light. Willie was ecstatic, nous dit Dickerson.

             Dionne Warwick avait tellement adoré Memphis et l’ambiance d’American qu’elle voulut y démarrer un label avec l’un des associés de Chips, Marty Lacker. Le label fut baptisé Sonday, en l’honneur du fils de Dionne la lionne. Mais le label floppa et Dionne ne revint jamais à Memphis.

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              Oh voilà enfin Dickinson, qui avait un peu bossé chez Stax et chez American, mais Chips ne voulait pas lui confier la console. S’ensuit l’épisode Dixie Flyers à Miami et le retour précipité à Memphis au bout de six mois (Homesick, le mal du pays). Pour Dickerson, Dickinson est un shaman : «Je pense qu’il a absorbé chaque image, chaque son, tout ce qu’il a croisé.» C’est lui Dickinson qui explora en compagnie d’Alex Chilton the most creative aspects of musical madness. Dickerson va encore plus loin en affirmant que ZZ Top et Big Star avaient beaucoup de points communs, notamment le respect des critiques. Pour l’auteur, il y a une part de mystère dans le succès de ZZ Top : It’s all part of the Memphis thang. Il faut se souvenir que ZZ Top vint enregistrer chez Ardent.

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             Autre épisode considérable : Elvis débarque chez Stax pour une session d’enregistrement. Isaac Hayes est là lui aussi, entouré de ses gardes du corps blacks. Elvis a les siens, des blancs. Jim a mis en plus des gardes dans la rue pour la sécurité. L’équipe de télé n’est pas là pour Elvis mais pour Isaac et Elvis le prend mal, car n’est-il pas le King ? N’est-il pas the big movie star ? Mais ses films sont des gags et il le sait, alors qu’Isaac vient de décrocher un Award pour Shaft, avec son crâne rasé et sa forte odeur de Sex God. Elvis n’a jamais eu aucun Award et il ne pourra jamais en avoir, avec ses films pourris. C’est aussi Isaac qui raffle tous les Grammys, alors qu’Elvis n’en récupère que deux.

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             Vers la fin de cette galerie de portraits époustouflante, Dickerson rend hommage à Jerry Lee : «Grâce à tous ses excès, ses problèmes et ses tendances auto-destructrices, sa bravado, son arrogance et son regard démoniaque, le Killer est resté le plus grand rock’n’roll piano player the world has ever seen.»

    Signé : Cazengler, Dickerson of a bitch

    James L. Dickerson. Goin’ Back To Memphis. Schirmer Books 1996

     

     

    L’avenir du rock

     - Gloire à Gloria !

             L’avenir du rock en a ras-le-bol des poncifs. Ça doit bien faire soixante ans qu’on lui rabat les oreilles avec les mêmes âneries. Dès qu’il a le malheur d’engager une conversation au bar après un concert, ça repart de plus belle. En voiture Simone ! Tiens voilà ce mec ventripotent qui arrive pour le brancher sur Keith Richards :

             — Y s’est fait changer tout l’sang en Suisse, tu vois un peu l’travail ?

             L’avenir du rock prend son air le plus éberlué, et fait :

             — Ah bon ?

             En voilà un autre qui se pointe, et du haut de sa hargne de nabot, il lance :

             — Clash, c’était le seul groupe de gauche en Angleterre !

             L’avenir du rock prend son air le plus ahuri, et fait :

             — Savais pas !

             Comme un bonheur n’arrive jamais seul, en voilà un autre qui vient trinquer pour dire :

             — Ah ! Johnny Thunders, quel désastre, c’est la romance de la piquouze !

             Celui-là bat tous les records, l’avenir du rock s’en émerveille. Attendons la suite, se dit-il... Elle arrive :

             — Dès qu’y touchent à la piquouze, c’est foutu. Y meurent tous...

             L’avenir du rock peine à dissimuler sa fascination face à cet Ararat de bêtise fondamentaliste. Ne sachant pas trop quoi dire, il opte pour une espèce de moyen terme piteux :

             — Oh y meurent pas tous...

             L’autre se cabre et lance d’une voix bourrue d’érudit à la mormoille :

             — Ah mais si, y meurent tous !

             Fantastique ! L’avenir du rock décide de l’asticoter :

             — Sauf ceux qui sont de gauche et ceux qui se font changer le sang en Suisse...

             Un autre candidat au désastre intellectuel arrive et décrète d’un ton impérieux :

             — Sans «Gloria», t’as pas d’garage !

             L’avenir du rock se régale de la prestation de cet imbécile, alors il fait l’âne :

             — Tu veux dire Gloria Scott ?

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             Gloria Scott n’est pas née de la dernière pluie. Elle a démarré en tant qu’Ikette pour Ike & Tina Turner, et elle vient tout juste de refaire surface sur Acid Jazz, alors pour l’avenir du rock, c’est du gâtö.

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             Si tu feuillettes Mojo et que tu vas jusqu’à la dernière page, tu vas tomber sur une rubrique intitulée ‘Hello Goodbye’. L’invité y narre son hello lorsqu’il rejoint un groupe, puis son goodbye lorsqu’il le quitte. Alors évidemment, quand Gloria Scott raconte son ‘Hello Goodbye’ dans the Ike & Tina Revue, on se jette dessus, d’autant que la page s’orne d’une belle photo de scène : on voit Gloria Scott, P.P. Arnold, Tina Turner et Maxine Smith faire la danse du canard. L’image vaut son pesant d’or. En 1965, nous dit Gloria, elle avait rencontré Sly Stone et elle savait que son destin se trouvait dans the music business. Puis le propriétaire du Fillmore, Charles Sullivan (l’un des héros de Bill Graham) la convoque. Elle doit passer une audition. Pour qui ? Elle ne sait pas. Quand elle arrive au Fillmore, elle découvre qu’elle doit auditionner pour Ike & Tina Turner - So I auditioned right there on the spot, in front of the Fillmore audience - Elle avait 18 ans and it seemed like a big night. Le soir même, Ike & Tina embarquent Gloria à Los Angeles et ils passent par Santa Cruz, le temps pour Gloria de dire bye bye à mom and dad. Au début, Gloria ne chante pas, Ike lui dit d’observer le groupe sur scène. Elle découvre ensuite qu’Ike fait tourner plusieurs équipes d’Ikettes et certaines ramassent plus de blé que d’autres, alors des Ikettes revendiquent et Ike les vire. C’est là que Gloria devient Ikette. Et elle attaque la ronde infernale des tournées - On that bus every night - where were we? - That was our home - Le ‘goodbye’ se produit un an plus tard, en 1966. Elle n’aura été Ikette que pendant neuf mois. Elle n’entre pas trop dans les détails, mais elle dit qu’Ike était dur avec les filles. Il leur collait des amendes si les perruques étaient de traviole. Comme les amendes étaient de 25 $ et qu’elles gagnaient 25 $ par soirée, elles s’endettaient. Ike appliquait la technique du patron blanc avec les sharecroppers, c’est-à-dire les métayers, il les endettait à vie et donc elles bossaient quasiment à l’œil. Gloria n’est pas du genre à se laisser marcher sur les pieds. Un jour, les Ikettes ratent leur bus pour Houston, Texas, a long drive, alors elles doivent prendre l’avion pour arriver à l’heure au concert. Non seulement Ike leur dit que le billet d’avion est à leur charge, mais il leur colle en plus une amende. Tina prévient Ike que s’il colle une amende à Gloria, elle va se barrer. Qu’elle parte ! Et Gloria se barre - I quit.  

