Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

CHRONIQUES DE POURPRE - Page 14

  • CHRONIQUES DE POURPRE 659 : KR'TNT ! 659 : BUDDY GUY / LEMON TWIGS / PETE MOLINARI / FLIRTATIONS / ACE RECORDS / ROCKABILLY GENERATION NEWS / TWO RUNNER / CHILDREN OF AEGEAN / GREAT GAIA / SNAV

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 659

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    03 / 10 / 2024 

     

    BUDDY GUY / LEMON TWIGS

    PETE MOLINARI / FLIRTATIONS / ACE

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    TWO RUNNER / CHILDREN OF AEGEAN

    GREAT GAIA  / SNAW

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 659

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 659

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Holy Buddy

    (Part One)

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             L’idéal dans la vie serait d’écouter Buddy Guy. L’encore plus idéal serait de lire son autobio, co-écrite avec David Ritz : When I Left Home - My Story, un bon vieux book paru en 2012. Car quel book, Bob ! Des guys comme Buddy Guy, t’en croiseras pas des tonnes. Buddy est un gentil black de la Louisiane. On voit dès la photo de couve qu’il déborde de gentillesse. Quel sourire ! C’est un artiste complet : gentil et brillant. Il reste avec quelques autres cracks blacks l’incarnation parfaite du blues électrique. Andrew Lauder le qualifie à juste raison de chaînon entre Guitar Slim et Jimi Hendrix.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Quand il écrit son autobio, Buddy a 75 balais. Il vient jouer tous les ans à l’Olympia et tous les ans on se dit qu’on DOIT aller le voir, même chose avec George Clinton, et puis on n’y va pas. Parce que c’est limite. C’était limite d’aller voir Chucky Chuckah à la Villette, ce vieux schnoque génial sous sa casquette de yatchman, mais en même temps tu avais clairement l’impression d’arriver après la bataille. Tu préférais rester sur les délicieux souvenirs de son concert ruiné par Jerry Lee à la Fête de l’Huma, en 1973.   

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Ton copain Buddy commence par le commencement : il a 9 ans et il commence à cueillir le coton avec son père et sa mère, et là, Buddy se met à parler dans sa fabuleuse langue de bluesman - I stood next to my daddy, who showed me how to do the job right - ça sonne comme un vers de blues, tu ne traduis pas : tu écoutes, ça groove. Qui aurait l’idée d’aller traduire les paroles d’un blues ? Dans les années 40, les blacks récupèrent un peu d’électricité, oh pas trop, juste de quoi alimenter une mauvaise ampoule et un vieux phonographe tout pourri. Ces rats de blancs dégénérés gardent toute l’électricité pour leurs sales frigidaires et leur sale bouffe de porcs racistes. Mais Daddy Guy ne dit rien, il est gentil, comme son fils. Tais-toi Buddy et cueille le coton du patron blanc. Sur le vieux gramophone tout pourri, il y a un 78 tours d’Hooky. Buddy est hooké, c’est-à-dire baisé : «Boogie Chillen». Tout part de là - That’s the record that dit it - Pour Ted Carroll, ce fut Bill Haley. Pour Buddy, ce sera Hooky. Puis à l’épicerie du village pourri, Buddy découvre le juke-box, et mieux encore : Muddy Waters et «Rollin’ Stone». Buddy bave. Il demande à l’épicier Artigo où vit Muddy. L’épicier Artigo lui répond «Chicago». Alors Buddy demande si c’est loin, Chicago et l’épicier Artigo lui répond «Real far».

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Bon, Muddy et Hooky c’est bien gentil, mais les petites gonzesses du village, c’est encore mieux. Buddy est en rut et il t’explique qu’en Louisiane, le sol est tellement humide qu’il faut apprendre à baiser debout - That ain’t easy, but baby, when there’s a will, there’s a way - Il a 15 ans et il adore voir sa little honey lever la patte pour qu’il puisse l’enfiler délicieusement. Il explique plus loin que le blues et l’amour «sont gravés dans le même bois», que c’est la même chose, il est pareillement hanté par le blues et le sexe. Il a cette incroyable intelligence de reconnaître qu’il n’était pas très expérimenté - In the country, boys didn’t learn how to love so good - Buddy raconte aussi une anecdote épicée : un copain à lui baise une blackette dans la boue et au lieu de l’enfiler, il enfile la boue. La blackette lui dit qu’il n’y est pas, alors elle le nettoie et le fait entrer, mais le copain débande. What’s the matter honey? Ain’t it good to you?, et le mec répond que c’est meilleur dans la boue. Le chapitre s’intitule d’ailleurs ‘Love in the mud’.

             Daddy Guy passe aux choses sérieuses. Il sait que son fils rêve d’une gratte, alors il lui en paye une. Voilà le miracle. Dans cette pauvreté abjecte, Daddy Guy accomplit un miracle. Il rachète la gratte de Coot, un chanteur itinérant qui va dans les cabanes gratter quelques chansons pour une pièce ou un verre d’alcool. Coot ne vaut pas laisser sa gratte à moins de 5 dollars. Daddy Guy n’a pas les 5 dollars. Il n’en a que 4. Alors Coot accepte : «Four dollars and a little change might do it.» Alors Daddy Guy réussit à retrouver une pièce dans sa poche. Coot en veut une autre - I got a dime to go with it - Le destin de Buddy Guy vaut alors 4 dollars et 35 cents.

             Le vrai héros du book c’est peut-être Daddy Guy. Quand Buddy lui dit qu’il aimerait partir s’installer à Chicago, Daddy Guy lui donne sa bénédiction. C’est le passage le plus booleversant du book : «Son, if you wanna go, go. Tu ne dois pas te faire de souci pour nous. Je t’ai déjà dit que ta mama et moi n’allions pas mourir tant que tous nos enfants ne seraient pas bien installés and doing good. Quand tu seras à Chicago, you gonna find pretty woman who gonna wanna marry you. Marie-toi avec qui tu veux. Makes no difference to me. Marie-toi avec un éléphant si tu veux, c’est toi qui vas dormir avec. Quant à ton travail, rappelle-toi ceci : je ne veux pas que tu sois le meilleur en ville. I want you to be the best till the best comes around. You hear me, son?».

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Et le vrai héros de Buddy, c’est Guitar Slim. Il flashe comme un dingue sur Guitar Slim - Slim had a record out, «The Things I Used To Do» that, after «Boogie Chillen» became the biggest record of my life - Buddy ne fait pas les choses à moitié. Il découvre Guitar Slim au Masonic Temple à Baton Rouge - dressed to kill - flaming red suit, flaming red shoes, flaming red-dyed hair - Il le décrit à l’œuvre dans le Temple, avec sa «beat-up Strat» qu’il joue bas, «low on his hip like a gunslinger», avec une bandoulière en fil à pêche et un jack de 100 m de long. Guitar Slim nous dit Buddy ne s’assoit jamais, il gratte ses poux derrière sa tête, gratte le dos au sol, gratte en sautant de la scène, gratte accroché dans les poutres. Il ajoute que Slim ne connaît pas les accords - Slim didn’t know no chords. He was single pickin’ with only two fingers, but those two fingers were causing a riot - Et wham bam : «I wanted to be Guitar Slim.»

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Buddy donne sa définition du blues à plusieurs reprises. Comme déjà dit, le blues et le sexe pour lui sont une seule et même chose. Plus tard, il parlera du blues avec Muddy qui lui dit qu’il est bien obligé d’enregistrer des hit records, comme «Mannish Boy», «Still A Fool», il ne se plaint pas, pour lui l’essentiel est de maintenir le blues en vie - Just saying that these blues that you and me took from the plantation... man, I just don’t want them blues to die - Mais Buddy lui dit que lui non plus, il ne veut pas voir them blues crever. Et Muddy le visionnaire reprend : «It’s just something we gotta remember. The world might wanna forget about ‘em, but we can’t. We owe ‘em our lives. Wasn’t for them, we still be smelling mule shit.»

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Plus tard, quand Buddy tourne en Europe avec the American Folk Blues Festival, il se fait huer parce qu’il est jeune et bien coiffé. Les Allemands pensaient, nous dit Buddy, que tous les bluesmen étaient en haillons, vieux et bourrés. Muddy avait été lui aussi déconcerté par la réaction des Européens qui ne voulaient que du blues pur, alors que ça n’existe pas - Blues ain’t no pedigree, it’s a mutt, c’est-à-dire un bâtard, et il ajoute avec un grand sourire : «As far as I’m concerned, mutts are beautiful.»

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

    ( Leonard le renard)

             Qui dit Chicago dit Chess. Alors on y retourne, pas de gaieté de cœur, mais bon, sans Chess pas de Muddy, pas de Chucky Chuckah, pas de rien. Buddy commence par faire des sessions pour le compte de Chess. Mais il a du mal à rencontrer Leonard le renard. Le voilà en studio pour remplacer Hubert Sumlin et accompagner Wolf. Buddy a la trouille de Wolf. Il dit que s’il joue des fausses notes, Wolf va le frapper. Alors Willie Dixon (qui organise la session) lui dit que ça n’arrivera pas : la session va durer une heure et tu vas empocher 10 dollars. Buddy entre en studio et s’installe, et c’est là qu’il se fait traiter de motherfucker, pas par Leonard le renard qui le grand spécialiste des insultes, mais par Wolf. Buddy lui répond qu’il ne s’appelle pas motherfucker mais Buddy, alors Wolf dit que tout le monde chez Chess s’appelle motherfucker. Bonjour l’ambiance. Buddy voit qu’on a posé une bouteille de whisky sur le piano, il demande pourquoi à Big Dix qui lui dit que Leonard est rusé comme un renard - Leonard ain’t dumb. Il sait que les records qui ont le son du club se vendent bien, alors il veut le booze on the record. He wants to feel the fire that the folks get to feeling in the club - Puis Buddy découvre peu à peu la réalité matérielle des géants du blues de Chicago. Mis à part Muddy qui a une baraque au 4339 South Lake Park, les autres vivent ric et rac dans des petites piaules, et là, boom, il allume la gueule de Leonard le renard : «Je ne sais pas combien de disques vendait Chess et je ne connais pas les comptes. Par contre, je sais que Chess wasn’t big in sharing the profits.» Tout pour sa pomme, rien pour les motherfuckers nègres. Chaque fois qu’on tombe sur cette histoire, c’est la même chose : crise d’urticaire. Ce rat de Chess s’en foutait plein les poches, et nous on était tous là comme des cons à chanter les louanges du légendaire label Chess. Fuck it ! Et l’enculerie continue avec Chucky Chuckah, puis avec Bo Diddley qui font tous les deux danser les kids d’Amérique - Leonard made big money of Bo - Un Bo qui a fini dans la misère, obligé de vendre ses droits d’auteur pour financer les études de sa fille, tu vois un peu le travail ? Et boom, rebelotte avec Etta James. Buddy se marre : «Je ne dis pas que Leonard n’aime pas le blues, il l’aime, mais il aime encore plus l’argent. S’il pouvait faire du blé avec la polka, il enregistrerait de la polka.»

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Puis un jour Big Dix dit à Buddy qu’il va enregistrer «First Time I Met The Blues», son premier single sur Chess. Chouette ! Buddy dit qu’il va casser la baraque, mais Big Dix lui répond qu’il n’en est pas question - Leonard likes his records a certain way. You can’t get all wild like you do on stage. Can’t play too crazy. Can’t fuck up the sound none like I seen you do in the clubs. Leonard likes his blues clean - Et voilà le travail. En plus de se faire arnaquer, Buddy se fait museler. Pire encore : Leonard veut que Buddy change de nom. C’est pas qu’il n’aime pas ton nom, lui dit Big Dix, il veut que tu sois un King - Buddy King or King Guy, something like that - Buddy ne veut pas, à cause de la confusion avec B.B. King et Freddie King. Big Dix argumente, disant que c’est précisément la confusion que recherche Leonard le renard - King is associated with strong-selling blues - Alors Buddy lui dit que Muddy don’t got no king in his name et Big Dix rétorque que Muddy est arrivé avant the kings. Mais Buddy refuse de changer de nom, car sa famille à Baton Rouge ne va pas savoir que c’est lui sur le single. Leonard le renard n’est pas jouasse, mais Buddy tient bon. Bien sûr, Leonard le renard fait main basse sur les droits. Mais à l’époque, Buddy s’en branle - I just wanted to make it - Buddy s’est marié et il montre fièrement son single à son beau-père qui éclate de rire : «Ils t’ont donné le disque à la place de l’argent ?». Buddy ne comprend pas. Le beau-père lui pose la question autrement : «Ils t’ont pas payé pour enregistrer ce disque ?». Buddy répond qu’il a signé un contrat et que si ça se vend bien, il touchera des royalties. Alors le beau-père explose de rire : «Son, when those royalties come in, dogs gonna be fucking pigs.» Oui, les poules auront des dents. Et Buddy de conclure : «The man was right». Nada.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Buddy fait aussi de très belles pages sur Chicago, la deuxième ville qu’il découvre après Baton Rouge. Il commence par évoquer les grands froids qu’il ne connaissait pas en Louisiane, puis les clubs, dont le fameux Bucket of Blood - I was playing my guitar when one cat drove an ice pick deep into another cat’s neck - Il fait aussi l’apologie de Theresa’s, l’un des clubs les plus légendaires du South Side. Il décrit la taulière comme «a mean-looking lady portant un tablier sale avec deux poches. Dans l’une se trouvait un flingot et dans l’autre une matraque. Theresa was no one to fuck with.» Il joue chez elle et attaque avec une cover du «Further On Up The Road» de Bobby Blue Bland. Buddy explique aussi qu’il démarre son set dans la rue et qu’il entre dans le club en jouant. Il a un jack de 100 m, comme son idole Guitar Slim.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Alors il en pleut des idoles à Chicago. Buddy les fréquente tous, Otis Rush, Earl Hooker. L’Otis qu’il décrit est celui des débuts - His guitar was on fire, man, he was something else - Comme tous les autres guitaristes de l’époque à Chicago, Otis Rush joue assis. Buddy monte sur scène avec lui, et Otis lui demande ce qu’il veut jouer - What you wanna play boy? - Buddy répond «Guitar Slim». Et il fout le feu, Otis le laisse jouer. Alors Buddy sort le grand jeu, comme Guitar Slim, gratte dans le dos et la foule adore ça - The more I did it, the louder the crowd - Buddy voit Earl Hooker comme un guitariste d’un niveau supérieur au sien - No way I could compete with the guitarists of the day. I’m talkin’ ‘bout Earl Hooker, the greatest slide man in the history of slides - Il cite dans la foulée Otis Rush, Magic Sam et Freddie King - They was masters, they was monsters, they was killers - De la part d’un killer comme Buddy, c’est quelque chose d’entendre ça. Il rencontre aussi Ike Turner en studio. Ike joue sur une Strat et Buddy se dit qu’il a choisi la bonne gratte. Ike dit aussi qu’il took up guitar because of Earl Hooker. Ike lui demande s’il connaît Earl, Buddy dit «I do» et Ike ajoute : «He got his shit from Robert Nighthawk. You heard him?», et Buddy dit «not yet. I wanna.» Ike lui recommande aussi très chaudement Gatemouth.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

    (Sonny Boy Williamson)

             Buddy voit aussi Lightnin’ Hopkins débarquer chez Chess. Big Dix essaye de lui vendre l’idée des «future royalties» et Hopkins l’envoie sur les roses - Fuck future royalties. Fuck Leonard Chess and fuck you, Willie Dixon. Royalties don’t mean shit to me - Au moins les choses sont claires. Lightnin’ veut 100 $ pour enregistrer un cut - You give me a hundred I give you a song - Lightnin’ sait que dans tous les cas il va se faire baiser. Alors il fait comme le fera plus tard Chucky Chuckah : d’avance et cash. Buddy assiste à la scène. Big Dix insiste, Lightnin’ ne cède pas. 100 $ ou rien. Buddy se dit que Lightnin’ a du pot, car lui, le Buddy débutant, il ne reçoit que 10 $ pour jouer en session. Voilà où en est le blues électrique à l’époque. Oh et puis Little Walter qui s’embrouille avec tout le monde, y compris Junior Wells. Buddy fréquente aussi Sonny Boy Williamson qui au breakfast est déjà assis devant un gros verre de whisky, et qui lance à Buddy : «Morning, motherfucker.» Tout le monde le croit rincé par l’alcool, mais quand il saute sur scène pour attaquer «Don’t Start Me Talkin’», «he burns the house down», nous dit Buddy. Comme Gainsbarre le fera plus tard, Sonny Boy indique que les docteurs qui l’avaient condamné ont tous cassé leur pipe en bois. Sonny Boy se marre comme un bossu. Buddy fréquente aussi B.B. King et il salue son humilité, B.B. n’a jamais chopé la grosse tête, nous dit Buddy. Il fréquente encore Big Mama Thornton. Un soir où il l’accompagne sur scène, il voit Big Mama perdre son dentier en chantant. Elle le ramasse, le remet et continue à chanter. La classe ! Du coup, Buddy rêve d’avoir un dentier pour le perdre en jouant et faire comme Big Mama. Il raconte aussi  une tournée aux États-Unis : ils sont quatre dans la bagnole, le chauffeur, Buddy, Big Mama et Hooky. Hooky et elle ne s’entendent pas très bien - Elle était trop autoritaire pour lui et il était trop contrariant pour elle - Buddy ajoute qu’il a passé son temps à se marrer pendant des heures, à les voir se chamailler - Laughing my ass off - Quand il évoque Jimi Hendrix, il le situe dans la lignée des «spacey players comme Ike Turner, Earl Hooker and especially Johnny Guitar Watson, but Jimi had the balls to carry it into new territory.» Last but not least, voilà Albert King - he was something else - Buddy en brosse le portrait d’un géant - He was also big as a bear and could be twice as mean. Albert stung them strings hard, and ain’t no doubt that he was one of the best. Fixed up a stinging style all his own. Je suis bien content de ne pas avoir eu à bosser pour lui.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

    ( Buddy Guy : Cognac Blues Passion)

             Buddy se forge un style particulier. Il démarre toujours son set à l’extérieur du club. Il ne joue jamais assis. Il peut aussi aller gratter dans les gogues. Il va s’asseoir en jouant à la table des dames seules. Il peut sauter sur le bar et jouer au sol sur le dos. Il joue aussi avec les dents, il joue entre ses jambes, comme le fera Jimi Hendrix. Et par-dessus tout, il maîtrise ce qu’il appelle the big-city electricity - I learned to ride high on electricity - Feedback, disto, Strat commotion, il connaît tout ça par cœur. 

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

    ( Artistic,label de Cobra)

             Quand Leonard le renard et Big Dix se sont fâchés, Big Dix est allé bosser pour Eli Toscano chez Cobra Records. C’est Magic Sam qui lui refile le tuyau. Buddy qui vient d’arriver à Chicago est tout excité, car sur Cobra on trouve aussi Otis Rush, Harold Burrage et Betty Everett. Toscano a une petite boutique de disques avec un garage à l’arrière. C’est là que se trouve le studio, comme chez Fortune Records à Detroit, et chez Cosimo le héros à la Nouvelle Orleans. C’est là que Buddy rencontre Big Dix pour la première fois - Willie was a big man. Vingt ans de plus que moi. Il devait bien peser dans les 150 kg, but it was mainly muscle, not fat - Buddy le voit dévorer le poulet, de la même façon qu’il allait dévorer les droits d’auteur. Pour l’accompagner sur son premier single Cobra, Buddy a Big Dix on bass, Otis Rush on back-up guitare, Odie Payne on drums, Harold Burrage on piano & McKinley Eaton on baritone sax. Pardonnez du peu. Puis Eli Toscano va disparaître. Plus de Cobra. Plus de rien.

             En fait, Buddy va démarrer sa carrière en 1959, avec «You Sure Can’t Do» et «This Is The End» d’Ike Turner, ce single sur Artistic, un sous-label de Cobra que Toscano crée pour lui, puis il va sortir une ribambelle de singles sur Chess avant d’arriver chez Vanguard en 1968 pour son premier album.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             On peut écouter «You Sure Can’t Do» sur une ravissante compile japonaise, This Is The Beginning. Buddy va y chercher le Little Richard au chant. Il a cette ressource extraordinaire ! Et puis voilà l’heavy blues du beginning «Try To Quit You Baby», il te chante ça à pleine gueule. Wild & heavy ! Voilà les deux mamelles de son destin. Il coule encore comme du miel avec «This Is The End». Il a déjà ce génie de l’heavy blues jouissif. Tu n’en finirais plus avec un mec comme lui. Tu as tout qui coule, le chant, les poux, c’est un paradis. Puis il accompagne Jesse Fortune, un black qui chante comme un crack. Sur «God’s Gift To Man», Big Dix lui donne la réplique. C’est du gospel batch. Jesse Fortune fait encore des étincelles dans «Heavy Heart Beat». Il est hallucinant de qualité. Puis Buddy reprend le chant sur «Baby Don’t You Wanna Come Home». Il est déjà un hard hitter, bye bye ! Il passe au heavy blues de rêve avec «I Hope You Come Back Home». Dans son genre, il est le roi du Chicago Blues claqué à l’ongle sec.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Et si tu veux écouter les singles Chess, alors mets le grappin sur une autre bonne vieille compile, The Complete Chess Studio Recordings. Buddy est le roi de l’Heartbreaking Blues, comme le montrent au moins cinq modèles du genre, à commencer par «I Found A True Love» sur le disk 1. Il joue en finesse et croise un solo de jazz de round midnite, ‘caus my baby she takes her time. Sur le disk 2, tu tombes sur «My Time After Awhile», le big Buddy blues, chanté à l’éplorée congénitale, puis «Mother In Law Blues» - I’m in love with you babe/ But your mother she got the moooo - et puis «I Suffer With The Blues», où il joue en filigrane dans le chant. Magnifico ! Il te screame encore «Leave My Girl Alone» à la folie - You better leave/ You better leave my girl alone - Te voilà prévenu. La plupart des cuts sont cuivrés de frais, parfois ça vire r’n’b («Slop Around»), parfois good time music («Baby (Baby Baby Baby)»), ou encore groove de jazz («Buddy’s Boogie»). Tout reste d’un très haut niveau virtuosic, avec souvent des solos de sax demented. Les petites déboulades n’ont aucun secret pour lui («Let Me Love You Baby») et on retrouve bien sûr le black cat bone à tous les coins de rue. Il claque de fantastiques solos d’ongle sec («Watch Yourself» et «Stone Crazy») et son «Hard But It’s Fair» fait référence. Quel fantastique artiste ! Il faut le voir jouer dans l’épaisseur du groove de «Molic» - You are born to die - Il est criant de vérité.  Son «Worried Mind» balaye tout le British Blues. C’est complètement aérien, avec une basse et un piano dans la couenne du son - Please stick around with me/ Some time - Et puis il faut entendre ce fat bassmatic dans «Night Flight». Big Dix ? Il compresse bien le son du mambo de Chicago dans «Every Girl I See», et on le voit se battre pied à pied avec ses two many ways dans «Too Many Ways». Il s’implique énormément dans ses heavy blues, toujours à la limite de l’arrachement des ovaires. 

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Comme d’usage, on garde les meilleurs pour la fin. Les meilleurs ? Muddy, Wolf et Junior Wells. Et là ça ne rigole plus. Buddy a fréquenté tous les cracks de son temps, et il évoque tous ces cracks avec une édifiante bonhomie, t’as pas idée. C’est la raison pour laquelle il faut se plonger dans cette autobio, car Buddy porte sur ses contemporains un regard extrêmement bienveillant. Quand Buddy rencontre Mud pour la première fois, il est frappé par son apparence, ses pommettes hautes et l’éclat de sa peau très noire - His dark skin had a glow - Buddy lit l’homme dans son regard - His big eyes sparkled and showed me his mood - C’est encore l’époque où Mud se coiffe d’une pompadour - His hair worked in a doo was shiny and piled high on his head. He was something to see - Les mots de Buddy sont précieux : ils sont justes et black. Lors de cette première rencontre, Mud demande à Bud s’il aime le salami. Il voit que Bud crève de faim. Mud lui demande d’où il vient. Louisiane - You a farm boy? - «Yes sir», répond Bud. C’est ce qu’on appelle dans une vie un moment magique. Mud et Bud sont tous les deux des farm boys. Bud a suivi exactement le même chemin que Mud, arrivé à Chicago dix ans plus tôt. Leonard le renard demande à Muddy d’enregistrer un album de blues acoustique - He wants it to sound like ol’ time delta - Okay dit Mud, et il impose Buddy comme back-up guitar. Leonard n’en veut pas. Mud tient bon. C’est ça ou rien. Mud lui balance ceci : «Vous voulez the old music ? Well, ce jeune homme la joue même en dormant. Si vous le virez de la session, je rentre chez moi.» Alors Leonard le renard écrase sa petite banane. La scène se déroule en 1963. Non seulement Mud laisse Bud gratter ses poux avec lui, mais il le laisse aussi chanter. Bud est émerveillé : «Quand on a enregistré, j’ai mis ma chaise près de la sienne et j’ai plongé mon regard dans le sien. Je n’ai jamais cessé de sourire. C’est dire si j’étais heureux.» Encore un moment magique dans la vie de Buddy Guy. Certaines pages crépitent de bonheur. On sent le book vibrer dans les mains. Fantastique Buddy Guy et fantastique David Ritz. À la fin de la session, Leonard est ravi, et avec toute l’élégance de rat qui le caractérise, il lance à Bud : «You can sound like an old fart, can’t you?» Pour les ceusses qui ne seraient pas au courant, un fart est un pet. Prout. Leonard aurait dû s’appeler Prout. Leonard Prout. Les blacks de Chess étaient mille fois plus élégants que ce malotru. Puis Bud retrouve Mud à son retour d’une tournée anglaise. «How was England?». «Shitty», lui répond Mud. «They booed me again». Il avait joué à coups d’acou et ça n’avait pas plus aux Anglais, alors que lors de la tournée précédente, on reprochait à Mud de jouer trop fort sur sa Tele électrifiée - They don’t want no quiet-ass folk singer. They want loud - Mud ne sait plus ce que veulent «those English motherfuckers». Il dit même qu’ils ont la tête dans le cul. Mud évoque aussi ces «boys from London they was calling The Rolling Stones, named after one of Muddy’s lines». Mud se marre : «Ils en savent plus sur moi que je n’en sais moi-même.» Buddy rappelle un truc essentiel : Muddy était un homme fier. Il n’aurait jamais accepté de porter une tenue de travail de peintre, comme l’ont affirmé les Stones. Il arrivait toujours sur son 31 chez Chess, coiffé et nickel, costard repassé, pompes cirées - Muddy Waters knew that in Chicago, Illinois, he was boss of the blues - Quand sa femme Geneva casse sa pipe en bois, Muddy est secoué. Et en même temps, le voilà libre. Alors il fait venir chez lui tous les gosses qu’il a faits ailleurs. Buddy affirme que Mud adorait sa femme, mais il menait en parallèle sa vie d’homme. Buddy raconte aussi un concert chez Antone’s, à Austin, Texas, où les bluesmen sont rois - Down there in Texas they was blues crazy - Muddy joue sur scène, et comme c’est son annive, Buddy et Junior Wells le rejoignent avec un gâtö en chantant «Happy Birthday». Alors Mud dit au public : «See these here boys? I know ‘em since they was kids. I raised ‘em.» Moment magique. Un de plus. Mud vient aussi d’enregistrer un nouvel album avec Johnny Winter. Il ne trouvait pas de titre, et comme à sa grande surprise il venait de se remettre à bander, il a opté pour Hard Again - What do you think? - Quelle rigolade ! Buddy n’en finit plus d’adorer cet homme : «I just love saying his name. I just love telling everyone that Muddy Waters was my friend, that Muddy Waters was the man.»

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             The man ! Alors en voilà un autre : Wolf. Un jour Bud demande à Mud pourquoi Hooky a quitté Chicago pour aller s’installer à Detroit. Et Mud lui dit : «Johnny didn’t wanna be around all these heavy-hitters.» Alors Bud dit qu’il ferait bien d’aller lui aussi à Detroit et Mud lui dit non, car Wolf le cherche. What ? Wolf ! Et Mud indique que Wolf joue chez Silvio’s tôt le matin, à 7 h, au moment où les équipes de nuit des abattoirs débrayent - That’s when the Wolf really starts to howl - Mud lui recommande encore de ne pas trop jouer s’il accompagne Wolf, car il n’aime pas qu’on l’éclipse. Si ça ne lui plait pas, il te colle un tas dans la gueule. Buddy va chez Sylvio’s à l’aube et c’est le grand choc de sa vie : «‘Smokestack Lightning’ got wild. Vous n’avez rien vécu tant que vous n’avez pas traîné dans un club de Chicago à l’aube avec tout le monde high on hard whiskey and heavy blues.» Et boom encore avec «Sitting On Top Of The World», «‘cause, baby, he sure is.» Puis Hubert Sumlin vient trouver Buddy pendant le break pour le mettre à l’aise : «Si Wolf veut t’emmener en tournée, pas de problème, je suis d’accord.» Buddy lui répond qu’il ne veut pas prendre sa place. Mais Hubert lui, dit qu’il en a marre du Wolf bourré et brutal - S’il estime que je joue faux, il va me frapper, comme il frappe ses gonzesses - A bon entendeur, salut ! Quand Wolf vient trouver Buddy chez Theresa’s pour lui proposer le job et la tournée, Buddy refuse.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Plus tard, après qu’on ait repêché Toscano dans le Lac Michigan et que Leonard le renard et Big Dix se soient réconciliés, on lui propose une session pour accompagner un crack. Qui ? Wolf ! Buddy répond une fois de plus que Wolf a Hubert, et donc il n’a besoin de personne d’autre. Mais Wolf et Hubert se sont bagarrés. Alors Buddy accepte d’accompagner Wolf pour 10 dollars.  

             Et bien sûr, le big buddy de Buddy, c’est Junior Wells. Buddy lui consacre un chapitre entier - Junior Wells gets his own chapter in my book - Il dit aussi qu’il est l’un des craziest characters qui aient traversé sa vie. Il ajoute encore que cette collaboration ne fut pas de tout repos. Buddy le remercie chaleureusement : «tous les deux on a fait une musique que je n’aurais jamais fait tout seul. He inspired me.»

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             En 1972, Buddy Guy & Junior Wells enregistrent Play The Blues au Criteria de Miami. Cet Atlantic un véritable chef-d’œuvre, contenu comme contenant. Pochette magique pour un album magique. Ils démarrent avec un gros r’n’b des faubourgs, « A Man Of Many Words ». Junior mise gros - Let me tell you - et derrière Buddy coule ses rivières de diamants. C’est d’un feeling à peine croyable, le jour et la nuit avec A Man And The Blues. Buddy et Junior inventent une sorte d’enfer - au sens de la température - Le génie du blues s’exprime à travers eux. Junior s’en va screamer de plus belle, alors Buddy coule de plus belle. Aucun blanc ne saurait provoquer un tel frisson. Il faut à Buddy un valeureux screamer comme Junior, voilà le secret. Ensemble, ils sont énormes. Et le riff du cut vaut tout l’or du monde. Ils font ensuite un bon boogie blues, « My Baby She Left Me » et reviennent au heavy blues haut de gamme avec « Come On In This House/Have Mercy Baby ». Junior le prend de l’intérieur du ventre et il fait perler ses eh-youuuuh. Ils ont le pouvoir. They got the power, comme dirait Public Enemy. Ils sont les rois du blues. Ils ont une classe folle. Et ils mettent la ville à sac - mercy mercy babe - avec le feeling du diable. Ils rendent un bel hommage à T-Bone Walker avec « T-Bone Shuffle » et vont droit dans le boogie voodoo avec « A Poor Man’s Plea » que Junior chante avec une hallucinante autorité divine. La perle noire se trouve en fin de B : « Honey Dripper ». Ils amènent ça avec une infinie délicatesse et ils se mettent à sonner comme des anges noirs.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Buddy et Junior furent enregistrés à Montreux en 1978 pour un album live bien sympathique. Ils rendent hommage à Guitar Slim avec « The Things I Used To Do », ce vieux slow blues d’anticipation carabinée joué à la bonne franquette mélodique. Buddy chante et pousse des petits yahhh du meilleur effet. Ils essaient d’allumer « Help Me », mais ils le laissent sous le boisseau et ne le font pas exploser, comme sut si bien le faire Alvin. C’est Junior qui chante sur toute la B et il commence par exploser « Come On In This House ». Il fait goutter le jus de ses voyelles. Quel fabuleux shouter ! Puis il attaque « Somebody’s Got To Go » du gras du menton. Junior Wells n’est pas homme à se méprendre, bien au contraire. C’est un pro du gras de Chicago.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Junior fut le joueur d’harp qui remplaça Little Walter dans le groupe de Muddy - Chosen by Mud, he had to be great - Junior vient de West Memphis et il est arrivé à Chicago en 1946. Il avait 11 ans. Quand il demande à Sonny Boy Williamson II, c’est-à-dire Rice Miller, de lui montrer des trucs à l’harp, Rice l’envoie promener, «Motherfucker, you too dumb and stupid», et quand Junior insiste, Rice sort une lame. Dégage ! Puis Muddy prend Junior sous sa protection, devant un juge. Il se porte garant pour Junior qui allait droit au placard après une sale bagarre. Quand ils sortent du tribunal, Junior veut monter dans un bus et Muddy lui ordonne de monter dans sa bagnole. Junior renâcle, «Pas question, j’ai des trucs à faire», et il bouscule Muddy qui sort un flingot. Alors Junior obéit et monte dans la bagnole - That’s when I knew I had a daddy - C’est dire à quel point Muddy est une figure centrale de cette scène. Junior va bien sûr habiter chez Muddy. Geneva et Mud lui demandent un petit loyer et quand Junior apprend que d’autres mecs logent gratis, il sort une lame pour menacer Muddy. Fatale erreur. Muddy ne cille pas. Il se lève et bam, il gifle Junior. Puis il l’attrape par le colback et lui dit : «Je vais tellement de démolir la gueule que tu ne pourras plus jouer d’harp.» Alors Junior s’est calmé. Buddy ajoute que Junior avait un autre problème : il croyait que James Brown lui avait volé son thunder

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Le dernier album en date du grand Buddy s’appelle The Blues Don’t Lie. Tout un programme. Il commence par dire qu’il laisse sa gratte parler à sa place avec «I Let My Guitar Do The Talking», un heavy blues de haut vol. Il raconte son enfance en Louisiane - I made my own rules - Et Buddy monte tous les étages de la démesure. Quel déluge de son, les amis ! Même Noé n’en reviendrait pas. Ça grouille de coups de génie sur cet album, tu vas commencer à te gratter avec «Symptoms Of Love», big boogie down. C’est là qu’il fait la différence. Il gratte ses gros poux sur sa Strato à pois, c’est solide et bien enfoncé du clou, il bourre sa dinde, le wild Buddy. Il est bien plus rock que ne le seront jamais les petits culs blancs. Tu te grattes encore avec «Well Enough Alone», il y va à coups de mojo et de black cat bone et il t’explose l’heavy boogie blues. Il dicte sa loi. Il redore le blason du Black Power. Il est plus funky avec «What’s Wrong With That». Il est assez extraordinaire, car il a tout le son du monde - Please tell me what’s wrong with that - Il veut savoir - I’ve been around the bush - Il connaît la chanson, ne prend pas Buddy pour un con ! Bobby Rush chante en lead et il se tourne vers son buddy Buddy : «Buddy Guy play some guitah for me !». Alors Buddy plays some guitah. Il passe ensuite au big boogie avec «House Party» - It’s Buddy Guy time - Il joue son va-tout de géant. Il est imparable par nature. Et par excellence. «Sweet Thing» sonne comme un heavy blues d’extasy, Buddy ramène de la pulpe dans le son, il gratte du jus, c’est plein comme un œuf, c’est l’heavy blues de la perfection. Grosse intro pour «Backdoor Scratching» et te voilà fixé par la fixture. Buddy se balade comme un crack. Et dans «Rabbit Blood», il te balance ça : «I swear the girl’s got rabbit blood/ I met no woman can do me like she does.» Il a génie du blues. C’est là que se joue son destin. On monte encore un cran dans l’apothéose avec le genius swing de «Last Call», il te groove le jive sans frémir et il termine ce round-up avec une glorieuse cover de «King Bee», il la tape à coups d’acou et à coups de Girl I can buzz around your hive. Sexe pur en hommage à un autre géant, Slim Harpo.

