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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 14

  • CHRONIQUES DE POURPRE 646 : KR'TNT 646 : MAX DECHARNE / DOUM DOUM LOVERS / BOBBY TENCH / PETER GALLAGHER / ZOMBIES / TEXABILLY ROCKETS / CONQUERORS OF THE EMBER MOON / ARCANIST / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 646

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    23 / 05 / 2024

     

    MAX DECHARNé / DOUM DOUM LOVERS

    BOBBY TENCH / PETER GALLAGHER

    ZOMBIES / TEXABILLY ROCKETS

     CONQUERORS OF THE EMBER MOON / ARCANIST

    ROCKAMBOLESQUES  

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 646

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Max le ferrailleur

     (Part One)

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             L’ex-Gallon Drunk et membre émérite des Flaming Stars Max Décharné publie son dixième book, Teddy Boys: Post-War Britain And The First Youth Revolution. Alors bien sûr, tous les fervents admirateurs d’A Rocket In My Pocket et de King’s Road: The Rise And Fall Of The Hippest Street In The World se sont jetés sur le Teddy book. Pas question de rater ce nouvel épisode d’une saga ethno-sociologique qui nous tient particulièrement à cœur, celle de London town.

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             Contrairement à ce qu’indique son nom, Max Décharné n’est pas à l’article de la mort. Au contraire, il est certainement l’hipster londonien le plus productif de son temps. Il a un wiki qui doit faire baver d’envie Ginger Wildheart, l’un des pires productivistes de l’histoire du rock anglais. Mais Max le bat à la course. Et de loin. Il sait tout faire, surtout écrire. Bon, on ne va pas pomper le wiki, on laisse ça aux kikis. Contentons-nous de lire deux ou trois bons livres et d’écouter quelques bons albums des Flaming Stars.

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             Max Décharné est aussi un grand spécialiste du slang londonien et du cinéma noir. Chacun de ses ouvrages s’adresse donc à des spécialistes. Exemple : A Rocket In My Pocket s’adresse aux spécialistes du rockab (on y reviendra dans un Part Two). Autre exemple : King’s Road: The Rise And Fall Of The Hippest Street In The World lui permet de fouiller dans l’histoire et de remonter jusqu’aux racines de la pop culture londonienne (on y reviendra dans un Part Three). Ses livres sont extraordinairement bien documentés. Son style pourrait bien être celui d’un hipster historien, d’un chercheur raffiné qui ne reculerait devant aucun excès pour mener à bien son investigation. Il cite à tours de bras. Max Décharné est une sorte de Rouletabille rock, d’hip Sherlock, de Jack the Rapper, il met au service de sa R&D une fantastique énergie de rocker underground, on sent battre le beat nocturne de Gallon Drunk dans sa prose. On parle ici d’une ambiance particulière faite d’élégance urbaine, de dandysme de trottoirs humides et de jazz-clubs informels. Ami lecteur, te voilà en de bonnes mains.

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             Alors attention, le Teddy Boys book n’est pas un rock book au sens où on l’entend généralement. Max Décharné n’évoque le rock qu’à titre indicatif. Il documente l’histoire d’un mouvement populaire typiquement londonien, à grands renforts de citations d’ouvrages déjà très documentés et de larges extraits puisés dans les quotidiens et les magazines de l’époque. C’est violemment documenté, à tous les sens du terme. Les Teddy Boys ont en leur temps alimenté les unes des journaux, comme le feront vingt ans après eux les punks. C’est exactement le même processus : les kids foutent la trouille, rien que par leur allure, alors les fouille-merde de la presse les collent à la une de leurs torchons. Max Décharné va aussi chercher des infos dans la littérature et le cinéma d’époque, c’est un vrai travail de bénédictin. Tu sors du book drôlement bien renseigné, même si les Teddy Boys ne représentent rien ou presque pour toi.

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             Mais il y a cette énergie dans le book. L’auteur fait bien la part des choses. Il évoque les Teddy Boys des années 50 qui étaient en fait des pionniers. Max campe bien le décor : le post-war est rude en Angleterre, pas d’eau courante, pas de confort, pas de rien. Et tout commence par le look, et là Max met le turbo, car c’est du vocabulaire choisi, il évoque les Teds comme s’il s’agissait d’une tribu - With their Edwardian drape jackets, velvet collars, elaborate waistcoats and drainpipe trousers, ils étaient non seulement l’un des mouvements de la jeunesse working-class la plus identifiable, mais ils étaient aussi les premiers - Bon alors les mots. Drapes, ça ne se traduit pas, ça reste drapes. On peut à la rigueur traduire ça par veste longue. Elle est généralement taillée dans un tissu bleu clair. Avec un col en velours noir. Les waistcoats sont les gilets, l’un des apanages du dandysme. Et les drainpipe trousers sont comme leur nom l’indique des futals moulants. Max Décharné reste dans la mode pour rappeler que dans That’ll Be The Day, Ringo est un Ted, et même un brillant Ted, et que McLaren vendait des drapes et des creepers à l’autre bout de King’s Road, une avenue que Max connaît bien. Avant de s’appeler Sex, le bouclard s’appelait Let It Rock. McLaren était un fan d’early rock’n’roll et de Billy Fury en particulier. Puis Max évoque les séquelles du mouvement Ted : Showaddywaddy, Mud, «and the finest of them all, Wizzard» - Wizzard avait réussi à combiner les cheveux longs et le maquillage with authentitc Ted gear et une fantastique musique d’inspiration fifties, comme turbo-charged avec le Wall of Sound de Phil Spector, de la même façon que les mecs de Roxy Music avaient réussi à intégrer des références fifties dans leurs chansons et leurs visuels, alors qu’ils semblaient évoluer dans le futur avec plusieurs décennies d’avance - Oui, il faut voir la dégaine de Roy Wood sur le pochette d’Eddie & The Falcons. À l’époque, on prenait tout ça très au sérieux. Mais il ne s’agissait que d’un revival.

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             Les drapes ne sont pas tombés du ciel. Max nous rappelle que leur origine remonte aux années 30, «a Savile Row fashion innovation» : «La veste tombait droit de larges épaules pour se resserrer à la taille, et les fameux zoot suit des années 40 allaient en exagérer la forme.» Et ces Teds que la presse et l’opinion publique vont transformer en loubards allaient chez des tailleurs pour s’habiller. Max nous cite l’exemple d’un jeune plombier originaire de Middlesbrough : en 1954, il a 18 ans et en allant chez le tailleur, il devient un «anti-social thug» - He ordered his own distinctly colourful version of a Teddy Boy suit: a red corduroy jacket with velvet patch pockets, powder blue drainpipe trousers, red corduroy shoes with twin buckles, white socks, two-tone brown and green shirt with a black shoelace tie - Même les punks ne sont pas allés aussi loin. Les fringues de McLaren coûtaient trop cher.

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             Les Teds s’appelaient au début The Edwardians, mais leurs girlfriends préféraient Teddy Boys. Et ça part vite - A dress code, some hairstyle tips, and a name for the new movement - Et pour bien fédérer tout ça, arrive en 1956 en Angleterre Blackboard Jungle. Ce vieux classique du ciné rock sert même de détonateur, car on y voit Bill Haley balancer «Rock Around The Clock». Ça n’a l’air de rien comme ça, mais en ce temps-là, on n’avait que «Rock Around The Clock» à se mettre sous la dent, même en France. Max situe la sortie du film en juin 1956. En mai de la même année, Elvis entre dans les UK charts avec «Heartbreak Hotel». Max parle d’un «double blow». Voilà donc l’origine d’une révolution, sans doute la plus importante des temps modernes : Bill Haley, Elvis et les Teds. Max cite aussi le schoolboy Keef qui a 12 ans au moment où le film sort en Angleterre. Pour lui c’est le point de départ. Max le cite : «La musique de Blackboard Jungle, ‘Rock Around The Clock’. Pas le movie, juste la musique. Les gens disaient : ‘Ah did you hear that music, man?’. En Angleterre on n’avait encore jamais rien entendu. Toujours la même chose : la BBC contrôle tout. Alors tout le monde s’est levé pour la musique. Je ne pensais pas à la jouer. Je voulais juste l’écouter. Il a fallu un ou deux ans en Angleterre avant que les gens ne se mettent à jouer cette musique.» Keef les voit, les Teds, dans les dance halls, il les craint, comme il le rappelle à Robert Greenfield en 1971 - I was just into Little Richard. Je me méfiais, je restais à distance des chaînes de moto et des rasoirs, dans ces dance halls. The English get crazy. Ils sont calmes, but they were really violent, those cats. Those suits cost them $150, which is a lot of money. Jackets down to here. Waistcoats. Leopardskin lapels... amazing. It was really ‘Don’t step on mah blue suede shoes.’ It was down to that - Keef résume bien les choses. Il sait imager son propos. Oui, car la violence est inhérente au mouvement Ted. Les Teds s’affrontent. Ils affûtent à la meule leurs chaînes de moto - a very nasty weapon - ils ont aussi des matraques lestées de plomb, des rasoirs et des poings américains. Max évoque les combats entre «East End and South London gangs, with mass fights in agreed locations.» Un mythe urbain que d’autres vont exploiter à gogo.

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             L’exploitation de la violence par la presse constitue le gros du book. Pas mal de Teds sont ramassés par les Bobbies, et se retrouvent au tribunal devant les perruqués. Max trouve aussi quelques cadavres dans la presse à scandale. Mais le plus dévastateur dans cette histoire, c’est son humour. Au détour de certaines pages, on se fend bien la gueule. Dans une double où il montre un élégant dandy Edwardien déambuler sur Savile Row, Max déclare : «The Edwardian high-fashion revival jouissait de ses dernières années de tranquillité, car les pantalons moulants, les cols en velours et les drapes allaient se trouver inextricablement liés à une autre clientèle.» Eh oui, les Teds allaient s’approprier ce phénomène de mode et le faire descendre de l’upper class jusqu’au working class. Et il ajoute deux pages plus loin ceci qui édifie les zygomatiques : «Il n’est pas surprenant que les commentateurs issus de backgrounds classiques aient pu voir les Teds et les Teddy Girls comme un alien phenomenon.» Plus loin, Max se régale de l’anecdote d’une Teddy Girl résistant à l’autorité : «Ayant tapé dans la gueule d’un deuxième flic et craché dans celle d’un troisième flic, elle menaça ensuite de se jeter hors du panier à salade qui l’emmenait au commissariat. Un officier de probation dit aux magistrats que sa cliente s’était déclarée a Teddy girl, puis elle fut envoyée chez un psychiatre.» Et là où Max se marre le plus, c’est quand il évoque le premier proto-Ted, Prince Philip, grand amateur de creepers : «A Royal Charity Premiere de Violent Playground fut donnée le 3 mars 1958 à l’Odeon de Marble Arch, et l’invité de prestige n’était autre que ce fameux aficionado de crêpe-soled creepers, Prince Philip, Duke of Edinburgh, mais il semble qu’il se soit abstenu de graver le bois de son siège avec un cran d’arrêt.»

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             En plus de Keef, Max, fait intervenir d’autres cakes, comme par exemple John Lennon et Ted Carroll. Il cite le biographe Hunter Davies : «Ils s’appelaient the Quarrymen, naturally enough. Ils portaient tous des fringues de Teddy Boys, et se coiffaient comme Elvis. John was the biggest Ted of all.» Ce que Max Décharné veut dire à travers tout ça, c’est que les Teds des early fifties étaient entrés en conflit avec la société, comme le feront 20 ans plus tard les punks. John Lennon était un rebelle notoire. À Dublin, le futur boss d’Ace Ted Carroll passe lui aussi dans le camp des Teds, et comme il se graisse les cheveux et qu’il a trafiqué son futal, on le surnomme Ted, alors qu’il s’appelle David - So that’s how I got the name Teddy boy, because I was a Ted for taking in my trousers.

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             Puis Max amorce le déclin du règne des Teds, à la fin des fifties. Ils passent de mode. Viendra 20 ans plus tard le temps des revivals, Max cite par exemple «the Buddy Holly Dance Contest en 1982 où Billy Fury fit une courte apparition et le sol trembla alors que plus d’un millier de Teds & de Teddy Girls jived and bopped to the sounds of Howlin’ Wolf’s 1962 stormer ‘You’ll Be Mine’.» Les Teds originaux nés pendant la Seconde Guerre Mondiale avaient pris un coup de vieux ou avaient disparu, et une dernière fois, Max resitue le contexte : «Ils ont grandi dans une époque de rationnement, quand peu de maisons avaient le chauffage central et dont la plupart des toilettes étaient à l’extérieur, la grande majorité des working class people n’avaient ni téléphone ni télévision. Les gosses qui n’avaient pas les moyens de financer une exemption devaient faire leur service militaire, la peine de mort existait encore et tout le monde devait se lever à la fin d’une projection de cinéma quand on jouait God Save The Queen. C’est à ça que ressemblait la société voici 70 ans. Les premiers Teddy boys and girls se sont dressés en réaction contre tout ça, et furent en même temps façonnés par tout ça. They will not pass this way again.» C’est la dernière phrase du book. Elle sonne comme une clameur.

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             On garde les meilleurs pour la fin ? Max Décharné rend deux hommages superbes, d’abord à Gene Vincent, qui débarque pour la énième fois en Angleterre, en 1969. Il est accueilli à Heathrow par une délégation de Teddy Boys in drapes and bootlace ties.

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    Puis Gene monte à bord d’une Rolls blanche et file vers Londres, accompagné d’une escorte de bikers. Et Max poursuit : «Deux de ses fans et ex-Teddy boys, John Lennon et George Harrison, vinrent assister à son packed London show au Speakeasy.»  

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             Mais la véritable star du Teddy book, c’est Bill Haley. Et là Max Décharché livre trois de ses plus belles pages. Le vieux Bill débarque en 1957 en Angleterre. C’est lui qui va inciter les kids britanniques à monter des groupes. Max rappelle qu’un canard anglais citait la tournée de Buddy Holly & The Cickets comme la première grande tournée déterminante - deux guitares/basse/batteries, compos originales, un message qu’allaient recevoir les groupes anglais, notamment les Beatles - mais pour lui, ce sont les Comets qui un an plus tôt ont ravagé l’Angleterre - They were unquestionably a rock band - one of the earliest and finest that ever hit the stage - Il a raison, le Max, Bill Haley & The Comets stormaient bien la baraque et swinguaient comme des démons. Ted Carroll les voit à Dublin. Il réussit à se payer un billet, au balcon. Sur le cul le Ted ! - Alors ils démarrent avec «Razzle Dazzle» : ‘on your marks, get set, ready’ et sur les deux ou trois premier accords, le rideau se lève doucement, on voyait leurs jambes sur scène and then ‘Ready steady go!’ up went the curtain, fuckin’ place erupted - C’est Ted Carroll qui dit ça, il sait de quoi il parle. Et il repart de plus belle, ah il faut lire ces pages de l’aube des temps du rock - It was amazing. You can imagine, because they were a fucking great band. Ils étaient fantastiques, si doués, ils avaient fière allure. Me souviens pas s’ils portaient leurs vestes en tartan et Bill Haley n’avait pas cette gueule de pépère. I mean, he was a great singer, had a big fuck-off guitar, he moved around. He wasn’t Elvis - nobody wanted Elvis - we wanted Bill Haley and the Comets who made the best rock’n’roll records which were great to dance to, the A and B sides were fantastic. The place went fucking wild - Il a même la trouille que le balcon ne s’écroule parce que tout le monde saute en l’air «and the excitment was just fuckin’ insane.» Ted ajoute que ça a continué dans la rue, après le concert. Pour lui, ce concert de Bill Haley reste un concert magique - I mean it was magical to be able to see that. J’étais tellement sonné que je ne suis pas allé à l’école le lendemain. J’ai vu le premier show des Beatles à Dublin, et puis les Stones, j’ai vu des concerts déments, Ike & Tina Turner au Royal Ballroom à Tottenham, mais celui de Bill Haley was just totally mind-blowing. J’avais 14 ans. You’d never seen anything lile it - Ce fantastique témoignage brille comme une perle noire au creux du bel écrin de ce Teddy book. 

             On se souvient d’avoir côtoyé des Teds au Rock On stall de Soho Market, dans les années 70. Tu venais acheter Wasa Wasa et à côté de toi, un Ted en veste bleue, jabot blanc, pompadour, doigts couverts de bagues et de tattoos, fouillait dans le bac des 45 tours et en sortait un single Sun en poussant un cri de victoire. C’est l’un des souvenirs les plus précis de cette époque. Les Teds formaient une petite bande et tu éprouvais une certaine fascination à les observer, car tu savais, au fond de toi, que tu ne serais jamais aussi rock’n’roll que ces mecs-là. Dangerous & exciting, comme le dit si bien Max Décharné. 

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             Pour rester dans le ton, sortons de l’étagère The Basement Bar At The Heartbreak Hotel, des Earls Of Suave. Album mystérieux, pochette mystérieuse, avec au chant un Marquis de Suave qui sonne comme Elvis sur «Stranger In My Own Home Town», et en B sur «Little Ole Wine Drinker Me». On croit rêver. Max Décharné sait aussi faire son Elvis, comme le montre «Really Gone This Time». Il a tout le doux et le rond du menton. Les Earls Of Suave sonnent aussi comme le Cramps sur «A Cheat» : en plein dans le boogaloo Crampsy/Gallon Drunk, mais aussi avec «She’s My Witch» bien chanté à la Lux. Le coup de génie de l’album est la reprise de l’«Ain’t That Lovin’ You Baby» de Jimmy Reed en ouverture de balda. Heavy groove de boogaloo de London town, très Elvis-proto-punk et chanté au grand méchant loup. Ils font aussi une cover du «Ring Of Fire» de Cash. 

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             On va retrouver la plupart des Earls Of Suave dans les Flaming Stars. On reviendra sur leur discographie magique dans un Part Two, mais pour donner un petit avant-goût, jetons un œil sur Sunset & Void, magnifique album paru en 2002. Magnifique oui car «Night Must Fall» que Max tape en chanteur de charme fou. Petit chef-d’œuvre de romantisme urbain. Et puis tu as ces deux cuts à l’entrée du balda, «A Little Bit Like You» et «Cash 22», solide rockalama travaillée sous le boisseau pour le premier, un brin Gun-Clubbish, et de faux accents à la Bowie era Heroes pour le deuxième. Même ampleur pop volontaire de classe supérieure. On entend un peu partout des échos de Gallon Drunk, c’est en gros la même ambiance. L’«House Of The Seting Sun» qui trône en B est écœurant de classe et de London Void. Dandysme et cut mélodiquement purs. L’exotica des Flaming Stars («Mexican Roulette») sonne comme un western en déliquescence et avec «The Waiting Game», ils visent l’urbain d’orbi. Saluons aussi l’ambiance pesante de «The Long Walk Home». Ils savent plomber la clavicule de Salomon.

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             En 2022, Max Décharné sortait New Shade Of Black, un choix de dix cuts composés jadis pour les Flaming Stars, enregistrés late at night sur un 4-track cassette-based recorder. Max explique qu’il enregistrait ainsi ses demos pour les présenter au groupe. Il ajoute qu’il chantait en sourdine pour ne pas réveiller ceux qui dormaient. Il est reparti des vieux 4-track surviving recordings et a refait les voix chez Ed Deegan, le mec qui enregistrait les Flaming Stars au temps de Toe Rag. A new album full of old songs. C’est un album à caractère intimiste. On y retrouve le très beau «3AM On The Bar Room Floor» tiré de Songs From The Bar Room Floor paru voici bientôt trente ans. C’est très beau, très mélancolique, très jusqu’au bout de la nuit. Max adore le bar room floor. Sur le «Maybe One Day» tiré de Pathway, il sonne comme le Lou d’«Heroin». Il joue de l’orgue et frise même le Nico dans une fantastique ambiance sépulcrale. Il re-capte la primeur de ses vieilles démos. «Lit Up Like A Christmas Tree» se trouve aussi sur Pathway. Cut lugubre et gorgé de réverb cadavérique, pas loin du Velvet, une pure Marychiennerie. «Cash 22» qu’on retrouve sur Sunset & Void est aussi très beau, dans sa forme originelle. Max sait capter l’attention. Il cultive le même sens mélodique que les Mary Chain. 

    Signé : Cazengler, Max la limace

    Max Décharné. Teddy Boys. Profile Books Ltd. 2024

    Earls Of Suave. The Basement Bar At The Heartbreak Hotel. Vinyl Japan 1994

    Flaming Stars. Sunset & Void. Vinyl Japan 2002

    Max Décharné. New Shade Of Black. Dangerhouse Skylab 2022

     

     

    L’avenir du rock

    - Doum Doum Doum Doum

             Pour divertir ses amis, l’avenir du rock organise des soirées magiques. Il revêt son bel habit de Mandrake, il loue les services d’un blackos de Saint-Denis pour faire le Lothar, et dispose trois rangées de chaises dans son salon qui devient une sorte de mini-cabaret pour happy few. Le Lothar fait entrer l’avenir du rock dans un grand sarcophage vertical, prononce une formule magique, fait patienter le public quelques secondes, puis ouvre à nouveau le sarcophage... Oooh fait la petite assistance médusée, alors que sort du sarcophage un Lemmy plus vrai que nature, arborant de splendides verrues et brandissant sa Ricken ! Il approche du premier rang et se met soudain à gratter sa Ricken tout en éructant «It’s a Bambi ! It’s a Bambi !», et au comble de la stupéfaction générale, un Bambi sort d’une caisse que vient d’ouvrir le Lothar de service ! Oooh fait la petite assistance re-médusée, alors le Lemmy plus vrai que nature attrape une mitraillette Thompson en tous points semblable à celle qu’on voit sur la pochette du mini-album St. Valentine’s Day Massacre et tatatatata, il dégomme Bambi en hurlant «It’s a Bambi ! It’s a Bambi !». Alors le Lothar coiffé d’une perruque McLaren s’écrie : «Who killed Bambi ?». Poilade générale. Certains en tombent même de leur chaise. Le Lemmy retourne dans le sarcophage et après la rituelle formule magique, c’est un Jimi Hendrix qui en sort, avec un gros flingue à la main et sa Strato en bandoulière qui joue toute seule. Le Lothar l’interpelle : «Hey Avenir Joe where you going with that gun in your hand?», alors le Jimi dit qu’il s’en va buter sa old lady parce qu’il l’a vue traîner en ville avec un autre mec. Et comme l’avenir de rock n’a pas d’old lady, il en choisit une au hasard dans la petite assistance et lui colle une balle dans la tête. Hilarité générale, même si certains trouvent qu’il exagère un peu. Déjà deux cadavres, et la soirée ne fait que commencer... Il retourne dans son fucking sarcophage et après l’abracadabra de service, le voilà qui revient en John Lee Hooker. Pareil, avec sa gratte et un gros flingot. Il s’assoit sur une chaise, tape du pied, gratte les plus beaux accords de l’histoire du rock et grommelle : «Doom Doom Doom Doom/ Gonn’ shoot you right down !». Et il tire dans le tas, comme Sid Vicious à la télé.

             L’avenir du rock ne lésine jamais sur les moyens pour rendre hommage, surtout quand il s’agit des Doom Doum Lovers.

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             Des couples rock, t’en as vu des tonnes depuis vingt ans, les White Stripes, les Kills, les Blood Red Shoes et tous ces machins-là. Ils sont souvent au bord de la faillite, car l’exercice est périlleux. Si elle bat le beurre, il faut qu’elle batte bien, et s’il gratte ses poux, il a intérêt à en gratter pour dix, parce qu’il est tout seul, avec en plus le chant à charge. Gros boulot. Faut des épaules pour ça. Et une voix. Et du punch. Et des compos. Tu vois vite à travers quand ça manque de viande. Les modèles de couples rock restent les Courettes, et puis bien sûr Stereo Total. Chapeau bas. Flavia Courette gratte tout ce qu’il faut et Moby Dick bat pour dix. Françoise Cactus battait la Stereo comme une bête et Brezel Göring grattait sa Bo guitar comme un Bo blanc.

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             C’est cette énergie du diable qu’on retrouve chez Jean-Jean et Kinou, the fabulous Doum Doum Lovers. Et quand t’as dit fabulous, t’as rien dit. Ils renouent avec la grande époque des concerts foutraques de Stereo Total, t’as des paroles en français, du riff raff gaga, de l’énergie atomique, un mec qui se balade avec sa gratte dans le public, comme s’il marchait sur la lune, en poussant des ouh !, il gratte tous ses cuts avec une technique d’une extraordinaire sobriété, sans jamais produire le moindre effort, pendant un heure il crée son monde, il va de cut en cut comme un poisson dans l’eau, et tu flashes en permanence, car c’est incroyablement bon, incroyablement frais, incroyablement juste, tu ne t’attendais pas à ça, et la surprise n’en est que plus belle.

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    Alors tu comprends que tu as sous les yeux un real deal de l’underground. Il ne la ramène pas, au contraire, il simplifie au maximum, mais sans jamais tomber dans le panneau friendly. Non, son truc serait plutôt : «Tu veux du rock ? Tiens en voilà !», mais sans prétention. Tout repose sur la qualité du show, des compos, et là, tu te régales, car c’est du très haut de gamme. Il te donne exactement ce que tu attends d’un concert de rock en 2024 : une heure de set solide dont tu vas te souvenir. Et puis cette classe ! Rien n’est plus rare que la classe naturelle, celle que tu n’as pas besoin de montrer.

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    Jean-Jean n’a pas besoin de déguisement, ni de santiags, ni de tatouages, il a des chansons fantastiques, de l’humour et une présence indiscutable. Il a même une chanson gaga-Dada, «Nus Sur La Banquise», et tout le monde fait Ding Dong avec Kinou - Pas de tenue requise - Gros clin d’œil au «Deux Sur la Banquette» de Marie & Les Garçons.

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    Tu le vois marcher sur la lune en poussant des ouh ! Et sur la version studio, il part en solo de trashobilly d’envergure intersidérale. Que de son, my son ! Il te gratte ça au relentless, et le cut se termine en bouquet de chœurs d’artichauts bien chauds. L’autre big time-cut des Doum Doum s’appelle «Le Tunnel», le fameux cut avec les ouh ouh. Alors attention, tu as deux versions : celle de l’album sans titre et celle de la démo 3 titres. Sur l’album, c’est Kinou qui prend le chant, et lui, il mène le bal du ramalama, où est la sortie du tunnel, c’est wild as fuck ! Il faut les voir foncer dans la nuit.

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    Mais si l’occasion se présente, chope la démo trois titres parue en 2021, elle ne coûte que trois euros, mais tu vas tomber de ta chaise car la version du «Tunnel» qui est dessus est encore plus wild que l’autre. Ça démarre avec la voix d’Arletty - Atmosphère ? Atmosphère ? Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? - Et bam !, ça part en trombe, ça fonce dans le tunnel, hot as hell, ça monte en neige pour atteindre à la démesure d’où est la sortie du tunnel, Kinou mène la danse, et derrière Jean-Jean recrée le chaos sonique du Velvet. Eh oui, l’animal flirte avec le spirit de «Sister Ray». À la suite, tu tombes sur la démo de «Face To Face», un heavy boogie down d’hey face to face, il sait monter son boogie en neige et il te plonge vite fait en enfer, il connaît toutes des recettes maléfiques du wild gaga et cette façon qu’il a de riffer à sec ! Il finit avec un «Looking For The Banshee» bien lesté de plomb, il te trashe ça vite fait au riff raff de caballero, ça sent bon les coups de bottleneck, il nage dans l’écho du temps, il brûle les ailes de sa Banshee, et ça bottomme dans l’ersatz de l’apanage, et là t’es tanké.

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             Tu as d’autres merveilles sur l’album sans titre des mighty Doum Doum. Tu retrouves la Banshee. Il sait rocker sa casbah, pas de problème. Tout est construit sur des architectures soniques qui te captent bien l’attention, il ramène sa fuzz et lance «don’t trust me», mais si. On te truste ! Belle architecture d’anymore encore dans cet «Hope Gives Live» lourd de conséquences, lancé au wild abus dangereux et bien tenu en laisse. Par contre, il lâche la laisse de «Garde Un Chien D’Ta Chienne» et là, l’album décolle. Kinou l’amène au gros tatapoum et bam, ça part en rockalama périgourdin. Kinou fait des chœurs gaga de rêve. Te voilà au pied de mur. Tu crois entendre des clameurs de Detroit Sound. Tu te pinces. Dans «Secret», il joue avec la notion de ground underground, the other way round, belle ambiance Dead Moon, il siffle dans la nuit et joue les basses sur ses cordes graves. C’est un enchantement. Et voilà qu’il tape dans le mille du pire gaga de l’univers avec «Hurry Up». Terrific ! Sur scène, il t’explose ça à coups de gros barrés. On retrouve aussi l’excellent «Face To Face», cet heavy groove de blues qui te tient par la barbichette, et encore une fois, il te sonne bien les cloches. Tout est tellement en place, la gratte, la voix, l’énergie, le beurre, et en plus, il te claque un solo de disto qui te fait baver. Ils tapent «Un Pas Sur La Lune» au yodell périgourdin et bouclent ce délicieux bouclard avec «Outside The Box». Cet album est un vrai panier garni, gorgé de compos variées, comme chez Stereo Total, même énergie, même intégrité, même créativité, même joie de vivre et même résonance underground.

    Signé : Cazengler, Dumb Dumb Loser

    Doum Doum Lovers. Neuville-Sur-Authou (27). 9 mai 2024

    Doum Doum Lovers. Doum Doum Lovers. Some Produkt 2023

    Doum Doum Lovers. #1. Not On Label 2021

     

     

    Tench you very much

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             Curieux parcours que celui de Bobby Tench, un chanteur guitariste qu’on retrouve employé à bon escient dans le Jeff Beck Group, par exemple, et à mauvais escient dans les groupes de gens comme Van Morrison, Eric Burdon, Steve Ellis (Widowmaker), Stevie Marriott (Humble Pie) et Michael Chapman (Streetwalkers) qui ont déjà tout ce qui leur faut au niveau chant. Oui, le problème est que Bobby Tench chante prodigieusement bien, il peut parfois sonner comme Rod The Mod, alors évidemment, quand il se retrouve dans Humble Pie ou Widowmaker, il doit s’effacer et se contenter de gratter ses poux.

             Puisqu’il vient tout juste de casser sa pipe en bois, nous allons lui rendre hommage et tenter de donner une idée du talent de cet immense artiste. La liste des projets auxquels il a participé est vertigineuse. Tu la trouveras sur wiki. Par contre, si tu veux l’entendre chanter, alors faut écoute les albums de Gass et d’Hummingbird.

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             Le premier album de Gass paraît en 1970. Tombé dans les pattes des spéculateurs, cet album est devenu intouchable. Pour l’écouter, tu devras soit te le faire prêter, soit le télécharger. Attention, c’est un album extraordinaire, un peu prog mais extrêmement énergique. Tout est joué au fantastique appareillage de shuffle d’orgue et dès «Kulu Se Mama», on comprend que cet album soit devenu culte. Bobby Tench peut chanter au plus haut niveau de prestance, comme le montre «Holy Woman». S’il tient si bien la rampe, ça ne s’explique que par son talent. Bobby Tench et ses amis visent l’admirabilité des choses en matière de prog, c’est vrai, mais c’est inspiré, et pour une fois, la prog gagne en respectabilité. Ce mec est l’un des grands Soul Brothers d’Angleterre, et ça joue au bon délié de guitare. Ils sortent un son plein comme un œuf, ça sur-joue dans les effluves de l’une des meilleures progs d’Angleterre. Avec «Yes I Can», Bobby Tench joue la carte du profil bas, bien soutenu par un beau bassmatic à la Jamerson. On se régale de l’extrême puissance du Yes I Can. Et tout va exploser en B avec «Juju». Peter Green participe au festin de son. Fantastique swagger ! Bobby Tench ramène tout le power flamboyant du Juju anglais. Peter Green plonge dans le gras double et Bobby vient le hanter au pire raw du Tenching. Ils ramènent tout le power de Junior Walker et des géants de la heavy Soul. Ils font même du Sly pur. Bobby Tench se montre effarant de verdeur dans ce balladif bienvenu qu’est «Black Velvet», puis il refait son Soul Brother dans «House For Sale». Il faut l’entendre swinguer sa prog, il est effarant de mainmise. Ces mecs sont beaucoup trop puissants pour un petit pays comme l’Angleterre. Voilà une autre énormité : «Cold Light Of Day», amené au violon et repris au heavy groove, the darkest of it all. Stupéfiante présence calorifuge, ponts joués au big foutraque de Bobby Tench, ce mec aime tellement le groove qu’il le swingue dans l’âme. On tient là l’un des très grands albums de 1970. Ils terminent avec «Cool Me Down», un fantastique shoot de speed prog. Ces mecs jouent où ils veulent, quand ils veulent et comme ils veulent, ils passent par les breaks de Cellar Block et Bobby envoie sa shit fluctuer dans les sillons du Cool me down. Ça se termine par un véritable festival de white riot percus.

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             Catch My Soul est une comédie musicale parue en 1971 sur laquelle on retrouve Bobby Tench & The Gass. P.J. Proby et P.P. Arnold font aussi partie de l’aventure. C’est là que Bobby Tench commence à partager le micro avec d’autres très grands chanteurs. Dans «Ballad Of Catch My Soul», un fameux shouter annonce : «My name is Le Gault and I’m the devil as well.» C’est très orchestré, très américain. P.J. Proby se tape «Drunk». Il éclate tout, help me ! Save me ! Aw ! Lance Le Gault revient chanter «Cannikins». On se demande pourquoi cet album est attribué à Gass. Bobby Tench ouvre le bal de la B avec «Put Out The Light». Ce mec est déjà extrêmement en place. Quel shouter ! On entend P.P. Arnold et Proby faire la fête dans «Seven Days And Nights». P.P. shoute tout ce qu’elle peut et P.J. l’accompagne dans ses ébats. On les retrouve tous les trois avec Bobby pour le final, «Black On White». Bobby n’a pas à rougir, il s’élève aussi haut que les deux autres. Il sait lui aussi shouter par dessus les toits. P.P. Arnold est complètement folle, elle chante au pinacle de la Méricourt. 

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             C’est avec le Jeff Beck Group que Bobby Tench se fait connaître. Après Truth et Beck Ola, Jeff Beck cherche un chanteur du calibre de Rod The Mod et il opte pour Bobby Tench. Il monte même une espèce de super-groupe avec Max Middleton et Cozy Powell pour enregistrer Rough And Ready en 1971. Dès «Got The Feeling», on sent le souffle d’une belle pop de Soul que swingue Bobby Tench. Middleton pianote entre deux eaux, comme Nicky Hopkins. C’est très intriguant. Et ce diable de Clive Chaman envoie virevolter ses triplettes de bassmatic. Alors oui, c’est admirable. Avec «Situation», Jeff Beck va plus sur une ambiance jazz-rock. Il groove au long cours et Bobby file sous la bise. Il ramène tout son feeling dans la course folle. Mais c’est avec «Short Business» que Jeff Beck retrouve l’esprit flamboyant de Beck Ola. Il fait de la haute voltige et il traverse les rues de ses gammes sans regarder ni à droite ni à gauche. De l’autre côté, Bobby Tench se met vraiment à sonner comme Rod The Mod dans «I’ve Been Used». De toute évidence, Jeff Beck garde une nostalgie profonde de Beck Ola, car il parvient à générer le même genre d’ampleur catégorielle, au grand vent d’Ouest, avec des notes qui filent dans l’écho du temps. Puis on le voit casser les reins de l’envol dans «New Ways/Train Train». Bobby Tench lui prête main forte. C’est absolument régalatoire, surtout quand ils reviennent au train-train avec Train Train. Ces mecs tendent la musicalité jusqu’à la rompre. Jeff Beck glougloute de ci de là. C’est dingue comme il est polymorphe. Puis on voit Bobby Tench partir en roue livre avec «Jody», alors oui, quel chanteur !

