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  • CHRONIQUES DE POURPRE 679 : KR'TNT ! 679 : DAMNED / ERNIE VINCENT / LAURENT BLOT / PEANUT BUTTER CONSPIRACY/ CHRISTONE KINGFISH INGRAM / SARAH SCHOOK & THE DISARMERS / VOIDHRA / EQUINE ELVIS

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 679

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    27 / 02 / 2025 

     

    DAMNED / ERNIE VINCENT / LAURENT BLOT

    PEANUT BUTTER CONSPIRACY

    CHRISTONE KINGFISH INGRAM

    SARAH SHOOK AND THE DISARMERS  

    VOIDHRA / EQUINE ELVIS

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 679

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Au bonheur des Damned

    (Part Three) 

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             La formule des Damned était imparable : le beat tribal de Rat Scabies doublé du scuzz-buzz de Brian James et ça partait dans l’instant, avec la soudaine excitation qu’apporte la ligne de speed doublée d’un verre de rhum. Brian James était fier de «New Rose», mais les Damned allaient aussi être les premiers en tout : premier single punk, premier album punk, premier groupe punk à tourner aux États-Unis, premier groupe punk à splitter et à se reformer. Les Damned n’avaient qu’une seule règle : liberté totale. Sur scène, Dave menait le bal des vampires, comme le rappelle Captain : «Dave had demonic presence, I was the chaos factor. Compared to what was around, we were pretty extreme !».

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             Ce que vient confirmer Kieron Tyler avec un excellent book, Smashing It Up - A Decade Of Chaos With The Damned. L’histoire des Damned est bien sûr celle de l’extrémisme. En matière de books des extrêmes, on a aussi ceux de Lias Saoudi (Ten Thousand Apologies: Fat White Family And The Miracle Of Failure), de Moonie (Moon The Loon), d’Al Jourgensen (Ministry: The Lost Gospels According To Al Jourgensen), mais par leur virtuosité à générer du chaos, les Damned battent tous les autres à la course.

             Tyler prend soin de les qualifier d’outsiders dès la première phrase - Si le British punk était un mouvement, c’était an outsider’s movement. The Damned were its outsiders. The outsider’s outsiders - Le ton est donné. La position est claire. Tyler les situe aussi par rapport aux autres tenants de l’aboutissant : «Il y avait the personal politics des Sex Pistols, the serious politics des Clash and the theatre, camp, good fun des Damned.» Les Damned n’avaient absolument rien à voir avec le pâté de pathos punk.

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             L’âme des Damned s’appelle Brian James. La racine des Damned s’appelle The London SS et une petite annonce passée en 1975 dans le Melody Maker par un certain Michael qui cherche un guitariste et un batteur «for band into Stones/Stooges». Le Michael en question n’est autre que Mick Jones. Ça tombe bien, Brian est fan des Stooges, notamment de Fun House - Fun House changed me big time - Au début des années 70, il avait monté Bastard, un trio bien ancré dans les Stooges et les Pretty Things. Brian était pote avec Boss Goodman qui faisait tourner les Pink Fairies. Boss fit jouer Bastard à Ladbroke Grove en 1973. Eh oui, le monde est petit. Brian avait passé 20 mois à Bruxelles avec Bastard, mais ça n’avait pas décollé. Rentré à Crawley, il est tombé sur la petite annonce du Melody Maker.

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    ( London SS )

             Il rencontre donc Mick Jones Tony James - Mick and Tony were like glam rockers in a way - Le lien se fait autour d’une passion commune pour les Stooges et les Dolls. C’est Mick Jones qui baptise le groupe London SS. Ils ont un local près de Paddington Station, à deux pas du local de Bizarre Records, le label indépendant de Larry DeBay, «the latter French enthusiast dont les goûts allaient vers les Flamin’ Groovies, MC5, les Stooges et le Velvet.» Tyler ne mentionne pas encore le nom de Marc Z. qui est aussi à Londres à cette époque. Brian n’aime pas Bernie Rhodes, le manager des London SS. Il le voit comme un vantard, «a second-rate boat thief». Mais ajoute-t-il, Mick et Tony «were enamoured with it».

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             En 1975, Rat chope lui aussi une annonce dans le Melody Maker : «Wild young drummer wanted.» C’est lui, le wild young drummer. Il arrive à la cave de Praed Street, près de Paddington Station pour passer une audition avec Brian, Mick et Tony. Il est frappé de voir la différence entre Mick & Tony qui ont les cheveux longs et des futes en cuir noir, et Brian qui a les cheveux courts avec des épis. Rat arrive avec ses cheveux roux, son vieux manteau, ses Doc Martens et il démolit le drum kit - Smashed the fuck out of it - Brian flashe aussitôt sur Rat - He was the only drummer  to give it anything of anything - C’est Tony James qui baptise Rat : un rat traverse la cave et Tony James l’écrase avec une brique. Comme Rat ressemble au rat, alors on le baptise Rat. En répète, les London SS ne jouent que des covers : «Barracuda» (Standells), «Night Time» (Strangeloves), «Slow Death» (Groovies), «Ramblin’ Rose» (MC5) et «Roadrunner» (Modern Lovers). Brian et Tony ont composé «Portobello Reds». Mais Mick & Tony n’aiment pas le look de Rat et n’en veulent pas pour les London SS. Tant mieux, se dit Brian, je le garde pour moi. Puis Rhodes vire Tony James, et c’est la fin des London SS Mk1. Il y en aura d’autres, avec Matt Dangerfield.

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             Brian flashe aussi sur les Pistols, parce qu’ils jouent des cuts des Stooges. Avec Bastard, Brian reprenait «No Fun» et «Wanna Be Your Dog» - The Pistols looked like mods, with John who was very funny - Pendant ce temps, Rhodes tente de monter un autre coup fumant : Mick Jones + Chrissie Hynde, «a former SEX employee». Tyler ajoute que Chrissie Hynde rentre tout juste de Paris où elle a bossé avec «the New York Dolls-style band the Frenchies», et bizarrement, pas un mot sur Marc Z. Le groupe Jones/Hynde devait s’appeler School Girl’s Underwear. Rhodes copie McLaren en essayent de monter son propre roster, c’est-à-dire son écurie. McLaren tente lui aussi de monter un projet avec Nick Kent et Chrissie Hynde, The Master Of The Backside. Son idée étant qu’en formant une écurie, il allait former un mouvement. Eh oui, ça marche comme ça.

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    ( Masters of the Backside )

             Rat est le batteur des Masters Of The Backside et il propose son pote Ray Burns, futur Captain, comme bassman. En plus du team Hynde/Captain/Rat, il y a deux chanteurs, un blond habillé en blanc, Dave White, et un autre habillé en noir, Dave Zero, futur Dave Vanian. Ils bossent une cover du «Can’t Control Myself» des Troggs. Le projet va durer deux jours. Captain dit qu’en répète, Chrissie, Rat et lui étaient écroulés de rire. Quand McLaren assiste à la répète, il déclare que le projet n’a aucun potentiel commercial. Allez hop, terminé. Pour l’anecdote : McLaren avait amené Nick Kent pour avoir son avis sur les Masters Of The Backside, mais quand il a entendu le nom du groupe, Nick Kent s’est barré.

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             Nick Kent profita aussi de l’occasion pour demander un coup de main à Rat pour son groupe The Subterraneans, et en mai 1975, Rat, Captain et Brian accompagnent Nick Kent sur scène. Brian dit admirer ses articles - I was a fan of his writing - Brian l’admire pour ses textes sur Iggy et Syd Barrett - En plus il apprécie sa compagnie - Un jour, on discutait des Stooges et il m’a dit : ‘You might like this - James Williamson’s jacket. He gave it to me in exchange for a Quaalude. I gave it to Steve Bators in the end - Le blouson sans manches de Williamson est celui qu’il portait lors du seul concert des Stooges à Londres, en juin 1972, au King’s Cross Cinema. Tyler ajoute que Brian le portait lors des premiers concerts des Damned. Symbole aussi totémique, dit Tyler, que la Les Paul blanche de Steve Jones, qui avait appartenu à Sylvain Sylvain - In 1976, the past was never far - Ce sont tous ces petits détails qui plantent un décor.

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             Retour à Paris avec Marc Z et l’Open Market. Enfin ! Tyler établit bien la filiation Nuggets, Lou Reed, Stooges, Groovies et New York Dolls. Un Marc Z qui rencontre McLaren en 1973 au moment où il organise un concert des Dolls à Paris, et qui va assister au set des Pistols à Bultler’s Wharf. Tyler oublie Tyla : il oublie de préciser que Marc Z se trouvait en compagnie de Sean Tyla ce soir-là. Tyler n’avait sans doute pas l’info. Il attaque aussi sec sur le Festival Punk de Mont-de-Marsan. Marc Z voulait Richard Hell comme tête d’affiche et donc le faire venir de New York. Comme Hell venait de quitter les Heartbreakers, Marc Z avait imaginé un groupe nommé The Mirrors, avec Hell au chant, accompagné de Nick Lowe et de Tim Roper, le batteur de Ducks DeLuxe. La projet tombe à l’eau. Marc Z devait aussi avoir les Pistols, mais il laisse tomber l’idée après l’agression de Nick Kent au 100 Club le 15 juin. Conséquence : les Clash qui étaient aussi pressentis annulent, en solidarité avec les Pistols. Il ne reste plus alors que les Damned. Comme les Damned acceptent, ça creuse encore le fossé qui les sépare du clan Pistols/Clash. Pour descendre à Mont-de-Marsan, les groupes voyagent en bus : Nick Lowe, Sean Tyla, Pink Fairies, Roogalator, Count Bishops, Gorillas. Eddie & The Hot Rods sont aussi à l’affiche, mais ils voyagent séparément. À l’origine de tout ça, on retrouve Larry DeBay. Tyler indique qu’en outre les Fairies et Roogalator n’ont pas joué, et que Skakin’ Street et Bijou ont joué lors de cette première édition du Festival Funk de Mont-de-Marsan, en 1976. On retrouve Marc Z un peu plus loin dans le book : après avoir allumé un feu de camp dans sa chambre d’hôtel à Colmar, Rat décide de quitter le groupe et de rentrer au bercail. Mais il n’a pas un rond. Il passe par Paris et déboule chez Marc Z qui l’héberge et qui lui donne de quoi rentrer à Londres. 

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              L’autre âme des Damned, c’est bien sûr Captain. Il est sans doute le plus beau voleur de show de l’histoire du rock. On ne voit que lui sur scène. Dans le bus qui ramenait les groupes du Festival Punk de Mont-de-Marsan en Angleterre, Ray Burns ne s’appelait pas encore Captain. Rat lui avait écrasé un œuf sur la tête. Bien sûr, l’œuf séchait. Assis derrière, Larry Wallis grogna : «Listen, fucking Captain Sensible, you get that fucking egg out of your hair before we get to customs.» Voilà comment naissent les réputations. Après le rat écrasé dans la cave de Paddington, c’est l’œuf écrasé du bus de Mont-de-Marsan. Captain joue aussi avec ses vieux copains de Johnny Moped, qu’on voit parfois en première des Damned.

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             En dehors de ses capacités musicales, Captain est un gros farceur, une sorte d’émule de Moon the Loon. Dans un bus de tournée, il attache les lacets des pompes de Costello ensemble, puis il lui fout des mégots dans la bouche et puis finalement décide de foutre le feu à ses pompes. Plus tard, quand il va quitter les Damned pour entreprendre sa fabuleuse carrière solo, Captain va rivaliser de fantaisie avec Moonie. Il se fait filmer dans le jardin de ses parents avec «the fattest, the meaniest, and ungliest black rabbit of all England.» Et Captain de déclarer : «Je suis exceptionnellement infantile. Je suis dans le business, the music business, where you can be a perpetual schoolboy, you don’t actually have to grow up. Which is mainly why I’m doing it.» Captain va aussi monter un label, Deltic, pour soutenir des groupes qu’il aime bien, Brotherhood Of Lizards de Martin Newell, Johnny Moped, Smalltown Parade, TV Smith, mais Deltic va vite se casser la gueule car tous ces groupes n’ont aucune chance.

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             Jake Riviera est l’autre personnage clé de l’histoire des Damned. Riviera avait vécu en France et managé des Variations. Rentré à Londres, il a fait le roadie pour Chilli Willi & The Red Hot Peppers. Pour Rat, «Jake is the only happening man in London.» Brian l’a aussi repéré, car il a une cassette des Heartbreakers avec Richard Hell. Quand Jake propose de signer les Damned sur Stiff, c’est l’adhésion immédiate. Ils avaient fait une démo avec Chiswick et Roger Armstrong, mais ils préfèrent opter pour le contrat d’un single avec Stiff. Ils reviendront plus tard dans le giron de Chiswick, au moment du troisième album Machine Gun Etiquette. Sur Chiswick il y a aussi The Radiators From Space, Rings, les Gorillas, Motörhead et les Radio Stars, pardonnez du peu. Puis en 1979, Ted Carroll et Roger Armstrong commencent à rééditer des labels américains sur Ace, et assurent ainsi non seulement leur longévité, mais leur postérité. Car Ace est devenu en bientôt 50 ans une institution, enfin aux yeux des amateurs éclairés.    

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             C’est Brian qui décide de baptiser le groupe The Damned. Apparemment, il y aurait deux sources d’inspiration pour ce choix : Les Damnés de Visconti et The Village Of The Damned. Brian se rebaptise Brian James car, dit-il à Rat, il y a pas mal de bons James dans le circuit : «Iggy, Williamson, Hendrix.» Les quatre Damned ont pas mal de goûts communs, Brian, Captain et Rat adorent les Pink Fairies, Brian et Dave vénèrent les Dolls. Brian adule le MC5 et les Stooges. Dave et Brian en pincent aussi pour les garage bands des sixties. Captain vénère Soft Machine. Mais Brian impose sa vision. Dave : «When it started, it was Brian’s band. You’re playing his songs and that was great.» Comme ils ont grandi tous les quatre dans des banlieues (Croydon et Crawley), ils sont bel et bien des outsiders. Leurs premiers enregistrements sont les démos pour Chiswick que finance Roger Armstrong : «I Fall», «See Her Tonite» et «Feel The Pain». Tyler dit que «See Her Tonite» sonne un peu comme le «Jet Boys» des Dolls. Grâce à Nick Kent, Brian a pu écouter le premier album des Ramones paru en avril 1976 et bien sûr l’up-tempo l’influence. En septembre de la même année, les Damned se retrouvent au studio Pathway, à Islington, avec Nick Lowe pour enregistrer «New Rose», avec une cover d’«Help» en B-side. Deux heures pour enregistrer, deux heures pour mixer. Coût total : 46 £ - Since the mod era, no British single had such a drive - Et puis il y a cette phrase d’introduction, «Is she really going on with him», empruntée aux Shangri-Las, produites par Shadow Morton, qui est aussi le producteur du deuxième album des Dolls. Tyler dit encore que le riff de «New Rose» s’inspire de celui de «Personality Crisis». Mais on s’en bat l’œil, Tyler, de tes parentés. Quand «New Rose» est sorti, on l’a tous pris en pleine gueule et personne n’a été chercher les fucking parentés. La presse anglaise s’enflamme à la sortie du single. Coon : «A hit !». Elle ne s’est pas foulée, la Coon. Nick Kent les voit sur scène à ce moment-là et il s’extasie : «The show was the best I’ve heard them so far. They’ll be very, very big.» Les Damned tournent en Angleterre avec les Groovies qui en ont la trouille - They didn’t like us, they didn’t like the audience - C’est vrai que les Groovies se déguisent en Beatles et Brian s’interroge : «Fuck me, where’s ‘Slow Death’ ? Les gens qui venaient nous voir jouer découvraient que les Groovies were going down like a bunch of shit.» Rat est encore plus radical : «Ils ne voulaient vraiment pas nous parler. On montait sur scène and played this show and kicked their arses. The crowd didn’t want the Groovies and booed them off stage.» Les Groovies faisaient tout à l’envers. Franchement, quelle idée de ramener les Beatles en plein punk-rock ! Brian a raison : bunch of shit.   

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             Les Damned passent vite à la vitesse supérieure. Captain se pointe en robe sur scène, il devient «wonderfully lunatic», «an all-purpose looney». Dave travaille son look - the appearance of a ghoul - Il ressemble à «un sexless spectre fom an Isherwood nighmare who’d fallen in hard times in pre-war Berlin.» Rat a le «spike-haired extrovert energy», il arrose ses cymbales de liquide inflammable et fout le feu. Quant à Brian, il a «this guitar-hero-as-the-crazed-rocker persona beautifully tied up.» Les quatre personnages sont assez complets. C’est Jon Savage qui les définit le mieux, dans England’s Dreaming : «The Damned was the Bash Street Kids of punk; their lack of calculation and insistance on high-octane, hell-raising fun meant that their rapide rise was bedevilled by the impossibility of any planning.»

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             Retour à Pathway en 1977 pour enregistrer Damned Damned Damned. Dès «Neat Neat Neat», on sent le souffle. Fantastique tension punkoïde. Modèle du genre. Tous les groupes punk de Londres ont essayé de faire du «Neat Neat Neat» sans jamais y parvenir. Brian y passe l’un de ces solos fuyants dont il a le secret. «Fan Club» est le cut fin des Damned. Pur stand-out de base, et «Born To Kill» va devenir l’autre archétype du punk-rock londonien, bien glissé par Captain et sacrément baratté par ce rat de Rat. C’est le punk turbo-fuselé par excellence, une dynamique de la dynamite. Brian y pulse sa purée à jets continus. Imparable ! En B se nichent les autres merveilles, à commencer par «New Rose», dont on ne dira jamais assez de bien, et le fantastique hommage aux Stooges : «I Feel Alright» - Outta my mind on a saturday night ! - Rat rappelle que Brian James n’est pas n’importe qui : «Il écoutait du jazz d’avant-garde et il appréciait cette free-form mentality, mais il avait aussi la passion des pop songs de trois minutes. Personne ne jouait comme lui. Il pensait que la musique devait être libre et avoir de l’énergie.» En fait les Damned ne raisonnaient pas en punks, il se voyaient dans la continuité d’une «underground tradition of bands like the Pink Fairies.»

             En 1977, ils tournent avec Marc Bolan qui, contrairement aux gens de sa génération, adorait les punks. Captain : «It worked so well. His crowd liked us and vice versa. He was such a great bloke, always giving us little pep talks in the bus. He took us in his own coach, really swanky.»

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             Puis c’est la première tournée américaine, avec quatre soirs au CBGB, avec les Dead Boys. Point de départ d’un amitié entre Brian et Stiv Bators. Il y a par contre une petite embrouille avec Patti Smith qui leur interdit l’accès aux loges après le concert. Quand ils arrivent sur la Côte Ouest, ils découvrent que Tom Verlaine, qui est bien pote avec Patti Smith, les a virés de l’affiche au Whisky a Go-Go. Captain : «Obviously the word had got to him that we were a bit, um, ha ha. It was pretty mad at the times. Maybe he was right. If you want an easy life, I wouldn’t work with The Damned.» Et Rat d’ajouter : «We were rejected for not being artistic enough.» Pas grave, les Damned vont jouer dans la boutique Bomp de Greg Shaw. De retour à Londres, ils jouent à la Roundhouse - Hurray for the Captain’s Birthday - Captain arrive sur scène en tutu et finit à poil. Brian ne voit aucune objection à ça : «Les Pink Fairies le faisaient aussi, so did Iggy. But I didn’t like the way it was turning into a joke for some people.»

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             Not The Captain’s Birthday Party ?, enregistré en novembre 1977 à la Roundhouse, et paru en 1986, compte parmi les meilleurs albums live de l’histoire du rock. On y trouve en effet une série de blasts vraiment digne de celle de No Sleep Till Hammersmith, notamment cet enchaînement de quatre hits, «So Messed Up», «New Rose», «Feel Alright» et «Born To Kill». Ils prennent «So Messed Up» au haleté maximaliste et ça tourne à la violence pure, c’est même complètement invraisemblable. Pas le temps de souffler, car ce rat de Rat tape «New Rose» dans la foulée, alors Dave le nave hurle à Whitechapel, il vient de rencontrer Mister Hyde, a new rose in town, l’hymne universel que Brian encorbelle sur sa bête à cornes alors que l’air circule sous le tutu de Captain. Hommage aux Stooges avec «Feel Allrigt» et c’est encore plus stoogy que les Stooges car Captain bombarde les cordes de l’Hoffner. Ils sont déjà sur-dimensionnés à l’époque, il faut entendre leur puissance de feu. Ça confine au monstrueux, Captain fait des fariboles sur l’Hoffner et il revient au riff des Stooges. Oui, les Damned twistent avec tous les démons des enfers, ils établissent le règne éternel de la stoogerie sur cette terre et ça repart de plus elle avec «Born To Kill» qui plonge dans un abîme de violence sonique. Brian James crée la sensation. Il produit sur sa bête à cornes des clameurs extraordinaires.

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             Les Damned tournent comme des malades. Captain : «There was a lot of drinking as well. We were drinking a fantastic amount. I don’t know how we managed.» Et Brian d’ajouter : «Good speed. One thing The Damned was never into was heroin. We were probably most sober on stage.» Ils enregistrent un single avec Shel Talmy, «Sick Of Being Sick»/«Stretcher Case Baby». Brian : «Shel was one of our heroes, having done all the great Who stuff and The Kinks.» Shel : «The Damned were the best of the bunch.» Le single vaut aujourd’hui une fortune, entre 500 et 1000 euros. On peut le choper sur une compile, The Stiff Singles 1976-1977. C’est vrai que Shel Talmy veille bien au grain, le Stretcher Case n’est loin des Who, mais ce n’est pas la compo du siècle. Et le «Sick Of Being Sick» n’est pas beau, atrocement mal chanté. Par contre on se re-régale à écouter «New Rose» (perfect, toute l’urgence du punk est là, c’est construit et imbattable, le riff est une idée brillante). Même chose avec «Neat Neat Neat», l’intro du siècle, Captain on bass, il tient bien la pression. Les autres singles sonnent comme des pétards mouillés.

             Et tourne le manège. Stiff leur fout la pression - Where’s the new album ? - Alors pour soulager la pression qui pèse sur lui,  Brian engage un autre guitariste : «I thought that would be the easiest thing, like the MC5 twin-attack thing. I like change.» Il repasse une annonce pour un «Interesting guitarist into Stooges, Damned, MC5.» Auditions. Le choix se porte sur Robert Edmonds vite surnommé Lu, «short for lunatic». Lu découvre que le group est coupé en deux : d’un côté les hooligans, Captain et Rat, et de l’autre les serious ones, Brian et Dave.

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             Allez hop, tout le monde redescend à Mont-de-Marsan pour le deuxième Festival Punk de Marc Z. Dès leur retour en Angleterre, ils entrent en studio avec le batteur de Pink Floyd. Comme Nick Lowe était en tournée avec Rockpile et qu’il n’était pas libre, Brian voulait Syd Barrett comme producteur. Il rêvait de la twisted psychedelia d’Arnold Layne. Or le pauvre Syd était parti en retraite anticipée, et on leur propose Nick Mason à sa place, le batteur du Floyd qui bien sûr ne comprend rien aux Damned. Brian accepte à condition que les tarifs soient raisonnables. Captain dit que le Floyd était devenu «a bucket of shit». Et c’est là que la belle aventure des Damned commence à se désintégrer : Jake Riviera les lâche pour se consacrer à Costello. C’est Dave Robinson qui les manage. Brian ne veut pas de lui : «We ain’t signed to you, we signed to him.» Il ajoute : «Without Jake there, it wasn’t the same for us. And that was it. To me, Jake will always be a wanker.» Captain en rajoute une couche : «I felt betrayed. I’ll never forgive him.»

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             Voilà que sort Music For Pleasure, le deuxième album. Rien qu’avec la pochette, on voyait que ça n’allait pas. C’est l’une des plus foireuses de l’histoire du rock. Les cuts ne valent pas mieux. À cause des tournées incessantes, Brian n’a pas eu le temps de composer. Même avec Lu Edmunds pour beefer le son et se rapprocher du MC5, ça ne fonctionne pas - There was no soul - On ne trouve que trois bons cuts sur cet album fatidique : «Problem Child», captivant et insidieux au possible, «Alone», qui sonne comme un suicide artistique à l’Anglaise, même si on y retrouve le climat de «Feel Alright» et le longitudinal de «Fan Club», et «You Know», vieux groove stoogy bardé de sax. L’idée était certainement de revenir à l’ambiance de Fun House. C’est gonflé, d’autant que Lol Coxhill joue comme un dieu du free. 

             L’album floppe. Ce qui était logique, car le groupe n’avait pas répété et Brian n’avait composé que deux cuts, alors que Stiff mettait la pression - They wanted it tomorrow when I maybe had two new songs - Brian : «It was an experiment that didn’t work.» Rat : «It was supposed to be psychedelic. I think it was pretty dreadful.»

             Ils repartent en tournée en France. Des graves tensions apparaissent dans le groupe : Captain et Rat ne supportent pas les poules de Brian et Dave qui se joignent à la tournée. Comme les Damned cultivent le chaos, arrive ce qui devait arriver : l’un des Damned explose en plein vol :  Rat fout le feu à sa chambre d’hôtel, quitte le groupe et rentre à Londres. Alors Brian repasse une annonce : «The Damned require a great drummer fast.» Seulement deux candidats se présentent : le canadien Jim Walker, qui jouera ensuite dans Public Image, et Jon Moss qui bat le beurre dans London et qui jouera ensuite dans Culture Club. Moss décroche le job.

             Cinq jours avant Noël, Stiff fait un beau cadeau aux Damned : virés ! Dave Robinson dit qu’il a besoin de faire de la place pour le new talent. Et il ajoute cette remarque ignoble : «This is a record company not a museum.» Et il balance un communiqué officiel dans la presse : «Stiff is entering a new phase and The Damned does not come into our category.» C’est d’autant plus dégueulasse que sans les Damned, Stiff n’est rien. Brian répond par le mépris : «We’re a new band and Stiff’s a bit like an old pub rock label.»

             Pour Brian, continuer n’a plus de sens. D’autant que sur scène Captain devient de plus en plus silly et qu’il joue de moins en moins de basse. Brian doit engager un autre guitariste pour jouer les notes de basse pendant que Captain arpente la scène en tutu. Ce groupe n’a plus rien à voir avec le groupe qu’avaient fondé Brian et Rat - Fuck this, I need to change -  Dans les concerts, il ne supporte plus non plus de voir tous les gosses en uniforme punk - It was like the Bay City Rollers. There was a second wave of bands trying to sound like the first wave. They didn’t get it - Brian convoque les trois autres dans le pub qui leur servait de QG pour leur annoncer qu’il arrête les frais. Captain pleure, mais il réussit à surmonter son chagrin. Après l’annonce du break, Brian dit qu’il «felt terrible, afterwards. I jumped in a cab thinking ‘uh I’ve just said goodbye to what’s been my family.»   