    Signé : Cazengler, Guy mauve

    Buddy Guy. This Is The Beginning. P-Vine Records 2001

    Buddy Guy. The Complete Chess Studio Recordings. MCA Records 1992

    Buddy Guy & Junior Wells. Play The Blues. Atlantic 1972

    Buddy Guy & Junior Wells. Live In Montreux. Black & Blue 1978

    Buddy Guy. The Blues Don’t Lie. RCA 2022

    Buddy Guy & David Ritz. When I Left Home. My Story. Da Capo Press 2012

     

     

    L’avenir du rock

     - Lemon incest

     (Part Three)

             Boule et Bill interpellent l’avenir du rock :

             — Ça fait trois fois que tu ramènes les Lemon Twigs, avenir du rock. Tu ne crois pas que t’exagères un peu ? T’as vraiment décidé de nous prendre pour des cons ?

             — Si vous écoutiez les albums, vous ne feriez pas ce genre de remarque. Vous seriez comme moi impatient de voir arriver le Part Four.

             — Pffffff, non seulement t’es un gros con, mais en plus, t’es prétentieux.

             — Noël Godin te traiterait même de pompeux cornichon, avenir du broc !

             — T’es pédant comme un phoque, avenir du troc. Tu serais pas fils unique par hasard ?

             — Mon cher Boule, tu me fais penser à une copine dont la laideur morale n’avait d’égale que sa laideur physique, mais lui dire, ça aurait pu certainement la blesser, alors que toi, tu survivrais à tout, même à ta propre vacuité. Tu me fais pitié, mon pauvre ami.

             — Oui, mais quand même, un Part Three sur les Lemon Twigs, c’est du rabâchage, dans le contexte d’une rubrique censée trier le bon grain de l’ivresse...

             — Pas l’ivresse, Bill, l’ivraie. Si tu veux qu’on discute un peu, apprends à parler le français.      

             — Boule a raison, t’as rien compris, avenir du rôt ! Tu te prends pour le nombril du monde. L’ivresse ! J’aurais pu te dire livresque ! Ou levrette, comme Limon qui lime ton twat de Twig !

             Boule embraye aussi sec :

             — Ou Lemon de Venus qui tweete une twarte à la crème !

             — Ou Limon du delta sous la twante de Twiggy !

             Boule et Bill rient de bon cœur. Ils sont très fiers d’avoir réussi à fermer le clapet de l’avenir du rock. Quelle sera leur prochaine étape ? Le diable seul le sait.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Si tu cherches les héritiers de Brian Wilson et des Beatles, pas compliqué : ils s’appellent The Lemon Twings. Leur nouvel album A Dream Is All We Know grouille de preuves.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

    La première preuve s’appelle «My Golden Years». Alors attention, ça part en mode wild pop drivée de main de maître, ça reste incroyablement tendu de bout en bout, monté sur un beat glorieusement turgescent et boom, ça se termine en final à la Brian Wilson. Chez les frères D’Addario, ça éclot de bout en bout. Tu veux encore du pur Beach Boys sound ? Alors saute sur «In The Eyes Of The Girl». The most perfect Wilson sound depuis Brian Wilson. Ils ré-explosent un univers déjà explosé, celui de la grande pop harmonique. Stupéfiant ! Qui aurait cru ça possible ? Tu veux les Byrds ? Alors saute sur «If You & Me Are Not Wise». Ils descendent en profondeur dans l’excellence des Silver Sixties, ils ramènent même le jingle jangle. Cet album des Lemon Twigs est sans le moindre doute le plus bel album sixties du XXIe siècle. Les frères D’Addario ré-allument tous les brasiers fondateurs : Beatles, Byrds, Beach Boys. Tu veux les Beatles ? Alors saute sur le morceau titre. Ça passe en force au All I know. C’est extrêmement Beatlemaniaque, ils réincarnent le génie de John Lennon. Là tu touches du doigt le real deal. Les frères D’Addario ont ce type de talent magique. Avec «How Can I Love Her More?», ils persistent tellement qu’il tapent dans un au-delà de la pop communément admise. Ils flirtent même avec le glam dans «Rock On (Over & Over)». Ah ils savent driver un stomp d’heavy glam, pas de problème, ils t’éclatent ton pauvre petit Sénégal et même ta copine de cheval. Ils sont fabuleux d’à-propos, mais le cul entre deux chaises, le glam et le «Do It Again» des Beach Boys de l’âge d’or. Encore de la magie pop dans «Peppermint Roses». C’est inspiré à pleins poumons.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Comme un bonheur n’arrive jamais seul, les voilà sur scène, Brian D’Addario sur une douze rouge pailletée qui sent bon les Byrds et tout le tintouin, et son frangin Michael sur une Ricken pour l’anglicité des choses de la vie, et là, franchement, t’as tout, absolument TOUT : le son, la classe, l’âge d’or des sixties, le punch, les harmonies vocales, l’anti-frime, la fraîcheur de ton, l’énergie, les boots, la virtuosité de bon escient, la basse Hoffner et même les monster drives de McCartney, les killer solo flash, les hits, à commencer par «My Golden Years», la magie scénique, les sauts en l’air,

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

    le mouvement perpétuel, les Byrds («If You & Me Are Not Wise»), les Beatles («A Dream Is All I Know»), la magie pop («Peppermint Roses», exactement comme sur l’album), t’as aussi les mélodies, les intrications, les mics-macs d’arpèges à la Roger McGuinn, le sens du boogie («Rock On»), un professionnalisme à toute épreuve, en un mot comme en cent, t’as sous les yeux des superstars.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

    Zéro temps mort. Effervescence à tous les étages en montant chez Kate. Ils sont tellement brillants qu’ils dépassent un peu les bornes, t’es en permanence aveuglé par leur éclat, ils amènent la pop à un niveau jusque-là réservé aux Byrds, aux Beatles, aux Beach Boys et à Todd Rundgren. Et ils semblent le faire avec une facilité déconcertante. Ils évoluent sur scène avec des pieds ailés, et quand Brian attaque un drive de basse sur l’Hoffner, il carapate ses notes à coups de médiator, jouant deux fois plus de notes que n’en joua jamais McCartney. Et pour ce mec à peine sorti de l’adolescence, c’est encore un jeu. Il joue le visage couvert de cheveux, avec un sourire quasi-permanent.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

    Son frère Michael adore faire rigoler la salle. Il casse corde sur corde sur sa Ricken et continue sur une Tele. Ils font aussi tourner les instrus. Michael bat le beurre sur trois/quat’ cuts et il n’en finit plus de faire rouler les baguettes entre ses doigts. Tout n’est qu’un jeu. Le Grand Jeu. En 90 minutes, ils font le grand tour de la grande pop, la seule qui vaille, celle d’avant, cette pop magique qui n’a jamais pris une ride et qui n’en prendra jamais. L’extraordinaire complicité des d’Addario brothers te bluffe.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

    Comme les frères McDonald (Redd Kross), ils perpétuent une tradition instaurée par les frères Wilson et les frères Davies, qui est celle d’un brotherhood magique. En rappel, Brian revient jouer trois/quat’ cuts en acou, dont le fabuleux «Corner Of My Eye» tiré d’Everything Harmony, et que certaines personnes reprennent en chœur dans la salle. Pur showmanship à la John Lennon. Puis ils finissent en apothéose avec l’effarant «How Can I Love Her More» et une intrépide cover du «Runaway» de Del Shannon. Tu sors de là transformé.   

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Ça crache des flammes dans les canards anglais : James McNair fait quatre pages de Lemon Twigs dans Mojo, et Jon Mojo Mills deux dans Shindig!. Les frères d’Addario n’en finissent plus de clamer leur allégeance aux Beatles et aux Beach Boys. On les traite d’ailleurs de Mersey-Beach. Ça fait bien marrer les deux frères - We love the simplicity of the Beach Boys sound, which was a combinaison of Chuck Berry and The Four Freshmen - Jon Mojo Mills les qualifie aussi d’«unstoppable». Sur scène, ils sont accompagnés par Reza Matin des Uni Boys, et un vieux copain, Danny Ayala. Michael D’Addario compare d’ailleurs Reza Matin à Bev Bevan, le beurre des Move. Pour Mills, «My Golden Years» sonne comme du «12-string Beatles meet Beach Boys with a dose of The Monkees and The Raspberries». Michael d’Addario cite aussi «a few key examples», «everything Zombies, The Stones’ ‘She’s A Rainbow’, The Left Banke.» Mills retrouve du Turtles dans «How Can I Love Her More» et Roy Wood dans «Church Bells», à cause du cello. Michael cite aussi Amen Corner, puis les Flying Burritos Brothers, The Mirage et The Notorious Byrds Brothers. Et Mills de conclure, affolé de bonheur : «The Lemon Twigs are the ultimate Shindig! band. Don’t miss this album. It won’t let you down.»  

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             McNair tape sensiblement dans le même registre : il les dit «beloved of Todd Rundgren, Colin Bluntstone and Big Star’s Jody Stephens», trois superstars qui les ont réclamés sur scène.  Michael et Brian se disent alarmés par le temps qui passe - The album is aiming for something timeless - Comme les Beatles, les Byrds et les Beach Boys avant eux, ils cherchent à enregistrer une pop intemporelle - Les gens qui ont enregistré nos albums favoris y ont mis beaucoup de soin. The Beach Boys being the absolute pinacle of that. That’s what we’re chasing - Et voilà qu’ils évoquent des albums solo à venir, Gifts - a goofy Fith Dimension/Jimmy Webb-style collaboration with Sean Lennon - un flexi-disc qui sera distribué gratuitement, et puis un album du père, Ronnie d’Addario, avec Todd Rundgren et le fils d’Al Jardine. Quand les frères d’Addario ont accompagné Todd sur scène en 2017, c’était pour eux comparable aux Teenage Fanclub accompagnant Alex Chilton - Your heroes love it when you’re a young band and you can just nail it - Le mot de la fin revient à une certaine Nathalie Mering : «Les Lemon Twigs ne sont pas vos typical hipsters. Ils essayent de créer des great pop songs dans un monde où tout le monde croit que tout a déjà été fait, et de leur part, c’est pretty brave, c’est-à-dire très courageux.»

    Signé : Cazengler, l’immonde twig

    Lemon Twigs. BBC. Caen (14). 25 septembre 2024

    Lemon Twigs. A Dream Is All We Know. Captured Tracks 2024

    James McNair : The Lemon Twigs. Mojo # 366 - May 2024

    Jon Mojo Mills. Sweet Vibrations. Shindig! # 150 - April 2024

     

     

    L’avenir du rock

     - Si Pete a ri, Molinari aussi

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             D’une certaine façon, l’avenir du rock préfère les gens qui rient à ceux qui pleurent. Il préfère les joyeux drilles aux bouches d’ombre et aux figures de cire du Musée Grévin, il préfère les Rabelaisiens et les boute-en-train aux épluchures humaines qui s’abreuvent de journaux télévisés et d’actualité politique, il préfère les hilares et les zutiques aux têtards desséchés et aux virtuoses de la déconvenue. D’un côté le pas ailé et de l’autre la semelle de plomb, d’un côté le verre à moitié plein et de l’autre le verre à moitié vide, d’un côté dix commandements dont le premier dit : «Tu riras tant que tu vivras», et de l’autre, dix commandements dont le premier dit : «Tu ne riras point», d’un côté le gardon et son écaille étincelante, de l’autre la tanche huileuse de vase puante, d’un côté l’aube de la vie et de l’autre le poids des ans, d’un côté «Je ris de me voir si belle en ce miroir», et de l’autre «Ô rage ô désespoir» et son corollaire en forme de train de marchandise, «N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?», d’un côté le blanc des robes de printemps, et de l’autre le noir usé des mises de Presbytériens aussi calvitiés que calvinistes, d’un côté Hulot et de l’autre Godot, d’un côté tu mouftes et de l’autre tu ne mouftes pas, d’un côté chatouille-moi et de l’autre torture-moi, d’un côté Louis Armstrong et de l’autre les champs de coton, d’un côté le flatteur, c’est-à-dire Maître Renard, et de l’autre le flatté, c’est-à-dire Maître Corbeau, d’un côté la paix et de l’autre la guerre, d’un côté la liberté et de l’autre le profit, d’un côté Jean-qui-rit et de l’autre Jean-qui-pleure, d’un côté la Vache qui rit et de l’autre les abattoirs, d’un côté la mare aux canards et de l’autre le magret de canard, d’un côté les Oies du Capitole et de l’autre le foie gras et cet immonde corollaire que sont les grosses rombières réactionnaires, d’un côté le carrosse de Cendrillon et de l’autre le 4x4 dernier cri, d’un côté Charlot et de l’autre Hitler, d’un côté Moonie et de l’autre Thatcher, d’un côté l’horizon et de l’autre la tombe. Mille raisons pour lesquelles l’avenir du rock apprécie tant Pete Molinari.

             Qu’on ne se méprenne pas : Pete Molinari n’est pas un comique, même si par sa consonance, son nom laisse supposer le contraire. Pour l’avenir du rock, ça tombe sous le sens : Pete a ri, alors Molinari aussi. C’est du tout cuit. Un tout-cuit dont il aurait une (fâcheuse) tendance à abuser. N’étant pas d’une nature à se réfréner, l’avenir du rock y va de bon cœur.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Ben Graham y va aussi de bon cœur. Zou ! Quatre pages dans Shindig!. Pour dire quoi ? Pour dire qu’il forge «a musical triumph from the ashes of disillusionment.» Pas mal, le Ben. Un Ben qui indique en outre que Molinari s’est installé à Los Angeles avec sa femme Mila, la danseuse brésilienne. Originaire du Kent, Molinari se dit surtout américain, à cause de Dylan, Hank Williams, Leadbelly, Woody Guthrie and Billie Holiday. Il a commencé par s’installer à New York puis il est allé enregistrer Just Like Achilles à Los Angeles, histoire de s’enraciner dans le mythe de Laurel Canyon. Puis il est reparti à Rome enregistrer Wondrous Afternoon pour se ressourcer dans Motown et Burt. Il indique au passage que son père écoutait de l’opéra et il a grandi avec Maria Callas et Pavarotti, ceci expliquant cela. De père égyptien et de mère maltaise, with an Italian heritage, le p’tit Pite s’est retrouvé au carrefour des cultures. Mais ses principales influences sont ce que le Ben appelle «classic Soul music» : Motown, Stax, Burt Bacharach, Phil Spector, d’où l’idée de laisser tomber Dylan et de faire un album plus Soul avec Wondrous Afternoon.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Délicieuse galette de plastique noir ! Un style c’est sûr. Casquette pied de poule, lunettes noires et manteau en léopard, une espèce de mix Dylan 65/Flaming Groovies. Groove et voix de nez dès le morceau titre. Tu prends immédiatement ta carte au parti. «Wondrous Afternoon» sonne comme une ravissante Beautiful Song. Tu ne peux pas te tromper : le p’tit Pite sonne comme un élu. L’autre merveille événementielle se niche en B : «Always Letting Go». Pop de haut niveau, avec un groove aventureux. C’est d’une justesse infernale - Love is always letting go - «Cezanne Cezanne» ne concerne pas le peintre, mais une gonzesse qui s’appelle Cezanne. Avec «Narcissus», il va plus sur le r’n’b - Narcissus is your second name - Le balda est une chef-d’œuvre de groovytude, «Only When I Love» balance entre deux mers, et avec «You’re Poetry To Me», il prêche la paix sur la terre. Il te berce littéralement. Le p’tit Pite adore le groove. C’est un bec fin. Il reste poppy mais judicieux.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Comme il a grandi dans le Medway Delta, patrie des garagistes britanniques, il était logique que son premier album, Walking On The Map, soit produit par Wild Billy Childish «in the latter’s Chatham kitchen.» Le p’tit Pite était gosse quand Billy tournait «with his bands and stuff». Le p’tit Pite n’est pas une oie blanche. Il allait chez Billy lire ses books de poésie. L’album Walking On The Map date de 2006. C’est un énorme hommage à Bob Dylan. Le p’tit Pite fait du Dylanex pur et dur, au sucre insistant. Tout est monté sur les coups d’harp et tout est chanté avec une pince à linge sur le nez. Le p’tit Pite se prend clairement pour le nouveau Dylan. Bizarre que cet album sorte sur Damaged Goods qui est un straight label gaga. Le p’tit Pite remet sa pince à linge pour attaquer «The Ghost Of Greenwich Village». Il tape en plein dans la mythologie dylanesque. Il arrose «I Just Keep It Inside» de gros coups d’harp. Le pied de poule de son cache-col en laine renvoie bien sûr au costard pied de poule que Dylan portait à l’Albert Hall en 1965. Le p’tit Pite bascule de plus belle dans son délire dylanesque avec «The Ballad Of Bob Montgomery». Le pire, c’est qu’il en a les moyens. Il se veut insistant et tape en plein dans le mille. Il s’amuse avec un yodell de bonne franquette dans «What Use Is The Truth To Me Now», ce mec est superbe, il soulève de très vieilles vagues de fake Americana. Molinari aurait-il du génie ? Oui, de toute évidence. Tout chez lui sonne vrai : les coups d’harp, le gratté de poux, le chant pincé, il tape en plein dans le mille. Il frise parfois le ridicule («Alone & Forsaken»), mais on l’écoute. Il chante «A Lonesone Episode» d’une voix de canard, franchement si ce n’était pas écrit «Molinari» sur la pochette, on croirait entendre Dylan. Il n’en démord pas, jusqu’au bout de l’album, il reste en plein dedans, même ampleur de routine, même moteur artistique, même empreinte digitale.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Sur A Visual Landcape paru deux ans plus tard et enregistré chez Toe Rag, on retrouve du Dylanex : «One Stolen Moment», «Look What I Made» et «Sweet Louise» tapent en plein dans la mythologie. Le p’tit Pite doit être obsédé. Il y va à l’Absolutely Sweet Louise, clin d’œil appuyé à l’Absolutely Sweet Mary. Il refait sa fake Americana avec «Dear Angelina», pur jus de Tex-Mex d’El Paso à la Doug Sahm, c’est de bonne guerre. Et puis, voilà les coups de génie, à commencer par «It Came Out Of The Wilderness», fabuleux shoot d’exaction sucrière. Il a une voix très pointue, et derrière ça sonne comme au temps du Bringing It All Back Home. Terrific ! Vraie profondeur de champ, il ramène du génie dylanesque dans sa fière allure. C’est très métabolique. Encore de la profondeur de champ sur «Adelaine», et retour au grand art avec un «I Don’t Like The Man That I Am» beau et tendu. Oui, il a un truc, le p’tit Pite, avec son inside my head. Il est franc du collier - I can’t love you/ Cause I don’t like the man that I am - Sa franchise l’honore.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Avec A Train Bound For Glory, ses albums commencent à sonner comme des albums classiques. On le voit swinguer la pop-rock de «Streetcar Named Desire» avec une insolence de coming back again, les chœurs font shut up, shut up, c’est extraordinaire de bravado, et les vents de la ville emportent les poux qu’il gratte. Il renoue avec l’éclat de Streetcar dans «Willow Weep For Me». Le p’tit Pite la joue fine, il sait gérer les small dynamiques et il chante d’une superbe voix de canard. Quel artiste ! Encore plus musculeux, voici «Little Less Loneliness». Il shake son hip d’hipster, ça swingue sous le galure, le p’tit Pite est un fantastique mover shaker. Nouveau coup de Jarnac avec «New York City» tapé au heavy piano. Ptoufffhhh ! Il y va à l’heavy dumb d’I alive in New York City. Quelle débinade ! Il fait du power bananas. Il repique une petit crise de Dylanex avec le morceau titre. On se croirait sur Another Side Of Bob Dylan.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Il revient en force en 2014 avec Theosophy. L’album grouille de puces, tiens comme par exemple l’«Hang My Head In Shame» d’ouverture de bal, chanté à la voix de fiotte trempée d’écho, mais c’est énorme, bien balancé, c’est du Molinari de big time, avec son éclatante foison de poux. Il chante d’une voix d’escalope fine, c’est très spécial. Il faut s’y habituer. Attention à «Evangeline», car c’est du wild as fucking fuck. Sa voix colle bien au stomp. Le p’tit Pite sait claquer l’heavy pop d’un hit. «I Get It All Indeed» sonne un brin Velvet, t’as là un balladif sur-vitaminé embarqué à l’up-tempo. Il oscille parfois entre le Dylanex et la féminité («When Two Worlds Collide»), le p’tit Pite est un mec curieux et attachant. Il flirte en permanence avec le génie pop, comme le montre encore «What I Am I Am». il recherche l’effet Totor/Brill, il a cette volonté de vaincre à coups de Sweet Lord. Encore du rentre dedans avec «Mighty Son Of Abraham». C’est même assez religieux. Shindig! a raison de lui dérouler le tapis rouge. Ce furet de p’tit Pite fout son nez partout : le voilà dans l’heavy blues avec «So Long Gone». Il termine cet excellent album avec «Love For Sale», couché sur canapé d’heavy Sound. Il taille vraiment bien sa route. Il sait mettre son côté voix de fiotte en valeur et en faire un atout, une sorte de sucre avarié, un peu divin.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Paru en 2022, Just Like Achilles est un tout petit moins dylanesque que ses prédécesseurs. La seule trace de sa passion dévorante pour le grand Bob se trouve dans «Steal The Night». Il y ramène les deux mamelles dylanesques, la voix et le sens mélodique. Pour le reste, il cultive sa belle aisance du singalong. Il est si parfaitement à l’aise, il faut le voir chanter à l’encan dévolu ! «I’ll Take You There» est plus enjoué, plus orienté vers les hit-parades. Mais au fil du balda, on sent qu’il peine à fournir. Comme s’il se tarissait en s’éloignant de Dylan. Alors il y revient avec «Waiting For A Train». Il ouvre sa B avec la pop pure et fraîche de «You’ve Got The Fever», une vraie fontaine de jouvence. Et plus loin, il nous cale son morceau titre, un joli shoot de pop molinariste gorgeous et bien enlevée.

    Signé : Cazengler, Pete Molinaridicule

    Pete Molinari. Walking On The Map. Damaged Goods Records 2006

    Pete Molinari. A Visual Landcape. Damaged Goods Records 2008

    Pete Molinari. A Train Bound For Glory. Clarksville Recordings 2010

    Pete Molinari. Theosophy. Cherry Red 2014

    Pete Molinari. Just Like Achilles. Blind Faith Records 2022

    Pete Molinari. Wondrous Afternoon. Blind Faith Records 2023

    Ben Graham : Restless Soul. Shindig! # 145 - November 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Un flirt avec les Flirtations

             Pour un flirt avec Fleur/ Je ferais n’importe qui/ Pour un flirt/ Avec Fleur. C’est en quelque sorte la chanson qu’on aurait pu chanter cette nuit-là. Le hasard qui fait toujours bien les choses avait rassemblé une équipe de fêtards autour d’une pompe à bière, quelque part au centre de la douce France/ Doux pays de mon enfance. Nous étions tous invités dans le cadre d’une université d’été. Mes universités/ C’était pas Jussieu/ C’était pas Censier/ C’était pas Nanterre, non c’était encore autre chose, en tous les cas, la pompe à bière était gratuite et les gens n’envisageaient pas d’aller coucher au panier. Grosse ambiance, sauvagement encouragée par la gratuité des choses. Tout le monde en avait comme on dit dans les bars ‘un sacré coup dans la gueule’. Alors ça rigolait et ça titubait, comme au temps des fêtes païennes, lorsqu’on s’abreuvait aux amphores. On se faisait des réflexions stupides du genre «oh j’ai jamais bu autant de bière», mais on s’amusait surtout à voir jusqu’où on pouvait aller trop loin. On causait avec les ceusses qui nous causaient, on rigolait d’un rien et puis soudain, un petit bout de femme surgit de nulle part pour engager la conversation. «On se connaît !». «Ah bon ?». Elle relata les circonstances. «Mais oui bien sûr !». Souvenirs d’une autre fête. Ses souvenirs étaient précis. Petite, cheveux teints en rouge, d’obédience punk, elle semblait parfaitement à l’aise dans la gestion des conversations prévues pour durer des heures, blih blih blah blah, et comme on se trouvait juste à côté de la fontaine de jouvence, on se ravitaillait mécaniquement. Elle ne disait jamais non, au contraire. Lady Fleur tenait remarquablement bien le choc. Admirable ! Elle semblait contrôler sa déliquescence cérébrale. Aussi increvable que la fontaine magique qui n’en finissait plus de transformer cette fête en beuverie dionysiaque. Lady Fleur chopait un titubeur de temps en temps pour me le présenter, Je suis sous sous sous/ Sous ton balcon/ Comme Roméo ho ho, ah comme on s’amusait bien en ce temps-là, un temps que les jeunes de vingt ans/ Ne peuvent pas connaître. Elle disparut au lever du jour. Et bien sûr, le fût de bière rendit l’âme. Il restait heureusement quelques bouteilles de vin sur la desserte.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             À une autre époque, on chantait Pour un flirt avec les Flirtations, ce qui revient au même. Il s’agit de la magie des rencontres. Les Flirtations avaient en ce temps-là un hit faramineux, «Nothing But A Heartache», qui fédérait tous les états. Comme P.P. Arnold, ces trois blackettes américaines eurent l’idée géniale de faire carrière à Londres.

             Originaires de Caroline du Sud, Earnestine et Shirley Pearce montèrent les Flirtations en 1964 avec l’Alabamienne Viola «Vie» Billups. Vie commence par dire qu’elles sont bien meilleures que les Supremes, et comme elle a flashé sur les Beatles, elle dit aux sœurs Pearce qu’il faut aller à Londres, car c’est là que ça se passe.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Dans Shindig!, Andy Morten leur accorde huit pages, un vrai traitement de faveur ! Il rappelle que Vie tenait la barre. Elle savait que les Flirtations étaient énormes, alors direction London. Là au moins elles pourraient s’imposer. Elles débarquent en 1967, en plein Swinging London. C’est lors de leur deuxième voyage à Londres qu’elles s’installent dans un hôtel à Bayswater. Elles ont quelques contacts, dont l’agent des Foundations, this guy Rod, qui les amène chez Barry Class, le manager des Foundations. En sortant de chez Class, elles croisent Wayne Bickerton et Tony Waddington qui leur demandent si elles sont chanteuses.

             — Yeah !

             — Wait a minute !

             Bickerton les ramène chez lui et sa femme Carol leur chante les cuts qu’il compose avec Waddington. Ils ont des hits à leur proposer. Et quels hits ! Comme Bickerton est A&R chez Deram, il présente les Flirtations à son boss Dick Rowe qui les adore et qui les signe aussi sec. En 1968, elles ont déjà un contrat chez Deram, un producteur et des compos de tous les diables. Dès le lendemain, elles entrent en studio avec la crème de la crème du gratin habituel, Big Jim Sullivan, Herbie Flowers.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Les Flirtations furent d’une certaine façon les petites reines de la Northern Soul à domicile. Leur album Nothing Like A Heartache paru en 1969 s’appelle aussi Sounds Like The Flirtations. Pour parler crûment, c’est une bombe, mais une bombe particulière : une bombe de Soul anglaise dopée au big sound et bardée de chœurs d’écho à l’anglaise. Pour Andy Morten, c’est l’album parfait : «12 tracks that ooze class and sophistication.» Quelle classe ! Le morceau titre t’emporte aussitôt la bouche. Tu assistes à l’éclosion du good old fucking genius en plein cœur du Swinging London - Perfect combination of acid rock and sweet Soul - C’est Earnestine qui chante lead. Et ça continue avec «This Must Be The End Of The Line» et une prod extraordinaire de Wayne Bickerton, avec des trompettes. On reste dans le son Bickerton avec «Stay», l’absolute beginner des Flirts, elles t’alignent le Stay sur une harmonie vocale forcée vers le haut. Comme on l’avait déjà constaté avec Sharon Tandy, le son anglais peut être explosif. Nouvelle dégelée avec «How Can You Tell Me?», c’est Motown avec le freakbeat anglais. Power blast ! Elles te jerkent encore «Need Your Loving», elles sont comme bombardées au sommet, tu n’as même plus le temps de chercher tes mots, tellement ça palpite dans la marmite. Motown à la puissance dix ! Big beat so far out ! Tout est bourré de son jusqu’à la gueule, comme on le dit d’un canon.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

    Cet album est une totale apocalypse d’excelsior. Il pleut du son, petite bergère ! Range tes blancs moutons ! Ça monte encore d’un cran avec «Once I Had A Love», elles se cognent au plafond du haut de gamme, elle te clament tout à la clameur. Même plan que P.P. Arnold avec «Love Is A Sad Song». Soul de rêve en Angleterre. Elles pulsent jusqu’au délire. Si par bonheur tu as chopé la red RPM, tu vas t’étrangler avec des bonus de rêve : «Keep On Searching» et «Everybody Needs Somebody», tous les deux tapés à l’anglaise, au wild rocking blast, avec les voix des filles de Motown, c’est extrêmement vivace, elles chantent comme des folles et ça vire glam ! Elles tapent l’Everybody au power extra-sensoriel, dans un délire de violonades, le son claque à un point qu’on n’imagine même pas. Nouveau mélange de Motown et d’UK power.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Elles ont trois pages dans Uncut pour évoquer leurs souvenirs de débutantes, et plus précisément l’enregistrement du morceau titre de Nothing But A Heartache (aka Sounds Like The Flirtations). Earnestine commence par rappeler qu’il y avait trop de girl groups aux États-Unis. Elle dit aussi que Vie adorait les Beatles. D’où l’idée d’aller tenter le coup à Londres. Vie prend la parole : «So a wild woman like myself turned up and said ‘Let’s get on that plane.’» Tony Waddington qui va flasher sur elles donne d’impressionnantes précisions : «Earnestine is mezzo soprano, Shirley is more mezzo and Vie is contralto, so that makes for a good harmony, very solid.» Il ajoute que la voix d’Earnestine «really cuts through the mix.» Après la rencontre avec Tony Waddington & Wayne Bickerton, vient la session d’enregistrement chez Decca. Elles enregistrent live. Earnestine est frappée par la qualité des musiciens : Big Jim Sullivan et Herbie Flowers, «some of the best session players in London», confirme Shirley. Waddington explique que les hits américains sonnaient bien à l’époque, car les musiciens étaient des pros, alors qu’en Angleterre, les musiciens étaient des amateurs. C’est pourquoi il voulait des pros en studio. Il voulait les meilleurs. Elles vont devenir des petites reines de la Northern Soul et chanter au Wigan Casino.  

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Viola «Vie» Billups se barre en 1971 pour démarrer une carrière solo sous le nom de Pearly Gates. Misty Browning la remplace, bientôt remplacée par Loretta Noble. En 1975, les sœurs Pearce et Loretta Noble enregistrent Love Makes The World Go Round qui reste un honnête album, même s’il est parfois un peu diskö-poppy. Un cut comme «Like Sister & Brother» n’aura jamais aucun impact sur l’avenir du genre humain. Il faut attendre le bout du balda pour trouver enfin du big flirt des Flirtations : «Lover Where Are You Now». Et en B, elles refont du pur Motown avec un «Mr. Universe» vraiment digne des Supremes, belle stature artistique et grosse emprise. Plus loin, elles renouent avec la grosse Soul orchestrée («One Night Of Love»). Elles chantent toutes les trois à pleine voix. Elles savent se montrer dynamiques et pleines d’allure. Même si «Trial By Fire» sonne comme de la Soul classique, elles brûlent de désir et montent bien à l’assaut.    

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Par contre, Pearly Gates devient une petite Dancing Queen avec On A Winning Streak. C’est un album d’heavy diskö, elle ne fait pas dans la dentelle. Elle a même des cuts qui sonnent comme du late Motown («Lifting Go Of The Pain»). Avec «Whirlpool», elle fait de l’heavy r’n’b à la mode, mais chanté au power pur. Elle suit les évolutions disons commerciales de l’époque. Elle jette dans la balance tout son poids de vieille Soul Sister. Et voilà qu’elle fait son Esther Phillips avec «Days In New York». Superbe shoot de diskö de charme. Du coup, on dresse vraiment l’oreille. Elle tente chaque fois le tout pour le tout, elle est très sportive. «Stop For Love» sonne encore comme la diskö des jours heureux. Elle fait une cover de l’«Ain’t That Peculiar» de Smokey, puis rend hommage à Leiber & Stoller avec une cover de «Dancing Jones», et revient à sa chère hard diskö avec «You’ve Got It». Une chose est certaine : tu ne restes pas assis sur ta chaise. Trop content de danser avec Vie Billups. Bon, il y a aussi un DVD dans l’emballage, mais il doit être destiné aux vrais fans de diskö.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Le croiras-tu ? Les Flirtations refont surface cette année avec un extraordinaire come-back album, Still Sounds Like The Flirtations, titre qui fait écho au Sounds Like The Flirtations. Elles sont là toutes les trois, Earnestine Pearce, lead vocals, sa frangine Shirley et Viola Billups aux backing vocals. Attention, les trois premiers cuts flirtent avec des tendances diskoïdales, et elles passent aux choses très sérieuses avec «Memories», beaucoup plus r’n’b, et là ça devient passionnant, elles te développent le Memories avec des clameurs idoines. Ça devient fameux avec «You Don’t Live Here Anymore», elles l’ultra-chantent et font du Black Power en féminin. Ça éclate encore au Sénégal avec «(Keep Chasing) Blue Skies», elles renouent avec l’âge d’or des sixties, c’est une véritable merveille inconditionnelle, un must de real deal. Tu crois qu’elles vont se calmer ? Non, car voilà «Take It Back», un wild r’n’b, du pur Motown sous amphètes, elles y vont à l’I need you to prove it, elles t’explosent la rondelle des annales de Motown. Quelle aventure ! Elles montent encore d’un cran avec «No One Does It Like You», c’est admirable de véracité Soul, Earnestine chante comme la reine de Nubie, elle donne à ses accents une couleur écarlate et chaude, elle fait dérailler des syllabes dans le bonheur, l’art d’Earnestine te transporte, il faut l’entendre groover son ouh-ouh ouhhouhh, t’as l’impression de vivre un moment historique. Elle monte encore sur ses grands chevaux pour «Life Is Like A Mountain» - Don’t give in - Elle rue dans le rumble. Les Flirtations sont dans le vrai à un point qui dépasse l’entendement. Earnestine appuie encore ses syllabes dans «Thought I Knew You». Elle donne tout ce qu’elle a dans le ventre.

    Signé : Cazengler, fleurt fané

    Flirtations. Sounds Like The Flirtations. Deram 1969

    Flirtations. Love Makes The World Go Round. RCA Victor 1975

    Pearly Gates. On A Winning Streak. Night Dance Records 2010

    Flirtations. Still Sounds Like The Flirtation. Cargo Records 2024

    Nothing but a heartache. Uncut # 329 - September 2024

    Andy Morten : Walking down a street in London. Shindig! # 133 - November 2022

     

     

    Holiday on Ace

     - Part One

     

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Les gens d’Ace font bien les choses. C’est même, dirons-nous, communément admis. Personne n’oserait dire le contraire. Ce postulat a la peau dure. Il avoisine désormais les cinquante ans d’âge. On parle d’Ace comme on parlait de la Bible au moyen-âge : la voie du salut, et en même temps la mère de tous nos vices. 