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             La petite Gloria refait surface cette année avec So Wonderful, sur Acid Jazz. C’est plutôt inespéré. D’autant plus inespéré que l’album est excellent, on va même devoir parler de coups de génie, tellement ça grouille de vie, là-dedans. Tiens, on va en prendre un au hasard : «I’ve Got To Have All Of You». Elle y développe une énorme Soul d’I doooo, elle est suprême, elle fait une Soul Mod très moderniste, elle se fond dans l’extrême qualité du groove. Autre coup de Jarnac : «Show Me», elle te groove ça dans l’excellence du lard, sans fournir aucun effort - You got to/ Show me the way - C’est d’une qualité irréprochable, tu n’as pas idée. Elle reste fantastiquement présente avec «There’s No Cure For Me». La petite Gloria règne sur l’Acid Jazz, elle groove le smooth et développe une extraordinaire énergie de la classe. Dans «All Of The Time You’re On My Mind», elle nage à la surface d’une incroyable profusion de son, avec les violons loin, là-bas, et une rythmique haut de gamme, et elle te groove tout ça avec magnificence. Gloria Scott forever ! Elle passe au groove des jours heureux avec le morceau titre, une merveille de good time music. Elle est imbattable, pas de grosse voix, juste une très forte présence de black lady. «I Found Love» redore aussi le blason de la good time music d’Acid jazz. Elle incarne ce son à merveille. Elle termine cet album enchanteur avec «Promised Land», fast one amené au heavy beat. Elle y louvoie élégamment, elle vibre et nous aussi, elle a derrière elle des chœurs de volontaires. Gloria est fière de son grand retour : «Après 48 ans, je suis tellement fière d’enregistrer mon deuxième album. En particulier, les démos que j’avais enregistrées avec Barry White et qui ne sont jamais sorties.» Le grand architecte de ce retour en grâce s’appelle Andrew McGuinness, who conducts the Baltic Soul Orchestra.

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             La discographie de Gloria Scott est assez maigrichonne. Deux albums en tout, le deuxième date de 1974, What Am I Gonna Do, sorti sur Casablanca et produit par Barry White, gage de qualité. Gloria : «Je suis surprise que cet album soit still active out there, parce qu’il remonte à loin.» Quand Garth Cartwright lui dit que cet album est considéré comme un Soul/dance classic, ça la fait bien marrer : «C’est merveilleux, but - you know what? - J’ai dû signer un contrat stupide because I never saw any money from that.» Tu as deux cuts qui sonnent comme des Beautiful Songs : «I Think Of You» et «Love Me Love Me Love Me Or Leave Me Leave Me Leave Me». Avec le premier, elle tombe dans les bras du satin jaune et développe une puissante beauté océanique. Elle s’étend à l’infini. Avec le deuxième, elle rejoint le génie productiviste de Barry White. C’est puissant, un vrai shoot de forever à la bella vista, please don’t tease me. C’est d’une candeur à peine croyable. Le hit de l’album s’appelle «(A Case Of) Too Much Lovemakin’» et là t’es embarqué au heavy Barry White. Elle se fond dans la graisse du gros, elle y va franchement - There’s something I’ve got to say - Fabuleux ! C’est plein d’énergie, elle y va au débotté, avec des congas dans le feel à la patte du caméléon, c’est tout simplement énorme, elle y va la petite Gloria, c’mon !, elle jive au sommet du big Barry lard, à travers elle passe l’énergie de l’éclair Soul. Si tu la vois en photo, tu vas dire : «Aw my Gawd !», car elle est fantastiquement belle. La photo Casablanca te crève le cœur. Et avec «I Just Couldn’t Take A Goodbye», elle rampe dans le satin jaune du goodbye. Elle passe au hard funk avec «That’s What You Say ( Everytime You’re Near Me )», elle devient reine de la nuit, elle te swingue ton truc vite fait, ça prend vite des allures héroïques, elle y va au that’s what you say, alors t’as qu’à voir !

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             Un deuxième album sur Casablanca produit par HP Barnum n’est jamais sorti. Pour Gloria, ça voulait dire la fin des haricots. Il se pourrait bien que Barry White, qui l’avait signée pour sept ans, ait bloqué sa carrière. Alors elle est allée faire des backing vocals chez Motown. Elle impressionne Mary Wilson qui vient de relancer les Supremes après le départ la Ross. Mary la sort du contrat avec Barry White et en échange, elle lui demande de tourner dans les Supremes avec elle. Ce sont les Supremes of the late 70s and early 80s. Mais ça ne satisfait pas pleinement Gloria qui avait quand même enregistré sur premier hit «Taught Him» en 1964 avec Sylvester Stewart, c’est-à-dire le Sly Stone en devenir, un hit qu’on retrouve sur l’excellent compile Ace, Precious Stone: In the Studio With Sly Stone 1963-65. C’est à la suite de cet épisode qu’elle auditionne pour Ike & Tina Turner.

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             Alors pourquoi une discographie si maigrichonne, alors que Gloria a fréquenté les géants de la terre, c’est-à-dire Sly Stone, Ike Turner et Barry White ? Il faudra attendre qu’elle se décide à écrire ses mémoires pour le savoir.

    Signé : Cazengler, Glorien du tout

    Gloria Scott. What Am I Gonna Do. Casablanca 1974

    Gloria Scott. So Wonderful. Acid Jazz 2022

    Gloria Scott : Hello Goodbye. Mojo # 347 - October 2022

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    Garth Cartwright : Under the radar. This month : Gloria Scott. Record Collector # 539 - Christmas 2022

     

                                    

                                           Inside the goldmine

    - Byrd doggin’