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                  C’est donc la fin de la période la plus intéressante des Damned. De son côté, Brian part à l’aventure avec les Lords Of The New Church. Dave, Rat et Captain vont remonter The Doomed avec Lemmy pour un concert, puis les Damned. Comme Brian est parti, Captain passe à la gratte - I wanted to hear punk rock with a psychedelic tinge - Ils n’ont pas un rond et ils vont trouver Dave Robinson chez Stiff pour demander de l’aide. Captain : «He sat there and laughed. Then he told us to fuck off.» Pour s’en sortir, ils essayent de monter des projets : Captain avec King, Rat avec Whitecats et Dave avec The Doctors Of Madness. Mais rien ne marche.

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             En 1978, l’ex-Saints Algy Ward entre dans le groupe. Algy tourne avec les Damned et découvre l’ampleur du chaos : «We trashed the hotel, vodka, some of the backstage rider, duty free and cider, bottles thrown out the window, curtains set on fire, riot police were called, went in nick, released, band sent home.» Ordinary chaos. Puis comme le nom des Damned n’appartient à personne, Dave, Rat, Captain et Algy le récupèrent. «The Doomed are now The Damned», claironne la presse. Le seul label intéressé par les Damned, c’est Chiswick. Retour au point de départ. Roger Armstrong leur propose un «one-off deal for a single». Les Damned ont confiance en Chiswick. Ils se savent pris au sérieux. Pas comme chez Stiff. Mais faut composer des cuts. Alors Captain compose. Boom, «Love Song» !

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             Re-boom ! Machine Gun Etiquette, bourré de clins d’yeux appuyés au MC5. La bravado est intacte. Rat amène le raw power, Captain les mélodies et Dave l’atmosphère. Roger Armstrong finance. Ce troisième album est un véritable coup de maître, d’autant que ça démarre sur un «Love Song» joué ventre à terre, relancé par de spectaculaires it’s okay. C’est l’un des hits les plus jouissifs du siècle passé, une énormité dévastatrice, une pulsation définitive, tout est là, avec un solo à la Wayne Kramer, it’s okay. Grâce aux compos de Captain, les Damned reviennent au devant de la scène anglaise. Le morceau titre sonne aussi comme un hit : c’est la reprise du «Second Time Around» des Whitecats de Rat. C’est ce son foutraque et rapide qui va les distinguer du reste du troupeau bêlant. Encore un violent coup de maître avec un «Melody Lee» traîtreusement introduit par un pianotis, et Dave le nave l’attaque férocement, c’est une fois encore joué ventre à terre et les Damned réinventent la pétaudière. Dans «Antitpope», Captain passe un killer solo flash. On a là le London punk-rock, joué à la vie à la mort. Le festin se poursuit en B, avec l’excellent «Plan 9 Chanel 7», qui se situe dans la veine de «Shot By Both Sides», mais la dimension damnée en plus, une pure giclée de génie dans l’œil du cyclope, c’est bardé de glissés de basse et de subites montées en température. Ça continue avec «Noise Noise Noise», chanté à la cantonade et un Captain qui double Dave au chant. On tombe ensuite sur la huitième merveille du monde, une reprise survoltée de «Looking At You». Dave est sur Rob, il chante ça bien perché et Captain rejoue fidèlement le solo de Brother Wayne. Leur version est exceptionnelle. Chaque fois que les Damned touchent à un classique, ils le font bander. Il n’existe rien d’aussi excitant que cette version. Le seul groupe anglais qui peut jouer le MC5, c’est les Damned, avec un Captain qui s’évapore au bas du manche. Ils font de cette version un monstre poilu qui dégouline de jus, et le pauvre Dave s’accroche à ses lyrics. Dans un tel cataclysme, c’est la seule chose qu’il puisse faire. Plus loin, «Smash It Up» sonne comme un hit dès l’intro. On a là un bon fil mélodique et le uuh-uuh-uuh amène bien le petit refrain. Attention, dans sa réédition de 2004, Ace a ajouté une série de bonus dont certains sont excellents. Avec «Suicide», nos amis les Damned se prennent pour les Pistols. Ils jouent sur le beat de «New York» et Dave fait son Rotten. Quant à «Burglar», c’est le hit secret des Damned. Dave le prend aussi à la Rotten et ils deviennent littéralement les rois du crystal de methedrine. Ils sont tordants. Faut-il les prendre au sérieux ? En tous les cas, ils savent faire les punks. Avec cet exercice de style, Dave frise un peu le ridicule. On trouve aussi dans ces bonus une version intrinsèque d’«I Just Can’t Happy Be Today». Ils proposent un monde complet et nutritif, leur rock est solide, au plan aussi bien interprétatif que composital. Ils rendent ensuite un spectaculaire hommage aux Sweet avec une reprise de «Ballroom Blitz». Infernal ! Pas aussi bon que les reprises des Sirens, mais c’est pas loin. Rat dit qu’Algy a joué très peu de basse sur l’album. Captain a quasiment tout joué. Algy arrivait pété (legless) au studio - He would only drink neat whisky - Roger Armstrong indique toutefois qu’Algy joue sur «Liar» et c’est lui qui gratte l’intro de basse de «Love Song.»

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             Autre chose : initialement il devait y avoir un EP de covers avec Machine Gun Etiquette : «The Sun Ain’t Gonna Shine Anymore» (choix de Dave), «I Can’t Explain» (choix d’Algy), «Arnold Layne» (choix de Captain) et le «Let There Be Drums» de Sandy Nelson (choix de Rat).  Ils ont aussi paraît-il enregistré des covers de «The Snake» (Pink Fairies), «Happy Jack» (Who) et l’«I’m So Glad» de Cream. Aucune trace de tout ça pour l’instant.  

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             Sur scène, Dave devient le Comte Orlok et les autres le surnomment ‘Creature’. Puis ils repartent en tournée américaine. Captain ne supporte pas l’Amérique, «its cars, its finances, its audiences, its lack of reality.» Rat et lui baisent des Américaines qu’ils qualifient de ‘boilers’. Chaos permanent sur scène - Captain behind the drums in his underpants, the guitar flying and the démolition of the drums and Algy’s bass - Au Whisky a Go Go, Rat frappe un mec d’un coup de gratte en pleine gueule, et comme le publie hue Rat, Captain dit tout le mal qu’il pense de l’Amérique. Alors Algy sort de scène et Rat détruit la batterie. Ce n’est que ça : search & destroy. Chaque soir, Captain insulte les Américains : «Stinking American arsehole shit-cunts.» Puis il pisse sur le bord de la scène alors que Rat lance «Neat Neat Neat». Et Captain finit à poil pour attaquer une cover sauvage de «No Fun». C’est là qu’il prend une chaise en pleine gueule et qu’il se retrouve à l’hosto. Algy résume tout le bordel des Damned : «Captain sort de scène, revient à poil et pisse un coup. Scabies descend dans le public pour frapper un mec. Écœuré, Dave sort de scène and I was ‘fuck this’ and do a bass solo.» Rat rappelle qu’il y avait «a lot of drinking and drug taking at the time. Cocaine. We’d be doing lines before breakfast.» Il résume tout ainsi : «We were animals.» Quand une shoote éclate entre Algy et Rat, the drum roadie ceinture Algy pendant que Rat le défonce à coups de poings. Puis le fossé se creuse entre Algy et le groupe. Le jour de l’an 1980, Algy reçoit un coup de fil du manager Doug Smith : viré. Algy le vit très mal. Rat apparaît de plus en plus comme un personnage pas très sympathique. C’est le moins qu’on puisse dire.

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    (Paul Gray à gauche)

             Tyler rappelle que les Damned ne socialisent pas ensemble. Chacun vit dans son coin. Si Rat a viré Algy, c’est parce qu’il veut Paul Gray, le bassman d’Eddie & The Hot Rods. Ils se mettent tous à écouter les Doors, Nuggets et les compiles Pebbles.

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             Comme ils ne trouvent pas de producteur et que Shadow Morton n’est pas disponible, alors ils décident de produire eux-même un double album intitulé The Black Album, paru en 1980. On parlait à l’époque d’un clin d’œil aux Beatles du White Album. Ils mettent six mois à l’enregistrer, à Rockfield. C’est Dave qui signe le design de la pochette. Dave et Captain bricolent sur un harmonium et inventent accidentellement un son qui va devenir le fameux goth. Captain en profite pour donner libre cours à l’une de ses passions : le prog. Eh oui ! Les punk-rockers avaient réussi à chasser le prog par la porte et ce farceur de Captain le fait revenir par la fenêtre, avec un cut de 17 minutes, «Curtain Call», qui remplit toute la C. Alors attention, il s’agit là d’un étrange album de pop inventive très orchestrée. C’est là que Dave fait ses preuves car il chante la pop dynamique et sur-vitaminée de «Wait For The Blackout» avec une gravité solennelle qui en impose. Captain dit de Dave qu’il est le meilleur chanteur d’Angleterre, et quand on sait que Captain a le bec fin, on prend sa déclaration pour argent comptant. Encore de la grande pop avec un «Lively Arts» bien nappé d’orgue. On retrouve les power chords du MC5 dans l’excellent «Drinking About My Baby», sérieux mélange d’énergie, de clap-hands, de basslines hyperactives et de chœurs bon enfant. Avec «Hit And Kiss», on assiste à un puissant retour du punk-rock. Mais c’est en B que se planquent les énormités, à commencer par «Sick Of This And That», véritable coup de génie. Les Damned pulsent loin devant et Dave chante à la pointe de la vitesse punk, poussé par une sorte de souffle. «13th Floor Vendetta» sonne comme du Can dévoré par une basse carnivore, Babaluma over the piranhas. Même chose avec «Therapy» qui sonne comme un hit, grâce à son drive infernal. Paul Gray y fait des ravages et Dave le décadent règne sur l’empire des Damned. En D, on trouve des versions live complètement explosives de «Love Song» - ils sont au pinacle, c’est le pire blast d’Angleterre - puis de «Second Time Around», pulsé à la vie à la mort et chanté à deux voix, suivi de «Smash It Up» 1 & 2. Les Damned planent comme une énorme chauve-souris au dessus de l’Angleterre, c’est noyé de guitares et embarqué par cette fantastique section rythmique de Rat & Paul. S’ensuit une version révolutionnaire de «New Rose». Ils jouent de plus en plus vite. C’est facile de faire de grands sets quand on a des hits. Pour les Damned c’est du gâtö. Il faut aussi écouter leur version spectaculaire de «Pan 9 Chanel 7», Captain y tisse une toile énorme et le groupe ne perd rien de sa dynamique infernale. On entend même Captain jouer des petits coups de Shot. Dans sa réédition de 2005, Ace a rajouté des bonus, et notamment cette belle version live de «White Rabbit», qui au départ est un peu gothique. Ils transforment ça en mad psyché et Captain accentue les accents planants de l’Airplane. On entend Rat battre «I Believe The Impossible» comme plâtre et Captain ré-attaque «There Ain’t No Santa Claus» au Shot de Devoto. Ils repompent bien l’effet. S’ensuit une version explosive de «Looking At You», certainement plus explosive que la version originale. Tu sors de là ahuri.

             Ils ont encore un mal fou à trouver un label qui veuille bien d’eux. Dans l’industrie musicale, on les considère comme ingérables. Personne ne peut leur dire ce qu’ils doivent faire. Quand on leur suggère de répéter sur une barge pour éviter d’aller tout le temps traîner au pub, ils passent leur temps à picoler sur la barge, à vider du produit à laver la vaisselle dans l’eau pour faire des bulles autour d’eux, et finalement, ils mettent le feu à un matelas. La barge prend feu et coule. Une virée digne de celle des Hollywood Brats, n’est-il pas vrai ?

             C’est Captain qui est derrière le titre du Strawberries. Il en a marre de recevoir des glaviots et des canettes de bière sur scène, fed up with the abuse, et il dit que jouer pour ces porcs, «it’s like giving strawberries to pigs» (donner de la confiture aux cochons). Le titre de l’album à venir devait être Strawberries To Pigs, qui fut ramené à Strawberries.

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             Le petit cochon qui orne la pochette de Strawberries semble craindre pour sa vie. On trouve deux hits sur cet album mitigé : «Ignite», joué à la pure énergie des Damned, dans la veine de cette belle explosivité jugulaire à laquelle ils nous ont habitués, et Captain passe l’un de ces killer solos flash qui font sa légende. L’autre hit s’appelle «Dozen Girls». Captain s’amuse à jouer le thème du «Slow Death» des Groovies dans l’intro et ça part en power-pop bien fuselée, soutenue au piano électrique et par une belle ligne de basse traversière. Ils n’ont rien perdu de leur énergie. On retrouve cette pop ambitieuse, garante des institutions et du patrimoine britannique en B, avec «Gun Fury». Plus loin, Captain chante «Life Goes On» et les Damned opèrent un retour au musculeux avec un «Bad Time For Bonzo» sévèrement drummé et chanté au gras du Dave. Mais dans le groupe, des tensions atteignent une sorte de paroxysme et Rat déclenche une bagarre avec Paul Gray. Le groupe a alors un sérieux problème de positionnement : pop, goth ou punk ? D’autant que Captain devient une pop star avec «Happy Talk». Tout s’écroule une fois de plus. Paul Gray et Captain quittent le groupe. Le groupe se recentre autour de Dave et vire non seulement goth, mais aussi commercial.

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             On retrouve donc une nouvelle équipe sur MCA - un label mainstream and safe - avec un nouvel album, Phantasmagoria. Dave arbore alors son look gothique et le groupe met résolument le cap sur la pop. Dave prend «Street Of Dreams» d’une voix grave et une basse aérodynamique nous rappelle le bon temps des Damned. C’est une reprise d’«Eloise» de Paul & Barry Ryan qui sauve l’album. Dave adore les standards des sixties. Cette reprise est bien poundée par ce rat de Rat. On assiste à un beau final, c’est vrai, Dave le nave se saigne la glotte à blanc. On a deux autres belles pièces de pop à la suite, «Is It A Dream» et «Grimly Fiendish». Ils tentent de donner à leur pop un caractère sixties, très Sgt Pepper. Dernier coup de pop capiteuse avec «The Eighth Day». La voix de Dave se reconnaît entre mille.

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             Dernier album de la période pop : Anything. C’est la même équipe que celle de l’album précédent. Le morceau titre sonne pop, mais avec une belle dynamique interne. Ils font une belle reprise des Love, «Alone Again Or», bien spongieuse et drue à la fois, visitée par ce solo de trompette psycho-mariachi qui fit jadis la gloire du cut. Il faut attendre la B pour retrouver un peu de viande, et notamment «Psychomania». Une ligne de basse court comme une folle à travers le cut. C’est orchestré et solide. Avec ce cut de la dernière chance, les Damned retrouvent miraculeusement leur sens de la fulgurance. Mais Rat est mitigé : «The Phantasmagoria and Anything songs didn’t really stretch out.»

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             Et c’est là que Rat et Dave vont se fâcher. Rat a besoin de fric, alors il envisage d’enregistrer le prochain album au Japon. Il a composé des chansons avec Alan Shaw, mais Dave chipote, car pour lui ce ne sont pas des Damned songs. Quand il découvre qu’il ne fait pas partie du deal japonais, Dave rend son tablier - Alright that’s it, I’m out - Et il prévient Rat que s’il trouve l’album dans le commerce, il engagera des poursuites. Rat fait paraître l’album au Japon puis aux États-Unis. Alors Dave le poursuit en justice. C’est la fin d’un vieux partenariat, celui de Rat Scabies et de Dave Vanian. Et pourtant, I’m Alright Jack And The Bean Stalk pourrait bien être l’un des meilleurs albums des Damned. Aucun déchet sur cet album dont Rat co-signe quasiment tous les cuts. Le MC5 aurait très bien pu enregistrer «Shadow To Fall» et «I Need A Life», car les Damned jouent leur son, au pulsatif extrême - Always ready for the reanimation ! - Kris Dollimore fait merveille avec son riffing d’une affolante vélocité de la véracité. Rat bat ça si sec que ça devient génial. Quand on écoute «Shadow To Fall», on est bien obligé d’admettre que cet album est l’un des fleurons du rock anglais. Voilà du grand Vanian dans l’enfer des Damned avec «Testify». C’est proprement hallucinant, car joué au solo de wah dans l’écho des contreforts de la Transylvanie. Back to the MC5 avec «Shut It». Ils vont vite et bien. Encore du bardé de son avec «Tailspin», aussi puissant qu’un hit des Stooges, hanté par des guitares vertigineuses. Dave refait des siennes en B dans «Running Man». Pas de meilleur chanteur de rock an Angleterre. C’est hanté et saturé de son. Encore du Dave expansif, celui qui ravage les contrées, dans «Never Could Believe». Il passe toujours par le bas pour remonter et éclater au-dessus de la mêlée. Dave développe un pathos digne de ceux de Mark Lanegan et Greg Dulli. D’ailleurs le thème mélodique de «Never Could Believe» est celui des Screaming Trees, c’est exactement la même ampleur catégorielle. Chris Dollimore des Godfathers fournit l’hallali final sur sa gratte. Pur jus de Damned Sound avec «My Desire», joué à la punkitude céleste et chanté à l’excédée. Voilà de la Soul punk avec «Heaven Can Take Your Lies», un cut nappé d’orgue en fusion. Ça frise encore une fois le MC5 et le guitariste n’en finit plus de réanimer l’esprit du Detroit Sound.

             Dave, Bryn Merrick et Roman Jugg décident de virer Rat en quittant les Damned pour monter les Phantom Chords. Fin du partnership Dave/Rat qui existe depuis le début. The Damned was over.

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             L’album de Dave Vanian & The Phantom Chords sort sur Big Beat. On y trouve un «Voodoo Doll» insidieux qui nous plonge dans une ambiance convaincante. Dave redevient l’énorme chanteur que l’on sait dès «Screamin’ Kid». Sa voix éclate dans le gloom du doom, et derrière ça pulse à la stand-up. De fantastiques éclairs de guitare zèbrent le boogaloo. Voilà encore un disque ultra joué et bien sûr ultra chanté. Il faut attendre «Fever In My Blood» pour retrouver de la viande fraîche. On sent bien que Dave se complaît dans cette ambiance gothico-gothtica, avec un cut solide comme l’acier, bien tendu, monté sur un tempo suspensif, un cut véritablement étrange, hanté par le gros beat de l’homme des cavernes. Avec «Frenzy», Dave se met littéralement en colère. Il transpose le son des Damned dans la dynamique du rockab. Quelle violence ! Il tape aussi dans le vieux «Jezebel» de Gene - A devil was born/ Without a pair of horns/ It was you - On a toujours adoré ce radicalisme minimaliste des paroles de Jezebel. Et Dave enfourche «Tonight We Ride» comme s’il grimpait sur une moto. Puis on croit qu’ils vont plagier «New Rose» avec «Chase The Wild Wind», mais par chance, ça vire pop. Ouf ! Ils n’auraient tout de même pas osé.

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             The Damned was over ? Non, The Damned n’est pas complètement over. Le groupe renaît de ses cendres en 1989 : le line-up original se reforme pour une série de farewell gigs. Pendant une tournée américaine, l’irréparable se produit : sur scène, à Washington, Captain présente «New Rose» : «This one’s written by Guns N’ Roses.» (Les Guns ont en fait une cover). Furieux, Brian jette sa gratte au sol et quitte la scène. The Final Damnation documente cette période : concert filmé au Town & Country Club en 1988. On en reparle dans un Part Four.

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             Captain revient jouer dans les Damned avec Dave, Patricia Morrison, Pinch et Monty Oxymorron. Et pouf, c’est reparti comme aux plus beaux jours, avec Grave Disorder sur lequel se trouve une belle série de blasts. À commencer par «Looking For Action» - You want some action baby yeah - Explosion garantie et si Captain part en vrille, c’est bien sûr en vrille définitive. Encore du blast avec «Amen», back to the Damned sound, Dave attaque toujours au crépuscule - This is my house/ Please come on in - Encore une rasade de blast avec «Neverland», Captain y refait son MC5. On trouve aussi du big sound dans d’autres cuts comme le «Democracy» qui ouvre le bal. Les Damned font de la politique - Cause revolution changes nothing/ And voting changes ever less - Puis ils se foutent de la gueule du web dans «Song.com» - Gotta hit the sites ! - Ils sont morts de rire devant ce désastre de la modernité - Surfin’/ Fire my imagination/ Russian porn or new playstation - Et ça valse dans les décors - Surfin’ all my life - Quelle élégance, baby. Les Damned re-déploient toute leur puissance dans «Thrill Kill» - I’m just killing some time/ It’s a fantasy crime - On assiste à l’envol d’une gigantesque bat de nave - We’re just having some fun/ messin’ around with a gun - C’est bardé de son et littéralement overwhelming. Quand on écoute «She», on repense à la définition de la puissance. Les Damned en sont l’exacte incarnation, avec cette façon qu’ils ont de foncer dans la nuit, et bien entendu, Captain ne peut pas s’empêcher de partir en vrille. On peut dire qu’il est l’héritier direct de Wayne Kramer. Ils bouclent ce fantastique album avec «Beauty And The Beast». Dave entre dans une structure pianistique digne de Jimmy Webb. Ses veines bleues charrient l’écho glacial du temps. Il se dégage du cut un réel parfum de cimetière. Dave est le chantre de la mort froide. 

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             Paru en 2008, So Who’s Paranoid ? grouille de puces. Ça saute dans tous les coins. Et ce dès «A Nation Fit For Heroes», joli brin de power pop damnée pour l’éternité et visitée par une belle bassline de notes rebondies signée Stuart West. Captain y prend un vieux solo de wah évangélique qui nettoie bien les bronches. Dans «Under The Wheels», Captain s’amuse à jouer le riff de «Little Johnny Jewel». Avec «Shallow Diamonds», les Damned sonnent un peu comme des power-poppers MTV. Ils frôlent le ridicule, même si Captain évoque le martyre de l’Afrique martyre. Il lance en effet une diatribe contre les diamants d’Afrique qui rendent les pauvres encore plus pauvres. C’est en B que se trouve la vraie viande, avec «A Danger To Yourself», solide, bien monté au beat. On retrouve cette élégante énergie et cette ampleur qui leur vont si bien. C’est même le son du MC5, avec des tagadas de clap-hands dans le power-grind. Voilà la patte des Damned : compo solide, musculeuse et ardente, chantée au mieux des possibilités. Encore du son des Damned avec «Maid For Pleasure». Dave chante ça d’une voix grave de vautour, voilà encore une horreur pop, dense et terrible à la fois. C’est littéralement bombardé. Ça continue avec l’excellent «Perfect Sunday», très pop-rock, très guitare, très Dave au chant, très beat soutenu, très effervescent, très Damned, en fait. On sent la puissance monter sous la peau luisante du cut. Et comme l’indique Alex Ogg dans ses notes de pochette, «Nature’s Dark Passion» sonne comme du Scott Walker. Encore de l’admirable pop avec «Little Miss Disaster», jouée à l’énergie dévastatrice, ultra-visitée par les solos limpides du grand Captain. Les Damned savent allier la puissance à la mélodie et c’est ce qui les distingue du commun des mortels. On tombe ensuite nez à nez avec «Just Hangin’», pur psychout anglais, puis sur le pot aux roses : «Dark Asteroid», le plus bel hommage à Syd Barrett qui se puisse concevoir ici bas. Pure merveille de psychedelia mélodique. Captain part en vrille de wah débridée et les Damned retrouvent leurs racines, le Floyd de Syd Barrett, grâce à un groove hypnotique et aux nappes d’orgue spatiales d’Oxymoron. On nage là en plein mythe. Deux des plus grands groupes anglais se retrouvent dans la cinquième dimension. Voilà pourquoi il faut écouter les Damned. Sur la réédition vinyle, on trouve d’autres cuts solides en D, comme «Half Forgotten Memories» ou «Aim To Please», fabuleux brouet de pop-rock, ou encore «Time», hit de garage anglais nappé d’orgue. Cet album est certainement l’un des meilleurs qu’aient enregistré les Damned.

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             Nouvel album des Damned : Evil Spirit, salué par toute la presse anglaise. Album déroutant. Il ne se passe quasiment rien sur l’A. Les Damned bricolent péniblement une sorte de petite pop gothique. Dave Vanian semble gommé par la prod de Visconti. On sent un son plus corseté, nappé d’orgue, une certaine forme d’ambition compositale, mais nous ne sommes pas là pour ça. Sur «We’re So Nice», Captain se fend d’un final éblouissant. Avec «Look Left», les Damned font dans l’océanique. Étrange, pour un gang d’aussi mauvaise réputation. Et dans le cut, Captain se fend de l’un de ces solos mélodiques dont il a le secret. C’est un peu comme  si les Damned étaient devenus adultes. Ils s’enrichissent et s’orchestrent comme des parvenus qui bouffent comme des porcs. Pas facile de se réinventer quand on est coincé dans une image aussi nette que celle des Damned. Et puis soudain, ils se réveillent avec une compo de Captain, «Sonar Deceit». Dave la prend à bras le corps, comme au bon vieux temps. Retour au souffle composital. Ça sonne comme un hit pop. Et tout explose enfin avec «Daily Liar». Back to the big Damned Beat, avec une basse en avant toute. Fabuleuse énergie ! Ils renouent enfin avec leur verve légendaire - Direct me so/ I can find/ My way through - Captain passe un solo de pure virule, il chevauche à nouveau son dragon à rayures et Paul Gray fait des miracles sur sa basse. C’est un vrai coup de génie. Qui saura dire la grandeur des Damned ? Ils surjouent magnifiquement.

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             N’oubliez surtout pas les fameux Best Of concoctés par Roger Armstrong, car on y trouve les B-sides des singles qui ne figurent pas sur les albums, comme par exemple «White Rabit» (bel exemple de gothique merdique) ou «Stranger On The Town», un r’n’b joué à la cloche de bois, avec des cuivres : London Stax ! Ils jerkent aussi les a-priori avec «Disco Man». C’est aussi l’occasion de ré-entendre tous les hits des Damned, «New Rose», «Neat Neat Neat», «Love Song» et de s’offrir un joli tour de manège.

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             Naz Nomad & The Nightmares est un projet parallèle des Damned, monté à l’époque de Fantasmagoria (Dave, Rat, Roman Jugg et Bryn Merrick). Dave porte une perruque blonde et fume à la chaîne - I became this totally obnoxious character, a bit like Sky Saxon - Sur l’album Give Daddy The Knife Cindy, on trouve une belle série de reprises, pur jus de garage sixties. Ils font une fantastique version rampante de l’intouchable «I Can Only Give You Everything». Comme Dave n’a pas écrit les chansons, il les joue comme un acteur joue un rôle, avec un accent américain. Le «Cold Turkey» qui traîne en A n’est hélas pas celui de John Lennon. Autre belle cover, celle du «Kicks» de Paul Revere & The Raiders. C’est joué avec une certaine inspiration et travaillé aux petites guitare volubiles. Autres jolis choix : le «Nobody But Me» de Human Beinz et l’«Action Woman» de Litter. On voit que ces messieurs avaient le bec fin, question garage sixties. En B, Dave le nave passe l’«I Had Too Much To Dream» des Electric Prunes à la casserole gothique. Il n’en fait qu’une bouchée puis ils rendent un hommage pertinent à Kim Fowley avec une fantastique version de «The Trip». Cet album de reprises rassemble toutes les conditions idéales.