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Histoire de re-défrayer une chronique qui n’en peut plus d’être défrayée, les gens d’Ace lâchent dans la nature quatre compiles en forme de bêtes fauves : The Best Of Ace Rockabilly va dévorer les fans de rockab, The Best Of Ace-Sixties Garage Punk va dévorer les derniers fans de gaga-punk, This Is Mod 1960-1968 ne va faire qu’une bouchée des fans de Mod craze, et This Is Street Funk 1968-1974 va engloutir tous crus les fans de funk. Des compiles d’autant plus féroces qu’elles ne sortent qu’en vinyle, ce qui leur donne une crédibilité à toute épreuve. Tu n’approches pas un vinyle de la même façon qu’un CD. 

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Sur This Is Mod 1960-1968, tu retrouves ce vieux chouchou d’Arthur Conley, à la fois en recto de pochette et sur la B, avec «I Can’t Stop (No No No)». Et tu as encore plein d’autres vieux chouchous, c’est comme s’il en pleuvait, enfin, façon de parler, puisque le nombre de cuts se limite à 14, ce qui n’est pas dans les habitudes des gens d’Ace qui auraient une petite tendance à en rajouter. Si tu veux jerker comme un beau diable, alors écoute James Carr et l’impavide «Coming Back To Me Baby». C’est à Clarence Carter que revient l’insigne honneur d’ouvrir le balda, avec le plus évident des ‘dancing-floor fillers’, «Looking For A Fox». Ha ha ha ha, il rit comme un ogre et tu vois ses dents briller dans la nuit. Mais au lieu de t’enfuir, tu jerkes. Le Fox de Clarence pourrait bien être l’apanage du Mod craze. Tu les vois jerker, les Mods et les Modettes, dans la boom de la dansette. Et puis t’as Jimmy Hughes qui s’amène la bouche en cœur avec un version mellow d’«Hi Heel Sneakers». C’est autre chose que celle de Jerry Lee. Jimmy Hughes est magnifique de feeling black et de tact. Et puis au bout de la B, tu tombes sur le «Talkin’ Woman» de Lowell Fulsom, sa fantastique énergie et son ha ha you’re talkin’ too much. En B, t’as deux autres superstars d’Ace complètement inconnues, d’abord Darrow Fletcher, avec «The Pain Gets A Little Deeper», il met tout le feeling du monde dans son r’n’b. C’est incroyable que Darrow soit passé à l’as. On va dire la même chose de Mary Love qui casse bien la baraque avec «Lay The Burden Down». Elle sait rocker le boat, la petite Mary, elle est fabuleuse d’à-propos black.

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Et voici la compile rokab de Keb Darge : The Best Of Ace Rockabilly. Elle se montre digne de ton étagère. Comme Keb compile, il commente ses cuts. Il prend bien soin de rappeler qu’il faut en baver pour trouver certains singles rockab. Il remercie aussi Barney Koumis, Boz Boorer et d’autres spécialistes londoniens. Keb en pince pour le slap, alors il démarre avec le «Blue Jeans & A Boy’s Shirt» de Glen Glen, ça percute la stand-up, ça te boppe le cul. Slap toujours en B avec Hal Harris et «Jitterbop Baby» - The first Ace 45 I bought - Il précise qu’Ace l’a sorti from the Starday masters en 1978. Oh le slap ! Qualité fondamentale de la musicalité ! Bien sûr, les Wild Cats pullulent sur cet album, à commencer par Benny Ingram et «Jello Sal», puis Pat Cupp & The Flying Sauvers et «Do Me No Wrong», ça jive sec, la Cupp est pleine. En fait, le pauvre Keb n’a pas grand chose à raconter sur ses singles. Max Décharné est beaucoup plus intéressant, il sait transmettre sa fièvre. Keb flashe aussi sur le bu bu bu bu baby de Billy Barrix dans «Cool Off Baby» et il a raison, le bougre. Il rappelle aussi que Billy Barrix fut le premier petit cul blanc signé sur Chess. Cinq cuts sur quatorze, c’est déjà pas mal pour une compile rockab. C’est même mieux que rien. 

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Sur sa lancée, Keb Darge propose une autre compile : The Best Of Ace-Sixties Garage Punk. Keb te claque un bon coup de Chocolate Watchband, «Sweet Young Thing», bien dru et archétypal, et qui sent bon la Stonesy. «Their best outing» nous dit Keb. Il ajoute qu’avec l’arrivée de session musicians en studio, les Chocolate allaient perdre leur magie. Au niveau des têtes connues, t’as aussi The Litter avec le Minneapolis pounder «Action Woman». Pour le côté révélatoire des choses, il faut attendre Sandy Edmonds et sa cover du «minor hit» des Pretties, «Come See Me». Il tape dans le cœur du mythe, en plus poppy. Mais t’as pas mal de cuts qui ne marchent pas : Music Machine avec «The People In Me» ou The Knight Riders avec «I». En B, Keb tape dans les trésors de Norman Petty avec Venture 5 et «Good & Bad». T’as tout de suite du son. New Mexico ! Même chose avec The Fog et «Grey Zone». Cette fois, Keb tape dans Gary Paxton, l’autre génie tentaculaire de l’underground américain. En fait, ils sont trois : Norman Petty, Huey P. Meaux et Gary S. Paxton. Même niveau de légendarité que Kim Fowley. Le «Grey Zone» que Keb a choisi t’accroche car extrêmement psyché et même assez mystérieux. Keb l’a trouvé sur la compile d’Alec Palao, Lost Innocence. Et puis t’as The Lyrics avec «They Can’t Hurt Me», qui sonne comme un hit. En bas du verso de pochette, Keb raconte ses mésaventures de collectionneur. Il se dit fier d’avoir collé sur cette compile des trucs inédits. 

    two runner,children of aegean,great gaïa,snaw,rockabilly generation news 31

             Et puis t’as cette petite bombe atomique : This Is Street Funk 1968-1974. Atomique à cause de Billy Garner et «Brand New Girl». Il a le diable au corps, le Billy. Il est encore pire que James Brown. C’est du pur jus de funky Black Power. On va le retrouver Inside The Goldmine. Il n’a enregistré qu’un seul album, l’excellent Super Duper Love. L’autre cake de la bombe atomique, c’est Billy Sha-Rae avec «Do It». Solid Detroit funk d’I need some. Billy est une vraie bête de Gévaudan black. Une poignée de singles et puis plus rien. T’a aussi Millie Jackson avec «Hypocrisy». Millie on le sait est l’une des plus parfaites incarnations du Black Power. Il faut entendre le deep beat de groove derrière elle ! On savoure aussi le délicieux Fatback groove du Fatback Band («Mister Bass Man»), et on retrouve Chet Ivey, salué Inside The Goldmine. Il tape ici un joli shoot de «Bad On Bad». L’autre grosse révélation de la bombe atomique, c’est The Two Things In One avec «Over Dose (Of You)». Solide funk de Soul. The Mello Matics font une belle cover de «Mother Popcorn», et Larry & Tommy une superbe resucée d’«Here Comes The Judge», bien bardée de barda, vraiment juteuse. Et puis t’as Eddy Giles qui fait son Wilson Pickett avec «Soul Feeling Pt1». Il connaît bien son affaire.

    Signé : Cazengler, Ace of EsHPAD

    Keb Darge. The Best Of Ace Rockabilly. Ace 2023

    This Is Mod 1960-1968. Kent 2024   

    This Is Street Funk 1968-1974. Kent 2024

    Keb Darge. Presents The Best Of Ace-Sixties Garage Punk. Ace Records 2024

     

    *

    _ Ah ! Charmante factrice, je vous attendais avec impatience !

    _ C’est gentil Monsieur Damie, mais que faites-vous devant votre portail avec cette winchester dans les mains ?

    _ Je surveille ma boîte à lettres ! Peut-être avez-vous dans votre sacoche, une enveloppe blanche à mon nom. Je ne veux pas prendre le risque que quelqu’un s’en empare, c’est urgent et c’est précieux ! Je suis prêt à abattre comme un chien toute personne qui voudrait s’en emparer !

    _ Oh, Monsieur Damie, vous êtes un grand romantique, je soupçonne que seule une tendre missive écrite par une jeune fille doit être capable de vous mettre en cet état de fébrilité avancée !

    _ Madame la factrice, vous êtes folle à lier si vous pensez qu’un feuillet rédigé par une quelconque femelle énamourée pouvait susciter en moi une telle fièvre ! Non c’est ma revue préférée dont je guette la venue !

    _ Une revue !!! tenez la voici !

    _ Enfin ! à franchement parler je pense que si vous ne me l’aviez pas apportée ce matin, de colère je vous aurais étendue raide d’une balle dans la tête !

    _ Quoi, Monsieur Damie, prêt à perpétrer un féminicide pour une vulgaire revue !

    _ Une revue de rockabilly, cela change la donne, charmante factrice je suis sûr que vous comprenez !

    _ Vous êtes un criminel en puissance, un phallocrate, un macho, un mâle blanc de plus de cinquante ans, un suppôt du patriarcat qui opprime les pauvres femmes comme moi depuis des millénaires, ça ne m’étonne pas, votre winchester, votre perfecto, vous vous prenez pour un cowboy, je parie que votre sale torchon doit être rempli de pauvres gars comme vous, qui exhibent à défaut de leur pénis leur grosse guitare rouge avec un manche aussi long que la tour Eiffel ! Vous vous prenez tous pour les rois du rock’n’roll !

    Evidemment j’aurais dû l’abattre d’une balle de winchester et la laisser agoniser sur le trottoir. Ce serait trop rapide, il faut qu’elle souffre, que tout le reste de sa vie elle ressente la honte d’avoir lancé une accusation mensongère. D’un geste vif je déchire l’enveloppe blanche et arrache le film plastique protecteur avec rage :

    _ Tenez regardez la couverture, lisez le titre et vous saurez comment les rockers vénèrent les êtres féminins : LINDA GAIL LEWIS LA REINE DU ROCK’N’ROLL.

    Elle pousse un cri et tombe évanouie sur son vélo. Je ne lui jette pas un regard, je monte en courant les marches de ma maison, j’ai une revue à lire :

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 31

    OCTOBRE –  NOVEMBRE – DECEMBRE (2024)

    Z24964COUVE31.jpg

             Il a fallu deux numéros spéciaux de Rockabilly Generation à Julien Bollinger pour raconter les premières années et le début de la carrière d’Elvis, l’aurait pu ressortir tout fier du brillant travail effectué, oui mais il possédaitt encore une foule d’anecdotes et d’histoires à nous rapporter… ce numéro 31 débute donc par cinq pages arrachées à la légende dorée d’Elvis Presley. Attention parfois c’est du toc…

             Certes sur la couverture et la page deux Linda Gail Davis vous sourit, mais avant de vous incliner devant la reine du rock’n’roll, va vous falloir traverser l’Enfer. Julien Bollinger vous oblige à regarder en face le Diable en personne. Vous le connaissez sous le nom de Colonel Parker.  C’est un peu ce que dans les Séries l’on appelle une préquelle, la biographie du Colonel jusqu’au moment où il se prépare à faire signer au petit gars de Tupelo le pacte faustien dont jamais il ne pourra se libérer… Un drôle de zèbre ce Colonel, mais un zèbre américain ce qui change tout, comme tout bon américain, il vient d’ailleurs, une fois qu’il aura mis le pied sur le sol amérindien il sera plus américain que tous les américains, l’acquiert l’âme d’un héros, d’un winner, d’un tricheur, parti de rien, il parvient au sommet, comme le lierre parasite qui s’enroule autour du séquoia pour mieux l’étouffer… La route n’est pas facile, il apprend vite. L’a le flair. L’a un seul Dieu : le dollar. Faut le suivre. Vous pensez qu’il tente de vivre. Fait mieux que cela. Il cherche ce qui lui manque. La poule aux œufs d’or. Ne croyez pas qu’Elvis sera la révélation de sa vie. Pas du tout. Pour Parker, Elvis n’est pas un début, juste une fin. Le dernier chiffre au bas de l’addition. Quand il trouve Elvis il a déjà expérimenté sur d’autres les moyens de se rendre maître d’Elvis. Cet article est à lire, il vous apprendra tout ce que vous ne savez pas sur la naissance du rock’n’roll, et surtout bien plus grave ce que vous savez. A la différence près que vous n’aurez jamais l’envergure du Colonel Parker. Même si vous chantez aussi bien qu’Elvis, ce qui a toutes les chances de ne pas être votre cas.

             Vous voulez Linda, oui mais d’abord il faut passer par Johnny. Pour la simple et bonne raison que c’est grâce à Johnny que Linda est à Romilly-sur-Seine et sur scène. Lisez, attardez-vous sur les très belles photos de Johnny, quelle dégaine et quel style, et vous saurez tout sur le Biker Trophy consacré à Hallyday, c’est à cette occasion que Linda Gail Lewis est venue chanter et que Rockabilly Generation l’a interviewée, Brayan et Anaël posent les bonnes questions et Linda se raconte, depuis son enfance. Nous ne retiendrons que l’admiration sans borne qu’elle porte à son frère Jerry Lou… Sergio nous emmène Backstage pour les photos de Linda, d’Annie Marie Lewis, de Danny B. Harvey de Maryse, de Brayan et d’Anaël.

             Fallait être à La Chapelle-en-Serval, belles voitures et beau monde : Barny And The Rhthm All Stars, Darrel Higham And The Enforcers, Matchbox avec Graham Fenton, Ghost Highway… Remarquez le Festival Mont-Dore présenté par Son organisatrice Muriel Hery, avec ses 13 groupes, sa philosophie un tantinet égalitaire, la prestation explosive des Hot Chikens, et chose rare sa gratuité, n’avait pas l’air mauvais non plus. Surtout que les photos grand-format de Sergio vous émerveillent les  mirettes.

             Je termine par une petite curiosité, Christelle, si j’ai bien compris, parce que la couture et moi… à partir de photos de nos idoles, par exemple Gene Vincent et Vince Taylor, elle fait établir une espèce de canevas, mais au lieu d’utiliser de simples fils à broder  elle rajoute des perles de différentes couleurs et obtient ainsi de superbes portraits.

             Y a encore quelques articles dont je n’ai pas parlé, juste pour vous laisser le plaisir de les découvrir.

    Z249652VZNTAILDES COUVES.jpg

             Merci à Sergio Kazh et à son équipe, Rockabilly Generation News, est une revue indispensable à tous les amateurs de rock’n’roll !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,30 de frais de port soit 10,30 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 38 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( Rajouter 1,10 € ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

    *

             On ne s’ennuie pas à Pendleton, petite ville au cœur  de l’Oregon, état situé au-dessus de la Californie, au mois de septembre s’y déroule le célèbre Round-up de Pendleton – ne confondez pas avec le très glyphosatique produit méphitique de Monsanto – c’est juste un des rodéos les plus fameux des Etats-Unis. Vous ne désirez pas vous inscrire à ce concours ouvert à tous, nous n’insisterons pas non plus pour l’adjacente compétition des Bull Riders, ne craignez, nous avons une activité moins téméraire à vous proposer, le Jackalope Jamboree de Pendleton, festival de musique, trois jours, trois scènes, au mois de juin, artistes et groupes de blue grass et de country, qui s’étend sur trois jours au mois de juin.

    z24957jackalope.jpg

             Two Runner était sur scène, nous ne les verrons pas, elles ne sont pas cruelles, elles ont posté une vidéo (GemsOnVHS) enregistrée dans en pleine nature dans les environs. Rappelons que chaque année Gems organise un concours qui regroupe plusieurs centaines de concurrents, que Two Runner a remporté en 2022.

    STRAWBERRY RHINESTONE

    TWO RUNNER

    (YT / Field Recording / Septembre 2024)

    z24959palomino.jpg

    Attention, profitez des toute premières secondes, elles permettent de voir un  des podiums du Jamboree, alors que la voix de Paige indique qu’elles vont refaire une prise, admirez la vision de ce palomino qui galope durant quelques secondes, il n’est pas là par hasard, même si par la suite il n’apparaîtra plus sur l’image, on ne perd pas au change puisque voici Emilie Rose et Paige Anderson debout en plein milieu d’un champ de blé, en arrière-fond s’élèvent des collines dépourvues de végétation…

    Une bluette, une chansonnette, presque rien, un presque rien qui trimballe la tristesse de toute l’existence, de toutes ces verroteries fragiles qu’elle nous tend, ne laissez pas passer votre chance, même si elle ne restera pas, elle s’éclipsera, tel le rêve d’un palomino que l’on ne retiendra pas, les songes sont ainsi ils s’éloignent, et se perdent l’on ne sait où, parfois les fruits que l’on mord nous embaument d’une saveur douce-amère.

    Z24958+++danslechamp.jpg

    La voix de Paige emplit l’immensité, sérénité et tristesse emmêlées, le ver est dans le fruit que l’on goûte, la mort habite les rhizomes de la vie, si tu cueilles le jour, tu cueilles en même temps la nuit qui suivra, et qui l’a déjà précédé… leurs deux voix s’emmêlent, elles fredonnent comme l’on s’étonne devant l’évidence, la guitare de Paige coule paisiblement, dans sa robe rouge Emilie promène son archet sur son violon, rafales de l’Inexorable destinée qui s’avancent à pas lents, pieds nus sur la terre sacrée des désirs vifs et des angoisses tues…

    Ne vous laissez pas submerger, Two Runner vous donne l’exemple, le morceau terminé elles éclatent de rire, le monde retrouve subitement sa beauté extravagante…

    Le courage de vivre, encore et encore…

    Damie Chad.

     

    *

    Je ne pouvais pas ne pas écouter, alors on embarque pour un périple touristique, avec un peu de chance un Dieu grec compatissant nous enverra quelque monstre pour égayer la journée…

    MYTHOLOGICA

    CHILDREN OF AEGEAN

    (Grooveyard Records / 2019)

    z24960ulysseetlessirènes.jpg

             Le format carré du CD ne rend pas justice au tableau de John William Waterhouse (1849 -1917), peintre britannique, très inspiré par la mythologie grecque, son œuvre est à voir sur Wikipedia, il fut proche des préraphaélites et des symbolistes, il n’y a pas que l’impressionnisme qui ait rayonné au dix-neuvième siècle… Ulysse et les Sirènes date de 1891.

    Z24968couvzmythologica.jpg

             Le disque est avant tout l’œuvre de Stavros Papadopoulos, compositeur grec, sur cet opus il joue la quasi-totalité des instruments : guitars, bass, keyboards. Un compositeur prolifique qui a aussi participé en tant que guitariste à plusieurs groupes rock. Vous le retrouvez ainsi avec le guitariste  Panagioti Zabourkis dans le groupe Super Vintage, il s’est principalement chargé de la guitare acoustique sur Enfants de la mer Egée.

             Chacun des dix instrumentaux du CD évoquent tour à tour un épisode de la mythologie grecque.

    Sizyphus : l’on a accusé Sizyphe de beaucoup de maux, il s’est joué des Dieux, pas des moindres : Hadès en s’échappant des Enfers, il aurait eu des vues sur Héra l’épouse de Zeus qui n’a pas apprécié… il fut condamné à pousser éternellement un énorme rocher au sommet d’une colline duquel il retombait systématiquement, étrangement Albert Camus l’athée l’a en quelque sorte déifié en en faisant le symbole de l’Humanité obstinée à combattre l’absurde de toute existence vouée à la mort… comment rendre la complexité d’un tel personnage, fourbe, voleur, arrogant, nietzschéen avant l’heure, avec une guitare et moins de six minutes, top chrono ! :  Un décor phonique de carte postale, flûte de berger et coucher de soleil sur la mer Egée, le temps se gâte, la nuit n’habite-t-elle pas l’âme de Sisyphe, la guitare comme un relent d’obscurité qui ne cesse de revenir, il ne s’amplifie jamais, Stavros ne conte pas les exploits et les sacrilèges du fondateur de Corinthe, il n’évoque sa terrible punition que par cette ombre qui mène résidence dans l’esprit de Sisyphe, la marque noire est présente depuis le premier jour de sa naissance dans la gélatine blanche du cerveau, elle n’a pas besoin de se développer, d’ailleurs le monde serait-il assez grand pour l’accueillir, simplement un signe. Le signe de la démesure. Néfaste. Delos : île minuscule au milieu de l’archipel des Cyclades, Délos fut une île sacrée, c’est elle qui permit à Léto, pourchassée par la vengeance d’Héra car enceinte des œuvres de Zeus, d’accoucher sur son territoire. Notez que si vous ne naissez pas vous ne pouvez pas mourir. Les Grecs n’ont jamais eu de problème avec la mort mais beaucoup avec l’immortalité. Qui parle de Délos évoque les Dieux qui y sont nés : : notes claires, Apollon n’est-il pas le Dieu du Soleil, bientôt rehaussées de riffs de guitares aussi étendus que l’immensité de la mer, le ton devient plus grave, une basse mordante, des électriques incisives, Apollon est aussi un Dieu terrible, un dieu-loup investi d’une puissance redoutable, mieux vaut ne point l’offusquer, quelques coups de toms précisent la menace, il est inutile que le Dieu bande son arc, tout redevient calme, le regard d’Apollon se pose sur les eaux. Que regarde-t-il ? Caryatis : la photo des Cariatides de l’Erecthéion est une des images les plus célèbres d’Athènes, se rappelle-t-on que les statues des Cariatides représentent des prêtresses d’Artémis de Laconie : voici donc Artémis la sœur d’Apollon, à sa manière aussi dangereuse que son frère, peut-être même davantage cruelle, elle est la beauté et la pureté, elle aime le sang, évitez de porter ses yeux sur sa nudité, nos Enfants Egéens lui rendent justice, des riffs d’or pur ensorcelants, mais des froncements de sourcils ébouriffés de colère, c’est en Laconie que réside Sparte l’Intransigeante et le territoire mythique de l’Arcadie originelle. Restez discrets. Morpheus : un Dieu que l’on attendait pour cette nuit, Morphée le Dieu du sommeil qui vous effleure de son ale noire, qui apporte les rêves mais qui surtout peut prendre n’importe quelle forme humaine pour apparaître dans votre sommeil, méfiez-vous de vos rêves ce sont des artefacts divins pour vous réconforter ou mettre à mal votre mental : un court repos, le son comme voilé, même lorsqu’il se déploie il semble venir de loin, un rythme langoureux, qu’êtes-vous en train de faire dans votre sommeil, dites-vous que ce n’est qu’un rêve trop tôt évanoui.

    z24961dosde lapochette.jpg

    Argo : la nef divine qui porta Jason lorsqu’il partit avec les quarante plus grands héros de la Grèce pour la conquête de la Toison d’Or, aurait-il réussi si Orphée n’avait pas été de son côté, cette histoire est racontée dans une épopée dont aujourd’hui il ne reste pas un seul mot et qui servit vraisemblablement de modèle inspiratif  à Homère pour l’Odyssée… : inutile de porter un coquillage à votre oreille pour entendre les vagues et voler parmi l’écume et la mer les oiseaux ivres, Stavros ne nous présente pas les passages les plus palpitants de cette expédition guerrière, il insiste sur la longueur monotone de l’Aventure, les hauts-faits ne sont marqués que par quelques soubresauts. Mais le voyage des Argonautes s’est-il vraiment terminé un jour, à la fin du morceau l’on entend encore le bruit des vagues, preuve que le navire sillonne encore les routes de nos rêves… Symplegades : au milieu du détroit du Bosphore les Symplegades se dressaient deux énormes rochers qui ne cessaient de se rapprocher interdisant le passage des navires écrasés entre les deux énormes masses, certains affirment que Jason s’en remit au vol d’une colombe, d’autres maintiennent que par son chant Orphée immobilisa les deux rocs… : l’instant est palpitant, pas de quoi affoler le Capitaine Stavros, doit compter sur sa guitare comme Orphée sur sa lyre, pour se tirer de ce mauvais pas, à peine presse-t-il le tempo, il aiguise un peu les riffs, il étire les notes, Zabourkis est au contrepoint, veille à ce que la barre ne varie pas d’un degré, ne se hâtent pas avec lenteur comme la tortue de tonton La Fontaine, mais ils passent l’obstacle les doigts dans le nez. Wrath of Achilles : colère d’Achille, tout le sujet de l’Illiade,  nous espérons que Stavros va s’énerver, avant qu’Achille ne fasse du boudin sous sa tente, le fils de Thétis a commis quelques beaux carnages, et son courroux sera impitoyable : un beau début avec cette frappe de cloche qui renvoie à Mountain, oui Stavros a compris qu’il fallait hausser le ton, il monte le son, nous donne un peu l’impression que les remparts de Troie vont s’écrouler sur nous lorsque le riff se déploie, ce n’est pas mal du tout mais en sourdine l’on pense qu’il est capable de faire mieux, n’imitons pas l’impétueux Achille, ne boudons pas notre plaisir. Nymph : dommage que Stavros ne nous ait pas emmené dans le cheval de Troie pour participer à la destruction de Troie, nous sommes privés des meurtres, des viols, des pillages et des incendies : la guitare tresse des guirlandes en l’honneur de ces créatures mythiques et élémentales que sont les nymphes, c’est doux et c’est beau, languissant, un petit côté repos du guerrier, pas dégueu mais l’on aurait préféré quelque chose de plus viril que cet intermède yinique, ils doivent s’y trouver bien, ils font durer le plaisir. Penelope’s loom : célèbre scène de l’Odyssée, Pénélope défaisant la nuit ce qu’elle a tissé le jour… : pas de bruit, beaucoup d’acou, guitare glissante et fuyante, la tristesse d’une reine atterrée d’une si longue attente, une réussite. Pythea : non, pas la prêtresse de Rome qui prophétise la fin de Rome – celle de l’antiquité par là-même – mais celle du temple de Delphes, La Pythie enivrée par les vapeurs qui montent de l’antre du serpent, retour à Apollon : une entrée mélancolique, cet exil humain, cette différence, cette distance qui sépare l’Homme des Dieux, toute cette ignorance qui nous définit, ce manque de connaissance et d’incandescence auxquelles nous accédons par l’entremise des oracles, un peu comme si se dévoilait la trame complète de nos jours, cercles ridffiques qui s’enchaînent en un extraordinaire crescendo qui s’arrête au moment exact où l’on croit que la totalité inaccessible  va nous être dévoilée. Encore plus définitivement que quand Platon nous fait cruellement comprendre que nous n’avons accès qu’à des ombres de la réalité.

             L’ensemble est agréable à écouter toutefois il ressemble un peu à un dépliant touristique sur papier glacé. Stavros ne semble pas impliqué à cent pour cent dans la mythologie de son pays. Nous sert une série de belles images, mais cette mythologie ressemble un peu à une morthologie, il ne l’utilise pas pour décrypter notre époque.  Aucun projet de reviviscence n’est développé.

    Damie Chad.

     

    *

    Avec un nom de cet acabit, de grandes chances pour que ce soit un groupe grec. Pour une fois le flair du rocker n’a pas fonctionné, non cette bestiole provient des States, jamais entendu parler, en plus je ne sais même pas si c’est un groupe. En tout cas un truc un peu frappé de la cafetière, je sens que je vais aimer.

    OPUS DOOM

    GREAT GAIA

    ( YT / BC13 Septembre 2024)

    Z’on (vous comprendrez plus loin la subtilité de l’intentionnelle absence du T) déjà sorti un album en 2018 et deux EPs de cinq et six titres en 2019, voici tombé comme un aérolithe venu d’un ciel lointain sur notre planète barbare ce nouvel full-lenght-album.

    Autant j’apprécie le rose tyrien de la couve autant je ne puis retenir un sourire devant ce sage en prière communiale avec la Sagesse Suprême, l’on se croirait transporté près de soixante années en arrière chez nos cousins lointains les hippies d’Amérique. Par contre ces champignons hallucinogènes  au bas de la souche-trône ne me disent rien qui vaille, un peu trop bourrés de colorants, ressemblent trop à des à des amanites phalloïdes, exactement à des Calices de la Mort d’Agaric bulbeux, j’ai vérifié dans un traité de mycologie.  A consommer avec modération… Pour la couronne de cornes qui surmonte la tête de Craig Carloni (voir paragraphe suivant) il se surnomme lui-même : Magicien du Taureau à moitié cuit.

    Pour la distribution des rôles : Craig Carloni : song composition, vocalist, guitarist, bassist, Keyboardist-Synth, Drummer, Lyricist, Production, Art Director, Ego-freak (individu nombrilique), Jack of all cringe, master of… cringe ( serviteur de toute dérision, maître de l’auto-dérision).

    Cerberus : Guardian of the Underworld - Electric Pogo-stick-Bongos.
    David Attenborough - Spiritual Guru-Merch Guy. (guru spirituel, préposé aux produits dérivés)

    Craig Carloni (basé à Columbus capitale de l’Ohio, état situé sous le Lac Erié) principal artefactor de cet album ne se prend pas au sérieux, le rire cache parfois de profondes blessures. Pensez par exemple à quelques nouvelles grinçantes d’Edgar Allan Poe.

             Pour que vous ne soyez pas surpris, voici le court texte par lequel Great Gaïa se présente : Explorer sans cesse les profondeurs des royaumes cérébral, physique et spirituel à travers une séquence de fréquences et de tonalités

    Z24966OPUSDOOMCOUVE.jpg

    Godless : fusilli hélicoïdal de guitare et tout de suite la darkful prend les commandes, une entrée monumentale qui se décline en répétitives trouées de notes claires, un vocal à double-effet, voix masculine et voix féminine se répondent, l’on se croirait dans un opéra, grandiose, avec parties lyriques et répons choriques, de fait le morceau s’avère d’une richesse folle, toutes les trente secondes l’on change d’atmosphère, les séquences se suivent et ne se ressemblent pas tout en s’inscrivant dans une même unité, une guitare qui grogne, une partition digne d’une écriture classique, un growl caverneux du temps de l’âge de pierre, des tempêtes électriques et des tempos liturgiques, le pire c’est que cela ne provient pas de l’envie enfantine d’épater l’auditeur, genre regardez ce que je sais faire, tout est arqué selon la logique d’un mouvement de pensée métaphysique. Une simple constatation, froide comme la mort, serait-ce la mort nietzschéenne de Dieu comme le titre pousse à le penser, non la disparition d’un être aimé, la confrontation avec le scandale d’une l’irréfutable advenue, comparée à ce décès la mort de Dieu est sans importance, ou alors si Dieu est mort c’est toi l’être cher qui étais Dieu. Que puis-je faire, si ce n’est devenir Dieu moi-même -  j’éliminerai par ma totalité tous mes manques, mais ne suis-je pas mort à ta mort, ne pourrions-nous nous retrouver dans l’amour de notre divinité conjointe. Impératif néoplatonicien. Raisonnements de la survivance. Opus doom : une voix perdue, fluette, blanche mangée par les termites du remord et les mites de l’impuissance, l’a l’air comme la batterie de tintinnabuler contre toutes les portes, voix du dedans, cachée, enrouée comme si elle avait honte, il y a de quoi, il se promettait une survie divine et maintenant l’en viendrait à se suicider pour échapper à l’indicible tourment, la musique devient folle, donne l’impression de se cogner la tête sur les murs phoniques, montées et descentes de voix, vouloir sortir du cauchemar et s’en vouloir de vouloir clore l’obsession stupide de poursuivre cette histoire dont un des personnages a été pour toujours rayé de la carte du monde des vivants. Si l’on écoutait cet opus sur une K7 il semblerait que la bande elle-même s’accélèrerait pour arriver encore plus vite à la fin de ce désastre mental. Dead bog’s love : dans le bourbier, dans la tourbière, n’idéalisons pas le passé, ne l’idyllisons pas, remémoration des dernières scènes, pleine voix, couperet d’une note claire toutes les cinq secondes, tension électrique subite, que puis-je faire dans ma solitude, qui as-tu été au juste, et notre amour quel fut-il , peut-être vaut-il mieux l’enfouir sous une masse sonique, jusqu’à ce que la voix se casse comme ciblée par le cristal du doute. Temple of sleep : (ce morceau est dédié à Sarah Tietjen : 12 / 26 /19 6 – 03 / 01 / 2022  – RIP forever loved) : enfin nous savons le nom de la personne aimée, vocal larmoyant, pleurs pour elle qui est partie si jeune, déjà minée par sa vie précédente, larmes pour lui-même, condamné à un terrible dilemme, l’entend-elle, aperçoit-elle son chagrin, sera-t-il capable de l’aimer tout le restant de sa vie, devra-t-il en crever, peut-être existe-t-il des raisons supérieures à sa mort, mais te voici sous terre, est-ce que je serai capable d’aimer aussi fort quelqu’un d’autre, ô toi si tu revenais et qui me manques tant, ô moi qui ne suis que ton absence… de toute beauté, une élégie musicale de Tibulle, la musique se gonflant ou s’amenuisant à chaque mouvement de l’âme. Winterbloom : bise glacée, notes perdues dans la brume, un chant qu’à première audition l’on croirait vespéral, n’est-ce pas une nouvelle naissance qui gouttège, d’un genre particulier, car s’il est impossible de nous retrouver dans la vie, peut-être pourrions-nous communier dans la mort, ne me suffit-il pas de laisser le froid de mon âme gagner mon corps, pour que je parvienne à ressentir ce que tu ressens, gouttes de rosée congelées pleuvent sur mon corps, ne suis-je pas en train de mourir, de faire l’expérience mentale de la mort, une tentative, une éploration froide de mon corps vers ton corps, si nos âmes ne parviennent pas à se rejoindre ne serions-nous pas capable de nous réunir grâce à nos corps qui se reconnaîtront et se retrouveront dans la mer de glace  du trépas. Hélas, je ne suis pas mort puisque mon chagrin triomphe.

    Z24967PORTRAITDE DOOM.jpg

    Ghost Flowers : miracle, sourire synthétique des claviers, les guitares chantent haut, aurions-nous réussi, sommes-nous réunis, ne formons-nous plus qu’un, nous ne sonnes plus séparés, aurions-nous retrouvé l’androgyne originel, l’unité sacrée de notre présence au monde, musique comme suspendue hors du temps, protectrice comme l‘oeuf de l’éros premier, nous étions glace et nous voici feu, tout cela dans ma tête devant ta tombe qui ne s’encombre plus du manque seul de lourds bouquets,  l’un sur terre, l’autre sous terre, nous venons de connaître un moment d’intensité communielle inespéré, je peux mourir et être-enterré à tes côtés, lève-toi dans la mort et rejoins-moi, nous sommes tous deux devenus des Dieux. Pour nous, c’est le moment de relire Annabel Lee d’Edgar Poe : ‘’  … et ainsi, toute l’heure de nuit je repose à côté de ma chérie – de ma chérie – ma vie et mon épouse dans ce sépulcre…’’. Eternity’s end : bulles phoniques, le moment de faire le point, la voix déroule son raisonnement, tout ce que j’ai vécu n’est-il pas splendeur émerveillante, n’est-il pas éructation tourmenteuse, la batterie bat le rappel du doute, ne sommes-nous pas, toi comme moi, et même nous deux-toi-moi, choses mentales ou êtres physiques  périssables, nés pour disparaître, même si un jour la réincarnation nous donnerait une nouvelle fois naissance, ne serions-nous pas encore voués à la mort, et si nous sommes les Dieux que nous avions désirés devenir, notre perfection aura-t-elle encore besoin du manque de l’autre. Sérénité. Guérison. Leshi : pourquoi y a-t-il des arbres alignés comme les vivants piliers de la nature dans le sonnet Les Correspondances de Baudelaire, ‘’qui laissent parfois sortir de confuses paroles’’… parce que Leshi est une divinité issue des mythologies slaves, dieu tutélaire des forêts, nous pourrions le comparer à nos faunes grecs et latins qui hantaient nos bois, ce dernier morceau est semi-instrumental en le sens où l’on entend comme des chuchotements, des voix inaudibles, des cris incompréhensibles, d’inquiétants grognements parsemés de sifflements d’oiseaux, peu à peu écrasés sous les massives frondaisons d’une musique englobante et souveraine. Il serait facile de décréter que notre amant est devenu un Dieu sylvestre s’ébattant parmi les broussailles sous des cimes centenaires… Il est certainement plus juste de l’entendre comme une interprétation panthéiste et spinozienne du cycle de la vie, voire une reprise des enseignements ésotériques d’Eleusis, nous mourons comme la graine pour engendrer ou revenir sous une autre forme.

