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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 14

  • CHRONIQUES DE POURPRE 605: KR'TNT 605: TONY Mc PHEE / BUFFALO KILLERS / JOHN PEELS / TODD RUNDGREN / DARROW FLETCHER / LUCKY 757 / HIGHSANITY / CAROLE EPINETTE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 605

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    15 / 06 / 2023

     

    TONY McPHEE / BUFFALO KILLERS

    JOHN PEEL / TODD RUNDGREN

    DARROW FLETCHER / LUCKY 757

     HIGHSANITY / CAROLE EPINETTE  

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 605

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     McPhee-ling

     

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             Tous les fans de blues électrique vont devoir sortir leur mouchoir : Tony McPhee vient de casser sa vieille pipe en bois. S’il faut emmener un solo de guitare sur l’île déserte, c’est-à-dire au paradis, ce sera celui que prend McPhee sur «Split #2». Laisse tomber Clapton, c’est McPhee qu’il te faut.

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             Comme bon nombre de ses contemporains, Tony McPhee eut la chance de côtoyer et d’accompagner sur scène l’une de ses idoles, John Lee Hooker. Hooky débarqua seul en Angleterre pour une tournée et il fallut lui trouver un backing-band. Cela se passait en 1964. Don Arden organisait cette tournée. Il demanda  à John Mayall d’accompagner Hooky. Mais ça coinçait au niveau son, car Mayall avait un organiste dans son groupe. Scandalisé, Tony McPhee n’admettait pas qu’on pût transformer l’un des grands puristes du blues en artiste de r’n’b. Par chance, Mayall fit faux bond à Hooky peu avant la fin de la tournée. Don Arden chercha donc un groupe pour le remplacer. Il le voulait bien sûr le moins cher possible. Les Groundhogs firent une offre de service à ras des pâquerettes. Tope-là, mon gars ! Idéal en plus, car le nom du groupe était tiré d’un classique d’Hooky, « Groundhog Blues », qui se trouve sur l’album House Of The Blues. En prime, Tony connaissait des morceaux qu’Hooky avait oubliés, alors ça créait des liens. Et la cerise sur le gâtö, c’est que les Groundhogs connaissaient si bien les morceaux d’Hooky qu’ils étaient capables de le suivre dans toutes ses cassures de rythme. Ils étaient le backing-band idéal pour Hooky qui finit par devenir pote avec eux. Au point de refuser la voiture avec chauffeur que proposait Don Arden. Hooky préférait voyager avec ses potes les petites marmottes, dans leur van pourri.

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             Tony était tellement subjugué par son idole qu’il se mit à jouer comme lui, sans médiator, avec la bandoulière passée sur l’épaule droite. Tournée de rêve, comme on l’imagine. Tony vit qu’Hooky était illettré et très embêté quand on lui demandait de signer un autographe. Alors il lui apprit à signer son nom. Comme ils voyageaient ensemble dans le même van, ils devinrent très proches. Tony et ses amis durent s’habituer à voir Hooky alors âgé de 47 ans cracher partout pour s’éclaircir la voix, draguer toutes les petites poules blanches qui traînaient dans les parages et pisser contre des murs, à l’intérieur comme à l’extérieur.

             Puis on entre dans les années fastes du British Blues. Mayall se pointe chez Tony et lui propose quarante livres par semaine pour remplacer Clapton qui vient de quitter les Bluesbreakers. Tony a du pif, il se méfie de Mayall. Il décline l’offre. Alors Mayall embauche Peter Green qu’il vire aussitôt que Clapton veut réintégrer son poste dans les Bluesbreakers. Tony avait eu raison de se méfier du vieux crabe.

             Avec une série d’albums remarquables, les Groundhogs sont entrés dans la cour des grands du rock anglais. On ne leur trouvait qu’un seul défaut : les noms imprononçables des deux sidemen de Tony : Peter Cruickshank et Ken Pustelnik. Ce n’était pas du tout la même chose que Clapton, un nom dont tout le monde se souvenait, et que tout le monde citait avec un air de connaisseur. Par contre, Cruickshank et Pustelnik, c’était foutu d’avance. Pour simplifier, on se contentait de dire du trucs du genre : « T’as vu les lignes de basse de Pete dans Natchez ? ». Les conversations dans la cour du lycée étaient à 90 % consacrées aux disques de rock et au British Blues. Les 10 % restant devaient concerner les filles.

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             Leur premier album Scratching The Surface sort en 1968, année pré-érotique. L’harmoniciste Steve Rye complète le line-up. Andrew Lauder qui dirige United Artist a une idée géniale pour la pochette : il leur propose de poser dans un étang, histoire d’illustrer le titre de l’album qui parle de surface. Alors d’accord, ils vont à la campagne et le photographe leur trouve un étang avec de l’eau bien froide. Tony, Ken, Pete et leur copain harmo font de gros efforts pour ne pas claquer des dents. Au dos de la pochette, on les voit tous les quatre repartir à pieds avec leur pantalon à la main.

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    On démarre avec « Rocking Chair » qui sonne comme du Cream, ou pire, comme du jump-blues à la Mayall. Aucun intérêt. Ce ne sont pas les petits jump-blues qui font les grandes rivières, n’est-il pas vrai ? Et puis il faut savoir séparer le bon grain de l’ivraie. Par contre, « Early In The Morning » dégouline de bon heavy blues admirablement bien balancé et doté de tous les atours du swing émérite - Go cut go ! Énorme dextérité et son acide bien distinct, on sent venir le grand Tony. Le blues à la Muddy Waters fait son apparition dans « Married Man », solide et affreusement classique, pour ne pas dire conventionnel. Tony joue les efflanqués. On voit nos pauvres marmottes s’enliser dans l’ornière du blues. La production n’arrange rien, puisque le son de basse semble lointain et la batterie sonne comme une casserole. D’ailleurs, tous les batteurs s’ennuient quand ils jouent le blues, sauf John Bonham qui frappe tellement ses peaux qu’il joue sans micros. Tony pourrait casser la baraque, mais il est encore dans sa période inféodée. Les Groundhogs frisent la catastrophe avec deux ou trois cuts. Tony joue avec un style hésitant, Pete est tellement mal à l’aise qu’il joue en retrait, et Ken s’évertue à tenir le beat, mais il est complètement ridicule. Avec « Man Trouble », on a un beau brin de stomp à la Muddy doublé d’harmonica et Tony part en solo carnivore, déchiquetant toutes ses notes avec une violence indescriptible, puis il se replie dans la chaleur de la nuit. Mais l’album laissera un mauvais souvenir aux amateurs.

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             Ils se remonteront le moral avec l’album suivant, Blues Obituary, dans lequel se nichent deux ou trois merveilles. Par exemple, cette reprise de Wolf, « Natchez Burning », qui relate un exploit du Klu Klux Klan venu brûler une église à Natchez, Mississippi, le fief d’Elmo Williams et d’Hezekiah Early. Belle poudrière, classique épouvantable. Tony est dessus, il croise bien ses lignes avec celles de Ken. Ils ont un son bien désossé qui tient admirablement la route. Autre exemple flagrant : « Daze Of The Week », une approche du blues lestée d’un grand sens insulaire, Tony joue les myriades de notes, il se perd dans des dédales, il piaffe dans l’azur des arcanes, il va loin, aussi loin que le portent ses ailes, c’est un expert de l’évasion évanescente, un prêtre du prêche pêchu. Et c’est là qu’on découvre le géant Tony TS McPhee, merveilleux guitariste d’une incroyable modernité. « Times » a une jolie couleur de blues stompé, croisement de beat cherokee et d’anglicisme averti, excellente pièce ingénue d’une fraîcheur convaincante. Tony se montre riche comme Crésus, non pas d’argent, mais de ressources stompiques et de petites giclées bluesy. On reste dans cette veine avec « Mistreated » et là, Tony fait son Hooky. Il va chercher son chant dans la noirceur du blackisme, mais il décolle à sa façon. Le son de sa guitare en impose terriblement. Il monte par paliers et il atteint un niveau mélodique extraordinaire. Il fait ça quasiment seul, il joue au premier plan. C’est exceptionnellement puissant. Il revient coudre la fin de cut avec un solo d’une finesse exquise.

             Avec cet album, Tony et ses amis ont enterré le blues. Ils vont alors passer aux choses sérieuses avec Thank Christ For The Bomb, un album considéré à juste raison comme l’un des grands classiques du rock anglais.

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             Sur cet album se niche l’un des hits du groupe, « Eccentric Man », qui à l’époque nous transforma tous en dévots des Groundhogs. On chantait ça dans la cour du lycée - Call me an eccentric man/ I don’t believe I am - On ne jurait que par Tony le géant, le roi de la pétaudière, l’exploseur en tous genres, le monteur de température, le pourvoyeur de frissons, le manipulateur des tensions, l’artificier hargneux, la sale teigne du rock, l’accrocheur mortifère. Son riff nous prenait la trachée artère en enfilade, on sentait l’eccentric man naviguer dans l’ombilic des limbes, avec sa voix de cochon mouillé - Call me an eccentric man/ I don’t believe I am - et Tony la ramenait, il grattait le sol comme un taureau provoqué, et il chargeait en dégommant tout, c’était un choc abdominal, un véritable passe-droit, planté dans la poitrine du rock comme une flèche apache, et il balançait un solo mortel, aussi mortel qu’un black mamba de Tarentino, violent comme un éclair, Tony titillait ses petites cordes avec ses petits doigts pour aller chercher des petits effets hendrixiens nappés de spasmes, il allumait la chaudière des enfers, il jouait comme un soudard dessoudé à la moustache mouillée, mais quel fretin ! Captain Sensible explique quelque part qu’il ne comprend pas comment Tony s’y prenait pour ne pas casser ses cordes en jouant, tellement il leur tapait dessus. Il est bon de noter aussi que Jimi Hendrix eut sur lui le même genre d’influence qu’Hooky. Comme Hendrix, Tony cherchait un son qui s’enracinait dans le blues, mais qui tendait à la sauvagerie et à la transe shamanique, pour partir dans plusieurs directions à la fois.

             Bien sûr, on trouve d’autres morceaux intéressants sur Thank Christ For The Bomb, comme par exemple « Strange Town », un solide romp bien arqué sur ses rotules. On découvre en Tony un véritable génie vitriolique. Il introduit le morceau titre à la guitare acoustique, puis il éclate d’un grand rire sardonique et tout au long des sept minutes que dure le cut, on va le voir se mettre en transe et tenter de provoquer le chaos. Oh, il va presque y parvenir.

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             Split qui sort un an après est un album encore plus spectaculaire. Toujours enraciné dans le blues, bien sûr, mais bourré de titres fabuleux comme les quatre Split de l’A. Avec « Split Part One », on sent un Tony très inspiré et bien remonté. Que voulez-vous, c’est un battant, un winner du blues au doigt. Il part en vrille et Ken le suit. On se régale de ce son idéal où l’on entend bien distinctement tous les instruments, tout en ayant une très forte impression d’ensemble. Amazing, comme dirait le Prince de Galles. Tony revient au thème de Part One comme un petit chien, au pied de son maître, un bon coup de wha-wha par là-dessus et voilà le travail. « Split Part Two » est un vrai coup de génie. Après une belle entrée en matière, Tony part dans le thème. C’est le hit universel par excellence. Couplet fabuleux - I leap from bed in the middle of night/ Run up the stairs for three or four flights/ Run in a room turn on the light/ The dark is too dark but the light is too bright - Tony se réveille en pleine nuit et descend les marches quatre à quatre, il allume la lumière mais elle est trop vive, alors on attend le second couplet pour savoir ce qui va se passer - Reality is hard to find/ Like finding the moon if I was blind/ It’s there so stark so undefined/ I must get help before I lose my mind - Tony n’accepte pas la réalité, les choses le dépassent et il sent qu’il va devoir trouver de l’aide, sinon il va devenir fou, et là, les amis, il part en solo, il dégringole dans l’enfer de la fournaise, il s’en va au fond du studio et revient faire le con devant. Il redescend dans les tréfonds d’une éblouissante crise de génie guitaristique, il tire, il tire et il tient la note. C’est l’un des moments les plus excitants de l’histoire du rock anglais. Peu de guitaristes ont su atteindre ce niveau suprême de frénésie soloïque.

             Tony monte son « Split Part Four » sur les bases saines du boogie-blues à l’Anglaise. Il s’y connaît mieux que personne, dans ce domaine. Il va chercher des contre-chants mélodiques à la confrontation. Son boogie-blues est toujours passionnant, car derrière, ses amis Ken et Pete swinguent comme des diables de fête foraine. On trouve d’autres puissantes supercheries sur la B, comme ce « Cherry Red » favori des Anglais, un hit frappé sec dès l’intro. Ils ne perdent pas de temps. Ce sont de violents déterministes. On a là une vraie perle de rock cherry red. Tony chante ça d’une voix patraque de chat perché et part en solo comme un prince de la nuit, il va où il veut, il règne sur ce disque comme il règne sur la terre et la mer, il file comme un feu follet impénitent. Il revient à son petit riff et mine de rien, il installe un classique sur son piédestal. Il faut savoir le faire, comme ça, sans fournir le moindre effort. Ça en bouche un coin. On comprend que Captain Sensible se soit prosterné aux pieds de Tony PcPhee. Ils terminent ce disque éprouvant avec le « Groundhog » des origines, une cover si inspirée qu’on en pleurerait, sometimes.

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             Pas mal de bonnes choses sur Who Will Save The World. Avec « Earth Is Not Room Enough », on retrouve les belles compos étranges et graillées à l’arrière du son dont Tony s’est fait une spécialité. Il met toujours sa voix ingrate et bien décidée à l’avant. Comme dans tous les morceaux du groupe, quelque chose de déterminant se déroule. En écoutant Tony McPhee, on sent clairement l’artisan qui fabrique patiemment son univers tout seul, pièce à pièce. Et ça marche. « Wages Of Peace » est la parfaite illustration de cette théorie oiseuse. TS sonne comme le facteur Cheval du rock anglais, comme le Douanier Rousseau du British Blues, il fabrique une à une ses petites chansons incongrues et inclassables. C’est à la fois farfelu, classique, tendre et pointu, et toujours traversé par une espèce de solo admirable. Il ne faut surtout pas perdre ce mec de vue. C’est un aventurier moderne à l’ancienne. Il bricole des chansons dans son coin et fait le bonheur de ses fans depuis quarante ans. Il est à la fois très fort et très faible. « Body In Mind » est une petite compo à rebrousse-poil avec des tendances jazzy. Un solo intriguant entre dans l’espace comme un ludion écervelé qui va se tortiller au mieux, admirable de fantaisie. Tout est artistement élevé et frais chez Tony. Retour au couplet chant à rebrousse-poil avec une souplesse rutilante. Résultat : on se retrouve avec une chanson imbattable, judicieuse et allègre. « Death Of The Sun » est une pièce extrêmement ouvragée et enrichie au clavecin. Il balance aussi une version surprenante d’« Amazing Grace » qu’il traite avec une sorte de rage hendrixienne croisée à la cornemuse expérimentale. Ce mec a du génie car il arrache la barbe de dieu. Et voilà la vrai blues rock méchant des Groundhogs : « The Grey Maze ». Ils entrent sur le sentier de la guerre. C’est digne de « Split ». Véritable exploit de power trio. Et fabuleuse sortie de fin de cut. On retrouve le génie expurgé et démentoïde de Tony McPhee. Il titille son truc et ça part. Ça coule dans tous les coins, il fait gicler ses notes à la folie cavalière. Force est de constater qu’il appartient à la caste des géants du rock anglais. Il ne lâche pas sa carne. Il ré-attaque avec férocité. Un fauve, vous dis-je !

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             Hogwash est un album moins spectaculaire. « I Love Miss Ogyny » s’annonce en prog, mais la formule évolue, comme d’ailleurs toutes les formules. Et les choses prennent une sacrée tournure. Il faut attendre « 3744 James Road » (adresse d’un ami DJ Jon Scott à Memphis) pour renouer avec du beat primaire. La structure simplifiée à l’extrême plaide pour une bénédiction. Alors Tony sort la wah pour vomir son atavisme. Ken et Pete pulsent le thème avec une remarquable indécence. On se régale du bon heavy blues de « Sad Is The Hunter » et d’un joli solo fondu dans la masse. Mais pas la moindre trace de hit à l’horizon. Étonnant cut que ce « S’one Song » monté sur un riff spoutnik. Tony surprend toujours ses admirateurs. Il ne cherche pas le tube, mais plutôt le bon morceau inspiré. On a soudain un pont et un solo s’assoit sur une paire de cisailles, ce qui donne en gros un morceau encastré dans un autre morceau. Mais ce solo est limpide comme de l’eau de roche. Just perfect. Tony reste le guitar hero numéro un d’Angleterre. Élu parmi les élus. Le dernier morceau de cet album contrasté est un hommage superbe à Hooky : « Mr Hooker Sir John », qui sonne comme une raison d’être et c’est réellement terrifiant de véracité rampante.

             Cet album est mitigé, mais partout où il ira, Tony sera bien accueilli.

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             En 1973, il sort un premier album solo, The Two Sides Of. Ça ne lui réussit pas. Le disque est raté. Et dire qu’aujourd’hui des gens se l’arrachent à prix d’or, pour avoir le fameux gatefold poinçonné !

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             Avec Solid, on referme le chapitre de l’âge d’or des Groundhogs. Très bon album. Dès le premier cut, « Light My Light », on retrouve l’ongle du vieil artisan acerbe. C’est un mec qui sait travailler la note de l’accord, il sait aussi usiner le groove à la Hooky. Sa voix rauque ne fait que conforter le fan dans son choix. Tony travaille son blues-rock à l’ancienne, avec des outils qu’il façonne lui-même. Il taille des figures de style incroyables. Quel maître ! Évidemment, on l’attend au virage du solo. Va-t-il le traiter fleuve ? Oui, toujours bien fleuve et même fleuve furibard. Il met un point d’honneur à se distinguer en jouant avec les doigts ses solos dévastateurs. Tony n’utilise pas de médiator. « Free From All Alarm » est une belle pièce de boogie-blues. Il va dessus avec son ardeur habituelle. « Sins Of The Father » est monté sur une bassline voyageuse. Étonnant et terrible. Bourré d’énergie. Ça échappe à toutes les règles. Il finit par nous donner le vertige. Voilà encore un morceau superbe et élancé. Il place un solo infernal dans « Sad Go Round », un solo qui effare, bien marqué, unique. Encore une grosse compo avec « Plea Sing Plea Song ». On sent l’intelligence supérieure du songwriter préoccupé de chansons intéressantes. Il secoue les vagues de sa chanson. Il semble se battre contre les éléments tout en apportant une coloration simpliste, avec des attaques bluesy qui l’honorent. Tony McPhee est tellement frénétique dans son approche des choses qu’il ne suscite que de la passion. Il syncope à sa manière, au rythme du ressac et il continue de claquer des solos de fin admirables. Un bon conseil : écoutez les albums de Tony McPhee. Vous l’entendrez secouer un corbillard (« Snowstorm »), taper sur la tête d’un cut (« Joker’s Grave ») ou allumer une fournaise avec un simple battement d’accords (« Over Blue »).      

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             Tony McPhee s’entoure d’une nouvelle équipe et sort deux albums en 1976. L’époque du trio mythique TS-Ken-Pete est révolue. Black Diamond reste un album correct. On constate dès « Body Talk » qu’il se passe toujours quelque chose chez Tony. Il faut voir avec quelle rage il claque ses accords. Captain Sensible n’en revenait pas de le voir aussi énervé, sur scène. Avec « Country Blues », Tony revient aux sources. Il est dans son élément, avec ce joli boogie blues qu’il chante à la rude. Il se savate au rock. Tony est un dur. Puis il revient au calme pour balancer le solo tellement convoité. B très riche avec tout d’abord « Your Love Keeps me Alive » - I never needed another woman - Solo gratifiant pour l’humanité, il le joue contre toute attente. On a là une authentique merveille évanescente - Suspended in the air - puis il explose la fin de cut avec un solo digne de Poséidon. Il revient à la vieille technique des Groundhogs pour jouer « Friendzy ». C’est extraordinairement vivant, d’une rare diversité musicale. Sacré Tony ! Toujours sur la brèche. La texture du morceau est complexe, mais on garde l’oreille rivée aux enceintes. Le morceau titre de l’album est un solo romp à la TS et il balance un solo de fin de cut prodigieux.

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             Crosscut Saw est encore un très bon album. Il prend le morceau titre au guttural. Nouvelle pièce étrange avec « Promiscuity ». On ne voit pas bien l’intérêt du cut et soudain, il prend un solo d’une rare sauvagerie. Il joue avec une opiniâtreté unique en Angleterre. Il ne lâche pas sa viande. Évidemment, on ne trouvera jamais Tony McPhee dans le classement des 100 meilleurs guitaristes de rock. Il replace un solo infernal dans le cut suivant, « Boogie Withus ». C’est un fabuleux placeur de solos. Il les travaille dans la durée, il en explore les possibilités, il va chercher l’infinitude et le beau, il lie sa sauce au beat et il revient, admirable de présence. Tony McPhee est l’un des grands héros du rock anglais, il faut le dire et le redire. Il vient en droite ligne de John Lee Hooker. Il a su créer son monde. La B est renversante. « Live A Little Lady » est stompé d’intro. Il fait son petit numéro de virtuose lunaire en douceur. On sent la patte du maître. « Three Way Split » est amené comme un heavy romp joliment bâti, bien suivi au chant et doublé d’éclatantes décorations de thèmes aigus. Tout reste solide. Ouverture hendrixienne pour « Eleventh Hour ». Joli clin d’œil à l’ami Jimi qui le fascinait tant. Alors on plonge avec Poséidon dans l’extraordinaire aventure d’un groove hendrixien digne d’Electric Ladyland, avec des vagues très perceptibles et de la belle eau. Il repart en solo dans l’extrême pureté d’une aube perdue au beau milieu de nulle part. Les notes prennent de l’élan et le beat suit infailliblement. Tony McPhee redevient l’espace de quelques minutes le maître des océans et du rock anglais. Il tire son solo loin, si loin qu’on le voit disparaître dans le poudroiement azuréen d’abyssinies abyssales à la Turner, là-bas, par delà l’horizon.  

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             Nouvel album terrible en 1985 avec Razors Edge. TS devient fou sur le morceau titre. Son rock rougit, comme atteint d’apoplexie. L’animal ne respecte rien. Tony, c’est un sale punk. Il cultive la violence du concassage. Il en rajoute autant qu’il peut. Ça déborde. Ses virtuosités se croisent dans un ciel étoilé. Dans « I Confess », on retrouve la puissance rénale du beat. C’est un type très violent. Attention à « Born To Be With You ». Il le fracasse dès le riff d’intro. Quel démon ! Il tape dans tout ce qui bouge. Il joue le boogie du diable. Il explose tout à coups de riffs. Good Lord ! Écoutez Tony McPhee. C’est lui le vrai punk anglais. Puis il pond un solo de rêve. Il part loin, dans une purée de brouillard qu’il transperce et qu’il enflamme. C’est fulminant. Tony a du génie à revendre. Il revient dans le thème au prix de prouesses inadmissibles. Et la curée se poursuit avec « One More Chance » et du riff concassé. Tony dégage tous les obstacles. Son boogie blues explose la gueule des frontières du réel. C’est hargneux, au-delà du descriptible. Il joue le riff dans la graisse du jeu de gratte. Il fait la pluie et le beau temps, il pulvérise la pulvérulence. Et il envoie filer un solo de fou. Il tire ses notes, ah quelle ordure ! Quel killer solo ! Ses notes pleurent des larmes de sang. Il repart pour mieux nous terrasser les oreilles. Ce mec est increvable. Aucun soliste anglais ne peut rivaliser de démesure sublime avec Tony McPhee. Il faut se méfier avec ce genre de mec, car on finit toujours par entendre un solo génial. Toujours l’enfer avec « The Projector ». Il embarque son beat et l’arrose d’arpèges en feu. Il n’est pas avare de figures de proue. Nouveau solo de rêve, killer solo exterminator. Fluide carnassier. Il est effarant de grandeur. Personne ne peut lui arriver à la cheville. Même pas la peine d’essayer. « Superseded » devient rapidement une horreur. Il fait monter sa sauce. Il titille ses notes au petit doigt et son solo entre dans le cut comme un coup d’épée, il plonge son arme avec toute la bienveillance de la chrétienté et explose la panse du rock infidèle. C’est pas fini. Il reste encore deux horreurs sur cet album : « Moving Fast Standing Still » renoue avec le génie de « Split #2 ». Tony ressort ses vieilles ficelles. Il chevauche une walking bass infernale. Tony est le Seigneur des Annales et il lâche le bouillon d’un solo merveilleusement liquide. Il faut laisser jouer Tony McPhee ! C’est une question de survie pour l’intellect de l’Occident. Il finit avec un blues fantastique, « I Want You To Love Me », et il sort de son chapeau le plus gros son de l’histoire du rock anglais. Son solo s’élève comme un modèle définitif. Ses notes coulent comme la lave, du haut des flancs éventrés d’un Krakatoa. Tony ramone sa purée sans qu’on lui ait rien demandé.

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             Back Against The Wall semble bien être le dernier album en date des mighty Groundhogs. Et quel album ! A hell of a blast ! Rien qu’avec le morceau titre, la partie est gagnée. Tony est affolant de présence. Pire encore, « No To Submission », accroché aux croches, furieux car riffé et joué tout à la fois. C’est de la très haute industrie lourde et Tony balance son solo périphérique d’essence blafarde. On n’en finirait plus d’épiloguer sur la modernité de son jeu de guitare, sur son sens de l’attaque, sur la grandiloquence rustique de son son. Il saura toujours ficeler un cut intéressant. Il saura toujours se rendre indispensable. Il n’est pas concevable de vivre sa vie sans écouter les disques de Tony McPhee. Sans les Groundhogs, la vie aurait-elle un sens ? Bonne question, pas vrai ? On va encore s’extasier sur « Waiting In The Shadows », à cause de son attaque en crabe très particulière et de l’angle de sa vision. On parle ici de l’angle de la terre des Angles du grand Tony tout déplumé. Quel powerman versus Lola ! Il plastroque comme une bête de Gévaudan des Midlands. On ne saura jamais si c’est elle qui est allée faire un tour à Whitechapel, car enfin, la finesse des enquêteurs a ses limites. Il fait un festival de wah épouvantable sur la bassline de Dave Anderson. Tony ? Mais c’est le diable en personne ! On adore l’écouter. C’est toujours une fête. Il fait son truc pour de vrai. Avec lui, on ne connaîtra jamais l’avanie d’Annie. Pourvu qu’il vive encore longtemps ! Aux dernières nouvelles, il ne serait pas très frais. Il nous joue ensuite « Ain’t No Saver », un petit boogie blues et on se prosternera devant « In The Meantime », pure abstraction mélodique amenée à la guitare. Il met son Meantime en route et crée l’enchantement d’une voix éteinte. Pas mal. Il fallait y penser.

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             Tous les admirateurs de Tony ont chopé Hooker & The Hogs réédité en 1996. Pas de surprise, c’est du Hooky pur jus, et comme le dit Tony dans les liners, ce disque est la preuve qu’Hooky voulait enregistrer avec ses amis les marmottes. On retrouve Peter Cruikshank à la basse et Dave Boorman au beurre. Tony passe ses petits solos l’air de rien. Il ne la ramène pas. Belle version de « Little Dreamer » lancée par Tony. On sent bien à l’écoute de ce bel album qu’Hooky est au sommet de sa forme. Bonne voix, bonne prestance. Et il a la chance d’avoir un excellent backing. Tony joue bien sec. On voit qu’il est déjà à l’époque un guitariste accompli. Fantastique version d’« It’s A Crazy Mixed Up World ». Il faut entendre l’attaque du grand John Lee Hooker. Tony joue la bride bien tenue. Il réussit à placer un petit killer solo en note à note rudimentaire que vient croiser Hooky. 

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             Avec Hogs In Wolf Clothing, les marmottes se déguisent en loups. Tony McPhee s’attaque à l’Anapurna, c’est-à-dire à Wolf. Il se lance dans un album entier de reprises de Wolf, l’inconscient, 15 classiques imprenables. Personne avant lui n’a osé une telle expédition. Il faut s’appeler McPhee pour oser un tel exploit. Mais ce n’est pas sans risques. En écoutant « Smokestack Lightnin’ », on sent bien que c’est foutu d’avance. Tony va hurler à la lune, mais il n’a pas le raw de Wolf. Il n’a pas la viande au chant. Tout ce qu’il peut apporter, c’est le solotage. Il s’éloigne encore plus de l’esprit wolfien avec « Commit A Crime ». Il force son guttural, mais heureusement, il joue une partie de guitare dingoïde, toute en riffage de gimmickage et c’est stupéfiant. Il entre dans le lard du cut avec un sacré solo, il tartine sa partie dans le groove et ça redevient le grand TS qu’on admire, le TS du trapèze de haute voltige. « Fourty Four » est l’idéal pour lui, c’est le prototype du coupe-gorge guitaristique. Puis il plonge dans « No Place To Go » et le pulse à la pointe de l’épée, comme Zorro. Tony McPhee est l’un des meilleurs allumeurs de brasiers d’Angleterre, ne l’oublions pas. Dès qu’il repart en solo, les choses prennent une tournure exceptionnelle. Va-t-il battre Jeff Beck avec sa version d’« Ain’t Superstitious » ? Il attaque seul, sans l’aide de Rod The Mod. Il est gonflé. Sa version est moins colorée que celle du Jeff Beck Group, mais elle devient épique dès qu’il part en solo. Il attaque « Evil » à la note grasse, il joue dans le flanc, mais il manque de jus d’Evil, il sonne comme un petit foie blanc. Alors il compense par un solo de dingue, une pure saloperie visqueuse et pleine de pus. Il prend « My Life » au heavy blues de l’accord tombé et en fait une tambouille à la ouuuh-ouuuuh. Mais il ne remonte pas dans l’excellence du râcleux de Wolf. Pourquoi ? Parce que c’est impossible. « Sittin’ On Top Of The World » est le blues de la perfection et Tony l’exploite comme il peut. Il claque ses notes de solo et retrouve l’éclat de son génie. Il éclate ensuite le boogie de « Wang Dang Doodle » au gimmickage puis il jazze joliment « How Many More Years ». Il prend un solo limpide et bienheureux comme Alexandre, et ça vire et ça valse.

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             Tony McPhee revient au blues traditionnel avec deux albums, Me And The Devil et I Asked For Water réédités ensemble par BGO en 1998. On y entend Tony gratter dans sa cabane de jardin. Mais il lui manque l’essentiel : la rive du Mississippi. Il va chercher les vieux trucs de gratte bien joués à la sèche, ces vieux trucs qui épatent les copines autour du feu de camp. Mais comme on le voit avec « Death Letter », il est trop dans le trad. Il devient même inquiétant de traditionnalisme. Ça ne peut pas marcher. Pourquoi ? Parce qu’il a la peau blanche. Il continue à ramener les images d’Épinal avec « Make Me A Pallat », un piano blues sur lequel chante Jo-Ann Kelly. Sur « Heartstruck Sorrow », Tony fait claquer le nylon de ses cordes à l’ongle. Pour « You Better Mind », il sort toute sa maestria et vire bourrée des Appalaches. Atroce. On se croirait sur le bivouac d’une mine de cuivre des Appalaches, alors qu’on est en Angleterre. C’est affreux. Du coup, Tony risque de passer pour un prétentieux, et pourtant, ça n’a pas l’air d’être son genre. Dans « Hard Times Killing Floor Blues », ça se corse encore, car Tony se croit aux abattoirs de Chicago. Mais il ne connaît rien au cauchemar des abattoirs de Chicago, surtout ceux de l’époque dont parle Wolf dans sa chanson. Tony, tu devrais t’occuper de tes fesses ! Jo-Ann Kelly revient avec sa grosse voix de rombière de l’Alabama pousser une gueulante dans « Same Thing On My Head » et là tout à coup, on se retrouve dans une église pentecotiste du Deep South, en plein gospel choir.

             L’autre album est nettement plus inspiré. On sent moins les cartes postales. Avec « Factory Blues », Tony revient au stomp des origines. « Crazy With The Blues » est magnifique d’enthousiasme corporatif. Tous les instruments explosent vraiment autour du feu de camp. Avec « Gasoline », Tony se prend pour Wolf, et il essaie de faire déraper sa voix. Sa version de « Love In Vain » vaut largement celle des Stones. Tony se retrouve tout seul à la station avec la suitcase à la main. Il gratte péniblement son vieux truc et ressort du placard un vieux fond de hargne. Puis Jo-Ann Kelly et lui balancent une version monstrueuse de « Dust My Blues » et Tony revient à la puissance du swing avec « Built My Hopes Too High », mais il en altère judicieusement la structure en la jouant à l’envers.

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             Sur Foolish Pride, Tony revient aux sources et joue le blues à l’échappée belle. Sur le morceau titre, il joue comme le démon que l’on sait. C’est un meneur de ronde de nuit, comme dirait Rembrandt. Il y va de bon cœur. C’est même un festival. Si on n’a pas encore compris que Tony McPhee est avec Jeff Beck et Peter Green le plus grand guitariste d’Angleterre, alors on n’a rien compris. Il faut le voir repartir à contre-courant du thème. Il effare par sa vélocité acariâtre. Il peut même partir dans tous les sens, ça ne le gêne pas. Il va bien au-delà de ce qu’on peut encaisser. Il est beaucoup trop libre, beaucoup trop fort. Dès le démarrage d’« Every Minute », la guitare entre dans le lard du cut. Et le son qu’on a sur « Devil You Know » ! Toujours le son. Rien que le son. Il éclate tout du bout des doigts. Il sort vainqueur de tous les combats. Il fait couler des phrasés de guitare insalubres et il tripote le gras du son. « Time After Time » est un autre blues-rock angloïde. On y retrouve la vieille problématique des Groundhogs et on se sent le cul entre deux chaises : hit ou pas hit ? On va de surprise en surprise jusqu’à un merveilleux walking blues intitulé « Wathever It Takes ». Ça coule tout seul et derrière ça swingue. Il repart comme si de rien n’était avec « Been There Done That ». Il sait bien au fond que des gens vont l’écouter et apprécier ce dernier spasme. 

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             Bleachin’ The Blues est un disque de blues acoustique. Il gratte tout à l’ongle sec. C’est un fou. Il part en bon boogie sur « All You Women » et il se met à claquer ses notes. Il tape dans le limon du delta prosaïque. Sacré Tony, il parvient toujours à trouver des passages inconnus. Mais il faut voir avec quelle violence il claque ses notes dans « Many Times (I’ve Heard It Mentionned) ». Pauvre guitare. Tony est un tortionnaire, un affreux jojo. Avec « All Last Night (And The Night Before) », c’est de pire en pire. La pauvre guitare ne se plaint pas. Elle sait que c’est son destin et qu’il faut arriver à l’accepter. Mais quelle violence ! Dans « When You’re Walkin’ Down The Street », Tony se prend pour un vieux nègre du coin de Beale Street. Dommage qu’il morde le trait. Il fait ensuite tomber les accords de « Bleechin’ The Blues » et dessine un belle perspective historique. Comme il se sait héros, il explose la gueule du blues. Il lève alors une tempête de grattage intempestif. Plus loin, il tape dans le gros classique de Mississippi Fred McDowel, « Love In Vain ». Tony est courageux et ça paie. Sa version est dévastatrice. Il la gratte avec une rage qu’on ne lui connaissait pas et il place mille et une petites transitions fluides. On peut dire qu’il nous en aura fait voir de toutes les couleurs, l’animal. Il finit par vraiment s’énerver et il claque ses solos dans la fumée âcre de l’exacerbation maximale. C’est un épisode stupéfiant, je vous le garantis. Il termine cet album assez extraordinaire avec deux autres classiques énormes. D’abord « Terraplane Blues », l’un des plus gros classiques de tous les temps, il fait ses eh-iiiihhh comme il faut. Il en sort une version terrassante. C’est même le hit de l’album. Il faut voir comme il terrasse son Terraplane. Et puis il continue de rendre hommage à Wolf avec une version sensible de « Litlle Red Rooster ». Franchement, on ne pouvait pas rêver meilleur final.

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             Tony enregistre Blue And Lonesome en 2007 avec Billy Boy Arnold. Sur cet album sauvage, le boogie est roi. Ils démarrent avec « Dirty Mother F... », magnifique de violence énergétique. On sent immédiatement le très gros disque. On entend bien Tony gratter ses flashes éclairs. Il part comme à son habitude en solo sans prévenir. Il peut tout se permettre, surtout quand il joue le blues, baby. « 1-2-99 » est une étrange pièce de blues en résonance, une sorte de blues pop progressif entreprenant très bien épaulée par les épauleurs et finement sertie d’un pur solo McPheelien. Billy Boy Arnold est un chanteur extraordinaire. Il cloue toutes ses fins de phrases. Il faut l’entendre lancer « Christmas Tree » en chantant le riff - tatatata la la - et une grosse ambiance s’installe. Billy Boy tire tous les morceaux à l’énergie. Bien sûr, la plupart des carcasses sont connues comme le loup blanc des steppes, mais on se régale de l’interprétation. « Mary Bernice » est un chef-d’œuvre de niaque. Billy Boy attaque de plein fouet et descend dans ses intonations, aussitôt relayé par un solo faramineux de Tony. Encore de la niaque avec « Just A Dream ». Billy Boy sonne comme le chanteur idéal. Il sait très bien faire l’exacerbé incontrôlable. Le dernier morceau de cet album tonitruant n’est autre que « Catfish ». On  retrouve le vieux mythe de Muddy. Derrière, c’est battu sec par le Père Fouettard et Tony gratte comme un dingue. C’est l’un des très gros disques de boogie enregistrés sur le sol d’Angleterre.

    Signé : Cazengler, Tony McFiotte

    Tony McPhee. Disparu le 6 juin 2023

    Groundhogs. Scratching The Surface. Liberty Records 1968

    Groundhogs. Blues Obituary. Liberty Records 1969

    Groundhogs. Thank Christ For The Bomb. Liberty Records 1970

    Groundhogs. Split. Liberty Records 1971

    Groundhogs. Who Will Save The World. United Artists 1972

    Groundhogs. Hogwash. United Artists 1972

    Tony McPhee. Two Sides Of. Wa Wa Records 1973

    Groundhogs. Solid. Vertigo 1974

    Groundhogs. Crosscut Saw. United Artists 1976

    Groundhogs. Black Diamond. United Artists 1976

    Groundhogs. Razors Edge. Landslide Records 1985

    Groundhogs. Back Against The Wall. Demi Monde 1986

    Tony McPhee. Foolish Pride. Blue Glue 1993

    Groundhogs. Hooker & The Hogs. Indigo Recordings 1996

    Groundhogs. Hogs In Wolf Clothing. HDT Records 1998

    Tony McPhee & Friends. Me And The Devil/I Asked For Water. BGO records 1998

    Tony McPhee. Bleachin’ The Blues. HTD Records 1997

    Billy Boy Arnold & Tony PcPhee & The Groundhogs. Blue And Lonesome. Music Avenue 2007

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    Record Collector # 424. February 2014. « Groundhog Days » par Paul Freestone.

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    Martyn Hanson. Hoggin’ The Page. Groundhogs - The Classic Years. Northdown Publishing

     

     

    L’avenir du rock

    - Buffalo bile

     (Part One)

     

             N’allez surtout pas croire que l’avenir du rock soit l’un de ces élitistes réfugiés dans une tour d’ivoire. Au contraire, il adore se fondre dans la masse, en regardant par exemple les jeux télévisés. Huit candidats sont à l’écran pour le super-banco, tourné en direct devant des millions de téléspectateurs. Après le gong, l’animateur redresse son nœud pap et ânonne d’une voix solennelle :

             — Connaissez-vous le nom du groupe de rock américain des frères Gabbard ? La question étant un peu difficile, je vous donne trois indices qui j’en suis sûr vous mettront sur la piste : cornes, plaine, winchester. Bon, je vois à votre plumage que c’est le grand ramage, alors je vais vous aider : le nom que je vous demande est en deux mots, ça commence par BU et ça tagadate.

             Une grosse dame d’allure réactionnaire lève son gros bras :

             — Buralistes Couleur !

             — C’est pas mal, Madame Bignolle, mais ce n’est pas ça...

             — Burineurs Caleux !

             — Vous n’avez droit qu’à une seule réponse Madame Bignolle, vous enfreignez le règlement !

             — M’en fous de vot’ règlement, j’ai besoin des dix millions pour refaire ma salle de bains ! Alors le nom du groupe, c’est Burito Kilos !

             — Je vous en prie, Madame Bignolle, vous empêchez les autres candidats de tenter leur chance. Faites au moins preuve de civisme, si vous n’êtes pas capable de...

             — Ho, commence pas à m’insulter, sinon mon époux va v’nir te péter la gueule !

             Dans le public, un mec assez grand se lève, la caméra le cadre :

             — Bucolimilimilimilimilimilimili... blic !

             L’animateur se tourne alors vers la caméra :

             — Allo Cognac-Jay, nous avons un problème technique, je vous rends l’antenne ! 

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             L’avenir du rock éteint la télé. De voir des gens aussi cons le rend triste. Et ça le rend encore plus triste de n’avoir pas participé au jeu, car bien sûr il connaissait la réponse. Buffalo Killers. Il ne connaît pratiquement qu’eux. Attention aux frères Gabbard ! Ils font partie des ces hippies américains basés dans l’Ohio et capables de rivaliser avec les Beatles.

