Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

CHRONIQUES DE POURPRE - Page 7

  • CHRONIQUES DE POURPRE 648 : KR'TNT 648 : RUSS WILKINS / NO JAZZ QUARTET /MAX DECHARNE / WAYNE KRAMER / GEORGE SOULE / GHOST HIGHWAY / DOOM DRAGON RISING / ORPHEAN PASSAGE / THUMOS

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 648

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    06 / 06 / 2024 

     

    RUSS WILKINS / NO JAZZ QUARTET

    MAX DECHARNé / WAYNE KRAMER

    GEORGE SOULE /  GHOST HIGHWAY

     DOOM DRAGON RISING /  ORPHEAN PASSAGE

      THUMOS

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 648

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Russ the Boss 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Il existe deux boss dans l’histoire du rock et des wizards : Ross the Boss des Dictators, et Russ the Boss de Lord Rochester, mais aussi d’une palanquée d’autres groupes dont on va causer dans la foulée. Depuis cinquante ans, Russ the Boss Wilkins est l’une des têtes de gondole proéminentes de l’underground britannique, au même titre que Wild Billy Childish, Graham Day, Bruce Brand, Mickey Hampshire, Hipbone Slim, Dan Melchior et Sexton Ming. On retrouve la trace du Russ dans les Pop Rivets, les Milkshakes, le Len Bright Combo, les Delmonas, les Wildebeests, Lord Rochester et dans une multitude d’autres projets. Chaque fois, les disks sont bons, c’est important de le signaler. Les ceusses qui le savent y vont les yeux fermés.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Son anti-carrière remonte à 1979. Il était déjà dans la big rock action avec Wild Billy Childish et les Pop Rivets, et un tonitruant premier album baptisé Greatest Hits. Bruce Brand fait aussi ses débuts de légende vivante, car il y bat le beurre, il faut l’entendre battre la chamade de «Fun In The UK». Te voilà au parfum. On entend le Billy s’étrangler de rage dans «Bacon». Il fait du punk primitif, si mal dégrossi qu’on dirait du Dada. Ah quel joli développé de Méricourt ! On sent bien les racines du British beat dans leur punkitude affichée. S’ensuit un gorgeous clin d’œil aux Mods avec «Lambrettavespascoota», gratté à l’hard ska de Brixton, il est complètement fou le Billy, complètement fracassé de la ciboulette. Il s’énerve encore plus avec «Kray Twins», il chante comme une petite fiotte enragée, il est à la fois marrant et impressionnant. À l’aube des temps, les Pop Rivets sont superbes, Billy the kid part bien en vrille sur le bassmatic de Russ the Boss. Avec «Commercial», ils sonnent comme les Buzzcocks, avec la même énergie et le même bassmatic cavaleur. C’est Russ the Boss qui tape le «Disco Fever» en mode «Death Party». Quelle dégelée ! Les Pop Rivets sont effarants de grandeur tutélaire. Billy fait encore sa sale teigne sur «To Start - To Hesitate - To Stop» et Russ the Boss roule sa poule au bassmatic délirant. On entend parfois Billy crier comme un condamné, et ils bouclent cette brillante affaire avec le wild gaga punk de «Pins & Needles». Ils sortent le grand jeu, c’est-à-dire le fast stomp. Merveilleuse énergie des maillots de corps et des peaux adolescentes.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             On trouve trois covers diaboliques sur l’Empty Sounds From Anarchy Ranch des Pop Rivets : «You Really Got Me», «Wild Thing» et «What’cha Gonna Do About It». Ça chauffe pour de vrai, c’est trashé jusqu’à l’oss de l’ass, il tapent les Small Faces, les Kinks et les Troggs à l’arrache-pied et sur le What’cha, on entend la bassline voyageuse de Russ the Boss. Le reste de l’album va plus sur la grosse dégelée de Medway Punk’s Not Dead, et «Skip Off School» est un real deal de real slab. Heureusement tout n’est pas si bon, ça permet de reposer les oreilles. Avec «Anarchy Ranch», ils font de la wild Americana de Medway. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Le Live In Germany ‘79 est un bel Hangman de 1990. Tu éprouves une certaine fierté à le posséder, comme d’ailleurs tous les Hangman. Ce Live est plus un document sociologique qu’un album live, au sens où on l’entend généralement. Ce n’est ni le Band Of Gyspsys ni le Rockin’ The Fillmore, c’est un doc live un peu âpre, enregistré avec les moyens du bord à Hambourg et à Dusseldorf, en septembre 1979. Les Pop Rivets sont quatre, Wild Billy Childish chante, Bruce Brand gratte ses poux, Big Russ bassmatique, et Little Russ bat le beurre. Au dos, Jack Ketch déclare que ce Live «is an important document in the history of medways premier punk group». Alors ils foncent dans le tas et aussitôt après un «Hippy Shake» mal dégrossi, ils tapent un «Kray Twins» punk as hell. On entend Big Russ monter au front avec son bassmatic sur le ska d’«Hipocrite» et Billy pique sa crise avec la cover du «Watcha Gonna Do» des Small Faces. En B, ils sortent leur vieux «Fun In The UK», le fast punk de «Beatle Boot» vite torché à la torchère, et ils enchaînent avec l’«ATVM Ferry»» d’Alternative TV de Part Time Punks, puis «Steppin’ Sone», cover idéale pour des sales punks. Ils se vautrent ensuite en reprenant le «Jet Boy» de Plastic Bertrand. Ce sera la seule faute de goût dans les immenses carrières de Wild Billy Childish et de Big Russ Wilkins. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             En 1982 Russ the Boss se retrouve dans les Milkshakes, une sorte de super-groupe avant la lettre. Pardonnez du peu : Wild Billy Childish, Bruce Brand, Mickey Hampshire et Russ the Boss. Si ce n’est pas un super-groupe, alors qu’est-ce que c’est ? Ils vont enregistrer une petite palanquée d’albums, avec en moyenne trois pépites sur chacun d’eux, ce qui reste une moyenne honorable. Fourteen Rhythm & Beat Greats est un Big Beat de 1982. Belle pochette classique, beau son classique, beau choix de cuts classiques. On en retiendra trois : «Seven Days», «No One Else» et «Red Monkey». «Seven Days», oui, car monté sur les accords des early Kinks, Milky Power avec l’aw qui annonce se solo de la désaille définitive, du pur Mickey Hampshire. Exploit qu’il réédite avec un «Exactly Like You» bien bombé du torse. «No One Else», oui, car bombasté dès l’intro par Big Russ, le demolition man. Fantastique pulsateur devant l’éternel ! Et «Red Monkey», oui, car clin d’œil à Link Wray avec un son de basse délibérément outrageous. Du Wray de Wray.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             En gros, les Milkshakes sonnent comme les early Beatles et les early Kinks. C’est à la fois leur crédo et leur seuil de référence. Sur After School Sessions, «Shimmy Shake» sonne exactement comme du l’early shimmy des Beatles. Fantastique mimétisme ! Même chose avec «You Can Only Lose» en B, pur early shimmy shake de Beatlemania. Avec «Tell Me Child», ils font le dirty gaga Kinky, Mickey Hampshire gratte les poux de Dave Davies. C’est tellement ultra-dirty que ça mord sur les Pretties. Le reste est plus classique, plus Milkshaky. On entend bien le bassmatic de Russ the Boss dans «I Can Tell», ils diversifient énormément, et Bruce Brand sublime l’instro cavaleur «El Salvador». Ils terminent avec un «Cadillac» plein de jus, battu sec, taillé au cordeau, fourvoyé, mais un peu prévisible. On leur pardonne. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Retour aux Kinks sur The Milkshakes In Germany avec «I’ll Find Another». Pure Kinky motion ‘65 et killer solo trash à la Dave Davies. Merci Mickey ! Retour aussi à l’early Beatlemania échevelée avec «She’s The Kind Of Girl». C’est exactement la même énergie. Ils bouclent leur balda avec «Comes Along Midnight», plus stompy, plus dirty, pas loin des Pretties, mais des Pretties en colère, sonné des cloches au scream et transpercé d’un killer solo trash de Mickey Hampshire ! Si on écoute cet album, c’est uniquement pour rester en bonne compagnie. Ils font encore des étincelles en B avec «I Need Lovin’», un heavy groove milkshaky hanté par un solo de traînasse. Même au ralenti, ils sont éclatants de punkitude sixties. Ils bouclent ce teutonique Germany avec un «Sometimes I Wantcha (For Your Money)» très beatlemaniaque dans l’idée, mais avec une pincée de wild gaga punk. Billy the kid chante vraiment comme John Lennon.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Encore une belle pochette classique pour ce 20 Rock & Roll Hits Of The 50’s And 60’s, un Big Beat de 1984 qui te frétille entre les doigts. Il fait même honneur à ton étagère. Big Russ et toute la bande commencent par rendre hommage aux Beatles avec une version en plein dans le mille d’«Hippy Hippy Shake». S’il est un groupe qui a bien pigé le génie des Beatles, c’est eux. Ils trient leurs covers sur le volet et enchaînent avec le «Rip It Up» de Little Richard, mais sans la voix. C’est du tout cuit pour cette bête de Gévaudan qu’est Bruce Brand. Sur cet album, tout est drivé sec par Russ et battu net par Bruce. Ils rendent hommage à Gene Vincent avec une cover claironnante de «Say Mama», et plus loin de «Jezebel», et restent dans le giron des génies de l’humanité avec Buddy Holly et une version de «Peggy Sue» qui leur va comme un gant. Numéro dément de Bruce au beurre. Si tu veux entendre un grand batteur anglais, c’est là. Ils tapent aussi l’imbattable «Jaguar & The Thunderbird» de Chucky Chuckah et en dépotent une version ahurissante d’ampleur et d’élan. T’es vraiment content d’être là, devant ta petite platine de branleur. En B, ils claquent un «Something Else» bien senti, looka here ! C’est gratté dans le sens du poil, tu peux leur faire confiance. Leur «Who Do You Love» est un peu trop bordélique, mal lancé. Ils perdent en route le Bo du Bo. Par contre, ils transforment l’«Hidden Charms» de Wolf en wild protozozo, et ils bouclent la boucle avec une version complètement allumée d’un cut déjà allumé, «I Wanna Be Your Man», qui, t’en souvient-t-il, fut le premier single des Stones, cadeau de John & Paul.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Belle pochette que celle de Nothing Can Stop These Men, paru en 1984. Si tu veux voir un vrai super-groupe en photo, c’est là que ça se passe. Attaque de plein fouet avec «You Got Me Girl», heavy gaga britannique, terriblement dirty, traîne-savate et mal intentionné. Bruce Brand vole le show dans «She’s No Good To Me», ce big shoot de gaga buté et bas du front, mais c’est en B que se joue le destin de l’album, avec «The Grim Reaper», un instro digne des Cramps. Puis ils rendent hommage à Johnny Kidd avec «Everywhere I Look». On y entend aussi des échos du «Brand New Cadillac» de Vince Taylor. Puis ils renouent avec la Beatlemania dans «I’m The One For You», poppy en diable, chanté à l’accent clinquant couronné d’harmonies vocales et de claqué de Ricken. Pur magie ! «You’ve Been Lyin’» sent aussi très bon le «Brand New Cadillac» - You’ve been lyin’/ Lyin’ to me - Hard Nut ! 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Sous-titré The Legendary Missing 9th album, The Milkshakes’ Revenge paraît en 1987. La bande fut volée au soir de l’enregistrement, nous dit Hasty Bananas au dos de la pochette. Et elle réapparut tout aussi mystérieusement. Tant mieux pour nous, car on peut écouter ce smash d’heavy rumble qu’est «Let Me Love You», une espèce de coup de génie à la Johnny Kidd. Ils enchaînent avec une belle cover d’«I Want You», l’immémorial hit des Troggs, et en B, ils tapent une autre prestigieuse cover, «Pipeline», mais elle n’est pas aussi flamboyante que celle de Johnny Thunders sur So Alone. Wild Billy Childish pique sa crise de gaga-punk des Batignolles avec «She Tells Me She Loves Me», et puis avec «Every Girl I Meet», les Milkshakes font une petite tentative   de putsch rockab. Ils bouclent avec une cover du «Baby What’s Wrong» de Jimmy Reed, qui dans les pattes des Milkshakes devient un heavy stomp gaga mené de main de maître.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Wild Billy Childish et Big Russ se retrouvent sur Laughing Gravy, un 25 cm paru en 1987. Pochette bois gravé, sortie des ateliers du graveur Childish. Il n’existe rien de plus underground que ce type d’album. Même à l’époque, il fallait sortir un billet pour l’avoir. Ils attaquent avec une cover du «Baby What You Want Me To Do» de Jimmy Reed. Ils tapent tout l’album aux poux très secs. Ça sonne comme s’ils se désaccordaient en jouant. Leur volonté d’anti-m’as-tu-vu n’en finit plus de s’afficher, cut après cut. Ils tapent le «Black Girl» de Leadbelly à la corne de brume, ou à l’orgue de barbarie, c’est comme tu veux. Ils sont marrants, tous les deux, on les voit sautiller derrière «Little Bettina», ils grattent comme des sagouins. Pas question d’être numéro un au hit-parade ! Fuck it ! En B, ces deux cats du Kent tapent un heavy boogie downhome de Rochester, «I Need Lovin’». Fabuleuse clameur.

             Ce sont les Milkshakes qui accompagnent les Delmonas sur leurs quatre albums. On y reviendra dans un chapitre à part entière.

             Ce n’est pas un hasard, Balthasar, si on retrouve Russ the Boss dans les deux albums du Len Bright Combo, Len Bright Combo By The Len Bright Combo, et Combo Time, parus tous les deux en 1986 sur le mythique label Ambassador.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Magnifique album que ce Len Bright Combo By The Len Bright Combo. Trio en forme de formule magique : Wreckless Eric, Russ the Boss et Bruce Brand. On y trouve deux clins d’yeux à Syd Barrett : «Selina Through The Windshield» et «Lureland». Pour Selina, l’Eric ramène un brillant panache de psyché, et il place un gros solo trash de dérive abdominale. C’est éclatant, pur jus de Piper, il explose The Gates Of Dawn. Fantastique résurgence ! «Lureland» est aussi très Barrett, même complètement barré de la Barrett. Le coup de génie est le cut d’ouverture de balda : «You’re Gonna Screw My Head Off». Très British, éclatant, développé, surprenant, imparable. Une solace de psychout so far out. En B, on tombe sur «Sophie (The Dream Of Edmund Hirondelle Barnes)». Il faut leur reconnaître une certaine grandeur, une belle affirmation, une volonté réelle d’éclater le Sénégal d’Angleterre. Que de son, my son ! «The Del Barnes Sound», nous dit-on au dos de la pochette. Tout aussi puissant, voici «The Golden Hour Of Farry Secombe», un cut qui va se fracasser dans le mur du son. Et ce magnifique album s’achève avec «Shirt Without A Heart», un power de tous les instants monté sur une pure structure pop, l’Eric bâtit son petit Wall of Sound avec une troublante efficacité. Il monte son cut en neige prodigieuse.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Le deuxième Len Bright Combo sort la même année, en 1986 et s’appelle Combo Time.  Il s’ouvre sur l’assez puissant «Comedy Time». L’Eric charge bien sa barcasse de comedy time. Son «Pleasant Valley Wednesday» n’a rien à voir avec les Monkees, mais ça dérape dans la Méricourt de Big Russ. Comme on l’a vu sur le premier Combo, l’Eric sait créer les conditions du foutoir psychédélique, c’est en tous les cas ce que montre une fois de plus «Swimming Against The Tide Of Reason». Il dispose d’une pente naturelle à l’esbrouffe, il sait finir en beauté. Il dispose bien sûr du personnel idéal pour ça. «The House Burned Down» sonne comme un petit boogie décidé à en découdre. Alors il en découd. Une fois encore, nous trois amis chargent bien la barcasse et ça grimpe très vite en température. C’est vraiment excellent, toujours inspiré, soutenu aux chœurs de lads. Comme si Syd avait mangé des épinards. En B, ils partent en monde «Lust For Life» pour «The Awakening Of Edmund Hirondelle Barnes». Assez gonflé. Pur Russ power ! Bruce Brand vole le show avec «Club 18-30», un petit ramshakle original et l’album se termine en beauté avec «Ticking In My Corner», un heavy country blues de Medway, c’est brillant, joué au bord du fleuve. On exulte en écoutant le bright downhome blues du Combo. Méchante allure ! L’Eric est un crack, un vrai boum-hue-hue. Il explose le country blues, il en fait une montagne de pâté de foi, et il y jette toute sa petite niaque.   

             En 1996, Russ the Boss monte les Wildebeests avec John Gibbs (qui a joué avec Hipbone Slim et les Masonics) et Lenny Helsing au beurre.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Dimbo Party sort sur le label d’Hipbone Slim, Alopecia Records, en 1997. Donc gage de qualité. Russ the Boss annonce la couleur dès «Trust In Me», heavy shoot de gaga-punk britannique, juteux, frais comme un gardon et lourd de sens. On sent que ces trois mecs prennent du plaisir à shaker le shook. Avec «Come On now», ils passent au classic Beatles jive de l’aube des temps, puis ils claquent «Hey Cassandra» au swing de Gévaudan, Big Russ fout le feu à la ville pendant que Gibbs claque un bassmatic monumental. Wild Wildebeests jive ! Ils attaquent leur B de plein fouet avec «You Were Wrong», c’est du Chucky à l’anglaise, claqué au riff hésitant, typique des Pretties, et Gibbs perpétue le grand art du bassmatic à la John Stax. Diable, comme ces trois mecs vénèrent les Pretties ! Ils swingent encore comme des démons sur «Mind Blender» et «BMC», et bouclent cet album qu’il faut bien qualifier de chaud-devant avec «Bubblegum Fuzz». Ils s’y entendent en dégelées royales. Joli shoot de wild as Beests !

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Pas étonnant que Go Wilde In The Countrye soit paru sur Sympathy For The Record Industry. C’est un wild album qui grouille de puces, une sorte d’apanage du power trio underground pur, et ça claque derrière les oreilles dès «I Need You» en mode Trogglodynamite, c’est-à-dire bouillon de culture gaga-punk. Ils embarquent «Frogboy» au one two three, au fast on the run. Comme ils chantent en anglais, on s’exprime en anglais, pour essayer d’être un peu cohérent. Dans la vie, un peu de cohérence ne fait jamais de mal. Russ et ses sbires vont vite en besogne et te remontent la sauce avec des chœurs de Dolls. Plus loin, ils attaquent «Standing Alone» en Kinky motion, bel hommage au génie punk de Dave Davies, Russ et ses Beests ont le power, ils claquent le Kinky KO. Ils regrattent les accords des Kinks de 65 dans «This Is My Year» et Russ the Boss passe un violent killer solo. Ils tapent une très violente cover de «Parchman Farm». C’est complètement punked-out, ils gèrent bien le calme avant la tempête. Ils sont les Wildebeests de Gévaudan. Pour couronner le tout, voilà une belle dégelée psyché, «Couldn’t You Say You Were Wrong», avec une incroyable profondeur de champ, ils font du Syd Barrett sous amphètes, ça spurge dans la stratosphère, ils explosent tout, c’est un violent shoot de Mad Psyché évangélique, ça traverse les siècles et le blindage des coffres, ça t’explose la bulbosphère, et le Russ n’en finit plus de charger la barcasse du diable.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Il est possible que le perruqué qui orne la pochette d’Annie Get Your Gnu soit le mec des Snobs, un combo britannique des sixties qu’on croise sur les meilleures compiles Mods, notamment Searching In The Wilderness. Annie Get Your Gnu est ce qu’on appelle un album endiablé. Boom dès «Your Mind». Boom car explosif ! Quasi protozoaire, affreusement claqué du beignet par Russ the Boss. Killer solo, bien sûr. Une fois de plus, les Beests de Gévaudan dévorent les abscisses et les ordonnées du rock anglais. Le petit stomp d’«I Can’t Change» sonne très Beatles au Star Club de Hambourg et puis avec «No No No», ils font du simili 13th Floor Elevators, avec une cruche électrique. Bel hommage ! Retour en fanfare à Dave Davies avec «Til Sun Up». En plein dans le mille du Really Got Me. Russ the Boss n’en finit plus d’être fasciné par ce son, comme au temps des Milkshakes. Retour au Really Got Me en B avec «Lucinda», ce sont exactement les mêmes accords, aw Lucinda/ Luncinda/ Why don’t you set me free - Russ passe un killer solo flash aussi beau et définitif que celui de Dave Davies. Plus loin, ils tapent une cover inexpected, l’«I Did You No Wrong» des Pistols. Bien sûr, ils n’ont pas la voix, mais le feu sacré est là, et bien là. Ils finissent en beauté avec «Who’s Sorry Now», un superbe shoot de gaga jeté par dessus la jambe, avec les chœurs des Who, c’est brillant, braillé au who’s sorry now.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             L’une des spécialités des Wildebeests est de démarrer les albums avec le dirty punk le plus sale et le plus méchant. The Gnus Of Gnavarone n’échappe pas à la règle. Russ the Boss explose «You Lied To Me» avec un wild killer solo trash. Dans le genre, il est aussi bon que Mickey Hamshire. Le hard boogie de «Nothing’s Gonna Change Me» est encore un pur coup de génie bestial. «Face» est encore bien chargé du bulbique et chanté au raw gut de just to see your face. Tout le reste de la viande est parqué en B, boom dès «Why Don’t You Come Home», attaqué en mode Pretties, aussi wild que «Don’t Bring Me Down», c’est exactement la même niaque de morve délinquante et le même fondu de killer killah. Ils tapent chaque fois en plein dans le mille, comme le montre encore la belle pop psyché de «That Man». Tout est brillant, chez ces mecs-là. «Save My Soul» sonne comme un hit des Creation. Ils ont ce profil d’ultra-freakbeat. Russ the Boss boucle avec «You Can Get Together Again», monté sur un heavy stomp de base et de rigueur, et noyé de killer killah  à la Big Russ, c’est une aubaine pour les oreilles.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Comme son père spirituel Nuggets, Gnuggets est un double album, et même un sacré double album, le genre de double album auquel personne ne peut résister. Russ the Boss et ses deux amis ont rassemblé tous les singles des Wildebeests, et ça rock the boat ! Douze bombes sur les 4 faces, dont d’incroyables covers, comme le «Gorilla Got Me» de Jesse Hector, le «She Lives In A Time Of Her Own» du 13th Floor, le «Mongoloid» de Devo que Big Russ gratte à la cisaille, le «Public Image» de PIL attaqué à la basse de Jah, Hallo ! Hallo!, le «Down In The Bottom» de Big Dix avec les fantastiques descentes au barbu de John Gibbs, l’«I Feel Alright» des Stooges tapé au bassmatic des Trogglodynamics, le «Just Like Me» de Paul Revere & The Raiders qu’ils font sonner comme du Dave Davies, l’«I’m Rowed Out» des Eyes, classic gaga-punk de l’âge d’or gratté encore une fois à la Dave Davies, le «Mellow Down Easy» et l’«Hidden Charms» de Big Dix, groové en profondeur pour le premier et transpercé par un killer solo flash pour le second, et puis tu as encore le «Please Go Home» des Stones, l’«All Aboard» de Chucky Chuckah, le «Don’t Gimme No Lip» de Dave Berry, quasi protozoaire, joué à la main lourde de l’heavy stomp. Tu vas aussi retrouver l’effarant «Parchman Farm» proto-punkish de Mose Allison, l’«I Wanna Be Loved» des Heartbreakers, suprême hommage, le «Commanche» de Link Wray, «You Lie», un hit obscur des Lynx, digne des Downliners, et en fin de D, on tombe sur des compos à eux, comme «One + One», heavy slab de gaga sauvage, «1996», solide et wild, gratté à la vie à la mort, et «Pointless» pur jus de Stonesy, pas loin de l’«Under-Assistant West Coast Promotion Man». 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             En 1987, Russ the Boss s’associe avec Sexton Ming pour monter les Mindreaders. Boom direct avec Ban The Mindreaders. C’est l’un des grands albums inconnus de l’Underground Britannique. Ils démarrent avec un «We’re Gonna Have» wild as fuck, qui est une cover du «We’re Gonna Have A Real Good Time Together». C’est claqué si sec ! En B, ils restent dans les parages du Velvet avec une cover du «She Cracked» des Modern Lovers. Nouvel hommage de taille avec le «Love Comes In Spurts» de Richard Hell. Explosif ! Sur «Anna», Russ the Boss passe un solo à deux notes, comme Pete Shelley le fit dans «Boredom», au temps  béni de Spiral Scratch. Ces trois mecs sont supérieurs en tout. Même niaque que celle des Cheater Slicks. Encore un terrific gaga blaster avec «Girl I Kill You». Tu as là la disto la plus sale d’Angleterre. Pure giclée de protozoaire ! Puis il tapent dans le saint des saints avec l’«Are You Experienced» de l’ami Jimi. Alors, aussi incroyable que celui puisse paraître, ils l’explosent ! Ils osent exploser l’hendrixité des choses ! Russ the Boss est coutumier de ce genre d’exploit. C’est à lui qu’on doit la grandeur du premier album de Len Bright Combo. Il faut aussi saluer l’«I Don’t Care» planqué en B et pulsé aux chœurs de fiottes. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Un deuxième album des Mindreaders a fait surface récemment sur Spinout Nuggets. Il s’appelle Continuation et bénéficie d’une belle pochette voodoo. Apparemment, le trio a survécu, comme l’indique Vic Templar au dos de la pochette. Tant mieux pour nous, pauvres pêcheurs, car voilà (encore) un album béni des dieux du rock anglais, et ça te saute à la gueule dès l’hard gaga boueux bien cracra d’«It’s Bagtime», c’est même carrément Beefheartien, un vrai coup de génie underground. Tu t’en remets difficilement. Plus loin, ils passent à l’experiment avec «Fractures Of Your Face», un cut processionnaire qui ondule sous la lune, mais ils opèrent un retour aux brutalités avec «Take You Slow», ça chante à la meute de chasse avec le sax d’X Ray Spex. Incroyable power de la modernité ! Ça paraît logique avec des gens comme Sexton Ming et Russ the Boss. En B, tu as un beau câdö qui t’attend : une triplette de Belleville avec «I’m Alright Jack», «She’s My Sausage Girl» et «M2 Bridge 67». Alors, punk rawk d’Edimburg avec le Jack, rawk beefheartien avec la Sausage Girl, c’est même pire que du Beefheart, complètement demented, excédé, avide de confrontation, et puis voilà l’M2, un fascinant balladif monté en neige. Ils basculent dans l’excellence ambiancière. On n’en attendait pas moins d’eux. 

    Signé : Cazengler, Russtique

    Pop Rivets. Greatest Hits. Hipocrite Music 1979

    Pop Rivets. Empty Sounds From Anarchy Ranch. Hipocrite Music 1979

    Pop Rivets. Live In Germany ‘79. Hangman Records 1990

    Milkshakes. Fourteen Rhythm & Beat Greats. Big Beat Records 1982

    Milkshakes. After School Sessions. Upright Records 1982

    Milkshakes. The Milkshakes In Germany. Upright Records 1983

    Milkshakes. 20 Rock & Roll Hits Of The 50’s And 60’s. Big Beat Records 1984

    Milkshakes. Nothing Can Stop These Men. Milkshake Records 1984

    Milkshakes. The Milksakes Revenge. Hangman Records 1987

    Wild Billy Childish + Big Russ Wilkins. Laughing Gravy. Empire Records 1987

    Len Bright Combo By The Len Bright Combo. Empire Records 1986

    Len Bright Combo. Combo Time. Ambassador 1986

    The Wildebeests. Dimbo Party. Alopecia Records 1997

    The Wildebeests. Go Wilde In The Countrye. Sympathy For The Record Industry 1997

    The Wildebeests. Annie Get Your Gnu. Screaming Apple 2006

    The Wildebeests. The Gnus Of Gnavarone. Dirty Water Records 2009

    The Wildebeests. Gnuggets. Dirty Water Records 2010

    Mindreaders. Ban The Mindreaders. Empire Records 1987

    Mindreaders. Continuation. Spinout Nuggets 2021

     

     

    L’avenir du rock

     - Quartet gagnant

             S’il est un reproche que l’avenir du rock ne supporte pas, c’est qu’on le traite de positiviste. Il éprouve pour le positivisme une profonde aversion. Ça le fait gerber, rien que d’y penser. Pire que le mal de mer. Pire que de voir une grosse rombière réactionnaire déguster des biscottes de foie gras dans un fucking réveillon. Des exemples comme celui-là, il en a d’autres, ça pullule, chaque fois que l’avenir du rock s’approche de secteurs comme la politique, la religion ou les médias, il frise l’overdose de gerbe rien que d’y penser. Alors il s’en éloigne rapidement. Par contre, si tu le branches sur le négativisme, alors tu vas voir sa bobine s’illuminer. Rien de tel que le négativisme ! Sa tournure préférée reste le fameux No Future, l’hymne des jours pas heureux, ceux qu’il préfère. C’est justement le paradoxe du No Future qui fascine tant l’avenir du rock. Pourquoi ? Parce qu’avec sa formule, Johnny Rotten renoue avec la véracité véracitaire de l’utopie anarchiste. Des cakes comme Zo d’Axa clamaient au XIXe siècle qu’elle était l’avenir du genre humain. Johnny et Zo font bicher l’avenir du rock. Il adore aussi la formule No Way Out, elle dit tout ce qu’il y a à savoir d’une impasse. Rien de tel qu’une bonne impasse pour te retrouver au pied du mur. Pour te sentir bien baisé. Que tu t’en sortes ou pas n’est pas le problème, de toute façon, ta vie est un no way out, il ne faut jamais perdre ça de vue. L’avenir du rock éprouve encore un faible pour le No Sell Out, c’est-à-dire la caste des groupes qui ne vendent pas leur cul. En son temps, le NME avait publié un spécial No Sell Out dont la tête de gondole était Fugazi, et dont la meilleure incarnation reste Wild Billy Childish. Quand l’avenir du rock observe la voûte étoilée, il se régale du spectacle de cette belle constellation : Zo d’Axa, Johnny Rotten et Wild Billy Childish, auxquels il ne manque pas d’ajouter les mighty No Jazz Quartet, nouveaux tenants de l’aboutissant.    

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Toujours un bonheur que de retrouver sur scène l’ex-Holy Curse et ex-Keith Richards Overdose, Sonic Polo. On l’a vu en 2015 au Havre avec l’excellente Overdose (dont on a dit ici tout le bien qu’il fallait en penser), et des tas de fois au temps où les Holy Curse ouvraient pour tous les groupes gaga anglo-américains qui déboulaient à Paris. Jamais en tête d’affiche, alors ça finissait par devenir scandaleux, car les Holy Curse battaient pas mal de têtes d’affiches à la course. Les mighty Holy Curse avaient deux armes secrètes : Sonic Polo sur sa Tele bleue, et au chant, un brillant gaillard qui aurait pu remplacer Chris Bailey dans les Saints, pas de problème. Dans ce monde idéal dont on parle souvent, les Holy Curse auraient dû exploser.  

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Sonic Polo reprend tout à zéro avec No Jazz Quartet, alors on va les voir sur scène.  C’est le genre de résurrection sur laquelle on ne crache pas. On en attend même des miracles. Le décorum de la Boule Noire s’y prête bien, puisqu’ils apparaissent dans la fumée. Le Quartet émerge du fog, deux grattes à l’avant et James McClellan tape tout de suite dans le dur en faisant son Captain Beefheart, ou son Tex Perkins, si tu préfères, il growle son «Lost Trail» à s’en esquinter la glotte et nous voilà partis à l’aventure, dans la meilleure des compagnies. Le Quartet joue en formation serrée, les deux grattes croisent le fer en permanence, Sonic Polo et Captain James nouent des accords bilatéraux dilapidés sur le champ, ils développent des combinaisons toxiques, ils trafiquent d’atroces sortilèges, ils tissent des trames insidieuses et plongent la pauvre vieille Boule Noire dans un ténébreux chaos de no way out, mais sans en rajouter des caisses, ce qui est admirable. Comme s’ils parvenaient à tenir leur chaos en laisse. Ils cultivent les Fleurs du Mal d’un rock à la fois ancien et moderne, on revoit ce qu’on a déjà vu cent fois, et en même temps, ils shakent l’orgone accumulator comme des cracks. Tu revois Sonic Polo sur scène et t’es dans la machine à remonter le temps, mais tu le vois mettre le grappin sur le matérialisme dialectique du rock, sa façon de dire : «c’est là, maintenant !». Quand il est bon, le rock te fait vivre l’instant présent mieux que toute autre forme d’art. Ce sont tous les instants présents ajoutés les uns aux autres qui constituent l’avenir du rock. Cut après cut, le Quartet bâtit sa version de l’avenir du rock. Tu peux y aller les yeux fermés.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Sonic Polo prend le chant sur «Thermondynamic Love», un cut qui cavale à travers la plaine. Hot as hell. On sent le punk en lui et bien sûr ça explose en plein vol. Ils adorent tramer leurs complots dans l’ombre, comme le montre «The Flower On The Wall». Mais toujours pas de hit. Ce n’est pas leur propos. Le vent noir souffle sur «The Dark Wind», alors ils duettent dans les vapeurs de l’enfer du boulevard, ils se payent des petites crises de hurlette de Hurlevent et claquent des accords mort-nés. Sonic Polo annonce un cut du prochain album, «Ramshackle», puis Captain James revient s’arracher la glotte sur «The Last Man On Earth». Ils n’en finissent plus de chercher des noises à la noise, ils repartent de plus belle avec «And Then I Saw The Bird» enchaîné avec «Three Kinds Of Snakes», heavy boogie et heavy sludge, il y va de bon cœur le Captain James. Full blow ! Ils atteignent le sommet du bottom, ils noient cette merveille dans le son des grattes. «Three Kinds Of Snakes» est le tenant de l’aboutissant. Sonic Polo glisse un tournevis dans ses cordes pour attaquer «Good Riddance». Ça sonne un peu comme du Horsepower, mais avec du doom en plus. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             L’occasion est trop belle de plonger à nouveau dans Holy Curse. Tu devrais commencer toutes affaires cessantes par Take It As It Comes, un mighty Turborock de 2011. En plus ce fut un cadeau, lors d’une convention, au Havre. Quel album !

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Ça t’emporte la bouche dès «Johnny’s Day (It Wasn’t)». D’habitude, c’est bardé de barda, mais là, c’est saturé de barda. Mad Eric pose son chant sur la marmite, c’est bien Detroit dans l’esprit, avec les solos en intraveineuse. Ça joue à ras-bord, t’as un solo compressé, enragé et ballonné et tu vois l’Eric remonter sur le dragon. Demented ! Le «Died Ugly» qui suit est encore plus saturé, ça bascule en plein dans les Saints. T’es pas sorti de l’auberge avec ces mecs-là ! Ils héritent de toute la grandeur de l’heavy sound et des ponts flottants de l’invasion barbare. Sonic Polo te tombe sur le râble en permanence. Sa fournaise est ambulatoire. Il devrait faire école. Pur sonic genius, ses notes flottent dans la fournaise. Il invente le sonic trash flottant. Puis sa gratte devient une gratte vampire dans «Man With The Heavy Hand». Il plane sur le cut. Oh l’incroyable qualité de la menace ! Il entre par la fenêtre et joue le jeu de l’heavy load. Mad Eric re-vole ensuite le show avec «The Bellbirds Song», une espèce de rentre-dedans digne des Saints : tu y croises du take me down et un killer solo trash.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Paru en 1999, Hereafter vaut sacrément le détour. Tu y retrouves tout ce que tu aimes : le riff raff bien posé à plat et la voix d’autorité. Ils sont déjà les rois de la dégelée. Avec eux, t’auras jamais froid en hiver. Ils rendent très vite hommage aux Saints avec «Recurrence». Après des petits arpèges de brouillage de piste, ils repartent à l’harsh fondamental, ils n’en finissent plus d’étaler leur miel brûlant sur la tartine, ils partent en mode Saints à coups de giclées de dégelée. Plus loin, ils vont encore sonner comme les Saints dans «Dehumanized» (sic) et «Insane Alive», ils y vont à coups d’and the world is going wild, primal Sainty blow, ils te claquent ça au non retour de no way out. «Dehumanized» est chargé de tout le pathos d’Eternally Yours. Quant à «Insane Alive», ça te renvoie en cœur de «Nights In Venice», dans cette culmination de l’enfer sur la terre, les poux s’en donnent à cœur joie, ça gratte à la folie, t’en vois pas tous les jours des poux aussi tentaculaires, aussi profite-zen, et les Curse n’en finissent plus de relancer leur banco, ça bascule dans une fournaise qui doit autant aux Saints qu’aux Stooges. Tout l’album est bourré à craquer, notamment ce «Terra Incognita» qui plonge Moctezuma dans le pire climax qui se puise imaginer, et dans «Days Like Minutes», ils te font le coup de l’invasion des killer solos flash. Deux dans le même cut ! C’est une bénédiction. Et puis voilà le coup de génie qui arrive sans prévenir : «It’s In My Nature», avec sa belle entrée en lice d’I need you to love me, alors ça gratte à la cocote sévère, ça monte en neige et ça bascule dans une ahurissante stoogerie, avec un final soloté à la vie à la mort. Sonic Polo ne joue pas encore dans Holy Curse. Il arrive sur l’album suivant.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Ils enregistrent Bluer Than Red chez Lucas Trouble. C’est le bim bam boom garanti. L’album est noyé d’ultra-sound et l’Eric pose bien son chant sur la pétaudière de deux grattes. Dans «(Give Yourself Up To) Rock’n’Roll», ça tortille d’un côté et ça cisaille de l’autre, ça ondule en permanence a bord du gouffre de la stoogerie. Il y est question de save your soul. Mais le kick some ass with rock’n’roll n’est pas du meilleur goût. Ils reviennent dans le giron des Saints avec «Long Gone». Il y va l’Eric Bailey, il tape en plein dans le mille du mythe brisbanais, il remonte le courant comme un saumon de Brisbane. Sur «Las Vegas On Sea», il pose bien les éléments, yeah yeah, et sous lui, ça bouillonne dans la marmite du Kaiser. Mad Etic chante comme le Seigneur des Annales au-dessus du fleuve de lave. Ils plongent l’«Enough» vivant dans la friteuse, c’est un cut qui va craquer sous la dent et le Kaiser pousse bien la sature dans les orties. «I Feel Free» te tombe dessus comme une grosse tarte à la crème. Ils inventent le concept du pathos saturé de sature. Ils battent tous les records, même ceux d’In The Red. Si tu écoutes ça sous le casque, t’as les oreilles en chou-fleur et c’est très bien. Ça continue de monter en température avec «Rivers Of Blood», look out mama ! On entend à peine Mad Eric dans la fournaise. Les attaques de double chorus sont uniques au monde. Ils battent les Stooges à la course. Mais le pire est à venir et il s’appelle «Superfortress». Ça sent bon l’enfer sur la terre, t’es dans Rosemary’s Baby avec le son de Motörhead. Le cut rôtit littéralement en broche, et toi avec, et qui tourne la broche ? Satan Polo et ses tiguilis. Et soudain, ça bascule dans le neuvième cercle du so messed up I want to be, oui, ils sont cette capacité d’exploser le face to face de «Wanna Be Your Dog», quel hommage et quel tenant tenace de l’aboutissant, aw c’mon, ça devient une fournaise exemplaire et ça part en vrille de wah absolutiste, now I’m ready to close my mind, il est devenu fou le Mad Eric, il est ready to feel the pain, ils font tout simplement une cover géniale de l’un des plus gros hits de tous les temps. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             L’autre Turborock s’appelle Feed The Dogs et date de 2007. Trois prods différentes : une du Kaiser sur deux cuts, une en Australie sur deux cut aussi, et le reste chez Jim Diamond au Ghetto Recorders de Detroit. Maintenant, Polo est tout seul, mais il joue comme dix. Il est enragé sur «Bye Bye Preacherman», il transperce le blindage du preacherman. Puis il passe «Cash Machine» au vitriol. Les Curse bouclent leur balda avec un heavy «Shit Happens» noyé d’oh shit happens. Suite de la viande en B avec «The Music & The Noise», ils renouent cette fois avec leur chère apocalypse, c’est un hommage claironnant au power - Set the stage on fire/ I say power ! - Mad Eric s’en étrangle. Mais le pire est à venir avec «Universal Children», encore plus magnifique d’heavyness et traversé d’incursions méphistophéliques. Sonic Polo est le plus sonic de tous. Ici, il perce un tunnel sous le Mont-Blanc, il faut le voir entrer en quinconce dans cette couenne fumante, épaulé par Gary Ratmunsen on «psychedelic guitar».  