             Il venait chaque matin avant l’ouverture pour faire le ménage dans l’atelier et dans les bureaux du premier étage. Bobo appartenait à la grande vague d’immigration portugaise des années cinquante. Il avait trouvé un bon job dans une grosse administration, mais pour arrondir ses fins de mois, il prenait des petits boulots complémentaires, comme celui-ci : homme de ménage. Existe-t-il un job plus fastidieux que celui-ci ? Passer chaque matin l’aspirateur au même endroit, faire les poussières des mêmes bureaux et entretenir les mêmes sanitaires, chaque matin, de six à huit. On le croisait en arrivant le matin pour l’ouverture. Il coiffait son casque et démarrait un gros scooter pour partir à son autre boulot. Il venait en plus le samedi matin jusqu’à midi pour faire ce qu’il n’avait pas eu le temps de faire dans la semaine, les carreaux par exemple. C’est là qu’on pouvait papoter un moment autour d’un café. Le samedi matin, nous n’étions que tous les deux. Il apportait un paquet de biscuits et se livrait à un petit rituel consistant à tremper un biscuit dans son café pour le sucer goulûment. Alors Bobo, on trempe son biscuit ? Il n’y avait aucun mal à le taquiner, d’autant plus qu’il ignorait le sens de l’expression. Bobo était un homme très gentil. Ses cheveux commençaient à grisonner. Il avait le visage d’un bel homme et parlait avec un très fort accent portugais. Il acceptait aussi tous les petits boulots d’entretien courant, comme la remise en état d’un portail en fer forgé ou des travaux de maçonnerie. Au fil du temps, une sorte de complicité affective colora cette relation patron/employé, et il n’était plus question de manquer, pour quelque raison que ce fût, le café du samedi matin. Jusqu’à ce samedi de juin fatidique. À 8 heures, Bobo n’était pas arrivé. Fallait-il mettre ça sur le compte d’une panne d’oreiller ? Ça ne lui ressemblait pas. Il arriva vers 10 h, au moment où recoulait le café. Il tenait à la main un paquet de biscuits, mais la peau de son visage était grise.

             — Voulez-vous un café ?

             Il hocha la tête et prit place sur le tabouret de bar en vis-à-vis, comme à son habitude. Il trempa son biscuit puis se mit à parler d’une voix sourde :

             — Yé vené d’achété oune belle moto à mon fils. Cette nouit, les poulice y sont venous à la méson poul nous dile à mon épouse et à moi que notle fils s’était toué avé la moto.

             Et il se mit à chialer toutes les larmes de son corps.

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             Comme Bobo, Bobby Byrd a vécu des sales moments. Peut-être pas aussi tragiques, c’est vrai, mais sales tout de même. Il vient d’un temps où ça grenouillait sec dans le showbiz et il n’a peut-être pas su saisir sa chance, en tous les cas, un certain James Brown l’a saisie à sa place.

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             Dans le booklet d’Help For My Brother (The Pre-Funk Singles 1963-68), Dean Rudland nous rappelle que sans Bobby Byrd, il n’y aurait pas eu de James Brown, et que sans James Brown, il n’y aurait pas eu de Bobby Byrd. Dans les années 50, le groupe de Bobby s’appelait déjà The Famous Flames et James Brown en était le chanteur. Puis quand ils enregistrèrent «Please Please Please» pour King/Federal, James Brown devint une star, et les Famous Flames le quittèrent pour devenir Byrd’s Drop Of Joy. James Brown conserva le nom des Famous Flames et Bobby finit par venir le rejoindre. Il fut le bras droit de James Brown pendant toutes les années 50 jusqu’au début des années 70. Bobby fut l’un des premiers artistes de la James Brown Revue à être autorisé à enregistrer des propres disks. Bobby finira par quitter les Famous Flames en 1973, pour se marier avec Vicki Anderson. Carleen Anderson, fille de Vicki, eut donc pour beau-papa Bobby et pour parrain, the Godfather himself, Jaaaaaaames Brown !   

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             Paru en 1970, l’I Need Help (Live On Stage) de Bobby Byrd est un gros album de funk. Bobby donne le ton dès le morceau titre. Hard funk ! Fantastique pulsion à la James Brown, ça gratte à la clairette de funk, au pur Black Power. Hard funk toujours en B avec «You Got To Have A Job (If You Don’t Work You Can’t Eat)», fabuleuse clameur de magick funk gratté à la Tighten Up, on salue la bravado du bassmatic, apanage définitif du funk des alpages. Encore un cut signé James Brown : «Hang Ups We Don’t Need (The Hungry We Need To Feed)», ça s’entend, tension énorme, chef-d’œuvre de Black Power. Il fait aussi de la heavy Soul de bonne augure avec «I Found Out» et revient au doo-wop avec des basses saturées et «You’ve Got To Change Your Mind».  

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             Le Finally Getting Paid de Bobby Byrd & The JB All Stars est un album collectif. Bobby attaque au hard funk de «I Need Help», puis Lyn Collins tape dans le mille avec «Think». Arrive à la suite Marva Whitney avec «It’s My Thing», elle est la plus wild des trois, elle arrache son It’s my thing du sol, elle est la plus rougeoyante, la plus rentre-dedans, la plus extrême. Bobby est un gentil mec, il file ensuite le micro à sa belle-fille Carleen Anderson qui tape un «Free» d’une grande finesse, elle fait des vocalises extravagantes, au filet de chat perché et là-haut, elle place encore un set me free vertigineux. Fascinante Soul Sister ! En B, Vicki Anderson impose le «Respect» et Fred Wesley nous embarque dans l’«House Party», un cool groove de funk, c’est du haut niveau de très haut vol, le funk de James Brown travaillé aux cuivres. On entend encore Fred Wesley, Maceo Parker dans l’«In The Middle» des JB’s, avec Pee Wee Ellis on tenor sax. Bobby Byrd finit cet album exceptionnel en apothéose de hard funk avec «I Know You Got Soul», il enrage, il swingue son hard funk et derrière, ces démons de JB’s font encore grimper les enchères.

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             Et pouf, ça repart de plus belle au hard funk avec On The Move (I Can’t Get Enough), paru en 1993, et «Try It Again». C’est forcément en place avec Bobby, là tu as le real deal de Bobby Byrd, tu vas d’avant en arrière, try it again, get on up ! Il connaît bien les ficelles du get on up. Et ça continue avec «I’m On The Move», pur jus de JB’s funk, Bobby fait son funk de hard-funkster, il devient the master of reality, il se noie dans l’excellence, keep on turning left, get on the move ! Il danse son funk à l’excès, wait a minute, il est dessus. Il passe à la Soul avec «The Way To Get Down», il tapa ça à la big voice, il perfore la Soul par le centre, sa voix fonce comme une torpille. Bobby appelle à lui toutes les métaphores. Il sait aussi se cabrer comme un étalon sauvage et hennir dans la plaine du funk en feu. Il peut aussi sonner comme un vieil esclave qui rompt ses chaînes, même s’il a les reins brisés par les coups du maître blanc, il ne lâche rien de sa dignité. Et voilà qu’il nous flanque un instro, «Never Get Enough». Ces gens ont le geste lourd et l’élégance chevillée au corps. Ça prend une allure demented avec un shoot de sax digne de Jr Walker. Bien sûr, Bobby revient au chant avec «I Got It». Il chante tout à l’énergie de la dernière heure, il rame à la dure, Bobby est un battant, on sent au grain âpre de sa voix qu’il en a bavé. Il reprend sa voix de cadavre d’esclave pour chanter «Sunshine», accompagné par le Tower of Power Horn Section, c’est plein d’énergie post-mortem, il chante à l’extrême difficulté des asticots. On voit bien qu’il pourrit en enfer, il est atrocement recouvert d’asticots, can’t help myself, il rôde dans les catacombes, il pue la mort, il continue d’avancer et derrière une fille pousse des cris, you’re so good ! Mais attention, Bobby revient, il repose sa couronne de roi du funk sur son auguste crâne cabossé pour attaquer «Back From The Dead»