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             Leur premier album Buffalo Killers sort sur Alive Records en 2006, et dès «San Martine Des Morelles», ils sortent une heavyness de beatlemania digne du Lennon de «Cold Turkey». C’est admirable car bardé de son et sensé, orienté grand public de qualité. Les Killers tapent dans l’overdrive de défonce concomitante. Les accords sont ceux de «The Ballad Of John And Yoko», et ça joue fabuleusement bien. On a même un solo digne du roi George, mais avec le poids d’une certaine Amérique en plus. On retrouve le son des Beatles dans «Something Real», le dernier cut de l’album. Les Killers sont probablement le meilleur heavy band beatlemaniaque du monde. Ce cut est zébré d’éclairs de John et de George. Ils écrasent littéralement «Fit To Breathe» dans l’œuf du serpent. C’est chanté au guttural du midwest, et piqué au grain mauvais de distorse acariâtre. Quoi qu’ils jouent, quoi qu’ils disent, quoi qu’ils caguent, ils sont bons. Dans la fuzz du son, on croise le fantôme de John Lennon. Les Killers battent pas mal de records de heavyness avec ce bel album. Ils tapent «SS Nowhere» au heavy retardataire, c’est un bon choix. Admirable car bardé de tout ce qu’on aime dans le son, ce psyché allumé aux riffs de basse, et pour corser l’affaire, Andrew Gabbard passe un solo cool de cat à la clé qui vire acide sur l’after. On reste dans le modèle beatlemaniaque avec «Heavens You Are». Ils ont un si joli son qu’ils semblent jouer au-dessus de leurs moyens. Andrew Gabbart chante comme un con et ça retombe comme un soufflé. Avec «River Water», ils se positionnent dans une certaine ampleur de rock américain. Ils sortent un son chatoyant classique, on dirait du Little Feat assis sur des braises ardentes. On sent qu’ils cherchent à créer l’événement, comme par exemple avec «With Love», joué au bouquet d’harmonies soniques. C’est drôle, car on attend des miracles de ces mecs-là. On a raison d’attendre, car arrivent «Children Of War», tapé au heavy-rock et fondu dans une mélasse de rêve, puis l’excellent «Down In The Blue», pur jus d’heavynesess de Cincinnati, ils le grattent délicieusement en écrasent les syllabes comme des cafards. Oh yeah, un Killer sinon rien.

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             Deux ans plus tard paraît Let It Ride. Dès «Get Together Now Today», les frères Gabbard sortent un admirable son de heavyness télescopique. C’est littéralement bardé de son et d’idées de son. Ils captent immédiatement l’attention. Ils dérouillent la fine fleur du rock seventies au muddy bass sound et aux claqués de mains épisodiques - But hey everybody’s wrong/ Let’s get together now today - Ça s’amplifie encore avec le morceau titre, brouet de son d’une indescriptible prescience, digne du «Little Red Lights» de Todd Rundgren. Terrifiante coulée de bronze. Et ça joue au solo trompette. Andrew Cabbard chante à la petite arrache Blue-Cheery. Fabuleux brouet de trompette de solo fuzz et de chœurs de magie noire. Ça sonne comme un sortilège moyenâgeux, le solo éléphant charge les chasseurs dans la savane, ils ont le pouvoir de Cactus, il bousculent tout dans le fossé du temps. Les chœurs fondent comme du gruyère sur le croque. Demento ! Alors évidemment, après un coup pareil, on dresse l’oreille. «Leave The Sun Behind» sonne plus classique, mais hardi et bardé d’excellence. On se retrouve au cœur d’un son seventies, mais avec une modernité de ton providentielle. Des tas de groupes tentent d’y revenir, mais les Killers ont pigé le truc. Ils jouent à la jouissance gourmande du sucré, c’est le rock du Passage Démogé. Voilà «If I Get Myself Anywhere» tapé à la petite heavyness psyché classique. C’est travaillé dans la matière - I don’t care about the world/ Get my jelly roll honey/ Turn the lights low - Oui, il se fout du monde, c’est un groover, que de virtuosité dans son make you feel good, quelle incroyable vélocité psychédélique ! Ces mecs sont aussi bons que NRBQ. Avec «On The Prowl», ils sortent le même son et les pointes de vitesse stupéfient. Dans «It’s A Shame», leurs accords s’écroulent comme des falaises de marbre dans le lagon du Mordor. Ils tapent dans un registre infesté de requins. Ils naviguent à vue comme des fonctionnaires de la vieille école et tarabiscotent un peu trop. Ils sortent un petit groove intimidant avec «Heart In Your Hand» - Breaking my back for you darling - Étonnant et solide. S’ensuit un «Take Me Back Here» tapé à la petite énerverie patentée. Ils jouent la carte du funk foncier et s’amusent à pulser le push du puke, avec une très joli son de shuffle et un solo bien gras. Admirables Killers.

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             Ils renouent avec leur passion pour les Beatles dans 3 avec un cut intitulé «Time Was Shaping». On se croirait sur le White Album. Sans blague ! C’est le son de «Sexie Sadie», l’esprit, en tous les cas. Ils tapent leur psyché à la bonne franquette et ça devient fascinant. Andrew et Zach ont du répondant, ils nous claquent des harmonies vocales dans le fracas des armes. Les changements de beat resplendissent dans l’éclat du jour. On les soupçonnerait presque d’être plus anglais que les Beatles. Ils enchaînent ça avec «Move On», du psyché  de belle allonge. C’est bardé de bon son et chanté à la revoyure, avec en plus un solo dément. Ils vont ensuite sur une belle pop de grands connaisseurs avec «Everyone Knows It But You». Ils revisitent toute l’histoire de l’appropriation par les Américains du rock anglais. Ils terminent cet album fantastique avec «Could Never Be», bel exergue démergitus joué au pire groove de l’univers. Ils rendent aussi un fantastique hommage à Balzac avec «Lily Of The Valley». C’est bucolique en diable, ils fonctionnent vraiment comme les Beatles, avec une idée de son et une mélodie. Voilà encore un cut envoûtant, chanté en toute simplicité. Les frères Gabbard tapent vraiment dans le top des hits de pop. Avec «Jon Jacobs», ils reviennent au psyché d’avalanche magnifique, ils sonnent comme les meilleurs spécialistes du far-out d’Angleterre, ils jouent heavy et dégagent des radiations. Voilà le maître mot des Killers : la prescience psychédélique. Heavyness des radiations. Ils remontent en selle pour un «Take Your Place» noyé de son, c’est épais comme un bon aligot de bougnat d’à côté. Tout bouge. C’est l’apanage du psyché : tout bouge en même temps. Les deux cuts d’ouverture sonnent aussi comme des passages obligés, à commencer par «Huma Bird». Ils claquent ça aux cloches de la big mama du heavy rock. Ils se montrent très persuasifs, très entreprenants. Ils détiennent le pouvoir de l’universalisme confédérateur. Ils sonnent avec tout le poids de la concorde d’Amérique, ils se situent à l’échelle du continent. Et puis il y a ce «Circle Day» joué au beau fondu d’élégance nuptiale. Quelque chose règne sans partage sur cette musique. De l’ordre du goût de vivre à plein temps. Andrew Cabbard chante en rase-motte par dessus les toits d’Amérique. Il sonne comme un Verlaine psychédélique. Fabuleux barbu.

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             Encore un très bel album avec Dig. Sow. Love. Grow. qui date de 2012. Le cut beatlemaniaque de l’album s’appelle «Moon Daisy» et referme la marche. On se croirait à Liverpool, tellement ça sonne bien. Leur son rappelle aussi les Boo Radleys. Il se répand comme une rivière de miel dans la vallée des plaisirs. Le fantôme de John Lennon réapparaît. Quelle belle heavyness ! On pourrait appeler ça une fantastique échappée belle. C’est heavy et beau, chargé jusqu’à la gueule, comme un canon impérial. «These Days» sonne comme un hit de Big Star. Même sens de la harangue boutonneuse jouée dans une sorte de chaos philharmonique, ce serait presque du Big Star extraverti. Les frères Gabbard ne se refusent aucune descente au barbu. On y retrouve aussi le son de basse de «The Ballad Of John & Yoko». Ils sont aussi bons que les Beatles. Andrew Gabbard prend «Get It» d’une belle voix de glotte pincée, glissée à l’insidieuse dans le gras du tatapoum. Ils sont aussi très forts en matière d’insidious. Andrew passe un solo à la titube, dans la meilleure des traditions traditionnelles, claqué à la note persistante. Ses solos régalent toujours la compagnie. Ils plantent encore leurs crocs dans les Beatles avec «Hey Girl». Andrew y passe un solo magistral, les notes rebondissent dans l’air de la plaine. Les albums des Killers fonctionnent tous comme des voyages extraordinaires au pays des possibilités soniques. «Rolling Wheel» se veut plus sibyllin, toujours dans la veine beatlemaniaque, chanté à la harangue et fluet, joué dans les règles du plus bel art de power pop éclose au soleil d’été radieux. Andrew joue encore une fois des notes de titube à la George Harrison. Sa classe se bat pour la cause. «I Am Always Here» éclate à l’éventail des possibilités de l’arpège catégorique. Suprême velouté de poireaux psycho. Andrew Gabbard joue des arpèges des grands canyons et se fond dans l’écume des jours. Les Killers jouent la meilleure des cartes, celle du gras fatal. On n’en finit plus d’admirer ces Beatles des Amériques. Ils sont l’un des groupes contemporains le plus passionnants. Ils tapent «My Sin» aux gros accords de la concorde. Une sorte de Convention règne sur la pop des Killers. Robespierre serait très fier d’eux.

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             Les Killers quittent Alive le temps d’un album, Heavy Reverie. On y trouve un cut encore meilleur que les grands cuts des Beatles de l’âge d’or : «Grape Peel (How I Feel)». C’est le barrage conte le Pacifique de Revolver avec des pulsions motrices d’unisson. Pur jus de beatlemania ! Même le solo vaut tous les George du monde, ces mecs jivent leur Lennon à la vie à la mort. Souvenez-vous : pas de pire rockalama que Lennon en denim avec sa Gibson blanche. Ils touillent leur bleatlemania avec un son de rêve. Cet album décolle dès «Poisonberry Tide». Pas de pire heavyness de son, c’est le heavy rumble du sourd. Quel fabuleux juggernaut d’allant forcené ! Tout est combiné d’avance, là-dedans, à coups de pyché californien et de beat des enfers. Ils nous chantent cette splendide apocalypse au clair de lune américain, c’est bardé de toute l’énergie sonique dont on peut rêver. Pew ! So perwerful ! «Dig On In» reste dans l’invraisemblable déconfiture d’absalon. Ils tapent vraiment dans le dur du son, comme si les Beatles jouaient du hardcore de Liverpool salué à la guitare fuzz. Aw, let’s dig on in. S’ensuit un autre fabuleux shoot de power-pop avec «This Girl Has Grown». Tout est ramoné à la perfection, bardé de son, ultraïque et particulièrement beau. Andrew Cabbard claque un solo d’éclat majeur à la clé et ça relance au puissant shuffle de Buffalo. Ce groupe est l’un des plus importants de notre époque, soyons clairs là-dessus. La fête se poursuit avec un «Cousin Todd» bardé d’harmonies vocales et de big sound. Ils semblent recycler toutes les vieilles énergies du rock. Ils nous stompent «Sandbook» à la suite. Encore un cut absolument déterminant. Quoi qu’ils fassent, les Killers kill kill kill - Your body excites me - On sent des velléités de heavy drudgery psychout. Aucune rémission possible. Tiens, encore une extraordinaire tartine de heavyness avec «Louder Than Your Lips», joué à l’extrême jonction de l’extrême onction du heavy sound de nez pincé, à coups de sunday morning got together. Ils y vont à coup de boutoir, cette histoire est purement sexuelle. Quel beau spectacle. Ils finissent avec deux cuts à la Chilton, «Shake» et «January», ça sent bon le back of your car, mais ils ne peuvent s’empêcher de shooter un gros fix d’Americana dans ce petit balladif insouciant. On croit entendre les Boo Radleys. Ils se prennent pour des mecs de Liverpool, ma poule.

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             Leur dernier album est un live, Alive And Well In Ohio. On y retrouve toutes les accointances avec les Beatles, notamment dans «So Close In Your Mind». Sur scène, les Killers semblent encore plus spectaculaires qu’en studio. «Death Magic Cookie» s’impose en tant qu’heavy balladif chargé d’influences. C’est joué au mieux des possibilités et chanté au mieux du mieux. C’est tout simplement somptueux, fondu dans l’harmonie céleste. Andrew Gabbard chante comme un dieu. On peut dire exactement la même chose de «What A Waste», tellement ce balladif s’étend à l’infini. Le «Parachute» qui suit n’est pas celui des Pretties, mais Andrew Gabbard le chante à l’intoxication supérieure. Il prend ça au gras de glotte et se fond dans une source de psyché d’une puissance purement américaine. Les Killers échappent à toute l’actuelle vague figée. Ils sentent bon l’air frais. Le solo d’Andrew Gabbard entre là-dedans comme un démon baveux. «Eastern Tiger» aurait pu figurer sur le White Album, voilà pourquoi il faut prendre ces gens-là au sérieux. Encore plus virulent, voilà «Need A Changin’», joué à la bonne augure des seventies. Les Killers inspirent une sorte de confiance instinctive, d’autant que ça riffe dans le gras double et qu’un solo vient percuter l’occiput du cut. «Evil Thoughts» sonne comme une sorte de groove des jours heureux, celui qu’on passe sa vie entière à rechercher. C’est d’une amplitude sans précédent. Leur talent règne sur la terre comme au ciel. On retrouve encore le son des Beatles dans «Outta This Hotel», pur jus de White Album. Ils ont ce talent traînard, très présent et même omniprésent. Leur boogie-rock peut aussi frapper par sa classe, comme on le constate à l’écoute de «Rad Day»,  un cut shooté aux accents de country juteuse. Et voilà une pièce d’Americana définitive : «Applehead Creek». Ils vont loin dans l’au-delà du son et de la pop, ils jouent la carte de l’animal esprit. Leur cut voyage dans le temps. Les Killers sont le groupe américain qu’il faut suive à la trace. Ils se situent au-delà de toute expectative. Ils font même du proto-punk à la Edgar Broughton avec «On Out». C’est un album parfait qui peut faire partie du voyage sur l’île déserte.

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             Les frères Gabbard relancent leur petit business avec The Gabbard Brothers. Le portrait peint sur la pochette est signé Shannon, de Shannon & The Clams. On va trouver quatre belles énormités sur cet album, à commencer par «Yer A Rockstar», bel hommage à Dylan, nappé d’orgue Hammond, c’est très pur, hey babe, c’est même complètement allumé, driving in your car. Du son encore sur «Feel Better Love Better», ils tapent ça à deux voix, ça file vers l’horizon avec une fuzz au cul du cut. «Pockets Of Your Mind» est plus country, mais joué fast à travers la plaine, c’est excellent, ces mecs savent nourrir une portée. Les frères Gabbard ont une facilité à pondre des soft rocks orientés vers l’avenir. Ils sont encore très purs avec «Hazard Ky Bluegrass Grandma», le Hazard Kentucky chanté au petit sucre d’Americana supérieure, ils te déroulent le tapis rouge d’une Americana renouvelée avec un heavy gratté de poux. Ils ressortent encore des harmonies vocales magiques dans «Early Pages». Bienvenue au paradis ! On les voit tous les deux à l’intérieur du digi avec leurs barbes et leurs guitares, chacun dans un coin du studio. Ils font encore de la pop obsédante avec «Lovin’ Arms». Ça ne chôme pas chez les frères Gabbard. Ils jouent avec la heavyness dans «Gimme Some Of That» - Get out of my way - et sonnent comme les grands groupes californiens des années 80 dans «Easter’s Child». C’est plein d’une certaine allure, avec un soupçon de country rock in the fold.

                 Signé : Cazengler, Buffalo du lac 

    Buffalo Killers. Buffalo Killers. Alive Records 2006

    Buffalo Killers. Let It Ride. Alive Records 2008

    Buffalo Killers. 3. Alive Records 2011

    Buffalo Killers. Dig. Sow. Love. Grow. Alive Records 2012

    Buffalo Killers. Heavy Reverie. Sun Pedal Recordings 2014

    Buffalo Killers. Alive And Well In Ohio. Alive Records 2017

    The Gabbard Brothers. The Gabbard Brothers. Karma Chief Records 2022

     

    Wizards & True Stars

    - Peel ou face

    (Part One)

     

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             Plus qu’aucun autre modeleur, John Peel a façonné nos vies. Il n’était qu’une voix dans un poste de radio. Sans vraiment le connaître, on sentait qu’on pouvait se fier à lui. Après, pour le connaître, tu as des livres, dont la bio de Mick Wall qui s’appelle tout bêtement John Peel, et l’autobio, Margrave Of The Marshes. Mais à l’époque, il fallait se contenter d’écouter son émission sur BBC Radio One, qu’on chopait sur les ondes moyennes, du lundi au jeudi. L’arbitre des élégances, le maître du jeu, le maître étalon, le maître de Marguerite, le grand sachem, le Raymond la Science de l’underground, le guide spirituel, le Sartre du rock, le grand satrape du Cymbalum définitif, ce fut John Peel et son inimitable marmonnement. Quand il démarrait son émission, tu avais l’impression d’atteindre la terre ferme. Il existe encore quelque part dans les cartons un cahier dans lequel on notait religieusement chaque track-listing du John Peel Show, car ils faisaient référence. John Peel dessinait la vraie carte du rock. Il explorait pour nous les territoires inexplorés et nous formait à l’esprit de découverte. Il nous incitait à devenir curieux. C’est la force des bonnes émissions de radio : le mec vante son truc en trois mots et tu as tout de suite la preuve de ses racontars. Gildas opérait exactement de la même façon sur le Dig It! Radio Show : il ne programmait qu’à coup sûr. Il donnait peu d’infos, et préférait donner la priorité aux cuts. Du pur John Peel. Une façon de dire : «Tiens, écoute ça mon gars». Gildas et Peely avaient en commun cette fiabilité du goût et cette réserve naturelle, qui sont les deux mamelles de l’élégance. À aucun moment, il ne leur serait venu à l’idée de parler d’eux pour se faire mousser. Pas de moi-je chez ces mecs-là. De la musique avant toute chose, comme le disait jadis si joliment Paul Verlaine.

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             Pour faire connaissance avec l’homme que fut John Peel, le book idéal est celui de Mick Wall cité plus haut. Comme la plupart d’entre-nous, Wally est entré dans l’univers radiophonique de John Peel comme on entre en religion. Ce remarquable écrivain a réussi à brosser un portrait extrêmement sobre de Peely. Il commence par saluer le découvreur qui fut le premier à passer dans son radio show des gens aussi considérables que Country Joe & The Fish, P.J. Harvey, T.Rex et les Smiths. Wally insiste aussi beaucoup sur la notion de proximité qui est essentielle : «À la différence des autres DJs qui gueulaient dans leur micro, Peely donnait l’impression d’être avec toi dans la pièce.» D’où cette impression d’ami intime et fiable, incapable de te faire avaler une couleuvre. Impression renforcée par ses fréquents aveux en forme d’auto-dérision, surtout quand il qualifie son style professionnel de «simple dévouement au service public radiophonique, ou de manque d’ambition très choquant.» Il ajoute : «C’est un mélange des deux. Je ne fais jamais d’erreurs stupides. Seulement des erreurs very clever.» Ceux qui connaissaient Gildas le reconnaîtront aussi dans cette déclaration d’intention teintée d’humour anglais.

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             Mick Wall se souvient d’avoir flashé sur le radio show en découvrant le «Mandoline Wind» de Rod Stewart - Peely déclarait après la chanson : «Possibly the finest song I think young Roderick has ever witten.» Je me souviens qu’il sa soupiré profondément après avoir dit ça. Je pensais exactement la même chose. C’est là que j’ai craqué pour lui. This Peel bloke seemed to know what he was talking about - Peely fut aussi le premier à passer «les Ramones, les Damned, Clash, Jam et les Pistols singles», et aux yeux de Mick Wall, «the most marvellous of all, the first Television album, Marquee Moon.» Mais cette réputation de découvreur agaçait un peu Peely : «Just been doing my job. Des gens comme Captain Beefheart, David Bowie, les Smiths, New Order, Pulp et les White Stripes se sont découverts eux-mêmes.» L’un de ses exploits les plus connus est bien sûr la diffusion du home-produced «Teenage Kicks» des Undertones, qu’il passe deux fois de duite. Le groupe est signé par Sire dans la foulée. Et bien sûr, on retrouve «Teenage Kicks» en numéro deux de son All Time (Millenium) hit-parade, juste après «Atmosphere» de Joy Division. Peely adore tellement «Teenage Kicks» qu’il aimerait bien qu’on grave the opening line - Teenage dreams/ So hard to beat - sur sa pierre tombale. Feargal Sharkley : «I owe my life to John Peel.» Nous aussi d’une certaine façon. Sans John Peel, on ne sait pas ce qu’on serait devenu.

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             Très tôt, Peely affiche son anti-conformisme. Au lycée, il est déjà excentrique, il cultive déjà un goût «pour les disques inaudibles» et se plaît à écrire «des essais facétieux et interminables». Comme il affiche clairement son manque d’ambition, son père qui est homme d’affaires le présente comme l’idiot de la famille. Quand Peely lui dit qu’il rêve de devenir DJ à la BBC, son père lui répond que c’est impossible, «à moins d’être catholique ou homosexuel, ou les deux.» Peely ajoute, à propose de son père : «He had a rather distorded view of life, I think. Nice chap but funny views.» Dommage que Wally ne fasse pas référence à Dada, car on est en plein dedans. Son père envoie Peely au Texas pour étudier le marché du coton. Peely va rester sept ans aux États-Unis et rentrer à Londres auréolé de légende : il est devenu l’Englishman qui a conquis la radio américaine, c’est du jamais vu. Il ramène en outre une collection de disques rares, un accent étrange, et une épouse texane de 17 ans dont il aura du mal à se débarrasser. Il démarre à Radio London et John Ravenscroft devient John Peel. Puis il entre à BBC Radio One et y restera 37 ans. Comme il mise tout sur l’anticonformisme, il s’attend constamment à se faire virer, mais il tient bon. Pas question de vendre son cul. C’est pour ça qu’on le vénère. C’est aussi pour ça qu’il va devenir une institution. Sa première émission s’appelle The Perfumed Garden, puis il lance Top Gear, et programme la crème de la crème de l’underground, «King Crimson, Bolan, Bowie, Family, Fairport Convention, Jimi Hendrix, Arthur Brown, Soft Machine et Country Joe & The fish.» Il insiste pour passer les albums sans interruption, «avec un commentaire tordu mais savant». Il fait parfois des gags : «And tonight the Flying Creamshots in session», un nom qu’il a trouvé dans un «Dutch porn mag». Il reconnaît que son radio show est devenu fashionable dans les années 70 et en disant ça, il s’en excuse : «Je n’ai pas trop aimé cette expérience.» Pas de frivolité chez Peely. Seule compte la musique - He was an anomality: a music radio DJ preoccupied chiefly with, uh, music - Il est aussi connu pour sa dévotion envers certains groupes, comme bien sûr the Fall : 23 Peel Sessions avec The Fall, «one of the unloveliest, if unique, British bands in history.» Il adore aussi saisir le groupe à ses débuts, parce qu’une fois célèbres, la plupart des gens deviennent bizarres. Il se souvient particulièrement de son ami Marc Bolan, transformé par la célébrité, avec lequel il s’est fâché.

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             Peely est aussi connu pour écouter tout ce qu’on lui envoie, enfin jusqu’au moment où il n’y arrive plus : en 20 ans, il reçoit plus de 100 000 disques et cassettes, alors ce n’est plus possible. Quand il se marie avec Sheila, il achète une baraque à la campagne, près de Stowmarket, dans le Suffolk. C’est un petit domaine avec une piscine, un court de tennis, et un potager, domaine qu’il baptise Peel Acres. Mais il doit aller à Londres chaque jour pour son émission. Ça tombe bien, il adore conduire. Il adore surtout Sheila, qu’il surnomme the pig, à cause de sa façon de rigoler - Snorting laugh, which he heard often as, remarkably, Sheila always seemed to find John’s jokes even funnier than he did - Mais aussi pour, dit-il, sa façon «de dormir enlacée à lui, même lors des nuits les plus chaudes.»

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             Charles Shaar Murray dit que rencontrer Peely was a delight - He was just cool, wise, sardonic and self-depreciating, toujours de bonne humeur même quand mon chat non-castré lui a pissé sur les pieds - Peely bosse avec son boss John Walters, ils préparent les émissions ensemble dans leur bureau de la BBC qui est minuscule et envahi de disques et de cassettes. Peely se marre : «Notre relation est celle du joueur d’orgue de barbarie et de son singe. Chacun de nous croit que l’autre est le singe.» Une autre fois, il décrit leur relation comme celle d’un homme avec son chien «et chacun croit que l’autre est le chien.» Ouaf ouaf ! Quand Bernard Summer de Joy Division et New Order rencontre Peely pour la première fois, il se dit nerveux - We were nervous. We had to have a couple of drinks. Mais John Peel était aussi nerveux que nous, ce qui nous a stupéfaits - Peely est tellement fasciné par l’underground et les groupes obscurs qu’il a créé incidemment the «Norwich scene» en 1983, qui comprenait The Higsons, The Farmer’s Boys et Serious Drinking. Et il refuse les groupes à succès. Par question d’offrir des BBC Sessions à Police, U2 et Dire Straits. Non merci. Il aimait aussi les groupes purement orignaux qui n’avaient aucune attache avec ce qui était connu. Il citait Roxy Music comme exemple. Et les Smiths - You couldn’t tell what the Smiths were listening to.

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             La musique, toujours la musique, rien que la musique. Pour lui comme pour beaucoup d’entre nous, ça commence avec Elvis, «and two weeks later, Little Richard.» - I stared open-mouthed. Je n’avais jamais rien entendu d’aussi raw, d’aussi elemental. After which, my life changed, it really did. I don’t think I was quite the same person again. Tout a changé quand j’ai entendu Elvis. Là où il n’y avait rien, soudain il y avait quelque chose - À la découverte de Little Richard, il se décrit comme «Saul on the road to Damascus». Il découvre aussi Lonny Donegan, «celui qui irritait tant mon père que celui-ci tentait de m’irriter à mon tour en l’appelant ‘Lollie Dolligan’». Puis il voit des tas de gens sur scène, «Clyde McPhatter, Duane Eddy, Eddie Cochran and best of all, his beloved leather-clad Gene Vincent.»

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             En 1967, The Perfumed Garden est une émission d’avant-garde. Peely est le premier à passer Captain Beefheart et Zappa en Angleterre. Il passe aussi Hendrix et les Beatles, «or anyone else you’d dare to name». Il est aussi le premier à diffuser du glam, Bowie, Bolan, mais surtout le Roxy Music des deux premiers albums, que Peely voit comme «new and exciting». Et 1976, boom, avec «New Rose» des Damned qui, nous dit Wally, «lui redonne exactement the same feeling as the first time he ever heard Little Richard.» Eh oui, on a vécu exactement la même chose, à l’époque. Et donc en 1976, Peely fait glisser sa play-list «du Steve Miller Band vers Siouxie & The Banshees». Wally cite aussi les Pistols, Clash et il s’attarde un peu sur les Damned pour indiquer que la mère de Rat Scabies, qui s’appelle dans le civil Chris Miller, écrivit à Peely «a lovely letter, le remerciant sincèrement for ‘helping Christopher with his career.’»

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             Peely voulait faire une Peel Session avec les Pistols, mais son boss John Walters ne voulait pas. Peely ne va pas rester les mains dans les poches : il défie la censure imposée par la BBC en passant «God Save The Queen» dans son Radio Show. Pas mal pour un mec, nous dit Wally, qui fut menacé par Sid Vicious dans une salle de concert. Peely adore les singles punk, car il préfère de loin la musique de ceux qu’il appelle «the primitive artists, like the early Elvis and Gene Vincent.» Dans son Radio Show, il continue de croiser les genres, the Fall avec J.J. Cale ou Peter Hammill, Wire et Roy Harper, du reggae, Vivian Stanshall, Ivor Cutler, «a regular guest on the programme» - a sort of proto-punk storyteller, poet, surrealist, songsmith and comic raconteur - Deux de ses «top ten favourite sessions of all time» sont celles des Slits en 1977 et 1978, ainsi qu’une session de Pulp, et puis il y a aussi les 23 Peel Sessions de the Fall, comme déjà dit, mais on le redit. Voilà les noms qui reviennent dans le Radio Show : «Joy Division, the Cure, Orange Juice, the Teardrop Explodes and later, the Smiths et Madchester avec les Happy Mondays.» Au début des années 80, il passe Swell Maps, the Quads, the Jam, Philip Goodhand-Tait, XTC, Misty In Roots et une session de the Cure. Quand il reçoit le nouvel album de the Fall, il le passe entièrement. Par contre, la Britpop ne l’intéresse pas - because it didn’t sound as good as the stuff they were replicating - Pas d’Oasis en Peel Session. Il flashe plutôt sur Cornershop et Gorky’s Zygotic Mynci, puis plus tard sur les Strokes et les White Stripes.

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             L’un des fleurons de son environnement relationnel n’est autre que Captain Beefheart. En 1969, Peely fut son chauffeur pendant une tournée en Angleterre - At one point, the good Captain ordered him to stop the car. ‘John I want to hug a tree!’, he annonced. John duly obliged - Le bon Captain ne demandait pas à s’arrêter dans les bois pour faire caca, mais pour serrer un arbre dans ses bras. C’est toute la différence avec nous autres, pauvres pêcheurs. Captain Beefheart nous dit Wally allait rester en contact avec Peely, l’appelant au téléphone une fois par an, quelques semaines avant son anniversaire. Peely : «J’ai toujours la trouille quand il m’appelle, car je ne sais jamais quoi lui dire.» L’autre fleuron de son environnement relationnel est bien sûr Mark E. Smith : «J’ai seulement rencontré Mark E. Smith une fois ou deux, donc je ne pas dire qu’on soit amis. Quand je le rencontre, je ne sais pas non plus quoi lui dire, alors on se donne un petit coup de poing viril dans l’épaule et on repart chacun de son côté.»

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             En 1969, Peely et son business manager Clive Selwood démarrent un label underground, Dandelion, qu’ils veulent l’équivalent britannique d’Elektra. Peely s’intéresse bien sûr aux artistes invendables, Clifford T. Ward, Bridget St John, Tractor, Mike Hart et un down-at-heel Gene Vincent qui est sur les talons et qui n’a plus de contrat. C’est sur Dandelion que sort l’excellent I’m Back And I’m Proud. Mais les fleurons du label sont Stackwaddy et Medecine Head. «Stackwaddy were punks before there were punks», dit Peely. Il ajoute que le chanteur était un déserteur de l’armée américaine et quand le groupe est parti tourner aux États-Unis, le chanteur portait une perruque : «Lors du premier concert, il était tellement ivre qu’il se mit à pisser sur les gens du premier rang. Il fut arrêté et la tournée fut annulée.» Comme Peely n’a pas le droit de passer ses poulains dans son émission, le label fait vite faillite et disparaît en 1972. Dommage, car il envisageait de monter le projet des 101 Sharons, comprenant 101 chanteuses nommées Sharon. Il abandonna le projet au bout de 40 Sharons. 

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             Et puis, il y a le mythe du Festive Fifty, an annual tradition, qui commence 1976 et qui se termine en 2004. Wally les donne à lire en fin d’ouvrage. C’est une vraie cartographie de l’histoire du rock, filtrée par un esprit averti. En tête du Festive Fifty de 1976 : Led Zep avec «Stairway To Heaven». Mais en 1978, 1979, 1980, 1982, ce sont les Pistols qui caracolent en tête avec «Anarchy In The UK». Et en 2004, The Fall avec «Theme From Sparta FC Part 2». Dans l’All Time (Millenium), les Pistols sont #4 après deux Joy («Atmosphere» et «Love Will Tear Us Apart») et les Undertones.

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             Et puis, il y a la fameuse collection. Peely reçoit environ 2 000 CDs chaque semaine, plus une centaine de singles. Sa philosophie reste la même : «Peut-être y a-t-il something là-dedans qui va se révéler quite wonderful.» Pour le savoir, il faut écouter. C’est le job du découvreur. ll est obligé de faire construire des extensions dans son domaine pour stocker tout ça : une extension en bois pour abriter l’énorme collection de twelve-inch singles, c’est-à-dire les maxis. Une autre pour abriter la collection de seven-inch singles, et encore un autre pour la collection de LPs, estimée à 30 000 exemplaires. Il passe 6 à 8 heures par jour à écouter tous ces disques. Il tient à jour un index à l’ancienne qui date des sixties. Il sait nous dit Wally qu’il devrait transférer toutes ces données sur ordi, mais c’est beaucoup trop de boulot, «ça me prendrait tout le restant de mes jours.» Après sa disparition, on a estimé sa collection à 26 000 LPs, 40 000 CDs et 40 000 singles. On y trouve notamment des singles signés par les Stones et les Beatles. Un délire. Une vie de travail. L’empire de la passion.  

             En 2004, Peely part en vacances au Pérou avec Sheila et il casse sa pipe en bois en faisant une petite crise cardiaque. Drame national. On a tous gardé le numéro spécial du NME avec Peely en couverture. En guise d’oraison funèbre, Tim Wheeler d’Ash a déclaré : «No more Festive Fifties, no more Peel Sessions, no more records played at the wrong speed.»

    Signé : Cazengler, pile ou fesse

    Mick Wall. John Peel. Orion 2004

     

     

                                           Todd of the pop - Part Three

     

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             Et puis on finit par s’enfoncer dans l’univers extrêmement dense de cet artiste immense, qui prend soin d’enregistrer quasiment chaque année un nouvel album. 2nd Wind paraît en 1991, et sur la pochette se dresse une curieuse figurine : celle d’un moine au crâne défoncé par une hache. Pourquoi va-t-on écouter cet album ?

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    Pour «Who’s Sorry Now», nouveau shoot de pop mélodramatique bâtie sur des descentes de chant vertigineuses. Todd vieillit bien, il chante sa pop de Soul au mieux des possibilités du genre. Quel power et quel souffle ! - Who’s sorry now/ Sorrow spoken here/ Please take a bow - Ça se termine sur un final rundgrenien complètement explosif. L’autre gros coup de l’album s’appelle «Public Servant». Derrière, Prairie Prince bat le beat de la plaine. Todd ressort pour l’occasion son big heavy sound - Public servant/ Public slave - Il sait encore rocker la couenne d’un cut. Bel album, une fois de plus. Todd reste dans son monde de pop scintillante, il a des choses à dire, alors il les dit. Nous n’apprendrons rien de plus que ce qu’on sait déjà. Il faut juste savoir rester en éveil. Todd peut proposer du petit funk blanc, comme le montre «Love Science» et y amener des idées de son. Il peut aussi aller chercher les sommets de la grandiloquence et travailler sa matière au corps comme le fit Jacques Brel, c’est en tous les cas ce qu’inspire l’écoute d’«If I Love To Be Alone», joué à l’extrême des possibilités du système Rundgrenien. On sent bien qu’il bâtit une œuvre. Todd Rundgren est un mégalomane de génie. Il dispose de toutes les ambitions de Nabuchodonosor, c’est très dirigé, très orchestré, très chanté, très collet monté. Il termine avec un morceau titre embarqué au petit beat d’exotica. Todd prend son temps alors que le beat l’incite à foncer. Main non. C’est un vieux renard. Il chante maintenant d’une voix plus ferme, comme s’il avait perdu sa candeur, mais il ne perd rien de sa superbe, heureusement. Tout est joué au petit pulsé de percus. Il pose sa mélodie chant sur cet enfer pulsatif et dose bien ses efforts. Cet homme a déjà beaucoup navigué. 

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             Paru en 1993, No World Order n’est pas son meilleur album, loin de là, mais il s’y niche un coup de génie intitulé «World Made Flesh», une sorte de heavy rock olympique, avec du son par-dessus le son et il ramène dans cette histoire toute la niaque de Nazz. Il explose le rock et tout le reste quand il veut. Todd nous amène au bout d’un album qui ne provoque aucun émoi et soudain, il éclate «World Made Flesh» au Sénégal avec sa copine de cheval. Il monte des couches par-dessus les couches, c’est babylonien, une tornade enchantée. Quand il éclate, il éclate. Et le reste de l’album ? C’est une autre histoire. Disons par charité qu’on ne l’écoute que parce que c’est Todd. Il fait une sorte de mélange de rap et d’electro et alors qu’on ne s’y attend pas, il revient à la pop avec «Worldwide Epiphany». Il redevient l’espace d’une chanson le pop king of the world. Il fait aussi de l’expressionnisme avec «Day Job» et y illustre le cauchemar industriel, puis il revient à la raison pop avec «Property» qui sonne comme un soulagement. Mais on le voit ensuite bouffer à tous les râteliers et il perd un peu de son panache, surtout avec le rap. Laisse ça aux blackos, mon gars.  

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             On trouve deux belles énormités sur The Individualist : «Espresso (All Jacked Up)» et «Cast The First Stone». Espresso montre que Todd peut encore provoquer des commotions. Il tape ça au funk des temps modernes et navigue en surface. Chez lui, tout est toujours très physique, surtout les images qu’il suscite. Il entend les tendances du son et pige immédiatement. Voilà encore un cut bourré à craquer de son, comme s’il voulait exploser les carcans. Il groove son exotica avec une niaque qui remonte au temps de Nazz. Quel artiste ! Follow the leader ! Il nous emmène en enfer avec Cast et puis voilà qu’avec le morceau titre, il part en mode hip-hop. En fait, il fait de la Soul. C’est un cut exemplaire. Les chœurs font «You’re The Individualist» et Todd répond avec candeur «Yes I am». Il swingue son Yes I am, il ramène tous les clichés du genre, sur un beau drive de basse. Il sublime les effets de Yes I am, il les flûte à la flûte. Ça groove à n’en plus finir. Il démarre aussi cet album en mode deep drive d’electro-shock avec «Tables Will Turn». Il sait très bien ce qu’il fait, il navigue en père peinard sur la grand mare du Philly Soul, il passe où il veut, quand il veut. Alors on entre ou on n’entre pas. Mieux vaut entrer. On trouve aussi de la littérature dans cette pop. Le livret est bourré à craquer de littérature. Todd embarque son monde chez lui. Il n’a rien perdu de son sens aigu du drive. Il va secouer les colonnes d’un nouveau temple, celui du hip-hop et de l’electro, il fait ce qu’il a toujours fait : il visite de nouveaux territoires. Il va sur une pop de prog avec «Family Values» et conserve tous les vieux réflexes. Comment swinguer un cut dans le raw ? Il ramène des chœurs d’une intense modernité. Il travaille sa pop comme de l’argile, il en fait des archétypes intéressants et reste profondément convaincu de son art. Encore du big Todd avec «Temporary Sanity», mais il faut attendre un peu pour que ça paraisse. Il chante à l’unisson du saucisson Todd, c’est battu à la diable et ça monte comme un orgasme. Il termine avec un «Woman’s World» qui sonne comme une aventure, même quand on croit connaître la méthode Todd par cœur. Il développe une pop ultra puissante qui se déverse jusqu’au bout, et Todd boucle ça à coups d’accords garage. Quel démon !  

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             Attention, Up Against It est une comédie musicale, un rock opera, au meilleur sens du terme. Même le côté comedy act y est puissant. On éprouve d’ailleurs les pires difficultés à entrer dans cet album qui apparemment n’est paru qu’au Japon. Un peu âpres au premier abord, les cuts finissent par convaincre. Todd joue un jeu très dangereux et soudain, voilà que ça explose avec le morceau titre. Il revient aux basics, il chevauche son dragon et c’est excellent, power & beat, tout est over the rainbow, il va vite en besogne, il chante à la folie des dieux, il redevient le magicien que l’on sait. C’est complètement bouleversant d’explosivité, il chante à la va-vite, mais il y a une constante sous-tendue. Il revient ensuite au comedy act, ce qui nous permet de souffler un peu, car il faut bien dire que les coups de génie de Todd donnent le tournis. Il tente de nous refaire le coup du Zen Archer avec «Parallel Lines», et même si trop de power tue le power, il passe avec sa belle pop évadée dans l’avenir. On a parfois l’impression que Todd Rundgren cherche à sauver le monde avec de la beauté. Et de cut en cut, tout s’anime comme ce «Lili’s Address», un stupéfiant bouquet de chorale galactique. Todd y fait courir le furet, son rock opera rivalise de grandeur géniale avec celui des Who. Et ça continue de monter au cerveau avec «Love In Disguise». Ce mec est un cas à part. Qui à part lui ose se lancer dans ce type d’aventure ? Comme tous les grands compositeurs, il atteint des sommets connus de lui seul. C’est très tartiné, chanté à plusieurs voix d’opéra. Il va chercher des ambiances extrêmes comme le montre «Maybe I’m Better Off». Ça rend l’album fascinant. Todd tartine son comedy act d’élans de génie. Son «Maybe I’m Better Off» est une merveille de non-chaleur contagieuse. Il combine l’extrapolation avec le génie pop, c’est énorme et difficile à suivre. Trop avancé. Il sur-chante en permanence son comedy. Il crée l’événement à chaque cut, il jongle avec les ambiances de cabaret et fait sonner son synthé comme un accordéon. Il va chercher des logarythmes baroques, ceux des Cockney Rebels, c’est très weird, très toddy et son «We Understand Each Other» vire jazz band galactique, alors éclate à nouveau le génie productiviste de Todd Rundgren. Ça éclate si joliment. Personne ne mène les expéditions aussi loin. Il vire exotica de Broadway avec «Entropy» qu’il amène au sommet de tout comme un Phil Spector éperdu de beauté mirifique.