             Cet Opus Doom est splendide, d’une épaisseur et d’une densité rarement égalée. Un véritable chant d’expérience. Merci à Craig pour cet opera-doom.

    Damie Chad.

     

    *

             Je n’aime pas que l’on maltraite les animaux, mais là mon éthique ne m’interdit pas d’exhiber ce cheval étique.

    A LIGHT SCALPING

    SNAW

    (YT – BCAoût 2024)

    z24969couvesnav.jpg

    Sont de Perth. Ce n’est pas un petit patelin. La cité atteint les deux millions d’habitants. Capitale de Région Occidentale de  l’Australie. Détail intéressant elle s’est élevée au bord d’une rivière qui se nomme Swan. Entre Swan et Snaw, il existe quelques phoniques accointances… La Swan River a-t-elle été nommée ainsi parce que des colonies de cygnes se plaisaient sur ses flots bleus, je ne sais pas, par contre je peux vous affirmer que le palmipède snawéen qui nous intéresse doit être un cygne noir. Particulièrement noir. Si l’on s’en rapporte à la photo sur Bandcamp censée représenter les artistes, la bestiole adore nager en eau trouble.

    z24962eauxtroubles.jpg

    Laissons les cygnes se pavaner majestueusement sur les eaux planes de la Swan pour examiner le cheval  qui orne la couve de du premier album du groupe. L’œuvre est de Marc Potts, je vous conseille de vous attarder longuement sur son Instagram. Une imagerie médiévale très personnelle, fascinante. Peut-être le nom de Rossinante, la pauvre  haridelle de Don Quichotte vous est-il venu à l’esprit, où alors certaines gravures de chevaliers d’Albretch Dürer. Actuellement Marc Potts vit en Espagne, anglais de naissance, il n’a pas oublié la culture de son pays, en quelques mots il nous apprend que son tableau représenterait, le Dieu sous la colline, autrement dit l’Old Crocken l’esprit du Dartmoor qui veille prêt à s’opposer à tout individu qui tenterait de coloniser ce paysage de landes sauvages… En outre un peu d’étymologie nous apprend qu’en vieil anglais ‘’snaw’’ signifie ‘’neige des collines’’. Si malgré le recoupement de ces indices vous ne croyez pas à l’existence de Crocken, vous avez tort. Tor Crocken est un amas de rochers célèbres au milieu du Parc National du Devon, si vous l’examinez attentivement avec un maximum de chance vous parviendrez à percevoir dans l’amoncellement  rocheux le visage de l’Old Crocken qui surveille les alentours… Si l’Old Crocken ne se montre pas, comptez les pattes du cheval, huit comme Sleipnir, la monture d’Odin. La lance que l’Old Crocken tient à la main le classe parmi les guerriers. Snaw veut-il nous signifier que sa musique est un combat.

    Z24963TOR CROCKEN.jpg

    Jon Vayla : guitar, synth, bass / Robin Stone : drums

    Trapped behind seam of the world :si le titre de ce morceau vous paraît mystérieux les lyrics ne vous apporteront aucune aide,  l’opus est composé de six pièces instrumentales , quelles sont donc ces coutures du monde piégeuses, le plus simple me paraît en un premier temps de se fier à la peinture de Marc Potts, d’imaginer l’Old Crocken prisonnier de sombres et interminables couloirs souterrains, image de la relégation des anciens Dieux délaissés par les hommes, nous pouvons même proposer une explication platement naïve de la monture efflanquée qui n’a plus eu depuis quelques centaines d’années l’occasion de brouter l’herbe tendre et savoureuse des collines, de même ce Dieu dépourvu de jambes ne signifie-t-il pas son impuissance à agir sur le monde, entendons le long clopinement battérial de ce cheval harassé, et ces incessantes noirceurs de tristesses propagées par  ces bouffées synthétiques ne sont-elles pas les délétères pensées qui roulent dans la tête de la Divinité mise au rancart par l’Humanité, un mort au rebut qui n’en finit pas de tourner en rond dans sa tombe cyclopéenne. Tout nous oblige à croire à un monde crépusculaire, une espèce de parade dérélictoire pour une pavane infantine révolue… Mais si tout cela n’était qu’un leurre, une métaphore de quelque chose à venir… Bodies of ashes : c’est la suite encore plus ténébreuse la claudication des sabots du harin se font plus lourdes, des vagues poudreuses de sonorités morbides soufflent sur vous, l’Old Crocken est-il en train de passer sous un cimetière, la cendre des morts est-elle mêlée à l’argile, modelée dans la glaise informe… silence, le son devient poignant, ces cendres sont-elles la prémonition de son destin, lui qui arpente depuis si longtemps les couloirs labyrinthiques du dessous de la terre finira-t-il lui aussi en poussière, le kaolin suprême des Dieux emmêlé à la terre rongeuse et élémentale, l’union inêtrale des humains et des Dieux enfin accomplie, klaxons de trompettes, comme quand devant les monuments aux morts les drapeaux des mémoires vacillantes s’inclinent… Toute métamorphose se termine-t-elle en l’ultime forme impalpable du rien… Billboards :  comme si l’on traînait d’énormes charges avec des flambées funèbres de consolation, l’on ressent comme un affaiblissement généralisé subitement démenti par un surgissement phonique, la batterie se taille la part du lion, elle ne rugit pas elle se contente de secouer sa crinière, la synthétisation orchestrale essaie de l’étouffer, elle y parvient mais s’amenuise jusqu’au silence, total, reprise d’une plainte, l’on n’entend plus le pas du cheval, voici des grelots de sanglots pour marquer sa disparition, serait-on au moment de l’extinction des feux, dans le lointain le pas saccadé de la monture d’Old Crocken revient, non pas à la charge, mais indubitablement obstiné, l’Old Crocken proclamatif ira jusqu’au bout, d’on ne sait trop quoi mais jusqu’au bout…The crossing : il existe une vidéo-film de Paul Rankin de ce morceau : que voit-on ? Pas grand-chose. Ne riez pas, où vous croyez-vous, vous pensez que je fais de l’humour, vous ne comprenez rien au film, je ne parle pas des premières images de Rankin, mais du mystère, suis-je obligé de spécifier que ce qui est mystérieux n’est jamais clair, l’opus dans sa démarche musicale avance dans le noir, nous sommes dans le souterrain, des pincées de lumières ne montrent rien, elles nous permettent de deviner des formes, sont-elles réelles ou des produits de notre imagination, le corridor archétypal agit-il comme le révélateur photographique de notre propre imaginaire,  ce qui est sûr c’est la silhouette incertaine de cette fille, qui est-elle, que fait-elle, elle marche, elle danse, est-ce sa façon à elle de vaincre le minotaure dont la musique engendre les barrissements, la lumière est devant, déboucherons-nous à la lumière, aurons-nous le temps, le monstre se rapproche, c’est un vieil homme, maintenant son tronc marche à côté de ses jambes, c’est bien l’Old Crocken, la légende, d’après certains, n’affirme-t-elle pas qu’il est capable de prendre la forme de n’importe quel individu, de n’importe quel animal, de n’importe quelle chose, tout à l’heure lorsqu’elle a improvisé une espèce de ballet, qu’elle a étendu les bras, qu’elle a pris et endossé d’étranges postures, qu’elle s’est enroulée sur elle-même, couchée à terre et qu’un semblant de seconde elle est apparue inerte, comme un bloc de rochers, simulait-elle le Tor Crocken, n’était-elle pas l’Old Crocken lui-même en représentation de lui-même, si vous voulez suivre, dirigez votre oreille vers la résonnance des pas, bruits magnétiques comme de grosses noix écrasées sous les pieds d’un destrier farouche, cela vous empêchera peut-être de ne pas céder à la tempête phonique finale, vous garderez ainsi votre équilibre mental. Vous en aurez besoin. A light scalping : tapotements fatidiques, ondes de musique par-dessus, gémissements électroniques, non pas des avertissements de recul comme sur les engins de chantier pour vous avertir qu’ils vont reculer, non, au contraire pour vous confirmer que vous avancez, que sûrement il serait préférable que vous reculiez, tant pis vous désirez savoir, si vous désirez rencontrer l’ Old Crocken, que redoutez-vous, un léger scalpage, vous êtes prêt à risquer votre tête, à moins qu’il ne s’agit que cette minuscule fenêtre de temps durant laquelle votre imparfaite humanité encontrera, voire entrera en contact avec l’immarcescible profusion du divin. Est-ce pour cela que la musique est si mélodramatique…. Bleak city :  la fin de l’histoire, la solution finale, la dissolution finale, les grandes orgues, les trompettes cérémoniales, les timbales au fond de l’orchestre semblent voilées, elles ne résonnent pas, elles grincent, ça grogne et ça se traîne comme si chacun de vos pas rayait le parquet ciré de vos ambitions, des tentures de musique se déchirent, l’orage gronde, il surgit dans votre intérieur pour s’enfuir par la fenêtre, il imite le bruit d’un moteur d’un avion, un vieux coucou qui se débat dans les forces sifflantes du vent, chute, trompes de deuil, annonce-t-elles votre enterrement, musique finale de western, tout le monde regroupé autour de la tombe, la musique a tout donné. La musique a tout repris. Vous êtes arrivé à destination dans la fosse des serpents sonores. Bienvenue dans la cité du bruit.

    Damie Chad

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 658 : KR'TNT ! 658 : SISTER ROSETTA THARPE / JOANIE SOMMERS / DEE C LEE / GRACE CUMMINGS / BRITTANY HOWARD / ARKONA / JESSE DANIEL / EDDY MITCHELL / DEAD LEVEL / BOLESKINE HOUSE

    KR’TNT ! 

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 658

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    26 / 09 / 2024

     

    SISTER ROSETTA THARPE / JOANIE SOMMERS

    DEE C LEE / GRACE CUMMINGS

    BRITTANY HOWARD / ARKONA

    JESSE DANIEL /  EDDY MITCHELL

      DEAD LEVEL  / BOLESKINE HOUSE

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 658

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Les tartes de Sister Tharpe

    , sister rosetta tharpe, joanie sommers, dee c lee, grace cummings, brittany howards, arkona, jesse daniel, eddy mitchell, dead level, boleskine house

             Avec Devil’s Fire, le pauvre Charles Burnett ne risque pas d’entrer dans les annales du cinéma. Dans ce film raté, il raconte son histoire, celle d’un petit black californien qui découvrit le blues lorsqu’il allait passer ses vacances scolaires chez l’oncle Buddy installé dans le Mississippi.

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             L’oncle collectionnait les 78 tours et écoutait un blues chaque matin au réveil. L’idée de départ est bonne, mais ça ne décolle pas, tout simplement parce que cette burne de Burnett plombe le scénario avec des clichés, le pire de tous étant celui du fameux carrefour où Robert Johnson vendit son âme au diable.

             Pour corser l’affaire, Burnett farcit son film d’images documentaires, comme on farcit une dinde. Il bourre son film par le croupion. On frise vite l’overdose, les figures de légende se succèdent à un rythme infernal : Son House qui claque son dobro, Ma Rainey, Ida Cox, Dinah Washington, Sonny Boy Williamson - le vrai - Mississippi John Hurt et sa bouille de vieux singe, Muddy Waters comme toujours écœurant de classe, T-Bone Walker le précurseur et... Sister Rosetta Tharpe qui nous fait un numéro de picking à faire blêmir Roger McGuinn.

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             Voir Sister Rosetta Tharpe, c’est prendre une grosse tarte en pleine poire. Dans son film intitulé Red White And Blues Mike Figgis nous colle lui aussi une minute trente chrono de Sister Rosetta Tharpe, pas plus, alors qu’elle mériterait un film entier à elle toute seule. Figgis et Burnett sont tous les deux des ânes. On voit Rosetta jouer un blues-rock torride dans la rue, en robe blanche, avec sa SG blanche, devant une chorale de gospel black. Il faut voir comme elle dépote. On la voit jouer de méchants riffs sur sa Gibson. Ces quelques images suffisent à nous faire comprendre qu’elle est la reine du blues, du rock’n’roll et qu’elle navigue au même niveau que Jerry Lee, Little Richard ou Wolf.

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             Jerry Lee chanta « Strange Things Happening Everyday » lorsqu’il passa sa première audition devant Sam Phillips. Il voulut ensuite enregistrer ce vieux tube de Rosetta datant de 1945. Il l’avait vue chanter et jouer sur scène et il sortait comme elle des églises pentecotistes - Assemblies of God of Ferriday - où l’on chante à en perdre la tête les louanges de Dieu et les grandes boules de feu divin. Jerry Lee confia aussi à Peter Guralnick qu’il avait vu « une négresse démente qui jouait de la guitare et qui chantait - She was shakin’ man ! » Cette histoire va très loin, puisque Sleepy LaBeef, lui aussi adorateur de Rosetta, déclarait, en parlant de Jerry Lee : « Écoute son jeu au piano. Il joue de la main droite comme Rosetta Tharpe ! »

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             Autre natif de l’Arkansas, Johnny Cash vénérait lui aussi Rosetta. Il avait grandi à Dyess, pas très loin de Cotton Plant, le patelin d’où venait Rosetta. Pur hasard, un copain à l’armée possédait un disque de Sister Rosetta Tharpe. Le Cash était tombé dingue de « Strange Things Happening Everyday ». Il l’écoutait en boucle. Beaucoup plus tard, Rosanne Cash déclara que Rosetta avait été l’artiste favorite de son défunt père. Carl Perkins tenait lui aussi le même genre de propos. « Strange Things Happening Everyday » avait été le morceau préféré de son daddy. Gosse, il allait le dimanche chez son grandaddy apprendre à jouer ce morceau sur sa petite guitare : « C’était du rockabilly, mon gars, du vrai rockabilly ! »

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             Quand Rosetta débarqua à Macon en 1945 pour donner un spectacle de gospel au City Auditorium, elle fit monter le jeune Richard Penniman sur scène pour chanter en duo avec elle. Little Richard ne s’en remit jamais. C’était, disait-il, la meilleure chose qui lui fût arrivée dans la vie, et en prime, Rosetta lui fila environ quarante dollars, ce qui était à l’époque une véritable fortune. Il n’avait encore jamais vu autant d’argent dans sa vie.

             Toujours dans le film de Figgis, George Melly nous raconte qu’officiellement, Rosetta chantait les louanges de Dieu, mais qu’en coulisse, elle aimait bien la gaudriole et se piquer la ruche (« brandy and glory »). Mais ça, on s’en fout comme de l’an quarante. Rosetta a tellement de classe qu’on se demande par quel bout la prendre.

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             La pauvre Gayle Wald a dû se poser exactement la même question, en attaquant la rédaction de l’ouvrage qu’elle voulait consacrer à Rosetta. Elle s’en sort honorablement, puisque son Shout Sister Shout se lit d’un trait. Rosetta est une héroïne du même calibre que Wolf : deux histoires parallèles par leur côté fascinant, deux talents prodigieux et deux physionomies étrangement comparables. Il suffit d’observer les photos et surtout la façon qu’ils ont l’une et l’autre de rigoler : la parfaite exubérance des géants.

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             Dès l’intro, Gayle Wald met le paquet sur la virtuosité de Rosetta, sur son charisme scénique et sur son talent fou de chanteuse de blues. Personne en Amérique ne pouvait aligner autant de qualités. Comme T-Bone Walker, elle avait inventé une nouvelle façon de jouer de la guitare électrique. Elle ne regardait JAMAIS son manche. Elle avait joué partout : au Cotton Club, à l’Apollo d’Harlem, au Carnegie Hall, au Grand Ole Opry, dans tous les stades et dans toutes les églises du pays. Personne ne jouait en picking comme elle à son époque, et par bien des aspects, elle préfigurait Elvis, Red Foley, Etta James, Bonnie Raitt, Isaac Hayes, Ruth Brown et ceux déjà cités. On considère « Strange Things Happening Everyday » comme le premier rock’n’roll (désolé pour Ike Turner, mais son « Rocket 88 » n’arrive que six ans plus tard). Bien avant Dickie Peterson et Lemmy, Rosetta foutait son ampli à fond. D’une part, elle voulait être sûre qu’on entende bien toutes les notes qu’elle jouait, mais c’était aussi l’une de ses croyances pentecotistes disant que « Dieu préférait ceux qui faisaient un barouf joyeux ».

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             Elle n’hésitait pas à se balader en pantalon et il lui arrivait de jurer comme un cocher. Rosetta était beaucoup trop en avance sur son temps. Grand amateur de légendes - et lui-même légendaire - Jim Dickinson ramène son grain de sel à la fin de la brillante préface du livre de Gayle Wald : « Une chanteuse de gospel en robe à paillettes qui jouait sur une guitare électrique, ce n’était pas très courant en 1955. Inutile d’ajouter que cinquante ans après, c’est toujours aussi peu courant. »

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

    ( Rosetta, Duke Ellington, Rex tewart,cab Calloway, un frenchy non-identifié, Livie Anderson)

             Premier coup de génie de Rosetta : elle amène le gospel dans les music-halls et les nightclubs new-yorkais. Vous ne connaissez pas le Deep South, les gars ? Alors voilà comment ça se danse. Elle passe de Cotton Plant au Cotton Club et se taille une réputation de « religious shouter » et même d’« Holly Roller entertainer » qui balance des « loud blue tones ». Quand le Cotton Club ferme en 1940, elle part en tournée avec Cab Calloway. À l’époque, Cab est la plus grande star d’Amérique, ne l’oublions pas. Il y a même une photo qui montre une jam mythique de 1939 : alors que Rosetta se tord sur sa guitare, Duke Ellington et Cab Calloway pianotent et la dévorent des yeux.

             Rosetta tourne dans tout le pays et revient régulièrement dans le Deep South affronter les dangers réels de la ségrégation. Dans l’autocar, elle briefe ses musiciens - Gardez toujours le sourire et fermez vos gueules ! - Des nègres bien habillés sont toujours en danger de mort dans des états violents comme l’Alabama et le Mississippi.

             Gayle Wald raconte qu’un jour, alors que Rosetta achetait des trucs très chers dans un magasin de fringues, les Thénardiers derrière le comptoir chuchotaient entre eux - D’où elle sort tout ce blé, la négresse ? - Ils la soupçonnaient d’avoir volé cet argent. Ils appelèrent les flics en douce. Une négresse avec autant de blé, ce n’est pas Dieu possible ! Les flics arrivèrent au triple galop, ravis de pouvoir coffrer une voleuse nègre. Au ballon, Rosetta se mit à chanter. Elle fit fondre le cœur de ses tortionnaires. Tant de beauté finit par les éblouir et les grilles s’ouvrirent comme par enchantement. Cette histoire entra dans la légende de Rosetta. On n’enferme pas un ange. Même s’il est gros et noir.

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             En Angleterre, Chris Barber était dingue d’elle. Mais dingue à s’en cogner la tête dans ses portes de placards. Il réussit à la faire venir en Angleterre pour une tournée, le fameux American Folk-Blues And Gospel Caravan de 1964. Les blanc-becs de la presse vinrent voir cette négresse qui parlait fort et qui chantait ses spirituals « with a rock’n’roll beat ». En Europe, elle fracassa tout, comme l’avait fait LeadBelly juste avant elle (LeadBelly était devenu célèbre en Europe grâce à « Rock Island Line », l’un de ses classiques repris par l’ex-joueur de banjo de l’orchestre de Chris Barber, Lonnie Donegan). Dans les bonus d’un DVD intitulé « The American Folk Blues Festival. The British Tours 1963-1966 », on voit Rosetta arriver en calèche à la gare de Manchester, attraper sa SG blanche et jouer deux morceaux sur le quai, « Didn’t It Rain » et « Trouble In Mind ». On croit rêver. Elle porte un gros manteau blanc et joue au milieu des flaques d’eau. Elle prend ses solos en picking à l’onglet et dégage autant d’énergie que Wolf. Fantastique !

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             Mais le destin sera particulièrement cruel avec Rosetta, comme il le fut avec Big Mama Thornton qui aurait dû ramasser les millions qu’a ramassé Elvis avec « Hound Dog ». Willie Dixon va transformer « This Train » - un vieux hit de Rosetta - en « My Babe », juste en changeant les paroles. Ce sera un hit pour Little Walter sur Chess. 

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             Le rock’n’roll doit absolument tout à Rosetta et pourtant, elle va rester dans l’ombre. Ce sont essentiellement les petits culs blancs de Memphis et des alentours qui vont tirer les marrons du feu et faire fortune grâce au rock’n’roll. Seuls les admirateurs de Rosetta savent qu’elle a tout inventé. La rock attitude, c’est elle.

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             Ginger Baker se souvient très bien d’elle. En 1958, il jouait de la batterie dans le Diz Disley Band qui allait accompagner Rosetta pour une tournée en Scandinavie. Lors d’une répétition, Rosetta demanda à Ginger quelle teinture il utilisait pour avoir des cheveux aussi rouges. Ginger lui répondit que c’était sa couleur naturelle. Comment crois-tu que Rosetta a réagi ? Comme toi, quand tu demandes à une blonde si elle est vraiment blonde. Vazy, montre un peu, pour voir. Par contre, Ginger ne dit pas s’il a baissé son pantalon, comme le lui demandait Rosetta qui voulait vérifier.

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             Le meilleur moyen d’entrer dans l’univers magique de Rosetta, c’est encore d’écouter une compile. The Gospel Of The Blues est facile à trouver. « My Man And I » date de 1938 et tu vas entendre cette brute de Rosetta attaquer à la gratte. En 1939, elle enregistre son hit le plus connu, « This Train » dans lequel elle claque un killer solo stupéfiant. Même aujourd’hui, peu de gens jouent aussi bien qu’elle. Rosetta et Ray Campi sont les deux héros oubliés de l’histoire du rock américain. Elle joue tout en picking. Hallucinant. Avec « Trouble In Mind », elle chante comme une reine du blues et nous transperce de cœur. Elle rejoint Wolf au firmament. « Rock Me » est aussi du pur jus, même si un jazz-band l’accompagne. Elle va chercher Dieu dans les nuages. Elle braille, et derrière, ça swingue. Encore une fois, elle frise le pur génie, même si pour elle ça semble complètement ordinaire. Elle revient en reine du blues avec « Nobody’s Fault But Mine » et une intro démente. On est en 1941, soit vingt ans avant John Mayall. C’est à tomber. La voix de Rosetta contient toute la beauté du blues. Elle corse l’affaire avec un solo punk qu’elle claque sur sa gratte, et de vrais gimme-gimme-gimmicks des enfers. « I Want A Tall Skinny Papa » est big-bandé à fond. Rafales de cuivres et chœurs de mecs, tout est là. Une petite leçon de swing, ça ne fait jamais de mal. Histoire de rappeler que les noirs ont vraiment tout inventé et que le jour où un blanc sonnera comme ça, eh bien, les poules auront des dents.

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             Ce swing te réchauffe la cervelle. Malcolm X aurait adoré danser avec Rosetta sur la scène du Cotton Club. Ils auraient ri comme des enfants devant un public mondain. Elle embarque « God Don’t Like It » à la guitare et elle continue de dérouler ce gimmickage insistant qui fait d’elle la reine du rodéo. Avec « What’s The Soul Of A Man », elle tape dans le blues des cabanes de l’Arkansas, et ça l’amuse de dynamiter le carcan des douze mesures. La voix de Rosetta n’en finit plus de briller au ciel du blues et du rock. Rosetta est réellement la star de nos rêves, drôle, douée et elle shake, comme le dit si bien Jerry Lee. Un jour à Copenhague, une gamine lui tendit un bouquet de fleurs alors qu’elle allait descendre du train. Rosetta n’avait pas vu la marche. Elle disparut. Elle était tombée dans la fosse de voie. On vit réapparaître sa tête quelques secondes plus tard. Elle souriait. « Keep smiling and keep your big mouth shut ! »

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             De ce côté-ci du joint, Rosetta est la meilleure Queen de juke. Inutile d’aller perdre son temps avec les petites chanteuses de blues actuelles. C’est Sister Tharpe qu’il te faut. Et puis on tombe sur le loup blanc, « Strange Things Happening Everyday », le rock des origines. Tout est déjà là, bien avant les premiers standards du rock’n’roll : le swing, le solo, l’énergie. Le solo est même fatal, et elle embarque les chœurs à la force de la voix. Coup de génie enfin avec son duo sur « Didn’t It Rain » avec Marie Knight, mélange de gospel et de guitare punk. Elles font les chœurs et derrière Rosetta gratte comme une folle.

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             L’album Spirituals In Rhythm date de 1960. Le disquaire d’occase qui l’avait dans son bac de blues me disait que personne n’en voulait. Tant mieux. Ce n’est pas le disque du siècle, c’est vrai, mais il y a sur cet album une bonne demi-douzaine de choses qui valent grandement le détour. Elle rocke le gospel avec « He’s The Lily Of The Valley » comme d’autres rockent le craddle. Ça va même plus loin : elle explose le gospel de God. Elle gratte ses cordes et tire la langue, lilly-lilililly of the valley ! Puis elle wouaffe comme un petit roquet. Dingue. Sur « I Do Don’t You », chef-d’œuvre absolu du gospel-blues, on a des chœurs qui rappellent les grandes heures des Edwin Hawkins Singers. On est même frappé par l’éclatante grandeur de ces chœurs démentoïdes, par la fantastique énergie des filles qui vibrillonnent les harmonies vocales à l’extrême. Elles organisent d’extraordinaires relances et tout cela s’articule sur une mélodie imparable. Rosetta fait monter son talking à la mode de l’Arkansas, elle le prend par en-dessous - Oh yeahhh I do/ Talk to you ! - Effarant de beauté. Encore un gospel-blues nappé d’orgue avec « God Lead Us Along ». Rosetta y va à l’énergie. On commence à mesurer l’immense grandeur de cette femme tournée vers la lumière du gospel. Parvenue au sommet de sa hurlette, elle arrache encore. Elle dépasse toutes les limites et elle subjugue. Elle est tout simplement renversante d’élan vital. « The Family Prayer » est swingué jusqu’à la moelle des os. Rosetta peut aussi chanter comme Esther Phillips. Dans « I Saw The Light », elle swingue la chair grasse des chœurs d’enfer. Les Tharpettes sont déchaînées. On assiste à une extraordinaire débauche de chœurs dynamiques.  Tout explose, elle tape dans le tas, ça jute de partout, c’est une shooteuse fatale. Rien ne peut l’arrêter. On ne retrouvera cette énergie que chez d’autres géantes comme Aretha, Sarah Vaughan ou l’immense Ella Fitzgerald, mais sans la gratte.

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             Quelques merveilles se nichent sur l’album Gospel Train, comme « Jonah », qu’elle écoule avec un phrasé d’une sidérante limpidité et elle passe un solo en picking. « Jesus Is Here Today », c’est tout simplement le rumble de Rosetta - Pray ! Pray ! - ça swingue, c’est dingue, et elle nous refait le coup du solo en picking. Fantastique duo avec Marie Knight pour « Up Above My Head ». Elles swinguent autant, sinon plus, qu’un big band des années trente. Avec « Didn’t It Rain », on retrouve le picking et Marie : le rêve. On a là le nec plus ultra du swing. Rosetta embarque ça avec des cliquetis de virtuose. Et elle joue ! Il faut voir comme elle joue !

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             L’idéal est aussi de l’entendre sur le Live in Paris, en 1964. On retrouve tout ce qui fait sa grandeur dans cette série de morceaux. Elle est accompagnée sur l’A par Ransom Knowling à la stand-up, et Willie Smith, le drummer de Muddy. C’est le plus grand power trio de tous les temps, pas de doute. Le swing, rien que le swing. Sans swing, la musique ne va pas loin. Sur « Jesus Is Everywhere », ils font un véritable festival. Ransom slappe comme une bête de Gévaudan. Rosetta fait swinguer le gros cul du gospel avec « Go Ahead » et place une fois de plus un solo de guitare punky. Fantastique version de « This Train » qu’elle joue en continu à la guitare. Ransom éclate de rire - Ha-ha-ha - comme un gros jazzman nègre de Chicago émoustillé par le talent du collègue. Un big band accompagne Rosetta sur la B, mais on entend toujours le son de la SG blanche. Elle joue en permanence et jusqu’à la fin du disque, elle n’en finira plus de subjuguer nos oreilles. « That’s All » est un pur classique de rock’n’roll, une vraie perle de juke à l’ancienne. Elle embarque tout à la voix et elle place l’un de ces killer solos flash dont elle a le secret. Version toute aussi hallucinante d’« How It Rains ». On sort de ce disque à quatre pattes et la queue entre les jambes.

             Comme les grands prêcheurs du Deep South, Rosetta savait enflammer un public. Elle pouvait se pointer sur scène avec des fourrures, des bijoux et une perruque, mais elle n’oubliait jamais de se mettre au niveau des gens qui venaient assister à son spectacle. Chez Rosetta, il n’y avait pas les chichis du star-system. Elle veillait scrupuleusement à rester la petite négresse élevée à Cotton Plant par Katie Bell. 

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             Bill Doggett : « Au Savoy, Rosetta était accompagnée par l’orchestre de Lucky Millinder. Quand elle arrivait sur scène, les gens devenaient carrément dingues. Tout le monde adorait Sister. Elle savait comment parler aux gens. Elle avait un charisme incroyable. » Dizzy Gillespie fit partie en 1941 de l’orchestre de Lucky Millinder. Il était lui aussi fasciné par Rosetta.

             Rosetta croisait les stars de son époque et ça ne lui tournait pas la tête.

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             Pendant toute une période, elle partagea la scène avec Marie Knight. Elles avaient mis au point un numéro spectaculaire pour « Saints & Sinners » : Marie la pécheresse arrivait déguisée en petite paysanne avec un ukulélé, et Rosetta la sainte déboulait en robe et en grattant sa grosse gratte. Le public explosait de rire, tapait des pieds, ovationnait les deux farceuses. Alors Rosetta en rajoutait une couche et le public devenait incontrôlable. C’est ainsi que Gayle Wald décrit un concert ordinaire de Rosetta - A typical performance, circa 1949 - L’album Sister Rosetta Tharpe & Marie Knight donne une petite idée de ce que pouvait être ce numéro. Dans « Milky White Way », on les entend grimper dans des hauteurs immaculées. Sur « Who Rolled The Stone Away », Marie chante seule et sort un gospel swing d’enfer. Sur ce disque, tout est infernal, on entend Rosetta placer des killer solos ici et là, comme si pour elle, il n’y avait rien de plus naturel.

             Au soir de sa vie, Rosetta eut pitié des pauvres petits blancs qui ne comprenaient pas grand-chose à la musique noire et elle fit un peu de pédagogie. Elle expliqua que le blues, c’était le nom théâtral du gospel et que le vrai gospel devait rester très lent, comme « Amazing Grace ».

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             — Si vous commencez à claquer des mains, ça donne le gospel revival et si vous rendez ça encore un peu plus joyeux, ça donne le jazz... Puis ça devient éventuellement le rock’n’roll.

             Non seulement Rosetta fut une star du gospel et une guitariste spectaculaire, mais elle fut aussi et surtout une flamboyante rockeuse noire. Elle fit des étincelles, bien avant l’apparition du rock’n’roll de grand-papa.

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             On profite d’une petite actu pour sortir Sister Tharpe du bocal. Vient en effet de paraître Live In France - The 1966 Concert In Limoges. Par ici, on appelle ça de l’inespérette d’espolette. Ailleurs, on parlerait plus prosaïquement de dynamite. Dans le booklet, t’as des images de Rosetta avec sa SG blanche. Et tu l’entends parler en français aux gens de Limoges - Et maintenant je vais cheteeeeh This Train - Et boom, «This Train», elle part en picking du diable. Elle reste en picking pour «Didn’t It Rain» et dans la salle, ça claque des mains. Rosetta est complètement possédée. C’est le diable qui gratte ses poux. Elle fait encore sa guitar herotte dans «Moonshine». Dommage que les gens applaudissent à tout rompre. Les applaudissements sont même gonflés et ça finit par te gonfler. Elle jive le jazz de «Sit Down» à la Méricourt et balance un fabuleux shoot de gospel rock avec «When The Saints Go Marching On». Elle reprend encore toute la mighty Americana à son compte avec «Joshua Fought The Battle Of Jericho». Elle fait du classic stuff de Sister avertie. Elle refait sa guitar herotte dans «Travelin’ Shoes» - Travelin’ shoes Lawd ! - et chante «Beams Of Heaven» à pleine gueule. Elle dévore le gospel tout cru. Please my Lawd ! Elle tape encore dans l’œil du cyvclone avec «Go Ahead» et montre qu’elle connaît toutes les ficelle de caleçon du gospel boogie avec «Bring Back Those Happy Days». Et puis tu la vois partir en mode rockab dans «If Anybody Above Me». T’en connais beaucoup des superstars aussi merveilleuses ?

    Signé : Cazengler Tartignole

    Sister Rosetta Tharpe. Spirituals In Rhythm. Diplomat Records 1960

    Sister Rosetta Tharpe & Marie Knight. MCA Records 1975

    Sister Rosetta Tharpe. Gospel Train. MCA Records 1975

    Sister Rosetta Tharpe. Live In Paris 1964. France’s Concert 1988

    Sister Rosetta Tharpe. The Gospel Of The Blues. MCA Records 2003

    Sister Rosetta Tharpe. Live In France. The 1966 Concert In Limoges. Elemental 2024

    Charles Burnett. Devil’s Fire. The Blues, A Musical Journey Vol 4. DVD 2004

    The American Folk Blues Festival. The British Tours 1963-1966.  DVD 200

    Gayle F. Wald. Shout Siter Shout. The Untold Story of Rock-And-Roll Trailblazer Sister Rosetta Tharpe. Beacon Press 2007

     

     

    Inside the goldmine

     - Sommers in the city

             Avec Baby Joana, ce fut le coup de foudre. Mais un coup de foudre un peu bizarre. Elle débarqua cet été-là au camping de Singère avec trois copines. Elles étaient complètement autonomes, pas de parents dans les parages. À cette époque, c’était assez inhabituel. Alors il y eut des fêtes sauvages chaque nuit sur la plage. Alcool, crises de rires, seins à l’air, copulation, liberté totale, joie de vivre. Le paradis. Chaque nuit, le même cirque. Encore et encore. Et comme c’est un âge où on tombe facilement amoureux, alors il est tombé amoureux. Mais amoureux des quatre. Elles s’étaient toutes les quatre offertes à lui, et il se sentait bien incapable de faire un choix, car chacune d’elles avait une sensualité exacerbée, au point que dans la journée, il se sentait dévoré d’une passion anarchique pour une hydre à quatre visages et huit mains. Il sentait cependant poindre en lui une préférence pour Baby Joana, mais il ne pouvait la détacher de ses trois copines. Cet hiver-là, il alla passer les vacances de Noël dans la région où elles vivaient toutes les quatre, et il les revit, mais séparément, car le contexte était beaucoup plus austère. Lycéennes, elles vivaient bien sûr chez leurs parents et semblaient toutes subir une sorte de petit joug totalitaire, surtout Baby Joana qui semblait physiquement transformée. Elle portait ses cheveux châtain clair tirés vers l’arrière en queue de cheval, et comme ses parents lui interdisaient de se maquiller, elle offrait le spectacle d’un regard bleu extrêmement cru. Elle portait une espèce d’affreux caban, une jupe longue, des mocassins noirs et des chaussettes blanches. Il ne restait plus rien de ces formes divines palpées avec ivresse pendant les fêtes dionysiaques de l’été. Baby Joana faisait peine à voir. Elle en avait les yeux humides de tristesse. Elle s’était arrêtée de vivre. Elle devait mentir pour venir au rendez-vous, et son temps était compté : devait rentrer à 17 h chaque jour. Elle craignait par dessus tout les représailles de ses parents. Elle marchait dans la rue en poussant son Solex et se retournait à chaque instant pour vérifier qu’on ne la suivait pas. Quand il voulut l’embrasser, elle se mit à pleurer. Elle ne supportait pas de revenir en enfer après avoir connu le paradis.