             Et voilà la cerise sur le gâtö : l’autobio de Sonic Polo, Nous Étions De Jeunes Punks Innocents. Un récit sans prétention, qu’on pourrait presque qualifier de candide, parfaitement à l’image de l’auteur qu’on sent extrêmement timide, au point qu’il faut tendre l’oreille pour capter ce qu’il dit. Il l’écrit d’ailleurs dans son book : «Sitôt que le nombre de mes interlocuteurs dépasse le nombre de deux ou trois, ma voix ne porte plus s’éteignant comme une petite flamme.»

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Ce récit couvre un parcours qui va d’une ZUP d’Aix-en-Provence jusqu’à la scène alternative parisienne et le ‘Pari Bar Rock’ des années 80, récit drivé par une passion dévorante pour le punk-rock, notamment les Ruts et Stiff Little Fingers. Son groupe s’appelait Spoiler. Le book s’avale d’un trait, Polo écrit comme s’il te racontait l’histoire. Il restitue à sa façon la nostalgie des jours heureux, il restitue admirablement bien le contexte ZUP de ses origines modestes, et rend hommage à tous ses potos, ceux du groupe et les autres. Il écrit dans un style alerte - L’après-midi arrivait enfin et nous filions plein ouest, la poignée dans le coin, à travers les champs et les vignes de la route de Galice - Et comme il est à la fois motard et rocker, il se fend de cette petite chute : «Je lâchai le guidon de la Suzuki pour le manche de la Rickenbacker.» Ça passe comme une lettre à la poste. Il prend un soin particulier à évoquer le parcours initiatique qui est celui de la création d’un premier groupe de rock. C’est dans une vie un moment aussi vital que celui que tu partages avec ta première gonzesse.

             Oh et puis cet humour ravageur ! Quand il attaque un chapitre «road-trip» dans les basses Alpes, il dit au lecteur que s’il n’aime ni les road-trips ni la montagne, il peut sauter le chapitre. Ce serait dommage de le sauter, car on y trouve l’épisode du saucisson qui est hilarant. Ils roulent en moto et campent la nuit. Et crack, «je ne sais plus lequel d’entre-nous avait eu la brillante idée d’acheter un saucisson, mais toujours est-il que personne n’avait de couteau.» Et il explique à la suite qu’ils passèrent la soirée à charcuter le saucisson avec «un tournevis cruciforme». On voit la gueule du saucisson d’ici. Encore plus drôle : ça se passe avant Spoiler, Polo roule en vélo et va chez un copain de classe nanti, à Puyricard, au nord d’Aix. Ses parents viennent de lui payer trois albums, un vrai luxe intérieur ! Le copain commence par faire écouter à Polo Never Mind The Bollocks, il lui fait écouter trente secondes d’«Holidays In The Sun», puis un bout de «Bodies», et «déclarait que ouais, c’est pas mal mais bof, ça cassait pas trois pattes à un canard, y avait même pas de solos...» Ce mec qui est son «meilleur copain de classe» lui annonce ensuite qu’il va lui faire écouter «le blues le plus abominable et le plus nul qu’il ait jamais entendu», et ajoute «que ce groupe atroce avait même osé, ô sacrilège, baptiser son blues ‘L.A. Blues’». C’est bien sûr Fun House des Stooges. Bravo le meilleur copain de classe ! Mais Polo a tendu l’oreille. Il rentre chez lui sur son «vélo à double-plateau», «chargé du feu stoogien».

             Quand il devient punk avec ses amis, il raconte comment lui et sa petite bande débarquent sur le cours Mirabeau, «la plus belle avenue du monde», en perfecto, «jeans noirs feu au plancher, soquettes blanches et creepers rouges, bracelets de force comme ce con de Sid Vicious.» Le «con de Sid Vicious» revient souvent dans le récit. Polo n’aime pas les cons et il a raison. Plus tard à Paris, il joue dans un bar avec un groupe qui s’appelle The Satanic Majesties. Mais ces mec-là n’adressent pas la parole aux Spoilers. Polo n’en revient pas, «même pas bonjour, pas un regard, nada.» Bien fringués, à la mode. Du coup, à la page suivante, Polo les re-qualifie de «majestés sataniques ta mère». Par contre, il rend hommage à Little Bob et à Dominique Laboubée. 

             Il rend aussi deux très beaux hommages, le premier à Marc Zermati, qui entre un jour dans son bouclard Sonic Machine pour lui proposer des disques. Pour rigoler, Polo dit prendre le risque de perdre «la moitié de ses lecteurs» en citant Marc Z et Philippe Debris, boss de Closer, tous deux «sujets à controverse», mais non seulement il cite, mais il salue bien bas : «Deux caractères bien trempés». Il termine le court paragraphe Marc Z en disant être resté en bons termes avec lui. Hommage encore aux Cowboys From Outerspace et à Michel Basly «grand, mince, genre dandy, gominé, sapé comme un lord, le regard inquisiteur, les oreilles légèrement décollées, le nez aquilin.» - Les fantastiques Cowboys From Outerspace que tout l’univers nous envie, eh oui, quoi de plus vrai. Les Cowboys sont avec les Dum Dum Boys, Weird Omen et Holy Curse ce qui est arrivé de mieux à la France des vingt dernières années. Polo raconte aussi comment il est allé acheter sa Ricken 480 à Marseille. Épisode capital de son parcours initiatique. Il raconte aussi le désastre des studios français et des ingés-son qui ne pigent rien et qui lissent le son des groupes. Pour sa première expérience, Polo raconte que les Spoiler entrent en studio avec Stiff Little Finger en tête et ressortent gros-Jean-comme-devant «lisses comme les Spandau Ballet du quartier Mazarin.» Il dit avoir été dégoûté «pour de longues années.» Tous ceux qui ont fait des groupes en France ont été confrontés au même problème : tu tombes sur un mec qui n’écoute pas les mêmes disques que les tiens, alors t’es baisé. Il trafique ton son. Tu te fais baiser, une fois, deux fois, parfois trois fois. Alors tu finis par piger : le jeu consiste à trouver LE mec qui écoute les mêmes disques. Ça peut être Lucas Trouble ou Lo’Spider.

             À la fin de son récit, Polo monte à Paris en moto et débarque au Parking 2000, à Crimée, dont le quatrième sous-sol est aménagé en studios de répète. 200 ou 300 groupes y répètent. Pour dormir, Polo et son pote louent une piaule miteuse dans un hôtel de passe de la rue Rambuteau. Les autres ont trouvé une piaule rue Ordener. On se croirait dans Les Illusions Perdues ! Polo de Rubempré monte à Paris. Mais Polo est bien plus balèze que Lucien : il n’est pas dévoré par l’ambition et il ne lui viendrait jamais à l’idée de frimer. Alors on attend la suite avec impatience.    

             Signé : Cazengler, Quartête de veau

    No Jazz Quartet. La Boule Noire. Paris XVIIIe. 12 mai 2024

    No Jazz Quartet. You’re Gonna Leave The Building Soon. Closer Records 2023

    Holy Curse. Hereafter. Whiz Recordings 1999

    Holy Curse. Bluer Than Red. Nova Express 2004

    Holy Curse. Feed The Dogs. Turborock Records 2007

    Holy Curse. Take It As It Comes. Turborock Records 2011

    Paul Milhaud. Nous Étions De Jeunes Punks Innocents. The Melmac 2024

     

     

    Max le ferrailleur

     - Part Three

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             À la suite d’A Rocket In My Pocket et de Teddy Boys, l’idéal serait de lire King’s Road: The Rise And Fall Of The Hippest Street In The World. Paru en 2005 et tout juste réédité, King’s Road constitue le troisième volet de ce qu’on pourrait appeler la trilogie rock de Max Décharné. Alors attention, ce n’est pas un rock book à proprement parler. Comme dans Teddy Boys, Max le ferrailleur brasse large, il documente à outrance, se prête aux fièvres citatoires, il creuse profondément pour aller explorer les racines du thème, il fait la R&D du rock, c’est-à-dire qu’il en examine scientifiquement le contexte socio-culturel, il se livre à un authentique travail de recherche, comme le fit en son temps Mick Farren avec son Black Leather Jacket book et son Speed Speed Speedfreak book. La parenté crève les yeux. Mais Max le ferrailleur pousse son bouchon encore plus loin. C’est d’une certaine façon l’hommage d’un géant à un autre géant.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Pour le fan de rock ordinaire, King’s Road en 1976, ça voulait dire sortir du métro à Sloane Square et remonter jusqu’au 430 pour voir Sex, le bouclard de McLaren. Pour Max le ferrailleur, King’s Road ne commence pas avec Sloane Square, mais avec Charles II, un roi d’Angleterre, qui au XVIIe siècle, fit aménager l’artère pour son usage personnel, d’où le nom. Puis ça va passer par la mode, le théâtre, la littérature et le cinéma, Max fait tout avancer en même temps, et pour donner du poids à ses investigations, il fait intervenir des témoins de choc : Mick Farren, John Peel, Ted Carroll, Wreckless Eric et quelques autres. Il est essentiel à ce stade des opérations de savoir que King’s Road n’est pas un book uniquement consacré aux Sex Pistols. Mary Quant, John Osborne et Andrew Loog Oldham y volent le show.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Tu t’engages dans un book dense : 350 pages composées dans un corps de texte minimaliste, du 9 ou du 10, justifié serré, quasi impénétrable, t’as intérêt à ajuster tes binocles, il règne dès l’intro une tension terrible, Max te transmet sa passion dévorante, comme s’il te contaminait. Pour gérer ce prodigieux fleuve de connaissances, il avance chronologiquement, année par année. Il est obligé, sinon ce serait le chaos. Il épluche tous les canards d’époque, les quotidiens, les revues, les magazines, tout, absolument tout, il relit toutes les critiques de cinéma, de théâtre et de littérature, ça grouille d’infos, c’est Fantasia et ses balais, pas chez les ploucs mais chez les punks, il va chercher le Bazaar de Mary Quant dans la presse spécialisée, il situe le top départ de la modernité anglaise à la fin de 1954, lorsqu’arrivent «le rock’n’roll, la télé commerciale, Look Back In Anger et l’ouverture de Bazaar au 138a» - The revolution starts here - Et en 1955, apparaissent les premiers Teds - These people looked seriously sharp. Ce n’est pas pour rien que l’un des premiers surnoms d’Elvis était The Memphis Flash - Les Teds sont là bien avant le rock’n’roll, mais les médias s’intéressent à eux lorsqu’éclate la révolution, c’est-à-dire le rock’n’roll. Max profite de son détour chez les Teds pour rappeler qu’en 1971, au moment où McLaren ouvre sa boutique Let It Rock sur King’s Road, ils sont allés accueillir Gene Vinvent à Heathrow. Autour de Mary Quant traîne aussi Andrew Loog Oldham. S’il veut bosser pour elle, c’est tout bonnement parce qu’elle incarne à ses yeux la pop qui fait le lien entre le rock’n’roll des années 50 et le rock des Beatles - He wanted to be where the action was, and as far as he was concerned, in 1960 that meant Bazaar, 138a King’s Road - Quand au bout de six mois il démissionne, c’est pour aller un peu plus tard manager les Rolling Stones.

             Un certain John Stephens vient aussi loucher sur la vitrine de Bazaar. Il va transformer un peu plus tard une back alley nommée Carnaby Street en phénomène de mode à portée encore plus internationale, ce que Max appelle a worldwide brand. Ces choses-là sonnent toujours mieux en anglais.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Sur King’s Road déboule tout le gratin dauphinois de l’époque, ceux que Max appelle «les acteurs du changement in popular music, film, fashion, photography, drama and art of the day» - people like Stanley Kubrick, David Hockney, Marianne Faithfull, Michael Caine, Syd Barrett, Twiggy, David Bowie, Julie Christie, Samuel Beckett, Francis Bacon, Keith Richards, Siouxie Sioux, John Lennon, David Hemmings, Billie Holiday, Quentin Crisp, Jimi Hendrix and John Lydon - Dick Bogarde et James Fox descendent King’s Road jusqu’à Royal Avenue, où Joseph Losey tourne The Servant. Fondamentalement, King’s Road est l’endroit où les Stones et les Pistols ont démarré, où les mini-jupes sont apparues et où, nous dit Max, traînent encore les fantômes de John Osborne, Mary Quant, Brian Jones, Marc Bolan et Sid Vicious - People are still looking for them and their kind down the King’s Road.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             King’s Road voit aussi passer les modes. À la fin des sixties, Mick Farren n’ose plus mettre ses fringues de guérillero, power-to-the-people, c’est terminé - Everybody got a bit bored with Che Guevara, you know? - car voilà qu’arrivent l’année suivante Marc Bolan et le glam. Puis Alex et ses Droogs déboulent, suivi de Jack Carter, celui de Get Carter. Bolan s’habille chez Granny Takes A Trip, au 488 King’s Road, ou chez Alkasura, au 304 de la même rue. Flash clothes. On en trouvait aussi au Kensington Market. En 1975, Nils Stevenson, futur tour manager des Pistols, vend des fringues de Teds à Beaufort Market, à deux pas de King’s Road, et devient pote avec McLaren et Vivienne Westwood - Punk rock was a high-speed collision just waiting to happen - Et puis voilà qu’arrive 1976, un chapitre qu’introduit brillamment Max le ferrailleur : «Nineteen seventy-six, like 1956 and 1966 fut l’année qui remit the King’s Road à la une de tous les journaux. Vingt ans auparavant, la cause de tout ce fuss était the Angry Young Men, la fois d’après, il s’agissait de Mary Quant, Granny’s et tout la mythologie du Swinging London. Cette fois, il s’agissait d’Anarchy In The UK.» Et Max titre son chapitre : ‘It’s the buzz, cock.’ Johnny Rotten parade dans les canards avec ce gros titre : «Don’t look over your shoulder, but the Sex Pistols are coming.» Fantastique ! Wild as fuck. L’effet est bien plus radical qu’au temps des Rolling Stones. Les Pistols foutent vraiment la trouille à l’Anglais moyen. Et ça atteint l’apothéose avec la fameuse formule : «Actually, we’re not into music, we’re into chaos.» L’essence même du rock.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Quand tu te ballades dans Chelsea, tu as l’impression que les rues sont lisses et qu’elles n’ont pas vraiment d’histoire, à la différence des rues de Paris dont tous les quartiers te renvoient à des épisodes de l’histoire littéraire, politique ou artistique. Max t’ouvre les yeux. Dans les années 70, les kids français n’ont qu’une idée partielle de l’histoire des rues de Londres. Ça se limite à quelques endroits comme Portobello, Chelsea, Wardour Street, South Kensington ou Camden, car c’est directement lié aux clubs et aux disquaires. Max te rappelle qu’à deux pas de King’s Road se trouve Edith Grove où ont vécu les early Stones en 1962, et à deux pas de Gunter Grove où John Lydon s’est acheté une baraque au temps de P.I.L. Fait historique encore : Max rappelle que Dan Treacy et Ed Ball des Television Personalities ont enregistré «Where’s Bill Grundy Now» au 355 King’s Road, à deux pas du bouclard de McLaren qui s’appelle alors Seditionaries.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Ah il en parle de McLaren ! Avant Sex et Seditionaries, McLaren débaptise son bouclard Let It Rock et le rebaptise Too Fast To Live Too Young To Die en hommage à James Dean. Avant de s’appeler McLaren, il s’appelait encore Malcolm Edwards et fut comme des tas d’autres kids anglais fasciné par le show des Crickets au Finsbury Park Astoria en 1958. Max rappelle encore qu’en Angleterre, Gene Vincent was God et Billy Fury venait aussitôt après - something like the second coming - De la même manière que Luke la Main Froide, Max le ferrailleur est fasciné par Gene Vincent, qu’il qualifie d’«one of the greatest of them all», un Gene qui débarque en Angleterre en 1959 avec «a killer double-sided rock single called «Wild Cat/Right Here On Earth» et qui s’acoquine avec Jack Good, le producteur d’Oh Boy et de Six-Five Special. C’est Good qui conseille à Gene de porter du cuir noir de la tête aux pieds pour apparaître dans son nouveau show, Boy Meets Girls. Voilà le genre de détail dont grouille le Max book.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Ted Carroll vend des rockab singles dans son Rock On market stall, qui va devenir un vrai lieu de pèlerinage. C’est lui nous dit Max qui alimente McLaren en singles rares. On entre chez Sex pour acheter des fringues mais aussi pour écouter les singles qui se trouvent dans le juke-box. Puis quand les Pistols explosent en Angleterre, McLaren louche plus sur Andrew Loog Oldham, le Colonel Parker et Larry Parnes que sur Sam Phillips : il veut des gros moyens, pas d’artisanat mythique à la mormoille. Pas question de faire du Sun Records. Alors que dans leur grande majorité, les groupes punk optent pour l’artisanat. Simple question d’éthique. C’est toute la différence entre les Buzzcocks et les Clash, entre les Damned et les Jam. Moyens du bord d’un côté pour Spiral Scratch et «New Rose», gros billets de l’autre pour des résultats nettement moins percutants. L’exception reste bien sûr Nevermind The Bollocks, l’un des albums parfaits de l’histoire du rock anglais. McLaren achève sa trajectoire avec The Great Rock’n’Roll Swindle, réussissant l’exploit de raconter l’histoire des Pistols sans jamais montrer John Lydon, ce qui à l’époque en a éberlué plus d’un, à commencer par Max. Selon lui, McLaren ne voyait aucun intérêt dans les Pistols, le film chante plutôt les louanges de sa stratégie médiatique, alors que «John Lydon was one of the most charismatic and gueninely inspired frontmen in the history of popular music». De toute évidence, Max pèse ses mots.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Oh et puis cet humour ravageur. Il évoque le Blow Up d’Antonioni, sorti en 1967 et le soupçonne d’avoir cassé la baraque non pas à cause des Yardbirds ou de l’intrigue policière, mais grâce au cul de Jane Birkin - It was the first mainstream film in Britain to show a glimpse of pubic hair - C’est plutôt ça qui attirait les foules, comme d’ailleurs le big pubic hair de Stacia dans les concerts d’Hawkwind. Les kids venaient d’abord pour se rincer l’œil. Max rapporte une autre anecdote hilarante : Johnny Rotten et Sid Vicious se firent virer de leur appart à Chelsea parce que McLaren avait «oublié» de payer le loyer - No one said the revolution would be easy.   

             Au fil des pages, Max fait quelques recommandations, notamment l’Introducing Eddie & The Falcons de Wizzard, mais aussi The Diary Of A Rock’n’Roll Star de Ian Hunter (One of the most entertaining insider accounts of the business), mais le gros du troupeau des recommandations se trouve bien sûr dans A Rocket In My Pocket.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Dans Ugly Things, Mike Stax a tellement adoré lire King’s Road qu’il propose une interview fleuve de quatre pages de Max le ferrailleur. Ugly Things est taillé pour ça, pour faire la route.  T’es prié de croire qu’avec Stax, c’est toujours passionnant. Et bien sûr Stax demande à Max : Why the King’s Road ? Alors Max dit à Stax qu’au début des années 80, il vivait à Battersea, de l’autre côté du pont de Chelsea, dont l’artère principale est King’s Road, alors il s’y baladait, et comme il n’avait pas de blé - on the dole - il léchait les vitrines. L’idée du book lui est venue en 2004 quand il a réalisé que «two of the best bands from England - the Stones and the Pistols - both started their careers down at the tatty end of the King’s Road.» Puis il explique qu’il s’est appuyé sur les tonnes de stuff accumulées pendant des années. La première édition de King’s Road date de 2005 - celle dont on parle plus haut - et depuis, il l’a updatée pour en faire un gros patapouf - It’s now useful for a hand-to-hand combat: si tu balances the new 520-page sur la tête d’un mec, il y a peu de chance pour qu’il se relève - Max le ferrailleur adore rigoler. Il adore aussi les bibles. Il ne fait pas dans la dentelle, ce qui semble logique pour un ferrailleur. 520 pages ! Bon courage, les gars ! Max revient à ses recherches et explique qu’il est entré en contact avec des tas de gens, à l’époque, et qu’il a lu TOUS les canards, d’OZ à Zigzag en passant par le NME et tout le saint-frusquin, mais ça ne s’arrête pas là : il a hanté les bibliothèques à Londres et à Berlin et a lu TOUT, Time, Newsweek, tous les canards des ‘50s, ‘60s and ‘70s, TOUT, TOUT, TOUT et le reste, comme on disait autrefois dans Salut Les Copains. Il a traqué tout ce qui évoquait Chelsea & the King’s Road, et en plus il a écouté tous les disques et vu tous les films - Le book aurait pu être cinq fois plus gros, mais je serais encore en train de l’écrire - On savait son humour ravageur, mais là, il bat tous les records. Il est fier d’avoir pu interviewer Mary Quant, avec laquelle il a fini par sympathiser. Max dit à Stax avoir reçu une lettre manuscrite d’elle après la parution du book, lui avouant qu’elle en avait apprécié la lecture, «which made my day».

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             L’épisode John Peel est hilarant : Peely invite Max chez lui, à Peel Acres, à la campagne. Peely vient récupérer Max à la gare. Il conduit une «strange experimental car», dont le tableau de bord ressemble à celui d’un vaisseau spatial, et dont les boutons et les clignotants restent un mystère aussi bien pour Max que pour Peely. Alors Peely lui explique qu’on lui a prêté cette «strange experimental car» pour quelques semaines, ce qui l’amuse beaucoup. Il en existe quelques une et Stong paraît-il en conduit aussi une. Après manger, Peely emmène Max dans sa pièce à disques et lui fait écouter une démo des Misunderstood enregistrée au Gold Star dans les sixties, et comme chacun sait, Peely avait flashé sur eux alors qu’il séjournait aux États-Unis et leur avait proposé de s’installer à Londres, pour six mois, chez sa mère, qui ajoute-t-il, ne lui a jamais pardonné - Five big Californian lads in a small flat in Notting Hill - Peely rivalise d’humour ravageur avec Max. Un Max qui rencontre aussi Christopher Lee, qui, dit-il, est encore plus grand que lui qui fait déjà quasiment deux mètres de haut. Christopher Lee indique à Max qu’à l’époque où il s’est installé dans le coin de King’s Road, Boris Karloff habitait sur le même square.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Max revient sur les racines du punk-rock à Londres : Dr. Feelgood (1975, first band I ever saw live) et le premier album des Ramones en 1976. Il cite aussi les racines glam, avec Slade, T Rex et Mott, tous ces groupes qu’écoutaient les punk-rockers quand ils avaient 12 ans, puis Iggy & The Stooges qui vivaient just off the King’s Road while recording Raw Power in London. Il cite aussi les Dolls at Biba’s. Max flashe aussi sur le concert des Ramones au jour de l’an 1977, avec Generation X et les Rezillos à la même affiche. Mais quand la semaine suivante, il achète le NME avec les Ramones à la une, il est écœuré par l’article de Tony Parsons qui ose descendre les Ramones. Alors le NME perd tout crédit à ses yeux. Comment ont-ils osé ? 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             La fin de King’s Road est un peu tristounette. On arrive au bout du book comme on arrivait jadis au bout de King’s Road pour découvrir qu’il n’y avait plus rien à voir. World’s End. Alors pour se remonter le moral, on va se taper avec un Part Four un petit panorama des Flaming Stars, un groupe que Philippe encensait en 1996, et il était bien le seul à le faire en France. Ça se passait dans le N°8 de Dig It!. Il interviewait Max le ferrailleur. Lequel rend hommage à ses deux guitaristes, l’ex-Sting-Rays Mark Hosking et l’ex-Headcoats Johnny Johnson. Max évoque aussi sa passion pour les films Hammer et les acteurs comme Christopher Lee ou Peter Cushing, ainsi que sa passion pour les romans noirs des années 30 et 40 et «les affiches de films peintes par des gens comme Tom Chantrell». D’où les pochettes d’albums des Flaming Stars. Les deux stars citées dans l’interview sont David Allen Coe et Guy Clark. Pas mal, non ? Philippe termine sa double avec une belle apologie du real deal, sa façon de dire : choisis ton camp, camarade.

    Signé : Cazengler, Max la limace

    Max Décharné. King’s Road: The Rise And Fall Of The Hippest Street In The World. Weidenfeld & Nicolson  2005

    Philippe Migrenne. The Flaming Stars. Dig It! # 8 - Hiver 1996

    Mike Stax : An interview with Max Décharné. Ugly Things # 64 - Winter 2023

     

     

    Kramer tune

     (Part Four)

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Et voilà qu’une page d’histoire se tourne : Dennis ‘Machine Gun’ Thompson vient de casser sa pipe en bois, refermant ainsi le chapitre MC5. Finito. MC5 ? Kapout. Est-ce une coïncidence, toujours est-il qu’au même moment, dans le numéro de mai de Mojo, Bob Mehr consacrait huit pages au MC5. Une sorte de dernier spasme, avec en double d’ouverture, la fameuse photo bien connue d’un Five dégoulinant de sueur, prise dans un backstage quelconque. C’est de cette séance que sort l’image qui orne la pochette de Back In The USA.  Ils sont à la fois superbes et très laids.

             Mehr va se baser sur l’autobio de Wyane Kramer (The Hard Stuff: Dope, Crime, The MC5, And My Life Of Impossibilities) et opter pour un angle un peu bizarre : la rédemption qui suit la résurrection du guitariste, dans les années 90. C’est vrai que cette histoire est troublante et qu’elle vaut bien 8 pages.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Mehr fait tout simplement de Wayne Kramer un héros, un homme profondément soucieux des autres et qui croit aux nouveaux départs. C’est assez con à dire, mais ça s’entend dans sa façon de jouer. Kramer est un mec franc du collier. Il croit en l’intégrité. Avec de l’intégrité, on peut tout faire. Mehr cite John Sinclair : «Wayne was just a beautiful cat.» Tout est dit. Don Was ajoute qu’on pouvait tout savoir de Kramer en jouant simplement avec lui.

             Puis Mehr revient sur la formation du typical Midwest garage outfit MC5, «with matching hairdos and suits», vite propulsés par ce qu’il appelle «the twin influences of mind-expanding drugs and avant-jazz.» Car c’est bien là que se niche le génie du MC5, dans cette façon d’aller explorer les frontières. Kramer cherche tout de suite à se différencier. Chuck Berry fast and loud ? En disto ? Et je vais où après ? - And when I heard John Coltrane and Sun Ra and Albert Ayler, I said, Oh, that’s where you go frome there. You leave the key and the beat behind and go into a kinetic, more purely sonic dimension, where you’re trying to reproduce human emotion in sound - Ce que font couramment les crack du free : reproduire l’émotion dans leur son. Comme l’a fait Jeffrey Lee Pierce avec «(The Creator Has A) Masterplan» de Pharoah Sanders.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             John Sinclair file un sacré coup de main dans cette évolution. Sinclair flashe surtout sur «Black To Comm», le dernier cut que claque le Five sur scène. Sinclair devient leur manager. Le MC5 veut alors devenir le plus grande groupe de rock américain. Sinclair : «They were better than  any band I’ve ever seen.» Un autre cake flashe sur eux : Danny Fields, qui bosse pour le compte de Jac Holzman, boss d’Elektra. Comme Jac fait du blé avec les Doors, il cherche d’autres groupes de rock et Danny lui ramène le MC5 ET les Stooges. Danny n’en revient pas de voir Wayne Kramer danser sur scène, au Grande Ballroom de Detroit : «He was a real guitar dancer - like Fred & Ginger, him and his guitar.» Et Kramer lui recommande bien sûr les Stooges, ce qui émeut profondément Danny - In every way he was a classy guy - Et cette façon ajoute Danny qu’il avait de sourire quand tu lui adressais la parole et d’être curieux des gens. Les témoignages sont tous confondants. Ils jettent une sacrée lumière sur l’autobio. John Sinclair, Bob Mehr et Danny Fields font de Wayne Kramer un être lumineux et explorateur de frontières. Ça ne te rappelle rien ? Elvis 54, bien sûr.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             La suite de l’histoire du MC5, on la connaît par cœur. Kick Out The Jams Motherfuckers retiré des ventes suite au «Fuck Hudson» que publie le Five dans la presse, Danny Fields et le Five virés d’Elektra, le Five qui se retrouve sur Atlantic mais dans les pattes de John Laudau, un Landau qui veut transformer le Five en machine à fric et donc virer le «political shit and the avant-garde shit», alors comme John Sinclair veut maintenir le lien entre le Five et son White Panther Party, il est viré. Et c’est la fin des haricots. Back In The USA et High Time ne se vendent pas. Glou glou. Michael David et Dennis Thompson quittent le navire. Wayne Kramer tente de sauver le groupe, il monte un nouveau line-up, mais en même temps, il a le museau dans la dope. Il s’écroule comme un château de cartes - J’ai alors perdu le moyen de gagner ma vie. J’ai perdu mes amis, mon statut social, mon avenir. Je ne savais pas quoi faire pour survivre. Alors ça m’a semblé plus facile de me défoncer - Il sombre dans la délinquance, «into a mafia-backed drug operation» et atterrit au ballon - In a way, I was destined to prison - C’était son destin, yo ! Cinq piges. Ça va, c’est pas trop violent. Ça se fait sur une jambe, comme on dit.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Et c’est au ballon que sa vie va basculer, au bon sens du terme, avec une rencontre, celle de Red Rodney, un trompettiste blanc qui avait accompagné Charlie Parker. Wayne se reconstruit grâce à Red, il retrouve une identité - I was the white boy with the wah-wah - C’est le cœur battant de l’autobio. Wayne n’est plus un gangster, mais un mec dont les taulaurds apprécient la musique. Au même moment, le punk-rock explose en Angleterre. Wayne est considéré comme godfather du punk-rock, au même titre qu’Iggy. Libéré, il se retrouve embarqué dans l’épisode Gang War avec Johnny Thunders, mais il sait que ça ne peut pas marcher - You can’t be in business with active addicts, they have other priorities - Dommage. Il fait ensuite équipe avec Don Was dans Was (Not Was). Il joue sur leur premier album. On en reparle.

             Pour vivre, Wayne devient charpentier, il s’installe en Floride, puis à Nashville. Lorsque Rob Tyner casse sa pipe en bois en 1991, Wayne se réveille en sursaut. Il réunit les autres Five  pour jouer un tribute à Rob à Detroit. Puis deux ans après, Fred Sonic Smith casse lui aussi sa pipe en bois. C’est le déclic : Wayne se dit qu’il lui reste 20 ou 30 ans à vivre, alors «I better get to work making music». Et boom, il se réinstalle à Los Angeles et enregistre The Hard Stuff. Il entame sa résurrection.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Puis il va se consacrer à la postérité du MC5 - I started the band, et même si je n’ai pas su le contrôler, it was my baby - En 2002 sort un docu (The Hard Stuff: Dope, Crime, The MC5, And My Life Of Impossibilities) qui disparaît aussi sec, suite à une embrouille entre Wayne et les réalisateurs. Pas grave, Wayne reprend son bâton de pèlerin : il débarque à Londres au 100 Club et invite sur scène la crème de la crème du gratin dauphinois : Lemmy, Dave Vanian, Ian Astbury. Puis c’est la tournée de DTK/MC5, c’est-à-dire Davis/Thomson/Kramer, les trois survivants, avec Mark Arm au chant. Arm est fasciné par Wayne : «Wayne was great at getting people who were sympathetic.» Et il cite les noms de Lisa Kekaula et Dick Manitoba. Mais il y a des tensions parmi les survivants, ce qui attriste Wayne. Et puis voilà que Michael Davis casse sa pipe en bois en 2012. Fin du DTK. Alors Wayne monte Jail Guitar Doors USA, une association destinée à aider les taulards à s’en sortir via la guitare. Wayne fournit les grattes et les cours. Il visite des centaines de taules. Le voilà en mission. Et ça monte encore d’un cran dans la résurrection avec la naissance de son fils Francis en 2013. Il a 65 balais. Il sait maintenant pourquoi il ne s’est pas auto-détruit. Et en 2018, il sort l’autobio que salue son vieux mentor John Sinclair : «His autobiography was a tremendous work of art.» Pour les 50 ans du MC5, il monte le MC50 qu’on a pu voir à Paris, à l’Élysée, avec le mec de Zen Guerilla au chant. Puis il remonte un nouveau MC5 avec Brad Brooks (chant), Winston Watson (beurre) et Vicki Randle (bassmatic), pour enregistrer le quatrième album du MC5, cinquante ans après High Time. Il doit - ou devait - s’appeler Heavy Lifting. Mehr ne dit pas s’il va sortir un jour. C’est Bob Ezrin qui devait le produire. On y entend aussi paraît-il Vernon Reid de Living Colour, Dennis Thompson, Tom Morello et Don Was. Wayne nous dit Ezrin tentait avec cet album de re-capturer le spirit du Five. Alors on va se gratter l’os du genou en attendant des nouvelles d’Heavy Lifting. Était prévu avec la sortie d’Heavy Lifting une tournée mondiale et un nouveau book sur le Five, sous forme d’oral history. Pareil, on attend Godot. Wayne commençait à faire la promo dans la presse quand un petit cancer du pancréas l’a envoyé au tapis. Comme la vie, le MC5 ne tient qu’à un fil.

    Signé : Cazengler, MCFayot

    Dennis Thompson. Disparu le 9 mai 2024

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Bob Mehr : It wasn’t enough to play Kick Out The Jams, you had to live it. Mojo # 366 - May 2024

     

     

    Inside the goldmine

    - George Soul

             Il portait le même nom qu’un célèbre tableur, Excel, l’outil préféré des esprits calculateurs et des forts en thème. Excel n’était pas calculateur, ni fort en thème, il avait d’autres défauts mais aussi des qualités. On pouvait par exemple lui faire confiance. Sauf si un disque rare traînait dans les parages. Posséder, telle était son obsession. La seule vue d’un gros cartonné US le rendait malade. Vraiment malade. Il transpirait et peinait à calmer sa respiration. Il subissait une sorte de pulsion libidinale. Chez certains hommes, la vue d’une belle paire de seins ou d’une toison ardente peut provoquer de violents troubles comportementaux : mains moites, grosse érection, passage à l’état bestial. Mais rares sont ceux qui perdent la tête à la seule vue d’une pochette de disque. De ce point de vue, Excel était un spécimen très rare, une véritable aubaine pour les scientifiques qui travaillent sur les pulsions et les dangers afférents. Alors bien sûr, nous ne trouvâmes rien de mieux pour nous distraire que de jouer à le mettre en transe. Le jeu consistait à sortir d’un sac quelques beaux cartonnés US et à les montrer rapidement. Ce jour-là, on exhiba sous ses yeux ronds comme des soucoupes quelques petites merveilles : Bettye Swann sur Capitol, l’Open Mind, Birtha, les Godz sur ESP. Excel demanda d’une voix blanche quel était leur prix. Bien sûr, ils n’étaient pas à vendre. Comme il approchait les mains, on l’acheva d’une seule phrase : «Bas les pattes ! On ne touche qu’avec les yeux !». On aurait dit que la foudre l’avait frappé et qu’un filet de fumée s’échappait de ses oreilles. Il réfléchissait comme on réfléchit dans les moments de panique pour trouver une solution, et avant qu’il n’ait pu dire un seul mot, les disques disparurent au fond du sac, anéantissant définitivement tout espoir en lui. Comme il était incapable de renoncer, il sortit son porte-monnaie et le fouilla fébrilement. Bien sûr, Excel n’avait pas un rond, à peine quelques pièces. Le spectacle fut si désolant qu’un des disques ressortit du sac. «Tiens, cadeau !». Il tenait le Birtha dans ses mains tremblantes et pleurait toutes les larmes de son corps. On n’avait encore jamais vu un homme chialer comme ça.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Les albums de George Soule n’auraient eu aucun effet sur Excel, car ce sont des CDs. Même pas la peine de lui dire à quel point George Soule est un bon, qu’il fait partie du noyau atomique de Malaco et qu’il groove comme un cake, à partir du moment où Take A Ride n’est pas un gros cartonné US, ça ne l’intéresse pas. Ah comme les gens peuvent être parfois bizarres !

             George Soule a trois cuts sur la petite compile Soulscape, Chuck Brooks, Joe Wilson, George Soule - Malaco Soul Brothers, dont bien sûr le fameux «Talkin’ About Love» révélatoire qui figure en bonne place dans la box Malaco. Il y tape le heavy romp de Malaco. Avec «That’s Why I’m A Man», il y va, c’est du sérieux. Comme Nino Ferrer, il voudrait être noir, il cherche la blackitude, avec une certaine réussite. 