    Signé : Cazengler, damé du pion

    Damned. Damned Damned Damned. Stiff 1977

    Damned. Music For Pleasure. Stiff 1977

    Damned. Machine Gun Etiquette. Chiswick Records 1979

    Damned. The Black Album. Chiswick Records 1980

    Damned. Strawberries. Bronze 1982

    Damned. Phantasmagoria. MCA Records 1985

    Damned. Anything. MCA Records 1986

    Damned. Not The Captain’s Birthday Party ? Demon Records 1986

    Damned. I’m Alright Jack And The Bean Stalk. Marble Orchard Recordings 1996

    Damned. Grave Disorder. Nitro Records 2001

    Damned. So Who’s Paranoid ? English Channel 2008

    Naz Nomad & The Nightmares. Give Daddy The Knife Cindy. Big Beat Records 2011

    Dave Vanian & The Phantom Chords. Big Beat Records 1995

    Damned. Evil Ways. Search And Destroy Records 2018

    Damned. The Best Of. Big Beat Records 1987

    Damned. The Stiff Singles 1976-1977. Castle Music 2003

    Kieron Tyler. Smashing It Up - A Decade Of Chaos With The Damned. Omnibus Press 2017

     

    L’avenir du rock

    - Ernie disqual

             L’avenir du rock ne put éviter de répondre favorablement à l’invitation de ses vieux amis. En règle générale, il préfère éviter les fêtes d’anniversaire, mais bon, il faut parfois savoir se résigner. Comme il s’y attendait, il s’agissait d’une grande fête costumée. De nature conceptuelle, l’avenir du rock n’avait pas besoin de se costumer. Un concept reste un concept. Croiser ses vieux amis déguisés en zombies et en vampires ne l’amusa que cinq minutes, pas plus. Déguisés, les gens sont souvent plus vrais que nature. Comme la fête rassemblait un grand nombre de gens, les instigateurs avaient prévu des montagnes de victuailles, ils mirent des tonneaux en perce et des groupes de rock se succédèrent sur la petite scène pour faire danser toute cette viande soûle. Chaque fois qu’un ami bienveillant venait lui remplir son verre, l’avenir du rock attendait le moment opportun pour le vider discrètement dans la plante verte trônant près de son fauteuil. Il n’était pas question d’aller tortiller du cul avec toute cette faune avinée. Les femmes semblaient comme d’usage les plus abîmées. Il ne put cependant éviter les conversations impromptues et devait chaque fois supporter le souffle fétide d’une haleine clochardisée. «Ah les fêtes ne sont plus ce qu’elle étaient», se lamentait l’avenir du rock lorsque, par chance, il se retrouvait seul. Il songeait aux bals mythiques du Paris de l’avant-guerre, notamment au fameux Bal des Quat’z’Arts qui fascinait tant Apollinaire et Henri-Pierre Roché, et où dansaient de belles égéries aux seins nus. Dracula vint le trouver pour lui soumettre une proposition :

             — Tu prendras bien un peu de dope avec moi, avenir du rock ? 

             — Merci bien, amigo, mais je préfère le Dap. 

     

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             L’avenir du rock fait bien sûr référence à Ernie Vincent, the Original Dap King. C’est d’ailleurs le titre de son album de résurrection. Et pas ressuscité par n’importe qui. Par Jimbo Mathus et Matt Patton ! On peut y aller les yeux fermés. L’album sort en plus sur Cornelius Chapel Records, le label du brillant Matt Patton dont on a déjà fait l’éloge maintes fois ici. À la différence d’Auerbach, Matt Patton veille chaque fois à préserver l’intégrité des artistes qu’il accompagne et qu’il produit. Il ne trucide pas l’art des artistes noirs à coups de guitares fuzz et de psychedelia mal embouchée. Matt Patton donne à ses artistes (Paul Wine Jones, Candi Staton, Leo Bud Welch, Bette Smith, Alabama Slim, Drive-By Truckers, Dan Sartain, Tyler Keith, pardonnez du peu) des dynamiques et une fantastique profondeur de son. Il est l’un des producteurs les plus brillants de notre époque.

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             Ernie Vincent s’appelle en réalité Ernie Vincent Williams. C’est un vieux loup de mer de New Orleans qui a bidouillé avec tous les autres vieux loups de mer locaux depuis les années 60, Ernie K-Doe, King Floyd, Tommy Ridgley, Oliver Morgan, Irving Bannister, Eddie Bo et Jessie Hill, pour ne citer que les plus connus. Dans les années 70, il monte les Top Notes et pond le fameux «Dap Walk» - an unhinged masterpiece of wah wah guitar, multiple drum breakdowns, and positive ghetto messages - qui va tant plaire à Gabe Roth. Le nom de Daptone vient de là, du «Dap Walk» d’Ernie Vincent. C’est l’équivalent de «Soul Train».

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             Alors pour Jimbo et Matt, c’est du gâtö. Original Dap King est un fantastique album. Tu entres directement dans l’heavy groove de «Body Shop» et tu n’en sors plus. Il fait un wild groove dont on n’a pas idée. Le vieil Ernie incarne à sa façon tout le power de New Orleans, au moins autant que les Wild Magnolias et Big Chief Monk Boudreaux & The Golden Eagles qu’il accompagna jadis. Authentique coup de génie. Il est vrai qu’à la Nouvelle Orleans, les coups de génie sont d’une grande banalité. Si tu ajoutes aux noms cités plus haut ceux de Betty Harris, des Meters, de Mac Rebennack, de Shirley & Lee, d’Aaron Neville & The Neville Brothers, d’Huey Piano Smith, de Fatsy, de Bobby Marchan et de James Booker, tu comprendras qu’il y a plus de génie à la nouvelle Orleans qu’il n’y a de particules dans ta philosophie, Horatio. Le festin se poursuit avec «Midnight Rendrezvous» et un son fabuleusement duveteux. Matt Patton sait adapter le son à l’artiste, il fait de l’anti-Auerbach, il a compris la philosophie du Black System, il donne du champ au son et du volume aux chœurs de filles. S’ensuit un groove gratté aux meilleures auspices funky, «Possession». Tout sur cet album est travaillé au mieux des possibilités. Ernie Vincent et ses amis proposent une fantastique ré-actualisation du New Orleans Sound. Encore un petit coup de génie avec «Blues Filler». Ernie l’attaque en mode wild trash blues et ça donne un gras double d’une invraisemblable ferveur. Si on le compare à Buddy Guy, c’est pas pour des prunes. T’as aussi des cuts plus classiques, comme «Jealousy», mais avec un sacré fouillé de son. Ça grouille de notes en permanence. Quel melting pot ! Il termine avec «Early Times», un big boogie blues taillé au raw des pâquerettes. Fabuleux son, mais le cut n’a aucune valeur ajoutée. On salue la dévotion de Matt Patton. Il est derrière ce projet. 

    Signé : Cazengler, Ernigaud

    Ernie Vincent Williams. Original Dap King. Cornelius Chapel Records 2023

     

    Tout nouveau tout Blot

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             Il débarque tout seul sur scène. Il s’appelle Laurent Blot. Il se produit en première partie de Kelly Finnigan. Il gratte ses poux. Il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Il rafle vite la mise. Il gratte des poux d’une extrême délicatesse. Il fait de la Soul. Il sait poser sa voix. Il est complètement à l’aise. Il crée son monde.

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     Il tient son rang. Il groove merveilleusement. Il écoute de toute évidence de très bons disques. Il flatte l’intellect du public. Il a tout compris. Il défie les lois de la pesanteur. Il est libre. Il te prend à témoin de sa liberté. Il te montre comment on fait une première partie digne de ce nom. Il gratte comme Curtis Mayfield. Il fait illusion. Il traverse le temps comme un funambule. Il excelle ou il fascine, c’est comme tu veux. Il ne frime pas. Il porte une petite veste et des pompes d’éternel étudiant. Il chante pour que tu l’écoutes. Il a beaucoup de charme. Il est encore très jeune. Il a un sourire d’enfant. Il semble intact. Il cultive son talent. Il échappe définitivement à la médiocrité. Il fait penser à James Hunter. Il pourrait très bien descendre en droite ligne de Merlin l’enchanteur. Il est à cheval sur la soft-pop et la Soul blanche. Il va là où très peu de gens vont.

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    Il nous fait visiter le monde qu’il crée cut après cut. Il fait exactement ce qu’ont fait Lennon et McCartney avant lui, il écrit des belles chansons. Il fait des petits prodiges sur sa guitare. Il ne joue pas fort. Il se contente de groover ses progressions d’accords. Il aime le funk, c’est sûr. Il dispose d’immenses facilités. Il chante la chanson préférée de sa femme. Il rappelle qu’il s’appelle Blot.

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             Alors tu veux en savoir plus. Pour ça, il existe une solution, Tambourine, un album qui date déjà de 2017. Voilà un Tambourine pour le moins étonnant, car pris en sandwich entre deux merveilles Beatlemaniaques : le morceau titre et «Movin’ On», au bout de la B. Blot qu’on va appeler Blow sonne littéralement comme John Lennon, il nous plonge dans l’art supérieur de la pop, avec en prime une certaine nonchalance. Tu retrouves des échos d’«Honey Pie» dans «Movin’ On», le cut pourrait très figurer sur le White Album. Autre surprise de taille : «All I Go» qui sonne comme un hit d’Eric Carmen, à cause de l’All by myself, c’est une véritable merveille de chant insistant. Dommage que tout le balda ne soit pas de ce niveau. Le «Don’t Let Me Down» qui ouvre le bal de la B n’est pas celui des Beatles, mais une gentle pop à la Fred Neil. C’est dire à quel point Laurent Blot se détache du lot. Il a un don pour l’easy pop, comme le montre «A Hold On Me». Il sait se couler dans un mood. On pense bien sûr à Lewis Taylor ! Laurent Blot a le même genre de facilité. T’es vraiment ravi de l’avoir vu sur scène.

    Signé : Cazengler, vraiment pas blot

    Blot. La Maroquinerie. Paris XXe. 4 février 2025

    Blot. Tambourine. Le Pop Club Records 2017

     

     

    Inside the goldmine

    - Les Peanut Butter ne comptent pas pour du beurre

             On l’avait surnommé Peter Batteur pour une raison évidente. Il pouvait aussi prétendre au titre de meilleur batteur local. Il savait tout jouer, le jazz, la bossa, le reggae, le calypso, le blues, mais il avait une passion particulière pour le garage, enfin, son garage. Peter Batteur composait dans sa tête. Il composait du soir au matin. Il composait lorsqu’il réparait les fours de cuisson à la fonderie. Il composait lorsqu’il présidait aux repas de famille. Il composait lorsqu’il prenait sa douche. Il composait lorsqu’il roulait pour nous rejoindre au studio de répète. Il arrivait, montait ses cymbales et s’installait derrière ses fûts pour nous chanter l’un des cuts qu’il venait de composer dans sa tête. Il chantait en s’accompagnant à la batterie. Dah-dah dah dee boing boing bah dee dah dah, boing boing dee dee dah, vazy, tu peux faire ça ? Alors Pépère, comme on le surnommait, grattait une interprétation du dee boing boing bah dee dah dah sur sa Tele. Peter Batteur lui demandait de mettre plus de son, «faut qu’ça dégueule !», alors Pépère foutait sa distorse à fond et ça dégueulait. On repartait à trois sur le dee boing boing bah dee dah dah, et en une heure, le cut tenait debout. Il ne restait plus qu’à pondre des paroles pour la répète suivante. De semaine en semaine, le répertoire évoluait et lorsque le douzième cut fut en place, Peter Batteur proposa d’enregistrer un album, ce que nous fîmes. À la répète suivante, il lança un nouveau cut, dah dee boing boing bah dee dah dah, boing boing dee dee dah, toujours pareil, et on s’y collait tous les trois, et en douze semaines, on eut de quoi enregistrer un deuxième album. Plus Peter Batteur composait, plus il semblait épuisé. Se peau devenait grise. Derrière ses fûts, il n’était plus que l’ombre de lui-même. Il était encore plus cadavérique que Keith Richards en 1972. Nous allâmes le voir une dernière fois à l’hosto. Il n’avait plus que la peau sur les os. Mais il avait des baguettes à la main. En nous voyant entrer dans la chambre, son visage s’éclaira et il se mit à chanter : Dah-dah dee bah dee dah dee boing boing bah dee dah dah, boing boing dee dee dah, vazy, tu peux faire ça ?

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             On reste dans le rock des kindred spirits avec Peanut Butter, mais pas n’importe quel Peanut Butter, the Peanut Butter Conspiracy.

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             Ce n’est pas un hasard, mon petit Balthazar, si la Conspiration du Peanut Butter figure en bonne place dans cette belle antho à Toto qu’est Where The Action Is - Los Angeles Nuggets, un book/compile du Rhino post-Harold Bronson. S’il est un groupe qui incarne bien the famous Californian Hell, c’est bien la Conspiracy. Le groupe des sorti des cendres d’Ashes, le groupe de John Merrill et de Spencer Dryden, futur Peter Batteur de l’Airplane.

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             Dryden se barre et en 1966, Merrill remonte le groupe avec d’autres gens et commence à répéter sérieusement. Pourquoi Peanut Butter Conspiracy ? Merrill se marre. Il a d’autres noms en tête, comme par exemple Candy Store Ptophets. Il décroche un contrat chez Columbia qui lui impose un producteur qu’il n’aime pas trop : Gary Usher ! Trop Beach Boys pour lui. Pourtant, leur premier single, «It’s A Happening Thing» entre dans les charts. Belle fast pop d’époque, bien contrebalancée par un beurre-man opiniâtre et un bassmatic dévoreur de foie. C’est très Frisco Band. 

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             Deux albums sortent sur Columbia, le premier étant The Peanut Butter Conspiracy Is Spreading. Ouverture de balda avec l’«It’s A Happening Thing» déjà salué. Avec «Then Came Back Love», ces mecs ne sont pas loin de Love, ce qui les honore. On croit entendre Arthur Lee chanter cette mélodie désespérante. Puis avec «Twice Is Life», ils repartent du bon pied à la petite pop écarlate, une belle petite pop de corolle offerte. Ces mecs sont extrêmement doués, comme le montre encore «Second Hand Man», tapé au backroom de Peanut Saloon. Ils embarquent «You Can’t Be Found» en mode fast gaga de where are you. Gray Usher met bien en valeur leur puissante musicalité. En ouverture du bal de B, «Don’t You Know» te cueille au menton. Barbara Robison prend le lead, ça devient aussi explosif qu’un hit des Mamas & The Papas. Encore de la fantastique allure avec Barbara et «You Should Know». C’est très Airplane comme ambiance. Ils terminent ce brillant album avec «You Took Too Much», un shoot de folk-rock à la Charlatans. On s’effare de la fantastique santé de cette pop de cacahuète. On comprend mieux pourquoi ils se prennent pour une Conspiration, ils ont recyclé tout le ramdam du Californian Hell. La mise en place de Gary Usher est imbattable, John Merrill dit qu’il a fait venir en studio des gens comme Glen Campbell et James Burton. Barbara Robison amène sa pointe, c’est-à-dire son téton, dans le son, c’est important le téton, ça rend les choses plus organiques, et t’as même un wild solo de bluegrass. The Peanut Butter Conspiracy Is Spreading compte parmi les grands albums de cette époque.

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             La même année paraît The Great Conspiracy. On y trouve deux cuts qui sonnent exactement comme ceux de l’Airplane : «Living Dream» et «Captain Sandwich». Barbara Robison chante bien devant, bien cadrée par les fabuleuses harmonies vocales et le gratté de poux psyché de belle ampleur. Ça joue au gras double volubile. Les Conspirateurs se fondent dans l’aurore boréale d’un Californian Dawn. Avec «Turn On A Friend (To The Good Life)», t’as tout le groove des reins de la Californie. Les Conspirateurs sont des rois de l’harmonie vocale. Leur «Lonely Leaf» est encore furieusement connoté Airplane. Bill Wolff, qui a remplacé Lance Fent, est un prodigieux guitariste, il gratte au picking des Appalaches. On se croirait sur la frontière, au temps des mines de cuivre. Le contraste entre le wild gunshot et la voix de la hippie est étonnant. Par la qualité latérale de son groove, «Too Many Do» évoque Croz. En fait, les Conspirateurs sont plus Frisco que L.A. Ils font encore une belle pop languide avec «Ecstasy», très Airplane et même crépusculaire. Ils amènent «Wonderment» au big tagada Airplanien. Ils jouent des solos à l’élastique, on n’avait encore jamais vu ça.

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             Le troisième Peanut s’appelle For Children Of All Ages, un Challenge de 1969. Ici on aime bien Challenge, le label de Dave Burgess, car c’est lui qui a tenté de relancer Gene Vincent. «Bird Doggin’» est sorti sur ce Challenge avec un brillant killer solo flash. On trouve pas mal de jolies choses sur le Peanut de Challenge, notamment deux Beautiful Songs, «It’s Alright» et «Return Home», donc ça vaut vraiment le coup de faire le détour. Barbara Robison est fantastique, elle illumine bien le Peanut, «It’s Alright» sonne comme un horizon, les Peanut sont capables de réelle puissance mélodique. Elle garde le lead pour «Return Home», elle s’impose avec toute la lourde chaleur de sa féminité. Cet album regorge de power, comme le montre encore «Out In The Cold Again». On les admire pour la qualité du songwriting. Dommage que Barbara ne chante pas l’Out In The Cold Again, car c’est une power-song indubitable qui s’achève en bouquets d’asperges sensitives. Elle revient au lead avec «Try Again», une belle compo de plus et elle dispose de tout le shuffle du monde et de chœurs demented. Les Peanut proposent une heavy pop bien ancrée dans le sol. Big L.A. sound, balayé par des éclairs de puissance. Sur certains cuts, on peut les comparer à l’Airplane, et sur d’autres, à Blood Sweat & Tears, quand c’est Alan Brackett ou Alan Merrill qui chantent. Quand Barbara ne chante pas, le Peanut perd son angle Airplane. C’est vraiment dommage.

    Signé : Cazengler, Peanut Butor

    Peanut Butter Conspiracy. The Peanut Butter Conspiracy Is Spreading. Columbia 1967

    Peanut Butter Conspiracy. The Great Conspiracy. Columbia 1967 

    Peanut Butter Conspiracy. For Children Of All Ages. Challenge 1969

     

     

    Kingfish s’en fiche

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             Tu ne peux pas être mieux placé. Te voilà au pied de la montagne. Car oui, il s’agit bien d’une montagne. Christone Kingfish Ingram bat tous les records de fat, même Leslie West fait pâle figure en comparaison du big black boy. Kingfish est littéralement plus large que haut. C’est une boule. Ses copains d’école n’ont pas dû le rater. Il arrive vêtu de rouge avec une Les Paul noire qui paraît minuscule dans ses grosses pattes. Tout est gros chez lui, le cou, les joues, les bras, les jambes, tout paraît démesuré. Tu l’observes et tu te demandes comment il peut jouer aussi bien avec de si gros doigts. Il joue comme un démon. Mais un démon à rallonges. Tous ses cuts sont interminables. Beaucoup plus interminables que sur le Live In London qu’on a pris soin d’écouter avant, par sécurité. On se méfie tellement du blues électrique démonstratif qu’on s’est juré de ne plus s’y faire prendre. Le Live In London est un brin Chicago Blues, mais quelques cuts sauvent l’album et donc on fait le pari qu’il va rocker le boat comme savent le faire les big black boys. On part du principe suivant : plus c’est gros, plus c’est mieux.

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    Kingfish fait illusion le temps de deux cuts, et puis il revient aux routines du Chicago Blues et là tu commences à crever d’ennui, car à part ses interminables solos, il ne se passe rien. Il ne peut rien se passer. T’es coincé au pied de la montagne. Il a en outre récupéré toutes les mimiques de B.B. King et le diable sait qu’on a pu crever d’ennui avec B.B. King, aussi bien sur disk que sur scène. T’es content quand c’est fini.

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             Le drame du Chicago Blues, c’est le côté m’as-tu-vu. Oh les gars, regardez comme je joue merveilleusement bien. Oh les gars, vous avez vu mon feeling ? Oh les gars, vous avez vu ma virtuosité ? Oh les gars, vous avez capté l’expertise de ma fluidité ? Oh les gars, vous avez pas tout vu ! Oh les gars, vous voulez voir le reste ? Résultat, tu te tapes une belle overdose. Et avec Kingfish, c’est même une fat overdose. Une overdose d’au moins 250 kg. T’en peux plus de le voir plonger dans ses gammes de blues, ces gammes que tu connais par cœur, ça fait tout de même soixante ans que tu les entends, et elles n’ont plus aucun secret pour toi. Kingfish est un prodigieux guitar slinger, mais il n’est ni Peter Green, ni Mike Bloomfield. Ni Albert King. Il sort de l’école classique, celle du Chicago Blues. Bien sûr, le public est ravi. Kingfish est devenu une grosse poissecaille, et les gens viennent de loin pour le voir jouer, but my Gawd, deux heures de Kingfish, c’est trop long. Les Dirty Deep qui sont passés avant s’en sont mieux sortis, ils sont su casser la baraque avec leur boogie cousu de fil blanc. Kingsifh est trop classique, trop prévisible. Ses grimaces sont des vraies grimaces de bluesman black, il vit son truc jusqu’à l’oss, mais il devrait songer à rocker un peu plus le boat, comme le fait Ayron Jones.

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             Pour entrer dans le blues de Kingfish, l’idéal est d’écouter son Live In London paru l’an passé ou l’an d’avant. Kingfish joue gras et c’est beau, t’es hooké dès «She Calls Me Kingfish» et cette grosse attaque au fat blues. Il a de l’ampleur. Il voyage, il a un fondu de note très pur. Ce que vient conforter «Fresh Out», un heavy blues qu’il tape à la dure. Fantastique fat cat ! Alors bien sûr, tous les cuts sont longs et tu n’apprends rien de plus que ce que tu sais déjà. Kingfish n’échappe pas à son destin de bluesman. Tu as déjà entendu mille fois la plupart des cuts et tu cherches parfois en vain ce qui le différencie d’Albert King ou de Gary Clark Jr. Il faut simplement s’armer de patience. Il revient au bord du fleuve avec «Been Here Before». Il sort enfin du Chicago Blues. Le disk 1 reprend des couleurs avec «Something In The Dirt», un joli boogie. Le disk 2 est plus dense, notamment avec «Listen», un puissant balladif d’up-tempo, bien soutenu à l’orgue. On se sent plutôt bien en compagnie de Kingfish. Il claque un solo en forme de purge dans «Rock & Roll» et passe en mode funky motion avec «Not Gonna Lie». Il sait tout faire, Kingfish est un crack du boom-hue et on assiste à un fabuleux départ en solo incendiaire. L’heavy groove de «Midnight Heat» se noie dans le shuffle d’orgue, il faut le voir faire sonner sa voix sur le midnite heat ! Ses vertigineux solos planent comme des vampires au-dessus de la ville. Il joue son «Outside Of This Town» au plein son. Ses solos sont des modèles de vertige, ses virées sont endémiques. Big boogie blues ! Ça dégouline de jus chez Kingfish. Il termine avec «Long Distance Woman», un heavy blues des enfers, tu te régales d’écouter ce dingo de la virtuosité cavalante. Il lâche des rivières de lave et active des développements en pleine surchauffe. Beaucoup plus intéressant sur disk que sur scène.

    Signé : Cazengler, Kingfesse

    Christone Kingfish Ingram. Le 106. Rouen (76). 1er février 2025

    Christone Kingfish Ingram. Live In London. Alligator Records 2023

     

     

    *

                    Dans notre livraison précédente 677 du 13/ 02 / 2025 nous avons fait connaissance avec River Shook, cette fois-ci nous nous pencherons sur son premier enregistrement paru sous le nom de Sarah Shook and the Disarmers. Attention celui-ci avait été précédé d’un EP paru en 2013 sous le nom de Sarah Shook and the Devil. Nous en reparlerons bientôt.

    SIDELONG

    SARAH SHOOK AND THE DISARMERS

    (Not On Label / 2015)

             Lorsque l’on lit The Disarmers l’on a intuitivement envie de traduire par les Désamours, ce qui est une erreur. Encore que River Shook en ses débuts était en désamour avec elle-même.  Les Désarmés s’avère une juste traduction. Que voulez-vous, il est des êtres qui sont désarmés face à leur propre existence. River Shook fut de ceux-là. Elle est née, à Rochester près de New York, dans une famille chrétienne fondamentaliste, une dizaine d’année plus tard ses parents se fixeront  en Caroline du Nord, c’est au ‘’lycée’’ que River Shook trouvera un appel d’air, la possibilité de jouer de la guitare, interdite à la maison… Elle a vingt-cinq ans lorsqu’elle formera The Devil en 2010. Elle est alors serveuse dans un bar, elle mène une vie de bâton de chaise peu en accord avec les préceptes chrétiens parentaux, alcools, désamours, sexualité peu académique…

             Après la séparation de The Devil en 2013 elle forme avec Eric Peterson guitariste  Sarah Shook and the Dirty Hands… Appellation qui revendique une auto-initiation de la main gauche, C’est en 2014 qu’ils sont rejoints pour  Sarah Shook and the Disamers par Jason Hendrick : contrebasse / John Howe Jr : batterie, guitare acoustique / Phil Sullivan : pedal steel guitar.

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             Il existe deux couves de Sidelong. Pour sa réédition en 2017, Bloodshot Records ne s’est pas trop fatigué, ils ont repris la photographie qui illustrait la pochette de l’original, on comprend la démarche, à vendre une chanteuse country autant faire profiter le public de son visage charismatique. Quant au titre ils l’ont relégué tout en haut reprenant le même lettrage mais disposé bêtement à l’horizontale. De même le nom du groupe qu’il fallait aller chercher tout en bas en petits caractères apparaît en bien plus gros au-dessus du titre de l’album. Sur la version première, légèrement disposé en oblique il s’adjugeait un tiers de la surface de la photo, le mot qui n’en compte que trois est découpé en quatre syllabes, comme s’il voulait traduire une certaine désarticulation. Sidelong, c’est ce mot qui en français signifie, à l'écart, oblique que Lawrence Durrell emploie dans Le Quatuor d’Alexandrie pour désigner la position de Constantin Cavafy déambulant dans les rues de la ville fondée par Alexandre Le Grand, signifiant ainsi que le poëte occupait une position métaphysique de guingois, une moitié résidant dans le monde idéel de sa poésie et l’autre engoncée dans  la présence obsédante du monde.  River Shook nous semble occuper une position similaire, une jambe qui cahote dans sa tête, l’autre qui tâtonne sur le chemin rugueux de son existence.

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    Keep the Home Fire Burnin’ : quel entrain ! non ce n’est pas une épouse soumise qui attend le retour d’un beau trappeur dans sa cabane en rondins, d’abord c’est sa copine qui est partie, dans certains milieux trad du country l’on a dû sursauter, elle se plaint si vivement que l’on a des doutes, humeur en dents de scie, genre ce n’est pas de ma faute si je vais voir les autres, le premier pont s’écoule selon les règles de l’art, le second s’écroule dans la rivière, jamais entendu une laps Steel aussi métallique, un peu comme si votre sèche-cheveux se transformait en lance-flammes. Vous côtoyez le manque mais exprimé avec une telle plénitude que vous ne savez pas quoi penser. Les routes de l’incertitude sont les plus dangereuses. The Nail : elle est douée, quelle voix, elle maîtrise certes mais qu’est-ce qu’elle est dure, la guitare déraille un peu, normal c’est que la situation n’est pas simple, difficile de savoir par quel bout la prendre, vous donne-telle une leçon de vie ou un devoir de mort, c’est un peu comme le Tandis que j’agonise de Faulkner mais en beaucoup moins marrant, soyons bien-pensants, l’alcool produit de bons effets sur l’équilibre des  couples,  oui mais quand il coule avec l’âcreté  enivrante de la voix de River Shook, vous n’hésiterez pas à en reprendre un verre.  Bonjour les beaux dégâts. La mauvaise pente vous mène-t-elle droit au cercueil.  Sans nul doute. Mais dehors ou dedans ?