    , sister rosetta tharpe, joanie sommers, dee c lee, grace cummings, brittany howards, arkona, jesse daniel, eddy mitchell, dead level, boleskine house

             Joanie Sommers est aussi belle que Baby Joana. C’est sur une compile Northern Soul qu’on découvrit Joanie Sommers, avec l’irrésistible «Don’t Pity Me». Tous les fans de Northern Soul connaissent ce smash. La belle Joanie est une Buffalotte de Buffalo, état de New-York, transplantée en Californie, dans les années cinquante, et qui fit carrière chez Warner Bros dans les early sixties. Comme les grandes chanteuses blanches de son temps, elle savait tout faire : le jazz, le groove et la variette.

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             «Don’t Pity Me» ouvre le bal de cette fantastique compile qu’est Hits And Rareties. Joanie est la plus sexy de toutes les blanches, elle y va au don’t pity me de petite chatte demented, elle te le sucre sur fond de wall of sound, elle te le danse, elle te le prend à la main de petite brune sexy, c’est du délire, te voilà baisé, tu tombes dans les bras de Sommers in the city. Cette compile est une vraie caisse de dynamite. Tu l’ouvres à tes risques et périls. Plus loin, tu tombes sur l’«I’m Gonna Know He’s Mine» de Mann & Weil, elle t’explose le Brill. Même chose avec «I’d Be So Good To You». Diable comme elle est belle sur la pochette et diable comme elle casse bien le sucre du Brill. Elle est la cerise sur le gâtö du Brill. Plus loin, encore deux super-productions : «My Block» et «Since Randy Moved Away», deux cuts tentateurs, ultra-violonnés, elle y rentre chaque fois au sucre candy. Avec «Call Me», elle bascule dans la délinquance juvénile, elle chante à la candeur de la chandeleur. Et puis tu as «A Lot Of Livin’ To Do», elle y va envers et contre tout, avec cette voix de sucrette du diable et une niaque qui pourrait faire peur. Elle évolue dans un heavy jazz sound, fabuleuse Joanie, elle tape le jazz nubile, c’est explosif, jazzé jusqu’à l’oss de l’ass. Embarquée comme un fétu de paille, elle gueule encore. Elle jazze son sucre héroïquement, elle tient son cap jusqu’au bout. Ah il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie ! Sur les 31 cuts de la compile, la moitié sont des smash. Avec «Mean To Me», elle fait du pur jus de Billie Holiday. Elle détient ce pouvoir extravagant. La blanche bascule dans le swing de black. Elle chante encore son «Goodbye Summer» à outrance. Serait-elle plus royaliste que le roi ? Son sucre te rendra fou («Goodbye Joey»). Mine de rêve, voix de rêve. Elle chante encore «I’m Nobody’s Baby» comme une blackette, à cheval sur le champ de coton et la case de l’Honk Tom. Elle te coule encore ta flotte à la bataille navale avec «I’ll Never Stop Loving You», elle oscille en permanence entre le black world et le sucre candy, elle en abuse d’ailleurs dans «Out Of This World». mais il faut dire qu’elle a toujours un angle d’attaque spectaculaire, comme si elle voulait se poster à l’avant-garde de la variété américaine. Son attaque plait bien. Elle a du sexe plein la voix («Johnny Get Angry»). D’une certaine façon, elle éclaire la pop, elle te prend bien sous les aisselles. Elle fait une belle cover de «Summertime», elle y remonte bien le courant. Elle se prête à tous les genres avec une souplesse épouvantable, notamment à l’exotica de «That Old Devil Moon». Elle revient au jazz pour «What Wrong With Me», elle est folle de swing. Elle devient stupéfiante, elle sucre le swing ! Puis elle refait sa blackette pour aller taper «Henry Penny» au coin de la rue. Bizarrement, le mec qui a pondu cette compile n’a pas jugé bon d’inclure des liners.

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             Par contre, les mecs de Real Gone Music sont un peu moins rats : un petit booklet accompagne The Complete Warner Bros. Singles. On y apprend rien de plus que ce qu’on sait déjà, si ce n’est que «Don’t Pity Me» fut son dernier single sur Warner Bros. Elle signa ensuite chez Columbia. Ce double CD fait un peu double emploi avec la compile précédente, mais bon, on s’en accommode fort bien. Sur le disk 2, on retrouve tous les smash évoqués plus haut, «Don’t Pity Me» (elle bat les Supremes à la course), «My Block», co-écrit par Bert Berns, dont on se délecte une fois encore, et puis l’«I’d Be So Good For You» qui est une raison supplémentaire d’adorer Joanie. Elle sonne exactement comme les Ronettes. Elle monte directement au firmament de la pop, et puis avec «I’m Gonna Know He’s Mine», elle groove le Brill au mieux des possibilités. On croise aussi pas mal de variette, comme ce «Little Girl Bad» qui se noie dans un océan de sucre.

             La viande est sur le disk 1, à commencer par «I’ll Never Be Free». Elle chante comme une blackette, c’est même écrasant de white-niggerisme. Comment s’y prend-elle pour parvenir à ce résultat ? On ne le saura jamais. Elle dégouline littéralement de blackitude. Elle chante son «Be My Love» au fourreau de soie, elle est fabuleusement hollywoodienne. Elle revient à son cher sucre candy avec «Ruby-Duby-Du», c’est dire l’étendue de sa polyvalence. Et de là, elle passe au groove de round midnite un peu sucré avec «Bob White (Watcha Gonna Swing Tonight)», elle claque son tonite avec une niaque particulière. Sacrée pouliche. Joanie gagne à être connue. Elle te jazze tout ça à la black. Elle sait aussi travailler la clameur de Broadway, elle s’éclate au Sénégal avec «I Don’t Want To Walk Without You», il faut l’écouter c’est sûr, mais à petites doses. Ces grosses compiles sont dangereuses, car c’est un son difficile, extrêmement sophistiqué, celui des early sixties américaines. Elle se montre encore spectaculaire avec le wild jazz de «Seems Like Long Long Ago». Une constante chez elle : sa fantastique énergie. On tombe plus loin sur un «Makin’ Woopee» tapé à la stand-up, elle rentre encore dans le chou du groove comme une black. On peut bien dire qu’elle a du génie. Ce que vient confirmer le «What’s Wrong With Me» déjà croisé sur la compile précédente, avec une orthographe différente («What Wrong With Me»). Elle le vibre à la Billie, Joanie est une énorme shooteuse, elle initie la propulsion maximale. Ça te coupe carrément la respiration. Tu découvres des architectures de son au dessus de ta tête, ce sont les arcanes du génie pur.

    Signé : Cazengler, Joanie Sommaire

    Joanie Sommers. The Complete Warner Bros. Singles. Real Gone Music 2011

    Joanie Sommers. Hits And Rareties. Marginal records 1995

     

     

    L’avenir du rock

     - Signed Dee C

             Une nuit que l’avenir du rock se promenait dans un cimetière, il croisa un singulier personnage. Sous son élégant chapeau, il avait noué un bandana. Il portait des lunettes noires, comparables à celles de Ray Charles. De haute taille, de peau noire et plutôt élancé, il déambulait avec la nonchalance d’un dandy. L’avenir du rock s’émut plus que de coutume, car croiser un black dandy la nuit dans un cimetière n’est pas chose courante. C’était une nuit de pleine lune. Le silence régnait sur les tombes aux silhouettes parfaitement dessinées. L’avenir du rock leva son chapeau pour saluer l’inconnu qui avançait à sa rencontre. 

             — Enchanté de vous rencontrer en ce lieu insolite. Permettez-moi de me présenter : je suis l’avenir du rock, mais rassurez-vous, un avenir dénué de toute prétention. Ça vous rassurera sans doute de savoir que je ne suis qu’un simple concept.

             L’homme hocha la tête et se mit à psalmodier :

             — Sometimes I feel so lonely/ My comedown I’m scared to face...

             L’avenir du rock ne sut quoi répondre. L’homme reprit :

             — I’ve pierced my skin again/ Lord/ No one cares/ For me...

             L’avenir du rock s’interloqua :

             — Vous n’avez pourtant pas l’air d’aller mal. Vous savez, il vaut mieux éviter de me prendre pour une andouille.

             L’homme reprit sur le même ton :

             — My soul belongs to the dealer/ He keeps my mind as well/ I play the part of the leecher/ No one cares/ For me/ Cares for me...

             Et là il sortit un harmo de sa poche et se mit à jouer un solo déchirant de beauté.

             — Ah je savais bien que je vous avais déjà croisé quelque part ! Vous êtes Arthur Lee ! Jouez moins fort, Arthur, car vous allez réveiller le voisinage.

             — Look out avenir du rock/ I’m fallin’/ I can’t unfold my arms/ I’ve got one foot in the graveyard/ No one cares/ For me/ Cares for me...

             — Tu nous fatigues Arthur avec tes problèmes et ton Signed D.C. Écoute plutôt Dee C. Lee, ça te remettra l’équerre au carré.

    , sister rosetta tharpe, joanie sommers, dee c lee, grace cummings, brittany howards, arkona, jesse daniel, eddy mitchell, dead level, boleskine house

             Contrairement à ce que laisse entendre son nom, Dee C Lee ne sort pas d’une chanson d’Arthur Lee, mais de la scène Soul anglaise, puisqu’ex-Style Council et ex-madame Weller. Dans Mojo, Ian Harrison salue son retour après 26 ans d’absence. Dee C vient tout juste d’enregistrer Just Something et ça sort sur Acid Jazz, le label d’Eddie Piller. C’est grâce à Piller qu’elle reprend du service. Elle a enregistré avec des mecs des Brand New Heavies et de James Taylor Quartet.

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             Just Something est un très bel album de groove, comme le montrent «Be There In The Morning» et «Walk Away». Elle est assez fabuleuse, experte en entertainment d’excelsior. Acid Jazz ramène toute la niaque orchestrale et tu finis par te croire arrivé au paradis. Dans «Walk Away», l’éclat des cuivres t’éblouit. Elle attaque son album avec un heavy diskö groove d’Acid Jazz, «Back In Time». Elle est tellement à l’aise. Tu assistes à l’éclosion d’un magical time monté à la clameur. Puis ça flûte dans «Don’t Forget About Love». Elle groove des reins comme une reine de Saba. Elle frise parfois le Burt, l’ensemble est d’une luminosité aveuglante. La classe intersidérale du groove finit par te fasciner. Tu renoues avec le souvenir des jours heureux. Elle sait charger sa barcasse d’ampleur. Elle sait aussi traîner en longueur. Tout est très-très sur cet album, et même très très-très. Très heavy, très heureux et très Acid Jazz. Elle sait poser sa voix de vétérane de toutes les guerres. Miss Dee C Lee est assez exceptionnelle.

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             Puisque la curiosité est un vilain défaut, on va aller fouiner un peu sous les jupes de Dee C, histoire de voir à qui ressemble le déficit des années antérieures. Son premier album Shrine date de 1986. Belle pochette, elle ressemble à la Reine de Saba et tape avec son morceau titre un heavy diskö funk d’une voix ferme et sans détour. Elle adore aussi se prélasser dans le satin jaune. C’est typiquement le genre d’album dont il n’y a rien à dire, un album de dancing Soul à la mode. Quand t’entends «He’s Gone», tu fais patacam patacam. Tout est à la mode là-dessus. Elle sauve les meubles avec la lanterne rouge «Hold On», tout au bout de la B, un joli slow groove syncopé.

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             Elle enregistre quatre ans plus tard l’excellent Slam Slam. Bel album de diskö dance. Il est à cette époque délicieusement à la mode. Dans son cas, ce n’est pas une tare. L’époque veut ça. «What Dreams Are Made Of» finit par devenir intéressant. Elle a une bonne attaque de velours black. Elle sait poser sa voix. Mais elle adore aussi aller sautiller sur le dance floor, la coquine. Elle revient faire sensation avec l’heavy groove synthétique de «Death Charge». Pour l’époque, elle était déjà très d’actualité. Elle te fait plus loin le coup du groove de charme avec «Tender Love». L’album s’écoute avec plaisir. Tu ne peux pas prendre Dee C Lee à la leegère. Elle termine avec un «Nothing Like It» de rang diskö princier. Elle est juste derrière son cut, au nothing like it.

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             Paru en 1994, Things Will Be Sweeter est un très bel album de groove type Acid Jazz. Elle campe dans son pré carré dès «I’m Somebody». Elle groove son heavy groove fluide, ça coule comme une fontaine de jouvence. Elle sait aussi groover en profondeur. Tu entends «Sympathy For The Devil» dans l’intro de «Set Your Spirit Free» et ça groove au xylo. Well done, Dee C ! Encore une extraordinaire qualité du climax dans le morceau titre. Elle se répand bien sur la terre, elle est pure et douce, it’s alright it’s okay ! Elle sonne comme un diamant brut d’Acid Jazz. Groove à fleur de peau. Elle est tellement pure qu’elle semble envoûtée. Son groove sent bon le Jazzmatazz. Elle développe encore une fantastique énergie du groove dans «Walk Away From The Floor». Elle tape ça à l’insistance congénitale et n’en finit plus de groover l’or du Rhin entre tes reins.

    Signé : Cazengler, Dee solu

    Dee C Lee. Shrine. CBS 1986    

    Dee C Lee. Slam Slam. Free Your Feelings. MCA Records 1991

    Dee C Lee. Things Will Be Sweeter. Cleartone Records 1994

    Dee C Lee. Just Something. Acid Jazz 2024

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

    Ian Harrison : Back after 26 years. Mojo # 364 - March 2024

     

     

    Grace is Cummings back

    , sister rosetta tharpe, joanie sommers, dee c lee, grace cummings, brittany howards, arkona, jesse daniel, eddy mitchell, dead level, boleskine house

             Comme t’as écouté Ramona, tu t’attends à un gros choc émotionnel. Mais c’est mal barré parce tu te retrouves assis dans l’herbe dans un parc à la mormoille. Et pour encore aggraver les choses, t’es à deux doigts de cailler. Mais le cul dans l’herbe, c’est tout ce que tu as toujours détesté dans ta vie, t’es là comme une larve à changer de position toutes les cinq minutes parce que t’as mal au cul. Alors pour écouter chanter Grace Cummings, c’est compliqué. Toutes les trois secondes, tu te dis que tu vas te barrer, mais elle t’intrigue, la mini-Australienne au décolleté un peu trop vertigineux. C’est pas son décolleté qui t’intrigue, c’est le contraste qui existe entre la mini-corpulence (un gros 1,50 m et 30 kg) et la portée de sa voix. Quand on chante avec une voix aussi balèze, on pèse son poids, d’où le ton de l’illusse. Mais en réalité, t’as une gamine quasi-impubère sous les yeux et ça t’intrigue. Petite, brune, minimale.

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

    Plutôt jolie. Et elle bouge bien. Trois mecs l’accompagnent, un hippie chapeauté à la gratte, un bassman déplumé, et derrière, un troisième lascar bat le beurre en toute impunité. Grace a deux petits défauts, sans doute liés à la configuration du set : elle force parfois sa voix et ça devient pénible, alors que sur Ramona, elle te fascine au point que tu l’imagines femme forte. Et d’autre part, elle se croit parfois à Woodstock, avec une façon un peu niaise de sourire à «l’immense» foule. Dommage, car en plus du mal au cul, ces deux petits défauts gâchent un peu le plaisir de la découvrir sur scène. En salle, elle aurait de toute évidence fait un carnage. Mais là, dans le contexte du plein air, le son se barre dans tous les coins, et elle se sent obligée de gueuler comme un veau, et c’est pas beau. Par chance, les compos de Ramona tiennent admirablement bien la route, elle ramène du climax et des structures édifiantes, elle refait du P.J. Harvey à sa façon, et finalement l’heure de set finit par passer. Tu fais ouf ! en te relevant péniblement. Te voilà frigorifié, avec un glaçon au bout du pif. Elle aurait joué au Pôle Nord, c’était pareil. Le côté positif de tout ça, c’est que t’as au moins appris une chose : ça peut cailler sec au moins de juin.

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             Pas compliqué : Ramona grouille de coups de génie, et ce dès le «Something Going Round» d’ouverture de bal, avec son côté profond, très Totor. Magnifique pop d’élan lointain, Grace est puissante - And I think about begging/ For tobacco & time - Subliminal d’I think it was autumn/ I think it was an autumn day. Quelle allure, elle dispose de toutes les ressources de la démesure absolue. Encore de l’heavy Soul system avec «Everybody’s Somebody», elle nage dans l’océan du bonheur, elle est tentaculaire, elle t’éclate ton petit Sénégal au cry cry cry you want to know them. Elle te chante encore «A Precious Thing» au plafond, et c’est ultra-orchestré - Love is just a thing/ That I’m trying to live without - hallucinant d’intensité - And time is just a time/ It passes/ It dies/ Just stay and play - Tu croises rarement les jardins suspendus de Babylone. Dans «I’m Getting Married To The War», elle a les castagnettes de Totor. Tous ses cuts sonnent comme de fortes implications chargées d’audace. Elle travaille les syllabes de «Work Today (And Tomorrow)» comme le fait Billie Holiday avec les siennes. Encore de la fantastique maturité dans «Common Man». Elle te fend bien le cœur. Elle t’en impose. Quelle force de caractère ! Et son morceau titre est tellement bardé de bada que le casque chevrote.

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             Par contre, Storm Queen - l’album au perroquet qui précède Ramona - te laissera sans doute sur ta faim. Elle sort déjà une voix de femme mûre qui peut aller gueuler là-haut sur la montagne, mais il manque la magie. Son «Always New Days Always» humide et chaud s’enroule autour de ton oreille, mais elle est beaucoup plus folk que sur Ramona. Et même un peu lourde. Les cuts sont problématiques, pas très bons. Elle se prend parfois pour Leonard Cohen, («Up In Flames»), mais ça ne marche pas. Trop pâté de foie. «Here Is The Rose» est trop perlé de lumière. Trop dentelle de Calais. Elle est encore lourde avec «Raglan», et c’est avec le dernier cut qu’elle décolle. Elle atteint enfin l’ampleur extraordinaire avec «Fly A Kite». Pure merveille de chant tordu. 

    Signé : Cazengler, cum tout court

    Grace Cummings. Festival Rush. Jardin De L’Hotel De Ville. Rouen (76). 6 juin 2024

    Grace Cummings. Storm Queen. ATO Records 2022

    Grace Cummings. Ramona. Grace Cummings 2024

     

     

    Shaking with the Shakes

     - Part Two

    , sister rosetta tharpe, joanie sommers, dee c lee, grace cummings, brittany howards, arkona, jesse daniel, eddy mitchell, dead level, boleskine house

             Après avoir atteint des sommets insurpassables avec les deux albums d’Alabama Shakes (Boys & Girls et Sound & Color), Brittany Howard retombe de tout son poids au fond du bottom de la dégringolade, avec un album de musique à la mode. C’est important qu’on en parle, car la grosse Brittany incarnait tous les espoirs de l’avenir du rock. Alors pour une fois, on peut s’attarder sur une dégringolade qui vaut bien celle de Lucien de Rubempré. Ce n’est pas qu’on soit sadique, au point d’aller se repaître d’un tel revers de fortune, non il s’agit plutôt d’examiner un mystère qui vaut bien celui de la Chambre Jaune.

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             Le pire, c’est qu’elle a pas mal de presse et notamment le fameux Mojo Interview. Aussi est-on allé quérir What Now sans coup férir. On est tellement sûr du coup qu’on ne pense plus à la simili déception de son premier album solo, Jaime. Dans les pages de magazine, la grosse Brittany apparaît encore plus grande et plus pulpeuse qu’auparavant. On se dit, diable, comment une femme peut-elle prospérer physiquement de la sorte ? Même la crinière semble hors de proportion. Et pour achever le tableau, elle porte des petites lunettes de pédale punk à montures blanches. Tu vois un peu le tableau ? Mais vu qu’elle est une superstar, elle a le droit de mettre tous tes petits a priori en déroute.

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             Le seul problème, c’est que What Now sonne comme une déroute. Le buzz retombe comme un soufflé. T’en reviens pas d’entendre un album aussi à la mode. Elle commence par écraser le son, comme si elle s’asseyait dessus. Et comme elle est grosse, le son capote. Elle tape dans l’ambiancier pépère, dans l’à la mode, elle cherche le confort de l’élastique et du téflon, comme le font toutes les grosses, il fait chaud, alors faut-pas-que-faut-pas-que. Et puis ça se barre dans un délire teknoïde, c’est patacam patacam. Bizarre qu’elle ait abandonné le filon d’or d’Alabama Shakes. Plus on avance dans cet album et plus il devient antipathique, avec un son trop saturé, trop electro, pas de mélodie ni de final éblouissant. Serait-elle paumée dans le labyrinthe de la gloriole, comme Lucien de Rubempré avant elle ? Elle fait pitié à voir, dans sa grande robe psychédélique. Elle ramène enfin une mélodie chant dans «To Be Still», mais il est trop tard. Le mal est fait. Elle s’est grillée. On va jusqu’au bout parce que c’est elle, mais tous ses cuts sonnent comme un grand foutoir Teknö, un abandon d’île, une débinade de baroud bidon. Elle perd définitivement le peu de crédit Soul qui lui reste avec «Samson», et avec «Patience», elle se branche sur une sorte de Soul à la Prince. C’est sans doute le seul bon cut de cet album décevant, elle joue bien des effets des Soul Sisters à la mode. Mais globalement, What Now laissera le souvenir d’un album de baltringue à la mode. Elle a perdu le power et la grâce de la graisse. Elle tente encore de passer en force sur «Every Colour In Blue» mais c’est une Sargasse de Blue sévèrement trashée à coups de trompette. Bizarre que les journalistes anglais ne parlent pas de suicide artistique.

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             Dans Uncut, Sharon O’Connell donne 9 sur 10 pour cet album foireux. Elle parle même de «border sonic invention». C’est dingue comme on se fait encore mener par le bout du nez, même à un âge avancé. Plutôt que de rester sur les sommets avec les Shakes, elle a préféré quitter le groupe et partir à l’aventure. La pauvre O’Connell se débat sur 4 pages avec son baratin. Elle trouve même dans What Now des traces de «Southern Soul, R&B, astral jazz, psychedelic funk, doo-wop, garage blues and rap.» Il faudra qu’elle nous explique où elle a trouvé tout ça, parce que ça n’existe pas dans What Now. Dans l’interview qui suit, la grosse Brittany déclare qu’elle s’est un peu laissée aller, au plan musical - Wathever comes out is OK - Elle se dit qu’elle va faire un nouveau disk, puis un autre, et puis encore un autre. All the styles. Ça promet ! Si on lit cet interview tout pourri, c’est dans l’espoir d’y trouver l’annonce d’une reformation des Shakes. Rien. Par contre, elle chante les louanges de Prince. Elle se dit aussi intéressée par Nina Simone et James Brown. I’m interested in emotional connection.

             Tapis rouge dans Mojo avec le Mojo Interview. Elle dit qu’elle a quitté les Shakes pour «suivre la musique» - What drove me was following the music - Puis Bill DeMain la ramène sagement sur le chemin chronologique, alors elle évoque tous ses vieux groupes d’Athens, Alabama, puis la rencontre avec Zac Cockrell, le futur bassman des Shakes. Des Shakes qui démarrent en 2009. Elle parle aussi d’Heath (gratte) qu’elle surnomme Abraham Lincoln, parce qu’il aime prendre son temps et réfléchir. Elle raconte l’ascension fulgurante des Shakes, à partir d’un cut mis en ligne sur un blog. Et boom ! C’est Patterson Hood des Drive-By Truckers qui met les Shakes en contact avec un management et boom, les voilà sur ATO, le label des Truckers. Puis c’est les gros sous, l’achat d’une baraque à Nashville et les concerts avec Prince et McCartney. Puis arrive l’inévitable question : «Will you ever reunite?». Elle répond qu’elle ne veut pas parler des Shakes comme si c’était fini. This is where we are for now. Elle dit qu’elle a des relations «périphériques» avec le batteur et Hearth. Seul Zac est resté avec elle.

    Signé : Cazengler, Alabama Shit

    Brittany Howard. What Now. EMI 2024

    Sharon O’Connell. Brittany Howard. Uncut # 322 - February 2024

    Bill DeMain : Brittany Howard - The Mojo Interview. Mojo # 363 - February 2024

     

    *

    Longtemps qu’un groupe polonais n’ait attiré mon attention, et plouf celui-ci est de Perzow commune rurale sise en le district de Grande Pologne, un peu au centre-ouest du pays, entre nous, je ne voudrais pas être méchant ou méprisant, ça m’a tout l’air d’un coin perdu, laissons ces géographiques considération pour nous intéresser  au groupe lui-même, vous me ferez le plaisir de ne pas le confondre avec le groupe russe  Arkona. 

    L’Arkona de cette chronique se qualifie lui-même de horde, dénomination qui fleure bon la barbarie, toutefois paganisme et anti-christianisme s’avèrent être les deux mamelles amalthéennes auxquelles le groupe  s’abreuve. Leur premier opus sorti en 1994 ne se nomme-t-il pas An Eternal Curse of the Pagan Godz et leur deuxième ne se réfère-t-il pas aux Dieux de l’Oubli, à moins que le traducteur ne se soit mélangé les pinceaux et que ce  ne soit l’analyse heideggerienne de l’Oubli des Dieux ce qui intellectuellement nous ramène vers le concept de romanité, serait-ce un hasard si leur troisième album, paru en 1996, arbore fièrement le nom d’Imperium. Si les Dieux se rapportent au Dire du Mythe, le terme d’Imperium est une référence explicite au Domaine du Politique. Qu’en est-il au juste, le mieux serait d’y aller voir.

    IMPERIUM

    ARKONA

    (Astral Wings Rec. /1996)

    Khorzon : guitar, bass / Messiah : vocals, lyrics / Sylvain : drums / Pitzer : guitar  / T. Lewinski : keyboards, composition.

    Ce mois de septembre 2024, Arkona vient de sortir l’album Stella Pandora, de l’équipe quasi initiale d’Imperium ne reste plus que Khorzon. Khorzon possède plusieurs cordes à sa lyre de fer puisqu’il officie aussi au chant et aux claviers, c’est lui qui est le maître d’œuvre de la pochette.

    Arkona était une ville située en la mer Baltique sur l’île poméranique de Rugen, tout au nord sur un cap rocheux, au centre de la cité  s’élevait un temple consacré à Svantevit Dieu slave de la guerre, de la fertilité et de l’abondance. Il peut paraître étrange pour notre mentalité d’occidentaux déclinatoires d’associer l’idée de guerre avec celle d’une profusion excédentaire mais nous sommes en des temps sombres. En 1160, l’armée danoise de Valdemar I secondé par les très chrétien évêque Roskilde Absalon s’emparèrent de la ville s’empressant de détruiret du même coup le dernier temple païen des différents peuples slaves. Les polarités  de Svantevit sont nombreuses, elles recoupent la plupart des attributs des principaux Dieux grecs : Zeus, Apollon, Janus, Arès, Poseidon, Démeter, Leucothée, liste non exhaustive…

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

    A première vue une panoplie d’armes que l’on accrochait aux murs de sa demeure pour rappeler les exploits militaires du maître de maison, un peu comme ces trophées que l’on se hâtait dans l’affolement général de décrocher des pièces d’apparat des grandes maisons romaines alors que l’armée d’Hannibal marchait sur Rome, ne nous laissons pas hypnotiser par les yeux glacés de la tête de Méduse à la chevelure entremêlée de serpents, les lances, les hallebardes, les mousquets, jusqu’à la forme des cors, les drapeaux, malgré la tête du bélier de Mars nous sommes dans une imagerie guerrière qui emprunte d’après moi à une iconographie post-médiévalo-germaine, tributaire des lansquenets allemands chargés d’arrêter les charges de cavalerie… Un symbole de résistance d’autant plus poignant qu’il semble sculpté sur le tablier d’ouverture d’un tombeau…

    Que le lecteur ne soit pas surpris par l’étrangeté des titres, en ses débuts Arkona utilisait leur langue nationale : le polonais. Comme nous sommes trop bons nous les avons fait suivre de leur traduction.

    Skrajna nienawiść egoistycznej egzystencji : La haine extrême de l'existence égoïste : même traduit le titre procure une impression étrange, l’on s’attend à une scène d’épopée, un fourmillent kaotique de champ de bataille et nous voici renvoyés à l’intérieur de la citadelle intime de tout un chacun, ego, ego, égo… Claviers et tintements, des arpèges à la Bach enfin le chant s’élève porté sur le dos galopant des guitares, il nous nous montre le chemin, d’abord celui de l’arrachement, déjà derrière soi… le rythme s’accélère, la voix djente comme un serpent qui siffle, qui ne laisse aucun espoir, si l’on s’est enfui du lourd manteau des mensonges christiques,  l’on n’en est pas plus libre pour autant, l’on court dans les marécages d’une solitude glacée,  le bonheur n’est pas au bout du chemin, l’on se retrouve seul avec soi-même, aucun dieu consolateur pour nous réconforter, les claviers glissent à la manières des bateaux que la vague pousse dans l’immensité des gouffres, nous possédions la tristesse des jours enfouis sous la chappe de plomb des croyances, nous voici à l’air libre dépossédés de toute illusion, ô la grisâtre lénifiante, nous voici plongés dans la désespérance nihiliste, courir sans fin, se précipiter, ne plus croire en rien, ne plus compter que sur soi-même même si notre cerveau est aussi vide que l’abîme dans lequel nous nous jetons hardiment. Epidemia rozczarowania i nędza duchowa : Une épidémie de déception et de pauvreté spirituelle : comme de l’eau qui coule, le vocal vomit tout ce qui a été vécu, c’est l’heure du ressentiment dirait Nietzsche, le plus dangereux celui qui ne s’adresse pas aux autres mais à soi-même, une espèce d’auto-lapidation impitoyable, oh, l’on n’a pas peur de lancer la première pierre, Descartes nous rassure en affirmant que c’est l’heure du doute, n’empêche qu’Hegel nous a appris que la négativité de soi-même est un grand pas en avant vers la guérison, est-ce pour cela que la musique est entraînante, pratiquement envoûtante, que le rythme s’accélère, se replie sur lui-même pour se détendre pour se projeter encore plus vite, encore plus rapidement, vers l’avant, la grande interrogation se métamorphose en immense exclamation, en zénithale exultation de soi-même, mieux vaut la mort que le mensonge, prenez exemple, que votre joie soit celle de Zarathoustra. Métaphysique festive. Każdy los to cień : chaque destin est une ombre : heure décisive et effroyable, quand on a tué Dieu, il ne reste plus qu’à faire confiance à son propre destin. Le chant appuie très fort, il s’agit de convaincre, d’ouvrir la porte, le destin n’est pas une voie tracée d’avance, notre déclin dépend de notre choix, il suffit de penser, de s’être démuni de toutes les valeurs, chaque pas est dicté par notre pensée, nous ne savons pas où nous allons, rythme rapide mais lourd, la batterie halète, mais nous savons ce que nous sommes, que nous allons vers ce que nous sommes en train de devenir. Conseils donnés à ceux qui hésitent sur le pas de la porte. C’est pourtant en soi-même qu’il faut rentrer. Suprême ordalie. Jesienne cienie czekające na kolejną reinkarnację : Ombres d’automne attendant la réincarnation : un train qui fuse dans la nuit, l’arrivée est certaine, c’est la station mort, mais c’est toi qui meurs en toi-même, en ta mort tu renfermes tout ce qui a été toi, tu es ton propre maître , tu t’enfermes dans ta mort pour la revivre, c’est sans fin, les saisons passeront et reviendront sans cesse en ton royaume dont tu es le roi absolu, décrochement musical, un envol parallèle à lui-même, et la vie reprend de plus belle à l’intérieur de ta mort, musique joyeuse, chant de triomphe, ce que tu as vécu renaît et revient, maintenant tu ne souffres plus, tu regardes les scènes une par une, tu t’es détaché de ta propre prégnance, depuis ta tour de guet de toi-même tu portes un regard serein, tout cela a été toi et malgré leurs courtes durées toi tu as le temps de les regarder, de leur accorder un peu d’attention. Ce qui a été vécu est toujours vécu. Wściekłość która nadchodzi : la fureur qui vient : ouragan phonique, la philosophie à coups de marteau de Nietzsche mise en musique, une éructation de haine, un torrent d’invectives, il s’agit d’éveiller et de maudire ceux qui ne sauraient s’arracher à la drogue christique, la tourmente s’arrête pour mieux repartir, un déluge imprécatif, nouvelle pose pour un nouveau souffle, la cavalcade effrénée reprend avec encore davantage de virulence, pas de pitié, pas de remédiation, pas d’arrangement, pas de conciliation, simplement être soi, entre le bien et le mal pour forcer le barrage et se retrouver par l’entremise de cette violence absolue enfin libre par-delà le bien et le mal. Au-delà de la négativité de soi-même. Pluję na twą marność psie ! : J’ai craché sur ta vanité, chien ! : la suite musicale du morceau précédent, avec en prime, l’invective, l’insulte, l’injure, le gardien du cimetière se moque du chien, de celui qui a cru en son maître, celui qui a changé de croyance, de celui qui a cru en l’inanité du néant et en la vanité de son propre moi, contente-toi de savoir mourir dignement, l’esclave des dieux n’est pas digne de survivre en lui-même, la croyance n’a pas de fond, tu t’enseveliras en ton propre vide, puisque tu n’as pas atteint à la pensée de toi-même, tu ne seras même pas toi-même dans ta mort, tu resteras prisonnier de la négativité du nihilisme. Puissance dévastatrice de ta propre illusion. Puissance dévastatrice de ta propre désillusion. Pogarda dla wrogów imperium wszechmocy : Mépris des ennemis de l’empire de la toute-puissance : un instrumental de toute beauté qui dépasse à peine les deux minutes et qui vous donne un inimaginable sensation d’éternité, après les deux typhons précédents, l’on croirait que l’on a atteint l’œil de l’ouragan, solitudes glacées, l’on pense au cygne de Mallarmé prisonnier de sa propre blancheur, aux neiges éternelles, au Voyageur contemplant les solitudes glacées de son propre moi de Caspar David Friedrich, une espèce de symphonie bruitiste, une irradiation de ce à quoi pouvait penser Nietzsche après son effondrement, nous sommes au faite de la puissance, du plus grand pouvoir auquel l’on puisse atteindre, n’oublions que l’étymologie d’imperium provient du mot latin pars, partis, la part qui nous revient, celle à laquelle l’on se donne la puissance d’accéder. 

             Même si les trois derniers morceaux de l’opus sont prodigieux, ayons une pensée émue pour Messiah le lyriciste disparu en 2017, nous restons toutefois un peu sur notre faim, nous sommes comme des enfants gâtés à qui l’on donne l’absolu et qui demandent ce qu’il y aura encore à manger après. En 1996 Imperium est sorti en K7, un format qui se prête mal à de longues temporalités, en 2005, Arkona a donné une réédition CD augmentée de deux titres.

