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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 9

  • CHRONIQUES DE POURPRE 674 :KR'TNT ! 674 : STEVE ELLIS / JOHN DOE / BOB STANLEY / ERRORR / TINA MASON / SETH / GRIFFON

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 674

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    23 / 01 / 2025 

     

    STEVE ELLIS / JOHN DOE

    BOB STANLEY / ERRORR

    TINA MASON / SETH / GRIFFON

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 674

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Wizards & True Stars

    - Ellis au pays des merveilles

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             Steve Ellis connaît bien le circuit. Comme Paul McCartney, Keith Richards, Ray Davies, Pete Townshend, et quelques autres survivants, il a vécu quatre ou cinq décennies d’aventures dans le monde plus ou moins magique du rock anglais. Son premier groupe Love Affair piaillait dans la couvée des sixties. Durant les seventies, il multipliait les projets de super-groupes, alors très prisés du public. Il fera sa petite traversée du désert comme tous les autres et entretiendra la flamme de sa légende avec quelques disques épisodiques et bien entendu guettés par ses derniers admirateurs. Bizarrement, ils ne sont pas nombreux dans le Gotha à le citer en référence. Jesse Hector le cite comme l’une de ses influences.

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             Steve Ellis réapparaît dans la presse anglaise une fois tous les dix ans, en moyenne, ce qui ne manque pas de scandaliser ses fans. Car bien sûr, Steve Ellis est une superstar, mais peu de gens sont au courant. Ah les rigueurs de l’underground ! Cette fois, c’est Lois Wilson qui s’y colle dans Record Collector. Trois pages ! Pas grand-chose, mais c’est mieux que rien.

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             Steve Ellis a 17 ans quand il devient célèbre avec Love Affair. Leur manager a l’idée saugrenue de les faire grimper sur la statue d’Eros à Piccadily Circus et les flicards viennent bien sûr les déloger. Ils sont condamnés par le Tribunal de Bow Street à 12 £ d’amende chacun. Steve Ellis tient à préciser qu’ils se sont rendus au tribunal de jour-là dans une Rolls blanche de location.

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             Ils sont devenus célèbres avec la cover d’un hit de Robert Knight, «Everlasting Love». On comparait alors Steve Ellis à Steve Marriott : même «magnificient soul voice». Dès l’âge de 13 ans, il est obsédé par Ray Charles qu’il voit un dimanche soir à la télé et sa mère réussit à lui payer un Best Of avec ses green shield stamps. Puis il fait partie d’un gang de mods - we were little peanuts (slang term for hard mods/suedeheads) - Les kids passent leur temps à aller chez les uns et les autres écouter les Temptations et les Miracles. Il démarre dans un groupe de R&B, The Soul Survivors, dont l’organiste n’est autre que Morgan Fisher, futur Mott. Ils tapent dans Otis Redding, Sam & Dave, Eddie Floyd. Ils jouent partout à Londres, et même au Twisted Wheel à Manchester.

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             Puis leur management veut changer le nom du groupe. Love Affair ? Steve Ellis n’en veut pas. «Not a chance». Mais comme les autres disent oui, il est baisé. Ils enregistrent des démos en 1966 à Abbey Road avec Kenny Lynch, puis Mike Vernon, et font une cover du «She Smiled Sweetly» des Stones que Steve Ellis déteste - I hated it, really hated it - Bien sûr, le single floppe et Decca les droppe. C’est Muff Winwood et CBS qui récupèrent le groupe. Un beau jour, on fit entrer le p’tit Ellis dans un studio où étaient installés quarante musiciens et on lui dit : «Vas-y, gamin, chante !» Le p’tit Steve ne s’est pas déballonné. Un verre de brandy et il a mis «Everlasting Love» en boîte en seulement deux prises. Et puis cet enfoiré de Jonathan King les reçut à la télé et leur fit dire qu’ils n’avaient pas joué sur leur disque. Love Affair était foutu. Dommage, car le groupe était vraiment très bon.

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             Il faut absolument écouter la red Repertoire The Everlasting Love Affair. Sur les 24 titres, la moitié sont de la dynamite. Avec «Everlasting Love», on flaire déjà la star chez Steve Ellis. La voix est là. Dès l’origine des temps. Une voix un peu rentrée et finement fêlée, joliment timbrée. Il chante sa pop sentimentale avec une telle ferveur qu’on tombe vite sous le charme. Il faut voir comme c’est produit : chœurs et cuivres à gogo. Le producteur chargeait bien la barcasse. On trouve aussi à la suite une version faramineuse d’«Hush», secouée à la gratte et nappée d’orgue. Et on va de surprise en surprise, avec des énormités comme «60 Minutes (Of Your Love)», Soul garage de 1968 amenée à coups d’awite et de c’mon. On retrouve cette voix énorme dans «So Sorry», groove acoustique de haut vol. Encore un hit faramineux avec «Rainbow Valley» - The sun always shines down my rainbow valley - un vrai hit sixties qui grimpe haut, très haut. Plus surprenant encore, «A Day Without Love», par sa qualité et son parfum de Soul magique. Steve Ellis s’entoure de chœurs de rêve. Il a le même feeling que Rod The Mod, il traque la note au coin de  l’octave, c’est un fabuleux décideur, hanté par la beauté, il raye sa voix à la griffe d’âme. Il shake un stupéfiant cocktail de Soul et d’anglicisme. Il est dans le vrai, mais de manière assez vertigineuse. Il vise le sempiternel. Puis il tape un heavy «Tobacco Road» et on entend Ian Miller, un guitar slinger hallucinant et pulsatif. Encore de l’acid-rock pulsé à la gratte avec «The Tree». Alors, on se pose la question : pourquoi un groupe de ce niveau est-il passé à la trappe ? Pourquoi ne fait-il pas partie du peloton de tête des groupes de rock anglais ? Ils tapent aussi une cover d’«Handbags And Gladrags». Steve Ellis se frotte à Chris Farlowe. Il en a les moyens. On trouve quelques merveilles dans les bonus, comme ce smash qu’est «I’m Happy». Ou encore «Let Me Know», une monstruosité secouée du bulbe, avec des poux incroyablement sauvages. Et «Bringing On Back The Good Times», haut de gamme orchestré à outrance. Franchement, Steve Ellis a du génie. Mais ça ne suffit pas. Il quitte le groupe en 1969. Love Affair décide néanmoins de continuer avec un autre chanteur, un nommé Gus Eader. Ils enregistrent l’album «New Day», un album de prog assez insupportable, avec des orchestrations ridicules et des structures de morceaux alambiquées. Une flûte persistante vient ruiner tous les efforts du groupe. On a même le Raymond la Science du clavier qui s’y met, alors les choses s’aggravent encore.   

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             En 1972, Steve monte un groupe nommé Ellis avec Zoot Money et d’autres musiciens beaucoup moins connus. Chas Chandler les manage. C’est l’époque des morceaux de cinq minutes à tendance proggy. Leur album Riding On The Crest Of A Slump fait partie des albums qu’on garde sans vraiment savoir pourquoi. Rien d’exceptionnel, mais pour une raison depuis longtemps oubliée, on y reste attaché. Cet album d’Ellis a pour particularité de sonner comme l’album qu’ont rêvé de faire les Faces. Steve Ellis chante «Good To Be Alive» en mode cockney. Il sonne comme Rod The Mod. Il fait partie de cette caste des grands chanteurs classiques anglais dans laquelle entrent aussi Steve Marriott, Chris Farlowe et Mike Harrison. Il sait allier puissance et feeling avec une coloration particulière. «Your Games» sonne comme un cut des Faces, mais c’est bien meilleur que ce qu’on trouve sur les albums des Faces (il faut se souvenir que Rod The Mod gardait les bons cuts pour sa pomme). Boogie-blues à l’Anglaise étonnant et massif, «Your Games» est beaucoup plus rentre-dedans que les boogie-blues des Faces. On apprécie d’autant plus ce cut qu’il survient à la fin d’une face un peu molle du genou. La belle pop énergique de «Morning Paper» rafle aussi la mise. Ce groupe avait un vrai potentiel. Pourquoi les Faces et pas eux ? Steve Ellis est un fauve. Il a la même niaque de baraque foraine que Steve Marriott.

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             Un an plus tard, ils récidivent, avec un album titré Why Not ? Eh oui, pourquoi pas ? On est en droit de se poser la question, après tout. Ils attaquent avec une belle tranche de boogie anglais qui s’appelle «Goodbye Boredom», et qui sonne comme du Marriott de l’entre-deux mers. L’«Opus 173/4» qui suit est vraiment orienté sur le marriottisme exacerbé, mais ils visent le prog avec des ponts liquido-jazzy. Les ponts coulent le Titanic d’Ellis. L’A s’achève sans heurts, et on soupçonne Zoot d’avoir ruiné l’entreprise avec ses compos à la mormoille, comme il l’a fait sur le Love Is d’Eric Burdon. Le pauvre Zoot n’a pas inventé le fil à couper le beurre. Heureusement que Steve Ellis chante bien. Ils reviennent aux Faces avec «Leaving In The Morning» et un joli son à l’Anglaise, bien typique et rythmé par de jolies montées en température. Ces deux albums d’Ellis sont vraiment destinés aux amateurs de rock seventies. Si on aime le gros boogie mal ficelé tel que l’ont joué les Faces, alors on se régalera avec Ellis et «We Need The Money Too», bourré d’une inventivité typique des projets condamnés à l’oubli.

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             Steve Ellis monte Widowmaker en 1976 avec Ariel Bender/Grosvenor, transfuge de Mott The Hoople. Don Arden les manage. Ariel déclare se sentir enfin chez lui, après cinq ans chez Spooky Tooth, un an chez Steeler’s Wheel et quatorze mois chez Mott. Huw Lloyd-Langton d’Hawkwind fait aussi partie de l’aventure. Steve Ellis déclare avoir fini Love Affair avec une armoire remplie de paires de chaussures et un rappel d’impôts énorme. Le batteur Paul Nicholls jouait dans Lindisfarne et le bassiste Bob Daisley jouait dans Chicken Shack. Ils portent tous des pompes à semelles compensées comme ça se faisait à l’époque, en Angleterre. C’est une très grosse équipe et Don Arden mise sur eux, car leur premier album sort sur Jet Records, son label. Ils jouent pas mal de balladifs, la grande maladie de l’époque, et ça se réveille avec «Ain’t Telling You Nothing», un heavy blues à la Grosvenor, bien roulé par la basse, chanté à l’Anglaise avec derrière de gras d’Ariel et d’Huw. On sent l’appétence d’Ariel pour l’heaviness, la vraie, celle des dents fantômes. Et puis t’as «When I Met You» monté sur un riff insistant. Tout est là : joli son de gratte et beau brin de voix. Ils font aussi avec «Shine A Light On Me» une sorte de gospel-rock lévitatif qu’Ariel gratte au gras double.

             Ces albums étaient bien foutus, mais dans les seventies, les albums bien foutus pullulaient. Il fallait vraiment faire des choix drastiques, car on ne pouvait ni tout acheter, ni tout écouter. Il fallait donc se limiter à suivre quelques élus et leur consacrer du temps. Nous savons tous qu’un album livre ses secrets au fil des écoutes successives. Le meilleur exemple est celui du White Album des Beatles. 

             Trop de tension dans Widowmaker. Steve Ellis et Huw rentrent en Angleterre après trois mois de tournée aux États-Unis. Ils n’ont que 5 livres en poche. Fidèle à sa réputation, Don Arden a empoché tout le blé. Steve Ellis est excédé : «Fuck this, Huw, I’m out of it !» Il jette l’éponge. Don Arden le poursuit en justice, mais il perd le procès.

             Steve Ellis reçoit ensuite des tas de propositions. Beaucoup de gens le voulaient comme frontman : Jeff Beck, les Status Quo, et même Mott. Chaque fois, il refuse. No way.

             En 1979, il enregistre The Last Angry Man. Mais l’album ne sort pas. Shelved, comme on dit en Angleterre. Au placard. Il ne paraîtra que 23 ans plus tard, sur un petit label anglais qui veille au grain, Angel Air.

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             Inutile de dire que c’est un big album. On retrouve le géant Ellis au pays des merveilles sur «Hear You Woman», the real cool one, et la descente de guitare qui l’accompagne vaut tout l’Or du Rhin. Avec «Hang On Joey», il se distingue encore du lot. Sur ce terrain du balladif, il reste imbattable. Sa spécialité est le balladif improbable qui s’agrippe aux parois du gouffre. Avec «Rag And Bone», il grimpe au sommet de l’Ararat. Il multiplie les grands écarts et va chercher des pointes à la Rod The Mod. Puis il tape une resucée superbe d’«Everlasting Love». Nouveau balladif de grande ampleur avec «Wind And A Lady». Il se hisse sur des nappes d’orgue. Angel Air propose des bonus délicieux, comme ce «El Doomo» monté sur une mélodie enchanteresse. Vraie merveille et envolée certifiée, avec des climats intermédiaires spectaculaires. Ellis t’mmène au pays des merveilles. Il envoie «Shark Shoes» valser dans ta cervelle. Mais tout ceci n’est rien à côté d’«I Lost My Feelings». Là, il tire sur sa voix. Il transforme un honnête petit balladif en très gros rock anglais. Sa compo tape dans l’œil du cyclope. Avec ce cut, Steve Ellis entre dans la légende du rock anglais. Il a la diction, le râpeux et le son suit. Ce chef-d’œuvre se termine en boogie d’avant-garde - cauz’ I lost my  feelings - Tout aussi puissant, voilà «She’s Leaving». Il déploie ses ailes. On a du gros son anglais pour pas cher. Le carnage se termine avec «Warm Love», encore du gros son à l’Anglaise, le meilleur du monde, surtout quand on a un chanteur comme lui. 

             On comprend que Steve Ellis puisse être assez désillusionné pour se retirer du circuit. Il s’installe à Brighton et devient docker. Une pelle mécanique lui tranche un pied en deux. Suite à cet accident, il va marcher pendant huit ans avec des béquilles. On ne le reverra sur scène qu’en 1997, lors d’une Small Faces Convention.

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             Angel Air réédite en 2011 la bande originale du film «Loot» dans laquelle chante Steve Ellis. Il a derrière lui une grosse équipe (comme d’habitude, pourrait-on ajouter) : Clem Cattini au beurre, Big Jim Sullivan à la guitare et Herbie Flowers à la basse. Mais les cuts ne sont pas très bons. Ce disque est réservé aux inconditionnels de Steve Ellis. L’ambiance générale relève plus du music-hall, et dans les chœurs on retrouve la crème de la crème, c’est-à-dire Madeline Bell et Doris Troy.    

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               En 2011 paraît aussi sur Angel Air Ten Commitments, un album solide. Ça démarre sec avec «Don’t Let Me Be The Only One», une pop de Soul anglaise haut de gamme digne des Supremes, entraînante et vraiment très solide. Avec «Hit The Spot», on retrouve le rock seventies claqué à l’accord et tapé à la cloche de bois. Ça sonne comme du Free ou du Mott. La veine reste exploitable, pourvu qu’il y ait une voix, comme c’est ici le cas. Steve Ellis frise la Stonesy. Belle envolée avec «Perfect Sunday» : grande élégance de la narration, balladif bien construit. Fantastique. Groovy cut avec «Please Please Me». Sacré Steve, il reste sur la brèche. Il continue de faire de bons albums à l’ancienne. Il respecte les traditions, à cheval sur le rock anglais et cette Soul américaine dont se sont nourris tous les kids d’Angleterre. Ce qu’on entend là est du groove de discothèque extrêmement évolué - c’mon please please oh yeah - Évidemment, c’est sexuel, comme tout ce qui touche aux pistes de danse, aux petits pantalons serrés et aux coupes de cheveux soignées. La sexualité est la réalité de la Soul. Quand on dit hot, on parle de sexe, et comme Steve est un romantique, il aime les petites nanas qui acceptent de danser - please please - elles adorent qu’on les supplie de faire des choses. C’est le slow des temps d’antan qu’on entend ici. Il chante comme un white nigger. C’est un dieu du stade de la Soul anglaise. Il ne parle que de plaisir, et par elle, et par lui - I wanna please you so please please me/ Make me blue - On revient toujours au point de départ : la bite. «Thank You Baby For Loving Me» est un vrai hit de r’n’b. Steve Ellis est un meneur. On l’entend à sa voix. «We Got It» est le gros slow de fin de soirée, mais avec de la bravado. Steve Ellis a du génie, ses syllabes s’ébrouent. Il reste bienveillant et grandiose. Il règne sur un royaume invisible. Il chante divinement, mais qui le sait ? Tu ne le verras jamais en couverture des magazines de rock français. Heureusement qu’Angel Air veille sur sa destinée. Il fait monter son «We Got It» très haut. C’est un travailleur de la nuit. Il ne lâche pas sa prise.

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             Un autre petit label anglais nommé Talking Elephant vient tout juste de faire paraître les Lost Demos qu’on croyait vraiment perdues et qui datent de 1969 : Rolling With The 69 Crew. Une fois de plus, la crème de la crème des musiciens anglais l’accompagne. Sur le disk 1 : Clem Cattini, Herbie Flowers, Big Jim Sullivan et d’autres. Sur le disk 2 : Caleb Quaye, Zoot Money, John Steele et d’autres. Steve attaque avec une reprise de Barry Mann et Cynthia Weil, «Good Time Livin’», grosse pièce de Soul-pop. Il ose taper dans le classique de James Brown, «It’s A Man’s Man’s Man’s World» et le prend au shout balama. Il trempe aussi dans l’excellence balladive avec «Lean On Me». On apprécie son caractère, c’est un garçon direct, vif d’esprit qui répond sans détours, qui excelle dans le dépouillé et qui chante d’un beau timbre fêlé. Il prend aussi le «Rainy Night In Georgia» au stade mélodique le plus avancé. Reprise bien orchestrée de l’«Holly Holy» de Neil Diamond. Impérieux ! On sent chez lui un goût affirmé pour la démesure. Il transforme aussi ce petit slow misérable qu’est «Sympathy» en furtif parfait d’interprétation élémentaire. Il tape dans Jimmy Webb avec «Elvis» et là on ne rigole plus. Les choix de Steve Ellis ne sont jamais innocents. Il traverse les ambiances grandioses de Jimmy Webb avec la même aisance que Richard Harris dans «MacArthur Park». Il rejaillit au sommet des gerbes comme Marvin Gaye, et il se laisse glisser dans la poussière d’étoiles. Prodigieuse expressivité, avec derrière des chœurs de folles. Franchement, Steve Ellis peut être fier de son génie. Le disk 2 vaut aussi son pesant d’or. Présence immédiate dès «I Don’t Know Why». Il traite l’âme du groove à la manière forte. Sa version de «Gimme Shelter» est bonne, mais il a oublié l’explosion finale. Il enfile ses classiques de rock seventies comme des perles («Pisces Apple Lady», «Way Up On The Hill», «I Got A Feeling», «Can’t Stop Worryin’» et «Take Me To The Pilot») et on tombe aussitôt après sur une bombe atomique : «Hold On», le jerk des enfers, pure merveille de fusion instrumentale et d’expression vocale chauffée à blanc. Ce mec est dans l’intensité absolue. Il chante avec une ferveur unique au monde. Sa version d’«Hold On» aurait dû exploser à la face du monde.

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             Et puis l’idéal est de voir Steve Ellis chanter. C’est très facile. Angel Air propose un DVD intitulé Last Tango In Bradford. On est frappé par la modestie du personnage. Il arrive sur scène pour chanter «Hush» et il ne semble pas très à l’aise. Il tape dans un tambourin. Il porte une grosse veste claire. Son backing-band tient sacrément bien la route. Il impose une sorte de profond respect. Puis il chante «Handbags and Gladrags» les yeux fermés. Il y a tout ce qu’on aime chez un chanteur de rock : l’extrême acuité du feeling et une allure de star naturelle. Il chante ensuite «Bringing On Back The Good Times», pop sixties des jours heureux, et fait du pur Motown avec «If I Could Only Be Sure». On a sous les yeux l’un des géants du rock anglais. Il tape ensuite dans le Spencer Davis Group avec une reprise de «Gimme Some Lovin’», puis un hit des Temptations, «Ain’t Too Proud To Beg» qui reste pour lui l’un des meilleurs groupes de tous les temps. Il finit évidemment avec «Rainbow Valley», «Everlasting Love» et «Out Of Time». Le DVD propose aussi une interview. Il s’y montre direct, clever et même fascinant. No bullshit. Comme dans ses disques.

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             Joli retour de Steve Ellis en 2018 avec Boom Bang Twang. Paul Weller traîne dans les parages, on s’en doute. On tombe très vite sur un groove de charme intitulé «Sitting In Limbo». Steve Ellis ressort sa plus belle voix de white nigger pour l’occasion. On se croirait chez Malaco, Coco. Ce mec groove son chant au maximum des possibilités. Quelle fantastique présence ! On ne s’étonne plus qu’il soit devenu culte. Avec «Tobacco Ash Sunday», il renoue avec l’esprit des grands balladifs anglais, de type Chris Farlowe et Small Faces. Mais l’ensemble de l’A reste un peu au-dessous du niveau de la mer. Il faut attendre «Lonely No More» en B pour tomber sur un hit. Andy Crofts y joue une bassline de rêve. Il règne dans ce hit l’extrême onction des jours heureux. Steve Ellis s’oriente vers des choses plus musculeuses avec «Cry Me A River». On note la présence d’Andy Lewis au bassmatic et de Steve Craddock à la guitare. Pour des Anglais, ils sonnent très funky. Steve Ellis s’approprie son cut, il en a les moyens physiques et intellectuels. Et on grimpe directement au firmament avec Mike d’Abo et son «Glory Bound». Très grande chanson anglaise, très apaisée et très horizontale. Aussi poignante qu’«Handbags And Gladrags». Mike d’Abo fonctionne exactement comme Jimmy Webb, au fil d’or mélodique - Bless my soul/ I’m glory bound - Et Steve Ellis jette tout son poids de superstar underground dans la balance.

    Signé : Cazengler, Steve Hélas

    Love Affair. The Everlasting Love Affair. Repertoire Records 2005 

    Love Affair. New Day. Repertoire Records 2008

    Ellis. Riding On The Crest Of A Slump. CBS 1972

    Ellis. Why Not ? CBS 1973

    Widowmaker. Widowmaker. Jet Records 1976

    Steve Ellis. The Love Affair Is Over. Angel Air Records 2008

    Steve Ellis. Ten Commitments. Angel Air Records 2011

    Steve Ellis. Loot. Angel Air Records 2011

    Steve Ellis. Last Tango In Bradford. DVD Angel Air

    Steve Ellis. Rolling With The 69 Crew. The Lost Masters. Talking Elephant Records 2013

    Steve Ellis. Boom Bang Twang. Sony Music 2018

    Lois Wilson : Mod almighty. Record Collector # 561 - September 2024

     

     

    L’avenir du rock

     - John a bon Doe (Part Two)

             — Chères téléspectatrices, chers téléspectateurs, bonsoir. Nous avons le plaisir de vous présenter notre invité, la personnalité préférée des Français : l’avenir du rock.

             Bernard Pivert se tourne vers l’avenir du rock :

             — Cher avenir du rock, nous allons vous soumettre au questionnaire de Proust, afin que nos chères téléspectatrices et nos chers téléspectateurs puissent mesurer autant que faire se peut l’envergure de votre voilure. Première question : votre vertu préférée...

             — La Doe-lérance.

             — La qualité que vous préférez chez un homme ?

             — Le Doe-nant-Doe-nant

             — Et chez une femme ?

             — La Doe-cilité.

             — Quel est le principal trait de votre caractère ?

             — Le Doe-Doe-isme. Doe-Doe est mort ! Vive Doe-Doe !

             — Qu’appréciez-vous le plus chez vos amis ?

             — La Doe-lescence.

             — Quel est votre principal défaut ?

             — La Doe-pe.

             — Et votre occupation préférée ?

             — Me Doe-rer la pilule.

             — Quel est votre rêve de bonheur ?

             — Dormir Doe à Doe avec Brigitte Bar-Doe.

             — Quel serait votre plus grand malheur ?

             — Me trouver le Doe au mur.

             — Que voudriez-vous être ?

             — Un Doe-ghnut.

             — Quel est le pays où nous aimeriez vivre ?

             — Les Doe-lomites.

             — Quelle est la couleur que vous préférez ?

             — Le bor-Doe de pérylène.

             — La fleur que vous aimez ?

             — Le bouton Doe.

             — L’oiseau que vous préférez ?

             — Le cor-Doe. Croâ croâ....

             — Quels sont vos auteurs préférés en prose ?

             — Doe-stoïevski.

             — Vos poètes préférés ?

             — Edgar Allan Doe et son tra-Doe-cteur, Doe-delaire.

             — Vos héros dans la fiction ?

             — Doe-nald. Coin coin...

             — Vos héroïnes favorites dans la fiction ?

             — Doe-phélie. Glou glou....

             — Vos compositeurs préférés ?

             — Country Joe McDoe-nald. Gimme a F ! Gimme a U ! Gimme a C ! Gimme a K !

             — Vos peintres favoris ?

             — Doe-natello. Bon, c’est pas bientôt fini ? Je commence à en avoir plein le Doe de toute cette Doe-be !

     

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             Il a raison, l’avenir du rock. On aurait tous craqué avant lui. Le pire, c’est que Bernard Pivert n’a même pas remarqué de l’avenir du rock profitait de l’émission en direct pour faire l’apologie de John Doe.

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             John Doe et Exene claironnent sur tous les toits que Smoke & Fiction sera l’ultime album d’X. On verra bien. En attendant, on est ravi de retrouver le panache d’un X qui savait chanter à deux voix, ils tapent «Sweet Til The Bitter End» comme au temps de «The Have-Nots». Quelle magnifique dégelée royale ! Ils n’ont rien perdu de leur formidable vélocité et de la grande aisance de leurs débuts. On retrouve cette fantastique clameur de chant à deux voix dans «Flipside», pas de problème, ils roulent-ma-pool comme s’ils avaient encore vingt ans. Exene tape dans le dur de «Big Black X», elle ne craint ni le diable ni la mort. Encore une belle attaque en règle avec «Struggle», hey ! L’éclat du power-poppisme d’X est intact, et t’as en guise de cerise sur le gâtö un killer solo de Billy Zoom. Ils parviennent tous les quatre à maintenir leur niveau originel de wild punk-rockers angelinos. Toujours cet effarant punch du chant à deux voix dans «Baby & All». Les X auront été un modèle de cashin’ down et t’as le Billy Zoom qui en rajoute une couche. Alors on peut se demander au sortir de l’écoute : à quoi bon refaire de l’X comme au bon vieux temps, 45 ans plus tard ? Pour la beauté du geste. Ils ont cette bonté d’âme qui leur permet de perpétuer l’X art. T’en reviens pas de les voir à l’œuvre.

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             Comme l’occasion fait le larron, on profite d’Uncut et de sa rubrique ‘Album by album’ pour fondre à nouveau sur X comme l’aigle sur la belette. À propos de Smoke & Fiction, Doe dit qu’il a fait le tour - we had kind of wrapped thing up - Il ajoute qu’il embrasse tout en même temps, «le passé, le présent et le futur all at once.» Il cite d’ailleurs les deux derniers albums de Dylan en référence. Et d’ajouter, en mode Doe motion : «The recording was total punk rock, we did the basic tracks in three days.» Et Exene conclut, mortifère : «If it’s the last record, it’s a good ending.» Doe revient aussi bien sûr sur l’excellent Alphabetland de 2020 - That made us believe that the past was the past and the future could be something great - Doe rappelle dans le paragraphe concernant le premier album d’X, Los Angeles, qu’il est arrivé à Los Angeles en 1976 et qu’il s’intéressait «à la contribution de cette ville au cinéma, à la littérature, mais aussi aux Doors et à Love.» Ray Manzarek repère X au Whisky et Doe dit que Manza est devenu son mentor. C’est d’ailleurs Manza qui produit Los Angeles et les trois albums d’X suivants. Il est aussi important de rappeler que Doe et Exene étaient mariés. Pour Wild Gift, Doe cite Jeffrey Lee Pierce comme influence principale. 

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             On va profiter de l’occasion pour jeter une oreille sur le dernier album solo d’un John qu’a bon Doe, Fables In A Foreign Land. Bon, c’est pas l’album du siècle, mais on passe un bon moment à l’écouter. Il continue de cultiver son sourd power à relents country («Down South») et sort de son chapeau des cuts dont on ne voit pas bien l’intérêt («Guilty Bystander»). Il reste très à l’aise, même à cheval («El Romance-o») et montre qu’il sait gratter dans une cabane en bois («Missouri»). L’album se réveille en sursaut avec «The Cowboy & The Hot Air Balloon», un fast rockab troussé à la hussarde angelinote. Il est tellement à l’aise qu’il fait plaisir à voir. En bon protéiforme, il passe au fast rock manouche angelino avec «After The Fall». Et puis t’as la fantastique allure de «Destroying Angels». John Doe est un bon. Dans tous les cas de figure, ça reste du haut niveau. Quel dépotage ! Back to the bop avec «Travelin’ So Hard». C’est un slap très particulier, mais bien réel. Le bon Doe est capable de tout. Globalement, il reste le solide songwriter que l’on sait. Il sait gratter au long cours («Where The Songbirds Live»). Ses cuts accrochent terriblement.

    Signé : Cazengler, John plein-le-dos

    1. Smoke & Fiction. Fat Possum Records 2024

    John Doe. Fables In A Foreign Land. Fat Possum Records 2022

    Album by album. Uncut # 329 - September 2024

     

     

    Wizards & True Stars

    - Stanley your burden down

     (Part Two)

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             Avant de se re-plonger dans l’univers foisonnant des compiles que fait Bob Stanley pour Ace, il est peut-être opportun de rappeler qu’il est aussi un fantastique écrivain, sans doute l’un des auteurs britanniques les plus complets. À force d’être convainquant, PolyBob devient attachant. Comme Peter Guralnick, il propose des gros books, ces books qu’on appelle des sommes, et il faut s’armer de patience pour en venir à bout, mais on en sort toujours édifié, voire ravi. PolyBob écrit merveilleusement bien, et il excelle dans l’art des portraits.

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             En 2023, la presse anglaise avait ovationné Let’s Do It: The Birth Of Pop. Ce fat book de 500 pages n’est pourtant pas d’un accès évident. Car PolyBob y traite d’une pop qui n’est pas celle qu’on croit, puisqu’il s’agit de la pop américaine du début du XXe siècle, celle qui précède Elvis en 1956 et les Beatles en 1963, c’est-à-dire celle de Bing Crosby, de Judy Garland, de Frank Sinatra, de Glenn Miller, de Nat King Cole, de Peggy Lee, et bien sûr, le fameux Great American Songbook. Autant le dire tout de suite : l’ouvrage est passionnant et donne envie d’écouter tous ces artistes, tous ceux qu’on taxe volontiers d’has-been et dont PolyBob chante merveilleusement les louanges. Les portraits qu’il brosse sont tous spectaculairement bien réussis. Par sa concision et par cette facilité qu’il a d’aller à l’essentiel, PolyBob rejoint Nick Kent dans le peloton de tête des grands stylistes de la rock culture anglaise. L’exploit est d’autant plus remarquable qu’il semble avoir tout écouté. On se demande d’ailleurs comment un auteur peut couvrir une telle surface, connaître autant d’artistes et de disques. Dans son introduction, Polybob indique qu’il n’aborde ni le jazz, ni le rock. Il en  profite pour rappeler qu’il aborde le sujet du rock et du modern pop age dans son Let’s Do It’s sister volume, Yeah Yeah Yeah.

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             L’un des premiers grands portraits qu’il brosse est celui de Duke Ellington. Il a une façon très particulière d’introduire l’objet de sa fascination pour le Duke : «Je connais des gens qui disaient, le plus sérieusement du monde, qu’ils pourraient passer le restant de leurs jours en n’écoutant que Bob Dylan, et que son œuvre était tellement fournie qu’on ne pouvait craindre l’ennui. Mark Perry, fondateur du fanzine Sniffin’ Glue, m’a dit un jour la même chose à propos de Frank Zappa, et je ne crois pas qu’il plaisantait. Je ne crois que je pourrais fonctionner de la même manière, mais si quelqu’un me met un jour un canon sur la tempe et me demande de ne choisir d’une seul twentieth century performer, alors je dirai Duke Ellington.»  Le Duke ne croyait qu’en la musique populaire - Popular music is the good music of tomorrow - Il disait encore : «Jazz is music, swing is business.» En 1933, nous dit PolyBob, les Européens voyaient le Duke comme «an African Stravinsky» et les critiques croyaient que la musique du Duke révélait «the very secret of the cosmos» et contenait «the rhythm of the atom». Apparemment, le Duke proférait des tas de choses intéressantes, du genre : «Art is dangerous. When it ceases to be dangerous, you don’t want it.» Et PolyBob résume magistralement le génie du Duke : «Ellington incarnait l’American style and grace. He was all of American music: personne n’avait comme lui un don pour mélanger le jazz, le blues, le gospel, le ragtime, même le folk et la musique classique.» PolyBob le qualifie même de «sophisticated mystery».

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             Tu découvres Bing Crosby lorsque tu vois Un Jour De Pluie À New York, un Woody Allen sorti en 2019. Pendant le générique d’entrée, Bing Crosby chante «I Got Lucky In The Rain». C’est l’enchantement immédiat. Tu n’oublieras plus cette voix extraordinaire. PolyBob consacre un fiévreux chapitre à ce héros d’un autre temps - Bing had swing, an ear for timing and a voice to articulate it, and that’s something you can’t fake. Son timing était tellement fort que les musiciens le suivaient, ce qui est rare pour un chanteur. And his voice was elegant and effortless, a rich, two-octave baritone that he used like a painter, playing with shades and shadows, colouring the music - PolyBob cite Ralph Gleason qui écrivait en 1953 : «Bing is the personification of the whole jazz movement - the relaxed, casual, naturel and uninhibited approach to art.» C’est Bing la superstar ! PolyBob repart de plus belle - C’est presque obscène de dire à quel point Bing était célèbre en son temps, et de voir qu’aujourd’hui, il n’est presque plus rien - PolyBob se met en pétard et sort les chiffres : 5 ans numéro un au box office, de 1944 à 1948, 400 hit singles, un record que personne n’a jamais égalé, ni Sinatra, ni Elvis. Bizarrement, après Elvis, il cite aussi Beyoncé et Kanye West, on ne sait même pas qui sont ces deux-là. En 1931, Bing était l’«America’s brightest singing star, adoré des hommes, des femmes, et même des musiciens», se marre PolyBob. CBS lui a même filé un radio show qui a duré 25 ans. Bing donnait parfois d’extraordinaires explications : «I am not a crooner. Un crooner est une personne qui chante avec la moitié de sa voix et qui tape les notes perchées au falsetto. I always sing in full voice.» PolyBob ajoute que Bing avait tout appris de Louis Armstrong, et d’ailleurs Louis et Bing s’a-do-raient. Bing disait de Louis qu’il était «le commencement et la fin de la musique en Amérique», et Louis répondait que Bing était un «natural genius the day he was born. Quand Bing a ouvert la bouche pour la première fois, he was the boss of all singers and still is.» Tony Bennett en rajoute une caisse : «There was really no one else. He was like fifteen Beatles.» Bing aimait aussi picoler. Pour clore le chapitre Bing, PolyBob se fend d’une petit coup de génie stylistique : «Everything Bing did fitted together as part of his persona. Everything came easy to him, even dying.» Toute cette érudition passionnée mêlée à de l’humour te donne le vertige. Et bien sûr, tu vas aller écouter Bing.

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             Le book devient une sorte de manège enchanté, tu sautes d’une légende à l’autre comme si de rien n’était, tu passes de Bing à Judy Garland, et PolyBob fait d’elle une reine, il nous raconte la fin tragique de Judy à Londres. PolyBob dit que la comédie musicale s’est éteinte avec elle - What’s left ? Cabaret, starring her daughter, Liza Minnelli - PolyBob oublie de citer New York New York. Il considère les grands hits de Judy comme des «clear high points of twentieth-century culture.» Il dresse aussitôt un parallèle entre les vies tragiques de Judy (qui démarre sa conso de pills à 10 ans, sous la férule de sa mère) et de Billie Holiday, qui fut violée à 10 ans par un voisin, qui a quitté l’école à 12 ans pour aller toute seule à New York et y mener deux carrières de front : servante et pute. En 1946, on qualifie Billie d’«America’s No. 1 Stylist». Elle tourne avec Lester Young qui la baptise Lady Day, et en retour, elle le baptise Prez, c’est-à-dire President. Quand l’instituteur Abel Meeropol présente à Billie «Strange Fruit», la chanson qu’il a écrite, Billie dit à ses musiciens : «Some guy has brought me a hell of a damn song.» C’est là que les ennuis de Billie commencent. On connaît tous l’histoire par cœur, mais PolyBob se fait un devoir de la redire, 9 mois de ballon pour possession d’hero, et à sa sortie, on lui interdit de jouer dans les clubs qui servent de l’alcool - They were cutting off her oxygen - Quand elle se produit à Londres, elle sort du cauchemar - They call me an artist, not just a singer - et là PolyBob se met à délirer : «Que serait-il arrivé si Billie Holiday s’était installée à Londres ? Un album with Tubby Hayes ? Un rôle dans The Roar Of The Greasepaint d’Anthony Newley ? Un duo avec Dusty Springfield dans son TV Show ?»