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    Heal Me : Official Music Vidéo. Non ce n’est pas du direct. Quelle comédienne, comme elle joue bien ! Pas du tout, elle se livre, vous pouvez prendre, vous pouvez laisser, elle s’en fout. Je veux bien admettre que les deux premiers morceaux puissent être catalogués comme du country-rock, quoique moi je les qualifierais plutôt de country-rauque, en fait c’est carrément du rock, country-punk si vous y tenez, mais du rock qui plonge ses paroles, entre Help Me et Heal Me la différence n’est pas bien grande, dans les premiers blues ( on le dénomme aussi country-blues), à la différence près que River ne moanne pas, elle hurle, elle vous crache son mal-être à la gueule, elle l’ouvre en grand, elle ne s’égosille pas, sa voix ronronne, pas comme un petit chat perdu mais comme le rugissement un tigre mangeur d’êtres humains, elle n’appelle pas au secours, elle revendique ce qu’elle est. Quelle claque ! Vocal krav-maga. Au plus près de l’ennemi. Qui peut être soi-même. Sidelong : ne parlais-je pas du blues. L’on y est presque. Tout le monde sait que le country peut larmoyer à la manière d’un quatuor de violons mielleux, la guitare et sa ruelle de ferraille viennent y mettre bon ordre, River met un bémol sur ses cordes vocales, parfois elle affine  son chant à la manière d’un stylet qui s’enfonce dans votre dos sans que vous y preniez garde, elle est sur le fil du poignard, prête à risquer de tomber du mauvais côté. Ce ne sera pas très grave, c’est exactement en cet endroit qu’elle se situe.  No Name : pure country, pure western, River joue avec la mythologie de l’Amérique, elle vient d’ailleurs, elle vient d’avant, c’est tout comme, elle vous conte la ballade de la piste sanglante, n’oubliez pas qu’avant elle s’appelait Sarah Shook and the Devil, elle ne renie pas ses origines, le Diable elle connaît très bien, elle l’a déjà rencontré mais elle s’est montrée meilleur tireur que lui, goûtez l’ironie de sa voix, elle parle pour vous, pour chaque fois que vous avez eu envie de tuer quelqu’un mais que vous n’êtes pas passé à l’acte. Comme tout le monde. Comme elle. Sœur de sang. Dwigh Yokaam : Official Video Music. Non ce n’est pas un duo avec Dwigh Yokaam. Elle est seule et la pellicule est toute grise. Desesperate house girl. Country blues pas du tout rose. Double trahison. Sa meuf l’a quittée. Pour un gars. Solide et joyeux. Cerise empoisonnée sur le gâteau de merde, il ne lui reste même pas une goutte de whisky à boire. Garçon l’addiction, s’il vous plaît ! River ne cèle pas les eaux boueuses qu’elle roule. Comme tout un chacun. Mais elle ne s’en cache pas. Elle ne s’en vante pas. N’en tire aucune gloriole. Vous pouvez prendre. Vous pouvez laisser. Là n’est pas son problème. Misery whithout Company : vous prend le monde de haut, le ton ne s’adoucit pas, il se complaît en lui-même, misère de la solitude ce qui n’empêche pas le band de jerker comme s’il était lancé dans une course d’autruches, il sait se taire de temps en temps pour mieux rebondir quatre secondes plus tard, l’occasion pour elle de prophétiser ses promesses d’ivrognes, dont elle est sûre au moment où elle les énonce qu’elles ne seront jamais tenues, ce n’est pas que l’alcool soit le plus fort, juste un concours de circonstances sur lesquelles sa vie s’est bâtie. La faute à personne. Solitary Confinement : la voix plus rude, plus lourde, plus rogue. Le country se la joue encore plus pleurnicheur, mais très vite c’est reparti, l’on se croirait sur une piste de patins à roulettes, la ronde infernale démarre, pour une fois elle dit ses regrets, elle n’a pas su saisir sa chance, ne savait même pas que c’était une chance, ne lui reste plus qu’une solution, boire pour que la chance lui sourie…

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    Nothing Feels Rigth But Doin’ Wrong : Official Music Video. Une de plus.  Sans concession. L’orchestre fait tout ce qu’il peut pour rendre la situation pétillante, il peut beaucoup. Mais on ne l’entend pas. On plonge dans les yeux ternes et sans éclats de River, cela suffit à annuler tout le reste. L’alcool mène la danse, elle ne danse pas, elle mène sa vie. Un beau tatouage de serpent sur un bras. Une hirondelle sur l’autre poignet. Elle incarne les deux en même temps. La reptation et l’envol. Le désir de mort et la partenza en même temps. Elle ne bouge pas. Peut-être tente-t-elle de les apprivoiser pour qu’ils vivent ensemble dans la même cage occipitale. Fuck up : le constat froid et lucide. Il est inutile de vouloir changer. Elle tient les mauvaises cartes dans sa main, c’est Dieu auquel elle ne croit pas qui les lui a refilées. Le problème c’est qu’elle ne croit pas davantage en elle-même. Dans le tourbillon des enchaînements. Les gars envoient des shoots de nostalgie, en vain, elle carbure à la coke et à l’alcool, elle suit ce qui n’est même pas un destin. Elle le dit avec un certain détachement halluciné. Vous ne pouvez que lui donner raison.  Elle vous persuade. Pour elle, c’est évident depuis longtemps. Made it To Mama : aussi puissant qu’un texte de Johnny Cash, toujours cette voix qui dévale les chants de cailloux, les boys se surpassent, une ronde infernale, entre mensonge et tromperie, toutefois se dévoile comme l’espoir d’un chemin. Mauvais sang ne saurait mentir. Road that Leads to You : un titre qui promet une happy end, rien de certain, la route qui mène vers lui tourne surtout dans sa tête, sans doute est-il déjà trop tard, simplement parce qu’il n’a jamais été trop tôt. Peut-on se fuir  soi-même en allant vers un autre… L’espoir fait autant vivre que mourir.

             Déprimant mais je ne connais guère de country autant survolté. Douze titres, douze pépites. Douze balles dans la peau aussi. Le genre d’inoculation qui vous sort de votre léthargie. Tir à balles réelles. A balles rebelles aussi. Without a cause. Quand le seul pré carré à défendre, n’est plus que votre existence. Qui ne vaut pas grand-chose. Mais qui est votre seule façon d’être. Votre prison portative. 

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             Les paroles s’envolent, les choses vues restent : vous avez trois illustrations dans le packaging : un arbre solitaire perdu au milieu du désert, les lecteurs assidus de la Bible reconnaîtront une parfaite image mentale du figuier stérile, le corps mort d’un cheval blanc perdu dans l’immensité d’une terre noire, pensez au roman On achève bien les chevaux d’Horace McCoy, vous souvenant que le cheval auquel le titre semble faire allusion est une jeune femme fatiguée de la vie que le narrateur vient d’abattre… A même le CD musical : la ruine calcinée d’une ancienne cabane. Trois parfaits symboles de l’état d’esprit de River Shook

    *

    Je voulais arrêter-là, présenter le deuxième album la semaine prochaine, je n’ai pas pu, Sidelong est tombé comme un caillou dans la mare stagnante de la country music, le disque suivant sera celui de la consécration.

    Ce n’est pas un hasard si River Shook et ses boys ont été repérés par Bloodshots Records. L’intitulé de leur premier disque, une compilation de seize groupes était en quelque sorte prémonitoire : For a life of Sin : a compilation of insurgent Chicago Country. Tout le programme est contenu en ces quelques mots. Sin sonne comme une référence à l’idéologie du premier country très marquée par les commandements bibliques, évidemment les péchés capitaux sont aussi capiteux.  Mythiquement parlant les insurgents ne sont pas des rebelles, appellation qui politiquement sent trop le drapeau sudiste, le terme ‘’insurgent’’ est connoté très positivement dans l’Histoire Américaine de la Guerre d’Indépendance. Toutefois il ne faut pas en déduire que nous avons affaire à des milieux conservateurs nationalistes américains, mais à des partisans opposés aux valeurs traditionnelles de la Grande Amérique.  Sherry sur l’apple pie, le country de Chicago, ville située au nord, est à considérer comme un pied de nez au country de Nashville. Enfin, dernier zeste de citron amer, le blues ‘’ oh les méchants nègres’’  électrique illustra les riches heures musicales   de Chicago. Bloodshots Records militait pour une alternative country…

    Sous le signe du Serpent. La bête qui vous veut du mal. Depuis le tout début. La Bible ne nous at-elle pas appris qu’au tout début de l’humanité c’est qui tenta la compagne d’Adam. C’est de sa faute si nous avons été chassés du Paradis. Plus tard il fut assimilé au Diable.  Souvenons-nous de Sarah Schook and the Devil. Nous l’avons remarqué sur le bras de River Shook, il parade sur la pochette. Un signe qui ne trompe pas. Un insigne significatif. Un totem que l’on arbore pour signifier que l’on est en guerre avec le monde. Un monstre froid dont il ne faut rien attendre de bon.

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    Sarah Shook : vocals, rhythm guitar, acoustic guitar / Eric Peterson :  electric guitar, baritone guitar, 12-string guitar / John Howie, Jr. : drums, percussion  /  Aaron Oliva : upright bass, electric bass / Phil Sullivan : pedal steel.

    YEARS

    SARAH SHOOK AND THE DISARMERS

    ( BloodShots Records / Avril 2018)

    Good as Gold : le morceau grâce auquel nous avons rencontré River Schook, nous avons dit assez de mal de la Lyrics Video pour ne pas en reparler, par contre nous l’écoutons avec attention, le son n’a plus rien à voir avec celui de Sidelong. L’est plus rond, il coule comme un robinet d’eau un peu trop tiède, l’est adapté à un public plus vaste, question lyrics c’est toujours la vie entrevue comme le passage de la Bérézina. Elle traîne un peu plus sur les syllabes comme si elle s’escrimait à émousser le tranchant du public. Un peu le côté ado qui va mal et qui vous adresse son plus beau sourire. New Ways to Fall : ce deuxième morceau comme le précédent, l’existe une Official Music Video sans grand intérêt, au niveau des lyrics l’est même plus dur, c’est fou comme la lap steel vous fout la patate souriante et la pédale douce, des milliers de gens qui vont mal doivent se reconnaître dans ce style, l’on avoue tout, l’on déplie en grand son mal-être, tout en passant en même temps la pommade amortissante,  tout se doit de glisser comme cette bande de jeunes, principalement des filles, qui fait du skate. Même pas mal. Over You : la voix un peu altérée, pas non plus nostalgique, il ne faut pas exagérer. Idem pour l’orchestration, elle ne s’est pas scotchée à la dopamine, ce coup-ci l’on ne se cache pas que l’échec est un mélodrame, l’on s’avoue vaincue, pas par l’autre, par soi-même qui s’accuse de faiblesse, qui n’y croit plus parce qu’il n’y a jamais cru. Dès le début la petite fleur bleue était fanée avant d’être cueillie. Vivre fatigue. Ma mort viendra et elle aura mes yeux.

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    The Bottle Never Let Me Down : Official Music Video. Glaçante. L’on ne cabriole plus sur un skateboard, l’on est à cent pour cent boarderline, retour à Sidelong, River Shook telle que l’alcool ne la change pas, jouent parfaitement leurs rôles, les Disarmers ne sont pas une machine à tuer mais à s’autodétruire, un mur de briques pour tout décor, River derrière le double rideau de ses cheveux longs, la voix au scalpel sans fioriture, elle ne regarde qu’à l’intérieur d’elle-même, ce qu’elle voit ne la satisfait pas, mais elle s’en contente. Au moins c’est elle. Partin Words : finie la fausse insouciance, se regarder dans le miroir et ne voir que la pauvre merde pour quoi l’on se prend, ce n’est pas que c’est de ma faute c’est que ce qui m’arrive est juste, je ne mérite pas plus, même pas moins, c’est ainsi. L’orchestre colle au vocal comme l’alcool à la bouteille, comme la solitude à l’être humain.  River vous énonce l’horreur, sans fausse honte, le côté déstabilisant de l’amor fati nietzschéen. What it Takes : lorsque vous évoquez Nietzsche le christianisme n’est jamais trop loin, pour une fois River ne nous parle pas d’alcool, mais d’un poison bien plus redoutable, celui de l’idéologie dans laquelle elle a été élevée, les belles promesses à l’aune de qu’elle a vécue et rencontrée, elle n’y croit plus, a-t-elle jamais cru à une vision optimiste de la vie, sa voix se fait davantage caressante car c’est ainsi qu’elle sera la plus acerbe. L’amour n’est-il pas le problème. Les Disarmers aux petits soins. Magnifique. Lesson : le parcours devient philosophique. Comment régler ses propres contradictions. Souffrir de soi-même ne devrait pas être la règle. Pourquoi monologue-t-on à deux lorsque l’on s’adresse à soi-même. De toutes les manières quand on cause à un tiers, c’est toujours la même chose. La résolution de l’équation se résout sans cesse de la même manière. Que cela vous serve de leçon. Les Disarmers n’ont jamais été aussi incisifs. Dammned  I Do, Damned If Idon’t : après deux morceaux théoriques, passons à un exercice pratique. Dans la grande veine du country classique, que l’on fasse ceci ou son contraire, de toutes les manières ça tournera aussi mal. S’amusent comme des fous, la voix comme une balle de pingpong qui rebondit sempiternellement entre la raquette du mal et celle du bien. L’on se marre mais toute action humaine ne se situe-telle pas au-delà du bien et du mal. Ne rajoutons pas un mot de plus, ce serait saper les bases de la Société. Heartache in Hell : autant rester en soi-même. Retour au country-blues. L’on ne peut jamais aller plus loin que soi-même. L’on est un rythme qui stagne en lui-même. Un être humain qui se perd dans l’alcool comme un crotale dans une bouteille de whisky. Afin de boire sans soif jusqu’à plus soif le dégoût et l’acceptation de soi-même. Comme quoi l’alcool ne réchauffe pas toujours. Years : les années du Serpent ne sont pas  prêtes de finir. Elles durent depuis si longtemps. Elles dureront encore plus longtemps. La voix est lasse. Fatiguée d’elle-même à resasser les mêmes erreurs, à ne pas pouvoir stabiliser son existence. L’on n’est pas surpris lorsque la musique s’arrête. A quoi bon s’obstiner.. Mais non encre un effort pour répéter le refrain. Juste le coup de l’étrier pour reprendre le chemin qui ne mène nulle part. Si ce n’est en soi-même.

             Malgré l’orchestration enjouée de seux premiers morceaux Years se révèle être encore plus noir que le précédent. Parfaite illustration de l’éternel retour de l’éternel retour de soi-même.  Les serpents se mordent souvent la queue. River Shook, fille serpent par excellence de la country, Mélusine de chair et de rêve nervalien.

    Damie Chad.

     

    *

    Un petit tour en enfer n’a jamais fait de mal à personne, si vous ne me croyez pas, qui penserait encore aujourd’hui à Dante s’il n’avait pas eu l’idée de cette infernale balade en compagnie de Virgile dans les sept cercles maudits. Peut-être devrais-je arrêter ce blogue qui ne me rapporte rien pour monter un lucratif Village Vacances sur les bords du Styx, une clientèle avide de connaître le paysage du lieu définitif de leur future désincarnation se précipiterait, se moquant comme de leur première couche-culotte des prix prohibitifs que je leur proposerais… Une idée à creuser.

    ONLY COLD WINDS WILL CARRY MY NAME

    VOIDHRA

    (The Crawling Chaos Records / 30 -  01 – 2025)

    Les amateurs de Metal ont intérêt à se ruer sur l’Instagram de  Blasphemator qui a réalisé la couve de ce deuxième album de Voidhra, ils y trouveront leurs futurs autoportraits sous forme de crânes humains. Magnifiquement dessinés. Il fut un temps où les artistes affublaient dans un coin de la toile des portraits de leurs commanditaires un crâne humain pour rappeler aux amateurs d’art que le trépas est notre seul avenir, quelles que soient les passions que l’on ait éprouvées dans notre existence. En ces époques chrétiennes le message était clair. Renoncez à votre orgueil humain. Seul Dieu vous permettra d’atteindre le Paradis… Philosophie toute pascalienne ! De nos jours la mort n’est plus un repoussoir, elle est devenue un attrait. Puisque Dieu est mort, le seul grand ennemi digne de nous, qui rappelons-le fièrement sommes venus à bout du vieux grand-père chenu, reste la Mort. Se confronter Dame Macabra n’est pas facile. Voici donc un moyen idéal de surmonter notre pauvre hérédité congénitale.

    Blasphémator ne se contente pas d’utiliser le blanc et le noir dont il nous révèle que le dommage collatéral infligé à notre vision manichéenne de l’ombre et da la lumière s’avère être l’innommable conjonction du gris. L’est un virtuose de la gouache moulte dédaignée par la majorité des illustrateurs contemporains, il n’a pas oublié ces épaisseurs suspectes qui s’écoulaient  de nos pinceaux d’enfants, la gouache est seule capable de rivaliser avec l’huile. L’on peut parler d’incrustation superfétatoire pour décrire la technique de notre peintre. Il ne creuse pas, il amasse. L’Enfer, que l’on dit souterrain, n’est pas profond, bien au contraire il est une turgescence inamovible de notre imaginaire. Se dresse dans notre ciel intérieur à la manière de la Tour Eiffel visible de tout Paris.

    Blasphémator n’a peur de rien. Le vent qui emporte notre nom, il le représente comme ces brandons noircis de bûches cendreuses à l’agonie dans la cheminée du salon. Vous vous êtes complu à imaginer des scènes de batailles médiévales dont maintenant ne subsistent que les silhouettes démantibulées des tours d’un vieux château fort en ruine. L’oubli de l’âtre pour évoquer l’oubli de l’être…

    Viennent des rives de pierre poudreuse du sud de l’Allemagne, le groupe s’est formé en 2021, Sorrow guides all ul fut leur premier album paru en octobre de la même année. Mais leur inspiration remonte à beaucoup plus loin. Peut-être à l’aube des temps. Héraclitement parlant, très proches de la fin…

    Chris Horseblood : chant, guitare / Olli G. Witchhammer : guitare / Mike Hellbasstard : basse / Jonas Stormblast : batterie.                         

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    Spike of Hades / Flesh Pariah : dès la première seconde le son afflue sur vous, vous êtres pris dans sa chappe jusqu’à ce que l’explosion battériale kaotique vous éparpille aux coins de ce monde sonore qui vient de vous happer, de vous engloutir, le vocal de Cheval de Sang est bien celui d’un déchiré, d’un écorché vif, subjugué par l’ampleur lyrique des guitares foudroyantes, dans quelle nuit sommes-nous, humaine sans nul doute, l’enfer est-il au bout de de notre chair, dans l’interminable forge de l’orgie, que trouvons nous au bout de la mort si ce n’est ce que nous avons été dans la vie. As the Heavens bleed sickness : vous avez cru que le plus terrible se situait dans l’enceinte noire du royaume d’Hades, vous avez fait erreur, le plus horrible se passe sur terre, Dieu déverse sa haine et sa colère sur les hommes, la fournaise infernale se situe sur la croûte terrestre, Dieu – ne l’accusons pas ce serait plutôt notre quatuor qui déclenche un déluge scorbutique, sont pire qu’Attila, les guitares tombent en pluie de feu, la batterie ratiboise tout ce qui dépasse, pas de répit, pas de repos, pourquoi tant de haine envers le genre humain. Sont comme les quatre cavaliers de l’Apocalypse, le spectacle pyrotechnique est grandiose. Only cold wind will carry my name : vents, tempêtes, ouragan méphitique, qui parle-là, l’individu anonyme ou celui qu’il a voulu être, qu’il espère incarner de sa chair désincarnée, le grand Satan, l’Ange tombé du ciel volontairement, ou le minuscule quidam, le n’importe qui sans importance qui se vêt de la posture de l’Ennemi, quel qu’il soit n’est-il pas le grand martyr, le Dieu martyrisé lui-même par son ombre qui lui ressemble tant, est-ce pour cela que le temps suspend son vol, que le rock suspend son dol, que la terre suspend son sol, que le vent détend son licol et que la furie s’amplifie une fois encore, car l’on a toujours besoin d’une fanfare mélodique. Qui brille comme un phare dans la nuit. L’appel du vide :    qu’est-ce que le vide de ce presque silence syllabique, que l’espace dépourvu d’espace, que l’intensité compacte que l’on appelle la mort,  moment suprême d’éternité, est-ce le Dieu, est-ce Satan qui allume les feux de l’enfer, qu’importe il est temps que tout disparaisse, qu’il ne reste plus rien que le vide des yeux de la mort et de Dieu,  la prouesse vocale est telle que l’on se laisse tomber en tournoyant infiniment dans l’abîme qui n’a pas de fond, sans quoi, avec lequel, la mort s’abîmerait et deviendrait la continuité de la vie, sous une autre forme. La queue de la baleine de Jonas tape sur sa batterie  pour nous avertir des contradictions inhérentes à la métaphysique. Damnatio Memoriae Dei : qui parle de cette voix grandiloquente, Dieu se prend-il pour le Diable, endosse-t-il son rôle ou au contraire est-ce le Diable qui maudit la mémoire de Dieu, le plus grave c’est que ça ne soit pas grave, que ce soit l’un ou l’autre quelle différence, qui gagne la guerre la perd tout autant puisque c’est lui qui inflige la défaite à son ennemi, l’on s’arrêterait presque mais non l’important n’est ni la défaite, ni la victoire mais la guerre de l’un contre l’autre, toute destruction n’est-elle pas une création. Quand un principe s’attaque à un autre principe, dans les deux cas c’est le principe qui gagne. Immaterium storm : et maintenant que reste-il au juste, rien que le principe du principe, que l’idée de l’idée qui englobe aussi bien le tout que le rien, l’être que le non-rien, le principe de ce qui a été qui est et qui sera que le principe de ce qui a été, qui n’est pas et qui ne sera pas…  Une boule de chaos où tout est rien, où rien est tout, quelque chose d’immatériel qui demande autant à être qu’à n’être pas… dans ces deux postulations la même chose la séparation de ce qui est de ce qui n’est pas, le vieux sentier parménidien, qui ne peut se séparer de l’ombre de son propre néant, de sa propre apparition, car ces deux ombres se confondent dans leurs propres décombres.

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     Que dire de plus. Que l’ampleur de la musique est à la hauteur du sujet évoqué.

             Grandiose.

    Damie Chad.

     

    *

             Socrate avait-il raison quand il affirmait qu’il savait qu’il ne savait rien. Je n’en sais rien, mais je sais qu’il y a une chose encore pire que de ne rien savoir c’est de croire que l’on sait, peut-être pas tout, mais au moins quelque chose. Je me permets de prendre un exemple que je connais bien, je dirais même que je connais mieux que quiconque sur cette terre : le mien.

             Ainsi quand j’ai vu le titre de cette chanson Equine Elvis, mon cerveau a tout de suite fait les connections nécessaires. Tiens un morceau sur Rising Sun, un des passages de la vie d’Elvis Presley que j’aime bien. Dans les années 66-67, lorsque déçu par les films que lui imposaient le Colonel Parker, il se réfugia entre deux navets dans une vision mythographique de l’Amérique, celle du western. L’avait les moyens Elvis, s’est acheté un ranch, des camions et des chevaux. Son staff le suivit dans cette aventure…

             Avez-vous remarqué que c’est toujours le disque que vous n’avez pas qui vous manque ou qui vous préoccupe sans arrêt. Elvis possédait toute une collection de chevaux, lui en manquait un, un palomino à la robe dorée. A l’évocation de cette robe tout rocker se doit de penser aux enregistrements de Jerry Lee Lewis au Palomino Club (North Hollywood), les rockers les plus facétieux n’oublieront pas de spécifier qu’en Espagne c’est par ce même mot de Palomino, que l’on qualifie, ‘’tiens, que vois-je un palomino’’ les traces marron que l’on retrouve au fond des culottes des très jeunes enfants…  Elvis finit par se procurer le palomino de ses rêves qu’il surnomma Rising Sun. Comme il avait de l’humour il baptisa l’écurie qu’il lui fit construire The House of Rising Sun…

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             Fausse piste ! Je ne savais rien ! Nous quittons donc Elvis et son Soleil Levant. Nous pourrions plus mal tomber puisque nous voici en compagnie de Johnny Horton, et d’un cheval évidemment. Qui ne lui appartient pas.

    COMANCHE (THE BRAVE HORSE)

    JOHNNY HORTON

    (You Tube)

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    L’en existe plusieurs vidéos sur YT : La première fois je suis tombé sur une fête indienne. Un peu marrant de voir passer de jeunes natives costumées avec un cornet de frites à la main… Ce n’est pas le meilleur titre de Johnny Horton. Un vocal mélodramatique (avec son bel et grave baryton naturel  de base notre Johnny non-national n’a pas dû se forcer), une batterie lancinante (c’est fait exprès). La chanson est  un hommage à Comanche le seul survivant de la bataille de Little Big Horn. C’est une manière très américaine, non ces sauvages ne nous ont pas tous tués, de présenter les choses. Beaucoup de chevaux du Septième de Cavalerie de Custer sortirent vivants de la bataille remportée par les Sioux… De fait Comanche fut retrouvé après la bataille, par les secours de l’armée, gravement blessé couché au fond d’une ravine, attendant la mort. Soigné il survécut à ses blessures.

    Maintenant quelle relation avec Elvis ?

    EQUINE ELVIS

    RACHEL BAIMAN

    ( YT / Western AF)

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             Cette chanson est aussi consacrée à Comanche. Rachel Baiman est une jeune compositrice réputée pour ses talents de violoniste, influence bluegrass ne saurait mentir, nous reparlerons bientôt de ses premiers albums, plébiscités dès leur sortie. Sur Instagram on remarque qu’elle est suivie par Two Runner, c’est ce que l’on appelle un hasard kr’tntien. Mais revenons à cette vidéo enregistrée à Nashville, Rachel est au chant et au banjo entourée par Cy Whistanley à la guitare et Steve Haan à la basse. Le morceau se trouve sur son album  A Sides / B Sides.