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             Dans With A Twist paru en 1997, Todd relance son vieux «I Saw The Light» en mode Brazil. Pas de problème - Cause I saw the light in your eyes - Ça n’a pas bougé et c’est même peut-être encore plus magique. Sacré parti-pris, mais en attendant, quel paradis ! Autre tranche de paradis : «It Wouldn’t Have Made Any Difference». Il se plonge dans un gratté de belles notes allégoriques, sur des couches de chœurs superbes, tout est construit là-dessus. Il fait la différence rien qu’avec la fraîcheur des chœurs. Retour au Brazil avec «I Want You». Il se prend pour les Étoiles, il fait de la Bossa Nova de chaleur intense, il va droit sur le Brazil et irradie, il développe une énergie exotique qu’on ne lui connaissait pas. Il devient Tox Rundgren. Il joue aussi «Influenza» au groove des alizés. Ses notes de guitare flottent dans le vent tiède. Fabuleuse énergie du paradis ! Il reste dans la Bossa Nova avec «Can We Still Be Friends» et en donne une vision idéale. Il est dedans, et un sax taille une croupière au groove des îles. Todd réinvente la relaxation. Il renoue incidemment avec le Zen Archer. Il continue de tailler sa route avec «Love Is The Answer». Il chante avec du sable dans le pantalon. C’est assez intense, rien à voir avec les coups de soleil. Et quand on écoute «Fidelity», on réalise à quel point Todd est un prince, car il reçoit les gens chez lui. Il revient encore au temps de Nazz avec «Hello It’s Me». Il s’en sort avec les honneurs. De la même façon que David Bowie, Todd Rundgren est un magicien.  

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             En l’an 2000 paraît One Long Year sous une pochette électronique. Mais qu’on ne se méprenne pas : Todd veille au grain de l’énormité et ce dès «I Hate My Frickin’ I.S.P.», une heavy pop carillonnée d’arpèges qui va dans le ciel toute seule. Ça carillonne comme au temps béni des Beatles. Todd nous refait le coup de l’énormité du quinconce avec cette belle dégelée de super-power pop. Décidément, ce mec n’en démord pas. Il sonne toujours aussi bien. L’autre coup de Jarnac de l’album s’appelle «Love Of The Common Man», une tranche de pop à la Runt. Todd gère ça de main de maître avec des éclats de voix désinvoltes et les pianotis d’un dandy de Dead End Street. Extraordinaire brassage de sons et de genres, il ramène de la Soul dans cette espèce de pot aux roses. Petite merveille aussi que ce «When Does The Time Go». En pur Philly guy, Todd se fend d’un nouveau shoot de pop de Soul. Il revient toujours à sa vieille magie intrinsèque d’antan, il enchante l’enchantement, il remonte les bretelles de la Philly Soul. Il la travaille toujours à la perfection. Il passe au rumble de fouillis electro avec «Jerk», c’est bien accueilli même si ça sonne très exotique. Mais Todd s’arrange toujours pour passer en force. C’est un forgeron, il travaille son rock à l’enclume. Sacrée partie de babaloo ! Il amène «Yer Fast (And I Feel Like)» au rock opera avec des climax incertains et si dodus. C’est terriblement fouetté de son. Il crée des mondes à n’en plus finir, le voilà livré aux apanages du hardcore move de beat fatal. Il termine avec «The Surf Talks», histoire de libérer des forces extraordinaires. Todd Rundgren agit en Terminator de la pop de rock tribal. Il ressort sa plus belle niaque pour l’occasion et relance à gogo. Ce mec dispose d’une énergie hors normes.       

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             Belle pochette que celle de Liars. Todd y porte des oreilles et un museau de lapin. Alors attention, car c’est un big album, pour des tas de raisons. «Sweet», par exemple, qui sonne comme une échappée belle - Sing & shout it/ Tell the world about it - Il prêche dans le désert, car les gens se moquent de la vérité. Todd ramène tout son bon dee bee doo, il navigue au sweet & true like my love for you. C’est digne de Marvin Gaye, les clameurs croisent celles de «What’s Going On», les chœurs sont ceux de Marvin et les retombées à l’octave aussi. Il passe au mambo de jerk avec «Soul Brother» - They mixed it at about but then they/ Forget to add a pinch of Soul - Todd jazze son groove à la Georgie Fame. Il adore faire le Soul Brother. C’est un expert en la matière. Retour au rêve de pop avec «Past» - I was so surprised/ When the teardrop came - Ce mec est capable de moments magiques. Il explique pourquoi il vit dans le Past. Les fans de Todd Rundgren le suivront jusqu’en enfer et ils auront raison. Car il se montre digne des Flamingos et des meilleurs groupes de doo-wop. Les rasades de chœurs sont terrifiantes de véracité divinatoire. Encore plus immense, voilà «Living», une power-pop stupéfiante de puissance. Il met tous les power-chords du monde à son service. «Godsaid» vaut pour un coup de génie, save me ! Save me ! C’est de la heavy psychedelia, et le morceau titre, c’est tout simplement Babylone, tellement ça devient apocalyptique. Il est encore capable de stupéfier, sa power-pop court sous l’horizon. On salue aussi «Truth», monté sur un beat lectro et animé de descentes d’organes vertigineuses. Force est d’admettre l’extrême puissance du Rundgren Sound System. Même avec de l’electro, il parvient à passer en force. C’est très impressionnant. Cette énergie n’appartient qu’à lui et à lui seul. Power ! L’absolu power d’Absalon ! Sweet bird of truth come to me ! Chaque nouvel album de Todd sonne comme une aventure épique. Il redevient heavy as hell avec «Mammon» - Your God is Mammon ! - C’est du big Todd avec un couplet final explosif. Il fait aussi de la Soul en montant chez Kate à tous étages avec «Wondering» et revient à un groove de pop electrotte avec «Flaw». Pas de danger qu’on s’ennuie chez Todd Rundgren. Il travaille toujours son heavy groove de motherfucker au  corps. Tiens encore une belle énormité : «Afterlife». il revient pour l’occasion à sa pop éthérée. Ce diable de Todd Rundgren nous balade chaque fois pendant une heure. On finit par s’habituer aux richesses de son palais.             

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             Encore un album génial avec Arena paru en 2008. Dès «Mad», Tod explose sa pop avec l’ardeur d’un white shooter de r’n’b - Now I’m mad/ This is more than upset - He means it ! Fabuleux Todd, fabuleuse montée en puissance, il n’en finit plus de fracasser la tirelire de son cut, il n’a aucun problème de punch, il chante au somment de son art qui est celui du heavy rock rundgrenien. Il accumule les coups de génie sur cet album, avec des choses comme «Gun» ou «Courage». Il sort un solide boogie rock de Gun - I like the noise and I like the smell - Todd Rundgren est un pur rock’n’roller - Hell I got a gun - Il y va - I pop my gun - Il embarque son «Courage» au vent d’Ouest, il crée de la magie en permanence - When I lost courage of my convictions/ And I live in a constant fear/ That I’ll never have you here - C’est encore une fois du big Todd. Il fond sa pop dans l’ardeur suprême. On peut dire la même chose de «Weakness». Il étend l’empire de son groove suspensif. Ça se barre en Soul de pop - The sun that shines a light on my soul - C’est du niveau d’A Wizard A True Star - Ahh my weakness/ You are my kryphonite - S’ensuit un «Strike» violent, riff dans l’os, bordé de son, hurlé dans le combat. Todd claque ça si sec. Ça dégouline de génie. Tout sur cette album dégouline de génie fumant. Avec «Pissin», il craouète le boogie sur du son rebondi. Il se permet n’importe quelle fantaisie et ça dégénère assez vite. Il nous bat ça en brèche, il revient au I think by now we know better gratté sec et ça prend de l’ampleur - We all recall with special zeit/ We saw a solo pissin constest - on aurait presque envie d’entendre Todd Rundgren chanter ad vitam eternam. Le heavy balladif de «Bardo» sonne si bien, c’est quasiment du heavy psych. Et puis avec «Mountaintop», il passe au glam bop - Well the old man called me on his dying bed - Il fait du glam explosif. Alors il emmène le vieux sur la montagne. C’est invraisemblable. il joue les accords de Marc Bolan, mais à la new-yorkaise, et ça illumine tout l’univers - One step higher - Pur jus - One step higher - Il boucle avec un «Manup» bien riffé et chante comme un chef de guerre. Todd est un roi barbare civilisé. On accueille aussi la heavyness d’«Afraid» à bras ouverts. Il n’existe rien d’aussi définitif dans l’esprit du son. Il va chercher ici le big atmosphérix et le son chevrote au passage. Avec chaque album de Todd Rundgren, il faut prendre le temps de bien s’installer, comme dans une salle de cinéma et s’attendre à éprouver des émotions fortes. Todd Rundgren ne laisse pas beaucoup de place aux autres.       

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               Pas facile à dénicher, ce brave Todd Rundgren’s Johnson qui date de 2011. Notre héros inter-galactique y revisite Robert Johnson. Dès «Dust My Broom», il y va. Inutile d’attendre de la pitié de cet homme qui believe ainsi son dust my blues, il fait couler l’or du blues, personne ne peut égaler cette façon de couler l’or, il est le grand couleur de coulis devant l’éternel. Ce qu’il fait de ce vieux standard relève du génie absolu. Il en rajoute des couches. Et ça continue avec «Stop Breaking Down», sur le mode coulée de heavy Todd. Il explore tout ce qu’il veut, la pop, le rock, la Soul, le blues, l’opéra, l’electro, tout, alors aplatissez-vous mes frères car voilà l’empereur de toutes les Asies, l’effarant Todd Rundgren qui shunte son blues au sommet de l’harmonie vocale et en plus, il l’électrocute vivante, il est de toute évidence le pire fucker de blues qui soit ici bas, il multiplie les killer solos flash et en plus, il chante. Il dicte sa loi au blues. Il faut dire que les boogie blues de Todd ne sont pas ceux de Chicago, il y a un petit quelque chose en plus. Il amène «Walking Blues» au heavy boogie, il taille sa route dans une jungle de son. Il ramène le suitcase in my hand de «Love In Vain», mais ce n’est pas celui des Stones. Il fait autre chose. Il continue de charger sa mule avec «Last Fair Deal Gone Sour». Il noie tout de gras double, pas compliqué. Il en rajoute tellement que ça devient beau. Il réinvente la heavyness. Même chose avec «Sweet Home Chicago». C’est même assez demented, il sait appuyer sur le champignon. Encore du big heavy Todd avec «They’re Red Hot». Il ne se refuse aucun luxe et passe des solos foudroyants. Tout sur cet album est gorgé du meilleur son. Il va chaque fois chercher le paradigme électrique pour exprimer ce qu’est le blues, comme dirait l’autre. Il fait un «Hellbound On My Trail» fantastique, et même fantasmagorique. Pour ça, il élève une sorte de mur du son, le cut est classique, mais dans les pattes de Todd ça devient quelque chose de baroque : les jardins suspendus du blues de Balylone. Il ramène tout son fourbi dans la fournaise. Il conquiert des empires à coups de licks obliques. Il va continuer de tartiner sa mélasse épouvantable jusqu’au bout, avec un «Travelling Riverside Blues» râblé, bas sur pattes et gorgé de fouillis d’apoplexie. Il ne laisse aucune chance au hasard, il multiplie les virulences, il se veut taillé pour la route éternelle. Fan-tas-tique artiste ! 

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             (re)Production fait aussi partie des albums indispensables de Todd. Pourquoi ? Parce qu’il y revisite tous les groupes qu’il a produits. Tiens commençons par les Dolls. Il tape dans «Personality Crisis» au heavy doom. Il aurait dû s’abstenir. Puis dans Hall & Oates avec «Is It A Star».Il revient à ses protégés avec une drôle d’abnégation. Il ne devrait pas toucher à ça. Mais comme il peut l’exploser, alors il l’explose. Il explose tout ce qu’il veut et transforme ce vieux cut en coup de génie. Un de plus. Il fait aussi un malheur avec le «Dancing Barefoot» de Patti Smith. On le sait depuis longtemps, il est capable de faire un hit avec des machines. Son Barefoot sonne comme un hit electro, mais ça reste du Rundgren, avant d’être du Patti Smith. C’est même tellement intéressant que ça devient inclassable. Il mise tout sur le power du beat electro. Todd en a compris les avantages. Il transforme aussi «Two Out Of Three Ain’t Bad» de Meat Loaf en hit diskö. Tout ce qu’il trafique fonctionne. Le voilà dans la pop diskoïde de charme infectueux. Il finit par devenir assommant. Même le «Prime Time» des Tubes se montre affolant de supériorité. C’est une horreur montée sur un gros beat electro, un remix dévasté de la pampa. Il envoie sa purée, ça bruisse aux oreilles. Il fruite le cut des Tubes aux synthés mais chante dans l’épaisseur du beat. On finit par écouter cet album de plus en plus attentivement. «Chasing Your Ghost» est un cut d’un groupe nommé What Is This. Il le tape à l’electro d’heavy metal kid. En fait il chante comme il a toujours chanté. Il revient à la pop magique de Runt pour le «Tell Me Your Dreams» de Jill Sobule. Merveille absolue, battue au dream demented. Et puis tiens, voilà Badfinger dont il reprend «Take It All». Il reste chez les géants de la pop avec une reprise du brillant «I Can’t Take It» de Cheap Trick. Il en fait du hot Todd, une power-pop de synthé, comme seul Todd Rundgren peut en faire. Il va aussi chercher le groove extrême pour tailler une croupière au «Dear God» d’Andy Partridge. C’est bien secoué de la paillasse, joué dans la profondeur, and the devil too. Pur jus de Todd - Cant believe it.../ Don’t believe it... - Il explose l’«Everything» de Rick Derringer, il en sort une version puissante et imparable, même avec de l’electro, c’est bon, sa voix passe partout. Et voilà enfin Grand Funk avec «Walk Like A Man», cette fois, Todd passe en mode electro-funk. Il vibre le son à l’extrême. N’oublions pas qu’il a produit tous ces géants. Il en fait l’un des pires cuts de glam de l’histoire du glam. Il n’en finira donc plus de régner ? Dans ses liners, Todd explique qu’il a vu ce projet comme une opportunité de revenir à une musique qui n’a pas été prise au sérieux en son temps mais qui présente l’avantage d’être bien meilleure que ce qu’on propose aujourd’hui.      

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             Paru en 2013, State vaut le détour pour deux bonnes raisons : «Imagination» et «Sir Reality». Todd attaque son Imagination dans les dimensions supérieures du Zen Archer - Everyday’s the same old day/ Go along and get along - Sa manière de traiter le same old situation est assez passionnante. Il sait rester très puissant et ramener de la modernité dans sa heavyness, comme il l’a toujours fait, mais cette fois, il le fait avec un petit côté Mercury Rev. Il garde ses réflexes de vieux rocker dans sa façon de remonter le courant du chant - Just a problem I can’t solve - Il faut le voir monter sur son same old situation, il en fait un spanish castle de cristal vibrant de power sound, il gronde comme un diable et joue sur sa SG ses vieux dégueulis congénitaux. Les réflexes sont intacts, il fait de son Imagination une énormité mouvante. Il devient prophète avec «Sir Reality» - No one ever lies/ No one really dies/ Money gives you joy/ Girls are girls and boys are boys - Il dit que la réalité peut déplaire, so you can call me Sir Reality. Il explose ça in the old Todd way. C’est un seigneur. Avec «Serious», il fait du diskö beat colérique, il mène ça d’une poigne de vieux rocker new-yorkais. Il utilise «Ping Me» pour aller dans une sorte de heavy pop pinguy - So ping me - Il envoie ses légions, une masse incessante, une apocalypse guerrière extraordinaire. Todd Rundgren bâtit encore des cathédrales de son. Avec lui, tu en as pour ton argent. Ne viens pas te plaindre. Sur cet album, il fait pas mal de diskö electro. Tout n’est pas bon, heureusement. Il lui arrive de faire n’importe quoi. On lui fait confiance, et puis voilà qu’il nous fait le coup des deux ronds de flanc avec «Party Liquor».    

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             Le coup de Jarnac de Global s’appelle «Earth Mother». Il retrouve son sens aigu du heavy  groove de r’n’b avec un brin de machines. Des chœurs de filles l’épaulent et Todd nous fait le coup du r’n’b des temps modernes. Quelle puissante abomination rundgrenienne ! Avec «Blind», il tape son heavy doom d’excellence patrimoniale. Il sait toujours chanter son gut off. Derrière, Bobby Strickland mène le bal au sax. Todd met son «Blind» au service de l’écologie. Pour le reste, il met le paquet sur l’electro. «Everybody» vire transe d’acid freakout, Todd charge bien sa barque. Il bâtit toujours des architectures technoïdes assez originales, il fait chanter des robots et demande à la foule de claquer des mains. Et ça continue avec «Flesh & Blood», nouvelle rasade de techno diskoïdale. Il bâtit son empire tout seul dans son coin et prend quelques risques en inventant des sons. Il continue d’explorer de nouvelles possibilités avec «Rise». Il sait qu’il doit évoluer, alors il évolue sous nos yeux globuleux. Il doit évoluer coûte que coûte - If we don’t rise then we will fall - Il sent que le temps passe et que la mort approche. «Holyland» sonne comme le début d’Aguirre, mais au lieu de descendre dans la jungle, on va danser sur la plage. Todd rend hommage à la terre, grass & sand. Dans «Terra Firma», il commence par saluer cette brute de Christophe Colomb et passe en mode diskö-electro. On ne l’écoute que parce qu’il est Todd et qu’il croit en la terre ferme. Il dit aussi dans «Fate» que tout est cuit aux patates - Our future is/ No longer ours - Il a raison. Si on continue de l’écouter, c’est parce qu’on attend des miracles. Mais soyons honnête : ils commencent à se faire rares.    

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             Enregistré avec Emil Nikolaisen et Hans-Peter Lindstrom, Runddans se présente comme un objet d’art collaboratif. On craint un délire de type Utopia et finalement l’album se révèle passionnant. Todd nous emmène dans un monde qui ne doit plus rien à celui de Nazz. Il fait de l’experiment lunaire. T’as voulu voir Vesoul et t’as vu Todd. «Opad Over Skyene» s’annonce comme une nappe de son éthéré, et Todd chante entre deux eaux. Il atteint le sommet du planétarium. Il chante comme s’il venait d’être abandonné sur une planète inconnue. Il chante juste, en plus. Et puis soudain, son génie se réveille avec «Put Your Arms Around Me». Il fait de la pop de synthèse. Il propose tout bêtement du LSD. Inutile d’aller acheter une dose. Le son devient vite énorme. Todd réactive brillamment le mythe de la mad psychedelia. Il barde ensuite son «Altar Of Kausian Six String» du pire son jamais envisagé. Il explose l’audimat psychédélique et passe sans transition à l’écho du temps avec «Out Of Our Head». Avec un mec comme Todd dans les parages, il faut rester sur ses gardes. Il fait tomber des gouttes de son dans l’éternité. Il roule dans «Rundt Rundt Rundt» à la suite. Rien de ce qui se passe sur cet album n’est étranger à la folie. Il charge tout de son comme au temps béni du Zen Archer. Les voix se perdent dans une dimension robotique, tout est dirigé vers la sortie. Il nous sort les grands accords de Genève avec «Wave Of Heavy Red», une sorte de concorde philharmonique, ambiance idéale pour un visionnaire comme lui, il sort du son à la folie, ça devient incommensurable. Avec Todd Rungren, ça peut aller très loin, il ne faut jamais l’oublier. Il plonge avec «The Golden Triangle» dans des profondeurs soniques insoupçonnées. Il redevient indispensable. Il nous refait le coup du bop urbain avec «Ravende Gal» et la pression monte très vite. On a du son à gogo et même des relents d’expérimentation, les violons deviennent fous et le beat horrible, quel shoot de son ! Il crée de l’apothéose, il nous emmène aux confins du génie humain, au-delà de toute mesure. Il propose un nouveau monde. Laisse tomber tes petites notions moites de garage et de pop, Todd Rundgren t’emmène ailleurs. On ne l’avait pas très bien compris au début : Todd Rundgren est un sculpteur. Il est le Rodin du rock, il se bat au corps à corps avec l’argile du son. Il la façonne à sa pogne, jusque dans l’espace. C’est ce que révèle «Ohr Um Am Amen».

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             Paru en 2017, White Knight est un album collaboratif qui tarde à se révéler. Mais comme toujours chez Todd Rundgren, ça se révèle gigantesque. Il fait «Tin Foil Hat» avec Donald Fagen et donc les voilà partis tous les deux en mode groove urbain comme au temps de Steely Dan. Superbe, bien monté au bassmatic. Todd refait son caméléon. Il revient à la heavy pop des origines avec «Let’s Do This» - I’ve got my mad skills honed/ And I’m ready to roll - Joe Walsh vient gratter sa gratte dans «Sleep» et Todd parvient à expurger sa pop de chat perché par-dessus les toits. Il renoue avec sa chère pop ambitieuse et montre qu’il n’a rien perdu de son allant. Il duette avec Bettye LaVette sur «Naked & Afraid», et cette diablesse de Bettye entre dans le lard du groove indus et le fracasse. C’est une géante et on la voit revenir encore une fois exploser le pauvre Naked de Todd. Il embarque ensuite Satriani et Prairie Prince dans «This Is Not A Drill» et ça devient vite dévastateur. Prairie bat ça sec et ça devient du killer tune dingoïde. Il bat à la vie à la mort, alors Todd explose. Buy my T ! Le début de l’album est moins spectaculaire, même si «I Got You Back» pique la curiosité avec ses gouttes de son. Todd n’a plus la même voix mais son ambition reste intacte. Il va chercher des vents qui n’existent pas sur cette terre. Il fait son Eole, il monte très haut, come with me. Il chante ses visions avec une puissance inquiétante, Todd the Wizard est un vieil homme qui peut imposer le respect d’un seul coup de marteau. Son come with me impressionne durablement. Il duette avec Darryl Hall sur «Chance For Us». Il faut faire confiance au vieux Todd tout ridé, car il chante avec abnégation. Lui et Hall font bien la paire. 

    Signé : Cazengler, Todd Rengaine

    Todd Rundgren. 2nd Wind. Warner Bros Records 1991  

    Todd Rundgren. No World Order. Rhino records 1993  

    Todd Rundgren. The Individualist. Digital Entertainment 1995  

    Todd Rundgren. Up Against It. Pony Canyon 1997

    Todd Rundgren. With A Twist. Gardian Records 1997 

    Todd Rundgren. One Long Year. Artemis 2000         

    Todd Rundgren. Liars. Sanctuary 2004               

    Todd Rundgren. Arena. Cooking Vinyl 2008        

    Todd Rundgren. Todd Rundgren’s Johnson. MPCA 2011

    Todd Rundgren. (re)Production. MRI 2011          

    Todd Rundgren. State. Esoteric Recordings 2013   

    Todd Rundgren. Global. Esoteric Antenna 2015    

    Todd Rundgren. Runddans. Smalltown Supersound 2015

    Todd Rundgren. White Knight. Cleopatra 2017

    Lois Wilson : Drugs worked for me. Record Collector # 491 - April 2019

     

     

    Inside the goldmine

    - Très cher Fletcher

     

             Haut comme trois pommes, il portait des baskets à semelles compensées. Il parlait d’une voix extrêmement grave et, pour un gars du Nord, il n’avait pas trop d’accent. Son visage semblait porter les stigmates d’une vie d’aventurier, joues creuses, rides profondes, dents abîmées, teint très pâle. Personne n’aurait pu dire de quelle couleur étaient ses yeux, il portait des lunettes noires en permanence, le jour comme la nuit. Ses cheveux s’écoulaient en longues cascades blondes sur ses épaules. Il portait toujours la même veste de cuir fauve. En gros, il avait l’allure d’un hippie, mais il naviguait à un niveau beaucoup intéressant. Notre rencontre remontait à plusieurs mois. Je sortais d’un studio de répète quand soudain, j’entendis à travers la porte du studio voisin le solo que joue James Gurley en intro de «Summertime», oui, la version de Janis. Magique, à la note près ! J’entrebâillai la porte pour voir qui était l’auteur de ce prodige. Fetch bien sûr. Il répétait en trio avec un bassiste et un batteur. Leur version de «Summertime» tenait bien la route. Puis Fetch attaqua le «Tush» des ZiZi Top. Enfin bref, ils tapaient un répertoire de belles covers. Nous engageâmes la conversation à la fin de la répète et Fetch me demanda si je savais jouer de la basse. Oui. Ça tombait bien, car son bassiste partait à l’armée. Nous prîmes nos habitudes. Fetch baptisa le trio Some Sweet Days. La set-list comprenait pas mal de blues, donc l’excellent «Fool For Your Stockings» des ZiZi, le «Summertime» déjà cité, une version heavy d’«I’m A King Bee» et pas mal de stormers/shakers comme «Around & Around», le «Baby Please Don’t Go» des Amboys Dukes et une reprise sauvage de «Blue Suede Shoes». Fetch vénérait Gene Vincent. Et puis un jour de répète, on attendit Fetch en vain. Une heure, deux heures. Ça n’était pas dans ses habitudes. Dan qui battait le beurre lâcha ceci, qui n’était pas de bonne augure : «Bon là, on a un gros problème.» Pour éclairer ma lanterne, Dan m’expliqua que Fetch était connu dans le milieu. On l’appelait le violoniste. Il trimballait un pistolet mitrailleur dans son étui et attaquait les banques en solitaire. Effectivement, le lendemain, Fetch fit la une des journaux. Il s’était fait descendre à la sortie de l’agence qu’il venait de braquer. 

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             Pendant que Fetch agonisait sous les balles des condés, Fletch fléchait son parcours à Detroit. Darrow Fletcher ? Celui qu’on pourrait appeler the King Of Rare Soul est originaire de Detroit, mais il a grandi à Chicago. Ady Croasdell rappelle que Fletch est un petit prodige : à l’adolescence, il chante déjà comme un cake, il bat le beurre et sait gratter une gratte. Il n’a que 14 ans quand il enregistre son premier hit «The Pain Gets A Little Deeper» sur l’un des petits labels de George Goldner. Beaucoup plus tard, c’est l’A&R de Ray Charles qui repère Fletch dans un club et qui le recommande au vieux Ray. Coup de flash pour Fletch ! Ray finance l’enregistrement d’«Hope For Love» à Los Angeles. Du coup, Fletch part en flèche et signe avec Crossover, le label de Ray, et s’installe à Los Angeles. Elle est pas belle la vie ? Le pauvre Fletch enregistre un album pour Crossover qui n’est jamais sorti. Heureusement, Kent/Ace veille au grain. En deux compiles, Kent a réussi à reconstituer l’ensemble de la carrière de Fletch. Alors qu’est-ce qu’on dit ? Merci Tonton Kent !

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             Dans le booklet de The Pain Gets A Little Deeper - The Complete Early Years 1965-1971, Robert Pruter commence par rappeler que si la culture Soul est restée vivante, c’est essentiellement grâce aux collectionneurs britanniques. Cette première compile concerne la période Chicago, alors que la deuxième concerne la période Los Angeles. Pruter ne se contente pas de remettre les pendules à l’heure, il nous raconte surtout une histoire extraordinaire : Fletch est encore à l’école et son beau-père Johnny Haygood, qui vient juste d’épouser sa mère, lui demande ce qu’il veut faire plus tard. Fletch lui répond : «Music !». Le beau-père qui est un type bien lui répond qu’il va lui trouver quelque chose - Find something he did - Eh oui, le beau-père Johnny Haygood lâche son boulot de vendeur de bagnoles pour monter une petite boîte de prod à Chicago, avec des vétérans de la scène doo-wop. Et comme Fletch est incroyablement doué, qu’il chante bien, qu’il joue de la guitare et de la batterie, et qu’il compose, hop ils enregistrent deux de ses meilleures chansons, «The Pain Gets A Little Deeper» et «Sitting There That Night». C’est justement Deeper qui ouvre le bal de cette compile de tous les diables. Fletch sonne comme un Little Stevie Wonder en plus dynamique, juvénile avec une voix de mineur affamé, il peut feuler entre deux eaux, on n’avait encore jamais vu un truc pareil ! Avec «Sitting There That Night», il tape dans le balladif de big inspi, il est crédible, bien au-delà du seuil de tolérance. Cette histoire ressemble donc à un conte de fées. Puis Johnny Haygood emmène Fletch faire la tournée des labels et Deeper sort en 1965 sur Groovy, l’un des labels de George Goldner, qui est alors le pape de la pop américaine sur la côte Est. Comme Deeper marche bien, Fletch part en tournée : Apollo de Harlem, Uptown à Philadephie, puis au Regal à Chicago, en 1966, «où il se retrouve à l’affiche avec B.B. King, les Elgins, Stevie Wonder, les Capitols, Lee Dorsey, Jimmy Ruffin, les Swan Silvertones, plus les Sharpees (Hello Jean-Yves) et Jo-Ann Garrett.» Pruter exulte, car c’est une affiche de rêve. On ne pourrait plus imaginer un tel événement aujourd’hui. Puis Fletch enregistre «My Young Misery», nouveau chef-d’œuvre de heavy Soul. Pour son troisième single Groovy, Fletch pond «Gotta Draw The Line», un énorme r’n’b, il rivalise de classe avec le Motown Sound des Supremes, on oserait presque dire qu’il les surpasse. C’est enregistré à Detroit par Ed Wingate qui justement fait appel à des musiciens de Motown. Pour le quatrième et dernier single Groovy, Fletch enregistre le wild r’n’b «That Certain Little Something» et le transverse «My Judgement Day». Johnny Haygood arrête les frais avec Groovy car il voit bien que les comptes ne sont pas bons, surtout que Deeper a été number one ici et là. Alors, où est le blé ? Il décide alors de changer de crémerie. Il fonde son label, Jacklyn, à partir du nom de l’une de ses filles et il vend ses disques dans son record shop, au 2200 East 75th Street, dans le South Side, nous dit Pruter. Fletch ré-enregistre «Sitting There That Night» pour sonner comme Curtis Mayfiled qu’il admire. Puis il sort «Infatuation». Fantastique présence ! On peut comparer Fletch à Shuggie Otis, en plus hard, oui, il faut le voir tortiller sa Soul, il a du répondant et de l’aboutissant. Sur «Little Girl», Fletch est déchirant de juvénilité, perçant de véracité. Le conte de fées se poursuit : un vétéran de toutes les guerres, Don Mancha, prend un jour sa bagnole et quitte Detroit pour aller à Chicago bosser avec Fletch. Johnny Haygood ne sait rien de lui, mais quand Mancha sort de sa manche «What Good Am I Without You», Haygoog percute ! Fletch en fait une mouture ultra-dévastatrice, ultra-chantée et ultra-orchestrée. Les dynamiques sont infernales ! L’Homme de la Mancha est arrivé ! Mais le petit label de Johnny Haygood en bave, pas de promo, ça floppe. Sans staff et sans blé, un petit label ne peut pas survivre. Alors Fletch signe chez MCA qui chapeaute des petits labels comme Revue, Congress et Uni. Le boss d’MCA Russ Regan veut des Soul Brothers de Chicago, alors il récupère Fletch et les Chi-Lites. Fletch fout le feu dans les charts en 1970 avec «When Love Calls», il devient vertigineux, même dans le heavy balladif, il groove dans le move - I know it’s gonna call - Il ne vit que pour la démesure. Encore un hit avec «Changing By The Minute», il est tellement bon qu’il s’essouffle en permanence. L’Homme de la Mancha refait surface avec «Dolly Baby», un heavy groove de génie pur, Fletch rentre dans le chou à la crème du lard, c’est un fantastique groover, pulsé par des chœurs d’oouh ooouh oouh. Pruter dit que Fletch sang his ass off. Mais MCA ne renouvelle pas le contrat et Johnny Haygood remonte un label, Genna, pour sortir ce coup de génie qu’est «Now Is The Time For Love», amené à la flûte bucolique, Fletch y fait son Marvin au yeah yeah yeah, c’est du seigneurial de time for love. Sur la compile, tu vas aussi croiser «What Is This», un autre coup de génie - Tell me what it is - Il fait danser la Soul. On se régale aussi de l’attaque de «What Have I Got Now», toutes ses attaques sont parfaites. Encore de l’approche fruitée avec «I’ve Gotta Know Why», ce big r’n’b emmené au chant d’exception. Tout est bow chez Darrow.    

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             Ady Croasdell et Dave Box se tapent le livret de la deuxième compile, Crossover Records 1975-79 Soul Sessions. Après l’intense période de ses débuts, Fletch connaît des années de vaches maigres. Il doit bosser pour bouffer. Il a cependant un contact avec Jerry Butler, via son copain d’enfance Zane Grey. Mais c’est l’A&R de Ray Charles Pat Bush qui relance Fletch. Elle le voit chanter au Regal et lui demande s’il a des bandes. Elle les fait écouter à Ray qui flashe. Il  propose à Fletch un contrat de 5 ans, (1974-1979) et envisage de le produire. Ray lui demande aussi de monter sur scène avec lui pour chanter «This Time (I’ll Be The Fool)», une Soul très sensible qui ne tient qu’à un fil. Fletch est fier d’être accompagné par Ray au piano. Son premier single pour Crossover est l’excellent «Try Something New», une Soul de heavy popotin caramel d’une incroyable modernité, là tu as tout, l’accordéon et le ouhh de bienvenue. Et comme la mode est aux albums, Ray envisage de sortir un album de Fletch. Son titre ? Why Don’t We Try Something Brand New. Pour des raisons mystérieuses, l’album n’est jamais sorti. Dommage, car Ray avait pondu une belle présentation, il voyait Fletch comme l’avenir de la Soul - In the future to be one of the stars in the industry - Qu’on se rassure, tous les cuts de l’album inédit sont sur la compile. Le cut d’ouverture de balda devait être «We Got To Get An Understanding», un hard-funk de r’n’b, et le hit prévu était «(Love Is My) Secret Weapon», un cut de Soul moderne d’une fantastique énergie, avec Fletch qui court sur l’haricot du groove. On le voit aussi se battre pied à pied avec la Soul d’«(And A) Love Song». Il redevient le seigneur que l’on sait avec «(What Are We Gonna Do About) This Mess», il shake son groove de what-we-gonna do en profondeur, il enfonce bien son clou. Croasdell évoque même l’éventualité d’un deuxième album, mais Crossover coule en 1976. Ray continue de veiller sur Fletch qui n’a encore que 25 ans. Fletch finit son ère Crossover avec deux covers de classiques, «Fever» et «Sunny». C’est tout de même incroyable qu’une flashing flèche comme Fletch ne soit pas devenu une star.  

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             Paru en 2020, My Young Misery est une espèce de petit Best Of bien tempéré qui démarre sur les deux vieux coups de génie, «The Pain Gets A Little Deeper» et «What Good Am I Without You». Le Deeper reste ce raw R&B enfantin fabuleusement troussé à la hussarde. Fletch sait maintenir la tension d’un beat rampant. Il ne fait que du real deal. Son What Good est un vrai modèle de rentre-dedans, plus orchestré, plus pressant, plus puissant, plus pinçant, quasi-Tempts. Il attaque sa B avec «Infatuation», encore un solide R&B sévèrement bassmatiqué qu’il chante avec des accents féminins. Il roule son infaaa/ tuation dans le caramel. S’ensuit la reine des énormités, «I’ve Gotta Know Why», il tape en plein cœur de l’excellence de son époque. Voilà un cut produit par Ted Daniel en 1966 alors que dit-on ? On dit «woow la classe !». Et puis voilà qu’avec «Gotta Draw The Line», il se rapproche dangereusement de l’élite Motown. C’est du très grand R&B de 1966. On voit ensuite le son évoluer avec «Now Is The Time For Love Pt1» et «Hope For Love», on est en 1970, c’est une Soul nettement plus ambitieuse, plus orchestrée et Fletch évolue comme un petit crack.

    Signé : Cazengler, vraiment pas une flèche

    Darrow Fletcher. The Pain Gets A Little Deeper. The Complete Early Years 1965-1971. Kent Soul 2013

    Darrow Fletcher. Crossover Records 1975-79 Soul Sessions. Kent Soul 2012

    Darrow Fletcher. My Young Misery.  Kent Soul 2020

     

    *

    Sur la pochette de leur dernier album, je concède que vous puissiez avoir un doute si vous n’avez jamais vu une couve des 33 tours Capitol de Gene Vincent, pour l’EP précédent intitulé Tribute To Gene Vincent and Eddie Cochran, si cela ne vous dit rien, je vous raye ad vitam aeternam de la liste de mes connaissances, les lecteurs fidèles comprennent que dès qu’il existe un soupçon d’influence Vincentale quelque part, je me penche sur la piste comme un entomologiste qui découvre un ciron sur son citron.

    ROCKABILLY REVIVAL

    LUCKY 7.5.7.

    ( Album Numérique / Janvier 2023 / Bandcamp) 

    Non le jeune homme chanceux qui vous sourit de toutes ses dents ne s’appelle pas Lucky, ne commettez pas non plus l’erreur de croire qu’il est un tueur en série adepte du Magnum 747, non Lucky n’est pas son nom mais celui du groupe. S’appelle comme son père : Dan Spivey : rythm guitar, bv / qui prénomma son fils : Cory ( Spivey ) : lead vocal & lead guitar / ils ont débuté à deux mais ont été rejoints par : Angel Lopez : drums , bv / Sam Haga : bass, bv.

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    Ne nous attardons pas sur la pochette voici celle du deuxième 33 tours de Gene Vincent and The Blue Caps paru en 1957. Il suffit de la regarder et de comparer.

    757, non ils n’ont pas été sponsorisés par Boeing, 757 n’est pas un modèle d’avion mais c’est ce que l’on appelle aux Etats-Unis l’Area Code autrement dit l’indicatif téléphonique régional de l’état de Virginie. Une manière de revendiquer leur appartenance géographique et leurs racines rock’n’roll, sont originaires de Portsmouth en Virginie, cela ne vous dit pas grand-chose, il est une autre manière de vous situer, cette cité portuaire se trouve juste en face de Norfolk, ville natale de… Gene Vincent !

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    Let’s get ready : z’avez intérêt à être prêts car le début ressemble à une départ de tremplin glacé de saut à ski, le rocker se sent comme chez lui avec ce morceau dédié à Gene et Eddie ( clin d’œil aux Stray cats ), auréolés d’une foultitude de titres de classiques et zébrés d’éclairs de guitare les plus attendus mais assénés avec un savoir faire jupitérien, la section rythmique vous a l’impassibilité d’une Pacific qui a décidé de ne respecter aucun arrêt dans les gares… Crazy legs : quand on parle du loup le petit chaperon rouge ne tarde pas à le rencontrer, le morceau idéal pour se souvenir de ce bop borderline et méphitique qui restera le grand apport original et originel de Dickie Harrel au rock’n’roll, le battement  d’Angel vous a des rondeurs angéliques de chat qui fait le gros dos et se frotte contre vos jambes pour vous rappeler qu’il est temps d’ouvrir une boîte. Se débrouillent bien, bel hommage au wild cat. Completely sweet : ici c’est le petit chaperon qui va se faire léchouiller comme un bonbon, une cover respectueuse mais novatrice, une guitare plus clinquante, une voix moins embrumée, ce n’est peut-être pas complètement rockabilly mais totalement sweet, oh, oui !  Memphis cats : du pur de chez pur, avec une batterie qui jappe doucement mais assez fort les guitares qui boppent par intermittence, la basse qui frétille et étincelle sous les eaux et Corey qui vous le sort du timbre du chanteur de country qui a beaucoup vécu mais qui a l’intention de vivre encore longtemps. Broken heart : depuis le Heartbreak hotel d’Elvis (  même avant mais il ne faut pas le dire ) les rockers adorent avoir le cœur brisé, en tout cas un des plus beaux morceaux de l’opus, le chanteur de country tout à l’heure vous a acquis une de ses pêches, melba à la guitare et au sirop velouté de voix teintée de cette ironie qui n’est pas loin des sous-entendus inflexifs de Bob Dylan. Glad all over : un vieux morceau de country blues repris par Carl Perkins, que Corey survole, une très belle interprétation, une leçon de chant pour les amateurs, les autres boys un tantinet en sourdine pour que l’on en prenne de la graine. L’aurait pu rajouter deux ou trois couplets pour notre satisfaction. It’s time I win : on continue dans le même style, une voix traînante beaucoup plus country et contrite que hoqueteuse, n’ayez pas peur la guitare et la base rythmique vous pulsent un peu l’impression désabusée du gars qui a déjà tout perdu. Johnny’s rockabilly boogie : le genre de catastrophe du Rock’n’roll Trio qui vous rend les burnes nettes, vous en homaginent une espèce de démarquage qui exige une étude minutieuse pour établir la proportion entre mixité de techniques guitariques rockab et surf rock, attention mélange instable et explosif, ne vous trompez pas dans les proportions. Hot diddley bop : encore un hommage à un pionnier, c’est trop bo ! Si vous croyez croiser des tigres sanguinaires dans la jungle, vous la font du côté hominien du temps où nos ancêtres sautaient sur leurs pattes-arrières pour voir devant eux, et hop, et bop, un exercice très agréable. I’m gonna miss her : avec l’entrain avec lequel il clame son malheur l’on comprend qu’elle ne va pas lui faire la miss-ère. Le morceau dégouline dans votre gosier comme une crêpe à la confiture de fraise, vite avalée, vite oubliée, oui mais il y a ce petit pic de clic de guitare qui se fichera dans votre cervelle comme une fléchette empoisonnée. Don’t know where I’ll end up : des guitares qui tintent et le gars qui vous interpelle pour vous rappeler ses faux malheurs, une attitude country pour par la suite vous faire frétiller un régal de cordes, du note à note, et des changements de tons qui font le bonheur des amateurs. You can’t always win : un peu le même style que le précédent, une voix qui joue à saute-moutons et des guitares qui festivalisent, une basse qui ricoche une batterie pile au rancart, le petit solo obligatoire réussi, peut-être un peu trop parfait. True love is hard to find : pour une fois les backing vocals passent devant et n’oublient pas de revenir pour relancer le dialogue, un petit côté gospel non négligeable, le solo de guitare se charge de l’aspect sacré du prêche pour vous mieux persuader. B-B-B-Baby : une petite perle rockab, de celles précieuses que l’on aime enfiler, avec une basse qui imite un saxophone à moins que ce ne soit le contraire, un chant un peu à la Hervé Loison, mille détails qui vous rendront heureux.