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             Il faut bien comprendre une chose : tout le book est de ce niveau. PolyBob n’en finit plus de nous donner envie d’explorer ce continent inconnu. En guise de chute au chapitre qu’il consacre à Glenn Miller, voilà ce qu’il écrit : «Glenn Miller doesn’t need jazz history on his side. He left his music frozen in time, like Buddy Holly, Eddie Cochran, Ian Curtis and Kurt Cobain. It is as permanent as stone.» Quelle épitaphe !  

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             Il rend bien sûr hommage au Bebop qui fut en son temps une révolution - Bebop, like Dada, was a silly name given to something of some seriousness - Pur PolyBob ! Il réussit à tout dire en une seule phrase. Une catchphrase. Il re-situe Charlie Parker, Bud Powell et Dizzy Gillespie dans l’Amérique des années 50, celle d’Ernest Hemingway et de Jackson Pollock - The big names included Parker, Gillespie and Thelonious Monk, the second string included a trumpet player - still a teenager in 1945 - called Miles Davis - Comme le punk-rock en Angleterre, le Bebop ne dure qu’un temps. En 1950, c’est fini, Diz est parti faire son Latin-jazz orchestra, Bird va casser sa pipe en bois à 34 ans, en 1955, et Miles part à l’aventure, «always keeping his ‘fuck-you’ attitude intact.»

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             Et puis PolyBob en arrive à Sinatra - Frank Sinatra is the fulcrum of this book - On ne sait pas ce qu’est un fulcrum, mais on imagine qu’il s’agit d’une pierre angulaire, ou d’une clé de voûte - Il a compris et assimilé tout ce qui le précédait. He dictated what would happen in the immediate future, et les différentes époques de sa carrière - pin-up boy vocalist, album-oriented adult singer, late-period duets - are still a blueprint pour les artistes du XXIe siècle - Frankie reconnaît l’influence de Billie : «Billie Holiday, whom I first heard in 52nd Street clubs in the early thirties, was and remains the single greatest influence on me.» PolyBob ajoute que Frankie & Billie ont eu «a short, mad romance in the early 1940s.» Et dans la foulée, il insinue qu’à cause de Frankie, des tas d’Anglais des années 40 et 50 rêvaient d’être américains. Mais à 36 ans, Frankie était rincé. Plus de contrat, endetté et sans avenir. Il va redevenir superstar à 42 ans. Il est sur Capitol, mais il veut quitter Capitol pour monter son propre label, Reprise. Et ça marche ! PolyBob nous dit que la première année, Reprise ramasse 4 millions de dollars, et Frankie signe à tours de bras : Bing Crosby, Count Basie, Duke Ellington, the Hi-Los, Jimmy Witherspoon, Lex Baxter, et puis sa fille Nancy. Et dans son élan, PolyBob nous raconte l’explosion du Frankie-biz : «Au début des années 60, Sinatra pilotait Reprise, mais aussi quatre publishing companies basées au Brill Building, une série de radio stations dans le Pacific North West and a hotel-cum-casino in Reno, Nevada. Il avait aussi des actions dans le Sands Hotel, Las Vegas et une film production company called Essex Productions. He was a big time operator.» Polybob frise l’apoplexie quand il annonce que Frankie a la vision de la télé payante - The way I see it is that pay-TV has got to come - Il raisonne sur la base d’un film par an - Then you show it on colour TV to forty million people at, say, fifty cents a head. Do that three times - pow pow pow - and you’re really in business - Comme PolyBob est un esprit effervescent, il s’extasie devant celui de Frankie. Ces pages sont effervescentes et le book le devient, par la force des choses. PolyBob remet le turbo sur l’effervescence avec The Rat Pack, c’est-à-dire Frankie, Sammy Davis et Dean Martin, et boom, il repart sur Sammy Davis - un performer virtuose qui savait tout faire, singing, tap-dancing, mimicry, comedy -  un homme difficile à cerner car nous révèle PolyBob, il était aussi membre  de l’Anton LaVey Church Of Satan, et membre un groupe radical du Black Power, The Blackstone Rangers. Retour en force sur Frankie qui avec «Strangers In The Night» déloge le «Paint Black» des Stones de la tête des charts anglais, puis déloge le «Paperback Writer» des Beatles de la tête des charts américains. PolyBob est drôlement bien renseigné. Frankie va aussi taper dans «Mrs Robinson» de Paul Simon, et le «Downtown» de Petula, puis «My Way» qui va rester 122 semaines dans le top 50 américain, un record inégalé. On reste dans le grand concert des louanges avec Watertown, «an incredibly bleak but beautiful album» - His voice, the Voice, was reaching the end of the line. Watertown would become a bookend - Et PolyBob chute ainsi : «Frank Sinatra retired in 1971, having just made arguably the greatest album of his career.»

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             En lisant ces pages hautes en couleurs, tu éprouves exactement ce que tu éprouvais en 1973 à la lecture du Rock Dreams de Nick Cohn & Guy Peellaert, une sorte de suffocation extatique continue. PolyBob illustre lui aussi ses portraits, mais avec un souffle, le souffle d’un styliste remarquable doublé d’un érudit passionné. On replonge dans sa Légende des Siècles avec le «loud-talking and fast-living» Wynonie Harris, un mec capable d’entrer dans un bar, de sauter sur une table et de clamer : «The blues is here !». Entre 1945 et 1950, il pond 14 R&B hits, dont «Good Rocking Tonight», l’un des cuts candidats au titre de first rock’n’roll record. PolyBob cite aussi «All She Wants To Do Is Rock» - The rhythm was heavy, square on the beat and irresistible, and the lyrics were often shamelessly filthy - PolyBob décrit encore Wynonie comme «handsome, charismatic, outrageously confident.» Longtemps, le Big Daddy Catalogue de Crypt a proposé une petite bio de Wynonie Harris (Rock Mr. Blues : The Life & Music Of Wynonie Harris, de Tony Collins) : nous allons y revenir prochainement. Mais les hits de Wynonie étaient trop sexués et donc censurés par les radios.

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             Comme PolyBob met le nez dans le blues avec Wynonie, il en vient fatalement à évoquer d’autre pionniers célèbres, les frères Ertegun, et donc il va fatalement flatter leur honnêteté. Ahmet voulait se distinguer des autres businessmen du record biz : «We were people who went to universities.» Quand Ruth Brown devint célèbre, on surnomma Atlantic «The house that Ruth built». PolyBob fouille dans les racines du blues et nous raconte l’histoire de John Lomax lancé à la poursuite de Robert Johnson. Manque de pot, Johnson a dragué la gonzesse qu’il ne fallait pas et trois jours plus tard, il casse sa pipe en bois, empoisonné. Déçu d’avoir raté le coche, Lomax bougonne dans son coin quand un black lui dit qu’il en existe autre «down the street who plays bottleneck and sings high just like Robert Johnson.» Pouf ! Sur qui qu’il tombe le Lomax ? : Muddy ! Un  Muddy qui du coup va devenir le lien entre le «prehistoric Delta blues et the full flowering of the 1960s rock era.» PolyBob dit les choses avec une concision extraordinaire. Son langage est si clair qu’il n’est pas besoin de le traduire. Direction Chicago et Aristocrat qui devient Chess en 1950. On y retrouve Muddy et son gang, c’est-à-dire Jimmy Rogers et Little Walter Jacobs «who fed his instrument through an amplifier so it sounded like a demented train whistle.» PolyBob fait quelques lignes sur Little Walter, un Little Walter «who siphoned Louis Jordan and jazz solos through the harmonica.» Il ne rate pas une si belle occasion de rappeler la fin tragique d’un Little Walter qui avait passé sa vie à chercher l’embrouille et à se battre : «En 1968, il jouait aux dés dans la rue et il reçut un coup de barre à mine sur le crâne alors qu’il essayait de ramasser le blé. He went to bed that night and never woke up.»

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             PolyBob repart de plus belle avec Peggy Lee, il chante les louanges de Black Coffee (cited as a favourite by Joni Mitchell) et l’even better Dream Street, puis de l’«avant-garde folk of Sea Shells», enregistré en 1956. Il se prosterne encore devant «The Folks Who Live On The Hill», disant de ce cut signé Jerome Kern qu’il a une «unreal quality, and it gets me every time.» Et crack, t’as ça dans la foulée : «Twin totems of 1950s vocal jazz, Sinatra and Lee were peers, equals, ans clearly admired the heck out of each other, but their approaches were opposite extremes.» Peggy Lee était une «farm girl from North Dakota» et PolyBob cite Mike Stoller qui la qualifie de «nice bunch of gals.» Nous voilà chez les géants d’un autre temps. PolyBob ajoute que Peg faisait le lien entre le «vocal jazz and modern R&B, it couldn’t be bettered, and Elvis Presley would copy Peg’s version («Fever») almost note for note on his 1960 album Elvis Is Back.» Peg allait taper dans Ray Charles, Leiber & Stoller, Tim Hardin, les Kinks et les Lovin’ Spoonful dans les mid-’60s, mais aussi dans Goffin & King et dans l’«Everyday People» de Sly Stone. Puis PolyBob nous raconte l’épisode «I’m A Woman» que Leiber & Stoller composent en 1963 et qu’ils proposent à Marlene Dietrich qui leur dit : «That is who I am, not what I do.» Ils font ensuite passer une démo à Barbra Streisand qui ne répond même pas, puis une autre à Peggy Lee qui les rappelle une semaine plus tard pour les prévenir que s’ils filent cette chanson à quelqu’un d’autre, elle leur tordra le cou. «This my song. This is the story of my life.» PolyBob parle en effet d’un «first-wave feminist anthem». Et une fois de plus, PolyBob soigne sa chute : «The world’s greatest and most famous songwriters visiting her misty house on the hill, paying their respects, bearing her gifts - it was exactly what she deserved.» PolyBob parle bien sur de Leiber & Stoller («Is That All There Is») et de McCartney («Let’s Love»).

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             PolyBob s’attarde aussi longuement sur les déboires de Nat King Cole avec les racistes, notamment ce concert de Birmingham, Alabama, où des blancs montent sur scène pour lui péter la gueule. «Stage invasion by racist thugs.» Nat : «Man, I love show business, but I don’t want to die for it.» Et PolyBob d’ajouter : «He never went back to Alabama.»

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             Puis il salue Gene Vincent et son «sex-charged ‘Be-Bop-A-Lula’». C’est l’une des plus belles descriptions de l’early Gene : «Vincent looked like a no-goodnick. His hoodlum mates sang in teenage jive speak, and the instrumentation was sparse and harsh.» Des punks ! Puis sur la page en vis-à-vis, PolyBob s’extasie sur Earl Bostic ! -

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    Pretty much everything he did - especially in the 1950s - was great - Il se retrouve avec «Temptation» sur King, le label de Syd Nathan, puis arrive «Flamingo», «chargé de quelque chose d’excitant, d’illicite, même de dangereux, voire de violent, but most definitely modernistic. It was futuristic R&B sound, an early roar of rock.» PolyBob y voit l’ancêtre du «Rock With The Caveman» de Tommy Steele. Et il repart de plus belle, à s’en brûler les ailes : «Earl Bostic is maybe the secret pop-futurist of this book, a half-forgotten hero whose music is full of elements that art music - classical or jazz - can never touch or discover. Only deep R&B diehards seem to treat him with due reverence.» Et quand PolyBob dit ça, il sait de quoi il parle. Un peu plus loin, il salue Barry Mann et le Brill, un Barry Mann qui voulut être un hit recording artist au début des années 60, puis dans le milieu des années 70, mais ça n’a pas marché. C’est vrai que ses albums solo te laissent sur ta faim. Clin d’œil aussi aux rois de l’easy listening, les Swingle Singers de Mobile, Alabama, PolyBob salue leurs da-buh-da harmonies. Puis il s’achemine vers la fin du book avec Tom Jones (Hello Gildas !), «a soul-singing beefcake qui basait son style sur celui du New York baritone Chuck Jackson.» PolyBob invente même des mots pour honorer le power de Tom Jones : il parle d’une «stone-quarrying voice». Il souligne encore un détail éminent : Jones était un vrai music fan, car il tapait dans les chansons d’«underevalued singers like Charlie Rich, Mickey Newbury and Bobby Bare.» Ça a l’air d’un détail insignifiant, mais ce genre de détail parle bien aux connaisseurs. PolyBob salue aussi le come-back kid en Jones, puisqu’il va enregistrer le «Sugar Sugar» des Archies avec Jack White, des cuts d’Hooky avec Booker T., et chanter en première partie de Morrisey. Et PolyBob de conclure sèchement : «In becoming all things to all people, I’m sure he’s had a lot of fun, but he’s no Scott Walker.»

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             Dans un dernier chapitre, PolyBob rappelle qui sont les «most talented musicians in this book» - Armstrong and Crosby, Holiday and Garland, Ellington and Sinatra - Et dans l’épilogue, il salue bien sûr l’héritier de toute cette culture, Nilsson, et notamment A Little Touch, «far ahead of its time.» Parmi les héritiers, il cite aussi ABC et Lexicon Of Love. Et voilà comment il nous fait provisoirement ses adieux : «J’ai écrit ce livre pour célébrer cette époque différente qui nous a donné Frank Sinatra et Sophie Tucker, Sweet Charity et Showboat, Billy May et Count Basie, «Moon River» et «What’ll I Do», et pour établir une chronologie, pour moi et pour tous ceux que cette époque intéresse. Bien que la pop se soit constamment réinventée, le miracle c’est que l’époque évoquée dans ce livre a d’une certaine façon réussi à voyager pour faire partie de notre époque. C’est assez magique, et je ne saurais trop insister pour dire que le plus important, c’est d’écouter cette musique et de l’apprécier tant qu’on peut encore le faire.» Il conclut sur un vers de Jimmy Webb, «And while we are dreaming, time flies.»

             Back to the compiles. Il est essentiel de re-dire l’importance de cette série ‘Bob Stanley presents’. La presse anglaise les salue rituellement et on y finit par s’y intéresser. On découvre alors une collection de compiles thématiques extrêmement riche dans sa diversité, dans son éclectisme, tout est très bien documenté, à l’image de PolyBob qui est un obsédé de la pop devenu par la force des choses un érudit, un acteur de cette culture et donc un auteur. Chaque épisode de cette série te permet de passer une bonne soirée et de découvrir pas mal de choses. Tu te crois toujours évolué dans ce domaine de connaissance, et heureusement des mecs comme PolyBob sont là pour te rappeler qu’au fond tu ne sais pas grand-chose, et qu’il est peut-être temps de jeter enfin ton putain d’orgueil à la poubelle.

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             Pour Tim Peaks (Songs For A Late-Night Dinner), PolyBob choisi d’établir un parallèle entre le Pacific North West des États-Unis et l’English North West lui aussi très pluvieux. Si David Lynch a choisi d’établir son Twin Peaks dans le Pacific North West, PolyBob établit son Tim Peaks dans l’English North West, du côté de Manchester. Pourquoi Tim ? Parce qu’il co-signe cette compile avec Tim Burgess des Charlatans, né dans le coin, près de Manchester. Cette compile est donc la bande son de Tim Peaks. Ambiance musicale très bizarre, cette fois - Order another Tim Peak coffee. There’s no clock on the wall. It’s cold outside. Stay awhile - PolyBob maîtrise parfaitement l’art de planter un décor. Les grandes leçons qu’on va retirer de cette compile sont les Blue Orchids avec «A Year With No Head» (le groupe le l’ex-Fall Martin Branah, avec l’esprit bassmatic de The Fall, foutrement intéressant), The Clientele avec «I Had To Say This» (réelle présence et voix posée, + un brin de psychedelia - Absolute masters of atmospheric reverb, nous dit PolyBob), et bien sûr Galaxie 500 avec «Flowers». On y sent bien le poids du Velvet, à l’instar de l’instinct, au cœur de la solace urbaine, à la corde de la concorde, et là tu dis oui. Coup de cœur encore pour les Stockholm Monsters et «Fairy Tales», joué à l’orgue de barbarie, le mec traîne bien la savate du cut, il multiplie les dissonances, le chant déraille un peu, ça avance cahin-caha. Les nappes d’orgue sont extra-sensorielles. Franchement c’est excellent. Bon, t’as d’autres choses, The Chills avec «House With A Hundred Rooms» une pop qui ne vieillit pas très bien, Durutti Column avec «Lips That Would Kiss», trop weird pour être honnête, et puis t’as toute cette pop anglaise mal à l’aise (The Royal Family & The Poor et «I Love You»), une pop mal nourrie, boudeuse, autistique, qu’en a rien à foutre de toi. Le «Slow Motion» de Jane Weaver qui est assez beau, Birdie avec un «Blue Dress» assez planant et très doux, et tiens, t’as encore une folle du sucre, El Perro Del Mar avec «Dog». Saluons aussi le beau post-punk de Charity Belt («Different Now»), bien chargé de bonnes intentions, mais comme on sait, les bonnes intentions ne suffisent pas.

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             PolyBob sort deux compiles en 2020 : Occasional Rain et 76 In The Shade. Une drôle de baraque en devanture d’Occasional Rain. Le premier jour de 1970, PolyBob ouvre la radio et entend dire que les Beatles vont se séparer. Beaucoup de chansons parlent du manque de direction et de la pluie. Voilà de quelle façon il conclut son texte d’introduction : «Comme la compile English Weather, celle-ci essaye d’illustrer la naissance d’une nouvelle décade, le souvenir d’un samedi après-midi pluvieux passé à fouiller dans les bacs, à se demander si on va acheter le nouveau Tull ou tenter le coup avec l’album de Christine Harwood qui se trouve dans le bac à soldes (go on, you won’t regret it).» Alors on écoute le «Question Of Time» de ladite Christine Harwood : elle est assez perçante, mais pas déterminante. Par contre, Catherine Howe l’est davantage avec «Innocence Of Child». Elle fait sa sirène, avec un joli sens de l’ampleur. Elle est infiniment jazzy. PolyBob adore voir Catherine Howe jazzer. Il la compare à Laura Nyro. Il rappelle aussi qu’elle est orchestrée par Bobby Scott. PolyBob flashe aussi sur Mandy More qu’il compare à Lynsey De Paul. Sur «Come With Me To Jesus», Mandy est divine, diaphane tout le long, et puissante au final. PolyBob a raison de rappeler que Sunbeam a réédité Mandy More. L’autre belle surprise de la compile est l’«Out & In» des Moody Blues. Belle surprise encore avec Pete Brown & Piblokto et «Station Song Platform Two». Ce magnifique interprète se glisse bien dans sa pop. Et la couronne du jour revient à Michael Chapman avec «Postcards of Scarborough». Lui, c’est la superstar de l’ongle sec. Il gratte des poux enchantés. Quant au reste, pas de surprise : Traffic reste Traffic, Duncan Browne reste Duncan Browne, même s’il joue avec le calme et la tempête («Ragged Rain Life»), Keith West reste Keith West, Cressida reste Cressida, même avec un bassmatic dévorant («Home & When I Long To Be»). Et puis Yes se montre explosif de pureté purpurine avec «Sweetness».

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             Pas de baraque sur 76 In The Shade. Juste un couple assis au bord de la route pour picniquer. C’est la canicule. Cette fois, PolyBob évoque l’été 1976, et tape dans la Black avec par exemple Smokey Robinson et «Get Out Of Town» : fast & easy, comme une superstar. Puis t’as David Ruffin avec l’heavy dancing Soul de «Discover Me». Il a su garder tout le power des Tempts. Et puis voilà la révélation du jour : Hollywood Freeway et «You’re The Song (That I Can’t Stop Singing)». C’est nous dit PolyBob l’hamony heavy pop de Tony Rivers, ex-Castaways, un groupe qui enregistra le «Girl Don’t Tell Me» des Beach Boys sur Immediate. Puis les Castaways sont devenus Harmony Grass, et PolyBob nous recommande chaudement This Is Us. Et pour compléter le panorama, PolyBob nous révèle que Frankie Valli a fait une cover de «You’re The Song (That I Can’t Stop Singing)» et que Tony Rivers a écrit ses mémoires (mais le book est intouchable : hors de prix). La Sylvia qu’on croise avec «Not On The Outside» est bien sûr celle de Mickey & Sylvia. C’est tellement excellent ! - an atmospheric, bossa-touched piece of exotica which demands your full attention - Sweet sucre carribéen. T’as aussi le «Stay With Me» de Blue Mink, avec Madeline Bell qui monte au sommet du climaxing pour une apothéose de bliss. On croise aussi The Emotions avec «Flowers», trois blackettes de Chicago, d’abord du Stax, et là, au paradis. C’est à Carmen McRae que revient l’honneur de refermer la marche, avec le «Music» de James Taylor. Puissance immédiate. Là, t’as la vraie voix. So c’mon ! Elle va te swinguer le rock de Soul jusqu’à l’oss de l’ass.

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             Retour au Deep South avec Choctaw Ridge. New Fables Of The American South 1968-1973. Dans son intro soignée, Martin Green rappelle que «le monde de Choctaw Ridge - ses habitants, ses mystères et ses morts tragiques - fut essentiellement bâti par Bobbie Gentry.» «Ode To Billie Joe» fit de Bobbie une superstar. Voilà donc une compile placée sous l’égide de la belle Bobbie. À l’époque, nous dit Green, Tony Joe White et Nancy Sinatra grattaient à la même porte. Il cite aussi Mike Nesmith, via les Monkees. On l’entend Nesmith, avec le First Nationl Band et l’excellent «Joanne». PolyBob est en extase devant le «biggest American hit single» de Nez. Pur genius de country Soul, avec le yodell du diable. On retrouve un autre génie de l’humanité, Jim Ford avec son fameux «Harlan County». Ford qui fut le boyfriend de Bobbie clamait qu’il avait écrit «Ode To Billie Joe». Il a aussi co-écrit «Niki Hoeky» qui allait devenir un hit pour son ami P.J. Proby. PolyBob rappelle aussi que Ford fit partie de la Family Stone et qu’on le voit dans le collage qui orne la pochette de There’s A Riot Goin’ On. Et puis, t’as encore ce copinage avec Bobby Womack. PolyBob n’oublie rien. Avec «Harlan Counry», Ford casse bien la baraque ! Tony Joe White est là avec un «Widow Wimberly» gratté au raw to the bone, et Bobbie Gentry avec «Belinda». Pure Southern Magic, avec un banjo dans le son. C’est à Lee Hazlewood que revient l’honneur d’ouvrir le bal avec «The House Song», et «Alone», avec Suzi Jane Hokom. PolyBob indique que Love And Other Crimes est probablement sa «strongest and most cohesive collection.» Retrouvailles avec le crack Jerry Reed et «Endless Miles Of Highway». Reed est l’auteur des fameux «Guitar Man» et «US Male» qui vont faire le bonheur d’Elvis. Premier petit choc révélatoire avec Jeannie C. Riley et «The Back Side Of Dallas». Elle tranche bien dans le tas. Vraie voix. Pareil pour Hoyt Axton et «Way Before The Time Of Towns» : il tranche lui aussi bien dans le tas. PolyBob qualifie son album My Griffin Is Gone de «country-pop masterpiece». Elvis et Ringo Starr vont même enregistrer ses compos, alors taquavoir. Encore un petit choc révélatoire avec Dolly Parton et «Down From Dover». Sa paire de miche a fait rêver les rednecks, mais ici, c’est sa voix qui fait rêver les becs fins. Son Dover est à la fois prenant et captivant. PolyBob indique que Lee & Nancy ont fait une cover de Dover. Charlie Rich ? Pas de surprise. «Julie 12 1939» sonne comme un groove de round midnite, dont Charlie est l’un des grands spécialistes. Nouvelle découverte : Henson Cargill et «Four Shades Of Love». L’indéniabilité de la choses ! Une vraie merveille de délicatesse country. Grand choc compilatoire avec Kenny Rodgers & The First Edition et «Ruby Don’t Take Your Love To Town». PolyBob indique que Rogers sonnait comme Rod The Mod et que sa principale influence était Sam Cooke. Ça joue au soft ventre à terre avec des faux airs de Fred Neil.  

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             Avec Winter Of Discontent, PolyBob revient sur le DIY britannique d’après le punk. Un genre musical qui s’attaque à tout, au capitalisme, au pacifisme, à l’oppression masculine, PolyBob grouille d’exemples, il parle d’un son «souvent art-school based, a kind of urban British folk inspired by Vivian Stanshall, Syd Barrett & music hall.» Beaucoup de projets privés, homemade, qui dépendaient du Rough Trade shop de Portobello Road ou du John Peel Show. Les plus connus de tous ces groupes DIY sont bien sûr les Television Personalities (ici avec «King & Country», solid TV set), The Raincoats (ici avec «Fairytale In The Supermarket», pure incarnation du post-punk, hirsute etc.), Scritti Politi (ici avec «Confidence», groove délibéré, forcément très intéressant), The Fall (ici avec In My Area (Take 2)», big Fall-out, tout de suite du son, du chant et du Smith), The Mekons (ici avec «Where Were You», cheap & easy, do it ! Pur jus de pop primitive, cockney en diable) et toujours, bien sûr, les Blue Orchids de Martin Barmah et Ura Baines, qui tirent toujours très bien leur épingle du jeu (ici avec «Work», belles nappes d’orgue, chant perçant, très anglais). La découverte : Performing Ferret Band avec «Brow Beaten», très DIY UK bit. Il n’existe rien de plus primitif que ce Brow Beaten. Autre belle surprise avec The Zounds et «Can’t Cheat Karma», un shoot de post-punk cockney du meilleur effet. Joli nom de groupe aussi pour les Fatal Microbes. Elle chante son «Violence Grows» au petit sucre anglais, on comprend pourquoi c’est tombé dans l’oubli. Bien sûr, beaucoup de ces singles sont anecdotiques, c’est peut-être ce qui intéresse PolyBob. The Good Missionaries proposent un «Attitudes» trop tiré par les cheveux. et on accueille à bras ouverts «Exhibit A» et le raw punk d’«In The Night». Pour le reste, laisse tomber. 

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             Avec London A To Z, PolyBob te légifère la legacy. Quelle fantastique compile ! C’est du London town pur jus. Tu te balades dans Londres avec Cat Stevens («Portobello Road»), Linda Lewis («Hampstead Way», sucre suprême, et derrière, elle a un fou des poux), Dana Gillespie (la petite pop bucolique de «London Social Degree», wow, Dana a du coffre), et puis Ralph McTell avec «Kew Gardens». Sans PolyBob, tu te dis que tu passerais à côté de toutes ces merveilles, alors merci PolyBob ! Voilà Nick Drake avec «Mayfair». Lui, on le capte aussitôt. Itou pour Cilla Black et «London Bridge» : pur jus de superstar. Elle éclaire la terre. Puis tu arrives à la vraie dimension du son anglais avec Magna Carta et «Parliament Hill». Big London groove d’excelsior. Davey Johnstone gratte des poux d’une véracité extraordinaire. Et puis t’as Humble Pie avec «Beckton Dumps», Stevie Marriott reste le roi du speed-it on. PolyBob arrache d’autres merveilles à l’oubli : Edwar Bear avec «Edgware Station», Al Stewart avec «Swiss Cottage Manoeuvres», lui c’est un chanteur, un vrai, un enchanteur. Nouvelle aubaine avec Shelagh McDonald et «Richmond» : voix de rêve. Te voilà envoûté, et l’envoûtement se poursuit avec Julie Driscoll, Brian Auger & The Trinity et «Vauxhall To Lambreth Bridge». Jools forever.

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             Et puis t’as ce fantastique hommage au proto-punk britannique : Incident At A Free Festival. PolyBob résume ça en trois lignes : «The sounds were heavy and frequently funky, with a definite scent of danger. Their message was clear and simple: clap your hands, stomp your feet and hold on to your mind.» Pour situer la scène proto-punk des festivals anglais de 1970, PolyBob a la main lourde : Pink Fairies, Edgar Broughton Band et Hawkwind, pour les plus connus. Le «Do It» des Fairies te passe littéralement sur le corps et t’adores ça. Johnny fais-moi mal ! Wild as fucking fuck ! Ils sont à la pointe du progrès. Même chose pour Edgar Broughton avec «Out Demons Out» et l’une des intros du siècle dernier. Wow, comme on a pu adorer ça, et t’as ce départ en solo qui te file encore des frissons. Eh oui, ces freaks britanniques font du Beefheart ! PolyBob a choisi l’«Ejection» d’Hawkwind, tiré de Doremi Fasol Latido, et là t’as tout le protozozo. L’heavy Brock is on fire ! Stupéfiant de power. Parmi les autres cakes, tu retrouves Andwella avec «Hold On To Your Mind», fabuleux David Lewis, et plus loin, Atomic Rooster avec «Tomorrow Night». Du son, oui, mais ça reste du Rooster. Stray est là aussi avec «Taken All The Good Things», mais c’est la voix d’adolescent attardé qui ne va pas. Tu croises aussi May Blitz qui essaye de casser la baraque avec «For Mad Men Only», c’est presque réussi. PolyBob a choisi un mauvais cut de Stack Waddy («Meat Pies ‘Ave Come But Band’s Not ‘Ere Yet»), et puis tu entres dans la zone des découvertes avec James Hogg et «Lovely Lady Rock». Ça joue au gras double. Quelle stature ! Trois singles et puis plus rien. Pareil pour Paladin avec «Third World» - Something to the sound of the Last Poets but given a Phun City tweak, nous dit PolyBob - Superbe et plein de vie. La super-révélation vient avec Slowload et «Big Boobs Boogie». Ils tapent bien dans le protozozo. Ce mec chante comme Johnny Rotten avant Johnny Rotten. Et puis t’as Leaf Hound avec «Freelance Friend». Eux, ce sont les pires. Les plus heavy de la bande. Même si Dave Richardson qui suit avec «Confunktion» se couronne empereur de l’heavyness à la cathédrale de Reims.

    Signé : Cazengler, Stan laid

    Tim Burgess & Bob Stanley. Tim Peaks (Songs For A Late-Night Dinner). Ace Records 2019

    Bob Stanley/Pete Wiggs. Occasional Rain. Ace Records 2020    

    76 In The Shade. Ace Records 2020   

    Bob Stanley/Martin Green Present Choctaw Ridge. New Fables Of The American South 1968-1973. Ace Records 2021

    Bob Stanley/Pete Wiggs. Winter Of Discontent. Ace Records 2023

    Incident At A Free Festival. Ace Records 2023

    Bob Stanley Presents: London A To Z. Ace Records 2024

    Bob Stanley. Let’s Do It: The Birth Of Pop. Pegasus Books 2023

     

     

    Errorr fatal

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             Des Berlinois dans la cave. On ne va pas rater une occasion pareille. Sont quatre, dont un chanteur guitariste que tu connais de vue, mais tu sais plus. Déjà vu, mais zoù ? Bon, bref, les voilà qui grattent leur Kraut dans une semi-obscurité bleutée.

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    Ah pour gratter, ça gratte ! Y grattent à deux. Une petite brune gratte à gauche. Elle est extrêmement sexy dans son petit haut blanc, sa jupe plissée, ses collants filés et ses cuissardes de drag queen. On sait qu’elle s’appelle Olga, car on a papoté avec l’équipe qui la suit partout pour la filmer. Deux caméras et un mec au son avec sa perche. Apparemment, ils montent un docu sur Olga. Comme le mec du zoù déjà vu, Olga gratte ses poux sur une Jaguar. Le début du set n’impressionne pas plus que ça.

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    On connaît ce son par cœur, depuis le temps des shoegazers, ils plombent bien leur atmosphère, ils rament bien dans leurs sargasses, les cuts se succèdent dans les méandres d’une nonchalance berlinoise, franchement tu ne sais pas ce que tu vas pouvoir raconter, et puis tu vois Olga piquer des petites crises d’hystérie pouilleuse du plus bel effet, elle cherche à créer un climat de folie, dommage qu’elle n’ait pas pensé à se rouler par terre comme Carrie Brownstein, la bras-droite de Corin Tucker dans Sleater-Kinney, ça aurait donné un peu plus de caractère à un set qui n’attendait que ça.

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    Voilà qu’ils s’enlisent dans les inévitables morceaux lents, et comme chaque fois, tu constates que ça brise les reins du set, comme ce fut le cas, t’en souvient-il, avec Underground Youth. Et puis, le zoù déjà vu annonce «two more cuts», et bam !, c’est là que tout explose. Soudain, tu n’as plus d’yeux que pour le petit batteur !

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    Il est magnifique de power, c’est lui qui mène la danse, et tu fais aussitôt le lien avec le batteur de Can, Jaki Liebezeit. C’est exactement la même powerhouse, il vole le show, tu vois un grand batteur à l’œuvre, avec des baguettes qui dansent autour de son visage, il fait la loco comme seul Jaki Liebezeit savait la faire. On croit toujours que battre le beurre consiste à taper comme un sourd sur des fûts, mais non, c’est tout un art, il faut du délié de poignets et du power dans les bras, quatre membres indépendants, il faut énergiser le beat pour lui donner des ailes, il faut que le beat vienne danser entre tes reins, et ce mec danse sur son tabouret, tu le vois palpiter en rythme, il bat un beurre faramineux, et bien sûr, tout explose. Te voilà encore fois sur la Piste aux Étoiles.

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             Au merch, quand tu demandes à Olga si le petit CD rouge est le premier album, elle te dit yes, alors qu’en fait c’est le deuxième album, qu’elle vend en vinyle. Comme ils n’ont pas la même pochette, tu prends les deux. Bon, bref, c’est pas grave, l’essentiel est de faire marcher le petit commerce. Et quand, rentré au bercail, tu pars à la pêche aux infos, ta vieille lanterne s’éclaire : le zoù déjà vu s’appelle Leonard Kaage et tu l’as vu récemment sur scène à la gauche de Craig Dyer dans Underground Youth. C’était donc ça ! Son groupe Errorr souffre apparemment du même mal qu’Underground Youth : trop de morceaux lents. Trop de tue-l’amour. Quand on a un batteur comme celui-là, c’est du gâchis que de le faire jouer en bas régime.   

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             L’album s’appelle Self Destruct. Leonard Kaage y joue de tous les instruments, accompagné sur certains cuts par deux autres mecs. Olga signe la photo de pochette, avec un modèle. Self Destruct est un album extrêmement énergique. Belle entrée en matière avec «Innocent», Leonard le renard berlinois se donne les coudées franches. Sa disto en impose. Il part en mode fast drive avec «Just Another». Il se tape une belle cavalcade de Kraut, et ça bat au heavy beat berlinois. C’est d’ailleurs l’un des deux cuts de fin de set. Leonard le renard berlinois sait donner du volume à son son, comme le montre encore «Paranoia», c’est vraiment bien bardé de la bardasse. Il te sature tout de belle disto, il adore foncer dans le tas, comme le montre encore «8 Hours 5 Days». L’«Heroine (Got To Let Go)» qui ouvre le bal de la B des Anges donne bien le change et force l’admiration. Voilà un encore cut qui traîne bien de la savatasse. On se croirait presque chez les Cramps avec «Not Even Bored» et sa basse fuzz. On reste dans le lourd et lent qui n’ira pas au paradis avec «Makeshift Happy». Leonard le renard berlinois transforme le plomb de Self Destruct en or atmospherix, et il emprunte un riff au premier Sabbath pour «With Love From The Grave». En voilà un qui sent bon la tombe.

    Signé : Cazengler, grave errorr

    Errorr. Le Trois Pièces. Rouen (76). 19 décembre 2024

    Errorr. Self Destruct. Atomic Records 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - Tina pas cent balles ?

             Baby Tinette ? Ses parents ne l’avaient pas ratée en la baptisant ainsi. Elle était foutue d’avance. Que ce soit à l’école, dans les circuits professionnels ou dans ses relations sentimentales, tout le monde allait prendre un malin plaisir à se foutre de sa gueule. Elle n’avait absolument aucune chance de trouver un jour un équilibre, ou même simplement un moment de répit. Sa scolarité fut un enfer. Les garces dans la classe n’en finissaient de faire «prout prout» derrière elle. Ce fut encore pire en secondaire. Les adolescentes sont d’une cruauté qui dépasse l’entendement. Elles firent semblant de la prendre en affection, manifestèrent même une sorte de compassion, et lui firent un cadeau pour son anniversaire. Elle ouvrit le paquet sans se méfier. C’était bien sûr un balai à chiottes. Elle en fut traumatisée pour le restant de ses jours. Jusqu’au bac, elle n’adressa plus la parole à aucune des filles de la classe, même aux plus gentilles qui n’osaient pas aller vers elle, à cause de sa mine renfrognée. Baby Tinette entra dans sa vie de femme comme tout le monde. Elle rencontra un mec qui paraissait gentil, et même timide. Tout se passa bien tant qu’elle n’avoua pas son secret. Elle louait une chambre de bonne, à proximité du bureau où elle travaillait comme secrétaire, et le mec vint la déflorer chez elle. Ils fumaient la fameuse ‘clope après l’amour’ et il posa la question qu’il ne fallait pas poser :

             — Comment tu t’appelles ?  

             — Embrasse-moi encore...