             Rachel Baiman revendique de créer de la ’’musique anticapitaliste pour les amateurs d’art’’. Il suffit de comparer les paroles de Comanche de Johnny Horton et celle d’ Equine Elvis pour s’en persuader. Cette version interprétée live possède une charge émotionnelle bien plus forte que celle du disque. Il faut dire que les lyrics donnent la parole au cheval qui raconte sa vie. Pas question ici de laisser quelqu’un d’autre prendre la parole à sa place et donner une fausse interprétation de ce qu’il a vécu. Il a traversé la bataille, il a vu le sang et la violence. Il a reçu sept balles. Lui qui était né libre, lui à qui ils ont donné le nom du peuple qu’ils ont massacré, il ne prend pas parti pour les Indiens, il se contente de montrer le génocide, lui qui est né libre et qui n’aspire comme tous les chevaux qu’à brouter en paix l’herbe de la prairie. Belle leçon à ses hommes qui ne pensent qu’à l’argent et qu’à l’or. Il est mort. Vous ne pourrez plus le tuer. Mais il est devenu comme la musique d’Elvis, le symbole du refus d’une civilisation pétrie de brutalité, de la possibilité d’un autre monde…

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             Les hommes n’ont pas compris. Ils en ont fait un héros, qu’il n’a jamais voulu être, il a été cité à l’ordre de la nation, il est devenu une sorte de vétéran du Septième de Cavalerie, depuis un cheval le représente à toutes les grandes manifestations du régiment, il est mort depuis longtemps, vous pouvez encore voir son corps reconstitué dans une vitrine  du musée du Kansas…

             Un texte terriblement anarchisant, qui en outre rabaisse la race humaine en dessous des animaux. Ce qui s’appelle remettre les choses à leur juste place. En cinq strophes un cheval piétine d’une seule ruade les réalisations de cette culture dont nous sommes si fiers.

             I’m the equine Elvis, you can’t kill me !

             Le plus bel hommage qui ait jamais été rendu à Elvis !

    Damie Chad.

     

            

  • CHRONIQUES DE POURPRE 671 : KR'TNT ! 671 :JESUS AND MARY CHAIN / HARLEM GOSPEL TRAVELERS / TINDERSTICKS / DAMNED / BOBBY PATTERSON / SPUNYBOYS / THE RED CLAY STRAYS / THUMOS / EMMANUEL LASCOUX

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    LIVRAISON 671

    A ROCKLIT PRODUCTION

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    26 / 12 / 2024

     

    JESUS AND MARY CHAIN / HARLEM GOSPEL TRAVELERS

    TINDERSTICKS / DAMNED / BOBBY PATTERSON

    SPUNYBOYS / THE RED CLAY STRAYS

    THUMOS / EMMANUEL LASCOUX

     

     

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    DANS LEQUEL NOS LECTEURS SERONT PLONGES

    AU SORTIR D’UNE EPROUVANTE SEMAINE

    DE LIBATIONS EFFRENEES

    AVERTIT SES FIDELES ADMIRATEURS

     QUE LA LIVRAISON 673

    PARAÎTRA LE 08 / 01 /2025

    KEEP ROCKIN’ ! 

     

    Wizards & True Stars

    - The wind cries Mary Chain

    (Part Four)

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             La parution d’une autobio des frères Reid bat tous les records d’inespérette. L’événement revêt un aspect particulièrement significatif, car il s’agit d’un retour aux sources. Tu bois les paroles des frères Reid à la source, comme ce fut le cas avec Iggy dans Total Chaos. Plus de filtres, plus d’intermédiaires, plus d’articles douteux dans la presse, tu t’assois dans ton fauteuil, tu installes ce beau pavé entre tes mains moites et les frères Reid te parlent. Oui, ils te parlent à toi, pauvre pêcheur, et tu vis ça comme une sorte de privilège. L’essence d’une autobio, quand elle est réussie, est la proximité. Ce bon book t’apporte cette certitude. Ce sont leurs vrais mots, leur vraie voix, leur vrai humour. Et comme le premier à te parler de The Jesus & Mary Chain fut Jean-Yves (qui dans ces mid-eighties venait de se faire teindre les cheveux en rouge-orangé), alors ces retrouvailles avec le groupe relèvent du sacré.

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             Never Understood - The Jesus & Mary Chain fait 300 pages. Bonne couve, bon choix de papier, bon équilibre typo, un cahier central d’images, mais pas trop, et l’arme secrète du book est sa conception : il s’agit d’une oral history, Jim et William Reid racontent leur histoire, chacun à leur tour, et ça donne vie au book. D’où ce sentiment de proximité. Les frères McDonald ont utilisé le même procédé pour raconter leur histoire (Now You’re One Of Us - The Incredible Story of Redd Kross). Jim et William n’ont pas le même style. Jim qui est le cadet va plus sur le narratif pur et dur. William préfère la singularité et n’hésite pas à digresser pour éclairer à sa façon. Personnage fascinant. Mais ça on le savait déjà, grâce à ses compos.

             C’est Jim qui rappelle qu’avant toute chose, ils sont frères - We were misfits clinging together, It was us against the world, and it felt like we’d be that way for life - Dès le début, ils se considèrent comme des outsiders, et c’est ce qui va faire leur grandeur, comme elle a fait celles des Stooges et du Velvet. Comme tous les frères, ils passent leur temps à se chamailler, mais jamais quand il s’agissait d’art ou de musique, car ils se passionnaient pour les mêmes choses. William redit tout cela à sa façon, qui est prodigieusement espiègle : «Me and Jim were the elite, at least in our own minds. In the eighties, we used to feel like our joint opinion was the best opinion in the world, and sometimes we were right.» William revient aussi sur l’histoire des crédits des chansons, il rappelle que Jim a composé «Upside Down» et «Never Understand», mais quand dans le backstage, les gens félicitaient Jim pour «Reverence», William attendait que Jim corrige le tir, «but it seemed like he never did», et il met ça sur le compte de la coke - It’s not a drug that makes people inclined to share the credit - Tout n’est pas rose chez les frères Reid, comme d’ailleurs dans la plupart des fratries.

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             Côté roots, les frères Reid nagent dans l’opulence. Petit, William s’éprend pour les Beach Boys - an engine of sunshine - et il ajoute ça : «My mind opened up like a flower when I listened to them, but most of all it was the Beatles I grew up with.» Et dans la même page, il révèle qu’il a 64 balais at the time of writing, et il affirme qu’il va continuer, I’m always gonna make music, mais il se demande qui sera son public, just old men and women ? Eh oui, William, c’est ce qui te pend au nez. À l’Élysée Montmartre, la dernière fois, la moyenne d’âge semblait singulièrement élevée.

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             Anyway, les frères Reid sont tellement pauvres quand ils sont petits qu’ils n’ont même pas de tourne-disques. Alors ils vont chez des voisins écouter les Beatles et Bob Dylan. Puis en 1971, Ma & Da achètent enfin un tourne-disques, et pour Noël, William reçoit son premier cadeau, un single de Cher, «Gypsies Tramps & Thieves», suivi de «Without You» d’Harry Nilsson - Who I still think is a fucking genius - Pour Jim, en 1972-73, «Slade was the best band in the world», mais il dit que William en pinçait plus pour Bowie. William se souvient d’un copain d’école, Robert McArthur que tout le monde haïssait à cause de ses cheveux gras et de son big nose, mais Gawd, McArthur avait the Velvet Underground banana record, «and the first time I saw the cover of the Stooges was through him.» Alors William lui demande «What’s this?», et McArthur lui répond «This is Andy Warhol’s The Velvet Underground» et «This is Iggy and the Stooges.» William avoue qu’il ne comprendra que cinq ou dix ans plus tard, «when I was dancing round my bedroom to these records.» Jim, toujours plus linéaire dans son narratif, récapitule, d’abord les Beatles, puis le glam, puis le punk-rock et enfin le Velvet. Pour Jim, le Velvet banana «is the best record I’ve ever heard in my life and nothing else matters.» Puis il flashe sur Raw Power en 1977. Jim écoute Raw Power dans la piaule, «with dad shouting up the stairs ‘Turn that fucking racket down’.» Les deux frères passent leur temps à parler de musique, surtout de punk-rock. Ils en pincent particulièrement pour Suicide. Plus tard, ils vont en pincer pour les Orange Juice de Glasgow - They made amazing music - William cite aussi les Fire Engines d’Edimbourg - They still made a couple of my favourite records - Il cite «Candyskin» en particulier. Il dit même qu’il va l’emmener sur l’île déserte. Et William étend son cercle : «As well as the Pistols, The Clash and Subway Sect, there were The Velvet Undergound, The Thirteen Floor Elevators, Love and The Seeds.»  

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            Pas étonnant que les petits Jesus soient devenus ce qu’ils sont devenus, un cult band. Des princes du real deal. L’infaillibilité des choses plonge ses racines dans les disques cultes, c’est une évidence qui s’impose une fois de plus. On va retrouver le même processus dans l’autobio de Steve Wynn, comme on l’a retrouvé dans celle des frères McDonald.

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             William rappelle à plusieurs reprises qu’ils étaient très pauvres et que pour écouter les cuts qu’il aimait, il les enregistrait à la radio sur des cassettes - I used to buy boxes of ten awful cassettes for 99p to tape songs off the top 40 at my friend’s house - Il rappelle aussi que ce n’était pas évident de se cultiver à East Kilbride, en banlieue de Glasgow, parce que le seul film qu’on pouvait voir au cinéma d’East Kilbride, c’était Star Wars, «but I didn’t want to see Star Wars.» Un peu plus loin, Jim dit qu’on passait aussi Rambo au cinoche d’East Kilbride, «and it felt like everybody liked it except us.» Ouf, enfin quelqu’un qui trouve tout ça nul ! À la bibliothèque municipale, William découvre Can et Savador Dali. Il flashe aussi sur Lenny Bruce, qu’il trouve aussi rock’n’roll que Marlon Brando, James Dean, Andy Warhol et William Burroughs - I don’t know about you, but I include them all in the rock’n’roll family - Puis il cite Bryon Gysin, précisant au passage qu’il ne sait pas comment se prononce son nom, ne l’ayant jamais entendu prononcé par quiconque. Seulement lu. Puis William poursuit sa réflexion, et à travers tous les exemples qu’il cite, il commence à se dire qu’il n’est pas obligé de bosser à l’usine ou dans un fucking bureau, et il pense même qu’on peut survivre sa vie entière en restant créatif, quel que soit le domaine d’expression - You don’t have to lie in a pit of dispair, which at that point looked to be our only option - Et bien sûr, c’est le punk-rock qui leur montre la voie. Arrivent les Pistols et John Peel - Il passait une vingtaine de cuts que tu ne voudrais jamais ré-entendre et soudain il en passait un that would completely hook you - William ne rate pas une si belle occasion de rappeler le rôle qu’a joué Peely dans l’éducation des kids britanniques.

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             Jim rend un bel hommage à Johnny Rotten - Then he was everything we wanted to be - même si après, il s’est un peu perdu - He’s become a caricature of himself, like Morrisey - Jim ajoute plus loin qu’il n’était pas vraiment fan des Jam - I’m still not, to be honest - Il préfère nettement les Rezillos - That was a much better night out - Il se dit surtout fier d’avoir invité Fay Fife 45 ans plus tard sur l’enregistrement de Glasgow Eyes. Jim adore aussi Subway Sect et What’s The Matter Boy. Et l’un des meilleurs concerts qu’il dit avoir vu fut Buzzcocks at the Glasgow Apollo, à l’automne 1979, avec Joy Division en première partie. En fait, William explique que lui et Jim ont flashé sur Joy Division parce qu’ils étaient «so fucking uncomplicated and yet the whole thing was incredibly powerful.» Même chose avec Public Image - a great drum sound and incredibly simple bass and guitar sounds that made up this huge complex thing - Il trouve Jah Wobble et Keith Levene «talented to the level of genius». Jim dit qu’il est aussi allé voir les Cure à la même époque et qu’il s’est endormi pendant le concert.

             Côté dope, ils démarrent de bonne heure avec les magic mushrooms, surtout Douglas Hart et Jim. Jim rappelle qu’on en trouvait partout à East Kilbride et espère que c’est encore le cas. Jim aime bien se rappeler ses trips avec Douglas. Un jour, ils sont assis et ne se sentent pas bien. Ils commencent à croire qu’ils se sont empoisonnés et soudain, Jim dit à Douglas : «Wow Douglas, you’re glowing.» Jim avoue aussi qu’il a besoin d’être stoned pour approcher les filles, alors il va s’en donner à cœur joie - alcohol and cocaine were lying in wait for me - et de se trouver dans un groupe n’allait rien arranger. Plus loin, Jim évoque l’ecstasy, a lot of good times, mais au bout du compte, «it changed our brain chemistry in a negative way.» William compare les effets des drogues par rapport à la musique : avec le LSD c’est bien pendant quelques minutes, après ça se barre en sucette, avec les magic mushrooms, on tient une heure avant que ça ne se barre aussi en sucette, mais l’ecstasy «is probably the best drug in terms of being complementary to music, in that it just pounds the songs into your fucking brain.» Et William conclut en rappelant que, comme beaucoup de gens à l’époque, ils subissaient des dépressions qui pouvaient durer des semaines entières. Aussi recommande-t-il de ne pas approcher ces machins-là.

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             Saluons le style des deux frères. Jim dit à un moment que Laurence Verfaillie «would become the girlfriend who helped me make the transition from scruffy herbert to international gallery-going sophisticate.» Pas question de se prendre au sérieux. Encore faut-il savoir le dire.

             Quand William annonce à ses parents qu’il va quitter son job de misère pour faire du rock, ses parents poussent des hurlements, surtout que William, toujours un peu provocateur, leur dit : «This man in the bondage trousers has shown me the way.» Comment voulez-vous que des parents ultra pauvres de la banlieue de Glasgow y comprennent quelque chose ?

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             Les frères Reid tiennent bon. Ils vont former un groupe. Jim dit qu’ils sont fans de garage rock and sixties pop, mais il se demande pourquoi avant eux personne n’avait pensé à ça : «to put the most offensive, loud, screaming guitars over the top of the bittersweet melodies of The Shangri-Las.» C’est la grande idée des frères Reid. Jim qualifie l’idée de vision. Et il a raison.

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             La pauvreté. Parlons-en. Quand leur père est viré de son job à l’usine, il reçoit une indemnité. Alors il leur file three hundred quid each, 300 balles à chacun. C’est pas non plus une fortune.  Il pense que ses fils vont s’acheter une mobylette et se payer quelques leçons pour passer leur permis. Pas du tout ! Ils se payent un Portastudio, c’est-à-dire un Tascam quatre pistes rudimentaire. Leur père n’en revient pas. Il est même choqué. Un tape recorder ? Mais c’est avec le Portastudio qu’ils vont démarrer. Ils enregistrent des four-track demos et ce seront les cuts de Psychocandy. William s’achète une Gretsch Tennessean et une «Shin-ei fuzz pedal for a tenner». Et Jim te balance ça qui vaut pour parole d’évangile : «The Gretsch Tennessean, the Shin-ei pedal and the Portastudio from my dad’s redudancy payment, that was our roadmap out of hell.» Évidemment, dad ne va jamais retrouver de boulot. Ce qui va le détruire socialement.

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             Puis les frères Reid voient Kid Creole en couverture du NME - We thought ‘fuck this!’ We are not going to have this, we are going to start a band to get rid of this kind of shite! - Mais ils doivent d’abord se mettre d’accord entre eux. Jim ne voulait pas être le chanteur au départ - We basically had a big fight about who was gonna sing and he (Jim) lost - Ils ont joué à pile ou face - William won. I was the singer - Mais pour Jim, c’est pas évident. Il se dit l’être le plus timide du monde. Il va souvent tourner le dos au public, comme à l’Élysée Montmartre dans les années 80.

             C’est William qui propose le nom du groupe : «Oh what about The Jesus and Mary Chain?», et Jim lui répond : «That’s fucking brillant.» C’est en effet un nom original. Personne ne dira le contraire.

             Bon, le plus gros reste à faire. Ils ont un nom, des cuts, un son. Il faut maintenant trouver tout le reste : un batteur, un bassman, un label, un manager et des concerts. Pas si simple quand on sort d’un HLM de la banlieue de Glasgow. Ils jouent une première fois à Glasgow, branchent leurs guitares - It was just screeching feedback that filled the room - Ils ont quelques reprises, «Ambition» de Subway Sect, «Love Battery» de Buzzcocks, et «Vegetable Man» de Syd Barrett, mais Jim dit que dans le chaos de feedback, il était impossible de les reconnaître. Ils montent sur scène bourrés et n’en finissent plus de se chamailler. Ça fait partie du show. Jim : «Le fait qu’on savait ce qu’on faisait et qu’en même temps, on n’en savait rien, nous a donné the perfectly unsure foundation on which to construct our rickety edifice.» Les fondations du château de cartes ! Fantastique concept. Jim explique qu’à partir de ce premier show au Roebuck jusqu’à celui de Los Angeles 14 ans plus tard, lorsque le groupe s’est désintégré sur scène, il a toujours été défoncé (off my tits) - Or if not fully off my tits, certainly very much under the influence of something - William dit qu’il n’aime pas se mettre en avant et qu’il préfère rester dans l’ombre - Being the frontman wasn’t for me. Jim was born for that role, even though he would never admit it - Pour compléter le staff, t’as Douglas Hart with his two-string bass et Bobby Gillespie standing just behind us with two drums. Voilà les early Mary Chain, nous dit Jim, «stripped down to the bone, it looked great and it sounded great.»

             C’est Alan McGee qui les prend sous son aile. Il leur décroche un contrat avec Warners, mais ils auraient préféré rester sur Rough Trade, «just as it was for the Smiths, but there’s no going back, so fuck it», tranche Jim. Ce sera le bras de fer permanent avec Warners qui trouve que le son des Mary Chain n’est pas très commercial. Un mec du marketing de Warners leur dit : «If there wasn’t feedback, there would be really commercial songs.» Jim et William vont devoir se battre contre l’incompétence des gens de Warners pour s’imposer. Problème aussi avec McGee qui se prend pour McLaren et qui essaye de transformer les Mary Chain en nouveaux Pistols. Jim : «We wanted to be rock’n’roll stars like Marc Bolan and make the best music anyone had ever heard, whereas Alan wanted to be Malcolm McLaren Mk 2.» Jim avoue qu’il s’est un peu pris au jeu en faisant des déclarations fracassantes dans la presse anglaise : «Yeah we’re fantastic and eveybody knows it.» Et William corrige vite le tir en avouant qu’ils n’étaient pas faits pour la célébrité - I think we were meant for some weird outlier version of celebrity where we were too shy for people to actually look at us - Les analyses de William sont toujours d’une extrême finesse. Le mec qui a fait les choix typo du book a d’ailleurs choisi un Garamond pour composer les propos de William, et un Helvetica pour composer ceux de Jim. De la finesse dans la finesse. On avait rarement vu ça dans l’univers éditorial, sauf bien sûr au temps de Mallarmé (la haute voltige du Coup de Dés) et de Dada (l’exercice ultime de la liberté de composer). 

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    ( Le Coup de Dés /brouillon)

             Les Mary Chain se retrouvent en studio à Londres avec l’ex-Vibrator Pat Collier. Quand ils écoutent la cassette de l’enregistrement de Pyschocandy sur un lecteur normal, les frères Reid trouvent que ça sonne comme Dire Straits. Alors William retourne en studio rajouter des couches de feedback, «and it sounded much better». Quand les frères Reid font écouter Psychocandy aux gens de Warners, ceux-ci tirent la gueule, du genre «Is it a joke ?».

             L’obsession de Warners est de les associer avec ce qu’on appelle the world-class producers, les producteurs à la mode. Warners les colle dans les pattes de Stephen Street qui a produit les Smiths. Alors Jim et William poussent des cris : «This guy is trying to turn us into a fucking pub rock band.» Jim dit que ça sonne bien quand ils enregistrent, il va faire un tour au gogues et quand il revient, «all the guitars had been turned down.» Donc fuck it ! Puis Warners essaye de leur faire rencontrer Daniel Lanois et Jim se fend la gueule : «Warners even tried to put us in a room with Daniel Lanois, but that union was never written in the stars.»

             Puis Jim raconte le légendaire gig du Liverpool Poly, lorsqu’ils arrivent complètement défoncés sur scène - On avait tellement bu qu’on avait dû prendre des tonnes de speed pour dessoûler, but the industrial quantity wasn’t our smartest move so we went onstage totally off our tits and played ‘Jesus Fuck’ for about half an hour. It wasn’t music in any recognisable sense, just pure agression, but we were happy with the way it turned out - Jim résume en trois lignes le génie sonique des Mary Chain. Ils traversent aussi la pire des époques, l’époque Thatcher/Reagan/Madonna, où tous les groupes veulent devenir aussi célèbres que U2, mais Jim dit que les Mary Chain étaient déterminés to keep things scaled down and do our thing, et rester aussi éloignés que possible du bordel de «l’arena-friendly template». Ce qui leur vaut des inimitiés. Jim voit approcher un mec qui lui demande s’il fait partie des Mary Chain, Jim croit qu’il vient lui demander un autographe, mais le mec lui colle un pain dans la gueule. Pur jus de haine - The whole situation was started to feel dangerously out of control - C’est l’histoire des Pistols qui se répète. Tout le monde se souvient que Johnny Rotten a été attaqué à coups de machette dans la rue. L’Angleterre est un pays extrêmement dangereux pour les outsiders révolutionnaires, il ne faut jamais l’oublier. Les Mary Chain sont obligés de se faire oublier pendant quelques mois, le temps de calmer le jeu et de se débarrasser du «hooligan element» qui s’était rattaché à leurs concerts. Il leur fallait aussi se débarrasser d’Alan McGee qui capitalisait sur tout ce bordel dans la presse. Jim dit que McGee ne l’a pas trop mal pris. Leur troisième décision est de confier les rênes du groupe à Mick Houghton, et tout va changer, surtout l’ambiance des concerts. Les Mary Chain arrivent à l’heure, jouent leur full show et le public adore leur musique.

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             Pour évoquer l’enregistrement de «Some Candy Talking», William indique que Jim est un excellent bassman - It’s actually him on most of the records - Pour Darklands, William voulait Ian Broudie, mais ce fut Bill Price, qui avait produit Never Mind The Bollocks, un Bill Price génial qui leur dit que ce ne sera pas l’album de Bill Price, mais celui des Mary Chain. Il les met à l’aise et c’est d’autant plus crucial que William fait un peu de parano et se méfie de Warners comme de la peste.

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             Après avoir su résister aux fameux world-class producers que voulait leur imposer Warners, voilà qu’arrive sur le marché, à la fin des années 80, les rois de la noise américaine, Sonic Youth, Pixies et Dinosaur Jr, «all things that weren’t sonically a million miles away from what we’d been doing», s’amuse Jim. Puis c’est Nirvana. Et du coup les Mary Chain sont «à la mode». À la même époque, l’Angleterre voit l’avènement des Smiths et de My Bloody Valentine - I’d nerver really liked the Smiths, but I loved the Valentines, précise Jim le bec fin. Il ajoute que les Valentines ont la même fuzz pedal ! Pour enregistrer Honey’s Dead, les frères Reid investissent leur avance dans un studio, The Drugstore, «which was in Amelia Street in Elephant and Castle.» Jim rend aussi hommage aux Pixies qui ont repris «Head On» - a nice tip of the hat - Il rappelle dans la foulée qu’il s’est toujours méfié des journalistes anglais et qu’il n’a jamais copiné avec eux - The sad fact about music journalists is a lot of them are dicks - D’où le fameux «I Hate Rock’n’Roll» en 1995.

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             Jusqu’au bout, les Mary Chain auront constamment l’impression de nager à contre-courant et à la fin, dit Jim, la marée nous a emportés. Warners va bien sûr les lâcher. Le label n’est pas chaud pour sortir Munki, et leur dit que si quelqu’un d’autre veut le faire, alors ça sera très bien comme ça. Jim : «We were fully out in the cold. No record deal, no management. Happy fucking Christmas.»

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    (House of Blues)

             Et puis bien sûr t’as les shoote légendaires. C’est un classique des fratries : on les retrouve chez Ray et Dave Davies, chez Liam et Noel Gallagher. William se rappelle d’un épisode bien gratiné, avec la poule de Jim, la fameuse Laurence. Ça se passe dans le backstage à Tokyo et Laurence est en train de bouloter, nous dit William, all the macadamia nuts, c’est-à-dire toutes les noix de macadamia. Alors William ramasse le reste et vide le bol. Il dit ne pas se moquer de son accent, mais il la cite quand même : «You took all ze last of zose nuts!» et s’ensuit une grosse shoote entre elle et lui. En représailles, Jim ne lui a plus adressé la parole pendant trois mois. Cet épisode tragi-comique annonçait la fin du groupe. De toute façon, les relations sont compliquées, parce que, nous dit William, on était tout le temps bourrés et il prenait de la coke - And I was stoned, there was no way of us really reaching out to each other. Everything was broken - On sent chez lui une profonde amertume. Parce qu’ils sont issus d’un milieu très pauvre et qu’ils ont détruit tout ce qu’ils avaient réussi à construire. Alors Jim entre dans les détails. William et lui se sont engueulés dans le van, après un show à San Diego. Jim : «William voulait conduire le van alors qu’il était dans un état de cosmic inebriation, et j’ai menacé de le frapper.» Mais c’est Ben Lurie qui le devance. Et ça se termine en bagarre générale dans le van, Ben Lurie saute sur William, alors William saute sur lui, et Jim est en dessous des deux fighters, il prend des coups, un vrai carnage, mais en même temps, c’est assez comique - The shit had totally hit the fan - Les shootes des frères Reid sont assez burlesques. Le lendemain soir, Jim est tellement défoncé sur scène, at the House Of Blues à Los Angeles, qu’il ne sait plus où il est. Soudain, il aperçoit l’ennemi, c’est-à-dire son frangin, «There’s the bastard», pense-t-il, et il se met à l’interpeller : «You cunt! You fucking cunt!». Puis il se retourne et voit tous ces gens qui le regardent. Il réalise soudain qu’il est sur scène et que ces gens sont le  public. C’est le dernier concert des Mary Chain. Le lendemain, William quitte le groupe. 

             William trouve une explication à ce chaos final : «Did I mention that when Jim discovered cocaine he became a fucking asshole?» Les deux frères avaient toujours réussi à se réconcilier, mais avec la coke, c’était devenu impossible. Et pendant un an, Jim n’a pas cessé d’agresser son frère. L’arrivée de Ben Lurie dans les Mary Chain n’a fait qu’aggraver les choses : Lurie était du côté de Jim, et William devait en affronter deux à la fois. En studio, Jim et Laurie prenaient William pour leur larbin. Un coup de guitare par ci par là.

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             Pour Jim, la fin des Mary Chain est un énorme soulagement. Il ne roule pas sur l’or et il vit de loyers qu’il perçoit, il a de quoi se payer ses bières et ses pizzas, c’est le principal. Il monte Freeheat avec Ben Lurie, Nick Sanderson et Romi Mori qui avait bassmatiqué pour le Gun Club. Ils n’ont enregistré qu’un EP et un mini-album, mais ces deux-là valent largement le détour, à commencer par Don’t Worry Be Happy sur lequel se niche l’excellent «Nobody’s Gonna Trip My Wire» riffé à la vie à la mort et délibérément spasmatique ! Pure stoogerie, jouée dans les clameurs et les solos d’alerte rouge. Jim retrouve le chemin des voies impénétrables, les riffs gouttent de gras.