             George Soule est l’artiste complet : il compose, bat le beurre et produit. Il a bossé pendant quarante ans avec d’énormes pointures comme Mavis Staples, Z.Z. Hill, Bobby Womack et Candi Staton. Il vit à Nashville, mais il se réinstalle à Jackson au moment où Wolf Stevenson et Tommy Couche démarrent Malaco. On pourrait presque le comparer à Dan Penn : même genre d’envergure, même qualité des compos et même passion pour la musique noire. Il a 8 ans quand son père lui offre un drum kit, puis il prend des cours de piano. Ado, il flashe sur Ray Charles et Etta James. Puis il flashe sur l’Otis Blue d’Otis. Plus tard il aura la chance de faire des backing pour Etta James, grâce à Jerry Wexler. C’est Jimmy Johnson à Muscle Shoals qui présente George à Jerry Wexler, en 1969. Wexler cherche des démos pour Judy Clay et ça tombe bien, George en a plein. Wexler les écoute. Des gens comme Wilson Pickett, Esther Phillips et Percy Sledge vont taper ses compos. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             La compile Let Me Be A Man sort sur Soulscape, un bon équivalent de Kent/Ace. Dans ses liners, John Ridley n’y va pas de main morte : «George Soule, the essence of Country Soul.» Toutes ces démos sont enregistrées à Muscle Shoals, on retrouve le fat thumping de Muscle Shoals dès «Walking On Water Over Our Heads», heavy r’n’b de Southern punch, George est un vrai white nigger, un authentique imparable. On réalise très vite qu’il est aussi est un compositeur de génie, «So Glad You Happened To Me» sonne comme un hit interplanétaire, il atteint les couches supérieures du lard fumant. «You Can’t Stop A Man In Love» bat tous les records d’énergie compositale, c’est extravagant de puissance, il atteint des sommets insoupçonnés. Wilson Pickett adorait ce Can’t Stop, mais bon, il a enregistré autre chose. George chante «Better Make Use Of What You Got» à la glotte tracassée et il lâche ensuite une bombe : «Catch Me I’m Falling», qui sera un hit pour Esther Phillips. Encore du solide groove d’excelsior avec «Let It Come Naturally». Tout est extrêmement balèze sur cette compile. Jeune, George ressemble à un jeune black. Il reste très intense dans sa façon de chanter, très déjeté de l’épaule, si black d’esprit, si dévoué à la Soul. Comme les Tempts, il entre avec «Sitting On Top Of The World» dans le territoire sacré de la Soul. «It’s Just A Matter Of Time» est exceptionnel de grandeur. Il pulse sa good time music au firmament. Il sonne comme une superstar. Il compose «Shoes» avec Don Convay pour Brook Benton. «I Can’t Stop It» est solide sur ses pattes, un vrai hit de r’n’b, même chose avec «24 Hours A Day», derrière George, ça joue énormément. Et pour finir, voilà «Poor Boy Blue», un heavy groove d’excelsior. George est un bon. Sa Soul est pure. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Il enregistre Take A Ride en 2006. Dans ses liners, Nial Briggs le compare à Dan Penn, Spooner Oldham, Bobby Womack et George Jackson. En studio, on retrouve Greg Cartwright. Inutile de dire qu’avec ce Take A Ride, tu te retrouves une fois de plus avec un big album entre les pattes. Et ça ne traîne pas, George fait son white niggah d’entrée de jeu avec «Something Went Right», il va chercher le smooth de Malaco, c’est une véritable bombe de Soul et de spirit. George chante une Soul de crack, son «I’ll Be Your Everything» est un deepy deep d’extrême onction, il est just perfect, en plein dans l’œil de Coco Bel-œil le cyclone. Greg Cartwright gratte bien ses poux dans le morceau titre. C’est claqué tellement sec que ce take a ride entre dans la légende de l’apanage, le groove de Malaco te groove les mots, il y va le George, c’est du solide, et ce démon de Cartwright gratte à tire-larigot. George tape bien sûr son vieux «Shoes», co-écrit jadis avec Don Covay. Ce mec a tout bon, c’est bien saqué du raw, bien monté au smooth de groove. Mooove with the grooove, n’oublie jamais ça. Le Cartwright passe à la wah sur «Find The Time» qui sonne comme un groove gluant de Leon Ware. George fait encore son white niggah dans «My World Tumbles Down», il vise en permanence l’excelsior du Soul System. Son «Bent Over Backwards» sonne comme du James Carr, et dans «Come On Over», les chœurs font come on over / there’s a party going on. Cet album superbe gagne la sortie avec «A Man Can’t Be A Man». George a du son jusqu’au bout des ongles.

             Il est aussi mêlé à une sombre histoire : les compiles Casual. Sombre parce que complètement underground. On en connaît trois : Country Got Soul, volumes One & Two et le Testifying de The Country Soul Revue. Dans les trois cas, tu peux y aller les yeux fermés, car George y côtoie la crème de la crème du gratin dauphinois, Donnie Fritts, Dan Penn, Bobbie Gentry, Eddie Hinton, Tony Joe White, Jim Ford, Bonnie Bramlett et des tas d’autres luminaries. C’est de toute évidence le moyen le plus sûr de situer le niveau de George Soule : parmi les géants.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Il n’a qu’un seul cut sur Country Got Soul (Volume One) : «Get Involved». Il est à l’aise, black jusqu’au bout de la nuit, avec du heavy R&B. Sinon, cette compile grouille de puces. Avec des lascars comme Dan Penn et Donnie Fritts, c’est pas étonnant. Le Penn, tu le retrouves avec «If Love Was Money». Il sort le grand big badaboum et la voix d’ange blanc, c’est explosif de Soul, le Penn se coule dans toutes les couches de température, il pose ses couplets à plat et choisit l’éruption pour signifier sa passion de la Soul, c’est ultra-cuivré, il joue avec tes nerfs, Dan te dame le pion. Il ne Penn pas à jouir. Eddie Hinton te sonne les cloches avec «Come Running Back To You», et Donnie Fritts te groove l’oss de l’ass avec «Short End Of The Stick». C’est de la heavy frite de Fritts - They let me know/ I was at the short end of the stick/ yeah - On reste chez les poids lourds avec Tony Joe White et «Did Somebody Make A Fool Out Of You», bien gratté sous le boisseau vermoulu, et avec Travis Wammack et «You Better Move On», joli shoot de Memphis Soul-pop. Big one encore avec Delaney & Bonnie et «We Can Love», summum de la Soul blanche, et quand Bonnie entre dans la danse, alors ça groove au-delà des espérances du Cap de Bonne Espérance. Coup de génie encore avec Razzy Bailey et «I Hate Hate». Il fait tout simplement «Tighteen Up». Oh et puis voilà Jim Ford avec «I’m Gonna Make You Love Me». Tu ne peux pas résister à un tel battage. C’est lui le cake de service. Oh et puis ce démon de Bobby Hatfield sonne comme un black avec «The Feeling Is Right». Fantastique swinger !

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Tu prends les mêmes et tu recommences avec Country Got Soul (Volume Two). Même si George Soule n’y est pas, tu l’écoutes quand même. Parce que Dan Penn & Chuck Prophet avec «Heavy Duty» (haut de gamme imputrescible, heavy groove d’Alabama avec un Prophet in tow qui gratte ses poux de Tele). Parce que Bonnie Bramlett et «Your Kind Of Kindness» (la reine du rodéo, la vraie, chant d’Ikette blanche). Parce que Bobbie Gentry et «Fancy» (l’autre reine du rodéo). Parce que Donnie Fritts et «Muscle Shoals» (il fait la vraie country Soul et en tombe à la renverse - There must be something in the air down there/ To make ‘em play like that - hommage sidérant aux Swampers). Parce que Jim Ford et Harlan County» (c’est lui la superstar. Power immédiat). Parce que Sandra Rhodes et «Sewed Love And Reaped The Heartache» (elle est bien dans l’esprit du Casual, la petite Sandra, elle est bien cuivrée et soutenue par des chœurs astucieux). Parce que Larry Jon Wilson et «Ohoopee River Bottomland» (il fait du Tony Joe avec une voix plus grave, c’est assez magique). Parce qu’Eric Quincy Tate et «Stonehead Blues» (les Dixie Flyers jouent sur ce cut demented tiré de leur premier album sur Cotillon).

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Tu reprends les mêmes et tu recommences avec The Country Soul Revue et Testifying. George y fait trois apparitions, d’abord avec «Jaguar Man» (fantastique groove de white nigger), «I’m Only Human» (encore une échappée de Soul merveilleusement belle) et «It’s Over». On recroise aussi l’excellent Larry Jon Wilson avec «Friday Night Fight At Al’s» (il va chercher le baryton qui claque). Dan Penn a deux cuts : «Chicago Afterwhile» et «Best Of My Life» (tu sais tout de suite que ça va te couler dans la manche. Dan est un doux). Deux cuts aussi pour Donnie Fritts, «Adios Amigo’s» (il fait honneur aux apanages) et «Sumpin’ Funkin’ Goin’ On» (funky booty de la frite, il groove comme un cake). Deux cuts aussi pour Tony Joe White, «Who You Gonna Hoo Doo Now», imparable, et «Drifter», qui sauve bien l’honneur des blancs du Deep South. La palme revient à Bonnie Bramlett avec «Where’s Eddie». Bonnie est aux ladies d’Amérique ce que Lanegan est aux lads : la plus grande shouteuse. Elle explose la country Soul et l’Amérique toute entière. Elle s’en va swinguer au sommet de son Ararat de power pur. Wow Lady Bonnina, lying on the bed/ Listen to the music playing in your head !

    Signé : Cazengler, tu nous soûles

    George Soule. Let Me Be A Man. Soulscape Records 2011 

    George Soule. Take A Ride. Zane Productions 2006

    Chuck Brooks, Joe Wilson, George Soule. Malaco Soul Brothers. Soulscape 2006

    Country Got Soul (Volume One). Casual Records 2003

    Country Got Soul (Volume Two). Casual Records 2003

    The Country Soul Revue. Testifying. Casual Records 2004

     

    *

    Attention le retour de Ghost Highway ! Pas un groupe comme les autres pour notre blogue. Et pour beaucoup de fans de la première heure. Dès notre  première livraison du  01 / 05 / 2009 consacrée à Old School et Burning Dust, Jull et Zio qui furent le noyau initial de Ghost Highway étaient présents…   Avec Alain nous assistâmes à un des tout premiers concerts de Ghost Highway au Saint-Sauveur de Ballainvilliers ( livraison 26 du 11 / 11 / 2010) formation initiale, Zio, Jull , Arno, Phil… Epoque lointaine, le rockab français est en train de vivre un second âge d’or, Ghost Highway va incarner cette renaissance, il y a le groupe certes, mais aussi la constitution d’un groupe de followers qui suit la formation dans toutes ses pérégrinations rock’n’rollesques, peu de formations en notre pays peuvent se vanter d’avoir suscité un tel mouvement, l’on suit Ghost Highway avec ferveur, car intuitivement l’on comprend que c’est une chance inespérée de survie pour le rock’n’roll en notre pays…

    Les groupes de rock sont souvent des formations cristallisatoires évaporatrices, la vie ne fait pas de cadeau, après de nombreux concerts dont un à l’Olympia en première partie d’Imelda May et deux albums le rêve s’effilochera et se terminera… laissant un goût amer dans l’âme des fans… et l’espoir insensé d’une reformation… Ces deux dernières années il y eut des rumeurs diverses, des envies, des rencontres… jusqu’à cette reformation en laquelle personne ne croyait mais que tout le monde espérait, notons l’amicale contribution de Rockabilly Generation  l’ indispensable magazine de Sergio Kazh … A la vieille garde Arno, Jull and Phil s’est ajoutée la contrebasse de Brayan

    Pour Noël, nous trouverons au pied du sapin un nouvel album de Ghost Highway, c’est bien mais c’est loin. Devant la demande pressante et l’impatience généralisée, le groupe a improvisé  une session acoustique que nous nous empressons de découvrir.

    ACOUSTIC SESSION

    GHOST HIGHWAY

    (ASO1 / 1Records Production Ghost HighwayMai 2024)

    Arno : vocal, rhythm guitar / Phil : drums / Brayan : double bass / Jull : vocal, lead guitar.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

                    Seulement sept titres. Des reprises, les surprises novatrices seront sur l’album, retour vers le passé, dans une ère que l’on pourrait nommer le proto-rock’n’roll, tous les ingrédients du rock’n’roll  sont là, en ordre dispersé,  la génération des pionniers ne tardera pas à surgir pour se saisir de toutes ces racines et les rassembler…

    Blackberry wine : j’en connais une version par Big Sandy and his Fly-rite boys, une espèce de hillbilly-jazz peu convaincant,  lorsque était paru le premier numéro de Rockabilly Generation avec Big Sandy, ne te force pas avait décrété Alain, comme je te connais Damie jamais tu n’aimeras Big Sandy, par contre là ça claque sec, l’on est projeté en une fraction de seconde en une autre dimension, les Ghosts délimitent l’espace mental de la giboulée hillbillyenne, faut avoir l’oreille partout, trois pincées d’une guitare grêle, le vocal déboule, puis s’amuse au cheval à bascule, l’est pas tout seul, toutes dix les secondes retombe la pincée de grêle, ne vous laissez pas distraire, la basse trottine comme les sabots d’un zèbre têtu, le drummin tombe pile atomique, et tous ces moments délicieux dans lesquels les guitares se lancent dans des djangleries époustouflantes, de temps en temps ricochent des cartouches de chœurs, et le morceau défile si vite que vous êtes obligé de réécouter pour comprendre les tours fulgurants de pase-passe. Cherokee boogie :  en règle générale la prudence vous conseille de vous abstenir quand vous n’avez pas Moon Mullican dans le studio pour assurer le piano - vous l’excuserez, l’avait une bonne excuse pour ne pas être présent, lui qui est né en 1909 est mort en 1967, ce morceau est sorti en 1951, sachez que Jerry Lee Lewis a toujours revendiqué ce toqueur fou aux confluences hillbilly-country-boogie comme l’une de ses principales inspirations - oui mais ils s’appellent Ghost Highway et rien ne leur fait peur, au tout début vous avez un subtil frottis vaginal de big mama et c’est parti pour la danse de Saint Guy, vous refilent cette douce quiétude, cet impressionnant sentiment de sécurité qui vous saisit alors que votre chauffeur s’est endormi au volant et que vous lui faites confiance, rien ne pourra vous arriver, les Ghosts assurent sans problème, z’ont dû capter l’âme du Mullican pour jouer avec tant de tact rythmique, le bateau tangue rapide mais tout  en douceur, tout est en place, rien de trop, rien de moins, l’univers est en ordre, un vocal qui ressemble à l’arôme qui s’élève tel un rêve de votre tasse de café au petit matin… Motus et perfecto comme disent les rockers qui n’aiment pas être dérangés lorsqu’ils ont atteint le nirvana. Burning love : combien de fois n’ai-je pas été victime de cette fièvre ardente lorsque sur scène Ghost Highway reprenait  cet hymne al amor caliente d’Elvis, oui mais là ils n’ont pas pensé à régler la douloureuse d’EDF, du coup ils le font à l’énergie écologique,  se débrouillent mieux que mieux, un vocal très preleysien qui emporte le morceau comme le chien se saisit du gigot en laissant l’os pour les invités, alors on se régale à écouter les accoups de guitares, ces sursauts de flammes hautes qui se greffent sur les tamponnements imperturbables de Phil et Brayan, méfiez-vous de ces deux-là si vous les suivez ils vous mèneront jusqu’au bout du monde, pour aller ça ira, mais retrouverez-vous le chemin pour revenir… Ne restera de vous que des cendres. Big river : Johnny Cash avec Luther Perkins et Marshall Grant dans la Mecque créatrice du rock’n’roll le Studio Sun de Memphis, les Ghosts faites gaffe, ne s’agit pas de frapper fort mais de frapper juste, que Brayan ne débraye jamais et que le Phil file au métronome, pour les fioritures de guitare confiance à Jull, quant à Arno voix de croquemort N° 4, walkez the line du début à la fin, sinon l’on vous enferme à Folsom à perpète ! Inutile de vous cotiser pour leur apporter des oranges, je confirme s’en tirent comme des chefs indiens devant Custer, sont libres même qu’ils n’ont pas eu une caution à fournir, tellement c’est bon.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Good rockin’ tonight : tiens un second Presley, l’on ne prête qu’aux riches, s’il vous plaît une piécette d’argent pour Roy Brown qui écrivit et enregistra le morceau et une autre d’or pur  pour Wynonie Harris qui le magnifia, ma pauvre Dame comment ces nègres dégénérés ont-ils pu produire de tels chef d’œuvres, que voulez-vous mon bon Monsieur, tout le monde peut faire des erreurs, même notre Seigneur, l’on était chez Sun au morceau précédent mais l’on a encore un pied dans le studio de Sam Phillips pour cette interprétation, les Ghost jouent banco bronco, se la donnent à cœur joie, chacun nous montre ce qu’il sait faire dans son coin et ils y prennent un sacré plaisir, festival instrumental dans les interstices du vocal. Cold cold heart : une voix qui tire-bouchonne mais chaque fois qu’il ouvre la bouteille de son vocal Hank Williams vous loge une balle en plein cœur, un chanteur de country, une vie de rock’n’roll star, les Ghosts ne s’y sont pas trompés le plus dur ce n’est pas l’accompagnement, mais la voix, s’y mettent en chœur, n’ont pas le chevrotement inimitable de l’agneau pris dans les barbelés mais en s’entraidant ils parviennent sans problème à apitoyer les jeunes filles au cœur tendre. Gone Gone Gone : Carl Perkins le puriste du rockabilly, en bon américain sorti de sa cambrouse il vous donne l’impression de chanter en mâchouillant son chewing gum, jamais vous n’arriverez à prononcer gone gone gone avec ce ton de chaton perdu qui miaule, oui mais à la fin il vous met le feu à la grange et la ferme brûle, les Ghosts vous le prennent un peu plus haut, un peu à la Good Rockin’ , mettent la gomme gomme gomme sur le gone, gone, gone, y vont à l’arrache-rock, question zigmuc vous avez de petites broderies guitariques  au caramel salé qui valent le détour. Vous le déclinent en octogone.

             A déguster sans modération. Sept petites merveilles, sept pépites sonores pour nous rappeler rockabilly for ever !

    Damie Chad.

     

    *

    Fujiyama Mama, vous connaissez ? Bien sûr Damie, de Wanda Jakson. Très bien, vous savez au moins un mot de japonais, je peux donc vous emmener au pays du Soleil Levant  et de La Fureur du Dragon ! Heu, Damie, Bruce Lee n’était pas particulièrement japonais. Essayez d’intuiter un peu les gars, ce n’est pas Bruce Lee qui nous intéresse mais le dragon !

    DOOM DRAGON RISING

    (Split / Doom Fujiyama / Mai 2004)

    Doom Fuliyama est un label japonais. Z’ont déjà sorti quatre albums anthologiques, sobrement intitulés Doom Fujiyiama  Volumes 1, 2, 3, 4, ornés de pochettes en noir et blanc, style manga économique produit à la chaîne qui ne vous incite guère à vous porter acheteur de la marchandise. Au bout de deux ans le staff s’est réuni et a décidé de changer son sabre de samouraï d’épaule, l’album dix titres est remplacé par un EP quatre titres, mais une pochette qui pète le feu et qui en jette un maximum, ce n’est pas le Réveil de Godzilla mais l’Eveil du Dragon du Doom, tout de suite vous sentez interpelé par les forces du mal :

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Attention, trois groupes, par ordre alphabétique : Abiuro, Green Tripe et Heteropsy.

    GREEN TRIPE  ouvre le bal avec : Bong surfing : bruits de voitures, voix off filigranée et la sorcière aux dents vertes vous sourit de toutes les dents de ses guitares, la basse en écho à la lead, le titre n’est pas mal choisi, l’est vrai que l’on est dans une espèce de surfin’ doom assez inédit, et puis y a le dégueulis du vocal qui vous saute au visage et vous embourbe les oreilles, une coulée diarrhétique qui vous empuante les tympans mais que c’est bon, et boumg plus personne, seule la basse vous fait une espèce de salto arrière assez incongru, mais le gars au micro se recolle à sa parole pourrie et c’est reparti pour une longue giclée d’imprécations purulentes, le mec dégueule toutes ses tripes sur vos pieds et vous pataugez là-dedans avec la joie d’un canard heureux de retrouver sa mare natale, les rêves ne durent qu’un temps, basse et batterie se taillent une petite bavette entre eux, cela vous permet de vous rendre compte de tout ce qui vous manque sans ce vocal, maintenant ils se concoctent un petit solo à trois, puis ils arrêtent. Pourquoi continueraient-ils à vivre puisque la voix  s’est tue ? ABIURO s’adjuge la part du dragon, deux titres. Masaki Ikuta : guitare, vocal / Yuki Tanaka : basse / Yap : drums.  Inherited : Encore une fois, tout dans la voix, serait-ce un truc typiquement japonais, en tout cas on n’écoute qu’elle, un bon accompagnement, mais lorsque vous ouvrez une huitre c’est la perle qui est dedans qui vous intéresse, mais là aussi vous avez la basse qui vient faire son numéro de trapèze volant, qui ne dure pas trop longtemps car la voix revient en grondant. Ce n’est pas de sa faute, le gars vient de se faire buter et son âme s’envole comme un papillon. Du typique qui pique cent pour cent nippon. Miasma : une facture heavy-metal davantage classique, la voix baisse d’un ton, sludge en berne, la guitare la recouvre quelque peu, des paroles un peu plus philosophiques, dans ce monde de stupre et de vices  la luminosité d’une âme trop pure rend la nuit encore plus noire, la batterie s’abat comme si l’innocence était un moucheron qu’il faut à tout prix écraser, imaginez la gentille petite âme animaliste qui souffre beaucoup. N’ayez pas peur, son chagrin est évacué en moins de trente secondes. HETEROPSY : Old friends : les cymbales giclent, la batterie tonitrue et le vocal hurle à mort, la réunion des vieux amis n’a pas l’air de se dérouler fraternellement, la guitare grince, la chasse d’eau des WC glougloute fort méchamment, la voix imite l’ogre des contes d’enfants sages, ce n’est pas tout à fait le chaos, disons le bordel pour rester poli, l’on dirait que les musicos jouent à se démarquer l’un de l’autre, et clac changement de film, ce n’est le slow de l’été mais celui de l’automne avec ses arpèges larmoyants qui vous rappellent que tout finit un jour ou l’autre, tiens le climat change encore ce coup-ci c’est le général hiver qui lance un ouragan dévastateur, portez vos mains à vos oreilles pour les protéger du méchant loup qui vous les arracherait avec plaisir. Il a réussi le bruit que votre cerveau perçoit c’est le torrent du sang qui coule de vos oreilles à gros flocons. Vous ne sentez plus rien, normal vous êtes mort. Ce n’est pas grave, le morceau est fini.

             La couleur du heavy-metal, le bruit du heavy-metal, avec cette petite différence anthropologique qui change la donne : la texture de l’élocution japonaise, même quand ils chantent en anglais, sonne différemment, z’ont au fond de leur gorge un gravier gargouilleux qui n’appartient qu’à eux, un truc atrocement suave qui l’emporte sur bien des tortures auditives occidentales. Si Octave Mirbeau était encore en vie il n’aurait pas hésité à l’inclure dans une version augmentée de son Jardin des Supplices. Ce qui est étrange c’est qu’ils semblent davantage rechercher une singularité instrumentale qu’une cohésion d’ensemble.

             Quand le dragon s’éveillera, le soleil deviendra rouge…

    Damie Chad.

     

    *

    Orphée est un des tout premiers héros grecs, mais là où la plupart d’entre eux s’honorèrent par leur vaillance physique et leurs exploits guerriers, ses seules armes furent la poésie et la musique. Son chant lui permit d’entrouvrir les portes d’ivoire et de corne de la mort et du rêve… Qu’un groupe de dark metal se soit paré de son nom ne pouvait me laisser indifférent, écoutons donc ces cadences funéraires…

    APART

    ORPHEAN PASSAGE

    (Album Digital / Bandcamp / 30- 04 -2024)

    Groupe originaire de Cape Town, Le Cap, capitale de l’Afrique du Sud. Plusieurs de ses membres font aussi partie d’autres groupes dark metal.

    Julien Bedford : basse / François Meyer : drums / Malcolm McArb : guitars / Patrick Davidson : guitars / Nicole Potgieter : claviers / Ryan Higgo : chant.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Belle couve : paysage d’eau et de brume, éléments inconsistants, que vous ne pouvez saisir ou retenir dans votre main, de même structure que les rêves et la mort… Seraient-ce les rives désolées du Styx, dans beaucoup de mythologies, notamment arthurienne, il suffit de traverser une étendue d’eau pour entrer dans le royaume immémorial de la mort…

    Prelude : ne passez pas rapidement sur cette ouverture, elle donne le la, le ton, d’une infinie tristesse, d’une langueur souveraine, d’une procession funéraire, non pas celle que l’on fait en suivant un cercueil ou en allumant un bûcher, celle que l’on parcourt à l’intérieur de soi, car la mort réside aussi bien dans les corps inanimés des cadavres que dans les pensées des vivants. A tout instant, demandez-vous si vous êtes celui qui regarde le miroir ou celui qui est dans le miroir. Adomed in midnight : souvenez-vous du titre de l’album, qui est à part, qui est séparé, cette voix bourrue, refermée sur elle-même, vous doutiez-vous avant d’être parvenu au bout du morceau que c’était elle toute seule qui prendrait en charge le muet dialogue des amants qui ne se parlent pas, mais qui parlent à l’autre depuis l’intérieur de l’autre, car le fait d’être dans l’autre est la preuve irrémédiable de cette séparation éternelle, éternelle en le sens où depuis le minuit lugubre où des lèvres se sont posées de chaque côté du miroir, tous deux ne font que reculer sans fin dans la présent de la présence de leur absence, à tel point qu’il se tait pour nous prouver que la musique continue toute seule dans une solitude effroyablement insupportable, alors il reprend la parole car il vaut mieux dire l’absence que laisser l’absence triompher. Le chant qui tue la mort n’est-il pas aussi criminel que la mort. Situation bloquée, fardeau de la culpabilité. Une dernière noté étranglée, point final qui ne veut pas finir, sur le clavier silencieux de cet oratorio magnifique.  Bereft in requiem : il est question d’inspiration, celle qui vient des Dieux, celle qui transforme la fiancée crépusculaire en un long mensonge, la musique grogne, le riff se boursouffle et il grogne comme un loup que la colère de son impuissance énerve, guitares  en piqué qui tombent, rasent et arrasent la cime des arbres, maintenant il dit ce qu’il ne faut pas dire que la mort n’est rien, que le temps est tout, car la mort peut mourir mais le temps perdu est semblable au temps gagné, tous deux sont sas repos, car le temps qui s’arrête dure encore. Ashen veil : voile de cendres, de rêves, de souvenirs emmêlés, un chemin, un long chemin de vie dans un passé qui ne veut pas mourir, qui les a conduits dans la mort, celle de l’un et celle de l’autre, car celui qui meurt tue aussi l’autre, marche crépusculaire, la batterie écrase les mottes de terre, celles du chemin et celles de la tombe, la voix se fait profonde, plus profonde qu’une fosse mortuaire, car si elle ne contient qu’un cadavre elle s’est refermée sur deux corps vivants.  The scarlet mirror : attention puisque je ne peux te donner la vie tu peux me donner la mort, il suffit de briser le miroir, qu’il devienne écarlate, cramoisi de mon sang, en saisir un éclat et se taillader les veines, l’échange du premier sang sur tes lèvres exsangues comme un premier baiser charnel, mais le miroir aux eaux glacées  retient les vols du cygne qui ne fuiront pas, il ne chantera pas son chant le plus beau au moment de mourir puisqu’il est déjà mort, le chant empli de ressentiment est aussi beau que le texte, le morceau se termine sur une musique qui s’éloigne aussi funeste que le finale de Lohengrin. Eclipse : ce n’est pas Lohengrin qui s’éloigne, c’est le rêve qui ne veut pas mourir, il suffit de s’attendre, jusqu’à la fin des temps, jusqu’à la fin des Dieux, jusqu’à la fin de la mort, car si la mort est la fin de tout elle est aussi sa propre fin, la musique le susurre longtemps jusqu’à ce que le chant s’élève, elle a préparé un tapis rouge pour accueillir le Poème afin qu’il s’unisse à la Poésie, ce n’est pas l’éclipse du soleil noir mais celle du temps effacé par l’atemporalité du Rêve, keyboard en marche nuptiale.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Wreaths for the wretched : retour à la réalité, pitié pour les misérables condamnés à vivre, le tempo adopte une ampleur inégalée, face à la réalité seule la révolte, inutile et perverse, est nécessaire, si l’homme est mortel qu’il devienne un Dieu, qu’il redonne vie à l’enfant dans le corps qui l’a porté, tout est excusable, tout est permis, puisque ceux qui sont sur les tombes sont aussi malheureux que ceux qui sont dessous. Tous coupables puisque tous innocents. Her wounds can’t be seen : dessus comme dessous, à l’intérieur comme à l’extérieur, gratter la terre du souvenir et gratter celle de la tombe jusqu’à pénétrer en ses souvenirs, jusqu’à savoir et comprendre les fragiles barrières opposées à la mort, souvenir du vivre et remembrances mortelles sont de même indissoluble matière, une même structure entrelacées dans les aitres de laquelle chacun se ménage ses minuscules refuges, ses petits mensonges, toute cette pacotille de déréliction pour faire semblant de contrecarrer l’inéluctable irréparable. La rage aux cœurs l’affrontement est inévitable. Keket : elle est la Perséphone égyptienne, celle qui permet de mesurer l’immensité de l’éternité lorsque le cadran solaire privé de soleil ne peut plus indiquer  la course du retour de l’astre solaire, si tu ne peux pas tuer la mort, il reste encore une possibilité, celle d’être la mort elle-même, se joindre à elle pour être elle, ne plus être séparé, que les chairs séparées comme celles déchirées de l’enfant Dionysos qui lui ont permis d’accéder à l’immortalité, ne dites pas que c’est impossible, puisque une fois que vous êtes mort vous ne pouvez plus mourir. Pourquoi ce clavier ou cette guitare sonnent-ils comme un tocsin, un glas funèbre et joyeux qui annonce que la mort est morte.

             L’on ne peut être qu’émerveillé par une telle réussite. Un groupe qui dès son premier enregistrement accouche d’un tel chef-d’œuvre est promis à un grand avenir. Tout est parfait dans ce disque, un lamento musical redondant qui n’est jamais répétitif mais qui vous englobe dans une espèce de suaire protecteur, un chanteur qui ne cherche jamais l’emphase et ne tente à aucun moment d’attirer l’attention sur sa voix, omniprésent mais d’une humilité évocatoire dont seuls sont capables les plus grands, de somptueux lyrics et une pochette ouverte aux aléas des rêves de ceux qui la regarderont, plus l’ombre lumineuse de la mort… Si vous trouvez mieux, prévenez-moi.

    Damie Chad.

             En attendant leur chaîne YT offre nombreuses vidéos de ce premier album enregistrées en public…

     

    *

    Le hasard fait bien les choses  mais peut-être vaudrait-il mieux incriminer les Dieux de l’ancienne Hellade. Nous venions d’achever notre chronique précédente lorsque dans le courrier je remarque, avec quelque retard, un envoi de Bandcamp signalant sur une compilation Metal la présence d’un morceau inédit de Thumos destiné à la face B De leur prochain album. Donc après le précédent Passage d’Orphée nous  voici en présence d’un dialogue de Platon relatif à la nature de la poésie.

    ION

    THUMOS

    ( Mind Over Metal VOL 1

    Cave Dweller Metal / Mai 2024)

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Goethe, le grand Goethe, mettait en doute l’attribution d’Ion, dialogue qualifié de jeunesse, à Platon. Il est inutile de nous lancer dans une polémique stérile, qu’il soit ou pas de Platon, ce dialogue consacré à l’essence de la Poésie, évoque évidemment le personnage d’Orphée même s’il est loin d’en être la référence principale.

    Notons que Thumos prévient qu’il a déjà donné en exclusivité à une précédente anthologie de Cave Dweller Metal, un précédent morceau de cette face B de leur prochain opus, Lachès que nous avons chroniqué dans notre livraison 636 du 14 / 03 / 2024. Sans vouloir préjuger du contenu du futur disque nous rappelons que Lachès est un dialogue de Platon mené par Socrate qui discute avec deux généraux athéniens d’éducation, de courage, et de guerre…  Mais il est temps de nous pencher sur l’œuvre ionique pour tenter de comprendre la lecture musicale que Thumos opère de cet ouvrage.

    Une première constatation sur laquelle je ne m’étendrai pas, dans   Platon. Œuvres Complètes de l’édition (de référence pour la France) dirigée par Luc Brisson, parue chez Flammarion en 2008 Ion est séparé de Lachès par l’ensemble des treize Lettres d’authenticité douteuse, preuve que le travail que Thumos effectue sur Platon est animé d’une certaine logique. Et même d’une logique certaine. Logos en grec.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Dans ION Socrate interpelle Ion le rhapsode, qui se vante d’être le meilleur de tous les rhapsodes spécialisés dans la récitation des poèmes d’Homère et le meilleur de tous les commentateurs de l’illustre aède… Il déclare qu’il ne sait pas pourquoi cette supériorité ne vient pas de sa propre personne mais de la Muse, comprendre de la Divinité qui a inspiré Homère. Socrate explique que l’inspiration agit comme un aimant qui transmet  son aimantation à un anneau de fer (Homère) qui à son tour la communique à un autre anneau de fer (Ion) qui à son tour la confère à un autre anneau de fer que représente le public subjugué par la beauté du texte homérique… Ion ne peut que remercier Socrate de son explication qui fait de lui un réceptacle et un transmetteur du souffle divin.

    Je me permets de vous adresser un petit conseil, si par hasard vous rencontriez Socrate, avec ce diable d’homme l’on ne sait jamais, et qu’il reconnaît en vous d’inestimables qualités, méfiez-vous, il ne va pas tarder à reprendre de l’hémisphère gauche de son cerveau ce dont son hémisphère droit vous a gratifié. Certes les récitations de notre rhapsode sont empreintes de beauté, mais sont-elles justes ? D’ailleurs les Lettres sont précédées d’un minuscule dialogue qui n’est manifestement pas de Platon, même s’il lui a été attribué, intitulé Sur le Juste

    Ainsi si Ion récite un passage dans lequel Homère parle de course de char, qui sera le plus à même de juger de la justesse de ce passage : un guerrier meneur de char ou Ion lui-même ? Le malheureux est obligé de répondre que les critiques ou les éloges d’un cocher professionnel seront supérieures à ses propres jugements. Socrate s’amuse à plusieurs reprises à faire admettre à Ion qu’il laissera systématiquement l’avantage à un ‘’spécialiste’’ suite à l’examen de plusieurs situation décrites par Homère. Une manière pour Socrate de sous-entendre que si déjà Homère a commis quelques erreurs dans ses descriptions, notre poëte et à fortiori un rhapsode qui récite ses textes, n’ont qu’imparfaitement retransmis l’inspiration divine. 

    Socrate laisse une petite chance à Ion : y aurait-il seulement un sujet sur lequel il serait  à même de posséder une compétence qui le mettrait à égalité avec les ‘’ spécialistes’’ de la question. A la grande surprise des lecteurs Ion revendique une totale adéquation entre son jugement des choses militaires et le savoir des plus grands stratèges. Se reportant aux  évocations des nombreux combats et multiples batailles qu’Homère décrit dans l’Illiade et l’Odyssée, Socrate se demande pourquoi Ion n’a pas été choisi par la cité athénienne pour diriger ses troupes lors des guerres qu’elle a l’habitude de mener…   Quand Ion se rend ridicule en décrétant que l’art du Rhapsode est égal à l’art du Stratège, Socrate enfonce le clou en affirmant que si Ion ne veut pas être un menteur, il vaut mieux  le considérer comme un homme divin  puisqu’il transmet par son art les poèmes d’Homère qui fut un homme divin puisque inspiré par la Muse…

    Certes le lecteur moderne goûtera le sel de l’ironie socratique mais il pourra aussi s’interroger sur l’étrange proximité établie par Ion (et Platon) de la poésie avec la guerre.  Comme si le schème de l’aimantation des anneaux de fer pouvait se résumer ainsi : les Dieux / la Poésie / la Guerre / les Hommes… Une juste vision très agonique (et nietzschéenne) de la Grèce Antique…

    ION : le morceau ne dépasse pas les quatre minutes, une orchestration que je qualifierais de serrée, un peu comme quand vous fermez avec force votre bouche pour réfréner une envie de rire incoercible, un rythme joyeux, nous sommes loin de cette idée de gravité et de sérieux que suscite communément le nom de Platon, peut-être faut-il discerner, trahie par la basse et les roulements de la batterie, l’indication que ce qui est en jeu dans ce recueil serait beaucoup plus sérieux que ne le laisserait accroire cette sensation de légèreté dégagée par la première moitié de ce titre, ne survient-il pas d’ailleurs une accélération drummique comme pour rappeler que l’on parle des Dieux, mais que signifie cette disparition sonore au profit d’un bourdonnement de mouche dont on ne sait si elle monte vers les demeures olympiennes ou descend vers l’incohérence théorique des êtres humains. Brutale amplification instrumentale, le rythme ralentit pour reprendre aussitôt, une effusion lyrique transparaît sans doute pour nous mettre en mémoire que le rire est aussi l’apanage des Immortels. Une espèce de coup de gong final, la plaisanterie humaine aurait-elle duré trop longtemps ?

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 647 : KR'TNT 647 : MAX DECHARNé /CODEX SERAFINI / WALTER JACKSON / ORVILLE PECK / EVIE SANDS / AZIMIT / AXION9

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 647

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    30 / 05 / 2024

     

    MAX DECHARNé / CODEX SERAFINI

    WALTER JACKSON / ORVILLE PECK

    EVIE SANDS / AZIMUT / AXIOM9

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 647

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

     

    Max le ferrailleur

     - Part Two

    z24225maxdécharné.jpg

             Quand tu vois écrit sur la couverture The Hipster’s Guide To Rockabilly Music, tu sors ton billet de vingt. Puis quand tu vois écrit en dessous A Rocket In My Pocket, tu sens une petite érection, et quand enfin tu lis le nom de Max Décharné en bas de cette même couverture, tu embrasses la petite gonzesse à la caisse. Tu ressors de chez Smith avec le book parfait entre les pattes. D’autant plus parfait que t’as en plus Elvis 54 sur la couve. 300 pages d’intense perfection, un book atrocement bien documenté, infesté de singles rares, et dédié à Nikki Sudden - For Nikki Sudden, who sang the Teenage Boogie on a Saturday night, and was telling me nearly twenty-five years ago to write something about Charlie Feathers. Rest in peace, old friend - Impossible d’imaginer meilleur auspice.

    z24232book.jpg

             Rien qu’à lire le sommaire, tu sens ta bave dégouliner. Les titres des chapitres swinguent tout seuls, ‘Hillbillies on speed’, ‘The King of the Western Bop’ (Elvis, bien sûr), ‘Get with it’ (Charlie Feathers bien sûr), ‘Rockin’ Up at Sam’s place’ (Uncle Sam bien sûr), des chapitres consacrés aux roots, aux labels, aux filles, au cinéma rockab, aux clubs, aux radios, au revival et aux héritiers. Max n’a rien oublié. Rien ! T’es dans une Bible. La Bible. Tu peux même le lire si tu ne comprends pas l’anglais. Pour tout fan de rockab, c’est le point de départ, le passage obligé, avec les trois Guralnick (Deux Elvis et un Uncle Sam), le Billy Poore (RockABilly: A Forty Year Journey) et le Craig Morrison (Go Cat Go! Rockabilly Music And Its Makers). De la même façon que l’It Came From Memphis de Robert Gordon, tu es quasi-obligé de relire le Rocket tellement ce book grouille d’informations. Overdose garantie, à condition bien sûr que tu aimes les overdoses.

    z24264vincent.jpg

             Dans l’intro, tu commences par tomber sur un portrait de Gene Vincent en 1956. Max a 19 ans quand il découvre l’existence du mot rockabilly dans le «Roll Away The Stone» de Mott The Hoople. Puis il chope Introducing Eddie & The Falcons de Wizzard. Il lit dans la foulée le ‘Junkyard Angels’ hebdomadaire de Roy Carr dans un NME de l’époque. Carr ne comprend pas qu’RCA n’ait pas rassemblé les Sun tracks d’Elvis sur un album - After all, these are perhaps the most important rock records ever made - C’est pas perhaps, Roy, c’est sûr. Tout vient des singles Sun d’Elvis. Puis Max rappelle que Ted Carroll lance Chiswick en 1975 avec la réédition du «Brand New Cadillac» de Vince Taylor, puis il passe à Ace avec des bombes du genre «Tennessee Rock» d’Hoyt Scoggins & The Saturday Nite Jamboree Boys et le «Jitterbop Baby» d’Hal Harris. Comme Ted Carroll, Max fout le doigt dans l’engrenage : il est baisé. Le rockab sera sa passion. À l’échelle d’une vie.

    z24265elvis.jpg

             Ce qui fait la force des singles rockab, c’est qu’ils ont gardé leur fraîcheur - Trente ans plus tard, the music still comes tearing out of those original Sun 45s like they were cut yesterday - Un peu plus loin, Max donne sa définition du rockab : «A mutant blend of uptempo country and hillbilly sounds combined with the backbeat of jump R&B.» C’est bien sûr Elvis qui définit le genre en mai 1954, lorsqu’il enregistre «That’s All Right/Blue Moon Of Kentucky» chez Uncle Sam - he defined pure rockabilly for all time -  Mais comme le rappelle Max, juste avant Elvis, tu as Arthur Big Boy Crudup. En 1962, Bobby Robinson le retrouve pour le faire enregistrer sur son label Fire Records. Max nous dit qu’en 1962, Big Boy cueille des fruits pour vivre. Les succès d’Elvis ne l’ont pas enrichi - Des gens décrochent des hits et tout le blé qui va avec, d’autres ont composé des hits mondiaux et bossent dans des stations-services. Il n’y a aucune justice ni aucune logique là-dedans. Comme le disait Jim Dickinson : «Les hits sont dans le baseball, les singles dans les bars et tes royalties vivent dans un château en Europe.» - Quand Max cite, il cite. Il ne pouvait pas citer mieux.

    z24232biscoversoundtrack.jpg

             Il illumine son chapter Elvis avec une belle image d’Evis & Scotty & Bill Black, le power trio originel - The wrote the rockabilly rules from scratch - Max rappelle qu’en plus de Guralnick, Greil Marcus a examiné cet épisode fondateur dans son fameux Mystery Train. Un Elvis qu’on surnomme à l’époque The Hillbilly Cat, ou encore The Memphis Flash. Max se régale de ces mots qui swinguent sous ses doigts alors qu’il les tape. Oh et puis voilà Uncle Sam ! Max cite Robert Gordon qui cite Uncle Sam : «Producing? I don’t know anything about producing records. But if you want to make son rock’n’roll music, I can reach down and pull it out of your asshole.» C’est le messie qui parle, mais si. Sur la compile Ace qui accompagne le Rocket Book, A Rocket In My Pocket - The Soundtrack To Hipster’s Guide To Rockabilly Music, tu as le «Mystery Train» d’Elvis, Scotty & Bill - Train arrives ! - La base de tout.

    z24266feathers.jpg

             Max embraye sur Charlie Feathers, comme s’il tirait l’overdrive de sa TR4, vroarrrr ! Il voit Charlie à Fulham en 1990. C’est l’ultime show londonien de Charlie. Max parle d’une révélation - It remains the finest pure rockabilly I’ve ever witnessed - Charlie gratte une acou, Bubba une gratte électrique et deux mecs des Firebirds «on the sparest backing from double bass and one snare». Quand tu lis ces mots, tu as l’impression de re-rentrer dans le Saint des Saints, juste après le bouclard d’Uncle Sam. Max ajoute que cet ultime show «was the real deal», 35 ans après l’âge d’or et les «killer rockabilly singles» sur King et Meteor - One of the most perfect examples of double-sided rockabilly statement you’re ever likely to hear - Et Max y va : «Il y eut certainement pas mal de chanteurs à l’époque qui ont été mieux payés que Charlie Feathers pour leur boulot, mais peu pouvaient égaler la qualité de ses enregistrements.» Ce sont des évidences, mais quand il s’agit de Charlie Feathers, on les accueille toujours à bras ouverts. Il ajoute que les cuts que Charlie enregistre en 1968 ou 1978 auraient pu l’être en 1955 : the purest ! Il cite encore l’exemple de «Get With It», Charlie dit au guitariste de lancer le cut et au stand-up man de commencer à slapper pour lancer le beat, de sorte que Charlie puisse entrer en rythmique and cut loose. «Tu veux jouer du rockabilly ? Just follow the instructions.»