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             L’année suivante, le groupe enregistre un deuxième album, le sobrement titré Jeff Beck Group. Après la pomme de Beck Ola, Jeff Beck propose une orange. Détail capital : c’est Steve Cropper qui produit cet album enregistré à Memphis. Ça se met à swinguer dès «Ice Cream Cakes». Clive Chaman joue une excellente bassline et Bobby Tench fait son Rod The Mod. C’est un excellent traîneur de syllabes. Jeff Beck rôde dans le groove et se fend de quelques prodiges. Il continue de travailler son obsession de Beck Ola. Toutes les conditions sont rassemblées pour que l’album sorte de l’ordinaire, mais quelques cuts restent en surface, comme cette reprise de Bob Dylan, «Tonight I’ll Be Staying Here With You». Steve Cropper co-signe «Sugar Cane» avec Jeff Beck - I/ I love you like/ Sugar cane - C’est du petit funk blanc que Bobby Tench chante d’une voix éteinte d’étain blanc. Superbe ! Jeff Beck boucle l’A en faisant du Ronno mélodique dans «I Can’t Give Back The Love I Feel For You». Ronno et Jeff Beck restent bel et bien les deux guitaristes les plus brillants de leur génération. C’est en B que se joue le destin de l’album avec cette version de «Going Down» si bien pianotée par Max Middleton. Jeff Beck accourt à la rescousse, c’est joué dans les règles de l’art supérieur. Bobby Tench traîne son down dans la poussière. Ils poussent si bien le bouchon qu’ils parviennent à renouer avec l’urgence de Beck Ola. Ils jouent ça à la tension maximaliste de Max la Menace. Bobby n’en finit plus descendre down down down. Wow, quel shouter ! Puis Jeff Beck s’en va jazzer dans l’angle l’«I Got To Have A Song» de Stevie Wonder. Il le concasse et Bobby fait des miracles au chant. Très haut niveau d’interprétation. Tout est parfait sur cet album, on sent le super-groupe au mieux de sa condition. Même un balladif comme «Highways» se contrebalance au petit bonheur la chance. Max jazze au gré d’un groove éparpillé. Très captivant.

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             Lorsqu’Humble Pie songe à se débarrasser de Steve Marriott, Shirley et Greg Ridley portent leur choix sur Bobby Tench, mais hélas pour eux, Bobby vient juste de monter Hummingbird et de signer un contrat. Il faut voir Hummingbird comme une suite au Jeff Beck Group. D’ailleurs, Jeff Beck viendra traîner en studio avec eux, mais rien ne se concrétise. Hummingbird va enregistrer trois albums, à commencer par le sobrement titré Hummingbird. C’est un excellent album plein de son et de chant. Bobby shake son tail feather avec «You Can Keep The Money», il chante avec les mêmes intonations que Rod The Mod, c’est dire s’il est bon. Linda Lewis duette avec lui sur «Such A Long Ways». Il semble qu’Hummingbird rencontre le même problème que Roogalator en Angleterre : trop brillant. Avec «I Don’t Know Why I Love You», Bobby propose un heavy blues de bonne facture. Bernie Holland y fait de belles étincelles sur sa guitare. Ils ouvrent le bal de la B avec «Maybe», un joli shout de rock de Soul. Les Hummingbird sont une équipe de surdoués. Ils proposent un beau mélange de Soul et de guitare fluide. Avec son bassmatic, Clive Chaman is the man sur «For The Children’s Sake». Globalement, c’est un excellent album.     

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             Avec We Can’t Go On Meeting Like This, Hummingbird jette l’ancre dans ce funk de Londres assez spécial, puisque tapé à la baguette magique par Bernard Purdie. Bobby le chante au carré du funk, comme on le voit dans «Fire & Brimstone» et Clive Chaman embobine le tout dans un bassmatic funky joué les deux doigts dans le nez. Encore une fois, ils sont trop brillants pour le public anglais. Pas de hits, mais du son, rien que du son. «Trouble Maker» vaut pour un fantastique shoot de funky motion. Bobby n’a de leçons à recevoir de personne, il dépote son ballot de funk avec une aisance qui vaut bien celle de George Clinton. Ils entrelardent la dinde de l’album avec des instros du jazz-rock de type «Scorpio», aussi ambitieux que le fut en son temps Lucien de Rubempré. On se croirait même parfois dans le Mahuvishnu Orchestra. Il faut bien dire que cet album sonne parfois comme une délectation. Ils démarrent leur B avec «The City Mouse», un bel instro des jours heureux. On les sent bien dans leur peau, Max Middleton pianote le plus suave des grooves de jazz-rock. Et Nanard tapote dans son coin en swinguant comme un démon. «A Friend Forever» sonne comme un hit de Stevie Wonder, Bobby le chante au chaud du ton et ils reviennent plus loin au heavy funk avec «Snake Snack». C’est tellement bien joué et bien battu qu’on dit amen et qu’on leur donne l’absolution. Vas-y, Bobby, jazze-nous jusqu’à l’oss de l’ass.

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             Le troisième et dernier album d’Hummingbird s’appelle Diamond Nights. Il paraît en 1977, mauvaise année pour tout ce qui n’est pas punk en Angleterre. Bobby préfère le funk comme le montre «Got My Led Boots On». Bernard Purdie bat un beurre saisonnier et Clive Chaman joue comme George Porter Jr des Meters. Max Middleton claque ses keys, tout est verrouillé à l’insolence prédestinée. Le «Spirit» qui suit vaut pour un slow groove d’excellence patentée. Bobby chante comme un dieu, alors ça devient très facile. Qui retrouve-t-on dans les backings ? Venetta Fields ! Eh oui ! On voit encore Bobby et ses amis regorger d’aisance dans «She Is My Lady». Ils rivalisent avec les géants de la Soul. En B on se régalera de «Madatcha», un heavy groove solide aussi indispensable à l’oreille que peut l’être l’air pur à la narine palpitante. Ils reviennent au solide swamp de funk avec «Losing Yoy (Ain’t No Doubt About It)». Il semblent s’enfermer dans les affres d’une Soul émerveillée.

             C’est Stevie Marriott qui fera appel à Bobby pour venir rembourrer un Humble Pie mal en point. En 1980, ils ne sont plus que deux, Shirley et Stevie. Anthony Sooty Jones vient compléter les effectifs à la basse pour enregistrer On To Victory.

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             Retourne la pochette d’On To Victory et tu verras Stevie prêt à en découdre, la clope au bec, le cheveu taillé court, le jean remonté aux bretelles comme chez les skins de l’East End.

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    Bobby Tench et Anthony Jones remplacent Clem et Greg Ridley. Ça démarre avec un «Fool For A Pretty Face» qui continue de faire toute la différence. Stevie vire de plus en plus cockney, comme si Dickens avait inventé de boogie rock. Stevie rayonne dans son personnage d’Artful Dodger. On reste dans le big heavy sound avec «Infatuation». Stevie scande bien son besoin de love et un beau solo de sax vient envenimer les choses. La fête continue avec «Take It From Here» encore plus heavy et même assez mystérieux. L’album se révèle admirable de heavyness. On croit même entendre la accords du «Number One Common Lowest Denominator» de Todd Rundgren. En B, Stevie propose l’un des hot takes de Soul blanche dont il a le secret avec «Baby Don’t You Do It». On se régale du bassmatic d’Anthony Jones, c’est joué dans les règles du lard fumant. Humble Pie ne faiblit pas. La voix, le son, les cuts sont là. C’est un album solide. Encore une merveille de Marriott swagger avec «Further Down The Road». Il faut le voir scander son gimme love gimme love

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             Il ne faut pas non plus prendre Go For The Throat à la légère, même si la pochette est complètement foireuse. On y retrouve l’équipe Bobby Tench/Anthony Jones/Jerry Shirley et ils tapent du big time d’«All Shook Up» ou de «Tin Soldier». Avec l’All Shook Up, ils tentent de singer le  Jeff Beck Group. Le «Tin Soldier» est bien noyé d’orgue, comme au bon vieux temps. Impressionnant aussi ce «Driver» blasté à l’harmo. On trouve en B un «Restless Blood» surchauffé. Marriott grimpe sur les barricades, il harangue le rock, il shoote tout ce qu’il peut. C’est un héros des temps modernes. Il nous sert aussi une version stupéfiante de «Lottie & The Charcoal Queen». Il y devient héroïque. Il chante sa Lottie à pleine puissance, c’est un hit énorme, un paradigme de l’heavyness. Il est le roi de toutes les insistances. Pour terminer, il fonce jusqu’au bout du bout avec «Chip Away», il ne relâche jamais son rumble, Marriott est un jusqu’au-boutiste faramineux, il chante comme un seigneur des annales, un screamer victorieux. Et Bobby Tench dans tout ça ? Oh il gratte ses poux, complètement éclipsé par ce démon de Steve Marriott.

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             Bobby Tench finit par remplacer Marriott sur Back On Track, enregistré en 2002, soit onze ans après sa mort. Du Pie d’origine ne restent que Jerry Shirley et Greg Ridley. C’est déjà pas mal. Big sound, c’est sûr, mais la gouaille d’Artful Dodger a disparu. «Dignified» et «The Red Thing» sonnent pourtant comme des cuts énormes. C’est Greg Ridley qui décroche la timbale en chantant «Still Got A Story To Tell». Il chante ça à la vieille arrache. On sent le vétéran d’Immediate. Ridley a tout vu. Il fait ses lignes de coke avec un Bowie knife planqué dans sa botte. Il reste au lead pour «All I Ever Need», un heavy groove d’excelsior. Zoot Money vient chanter «This Time». Zoot fout son nez dans les affaires du shuffle, il a bien raison. Magnifique association de légendes. Zoot can beat it ! Il en devient extravagant. Bobby revient chanter les vertus de la planche à pain avec «Flatbusted» et l’expédie droit en enfer. Ce mec chante comme un dieu, on le sait depuis longtemps, mais un album d’Humble Pie sans Stevie, c’est très bizarre. Greg Ridley reprend le lead sur «Ain’t No Big Thing». On laisse le mot de la fin à l’excellent Bobby Tench qui fait un carton avec «Stay On More Night». Il est parfaitement apte à faire la Pie.

    Signé : Cazengler, Bobby Tanche

    Bobby Tench. Disparu le 19 février 2024

    Gass. St. Polydor 1970

    Gass. Catch My Soul. Polydor 1971

    Jeff Beck Group. Rough And Ready. Epic 1971

    Jeff Beck Group. ST. Epic 1972

    Hummingbird. ST. A&M Records 1975        

    Hummingbird. We Can’t Go On Meeting Like This. A&M Records 1976

    Hummingbird. Diamond Nights. A&M Records 1977

    Widowmaker. Widowmaker. Jet 1976      

    Humble Pie. On To Victory. Atco Records 1980

    Humble Pie. Go For The Throat. Atco Records 1981

    Humble Pie. Back On Track. A&M 2002

     

     

    Inside the goldmine

     - Gallagher des boutons

             Un gamin dans le corps d’un vieil homme. C’était une façon de situer Galopin. Il incarnait en effet ce curieux mélange de naufrage (la vieillesse) et de candeur. En tant que vieil homme, il accumulait tous les travers du genre : radin, malveillant, auto-centré, radoteur, incapable d’écouter les autres, hygiène douteuse, il portait des fringues usées jusqu’à la corde et conduisait une bagnole qui était un danger public. Il préférait la bière quand on la lui offrait et cultivait une étrange obsession : ne jamais rentrer chez lui sans ramener des petites choses glanées ici ou là. Il vivait dans une baraque à son image. On ne se posait d’ailleurs pas la question de savoir dans quel état était l’intérieur puisqu’il n’invitait jamais personne à y entrer. Il devait être parvenu à ce qu’on appelle le point zéro de l’existence, lorsqu’on fait cette espèce de constat : à quoi sert de continuer à vivre ? À rien. Puisque rien n’a plus de sens, ni l’image qu’on a encore de soi, ni les raisons d’améliorer le quotidien, puisque ces raisons n’existent plus. Pour qui le ferait-on ? Pour soi ? Absurde. Le point zéro de l’existence distille des poisons qui tournent en circuit fermé dans la cervelle : pour les plus faibles, ce sera de l’auto-compassion, pour les plus résistants, ce sera une haine totale de soi. Alors évidemment, dans un tel contexte, les liens sociaux ne tiennent pas le choc. Les seuls qui approchent encore Galopin sont ceux qui ont perçu le gamin en lui. Lorsqu’on sait orienter une conversation, le gamin réapparaît miraculeusement et tout le reste disparaît. Galopin semble alors libéré d’un poids immense et ses yeux noirs brillent d’un bel éclat. On le voit presque revivre, ça ne dure que le temps de la conversation, mais ce temps vaut tout l’or du monde. Il retrouve une belle volubilité et alimente l’échange en puisant dans son érudition. Il faut alors le soigner et rester précautionneux, comme lorsqu’on arrose une plante qu’on croyait morte.

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             Ramener Galopin à la vie, c’est exactement la même chose que d’arracher Gallagher au néant. Dans un cas comme dans l’autre, ça ne tient qu’à un fil. Ce Gallagher n’est ni le Rory, ni le Noel, ni le Liam, il s’agit d’un Peter. D’où sort-il ? D’une compile, l’excellent Wrap it Up qu’Ace consacra en 2022 au prophète Isaac. Le cut d’Isaac s’appelle «I’ve Got To Love Somebody’s Baby». Cut qu’on retrouve sur le bien nommé 7 Days In Memphis, un album paru en 2005. Gallagher, qui est acteur à Hollywood, a une bonne bouille, un faux air de Tony Joe White juvénile. Il a joué dans une myriade de films qui ne sont pas forcément des chefs-d’œuvre. Il n’a pas la chance de Johnny Depp.

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             7 Days In Memphis est un album qui vaut le détour pour un tas de bonnes raisons, la première étant bien entendu l’«I’ve Got To Love Somebody’s Baby» épinglé juste au-dessus. Gallagher qui est un artiste consciencieux montre tout le respect possible au prophète Isaac. Il tape ça en mode heavy blues sensible, et c’est pianoté à la Méricourt. Il opte pour le full power et aw, ça devient spectaculaire, il le monte fantastiquement en neige, c’est du très haut niveau de full bloom. Tu sais que tiens là un album énorme, il enveloppe Isaac dans ses bras, il te claque son cut au sommet du lard, c’est un véritable coup de génie. Impossible d’échapper à cette emprise, à cette puissance noyée de pianotis. Il tape aussi dans Dan Penn avec «Don’t Give Up On Me». Il soigne le coulé de Dan Penn, il en fait une version pointue, il chante avec esprit, et le shuffle chauffe cette white Soul à feu doux. Quelle classe ! Il attaque l’album avec la reprise d’un «Still I Long For Your Kiss» signé Lucinda Williams. Gallag est assez hot sur ce coup-là. Steve Cropper est de la partie. Gallag retape dans Isaac avec «When Something Is Wrong With My Baby». Même chose qu’avec l’«I’ve Got To Love Somebody’s Baby», on sent le respect total pour l’œuvre du prophète, même si, d’une certaine façon, le petit cul blanc n’a guère d’épaisseur humaine, étant donné qu’il n’a jamais cueilli de coton sous les coups de fouet. Disons que ce genre d’album permet de régler des comptes. Car on a toujours pas fini de régler les comptes. Le pauvre Gallag se plie aux règle du groove avec un «Still Got The Blues» signé Gary Moore, mais sa voix manque cruellement de profondeur. Il bénéficie heureusement d’une énorme orchestration et finit par devenir intéressant, et même attachant. Il tape ensuite dans le «Then You Can Tell Me Goodbye» de John D. Loudermilk, un solide shoot de pop Soul extrêmement bien balancé. Le choix des covers est magistral, Gallag est un bec fin. Il tape aussi l’«Everytime It Rains» de Randy Newman, et tu t’y sens aussitôt en sécurité, comme si un real deal de blanc chantait une solide white Soul. Gallag revient encore à Isaac avec «When You Move You Lose». La petite gonzesse qu’on entend s’appelle Teressa James, une blanche un peu poussive. Gallag aurait tout de même pu choisir une blackette. Elle est même un peu ridicule, encore une folle qui se prend pour la reine du rodéo. Et puis voilà la cerise sur le gâtö : une cover d’«A Song For You» de Tonton Leon. Forcément, avec Tonton Leon, on atteint des cimes extravagantes. Cette cover est d’une rare puissance, Gallag en fait un chef-d’œuvre, forcément, c’est une chanson parfaite, au plan mélodique, mais Gallag l’interprète au plus haut niveau, il la chante à la déroute sentimentale extrême.

    Signé : Cazengler, Gallagare Saint-Lazare

    Peter Gallagher. 7 Days In Memphis. Epic 2005

     

     

    I walked with the Zombies last night

     - Part Two

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             Pas compliqué : les Zombies, tu y vas les yeux fermés. Ils n’ont pas des gueules de zombies, mais d’une certaine façon, ils ont atteint comme les Beatles un réel niveau de perfection pop.  Aux yeux des amateurs éclairés, les Zombies sont une sorte de petit miracle à dix pattes. Ils disposent de toutes les mamelles du destin : le chanteur parfait, les compos parfaites, le son parfait. Leur seul défaut serait d’être trop sages dans la vie privée. Pas d’overdoses, pas de voitures de sport et pas de grosses putes maquillées dans les parages.

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             Leur premier album Begin Here, paru en 1965, est ce qu’on appelle un album parfait. Il s’appelle Begin Here en Angleterre et The Zombies aux États-Unis : pochettes différentes et track-lists différents, comme c’est l’usage à l’époque.

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    Le Begin Here anglais est plus joli. 14 titres et pas de déchets. Ils démarrent sur un hommage à Bo Diddley, vroom vroom, «Road Runner» et enquillent aussi sec sur le «Summertime» de Gershwin. Blunst chante déjà comme un dieu, ce que va encore confirmer «I Can’t Make Up My Mind», poppy as hell, gorgé de que-de-son-my-son, and she wants me back, et Blunst fait de la pop de punk. Il est aussi bon que Paul Jones. Rien qu’avec ces trois cuts, te voilà tanké. Il continue de faire l’ange avec «The Way I Feel Inside», une vraie merveille de délicatesse, Blunst la porte à bouts de bras. On navigue rarement dans un balda aussi intensément bon. Ils enchaînent avec un wild instro assez monstrueux, «Work ‘N’ Play». Saturé d’harp et explosif en sous-jacence. Les Zombies sont des punks ! Puis il tapent une cover magique du hit de Smokey, «You’ve Really Got A Hold On Me». Pur jus de Motown Zombies, Blunst l’éclate au bring it back home/ Bring it home back to me. Ils terminent ce faramineux balda avec «She’s Not There» et là tu t’assois pour te recueillir, car les Zombies t’emmènent au cœur d’un mythe urbain, le Swinging London. Ils bourrent leur dinde avec du développé de shuffle d’orgue et de bassmatic. De toute évidence, les Zombies étaient en avance sur leur temps. Et ça repart de plus belle en B avec le pur British Beat de «Stick & Stones», suivi de «Can’t Nobody Love You». Tout est beau dans cette B des anges, tout est ultra-chanté, orchestré, inspiré, poignant. «I Remember When I Loved Her» incarne l’excelsior de la viande polymorphique, le cha cha féerique, le mambo du fandango. Avec «What More Can I Do», ils proposent le wild r’n’b de Soho. Extraordinaire santé des artères, c’est un shuffle d’orgue à se damner pour l’éternité, les départs en solo relèvent du vieux proto-punk. Pur sonic genius ! Ils terminent cet album imbattable avec un clin d’œil à Muddy : «I Got My Mojo Working», mais les Zombies le démolissent. Ils sont encore pire que les Pretties. Wild as fuck !

             Quand Repertoire a réédité cet album magique, ils n’y sont pas allés de main morte : 15 bonus. Alors forcément, quand on l’a vu chez Gibert, on s’est jeté dessus. Parce que «Tell Her No» (samba des Zombies, ils brillent comme le Brill), «She’s Coming Home» (ils battent le Brill à la course), «Kind Of Girl» (admirable de candeur pop), «Sometimes» (punch de pop, putsch de pop, ils prennent le pouvoir), «Whenever You’re Ready» (haut niveau d’escalade avec un solo de piano en syncope), «Is This The Dream» (pur Motown), «Don’t Go Away» et «Remember You» (pure Beatlemania), et puis voilà «Just Out Of Reach» et sa fabuleuse attaque, Blunst prend ça au plein chant, poussé dans le dos par un shuffle d’orgue, tu n’en finis plus de t’extasier, et «Indication» arrive un peu comme le coup du lapin. Quoi qu’ils fassent, c’est puissant, ils tapent dans le mille à chaque fois, avec des bouquets d’harmonies vocales extravagantes. Ça se termine avec «I’m Going Home», celui qu’Alvin Lee a consacré. Ils sont dans le même délire, mais Alvin est allé plus loin.   

             La scène se déroule en 1969, dans la cour du lycée :

             — Wouah, Yves, tu connais Odissey & Miracle ?

             — Quouahh ?

             — Le concept-alboum des Zombis ! Odissey & Miracle !

             Le pote Yves se fend bien la gueule :

             — Achète-toi une paire de binocles !

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             Intrigué, on rentre au bercail et on relit la pochette. L’avait raison l’Yves. Faut lire Odessey & Oracle. C’est pas la même chose. Ce genre de truc arrive souvent. On mémorise une image photographique de mots qu’on oublie parfois de lire attentivement. Le meilleur exemple est celui de Sanford Clark qu’on a pendant quarante ans prononcé et écrit ‘Sandford Clark’, jusqu’au jour ou un ange de miséricorde nommé Damie Chad releva l’erreur et la corrigea. Un autre exemple est celui de Specialty que les copains de lycée prononçaient Speciality. C’est pas la même chose.

             L’Odessey est un cas particulier : album culte, mais pas aussi ravageur que le Begin Here. Oh bien sûr, on tombe sous le charme dès «Care Of Cell 44», pur jus de Beatlemania, mais avec un caoutchouc onirique en plus, c’est même assez stupéfiant de qualité, une sorte de perfe montée en neige avec un Blunst déchirant de sincérité. Ah il faut entendre ce son de basse délicieux, ponctué dans l’azur. Puis ils entrent dans un monde de pop descriptive, assez fairy-tale et c’est avec «Brief Candles» que se mesure la hauteur des Zombies. Blunst emmène cette belle pop d’éclat surnaturel. Ils terminent leur balda avec un autre coup de génie pop, «Hang Up On A Dream». Blunst l’attaque de biais et ça vire magic trip, oui, ça décolle comme un zeppelin britannique dans un ciel d’azur marmoréen. Là, ils donnent tout ce qu’ils ont dans la culotte, tu goûtes à l’excelsior des Zombies. En B, tu vois le Blunst se glisser dans le groove d’«I Want Her She Wants Me». C’est, comme disent les gens qui ne savent plus quoi dire, d’un niveau à peine croyable, comme si on pouvait croire un niveau. Les Zombies tapent dans une efficacité doublée de simplicité, et ils empruntent les pah pah pah de Brian Wilson. On retrouve cette fantastique présence de la simplicité dans les mah mah mah de «This Will Be Our Year». Avec «Friends Of Mine», ils passent à la pop d’entente cordiale, le pop d’it feels so good to be/ So in love. Pour des Zombies, c’est d’une vitalité remarquable. Ils terminent avec un copy-cat de «She’s Not There», «Time Of The Season». Même ambiance. Alors, comment ne pas adhérer au parti ?

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             Repertoire fit en 2001 le même coup qu’avec Begin Here : une red avec 15 bonus faramineux, et qui éclipsent complètement l’Odissey, pardon, l’Odessey. Ça part en trombe avec l’extrême power pop magique de «I’ll Call You Mine». Les Zombies ont le power. On est effaré par la qualité des cuts stockés dans les vaults d’or. Par la qualité des compos. Par la qualité du punch. Par la qualité du chant de Blunst le héros, qui t’éclate encore le Sénégal avec «She Loves The Way They Love Her». Zombi Zombah ! C’est d’un niveau qu’on peine à mesurer. C’est réellement du niveau des Beatles. Avec «Imagine The Swan», tu rentres de plain-pied dans l’extraordinaire power du jus. C’est extravagant de classe et d’élégance. Même power que celui des Beatles à leur apogée, voix montées, mélodies imbattables, son d’en haut. Tu ravales ta bave car c’est pas fini. Ils restent dans la Beatlemania avec «If I Don’t Work Out», effarant d’I don’t know et le Blunst finit en mode Monkees de Clarksville. Big power encore avec «I Know She Will» et fast Beatlemania avec «Don’t Cry For Me». Blunst sait faire son Lennon énervé. Ces mecs se brûlent les ailes à voler si haut («Walking In The Sun»). C’est à ne pas croire. Tiens voilà «Conversation Off Floral Street», un très bel instro chargé de mystère et de shuffle. Merci Rod ! Encore de la heavy pop avec «Gotta Get A Hold Of Myself». Rien ne peut résister à cette équipe de Zombies, ils n’en finissent plus de taper dans le haut du panier. C’est un peu comme si on écoutait les bonus du White Album. C’est exactement du même acabit. Et tu as «Goin’ Out Of My Head» qui t’explose au nez et à la barbe, avec des coups d’harp extravagants, c’est bien meilleur qu’Odissey, pardon, Odessey, ils rivalisent de génie sonique avec Totor, ce «Goin’ Out Of My Head» est le cut le plus spectorien d’Angleterre. Fulgurant ! Alors après, dès que tu repères des reds des Zombies avec des bonus, tu y vas les yeux fermés. 

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             Bon, on va essayer de se calmer un peu. Pas facile avec ces mecs-là. Five Live Zombies - The BBC Sessions 1965-1967 ne fait que confirmer la réputation des BBC Sessions : rien que du nec plus ultra. C’est en place dès «Tell Her No». On voit le Blunst monter au créneau très vite et faire du fast Blunst sur «What More Can I Do». Un chef-d’œuvre de shuffle d’orgue. Si tu veux battre ces mecs-là à la course, tu devras te lever de bonne heure. Et tu as le solo de Paul Atkinson, il gratte sec et net. Motown débarque in London town avec «This Old Heart Of Mine». Ils le font pour de vrai, c’est du tout cru, du dur comme fer, ils parviennent à sublimer Motown. Il faut noter l’excellent jazz-bassmatic de Chris White sur «For You My Love», et on retrouve plus loin l’infernal «Goin’ Out Of My Head», avec son sens aigu d’un Brill spectorisé. C’est tout bêtement exceptionnel. Le Blunst tire tout ça vers le haut, over you ! Ils rendent deux hommages à Curtis Mayfield («You Must Believe Me» et «It’s Alright»), mais c’est avec «Soulsville» qu’il fracassent la baraque du wild r’n’b. Avec eux, c’est vite torché, et même quasi-protopunk. Ils savent groover sous la ceinture. Aw c’mon ! Le Blunst peut se monter agressif. Et ça se termine avec le fast rumble d’«I’m Goin’ Home», battu sec et net par Hugh Grundy

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             On trouve une sacrée beigne de génie sur The Return Of The Zombies, cet RCA paru en 1990 (et qui s’appelle aussi New World, sur Big Beat) : une cover d’un très beau hit de Paddy McAlloon, «When Love Breaks Down». Hey yesssss ! Ça se développe, Blunst part dans le Sprout, c’est gorgé de magie pop, il y va à la Paddy éperdue. Blunst colle bien au Paddy way. Heureusement qu’on a cette merveille, parce que le reste de l’album pue un peu la new wave. Le clavioteur qui remplace le Rod s’appelle Sebastian Santa Maria et c’est lui qui fout le souk dans la médina. Pourtant les compos de Chris White («Lula Lula»), ne demandent qu’à éclore comme la rose de Ronsard. Santa Maria y va de son petit coup de shuffle dans «Time Of The Season», un cut signé du Rod, mais le son est trop new wave. «Moonday Morning Dance» sonne comme une déclaration de guerre : les Zombies basculent dans la putasserie. Ils sonnent comme U2 sur «Blue». Santa Maria entraîne les Zombies dans une impasse, cette pop ne mène nulle part. Ils n’ont pas de compos. Horrible destin, pour un groupe qui fut jadis tellement brillant. Blunst essaye d’embarquer les Zombies pour Cythère avec «Losing You», mais ça ne marche pas. Si tu veux bâiller aux corneilles, écoute The Return Of The Zombies.

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             R.I.P. est le fameux Lost Album des Zombies. Et quel Lost Album ! Il s’agit là de leur meilleur album. Tu y entres par la grande porte, c’est-à-dire «She Loves The Way They Love Her», une clameur de pop digne de celle des Beatles avec des développés de voix à la Curt Boettcher et un entrain d’une rare qualité. Te voilà encore plus conquis que l’Asie Mineure. Et ça continue avec «Imagine The Swan», une somptueuse coulée de pop descendante, ça s’impose sur la lune, ça t’allume la tirelire. Tu entends un fantastique solo de piano du Rod dans «I Could Spend The Day» et le balda s’achève sur l’instro du diable, c’est-à-dire «Conversation Off Floral Street» qu’on retrouve dans les bonus de la red de Begin Here, un swing d’instro sous la pression des surdoués. Quatre bombes en B : «If It Don’t Work Out» est complètement Beatlemaniaque, bien dirigé vers la lumière, stupéfiant de don’t work out, suivi d’«I’ll Call You Mine», encore un shoot de pop hallucinante de qualité, irrévocable et magique, les superlatifs n’en peuvent plus. Ils tirent la langue. Et ça continue avec «I’ll Keep Trying», personne ne bat ça à la course, tu as encore le power intrinsèque d’une pop parfaite, bien calée dans l’angle de la Beatlemania, et enluminée d’un glacis d’harmonies vocales. La quatrième bombe s’appelle «I Know She Will», c’est travaillé à la beauté poignante d’une samba poppy. Te voilà au cœur de la Zombiemania.

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              Retour aux affaires en 2004 avec As Far As I Can See. Blunst et le Rod semblent rayonner de bonheur sur la pochette. On retrouve le grand shuffle d’orgue du Rod dès «In My Mind A Miracle». Ça te saute à la gorge. Nos deux compères refracassent la baraque du rock anglais, ils disposent sans le moindre doute des plus grosses ressources naturelles d’Angleterre. C’est puissant, fumant, et racé. Leur «Memphis» n’a rien à voir avec le «Memphis» de Chucky Chuckah. C’est du monté en neige extraordinaire - You know tonight/ Hey kiss in Memphis/ And trace the writing on the wall - Tout sur cet album se juche au plus haut niveau de l’expression. C’est de la grande pop anglaise pianotée par le Rod et ultra-orchestrée. Coup de génie encore avec «Time To Move», un wild r’n’b à l’anglaise. On se croirait chez Stax, avec un bassmatic demented - It’s time to roll - Il y a du feu dans les éclats de voix du Blunster. Il est capable d’allumer autant que Little Richard. Dans «I Don’t Believe In Miracles,» Blunst demande à sa poule de rentrer à la maison, mais il ne croit pas aux miracles. Colin Blunstone forever ! Encore une fabuleuse présence de let it shine dans «As far As I Can See» - There’s a slow train coming/ From the distance coming - Pure magie. Et ça continue avec «With You Not Here», Blunst lance sa pop là-bas au loin, il a cette générosité du geste, il aménage des espaces comme savait le faire Elvis - You’re gone away - Il chante son magnifique désespoir et ça part en mode boogie magique digne de Brian Wilson, alors t’as qu’à voir. Blunst refait son chanteur de charme dans la big rumba de «Together», et ça évolue très vite vers la grande pop qui embrasse l’univers. Blunst et le Rod bouclent cet album puissant avec «Look For A Better Way», énergie énorme à la Thunderclap Newman, le Blunster monte là-haut sur la montagne et balance une pop lourde de sens et de better way. C’est un peu comme s’il tartinait le firmament, il a le même genre d’ampleur que les Super Furry Animals et Mercury Rev, sa pop est une pop d’espace certain et ultime, te voilà grâce à lui au sommet des apanages.

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             Alors attention, voilà encore une grosse poisscaille : Breathe Out Breathe In. Ça date de 2011. Dès le morceau titre d’ouverture de bal, t’es tanké par la magnifique attaque zombique du grand Blunst - And here let the story begin - Tu as Blunst & Rod again dans l’excellence miraculeuse. Et c’est rien de le dire. Même quand ils font des petits balladifs classiques et ultra-chantés («Any Other Way»), ils te stupéfient, surtout Tom Toomey lorsqu’il se met à gratter ses espagnolades. Gros clin d’œil aux Beatles d’«Hey Bulldog» avec «Play It For Real». C’est la même intro ! Exactement le même punch. Blunst fait sonner ses eeel - When you feel/ How you feel/ There’s no deal to reveal/ You just play for real - Et on assiste effaré à une nouvelle éclosion du génie zombique avec «Shine On Sunshine». Ce mix de pureté purpurine, de profondeur indicible et d’éclat marmoréen te bourre ta dinde. S’ensuit un «Show Me The Way» qui n’est heureusement pas celui de l’autre pomme de terre. Ouf, on l’a échappé belle ! Retour à l’heavy pop des Zombahs avec un «Another Day» un peu épique, mais bien colégram. Et on replonge dans l’enfer du paradis avec «I Do Believe» et une fantastique communion des vocalises, couronnée par un solo d’orgue du Rod. Pur pop genius, ils atteignent à une ferveur pop quasi spirituelle. Ça nous dépasse. Sur «Let It Go», le Rod joue de l’orgue d’église, c’est faramineux de classe de d’alluring allure.

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             Et puis tu as ce brave petit Still Got The Hunger quasiment passé inaperçu en 2015. Eh oui, qui va aller écouter un groupe de vieux crabes comme les Zombies ? C’est justement ces mecs-là qu’il faut écouter, pour peu qu’on soit encore à la recherche d’une certaine qualité. On se demande même parfois si aujourd’hui la qualité intéresse encore les gens. Enfin bref, revenons aux choses sérieuses avec «Moving On» - Aw one two three ! - Blunst t’explose le rock anglais. Il est bon de rappeler que le Blunster est un vieux punk. Il a toutes les mamelles du destin : le souffle, l’ampleur, la voix, le son, la légende. Les Zombies sont toujours à part. L’autre coup de génie de l’album se trouve vers la fin : «Now I Know I’ll Get Over You». Les carillons du souriant Tom Tooney fracassent le son, il rayonne dans une solace particulièrement prégnante. Le lard des Zombies repose sur un joli tapis de braises. Le Blunster chante encore comme un dieu, il n’a fait que ça toute sa vie, et le Rod passe l’un de ces wild solos de piano dont il a le secret. Il placarde dans les escaliers. Quelle vélocité ! Dans «Maybe Tomorrow», on retrouve tout l’entrain de «Lady Madonna». Le Rod pianote comme un démon d’Uriage et Blunst chante avec le gusto de John Lennon. On se régale encore d’«Edge Of The Rainbow», fabuleux, inventif, ambitieux, monté là-haut par le Blunster, véritable Sisyphe du rock anglais. Il pousse son rainbow à la force du poignet. «New York» ? Chant plein de plain-chant de pop pleine de plain-pied, c’est-à-dire de la pop énorme. Il faut le voir monter sur la crête de «Want You Back Again». Il te vrille ça en hauteur, un peu comme Ian Gillian au temps de «Child In Time». Encore de la belle pop d’unisson du saucisson avec «And We Were Young Again». On sent les influences de Paddy McAlloon et de Steely Dan. Cette belle aventure s’achève avec l’incroyable poids de la démesure de «Beyond The Border Line». Ça te tombe littéralement dessus. Ces mecs n’ont jamais renoncé à la grandeur.     

             Après le split des Zombies en 1969, le Rod monte Argent. L’occasion est trop belle d’aller voir ce qui se passe sous les jupes d’Argent, car le Rod est forcément un mec intéressant. Par contre, il ne se casse pas trop la nénette pour trouver le nom du groupe :

             — Tiens, les gars, Argent, c’est pas mal comme nom, non ?

             — Ah ouais, Rod !

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             Leur premier album sans titre sort en 1969. Bon, alors, l’Argent ne casse pas des briques. Ils proposent un peu de boogie down très m’as-tu-vu/tu veux ma photo ?, mais si tu veux casser trois pattes à un canard, il faudra repasser un autre jour. Comme le Rod aime bien l’orgue, il ne mégote pas sur le shuffle d’orgue pour embarquer la petite pop sans avenir de «Be Free». On n’est pas chez les Zombies. Pas de Blunst, pas de chocolat. Ils tentent de recycler le climax des Zombies avec «Schoolgirl». S’ensuit un «Dance In The Smoke» classique et relativement beau, mais pas renversant. Le Rod essaye de maintenir un niveau puissant et raffiné, il essaye de rester dans la veine des Zombies. Franchement, on aurait fait des économies en n’achetant pas cet album à l’époque. Le seul cut qui emporte la bouche se trouve là-bas vers le fond de la B : «Freefall». Le Rod tente le diable avec une Soul pop agréable et on sent enfin le fluide magique, le gros solo d’orgue est excellent. Comme quoi, ça vaut parfois la peine d’attendre.