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             Ce serait bête de rater l’occasion d’écouter cette belle compile du jeune Bobby, Help For My Brother (The Pre-Funk Singles 1963-68). Bête de rater un coup de génie de black wild rockalama comme «Write Me A Letter» ou encore ce fabuleux shoot de hard funk, «Funky Soul #1 Pt 1», suivi bien sûr du Pt 2, pur jus de raw r’n’b, ah quelle débinade, il y va le Bobby, down in New Orleans where the funky Soul was really born ! Il faut aussi l’entendre taper «I Found Out» au early cha cha cha de Dada funk et derrière lui, ça pouette sec. Il fait du heavy pré-funk de downtown underground. Il passe au weird avec «I’m Just Nobody Pts 1&2» et un son étrange, il a un accordéon dans les pattes et ça donne une incroyable dégelée de wild slowah. On n’a jamais entendu ça ailleurs. Le son est quasi incongru. Ah il faut aussi entendre ce chef-d’œuvre qu’est «I’ve Got A Girl», slow groove frétillant de guitares. Avec «We Are In Love», il passe au heavy groove de jazz boy, yeah yeah yeah. On ne se lasse pas de Bobby. Il te danse «Time Will Make A Change» à distance, so baby c’mon, c’est gagné d’avance, belle Soul de mambo de classe supérieure. Encore une merveilleuse opération avec «You’re Gonna Need My Lovin’», Bobby y va de bon cœur, you’re gonna need my lovin’, someday. Il fait aussi du simili-Motown avec «Lost In The Mood Of Changes» et avec «Ain’t No Use», il groove dans l’excellence au balancement d’hip d’ain’t no use.

    Signé : Cazengler, Bobby beuh

    Bobby Byrd. I Need Help (Live On Stage). King Records 1970   

    Bobby Byrd & The JB All Stars. Finally Getting Paid. Rhythm Attack Productions 1988

    Bobby Byrd. On The Move (I Can’t Get Enough). Soulcity Records 1993

    Bobby Byrd. Help For My Brother (The Pre-Funk Singles 1963-68). BGP Records 2017

     

     

    *

    Je suppose que vous ne savez pas où se trouve Yelabuga, heureusement que vous lisez ce blogue pour améliorer votre culture générale ! C’est pourtant simple, la ville moyenne de Yelabuga est située à neuf cent kilomètres à l’est de Moscou, c’est dans son cimetière que fut enterrée la poëtesse Marina Tsevetaïeva, une vie somme toute rock’n’roll... c’est là où aussi l’on trouve Conifer Beard.

             Regardez la photo, ils sont tous les trois barbus, pas comme des sapeurs, quant à Yelabuga nul n’ignore que l’agglomération a été bâtie dans une région peuplée de conifères. Dans cette cité russe support your local group s’avère être aussi une action écologique !

    CRUISER

    CONIFER BEARD

    ( Piste Numérique / Bancamp / Novembrel 2023)

             En ce mois des morts, ils viennent de sortir leur nouveau simple. En voyant la couve j’ai cru que c’était un groupe américain de surf guitar, non c’est du stoner russe.

    Artem Kornilov : guitar / Arsenil Kornilov : bass / Robert Nurunov : drums. Se partagent tous les trois le vocal.

     

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    Cruiser : ce n’est pas le sous-marin jaune des Beatles, celui-ci est d’une couleur plus inquiétante, rouge sang, cela n’augure rien de bon, au début se faufile, non ce n’est pas la truite de Schubert dans les joyeuses eaux d’un torrent, une ombre noire qui avance sans bruit tout au fond, relativement vite, mais pas trop, léger arrêt, le temps de repérer la proie, la vitesse augmente, pression battériale, les guitares torpilles n’attendent que d’être libérées, exaltation chorique de l’équipage, maintenant tout le monde retient son souffle, le morceau s’allonge démesurément, cymbales frissonnantes, le loup des mers s’apprête à mordre, en plein dans l’action, le moment fatal se rapproche, tous ensemble ils hululent entre leurs dents, l’on ne sait si la cible sera atteinte, si le croiseur sera coulé, l’on n’entend plus que le moteur des torpilles qui se dirigent vers leur cible.

             Les paroles sont mystérieuses, sont-elles métaphoriques ou font-elles allusion au conflit entre l’Ukraine et la Russie, aux combats qui se déroulent pour la maîtrise de la mer Noire…

             Essayons d’en savoir davantage en écoutant leur opus précédent.

    ACTION HERO

    ( Piste Numérique / Bancamp / Avril 2022)

    La couve est un dessin de Robert Nurinov, c’est un peu leur manière autarcique de faire, enregistrent chez eux dans leur propre studio, réalisent leurs propres vidéos, semblent compter sur leurs propres forces. Nos fans, nos amis, nos parents. Sont comme un poing fermé. Est-ce pour se protéger à l’intérieur d’une carapace ou pour donner des coups… Un tracé en dessin naïf et ligne claire. En bas le groupe, affublé de cornes chamaniques, en haut la Russie, symbolisés par les rochers et les sapins, au-dessus dans l’échancrure montagneuse un personnage symbolique, Gandalf, est-ce pour faire une allusion à l’idée de la Communauté de l’Anneau, n’oublions pas l’ambiguïté du personnage, sage vieillard d’apparence inoffensive, intraitable combattante contre Sauron… Ce dernier aspect n’est-il pas évoqué et privilégié dans le titre de l’album….

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    My revolution : à fond les ballons, l’instrumentation comme un mur de fer qui s’allonge sans fin, révolution, on a droit à des slogans chantés en chœur pour appuyer le vocal, la moindre des choses quand on appelle à la révolution ! Elle est nécessaire mais elle est mal partie, rouspètent contre le fait qu’ils ne sont pas maîtres de leur vie. Au niveau des paroles le constat est amer mais question musique ils déglinguent, z’ont le son qui tue, ramassé comme le cobra qui s’apprête à frapper. Before you die : martelage de Nuronov, les guitares ne s’en laissent pas compter, elles grognent comme un sanglier prêt à charger sur votre voiture, la voix ricoche comme une rafale de kalachnikov, c’est eux qui tiennent le fusil et ils sont heureux. Nous aussi, z’ont le stoner jubilatoire, sur qui vont-ils tirer on ne sait pas trop, ils font durer le plaisir. Godzilla : un détail à ne pas oublier, c’est ainsi qu’ils avaient baptiser leur groupe à leurs débuts, ils ont dû changer, question de droit ou de prééminence je l’ignore, à l’origine Godzilla était un monstre peu sympathique que les japonais avaient inventé pour stigmatiser la bombe atomique, eux l’on sent qu’ils aiment bien la grosse bébête, se prennent pour elle et j’ai le regret de vous avertir qu’elle vient de commencer à saccager le monde dans lequel vous habitez, grosse voix de méchant loup, la musique est à l’image des mouvements du gros lézard dont la queue balaie comme fétus de pailles les immeubles, à la fin ils imitent les chœurs des matelots de la scène 1 de l’acte I du Vaisseau Fantôme de Wagner. Sacrée tempête sur la dunette.