             Ça tombe bien, «Get With It» se trouve sur la compile. Charlie with Jody & Jerry. Oh le chant pur du rockab parfait. C’est claqué du beignet, mais à la revoyure.

    z24258johyburnette.jpg

             Max reste à Memphis pour évoquer l’autre équipe de choc, Johnny Burnette & The Rock’n’roll trio qui ont enregistré  «some of the purest examples of flat-out, life-enhancing rockabilly ever recorded.» «The Train Kept A Rolling» figure aussi sur la compile. Ce trois-là sont des fous. Perfect madness. Max n’en finit plus de s’extasier. On a dans les pattes le book d’un fan, alors il ne faut guère s’étonner de ces montées de fièvre. Tous les kids du monde ont fait et font encore la même chose. La petite différence, c’est que Max écrit comme un cake.

    z24267burgess.jpg

             Il cite ensuite Sonny Burgess «and some of the wildest rockabilly ever recorded at Sun», puis Carl Perskins et Cash, et voilà que débarque en 1956 Jerry Lee et son père Elmo. Quand les mecs de Bear publient  la Box Classic Jerry Lee Lewis en 1989, ils déterrent pas moins de 246 cuts dans les archives. Puis arrivent Billy Lee Riley et Roy Orbison, Max les passe tous au peigne fin. Quand en 1960, Uncle Sam en a marre, il quitte Union Avenue et s’installe au 639 Madison.

    z24268meteor.jpg

             Tiens voilà un Bihari ! C’est Lester qui s’installe à Memphis pour monter Meteor sur Chelsea Avenue, en 1956. Il récupère les déchets d’Uncle Sam, Charlie Feathers, Bill Bowen, Junior Thompson et Brad Suggs. Le problème c’est que les singles Meteor sont «impossibly rare». Max explique qu’il se casse les dents à les chercher. Il existe une compile Meteor providentielle sur Ace (The Complete Meteo Rockabilly & Hillbilly Recordings). Max cite Steve Carl qui se souvient de la chambre d’écho de Lester, qui était en fait la salle de bains infestée de serpents. Lester plie bagage en 1957 et retourne bosser avec ses frangins. Pour illustrer l’épisode Meteor, Max a choisi Junior Thompson et «Mama’s Little Baby», un classic jive de r’n’b drivé au bop de slap.

    z24269eddiebond.jpg

             Au fil des pages, Max cite des tonnes de singles, il pleut du bersek guitar solo et du bass-slapping comme vache qui pisse. C’est une vraie foire à la saucisse bop. On voit qu’il a bien écumé les bacs des disquaires anglais spécialisés. Si tu veux te monter une collection de singles rockab, tu as le mode d’emploi. Hipster’s guide ! Max écrème les labels d’époque, Starday, Mercury et toute la bande à Bonnard, aussi plutôt que de te mettre sur la paille en partant à la chasse aux singles rares (prix minimum par tête : 50 euros), chope plutôt les quarante volumes de That’ll Flat Git It parus chez Bear. Tout y est. Tout ! Max qualifie Curtis Gordon de full-blown rockabilly wildman («Draggin’») et le «Slip Slip Slippin’ In» d’Eddie Bond & The Stompers d’«even wilder bass-driven monster.» Puis c’est Decca avec le rockabilly jackpot «Three Alley Cats» de Roy Hall, et pouf arrivent à la suite Jackie Lee Cochran, le Texas wildman Johnny Carroll. Arrête Max, on n’en peut plus ! Mais l’animal repart de plus belle. Il a tout exploré, tout écouté, il jongle avec la dynamite des singles rockab et boom, Roy Haydock & The Boppers avec «99 Chick». Pour chaque bombe, il a son mot à dire. Il arrive sur Columbia avec Sid King & The Five Strings, puis Ronnie Self qui atteint «the true rockabilly immortality» avec «Bop-a-Lena». Rien de plus frantic que ce truc-là, nous dit Max effaré. La preuve ? Elle est sur la compile : «Bop-a-Lena» ! Mais Ronnie est trop énervé. Il est incontrôlable. Son scoobidoo go cat go ne vaut pas les hiccups de Charlie Feathers.

    z24270phamtom.jpg

             Puis c’est le «stone-cold masterpiece of rockabilly mayhem» du «Love Me» de Jerry Lott, aka the Phantom, rendu célèbre bien sûr par les Cramps. Max illustre la page avec la pochette du single Dot, et de là, il passe directement à l’autre wildman de service, Hasil Adkins et ses «home-recorded blasts of rockabilly mayhem». Dans la foulée voilà qu’arrive Gene Maltais et son «primal, front-room rockabilly that jumps right out of the groove». Max parle bien sûr du double-sided monster «The Raging Sea/Gangwar». Ça tombe bien, le monster est sur la compile. Il est bien sec, le Maltais, mais plus rock’n’roll que rockab.

    z24271sandford.jpg

             Gros clin d’œil à un autre pionnier, Lee Hazlewood qui lance Sanford Clark et le mythique «The Fool» en 1956. Comme Uncle Sam, Lee étudie l’écho et achète 200 $ un vieux silo à grain et l’installe sur le parking de son studio pour produire «the correct echo». Max rend aussi hommage à Cordell Jackson et à son label Moon Records, dont Allen Page & The Deltones étaient les têtes de gondole («Dateless Night»). Et la surprise arrive avec le «Black Cadillac» de Joyce Green que Max compare au «Love Me» du Phantom. Il évoque un radio show en 1958 - One of the wildest performances of them all - «Black Cadillac» est l’unique single de Joyce Green, «but, quite honestly, how do you follow something like that?». Introuvable et pas sur la compile. Te voilà gros-Jean comme devant.

    z24272morningstar.jpg

             Après avoir épluché les superstars du rockab, Max plonge dans l’underground rockab, celui qu’il a exploré et qu’il partage avec nous. Il cite encore l’exemple du «Rocking In The Graveyard» de Jackie Morningstar, «replete with demonic howls and killer guitar». Pareil que Joyce Green : un single et puis plus rien. Max parle encore de «rockabilly immortality». Par chance, le «Rocking In The Graveyard» est sur la compile. Mais comme pour le Maltais, Morningstar est trop rock’n’roll.

             Max cite encore une compile Ace historique, Rockabilly Party, parue en 1978, sur laquelle se trouvent les blasters d’Hal Harris, «Jitterbop Baby» et «I Don’t Know When». Il indique aussi que les Cramps ont tapé dans le «deranged, heavy-breathing beat of a song» «Save It», de Mel Robbins. Ouf, il est sur la compile ! Mel est un furax. Quelle voix !

    z24273allen.jpg

             Max reprend le fil des rockabilly hymns avec le «Please Give Me Something» de Bill Allen & The Back Beats, qui date de 1958, «a primal howl of a song dans laquelle le narrateur cherche autre chose qu’un simple bisou sur la joue.» Un «Please Give Me Something» que reprit Tav Falco. Max cite encore des modèles comme Huelyn Duvall («Three Months To Kill») et Tooter Boatman & The Chaparrals («The Will Of Love», a driving powerhouse of a tune backed by some of the finest rockabilly drumming of the era). Il sort encore de l’underground Nervous Norvus et son «blood-happy danngerous driving ‘Transfusion’», «a megahit which came out of nowhere.» Puis Dale Vaughn et «How Can You Be Mean To Me» qui sort aussi de nowhere, avec un «world-class slice of rockabilly brillance» et une «guitar storm» «which anticipates the likes of the Stooges by over a decade». Un seul single qu’on retrouve par chance sur la compile. C’est Dale qui ouvre le bal de comp à la violente attaque. Il chante du nez. La pulsion rockab est là, entre tes reins. Qu’existe-t-il de plus wild ? Rien. Mais Max ne sait rien du mystérieux Dale Vaughn. Disparu sans laisser de traces ! Underground power at the Max.

    z24274honky.jpg

             Infatigable, il rentre ensuite dans le chou de l’Honky-tonk avec Johnny Horton, qui épousa la veuve d’Hank Williams aussitôt après qu’Hank ait cassé sa pipe en bois, et pour illustrer l’anecdote, Max te sort cette phrase de David Allen Coe : «If that ain’t country, I’ll kiss your ass.» Max raconte aussi que Johnny est allé voir Elvis à Memphis et lui demander s’il pouvait lui emprunter Bill Black pour enregistrer «Honky Tonk Man» chez Owen Bradley à Nashville. Puis, poursuit Max, Johnny emprunte encore Bill Black pour enregistrer le driving, powerfull «I’m Coming Home» joué sur un seul accord. Ce book bat tous les records, car il grouille de détails fascinants. Max cite les hits rockab, connus ou pas, et orne son texte d’une myriade d’anecdotes superbes. On reste dans les géants avec Thumper Jones, c’est-à-dire George Jones, qui sort en 1956 «How Come It/Rock It», l’une des perles rares du rockab. Max cite aussi sa version de «White Lightning», compo du Big Bopper, dont Eddie Cochran et Gene Vincent vont taper des covers un peu plus tard. Max reste chez les Hillbillies avec Jimmie Logsdon qui se rebaptise Jimmy Lloyd, et «You’re Gone Baby», avec en B-side l’even better «I Got A Rocket On My Pocket» - A rockabilly hymn to the joys of unbridled lust - C’est d’ailleurs l’«I Got A Rocket On My Pocket» qui referme la marche de la compile : oh la classe du dandy rockab !

    z24275thefgirls.jpg

             Max consacre des chapitres bien dodus aux juke joints, aux radio shows et aux TV shows, puis il débarque à Hollywood et passe tout le ciné rockab au peigne fin. Alors on fait des listes de trucs à voir en priorité. Il chante les louanges de The Girl Can’t Help It, avec Gene Vincent & The Blue Caps in full flight, il parle même d’un «impossibly high standard for filmed rock’n’roll», à cause justement d’«honest-to-goodness rockabilly wildmen like Vincent and Cochran». Sort en même temps une daube, Love Me Tender, avec «the most incendiary live perfomer on the planet», Elvis, auquel on fait chanter n’importe quoi, alors Max se met à rêver : «Imagine qu’on l’ait autorisé à chanter ‘Mystery Train’ in his own hepcat threads, in full colour?’». Max parle d’un artistic disaster. Elvis allait pouvoir se rattraper avec Jailhouse Rock et King Creole, mais le Colonel était déterminé à faire de lui un «family entertainment», alors Elvis allait entamer un chemin de croix qui allait le conduire jusqu’à Stay Away Joe, où il dut chanter cette daube qu’il haïssait, «Dominic The Impotent Bull». Merci Colonel d’avoir flingué le King. Max chante encore les louanges de Jamboree, d’High School Confidential et d’Untamed Youth, où Eddie Cochran joue le rôle de Bong, et où Mamie Van Doren chante en petite tenue. Oh et puis Hot Rod Gang, «staring one of the wildest rockers», Gene Vincent. Dans Carnival Rock, tu peux voir Bob Luman et James Burton, et dans Rock Baby Rock It, tu as Johnny Carroll. Max indique que Rock Baby Rock It mériterait d’être la pierre de touche de toute collection de DVD digne de ce nom.

    z24276hepcat.jpg

             En marge de tout ce bouillonnement, Max récupère en plus Charlie Gracie et Marvin Rainwater. Puis il bombarde Jerry Lee au grade de «wildest rockabilly of them all». Le temps va passer et certains feront comme si rien n’avait changé. Le meilleur exemple est celui de Charlie Feathers, déjà cité. En 1978, il se croit encore en 1955. L’autre exemple n’est autre que Larry Terry avec «a howling monster of a record», «Hep Cat» - Throat-shredding, savage-guitar screamer - Un seul single paru en 1961. Introuvable, bien sûr. Billy Miller réussira à retrouver la trace de Larry Terry. Dans le même genre, Max sort «Okie’s In The Pokie» de Jimmy Patton. Pour Max, c’est une façon de te dire, cher lecteur : «Ton tour est venu de partir à la chasse.»

    z24277carroll.jpg

             Injonction d’autant plus pertinente que la compile grouille de puces. Il y ceux que tu connais déjà comme Allen Page («She’s The One That’s Got It», heavy rockab bardé de réverb, c’est la Mer Rouge qui s’ouvre sous tes yeux), Carl Perkins («Put Your Cat Clothes On», hey he put it, sans doute le meilleur de tous), Wanda Jackson («Mean Mean Man», un rêve de délinquance juvénile), Hal Harris («Jitterbop Baby», Hal te boppe ça vite fait au lose my blues), Ric Cartey («Scratching On My Screen», slappé à la folie, l’un des sommets du genre), et puis il y a tous ceux que tu ne connais pas, et grâce à Max, tu te goinfres. Bob Doss, pour commencer, avec «Don’t Be Gone Long», pur jus de slap avec un solo de jazz dans la pulsion. Oh et puis le slap des Echo Valley Boys dans «Wash Machine Boogie», un vrai tenant de l’aboutissant pour l’amateur de real deal. Nouvelle révélation avec The Rhythm Rockets et «The Slide», le mec chante au génie délinquant, à la voyoucratie d’oh oh oh et en plus tu as l’épaisseur du son. La fête continue avec Jimmy Carroll et «Big Green Car», il te plonge en enfer à coups d’I saw my babe/ In a big green car - Aw merci Max ! Tiens, encore un wild cat tombé du ciel : Benny Ingram avec «Jello Sal», un shout de wild rockab tapé par la bande. Un chef-d’œuvre ! Révélation encore avec Freddie Franks et «Somebody’s Tryin’ To Be My Babe» : back to the primitive bop ! Ce mec te yodelle le bop ! Encore du pur et dur avec Don Willis et «Boppin’ High School Baby» : tu assistes ici à un fantastique développé de boppin’, suivi de Don Cole avec «Snake Eyed Mama». Il faut voir comme ça boppe ! La qualité de tous ces singles te tient en haleine.

    z24278bones.jpg

             Max continue de traverser les décennies et nous voilà à Londres avec Ted Carroll et Ace, puis en Allemagne avec Richard Weize et Bear. Voilà qu’arrivent the 1980s avec les Cramps - They probably had the finest taste in navigating the wilder extremes of America’s rockin’ past than just about anyone - Max qui a la chance de les rencontrer dit en plus qu’ils sont des «gueninely decent people». Côté covers, ils tapent dans le dur : «Rocking Bones» (Ronnie Dawson), «Uranium Rock» (Warren Smith), «Can’t Hardly Stand It» (Charlie) et bien sûr «A Rocket In My Pocket». Plus le Napa Hospital qui «puts to shame pretty much every other live video ever recorded.» Superbe hommage aux Cramps. Puis Max relate le désastre de leur tournée avec les fucking Police, un plan aussi foireux que celui nous dit Max de Jimi Hendrix en première partie des Monkees. Il évoque aussi le premier album des Cramps enregistré chez Uncle Sam à Memphis avec Alex Chilton. Et bien sûr, qui dit Chilton dit Tav Falco’s Panther Burns. Ces pages sur les Cramps valent vraiment le détour.

    z24279suave.jpg

             Puis voilà les Stray Cats et le rockab anglais. En 1985, Max voit les Sting-Rays en première partie des Cramps. Il flashe sur le chanteur, Bal Croce qui allait devenir celui des Earls Of Suave cinq ans plus tard, groupe dans lequel allait aussi se retrouver Max, avec la moitié des Sting-Rays, et bien sûr, les Earls Of Suave allaient jouer en première partie des Cramps. Une façon comme une autre de boucler la boucle.

    z24280décharné.jpg

    ( Version française)

             Dans son dernier chapitre, ‘Still a lot of rhythm in these Rockin’ Bones’, Max rend hommage à Billy Miller qui a retrouvé la trace du Phantom, puis qui a pris Hasil Adkins en charge, après avoir monté son label Norton Records en 1986. À Londres, Liam Waltson monte Toe Rag, a vintage recording studio en 1991. Liam nous dit Max a deux héros : Uncle Sam et surtout Joe Meek. C’est là que Ronnie Dawson vient enregistrer son come-back album Monkey Beat, sur le label de Barney Koumis, No Hit. Puis en 1995, Koumis nous dit Max ouvre ‘The Sound That Swings record shop’ in Camden Town, qui va devenir la Mecque des amateurs de «new and used rockin’ vinyl». C’est l’époque où Max joue dans deux groupes à la fois, les Earls Of Suave et Gallon Drunk. Ils rappelle que les Earls tapaient dans le dur avec «A Cheat» de Sanford Clark et «Who Will The Next Fool Be» de Charlie Rich : un premier single enregistré chez Toe Rag ! Max bat le beurre dans Gallon Drunk et keyboarde dans les Earls. Le premier single des Gallon Drunk est une cover de «Please Give Me Something», mais ils ne cherchent pas à sonner spécialement rockab - There was just as much of Machito, Bo Diddley, early Stooges or Suicide going on in the mixture - Max finit en apothéose avec la série des cinq concerts des Cramps à Londres en 1991 au Town & Country Club, avec des groupes différents chaque soir en première partie : Billy Childish’s band Thee Headcoats, Dave Vanian’s Phantom Chords, Ronnie Dawson, avec juste avant les Earls Of Suave, et le soir suivant, Gallon Drunk juste avant les Cramps - So I had two shots of the event, which remains one of the most enjoyable I’ve ever been involved with - Le deuxième soir était celui d’Halloween. Lux sortit d’un cercueil portant nous dit Max un crâne. Que peux-tu espérer voir de mieux dans la vie ?

    Signé : Cazengler, Max la limace

    Max Décharné. A Rocket In My Pocket - The Hipster’s Guide To Rockabilly Music. Serpent’s Tail 2012

    A Rocket In My Pocket - The Soundtrack To Hipster’s Guide To Rockabilly Music. Ace Records 2010

     

     

    Serafini c’est pas fini

    z24227codexserafini.gif

             Tout amateur de mystère devrait aller voir jouer Codex Serafini. Ce groupe anglais basé à Brighton tire son nom du fameux Codex Seraphinianus, un ouvrage signé Luigi Serafini et publié dans les années 80 par l’éditeur d’art Franco Maria Ricci. Il s’agit, nous dit wiki, de l’encyclopédie d’un monde imaginaire, une sorte de Necronomicon, mais à l’endroit. Ce gros délire est apparemment devenu un ouvrage de référence. Il se pourrait bien que Codex Serafini devienne un jour un groupe de référence, car ce qu’ils proposent tient admirablement bien la route.

    z24229tous.jpg

             Tout ce qu’on apprendra d’eux, c’est qu’ils viennent de Brighton. Pour le reste tintin. Codex Serafini est un groupe mystérieux. Normalement ils sont cinq, mais ce soir ils ne seront que quatre, deux mecs, deux gonzesses. Manque le guitariste, apparemment. Comme c’est un groupe mystérieux, ils arrivent sur scène drapés dans de longues robes rouges et masqués de noir. Comme tu as vu un brin de sound-check, tu as repéré la batteuse. Elle fait coup double : elle vole le show et fait la loco. Fantastique. Une vraie reine du beurre. Tout repose sur elle. Tout, ici, ça veut dire un délire psyché directement inspiré d’Hawkwind. Le mec au sax, c’est Nik Turner, même sens inflammatoire, le mec sur la basse fuzz, c’est un pur Dave Brock croisé avec Lemmy, et la petite chanteuse est la Stacia de service, sauf qu’elle n’est pas à poil. Ce qu’ils bombardent tous les quatre sur scène, c’est du pur motörpsycho d’Hawkwind et ça fonctionne au-delà de toute espérance du cap de Bonne Espérance. Il fallait y penser, et en même temps, réinventer Hawkwind n’est pas à la portée de n’importe qui. Leur set décolle très vite. Les deux mecs ondulent bien dans le chaos du groove, portés par l’implacabilité psychotropique du beurre, et la petite chanteuse passe pas mal de temps accroupie, comme si elle se recueillait devant l’autel d’un temple antique.

    z24231chanteuseagenouillée.jpg

    Mise en scène impeccable, l’organique du son se mêle à l’organique de la plastique, et vraiment, ça te monte bien au cerveau, surtout si t’as déjà trois ou quatre pintes de Chouffe dans la gueule. Ça devient même très vite une sorte de concert idéal, et tu peux onduler comme le font les fantastiques clones de Nik Turner et Dave Brock, rien ne peut plus les arrêter, leurs chevelures volent dans le bombardement stroboscopique,

    z24230tous---.jpg

    la transe monte, ça s’en va culminer à des hauteurs qui te donnent le torticolis, ça va et ça vient entre les reins de l’or du Rhin ou de l’or du temps, tu ne sais plus et tu t’en fous, tu restes en mode ondulatoire et tu pries secrètement pour que ce délire ne s’arrête jamais, car te voilà soudain propulsé dans l’instant présent, celui que tu préfères, tu re-goûtes une fois de plus à l’instant rimbaldien, c’est-à-dire le bouleversement de tous les sens, te voilà codexé, harponné, serafiné, conquis, putréfié de bonheur, ratatiné, revendu, ravaudé, bon à rien, tu lâches tes prises, tu cèdes tes parts, tu niques ta rate, tu plies bagage, tu mets les bouts, tu casses ta croûte, tu cries au loup, tu croques ton crack, tu clones ta cuite, tu crées ta clique, tu claques ton cul, tu cuis ta croupe, tu craques tes craintes, tu clos ton bail, tu clames ta joie, tu cliques tes claques, tu cours tes risques, tu craches ta chique, tu cloues ta paume, tout est permis, c’est à l’infini, te voilà membre du grand Ordre International du Délire Serafinique. Rien de plus vrai : Codex Serafini, c’est pas fini. Que les dieux du rock veillent sur eux.  

    z24234imprecationanima.jpg

             Au merch, tu trouves leur troisième album, The Imprecation Of Anima. C’est déjà pas mal. Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est bon de préciser qu’il vaut mieux écouter l’album après le concert. Si tu l’écoutes à jeun, ça risque d’être compliqué. L’album est tout de même bien barré, très liturgique, un peu Rosemary’s Baby, bien saxé dans l’oss, et tu l’écoutes plus facilement quand tu sais ce qu’ils valent sur scène. «Manzareck’s Secret» est bien un hommage au mec des Doors, et on y retrouve la frappe sèche et ordonnée de cette batteuse qui impressionne tant. Beurre bien dense et toujours intense. Globalement, l’album est plus space-outé que le set, beaucoup plus spirituel, plus informel, bien lâché dans le néant, le mec te le saxe dans la couenne du groove et la petite chanteuse sonne comme une prêtresse de l’Antiquité, ils sont dans cette dimension d’entre-deux, à cheval sur le cul entre deux chaises, entre l’Antique et le space-out, tout ça se joue en fait dans la même région du cerveau, dans la même animalité, mais au fond il ne s’agit que de puissance en devenir, puisque c’est frappé jusqu’au bout de la nuit de «Mujer Espiritu (Part 1)». Ils attaquent d’ailleurs la B avec le Pt 2 de Mujer, qui est aussi le cut d’ouverture de bal sur scène. Le Pt2 est plus déterminé à vaincre, bien acharné, bien riffé. S’ensuit «I Am Sorrow I Am Lust» qu’on retrouve en fin de set, cut plus exotique, tapé à rebrousse poil et toujours ce beurre bien dynamique et bien monté dans l’axe du mix. Ils terminent avec «Animus In Decay». Ils savent couler une dalle de cut, pas de problème, c’est d’un haut niveau underground, ténébreux à souhait, irrévocablement condamné aux souterrains et aux toiles d’araignées, mais au fond des orbites vides du Codex Serafini brille une lueur surnaturelle. La petite chanteuse mystérieuse sonne comme si elle officiait dans un temple d’Apollon, le son est lourd de conséquences, bien détaché des convenances, on a là quelque chose d’antique et de psyché à la fois, un peu oriental, très lourd, vraiment organique, relancé sur le tard par l’énorme batteuse, puis chauffé à blanc par le sax devenu fou et voilà le travail.  

    Signé : Cazengler, Codex Séfini

    Codex Serafini. Le Trois Pièces. Rouen (76). 10 avril 2024

    Codex Serafini. The Imprecation Of Anima. Riot Season 2023

     

     

    Wizards & True Stars

     - Walter d’asile

    z24226walterjohnson.gif

             Tony Rounce dit que Walter Jackson te rend fier d’avoir des oreilles - What you are on about to hear will make truly glad you’ve got ears - Et il surenchérit en s’exclamant : «Here is the very personification of vocal greatness.» Rien de plus vrai. L’incarnation de la grandeur vocale.

             Avec Walter Jackson, on entre dans le jardin magique de Carl Davis et de la Soul de Chicago. Dans son recueil de mémoires, Carl Davis précise que de tous les géants de la Soul, Walter Jackson reste son favori.

    z24263okeh.jpg

             Il n’est pas le seul à s’extasier. Dans les liners d’une des deux compiles Westside (Feeling The Song), David Cole chante aussi ses louages, mettant l’accent sur les deux mamelles de l’ultra-soulful Walter Jackson : la chaleur et la profondeur de sa voix, des qualités que les autres n’ont pas forcément. Cole rappelle aussi que Walter s’est chopé la polio à l’âge de 17 ans, et non durant son enfance, comme on le raconte ailleurs. Et c’est en 1962 que Carl Davis le voit chanter dans un club de Detroit et qu’il détecte en lui the star quality. Carl Davis lui fait enregistrer trois singles sur Columbia qui ne donnent rien, alors il met le turbo, le passe sur OKeh et demande à Curtis Mayfield de pondre un hit, cot cot, Curtis pond «That’s What Mama Said». Quand Walter Jackson évoque ses modèles, il cite les noms de Roy Hamilton et Sam Cooke, mais aussi Beethoven et Tchaikovsky, «Moonlight In Vermont» et «My Funny Valentine». Carl Davis pense qu’il faut aller sur des hits plus sexy et pouf, il tape dans Chip Taylor («Welcome Home»), et là, boom ! Badaboom ! Cole a l’air d’insinuer qu’on a un peu forcé Walter Jackson à enregistrer des cuts plus commerciaux. Cole indique aussi que des cuts enregistrés pour Cotillon à Muscle Shoals sont restés ‘scandaleusement’ inédits.

    z24235allover.jpg

             En 1965, Walter Jackson démarre en fanfare sur OKeh avec It’s All Over. Trois cuts l’établissent comme Soul Brother prépondérant : «There Goes That Story Again», «What Would You Do» et «Funny (Not Much)». Il groove le premier au swing de jazz. C’est le niveau auquel évolue cet immense crooner. Il défend ensuite son «What Would You Do» pied à pied. Walter Jackson est un géant impétueux. Encore un shoot de power pur avec «Funny (Not Much)» : très haut niveau de round midnite. Globalement, on est dans l’heavy Soul de Chicago, une Soul bienvenue et si parfaite. Sur la red Kent, les bonus valent le détour, surtout «Tell The World», heavy Soul de rang princier, «The Heartbeat Song», le hit tic toc de Walter, et l’heavy round midnite d’«It’s Hard To Believe». Diable, comme on s’attache à cet homme !

             Dans le booklet de la red, Tony Rounce nous dit tout ce qu’il faut savoir sur ce vieil OKeh. Il parle de «some of the greatest and most powerful recordings of Soul’s golden era». Il a bien raison, le bougre. Plane sur ce booklet l’ombre tutélaire de Carl Davis. Mick rappelle aussi que les grands compositeurs se bousculent au portillon : Chip Taylor, Van McCoy, Curtis Mayfield, Burt, Mann & Weil. En quête d’une vie meilleure, la famille de Walter a quitté la Floride pour s’installer à Detroit. Walter a commencé à chanter dans les Velvetones, des doo-wopers influencés par Nolan Strong & The Diablos. Le groupe splitte en 1959 et Carl Davis qui vient d’être nommé A&R à Chicago pour le compte de Columbia repère Walter en 1961. Carl Davis a pour mission de relancer OKeh, the largely dormant R&B subsidiary de Columbia. Pour accomplir sa mission, il monte ce qu’on appelle un roster et avec Walter, il lance Major Lance, Billy Butler & the Four Enchanters et d’autres combos locaux. Il a pour assistant Curtis Mayfield, une poule aux œufs d’or qui compose aussi pour des tas de poulains.      

    z24236manymoods.jpg

             Le deuxième OKeh de Walter s’appelle Welcome Home The Many Moods Of Walter Jackson. Il date de 1965. C’est un album de groove de charme, très grand public, puisqu’il reprend le fameux «Let It Be Me» de Gilbert Bécaud, et se croit sur Broadway avec «My Funny Valentine» et «Moonlight In Vermont». Il explose le «Welcome Home My Baby» de Chip Taylor et monte au firmament avec un hommage à Audrey Hepburn, «Moon River». Il remonte le courant  à coup d’Huckleberry Friend. Puis il tape dans Dylan avec une cover de «Blowin’ In The Wind» qu’il prend au swing de Broadway. C’est sans doute la cover le plus culottée de Blowin’ ! Ça jazze dans le wind à coups d’answer my friend. Il atteint des sommets avec une cover magique de «Fly Me To The Moon». Il te crève le cœur tellement il chante bien. C’est une merveille de croon swingué, et ça slappe à l’endroit et à l’envers, le mec y va des deux côtés. Il bat encore des records de présence avec «Still At The Mercy Of Your Love», un hit signé Van McCoy. De la même façon qu’avec l’album précédent, Kent propose une red gorgée de bonus du diable, alors quand il s’agit d’une superstar comme Walter Jackson, on y va sans réfléchir et on va de surprise en surprise. Premier choc avec «Deep In The Heart Of Harlem» et sa puissante orchestration at the crack of dawn, power extraordinaire, il monte encore comme la marée avec «A Cold Cold Winter» - Summer’s gone/ And I’m without you/ It’s gonna be a cold cold winter - Il explose «That’s When I Come To You» en plein vol et ce démon explose à la suite «One Heart Lonely», puis «The Folks Who Live On The Hill». Il te laisse comme deux ronds de flan. Cette fois, c’est Tony Rounce qui se colle à la rédaction des liners. Il appelle Walter «the late and truly great Walter Jackson». Ça veut bien dire ce que ça veut dire. Ce n’est pas non plus un hasard si on croise Walter dans les compiles Ace consacrées à Chip Taylor et à Bob Crewe.  

    z24237speakhername.jpg

             C’est avec Speak Her Name, un OKeh de 1967, qu’on réalise un fait essentiel : Walter Jackson est un chanteur très puissant. Il a comme on dit le chant chaud. Et pourtant il n’est pas favorisé par la pochette car on l’y voit crayonné avec ses béquilles. Mais il suffit d’écouter «After You There Can Be Nothing» pour tomber de sa chaise : il fait les Righteous Brothers à lui tout seul. Un vrai morceau de bravoure ! Deux autres merveilles se planquent en B : «A Corner In The Sun», où il développe le même power que celui de Bill Medley, et plus loin, «I’ll Keep On Trying», un shoot de power-dancing Soul d’une prestance inégalable. Pur jus de Chicago Soul ! C’est d’ailleurs le seul cut de l’album produit par Carl Davis. Power à tous les étages en montant chez Walter.

    z24238feelinggood.jpg

             Carl Davis va continuer de produire cet  immense Soul Brother dans les années 70. Feeling Good est un big album de Chicago Soul. Walter va chercher sa Soul très haut dès «Play In The Band». C’est une Soul d’une invraisemblable sophistication. Il tape ensuite le «Welcome Home My Baby» de Chip Taylor, avec la même attaque que celle de Bill Medley. Désespérément beau ! Il boucle son balda avec «Love Is Lovier», fantastiquement bien amené, I’m dancing to be happy, et fantastiquement bien développé. En B, il tape «Words» au Broadway swing, il porte ça avec une aisance irréelle, il enchaîne avec un heavy groove de Leon Ware, «I’ve Got It Bad Feeling Good» et conclut avec un shoot d’heavy Soul de haute tenue, «Someone Saved My Life Today». Plus Black Power, même si le cut est signé Elton John/Bernie Taupin. Sur la pochette, tu vois Walter avec ses béquilles. Walter et Doc Pomus même combat.  

    z24239comeback.jpg

             Carl Davis produit encore l’excellent I Want To Come Back As A Song. Le balda grouille littéralement de coups de génie, aussitôt «Baby I Love Your Way». Énorme présence vocale, Walter est stupéfiant de classe, il incarne la Soul suprême de Chicago, orchestrée ad nauseum. Il enchaîne avec «Everything Must Change» qu’il chante au gravitas subliminal de Barry White et de Solomon Burke. C’est d’une tenue exemplaire. Il monte au «Gotta Find Me An Angel» comme Marvin, avec une voix plus grave et arrosée de sax. Retour au Black Power en B avec «Stay A While With Me». Tout est dans le poids de la Soul, dans le cœur de la Soul. Et il remporte encore tous les suffrages avec «What Would You Do», un heavy groove d’une puissance inexorable. Walter Jackson est l’un des Soul Brothers les plus puissants de son temps. 

    z24240goodtoseeyou.jpg

             Good To See You est certainement l’un de ses meilleurs albums. Il attaque avec une triplette de Belleville, «I Wont Ever Remember Loving You», «If I Had My Way» et «We Could Fly», trois authentiques coups de génie black, exceptionnels de chaleur humaine, fantastiquement chantés et orchestrés par Carl Davis. Walter va chercher les sommets de la beauté fatale. Il se frotte chaque fois à la Soul avec une classe éblouissante, il rivalise de grandeur groovy avec Marvin dans «If I Had My Way», il te swingue ça à la renversante, c’est gorgé de jazz, de violons et de Marvin, c’est littéralement bourré d’all over. Il peut chanter à la sensiblerie et soudain éclore au Sénégal. Immense talent ! Il peut devenir océanique et chanter par vagues. Walter est un géant, un Soul Brother fondamental, il chauffe sa Soul d’une voix pleine et colorée, c’est un artiste considérable, jamais avare ni de power, ni de sensibilité. Ils redémarre sa B avec une autre triplette de Belleville, le morceau titre, «Open Up Your Heart» et «Forgetting Someone». Le morceau titre vire plus diskö funk, mais en mode Chicago, c’est forcément bien intentionné, chaleureux, long et finalement énorme. Avec «Open Up Your Heart», il groove la Soul à la puissance pure et il t’amène au bord de l’émotion suprême avec «Forgetting Someone». Soudain, il déchire le ciel et fait jaillir la lumière.  

    z24241clowns.jpg

             Paru en 1979, Send In The Clowns est encore un album mirifique, toujours produit par Carl Davis, et réédité par Westside, un label très pointu, et surtout très fondu de Walter Jackson, puisqu’ils ont tout réédité, et dans ses liners pour Clowns, Dennis Lyons recommande chaudement d’aller se jeter sur les compiles Westside de Walter. Un Walter qui dans Clowns t’étreint par la seule beauté de sa clameur («And If I Had») - I need somebody/ To love me - Toute la sainte chaleur de la Soul est là. Il chante tous ses cuts au charme chaud. Dommage que tous les cuts ne soient pas à sa hauteur. Ses balladifs ne sont pas du Burt. Et puis voilà le morceau titre, une belle Soul progressiste, très ambitieuse. Il fait parfois des cuts plus dansants, mais il est plus à l’aise sur  le satin jaune. «The Meeting» est infernal, avec les violons dans le ciel, il te groove son Meeting avec une classe infernale, il atteint des sommets par le seul power de sa nature. Ce Meeting est faramineux de balance et d’équilibre, il te monte ça là haut, tu en chopes le torticolis. Walter Jackson est l’un des Soul Brothers les plus brillants de sa génération. On entend des éclats de clameur boréale dans sa voix. Il boucle avec un «Golden Rays» bercé de langueurs monotones et donc digne de Burt. Enfin !

    z24242whereithurrts.jpg

             Son dernier album s’appelle Tell Me Where It Hurts, et atteint de nouveaux sommets. Il s’impose d’entrée de jeu, avec le morceau titre. Peu de gens sont aussi grandioses dès la mise en bouche et tu le vois monter là-haut faire danser son chant avec une classe épouvantable. Walter Jackson est un géant, un artiste extraordinaire, show me !, il va chercher le nec plus ultra de l’ultraïque. Te voilà au sommet de l’art. Au dessus, il n’y a rien. L’autre smash de l’album se planque en B : «If It’s Magic», un heavy groove de round midnite, avec, là-bas, dans les fumées bleues, la présence rassurante de la stand-up. Le Walter y va au jazz, il a tout Broadway derrière lui, le Broadway de Chicago, celui de Carl Davis, un Carl Davis qui n’en finit plus de veiller sur ce chef-d’œuvre de jive de jazz. L’autre cut magique s’appelle «At Last». Walter Jackson appartient à l’autre dimension, celle du big American songbook. Il swingue l’At Last à la démesure du croon de Broadway, c’est le summum absolu d’un groove à taille humaine. Il va encore se noyer dans la cour des grands avec «Living Without You», il y va au hello my dear, il l’alpague d’entrée de jeu, au but it’s nice that you find the time to see me, il chante au cabaret d’uptown. Puis il intériorise à outrance «Come To Me», et les filles font Call me tonite.