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             La couve de cette réédition nous interroge. A priori une vue médiévale, la tour d’entrée d’une enceinte fortifiée qui semble défendre l’étroit accès d’un passage entre deux surplombs rocheux, malgré les deux courtines crénelées l’ensemble paraît avoir été construit en bois, nous préférons y voir l’entrée peinte en rouge, les nombreux villages nommés Maison Rouge parsemés sur le territoire français nous le suggèrent, l’entrée des baraquements militaires de garde du limes des légions romaines qui ceinturaient l’Imperium… Un pas de deux, certainement artificiel, qui relie Mythe et Politique…

    Długa Ciężka Zima : Un hiver long et dur : : ré-enregistrement du morceau   Long hard Winter issu de la démo An Eternal Curse of the Pagan Godz  (1994) :  chuintement, hurlement du loup dans sa tanière,  la dernière garde, à l’intérieur de la tour de guet, la nuit est froide, encore plus froide est la nuit hostile qui s’étend sur le monde, angoisse l’inéluctable est en marche, le chant s’arrête, que dire de plus si ce n’est crier encore et encore lorsque la fin s’approche, la mort est là, une glaciation intellectuelle s’accapare la terre… aujourd’hui encore certains veillent et attendent le retour. W Wiecznej Zemście Pogańskich Bogów : Dans la vengeance éternelle des dieux païens : ré-enregistrement du morceau An eternal Curse of the Pagan Godz issu de la démo éponyme de 1994 : course folle, rituel de la désespérance et du retour, les Dieux ne sont pas morts, ils sont toujours là, éternellement ici et maintenant, vous n’y pouvez rien, ce qui a eu lieu reste figé dans le sable mouvant de l’éternité, toute présence est une malédiction, une revanche sur le simple fait d’avoir été, la musique passe telle une tornade, la voix s’époumone dans le Dire du Mythe et du Politique.

    Damie Chad.

             Pour ceux qui n’auraient pas compris Arkona précise qu’il ne soutient ni n’appartient à aucune organisation à visée totalitaire. L’exemple de l’expérience séculaire de l’hégémonie christique sur les esprits suffit de vous dissuader de toute velléité d’imitation…

     

    *

    C’est comme les long horns, vous ne voyez que leurs grandes cornes, ensuite vous vous apercevez qu’il y a une vache dessous, ben là c’est pareil, sur la photo vous avez trois jolies filles, really delicious, et votre cerveau ne les calcule même pas, il dirige vos mirettes droit sur elle, il a raison, vous n’y croyez pas, ce n’est pas possible, comment ose-telle s’exhiber ainsi, ce ne devrait pas être permis, vous regardez la légende, vous faites confiance, elle a été rédigée par Rose et Paige de Two Runner, vous leur faites confiance, les yeux fermés, mais là vous les gardez grand ouverts, elles précisent que c’est leur ‘’fav country band Jesse Daniel’’, bien sûr vous ne connaissez pas, alors vous essayez d’en savoir plus. Un mec qui se balade avec une moustache en fer à cheval, ce doit être facile à repérer.

    JESSE DANIEL

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             Quelques clics sur lui et j’en sais davantage que si la CIA m’avait refilé un double de son dossier. Une bio américaine comme vous ne pourrez jamais vous vanter. D’abord l’american dream dans toute sa splendeur : au creux de la Californie, une maman aimante et un papa qui joue de la guitare, Creedence Clearwater Revival par exemple, donne même des petits concerts dans les coins, une enfance baignée par la musique… Une première cassure, le couple se sépare, l’enfant grandit, adolescent avec quelques copains il forme un groupe punk.

             Le punk c’est bien, mais la route de l’enfer est pavée de bonnes intentions, le lycée, les filles, les concerts, une belle adolescence, un gars sympa, serviable, toujours le sourire aux lèvres, un esprit créatif, bosseur, en forme parfaite. Enfin presque, il donne le change, un peu de fumette, quelques pilules… je vous épargne la longue route, la lente descente, addiction, trafic, prison, déchéance, notre héros est tombé dans l’héroïne…

    Cure de désintox sur cure de désintox, mais comme dans la plupart des bons films américains, un beau jour un ange lui tend la main. En fait ce n’est pas un ange mais un gars qui lui tend sa guitare. Ouf le déclic salvateur ! Il se souvient des morceaux country que son père jouait… Rédemption ! Non ça ne se passe pas que dans les films, soyez de votre époque, maintenant ça se passe dans les séries.

    S’est fait un petit nom avec sa guitare et sa voix dans les bars et les occasions du coin, un coup de téléphone qui demande une chanson pour Netflix… la roue tourne du bon côté, ses trois premiers simples DIY se retrouvent sur son premier album Jesse Daniel, sorti chez Die True Records, son label personnel. Il vient de sortir son cinquième album Countin’ The Miles, sur Lightin’ Rod Records… L’on se permet d’y piocher dedans. Pourquoi commencer par celle-ci et pas une autre. Parce que c’est une Lyric Video et qu’elle définit totalement le style de Jesse Daniel.

    TOMORROW’ S GOOD OL’ DAYS

    A tel point que vous ne savez pas où donner de la tête, à la première seconde vous êtes percuté par plusieurs obus mortels. Essayons de procéder avec ordre et méthode. Premièrement l’oriflamme majeur, la mention featuring Ben Haggard. Ne soyez pas hagard à l’énoncé de ce nom, sortez du  hangar de votre incroyance, oui, il s’agit bien du fils de Merle Haggard. Question filiation vous ne trouverez pas mieux, Merle Haggard c’est tout un pan de la légende de la country, le mauvais garçon, le bagarreur, le voleur qui se retrouve en prison, à San Quentin, ce qui lui permet de voir Johnny Cash et lui donne envie de changer de vie, de faire de la musique, il deviendra un des grands lui qui a croisé Lefty Frizzell et qui fera partie de la bande des Outlaws, un des grands noms de la country, mais pourquoi Ben est-il là, par hasard, que nenni il a déjà entendu les premiers titres de Jesse Daniel et il a reconnu. Si vous voulez savoir quoi, cliquez sur la vidéo vous n’attendrez pas longtemps, un petit peu de pedal steel guitar et vroom : la guitare vous cueille à l’estomac, oui Jesse revendique l’héritage de Merle, ce n’est pas tout, vous avez la voix, rugueuse sans concession, cela ne vous suffit pas, il vous manque le petit sortilège en plus sans lequel le country n’est pas du country, oui un brin de nostalgie, qui vous susurre tout fort à l’oreille que vous n’êtes pas heureux dans ce monde qu’il doit y avoir un ailleurs, les paroles de Jesse vous le confirment, ce pays où l’on n’arrive jamais se situe derrière vous, dans le passé et l’on a intérêt à y revenir au plus vite si l’on ne veut courir vers la catastrophe. Pour vous le confirmer vous avez les images, la beauté des paysages américains, et les méfaits de l’industrialisation à outrance…

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             Un bon morceau. Evidemment si vous attendez une analyse marxiste sur la lutte de classe aux Etats Unis vous êtes déçus. Pourquoi des milliardaires, pourquoi des paumés, Trump vous traitera de communiste, la country possède (et professe) sa morale, si vous êtes dans la mouise, il n’y a que vous qui pourrez vous aider. Prenons un exemple au hasard, celui de Jesse Daniel, avant-hier une loque, aujourd’hui une star montante du la country moderne.

    OL’ MONTANA

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

    Je vous connais, le précédent morceau était trop beau pour y croire, bricolé à merveille avec l’harmonica qui tombe à pic pour susciter le frisson fatal, alors voici Jesse tout seul dans un bar avec sa guitare à Nashville. Même pas un verre de whisky pour s’épaissir la voix. Son chapeau, sa moustache, sa veste de jeans ses tatouages bleuâtres qui ne semblent pas avoir été coloriés par un grand artiste…

    Une triste histoire, un mec trompé par sa gerce qui est partie avec ce garçon qu’il avait accueilli comme un ami. Bien sûr il l’a tué, c’est la moindre des choses. Bien sûr il est en prison, c’est l’injustice de la vie. Lui il regrette. Surtout pas de l’avoir tué, mais son amour qui l’a trahi. Ne lui en veut même pas. Le coupable c’est le gars. Faut du courage pour entonner une telle tragédie sans rire. Ou sans pleurer. Le Jesse reste imperturbable. Dévide ses couplets et ses refrains sans faillir. C’est son rôle, il vous rappelle ce que vous savez déjà, que la vie n’est pas rose, même si vous n'avez encore jamais tué personne, vous savez que cela arrive, que cela peut vous arriver, même qu’un tel morceau ne peut que vous aider à accomplir ce que vous n’avez pas encore osé faire, si le monde va mal c’est parce qu’il y a trop de lâcheté, la preuve il y en a vous… le country quand c’est réussi c’est entre le mélodrame, voire le boulevard le plus pathétique, et Homère, tous ces guerriers qui s’entretuent parce que le destin le veut… c’est Achilles qui pleure avec Priam et qui lui remet le cadavre d’Hector qu’il a occis  et mutilé… Un genre d’exercice qui n’est pas donné à tout le monde. Les turpitudes humaines ont leur grandeur, Jesse Daniel excelle en cet art d’une grande simplicité, d’une pureté inaltérable.

             Un bon morceau de country équivaut à la Comédie Humaine d’Honoré de Balzac résumée en trois couplets et trois minutes. Du grand art.

    Damie Chad.

     

    *

             Eddy Mitchell m’a écrit. Oui à moi, Monsieur Damie Chad. Enfin un envoi groupé. Quelques milliers de personnes, je suppose. Pour m’avertir de la sortie de son quarantième album, le huit novembre prochain. Pour m’appâter il m’a tendu un gros hameçon, la primeur d’un des nouveaux titres. 

             Dans mon intransigeante prime jeunesse j’ai beaucoup aimé Eddy, l’avais vu à la TV avec les Chaussettes Noires et les adultes de la famille horrifiés qui couvraient la musique de leurs cris horrifiés, l’était un point de repère quand j’étais au collège,  j’ai toujours gardé un œil sur lui, vu plusieurs fois en concerts,  j’ai décroché définitivement à la sortie de Grand Ecran, en 2009, un peu trop fadasse à mon goût, vieillir is not a good trip, l’Eddy de J’avais deux amis, de Société anonyme, de Je touche le fond, de Si tu n’étais pas mon frère, de Fortissimo, restera mon Eddy à moi, l’avait la niaque… ensuite  une carrière avec des hauts et des bas, quelques bons titres, des trucs trop chiadés, son incompréhension déroutante du retour du rock’n’roll au tout début des seventies… toutefois je ne résiste pas à écouter :

    EN DECAPOTABLE PONTIAC

    EDDY MITCHELL

            Pure country, c’est fou comme l’instrumentation adoucit la voix d’Eddy, bon Eddy roule en décapotable Pontiac la pedal steel guitar pleure tout son soul, au début cela sent la carte postale, surprise l’on quitte les bons sentiments pour les déclarations anarchisantes, les banques sont faites pour être braquées, y croit-il seulement, nous n’aurons pas le temps d’en débattre, survient la police… La société a gagné, qu’est-ce qu’on est loin de La Route de Memphis… Country mais pas Outlaw !

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             La pochette n’est pas une réussite. L’a une sale tête Eddy dessus, derrière un petit côté à la Edward Hopper, manque ce qui fait la grandeur de Hopper, l’autre face du rêve américain, la solitude américaine. Le titre de l’album me donne raison : Amigos. Surtout quand sur Tf1 l’on vous donne la liste des invités, les Souchon père et fils, William Sheller, Sanseverino, Pascal Obispo, aux compos. Inutile d’épiloguer.

    Damie Chad.

     

    *

             Ce qu’il y a de bien avec le doom c’est qu’il permet de voyager sur tous les continents, ce qu’il y a de mal avec le doom c’est que la question politique reste trop-souvent abordée de façon allusive, nous voici donc au Brésil avec un groupe qui n’a pas la langue dans sa poche.

    SETBACKS (TERRIBLE DAYS)

    DEAD LEVEL

    (Piste Numérique / 18 -09 – 2024)

    Seidi Ulra : vocals / Aramys Souza : guitars / Arthur Correa : bass / Beto Brasil : drums.

             Le groupe est de Belem au nord du pays, s’est formé en 2015, possède déjà à son actif deux Ep et un album.

    En France les média nous ont seriné que Jair Bolsonaro, président du Brésil entre 1919 et 2022 était un politicien libéral, Dead Level ne se gêne pas pour le qualifier de néo-fasciste. Vous comprenez que les jours terribles qu’évoque le titre sont ceux de son mandat présidentiel marqués par un accroissement de la misère et des inégalités sociales. Une loi simple à ne pas oublier dans notre propre pays qui glisse sur la pente douce, ne soyez pas pressé, de la tiers-mondialisation rampante : plus il y a de pauvres, plus les riches sont riches.

    La couverture est explicite : en bas un gars qui se prend la tête, en haut les quatre piliers de la Sagesse : mainmise sur l’information, ordre et morale fascistes, religion et abrutissements médicamenteux. En prime, the last but not the least, les armes pour faire taire les récalcitrants.

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

    Rajoutons notre petit commentaire personnel : certes Bolsonaro a été remplacé par Lula, ce qui est mieux que rien, mais cette gauche molle qui ne se donne pas les moyens d’éradiquer le loup malfaisant du capitalisme et de la chèvre rongeuse du libéralisme ne saurait être à notre gré une solution politique performative…

    Dès les premiers coups de batterie vous comprenez que l’on n’est pas ici pour écouter des frivolités d’avant-garde, la musique est lourde, elle avance lentement, un background définitivement posé pour ne plus bouger, bien sûr on laisse la guitare se faire entendre mais pour le trampoline exagératif n’y comptez pas, nous sommes sur le mode de l’incantation, tout repose sur la voix en quelque sorte légèrement échoïfiée pour lui administrer une dimension chorale, une espèce de récitatif qui oblige à penser au rôle du Chœur dans les tragédies grecques, tout à la fin elle laisse la place à la clameur de la foule qui marque la fin du cauchemar.  Question paroles c’est très intelligemment écrit. Le texte n’est pas un réquisitoire à l’encontre des exactions politiques, économiques et sécuritaires du dictateur démocratique, il a été élu, donc l’on accuse les vrais coupables, ceux qui ont voté pour lui, qui ont opté pour le pire par peur du terrible avenir que les medias leur prédisaient s’ils ne donnaient pas leur voix au sauveur attendu par la nation. Toute cette petite-bourgeoisie timorée et ces larges fractions populaires qui ont failli, qui se sont démises de leurs responsabilités, qui n’ont pas osé, qui ont fermé les yeux, qui ont fait semblant d’espérer, bref qui ont eu peur, le trouillomètre à zéro, comme si on leur enfonçait le bulletin de vote dans le trou du cul pour qu’ils le revomissent, avec ordre et discipline, dans l’urne accueillante. Ils ne le disent peut-être pas d’une manière aussi crue que mon commentaire, il faut savoir lire entre les lignes et écouter entre les notes.

             Nul n’est parfait (puisque personne ne pense exactement comme moi) : dans leur petit texte de présentation de leur morceau, ils ont le défaut de faire silence sur les stratégies financières des groupes  pharmaceutiques lors du Covid. Big Pharma s’occupe de votre santé…

    Damie Chad.

     

    *

    Il y a des disques vers lesquels vous vous dirigez sans savoir pourquoi. L’on m’objectera que le nom du groupe, référence explicite à Aleister Crowley, a dû agir sur ma soi-disant mystérieuse attraction, vous avez parfaitement raison mais vous avez totalement tort, ce n’est pas Crowley qui m’a attiré mais le manque évident entre le titre de l’album et la couve de l’album, et puis le titre de l’album si authentiquement blues, le tout en ayant parfaitement conscience que comme dans une enquête policière parfois les indices trouvés sur la scène du crime ni ne concordent entre eux, ni ne présentent aucune cohérence, d’ailleurs y-at-il seulement un cadavre ?

    MISERABILIST BLUES

    BOLESKINE HOUSE

    (Masked Dead Records / 17 – 04 - 2024)

    Raven Borsi : vocals, lyrics /  Nicolò Misrachi : instruments, songwriting.

    La compagnie Masked Dead Records, bonjour Le Masque de la Mort Rouge d’Edgar Allan Poe, est sise en Lombardie dans la bonne ville de Brescia, si je m’en rapporte aux patronymes des deux artistes j’en déduis que le groupe est originaire d’Italie, détail supplémentaire Giulia Frump photographe qui a participé à l’artwork est née à Milan. La façon dont sa participation est dévoilée me laisse rêveur : ‘’ Visual concept by Boleskine House and Giulia Frump’’ , nous ne sommes pas dans un simple disque de metal, le mot concept nous pousse à penser que nous sommes face à un concept poétique musical.

    Petite parenthèse parallèle et hypothétique : The House of the Holy de Led Zeppelin m’a toujours paru être raté, non pas parce qu’il est mauvais en soi, mais parce qu’il ne correspond pas à la force évocatoire de son titre, la demeure zéplinienne du titre ne serait-elle pas celle d’Aleister Crowley…

    L’opus est dédicacé à Carlos Ruiz Zafon, auteur espagnol décédé en 2020, auteur de mystérieux roman, se déroulant dans d’énigmatiques manoirs, emplis de sombres malédictions destinales s’étendant sur plusieurs génération, et d’une grande bibliothèque dans laquelle je vous conseille de ne pas choisir un livre même si l’on vous le propose, car vous n’avez aucune idée des nuisances que pourrait occasionner cette lecture le long de votre existence… sombres maisons et littérature, un univers aleistérien par excellence…

    Généralement, musiciens et chanteurs ne vous donnent pas quelques conseils pour écouter leurs opus quel que soit l’appareil d’écoute dont vous vous servez. Ici vous avez deux notes d’avertissement de quelques lignes, que je recopie in extenso : Tout d’abord sur la manière d’appréhender l’espace mental du groupe : ‘’ Boleskine House est un lieu où chacun peut trouver refuge contre sa vie ruinée, un espace immatériel où il peut se plonger dans ses fantasmes de nostalgie avant de disparaître à jamais sans laisser de trace. Une demeure qui change inévitablement en fonction des expériences personnelles de l’auditeur.’’.

    En second lieu, goûtez la force de ce vocable, sur l’album lui-même : ‘’ Miserabilist Blues est la première œuvre de Boleskine House. Le disque raconte un moment poignant et insaisissable, mais apparemment sans fin, sans horizon. Le temps, les lieux aimés, les personnes connues, les personnes perdues, les promesses fragiles des jours dorés de la jeunesse, les rêves brisés et les désirs impossibles se fondent dans un brouillard éternel.’’

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

             Bref, il ne reste plus qu’à entrer sans se faire prier, prenons toutefois le temps de regarder la couverture : au centre une jeune femme à l’épaule dénudée, certainement une photographie de Giulia Frump, elle aime la beauté des corps humain dénudés, visitez son Instagram, qui tient sur sa poitrine une espèce de cadre rudimentaire,  semblable à ceux qui entourent la photo, à considérer comme les exvotos symboliques des nœuds gordiens de nos angoisses ou de nos préférences que les visiteurs de la demeure seraient censés laisser sur place en signe de leurs passages

    Black House Painters : tiens, peinture, photographie, musique, poésie, littérature, sacrées confluences, serions-nous face à une tentative d’œuvre totale… : quelques notes, déjà une ambiance, une atmosphère, qui se développe, qui se zèbre d’éclairs, la charge des lanciers de la cavalerie et le chant qui growle comme une meute de loups qui galopent après vous, à votre recherche, ne craignez rien, vous ne risquez rien dans cette masse phonique gazeuse qui vous enveloppe, ces bêtes malfaisantes, des notes comme les reposoirs de la procession de Saint-Pol-Roux, leurs mufles vous enserrent ils ne vous attendaient pas cette maison, ils sont en vous, c’est dans votre tête qu’ils courent sans cesse en rond, une chaîne dont vous apprenez à vous défaire, dépêchez-vous, d’autres cauchemars vont poindre issus des marécages de votre cervelle, prenez-les dans vos bras, ces pauvres diablotins, n’ayez pas peur, bercez-les, apprenez à les apprivoiser, c’est ainsi que vous connaîtrez la paix, que vos terreurs s’amenuiseront, que la vie vous apparaîtra comme une clairière ensoleillée, une paix rayonnante vous enveloppe, vous retrouvez une jouvence, les loups hurlent, ils se disputent pour lécher vos mains, vous les avez amadoués, ils vous ressemblent, ils vous suivent, vos pas s’éloignent dans la longue galerie, vous disparaissez, hurlent-ils à votre mort… Need : quels sont nos besoins au juste, nous nous sommes débarrassés de nos peurs superficielles, nous voici maintenant face à la mer mouvementée de nos désirs profonds qui sont remontés à la surface, guitares en vagues et grondements du vent qui ne vous fait aucun cadeau, vous voici dans le vortex incommensurables de vos envies les plus sombres, sur la ligne de crête d’une corde de guitare glissante, il vous faut apprendre à les accepter, charmez les serpents que vous avez engendrés pour qu’ils vous piquent, pour qu’ils enroulent leur puissants anneaux autour de votre corps et qu’ils vous mordent à la nuque pour que vos pensées ne soient que l’agitation kaotique de votre kaléidoscope intérieur.

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

    A place to mourn forever : vous l’avez voulu, il est inutile de pleurer, le plus misérable des blues vous assaille, une tornade, vous attendiez une valse chaloupée en consolation, fausse route, vous êtes au fond du maelström, celui qui mène la barque est le masque de la mort rouge, il vous sourit, il n’a plus de dents, il a trop sucé de sang aux gorges qui se sont offertes, surtout la vôtre, attention vous êtes la reine des putains, la maîtresse de vos propres désirs inavouables, acceptez-vous, entendez-vous cette musique monumentale qui vous salue, qui joue la marche triomphale de votre victoire sur vous-même, une procession, un défilé, tout le peuple est après vous et chante en chœur vos louanges, le monde entier est suspendu à vos pieds, joie incoercible de vos phantasmes exacerbés, la guitare glisse comme un serpent d’or qui se faufile parmi les invités, quelle fête, les pleurs qui tombent de vos yeux sont comme des feux d’artifice extatiques qui montent dans le ciel, le plus misérable des blues est aussi le plus riche, voyez la force de l’orchestration car ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, growlements de remerciements, rien ne saurait éteindre le soleil de votre présence. Sérénité totale, intensité maximale. Seules subsistent quelques notes de clavier pour ne pas effaroucher le vol de l’hirondelle de la fragilité humaine et du rêve. When you sleep (Adaptation du groupe irlandais shoegaze My Bloody Valentine) : je ne comprends pas pourquoi ils ont eu besoin de reprendre ce titre qui vole en sa version originale au ras des pâquerettes : leur interprétation est bien meilleure, mais le charme des trois morceaux précédents est perdu…

             Lorsque l’on a un concept, il est nécessaire de le garder jusqu’au bout…

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 657 : KR'TNT ! 657 : KID CONGO / ROXY MUSIC / JOHN SQUIRE / HONEYCOMBS / LUKE HAINES / BLACKSTAFF / TONY MARLOW / POP POPKRAFT / TWO RUNNER

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 657

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    19 / 09 / 2024 

     

    KID CONGO / ROXY MUSIC / JOHN SQUIRE

      HONEYCOMBS / LUKE HAINES

    BLACKSTAFF / TONY MARLOW 

    POP POPKRAFT / TWO RUNNER

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 657

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

     

    L’avenir du rock

     - Congo à gogo

     (Part Four)

     

    z24862kidcongo.gif

             En examinant la dune qui se dresse devant lui, l’avenir du rock a clairement l’impression de l’avoir déjà vue.

             — Ne serais-je pas déjà passé par là ?, s’enquiert-il auprès de sa mémoire flagada. Et il ajoute, avec tout l’enthousiasme de carton-pâte dont il est encore capable :

             — Une de perdue, dix de retrouvées, ce qui bien sûr n’a pas plus de sens que d’errer dans le désert depuis belle lurette.

             La belle lurette est devenue son unité de mesure préférée. Tout est belle lurette : les nuits, les jours, les étoiles, les grains de sable. En redescendant la dune, il croise un mec déguisé en explorateur colonial, qui s’apprête à la monter et qui a l’air complètement paumé. Histoire de le distraire un peu, l’avenir du rock lui lance, d’une voix chantante :

             — Que fais-tu là Petula/ Si loin de l’Angleterre ?

             Raté. L’explorateur colonial ne rit pas. Il semble un peu constipé.

             — Je m’appelle Stanley. Suis dûment mandaté par Leopold II, roi des Belges. Vous n’êtes pas Livingstone, I presume...

             Ça faisait belle lurette que l’avenir du rock n’avait pas ri de si bon cœur :

             — Ya pas plus de Livingtone que de beurre en broche, Stan !

             — Auriez-vous l’obligeance de m’indiquer la direction de la jungle ?

             — Quelle jungle ?

             — Bah la jungle jungle...

             — La junjungle ?

             — Oui la junjungle toute verte avec des arbres... Vous m’avez l’air complètement abruti, mon pauvre ami. La junjungle qu’on traverse en pirogue... Pi-ro-gue... Sur un fleuve... Fleu-ve...

             — Le fleufleuve ?

             — Fleufleuve Con-go..., vieux con !

             — Ahhhhhhh oui ! Je connais très bien Kid Congo.

     

    z24867kidmaintendues.jpg

             Sur scène, Kid Congo est certainement l’un des artistes les plus accomplis de son temps. Il rocke le boat et fait du cabaret, il t’émerveille et t’émancipe, il te donne à voir et à entendre, il mélange Tempest Storm et Jeffrey Lee Pierce, Lou Costello et Lux Interior, s’il porte la moustache de John Waters, ce n’est pas un hasard, mon petit Balthazar, s’il fait rebattre le cœur du vieux «Sexbeat» au cabaret burlesque, c’est encore moins un hasard, et s’il multiplie les hommages à Jeffrey Lee Pierce, alors on est bien obligé d’admettre que tout cela finalement tombe sous le sens, enfin, le sens qui t’intéresse - Viva Jeffrey Lee Pierce ! - Avec le Kid sur scène, on se retrouve dans la meilleure conjonction cosmique possible : tout de blanc vêtu, il perpétue la mémoire d’une vieille énergie sauvage, et il la perpétue à merveille. Il en est le dernier survivant, c’est la raison pour laquelle il est d’une certaine façon devenu un peu crucial. Lux et Jeffrey Lee ont quitté la planète, alors le Kid porte le flambeau de ce vieux no-sell-out calorique qui fit la joie des imaginaires en des temps assez reculés. Et il jette dans ce cérémonial toute son énergie, claquant des moutures qu’il faut bien qualifier d’extraordinaires.

    z24866multipliépartrois.jpg

    Tout son corps bouge, le Kid danse avec les loops, tu ne vois pas ça tous les jours, une superstar en mouvement perpétuel, un Tinguely du Sexbeat, avec le punch de Muhammad Ali. Ses Pink Monkey Birds jouent en formation serrée, comme dirait le général Mitchoum, et ça te donne des versions dévastatrices. Comme le disait si bien Lux Interior, «ta mâchoire se décroche et pend comme une lanterne sur ta poitrine.» Le Kid claque ici et là des killer solo flash qui en disent assez long sur son passé d’apprenti sorcier, lorsque Jeffrey Lee Pierce lui enseignait les évangiles selon Saint-Rock, c’est-à-dire le blues et le free. Et comme ça menace de beaucoup trop chauffer («She’s Like Heroin To Me», «Sexbeat» et l’infernal «Thunderhead» tiré de Mother Juno, pour le Gun side + «Primitive», «Goo Goo Muck» et «You Got Good Taste» pour le Crampsy side), alors le Kid tempère le set avec des rumbas extraordinaires («Ese Vicio Delicioso» tiré du Vice album, et «La Arana» tiré de l’album précédent). Et pour faire planer un voile de mystère sur la salle, il t’emmène au cabaret et interprète «The Smoke Is The Ghost», avec des grands gestes théâtraux et le regard perdu dans la voûte.

    z24868kid+gretch.jpg

    Le petit mec sur la Gretsch s’appelle Gabriel Naim Amor, un expat français qui nous dira au bar qu’il a eu «de la chance de rencontrer Kid.» Pour finir le set en beauté, le Kid sort deux lapins de sa manche, les deux hits du Vice album, «Wicked World» et «A Beast A Priest», avant de demander : «You wanna dance?». Il évoque le mashed potatoes et d’autres vieux coucous et bham ! «Sexbeat» ! Le Kid réussit non seulement l’exploit de régénérer la légende du Gun Club, mais il régénère en plus tous les imaginaires rassemblés à ses pieds. L’awsome t’assomme.

    z24869kidaumicro.jpg

             On trouve d’éminentes traces de modernité sur son dernier album, That Delicious Vice. Au moins deux. La première s’appelle «Wicked World», un World monté en neige de fuzz. Posture effarante. La fuzz congolaise n’est pas la même que les autres fuzz : la sienne te lèche la conscience.

    z24870delisiousvice.jpg

    La deuxième trace de modernité s’appelle «A Beast A Priest», un Beast monté sur l’heavy beat de bass/drum de Mark Cisneros et Ron Miller. Alors le Kid se pointe, pour lui c’est du gâtö - Until I felt the pressure drop - Et il ajoute avec cet accent tellement angelino : «I’m too old/ To Win/ I’m afraid.» Il pèse de tout son poids sur le mystère. Il y a du shaman chez le Kid. Puis les autres cuts vont refuser d’obtempérer. Le reste de l’album ne marche pas. Il s’enfonce dans le western spaghetti avec «Silver For My Sister» et la samba avec «Ese Vicio Delicioso» - At the age of three I knew/ What I wanted to be - Toute la fin de l’album part à vau-l’eau. Le Kid abandonne son Congo Powers.

             Il est beaucoup plus à l’aise avec le Wolfmahattan Project. Sur le what ?

    z24871bluegenestew.jpg

             Pour les ceusses qui ne le sauraient pas, the Wolfmanhattan Project est un super-groupe. Le trio se compose de Mick Collins, Kid Congo et Bob Bert, une sorte de conglomérat Cramps/Gories/Chrome Cranks. Leur premier album s’appelle Blue Gene Stew et Bob Bert a peint la pochette. On y entre comme on entre dans le lagon d’argent, bien conscient de la présence des dieux. C’est inespéré de down the drain dès «Now Now Now» que le Kid chante dans la pénombre, alors que Mick Collins envoie ses jets d’acide. Le Gorie prend ensuite le chant pour «Braid Of Smoke» et sale le plat au sonic brash. Non seulement il le sale, mais il le noie de disto. On croise ensuite quelques cuts étrangement inconsistants, et en B, «Smells Like You» nous rappelle à l’ordre, car plus garage, plus Pussy Galore par le côté défiant et le drumbeat indus de Bob. C’est monté sur le riff de «Gimme Some Lovin’» et chanté en désespoir de cause. Dernier spasme avec «Silver Sun» que Mick Collins chante au feeling insidieux. Il s’engage dans l’avant-garde du beat déployé, il s’étonne lui-même d’être tellement en avance sur son époque, you need the silver sun now, et fait entrer dans la danse un sax free. Alors on est vraiment content d’être venu. Avant d’envoyer l’album coucher au panier, on note que «Last Train To Babylon» pioche dans l’ancien farfouillis de Roxy, à moins que ça ne soit dans celui du Babaluma.

    z24872summer.jpg

             Summer Forever And Ever est leur deuxième album. Avec «Like Andrea True», tu te croirais chez les Cramps. T’as même le petit tiguiliguili à la Ivy League, ça gratte dans les vieux replis de la légende, c’est comme abandonné aux bons soins d’une modernité à la dérive. Et puis soudain Mick Collins attaque au three two one yeah ! Cover de Jerry Nolan : «Countdown Love». Ces trois vieux crabes sont encore capables de rocker une heavyness joyeuse et fébrile. On sent tout le poids des Gories dans cette furie. C’est le Kid qui chante «Summer Forever», il place sa voix à la surface du beat infectueux. C’est forcément génial, plein d’esprit, battu sec par Bob et soutenu aux chœurs par ce démon de Mick Collins. Il profite de l’occasion pour tailler une vrille malsaine. Ils terminent leur balda avec «Hypnotize Too», un petit instro visité par un sax free. Weird, humide et fascinant. La B est moins héroïque. Ils l’attaquent avec un «H Hour» gratté à la Gories. Ça tombe sous le sens, très saccadé, quasi JSBX, coincé dans un coin. Ils s’amusent encore avec «Silky Narcotic» et envoient des spoutnicks. Ils travaillent des idées, on les sent fébriles dans leur quête de modernité. Ils bouclent avec «Raised/Razed», un groove Congolais, le Kid tartine bien son all over the sky et son turn you on/ because I can raise you.

    z24873neardeathexperience.jpg

             Pour retrouver l’énergie d’un set de Kid Congo, l’idéal est d’écouter le Live In St Kilda de Kid Congo Powers & The Near Death Experience, un In The Red sorti l’an passé. C’est qui Kilda ? On a l’explication en ouvrant le gatefold : Kim Salmon avait invité le Kid pour la parution de son book à Melbourne. St Kilda est donc un patelin de la banlieue de Melbourne. Honoré par l’invitation de celui qu’il surnomme «my long time Scientist Surrealist Beast of a friend», le Kid monte un set avec le groupe d’Harry Howard, ex-Crime & The City Solution, Harry Howard & The Near Death Experience, «as the logical choice». Tu retrouves l’ambiance explosive du set des Pink Monkey Birds, avec comme point commun, une belle introduction : «You like to dance?» Et il ré-énumère les mashed potatoes et les autres vieux dance crazes qui datent de Mathusalem, «but you’ve not heard the one called Sexbeat!» Et re-bham, et t’es de nouveau frappé par l’infernale modernité du beat de Sexbeat. Dans ses liners écrite à la main, le Kid te dit : «Enjoy the racket». C’est bien d’un racket dont il s’agit dès «LSDC» - This is a place called/ L/ Sssss/ Diiii/ Ciiii - Et il embraye avec l’un de ces instros du diable dont il a le secret, «Black Santa», et de conclure la bouche en cœur : «It’s Christmas all of the tiiiiime.» Contrairement à ce qu’indique le track-listing d’In The Red, c’est «New Kind Of Kick» qui boucle le balda - You are searchers of some other sort of new/ Kind/ Of/ Kick - Et il tape une version demented en souvenir d’un groupe demented. C’est donc «Sophisticated Boom Boom» qui ouvre le bal de la B - Especially for Kim, by the Shangri-Las, you know the Shangri-Las ? Sophisti/ Cated/ Booooom/ Booooom». Il fait du big atmospherix avec «Diamonds Fur Coat Champagne» et termine l’album avec l’une des plus grosses dégelées royales de tous les temps : «Garbage Man» - Here comes/ The Garbage Man - Grosse attaque Crampsy - You ain’t no punk/ You punk - Qui dira la grandeur des Cramps, la portée de cette clameur binaire, l’heavy beat en crabe, qui dira l’impact surnaturel du do you understand et du stuff I use ?

    z24874swing.jpg

             Au merch, une autre pochette te fait de l’œil : Swing From The Sean DeLear, un maxi de Kid Congo & The Pink Monkey Birds. Sean DeLear était un queer punk icon de la scène de Silver Lake. Ron Miller te bat «Sean DeLear» sec et net, ça frise le Sexbeat. Puis le Kid introduit à sa façon cet instro du diable qu’est «(Are You) Ready Freddy» et il embraye aussi sec sur «(I Can’t Afford) Your Shitty Dreamhouse». Il y va au take your hair out my air, ou out of my hair, c’est comme on veut, et on retrouve le bassamatic bien ordonné de Kiki Solis. En B, il passe avec «He Walked In» au heavy groove ténébreux et bien noyé d’underground angelino, là-bas, sous le soleil de Satan - The flesh of a man/ The face of a friend - Et il t’invite au jump inside, il voyage chez les morts et bizarrement, ça se termine en mode rumba des îles, en big latin flavour avec Mark Cisneros à la flûte bucolique.