    Je ne sais pas si le titre Rockabilly Revival est bien choisi, peut-être country bop revival aurait mieux exprimé le sens de la démarche. Ce qui est sûr c’est qu’ils sont doués et que le disque ravira les fans, toutefois j’aimerais bien savoir ce qu’ils donnent sur scène, sur leur site ou sur YT vous trouverez des petites merveilles, j’en ai choisi deux :

    LIVE AT THE GOODE THEATRE

    Vous trouvez l’intégralité du concert sur le live (même titre) paru en septembre 2020, qui regroupe 21 morceaux.

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    Run with me : on les voit quitter le backstage sur une musique grandiloquente parfaite pour un péplum, le Google Theatre possède la taille d’un cinéma, elle n’est pas totalement remplie, si vous regardez la vidéo de fin de concert vous verrez que l’ambiance est chaude. Lunettes noire et cheveux mi-longs, pas la coiffure habituelle du rocker de base pour Cory, souriant et totalement à l’aise. Il est indubitable que le groupe a l’habitude de la scène. Zut, retour case départ, avec mini-déclarations et l’installation sur scène passée en accélérée à la manière des vieux films de Charlot, sympa mais pas primordial, les petits détails, les réglages, Dan parle de son fils, Angel se chauffe à la batterie, Sam tripote sa basse, les voici assis autour d’une table répétant en acoustique Run with me et les revoici sur scène. Angel debout botte le train de sa caisse claire. Retour aux interviews. Une vidéo parfaite pour présenter le groupe mais pas indispensable.

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    Mar Agitado – Link Wray Way : les passionnés de surf rock seront aux anges avec cette mer agitée, cette joie de jouer, de s’amuser sourire aux lèvres, cette complicité de vieux routiers qui s’attendent aux croisements pour mieux brûler les feux rouges ensemble. Un must. All Ineed is you : belle voix le Corey, vous aménagez deux pistes à vos deux oreilles, le son est si clair que l’on entend parfaitement les quatre instruments, le Sam à la basse vous envoie une présence inimitable, Dan tout fier de son fils se marre. Tired of runnin’after you : belles images, je vous refile les noms derrière les caméras Will Clarke et Shana Nichole car ils le méritent, ce qu’il y a de plus admirable c’est leur manque apparent de difficulté, ça coule de source, ils ouvrent le robinet et l’americana jaillit en flots limpides. Seek higher ground : là ça coule aussi naturellement que du Creedence Clearwater Revival, rien ne semble hasardeux, vous vous dîtes que si vous rajoutiez ou enleviez un quart de note ce serait totalement raté, le grand art donner l’illusion que tout ce que vous faites est nécessaire et suffisant. Link Wray Way :  le chaînon manquant, bel hommage, un vous attendez la guitare devant, non c’est la voix acclamative, la six-corde n’est là qu’en contrepoint, vous n’attendez qu’elle, mais elle se cache à peine est-elle apparue, le vaisseau spatial qui vous file un coup de klaxon alors que vous roulez à fond sur l’autoroute car ses occupants tiennent à vous signaler que les extra-terrestres existent vraiment mais que leurs apparitions sont aussi rares que les extra-guitaristes. Miserlou : vous vouliez de la guitare, en voici, le morceau fétiche, on regarde, on écoute, on se tait, on n’écrit pas non plus. C’est inutile. Splendeur boréale. Red Hot : rockabilly chaud bouillant de Billy Lee Riley, entrecoupé d’images de pompiers de Norfolk, normal le Goode Theatre est en feu. Ebouriffant.

    Rien à dire, sur ce coup-là on a été chanceux.

    Damie Chad.

     

    *

    Etrange depuis quelques semaines chaque fois qu’un artefact musical ou visuel m’accroche l’oreille ou l’œil, dès que je m’enquiers de la provenance du phénomène la réponse est souvent la même : de Pologne. Pur hasard ou se passe-t-il vraiment quelque chose d’important en l’ancien royaume du Père Ubu. Peut-être suis-je atteint d’un syndrome polonais philinoïaque, la folie me guette-t-elle, mais avec ce groupe-ci je ne m’inquiète pas, il possède un nom rassurant, HighSanity je vous le traduis tout de suite HauteSantéMentale. Quoique… le titre est tout de même un peu étrange : Half, seraient-ils à moitié malades.

    HALF

    HIGHSANITY

    ( Interstellar Smoke Records / Avril 2023)

    Janek Ostrowski : vocals / Maciej Zajac : guitar / Sebastian Maciaszkiewicz :  bass / Roch Gablankowski : bass, vocals / Jakub Bizon : guitar.

    Sur l’Instagram d’ ISR, je retrouve comme par hasard la couve du dernier album de Moonstone paru sur un label ami ( Voir notre livraison 601 du 18 / 05 / 2023 ), la pochette de HighSanity est d’un tout autre genre. 

    Vous la retrouverez sur l’Instagram de Lou Kidd, il possède un autre nom d’artiste Lukasz Maciaszkiewicz est-ce le frère ou un autre hétéronyme du bassiste du groupe ? Je l’ignore. Cette pochette - étincelles sur le bâton de dynamite chaque morceau de l’album est pourvue de son illustration – m’a séduit par sa simplicité qu’il faudrait qualifier comme toutes les autres productions de Lou Kidd d’expressionisme algébrique abstrait. Ce n’est rien, quelques stries sur un fond noir, pourtant déjà l’on peut se faire une idée de la musique qu’elles évoquent, des barrières psychologiques flottantes, un malaise existentiel incertain, une vision assez floue de la place que l’individu se doit de s’adjuger dans un monde borderline.

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    Shades : courte introduction, bruissements, bruits de conversations lointaines, des voix masculines imitent le bourdonnement d’une mouche. Serait-ce pour insinuer que la vie humaine tourne en rond ? Last whispers off the day : featuring : Katarzina Firek & Weronika Kesek : batterie pépère se dirigeant vers une supérette, plein d’attaques de guitares par-dessous, arrivent sans prévenir, des voix qui se voudraient harmoniques comme les Byrds mais un jour de grosses faignasseries et les guitares qui reviennent secouer le panier à salade de la vie, un peu trop insipide et menteuse, l’on espère la nuit peut-être parce qu’elle est plus cruelle, l’on y va à pas chaloupés et puis l’on glisse subrepticement vers une espèce kaos mélodique, une guitare s’étire comme un élastique qui cherche la cassure irréfutable, un éclat de rire désabusé mais heureux de l’être puisque la marche du monde lui donne raison. Deeply wrong : voix fatiguée, profondément dépressive, l’on y court tout doucement, pas besoin de se presser l’on sait déjà où l’on va et ce que l’on va rencontrer, un monde dépourvu d’embûches, les guitares bourdonnent un coup en haut, un coup en bas – entre nous l’on se dit que le monde n’est pas si mauvais cela puisqu’il nous offre un très beau solo – bizarrement cet ostrogoth d’Otrowski semble être le premier à ne pas s’en apercevoir, préfère rester enfermé dans sa cage mentale, serait-ce un titre d’inspiration sartrienne ? Ghosts : featuring : Katarzina Firek & Weronika Kezek : au fond du trou, le mec n’est pas près de s’en sortir, vous êtes enfermé en un dôme de résonnances neurasthéniques, elles vous prennent la tête d’une façon agréable, mais pas celle de notre héros au quinzième sous-sol, la batterie se démène pour le réveiller de sa torpeur, z’avez envie de le secouer ce n’est pas que sa comprenette est emplie de fantômes c’est qu’il est lui-même le fantôme, l’auditeur ne ressent aucune angoisse. Love & disease : une espèce de tourniquet asthmatique sur deux notes, serait-celui de la folie, déjà que les philosophes nous ont appris que l’amour était une erreur et la vie une maladie, le gars n’est pas encore sorti de l’auberge de lui-même et des autres, nous l’on est tout ouïe, c’est si doux que l’on espère qu’il ne s’en sortira pas de sitôt. On a de la chance dans son malheur, fait tous ses efforts pour rester du mauvais côté de la vitre. Solitude : basse fréquence des arpèges de la solitude, le gars n’a plus rien à dire alors il se répète, le disque du cerveau s’est enrayé, surtout la piste de la voix parce que les instruments en profitent pour prendre le commandement et montrer tout ce qu’ils savent dans les paliers ascensionnels et désagrégatifs. Terminent un peu comme dans les morceaux antiques par une apocalypse sonore. Insomnia : featuring : Katarzina Firek & Weronika Kezek : le titre ne présage rien de bon, mais il démarre sur les chapeaux de roue, insomnie chaotique donc, avec ses vents de guitares l’on serait presque tenté de dire karocktique, jusqu’à ce que notre naufragé reprenne la direction du bateau échoué, le plongeur remonte vers la surface et aperçoit les premières lueurs violentes du jour, n’est pas encore sorti de l’abysse mais l’est poussé en avant, hissé vers le haut par l’instrumentation, chants de triomphe lointains pour l’encourager, il passe les paliers de décompression, un par un, il sait que peut-être là-haut on l’attend. The very end of night (Prelude) : featuring Eliza Ratuznick : la voix du mec qui a vu l’horreur sur  deux guitares acoustiques, va vers la vie, certes mais lle timbrea voix reste valétudinaire, il a tout compris, vous pouvez rencontrer des tas de gens et passer de bons moments mais à la toute fin vous vous retrouvez seul pour mourir. Ce prélude est un peu comme celui de Tristanet Ysolde de Wagner que les enregistrements font souvent immédiatement suivre de La mort d’Yseult…

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    Non ce n’est pas vraiment gai, mais l’instrumentation, toute simple, que l’on pourrait en même temps qualifier de symphonique pour ses subtilités signifiantes, est géniale. Un superbe effort pour que la dichotomie lyrics-musique forme un tout organique rarement atteint par d’autres groupes.

    Damie Chad.

     

    *

    Sur le marché Denis m’a tendu un livre, sous emballage plastifié, c’est pour toi Damie, alors je l’ai pris, en grosses lettres rouges sur la couve c’est écrit ROCK, que voulez-vous quand on a une réputation de rocker il faut l’assurer.

    ROCK FICTIONS

    CAROLE EPINETTE

    ( Cherche Midi / 2018 )

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    A première vue (expression malheureuse) je ne la connais pas, pourtant la demoiselle porte le prénom féminin le plus rock’n’roll du monde Carole, Oh Carol don’t let him steal your heart away, après ça se gâte, Epinette : plouf ce mot sent la tisane et la vielle à roue en bois d’épinette du renouveau folk des french seventies. Remarquez ça lui correspond assez bien, côté cour elle court le monde et les backstages pour assurer son boulot de photographe, côté jardin, en Dordogne, chez elle, près des arbres, adepte des thérapies douces, elle aime à sarcler les plates-bandes, pratique l’hypnose et la Méditation… rockeuse et hippie, face claire, pile sombre, une riche personnalité.

    La plupart de nos lecteurs ont déjà vu ses photos, dans de multiples revues : Hard N’ Heavy, Rage, Best, Metal  Hammer, Rock Sound ( j’ai adoré ce zine), Guitar Part, Rolling Stone, Rock & Folk, Libération. En 2015, à la suite d’une exposition intitulée Rock is Dead, elle a réuni quelques-uns de ses clichés dans un livre à qui elle a donné le même titre. Entre parenthèses le contenu est la preuve absolue que non seulement le rock n’est pas mort mais qu’il est encore vivant. La photographie de la couve qui reprend celle de l’affiche de l’expo, un portrait iconique de Lemmy Kilmister, est devenue virale.

    Ce n’est pas qu’elle aurait été insatisfaite du bouquin, les photos c’est bien, toutefois elles souffrent d’un gros défaut, elles ne parlent pas. Oh bien sûr une bonne photo peut vous en dire davantage que la plus merveilleuse des chroniques, mais la puissance irradiante des mots n’est pas à négliger. Pour remédier à cet état de fait, elle prépare toute seule, comme une grande, grâce à une cagnotte Ulule (un truc chouette), le projet Rock Fictions. Sur le papier le principe est assez simple, demander à vingt et un adeptes du maniement de la plume d’oie ou du clavier d’ordinateur d’écrire un texte, d’émettre une vibration, de mettre en mots une résonnance scripturale à un de ses clichés qu’ils auront choisi.

    Pour les photos pas de problème, que des gros poissons, je ne vous donne que la liste des cinq premiers groupes même si parfois le texte ne s’adresse qu’à un seul de ses membres : Pixies, System of a Down, Jack White, The Pogues, Robert Smith… de toutes les manières nos concasseurs de vocables s’inspirent d’un des titres des artistes.

    Pour nos raconteurs l’on n’est pas au même niveau de célébrité, à part Amélie Nothomb qui se contente d’un texte sans relief de dix lignes, l’est nécessaire de chercher un minimum de renseignements sur le net pour en appréhender leur profil littéraire.

    L’exercice n’est pas facile. Premier écueil ne pas rester collé sur la photo, tous évitent l’obstacle descriptifs, ne tombent pas dans le piège. Deuxième étoc ne pas trop s’en éloigner, la photo n’est pas un prétexte. Déjà plus difficile, prenons le cas de Jérôme Attal, auteur confirmé, parolier et chanteur, l’a tout ce qu’il faut dans sa panoplie, il va nous parler de Pete Doherty, en fait il écrit une nouvelle, peut-être la meilleure de toutes, ce n’est pas qu’il n’évoque pas la fragilité de Peter Doherty, c’est qu’il cause d’un phénomène de société qui l’intéresse, qu’il a vraisemblablement expérimenté par lui-même, mais l’on se dit qu’il aurait pu choisir une photographie d’un autre artiste et qu’il aurait pu écrire un texte similaire aussi brillant avec une autre figure aussi pathétique. Se met en scène tout autant et même mieux que le leader des Libertines, dans son texte il perd la partie, il ne rafle pas la mise, il gagne notre sympathie.

    Je ne sais pas comment a été choisi l’ordre des textes, étrangement c’est le premier de Gilles Marchand qui nous semble coller le mieux à l’essence du projet. L’est le seul qui s’inspire de la photo, Frank Black des Pixies, lunettes noires levées vers un soleil intérieur, accroché au manche de sa basse aussi long qu’un cou de girafe. Ne nous dit rien de lui, ni des Pixies. Se contente de la poser sur une des marches de l’escalier d’un petit immeuble.  De banlieue, parisien, de province, de n’importe où. De temps en temps le gigantesque inconnu laisse échapper quelques mots sibyllins sans queue ni tête De fait c’est le gars de la photo qui se tient debout sur la marche, mais aucun des locataires et encore moins le narrateur ne sait qui il est. C’est un peu comme le monolithe de 2001 Odyssée de l’Espace, il ne bouge pas, mais sa présence n’est pas sans effet sur les messieurs-et-mesdames-tout-le-monde qui ont l’air de se civiliser chaque jour davantage… Très belle métaphore des effets malfaisants et bienfaisants de l’apparition du rock ‘n’ roll dans l’apathie générale.

    Certains se raccrochent aux petites branches. N’ont pas opté pour tel artiste au hasard. Ils connaissent. Ils ont même des choses à dire. Exercice périlleux à tout vouloir expliciter l’on devient ennuyeux et pire encore, pédagogique. Celui qui s’en sort le mieux dans ce genre d’exercice c’est Olivier Rogez, grand reporter, romancier le gars a roulé sa bosse notamment en Afrique. S’ attaque à un monument. James Brown. Dès la première phrase du narrateur l’on sait où l’on se trouve et l’on devine qu’à la fin il rencontrera James Brown. Facile peut-être mais il nous dit tout ce que James Brown a pu représenter pour des millions de noirs américains. Un soleil noir qui brillait et illuminait leur quotidien.

    La maquette est à mon goût un peu trop attrape l’œil, le volume se lit vite, et les photos sont belles. C’était juste pour vous donner envie de voir et de lire.

    Damie Chad.

     

    *

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 30 ( Restif  ) :

    169

    Le président est pâle comme un mort. Le Chef lui offre un cigare :

    _ Cher président, prenez donc un Coronado, je vous conseille un Electrochoco, trois bouffées et vous vous remettez de vos émotions en trente secondes, fortement déconseillé aux enfants de moins de treize ans, réellement efficace, je vous l’assure.

    Le président titube, son conseiller se précipite pour glisser une chaise sous son postérieur avant qu’il ne s’effondre terre, il tente de le rassurer

              _ Président ce n’est rien, nous ferons disparaître cet amoncellement de cadavres durant cette nuit. Au petit matin ils seront oubliés. N’oubliez pas que nous sommes les manitous de la presse, qu’elle soit écrite, radiodiffusée ou télévisée et que nous savons de main de maître orienter les réseaux sociaux.

              _ Crétinoïde de Conseiller, arrêtez de m’embêter avec des détails mineurs, ce qui m’inquiète c’est autre chose !

              _ Ce ne serait pas moi par hasard ?

    Nous avons tous entendu. Le président et son conseiller roulent des yeux effrayés, le Chef en profite pour allumer un Coronado. Saisi d’un doute je cherche des yeux Molossa et Molossito. Lecteurs, ne m’accusez point d’anthropomorphisme, mes chiens sont doués mais je ne les crois point capables de prendre la parole comme vous et moi. Par contre j’ai confiance en leur flair. Pour le moment ils sont en arrêt à peu près au milieu de la pièce, à leur attitude frémissante je déduis qu’ils grognent sans bruit comme s’ils ne voulaient pas qu’on fasse attention à eux. Je comprends qu’ils ont peur, mais ils restent stoïquement immobiles. Bientôt tous les yeux sont fixés sur eux. Il semble que l’air bouge, étrange sensation alors que la porte et les fenêtres sont fermées, l’espace devient pour ainsi dire plus dense, vaporeux en ses débuts, il s’obscurcit lentement, une silhouette se dessine, d’autant plus facilement que la fumée du Coronado du Chef se love autour d’elle tel un boa qui s’apprête à étouffer sa proie

              _ Oui c’est moi, si je ne m’abuse !

              _ rhrhré !

    Le président pousse un cri, un peu comme quand vous marchez sur la queue d’un cobra et que l’inoffensive bestiole pousse un râle de douleur

              _ Asseyez-vous Madame je vous en prie, Agent Chad laissez votre chaise à notre visiteuse, une amie chère qui nous fait le plaisir de nous rendre visite.

               _ Pas du tout cher Chef, ce n’est pas avec vous que je viens causer mais à ces deux ostrogoths que voilà !

    Les deux ostrogoths n’ont pas l’air ravis. Assise sur sa chaise, la Mort a sa tête des mauvais jours, sa main décharnée est crispée sur la hampe de sa faulx avec tant de cruelle majesté qu’elle ressemble à Ramses II sur son trône dans le palais de Louxor. Elle ne tarde pas à les apostropher durement :

              _ Helminthes élyséens si je me souviens bien vous avez signé un pacte avec moi !

    Tétanisés, les maîtres de la France, n’osent même pas répondre.

             _ Le contrat était simple, pour ma part je m’étais engagée à vous débarrasser en premier lieu de Monsieur Lechef et de cette tête mal faite d’Agent Chad, ensuite de mettre à mort tous les rockers de ce pays, à condition que vous acceptiez ma demande de rien du tout, une petite faribole de peu de prix !

    170

    Le conseiller prend courageusement la parole :

              _ Nous avons essayé, hélas ils n’ont pas voulu, nous n’avons pas réussi à les convaincre, malgré tous nos efforts…

              _ On ne se moque pas impunément de moi, tout comme la mauvaise fée des contes d’enfants j’ai envoyé d’un coup de baguette magique paître dans les champs d’asphodèles l’inutile escouade de vos sbires stationnée dans l’escalier pour vous prouver qu’aucune protection ne s’avèrera efficace contre moi.

               _ Malgré tous nos efforts nous…

              _ Regardez-moi, j’ai tenu mes premières promesses pour que vous soyez sûrs de mon engagement, premièrement alors que Monsieur Lechef s’était endormi en fumant un Coronado, je n’ai pas hésité à lui baiser le bout incandescent de son cigare, encore plus horrible que le bisou baveux du lépreux, pour lui insuffler dans ses pensées la menace de la mort du rock’n’roll, depuis ces deux imbéciles n’en finissent pas d’errer dans les cimetières à la recherche de ce dont ils ne savent rien… Quant à notre rédacteur des Mémoires d’un GSH, j’ai froidement abattu cette petite pécore stupide marchande de journaux dont il était stupidement amoureux. 

    Il y a beaucoup d’Alices en ce bas monde, mais pour moi il n’y en avait et il n’y en aura toujours qu’Une. Sans réfléchir je sors mon Rafalos de ma poche et je balance un chargeur entier sur la grande dame qui n’en paraît pas affectée. Elle ricane et balance sa faulx effilée vers moi, instinctivement je recule, la lame aiguisée est passée à moins d’un centimètre de ma gorge, je sais que la deuxième fois j’aurai moins de chance, mais je suis pas le seul à avoir aimé mon Alice, Molossa et Molossito n’ont jamais oublié les bocaux de carambars et de chamallows (surtout ceux à la pistache) qu’elle leur ouvrait… Eux aussi veulent venger Alice qui les adorait, n’écoutant que leur courage ils s’accrochent au long manteau de la Mort et tirent de toutes leurs forces, elle essaie de les étriper d’un coup de faulx, mais tenant en leurs gueule les pans de l’ignoble défroque les chiens agiles tournent autour d’elles à toute vitesse, le vieux tissu ne supporte pas leur rage, il se déchire brusquement d’un grand coup, la nudité squelettique de la reine des ombres apparaît, elle pousse un cri d’horreur  de jeune vierge effarouchée, d’un bras elle cache l’absence de ses seins, et de l’autre elle essaie de voiler le renflement charnel inexistant de son sexe. Je savais que le Chef était un grand fumeur de Coronado, après cette scène il m’apprit qu’il participait chaque année à La Havane au lancer de Coronado sur cible, le fait qu’il ait remporté à plusieurs reprises le premier prix de cette discipline ne m’étonne pas, vu qu’éberlué j’ai été j’ai été témoin du trait de feu qui traversa subitement la pièce, il y eut un cri d’horreur une espèce de hululement de vieille chouette déplumée lorsque subitement le crâne de La Mort s’illumina, durant quelques secondes elle eut l’aspect d’une rousse incendiaire, une broussaille flamboyante eut raison des quelques cheveux blancs qui restaient encore par miracle accrochés à son occiput. Courageusement elle prit la poudre d’escampette et disparut dans les escaliers. Intrépidement le président et son valet la suivirent.  

    171

    Il y eut encore un peu de bruit dans les escaliers durant quelques minutes, le temps que les services de l’Etat, vivement appelés, nous supposons par le Président, fassent le ménage, z’en ont rempli fissa plusieurs camions bennes munis d’un toit de toile qui démarraient à toute trombe emportant on ne sait vers quelle décharge publique leur chargement de héros morts pour défendre la patrie.

    Dès que ce fut finit le Chef alluma un nouveau Coronado :

    • Enfin pouvoir fumer dans le calme, ce monde moderne me rend fou, Agent Chad cette nuit agitée a été fort instructive.
    • Nous avons appris qu’aux origines de cette affaire nous retrouvons les plus hautes autorités de l’Etat, ce qui n’est guère étonnant, nous les avons souvent rencontrées sur notre chemin dans nos précédentes aventures. Ils ont déjà essayé de se débarrasser de nous.
    • Agent Chad cette fois, ils ont conclu un pacte héréditaire avec l’ennemie N° 1 de l’espèce humaine, pour une raison que nous ignorons encore, nous devons la trouver dans les heures qui suivent !
    • La tâche risque d’être ardue, je ne vois pas comment procéder !
    • Agent Chad, ne soyez pas défaitiste, laissez-moi allumer un Coronado et tout s’éclaircira.

    J’avoue que j’ai douté, la même faute que Moïse devant Canaan, je ne veux pas insinuer que le Chef est Dieu, toujours est-il que la sonnerie du téléphone retentit à peine le Chef eut-il soufflé sur son allumette.

              _ Décrochez, Agent Chad, vous voyez bien que je suis occupé !

    Je me saisis du combiné :

    • Allo Damie, c’est moi c’est Carlos, il y a du nouveau, j’arrive dans cinq minutes, attendez-moi au coin de la rue !

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 604: KR'TNT 604: TINA TURNER / JAMES BROWN / TONY JOE WHITE / JOHN REIS / ANITA WARD VERMILION WHISKEY / NATTY DREAD / PIPER GRANT / FRANCOIS RICHARD / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 604

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    08 / 06 / 2023

     

    TINA TURNER / JAMES BROWN

    TONY JOE WHITE / JOHN REIS / ANITA WARD

      VERMILION WHISKEY / NATTY DREAD

    PIPER GRANT / FRANCOIS RICHARD

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 604

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Spectorculaire

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             Tina Turner vient de casser sa pipe en bois, aussi allons-nous rendre hommage à l’early Tina, celle du temps de la Revue. Déifiée par Totor, elle fut l’héroïne de l’un des Cent Contes Rock. «River Deep Mountain High» reste l’un des plus beaux hits de tous les temps. Merci Tina et merci Totor de nous avoir fait rêver.

            

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             Pharaon fait son entrée dans le temple du son. Les talons de ses Chelsea boots claquent sur le marbre du sol. Haut comme trois pommes et maigre comme un clou, il porte une tiare en or, un pagne fraîchement repassé et des grosses lunettes noires. De longues rouflaquettes encadrent son visage. Sur la tiare en or est épinglé un badge «Back to Mono». Le temple domine la vallée des morts. Au fond de la vallée sont rassemblés quelques milliers de musiciens issus de toutes les peuplades de l’Empire. Ils attendent en silence, telle est la consigne. De part et d’autre de la vallée, des milliers d’esclaves motivés par le fouet élèvent un mur gigantesque. Ils font rouler des moellons de plusieurs tonnes sur de gros rondins de cèdre lubrifiés. Le mur doit s’élever jusqu’au ciel, car telle est la volonté de Pharaon. Il fait construire le Wall of Sound. Pharaon se prépare à entrer dans l’histoire. Il lance un défi aux dieux dont il se dit l’égal. Plutôt que de conquérir le bord du monde pour montrer sa puissance, Pharaon préfère écrire des chansons. Quand les dieux entendront «River Deep Mountain High», ils frémiront. Pharaon vient d’écrire «River Deep Mountain High» avec Jeff Barry et Ellie Greenwich. Extraordinairement cultivés, Jeff et Ellie sont ses scribes les plus précieux. Pharaon contemple longuement la vallée. Il éprouve de grandes difficultés à dominer son impatience. Il sait qu’il tient un tube éternel. Ses narines palpitent. Sous le pagne, il sent son membre divin se dresser lentement. Il fait signe aux prêtres du temple du son de lui lire les oracles. Les prêtres éventrent les bestiaux prévus à cet effet et accourent les mains pleines d’abats sanguinolents. Ils se bousculent pour offrir à Pharaon l’exclusivité des oracles.

             — Les conditions sont réunies, Pharaon ! Il ne pleuvra pas aujourd’hui !

             Agacé, Pharaon envoie un terrible coup de sa crosse en or sur le crâne du prêtre-météo qui s’agenouille, abasourdi de terreur.

             — Mais il ne pleut jamais dans la région, sombre crétin ! Qu’on le jette aux crocodiles sacrés !

             — Noooon pitié Pharaon ! Nooon !

             Les Turkmènes de la garde rapprochée emmènent le prêtre qui se débat.

             Pharaon commence toujours par caler ses orchestrations. Lorsqu’elles sont irréprochables, il demande à des interprètes soigneusement sélectionnés de venir s’y fondre. Pharaon vit dans l’obsession de l’osmose : le jour et la nuit, la folie et le génie, les cuivres et les cordes, le ciel et la mer, le chant et l’instrumentation, il mêle les extrêmes en permanence. Il se tourne vers l’horizon et lève les bras au ciel. Un immense murmure s’élève de la vallée. Les musiciens s’affairent. Ils vont bientôt devoir jouer selon les règles strictes édictées par Pharaon. Les partitions sont gravées dans des tablettes d’argile. Des milliers de scribes ont travaillé jour et nuit. Les musiciens n’ont que quelques minutes pour s’accorder sous le soleil de plomb. Quand Pharaon donnera le signal, ils devront être prêts à jouer.

             Pharaon donne ses dernières instructions :

             — Bassistes crétois, vous façonnerez l’épine dorsale d’une grosse bassline et vous fendrez le silence comme la proue d’un navire de guerre fend les vagues ! Quant à vous, guitaristes ibères, je vous demande de jouer le rythme basique ! Ne jouez rien d’autre, pas de flamenco, avez-vous bien compris ?

             Une immense clameur monte de la vallée :

             — Ouiiii Pharaon !

             Puis il s’adresse aux huit mille pianistes :

             — Je vous demande de jouer les octaves de la main droite ! J’exige de vous l’emphase dramaturgique !

             — Compriiiis, Pharaon !

             Pharaon passe sa main dans le dos et ramène le revolver qu’il garde toujours serré sous la ceinture. Il tire un coup en l’air. C’est le signal. Les basses crétoises roulent comme le tonnerre, agrémentées de tampanis congolais. L’immense orchestre joue une petite introduction en escalier. Pharaon lève les bras. Silence. Puis l’orchestre reprend, des vagues assourdissantes s’en vont se briser contre les murailles et se réverbèrent dans un chaos d’écho d’une grandeur incommensurable. Des nappes de piano s’envolent comme des nuées de sauterelles et s’en vont percuter les roulements des tambours que battent avec pesanteur des milliers de berbères. Pharaon fait jouer l’orchestre des jours durant. Il n’est jamais satisfait. Et puis un jour, son visage se détend. Les lèvres tremblantes, il murmure :

             — Oui, c’est ça ! C’est ça !

             La qualité de l’écho atteint la perfection.

             Pharaon lève les bras au ciel. Les musiciens arrêtent de jouer, mais les deux murailles géantes renvoient encore de l’écho pendant de longues minutes. Jusqu’à ce que le silence s’installe. L’orchestration est au point, le moment est venu de choisir l’interprète. Pharaon ordonne qu’on fasse venir les cages des candidats. Dix petites cages à roulettes sont installées en demi-cercle sur l’esplanade du temple. Pharaon les passe en revue. Dans la première s’agitent quatre sauvages à la peau blanche. Ils ont les cheveux longs et sales. Ils portent des blousons de cuir et des jeans déchirés. Pharaon s’adresse au plus grand :

             — Ton nom !

             — Joey Ramone !

             — Chante-moi quelque chose !

             Joey bombe le torse et chante «Baby I Love You» des Ronettes. Pharaon est agréablement surpris.

             — Hum...Tu as une bonne voix, mais tes amis ne me plaisent pas du tout... Ils ont l’air tellement stupides !

             Celui qui reste allongé dans la paille lance d’une voix rageuse :

             — Je m’appelle Dee Dee et je t’emmerde, Pharaon tête de con !

             Et Dee Dee crache au sol, juste entre les deux pieds de Pharaon. Silence de mort. Pharaon sort son revolver, tire une balle dans le ciel et hurle :

             — Aux crocodiles !

             Dans la deuxième cage se trouve un autre sauvage à la peau blanche. Il porte une barbe et les cheveux longs.

             — Ton nom ?

             — George Harrison !

             — Tu m’as l’air bien mystique... Chante !

             Le pauvre George n’est pas en très bonne santé. Il ravale sa salive et chante «My Sweet Lord».

             — Aux crocodiles !

             Pharaon passe à la cage suivante. Un autre sauvage à la peau blanche et une chinoise sont allongés nus dans la paille.

             — Ton nom !

             — John Lennon et elle, c’est Yoko !

             Pharaon admire les formes de la chinoise :

             — Vous n’êtes pas là pour forniquer mais pour chanter. Alors chantez !

             John Lennon se lève et entonne «Instant Karma». Yoko joue du tambourin en faisant un sourire qui ressemble à une grimace. Pharaon ne les envoie pas aux crocodiles. Il ne veut pas que ses crocodiles sacrés attrapent une indigestion. Dans la cage suivante se trouve encore un blanc.

             — Ton nom ?

             — Dion DiMucci !

             Pharaon ne lui demande même pas de chanter. Trop romantique. «River Deep Mountain High» a besoin de chair fraîche. Pharaon passe en revue cinq autres cages où sont enfermés les Crystals, les Righteous Brothers, Darlene Love, Leonard Cohen, Bobb B Soxx. Il se plante devant la dernière cage. Une esclave nubienne plonge son regard de feu dans celui de Pharaon. Elle porte une tunique déchirée qui ne cache plus rien de son anatomie pulpeuse. Ses cuisses luisent comme des colonnes d’albâtre.

             — Ton nom, femelle lascive !

             — Tina, Pharaon, pour te servir...

             Et elle fait glisser la pointe de sa langue sur le pourtour de sa bouche entrouverte. Près d’elle se tient un grand Nubien d’apparence teigneuse.

             — Ton nom !

             — Ike Turner ! Je suis son mari !

             — Faites-la sortir de la cage ! Pas lui ! Qu’il y reste et emmenez-le avec les autres ! Qu’ils disparaissent tous de ma vue ! Mon génie ne les a même pas aveuglés ! Ah les chiens galeux ! Que les descendants de ces immondes barbares soient maudits jusqu’à la septième génération !

             Tina est enchaînée. En marchant, elle râle comme une panthère. Pharaon la présente à l’immense orchestre installé jusqu’au fond de la vallée.

             — Musiciens ! Voici Tina ! Elle portera ma chanson aux nues !

             Un grondement d’acclamations roule dans la vallée. On installe un pupitre devant Tina. Les paroles de la chanson sont gravées sur une tablette d’argile. Pharaon lève les bras au ciel. Le silence se rétablit. Il tire un coup de feu en l’air. L’orchestre joue la petite intro en escalier. Break. Silence. Reprise. Tina ouvre une bouche qui ressemble à un four :

             — Quand j’étais une petite fille/ J’avais une poupée de chiffon/ La seule poupée que j’aie jamais eue/ Maintenant je t’aime comme j’aimais cette poupée de chiffon/ Mais maintenant mon amour a grandi !

             Tina chante comme une nymphomane. Elle roule les paroles entre ses muqueuses. Elle est poignante et magnifique. Le son qui monte de la vallée l’enveloppe. Des langues d’écho lèchent la peau luisante de ses cuisses. Les musiciens des premiers rangs voient son sexe béant palpiter. Alors Pharaon donne un violent coup de crosse sur le sol et le son explose. L’immense orchestre de la vallée bâtit des montagnes imaginaires, des ponts de cristal suspendus, des murailles de verre, des cavernes enchantées, des falaises de marbre, des gouffres abyssaux et des cascades de son s’écoulent dans des précipices wagnériens, des fumées blanches montent dans l’air saturé d’écho, une féerie grandiose éclate dans le tournoiement des masses d’air. Les tambours et les percussions se fondent dans les basses qui se fondent dans les guitares qui se fondent dans les pianos qui se fondent dans les violons soudanais qui se fondent dans les voix. En transcendant le principe même de l’osmose cosmique, Pharaon crée une fantastique pulsation qui remplit tout l’univers perceptible. Et au sommet de cette pulsation s’empale l’esclave Tina. Chaque molécule de son corps se dissout dans le souffle magique que renvoient les deux murailles géantes. Pharaon lève les bras au ciel. L’orchestre s’arrête brusquement. Quel choc ! Un silence vibrant d’écho s’installe. Les dieux ne pardonneront jamais à Pharaon de les avoir ainsi nargués. «River Deep Mountain High» n’aura pas le succès escompté. Profondément vexé, Pharaon fera construire une pyramide avec les moellons de son mur du son et s’y retirera pour l’éternité.

    Signé : Cazengler, Tinette

    Tina Turner. Disparue le 24 mai 2023

    Cent Contes Rock. Patrick Cazengler. Camion Blanc. 2011

     

    Brown sugar

    - Part Two

     

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             Dans Kill ‘Em & Leave - Searching For The Real James Brown, James McBride mène l’enquête. Il n’existe rien d’aussi parfait que ce travail d’investigation pour approcher la réalité de cette immense star que fut James Brown. Ce court roman fonctionne comme un traitement de choc. James McBride est black. Il rencontre des gens qui ont connu ou travaillé avec James Brown pour les interviewer, souvent dans des petits restaus blacks de la région d’Augusta, en Caroline du Sud. On est bien sûr aux antipodes du biopic hollywoodien, le fameux Get On Up, évoqué ici même la semaine dernière. McBride s’empresse de le démolir : la course poursuite avec les flics ? Faux. James Brown qui force un barrage de police au volant de son pick-up ? Faux. D’après le rapport d’enquête officiel du FBI, nous dit McBride, James Brown n’a jamais tiré dans le plafond de la salle de réunion, comme le montre le biopic. Charles Bobbit indique que Mr. Brown ne jurait jamais - I never heard Mr. Brown utter a curse - McBride explique que la course poursuite ne pouvait pas se produire, parce que James Brown était un black du Sud. He wasn’t stupid. En fait, ce sont les cops qui ont détruit son pick-up. Ils l’ont chopé après une «low-speed chase» et ont tiré 17 balles dans le pickup, dont deux sont allées dans le réservoir à essence, alors que James Brown était encore à l’intérieur - Brown was terrified - Quand il a été amené au poste, un flic en civil s’est approché de lui alors qu’il était encore menotté et lui a mis son poing dans la gueule, faisant sauter une dent. À ce moment-là, nous dit McBride, James Brown est dans une sale passe : «Sa vie s’était  écroulée, son groupe s’était désintégré, les impôts l’avaient mis sur la paille, à 55 ans il retombait dans une semi-obscurité», et il fumait du PCP en cachette pour supporter tout ça. Physiquement, il tombait en ruine, ses genoux le lâchaient, il souffrait d’arthrite et il endurait un supplice permanent à cause de ses dents. Quand il a vu qu’on était entré dans son bureau, à Augusta, il a cru qu’on l’avait une fois de plus cambriolé. Alors il a sorti son flingue, et c’est à cause de ça qu’il est allé moisir trois ans au trou. McBride ajoute que le biopic trafique la réalité. Et le fait qu’il soit vu par des millions de gens à travers le monde le rend triste, car il donne une idée complètement fausse de James Brown qui vivait, avec cet épisode, la pire des humiliations. McBride s’insurge aussi contre le portrait qui est fait de sa mère, une pute, et de son père, une brute. En réalité, James Brown, a réussi à réunir ses deux parents et McBride insiste pour dire que Daddy Brown était un homme gentil et drôle, qui adorait son fils. Zola-McBride accuse le biopic de Dreyfuser James Brown pour en faire «a complete wacko in a film that is roughly 40 percent fiction et qui ne montre aucun aspect de la vie des familles noires et de la culture dont il est issu.» Tout dans ce film est roulé dans la farine hollywoodienne des clichés : «la grosse tante black qui lance au jeune James ‘you special boy’, le bon et loyal manager blanc, les musiciens noirs qui ont aidé James Brown à créer l’une des formes d’art les plus importantes du XXe siècle et réduits par le script à l’état de crânes vides, avec notamment la scène où Pee Wee Ellis fait le clown, une scène que Pee Wee, pionnier et co-createur de la Soul music américaine, conteste, car elle n’a jamais eu lieu.» To add insult to injury, comme disent les Anglais, voilà qu’apparaît le nom de Jag. On le voit danser, à la fin du T.A.M.I. Show, comme the strawman in the Wizard Of Oz, nous dit McBride - It’s all on line. You can see it - Keith Richards déclara plus tard que les Stones commirent la pire erreur de leur carrière en voulant passer APRÈS James Brown. On voit d’ailleurs la version hollywoodienne du T.A.M.I. Show dans Get On Up. C’est aussi Jag qui co-produit le docu évoqué la semaine dernière, Mr. Dynamite - The Rise Of James Brown. McBride : «Aujourd’hui Jagger is rock royalty, James Brown is dead, et Inaudible Productions qui supervise le licensing du catalogue des Rolling Stones, administre aussi celui de James Brown.» Charles Bobbit conclut l’amer chapitre en affirmant que Mr. Brown n’aimait pas Jagger - He had no love for Mick Jagger.  

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             McBride n’en finit plus de rétablir la vérité. Il revient sur les premières années de ballon évoquées dans le biopic pour dire qu’en fait, James Brown a pris une peine de 8 à 16 ans pour vol de pièces sur une bagnole et qu’il est sorti, au bout de trois piges, d’une taule juvénile à Toccoa, en Georgie. On imagine le carnage qu’aurait fait Leon Bloy s’il avait pu voir ce film.