             Ils s’embrassèrent longtemps, et le désir revenu, ils s’abandonnèrent de plus belle aux plaisirs de la chair. Chaque fois qu’il se réveillait, il lui posait la même question. Alors elle l’embrassait et le serrait dans ses bras de toutes ses forces. Puis, lorsqu’il se fût endormi pour de bon, elle se leva et alla se pendre avec la corde à linge.

     

             Pas de bol pour Tinette. Tina a eu la chance d’avoir des parents moins cons. On dit toujours que la vie ne tient qu’à un fil, et c’est parfois valable même avant la naissance. Tina a eu toutes les chances du monde, et Tinette zéro.

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             C’est David Axelrod, alors jeune producteur chez Capitol, qui repère Tina Mason à Disneyland, où elle chante. Une nuit où Axelrod se balade dans un parc, il est sauvagement agressé par des mecs, prend un coup de couteau dans le bide, et qui vole à son secours ?, H.B. Barnum qui après avoir dégommé les mecs emmène Axelrod à l’hosto où on le recoud vite fait. Ils deviennent potes et rassemblent en 1967 la crème de la crème pour enregistrer l’album de Tina chez Capitol - A somptuous blend of Bacharachian LA soft pop - On voit rarement des albums aussi cultes. Puis elle va partir en tournée avec Paul Revere & The Raiders et épouser le bassman Phil Fang Volk. Elle se retrouve sur scène devant des foules de 50 000 à 80 000 personnes. À l’époque, les Raiders sont extrêmement populaires, dans le Nord des États-Unis et au Canada.

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             Fantastique album que ce Tina Mason Is Something Wonderful, réédité en 2008. Elle attaque au Burt pur avec «Are You There» et là tu piges tout suite : grosse prod d’album culte. Elle tape ensuite une prodigieuse cover de «Cry Me A River». Elle a le sucre et le power du sucre.  Tina, tu la croises aussi dans les parages de Chip Taylor. Elle fait sa Dusty lookalike avec «You Go Your Way», elle explose ses cuts quand ça lui chante. Sa voix porte dans l’espace du Brill. Elle sait aussi taper en plein dans le mille de Motown, comme le montre «Life And Soul Of The Party». Power et sucre, telles sont ses deux mamelles. Elle rentre par la bande dans «Just Say Goodbye», elle chante en biseau à la Judy Garland, et elle t’explose le Brill vite fait. Tina est un phénomène ! Elle est chaude, avenante, fière et dressée. Elle tient bien tête. Non seulement elle a du monde derrière, mais elle a aussi du génie, c’est encore ce que révèle «A Good King Of Hurting». Elle accroche son power au plafond, c’est très spectaculaire. Elle groove son «Crazy He Calls Me» comme Liza Minelli, elle a du sang black dans les veines, ses effluves se mêlent aux humeurs de la Soul. Et voilà «You Can Have Him» soutenu au gimmick de cordes graves. Alors qu’elle swingue comme une black, ça monte en crescendo. Elle met tout son power dans son sucre perçant. Elle tape encore en plein Brill avec «The Way Of Love», c’est orchestré à outrance. T’as H.P. Barnum et Axelrod derrière, alors ça ne rigole pas. Pur genius productiviste ! Dans les bonus, tu vas tomber sur l’«Anyway That You Want Me» de Chip, l’heavy pop par excellence. On trouve aussi sa version du «Lost That Lovin’ Feelin’» enregistrée en 1965. Elle la prend du bas, elle est juste, infernalement juste, et le monte à sa taille. Dans l’interview qui suit, elle dit adorer les Beatles et Nancy Wilson. Fabuleuse poulette !

    Signé : Cazengler, franc Mason

    Tina Mason. Tina Mason Is Something Wonderful. Now Sounds 2008

     

     

    *

    Un, deux, trois, quatre, cinq, six, Seth ! Je ne l’ai pas fait exprès, je me suis stupidement perdu en chemin. Suite à ma chronique sur Rituel dans la livraison précédente, je m’étais dit que ce ne serait pas idiot de chroniquer De Republica de Griffon, mais mon cerveau a tilté, je me rassure en me disant que les Génies Supérieurs de l’Humanité eux aussi sont appelés à commettre ce genre d’erreur, bêtement au lieu de me rendre sur le label griffonesque Les Acteurs de l’Ombre, il devait y avoir de la brume sur le clavier, j’ai tapé sur Season Of  Mist et suis tombé en contemplation sur :

    LA FRANCE DES MAUDITS

    SETH

    (Season of Mist / 14 – 07 – 2024)

    Se revendiquer de Seth pour un groupe de metal tombe sous le sens : un des premiers dieux de l’Egypte dont il magnifie les terres arides et désertiques, un Dieu violent et brutal, chaotique, nous aimons à imaginer qu’il a inspiré Lovecraft lors de la création de la figure de Nyarlathotep dieu du kaos rampant… quelques millénaires plus tard le christianisme obsédé par l’infrangible fossé qui séparait les notions morales du mal et du bien  assimila le personnage de Seth à un équivalent de Satan, l’Adversaire, celui qui avait osé s’opposer à Dieu. Cette filiation imaginaire possédait l’avantage de voiler le souvenir du Lucifer, le révolté porteur de lumière… Cette vision christique et dichotomique occultait l’idée première selon laquelle, n’étant que les symboles des forces autodestructrices ou les ferments régénérateurs qui veillaient à l’équilibre du monde, les dieux des deux bords étaient nécessaires, inséparables de l’équilibre universel de l’univers…

    Fondé en 1995, Seth se fit remarquer dès 1998 par son premier album : Les Blesssures de l’Âme. Le groupe se sépare en 2005. Il renaît de ses braises en 2011, mais ce n’est vraiment qu’en 2021 qu’il entre dans une nouvelle ère avec l’enregistrement de La Morsure du Christ. Mayhem et Rotting Christ se doivent d’être évoqués lorsque l’on essaie de retracer le parcours de Seth.

    La couve est magnifique. En arrière-plan la façade de L’Observatoire de Paris. Fondé en 1667 par Louis XIV, le bâtiment est traversé en quelque sorte par le Méridien de Paris… (A ne pas confondre avec la Rose Ligne de l’Eglise Saint-Sulpice.). Le monument n’a pas été choisi au hasard pour sa beauté intrinsèque mais comme symbole de l’empreinte royale sur le pays de France. Au premier plan Seth nous tourne le dos. Nous ne voyons que les vastes plis de son manteau, de pourpre aux franges d’or, brodé de ses initiatiques armoiries. Il porte une arme redoutable : la faux de la Mort. Instant décisif et menaçant. Seth fait face au pouvoir Royal, ce n’est qu’un avertissement, un défi, ce manteau de sang est le symbole de la Révolution à venir, celle qui mettra à bas de leurs trônes respectifs Dieu et le Roi. ‘’Soleil cou coupé’’ s’écriera plus tard Apollinaire.

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    Helmoth : guitars / Alsvid : drums / EsX : bass / Saint Vincent : vocals / Pierre Le Pape : keyboards / Drakhian : guitars

    Paris des maléfices : entrée en matière noire, la musique extatique des anges abolis, débordements battériques, la mélodie s’installe comme un drapeau rouge qui flotte dans la houle des rues en colères, alternant avec la hargne de la voix de Saint Vincent (il ne prie pas pour nous), nous sommes dans Paris la ville des poëtes et des révoltes populaires. Un Paris qui puise autant à la description hallucinée du Cimetière des Innocents de Victor Hugo que dans la révolte métaphysique de Baudelaire. Ce morceau peut être perçu comme un hymne élevé à l’auteur des Fleurs du Mal. Alchimie de la poésie qui transforme la boue de la misère et du vice en l’or flamboyant de la poésie, amour et haine entremêlés, une marée sonore de fange et de stupre qui gonfle, se soulève, et qui engloutira le monde. Il suffit de prononcer le maléfice. Incroyable, l’orgue  de Pierre Le Pape ne se contente pas, comme souvent dans bon nombre de disque de Metal de combler les vides, il ouvre le bal des Ardents et mène la chasse à courre.  Et que vive le Diable ! : ne regardez pas l’Official Music Video réalisée par Claudio Marino, filez sur son Instagram  vous ne serez pas déçus, vous risquerez la même mésaventure que ma distraite personne tellement accaparée par les images que j’ai oublié d’écouter la bande-son ! :  le moment de la décision, celui où l’on franchit le pas interdit, celui où Faust choisit Méphistophélès, le chant de Saint Vincent implore, non pas le pécheur qui s’enferme dans son cilice mental, plutôt la joie éclatante de Crowley appelant à lui les démons pour une vie exaltante puisque démoniaque, derrière le band bande et sarabande de jouissance, une espèce de valse à dix mille temps endiablée, l’heure est fatidique, mais heureuse, la délivrance d’une âme qui s’incorpore dans le corps mouvant du plaisir, un hymne à la joie, à la délivrance de soi-même, un sulfatage battérial homérique, un mariage de raison avec la déraison du monde, mieux vaut être maudit que bonni, il est des nuits illuminatives. La destruction des reliques : ce n’est plus le cheminement d’une âme seule mais la cohue collective d’une houle ivre, Saint Vincent harangue la foule, une carmagnole, une farandole, la musique atteint à une grandeur lyrique communicative, les guitares lancent des confettis de plomb qui arrivés à terre roulent résonnent et cliquètent comme des pièces d’or, quel bastringue, quel foutoir, nous voici dans cryptes de Saint-Denis à fracasser les cercueils, à briser les sarcophages, à exhumer squelettes en poussières et cadavres momifiés, une pagaille indescriptible on part à la chasse des châsses contenant les restes des Saints, l’on décapite les statues, c’est la grande liesse, la grande recouvrance de la délivrance, une fête qui insulte le passé et qui exulte de ses propres crimes, de ses propres cimes, le grand charivari, la fête de l’âne qui rue et tue les morts…

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    Dans le cœur un poignard : encore une Official Music Video réalisée par  Pierre Raynard, encore une fois les yeux rivés sur le film, mais cette fois vous n’oubliez pas la bande son, elle vous accompagne, elle vous fait cortège, elle vous soutient, elle tient votre âme par la main, puisque vous souffrez trop vous finissez par demander qu’on vous guillotine au plus vite, presque un chant de messe noire ou rouge, une musique d’église, une procession, pas à pas, à l’intérieur de soi-même, nos malheurs sont nos passions, nos tourments sont nos prisons, un poignard dans le cœur équivaut à une dague dans le dos, mais c’est vous-même qui l’avez plantée entre vos omoplates, qui supplie ainsi ?... est-ce un homme, est-ce Seth, est-ce chacun de nous, portons-nous tous l’amour comme une croix fichée en nous comme un poignard empoisonnée qui ne nous quittera jamais, que nous emportons avec nous jusques au fond de la tombe, il y aurait donc quelque chose à l’intérieur de nous qui subsisterait comme un dieu oublié qui refuserait de mourir, serions-nous ainsi plongés au cœur du chaos ad mortem aeternam, la voix de Saint Vincent ne chante pas, elle grouille, elle gargouille, elle souille, même l’aspersion rituelle par le sang ne nous délivrera pas. Marianne : tout serait-il consommé, notes lourdes d’impuissance, instrumental, ce que l’on peut exorciser par la parole ne vaudrait-il pas mieux le taire, ces gouttes de plomb liquide finissent par se teinter d’une étrange transparence, existe-t-il une résilience qui ne serait pas un mensonge, à moins que ce soit juste une introduction à ce qui viendra. Ivre du sang des saints : notre hypothèse était la bonne, il suffit d’écouter les premières notes pour reconnaître le même motif que cette mystérieuse Marianne évoquée au morceau précédent, qui est-elle, son nom ne serait-il que la déformation de Morianne, figure de la Mort, ou alors la prostituée revêtue de cinabre de l’Apocalypse, la putain divine prête à s’offrir aux quatre cavaliers, à moins que ce soit notre Sainte Mère l’Eglise, car l’Eglise elle-même est pécheresse, mais elle est cette simple femme anonyme qui en furie vengeresse, une torche à la main pénètre la première dans les cathédrales honnies pour y bouter le feu de sa haine, ivre du sang des Saints comme si elle se donnait le droit de boire au calice sacré, le morceau tangue comme s’il était atteint d’une ivresse dangereuse, ça part de tous les côtés, une chatte n’y reconnaîtrait pas ses petits, d’ailleurs un homme y reconnaîtrait-il sa femme, à moins que ce ne soit l’Isis primordiale, l’épouse de Seth, qui enfanta Osiris, la protectrice des morts,  elle se perpétua au cours des siècles sous le titre de Grande Déesse, qui au cours des siècles prit bien des noms, Marianne patronne de la République   ne serait-elle que la résurgence de Marie, la sainte immaculée, inoculée diront les esprits facétieux, l’aspect féminin et chaotique de l’être humain. La coupe d’or maudite où tout un chacun et chacune s’en vient boire. Insurrection : une official lyrics Video est disponible. Vidéo c’est vite dit, une mise en image, gâtée par la mise en plein milieu de l’cran de la couve du disque qui bouffe un bon tiers de l’espace, derrière Paris brûle-t-il a-t-on envie de demander, faut attendre la dernière seconde pour un aperçu ultra rapide du tableau La Liberté guidant le peuple ‘’en armes’’ de Delacroix, tous les personnages arborent des faciès de squelettes ricanant, que voulez-vous la liberté a un prix : de l’insurrection tant attendue l’heure est venue, il n’est jamais trop tard pour bien faire, la ligne mélodique comme le lierre qui enserre le tronc du chêne est entièrement liée au galop de la tornade, Saint Vincent ne chante pas il scande la révolte des damnés, cette légion que le Dieu a rejetée et abandonnée, ils sont tous là, les armes à la main, emplis de fureur, ivres de carnages et de démence, prêts à arracher  le poignard tordu que chacun s’est enfoncé dans le cœur pour le planter dans la chair du Christ et l’assassiner, quelle jouissance d’avoir à réaliser ce crime plutôt trois fois qu’une seule.  Tous en groupe, le Diable marche avec eux, la vengeance est un plat qui se mange bouillant de haine. Massacre total et libérateur. Le vin du condamné : ô comme ce titre évoque Baudelaire, comment se fait-il que le chantre du Spleen de Paris n’ait pas songé à l’écrire, le morceau le plus long de l’opus, une courte intro qui  pourrait ne faire accroire que le condamné à mort aurait le vin triste, ce n’est pas tout à fait le cas si l’on s’en rapporte à son accent vindicatif, parfois on a même l’impression que le rythme claudique et titube, point trop mais dans une cellule l’on imagine que les murs doivent être proches, un peu de tristesse, pas trop, pour ces moments perdus à croire en Christ en ses bienfaits, en ses consolations, la batterie d’Alvid y met vite bon ordre et les réduit en poussière, un dernier blasphème à boire le sang du Christ et de la vigne, la sentence du juge hurlée du haut de sa chaire tombe comme un couperet de guillotine, les paroles du condamné n’étaient pas celle du Roi, c’est bien celle d’un insurgé, d’un révolté, qui souhaite et prophétise encore la révolution. Bonus track : Initials B. B. : dans une vidéo ils expliquent qu’ ils voulaient une chanson française, ils ont du mal à en trouver une qui puisse supporter leurs orchestrations, sans être convaincus ils ont essayé ce morceau de Serge Gainsbourg, elle n’est pas tout à fait de lui puisque comme souvent il avait puisé dans le répertoire classique, il s’était inspiré  de Dvorak, n’avait pas fouillé bien loin, juste un motif de la Symphonie du Nouveau monde… en réécoutant le morceau original l’on se rend compte que malgré l’arrangement d’Arthur Greenslade, peut-être à cause de ses trompettes pas assez cuivrées, il a vieilli… la version de Seth est supérieure, en plus elle s’intègre bien à l’album comme un rappel de la figure du triptyque central, une résurgence du motif de la femme écarlate, que l’on ne saurait laisser à l’écart…

             L’opus est magnifique, il m’a donné l’envie de visiter le précédent.

     

    LA MORSURE DU CHRIST

    SETH

    (Season of Mist / 14 – 07 – 2024)

    La couve  est de Leoncio Hamr, magnifique vue de Notre-Dame de Paris en flammes. Originaire de  Bordeaux, tout comme le groupe, il se définit comme un Digital Artist, trois petits tours et puis ne pas s’en aller mais rester sur son site à s’imprégner de ses images d’une évanescence granitique porteuse d’une vision romantique et démiurgique du monde…

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    Qu’un groupe mette son nom sur la pochette de son disque n’est pas en soi une pratique d’identification qui appelle à de longs commentaires, mais sur cette couverture-là il se révèle terriblement significatif. Ce ne serait en rien anodin, Seth a apposé son sceau sur l’incendie de Notre-Dame, il s’agit d’une appropriation politique des plus affirmées, des plus dérangeantes.

    L’incendie de la cathédrale, vite transformée en Notre-Drame, au mois d’avril 2019 suscita une énorme émotion, savamment orchestrée par les pouvoirs publics du pays, récemment amplifiée par sa réouverture en décembre dernier. Nous ne nous étendrons pas ici sur les polémiques qui se sont élevées quant à l’origine du feu dévastateur. Seth n’y va pas par quatre chemins (de croix). Cet acte leur apparaît comme la marque symbolique de la fin de l’ère chrétienne. Le point final de la révolte de Lucifer détruisant une bonne fois pour toute  la terrestre et accueillante demeure de Dieu, le dernier refuge du Christ et la bergerie des Hommes…

    En désignant la borne historiale de la fin du christianisme, Seth remet en question toute une lecture actuelle qualifiée par beaucoup de post-chrétienne – expression qui signifie encore marquée et dépendante de l’idéologie christianophile – de l’histoire de la civilisation occidentale. Position politique d’autant plus courageuse qu’elle place cette terminaison dans notre actualité la plus proche. En pleine place du village planétaire pourrait-on dire. Songez à la rétrograde levée des boucliers mentaux que ce genre d’affirmation péremptoire ne peut que susciter. L’on peut refaire à neuf un bâtiment, effacer la signification d’un symbole est plus difficile.

    Cet opus est davantage qu’un album musical, il est un acte réflexif, mêlant aspects liturgique, orthodoxique, dogmatique, hérésique, philosophique, symbolique et poétique. Une œuvre d’envergure, c’est sans doute pour marquer et ne pas masquer la grandeur de cette noire et illuminative entreprise metallique que son écriture a eu recours au vieil alexandrin gravé dans le marbre des épopées romantiques.

    Helmoth : guitars / Alsvid : drums / EsX : bass / Saint Vincent : vocals / Pierre Le Pape : keyboards / Drakhian : guitars

     La morsure du Christ : l’existe une Official Vizualiser agréable à regarder mis sur YT par Season of Mist : étourdissant, sans répit, un vocal rugissant inextinguible, une rythmique infernale, une chevauchée apocalyptique qui au milieu de ce déluge de feu teinte quelques notes solitaires et espacées d’une beauté cristalline, elles dévoilent un monde de splendeurs sonores ignorées un peu comme les échos nostalgiques d’un enfer perdu. Nous sommes en plein sacrilège, c’est le Tentateur, l’Adversaire résolu, qui s’adjuge le sang du Christ, le sang de Dieu. Transfert d’identité. L’Ange Maudit a pris le sang et la place de Dieu. Il a mordu le Christ tel un vampire assoiffé, que ce rouge baiser se transmette de chacun à chacun, nous ne sommes pas loin des premières assemblées gnostiques, ces échanges cérémoniaux de sang et de sperme, la grande inversion je suis celui que tu croyais qu’Il n’était pas, Dieu est mort, il s’était fait homme, s’est pris à son propre piège, j’ai transmué dans l’athanor de mon corps le sang de ton corps en le sang de mon enthousiasme. Ce n’est pas bien peut-être mais ce n’est pas mal non plus. Métal noir : la musique se pense métal, orichalque noir, elle peint le monde à sa couleur, elle conte la légende noire du disciple, elle expose les étapes de sa vie, une explosion de guitares, un raz-de-marée battérial, tout se déroule si vite, à peine commencé le morceau est terminé, une histoire alchimique qui passe de l’œuvre au rouge à l’œuvre au noir, de la sublimation existentielle par le pacte de sang, au refuge terminal au fond de l’antre obscur, de la dispersion en la chair des femmes, des goules, des magiciennes, des sorcières, des déesses, toutes des Hécates,  entends-tu dans le lointain le tintement du marteau de Siegfried forgeant l’épée noire du trépas, jusqu’au moment où le pendule fatidique s’arrête et te précipite dans le puits sans fond de la mort, qui n’est qu’une non-existence, mais le non-être ne se transforme-t-il en pas en astralité, la mort n’est-elle pas  la continuité de la vie sous une autre forme,  moins par moins égale plus, noir sur noir s’égalise à une lumière illuminescente celle qui sourd et émane sans fin du corps tragique de l’Ange Noir carbonisé, à ton simple regard son âme noire se nimbe d’une irréfragable gloire. Sacrifice de sang : batterie grandiloquente, il est temps que la cérémonie commence, musique allègre, oui c’est une fêté sanglante, toute noire initiation tourne au rouge sanglant, il ne s’agit plus de boire le sang mais de faire couler le sang, seul le maître a pris le droit de le boire, ton assentiment sera sa récompense, frappe, incise exquise, elle est nue et innocente, c’est en la tuant que tu prendras vie, en la supprimant que tu la possèderas, la vierge n’est plus sainte, criminel et féminicide insensés c’est le prix victimaire à payer pour requérir le bandeau de pourpre des initiés, maintenant tu es membre de la légion noire des damnés, tu es digne du bataillon du Reptile Subtil et Sacré ! Tu es devenu l’enseigne du serpent insigne. Satan te sourit. Magnifique morceau. Orgie rouge. Expérience théurgique. Âmes sensibles et modernes s’abstenir. Ex-Cathedral : ce morceau présente la même scène que le précédent. Si celui-ci, tout aussi festif, semble davantage enthousiaste et spectaculaire, c’est que cette fois-ci le Sacrifice de Sang est représenté sous son aspect exotérique et non plus sous sa forme intime et ésotérique vécue en tant qu’individu alors qu’ici il est dépeint sous son aspect collectif, cérémonial, d’où cette structuration théâtrale, l’on assiste à trois tableaux, à l’abomination hargneuse et vengeresse du monument, succède la propagation souveraine des flammes, le vocal s’écroule dans la gorge de Saint Vincent avant qu’il ne proclame la malédiction terminale, enfin l’on assiste à la lente agonie des flammes rouges hautes comme des tours, elle s’achève en un amas calciné de cendres noires

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    . Hymne au vampire. (Acte III) : vous trouverez l’ Acte I et l’Acte  II sur le premier album du groupe Les Blessures de l’Âme sorti en 1998 :  nouvelle donne, le Diable serait-il aussi menteur que le Dieu, une âme crie et demande, reçoit-elle, espère-t-elle encore une réponse, nous sommes après, l’amas de décombres noircis appartient au passé, nous suivons une ombre errante, elle tourne et retourne autour des tombes, elle préfèrerait être morte, mais elle n’a reçu que l’éternité. A errer sans fin. Rien n’est pire qu’un vampire, obligé pour survivre de mordre les jeunes filles, de leur faire subir les plus cruels sévices, n’est-il pas stupide de  se livrer à de telles extrémités afin de continuer à vivre éternellement, cruel dilemme baudelairien par excellence,  son âme harassée tourne en rond dans un cimetière, n’est-ce pas la métaphore d’un esprit qui ne va pas fort, qui tourne doucement à la folie, tant bien que mal la musique essaie de le bercer de réconforter sa marche hésitante alors qu’il crie et se débat contre lui-même et tous les diables, l’orchestre l’accompagne fidèlement mais le chien fidèle c’est lui et le groupe qui le tient en laisse fait entendre son plus doux clavier, des voix célestes venues d’on ne sait où, l’on n’entend plus rien, s’est-il endormi sur une tombe… Les océans du vide : superbe morceau à écouter et à récouter pour en saisir toutes les nuances vocales, musicales et poétiques. Le lecteur y reconnaîtra le Voyage de Baudelaire mais aussi Le Bateau Ivre d’Arthur Rimbaud, j’ose affirmer  que la musique est davantage rimbaldienne que baudelairienne, peut-être aussi les premières pages du Coup de dés de Mallarmé. Si le début de l’opus décrivait l’œuvre au noir comme le stade ultime et ascensionnel de l’alchimie, dans ce titre et le précédent nous refaisons le même chemin mais nous débutons au moment au moment crucial où le rouge vire au noir, et nous terminons lorsque le noir traversé nous pénétrons dans le royaume translucide de l’après-mort. Dormir n’est pas mourir. Le triomphe de Lucifer : chuchotement hurlé sidérant, vient-il du fond des abysses, est-ce le moment où les chaines qui retenaient prisonnier Satan sont brisées, où provient-il du fond des abîmes du ciel d’en haut pour établir son royaume sur les contrées d’en bas, il porte la lumière, la dernière braise arrachée à l’incendie monumental, le tison maléfique que Dieu n’a pas réussi à éteindre,  il est le Lucifer invaincu, le démon prométhéen,  le sol invictus qui appelle à la vie son peuple de bannis, le morceau illuminatif se change en cantate angélique, est-ce le dernier crachat bachique sur le corps mort du Christ… Les océans du vide / Sacrifice de sang : difficile de terminer sur cette fin grandiose. Mais si rapide. Il manque à l’opus une coda d’envergure, longue et peut-être même infinie  est la queue du serpent, il serait dommage qu’elle ne rentre pas dans la photo de fin, alors Seth offre deux morceaux supplémentaires, les infidèles en veulent toujours plus, la reprise instrumentale de deux titres précédents, il nous chaut de les surnommer le Mortceau et le morSceau car ils sont essentiels à la compréhension de cette œuvre de métal noir par dérision, par dévision, par division, quasi saintphonique, seule l’Initiation vous sauve de la Mort. Une suite funèbre et inquiétante pour l’avènement du règne du Porteur de la Lumière, lampadophore… Ne vous recueillez pas, accueillez-là, à la fin sera le logos philosophique.

             Deux œuvres majeures.

    Damie Chad.

     

    *

    Nous quittons le domaine de l’ésotérisme métaphysique  pour celui de la politique. Encore un groupe de metal ! Quel hasard ! Serait-ce le dernier lieu musical dans lequel on se permette de penser !

    DE REPUBLICA

    GRIFFON

    (Les Acteurs de l’Ombre / Février 2024)

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             Encore une fois Notre-Dame de Paris en couverture. En une situation un peu moins critique et désespérée que sur La Morsure du Christ de Seth mais tout de même en pleine ébullition révolutionnaire, en tout cas les couleurs sont clairement affichées, bleu, blanc, rouge ! Même si le bleu est celui du ciel, le rouge composé de  taches sanglantes et si le blanc voisine encore deux étamines blanches. Le blanc, couleur de la Royauté, et le rouge symbole du peuple. Du sang qu’il a dû verser pour la liberté.

             Saluons avant tout le courage de Griffon de s’immiscer dans le dialogue politique. Une source de controverses infinies déploreront certains, une façon comme une autre d’activer le jeu des contradictions dialectiques riposteront d’autres. Les premiers rétorqueront que la paix sociale est bénéfique au commerce et les seconds affirmeront que toute contradiction se doit d’être résolue par la révolutionnaire logique de l’Histoire. Nous ne manquerons pas de nous glisser dans le débat.

             Sinaï : guitars, bass / Kryos : drums / Aharon : harmony, vocals / Antoine : Harmony, vocals.

    Ôtons-nous d’un doute depuis la récupération par Nicolas Sarkozy de la figure de Jaurès, nous devons nous méfier. Que la droite qui coupe allègrement et néanmoins lourdement dans les budgets sociaux et régaliens pour les redistribuer aux affairistes, aux entrepreneurs et aux actionnaires, bref pour accentuer la mainmise d’une ploutocratie libérale sur le pays, l’on s’attend à tout. Rassurons-nous tel n’est pas le propos de Griffon.

    L’Homme du Tarn : ne point se tromper, la canonnade qui se fait entendre au début du morceau n’est point celle d’une  de quelques canons dérobés par une émeute populaire, mais ce gigantesque bruit de fond qui a bercé parfois  durant des mois les troupes levées en 1914. Ce n’est point non plus le Jaurès chanté sur son ultime album par Jacques Brel qui met en avant le leader socialiste dénonçant sans arrêt les conditions épuisantes des travailleurs attachés à leurs tâches, celui qui n’a eu de cesse, jusqu’à son assassinat, de s’opposer à la guerre qui venait. Ce n’est donc pas une surprise que se joint au brouhaha le refrain de la chanson Le Soldat de Marsala écrite en 1860 par Gustave Nadaud, qui connut en 1848 Eugène Pottier qui créa L’Internationale… Enfin survient la tornade que l’on attendait, faut s’accrocher, en seize octosyllabes est résumée l’œuvre politique de Jaurès de ses premiers combats contre les possédants et la réalisation de ses prophéties quant aux carnages qu’il pressentait, le vocal fuse comme des balles de mitraillettes, mais à notre goût l’impact metallique n’est pas à la hauteur de ce à quoi on s’attendait, survient une première rupture, la musique s’amoindrit et Griffon récite quelques phrases d’une déclaration de Jaurès, l’impression d’écouter un professeur d’histoire qui lit un texte, le metal des obus  revient, mais des petits calibres, coupure acoustique encore une lecture, d’une voix moins professorale et davantage altérée que la précédente, déclaration courageuse quant au sens, la France aussi coupable que l’Allemagne et la Russie de la tragédie, et l’on repart au galop d’une charge de cuirassés, le texte est très dense, condamnation de l’Union sacrée, (à part quelques petits groupes d’anarchistes l’on partit la fleur au fusil, nous explique la propagande, Griffon oublie d’expliquer que la Grande Guerre permit avant tout de se débarrasser de toute une génération anarchisante et motivée pour la lutte sociale), le morceau court sur son ère, il ne nous convainct guère… The Ides of March : bizarrement le texte est en anglais et en grec ( serait-il emprunté ou fortement inspiré par Shakespeare) quant au grec il s’explique aisément la noblesse romaine s’exprimait aisément en langue hellène, guitare acoustique, ambiance lourde et soudain le déferlement, les conjurés se regroupent autour de César et c’est l’assassinat, un moment historique qui décide du Destin de Rome et du monde, juste le crime et le silence médusé devant le corps du Dictateur, Griffon a voulu marquer ce jour fatidique d’une pierre rouge, la musique s’apaise… il y a ce que l’on dit et le sens qu’on donne à nos actes, le titre de l’album est sans équivoque, mettre en valeur les principes républicains, les idées sont belles mais la réalité est plus sordide, la noblesse romaine est corrompue, à des hauteurs inimaginables, cent ans de guerre civile, Auguste qui succèdera à César imposera, non pas la monarchie mais le principat auquel se substitua peu à peu le terme désignatoire d’Imperium, mais ceci est une autre Histoire. De l’insurrection : autre épisode les Trois Glorieuses, magnifiées par le tableau La Liberté Guidant le Peuple de Delacroix, Rythme allègre, chaloupé, il est vrai qu’avec 1936 et 1968, 1830 fut une révolution joyeuse, en trois jours le Peuple et ses barricades boutèrent hors de France Charles X, il est dommage que le texte final de Victor Hugo ne soit pas lu avec davantage d’emphase, les journées qui suivirent juin 1930 furent moins triomphales, le peuple floué par la bourgeoisie retrouva très vite sa vie misérable, sans doute Griffon a-t-il choisi cet évènement pour illustrer le texte  de la Déclaration des Droits de l’Homme de la révolution 1789 qui instaure un droit à la violence inaliénable : Contre la tyrannie la révolte est un droit. Remarquez que si aujourd’hui vous tentez de l’exercer vous êtes traités de terroristes…

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    La semaine sanglante : les quarante mille morts de la Commune, encore une insurrection, réprimée dans le sang : une intro funèbre mais très vite un déchaînement de violence survient, la révolution n’est pas un dîner de gala, l’on aimerait que le metal cliquette comme des balles de fusil, il n’en est rien, le jeu se calme trop vite pour la lecture d’un extrait des mémoires d’un communard, la mise en avant des grands principes, vaudrait mieux décrire les combats, dès que l’on discute l’on perd du temps, on laisse l’ennemi prendre de l’avance, bientôt l’on est conduit au supplice,  ce morceau manque de nerf, beaucoup de révolte mais trop d’acceptation, la démocratie n’est qu’un leurre, le gouvernement par excellence de la Bourgeoisie, les années qui suivront et se termineront en 1914 en apporteront la preuve… La Loi de la Nation : en 1793 on aurait accusé Griffon de tiédeur, ce morceau en est la preuve évidente, il est une récupération éhontée de la Loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat à laquelle de 1872 à 1905 l’Eglise s’opposa de toutes ses forces, le morceau entre en fureur contre les évènements de la Révolution Française qui mit à mal l’Eglise, principal soutien et inestimable moyen de coercition au service du pouvoir Royal, au pas… cette loi de laïcité est maintenant présentée comme un bienfait qui permet aux chrétiens de pratiquer leur culte en toute liberté, lors de sa préparation et de sa promulgation, au moment de sa promulgation elle n’apparut pas aux chrétiens pour une loi de haute sagesse… De Republica : le texte des lyrics est précédé d’un résumé de la situation actuelle de la prise du pouvoir par de Gaulle à la montée d’un pouvoir présidentiel macroniste, osons le mot, un président qui en 2022 ne possède plus la majorité à l’Assemblée Nationale et n’en continue pas moins à s’accrocher au pouvoir comme un naufragé à sa une planche de salut pourrie… Le peuple gronde. Déjà les Gilets Jaunes en 2018…Il ne se soulève pas encore mais l’on ne sait jamais, cet ultime morceau est le plus réussi, le plus fougueux, il est bâti comme les précédents mais le son est beaucoup plus serré, plus dur. Commence tristement, Bonaparte vient de réussir le coup d’Etat du 18 Brumaire, l’on peut dire sans trop exagérer qu’il détient pratiquement le pouvoir personnel…  la République a abdiqué d’elle-même, elle est tombée sans faire trop de bruit.

             Griffon s’est attaqué à une drôle de gageure : exposer un principe politique en six points, chacun d’eux étant représenté par un évènement historial important. Plus de deux mille ans d’Histoire sont convoqués. Le tout exposé en moins de quarante minutes. Autant vous demander de résumer La Recherche du Temps Perdu en quarante lignes. Encore auriez-vous une chance inespérée car dans De Republica la musique laisse peu de place au texte… Autant parier que vous avez la malchance de vous mettre à dos la grande majorité des auditeurs.  

             Les esprits pinailleurs et férus d’Histoire se régalent, sont aux anges. Apparemment le public ne s’est pas montré récalcitrant à la proposition de Griffon. Cette tentative, malgré ses limites, mérite d’être saluée. Le courage intellectuel, l’audace d’exprimer ses idées est une denrée rare et précieuse.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 673 : KR'TNT ! 673 : MARC ZERMATI / STEVE WYNN / BOB STANLEY / SANDY SALISBURY / MAN MAN / NEUROTIC OUTSIDERS / DANIEL DELISSE / RITUEL

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 673

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    16 / 01 / 2025

     

    MARC ZERMATI / STEVE WYNN

    BOB STANLEY / SANDY SALISBURY

    MAN MAN / NEUROTICS OUTSIDERS

    DANIEL DELISSE / RITUEL

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 673

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    *

    Un cavalier, qui surgit hors de la nuit
    Court vers l'aventure au galop
    Son nom, il le signe à la pointe de l'épée
    D'un Z qui veut dire

    ZERMATI !

    ZERMATI ! ZERMATI ! ZERMATI !

    Z ! 

     

    steve wynn,bob stanley,sandy salisbury,man man,neurotic outsiders,daniel delisse,rituel,marc zermati

    WANNA BE YOUR SKYDOG

    Les Diggers et Tony Marlow rendent hommage à Skydog

    Suivi de Rhetoric K. O. – Interview fleuve de Marc Z

    Menée par Patrick Bainée et Patrick Cazengler

    (Camion Blanc / Décembre 2024)

     

    AUTO PORTRAIT

    Je n’ai été qu’une fois au contact de Marc Zermati. L’était dans le public qui assistait au live (local Harley Davidson, Paris) de Tony Marlow et d’Alicia F ! Pour le décrire, facile, il suffit de se rapporter au portrait, celui de face à l’écharpe rouge, d’Aristide Bruant peint par Toulouse-Lautrec. La même carrure, la même pose, le même chapeau noir. L’écharpe rouge vous fait penser à celle de Mitterrand, mais là  rien à voir, comparé à cet inconnu Mitterrand ressemblait à un gosse souffreteux enrubanné dans un gros cache-nez, à peine sorti d’une vilaine coqueluche. Le gars ne regardait pas, impassible il posait son regard sur le monde, rien ne lui échappait, la sagesse de celui qui sait et qui n’a besoin de rien d’autre, un empereur romain sur son trône, un dominateur, sûr de lui, de sa puissance, sa vaste houppelande noire arborait l’aspect d’une toge, une couronne de laurier remplaçait le chapeau et son écharpe rouge vous prenait des allures de laticlave pourpre.