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    Sleep : le rythme se traîne, interminable tic-tac de l’horloge, ne sont pas pressés, lâchent un peu les gaz de la moto, mais la moto n’avance pas vite pour autant, ce morceau peut être avec une précision démoniaque qualifié de rock garage, une vidéo sur You Tube, les montre portant à pas lents leur matos dans un… garage, quand le rythme s’accélère vous les voyez jouer, à la fin ils remballent le matos et filent un coup de balai, plaisant vous avez envie de rigoler, erreur ils ne plaisantent pas, ils ont leur arme à portée de la main et ils s’en sont servis. Dissonance glaçante entre les paroles et les images. Snatch : commencent toujours par un tire-bouchon battérial, maintenant c’est une espèce de blues enlevé, le texte est un peu surréaliste, mais si l’on écoute entre les lignes, c’est l’expression d’une grande menace. L’est récité à la manière de Jim Morrison, d’ailleurs dans le groupe il y en a un qui physiquement ressemble au King Lizard. On voit bien que ces gars peuvent faire n’importe quoi. Le morceau s’arrête brutalement. La peur d’en dire trop ? Disons que c’est un spectacle de fin d’année sur une scène. L’important ce n’est pas l’année, c’est la fin. We are your sorrow : justement, glougloutements de guitares sinistres et massacre à la batterie, susurrements vocaux qui se traînent comme une dague effilée que l’on tire doucement de son fourreau, respirez le rythme devient plus léger, presque guilleret, plus sombre et plus fort, moment emphatique où l’on porte l’estocade. Enfin ! Royal cheese : burger royal, c’est parti pour dix minutes la guitare clapote, la batterie surenchérit, le vocal déclame, encore une fois l’on pense aux théâtralités morrisoniennes, cette manière de traîner les syllabes tout en s’appuyant sur les plans de la batterie, un véritable scénario de cinéma, et l’on y tombe en plein dedans après un grand silence et quelques picorements de coqs étranglés, étrange où sommes-nous, dans quelle cérémonie sacrificielle, la musique devient noise, la guitare imite la poule qui vient de pondre un œuf et qui ne sait plus si l’œuf vient de sortir d’elle ou si c’est elle qui vient de sortir de l’œuf, dur et brouillé, la fin devient inquiétante, des pneus de voitures qui crissent…

             Etonnant. Apparemment des pans de la psyché russe nous échappent. Question musique, rien de foutrement nouveau, mais ils ont l’art d’agencer des éléments connus en leur donnant des aspects si inusités que ce groupe crée du nouveau. Il nous est difficile de déchiffrer ce qu’ils veulent dire avec exactitude, mais il y a tant de groupes qui ne disent pas grand-chose que nous serons obligés de revenir sur eux.

    Damie Chad.

     

    *

             J’avoue avoir flashé sur la pochette, elle n’est pas gaie, elle ressemble tellement à notre monde actuel ! Remarquez, elle n’a aucun mérite. Elle en fait partie. Pire elle le sécrète. Elle est dans la lignée des dix-neuf autres couves d’opus de Dozethrone, jusqu’à ses trois dernières Dozethrone récupérait des œuvres issues du domaine public, maintenant il utilise Nightcafe générateur d’images artificielles, bref un programme d’IA en chargement libre sur le Net.

             Oui c’est bien le vingtième album de Dozethrone. L’accumulation nombrique et peut-être nombrilique est un des piliers de l’esthétique de Dozethrone. Ils aiment la répétition. Ils aiment la répétition. Ils aiment la répétition. Ils ont un peu pataugé pour trouver la formule qui leur agréait, noir et blanc ou rouge, mais systématiquement trois titres d’une dizaine de minutes chacun, c’est ce qu’on appelle un projet, cette façon de faire se retrouve beaucoup chez les plasticiens. Certains jugeront cela un tantinet monomaniaque. Ils auront tort, ici le terme duomaniaque convient mieux. Sont deux : Izhar Ashburn : basse / Azmi Czar : guitare. Parfois ils ont quelqu’un avec eux, mais c’est rare.

             Ils sont de Singapour, attention ce n’est pas une bourgade perdue, pas plus grande que Lyon elle détient une puissance financière égale à celle d’un pays comme le Qatar. Un paradis de l’économie libérale avec ses inégalités sociales. Quels liens équivoques et subtils existent-ils entre le dragon économico-politique et le microckosme…

             Leur programme tient en peu de mots : Dozethrone produit des riffs répétitifs, ennuyeux et monotones. Ce n’est pas une blague : leurs riffs sont répétitifs, ennuyeux et monotones. Dozethrone s’en tient à son propre cahier de charges. Vous ne pouvez les accuser de publicité mensongère. Répétitifs, ennuyeux et monotones ils disent, répétitifs, ennuyeux et monotones ils font !

             C’est ici que se cache la paille dans le fût du canon. Est-il vraiment certain que l’auditeur jugera le résultat répétitif, ennuyeux et monotone ? Inutile de nous perdre dans des méandres de ratiocinations infinies. Dans cette problématique le pire ou le mieux ne s’équivalent-ils pas ? Tentons l’expérience !