             Bon, tout ça c’est bien gentil, Mr. McBride. Et le génie de génie de James Brown ? C’est pour ça qu’on est là.

             Si un écrivain rend hommage à un artiste, son boulot consiste surtout à expliquer les raisons de son importance. McBride est un écrivain qui sait tenir son attelage : pas d’élans lyriques, mais une façon très spéciale d’encenser : «Ce qui met James Brown à part, en plus de la longévité d’une carrière menée dans un milieu artistique très dur, c’est qu’il a dominé et même éclipsé tous les grands artistes noirs des années 50, 60 et 70, une période où sont apparus les plus grands artistes américains, des artistes d’un niveau qu’on avait encore jamais vu et qu’on ne verra sans doute jamais plus : Little Richard, Ruth Brown, Hank Ballard & The Midnighters, Screamin’ Jay Hawkins, Little Willie John, Ray Charles, Jackie Wilson, Otis Redding, Aretha Frankin, Wilson Pickett, Joe Tex, Isaac Hayes, Earth Wind & Fire, Sly & The Family Stone et bien sûr les Motown heavy hitters of the seventies, to name just a few.» McBride détache ainsi James Brown du somptueux peloton de la Soul pour le situer higher, comme dirait Yves Adrien. C’est un préambule indispensable. Quand on l’écoute et ou quand on le voit dans un concert filmé, on ressent exactement ça : James Brown is higher. Stay on the scene !  McBride y revient plus loin : «Même Aretha avec toute sa Soul et sa puissante section rythmique ne pouvait pas égaler the burning fire et l’individualité du James Brown sound. They were different sounds. Different musicians. Different cities. Different blacks. But James Brown’s uniqueness stood him above them all.» Pour dire le rôle que joue James Brown dans la communauté noire, McBride va toujours plus loin : «Dans sa vie, chaque homme et chaque femme a une chanson. Vous la gardez en mémoire. La chanson de votre mariage, la chanson de votre premier amour, la chanson de votre enfance. Pour nous, Afro-Américains, la chanson de toute notre vie est incarnée by the life and times of  James Brown.» Et plus loin, il y revient : «James Brown was our soul. Il était indéniablement black. Indéniablement proud, c’est-à-dire fier. Indéniablement un homme.»

             Le moment est venu de parler chiffres : «Pendant les 45 ans de sa carrière, James Brown a vendu plus de 200 millions de disques, enregistré 321 albums, dont 16 furent des hits, il a écrit 832 chansons et obtenu 45 disques d’or. Il a révolutionné la musique américaine, il a été le premier à mixer le jazz et de funk, et le premier à sortir un album live qui fut numéro 1.» Des gens dans la presse ont bien tenté de le décrire - A super talent. A great dancer. A real show. A laugher. A drug addict, a troublemaker, all hair and teeth - The man simply defied description. McBride tente d’expliquer ça en rappelant que personne ne peut approcher la réalité de cet homme, «car il vient d’une région qu’aucun livre n’a pu expliquer, une région façonnée par l’esclavage, l’oppression et l’incompréhension, dont la nature sociale défie toute tentative d’explication. The South is simply a puzzle.» Autre élément de réflexion : McBride rapporte que Miles Davis et James Brown s’admiraient mutuellement,  mais à distance - hard men on the outside, but behind the looking glass, sensitive, kind, loyal, proud, troubled souls working to keep their pain out.

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             Dans un éclair de génie littéraire, McBride amène James Brown sur scène : «Son orchestre arrivait sur scène et cassait la baraque, knock ‘em down, pendant que Brown attendait dans la coulisse en fumant une Kool cigarette, il regardait le public et savait exactement à quel moment arriver sur scène, lorsque le public le réclamait. Alors il arrivait avec sa démarche de pigeon et plongeait le public dans le delirium. Ils les emmenait sur la lune, les assommait avec des blasts de soulful levity et quittait la scène. Après le concert, les notables et les autres stars s’empressaient de venir congratuler Brown, mais il les faisait attendre pendant trois heures, parce qu’il était sous son casque pour refaire sa pompadour, puis il s’éclipsait sans voir personne. Sharpton lui demandait pourquoi il s’en allait, alors que des gens importants voulaient le voir et Brown lui répondait : ‘Kill ‘em and leave, Rev. Kill ‘em and leave.’ C’est ce qu’il a fait pendant 50 ans. James Brown n’était pas un homme ordinaire. Il n’était pas facile de faire sa connaissance. James Brown gardait ses distances.»

             Pareil, il est au Zaïre pour le fameux combat Ali-George Foreman, toutes les grandes stars black ont fait le déplacement pour jouer dans le stade, Mobutu promet de distribuer des diamants après les concerts. Après avoir plongé 80 000 personnes dans l’extase, James Brown dit à Sharpton : «Pack Up. We’re leaving.» Sharpton insiste : «But Mr. Brown, on vient d’arriver.» «Kill ‘em and leave, Rev. Kill ‘em and leave.» Rien à foutre des diamants de Mobutu. James Brown insiste : «Trying to play big. Just be big.» À Charles Bobbit, James Brown dit la même chose, avec d’autres mots : «Mr. Bobbit, don’t ever stay nowhere for a long time. Don’t make yourself important. Come important and leave important.» Bobbit ajoute qu’on ne discutait pas avec Mr. Brown. On l’écoutait. Vouloir le convaincre de quelque chose, c’était perdre son temps. Bobbit ajoute que Brown n’était pas un bon businessman. Il le reconnaissait lui-même, se disant 60 % entertainer et 40 % businessman. Il ne voulait pas que les gens le connaissent. Il dit aussi à Bobbit que lorsqu’il va casser sa pipe en bois, ce sera un gros bordel, pour l’héritage. Ça prendra dix ans pour tirer tout ça au clair. Pourquoi ? «Parce qu’ils ne sauront pas comment faire.» Et pourquoi ne sauront-ils pas comment faire ? «Parce qu’ils ne connaissent pas Mr. Brown.» Alors McBride pose la question à Bobbit : «Qui est Mr. Brown ?». Bobbit répond qu’il ne voulait qu’on sache qui il était. Pourquoi ? Bobbit regarde ses mains et murmure : «Fear.» McBride : «Peur de quoi ?». Bobbit lâche le morceau : «The white man. He was Mr. Say It Loud, mais the white man owned the record business.»

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             Dans les années 60 et 70, James Brown se voyait en concurrence directe avec Motown, en tant que one-man hit machine, et les deux camps, nous dit McBride, étaient lancés à l’assaut  des radios blanches, là où se trouvait the giant money. Ça grouillant littéralement de stars, «James Brown était aussi en concurrence avec Jackie Wilson, Joe Tex, Little Willie John qu’il admirait, Isaac Hayes, Gamble & Huff, the O’Jays, the Spinners et Teddy Pendergrass, mais les deux poids lourds, les Ali et Frazier du record business étaient Motown et James Brown. They were the big horses. And both could run hard.» McBride développe sa métaphore en disant que Brown était Frazier, «the thundering dark-skinned heavy hunter out of the North Philly ghetto», et Motown était Muhammad Ali, «the light, right, sweet-talking kid from Louisville, Kentucky.» James Brown n’était pas très fan de Motown, même s’il respectait Berry Gordy, mais il lui reprochait d’être un peu trop à la botte des blancs. Brown venait du Chitlin’ circuit, ce n’était pas la même chose, McBride considère que tourner sur le Chitlin’, ça revient à gravir l’Everest, car la concurrence y est plus raide et les conditions plus difficiles.

             Sharpton met le doigt sur la particularité essentielle de James Brown : son charisme - Ça peut sembler dingue de parler ainsi, mais James Brown avait tellement de présence et de charisme qu’on pouvait presque le sentir quand il entrait quelque part. Il éclipsait n’importe qui. Je fais partie des quelques personnes qui l’ont accompagné à la Maison Blanche. Que ce soit avec Reagan ou Bush ou en cellule, ça ne changeait rien. Il avait confiance en lui. C’était son spirit. C’était son don. Il dominait.  

             Très tôt, James Brown comprend qu’il doit évoluer pour survivre et ne pas subir le destin de Cab Calloway, Jimmy Luceford et Billy Eckstine. McBride cite aussi les cas de Louis Jordan, Lionel Hampton et Africa Bambaataa qui ont disparu parce qu’ils n’ont pas su évoluer. Pendant toutes les années de Chitlin’, James Brown s’est battu pour évoluer. Alors il a entendu ce que McBride appelle le downbeat, a new groove et il devait trouver les meilleurs musiciens pour jouer ce groove et transformer ses «la-de-da grunts and commands into hits.»

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             Ce qui frappe le plus dans l’approche d’un personnage qui a tout fait pour qu’on ne puisse pas le connaître, c’est d’abord son rapport au langage que stigmatise McBride, et notamment cette façon que James Brown a de s’exprimer par phrases courtes et par injonctions chargées de sens («Come important, leave important»), puis ce rapport au «civisme» : on ne pouvait s’adresser à lui qu’en tant que Mr. Brown, et il s’adressait aux gens de la même façon, par exemple Mr. Bobbit, sauf s’ils étaient Révérends, comme Sharpton, qu’il appelait Rev, avec la même déférence.

             Penchons-nous sur la légendaire générosité de James Brown. Sharpton révèle à McBride qu’à la fin des années 70, quand Isaac a fait faillite, James Brown est allé le trouver chez lui à Atlanta pour lui filer 3 000 $ et lui dire : «Isaac, don’t tell nobody I helped you out.» James Brown ne veut pas qu’on sache qu’Isaac est dans le besoin. Voilà la grandeur de cet homme. Mais pour son malheur, il est entouré de gens qui n’en finissent plus de lui taper du blé. Lui veut une bagnole, elle des bijoux. Il paye. Ça ne s’est jamais arrêté, nous dit McBride. Il a laissé derrière lui une véritable fortune, estimée à 100 millions de $, mais rien pour sa famille, tout était destiné aux enfants pauvres de toutes les races, en Georgie et en Caroline du Sud. Qui n’ont bien sûr jamais vu un dollar, car la famille et les avocats ont tapé dans la caisse pendant dix ans. McBride : «That’s how modern day gangsters work. Ils ne vous collent plus un gun sur le museau. They paper you to death.» Quand Nixon le qualifie de «National Treasure», James Brown s’imagine qu’en tant que tel, il ne doit pas payer d’impôts. Mais le fisc ne le lâche pas. National treasure ? Ça ne les fait pas marrer. Alors comme ça ne marche pas, James Brown leur dit qu’il a du sang indien dans les veines et qu’il descend de Geronimo. Ça ne les fait pas marrer non plus. Alors, le fisc sort les griffes. Lors d’un show au Texas, ils barbotent la recette, et James Brown n’a plus de blé pour payer les musiciens. C’est là qu’il fait appel à David Cannon, un blanc qu’il surnomme the Money Man et qui devient son comptable. James Brown lui fait confiance et vient planquer des gros tas de billets dans son coffre-fort - Il y avait un million de $ dans mon coffre - Il alerte son client : «Mr. Brown, cet argent doit aller à la banque, je ne suis pas une banque». et James Brown lui répond : «No, Mr. Cannon. It’s fine right here.» Pourquoi cette confiance longue de 14 années ? Parce que Cannon et lui sont élevés avec les mêmes principes, le «proper», la politesse et la fierté des petites gens du Sud : pas question d’apparaître diminué ou ruiné. Il faut sauver les apparences. C’est pour ça que McBride rencontre David Cannon : il a compris mieux que personne qui était James Brown. Cannon l’aide à assainir ses comptes avec le fisc. James Brown a une manie : il planque du blé partout, au fond des jardins et dans des chambres d’hôtel. Cannon et Dallas le savent. Un jour où ils papotent tous les trois dans le bureau d’Augusta, Cannon, Dallas et James Brown, Dallas demande : «Mr. Brown, où devons-nous chercher, s’il vous arrive quelque chose ?». Assis derrière son bureau, James Brown écrivit un mot sur un post-it : «Dig.»

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             Et puis tu as les gonzesses. La plus importante, c’est Velma, sa première épouse et la mère de ses deux fils, Terry et Teddy. Mais James Brown a tout de suite trop de succès. Il est déjà en concurrence avec Little Richard, Otis Redding, Clyde McPhatter and the Drifters, the Five Royales, Hank Ballard & The Midnighter. Il est tout le temps en tournée. Velma le voit changer. Quand James Brown achète sa baraque dans le Queens en 1964, lui et Velma sont déjà séparés. Velma ne lui demande rien. Seulement de l’aider à élever ses deux fils. Alors James lui achète un terrain et fait construire une maison près de Prather Bridge Road, nous dit McBride, pour 150 000 $. Il lui file le titre de propriété. Ils divorcent en 1969, mais quand ça va mal, il monte dans sa Lincoln et descend voir Velma à Toccoa pour discuter avec elle, car ils sont restés profondément liés. Il l’appelle «my close friend». Quand Teddy meurt dans un accident de bagnole, James Brown surmonte sa douleur «with the true mantra of southern pride» et dit à son autre fils Terry : «Keep it right, Terry. Keep it proper. You gotta work. Smile. Show your best face.» James Brown fonctionne avec des mantras. Au Rev, il dit : «Never let them see you sweat. Come important. Leave important.» Pas question de montrer sa faiblesse.

             Après Velma, il se marie avec Dee Dee Jenkins et divorce. Sa troisième femme, Adrienne, est une drug addict, mais James Brown l’aime. Il l’appelle «my rat». Elle reste près de lui pendant ses trois années de placard. Elle casse sa pipe en bois lors d’une opération de liposuccion. Puis à 68 ans, il passe la bague au doigt de Toni Rae Hynie, 32 ans, un mariage qui tourne au désastre, jusqu’en 2006, quant à son tour il casse sa pipe en bois. Elle avait oublié de préciser qu’elle était déjà mariée.

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             McBride évoque aussi les chanteuses : Vicki Anderson, Marva Whitney, Beatrice Ford, Lyn Collins, Tammi Terrell et Martha High, toutes ont chanté longtemps avec James Brown ou ont enregistré sous sa direction. Elles sont, nous dit McBride, «parmi the greatest Soul singers America has ever seen and will ever see.»

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    ( Natfloyd Scott )

             McBride rencontre à Toccoa le dernier survivant des original Famous Flames, Natfloyd Scott. Scott est aveugle. Il montre une photo que décrit McBride : «Il y a Sylvester Keels, Nash Knox, Fred Pulliam, James Brown, Bobby Byrd and his younger brother Baby Root Scott. Tous sont morts sauf lui. Natfloyd Scoot est le seul qui tient une instrument, une guitare.» Pour McBride, Natfloyd Scott est un guitariste extraordinaire. C’est lui qui joue sur «Please Please Please». Après Scott, d’autres guitaristes extraordinaires sont venus jouer dans les Famous Flames : «Hearlon Cheese Martin, Alphonso Country Kellum and the incomparable legend Jimmy Nolen qui a crée le picking chicken-scratch.»  

             Natfloyd Scott évoque aussi les tournées sans fin sur le Chitilin’ circuit à travers des tas d’états, avec des bagnoles qui tombent en rade - They burned out another car - «One nighters are a killer,» he says -  Scott commence par jouer sur une Sears, puis une Gibson, et une Vox. Il peut jouer avec la guitare dans le dos ou entre ses jambes. Quand des membres des Famous Flames craquent et rentrent chez eux, c’est lui, Natfloyd Scott, qui doit trouver des remplaçants au pied levé et leur monter les cuts pour jouer le soir-même - On jouait tout en Sol et en Do mineur - Il rend bien sûr hommage au jeu de scène de James Brown - James was something - Toujours dans son travail d’investigation, McBride lui dit à un moment : «Vous essayez de me dire des good things à propos de James Brown» et Natfloyd lui répond : «James don’t need my protection.» L’excellent James McBride conclut le chapitre ‘The Last Flame’ ainsi : «Trois ans plus tard, le 15 août 2015, il mourait à l’âge de 80 ans, fauché. Pour l’enterrer, sa famille obtint l’aide d’un ami et du petit-fils de James Brown, William. Ainsi s’éteignit la dernière Flame, the last original Flame.»

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    ( Pee Wee Ellis)

             Un autre portrait spectaculaire : celui de Pee Wee Ellis. McBride commence par dire qu’il y eut environ 200 musiciens qui ont joué avec James Brown durant les cinquante ans de sa carrière. Parmi eux, dix ont contribué à l’élaboration du son - Aucun d’eux ne fut plus important, moins connu et moins crédité que le tromboniste Fred Westley, et celui qui lui a tout appris, Pee Wee Ellis - C’est bien que McBride remette les choses au carré. Il enfonce son clou : «Le James Brown’s band de 1965-69, dirigé par Pee Wee, fut, je dirais, le plus grand groupe de rhythm & blues jamais constitué.» Quand McBride le rencontre, Pee Wee dit qu’il doit aller répéter, car il doit aller à Paris jouer avec Yusef Lateef. McBride est scié : Pee Wee répéter ? Après 45 ans de pratique, après avoir co-écrit 26 hits avec James Brown ? Quand McBride lui demande de lui parler de James Brown, Pee Wee lui dit qu’il préférerait parler d’autre chose. Mais oui, c’est Pee Wee qui a façonné ce groupe extraordinaire. Il traduisait musicalement ce que voulait James Brown. Joe Davis : «Pee Wee was the one who put the sound together, in terms of locking it in, translating what James wanted. that was Pee Wee.» Pee Wee compose «Say It Loud» à 3 h du matin dans un studio de Los Angeles et Charles Bobbit ramène 30 gosses black pour chanter les chœurs. McBride précise aussi que «Cold Sweat» s’inspire directement du «So What» de Miles Davis. Pee Wee quitte le groupe en 1969.

             Quand James Brown se casse la gueule, dans les mid-eighties, il perd tout : plus un rond, plus de groupe, sa vie privée en ruines, ses trois stations de radio revendues, son avion privé saisi, plus de contrat et pas assez de cash pour payer des musiciens ou même payer ses factures. Pourtant fauché, il refuse de faire de la pub pour des marques de bière. «Children need education», dit-il à Buddy Dallas. «They don’t need snakers and beer». Quand en 1984, la diskö fout James Brown par terre, il passe du Madison Square Garden aux night-clubs, avec des cachets de 5 000 $. Les bureaux de The James Brown Organisation, à New York et à Augusta, ont disparu. Gold Platter, sa chaîne de soul food restaurant ? Kaput, nous dit McBride. Des mecs ont foutu le feu à son nightlcub Third World. Pas de coupables. Il doit 15 millions de $ au fisc qui a commencé à tout saisir : ses trente bagnoles, ses œuvres d’art, et sa maison - He was an oldie act with a terrible reputation - Il n’a plus de contrat et demande à Don King de le financer, mais Don King qui organise des combats de boxe décline, car il ne connaît pas le music biz. Par contre, il propose de filer 10 000 $ à James Brown qui refuse : «I ain’t asking for charity.» Mais c’est au plan physique que ça tourne mal : en plus de ses dents, de ses pieds et de ses genoux qui déconnent, James Brown se tape un petit cancer de la prostate qu’il dissimule, comme tout le reste. Alors pour surmonter tout ça, il fume du PCP en cachette. Le seul à s’en douter, c’est Leon Austin, il voit bien que James Brown est bizarre quand il a fumé. Le pire : tout son entourage s’est volatilisé : white managers, black managers, épouses, copines, black friends. Il ne reste plus que trois personnes près de lui : Charles Bobbit, Leon Austin et, of course, the Rev.  

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    ( Rev Charpton )

             The Rev ! Parlons-en ! Encore une rencontre stupéfiante : The Rev Sharpton, littéralement «fabriqué» par James Brown. Selon McBride, «The Rev is one of the most powerful black men in America.» Et il ajoute : «And a creation, in part, one of James Brown». The Rev est allé voir son mentor quand il était au trou et le voyait debout quand tout le monde le croyait fini. Et à table, en face de McBride, The Rev lance : «Everything I am today, a lot of it, is because of James Brown. The most important lessons I learned, I learned from him. He was like my father. He was the father I never had.» McBride entre bien dans l’histoire de cette relation, le chapitre ‘The Rev’ est l’un des cœurs battants de ce roman d’investigation extraordinaire. Pour restituer la grandeur de James Brown, McBride commence par restituer la grandeur de ses proches les plus proches. The Rev raconte qu’il allait voir Jackie Wilson et James Brown à l’Apollo et chaque fois, il croyait voir Dieu. Il raconte sa première conversation avec James Brown qui lui demande : «What do you want to be, son?». Sharpton répond : «Excuse me?». «What do you want to be ?». «Well I’m in civil rights.» «I’m gonna show you how to get the whole hog.» «Excuse me?». «Je vais te montrer comment décrocher la timbale. But you gotta think big like me. I’m gonna make you bigger than big. You got to do exactly what I say. Can you do that?». Et Al Sharpton fait exactement ce que lui dit de faire James Brown. Un peu plus tard, James Brown va voir prêcher le Rev. Il fait un tabac. James Brown va le trouver et lui dit : «You did everything I told you?». «Yes sir, Mr. Brown.» James Brown lui explique qu’il faut être soi-même, an original, pas essayer de devenir non pas «le prochain Jesse Jackson, mais le premier Al Sharpton.» Il lui demande de l’écouter et se plaint que ses propres fils ne l’écoutent pas - You’re a kid from Brooklyn, you got a heart. But you got to be different - James Brown lui dit de faire sa valise : «Pack your bag. We’re going to L.A.» Sharpton va y rester 15 ans et devenir the Rev, «one of the most powerful, charismaric, controversial and unique figures in African American history.» Et l’amitié qui lie les deux hommes va durer jusqu’à la mort de James Brown. McBride parle des grands teams américains et cite des exemples : Stephen Sondheim/Leonard Bernstein, le Miles Davis Quintet, avec John Coltrane et Cannonball Adderley, Miles/Gil Evans, «but there is nothing in American history like the collaborative mix of Al Sharpton and James Brown.»

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    ( Charles Bobbit )

             Quand James Brown engage Charles Bobbit comme personnal manager, c’est uniquement pour avoir son conseil sur certaines choses, oh pas les choses importantes comme les problèmes de blé, les petites décisions à prendre, du style aller au Japon ou pas. Il lui propose le job à vie : «I and you gonna be together till one of us dies.» «Oh yeah?». Bobbit accepte. Il rêvait de prendre l’avion et de descendre dans des grands hôtels. Il est même allé quatre fois à la Maison Blanche et serré la main de quatre Présidents. Mr. Bobbit s’occupe de tout, des armes et des drogues. Graisser la patte d’un radio DJ ? See Mr. Bobbit. McBride : «Il fait partie d’une race en voie de disparition : America’s Soul music wheelers and dealers. These guys - la plupart étaient des hommes, sauf Gladys Hampton, l’épouse de Lionel Hampton, qui était astucieuse et très intelligente - knew where the skeleton is buried. They know every secret. And they never tell.»

             Quand James Brown est transporté à l’hosto, il n’y a qu’une seule personne dans la chambre avec lui : Charles Bobbit. Conformément à sa prédiction. C’est la fin des haricots. Soudain James Brown se redresse dans son lit et s’écrie :

             — Mr. Bobbit. I’m on fire! I’m on fire!. My chest is burning up!».

             Then he lay back and died.

             Thank you sir, Mr. McBride

    Signé : Cazengler, Tête de broc

    James McBride. Kill ‘Em & Leave. Searching For The Real James Brown. Weidenfelfd & Nicolson 2017

     

     

    Wizards & True Stars

     - White Spirit (Part Three)

     

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             S’il fallait choisir au hasard un seul album de Tony Joe White pour l’emmener sur l’île déserte, ce serait sans nul doute The Beginning, paru une première fois en 2001 et récemment réédité. Car il s’agit d’un album parfait.

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             Enfin, parfait aux yeux des ceusses qui ont vécu on va dire toute leur vie avec Tony Joe White. Il faut remonter jusqu’en 1968, avec, non pas «Polk Salad Annie», mais «Soul Francisco», effarant single vendu sous pochette papier rose, et dans la foulée, l’aussi effarant premier album, Black And White, qui nous faisait de l’œil dans la vitrine, chez Buis. Et comme il n’était pas possible de choisir entre le Tony Joe et son voisin de vitrine Taj Mahal, alors on est allé braquer une banque pour pouvoir financer les deux achats. Grâce à cette double emplette, la voie de l’avenir était bien tracée. Tous ces fabuleux artistes découverts à cette époque nous immunisaient à vie contre la médiocrité. Comme on ne connaissait pas encore le rôle majeur que joue l’exigence, tout fonctionnait à l’instinct. Tu entendais «Soul Francisco» à la radio et tu savais que ça te correspondait. «Soul Francisco» pouvait te hanter, aussi puissamment qu’«Hey Joe» ou qu’«Ode To Billie Joe». Et pendant cinquante ans, Tony Joe White n’a jamais cessé de hanter les corridors lugubres et glacés de nos châteaux d’Écosse. Jusqu’à sa disparition, voici quatre ans. Nous avions alors dressé un autel géant sur KRTNT, car il s’agissait de rendre l’hommage à un artiste qu’on pouvait considérer comme un demi-dieu. Il échappait au commun des mortels par la seule perfection de son art.

             Quand on souhaite raisonner en termes d’esprit, ou plus exactement de spirit, alors on s’adresse à Tony Joe White. De tous les grands spécialistes du rock shamanique - on parle ici de Jeffrey Lee Pierce, de Lanegan, de Jimbo ou encore d’Anton Newcombe - Tony Joe White est certainement le plus organique. Quand il traite de la rébellion, cœur battant du mythe rock américain, il balance des lyrics qui sonnent comme des aphorismes, mais pas des aphorismes au sens où on l’entend avec Georges Perros, ou encore La Rochefoucauld, des aphorisme rock - Wear my sunshades even in the night time/ Ride my woman in a Coupe de Ville - Il nous refait le coup du «Sunglasses After Dark» de Dwight Pullen à sa façon, et rajoute sa touche - I might want to rock/ Play the blues all night long/ I’m in this thing for life/ I didn’t come here for just one song - On appelle ça une profession de foi. Avec son pâté de foi, Tony Joe se détache du continent - I won’t put my music in a small bag/ Gotta stay as free as I feel - Il insiste, pour le cas où on aurait la comprenette difficile. Il joue ça rubis sur l’ongle et bien sûr, tu le crois sur parole - Don’t want no one telling me I got to/ I move in my own time/ Play this guitar any way I want to/ Lightnin’ Hopkins was a friend of mine - Et tu as les notes d’acou qui tombent comme un verdict. C’est violemment bon. Tu chantes ça sous la douche tous les matins - Play this guitar any way I want to/ Lightnin’ Hopkins was a friend of mine. 

             Il gratte sa gratte, mais le principal instrument reste sa voix, chaude et lente. Absente et présente, comme si elle couvait sous la cendre. Il faut le voir rendre hommage à une petite poule black dans «Who You Gonna Hoodoo Now» - Coffee skin/ Little bit of cream/ Golden eyes/ With a touch of green/ High cheekbone/ Kinda tall/ You won’t think twice if you think at all - Il en fait un blues d’acou - Had a residence/ Down in Covington - te voilà au cœur du mythe, il t’y ramène à chaque instant, cette musique descriptive t’a passionné ta vie entière, mais elle prend avec lui une résonance encore plus spectaculaire - She would only make love at the break of dawn - Il donne à son story-telling une ampleur fascinante. Ses phrases sonnent comme des oracles, mais il ne prédit rien, il raconte ses histoires de vie. Il parle aussi bien d’amour que le fait Bob Dylan dans «Girl From The North Country» - Took me up so high I can’t look down/ Who you gonna hooooodoooooo now ? - Dans le couplet suivant, il retrouve sa trace à Saint Francisville - A little rehabilitation to cure your illness - alors il repose la question en frissonnant :  «Who you gonna hoooodooooo now ?». «Who You Gonna Hoodoo Now» figure aussi sur l’album Hoodoo, paru en 2013.

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             Il gratte encore ses poux de cabane avec l’indicible «Rich Woman Blues». Il lance d’une voix de fantôme défoncé son «Got a telephone call this morning/ My baby wrecked her Mercedes Benz», un nuage de vapeur humide s’échappe de sa bouche - I said As long as you’re alright/ Baby/ that’s all that matters - alors il faut le croire. Comme elle est riche et qu’elle a des puits de pétrole au Texas, elle file un peu de blé à Tony Joe qui crève la dalle et qui gratte ses poux, avec toujours le même retour d’accord en mi. Il chante vraiment dans un râle, il exhale son Rich Baby Blues de three-bedroom con-do-mi-nium, il malaxe son mi-nium, il est l’homme qui joue le blues Livin’ one step from the street. Chaque note et chaque syllabe jouent un rôle précis. Il reste dans l’extrême pureté du blues de cabane branlante avec «Raining On My Life» qu’il ouvrage à coups d’harp  dans l’humidité du swamp - And the rain was softly falling/ Falling softly on my life - Il y va doucement, au softly on my life, et te sort au passage une sorte du dicton vermoulu du bayou - But you know it’s a bad situation/ When you’re not allowed to speak your mind - Il passe sans transition au heavy groove avec «Ice Cream Man», il fonce dans le shoot de gun runner, il devient le temps d’un cut le roi du groove, accompagné par des serpents à sonnettes, il enfonce son pic à glace dans le crâne du mythe.

             Et puis voilà qu’avec «Going Back To Bed», il est tellement défoncé qu’il doit retourner se coucher. Mais ça ne l’empêche pas rester extrêmement descriptif - Dark clouds rolling and/ Little luck has come outta storm/ My baby’s still sleeping/ Keeping my place warm - il avoue qu’il fait un peu trop la fête, et de toute façon, personne ne peut l’obliger à se lever. Quand on s’appelle Tony Joe White, on a le droit de rester au lit avec sa muse. Il prend son «Down By The River» au meilleur souffle possible, à l’haleine rance de fantôme, accompagné par des accords juteux comme des charognes et friendly comme des faux amis. Puis il te claque vite fait un «Wonder Why I Feel So Bad» au wake up this morning, il tape du pied sur le bois spongieux, comme le fit Hooky en son temps. Il travaille son swamp moussu au chant qui n’amasse pas mousse - Lawd I feel so bad - Il envisage toutes les possibilités, comme on le fait tous quand ça va mal - I could reach for the whiskey/ Reach for the pills/ But I’d have to face the morning/ And the cheapness of the thrill - Oui, les petits matins de désaille ne pardonnent pas. Et puis voilà l’un de ses thèmes de prédilection, le story-telling de petite ville américaine, avec «Clovis Green», un homme riche qui cultive le sugar cane - He had spent his life working the land/ Just outside the town of New Orleans - Comme il est vraiment très riche, il envoie sa fille Angelina dans une bonne école privée et pouf, elle tombe en cloque, alors pour Clovis Green et sa tendre épouse, c’est un drame - A child was born in the fall/ But nobody ever mentioned the father/ When all the neighbors came to call/ They would say he looked just like his mother - une simple histoire de fille mère au pays des plantations. Tony Joe White n’a jamais ambitionné autre chose que de raconter des histoires.

    Signé : Cazengler, Tony Joe Ouate

    Tony Joe White. The Beginning. New West 2022

     

     

    L’avenir du rock

     - Reis with the Devil

    (Part One)

     

             Le Comité des Avenirs s’est réuni. Alignés comme autant de vautours, les membres siègent dans une grande salle qui ressemble à s’y méprendre à une salle de tribunal. Ils décident de l’avenir des avenirs et tranchent sur leur viabilité. Ambiance glaciale. Convié à défendre son bout de gras, l’avenir du rock se dresse face à eux, à la barre des témoins, bien décidé à leur tenir tête. L’arbitre des avenirs qui préside prend la parole et lance d’une voix d’outre-tombe :

             — Avenir du rock, jurez-vous de dire toute la vérité, rien que la vérité de votre réalité ?

             — Ooooh yeah ! Everything’s gonna be alright this morning !

             Et le public entonne le bam-bam-bam ba-ba ba-ba bam bam automatique des Shadows Of Knight.

             Le président donne un violent coup de marteau :

             — Cessez immédiatement ce ramshakle ou je fais évacuer la salle !

             Le publie hue le président. L’avenir du rock se joint au public en claquant des mains :

             — Ooh-Ooh ! Ooh-Ooh !

             Puis il attaque au mieux du gut de l’undergut :

             — Please allow me to introduce myself...

             Et le public reprend la suite du couplet :

             — Well I’m a man of wealth and taste !

             Les chœurs reprennent de plus belle. Ooh-Ooh ! Ooh-Ooh ! Les assesseurs qui ont eux aussi des marteaux font les percussions nigérianes. Quelle ambiance ! Jamais le Comité des Avenirs n’avait assisté à l’explosion d’un tel enthousiasme. Certains assesseurs se sont levés pour danser le twist avec l’avenir du rock qui secoue des maracas. Ooh-Ooh !

             — Fuck !, fait le président à la fin de cette dégelée de Stonesy, vous êtes toujours dans la course, avenir du rock !

             Torse nu, dégoulinant de sueur et complètement essoufflé, l’avenir du rock rétorque :

             — Tu l’as dit bouffi !

     

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             S’il en est un qui est dans la course, c’est bien John Reis, le légendaire head honcho des Rocket From The Ctypt et boss du prestigieux label Swami Records. Au temps des Rocket, John Reis était déjà tellement dans la course qu’on l’appelait Speedo. Reis with the Devil, oui, la même Race que celles de Gene Vincent et d’Adrian Gurvitz dans Gun. Il s’appelle désormais Swami John Reis. Uncut lui accorde royalement une page, alors qu’il mériterait la couve et un dossier de douze pages pour services rendus à la nation. Mais bon, Swami John Reis reste underground jusqu’au bout des ongles et c’est tant mieux. Il commence par dire à Keith Cameron qu’il se voyait cult hero depuis l’âge de cinq ans, une façon d’élever son prestige underground au rang d’auto-dérision. Cameron profite de l’occasion pour rappeler que Rocket From The Crypt était un groupe unique, «a bar-busting fusion of greaser punk and ‘50s rock’n’roll». Reis indique qu’après avoir flashé sur un trompettiste à la télé, il a appris à l’âge de 5 ans à jouer de la trompette, puis à 12 ans, ses parents lui ont payé une guitare électrique - Je voulais composer des chansons comiques, car j’ai toujours aimé faire rire les gens. Et quand le punk-rock est arrivé, je suis passé du statut de spectateur à celui d’acteur - Il se dit fan d’ELO et de Black Flag, «the guilty pleasures that weren’t so guilty», précise-t-il. Les Rocket vont connaître leur pic de popularité en 1996, avec «On A Rope» - I wanted rock’n’roll to be my passport to the world - Et puis il y a les side projects, Drive Like Jehu et Hot Snakes, dont on va reparler dans un Part Two. Il vient aussi de lancer les Plosivs et complète un prochain album des Hot Snakes.

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             En attendant, voici le nouvel album solo de Swami John Reis, Ride The Wild Night. Il a toujours le même son. Pourquoi voudrait-on qu’il en change ? Il continue d’exploiter sa vieille recette RFTC de chant au raw et de tempo sévère, et c’est extrêmement bienvenu, extrêmement bien soutenu et extrêmement gorgé de bonnes intentions. Il continue de cultiver l’hyper présence du chant, il verrouille bien ses structures, il les cadenasse à l’acier bleu. Rien n’a changé depuis les années 80. On pourrait dire la même chose de Jon Spencer ou encore de Robert Pollard. Chacun défend on bout de gras. La grosse viande est en B avec «I Hate My Neighbours In The Yellow House», il relance sa machine infernale de Speedo man, il redevient génial dès qu’il sort le marteau du pilon, il dégueule bien son yellow house, comme au bon vieux temps, il sait créer des énormités avec un seul riff. Il bascule plus loin dans le génie avec «Rip From The Bone». Il tape ça aux accords des Stooges. Résurgence du San Diego power, il n’a rien perdu de sa fabuleuse niaque d’antan. «Rip From The Bone» peut réveiller les morts ! Avec «We Broke The News», il se fait pesant et valeureux, il emmène ça au heavy beat de broke the news.

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             En 2015, Swami John Reis & The Blind Snake enregistraient cet album énorme qu’est  Modern Surf Classics. Pourquoi énorme ? Parce que «Hang 11», summum du garage-surf. Wild as fuck ! Violence extrême jouée dans le ventre du riffing. C’est le génie de John Reis. Ça goutte de pus. Rien d’aussi expéditif que cet Hang 11. On pourrait presque parler de révélation divine, mais pour ça il faut s’appeler Bernadette. Autre coup de semonce : «Kooks On The Face», attaqué au wild dérèglement de toutes les cordes, ça joue avec une sauvagerie incroyable, instro génial, gorgé de la barbarie des origines du monde, John Reis te claque ça à tours de bras. Il fait du surf avec «Wet Creek», le claque à la clairette fatidique, ils sont capables de tout, surtout de la pire Surf craze. Ils amènent «Beach Leech» au heavy tatapoum, Reis s’amuse comme un kid, mais le jouer de sax ne s’amuse pas. Sur cet album tout est joué à la big energy, vite embarqué sous le chapeau du turban, ils jouent jusqu’à plus soif, dans la meilleure tradition californienne. Tout est poussé dans les retranchements. Avec Reis il faut s’attendre à tout, surtout à de la grande envergure. Encore un fabuleux festin de son avec «Dry Suit» et ses accords en biseau. Ces mecs jouent comme des dieux, alors c’est la fête au village. On voit rarement des albums aussi jouissifs. Quelle énergie ! On s’en souviendra ! Ils lancent des clameurs extraordinaire dans «Zulu As Kono». Reis envoie toujours ses cuivres en renfort. On note partout une incroyable pureté d’intention. Cet album pourrait bien être l’un des meilleurs albums de la modernité. Ce démon de Reis croise dans le lagon du rock comme un requin en maraude. Il va te choper, tu peux en être sûr. Il est le requin le plus intelligent de l’océan. Il finira bien par t’avoir.

    Signé : Cazengler, John Rance

    Swami John Reis. Ride The Wild Night. Swami Records 2022

    Swami John Reis & The Blind Snake. Modern Surf Classics. Swami Records 2015

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    Keith Cameron. Swami John Reis goes it alone. Mojo # 343 -

     

     

    Inside the goldmine

    - Ward scenes inside the goldmine

     

             Anouchka ? On lui aurait donné le bon dieu sans confession. Embauchée comme assistante comptable intérimaire en remplacement d’une petite gazelle partie en congé de maternité, Anouchka se présenta un beau matin avec ses cheveux gris taillés court et sa poitrine exubérante. Qui aurait pu croire qu’avec elle, le loup entrait dans la bergerie ? Le seul indice était son regard fuyant, protégé par des lunettes à grosses montures noires. Elle fit copain copain très vite avec tout le monde, y compris avec Ernesto qui venait chaque matin faire le ménage avant l’ouverture, elle s’arrangeait pour arriver plus tôt et boire un café avec lui. Elle commença par imiter les signatures pour émettre des chèques et prit très vite l’initiative de passer des commandes de fournitures. Elle agissait finement, car elle ne cachait rien de ses actes. Elle savait pertinemment qu’on fermerait les yeux. C’est ce qu’on appelle une faille. Et les gens comme elle commencent toujours par chercher la faille pour s’y engouffrer. Anouchka prit bientôt l’initiative d’organiser des repas avec certains clients, disons les plus petits, elle n’avait pas accès aux gros qui payaient pour du conseil, elle se contentait de ceux qui cherchaient une forme de notoriété en travaillant avec nous. Elle se mettait en bout de table et pour faire rire tout le monde, elle faisait la boss, celle qui dirige les débats, et comme elle suivait les devis en cours, elle était au courant du moindre détail. Elle allait même jusqu’à proposer des remises sur certaines tranches d’opérations et bien sûr, on continuait de fermer les yeux, même si elle mordait ostensiblement le trait. Quand on a réalisé qu’elle testait nos limites, il était trop tard. Alliée avec un autre intérimaire, elle réussit à établir une sorte de pouvoir parallèle, non seulement elle gérait les bulletins de salaire, mais elle captait aussi les appels entrants, devenant au plan commercial la principale interlocutrice. Prétextant une charge de travail excessive, elle embaucha d’autres intérimaires, des femmes de sa connaissance, et commença à piéger méthodiquement les salariés en poste. Elle les virait pour faute lourde, sans indemnités. Trois mois plus tard, elle dirigeait l’agence et faisait construire un deuxième étage. C’est Ernesto qui la trouva un matin, pendue à l’une des poutres de l’atelier. Il s’agissait apparemment d’un suicide, et donc il n’y eut pas d’enquête. 

     

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             Si cette ganache d’Anouchka avait suivi la voie d’Anita, elle aurait sans doute vécu plus longtemps. Anita Ward est considérée comme une Diskö Queen, mais elle fait aussi partie de celles qui interprètent les hits de Sam Dees, et donc, c’est à ce titre qu’elle éveille véritablement l’attention. De là à aller écouter ses trois albums, il y un pas qu’on franchit avec allégresse. En prime, Anita Ward est une très jolie femme.

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             Son premier album s’appelle Sweet Surrender et date de 1979. Quand on aime la bonne diskö, on se régale de «Don’t Drop My Love». Elle chante très pointu. Mais c’est en B que se joue le destin de cet album, dès «Forever Green». Elle y jette tout son poids d’Anita, c’est une merveille, Anita s’y révèle superbe de petite grandeur, elle chante comme une petite souris magique. Elle recharge merveilleusement bien sa barque avec «I Go Crazy». Elle reprend sa petite voix charnue de petite souris. Elle est fabuleuse de présence intrinsèque avec «Forever Love You», elle est follement amoureuse, you got me jumping all the time !  