    Une présence. Je me demandais qui c’était. J’aurais bien aimé aborder cet individu en auto-suffisance, il imposait, je n’ai pas osé, fais gaffe Damie, me disais-je, avec ta carte de visite de krockniqueur  tu vas passer pour un pied nickelé, l’a sans doute d’autres centres intérêts. Comme quoi le fameux flair du rockeur, ça ne marche pas à tous les coups.

    UNE AUTRE HISTOIRE

             Elle débute à la page 57. Hissez le grand cacatois, c’est une histoire de pirates. Oui je sais, aujourd’hui la marine à voile à voiles n’existe plus. Mais dans l’imagination d’un gosse elle n’a jamais disparu. Du moins ce qu’il en reste. Un conte de gamin ! N’oubliez pas que la différence entre un conte de gamin et un conte d’Edgar Poe n’est pas énorme. Bref notre héros doit être en sixième. Son imagination turbine à plein, par contre la réflexion n’est pas encore tout à fait au point. Croit dur comme du fer que la grande malle reléguée depuis des lustres au grenier contient un trésor. Il monte souvent la regarder. Il n’ose pas l’ouvrir. Il a dû lire L’Île au trésor de Stevenson, le coffre est certainement rempli de lingots, de bijoux, de pièces d’or, pourquoi pas une carte secrète… Un jour la tentation est trop forte, il soulève avec précaution le lourd couvercle, effarante déception, ce n’est pas le trésor des pirates qui s’offre à lui, mais les pirates eux-mêmes qui débarquent dans le grenier, sont tous-là, Barbe-Noire, Barbe-Rouge, Morgan, Jean Lafitte, les borgnes qui clignent de l’œil, les jambes de bois aux crocs-en-jambe redoutables, un ramassis hétéroclite de boucaniers, de corsaires, de nègres marron, même trois ou quatre pendus avec encore leur corde autour du cou. Quel ramdam ! Ça crie, ça hurle, ça s’interpelle, ça chante, ça rote, ça pète, ça glapit, ça trinque, ça fume des pipes en terre, ça crache, ça urine, ça chie et ça dégobille sur le plancher… l’est manifeste qu’ils ne savent pas se tenir. N’est pas nunuche le gaminos, le paternel pourrait se radiner, alors il  remballe le tout dans le caisson, il n’en a gardé que trois, qui portent une étrange marque noire tatouée sur le visage, et hop il se faufile dans sa chambre, sauvé, il peut maintenant s’intéresser à ses invités. L’est heureux, il en reconnaît un, c’est Chien Noir, celui qui se périt piétiné par un cheval dans le roman de Stevenson, il ne peut pas se tromper, son nom est écrit sur son tatouage, Skydog, Dog en anglais c’est le chien et Sky ne peut que vouloir dire black… il n’est pas toujours attentif à l’école…

             Cette histoire n’est pas signée, elle porte un titre : Vox : Sweet Punk Memories, elle se veut anonyme, les lecteurs de Kr’tnt ! la reconnaîtront facilement, elle plane comme les voix qui résonnent entre le vide et l’absolu dans les Solitudines Coeli de Victor Hugo. Elle conte l’origine des choses. Bien sûr elle ne part du commencement, se contente de dévider la soie foutraque d’un seul cocon du nid de vipères d’où ont surgi les différentes générations des amateurs de rock… Je me permets d’aborder ma petite contribution personnelle, c’est en 1967, sur Radio Monte-Carlo, pas vraiment une radio rock, que pour la première fois j’ai entendu parler des Doors, comme tout le monde je connaissais les Yardbirds, les Stones, les Who, et toute la suite, mais dès Break On Through j’ai compris que cette fois c’était différent, un truc en plus, une dimension que les précédents n’avaient pas, même Hendrix qui depuis deux ans poussait le bouchon un peu plus loin que toute la smala, les Doors véhiculaient une autre dimension, je l’ai vite reconnue : la poésie. Mon cas n’est pas unique. Nous étions quelques milliers à vivre cette initiation décisive, c’est ce que raconte cette histoire. Ne vous étonnez pas si ce texte évoque quelques écrivains romantiques et symbolistes. Le rock est un traumatisme existentiel.  Une fois que vous avez été foudroyé par les traits de feu de Kim Fowley, des Stooges, du MC 5, des New York Dolls, vous n’êtes plus pareil, baigné dans la fosse par le sang du taureau de Mitra, vous ressentez l’invincibilité du Sol Invictus, désormais vous serez un activiste rock.

             Pauvre France ! tout cela venait d’Angleterre et surtout d’Amérique. Pourtant une des batailles décisives se déroula en France, Marc Zermati en fut le principal général.

             Son histoire nous est racontée par Dinah Douïeb dans les cinquante premières pages. A l’origine de Marc Zermati il y eu sans doute un arrachement. Une faille. Sa famille quitte l’Algérie en 1961, le monde s’écroule-t-il pour lui, peut-être mais il a cette force de se reconstruire, tout seul à partir de rien. Dans quelle direction ? J’imagine qu’il a écouté  le suprême commandement de Baudelaire :

    Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
    Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ?
    Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau !

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    Ce sera donc le nouveau. Chance extraordinaire en cette époque lointaine le nouveau est facilement identifiable : c’est le rock ‘n’ roll. L’aurait pu devenir disquaire. L’a préféré ouvrir en 1972 l’Open Market, une boutique de disques, un repaire de dingues, qui n’est pas tenue par un boutiquier, il vend les disques et des fanzines que l’on ne trouve pas ailleurs. Arrivent des amateurs, de France et d’Angleterre, l’on y trouve même des vinyles des Pays-Bas et de la grande Amérique que les anglais trouvaient pas chez eux…  le lieu se transforme en bouillon de culture, en brouillon de rupture… un point d’ancrage et de largage, à New York, à Londres, l’époque est en ébullition, le mouvement punk se cristallisera dans les arènes du Festival de Mont-de-Marsan, improcksible n’est pas français… Les esprits chagrins parleront de circonstances, de coup de chance, de bluff, de hasard, Zermati l’agitateur-rock patenté ne serait-il pas simplement un agité… Un festival même devenu légendaire ce n’est pas mal, mais Zermati a un autre fer au feu : Skydog, un label rock !

             Nous y reviendrons. Nous sommes là au tout début de la vie aventureuse de Marc Zermati, elle a connu des hauts et des bas. Mais l’Homme est devenu une légende vivante. D’abord il a survécu. Jusqu’à sa mort en 2020. Un fort caractère. N’en a toujours fait qu’à sa tête. S’est fait des ennemis. L’a continué sa route. Dinah Daïeb vous livre de nombreux détails, même si à la fin elle parle surtout d’elle, ce n’est pas qu’elle tire la couverture à elle, je comprends que Zermati s’est un peu retiré en lui-même, comme le vieux sur sa montage, apaisé puisqu’il sait que ses disques-assassins continuent leur course autour du monde, et que son trône indétrônable est planté dans l’œil du cyclone…

             Jacques Ball, Patrick Bainée, Patrick Fouilhoux, Laurent Bigot, Alain Feydri, Tony Marlow, Cazengler le loser, s’y sont mis à six pour explorer en cent cinquante pages, le catalogue du label Skydog. Résultat, une histoire parallèle, presque secrète, underground, souterraine, voire mystique, tout au moins mythique du rock’n’roll, la veine maudite, le filon interdit, la mine de l’allemand perdue retrouvée, je vous laisse découvrir, c’est aussi un portrait de Zermati, l’homme en ses œuvres, chaque disque est un combat, une préférence, une intuition, Zermati récupère des bandes perdues introuvables et improbables, l’a le flair du rocker, ne se trompe pas, il devine non pas ce qui va marcher mais ce qui est bon. Que ce soit un groupe inconnu ou déjà légendaire, il s’active, il s’occupe de tout, de l’enregistrement, du mixage, de l’ordre des morceaux, organise les tournées…

    LES ENTRETIENS

             Nouveau gros morceau, trois longs enregistrements de Marc Zermati mené par Patrick Bainée et Patrick Cazengler, minutieusement  retranscrits par nos deux diggers, rédacteurs du fanzine  garage Dig It.

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             Zermati se livre. Plutôt : Zermati ce livre. Se feuillette  lui-même,  il parle comme un gars qui se met à table, mais qui ne vous livre que ce qu’il veut, que ce qu’il est. Juge son monde d’après ce qu’il est. Un pied-noir. Issu d’une famille aisée. Il n’aime pas de Gaulle, il n’aime pas les français, un réac viscéral. Obligé d’être toujours en action pour ne pas être prisonnier de lui-même, de ne pas se retrouver seul, confit (et déconfit) en lui-même. Contradictoirement il développe une vision classiste du rock’n’roll, si tu n’es pas né en banlieue, si tu n’es pas bouffé de la vache enragée,  si tu naquis avec une cuillerée d’argent dans la bouche, le rock’n’roll n’est pas pour toi. C’est un peu un mec qui se cherche un pays d’adoption, pour lui ce sera le Japon, l’a compris que depuis la perte de l’Algérie, sa patrie c’est lui-même. Parle du rock’n’roll. Depuis l’intérieur. Bien sûr c’est sa version à lui. Cela n’aurait aucun intérêt de se livrer à une contre-enquête, nous sommes tous pareils dès que nous commençons le récit de notre vie, pensez-vous que Proust (celui habillé en Marcel) raconte la ‘’ vérité’’, tout récit est une mise en littérature. De soi-même et des autres. Nous tissons notre toile, comme l’araignée, pour l’habiter et y phagocyter les autres à l’intérieur. De tout ce qu’il dit dans ce premier entretien du mois de janvier 2017 je ne garde que sa relation avec les Flamin’ Groovies. Les descend en flammes pour finir par reconnaître sa fascination, les vols du cygne mallarméen qui n’ont pas eu lieu. Qui n’ont pas eu dieu. La nostalgie obsédante de quelque chose qui n’a pas pu être.

             Le deuxième entretien débute par une diatribe politique anti-française, ne dit pas que des conneries, notamment sa chasse à courre sur l’obscurantisme intellectuel, créatif et religieux qui monte, se trompe tout de même un peu de cible en dénonçant le socialisme-coco, sans mettre en cause l’idéologie libérale… En quelque sorte ce deuxième wagon est plus trash que le premier mais je préfère. Si j’étais psychiatre je dénoncerai son petit côté parano, mais je ne suis même pas fou, peut-être parce qu’il parle des ses échecs, enfin des bourricots, il ne dit pas des cons, des groupes à qui il a proposé des plans, pas sur la lune, mais jouables qu’ils ont refusés… revient sur Johnny Thunders dont il loue les qualités humaines, il termine sur une dénonciation des dernières évolutions d’Iggy, avant de se lancer dans une longue analyse apologétique de sa propre nature caméléonesque qui lui permet de  rentrer facilement en contact avec toutes sortes de milieux, d’avoir ainsi une certaine emprise sur le monde.

             Troisième et dernier entretien. Il devait être suivi d’un autre mais la vie ou la mort en ont décidé autrement. Le plus virulent des trois. La jeunesse et les filles en prennent pour leurs grades. Pour les jeunes ce n’est pas tout à fait de leur faute, les media et le showbiz ne leur déroulent que des artistes de vingt-cinquième zone. La France n’a jamais été un pays rock’n’roll. S’il y a eu une révolution au siècle précédent c’est le rock’n’roll, le pays a refusé de monter dans le train du plus grand mouvement artistique… Un véritable effondrement spirituel. Qui n’est pas près d’être surmonté. Fustige et stigmatise les nouvelles relations sexuelles suscitées par les comportements féminins actuels. Régression sexuelle et déni de la liberté de pensée et d’être sont les deux mamelles plates du totalitarisme acculturel et pro-religieux qui s’impose sans même de soubresauts de protestations. Parle aussi beaucoup de rock’n’roll. Donne son avis péremptoire et souvent sans appel sur nombre de nos idoles. Un régal. Certes il n’engage que lui, mais il connaît le dessous des cartes. Si l’on était France-Dimanche en gros titre l’on écrirait : Révélations fracassantes ! Nous en subodorions plusieurs, ce qui ne nous empêche pas de penser que nous aussi nous sommes pleins de jugements, de condamnations, de déclarations d’amour qui nous engagent davantage qu’ils ne dépeignent les personnes que nous évoquons.

             De ces trois entretiens, nous retirons les enseignements suivants, qu’il est nécessaire de les lire, qu’ils sont indispensables pour une appréciation de notre musique, mais que de fait Mar Zermati grand manitou rock devant l’éternel, n’aime pas spécialement le rock’n’roll, qu’il aime avant tout la bonne musique et surtout ce qui lui plaît à lui. S’il a été capable d’influencer le devenir du rock  en une de ses époques charnières, c’est justement parce qu’il n’a jamais été un fan transi. Ce sont ces propres mots. Qui trop étreint risque de perdre sa force de frappe. Justement il frappe fort. Un marteau nietzschéen qu’il abat sur les idoles simili-toc, simili-rock !

             Tope fort. Dope fort. Rock fort. OK pour le K.O.

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    LE SERPENT SE MORT LA QUEUE

             Français encore un effort ! Trois textes en annexe :

             Pour la lettre Z du Petit Abécédaire de la Crampologie, paru en 2016 au Camion Blanc,  Bainée et Cazengler ne s’étaient pas rompus les méninges pour choisir l’impétrant :  Zermati Marc s’imposait. Il répond au Quiz-test proposé par les deux compères. Vous pouvez vérifier : les réponses corroborent les intempestives déclarations des trois entretiens.

             Un texte que nos lecteurs se doivent d’avoir en mémoire : puisqu’il est paru dans nos Chroniques de Pourpre (livraison 300 du 27 / 10 / 2O16) signé du Cat Zegnler en hommage à Yves Punk Adrien, dont les mémorables feuillets Je Chante le Rock Electrique parus dans R&F en 1973-74, dessinent un itinéraire parallèle à celui au chemin emprunté par Zermati en ses années de renaissance éllectrique… Hommage à un écrivain contemporain essentiel.

             Le livre est terminé. Non la voix revient, elle reprend son histoire exactement à l’endroit où elle l’avait commencée, une Vox vampirique qui conte, sur trente pages, la vie de Kim Fowley, Kim l’extravagance rock, toujours hors des sentiers battus, toujours en avance, il est le mime de ce qui va survenir, selon son œuvre le rock est en sempiternelle recomposition, en perpétuel renouvellement, un magicien fardé de noir, de blanc, de rouge, en route alchimique vers le soleil de la mort, sexe, folie, prescience, outrage, dévergondage musical exalté, un artiste prémonitoire trop grand pour son époque, si étranger à ces temps enfuis et révolus qu’elle a fini par lui ressembler, qu’il faut maintenant la regarder au travers de son œuvre et de sa vie pour la voir. La partie contient le tout. Le rock’n’roll détient le monde en ses affres.

             Marc Zermati fut un des passeurs essentiels de la folie du rock’n’roll.

             Il ne nous étonne pas que Tony Marlow, un de nos rockers essentiels, qui participa à l’aventure de Skydog, se soit chargé d’ouvrir ce livre, non pas seulement hommagial, car en son essence strictement rock’n’roll !

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    Damie Chad.

            

     

    Wizards & True Stars

    - Syndicate d’initiatives

    (Part Seven)

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             On l’attendait au coin du bois, cette autobio. On suit Steve Wynn à la trace depuis la nuit des temps, alors les lumières d’une autobio sont attendues comme le messie, mais si. Quand bien même on en arriverait au Part Seven, il n’est pas inutile de rappeler que Steve Wynn est un Wynner et qu’il a jadis marqué les esprits au fer rouge avec le premier album de son Dream Syndicate, The Days Of Wine & Roses. On l’hisse encore aujourd’hui sur l’étagère du haut avec les grands albums de l’indie-rock américain, ceux de Bob Mould et de son Dü, des Pixies, du Brian Jonestown Massacre, de Dinosaur Jr et des Screaming Trees. Oui, le Wynner fait partie de cette brochette d’effarants surdoués. Mais bizarrement, il est resté un peu underground, tiens un peu comme les frères McDonald et leur Croix Rouge. Leur destin, c’est de rester indy, alors c’est très bien comme ça. Ils ne sont pas obligés d’aller vendre leur cul comme l’ont fait les Dandy Warhols, U2 et REM. C’est toujours bien de rappeler que l’underground est une vertu et que de passer dans le mainstream est souvent l’occasion de basculer dans la putasserie. Le seul qui ait réussi à échapper à cet horrible destin, c’est peut-être Frank Black, il ne tient tête à la putasserie que par la seule force de son talent. Comme l’a fait Dylan toute sa vie, mais Dylan, c’est à une autre échelle. On a tendance à l’oublier aujourd’hui, mais à une époque, il montait tout seul sur scène avec sa gratte et créait un monde nouveau. Un monde qui n’a rien perdu de son éclat. À sa façon, le Wynner alimente lui aussi depuis quarante ans le grand mythe de l’American rock, avec une ribambelle d’albums tous plus intéressants les uns que les autres, sauf peut-être Medecine Show, le deuxième album du Syndicate, flingué par Sandy Pearlman. Le Wynner revient longuement sur l’épisode de cet enregistrement dans cette autobio affreusement mal titrée, I Wouldn’t Say It If It Wasn’t True. L’épisode Medecine Show est le cœur battant du book, le pauvre Wynner rappelle à quel point cet enregistrement fut pénible et douloureux. Le Syndicate a 18 mois d’existence et Kendra Smith qui ne supporte pas bien les tournées à travers les USA quitte le groupe, remplacée par Mark Walton.

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             Cette coquine de lâcheuse flirte avec David Roback, futur Mazzy Star. Elle monte Opal avec lui et sera vite remplacée par Hope Sandoval. Le Wynner dit qu’il n’a pas insisté pour retenir Kendra quand elle a annoncé qu’elle quittait le Syndicate - You’re quitting. Okay, we’ll get someone else - Sous-entendu : someone else better. Le Syndicate vient de signer avec A&M qui leur file un budget de 150 000 $, 50 fois le budget du premier album et en plus, A&M leur paye du matos neuf, une Strato et un Mesa Boogie pour le Wynner, et un Marshall stack et une Les Paul pour Karl Precoda. Lors du dernier concert, juste avant d’entrer en studio, Karl a fracassé sa vieille Silvertone sur scène, scellant ainsi le destin des 18 premiers mois du Syndicate. Le Wynner y voit un signe funeste. Il ne se trompe pas. Les voilà en studio à San Francisco, pour une durée indéterminée, avec Sandy Pearlman, le producteur à la mode. Pearlman leur demande de jouer. Over and over and over. Combien de fois ? demande le Wynner. Again and again and again. Ah bon. Alors again and again and again. Again ? Again and again and again. Pearlman leur dit de jouer jusqu’à ce qu’il dise stop. Il ne dit jamais stop. En fait, le Wynner s’aperçoit que Pearlman joue la montre pour faire rentrer du blé. Il facture son temps à A&M. Les semaines et les mois. Il a carte blanche. Alors again and again and again. Plus il passe de temps en studio, plus il facture et plus il s’enrichit. Le Wynner parle de «legendary long recording sessions.» Le seul cut de Medecine Show qui ne sera pas overdubbé à gogo est le fameux «John Coltrane Stereo Blues», «the only track we played together.» Pearlman transforme le son du Syndicate, il vire le «feedback-laden, assaultive noise-fest» du premier album pour aller plus sur son fucking classic rock, celui d’UFO et de Blue Öyster Cult. Comme Karl adore UFO, il s’entend comme cul et chemise avec Pearlman et du coup le Wynner se retrouve marginalisé. Il voit bien que l’album est mal barré. C’est pas leur son. Et son amitié avec Karl en prend au passage un sacré coup dans l’aile. Le Wynner nous décrit ce cauchemar dans le détail, on s’y croirait. Il raconte comment un fucking producteur transforme le son d’un groupe et le détruit. À chaque fois, c’est la même histoire qui se répète. Le mec fait autorité parce qu’il est dans la cabine, mais il ne comprend RIEN à ce que fait le groupe. Il impose un son et voilà, t’es baisé. Car c’est pas ton son. Le Wynner dit que le cauchemar dure six semaines ! Karl ré-engistre ses guitares et bourre l’album d’overdubs, il rejoue tous ses solos, again and again and again - Six weeks. Seven days a week. Twelve hours a day. That’s a lot of time for lead guitar overdubs - Le Wynner dit que ça le rend fou. Et plus il montre que ça le rend fou, plus Pearlman et Karl lui font comprendre qu’il n’est pas le bienvenu dans le studio. Quand le Wynner arrive, un silence de mort l’accueille, «like a scene out of a western, when the bad guy walks into the bar.» Karl profite de l’indécision chronique de Pearlman pour essayer des tas de variantes. Lui, il est content. Il ne s’en lasse pas. Le Wynner se plaint auprès de son manager, mais il ne sait pas que quatre mois de studio sont encore prévus. À la fin, Pearlman convoque le Wynner pour enregistrer les vocaux. Alors il chante, mais c’est jamais assez bien. Pearlman lui dit de recommencer : «I don’t think we’ve have it yet. Go out and sing some more.» Allez hop, dix takes ! Allez hop, encore dix takes. Over and over. Pearlman prend des bouts. Il en faut encore. Jour après jour. Sept jours sur sept. Douze heures par jour. Un jour, Pearlman veut qu’il croone, alors le Wynner croone. Le lendemain, il lui demande d’haranguer comme le prophète sur la montagne. Alors le Wynner harangue. Puis Pearlman lui demande de faire Jim Morrison ou alors Gene Scott. Le Wynner finit par craquer et balance un bouteille vide dans la gueule de Pearlman, et tu sais ce que Pearlman lui sort ? «Mick Jones never once threw a bottle at me.» Il se pourrait bien que Pearlman soit l’un des fléaux du XXe siècle, avec le rock FM et Frampton. Bien sûr, Pearlman explose le budget de 150 000 $ , il va presque réussir à le doubler, nous dit le Wynner écœuré - We’d spent $250,000 over five months making the record - un record qui sera boudé par la critique américaine - What happened to the Dream Syndicate?

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             Medecine Show souffre en effet d’un mal bien connu : une production ca-tas-tro-phique. Visiblement, Pearlman ne sait pas ce qu’est un Syndicate. Il a formaté le son du groupe sur la grosse powerhouse américaine, c’est une grave erreur, car le Syndicate est un groupe essentiellement psychédélique, doué d’un sens aigu de la Mad Psychedelia. Le son de l’album manque totalement de caractère et ce volontarisme qui sortait si bien The Days Of Wine And Roses de l’ordinaire brille par son absence. Dommage, car certains cuts comme «Armed With An Empty Gun» et «Bullet With My Name On It» auraient pu exploser. Mais le son est désespérément raplapla. Un légionnaire dirait du son qu’il n’a rien dans la culotte. Quand on compare avec le son des Screaming Trees, c’est d’une sécheresse atroce. Pearlman a limé les dents du Syndicate et le Wynner sonne comme un fucking miauleur d’indie pop. Pearlman n’a RIEN compris au Syndicate. Absence totale de culture politique. Le morceau titre qui ouvre le bal de la B des cochons retombe comme une bite molle. Il est monté sur un riff de basse tellement enregistré qu’il en devient grotesque. Alors que ça ne demande qu’à exploser. On ne parle même pas du «John Coltrane Stereo Blues» qui est une insulte à la mémoire de Coltrane, et ce n’est pas de la faute du Wynner. On est loin du compte et même loin de tout. Le pauvre Precoda essaye de percer des murailles mais dans cette absence de démesure, ça ne sert à rien. En plus, c’est monté sur le plus plan-plan des plans de basse. Quelle catastrophe productiviste ! Il y a sur cet album au moins quatre titres qui auraient dû éclater au Sénégal. Mais le plus grave dans cette histoire est que le Syndicate va jeter l’éponge à cause de cet album. Steve Wynn : «It was a real ugly time. Karl and I fought a lot. Eventually we weren’t talking. The band broke up making that record.» Merci Pearlman.

             Pendant le tragique épisode de cet enregistrement, le Wynner flashe sur la secrétaire du boss d’A&M, Johnette Napolitano. Ils vont rester trois ans ensemble. On la retrouvera un plus tard dans Concrete Blonde, avec le légendaire Jim Mankey, l’ex-Halfnesson, c’est-à-dire les early Sparks.

             Medecine Show va donc détruire le lien qui unissait le Wynner et Karl Precoda. Lever était déjà dans le fruit : le Wynner ne supportait plus de voir Precoda frimer torse nu sur scène et faire de l’arena-rock posturing, «foot on monitors, cliched and unimaginative posing that bugged me no end. The more he posed, the more I sabotaged.» Au retour d’une tournée au Japon, le Wynner annonce aux autres qu’il arrête le groupe. Puis il va bien sûr le remonter sans Precoda, avec Paul Cutler, un bon guitariste qui n’est pas «afraid to go off the rails with noise and disonance.» New sound and new collaborator, rien de tel pour redémarrer ! La pauvre Precoda a dû en baver quand il a vu le Dream Syndicate à l’affiche. Sur ce coup-là, le Wynner n’a pas les mains propres. C’est même un peu dégueulasse de reformer un groupe en douce. Ils enregistrent Out Of The Grey que n’aime pas trop le Wynner - my least favourite of the albums I have made in my life - Son pourri des années 80, le fameux cutting-edge sound «of your time.»

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             Côté tournées, le Wynner ne fait pas forcément les bons choix. Il se vante d’une première tournée américaine en première partie d’U2, puis d’une autre en première partie d’REM. D’ailleurs, il va devenir tellement pote avec Peter Buck qu’ils vont monter ensemble le Baseball Project. Il dit aussi quelque part s’intéresser de près à John Couguar Mellencamp et Tom Petty. Ah ces Américains ! Il aime bien aussi citer les noms d’Abba, des Talking Heads et de Phil Collins. Parfois, ça craint un peu. 

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             Et puis, dans l’autobio, t’as tout l’amont de Medecine Show, la rencontre avec Kendra Smith, le recrutement de Donald Duck, le roi du beurre, et bien sûr l’embauche de Karl Precoda. Il arrive d’abord en tant que bassman, «impossibly skinny», avec un «real rock haircut, equal parts 60s mod and 70s Stones.» C’est vrai que Precoda avait beaucoup d’allure sur les photos. À la même époque, le Wynner devient vendeur chez Rhino Records qui vient d’ouvrir sur Westwood Boulevard. Puis comme ça marche bien avec wild Precoda, il demande à Kendra de venir jouer de la basse. En 1981, le groupe est au complet : Precoda, Kendra, Donald Duck et le Wynner commencent à écumer les clubs californiens. Le Wynner fricote aussi avec Sid Griffin, lequel Sid Griffin lui propose de se joindre à son groupe qui va devenir bien sûr The Long Ryders, mais le Wynner préfère rester un Syndicaliste. D’ailleurs, il reste à se mettre d’accord sur le nom du Syndicate. Le Wynner propose d’abord Big Black Car en hommage à Big Star, mais les autres n’en veulent pas de son Big Black Car. Pffffffffff. C’est Donald Duck qui propose The Dream Syndicate, tiré d’Outside The Dream Syndicate de Tony Conrad. Mais nous dit le Wynner, personne ne sait à l’époque que The Dream Syndicate était le nom du groupe que Tony Conrad et John Cale avaient formé juste avant le Velvet. Et pouf, la première démo. Budget ridicule : 200 $. Tout en une seule prise - I’m pretty sure we recorded every song in one take - Tout en live. Le Wynner chante dans la cuisine pour isoler sa voix. Il sait qu’il ne veut ni devenir professionnel, ni devenir célèbre. «That was likely one of our strongest avantages.» Sur scène, les Syndicalistes font des ravages avec du «ear-shrieking feedback coaxed from Karl’s Silvertone guitar through my Champ amplifier.» Fan de Creedence, de Dylan et de Neil Young, Mikal Gilmore adore le son des Syndicalistes. Leur premier EP sort en 1982, en plein boom du Paisley Underground. The Salvation Army et les Bangs, futures Bangles, jouent avec le Syndicate. C’est à cette époque que le Wynner se lie d’amitié avec Dan Stuart, de Green On Red. Bizarrement, il parle beaucoup de Stuart, jamais de Chuck Prophet. Il va d’ailleurs monter un duo avec Stuart, Danny & Dusty.

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             Leur premier album s’appelle The Lost Weekend. On y trouve un joli bouquet d’influences, de la Stonesy avec ce «Baby We All Gotta Go Down» qui semble sortir tout droit d’Exile. Dan Stuart s’en donne à cœur joie. Ils tapent aussi dans Linky Link avec «The King Of The Losers» qui est monté sur un thème bien connu : «The Rumble». Du coup, tu te croirais chez les Cramps. Puis ils vont droit sur le Dylanex avec une magnifique cover de «Knocking On Heaven’s Door». T’as Donald Duck qui bat le beurre, alors tout tient bien la route. Dan Stuart et le Wynner duettent comme des cracks sur «Miracle Mile». Le Wynner en profite pour renouer avec le Syndicalisme et lâche une fantastique envolée de poux multicolores. L’autre duo d’enfer est le «Send Me A Postcard» en B. Stuart te le chante à l’accent fêlé. Ah comme ils duettent merveilleusement sur cette pièce de country pantelante !

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             Danny & Dusty enregistrent un deuxième album, Cast Iron Soul, et là, c’est une autre paire de manches. Autrement dit un very-big album. Tu dois attendre «Raise The Roof» pour retrouver les rondeurs de l’énormité. Le Wynner attaque au heavy rentre-dedans. Autant tu sens qu’ils s’amusent sur la première partie de l’album, autant tu te régales de la deuxième partie, les six derniers cuts, car c’est un sans faute. «Thanksgiving Day» sonne comme de la pop wynnique - Thank you for everything we ever had - et ça bascule dans le Dylanex urbain de haut rang avec «New York City Lullaby». On se croirait sur un album du Syndicate, car t’as encore à la suite l’incroyable proximité d’«It’s My Nature», on croit entendre chanter John Lennon, puis le Wynner te gratte «Hold Your Mud» vite fait, Dan et lui duettent comme des bêtes de fournaise et ça se barre dans l’enfer Syndicaliste, le Wynner drive le cut droit dans la gueule de Moloch, ça vire au fast hot hell gratté serré, avec des éclairs de lumière, alors te voilà avec un nouveau coup de génie sur les bras, t’en demandais pas tant, et ça brasse large, dans la fournaise du Mud, ça re-connecte avec «Sister Ray». Ils amènent «Let’s Hide Away» au oouuh ouuh baby, ça sonne comme un heavy hit lourd et lent, c’est immédiat, ouuuh ouuuh baby, tu sens la patte du crack. Et ça continue avec «ID’s Blues», amené au heavy stomp. Wow, l’incroyable violence de l’attaque ! C’est plombé du bulbique et le Wynner injecte sa dose de kill kill kill.

             Dans son book, le Wynner s’attarde un peu mais par trop sur le Paisley Underground, rappelant que Salvation Army et les Bangs jouaient en première partie du Syndicate. Il trouve aussi que Hüsker Dü sonnait comme Salvation Army. Et les Bangs étaient à ses yeux wilder, more intense que les hit-making Bangles - Et leur choix de covers impeccable : Love’s «7 And 7 is», The Changing Time’s «How Is The Air Up There» and The Seeds’ «Pushing Too Hard» - Il dit aussi qu’elles «rocked with the cockiness and swagger of the best Nuggets bands.»

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             Le Wynner trouve quatre qualités à son Syndicate : sexy, funny, scary et le fameux can fall apart at any moment. Et il trouve que tous les groupes qu’ils aime ont ces quatre qualités, particulièrement les Stones avec Exile On Main Street, puis Raw Power et London Calling, puis Fire Of Love du Gun Club. Pareil pour Blonde On Blonde, les deux New York Dolls et le White Light White Heat du Velvet. Il a raison de se ranger dans la même catégorie. C’est de bonne guerre, Wynner. Avec la progression fulgurante du Syndicate, il voit sa vie changer. Il se retrouve lead singer in an increasingly popular band. Alors ils vont further and further - If there was feedback, make it louder and more painful - Les voilà sur Ruby, le label du Gun Club, un sous-label de Slash qui a X, les Blasters et les Germs. Le boss n’est autre que le fameux Chuck D, le mec des Flesh Eaters. Chuck D a aussi produit les Misfits et Lydia Lunch, alors pardonnez du peu. C’est avec lui que les Syndicalistes enregistrent le fameux Days Of Wine & Roses. Pas de contrat ni d’avocats ni de budget. Chuck D : «We can make a record and have it out in the fall.» L’antithèse de Medecine Show. Dans son book, le Wynner commente tous les cuts de Days Of Wine & Roses, et fait pleuvoir les références, ça va de The Fall à Raw Power en passant par Black Flag et les Soft Boys. Pour lui, le morceau titre, c’est «Tombstone Blues». Il parle d’un pompage involontaire - But I’m sure Dylan stole that song as well - he’s the most fleet-fingered musical thief out there - Le Wynner a toujours une manière étrange de se justifier. En studio, avec Chuck D, il y a Pat Burnette, le fils de Johnny. Encore une fois, le Wynner dit que tout s’est fait in a single take. Il qualifie le son du Syndicate de «big, anamorphous mess» avec des «shards of noise and chaos that sat within the overall sound.» C’est admirablement bien décrit. Ils sont tellement contents de leur album que le Wynner s’écrie, en haut d’une page : «The only other time I had that hundred percent feeling of satisfation would come twenty years later, when I made Here Comes The Miracles.» Et il ajoute ça, qui éclaire bien le phénomène Syndicaliste : «Le Dream Syndicate a toujours été, at heart, a jam band and a groove band, un groupe qui teste ses limites, qui n’a pas peur de se jeter dans les ténèbres et qui s’en sort toujours de justesse et qui recommence à la première occasion. C’est ce que nous savons faire de mieux et c’est la raison pour laquelle les gens nous suivent.»

             Le Wynner avoue aussi un goût prononcé pour le speed, mais il nous fait rigoler avec ses cuites, car il en rajoute un peu des caisses. Il est des pages où on se croirait dans les mémoires de Nikki Sixx - Speed was great. It was exciting. It helped me get things done - Il se sentait «ready for anything», eh oui, c’est exactement ce qui passe. Keep the party going. Experiencing a little more of eveything. Il en parle bien. Ce n’est pas une apologie. C’est la vie d’un Syndicaliste.

             À Boston, il flashe sur la chanteuse des Dangerous Birds, Thalia Zedek, qui deviendra une bandmate dix ans plus tard. Car la vie du Wynner, c’est aussi une vie de collaborations.   

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             Côté roots, le Wynner n’est pas en reste, comme on s’en doute. Il a 9 ans quand l’un de ses futurs beaux-pères lui montre la pochette de Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band, qui vient tout juste de paraître - He instantly won me over - Ça se passe en 1969. En 1964, il fait comme les frères McDo, il découvre les Beatles. Précoce, mais bon, les Californiens sont comme ça, ils ont besoin d’en rajouter une caisse. Il se dit plus fasciné par «Tomorrow Never Knows» que par les tables de multiplication. Son père bossait sur Hawthorne Boulevard, et ses amis Phast Phreddie Patterson et les frères McDo, justement, se souviennent très bien du Wynn Brothers Auto Part de son père. Il a 9 ans quand sa mère lui offre sa première guitare, alors il prend sa première leçon, écrit sa première chanson, démarre son premier groupe et joue son premier concert. Il n’a pas l’air de plaisanter. Puis il flashe sur le Magic Bus des Who, comme par hasard et il achète son premier album, Willy & The Poor Boys de Creedence, comme Kim Salmon qui lui aussi démarre dans la vie avec un Creedence. Il aime bien les Beatles, mais il pense que les Beatles sont le groupe de tout le monde, alors que Creedence est son groupe à lui, «my secret passion». Quand paraît le suivant, Cosmo’s Factory, le Wynner en apprend toutes les paroles et toutes les notes. Le premier groupe qu’il voit sur scène, c’est Delaney & Bonnie & Friends. Il flashe ensuite sur Traffic et Canned Heat. Il économise pour se payer Lola Vs Powerman And The Moneygoround, puis il trouve un five-dollar bill sur le trottoir et court s’acheter Every Picture Tells A Story. Comme Creedence et les Beatles se sont séparés, il se met à chouchouter les Stones et les Who, particulièrement Sticky Fingers et Who’s Next. Toute une époque ! Et pendant ce temps il écrit des chansons. Il avoue même être choqué que les autres gens n’écrivent pas de chansons, surtout les musiciens. Il dit en avoir écrit un millier. Pour lui c’est pas compliqué, une petite mélodie, une truc dans le coin de la tête, quelques mots, et voilà, comme il l’écrit, you have a song. Parmi les albums qui l’ont le plus affecté, il cite encore Quadrophenia et Tonight’s The Night. Comment ne pas être fan des Who et de Neil Young ?

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             Puis il flashe sur Country Life qui, bizarrement, est loin, et même très loin d’être le meilleur Roxy. Il va d’ailleurs devenir pote avec Sal Maida - my good friend and neighbor these days in Jackson Heights and bandmate in, yes, a Roxy Music tribute band - Et puis voilà le punk.

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             Le Wynner voit les Pistols au Winterland de San Francisco, en janvier 1978. Mais il frôle l’anathème en disant préférer les opening acts, The Avengers et les Nuns, dont fait partie Alejandro Escovedo qui, comme Thalia Zedek, les frères McDonald et Sal Maida, va devenir un pote du Wynner. En fait, le Wynner les connaît tous. Il indique aussi que les frères Robinson ont décidé de monter leur groupe, c’est-à-dire The Black Crowes, en voyant le Syndicate sur scène à Atlanta en 1984.