    DOOMED BY THE LIVING

    DOZETHRONE

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    Doomed with the living : première réaction à froid, il y a bien un riff, en tire-bouchon puisqu’il revient sans cesse sur lui-même tout en s’échappant dans sa propre continuité, pas du tout ennuyeux, plutôt agréable même, j’ai parlé trop vite, trop vite, trop vite, ce beat de boîte à rythme devient inopportun, heureusement que la guitare se distorse et l’écrase un peu, mais ça devient comme le serpent qui emprisonne l’aigle dans ses incessants enlacements, lutte à égalité, devient même insistant, ne triomphe pas mais s’avère embêtant, un nouveau riff davantage entraînant, la mariée apeurée se met à courir, elle a peur du molosse qui a saisi la traîne gazeuse de sa robe, qui n’entend pas la lâcher et cavale à son rythme. Peut-être ma métaphore est-elle un peu trop légère si j’en crois le dessin de la couve et le titre du morceau (celui des suivants idem ) suis-je hors sujet, pas à la hauteur de la catastrophe annoncée pour maintenant et tout de suite. Je devrais pleurer et crier de désespoir, mais ce beat accompagnateur me pousse à m’intéresser à un détail anodin face à l’irrémédiable situation de notre monde, mais non, je ne peux pas, Dozethrone détourne mon attention, je suis celui qui regarde la main de celui qui tient le bâton de dynamite, tiens il vient de la fourrer dans ma poche, la flamme grignote la mèche, je n’en ai cure. J’ai eu raison le morceau s’arrête avant l’explosion, je me retrouve gros jean comme devant. Devant je ne sais quoi. The world has abandonned us : l’on a monté un étage sonique, l’est sûr que le titre est inquiétant, ce n’est plus nous qui saccageons la nature, c’est elle qui dérègle le climat pour que notre malfaisante espèce débarrasse le plancher, une explication à laquelle les écolos rigolos n’ont jamais songé, le riff plus fort s’arrête une microseconde, serait-ce le signe que même le concept de répétition ne survivra pas, d’ailleurs trente secondes plus tard survient un riff totalement différent de tous les précédents, même le beat omniprésent (on s’habitue à tout) ralentit la cadence, pas de panique la guitare en profite pour prendre le dessus, les cymbales lui font une scène de ménage, elles cassent des soupières pleines de soupes à la queue-leu-leu, retour de la microcoupure, si même la coupure devient répétitive nous entrons dans un incroyable micmac, l’incroyable est désormais quotidien, le principe de contradiction se transforme en principe de non-contradiction, Dozethrone nous fait perdre la boule, la folie nous guette, ce qui n’est pas du tout ennuyeux, tout s’accélère, l’on tourne sur nous-mêmes comme une toupie qui ne sait plus s’arrêter, l’on aime bien, on a la tête qui nous tourneboule, l’on en profite pour se regarder le derrière, une espèce de délirium tremens s’empare de nous, ah ! ah ! le monde nous quitte, et si c’était nous qui le quittions, l’idée n’a pas l’air de lui plaire, nous refait le coup de ses douces sonorités afin de nous amadouer, notre colère éclate, nous lui ferons rendre gorge, le riff devient aussi fort que notre ire, nous décrétons l’ère de l’ire, le beat écrase le son, on s’en moque, il nous fait les sensations théâtrales des trois coups lyriques de l’ouverture de l’apocalypse, l’on est déjà dans notre fusée interplanétaire en train de voguer vers une autre planète plus accueillante, de rage sans préavis ils arrêtent les frais. On ne s’est pas ennuyé une seule seconde. And justice for none : veulent nous faire sortir de nos gonds, mettent toute la gomme, sortent leur arme secrète, une espèce de riff binaire, auquel bientôt ils ajoutent un troisième étage, bien sûr qu’il n’y a pas de justice, si elle existait à l’heure qu’il est notre bloque devrait être encore plus célèbre que les Rolling Stones, maintenant z’ont le riff qui claironne, voudraient nous mettre en prison mais les anarchistes comme nous ignorent toutes les lois, au mieux nous les bafouons, au pire nous en fabriquons de nouvelles pour interdire les anciennes, car pourquoi y aurait-il une justice pour les lois s’il n’y a pas de justice, nous prennent pour qui ces Dozethrone, voulaient nous faire périr d’ennui, eh bien on se marre, on se gondole, on rigole, on ondule, rajoutent un denier riff genre poussée écrasante de bulldozer pour aplanir nos velléités de révolte, peine perdue, ils accélèrent, notre imagination court encore plus vite, ils trichent un peu, ils emmènent en douce toutes sortes de bricoles à leurs riff, nous on n’aime pas les brocolis, alors faute de mieux, ils arrêtent.

             Si vous décapsulez la folle du logis, Dozethrone ne réussira jamais à vous précipiter dans le spleen baudelairien. Vous en redemanderez.

    Damie Chad.

     

    *

             Un titre à la Bukowski, permettons-nous de le traduire ce calepin de beuveries par Journal d’un soulographe. Viennent de Grèce, d’Athènes. Si l’on s’en tient au titre de l’album, seraient-ils des adeptes de Dionysos ? Pour compléter nos connaissances botaniques ils précisent que les vigers, autrement dit les chardons, sont une plante que l’on trouve un peu partout en Grèce. Veulent-ils insinuer qu’ils font partie de ces mauvaises herbes hautement urticantes dont on n’arrive point à se débarrasser. Nous offrent un truc bizarroïde à base de doom, de grunge, de hard et de stoner.

    DRUNKEN DIARIES

    HIGH ON VIGERS

    ( Bandcamp / Novembre 2023 )

    La pochette peut surprendre, elle est d’Elias Kasselas un artiste qui travaille à partir du vide, comprendre qu’il essaie de faire correspondre le vide mental au vide du papier (que sa blancheur défend, ajouterait Mallarmé). Est-ce pour cela que son site sur Behance ne présente que très peu d’œuvres. Le dessin a été en quelque sorte formalisé par Daphne Keskinidou, graphiste et designer, visiter ses deux instagram s’impose, il semble que les plus belles créations de notre artiste soit celle de la mise en apparence de sa propre beauté. Il est des individus privilégiés qui semblent se suffire à eux-mêmes.

    Le groupe s’est formé en 2017. Ils ont sorti un premier album en février 2020. Plusieurs line up depuis le début. Actuelle formation : : Christos Fakiolas : chant / Giannis Samolis : guitares / Elias Koulouzis : Basse / Giotis Petrelis : drums, percussions / Manolis Papantoniou : guitare, piano, synthé.