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             On va dire que leur meilleur album est le Ring Of Hands, un Epic de 1970. Pourquoi ? Parce que «Rejoice», un joli balladif au charme beatlemaniaque certain, très White Album dans l’esprit. Avec cette pure merveille, le Rod approche de la vérité. Autre surprise : «Sleep Won’t Help Me». Là, tu finis par les prendre très au sérieux, car on croit entendre chanter Jack Bruce dans Disraeli. Même ambiance, avec en plus un solo de piano magique. Et coincé entre les deux, tu as «Pleasure», un petit coup de génie car cette fois le Rod fait de l’early Sparks et explose en bouquet d’harmonies vocales géniales, avec du shuffle d’orgue à tort et à travers. Le Rod prend ses grands airs. On l’ovationne. Tu as aussi le «Sweet Mary» qui vire gospel batch avec des tas de blackettes derrière. Comme le Rod est un fabuleux shuffler, il sauve l’heavy prog de «Cast Your Spell Uranus». Bon, c’est vrai qu’on est en plein dans les seventies, donc c’est logique qu’on tombe sur Uranus, mais on préfère l’Uranus des Pink Fairies. Encore de la prog musclée avec «Lothorian», c’est d’un haut niveau liturgique, bien calé sur ses fondations. Le Rod continue d’impressionner avec «Chained», une pop un brin bluesy et tu as une disto dans l’oreille droite. Ses grooves de bonne essence finissent par porter leurs fruits. Le Rod est un mec balèze.  

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             L’All Together Now paru en 1972 est nettement moins dense que son prédécesseur. Tu ne te régales que de «Be My Love And Be My Friend», un fantastique heavy groove. Le reste de l’album est un peu trop proggy pour être honnête, avec de temps en temps, des petits éclairs de boogie qui ne servent à rien («Keep On Rolling», «He’s A Dynamo»). Le Rod termine l’album avec un «Pure Love» en quatre parties. On se croirait chez Keith Emerson. On fuyait tous ces mecs-là à l’époque et on les fuit encore.  

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             Le Rod remonte bien le niveau d’In Deep, paru l’année suivante. Il a recours à une belle énormité, un «It’s Only Money» en deux parties. C’est du bon vieux heavy rock, bien pulsé en interne au shuffle d’orgue. Là, oui, tu as de la viande. Ils en font même un hit. Encore plus impressionnant, voilà le solide et tentaculaire «Losing Hold». Le Rod tape dans l’océanique. Il fait de l’Argent en acier chromé. Puis il va proposer un day of Jesus intitulé «Christmas For The Free», très bealtlemaniaque dans l’esprit. On croit entendre chanter John Lennon.

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             Nexus serre aussi en son sein une belle énormité : «Thunder & Lightning». Wow, ça rocke à l’anglaise déterminée, un vrai paquet de viande avec du tonnerre et des éclairs. Le Rod sait rocker sa chique. Le reste de l’album est assez proggy, et même proggy as hell : shuffle d’orgue et structure tordue. Ça devient vite insupportable, l’«Infinite Wanderer» est conçu comme une bacchanale, et ça part dans le nowhere land, on se demande ce qu’on fout là. Le Rod règne sans partage sur son petit univers proggy. Quand c’est pas ta came, c’est pas ta came. Aussi décision est prise d’en rester là.

    Signé : Cazengler, zombite

    Zombies. Begin Here. Decca 1965

    Zombies. Odessey & Oracle. Repertoire records 2001

    Zombies. Five Live Zombies. The BBC Sessions 1965-1967. Razor Records 1989

    Zombies. The Return Of The Zombies. RCA 1990  

    Zombies. R.I.P.  Varese Vintage 2015

    Zombies. As Far As I Can See. Go! Entertainment 2004

    Zombies. Breathe Out Breathe In. Red House Records 2011

    Zombies. Still Got The Hunger. Cherry Red 2015

    Argent. Argent. CBS 1969

    Argent. Ring Of Hands. Epic 1970

    Argent. All Together Now. Epic 1972

    Argent. In Deep. Epic 1973

    Argent. Nexus. Epic 1974

     

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    Routes of Rock. Elles passent obligatoirement par la bonne ville de Troyes. Ne me demandez pas pourquoi. Parce que c’est comme ça, parce que le 3 B, parce que Béatrice la patronne. Remarquez ce soir, le 3 B n’est plus un bar, s’est transformé en une ère de lancements de fusées spatiales. Ne m’accusez pas d’avoir trop bu, je ne suis pas un zébu, j’ai même rencontré un équipage de cosmonautes, des portugais. Un jour cette soirée légendaire sera connue comme celle de la charge de l’abrigado légère. Enfin c’était plutôt de la cavalerie lourde.

    TROYES - 17 / 05 / 2024

    3B 

    TEXABILLY ROCKETS

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    Z’ont relégué Vincent tout au fond, c’est un peu le rôle des batteurs, mais là devant la porte de la cuisine faut tordre le cou pour l’apercevoir. Ne le plaignez pas, le Duarte ce n’est pas genre de gars à se laisser oublier. Les trois autres sont en ligne, n’ont pas laissé un interstice par lequel on pourrait tenter d’avoir la chance de l’apercevoir. Z’ont bien manigancé, le plus maigre au milieu et les deux serre-livres sur les côtés, un à droite, l’autre à gauche. Le Wildcat, le chat sauvage, au centre tout efflanqué, ils l’ont appuyé sur la big mama, tout de suite sa masse volumineuse a été multipliée par deux, puis ils ont fignolé, une casquette sur la tête et un micro posé devant lui, car on ne sait jamais. A bâbord Ruben attire les regards, avec la visière de sa casquette qui lui mange ses lunettes rondes, et ses larges anneaux de tringle à rideau qui  pendent de ses oreilles l’a un look improbable de boucanier qu’il réhausse de sa guitare qu’il tient très haut, pratiquement au ras du cou, mais le manche levé vers le ciel comme s’il visait les albatros baudelairiens qui se jouent des nuées. A tribord, Oscar Gomes, pas pour rien que dans sa vie civile il est un tatoueur chevronné, il sait accorder les couleurs, ainsi sa chemise hawaïenne à dominante bleue il l’a assortie à sa complémentaire, à l’orange cockranesque de sa Grestch. Jusqu’à l’avoir rencontré je croyais qu’il n’y avait que Lucky Luke qui tirait plus vite que son ombre.

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    Je vous aurais avertis. Ne venez pas vous plaindre si vous courez les voir en concert. Le Gomez quand il met la gomme, il ne chôme pas, sur trente morceaux, il a fait trente fois le coup, il tire plus vite que lui-même, vous le guettez et à chaque fois qu’il va envoyer le riff, le riff est déjà dans vos oreilles, vous savez ces gars qui passent leur tête dans le nœud coulant afin de savoir l’effet que ça fait d’être pendu haut et fort comme dans les westerns et plouf la chaise sur laquelle ils sont montés s’effondre et les voici pendus pour de bon. C’est bête pour eux, mais pour nous c’est très bon car quand le riff d’Oscar court sur vous, le monde se métamorphose en rutilante folie contagieuse.

    Premiers contaminés ses acolytes. Gomez a une électrique et Ruben une gratte. N’entend pas se laisser distancer, el Ruben, il gratte pour lui, il gratte pour vous.  Vous  soulève la guitara comme si elle l’était une danseuse étoile, lui plante les jambes dans les nuages puis lui triture sa tignasse cordique comme s’il voulait la scalper.

    L’on se demande pourquoi le Wildcat s’encombre de sa big mama. Il s’en fout et contrefout. De tous les trois sets il ne lui a pas jeté un seul coup d’œil. Mais il doit l’aimer. Car il la châtie bien. D’une main tout en haut il lui malaxe spasmodiquement la gorge, un peu comme s’il était en train d’étrangler un boa constrictor, sans perdre de temps de sa seconde menotte spasmodiquement il frappe sur son abdomen toujours sans lui prêter la moindre attention.  Ne le traitez pas de chat fainéant, si le Wifdcat ne se préoccupe pas de son instrument mastodontique c’est qu’il est concentré sur le vocal. Les amateurs de rockab commencent à comprendre, le riff, le tchac-tchac de la gratte suivi un quart de seconde plus tard du tchac-tchac de la contrebasse – c’est leur manière à eux de reproduire la reverbe de Sam Phillps – plus le vocal-mitraillette, vous croyez tout comprendre, vous vous dites même qu’à leur place vous auriez carrément remisé l’inutile batterie dans la cuisine en prenant soin de refermer la porte à double tour.

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    Le problème c’est que Vincent tient à se faire entendre. Il existe deux types de batteurs en ce bas monde, les rythmiques tout en subtile finesse et les grabugeurs qui tueraient sans regret père et mère pour que leurs parents en un dernier spasme auditif  se délectassent des tonitruances de leur rejeton préféré… Bref le Vincent, dans les Texabilly Rockets il joue le rôle des tuyères dispensatrices d’énergie. L’est le moteur rugissant qui précipite non seulement la vitesse mais aussi l’enivrante sensation de vitesse.

    Répétons-le les Texasbilly ne viennent pas du Texas mais du Portugal, n’empêche qu’Alain, à qui vous devez l’existence de ce blogue, avait une théorie sur les guitaristes texans, qu’ils soient rock ou blues, ils tapent plus fort que tous les autres ricains sur leurs guitares affirmait-il, toujours est-il que nos Rocketsbilly semblent souscrire à cette règle alinienne, sur les trois premiers titres ils ont fait la différence, d’abord ils vous tuent sans rémission, ensuite ils tirent des bastos à effraction mentale. N'avaient pas commencé depuis trente secondes que les regards pétillants échangés entre connaisseurs en disaient long, l’alligator vorace du rawckabilly était parmi nous.  

    Le Wildcat ne mâche pas son vocal, prononce peut-être l’anglais avec un accent portugais mais qu’est-ce qu’il le cause bien, vous détache les mots un à un comme s’il prenait un malin plaisir à distribuer des paires de gifles, vous claque salement le beignet et illico vous tendez l’autre joue, il accentue les angles et ne freine pas dans les courbes, course de crêtes en tête, montées et descentes à vitesse constante, pour les inflexions étrangement c’est la guitare d’Oscar qui s’en charge.  Plante le riff dans les nuées orageuses, un tonnerre jupitérien continu, Zeus tonne, lorsque vous vous y attendez le moins, c’est la grêle, des grêlons qui vous cisaillent la carrosserie et le visage, subito une dégelée de notes grêles vous transpercent le corps comme des flèches de Comanche sortis de leur réserve pour un raid meurtrier.

    Le rockab a aussi des racines noires. Ruben dépose sa guitare et sort son harmonica. Ruben El Pavoni souffle comme le paon déploie sa roue parsemée des cent yeux inquisiteurs d’Argus, il ne souffle pas, il siffle d’interminables piallements déchirants de locomotives à vapeur qui intiment aux bisons l’ordre d’aller pâturer hors des rails, les trois autres le rejoignent et l’on entend le vieux shuffle du blues, écailles rythmiques arrachées à la cuirasse  des crocos tapis dans les profondeurs troubles des bayous…  Parfois le rockab virevoltant trahit l’originelle noirceur prédatrice de nos âmes.

    Plus que tous les autres batteurs vus sur scène j’ai envie de dire que Vincent joue des pieds et des mains, l’a une extraordinaire manière de piaffer du talon tel un étalon colérique, pour perturber sa charleston, la secoue comme un prunier, la maltraite avec une énergie rancunière, avec lui c’est Brando dans Missouri Breaks à tout instant.

    Je n’insiste pas, si vous n’êtes pas totalement idiot vous avez compris que les Rockets nous ont précipité par trois fois en orbite haute autour du soleil. Trois sets de rêve, trois ouragans destructeurs dont personne n’est ressorti indemne. Les filles qui dansent, les gars qui s’accrochent au bar pour ne pas être emportés par la tourmente, les amateurs scotchés sur le groupe comme un poulpe sur son rocher. Une des grandes soirées du 3B, profitons de l’occasion pur faire coucou à Duduche, Billy, Christophe, Jean-François… et remercier encore une fois pour cette soirée explosive.

    Damie Chad.

     ( Deux images live empruntées à des vidéos de Rocka Billy )

    *

    Je viens d’apprendre quelque chose, moi qui croyais tout savoir, en anglais ‘’ember’’ ne signifie pas ‘’ambre’’ mais braise. Soyons franc, au moment où je m’en suis aperçu, braise ou ambre je n’en avais rien à faire, mon esprit était ailleurs subjugué par la pochette du deuxième EP du groupe  Conquerors of the Ember Moon à tel point que je me suis dépêché de regarder la couve de leur premier EP, qui n’avait rien à voir avec la seconde, étrange, très étrange, cela méritait enquête approfondie.

    Déjà, je dois signaler une erreur dans le paragraphe initial : Conquerors of the Ember Moon n’est pas le nom du groupe. Pour faire simple nos Conquérants (tout de suite l’on pense à José-Maria de Heredia et à son sublimissime recueil Les Trophées) sont une plateforme de musiciens, qui se regroupent ou pas, selon affinités, pour enregistrer une œuvre précise. Ne sont pas très diserts nos aventuriers musicaux, ne donnent aucun détail, ni leurs noms, ni leur origine. Se contentent de spécifier que de tous leurs enregistrements, si particuliers soient-ils, se dégagera une sinistre intensité. Brr ! On s’en doomtait !

    1. 1

    CONQUERORS OF THE EMBER MOON

    (Album numériqueBandcamp / Novembre 2023)

    Les titres ne nous aideront guère à cerner le projet, scrutons avec attention la pochette. Un paysage. Pas  une vallée verdoyante. Au dix-neuvième siècle l’on employait le mot ‘’romantique’’ pour désigner des paysages de montagne désolés.  Par la suite l’adjectif a été appliqué aux poëtes tourmentés… Une forêt de sapins dans  la tempête, des tronc brisés, des branches décharnées, un épais tapis de neige sur le sol, rien de bien avenant. L’on remarquera  la lettre gothique B estampillée dans un cercle dont la blancheur se confond avec la neige.

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    Intro : Le vent souffle, il emporte vos oreilles, c’est à peine si à certains instants l’on discerne d’incertains fracas d’arbres abattus, peut-être sont-ils seulement psychologiquement suggérés par le fond symphonique mélodramatique qui accompagne sans jamais se laisser ensevelir par le souffle tempétueux, l’on a envie de dire que cette modulation traumatique  nous fait entendre la plainte habituellement  inaudible de la nature qui souffre sans gémir sous les coups de bélier des éléments. I : discordance sonique à la première note de ce morceau, vos oreilles grincent, heureusement que la touffeur de la batterie s’en vient enrober cette nuisance, le vent souffle toujours mais nous ne sommes plus comme à l’abri  sous le souffle du vent mais au cœur de la tempête, nous chevauchons les chevaux de l’ouragan,  des chœurs de marins embrasent la violence, la batterie frappe sans arrêt, cataclysmismique le son reflue sur vous et vous enveloppe, des guerriers perdus dans l’hurricane chantent, les scaldes scandent le refus de l’acceptance, il faut faire front, le souffle des voix se mêle aux monstrueuses rafales apocalyptiques, le monde est devenu une infernale course cahotante, jusqu’au bout d’on ne sait trop quoi, vous ne vaincrez la tempête que si vous-même vous devenez tempête, mais le vent souffle encore plus fort, plus un bruit, si ce n’est cette pompe refoulante de l’air fou qui vous submerge et vous condamne au silence. II : encore plus fort, plus violent, plus d’espoir si ce n’est l’indomptable courage de vouloir survivre à tous prix, vous ne tenez plus debout, vous glissez, vous n’avancez pas, vous êtes poussé, ne sont-ce pas les voix des arbres qui hurlent pour se donner du courage, pour se soutenir, pour relever la tête, malgré tout, malgré rien, front contre front, deux taureaux qui se font face, l’élément intérieur qui ne veut pas céder et l’élément extérieur qui désire vous briser, vous pénétrer, en finir avec vous, avec tout, comme une rémission, un raidissement, et puis l’affaissement, le vent seul qui souffle et vous qui vous taisez, sans fin, parce que n’avez plus rien à dire. Le vent hennit sa victoire sur les crêtes des montagnes. III : tumulte de l’inéluctable, la bête grogne, la batterie avance imperturbablement, les ennemis vont s’affronter, tout se précipite, presque un rythme de danse, ça tohu-bohute, ça se catapulte l’un contre l’autre, combat de titans, l’un doit céder, mais si l’extérieur entre dans l’intérieur il deviendra lui-aussi intérieur, vision glissante de cauchemar comme des hordes d’avions bombardiers dans le ciel, c’est le split final, celui qui ne finira jamais, la guerre n’est que la continuation de la paix sous une autre forme, ça tangue dur, mais si l’intérieur sort de lui-même il sera métamorphosé en extérieur, quelle cacophonie, inutile de psalmodier la prière des morts devant les tombes qu’elles soient ouvertes ou fermées, vides ou pleines à ras-bord, tout ce qui est inutile est utile et vice-versa, le vent encore le vent, il siffle pareillement dans les oreilles des morts et des vivants, il est des symphonies qui sont des linceuls qui vous enveloppent plus chaleureusement que le sang chaud qui gicle de vos blessures, le vent ne souffle plus, la symphonie bruit, elle persiste, a-t-elle gagné contre le bruit, le vent ne souffle plus, il reprend son souffle, rien ne semble aller de soi à soi-même, il ne reste que des éclisses d’arbres, des décombres ou des semences, nous ne savons pas, nous ne savons rien, ce morceau n’en finit pas, certainement parce qu’il n’y a pas de fin possible à ce qui est et à ce qui n’est pas. A ce qui n’est plus.

             Superbe. Ils ont traduit une image en musique. Ils ont  expliqué comment le rêve d’une chose peut devenir le cauchemar d’une autre.

    2. 1

    CONQUERORS OF THE EMBER MOON

    (Album numériqueBandcamp / Novembre 2023)

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    Enfin la couve qui a suscité mon intérêt pour ces conquérants de la lune  de braise.  Une  glauque reprise sous forme d’un monochrome vert de L’apparition fameux tableau de Gustave Moreau (1826 - 1898) illustrant une des scènes les plus érotanathiques des Evangiles, Salomé fille d’Hérodiade l’épouse du roi Hérode danse nue devant son beau-père, en récompense elle demande la tête de (Saint) Jean Baptiste qui a insulté sa mère… Les picturales rêveries érotiques de Gustave Moreau se sont vraisemblablement abreuvées à la scène d’Hérodiade, poème majeur de Stéphane Mallarmé.

    Encore pratiquement invisible, la pochette offre une lettre gothique encerclée, cette fois un ‘’ S’’. La signification de ces monogrammes me pose question. Seraient-ce les initiales de Bismuth et Stibine noms des minéraux mercuriels et alchimiques...

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    I : facture sonore totalement différente de l’EP précédent qui pourrait être qualifié de symphonique, sur celui-ci nous sommes en présence d’une structure heavy metallique sans complexe :  sans doute vaut-il mieux se rapporter au tableau de Moreau que de se fier à l’interprétation de la pochette qui ne rend pas justice au sentiment de malaise hiératique que provoque la vision d’une telle image, l’introduction monumentale est à la hauteur écrasante de l’architecture prodigieuse dans laquelle se déroule l’apparition.  Il importe de prendre mesure de l’évènement, nous ne sommes pas dans un riche palais aux écrasantes dorures, mais ailleurs dans une image fantasmagorique de nos représentations les plus orgiaques, non pas dans un château royal, qui serait d’une aune par trop humaine, mais dans une demeure mythologique digne de l’Atlantide ou des Dieux. Qui n’a jamais habité ( comme moi ) dans une ville dont la vie était rythmée par le bruit assourdissant d’un marteau-pilon  qui vous baignait sans arrêt, jour et nuit,  dans l’assourdissance écrasante de sa palpitation outrancière, ne pourra jamais se faire une idée de la lourde et lente marche des géants qui peuplaient la terre il y a très longtemps, avant que Zeus ne les frappât de sa foudre et n’arrêtât l’inéluctable, d’ailleurs ce ne sont pas des paroles humaines que l’on entend mais des cris de chouettes prophétiques et des hurlements sans fin de foules anonymes écrasées sous des pieds géants, jusqu’à ce tintement des cordes de la joueuse de luth qui accompagne la danse d’Hérodiade et ce chuchotement des âmes exacerbées par la beauté de la nudité de la danseuse parée de joyaux opalins incapables de rivaliser avec la splendeur candide de sa peau… II : grincements, poulies, filins, musique en sourdine, il ne se passe plus rien, ou si peu, le corps de la danseuse boit et absorbe les regards qui se posent sur les dunes, sur les lunes, sur les runes,  sur les mouvances de son corps, l’on parle à mi-voix comme  l’on rêve les yeux à demi-fermés pour profiter et de la clarté de la beauté épandue dans le monde et de la pénombre inavouable des songes prédateurs. III : orage tumultueux au grand jour, hurlements de terreur, tout se mélange, non pas une apparition mais deux, celle de la beauté de la ballerine, et celle de cette tête sur le mur, l’une est soleil et l’autre est la lune, la lune désigne l’autre, regardez ceci est mon sang, non pas celui enfermé dans les canaux secrets de mes chairs, et l’autre urgescent, dégoulinant, giclant d’une façon dégoûtante, malgré cette voix de prêtre pontifiant qui essaie de retenir le scandale du monde, maintenant ici tout n’est que luxe, vacarme et volupté turgescente coupée au ras du col, la marche des géants reprend, une guitare se souvient qu’elle est dans un groupe de rock, chacun fait ce qu’il peut pour tenter de trouver une attitude qui soit conforme à cette projection intérieure du soleil du désir sur le mur de roches cyclopéennes, la bête est sortie de son antre, la vierge projette ses émois sur la paroi, l’insoutenable se résorbe dans les résonnances cordiques du luth, un temps en suspension, entre ce qui était celé et qui maintenant est révélé, la voix devient spasme aquatique des profondeurs conscientes, la musique se précipite, joue-t-elle au maçon qui essaie de recouvrir de sa truelle de mortier honteuse la face sanglante, la découpe du chef sur le mur, d’ailleurs qui parle et qu’elle est cette langue, celle de la mise à mort, ou celle bestiale qui s’affiche au vu et au su de tout le monde, tandis que la petite musicienne envoie quelques arpèges de son luth.

             L’ensemble est magnifique. Une page blanche ouverte à tous les verbiages bonimenteux de l’imaginaire.

             Ces conquérants m’ont conquis. Pleine lune !

    Damie Chad.

     

     

    *

    Ça sentait l’avoine. Depuis que je suis tout petit j’adore cette céréale. Exactement depuis le jour où j’ai découvert le mot avenière dans le vieux Larousse familial. C’est un mot que je qualifierais de verlainien. Vous le prononcez, il ouvre les portes du rêve. En plus une nouveauté recommandée par Mister Doom 666, avec lui vous ne savez jamais où vous mettez les pieds, souvent là où vous n’auriez jamais eu l’idée de les poser car ça grouille d’alligators affamés, en dédommagement et en règle générale vous n’êtes jamais au bout de vos surprises.

    AVEROIGNE

    ARCANIST

    (Yuggoth Records / Mai 2024)

    J’ai commis une erreur : j’ai cru qu’ils étaient américains puisqu’ils se réclamaient de Providence in Rhode Island. Mais non, c’est leur maison de disques qui niche là-bas dans cette cité providentielle qui abrita Edgar Poe et Lovecraft. Difficile de faire mieux. Difficile de faire pire. Selon vos appréhensions personnelles barrez la mention  qui ne vous convient pas. Par contre ils sont français, soyons fraternel écoutons-les. Toutefois ne nous embarquons point sans biscuits.

    Arcanist. Tout de suite l’on pense à Oscar Vladislas de Lubicz Milosz et à son recueil Les Arcanes. Arcaniste fleure bon l’ésotérisme et même l’alchimie. Plus exactement la pratique alchimiste. L’arcaniste est le personnage qui se tient entre le spagyriste paracelsique et le souffleur de verre, entre Bernard de Palissy et le raccommodeur de porcelaine, deux arts du feu, dont l’ignition soutenue et contenue, condense ou vaporise les divers états de la matière élémentale. L’arcaniste connaissait les secrets de la délicate cuisson des porcelaines, et d’autres encore, mais ceci est une autre histoire. Un opérateur. Pour employer un autre mot qui étymologiquement colle tout aussi bien à chef-d’œuvre qu’à grand-œuvre.

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             Averoigne, un mot qui avoisine l’avoine et l’Auvergne, bingo il s’agit du titre d’un livre Averoigne & Autres mondes, publié en 2019 dans la collection Helios des Editions Mnémos, éditeur d’imaginaires depuis 1996, spécialisé en SF, Fantasy, et Lovecraft.  Quel hasard démoniaque ! Serions-nous sur la Dagonale du fou ! d’autant plus que le nom de l’auteur Clark Ashton Smith (1893 – 1961) n’est pas inconnu chez les sectateurs de Cthulhu, il fut un proche du Maître de Providence. Smith était un admirateur de Baudelaire, qu’il traduisit, et d’Edgar Allan Poe.  Tout de suite ce goût pour la beauté de l’horreur vous classe parmi les individus supérieurs. Je dis cela uniquement parce que Baudelaire et Edgar Allan Poe sont pour moi de véritables phares émetteurs d’une lumière noire inaltérable.  Autodidacte, il se fait remarquer par un style luxuriant et coruscant, il fait partie de ces solitaires qui vivent à côté du monde marécageux, en ses limites extrêmes où rêve et réalité se confondent… Son imaginaire le transporte très loin dans l’espace et le temps. Les contes d’Averoigne se déroulent dans une Auvergne médiévale du douzième siècle, je recopie sans vergogne la présentation de l’éditeur que je vous invite à visiter : ‘’ Clark Ashton Smith imagine une contrée mystérieuse où monastères et cités aux murs crénelés ont émergé des antiques ruines romaines, où des légendes préchrétiennes prennent corps dans la vaste forêt centrale, où la cathédrale impressionnante de la cité de Vyones domine les esprits et où une famille noble voit ses pouvoirs disparaître, entre corruption et magie noire.’’.

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             Non ce n’est pas fini, les gloutons ne se jettent pas uniquement sur les gâteaux. Les galutres n’oublient jamais de dévorer l’emballage du paquet. Cette fois, nous sommes gâtés, à tel point que j’ai longuement hésité, allais-je consacrer cette kronic au disque d’Arcanist ou à l’œuvre de Matthew Jaffe. Quelle couve et quel artiste, la visite de son instagram est obligatoire. Cette couve ne se regarde pas, elle se médite. N’ouvrez pas vos yeux, ils sont vides. La force n’est pas en vous. C’est elle qui vous regarde. Sans vous voir.

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    Rendez-vous en Averoigne : chants d’oiseau, c’est pour l’ambiance, des gouttes d’eau de synthé tombent une à une bientôt relayées par d’amples froufrous mélodiques, ces notes décharnées introduisent-elles le soupçon d’une inquiétude, le ciel se voile, la brume mugit dans sa corne, le vent se lève, une voix commence à lire l’histoire d’Averoigne ‘’ c’était un endroit vide de toute vie et absolument désolé où les charognes auraient conté fleurette au démon, les cieux tant tristes gris que les cadavres semblaient n’avoir jamais connu le soleil’’, le récit n’ira pas plus avant, ce serait inutile, la musique se voile d’une infinie tristesse, de grandes orgues héroïques retentissent, l’on ne sait rien de ceux qui viennent, mais il n’est pas besoin de messager pour nous demander de nous écarter, il est des choses qui se comprennent avant de les savoir, la musique s’achève lentement comme ces linceuls que l’on ne finit pas de plier et replier sur eux-mêmes. The holliness of Azederac : les titres sont ceux de certaines des histoires qui forment le livre Averoigne. L’histoire d’un saint homme. Enfin c’est ce que l’on raconte. Dans son passé il n’a pas toujours suivi de près les enseignements des  Evangiles, ne médisons pas, quand est-ce que les choses ressemblent vraiment à ce qu’elles sont, le mensonge n’est-il pas un marqueur de vérité, je vous laisse réfléchir, concentrons-nous sur la musique. En tout cas, le carillon pétille de joie, l’on a envie de danser la bourrée, elle est bien auvergnate mais le rythme guilleret ne serait pas conciliable, accélération tintinnabulesque, la joie nous envahit, attention il se passe quelque chose, est-ce que la fantaisiste carmagnole tournerait au vinaigre, une ombre passe, serait-elle l’aile de l’Ange Déchu, tiens une éclaircie mais l’on a perdu de l’allant, quel est ce pas lourd et claudiquant qui résonne seul dans l’espace sonore, l’on se croirait à la fin de Don Juan de Molière, ce glas qui sonne vous transperce l’âme, pas de panique il s’égrène en notes apaisantes, l’on s'imaginerait au pied de sa dame à lui chanter des doux vers à la Tristan et Yseult, que voulez-vous l’amour n’est jamais simple, à croire que la fin est déjà programmée à peine débute-t-il, profitons de l’instant qui passe et trépasse en incertains échos de chanterelle et chantefable. A night in Mauneant : ce récit ne fait pas partie du recueil d’Averoigne mais Clark Ashton Smith l’a rédigé dans les jours qui ont suivi l’écriture de End of the Story.  Un bruit qui vient de loin, peut-être du néant à moins que ce ne soit le néant qui provienne du bruit, il faut bien remplir le vide d’une manière ou d’une autre, l’est sûr que l’on nous raconte une histoire qui est déjà terminée et dont on ne saura rien, torsades de faux-violons, et clavier non tempéré, l’on a cru à un crescendo infini, ce n’est pas tout à fait cela, l’on arrive après la bataille qui n’a jamais eu lieu. Des notes comme des hoquets de pianos assortis de sortilèges quasi orientaux, l’on meuble le silence d’une pièce vide, peut-on remplir le vide, n’est-il pas comme un trou noir qui dévore le monde non pas jusqu’au trognon mais jusqu’à la pensée du monde. La musique serait-elle un divertissement pascalien qui s’effiloche en longues notes qui ne veulent pas mourir, qui s’enlacent longuement à vous pour que vous les reteniez au minimum pour l’éternité. Une voix s’élève, est-ce celle de la statue de sel devant Sodome et Gomorrhe.

    End of the story : écoutez l’histoire sans fin qui a une fin, un beau conte de facture classique, celle de la tentation, par la plus belle des femmes qui tient somptueuse demeure dans les ruines d’un château maudit, on l’a prévenu, on l’a supplié, on l’a sauvé une fois, mais il est reparti, on ne l’a plus jamais revu. Mais que n’aurait-il pas fait pour retrouver la femme serpent, car la femme qui a été tentée par le serpent était le serpent lui-même. Ne pas confondre lamie et l’amie. L’histoire est cousue de fil noir, comme quelques notes d’un luth caressé par mégarde. Même pas quatre minutes. Cela ne vaut guère davantage. Chaque homme dans sa nuit, se dirige vers sa propre lumière. Souvent éteinte. Toute lumière n’est-elle pas aveuglante. The Colossus of Ylourgne : (Part I) : 1 : The flight and the Necromancer / 2 :The gathering of the dead  / 3 : The testimony of the monks  / 4 : The going forth of Gaspard du Nord : une musique venue d’ailleurs, aux relents sombres, sourire de flûtes, est-il nécessaire d’en rajouter, l’histoire du Nécromant se suffit à elle-même, voici les chœurs, les dies irae et les tentures noires de  l’orgue, c’est un maître, ses élèves se pressent autour de lui, que leur apprend-il, que retiennent-ils… oui il œuvre à sa survie, car tout homme est mortel, d’ailleurs le cimetière est rempli de morts, pourquoi certains d’entre eux font-ils éclater de l’intérieur le bois de leur cercueil, quelle force terrible les anime, quelle étrange énergie les habite, d’habitude les morts ne bougent pas, la musique ne les berce-t-elle pas, elle sait se faire si douce, les moines de l’abbaye voisine ont suivi le Nécromant et ses disciples, ils sont maintenant tous réunis dans la forteresse démantelée d’Ylourgne… l’élève préféré Gaspard du Nord n’a pas suivi le Maître, il subodore, au travers d’un miroir magique il essaie d’entrer dans les pensées du Maître, le visage du Maître apparaît mais demeure impénétrable. La musique éclate, le drame se précise. The Colossus of Ylourgne : (Part II) : 5 : The horror of Ylourgne  / 6 : The vaults of Ylourgne  / 7 : The coming of the Colossus / 8 : The lying of the Colossus : étranges bruits qui recouvrent de troubles affairements, non ils ne s’affairent pas à de vils agissements d’ordre inférieurs, les tâches subalternes ne sont pas pour eux, ils ne pétrissent pas un corps avec de la terre, ce genre de besogne trop facile ils la laissent à Dieu, eux ils se servent de matière vivante, avec la chair des morts qu’ils arrachent aux cadavres ils constituent un nouveau corps… Gaspard du Nord aimerait bien s’interposer, il accourt, tant pis pour lui, il sera enfermé en un sombre cachot, il l’explorera, il désespèrera mais finira par trouver une issue, la voix du conteur que l’on n’avait plus entendue depuis le premier morceau reprend la parole, il avertit quelque chose va survenir, plus terrible que la peste… la chose est là monstrueuse, un monstre, un colosse, aussi haut qu’une tour, une force qui va, une force qui écrase, pour le moment il ne prend pas garde aux humains qui fuient devant lui, l’en écrase deux sur un mur  sans trop penser à mal, la musique prend une ampleur insoupçonnable, que veut-il, et qui pourrait l’arrêter. La foule affolée se précipite dans la cathédrale, l’être satanique ne supporte pas la demeure de Dieu, il la détruira, l’édifice et les misérables chrétiens réfugiés à l’intérieur, qui l’arrêtera sinon Gaspard, il est monté tout en haut du clocher et quand le géant s’approche il lui jette au visage une poudre alchimique, la même qui a permis de lui donner vie et qui maintenant lui donnera la mort. Le colosse titube, il ne sait plus que faire, les cimetières sont trop petits pour lui, il finira par creuser sa propre tombe, s’y coucher et se couvrir lui-même de terre.

             Dark ambient, certes mais la musique est beaucoup plus ambient que dark. L’on imagine la rutilance de  l’orchestration qu’un groupe de heavy metal se serait permise sur une telle légende. L’électro synthétique est à mon goût un peu trop monocorde, trop monotone pour avoir droit à l’épithète  de prog. Dark metal si vous voulez, mais je qualifierais l’ensemble, tout de délicatesse et de nuance, de folk, ce qui ne saurait être un contresens puisque la musique transforme cette longue nouvelle en un conte merveilleux.

             Le lecteur aura remarqué dans Le Colosse d’Ylourgue des éléments empruntés au Frankenstein de Mary Shelley et au roman Le golem de Gustav Meyrink. Deux œuvres proches de l’univers de Matthew Jaffe. Son Instagram   sans faute !

             Peu de renseignements sur les membres d’Arcanist. Leur Instagram est bien chiche, le duo semble constitué d’une fille et d’un garçon. Ouf ! ils ont respecté la parité !

    Damie Chad

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

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    L’écran était parcouru de vives couleurs, pour le moment l’on ne discernait rien de précis mais au bout de deux minutes il apparut clairement que les couleurs se regroupaient en certaines zones en des taches de grandeurs variables, bientôt il devint évident qu’elles s’affinaient, qu’elles épousaient des formes encore peu reconnaissables, quelques minutes plus tard, il apparut que des silhouettes humaines commençaient à se dessiner, le plus étonnant c’était  qu’elles occupaient toute la surface disponible, pas un seul espace de vide, ne serait-ce que quelques centimètres carrés, les individus n’arrêtaient pas de bouger, de changer de place, sans s’interpénétrer, sans se bousculer !

    John Deere prit la parole :

             _ Cet appareil n’est qu’un prototype, dans quelques semaines nos laboratoires nous procureront  une machine qui fonctionnera en trois dimensions, celle-ci n’est pas plus performante qu’une simple feuille de dessin qui n’aurait pas encore appris les règles de la perspective. Ce ne sont pas des individus serrés comme des sardines dans leur boîte que nous voyons, mais une grande place remplie d’une foule immense.

    Le Chef alluma longuement un Coronado avant de déclarer :

             _ Je ne pense pas que vous nous ayez fait venir pour admirer un mauvais écran de télévision, à priori la vision d’une foule sur une place publique ne doit pas inquiéter une institution comme la CIA, d’autant plus que ces gens-là n’ont pas l’air de manifester, de demander la démission du Président des Etats-Unis, voire de brûler des drapeaux américains.

             _ Nous préfèrerions, au moins nous saurions comment réagir !

    Jim Ferguson avait l’air d’avoir vieilli de plus de dix ans.

             _ Au bas mot, selon nos spécialistes il doit y avoir là au moins cent mille personnes. Ce phénomène d’attroupement est assez courant dans nos sociétés modernes, le problème n’est pas là. Cet écran photonique est multi fonctionnel, il est capable de nous donner, à la façon d’un GPS, mais d’une manière ultraprécise, les coordonnées du lieu où se déroule ce rassemblement. Savez-vous où s'articule le spectacle que nous observons ?

    Ferguson ne nous laissa pas le temps de répondre :

             _ Dans une cloison de cette maison devant laquelle nous avons dû secourir l’agent Chad !