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             Et comme tout le monde, le Wynner flashe sur Nuggets. Impossible de faire autrement - It changed my life, my songwriting, my musical taste, everything - Pour lui c’est la compile parfaite - It was fun, it was wild, it was disposable, it was essential - Quand il bosse chez Rhino, l’un de ses clients n’est autre que Sal Valentino des Beau Brummels. C’est l’avantage de vivre en Californie : on y croise de genre de personnage légendaire. T’auras pas ça dans ton bled pourri.

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             Puis il va flasher sur les groupes du New Jersey, les dB’s et les Feelies. Puis sur les groupes Postcard, Orange Juice et Aztec Camera, mais son groupe préféré à l’époque reste The Fall - Their music was so ramshackle and broken, so amateurish - Il trouve que tous ces groupes doivent tout au Velvet. Lui aussi doit tout au Velvet - The moment I heard «Sunday Morning», my life was changed - Il ne tarit plus d’éloges sur le premier Velvet, «that album’s seemingly simple formula of mixing classic, hooky songwriting, intelligent lyrics and a fearlessness to sabotage both of those elements with noise and dissonance made sense.» Et il ajoute ceci qui sonne comme une parole d’évangile : «En 1981, les Velvet étaient à la fois dans le radar du mainstream et de l’underground, comme Big Star, les Stooges, les Modern Lovers, et des groupes plus récents comme les Only Ones, les Soft Boys et le Gun Club, tous ces groupes que j’adorais et qui m’ont influencé.» Parmi les groupes californiens influencés par le Velvet et Nuggets, il cite The Last et surtout The Unclaimed qui pour lui sonnent comme Music Machine et les Byrds, «in both look and sound».

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             Sa plus grosse influence est peut-être Big Star. Plus que Badfinger et les Raspberries, qu’il trouve bons, mais pas life-changing. Ce qu’il aime, le Wynner, c’est le life-changing. Alors il tombe sur Third et il est life-changed. Il est tellement fasciné par Alex Chilton qu’il décide d’aller le rencontrer à Memphis. Il voyage en bus et nous raconte son périple, pendant l’été 1981. Avec l’évocation des sessions d’enregistrement de Medecine Show, ce voyage en bus et sa rencontre avec Alex Chilton sont le cœur battant de cette autobio - I needed to meet this guy - Tout ce qu’il a comme info pour le trouver, c’est une adresse sur une pochette de disque. Il vient de se payer un 10’’ d’un groupe nommé Panther Burns. Le critique dit que c’est le nouveau groupe d’Alex. L’adresse se trouve au dos de la pochette - That was all I needed. I bought the summer-long bus ticket, and this rock’n’roll gumshoe was on his way - Il arrive au 706 Cox Street et frappe à la porte. C’est le «pompadoured and mustachied dandy» Tav Falco qui lui ouvre la porte. Le Wynner se présente et dit qu’il vient de L.os Angeles en bus pour rencontrer Alex, et le soir-même, Tav l’emmène dans la bar où traîne Alex, un Alex qui n’est pas très médusé de voir débarquer ce blanc-bec. Le Wynner n’est pas bien riche, mais il paye les bières et les clopes. Alex et lui papotent pendant des heures. Alex est un fan de philo, «Wilhelm Reich in particular.» Bien sûr, il n’est pas question de parler de Big Star - Box Tops & Big Star were topics non grata - Puis le Wynner assiste à un concert des Panther Burns dans un bar devant 5 personnes. Alex bat le beurre - It was a mess, a beautiful mess, but a mess nonetheless - Le Wynner rencontre aussi ce soir-là Ross Johnson.

             Deux ans plus tard, le Wynner est en tournée avec le Syndicate, peu après la parution de Days Of Wine & Roses. Ils arrivent à la Nouvelle Orleans pour jouer au Tupelo’s. Ils s’installent sur scène pour le sound-check et le tour manger vient chuchoter à l’oreille du Wynner : «Suis pas très sûr, mais le mec qui balaye là-bas pourrait bien être Alex Chilton.» - Sure enough, it was Alex - Le Wynner va le trouver, lui dit qu’ils se sont rencontrés deux ans auparavant à Memphis, mais Alex ne se souvient pas. Il ne montre pas non plus une envie folle de poursuivre la conversation.

             Dans les années à venir, le Wynner indique qu’il va prendre soin d’éviter Alex - I learned to avoid meeting any heroes - Il ne reverra Alex qu’en 2007, en Norvège, dans un festival nommé Down On The Farm. Alex a fait la paix avec son passé et a reformé Big Star avec Jody Stephens et les deux mecs des Posies, Jon Auer et Ken Stringfellow, et le Wynner est là avec Danny & Dusty. 

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             Bon le dernier album du Wynner n’est pas ce qu’on espérait. Make It Right retombe un peu comme un soufflé. Il est pourtant tout de suite dessus avec «Santa Monica», comme peut l’être Lou Reed sur ses propres cuts. Ils savent tous les deux claquer un songwriting, mais ce ne sont pas des hits automatiques. Le Wynner démarre son morceau titre en mode «Pale Blue Eyes» et ça fait illusion. Ça devient même vite tétanique. Il est vraiment sur les accords de «Pale Blue Eyes». Son I/ I/ Can’t make it right est du pur Linger on/ Your pale blue eyes. L’autre merveille de l’album s’appelle «Madly». Le Wynner y gratte de belles espagnolades. Mais on perd le Syndicate. Les espagnolades scintillent cependant au soleil, alors ça nous console. Il joue avec des machines («What Were You Expecting», bonne question) et avec le post-punk («Making Good On My Promises»). Mais on passe à travers tout le reste. Pas mal de cuts pépères naviguent en pères peinards sur la grand-mare de cet album. Le Wynner s’embourgeoiserait-il ? Il renoue un peu avec la niaque du Syndicate dans «Roosevelt Avenue». C’est tellement exacerbé qu’il frise un peu le Velvet, mais pas trop. Ça reste un peu glabre. Bien boutonné.

    Signé : Cazengler, Steve Ouin (ouin)

    Steve Wynn. Make It Right. Fire 2024 

    Danny & Dusty. The Lost Weekend. A&M Records 1985

    Danny & Dusty.  Cast Iron Soul. Blue Rose Records 2007

    Steve Wynn. I Wouldn’t Say It If It Wasn’t True. Jawbone 2024

     

    L’avenir du rock

     - Stanley your burden down

     (Part One)

             Quand on erre, on erre. Errer n’est pas une chose qu’on fait à moitié. L’avenir du rock en connaît un rayon. Le désert, le sable, les dunes, le soleil, les étoiles, les caillasses, tout cela n’a plus aucun secret pour lui. Il pourrait en parler pendant des jours et des nuits. Il a même fini par se dire que s’il erre depuis tant d’années, c’est uniquement pour pouvoir en parler un jour. Sinon, à quoi servirait d’errer ? Qui pourrait parler d’errance ? Certainement pas Lawrence d’Arabie, trop occupé à s’admirer dans le miroir.

             Une silhouette apparaît au loin et arrache l’avenir du rock à ses cogitations. Un barbu coiffé d’un casque colonial descend la dune en traînant la savate et approche lentement. Il a l’air complètement paumé, comme tous ceux qu’on croise dans le désert.

             — Je m’appelle Livingstone ! Stanley qui est dûment mandaté par Leopold II, roi des Belges, me cherche. Vous n’êtes pas Stanley, I presume...

             — Non mais franchement, est-ce que j’ai une tête à m’appeler Stanley ? Vous m’avez bien regardé ?

             — Oh mais ne le prenez pas mal, je suis juste un peu désorienté. Je cherche aussi un fleuve, le fleuve Congo, vous ne l’auriez pas vu ?

             — J’ai déjà croisé un con qui cherchait le même fleuve. Ça doit être le fleuve des cons. Décidément, vous avez tous décidé de me gâcher le plaisir d’errer. Alors, je vais vous dire : je commence à en avoir marre des gens comme vous qui se permettent d’errer dans mon désert et de me poser des questions à la con. Vraiment marre de vos jérémiades et de votre incapacité à infléchir les courbes de la croissance, marre de vos manquements à l’orthodoxie, marre de vous voir tripoter la mécanique quantique, marre de vous voir mélanger les torchons et les serviettes. Demandez-moi plutôt si je connais Bob Stanley, sombre crétin !  

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             Et si l’avenir appartenait aux compilateurs ? C’est l’un des paris que lancent les gens d’Ace, notamment avec Bob Stanley, le mec de Saint Etienne. Pas la ville, bien sûr, le trio Sarah Cracknell/Bob Stanley/Pete Wiggs. Bob Stanley - qui n’a rien à voir avec Livingstone - est aussi écrivain, ce dont on va causer dans le Part Two. Ça fait beaucoup de choses. Dans les circuits professionnels, Bob Stanley est ce qu’on appelle un polyvalent. Il polyvaille que vaille, il polyvalentement mais sûrement, il polybien son chinois et polypose les bases d’un bel empire. On peut donc suivre PolyBob les yeux fermés.

             PolyBob dispose d’une cervelle élastique. Sa culture pop s’étend  à l’infini. Il polybrasse large, il se polymoque des distances et des mesures. À son corps défendant, il devient une espèce de polyphénomène, et les ceusses qui rapatrient ses compiles avouent franchement leur fascination. «PolyBob ? Quel polystirène !», font les gens lorsqu’on leur tend un micro.

             On recense une quinzaine de polycompiles. Ace n’y va pas de main morte. Pour ne pas abuser de la patience du lecteur, on va se contenter d’en explorer cinq pour cette fois, dont deux bien pratiques, car à éviter soigneusement : Paris In The Spring et Fell From The Sun (Downtempo And After Hours 1990-91). Pourquoi ?

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             Parce que. Parce que quoi ? Parce qu’avec Fell From The Sun, PolyBob plonge dans la scène maudite de l’house music, et bien évidemment, il attaque avec l’«Higher Than The Sun» de Primal Scream. Non, non et non, ça ne marche pas ! Puis vont se succéder une ribambelle de petits grooves inconséquents qui prennent littéralement les gens pour des cons. C’est l’house dans toutes son inepte inutilité. On patauge dans l’exercice de style à la mormoille la plus puante. PolyBob se tape une petite crise d’autosatisfaction avec le «Speedwell» de Saint Etienne. À sa place, on aurait évité de la ramener. Tout ce son ne peut pas accrocher. C’est trop à la mode, trop superficiel. Tu attends des compiles qu’elles t’amènent au seuil des mondes inconnus, et celle là t’amène à rien. 

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             Paris In The Spring, c’est un autre cas de figure. PolyBob tape dans l’underground français de 68 et va chercher des trucs de Mireille Darc et de Bernard Lavilliers, qui, dans «Les Aventures Extraordinaires d’Un Billet De Banque», emprunte le riff de basse de Melody Nelson. PolyBob propose d’explorer un continent, il privilégie les cuts inconnus, mais ses choix ne sont pas bons. Ilous & Decuyper font du Crosby Stills & Nash franchouillard à coups d’ooh-ohnow now. PolyBob choisit «La Métaphore» de Dutronc qui n’est pas le meilleur Dutronc, et le «Dommage Que Tu Sois Mort» de Brigitte Fontaine qui ne vaut pas l’excellent «c’est bon d’être con». Pareil pour Nino Ferrer, «Looking For You» n’est pas le meilleur Nino. On plonge en pleine misère de la variette avec William Sheller, et on retrouve Triangle avec un «Litanies» qu’on fuyait à l’époque. Le «Viens» de Françoise Hardy n’est pas bon et l’«Encore Lui» de Jane Birkin est insupportable. Le seul coup de magie est le «Bal Des Laze» de Polna. Prod parfaite. Mélodie parfaite. Ça se termine avec «La Chanson D’Hélène» de Romy Schneider et Michel Piccoli. Ah le cinéma ! 

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             Le seuil des mondes nouveaux, parlons-en ! C’est exactement ce que propose PolyBob avec ses compiles, lorsqu’elles sont bonnes. Et puis il intrigue un peu avec ses pochettes, il opte souvent pour des images de bâtiments, notamment English Weather sous un ciel gris, ou State Of The Union sous un ciel bleu. Dans ses liners d’English Weather, l’écrivain PolyBob explique que la ville de Londres a changé «dramatically» depuis Get Carter et les années 70, mais pas le weather. Il raconte comment il s’est retrouvé coincé par la pluie chez un disquaire de Newcastle, à écouter des groupes des années 70, d’où l’idée de cette compile. PolyBob passe en revue des choses qu’on n’écoute pas souvent, mais qu’on est content d’entendre, comme Matching Mole («O Caroline» compo de David Sinclair avec la magie vocale de Robert Wyatt), Daevid Allen («Wise Man In Your Heart», typical Camembert, gros groove de flying teapot, une autre époque), Caravan, bien sûr, avec «Love Song With Flute» et tu repars à Canterbury, merci PolyBob pour ce voyage dans le passé, les Caravan sont très Soft Machine, très surdoués et t’as le grand solo de flûte. Camel aussi avec «Never Let Go», proggy en diable. The Parlour Band avec «Early Morning Eyes», assez chaleureux, très CS&N dans l’esprit. Chaque cut a son histoire, PolyBob les raconte une par une, c’est un spécialiste. Il ne vit que pour ça, les disks et l’histoire des disks. Il est des nôtres. Ses textes constituent une somme. Il aime beaucoup les groupes anglais qui sonnent comme des Californiens. On l’a vu avec The Parlour Band et ça se confirme avec The Orange Bicycle. Et on se demande bien pourquoi un groupe comme T2 est devenu culte, car leur «JLT» n’est pas jojo. Par contre, Bill Fay a une vraie dégaine avec son «‘Til The Christ Come Back». PolyBob en fait un mythe. Pas de voix mais un mood. Van Der Graaf Generator, c’est tout de suite autre chose. Avec «Refugee», Peter Hammill sort du lot. On se régale encore de «Very Nice Of You To Call» d’Aardvark, une Coventry pop assez envahissante et du piano all over the solo. PolyBob tire le Big White Clud» de Vintage Violence pour saluer John Cale. On sent le big time dès l’intro. Il traîne en chemin de la mélodie. C’est très Paris 1919. Tu sors cette compile pas vraiment émoustillé, mais ravi.

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             Et t’enquilles aussi sec State Of The Union (The American Dream In Crisis 1967-1973). Dans son intro, PolyBob revient longuement sur les désastres environnementaux et la guerre du Vietnam qui ont brisé les reins de l’Amérique, entre 1967 et 1973. Et pour lancer sa petite machine à remonter le temps, il attaque avec l’heavy Elvis de «Clean Up Your Own Back Yard». Ça monte vite en température avec Della Reese et «Brand New Day». Cette fantastique Soul Sister et très directive. Elle te dégage le passage vite fait. Dion fait ensuite son pleurnichard avec «Abraham Martin & John», ce qui n’est pas sa meilleure période. Sinatra fait de la pop d’avant la pop : «The Train» est coloré et tragique à la fois. PolyBob ramène aussi les 4 Seasons («Saturday’s Father») et les Beach Boys (4th Of July»). Pas les meilleurs choix. Dommage, PolyBob, se fourre parfois le doigt dans l’œil. Pour le redécollage, il faut attendre les Four Preps d’Ed Cobb et «Hitchhiker», une belle pop harmonique. Ils sont les rois des chœurs psychédéliques. Encore une voix extraordinaire, celle de Lou Christie. Il tape son «Paint America Love» dans un délire orchestral et une overdose d’harmonies vocales. Ça valse dans les étoiles. Cette pop orchestrale constitue un sommet du genre. On passe sur Eartha Kitt (trop affectée) et Roy Orbison («Southbound Jericho Parkway», mini-opéra à la mormoille). On passe aussi sur Bobby Darin et sa pop d’entre deux mers («Questions») et sur Paul Anka et son sucre d’orgue qui colle trop au papier («This Crazy World»), et on revient enfin aux choses sérieuses avec Eugene McDaniels et «Cherrystones». Il groove pour de vrai avec un killer juste derrière lui. Retour aussi au grand art américain avec les Tokens et «Some People Sleep», tiré du «great lost album» Intercourse : grosses harmonies vocales à la Brian Wilson. Ça se termine avec une cover du «Revolution» des Beatles par the folk harmony quartet The Brother Four. Et là tu dis oui, car c’est bien foutu. Et tu peux aller moissonner les grands albums des Tokens, de Lou Christie et d’Eugene McDaniels.

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             Pas de maison sur la pochette de Three Day Week (When The Lights Went Out 1972-1975). PolyBob opte pour un couple en pleine séance de préliminaires. Il opte aussi pour la misère anglaise de 1973 - What had gone wrong? And what did pop music had to say about it? - Bonne question, PolyBob. Il explose le «British malaise», avec une pop qui cherche sa voie, alors certains vont vers le space age et le modernism, «a world of electric boots and mohair suits.» D’autres reviennent aux fifties, Wizzard, Showaddywaddy, Shakin’ Stevens et les Rubettes, nous dit PolyBob. Il analyse bien son British malaise et conclut son intro ainsi : «Think of ‘Three Day Week’ as an extended musical Play For Today.» C’est quoi cette semaine de trois jours ? Une revendication des mineurs. L’Angleterre s’enfonce alors dans les grèves, avec des coupures de courant et donc un pic notable de natalité. Mais les Tory tombent à cause des grèves et voilà qu’arrive au pouvoir la Thatcher. Alors PolyBob n’a choisi que des singles de cette période de vaches maigres, des singles destinés à l’oubli. L’écrivain PolyBob restitue admirablement l’état d’esprit de cette époque : «Encore un verre ? Qu’avons-nous à perdre ? Le gouvernement est sur les genoux et on n’aura plus de boulot la semaine prochaine. Vite, quelqu’un au piano avant la prochaine coupure de courant !». Seul un écrivain peut rétablir le climat propice. Pour illustrer le thème des disques «que personne n’écoutera», voilà Small Wonder avec «Ordinary Boy». Ce simili glam d’urban teen angst aurait pu devenir un hit. Autant le dire tout de suite, le coup de génie de la comp n’est autre que l’«Urban Guerilla» d’Hawkwind. Là, PolyBob tape dans la couronne royale du rock anglais. Pur Brock genius, avec un bassmatic qui rôde dans le son. Tiens, voilà Ricky Wilde, le fils de Marty, avec «The Hertfordshire Rock». Incroyablement juvénile ! Cut épais et fascinant, vraiment lourd de sens. Et puis des évidences comme les Kinks («When Work Is Over»), Adam Faith («In Your Life»), les Troggs (I’m On Fire», ça marche à tous les coups). Paul Cordell c’est autre chose. Seul le diable sait d’où sort son «Londonderry». Confus mais bien intentionné. Du glam encore avec Stud Leather et «Cut Loose» (et son final en sax free) et Bombadil avec «Breathless». Infernal ! D’où ça sort ? Merveilleux instro. Premier choc pétrolier avec le proto-punk de Lieutenant Pigeon et «And The Fun Goes On» : bad fuzz avec une flûte de Pan. PolyBob nous explique qu’il s’agit en fait de Stavely Makepeace, un duo composé de Rob Woodward et Nigel Fletcher. PolyBob les qualifie de «Coventry’s own Moondog and Wild Man Fisher.» D’ailleurs, il nous colle un Stavely Makepeace un peu plus loin : «Don’t Ride A Paula Pillion», un cut kitsch de mauvais goût, ça sort tout droit de la poubelle de la pop anglaise. Tu croises aussi Mungo Jerry («Open Up», rois du boogie) et Matchbox («Rod», trop produit et trop rock’n’roll). La petite pop sans conséquence ce Robin Goodfellow n’a qu’un seul mérite, celui d’exister, et on constate une fois de plus à quel point l’approche de Cockey Rebel est difficile («What Ruffy Said»). Plus loin tu tombes sur Pheon Bear et «War Against War»,  amené au heavy stomp de street proto. Impressionnant ! Ça sent bon le working class stomp des terraces.

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             Jon Mojo Mills accorde huit pages à PolyBob dans Shindig!, ce qui vaut pour privilège. Cette interview au long cours jette une sacrée lumière sur le personnage et son parcours de kid anglais fasciné très tôt par le rock. Autant dire qu’on se régale. Ses premiers souvenirs remontent à Slade, «the first group where I can remember being excited to hear whatever their next single was». Il cite aussi le «Rock On» de David Essex et le «Walking In The Rain» de Love Unlimited. PolyBob a déjà le bec fin. Dès qu’il a un peu de sous avec son Saturday job, il fait quelques emplettes, par exemple John Barry’s Persuaders theme. À 11 ou 12 ans, il flashe sur l’Unicorn de Tyrannosaurus Rex. Puis arrive l’épisode disquaires et PolyBob cite le sien : Beano’s Records à Croydon. Et comme on le fit tous à l’époque, on se fiait aux chroniques pour acheter les albums qu’on ne pouvait pas écouter. Alors PolyBob lit une kro de Forever Changes dans Record Collector et va l’acheter. C’est aussi simple que ça - and obviously I didn’t regret it -  Quand il entend le «Tell It Like It Is» d’Aaron Neville à la radio, pouf, il court l’acheter chez Beano - Usually, they’d have a copy of wathever it was I asked for. It was an incredible shop - Puis il dit sa passion pour le British psych, via Phil Smee’s first Rubble albums. Et il passe naturellement à l’étape suivante : le fanzine. Il lance Caff en 1986 avec son pote Pete Wiggs, et y chante les louanges des Pastels et de John Barry, un Barry dont personne ne parlait à l’époque. Quelle sera la prochaine étape ? Le groupe ! Et pouf, il monte Saint Etienne en 1991 avec le pote Pete et la belle Sarah Cracknell. Mojo Mills y va de bon cœur : «Saint Etienne’s 1991 debut Fox Base Alpha was one of the most perfect records to sit at the crossroads of the collision between dance culture, pop and what was classed as ‘indie’.» Oui PolyBob est fier de son mix d’influences, King Tubby, Big Boy Pete and Fingers Inc. Et Mojo Mills en arrive aux fameuses compiles Ace. PolyBob dit qu’il propose chaque fois «the cover artwork and the fonts» pour bien fixer le mood. Il dit avoir appris l’esthétique des compiles avec Edsel et Bam Caruso «which had quite dense, detailed sleeve notes.» Merci PolyBob !  

    Signé : Cazengler, Stan laid

    Bob Stanley/Pete Wiggs. English Weather. Ace Records 2017 

    Bob Stanley/Pete Wiggs. Paris In The Spring. Ace Records 2018

    Bob Stanley/Pete Wiggs. Fell From The Sun (Downtempo And After Hours 1990-91). Ace Records 2022

    Bob Stanley/Pete Wiggs. State Of The Union (The American Dream In Crisis 1967-1973). Ace Records 2018

    Bob Stanley/Pete Wiggs. Three Day Week (When The Lights Went Out 1972-1975). Ace Records 2019 

    Jon Mojo Mills : Lunch Hour Pops. Shindig! # 145 - November 2023

     

    Wizards & True Stars

     - Sandy show

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             Sandy Salisbury et Curt Boettcher ? Leur rencontre est un vrai conte de fées. C’est en tous les cas ce que nous raconte l’impeccable Zoe Willard dans les liners de Try For The Sun. Sandy vient d’enregistrer un album avec son groupe, The Chances, au Nouveau Mexique, mais l’album ne sort pas. Shelved, comme on dit. La guigne empire encore lorsqu’il reçoit une convocation pour le draft, c’est-à-dire l’incorporation. On est en 1966, et ça pue le Vietnam. Il se rend donc à Los Angeles où se trouve le centre de recrutement, et dans la bagnole, il entend «Along Comes Mary» de The Association. Il est soufflé ! Le producteur du hit n’est autre que Curt Boettcher, un jeune producteur en vogue. Sandy poireaute à Los Angeles, et un jour sa mère le contacte pour lui dire qu’il est exempté d’armée - as a sole survivor - Alors Sandy exulte, il parle même de «crazy-good luck». Inespéré ! Il a pris un appart pas loin de Sunset Strip et comme il a tapé dans l’œil de sa voisine, celle-ci l’invite à une party. Elle a dit-elle un copain dans le music biz qu’elle aimerait bien lui présenter. Devine qui c’est ? Oui, bravo, c’est Curt ! Fin de la guigne pour Sandy. C’est un joli conte de fées, pas vrai ? Et leur musique s’en ressent. Alors Sandy va jouer ses compos à Curt. Comme Curt vient de monter un  label, Our Productions, il propose à Sandy d’enregistrer. Curt lui propose aussi de compléter the Ballroom, un groupe qu’il vient de monter avec Jim Bell et Michelle O’Malley. Mais le label coule à pic et The Ballroom avec. Glou-glou. Chacun part de son côté. Les enregistrements ne feront surface qu’en 2001, sur une compile Sundazed intitulée à juste titre Magic Time. Mais Curt n’en reste pas là : il remonte The Millenium. Pour vivre, Sandy sculpte des fleurs dans des planches de bois. Curt vient le trouver pour lui proposer de rejoindre The Millenium. Heck yeah !  Mais le nouveau projet va vite capoter. Curt est le prince de la poisse.

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             Alors, puisque Sandy et Curt ont sauvé leurs home and studio demos, Zoe Willard a trouvé judicieux d’en faire une petite compile pour les admirateurs du duo mythique. Enjoy the ride, lance Zoe en guise de chute. La compile Sundazed s’appelle Try For The Sun. Tu fonds dessus comme l’aigle sur la belette. Et t’es bien récompensé avec «The Sun Is Shining Now», une Sunshine Pop à toute épreuve, invincible, pressurisée de chant poignant, gorgée de shine/ Shine/ Shine now. Ils dégoulinent de lumière. Sandy et Curt sont des artistes luminescents. Puis il tapent «Love Is Good» au kazoo, c’est très On The Beach. Tout est très bronzé, très dents blanches, très joyeux chez ces deux mecs-là. Sandy gratte ses gros coups d’acou magiques sur «Soft Words» et on reste dans l’enchantement pour «Our Minds Keep Moving On». Ils rivalisent d’ardeur sunshiny avec Brian Wilson dans «Try For The Sun». Ils font une petit cover californienne du «Baby Please Don’t Go» des Them. Très weirdy, très iconoclaste. Retour au full blown de pur genius avec «Spell On Me», quasi california-gaga, et ils rejoignent les sommets de l’Ararat californien avec «Really & Truly», brillant mix de sucre et de coups d’acou, belle pop inflammatoire, ils allument ça aux harmonies vocales, ah il faut les voir à l’œuvre, c’est franchement digne des grandes heures de Brian Wilson ! Encore une échappée belle avec «She Brought Love To My Life», un shoot de très belle pop évolutive et fraîche comme un gardon de Big Sur.

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             Sundazed le bien nommé ressort cette année une nouvelle rasade de Sandy songs, Mellow As Sunshine. Dans ses liners, Zoe Willard précise que Sandy fait tout sur ces cuts, instrus, vocaux et harmonies. Ces 20 cuts ne sont jamais sortis. Il y avait nous dit Zoe de quoi faire un album. Dans la deuxième partie des Liners, Sandy redit son admiration pour Frankie Valli & The Four Seasons, et pour le Kingston Trio, très populaire à l’époque de ses débuts. Pour l’amateur de Beautiful Songs et de chœurs d’artichauts, cet album est un must impératif. Comment résister à la beauté de «Tomorrow» ? Il dit qu’il ne peut attendre le tomorrow morning sun. Sandy est un ange, puisqu’il chante comme un ange. Il amène son «Tomorrow» aux arpèges de lumière - I love this song but I wish could’ve better recording equipment - Il dit l’avoir enregistré sur son sound-on-sound recorder. Autre Beautiful Song : «Daddy Loves You». Fabuleuse osmose avec le cosmos de la Beatlemania. Même chose avec «The Sun Always Shines On Suzanna» - My favorite song in this collection, written in honor of the magnificent work of Frankie Valli - Il tape ce shoot de romantisme californien à la fraîche, bien décontracté du gland. Fantastique allure ! Il t’intoxique encore avec les harmonies vocales de «Justine», et il se paye une fantastique coulée de voix dans «Silent Lonely Night». Il chante à la voix lactée. Ça coule de source. Il gratte aussi des accords de jazz dans «Six O Clock». Et puis voilà encore un modèle parfait de belle pop californienne : «Better Move Over (With Cinnamon)».

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             C’est bien sûr Zoe Willard qui signe cet article de 8 pages dans l’Ugly Things de l’été dernier. Zoe dit sa fierté d’avoir rencontré son héros Sandy - There are my pal Sandy’s sunny ‘60s escapades. Enjoy! - Alors on enjoye.

             Au commencement de Sandy était non pas le verbe, mais «The Fleetwoods, The Everly Brothers, Gale Garnett and the King himself.» Il grattait son ukelele along with Elvis songs. Sandy a grandi à Hawaï, puis il a débarqué à New York et flashé sur le Freewheeling Bob Dylan - I loved that cover, still do - Puis il va finir ses études à Santa Barbara, en Californie, et là, il flashe sur les Beach Boys et Gary Usher. Il rejoint The Chances, «a teenage Beatles-esque rock group» et joue de la basse. Lors d’un trip au Nouveau Mexique, ils enregistrent un album chez Norman Petty.

             Tiens, on va en profiter pour l’écouter !

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             L’album des Chances s’appelle Baby Listen To Me. Une bombe ! Des Californiens dans les pattes de Norman Petty, ça ne peut donner qu’une bombe. Ça commence à danser dans l’ascenseur avec «Get Out Of My Mind». Fantastique attaque ! C’est encore pire que chez Joe Meek ! Dynamite & power ! Sandy et ses trois copains sont hallucinants de virtuosité. Plus loin, tu tombes sur une triplette de Belleville : «It’s Only Time», suivi de deux moutures de «Goldfinger». Ils attaquent l’Only Time au weird Byrdsien, avec des arpèges alambiqués. Quelle extraordinaire assise, ça vaut tout Revolver et tous les Byrds sur Columbia. Ils tapent ensuite leur Golfdinger au fast Petty sound, et la deuxième version est plus fast, quasi punk, drivée avec sauvagerie. Le batteur Gary Lee Swafford vole le show ! Retour aux affaires avec «Looking For Love», cut de fast pop plutôt extraordinaire. C’est tout de même dingue que ces mecs soient passés à l’as ! Son, compo, voix, tout y est. Pas de chance pour les Chances. Ils restent dans la fast pop avec «That Girl (Isn’t Coming Today)». Ils montrent une fulgurante capacité à cavaler à travers la plaine. Ils sont assez complets, très influencés par les early Beatles. Nouveau coup de génie avec «Your Kind Of Love». Rien ne peut leur résister. C’est la pop sixties au max du mix. Et puis t’as cette Beautiful Song, «Girl As Perfect As You», une merveille mélodique d’une extrême pureté. Et ça se termine en mode fast pop, autant dire en apothéose, avec «Made For You» d’Act III/Travel Agency, le groupe formé par Steve Hael après le split des Chances.

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             C’est le draft qui va tuer les chances des Chances dans l’œuf. Sandy échappe de peu au Vietnam en tant que «sole survivor» : son père et son beau-père sont morts au combat contre les Japs. Ouf ! Il pense qu’il aurait été soit tué, soit transformé, s’il avait été envoyé là-bas. En plus, comme il est petit, on l’aurait dit-il envoyé dans les tunnels. Puis il rencontre Curt Boettcher. Flash ! Curt est alors en pleine ascension, il produit The Association, sur Valiant Records. Sandy est fasciné par les harmonies vocales - It totally blew my mind. The harmonies! The arrangement! - Puis Curt demande à Sandy d’intégrer The Ballroom, avec Michelle O’Malley et Jim Bell. Un seul single en 1967 - «Spinning Spinning Spinning» showcased Curt & Co’s fabulous ability to produce out-of-this world harmonies, melodies and orchestration - On a déjà épluché tout ça dans un hommage à Curt Boettcher. Gary Usher pense exactement la même chose que Sandy. Usher et Curt vont ensuite monter Sagittarius et enregistrer le mirifique Present Tense. Usher dit que Curt a influencé Brian Wilson à l’époque de Pet Sounds. Brian faisait encore de la Surf Music, quand Curt enregistrait l’album de Lee Mallory, That’s The Way It’s Gonna Be - That record stunned Brian - Et Usher ajoute : «Here comes this kid who is lights years ahead of him. I had never seen Brian turn white.» Oui, Curt Boettcher précurseur de Brian Wilson, c’est crédible.

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             S’ensuit le holy grail of sunshine pop : The Millenium. Sandy rappelle que Curt répétait et montait les cuts en studio - He’s do everything in the studio - Begin sort en 1968 et bizarrement ne se vend pas - It’s said that Begin was most expansive project at that point - Pas grave, Curt passe au projet suivant, Sagittarius, avec Gary Usher. Puis Sandy évoque le dark side de Curt : il compose mais Curt planque ses compos. Il les met de côté pour The Millenium, pensant que ça servira de réserve, sauf que The Millenium disparaît, et Sandy est bloqué par le contrat Four Star Music qu’il a signé avec Curt, mais il n’en veut pas à Curt, oh la la, pas du tout. Sandy va ensuite quitter le music biz et la Californie pour s’installer en Oregon, démarrer une famille et une carrière d’écrivain.  

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             On peut conclure avec une autre compile improbable, Everything For You Vol. 1, parue en 2004. Une collection de hits poppy et bienvenus, fabuleusement orchestrés. Sandy n’en finit plus de viser la pop parfaite avec des hits comme «Here Comes That Feeling» et surtout ce «Content Am I» joué en biseau. Il a des chœurs de lumière dans «Bring Me On Back Home Again» et il va chercher la pointe harmonique avec «I’ll Do The Crying» - I’ll do the crying/ If you do the trying - C’est donnant donnant avec Sandy. Il devient quasi-anglais avec «Pretty As A Picture», pour un peu il sonnerait presque comme les Who. Toutes ses pop-songs sont solides et bien intentionnées. Sandy crée son monde en permanence. Il passe en mode fast pop avec «Together In The End» - We could be together / In the end - Elle a the answer. Et puis t’as cette merveille inexorable, «Some Other Place», grattée à gros coups d’acou, avec une trompette in tow. C’est tellement bien produit que ça sent bon le Boettcher.   

    Signé : Cazengler, Salisbureau de tabac

    Sandy Salisbury & Curt Boettcher. Try For The Sun. Sundazed Music 2003

    Sandy Salisbury. Mellow As Sunshine. Sundazed Music 2024

    The Chances. Baby Listen To Me. Nor-Va-Jack Music 2019 

    Sandy Salisbury. Everything For You Vol. 1. Sonic Past Music 2004

    Zoe Willard : Puka’ana O Ka La. Sandy Salisbury sunny sixties escapades. Ugly Things # 62 - Summer 2023

     

     

    It’s a Man Man’s world

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             Curieuse installation : le petit orgue cabossé face à la batterie, le tout en bord de scène. Et pour ajouter le doute à la confusion, partout pendouillent des mains coupées dont on se demandent si elles sont vraies ou fausses. Derrière tout ça trônent un petit ampli et une gratte électrique qui nous relient à la réalité du rock.

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    Les voilà qui arrivent vêtus d’habits de lumière, des espèces des grandes tuniques à paillettes avec des lampions intégrés. Le petit gros qui s’assoit au clavier ressemble comme deux gouttes d’eau à Graham Bond et ce n’est pas un hasard, mon petit Balthazar, s’il dégage exactement la même énergie que le vieux Graham Bond qui t’en souvient-il fut le premier punk de London town. Et tu vois le trio partir en maraude. Et quelle maraude ! Une maraude cannibale ! Ils ne proposent pas un set de rock classique, oh la la pas du tout, ils tapent dans un genre beaucoup plus évolué, aux frontières de l’espace, avec une volonté affichée de beat new-yorkais. Ce sont des tape-dur, mais avec un sens aigu et même suraigu de la sophistication, au point qu’il nous arrive de perdre le fil.

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    On aimerait justement que ce soit plus Graham Bond, mais ils vont ailleurs, nettement ailleurs. Il y a du cabaret, du burlesque dans leur set, tout un pan d’Americana moderne et captivante, des choses qui t’enchantent comme cette histoire de toast et de ghost, et choses qui t’explosent la cervelle, comme le cut final qu’on retrouve sur leur dernier album, l’imparable «Odissey». Après enquête, tu vas découvrir que le Graham Bond américain s’appelle Honus Honus. Et c’est une superstar, il faut le voir fracasser son clavier et jaillir depuis son tabouret, en position assise, à environ un mètre de hauteur. Et toujours, ces montées violentes en température, tu le vois se jeter littéralement sur son clavier et à trois, ils déclenchent l’enfer sur la terre. Te voilà fasciné, mon gars, t’as sous les yeux la réincarnation de Graham Bond, mais à l’américaine.

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             Le hasard qui fait souvent bien les choses nous a permis de croiser Honus Honus et ses deux collègues à l’extérieur après le concert, et quand on lui a demandé s’il était la réincarnation de Graham Bond, il ne savait qui était Graham Bond, mais ça l’a tout de même interloqué. Surtout quand on lui a expliqué que Graham Bond s’est jeté sous une rame de métro à Finsbury Park.