             Les deux belles compiles Westside permettent de réviser les leçons. Tony Rounce se tape les liners de Touching The Soul, qui brasse la période Brunswick/Chi Sound, et qui va de 1973 à 1983. Rounce y va au «smoky baritone», au «unbelievably brillant» et cite l’équipe de Carl Davis en termes d’«ultra-talented pool of Chi-Sound tunesmiths». D’ailleurs, il met un trait d’union dans Chi Sound (Chi-Sound) alors que David Cole colle les deux mots (Chisound). Chacun sa manière.

    z24243thesoul.jpg

             On replonge dans les sargasses de la beauté jacksonienne avec «It’s Cool», il part à la dérive océanique dans un élan surnaturel, il chante «Love Wake Me Up This Morning» en déplaçant les masses, il fait ripper un morning qui pèse des tonnes, il sonne comme les Tempts sur «Let Me Come Back» et s’élève dans les orchestrations de «The Meeting», il chante de toute évidence avec délectation, il est l’une des plus parfaites incarnations du génie vocal, il tape son «Tell Me Where It Hurrs» au life can be sad, il remonte le fil mélodique et il s’en va exploser le show me au sommet de la courbe, il se bat pied à pied avec son do it baby/ Tell where it hurts/ let me put my love upon your pain oooh ouiii, on le voit aussi atteindre le sommet de l’Everest de la Soul au deuxième couplet de «(Gotta Find Me An) Angel», une compo de Carolyn Franklin dont sa sister Ree fit un hit, et puis voilà encore l’ultime Soul Brother à l’œuvre avec «It Doesn’t Take Much», et ça explose de manière surnaturelle avec le «Welcome Home» de Chip Taylor, Walter Jackson se jette tout entier dans la balance avec ses béquilles et son génie universaliste, il chante aux abois extraordinaires, plus loin, il chante encore «Come To Me» à outrance, come to me tonite baby, et monte en neige ce heavy r’n’b qu’est «Open Your Heart».

    z24244feelingsong.jpg

             Feeling The Song brasse la période post-Okeh et la période de fin. C’est avec un plaisir indescriptible qu’on retrouve «Baby I Love Your Way», ce fantastique groove de good time music, alors on tombe dans ses bras, il tient la dragée haute et dérape dans les virages. Pur genius. Même chose avec «I Want To Come Back As A Song» et «At Last», il chante à la pire des perfes, il est effarant de nonchalance. Avec «Easy Evil», il lance un superbe assaut assumé, et c’est un bonheur que de plonger dans sa cover d’«Unchained Melody». Walter Jackson tartine à n’en plus finir, il chauffe ses accents en permanence, il groove sa chaudière, il chante au sommet de la Soul, avec un accent unique. Il est un peu comme Johnny Adams, il atteint une sorte d’universalisme, il croone à la surface de la terre. Il traque la mélodie pour mieux la magnifier. C’est un fantastique équilibriste de la Soul, il crée des ambiances exceptionnelles, comme le fait aussi Freddie Scott, il prend la Soul par les hanches et la fait danser («Sounds Like A Love Song»). Il chante «Everything Must Change» au chaud de l’humanisme et de tout ce qui relève de la beauté du monde.

    Signé : Cazengler, Walter closet

    Walter Jackson. It’s All Over. OKeh 1965   

    Walter Jackson. Welcome Home The Many Moods Of Walter Jackson. OKeh 1965 

    Walter Jackson. Speak Her Name. OKeh 1967 

    Walter Jackson. Feeling Good. Chi Sound Records 1976  

    Walter Jackson. I Want To Come Back As A Song. Chi Sound Records 1977  

    Walter Jackson. Good To See You. Chi Sound Records 1978 

    Walter Jackson. Send In The Clowns. Chi Sound Records 1979 

    Walter Jackson. Tell Me Where It Hurts. Westside 2000

    Walter Jackson. Touching The Soul. Westside 1999

    Walter Jackson. Feeling The Song. Westside 1999

     

     

    L’avenir du rock

    - Orville tombe à Peck

             Si l’avenir du rock avait dû choisir d’exercer un métier, il aurait sans la moindre hésitation choisi le métier de magicien. Avant même d’apprendre ses tours de magie, il se serait allé chez son tailleur du Faubourg Poissonnière se faire coudre un costume de Mandrake, avec bien sûr la cape noire doublée sur l’intérieur de soie rouge. Il aurait ensuite acheté chez Drouot un luxueux haut de forme lustré et une canne à pommeau d’or. Afin de compléter sa panoplie, il aurait passé dans la Chasseur Français une annonce sibylline pour recruter l’indispensable Lothar, et dont voici le texte : «Célèbre magicien recherche valet africain musclé, le plus fort du monde et invulnérable à toute arme de fabrication humaine, ainsi qu’à la magie.» Il aurait à la suite dévalisé les meilleurs bouquinistes du Quartier Latin et regroupé chez lui tous les grands classiques enseignant l’art des tours de magie, depuis l’escamotage jusqu’à l’hypnose, en passant par les caisses truquées et les subterfuges en trompe-l’œil. Il se serait abreuvé des astuces orientales, subtiles et cruelles à la fois, et des frasques américaines d’une efficacité tonitruante. Une fois ses tours de magie bien rôdés et son valet africain bien dressé, une fois ses cages de colombes et de lapins blancs bien fournies, une fois ses lames de sabres bien affûtées et ses foulards bien repassés, il se serait jeté sur son téléphone pour composer les numéros des cabarets parisiens les plus en vue et leur proposer ses services. C’est ainsi qu’il se serait trouvé un soir sur la scène du plus grand cabaret parisien, tenant en haleine un parterre d’aristocrates et de banquiers, réclamant leur attention d’une voix grave. Il aurait ôté son haut de forme pour le tenir renversé d’une main, puis tapoter du bout de sa canne sur le rebord, et après une interminable minute de silence, il aurait ânonné d’une voix grave :

             — Mesdames et messieurs, Am stram gram, et peck et peck et colégram, et bour et bour et ratatam... Voici Orville Peck !

    z24228orvillepeck.gif

             En fait, Orville Peck n’est pas sorti du chapeau de Mandrake, mais de celui de Tonton Leon. C’est en effet sur le tribute à Leon Russell (A Song For Leon) qu’on a découvert l’Orville. Il y tape une cover de «This Masquerade», et on a flashé aussi sec sur sa voix. Vraie voix, profonde et sonore à la fois. Timbre de star. Orville est impeck. Alors on a creusé et découvert que l’Orville est un jeune cowboy masqué, ce que les Américains appellent un rhinestone cowboy. Le plus connu est David Allen Coe. Le masque renvoie aussi au Phatom, dont le «Love Me» hanta les nuits agitées de Lux Interior. Nous voilà donc de retour dans un territoire qu’on apprécie tout particulièrement : la mythologie. Orville l’impeck sera-t-il à la hauteur des attentes ? Seuls le diable et les albums le savent.

    z24245pony.jpg

             Bon départ avec Pony, un Sub Pop de 2019. Eh oui, quel singer ! Il maraude dans son lagon d’argent comme un beau requin masqué. Il descend dans le gras de son baryton pour «Turn To Hate» et ça devient génial. Il passe par un «Buffalo Run» très exacerbé, s’égare dans un «Queen Of The Rodeo» et revient en grâce avec «Kansas (Remember Me Now)». Il ressort sa meilleure voix pour caresser le Kansas dans le sens du poil. C’est beau et même décadent. Il passe par quelques bluettes country et revient enfin au sommet de son lard avec «Take You Back (The Iron Hoof Castle Call)», fast country strut monté sur un bassmatic de rêve. Il chante comme Elvis, et attaque à la sifflote. Il faut le voir emballer son Take you back. Comme on est sur Sub Pop, on a du son. Superbe allure.

    z24246bronco.jpg

             Paru l’an passé, Bronco est un fougueux double album qui hennit bien. L’Orville s’avère être un beautiful crooner, comme le montre «The Curse Of The Blackened Eye». Il sait faire résonner sa voix dans l’écho du temps. Il yodelle merveilleusement. Il s’appuie sur un balladif pour développer une voix extraordinairement colorée - Nothing to lose/ Wouldn’t miss it anyhow - On pourrait qualifier l’ambiance de Bronco de power western pur. L’Orville fait du John Ford des temps modernes. Il ferait presque passer Cash pour en enfant de chœur. Encore un heavy balladif d’exception avec «Outta Time» - Baby I’m outta time/ Drag me to the party/ Guess I got nowhere to go - et il te balance ça, qui est extraordinaire : «She tells me she don’t like Elvis/ I say I want a little less conversation, please.» Il attaque sa B avec «C’mon Baby Cry», un big balladif d’envergure, il y va au call me up anytime/ C’mon baby cry. Power de Peck-rock all over the c’mon baby ! Il tape plus loin un «Kalahari Down» plus sombre, avec un still tumbling down qu’il prononce ‘tumbeling down’, c’est excellent, il a le power d’Elvis, and I still hear the sound and come up. Il reste dans la fantastique énergie avec le morceau titre qu’il chante à bout de souffle - And oooh see the cowboy sing ! Tout au long des faces, on est frappé par la réelle ampleur du chant. Il repart à la fantastique allure en C avec «Blush», et y va au red sky at morning. Il propose la nouvelle Cosmic Americana - Saddle up and ride on down - Superbe artiste.

    Signé : Cazengler, Orville Pic (dans la caisse)

    Orville Peck. Pony. Sub Pop 2019

    Orville Peck. Bronco. Columbia 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - Ce n’est pas l’Evie qui manque

             Sa petite tête ronde couronnée de cheveux rouges pouvait laisser perplexe. Lady Eva ne passait pas inaperçue, ce qui, dans tous les cas de figure, constitue un avantage. Elle traînait dans les concerts et semblait s’intéresser en particulier aux artistes à la peau noire. Le contact se fit le plus naturellement du monde, le petit blah-blah classique d’après concert, suivi d’une invitation à aller boire un verre en ville. Elle ne se fit pas prier, ce qui la rendit encore plus sympathique. Nous nous installâmes dans un endroit confortable, propice aux confessions. Comme elle ne crachait pas sur les verres de vin blanc, la conversation prit un certain volume. Elle commença à glisser ici et là quelques allusions à sa vie sexuelle, réduite à néant par quelques décennies de mariage. Elle savait mettre les sens d’un interlocuteur en alerte. Avait-elle une idée derrière la tête ? Ça semblait évident. Mais l’envie de mieux la connaître prédominait. Elle avoua qu’elle avait travaillée dans une DRH, ce qui ne fit qu’empirer les choses. Plutôt que d’entremêler nos salives, nous entremêlâmes nos expériences respectives, décisionnaire d’un côté, prestataire de l’autre. Ce fut une sorte d’osmose, non pas organique, mais spirituelle, enfin, si on considère les ressources humaines comme une forme de spiritualité contemporaine, disons la spiritualité du pauvre, pour faire court. L’atmosphère s’épaississait à mesure que s’égrenaient les heures et il devint évident que tout cela risquait de se terminer au fond d’un lit, ce qui aurait tout gâché. Comment la réfréner ? Il se dégageait d’elle un curieux mélange de mystère et de sensualité. Cette femme d’un certain âge abritait deux très beaux yeux derrière une paire de lunettes à fines montures. Ses lèvres peintes luisaient dans la lumière tamisée et semblaient n’attendre qu’une seule chose : qu’une autre paire de lèvres vienne s’y poser comme un papillon. Le sentiment de vivre l’instant parfait s’étirait tant qu’il atteignait les confins de l’irréalité. Il suffisait juste de tendre la main pour constater que Lady Eva n’avait jamais existé.

    z24224erviesand.gif

             Comme toujours dans cette rubrique, le nom d’une personne rencontrée dans la vraie vie fait écho au nom de l’artiste qu’on choisit de présenter brièvement. Evie fait écho à Eva et inversement. L’une éclaire l’autre, dans une espèce de partie de ping-pong mémoriel. Evie comme Eva sortent du néant, font trois petits tours et puis s’en vont. Il s’en passe des choses au fond de la Goldmine !  

    Z24255POLLYWALLY.jpg

             Alors, c’est pas compliqué : tu vas chez Born Bad, tu chopes une compile qui te paraît sympa, Polly Wally, tu rentres chez toi, tu te sers une bonne rasade, tu poses ton cul dans ton fauteuil et tu écoutes Polly Wally. Bon pas mal, Big Maybelle, Tyrone Davis, et puis plein d’obscurs géniaux, et soudain boom badaboom : tu tombes sur «Run Home To Your Mama», l’heavy stomp d’Evie Sands ! Evie qui ? C’est qui celle-là ? D’où qu’elle sort ? Une blanche ? Pas possible !

    Z24261CAMEO.jpg

             Tu prends ta pelle et tu creuses. Un premier hit, «Take Me For A Little While», barboté par Jackie Ross, chez Chess. Un deuxième hit, «Angel In The Morning», signé Chip Taylor et sorti sur Cameo au moment où Cameo se casse la gueule. Chips Moman refile «Angel In The Morning» à Merrilee Rush et rafle la mise. Evie en bave. Heureusement, Chip Taylor ne lâche pas l’affaire. Il en pince pour la voix de cette jeune New-Yorkaise qui est l’une des chanteuses préférées de Dusty chérie. Chip lui donne une troisième chance avec un hit qu’il a déjà filé aux Troggs, «Any Way That You Want Me». Chip enregistre Evie à New York, avec une terrifique section rythmique, et Eddie Hinton from Muscle Shoals on guitar. Evie explose le hit des Troggs, elle te l’explose au plus haut niveau. Personne ne sait qu’en 1970, Evie est la Reine de Saba.

    z24247youwantme.jpg

             Alors, tu as l’album du même nom, Any Way That You Want Me qui sort en 1970. On comprend que cet album soit devenu culte, malgré sa pochette plan-plan : Evie fait du vélo sur le chemin des écoliers. Mais tu fermes vite ta boîte à camembert car «Crazy Annie» te saute à la gueule : explosif et génial. Et ça continue avec le power maximal de «But You Know I Love You». la prod de Chip Taylor & Al Gorgoni est un modèle du genre. Elle attaque «I’ll Never Be Alone Again» à la descendante de Whiter Shade Of Pale et remonte de façon inespérée. Là tu t’agenouilles devant ta reine. Elle fait sa Soul Sister avec «Close Your Eyes Cross Your Fingers». Elle est blanche, mais comme elle est bonne ! C’est produit à outrance. Elle a la voix, la vraie voix. Elle cultive la pure beauté intrinsèque, comme son admiratrice, Dusty chérie. Encore une Beautiful Song avec «Shadow Of The Evening», elle en fait un groove magique. On croise rarement des albums d’une telle qualité. On croise aussi le fameux «Take Me For A Little While», avec un background Motown. Petite pop anglaise deviendra grande : «I’ll Hold Out My Hand», encore un cut prodigieusement monté en neige par la prod de la Gorgone Gorgoni. Evie gueule à la fabulette de magie pure. Elle termine avec un «One Fine Summer Morning» gorgé de gorgeous. Elle illumine ses cuts de l’intérieur. Les fans se sont jetés sur la red Rev-Ola parue en 2005 car Rev-Ola est un label phare, managé par Joe Foster et spécialisé dans la réédition d’albums cultes. On trouve sur la red Rev un bonus track demented, «Maybe Tomorrow», le cut du paradis, chanté à l’ubiquité transversale et violonné à l’aune de l’aube transcendentale. Terrific !  

    z24248estatemind.jpg

             Alors comme tu as envie d’Evie, tu prends ton bâton de pèlerin et tu la suis à la trace. Quatre ans plus tard, elle enregistre Estate of Mind qui n’est hélas pas ce qu’on appelle un big album, mais il peut laisser deux bons souvenirs : «Call Me Home Again» et «Take It Or Leave It». Ses balladifs sont des chefs-d’œuvre d’intensité crépitante. On accueille son take it à bras ouverts, mais c’est surtout «Call Me Home Again» qui flatte l’intellect, car voilà ce qu’on appelle une Beautiful Song. Elle dispose d’une vraie voix et d’une stand-up de round midnite. Encore de très belles choses en B, avec notamment «I Love Makin’ Love To You», belle présence vocale, elle est partout dans ses chansons. Sa pop est comme illuminée de l’intérieur. Elle termine en slow motion avec «Am I Crazy Cause I Believe», elle est très attentive à la qualité de sa présence.

    z24249animation.jpg

             Il ne faut hélas pas attendre monts et merveilles de Suspended Animation, paru en 1979. Pochette bizarre : Evie semble danser toute seule dans la rue. Elle tente de se ré-imposer avec «Lady Of The Night», mais c’est difficile. Il lui manque l’autorité de Chip Taylor. Ce n’est plus le même son. Désolé Evie, c’est pas bon. Elle fait une sorte de pop FM à la Moon Martin, c’est atroce. Elle sauve son balda avec un balladif, «As We Fall In Love Once More». Elle a tout de suite une meilleure mine. Elle tient bien sa voix. Elle ramène du power en altitude. Mais la B retombe comme un soufflé, et ce dès «Get Up», heavy rock US ultra-produit.

    z24250prison.jpg

             Bel album que ce Women In Prison, mais aussi belle pochette. On voit Evie gratter ses poux avec un sourire complice aux lèvres. Evie est dans le boogie, mais pas n’importe quel boogie : le boogie d’Evie. Heavy as hell, mais l’hell d’Evie. Elle taille sa route, la route d’Evie. Ça n’engage qu’elle. Elle monte son «Cool Blues Shoes» sur un beau Diddley Beat et duette avec Lucinda Williams. On sent très vite qu’on est sur un big album. Evie a deux mamelles : le répondant et la hauteur de vue, il faut la voir parader dans «While I Look At You» - Oh oh/ I love to look at you - Et soudain le ciel s’illumine : «Angel In Your Eyes», une Beautiful Song, c’est-à-dire une merveille de délicatesse ultime. Elle en propose une autre un peu plus loin : «I Want Your Hands». Elle est à la fois magnifique et inexorable, Evie tombe littéralement du ciel. La beauté est son terrain de prédilection - I want your lips/ To kiss everything - Elle veut les mains et les lèvres. Sans doute le reste aussi. Elle groove pas mal, dans «Brooklyn Blues», et dans «Fingerprint Me Baby», où elle se fait passer pour une bad bad girl. Elle sait groover le swing. On la voit régler ses comptes dans «I Hate You Today», elle mène bien sa barcasse et elle termine à l’espagnolade. L’album s’achève avec «Little Girls Cryin’». Elle reste délicate et précise sur le toucher du beautiful, c’est sa came, alors y va au sweet daddy. Cut idéal pour une petite poule comme Evie qui navigue en solitaire, loin des modes, avec une vraie voix et une stature légendaire qu’elle doit à Chip.

    z24251shineforme.jpg

             Paru en 2017, Shine For Me est ce qu’on appelle un mini-album. Elle compose et produit tout. Elle développe bien son «Rodeo». On note l’indeniability d’Evie, Evie fait envie. Elle reste une artiste importante qu’il faut découvrir. Elle chante d’une voix ferme et définitive, une voix au timbre rare et jamais oblitéré. Elle fait une soft pop sans histoire, elle n’invente rien avec «Full Dose Of Love». Elle chante ses petites compos, elle les trousse avec une belle petite ferveur, à la hussarde. Elle attaque sa B avec le morceau titre, un mélopif d’envergure. Elle rejoint les champions du genre, avec un petit côté Procol dans le protocole. Elle vise l’ampleur de la clameur d’Elseneur, c’est dire si elle est bonne. On croit vraiment entendre le piano de Gary Brooker. Et puis voilà la merveille tant espérée : «Without You» - When I kook for you/ You’re not very far - Elle sait entrer dans un lagon d’argent, à la voix de gorge chaude. Son génie vocal évoque celui de Maria Muldaur. C’est une Beautiful Song. 

    z24257getout.jpg

             Et puis voilà le petit dernier, Get Out Of Our Way, paru en 2020. On y retrouve une Beautiful Song, «If You Give Up» - If you give up/ There’s nothing more I can do - Elle s’implique dans sa mélodie, elle s’y colle de toutes ses forces, elle en devient poignante et belle, incroyablement belle, surtout lorsqu’elle va chercher son chat perché. La pochette est belle, elle aussi, Evie pose avec des ailes, comme Ginger Baker sur la couve de son autobio. L’autre joli cut de l’album est le «Truth Is In Disguise» qui fait l’ouverture du balda. Pop de pop, d’accord, mais vraie voix. Elle s’affirme. D’autant plus qu’Earle Mankey mastérise. Evie compose et produit, comme toujours. Elle reste sur la brèche. Elle tente de renouer avec l’âge d’or de Chip et d’Any Way That You Want Me, mais ce n’est pas si simple. Alors on l’encourage. Vazy Evie ! Vazy Evie ! Vazy ! Elle démarre «My Darkest Hour» comme Nina Simone dans Ain’t got no father, ain’t got no mother, ain’t got no brother, ain’t got no life. Et comme le montre «Don’t Hold Back», Evie ne veut plus rien réinventer, elle veut juste jouer son brave petit rock. Elle s’en retourne en B allumer «Another Night» avec de la joie et de la bonne humeur. Elle fait plaisir à voir. Bon, ce n’est pas l’album du siècle, mais on note une belle présence. C’est drôle comme on passe sa vie à attendre des miracles des gens qu’on aime bien. 

    Signé : Cazengler, Evie pressante

    Evie Sands. Any Way That You Want Me. A&M Records 1970 

    Evie Sands. Estate of Mind. Capitol Records 1974 

    Evie Sands. Suspended Animation. RCA Victor 1979

    Evie Sands. Women In Prison. Train Wreck Records 1998

    Evie Sands. Shine For Me. R-Spot Records 2017

    Evie Sands. Get Out Of Our Way. R-Spot Records 2020

     

    *

    Série noire. Post-metal. Post tout ce que vous voulez. Post-apocalyptic. Un truc tordu comme je les aime. A la base un label nommé Robustfellow que je qualifierais d’underground, particularités géographico-historiales par les temps qui courent, notre robuste camarade est installé depuis une dizaine d’années à Kiev, il regroupe des artistes de toute l’Ukraine.

    NUN

    AZIMUT

    (Bandcamp / RBF 039 / Mai 2024)

    Azimut est un trio composé de : Nazari Mykhalilick / Petro Krul / Andri Buchynsky. Pour cet opus nous devons noter la participation de : OleksaO et de Yuri Dubrowwskii. Tous deux participent à plusieurs autres groupes que nous qualifierons aussi d’underground.

    z24253nuncouve.jpg

    A première vue je dirais que la pochette représenterait un dieu assyrien, lequel je l’ignore, attention nous entrons dans une zone d’incertitudes. Le plus simple serait de lui donner le nom écrit sur la couve : Nun. Les partisans de Lovecraft vont lever la tête. Nun est avant tout la lettre N de l’alphabet phénicien, à l’origine le signe zigzaguant serait une représentation schématique de l’eau qui coule, certains l’interprètent comme un Serpent, mais il semble avéré qu’en langue phénicienne ce serait le Poisson, au fond de l’abîme, certains feront l’analogie avec le Christ que les premiers chrétiens représentaient justement par le dessin d’un  poisson, je pense qu’ils n’ont pas tort sans avoir tout à fait raison, il est des approximations porteuses de sens. Ainsi  les titres des trois morceaux nous orientent non pas vers le christianisme actuel qu’il soit d’obédience catholique, protestante, ou orthodoxe mais vers la gnose non pas hermétique mais chrétienne, un ensemble de regroupements hétérogènes qui selon des proportions diverses ont amalgamé, en un prodigieux melting pot de rêveries métaphysiques survivalistes, des connaissances et des croyances chrétiennes, platoniciennes, plotiniennes, juives, perses et manichéennes…

    Est-ce pour cela que dans un court texte de présentation le groupe nous dit que les trois morceaux de l’opus sont à considérer, non pas seulement comme des chansons mais comme un oratorio qui mêlerait paroles, théâtre et peinture. Sans doute faut-il interpréter cette déclaration non pas comme la tentation d’un art total wagnérien mais comme la mise en action de fragments évocatoires d’un rituel religieux. 

    Chacun des titres demande un commentaire. Monomyth pose problème : sommes-nous dans la mythologie ou dans l’affirmation qu’il n’existerait qu’un seul Dieu. A proprement parler, la notion de monomythe induit l’idée que malgré l’énorme diversité des mythes éparpillés à la surface de notre globe tous raconteraient malgré leurs particularités ethnographiques et civilisationnelles une seule et même histoire. L’on retrouverait ainsi un récit originel commun à tous. A moins que ce ne soit l’inverse : que cette structure commune que l’on discerne dans tous ces récits soit le résultat de multiples expériences existentielles séparées les unes des autres, sans lien entre elles, bref que cette structuration identique ne soit pas la cause de l’existence des mythes mais la conséquence de leurs existences.

    Nous ne cherchons pas à savoir qui de la poule ou de l’œuf est apparu en premier. Mais comment expliquer que pour un unique phénomène il soit possible qu’il y ait deux origines distinctes possibles. Nous sommes ici au cœur du déploiement de la connaissance gnostique.  

    z24254nungroupe.jpg

    Monomyth : vous entendez ce petit grincement horripilant qui dans les films vous avertit que le cerveau du héros branché sur la machine n’est plus très loin de la mort cérébrale, s’y joint bientôt un baume sonore consolateur qui n’efface pas cette stridence mortelle mais agit presque comme une consolation, les esprits lyriques le décriront comme le chant de l’âme, c’est alors que s’élève la voix qui dispense l’enseignement fatidique, est-ce un dieu ou la récitation d’un prêtre, il révèle le secret du don de la connaissance faite aux hommes qui n’ont pas su quoi en faire dans leur vie néantifère, le crissement angoissant reprend bientôt remplacé par une espèce d’inquiétant halètement, est-ce le dernier pas avant le trépas, ou la manifestation du souffle originel, des notes de lourde solitude éclatent, rien n'est perdu, la voix lourde et sépulcrale reprend son récit, certains se sont séparés, ils se sont retirés en des endroits perdus, désertiques, stériles, peuplés de pensées carnivores, mais dans ce monde vide en leur esprit a germé une graine qui a retenu le bras de la mort armée de sa faux meurtrière. Logos : entrée fracassante, grandiose mais en même temps révélatrice, ce n’est plus un prêtre qui enseigne mais la bouche d’ombre qui profère l’exécrable litanie des révélations ultimes et originelles, le souvenir de la scène qui ouvre les Immémoriaux de Victor Segalen s’inscrit en filigrane dans notre esprit, la récitation des noms des Dieux qui se sont succédés, des inférieurs détenteurs d’une parcelle sublime,  brusquement le rythme s’accélère, la voix s’écrase, elle conte l’impossible, la coexistence du néant et de la vie, du vide et d’une autre chose qui normalement ne pourrait être, mais qui est, une invraisemblance existentielle, la voix se déchire, elle se tord, la bouche d’ombre s’orne-t-elle d’un écume blanche épileptique, elle crache des vomissures insensées, l’histoire de cette présence au travers de l’inexistence du néant… passé ce moment de terrible convulsion la musique s’alourdit, elle se ralentit alors qu’elle est traversée par le vol d’éclairs qui ne sont que le signe d’une manifestation du Nun originel, de la connaissance du logos sacré de la Présence là où il lui est impossible d’être.  Kenoma : un lieu terrible, celui qui est échu à l’homme, Kenoma est le lieu vide de la matière créée par le Démiurge, le mauvais Dieu, en opposition à la plénitude du  Plérôme, intangible, inaccessible aux humains, peuplé d’entités mystérieuses, un grondement noir qui s’amplifie, des espèces de bruits obstinés de castagnettes miniaturisées comme des vols d’ insectes qui se heurtent incessamment en de dérisoires efforts à une paroi vitrée infranchissable, le récitant reprend, il n’est pas possible  aux éons primordiaux de régner dans Kénoma, ce lieu leur est fermé, inaccessible, la musique se teinte d’une tristesse infinie elle se traîne sépulcralement jusqu’à ce que retentissent quelques notes claires et légères sur un rythme enjoué, nous sommes maintenant dans la cuve démiurgique, le chant se creuse et se couvre d’épines, quelque chose vient de tomber parmi vous, mais c’est à vous de faire l’effort de votre libération, de ranimer cette étincelle qui dort dans vos âmes mortes, de nouveau le son s’assombrit et la voix devient comminatoire, les hommes confondent l’amour et le sexe, qu’ils ne viennent pas se plaindre, ils ne savent pas saisir leur chance, la machine musicale se met en marche, l’on entend des cris, à croire que la cuve démiurgique s’est transformée en enfer, le rythme s’appesantit évoquant des coups de fouets sur le dos des suppliciés. A moins que ce ne soit celui du Christ fixé sur sa croix qui demande à Dieu pourquoi il l’a abandonné.

             Je ressors de cette écoute l’esprit mitigé. Peut-être mon traducteur nettique a-t-il eu du mal avec la  langue ukrainienne, j’ai l’impression que la distribution des pronoms personnels ne coïncide pas trop avec celle de notre langue. Tout de même je reste sceptique. La gnose est vaste, mais là je présuppose que dans celle privilégiée par Azimut la proportion christique soit des plus importantes. Ici la pensée philosophique de Plotin est totalement squattée par une vision du christianisme très proche des convictions châtimentaires  au plus près des positions de  l’Eglise officielle qui parviendra à juguler les sectes gnostiques déviantes qui n’attendent rien de Dieu mais qui pensent que l’homme détient de par sa seule nature humaine la capacité de devenir un dieu par lui-même sans le moindre secours divin. Quant à ce Nun est-il juste une préfiguration christique ou une abomination plus inquiétante… Musicalement vous l’écouterez avec plaisir, idéologiquement mon cœur de païen fidèle aux Dieux de la Grèce et de Rome ne souscrit pas à cette vue trop christophilesque.

    Damie Chad.

     

    *

    Leur musique ne m’a pas attiré, ni leur couve, ni le titre de l’album, c’est autre chose, les quelques lignes par lesquelles ils se définissent.  La pochette n’est pas mal du tout, cet antédiluvien crocodile abyssal a de la gueule, heureusement qu’il n’est pas répertorié parmi les espèces terrestres, sans quoi au moindre têtard retrouvé au fond de votre baignoire vous vous enfuiriez tout nu hors de votre salle de bain en poussant des hurlements de terreur. En plus ils ont de l’humour, nous refilent un avertissement : aucun claviériste ou animal à fourrure n’a été blessé pendant l’enregistrement. Seul renseignement disponible : ils sont de Madrid. La phrase précédente doit être de l’humour espagnol.

    INTERGALACTIC LEVIATHANS

    AXIOM9

    (Album numérique / Bandcamp / Mai 2024)

    Ana Marin : 5 string Fretless and fretted Basses and sound FX / Joan Herrera : drums and crazy rythm ideas. / David Blas : doom guitar and sound FX  /German Fafian : 7 and 8 string guitars and sound FX.

             Cette fonction de X vous étonne, s’agit simplement d’un logiciel open source (téléchargeable sur le net) en accès libre qui fortifie votre son et qui peut vous servir d’équaliseur.

                Mais il est temps que je vous dise ce qui m’a attiré chez eux. Je le recopie in extenso :

    00001 - L'obscurité est la clé mais l'ombre ne peut exister sans la lumière

    00010 - Défiez vos limites et vos idées musicales.

    00011 - Si un groove semble durer trop longtemps, faites-le durer plus longtemps.

    00100 - Permettez à la musique de prendre la direction qu'elle souhaite prendre.

    00101 - Faites la musique que vous aimez pour que les autres puissent aimer la musique que vous faites.

    Ce n’est pas le contenu explicite de ces conseils qui m’aurait intrigué ou ébloui. Pas le moins du monde. La pensée philosophique du vingtième siècle a été non pas dominée mais actée par deux énormes têtes pensantes Heidegger et Wittgenstein, le premier étant l’incarnation parfaite de la pensée circulante, disons littéraire, qui se referme sur elle-même comme un serpent qui, pour se mieux retrouver, se love en rond sur lui-même, je considère le second  comme le pinacle de la pensée mathématique puisque son Tractatus Logico-Philosophicus se déduit logiquement et conséquentiellement d’un premier axiome. La pensée wiitgensteinienne  fait comme le serpent qui se couche et se raidit de tout son long auprès d’une proie envisagée pour savoir si elle n’est pas trop grande pour contenir dans son tube digestif. S’il s’avère qu’il est trop petit pour l’engloutir, il la dédaigne et s’en va chercher ailleurs… Une attitude très wittgensteinienne qui ordonne de ne pas penser ce que la pensée est incapable de penser. Heidegger nous dit que la pensée se pense elle-même, que ce faisant elle a toujours un après (méta) à penser, et Wittgenstein que la pensée ne peut penser qu’une partie du monde (de la physis). Vous me direz que l’enseignement final de nos deux penseurs est totalement tautologique, comme le dernier commandement 00101 d’Axiom9, oui mais le groupe a adopté le mode d’écriture déducto-logique numératif dont Wittgenstein a usé pour la rédaction de son fameux Tractacus.

             Avant d’écouter le quarante-et-unième (oui 41) opus du groupe, une dernière remarque : ils ont donné à cet écrit de quelques lignes le titre étendard de Manifesto, preuve qu’ils y tiennent, et serait-on tenté d’ajouter qu’ils s’y tiennent, car il est nécessaire d’admettre que leurs compositions musicales ne sont que des applications de leur philosophie.

    z24255couveintergalatic.jpg

    Intergalactic leviathans : un seul morceau, instrumental, de plus d’une heure, nous sommes bien en présence d’un monstre léviathanique. Rappelons que selon Hobbes, il n’existe qu’un seul léviathan : l’Etat. Si l’on risque d’en croiser d’autres aussi coercitifs dans les espaces intergalactiques, méfions-nous. Une guitare qui s’étire à l’infini, pas prog du tout, un son rugueux que la basse conforte, que la batterie accompagne sourdement. Prennent leur temps, c’est la quatrième fois que j’écoute et je saisis les subtilités, ne sont pas paresseux, stratègent sans arrêt des variations qui viennent  recouvrir les précédentes, l’on ne peut pas dénoncer une répétition riffique, un allongement, se ménagent des espaces où les guitares peuvent s’exprimer, une stratégie pas tout à fait jazzique où les copains se mettent en sourdine pour donner la place au soliste, jouent tous ensemble se repassent le ballon sans se presser, imaginez un match de rugby au ralenti, maintenant font ce que je disais qu’ils ne commettaient pas, la mettent en veilleuse pour laisser la basse pratiquement tout seule autant dire que chacun s’empresse de rajouter un petit chouïa de son cru, surtout la batterie qui prend de plus en plus d’importance,  ils étirent de plus en plus l’élastique de la pâte sonore, trempez-y un doigt d’oreille, ce n’est pas du tout ennuyant, le guitariste se paie un petit quatre-vingt-dix à l’heure sur l’autoroute, c’est pépère, mais il n’arrête de changer de voie de façon abrupte sans mettre son clignotant pour prévenir, la deuxième guitare se lance à sa poursuite, sans tenter de le dépasser, mais il se rapproche dangereusement à lui toucher le parechoc arrière, les deux moteurs ronronnent salement, z’ont toute la vie et tout le bitume devant eux, alors inutile de gazer comme une ambulance premier secours, ils taillent la route en toute désinvolture, tiens l’on est sur une fin de morceau, enfin sur une queue de comète qui avance lentement, le son s’éteint mais perdure. Une semi seconde de silence, vaille que vaille la basse bourdonne, des cordes chuintent, un semblant de riff hésitant se profile sur les cymbales, un peu comme quand les musiciens se concertent tout en faisant croire qu’ils savent ce qu’ils von jouer, là manifestement s’ils savent ils feignent à merveille de l’ignorer et l’on repart sur un rythme prégnant, le genre de tapotement qui marche à tous les coups, sont partis, n’ont pas la fleur au fusil, n'ont pas de fusil non plus, la mauvaise troupe traîne ses pieds-plats, mais enfin l’enjambée initiale reprend de l’influx dans le jarret, toutefois il y aurait bien besoin d’une gueulante d’adjudant pour accélérer le train, sur un terrain de foot l’on dirait qu’ils jouent la montre, elle n’est pas arrêtée mais les secondes sont longues, se garent vraisemblablement sur la place de stationnement réservée au bassiste, n’est pas un génie de la manoeuvre, heureusement qu’une guitare le guide et le drummer augmente – non ce n’est pas l’inflation – le rythme, ça repart, la loco y va mollo pour tirer ses wagons, ce doit être une montée, un faux-plat ou alors le mécano est en train de taper un SMS long comme un chapitre de  La recherche du temps perdu à sa copine,  remarquer ça lui émulse les chairs car il accélère brutalement à tout berzingue, confond un peu les courbes de sa meuf avec celle des rails, maintenant ça filoche dur, plus question de s’arrêter ou de flâner, le gazier fonce droit devant et les copains y mettent du leur, sont décidés à ne pas le laisser en manque, ils s’énervent, leurs instrus crient qu’ils ne vont pas assez vite, la batterie claudique un peu, veut-elle nous signifier que l’on arrive à un endroit du trajet dangereux, arrêt brutal. L’on ne saura jamais le nom de la gare, mais Anna pousse quelques piaillements, elle a dû apercevoir une araignée sur un tom, Joan ne doit pas les aimer non plus, il tente de l’écraser de quelques coups de baguettes magistraux, il réussit ! l’ambiance change, le calme revient, Anna réconciliée avec la vie se lance dans un magnifique passage empli de gratitude et sérénité, on se la joue un peu à la Santana, moins éthéré certes, mais l’on se sent bien sur notre transat face au Pacifique qui nous offre coucher de soleil et brise nocturne y una tequila magica, pour un peu on s’endormirait, la guitare moutonne comme les vagues à l’infini, existe-t-il des endroits intergalactiques calmes, tranquilles et voluptueux ô mon âme ô ma sœur, ce Léviathan est un gros chat paresseux qui ronronne sur vos genoux, vous ne trouverez pas mieux à cent mille millions de lieues de la banlieue terrestre, la guitare miaule une dernière fois, l’on croit que l’on va s’endormir sur la voie lactée, méprisable erreur, maintenant ils se la jouent metal-psyké, la drummerie est aux abois et l’on s’enfonce dans un marécage spongieux de guitare, aurait-on oublié l’heure de la marée haute, ça déferle mais moins abruptement qu’on le redoutait, notre Léviathan n’est pas Moby Dick, le morceau s’efface doucement… une interjection, que dit-il au juste ‘’la scancia ?’’, en tout cas je peux certifier que c’est de l’espagnol, nous n’avons pas trop dérivé, la batterie se paie un petit solo bien saccadé, les autres embrayent et nous voici jeté au milieu d’un funk ( pas du tout Grand Railroad) mais ils s’amusent à secouer les cocotiers, j’arrête un peu d’écrire le temps de respirer, et puis le funk il n’y a pas de problème, vous pouvez toujours monter en marche dans un wagon, vous n’êtes jamais perdu, vous mettez les pieds dans une trace, ensuite l’on se laisse entraîner sans problème, les deux guitares entremêlent leurs cordes, pas d’affolement, elles se démêleront toutes seules, d’ailleurs il y en une qui se détache et qui sonne l’halali, l’on se demande bien pourquoi, pour une fois que l’on avait envie de ne tuer personne, mais eux se sont laissé prendre au jeu, se bagarrent un peu, échauffourée dans les fourrés de la forêt, pas vraiment méchant mais ils mettent tout leur cœur, s’ils continuent ils finiront par se crêper le chignon, y en pas un pour calmer le jeu, s’entendraient comme des larrons en foire, tant pis c’est foiré, on se quitte mauvais amis, chacun au volant de sa voiture… Les moteurs ronronnent pour ouvrir le dernier morceau, ce ne sont pas les pétarades de Roadrunner de Bo Diddley, se tirent toutefois joliment la bourre, avec démarrage en côte dans les descentes et descentes-tobogan moteur arrêté pour profiter au maximum de la force d’inertie, je suis incapable de vous dire celui qui a passé la ligne en trombe, je les déclare tous les quatre vainqueurs, toutefois je ne ferais la bise qu’à Anna.