    84

    Le Chef avait pris la tête du groupe d’intervention, Molossa et Molossito devant, dûment chapitrés, truffes au vent, flairant l’air de toutes leurs forces, les deux courageuses bêtes étaient suivies par Doriane et Loriane, sous notre garde rapprochée, Jim Ferguson et John Deere nous talonnaient chacun d’eux commandant une file d’agents, rien qu’à les voir, l’on sentait des gars aguerris prêts à tuer leur mère pour gagner un demi-dollar.

    La pièce centrale était plongée dans le noir. Nuit sans lune, ciel nuageux sans étoiles, les équipes de la Cia étaient intervenues, tous les lampadaires de la rue étaient éteints. Le Chef appuya sur un interrupteur. Nous nous postâmes devant le plus grand des murs. Il n’y avait rien à voir. Molossito grogna faiblement.

    Nous attendîmes près d’un quart d’heure avant de percevoir un bruit très faible. D’abord des frôlements incessants, peu à peu ils se transformèrent en un léger tambourinement, il devint bientôt évident que des milliers de personnes étaient en train de marcher. Au centre du mur une tâche noire se forma. Lentement elle ne cessait de grandir.

    Maintenant elle recouvrait le mur, bientôt nous pûmes discerner les individus, visages inexpressifs, disposés en lignes, marchant à grand pas vers nous.

    Le Chef alluma un Coronado :

             _ Manifestement ces cocos ne viennent pas pour nous souhaiter la bonne année, pour ceux qui n’auraient pas compris, nous ne sommes pas en train de regarder un film, ils viennent pour nous tuer, que personne ne tire avant que je n’aie relâché un panache de fumée blanche !

    J’ignore comment le Chef s’y prit, mais une demi-heure plus tard, un large triangle blanc s’échappa du Coronado, il ressemblait à la calotte blanche des neiges éternelles qui coiffent le sommet du Kilimandjaro.

    Le premier rang était tout près de nous, quatre à cinq mètres, nous fîmes feu sans hésiter, ils tombèrent sous nos balles, phénomène étrange ils s’affalaient à terre et disparaissaient aussitôt remplacés par un nouveau rang, leurs corps s’évanouissaient oui, mais pas leur sang qui coulait sur le plancher de notre salle. Au bout d’une heure nous pataugions dans des ruisseaux de sang, Molossa et Molossito s’étaient régalés à laper ce sang frais et chaud, sans doute leur âme entrait-elle en communion avec le passé préhistorique des meutes de loups qui mordaient à pleines dents dans les chairs du dinosaure qu’ils avaient réussi à tuer… Sommes-nous aussi porteurs dans nos gènes de la mémoire de nos luttes archéolithiques que notre espèce avaient dû mener pour anéantir les araignées géantes dont nous étions les proies préférées…

    Faut avouer que question armement les ricains assuraient. Nos rafalos n’avaient pas le temps de devenir brûlants que déjà une unité logistique les remplaçait et nous fournissait munitions à foison. Par contre ils n’avaient pas pensé à tout, le sang nous montait aux genoux, des bottes fourrées nous auraient été fort utiles, Doriane et Loriane qui au début avaient pris les choses du bon côté, elles s’amusaient  à tremper leurs doigts dans le sang pour souligner d’un rouge à lèvre écarlate leurs lèvres pulpeuses, commençaient à fatiguer.

    Le combat ne cessa pas faute de combattant, le torrent de sang devint si haut et si puissant que nous dûmes refluer devant son écoulement…

    85

    Nous avions regagné le local. Doriane et Loriane exténuées par les émotions s’étaient endormies tenant Molossito et Molosa entre leurs bras. Le Chef avait allumé un Coronado, on aurait dit qu’il rêvassait. Moi qui le connaissais bien savait qu’il n’en était rien, je ne fus pas surpris lorsqu’il m’interpella vivement :

             _ Agent Chad nous n’avons jamais connu une situation aussi dramatique !

             _ Chef, que vient faire la CIA dans cette affaire ?

             _ Quelle affaire, Agent Chad ?

             _ Celle qui nous préoccupe !

             _ Laquelle ?

    Sur le moment je crus le Chef victime d’un coup de fatigue mais avant de répondre j’eus le bon réflexe, le Chef est infatigable sans quoi il ne serait pas le Chef, je tournai donc sept fois mon intelligence dans mon cerveau, je recommande d’ailleurs à nos lecteurs qui jugeraient cet épisode de nos aventures totalement loufoque d’agir de même, à condition qu’ils soient en possession des deux ingrédients nécessaires à cette opération, en effet la population terrestre ne se partage-t-elle en deux grands groupes majoritaires ceux qui possèdent une intelligence mais pas de cerveau et ceux qui ont un cerveau mais pas d’intelligence. Seule une minuscule minorité peut se vanter d’être pourvue de ces deux outils indispensables à toute réflexion… mais ne nous égarons pas, nous poursuivrons cette réflexion philosophique sur l’état mental de nos concitoyens une autre fois…

             _ Ainsi Chef vous pensez comme moi, vous pensez que nous courons pour parler comme Jean de La Fontaine, deux lièvres à la fois…

             _ Une évidence Agent Chad, je m’attendais à davantage de pertinence de votre part. Bien sûr d’un côté nos passeurs de murailles qui traversent les murs sans trop savoir pourquoi, si ce n’est pour se livrer à quelques cambriolages de haut-vol qu’ils n’ont même pas eu le temps d’entreprendre… nous les avons probablement tous éradiqués, leurs hommes de main et cette Cheffe que Loriane a prestement et proprement abattue. Comme si une femme pouvait accéder au grade de Chef !

    Le Chef haussa les épaules et alluma un Coronado :

             _ Non Agent Chad, vous connaissez mon instinct, il ne me trompe jamais, Jim Ferguson est certainement très sympathique mais j’ai l’impression qu’il essaie de nous mettre sur le dos l’affaire de cette étrange maison, plus j’y réfléchis, lorsque vous avez été happé par une force inconnue devant la grille d’entrée, tout votre chemin était coordonné par la CIA, le croc-en-jambe, les enfants de l’école et tout le reste n’a été qu’une manipulation de bout en bout, ils nous attendaient, une mise en scène pour nous refiler le bébé de la maison entre les pattes, Agent Chad, cette affaire sent mauvais, je ne présage rien de bon pour les jours qui viennent.

    Evidemment le Chef avait raison. L’avenir nous le prouva.

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 645: KR'TNT 645: THE JESUS AND MARY CHAIN / ZOMBIES / ELVIS PRESLEY + ROCKABILLY GENERATION / SPYDER TURNER / JEFF LESCENE / STUPÖR MENTIS / ERIC CALASSOU / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 645

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    16 / 05 / 2024

     

     JESUS AND MARY CHAIN / ZOMBIES

    ELVIS PRESLEY + ROCKABILLY GENERATION

    SPYDER TURNER / JEFF LESCENE

    STÜPOR MENTIS / ERIC CALASSOU

    ROCKAMBOLESQUES  

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 645

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

     

    Wizards & True Stars

    - The wind cries Mary Chain

    (Part Three)

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             Allez, on va dire que ça fait quarante ans qu’on guette l’actu des Mary Chain. Le premier à me parler des petits Jésus, ce fut Jean-Yves qui venait de découvrir Psychocandy. Il était complètement fasciné par ce son, par ce look, par cette morgue, par cette fuzz, par cette réinvention du rock anglais qui pompait tout ce qu’il y avait de mieux dans la pop mélodique américaine, c’est-à-dire les Beach Boys, Totor et le Velvet. Les Mary Chain ressemblaient à ces huîtres qui filtrent l’eau de mer pour n’en garder que l’essence et fabriquer des perles.

             Quarante après Psychocandy, les Mary Chain refont l’actu en beauté, avec un concert à l’Élysée Montmartre, avec un nouvel album, Glasgow Eyes, et donc un peu de presse, dont une belle interview dans Record Collector. C’est le genre d’actu qui nous gave comme des oies. Coin coin ou cui cui, c’est comme tu veux.

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             Ah si seulement le Vatican avait pris des petits Jésus comme ambassadeurs de la foi ! Rien que de les voir arriver sur scène, non seulement ça te remonte le moral, mais ça te remonte aussi les organes qui commencent à descendre. L’entrée sur scène est avec le final («I Hate Rock’n’Roll/Reverence») le moment le plus précieux d’un set extrêmement lourd de conséquences. Bim bam boum, on prend les mêmes et on recommence. Le rituel des petit Jésus n’a guère varié en quarante ans, si ce n’est qu’aujourd’hui Jim est gentil avec le public de Frenchies et William ne nous tourne plus le dos comme autrefois. Il vient même à la fin distribuer des set-lits et un médiator, avec un gros sourire de gamin au coin des lèvres, et là tu peux le dévorer des yeux, car c’est une vraie superstar, l’un des derniers rescapés de l’âge d’or de la civilisation.

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    Ah il faut le voir s’installer devant ses deux grosses enceintes marquées «Jesus» et surmontées de têtes Orange, il est comme d’habitude calé derrière ses deux retours et surmonté de sa tignasse exubérante de Professor Nimbus, lunettes sur le nez, baskets aux pieds, petit embonpoint et concentration de tous les instants, jamais un seul coup d’œil sur la salle, il gratte les barrés de ses Marychienneries sur sa grosse demi-caisse Gibson et déclenche de temps à autre l’enfer sur la terre («Head On», «Amputation», ah cet «Amputation» qu’on connaît si mal et qui est un vrai stormer), l’enfer, oui, car le son qu’ils sortent tous les cinq est celui d’une vraie machine de guerre moyenâgeuse, ces machines qu’on peut voir dans certains films de reconstitution historique, montées sur des grosses roues en bois et poussées par des nuées de soudards, le son des petits Jésus fait un peu cet effet-là, c’est du heavy power stormer, un phénomène qu’on croise rarement dans les salles de concert, phénomène d’autant plus alarmant qu’il est sur-saturé de légende. Ils naviguent exactement au même niveau que les Pixies, car leur set grouille de hits, ceux déjà cités, et puis tu as cette version magique de «Darklands» en début de rappel qui vient te knock-outer la tirelire à coups d’I’m going to the darklands/ To talk in rhyme/ With my chaotic soul, et là t’es fier de chanter en chœur avec le héros Jim, les lyrics sont une absolue merveille de perfection stylistique, Jim y va au God I get down on my knees/ And I feel like I could die/ By the river of disease, ce sens de la mélodie surnaturelle vient en droite ligne de Totor et de Brian Wilson, les frères Reid se sont hissés à ce niveau-là, qui est en matière d’art composital le plus haut, pareil avec la volée de bois vert d’«I Hate Rock’n’Roll», tu ne te lasses pas de cette violence visionnaire et de cette faramineuse irrévérence d’I love the BiBiCi/ I love it when they’re pissing on me/ And I love MTV/ I love it when they’re shitting on me, ils n’ont rien perdu de cette niaque écossaise qui est un peu le fondement de leur légende.

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    Et tu as cet enchaînement de quatre smashes qui te laisse complètement hagard : le «Cracking Up» tiré de Munki, suivi de «Some Candy Talking (inespéré), puis d’«In A Hole» et d’un «Sidewalking» qui te ramène à l’origine des temps, quand les petits Jésus régnaient sur la terre comme au ciel. Tu ne peux pas échapper à cette emprise, à cette autorité tutélaire, à ce pouvoir magique. Jim Reid a raison de rappeler que les Mary Chain sonnent comme les Mary Chain et aucun groupe ne sonne comme eux. On va aussi le voir duetter avec une certaine Faith sur «Sometimes Always» tiré de Stoned & Dethroned, puis sur «Just Like Honey», qui est un peu le cut prince de l’imparabilité des choses - I’ll be your plastic toy/ For you - L’ironie de toute cette histoire, c’est qu’ils prennent un malin plaisir à jouer TOUS les cuts ratés de Glasgow Eyes ! Aucune trace d’«American Born» ni de «Girl 71».

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    En guise de cadeau d’adieu, ils nous embarquent dans une version longue et bien psyché de «Reverence», avec un Jim qui nous refait le coup du crucifié - I wanna die on a sunny day/ I wanna die just like J.F.K./ I wanna die in the U.S.A. - Tout cela rimait à la fois magnifiquement et outrageusement. La magie est intacte. On dirait qu’ils n’ont pas vieilli. Nous si.

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             Si tu écoutes Glasgow Eyes à jeun, tu vas hurler. Tout le début de l’album ressemble à un gros foutage de gueule. Les frères Reid ont toujours eu un faible pour la provocation, et là ils se surpassent. Ils attaquent avec des machines. Si tu veux retrouver la folie sonique du «Write Record Release Blues», il te faudra repasser un autre jour. Par contre, la situation s’assainit avec «American Born». C’est un hit, une vraie Marychiennerie. Haut niveau d’homicide et de river side. Le «JAMCOD» qu’on croise plus loin est trop electro, mais chanté à la Mary Chain. Pur produit du terroir écossais, avec des éclairs de poux sauvages. On croise encore d’autres Marychienneries rampantes comme «Pure Poor» et bizarrement, William Reid est en retrait. Il gratte juste ce qu’il faut. Il faut attendre «The Eagles & The Beatles» pour renouer avec le big time. Hommage aux Stones, ils riment Brian Jones avec Rolling Stones. Mais ça redéconne avec ce «Silver Strings» trop electro-pop, ça ne va pas du tout, c’est de la mormoille à la mode. Alors ils se reprennent avec «Chemical Animal», une Marychiennerie écrasée de torpeur - To help production/ I don’t show - Et c’est vers la fin que les frères Reid se réveillent avec «Girl 71», monté sur des vieux accords de pop gaga. Retour aux sources ! Enfin ! Ce sont des accords connus avec du tut tut derrière. Classique, certes, mais le charme des frères Reid fait toute la différence. Et ils terminent cet album accueilli à bras ouverts avec «Hey Lou Reid», un heavy stash de stouch, il pleut de la Marychiennerie comme vache qui pisse, cette fois ça riffe au bassmatic de tronitrue, ça troue le cul du cut, ça t’expurge les fondations, ça te riffe bien le gras du bide. Gros pied de nez au rock moderne.

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             Jim Reid ne fait pas de déclarations fracassantes au micro de Johnnie Johnstone. Le chapô nous rappelle que les deux frères vivent séparés par un océan, Jim sur la côte anglaise et William en Arizona. Johnstone aime bien Glasgow Eyes qu’il qualifie de «ragged and glorious, filthy and beautiful, and as faithful as ever to the limitless potential of rock’n’roll». Il flashe lui aussi sur «American Born» qu’il qualifie de «bruised sludgfest» et sur «Hey Lou Reid» «which metamorphoses from a turgid Sister Ray pastiche into an ambiant blues hymn.» Et il conclut par cette phrase qui résume tout le paradoxe des petits Jésus : «It’s as vital as anything they’ve ever done.» Puis ceci qui dit à quel point il sonne juste dans son propos : «Over the last 40 years, perhaps only Spiritualized and The Brian Jonestown Massacre have shown a similar degree of imagination in recycling the same three chords.» Si c’est pas l’hommage suprême, alors qu’est-ce c’est ? Il dit même qu’un mauvais album des Mary Chain est impensable. Il les qualifie encore d’«evangelists of the new-cassicist rock’n’roll» et d’«indie arbitrers of good taste». Puis Jim Reid prend la parole et ça devient encore plus intéressant. Il situe bien les choses, rappelant que la musique dans les années 60 et 70 «était cohérente et avait du sens» - The blues. Chuck Berry. The Rolling Stones - Puis ça a déconné dans les années 80 - Suddenly we’ve got Kajagoogoo - Il parle aussi de la une du NME avec Kid Creole & The Coconuts. Alors William et lui se regardent et décident de réagir : «Right, enough’s enough.» Bien sûr le punk, mais Jim rappelle qu’en 1982, on ne pouvait pas écouter Radio 1 plus de 10 minutes sans gerber. Ils ont alors tous les deux la naïveté de croire qu’ils peuvent sauver le rock. Mais Jim dit aussi qu’à l’époque on commençait à enfermer le rock dans un petit ghetto, comme on l’avait avant avec le jazz. Puis il re-raconte l’histoire des Mary Chain, les 5 ans de préparations dans leur petite piaule d’East Kilbride, le chaos des premiers concerts à Londres, Bobby Gillespie et Allan McGee, puis les sets de 20 minutes max, le premier single, «Uspide Down» enregistré chez Pat Collier qui veut les faire sonner comme Dire Straits, heureusement, William remixe le single, ouf, ils l’ont échappé belle ! Puis pour éviter de faire Psychocandy II, ils enregistrent Darklands, le chouchou des fans. Ils ne voulaient pas devenir les Ramones qui selon Jim pondaient toujours le même album - a formula - Dans les années 80, Jim dit avoir aimé Felt, The Fall, les Bunnymen, My Bloody Valentine - The Cocteau Twins are one of the best bands ever. So influential - Il adore aussi Nirvana. Mais les Mary Chain veillaient à sonner comme les Mary Chain, and nobody else did. Puis la question porte sur Bobby Gillespie auquel les frères Reid on proposé le «full time job, but he politely declined.» Il voulait rester dans Primal Scream. Alors Johnstone branche Jim sur la dance music d’Automatic qui a suivi le départ de Bobby. Jim corrige le tir : la Soul et le funk oui, Aretha, Motown et Funkadelic, electronics, oui, Suicide, Kraftwerk, «but the rave or dance scene just didn’t do it for us.» Incompatible. Ils racontent aussi qu’au moment de l’enregistrement de Munki, William et lui ne se parlaient plus. Et pourtant, quel big album ! Johnstone le branche ensuite sur l’aspect financier des choses. Jim ne se plaint pas, il ne roule pas sur l’or et ne sait pas trop d’où vient le blé, mais il précise toutefois qu’il vient essentiellement de Psychocandy et de «Just Like Honey».

             Puis c’est l’encadré fatal : Jim salue ‘the Other classic rock debuts’, à commencer par The Velvet Underground & Nico - A blueprint for a type of music thant hadn’t been invented, and obviously a huge influence on the Mary Chain - Et il conclut en disant que le Velvet est aussi important que les Beatles et les Stones. Et crack, il enchaîne avec The Stooges - Ahead of its time - Et il ajoute, l’œil brillant : «It was punk rock before punk rock existed. It’s totally timeless. It would sound perfect in any decade.» Et crack New York Dolls - The punk rock Rolling Stones. The standard of songwriting is incredible. Every song could have been a single - Et crack Never Mind The Bollocks - There was no cooler person on the planet than Johnny Rotten in 1977. He was the role model. Every single song is great - Il cite aussi Suicide, The Smiths et il finit avec The Stone Roses, qui ne l’a pas convaincu à la première écoute, «because I thought it was really retro, so what’s the point?». Mais il préfère Secong Coming, «the production and John Squire’s Hendrix guitar.»

    Signé : Cazengler, Mary Chiant

    Jesus & Mary Chain. Élysée Montmartre. Paris XVIIIe. 13 avril 2024

    Jesus & Mary Chain. Glasgow Eyes. Fuzz Club 2024

    Johnnie Johnstone. You brought a weapon to our shows. Record Collector # 556 - April 2024

     

     

    L’avenir du rock

    - I walked with the Zombies last night

    (Part One)

             L’avenir du rock promenait son cul non pas sur les remparts de Varsovie, mais sur le Pont des Arts. Il fit halte à la vue d’un homme qui tournait en rond. Il faut savoir que l’avenir du rock ne supporte pas de voir les gens tourner en rond. Il part du principe que l’homme est conçu pour avancer, et non pour tourner en rond. L’immobilisme circulatoire incarne à ses yeux le comble de l’absurdité transcendantale, le summum de l’ignominie comportementale, la pointe extrême de l’abjection sinusoïdale. L’avenir du rock ne dispose pas d’assez d’épithètes pour qualifier ce contresens. Plus il y pense et plus il en frissonne de dégoût. Chaque fois qu’il tombe sur un homme - ou pire encore, une femme - qui tourne en rond, il tente de le remettre sur le droit chemin. Mais ce jour-là, il fut confronté à un cas beaucoup plus grave. L’homme tournait en rond avec le regard fixe. Il semblait redoubler de perdition, son errance circulatoire flirtait avec le fantastique. L’homme semblait donner du sens à sa perdition, il semblait sortir des pages de L’Écran Démoniaque, cette vieille bible de Lotte Eisner qu’on feuilletait autrefois en rêvant de se faire sucer par des goules casquées et frigides. S’imaginant pouvoir sauver le pauvre hère, l’avenir du rock s’approcha de lui et lui murmura d’une voix compatissante :

             — Voulez-vous que je vous indique le chemin de Damas ?

             Le sombre tournicoteur lança d’un ton sec :

             — Pierre qui roule Damas pas mousse !

             L’avenir du rock en fut interloqué :

             — Vous êtes moins demeuré qu’il n’y paraît ! Vous êtes encore capable de contrepéter. Mais enfin, me direz-vous pourquoi vous tournez en rond ?

             — Je m’appelle Jacques Tourneur !

             — Ah c’est vous ? Vous connaissez les Zombies, alors ?   

     

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             Ce ne sont pas les Zombies de Jacques Tourneur qui reviennent dans le rond de l’actu, mais les autres, les Zombies d’Angleterre. Les voilà de retour parmi les vivants avec un superbe album, Different Game. Pochette marrante : leur van tombé en panne sur la route est monté sur la plate-forme d’une dépanneuse, et ils sont tous là derrière, les Zombies, à regarder. Ils attaquent leur morceau titre d’ouverture de bal au shuffle d’orgue. On se croirait chez Procol. Rod rôde toujours dans le coin. En plus, Colin Blunstone chante vraiment comme Gary Brooker. C’est aussi explosif que du grand Procol avec en plus du chien de la chienne. Fantastique ambiance. Les Zombies ont de la légendarité à revendre. Blunstone te transcende tout ça au power pur. Quelle surprise ! On ne s’attendait pas à un tel ramdam, surtout quand on voit le portrait de Blunstone en ouverture du Mojo interview : il frise les 80 balais, ça se voit sur son visage, mais il a toujours cette magnifique tignasse de jeune coq. Jim Irvin qualifie cette tignasse de surprisingly luxuriant. On le sent même fasciné par Blunstone : «His voice youthfull and soft-spoken - is charming company.» 

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             Et ça continue avec «Dropped Reeling & Stupid», Rod Argent y groove le funk. On a là le meilleur groove de funk d’Angleterre depuis Georgie Fame et Graham Bond. Avec ça, tu as tout l’avenir du rock devant toi, la densité de ce groove est extrême et Blunstone chante au sommet d’un très vieux lard. Encore un coup de génie avec «Rediscover». Il faut se souvenir que les Zombies sont des magiciens, et ils n’ont pas perdu la main. «Rediscover» sonne comme un heavy balladif d’exception, ils montent le rock anglais à coups d’harmoniques et Blunstone t’éclate tout ça vite fait. Il te reste encore trois énormités à savourer : «Runaway», «Merry-Go-Round» et «Got To Move On». Les Zombies savent très bien casser la baraque. Ils déblaient tout sur leur passage et Blunstone n’en finit plus de chanter comme un cake. Rod te pianote le «Got To Move On» à la British-mania et ça vire Zombie dance ! Dans la kro qu’il fait de l’album pour Uncut, Nick Hasted compare les Zombies à Steely Dan, qui sont des chouchous de Blunstone et de Rod Argent. Blunstone : «There’s always been a jazz element in Zombies music.»

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             Jim Irvin rappelle que les Zombies étaient pre-Beatles et qu’ils sont montés pour la première fois sur scène en 1961. Puis ils ont trimballé leur look d’intellos, un peu comme Manfred Mann. Blunstone avoue qu’ils ont souffert de cette image, car les gens préféraient les groupes plus dangereux - Pirates and brigands - Blunstone raconte aussi l’extraordinaire histoire de l’enregistrement de «She’s Not There», leur premier hit, au studio Decca de West Hampstead. L’ingé-son est complètement ivre et tombe dans les pommes. C’est son assistant Gus Dudgeon qui prend le relais et qui entre dans la légende, en même temps que les Zombies. Blunstone raconte l’histoire des Zombies avec un luxe de détails extraordinaires. Il évoque par exemple les fameux package tours de l’époque avec les Searchers - Les gens ont tendance à l’oublier, mais les Searchers étaient à l’époque le deuxième grand groupe anglais - et puis les Isley brothers, Dionne Warwick - Que de magnifiques artistes à voir sur scène depuis les coulisses ! - Il parle d’un ton très juvénile, on se régale de l’écouter, il y a du Brian Wislon en lui - We were 18 and 19 years old from St Albans, on n’avait joué qu’au local Working Men’s Club et on se retrouvait à l’affiche avec ces merveilleux artistes - Oui, il a raison, Colin Blunstone, de s’extasier. «Ronnie Isley !», s’exclame Jim Irving. Alors Blunstone saute en l’air : «Probably my favourite singer of all.» Irvin rappelle aussi que Tito Burns était l’agent des Zombies - Yes, a very powerful figure - Irvin commence à tourner autour des histoires de blé. Blunstone botte en peu en touche. Il se contente de constater qu’au bout de trois ans de tournées et de hits, il n’avait pas un rond en poche. Les seuls qui avaient du blé étaient les deux compositeurs, Rod Argent et Chris White. Puis ils ont enregistré Odessey & Oracle, un album culte, mais pas très commercial. Alors les Zombies ont splitté. Financièrement, ça ne pouvait pas tenir. Rod et Chris sont allés monter Argent. En désespoir de cause, Blunstone va reprendre un job dans les assurances - Desperation. I just needed money - Et puis bien sûr la carrière solo. Blunstone commence à écrire des chansons, après tout pourquoi pas ? Il dit bien aimer son album One Year et pense qu’Ennismore et Journey auraient pu être meilleurs. Quand Irving lui dit qu’on qualifie sa voix d’«inherently sad», Blunstone répond : «It possibly is true.» Il ajoute en éclatant d’un rire de vieux pépère qu’il est connu comme étant un «romantic balladeer».  

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             On sort One Year de l’étagère. L’album date de 1971 et c’est là que se niche ce coup de génie qu’est «Caroline Goodbye». C’est une renversante merveille mélodique, un hit de murmure énamouré, digne des grandes heures de Brian Wilson. Blunstone chante avec la voix de Nick Drake, suivi par la guitare d’Alan Crosthwaite et une orchestration de rêve enveloppe le tout. Il chante un peu son «She Loves The Way They Love Her» d’ouverture de balda à la Motown. Rod Argent et Russ Ballard jouent aussi sur ce swing léger et subtil. Belle surprise, en tous les cas. «Misty Roses» sonne quasi Brazil, encore une petite merveille d’aisance, soutenue par Alan Crosthwaite à l’acou magique. Mais certains morceaux orchestrés aux cellos plongent l’album dans des ambiances plus lugubres («I Can’t Live Without You» et «Smokey Day»). Dommage car Colin Blunstone semble y perdre son âme. Il refait son Nick Drake sur «Let Me Come Closer To You». C’est assez frappant, car il chante avec le même timbre d’étain laiteux, avec la même eerie d’airy à la dérive. Il termine avec «Say You Don’t Mind», une belle pop d’allant orchestral. Comme il bénéficie d’un gros soutien moral, il peut donner libre cours à ses échappées belles. Colin Blunstone ? Un symphoné dans l’âme, un syphoniste d’élite, un sibyllique allaité, un simili Malher de symphonie inachevée.

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             Il revient aux affaires en 1972 avec Ennismore, toujours sur Epic. Très belle pochette, diable comme Colin était beau ! Par contre, le balda n’est pas jojo. Il annonce avec «I Don’t Believe In Miracles» qu’il ne croit pas aux miracles, ça tombe bien, nous non plus. Il tape cinq cuts de petite pop. Il ne prend jamais d’assaut, il se contente d’imposer gentiment sa présence. «I Want Some More» sonne comme une belle pop raffinée, mais c’est en B que se joue le destin de l’album, et ce dès «Pay Me Later», plus rockalama, quasi glam. Quel rebondissement ! On accueille son glam à bras ouverts. Il y a du son, logique, car c’est produit par Rod Argent. Et voilà le miracle tant attendu : «I’ve Always Had You», cut délicat et raffiné, à peine orchestré, Colin remplit l’espace d’une voix chaude. Ça n’a l’air de rien au premier tour, mais après le break instro, le thème revient et ça devient furtivement magique. Sur «Time’s Running Out», il sonne comme Nick Drake, intime et vert comme la mousse des bois. Même imposition. Il termine avec «How Could We Dare To Be Wrong», une pop terriblement envahissante, au sens du lierre. Il pratique l’art de l’universalisme, il vise une certaine forme de clameur chaleureuse, il ne fait qu’étendre son bel empire. 

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             Paru deux ans plus tard, Journey bascule facilement dans l’ennui. Blunstone refait son Nick Drake avec «Keep The Curtains Closed Today». On le voit ensuite muscler le son avec «Weak For You», mais c’est un cœur tendre. Comme tous les Anglais, il sait fort bien tempérer ses efforts. Sa pop reste une pop extrêmement soignée, sa voix porte bien. On sent quelque chose de bienveillant chez cet homme. Avec «This Is Your Captain Calling» en ouverture de bal de B, il va plus sur les Beatles, avec des petits élans de Sgt Pepper. Il revient à sa chère pop intimiste avec «Setting Yourself Up», une pop intimiste qu’on voudrait géniale et qui ne l’est pas. Honnête et avenante, oui, mais géniale, non.     

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             Dans Shindig!, Thomas Patterson lui consacre 5 pages d’interview. Pour évoquer les Zombies, bien sûr, mais surtout la période Epic de Blunstone solo. Patterson se dit troublé par le côté unusual du Zombies’ initial musical setting, alors Blunstone a cette très belle formule : «We were taking influences from classical music, modern jazz, R&B, the blues, rock’n’roll and pop, and that’s what made our music so different.» Patterson fait aussi remarquer à Blunstone que les Zombies étaient plus populaires aux États-Unis qu’en Angleterre. Ça fait bien marrer Blunstone qui rappelle qu’en 1967, au moment de splitter, les Zombies se croyaient unsuccessful. Et puis le fait de ne pas être populaire en Angleterre l’arrange bien : il peut aller faire ses courses au supermarché - I’m trying to think on the bright side! - Blunstone revient sur les raisons du split en 1967 : «It ended up with three non-writers, after three years of constant touring around the world with many hit records, having absolutely no money.» Il parle d’un «management company that was slightly questionable». Il fallait donc retourner bosser, we didn’t have a choice. Le producteur Mike Hust entre ensuite en contact avec Blunstone et l’incite à démarrer sa carrière solo. Il va enregistrer One Year avec Rod Argent et Chris White «at Abbey Road Studio Three. Peter Vince enginering. Exactly the same as Odessey & Oracle. Il felt really good recording in this situation again.»  

    Signé : Cazengler, Zombre crétin

    Zombies. Different Game. Cooking Vinyl 2022

    Colin Blunstone. One Year. Epic 1971

    Colin Blunstone. Ennismore. Epic 1972

    Colin Blunstone. Journey. Epic 1974

    Jim Irvin : the Mojo interview. Mojo # 356 - July 2023

    Thomas Patterson : The voice of reason. Shindig! # 123 - January 2022

     

     

    Talking ‘Bout My Generation

     - Part Eleven

             Oh bah dis donc ! Un spécial Elvis déboule dans la boîte aux lettres ! Un de plus ? On aime bien Elvis, mais bon, la messe est dite depuis les deux volumes de Peter Guralnick (Last Train To Memphis - The Rise Of Elvis Presley et Careless Love - The Unmaking Of Elvis Presley). Lus deux fois, en plus. Deux fois ? Oui, la trouille d’avoir raté un passage important ! C’est un mélange de trouille d’avoir raté des trucs et de plaisir à relire qui motive les relectures. Est-ce Léautaud qui dans le micro de Robert Mallet s’exclamait de son atroce voix de fausset : «Non môsieur, je ne lis pas, je relis !». Sais plus. Léautaud ou un autre, quelle importance, après tout ? On ira vérifier ça un autre jour. Revenons pour l’heure à ce Hors Série de Rockabilly Generation.

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             Il se lit d’un trait d’un seul. Cul sec. Julien Bollinger reprend toute la période 1955-1958, qui va de la signature du contrat RCA jusqu’au départ à l’armée. Après un chapô qui fout un peu la trouille car un peu pro-Parker, Bollinger emmène son récit ventre à terre et fait quasiment du Day By Day, comme l’a fait Richie Unterberger avec le Velvet : c’est extrêmement bien documenté et rondement mené, avec du souffle. Il rend hommage à cet artiste extraordinaire que fut Elvis, en ciblant bien les coups de chance et tout le travail de sape qu’a mené le Colonel pour faire d’Elvis une superstar cousue d’or tout en le castrant artistiquement. C’est sans doute la plus grande tragédie des temps modernes. Le parallèle que dresse Bollinger avec Robert Johnson est maladroit, car l’histoire du crossroad est une légende impossible à vérifier, mais surtout éculée par tant d’abus, alors que la faillite artistique d’Elvis n’est pas une légende. Elle est bien réelle. Tous les fans de la période Sun d’Elvis sont inconsolables depuis plus de soixante ans. 

             Pour illustrer le thème de la faillite artistique, on va suivre les recommandations que donne John Floyd à la fin de son brillant Sun Records : An Oral History : il dresse la liste des albums d’Elvis «indispensables». On appelait ça autrefois la liste des commissions. Rien à voir avec la période incriminée par Bollinger, mais ça donne une idée assez juste de ce qui va se passer après le retour de l’armée et l’entame de cette fameuse «carrière hollywoodienne». Alors on a pris un caddy et on est allé faire des courses. Étrange mélange de bonnes et de mauvaises surprises !

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             La liste des commissions commence avec ce qui est certainement l’un des meilleurs albums d’Elvis de la période post-Sun : Spinout, paru en 1966. On y trouve «I’ll Be Back», un groove digne de toutes les supériorités. Il faut voir Elvis groover son Back. Il n’est pas un King pour rien. Globalement, Spinout est un album de mid-rock extrêmement bien foutu, superbement orchestré et enrichi par les chœurs des Jordanaires. Un batteur extraordinaire joue en contre-bas d’«Adam & Evil» et de «Never Say Yes». Elvis s’amuse bien avec ses musiciens. Le Spinner King est à l’apogée de son âge d’or, semble-t-il, let’s spin it out ! Belle surprise aussi que ce «Smorgasbord» assez rock’n’roll. Elvis fait aussi du blues du delta avec «Tomorrow Is A Long Time». Il ultra-chante. On le voit aussi flirter avec le gospel dans «Down In The Alley». C’est infiniment respectable. 

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             From Elvis In Memphis est encore l’un des meilleurs albums d’Elvis de la période post-Sun. Il faut voir dans cette réussite la patte de Chips Moman. Dès «Wearin’ That Love On Look», on sent le Memphis beat sous les nappes de gospel d’orgue. On entend même Reggie Young. Elvis se tape une belle tranche de balladif avec «Long Black Cadillac». Aidé par des filles superbes, il porte sa Cadillac à bouts de bras. Il boucle son balda avec une version superbe d’«I’m Movin’ On» et Reggie Young gratte dans les entrelacs. C’est ultra-cuivré, joué au débotté d’American, avec la basse de Tommy Cogbill dans le solo. Elvis repart de plus belle en B avec «Power Of My Love», un heavy groove de Memphis et passe à la pop magique avec «Gentle On My Mind», un hit digne de Fred Neil. C’est là où il redevient le King. Dommage que ses autres albums RCA ne soient pas de ce niveau. C’est dingue comme il accroche bien son Gentle. Chips ramène une trompette sur le tard. Encore de la pop extrême d’American avec «Any Day Now». Il faut saluer cette prod d’orchestration très ambitieuse. Elvis termine avec «In The Ghetto» et voilà le team Elvis & Chips à son apogée. 

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             Enregistré à Vegas en 1970, On Stage permet de voir Elvis collectionner les covers, à commencer par un rutilant «See See Rider». Quelle machine ! On peut dire que ça rutile derrière Elvis. Il tape plus loin dans «Sweet Caroline». Bon c’est de la variété, mais Elvis chante si bien qu’il nous fend le cœur et qu’on lui pardonne. À Vegas, il fait en fait une sorte de best of de petite pop royale, avec «Runaway» et en B, «Polk Salad Annie», «Yesterday» et «Proud Mary». Il roule une belle pelle à McCartney avec «Yesterday» et on imagine que John Fogerty et Tony Joe devaient éprouver une sacrée fierté à voir Elvis chanter leurs compos respectives. 