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             Son dernier album s’appelle Carrots On Strings. Il est sur Sub Pop et ce n’est pas un hasard. Tu y retrouves «Odissey», le cut explosif avec lequel il clôt son set. Ça sent bon la fumée. Il tord bien son Odissey au chant et ça se barre vite fait en voyage, big time de Man Man, et tout à coup ça frise l’Hawkwind tellement ça vibre de power spatial, et tu retrouves aussi le gratté de poux interlope qui précède l’apocalypse, ah comme c’est bien amené ! Ça gratte sec et ça explose dans l’œuf du serpent de Man Man au big power drum bass et bam ! US power all over the Man Man’s World, là oui, tu prends ta carte au parti, il y a tous les démons de la terre, là-dedans. C’est du Sister Ray à la puissance 1000. Tu retrouves aussi l’«Iguana» entendu sur scène, amené au thème d’orgue hypno, avec un bassmatic à la Jah Wobble. Pouvoir absolu ! Take me home ! Honus Honus propose un son très sculptural de big time, doublé d’une grosse présence. Il y va l’Honus Honus, c’est un sacré coco. Il a une vraie énergie, c’est un tape-dur. Au chant, il est pourri de feeling. Très bel artiste. Force de la nature. Ça ressort bien en studio. C’est aussi un grand consommateur de mélodies vocales, comme le montre «Mongolian Spot». Retour au rentre-dedans avec «Bloodungeon». Hard beat ! Il assoit bien son énergie, kiss me now/ On the lips, il sait foncer à travers la plaine. Il fait du David Lynch avec «Mulholland Drive». Il est capable de merveilles intangibles. Tu te passionnes pour cet artiste intense et sincère. Il amène «Pack Your Bags» comme un hit glam new-yorkais. Jamais vu ça ! Quelle présence, oh boy ! Il t’explose encore la pop d’«Alibi» et s’en va calmer le jeu juste sous l’horizon avec «Cherry Cowboy».

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             Alors tu prends ton bâton de pèlerin et tu t’en vas sur le chemin. Première étape : Rabbit Habits, paru en 2008. Pochette très dessinée, à la Perec, on voit l’intérieur de trois immeubles répartis sur les volets du digi. Weird scenes inside the buildings, t’as même des scènes de cul. Tu retrouves le son pète-sec de l’Honus dès «Mister Jung Stuffed». C’est son truc, le pète-sec, il fait son Dr John on speed, même il s’évertue à rester inclassable, limite incongru. Mais puissant. Il n’en finit plus de tarabiscoter. Il bascule trop dans le comedy act («The Ballad Of Butter Beans»). On croit parfois entendre la BO d’un Kaurismäki movie. Il renoue avec le big shuffle dans «Easy Eats Or Dirty Doctor Galapagos». Il part à l’aventure, mais pour des prunes. Ses explosions n’intéressent personne. Il fait du rock littéraire avec un «Harpoon Fever (Queequeg Playhouse)» monté sur du surf et bien wild as fuck, c’est inclassable, sauvage et sans commune mesure, comme Moby Dick. Il enchaîne avec le fast as rabbit fuck «FL Aztec». Inclassable ! Wild Dada ! L’Honus cherche sa voie, comme le montre encore «Top Drawer», il passe par le tape-dur, il en plie son clavier, c’est un fou qui se perd dans l’entre-deux mondes. Il se barre ailleurs en permanence, comme le montre encore la valse à trois temps de «Poor Jackie». Il boucle avec «Whale Bones» qu’il chante au rauque à la Moby Dick. 

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             Trois ans plus tard, il pond Life Fantastic. Cot cot ! Ça reste du pète-sec de tape-dur. C’est sa marque. Mais pas d’hit à l’horizon. Au fond, il s’en fout un peu des zhits. Il réfère tarabiscoter. Il s’en sort de justesse avec «Steak Knives» car c’est assez mélodique. Mais la plupart de ses gros tape-dur ne mènent nulle part. Avec «Haute tropique» (sic), il se prend pour Tom Waits. Sans doute est-ce là le cut le plus offensif de l’album. Mais le reste est globalement assez ingrat. À force d’incongruité, il flingue ses cuts un par un. La plupart ne passent pas la rampe. Il tape son morceau titre au last fandango, mais il n’est pas Gary Brooker. Il se prend pour le roi du swing avec «Oh La Brea». Il a raison. Il dispose de cette belle énergie qui ne mène nulle part, sauf aux yeux des gens qui l’ont vu sur scène. Il reste aux confins du cabaret. Son truc, c’est le foutraque. Il est libre.

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             C’est sur Dream Hunting In The Valley Of The In-Between qu’on trouve le vrai grand hit de Man Man, «Sheela» qu’on avait compris de traviole lors du set. Honus ne chantait pas «shivers  after dark», mais «Sheela after dark». Quelle belle offensive ! - Won’t you be my Sheela after dark - Il amène ça avec de sérieuses dynamiques et il rafle la mise avec ce refrain qui décolle comme celui du «Motorway To Roswell» des Pixies. C’est le même power mélodique. Sinon, il continue de faire son père tape-dur («Cloud Nein»). D’habitude, c’est la mère tape-dur, mais cette fois c’est le père. Comme le montre «Lovely Beuys», il adore les vieux artistes conceptuels. Il durcit le beat pour «Future Peg». T’es sur Sub Pop, Honus, alors tu vas durcir le beat ! Il revient encore à la vraie chanson avec «The Prettiest Song In The World». Ça frise l’enchantement. Il l’emmène pour Cythère au but I got so distracted/ So I did it. Puis il groove «Animal Attraction» dans la longueur de la langueur, c’est très beau et plutôt contagieux. Il fait une dernière tentative de hit sensible avec le proustien «Sawn» et marche in the blood of the dying swan. Tout un programme.

    Signé : Cazengler, Mean Mean

    Man Man. Le 106. Rouen (76). 1er novembre 2024

    Man Man. Rabbit Habits. Anti- 2008    

    Man Man. Life Fantastic. Anti- 2011    

    Man Man. Dream Hunting In The Valley Of The In-Between. Sub Pop 2020

    Man Man. Carrots On Strings. Sub Pop 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - La fête à Neu-Neurotic

             Si Neuneu n’avait pas existé, il aurait fallu l’inventer. Il fait partie de ces êtres dont on ne supporte pas la présence et dont on ne peut pourtant pas se passer. Difficile à expliquer. Ce mélange d’attirance et de répulsion est assez commun dans le cadre des relations sentimentales, il l’est moins dans le cadre des relations dites classiques. On commence par savourer sa présence, Neuneu sait faire preuve de clairvoyance et formuler des avis pertinents. Cet ancien libraire est un puits de science, et avec l’âge, son érudition semble proliférer. Il n’est pas comme ces septuagénaires trahis en permanence par leur mémoire, la sienne fonctionne encore comme une horloge, il cite à tours de bras, il jongle avec les noms d’auteurs, d’éditeurs, de marchands parisiens, il sort des prix et des dates, il cite des dédicataires d’envois, il in-foliote et il in-quartote, et puis soudain, sans raison apparente, sa bouche se tord, et derrière ses lunettes, ses petits yeux brillent d’un éclat horriblement malsain, puis il commence à insulter tous les gens dont les noms lui viennent à l’esprit, par exemple des membres de sa famille depuis longtemps disparus, puis des gens qu’il ne connaît pas mais dont on vient de lui parler, puis il s’en prend à la société en général, aux bourgeois et aux paysans, et tu sais qu’à un moment ou à un autre, tu vas passer la casserole, sans l’avoir le moins du monde provoqué. Il accompagne ses invectives de grands coups du plat de la main sur la table qui saute sous les coups. Si pour te défendre, tu engages le combat verbal, alors une légère écume apparaît au coin de sa bouche tordue et soudain, schloooufffff, il déroule un tentacul long d’au moins deux mètres, un horrible tentacule noir et humide ! Alien ! Alors c’est la panique ! Le tentacule balaye la table et envoie les assiettes et les bouteilles valdinguer à travers la pièce, schplifff, schplafff, et il continue à débiter son chapelet d’injures d’une voix d’outre-tombe, il anéantit, il écrase, il abomine, il blasphème, alors tu dois prendre la fuite, car ta vie ne tient plus qu’à un fil.

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             Même si les Neurotic Outsiders n’ont pas bonne réputation, on se sent mieux avec eux qu’avec ce triste sire de Neuneu. À part Vive Le Rock et ceux qui ont chopé l’album à sa parution, qui se souvient des Neurotic Outsiders, ce super-groupe monté par Steve Jones, Duff McKagan et John Taylor de Duran Duran ? Pas grand monde. Voilà donc l’occasion rêvée d’aller faire un tour inside the goldmine.

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             Guy Shankland leur consacre tout de même 6 pages, c’est pas rien. Il chapôte en parlant d’un groupe qui burned hard and bright. Shankland commence par raconter qu’en 1996, il a écouté sa «last ever cassette tape» sur sa «crappy car stereo» : la K7 des Neurotic. Elle orne d’ailleurs la première page de l’article. Comme beaucoup de gens, Shankland n’est pas très friand des super-groupes, mais cette cassette dépasse toutes ses attentes : «loud, melodic, rude, catchy, heartfelt, juvenile, reflective and in places un-fucking-touchable.» Ces mecs commencent par jouer un «charity fundraiser» au Viper Room sous le nom de Neurotic Boys Outsiders, avec un tas de covers, «New Rose», «Raw Power», «Pretty Vacant», «Wanna Be Your Dog», «Something Else», et comme ça plait beaucoup aux gens d’Hollywood, ils deviennent les Neurotic Outsiders. Ils signent aussitôt sur Maverick Records et empochent une avance d’un million de dollars. Le groupe va durer 18 mois. Comme son pancréas vient d’exploser, McKagan est devenu sobre. Zéro dope, zéro drink. Il fait maintenant du mountain bike avec Steve Jones dans les collines d’Hollywood. Steve Jones compose quasiment tous les cuts de leur album, et il partage le chant avec McKagan. Dans l’interview, Steve Jones avoue qu’à la grande époque, il écoutait Boston et Journey sur son walkman et il n’osait pas le dire. Il dit continuer à écouter cette daube, mais aussi «a lot of Tamla Motown and early ‘60/’70s reggae and classic rock. The least thing I listen now is punk.» Les Neurotic ont disparu à cause de la reformation de Pistols, puis des Guns ‘N’ Roses, puis de Velvet Revolver. Dans la dernière page de l’article, Shankland interviewe Matt Sorum, le batteur des Guns, et là tout s’écroule.

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             L’album sans titre des Neurotic Outsiders date de 1996. À l’époque on se disait bif baf bof, à quoi bon un nouveau Steve Jones show ? Mais la curiosité a pris le dessus sur le bif baf bof, et si la curiosité avait une main au bout d’un bras, on aimerait bien la serrer pour dire merci. Car quel album ! Sans la curiosité, on serait passé à côté, et ce serait une grave erreur de plus.

             Ça part en trombe de nasty ho dès «Nasty Ho». Deux accords, c’est immédiat. Awite now ! Jonesy se pointe vite fait et ressort sa cocote d’heavy Pistolero. Ça prend vite des allures d’heavy feel so good. C’est bardé de son, mais à un point que tu n’imagines pas. Ces mecs-là ne connaissent qu’une religion : le power chord. Alors ils y vont au ah ah sock it to me one time et en plus tu as une fin demented. Et ça continue avec un coup de génie nommé «Always Wrong». Jonesy va au-delà de toutes les cocotes, il pulse de l’hyper-génie sonique à l’oh-oh-oh, c’est tellement bardé de son qu’on ne sait plus quoi raconter. Ils plombent le rock à coups de marteau de Thor et Jonesy envoie un solo vipérin atroce, un vrai viol de la conscience. Après un petit passage à vide, les Neurotic reviennent aux affaires avec «Feelings Are Good». Ces mecs sont des diables, ils prennent feu dans les brasiers, tout s’écroule, c’est fabuleux et terrifiant à la fois. Comme d’habitude, Jonesy perce le blindage des coffres. «Jerk» sonne comme un heavy rock infecté. Jonesy se déguise en Max la Menace. Il noie le jerk au meilleur son de l’univers. Ils tapent plus loin le «Janie Jones» des early Clash et cette belle aventure se termine avec «Six Feet Under», le six pieds sous terre qui nous pend tous au nez, sauf les ceusses qui optent pour le four crématoire. Les Neurotic sont très énervés avec cet heavy sludge. Ils sont encore pires que les Stooges. Ils reviennent à l’origine des temps, c’est-à-dire les Stooges : bam-bam sur deux accords. Ils touchent au cœur de la vérité universelle.

    Signé : Cazengler, pathétic outsider

    Neurotic Outsiders. Neurotic Outsiders. WEA 1996

    Guy Shankland : Guns ‘n’ Pistols. Vive le Rock # 93 – 2022

     

     

    *

            Un grand merci à Rockabilly Generation News, dont le numéro paru fin décembre m’a permis de réaliser que j’avais stupidement fait l’impasse sur le livre de Daniel Dellisse.  Rockers, voici un complément indispensable à L’Âge d’Or du Rock’n’roll de Barsamian et Jouffa paru en 1980. Il nous aura juste fallu attendre près d’un demi-siècle pour trouver une telle merveille écrite en français !

    HISTOIRE(S) DU ROCK’N’ROLL

    LA REVOLUTION MUSICALE DES ANNEES 1950

    DANIEL DELISSE

    (Editions du Félin / Septembre 2024)

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             Avis aux lecteurs, ce n’est pas une Histoire des Pionniers du Rock, relisez le sous-titre : La révolution musicale des années cinquante. Oui je sais, sans les pionniers le rock’n’roll gna-gna-gna… mais l’histoire des pionniers c’est un regard, une vue de l’esprit, typiquement française d’ailleurs, une mythification, une extrapolation d’un phénomène social américain. Une réécriture.

             Point de prévention, laissons-nous guider par Daniel Dellisse. Il raconte bien. Vous mène un peu par le bout du nez. S’amuse même. Les fans du King glaneront bien de temps en temps le nom du Pelvis, mais leur faudra attendre la page 132 (sur 200) pour que l’on s’intéresse vraiment à son matricule, ce dernier mot tombe à pic puisqu’il est déjà à l’armée en Allemagne. Oui c’est la fin, nous sommes en juin 1958 et en février1959, ce sera terminé (pas tout-à-fait), l’histoire est finie : tout le monde Holly.

             Petit aparté : lorsque Jerry Lou a passé le clavier à gauche, certains se sont dépêchés de faire remarquer qu’il nous restait encore un pionnier Charlie Gracie, oui mais une quarantaine de jours plus tard Charlie s’est dépêché de rejoindre Jerry… Daniel Dellisse cite souvent les mémoires de Gracie, un peu pour remettre les pendules à l’heure, Charlie n’a pas été dupe de la fabuleuse aventure du rock’n’roll. Ni de ses grandeurs, ni de ses servitudes.

             Certes nous commençons à Memphis, Sam Phillips recherche un local… de Sam nous passons à Dewey (Phillips, aucun lien de parenté), sont faits pour s’entendre, l’un veut enregistrer des disques et l’autre des galettes du  Roi dans son émission sur la radio locale. Comme toujours les choses sont plus complexes. Sont comme nous tous, se promènent avec leurs petites idées derrière la tête et leurs grands désirs devant. Vous connaissez leurs motivations. N’y en aurait-il pas d’autres, invisibles mais très efficientes, qui les pousseraient dans le dos. En ont-ils totalement conscience. L’establishment socio-culturel subit de profondes secousses culturelles, de plus en plus d’adolescents sont friands de musique noire. Oui, mais écouter de la musique de nègres c’est mal vu… L’attrait de l’interdit, ne serait-ce que moral, ne ferait-il pas bouger des montagnes… Dewey le blanc n’est pas seul dans son cas, sont plusieurs disc-jockeys au travers de l’Amérique, comme lui, qui s’obstinent à passer des disques de nègres dans son émission, une intolérable compromission, la destruction de l’human belt, cette ceinture de sécurité (et aussi de chasteté) de séparation des ‘’races’’. Comme  Sam enregistre des noirs, l’on se dit que l’allumette n’est plus vraiment loin de la mèche. Les choses n’arrivent jamais exactement comme elles devraient. Elles empruntent des voies détournées voire tortueuses… Ce n’est pas parce qu’un artiste noir aurait un succès fou auprès du public blanc que le problème serait réglé. Cela serait au mieux de la cohabitation, voire de l’apartheid.  Non, ce qu’il faut, c’est une espèce de pollution intérieure, un virus pathogène. Un cheval de Troie. Ce moment où l’on ne sait plus si le monde est noir ou blanc. Ce sera Elvis, un petit blanc qui chante comme un noir doué. Une fois que le pied s’est glissé dans l’entrebâillement de la porte il est facile de forcer le passage.

             Y a plein de petits Elvis qui aimeraient s’engouffrer dans l’ouverture. Ne sont pas seuls. Vous avez toujours des resquilleurs. Qui profitent de l’occasion. Oui mais ceux-là ils ont de l’argent, ce sont les mêmes qui jusques alors cloisonnaient le système, désormais ils détestent les chasses-gardées puisque l’on peut gagner davantage en classifiant les territoires des voisins en zones franches, sont pour la libre-entreprise, réflexe économique typiquement américain, pour eux l’argent n’a pas de couleur…

             Revenons en arrière. Avant le coq n’ait chanté trois fois pour saluer le lever du Sun. Faut bien qu’un artiste entre le premier sur scène. Daniel Dellisse choisit Bill Haley. Le premier rocker historique. Sympa le gros Bill. L’invente le rock’n’roll sans le savoir. De fait, il ne crée rien, lui et son orchestre de jump se contentent de reprendre les postures et l’impact frénétique du Rhythm and Blues des noirs. Une espèce de vol à l’étalage. Une tentation pas vraiment calculée. L’occasion qui fait le larron. Parfois l’on félicite les voleurs pour leur adresse. C’est ce que l’on appelle la valeur ajoutée. Proudhon avait raison : ce que je vole devient ma propriété.

             Attention c’est subtil. Vous ne savez jamais où vous mettez les pieds. Un véritable jeu de go. Le pion noir devient blanc et le  blanc tourne au noir. L’important est de comprendre qui retourne les pions. Les analyses de Délisse sont des délices. Il ne s’arrête jamais bien longtemps sur une pièce. Vous refile les informations nécessaires, ne s’attarde guère. Ouste, il passe à une autre ! Petit à petit vous identifiez les joueurs, d’abord les chanteurs, tout repose sur eux, de véritables têtes de bétail, bien sûr l’on prend garde de ne pas tuer les rares poules aux œufs d’or mais les cimetières sont pleins de gens irremplaçables. Pas de panique, ça se bouscule aux portillons. Z’ensuite les maisons de disques. Puis les radios. Puis la télévision. L’éclosion du rock’n’roll marche main dans la main avec les progrès de la technologie. Vous pouvez prendre le train en marche, mais ne restez pas le cul calé dans votre compartiment. Sachez trouver le bon studio, les meilleurs musicos, les instruments les plus performants, les ingénieurs du son particulièrement ingénieux. N’oubliez pas d’imiter ce que font les autres. Deux principes de base contradictoire : être seul et le premier. Plus vous êtes gros plus vous êtes puissants. Être propriétaire de sa petite télé locale c’est bien. En posséder quarante autres, vous refilez la même émission quarante fois.

             Au début, c’est la pagaille, à la fin c’est la payola. Chacun tient sa petite crèmerie, elle survit grâce à ses clients, et à ses fournisseurs qui bientôt deviennent gourmands. Echange de bons procédés, je te donne ceci si tu me donnes cela. A la bonne franquette. La ristourne qui vous tourne la tête. L’on s’arrange entre amis, l’on évite les embrouilles. Bien sûr il y a des coups fourrés et des assommoirs tordus, l’un dans l’autre l’on s’y retrouve. L’on est entre gens de bonne volonté… Tous comptes faits, petits profits et grosses arnaques, n’est-ce pas le rock’n’roll qui sort gagnant de ce joyeux et foutraque micmac ?

             N’y a pas que l’argent dans la vie. L’on ne saurait se satisfaire d’être ravalé au rang  subalterne d’un simple homo économicus, il existe une dimension supérieure, celle de la morale. Si vous entrevoyez mal à quoi correspond ce mot, je me permets de rajouter trois de ses synonymes : l’idéologie, la politique, le pouvoir.  Il ne faudrait pas que le rock’n’roll sape l’ordre social, que les blancs et les noirs pactisent un peu trop, tout système coercitif sépare pour mieux régner. Le rock’n’roll n’est pas né d’un coup de baguette magique, ne serait-il pas un rejet de la lutte contre la ségrégation, le surgeon maléfique des manifestations des Droits Civiques, peut-être même un piège diabolique pour corrompre les âmes pures dans les exutoires des rapports charnels, avant, après et pourquoi pas pendant, le mariage… encore un peu, bientôt nous verrons l’apparition des couples mixtes… De tous les fléaux qu’a inventés l’Homme, la Religion - elle ne relie pas les individus entre eux, elle les ligote – est le pire des anabolisants mentaux. Elle infuse les cerveaux. Lisez les paragraphes consacrés à Little Richard et à Jerry Lou. Dieu est pire que le diable, il corrompt tout autant les esprits.

             Bref à la fin du bouquin, vous comprenez pourquoi en 1959, aux States le rock’n’roll est remisé sur une voie de garage. J’ai tenté de mettre à plat le mécanisme que démonte le livre, n’ayez pas peur, Dellisse vous l’explique in situ, c’est un défilé incessant d’authentiques artistes, de faiseurs préfabriqués, de marionnettes et de marionnettistes. Ce n’est pas la grande escroquerie du rock’n’roll que vous conte notre auteur, c’est sa radicale aseptisation, sa parfaite trépanation, son affadissement, sa bâtardisation… N’empêche Nicolas que la bête n’est pas morte et qu’elle ne tardera pas à renaître…

             Ne pouvait pas parler de tout le monde, n’empêche que pour l’absence de Bo Diddley et de Vince Taylor, le peu de lignes dévolues à Eddie CochranDellisse mérite 12 783 fois la mort, non les gars 12784 ce serait un peu exagéré, z’oui mais je me répète ce n’est pas un book sur les pionniers mais sur la naissance du rock’n’roll… Sachez saisir la nuance. Quelques pages sont consacrées aux différents revivals, un peu rapides, pour les français juste Jesse Garon, d’ailleurs notre rock national c’est un peu le parent pauvre, cite Claude Moine, vous avez reconnu sous ce père défroqué, Eddy Mitchell, et les Spunyboys. C’est peu mais le mois dernier nous avons chronique par deux fois Schmoll et les Spuny.

             Je ne voudrais pas terminer sur cette fausse note, il y a un truc qui est très bien expliqué dans le book c’est la coupure épistémologique entre le rockabilly et le rock’n’roll, Daniel Dellisse se sert de l’enregistrement de Be Bop A Lula pour vous faire ressentir le big deal, vous connaissez mon indicible attirance pour Gene Vincent

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             Un dernier hommage, à Alan Freed, sans lui parlerait-on encore de rock’n’roll aujourd’hui, un activiste décisif, il a payé cher son initiative à la cause, mais le rock’n’roll est son triomphe.

    Damie Chad.

     

    *

             L’idée de rituel implique la notion d’acte recommencé, nous voici donc obligé de recommencer, ce qui tombe très bien puisque la semaine dernière nous n’avons parcouru qu’une maigre partie du sommaire de :

    RITUEL

    (Powered by Rock Hard)

             Est-ce un numéro spécial de Rock Hard, le trente et unième, ou le lancement d’un nouveau magazine ‘’dark side’’ consacré au ’’métal extrême’’, l’avenir en décidera, le nombre de lecteurs aussi… Continuons notre lecture :

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             Me retrouve en terre connue dès la première interview, à plusieurs reprises, attiré par la couverture, j’ai failli chroniquer le dernier album De Republica de Griffon, ce qui aurait créé un pendant intéressant avec The Republic de Thumos. Il fut un temps où l’on disait qu’en France on n’avait pas du pétrole mais qu’on avait des idées. Sont des français, ils ont des idées, ils parlent de politique et de religion. Nous saluons leur courage. Rituel a mis en grosses lettres une citation de Aharon (chanteur) : ‘’ pas de socialisme sans christianisme et inversement’’. La discussion est ouverte, lisez l’article avant de monter dans les tours.

    Suit l’interview d’Ulcerate, groupe néo-zélandais, encore une phrase du batteur Jamie Saint Merat en grosses lettres :   ‘’L’art peut et doit parler de valeurs supérieures’’, d’après moi il aurait mieux fait de remplacer l’expression valeurs supérieures par choses profondes, d’autant plus qu’il évoque davantage la descente terminale qu’une quelconque élévation  éthérée. Emmanuel Hennequin l’interviewer ne pose pas les questions bateaux, il participe activement au dialogue. Dommage qu’ils n’aient pas bénéficié de deux pages supplémentaires.

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    Attention, une revue se penche sur une autre qui va mourir. Pas n’importe laquelle, rien qu’à son nom vous pensez au premier livre de La Divine Comédie de Dante, L’Antre des Damnés, une revue de l’ombre, plus noire que le noir le plus absolu, si vous croyez que j’exagère, regardez les couvertures des trente-six Chapitres déjà parus, elles sont reproduites au gré (enfin au granite noir des pierres tombales) des douze pages qui donnent la parole à son créateur Malphas, que voulez-vous il existe des individus qui sont en phase avec le Mal, un solitaire qui raconte vingt ans de turpitudes éditrices, un travailleur de l’horrible, l’a commencé à partir de rien, juste l’innocente envie de lancer une revue underground, s’est battu avec les tentacules sans cesse renaissants de l’Hydre de Lerne, les logiciels, les interviews, le papier, les encrages, les imprimeurs, la poste, le courrier, les imprévus… une vie d’astreintes infinies, pour la musique qu’il aime, un héros, un malfaiteur, un maraudeur des terres cauchemardesques, essayez de faucher une pièce de dix euros dans la tire-lire de votre petite sœur, pour cette modique somme vous aurez droit au Chapitre 37, fissa, les cinq cents numéros sont en rupture de stock… Cette riche et passionnante chronique des jours noirs,  une véritable et longue confession à l’article de la mort peut être considéré comme l’épitaphe suprême gravée sur la porte refermée à jamais de L’Antre des Damnés. Resquiescat in tormentis !

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    Emmanuel Hennequin présente Hollow le premier opus de Hauntologist, groupe de métal polonais, sur la photo des deux protagonistes l’un ressemble à un prêtre défroqué qui a refusé d’ôter sa soutane et l’autre  paraît totalement perdu en notre monde, normal ce sont des explorateurs des contrées du rêve, à leur mine vous voyez qu’ils ont vu ce dont vous n’avez même pas idée, exemple si vous arpentez la mort, dans un sens vous remontez à son origine dans l’autre vous descendez  vers sa fin. Etrange labyrinthe dont on finit toujours par sortir. C’est vraisemblablement la seule explication à leurs regards hallucinés.

    Vous ne savez plus trop où vous en tes, chez Rituel ils sont gentils, ils vous ont aménagé une station, pas du tout christique, une gaudriole satanique, je vous laisse découvrir Moisson Livide, du local, son Emperi Gasconça fleure bon le sud-ouest, la vigne et le rugby, attention un fin marteau à la ceinture de Darkagnan !

    Taz Damnazoglou vous présente les cinq albums qui ont influencé sa carrière. / Sergio Lunatico de Cosmic Jaguar nous parle de la difficulté pour un groupe de metal de travailler en paix. Normal il est ukrainien... Parfois le monde vous agresse.

    Suit un genre d’articles ‘’spécial aficionados mordus de la moelle’’ ou réservés pour les ignorants méticuleux qui veulent tout savoir. Le principe est simple, vous prenez un genre, ici le Grindcore et vous épluchez une série de galettes qui ont marqué le style dans l’ordre chronologique de leur apparition. Le mieux est de le lire à haute voix avec deux ou trois copains et de passer votre temps à vous chamailler sur la justesse de la chro puis à essayer d’imposer votre avis de connaisseur  à vos amis vite transformés en ennemis irréductibles. Au jeu de la mauvaise foi et de vos partis-pris intimes je vous fais confiance. Oreilles sensibles et tympans fragiles abstenez-vous, le grind est une musique ultra-violente et ultra-rapide. La liste débute en 1988 avec From Enslavement to Obliteration de Napalm Death et se termine en 2021 avec Trip to the Void de Blockheads. Tout un programme.

    A suivre…

    Damie Chad.

            

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 672 : KR'TNT ! 672 : KIM SALMON / TAJ MAHAL / SWAMP DOGG / OBEY COBRA / BARBARA GEORGE / WAYS / RITUEL / HOULE / MAXIME TACCARDI

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 672

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    08 / 01 / 2025

      

    KIM SALMON / TAJ MAHAL

    SWAMP DOGG / OBEY COBRA

    BARBARA GEORGE / WAYS

    RITUEL / HOULE / MAXIME TACCARDI

     

     

    Wizards & True Stars

    - Kim est Salmon bon

    (Part Six)

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             C’est par le plus grand des hasards qu’on a appris l’existence d’une bio de Kim Salmon. L’autre jour, on ramenait fièrement au bercail un album live de Kid Congo (Kid Congo Powers & The Near Death Experience. Live In St Kilda) et en lisant les liners écrites à la main par le Kid en personne, sur kikon tombe ? Kim ! Le Kid débarquait en effet à St Kilda, près de Melbourne, invité par le Kim qui organisait une fête (launch party) pour célébrer la parution de sa bio.

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             Alors le plus cocasse, dans cette histoire, c’est que le book est paru en 2019. Ni Mojo, ni Uncut, ni Vive Le Rock, ni Record Collector, ni Shindig! n’ont fait mention de cette parution. Le pauvre Kim est passé à travers, ce qui redore encore plus son blason underground. Ce mec génial n’a jamais intéressé grand monde, en vérité. Juste une poignée de happy few. On lui a même fait l’affront suprême : le faire jouer en première partie de Cash Savage au Petit Bain. Bon d’accord, Cash Savage c’est pas si mauvais, mais les Scientists naviguent tout de même à un autre niveau ! C’est comme si on avait demandé aux Cramps de jouer en première partie de Police.

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             Le book s’intitule Kim Salmon & The Formula For Grunge. L’auteur est un certain Douglas Galbraight qui est bien sûr fan inconditionnel de Kim. Galbraight commence par venir prendre des cours de guitare chez Kim et finit par lui proposer d’écrire sa bio. À sa grande surprise, Kim accepte. C’est un épisode qui nous renvoie en 2019 dans une rue de Binic, lorsque la même question fut posée à Gildas (Hello Gildas).

             Indépendamment des éclairages sur la scène australienne, sur les Scientists et sur Dave Faulkner, le book grouille d’infos de première main sur les Beasts of Bourbon, les Surrealists et un tas de gens tous aussi légendaires qu’underground.

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             De la même façon que tous ses collègues légendaires, Kim Salmon s’assoit sur un gros tas de roots : son premier album d’ado est le Cosmos Factory de Creedence - At $5.50, it was a major investment, rigole Galbraight - Puis l’In Search Of Space d’Hawkwind vient s’ajouter a l’embryon de collection. Le p’tit Kim a déjà le bec fin. Puis il louche sur Raw Power, sur les Modern Lovers - The first Modern Lovers album became my universe for a few weeks - Et puis bien sûr le premier Ramones - Hearing that mix of bubble gum, buzzsaw guitars, tribal drums and Joey Ramone’s Hey Ho Let’s Go was one of the perfect moments of my life - Il adore le punk, puis il découvre les Cramps - It was primitive, it was raw and it was people going nuts - Kim les trouve complètement subversifs. Puis il s’amourache du producteur des Cramps, Alex Chilton et de son album Like Flies On Herbert - It was so raw - Pour lui c’est l’antithèse de la pop production - That really informed me, the whole way that the song was there and it was deconstructed - Il rappelle dans la foulée que le swamp de Creedence l’a conduit tout droit à «Swampland». Kim cite aussi Tav Falco’s Panther Burns et Alan Vega. C’est drôle, on retrouve les mêmes roots chez pas mal de gens, ces temps-ci : Steve Wynn, Jim & William Reid. La qualité des œuvres dépend en grande partie de la qualité des roots. Même chose en littérature. C’est un lisant (pas n’importe quoi) qu’on devient liseron.

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             Il est essentiel de préciser que Kim grandit à Perth, la ville de la côte Ouest de L’Australie, à l’autre bout du continent. Sydney, Brisbane et Melbourne se trouvent de l’autre côté, sur la côte Est. Donc c’est pas simple de démarrer un groupe à Perth. En 1977, Kim et Dave Faulkner démarrent les Cheap Nasties, alors qu’à Sydney, Radio Birdman a déjà enregistré Radios Appear.  Quand les Birdmen quittent l’Australie pour Londres, ils sont aussitôt remplacés par d’autres groupes, dont les Hellcats de Ron Peno. À Melbourne, t’as les Boys Next Door avec Rowland S Howard, et à Brisbane, les Saints, bien sûr. Galbraight fait un focus sur les Moodists, un groupe de Melbourne qu’admire aussi Kim : il les trouve sophistiqués, mais avec le temps, il réalise qu’ils sont peut-être encore plus primitifs que les Scientists - And much much louder - Galbraight donne quelques détails : «The band were underpinned by heavy bass guitar thuggery and Clare Moore’s cooler-than-cool drumming, over which the seedy velvet nightclub majesty of Dave’s vocalisations interplayed with jagged guitar lines.» Il nous fout bien l’eau à la bouche, le Galbraight.

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             Les Scientists vont fuir les beer bars où jouent les Angels et INXS pour privilégier les inner-city rock’n’roll pubs et jouer avec les Hoodoo Gurus, les Sunnyboys et The Church. En 1980, Dave Faulkner quitte Perth pour Sydney et monter les Hoodoo Gurus, avec trois guitares and no bass - they were like a poppy version of the Cramps.

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             De son côté, Kim monte les Scientists à Perth avec Boris Sujdovic, James Baker et Tony Thewlis. Ils sont très pop, au départ. Le Pink Album n’a rien à voir avec ce qui va suivre. James Baker est déjà un vieux punk, fan des Dolls en 1972. Baker est un Ramone avant les Ramones. Il va quitter Perth et sera remplacé par Brett Rixon. Kim développe alors sa vision d’un son - primitive and hardly any chords and so moronic that it’s high art... so primitive that it turns into jazz, things getting trashed to the ground - Les Scientists sont tellement en avance sur leur époque qu’à Perth, on les considère comme des lépreux. Dans le book, Kim fait des portraits stupéfiants de ses collègues, Tony Thewlis - he began extracting all manner of dissonant, jarring, downright rude sounds from is guitar - Boris Sujdovic - His laidback disposition made it very easy for him to adapt to the idea of two note basse lines - Après le punk-pop du premier album, Kim passe au Scientists sound, «firmly anchored in the dirgey, swampy and doom-sih». Thewlis veut ressembler au Johnny Thunders de l’époque des Dolls, «and Brett twanted to look like he was on the first Stooges album cover.» Dedicated followers of the (right) fashion, pourrait-on dire. Kim n’en finit plus de désosser les cuts, «fuzzed out slabs of guitar racket alongside of sporadic commotions of snare and cymbal, howling wild cat vocalisation in place of melodic single.» Galbraight affirme que Kim smash out authenticity and simplicity par pur instinct artistique. Il se débarrasse de tout le superflu - Got rid of the chord changes and signature pop things - une excellente manière de décrire le Scientific Sound. Ils y vont à coups d’atonal guitar-scapes and two note bass lines. Plus loin, Galbraight parle du Scientific Sound en termes de «two note throbbing pulse bass and freaked out maniacal guitars», avec un beurre qui «had to sit behind all this.» Écumant, Galbraight enfonce son clou : «They sounded wild and shitty.» Et il chute là-dessus : «The mark 2 Scientists were something else.» Au Go Go sort leur premier mini-album, Blood Red River, dont on a dit si grand bien dans l’un des Parts précédents. Puis il y aura «We Had Love» - Tony had all the fuzz, nous dit Kim, qui rappelle aussi que ces «really simple riffs took me forever to write.» Puis le groupe décide de quitter l’Australie pour aller s’installer à Londres. La presse anglaise n’est pas tendre avec eux, on les qualifie de «lowest form of anti-social filth», ce qui est un peu injurieux. Pour une tournée anglaise, Kim veut du haut de gamme en première partie. Il opte pour le Gun Club et écrit à Kid Congo qui dit oui. Un Kid qui est fan depuis le début : «They’re really wild like a good sound of hell.» Les Scientists atteignent leur pic en 1984, puis tout va se casser la gueule. Brett Rixon vend sa batterie et rentre en Australie.