    Signé : Cazengler, Kid Con tout court

    Kid Congo. Le 106. Rouen (76). 11 septembre 2024

    Kid Congo & The Pink Monkey Birds. That Delicious Vice. In The Red Recordings 2023

    Wolfmanhattan Project. Blue Gene Stew. In The Red Recordings 2019

    Wolfmanhattan Project. Summer Forever And Ever. In The Red Recordings 2022

    Kid Congo Powers & The Near Death Experience. Live In St Kilda. In The Red Recordings 2023

    Kid Congo & The Pink Monkey Birds. Swing From The Sean DeLear. In The Red Recordings 2021

     

     

    Wizards & True Stars

     - Roxy ça vaut pas Jerry Lee

    z24865roxymusic.gif

             Se foutaient pas le doigt dans l’œil Eddick Ritchell, Sharon Glory et Jimmy Freud quand, dans «Ego-Dames», ils clamaient la main sur le cœur «Ziggy et Roxy ça vaut pas Jerry Lee !». Ils tournaient le glam en dérision. La fière équipe d’Au Bonheur Des Dames est arrivée dans le rond du projecteur un peu après Roxy, mais la parenté crevait l’œil, au moins au niveau visuel. Du côté d’Au Bonheur, on rigolait, mais pas du côté de Roxy. Au Bonheur Des Dames fut ce qui arrivait de mieux à la France de 1974, de la même façon que Ziggy et Roxy à l’Angleterre de 1972. On sentait alors une volonté clairement affichée de réinventer le rock de part et d’autre de la Manche. Le rock ne s’est jamais mieux porté qu’en ces années-là.

    z24875roxymusic.jpg

             On a tous flashé sur le premier Roxy paru en 1972 sur Island. Cet album parfait est resté un point de repère, pour une seule et unique raison : «Re-Make Re-Model», avec son intro de piano historique et le tagaga de Paul Thompson. Et aussitôt après, Manza foutait le feu, t’avais des chœurs de lads - I tried but coundn’t find a way - L’un des cuts parfaits de l’histoire du rock anglais. T’ouvrais le gatefold et t’avais ces six portraits supersoniques. Par contre, le reste de l’album te laissait sur ta faim de loup.

    z24876foryourpleasure.jpg

             Il fallut attendre For Your Pleasure, paru un an plus tard, pour calmer cette faim de modernité. T’avais encore cinq portraits fantastiques dans le gatefold. Pas de bassman. Un certain John Porter était crédité à la basse. Et Chris Thomas produisait. Trois cuts allaient te marquer la cervelle au fer rouge : «Do The Strand», «Editions Of You» et «The Bogus Man». Tu retrouvais la fantastique énergie de la décadence dans un «Do The Strand» épaulé par le sax d’Andy Mackay. Tu retrouvais des accords de piano dans l’intro d’«Editions Of You», mmmmmhh, et la frappe sèche de Paul Thompson. Alors John Porter entrait en lice et ça virait au demented are go. T’étais au cœur du phénomène Roxy. Ils bouclaient leur balda avec «In Every Dream Home A Heartache», un Big Atmosphrix d’I blew up your body/ But you blew my mind ! Et en B, t’avais bien sûr l’excellent «Bogus Man» et la belle frappe sèche de Paul Thompson, renforcée par l’adroit bassmatic de John Porter. Ils faisaient en fait du Babaluma, de l’hypno à Nono, et Manza grattait des poux funky dans le déroulé. Puis Ferry repartait dans son maniérisme à la mormoille avec «Grey Lagoons» que venait tempérer Andy avec un solo de porcelaine de sax. C’est dingue comme ces mecs savaient développer.

             Et puis, les choses vont se dégrader. Une fois Eno viré, Roxy va devenir un groupe commercial, à l’image d’un Bryan Ferry dévoré d’ambition. La modernité de Roxy va s’étioler d’album en album, d’abord avec Stranded et Country Life, puis sombrer enfin dans la daube commerciale que l’on sait. Rien à tirer des albums suivants.  

    z24878bookrevoliution.jpg

             Roxy revient dans l’actualité via l’autobio de Phil Manzanera, Revolucion To Roxy. Tu chopes l’info, tu te frottes les mains, tu baves même un peu : toute littérature concernant Roxy est ultra-bienvenue. Tu t’attends même à un big book, étant donné que tu considères Manza comme un élégant personnage cosmopolite. Avant ça, tu n’avais eu que le book de Michael Bracewell à te mettre sous la dent : Re-make/Re-model: Becoming Roxy Music, un book bien documenté,  très axé sur le concept de Roxy, mais qui manque d’épaisseur humaine. On n’y sent pas bien les personnages. Manza va-t-il combler ce déficit ?

    z24903concert.jpg

             Il comble que dalle. Tu l’as dans le baba. C’est l’une des grandes déconvenues du siècle. Manza fait d’autres choix. Roxy, c’est juste deux chapitres, et tout le reste concerne la gloriole, les tournées mondiales, les raids en Amérique latine, la fréquentation de lascars comme David Gilmour, les maisons, les bagnoles, les awards, les gosses, les arbres généalogiques, et puis bien sûr les épisodes de reformation de Roxy avec les millions de dollars, c’est l’histoire d’un groupe qui fut passionnant le temps de deux albums et qui a fini par tourner en eau de boudin, c’est-à-dire en grosse machine à fric vide de sens, mais qui remplit les stades. Là est le paradoxe. On le connaît par cœur, ce paradoxe. On ne peut pas lutter. Comme si la dimension artistique ne comptait plus. Ne reste que la gloriole et l’Hall of Fame, toute cette drouille immonde qui gâche la légende d’un art qu’on croyait sacré et qui n’est au fond qu’un business de plus. Tu lis ce book et t’es atterré par le spectacle qu’il t’offre. C’est un peu comme si tu lisais les mémoires de Jagger ou celles de Gilmour, des books que tu n’approcherais jamais, même avec une pince à linge sur le nez. Bon, là, tu dois bien reconnaître que tu t’es fait baiser.

             On attendait de Manza qu’il nous parle d’Andy Mackay en long et en large, ou d’Eno, ou de Paul Thompson. Rien de plus que ce qu’on sait déjà. Et pas un mot sur Johnny Gustavson, le mec des Big Three qui joue de la basse sur 4 albums de Roxy, ni sur Sal Maida. Rien ! Que dalle !

             Roxy avait passé une annonce dans le Melody Maker : «Wanted. The perfect guitarist for avant rock group: original, creative, adaptable, melodic, fast, slow, elegant, witty, scary, stable, tricky. Quality musiciens only.» Manza passe l’audition avec sa Gibson ES 335 et comme ils n’aiment pas  le look de la 335, ils lui disent de revenir avec une Strato. Mais c’est David O’List qui décroche le job. Manza est déçu. Le seul défaut d’O’List était d’arriver en retard aux répètes, et c’est comme ça que Manza finit par décrocher le job. Il est là, alors les autres lui demandent de jouer. Dans la première mouture, le bassman s’appelle Graham Simpson. Et comme Manza connaît bien les cuts, Bryan Ferry lui propose un CDI à 15£ la semaine. En 1972, il devient professionnel.

    z24901gate1.jpg

             Manza donne des détails importants : au début, Roxy n’a pas de blé, alors le groupe doit redoubler d’inventivité. Comme ils viennent de décrocher un contrat avec Island, on les confie à Anthony Price, un fashion designer qui doit peaufiner leur image. Manza est sapé comme l’as de pique et Price qui bien sûr est gay fait «no, no, noooo» et lui demande de porter un blouson de cuir et des lunettes d’extra-terrestre, sur lesquelles sont collés des clous en diamant. Manza a son look en 5 minutes. Le problème, c’est qu’il ne voit rien avec ces «bug eyes». Il ne voit que ses pieds. Pour gratter ses poux, c’est l’enfer. La photo des «bug eyes» est dans la page. Tu les vois aussi quand tu ouvres le gatefold du premier Roxy.

    z24902gate2.jpg

             C’est aussi là que commencent les problèmes : Bryan Ferry décide de tout. La pochette du premier Roxy, c’est lui. Manza rappelle aussi que Graham Simpson était dans le premier groupe de Bryan Ferry, The Gas Band, au temps de la fac de Newcastle. Puis Simpson va traverser une mauvaise passe et se faire virer. C’est là que commence le bal des bassistes. Manza en dénombre 15. Il indique aussi que Bryan Ferry et Andy Mackay sont revenus transformés d’un concert de Ziggy. C’est là qu’ils décident de se transformer en gravures de mode, comme l’ont fait les Spiders From Mars. Et le plus avancé, dans cet art, c’est bien sûr Eno. Il tombe toutes les filles et Manza sous-entend que Bryan Ferry le jalouse.

    Z24904CHISTHOMAS.jpg

    (Chris Thomas)

             C’est Chris Thomas qui va enregistrer Music For Your Pleasure. John Cale l’a recommandé à Roxy. Manza rappelle aussi que Thomas a bossé sur le White Album. Alors wham bam ! Mais Bryan et Brian ne s’entendent pas. Eno se considère comme un «Independant mobile unit» et un «non-musician». Il ne supporte pas l’autorité. En plus, il est le plus flamboyant du groupe - which I’m sure Bryan didn’t enjoy - Il va subir le même sort qu’un autre Brian, Brian Jones. En plus, Eno est très extraverti, alors que Bryan Ferry reste impénétrable. Ils sont à l’opposé l’un de l’autre. En plus, Bryan Ferry continue de faire ses coups en douce. Il a déjà quasiment réglé la question de la pochette du deuxième album sans en parler aux autres. Manza le redit : Bryan Ferry n’a consulté personne. Il a choisi Amada Lear pour le recto et c’est lui qu’on voit au verso déguisé en chauffeur. Les membres du groupe émettent une molle protestation et Bryan Ferry la prend en compte. Puis une petite shoote éclate entre Bryan et Brian, à propos d’une gonzesse. Brian Eno joue une dernière fois avec Roxy en 1973 et il quitte le groupe avant de se faire virer.

    Z24895COUNTRYLIFE.jpg

             Voilà, c’est à peu près tout ce qu’on a sur Roxy. Manza donne aussi des détails sur la pochette de Country Life avec les deux belles gonzesses en petite tenue. Il rappelle aussi qu’entre 1972 et 1984, il n’a pas gagné un rond, malgré les tournées mondiales et les disques d’or : le management et probablement Bryan Ferry s’en s’ont mis plein les poches. Puis les choses vont se détériorer dans le groupe. 1976 nous dit Manza est le commencement de la fin. Il voit encore Bryan Ferry faire ses coups en douce et traiter les autres membres comme son backing band. À la fin de la tournée Avalon, en 1982, Andy Mackay et Manza donnent leur démission : «It’s been a great pressure working with you. Goodbye.»

             Il leur faudra attendre 18 ans pour se reparler. Ce que Manza veut dire à travers tout ça, c’est qu’on ne peut pas être pote avec un mec comme Bryan Ferry. C’est impossible.

    z24898egodames.jpg

             C’est le gros billet qui va les motiver pour la reformation, comme c’est le cas pour tous les groupes de vieux crabes. Tout ce qu’ils veulent, c’est se payer des belles baraques dans la campagne anglaise et des Rolls. Tu vois un peu le niveau ? On leur propose 7 millions de livres. Bryan Ferry, Manza et Andy Mackay acceptent le principe. Ils se retrouvent en studio à Londres et tentent de jouer «Virginia Plain». Ça marche. Paul Thompson est là aussi, avec Guy Pratt on bass. Il est question d’un nouvel album produit par Chris Thomas. Eno fait aussi partie du projet. Ça se passe bien jusqu’au moment où ils s’assoient pour papoter tous ensemble, et Eno fait remarquer que chaque membre rejoue le rôle qu’il jouait 35 ans auparavant. Alors Manza comprend que le projet est foutu. Chacun repart de son côté. Roxy, ça vaut pas Jerry Lee. 

    z24877mojo.jpg

             Le Mojo Interview est mal barré : Manza apparaît tel qu’il est aujourd’hui, en petit pépère souriant. Fini l’allure de wild rocker glamour. Il pose pour un autre portrait en fin d’interview avec les fameux «bug eyes» qu’il a conservés. Et si sa plus belle heure de gloire était d’avoir accompagné Robert Wyatt sur Ruth Is Stranger Than Richard ? Pour mener l’interview, Mat Snow ne se casse pas la nénette : il repart de l’autobio. Père anglais, possible agent double, et mère argentine. Rusé comme un renard, Snow amène vite Manza sur le terrain de Roxy. Alors le pépère souriant y va de bon cœur : «I wanted to be more like the Velvet Underground, textural. Les autres ont amené des choses différentes : Eno had systems music, Bryan a mixture of Motown and the Velvet Underground, Andy loved King Curtis and Paul loved Led Zeppelin.» Chacun amenait sa petite contribution, conclut gaiement Manza. Pour lui c’est un collectif. Eno avait inventé le mot «scenius». Snow revient sur l’éviction d’Eno. Manza n’est pas clair là-dessus, il indique qu’Andy en sait plus que lui, aussi recommande-t-il d’attendre qu’Andy écrive son autobio - Et quand j’ai dit à Bryan l’autre jour que j’écrivais un book, je lui ai dit qu’il devrait en faire autant - j’aimerais bien enfin savoir ce qui s’est passé - Andy et Manza se sont quand même posé la question de savoir s’il fallait suivre Eno ou rester dans Roxy. Ils ont décidé «de rester pragmatiques» et sont restés dans Roxy. Manza va aussi filer un coup de main à Eno sur Here Come The Warm Jets et à John Cale sur Fear et Slow Dazzle. Manza précise que Roxy avait demandé à Calimero de produire For Your Pleasaure, mais comme il était sous contrat avec Warners, il ne pouvait pas, et il recommanda Chris Thomas. 

    z24879bookremake.jpg

             Après toutes ces déconvenues, il est grand temps de ressortir le Re-make/Re-model: Becoming Roxy Music de Michael Bracewell. Finalement, c’est lui qui a raison : avant d’être une aventure humaine, Roxy est un concept - Above all... a state of mind, lâchait Bryan Ferry en 1976 - Bracewell souligne très vite la proximité des «wily strategies of Duchampian aesthetics», cette proximité qui nous conduisit à l’époque à délirer sur Roxy et pondre un Conte, cot cot !  Bracewell ose des parallèles extraordinaires entre Roxy, Smokey Robinson, Marcel Duchamp, le Velvet, John Cage et Gene Kelly, «all in their different ways, forcefully and glamourously modern.» Bracewell ajoute qu’avec le premier Roxy, Ferry «presented his carte de visite to the world. The record was arch, thrilling, elegant, unique, clever and richly romantic.» C’est bien ce qu’on reproche à Ferry, le côté trop clever, mais Bracewell a raison de souligner l’élégance et la singularité. Bracewell établit aussi en lien entre Joe Meek et Roxy - the Meekian other-worldniness - symbolisé par «Ladytron». Parmi les influences de Roxy, Bracewell cite le «Bad Penny Blues» d’Humphrey Lyttelton, produit par Joe Meek, dont l’intro de piano sera reprise par les Beatles dans «Lady Madonna». Ferry cite aussi le Charlie Parker Quintet avec Miles Davis, et bien sûr LeadBelly - a black dandy, a precursor to Bob Dylan - Et là, effectivement, Bracewell navigue à un autre niveau que Manza. Comme quoi, il y a book et book.

    Z24896hamilton.jpg

             Bracewell lance encore des ponts entre le Velvet et Roxy via l’art moderne, puis établit le lien fondamental entre Andy Mackay et Dada, un Andy qui flashe aussi sur les Bonzos - There is definitevely the English art school influence of Dada rediscovered - et puis le lien Richard Hamilton/Marcel Duchamp qui est au cœur de Roxy, car Bryan Ferry fut l’élève d’Hamilton, le théoricien du Pop Art, héritier de Duchamp - No living artist commands a higher regard among the younger generation than Marcel Duchamp - Hamilton enseignait à Newcastle, où vivait encore le jeune Ferry. Un Hamilton qui va d’ailleurs concevoir la pochette du White Album. Le concept, rien que le concept. C’est ce qu’il faut comprendre. Roxy n’est pas un groupe ordinaire. 

    z24896peinture.jpeg

    ( Peinture de Mark Lancaster)

             Et ça qui vaut tout l’or du Rhin : Mark Lancaster évoque sa rencontre avec Marcel Duchamp - J’ai rencontré Marcel Duchamp chez Richard Hamilton à Londres, quand il est venu pour son exposition à la Tate Gallery en 1966. Il m’a demandé : ‘Êtes vous artiste ?», and when I said yes, or «Oui», he said, «Moi aussi.» Quelques jours plus tard, je l’ai rencontré avec sa femme Teeny à Carnaby Street. Je venais d’acheter un costume jaune vif. Ils l’ont admiré, mais je n’ai pas osé lui demander de le signer - C’est quand même plus intéressant que le Rock’n’roll Hall Of Fame, n’est-ce pas ?

    z24897duchamp.jpg

    ( Marcel Duchamp)

             Liens encore avec le «Moon River» d’Henri Mancini et Breakfast At Tiffany’s, avec les photos de Mark Lancaster de yellow cabs qu’il a photographiés depuis le «fire escape of Andy Warhol’s Factory», Bracewell n’en finit plus de rappeler que les racines de Roxy sont la trilogie suprême de l’art moderne : Andy Warhol, Marcel Duchamp et Richard Hamilton. D’où les portraits qui ornent le gatefold de Roxy Music. Bracewell s’en donne à cœur joie : «Serré dans une chemise noire, Mackay est incroyablement beau - a mascaraed rocker, greasy quiff piled high at the front and straggling in disdainful rat-tails down the nape of his neck. Le menton dans la main, chaque doigt portant une lourde bague, son image est celle du rebelle solitaire et introverti, a one-shot amplification of the rock and roll style of fifties Americana.» Les six portraits sont des œuvres d’art moderne. On avait tous flashé là-dessus en 1972. Et Bracewell de rappeler que Mackay était aussi un dandy fasciné non seulement par Dada, mais aussi par «Swinburne, Audrey Beardsley and the Preraphaelte Brotherhood». Personnage complet.

             Signé : Cazengler, Roxy Musette

    Roxy Music. Roxy Music. Island Records 1972

    Roxy Music. For Your Pleasure. Island Records 1973

    Mat Snow : Phil Manzanera - The Mojo Interview. Mojo # 366 - May 2024

    Phil Manzanera. Revolucion To Roxy. Expression 2023

    Michael Bracewell. Re-make Re-model. Faber & Faber 2007

     

     

    L’avenir du rock - Squire boy

             Le jusqu’au-boutisme n’a aucun secret pour l’avenir du rock. Sans vouloir manquer de respect aux ceusses qui se poseraient la question de savoir pourquoi, disons qu’une nature conceptuelle sans jusqu’au-boutisme n’est pas concevable. Un concept qui ne pas va au bout des choses n’est pas un concept. L’avenir du rock ne manque pas une seule occasion de mettre ce postulat en pratique. Pour d’obscures raisons éditoriales, il a besoin de se faire traiter de square, aussi décide-t-il de se déguiser en beauf atroce et d’aller provoquer Boule et Bill à la terrasse de la Civette. Il mouille son peigne et se coiffe les cheveux vers l’arrière, les plaque avec du saindoux, il se dessine une grosse moustache au feutre, puis il enfile un marcel, un short en nylon rouge, des chaussettes noires et chausse des charantaises. Il complète l’ensemble avec une vieille casquette Ricard du Tour de France et des lunettes de soleil miroir. Avant de sortir, il prend soin de placer quelques traces de Nutella sur le marcel et sur l’arrière du short pour que le côté douteux des choses ne laisse absolument aucune chance au doute. Pour compléter le panorama, il s’est acheté des boules puantes chez son fournisseur préféré. En arrivant à destination, il allume bien sûr un cigarillo bien puant. Boule et Bill l’ont vu arriver de loin. Ils ne cachent pas leur dégoût lorsque l’avenir du rock, sans même leur demander leur permission, s’assoit face à eux.

             — Tu nous fous la honte, avenir du rock. En plus tu schlingues comme un putois.

             L’avenir du rock leur souffle la fumée du cigarillo dans la gueule et lâche le plus sonore des pets. Prrrrrrrrrrr ! Tous les gens installés sur la terrasse se retournent.

             — Alors les deux réactionnaires, toujours sur la brèche ?

             — Avec un lascar comme toi, on ne sait jamais ce qui va nous tomber sur la gueule. Tu veux quoi, avenir du rock ?

             — Chais pas, Boule. Une petite insulte ?

             — Tu veux qu’on te traite de beauf ?

             — Ah oui mais en anglais !

             Bill qui connaît trois mots d’anglais saute sur l’occase :

             — Fooking square !

             Radieux, l’avenir du rock lâche un gros Prrrrrrrr dionysiaque et corrige le tir :

             — Non pas square, fooking Bill, Squire !

    z24861johnsquire.gif

             John Squire superstar ? Aucun doute là-dessus. Il refait l’actu en compagnie de Liam Gallag : les voilà tous les deux en devanture de Mojo. Tapis rouge : douze pages et des photos à gogo. Promo presse pour un nouvel album, comme au temps d’avant.

    Z24886MOJOLIAM.jpg

             Douze pages. T’es obligé de t’y reprendre à deux fois - It’s the best bits of Oasis with the best bits of The Stone Roses, they promise - La classe des deux ! Tu te rinces l’œil. Ces deux vétérans ont de vraies allures de rock stars anglaises, surtout Squire Boy avec sa petite coupe de douilles seventies et cette façon qu’il a de te regarder droit dans les yeux. Liam Gallag raconte qu’il a offert deux paires de mocassins à Squire Boy qui était sorti de sa réclusion pour venir jouer en rappel sur «Champagne Supernova», à Knebworth, en juin 2022 - Hand-made from Portugal, with tassels - c’est-à-dire avec les glands. Mod shoes. Liam Gallag raconte qu’il s’est toujours intéressé aux pompes de Squire Boy, d’où l’idée du cadeau des mocassins. En échange, Squire Boy lui offre deux chansons et lui demande : «Would you like to sing on them?». Of course. C’est là que naît l’idée de leur collaboration. Et Liam Gallag d’ajouter : «John’s songs are the reason I got into music in the first place.»

             Quand les frères Gallag voient Les Stones Roses pour la première fois en 1988, ils flashent  comme des bêtes - If they can do it, I can definitively do it - Noel Gallag dira même à Squire Boy qu’Oasis doit son entière existence aux Stones Roses. Il faut rappeler qu’entre 1988 et 1990, les Stone Roses régnaient sans partage sur l’Angleterre. Parmi les adorateurs/followers des Stone Roses, se trouvaient les Inspiral Carpets, dont Noel Gallag était le roadie. Ted Kessler chante les louanges des Stone Roses en termes de «musicianship, particularly the expansive playing of Squire and drummer Alan ‘Reni’ Wren», un Squire, ajoute Kessler, «who was harking back to the more flashily fluid styles of Jimi Hendrix and Jimmy Page.»

    z24882second.jpg

             Si on suit Squire Boy à la trace depuis plus de trente ans, la raison en est simple : elle porte le doux nom de Second Coming, le deuxième album des Stone Roses. On s’en souvient peut-être, les Stone Roses étaient un groupe de surdoués : section rythmique de rêve et un Squire Boy on fire. Le maillon faible était sans doute Ian Brown, le chanteur. Les Stone Roses groovaient comme des dieux, et ce dès «Breaking In Heaven». Là t’avais Squire Boy au décollage, il avait déjà tout bon, il déployait une sorte de sauvagerie, et le bassmatic de Mani entrait au bout du compte. Ian Brown n’avait pas de voix, mais ça marchait quand même. Ils restaient dans une espèce de power fondamental avec «Driving South». Dans l’instant T, ils étaient réellement les meilleurs. «Ten Storey Love Song» sonnait comme un balladif frappé de magie, et sur ce coup-là, Ian Brown s’en sortait plutôt bien. Au beurre, Reni avait une fâcheuse tendance à voler le show. On sentait aussi chez eux une volonté affichée de psychedelia («Your Star Will Shine», pas loin du «Tomorrow Never Knows» des Beatles, on sentait le power sous la toile de jean) et ça repartait de plus belle avec le groove de «Straight To The Man». Classique mais rondement mené. Ils revenaient au groove sauvage avec «Begging You». Fantastique énergie, wild as fucking fuck, c’était d’une rare violence comportementale, mille fois plus puissant que Primal Scream, tout était dense, compressé à l’extrême, même les poux de Squire Boy, et Reni battait le beurre du diable. Puis ils te swinguaient «Tightrope» fabuleusement - I’m on a tightrope baby - avec des clap-hands, avant de replonger dans le caramel du groove, c’est-à-dire «Good Times», pure niaque de ‘Chester, t’en revenais pas d’entendre l’élégance du gratté de poux de Squire Boy. Avec ces mecs-là, tu nageais en plein bonheur. Ils bouclaient avec «Love Spreads», un heavy groove drivé au yeah yeah yeah, admirablement bien balancé, my sister/ She’s alright and she’s my sister !

    z24881stoneroses.jpg

             Second Coming était nettement supérieur au premier album sans titre des Stone Roses. Tu y sauvais deux cuts, «I Wanna Be Adored» et «She Bangs The Drums». Le Wanna Be Adored sonnait comme un hymne, rien que par le thème. Même sans voix, ça passait comme une lettre à la poste. Squire Boy foutait bien la pression. Et tu retrouvais ce son unique dans «She Bangs The Drums», t’avais là-dedans toute l’ampleur de la pop anglaise, poppy puppy popette de poppah. Puis ce premier album allait décliner lentement, malgré les efforts de Squire Boy. Dans «Waterfall», il se livrait à un brillant numéro ondoyant et il revenait avec «Don’t Stop» à la Beatlemania psychédélique. On assistait là à une fantastique tentative d’osmose. Puis tout virait poppy popette («(Song For My) Sugar Spun Sister» et «Made Of Stone»), bien dans la veine de la tradition, ils entraient même dans le ventre mou de la pop anglaise («Shoot You Down»). Reni battait «I Am The Resurrection» comme un diable, mais ça n’en faisait pas un hit pour autant, même si ça se terminait en heavy groove dévastateur. Kessler est marrant car il dit exactement le contraire : il parle d’«one great album and a dissappointing follow up». Il n’a rien compris au film.

             Quand Oasis joue à Knebworth en 1996 devant 200 000 personnes, ils invitent Squire Boy à venir jouer sur «Champagne Supernova». Et 26 ans plus tard, Liam Gallag lui refait le coup en le présentant à la foule comme étant «the coolest man on the planet.»  C’est encore Noel Gallag qui rend hommage aux Stones Roses : «They kicked the door open for us, then we came in and nailed it to the wall.»

             Liam Gallag et Squire Boy ont commencé par enregistrer des démos et sont ensuite allés passer 15 jours chez un producteur de Los Angeles nommé Greg Kurstin, lequel Kustin a proposé de bassmatiquer et de rapatrier le batteur Joey Waronker.

    z24880liam+john.jpg

             L’album s’appelle Liam Gallagher John Squire. Ils ne se sont pas cassé la nénette pour trouver un titre. Et t’as le Liam qui s’impose aussitôt avec «Raise Your Hand». Non seulement t’as du son, mais t’as aussi la voix. Le Liam écrase son raise au fond du cendrier et Squire Boy claque un solo d’étranglement. Le Liam est toujours aussi Oasien. Il va toujours chercher le bon ton au sommet d’un rock ultra-saturé. «You’re Not The Only One» est le coup de génie de l’album. C’est fin, racé, ficelé, c’est même un hit pour la radio, on retrouve le goût des Anglais pour le big time, Squire Boy y passe un killer solo flashy comme pas deux. Liam Gallag + killer Squire, ça fait revivre la vieille Angleterre. C’est à la fois délicieusement classique et imbattable. Avant de cracher sur Oasis, écoute cette merveille. Si tu veux un album de rock anglais, c’est là.  Et t’as aussi un «One Day At A Time» écrasé de power et de singalong Oasien. Liam Gallag n’en finit plus de traîner la savate dans le chant. C’est d’une rare puissance. Puis ils tapent dans l’heavy blues avec «I’m A Wheel». Pas de problème ! Mais l’album finit par tomber dans la routine Oasienne. Squire Boy fait des efforts considérables pour la briser. Avec «Love You Forever», ils jouent le hard blues des seventies. Ils n’inventent pas la poudre, c’est juste un prétexte à jouer dans le bac à sable. On entend Squire Boy claquer ses mighty carillons dans «I’m So Bored». Il est l’un des guitaristes les plus infectueux d’Angleterre. Il gratte toujours tout ce qu’il peut.

             Selon Kessler, l’album de Liam Gallag et Squire Boy n’aura pas le même impact qu’ont eu sur la rock culture les deux premiers albums d’Oasis et le premier Stones Roses, «but it’s the best thing either have recorded since those early records.» Kessler parle d’un «sleek rock album», c’est-à-dire élégant, bourré d’«unshakably sticky melodies and choruses.» Kessler y retrouve toutes les influences dont Squire Boy et Liam Gallag sont tellement friands : Jimi Hendrix dans «Love You Forever», les Stones et les Beatles dans «Just Another Rainbow», les Faces dans «Make It Up As You Go Along» et Liam Gallag trouve que «Raise Your Hands» sounds like Roxy Music. Et puis bien sûr Oasis et les Stone Roses - It’s a perfect mariage of the two bands - Ailleurs dans l’article, Kessler ramène aussi le duo De Niro/Pacino dans Heat, un autre exemple de perfect mariage. Squire Boy dit bien son admiration pour Liam Gallag : «He brings a passion and intensity that I can’t muster. There’s something about his voice that meshes with the way that I play guitar.» Il parle de complémentarité. Kessler termine en beauté, puisqu’il les voit se lever pour aller faire leur photo-shoot, «just like in the old glory days - which surprisingly, may be still ahead of them.» Une chute qui tinte merveilleusement bien à l’oreille de l’avenir du rock.

    z24883doyourself.jpg

             Après la fin des Stone Roses, Squire Boy va monter The Seahorses et enregistrer Do It Yourself. C’est un album qui vaut le déplacement. Pour au moins quatre raisons, dont deux Beautiful Songs, «Love Me & Leave Me» et «Head». Dans Love Me, Squire Boy ne croit en rien, don’t believe in Jesus, don’t believe in Jah, il croit en lovers, c’est fameux et surtout très gratté, ça te donne une belle rengaine enluminée de poux scintillants. «Head» sonne aussi comme une grosse compo. Les Seahorses auraient pu devenir énormes. Squire Boy fait là du power balladif, avec un Chris Helme qui pose bien sa voix et qui l’entortille quand il faut, il a du poids et du ruckus. «1999» sonne comme un coup de génie, c’est très Oasis dans le ton, avec du sharp slinging de Squire Boy, ça sonne comme du heavy Quicksilver avec l’aura de Madchester et t’as l’incroyable clameur du Squire Boy qui du coup se met à sonner comme Stylish Stills. Ah il faut voir cette bravado ! Belle attaque encore avec «I Want You To Know», pas loin d’Oasis et un Squire Boy qui fout le feu avec ses poux. C’est un son très anglais. Chris Helme fait encore merveille sur «Blinded By The Sun», il a la voix un peu grasse, comme une huître, une voix juteuse et colorée, et derrière lui t’entends le Squire Boy voyager dans le son. «Suicide Drive» coule bien dans la manche et Squire Boy y joue un solo au long cours, avec le feu sacré. Ils se confrontent ensuite à la shakespearisation des choses avec «The Boy In The Picture», ça veut dire qu’ils entrent en dramaturgie, avant de revenir à un son plus heavy avec «Love Is The Law». Chris Helme fait son Liam Gallag. Il vise clairement l’Oasis. Il se croit dans le désert, et après un joli break de basse, Squire Boy part en vrille de poux demented. Yeah yeah ! Il gratte encore comme une brute dans «Round The Universe», cut de belle pop enjouée aux joues bien roses. Il descend une fois de plus au barbu avec une science aiguë du solo flash. Ils frisent plus loin le Sabbath avec «Standing On Your Head», on se croirait sur le premier Sabbath tellement c’est bien foutu. L’in the sky vaut bien celui d’Ozzy. 

    z24884changes.jpg

             En 2002, Squire Boy enregistre son premier album solo, Time Changes Everything. Bon, c’est déjà plus la même chose. Pour le dire autrement : c’est autre chose. On admire tellement Squire Boy qu’on ne peut pas dire du mal de ce premier album solo. Il fait du Dylanex avec «Transatlantic Near Death Experience». C’est exactement Queen Jane Approximately, avec les mêmes descentes de couplets, mais sans l’orgue Hammond. Squire Boy tartine fantastiquement. Pour le reste, il y va à l’insidieuse («Joe Louis»), il fait de la belle heavy pop avec un certain goût de revienzy («I Miss You»), mais c’est pas Liam, il chante à l’écrase-syllabe. Il est cependant meilleur que Ian Brown au chant. Il a même du cachet. Il sait challenger un cut (le morceau titre) et il pense toujours à ramener du big guitar slinging. Son «Welcome In The Valley» est excellent, bien tenu par la colle d’un chant à la ramasse. Il a d’excellents réflexes comportementaux. Il se laisse aller avec l’heavyness de «Strange Feeling». Globalement, c’est un album honnête, très sonnant, très trébuchant, mais sans idées. D’où ‘l’autre chose’.

    z24885marshall.jpg

             Son deuxième album solo s’appelle Marshall’s House et sort deux ans plus tard. Il fait encore quelques étincelles sur «Summertime», il tente bien le coup en grattant une belle clairette, il barde bien la barcasse de barda. Squire Boy est un mec assez balèze. Il tartine son morceau titre à n’en plus finir, mais on en restera là. Il force trop sa voix. Il se prend pour Liam, mais il est loin du compte. Il tente le coup du power absolu, mais la voix n’y est pas. Trop affectée. Il se gratte la glotte. Dommage. Dès qu’il chante, il ruine tous ses efforts. Il finit en mode Big Atmospherix avec «Gas». Il se réconcilie avec le gros son. Bye ! Bye Baby ! Il se jette dans la balance, il envoie sa dégelée et ça devient l’hit de l’album. Squire Boy se noie dans son son. Aucun espoir de le sauver. «Gas» est un cut entreprenant, totalement remonté des bretelles.

             En 2016, les Stones Roses tenteront de se reformer en enregistrant deux singles, «All For One» et «Beautiful Thing» - It proved to be a mirage - Une dernière tournée, puis Squire Boy dit stop. Il ne s’entend plus très bien avec son vieux copain d’école Ian Brown. Il préfère se consacrer à sa peinture et à sa famille. Enough monkey business.