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             C’est sur Songs Of Love paru la même année qu’on trouve le «Spoiled By Your Love» de Sam Dees. Elle le feule comme une petite délinquante de satin jaune. Avec «Make Believe Lovers», elle fait de la diskö des jours heureux. Côté feeling et beauté du geste, elle n’est pas loin d’Esther Phillips. La belle Anita chante d’une voix très pure, un vrai filet translucide et comme le montre «If I Could Feel That Old Feeling Again», elle peut aller chanter all over the rainbow. C’est en B qu’on trouve son fameux hit diskö, «Ring My Bell». Elle en fera son fonds de commerce. Mais elle restera aussi une fantastique Soul Sisterette. 

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             Paru en 1990, Wherever There’s Love est l’album de trop, celui qui va laisser un mauvais souvenir le belle Anita. Dans la vie comme dans le business, une belle gueule ne suffit pas. Il faut autre chose. Un troisième bon album eût été bienvenu, mais elle y fait du diskö synthé au petit sucre, alors ça reste coincé en travers de la gorge. Elle titille bien la persistance de «Someone Like You» au petit sucre de charme, mais ça s’arrête là. On a envie de lui dire : «Bas les pattes». Elle sucre pourtant son «Ring My Bell» divinement, hélas, ça ne marche que dans le feu de l’action, dans ces vieilles discothèques où les femmes étaient belles et faciles.

                                          Signé : Cazengler, Ani gros tas.

    Anita Ward. Sweet Surrender. Juana 1979   

    Anita Ward. Songs Of Love. Juana 1979 

    Anita Ward. Wherever There’s Love. Phillips 1990

     

    *

    J’ai d’abord cru que c’était le nom du groupe, mais non c’était le titre de l’album, un peu étrange tout de même d’associer les noms de deux des groupes des plus emblématiques des early-seventies, certes il manque à chaque fois la moitié de l’appellation officielle, mais enfin à l’époque (et encore maintenant) on abrégeait King Crimson en Crimson et les Rolling Stones en Stones. Bref, me fallait aller voir.

    CRIMSON & STONE

    VERMILION WHISKEY

    ( LP Vinyl / Mai 2023)

    Vermilion Whiskey, je ne pense pas qu’ils tintent leur whisky avec de la grenadine, plutôt avec du sang d’alligator puisqu’ils se définissent comme un Hard Rocking Band from South Louisiana. Pas très loin de chez eux coule la Vermilion River, qui roule des eaux noires et puissantes comme leur rock’n’roll. Whisky ou Whiskey, toute une histoire étymologique… au final le dernier terme désignerait le whisky américain, s’en foutent un peu, eux ils consomment du Jack Daniels.  Déjà deux albums à leur actif : 10 South ( 2013 ) et Spirit of Tradition ( 2017).  

    Suis allé voir l’instagram de Steven Yoyadam, il a produit des dizaines de pochettes pour des groupes de stoner. A mon grand étonnement son personnage de vieillard à barbe blanche apparaît sur plusieurs pochettes récentes d’autres groupes. Parfois la barbe est teinte en rousse. Sans aucun doute une inspiration du personnage du Seigneur des Anneaux, Saruman, le sage qui pactisera avec Sauron. Faut-il y lire une métaphore du rock’n’roll dans la tête de Steven Yoyada ? Reconnaissons qu’il possède aussi une vaste gamme de motifs complètement différents.

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    Thaddeus Riordan : lyrics, lead vocal, guitar / Ross Brown : lead guitar / Jason Decou : bass, vocals. / Ne donnent pas le nom du batteur, en ont usé plusieurs au cours de l’enregistrement.

    M’étais demandé si Crimson & Stone était une allusion à la pierre rouge alchimique, ne donnent pas dans ces plans ésotériques, crimson (sans doute en relation avec Vermilion ) pour décrire l’aspect éruptif de leur rock’n’roll, et stone pour la touche stoner qu’ils ont ajoutée sur ce troisième album.

    Crimson intro : une intro à la Monsieur loyal américain, musique panoramique style entrée des gladiateurs dans l’arène du Colisée, déjà se profile le premier riff de Down on you : l’on comprend tout de suite que l’on n’est pas là pour couper les cordes de guitare dans le sens de la minceur, tout de suite dans l’océan du riff, et vous nagez pour survivre dans le ballet des orques affamés qui s’en viennent par-dessous vous mordiller les parties intimes, heureusement Thaddeus vous lance la bouée de sauvetage de son vocal, très réconfortant, tout compte fait vous vous sentez comme un poisson dans l’eau, certes ils n’inventent pas la poudre mais qu’est-ce qu’ils savent s’en servir, plutôt frégate d’attaque que pédalo de plage. The get down : Vous vous attendez au meilleur, ils vous le servent sur un plateau, un régal, tout est merveilleusement au point, Ross Brown n’est pas rosse, vous laisse pas marron, l’a une manière de vous refiler juste le riff que vous attendez et tout de suite après celui auquel vous n’avez pas pensé, et enfin celui auquel vous n’avez jamais espéré pouvoir imaginer, le vocal qui fait le pont de Tancarvile, une cow bell qui remue la queue, vous vous dites que vous êtes en train d’écouter une symphonie riffique inédite. Confidence : choix cornélien, vaut-il mieux écouter la piste toute seule ou regarder la vidéo, le mieux est de faire les deux, ce n’est pas que la vidéo soit follement originale mais elle est efficace, donne une idée de la puissance du groupe, Thaddeus tout devant, ses longs cheveux de jarl à la proue de son drakkar viking,  fonçant sur l’ennemi et ses hommes derrière lourdement armés, sans les images vous imaginez les catapultes d’une armée romaine en pleine action, à part qu’ils ne lancent pas des pierres mais une avalanche de riffs à la fois massif et tranchants, vous avez les murailles qui s’écroulent et les défenseurs coupés en tranches saignantes. Good lovin’ : N'oubliez pas le guide après la visite, nous avons beaucoup mis l’accent sur les guitares faisant preuve d’une grave injustice, l’est vrai que les gaziers   savent glisser des mains expertes dans le dentier de leur cordier et la batterie si joliment présente qu’on ne la remarque pas alors que comme Atlas qui soutenait la voûte du ciel  elle porte le groupe sur ses épaules, sans elle, privé de colonne vertébrale le groupe serait un peu paraplégique, mais Thaddeus chante si naturellement de sa voix de stentor qu’il n’a nul besoin de crier pour se faire entendre, vous pose des mots pleins de sève et de jus, règle ses comptes avec la vie sans chichi. Pas le genre de gars qui laisse les copines et les amis marcher sur les pieds de sa liberté, l’est si convaincant que vous ne pouvez que lui donner raison. Stone interlude : attention Face B, instrumental, le vent du désert, les guitares tristes, la basse qui avance à pas de fennec, un calme toutefois impitoyable, une voix off nous prédit-elle des jours malheureux, toujours est-il que le groupe se met en formation de guerre, des riffs aussi longs que des sarisses macédoniennes, l’on ne sait jamais. Dissonance : l’on avance prudemment, musique en mineur, le vocal davantage introspectif, l’ennemi est au-dedans de soi, la mort nous habite autant que la vie, c’est ainsi, il faut faire avec, est-ce à cause de cet état de fait que la basse prend tant d’ampleur, une lueur noire qui s’étend sur le monde et le monde s’accélère, la phalange presse le pas, en vain peut-être, n’est-on pas déjà habité par le spectre de la défaite intime, la batterie roule comme des larmes froides et coupantes, nous entrons dans un monde de ténèbres, de plus en plus denses, de plus en plus opaques. Un voile noir nous recouvre, les toms pétaradent pour lancer  Atrophy : retour de l’élan vital, le groupe se refait une santé, mais Thaddeus est malade, il est au fond du trou, il ne chante pas le blues, il demande de l’aide, il crie son désespoir, les guitares serrent les rangs et se regroupent en faisceau, au fond du trou peut-être mais avec l’énergie du désespoir, Antée ne reprend-t-il pas de la force chaque fois qu’il touche la terre noire, n’empêche que les eaux basses crépusculaire recouvrent le champ de bataille.  Hollow : splendeur funéraire, glacis de riffs, l’on ne tombe jamais plus bas que soi-même, c’est lorsque l’on est le dos au mur que l’on doit se battre contre soi-même, Thaddeus est au bout, le chant se charge de désarroi mais aussi de colère et d’envie de vivre, la cognée battériale abat les derniers arbres de l’espérance vaine, nous sommes au cœur de la tragédie, au fond du marasme existentiel, fin grandiose, sans concession, un jingle publicitaire vient vous sauver la mise. Essayez de le croire !

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             Pour une fois un disque qui finit mal, sans concession. Face A : tonitruance victorieuse. Face B : plus humiliante que la défaite, la débâcle ! Le désert de l’âme a blackboulé la luxuriance cramoisie de la vie. Méchante limonade mais excellent Vermilion Whiskey. Une saveur âpre que l’on n’oublie pas ! Hep garçon, remettez-moi ça, non laissez la bouteille sur la table.

    Damie Chad.

     

    *

    Tiens, on trouve de tout dans les boîtes à livres, je n’aime guère le reggae, faute de grives on mange des merles, je prends. En rentrant chez moi, c’est au détour d’un coup d’œil sur la banquette passager de la voiture où j’ai jeté la revue sur laquelle se prélassent les chiens que j’ai un coup au cœur, waahhh ! les gars ne sont pas sectaires, un article sur les films des rockers, mon devoir de rocker est de visionner cet ovni.

    NATTY DREAD

    ( N° 9 / Oct - Nov 2001 )

                    Jamais entendu parler de cette revue. Quelques recherches plus tard je sais qu’elle a été fondée en 1995 par des fans, qu’après 2000 elle subit une grande transformation, elle colle de plus près à l’actualité des parutions. L’est devenue un organe mi-officiel des milieux du métier.

             Sizzla est en couverture, enchanté d’apprendre qu’il existe, je lis la vaste interview qu’il consent à accorder au petit blanc de journaliste. Sizzla n’a pas la langue dans sa poche et des idées arrêtées. Il est noir, il n’aime pas les blancs. Il le dit dans ses textes. Partage le rêve de Marcus Garvey, le retour en Afrique. N’a qu’une chose à demander aux blancs, qu’ils filent des bateaux pour retraverser l’Atlantique dans le bon sens. N’a pas l’air de se demander comment ils vont être accueillis par les autochtones… Qu’il ait envie de quitter son île n’est pas étonnant, suffit de lire quelques lignes pour s’apercevoir que Kingston n’est pas un havre de paix, politique, clans, maffias, violence endémique…

             J’ai fait comme Alexandre Dumas, j’ai joué à vingt ans après, Sizzla a enregistré plus de cinquante disques, s’est fait remarquer en tenant des propos homophobes dont la conséquence aura été l’annulation de nombreux concerts en Europe. Il est revenu sur ses propos anti-gays. La notice wikipédia ne nous apprend rien sur ses propos politiques…  

             Quelques news, je repère la chro de La vie en Spirale d’Abassa Ndione parue dans Série Noire. Trafic de cannabis, corruption et superstitions… Rééditions ( lucratives ) de Bob Marley. Un article sur Penthouse Records. Je ne m’attarde pas sur l’interview de Style Scott ni sur celui de Ras Michael. Ce n’est pas qu’ils soient inintéressants, au contraire, mais je veux tout savoir sur les films (je suppose préférés) des rockers.

    C’est là que je m’aperçois du gouffre géant de mon inculture. La chronique Rockers n’aligne pas un mot sur les  rockers (j’avoue que ça m’étonnait) c’est le titre d’un film, tourné avant The Harder they come ( j’ai entendu parler ). Le papier donne la parole à Leroy Horsemouth Wallace, il tient le premier rôle de cette pellicule. Un docu-fiction, à l’écouter parler on a envie de voir le film. Vous êtes plongé dans un chaudron magique : fric-musique-politique, vous en apprenez en cinq pages sur les dessous et le dessus de Kingston et le reggae que tout ce que vous ont raconté les fans de cette musique que vous avez croisés durant votre vie. Horsemouth en rigole encore, pourtant les jalousies qu’ont suscitées la sortie du film ont à l’époque salement ralenti sa carrière. Depuis c’est devenu un film culte… Maintenant je n’ai pas compris le sens que l’on doit donner en Jamaïque au mot rockers.

    Après la chronique des sorties de disques, trois pages sur un petit jeune (dix ans de métier) qui monte, je ne suis pas Alexandre Dumas pas trouvé grand-chose à son sujet, le peu que j’ai vu n’incite pas à une joie débordante, lui qui déclarait voici vingt ans qu’il ne recherchait surtout pas la notoriété, a l’air de s’être trouvé la niche du beau mec qui vous roucoule des paroles de paix, d’harmonie, d’amour et de tranquillité… Tout fout le camp, même le reggae…

    En tout cas cette revue semblait bien faite, suivait les stars montantes sans jamais perdre de vue les racines…

    Damie Chad.

     

    *

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    ‘’Durant tout le séjour, je trouve Gene reposé, détendu, jamais alcoolisé. Il nous présente à sa famille, ses parents Louise et Kie, ses jeunes sœurs Tina et Donna. A l'époque, Donna enregistre chez Dunhill sous le nom de Piper Grant.’’ Ces paroles sont extraites d’un texte de George Collange relatant le séjour de trois semaines qu’il fit à Los Angeles en été 1969 auprès de Gene Vincent. De nombreuses photos illustrent cette visite, l’une d’elles se retrouve par exemple sur une réédition de Be Bop A Lula sur un single français. Je n’avais jamais entendu parler de Donna en tant que chanteuse. J’ai voulu en savoir plus.

    CRAZY MIXED-UP GIRL

    PIPER GRANT

    ( Dunhill Records / D 4201 / Juillet 1969)

    J’ai trouvé. Je ne crie pas victoire. Ce n’est pas un véritable disque, un test-pressing. Not for sale, comme disent les ricains. Il semble toutefois, sans que je puisse l’affirmer que le microsillon ait été sorti et distribué. Vraisemblablement une démo destinée à des chanteur ou des producteurs qui cherchent de nouveaux morceaux à enregistrer. Est-ce Donna sur la couve, je ne suis pas assez physionomiste pour me prononcer avec ces bottes (faites pour poser) elle n’est pas sans évoquer Nancy Sinatra. J’ai bien peur que la carrière de Donna ne se soit arrêtée-là…

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    N'empêche qu’elle est bien entourée (sur la jaquète) Jimmy Webb et Bones Howe. Le premier est l’immortel compositeur de Mc Arthur Park, créée en 1968 par Richard Harris, By the time I get to Phoenix créée par Johnny Rivers reprise par Glen Campbell qui interpréta aussi en premier Witchita Lineman. Tout le monde (pas moi) a repris des morceaux de Webb ( un vrai Webbmaster ) je n’en citerai qu’un Elvis Presley. Crazy Mixed-up Girl a été interprétée une bonne dizaine de fois notamment par Thelma Houston et par Dusty Springfield pour le plus grand plaisir de notre Cat Zengler.

    Le lecteur ne manquera pas de retrouver le Cat Zenler en compagnie de Glen Campbell dans notre livraison 337 du 31 / 08 / 2017 et en compagnie de Jimmy Webb dans nos livraisons 398 ET 400 du 20 / 12 / 2019 et du 10/ 01 2020.

    Bones Howe moins célèbre que Jimmy Webb, est un homme de l’ombre tapi derrière sa console d’enregistrement, s’est spécialisé dans la pop sucrée, attention, a été chargé du mixage des enregistrements d’Elvis et de Jerry Lee Lewis en 1956. Sera aussi derrière Johnny Rivers, Frank Sinatra et The Mamas & the Papas. L’est vrai qu’à l’époque il y avait du beau monde derrière les micros des studios.

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    Crazy mixed-up girl : Reste à écouter : une voix pas désagréable, un peu trop bridée dans ses envolées c’est joli, printanier, mignon tout plein, des musicos qui batifolent, un peu symphonie du pauvre mais rien de navrant. Gagne à être réécouté à plusieurs reprises. I wouldn’t change a thing : Pas été capable de trouver et donc d’écouter cette face B composée par Lanny Duncan, songwriter qui enregistra une poignée de simples entre 1960 et 1965. Une jolie chansonnette d’amour éternel, parfaite pour les duos, que l’on retrouve dans Camp Rock téléfilm diffusé un peu partout autour du monde par Disney Channel… Très grand public…

    C’était ma modeste contribution around Gene Vincent…

    Damie Chad.

     

    *

    Dans notre livraison 538 du 20 / 01 / 2022 nous chroniquions le tome I du roman de François Richard VIE, un livre mystérieux d’une écriture électrique. Si à la fin de ce premier volet nommé L’Aquastation de nombreuses questions obsédaient notre esprit quant au sens de cette Odyssée l’on était certain d’être en face d’un ovni littéraire de portée historiale. Nous nous sommes donc précipités sur le deuxième volume du pentaptyque qui vient de sortir. A work in progress comme disait Joyce.

     V  I  E

    Livre second : ÿcra percer à nuit le monde

    FRANCOIS RICHARD

                                                 ( Le Grand Souffle / Mai 2023 )      

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    Le roman ne commence pas au début. Mais dans le tome 1, normal puisqu’il en est la suite. Oui, mais il faut savoir faire la différence entre le début et l’origine. Le roman ne commence pas, il procède de son origine. Elle vous est révélée, elle porte un nom : Ribardy. Jamais on ne vous explique ce que c’est. C’est au lecteur de comprendre que ce qui est important ce n’est pas ce qui s’est passé à Ribardy mais que l’on vient de Ribardy, que l’on est sorti de Ribardy, que l’on est toujours en partance de Ribardy. Ribardy fait figure de Paradis, on n’en a peut-être pas été chassé, mais l’on est en éloignement constant de Ribardy. Même si l’on reste immobile.

    Il y a deux manières de rester immobile. La première est de s’arrêter en un lieu quelconque. Par exemple sur la Place Saint Michel à Paris. L’autre manière est de marcher toujours, sans jamais s’arrêter, mais de tourner en rond, de fait on circonscrit un lieu. René-Hans se charge de cette circonvolution infinie, en gros il marche le long de ce que l’on appelait la petite ceinture parisienne. Il chemine sur les traverses du chemin de fer entre les deux rails parallèles.

    Entre ceux qui se sont arrêtés, qui ont monté une espèce de village de toiles, de camping phantasmatique, de camps de réfugiés, et celui qui marche, la différence n’est pas bien grande, les uns sont au centre du lieu et l’autre marche sur le bord. De toutes les manières le centre et le bord ne sont-ils pas la même chose, le bord de l’univers n’est-il pas encore l’univers. Une fois que vous avez trouvé le lieu il reste encore à en calculer la formule.

    Bien sûr vous ne possédez ni calculatrice, ni sextant, ni appareil quelconque de mesures, vous ne pouvez compter que sur vous, pour faire bref vous ne pouvez compter que sur votre tête. En dehors de marcher que peut faire René-Hans, regarder ce qu’il voit, et puis surtout penser dans sa tête. A repasser infiniment par le même chemin, les décors perdent tout attrait, mieux vaut s’enfermer dans sa tête, c’est alors que des étincelles de souvenirs éclosent dans votre tête, des traces, des vestiges du passé sur lesquels vous revenez infiniment, des moments du passé qui reviennent toujours, qui plongent dans la présence de votre passé, puisque votre passé, si furtif soit-il, revient toujours, si peu d’importance que vous finissiez par lui accorder, vous finissez par parcourir ces mêmes chemins qui ne sont que vous, où que vous alliez, et même si vous vous arrêtez, vous n’allez jamais plus loin que vous-même, à tout moment vous renaissez de vous-même, pourquoi croyez-vous que René-Hans se prénomme René. Parce qu’il est né une nouvelle fois, parce qu’il naît encor et encore de lui-même.

    Cette partie du roman qui vous entraîne dans sa ronde infernale, grosso modo les cinquante premières pages, n’est en rien monotone. Vous assistez à une sempiternelle éclosion. C’est la source qui sourd, l’origine qui s’originise dans une espèce d’éternel printemps, vous n’êtes plus en Ribardy mais le fait d’en être en partance de Ribardy ne vous y ramène-t-il pas en quelque sorte.

    Et pourtant vous n’y êtes plus. Si Ribardy est un lieu, et si vous vous tenez loin dans un autre lieu que Ribardy, vous commencez à poser l’équation différentielle dans le bon ordre. Il ne vous reste plus qu’à résoudre cette contradiction qui consiste à être et à n’être pas dans un même lieu. Moins par plus, égale moins. Être par non-Être égale non-Être. Donc vous êtes égal à zéro. Vous êtes mort. La formule est sans appel. Et en plus il vous reste le lieu. Ne dit-on pas que quand on est mort on va au paradis ?

    Cher lecteur pas de panique. Les cent pages suivantes sont époustouflantes. Une fois mort vous retrouvez tous les morts qui sont morts, ou qui sont partis de Ribardy, puisque vous ne pouvez être plus loin de Ribazdy qu’une fois mort, puisque vous étiez vivant lorsque vous en êtes sorti. Vous en êtes au plus loin et en même temps vous en êtes au plus près, puisqu’il suffit d’en sortir, de faire un seul pas, pour être mort.

    Oui ÿcra percer à nuit le monde est un roman métaphysique. Dans les cent pages qui suivent les morts s’occupent comme les vivants, d’eux-mêmes et aussi des autres. Ils se rencontrent, ils échangent, ils apportent des nouvelles, des tensions, l’on a du mal à savoir ce qu’il en résultera, mais l’on se dit qu’ils n’ont rien perdu au change, la face des morts est aussi obscure et mystérieuse que leur face vivante, car l’être est ainsi tantôt vivant tantôt mort mais jamais éboulé dans le néant. Les pages se tournent à toute vitesse, on les dévore, on veut savoir, toute certitude est incertaine, l’on scrute le moindre détail, la même indication, on essaie d’identifier et de lire les signes.

    D’ailleurs les livres sont faits pour être lus. Tout comme le passage de la vie à la mort peut être considéré comme une transsubstantiation, il en est de même de la pensée. Il est des balises dans le livre qui vous y invitent. Des mots connus qui flamboient comme des phares, j’en cite quelques uns, pas obligatoirement ceux que l’on attendrait, Esope, Eluard, Virgile, Poe, Keats peut-être, des noms de poëtes, ils ne sont pas jetés au hasard, le lieu du roman se déplace sur les bords de la poésie. Une écriture au plus près de la poésie, qui raconte une histoire palpitante qui donne à réfléchir, qui donne à penser mais cela ne suffit pas, le roman doit changer de lieu, se jeter dans l’estuaire de la poésie comme en bout de course la source s’est transformée en fleuve, l’on a descendu ses méandres torrentueux et ses coulées torrentielles, puis le fleuve je jette dans la mer, dans l’océan de la poésie. Une écriture qui se veut au plus près du Dire.

    Avec en prime cette question : quelle est la langue de la poésie. Elle ne peut-être que celle de la poésie, mais ne serait-ce pas celle de la poésie française, à savoir pas tellement les mots, mais les aventures poétiques dont ils procèdent. Cette question est évoquée, la réponse est laissée en suspens, elle touche à quelque chose de si fondamental, faut un certain courage pour poser cette interrogation, elle touche à l’infiniment poétique, à l’infiniment politique et babellique, car elle propose, elle ne proprose que deux réponses, celle de Dieu ou celle des Dieux. Question politique, elle apparaît en de brefs moments sous forme d’une institution nommée la Hanse que l’on pressent coercitive, ce vocable ne signifie-t-il pas aussi bien troupe de soldats qu’association de marchands… Toute similitude avec des synchronicités de notre temps ne saurait être des hasards indépendants de toute volonté.

    Rendons à César ce qui est à la prose. Les vingt dernières pages ouvrent le passage. On le pressentait. René-Hans, rappelons que Hans signifie miséeicorde de Dieu, rencontre des êtres de plus en plus immatérialisés. Sont-ce les anges rilkéens sur les franges de l’Ouvert. Il est trop tôt pour le dire. Ils hésitent encore. Quand l’homme n’est plus vivant, quand il n’est plus mort, il ne lui reste qu’à revêtir les vêtements du divin. Pour le moment nous sommes dans l’expectative, se revêtira-t-il des sombres soutanes de la religion, la prose abandonnera-telle l’orbe de la poésie, ou au contraire franchira-telle le leurre du seuil. Il nous faut avec impatience attendre le tome 3 pour savoir ce que François Richard nous prépare. Si l’on décrypte le texte avec soin, l’on assiste à une partie de dés mallarméenne. C’est dire l’ampleur du projet Richardien.

    Non ce n’est pas un livre difficile, c’est un livre d’exigence intime.

    Un livre qui déjà fait date.

    Damie Chad.

     

     

    *

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 28 ( Admiratif  ) :

    166

    Le Président n’y tient plus, il se permet d’interrompre le discours du Chef des Services Secrets du Rock’n’roll, vous conviendrez que ce genre d’apostrophe tumultueuse ne reçoit pas l’agrément de Nadine de Rothschild dans son livre Le Bonheur de Séduire, l’Art de Réussir. Le Savoir-vivre du XXIe Siècle, indispensable ouvrage qui ne quitte pas, nous en sommes persuadés, la table de chevet de nos chers lecteurs :

              _ Allez-vous faire foutre, parce que vous croyez peut-être que nous daignerons vous fournir des explications complémentaires, les voici bande de barbares, elles sont simples : un bon rocker est un rocker mort, alors nous avons décidé de vous supprimer, vous et vos deux chiens !

    Les poils se dressent sur l’échine de Molossa et de Molossito, ce qui contraste avec le sourire mielleux que le conseiller adresse à son Président aimé :

              _ Monsieur le Président, je me permets d’expliciter votre formule un peu trop lapidaire pour la comprenette pas très étendue de nos interlocuteurs, donc Messieurs ce soir nous frappons un grand coup, notre opération porte le nom de code : Saint Barthélémy des Rockers, ce n’est pas vos deux misérables personnes et vos deux clébards puants que nous supprimons, mais tous les rockers du pays, d’un seul coup, alors qu’est-ce que vous en dites grand Chef d’un peuple appelé à disparaître à minuit tapante !

    Le Chef allume un nouvel Coronado, Molossa et Molossito m’interrogent du regard, veulent-ils dévorer le Président ?

             _ Agent Chad cessez de caresser votre Rafalos dans votre poche, l’heure est grave, mais il me semble que nos deux perdreaux de l’année – le Président et son conseiller blêmissent sous l’outrage, au contraire de René de Chateaubriand ont-ils l’intuition qu’un orage non désiré est prêt à se lever – n’ont pas pensé à tout, quant à vous Messieurs je vous remercie de vos confirmations, figurez-vous que depuis le commencement de cette affaire j’ai toujours soupçonné, l’agent Chad pourra témoigner, que c’était l’avenir du rock ‘n’roll en son entier qui était en jeu

              _ Chef quoi qu’il nous arrive je l’ai noté à plusieurs reprises dans les immortelles tables de granit que sont les pages sublimes de mes Mémoires d’un Génie Supérieur de l’Humanité. Je suis sûr qu’elles survivront des siècles et des siècles, qu’elles ensemenceront l’imagination des futurs lecteurs et que le rock’n’roll, tel le Phénix, renaîtra de ses cendres.

    Le Président me lance un sourire méprisant, je ne luis réponds pas mais je n’en pense pas moins, j’irai même jusqu’à dire que j’en pense plus. Le Chef rallume un Coronado :

               _ Agent Chad, ce n’est pas que je doute de la survie littéraire de votre chef-d’œuvre impérissable mais je pense que celui-ci ne nous sera dans la situation présente que peu nécessaire, nos deux amis ont oublié un petit détail dans leur plan machiavélique, c’est dommage, nous le regrettons, toutefois il est sûr que sur cette planète, à part les membres du Service Secret du Rock’n’roll, nul n’est parfait.

    Le conseiller reprend la parole :

               _ Messieurs taisez-vous maintenant, notre Président a à s’occuper de plus vastes projets que vos misérables personnes, toutefois même si vous nous trouvez un peu cruels à votre égard, nous n’en sommes point hommes pour autant, nous resterons avec vous jusqu’à minuit, non ne nous remerciez pas, c’est juste pour le plaisir de vous voir mourir devant nous à minuit tapante ! Vous ne pourriez pas nous faire une plus grande joie. Il ne vous reste que quelques heures à vivre, nous ne voulons plus vous entendre. Normalement on laisse une dernière cigarette aux condamnés à mort, nous ne sommes pas chiches, nous ne mégoterons pas, Grand Chef sioux déplumé vous avez le temps de fumer une ribambelle de Coronados, et vous l’agent Chad de rajouter un épilogue à vos mémoires dont nous nous torcherons le cul avec plaisir !

    167

    Les heures s’écoulent lentement. Nos deux bourreaux savourent leur triomphe. Le Chef imperturbable fume Coronado sur Coronado. A chaque fois il ferme les yeux comme si c’était le dernier. Je ne tiens pas écrire le mot fin à mes mémoires, j’ai pris Molossa et Molossito sur mes genoux et les caresse doucement. Sous mes mains je sens leurs muscles bandés, les braves bêtes ont compris la situation, ils sont prêts à intervenir à la moindre erreur de nos adversaires.

    Huit heures…

    Neuf heures…

    Dix heures…

    Onze heures…

    Onze heures et quart…

    Onze heure et demie…

    Minuit moins le quart…

    Minuit moins cinq… L’oreille droite de Molossa frémit, Molossito jette un regard sur sa mère adoptive qui d’un coup de langue rapide lui lèche le museau.

    168

    Ai-je bien entendu, trois coups légers à la porte, le Chef reste absorbé dans les saveurs de son ultime Coronado. Non, il en allume un autre.

    Toc ! Toc ! Toc !

    Cette fois c’est indéniable, l’on a frappé à la porte, des coups discrets certes, mais des coups de même. Je ne suis pas le seul à avoir entendu, le Président se lève si brutalement que sa chaise tombe, il se tourne vers la porte et vocifère :

    • J’ait dit que je ne voulais pas être dérangé avant minuit, je fais remarquer au paltoquet qui se permet d’enfreindre mes ordres qu’il est minuit moins deux et qu’il ne perd rien pour attendre…

    Sur le palier le pâle toqué doit hésiter, il n’ose pas insister, il ne sait pas, il n’a pas envie d’encourir la colère du Président, mais en bon fonctionnaire il décide qu’il a un message urgent à transmettre, devrait-il être renvoyé il pense que l’intérêt supérieur de la Nation prime sur le sien.

    Toc ! Toc ! Toc !

    Le Conseiller du Président se lève et va ouvrir. Il est minuit moins une… La cage d’escalier est plongée dans le noir. Il ne voit rien.

    • Personne !

    Le Conseiller referme violemment la porte.

    • Monsieur le Président, l’imbécile a enfin compris qu’il ne devait pas insister !
    • Ce n’est plus important, minuit moins vingt secondes c’est à moi d’ouvrir la porte comme convenu – il joint le geste à la parole – messieurs entrez, les condamnés vous attendent, faites-moi plaisir, faites vite…

    Personne ne rentre. Le Chef rallume un Coronado. Molossa et Molossito descendent de mes genoux.

               _ Dépêchez-vous !

    La voix du Président est chargée de colère. D’un geste vif il allume le commutateur du palier et pousse un cri d’horreur. Le Conseiller le rejoint, moi aussi. Le Chef tire une bouffée.

    Le spectacle est hallucinant. Les escaliers sont jonchés de cadavres d’hommes en treillis entassés sur les marches. Je calcule à la vitesse d’un ordinateur – à l’école j’étais le premier en calcul mental – si le président n’a pas menti, trois hommes sur chacune des trente marches de chacun des escaliers des quinze étages, cela fait mille trois cent cinquante membres du GIGN supprimés d’un coup, autant dire que le groupe d’élite n’existe plus, quel gâchis financier. Combien de millions et de temps pour le reconstituer !

    Le Président et son conseiller sont blancs comme ces housses en plastique dans lesquelles on enveloppe les morts. La voix du Chef, péremptoire et agacée s’élève :

             _ Refermez la porte, le courant d’air qu’elle suscite m’empêche de goûter la saveur de mon Coronado, venez vous asseoir avec moi, si j’en crois Molossa et Molossito nous avons une visite, vite, il doit être au moins minuit passé de cinq minutes !

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 603: KR'TNT 603: ARTHUR LEE / JAMES BROWN / JONTAVIOUS WILLIS / NINO TEMPO & APRIL STEVENS / STEPHEN STILLS / GHOST : WHALE / TALL YODAS / THULCANDRA / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 603

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    01 / 06 / 2023

     

     ARTHUR LEE / JAMES BROWN / JONTAVIOUS WILLIS   

     NINO TEMPO & APRIL STEVENS

    STEPHEN STILLS / GHOST : WHALE

      TALL YODAS / THULCANDRA

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 603

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Le roi Arthur - Part Two

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             L’idéal serait de pouvoir serrer la main de John Einarson. Merci John ! Merci de quoi ? Merci de l’immense service qu’il rend à Arthur Lee en publiant Forever Changes: Arthur Lee And The Book Of Love - The Authorized Biography Of Arthur Lee. Au fil des ans, les blih-blah-blah d’après concert et les mauvais articles des canards français avaient réussi l’exploit de transformer Arthur Lee en personnage pas très recommandable, un black un peu dark, despote camé et accessoirement taulard. Il s’est tout de même pris douze piges dans la barbe pour des coups de feu qu’il n’avait même pas tirés. Profitons de cette occasion en or pour rappeler qu’il est arrivé la même chose à James Brown, en moins grave, puisqu’il s’en est sorti avec trois piges et un grand coup de poing dans la gueule, cadeau d’un flic blanc raciste. On y reviendra.

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             Bon, Einarson fait un peu le ménage dans toute la mormoille des racontars. On respire un peu mieux, une fois qu’on sort de ce big book bien dodu, un big Jawbone de 300 pages. Il est essentiel de signaler que Jawbone est actuellement le meilleur éditeur rock d’Angleterre. Il suffit d’aller voir son catalogue pour frétiller. Tous les graphistes le savent, l’Angleterre est le paradis des arts graphiques : c’est là que bossent les meilleurs typographes et les princes du print. Tu as dans la patte un solide dos carré, avec une couverture pelliculée à rabats ornée d’une image superbe. Tu te ruines un peu les yeux à dévorer ces pages composées en corps 10, mais c’est tellement captivant que tu en oublies tes vieux zyeux. Un cahier photos t’accueille à l’entrée, avec toutes les images indispensables, depuis Agnes Lee, sa mère presque blanche, jusqu’à la fameuse photo de Memphis en 2005, un an avant la fin des haricots, avec les mecs de Reigning Sound. Puis tu as dix chapitres qu’illustrent dix images thématiques. Le book est puissant, l’auteur l’est aussi, et le sujet encore plus. Ce book est une espèce de Graal. Logique, puisque tu entres chez le roi Arthur. 

             Einarson a en plus le génie d’utiliser le projet d’autobio qu’avait entamé Arthur Lee. Il en colle de larges extraits ici et là, et ça renforce bien l’idée du Graal. Car le roi Arthur écrit lui aussi merveilleusement bien. Il t’invite à prendre place à la Table Ronde. Sit down.

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              Einarson brosse un étonnant portrait de cet homme hors du commun. Il procède par petites touches, comme un pointilliste : si tu t’approches trop près de la toile de Seurat, tu vois des tâches de couleur. Si tu recules de quelques pas, tu vois le Dimanche Après-Midi À l’Île De La Grande Jatte. Alors, dis-nous, Einarson, Arthur serait un tough guy ? Einarson donne la parole à Arthur : «At one point in my life, j’ai envisagé de devenir boxeur. I was really good at it.» Dans le même extrait, il explique qu’il a appris à se servir d’un flingue chez les boy-scouts, et son beau-père lui en a offert un quand il avait 12 ou 13 ans. Tous les jours, Arthur et ses copains dégomment des piafs, alors le beau-père s’énerve : «Ça suffit comme ça ! Chaque fois que vous dégommerez des oiseaux, vous devrez les faire cuire et les manger.» Son copain d’enfance Johnny Echols se souvient qu’Arthur avait «une forte personnalité. He had to be the leader of the bullies, so to speak.» C’est l’un des traits de caractère dominants du futur roi Arthur. Il sera le meilleur en tout et personne ne peut décider à sa place. Michael Stuart enfonce le clou : «Arthur avait quelque chose de spécial. Il était intelligent, il avait confiance en lui et il amenait un truc que n’avaient pas les autres musiciens. Il avait l’état d’esprit d’un athlète de compétition. Il avait décidé qu’il ne pourrait jamais perdre, il était incroyablement dur, puissant, profond, c’était un mec unique. Il transposait ça dans sa musique.» 

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             Le premier instrument d’Arthur est un accordéon - The hippest dude on the Sunset Strip avait commencé sa carrière avec le moins cool des instruments - Il passera ensuite à l’orgue, puis à la guitare. Il apprend surtout à composer et il adore jouer de l’harmo. Il écoute Wolf et John Lee Hooker. Comme tous les kids d’Amérique, il découvre les Beatles en 1964, à la télé, avec l’Ed Sullivan Show. Il monte The American Four avec son copain d’enfance Johnny Echols et John Fleckenstein qui jouera plus tard dans les Standells. Il découvre les Stones au T.A.M.I. Show : «They weren’t pretty, they weren’t sexy, but they were very interesting.» Il se dit encore plus impressionné par les Byrds : «The Byrds blew me away. Their music went right to my heart. Ils jouaient fort et ressemblaient à des barbares avec leurs cheveux longs et leurs freaky clothes. Ils jouaient ‘I’ll Feel A Whole Lot Better’ et ils étaient as hot as the Beatles or the Stones ever were. En fait, ce soir-là, j’ai vu Brian Jones des Rolling Stones dans le public. Il m’a regardé. Je l’ai regardé. Et on s’est regardés encore une fois.»

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             C’est drôle, on retrouve toujours les mêmes : Brian Jones, Gene Clark, et Jimi Hendrix qui va devenir un ami proche. Arthur rappelle qu’il a composé «My Diary» pour Rosa Lee Brooks : «‘My Diary’ that was the first time Jimi ever played in a studio.» Ça se passe au Gold Star. Arthur cherchait un guitariste capable de jouer comme Curtis Mayfield et Billy Revis lui dit qu’il en connaît un : Jimi Hendrix, qui est alors inconnu. Beaucoup plus tard, alors qu’il est à Londres, Arthur a l’idée du siècle : enregistrer un album avec Jimi, qui est alors devenu célèbre. C’est False Start, enregistré à l’Olympic de Barnes. Tout le monde est sous mescaline, sauf Arthur qui dit devoir garder le cap - Somebody had to steer the ship - Arthur estime à juste titre que Jimi a pompé son look : «En 2002, Leon, le frère de Jimi, m’a dit que Jimi louchait sur la pochette du first Love album et avait dit : ‘I think I’ll try it this way’, il faisait référence au look que j’avais sur la pochette.» Ensemble, il enregistrent «The Everlasting First». Lors de la session, ils enregistrent aussi «E-Z Rider». C’est à cette époque que Jimi, las de tout, montre à Arthur son étui à guitare et lui dit que c’est tout ce qu’il possède. Arthur et Jimi avaient un projet en commun : «Avant qu’il ne disparaisse, Jimi et moi parlions de monter un groupe ensemble, Le groupe devait s’appeler Band Aid. Il proposait d’intégrer Stevie Winwood et Remi Kahaka. Je ne me souviens pas du nom du bassiste. Quand j’ai enregistré mon premier album solo pour A&M, j’ai appelé le groupe Band Aid en souvenir de ce que Jimi avait dit.»

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             En 1965, Los Angeles devient la capitale de l’industrie musicale américaine, et le Sunset Strip l’épicentre de la vague qui secoue l’Amérique. C’est à Los Angles qu’on sort les Ricken et les amplis Fender, alors qu’à Greenwich Village, on en est encore à gratter des coups d’acou. Tout se passe dans les clubs du Strip. Arthur dit tout le bien qu’il pense du Whisky A Go-Go : «Yes we were the mood of the times. C’était seulement une petite étincelle sur Sunset Strip et ça s’est transformé en wildfire.» Arthur admire Gene Clark pour ses «moody, poetic compositions».   