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             Et c’est qui qui la rachète, la batterie ? Leanne Chock, la petite road manageuse aux cheveux argentés, qui du coup va apprendre à jouer comme Brett Rixon qu’elle a observé tous les soirs sur scène. Elle connaît bien les Scientific cuts. Puis le groupe sort Weird Love, qui proposait les meilleurs cuts - Weird Love was a miracle - Comme Boris n’a plus visa et doit rentrer en Australie, alors les Scientists tournent à trois, Kim, Tony et Leanne. Kim prend la basse. Impossible de trouver un remplaçant pour Boris. Mais le groupe s’écroule. Leanne leaves. Nick Combes la remplace, mais c’est la fin des haricots. Comme Brett et Boris, Kim rentre à son tour en Australie. Tony reste en Angleterre pour finir The Human Jukebox et Leanne reste à Fulham, se demandant ce qu’elle va bien pouvoir faire de son drum kit. Kim balance un bel épitaphe pour les Scientists : «The path of riotousness was the path of righteousness and only we were on it. On ne se contentait pas de croire, on savait qu’on serait d’abord incompris, puis adorés plus tard. On ne souhaitait pas changer le monde. Il pouvait aller se faire foutre. Tout ce qu’on voulait, c’était qu’on nous foute la paix... et qu’on nous admire à distance. Et on croyait, avec conviction et sans ironie, qu’on était the greatest rock and roll band in the world.»

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             C’est vrai que les Scientists sont devenus un groupe culte. Larry Hardy : «I was interested in the Scientists and I became a bit of a fanatic over them.» Marc Arm est aussi un fan inconditionnel des Scientists, il voit Blood Red River «as a cornerstone of Mudhoney» : «It was dark and creepy and had a cool groove. Everything is perfectly in its place. It’s fantastic stuff.» Buzz Osbourne des Melvins est aussi un fan : il reprend «Swampland» et «Set It On Fire» sur son album de covers, l’imbattable Everybody Loves Sausages.

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             Bien sûr les Scientists vont se reformer et on aura la chance inimaginable de les revoir sur scène au Petit Bain en juin 2018, un événement qui fera les choux gras d’un Part Three ici-même.

             Rentré en Australie, Kim va reprendre du service avec les Beasts, mais aussi avec les Surrealists et pour couronner le tout, il va entreprendre une carrière solo.

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             Il monte les Surrealists avec Brian Hopper et Tony Pola - The idea was going on around in my head was everything seemed surreal - La phrase est bancale, mais c’est ainsi. Le was est sans doute un where. Kim précise qu’il a surtout flashé sur le fameux «combien faut-il de Surréalistes pour changer une ampoule électrique ?», et il s’est dit qu’il pouvait appeler son trio The Surrealists. C’est dingue ce que ce Kim adore la modernité. Il est l’une des rock stars les plus modernes de son temps. Il considère ses deux compères comme des «likeable rogues, immensely likeable.» Et il te balance ça qui dit tout : «I didn’t want a band full of the guys in Oasis who aren’t Gallagher’s». C’est de l’australien, il faut s’y habituer. On comprend globalement ce qu’il veut dire. C’est toujours intéressant, car on lit plus la tournure d’esprit que la langue en tant que telle. Kim prend aussi des libertés avec la syntaxe, pas seulement avec la musique.

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             Les Surrealists enregistrent leur premier album dans un studio ridicule, avec un micro accroché au plafond devant la batterie et un autre devant les amplis. Brian Hopper : «We bashed out a rehearsal and called it a record.» Kim insiste beaucoup sur le côté unique de chaque performance. Il dit qu’on ne joue jamais deux fois un cut de la même façon. L’album s’appelle Hit Me With The Surreal Feel et sort en 1988. Budget total : 60 $. Galbraith : «Même si l’album sonne comme an accident of time and ressource, it endures today as an art record.» Même les formulations de Galbraith son iconoclastes. Il va chercher des mots d’anglais auxquels on ne penserait jamais. Dès «The Surreal Feel», on voit que Brian Hopper fait son Boris sur sa basse. Ça reste donc du Scientific Sound. «Bad Birth» bat tous les records de weirdyness. Kim n’est jamais ressorti des Scientists. Tout le balda est assez grinçant, assez dérangeant, très peu convenable. En B, Kim opte pour l’hypno avec «Intense», au sens Scientific du terme. Il rend un bel hommage à David Lynch avec une cover de «Blue Velvet», c’est un univers qui lui correspond bien, et il termine avec une superbe cover du «Devil In Disguise», aussi belle et subtile que celle de The Electronic Monsters, un trio normand tombé dans les oubliettes.

             Larry Hardy va sortir cet album des Surrealists sur In The Red - Probably the most crude record Kim ever did. Je veux dire que les Scientists devenaient weirder and weirder, mais Hit Me With The Surreal Feel was going into an even darker, stranger place.

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             Entre 1988 et 1992, les Beasts et les Surrealists se chevauchent. Kim compose pour les deux groupes. Galbraith dit que ses meilleures compos de Kim se trouvent sur Essence, un album des Surrealists paru en 1990 et bien épluché dans un Part Quelque Chose. Pour Kim, les Surrealists étaient «incredibly good». Et il développe son point de vue : «Les gens qu’on rencontrait voulaient qu’on joue en première partie de U2, des Bad Seeds, de Rollins, mais en tant que support band, you know. Fuckin’ hell, why weren’t we headlining?».

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             Quand Steve Turner quitte Mudhoney, Kim propose de jouer avec eux. Ils lui payent un billet d’avion pour Seattle. Il y reste quelques semaines et compose avec Marc Arm et les autres. Kim voyait l’album comme un pop album. Mais Marc trouve que c’est «a bit too much pop music. So that got shelved.» L’album  sortira quelques années plus tard sur Bang!. Pareil, Kim Salmon And The Guys From Mudhoney est épluché dans un Part Quelque Chose.

             Et puis Galbraith insiste beaucoup sur le grunge, un mot qu’on retrouve d’ailleurs dans le titre du book. Il prétend que Kim est l’inventeur du grunge, un synonyme de raw et de fucked-up. En 1983, Kim utilise le mot Grunge pour qualifier Blood Red River. «By the end of 1994, Grunge was dead», nous dit Galbraith, d’une voix d’outre-tombe.

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             L’épisode le plus important dans l’histoire de Kim est sans doute sa rencontre avec Jim Dickinson. Dickinson produit Ya Gotta Let Me Do My Thing et déclare : «I hear so much of myself in Kim’s music, that I think I must, I have to produce this.» Kim dit qu’il a passé une semaine à Memphis avec Dickinson, «and it was one of the best experiences of my life. Jim said that anybody who plays rock and roll should come to Memphis, and in a way that’s what that was about.» Galbraith dit que c’est l’un des meilleurs albums de Kim : «Larry Hardy declared it the template of how all records should sound.» 

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             Puis on se dirige doucement vers la fin du book avec l’épisode Darling Downs. Kim qui est rusé comme un renard démarre le chapitre avec un hommage à Wolf : «Howlin’ Wolf had this show biz thing, it shares as much with vaudeville as it does with the Mississippi folk thing. The glint in his eye, crazy ideas about a song and it’s like a ‘wink-wink, mudge-mudge’ to the audience. He reminds me of Ron Peno.» Kim s’entend aussitôt avec Ron Peno. Puis il découvre Died Pretty - Ron had all the moves, and he understood what made singers great. This guy was so good, he’s kind of Dylan,  Roger Daltry (sic), he’s Iggy, he’s got them all there in this strange king of package that combines a bit of everything without being any of them. He understood the medium. It was art what he did - Quel hommage ! Alors Kim monte un duo avec Ron Peno, les fameux Darling Downs. Il ne tarit plus d’éloges sur son copain Ron - I found Ron to be possibly the most musical person I’ve ever worked with - Il le traite encore d’incredible singer, ce qui est parfaitement juste. Tous ceux qui ont vu Ron Peno sur scène le savent.

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             Kim fut aussi le moteur des Beasts Of Bourbon. Gros morceau. Avec Tex Perkins et Spencer P Jones, qui avait fait partie des Johnnys, un groupe qui jouait du «New York Dolls-esque rock’n’roll under the guise of a country and western band.» C’est le cow-punk australien. Tex Perkins, Spencer P Jones et Boris vont monter les Beasts Of Bourbon. Ils tirent le nom d’un cut du Gun Club. James Baker se joint au groupe. Le groupe s’arrête au moment où Kim et Boris partent pour Londres lancer les Scientists. Le groupe reprend du poil de la bête en 1988, lorsque Kim et toute la bande rentrent an Australie - Instantly the chemistry of the band returned - En parallèle, Kim lance ses Surrealists. Il compose pour les deux groupes. Période d’activité intense, dit-il. Composer pour ces deux groupes, c’est pour lui du gâtö, en comparaison des Scientists - which is the hardest thing in the world - Il vise un «more adventurous slab of gutbucked blues and avant-garde weirdness.» Pour Tex Perkins, les Beasts sont les «high priests of dirty gutter rock’n’nroll. pre-grunge kind of talk. Dirty blues. Muddy Waters on crack.» Puis Kim va ramener Tony Pola et Brian Hopper des Surrealists dans les Beasts, et pour lui, ce sera le commencement de la fin. Les shows des Beasts atteignent des «mythical rock status», avec une réputation «of living as hard as they played», ils jouent avec le feu, se sauvent mutuellement la vie - we’ve all have been in death defying situations - died and come back. We were the nastiest sounding underground band, nous dit Brian Hopper. Mais Kim ne joue pas avec le feu. Il veut garder les idées claires. Il devient l’outcast du groupe - You had to be a rock’n’roll bad ass and everyone was doing rock’n’roll bad ass things. I was maybe an experimenter, but it wasn’t my life’s choice - Brian Hopper voit que Kim reste en dehors du cirque, car il touche pas à l’hero. Puisque tout le monde se shoote, lui par réaction ne se shoote pas - It’s a perverse streak in me that I’ve always had - On appelle ça l’esprit de contradiction. En plus, il découvre en 1998 qu’il a chopé une hépatite, et il n’est pas très content.  

             Le plus remarquable dans cette histoire, c’est que Kim réussit à concilier la vie de Scientist, l’un des gangs les plus wild de l’histoire du rock, avec la vie de famille - It was unusual being a twenty-four-year-old rock and roll dad - Son fils Alex naît en 1982. Kim et Linda n’ont pas de blé, et pourtant Kim continue de composer et de jouer. Alex a deux ans quand il débarque à Londres avec ses parents. La famille Salmon s’installe chez Nick Combes, à Brixton. Les trois autres Scientists sont installés à Fulham. Kim et Linda finiront pasr se séparer. Kim va se remarier en 1993 avec Sandra, et ils auront Emma et Gene ensemble, avant de se séparer en 2011. En tout, Kim a quatre gosses : Alex, Jack, Gene et Emma. Il met pas mal d’images dans le deuxième cahier photos, celui de la fin. Puis il va rencontrer Maxine et s’installer chez elle à Northcote. Ainsi va la vie.

             Galbraight brosse un portrait extrêmement fin de Kim, un homme «courtois, self-effacing, curious and very very funny.» C’est exactement ce qu’on ressent quand on a la chance de papoter un peu avec lui. Il est à l’écoute, et fabuleusement abordable. Galbraight ajoute : «He’s also stubborn, proud, determined, gueninely artistic and completely one abstract cat.» Il dit encore que la grande force de Kim est «d’écrire de grandes chansons, de putting on killer shows and working really, really hard.» Galbraight lui trouve toutes les qualités, l’inventivité, la performance (il écrit des chansons pour les jouer sur scène), l’unpredictability (il surgit toujours là où on ne l’attend pas), et bien sûr les deux principales mamelles de Kim sont le work ethic et l’endurance.

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             En 2017, Beast rééditait un album de Kim qui était introuvable, E(a)rnest, et quand on l’écoute on comprend mieux pourquoi il était introuvable. Kim avait à l’époque de sa parution envie d’expérimenter, et le résultat pourrait facilement dérouter un cargo. Plus rien à voir ni avec les Scientists, ni avec les Surrealists. Il joue tout seul et se livre à des petits exercices de style pour le moins incongrus. «Independant Rock» sonne comme un cut têtu et un brin obsédant, alors que son voisin «Too Much Music» bascule dans l’expérimental Dada de base. L’ambiance rappelle celle qui règne sur l’album folky-folkah qu’il avait enregistré avec Ron Peno. Pas le panard.

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             Pendant que Beast réédite, Bang! édite. Voilà encore un bel album condamné aux ténèbres de l’underground : True West. Kim Salmon y fait équipe avec Leanne et attention aux yeux, car voilà un sacré Tonnerre de Brest. Kim y fait une stupéfiante reprise du «Dead Flowers» des Stones. Il joue ça en stand-by de distorse laid-backy, baby. Oh, si jamais Keef entend ça, il risque de baver. Mais le pire, c’est que l’album fourmille de gros cuts bien vivaces comme ce «Ow Baby Baby» amené au garage pop d’excellence saumonière et sacrément bien enroulé au glam-punk kimmique. C’est dingue ce que ce Kim peut kiffer le glam ! Il prend «Freudian Slippers» en mode punk histrionique et au chat perché. Admirable ! Il passe des tas de tortillettes de gras double sur sa gratte. Insane et même carrément crazy ! Avec «The Science Test» qui ouvre le Bal des Laze, il joue la carte du stripped down. Il balance des it’s okay velvetiens. Il tape dans le punk new-yorkais pour «Carry On Luggage», et ça prend une allure considérable, quasiment glam. Kim sait caler un cut. Avec «L.O.S.T», il reste un fabuleux entrepreneur. Il gère le Losting down à merveille. Attention car la fin de la B défraye la chronique. «Double Negativ» sonne comme un fabuleux coup de laid-back avantageux - Techno terms/ Stay in your bliss - On pourrait même aller jusqu’à dire qu’il invente un genre : the low punk commotion. Fin en apothéose avec «Get A Hold Of Your World», balladif têtu comme une mule, admirable exercice de style guitaristique, c’est même une avancée notoire dans l’évolution du genre, il règne dans ce cut quelque chose d’indicible et de fascinant, Kim sait kitscher un petit bikini. Franchement, tout est bon sur ce disk hélas condamné aux ténèbres. Qui en parle dans la presse ? Personne ?

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             En 2019, Kim Salmon remonte les Beasts (sans les Bourbon) pour attaquer le XXIe siècle. Il récupère Boris Sujdovic et Tony Pola pour remplacer les morts. Par miracle, Tex Perkins, le chanteur d’origine, vit encore. L’album démarre en puissance avec «On My Back». Ils récupèrent tout le souffle du vieil underground australien. Kim met les Beasts en coupe réglée, come inside, il screame comme un démon de l’antiquité. Malheureusement, tout l’album n’est pas du niveau de ce brillant starter. Tex Perkins reprend le lead sur «Pearls Before Swine». Les Bêtes traitent ensuite «My Shift’s Fucked Up» à l’heavily heavy pachydermique et bien vulgaire. Quand ça va mal, ça va mal. L’album se réveille en B avec «Drunk On A Train» heavily sonné des cloches, avec tous les oooh-oooh de Stonesy qu’on peut bien imaginer. On retrouve un peu plus loin un shoot de Stonesy dans un «What The Hell Was I Thinking» monté sur les accords de «Dead Roses» - You used to be a prostitute/ You can send me dead flowers for my wedding - Et pour le reste, on repassera.

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             Pauvre Kim ! Il doit être épuisé. Ça fait quarante ans qu’il a du génie. Pour preuve, voilà que paraît sur Grown Up Wrong Not For Sale. Live 1978/79. C’est avec les covers qu’ils vont bluffer les masses populaires : dès l’«Have You Seen My Baby» des Groovies, on les voit maîtriser leur powerhouse, Kim chante au fond du punch et claque un killer solo flash. Ils enchaînent un peu plus loin «Teenage Kicks» et «Slow Death». Les voilà dans le vrai, Kim chante son Teenage Kicks comme un dieu Aussie, all throught the night yeah, killer solo flash à la clé, ça claque à la carlingue de fer blanc, puis les Scientists battent le fer pendant qu’il est chaud avec «Slow Death», I call the doctor, Kim connaît sa came, il pleut des cordes de slide, c’est une véritable douche écossaise, version explosive, Kim relance au wouahh et bien sûr, ça explose. Ils tapent plus loin un fantastique hommage aux Dolls avec «Pills», c’est encore une fois énorme, comme emporté de la bouche, pas de meilleur hommage Dollsy que celui-ci. Sur «Melodramatic Touch», ils sonnent aussi comme les Dolls, ils jouent ça à la petite reculade de la revoyure, avec une qualité de son inespérée pour l’époque. Tiens, encore du Dollsy bash boom avec «I’m Looking For You». Au chant, Kim est dessus comme ce n’est pas permis. L’autre grand fonds de commerce des Scientists, c’est la power-pop. Ils font un «It’s For Real» extraordinaire, Kim ne lâche pas le morceau. On les voit aussi jouer «Last Night» à la dentelle de belles guitares claironnantes. Ils jouent tous leurs cuts à la vie à la mort, même des balladifs comme «That Girl». On voit Kim tailler sa route avec «Frantic Romantic», leur premier hit. Encore une incroyable dégelée de gelée royale avec «Shake (Together Tonight)». C’est pulsé au bassmatic de Ian Sharples, toutes les guitares sont en surface. Un vrai festin de son ! Ces démons jouent «Girl» ventre à terre avec du son en continu. Ils sur-jouent tous leurs cuts. Par contre cinq titres enregistrés au Governor Broome Hotel de Perth ont un son pourri. L’album se termine avec une session enregistrée live dans un studio de Perth. Les Scientists sonnent très new-yorkais sur «Sorry Sorry Sorry», les parties de guitare valent bien tout le Quine dévorant. Ils reprennent aussi le «Don’t Lie To Me» de Chucky Chuckah, mais avec le son des Heartbreakers. Aw comme ces mecs sont bons, ils jouent ça au panache d’extrapolation, c’est en réalité un triple hommage aux Dolls, à Chucky Chuckah et aux Heartbreakers. On voit qu’à leurs débuts, les Scientists étaient déjà très au point. Les guitar attacks n’avaient aucun secret pour eux.  

    Signé : Cazengler, Kim Salmigondis

    Douglas Galbraight. Kim Salmon & The Formula For Grunge. Melbourne Books 2019

    Kim Salmon & The Surrealists. Hit Me With The Surreal Feel. Black Eye records 1988

    Kim Salmon. E(a)rnest. Beast Records 2017

    Kim & Leane. True West. Bang! Records 2014

    Beasts. Stille Here. Bang! Records 2019

    Scientists. Not For Sale. Live 1978/79. Grown Up Wrong 2019

     

     

    L’avenir du rock

     - Taj à tous les étages

     (Part Three)

             Un peu paumé, l’avenir du rock va consulter une cartomancienne. La vieille le fixe d’un œil d’épervier. Elle lui tire une première carte. L’arcane sans nom, c’est-à-dire la mort.

             — Vous êtes Mahal barré, avenir du rock....

             — Pfffffffff, je vis par-delà le Mahal et le bien.

             Elle tire une deuxième carte, le Diable.

             — Vous êtes le Mahal incarné, avenir du rock.

             — Ça me ferait Mahal au cul, vieille moute !

             — Vous êtes vraiment Mahal embouché, espèce de Mahalpoli !

             — Comment voulez-vous que je ne le prenne pas Mahal ?

             — Votre tendance à jouer les Mahal dominants vous perdra...

             — J’ai du Mahal à croire que vous puissiez me sortir une connerie pareille, madame Irma...

             — Vous vous comportez comme un Mahalotru, avenir du rock.

             — Sortez-moi plutôt les bonnes cartes, Mahalheureuse !

             — Vous êtes un gros Mahalade !

             — Et vous une sorcière Mahaléfique !

             — Et vous un drôle de Mahalfrat, avenir du rock !

             — Et vous une vieille pute Mahal baisée !

             — Et vous un Mahalfaiteur de la pire espèce !

             — Attention, madame Irma, je vais vous coller un Taj dans la gueule !

             — Hors d’ici, incarnation du Mahal !

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             Il a raison, l’avenir du rock. Il défend son Taj Mahal bec et ongles.

             Avec son Sextet, Taj Mahal vient encore nous donner une bonne petite leçon de savoir-vivre. On entend ici et là des plaintes du genre :

             — Ahhh docteur, le rock se porte mal...

             — Ahhhh, miséricorde, croyez-vous qu’ils voudront de lui à l’hôpital ?

             — Ahhhh mon dieu, il faudrait songer à lui réserver une place au cimetière...

             — Ahhhh, bonne mère, n’est-il pas temps d’appeler un prêtre ?

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             Taj Mahal et le rock sont en pleine forme, c’est ce que révèle Swingin’ Live At The Church In Tulsa. Les plus fins d’entre vous auront immédiatement fait le lien entre The Church et Tulsa : eh oui, les gars, il s’agit bien du studio légendaire de Tonton Leon. Et c’est là que Taj a choisi d’enregistrer ce brillant opus grouillant de puces. Taj chante son «Bettye & Dupree» d’une voix de mineur cacochyme, mais il faut voir comment ça ramone l’heavy blues derrière. T’entends surtout Bobby Ingano gratter sa Strato. Et paf, t’as le Taj qu’annonce la couleur : «I’m gonna move up to the country baby/ Paint my mailbox blue !» Black power & «Mailbox Blues» ! Comme au temps du premier album, celui qu’on qualifie d’album aux papillons, et des covers de Sleepy John Estes. Ça swingue chez Tonton Leon ! On reste dans la fantastique musicalité avec «Queen Bee». Taj semble régner sur la terre comme au ciel. Son power produit de la mélodie. Il y a du prophète en lui, comme chez Isaac. On le voit traîner plus loin l’heavy blues de «Slow Drag» avec des poux de steel sublimes. Présence lourde et lente. T’entends ce dobro dans le son, ça remonte à loin, il n’a jamais perdu de vue le vieux Frisco Sound. Il tape une fantastique cover de «Sittin’ On Top Of The World» en remontant le courant avec la fraîcheur d’un gardon étincelant. Cet album est une aventure. Et son génie éclate encore au grand jour avec «Corina». Il rentre dans le chou du groove de la Louisiane. Il est spectaculaire d’autorité, bien exacerbé par des poux de steel. Pourtant mythe personnifié, le voilà encore occupé à travailler un mythe. Il jette encore tout son poids d’heavy dude dans la balance de «Mean Old World». Très haut niveau. Que ne l’a-t-on déjà dit ! T’attends quoi de Taj ? Du génie à tous les étages ? Et tu l’as, depuis 50 ans, depuis cet album aux papillons. Alors le voilà à l’article de la mort, plus puissant que jamais, et là, il te donne le fin du fin de la crème de la crème, il te chante le blues, avec une aura comparable à celle de Gil Scott-Heron. 

    Signé : Cazengler, Mahal embouché

    The Taj Mahal Sextet. Swingin’ Live At The Church In Tulsa. Lightning Rod Records 2024

     

     

    Wizards & True Stars

     - Doggy Bag

     (Part One)

             Ça doit bien faire cinquante ans que Jerry Williams Jr., alias Swamp Dogg, pond des albums magnifiques dans une sorte de molle indifférence. On ne sait pas trop qui est Swamp Dogg.

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             — Ah c’qu’est sûr, c’est qu’avec un blaze comme çui-là, l’est ricain ! J’crois même qu’c’est un blackos ! Y fait-y pas du rap ?

             — Tu dois confondre avec Snoopy Dog !

             — Encore un wanna be your dog !

             — Non, Swamp Dogg est tout sauf un wanna be.

             — Si c’est pas un wanna be, j’parie qu’c’est un wanna bite, ha ha ha ha !

             — Non, Swamp Dogg est un artiste extrêmement évolué, je dirais même assez sophistiqué, je ne sais d’ailleurs pas si ses albums pourraient te parler, ou simplement te plaire...

             — Oh, tu m’prends pour une pimbêche, ma biche ?

             — Pas du tout. Je connais tes goûts, tu fais des choix assez classiques et je ne suis pas certain que tu aies du goût pour la modernité. Alors attention, ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit. Quand je parle de modernité, je ne parle pas de Pierre Boulez ou d’Arnold Schönberg, je parle bien sûr de gens comme Richard Hell, Robert Pollard, Sly Stone, Darrow Fletcher ou encore Bill Callahan, tu vois, des gens qui cherchent la route des Indes. 

             — Ah oui mais non, j’écoute pas tous ces machins-là. Y m’prennent la tête avec leurs conneries.

             — Oui je savais que tu allais me dire ça. Mais toi qui aimes bien les vrais mecs, ceux qui ne vendent pas leur cul, comme tu le dis si joliment, tu serais surpris. Swamp Dogg n’a ni Dieu ni maître. Il taille sa route depuis cinquante ans.

             — Sa route des dindes, ha ha ha ha !

             — Tu peux rire, mais tu ne verras jamais Swamp Dogg en couverture de ton cher Rock&Folk. Tu comprends, Swamp Dogg n’est ni Pink Floyd, ni Blondie, ni Led Zeppelin. Comme beaucoup d’artistes trop évolués artistiquement, il ne peut pas intéresser le grand public.

             — Rien que d’t’entendre déblatérer, chuis fatigué d’avance. Des fois, j’me d’mande comment t’arrive à pas t’faire chier avec tes rogatons, Gaston !

             — Oh je reconnais que certains artistes m’ennuient, je n’ai aucune patience pour Zappa ou Genesis, mais tu en as des milliers d’autres. Je trouve ça exaltant de penser qu’on peut continuer à découvrir des œuvres d’artistes, ça peut même te remplir ta vie et te prendre tout ton temps. J’aime bien l’idée des mines d’or, tu peux en découvrir une chaque jour, c’est comme un jeu. Tu creuses un petit trou dans la montagne et tu tombes sur un filon !

             — Tu jactes comme un mec de France-Loisir qui fait du porte-à-porte. T’as quand même un méchant baratin, Martin !

             — Suis désolé de t’ennuyer avec mes histoires. Tiens si tu veux bien, je vais aller te chercher une autre bière et on va écouter le nouvel album de Swamp Dogg, comme ça tu pourras me dire ce que tu en penses, d’accord ?

             — Vendu, Boudu !

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             — Tiens, voilà la pochette. L’album s’appelle I Need A Job So I Can Buy More Auto-Tune. Swamp Dogg a toujours trouvé des titres marrants pour ses albums. Il pratique l’auto-dérision.

             — J’vois vraiment pas c’qu’y a d’drôle dans c’titre. Ça veut dire quoi l’auto-tune ?

             — Réglage automatique, je crois bien.

             — En tous les cas, l’est vach’ment poilant le pépère, sur la pochette, avec son gros bide et ses bretelles !

             — Encore une vieille habitude. Swamp Dogg s’est créé un personnage un brin ubuesque. Il peut poser en caleçon ou en costume blanc, c’est une sorte d’anti-Ziggy Stardust afro-américain, un vrai concept artistique. C’est pour ça qu’il me fascine.

             — Toi, y t’en faut pas beaucoup pour te fachiner, ha ha ha ha !

             — Tiens, au lieu de rire bêtement comme le Professor, écoute ce premier morceau, «I Need A Job». Tu entends les basses ? C’est du black rock de Swampy Swamp.

             — Si tu causes tout l’temps, on pourra pas écouter.

             Swamp Dogg déroule son Doggy Dogg sound en fabuleux shouter.

             — Ouais, j’aime bien, y’a du son. Ton mec y l’a une bonne voix.

             — Ça, c’est un morceau lent, «Cheating In The Daylight».

             — Y nous fait l’coup du balladif aristo !

             — Oui, mais tu as remarqué la qualité du chaloupé ? On connaît aussi Swamp Dogg pour son goût immodéré du boogie en haut de forme. Il te fait même de la Soul, tiens voilà «Soul To Blessed Soul», tu vois comme il te berce la Soul, avec une modernité de ton extravagante. Il y a du Percy Sledge en lui. C’est une plastique parfaite. Swamp Dogg fait de l’art, il propose des chansons parfaites.

             — C’est vrai qu’c’est balèze. Ça s’rait encore plus balèze si tu fermais un peu ta gueule.

             — Oui, mais il faut bien que je te donne des points de repère. Tu vois, avec «She Got That Fire,», il te fait la Soul des jours heureux.

             — Moi, j’appellerais ça la Soul des jolis cons !

             — Oui, si tu veux, mais tu vois bien que Swamp Dogg est un artiste extraverti. Écoute ce shoot de Soul funk, ça s’appelle «I Need Your Body». Tu entends ce rumble ?

             — Pas mal pour un vioque ! L’a combien ?

             — 80 piges. Il fait encore des albums superbes. L’heavy groove de «Darlin’ Darlin’ Darlin’» est une merveille de présence intrinsèque. Il navigue dans l’entre-deux de l’heavy groove. Là, t’as tout le génie black dont t’as besoin

             — Pas besoin de génie black. Jusse besoin de génie lave plus blanc, ha ha ha ha !

             — Maintenant, tu vas le voir exploser «Full Time Woman» de l’intérieur. Boom ! Tu vois comme il sature son Full Time ? Il te fait le coup du fed-up, il va chercher le chaos de la sature...

             — Là poto, tu débloques complèt’ment ! Tu t’entends quand tu sors tes balivernes, Jules Verne  ?

             — Excuse-moi, c’est l’enthousiasme qui m’emporte. Chaque fois que je réécoute «Cheatin’ All Over Again», je vois Swamp Dogg laisser sa braise couver sous la cendre. Il a beaucoup trop de son. Quand tu écoutes ça au casque, le casque saute. Il termine avec une reprise, «Show Me».

             — Ah j’le connais ! C’est-y pas un vieux coucou de Joe Tex ?

             — Bravo ! Cet hommage à Joe Tex est le meilleur qui se puisse espérer. Swamp Dogg te le tape en mode wild r’n’b avec une gratte paumée dans le fion du son, Doggy Dogg te le rocke à l’ass et te le tape aux tambours du Bronx.

             — Toi quand tu t’lâches, tu fais pas semblant !

             — Écoute ! Tu le vois Swampy Swamp revenir comme un serpent dans son Show Me ?

             — Ah ouais, t’as raison, un vrai black mamba ! Ça m’laisse baba, Taras Bulba ! 

             Deux ans plus tard, nos deux amis se retrouvent autour du nouvel album de Swamp Dogg, Blakgrass: From West Virginia To 125th St.

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             — Tu vas avoir du mal à l’avaler : figure-toi que Swamp Dogg fait du bluegrass black. Il dédie son Blackgrass à John Prine et il dit pourquoi.

             — Connais pas John Praïne. Connais juste Amazon prime...

             — T’as quand même entendu parler de l’Americana ?

             — Non, connais que l’américano, ha ha ha ha !

             — Bon bref, t’as un cut qui s’appelle «Ugly Man’s Wife», le vieux Swampy Swamp gratte un banjo et tu te croirais dans les montagnes du Kentucky. C’est dire son côté véracitaire.

             — Pardon d’te dire ça, mais des fois on pige rien à c’que tu dis. En plus que tu causes de disks qui sont pas trop à la mode. M’étonne pas que tes gonzesses te plaquent.

             — Occupe-toi de tes affaires. Tiens écoute ça : «Have A Good Time». Sa voix te fait penser à qui ?

             — Maurice Chevalier !

             — Non, ce serait plutôt Louis Armstrong. I hate to see you go/ But  have a good time. Il est fair-play, tu ne trouves pas ?

             — Un cul ça reste un cul. Qu’elle aille se faire tirer ailleurs !

             — Tiens, encore un cut magique, «Songs To Sing». Savoure-moi cette intensité ultraïque...

             — Pourquoi t’invente des mots qu’existent pas ?

             — Parce que la musique s’y prête. La musique induit la musique des mots. Tiens puisqu’on parle de musique des mots, voilà du pur jus d’alizés, «Count The Dogs», un heavy groove d’Americana avec un banjo dans le doux du son et Swamp qui compte les dogs. Et puis voilà «Your Best Friend», il le prend très haut comme au temps de Jerry Williams. Tu ne trouves pas que c’est un chanteur extraordinaire ?

             — Y devrait faire du cirque...

             — Et voilà qu’il repart au Kentucky avec «Rise Up». Avec Swamp, le bluegrass bascule dans la Méricourt et t’as en plus un violon de Paganini sous amphètes.

             — T’as vraiment une araignée au plafond ! Qui veux-tu qu’écoute ça ?

    Signé : Cazengler, du côté de chez Swamp

    Swamp Dogg. I Need A Job So I Can Buy More Auto-Tune. Don Giovani Records 2022

    Swamp Dogg. Blakgrass: From West Virginia To 125th St. Oh Boy Records 2024

     

     

    Cobra long

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             Ça faisait une éternité qu’on n’avait plus vu de Gallois sur scène. En voilà quatre dans la cave. Et des beaux ! S’appellent Obey Cobra. Va-t-en savoir pourquoi. N’Obeyissent à rien. Mordent pas. Juste Gallois. Trois mecs et une petite gonzesse au chant. Un bassman qui tourne le dos, mais qui sera charmant lors du papotage d’after-effect. Et puis dans un coin d’ombre, t’as un drôle de lascar tout en noir, cheveux longs et lunettes noires. Guitare blanche. Il pince des accords tarabiscotés sur son manche, des accords que tu n’as encore jamais vus. Il tord ses doigts dans des postures indécentes. Et il sort un son d’une ahurissante modernité. Du coup tu ne le quittes plus des yeux. Il officie dans l’ombre. C’est un mage. L’Obey Cobra se met en route et rocke le boat gallois, c’est du Cardiff Kraut de la plus belle espèce.

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    Tu prends un aller simple pour Cythère, car oui, ça marche bien au-delà des toutes les espérances du fucking Cap de Bonne Espérance. Les Gallois foutent le feu à la cave comme l’ont fait avant eux les Mengers du Mexique, les Fomies de la Suisse ou encore les Codex Sefarini de Brighton. Ça ulule dans les cylindres du gros moulin Kraut Cardifficateur. La sonic darkness monte comme la marée. Ils vont cultiver leur Cardiff Kraut pendant une heure et te conforter dans l’idée que décidément rien ne vaut l’underground et la joie des inadvertances. Croiser des Gallois géniaux au fond d’une cave, c’est ce qu’on peut souhaiter de mieux à tout fan de rock. Ceux-là t’en mettent plein la barbe, et t’en veux encore.

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    La petite gonzesse fait le show, mais le mage lui vole tout, là-bas, dans son coin d’ombre. Il sort le son le plus mystérieux de l’underground. Un son que tu ne vas pas forcément retrouver sur leurs deux albums. Dans le cave, le son s’altère divinement, et en studio, c’est plus policé. Pas la même énergie. Le mage s’appelle Gareth John Day et la petite gonzesse K Wood.

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             Tu vois les deux albums des Gallois au merch et tu les ramasses. Le premier date de 2021 et s’appelle Oblong. T’y trouves deux petites merveilles, «Sophia Can’t Walk» et «Dim Beak». Sophia est bien hypno, dans une jolie veine Kraut. Ça file bien à travers la plaine, très Can dans l’esprit, alors tu dis bravo. Avec le Dim qui est en B, les Cobra passent en mood de doom à la Welsh motion. Et la petite chanteuse pique une crise terrible et bat bien des records d’insanité. Deux cuts sur neuf, c’est déjà pas si mal, pour un groupe condamné à l’underground. Bon, t’as d’autres choses, assez denses, comme «Capita» et «Sunflowers», mais tu sais déjà que tu n’y reviendras pas.

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             C’est sur le deuxième album, le très gallois Mwg Dwg, que les Athéniens vont s’atteignir, comme dirait Gildas (Hello Gildas). Titre Gallois, comme certains albums des Super Fury Animals. C’est là que tu retrouves les cuts d’enfer du set, à commencer par «Blank Tape», bien tapé, bien Kraut et t’as le magicien qui gratte ses poux dans l’ombre. S’ensuit un «Ten Of Wands» qu’elle déclame depuis le fond du studio, mais sa voix ne porte pas. On note cependant la belle densité de l’intensité. Ce groupe t’intéresse vraiment. Les Cobra ont un son et une réelle originalité sonique. Ils sont très fiables et on peut leur accorder un max de crédit. Encore un coup de Jarnac avec «Gnostic Shock». Wild Wales ! C’est bien dru, sans détour. Ils cherchent des grosses noises à la noise. Et plus loin, t’as ce «Kali Yuga» qui devient beau à force de weirdy weird, le magicien te hante ça comme il faut, c’est extraordinairement dense. N’oublions pas que Merlin est originaire du Pays de Galles. Les Cobra repartent de plus belle en B avec «Tolerance Break», un instro Kraut dépenaillé, et ils te cueillent ensuite au menton avec «Home Wrecca» un cut qui file tout droit. Wild Wales again ! C’est puissant et digne d’Hawkwind ! Stupéfiant de Welsh Power, et balayé par les bourrasques d’accords du magicien Gareth John Day. S’ensuit un «Half Smile» de grande intensité. Bref, les Cobra ont toutes les qualités. Impossible de leur trouver le moindre défaut.