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     Le mini-album Retox est une perle noire, un véritable chef-d’œuvre inconnu. Dès «The Two Of Us», on retrouve le power-drive des Mary Chain, avec de la folie dans le son. S’ensuit un «Facing Up The Facts» effarant d’adversité, joué à l’heavy punk-rock d’Écosse. Ces gens-là sont dans une autre dimension. Jim joue la carte de l’heavyness maximaliste. Les solos de Ben Lurie sont aussi allumés que ceux de William, on rôtit dans le même enfer, c’est absolument dévasté de l’intérieur, on voit vraiment brûler la carcasse de la sidérasse Ils font aussi subir à «Shining On Little Star» les pires sévices de la marychiennerie. C’est claqué dans la douceur d’une chaude journée de violence urbaine, fabuleusement infectueux et ravagé jusqu’à la racine du thème. Jim chante cette horreur gluante avec une délectation morose et sauve l’honneur des Mary Chain. Le jus coule comme du venin le long de son cou.

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             Les frères Reid ne rentrent pas trop dans le détail de leurs vies privées respectives. William avoue cependant avoir essayé d’avoir des relations sentimentales stables. Quand il se lasse des tournées, il devient casanier. Sa poule Rona et lui ont deux chats qui s’appellent Jim et William. Et puis, William sort une fabuleuse anecdote. Il raconte que son père - my da - a pris l’habitude d’écouter le John Peel Show, bien sûr dans l’espoir d’y entendre ses deux fils. Mais il craque sur Billy Bragg et un soir qu’il passe à la téloche, da dit  : «Oh, this is a good one.» Alors les deux frères échangent un regard ahuri. Alors da leur dit : «He’s on John Peel a lot.» Ah bon, t’écoutes John Peel ? «Yeah I listen a couple of times a week to see if he plays youse (sic).»

             Jim en profite pour saluer deux ou trois ennemis, comme Paul Weller qui leur fait un beau doigt d’honneur on les croisant dans le studio de Top Of The Pops, ou encore David Gilmour qui est choqué de voir que William a peint sa Gretsch Tennessean en noir pour une émission de télé. William : «When David Gilmour walked by he was absolutely disgusted.» William voulait que sa gratte matche avec le noir des fringues qu’il portait. C’est pourtant pas difficile à comprendre. Apparemment ce n’est pas à la portée de tout le monde.

             William part s’installer en Californie. Il en a marre de se faire agresser dans le métro par des mecs qui s’en prennent à sa coupe de cheveux : «Oh you’ve got funny hair, why don’t you get your hair cut, mate?». Pour éviter que ça ne tourne mal, William se barre. Il se marie avec Dawn, une Américaine. Il installe sa famille à Redondo Beach, mais ça se passe mal, car les gens du coin n’acceptent pas Dawn qui est tatouée et qui a un anneau dans le pif.

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             Pour s’occuper intelligemment, William enregistre deux albums solo sous le nom de Lazycame : Saturday The Fourteenth et Finbegin. On n’y sent pas vraiment de volonté compositale. On les écoute si et seulement si on considère William comme un génie. Mais tout y est irrémédiablement privé d’avenir. William fait le con et saborde le navire. Il fait son super sucker. On entend à un moment un «Kissaround» gratté au coin du feu chez les hippies. William avait tout simplement décidé de nous courir sur l’haricot. Avec «Tired Of Fucking», il fait claquer ses vieux accords de Stonesy dans un lointain d’absurdité congénitale. Ah quelle belle arnaque ! William devient un génie de la crotte de nez. Il se croit même autorisé à faire du Schönberg.

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             Quant à Finbegin, c’est encore pire. Il gratte à coups d’acou et coupe à travers champs. Il tente un petit retour à l’electrak de la détraque avec «Rokit», et fait du bruitisme à la petite semaine dans «Fornicate». Il cherche les petites ambiances délétères et orientalise sa fucking daube.

             Quand Chevrolet utilise «Happy When It Rains» pour une pub, les frères Reid récupèrent un gros billet. Jim dit qu’il a remboursé son emprunt «and William bought a fancy car. I can’t remember what kind that was either - I’ve never owned a fancy car in my life.» William corrige le tir : «I didn’t buy a car, I bought a house - 6938 Camrose Drive in Hollywood, baby.» William va se taper «two Californian divorces», qui dit-il coûtent cher car il faut refiler à la divorcée la moitié de tout ce qu’on possède, même si le mariage n’a duré que quelques mois. Mais bon, comme il dit, «I had a good time and I’ve got my memories.» Merci William Reid de ces beautiful memories.

             Puis c’est la reformation, avec Phil King et Loz from Ride on drums, qu’on verra sur scène à Paris à deux reprises, puis une troisième fois sans Phil King. Ainsi va la vie.   

    Signé : Cazengler, fort Mary

    William & Jim Reid. Never Understood - The Jesus & Mary Chain. White Rabbit 2024

    Freeheat. Don’t Worry Be Happy. Hall Of Records 2000

    Freeheat. Retox. Outafocus Recordings 2001

    Lazycame. Saturday The Fourteenth. Hot Tam 2000

    Lazycame. Finbegin. Hall Of Records 2001

     

     

    L’avenir du rock

     - Travelers check

    (Part Two)

             Pourtant habitué aux hallucinations, l’avenir du rock n’en revenait pas : il vit descendre de la grande dune une gonzesse sur une moto. Elle portait du cuir noir et un gilet ouvert jusqu’au nombril. Ses grands cheveux rouges flottaient au vent. Elle portait des lunettes d’aviateur et du rouge à lèvres. Depuis des années qu’il errait dans le désert, l’avenir du rock n’aurait jamais imaginé voir arriver un truc pareil. Lawrence d’Arabie, oui, mais une amazone aux cheveux rouges sur une grosse moto, certainement pas ! Elle approcha rapidement et s’arrêta à quelques mètres de l’avenir du rock. Brrrrm bahbahbah... Brrrrm bahbahbah...

             — Elle a un joli bruit votre grosse moto...

             — C’est une Harley, mon chou.

             Brrrrm bahbahbah... Brrrrm bahbahbah...

             Elle parlait d’une voix d’homme, comme Amanda Lear. Bien que dans un piteux état, l’avenir du rock en fut troublé, mais comme il était complètement cramé, il ne pouvait pas rougir. Puis elle ajouta d’une voix encore plus douteuse :

             — 100 la pipe, 200 l’amour !

             — Ça m’aurait intéressé, mais il faut que je trouve une tirette. J’ai pas assez de liquide.

             Elle était très maquillée. L’avenir du rock qui n’y voyait plus très clair s’approcha pour l’examiner de près. Elle avait du poil sur la poitrine.

             — Zêtes pas une gonzesse ?

             — Si tu veux savoir, faut payer, mon chou.

             — Je suis l’avenir du rock, vous pourriez me faire crédit !

             — Harley Grosse Pelle Travelo ne fait pas de crédit, minable !

             — Ça tombe bien ! Je préfère Harlem Gospel Travelers ! Et de loin, pouffiasse !

     

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             On se souvient encore du set des Harlem Gospel Travelers comme si c’était hier. Les voici de nouveau à l’honneur avec un fabuleux troisième album, Rhapsody.

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    Et c’est d’autant plus un événement qu’ils tapent dans l’une des mirifiques compiles Numero Group, Good God! - A Gospel Funk Hymnal. Ifedayo Thomas Gatling s’est réduit de lui-même à Ifedayo, il mène la danse du son le plus moderne de Brooklyn, avec Eli Paperboy à la gratte et Jesse Barnes au bassmatic. Et t’as les chœurs d’anges du paradis, c’est-à-dire George Marage et Dennis Keith Bailey III. Choc esthétique dès «We Don’t Love Enough», une cover des Triumphs qu’on retrouve sur la compile  Good God!. On reste dans le génie éblouissant avec «Ever Since», un autre fabuleux shakedown de power Soul. Black Power ! Avec du Gospel batch in the mood. Ifedayo est un allumeur de première catégorie, un artiste fondamental, il dispose d’une voix colorée et d’un son. C’est tout de même incroyable que Paperboy soit mêlé à ça ! Ils reprennent le «God’s Been Good To Me» des Mighty Walker Brothers. Un nom pareil, ça ne s’invente pas. Ifedayo y ramène tout le power des Tempts, même développement d’I try ! I try ! On assiste encore à un carnage surnaturel dans «How Can I Lose», shoot de wild gospel avec des tambours, des tambourins et toute l’énergie du diable. Ifedayo chauffe ensuite son «Jesus Rhapsody Pt 1» au feu sacré de Junior Walker, c’est comme gorgé de Motor City Sound, mais sans le Sax. On trouve l’original de «Jesus Rhapsody Pt 1» sur Good God!, par Preacher & The Saints. Et puis t’as «Searching For The Truth», un gros fondu de gospel Soul fabuleusement conditionné, atrocement bien chanté, chaud et vivant, il y va au searching. Ifedayo est l’un des géants de notre époque.

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             Alors attention ! Il se pourrait bien que Good God! - A Gospel Funk Hymnal soit l’une des plus belles compiles de tous les temps. La moitié des 18 cuts sont de la pure dynamite. Pas étonnant que les Harlem Gospel Travelers aient louché là-dessus. Tiens, rien qu’avec le dernier cut, «Thoughs Were The Days» par LaVice & Company, t’es rassasié. Le mec chante comme un démon, il sonne comme un vrai génie démoniaque, un brin here comes the judge, à l’intro du hit de Shorty Long. Et juste avant, t’as le «Look Where He Brought Us» des Apostles Of Music, avec des filles qui font freedom, c’est du Richie Havens en plus hot. Quelle clameur ! La compile démarre avec Preacher & The Saints et «Jesus Rhapsody Part 1», que reprennent les mighty Travellers. Quel big sound ! C’est pas loin des Tempts. Il faut voir ça comme un sommet du Black Power. Puis t’as les 5 Spiritual Ones qui te fracassent «Bad Situation» : encore pire ! T’as les Tempts dans l’église en bois. Ils ont le power dans les reins, la bassline descend dans le couplet comme un Jamerson en folie, bad bad situation ! Bizarre que les Travelers n’aient pas retenu ce «Bad Situation». Car quel scorch ! Par contre, ils tapent le «God’s Been Good To Me» des Mighty Walker Brothers. Power immédiat. Encore pire que les Tempts. Dé-vas-ta-teur ! C’est le power de James Brown avec l’incognito en plus. Gospel genius ensuite avec Masonic Wonders et «I Call Him». Plus classique, mais terriblement insistant. Genius toujours avec l’«I Thank The Lord» des Mighty Voices Of Wonder. T’as le beat et l’argent du beat. Là, t’as Stax dans l’église en bois qui s’écroule, et une grosse black en roue libre qui te ravage tous les potagers. The Voices Of Conquest t’amènent «Oh Yes My Lord» au tribal antique. Stupéfiant ! T’as la démesure du son et l’oh yes my Lawd ! C’est avec la cover du «We Don’t Love Enough» des Triumphs que les Travelers ouvrent le balda de leur Rhapsody. Fantastique entourloupe ! Digne des Edwin Hawkins Singers. Même clameur de gospel black power. Et t’as plein d’autres cuts surprenants de qualité, Brother John Witherspoon t’explose «That’s Enough» au heavy popotin, en mode prêcheur, à coups de give up. Ce sont les Universal Jubileers qui sont sur la pochette de la compile, avec leurs vestes à carreaux. Il tapent leur «Chidhood Days» en mode wild gospel Soul de raw r’n’b. Ils te chauffent ça à blanc, t’en reviens pas de les voir à l’œuvre, t’en perds ton latin, tu ne sais plus où t’habites. Tout cela est à peine exagéré.

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             Intrigué par LaVice & Company, tu dig un peu et tu découvres l’existence d’un album sorti sur un petit label anglais, Jazzman Records : Two Sisters From Bagdad. C’est un objet curieux, t’as trois Soul Sisters et un mec déguisé en diable, LaVice Hendricks. Pendant les 3 ou 4 premiers cuts, tu essaies de savoir où ils veulent en venir. Le morceau titre se noie dans l’underground black. C’est même assez incompréhensible, tellement c’est underground. Leur «Fantasy» est weird, mais pas inintéressant. On retrouve le «Thoughs Were The Days» choisi par Numero Group pour son Good God! - A Gospel Funk Hymnal et c’est en fait la première apparition de LaVice Hendricks. Et puis le reste retombe dans la drouille. Tu t’attendais à un big album de gospel funk et tu tombes sur un mauvais artefact. Leur «Satan Baby» ne vaut pas un clou, mais l’album original paru en 1973 doit s’arracher pour une fortune.

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             Nouvelle caisse de dynamite : Good God! - Born Again Funk. Suite logique et donc explosive de Good God! - A Gospel Funk Hymnal. Pas compliqué : tu sautes de génie en génie (de JL Barrett et «Like A Ship» aux Gospel Soul Revivals et «If Jesus Came Today» (c’est-à-dire d’un heavy groove avec des chœurs demented d’Edwin Hawkins Singers au power de Black Power avec une bassline à faire baver James Jamerson, les Gospel Soul Revivals pulsent à la vie à la mort), tu sautes d’inconnu en inconnu (de Lucy Sister Soul Rogers et «Pray A Little Longer» aux Inspirational Gospel Singers et «The Same Thing I Took» (c’est-à-dire d’une Lucy qui sonne comme Aretha à une Inspirational Gospel Singer qui sonne encore plus comme Aretha). Tu sautes des Gospel Comforters et «Yes God Is Real» (r’n’b d’église en bois) au Golden Echoes et «Packing A Grip» (wild gospel d’église en feu). Tu sautes de Brother Samuel Cheatham et «Troubles Of The World» aux Jordan Travelers et un «God Will Answer» drivé à la basse funk. Et tu bascules enfin dans une apothéose de coups de génie avec Holy Disciples Of Chicago et «I Know Him» (pur Aw Lawd power, le groove des crocodiles), puis avec Little Chris & the Righteous Singers et «I Thank You Lord» (chant d’harmonies frisées avec une wah d’une sidérante modernité) et enfin  The Sensational Five avec «Coming On Strong Staying Long», un heavy r’n’b, c’est même du pur Junior Walker d’église en bois, tellement c’est incendiaire.

    Signé : Cazengler, Travelo

    Harlem Gospel Travelers. Rhapsody. Colemine Records 2024

    Good God! - A Gospel Funk Hymnal. Numero Group 2006

    Good God! - Born Again Funk. Numero Group 2010

    LaVice & Company. Two Sisters From Bagdad. Jazzman Records 2017

     

     

    Tindersticks en stock

    - Part Two

     

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             Toujours un bonheur que de revoir Stuart Staples & ses mighty Tindersticks sur scène. Deux heures de voyage dans l’ombilic des limbes garanties. Le dandy d’antan a pris du ventre, mais la voix est toujours là. Le voilà coiffé d’un petit chapeau mou, mais son élégance naturelle reprend le dessus et tu entres dans le monde qu’il crée pour toi au fil des cuts.

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    Et c’est un monde merveilleux. Pendant deux heures tu te sens protégé de l’autre monde, celui qui va pas bien, avec ses beaufs au pouvoir et les manipulations d’opinion qui vont avec. Le romantisme comme dernier rempart face à l’abominable marée d’intolérance qui monte jour après jour ? Faut pas rêver, le romantisme n’est qu’un songe, fragile par définition, et celui de Stuart Staples se limite à sauver deux heures de ta vie. Rien de plus. C’est déjà pas mal. Pendant ce concert qu’il faut bien qualifier d’hautement merveilleux, tu songes à tous ceux qui n’ont pu ou qui n’ont su en profiter. Car c’est là, à portée de tes yeux et de ta cervelle, deux heures de mélancolie urbaine distillée par cinq mecs d’apparence banale.

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    Les Tindersticks sont des anti-rock stars. Ils s’effacent au profit de leur art. Ils laissent le champ libre aux chansons et à la fabuleuse interprétation qu’en fait Stuart Staples, d’une voix fêlée, toujours colorée, tantôt d’essence préraphaélite, tantôt d’essence pointilliste, il ponctue et tisse des voiles, il module l’éther et irise l’affaire, il fait éclore et cueille pour offrir, Stuart Staples est l’un des artistes les plus intéressants à observer. Tu crois qu’il ne se passe rien, mais il est toujours en mouvement immobile. Son récital a la grandeur d’un long métrage d’Abel Gance. L’insondable teneur d’un tome de Zola. La classe de l’Importance Of Being Earnest d’Oscar Wilde. Il chante la plupart du temps les yeux fermés, comme s’il lisait à l’intérieur de lui-même pour diriger ses pas. Tu l’observes comme tu aurais observé Verlaine lorsqu’il déclamait ses vers au François 1er, sur le boulevard Saint-Michel. Stuart Staples est de cet ordre -là.

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             Oh et puis t’as les chansons, quasiment toutes celles du dernier album, Soft Tissue. L’heavy Tinder Sound de «The Secret Of Breathing» qu’il enchaîne avec «Turned My Back». Il se bat jusqu’au bout avec le Turn my back. Et toujours cette merveilleuse façon de caresser l’intellect. Dans le début su set, il tape un «Falling The Light» éclairé par un refrain lumineux - Falling the light on the grace of the day - qu’il enchaîne avec «Nancy», bercé par un léger parfum de calypso - Nancy/ Answer me - Big Tinder Sound de tension maximale - Nancy/ Nancy answer me - Vers la fin du set, on retrouve aussi ce «New World» bassmatiqué dans l’âme. Il groove comme Oscar Wilde, tel qu’Oscar Wilde grooverait s’il était de notre temps. Vers la fin du set, on retrouve aussi ce «Don’t Walk Run», et cette façon qu’il a de poser sur le groove son you need a place to fall et d’ajouter I need a place to hide. Alors il anticipe, it’s moving inside/ Me/ It’s moving inside me now/ Pulling on my strings babe, on sent le balancement du groove dans le pulling on my strings, c’est chargé d’Oh why’d you leave me babe, et il repart au need a place to hide qu’il susurre entre deux portes. En fin de set, il se perd avec «Soon To Be April», il tend la main alors que le courant l’emporte, il atteint le sommet du désespoir mélodique, la beauté inversée, il élève la mélancolie au rang d’art majeur.

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             En rappel, ils tapent «Pinky In The Daylight» et «For The Beauty» tirés de No Treasure But Hope, histoire de t’arracher un dernier spasme de félicité. Avec «For The Beauty», il semble vouloir se battre contre la maladie that’s killing me - For the beauty/ Give me something to ease - La guitare sonne comme une mandoline dans «Pinky In The Daylight», pareil, ça tient par le refrain magique - Pinky in the daylight/ Crimson at night/ Yeah I love you - Et là t’entends ce batteur black de jazz dément qu’on a vu à l’œuvre sur scène. Il s’appelle Earl Harvin, tu trouves son nom dans la kro d’un set des Tinder à Manchester, dans la page ‘Lives’ de Record Collector. Mais Beauty et Pinky ne sont pas les coups de génie de l’album. Les voilà : le premier s’appelle «The Amputees», Stuart y fait vibrer le bad d’I miss you so/ bad, et derrière, les Tinder swinguent le jazz. Pire encore : «Trees Fall», que Stuart tape en début de set, il le chante en suspension dans une très belle lumière préraphaélite. C’est du pur Tinder Sound haleté - Shall we sit in the dark and tell our old stories?, et il rebondit merveilleusement, and oh, it’s so dark in the stairs, il relance toujours au ‘and oh’, are we tied to those moments for good?, c’est de la poésie musicale, une authentique merveille respiratoire - Has the juice run out again - L’again enivre - The salt of our skin and the smell of the ocean - Stuart Staples offre avec son art poétique l’équivalent exact de ce qu’on amené en leur temps Baudelaire, Rimbaud et Verlaine, pour n’en citer que trois. Troisième coup de génie : «See My Girls». Ses filles prennent des pictures with their cameras/ they see the world and they sent it me home. Hallucinant. Ses filles voyagent dans le monde entier, et les vers de Stuart Staples ruissellent de richesses, Eiffel Tower, Grand Canal, Amazonia, the gates of Birkenau, the great Damascus, South Yemen, Jerusalem, the dolphins of Donegal, autant de mots qui scintillent d’une musicalité sans fin. Il swingue encore son chant dans «Tough Love» - This tough love changed me/ This tough love made me - C’est quasiment de l’heavy funk. Ah, les Tindersticks nous en auront fait voir de toutes les couleurs ! 

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             Ils tiraient un seul cut de l’avant-dernier album Distractions, «The Bough Bends», où l’on entend chanter les oiseaux. Cut épais et bien doux, coiffé par un thème musical très aérien. Ils visitent la stratosphère. C’est bien, les gars ! Mais s’il faut saluer un cut sur Distractions, c’est le «Man Alone» d’ouverture de bal, un cut interminablement bon, une vraie sinécure, montée sur le petit tribal Tinder. Stuart colle bien au heartbeat, il sait épouser une situation et la mettre à son avantage. Avec «Lady With The Braid», les Tinder passent en mode mambo et c’est vite effarant d’élégance. Stuart cueille les mots à la pointe du beat, l’effet est saisissant. Encore du Tinder Sound typique avec «You’ll Have To Scream Louder». Ça reste une samba d’aube mortelle et de chairs usées, d’essences félines sentant la jupe et de sang frelaté. Stuart Staples est le Des Esseintes des temps modernes. Ne l’a-t-on pas encore compris ?

    Signé : Cazengler, Pinderstick

    Tindersticks. Théâtre des Arts. Rouen (76). 26 novembre 2024

    Tindersticks. No Treasure But Hope. Lucky Dog 2019

    Tindersticks. Distractions. Lucky Dog 2021

    Tindersticks. Soft Tissue. Lucky Dog 2024

     

     

    L’avenir du rock

    - Au bonheur des Damned

    (Part Two)

             Politiquement parlant, l’avenir du rock a toujours penché du bon côté, c’est-à-dire du côté des damnés de la terre. Chaque matin, sous la douche, il entonne «Debout les Damned de la terre» à tue-tête. Il en fait vibrer les carrelages, la robinetterie et la porte vitrée. L’avenir du rock est tellement fasciné par le destin des Damned de la terre qu’il s’est fait tatouer une New Rose autour de l’anus et une Machine Gun sur la zigounette, comme ça au moins, aucune ambiguïté n’est possible. Mais étant donné que l’avenir du rock reste un concept, aucune interaction n’est possible, et par conséquent personne ne peut témoigner de la présence de ces deux tattoos insolites. Il faut donc le croire sur parole. Il met aussi un point d’honneur à se laver les mains avant chaque repas pour rester Neat Neat Neat, et il met un soin maniaque à répondre aux lettres qu’il reçoit au Fan Club. Lorsqu’il se rend dans un bal costumé, il porte un casque Born To Kill, non pas en hommage au Full Metal Jacket de Kubrick, mais en bon Damned de la terre qui se respecte, et si un imbécile d’antimilitariste vient l’insulter au bar, alors l’avenir du rock s’empare du pic à glace et lui court après en hurlant Stab Your Back ! L’avenir du rock n’a jamais fait dans la demi-mesure, et ce n’est pas aujourd’hui qu’il va s’y mettre. Il est trop tard. Au moindre coup de blues, il se fend d’un So Messed Up, et s’il se sent la proie d’une petite crise de mélancolie, il opte pour un petit coup d’I Can’t Be Happy Today. Par contre, quand tout va bien et qu’il sent les énergies telluriques bouillonner en lui, alors il éructe I Feel Alright. Au nom des Damned de la terre, il est capable de tout, comme par exemple de Smash It Up. Se calmer ? Lui ? L’avenir du rock ? C’est pas demain la veille.      

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             Il a raison de s’exciter l’avenir du rock, car vient de paraître Darkadelic, le nouvel opus des Damned de la terre. En 2017, les Damned fêtaient leur quarantième anniversaire. Pour des gens qu’on considérait comme les princes du chaos, c’est inespéré.

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    Dans le beau panorama qu’il leur consacre dans Vive le Rock, Nick Tesco rappelle qu’on les considérait comme les poor cousins des Clash et des Pistols. Dick Porter va beaucoup plus loin en disant qu’au pays des non-conformistes, les Damned sont les rois - Within a subculture that espouses non-conformity as a core value, the Damned represent the ultimate outsiders. Il rappelle aussi que tous les journalistes qui leur crachaient dessus ont depuis longtemps disparu alors qu’eux, les Damned, sont toujours là, fidèles à leur engagement originel : the fundamental idea of doing your own thing.

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             Le point de départ s’appelle Brian James, fan des Stooges, de Dolls et du MC5, qui tente de démarrer avec les Bastards à Bruxelles, mais il se sent seul, car personne ne connaît les groupes dont il parle. Même à Londres, excepté les Pink Fairies, qui savent que quoi parle Brian. Quand il revient vivre à Londres, il traîne un peu avec les fameux London SS et rencontre Rat qui a répondu à une annonce du Melody Maker. McLaren propose à Dave Vanian, qu’il a repéré, de chanter dans les Masters Of The Backside avec une guitariste nommée Chrissie Hynde. Le batteur, c’est Rat. Il faut aussi un bassman, alors Rat ramène Ray Burns qui à l’époque porte les cheveux longs et ressemble à Marc Bolan. Le futur Captain est alors timide et un peu nerveux. McLaren n’en veut pas dans le groupe : il le traite de bloody hippie. Le groupe commence à répéter. Ils font des reprises garage des Shadows Of Knight et ça ne se passe pas très bien. Rat dit : «This is going nowhere» et il indique à Dave qu’il connaît un mec intéressant, un visionnaire qui parle d’une nouvelle forme de musique. C’est Brian James. 

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             Dans un numéro d’Uncut de 2016, Peter Watts dresse un panorama complet des exploits du groupe en matière de destruction de chambres d’hôtels. C’est en France qu’ils se découvrirent un talent fou pour cet art habituellement réservé à des géants comme Keith Moon. Lors du premier festival punk qu’organisa Marc Zermati à Mont-de-Marsan, Jake Riviera et Nick Lowe découvrirent les Damned qui n’étaient encore que des débutants puisqu’ils ne montaient sur scène que pour la sixième fois. Riviera les voulait absolument sur Stiff.

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             Paru en 2023, Darkadelic est l’un de leurs meilleurs albums. Ça grouille de puces, tu vas te gratter pendant une heure, dès «The Invisible Man». Les Damned n’ont jamais sonné aussi sludge, avec le Vanian qui hurle comme un crucifié du Golgotha. C’est battu à la diable, noyé de son, ça coule de partout, le Vanian émerge à peine du chaos. Ah il faut le voir se débattre ! Nouvelle dégelée avec «Girl I’ll Stop At Nothing», wild punk des Damned de la terre, back to the basics, on se croirait sur le premier album, en 1977 ! Même énergie qu’au temps des premiers jours. Les Damned ont toujours su sonner le tocsin de London town, et le Captain fout le feu à l’immeuble. Ils passent sans ménagement au wild gaga avec «Leader Of The Gang», ils te déboulent dessus, tu reviens au point de départ, ils renouent avec leur fantastique élasticité, Paul Gray joue en roue libre dans le fond du son, et le Captain fait son Wayne Kramer, il n’en finit plus de faire son cirque dans ce rebondi paroxysmique. Cet album est assez explosif, ça mérite d’être noté, car les explosions se raréfient. Darkedelic est un gros tas de purée. Le Vanian trouve toujours une ouverture, quel que soit le cut. Il s’accroche au mur du son de «Bad Weather Girl», il agit en wild geezer, à mains nues. Bon, il faut reconnaître que certains cuts laissent perplexe : «You’re Gonna Realise» et «Beware Of The Clown» sonnent comme de la petite pop. Depuis que Brian James n’est plus là, c’est le bordel au dortoir. Et le Captain ne fait plus bander personne, comme au temps des tutus. Il faut attendre «Wake The Dead» pour voir l’album se réveiller. Big Vanian chante comme Hadès, le dieu des enfers. Il semble chanter du fond d’une caverne. Les Damned profitent de cette occasion en or pour rallumer le brasier, Paul Gray bousine une bassline demented et ils atteignent l’orgasme avec «Motorcycle Man». 