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             Même si on adore ce chanteur parfait qu’est Elvis, la plupart des albums parus chez RCA flirtent beaucoup trop avec le mainstream américain.  On ne peut pas s’empêcher de penser à ce que serait devenue sa carrière si on lui avait confié des grandes chansons. Sur That’s The Way It Is, il tape par exemple une version magique de «You’ve Lost That Lovin’ Feelin’». Il la prend par en dessous pour ne pas être obligé de monter aussi haut que Bobby Hatfield. On l’entend aussi faire des merveilles avec «Stranger In The Crowd», un folk-rock digne des grandes heures de Fred Neil.

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             Paru en 1971, Elvis Country sort un peu du lot, notamment grâce à des cuts charmants comme «Little Cabin On The Hill», joli country-rock qui ne traîne pas en chemin, ou encore «Funny How Time Slips Away», véritable Beautiful Song. Il rocke son stock avec une belle version de «Whole Lotta Shakin’ Goin’ On», et en B, il revient à l’angélisme avec «It’s Your Baby You Rock It». Il fait encore des merveilles avec «Fadded Love», fantastique élan de soft-rock, puis il emmène «I Washed My Hands In Muddy Water» ventre à terre. C’est du big Elvis.

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             Il faut aussi écouter Elvis Now pour deux raisons : un, «Fools Rush In», car on y entend la voix de Dieu. Deux, «I Was Born About Ten Thousand Years Ago», car c’est du gospel batch avec tout le power qu’on peut imaginer. Il tape aussi une belle croupière à «Hey Jude» et règne sans partage sur «Put Your Hand In The Hand». Mais on voit des choses basculer dans l’opérette hollywoodienne, comme par exemple ce «We Can Make The Morning» grandiloquent. Elvis chante ça le torse bombé, face au ciel. Il parvient cependant à sauver «Early Morning Rain». La voix, rien que la voix.

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             Par contre, on ne sauve pas grand chose sur Good Times, paru deux ans plus tard. RCA a réussi à transformer Elvis en bonbon à la menthe. Il faut attendre «Talk About The Good Times» en bout de B pour trouver un peu de viande. Elvis boucle son pauvre Good Times avec un «Good Time Charlie’s Got The Blues» assez envoûtant.

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             La série des mauvais albums se poursuit avec Promised Land. On y trouve du croon de charme chaud («Help Me»), du balladif rococo («Mr. Songman») et de la heavy Soul («If You Talk In Your Sleep»). Elvis Today ne vaut guère mieux. On y trouve du mélopif inexorable («And I Love You So»), de romantisme meringué («Pieces Of My Life») et on comprend assez vite qu’il ne se passera rien de plus sur cet album. Il termine heureusement avec une version de «Green Green Grass Of Home» aussi envoûtante que celle de Jerry Lee.

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    On termine ce triste panorama avec Moody Blue paru en 1977, l’année de sa disparition. Il monte très haut chercher son «Unchained Melody» et revient au mambo de l’ère Spinout pour «Little Darling». Les Sweet Inspirations l’accompagnent mais on ne les entend pas beaucoup. Le mix les répudie à la cuisine. 

    Signé : Cazengler, Elvice dans la peau

    Talking ‘Bout My Generation - Part Eleven

    Elvis Presley. Spinout. RCA Victor 1966

    Elvis Presley. From Elvis In Memphis. RCA Victor 1969

    Elvis Presley. On Stage. RCA Victor 1970

    Elvis Presley. That’s The Way It Is. RCA Victor 1970

    Elvis Presley. Elvis Country. RCA Victor 1971

    Elvis Presley. Elvis Now. RCA Victor 1972

    Elvis Presley. Good Times. RCA Victor 1974

    Elvis Presley. Promised Land. RCA Victor 1975

    Elvis Presley. Elvis Today. RCA Victor 1975

    Elvis Presley. Moody Blue. RCA Victor 1977

    Rockabilly Generation Hors Série # 5 - Elvis Presley 2024 - Partie 2

     

     

    Inside the goldmine

    - Spyder Man

             Petit, brun, Charb offrait au regard le spectacle d’une physionomie enjouée, à peine voilée par un soupçon d’inquiétude permanente. Il louvoyait comme les autres dans ce monde ingrat, au mieux de ses possibilités. Son principal handicap était un état d’esprit atrocement conventionnel. Il mettait beaucoup trop de temps à prendre des décisions et s’insurgeait dès qu’on lui proposait d’enfreindre les lois. Dans un équipage, ce type de comportement peut vite poser des problèmes. Lorsque par gentillesse on lui conseillait de mettre un peu d’eau dans son vin et de nous faire confiance, il se hérissait, arguant qu’il n’accepterait jamais d’infléchir son propre code de moralité, et pour clore le débat, il rappelait à qui voulait bien entendre qu’il n’avait pas demandé à faire partie de cet équipage. C’est parce qu’on l’avait contraint et forcé à monter à bord qu’il redoublait d’obstination vertueuse. Il fallut bien lui trouver une occupation, puisqu’il refusait de participer aux expéditions. Il accepta le rôle de trésorier qu’on lui proposait. Au moins, cette honnêteté bornée servirait à quelque chose. Il s’appliqua à la tâche, comptant et recomptant le fruit de nos rapines. Il tenait ses livres et dormait avec pour être sûr que personne n’irait les trafiquer. Un jour, il osa défier le capitaine, arguant que la double part qu’il s’octroyait constituait une injustice, et en paiement de son plaidoyer, il reçut en pleine bouche un coup de barre à mine qui fit gicler toutes les dents de devant. On lui avait pourtant recommandé la prudence. Personne à bord n’était habilité à porter des jugements. Charb alla cacher sa honte dans la sous-pente qu’il occupait pour dormir et se tailla quelques dents en bois qu’il ajusta tant bien que mal. Comme son code de moralité lui interdisait de nous dénoncer aux autorités, Charb préféra se pendre pour laver un honneur dont l’absurdité l’avait conduit à l’impasse. On le trouva pendu dans les vergues, les yeux dévorés par des oiseaux de mer.

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             Ce fut un choc que de découvrir Spyder Turner sur la pochette de son premier album, Stand By Me. Charb et lui se ressemblent comme deux gouttes d’eau, même si Charb est blanc, alors que Spyder est black. Il se pourrait fort bien que Spyder Turner soit la réincarnation de Charb. Il n’y a d’ailleurs aucun doute dans l’esprit de ceux qui ont bien connu le pauvre Charb.

             Comme Yvonne Fair, Rose Royce et The Undisputed Truth, Spyder Turner est un protégé du grand Norman Whitfield. Après avoir quitté Motown, Norman Whitfield est allé monter son label, Whitfield Records. Les deux albums de Spyder Turner sont donc parus sur ce label, la même année, en 1978.

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             Le premier s’appelle Music Web et bénéficie d’une belle pochette illustrée. Crâne rasé, regard clair, anneau à l’oreille, torse nu, Spyder tient dans chaque main une comète en feu. Le hit de l’album se planque au fond de la B : «Reincarnation». Spyder flirte avec le génie funk. Superbe attaque rythmique, c’est d’une modernité à toute épreuve. Mais dès «Get Down», il est là. Fantastique présence ! Il sait aussi groover comme un cake («Is It Love You’re After») et flirter avec la heavy Soul des Tempts («I’ve Changed»). Il clôt son balda avec la belle Soul bien charpentée de «Stop». Il joue de la basse, il relance à la Tempts avec des attaques dignes de celles de Larry Graham. Il revient en B avec «I’ve Been Waitin’», une jolie prestation de power man. Tout est puissant sur cet album, bien monté aux gémonies. Ne manquent que les hits. 

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             S’ensuit Only Love, un album un peu plus ambitieux. On s’amourache vite fait d’«I Just Can’t Stop Loving You», une belle Soul élégante gorgée de dynamiques, dans l’esprit de Shaft. Ça aurait dû devenir un hit. Spyder prend parfois un air hautain qui lui va bien. Avec «Let’s Rock (Until We’re Satisfied)», il développe un power à la Edwin Starr. Mais c’est avec «There’s No Love (Without You)» qu’il déploie ses ailes : il mêle la classe au power poitrinaire et devient une sorte de Spyder de la guerre. Il finit par imposer un style en s’appuyant sur un diskö beat («You Cant Always Count On Me»), mais ça passe bien. Il boucle cette bien bonne B avec «You’re So Fine», une fast Soul bienvenue. Spyder connaît toutes les ficelles de caleçon, il sait jerker une Soul et Norman Whitfield veille bien au grain de la prod, il envoie les violons quand il faut. Quelle puissance ! Un Spyder + un Norman, ça donne de fort beaux disks. 

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             Avant d’enregistrer avec Norman Whitfield, Spyder Turner avait entamé une carrière solo, comme en témoigne Stand By Me, paru sur MGM en 1967. Ah il faut avoir entendu au moins une fois dans sa vie le morceau titre où il rend hommage à tous les géants de la Soul en imitant leurs voix, il enfile les exercices de style comme des perles, Ben E. King, Sam Cooke, Chuck Jackson, il yodelle comme Jackie Wilson, Spyder est un puissant seigneur - Smokey Robinson might say, the late Sam Cooke might say, Billy Stewart might say, David Ruffin of the Temptations might say, Eddie Kendricks of the Temptations might say, Melvin Franklin of the Temptations might say, James Brown might say wwwwooogghhhh I feel good ! - Il enquille ensuite une puissante cover d’«Hold On I’m Coming», il fait Sam & Dave à lui tout seul, Spyder est un battant, il chante «I Can’t Make It Anymore» pied à pied, puis il tape un «Moon River» de rêve, il swingue son huckleberry friend. Encore un chef-d’œuvre en B avec une cover du fantastique «I Can’t Wait To See My Baby’s Face» signé Chip Taylor et Jerry Ragovoy, déjà repris par Aretha, Baby Washington et Dusty chérie. Cet album de Spyder est somptueux. Il met encore le cap sur l’horizon de la Soul avec «Morning Morning». On comprend que Norman Whitfield ait louché sur lui. 

    Singé : Cazengler, Spyderogatoire

    Spyder Turner. Stand By Me. MGM Records 1967 

    Spyder Turner. Music Web. Whitfield Records 1978

    Spyder Turner. Only Love. Whitfield Records 1978

     

     

    Clic clac Kodak

             Dans un concert, tu as cinq catégories sociales : le groupe, les techs à la console, ceux qu’on appelle les bouncers en Angleterre, c’est-à-dire les mecs de la sécurité, le public, et les photographes. Comme les autres, les photographes font partie du show. Équipés de leurs gros téléos, ils hantent les fosses, se livrant à leur petit safari d’images. Tu en as qui mitraillent et d’autres plus tatillons qui vérifient d’un œil circonspect chaque image sur le petit écran de contrôle au dos du boîtier. Jusqu’à une certaine époque, dans les grandes salles, on leur autorisait l’accès à la fosse le temps des trois premier cuts, après ils devaient dégager, chassés par des bouncers bien musclés. À force de voir les mêmes photographes shooter des images dans tous ces concerts, on finit par les saluer, puis, si l’occasion se présente, on échange quelques mots, par exemple dans le long temps d’attente qui précède le coup d’envoi. On évoque des tas de concerts passés et on évoque ceux à venir. Les groupes qu’on aime bien et ceux qu’on déteste. On confronte des points de vue. On échange des infos. On cale des dates. Ah tiens, savais pas. Où ça ? Dans un bar ? Ah bon ! Ben dis donc ! Tiens file-moi ton numéro, j’t’envoie le lien. Et pouf, t’as une nouvelle date. T’es content, t’es pas venu pour rien.

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             Ceci dit, on ne se connaît pas plus que ça. Il a ses potes, tu as les tiens. On se contente de partager un joli point commun : cette passion dévorante pour les concerts de rock. Et puis au détour de la conversation, il annonce qu’il a un book. T’as un book ? Il le sort de son gros sac pour te le montrer. Un gros book. Celui-là n’est pas à vendre, c’est l’exemplaire de démo. Mais j’en ai d’autres dans la bagnole. Combien ? Okay. On voit ça après le concert.

             Ah les photo-books de rock ! Chaque bibliothèque normalement constituée en accueille. On ramassait à une époque ces fabuleux photo-books chez Smith, ils te tendaient les bras, alors tu ne pouvais pas résister. Et à peine installé dans le RER qui te ramenait dans ta banlieue pourrie, tu commençais à feuilleter ces gros ouvrages qui te procuraient des chocs esthétiques à répétition. Car c’est bien de cela dont il s’agit : de chocs esthétiques. Rien à voir avec les monographies consacrées à des peintres : le photo-book de rock te secoue aussi sûrement qu’une séance d’électrochocs. Ceux qui y sont passés savent de quoi il s’agit. La photo rock fait partie de ta culture de base, Elvis et Little Richard constituent les racines de ta culture visuelle, au même titre qu’Édouard Manet et Modigliani, au même titre qu’Orson Welles ou Johnny Strabler dans the Wild One. Les icônes ornent les corridors infinis de ton imaginaire. Parmi les grands classiques du photo-book, tu as ceux de Johan Kugelberg sur les Pistols et le Velvet, le Total Chaos de Jeff Gold, le Rockabilly The Illustrated History de Michael Dregni, The Blues A Visual History de Mike Evans, le Soul Memphis Original Sound de Thom Gilbert, auquel il faut associer l’imparable Iconography Of Chance de Tav Falco, et puis tu as aussi A life On Record de Marianne Faithfull, et l’un des plus anciens, The Photography Of Rock d’Abby Hirsh paru en 1973, avec Pete Townshend en devanture. Ça finit par faire des tonnes. Mais des bonnes tonnes. Tu peux y revenir à ta guise. Feuilleter. L’effet sera le même. Choc esthétique. En quelque sorte ta nourriture de base.

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             Le photographe s’appelle Jeff Lescene. Son photo-book de rock n’est pas imprimé en Chine, mais en Normandie. Bonne qualité. Couché brillant, donc aucun risque pour le rendu. Bons équilibres et bon piqué d’images, pur jus de numérique. Au dos, tu peux lire : «1986-2021. Trente cinq ans. Des centaines de groupes. Des milliers de kilomètres. Des dizaines de milliers de photos. Une vie de concerts.»  Ça te met immédiatement en confiance. Book de fan. Jeff propose une approche complètement différente des ouvrages cités en référence : une approche moins graphique, plus documentariste. Pas de foliotage, les artistes sont classés par ordre alphabétique, à raison de 6/7 images par double, en moyenne. Il s’agit en outre d’un photo-book essentiellement «local», car la grande majorité des shoots sont faits dans des salles normandes. Pas mal de Traverse, pas mal de 106, grosse dominante d’artistes de blues et de metal, un peu d’Hellfest, des choses qui remontent aux années 90, nettement moins graphiques. Tu as aussi un brin d’Armada, et puis tiens voilà du Rock’n’Risle avec And Also The Trees, des choses que t’irais jamais voir comme Beth Hart, et d’autres que t’irais toujours voir, comme les Buzzcoks, mais c’est dommage, car on ne voit pas bien notre héros Steve Diggles, tu as aussi Boss Hog au 106, mais sans Jon Spencer, Blues Pills sans Zack Anderson, au détour d’une page tu tombes sur un pur produit local, Pelot (gloups), puis sur un Calvin Russell qui ne date pas d’hier (1991), et ce sacré coco de Coco Montoya dont Bruce Iglauer vante si bien les mérites dans son autobio. Puis voilà un peu de Bâteau Ivre, mais aussi la prog improbable de Rock’n’Risle avec Civil Civic, Carton, Cosmonauts, on se demande vraiment d’où ça sort, de nulle part, pourrait-on dire, et encore du Hellfest à gogo, même si ce n’est définitivement pas ta came. Tu t’attendais un peu à les croiser, alors les voilà les Deep Puple et les Def Lepard, gloups. Pas-ta-came pas-ta-came pas-ta-came, comme un cheval au galop, mais tu poursuis ton feuilletage, tiens voilà Fu Manchu, mais que le beurre. Oh et puis l’horreur (Guns’n’Roses), et après l’horreur, l’image (Hot Stuff, plein pot, le mec ressemble vaguement à Paul Rogers), l’image encore avec Hop Slap, hélas en tout petit, Dédé et sa stand-up bleue, quelques grammes de finesse rockab dans un monde de brutes, et puis grand souvenir : Inmates, Barentin 1991, une fête de la musique où, ivres de bonheur, nous dansions la carmagnole avec Jean-Jean. Quand Jeff rend un hommage particulier, il réquisitionne une double entière : les Jee Bees, et plus loin Marienthal, avec Gilles, qui est sans le moindre doute le meilleur guitariste «local». Et puis des gens dont on entend dire si grand bien dans les files d’attente : Jon Cleary et Johnny Gallagher. On était dans la même salle que Jeff pour quelques concerts : James Leg, Buzzcocks, James Hunter, Monster Magnet, The Last Internationale et Kadavar. L’image : Lucky Peterson, portrait en noir et blanc. Fantastique. Plus loin, la grand-mère de Little Bob, et puis voilà Lemmy plein pot en 1991 : hot shot ! L’image encore : Lanegan, en petit, dommage, cette façon qu’il a de hocher la tête méritait un plein pot, comme Lemmy. Sacré clin d’œil aux Ramines, qu’on retrouve plus loin sous la forme des Vermines, et encore plus loin, une moitié de Damned référencés Scabies & James à Rock’n’Risle, avec Texas Terri qu’on surnommait la casserole, et puis Shemekia, la fille du grand Johnny Copeland, en 2014, à la Traverse, et produits locaux encore avec les excellents Oops, et avant de refermer, tu tombes sur Wayne Kramer shooté en 1995, à Évreux. Sacré mélange, mais ça tient rudement bien la route.

    Signé : Cazengler, Cot cot kodak

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    Jeff Lescene. Une Vie de Concerts. Apimuzik 2021

     

     

    *

    Les nouvelles ne sont pas toujours bonnes. Longtemps que je n’ai pas regardé ce que devenait Stüpor Mentis. Une notule sur leur FB me met au courant : ‘’L'heure est à l' involution pour STUPOR MENTIS. Après 7 ans de travail acharné, 6 albums et 2 E.P, quelques concerts ici et là ; nous vous tirons notre révérence, peut-être pas définitivement mais pour quelques années ... Nous avons tenté de vous faire rêver avec nous sous le clair de lune ; maintenant nous partons hurler avec les Loups.’’  Je n’ai reproduit que les premières lignes du texte. Dans les suivantes Erszebeth ne mâche pas ses mots, certes elle remercie les rares personnes et structures qui les ont aidés mais pousse une gueulante contre l’indifférence dont toute une partie de l’underground a fait preuve à leur encontre… Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle n’a pas tort…

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    Grand amateur de Shelley par trois fois nous avons abordé le Prometheus Unbound de Stupör Mentis leur adaptation de la pièce (en fait un poème) du prince de la poésie romantique anglaise, voir nos livraisons 478 (01 / 10 / 2020), 495 (28 / 01/ 2021), 506 ( 15 / 04 / 2021) et incidemment la 480 (12 / 10 / 2020) consacrée aux tableaux d’Erszebeth… Pour cette fois pour ne pas trop nous éloigner de Shelley nous écouterons le :

    DARKNESS

    STUPÖR MENTIS

    (Not On Label / Décembre 2022)

    Stüpor Mentis : Audrey Bucci  (Erszebeth) / Nicolas Lordi.

             Lord Byron publie Darkness (Ténèbres) en décembre 1816 dans Le Prisonnier de Chillon et Autres Poèmes. 1816 fut une année terrible. Incompréhensiblement terrible. Les européens ne pouvaient savoir que l’obscurité qui envahit le ciel du nord de l’Europe était due à la cendre rejetée par un volcan indonésien. En plein été, certains jours il fallut allumer les chandelles…

    Nous sommes en une époque où les racines chrétiennes sont encore très fortes même si elles commencent à vaciller, le doute s’installe dans les esprits éclairés, l’on collecte de nombreux fossiles dont la datation ne correspond pas exactement avec la Genèse, premier livre de la Bible, pour la petite histoire Darwin vient de naître en 1809, cinquante après sa naissance son livre L’Origine des Espèces portera un coup mortel aux croyances théologiques, mais nous n’en sommes pas encore là, en 1816 nous vivons l’âge d’or du romantisme anglais.

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    Shelley et Lord Byron ont senti que leurs écrits et leurs frasques existentielles, malgré leur niveau social élevé, sont très mal perçus par l’establishment britannique, ils sont devenus persona non grata. Ils préfèreront s’éloigner en Italie.  Deux des trois plus grands poëtes anglais sont en exil volontaire loin de leur patrie. Ils inviteront John Keats gravement malade à les rejoindre, il refusera, ce fils d’un modeste palefrenier ressent vraisemblablement cette généreuse invitation comme un acte charitable…

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    Venu à Rome soigner sa tuberculose Keats décèdera en 1821, Shelley périra noyé dans le golfe de Livourne en 1822, dans une des poches de sa dépouille l’on retrouvera un recueil de John Keats, Byron parti se battre pour libérer la Grèce de la férule turque succombera à une fièvre des marais à Missolonghi en 1824. Pour compléter ce macabre tableau rappelons que c’est lors d’un séjour à Genève en 1816 que Mary Shelley composera le début de Frankenstein, et Lord Byron Ténèbres…

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    Ténèbres est un poème qui n’atteint pas la centaine de vers. Il fut remarqué dès sa parution. Le sujet est facile à résumer : la fin du monde. A première lecture par ses nombreuses allusions au texte de l’Apocalypse le poème semble pour un esprit distrait s’inscrire dans le droit fil de la tradition chrétienne.  A part que Dieu, le Christ, et le Diable en sont absents… Le poème est présenté comme un rêve par un individu dont on ignore tout, ce qui permettra aux commentateurs épouvantés par les conclusions nihilistes que l’on pouvait tirer du texte de prouver qu’il reste tout de même un survivant et que tout n’est pas perdu pour Dieu, car tant qu’il subsiste un homme il aura toujours besoin de Dieu pour être sauvé… Le poème fit scandale, dire que le monde n’a pas besoin d’une intervention divine pour disparaître, équivaut à décréter que la matière se débrouille toute seule pour vivre ou périr.

    Il est une autre façon d’interpréter Ténèbres, le poème ne pourrait-il pas porter comme titre : Le triomphe de la mort et être qualifié d’œuvre gothique. Entre Stüpor Mentis et Stüpor Mortis la différence est-elle si grande... La fascination de la mort, l’autre face de l’immortalité, n’est-elle pas un des centres d’intérêt du groupe qui a choisi un tel nom et l’un des thèmes préférés du mouvement romantique…

    Stupör Mentis n’a pas mis en musique l’intégralité des quatre-vingt-deux vers du poème tout en respectant le déroulement du récit.      

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    Darkness I : basse sombre, une voix chuchote, comme s’il ne fallait rien ajouter au désastre de la disparition de la lumière, des bruits, des chênes qui tombent pour le bûcher d’Hercule qui ne sera pas élevé, des moires sonores s’agitent dans l’ombre, quelque part une cantatrice de la destruction pure vocalise, serait-ce pour que le fendillement du cristal entaille le filigrane de votre âme comme le diamant  découpe la transparence du verre noir.  Darkness Ii : entrée des hommes, la voix récite expressive, elle conte comment les hommes se comportèrent en ces  instants cruciaux, comment certains acceptèrent la mort, la voix se fait dramatique, tous savent qu’ils vivent leur derniers instants, berceuses mortelles, ils sont prêts à s’entretuer pour un dernier repas qu’ils ingurgitent sans voix. Même les bruits de la musique s’apaisent. En quoi seraient-ils utiles au malheur de l’humanité…Darkness III : comme un gong perpétuel, des pleurs et des gémissements s’élèvent, les hommes sont-ils prêts à dévorer des cadavres, ils sanglotent, le désespoir du cannibalisme les étreint, mur de lamentations sans fin, dans ce spectacle de lâcheté humaine seul un chien lèche la main du cadavre de son maître, affliction canine fidèle, qui ne répond pas, et la voix se déchire en un long cri inhumain. Pleure-telle le chien abandonné à la mort ou la fin de la faim de l’amour. Cette scène est-elle inspirée à Lord Byron par le chien d’Ulysse mourant qui, vingt ans aprèss est le seul à reconnaître son maître…Darkness IV : enfin de la vraie musique serait-on tenté de s’écrier, une belle intro avec des chœurs, mais bientôt le bruitisme reprend ses droits, un des derniers épisodes du désastre, deux ennemis qui se haïssent depuis toujours, deux survivants qui essaient de s’approprier de leurs mains avides encore une ultime fois les objets sacrés les plus inutiles, la musique devient plus ample, un véritable oratorio, lorsqu’ils meurent sans s’être reconnus, réduits à l’état squelettes ambulants, l’âme morte desséchée par la haine n’est pas plus utile que l’amour.  Darkness V : je ne sais pourquoi Stüpor  Mentis use comme texte d’une citation d’Alexander Pope, poëte du début  du dix-huitième siècle, elle s’insère bien dans le poème de Byron, mais cette insertion me semble inutile, de même sur la vidéo de You Tube qui accompagne ce morceau est repris par deux fois un extrait d’un vieux film muet que je n’ai pu identifier, qui d’après moi relate un épisode de la descente de Dante, accompagné par Virgile, aux Enfers. La scène qui se veut terrible donne envie de rire. Ces condamnés totalement nus qui grouillent à terre  sont-ils  en train de miner une espèce de parade nuptiale d’un nouveau genre, jamais Eros n’a été aussi proche de Thanatos… Heureusement la musique solennelle et larmoyante, tôles agitées, tubulures grondantes, voix d’homme chuchotantes, nous persuade du contraire, l’on a toutefois du mal à s’en convaincre. Darkness VI : final, profonde obscurité, le monde s’immobilise, vague sonore crépusculaire, la voix ose à peine parler, tout est mort, le monde n’a pas disparu, l’engeance humaine oui, plus un seul mouvement - rappelons-nous que selon Aristote s’il n’y a pas de mouvement il n’y a pas de moteur immobile que le christianisme s’est dépêché d’identifier à Dieu - la lumière est définitivement éteinte, les ténèbres ont pris la place de l’univers. Or comme Dieu est lumière, vous pouvez tirer de la seule présence de l’obscurité des conclusions attentatoires à la survie de Dieu.

             Si j’avais un conseil à donner à un auditeur, ce serait de se contenter d’écouter la bande-son de ce poème imaginée par Stüpor Mentis, et de ne lire dans un premier temps uniquement le titre du poème. Les Ténèbres se suffisent à elles seules. Le mot pour peu que l’on y réfléchisse trente secondes est porteur des peurs les plus noires. Les mots et les vers de Byron n’apportent rien de plus au récitatif musical et vocal.

             Ou vous lisez le poème, ou vous écoutez la transcription phonique. Poésie et Musique ne s’apportent rien. Elles se ne communiquent pas, elles restent dans leur quant-à-soi, dans leur solitude, dans leur impénétrable et inaltérable virginité. Toutes d’eux d’une intrinsèque et inégalable beauté. Parfois l’Unicité ne saurait être phagocytée par la Totalité.

    Damie Chad.

    *

    Le rock’n’roll est un poulpe vicieux.  Poulpe parce qu’il possède huit tentacules comme l’affirment les traités savants sur l’anatomie des animaux des fonds marins, vicieux parce qu’il ne s’en sert pas comme tout poulpe qui se respecte, par exemple celui qui attaque le Nautilius du Capitale Nemo dans Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne, une bestiole tout ce qu’il y a de plus honnête, elle vous enserre dans ses ventouses pour vous bouffer d’un seul coup, vous passez un mauvais quart d’heure, mais après c’est fini, et bien fini. Elle vous laisse tranquille.

             A priori le poulpe du rock’n’roll est plutôt amical. Sympathique même. Se sert de ses tentacules pour vous induire en erreur : tiens écoute ce truc, c’est super ! tu es au courant de ce bouquin ? et cette vidéo tu l’as visionnée, ? je te rappelle que tu n’as pas lue la dernière des Chroniques de Pourpre, tu devrais, et les derniers Hors-Séries  de Rockabilly Generation sur Elvis, tu ne les pas encore commandés… Bref quand vous entrez dans le rock’n’roll vous avez l’impression d’entrer dans les Ordres, mais là toutes les cinq minutes vous avez l’impression que Dieu vous attend…

             Le rock’n’roll s’empare de votre vie, pour toujours, vous aimeriez parfois y échapper, il vous rattrape illico, même pas la peine d’y penser. Devenir fan de rock’n’roll, c’est un peu comme si vous décidiez de planter votre tente de survie en enfer.

             Prenons un cas que vous commencez à connaître : Eric Calassou.  Alias Bill Crane. L’est parti en Thaïlande, il semble que le rock’n’roll l’ait perdu de vue, bien sûr ça n’a pas duré, Ces quatre derniers mois il vient de produire tout seul chez lui quatre albums. Nous en avons déjà chroniqué trois.

    Baby Call My Mame : c’est le premier, le titre c’est un peu comme si l’Avenir du Rock, ce personnage mythique qui hante les chroniques du Cat Zengler, lui avait filé un coup de fil : Bill Crane ! réveille-toi, le rock a besoin de toi !

    Hell ls Here : c’est le deuxième, l’interjection du Grand Patron Mythique avait précipité Bill Crane dans l’enfer du rock ‘n’roll, qui de fait est le paradis du rocker.

    Covers : c’est le troisième, le retour aux sources, les pionniers disparus du rock, c’est mieux que le paradis, c’est l’Atlantide du rocker.

    Voici le quatrième :

    MOONLIGHT

    BILL CRANE

    (Chaîne YT / Bill Crane)

    You Can’t Judge a Book by the Cover, certes Bo Diddley a raison, n’empêche que l’on ne peut regarder la couve d’un disque sans être dans l’état de surexcitation qui saisit les archéologues de la Vallée des Morts lorsqu’ils forcent la porte d’une sépulture, offrira-t-elle la dépouille convoitée d’un pharaon égyptien, ou juste une pièce vide…

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    Moonlight, pour un Clair de Lune l’image est plutôt sombre, serait-ce la lune noire horoscopique, voire la lune verdâtre qui flotte sur les eaux stagnantes des marécages… entre la semi-obscurité d’un croissant de lune romantique pour de doux ébats sur le siège arrière d’une Pink Thunderbird, et la face blême de l’astre sélénique qui dardait ses rayons maléfiques sur le carrefour où Robert Johnson rencontra son destin, la distance est immense. Pour trancher, écoutons :

    Rock the beat : balance le beat, chevauche le tigre, baise la bête, surtout ne baisse pas la tête, seul devant le monde entier, ce vocal qui mord, la guitare qui tinte comme la verroterie de la ménagerie de verre de Tennessee Williams, tout ce que la vie n’a pas donné, tout ce que tu as pris, tout ce que tu ne rendras jamais, ce rock qui t’écarquille les oreilles qui enquillent sec, une retenue de violence dans ce titre, une ouverture claudicante un pied sur le sable mouvant des tristesses de la vie, et l’autre sur le béton inaltérable des pistes cendrées des marathons intérieurs.  Moonlight : avez-vous déjà entendu une voix comme celle-là qui moane dans les mornes plaines de Waterloo, une guitare astringente qui pianote, un gong asiatique de monastère  tibétain, le gars perdu qui arpente les sentiers glacés de l’Himalaya à moins que ce soit la plainte solitaire du yéti dégoûté des hommes, la voix se perd, un voilier sur la mer lointaine sans capitaine, un Titannic sans iceberg, jusqu’au choc, le trou dans l’eau et le silence. Non ce n’est pas fini, attendez le coup de gong final pour vous apercevoir que vous erriez dans ce que l’on pourrait appeler un codicille désespéré au Blue Moon d’Elvis. Magnifique. Fallait oser. Bill Crane l’a réussi. Let’s go : lorsque vous entendez l’intro rythmique vous respirez, après les deux douches froides  comme des suaires qui ouvrent la porte du dancefloor, vous entrez dans la danse sans vous poser de question, rien que le titre qui fleure l’optimisme sixties, pour un peu vous danserez le twist, inutile de faire le cake, initiez-vous plutôt au cakewalk des culs-blancs, car voyez-vous dans ce monde, toutes les bonnes choses se perdent, all the good is gone, un titre bleu qui rit jaune, la guitare claque comme un dentier mal ajusté. Le rockab du pauvre qui vous casse la gueule quand vous lui faites la charité. A bon entendeur salut. Please be mine : c’est aussi beau que du Ben E King, le feulement du type qui a jeté son dévolu sur la gerce qui danse, vivement le samedi soir, à part qu’au bout d’un moment la comédie se change en la tragédie du dérisoire assumé, le gars s’est jeté sur la minette, il joue le jeu, connaît l’art de croquer les souris jusqu’au bout des griffes. Ronronne à la glotte perchée. Jubilatoire. The right time : avez-vous remarqué comme chaque titre est comme la moitié évocatoire d’un autre bien connu, une espèce de cut-up, en fait ici, il vaudrait mieux parler de Crud-up, l’Arthur qu’admirait Elvis, celui-ci peut être compris comme une parodie du précédent, au début Crane et sa guitare vous balancent  la purée en pleine poire, puis il endosse la posture de la désinvolture, Monsieur se désintéresse, il s’en fout, il sifflote, le gars qui s’éloigne allègrement dans la nuit sans même un regard en arrière. All around the world : la batterie accélère le pas, elle a intérêt à suivre, le mec l’est parti pour faire le tour du monde, du moins c’est qu’il dit, pardon c’est ce qu’il miaule, l’on a l’impression qu’il remue la queue de plaisir sur un toit de tôle brûlant, joue à la pierre qui roule, mythologies blues et rock obligent, il passe et n’a pas le temps de s’arrêter très longtemps. Avec lui c’est maintenant ou jamais. C’est sa philosophie, être ici et maintenant comme partout ailleurs. Le rock produit son propre narcissisme. Little less conversation : (les amateurs de Presley n’aiment pas ce titre, ce n’est pas qu’il soit mauvais, c’est qu’il laisse un goût amer dans la bouche, enregistré en 1968, et dernier numéro 1 du King après sa mort en 1977). Autant le titre de Presley est par ses paroles et sa diction un peu macho-phallo (j’emprunte le vocab des féministes pour me faire bien voir de ma députée) autant celui de Bill Crane joue sur la solitude marécageuse qui sépare les individus, une espèce de jungle beat asthmatique et un vocal titubant chargé de l’ennui de vivre et de la nécessité de donner l’apparence de vivre, d’être toujours en représentation devant les tiers, cette impossibilité de ne pas être soi, un tigre altéré du sang de ses contemporain.e.s. ( Essai exclusif d’écriture inclusive). Baby Blue : après Elvis, Gene Vincent, une promenade hommagiale sous la lune bleue de l’idole noire, la voix levés vers le ciel si pur et la glotte emmurée de terre et embrumée de pleurs… baby blues. Dylan, avait raison, après Baby blue il n’y avait plus rien à dire. It’s all over now, baby blue ! Always the sun : référence à l’hymne gnostique, c’est ainsi que le qualifie Pissier, des Stranglers … c’est que quand tout est fini, le soleil se lève au matin suivant, ne serait-ce que pour éclairer les désastres de la veille. Le problème c’est que les éclats carillonnant de guitare et la voix entreprenante suivent la courbe solaire, elle monte au début, elle plafonne à midi, chauffe un max, décroît insensiblement puis se fatigue et décline. Serait-ce une métaphore de l’histoire du blues et du rock… Highway blues : dans le rock quand tout est fini  il reste toujours la possibilité de partir plus loin, d’enfiler la Highway des espaces infinis du no future et d’aller voir si plus loin l’herbe bleue du Kentucky est encore plus verte… La voix de Bill Crane s’estompe et disparaît dans un nuage de poussière…

             Cet album est splendide, une véritable méditation lamartinienne sur les choses inanimées qui bougent encore. Bill Crane, à lui tout seul, one man band, nous donne à entendre  l’hyperbole crépusculaire du rock’n’roll.  Souvenez-vous tout de même que le mot crépuscule signifie tout aussi bien, le moment qui précède la nuit que celui d’où procède l’aube…

             Ne soyez pas nostalgique, Bill Crane vient de terminer un cinquième album… Rock’n’roll never dies…

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

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    Death, Sex and Rock’n’roll !

    79

    J’ai arrêté la voiture devant le bâtiment de l’agence parisienne de la CIA. La

    porte s’ouvrit d’elle-même dès que nous nous en approchâmes. Une personne masquée nous attendait, elle nous fit signe de la suivre, nous montâmes jusqu’au troisième étage. Notre accompagnateur se saisit d’un combiné mural.

             _ Ils sont là !

    Il dut recevoir un ordre favorable car il appuya sur ce qui semblait être une légère protubérance anonyme sur le mur qui pivota sur lui-même dévoilant une vaste salle éclairée par une lueur diffuse qui semblait provenir d’une grande table autour de laquelle se tenaient une dizaine d’opérateurs qui ne relevèrent même pas la tête à notre arrivée. Jim Ferguson s’avança à notre rencontre, il jeta un rapide regard sur les jumelles impressionnées par la drôle d’atmosphère qui régnait dans cette pièce.