             Si vous n’aimez pas vous risquez de vous ennuyer, si vous aimez vous adorerez. Ce sera exactement pareil avec le Tratacus logico-philosophicus de Wittgenstein.

             Je reviens à la couve, à cette jeune fille perdue sur une grève intergalactique dans une banlieue déserte de l’univers, allo docteur Freud, par quel monstrueux rêve subliminal est-elle hantée…

    Damie Chad

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 646 : KR'TNT 646 : MAX DECHARNE / DOUM DOUM LOVERS / BOBBY TENCH / PETER GALLAGHER / ZOMBIES / TEXABILLY ROCKETS / CONQUERORS OF THE EMBER MOON / ARCANIST / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 646

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    23 / 05 / 2024

     

    MAX DECHARNé / DOUM DOUM LOVERS

    BOBBY TENCH / PETER GALLAGHER

    ZOMBIES / TEXABILLY ROCKETS

     CONQUERORS OF THE EMBER MOON / ARCANIST

    ROCKAMBOLESQUES  

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 646

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Max le ferrailleur

     (Part One)

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             L’ex-Gallon Drunk et membre émérite des Flaming Stars Max Décharné publie son dixième book, Teddy Boys: Post-War Britain And The First Youth Revolution. Alors bien sûr, tous les fervents admirateurs d’A Rocket In My Pocket et de King’s Road: The Rise And Fall Of The Hippest Street In The World se sont jetés sur le Teddy book. Pas question de rater ce nouvel épisode d’une saga ethno-sociologique qui nous tient particulièrement à cœur, celle de London town.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Contrairement à ce qu’indique son nom, Max Décharné n’est pas à l’article de la mort. Au contraire, il est certainement l’hipster londonien le plus productif de son temps. Il a un wiki qui doit faire baver d’envie Ginger Wildheart, l’un des pires productivistes de l’histoire du rock anglais. Mais Max le bat à la course. Et de loin. Il sait tout faire, surtout écrire. Bon, on ne va pas pomper le wiki, on laisse ça aux kikis. Contentons-nous de lire deux ou trois bons livres et d’écouter quelques bons albums des Flaming Stars.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Max Décharné est aussi un grand spécialiste du slang londonien et du cinéma noir. Chacun de ses ouvrages s’adresse donc à des spécialistes. Exemple : A Rocket In My Pocket s’adresse aux spécialistes du rockab (on y reviendra dans un Part Two). Autre exemple : King’s Road: The Rise And Fall Of The Hippest Street In The World lui permet de fouiller dans l’histoire et de remonter jusqu’aux racines de la pop culture londonienne (on y reviendra dans un Part Three). Ses livres sont extraordinairement bien documentés. Son style pourrait bien être celui d’un hipster historien, d’un chercheur raffiné qui ne reculerait devant aucun excès pour mener à bien son investigation. Il cite à tours de bras. Max Décharné est une sorte de Rouletabille rock, d’hip Sherlock, de Jack the Rapper, il met au service de sa R&D une fantastique énergie de rocker underground, on sent battre le beat nocturne de Gallon Drunk dans sa prose. On parle ici d’une ambiance particulière faite d’élégance urbaine, de dandysme de trottoirs humides et de jazz-clubs informels. Ami lecteur, te voilà en de bonnes mains.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Alors attention, le Teddy Boys book n’est pas un rock book au sens où on l’entend généralement. Max Décharné n’évoque le rock qu’à titre indicatif. Il documente l’histoire d’un mouvement populaire typiquement londonien, à grands renforts de citations d’ouvrages déjà très documentés et de larges extraits puisés dans les quotidiens et les magazines de l’époque. C’est violemment documenté, à tous les sens du terme. Les Teddy Boys ont en leur temps alimenté les unes des journaux, comme le feront vingt ans après eux les punks. C’est exactement le même processus : les kids foutent la trouille, rien que par leur allure, alors les fouille-merde de la presse les collent à la une de leurs torchons. Max Décharné va aussi chercher des infos dans la littérature et le cinéma d’époque, c’est un vrai travail de bénédictin. Tu sors du book drôlement bien renseigné, même si les Teddy Boys ne représentent rien ou presque pour toi.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Mais il y a cette énergie dans le book. L’auteur fait bien la part des choses. Il évoque les Teddy Boys des années 50 qui étaient en fait des pionniers. Max campe bien le décor : le post-war est rude en Angleterre, pas d’eau courante, pas de confort, pas de rien. Et tout commence par le look, et là Max met le turbo, car c’est du vocabulaire choisi, il évoque les Teds comme s’il s’agissait d’une tribu - With their Edwardian drape jackets, velvet collars, elaborate waistcoats and drainpipe trousers, ils étaient non seulement l’un des mouvements de la jeunesse working-class la plus identifiable, mais ils étaient aussi les premiers - Bon alors les mots. Drapes, ça ne se traduit pas, ça reste drapes. On peut à la rigueur traduire ça par veste longue. Elle est généralement taillée dans un tissu bleu clair. Avec un col en velours noir. Les waistcoats sont les gilets, l’un des apanages du dandysme. Et les drainpipe trousers sont comme leur nom l’indique des futals moulants. Max Décharné reste dans la mode pour rappeler que dans That’ll Be The Day, Ringo est un Ted, et même un brillant Ted, et que McLaren vendait des drapes et des creepers à l’autre bout de King’s Road, une avenue que Max connaît bien. Avant de s’appeler Sex, le bouclard s’appelait Let It Rock. McLaren était un fan d’early rock’n’roll et de Billy Fury en particulier. Puis Max évoque les séquelles du mouvement Ted : Showaddywaddy, Mud, «and the finest of them all, Wizzard» - Wizzard avait réussi à combiner les cheveux longs et le maquillage with authentitc Ted gear et une fantastique musique d’inspiration fifties, comme turbo-charged avec le Wall of Sound de Phil Spector, de la même façon que les mecs de Roxy Music avaient réussi à intégrer des références fifties dans leurs chansons et leurs visuels, alors qu’ils semblaient évoluer dans le futur avec plusieurs décennies d’avance - Oui, il faut voir la dégaine de Roy Wood sur le pochette d’Eddie & The Falcons. À l’époque, on prenait tout ça très au sérieux. Mais il ne s’agissait que d’un revival.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Les drapes ne sont pas tombés du ciel. Max nous rappelle que leur origine remonte aux années 30, «a Savile Row fashion innovation» : «La veste tombait droit de larges épaules pour se resserrer à la taille, et les fameux zoot suit des années 40 allaient en exagérer la forme.» Et ces Teds que la presse et l’opinion publique vont transformer en loubards allaient chez des tailleurs pour s’habiller. Max nous cite l’exemple d’un jeune plombier originaire de Middlesbrough : en 1954, il a 18 ans et en allant chez le tailleur, il devient un «anti-social thug» - He ordered his own distinctly colourful version of a Teddy Boy suit: a red corduroy jacket with velvet patch pockets, powder blue drainpipe trousers, red corduroy shoes with twin buckles, white socks, two-tone brown and green shirt with a black shoelace tie - Même les punks ne sont pas allés aussi loin. Les fringues de McLaren coûtaient trop cher.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Les Teds s’appelaient au début The Edwardians, mais leurs girlfriends préféraient Teddy Boys. Et ça part vite - A dress code, some hairstyle tips, and a name for the new movement - Et pour bien fédérer tout ça, arrive en 1956 en Angleterre Blackboard Jungle. Ce vieux classique du ciné rock sert même de détonateur, car on y voit Bill Haley balancer «Rock Around The Clock». Ça n’a l’air de rien comme ça, mais en ce temps-là, on n’avait que «Rock Around The Clock» à se mettre sous la dent, même en France. Max situe la sortie du film en juin 1956. En mai de la même année, Elvis entre dans les UK charts avec «Heartbreak Hotel». Max parle d’un «double blow». Voilà donc l’origine d’une révolution, sans doute la plus importante des temps modernes : Bill Haley, Elvis et les Teds. Max cite aussi le schoolboy Keef qui a 12 ans au moment où le film sort en Angleterre. Pour lui c’est le point de départ. Max le cite : «La musique de Blackboard Jungle, ‘Rock Around The Clock’. Pas le movie, juste la musique. Les gens disaient : ‘Ah did you hear that music, man?’. En Angleterre on n’avait encore jamais rien entendu. Toujours la même chose : la BBC contrôle tout. Alors tout le monde s’est levé pour la musique. Je ne pensais pas à la jouer. Je voulais juste l’écouter. Il a fallu un ou deux ans en Angleterre avant que les gens ne se mettent à jouer cette musique.» Keef les voit, les Teds, dans les dance halls, il les craint, comme il le rappelle à Robert Greenfield en 1971 - I was just into Little Richard. Je me méfiais, je restais à distance des chaînes de moto et des rasoirs, dans ces dance halls. The English get crazy. Ils sont calmes, but they were really violent, those cats. Those suits cost them $150, which is a lot of money. Jackets down to here. Waistcoats. Leopardskin lapels... amazing. It was really ‘Don’t step on mah blue suede shoes.’ It was down to that - Keef résume bien les choses. Il sait imager son propos. Oui, car la violence est inhérente au mouvement Ted. Les Teds s’affrontent. Ils affûtent à la meule leurs chaînes de moto - a very nasty weapon - ils ont aussi des matraques lestées de plomb, des rasoirs et des poings américains. Max évoque les combats entre «East End and South London gangs, with mass fights in agreed locations.» Un mythe urbain que d’autres vont exploiter à gogo.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             L’exploitation de la violence par la presse constitue le gros du book. Pas mal de Teds sont ramassés par les Bobbies, et se retrouvent au tribunal devant les perruqués. Max trouve aussi quelques cadavres dans la presse à scandale. Mais le plus dévastateur dans cette histoire, c’est son humour. Au détour de certaines pages, on se fend bien la gueule. Dans une double où il montre un élégant dandy Edwardien déambuler sur Savile Row, Max déclare : «The Edwardian high-fashion revival jouissait de ses dernières années de tranquillité, car les pantalons moulants, les cols en velours et les drapes allaient se trouver inextricablement liés à une autre clientèle.» Eh oui, les Teds allaient s’approprier ce phénomène de mode et le faire descendre de l’upper class jusqu’au working class. Et il ajoute deux pages plus loin ceci qui édifie les zygomatiques : «Il n’est pas surprenant que les commentateurs issus de backgrounds classiques aient pu voir les Teds et les Teddy Girls comme un alien phenomenon.» Plus loin, Max se régale de l’anecdote d’une Teddy Girl résistant à l’autorité : «Ayant tapé dans la gueule d’un deuxième flic et craché dans celle d’un troisième flic, elle menaça ensuite de se jeter hors du panier à salade qui l’emmenait au commissariat. Un officier de probation dit aux magistrats que sa cliente s’était déclarée a Teddy girl, puis elle fut envoyée chez un psychiatre.» Et là où Max se marre le plus, c’est quand il évoque le premier proto-Ted, Prince Philip, grand amateur de creepers : «A Royal Charity Premiere de Violent Playground fut donnée le 3 mars 1958 à l’Odeon de Marble Arch, et l’invité de prestige n’était autre que ce fameux aficionado de crêpe-soled creepers, Prince Philip, Duke of Edinburgh, mais il semble qu’il se soit abstenu de graver le bois de son siège avec un cran d’arrêt.»

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             En plus de Keef, Max, fait intervenir d’autres cakes, comme par exemple John Lennon et Ted Carroll. Il cite le biographe Hunter Davies : «Ils s’appelaient the Quarrymen, naturally enough. Ils portaient tous des fringues de Teddy Boys, et se coiffaient comme Elvis. John was the biggest Ted of all.» Ce que Max Décharné veut dire à travers tout ça, c’est que les Teds des early fifties étaient entrés en conflit avec la société, comme le feront 20 ans plus tard les punks. John Lennon était un rebelle notoire. À Dublin, le futur boss d’Ace Ted Carroll passe lui aussi dans le camp des Teds, et comme il se graisse les cheveux et qu’il a trafiqué son futal, on le surnomme Ted, alors qu’il s’appelle David - So that’s how I got the name Teddy boy, because I was a Ted for taking in my trousers.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Puis Max amorce le déclin du règne des Teds, à la fin des fifties. Ils passent de mode. Viendra 20 ans plus tard le temps des revivals, Max cite par exemple «the Buddy Holly Dance Contest en 1982 où Billy Fury fit une courte apparition et le sol trembla alors que plus d’un millier de Teds & de Teddy Girls jived and bopped to the sounds of Howlin’ Wolf’s 1962 stormer ‘You’ll Be Mine’.» Les Teds originaux nés pendant la Seconde Guerre Mondiale avaient pris un coup de vieux ou avaient disparu, et une dernière fois, Max resitue le contexte : «Ils ont grandi dans une époque de rationnement, quand peu de maisons avaient le chauffage central et dont la plupart des toilettes étaient à l’extérieur, la grande majorité des working class people n’avaient ni téléphone ni télévision. Les gosses qui n’avaient pas les moyens de financer une exemption devaient faire leur service militaire, la peine de mort existait encore et tout le monde devait se lever à la fin d’une projection de cinéma quand on jouait God Save The Queen. C’est à ça que ressemblait la société voici 70 ans. Les premiers Teddy boys and girls se sont dressés en réaction contre tout ça, et furent en même temps façonnés par tout ça. They will not pass this way again.» C’est la dernière phrase du book. Elle sonne comme une clameur.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             On garde les meilleurs pour la fin ? Max Décharné rend deux hommages superbes, d’abord à Gene Vincent, qui débarque pour la énième fois en Angleterre, en 1969. Il est accueilli à Heathrow par une délégation de Teddy Boys in drapes and bootlace ties.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

    Puis Gene monte à bord d’une Rolls blanche et file vers Londres, accompagné d’une escorte de bikers. Et Max poursuit : «Deux de ses fans et ex-Teddy boys, John Lennon et George Harrison, vinrent assister à son packed London show au Speakeasy.»  

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Mais la véritable star du Teddy book, c’est Bill Haley. Et là Max Décharché livre trois de ses plus belles pages. Le vieux Bill débarque en 1957 en Angleterre. C’est lui qui va inciter les kids britanniques à monter des groupes. Max rappelle qu’un canard anglais citait la tournée de Buddy Holly & The Cickets comme la première grande tournée déterminante - deux guitares/basse/batteries, compos originales, un message qu’allaient recevoir les groupes anglais, notamment les Beatles - mais pour lui, ce sont les Comets qui un an plus tôt ont ravagé l’Angleterre - They were unquestionably a rock band - one of the earliest and finest that ever hit the stage - Il a raison, le Max, Bill Haley & The Comets stormaient bien la baraque et swinguaient comme des démons. Ted Carroll les voit à Dublin. Il réussit à se payer un billet, au balcon. Sur le cul le Ted ! - Alors ils démarrent avec «Razzle Dazzle» : ‘on your marks, get set, ready’ et sur les deux ou trois premier accords, le rideau se lève doucement, on voyait leurs jambes sur scène and then ‘Ready steady go!’ up went the curtain, fuckin’ place erupted - C’est Ted Carroll qui dit ça, il sait de quoi il parle. Et il repart de plus belle, ah il faut lire ces pages de l’aube des temps du rock - It was amazing. You can imagine, because they were a fucking great band. Ils étaient fantastiques, si doués, ils avaient fière allure. Me souviens pas s’ils portaient leurs vestes en tartan et Bill Haley n’avait pas cette gueule de pépère. I mean, he was a great singer, had a big fuck-off guitar, he moved around. He wasn’t Elvis - nobody wanted Elvis - we wanted Bill Haley and the Comets who made the best rock’n’roll records which were great to dance to, the A and B sides were fantastic. The place went fucking wild - Il a même la trouille que le balcon ne s’écroule parce que tout le monde saute en l’air «and the excitment was just fuckin’ insane.» Ted ajoute que ça a continué dans la rue, après le concert. Pour lui, ce concert de Bill Haley reste un concert magique - I mean it was magical to be able to see that. J’étais tellement sonné que je ne suis pas allé à l’école le lendemain. J’ai vu le premier show des Beatles à Dublin, et puis les Stones, j’ai vu des concerts déments, Ike & Tina Turner au Royal Ballroom à Tottenham, mais celui de Bill Haley was just totally mind-blowing. J’avais 14 ans. You’d never seen anything lile it - Ce fantastique témoignage brille comme une perle noire au creux du bel écrin de ce Teddy book. 

             On se souvient d’avoir côtoyé des Teds au Rock On stall de Soho Market, dans les années 70. Tu venais acheter Wasa Wasa et à côté de toi, un Ted en veste bleue, jabot blanc, pompadour, doigts couverts de bagues et de tattoos, fouillait dans le bac des 45 tours et en sortait un single Sun en poussant un cri de victoire. C’est l’un des souvenirs les plus précis de cette époque. Les Teds formaient une petite bande et tu éprouvais une certaine fascination à les observer, car tu savais, au fond de toi, que tu ne serais jamais aussi rock’n’roll que ces mecs-là. Dangerous & exciting, comme le dit si bien Max Décharné. 

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Pour rester dans le ton, sortons de l’étagère The Basement Bar At The Heartbreak Hotel, des Earls Of Suave. Album mystérieux, pochette mystérieuse, avec au chant un Marquis de Suave qui sonne comme Elvis sur «Stranger In My Own Home Town», et en B sur «Little Ole Wine Drinker Me». On croit rêver. Max Décharné sait aussi faire son Elvis, comme le montre «Really Gone This Time». Il a tout le doux et le rond du menton. Les Earls Of Suave sonnent aussi comme le Cramps sur «A Cheat» : en plein dans le boogaloo Crampsy/Gallon Drunk, mais aussi avec «She’s My Witch» bien chanté à la Lux. Le coup de génie de l’album est la reprise de l’«Ain’t That Lovin’ You Baby» de Jimmy Reed en ouverture de balda. Heavy groove de boogaloo de London town, très Elvis-proto-punk et chanté au grand méchant loup. Ils font aussi une cover du «Ring Of Fire» de Cash. 

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             On va retrouver la plupart des Earls Of Suave dans les Flaming Stars. On reviendra sur leur discographie magique dans un Part Two, mais pour donner un petit avant-goût, jetons un œil sur Sunset & Void, magnifique album paru en 2002. Magnifique oui car «Night Must Fall» que Max tape en chanteur de charme fou. Petit chef-d’œuvre de romantisme urbain. Et puis tu as ces deux cuts à l’entrée du balda, «A Little Bit Like You» et «Cash 22», solide rockalama travaillée sous le boisseau pour le premier, un brin Gun-Clubbish, et de faux accents à la Bowie era Heroes pour le deuxième. Même ampleur pop volontaire de classe supérieure. On entend un peu partout des échos de Gallon Drunk, c’est en gros la même ambiance. L’«House Of The Seting Sun» qui trône en B est écœurant de classe et de London Void. Dandysme et cut mélodiquement purs. L’exotica des Flaming Stars («Mexican Roulette») sonne comme un western en déliquescence et avec «The Waiting Game», ils visent l’urbain d’orbi. Saluons aussi l’ambiance pesante de «The Long Walk Home». Ils savent plomber la clavicule de Salomon.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             En 2022, Max Décharné sortait New Shade Of Black, un choix de dix cuts composés jadis pour les Flaming Stars, enregistrés late at night sur un 4-track cassette-based recorder. Max explique qu’il enregistrait ainsi ses demos pour les présenter au groupe. Il ajoute qu’il chantait en sourdine pour ne pas réveiller ceux qui dormaient. Il est reparti des vieux 4-track surviving recordings et a refait les voix chez Ed Deegan, le mec qui enregistrait les Flaming Stars au temps de Toe Rag. A new album full of old songs. C’est un album à caractère intimiste. On y retrouve le très beau «3AM On The Bar Room Floor» tiré de Songs From The Bar Room Floor paru voici bientôt trente ans. C’est très beau, très mélancolique, très jusqu’au bout de la nuit. Max adore le bar room floor. Sur le «Maybe One Day» tiré de Pathway, il sonne comme le Lou d’«Heroin». Il joue de l’orgue et frise même le Nico dans une fantastique ambiance sépulcrale. Il re-capte la primeur de ses vieilles démos. «Lit Up Like A Christmas Tree» se trouve aussi sur Pathway. Cut lugubre et gorgé de réverb cadavérique, pas loin du Velvet, une pure Marychiennerie. «Cash 22» qu’on retrouve sur Sunset & Void est aussi très beau, dans sa forme originelle. Max sait capter l’attention. Il cultive le même sens mélodique que les Mary Chain. 

    Signé : Cazengler, Max la limace

    Max Décharné. Teddy Boys. Profile Books Ltd. 2024

    Earls Of Suave. The Basement Bar At The Heartbreak Hotel. Vinyl Japan 1994

    Flaming Stars. Sunset & Void. Vinyl Japan 2002

    Max Décharné. New Shade Of Black. Dangerhouse Skylab 2022

     

     

    L’avenir du rock

    - Doum Doum Doum Doum

             Pour divertir ses amis, l’avenir du rock organise des soirées magiques. Il revêt son bel habit de Mandrake, il loue les services d’un blackos de Saint-Denis pour faire le Lothar, et dispose trois rangées de chaises dans son salon qui devient une sorte de mini-cabaret pour happy few. Le Lothar fait entrer l’avenir du rock dans un grand sarcophage vertical, prononce une formule magique, fait patienter le public quelques secondes, puis ouvre à nouveau le sarcophage... Oooh fait la petite assistance médusée, alors que sort du sarcophage un Lemmy plus vrai que nature, arborant de splendides verrues et brandissant sa Ricken ! Il approche du premier rang et se met soudain à gratter sa Ricken tout en éructant «It’s a Bambi ! It’s a Bambi !», et au comble de la stupéfaction générale, un Bambi sort d’une caisse que vient d’ouvrir le Lothar de service ! Oooh fait la petite assistance re-médusée, alors le Lemmy plus vrai que nature attrape une mitraillette Thompson en tous points semblable à celle qu’on voit sur la pochette du mini-album St. Valentine’s Day Massacre et tatatatata, il dégomme Bambi en hurlant «It’s a Bambi ! It’s a Bambi !». Alors le Lothar coiffé d’une perruque McLaren s’écrie : «Who killed Bambi ?». Poilade générale. Certains en tombent même de leur chaise. Le Lemmy retourne dans le sarcophage et après la rituelle formule magique, c’est un Jimi Hendrix qui en sort, avec un gros flingue à la main et sa Strato en bandoulière qui joue toute seule. Le Lothar l’interpelle : «Hey Avenir Joe where you going with that gun in your hand?», alors le Jimi dit qu’il s’en va buter sa old lady parce qu’il l’a vue traîner en ville avec un autre mec. Et comme l’avenir de rock n’a pas d’old lady, il en choisit une au hasard dans la petite assistance et lui colle une balle dans la tête. Hilarité générale, même si certains trouvent qu’il exagère un peu. Déjà deux cadavres, et la soirée ne fait que commencer... Il retourne dans son fucking sarcophage et après l’abracadabra de service, le voilà qui revient en John Lee Hooker. Pareil, avec sa gratte et un gros flingot. Il s’assoit sur une chaise, tape du pied, gratte les plus beaux accords de l’histoire du rock et grommelle : «Doom Doom Doom Doom/ Gonn’ shoot you right down !». Et il tire dans le tas, comme Sid Vicious à la télé.

             L’avenir du rock ne lésine jamais sur les moyens pour rendre hommage, surtout quand il s’agit des Doom Doum Lovers.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Des couples rock, t’en as vu des tonnes depuis vingt ans, les White Stripes, les Kills, les Blood Red Shoes et tous ces machins-là. Ils sont souvent au bord de la faillite, car l’exercice est périlleux. Si elle bat le beurre, il faut qu’elle batte bien, et s’il gratte ses poux, il a intérêt à en gratter pour dix, parce qu’il est tout seul, avec en plus le chant à charge. Gros boulot. Faut des épaules pour ça. Et une voix. Et du punch. Et des compos. Tu vois vite à travers quand ça manque de viande. Les modèles de couples rock restent les Courettes, et puis bien sûr Stereo Total. Chapeau bas. Flavia Courette gratte tout ce qu’il faut et Moby Dick bat pour dix. Françoise Cactus battait la Stereo comme une bête et Brezel Göring grattait sa Bo guitar comme un Bo blanc.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             C’est cette énergie du diable qu’on retrouve chez Jean-Jean et Kinou, the fabulous Doum Doum Lovers. Et quand t’as dit fabulous, t’as rien dit. Ils renouent avec la grande époque des concerts foutraques de Stereo Total, t’as des paroles en français, du riff raff gaga, de l’énergie atomique, un mec qui se balade avec sa gratte dans le public, comme s’il marchait sur la lune, en poussant des ouh !, il gratte tous ses cuts avec une technique d’une extraordinaire sobriété, sans jamais produire le moindre effort, pendant un heure il crée son monde, il va de cut en cut comme un poisson dans l’eau, et tu flashes en permanence, car c’est incroyablement bon, incroyablement frais, incroyablement juste, tu ne t’attendais pas à ça, et la surprise n’en est que plus belle.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

    Alors tu comprends que tu as sous les yeux un real deal de l’underground. Il ne la ramène pas, au contraire, il simplifie au maximum, mais sans jamais tomber dans le panneau friendly. Non, son truc serait plutôt : «Tu veux du rock ? Tiens en voilà !», mais sans prétention. Tout repose sur la qualité du show, des compos, et là, tu te régales, car c’est du très haut de gamme. Il te donne exactement ce que tu attends d’un concert de rock en 2024 : une heure de set solide dont tu vas te souvenir. Et puis cette classe ! Rien n’est plus rare que la classe naturelle, celle que tu n’as pas besoin de montrer.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

    Jean-Jean n’a pas besoin de déguisement, ni de santiags, ni de tatouages, il a des chansons fantastiques, de l’humour et une présence indiscutable. Il a même une chanson gaga-Dada, «Nus Sur La Banquise», et tout le monde fait Ding Dong avec Kinou - Pas de tenue requise - Gros clin d’œil au «Deux Sur la Banquette» de Marie & Les Garçons.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

    Tu le vois marcher sur la lune en poussant des ouh ! Et sur la version studio, il part en solo de trashobilly d’envergure intersidérale. Que de son, my son ! Il te gratte ça au relentless, et le cut se termine en bouquet de chœurs d’artichauts bien chauds. L’autre big time-cut des Doum Doum s’appelle «Le Tunnel», le fameux cut avec les ouh ouh. Alors attention, tu as deux versions : celle de l’album sans titre et celle de la démo 3 titres. Sur l’album, c’est Kinou qui prend le chant, et lui, il mène le bal du ramalama, où est la sortie du tunnel, c’est wild as fuck ! Il faut les voir foncer dans la nuit.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

    Mais si l’occasion se présente, chope la démo trois titres parue en 2021, elle ne coûte que trois euros, mais tu vas tomber de ta chaise car la version du «Tunnel» qui est dessus est encore plus wild que l’autre. Ça démarre avec la voix d’Arletty - Atmosphère ? Atmosphère ? Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? - Et bam !, ça part en trombe, ça fonce dans le tunnel, hot as hell, ça monte en neige pour atteindre à la démesure d’où est la sortie du tunnel, Kinou mène la danse, et derrière Jean-Jean recrée le chaos sonique du Velvet. Eh oui, l’animal flirte avec le spirit de «Sister Ray». À la suite, tu tombes sur la démo de «Face To Face», un heavy boogie down d’hey face to face, il sait monter son boogie en neige et il te plonge vite fait en enfer, il connaît toutes des recettes maléfiques du wild gaga et cette façon qu’il a de riffer à sec ! Il finit avec un «Looking For The Banshee» bien lesté de plomb, il te trashe ça vite fait au riff raff de caballero, ça sent bon les coups de bottleneck, il nage dans l’écho du temps, il brûle les ailes de sa Banshee, et ça bottomme dans l’ersatz de l’apanage, et là t’es tanké.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Tu as d’autres merveilles sur l’album sans titre des mighty Doum Doum. Tu retrouves la Banshee. Il sait rocker sa casbah, pas de problème. Tout est construit sur des architectures soniques qui te captent bien l’attention, il ramène sa fuzz et lance «don’t trust me», mais si. On te truste ! Belle architecture d’anymore encore dans cet «Hope Gives Live» lourd de conséquences, lancé au wild abus dangereux et bien tenu en laisse. Par contre, il lâche la laisse de «Garde Un Chien D’Ta Chienne» et là, l’album décolle. Kinou l’amène au gros tatapoum et bam, ça part en rockalama périgourdin. Kinou fait des chœurs gaga de rêve. Te voilà au pied de mur. Tu crois entendre des clameurs de Detroit Sound. Tu te pinces. Dans «Secret», il joue avec la notion de ground underground, the other way round, belle ambiance Dead Moon, il siffle dans la nuit et joue les basses sur ses cordes graves. C’est un enchantement. Et voilà qu’il tape dans le mille du pire gaga de l’univers avec «Hurry Up». Terrific ! Sur scène, il t’explose ça à coups de gros barrés. On retrouve aussi l’excellent «Face To Face», cet heavy groove de blues qui te tient par la barbichette, et encore une fois, il te sonne bien les cloches. Tout est tellement en place, la gratte, la voix, l’énergie, le beurre, et en plus, il te claque un solo de disto qui te fait baver. Ils tapent «Un Pas Sur La Lune» au yodell périgourdin et bouclent ce délicieux bouclard avec «Outside The Box». Cet album est un vrai panier garni, gorgé de compos variées, comme chez Stereo Total, même énergie, même intégrité, même créativité, même joie de vivre et même résonance underground.

    Signé : Cazengler, Dumb Dumb Loser

    Doum Doum Lovers. Neuville-Sur-Authou (27). 9 mai 2024

    Doum Doum Lovers. Doum Doum Lovers. Some Produkt 2023

    Doum Doum Lovers. #1. Not On Label 2021

     

     

    Tench you very much

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Curieux parcours que celui de Bobby Tench, un chanteur guitariste qu’on retrouve employé à bon escient dans le Jeff Beck Group, par exemple, et à mauvais escient dans les groupes de gens comme Van Morrison, Eric Burdon, Steve Ellis (Widowmaker), Stevie Marriott (Humble Pie) et Michael Chapman (Streetwalkers) qui ont déjà tout ce qui leur faut au niveau chant. Oui, le problème est que Bobby Tench chante prodigieusement bien, il peut parfois sonner comme Rod The Mod, alors évidemment, quand il se retrouve dans Humble Pie ou Widowmaker, il doit s’effacer et se contenter de gratter ses poux.

             Puisqu’il vient tout juste de casser sa pipe en bois, nous allons lui rendre hommage et tenter de donner une idée du talent de cet immense artiste. La liste des projets auxquels il a participé est vertigineuse. Tu la trouveras sur wiki. Par contre, si tu veux l’entendre chanter, alors faut écoute les albums de Gass et d’Hummingbird.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Le premier album de Gass paraît en 1970. Tombé dans les pattes des spéculateurs, cet album est devenu intouchable. Pour l’écouter, tu devras soit te le faire prêter, soit le télécharger. Attention, c’est un album extraordinaire, un peu prog mais extrêmement énergique. Tout est joué au fantastique appareillage de shuffle d’orgue et dès «Kulu Se Mama», on comprend que cet album soit devenu culte. Bobby Tench peut chanter au plus haut niveau de prestance, comme le montre «Holy Woman». S’il tient si bien la rampe, ça ne s’explique que par son talent. Bobby Tench et ses amis visent l’admirabilité des choses en matière de prog, c’est vrai, mais c’est inspiré, et pour une fois, la prog gagne en respectabilité. Ce mec est l’un des grands Soul Brothers d’Angleterre, et ça joue au bon délié de guitare. Ils sortent un son plein comme un œuf, ça sur-joue dans les effluves de l’une des meilleures progs d’Angleterre. Avec «Yes I Can», Bobby Tench joue la carte du profil bas, bien soutenu par un beau bassmatic à la Jamerson. On se régale de l’extrême puissance du Yes I Can. Et tout va exploser en B avec «Juju». Peter Green participe au festin de son. Fantastique swagger ! Bobby Tench ramène tout le power flamboyant du Juju anglais. Peter Green plonge dans le gras double et Bobby vient le hanter au pire raw du Tenching. Ils ramènent tout le power de Junior Walker et des géants de la heavy Soul. Ils font même du Sly pur. Bobby Tench se montre effarant de verdeur dans ce balladif bienvenu qu’est «Black Velvet», puis il refait son Soul Brother dans «House For Sale». Il faut l’entendre swinguer sa prog, il est effarant de mainmise. Ces mecs sont beaucoup trop puissants pour un petit pays comme l’Angleterre. Voilà une autre énormité : «Cold Light Of Day», amené au violon et repris au heavy groove, the darkest of it all. Stupéfiante présence calorifuge, ponts joués au big foutraque de Bobby Tench, ce mec aime tellement le groove qu’il le swingue dans l’âme. On tient là l’un des très grands albums de 1970. Ils terminent avec «Cool Me Down», un fantastique shoot de speed prog. Ces mecs jouent où ils veulent, quand ils veulent et comme ils veulent, ils passent par les breaks de Cellar Block et Bobby envoie sa shit fluctuer dans les sillons du Cool me down. Ça se termine par un véritable festival de white riot percus.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Catch My Soul est une comédie musicale parue en 1971 sur laquelle on retrouve Bobby Tench & The Gass. P.J. Proby et P.P. Arnold font aussi partie de l’aventure. C’est là que Bobby Tench commence à partager le micro avec d’autres très grands chanteurs. Dans «Ballad Of Catch My Soul», un fameux shouter annonce : «My name is Le Gault and I’m the devil as well.» C’est très orchestré, très américain. P.J. Proby se tape «Drunk». Il éclate tout, help me ! Save me ! Aw ! Lance Le Gault revient chanter «Cannikins». On se demande pourquoi cet album est attribué à Gass. Bobby Tench ouvre le bal de la B avec «Put Out The Light». Ce mec est déjà extrêmement en place. Quel shouter ! On entend P.P. Arnold et Proby faire la fête dans «Seven Days And Nights». P.P. shoute tout ce qu’elle peut et P.J. l’accompagne dans ses ébats. On les retrouve tous les trois avec Bobby pour le final, «Black On White». Bobby n’a pas à rougir, il s’élève aussi haut que les deux autres. Il sait lui aussi shouter par dessus les toits. P.P. Arnold est complètement folle, elle chante au pinacle de la Méricourt. 

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             C’est avec le Jeff Beck Group que Bobby Tench se fait connaître. Après Truth et Beck Ola, Jeff Beck cherche un chanteur du calibre de Rod The Mod et il opte pour Bobby Tench. Il monte même une espèce de super-groupe avec Max Middleton et Cozy Powell pour enregistrer Rough And Ready en 1971. Dès «Got The Feeling», on sent le souffle d’une belle pop de Soul que swingue Bobby Tench. Middleton pianote entre deux eaux, comme Nicky Hopkins. C’est très intriguant. Et ce diable de Clive Chaman envoie virevolter ses triplettes de bassmatic. Alors oui, c’est admirable. Avec «Situation», Jeff Beck va plus sur une ambiance jazz-rock. Il groove au long cours et Bobby file sous la bise. Il ramène tout son feeling dans la course folle. Mais c’est avec «Short Business» que Jeff Beck retrouve l’esprit flamboyant de Beck Ola. Il fait de la haute voltige et il traverse les rues de ses gammes sans regarder ni à droite ni à gauche. De l’autre côté, Bobby Tench se met vraiment à sonner comme Rod The Mod dans «I’ve Been Used». De toute évidence, Jeff Beck garde une nostalgie profonde de Beck Ola, car il parvient à générer le même genre d’ampleur catégorielle, au grand vent d’Ouest, avec des notes qui filent dans l’écho du temps. Puis on le voit casser les reins de l’envol dans «New Ways/Train Train». Bobby Tench lui prête main forte. C’est absolument régalatoire, surtout quand ils reviennent au train-train avec Train Train. Ces mecs tendent la musicalité jusqu’à la rompre. Jeff Beck glougloute de ci de là. C’est dingue comme il est polymorphe. Puis on voit Bobby Tench partir en roue livre avec «Jody», alors oui, quel chanteur !