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             Les Damned ont fait un beau cadeau à leurs fans avec le double DVD Machine Gun Etiquette 25 Tour. On y trouve en effet tout ce qu’un fan des Damned peut espérer en ce bas monde. Les Damned attaquent leur concert du 25e anniversaire avec «Love Song» et «Machine Gun Etiquette» - Second Time Around - deux versions explosives. Peu de groupes savent blaster comme les Damned. Ah il faut les voir jouer «New Rose», puis Captain introduit une autre bombe atomique - It’s the MC5, God bless ‘em ! It’s called Looking At You ! - Il n’existe rien d’aussi dynamité dans l’univers du rock moderne. Captain se roule par terre à la fin du cut. Il n’a rien perdu de sa folie. Il faut aussi l’entendre jouer dans «Would You Be So Hot» : il sonne comme Peter Green ! Nouveau coup de blast nucléaire avec «Ignite», extraordinaire vitalité de ton vibrillonnée par un Captain Kramer débridé. S’ensuit une version absolument somptueuse d’«Eloise», bien soutenue à l’orgue. On a là du grand art de pop anglaise porté à son sommet par la dynamique des Damned et l’incroyable talent de Dave Vanian. Encore plus explosif : «Melody Lee», joué au blast damné pour l’éternité. On ne parle même pas de la version dévastatrice de «Neat Neat Neat» introduite par le vieux riff de basse. Sacré coup de génie tutélaire, et ça plonge dans la folie du punk-rock de London town. Et c’est pas fini, car ils tapent dans le «Break On Through» des Doors, Dave fait son Jim Morrison et ça tient admirablement bien la route. Les bonus pullulent sur le disque 2, à commencer par un concert filmé au Japon et des versions absolument démentes d’«Eloise», puis de «New Rose». Il faut bien dire que ces deux cuts sont des sommets de la pop anglaise. Au menu des bonus, on trouve aussi pas mal de petits films où Captain se laisse filmer : voyage en Allemagne, on a aussi des scènes de backstage, le making of de la vidéo de «Wot». On ne se lasse pas de voir ce mec qui est en fait l’héritier direct de Keith Moon : même ampleur, même odeur de soufre, même charme et surtout même explosivité scénique. 

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             En 2017, ça recommence à buzzer autour des Damned, avec notamment la parution de Don’t You Wish That We Were Dead, le film de Wes Orshoski, le réalisateur qui s’était occupé de Lemmy. Tout fan des Damned doit impérativement voir ce film. On a là un docu riche et dense, bardé de conneries de Captain et d’extraits de concerts anciens et modernes, on voit des témoins de la vague punk, même les cancéreux, les ex-members, on voit Rat Scabies écraser une larme, et puis un plan plutôt rare de Captain chez lui avec ses trois gosses. On nous rappelle au passage que les Damned, contrairement à la majorité des groupes punk, savaient jouer de leurs instruments - The Damned could play - Ils jouaient le rock’n’roll le plus incendiaire de leur temps - That’s rock’n’roll as Jerry Lee Lewis is rock’n’roll - Tiens et puis t’as Roger Armstrong qui rend hommage à Captain - A punk-rock Jimi Hendrix ! - Par contre, on voit l’autre moitié des Damned, Brian James et Rat Scabies avec Texas Terri, et au chant, Texas Terri est une véritable catastrophe ! L’un des passages les plus hilarants de ce docu est celui de la reformation du groupe originel Vanian/Scabies/James/Captain : sur scène, Captain annonce que «New Rose» est une compo de Guns’n’Roses. Brian James quitte la scène immédiatement. Fin de la reformation. Captain dit aussi un truc admirable : We should have died after making one fantastic album - Mais avec lui, on ne sait jamais si c’est pour rire ou pas. Sacré passage aussi dans les bonus, lors de l’évocation du fameux Anarchy Tour - Weird vibes - Brian James rappelle que personne ne leur adressait la parole. Comme l’Anarchy Tour démarrait le lendemain du Grundy Show, les Pistols étaient à la une de tous les canards et McLaren n’avait plus besoin des Damned qu’il a virés. Autre grand moment de rigolade : Captain nous fait visiter les chiottes de la salle des fêtes de Croydon qu’il nettoyait à une époque. Il raconte qu’il y vit T. Rex sur scène - What a fabulous job !, pensa-t-il. Il voyait les filles trépigner aux pieds de Marc Bolan - I want this job !

    Signé : Cazengler, damé du pion

    The Damned. Darkadelic. Ear Music 2023

    Born To Kill by Nick Tesco. Vive le Rock #41. 2017

    We’re Horrible English Hooligans by Peter Watts. Uncut #235 - December 2016

    Damned. Machine Gun Etiquette 25 Tour. DVD 2005

    Wes Orshoski. The Damned. Don’t You Wish That We Were Dead. DVD Cleopatra 2016

     

     

    Inside the goldmine

     - Patter noster

             Dans la vie, on rencontre rarement des personnages aussi épris d’eux-mêmes. Ivanoff cultivait bien son auto-culte. On l’imaginait dressé devant un miroir à se contempler tout en se caressant la barbe, une barbe qu’il taillait court, sans doute pour goûter l’indicible plaisir de s’entendre la gratouiller. On devinait tout cela en l’observant, et il n’y avait aucune malveillance à l’imaginer ainsi. Sa prodigieuse intelligence semblait exacerber son narcissisme jusqu’au délire. Tout le monde croit que l’intelligence aide à corriger les travers, mais chez lui, ça ne se passait pas du tout ainsi, bien au contraire. Ivanoff avait pendant vingt ans accumulé des connaissances qu’il sublimait et synthétisait pour les faire passer pour des visions. Lorsqu’on s’adressait à lui, on s’adressait à l’oracle des nouvelles technologies. Il semblait voir l’avenir, enfin, il voyait ce que personne ne pouvait voir. Il pouvait fasciner. On se noyait dans l’eau bleue de son regard. Il inspirait en même temps une sorte de confusion. On ne savait plus s’il fallait rire (tout en prenant garde de se retenir), ou s’il fallait cautionner l’homérique envolée de son discours. Il y avait quelque chose d’Hugolien en lui. Il ânonnait sur un ton monocorde qui finissait par devenir fluide, presque mélodique, semblable aux airs de flûte que jouent les charmeurs de serpents sur la place Jemaa el-Fna, à Marrakech. On ne savait plus s’il fallait se sentir fier de le fréquenter ou au contraire le fuir comme on fuit généralement les moi-je les plus détestables. Un jour que nous étions en réunion, il se produisit un incident qui permit d’en finir définitivement avec ce paradoxe. Pendant une pose, la conversation vint malencontreusement déraper sur une belle peau de banane : l’insécurité dans certains quartiers de Paris. C’est à ce moment-là qu’on réalisa qu’Ivanoff portait un pantalon couleur kaki de combattant, avec des poches à soufflets sur les côtés, car il en sortit un énorme cran d’arrêt. Face à nos mines consternées, il relança sa routine pédagogique pour nous expliquer qu’à notre époque il fallait se montrer prêt à tout, à tout moment, et que de toute façon, il n’y avait pas d’autre solution que la violence pour répondre à la violence. Il recyclait la téhorie de Malcolm X. Personne ne mouftait. Il ajouta, pour rassurer les dames présentes dans la salle, qu’il ne fallait pas se fier aux apparences et qu’il connaissait «des guerriers doux comme des agneaux».

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             Rien de tel que de passer d’un oracle à l’autre. Alors on dit adieu à l’oracle des nouvelles technologies pour introduire l’oracle de l’heavy funk de Soul, Bobby Patterson. On devrait dire l’immense Bobby Patterson. C’est grâce à The Heritage Of A Black Man, une compile Sam Dees, qu’on s’est intéressé à Bobby Patterson. John Ridley y rappelait que Sam Dees avait confié «What Goes Around Comes Around» à Bobby Patterson. Alors il n’en fallut pas davantage pour aller fouiner du côté de Bobby Patterson. Belle série d’albums, forte personnalité, on peut facilement le comparer à Bobby Parker. Au fil des albums, Bobby Patterson prend toutes les apparences d’une révélation. On découvre aussi que ce black Texan de Dallas sait tout faire : composer, produire et tourner pour la promo de ses singles.

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             Pas étonnant du coup que son premier album, It’s Just A Matter Of Time, soit devenu culte. Et si tu veux choper le pressage Paula Records, fais gaffe, il coûte la peau des fesses, comme dirait le Marquis de Sade. Une bonne red fera l’affaire. Patter attaque son album en mode hard r’n’b avec «If You Took A Survey». C’est un féroce, un admirable warrior, fantastique présence, grosse insistance. Les fans de Patter ne jurent que par «How Do You Spell Love», un slab d’heavy funk, il fait le show, pas de problème. Il rugit comme une panthère noire, à la façon de Wilson Pickett. L’autre hot spot de l’album se planque en B : «Right On Jody», encore très Pickett dans l’esprit, très back of my mind, Patter est précis, exact au rendez-vous. Pour un premier album, c’est coup de maître. Patter entre dans la galaxie des grands Soul Brothers.

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             Pas question de prendre un mec comme Patter à la légère, surtout quand on a dans les pattes un album comme Second Coming. Il y fait du big Patter, solid as hell, il y va au yeah ‘cos I’m down, il cadre bien son boogie-groove de blues («If He’s Getting The Thrills»). Patter te montre la voie, yeahh, il s’implique dans son process, il te tombe encore sur le râble avec «All We Have In Common», même si ça reste du cousu de fil blanc. Et voilà qu’il te groove la cage thoracique avec «You Can’t Steal Something», il plonge dans un lagon de good time, une vraie merveille. Et puis voilà la surprise du chef : «Right Place Wrong Time». Il a tout, le Patter : la classe et les orchestrations, il te groove tes nuits chaudes de Harlem, il ramène tout le gusto du Patterson de right place. Il passe au funk avec «Keep Your Hand To Yourself» et se couronne roi du groove avec «I’ll Take Care Of You». Il promet de faire gaffe à elle, son now now est sincère, il y va au groove d’oooh baby. Il se fond comme une anguille dans le slow groove d’«I’ve Just Got To Forget You», aw my Gawd, Patter est géant du fondu, il flirte en permanence avec l’épouvantable génie, quel album ! Il termine avec un «Fingers Do The Walking» plus funky. Mais pas n’importe quel funk, t’es chez Bobby, il te fait un funk de get down on the floor/ I’m gonna get my fingers do the walking/ I’ll get your love, c’est du niveau supérieur, il y va au I’ll get your love, pur jus de make the scene !   

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             Sur la pochette d’I’d Rather Eat Soup, Patter porte un beau costard blanc assorti à sa Les Paul blanche. Il se fend d’un duo d’enfer avec Lois Peoples sur «Charity Begins At Home». Il sort encore le grand jeu pour «It Ain’t All About The Sex», une espèce d’heavy check it out, Patter fait son heavy Bobby au now now now, il affirme que tout ne tourne par uniquement autour du sexe, now now now, ils touille bien son fonds de commerce à la Johnny Guitar Watson, il joue cette carte à plein, il ramène de la ferraille dans son groove, ça sent bon le Patter no-stair. Il a tout le répondant dont on peut rêver, il fait même du funk avec «Drink From Your Own Well», Patter n’est pas un amateur, son funk est sauvage, pas du tout maîtrisé, ah ah ah, il rigole entre deux rasades. Et sans transition, il passe au heavy blues avec «Talk Slow Blues», c’est du sérieux, il ne laisse rien au hasard, Patter est un pote, chez lui, une note est une note. Il chante son «When The Licking Stops» les jambes écartées, sa voix porte loin vers l’horizon. Il renoue avec Johnny Guitar Watson dans «My Weakness Is You», il a le même sens de la descente dans le weakness, my weakness is you girl.    

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             Fantastique album que ce Storyteller qui n’est pas si vieux, puisqu’il date de 1998. C’est un bel album de Black Power («Bricklayer», il te groove le dancing strut d’entrée de jeu - I’m a brick/ Brick/ layer), mais aussi de funk («I Got To Get Over» et «Yellow Pages», l’hard funk de Patter qui fait son JeeBee), mais il est surtout l’un des rois de la good time music («Let’s Do Something Diferent», «If Every Man Had A Woman Like You» et «It’s Got To Be Mellow», il adore la Soul des jours heureux, il t’emmène littéralement au paradis). Au paradis encore avec deux Beautiful Songs : ««I Fell Asleep (One Time Too Many)» et «I Can Help You Get Even With Him», merveilleux balladifs de satin jaune, ses slowahs collent bien au papier. Quel beau crooner ! Il sait se montrer intense en matière de dramaturgie. Et comme le montre «I’ll Take Care Of You», Patter sait aussi faire de l’art moderne.

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             Live At The Longhorn Ballroom aurait pu s’appeler Hot & Sexy. Patter chauffe la salle au scream, pulsé par la rythmique de James Brown. Il est ce que les Anglais appellent un performer of choice. Il joue le blues d’«I’ll Play The Blues For You» avec un niaque effroyable. Dans les zones de répit, il jazze ses notes, il joue liquide. Patter est un cake extraordinaire. Il rend hommage à la Nouvelle Orleans avec «Let The Good Times Roll», il ramène de l’accordéon dans le son. Tu veux savoir à quoi ressemble l’extrême beauté d’un heavy groove ? Alors écoute «Right Place Wrong Time». Patter est l’artiste suprême, il faut le voir se couler dans la Soul, les chœurs font «somebody !», et Patter reprend la main. Il rend ensuite hommage à James Brown avec «When Lickin’ Stops», il est partout, ah !. La grande force de Patter c’est d’allumer le funk sur la durée et de rester powerful. Au cœur de l’action, il se marre, ah ah, il crée les conditions de l’heavy funk long distance operator. Il termine avec l’un de ses vieux hits, «I’d Rather Eat Soup», il te swingue ça au long cours, il reste passionnant pendant 7 minutes, il est bel et bien le Patter Noster, il groove jusqu’au bout de la nuit au somebody else, une vraie merveille.

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             Patter grimpe sur sa moto pour la pochette de ce big album qu’est Back Out Here Again. Ce n’est pas une petite moto. Au moins une Harley. Patter tient sa Les Paul noire dans les bras et au dos, on le voit porter son blouson marqué Bobby Patterson. C’est donc un homme complet. On peut dire la même chose de l’album, cet album complet démarre en trombe avec le morceau titre, un shoot de wild boogie d’une rare violence. S’ensuit un pur coup de génie, «I Got Yo Hoochie», Patter l’amène avec une classe incroyable, il groove l’heavy blues et ouvre la Mer Rouge pour offrir le passage à un solo de sax. Il passe à l’heavy funk de Soul avec «Big Thigh Cutie Pie», c’mon Bobby, il te shake le juke vite fait ! Il atteint encore une profondeur de funk extraordinaire avec «A Good Man», il est tellement pur dans sa démarche qu’il frise le génie en permanence - A good man is hard to find - Il tranche encore dans le lard de la matière avec «How Do You Spell Love», hey, il force bien le passage ! Il a en plus un jeu très agressif qui l’absout de tous ses péchés. Avec «Must Be The Hood In Me», il bascule dans l’intimisme - I’m just the same old man/ Doin’ the best I can/ Yeahhhhh - Il te souffle son yeahhhh dans le cou et il termine avec une retake de «Big Thigh Cutie Pie», c’mon pie, ah hah, il est sur tous les fronts, Patter est le vainqueur suprême, il te fend le lard du groove en deux, il a cette énergie du c’mon baby et du yeahh, et des blackettes viennent rapper sur le butt du cut. Pur genius !        

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             Paru en 2014, I Got More Soul est encore un big album. Patter y fait du gospel avec «Everybody’s Got A Little Devil In Their Soul», il est just perfect, everybody ! Il groove le gospel, avec des chœurs de mecs. Il amène «Your Love Belongs Under A Rock» au heavy bassmatic, ça devient vite une merveille inexorable. Chez Patter, on se régale à chaque instant. On entend aussi un joli coin-coin de sax. Il fait plus loin de la petite pop de Soul avec «I Feel The Same Way». C’est dans l’esprit de Sam Cooke. Il est à l’aise dans tous les genres. Non seulement il est à l’aise, mais il excelle à tous les coups. Retour au groove de swamp avec «Can You Feel Me». Il passe en rampant et ne laisse bien sûr aucune chance au hasard. Il taille dans l’épaisseur du son. Il est l’un des rois méconnus du groove. Perché sur ton épaule, il croasse le groove des potences et te rappe la mort. Il replonge plus loin dans l’heavy funk avec «It’s Hard To Get Back», mais il le fait à la manière de Jimi Hendrix, au temps de «Killing Floor». Il gratte ça à la folie. S’ensuit un vieux slowah typique des surboums de 67, «I Know How It Feels». Il chante avec des mains baladeuses, Patter te ramène au jardin d’Allah, qui est le paradis sur cette terre. Il termine cet album qu’il faut bien qualifier d’album classique avec «The Entertainer Pt 1». Il est à la fois Johnny Guitar Watson et Spike Lee, il est là pour te donner du wild bonheur, il groove au petit bonheur la chance, fabuleux Patter, il te sert une ultime rasade d’heavy groove, celui qu’on destine généralement aux heavy groovers. 

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             Le petit conseil qu’on pourrait donner aux amateurs de grosses compiles serait de rapatrier celle que Westside consacre à Patter, How Do You Spell Love? (The Paula Recordings 1971-73). Rien que pour l’«Everything Good To You (Just Don’t Have To Be Good For You)», cut de Soul de rêve, Patter s’y montre puissant et solaire, il y va au aw no !, il n’en démord pas. Il fait aussi de l’excellent funk : «If Love Can’t Do It (It Can’t Be Done)», «Make Sure You Can Handle It» et «If You Took A Survey», il s’y montre digne de James Brown, c’est gratté et cuivré à outrance. Il attaque son Suvey au hey lookin’ In !, et rend un hommage spectaculaire à James Brown. Belle énormité encore que ce «What Goes Around Comes Around», son groove décolle très vite, Patter ne traîne pas en chemin. La dominante reste bien sûr le r’n’b, comme l’excellent «Right On Jody» - I got the feeling/ In the back of my mind ! - Patter touche à tout, surtout aux vulves, comme le montrent «Take Time To Know The Truth» ou le sexy «I Got My Groove From You», une merveille de groove ondulatoire. Il reste au paradis du groove pour «It Takes Two To Do Wrong» et nous re-pond un hit de juke avec «How Do You Spell Love». Une vraie merveille : scream + nappes de cuivres = la recette du bonheur. Il passe au wild r’n’b avec «Quiet Do Not Disturb», ça joue au raw primitif. Avec le vieux slowah «She Don’t Have To See You (To See Through You)», il se prend pour les Stones. Il prend «This Whole Funky World Is A Ghetto» à la petite attaque de pelle à tarte, il danse le cul en arrière, il y va à reculons, il yeah-ehhhhhte, il ergote comme un coq en pâte.

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             Si on veut se payer un dernier spasme royal, alors il faut écouter Taking Care Of Business, une belle compile Kent illuminée par le sourire de Patter. Ça grouille tellement de puces là-dedans ! Ses hits sont d’une fraîcheur garantie à 100%, il sonne comme Wilson Pickett et tout Stax avec «Soul Is Our Music», puis «I’m Leroy I’ll Take Her» t’envoie directement au tapis, c’est un heavy r’n’b à la «Tighteen Up» - Hey I’m li-Roy ! - Encore du pur jus de Wilson Pickett avec «Broadway Ain’t No Funky No More» et «Don’t Be So Mean», il a ce power, il shoute à outrance, encore du classic raw avec «Busy Busy Me», suivi à la trace par une horde de cuivres, et il calme le jeu avec un heavy balladif de Soul incendiaire, «Sweet Taste Of Love». Puis il fait son Sly avec «TCB Or TYA». Screamo primo ! Son génie explose au grand jour. Encore une Soul de prodigieuse qualité avec «Keeping It In The Family», suivi d’un heavy stomp de r’n’b chanté à la voix d’ange, «My Baby’s Coming Back To Me». Il est encore le roi du monde avec «Guess Who». Patter est une bête, c’est important de le signaler. Il sait aussi draguer au fond d’un lit comme le montre «You Taught Me How To Love» et son «I’m In Love With You» est exceptionnel de joie et de bonne humeur. Quel artiste ! Même trempe que Darrow Fletcher. Génie pur.

    Signé : Cazengler, Bobby Chatterton

    Bobby Patterson. It’s Just A Matter Of Time. Paula Records 1970

    Bobby Patterson. Second Coming. Proud Records 1996             

    Bobby Patterson. I’d Rather Eat Soup. Big Bidness Records 1998    

    Bobby Patterson. Storyteller. Good Times Records 1998

    Bobby Patterson. Live At The Longhorn Ballroom. Proud Records 2003

    Bobby Patterson. Back Out Here Again. Proud Records 2012    

    Bobby Patterson. I Got More Soul. Omnivore Recordings 2014

    Bobby Patterson. How Do You Spell Love? (The Paula Recordings 1971-73). Westside 2001

    Bobby Patterson. Taking Care Of Business. Kent Records 1991

     

    *

    Les Spuny sont de retour ! N’étaient pas partis. Un peu, oui si l’on veut, sont allés à Las Vegas, ont écumé l’Europe, z’ont même été au Japon, bref vous les trouviez un peu partout en concert. Plus de treize cents à leur actif. Par contre leur discographie n’est pas aussi longue que le pont de Tancarville, que voulez-vous vous ne pouvez pas être en même temps au four du studio et aux moulins de la scène. Trois ans et demi qu’ils n’avaient pas sortis un album, comme tout arrive en ce bas-monde, viennent de concocter une petite merveille.

    DESTINATION UNKNOWN

    SPUNYBOYS

    (BA ZIQUE / Novembre 2024)

             Faut avoir vu au minimum une fois les Spuny sur scène, au moins après vous savez que vous pouvez mourir sans regret. Une tuerie. Au fond Guillaume, chaque fois qu’il tape vous vous dites qu’il pourfend un coffre de pirates rempli de sequins, l’écho vous les éparpille sur le coin du museau et une pluie d’or tombe sur vous. Ô Danané ! Ô Zeus ! Oui, il abuse des obus perforants, mais quelle performance. Devant Rémi. Lui il ne fait strictement rien. C’est sa contrebasse qui se charge de tout le boulot, il essaie de la retenir, il lui monte dessus pour qu’elle ne s’enfuie pas, peine perdue, il la tient d’une main, elle tournoie, lui échappe, vire, virevolte et finit par s’envoler. Pour se donner une contenance devant un instrument si désobéissant, il chante, un peu à la peau-rouge, énervé du comportement déluré de son bâton de jeunesse, je me demande si je ne devrais pas dire de vieillesse car ça plus de quinze ans qu’ils sont ensemble. Enfin Eddie à la guitare. Ni devant, ni derrière. Ni sur le côté. L’est partout. Donnez-moi un guitariste comme lui, et je ferais aussi bien que les deux autres. Enfin, presque. Non, il n’a pas une guitare à six cordes comme tout guitariste bien élevé, il s’en sert comme d’un arc à six cordes.  Vous pouvez liker chacun de ses licks, les lance comme des flèches, toutes blessent et la dernière vous transperce, c’est simple chaque fois, dans l’interstice ténu qui sépare deux notes de ses commères, dans la vibration qui les unit, son trait pointe et cartonne, et quand ils ne lui laissent pas une place pour s’imposer, il s’en fiche et fiche son dard dare-dare sans retard  dans la cible impossible.

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             Dès que nos trois hallebardiers sont sur scène instantanément ils se transforment en rock machine. Poussent l’outrecuidance à ne jamais être une rock-mécanique. Certes ils jouent avec le rythme, et ils mumusent avec la mélodie, mais ils s’amusent avec les aléas, maîtrisent les accidents du terrain, les embardées, les sorties de route, le pot aux roses c’est qu’ils sont des virtuoses.

              Cachet de cire pour le nom du groupe, nos trois boys sont assis sur les marches qui mènent à une porte fermée dont ils ont l’air de se moquer. Ny portent aucune attention, ne sont pas en train de knockin’ on the heaven’ door, peut-être parce que le paradis c’est eux ! Remarquez le cadre dentelé, rêvent-ils d’un timbre à leur effigie ! L’artwork est de Jake Smithies.