             _ Bienvenue dans notre centre décisionnel N°14, cher Chef vos deux nouvelles agentes me paraissent bien jeunes, pensez-vous qu’elles aient les capacités mentales et physiques de se joindre à nous.

    Le Chef alluma un Coronado :

             _ Ne craignez rien cher Jim Ferguson, chez nous en France aux âmes bien nées la valeur n’attend pas le nombre des années !

             _ Ah ! Ah ! vous en faites une affaire d’orgueil national, elles sont bien jolies, mais chez nous en Amérique aux tendres corneilles nous préférons le corbeau immémorial d’Edgar Poe ! Jeunes filles nous sommes ravis de vous accueillir, ne perdons pas de temps, la situation est plus que grave, elle est inquiétante. Venez voir.

    80

    Sympathique le Jim Ferguson, il n’y avait pas grand-chose à voir. Il me fallut quelque temps pour comprendre que la couleur changeante de la table n’était pas une œuvre d’art due au génie torturé d’un artiste moderne mais un grand écran ultraplat, même pas cinq millimètres d’épaisseur, d’une vingtaine de mètres carrés qui constituait, malgré sa minceur, le plateau de la table. Au risque de décevoir le lecteur il n’y avait rien d’affriolant à regarder. De temps en temps une vague lueur rouge semblait embraser l’écran, pour disparaître et laisser la place à une teinte évanescente d’un blanc plâtreux ou d’un gris indéfinissable. Le spectacle paraissait fasciner la dizaine d’opérateurs qui de leurs yeux attentifs ne quittaient pas, ne serait-ce d’un millionième de seconde ces reflets changeants peu pittoresques.

             _ Agent Chad, je suis sûr que vous reconnaissez l’endroit, c’est l’endroit où nous nous sommes rencontrés !

    Je cherchai en vain dans ma mémoire :

             _ Mais si l’endroit où nous avons dû vous arracher à la grille de l’entrée dans laquelle vous vous acharniez à vouloir passer à travers, je me dois de vous présenter les excuses du Président des Etats Unis, dans nos services nous avions cru que vous aviez l’esprit dérangé, sachez toutefois que nous n’abandonnons jamais une piste, si farfelue qu’elle puisse paraître… Nous savons reconnaître nos erreurs d’appréciation. Autour de cette table se trouve une des meilleures équipes d’analystes de toute la CIA. Permettez-moi de donner la parole à Mister John Deere !

    John Deere n’était pas un grand causeur, mais il expliquait très bien, il n’ouvrit pas la bouche mais il posa sa main sur l’écran qui s’éteignit. La pièce fut plongée dans l’obscurité, le Chef alluma un Coronado, pendant un long moment le bout rougeoyant du cigare fut le seul point de lumière visible dans le centre décisionnel N° 14 de la CIA parisienne…

    Ce n’est que lorsque le Chef ralluma un nouveau Coronado que John Deere prit la parole.

    81

             _ Jim Ferguson a raison, nous autres américains, fils de la plus grande démocratie du monde, nous refusons l’échec. Cela faisait un moment que nous tournions autour de cette maison dont la grille a failli vous happer. Depuis près de vingt ans nous nous intéressons à cette étrange secte des briseurs de murailles. D’étranges rapports sur des cambriolages sans effraction nous ont intrigués, pendant longtemps ce genre de phénomènes s’est exclusivement déroulé sur le territoire américain. Le FBI s’est donc chargé des enquêtes. Les journaux en ont profité pour augmenter leur tirage. Qui était ce mystérieux individu qui pénétrait dans n’importe quelle maison ou édifice sans se faire prendre, se jouant des systèmes d’alarme les plus sophistiqués, nous pensions avoir affaire à un individu hyperdoué, un as de l’informatique, un ingénieur en haute-serrurerie, nous avons essayé vainement de tracer son portrait-robot, son profil psychique, nous avons discrètement enquêté sur de nombreux ingénieurs de nos entreprises qui possédaient les connaissances nécessaires à ce type de pratiques, nous avons passé au crible les staffs de nos entreprises œuvrant dans les techniques secrètes de pointe, nous n’avons rien négligé, même pas les hauts-fonctionnaires de nos ministères, nous n’avons pas oublié de nous pencher sur le Pentagone, rien, nous n’avons rien trouvé, même pas un début de piste…

    Le Chef ralluma un cigare et prit la parole :

             _ Si je comprends bien la CIA cherche et la CIA ne trouve rien, pourquoi notre individu ne se trouverait-il pas dans la CIA, peut-être est-il même niché au cœur de la cellule d’intervention qui chapeaute toutes ses enquêtes.

    J’ai cru qu’un ange aux ailes cassés allait longuement traverser la pièce durant un long silence. A ma grande surprise il n’en fut rien. Un franc sourire s’épanouit sur les visages des opérateurs de John Deere et de Jim Ferguson, qui prit la parole :

             _ Les français sont un peuple frivole, ils ont, on ne sait pas trop pourquoi un Service Secret du Rock’n’roll, formé d’un Chef, d’un seul Agent, de deux jeunes filles post-pubères et de deux chiens vigilants présentement assoupis sur un canapé, SSR qui n’est pas très bien vu par les Présidents de la République successifs, et pourtant c’est cette bande de branquignoles qui fait preuve d’une remarquable intelligence d’intervention étonnante. Si nous avons pris la décision de collaborer avec vous ce n’est pas par hasard. Normalement, selon notre propre protocole nous aurions dû vous éliminer, mais l’Histoire avec un grand H, une hache thermidorienne pour user d’une métaphore emplie du bruit et du tumulte du génie politique de votre nation, nous avons dérogé au principe d’action de notre service, je laisse Mister John Deere vous expliquer le pourquoi de cette mansuétude opérative de notre part.

    John Deere se racla la gorge, le Chef en profita pour allumer un nouveau Coronado.

             _ Ces mystérieux et audacieux cambriolages ont cessé d’un seul coup voici deux ans. Les journaux se sont focalisés sur le changement climatique et la possibilité d’une guerre avec la Chine. Les peuples se doivent d’être amusés et divertis, cela leur évite de réfléchir. La presse n’en a jamais rien su, l’information en a été tenue secrète, mais nos ennemis se sont permis de nous narguer. Un coup de maître. Ils se sont introduits dans le saint des saints, dans la Maison Blanche, sont allés tout droit vers le bureau ovale du Président, ils n’ont laissé à leur habitude aucune trace, ils ont agi avec un professionnalisme sans défaut et une discrétion étonnante. Figurez-vous que le Président ne s’en est aperçu que par hasard. Un coup de chance, il s’est souvenu qu’il avait promis au Foreign Office de jeter un rapide coup d’œil à un dossier de moindre intérêt. L’était d’ailleurs rangé tout au fond de la pile, il ne l’a pas retrouvé, on l’a cherché partout, on ne impossible d’y mettre la main dessus, les investigations ont été longues, figurez-vous que le dossier tout en haut de la pile portait sur les nouvelles armes mises au point par le Pentagone, n’importe quelle puissance étrangère aurait donné des milliards pour l’avoir entre les mains, mais non, ce n’est pas celui-là qu’ils ont choisi, ils ont pris un dossier relatif à une puissance du quatrième ordre !

    Le Chef qui allumait un Coronado intervint avec placidité :

             _ Je suppose que vous parlez de la France ?

    _ Nous ne sommes pas là pour nous cacher la réalité. Oui, votre pays s’inquiétait de ce que les ménagères américaines n’usent plus de pinces à linge en bois pour étendre leur lessive, et que les pinces en plastique qu’elles utilisaient se retrouvaient au fond des océans. Nous comptions leur répondre que nous préservions la diversité de notre flore notamment de nos arbres, que nous refusons de couper nos forêts de séquoias pour les transformer en pinces à linge. Mais…

    A cet instant se produisit une fébrile animation autour de la table, les opérateurs tournaient autour d’elle visant de de temps en temps de leurs index des points qui devaient correspondre à des boutons.

    Au bout de quelques minutes l’un d’eux s’écria :

             _ That’s all right !

    Nous nous précipitâmes.

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 644: KR'TNT 644: ERIC CARMEN / DAVE CRIDER / VIEUX FARKA TOURE / NOEL GALLAGHER / JAMES PETERSON / GARGUTS / FRACTAL GATES / ASHEN / ROCKAMBOLESQUES

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    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 644

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    09 / 05 / 2024

     

     

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    CETTE LIVRAISON 644 EST PUBLIEE AVEC QUELQUES JOURS D’AVANCE. N’OUBLIEZ PAS DE JETER UN COUP D’ŒIL SUR LA LIVRAISON 643 !

    KEEP ROCKIN' !

     

     

    ERIC CARMEN / DAVE CRIDER

    VIEUX FARKA TOURE / NOEL GALLAGHER

    JAMES PETERSON / GARGUTS

     FRACTAL GATES / ASHEN

    ROCKAMBOLESQUES    

     

     

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    Non, Carmen n’est pas un opéra

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             Aux yeux des amateurs de grande pop américaine, les Raspberries régnaient sans partage, ou presque. Régnaient à la même époque d’autres cracks, notamment Dwight Twilley et Todd Rundgren. Chacun dans leur coin : Twilley en Oklahoma, Rundgren à New York et les Raspberries à Cleveland. Eric Carmen vient de casser sa pipe en bois, aussi allons-nous lui dresser un petit autel de fortune, ainsi qu’il est d’usage sur ce bon bloggy blogah.

             Pourquoi ramassait-on les albums de Raspberries en 1973 ? Parce qu’on était bien informé. Bomp!, bien sûr, mais surtout Creem. Ces deux canards ratissaient l’underground de la pop américaine et nous servaient les infos sur un plateau d’argent. Il suffisait ensuite d’aller à la pêche, chez les disquaires parisiens qui vendaient ces gros cartonnés US qui nous faisaient tant baver. 

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             L’idéal pour les ceusses qui n’ont pas d’étagères serait de commencer par écouter l’excellent Live On Sunset Strip, un Rykodisc de 2007. Parce qu’il s’agit d’un Best Of, avec un son spectaculaire. C’est là qu’on mesure la grandeur d’un groupe comme les Rasp. Ils attaquent avec deux authentiques coups de génie, «I Wanna Be With You» (tiré de Fresh) et «Tonight» (tiré de Side 3). On est frappé par le caractère brillant de cette power pop américaine. Wally Bryson, le guitar slinger d’origine, claque ça aux heavy chords de Cleveland. C’est ultra chargé de la barcasse. Tout aussi surnaturel d’excellence, voici «Overnight Sensation», c’est d’une grandeur qui dépasse la pop, et l’Eric va chercher les harmonies vocales des Beach Boys. Puis ils rendent hommage aux Who de «Pinball Wizard» avec «I Don’t Know What I Want». Power épouvantable d’I don’t know what I want/ But I want it now. Ils rockent la pop avec tout le tonnerre de Cleveland. On entend les carillons de clairette céleste de Wally Bryson dans «Should I Wait», et ça repart au front avec un «Party’s Over» bien tapé à la cloche de bois. Wally Bryson fout le feu au Sunset Strip. Plus loin, «Ecstasy» sonne encore comme un hit interplanétaire. Avec sa petite gueule d’ange, l’Eric est faramineux. Il y a quelque chose de saint chez cet homme, même quand il chante «I’m A Rocker». Ils terminent en mode heavy boogie blast avec «Go All The Way». Et soudain le ciel s’éclaire car l’Eric chante à l’éclat surnaturel. Il bâtit sa pop avec de l’heavy bastaing. 

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             Grand souvenir de fascination en sortant du bac la pochette de Fresh, le premier Rasp sur Capitol. Quatre mecs beaux comme des dieux. Aussi beaux que les quatre Nazz ou les deux Dwight Twilley Band. Tous ces groupes alliaient à la beauté du son leur beauté physique, et il n’existait rien de tel qu’une pochette d’album pour sublimer ce phénomène. Tu avais dans les pattes l’objet parfait. On comprendra beaucoup plus tard qu’il s’agissait d’un art à son sommet : perfection à la fois visuelle et sonore. Le rock, quand il est bon, c’est exactement ça, une quête permanente de la perfection globale. Et quel classique ! Fresh from the start avec «I Wanna Be With You» ! Supremo del Carmeno ! Fantastique allure de wild popsters de Cleveland. Tonite ! Tonite ! La pop éclate au firmament des seventies. Exactement le même niveau que celui de Nazz et du Dwight Twilley Band. Et puis en plein balda, tu tombes sur «Let’s Pretend». L’Eric est un pretender, sa pop jaillit comme une fontaine au cœur du désert, sa pop vibre dans la chaleur comme uns source de lumière. En B, tu as encore deux smashing punkhits : «If You Change Your Mind» qu’Eric chante au filet fin, à la longe de babord, et l’effarant «Drivin’ Around», en plein dans les Beach Boys, avec le côté hard de Cleveland. C’est puissant, bien remonté des bretelles de drivin’ around. Pur pop genius. Les domt dah please sont ceux des Beach Boys dans «Do It Again».

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             Leur deuxième album n’a pas de titre, alors on l’appelle le bleu. Deux cuts hantent Raspberries : «Go All The Way» et «I Can Remember» en B. L’Eric dote le premier d’une fantastique trame mélodique. Il module en plein air, il travaille sa mélodie au corps, comme le ferait Jimmy Webb. Quant au Remember, c’est une autre paire de manches. Il s’agit en fait d’une grosse compo, une mini-symphonie sertie en son cœur d’un thème mélodique. Alors il faut voir l’Eric se jeter dans l’écume de son thème. Il flatte sa muse qui est la haute pop, il sophistique pour épauler son désir de firmament. Ce Remember est de toute évidence son accomplissement. À l’entrée, on ne se méfie pas, car c’est posé au piano et chanté au doux du menton. Il pose bien les choses, et puis les violons t’embobinent, alors ça endort encore ta méfiance. Il a simplement besoin de temps pour l’élever. Tu passes un pont et soudain, le miracle s’accomplit. L’«I See The Light» qu’on trouve en A n’est pas celui de Todd. L’Eric l’enchante, il le module d’une voix chaude de beau mec. Avec «Don’t Want To Say Goodbye», il préfigure «All By Myself». C’est la même façon de monter sa neige jusqu’au sommet de l’Ararat. Il cède encore à son penchant pour le heavy boogie rock avec «Get It Moving», un peu dans l’esprit du «Back In The USSR» des mighty Beatles.

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             Pour Side 3, Capitol leur paye une pochette découpée. Bel objet. Si tu veux voir les Rasp, il sont à l’intérieur, sous forme d’un petit patchwork de photos en noir & blanc imprimées sur la pochette papier elle aussi découpée. Trois coups de génie sur cet album éminemment rock’n’roll : «Tonight», «Ecstasy» et «Money Down». Ah ça rocke chez les Rasp ! Fabuleuse niaque clevelandaise ! C’est même stupéfiant d’éclat mordoré. On se croirait chez Nazz. En B, big Eric embarque «Ecstasy» à la pointe de la glotte. Il fond son ecstasy dans le miel fulminant d’un Fujiyama clevelandais. Rockalama modèle encore avec «Money Down». Power pur. Et puis tu as aussi «Making It Easy» bien tourné, bien monté, bien riffé. Les guitares de l’Eric et de Wally Bryson scintillent. Tu crois rêver face à tant de qualité. Tout est bardé de barda sur cet album. On pourrait encore citer d’autres exemples.

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             Paru en 1974, Starting Over est le dernier album studio des Rasp. Ah il faut voir la classe des rockstars. Ils sont restés beaux tous les quatre. Tu as deux jolis clins d’yeux aux Beach Boys là-dedans, «Overnight Sensation (Hit record)», et en B, «Cruisin Music». Les deux basculent dans le burst-out de Beach-Boysmania, ça sonne très Surfin’ USA, très California good time. Oui, ils ont ce talent faramineux. C’est aussi dans ce balda que tu trouves la version studio d’«I Don’t Know What I Want», le clin d’œil aux Who monté que les accords de «Pinball Wizard». Juste avant éclate l’heavy rock à la cloche de bois de «Party’s Over». Pure énormité carmenique ! Et back to the big boogie classique avec «All Through The Night». Quelle énergie !

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             L’omnivore n’a pas fait dans la dentelle avec Pop Art Live : un triple album bourré à craquer de dynamite. Six faces palpitantes, tous les hits sont là, plus des covers magnifiques des Beatles («Ticket To Ride» et l’infernal «Baby’s In Black», tapé au crack boom de Cleveland), plus une imparable cover du «Can’t Explain» des Who ! En plein dans le mille de la cocarde, t’as pas idée. Les Rasp démarrent en super-trombe avec l’explosif «Wanna Be With You», ça saute à coups de c’mon baby/ I just wanna be with you. En B, tu tombes sur la mélodie du paradis : «Go All The Way» et Wally Bryson te gratte les pires power chords d’Amérique pour lancer «Ecstasy». C’est quelque chose d’extravagant. En C, tu croises l’«Hard To Get Over A Heartbreak» et le solo tentaculaire de Wally Bryson, suivi de «Let’s Pretend», le hit magique qui annonce «All By Myself». L’Eric monte son power mélodique au sommet. Et ça continue en D avec l’«If You Change Your Mind» qui rentre en toi par tous les pores de la peau, par tous les ports d’attache, par toutes les portes ouvertes. En clair, tu n’en peux plus. Trop de beauté finit par t’aveugler. L’Eric est un magicien. Live, il devient encore plus fulgurant. Il termine sa D avec «I Can Remember», qui part en mode romantica pianotée, et soudain, ça explose en gerbes mélodiques à la Brian Wilson. Ça monte par vagues subliminales. Avec ceux de Brian Wilson et de Lennon/McCartney, les hits d’Eric comptent parmi les plus parfaits. Sur scène, ils parviennent à jouer les développements extraordinaires d’«I Can Remember», ça monte droit au firmament de la pop, l’Eric chante à l’éclat mordoré, il monte son Remember à la pointe d’une glotte rose et palpitante : te voilà confronté à la perfection, et le dernier refrain jaillit comme un saumon dans la rivière du bonheur éternel. Tu n’en peux plus de tant d’éclat. L’E est encore plus fabuleuse, avec l’heavy boogie des Rasping Rasp, «I’m A Rocker», et la fantastique aisance pop d’«It Seemed So Easy» qui sonne comme un hit des Byrds, aussi généreux en harmonies vocales. Sidérant ! Puis L’Eric rend hommage à The Choir qu’il qualifie de best band in town, avec deux covers, «When You Were With Me» et surtout «It’s Cold Ouside». Fantastique allure. Partout les Rasp foutent le paquet. En bout d’F, ils repartent de plus belle avec «Drivin’ Around/Cruisin’ Music», en plein dans les Beach Boys, pour finir avec le simili-Whoish «I Don’t Know What I Want», monté sur les accords de Pinball Wizard. Ce triple album va tout seul sur l’île déserte.

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             On fit aussi main basse sur le premier album solo sans titre d’Eric Carmen, un Arista de 1975. En fait, c’est un album très rock, qui s’est vendu sur la foi d’«All By Myself», l’un de ces grands balladifs dont l’Eric s’est fait une spécialité. C’est vrai qu’on adorait ça à l’époque - When I was young/ I never needed anyone/ Making love was just for fun/ Those days are gone - En gros, il dit qu’à présent, il a besoin d’une poule dans sa vie. Mais à côté de cette superbe tarte à la crème, il aligne une belle série de big rockers : «Sunrise», «That’s Rock’n’Roll», et surtout ce «No Hard Feelings» claqué à la claquemure de Cleveland, avec de vieux relents de Stonesy. Son «My Girl» est franchement digne de Brian Wilson. Même sens de l’explosion de pop dionysiaque ! Il va encore t’en boucher un coin avec une cover d’«On Broadway», ce vieux smash signé Mann & Weil. L’Eric y met toute son âme de pop star iconique. Il y va au raw d’ange de miséricorde.

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             Puis la carrière solo va suivre son cours avec Boats Against The Current, un Arista paru deux ans plus tard. Belle pochette et quelques perles, notamment ce «Take It Or Leave It» qui sonne comme de la Stonesy. Il pompe Keef. Tu te croirais sur Exile. On croit même entendre Rod The Mod accompagné par les Stones. On retrouve Bobby Keys aux horns, ce qui explique tout. Dommage que tout l’album ne soit pas de ce niveau. Il renoue aussi avec la passion pour les Beach Boys avec «She Dit It». C’est l’On The Beach raspberrien. Oh la qualité de la claque ! Mais le reste n’accroche pas. Il cherche toujours la voie du Seigneur Pop. Il ne parvient plus à renouer avec la grandeur des Rasp.

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             Nouvelle tentative de renouement avec Change Of Heart paru l’année suivante. Le balda s’épuise et arrive en son bout avec une belle cover du «Baby I Need Your Lovin’» des Four Tops. Quelle joie d’entendre l’Etic chanter ça ! Pur genius productiviste. Deux belles surprises viendront consoler les nostalgiques des Rasp en B : «Hey Deanie», où l’Eric emprunte le riff de «Tumblin’ Dice», et «Someday» qui marque le grand retour de l’Eric On The Beach avec du tip-tip-tili emprunté aux Beach Boys de «Do It Again». Power intact ! Tip Tip Tili !

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             Malgré son horrible pochette m’as-tu-vu, Tonight You’re Mine est un bon album. On trouve en B un «Foolin’ Myself» digne d’«All By Myself», une belle pop onctueuse qui d’une certaine façon reste imparable. Sinon, il joue un peu avec le feu dans «Hurts Too Much», il ramène le gros son de Totor et les castagnettes. Il tente encore le diable avec «Lost In The Shuffle» où il singe Chucky Chuckah dans un superbe boogie d’allure martiale. Il essaye de se monter digne des grandes heures du Duc de Berry. Mais à la moindre occasion, il retrouve ses hauteurs mélodiques, comme le montre «All For Love». Il adore l’altitude et la pureté de l’air. Beau retour en force en B avec «Inside Story». Il conserve cette fibre heavy rock aux frontières du glam. Top quality Carmen, même si très classique.

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             Pas grand-chose à tirer d’Eric Carmen, un Geffen de 1984. On le voit cigarette a bec sur une pochette m’as-tu-vu, et ce n’est pas bon signe. Il montre toujours un goût immodéré pour le slowah languide et ultra violonné. Il reste très sentimental («Living Without Your Love») et peut durcir le ton («Come Back To My Love»). En B, on le voit renouer mollement avec les Rasp («You Took Me All The Way») et faire du Geffen d’époque avec «Maybe My Baby». C’est à tes risques et périls.  

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             Il enregistre I Was Born To Love You en 1998. Ce sera donc son dernier album. Est-il passé de mode ? Pas vraiment, car il tape encore deux belles covers, le «Caroline No» des Beach Boys, et le «Walk Away Renee» de The Left Banke. Deux covers du diable, c’est-à-dire des covers magiques. Ah on peut dire que l’Eric adore la Rive Gauche. Il se fend aussi d’une Beautiful Song, «Isn’t Romantic», un cut délicat et fin, un brin bossa-nova, et vite bouffé par une grosse orchestration, sans doute l’hit du disk. Saluons aussi «I Was Born To Love You» qu’il chante d’une voix à peine voilée. L’Eric est resté beau et il cultive encore son goût pour la clameur éplorée. Mais il fait une musique à la mode. Son «Everytime I Make Love To You» rappelle l’«Etienne» de Guesh Patti. Gloups ! Mais il adore aussi rocker, comme le montre «Cartoon World», cette belle pop-rock d’éclat carmélite. C’est pour ça qu’il faut aller au bout des parcours, il est essentiel d’en avoir le cœur net. Il essaie encore de taper dans l’On The Beach avec «Top Brown Summer», mais ça ne marche pas à tous les coups.

    Signé : Cazengler, Eric Camé

    Eric Carmen. Disparu le 11 mars 2024

    Raspberries. Fresh. Capitol Records 1972

    Raspberries. Raspberries. Capitol Records 1972

    Raspberries. Side 3. Capitol Records 1973

    Raspberries. Starting Over. Capitol Records 1974

    Raspberries. Live On Sunset Strip. Rykodisc 2007

    Raspberries. Pop Art Live. Omnivore Recordings 2017

    Eric Carmen. Eric Carmen. Arista 1975

    Eric Carmen. Boats Against The Current. Arista 1977

    Eric Carmen. Change Of Heart. Arista 1978 

    Eric Carmen. Tonight You’re Mine. Arista 1980 

    Eric Carmen. Eric Carmen. Geffen Records 1984 

    Eric Carmen. I Was Born To Love You. Pyramid Records 1998

     

     

    Wizards & True Stars

     - Les critères de Crider

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             Pas compliqué : l’histoire du garage moderne américain repose sur 5 piliers : Billy Miller (Norton), Tim Warren (Crypt), Larry Hardy (In The Red), Long Gone John (Sympathy For The Record Industry) et last but not least, Dave Crider (Estrus).

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             Alors ça tombe bien : vient de paraître un gros patapouf qui te raconte dans le détail l’histoire d’Estrus. Ouvrage déterminant, car placé sous la houlette du graphiste maison d’Estrus, l’intrépide Art Chantry. Dave Crider avait compris que la réputation d’un label reposait sur deux mamelles : l’image et le son. On trouve très peu d’exemples de ces deux mamelles dans l’histoire contemporaine. Citons un autre team de rêve : Drive-By Truckers & Wes Freed. Rien à voir avec l’esthétique des pochettes des early Stones : les photographes comme Gered Mankowitz shootaient pour le compte des labels.

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             Ce graphiste génial qu’est Art Chantry a bossé sur l’identité graphique d’un label underground, et ça se situe à une autre échelle. L’identité graphique est un gros pari, une aventure en soi, il faut voir loin, tout en restant original. C’est en quelque sorte une ingénierie, on définit les bases d’un système visuel qui doit se débrouiller tout seul par la suite, et s’il tient la route, alors les déclinaisons sont un jeu d’enfant. Quand on a bossé sur des «gros chantiers» d’identité visuelle pour des industriels et des grands comptes, on sait l’importance que prend la réflexion initiale. La première condition est de plonger dans la «culture d’entreprise» et d’en tirer les principales caractéristiques. C’est que qu’Art Chantry a fait avec Dave Crider : il s’est plongé dans la culture de son client, et comme il l’indique dans sa préface, il s’est trouvé des tas de points communs avec lui, ce qui a grandement facilité les choses - Dave and I had a LOT of things in common - trashy taste, an interest in crappy music history, a love of forgotten art styles, and a fascination with the history of embarrassing underground American pop subcultures - Ils parlent tous les deux le même langage. Easy baby. Et comme Art Chantry est prodigieusement doué, alors roule ma poule. Il invente même un art graphique qu’on peut qualifier d’art gaga. On est aux frontières de l’art Dada. Chantry explique aussi sa méthode de travail avec Dave Crider : ils sortent tous les deux des crazy ideas jusqu’à ce qu’ils soient vraiment excités. Chantry voit Crider comme son client, et il dit que c’est une chance extraordinaire que d’avoir un client comme lui - because they’re extremely hard to find - Tous les graphistes savent de quoi il parle. Chantry dit avoir bossé 30 ans pour Estrus - It’s a REAL design collaboration at its finest. The best work of my career - Il ajoute plus loin qu’Estrus n’a jamais sorti un mauvais disk, et la cerise sur le gâtö apologique, c’est ça : «We’re not making product, we’re creating ‘cultural artifacts’.» Voilà la clé. Le gaga-punk comme cultural artefact. Tu sentais bien à l’époque que les albums Estrus sortaient de l’ordinaire. Et pour les passionnés de typo, l’œuvre d’Art Chantry est une mine d’or, comme le sera à la même époque l’œuvre de Neville Brody. D’ailleurs, dans le déroulé du book, il arrive à Chantry de commenter ses choix typo.   

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             Au temps jadis, on raffolait tous d’Estrus et de ses Mummies, de ses Mono Men, de ses Makers et de tous les autres blasters. Chacun des cinq labels des tables de la loi avait ses têtes de gondoles, et tu tapais dans les catalogues au petit bonheur la chance. Ce fut le temps de l’abondance, avec les Gories, les Oblivians et les Lazy Cowgirls chez Crypt, El Vez, les Cynics et les Gibson Bros chez Sympathy, Hasil Adkins, les A-Bones et Daddy Longlegs chez Norton, et les Dirtbombs, The King Khan & BBQ Show, les Deadly Snakes, Reigning Sound, les Black Lips chez In The Red. Il en pleuvait de partout et tous ces albums avaient une sacrée particularité : ils sonnaient quasiment tous comme des classiques.

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             Dave Crider n’a jamais quitté sa bonne ville de Bellingham, dans l’État de Washington, pas très loin de Seattle. Il louchait en particulier sur les «guitar-focused garage bands». En plus d’être le boss d’Estrus et donc un découvreur, il jouait dans les Mono Men, dont l’influence principale était alors les Nomads. Leur premier single est une cover de «Rat Fink A Boo Boo». Outre Crider à la gratte et au chant, on trouvait Ledge Morrissette (bass), Aaron Roeder (beurre) et plus tard John ‘Mort’ Mortensen (gratte/chant), à qui est dédié ce book. Les Mono Men démarrent en 1987 et splittent en 1997, pour se reformer en 2006 et aller jouer quelques shows en Espagne, et en 2013, pour quelques shows au Mexique et en Amérique du Sud. Quand Mort exprima l’envie de passer plus de temps avec sa famille, les Mono Men devinrent un trio et c’est ce trio qu’on entend sur le dernier album du groupe, Have A Nice Day Motherfucker.

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             On trouve quelques belles pépites sur ce Motherfucker, notamment le «Back At You» de fin de balda, pièce pantelante d’heavy raunch dans laquelle Tim Kerr passe l’un de ces killer solos flash dont il a le secret. Il prend feu ! Et le Crid chante comme un beau diable. Il n’est pas avare de screams. Les Mono Men sont devenus un power-trio de fast punk comme le montre l’«Off My Back» d’ouverture de balda. Le Crid grimpe au somment de son lard fumant. Il fait encore tout le cirque du heavy sludge dans «Murder City Nights», avec du yah yah et du gratté de poux indicible. C’est une cover de Denis Tek. L’autre cover est en B : «Wimp», signé Alejandro Escovedo.  Le Crid la travaille à l’heavyness carabinée. Et puis tu as ce «Feel Alright» qui n’est pas celui des Stooges, mais c’est tout comme, car tapé aux accords protozozo. 

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             Quand les Mono Men splittent en 1997, Crider remonte aussitôt Watts avec Roeder et deux autres mecs - with all fucks thrown out and all the levels at maximum volume - Malgré sa belle pochette, le Watts de Watts n’est pas l’album du siècle, loin s’en faut. Le Crid propose un rock high energy, une sorte de sur-power de super-sludge. On sent chez eux une tentation de Blue-Cheerisation. Tout est poussé dans le rouge, et chanté à la surenchère. Mais rien de nouveau sous le soleil exactement. Il attaquent leur B avec «Tarentula», une jolie dégelée boréale. Ça te dégage bien les bronches. Curieusement ils deviennent de plus en plus explosifs au fil des cuts. Ces mecs ignorent l’existence du mot ‘répit’. Et voilà qu’arrive enfin la perle tant attendue : «Sweet Invicta», quasi-stoogy dans l’intention et dans le propos, et le Crid crache des flammes. 

             À ce stade des opérations, on peut jeter un œil sur les quatre autres albums des Mono Men. C’est très instructif.

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             Le premier paru en 1990 s’appelle Stop Draggin’ Me Down. Il démarre avec la belle énormité du morceau-titre qui est une sorte d’«I’m Not Your Stepping Stone» revu et corrigé par les Pistols. Très solide, chanté en mode protozozo par le Crid. Puis ça bascule dans la stoogerie avec «Right Now». Ils savent le faire. C’est Marx Wright qui chante. Pas la même voix. Sur chaque album des Mono Men se trouve une cover de choix. Sur Draggin’, ils ont opté pour l’«Aint’ No Friend Of Mine» des Sparkles, l’un des joyaux de la couronne. Le Crid le bouffe tout cru. Tu n’en reviens pas de les voir taper cette cover de génie. En B, on croise d’autres merveilles, à commencer par l’indestructible «Dead End», suivi d’un «That’s Her» bien campé sur ses jambes. Et puis voilà «Girl», un heavy rock de Bellingham charpenté à la main. Ils ne mégotent pas sur les mortaises et la cheville ouvrière.

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             De toute évidence, Wrecker! est leur meilleur album. Ça n’arrête pas. T’en prends plein la barbe, du début à la fin. Ça grouille de puces, tiens, dès «Your Eyes», quasi-protozozo, avec l’enfer sur la terre, le Crid chante et ça pue tout de suite le génie qui ne fait pas de quartier, yaaaah ! Le «Last Straw» suivant est absolument parfait, voilà le gaga sauvage dans toute sa splendeur. Le Crid reprend le chant sur «One Shot». Avec lui, tout est plus heavy et plus pulsatif qu’avec Mort, l’autre chanteur. Cette fois, les Mono Men sonnent comme les Pink Fairies. Bon, Mortensen sait aussi balancer du gaga flamboyant, il fait claquer son «Took That Thing» comme un étendard. On arrive au cœur du Mono System avec deux covers de choc : l’«He’s Waiting» des Sonics (joli Sonic shoot of sort) et le «Swampland» des Scientists, bel hommage du Crid au cat Kim. Fantastique fournaise bien étalonnée et tisonnée au waooouuuh d’in my heart. En B il tapent un bel instro dans l’esprit Linky, «Tomahawk», du Wray de Wray. Nouvelle cover, cette fois du «Remind Me» des Outsiders. Fulgurant ! Le Crid outside les Outsiders avec tout le power des Mono. Il donne au cut un éclat incomparable, c’est d’un power quasi surhumain. Il termine cet album qu’il faut bien qualifier de faramineux avec «I’m Hangin’», chanté à deux voix au renvoi d’ascenseur sur les accords de Gonna Miss Me. 

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             On trouve encore un peu de protozozo sur Skin & Tonic : «Waste Of Time». Le Crid sait bien aggraver les choses, bien plus que Mort. C’est encore lui qui chante le «Mystery Girl» d’ouverture de balda. Il est encore au micro pour «Haxed», un classic Mono d’haxed on you, avec une descente au barbu catégorielle. Dommage que le Crid ne prenne pas tout au chant. Il est quand même plus convainquant que le copain Mort. Par contre, que dalle en B. Rien.

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             10 Cool Ones n’est pas sorti sur Estrus mais sur Scat. C’est un album de reprises, avec une belle poule à poil au recto de la pochette et quatre belles photos des Mono au verso. Les Mono ne font pas dans la dentelle de Calais puisqu’ils attaquent avec «Kick Out The Jams». Ils dévorent le MC5 tout cru. Crouch Crouch. Ils enchaînent avec le «54-40 Or Fight» de Dead Moon, ils foncent dans le tas du panier de crabes, mais ils perdent complètement la finesse de Dead Moon. On ne peut pas tout avoir. Ils restent dans le haut de gamme avec une cover d’«You’re Gonna Miss Me», bel hommage à Roky, le Crid étale bien son pâté de babeyhh, c’est sauvage as fuck, les babeyhh du Crid sont les pires de tous. Et dans la foulée, ils tapent dans «The Way You Touch My Hand», suprême hommage aux Nomads, Heavy power Monolithique ! On ne sauve qu’une cover en B, celle de Gravel, «As For Tomorrow», amenée à la grosse cocote graveleuse, avec un fantastique jeté de poids dans la balance, et même de jeté de poids dans la gueule de la balance !

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             Ne pas faire l’impasse sur Shut The Fuck Up, un mini album de 1993, car c’est un hommage à Link Wray, via «Phantom On Lane 12» (du Wray de Wray, assez Crampsy dans l’esprit et bien dévoré du foie), et en B, une cover de «Rumble», en plein dans le mille de la menace. L’autre cover de choc est le «Mr. Eliminator» de Dick Dale. Quant à la «Little Miss 3-B», elle est envenimée par un effarant solo stoogien. 

             En feuilletant le fat Estrus book, on retombe sur tous ces visuels qui nous faisaient jadis tant baver. Le Ritual Dimension Of Sound des Mortals, par exemple. On retrouve aussi la trace d’un très grand Estrus record, le Break-A-Bone de Gravel. Eh oui, le mec insiste pour rappeler que c’est un très bon album.