             En 1966, il n’a que 21 ans, il est bombardé Prince of Sunset Strip. Quand il descend de sa Porsche couleur mauve, une ravissante blonde et un épais nuage de fumée d’hash l’accompagnent. Ce que veut nous faire comprendre Einarson, c’est que le mythe Arthur Lee ne se limite pas à la musique : il devient très tôt une personnalité mythique, l’équivalent de Syd Barrett à Hollywood. Et comme Brian Jones, Arthur est obsédé par sa coiffure. Il y consacre beaucoup de temps. Kim Fowley le voit comme un personnage mystérieux, «like Prince or a black James Dean. Il était un mélange des deux. Il était très calme, il ne criait jamais, il ne piquait pas de crises comme Rick James. He was more of a lone wolf guy. Arthur had a mystique and worked 25 hours a day.» Ronnie Haran qui manageait l’early Love ajoute une nouvelle touche au tableau d’Einarson : Arthur est très casanier, il n’aime pas trop sortir de chez lui pour partir en tournée. Comme le Ghost Dog de Jim Jarmusch, Arthur élève des pigeons. Il a aussi des chiens. Toute sa vie, il aura des chiens. Quand Ronnie Haran lui propose un concert à Tempe, Arizona, Arthur l’envoie sur les roses - He had this big house with his birds, his dogs and his dope. He just wanted to stay home - Il adore cette maison, perchée au sommet de Kirkwood, Laurel Canyon, celle où Roger Corman tourna The Trip avec Peter Fonda, et dont la piscine est pour moitié à l’extérieur et pour moitié à l’intérieur. Arthur : «Pour aller du living room à la chambre, il fallait franchir un petit pont. That was it. I had to have this house.» Jac Holzman n’arrive pas non plus à le déloger pour les tournées de promo. Commercialement, c’est suicidaire. En fait, Arthur n’accepte les concerts qu’en tête d’affiche. Sinon, pas question. Les Doors l’acceptaient facilement, car Jimbo était fasciné par Arthur. D’autre groupes, nous dit Johnny Echols, l’acceptaient aussi, Big Brother, Iron Butterfly, Grateful Dead, mais les autres refusaient. Ça mettait fin à la discussion. Johnny Echols : «So that stopped us taking some gigs.» Arthur s’en explique lui aussi très bien : «Another thing was I didn’t like going on the road and playing for pennies.» Le roi ne se déplace pas pour des cacahuètes. 

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             Johnny Echols corrige encore une baliverne : Love n’est pas fiable ? Faux. Johnny explique qu’ils menaient un tel train de vie qu’ils ne pouvaient pas de permettre de louper des concerts - We always needed money - Mais comme Arthur ne veut pas quitter la Californie pour jouer le jeu de la promo, Jac Holzman met le paquet sur les Doors. Quand Arthur voit le 4 x 3 publicitaire des Doors sur Sunset Strip, il flippe. Arthur a beau intimider Jimbo, c’est lui Jimbo qui a les faveurs de Jac. Arthur va réussir un autre exploit anti-commercial : il refuse l’invitation des organisateurs du festival de Monterey. Jac : «Il fallait être fou pour dire non à Monterey. Arthur l’a fait.» Le plus curieux nous dit Einarson c’est que les Doors n’étaient pas invités, alors que Love l’était. La raison de ce refus, c’est Lou Adler. Arthur ne peut pas le schmoquer, car avant de s’appeler Love, son groupe s’appelait The Grass Roots et Lou Adler lui a barboté le nom : «Lou Adler est le mec qui avait un groupe appelé The Grass Roots sur son label Dunhill Records. Je voyais d’un mauvais œil le côté gratuit du festival et le vol du nom original de mon groupe, et j’ai dit non.» Harvey Kubernick confirme qu’en plus de l’animosité du roi Arthur pour Adler, il n’était pas question de jouer gratuitement.

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             Avant d’intégrer Love, Bryan MacLean jouait avec Taj Mahal dans un groupe éphémère, Summer’s Children, puis il fut roadie des Byrds. Quand les Byrds ont pris l’avion pour leur première tournée en Angleterre, ils sont partis sans Bryan qui l’a mal vécu - That broke his heart - Il passe aussi une audition pour les Monkees mais ça ne marche pas. Il finit par rencontrer Arthur et Johnny. Hop, le voilà dans les Grass Roots. En matière de séduction, Arthur et Bryan rivalisent. S’installe un petit challenge entre eux. Ça marche bien pour les Grass Roots, jusqu’au moment où Lou Adler monte un autre Grass Roots avec P.F. Sloan et Steve Barri. Arthur est choqué du procédé : «Somebody had stolen my name.» C’est là qu’Arthur opte pour Love. Et lorsqu’un peu plus tard, Lou Adler se rapproche de Love pour proposer un contrat, Arthur lui dit d’aller se faire voir chez les Grecs. Love fait un énorme carton au Bibo Lito. Ils deviennent avec les Doors et les Byrds les coqueluches de la scène locale. Bryan MacLean ramène les fans des Byrds. Arthur : «And so it was the five of us, Bryan, Johnny, Kenny, Snoopy and me.» Paul Brody est émerveillé par ce groupe : «Arthur Lee portait ces étranges lunettes triangulaires et un jean serré, Johnny Echols jouait sur une double manche, Bryan MacLean était un mélange de Brian Jones et de Michael Clarke des Byrds, et Kenny Forssi était une sorte de Prince Valliant.» Il ajoute plus loin : «Ils me rappelaient les Rolling Stones, avec quelque chose des Byrds en plus.» Kim Fowley dit aussi que Love attirait les filles, surtout les surf pussy en miniskirt. Len Fagan va beaucoup plus loin : «Ils avaient la même aura que celle des Rolling Stones, et même encore plus d’aura qu’eux. Ils s’habillaient comme des rock’n’roll stars, ce que peu de groupes faisaient alors.»

             Pour ne pas se faire plumer, Arthur a étudié un book intitulé The Business Of Music. Il sait tout. Il gère tout, le publishing, le booking, le management, la production. C’est lui qui négocie avec Jac Holzman. Il demande 5 000 $ en cash le premier jour. Jac dit qu’Arthur a filé 100 $ aux autres membres de Love et qu’il s’est acheté une gull-wing Mercedes. Johnny Echols rétablit la vérité, en expliquant qu’Arthur a partagé équitablement le blé et qu’il a récupéré la Mercedes qui moisissait dans un garage pour 1 100 $.

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             Arthur et Bryan composent ensemble. L’idée d’Arthur est de former un team Lennon/McCartney. Ils vont ensemble voir What’s New Pussycat au cinéma et flashent sur «My Little Red Book», un hit signé Burt, dont ils vont faire une version speedée qui deviendra leur premier single, et qui va fasciner un autre team légendaire, Lou Reed et John Cale. Einarson nous dit que Reed et Cale écoutaient ce single inlassablement, tentant de percer le secret du son (trying to unlock Love’s sound). 

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             Le premier album de Love, sobrement intitulé Love et paru sur Elektra en 1966, fait partie des grands classiques du son californien. Il est enregistré en quatre jours, par Bruce Botnick. Comme la plupart des musiciens américains de l’époque, Arthur et Johnny sont tous les deux fascinés par Dylan, comme on peut le constater à l’écoute d’«A Message To Pretty», solide brin de balladif, avec un Arthur tremblant d’émotion et bien poussé devant dans le mix. Ce qui frappe le plus dans cet album, c’est l’incroyable vitalité du son. Et bizarrement, dès que Bryan MacLean chante, ça s’écroule : son «Softly By Me» paraît un peu falot. Dès qu’Arthur revient avec «No Matter What To Do», Love reprend du sens. C’est gratté à l’arpège endiablé. Ils ouvrent le balda avec «My Little Red Book». Ils le tapent à l’angelinote, avec une ardeur très spéciale, aw won’t you please come back ! - Le «Can’t Explain» qui suit n’est pas celui des Who mais un jingle jangle Byrdsy, emmené par un Arthur extrêmement fougueux. C’est le psyché californien des origines. L’album devient très vite envoûtant, et la B ne fait que renforcer ce sentiment d’entendre un mix de voix et de son uniques, comme triées sur le volet. Le jingle jangle revient hanter «Gazing». On se croirait vraiment chez les Byrds. Quelle bouffée d’oxygène ! Arthur domine bien la situation, il cède la place à un solo d’Americana florissante, tendu et comme excédé de beauté, aussi éclatant que la corolle d’un corollaire. C’est là qu’apparaît la première mouture de «Signed D.C.», et le solo d’harmonica qui va tétaniser tous les gros veinards venus voir Arthur Lee au Trabendo. Ce premier album reste une merveille inaltérable, perdue dans le tourbillon d’une jeunesse enfuie. Sur la pochette, la photo du groupe est prise dans une ruine de Laurel Canyon, mais pas comme l’indiquait la rumeur, dans l’ancienne baraque de Bela Lugosi.

             Bruce Botnick trouve des similitudes entre Arthur et Captain Beefheart, avec lequel il a déjà bossé. Et puis voilà l’acide. Botnick : «Arthur was stoned 24 hours a day.» Einarson confirme : «Arthur seemed the epitome of the drugged, Sunset Strip hipster.» Arthur est un spécialiste du hash - He was considered a connoisseur - mais il s’adonne très vite aux joies de l’acid trip, qu’il vit comme une expérience religieuse. Il jette un regard lumineux sur les drogues : «Pendant des années, les journalistes m’ont posé des questions sur les drogues. Do they think I’m a chemist ? Quelles qu’aient été les drogues, je les prenais parce que j’essayais de faire partie de l’in-crowd. That’s why we were all doing it. I was easily influenced.» Il conclut ce chapitre fascinant ainsi : «A lot of us took drugs. Qui a créé le vin et qui a créé le raisin pour faire le vin ? Who put the weed here to smoke? God did. That’s who.» Aux yeux d’Arthur, tout cela n’est qu’une simple évidence. Le vin et la dope sont sur terre parce que God l’a voulu ainsi. Plus tard, au moment de Four Sail, Arthur va passer à la coke et devenir incontrôlable. Dieu l’a aussi voulu ainsi. 

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             À l’époque de sa parution, Da Capo était considéré comme difficile d’accès. Michael Stuart qui venait de quitter les Sons Of Adam pour rejoindre le groupe se demandait qui allait pouvoir acheter un album pareil. Pour lui, Da Capo était trop différent du premier album de Love. Avec Stuart, Arthur a aussi fait entrer dans le groupe le saxophoniste Tjay Cantrelli et poussé Snoopy, qui battait le beurre, à l’orgue. Da Capo grouillait pourtant de cuts qui allaient devenir des classiques de Love, à commencer par «Stephanie Knows Who», un rock baroque qui vire jazz. Oui, ils disposent de cette puissance musicale, avec un sax en folie et une basse abrupte. C’est sur Da Capo qu’on trouve aussi «Seven & Seven Is», cut bien énervé mais qui les honore. C’est extrêmement pulsatif, au sens Wells Fargo du terme, ça cavale à travers la plaine, ça tagadate à fond de train, Quicksilver Messenger, baby, vrai cut de batteur échappé de l’asile. L’autre point fort de cette A vitaminée est «Que Vida», une pure merveille de pop mélodique qui semble vouloir préfigurer les œuvres à venir. C’est le Sixties Sound à l’état pur, innocent et d’une grande délicatesse, bercé par de fines nappes d’orgue. On pourrait qualifier «Orange Skies» de psyché flûté de frais, avec une basse qui arpente bien la surface du beat. On y voit poindre une immense puissance compositale. Qui pourrait se lasser de cet Arthur-là ? Il veille aussi à rester florentin dans «The Castle». Par contre, la B change tout. Un seul cut : «Revelation». Qui peut se vanter de l’avoir écouté entièrement ? On se croirait chez Canned Heat avec ce gros boogie emmené ventre à terre. Solide, car bien balancé du beat et assez captivant, même si à l’époque on préférait les morceaux courts. C’est un exercice de style, un choix artistique bien assumé. Peu de gens osaient, à l’époque. Les guitaristes Johnny et Bryan se régalent, forcément. Arthur explose bien son all the time et il ajoute qu’il feel alrite, all the time, yes it is. Ils se payent de violentes montées de fièvre, mais un solo de batterie vient ruiner leurs efforts.

             Johnny Echols résume bien l’évolution musicale du groupe : «Une grande partie des chansons du premier album étaient faites pour danser. We were playing loud music for young kids at our shows. Le deuxième album était plus adulte. It was for sitting down and listening to.» Arthur résume encore mieux : «Je sens que je me suis trouvé, ou que j’ai planté la graine de ce que je suis devenu, on the Da Capo album. I was born on Da Capo. It’s just been the same trip since then. (...) That was me then, and here I am now.»

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             Dans les milieux bien informés, on tient Forever Changes pour l’un des plus grands albums de l’histoire du rock. Tous les canards spécialisés se sont gargarisés de Forever Changes, à commencer par Shindig!. C’est vrai que l’album tient en haleine. En fait, ça dépend de l’état dans lequel on se met pour l’écouter. À jeun, il ne provoquera pas les émois qu’il provoque lorsqu’on l’écoute sous influence. Il faut voir Arthur Lee entrer dans «Alone Again Or» par les espagnolades de l’éternité. Il vise tout de suite le paroxysme de la beauté liquide des préraphaélites. Yeah fait le roi Arthur, empli de cette grâce délicate. Voilà une musique au plis précis. Des trompettes se fondent dans le flux et cet aspect mariachi tourne à la merveille évangélique. Avec «The Daily Planet», ils se prennent pour les Who, ils font du pur Piccadilly. Quelle bande de faux culs ! On se croirait sur un mauvais album des Zombies. «And More Again» vaut pour une belle pop au ventre lisse - Then you feel your heartbreathing pam pam pam - Il faut attendre «Live And Let Live» en B pour renouer avec le raffinement dans la tension. Les beaux appels guitaristiques sonnent dans la nuit des temps, et la psychedelia californienne s’offre une belle vrille d’aventure sulfureuse. Ils jouent aussi «Maybe The People Would Be The Times etc. etc.» à l’extrême confrontation d’over-orchestration. Ils ne craignent pas l’overdose de surenchère et ça vire au tourbillon de pop endiablée. Nous voilà au paradis des trompettes ! Avec «Bummer In The Summer», ils renouent avec le groove d’«Hey Joe», même si c’est monté sur les accords de «Gloria», mais à la sauce californienne. Ils sont marrants. Tout le monde flashe sur cet album maniéré, alors que les suivants valent tout l’or du monde.

             Arthur dit que c’est Jac qui lui a donné l’idée des cuts orchestrés avec des cordes : «So I think he suggested the acoustic direction and it wasn’t a bad idea at all. Thank you Jac.» Puis Arthur corrige le tir à propos de David Angel, l’arrangeur qui aurait soit-disant écrit les arrangements : «The story about David Angel writing all the horns and string parts on Forever Changes was not just true. I wrote them, thank you! David did add and suggest things that were also used.» Mais il y a un gros problème pendant les sessions de Forever : les mecs de Love sont défoncé à l’hero et Arthur doit faire venir des musiciens de studio - My band was so strung out on heroin, they couldn’t function - Arthur en profite pour dire qu’il n’aime pas l’hero. Il fait venir Hal Blaine, Carol Kaye et Don Randi pour jouer sur «The Daily Planet» et «Andmoreagain». Sur la banquette, Bryan MacLean et les autres chialent. C’est la honte de leur vie. Mais ils se reprendront et Ken Forssi jouera le bass part que n’arrivait pas à jouer Carole Kaye sur «The Daily Planet». Le producteur de Forever est en fait Bruce Botnick, mais après une shoote avec Arthur, il demande qu’on retire son nom des crédits de l’album. Pour Botnick, Forever est un album un tout petit peu trop sophistiqué pour l’époque. Quant au titre, il vient d’un échange entre Arthur et l’une de ses poules. Le fille lui dit : «But you told me you’d love me forever» et Arthur lui répond : «Yeah, well you know, forever changes». Le vrai titre de l’album est Love Forever Changes. Mais comme le dit si justement Einarson, nobody really got it. À l’époque, tout le monde est passé à côté.

             C’est l’inactivité qui met fin à la première mouture de Love, pas seulement la dope. Autre problème : Arthur vit dans sa belle baraque et roule en Porsche, alors que les autres n’ont pas de blé. Il n’y eut pas de réunion pour annoncer le fin de Love. Arthur a simplement arrêté d’appeler les autres pour les concerts.   

             Et hop, il remonte aussitôt le groupe avec Jay Donellan, Frank Fayad et George Suranovich. Arthur et Donellan s’entendent bien ensemble : ils composent «Singing Cowboy». Donellan est impressionné par Arthur : «Il avait une telle présence. Il était beau, exotique, à moitié blanc et à moitié black, in colourful hippie clothes. Il avait de l’attitude, il était aussi un peu aigri et avait beaucoup de charisme. Il se faisait faire des fringues sur mesure, conduisait une Porsche et te proposait le meilleur haschish.» Pour éviter les problèmes, Arthur contrôlait tout : les bookings, le compos, les contrats d’enregistrement, la production et les avances - Arthur Lee was Love and Love was Arthur Lee - Il vit dans sa baraque de rêve, là-haut sur la colline qui domine Los Angeles, avec Suzanne et son chien Self - Self was like Arthur’s alter ego - Arthur : «À une époque, j’avais 5 chiens, 11 chats, environ 120 pigeons et un canari nommé Gary qui était le meilleur musicien du monde.» Arthur est aussi végétarien : «When I was vegetarian, no one around me could eat meat. I didn’t even let my dogs eat meat.» Il fait faire des croquettes protéinées pour ses chiens.

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             Belle pochette psychédélique pour Out Here paru en 1969. La toile est signé Burt Shonfield. Arthur va bien sûr récupérer la toile. Ses nouveaux chevaliers l’entourent : Donnellan, Fayad et Suranovich, tous les trois d’épouvantables surdoués. En ce temps-là, Fayard pouvait décourager tout apprenti bassiste, tellement il surjouait ses drives.

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    Quand on ouvre le gatefold, on les voit tous les quatre dans Griffith Park jouer aux cowboys en se tirant dessus à bout portant. Pow ! Pow ! T’es mort ! Dès «Abalony», t’es frappé de plein fouet par une pop de rêve, pow ! T’es mort ! Le roi Arthur est l’égal de John Lennon. On dit même de lui qu’il est un miracle permanent. C’est en tous les cas ce qu’inspire «Abalony». Il chante son Abalony au mellow vocal à peine soutenu. Arrive dans la foulée le «Signed D.C.» tiré du premier album de Love, sans doute l’œuvre la plus connue du Love Supreme - Nobody cares for me - Le solo d’harp atteint un niveau rare d’intensité cabalistique - Look out Joe !/ I’m falling/ Nobody cares for me - C’est vrai, nobody cares for him now. Avec «Listen To My Song», ils opèrent tous les quatre un prodigieux retour à l’absolue pureté harmonique. Arthur redescend dans l’excellence du chant mordoré et siffle sa mélodie. On pouvait dire à l’époque qu’il existait trois pôles sur cette planète : d’un côté les Beatles et de l’autre Love, avec Brian Wilson au milieu. On se régale de ce double album comme on se régale du White Album des Beatles : c’est la même intensité de tous les instants. Il faut voir Arthur Lee donner du foin au son dans «I’ll Pray For You», c’mon let me in with you. Pure magie - You made me come - C’est très sensuel, on a des chœurs de mecs derrière. Les ah ah ah sont de pures avances putassières. Le «Stand Out» qui ouvre le bal de la B est plus musclé, on est dans l’hendrixité, mais sans guitare, uniquement dans le groove. Arthur Lee jive l’excellence, puis il nous embarque dans les douze minutes de «Doggone», hélas ruiné par un solo de batterie. Il faut vite aller se consoler en C avec «I Still Wonder». Ce sont les harmonies vocales de CS&N. Tout ici est taillé sur mesure dans l’harmonie viscérale et fouaillé au gras double. On voit deux phrasés de guitares se croiser dans l’azur. Gary Rowles prend le lead sur «Love Is More Than Words». Ça vire à la jam de puissance effective, l’un des sports favoris du roi Arthur. En ce temps-là, les musiciens jouaient comme des démons incoercibles. Frank Fayad en profite pour se laisser aller. Avec «Nice To Be», Arthur Lee frôle le Michel Legrand. C’est dire l’irréalité des choses ! L’enchantement se poursuit en D avec «Run To The Top», une pop incroyablement légère - Why don’t you be free - On sent naître quelque chose de l’ordre de la persistance, I’m free, et ça claque des mains. S’ensuit un «Willow Willow» d’une perfection mélodique absolue, une merveille intarissable, la brutalité subjugante du Love Supreme, l’adoucissement latéral des arpèges byzantins, tout y est, comme dans un récit baroque de Gustave Flaubert. Out Here, c’est Salammbô. «Willow Willow» sonne comme un bain de mercure, la légende de Love s’y détaille dans les atomes d’acides et de bases. Ces surdoués extravagants n’en finissent plus de surjouer leur «Instra-Mental» et cette D palpitante s’achève avec «Gather Round», une pop d’arpèges éternels, élevée au rang du Love Supreme. Arthur chante ça au psyché chaud. On ne se lasse pas de cette élévation perpétuelle, claquée à la meilleure claquemure d’occident. Pas de plus beau roi nègre qu’Arthur Lee - If you don’t like my story/ Then don’t buy my songs. Pour les crédits, Arthur change de nom et s’adverbise : il s’appelle Arthurly.

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             On retrouve la même équipe Donnellan/Fayad/Suranovich sur Four Sail paru la même année sur Elektra. Titre moqueur : Four Sail sonne comme For Sale. Sans doute est-ce la période la plus prolifique du roi Arthur, car les hits pullulent sur cet album, comme d’ailleurs sur le précédent. On n’y compte pas moins de cinq coups de génie. Et ça commence à rayonner dès «August» le bien nommé. Arthur entre dans le jardin magique d’un pas léger, comme les Beatles dans «Strawberry Fields Forever». Arthur est en réalité le seigneur des délicatesses définitives. Pas de pop plus pure que cette pop auguste. Ses retours au chant se fondent dans un velouté extravagant. Frank Fayad joue une bassline en folie et Jay Donnellan pourrait bien passer pour l’un des plus grands guitaristes de tous les temps. Nous voici arrivés dans un album idéal. Arthur propose une pop extrêmement précise et finement argentée, très byzantine dans l’esprit de Sainte Catherine. Ça phosphore dans le bosphore du Love Supreme. Ces surdoués s’en vont jazzer «Good Times» en plein envol. Ils se prêtent à toutes les fantaisies. Ils inventent une sorte de pop dionysiaque, une pop à cornes extrêmement libre. Jay Donnellan fait une fois encore le show, suivi par ce requin en maraude qu’est Frank Fayad, le bassman fou. Se développe sous nos yeux ronds de stupeur un gigantesque geyser d’excellence. Et ça monte encore d’un cran dans l’expressionnisme avec «Singing Cowboy», sans doute le sommet artistique de cet album. Jay Donnellan amène ça aux arpèges radieux et Arthur pose sa voix sur un tapis mélodique immaculé. Ce sont les chœurs d’artichauts qui génèrent l’apothéose de son plein, ce Graal orgasmique dont rêvent tous les libidineux. On tombe en B sur une autre huitième merveille du monde : «Robert Montgomery». Ils attaquent ça aux accords consternés, immédiatement relayés par cet entortilleur de génie qu’est Jay Donnellan. Arthur gagne encore une fois les paradis artificiels pour s’y recueillir. C’est d’une sophistication aveuglante de pureté, et les plongées dans les abîmes valent bien ceux de Jack Bruce dans «Tales Of Brave Ulysses». Cette B se montre moins dense, mais les cuts n’en sont pas moins admirablement construits et dotés d’une musicalité qui, depuis, semble s’être volatilisée. Il faut écouter attentivement le travail de sape de Frank Fayad : il surjoue en permanence et amène une énergie considérable à cette pop fragile et légère. En ce temps-là, les bassistes savaient jouer.

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             La seconde trilogie magique du règne du roi Arthur s’achève avec False Start, paru en 1970. Gary Rowles y remplace Jay Donnellan. C’est bien sûr la présence de Jimi Hendrix qui fit la réputation de l’album à l’époque : il co-arrange et joue sur «The Everlasting First». Arthur s’abandonne au destin tragique des harmonies brisées, à la dérive spirituelle, à l’aune de la liberté absolue, il va là où bon lui semble, libre comme l’air du printemps, et l’ami Jimi joue comme d’usage, c’est-à-dire comme un dieu. On trouve un autre cut purement hendrixien en B, «Anytime». Arthur y propose une fantastique approche du blues-rock avec des prolongements hendrixiens, et Gary Rowles se montre digne de l’aventure. Encore des traces d’hendrixité dans «Slick Dick», un curieux mix de Wolly Bully et de bluegrass psychédélique. On retrouvera ce son sur Cry For Love, évidemment. Le coup de génie arthurien se trouve en A et s’appelle «Keep On Shining». Encore un coup dont on ne se remet pas. On y assiste à une fantastique résurgence d’excellence groovy. Arthur swingue le rock et le bouffe tout cru en même temps, comme le Saturne que peignit Goya. On note aussi son excellente maîtrise des éléments dans «Stand Out». Il sait dresser une Table et offrir un festin de son. Oh il faut aussi aller voir en B ces deux cuts ultraïques que sont «Feel Daddy Feel Good» et «Ride That Vibration». Le premier vaut pour un heavy blues arthurien. Tout y est trié sur le volet. Il faut voir Arthur monter son œuf en neige, c’est un spectacle dont on ne se lasse pas. Il fabrique des climats changeants et charge aussitôt la barque au sortir d’un havre de paix. Il revient avec «Ride That Vibration» dans le processus d’élévation hendrixienne. Il tisonne sa braise pour l’emmener retrouver son élément en enfer. Les rois disposent de cette cohérence inaccessible à nous autres roturiers.

             Quand Arthur se fâche avec des membres du groupe, c’est toujours autour de questions de blé. Suranovich est viré pour ça. Arthur se fâche aussi avec des gros bonnets du biz, par exemple Robert Stigwood, qu’il insulte. Quand les Led Zep viennent le voir chez lui pour le saluer, Arthur ne les laisse pas entrer - Arthur didn’t give a fuck - Dès qu’il a un peu de blé, il devient incontrôlable. Et petit à petit, il prend l’habitude de flinguer ses concerts, il ne finit pas les cuts et passe son temps à babiner avec les gens. Mais le public lui pardonne tout, parce qu’il s’agit du roi Arthur. Pour se faire un peu de cash, il revend, sur les conseils de son ami George St John, la moitié de ses droits d’auteur à Leiber & Stoller. 

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             En 1972, Arthur Lee enregistre son premier album solo, Vindicator. Frank Fayad et Craig Tarwater apparaissent sur certains cuts, Charles Karp et David Hull sur d’autres. Arthur revient au pur jus hendrixien avec «You Want Change For Your Re-Run», mais avec une touche de Love en sus. Il joue ça à la meilleure heavyness californienne. Il se montre aussi très hendrixien dans «Love Jumped Through My Window», nouvelle envolée arthurienne pleine de détermination. La dominante de l’album est le heavy blues-rock de type «Hamburger Breath Stinkfinger». Frank Fayad est derrière et oh boy, que de son ! - Oh what a dish/ She smells just like a fish - On ne pourrait pas s’en lasser. Même chose avec «Busted Feet», chanté à la colère arthurienne, un modèle du genre. Autre heavy slab de blues-rock seventies : «Everytime I Look Up I’m Down Or White Dog». C’est gorgé de musicalité et de tout le génie arthurien des années de braise. Le Vindicator nous plonge là dans un océan de vrai son, dans une infinie jouvence de gras-double. C’est sur cet album qu’apparaît l’«Everybody’s Gotta Live» chanté au filet de voix. Le cut s’inscrit dans la veine de Forever Changes, comme d’ailleurs «He Knows A Lot Of Good Women» qu’Arthur chante fébrilement. On le voit s’engager dans de belles envolées, à cheval sur sa panacée.

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             En 1974, Stigwood et Clapton mettent le paquet pour avoir Arthur sur RSO : une avance de 100.000 $ ! Pour enregistrer Reel-To-Real, Arthur parvient à stabiliser l’équipe Melvan Whittington/Joe Blocker/Robert Rozelle, un Rozelle qui va être remplacé par Sherwood Akuna pendant les sessions. En réalité, l’album marque un changement de cap artistique. Après les extravagances baroques de Forever Changes, Arthur revient à ses racines, comme le fit l’ami Jimi avec The Band Of Gypsys. C’est le black roots album. On retrouve sur Reel-To-Real l’«Everybody’s Gotta Live» de Vindicator et une version très appauvrie de «Singing Cowboy». Les vrais hits se nichent en B : «Be Thankful For What You Got», fantastique groove d’élégance arthurienne. On se croirait chez Marvin. Avec «Busted Feet», Arthur s’en va rocker comme un punk black. Il reste dans l’hendrixité de choses, avec une énergie qui lui est propre. On trouve des choses intéressantes en A, comme ce groove doucereux intitulé «Time Is Like A River». Il passe en mode bluesy pour «Stop The Music» - I’ve been lonely/ And I’ve been blue - Mais rassurez-vous, il va mieux, I’m going to have a good time/ I’m going out tonite ! Puis il passe au funk avec «Who Are You» : il chante divinement, ça fourmille de percus et c’est cuivré de frais. Encore une belle leçon de polyvalence avec cette belle pièce de Soul arthurienne : «Good Old Fashion Dream». Reel-To-Real se veut nettement plus Soul que les précédents albums. Arthur avait prévenu le public, lors de la tournée anglaise de 1973 : «No more Forever Changes shit !»

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             Bel album que cet Arthur Lee paru en 1981, car on y retrouve Velvert Turner qui fut le protégé de Jimi Hendrix. L’album devait s’appeler More Changes et n’est jamais sorti. C’est Rhino qui l’a sauvé des eaux. Qu’est-ce qu’on dit ? Merci Rhino ! «One» vaut pour un joli mambo-rock arthurien, avec Velvert Turner à la gratte. On se croirait chez Gary US Bonds. Il faut attendre «I Do Wonder» pour voir Arthur renouer avec les mélodies évanescentes de Four Sail. Admirable musicalité de glotte. Arthur sculpte son son dans la matière mélodique avec une grâce qui relève de l’enchantement. On retrouve Velvert Turner en B sur «Bend Down». Il affranchit toutes les blanches et les noirs esclaves, le mec joue aux avalanches de cascades catatoniques. Pure démence - You’re my own desire/ You’re my soul invider - On trouve de la très belle pop ici et là («Do You Know The Secret») et Arthur finit parfois son cut avec des brouettes de brouet («Happy You»). Il reprend aussi le vieux «7 & 7 Is» en indiquant que ce titre de chanson évoque le fait qu’une copine et lui sont nés un 7 mars, mais il ajoute que ce détail n’a rien à voir avec la chanson. Il termine cet album ravissant avec «Stay Away From Evil», un joli coup de funk arthurien qui renvoie à Stevie Wonder. Encore merci Rhino !

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             Les fans sont tous allés piocher dans les CD New Rose parus dans les années 90, Arthur Lee And Love, réédité sous le titre Five String Serenade

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    et le boot Oncemoreagain. Einarson nous révèle que Patrick Mathé a payé une petite fortune pour avoir le roi Arthur sur New Rose : 40 000 $ ! Pour enregistrer l’album, Arthur a récupéré Melvan Whittington (gratte) et Robert Rozelle (bass). C’est la formation de Black Beauty. New Rose savait alors rater ses pochettes. Ils ont réussi à transformer Arthur Lee en clochard. La pauvreté du label explique peut-être l’absence de vision. On retrouve pas mal de hits comme «Five String Serenade» ou encore «Somebody’s Watching You». Ce démon d’Arthur crée forcément l’événement. En dépit de l’étranglement de carrière, il réussit à exister. C’est sa force. Il re-développe sa petite musicalité exponentielle. Il passe au balladif de fête foraine avec «You’re The Prettiest Song». Cet homme sait qu’il a du génie, mais on l’abandonne. Cet album live est parfois inepte, des cuts comme «I Believe In You» et «Ninety Miles Away» atteignent le fond. Il se réveille soudain avec «Love Saga» monté sur les accords du «Hey Joe» de Jimi Hendrix. Il est à bout de souffle mais il passe un joli solo d’harmo. Ils terminent avec un «Passing By» qui sonne exactement comme «Voodoo Chile» et Melvan y fait des siennes, en bon petit soldat. Il faut aussi se pencher sur le cas de «Seventeen», car il s’agit de sexe pur - Yes you and me/ You know what to do - La groupie a 17 ans - Yes you and me/ You know what I mean - Une fois que la groupie est entrée dans la loge, elle doit se mettre au boulot.

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             Quant au boot Oncemoreagain, il est enregistré à Londres en 1992 et dès «Alone Again Or», Arthur Lee nous inflige sa merveilleuse présence. C’est joué à l’exacerbée. On les voit cavaler ventre à terre dans l’«A House Is Not A Motel». Trop beau pour être vrai. Quelque chose de très spectaculaire se dégage de ce concert. Ça flûte sur «She Comes In Colours», comme dans Forever. Il tape un «Signed DC» imparable, puis il tire «Orange Skies» et «Seven & Seven Is» du sommeil de ses premiers albums. Tout est bien frénétique et chanté au bon vouloir du roi Arthur. Il se passe des trucs dans chaque cut, c’est même une musique beaucoup trop sophistiquée pour la scène. «That’s The Way It Goes» sonne comme une soft-pop admirablement sensitive. Puis il tape son «Little Red Book» à l’ancienne, bien tressauté du beat. Le roi Arthur maintient sa privauté. Et voilà qu’éclate l’effarant «Everybody’s Gotta Live» qu’il chante d’une voix particulièrement déliée. Il fait un clin d’œil à John Lennon en chantonnant le «And the moon shines on» d’«Instant Karma». S’ensuit un double hommage à son ami Jimi, «Passing By» et «Hey Joe». Il fait du Voodoo Chile heavilyfié à la mode arthurienne, c’est un cousinage qui effare, et il tape dans l’Hey Joe des Leaves, celui qui va vite. Les accords scintillent.

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             Love Lost et Black Beauty sont deux projets avortés et réédités longtemps après la disparition du roi Arthur. Le premier fut enregistré en 1971 et enterré in the vaults, comme disent les Anglais. Ce sont les fameuses Columbia Records Sessions qui devaient donner l’album Dear You. Le guitariste Craig Tarwater et le batteur Don Poncher remplacent Gary Rowles et George Suranovich. Le seul survivant de la mouture False Start est Frank Fayad. L’album est jugé trop anarchique par les gens de CBS qui du coup rompent le contrat et classent l’affaire sans suite. La plupart des cuts enregistrés lors de ces sessions vont heureusement refaire surface sur Vindicator, Black Beauty et Reel-to-Real. Ce Love Lost très hendrixien fournit l’occasion de rappeler que Jimi Hendrix et Arthur Lee partageaient les mêmes aspirations de liberté spontanée, dont l’incarnation est l’impro jazz, et qu’à la différence des petits culs blancs comme Clapton qui admiraient les blues masters, Jimi et Arthur avaient grandi avec. En plus de cette complicité artistique, ils cultivaient le même look, the black hippie look. Pour rigoler, le roi Arthur aimait bien dire que Jimi avait copié son look. Quand on écoute cet album sauvé des eaux aujourd’hui, on est choqué. Oui, choqué que les gens d’une maison de disques aient pu le condamner à l’oubli. Les deux clins d’yeux hendrixiens que sont «Midnight Sun» et «Trippin’ & Slippin’/Ezy Ride» valent tout l’or du monde. Le roi Arthur chante ça au meilleur feeling de la Table Ronde et son midnight sun is shining/ Shinig on my baby’s face tient du prodige, tellement c’est inspiré. Le coup de Jarnac de cet album mort-né s’appelle «I Can’t Find It». Pur jus de génie dévasté. Le roi Arthur crée les conditions de l’élégance. C’est d’une puissance hors normes. Il pousse son cut dans ses retranchements et ça gicle dans tous les coins. Voilà le génie d’Arthur Lee. Ça goutte littéralement de son. Il faut aussi l’entendre chanter ce superbe «Product Of The Times» monté sur un vieux groove de Frank Fayad. Le roi Arthur chante ça à la glotte effervescente. Il swingue sa pop-rock avec une sauvagerie indécente, et c’est probablement cette liberté de ton qui indisposa les gens de CBS. Arthur sait allumer un cut aussi bien que Little Richard. Il faut aussi se jeter toutes affaires cessantes sur le «Love Jumped Through My Window» d’ouverture de bal, car on l’entend donner des coups d’acou dans les ponts de la rivière Kwai. Ce mec sait chanter une chanson et gratter ses poux. Il sait mener la danse, hey ! C’est joué à la ferveur des coups d’acou, dans les règles de l’art du temps jadis. Il mène pareillement son «He Said She Said» d’une main de maître - You make me feel so good - mais avec le meilleur velouté d’asperge dans le ton. Et puis voilà l’excellent «Everybody’s Gotta Live» qu’on va retrouver sur Reel-to-Real, avec son fameux pendant philosophe everybody’s gonna die/ Before you know the reason why. On a là une version extrêmement électrique. De toute façon, avec Arthur, c’est toujours électrique. Il sait jouer à l’excès et ça devient extrêmement beau. On trouve aussi deux moutures de «Good & Evil» sur cet album, une première jouée à coups d’acou et à forte teneur bluesy, et la seconde solidement sexuée - She keeps me satisfied - Retour aux colonnes infernales avec «He Knows A Lot Of Good Women». Le nom d’Arthur Lee signifie excellence à tous les étages. Il faut voir comme il sait gérer les climats dramatiques d’une chanson. Et puis on les entend tous les quatre jouer leur va-tout blues rock, dans «Find Somebody». C’est une jam extraordinaire qui en dit long sur leur wilderness. Il manque l’envol de «Singing Cowboy», c’est vrai, mais il n’empêche qu’ils jouent tous les quatre jusqu’au bout du bout, surtout Frank Fayad qui n’en finit plus de pulser aux abois. 

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             Quant à Black Beauty, c’est aussi un projet avorté. Le label Buffalo Records, sur lequel l’album devait sortir, fit faillite. En 1973, Arthur s’entoura de l’équipe Melvan Whittington/Joe Blocker/Robert Rozelle - the all-black band - pour revenir aux sources. Avec cet album, il souhaitait vraiment prendre ses distances avec Forever Changes. Il voulait faire comme John Lennon, se forger une identité réelle et se détacher du passé. Pour y parvenir, il lui fallait un black rock band, même si la mort de Jimi Hendrix signifiait la mort du black rock. Joe Blocker : «Later we came to realize that with Jimi Hendrix’s death a door had beeen shut that would never be open again. Ever.» Blocker indique que Living Colour est un mauvais contre-exemple de cette théorie, car leur premier album n’a marché que parce que produit par Jagger. L’autre aspect fondamental qui caractérise l’ampleur artistique d’Arthur Lee, c’est qu’il incarnait la mutation. Il était the next step, après Jimi Hendrix, mais comme il jouait du rock, il se rendait invisible aux yeux du peuple noir. Déjà enregistré lors des Columbia Record Sessions, «Midnight Sun» réanime le fantôme de Jimi Hendrix - I don’t know the reason why - Arthur plonge dans la démesure d’over yonder - The midnight sun is shining - Clapton qui en 1974 avait emmené Love en tournée comparait Melvan Whittington à Jimi Hendrix - He’s got the same thing that Jimi Hendrix had - On le surnommait Melvan Wonder. L’autre point fort de Black Beauty se niche en B : «Lonely Pigs». Cet heavy balladif se situe dans la meilleure veine arthurienne. Voilà un cut élégant et sacrément élancé. On pourrait même parler d’une sorte de bénédiction cadencée, intense et troussée au pli de la hanche. «Lonely Pigs» est dédié aux cops et c’est l’une des rares occasions d’entendre le roi Arthur prendre un solo. Il rappelle qu’à l’âge d’or de Love, la police de Los Angeles les harcelait, à cause de la mixité du groupe. Et lui en particulier. Il dut apprendre à circuler dans les rues moins fréquentées pour éviter les contrôles. Avec «Can’t Find It», il renoue d’une certaine façon avec le rock magique, et des échos d’«Always See Your Face» traversent l’excellent «Walk Right In». Il s’agit en effet du même fil mélodique, celui qui rendait Four Sail si intensément désirable. On pourrait dire la même chose de «Stay Away», bien léché par des langues de feu hendrixiennes et tellement présent par le son. Le roi Arthur chante aussi «See Myself In You» au feeling pur, à l’admirabilis volubilis du vieux monde. Il chante dans la matière, au heavy mood arthurien. L’édition de Black Beauty sur High Moon Records s’accompagne d’un livret signé d’un certain Ben Edmonds qui documente extrêmement bien l’histoire de cet enregistrement. Comme les masters avaient disparu sans laisser de traces, le technicien en charge du projet dut repartir d’un test pressing que John Sterling, le guitariste blanc qui accompagna Love en tournée, avait su conserver en bon état. C’est l’histoire miraculeuse d’un album miraculeux. Parfaitement à l’image d’Arthur Lee.

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             Et puis un jour, en fouillant dans le bac fatigué d’un disquaire parisien, on chope le Shack ! Oui, cette absolue merveille qu’est Shack Accompany Arthur Lee - A Live Performance At The Academy Liverpool May 1992, un album paru en l’an 2000. Dans son petit texte d’insert, le roi Arthur dit son bonheur d’avoir joué à Liverpool et sa surprise de voir que les gens connaissaient les paroles de ses chansons. Il s’en dit bouleversé, au point d’envisager de venir vivre à Liverpool. C’est «Alone Again Or» qui ouvre le bal de l’A et Shack nous tisse la plus belle dentelle de Calais qui se puisse imaginer. John Head joue le lead de la mort fatale. C’est un enchantement. Et on en est qu’au début. Il y a tellement de présence scénique qu’on croirait entendre les Beatles. Voilà «Signed DC», et force est de constater que ces mecs de Liverpool restituent toute la magie de Love. Arthur passe un solo d’harp somptueux. Il joue des atonalités confondantes. S’ensuit «And More Again» qu’Arthur chante comme un dieu descendu parmi les hommes. Regain d’énergie avec «A House Is Not A Motel», à la fois très concomitant et toxique, les mecs de Shack surjouent la dentelle suprême et John Head passe un solo hot as hell. Pas de mélange plus capiteux que celui du roi Arthur et de Liverpool. Le festival se poursuit en B. Arthur se dit ému par l’accueil que lui réserve the Liverpool people, qui ont reconnu en lui l’un des plus beaux héros du rock world. «Hey Joe» s’envole avec le  stupéfiant backing de Shack. Ces mecs surjouent véritablement la wild psychedelia d’Arthur Lee. C’est le secret de l’art. «Passing By» est la version arthurienne d’Hoochie Coochie Man. Il faut voir comme ça délie derrière Arthur, il repasse des coups d’harp superbes et swingue l’écho du temps. Puis il éclate «My Little Red Book». Shack pulse le beat de Liverpool. Dans le Nord de l’Angleterre et en Écosse, on vénère autant Arthur Lee que Big Star. Pas de plus belle virée psychédélique qu’«Orange Skies», oh no no no. Shack sort un son de rêve éveillé, très distant dans la proximité. C’est d’une troublante retenue, d’un raffinement florentin qui en bouche en coin. Le roi Arthur boucle avec l’hommage déguisé à John Lennon et à son «Instant Karma», c’est-à-dire «Everybody’s Gotta Live». Il ne pouvait pas choisir plus bel hommage.