    Signé : Cazengler, John Square

    Liam Gallagher John Squire. Liam Gallagher John Squire. Warner Records 2024

    Stone Roses. The Stone Roses. Silvertone Records 1988

    Stone Roses. Second Coming. Geffen Records 1994

    The Seahorses. Do It Yourself. Geffen Records 1997

    John Squire. Time Changes Everything. North Country 2002

    John Squire. Marshall’s House. North Country 2004

    Ted Kessler : What the world is waiting for. Mojo # 365 - April 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Just like Honeycombs

             Tu ne pouvais imaginer Baby Honey qu’au lit. Et bien sûr dans tes bras. Elle symbolisait le paradis, comme on aimait à l’imaginer au sortir de l’adolescence. Franchement, le paradis c’était pas compliqué : il te suffisait d’avoir un grand lit, des draps de satin jaune et le corps nu de Baby Honey que tu pouvais butiner encore et encore. Tu poussais même le fantasme jusqu’à imaginer qu’elle aimait à se faire butiner, puisqu’elle en réclamait encore et encore. Tu l’entendais soupirer : «encore... encore...», et tu t’arrachais aux torpeurs d’un premier sommeil pour couvrir le centre de son corps des baisers le plus attentionnés. Le jour se fondait dans la nuit et la nuit dans le jour, le paradis avait gommé tous les aspects rugueux de la réalité, le premier étant de s’arracher à ses bras pour aller bosser. Tu ne quittais le paradis de satin jaune que pour aller au frigo préparer une bricole à grignoter, une salade de tomates et une tranche de jambon, ou servir l’un de ces Américanos à l’orange dont Baby Honey était tellement friande, puis quand le frigo était vide, tu te hâtais d’aller faire trois courses pour revenir te jeter dans ses bras. Le paradis semblait infini, tu voulais y vivre pour le restant de tes jours, et lorsque tu demandais à Baby Honey si elle voulait partager cet infini avec toi, elle plissait les yeux et murmurait «encore... encore...», en te prenant la main pour la poser à l’endroit le plus sensible de son corps. Les jours et les semaines passaient, sans que rien ne vînt troubler la paix du paradis de satin jaune. Il n’existait rien de plus sacré que de réveiller Baby Honey avec un baiser, elle ouvrait doucement les yeux et ses yeux semblaient rire. Elle rayonnait de mysticisme amoureux et tu t’abreuvais en elle. Toi qui n’étais pas croyant, tu finissais par trouver Dieu sympa, puisqu’il avait inventé, rien que pour ta pomme, le paradis sur la terre. À aucun moment, tu n’aurais imaginé que ce paradis allait se transformer en enfer. Il te faudra cinquante ans de recul pour comprendre que ce basculement des genres est d’une grande banalité.

    z24863honeycombs.gif

             Baby Honey n’a rien à voir avec Honey, la batteuse des Honeycombs. Baby Honey est blonde et Honey brune. Baby Honey hait le rock et Honey Lantree le jouait en 1964 de façon spectaculaire. Il ne fallait donc pas se tromper d’Honey. Autant Baby Honey était une mauvaise pioche, autant Honey Lantree est la bonne.

             Qui se souvient des Honeycombs ? Un groupe londonien des early sixties produit par Joe Meek ? Honey Lantree y battait le beurre, et l’excellent Alan Ward était l’un des premiers à claquer de killer solos flash en Angleterre. Mais quand on voit les clips sur YouTube, on est vite fasciné par cette batteuse paradisiaque qu’est Honey Lantree.

    z24887honeycombs.jpg

             Le premier album sans titre des Honeycombs était très en avance sur son temps. Ce Pye de 1964 taillait bien la route. C’est Dennis D’Ell qui chante, et à propos du solo spatial d’Allan Ward sur «Once You Know», Meeky Meek parle de «brillant solo work».  Meeky Meek signe une partie des liners, au dos de la pochette. Bon, les compos sont parfois laborieuses, et c’est le son qui fait l’intérêt. La batteuse Honey chante sur «That’s The Way», et quand elle chante, elle donne du jus. Allan Ward prend encore un solo superbe dans «I Want To Be Free (Like A Bird In A Tree)» et ils bouclent leur balda avec leur big time hit, «Have I The Right». Full tilt de Meelky Meek ! Il a exactement la même intelligence du son que Totor. En B, on entend Honey battre sec et net «Nice While It Lasted». Il faut l’entendre relancer avec ses petits roulements pète-sec ! Grosse fête foraine dans «She’s Too Way Out». Space guitars & wild bassmatic, le pur génie productiviste de Meeky Meek est à l’œuvre et l’Honey bat ça si sec ! - Exceptional pretty and clever girl drummers are hard to find - Avec «Ain’t Necessary So», Meeky Meek fait sonner la guitare d’Allan Clark comme celle de Billy Harrison dans les Them. Pour 1964, The Honeycombs est un album extrêmement moderne. Bizarre que l’Angleterre ne s’en soit pas aperçue.

    Z24888HONEY.jpg

             Le deuxième album des Honeycombs est fantastique. All Systems Go! sonne, aussitôt l’«I Can’t Stop». Ils ont du son. Et quel son, my son ! Solo de sax et solo de gratte demented, que veux-tu de plus ? Résonance exceptionnelle des basses, elles t’embooment l’oreille. Coup de génie pur avec le morceau titre, un wild ride transpercé en plein cœur par un wild killer solo flash, et visité dans les entrailles par cet ingé-son de génie qu’est Meeky Meek. Il sait faire claquer la charley ! Meeky Meek est le roi du killer solo flash. Allan Ward joue lead, mais c’est Meeky Meek qu’on entend. Ils tapent une belle reprise de l’«Ooee Train» du grand Bobby Darin, puis il refoncent dans le tas avec un «She Ain’t Coming Back» signé Meeky Meek. Tout est savamment meeké par Joe. On entre dans le territoire du génie productiviste, l’apanage de Totor, de Gary Usher et de quelques autres. Belle poussée d’exotica avec «Our Day Will Come». Meeky Meek fournit tout le boniment, c’est-à-dire le son. Ils enchaînent avec le «Nobody But Me» de Doc Pomus. Pure craze ! Encore une dégoulinade de kitsch avec «There’s Always Me» et retour à l’exotica avec «Love In Tokyo». Chaque fois, Meeky Meek crée les conditions du succès.  

    z24889angelrecords.jpg

             Angel Air sort en 2016 l’album de la reformation des Honeycombs, 304 Holloway Road Revisited. Laisse tomber. C’est la reformation des vioques qui font du Buddy Holly sans Meeky Meek ni Honey, ce qui est un double anathème. Ça pue la reformation greedy, ces mecs-là feraient n’importe quoi pour palper un billet. Avec «Mary Jo», ils font du glam de vieux branleurs. Il n’y a rien de Meeky dans leur sauce. On se demande rapidement pourquoi on écoute cette daube de charognards. Avec «It’s Crazy But I Can’t Stop» et «That’s The Way», ils sont pathétiques et même atroces de putasserie. On en dégueule. Ils osent même retaper l’«Have I The Right». Comment osent-ils ? Pas de son, pas de Meeky, pas de rien.

    Signé : Cazengler, Honeycon

    Honeycombs. The Honeycombs. Pye Records 1964

    Honeycombs. All Systems Go! Pye Records 1965 

    Honeycombs. 304 Holloway Road Revisited. Angel Air Records 2016

     

     

    Luke la main froide

     - Part Six

    z24864lukehaines.gif

             Il se trouve que Freaks Out! Weirdos Misfits & Deviants - The Rise & Fall Of Righteous Rock’n’Roll est une mine d’or à ciel ouvert. Luke la main froide a la main lourde sur les recommandations. Alors on les suit.

    z24894songakan.jpg

             Par exemple Cathal Coughlan. On rapatrie aussi sec son Song Of Co-Aklan, histoire de voir ce que ce Cathal a dans la culotte. Song Of Co-Aklan est son ultime album. Luke la main froide y gratte des poux. Dès le morceau titre, t’as une belle pop tendue à se rompre et un big beurre de Nick Allum. Luke s’y tape le bassmatic. C’est du Big Atmospherix. Le mot-clé de cet album est la dramaturgie. Cathal monte le Dog de «Passed-Out Dog» en neige. Pour lui, le Big Atmospherix doit voyager dans le ciel comme un gros nuage d’apocalypse. Tout est très dense, très sombre, plongé dans une sorte de malheur théâtral. Cathal donne trop de caractère à ses cuts. Ça ne peut pas prendre. Un album suffit pour se faire une idée. Il repart en belle pop d’allant martial avec «Let’s Flood The Fairyground». Cathal est un fier Coughlan, et le cut décolle à la seule force du chant. Mais il revient ensuite à ses travers. Il est trop dans le théâtre du rock. On se croirait chez Ariane Mouchkine. Il sauve l’album avec «The Knockout Artist», un cut qui ne se connaît pas de limites. Cathal se jette dans l’avenir. Un vrai gardon ! Il donne un peu le vertige. Ça devient magique ! Puis avec «Falling Out North Street», il préfigure Michael Head. Il fait une belle pop ambitieuse et là, t’adhères au parti. 

    z24893getwisz.jpg

             La main froide recommande aussi deux Flies, «London’s Flies and New York’s Flies». Elle qualifie ces groupes de «blink-and-you-miss-them-cos-they-barely-existed mythical bands in rock». Alors tu vas voir ça de plus près. Tu commences par le New York’s Flies. L’album s’appelle Get Wise. Fantastique énergie du Boston Sound 1984. «Put All That Behind Me Now» est bardé du plus beau barda, c’est même ravagé par des lèpres soniques. Ce power trio a un sens inné du power. T’as presque envie de serrer la pince de la main froide pour le remercier du tuyau. Tu trouves à la suite un «Endless Summer» sauvagement riffé et battu à la diable. Ils cultivent les dynamiques infernales, tu t’enfonces toujours plus loin dans la balda et soudain tu tombes sur une incroyable cover du «2000 Light Years From Home» des Stones. Magic Stuff ! En plein dans l’œil du cyclope ! I feel so very/ Lonely ! En B, ils se donnent des faux airs de Velvet dans «The Only One». C’est indéniable et fabuleusement inspiré. C’est monté sur les accords de Gloria. Le mec connaît la harangue ! Ils bouclent avec un «Everybody’s Trying To Be My Baby» encore très Velvet dans l’esprit, lourd, très lourd, chargé de sens, très All Tomorrows Parties, avec un chant harangue dylanesque. Quel brouet spectaculaire ! 

    z24892collection.jpg

             Tu serres la pince de la main froide pour le remercier, et tu passes aussitôt aux London’s Flies. Ça tombe bien, il existe une brave petite compile sur Acme : Complete Collection 1965-1968. Rapatriement immédiat. T’es pas déçu du casse-croûte, comme on dit sur les chantiers. Tu tombes dès l’ouverture de balda sur le fameux «(I’m Not Your) Stepping Stone» qui fit les beaux jours du Volume 1 de Chocolate Soup For Diabetics : heavy psyché psychotic, fantastique mélasse, sans doute la meilleure cover de ce vieux hit des Monkees et des Raiders. Les Flies ont bien failli connaître leur heure de gloire, puisqu’ils traînaient dans le bon circuit à la bonne époque. On les sent timorés dans «Turning Back The Pages», mais aussi dotés d’une volonté tentaculaire. Ils chantent «Gently As You Feel» à l’horizon clair, c’est pur et doux comme un agneau. Une vraie Beautiful Song. Puis ils tapent dans les Kinks avec «Tired Of Waiting For You», mais en sonnant comme les Byrds, alors tu commences vraiment à les prendre au sérieux. Car quelle vélocité ! On comprend que les Flies aient pu taper dans l’œil de la main froide. En B, tu retrouves avec «A Hymn With Love» cette petite pop innocente et douce comme un agneau. Bêêêêêêê. «Where» est encore un shoot de pop qui colle bien au papier. Leur where/ Where have you been flirte avec le génie. Puis ils passent au Dylanex avec le chant de nez pincé sur «There Ain’t No Woman», le mec fait du pur It ain’t me babe. On saluera pour finir cette pop de rang princier qu’est «Winter Afternoon. La main froide ne s’est pas fourré le doigt dans l’œil. Elle devrait écrire des bouquins plus souvent.

    z24891blasters.jpg

             Parmi ses recommandations, on trouve aussi les mighty Electric Eels de Cleveland, l’archétype du groupe proto-punk. Vient de paraître un double album compilatoire, Spin Age Blasters. Tu peux y aller les yeux fermés, même s’il coûte un billet. Au dos de la pochette, tu vois les quatre Eels, et notamment Nick Knox, à la veille de son heure de gloire avec les Cramps. L’autre batteur des Eels n’est autre qu’Anton Fier, qu’on va retrouver sur un seul cut, «Spinach Blasters» et qui ira ensuite battre le beurre sur le premier album des Feelies. Les cuts rassemblés sur Spin Age Blasters datent de 1975, donc ils sont très en avance sur leur époque. C’est en tous les cas ce que révèle le «Splittery Splat» d’ouverture de balda : wild proto-demolition. Mais ils sonnent aussi très punk anglais. On se demande même parfois si les Buzzcocks n’ont pas écouté le premier single des Eels paru chez Rough Trade, mais après vérification, il apparaît qu’«Agitated/Cyclotron» est paru après Spiral Scratch, donc pas de problème. Pourtant la parenté est troublante. «Agitated» et «Cyclotron» sonnent exactement comme les cuts des early Buzzcocks. Pur ‘Chester punk ! Exactement la même énergie. D’autres influences flagrantes : celle des Dolls dans «Refregirator», et des Stooges dans «Cold Meat». Ils attaquent «Jaguar Ride» à la Johansen. On se croirait sur «Jet Boy». Et sur «Zoot Zoot», McMahon passe un solo d’accoutumance discursive totalement révolutionnaire. En C, tu vas tomber sur un cut atroce, «Silver Daggers», gratté à la cisaille et chanté sans pitié. En D, ils tapent une cover proto-punk du «Dead Man’s Curve» de Jan & Dean, mais en sonnant comme des punks anglais. Encore un shoot buzzcocky avec «Accident» et t’as à la suite cet «Anxiety» atrocement concassé dans l’idée et dans le son des grattes de Morton et de McMahon. Franchement, t’en reviens pas de tomber sur un groupe aussi en avance sur son époque. 

    z24890eyeball.jpg

             The Eyeball Of Hell fait un peu double emploi, mais cette fois tu l’écoutes au casque et t’en prends plein la vue, dès l’ohhh I’m so agitated d’«Agitated», suivi du Buzzcocky «Cyclotron».  Tu croises plus loin l’explosif «You’re So Full Of Shit», protozozo comme pas deux, avec McMahon qui chante comme un voyou. Tu retrouves aussi l’«Anxiety», McMahon chante mal, mais c’est ce qui le rend révolutionnaire. McMahon joue encore comme un atroce démon incisif sur «Silver Daggers» et le «Zoot Zoot» éclate de modernité. Cleveland était alors un vrai jackpot. Retour au simili-Buzzcocks d’«Accident» et «Refrigirator» sonne tout simplement comme l’enfer sur la terre. Avec «Bunnies», ils sont mille fois plus modernes que Pere Ubu. McMahon joue de la clarinette et injecte un shoot de free dans la scie du punk. «Spinach Blasters» vire jazz. Bifarx me sir ? «It’s Artistic» : même power underground que les Swell Maps. John Morton se dit fan de Dada-euro-trash. Les Eels étaient beaucoup trop en avance sur leur époque. Ils se sont brûlé les ailes.

    Signé : Cazengler, Lancelot du Luke

    Electric Eels. The Eyeball Of Hell. Scat Records 2001

    Electric Eels. Spin Age Blasters. Scat Records 2023

    The Flies. Complete Collection 1965-1968. Acme 2000

    The Flies. Get Wise. Homestead Records 1984

    Cathal Coughlan. Song Of Co-Aklan. Dimple Discs 2021

     

     

    *

    J’ai vu la couve, elle m’a plu, par son côté outrancièrement kitch, j’ai tout de suite eu envie que l’on me lise une histoire, personne ne s’est proposé alors c’est moi qui m’y colle, je vous avertis vous risquez d’avoir peur.

    STORYTELLER

    BLACKSTAFF

    (Numérique / Bandcamp / Sept 2024)

             Black, ok vous voyez le style, ce n’est pas la bibliothèque rose, pour le staff, à boire et à manger, le personnel est un peu maigre. Se réduit à une seule personne. Ou à toute une colonie. C’est selon. Expliquons-nous, il y a de plus en plus de gars, post-metal, post-stonner, post-death, post-tout-ce-que-vous-voulez qui concoctent tout seul, dans leur coin, leur petit opus. En règle générale je ne chronique point trop ce genre de solitaires, sont à mon goût davantage ‘’genre’’ que solitaire, en gros ce n’est pas souvent original et pas très particulier. Bref Blackstaff se résume à un unique individu : Dustin Cleary. Oui mais sur son bandcamp il vous colle en toute honnêteté une liste longue comme un jour sans pain, tous les individus qu’il a rencontrés et qui l’ont inspiré, encouragé, filé un coup de main, aidé à monter son projet. D’où le terme de colonie.

             Vient de Seattle, l’a l’air d’y avoir dans cette ville une bande de groupes un peu frappés de la cafetière, ce qui n’est pas pour me déplaire. Dustin a déjà sorti deux EP et trois titres cet été qui se retrouvent sur son album.

    z24858couveblackstaff.jpg

             La couverture est d’Adam Burke un tour sur son instagram (night jarillustration) s’impose, l’ensemble est superbe, les esprits délicats risquent d’en ressortir effrayés, entre macabre, imaginaire médiéval et fantastique… Longue table de bois, le maître de noir vêtu, de loin il ressemble à un étron, est assis à la place du roi ou de Dieu, choisissez votre option. Devant lui est posé le grimoire sacré, le public l’écoute lire une histoire. L’assistance n’est pas au mieux de sa forme, des squelettes avachis, se tiennent droit sur leur chaise mais l’on sent que dès le lecteur aura tourné le dos, ils se laisseront – dans la série tu retourneras à la poussière - tombés par terre, soyons compréhensifs, ils sont fatigués de vivre. Le plus proche de nous nous jette un regard angoissé, nous pose la question existentielle essentielle, la mort ne finira donc jamais… Au fond de l’image l’espèce de vortex calamiteux n’incite pas à la joie. Pas plus que les arbres dépenaillés qui tendent leurs bras comme un appel au secours sans espoir.

    Seidr : en gallois ce mot signifie cidre : bruits indistincts, puis une note noire qui semble vouloir s’étendre jusqu’à la fin des temps, redondante elle rebondit pour se perpétuer, ambiance lugubre, vous avez envie de refermer le livre mais coup de théâtre de sombres effluves s’en échappent, vous êtes prisonnier, comme une bolée de cidre empoisonnée que rien ne vous empêchera de boire en une longue lampée interdite, vous point l’envie de lire l’histoire interdite.

    z24859cloack.jpg

    Cloack of stars : nous illustrons ce morceau avec la couverture du deux titres Seidr+Cloack of stars qui doit être de Maxime Taccardi (voir plus loin). Cloack ne signifie pas cloaque (tellement death metal !), question guitare ça ne baisse pas d’un cran, noir, son épais violent plus la batterie qui claque de tous les côtés, oui mais il y a en summum, une voix sludge à vous arracher les ongles des pieds, Dustin était destiné à devenir clameur, il vaudrait mieux qu’il ne clame pas trop haut because les lyrics sont inquiétants, tout ce qui est beau, grand et grandiose, peut de par la primauté qu’on lui accorde et devenir comme un Dieu et vous asservir comme du bétail. Une histoire un peu triste quand on y pense, l’on comprend mieux la tonalité écrasante de cette musique qui ne vous laisse aucune espérance. Procession of ghouls : ne fantasmez pas, dans les nouvelles fantastiques, les goules sont généralement de belles et énigmatiques jolies filles ou femmes qui se donnent à vous sans chichiter, au matin vous vous apercevez que ce ne sont que d’infâmes créatures diaboliques qui ont abusé des désirs du héros, ici aussi mais c’est présenté sous son aspect métaphysique, le côté érotique de ces nuits torrides n’est pas évoqué, vous avez l’implacabilité phonique du son qui vous avertit que l’instant est grave, et puis le chant, une espèce de sludge asthmatique, qui vous enfonce les clous de la peur dans la moindre fibre de votre chair tétanisée d’horreur, c’est la mort qui avance vers vous et vous pénètre lentement pour vous faire souffrir encore davantage, pour que vous compreniez que la vie n’est pas un chemin qui conduit à la mort, au contraire c’est la mort qui est un chemin qui s’achève dans votre vie, la batterie sonne votre déroute mentale, maintenant vous savez, cela ne vous rend pas heureux, car au moment où vous savez vous êtes mort.

    z24860swarm.jpg

    Swarm : le morceau précédent vous donnait l’épure, l’abstraction schématique, avec celui-ci nous rentrons dans les détails. Enfin ce sont les détails qui entrent vous, des millions d’insectes, vous les entendez voler en groupe, l’essaim vous a repéré et fonce sur vous, c’est horrible, c’est terrible, Dustin grogne comme le goret que l’on allonge dans l’auge pour lui prendre la vie, silence l’on murmure à votre chair, l’on vous apprend que votre lymphe est le miel du fruit mûr et elles les abeilles qui se posent sur vous plantent leurs dards pour s’enivrer de la substantifique moelle de votre sang, si vous comptiez que l’on vous expliquerait tout ce qu’il vous arrive avec la subtile musique des sphères, erreur fractale, non l’on vous fait comprendre à grosses pelletées de doom, elles vous assènent sans pitié et sans faillir des vérités mortuaires comme des implants nécrologiques que l’on vous enfonce à coups redoublés dans votre tête.  Maxime Taccardi est un saigneur de l’illustration death Metal, nous lui consacrerons une chronique à part entière, celle-ci semble s’inscrire par ses arabesques rouges dans ses œuvres réalisées avec son propre sang, la légende, grande raconteuse d’histoires affirme que certains se disputent ses originaux pour les lécher,  cette mort qui s’avance vers vous auréolée de ses spirales sanglantes, le lecteur sera sidéré tant elle épouse parfaitement les lyrics… Worm : une ode démantibulante au ver vainqueur, vocal visqueux, batterie-pioche et riffage foreur, il est en vous, il vous désosse, il emporte en lui-même tout ce dont vous n’avez plus besoin, je ne suis que cadavre, le background comme une pelleteuse sur une fosse commune, fin de charnier, le ver a éteint ma lumière, j’en étais fier, elle irriguait le monde, subsiste toutefois cette absence de moi que le ver glouton emporte en rampant dans son ventre. Spider : vous croyez que l’histoire s’est terminée, non il reste des addendas philosophiques, entrée majestueuse, batterie hachoir, guitare suaires de plomb, une dernière moquerie, les hommes vivants aiment la mort, le mal court parmi eux comme une araignée malfaisante, ils ne la voient pas, ils se prennent pour des héros que la gloire rendra immortels, les guerriers galopent, ils se lancent les uns sur les autres, l’aragne mortelle emporte leurs corps morts dans ses cavernes ombreuses, elle suce leur sang, ils survivent un certain temps empreint d’une glaçante léthargie létale, bientôt vidés de leur substance molle, ils ne sont plus que des trophées soyeux entassés sur la toile de la mort. C’était une petite leçon de nihilisme de ma mère la tarentule aux tulles tubéreux. Thrill of the hunt : bonus track, même la mort qui vous court après peut être sympa, issu de la session 23 de l’enregistrement de leur deuxième EP trois titres Godless : musicalement ne dépare en rien des titres précédents si ce n’est peut-être la guitare qui klaxonne comme une voiture derrière vous qui demande que vous passiez au vert, le vocal aussi davantage articulé, sinon encore une histoire impie, impitoyable, la mort court après vous, vous êtes le gibier, vous ne échapperiez pas même si vous vous terrez au fond de votre lit en espérant lui échapper.

             Agréablement surpris, se débrouille bien tout seul notre Dustin Cleary. Porte pourtant un patronyme qui ne lui convient pas. Pas clair du tout, sombre, très sombre.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Comment faire beaucoup avec peu ? La recette nous est proposée par Seb le Bison et Tony Marlow. La gageure semble impossible : comment réaliser une vidéo sur un voyage en avion vers les cieux cléments d’une île méditerranéenne quand, c’est-là où le problème se corse, on n’a pas prévu un avion dans le casting ?

    LE GRAND VOYAGE

    TONY  MARLOW

    (Official Video / Bullit Records / Juin 2024)

    Oui ils ont un avion, on ne voit que lui, un superbe bimoteur à hélices, le genre de coucou que l’on a commencé à mettre au rebut dans les années cinquante. Non je ne suis pas un menteur. C’est vrai qu’il est sur l’image dès la deuxième seconde du clip, en surimpression graphique. Puis il disparaît. Le bruit du moteur s’estompe avantageusement remplacé par la guitare de Tony Marlow. D’ailleurs le voici le Marlou, marche à pied, comme tout le monde, heureusement qu’il porte son étui à guitare, sinon de loin on ne le reconnaîtrait pas, il arpente, silhouette grise dans un beau paysage, attention la vidéo n’est pas en couleur, on est surpris : pour un extrait de l’album Cryptogenèse, l’on s’attend à une phénixiale explosion de mille feux multicolores genre poster à la Jimmy Hendrix, mais non c’est tourné en noir et blanc, vu la beauté de l’image l’on a envie de dire en argentique.

    z24866marlowwmarche.jpg

    Petit moment de réflexion nationaliste : c’est un beau pays la France, je ne parle pas des petites villes sinistrées par le chômage ni de ces grandes agglomérations défigurées par des constructions à bon marché mais de ses paysages. De cette campagne façonnée durant deux millénaires par la main de l’homme, de cette osmose réussie entre nature et ouvrages d’arts. Ici pas de fières structures édifiées en pierres de taille, juste  un pont étroit jeté sur  un canal bordé d’arbres, ou une modeste rivière aux eaux paresseuses quasiment immobiles, que longe Tony sur un simple chemin de terre, le voici maintenant en pleine campagne sur cette longue voie vicinale déserte.

    Depuis son avion, ce sont les paroles qui l’affirment, il aperçoit des voitures minuscules, cette fois l’image est davantage surréaliste, objet insolite planté dans l’agreste décor un tabouret de bar solitaire, surgi de nulle part, hors-sol pourrait-on dire même si ses pieds reposent sur la terre, esseulé le trône à pastis semble attendre qu’un passant veuille bien faire cas de lui. Tony ne se refuse pas à l’appel de ce siège, si les objets inanimés ont une âme lamartinienne, peut-être se sent-elle cette chaise curule désertée comme un chien abandonné et éprouve-t-il l’intense ferveur nostalgiques des apéros de comptoir… Voici Tony, étui ouvert, guitare sur le giron, acoustique bien sûr, aucun pylône électrique dans les parages où se brancher, il gratte et il tourne sur lui-même, de fait c’est l’image qui tourbillonne, presque un miracle, la statue de Marlow semble mue dans un étrange tourbillon, dans le ciel tout là-haut, un éclair de soleil jaune salue ce miracle.

    Du coup l’on retrouve Tony en ville, il déambule sur une piste cyclable, voudrait-il, lui le rocker, lui le biker, nous faire accroire que c’est ainsi que l’on vit dangereusement, en tout cas la ville déserte s’anime, Marlow marche prudemment comme sur des œufs sur un large trottoir, mon dieu toi qui n’existes pas, que se passe-t-il, aurions-nous trop insisté lors de l’apéritif, le Marlou se dirige vers nous mais les voitures filent à reculons, Marlow sourit,  un rocker en perfecto, se porte à sa hauteur, hélas lui aussi est pris de cette bizarre dérive reculatoire et il disparaît dans les limbes de la pellicule, l’est aussitôt suivi d’un deuxième individu qui, encore un, est happé en arrière par cet étrange vortex inexplicable… tiens une jolie fille, va-t-elle être aussi accaparée par cet extraordinaire phénomène, non le pouvoir sensoriel de Marlow la garde à ses côtés, mais au plan suivant elle n’est plus là, les habitants de cette cité sont tout de même touchés par cette étrange maladie de la vache folle ou de la brebis galeuse, pour échapper à cette étrange épidémie contaminatoire l’on ferme les yeux et l’on en profite pour apprécier le long solo de guitare de la bande-son, tiens tout ( enfin presque) rentre dans l’ordre. En voici deux qui sont guéris, d’ailleurs ils s’enfilent dans la salvatrice porte  d’un café ils ont sûrement besoin d’un remontant, le Marlou les imite, l’a beaucoup arpenté, l’a besoin de reprendre quelque force, surprise, couleurs, nous voici bien au chaud à l’intérieur de L’Armony, bar émérite de Montreuil cité rock, sont attablés autour d’une table,

    z24857armony.jpg

    tous les quatre, on les reconnaît, Amine Leroy gratouille sa big mama, Jacques Chard caresse sa caisse claire, Tony est plus intéressé par le poster géant de Marilyn que par sa guitare, ils ne font même pas semblant de jouer en playback, mais l’on s’en moque, on se repose de notre grand voyage en contemplant la dégaine incomparable d’Alicia Fiorucci que comme par hasard Seb le Bison, le producteur avisé, a placée au premier plan.

    Damie Chad.

     

     

    *

             Les mésoPOPtamiens disaient qu’il suffisait de traverser l’EuphKRAFTe pour être heureux, si l’on en croit Xénophon qui en des temps antiques mena l’épopée des Dix Mille en ces lieux hostiles, l’aventure peut s’avérer périlleuse, aussi vais-je vous mener dans une contrée plus douce à laquelle vous accèderez en quelques clics.

    POP POPKRAFT (FB)

    HISTOIRE DU ROCK GARAGE

    (Voir aussi Art Pop CreationFB)

    z24855salut les amis.png

             J’y suis tombé dessus par hasard, un pantin de bois qui s’agitait, j’ai failli ne pas m’arrêter, les gamins qui rêvent de Pinocchio, très peu pour moi, feraient mieux de relire le Timée de  Platon, oui mais il y avait un truc rond au fond de l’image qui tournait, toutefois dans mon cerveau élémentaire, la traduction s’est faite, un truc rond qui tourne, avec un peu de chance c’est un tourne-disque. Je ne m’étais pas trompé, j’ai aperçu l’icône du haut-parleur barrée, j’ai mis le son, mais ce n’est pas mauvais, ne serait-ce pas du rock, bingo, j’avais gagné ! Deuxième surprise en descendant légèrement le fil, le même ostrogoth dans son tricot gris glissait une rondelle vinylique sur son appareil, encore du rock, et du bon, cela méritait écoute et attention.

             Mea culpa, je ne l’ai pas fait exprès, je ne recommencerai pas si je mens que Belzebuth me butte et me catapulte en Enfers ! Je rassure tous les écologistes, non l’Opérateur, ou plutôt le rockpérateur, n’a pas bousillé un séquoia ou déraciné un baobab pour sa figurine qui doit faire cinq centimètres, elle n’est pas en bois, l’a confectionné avec de la pâte à papier et du carton. Ainsi que tout le décor, un salon avec fauteuils et canapés, les meubles et tous les petits détails qui vous rendent un lieu particulièrement agréable, les murs recouverts d’affiches de concerts, ou par exemple le cendrier, en plus dans certains épisodes il est rempli de cadavres alanguis de cigarettes, tristes et déplorables exemples d’incitation à la débauche, vous savez avec les amateurs de rock il faut s’attendre non pas à tout mais au pire, prions pour la santé mentale des mineurs qui visionneraient les épisodes.

             Car oui, nous sommes sur le FB d’un obsessionnel du rock’n’roll, à chaque jour ne suffit pas sa peine, quotidie, dixit Caesar, il rajoute un nouveau chapitre à cette saga. Le principe est simple, un groupe, un titre, quelques explications. Nous n’avons pas affaire à ces insupportables animateurs de radio qui parlent sur les titres, n’ouvre pas la bouche, s’exprime par bulles comme les poissons-rouges ou les bandes dessinées. Entre nous soit dit, cela doit lui prendre un temps fou et demander un esprit minutieux. Un aspect de La Pop Culture que j’ignorais qui aurait enchanté l’amie Patou qui aujourd’hui n’est plus là, doit se balader sur l’autre rive accompagnée de ses chats…

             Allez-y voir sans problème, attention c’est terriblement addictif, à ce jour d’aujourd’hui (9 septembre) il vient de poster sa soixante-huitième livraison, pour vous mettre l’eau à la bouche j’ai relevé l’intégralité, si je n’en ai pas oublié, des artistes passés en revue, je n’ai pas mis le titre précis, à vous d’aller le découvrir : Sonics, Saints, Ramones, Cynics,Richard Hell and the Voidvoid, Dream Syndicate, 13 Th Floor Elevator, Plan 9, Seeds, Joy Division, Thee The Sees, Hoodoo Gurus, Dogs, Mono Men, Fuzztones, Velvet Underground,  The Senders, Wilco, Doors, Love Screaming Trees, Eels, Link Wray,  The Nomads, DMZ, The Animals, Tom Petty, Bob Dylan, White Stripes, Tim Buckley, Willie Dixon, X, The Music Machine,  Roy Orbison, Ty Segall, The Chocolate Watchband, Johnny Kids and the Pirates, Ike & Tina Turner, Motör Head,  Beatles, Vince Taylor and his Play-Boys, Psistepinkko, Walkabouts, John Spencer Blues Explosion, Smashing Pumpkins, Them, Wire, Elvis Presley, Modern Lovers, Thugs, Screaming Trees, Nick Drake, Woven Hand, Echo and the Bunnymen, The real Kids, Small Faces, The Celibates Riffles, Buzzcocks, creation, The Litter, Creation, Television Eddie Cochran… ils ne sont pas dans l’ordre, il y en a un dans ma liste manuscrite que je n’ai pas réussi à relire !

             Originalement rock !

    Damie Chad.

    1. S.: pour ceux qui veulent tout savoir, vous avez de temps des tutos dans lesquels vous sont livrés les secrets de fabrication.

     

    *

             Au début de ce mois nous présentions le premier titre du nouvel EP de Two Runner, vient de paraître le second extrait qui donne son nom à l’opus.

    LATE DINNER

    TWO RUNNER

    (Official Music Video de Nick Futch / 13 - 09 – 2024)

    z24899videorunner.jpg

             Un jeu stupide : regarder une Music Video sans mettre le son. Rien de surprenant : une fille qui rentre à la nuit tombée, une qui l’attendait en lisant. Tout de suite Paige et Emilie sur le divan en train de jouer, par intermittences ensuite, car Paige prépare un repas, végétal et sans surprise, des espèces de tartines au fromage qui seront posées sur la table auprès d’assiettes remplies d’une sauce brunâtre, heureusement que l’on entrevoit un plat de ce qui doivent être des biscuits pour le dessert, je ne voudrais pas la ramener avec ma petite et prestigieuse science nationale culinaire de petit froggie mais ce repas vraisemblablement végétarien ne m’ouvre pas l’appétit, d’ailleurs si elles ont allumé des bougies elles restent chacune à leur tour prostrées devant  leur assiettes pensives sans toucher à la nourriture, l’on sent le dépit,  un petit mot d’amour est déchiré, brûlé, réduit en cendres, mais tout change elles sautent de joie et tout à leur entrain elles s’en vont danser sur le perron de la maison.

             Si vous n’êtes pas tout à fait crétinoïde vous avez compris la morale de cette histoire : un seul être vous manque et cela ne vous empêchera pas de faire la fête et de continuer à vivre.

             Nous sommes désormais prêts pour écouter la chanson :

    Paige Anderson : vocals, guitar, banjo, composition  / Emilie Rose : vocals, fiddle/ Ben Eaton : upright bass.

    z24853couve.jpg

    Ben Eaton, d’un bout à l’autre fournit le bruit de fond, il suit le rythme de si près comme le chien qui marche dans l’ombre du maître, il le fortifie lorsque la cadence s’accélère il devient alors tourbillon de feuilles mortes que le vent de l’automne emporte et laisse tomber inanimées sur le sol, Emilie ferme souvent les yeux, son violon tour à tour agonise et festonne la mélancolie des jours passés et à venir, tous identiques, qui se suivent et ne se ressemblent pas, la voix de Paige bouscule la donne, de l’écheveau de l’évidence des rêves et du vécu elle tisse un drame antique, elle métamorphose une comédie amère en fusion destinale, l’on ne sait plus s’il faut en rire ou en pleurer, il existe une telle différence entre les routes de la réalité vivante et la voie du songe absolu que notre esprit n’arrête pas de poursuivre sans fin. Ne sommes-nous pas, les deux à la fois, Ulysse luttant contre les vents contraires et la longue patience de Pénélope tirant les fils des songes infinis. Tout cela Paige l’écrit avec des mots simples qui n’en finissent de créer de subtiles résonnances en l’âme des choses qui ne sont plus et de celles qui subsistent, en un autre plan ontologique.

    Vous reprendrez bien un morceau de gâteau, farine de tristesse, sucre des jours heureux et cerise à l’eau de mort…

    Superbe composition.

    kid congo,roxy music,john squire,honeycombs,luke haines,blackstaff,tony marlow,pop popkraft,two runner

     

    Damie Chad.