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    Gravel est le prototype du coup d’éclat d’Estrus, l’indicateur du flair génial du Crid. Break-A-Bone grouille de puces, à commencer par «Lone Ride» bardé de barda. Bryan Elliott sait tartiner sa purée. C’est Max la Menace avec une guitare électrique. Fantastique plasticité du son, et du beurre en particulier sur «Bucket Of Blood». On descend dans les entrailles de Gravel avec «As For Tomorrow», c’est un power-rock prodigieusement inspiré, bien gras, bien épais, Break-A-Bone est l’un des meilleurs albums de cette époque riche en big riders, mais c’est Gravel, un diamant de power pur. Chaque fois que tu réécoutes Break-A-Bone, tu t’en fais des choux gras. En B, tu as encore deux blasters : «Sleepless Night» (niaque épouvantable, les montées de fièvre te submergent le bulbe), et «In Your Eye», avec un son plein comme un œuf. Même les balladifs comme «Halfway» sont bardés de barda. Gravel charge sa barcasse au maximum des possibilités de la rascasse. On remercie chaleureusement le Crid pour cet album parfait.

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             Gravel sort l’année suivant un deuxième et dernier album, No Stone Unturned. Pochette parfaite, mais l’album est hélas un peu moins dense que le précédent. Le coup de génie est l’«Erase» d’ouverture de balda. T’es pris à la gorge dès les premiers jets de purée graveleuse, on assiste à un fantastique écroulement des falaises de marbre dans le lagon d’argent, il chante du nez à la Kurt et Rick Parritz gratte les poux du diable. Ses poux sont tellement liquides qu’ils coulent tout seuls. On assiste plus loin à un gros battage dans «Sand In Your Eyes», ça bat les poux en neige. Ces mecs ne portent pas des chemises à carreaux pour rien. Ils prennent à la va-comme-je-te-pousse une petite cover du «Pissing In A River» de l’early Patti Smith, et en B, ils sonnent comme The Bevis Frond sur «Yesterday». Même entrain mêlé de désenchantement. Rien de plus heavy que le morceau titre - I’m looking high/ Looking low - Très beau et perforé de part en part par les killer solos du féroce Parritz.

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             L’autre coup de génie Estrusien, c’est bien sûr les Mortals. Les Mortals sont mortels, il est bon de le rappeler. Trois albums, à commencer par l’effarant Ritual Dimension Of Sound. Beaucoup de son, car c’est un groupe à deux grattes, James Grapes en lead et Denny Brown aussi en lead, avec, en guise de cerise sur le gâtö, un chanteur exceptionnel, Steve The Tongue Gatch. C’est glorieux dès «I Want More» et ça bascule dans le génie sonique avec «World Turns On», monté sur les accords de «Gloria», mais tapé en mode fast blast de protozozo enragé. Ça te percute littéralement de plein fouet. Ce balda est tout bêtement sidérant, un killer solo flash arrive en dérapage contrôlé dans «I Dream She There». Les Mortals sont les rois de la planète Estrus. Encore du killer solo flash dans «Leaving For Good». Il bouclent leur balda avec un «Disintegration» bien contrebalancé et incendiaire à la fois. En B, Gatch prend «Paralyzed» à ras des pâquerettes. C’est le roi du vol plané mal intentionné. Et avec «She’s So Dangerous», ils flirtent avec le génie protozozo des Pretties. Même approche de la niaque. Ils finissent avec un «I Am Alive» emporté par un tourbillon de wah, du jamais vu.   

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             Bulletproof est un album un peu moins dense que le précédent, mais si tu l’écoutes jusqu’au bout, tu vas tomber de ta chaise avec «This is Life», un cut tapé au riff enroué et fabuleusement volubile. Ah quelle farce ! Superbe allure. Riff insistant à la «Cold Turkey». Encore de la fantastique allure avec le «Turn Away» d’ouverture de balda, gratté à la cocote sévère, dévoré par le bassmatic carnivore et trucidé par un killer solo flash. Franchement, que demande le peuple ? Ils passent au pur protozozo avec «Psychole». Ce démon de Gatch chante comme un vieux protozoaire du Midwest et se noie dans une mélasse magique. On croise aussi un «Zodiac» gratté à la menace sourde. Et comme le montre encore «What I Need», ils ne vivent que pour la dégelée. 

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             Mais le mieux est à venir : Last Time Around, qui est en fait une compile. Art Chantry fait tourner la typo d’Around sur la pochette. C’est le «Disintegration» tiré de Ritual Dimension qui t’accueille à bras ouverts. Une pure stoogerie ! Encore une stoogerie avec «Wasting My Time» - You’re wasting my time baby/ You’re wasting my time - Cette compile est aussi le paradis des covers. Boom avec le «Looking At You» du MC5, claqué à la mortadelle des Mortals, avec un bassmatic en roue libre. Derrière le tir de barrage ça voyage énormément ! Ils tapent aussi le «Crazy Horses» des Osmonds, un cut aussi repris par les Dictators et Electric Six. Deux autres covers de choix, le «Stay Clean» de Motörhead et l’«I’m Branded» de Link Wray. Ils bardent le Linky de tout leur barda, ils rajoutent des poux sur les poux. Encore une cover explosive : le «Making Time» des Creation. Avec cet hommage suprême, ils restituent tout l’éclat du same old song. Retour à la stoogerie en avec «Coming Down» digne de Dirt, aw c’mon. «Everybody Else» démarre comme un clin d’œil aux Kinks d’«I’m Not Like Everybody Else», et ça bascule dans le puissant gaga sauvage. Le morceau titre qui boucle la B est une fait une cover des Delvettes. Une fois de plus, le bassmatic lui dévore le foie.

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             Chantry et Crider aiment beaucoup les stripteaseuses et les jolis seins, alors ils développent une belle ligne graphique à base de seins nus, ce qui colle plutôt bien à l’esthétique gaga telle qu’on la phantasme. Les seins sont faits pour être exhibés, certainement pas pour être cachés. Puis arrivent comme une marée les Mummies, les Phantom Surfers et les Trashwomen. L’Estrus book s’emballe encore avec les fameux ‘Garageshock’ de Belligham, c’est-à-dire les soirées Estrus qu’organisait Crider dans un club local, le 3-B, tenu par Aaron Roeder, où tout était permis - A kind of fuck you attitude, nous dit Roeder - Toutes les affiches te font baver, tous les groupes Estrus sont là, année après année, dans les années 90, et voilà les mighty Makers, l’un des fleurons d’Estrus, photos de scène et tout le bataclan. Et commencent à apparaître des cracks comme Tim Kerr, et Chet Weise des Quadrajets.

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             Pour les Drags, Chantry déterre une vieille typo, the old headliner typeface ‘Interlock’ utilisée dans les années 50 et 60 : les caractères s’interlock entre eux. Art Chantry se passionne aussi pour les Fireballs Of Freedom. Pour lui, la pochette de Total Fucking Blowout devait être «IN YOUR FACE and MELTING IT. WHAW!». Les CAP, c’est lui. Alors il utilise «a day-glo orange type tone with a Japanese rubber stamp kit» et une photo «of a badly damaged mannequin with headhones having been totally FUCKING BLOWN OUT». Voilà comment Art Chantry commente ses pochettes parfaites. Crider s’éprend aussi des Supercharger de San Francisco, qu’il qualifie de «definitive offering of 90s lo-fi trash budget rock.» Les Makers incarnent d’une certaine façon l’apothéose d’Estrus. L’Estrus book qualifie d’explosive le «Middle Finger album». Puis voilà les Nomads et les Japonais de Teengenerate, puis les Flaming Sideburns en Finlande et les excellents Thundercrack, en France. Le mec de Guitar Wolf (qui n’est pas sur Estrus) dit tout devoir à Goner et à Matador.

             Puis en janvier 1997, l’entrepôt d’Estrus prend feu. Tout part en fumée : les archives, le mail order, le matos des Mono Men, les masters tapes et la collection personnelle du pauvre Dave Crider. Il va s’en relever, mais à quel prix ! Il faut tout reprendre à zéro. Les groupes vont faire des benefits pour aider Estrus à se relever. On se souvient de l’incident comme d’une énorme catastrophe, à l’époque.

             Après la fin des Mono Men et de Watts, Crider monte les DT’s, «a hard soul combo» avec Diane Young-Blanchard, l’ex-Madame X. Le groupe va durer 17 ans et tourner dans le monde entier. Les albums de DT’s fonctionnent un peu comme la vitrine du pâtissier : ils font envie. Alors tu entres avec les yeux plus gros que le ventre.

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             La peau de serpent d’Hard Fixed n’est pas signée Art Chantry. Le son change du tout au tout avec la voix de l’ex-Madame X. Elle fait sa Janis. Le Crid se tourne résolument vers le son qu’il préfère, celui des seventies. Plus aucune trace de gaga sur cet album. Il arrose copieusement «On The Ground» d’accords fiers comme des guerriers apaches. Cette fois, les DT’s sonnent exactement comme les BellRays. Même sens de l’émeute urbaine. Sur «Breakdown», l’ex-Madame X a toutes les qualités : «I got style/ I got Soul/ I got fire.» Pas mal quand même. Mais ils peinent à défrayer la chronique. En B, ils continuent avec «The Hurt Is Over» de taper dans un genre déjà éculé par tant d’abus. Tout est classique sur cet album, bien tiraillé au tire-bouchon. Leur «Eyes To The Sun» est littéralement cavalé ventre à terre, en mode Charge de la Brigade Légère au Far-West, oh yeah, elle y va l’ex-Madame X ! Elle est encore plus spectaculaire sur «Chopper», elle grimpe sur la barricade et gueule comme une égérie face aux Versaillais, les ennemis de la liberté, alors elle gueule de toutes ses forces et ça finit par devenir stupéfiant. Ah il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie !

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             C’est Art Chantry qui designe la pochette de Nice ‘N’ Ruff (Hard Soul Hits! Vol. 1). Comme l’indique le titre, c’est un big cover album, bien gorgé de Crid. Premier blast, le «Ninety Nine & A Half (Won’t Do)» d’Eddie Floyd & Steve Cropper. Cette heavy cover staxy et blanchie leur va comme un gant. C’est puissant, gorgé de ninety nine oooh. Ils tapent ensuite dans l’excellent «Price Of Love» des Artistics, c’est gorgé de Soul blanche. Ils restent dans le haut de gamme avec «The Hunter» d’Albert King, mais leur cover trop blanche de marche pas. Ils tentent le coup encore avec le «Pagan Baby» de Fog, mais c’est trop chanté à l’arrache, alors ils passent à côté du Creedence. Mais que de son, c’est la grosse cavalerie du Crid et d’Endino. En B, ils restaurent leur règne avec l’imparable «Big Bird» d’Eddie Floyd & Steve Cropper. Fantastique, ça marche à tous les coups. Ils tapent plus loin dans le «Move Over» de Janis. L’ex-Madame X est en plein dedans. C’est exactement la même. Ils terminent ce parcours magistral en rendant un hommage tonitruant à Roky : «Don’t Slander Me», avec le Crid en embuscade. C’est le Texas storm transplanté dans le Pacific Northwest Boom, avec un killer solo flash de Crid le héros. 

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             Gros travail sur le typo pour la pochette de Filthy Habits, mais ce n’est pas signé Art Chantry. C’est le Crid qui s’est amusé sur son ordi. L’album ne sort pas non plus sur Estrus mais sur Get Hip Recordings, ce qui revient à peu près au même. Et au dos, le Crid toujours égal à lui-même déclare : «Thanks to our friends... everyone else fuck off.» Il a raison, au fond. En même temps, souvenir d’un contact chaleureux avec lui, via le site Estrus, lorsqu’il fallut rapatrier les albums encore disponibles chez lui et qu’on ne trouvait pas chez Born Bad. Deux belles stoogeries se nichent sur Filthy Habits, «April Holeso» et «Lights Out». Derrière l’ex-Madame X, le Crid joue les accords de «Down In The Street». Elle lâche des c’mon solides comme le roc. Elle y va la Diana ! C’est d’ailleurs «Lights Out» qui referme la marche de la B. Le Crid te gratte ça sec et net et sans bavures. Il gratte comme un démon, il fait son Ron Asheton et croise les descentes de bassmatic. Le reste est plus classique, avec un «Freedom» assez Nashville Pussy dans l’esprit, et un Crid qui prend feu dans les virages. L’ex-Madame X restera une grande shouteuse devant l’éternel. Elle mène bien sa barcasse de Sugar Pie dans «Sugar Pie».

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             En 2015, Dave Crider monte Machine Animal, «a four-piece ‘Bonehead Rock’ band». Deux singles sur le marché : «Live In Wreck/Devil Woman» et «Lame/Danger Explosives». Ils font du classic rock hardy des années de braise. Très Nashville Pussy dans l’esprit. Ils se spécialisent dans le big heavy Animal Machine Sound. On perd complètement le Crid génial des Mono.

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             Avec Dave Crider et Art Chantry, l’autre héros de la saga Estrus n’est autre que Tim Kerr. C’est lors d’un concert des Mono Men au Crocodile Cafe de Seattle, en 1992, que Crider rencontre Tim Kerr. Rencontre déterminante car Kerr allait contribuer à la légende d’Estrus au moins autant qu’Art Chantry. Kerr le cake se trouvait alors à Seattle pour enregistrer le premier album de Monkeywrench, Clean As A Broke-Dick Dog, sur Sub Pop. Et ça commence vraiment à chauffer à la page 200 du book avec une photo de scène des Monkeywrench, tu vois Mark Arm au chant, et Kerr sur sa demi-caisse jaune, en chemisette à carreaux, déplumé mais avec la gueule de Robert Duvall. Crider a déjà flashé sur les underground heroes Poison 13 - too blues for punk, too punk for blues - Ça clique entre eux et ils papotent toute la nuit, partageant une admiration commune pour Thelonious Monk. Avec Tim Kerr, Crider va trouver un son. C’est Kerr qui enregistre le «Middle Finger album» des Makers et qui développe leur son. Il réédite l’exploit pour les Dexateens de Tuscaloosa, Alabama, qu’il entraîne comme il a entraîné les Makers «into wild batshit-crazy feedback orgies». Tim Kerr : «Those first two Dexateens records are still some of my favourite things I’ve done.» C’est lui aussi qui enregistre les Fireballs Of Freedom. En studio, il invite les groupes à s’abandonner - to cut loose and just go fuckin’ bananas - à la recherche d’une «dynamic of insanity and noise». Tim Kerr les aide à basculer dans le deconstructed rock and punk. Le mec des Fireballs en témoigne : «On essayait de faire un truc à l’opposé de tous les autres, and Tim understood that. Il est d’Austin et on adorait tous les weird bands from there, like the Butthole Surfers and Big Boys. We were freaks on the scene. So was Tim.» Pas étonnant qu’Estrus ait brillé au firmament de l’underground. Comme Guy Stevens en Angleterre, Tim Kerr encourage les groupes à tout casser : «Shout and scream and make mayhem.» C’est encore lui qui produit Estrella 20/20 : «Avec les groupes japonais, the very first note of the very first song is the grand finale, and we go up from there. That’s how it should be. Tu vas voir les Cramps. The Cramps are great. Lux stands on his amp at the end of the set, but why didn’t he do that on the first song?».

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             En plus, Tim est modeste. Il demande toujours à son copain Crider de ne pas le créditer comme «producteur» sur les disks, il veut juste «guidance councellor» ou «coach» - «Producer» has so much fucking baggage to it that has nothing to do with me - Allez hop, Mooney Suzuki et Gasoline ! Il pousse le bouchon de la modestie assez loin, car il affirme que c’est un honneur pour lui que d’être sollicité par un groupe. Pire encore : il ne coûte pas cher. Vraiment pas cher. Il considère que le groupe a déjà claqué du blé en déplacement et en location de studio. Il se contente généralement du remboursement de ses frais de route, et il dort par terre s’il le faut - I didn’t mind sleeping on the floor - Et puis, il adore les groupes qui échappent au garage, comme les Fireballs Of Freedom - That’s absolutely not garage - Et il ajoute, pour que les choses soient bien claires : «The Quadrajets, they think they play Southern Rock, but it’s the most fucked-up, crazy thing. Lord High Fixers didn’t fit into the garage label either.We were playing jazz mixed with soul. There wasn’t that formula kinda thing going on. It’s probably why Dave and I are family.» Voilà la  clé d’Estrus : l’ouverture d’esprit. Tu tournes la page et tu tombes sur une autre photo de scène de Tim Kerr, cette fois avec les Lord High Fixers, qui furent en leur temps l’un des plus grands groupes de rock américains.

    Signé : Cazengler, Estrousse (de toilette)

    Chris Alpert Coyle & Scott Sugiuchi. Estrus. Shovin’ The Shit Since ‘87. Korero Press 2023

    Mono Men. Stop Draggin’ Me Down. Estrus Records 1990

    Mono Men. Wrecker! Estrus Records 1992

    Mono Men. Shut The Fuck Up. Estrus Records 1993

    Mono Men. Skin & Tonic. Estrus Records 1994

    Mono Men. 10 Cool Ones. Scat Records 1996

    Mono Men. Have A Nice Day Motherfucker. Estrus Records 1997

    DT’s. Hard Fixed. Estrus Records 2004

    DT’s. Nice ‘N’ Ruff (Hard Soul Hits! Vol. 1). GP Records 2005

    DT’s. Filthy Habits. Get Hip Recordings 2007

    Watts. Watts. Estrus Records 1999

    Machine Animal. Live In Wreck. Valley Kings Records 2016

    Machine Animal. Lame Danger Explosives. Ghost Highway Records 2018

    Gravel. Break-A-Bone. Estrus Records 1992

    Gravel. No Stone Unturned. Estrus Records 1993

    Mortals. Ritual Dimension Of Sound. Estrus Records 1992

    Mortals. Bulletproof. Estrus Records 1994

    Mortals. Last Time Around. Estrus Records 1996

     

     

    Pas de parka pour Farka

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             L’Afrique débarque en Normandie, avec l’un de ses plus brillants ambassadeurs, Vieux Farka Touré, le fils d’Ali. Comme chacun sait, Ali Farka Touré révéla le secret des racines du blues dans Du Mali Au Mississippi, un docu tourné par Martin Scorsese, à partir d’un scenar de Peter Guralnick. Pardonnez du peu. Ce docu est aussi le premier des 7 épisodes de la série The Blues, produite par le même Scorsese. On retrouve aussi l’Ali sur l’un des plus beaux disks de blues des temps modernes, Talking Timbuktu, où il duette avec son fan numéro un, Ry Cooder. Donc quand le fils d’Ali débarque en ville, on va le voir vite fait. C’est la moindre des choses. Après, tu peux décider de rester chez toi à regarder une grosse daube à la télé. Mais tu vas rater quelque chose. 

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             Bizarrement, quand tu vas voir jouer les Africains, tu marches sur des œufs, alors qu’au contraire, tu devrais danser et t’abandonner. C’est délicat l’Afrique. C’est fragile. C’est précieux. C’est raffiné. Tu as des instruments qui remontent à la nuit des temps. Contente-toi de les entendre, pas la peine de chercher à mémoriser leur nom. L’arlequin en costume tribal gratte une espèce de guitare primitive taillée dans un petit bout de bois. C’est Bo Diddley Della Francesca dans la forêt vierge. Mais Bo Diddley Della Francesca en costume d’Arlequin. Même Picabia n’aurait jamais pu imaginer un plan pareil. Et encore moins Picasso qui aimait tant peindre les Arlequins.

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             Te voilà à la croisée des chemins, ces musiciens qui sont six sur scène avec le fils d’Ali jouent une musique qui te «parle» en profondeur. Si ton corps bouge, c’est sans ton consentement de petit cul blanc amidonné. Tu vois l’Arlequin danser d’un pied sur l’autre et tu fais la même chose sans t’en rendre compte. C’est une maladie contagieuse, l’afro-beat. À côté de lui, le bassman en boubou blanc joue le groove sur une Jazz Bass à 5 cordes, il ne fait rien de plus que ce que tu sais déjà, mais il le fait à l’Africaine, du bout des doigts, sans vraiment toucher les cordes. Jamais tu ne sauras jouer comme ça, à l’effleurement primitif d’ongles roses. L’effleurement primitif ne marche que si tu as les percus africaines. Les deux cracks du beat remontent aux origines de l’humanité, l’un est derrière une batterie et l’autre derrière une calebasse, et ça swingue dans la moelle des os, ça swingue dans les bois de tes cornes, ça bat le beat originel, te voilà aux origines du monde. Bizarrement tu ressens exactement la même chose lorsque tu écoutes John Lee Hooker ou Junior Kimbrough. Ces gens-là transmettent des sons qui remontent à la nuit des temps, avant que n’existent les villes et le fucking web. Était-ce un temps de pureté originelle ? On ne le saura jamais, mais on aime bien l’idée, c’est en tous les cas l’image que véhicule cette musique dénudée, ramenée à l’essentiel, et en même temps persiste l’impression d’une foison. Foison car deux guitares, plus l’instru primitif de cet Arlequin qui te fascine à force de balancer d’un pied sur l’autre. Capiteux mélange de beauté originelle, de dénuement saharien et de vie rudimentaire, s’il est une musique qui te fait voyager, c’est bien celle-ci. L’Afro-beat bat comme un gros cœur.

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    Contrairement au rock, cette musique ne charrie aucun relent de subversion ou de rébellion, c’est complètement autre chose, il règne dans ce son une idée parfaite de l’harmonie, c’est une autre façon de voir les choses ou de ressentir le monde. L’Afrique nous dit un peu à sa manière à quel point l’occident s’est égaré : après tant de siècles de violence et de barbarie politico-religieuse, les kids du XXe siècle ont dû inventer une autre forme de barbarie pour se rebeller contre l’ordre établi issu d’un long processus civilisationnel complètement erroné. Il faut comprendre par-là que la civilisation occidentale est tragiquement imparfaite. Alors que la musique africaine, reflet d’un processus traditionnaliste, est parfaite. Si on veut en savoir davantage sur cette évidence, alors il faut voir les films de Jean Rouch, notamment Jaguar et Moi Un Noir.

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             Vieux Farka Touré ne fait pas d’ethnologie sur scène. Il amène de la joie de vivre et un son frais comme un gardon du Niger. Tous ces blackos sourient en jouant, il leur arrive parfois de tourner en rond sur eux-mêmes lentement, pied à pied, on a le temps, le cœur bat, la terre tourne, Diabara suit son chemin, Vieux Farka passe des solos qui ressemblent à des rivières de diamants, il s’approche de toi et te sourit, il a ce sourire incroyablement enfantin, il est mille fois plus radieux que ne le fut jamais cette cloche de Louis XIV dans son costume d’apparat, le Roi Soleil, c’est Vieux Farka Touré, il rayonne, il darde de mille feux, il chemine sur les traces de son père, ni plus ni moins, il porte le même message, le même chant, la même plainte issue de fond des âges et tu comprends que cette musique renferme une vraie part de vérité.

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             Il faudrait aussi saluer Strange O’Clock, le petit couple blanc qui jouait en première partie. Elle chante et tape sur une calebasse elle aussi et prend parfois des poses théâtrales, alors qu’elle n’est pas obligée. Ils explorent eux aussi cette région de l’Ouest africain, elle évoque surtout le Burkina. Son compagnon reste assis pour gratter sa Tele. Il porte un chapeau de cuir et des bottes de baroudeur. Il s’appelle Christophe Balasakis et il joue un blues africain d’une extrême limpidité. L’ambiance est afro, mais chez lui le blues prend le dessus. Il joue avec un tact qui impressionne. Ce mec est prodigieusement doué. Il échappe aux comparaisons, comme s’il jouait avec un style unique. C’est en quelque sorte une révélation. On aurait presque hâte de les revoir, avant qu’ils n’aient terminé leur set. 

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             Oh et puis tu as ce très bel album, Les Racines ! Bien positionné dans l’Afrique dès «Gabou Ni Tie», avec toute l’énergie du son, aussitôt la vie, dès la vraie attaque, ça grouille si merveilleusement. Chaque cut se met en route comme une caravane joyeuse, ces musiciens te ramènent aux origines du monde, avec le flûte de Pan de «Ngala Kaourene». Et puis voilà qu’apparaît au détour du casque ce morceau titre d’une beauté terrible, bien illuminé par les petites dégelées du Vieux Farka. Ce thème mélodique plane dans la légende africaine, traversé par des rivières de diamants. Avec «Be Together», tu as une espèce de fête au village sous le boisseau, un truc intense et léger à la fois, une beauté existentielle, tu as là-dedans tout le Mississippi Sound, tout Junior Kimbrough, toute la mémoire de la savane. Cette musique goutte de jus, l’électricité est si belle, elle sonne dans l’écho du temps, ça grouille comme une tribu. Dans «L’Âme», on reconnaît une mélodie du papa, un joli maléfice malien. Maléfique, «Flany Koanre» l’est aussi, très formel, très malien, en attente dans le temps, le son ne bouge pas, tout est figé, sauf les notes. Et puis tu vois «Lahidou» se poser comme une architecture dans les sables du désert, avec une voix qui survole les structures lumineuses comme un immense oiseau mythique. Les notes sont en liberté. «Ndjehene Direne» repart à l’assaut d’on ne sait quoi, puisqu’il n’existe pas d’assaut chez les Maliens. Pourquoi ? Parce que pas de donjons. Et pas de rien. Juste du son. Un son qui avance à travers les zones désolées de ton imaginaire. Un son aux racines si profondes que tu comprend pour la première fois la notion de sol. Tu écoutes avec tes doigts de pieds. Tu vis dans tes Impressions d’Afrique. 

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             Pour célébrer l’occasion, tu ressors de l’étagère un vieux papa Touré, un album sans titre paru en 1988, à une époque où il faisait bon s’abreuver dans l’Africana. Ali Farka Touré est un album de chansons traditionnelles. Le mec des liners donne heureusement quelques infos. On apprend par exemple que «Timbarma» est une chanson tradi à Timbuktoo et en Mauritanie. C’est un son très paisible, très ancien. Ali Farka Touré gratte à l’ancienne. Ce sont les racines des roots, il n’existe rien de plus ancien ce ça. Il chante «Bakoyteyre» en Songhai, nous dit le liner man - Les drogues ne remplissent pas la panse, alors pourquoi en prendre ? - Cette façon de poser le son est unique. Et soudain, il tape le blues du Mississippi avec «Amandrai». Merveilleux certificat de paternité. Il refait des miracles avec «Bakoye», il faut l’entendre dérouler ses rivières de diamants, il joue en picking malien avec le pouce sur la corde basse. Il est fin l’Ali. 

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             Et comme le Voyageur de papa Touré traînait au merch, alors on l’a ramassé. Vieux Farka joue dessus. Cet album est un petit chef-d’œuvre d’Africana. Dès «Safari» tu es confronté au phénomène de la clameur, une clameur qui s’installe sur une vaste région. Cette façon de poser le son détermine toute la suite. C’est profond et spirituel. Ici, on ne parle pas de pintes de bière. Ces Maliens rockent mille fois plus que tous les gaga gangs réunis. Et chaque cut se met en route magnifiquement, comme une caravane dans le désert. Pur et juste. On sent battre le pouls du beat. Ils amènent «Bandolobourou» comme un hit d’une beauté parfaite. L’Ali y va, il fluidifie sa rivière de diamants, son fils Vieux Farka joue aussi sur cette merveille. La beauté devient surnaturelle, retravaillée au chant descendant. Une fabuleuse petite chanteuse nommée Oumou Sangaré prend le chant sur «Chérie» et l’Ali revient gratter du riff séculaire. Elle lance encore la loco malienne de «Sadjona», cut chaud et intime, puissant et profond. Cette musicalité donne vraiment le vertige. Sur «Kombo Galia», ils sont trois à gratter des gnonis derrière l’Ali. Clameur fondamentale.  

    Signé : Cazengler, Vieux parka troué

    Vieux Farka Touré. Le 106. Rouen (76). 13 mars 2024

    Vieux Farka Touré. Les Racines. World Circuit 2022

    Ali Farka Touré. Ali Farka Touré. World Circuit 1988

    Ali Farka Touré. Voyageur. World Circuit 2023

     

    L’avenir du rock

     - Le père Noel n’est pas une ordure

    (Part Two)

             Dès que les beaux jours arrivent, l’avenir du rock prend sa bagnole. Direction Omaha Beach pour rendre une petite visite au Général Mitchoum. Ça fait 80 ans que le pauvre vieux se planque derrière son bloc de béton, à l’abri, dit-il, «des balles des Boches». La nuit, il construit des châteaux de sable, et le jour il roupille. L’avenir du rock lui amène des tablettes de chocolat et des boîtes de corned beef, son mets préféré.

             — Alors mon Général, toujours entier ? La rafale de mitrailleuse qui vous déchiquettera n’est pas encore née, ha ha ha !

             Ça ne fait pas rire le vieux crabe. L’avenir du rock l’observe. Il n’est pas jojo. Son casque est tout rouillé et il a perdu toutes ses dents. Il a une gueule à faire fuir un train fantôme. Pas facile d’engager la conversation.

             — Vous ne voulez que je vous amène dans un EHPAD, mon Général ? J’en connais un très bien, pas trop cher, pas loin d’ici...

             — EHPAD possible, fucking asshole ! J’attends des renforts !

             — Des renforts, des renforts, oui mais des Panzanis !

             — No ! Un renfort Ricard, sinon rien !

             — Mais attention, mon Général, le renfort est plus fort que le Roquefort !

             — The Roquefort Alamo, dickhead ?

             — À la vie, Alamort, mon Général !

             — À la mort de la mormoille, babeh !

             — Ah oui ! Babette s’en va-t-en Gallagher, mon Général !

             — Yeah ! Gallagher des boots on !

     

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             Il n’existe pas de meilleur candidat au délire que le Général Mitchoum. L’avenir du rock n’y va que pour ça. Entre tarés, le courant passe bien. Et ce n’est pas un hasard si le nom de Noel Gallagher arrive dans la conversation. Sa présence dans la presse anglaise et son nouvel album sont aussi incongrus que peut l’être une conversation avec le Général Mitchoum. Comment le Père Noel peut-il espérer vivre artistiquement après Oasis ? C’est la question qu’on se pose chaque fois qu’on écoute l’un de ses nouveaux albums. Comme si on attendait de lui qu’il descende par la cheminée pour déposer dans nos petits souliers de nouveaux miracles de type «Columbia».

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             Council Skies n’est pas vraiment un miracle, mais ça reste néanmoins un big album. Au format double CD, ça donne un petit book en noir et blanc richement illustré. À l’écoute, on voit tout de suite que le Père Noel souffre d’une grosse lacune : pas de Liam. Il chante au chat perché, mais tout l’Oasis était dans le Liam. Le Père Noel peut brailler, pousser des yeah yeah, rien n’y fait, ça manque tragiquement de Liam. Plus il yeah-yeathe et plus il se ridiculise. C’est même assez pathétique de voir cette ancienne rock star se débattre avec de mauvaises compos. Le Père Noel manque à tous ses devoirs. Il devient pénible, et puis soudain ça repart du bon pied avec «Open The Door See What You Find». Ce petit coup de stomp cache bien la misère. Alors attention, ce n’est pas parce qu’il a du gros son qu’il est bon. Ça produit même l’effet inverse. Il continue de se battre pied à pied avec «Trying To Find A World That’s Been And Gone Pt. 1», il chante tout ce qu’il peut, mais le problème reste entier. C’est tout de même bizarre qu’il ne s’en rende pas compte. Il passe enfin aux énormités avec «Easy Now», il ressort l’heavy Oasis, il parvient enfin à s’arracher du sol, et ça continue avec le morceau titre. Le Père Noel ramène tout le Mad Chester dont il est capable. Voilà le groove urbain en mode Mad Chester. L’implacabilité des choses ! Il tente toujours de cacher la misère avec une grosse prod, mais on voit à travers. Impossible de ne pas penser au carnage qu’aurait fait Liam avec un cut pareil. «There She Blows!» est plus poppy, plus Beatlemaniaque, mais avec le poids du fan de base. Ça donne un mélange bien toxique. Gros parfum d’Oasis. Le Père Noel n’a rien perdu de ses facultés. Il sort un son sec de guimbarde pour «Love Is A Rich Man», mais globalement, on ressent un malaise. Rien n’est plus tragique que de voir un grand artiste sombrer. Il devient ridicule avec «Think Of A Number». Liam doit se tordre de rire en écoutant ça.

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             Bon, c’est pas tout ça, les gars, mais il reste le disk 2. Le Père Noel l’attaque avec des cuts problématiques, c’est-à-dire des cuts qui refusent d’obtempérer. Et puis soudain, une lueur apparaît au bout du tunnel : «Mind Games», une mélodie catchy. C’est le real deal du Père Noel. Absolute Papa Noel. On croise plus loin la version instro du morceau titre, jouée aux clochettes. Power all over. Dès qu’il ne chante plus, ça va beaucoup mieux. Ces mecs groovent l’orbi et l’orba de Mad Chester. Big fat power ! L’instro permet de se concentrer sur la structure. Puis on va assister à la fin de la chute de l’Empire Romain d’Oasis avec l’electro-mix putassier de «Think Of A Number (Pet Shop Boys Magic Eye 12» Remix)». Eh oui, le Père Noel appartient aussi à ce monde-là. On l’entend ensuite chanter «Pretty Boy (Robert Smith Remix)» à la radio. C’est bon parce qu’il chante dans l’écho de la radio, dommage que la compo soit si foireuse. On tombe ensuite sur «Council Skies (The Reflex Revision)», montée sur un beat marmoréen, ça enfonce le clou dans la paume, plutôt deux fois qu’une. Toujours la même chanson. Liam doit être écroulé de rire à l’écoute de «Flying On The Ground (Radio 2 Session)» et d’«You Ain’t Goin’ Nowhere (Radio 2 Session)», et cette débâcle s’achève sur «Live Forever» le balladif gluant qui a tué Oasis dans l’œuf. Mais on écoutera quand même le prochain album. On veut continuer de croire au Pere Noel.

    Signé : Cazengler, gallaglaire

    Noel Gallagher. Council Skies. Sour Mash Records Ltd. 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - Peterson of a biche

             Et puis tu avais ce mec, Potar, débarqué là comme intérimaire, vite copain-copain, le pack de mousse à l’apéro et ses histoires graveleuses en guise de cerise sur le gâtö. Il pensait que le graveleux trempé dans la mousse pouvait créer des liens confraternels. De toute évidence, il ramenait ça de son séjour à l’armée. Il adorait parler de ses mensurations, ma queue mesure trente centimètres, se vantait-il, surtout quand des gonzesses circulaient dans l’open space. Il affichait en permanence un sourire d’intérimaire heureux de sa condition. Personne ne comprenait que son air jovial dissimulait en réalité une nocivité machiavélique. Pour le déchiffrer, il suffisait de créer un climat de confiance permettant de l’approcher d’assez près pour pouvoir observer sa peau : il avait ce qu’on appelle une mauvaise peau d’obsédé sexuel, cette peau blanchâtre propice aux éruptions de pus. Une peau dont on disait autrefois qu’elle était à l’image de l’âme. Il avait en outre des cheveux noirs extraordinairement gras et le col couvert de pellicules. Il se grattait la tête en permanence et bien sûr ses ongles étaient noirs comme ceux d’un clochard. Il portait des lunettes à verres tellement épais qu’ils grossissaient ses yeux, deux gros yeux noirs à l’éclat malsain : pas les yeux noirs de Picasso, ceux d’M le Maudit. Il inspirait globalement une sorte de répulsion. Son côté jeune homme sympathique et serviable peinait à dissimuler la sinistre réalité de sa condition. Et pour couronner le tout, il ne portait que des chemisettes à manches courtes, histoire de rappeler qu’il ne s’embarrassait pas non plus avec les questions de goût. Il proposait un autre genre d’équilibre : le sien. Au vestiaire, Potar commença très vite à abuser de certaines salariées. Pour qu’elles gardent le silence, il les menaçait en brandissant un opinel et jurait qu’en cas d’indiscrétion, couic ! T’as pigé, connasse ? Le cauchemar prit fin de la façon la plus charmante. Un jour où nous étions tous rassemblés dans l’atelier pour fêter un anniversaire, une petite salariée d’origine italienne but le verre de trop qui lui délia la langue : «Potal il dit qué sa zigounetti elle mousoure tlente centimètles, si pas vlai ! Sa zigounetti elle mousoure cinquo centimètles !». Et tout le monde éclata de rire. Piqué au vif, humilié, Potar posa son verre, tourna les talons et disparut.

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             Potar et James Peterson n’ont heureusement rien en commun, si ce n’est le potard. James Peterson adore tourner les potards de son ampli pour jouer le blues bien loud et bien heavy. Il est important de savoir que James Peterson est le bluesman de Malaco, et qu’il est aussi le père de Lucky Peterson. Joli nom, Lucky, tu trouves pas ? 

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             D’ailleurs, le père et le fils ont enregistré un album ensemble : The Father The Son The Blues. Lucky est petit, il n’a que 8 ans, il chante et joue du piano. On l’entend chanter «What Would I Give» d’une voix délicieusement juvénile. On l’entend encore chanter «Music Is The Thing» et son père l’accompagne à l’orgue. Le petit Lucy pousse des cris d’orfraie, c’est très spectaculaire. Il revient encore dans le hard r’n’b de «Florence» et devient fantastique de délinquance juvénile. Et il atteint des sommets avec «Daddy Come Home For Christmas», il pousse des cris d’orfraie à la fin, daddy daddy !  