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    A la console, Phil Almosnino a pris le rôle. Les boys n’ont pas choisi le dernier des tocards, z’ont opté pour le brocard, parsemé d’or et d’argent, a officié à la guitare avec les Dogs, les Wampas, Hallyday, plus une multitude d’autres… A première écoute l’on a envie de s’écrier, Destination Inconnue, se foutent de nous ils savent très bien où ils vont, ces gars ne sont pas perdus dans le brouillard, z’ont les yeux fixés sur la ligne bleue de l’herbe américaine. Faut comprendre, vont vous en faire voir de toutes les couleurs, vous allez visiter du pays, un groupe de rockab certes, mais le rockab n’est pas apparu par miracle un beau matin, il vient de loin, l’est né dans tous les Etats du pays, l’est vrai que certains ont été davantage prolifiques et essentiels que d’autres, l’a fallu du temps pour que le rockab se cristallise, si vous jetez votre cristallin dans sa transparence vous apercevrez la draperie diaprée de toutes ses origines, blues, jazz, folk, country, je vous épargne la panoplie, l’Afrique, l’Europe, les particularités régionales, et caetera, et caetera dixit Marcus Tullius Cicero, z’avez intérêt à avoir toute la palette en tête pour goûter au mieux cet album… 

    Fame in vain : vous refilent tout un  dictionnaire en deux minutes et vingt- deux secondes, un régal, n’avez pas repéré un truc que ça passe déjà à une autre surprise, attention ça se bouscule sur la bascule, ne soyez pas captivé par le galop, ils passent la ligne d’arrivée avant vous, vous êtes obligé de vérifier la pellicule  car vous avez raté le plus important, ne serait-ce que ces trois rattellements de contrebasse non électrifiée au tout-début, le glissement des pattes sur le parquet ciré d’une souris que le chat tire en arrière, ses incisives décisives refermées sur la queue du pauvre rongeur. Fame en vingt séquences. Good man deep down : ah ! cette guitare qui sonne comme les cloches de l’église de Carcassonne, l’on quitte l’efficacité rockab pour la suffisance égoïste du country, bien sûr au milieu vous avez ces broderies pas pickée au hanneton, une autre façon de raconter la même histoire, un peu moins glorieuse, mais quel régal que ces rodomontades du gars qui a tout vécu et qui détient la sagesse absolue, image de redneck réac, conservateur, con et stupide. Bref un homme comme les autres, comme nous. Better son since I’m dad : le même que le précédent. Exactement la même chose. Mais après la face nord, voici du côté du sud, la voix de Rémi resplendissante comme le soleil, la batterie de  Guillaume qui trotte gentiment, et la  guitare d’Eddie qui vous fout son grain de sel sur l’oiseau du bonheur qui s’envole. Que l’on regarde monter dans le ciel, l’on sait qu’il va s’évanouir dans l’immensité azurée, mais l’on garde l’illusion qu’il reviendra et acceptera de s’enfermer dans la cage de notre cœur. Blowin in the holwin wind : changement de programme. Hien quoi ? What it is ! Un scandale ! Une hérésie. Un truc interdit ! Qui ne devrait pas exister ! Ils ont osé, qu’on les colle contre un mur, avec de la glue extra-forte, qu’ils ne puissent pas s’échapper, et qu’on les fusille immédiatement ! Vous ne me croirez pas, vous direz que je mens. Pas du tout ! Ils se sont permis, en plein milieu d’un disque de rockabilly, d’introduire du jazz ! Du jazz oui ! Bon, sachons comme les philosophes grecs modérer notre courroux, transformer notre ire en juste réflexion, réfréner  notre colère mauvaise conseillère. Du jazz, soyons précis, exactement du swing. Remarquons, pas n’importe lequel, sont allés directement à l’essence de cette musique de nègres délurés, du swing ! En plus ça ne valse pas mal. L’est vrai que le swing a donné naissance au beat, et le beat est le cœur beattant du rockabilly. Qu’on leur pardonne, surtout qu’ils ne recommencent pas. En cachette, repassez-moi ce morceau, s’en sortent bien de cette avanie, il faut le reconnaître, en plus la voix de Rémi qui monte et descend à toute blinde dans l’ascenseur, c’est très bien. Coffee tox : enfin un rock’n’roll, un vrai, une guitare cochranesque, un piano démantibulé c’est Guillaume qui y touche, normal c’est un instrument à percussion, que dis-je à persécution, quand il vous tient il ne vous lâche plus, un vocal à la Little Richard, connaissent leurs classiques, en plus ils font durer le plaisir, remettent le couvert pour un second service, l’Eddie il poinçonne des hameçons sur sa gratte. Jugez de ma mansuétude, moi qui suis un intox au café je passe sous silence qu’ils terminent en réclamant une tasse de lait !

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    Destination unknown :  on était dans les cinquante, on pousse le curseur sur les sixties, vous font le coup du slow, quoi les Spuny un slow, ouvrez la fenêtre que je me défenestre, un slow aux racines blues et à l’arrache vocale. Tout dans l’intensité. Vous avez une vidéo qui vous explique : deux gaminos, deux frères de sang, deux tout jeunes rockers en herbe, deux flamboyants, un poteau d’Eddie qui a disparu. Un alter égo. L’autre moi qui n’a pas eu lieu. Un hommage, lancé comme une bouteille à la mer sur l’océan de la mort. Poignard poignant. Eddie a le mauvais rôle, celui de la poste restante. In dreams : morceau composé par PC Van Der Erf, chanteur, vous le connaissez sous le nom de Jake Smithies, voir plus haut : sur les premières notes vous parieriez la dernière chemise de votre voisin, à coup sûr un instrumental, ben non Rémi n’oublie pas de chanter. Un rock léger à la Buddy Holly, qui n’est pas sans rappeler Temptation Baby de Gene Vincent, ça sautille, ça grapille, ça file droit tranquille comme une torpille, l’air de rien avec trois petits coups de rien du tout Guillaume signale qu’il mène la cavalcade, Eddie imite le bruit de la machine à coudre électrique de votre grand-mère.  Et si la vie n’était qu’un rêve ? King of Royal Street : dans le même style que le précédent, côté rockab, une petite fille qui joue à la corde dans la cour de récréation, attention, changement de tempo, côté country pour le refrain, le jeune loup aux dents longues qui se la joue et se prend pour le président de la République, j’adapte car par ici on décapite les rois, le gars s’y croit, n’empêche que les instruments s’en foutent, sont tous les trois en train de tressauter à l’élastique. Prennent leur temps. Lily May : un rock gentillet, un peu passe-partout, n’y a qu’à se laisser porter, on écoute la bluette, se terminera-telle bien ou mal. On s’en fout. On se contente d’engranger dans nos neurones auditifs la symphonie rockab, n’arrêtent pas de se repasser le mistigri, une partie de tennis à trois, car la Lily May, elle n’est qu’un prétexte, elle compte pour du beurre, Rémi fait bien le joli cœur pour donner le change, mais l’on n'y croit pas une seconde. Two flames boogie : l’on repasse aux choses sérieuses, un peu de boogie pour effacer l’impression poppy du précédent, un vocal survolté, est-ce vraiment Rémi qui chante, ne s’y sont-ils pas mis à deux, une gratte qui fait le gros dos, une bat’ qui ronronne tel un tigre, le plaisir de jouer, la joie d’offrir, une guit’ qui défrise sa moustache, Guillaume qui enfonce les clous, Eddie qui envoie des signes de détresse, la contrebasse qui trace son chemin, Rémi joue à Jimmy Rodgers, tout va bien, le train peut dérailler, on s’en fout c’est trop bien. Two pizza in a row : deux pizzas (seraient-ce deux  objets transactionnels symbolique) yes, but very hot, on the rock, tout compte fait je me demande, le premier mouvement est souvent le meilleur, si on n’aurait pas dû les fusiller tout à l’heure, là ils se défoncent, sont partis, ne se retiennent plus, c’est un peu la charge de la cavalerie légère, foncent comme des madurles, nous on s’empiffre, on bouffe ces bienheureuses pizzas jusqu’à la boîte en carton, on en raffole. Do right do write : z’ont la recette, facile, vous faites ce qu’il faut et le morceau s’écrira tout seul. C’est le même tour de main que pour les pizzas précédentes, vous enlevez le morceau au triple galop, et vous laissez filer. A fond de train. Ah les fripons, ils n’ont aucun mérite, ils savent jouer, z’ont le rock au bout des doigts, au fond du gosier, entre nous soit dit si vous connaissez un groupe de rockab aussi bon, téléphonez-moi tout de suite. Je suis preneur. Meilleur inutile de chercher, vous ne trouverez pas. Driven by blues : ouf enfin un blues, un peu simili, c’est un blues qui sent un peu  le rock’n’roll, c’est congénital chez eux, ne peuvent pas échapper à leur malédiction congénitale, c’est leur destin, ils n’y peuvent rien, ils y peuvent tout. Dang me : tiens il y a deux semaines le Cat Zengler évoquait l’adaptation française par Hugues Aufray de  King of the road de Roger Miller, les Spuny reprennent ici un autre grand succès de Miller : une belle réussite, pas facile ces passages moitié chantés, moitié parlés, une gageure, Rémi se joue des difficultés, vous imite la pie qui chante comme s’il appartenait au cercle du 3,14, parvient même à nasiller un poil de plus que l’original, sont très fidèles, z’ont réussi à renforcer l’ossature du morceau, sans que rien n’y transparaisse, leur interprétation tient toute seule. Ils n’imitent pas, ils se réapproprient. Sont doués, ou plus exactement ils ont intégré l’esprit de la musique populaire américaine, comme s’ils étaient nés et avaient grandi outre-Atlantique. Pas de panique, des petits gars bien de chez nous !

             Cet opus est une merveille.

    Damie Chad.

     

     *

             L’assassin revient toujours sur les lieux de son crime. Je n’ai pas l’envie particulière de tuer quelqu’un ce soir, quoique l’on ne sait jamais, vous connaissez les gouffres intérieurs de l’âme humaine, simplement la semaine dernière, j’ai pris un grand plaisir à parcourir les vidéos de la chaîne Western AF, alors j’y reviens. J’ai hésité entre plusieurs artistes, cela peut être fatiguant, les country boys ont souvent le cœur en mille morceaux, par la faute d’une fille, ces sales garces, enfin un peu de tenue, messieurs, soyez des hommes, des purs, des durs, des comme moi. J’en ai enfin trouvé un peu différent, alors on écoute.

    THE RED CLAY STRAYS

    (FULL PERFORMANCE – LIVE AF / 30 – 07 – 2024)

    Ils ont commencé petit, en 2016 ils étaient un simple trio de reprises de bar en bar bars, là-bas en Alabama. Deux premiers albums auto-produits en 2022, un troisième en 2024 chez RCA, jugez du chemin parcouru, suivi d’un live de la même crèmerie. Le morceau Wondering why issu de  leur first album Moment of truth devenu viral sur Tik-Tok explique ce changement de statut XXL.

             Ne sont pas du tout au même endroit que Two Runner, sont dans un bar au Callaghan’s Irish Social Club de Mobile.

    Brandon Coleman : lead vocals ,guitar / Drew Nix : vocals, electric guitar  / Zach Rishel: electric guitar / Andrew Bishop : bass / John Hall : drums Sevans Henderson : keys.

             La vidéo commence en blanc et noir, l’on ne voit pas grand-chose mais la voix Brandon raconte qu’ils ont commencé à se produire dans ce bar, avec très peu de spectateurs et une frousse bleue voici six ans, le Callaghan’s est une institution vieille de soixante-dix-huit ans dans lequel il faut avoir jouer (même si vous venez en papamobile) à Mobile. Les voici tous les six qui se dirigent l’entrée éclairée…

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    Wanna be loved : les voilà sur scène, y vont tout doux, la caméra passe sur chacun, elle s’arrête souvent sur Brandon elle a raison, la mélodie s’installe, tout le monde attend une pause, l’est tout beau, ne vous fiez pas aux paroles, qu’est-ce que c’est ce demi-sel qui a besoin d’être aimé, encore un pleurnichard, non sa façon de se tenir, rien de bien original, mais de lui émane une force, et son visage, un peu en lame de couteau, n’ayez crainte il va vous l’enfoncer profond dans le cœur, pose les mots comme quand sur la paroi d’une montagne  l’on bascule des blocs de rocher sur ceux qui essaient de vous suivre, quant aux paroles elles ne sont pas si gnan-gnan que cela, prennent une dimension métaphysique, pas parce qu’il cite Dieu, parce qu’il doute de Dieu, ce qui n’est pas très grave, mais de lui, il est au fond du trou, il ne se fait plus confiance, il ne crie pas, il hausse la voix, il n’implore pas, il retourne le coutelas du scepticisme de soi-même contre lui-même. Tous arrêtent de jouer. Silence absolu. On entendrait voler un ptérodactyle mort depuis soixante millions d’années. Devil in my ear : attention, question ambiance, le précédent vous a des allures de bourrée auvergnate, les musiciens sont au taquet, Henderson caresse son clavier de la peau de ses doigts, une coulée de guitare, Brandon brandit son vocal, il ne hurle pas, il pose les maux et derrière l’orchestration colle au plus près de la montée en puissance et des glissades en descente, l’est loin, Brandon l’est tout seul, autre part, ailleurs, comme un vers tout nu traversé par l’hameçon de la douleur, le diable dans son oreille, l’a plutôt dans le sang, dans les veines, dans les brumes de son esprit, il crie une fois, l’est dans le vertige des médicaments, produisent des effets désastreux, il titube, il tient debout par miracle, en appelle encore une fois à Dieu qui le laisse se détruire tout seul, l’est le seul qui pourra se tirer de son marasme, c’est dur à dire et d’être franc, on ne parierait pas un dollar sur sa réussite. Lui-même n’hasarderait  pas un cent. No one else like me : un cas psychique, se prend pour un cas à part, les gars derrière ne poussent pas la roue, ce n’est pas qu’il pense qu’il n’existe pas un individu aussi exceptionnel que lui sur la planète, c’est qu’il est persuadé qu’il est le pire de tous les êtres humains, alors les copains l’accompagnent, parfois faut faire semblant d’être d’accord avec les grands malades, il crie, il s’accuse de tous les mots, alors derrière la symphonie éclate, les guitares glapissent comme un lot de renard pris au piège, mais maintenant c’est John Hall qui pique une crise, joue à l’infirmier taillé comme un malabar qui dans les lunatic asylums se charge des patients impatients, vous tape sur le récalcitrant comme s’il était le grand timbalier déchaîné du Berliner Philamorniker Orkestra interprétant La Chevauchée des Walkiries, tout le reste de la section lui emboîte le galop, le Brandon n’en moufte plus une, et les autres continuent sur leur lancée… Drowning : vous me faîtes rire avec la grande dépression de 29, c’est repartir pour les fonds souterrains, le Brandon l’a une voix blanche comme un cadavre, le band ne fait pas bande à part, pour un peu pour le consoler ils se transformeraient en un harmonium au fin-fond d’une église perdue, la basse aussi tubéreuse qu’un tubercule, font tous ce qu’ils peuvent, mais Brandon vous a de ces crises de délires à vous faire peur, les copains essaient de l’envelopper d’ouate, peine perdue il hurle comme un chien à qui vous venez de marcher sur la queue, folie du gospel. Silence absolu. Il doit être mort. Pas le chien. Brandon.

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             Sont sympas pour vous remettre de vos émotions il vous offre un générique de fin. Blanc et noir. Les trognes épanouies du groupe, agapes après concert. Après ce que vous venez d’entendre vous avez du mal à penser que ce sont de joyeux drilles. Cachent bien leur jeu. Jouent leur rôle à la perfection.

    THE RED CLAY STRAYS

     (Full Performance  / Live AF / Août 2023)

    Beaucoup apprécié leur prestation. On ne change pas une équipe qui gagne. Même personnel que sur la Performance précédente, ne manquent que les claviers de Sevans Anderson.

    Sont dans la Cité de Laramie. Cet enregistrement ressemble davantage à celui de Two Runner, le groupe seul dans une vaste pièce.  Sa diffusion sur le canal Western AF a concrétisé  le succès initial de Wondering Why sur Tik Tox.

    Un simili générique en noir et blanc, le groupe en train de rouler son matos. Une atmosphère beaucoup plus roots que la précédente session, n’oublions pas qu’elle se déroule un an après celle première, ne serait que par l’apparente froideur du lieu et le ton gris-bistre de l’ensemble.

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    Stone’s Throw :  un doigt sur une corde de basse, Brandon au micro pratiquement a capella, l’a une belle gueule, rappelle un peu celle d’Eddie Cochran, tout le morceau repose sur le vocal, les autres y vont mollo, mais pas mollasson, c’est un régal d’écouter les fuselages électriques des guitares,  interviennent avec des doigts de fées, la voix gagne en puissance, du pur country, une chanson type, sur la route du retour à la maison, nous ne les verrons pas arriver, nous les laisserons à un jet de pierre de la bicoque, juste la route et la fatigue, d’où viennent-ils dans quel village débarquent-ils, on ne le sait pas, juste un instant d’éternité, la route, et rien d’autre. Avant. Après. Aucune importance. L’immensité américaine. Killers : une ballade américaine. Finie l’immensité. Juste une vie. De misère. Il est né dans la rue, il retourne à la rue. American beauty, american reality comme disaient les autres… Une vie exemplaire, le Vietnam, la mort d’un gamin, la prison, j’abrège pour ne pas vous faire pleurer ou éclater… de rire, passer à côté de son existence. Que de temps perdu… Dieu n’est pas pressé de le rappeler. Glaçant.  Une voix qui mord, des guitares qui glissent tout doucement comme des serpents venimeux qui ne veulent pas se faire remarquer.

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    Wondering Why : lisez le texte. Une bluette à l’eau de rose. Pas étonnant que sur Tik Tox les fillettes aient adoré. Ben vous allez être déçus. Une espèce de blues qui pue des pieds, complètement déglingué. Vous raconte qu’il adore cette fille qui l’aime, l’a même un peu de mal à croire à son rêve, mais de la manière dont il plante ses mots, cous croiriez qu’il est en train d’enfoncer encore et encore un couteau dans son cadavre encore chaud.  A l’entendre chanter l’on se dit que ce mec doit être inapte au bonheur. Don’t Care : dans ce dernier morceau, tout est normal, la fille est partie, et lui n’est plus qu’une épave qui n’attend plus que la mort. L’est un tantinet désespéré. Elève la voix. Derrière ils font grincer les instrus comme l’enseigne rouillée de la maison du bonheur abandonnée. Certes c’est désolant. Mais le pire c’est que l’on est obligé de constater que les trois morceaux précédents, quelle que soit la situation, elle n’est pas souvent brillante, c’est toujours la même ambiance, la même déprime, l’histoire d’in gars qui n’arrive pas à coller avec le monde qui l’entoure, avec la vie, avec sa propre existence, avec lui-même.  Chante, s’exprime, avec un tel accent de véracité que vous croyez dur comme du fer à ce qu’il raconte. Si vous rajoutez que le reste du groupe n’en fait jamais trop, jamais trop peu, qu’ils collent à son vocal comme la poisse. Comme la mort à la vie. Vous êtes obligés de reconnaître que ces maraudeurs de l’argile rouge laissent derrière eux des traces inquiétantes. Très fort.

    Damie Chad.

     

    *

    Parfois la vie vous fait de drôles de cadeaux, je sais bien que c’est Noël mais ce n’est pas une raison pour exagérer ! Bien sûr le mythe de l’Atlantide est un gouffre sans fin, mais voici qu’un courriel me met en présence d’un deuxième continent totalement inconnu. Heureusement qu’un lien internet me permet d’aborder ce mystérieux rivage en quinze secondes, mais commençons par le commencement, je vous révèle sans plus tarder l’origine de cette invitation :

    THUMOS

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             J’ouvre l’image. Je reconnais : la couve de l’EP Atlantis que j’ai chroniqué dès sa sortie au mois d’avril de cette année. Etrange, z’auraient-ils réenregistré l’opus, ajouté un ou deux inédits… A première vue, rien de spécial. Nous suivons Thumos depuis longtemps. Rappelons que Thumos est un groupe instrumental post-metal, si cette étiquette désigne vraiment quelque chose, américain. Un des plus originaux, engagé dans une bizarre aventure musicale et intellectuelle qui consiste à rendre compte dans ses opus de la pensée philosophique de Platon. Ainsi nous a été donnée leur interprétation de La République et du Banquet deux des plus prestigieux dialogues de notre philosophe.

             Par ce paragraphe nous ouvrons une parenthèse pour ceux qui s’étonnent de ce type de projet, se demandant comment l’on peut donner une idée d’ouvrages platoniciens juste par l’emploi d’une musique dépourvue de toute parole. Nous les invitons à lire la chronique suivante sur Emmanuel Lascoux qui pose et propose une méthode, c’est ainsi qu’il faut la lire, de transposition d’une œuvre en un autre langage, avec d’autant plus d’intérêt qu’il s’agit de passer d’un texte grec vieux de deux mille cinq cents ans à notre français moderne…

             Avant de quitter Thumos, bien que ce soit le sujet principal de cette Kronic, notons que Thumos ne se livre pas à une tâche stérile à prétention étroitement culturelle. Il s’agit de lire Platon pour mieux comprendre notre propre relation à notre présence au monde, à notre civilisation qui n’est pas au mieux de sa forme, nous savons depuis Valéry qu’elles sont toutes mortelles, qu’en évoquant Atlantis, Platon  pose la problématique cyclique de la disparition de toute culturalité continentale… Plusieurs disques de Thumos font référence à ce questionnement fondamental en empruntant d’autres sujets à des ouvrages qui ne sont pas directement liés aux livres de Platon.

    GBHDL

    (autrement dit)

    GAMES, BRRRAAAINS & HEAD-BANGING LIFE

             Un site d’amateurs de jeux-vidéos et de fans de musique qui vous font bouger la tête, et de par la loi aristotélicienne de la causalité ce qui s’y trouve dedans : votre cerveau. Un sacré remue-méninge. Si vous désirez vous rendre tout de suite sur cette plate-forme tentaculaire munissez-vous d’un paquet de biscuits car il y a lire et à regarder. Or chaque année GBHDL livre son palmarès : les dix meilleurs albums de metal de  l’année et le top ten des dix meilleurs EP de l’année. Vous avez deviné : l’ EP Atlantis de Thumos remporte la première place.

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             Je me méfie toujours des hit-parades, que n’importe quel groupe soit plébiscité par des milliers voire des centaines de milliers de personnes, n’est pas selon moi un gage absolu  de qualité supérieure.... Je proviens du Symbolisme, je pense à Pierre Louÿs qui ne prévoyait d’imprimer sa revue de poésie La Conque à cent exemplaires pour cent lecteurs qu’il choisissait en envoyant les bons de souscription uniquement à ceux qu’il pensait être capables de lire les douze  livraisons prévues pour une seule année.

             GBHDL me surprend agréablement. D’abord il y a deux Tops Ten chacun établi par un seul individu : Brendan et Carl. Bref sont nominés en tout vingt EPs. En numéro 1 Brendan pose Tren Kills pour Blood for the Crown. Un titre qui immédiatement fait penser à Sex Pistols. Carl, vous l’avez deviné dépose une couronne de laurier sur l’EP Atlantis de Thumos.

             Un titre a motivé ma curiosité : des français, Ways et leur EP Are Wee Still Alive ? Nous les chroniquerons dans notre prochaine livraison.

    Damie Chad.

     

    *

             Ce n’est pas un rocker, l’on se demande bien d’ailleurs pourquoi les Dieux lui ont laissé la permission de vivre, il joue même du piano Mozart, Beethoven, Brahms et tout le bataclan, oui toute la clique classique, certes c’est un esprit ouvert, une qualité qui ne lui octroyait tout de même aucune chance d’avoir une chronique à son nom dans un blogue rock, z’oui mais il a l’âme grecque, et vous connaissez mon parti pris immodéré pour la Grèce, bref on l’écoute…

    EMMANUEL LASCOUX

            Dans la vie civile il exerce la noble profession, en voie de disparition, de professeur de grec. Vient de faire paraître une traduction de L’Illiade, un dangereux récidiviste, en 2021 il s’était attaqué à L’Odyssée. Chez POL. Comme il est musicien en ce mois d’octobre il a sorti un drôle de récit intitulé Le Poids des Pianos. Inutile de vous ruer dessus, ce n’est pas une bio sur Jerry Lou. Revenons à ses homériques traductions. Elles posent problème, ce ne sont pas des traductions. Attention ce n’est pas un tricheur, il est fidèle au texte, il n’en supprime pas des passages, il ne rajoute pas des épisodes non plus. Lui, il dit qu’il en propose une version. La sienne, il ne prétend pas qu’elle est meilleure ou supérieure à toutes les autres.

             Le mot version vous a fait pâlir, de mauvais souvenirs scolaires remontent à la surface de votre mémoire, parfois la mer recrache les débris de naufrages oubliés, entendez le mot version autrement. Prenons un exemple précis : si je vous dis que les Spunyboys (voir chronique supra) vous présentent sur leur tout nouvel album une version de Dang Me de Roger Miller, le mot ‘’version’’ ne suscite en vous aucun effroi, vous êtes en pays de connaissance, la reprise est un des éléments fondationnels du rock’n’roll.

             Les textes d’Homère c’est un peu comme le texte de Be Bop A Lula, l’un est écrit en grec et l’autre en anglais. Prenez le temps d’écouter la version des Chaussettes Noires du hit de Gene Vincent. Chinoisons un peu, Homère n’a jamais écrit ses deux méga-poèmes, à l’époque de leur conception, les Grecs ne savaient pas écrire, il les composait, les imaginait dans sa tête, il les récitait, il les chantait, il s’accompagnait d’une  lyre non électrifiée. Comme l’ensemble des deux poèmes comptent plus de vingt-cinq mille vers, vous imaginez le boulot. Négligeons tous ceux qui ont participé à cette œuvre collective…

             Essayez de réciter de tête deux cens vers de Victor Hugo au dîner de communion du petit dernier. Pas facile. Vous avez dans les tirades d’Homère des trucs, on dit des moyens mnémotechniques, pour réactiver la mémoire défaillantes, des répétitions, les fameuses épithètes homériques, Achille au pied léger, par exemple.

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    Emmanuel Lascoux part du principe qu’il y en avait d’autres qui n’apparaissent pas dans le texte en notre possession, les variations de timbre du récitant-chanteur, le débit plus ou moins rapides, les mimiques qui aident l’aéde, vraisemblablement diverses positions théâtrales du corps… Les Grecs écoutaient-ils religieusement l’artiste dans un silence absolu, Emmanuel Lascoux n’est pas en accord avec cette image d’Epinal, le vin circulait, certes les récits mythiques étaient captivants mais pour maintenir l’attention du public, le texte devait aussi emprunter des expressions et des moyens élocutoires en vigueur à l’époque de ces satanées récitations. Prenez exemple sur moi, puisque j’écris pour un public de rocker je me permets de glisser dans un texte portant sur les problèmes de traduction d’Homère une allusion au pumpin’piano de Jerry Lou.

    Emmanuel Lascoux s’est lancé dans une démarche similaire. L’a décidé d’utiliser le français qui se parle aujourd’hui. Un français qui suit les rythmiques des musiques qui nous entourent, les syncopes du jazz, les accentuations slamiques, l’impact sonore du rock, il n’hésite pas non plus a utiliser le langage sonore et interjectionnel des BD onomatopiques, bim, bam, boum ! Crac, boum, hue !

    Bref il nous livre une version peu académique de l’Illiade et de l’Odyssée. Certains adorent, d’autres se bouchent le nez. Lorsque les premières traductions d’Homère ont paru à la fin de la Renaissance, les littératures grecques et latines que l’on redécouvrait étaient considérées comme des modèles insurpassables, on les révérait, on drapait les textes originaux en les styles ampoulés, les plus déclamatoires les plus châtiés, les plus respectueux, les plus grandiloquents, dignes des Dieux et des Héros… Cette tradition s’est maintenue jusqu’à aujourd’hui même si des parodies de ces épopées ont assez vite vu le jour…

    Vous trouverez très facilement sur le net de multiples vidéos dans lesquelles Emmanuel Lascoux explique sa démarche. A un niveau théorique, mais aussi pratique. Il lit le texte grec, il lit plusieurs traductions d’un même fragment effectuées par plusieurs auteurs qui l’ont précédé, et donne de multiples extraits de son propre travail. Il prend soin de mêler à ses lectures le texte grec originel, dont il essaie par la même occasion de retrouver la musicalité originelle. Tentative peu évidente, aucun enregistrement sonore ne nous est parvenu de l’Antiquité ! Actuellement, c’est un peu la mode, l’on demande à l’Intelligence Artificielle de retrouver la prononciation ‘’ originelle’’ de langues ensevelies dans les catacombes du silence dont il ne nous reste que des écrits.

    Certains s’étonneront de cette chronique consacrée à Emmanuel Lascoux, c’est oublier un peu vite les années de tâtonnements que le rock’n’roll français a tenté avec beaucoup plus d’échecs que de réussites à adapter les textes américains et anglais des artistes d’outre-Manche et de l’autre bord de l’ Atlantique. Le passage d’une langue à l’autre n’est pas évident, créer des équivalences crédibles n’est pas une sinécure. Une simple évidence : beaucoup de groupes français utilisent l’anglais…  Ecoutez voir !

    Damie Chad.