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    Day 01 : Another day in paradise : une voix nue ouvre ce journal d’un alcoolique, une guitare se glisse par-dessous puis par-dessus, basse profonde en renfort, la voix du Christ, pardon de Kristos, énonce sa confession, pour le paradis ça commence mal, vient de se faire virer par sa copine, pas d’inquiétude il a un substitut, car non seulement il boit mais en plus il fume, il se drogue, ( on frémit, jeunes têtes blondes fermez vos chastes paupières ) pas de panique, lorsque vous êtes chassé du paradis, il en existe un autre artificiel, bien sûr il n’est pas éternel, l’autre non plus, en doses fractionnées ce n’est pas mal du tout. Un morceau d’heavy metal, bien charpenté qui n’oblitère en rien les lyrics, au contraire il les souligne et les met en valeur. Leur donne cet air de tranquillité si naturelle qu’elles acquièrent une troublante évidence. Day 02 : Let me know : speed guitar et vocal surcompressé, bonjour le rock’n’roll, si dans le premier nous avons eu Stairway to Heaven, pour ce deuxième nous avons Black Dog, notre héros persiste dans son erreur, il crie bien fort, il hurle, il crache ses poumons, il veut boire et fumer, tant pis si vous le condamnez, comment le pourrait-on avec cette guitare folle et cette batterie échevelée ! Dans la série je m’accroche à mon cauchemar préféré vous ne ferez pas mieux. Day 03 : pour ceux qui n’aiment pas la musique bruyante il résume en une courte phrase parlée sa philosophie : si vous n’êtes pas content, allez vous faire foutre. L’est très sympa il articule soigneusement toutes les syllabes pour que vous saisissiez bien son message. Day 04 : Letter to noone : guitare harmonieuse, voix en avant, basse profonde, pour ceux qui détestent ou abhorrent la musique violente, il vous le répète sous forme d’une ballade sensitive, la voix un peu angoissée et pathétique, il désire tellement que vous compreniez qu’il préfère être seul que mal accompagné, qu’il espère que dorénavant vous vous consacrerez à vos propres affaires sans venir l’importuner, sinon il va exploser. Je traduis pour les sensibilités compatissantes qui se sentent investies de la mission de sauver les âmes perdues : faites pas chier ! Day 05 : faudra vous y habituer, pratiquement un jour sur deux ne propose pas de musique, quelques mots c’est tout. Ce coup-ci c’est lui qui traduit mon interprétation, n’use pas de gros mots comme moi, l’est davantage poli : oubliez-le ! Day 06 :  je dois vous avouer que le motif qui m’a poussé à chroniquer cet album se trouve à l’avant-dernière ligne de leur bandcamp, une inhabituelle mention pour un groupe de doom : choir at Day in the park by Sharks Rugby Club :  si vous n’aimez pas les ambiances supporters de foot anglais sautez promptement ce morceau et ouvrez votre Télérama. Ce sera une erreur car ça emballe à tout berzingue, drôlement bien fait et bien foutu, vous avez tous les ingrédients nécessaires pour vous défouler, de la bière, des cris, de l’exaltation et par-dessus le marché le rock coule à flots. Day 07 : l’est fatigué, très fatigué, avec toute l’énergie qu’il a dépensée au stade on le serait à moins, mais il trouvera le remède à son mal-être !  Day 08 : Can’t stand : guitare en sourdine, le héros est fatigué, il fait le point sur lui-même, il traverse des moments de solitude plus durs que d’autres, l’est prêt à craquer, vous avez envie de l’aider mais la batterie percute allègrement, la solution est à portée de la main, alcool ou produit, le chemin est ouvert, il suffit de le suivre. Jusqu’au bout. Quel qu’en soit le prix. L’ivraie n’est-elle pas l’ivresse… Day 09 : encore un jour de merde, c’est de la folie. Je ne l’ai pas encore mentionné, si vous dressez l’oreille sous les paroles prononcées vous entendrez comme un bruit de cris lointains, l’inoubliable horreur du monde qui frappe à la porte cadenassée de votre esprit.  !Day 10 : Curse of the tree : background mélodramatique, Christos vous conte une triste histoire, l’appuie sur les mots comme s’il récitait un poème en alexandrins, ceux qui pensent que notre héros est victime et responsable de ses propres addictions se trompent, s’enfoncent le doigt dans l’œil jusqu’à la clavicule, le monde est aussi fautif, soyons précis, la race humaine a détruit la nature, la batterie cogne dur, des coups de battes distribuées à profusion, distribution gratuite et immodérée, ceux qui ont saccagé la planète doivent mourir et les survivants danseront sur leurs tombes. Comment voulez-vous être bien dans votre tête quand vous vivez dans un environnement dévasté ! Rage écologique ! Day 11 :l’a besoin d’un satané voyage hors de ce monde Day 12 : Star trip : l’on y va tout doux, à la Baudelaire l’on essaie tous les excitants comme dans Les fleurs du Mal, le vin, le haschich et puisque depuis l’on a inventé les pilules multicolores pourquoi s’en priver, une petite souris déglinguée et l’on part en voyage dans le cosmos, musique de toutes les couleurs, lente mais lourde, l’on se croirait au bon vieux temps des hippies sur une plage californienne, grande excitation, la voix explose, elle s’envole vers la luminescence du soleil, ne sont pas grecs rien pour rien, ils touchent au divin, l’on quitte la sphère de la commune addiction, on la troque pour une vision philosophique de la vie, la plus grande des sagesses n’est-elle pas celle des Dieux, le son vous englobe en lui-même, vous pénétrez dans le cinquième élément, zone éthérienne  interdite au commun des mortels. La descente s’effectue vers le haut. Day 13 : Escape : les grandes décisions, se retrouver face à soi-même, et prendre la décision de s’arracher d’ici et de maintenant, ça tourne dans sa tête, vous ne pouvez suivre, la musique de plus en plus forte, la voix qui s’étire vers l’infini, l’on ne comprend pas, veut-il briser le plafond de verre ou le plancher de cristal, veut-il revenir à lui-même ou s’envoler vers le soleil, phénix qui se brûlera les ailes, qui se consumera mais qui renaîtra de ses cendres en un cercle vicieux, la musique fore l’espace, il hurle, tout s’engouffre dans une spirale vertigineuse, elle disparaît au loin, pendant quelques instants l’on perçoit un écho lointain qui s’amenuise…

              Je ne sais pourquoi, en fait je le sais parfaitement, je pense au  Starchip du MC 5, la différence saute aux yeux ( et aux oreilles, pour soulever une évidence ), plus  d’un demi-siècle s’est écoulé, tout ce qui sépare la furie collective d’une époque révolutionnaire de poudre et de rêve du désespoir solipsiste de notre époque, de cet anéantissement personnel de chacun dans ses propres gouffres.

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             Une thématique que l’on retrouve dans de nombreux opus de groupes de metal ou stoner qui essaient de mettre en forme l’épopée de nos temps présents, High On Vigers y réussit hautement.

    Damie Chad.

     

                                                     *     

             Ça s’est affiché sur You Tube, je n’y ai pas prêté une grande attention, tiens un titre qui ne me dit rien mais il y en a tellement de lui… Je n’ai pas tardé à savoir, dès le lendemain matin au petit déjeuner à la radio, un inédit de Johnny Hallyday, z’en ont passé un court extrait en avant-première, très intelligemment ils ont parlé sur les quinze secondes de la future révélation, tu parles Charles c’était sur le net en fin d’après-midi la veille, je me suis précipité dès que j’ai eu un instant de libre afin de visionner :

    UN CRI

    JOHNNY HALLYDAY

    (Vidéo YT)

             Comme par hasard je suis tombé sur une vidéo mise en ligne par yangerdu26, c’est toujours ses posts que je privilégie quand je cherche un renseignement sur Johnny, derrière ce pseudonyme (faussement) mystérieux se cache Yannick Pezon, un amateur, au sens noble de ce terme, de Johnny. Un gars généreux et partageur, la preuve au moment où j’écris il en est à sa mille et treizième vidéos sur Johnny, attention une vidéo peut contenir plusieurs titres voire un concert en entier, une somme de documents de toutes natures inépuisable. Un travail de titan.