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             L’année suivante, le groupe enregistre un deuxième album, le sobrement titré Jeff Beck Group. Après la pomme de Beck Ola, Jeff Beck propose une orange. Détail capital : c’est Steve Cropper qui produit cet album enregistré à Memphis. Ça se met à swinguer dès «Ice Cream Cakes». Clive Chaman joue une excellente bassline et Bobby Tench fait son Rod The Mod. C’est un excellent traîneur de syllabes. Jeff Beck rôde dans le groove et se fend de quelques prodiges. Il continue de travailler son obsession de Beck Ola. Toutes les conditions sont rassemblées pour que l’album sorte de l’ordinaire, mais quelques cuts restent en surface, comme cette reprise de Bob Dylan, «Tonight I’ll Be Staying Here With You». Steve Cropper co-signe «Sugar Cane» avec Jeff Beck - I/ I love you like/ Sugar cane - C’est du petit funk blanc que Bobby Tench chante d’une voix éteinte d’étain blanc. Superbe ! Jeff Beck boucle l’A en faisant du Ronno mélodique dans «I Can’t Give Back The Love I Feel For You». Ronno et Jeff Beck restent bel et bien les deux guitaristes les plus brillants de leur génération. C’est en B que se joue le destin de l’album avec cette version de «Going Down» si bien pianotée par Max Middleton. Jeff Beck accourt à la rescousse, c’est joué dans les règles de l’art supérieur. Bobby Tench traîne son down dans la poussière. Ils poussent si bien le bouchon qu’ils parviennent à renouer avec l’urgence de Beck Ola. Ils jouent ça à la tension maximaliste de Max la Menace. Bobby n’en finit plus descendre down down down. Wow, quel shouter ! Puis Jeff Beck s’en va jazzer dans l’angle l’«I Got To Have A Song» de Stevie Wonder. Il le concasse et Bobby fait des miracles au chant. Très haut niveau d’interprétation. Tout est parfait sur cet album, on sent le super-groupe au mieux de sa condition. Même un balladif comme «Highways» se contrebalance au petit bonheur la chance. Max jazze au gré d’un groove éparpillé. Très captivant.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Lorsqu’Humble Pie songe à se débarrasser de Steve Marriott, Shirley et Greg Ridley portent leur choix sur Bobby Tench, mais hélas pour eux, Bobby vient juste de monter Hummingbird et de signer un contrat. Il faut voir Hummingbird comme une suite au Jeff Beck Group. D’ailleurs, Jeff Beck viendra traîner en studio avec eux, mais rien ne se concrétise. Hummingbird va enregistrer trois albums, à commencer par le sobrement titré Hummingbird. C’est un excellent album plein de son et de chant. Bobby shake son tail feather avec «You Can Keep The Money», il chante avec les mêmes intonations que Rod The Mod, c’est dire s’il est bon. Linda Lewis duette avec lui sur «Such A Long Ways». Il semble qu’Hummingbird rencontre le même problème que Roogalator en Angleterre : trop brillant. Avec «I Don’t Know Why I Love You», Bobby propose un heavy blues de bonne facture. Bernie Holland y fait de belles étincelles sur sa guitare. Ils ouvrent le bal de la B avec «Maybe», un joli shout de rock de Soul. Les Hummingbird sont une équipe de surdoués. Ils proposent un beau mélange de Soul et de guitare fluide. Avec son bassmatic, Clive Chaman is the man sur «For The Children’s Sake». Globalement, c’est un excellent album.     

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Avec We Can’t Go On Meeting Like This, Hummingbird jette l’ancre dans ce funk de Londres assez spécial, puisque tapé à la baguette magique par Bernard Purdie. Bobby le chante au carré du funk, comme on le voit dans «Fire & Brimstone» et Clive Chaman embobine le tout dans un bassmatic funky joué les deux doigts dans le nez. Encore une fois, ils sont trop brillants pour le public anglais. Pas de hits, mais du son, rien que du son. «Trouble Maker» vaut pour un fantastique shoot de funky motion. Bobby n’a de leçons à recevoir de personne, il dépote son ballot de funk avec une aisance qui vaut bien celle de George Clinton. Ils entrelardent la dinde de l’album avec des instros du jazz-rock de type «Scorpio», aussi ambitieux que le fut en son temps Lucien de Rubempré. On se croirait même parfois dans le Mahuvishnu Orchestra. Il faut bien dire que cet album sonne parfois comme une délectation. Ils démarrent leur B avec «The City Mouse», un bel instro des jours heureux. On les sent bien dans leur peau, Max Middleton pianote le plus suave des grooves de jazz-rock. Et Nanard tapote dans son coin en swinguant comme un démon. «A Friend Forever» sonne comme un hit de Stevie Wonder, Bobby le chante au chaud du ton et ils reviennent plus loin au heavy funk avec «Snake Snack». C’est tellement bien joué et bien battu qu’on dit amen et qu’on leur donne l’absolution. Vas-y, Bobby, jazze-nous jusqu’à l’oss de l’ass.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Le troisième et dernier album d’Hummingbird s’appelle Diamond Nights. Il paraît en 1977, mauvaise année pour tout ce qui n’est pas punk en Angleterre. Bobby préfère le funk comme le montre «Got My Led Boots On». Bernard Purdie bat un beurre saisonnier et Clive Chaman joue comme George Porter Jr des Meters. Max Middleton claque ses keys, tout est verrouillé à l’insolence prédestinée. Le «Spirit» qui suit vaut pour un slow groove d’excellence patentée. Bobby chante comme un dieu, alors ça devient très facile. Qui retrouve-t-on dans les backings ? Venetta Fields ! Eh oui ! On voit encore Bobby et ses amis regorger d’aisance dans «She Is My Lady». Ils rivalisent avec les géants de la Soul. En B on se régalera de «Madatcha», un heavy groove solide aussi indispensable à l’oreille que peut l’être l’air pur à la narine palpitante. Ils reviennent au solide swamp de funk avec «Losing Yoy (Ain’t No Doubt About It)». Il semblent s’enfermer dans les affres d’une Soul émerveillée.

             C’est Stevie Marriott qui fera appel à Bobby pour venir rembourrer un Humble Pie mal en point. En 1980, ils ne sont plus que deux, Shirley et Stevie. Anthony Sooty Jones vient compléter les effectifs à la basse pour enregistrer On To Victory.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Retourne la pochette d’On To Victory et tu verras Stevie prêt à en découdre, la clope au bec, le cheveu taillé court, le jean remonté aux bretelles comme chez les skins de l’East End.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

    Bobby Tench et Anthony Jones remplacent Clem et Greg Ridley. Ça démarre avec un «Fool For A Pretty Face» qui continue de faire toute la différence. Stevie vire de plus en plus cockney, comme si Dickens avait inventé de boogie rock. Stevie rayonne dans son personnage d’Artful Dodger. On reste dans le big heavy sound avec «Infatuation». Stevie scande bien son besoin de love et un beau solo de sax vient envenimer les choses. La fête continue avec «Take It From Here» encore plus heavy et même assez mystérieux. L’album se révèle admirable de heavyness. On croit même entendre la accords du «Number One Common Lowest Denominator» de Todd Rundgren. En B, Stevie propose l’un des hot takes de Soul blanche dont il a le secret avec «Baby Don’t You Do It». On se régale du bassmatic d’Anthony Jones, c’est joué dans les règles du lard fumant. Humble Pie ne faiblit pas. La voix, le son, les cuts sont là. C’est un album solide. Encore une merveille de Marriott swagger avec «Further Down The Road». Il faut le voir scander son gimme love gimme love

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Il ne faut pas non plus prendre Go For The Throat à la légère, même si la pochette est complètement foireuse. On y retrouve l’équipe Bobby Tench/Anthony Jones/Jerry Shirley et ils tapent du big time d’«All Shook Up» ou de «Tin Soldier». Avec l’All Shook Up, ils tentent de singer le  Jeff Beck Group. Le «Tin Soldier» est bien noyé d’orgue, comme au bon vieux temps. Impressionnant aussi ce «Driver» blasté à l’harmo. On trouve en B un «Restless Blood» surchauffé. Marriott grimpe sur les barricades, il harangue le rock, il shoote tout ce qu’il peut. C’est un héros des temps modernes. Il nous sert aussi une version stupéfiante de «Lottie & The Charcoal Queen». Il y devient héroïque. Il chante sa Lottie à pleine puissance, c’est un hit énorme, un paradigme de l’heavyness. Il est le roi de toutes les insistances. Pour terminer, il fonce jusqu’au bout du bout avec «Chip Away», il ne relâche jamais son rumble, Marriott est un jusqu’au-boutiste faramineux, il chante comme un seigneur des annales, un screamer victorieux. Et Bobby Tench dans tout ça ? Oh il gratte ses poux, complètement éclipsé par ce démon de Steve Marriott.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Bobby Tench finit par remplacer Marriott sur Back On Track, enregistré en 2002, soit onze ans après sa mort. Du Pie d’origine ne restent que Jerry Shirley et Greg Ridley. C’est déjà pas mal. Big sound, c’est sûr, mais la gouaille d’Artful Dodger a disparu. «Dignified» et «The Red Thing» sonnent pourtant comme des cuts énormes. C’est Greg Ridley qui décroche la timbale en chantant «Still Got A Story To Tell». Il chante ça à la vieille arrache. On sent le vétéran d’Immediate. Ridley a tout vu. Il fait ses lignes de coke avec un Bowie knife planqué dans sa botte. Il reste au lead pour «All I Ever Need», un heavy groove d’excelsior. Zoot Money vient chanter «This Time». Zoot fout son nez dans les affaires du shuffle, il a bien raison. Magnifique association de légendes. Zoot can beat it ! Il en devient extravagant. Bobby revient chanter les vertus de la planche à pain avec «Flatbusted» et l’expédie droit en enfer. Ce mec chante comme un dieu, on le sait depuis longtemps, mais un album d’Humble Pie sans Stevie, c’est très bizarre. Greg Ridley reprend le lead sur «Ain’t No Big Thing». On laisse le mot de la fin à l’excellent Bobby Tench qui fait un carton avec «Stay On More Night». Il est parfaitement apte à faire la Pie.

    Signé : Cazengler, Bobby Tanche

    Bobby Tench. Disparu le 19 février 2024

    Gass. St. Polydor 1970

    Gass. Catch My Soul. Polydor 1971

    Jeff Beck Group. Rough And Ready. Epic 1971

    Jeff Beck Group. ST. Epic 1972

    Hummingbird. ST. A&M Records 1975        

    Hummingbird. We Can’t Go On Meeting Like This. A&M Records 1976

    Hummingbird. Diamond Nights. A&M Records 1977

    Widowmaker. Widowmaker. Jet 1976      

    Humble Pie. On To Victory. Atco Records 1980

    Humble Pie. Go For The Throat. Atco Records 1981

    Humble Pie. Back On Track. A&M 2002

     

     

    Inside the goldmine

     - Gallagher des boutons

             Un gamin dans le corps d’un vieil homme. C’était une façon de situer Galopin. Il incarnait en effet ce curieux mélange de naufrage (la vieillesse) et de candeur. En tant que vieil homme, il accumulait tous les travers du genre : radin, malveillant, auto-centré, radoteur, incapable d’écouter les autres, hygiène douteuse, il portait des fringues usées jusqu’à la corde et conduisait une bagnole qui était un danger public. Il préférait la bière quand on la lui offrait et cultivait une étrange obsession : ne jamais rentrer chez lui sans ramener des petites choses glanées ici ou là. Il vivait dans une baraque à son image. On ne se posait d’ailleurs pas la question de savoir dans quel état était l’intérieur puisqu’il n’invitait jamais personne à y entrer. Il devait être parvenu à ce qu’on appelle le point zéro de l’existence, lorsqu’on fait cette espèce de constat : à quoi sert de continuer à vivre ? À rien. Puisque rien n’a plus de sens, ni l’image qu’on a encore de soi, ni les raisons d’améliorer le quotidien, puisque ces raisons n’existent plus. Pour qui le ferait-on ? Pour soi ? Absurde. Le point zéro de l’existence distille des poisons qui tournent en circuit fermé dans la cervelle : pour les plus faibles, ce sera de l’auto-compassion, pour les plus résistants, ce sera une haine totale de soi. Alors évidemment, dans un tel contexte, les liens sociaux ne tiennent pas le choc. Les seuls qui approchent encore Galopin sont ceux qui ont perçu le gamin en lui. Lorsqu’on sait orienter une conversation, le gamin réapparaît miraculeusement et tout le reste disparaît. Galopin semble alors libéré d’un poids immense et ses yeux noirs brillent d’un bel éclat. On le voit presque revivre, ça ne dure que le temps de la conversation, mais ce temps vaut tout l’or du monde. Il retrouve une belle volubilité et alimente l’échange en puisant dans son érudition. Il faut alors le soigner et rester précautionneux, comme lorsqu’on arrose une plante qu’on croyait morte.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Ramener Galopin à la vie, c’est exactement la même chose que d’arracher Gallagher au néant. Dans un cas comme dans l’autre, ça ne tient qu’à un fil. Ce Gallagher n’est ni le Rory, ni le Noel, ni le Liam, il s’agit d’un Peter. D’où sort-il ? D’une compile, l’excellent Wrap it Up qu’Ace consacra en 2022 au prophète Isaac. Le cut d’Isaac s’appelle «I’ve Got To Love Somebody’s Baby». Cut qu’on retrouve sur le bien nommé 7 Days In Memphis, un album paru en 2005. Gallagher, qui est acteur à Hollywood, a une bonne bouille, un faux air de Tony Joe White juvénile. Il a joué dans une myriade de films qui ne sont pas forcément des chefs-d’œuvre. Il n’a pas la chance de Johnny Depp.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             7 Days In Memphis est un album qui vaut le détour pour un tas de bonnes raisons, la première étant bien entendu l’«I’ve Got To Love Somebody’s Baby» épinglé juste au-dessus. Gallagher qui est un artiste consciencieux montre tout le respect possible au prophète Isaac. Il tape ça en mode heavy blues sensible, et c’est pianoté à la Méricourt. Il opte pour le full power et aw, ça devient spectaculaire, il le monte fantastiquement en neige, c’est du très haut niveau de full bloom. Tu sais que tiens là un album énorme, il enveloppe Isaac dans ses bras, il te claque son cut au sommet du lard, c’est un véritable coup de génie. Impossible d’échapper à cette emprise, à cette puissance noyée de pianotis. Il tape aussi dans Dan Penn avec «Don’t Give Up On Me». Il soigne le coulé de Dan Penn, il en fait une version pointue, il chante avec esprit, et le shuffle chauffe cette white Soul à feu doux. Quelle classe ! Il attaque l’album avec la reprise d’un «Still I Long For Your Kiss» signé Lucinda Williams. Gallag est assez hot sur ce coup-là. Steve Cropper est de la partie. Gallag retape dans Isaac avec «When Something Is Wrong With My Baby». Même chose qu’avec l’«I’ve Got To Love Somebody’s Baby», on sent le respect total pour l’œuvre du prophète, même si, d’une certaine façon, le petit cul blanc n’a guère d’épaisseur humaine, étant donné qu’il n’a jamais cueilli de coton sous les coups de fouet. Disons que ce genre d’album permet de régler des comptes. Car on a toujours pas fini de régler les comptes. Le pauvre Gallag se plie aux règle du groove avec un «Still Got The Blues» signé Gary Moore, mais sa voix manque cruellement de profondeur. Il bénéficie heureusement d’une énorme orchestration et finit par devenir intéressant, et même attachant. Il tape ensuite dans le «Then You Can Tell Me Goodbye» de John D. Loudermilk, un solide shoot de pop Soul extrêmement bien balancé. Le choix des covers est magistral, Gallag est un bec fin. Il tape aussi l’«Everytime It Rains» de Randy Newman, et tu t’y sens aussitôt en sécurité, comme si un real deal de blanc chantait une solide white Soul. Gallag revient encore à Isaac avec «When You Move You Lose». La petite gonzesse qu’on entend s’appelle Teressa James, une blanche un peu poussive. Gallag aurait tout de même pu choisir une blackette. Elle est même un peu ridicule, encore une folle qui se prend pour la reine du rodéo. Et puis voilà la cerise sur le gâtö : une cover d’«A Song For You» de Tonton Leon. Forcément, avec Tonton Leon, on atteint des cimes extravagantes. Cette cover est d’une rare puissance, Gallag en fait un chef-d’œuvre, forcément, c’est une chanson parfaite, au plan mélodique, mais Gallag l’interprète au plus haut niveau, il la chante à la déroute sentimentale extrême.

    Signé : Cazengler, Gallagare Saint-Lazare

    Peter Gallagher. 7 Days In Memphis. Epic 2005

     

     

    I walked with the Zombies last night

     - Part Two

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Pas compliqué : les Zombies, tu y vas les yeux fermés. Ils n’ont pas des gueules de zombies, mais d’une certaine façon, ils ont atteint comme les Beatles un réel niveau de perfection pop.  Aux yeux des amateurs éclairés, les Zombies sont une sorte de petit miracle à dix pattes. Ils disposent de toutes les mamelles du destin : le chanteur parfait, les compos parfaites, le son parfait. Leur seul défaut serait d’être trop sages dans la vie privée. Pas d’overdoses, pas de voitures de sport et pas de grosses putes maquillées dans les parages.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Leur premier album Begin Here, paru en 1965, est ce qu’on appelle un album parfait. Il s’appelle Begin Here en Angleterre et The Zombies aux États-Unis : pochettes différentes et track-lists différents, comme c’est l’usage à l’époque.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

    Le Begin Here anglais est plus joli. 14 titres et pas de déchets. Ils démarrent sur un hommage à Bo Diddley, vroom vroom, «Road Runner» et enquillent aussi sec sur le «Summertime» de Gershwin. Blunst chante déjà comme un dieu, ce que va encore confirmer «I Can’t Make Up My Mind», poppy as hell, gorgé de que-de-son-my-son, and she wants me back, et Blunst fait de la pop de punk. Il est aussi bon que Paul Jones. Rien qu’avec ces trois cuts, te voilà tanké. Il continue de faire l’ange avec «The Way I Feel Inside», une vraie merveille de délicatesse, Blunst la porte à bouts de bras. On navigue rarement dans un balda aussi intensément bon. Ils enchaînent avec un wild instro assez monstrueux, «Work ‘N’ Play». Saturé d’harp et explosif en sous-jacence. Les Zombies sont des punks ! Puis il tapent une cover magique du hit de Smokey, «You’ve Really Got A Hold On Me». Pur jus de Motown Zombies, Blunst l’éclate au bring it back home/ Bring it home back to me. Ils terminent ce faramineux balda avec «She’s Not There» et là tu t’assois pour te recueillir, car les Zombies t’emmènent au cœur d’un mythe urbain, le Swinging London. Ils bourrent leur dinde avec du développé de shuffle d’orgue et de bassmatic. De toute évidence, les Zombies étaient en avance sur leur temps. Et ça repart de plus belle en B avec le pur British Beat de «Stick & Stones», suivi de «Can’t Nobody Love You». Tout est beau dans cette B des anges, tout est ultra-chanté, orchestré, inspiré, poignant. «I Remember When I Loved Her» incarne l’excelsior de la viande polymorphique, le cha cha féerique, le mambo du fandango. Avec «What More Can I Do», ils proposent le wild r’n’b de Soho. Extraordinaire santé des artères, c’est un shuffle d’orgue à se damner pour l’éternité, les départs en solo relèvent du vieux proto-punk. Pur sonic genius ! Ils terminent cet album imbattable avec un clin d’œil à Muddy : «I Got My Mojo Working», mais les Zombies le démolissent. Ils sont encore pire que les Pretties. Wild as fuck !

             Quand Repertoire a réédité cet album magique, ils n’y sont pas allés de main morte : 15 bonus. Alors forcément, quand on l’a vu chez Gibert, on s’est jeté dessus. Parce que «Tell Her No» (samba des Zombies, ils brillent comme le Brill), «She’s Coming Home» (ils battent le Brill à la course), «Kind Of Girl» (admirable de candeur pop), «Sometimes» (punch de pop, putsch de pop, ils prennent le pouvoir), «Whenever You’re Ready» (haut niveau d’escalade avec un solo de piano en syncope), «Is This The Dream» (pur Motown), «Don’t Go Away» et «Remember You» (pure Beatlemania), et puis voilà «Just Out Of Reach» et sa fabuleuse attaque, Blunst prend ça au plein chant, poussé dans le dos par un shuffle d’orgue, tu n’en finis plus de t’extasier, et «Indication» arrive un peu comme le coup du lapin. Quoi qu’ils fassent, c’est puissant, ils tapent dans le mille à chaque fois, avec des bouquets d’harmonies vocales extravagantes. Ça se termine avec «I’m Going Home», celui qu’Alvin Lee a consacré. Ils sont dans le même délire, mais Alvin est allé plus loin.   

             La scène se déroule en 1969, dans la cour du lycée :

             — Wouah, Yves, tu connais Odissey & Miracle ?

             — Quouahh ?

             — Le concept-alboum des Zombis ! Odissey & Miracle !

             Le pote Yves se fend bien la gueule :

             — Achète-toi une paire de binocles !

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Intrigué, on rentre au bercail et on relit la pochette. L’avait raison l’Yves. Faut lire Odessey & Oracle. C’est pas la même chose. Ce genre de truc arrive souvent. On mémorise une image photographique de mots qu’on oublie parfois de lire attentivement. Le meilleur exemple est celui de Sanford Clark qu’on a pendant quarante ans prononcé et écrit ‘Sandford Clark’, jusqu’au jour ou un ange de miséricorde nommé Damie Chad releva l’erreur et la corrigea. Un autre exemple est celui de Specialty que les copains de lycée prononçaient Speciality. C’est pas la même chose.

             L’Odessey est un cas particulier : album culte, mais pas aussi ravageur que le Begin Here. Oh bien sûr, on tombe sous le charme dès «Care Of Cell 44», pur jus de Beatlemania, mais avec un caoutchouc onirique en plus, c’est même assez stupéfiant de qualité, une sorte de perfe montée en neige avec un Blunst déchirant de sincérité. Ah il faut entendre ce son de basse délicieux, ponctué dans l’azur. Puis ils entrent dans un monde de pop descriptive, assez fairy-tale et c’est avec «Brief Candles» que se mesure la hauteur des Zombies. Blunst emmène cette belle pop d’éclat surnaturel. Ils terminent leur balda avec un autre coup de génie pop, «Hang Up On A Dream». Blunst l’attaque de biais et ça vire magic trip, oui, ça décolle comme un zeppelin britannique dans un ciel d’azur marmoréen. Là, ils donnent tout ce qu’ils ont dans la culotte, tu goûtes à l’excelsior des Zombies. En B, tu vois le Blunst se glisser dans le groove d’«I Want Her She Wants Me». C’est, comme disent les gens qui ne savent plus quoi dire, d’un niveau à peine croyable, comme si on pouvait croire un niveau. Les Zombies tapent dans une efficacité doublée de simplicité, et ils empruntent les pah pah pah de Brian Wilson. On retrouve cette fantastique présence de la simplicité dans les mah mah mah de «This Will Be Our Year». Avec «Friends Of Mine», ils passent à la pop d’entente cordiale, le pop d’it feels so good to be/ So in love. Pour des Zombies, c’est d’une vitalité remarquable. Ils terminent avec un copy-cat de «She’s Not There», «Time Of The Season». Même ambiance. Alors, comment ne pas adhérer au parti ?

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Repertoire fit en 2001 le même coup qu’avec Begin Here : une red avec 15 bonus faramineux, et qui éclipsent complètement l’Odissey, pardon, l’Odessey. Ça part en trombe avec l’extrême power pop magique de «I’ll Call You Mine». Les Zombies ont le power. On est effaré par la qualité des cuts stockés dans les vaults d’or. Par la qualité des compos. Par la qualité du punch. Par la qualité du chant de Blunst le héros, qui t’éclate encore le Sénégal avec «She Loves The Way They Love Her». Zombi Zombah ! C’est d’un niveau qu’on peine à mesurer. C’est réellement du niveau des Beatles. Avec «Imagine The Swan», tu rentres de plain-pied dans l’extraordinaire power du jus. C’est extravagant de classe et d’élégance. Même power que celui des Beatles à leur apogée, voix montées, mélodies imbattables, son d’en haut. Tu ravales ta bave car c’est pas fini. Ils restent dans la Beatlemania avec «If I Don’t Work Out», effarant d’I don’t know et le Blunst finit en mode Monkees de Clarksville. Big power encore avec «I Know She Will» et fast Beatlemania avec «Don’t Cry For Me». Blunst sait faire son Lennon énervé. Ces mecs se brûlent les ailes à voler si haut («Walking In The Sun»). C’est à ne pas croire. Tiens voilà «Conversation Off Floral Street», un très bel instro chargé de mystère et de shuffle. Merci Rod ! Encore de la heavy pop avec «Gotta Get A Hold Of Myself». Rien ne peut résister à cette équipe de Zombies, ils n’en finissent plus de taper dans le haut du panier. C’est un peu comme si on écoutait les bonus du White Album. C’est exactement du même acabit. Et tu as «Goin’ Out Of My Head» qui t’explose au nez et à la barbe, avec des coups d’harp extravagants, c’est bien meilleur qu’Odissey, pardon, Odessey, ils rivalisent de génie sonique avec Totor, ce «Goin’ Out Of My Head» est le cut le plus spectorien d’Angleterre. Fulgurant ! Alors après, dès que tu repères des reds des Zombies avec des bonus, tu y vas les yeux fermés. 

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Bon, on va essayer de se calmer un peu. Pas facile avec ces mecs-là. Five Live Zombies - The BBC Sessions 1965-1967 ne fait que confirmer la réputation des BBC Sessions : rien que du nec plus ultra. C’est en place dès «Tell Her No». On voit le Blunst monter au créneau très vite et faire du fast Blunst sur «What More Can I Do». Un chef-d’œuvre de shuffle d’orgue. Si tu veux battre ces mecs-là à la course, tu devras te lever de bonne heure. Et tu as le solo de Paul Atkinson, il gratte sec et net. Motown débarque in London town avec «This Old Heart Of Mine». Ils le font pour de vrai, c’est du tout cru, du dur comme fer, ils parviennent à sublimer Motown. Il faut noter l’excellent jazz-bassmatic de Chris White sur «For You My Love», et on retrouve plus loin l’infernal «Goin’ Out Of My Head», avec son sens aigu d’un Brill spectorisé. C’est tout bêtement exceptionnel. Le Blunst tire tout ça vers le haut, over you ! Ils rendent deux hommages à Curtis Mayfield («You Must Believe Me» et «It’s Alright»), mais c’est avec «Soulsville» qu’il fracassent la baraque du wild r’n’b. Avec eux, c’est vite torché, et même quasi-protopunk. Ils savent groover sous la ceinture. Aw c’mon ! Le Blunst peut se monter agressif. Et ça se termine avec le fast rumble d’«I’m Goin’ Home», battu sec et net par Hugh Grundy

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             On trouve une sacrée beigne de génie sur The Return Of The Zombies, cet RCA paru en 1990 (et qui s’appelle aussi New World, sur Big Beat) : une cover d’un très beau hit de Paddy McAlloon, «When Love Breaks Down». Hey yesssss ! Ça se développe, Blunst part dans le Sprout, c’est gorgé de magie pop, il y va à la Paddy éperdue. Blunst colle bien au Paddy way. Heureusement qu’on a cette merveille, parce que le reste de l’album pue un peu la new wave. Le clavioteur qui remplace le Rod s’appelle Sebastian Santa Maria et c’est lui qui fout le souk dans la médina. Pourtant les compos de Chris White («Lula Lula»), ne demandent qu’à éclore comme la rose de Ronsard. Santa Maria y va de son petit coup de shuffle dans «Time Of The Season», un cut signé du Rod, mais le son est trop new wave. «Moonday Morning Dance» sonne comme une déclaration de guerre : les Zombies basculent dans la putasserie. Ils sonnent comme U2 sur «Blue». Santa Maria entraîne les Zombies dans une impasse, cette pop ne mène nulle part. Ils n’ont pas de compos. Horrible destin, pour un groupe qui fut jadis tellement brillant. Blunst essaye d’embarquer les Zombies pour Cythère avec «Losing You», mais ça ne marche pas. Si tu veux bâiller aux corneilles, écoute The Return Of The Zombies.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             R.I.P. est le fameux Lost Album des Zombies. Et quel Lost Album ! Il s’agit là de leur meilleur album. Tu y entres par la grande porte, c’est-à-dire «She Loves The Way They Love Her», une clameur de pop digne de celle des Beatles avec des développés de voix à la Curt Boettcher et un entrain d’une rare qualité. Te voilà encore plus conquis que l’Asie Mineure. Et ça continue avec «Imagine The Swan», une somptueuse coulée de pop descendante, ça s’impose sur la lune, ça t’allume la tirelire. Tu entends un fantastique solo de piano du Rod dans «I Could Spend The Day» et le balda s’achève sur l’instro du diable, c’est-à-dire «Conversation Off Floral Street» qu’on retrouve dans les bonus de la red de Begin Here, un swing d’instro sous la pression des surdoués. Quatre bombes en B : «If It Don’t Work Out» est complètement Beatlemaniaque, bien dirigé vers la lumière, stupéfiant de don’t work out, suivi d’«I’ll Call You Mine», encore un shoot de pop hallucinante de qualité, irrévocable et magique, les superlatifs n’en peuvent plus. Ils tirent la langue. Et ça continue avec «I’ll Keep Trying», personne ne bat ça à la course, tu as encore le power intrinsèque d’une pop parfaite, bien calée dans l’angle de la Beatlemania, et enluminée d’un glacis d’harmonies vocales. La quatrième bombe s’appelle «I Know She Will», c’est travaillé à la beauté poignante d’une samba poppy. Te voilà au cœur de la Zombiemania.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

              Retour aux affaires en 2004 avec As Far As I Can See. Blunst et le Rod semblent rayonner de bonheur sur la pochette. On retrouve le grand shuffle d’orgue du Rod dès «In My Mind A Miracle». Ça te saute à la gorge. Nos deux compères refracassent la baraque du rock anglais, ils disposent sans le moindre doute des plus grosses ressources naturelles d’Angleterre. C’est puissant, fumant, et racé. Leur «Memphis» n’a rien à voir avec le «Memphis» de Chucky Chuckah. C’est du monté en neige extraordinaire - You know tonight/ Hey kiss in Memphis/ And trace the writing on the wall - Tout sur cet album se juche au plus haut niveau de l’expression. C’est de la grande pop anglaise pianotée par le Rod et ultra-orchestrée. Coup de génie encore avec «Time To Move», un wild r’n’b à l’anglaise. On se croirait chez Stax, avec un bassmatic demented - It’s time to roll - Il y a du feu dans les éclats de voix du Blunster. Il est capable d’allumer autant que Little Richard. Dans «I Don’t Believe In Miracles,» Blunst demande à sa poule de rentrer à la maison, mais il ne croit pas aux miracles. Colin Blunstone forever ! Encore une fabuleuse présence de let it shine dans «As far As I Can See» - There’s a slow train coming/ From the distance coming - Pure magie. Et ça continue avec «With You Not Here», Blunst lance sa pop là-bas au loin, il a cette générosité du geste, il aménage des espaces comme savait le faire Elvis - You’re gone away - Il chante son magnifique désespoir et ça part en mode boogie magique digne de Brian Wilson, alors t’as qu’à voir. Blunst refait son chanteur de charme dans la big rumba de «Together», et ça évolue très vite vers la grande pop qui embrasse l’univers. Blunst et le Rod bouclent cet album puissant avec «Look For A Better Way», énergie énorme à la Thunderclap Newman, le Blunster monte là-haut sur la montagne et balance une pop lourde de sens et de better way. C’est un peu comme s’il tartinait le firmament, il a le même genre d’ampleur que les Super Furry Animals et Mercury Rev, sa pop est une pop d’espace certain et ultime, te voilà grâce à lui au sommet des apanages.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Alors attention, voilà encore une grosse poisscaille : Breathe Out Breathe In. Ça date de 2011. Dès le morceau titre d’ouverture de bal, t’es tanké par la magnifique attaque zombique du grand Blunst - And here let the story begin - Tu as Blunst & Rod again dans l’excellence miraculeuse. Et c’est rien de le dire. Même quand ils font des petits balladifs classiques et ultra-chantés («Any Other Way»), ils te stupéfient, surtout Tom Toomey lorsqu’il se met à gratter ses espagnolades. Gros clin d’œil aux Beatles d’«Hey Bulldog» avec «Play It For Real». C’est la même intro ! Exactement le même punch. Blunst fait sonner ses eeel - When you feel/ How you feel/ There’s no deal to reveal/ You just play for real - Et on assiste effaré à une nouvelle éclosion du génie zombique avec «Shine On Sunshine». Ce mix de pureté purpurine, de profondeur indicible et d’éclat marmoréen te bourre ta dinde. S’ensuit un «Show Me The Way» qui n’est heureusement pas celui de l’autre pomme de terre. Ouf, on l’a échappé belle ! Retour à l’heavy pop des Zombahs avec un «Another Day» un peu épique, mais bien colégram. Et on replonge dans l’enfer du paradis avec «I Do Believe» et une fantastique communion des vocalises, couronnée par un solo d’orgue du Rod. Pur pop genius, ils atteignent à une ferveur pop quasi spirituelle. Ça nous dépasse. Sur «Let It Go», le Rod joue de l’orgue d’église, c’est faramineux de classe de d’alluring allure.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Et puis tu as ce brave petit Still Got The Hunger quasiment passé inaperçu en 2015. Eh oui, qui va aller écouter un groupe de vieux crabes comme les Zombies ? C’est justement ces mecs-là qu’il faut écouter, pour peu qu’on soit encore à la recherche d’une certaine qualité. On se demande même parfois si aujourd’hui la qualité intéresse encore les gens. Enfin bref, revenons aux choses sérieuses avec «Moving On» - Aw one two three ! - Blunst t’explose le rock anglais. Il est bon de rappeler que le Blunster est un vieux punk. Il a toutes les mamelles du destin : le souffle, l’ampleur, la voix, le son, la légende. Les Zombies sont toujours à part. L’autre coup de génie de l’album se trouve vers la fin : «Now I Know I’ll Get Over You». Les carillons du souriant Tom Tooney fracassent le son, il rayonne dans une solace particulièrement prégnante. Le lard des Zombies repose sur un joli tapis de braises. Le Blunster chante encore comme un dieu, il n’a fait que ça toute sa vie, et le Rod passe l’un de ces wild solos de piano dont il a le secret. Il placarde dans les escaliers. Quelle vélocité ! Dans «Maybe Tomorrow», on retrouve tout l’entrain de «Lady Madonna». Le Rod pianote comme un démon d’Uriage et Blunst chante avec le gusto de John Lennon. On se régale encore d’«Edge Of The Rainbow», fabuleux, inventif, ambitieux, monté là-haut par le Blunster, véritable Sisyphe du rock anglais. Il pousse son rainbow à la force du poignet. «New York» ? Chant plein de plain-chant de pop pleine de plain-pied, c’est-à-dire de la pop énorme. Il faut le voir monter sur la crête de «Want You Back Again». Il te vrille ça en hauteur, un peu comme Ian Gillian au temps de «Child In Time». Encore de la belle pop d’unisson du saucisson avec «And We Were Young Again». On sent les influences de Paddy McAlloon et de Steely Dan. Cette belle aventure s’achève avec l’incroyable poids de la démesure de «Beyond The Border Line». Ça te tombe littéralement dessus. Ces mecs n’ont jamais renoncé à la grandeur.     

             Après le split des Zombies en 1969, le Rod monte Argent. L’occasion est trop belle d’aller voir ce qui se passe sous les jupes d’Argent, car le Rod est forcément un mec intéressant. Par contre, il ne se casse pas trop la nénette pour trouver le nom du groupe :

             — Tiens, les gars, Argent, c’est pas mal comme nom, non ?

             — Ah ouais, Rod !

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Leur premier album sans titre sort en 1969. Bon, alors, l’Argent ne casse pas des briques. Ils proposent un peu de boogie down très m’as-tu-vu/tu veux ma photo ?, mais si tu veux casser trois pattes à un canard, il faudra repasser un autre jour. Comme le Rod aime bien l’orgue, il ne mégote pas sur le shuffle d’orgue pour embarquer la petite pop sans avenir de «Be Free». On n’est pas chez les Zombies. Pas de Blunst, pas de chocolat. Ils tentent de recycler le climax des Zombies avec «Schoolgirl». S’ensuit un «Dance In The Smoke» classique et relativement beau, mais pas renversant. Le Rod essaye de maintenir un niveau puissant et raffiné, il essaye de rester dans la veine des Zombies. Franchement, on aurait fait des économies en n’achetant pas cet album à l’époque. Le seul cut qui emporte la bouche se trouve là-bas vers le fond de la B : «Freefall». Le Rod tente le diable avec une Soul pop agréable et on sent enfin le fluide magique, le gros solo d’orgue est excellent. Comme quoi, ça vaut parfois la peine d’attendre.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             On va dire que leur meilleur album est le Ring Of Hands, un Epic de 1970. Pourquoi ? Parce que «Rejoice», un joli balladif au charme beatlemaniaque certain, très White Album dans l’esprit. Avec cette pure merveille, le Rod approche de la vérité. Autre surprise : «Sleep Won’t Help Me». Là, tu finis par les prendre très au sérieux, car on croit entendre chanter Jack Bruce dans Disraeli. Même ambiance, avec en plus un solo de piano magique. Et coincé entre les deux, tu as «Pleasure», un petit coup de génie car cette fois le Rod fait de l’early Sparks et explose en bouquet d’harmonies vocales géniales, avec du shuffle d’orgue à tort et à travers. Le Rod prend ses grands airs. On l’ovationne. Tu as aussi le «Sweet Mary» qui vire gospel batch avec des tas de blackettes derrière. Comme le Rod est un fabuleux shuffler, il sauve l’heavy prog de «Cast Your Spell Uranus». Bon, c’est vrai qu’on est en plein dans les seventies, donc c’est logique qu’on tombe sur Uranus, mais on préfère l’Uranus des Pink Fairies. Encore de la prog musclée avec «Lothorian», c’est d’un haut niveau liturgique, bien calé sur ses fondations. Le Rod continue d’impressionner avec «Chained», une pop un brin bluesy et tu as une disto dans l’oreille droite. Ses grooves de bonne essence finissent par porter leurs fruits. Le Rod est un mec balèze.  

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             L’All Together Now paru en 1972 est nettement moins dense que son prédécesseur. Tu ne te régales que de «Be My Love And Be My Friend», un fantastique heavy groove. Le reste de l’album est un peu trop proggy pour être honnête, avec de temps en temps, des petits éclairs de boogie qui ne servent à rien («Keep On Rolling», «He’s A Dynamo»). Le Rod termine l’album avec un «Pure Love» en quatre parties. On se croirait chez Keith Emerson. On fuyait tous ces mecs-là à l’époque et on les fuit encore.  

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Le Rod remonte bien le niveau d’In Deep, paru l’année suivante. Il a recours à une belle énormité, un «It’s Only Money» en deux parties. C’est du bon vieux heavy rock, bien pulsé en interne au shuffle d’orgue. Là, oui, tu as de la viande. Ils en font même un hit. Encore plus impressionnant, voilà le solide et tentaculaire «Losing Hold». Le Rod tape dans l’océanique. Il fait de l’Argent en acier chromé. Puis il va proposer un day of Jesus intitulé «Christmas For The Free», très bealtlemaniaque dans l’esprit. On croit entendre chanter John Lennon.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Nexus serre aussi en son sein une belle énormité : «Thunder & Lightning». Wow, ça rocke à l’anglaise déterminée, un vrai paquet de viande avec du tonnerre et des éclairs. Le Rod sait rocker sa chique. Le reste de l’album est assez proggy, et même proggy as hell : shuffle d’orgue et structure tordue. Ça devient vite insupportable, l’«Infinite Wanderer» est conçu comme une bacchanale, et ça part dans le nowhere land, on se demande ce qu’on fout là. Le Rod règne sans partage sur son petit univers proggy. Quand c’est pas ta came, c’est pas ta came. Aussi décision est prise d’en rester là.

    Signé : Cazengler, zombite

    Zombies. Begin Here. Decca 1965

    Zombies. Odessey & Oracle. Repertoire records 2001

    Zombies. Five Live Zombies. The BBC Sessions 1965-1967. Razor Records 1989

    Zombies. The Return Of The Zombies. RCA 1990  

    Zombies. R.I.P.  Varese Vintage 2015

    Zombies. As Far As I Can See. Go! Entertainment 2004

    Zombies. Breathe Out Breathe In. Red House Records 2011

    Zombies. Still Got The Hunger. Cherry Red 2015

    Argent. Argent. CBS 1969

    Argent. Ring Of Hands. Epic 1970

    Argent. All Together Now. Epic 1972

    Argent. In Deep. Epic 1973

    Argent. Nexus. Epic 1974

     

    *

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

    Routes of Rock. Elles passent obligatoirement par la bonne ville de Troyes. Ne me demandez pas pourquoi. Parce que c’est comme ça, parce que le 3 B, parce que Béatrice la patronne. Remarquez ce soir, le 3 B n’est plus un bar, s’est transformé en une ère de lancements de fusées spatiales. Ne m’accusez pas d’avoir trop bu, je ne suis pas un zébu, j’ai même rencontré un équipage de cosmonautes, des portugais. Un jour cette soirée légendaire sera connue comme celle de la charge de l’abrigado légère. Enfin c’était plutôt de la cavalerie lourde.