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             James Peterson enregistre en 1990 Rough And Ready, un bon album qui ne laissera guère de souvenirs. Il navigue en père peinard sur la grand-mare des canards et alterne les heavy blues avec les boogie blues. Tu vois la Flying V sur la pochette et tu t’attends à du wild blues, mais c’est du blues classique. Le vieux James gratte le blues sous toutes les formes et n’en finit plus de redorer le blason du classicisme. C’est noyé de poux. Force est d’admettre que son «Can’t Teach An Old Dog New Tricks» est d’un bon niveau, c’est du vrai blues urbain, le New York City blues finement cuivré. Son «Mind Is A Terrible Thing To Waste» est un heavy blues de qualité supérieure, pas de doute. Il reste dans la perfection de pâté de foi avec «Sing The Blues Until I Die» et il finit avec «Clothesline», un joli heavy blues traîné en longueur, dans la meilleure des traditions d’excelsior.

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             Too Many Knots n’est pas l’album du siècle, mais il réserve quelques bonnes surprises comme par exemple «Fish Ain’t Biting», un sacré heavy blues funk cuivré de frais. Encore du funk avec «Slob On The Knob». Belle odeur d’exotica, ce démon de Peterson y va et ça bascule vite dans la grosse énormité. Il rend un bel hommage à Elmore James avec «Jacksonville» : c’est du pur «Dust My Blues». Encore une fantastique dégelée de blues avec «Call Before You Come Home». Comme ils sont trois à gratter leurs poux, Edward Crusoe, Bryan Barrett et Warren King, tu ne cherches pas à savoir le pourquoi du comment. Peterson chante, c’est tout. Et c’est lui qui compose. Il est bon sur le fast heavy blues du morceau titre. Il se prête à tous les jeux. Encore du heavy boogie blues avec «Blind Can’t Lead The Blind». Straight edge. Fast one. On the run.

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             Il a raison, James Peterson, il ne faut pas laisser le volant au diable. Don’t Let The Devil Ride est un album qui se laisse écouter, car Peterson fait du heavy raw, il joue comme l’éclair et chante au gut. Il est capable se sortir une énorme arrache. Il porte des bagues aux doigts, et au dos de la boîboîte, on voit qu’il se teint les cheveux en blond. Fantastique présence ! Tout est classique, mais avec du power. Il chante comme un alligator aux doigts couverts de bagues. Il tape «Bite My Hook» au Memphis Beat. Dès qu’il s’énerve, il joue avec le feu. Il tape son «Boat Don’t Float» au heavy funk de no no no, classic stuff, oui mais big classic stuff. Il prend l’«It’s So Good» au fouette cocher, rien ne pourrait plus l’arrêter. Il joue en permanence avec le feu, c’est la raison pour laquelle on l’admire.

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             Peterson continue de redorer le blason du blues de Malaco/Waldoxy avec Preachin’ The Blues. Il attaque au blues liquide avec un «Shoe On The Other Foot» bien noyé d’orgue. C’est excellent, Tommy Couch produit, donc pas de problème. Puis Peterson va entrer dans sa routine de heavy rumble et créer l’événement de temps en temps, comme par exemple avec «Lost What I Had», où il retourne son groove comme une peau de lapin pour l’amener dans l’église en bois et fourbir the big gospel batch. Belle énormité ! Puis il repart comme à l’accoutumée en mode fast boogie blues, il est bon à la manœuvre, ça reste classique, mais Malaco Class. Il tape un very heavy blues avec «Come Home To Eat», fabuleusement relayé au solo d’orgue par Clayton Ivey. Ça ne rigole pas. Peterson tape son «Bottom Line» au ragnagna, c’est un hargneux. Globalement, le boogie blues de Malaco est sans surprise, mais plein de jus. Peterson renoue avec l’énergie du gospel d’Alabama dans «Why Mama Had To Cry», soutenu par des chœurs d’anges de miséricorde. Et pour «I’ve Got A Problem», il y va au heavy boogie blues. Il a raison, Peterson, il faut toujours aller au heavy boogie blues. Sinon c’est lui qui viendra à toi. Il boucle cet album éminemment classique avec un shoot d’heavy Soul de blues, «Some Thing A Man Shouldn’t Have To Do» et redevient soloennel, avec son côté ragnagna. Il gueule comme un veau, mais c’est assez beau. Dommage qu’il fasse trop de ragnagna

    Singé : Cazengler, James Petersombre

    James, Lucky Peterson. The Father The Son The Blues. Today Records 1972

    James Peterson. Rough And Ready. King Snake Records 1990 

    James Peterson. Too Many Knots. Ichiban Records 1991  

    James Peterson. Don’t Let The Devil Ride. Waldoxy Records 1995 

    James Peterson. Preachin’ The Blues. Waldoxy Records 1996

     

    *

    Y a des noms qui puent la gargouille. J’ai vérifié, ça veut bien dire gargouille. La gargouille c’est un peu l’antithèse de la grenouille de bénitier. Les griffes de Satan qui dépassent des murs des cathédrales. Tiens, un groupe de la Nouvelle-Orléans, la patrie des alligators, renommée pour sa sorcellerie, quand on tient une bonne piste : on la suit !

    NO MAN’S LAND

    GARGUTS

    (CD / K7 / Bandcamp / Avril 2024)

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    Steve Mignano : vocal / Jon Casteix : drums / Sterling Anderson : bass / Dylan Hemard : guitar.

    La couve est de Sterling et de Dylan. Minimaliste mais efficace. Dans l’esprit preuve par neuf.

    Shadow : l’ensemble a du mal à démarrer, une espèce de frottis gynécologique  de guitare asthmatique qui donne l’impression d’avoir un sacré problème de larynx, une batterie implacable qui a l’air de s’en foutre et qui continue sa route vers on ne sait quoi, et un gars qui ne chante pas, s’en prend à lui-même, une espèce de confession à l’air libre pour que tout le monde soit au courant de son malaise,  du coup la guitare joue au solo de chat écorché, vous avez la basse qui vous file des coups de rondin à la base du cou, le gars hurle, il attend la mort, il trouve qu’elle met du temps à venir, les instrus lui font la fête, inventent pour lui une espèce de danse macabre. Lorsque ça se finit vous vous demandez pourquoi vous êtes là et surtout comment vous avez fait pour en arriver-là. L’ombre d’un doute plane sur vous-même. No Man’s Land : sont sympas vous disent où vous êtes, musicalement le no man’s land se situe dans l’improbable espace du croisement du punk, du metal et du hardcore. Attention zone dangereuse. Si vous tenez à le visiter ne vous munissez pas de biscuits, encore moins de rations de survie, ils vous les boufferont sans pitié, soyez sur vos garde, d’abord méfiez-vous de Jon, se sert de ses baguettes on ne sait pas trop comment, un gamin de cinq ans qui tape monotonement sur un tambour pour pousser ses parents au suicide, et en même temps la gaminette n’ignore rien des subtilités pondérales de Stockhausen, cogne comme un charretier sur son cheval mort, le vocal de Mignano n’est pas mignon, d’abord il hurle juste pour le plaisir de vous embêter, ensuite il prend le micro et se livre à un étrange discours martelé depuis le fond de sa gorge, malgré le boucan de ses congénères il vous donne l’impression de chanter pour lui tout seul, une espèce de Diva qui éructe dans son vomi êtral, à l’écouter vous vous dites que le chemin de croix du Christ c’était une vaste rigolade, une partie de plaisir intellectuellement enrichissante, quant à Dylan n’a jamais dû apprendre à jouer de la guitare, par contre l’est un as de la tronçonneuse, doit passer son temps à scier les morts dans leur cercueil, quand il s’énerve et qu’il pousse son égoïne à plein régime vous courez vous cacher, trop tard il vous a vu et vous tape dessus à tour de bras. Maintenant il faut reconnaître que leur ramage se rapporte à la réalité ambiante de notre monde cruel et sans pitié. Soyez sans illusion. Slaugther LN : un sociologue vous expliquera que le morceau précédent est à l’image de nos quartiers difficiles bla-bla-bla, pour comprendre celui-ci moins prise de tête, c’est plus cool, regardez un truc cool, par exemple l’ensemble des vidéos de L 214, mais là ça se déroule dans votre tête, fermez les yeux vous ne verrez pas, bouchez-vous les oreilles vous entendrez quand même. Commencent par vous avertir par une intro monumentale après ils se mettent à courir comme des dératés, el Mignano se prend pour un coach sportif, puis il n’y tient plus, sa mauvaise nature reprend le dessus, vous avez Jon dans l’oreille droite qui avance au pas et la guitare de Dylan dans l’esgourde gauche qui galope comme si elle était poursuivie par un essaim de frelons asiatiques. Vous font le coup : on arrête tout. Coucou, on vous a bien eus, et ils recommencent de plus belle. Le genre de groupe en lequel vous ne pouvez faire confiance.

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             Le truc le plus bizarre c’est que vous ressortez de ce disque tout ragaillardi. Il y a longtemps que n’avez entendu un truc aussi bon, et vous serez tenté d’ajouter d’aussi novateur.

             C’est leur deuxième EP, je vous causerai de leur premier bientôt. Ce groupe est à suivre. Les plus courageux peuvent même essayer de les précéder, mais ce ne sera pas facile.

             Esprits sensibles abstenez-vous. Après une écoute prolongée la masse gélatineuse de votre cerveau aura toutes les chances de se liquéfier et de s’échapper sans préavis par la gargouille de votre nez.

    Damie Chad.

    Note : l’abréviation ln (voir troisième titre) est une unité de mesure qui sert à indiquer la pression acoustique du bruit.

     

    *

    Un groupe français, from Paris, dont je n’ai jamais entendu parler. Viennent de sortir ce 20 avril 2024 un album, sont actif depuis 2009, z’ont déjà commis un EP, trois albums, un live, une compil, et deux singles, des bosseurs, j’aime les gars qui suivent leur idée, qui font tout pour la rattraper et même la dépasser, j’ai décidé de les chroniquer avant même d’avoir entendu une seule de leurs notes, pour une seule raison, j’aime les fractales.

    ONE WITH DAWN

    FRACTAL GATES

    ( CD / Bandcamp / Avril 2024)

    Stéphane Peudupin : lead, rhythm guitar, synths / Sébastien Pierre : vocals, synths / Jeremy Briquet : drums / Antoine Verdier : bass guitar / Arnaud Hoarau : rhythm guitar.

             Je ne vous ferai pas l’injure de vous expliquer ce qu’est une porte. Certains d’entre vous sont déjà en train de triper sur les portes de la perception d’Adlous Huxley et des si bien nommés Doors. Je ne vous parlerai pas non plus d’une de mes idoles, le mathématicien Georg Cantor. Je  devrais, il a travaillé sur les fractales mais je me contenterai de vous raconter une petite histoire dont vous serez le héros.

    Premier scénario : qui ne présente aucun intérêt : vous êtes chez vous dans votre bureau par exemple en train de lire cette chronique. Avant de vous lancer dans cette histoire, vous décidez de vous rendre dans votre cuisine pour vous préparer un café. Vous ouvrez la porte, vous vous rendez dans votre cuisine, vous préparez votre café, vous revenez, vous refermez la porte et vous asseyez à votre place habituelle pour lire cette histoire.

    Deuxième scénario : qui présente un étrange intérêt : vous êtes chez vous dans votre bureau par exemple en train de lire cette chronique. Avant de vous lancer dans cette histoire, vous décidez de vous rendre dans votre cuisine pour vous préparer un café. Vous ouvrez la porte, et vous rentrez dans la pièce que vous venez de quitter, vous ouvrez la porte de cette nouvelle pièce et vous voici à nouveau dans la pièce que vous êtes en train de quitter… cette histoire continue sans fin… (entre parenthèse vous pouvez dire adieu à votre café.)

    Troisième scénario : qui présente un étrange intérêt : vous êtes chez vous dans votre bureau par exemple en train de lire cette chronique. Avant de vous lancer dans cette histoire, vous décidez de vous rendre dans votre cuisine pour vous préparer un café. Vous ouvrez la porte, et vous rentrez dans la pièce que vous venez de quitter, avec une petite différence, exactement la même mais un tantinet plus petite, vous avez du mal à vous en apercevoir parce que vous-même vous avez un tout petit peu rapetissé, je vous pense assez intelligent pour raconter la suite du récit… (faites une croix définitive sur votre café !)

    Quatrième scénario : qui présente un étrange intérêt : vous êtes chez vous dans votre bureau par exemple en train de lire cette chronique. Avant de vous lancer dans cette histoire, vous décidez de vous rendre dans votre cuisine pour vous préparer un café. Vous ouvrez la porte, et vous rentrez dans la pièce que vous venez de quitter, avec une petite différence, exactement la même mais un tantinet plus grande… je vous pense assez intelligent pour raconter la suite du récit… (vous ne pensez plus à votre café car cette histoire occupe toutes vos méninges !)

             Un bref commentaire sur deux termes des trois termes du titre ‘’One With Dawn’’ de l’album s’impose. One : que vous soyez seul à vous dépatouiller avec cette étrange histoire n’est pas étonnant. Dawn : de quelle aube s’agit-il au juste. Dans notre histoire l’aube serait la métaphore qui mettrait fin à la répétition infinie de votre monde, à la poursuite sans fin de l’infiniment petit et à la poursuite sans fin de l’infiniment grand. Si vous avez du mal à comprendre un dernier tuyau : Georg Cantor a découvert, créé, imaginé, les nombres plus grands que l’infini. Comme quoi il y a une logique mathématique dans cette histoire que certains d’entre vous aurons jugée de totalement idiote.      

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    Visions XIII : les esprits cartésiens se demanderont pourquoi l’opus débute par la vision 13 et non par la 1. C’est une très bonne question qui vous renvoie à la petite histoire ci-dessus. La Vision 1 est le premier morceau d’Altered State of Consciouness ( 2009) la Vision 5 le clôture, les 2,3,4 font fonction de bornes disséminées pami les autres titres ; la Vision 7 ouvre et la 9 termine le deuxième full-lenght Beyond the Self ( 2013) la 8 au milieu, la Vision 10 est en tête du troisième album The light that shines ( 2018) la 11 au centre, la 12 le termine. Vous trouverez la Vision 6 sur The Unrealazed Tracks 2013 paru en 2023. Instrumental, très court à écouter avec attention, certes tout n’est pas donné d’emblée mais la couleur de base ne variera que très peu, ne manque que le vocal, le temps de s’installer arrive sur la trame sonore comme ces fameux coups de timbales que l’on entend dans les symphoniques oragiques, vous n’écoutez plus, vous les attendez, elles claquent comme de monstrueux coups de fusil.  Shining fall : le vocal déboule, roc rugueux qui roule au flanc d’une montagne, rythme entraînant il est des chutes qui sont des victoires, les étoiles filantes se doivent d’illuminer le ciel noir, moment de la séparation de soi d’avec le monde, pratiquement un manifeste vindicatif, ce qui n’empêche pas quelques graines de nostalgie, pour le soi-même que l’on se prépare à brûler, il faut savoir être son propre brasier pour renaître plus fort. L’important est d’être loin des autres et foncer comme une force qui va. Seamless days : une musique qui vient du dedans, il ne suffit pas d’être loin des autres, la voix torturée assume son introspection, rien n’est donné, c’est à soi-même de trouver le chemin, il est en soi, il parle en toi, il murmure des tempêtes, se dépouiller des vieux oripeaux du passé, les deux soli de guitare de Jary Lindholm  brûlent les vêtements de l’épouvantail de vous-même qui vous faisait peur. Into the unknown : notes synthétiques stellaires, guitare et batterie mettent la pression, l’inconnu n’est pas au bout de lointaines galaxies, il commence déjà dans tout ce qui nous sépare des joies passées, guitares brandons tenues à bout de bras pour éclairer la nouvelle route, celle de l’énergie que nous amassons en nous, le vocal s’épanouit en un chant programmatique. Il ne s’agit pas de renier les anciens moments d’incandescence mais de les métamorphoser en tremplins de nos rêves. When the distance peint us : intro de synthé, elle ne se taira pas de tout le morceau, elle est le trait d’union entre l’ancien monde et le nouveau, le vocal s’affirme, notre héros n’est pas allé bien loin mais il prend connaissance de la laideur et des faux-semblants qu’il abandonne derrière lui, notre meilleur autoportrait ce sont nos rêves, ce qui nous sépare  de ce que nous avons été davantage que de ce dont nous ne sommes que le projet inaccompli. Earthbound : hymne des nouvelles alliances, loin des hommes plus près des éléments, la nature entre en lui, il est montagne vertigineuse et abysse sans fond, pas besoin d’escalader, pas besoin de plonger, le microcosme est le miroir du macrocosme, tout est en lui, les plus grandes aventures sont intérieures, en de si grands moments d’exaltations la batterie pousse le chant métamorphosé en chariot céleste sous la voûte crânienne.

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    Hall alive : se remplir de l’énergie du monde, le background est devenu une course folle, le vocal rugit tel un lion, il agite les ions de sa crinière comme une semence d’or sur l’univers, il se sent, il se sait capable de tout, revivre l’histoire ancienne pour la rendre plus belle, moment de plénitude, montée finale d’allégresse, maintenant il est prêt à partir à l’assaut du rêve, à accueillir une nouvelle vision. Vision XIV : ouate des cordes, sonorités d’outre-monde, visions de paysages auxquels personne n’aura jamais accès, il vole, un papillon qui sort de sa chrysalide et qui découvre une autre réalité. One with dawn : le morceau éponyme de la transfiguration, la voix s’envole, il s’agit de métamorphoser l’œuvre au noir du vécu en pierre rubescente charnelle, notes triomphales comme giclées de trompettes, où est-elle, n’est-elle pas devenue l’aube que l’on attendait, que l’on recherchait, que l’on désirait plus fort que tout. Transformer l’âme cœur en âme sœur, nous fûmes deux je le maintiens disait Mallarmé. Hyperstate : apogée orchestrale, il ne suffit pas d’avoir franchi un cap, voici le temps de l’assumation, le roi doit gouverner son royaume, plus moyen de reculer, encore une fois la guitare de Lary vient couper l’herbe sous les pieds de l’hésitation à être soi-même, la chute en soi-même est un vol contrôlé, le monde est double, celui qui hurle, celui qui chuchote, ce que nous ne voulons pas, nous devons le détruire. Une seule nuit, un seul soleil, tel est la loi dirait Crowley. Serenity : tout a changé, tout est identique, toute sérénité est une chute en soi-même, le combat n’est jamais terminé, le jeu a toujours un niveau de plus, le flux musical semble imperturbable, le chant garde sa vigueur, tout revoir, tout revivre, ne jamais être dupe de nos états de conscience supérieurs. Foncer en avant, l’on ne tombe jamais plus loin, plus bas, plus profond que soi. Severance : redoutablement emphatique, il arrive un moment où le bas et le haut se ressemblent, sont une même chose, il faut oser, la dernière séparation celle qui vous permet de rejoindre le domaine des dieux, dans le seul but de répondre aux réponses tapies au-dedans de nous comme serpents assoupis qui veillent et ne dorment jamais. Etre au plafond équivaut à ramper sur le plancher. Echoings notions : les échos, ceux du bas et ceux du haut se répondent, perdu en haut, perdu en bas, la bête vole, l’ange rampe, toujours la même histoire à tous les étages, elle se répète, nous avons voulu vaincre notre destin mais notre destin n’est-il pas simplement de vouloir le vaincre, en d’autres termes, ni être vainqueur, ni être vaincu, l’on ne va jamais plus loin que soi-même. Même pas plus près. Notre destin n’est-il pas notre rêve. Quelques notes de guitare comme aigrettes de pissenlits qui s’envolent au vent. Visions XV : du vent qui siffle et qui souffle pour nous emporter, qui finit comme l’insecte par tapoter sans arrêt sur la vitre qu’il sait incassable. The eclipse : au-dedans de soi parfois le soleil rayonne, parfois de sombres vapeurs le voilent, tantôt l’esprit se hisse sur ses propres cimes, les plus vertigineuses pour admirer sa propre lumière, tantôt il tombe dans le puits sans fond de ses propres abîmes, l’aiguille du destin plantée dans vos omoplates ne marque ni le haut ni le bas, elle fait simplement signe qu’elle est le destin. Skies of Orion : qu’importe parfois les étoiles filantes se brisent, elles ne tombent pas, elles s’élèvent, leurs débris restent échoués à l’endroit exact où elles se sont morcelées ne sachant plus, ne pouvant plus, ne voulant plus être situées en dehors de leur destin. Elles restent incapables de choisir, d’opter pour le haut ou pour le bas. Elles sont tout de même la preuve que quelque chose a eu lieu…elles figurent l’Orient et l’Orion des songes.

             Que bientôt que personne ne saura déchiffrer.

    L’on ne sort jamais de son compartiment. L’on ne fait qu’y rentrer sans arrêt.

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    Il ne reste plus qu’à expliciter le troisième terme du titre. One With Dawn. With est la glue qui colle l’un à l’autre les deux éléments qu’il prive de liberté, qu’il rend indissociables qui ne pourront jamais s’éloigner ou s’embrasser, s’embraser, l’un de l’autre.

    Cette impression est accentuée à dessein par l’orchestration, tous les morceaux se ressemblent, ce qui ne les empêchent en rien d’être de scintillants joyaux de jais, les épisodes de l’histoire racontent tous la même histoire, c’est si puissant que l’on aimerait que ça ne s’arrête jamais.

    Damie Chad.

     

    *

    Les cendres d’Ashen n’en finissent pas de devenir braises purulentes. Il est des feux qui ne purifie point, ils brûlent comme le mal des ardents quiconque s’en approche.

    Faisons le point l’incendie couve, voici notre relevé effectué  par notre comité de vigilance : le 03 mars 2022 dans notre livraison 545 nous signalions trois engins incendiaires particulièrement nocifs sous l’apparence de trois vidéos d’apparence inoffensive : Sapiens, Hidden, Outler, le 18 mai 2023 dans notre livraison 595 nous repérions, ils utilisent toujours la même technique, la vidéo Nowhere. Vus mais pas pris, puisque le 07 septembre  2023, livraison 610, ils doublent la mise Angel et Smell Like Teen Spirit (matériel américain performant), devant l’impunité dont ils profitent quinze semaines plus tard, livraison 526 c’est le tour de Chimera, pour fêter l’anniversaire de leur premier méfait c’est en mars 2024 qu’ils déposent en toute impunité :

    DESIRE

    ASHEN

    (Direction : BASTIEN SABLé)

    (Official Music video / Out Of Line Music / Mars 2024)

     Poully : bass / Tristan Broggeat : drums / Clem Richard : vocal : / Antoine Zimer : guitars / Niels Tozer : guitar, additional vocals / Thibaud.

             D’abord regardons :

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             Début, l’on se croirait dans un appartement baudelairien, luxe, calme et volupté, un intérieur bourgeois, soyons précis bourgeois-bohèmes, abat-jours à franges, meubles encaustiqués, un peu de désordre, des chandelles pour l’ambiance romantique, l’on note la présence d’objets technologiques issus de notre monde comme un poste de télévision, z’auraient pu prendre un grand-écran, ne chipotons pas.

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             Une ombre à la fenêtre, un visage indistinct contre la vitre, des mains qui déchirent le vitrage plastifié, il se glisse, l’ombre es un hombre, il se glisse, il se coule sur le plancher, un serpent, vicieux comme tous les reptiles, d’ailleurs l’Eve n’est pas loin, vous l’apercevez une fraction d’une demi-seconde, d’où vient-il, que fait-il, où va-t-il, le voici ailleurs. Dans un cube orange, sont tous là, tout Ashen, en train de jouer, les autres derrière, Le reptilien devant, en costume, il ondule, il danse, il chante, il regarde mais il ne vous voit pas, il regarde quelque chose bien plus important que vous, vous voulez savoir quoi, pas difficile, pourquoi d’après vous le devinons-nous en ultra-micro-flash, pourquoi rampe-t-il vers le lit, pourquoi se vautre-t-il en des poses suggestives sur la candeur des draps, et quelle est cette apparition miraculeuse qui s’imprime en un millionième de seconde sur votre rétine, non ce n’est pas la Sainte Vierge, plutôt Sainte Thérèse en extase du Bernin, il chante toujours, elle passe tel un fantôme dans la chambre, il est-là il se dirige vers cet objet orange que vous avez pris pour n’importe quoi, un parallélépipède pas plus gros qu’une imprimante et qui se révèle être l’objet transactionnel du désir, non pas celui que l’on tend à l’autre comme une vulgaire pomme, mais que l’on se donne à soi-même, une boite à chagrin, similaire à celle que l’on porte dans sa tête, le voici tantôt dans sa boite se démenant comme une rock star, et le voici aussi dehors écrivant une lettre que l’on présuppose écarlate, la boite orange clignote, subitement elle devient bleue comme une orange, à l’intérieur dans le monochrome bleu c’est le blues, tristesse dépressive ne dure qu’un temps, voici l’été orangeade de la folie gesticulatoire, chez lui il se dresse seul, la peau tatouée, cobra qui s’apprête à fondre sur sa proie, mais il est impossible d’attraper un phantasme qui circule dans votre tête. Elle est là, elle ne peut pas être plus près dans lui, mais si loin, de l’autre côté de la table de l’autre côté de la mer. Du désir. Elle le nargue. Maintenant c’est elle le serpent qui ondule, qui se trémousse, et lui avec son band derrière lui, n’est qu’un joueur de pipeau, il devient fou, il s’empare de la boite qu’il agite violemment, dedans il n’a plus son costume à la Bowie, l’a pris l’allure de Pete Twonshend au temps des grandes frasques des Who, la boite portée à incandescence devient blanche, tout se précipite. Arrêt brutal.

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    Ensuite écoutons : indéniable, le groupe joue et Clem chante, ce n’est pas les deux remarques précédentes que qualifie l’adjectif , je n’ai rarement eu cette impression, que ce qui nous est proposé ne pourrait pas être autre, que cette interprétation est la seule possible, qu’elle écarte toutes les autres possibilités qui à côté d’elle paraîtront simples artefacts (plus ou moins)  besogneux, c’est parfait non pas parce c’est bien, non pas parce c’est très bien, mais parce c’est la forme idéale de la chose exprimée. N’avez-vous jamais éprouvé un vertige en contemplant la première lettre de l’alphabet qui peut s’écrire A ou a, et il existe des milliers de polices différentes, ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi le phonème [a] peut se transcrire de mille manières différentes, les linguistes ont trouvé la parade, ils vous expliquent que le signifié (sens) du signe n’a rien à voir avec son signifiant ( forme), c’est bien sympa comme théorie mais ça ne tient pas compte de la force congruente d’un signe, si le son épouse le sens, le signe ne désigne ni la forme ni le sens, il est simplement le signe de la beauté du monde. Or ici il s’agit de l’accord entre le désir que deux êtres éprouvent l’un pour l’autre, autrement dit le thème, le sens, le signifié, et ce signifié est rehaussé par l’accord total entre la forme orchestrée et chantée et les images qui l’illustrent. Le chant se désire lui-même, la musique se désire elle-même et l’ensemble chant-désir se désire lui-même. Une sorte d’art total.

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    Enfin réfléchissons : le désir du désir s’il est art total, n’est-il pas onaniste. Le désir du désir n’est-il pas la peur du désir. Un désir accompli n’est-il pas un désir mort, qui n’a plus lieu d’être, le désir n’est-il pas plus fort s’il reste phantasme, scénario imaginaire, un vidéo-clip qui emmêle les éclairs d’elle et lui pour qu’ils ne s’emmêlent pas. Le Rêve refuse la Réalité qu’il prolonge et à qui il donne vie… Soyons nervalien ou ne soyons rien.

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    Damie Chad.

     

     ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

    77

    J’ai dû faire une mine d’abruti car le Chef est devenu plus explicite :

    _ Agent Chad, ne croyez pas que je sois devenu un adepte des théories wake, je tenais simplement à ce que vous ne confondiez point le masculin et le féminin, une règle de base dans la grammaire française, cependant votre bobine étonnée me force à être plus directif : on ne dit pas un tueur quand l’individu que vous désignez est une femme.

    Pour opiner à ses propres dires, le Chef exhala de son Coronado un épais panache de fumée blanche qui devait ressembler au signal de Crazy Horse qui déclencha l’assaut des tribus indiennes sur les troupes du général Custer à Little Big Horn, puis il reprit :

    _ Exactement, j’irais jusqu’à dire une tireuse exceptionnelle et sans pitié. La preuve pour vous rencontrer elle n’a pas hésité à abattre de sang-froid une partie de son équipe.

    _ Vous parlez du service de sécurité de Géraldine Loup ?

    _ Pas du tout de votre service de sécurité à vous, il n’était pas là pour protéger Géraldine mais vous, uniquement vous !

    _ C’est pourtant Géraldine qui a été abattue en entrant dans le Ritz !

    _ Vous n’avez jamais entendu parler du dépit féminin, faute de pouvoir vous abattre elle s’est vengée sur la pauvre Géraldine, comme dit le proverbe faute de grives l’on mange des grives.

    Doriane et Loriane suivaient la conversation avec intérêt les yeux brillants. Pour la première fois de leur vie elles assistaient à une conversation entre véritables adultes. J’avais compris de qui parlait le Chef, je faisais semblant de ne pas piger. Doriane posa la question qui tue :

             _ Mais enfin de qui parlez-vous ? Enfin qui  est cette tueuse ?

    Le Chef alluma un Coronado avant de répondre :

             _ Une certaine Gilberte, vous ne la connaissez pas !

    Les filles sont curieuses, on n’y peut rien, c’est leur nature, Doriane insista :

             _ Mais pourquoi voulait-elle abattre Damie et pourquoi s’est-elle vengée sur Géraldine Loup !

             Molossa grogna. Fort opportunément je vous l’accorde. Molossito bondit et aboyant comme un fou se cogna le museau contre la plus large des baies vitrées. L’air dédaigneux un chat s’arrêta le regarda et s’en fut à pas lents. Nous éclatâmes tous de rire. Doriane expliqua :

             _ C’est Pilou, le chat des voisins il adore vadrouiller dans notre jardin, il vient quémander une gâterie, il est vexé, la maison est colonisée par les chiens, un affront ! Mais mon Chef adoré, répondez à ma question !

             _ C’est une longue histoire, peut-être devrions nous songer à nous reposer, nous en reparlerons au petit déjeuner ! J’ai fini mon Coronado, je pressens que demain sera une journée difficile, les agents secrets savent se reposer quand l’ennemi n’est pas là !

    Molossa posa son nez contre ma jambe.

             _ Attendez un peu !

    78

    Gisèle ! C’était sa voix, instantanément elle sortit du mur juste derrière le Chef lui collant son Rafalos sur la nuque. Elle était toujours aussi belle, ah ! l’azur de ses yeux !

             _ Jeunes filles levez-vous et mettez-vous contre le mur, vous ne craignez rien mais au moindre geste je vous abats. Vous le Chef posez vos Rafalos sur la table basse, l’agent Chad aussi, n’essayez pas de jouer à l’agent secret, je suis une bonne tireuse.

    Nous lui obéîmes. Les  chiens se contentèrent de s’allonger à mes pieds. Gilberte me regarda en souriant :

             _ Jeunes filles puisque ces deux messieurs avaient du mal à vous répondre, je vais vous raconter la longue histoire, écoutez bien, si vous êtes intelligentes vous en tirerez la seule leçon qui vaille, apprenez à vous méfier des hommes, ce sont des êtres ingrats, ne les croyez jamais.

    Je voulus répliquer, le Chef demanda la permission de fumer un Coronado qui lui fut refusée.

              _ Ecoutez-moi bien les filles je sais de quoi je parle, je suis une victime, moi aussi j’ai été séduite par un joli-cœur, un certain Agent Chad, si vous voyez de qui je veux parler !

    A l’expression de curiosité qui brilla dans les yeux des jumelles je compris qu’elles voyaient très bien.

             _ La première fois que j’ai vu l’Agent Chad, j’ai craqué, le soir-même je me suis donné à lui, j’ai passé une nuit merveilleuse, j’ai cru qu’il allait par respect pour moi arrêter l’enquête stupide qu’il menait à l’encontre de mon frère…pour les hommes, les filles c’est comme les cigarettes, ça se fume et ça se jette. Je crois que lui aurais pardonné, mais non, le lendemain il s’est amourachée d’une gourgandine de bibliothécaire, je n’ai pas hésité à la tuer dans ses bras, après les avoir vu honteusement copuler ensemble. Quant à lui qui dormait comme un bienheureux j’ai voulu le supprimer, je n’ai pas pu, n’oubliez jamais l’amour est la faiblesse des femmes.

    Les filles n’en perdaient pas une miette, que pensaient-elles ?

             _ J’ai cru qu’il me reviendrait, qu’il aurait compris la force de mon amour, bien non, j’ai tenté de le faire enlever par la bande de passeurs de murailles, dont j’étais la Dirigeante. Je ne suis pas une faible femme, ne soyez jamais faibles demoiselles !

    A mon grand dam je les vis hocher la tête d’acquiescement.

             _ Une fois encore je lui aurais pardonné, il aurait vécu une vie de rêve à mes côtés. Hélas, il m’a insulté, en plein Paris devant toutes les caméras du monde, en public il a emballé l’actrice Géraldine Loup. C’est lui qui m’intéressait, pas cette ravissante idiote capable de tomber amoureuse du premier comique troupier qui lui fait le coup de la drague au petit chien.

    Molossito aboya un grand coup.

             _ Il a de la chance que j’aime mieux les bêtes que les hommes. J’ai profité de la situation. Le lendemain matin mes hommes étaient chargés de me l’emmener, ils ont outrepassé mes droits, quand ils lui ont volé son Rafalos, j’ai décidé de les tuer tous. C’était à moi de le tuer pas à eux.  Personne ne me volera ma vengeance. J’ai décidé de l’attendre dans le Hall du Ritz, il n’est pas venu rejoindre sa Géraldine, je suis sortie pour le retrouver, j’ai croisé cette nigaude, je l’ai tuée pour qu’il ne la fasse pas souffrir. Je suis trop bonne mais entre femmes on doit s’entraider. Voilà, maintenant vous connaissez toute l’histoire, j’ai omis quelques détails sans importance. Je suis pressée de me venger, regarde-moi Damie ! qu’as-tu à dire pour me répondre, espèce de chien.

    Je l’ai fixée droit dans mes yeux, à mourir autant quitter ce bas-monde en regardant une belle chose. Oui j’ai un côté esthète, presque décadent, si j’étais venu au monde un siècle avant sans doute aurais-je été un poëte symboliste, j’ai laissé dix longues secondes, j’ai lentement ouvert la bouche, inspiré une grande bouffée d’air :

             _ T’as de beaux yeux, tu sais !

    Ses yeux étincelèrent de colère, d’un geste vif elle releva son arme de la nuque du Chef. Le bruit  fut assourdissant. J’étais mort, missing in action, comme disent les ricains.

    Non ce n’est pas vrai. J’étais vivant, le corps ensanglanté de Gisèle s’affala sur la table basse. Je regardai le Chef qui me regardait. Comment avait-il fait pour tirer. Nous nous regardâmes encore une fois stupéfaits. La voix de Doriane nous tira de notre étonnement :

    _ Elle s’est suicidée, c’était une grande romantique !

    Un revolver fut froidement jeté sur la table basse tout près du cadavre de Gilberte. Loriane venait de le lancer :

             _ Pas du tout, c’est moi qui l’ai tuée, avec le revolver de Papa, il est toujours dans le tiroir du petit guéridon, contre lequel j’étais appuyée, pendant qu’elle regardait Damie, je m’en suis emparé ! Quelle pouffiasse, qu’est-ce qu’elle croyait la grande donneuse de leçons que j’allais la laisser tuer l’Agent Chad que j’aime à la folie !

    Elle se précipita dans mes bras. Doriane fit de même. Dans les bras du Chef. Toutes deux versèrent des larmes de bonheur contre la poitrine de leurs valeureux chevaliers. Quand les effusions furent quelque peu calmées le Chef alluma un Coronado :

             _ Ne perdons pas de temps, nous avons à nous débarrasser au plus vite d’un cadavre.

    A peine le Chef avait-il fini de prononcer sa phrase que son portable sonna. Il s’éloigna de quelques pas, la conversation ne dura pas longtemps, quand il se tourna vers nous il souriait :

    _ Pour le transport du cadavre pas de souci, nous avons une équipe de secours qui se chargera de la besogne par contre le reste de la nuit risque d’être mouvementée, agent Chad allez nous voler une voiture !

    A suivre…