             D’où sort-il ? A quelle époque précise ce cri fut-il poussé ? Avant de répondre je ne pense pas qu’il s’agit comme il est annoncé du dernier des inédits de Johnny, j’en mettrais ma main au feu, tôt ou tard ressortiront des titres ‘’ retrouvés’’ selon de soi-disant hasards… Il s’agit d’une démo qui n’avait pas été retenue pour l’album de Mon pays c’est l’amour produit par Yodelice. Avant sa sortie il se murmurait que cet opus serait un album rockabilly / rock’n’roll. Ce ne fut pas le cas. L’idée devait trotter dans la tête de Johnny car en conférence de presse l’idole révéla que le prochain album serait rockabilly enregistré avec Brian Setzer. Il n’en fut rien.

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             Mon pays c’est l’amour fut le dernier disque, le cinquante et unième album studio enregistré par Johnny, il sortit quelques mois après sa disparition, en 2018. Comme le précédent il fut produit par Yodelice lequel s’est assez bien tiré de l’épreuve car terrassé par la maladie Johnny n’avait pu terminer les titres prévus. Un instrumental fut rajouté pour donner davantage de consistance au dernier effort inachevé de l’idole…

             Sur cet ultime album de Johnny se trouvait l’adaptation de  Let the goodtimes roll immortalisé par Fats Domino, sous le titre ‘’ français ’’ Made in Rock’n’Roll.

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             Or voici que vient de paraître ce 16 novembre 2023 un nouvel album de Johnny nommé Made in Rock ‘n’ Roll. Il s’agit de reprises, extraites de ses derniers opus, de Johnny, les orchestrations ont été refaites, mais cerise à l’eau-de-vie au parfum de crotale sur le gâteau a été glissé, incomparable argument en ces temps d’inflation galopante pour les fans fauchés, ce fameux et mystérieux inédit : Un Cri.

             Un inédit, quel qu’il soit c’est déjà beaucoup mieux que les deux albums classiques parus entre temps. Classique ne signifie pas ici collection des grands succès de notre chanteur, mais des morceaux de Johnny dépouillés de leur accompagnement originel auquel on a substitué une orchestration philharmonique. Johnny y gagne certainement une caution culturelle de bon aloi auprès du public des bobos qui ont depuis deux décennies systématiquement méprisé cette vedette populaire : ils peuvent désormais écouter du Johnny sans honte.

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             Retournons à notre Made in Rock ‘n’ Roll. Ne poussez pas un cri d’horreur en voyant la rusticité spartiate de la pochette. Ne dites pas que question packaging ils ne se sont pas fatigués, l’on pourrait vous entendre, et vous deviendrez la risée de tous les rockers de la planète. Citation hommagiale d’une couve du CD Early Recordings de Link Wray paru en 1978 chez Chiswick.

             Ne reste plus qu’à écouter. Pas mauvais du tout. Une belle intro, dès les premières notes Yodelice n’a pas trahi Johnny. Le texte reste dans la continuité du dernier Johnny, le gars qui a beaucoup vécu, beaucoup souffert mais qui reste debout envers et contre tout. Survivor à jamais. Mélodrame et orgueil. La démo était beaucoup plus roots, Yodelice l’a orchestré avec doigté, n’en rajoute pas, pas de pompeuse orchestration, un rythme de basse soutenu la voix de Johnny qui court comme un loup des steppes. Velours des pattes et encoche des griffes. Si vous écoutez bien, vous entendez quasiment en sourdine le hurlement du loup solitaire qui hurle à la lune dans les solitudes glaciales. Trois minutes mais il paraît beaucoup plus court. Aux premières écoutes l’on déplore l’absence d’un deuxième couplet.

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             Une vidéo se regarde aussi. Yannick Pezon a choisi la sobriété. Un fond noir, je ne sais comment il s’est débrouillé pour produire un noir si sombre, qui dévore l’écran, Johnny seul, futal de cuir noir, chemise rouge, un rouge éclaboussang, les images se suivent lentement et se ressemblent, pages d’un calepin que l’on tourne sans se presser car le regard s’attarde, visage du dernier Johnny, marqué par la fatigue, sur les ultimes quarante secondes, Johnny tout de noir vêtu en concert, un peu croque-mort mais qui sur la dernière photo sourit, car Johnny a croqué la vie jusqu’au bout.

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             L’existe aussi le clip officiel produit par Johnny Hallyday Officiel. Très décevant. L’impression que l’on confond la métaphore avec la réalité qu’elle décrit sans la nommer. Pour dire ‘’marteau’’, nul besoin de filer un coup de marteau sur la tête de votre interlocuteur. Evidemment vous avez un loup le museau levé vers la lune, entre des vues sur la guitare vous le voyez courir, très belles images, l’on se croirait dans un livre de Jack London, c’est après que ça se gâte, nous voici dans un magasin, tons crus et réalistes, serait-ce une pub inopportune pour une grande surface qui se serait glissée dans la vidéo, pas du tout les clients à l’air bizarre se révèlent être des danseurs, des hip-hopeurs qui rejoignent leurs copains dans une voiture, nous voici aux States avec les panneaux lumineux qui font la réclame pour la sortie de l’album Made in Rock ‘n’ Roll, tiens les Stones ont eu la même idée pour illustrer le clip de leur dernier morceau, encore plus dommageable les vues sur le loup qui ressemble à un chien perdu qui essaie de suivre la trace de ses maîtres, longue séquence de danse cette fois-ci le hip-hop se teinte de tecktonik, le loup ressemble de plus en plus à un chien-loup… quelques vues de Yodelice avec guitare, dernière image, le loup, Yodelice et sa guitare s’éloigne dans l’illuminescence orangée d’un soleil couchant. Outre le fait que les danseurs rappellent le clip de De l’amour ( 2015), ce que l’on reprochera à ce clip c’est sa fausse poésie.

             Un cri. Instrumental par yanjerdu26 : le lecteur comparera les deux versions. Yanjerdu26 pour sa version instrumentale s’est contenté de reprendre des images du clip officiel. Suit le déroulé du film, un véritable résumé. Au résultat c’est beaucoup plus fort. Le propos est nettement moins appuyé. Ne vous résume pas au stabilo rouge ce que ça veut dire. A vous de faire les liens. Moins on en dit plus on aiguise le mystère.

             Un cri. Karaoké par yanjerdu26 : Yannick Pezon propose aussi pour les amateurs de karaoké, une seule image, Johnny en blouson de cuit noir, main droite gantée de noir (bonjour Gene Vincent), instrumental uniquement, les paroles s’affichent quand vous devez chanter.

             Il existe d’autres vidéos reprenant avec d’autres illustrations ce même morceau. Je vous laisse les découvrir.

    Damie Chad.