    TROYES - 17 / 05 / 2024

    3B 

    TEXABILLY ROCKETS

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

    Z’ont relégué Vincent tout au fond, c’est un peu le rôle des batteurs, mais là devant la porte de la cuisine faut tordre le cou pour l’apercevoir. Ne le plaignez pas, le Duarte ce n’est pas genre de gars à se laisser oublier. Les trois autres sont en ligne, n’ont pas laissé un interstice par lequel on pourrait tenter d’avoir la chance de l’apercevoir. Z’ont bien manigancé, le plus maigre au milieu et les deux serre-livres sur les côtés, un à droite, l’autre à gauche. Le Wildcat, le chat sauvage, au centre tout efflanqué, ils l’ont appuyé sur la big mama, tout de suite sa masse volumineuse a été multipliée par deux, puis ils ont fignolé, une casquette sur la tête et un micro posé devant lui, car on ne sait jamais. A bâbord Ruben attire les regards, avec la visière de sa casquette qui lui mange ses lunettes rondes, et ses larges anneaux de tringle à rideau qui  pendent de ses oreilles l’a un look improbable de boucanier qu’il réhausse de sa guitare qu’il tient très haut, pratiquement au ras du cou, mais le manche levé vers le ciel comme s’il visait les albatros baudelairiens qui se jouent des nuées. A tribord, Oscar Gomes, pas pour rien que dans sa vie civile il est un tatoueur chevronné, il sait accorder les couleurs, ainsi sa chemise hawaïenne à dominante bleue il l’a assortie à sa complémentaire, à l’orange cockranesque de sa Grestch. Jusqu’à l’avoir rencontré je croyais qu’il n’y avait que Lucky Luke qui tirait plus vite que son ombre.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

    Je vous aurais avertis. Ne venez pas vous plaindre si vous courez les voir en concert. Le Gomez quand il met la gomme, il ne chôme pas, sur trente morceaux, il a fait trente fois le coup, il tire plus vite que lui-même, vous le guettez et à chaque fois qu’il va envoyer le riff, le riff est déjà dans vos oreilles, vous savez ces gars qui passent leur tête dans le nœud coulant afin de savoir l’effet que ça fait d’être pendu haut et fort comme dans les westerns et plouf la chaise sur laquelle ils sont montés s’effondre et les voici pendus pour de bon. C’est bête pour eux, mais pour nous c’est très bon car quand le riff d’Oscar court sur vous, le monde se métamorphose en rutilante folie contagieuse.

    Premiers contaminés ses acolytes. Gomez a une électrique et Ruben une gratte. N’entend pas se laisser distancer, el Ruben, il gratte pour lui, il gratte pour vous.  Vous  soulève la guitara comme si elle l’était une danseuse étoile, lui plante les jambes dans les nuages puis lui triture sa tignasse cordique comme s’il voulait la scalper.

    L’on se demande pourquoi le Wildcat s’encombre de sa big mama. Il s’en fout et contrefout. De tous les trois sets il ne lui a pas jeté un seul coup d’œil. Mais il doit l’aimer. Car il la châtie bien. D’une main tout en haut il lui malaxe spasmodiquement la gorge, un peu comme s’il était en train d’étrangler un boa constrictor, sans perdre de temps de sa seconde menotte spasmodiquement il frappe sur son abdomen toujours sans lui prêter la moindre attention.  Ne le traitez pas de chat fainéant, si le Wifdcat ne se préoccupe pas de son instrument mastodontique c’est qu’il est concentré sur le vocal. Les amateurs de rockab commencent à comprendre, le riff, le tchac-tchac de la gratte suivi un quart de seconde plus tard du tchac-tchac de la contrebasse – c’est leur manière à eux de reproduire la reverbe de Sam Phillps – plus le vocal-mitraillette, vous croyez tout comprendre, vous vous dites même qu’à leur place vous auriez carrément remisé l’inutile batterie dans la cuisine en prenant soin de refermer la porte à double tour.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

    Le problème c’est que Vincent tient à se faire entendre. Il existe deux types de batteurs en ce bas monde, les rythmiques tout en subtile finesse et les grabugeurs qui tueraient sans regret père et mère pour que leurs parents en un dernier spasme auditif  se délectassent des tonitruances de leur rejeton préféré… Bref le Vincent, dans les Texabilly Rockets il joue le rôle des tuyères dispensatrices d’énergie. L’est le moteur rugissant qui précipite non seulement la vitesse mais aussi l’enivrante sensation de vitesse.

    Répétons-le les Texasbilly ne viennent pas du Texas mais du Portugal, n’empêche qu’Alain, à qui vous devez l’existence de ce blogue, avait une théorie sur les guitaristes texans, qu’ils soient rock ou blues, ils tapent plus fort que tous les autres ricains sur leurs guitares affirmait-il, toujours est-il que nos Rocketsbilly semblent souscrire à cette règle alinienne, sur les trois premiers titres ils ont fait la différence, d’abord ils vous tuent sans rémission, ensuite ils tirent des bastos à effraction mentale. N'avaient pas commencé depuis trente secondes que les regards pétillants échangés entre connaisseurs en disaient long, l’alligator vorace du rawckabilly était parmi nous.  

    Le Wildcat ne mâche pas son vocal, prononce peut-être l’anglais avec un accent portugais mais qu’est-ce qu’il le cause bien, vous détache les mots un à un comme s’il prenait un malin plaisir à distribuer des paires de gifles, vous claque salement le beignet et illico vous tendez l’autre joue, il accentue les angles et ne freine pas dans les courbes, course de crêtes en tête, montées et descentes à vitesse constante, pour les inflexions étrangement c’est la guitare d’Oscar qui s’en charge.  Plante le riff dans les nuées orageuses, un tonnerre jupitérien continu, Zeus tonne, lorsque vous vous y attendez le moins, c’est la grêle, des grêlons qui vous cisaillent la carrosserie et le visage, subito une dégelée de notes grêles vous transpercent le corps comme des flèches de Comanche sortis de leur réserve pour un raid meurtrier.

    Le rockab a aussi des racines noires. Ruben dépose sa guitare et sort son harmonica. Ruben El Pavoni souffle comme le paon déploie sa roue parsemée des cent yeux inquisiteurs d’Argus, il ne souffle pas, il siffle d’interminables piallements déchirants de locomotives à vapeur qui intiment aux bisons l’ordre d’aller pâturer hors des rails, les trois autres le rejoignent et l’on entend le vieux shuffle du blues, écailles rythmiques arrachées à la cuirasse  des crocos tapis dans les profondeurs troubles des bayous…  Parfois le rockab virevoltant trahit l’originelle noirceur prédatrice de nos âmes.

    Plus que tous les autres batteurs vus sur scène j’ai envie de dire que Vincent joue des pieds et des mains, l’a une extraordinaire manière de piaffer du talon tel un étalon colérique, pour perturber sa charleston, la secoue comme un prunier, la maltraite avec une énergie rancunière, avec lui c’est Brando dans Missouri Breaks à tout instant.

    Je n’insiste pas, si vous n’êtes pas totalement idiot vous avez compris que les Rockets nous ont précipité par trois fois en orbite haute autour du soleil. Trois sets de rêve, trois ouragans destructeurs dont personne n’est ressorti indemne. Les filles qui dansent, les gars qui s’accrochent au bar pour ne pas être emportés par la tourmente, les amateurs scotchés sur le groupe comme un poulpe sur son rocher. Une des grandes soirées du 3B, profitons de l’occasion pur faire coucou à Duduche, Billy, Christophe, Jean-François… et remercier encore une fois pour cette soirée explosive.

    Damie Chad.

     ( Deux images live empruntées à des vidéos de Rocka Billy )

    *

    Je viens d’apprendre quelque chose, moi qui croyais tout savoir, en anglais ‘’ember’’ ne signifie pas ‘’ambre’’ mais braise. Soyons franc, au moment où je m’en suis aperçu, braise ou ambre je n’en avais rien à faire, mon esprit était ailleurs subjugué par la pochette du deuxième EP du groupe  Conquerors of the Ember Moon à tel point que je me suis dépêché de regarder la couve de leur premier EP, qui n’avait rien à voir avec la seconde, étrange, très étrange, cela méritait enquête approfondie.

    Déjà, je dois signaler une erreur dans le paragraphe initial : Conquerors of the Ember Moon n’est pas le nom du groupe. Pour faire simple nos Conquérants (tout de suite l’on pense à José-Maria de Heredia et à son sublimissime recueil Les Trophées) sont une plateforme de musiciens, qui se regroupent ou pas, selon affinités, pour enregistrer une œuvre précise. Ne sont pas très diserts nos aventuriers musicaux, ne donnent aucun détail, ni leurs noms, ni leur origine. Se contentent de spécifier que de tous leurs enregistrements, si particuliers soient-ils, se dégagera une sinistre intensité. Brr ! On s’en doomtait !

    1. 1

    CONQUERORS OF THE EMBER MOON

    (Album numériqueBandcamp / Novembre 2023)

    Les titres ne nous aideront guère à cerner le projet, scrutons avec attention la pochette. Un paysage. Pas  une vallée verdoyante. Au dix-neuvième siècle l’on employait le mot ‘’romantique’’ pour désigner des paysages de montagne désolés.  Par la suite l’adjectif a été appliqué aux poëtes tourmentés… Une forêt de sapins dans  la tempête, des tronc brisés, des branches décharnées, un épais tapis de neige sur le sol, rien de bien avenant. L’on remarquera  la lettre gothique B estampillée dans un cercle dont la blancheur se confond avec la neige.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

    Intro : Le vent souffle, il emporte vos oreilles, c’est à peine si à certains instants l’on discerne d’incertains fracas d’arbres abattus, peut-être sont-ils seulement psychologiquement suggérés par le fond symphonique mélodramatique qui accompagne sans jamais se laisser ensevelir par le souffle tempétueux, l’on a envie de dire que cette modulation traumatique  nous fait entendre la plainte habituellement  inaudible de la nature qui souffre sans gémir sous les coups de bélier des éléments. I : discordance sonique à la première note de ce morceau, vos oreilles grincent, heureusement que la touffeur de la batterie s’en vient enrober cette nuisance, le vent souffle toujours mais nous ne sommes plus comme à l’abri  sous le souffle du vent mais au cœur de la tempête, nous chevauchons les chevaux de l’ouragan,  des chœurs de marins embrasent la violence, la batterie frappe sans arrêt, cataclysmismique le son reflue sur vous et vous enveloppe, des guerriers perdus dans l’hurricane chantent, les scaldes scandent le refus de l’acceptance, il faut faire front, le souffle des voix se mêle aux monstrueuses rafales apocalyptiques, le monde est devenu une infernale course cahotante, jusqu’au bout d’on ne sait trop quoi, vous ne vaincrez la tempête que si vous-même vous devenez tempête, mais le vent souffle encore plus fort, plus un bruit, si ce n’est cette pompe refoulante de l’air fou qui vous submerge et vous condamne au silence. II : encore plus fort, plus violent, plus d’espoir si ce n’est l’indomptable courage de vouloir survivre à tous prix, vous ne tenez plus debout, vous glissez, vous n’avancez pas, vous êtes poussé, ne sont-ce pas les voix des arbres qui hurlent pour se donner du courage, pour se soutenir, pour relever la tête, malgré tout, malgré rien, front contre front, deux taureaux qui se font face, l’élément intérieur qui ne veut pas céder et l’élément extérieur qui désire vous briser, vous pénétrer, en finir avec vous, avec tout, comme une rémission, un raidissement, et puis l’affaissement, le vent seul qui souffle et vous qui vous taisez, sans fin, parce que n’avez plus rien à dire. Le vent hennit sa victoire sur les crêtes des montagnes. III : tumulte de l’inéluctable, la bête grogne, la batterie avance imperturbablement, les ennemis vont s’affronter, tout se précipite, presque un rythme de danse, ça tohu-bohute, ça se catapulte l’un contre l’autre, combat de titans, l’un doit céder, mais si l’extérieur entre dans l’intérieur il deviendra lui-aussi intérieur, vision glissante de cauchemar comme des hordes d’avions bombardiers dans le ciel, c’est le split final, celui qui ne finira jamais, la guerre n’est que la continuation de la paix sous une autre forme, ça tangue dur, mais si l’intérieur sort de lui-même il sera métamorphosé en extérieur, quelle cacophonie, inutile de psalmodier la prière des morts devant les tombes qu’elles soient ouvertes ou fermées, vides ou pleines à ras-bord, tout ce qui est inutile est utile et vice-versa, le vent encore le vent, il siffle pareillement dans les oreilles des morts et des vivants, il est des symphonies qui sont des linceuls qui vous enveloppent plus chaleureusement que le sang chaud qui gicle de vos blessures, le vent ne souffle plus, la symphonie bruit, elle persiste, a-t-elle gagné contre le bruit, le vent ne souffle plus, il reprend son souffle, rien ne semble aller de soi à soi-même, il ne reste que des éclisses d’arbres, des décombres ou des semences, nous ne savons pas, nous ne savons rien, ce morceau n’en finit pas, certainement parce qu’il n’y a pas de fin possible à ce qui est et à ce qui n’est pas. A ce qui n’est plus.

             Superbe. Ils ont traduit une image en musique. Ils ont  expliqué comment le rêve d’une chose peut devenir le cauchemar d’une autre.

    2. 1

    CONQUERORS OF THE EMBER MOON

    (Album numériqueBandcamp / Novembre 2023)

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

    Enfin la couve qui a suscité mon intérêt pour ces conquérants de la lune  de braise.  Une  glauque reprise sous forme d’un monochrome vert de L’apparition fameux tableau de Gustave Moreau (1826 - 1898) illustrant une des scènes les plus érotanathiques des Evangiles, Salomé fille d’Hérodiade l’épouse du roi Hérode danse nue devant son beau-père, en récompense elle demande la tête de (Saint) Jean Baptiste qui a insulté sa mère… Les picturales rêveries érotiques de Gustave Moreau se sont vraisemblablement abreuvées à la scène d’Hérodiade, poème majeur de Stéphane Mallarmé.

    Encore pratiquement invisible, la pochette offre une lettre gothique encerclée, cette fois un ‘’ S’’. La signification de ces monogrammes me pose question. Seraient-ce les initiales de Bismuth et Stibine noms des minéraux mercuriels et alchimiques...

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

    I : facture sonore totalement différente de l’EP précédent qui pourrait être qualifié de symphonique, sur celui-ci nous sommes en présence d’une structure heavy metallique sans complexe :  sans doute vaut-il mieux se rapporter au tableau de Moreau que de se fier à l’interprétation de la pochette qui ne rend pas justice au sentiment de malaise hiératique que provoque la vision d’une telle image, l’introduction monumentale est à la hauteur écrasante de l’architecture prodigieuse dans laquelle se déroule l’apparition.  Il importe de prendre mesure de l’évènement, nous ne sommes pas dans un riche palais aux écrasantes dorures, mais ailleurs dans une image fantasmagorique de nos représentations les plus orgiaques, non pas dans un château royal, qui serait d’une aune par trop humaine, mais dans une demeure mythologique digne de l’Atlantide ou des Dieux. Qui n’a jamais habité ( comme moi ) dans une ville dont la vie était rythmée par le bruit assourdissant d’un marteau-pilon  qui vous baignait sans arrêt, jour et nuit,  dans l’assourdissance écrasante de sa palpitation outrancière, ne pourra jamais se faire une idée de la lourde et lente marche des géants qui peuplaient la terre il y a très longtemps, avant que Zeus ne les frappât de sa foudre et n’arrêtât l’inéluctable, d’ailleurs ce ne sont pas des paroles humaines que l’on entend mais des cris de chouettes prophétiques et des hurlements sans fin de foules anonymes écrasées sous des pieds géants, jusqu’à ce tintement des cordes de la joueuse de luth qui accompagne la danse d’Hérodiade et ce chuchotement des âmes exacerbées par la beauté de la nudité de la danseuse parée de joyaux opalins incapables de rivaliser avec la splendeur candide de sa peau… II : grincements, poulies, filins, musique en sourdine, il ne se passe plus rien, ou si peu, le corps de la danseuse boit et absorbe les regards qui se posent sur les dunes, sur les lunes, sur les runes,  sur les mouvances de son corps, l’on parle à mi-voix comme  l’on rêve les yeux à demi-fermés pour profiter et de la clarté de la beauté épandue dans le monde et de la pénombre inavouable des songes prédateurs. III : orage tumultueux au grand jour, hurlements de terreur, tout se mélange, non pas une apparition mais deux, celle de la beauté de la ballerine, et celle de cette tête sur le mur, l’une est soleil et l’autre est la lune, la lune désigne l’autre, regardez ceci est mon sang, non pas celui enfermé dans les canaux secrets de mes chairs, et l’autre urgescent, dégoulinant, giclant d’une façon dégoûtante, malgré cette voix de prêtre pontifiant qui essaie de retenir le scandale du monde, maintenant ici tout n’est que luxe, vacarme et volupté turgescente coupée au ras du col, la marche des géants reprend, une guitare se souvient qu’elle est dans un groupe de rock, chacun fait ce qu’il peut pour tenter de trouver une attitude qui soit conforme à cette projection intérieure du soleil du désir sur le mur de roches cyclopéennes, la bête est sortie de son antre, la vierge projette ses émois sur la paroi, l’insoutenable se résorbe dans les résonnances cordiques du luth, un temps en suspension, entre ce qui était celé et qui maintenant est révélé, la voix devient spasme aquatique des profondeurs conscientes, la musique se précipite, joue-t-elle au maçon qui essaie de recouvrir de sa truelle de mortier honteuse la face sanglante, la découpe du chef sur le mur, d’ailleurs qui parle et qu’elle est cette langue, celle de la mise à mort, ou celle bestiale qui s’affiche au vu et au su de tout le monde, tandis que la petite musicienne envoie quelques arpèges de son luth.

             L’ensemble est magnifique. Une page blanche ouverte à tous les verbiages bonimenteux de l’imaginaire.

             Ces conquérants m’ont conquis. Pleine lune !

    Damie Chad.

     

     

    *

    Ça sentait l’avoine. Depuis que je suis tout petit j’adore cette céréale. Exactement depuis le jour où j’ai découvert le mot avenière dans le vieux Larousse familial. C’est un mot que je qualifierais de verlainien. Vous le prononcez, il ouvre les portes du rêve. En plus une nouveauté recommandée par Mister Doom 666, avec lui vous ne savez jamais où vous mettez les pieds, souvent là où vous n’auriez jamais eu l’idée de les poser car ça grouille d’alligators affamés, en dédommagement et en règle générale vous n’êtes jamais au bout de vos surprises.

    AVEROIGNE

    ARCANIST

    (Yuggoth Records / Mai 2024)

    J’ai commis une erreur : j’ai cru qu’ils étaient américains puisqu’ils se réclamaient de Providence in Rhode Island. Mais non, c’est leur maison de disques qui niche là-bas dans cette cité providentielle qui abrita Edgar Poe et Lovecraft. Difficile de faire mieux. Difficile de faire pire. Selon vos appréhensions personnelles barrez la mention  qui ne vous convient pas. Par contre ils sont français, soyons fraternel écoutons-les. Toutefois ne nous embarquons point sans biscuits.

    Arcanist. Tout de suite l’on pense à Oscar Vladislas de Lubicz Milosz et à son recueil Les Arcanes. Arcaniste fleure bon l’ésotérisme et même l’alchimie. Plus exactement la pratique alchimiste. L’arcaniste est le personnage qui se tient entre le spagyriste paracelsique et le souffleur de verre, entre Bernard de Palissy et le raccommodeur de porcelaine, deux arts du feu, dont l’ignition soutenue et contenue, condense ou vaporise les divers états de la matière élémentale. L’arcaniste connaissait les secrets de la délicate cuisson des porcelaines, et d’autres encore, mais ceci est une autre histoire. Un opérateur. Pour employer un autre mot qui étymologiquement colle tout aussi bien à chef-d’œuvre qu’à grand-œuvre.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Averoigne, un mot qui avoisine l’avoine et l’Auvergne, bingo il s’agit du titre d’un livre Averoigne & Autres mondes, publié en 2019 dans la collection Helios des Editions Mnémos, éditeur d’imaginaires depuis 1996, spécialisé en SF, Fantasy, et Lovecraft.  Quel hasard démoniaque ! Serions-nous sur la Dagonale du fou ! d’autant plus que le nom de l’auteur Clark Ashton Smith (1893 – 1961) n’est pas inconnu chez les sectateurs de Cthulhu, il fut un proche du Maître de Providence. Smith était un admirateur de Baudelaire, qu’il traduisit, et d’Edgar Allan Poe.  Tout de suite ce goût pour la beauté de l’horreur vous classe parmi les individus supérieurs. Je dis cela uniquement parce que Baudelaire et Edgar Allan Poe sont pour moi de véritables phares émetteurs d’une lumière noire inaltérable.  Autodidacte, il se fait remarquer par un style luxuriant et coruscant, il fait partie de ces solitaires qui vivent à côté du monde marécageux, en ses limites extrêmes où rêve et réalité se confondent… Son imaginaire le transporte très loin dans l’espace et le temps. Les contes d’Averoigne se déroulent dans une Auvergne médiévale du douzième siècle, je recopie sans vergogne la présentation de l’éditeur que je vous invite à visiter : ‘’ Clark Ashton Smith imagine une contrée mystérieuse où monastères et cités aux murs crénelés ont émergé des antiques ruines romaines, où des légendes préchrétiennes prennent corps dans la vaste forêt centrale, où la cathédrale impressionnante de la cité de Vyones domine les esprits et où une famille noble voit ses pouvoirs disparaître, entre corruption et magie noire.’’.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

             Non ce n’est pas fini, les gloutons ne se jettent pas uniquement sur les gâteaux. Les galutres n’oublient jamais de dévorer l’emballage du paquet. Cette fois, nous sommes gâtés, à tel point que j’ai longuement hésité, allais-je consacrer cette kronic au disque d’Arcanist ou à l’œuvre de Matthew Jaffe. Quelle couve et quel artiste, la visite de son instagram est obligatoire. Cette couve ne se regarde pas, elle se médite. N’ouvrez pas vos yeux, ils sont vides. La force n’est pas en vous. C’est elle qui vous regarde. Sans vous voir.

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

    Rendez-vous en Averoigne : chants d’oiseau, c’est pour l’ambiance, des gouttes d’eau de synthé tombent une à une bientôt relayées par d’amples froufrous mélodiques, ces notes décharnées introduisent-elles le soupçon d’une inquiétude, le ciel se voile, la brume mugit dans sa corne, le vent se lève, une voix commence à lire l’histoire d’Averoigne ‘’ c’était un endroit vide de toute vie et absolument désolé où les charognes auraient conté fleurette au démon, les cieux tant tristes gris que les cadavres semblaient n’avoir jamais connu le soleil’’, le récit n’ira pas plus avant, ce serait inutile, la musique se voile d’une infinie tristesse, de grandes orgues héroïques retentissent, l’on ne sait rien de ceux qui viennent, mais il n’est pas besoin de messager pour nous demander de nous écarter, il est des choses qui se comprennent avant de les savoir, la musique s’achève lentement comme ces linceuls que l’on ne finit pas de plier et replier sur eux-mêmes. The holliness of Azederac : les titres sont ceux de certaines des histoires qui forment le livre Averoigne. L’histoire d’un saint homme. Enfin c’est ce que l’on raconte. Dans son passé il n’a pas toujours suivi de près les enseignements des  Evangiles, ne médisons pas, quand est-ce que les choses ressemblent vraiment à ce qu’elles sont, le mensonge n’est-il pas un marqueur de vérité, je vous laisse réfléchir, concentrons-nous sur la musique. En tout cas, le carillon pétille de joie, l’on a envie de danser la bourrée, elle est bien auvergnate mais le rythme guilleret ne serait pas conciliable, accélération tintinnabulesque, la joie nous envahit, attention il se passe quelque chose, est-ce que la fantaisiste carmagnole tournerait au vinaigre, une ombre passe, serait-elle l’aile de l’Ange Déchu, tiens une éclaircie mais l’on a perdu de l’allant, quel est ce pas lourd et claudiquant qui résonne seul dans l’espace sonore, l’on se croirait à la fin de Don Juan de Molière, ce glas qui sonne vous transperce l’âme, pas de panique il s’égrène en notes apaisantes, l’on s'imaginerait au pied de sa dame à lui chanter des doux vers à la Tristan et Yseult, que voulez-vous l’amour n’est jamais simple, à croire que la fin est déjà programmée à peine débute-t-il, profitons de l’instant qui passe et trépasse en incertains échos de chanterelle et chantefable. A night in Mauneant : ce récit ne fait pas partie du recueil d’Averoigne mais Clark Ashton Smith l’a rédigé dans les jours qui ont suivi l’écriture de End of the Story.  Un bruit qui vient de loin, peut-être du néant à moins que ce ne soit le néant qui provienne du bruit, il faut bien remplir le vide d’une manière ou d’une autre, l’est sûr que l’on nous raconte une histoire qui est déjà terminée et dont on ne saura rien, torsades de faux-violons, et clavier non tempéré, l’on a cru à un crescendo infini, ce n’est pas tout à fait cela, l’on arrive après la bataille qui n’a jamais eu lieu. Des notes comme des hoquets de pianos assortis de sortilèges quasi orientaux, l’on meuble le silence d’une pièce vide, peut-on remplir le vide, n’est-il pas comme un trou noir qui dévore le monde non pas jusqu’au trognon mais jusqu’à la pensée du monde. La musique serait-elle un divertissement pascalien qui s’effiloche en longues notes qui ne veulent pas mourir, qui s’enlacent longuement à vous pour que vous les reteniez au minimum pour l’éternité. Une voix s’élève, est-ce celle de la statue de sel devant Sodome et Gomorrhe.

    End of the story : écoutez l’histoire sans fin qui a une fin, un beau conte de facture classique, celle de la tentation, par la plus belle des femmes qui tient somptueuse demeure dans les ruines d’un château maudit, on l’a prévenu, on l’a supplié, on l’a sauvé une fois, mais il est reparti, on ne l’a plus jamais revu. Mais que n’aurait-il pas fait pour retrouver la femme serpent, car la femme qui a été tentée par le serpent était le serpent lui-même. Ne pas confondre lamie et l’amie. L’histoire est cousue de fil noir, comme quelques notes d’un luth caressé par mégarde. Même pas quatre minutes. Cela ne vaut guère davantage. Chaque homme dans sa nuit, se dirige vers sa propre lumière. Souvent éteinte. Toute lumière n’est-elle pas aveuglante. The Colossus of Ylourgne : (Part I) : 1 : The flight and the Necromancer / 2 :The gathering of the dead  / 3 : The testimony of the monks  / 4 : The going forth of Gaspard du Nord : une musique venue d’ailleurs, aux relents sombres, sourire de flûtes, est-il nécessaire d’en rajouter, l’histoire du Nécromant se suffit à elle-même, voici les chœurs, les dies irae et les tentures noires de  l’orgue, c’est un maître, ses élèves se pressent autour de lui, que leur apprend-il, que retiennent-ils… oui il œuvre à sa survie, car tout homme est mortel, d’ailleurs le cimetière est rempli de morts, pourquoi certains d’entre eux font-ils éclater de l’intérieur le bois de leur cercueil, quelle force terrible les anime, quelle étrange énergie les habite, d’habitude les morts ne bougent pas, la musique ne les berce-t-elle pas, elle sait se faire si douce, les moines de l’abbaye voisine ont suivi le Nécromant et ses disciples, ils sont maintenant tous réunis dans la forteresse démantelée d’Ylourgne… l’élève préféré Gaspard du Nord n’a pas suivi le Maître, il subodore, au travers d’un miroir magique il essaie d’entrer dans les pensées du Maître, le visage du Maître apparaît mais demeure impénétrable. La musique éclate, le drame se précise. The Colossus of Ylourgne : (Part II) : 5 : The horror of Ylourgne  / 6 : The vaults of Ylourgne  / 7 : The coming of the Colossus / 8 : The lying of the Colossus : étranges bruits qui recouvrent de troubles affairements, non ils ne s’affairent pas à de vils agissements d’ordre inférieurs, les tâches subalternes ne sont pas pour eux, ils ne pétrissent pas un corps avec de la terre, ce genre de besogne trop facile ils la laissent à Dieu, eux ils se servent de matière vivante, avec la chair des morts qu’ils arrachent aux cadavres ils constituent un nouveau corps… Gaspard du Nord aimerait bien s’interposer, il accourt, tant pis pour lui, il sera enfermé en un sombre cachot, il l’explorera, il désespèrera mais finira par trouver une issue, la voix du conteur que l’on n’avait plus entendue depuis le premier morceau reprend la parole, il avertit quelque chose va survenir, plus terrible que la peste… la chose est là monstrueuse, un monstre, un colosse, aussi haut qu’une tour, une force qui va, une force qui écrase, pour le moment il ne prend pas garde aux humains qui fuient devant lui, l’en écrase deux sur un mur  sans trop penser à mal, la musique prend une ampleur insoupçonnable, que veut-il, et qui pourrait l’arrêter. La foule affolée se précipite dans la cathédrale, l’être satanique ne supporte pas la demeure de Dieu, il la détruira, l’édifice et les misérables chrétiens réfugiés à l’intérieur, qui l’arrêtera sinon Gaspard, il est monté tout en haut du clocher et quand le géant s’approche il lui jette au visage une poudre alchimique, la même qui a permis de lui donner vie et qui maintenant lui donnera la mort. Le colosse titube, il ne sait plus que faire, les cimetières sont trop petits pour lui, il finira par creuser sa propre tombe, s’y coucher et se couvrir lui-même de terre.

             Dark ambient, certes mais la musique est beaucoup plus ambient que dark. L’on imagine la rutilance de  l’orchestration qu’un groupe de heavy metal se serait permise sur une telle légende. L’électro synthétique est à mon goût un peu trop monocorde, trop monotone pour avoir droit à l’épithète  de prog. Dark metal si vous voulez, mais je qualifierais l’ensemble, tout de délicatesse et de nuance, de folk, ce qui ne saurait être un contresens puisque la musique transforme cette longue nouvelle en un conte merveilleux.

             Le lecteur aura remarqué dans Le Colosse d’Ylourgue des éléments empruntés au Frankenstein de Mary Shelley et au roman Le golem de Gustav Meyrink. Deux œuvres proches de l’univers de Matthew Jaffe. Son Instagram   sans faute !

             Peu de renseignements sur les membres d’Arcanist. Leur Instagram est bien chiche, le duo semble constitué d’une fille et d’un garçon. Ouf ! ils ont respecté la parité !

    Damie Chad

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    max décharné,doum doum lovers,bobby tench,peter gzllzgher,conquerors of ember moon,arcanist,rockambolesques

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

    83

    L’écran était parcouru de vives couleurs, pour le moment l’on ne discernait rien de précis mais au bout de deux minutes il apparut clairement que les couleurs se regroupaient en certaines zones en des taches de grandeurs variables, bientôt il devint évident qu’elles s’affinaient, qu’elles épousaient des formes encore peu reconnaissables, quelques minutes plus tard, il apparut que des silhouettes humaines commençaient à se dessiner, le plus étonnant c’était  qu’elles occupaient toute la surface disponible, pas un seul espace de vide, ne serait-ce que quelques centimètres carrés, les individus n’arrêtaient pas de bouger, de changer de place, sans s’interpénétrer, sans se bousculer !

    John Deere prit la parole :

             _ Cet appareil n’est qu’un prototype, dans quelques semaines nos laboratoires nous procureront  une machine qui fonctionnera en trois dimensions, celle-ci n’est pas plus performante qu’une simple feuille de dessin qui n’aurait pas encore appris les règles de la perspective. Ce ne sont pas des individus serrés comme des sardines dans leur boîte que nous voyons, mais une grande place remplie d’une foule immense.

    Le Chef alluma longuement un Coronado avant de déclarer :

             _ Je ne pense pas que vous nous ayez fait venir pour admirer un mauvais écran de télévision, à priori la vision d’une foule sur une place publique ne doit pas inquiéter une institution comme la CIA, d’autant plus que ces gens-là n’ont pas l’air de manifester, de demander la démission du Président des Etats-Unis, voire de brûler des drapeaux américains.

             _ Nous préfèrerions, au moins nous saurions comment réagir !

    Jim Ferguson avait l’air d’avoir vieilli de plus de dix ans.

             _ Au bas mot, selon nos spécialistes il doit y avoir là au moins cent mille personnes. Ce phénomène d’attroupement est assez courant dans nos sociétés modernes, le problème n’est pas là. Cet écran photonique est multi fonctionnel, il est capable de nous donner, à la façon d’un GPS, mais d’une manière ultraprécise, les coordonnées du lieu où se déroule ce rassemblement. Savez-vous où s'articule le spectacle que nous observons ?

    Ferguson ne nous laissa pas le temps de répondre :

             _ Dans une cloison de cette maison devant laquelle nous avons dû secourir l’agent Chad !

    84

    Le Chef avait pris la tête du groupe d’intervention, Molossa et Molossito devant, dûment chapitrés, truffes au vent, flairant l’air de toutes leurs forces, les deux courageuses bêtes étaient suivies par Doriane et Loriane, sous notre garde rapprochée, Jim Ferguson et John Deere nous talonnaient chacun d’eux commandant une file d’agents, rien qu’à les voir, l’on sentait des gars aguerris prêts à tuer leur mère pour gagner un demi-dollar.

    La pièce centrale était plongée dans le noir. Nuit sans lune, ciel nuageux sans étoiles, les équipes de la Cia étaient intervenues, tous les lampadaires de la rue étaient éteints. Le Chef appuya sur un interrupteur. Nous nous postâmes devant le plus grand des murs. Il n’y avait rien à voir. Molossito grogna faiblement.

    Nous attendîmes près d’un quart d’heure avant de percevoir un bruit très faible. D’abord des frôlements incessants, peu à peu ils se transformèrent en un léger tambourinement, il devint bientôt évident que des milliers de personnes étaient en train de marcher. Au centre du mur une tâche noire se forma. Lentement elle ne cessait de grandir.

    Maintenant elle recouvrait le mur, bientôt nous pûmes discerner les individus, visages inexpressifs, disposés en lignes, marchant à grand pas vers nous.

    Le Chef alluma un Coronado :

             _ Manifestement ces cocos ne viennent pas pour nous souhaiter la bonne année, pour ceux qui n’auraient pas compris, nous ne sommes pas en train de regarder un film, ils viennent pour nous tuer, que personne ne tire avant que je n’aie relâché un panache de fumée blanche !

    J’ignore comment le Chef s’y prit, mais une demi-heure plus tard, un large triangle blanc s’échappa du Coronado, il ressemblait à la calotte blanche des neiges éternelles qui coiffent le sommet du Kilimandjaro.

    Le premier rang était tout près de nous, quatre à cinq mètres, nous fîmes feu sans hésiter, ils tombèrent sous nos balles, phénomène étrange ils s’affalaient à terre et disparaissaient aussitôt remplacés par un nouveau rang, leurs corps s’évanouissaient oui, mais pas leur sang qui coulait sur le plancher de notre salle. Au bout d’une heure nous pataugions dans des ruisseaux de sang, Molossa et Molossito s’étaient régalés à laper ce sang frais et chaud, sans doute leur âme entrait-elle en communion avec le passé préhistorique des meutes de loups qui mordaient à pleines dents dans les chairs du dinosaure qu’ils avaient réussi à tuer… Sommes-nous aussi porteurs dans nos gènes de la mémoire de nos luttes archéolithiques que notre espèce avaient dû mener pour anéantir les araignées géantes dont nous étions les proies préférées…

    Faut avouer que question armement les ricains assuraient. Nos rafalos n’avaient pas le temps de devenir brûlants que déjà une unité logistique les remplaçait et nous fournissait munitions à foison. Par contre ils n’avaient pas pensé à tout, le sang nous montait aux genoux, des bottes fourrées nous auraient été fort utiles, Doriane et Loriane qui au début avaient pris les choses du bon côté, elles s’amusaient  à tremper leurs doigts dans le sang pour souligner d’un rouge à lèvre écarlate leurs lèvres pulpeuses, commençaient à fatiguer.

    Le combat ne cessa pas faute de combattant, le torrent de sang devint si haut et si puissant que nous dûmes refluer devant son écoulement…

    85

    Nous avions regagné le local. Doriane et Loriane exténuées par les émotions s’étaient endormies tenant Molossito et Molosa entre leurs bras. Le Chef avait allumé un Coronado, on aurait dit qu’il rêvassait. Moi qui le connaissais bien savait qu’il n’en était rien, je ne fus pas surpris lorsqu’il m’interpella vivement :

             _ Agent Chad nous n’avons jamais connu une situation aussi dramatique !

             _ Chef, que vient faire la CIA dans cette affaire ?

             _ Quelle affaire, Agent Chad ?

             _ Celle qui nous préoccupe !

             _ Laquelle ?

    Sur le moment je crus le Chef victime d’un coup de fatigue mais avant de répondre j’eus le bon réflexe, le Chef est infatigable sans quoi il ne serait pas le Chef, je tournai donc sept fois mon intelligence dans mon cerveau, je recommande d’ailleurs à nos lecteurs qui jugeraient cet épisode de nos aventures totalement loufoque d’agir de même, à condition qu’ils soient en possession des deux ingrédients nécessaires à cette opération, en effet la population terrestre ne se partage-t-elle en deux grands groupes majoritaires ceux qui possèdent une intelligence mais pas de cerveau et ceux qui ont un cerveau mais pas d’intelligence. Seule une minuscule minorité peut se vanter d’être pourvue de ces deux outils indispensables à toute réflexion… mais ne nous égarons pas, nous poursuivrons cette réflexion philosophique sur l’état mental de nos concitoyens une autre fois…

             _ Ainsi Chef vous pensez comme moi, vous pensez que nous courons pour parler comme Jean de La Fontaine, deux lièvres à la fois…

             _ Une évidence Agent Chad, je m’attendais à davantage de pertinence de votre part. Bien sûr d’un côté nos passeurs de murailles qui traversent les murs sans trop savoir pourquoi, si ce n’est pour se livrer à quelques cambriolages de haut-vol qu’ils n’ont même pas eu le temps d’entreprendre… nous les avons probablement tous éradiqués, leurs hommes de main et cette Cheffe que Loriane a prestement et proprement abattue. Comme si une femme pouvait accéder au grade de Chef !

    Le Chef haussa les épaules et alluma un Coronado :

             _ Non Agent Chad, vous connaissez mon instinct, il ne me trompe jamais, Jim Ferguson est certainement très sympathique mais j’ai l’impression qu’il essaie de nous mettre sur le dos l’affaire de cette étrange maison, plus j’y réfléchis, lorsque vous avez été happé par une force inconnue devant la grille d’entrée, tout votre chemin était coordonné par la CIA, le croc-en-jambe, les enfants de l’école et tout le reste n’a été qu’une manipulation de bout en bout, ils nous attendaient, une mise en scène pour nous refiler le bébé de la maison entre les pattes, Agent Chad, cette affaire sent mauvais, je ne présage rien de bon pour les jours qui viennent.

    Evidemment le Chef avait raison. L’avenir nous le prouva.

    A suivre…