    Signé : Cazengler, Cobra cassé

    Obey Cobra. Le trois Pièces. Rouen (76). 20 novembre 2024

    Obey Cobra. Oblong. Box Records 2021

    Obey Cobra. Mwg Dwg. Rocket Recordings 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - La gorge de Barbara George

             Lady Barba avait une curieuse spécialité. Quand après le chaos des affrontements et que le soir tombait sur le champ de bataille, tu la voyais sortir de sa misérable hutte pour aller fureter dans les tas de corps sanguinolents et encore tièdes. Accompagnée de ses trois sœurs, elle allait d’un tas de cadavres à l’autre, ouvrant des bouches pour arracher des dents, crevant des yeux pour le seul plaisir d’entendre le fameux ‘blop’. À laide d’une petite torche, elle inspectait les mains et sortait une affreuse cisaille dès qu’elle voyait briller une bague. Craack ! Elle se régalait du bruit sec de l’os qui craque sous la lame. Elle baissait des caleçons pour couper des testicules dont elle faisait des pâtés et d’horribles fricassées, dont bien sûr se régalaient ses sœurs qui haïssaient pareillement les hommes. Aux alentours des arènes de Nîmes, des petits galetas servent des couilles de taureaux fraîchement vaincus. Chez les sœurs Barba, on te sert des couilles d’hommes fraîchement tombés au combat. Heure après heure, elles remplissaient ces gros sacs qu’elles tiraient derrière elles, comme le font les esclaves dans les champs de coton. C’était un atroce spectacle que de les voir traîner ces gros sacs sanguinolents et disputer les cadavres aux corbeaux accourus en masse. Elles ramassaient aussi des armes pour les revendre, des bottes, des peignes, des briquets, enfin tout ce qui est transportable. Lorsque Lady Barba, qu’on appelle aussi la ricaneuse à cause de son rire stupide, tombait sur un mourant qui lui demandait de l’eau, elle lui enfonçait la pointe de sa cisaille dans l’œil pour abréger ses souffrances. Elle qualifiait ça de charité chrétienne. Elle avait depuis longtemps franchi les limites communément admises de l’immoralité. Lorsqu’il faisait nuit noire, et qu’elles peinaient à traîner leurs sacs surchargés de macabre butin, elles regagnaient à la lueur des torches leur misérable hutte. Pour goûter aux fricassées de couilles de Lady Barba, il suffit d’en faire la demande par écrit au blog qui transmettra. Il paraît qu’on se régale chez les détrousseuses de cadavres.     

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             Pendant que Lady Barba cuisine ses épouvantables fricassées, Barbara George fricasse la Soul de la Nouvelle Orleans, un plat beaucoup plus appétissant. 

             C’est dans les mémoires d’Harold Batiste qu’on croise de Barbara George. Harold raconte l’arrivée de Pince La La chez AFO, en 1961, au moment où ils recherchent des nouveaux talents : «Un jour Jessie Hill débarque avec une chanteuse nommée Barbara et un guitariste nommé Prince pour l’accompagner. De son vrai nom Lawrence Nelson, Prince était le frère de Walter Papoose Nelson, le guitariste de Fats Domino. Prince avait composé une chanson pour Barbara, «You Put The Hurt On Me». Comme Barbara avait du mal à caler le chant sur le rythme, Prince chantait avec elle pour l’aider. Il chantait si bien qu’on a décidé de l’enregistrer et de trouver autre chose pour Barbara.» Et en juin de la même année, Harold emmène Prince et Barbara George enregistrer chez Cosimo - Cosimo était beaucoup plus qu’un brillant recording engineer - he loved the music and the people who created it. His contribution was to capture as much as of the music’s spirit as possible.

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             On peut entendre ces enregistrements devenus mythiques sur I Know (You Don’t Love Me No More), un AFO Records de 1961, fort heureusement réédité. Parmi les musiciens qui l’accompagnent se trouvent Alvin Red Tyler au sax, et John Boudreaux au beurre. «I Know» est du pur sucre de New Orleans. Elle tape un joli classique mélancolique avec «Since I Fell For You». On y entend Roy Montrell gratter ses poux. Le sucre de Barbara est sensible, on comprend qu’Harold ait craqué sur sa voix. Elle devient gluante et donc géniale avec «Without Love» et se bat jusqu’au bout avec son Love dans «Talk About Love». On retrouve du Love en B avec «Love». La voilà lancée dans le raunch sucré. Elle est palpitante. Elle est même parfois un peu juvénile, comme le montre «I Never Knew». Pugnacité et nubilité sont les deux mamelles de Barbara George. 

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             Il existe une autre compile de la petite Barbara, The AFO & Sue Years, parue récemment. On y retrouve bien sûr le fameux «I Know You Don’t Love Me No More». On sent la petite black appliquée. Elle fait comme on lui dit. Elle tente même le coup du heavy strut délinquant avec «Love (Is Just A Chance You Take)», mais Shirley de Shirley & Lee est bien meilleure sur ce coup-là. On retrouve aussi le «Since I Fell For You» et le «Talk About Love» de la compile précédente. C’est toujours aussi affreusement beau. Elle est terrible, incroyablement juvénile, et avertie en même temps. Sur «I Never Know», elle devient trop perçante. Elle fait sa Barbara Gorge Profonde. Elle prend son «Hurtled» au beat des reins de la Nouvelle Orleans. Elle monte sur tous les coups. Elle ramène une incroyable ampleur dans chaque cut. Son «Honest I Do» est trop gluant. Elle exagère. Elle prend son «Let’s Steal Away» au groove de steal away baby, elle y va au ‘cos I love you so, elle enfonce son petit clou. Elle bourre bien sa dinde. Il faut l’encourager. Alors on l’encourage. Vas-y Barbara ! Et plus tu vas dans les cuts, plus elle bourre sa dinde. Elle finit avec un heavy popotin de la Nouvelle Orleans, «Try Again», elle y va la mémère, elle est géniale, pleine de vie sucrée. S’il fallait trouver une morale à cette histoire, ce serait la suivante : ne laisse jamais une jeune black délinquante s’approcher d’un micro. 

    Signé : Cazengler, Barbara d’égout

    Barbara George. I Know (You Don’t Love Me No More). AFO Records 1961 

    Barbara George. The AFO & Sue Years. Jasmine Records 2021

     

    *

    Il n’existe qu’une seule manière de vivre, la sage Lao-Tseu emploierait le mot chemin, de toutes les manières il n’y a qu’un seul chemin de vie acceptable : le rock’n’roll ! Tous les autres sont des impasses. La preuve nous n’en parlons jamais !

    ARE WE STILL ALIVE ?

    WAYS

    Clément : vocals / Bruno : guitar / Nico : guitar, vocals / Anthony : bass / Etienne : drums.

             Au début j’ai pensé à l’évocation d’une question de métaphysique essentielle ou tarabiscotée, chacun en jugera par soi-même. Serions-nous, tous, toute l’humanité, déjà morts ? L’on imagine que lorsque nous serons morts, nous serons comme ceci ou comme cela. Ou que nous ne serions rien du tout. Oui mais peut-être un point essentiel nous a-t-il échappé. Si nous pensons plus ou moins souvent à la mort ne serait-ce pas tout simplement parce que nous serions déjà morts. Ce que nous appelons notre vie ne serait-elle que notre mort. Pourquoi la mort ne serait-elle pas ce que nous croyons être notre vie. En quelque sorte nous vivrions notre mort. Peut-être avons-nous vécu une autre vie, une vraie, dont nous ne nous souvenons plus parce que nous sommes morts depuis si longtemps. Ou alors ce que nous appelons la vie n’est-elle que la mort. En tant que morts nous nous ennuyons beaucoup, alors avons-nous inventé que la mort n’était pas la mort et que nous serions en vie, et que la mort serait bien plus ennuyeuse que notre mort. Nous aurions imaginé, par compensation psychique, une mort bien plus terrible que celle que nous vivrions. Vous pouvez trouver ce raisonnement tordu, toutefois si nous sommes des vivants, pas encore morts, n’avez-nous jamais remarqué que parfois, souvent, toujours, voisins, proches et moins proches se baladent sur la terre avec des pensées qui ne correspondent pas à leur état, certains se croient des êtres supérieurs, d’autres se prennent pour des génies, ou des minables, des moins que rien, des zéros absolus, alors que tout le monde se maintient dans une misérable moyenne égalitariste…

             Ou alors me suis-je dit, je commets une erreur, non ils veulent simplement dire que le monde dans lequel nous vivons va si mal que nous sommes si prêts de l’apocalypse, de la catastrophe, de l’effondrement, que c’est comme si déjà nous étions morts. Une manière métaphorique de nous nous mettre le nez dans le caca ambiant, un avertissement sans frais…

             Ben non, pas du tout, erreur sur toute la ligne. Juste des égotistes, le pronom ‘’nous’’ qu’ils emploient nous invite à une méditation eschato-écolo-logique sur la nature de l’espèce humaine ou sur la fin programmée de notre planète. Ne tirent pas des plans sur la comète, se contentent de réfléchir non pas sur le sort de l’Humanité, mais uniquement sur la survie de leur groupe.

    Le groupe s’est formé en 2014, z’ont enchaîné les opus et les tournées, tout allait bien. Et crack tout a foiré. Ce n’est pas de leur faute, ils n’y sont pour rien. Le Covid leur a coupé les pattes, pas facile quand on est confiné chez soi de se retrouver pour répéter. Certains ont changé de vie, d’autres sont partis de leurs côtés, d’autres sont arrivés, la mécanique s’est remise en marche en 2022, la parution d’Are We Still Alive marque la concrétisation de ce nouvel  envol. Rappelons que l’Ep est classé N°3 sur le site GBNDL (voir notre livraison 671 du 26 / 12 / 2024)

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             La photo de la couve est d’Anthony Lossmann, son instagram est très agréable à regarder, de belles photographies de jeunes filles. Le modèle de la photo se nomme Kali, si vous parcourez son Instagram vous êtes un peu surpris, ce n’est pas une suite de photos de jeunes filles, pensez à la poursuite d’une image, romantisme, sorcières, reines, impératrices, déesses, l’éternel féminin selon toutes ses auto-déclinaisons phantasmatiques. La photo choisie pour la couve est accompagnée d’un texte, quel hasard une réflexion sur la mort, et cette idée bellement exprimée qui résume un état d’être et de facticité existentielle, la photo comme un art de survivance exaltée, une mise en scène de soi, une fois disparue, une trace de soi dans le monde. Ne retrouvons-nous pas là le début d’Endymion de John Keats, A thing of beaty is a joy for ever

             Certes Kali est belle, mais c’est la première fois en regardant un instagram que je prends davantage de plaisir à lire le texte qui les accompagne qu’en regardant les images. Il est vrai qu’il existe des images intérieures dans lesquelles apparaît un mode plus subtil d’être seule au monde…

    Forgiveness : l’auto-contrition est un jeu dangereux. Il est des abîmes dans lesquels, il vaut mieux ne point se risquer. Le morceau n’atteint pas les quatre minutes, vous êtes obligé de le réécouter pour vous assurer que vous n’avez pas été victime d’une diffraction temporelle. Regardez la couve et imaginez qu’il est construit comme un jeu similaire de prises de vue. Des séquences sonores variées dont chacune illustre une pause. Une carte du tarot dont vous ne vous pouvez comprendre l’apparition qu’en connaissant les figures de tous les autres arcanes. Eruptions volcanique et irruption sous-jacente d’une ligne mélodique, la folie du passé et la monstruosité du présent. Qui n’est qu’une relecture de ce qui a été, ce qui, du fait même de ce nouveau regard, retrouve ce qu’il a été et qu’il est encore. Car ce qui a été existe toujours. Comme la vie. Comme la mort. Why do we fall : pourquoi tombons-nous, peut-être pour nous relever et être debout. Eternellement debout. Encore un morceau d’exploration de failles et de noirceurs existentielles, avec ces moments de grâce suprême suspendue sur le néant de soi et du monde. Prenons le temps d’apprécier cette fulgurance battériale et ces vocaux d’outre-tombe de soi-même. Dans le labyrinthe dont nous sommes la lumière qui se déplace mais qui ne voit que du noir, car la lumière ne saurait se voir elle-même. C’est pourquoi nous tombons sans fin. Tout en restant illuminescent pour ceux qui nous voient passer. Et parfois nous arrêtent dans notre quête aveugle. World won out : l’hubris, la démesure, la rage de vaincre, l’envie de tuer, la nécessité de se battre, d’envoyer bouler la planète comme un ballon de football usé, avec par-dessus la petite musique, de la fin non pas du monde, mais de soi, car n’est-ce pas la meilleure manière d’abolir le monde que d’en finir avec soi-même, grincements, ahanements guitariques, bris battériaux, cris de haine contre soi, contre tout, la fragilité humaine contre toutes les chimères, vaincue d’avance, mais la fresque du combat dessinée par les Dieux rend autant hommage aux vaincus qu’aux vainqueurs car ils ne sont que les deux faces du combat.  Erase : errare humanum est. Peut-on aller contre son propre destin. Encore plus de rage que dans les trois morceaux précédents réunis, même la ligne mélodique est passée au mixeur de l’impossible, le plus grand des combats est celui que l’on tente contre soi-même, l’on essaie de remonter le temps comme un héros de bande-dessinée, faut être mangaga pour penser que l’on repoussera l’irrémédiable une fois survenu. Morceau de l’incomplétude humaine qui croit avoir tout bien fait alors qu’elle n’a aidé qu’à précipiter la fatalité de l’inexorabilité . So far so good : (New version) : cet EP bénéficie d’une structure très simple, ce qui ne signifie pas simpliste, de plus en plus de désespérance de plus en plus d’espérance. Ici c’est le summun, celui qui remonte les rivières du désespoir pour se lover dans le lieu originel. Ce qui est très fort dans ce morceau c’est qu’il fonctionne à rebours des précédents. En effet ces quatre premiers mousquetaires possèdent leur temps suspendu, ces instants de grâce, la crête étincelante de la vague dévastatrice, juste avant qu’elle ne se transforme en tsunami malfaisant, dans ce dernier, dans ce court instant de répit déferle toute sa violence contenue, la mélodie explose et se transforme en hachoir sanglant, c’est elle qui mène la cavalcade de la vie dans le delta de la mort suicidaire. Il ne saurait y avoir de meilleure fin. Puisque c’est la plus logique. D’où la question Are we still alive ?

             Démentiel.

    I SEE NO BEAUTY

    ( Single / Banscamp) / Février 2017)

             Je n’avais pas prévu de chroniquer ce simple paru en 2017, le dernier enregistrement avant la grande coupure. La couve m’a attiré. Certes j’ai toujours aimé les animaux, l’image est forte, mais la bête le plus à plaindre reste l’Homme, le pire des prédateurs, le maître incontestable du malheur de tous et surtout de lui-même. Si un microbe quelconque s’amusait à faire disparaître notre race, je ne pense pas que nous soyons beaucoup regrettés. Le seul fait positif dans cet effacement définitif serait que dans la colonne pertes et profits notre disparition serait classée parmi les bénéfices. Pour reprendre les termes de Kali nous dirons que nous ne laisserons après nous aucune trace de beauté.

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    I see no beauty : tiens YT nous offre une pub avant la vidéo, un peu de patience, ah, ben non, ce n’est pas une réclame, ça fait partie de la vidéo, c’est Trump qui retire la participation des Etats-Unis à l’accord de Paris. Âmes sensibles abstenez-vous de regarder le reste vidéo. Vous n’aurez pas la chance de voir le groupe jouer, par contre vous échapperez aux images sanguinolentes qui agrémentent le show, images chocs du grand massacre animalier… A tel point qu’il pourrait être difficile de chroniquer musicalement ce titre, l’impact politique du message prime sur l’effet musical qui est très loin d’être négligeable. Le morceau se termine abruptement mais ce n’est pas fini. Sur des images de dirigeants politiques la militante, je suppose, sans être sûr, Greta Thunberg, encourage les décideurs à mettre leurs actes en accord avec leurs paroles…

             Un clip politique, je n’en ai jamais vu d’aussi radical chez un groupe français, le poids des images, le choc du rock. Ways mérite que l’on s’intéresse à lui. Pour la paix, je vous refile le court texte du morceau, qui entre nous soit dit n’est pas aussi gnan-gnan empaqueté de jolis nœuds rose que l’on pourrait le croire, si les hommes sont tout noir, les animaux ne sont pas tout blanc : Abandonné dans la jungle, /encore si jeune, /J’essaie d’utiliser la violence, /Je teste, / j’expérimente, /Je grandis et je me nourris /Je ne vois aucune beauté dans l’espèce qui m’a créé, /Parfois/Je vois des gens qui viennent pour détruire /Chasser ma famille/Je ne vois aucune pitié /Je ne vois aucune beauté dans l’espèce qui m’a fait, /Forcé et destiné à être ce que je suis /Les hommes ne sont pas des animaux, ils sont bien pires.

    Damie Chad.

     

    *

             Moi qui croyais tout connaître je subodore une nouvelle revue de rock, pas très visible sur le présentoir, vous avez un numéro de R&F qui cache tout le bas de sa couverture, un si grand format que le tiers supérieur est invisibilisé par le réceptacle supérieur de la gondole dévolue aux magazines rock, n’est visible qu’une mince bande sur lequel je devine le haut d’un crâne. Humain. Parfait exemple du flair légendaire du rocker, je me saisis d’autorité conquérante, j’ai compris qu’il était pour moi, de l’objet et pousse un soupir de surprise :

    RITUEL

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              Enfin une revue consacrée au dark side, depuis la disparition papier d’Obsküre en 2016, elle continue encore sur le net, pas grand-chose à se mettre sous la dent. Voici donc Rituel grand format (30 x 22) cm. Question métaphysique : est-ce un book ou un mook, si vous me permettez ce pseudo-néologisme, je dirais plutôt un sook.  Rituel est une émanation de la principale revue française de metal : Rock Hard. Toute une partie de la rédaction, sans faire sécession, s’est retrouvée pour créer une revue consacrée au Metal Extrême. Ce n’est pas le Numéro 1, inutile de mettre toute la nichée dans le même panier, surtout des œufs de dinosaures. Tout dépendra des lecteurs et des abonnements. Si le public ne mord pas, Rituel restera dans l’histoire de notre presse rock, comme un numéro spécial extrêmement exceptionnel de Hard Rock, une espèce de monstre antédiluvien appelé à devenir légendaire, une sorte de fanzine culte que l’on toquera contre moulte monnaie sur les bourses d’échange monétaire… un franzine national  d’une rare épaisseur, puisqu’il totalise cent quarante-huit pages. Pour la modique (tout dépend de votre porte-monnaie) somme de douze euros.

             Le dark side n’a pas bonne presse. Le grand public ne s’y aventure guère. L’est sûr que le metal extrême est une musique violente ou bizarre. Qui peut choquer ou dérouter. C’est le genre de  reproches  dont était victime le rock’n’roll dans les années cinquante… Le revival et la vague rockabilly ont eu plus ou moins raison de ces vieilles réticences. Le système est capable de récupérer le sulfure. De nos jours il reste juste une image qui voile l’aura originelle. Seuls des poignées de fans sont encore capables de la détecter, de la ressentir. De la remodeler. De la continuer.

             Dans un demi-siècle il est à craindre que nos musiques extrêmes d’aujourd’hui soient perçues comme de simples objets culturels populaires. Occultées en tant qu’artefacts inoffensifs. N’empêche que ces ziques ultimes trimballent avec elles beaucoup plus que des instrumentations explosives et captivantes. Voires inaudibles pour des oreilles frileuses. Le bruit et la fureur certes. Mais pas que. Il est arrivé au rock’n’roll les mêmes aventures qu’au roman policier. Au début une affaire de malfrats, pan-pan, tant pis pour toi, y a toujours un cercueil qui t’attend au coin de ta vie. Dix lustres plus tard, la donne a changé, les séries noires ont élargi leurs cibles, les glauques histoires de truands à la petite semaine se sont transformées en réquisitoires impitoyables, en froides analyses de l’évolution de notre société. Ce que l’on ne pouvait plus dire dans les avenues de la ‘’grande’’ littérature officielle aseptisée s’est retrouvé dans ce sous-genre méprisé et vilipendé par les stériles instances de la bien-pensance chloroformante… L’eau contenue de force trouve toujours une brèche par où s’écouler.

             Les dromadaires sont des animaux intéressants en eux-mêmes. Mais ce qui compte avant tout ce sont les marchandises que les caravanes transportent. Les méharis des musiques extrêmes se sont retrouvés à trimballer d’étranges objets que la Modernité avait sciemment écartés et enfermés dans des greniers mentaux soigneusement cadenassés. Apparemment les mythes, les épopées fondatrices, les pensées antiques, les philosophies présocratiques, l’occultisme, des pans entiers de la littérature, de la peinture, des phalanges de penseurs et d’artistes de maintenant et d’avant-hier, qui ne s’inscrivaient dans la courbe ascendante des progrès de la doxa moderniste ont été remisés à l’encan des contes affabulatoires  et des vieilleries obsolètes sans aucune utilité pratique…

             Or qu’est-ce qu’un rituel, si ce n’est une espèce de pratique mentale et symbolique, déclamatoire et gestuelle – prenez ces mots en leurs sens les plus étendus – destinée à exercer une influence quelconque sur la réalité qui nous entoure. Dans son poème Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, Stéphane Mallarmé s’interroge sur la portée et la validité de l’influence de nos gestes les plus significatifs sur la nébuleuse combinatoire de l’univers.  En d’autres mots il pose la question de l’opérativité effective de tout acte poétique. Les musiques extrêmes, en dehors de leurs tumultueuses ou biscornues productions sonores, sont à entrevoir comme une réhabilitation du pouvoir (orphique) de la Poésie.

             Les musiques extrêmes touchent à nos extrémités existentielles, la mort, le rêve, l’inscription ‘’magique’’ de nos actes dans une réalité autre que les données implicites de notre immédiateté de notre monde. Bien sûr il faut savoir faire la différence entre les faiseurs, ceux qui reprennent ce qui a déjà été fait antérieurement par d’autres, et ces autres qui vont de l’avant. Une lourde tâche attend Rituel.

             Pour une première lecture nous nous attarderons seulement sur deux artistes. L’un parce que nous l’avons déjà rapidement évoqué dans une de de nos chroniques en spécifiant – l’occasion faisant le larron -  que nous y reviendrons, et le second dont ignorions jusqu’à l’existence.

             J’ai commencé, sans lire, par feuilleter la revue, tournant une par une les pages, sans m’attarder, lorsqu’une image m’a retenue. Je ne m’attendais pas à trouver la couverture de ce livre dans un revue dark side, que dis-je dark inside, Nana d’Emile Zola, que vient faire le chantre du naturalisme dans cette revue pour le moins surnaturaliste, j’ai réfléchi deux secondes, Nana la prostituée, ce doit être un groupe adonné aux outrances du sexe extrême, et ayant ainsi trouvé une explication rationnelle, j’ai tourné la page et suis passé au groupe suivant. N’empêche que très intrigué, y avait à la suite d’autres couvertures de bouquins très éloignés de Zola, c’est le premier article sur lequel je me suis jeté.

    HOULE

    Interview d’ADSAGSONA

             C’est la chanteuse du groupe. Ala fin de la première colonne, je tilte sur un nom Michel Tonnerre. Ce n’est pas un rocker. Quoique… Un beau personnage, disparu corps et biens, il nous reste les disques, les tableaux, des vidéos, des témoignages, emporté par une mauvaise maladie. Je me suis souvent promis de chroniquer certaines de ses chansons, l’a des mots coups de butoirs et guirlandes d’algue, par exemple sa chanson sur l’Olonnois, un de mes héros phantasmatiques, oui je sais un personnage pour certains peu   recommandable, avec des noirceurs dignes de Cthulhu, cette dernière remarque en contrepoint du début de l’interview, car Houle se réclame d’une  mythologie très particulière, pas du tout Lovecraftienne, peu métallifère, celle de la mer, non pas celle des argonautes antiques, pas celle des super-héros, mais celle des travailleurs, bonjour Victor Hugo, modernes. La mer est toujours aussi noire pour les marins d’aujourd’hui que pour les matelots d’autrefois… Semper. Oceano Nox. Je vous laisse lire, Adsagsona est passionnante. Elle parle de son cheminement, des racines du groupe et s’étend longuement sur l’écriture des lyrics. Du coup j’ai décidé d’écouter les deux premiers opus de Houle.

    HOULE

     (Les Acteurs de l’Ombre Productions / Novembre 2022)

    Crabe :  guitare lead / Græy Gaast : basse / Zéphyr : guitare rythmique /Adsagsona : chant / Vikser : batterie. Comme le monde est petit nous connaissons Vikser puisque sous le nom de Tentrom il est aussi le batteur de Once Upon The End ( Voir notre livraison 669 du 12 / 12 / 2024), est-ce qu’il n’y aurait pas de hasard, ou alors existe-t-il des capillarités secrètes qui nous guident à notre insu.

    La couve est de Laure Jeandet. Toutes les Laures Jeandet  visitées sur Instagram ne semblent guère lui ressembler. Un graphisme qui n’est pas sans utiliser le motif d’Hokusai, mais si j’étais une mouette j’aimerais nicher sur la falaise derrière, je m’y sentirai à l’abri des Hommes et sous la protection de Poseidon.

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    Le continent : l’on redoute l’accordéon du chant de l’équipage de Mac Orlan, l’on a tort, l’instrumentation n’a pas commencé que les cris perçants des cormorans et le remuement monstrueux des vagues nous obligent à comprendre que nous nous changeons de continent mental et musical. Certes démarre une espèce de ces triskèles labyrinthiques chères à la musique celtique qui nous happe en son vertigineux tourbillon, presque enivrante, lorsque gronde la colère, est-ce la mer qui clame ou la révolte explosive des êtres humains, nous voici précipité dans le vortex, grandeur et hurlements, la batterie s’affole, Adsagsona  expectore les clameurs de la peur du large et de la crainte de la misère, les hommes acculés entre ces deux destins,  tout aussi mauvais l’un que l’autre, l’on est toujours seul lorsque l’on se retrouve acculé en soi-même, que l’on soit en haut de la falaise ou en bas dans l’écume tourbillonnante, l’on tombe toujours, l’on ne quitte un abysse que pour en retrouver une autre, la tarentelle électrique se tait, l’on n’entend que la houle incessante de la mer, même les oiseaux ont disparu. Au loin la tempête : la mer toujours recommencée, le vent souffle, les cloches morbides sonnent, un tintement de cymbale, le calme avant la tempête, dans ton crâne résonne l’alerte, l’entends-tu seulement, Adsagsona s époumonne, à croire qu’elle voudrait te sauver malgré toi, elle est la noire pythie du destin qui profère ta sinistre destinée, certes tout est encore calme et les guitares s’apaisent, le silence avant que ne survienne la catastrophe, tu l’attends de pied ferme l’ouragan océanique, tu l’appelles, tu l’interpelles, tu veux l’admirer, tu es le roc figé en lui-même qui hume ses embruns, qui la contemple, sa fureur ne te fait pas peur, sa colère n’est que la suprême forme de la  beauté, homme libre toujours tu chériras la mer… La dernière traversée : une basse noire épèle son ronron, la mer monotone moutonne, une guitare claire fraichit, le vent souffle, toute la panoplie de naufrage est prête pour le grand démembrement, Adsagsona clame, non elle parle, c’est une âme qui s’adresse à la mer, elle cherche le grand mix, la terrible embrassade de l’eau avec l’âme, c’est le désir maintenant qui glapit, désir de mer et désir de mort si étroitement emmêlés qu’ils sont comme un miroir à deux faces dont chacune se reflète dans l’autre, la musique ricane comme la camarde, calme propitiatoire se joindre, s’enlacer à la camarade, friselis de noces éternelles, que l’ébranleuse me branle dans son remous voluptueux, que ces vaguelettes me lavent de ma saleté humaine, chantonnement, moment d’extase et de stase amoureuse, infinie, bercée dans les gouffres sucrés des embrassades éternelles. Sous l’astre noir : grincements ferrailleux, la batterie prompte pompe à mort le destin des âmes errantes, telle est prise celle qui se croyait éprise,  la mer n’est pas une amante, la mer est amère, les avertissements sonnent comme des criailleries, est-ce ainsi que les âmes maudites éjaculent leurs douleurs dans les fournaises infernales, Adsagsona ne chante plus, elle admoneste, tu as voulu te joindre à des forces incommensurables, la nature ne fait pas amie-amie avec l’âme humaine, elle les rejette, elle les disperse dans les tourbillons de leurs éternelles insuffisances, elle n’a besoin de personne, surtout pas de toi. Garde-toi des puissances élémentales.

             Les quatre titres de cet EP sont à entendre comme un poème, une Ode à la Mer, un hymne homérique en l’honneur d’une Néréide, au nom oublié, qu’aujourd’hui nous appelons : mer.

    CIEL CENDRE ET MISERE NOIRE

    (Les Acteurs de L’Ombre Productions / Juin 2024)

    Vous avez Les Rayons Jaunes dans Vie et Pensées de Joseph Delorme, de Sainte-Beuve, désormais faudra y ajouter la trace rouge échappée de l’étrave du navire qui se précipite sur les récifs sur la couve de ce disque, un rouge sanglant comme si le vaisseau tenait à figurer la prémonition de sa fin prochaine…

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    Introduction : où sommes-nous, bruits divers, cris aigus d’oiseaux, serions-nous sur un chantier de radoub à moins que ce ne soit un soir de joyeuse beuverie dans la taverne du Rat-Qui-Pète… La danse du Rocher : ambiance joyeuse, l’on se remémore les hauts-faits de la ville corsaire. Même pas à courir sus à l’anglois, il vient tout seul comme un grand nous rendre une  visite de courtoisie, est-ce parce que les anglais débarquent que la voix d’ Adsagsona frise parfois l’hystérie, remarquez que derrière les gabiers souquent dur, comme s’ils avaient la queue du diable qui s’immiscerait dans leurs chausses et remonterait vers leur fond de cale, avouons que l’histoire vous fout la frousse, un brûlot de nos amis anglais chargé de poudre à ras-les-plats-bord, poussé par la marée s’en vient pour exploser sous les remparts de la ville, ce n’est pas une canonnade, c’est une rigolage, une explosion de pétard mouillé le brûlot s’échoue lamentablement sur les brisants. On a eu chaud, la mer avale le rafiot sans rémission. Les malouins sont malins. Mère nocturne : l’est des apparitions beaucoup plus flippantes et éprouvantes qu’une attaque anglaise, La rouille du crachat vocal d’Adsagsona vous fout la trouille, pas le temps de reprendre souffle, ni ses esprits, d’ailleurs l’esprit est dehors, les musicos ont l’air de vouloir en finir au plus vite avec ce récit fantomatique, une fille de mauvaise vie qui revient chaque soir porteuse des galets qui l’ont lapidée, le remords d’un village culpabilisateur dirait doctor Freud, la chèvre émissaire ajouterait Girard, autre  piètre penseur, René de la dernière pluie catholique.  Beaux lyrics, mieux vaut les écouter que d’en déblatérer comme moi. Sur les braises du foyer : il existe une Official Music Video de Yulia Nikifora, une belle mise en images du texte qui ne demande qu’à être regardée : une magnifique performance vocale de Adsagsona, hurlée et parlée, une marée de désespoir et de folie, la mer ne tue pas uniquement les intrépides qui osent monter sur son dos, ceux qui attendent l’improbable retour de celui qui est parti souffrent, pas obligatoirement en silence, de solitude, les portes de la démence s’ouvrent, il est des tempêtes intérieures encore plus ravageuses que les intumescences de l’eau salée, il navigue selon  l’eau, elle brûle dans le feu, deux éléments qui ne peuvent coexister… Une certaine grandiloquence musicale, la vague géante qui a parcouru des milliers de kilomètres au bout de sa course n’est plus qu’un friselis d’écume que le sable du rivage absorbe comme un verre de rhum... Derrière l’horizon : et Sur les braises du foyer forment les deux volets d’une même histoire, celle qui attend en vain sur le rivage et celui qui pourchasse la baleine blanche de l’illimité du rêve, la même rage, la même tragédie, chacun confronté à quelque chose de plus grand que lui, le silence solitaire et la trépidation collective sont  une seule et même morsure, le serpent de la mer vous saisit où que vous soyez, les regrets ne servent à rien, chacun désire le retour, chacun délire à son tour, le morceau file à quinze nœuds toutes voiles dehors par vent arrière, on peut le suivre des yeux, quand tout à coup il disparaît. Et puis le silence : plus rien à dire une guitare surnage dans les clapotis de l’eau, nul chant, il serait inutile, les mots ne peuvent rien contre les maux. Il vaut mieux se taire, l’on n’ajoute rien à l’inanité des choses révolues. Sel, sang et gerçures : si l’aventure est du domaine de l’impossible, celle du quotidien ne vous emmènera pas plus loin que la mort. Tout se vaut. Désespoir absolue. La figure de proue Adsagsona  vaticine dans les embruns, un chœur de marins nostalgiques, non ce n’est pas l’équipage maudit du Vaisseau Fantôme wagnérien, de simples travailleurs qui ne voient d’autre issue à leur vie de labeur, que le trépas futur. Faites votre trou dans la mer ou dans la terre, quelle différence. Jusqu’au bout du nihilisme. Née des embruns : ça commence tout doux comme un bateau qui revient au mouillage, le cauchemar ne fait que recommencer, qui est-elle, qui crie, qui maudit, qui condamne, qui se désole, est-ce une victime innocente, est-elle morte, est-ce un fantôme, serait-elle une incarnation de la Mer, tout compte fait les hommes, les femmes, et la mer ne sont-ils pas pétris de sel, de sang et d’eau, unis par un destin commun, serait-ce une sirène famélique au gosier de haine, qui réclame vengeance, apparition anadyomène, Vénus revenue de tous les cœurs, de toutes les rancunes… Vient-elle nous chercher ? ô combien de marins, ô combien de capitaines, ne sont jamais revenus, Oceano Nox.

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             Nous avions qualifié le premier EP de Houle de poème. Ciel, cendre et misère noire, tiendrait plutôt de l’opéra et même mieux du drame romantique. Avec ses différents tableaux, ses intermèdes, ses évocations, et ses personnages qui reviennent, de vrais revenants, et le couple universel qui n’arrive jamais à se retrouver, l’androgyne mythique séparé en deux, coupé, de part et d’autre, de l’un et de l’autre, par les lames du couteau impitoyable de la mer.

             Que le lecteur ne reste pas prisonnier de Houle, qu’il se souvienne que nous avons porté notre sac de matelot sur ce  groupe, Sovereign of the Seas, en feuilletant Rituel.  Nous reviendrons au plus vite sur Houle, tout comme nous reviendrons sur Rituel. En attendant, chose promise, chose due, une courte évocation de :

    MAXIME TACCARDI

    J’ai reconnu la griffe sanglante de Maxime Taccardi dès que m’est apparu le titre de la revue avant même de l’avoir déchiffré. Le dossier que lui consacre Philippe Lageat occupe quatorze pages. Certes elles donnent à voir, les dessins  s’arrogent la part du lion, ou plutôt celle du tigre altéré de son propre sang. Une longue interview de l’Artiste nous en apprend beaucoup plus sur sa démarche.  Il existe de grandes différences entre William Blake et Maxime Taccardi, mais si je cite l’auteur des Chants d’innocence et d’expérience c’est pour avertir le lecteur qu’il se trouvera confronté à un artiste contemporain de grande envergure engagé dans une aventure créatrice d’importance. Certes imprégné de culture chrétienne et biblique, Blake entrevoyait la vraie vie en tant que recouvrance d’une sérénité édénique, un retour à l’innocence de la nudité physique et spirituelle primordiale… Taccardi ne s’en remet plus à ces vieilles lunes de l’espérance adamique, met son espoir en lui-même, le plus  petit dénominateur commun entre lui et les autres qu’il ait trouvé. 

    La tentative Taccardienne est d’autant plus psychique qu’elle est exclusivement corporelle. Le rêve et le sang sont les véhicules d’accès qui se sont imposés à Taccardi pour entrer en communication avec l’outre-monde qui est aussi l’inframonde car il niche tout autant dans l’ailleurs de notre réalité immanente du monde qu’au centre inexpugnable de la forteresse noétique intérieure.

    Taccardi se raconte, les cauchemars de l’enfance, cette porosité avec les monstruosités des royaumes de l’astral, sa rencontre avec Goya, la mort cruelle de ses parents et son entrée dans le monde de l’art, entendez la confrontation aimantée avec tous ceux qui l’ont précédé. Il ne peint pas le Mal, il peint l’Horreur, la présence parallèle d’un monde qui jouxte le nôtre, qui n’est horrible que parce que différent de notre appréhension recensive et situationnelle de par la part du monde qui nous est impartie par le simple fait de notre demeurance en /et par notre place, un peu comme un poisson rouge prisonnier de son bocal qui tente sans fin de traverser sa prison de verre… Taccardi  entre en communication par la communion hémoglobinique de lui-même. Son corps est le vecteur, victime sacrificielle offerte à sa propre  divinité.

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    Les institutions étatiques et politiques n’aiment guère ces individus qui ne restent enfermés en eux-mêmes que pour voyager en d’autres rôles que ceux permis et encadrés par de multiples règlements coercitifs. Maxime Taccardi sera radié de l’Education Nationale et mis à la porte de nombreux réseaux sociaux. Il n’en a cure. Son œuvre émeut et scandalise, il continue métamorphosant sa création individuelle en une démarche d’art total, il peint, il écrit, il filme, il est engagé en de nombreux projets musicaux, pochettes de disques, c’est par ce biais que nous l’avons découvert, mais aussi enregistrements. Serez-vous surpris si j’étiquette son style sous l’appellation (passe-partout) de black metal. Taccardi, Artiste Total.

    Damie Chad.