             Par contre, chez lui, ça ne se passe pas très bien. Diane le quitte en 1995, car il devient dangereux. Il est armé et il fout la trouille aux gens. Cette année-là, il est arrêté pour des coups de feu qu’il n’a même pas tirés. Il passe au tribunal en juin 1996. N’appréciant ni son attitude ni sa conduite, la cour le charge au maximum : 12 ans de centre pénitencier. Le juge le traite d’individu dangereux. Arthur est complètement sidéré par la violence de la sentence. Ses amis de Baby Lemonade qui assistent au procès sont terrifiés. Mike Randle : «Le juge a dit qu’Arthur était une disgrâce. Arthur était en état de choc. Le juge lui a demandé s’il avait compris ce qu’il lui avait dit et Arthur lui répondit que non. Mais son avocat à dit qu’il avait compris.» Arthur le redit avec ses mots : «J’ai été condamné à 12 ans pour un crime que je n’ai pas commis. Par un juge. Je veux dite que j’étais innocent et on m’a jugé coupable.» C’est un autre mec qui a tiré les coups de feu en l’air et qui est venu le dire et le redire à la barre. Mais rien n’y fait. Le juge veut la peau d’Arthur - Arthur Lee had finally hit rock bottom - Le pire est à venir : pendant qu’il moisit au trou, sa mère casse sa pipe en bois - That hurt me more than any sentence. Je n’ai pas pleuré. En taule, on ne peut montrer aucune faiblesse - Il ajoute que pendant son séjour au Club Med, Kenny Forssi et Bryan MacLean ont eux aussi cassé leurs pipes en bois.

             Quand il sort, il vit ce qu’on appelle la rédemption - I went from the cage to the stage - C’est le retour de l’âge d’or et des tournées de Love dans le monde entier, sauf au Japon, où il est interdit de séjour. Et quand il tombe malade, il n’en parle bien à personne. Ce serait encore selon lui faire preuve de faiblesse, et ça, il n’en est pas question. Jusqu’au moment où Baby Lemonade et Johnny Echols prennent l’avion pour Londres sans Arthur qui est trop faible pour voyager. Il leur demande de ne pas y aller, mais ils y vont quand même, car ils ont besoin de blé. Arthur se fâche avec eux.

             Et en 2005, il décide de revenir s’installer à Memphis. Einarson nous donne tout le détail du projet du Memphis Love avec Greg Cartwright, Alicja Trout, Jack Yarber et Alex Greene, en gros les mecs de Reigning Sound. Ils répètent chez un pote de Cartwight, Darcie Miller, sur Williford Street. Cartwright : «Arthur was going back to the garage band days, totally different from the Baby Lemonade thing. I’m just sorry the world never got to hear this band, because they were great.» Cartwright ajoute qu’ils revenaient au son du premier Love album et Johnny Echols devait se joindre au groupe, à la demande d’Arthur. Alicja Trout est elle aussi fascinée par Arthur le cowboy. Le groupe s’appelait The Memphis Love et Arthur prévoyait de l’emmener tourner en Europe. Il avait même composé de nouveaux cuts. Cartwright n’en finit plus de dire sa vénération pour Arthur : «Il marchait dans la rue et tous les kids et des vieilles dames qui avaient connu sa mère l’interpellaient : ‘Hey Po.’ Il portait un blouson de cuir à franges et un chapeau de cowboy ou alors un haut de forme et les gens disaient : ‘There’s that old rocker dude’. Les choses allaient plus lentement, à Memphis, c’est plus laid-back. Il était encore le grand Arthur Lee, il s’habillait et marchait comme une star et savait aussi être un ordinary guy.»

             Quand Greg Cartwright voit Arthur marcher dans la rue, il a l’air d’aller bien, mais en réalité, il tombe en ruine. Une leucémie le dévore vivant. Il souffre tellement qu’il finit par accepter d’aller à l’hosto. Mais comme il n’a pas de Sécu et qu’il n’est pas couvert, la note monte vite :  170 000 $ ! Arthur ne les a pas, forcément. Harold Bronson, qui est encore le boss de Rhino Records, lui file 75 000 $ ! LUI FILE ! Eh oui, c’est l’une des infos capitales de ce book : Harold Bronson FILE 75 000 $ à Arthur Lee. Extraordinaire Harold Bronson ! Pour le reste, Diane réussit à faire marcher son assurance maladie et des amis d’Arthur organisent un concert de soutien à New York avec Robert Plant, Ian Hunter, Ryan Adams, Nils Lofgren, Yo La Tengo, Garlan Jeffreys et Johnny Echols. Mais les médecins de Memphis ne parviennent pas à le sauver, et Arthur Lee casse sa pipe en bois en août 2006. Le roi est mort. Vive le roi !

             La suite au prochain numéro.

    Signé : Cazengler, Lee de la société

    Love. Love. Elektra 1966

    Love. Da Capo. Elektra 1966

    Love. Forever Changes. Elektra 1967

    Love. Out Here. Blue Thumb Records 1969

    Love. Four Sail. Elektra 1969

    Love. False Start. Blue Thumb Records 1970

    Arthur Lee. Vindicator. A & M Records 1972

    Love. Reel-To-Real. RSO 1974

    Arthur Lee. Arthur Lee. Rhino Records 1981

    Arthur Lee And Love. New Rose Records 1992

    Arthur Lee And Love. Five Strings Serenade. Last Call Records 1992

    Arthur Lee And Love. Oncemoreagain. Boot

    Shack Accompany Arthur Lee. A Live Performance At The Academy Liverpool May 1992. Viper 2000

    Love. Love Lost. Sundazed Music 2009

    Love. Black Beauty. High Moon Records 2011

    John Einarson. Forever Changes: Arthur Lee And The Book Of Love - The Authorized Biography Of Arthur Lee. Jawbone Press 2010

     

     

    Wizards & True Stars

    - Brown sugar (Part One)

     

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             Il existe deux films qui permettent d’approcher la figure emblématique de James Brown : Mr Dynamite - The Rise Of James Brown et Get On Up. Le premier est un docu extrêmement bien foutu signé Alex Gibney. Le deuxième est un biopic bien farci d’entorses à la réalité et signé Tate Taylor. Les deux films se complètent relativement bien et enfoncent le clou de l’essentiel : James Brown est un petit black parti de triple zéro pour devenir une sorte de dieu Pan black, car oui, le funk c’est du sexe pur. Get it together ! Right on !

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             Gibney lance son docu sur scène. So proud ! Beat des reins. Bobby Byrd présente James et derrière on voit Bootsy Collins, il n’existe rien de plus intense dans l’histoire de la Soul. Par contre, Taylor attaque son biopic par la fin, c’est le JB d’I don’t need no one en survêtement vert avec un fusil à pompe qui veut savoir qui est allé chier dans ses toilettes. Bhaam ! Il tire dans le plafond, première belle entorse à la réalité. Kabhaam ! Flashback. Il est au Vietnam en 1968 dans un avion canardé par les Viets. Le seul qui n’a pas peur dans l’avion, c’est JB - Kill the funk ? No way ! - Et là Taylor reconstitue le T.A.M.I. Show de 1964, out of sight, l’acteur qui fait Brown s’appelle Chadwick Boseman et s’en sort bien, avec sa veste à carreaux et ses pas de danse, Mashed Potatoes, semelles fluides, la main droite sur la nuque. Jag l’observe depuis la coulisse et va le copier. Enfin, essayer de le copier. Pauvre Jag.

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             Définir la Soul ? JB répond «can’t». Pour lui la Soul vient des coups durs. Extraordinary knocks. On en ressort a bit stronger. Abandonné à 4 ans. L’enfer du dirt poor. Cabane dans la forêt. Le père qui vire la mère et JB bambin qui fuit le dark dad dirt poor. Marche jusqu’à Augusta, en Georgie. Chante et danse pour des pièces. Toujours my shoeshine on my mind. Vol de fringues dans une bagnole. Ballon. Bobby Byrd lui demande combien il risque. 3 à 15 piges ! «For what ?». «Rob a suit !». «Rob a suit ?». Bobby le sort de là et se porte garant. JB part donc de double-triple zéro, et pourtant il est déjà très pointu : il vénère Louis Jordan - He could sing, he could dance, he could play blues, swing, bebop, the hip-hop of them times - Puis il cite Duke Ellington. Il cite aussi Little Richard et Frankie Lymon. Des modèles. Bobby Byrd a un groupe qui s’appelle The Famous Flames. Il propose à dirt poor JB un job de chanteur et l’héberge chez lui. La première chose que fait dirt poor JB, c’est de baiser la frangine de Bobby - I wanta get into it/ Man/ Like a/ Like a sex machine - Puis pendant l’entracte d’un show de Little Richard, JB et les Famous Flames montent sur scène, comme le veut la légende biopicale. JB va ensuite remplacer Little Richard pendant deux semaines dans un club. Débuts à l’arrache. Même plan pour Al Green au Texas. Tout se fait à l’arrache, chez les dirt poor.

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             C’est l’A&R blanc Ralph Bass de King Records qui signe JB. «Please Please Please». Big boss man Syd Nathan n’y pige rien. «Où est le reste de la chanson ? He said Please ! One word ! Gimme the song !» Heureusement, Ralph Bass a pigé. C’est Bass qui présente JB au blanc Ben Bart qui va devenir son manager. «Please Please Please» ? Hit mondial en 1963 - Oh please/ You can sleep another day/ My love  - Les blancs n’en reviennent pas. Suivi de «Try Me». Puis c’est l’Apollo d’Harlem, et Danny Ray, l’homme qui amène la cape. Il y a un Live At The Apollo dans chaque black house d’Amérique. Les DJs passent le Live en entier. I’ll Go Crazy ! Hundreds of shows around the black America - Maceo Parker ! 1964 ! Chevilles twisteuses et semelles glissantes, il refait les pas d’«Out Of Sight», on ne s’en lasse pas, il invente la Soul :

             — Ready Mister Byrd ?

             — Yes sir Mister Brown !

             — Are you ready for the night train ?

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             Night train ! - All aboard for night train - La folie pure ! JB danse la Saint-Guy avec ses trois choristes et fait le grand écart. JB demented ! Ah il faut le voir finir son T.A.M.I. avec «Please Please Please», la cape sur les épaules et s’écrouler avec le micro. Un dieu est né sous l’œil des caméras et les Stones assistent éberlués à l’heureux événement. Ils arrivent dans le show APRÈS JB, ils sont très pop. So ridiculous.

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             Ben Bart lance un nouveau concept : James Brown AND his Famous Flames, ses amis deviennent ses employés. Syd Nathan lui dit : «You’re the show. I’m the business.» JB voit les choses différemment : «Nous les blacks on est le show, you the white people keep the money.» Nouvelle incarnation du diable : le showbiz. The devil ! The white man. Mais JB ne craint ni la mort ni le diable. Il avance. Stay on the scene. Il rencontre Martha High en 1965. C’est lui qui la baptise High - I’ll call you Martha High - «Papa’s Got A Brand New Bag». JB invente le funk. Tout le monde danse. Maceo Parker passe des coups de sax demented. Jab’O Starks bat le beurre, 5 drummers on stage, the fantastic Mister Dynamite ! Get on down ! Fred Westley ! JB bosse comme une bête. Il aime la discipline. Et les fringues. Tout le monde s’habille. Il surveille même les fringues des choristes et de Martha. Ponctualité. Be positive. Pride. Il développe les valeurs du dirt poor. Quand Yvonne Fair monte dans le bus de tournée et que les mecs la sifflent, elle met tout de suite les choses au carré : «I’m Yvonne Fair ! I’m a singer !». Bon d’accord. Ils écrasent leur banane. JB arrive en 1966 devant les caméras de l’Ed Sullivan Show en dansant «Papa’s Got A Brand New Bag» - He ain’t no drag - Il a imposé la présence de son orchestre - You’re gonna see the James Brown show ! - James Meredith se fait buter, JB chante This is a man’s man’s world. Black Power ! Qui veut porter le message ? JB ! Il galvanise la foule à Jackson.

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             Soudain JB a une idée. Il demande à Pee Wee de l’écrire. Cold Sweat ! Pur funky stuff de 67 - Loose & tight at the same time. Jazz power ! Solo de Maceo Parker. Clyde Stubblefield, part man, part drum machine, le funk prend racine dans le jazz, dans la Soul et dans le Sex.

             Ben Bart casse sa pipe en bois en 1968. JB devient son propre manager. No friends.No close friends. Et Bobby Byrd ? JB n’a confiance en personne - Tu ne peux même pas faire confiance à ta mère. She left - He grew up with the idea you can’t trust anybody - Avec ses musiciens, il fait du biz - Je ne sais pas lire une partition, but I am the man - En avril 1968, le bon Doctor King promet the Promised Land et reçoit une balle dans le cou. Alors JB t’explique ce qu’est la Soul - Soul is when a man has to struggle all his life to be equal of another. Soul is when a man pays his tax and stay au second plan. Soul is when a man is not judged for what they do but for the colour they are - JB le dit avec ses mots de dirt poor. Il a sa grammaire funky. À Boston, il calme la foule qui menace de brûler la ville après l’exécution de Martin Luther King : «Je cirais les chaussures sur les marches d’une station de radio. Je gagnais 3 cents, 5 cents. C’est monté à 6. Now I own the radio station ! You know what that is ? That’s black power !» - I’m black and I’m proud !

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             JB à la télé, black dignity ! Say it loud ! I’m black and I’m proud ! Il enfonce son clou entre tes reins - Say it loud ! Change the dynamics of the United States ! Pur funk de petit homme noir. JB croit que si tu bosses dur, you can do it ! Il devient riche mais les Famous Flames se plaignent. Pas de blé pour eux. Juste le salaire. Que dalle pour les enregistrements. Les Famous Flames se mutinent. JB reste de marbre. Maceo Parker mène la fronde. Seul Bobby Byrd comprend que JB doit être on top. On doit tout à JB - Bobby explique à Maceo que JB a bossé dur pour être en haut de l’affiche et toi tu n’y arriveras pas. James is supposed to be in front, ça nous dépasse - The man’s a genius and he’s taken us with him - Les Famous Flames ramassent leurs cliques et leurs claques et se barrent - I never liked you - JB ne moufte pas. JB tout seul. Retour à triple zéro mais black and proud. Alors JB et Bobby Byrd qui lui est resté fidèle après la mutinerie ont un échange biopical historique :

             — Funk doesn’t quit.

             — There’s somuch’ it!

             — Are we done Mister Byrd ?

             — We’re done Mister Brown !

             — I think we got more funk in the trunk !

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             Alors JB envoie Bobby chercher Bootsy Collins et son frère Catfish qui jouent dans les Blackenizers à Cincinnati et lui dit de les ramener à Augusta. Avec Bootsy, ça vire encore plus funk - Gimme the one ! Every night - JB explose le Sex - Like a/ What ?/ Like a / What ?/ Like a sex machine ! Get up ! - JB réinvente JB. Hard funk - Get up/ Stay on the scene ! - Bootsy dit que Jab’O et Clyde must have been the funkiest drummers in the world. JB bat des bras en studio, Cold Sweat ! Jeu de jambes. C’mon ! Sur scène, c’est monstrueux. Laisse tomber les mots et danse - I’m black and I’m proud avec une énorme chorale de gosses black en studio. JB résume toute cette aventure vertigineuse d’une seule phrase : «I paid the cost to be the boss.» Même ça c’est un hit. Hit in the butt/ Stay on the scene !

    Signé : Cazengler, tête de broc

    Alex Gibney. Mr Dynamite. The Rise Of James Brown. DVD Universal 2015

    Tate Taylor. Get On Up. DVD Universal 2015

     

     

    L’avenir du rock

    - Obvious Jontavious

             Holaaa bijou ! L’avenir du rock arrête son cheval devant une vieille cabane branlante. Toc toc toc. La porte grince. Un vieux black squelettique apparaît. L’avenir du rock affiche son plus franc sourire :

             — Honk Tom, c’est bien ici ?

             — Yes sir Mister White.

             — Non, mon nom n’est pas Mister White, mais Mister avenir du rock.

             — Yes sir Mister White.

             — Non ! Je m’appelle Mister avenir du rock ! Vous êtes bouché ou quoi ?

             — Yes sir Mister White.

             — Bon alors je vais vous le dire en anglais : Mister future of the wock ! Vous voulez aussi que je vous le dise en Yoruba ?

             — Yes sir Mister White.

             — Ah vous êtes bien tel qu’on vous voit sur les boîtes de riz ! Je vous croyais plus évolué, plus conciliant, plus ouvert aux idées héritées du siècle des lumières et aux mutations sociales...

             — Yes sir Mister White.

             — Vous commencez sérieusement à me courir sur l’haricot ! Je me pointe chez vous, gentiment, dans l’idée de vous proposer une interview socio-éducative pour le compte du blog de mon ami Damie Chad, et voilà de quelle façon vous me recevez ? Comment osez-vous ? Ah je comprends mieux le Klu Klux Klan ! C’est pas simple de cohabiter avec des mecs comme vous !

             — Yes sir Mister White.

             — Si vous continuez à m’asticoter, je vais faire un malheur ! Faites gaffe, Honk Tom, j’ai les nerfs fragiles et le foie qu’est pas droit !

             — Yes sir Mister White.

             — Jontavieux schnoque !

             — No sir Mister White. Jontavious !

     

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             C’est ainsi, par le plus grand hasard, que l’avenir du rock a découvert Jontavious Willis. Il suffit parfois qu’une conversation dégénère pour occasionner une inexpectitude. L’avenir du rock adore ce genre d’inexpectitudes. Ce sont les meilleures. Elles craquent sous la dent.

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             Les temps changent. Autrefois, John Lennon chantait «Power To The People». De nos jours, on aurait presque envie de chanter «Power To Jontavious», surtout quand on l’a vu sur scène. Il annonce le retour des grands artistes. Pas d’amplis, pas de batteur, pas de rien : juste un pied de micro, une table de bistrot et sa gratte. Il a tout son petit matos dans la poche arrière de son gros falzar : le bottleneck et l’harmo. Voici quelques semaines, Jalen NGonda anticipait ce retour aux sources en se pointant tout seul au micro avec sa Ricken. Jontavious va encore plus loin dans la dépouille. Il n’a que sa gratte et son sharp gut de jeune black féru de blues.

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    Quand on le voit jouer, on comprend pourquoi on s’ennuie à l’écoute de son deuxième album : c’est un puriste. Il récrée l’enchantement des anciens princes du country blues, de Robert Johnson à Son House en passant par Blind Lemon Jefferson et Furry Lewis. Jontavious travaille dans la dentelle, mais avec une technique de jeu extrêmement rustique. Il fait un spectacle de son gratté de poux. Ce mec dispose de tous les talents, pas seulement celui d’un joueur exceptionnel. Il sait poser une voix qui est forte, il rythme son jeu en hochant la tête, et le plus important, il sait établir le contact avec son public, et ça, pour un jeune black sorti de Greenville, en Georgie, c’est un exploit. Il opère avec un mélange de candeur et d’humour qui finit par fasciner.

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    Il mobilise facilement le public, il demande aux petits culs blancs de faire le train - Ouuuh Ouuuh - alors les petits culs blancs font le train, oouuuh oouuuh ! Il raconte l’histoire d’une course entre deux trains, dont un Cannonball bien connu, et il rythme son train à coups d’harp. Il demande : Do we speed up ? La foule fait Ooohh oouuh ! Alors il passe à la vitesse supérieure, il bouffe son harmo, souffle de l’intérieur et gratte comme un démon. Il est tellement drôle et tellement vivant qu’il passe comme une lettre à la poste. Peu de gens sont capables de faire ce qu’il fait. Il balance à un moment une cover de «Milk Cow Blues» qui renvoie bien sûr à celle des North Mississippi All Stars, mais Jontavious a quelque chose en plus, une fluidité dans le feu de l’action qui fait la différence. Il file à cent à l’heure, mais avec des notes ailées. En l’écoutant faire le guignol, on réalise soudain que la milk cow, c’est une femme ! My milk cow’s gone ! Il s’amuse même à caler des petits medleys, Won’t You Be My Girl/ Stay on the Scene/ Like A Sex Machine, tout est gratté à la bonne franquette, il rigole souvent, il s’amuse beaucoup, il est content d’être là. Il doit très bien savoir qu’il sort de l’ordinaire.

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    Il adore les cuts expressionnistes, qui lui permettent de raconter des histoires, comme ce «Long Winded Woman», c’est-à-dire une pipelette, alors il mime la conversation téléphonique, blih blih blah blah, for hours, c’est elle qui blablate, Jontavious s’endort et se met à ronfler. Ça a l’air con, raconté comme ça, mais sur scène, ça marche, c’est même hilarant, car il orchestre tout sur sa gratte. Il est tellement doué qu’il réussit ce que peu de gens réussissent à faire : abattre les barrières de langage. Tout le monde le comprend et rigole à la moindre de ses vannes. Jontavious est une bête de scène.

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             Sa démarche est d’autant plus risquée qu’il tente de réhabiliter l’early country blues, celui, comme il dit, d’avant les guitares, quand il n’y avait que le chant. Et il y parvient, car il injecte tellement de vie dans son show qu’on finit par comprendre un élément fondamental : les vieux crabes du blues qui paraissent si «folkloriques» sur les albums, si conventionnels, devaient en fait être à l’image de Jontavious : seuls avec leurs grattes à l’entrée de plantations, ils offraient un spectacle aux ouvriers agricoles venus les voir pour se détendre. Et tous ces pionniers du country blues devaient forcément être bons, car ils gagnaient leur vie en jouant pour les plus pauvres parmi les pauvres, alors il fallait nécessairement qu’ils soient bon. Dans Deep Blues, Robert Palmer raconte l’incroyable histoire de la plantation Dockery, située au bord du fleuve, à Cleveland, Mississippi, un endroit où traîne, dans les années vingt, le plus légendaire de tous les bluesmen, Charley Patton. Même s’il est originaire de Georgie, tout le son de Jontavious vient de cet endroit, la plantation Dockery. Muddy, Charley Patton, mais aussi Pops Staples qui a grandi lui aussi sur la plantation Dockery, qu’il quitte à l’âge de 20 ans pour monter à Chicago - Charley Patton stayed at what we called the lower Dockery place and we stayed on the upper Dockery - C’est Charley qui pousse Pops à jouer de la guitare. Wolf traîne aussi à Dockery et c’est Charley Patton qui lui apprend à gratter la gratte, en 1929 - It was Patton who started me off playing - Wolf bourlingue aussi avec Robert Johnson et Rice Miller dans le milieu des années trente et prend en mains Johnny Shines et Floyd Jones. Jontavious recrée tout l’éclat de cette légende miraculeuse, celle des origines du blues. Voilà pourquoi il faut aller le voir jouer sur scène. Ce sera toujours mieux qu’Hollywood. Jontavious plante le décor et ton imagination fait tout le reste.

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             On ne perd pas son temps à écouter Spectacular Class, paru en 2019. Fantastique ouverture de bal avec «Low Down Ways» tapé au big heavy doom de lowdown, c’est violent et plus wild que le wild as fuck communément admis. Tu tombes de ta chaise ! Tell me baby ! Jontavious te balance dans la barbe le pire downhome boogie de l’histoire du downhome boogie, et c’est pas peu dire. On note la présence de Keb’ Mo’ on guitar. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «Friend Zone Blues». Pareil, il tape ça au stomp, ça te résonne dans les tibias. Jontavious peut se montrer heavy. Le reste de l’album est beaucoup plus classique. C’est même très ancré dans le mud. Pas de surprise. «Daddys’ Dough» est plus primitif et donc plus intéressant. Jontavious nous fait le coup de la cabane sèche - Aw play for me - On le retrouve tout seul au bord du fleuve pour «Take Me To The Country» et il revient au heavy punk blues avec «Liquor». Classic mais avec le Jonta mood. Et cette belle aventure se termine au banjo avec «The World Is A Tangle». Ce pauvre Jonta essaye de réinventer la poudre et ça ne marche pas à tous les coups. Le buzz s’est fourré le doigt dans l’œil. Le Tangle déçoit un peu, on croit entendre Clapton.

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             Son premier album Blue Metamorphosis est très différent. On a pu miraculeusement le récupérer au merch. Sur Discogs, il est intouchable. Au dos, on y lit une dédicace déterminante, celle de Taj Mahal : «That’s my Wonderboy, the Wonderkind. He’s a great new voice of the 21st century in the acoustic blues. I just love the way he plays.» Nous aussi, on love the way he plays. Il attaque avec un heavy country blues, «Ancestor Blues», qui ne laisse pas la moindre chance au hasard mallarméen. Tout est dans le coup d’acou, tout est dans la racine des roots, il claque ses cordes, il gratte tout ce qu’il peut. C’est l’énergie ancestrale du gratté de poux. Il redore le blason en bois du country blues. Il te le couronne à sa façon, avec rien, ces mecs n’ont rien d’autre que leur talent et leur mémoire. Il chante son «Drunk Sunday» à l’accent tranchant et il te claque au passage le meilleur beignet de Georgie. Jontavious n’en finit plus d’aplatir son clou, il est rompu à tous les arts des racines, il tisse de la dentelle de Calais à n’en plus finir dans «Colombus GA Blues». Il sembler créer son monde à chaque cut, il gratte «I Just Want To Be Your Man» aux accords atonaux. Jontavious serait-il un démon ? Et puis voilà qu’avec «Tip Toe» arrive l’orchestre : batterie, basse, électricité dans la cabane. Alors c’est parti pour le big boogie blues de «Graveyard Shift Blues». Il s’enflamme. Son boogie blues vaut bien celui de Lazy Lester. Il tape «Can’t Get Of The Ground» au chant tranchant et il envoie «I Got A Janky Woman» rôtir en enfer. 

    Signé : Cazengler, Jontenvieux con

    Jontavious Willis. Le 106. Rouen (76). 17 mai 2023

    Jontavious Willis. Blue Metamorphosis. Not On label 2016

    Jontavious Willis. Spectacular Class. Kind Of Blue Music 2018

     

     

    Inside the goldmine

    - April skies

             On l’avait surnommée Lady Apron. Traduit de l’Anglais, apron signifie tablier. Quand elle cuisinait, elle passait un tablier. Lady Apron, ça sonnait mieux que Lady Tablier. Elle se trouvait là en tant que seconde épouse du géniteur. Cette femme maigre aux cheveux noirs de jais puait littéralement le sexe. Vraiment. Si tu restais trop longtemps dans ses parages, tu commençais à bander. Comme le géniteur l’avait débusquée dans un bar, elle ramenait avec elle ses mauvaises habitudes, notamment le petit double Ricard du matin, sec et sans glaçon, en cachette bien sûr. Mais sa démarche incertaine ne trompait pas. Elle était pétée du matin au soir, et ceux qui ont fréquenté des belles femmes soûles dans les bars savent de quoi il s’agit : l’accès est direct. Pas besoin de baratin. Elles s’offrent si facilement que tu en es choqué. Sois tu as une belle pente à la lubricité et tu y vas sans ciller, soit tu la rejettes, dégoûté par sa vulgarité. Lady Apron savait distribuer les indices. Toute la «famille» passait l’été dans une belle villa au bord de la mer. Lady Apron se baladait en bikini minimaliste et prenait un malin plaisir à faire claquer l’élastique du bas, révélant le temps d’une fraction de seconde le haut d’une touffe noire gigantesque. Ta copine de l’époque ne pouvait pas rivaliser. C’est là que naquit dans le référentiel libidinal la notion de brune incendiaire, qui allait par la suite donner prétexte à une sorte de quête du Graal. Pendant l’année scolaire, nous habitions une grande maison en lisière d’un bois. On la voyait s’y enfoncer plusieurs fois par jour. Soucieux d’éclaircir ce mystère, nous profitâmes d’un jour où elle était en ville pour aller fouiner dans les bois. L’explication ne se fit pas attendre : à environ cent mètres, les buissons étaient littéralement jonchés de petites bouteilles vides, ce qu’on appelait autrefois des flash. C’était son cimetière des éléphants. Des centaines de cadavres ! Une consommation industrielle. Comme elle n’avait pas de permis, elle descendait en ville sur un deux roues, une sorte de mobylette qu’on appelait alors un Caddy. Elle bombardait et grillait les feux. Jusqu’au jour où un 35 tonnes la cueillit au carrefour. On le retrouva coupée en deux dans le sens de la hauteur. Éjectée assez loin, la partie du bas, avec les cuisses ouvertes, dessinait une sorte de signature grotesque.

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             Lady Apron et April Stevens n’ont pas que la consonance en commun. Elles ont une certaine ressemblance et un certain sex appeal.

             Peu de gens se souviennent d’April Stevens. On se souvient plus facilement de Nino Tempo, son petit frère, qui fut un membre du Wrecking Crew et un bon pote de Totor. Comme elle vient de casser sa pipe en bois à l’âge canonique de 94 ans, nous allons nous fendre d’un petit hommage funéraire, fallacieux prétexte à ramener dans le rond du projecteur une poignée d’albums qu’il faut bien qualifier d’exceptionnels.

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             Deep Purple date de 1963 et tu peux y aller les yeux fermés. Nino attaque son morceau titre d’ouverture de balda au chat perché perverti, il sait travailler sa pop de sweet love et on voit April entrer dans le chou du cut au sexe pur. On sent qu’elle est du cul, il suffit de voir son décolleté sur la pochette. Avec «Paradise», ils font une heavy pop décadente, ils s’écroulent ensemble dans de la pop d’élévation subliminale, leurs lalalas déraillent complètement. Bon, la fin du balda est assez planplan et il faut attendre «(We’ll Always Be) Together» en B pour aller groover sous les draps avec April, elle est fabuleusement sensuelle, elle y va au until the day I die/ You & me together. La cerise sur le gâtö est l’«I’ve Been Carrying A Torch For You So Long That I Burned A Great Big Hole In My Heart» du bout de la B. Nino y fait son heavy cowboy, c’est son côté Gene Clark, il t’explose ça vite fait, à la wild LA motion. Il te cavale sur l’haricot, il t’entache les trompes d’Eustache, il t’envoie des renforts, il a du génie. Nino est un wild cat et il sort les griffes. 

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             Ils récidivent l’année suivante avec l’effarant Nino & April Sing The Great Songs. C’est là dessus que tu vas trouver une version faramineuse d’«Honeysuckle Rose». Ah ouuh ouuh ! Wall of sound direct ! Nino grimpe tout de suite là-haut - You’re my sugar - Il fait les Beatles dans le jazz d’Arthur Lee. Et derrière, tu as des killer guitars, le standard s’écroule dans le génie des guitares électriques ! L’album grouille de coups de génie, tiens voilà «Stardust», April l’amène et Nino vient le vriller au chant, il te yodelle ça à merveille.  C’est dingue d’entendre un mec aussi doué. Ça continue en B avec «Whispering» et «My Blue Heaven», Nino te caresse l’intellect, il faut en profiter car ça n’arrive pas souvent. Nino le héros a découvert un secret : comment swinguer le yodell au hard drive. Encore une merveille avec «I Surrender Dear», il chante à la langue pointue, il te suce la cervelle. Quoi qu’il fasse, il est bon. Il explose les conjectures. Il est certainement l’un des artistes les plus doués de son époque. Il te yodelle n’importe quelle carte postale et tu cours pleurer chez ta mère. Il faut aussi entendre April attaquer «Tea For Two» au big swing du bar de la plage. Mais avec du son. Nino te concocte la sauce des jours heureux avec un power considérable. Sa tarte à la crème est un modèle du genre. Ce mec navigue en père peinard sur la grand-mare de la magie. Tu te régales de sa pop en forme de pâte d’amande.  

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             Paru en 1966, Hey Baby! grouille de hits, à commencer par le morceau titre, archétype du hit sixties, doux et tendre, mais ce n’est pas tout : Nino s’en va  friser son yodell. Avec «Swing Me», ils sonnent comme Sonny & Cher. Des cuts comme «Poison Of Your Kiss» et «Teach Me Tiger-1965», en B, sont plus que tendancieux. Et Nino attaque l’«I Love How You Love Me» signé Mann & Weil aux cornemuses. Et puis on le voit aller yodeller au clair de la lune avec «Think Of You». Fantastique artiste !

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             D’une certaine façon, All Strung Out est l’album de la consécration. Tout est bien sur cet album, la pochette dans l’escalier, la cover du «Sunny» de Bobby Hebb, qu’April attaque en se fondant dans le groove - Sunny one so true/ I lo-ove you - Cover de rêve, dans l’extraordinaire tourbillon des orchestrations. L’autre stand-out track est le morceau titre, du pur jus de Totor à la Riopelle. Et puis «Follow Me» qui bascule comme une montage dans le lagon d’argent, une pop rock à la Monkees, Nino & April sont des stars énormes, April éclate le Follow Me comme une noix, elle mène le bal des Laze, ils groove si bien tous les deux. Tout est beau sur cet album. Ils font de la Beatlemania californienne avec «Out Of Nowhere» et leur «Wings Of Love» sonne comme un hit de Mickey Baker. On s’effare encore de ce «Can’t Go On Living (Without You Baby)» co-écrit avec Jerry Riopelle, c’est encore un coup de génie, une pop d’une puissance imparable. «Bye Bye Blues» sonne aussi comme une énormité, ils sont dans le flow du flux, avec de pure racines beatlemaniaques et de l’allure d’allant californien. Et «The Habit Of Loving You Baby» tape en plein dans le Wall of Sound. C’est du pur Totor. 

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             Si on ne veut pas s’encombrer des quatre albums, ou si les étagères sont déjà pleines, il reste une élégante solution, fournie comme d’habitude par Ace : la compile Hey Baby! The Nino Tempo & April Stevens Anthology parue en 2011, sur laquelle tu vas retrouver tous les coups de Jarnac épinglés plus haut, le swing vite fait de «Deep Puple» et April qui y ramène du sexe, le Wall of Sound d’«All Strung Out», Nino le héros chante ça dans le dur du Wall, «Sweet And Lovely», cut de white juke, et April qui fait sa Motown girl dans «Wanting You», ils restent dans le Totor sound avec «You’ll Be Needing Me Baby» et tu retrouves l’imparable «Honeysuckle Rose» du deuxième album, cut après cut, tu es effaré par l’incroyable vitalité de toute cette fast pop, ils tapent «Follow Me» au burning hell, c’est-à-dire aux heavy guitares californiennes, avec une terrifique incidence de la prescience, on se croirait presque chez les Byrds, alors tu comprends, ce n’est pas de la rigolade ! Ce démon de Nino le héros tord encore le cou de «Whispering», il te yodelle ça par-dessus la jambe, il est partout, il est complet, il est magique, un peu graveleux parfois mais si inventif ! Encore un hit de choc avec «Hey Baby». Tu ne sais pas ce qu’il fait Nino ? Il l’attaque à la sifflette ! - Hey baby/ I wanna know/ If you be my girl ! - Il bat tous les records de délicatesse. Il tape encore dans la prod de Totor avec «The Habit Of Lovin’ You Baby». Explosif ! Dès qu’on a du Wall, ça explose ! Avec «The Coldest Night Of The Year» signé Mann & Weil, tu as le duo d’enfer de tes rêves inavouables. Nono et April sont magnifiques. Elle swingue le groove de «Lovin’ Valentine». Ces deux énormes artistes te fracassent la pop contre le Wall of Sound. Avec son sourire de cannibale, Nino passerait presque pour un féroce entrepreneur. April tape «Teach Me Tiger» au sexe pur et le «Boys Town» qui suit est encore explosé contre le Wall of Sound. Le cut est si bon qu’on le suspectait à l’époque d’être signé Brian Wilson. Nino te swingue la pop dans les règles du lard californien : «I Can’t Go On Livin’ Baby Witout You» est vraiment digne de Brian Wilson. Si tu aimes la pop à la Totor ou à la Brian Wilson, c’est Nino qu’il te faut. Il tape chaque fois dans le mille. April se prélasse encore dans le sexe avec «Soft Warm Lips», mais pas le sexe à la mormoille d’aujourd’hui, le vrai sexe, celui d’April Stevens, hanté par des chœurs de ghoules et des warm lipsssss.

             Dans leur booklet bien dodu, Mick Patrick et Malcolm Haumgart nous rappellent qu’avant d’enregistrer leur premier album en 1963, Nino et April étaient déjà des vétérans de toutes les guerres. Nino avait déjà rencontré Totor à New York en 1961 et il était le joueur de sax attitré du grand Bobby Darin. C’est d’ailleurs là, en Darin session, qu’Ahmet Ertegun repère Nino. Et pouf Nino et April se retrouvent sur ATCO. Les choses vont vite à cette époque. C’est le grand tourbillon des grands artistes, des grands producteurs et des grands labels. Comme Nino les connaît bien, il fait venir les gens du Wrecking Crew et pouf tu as Glen Campbell, Darlene Love et les Blossoms en studio pour «Sweet And Lovely». Totor veut signer Nino et April sur son label Phillies, mais ils restent avec Ahmet. Les deux bookletteurs ne tarissent plus d’éloges sur le deuxième album, Nino & April Sing The Great Songs, «which in the breath of its inventiveness, remains an absolute joy to listen to.» C’est exactement ça : cet album est un bonheur à la réécoute. Quand Nino et April quittent ATCO, ils débarquent chez While Whale, le label des Turtles, et Nino se met à bosser avec le poulain de Totor, Jerry Riopelle. C’est Bones Howe qui produit All Strung Out. Si Nino va mal, son pote Totor le fait venir à Londres pour traîner un peu avec les Beatles. Pour le remercier, Nino viendra jouer plus tard sur les albums de Dion et de John Lennon que produit Totor. Nous sommes dans la cour des grands.  

    Signé : Cazengler, Nino way out

    April Stevens. Disparue le 18 avril 2023

    Nino Tempo & April Stevens. Deep Purple. ATCO Records 1963 

    Nino Tempo & April Stevens. Nino & April Sing The Great Songs. ATCO Records 1964 

    Nino Tempo & April Stevens. Hey Baby! ATCO Records 1966 

    Nino Tempo & April Stevens. All Strung Out. White Whale 1967

    Hey Baby! The Nino Tempo & April Stevens Anthology. Ace 2011

     

     

    Stills Little Fingers

    - Part Two

     

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             Et puis il y a l’épisode Manassas. Joe Lala se souvient du groupe comme d’une chemistry parfaite. Lala se souvient que les membres de Manassas prenaient leur pied à jouer ensemble. Il a raison, ça s’entend sur le premier album. On entend même Fred Neil sur «So Begins The Task». Ils font la pochette à la gare de Manassas, en Virginie, car Stills est un mec féru d’histoire, notamment celle de la Guerre de Sécession. Il récupère Dallas Taylor pour ce projet. 

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             Les quatre faces du Manassas paru en 1972 ont chacune un titre. L’A s’intitule ‘The Raven’. Tu es tout de suite happé par le heavy groove de «Song Of Love». Pas d’autre mot possible : happé ! Une vraie merveille de retenue. Sylish Stills assène ses coups de boutoir au chant de bénédiction. Aw comme ce mec peut être doué ! Il chante dans la clameur du backing. «Anyway» est plus exotique, mais brillant. Sylish Stills est dans son élément, il a du son et se noie au yes I am, il s’en sort et s’ébroue au ain’t no proof. Ça grouille de try again. Tu touches là au cœur du mythe de Sylish Stills, il y va au anyway yes I will et cette façon qu’il a de le tenir ! Avec «Both Of Us (Bound To Lose)», il ouvre un monde. Comme son copain Croz, il se lance à la conquête d’un idéal de beauté qu’il va d’ailleurs niaquer avec un solo. On voit ce démon basculer dans l’enfer de Copacabana en claquant un wild solo d’acier. Il gère aussi son «Rock & Roll Crazies» en direct. Pour lui, c’est du gâtö, il a le meilleur groupe d’Amérique, on les voit sur le quai de la gare, Sylish Stills a des percus historiques, on se croirait à Cuba. La B s’appelle ‘Wilderness’ et tu y croises un petit balladif incrédule, «She Begins The Task». Il sait calmer un jeu, surtout après les heavy duties de «Colorado». Il chante ça à la finesse extrême d’un chant chaud. Comme John Cale et d’autres, il sait créer son monde, il finit son Task dans un bouquet d’éclairs de beauté. On sent une nette tendance country sur cette B, son «Hide It So Deep» est infesté de violons de saloon. On trouve encore deux merveilles inexorables sur la C qui s’intitule ‘Consider’. Sylish Stills y opère un retour au groove d’entre-deux avec «Move Around», il nous ramène dans son monde d’excelsior de Maldoror, you just move around, le son te scintille aux oreilles. Puis il te met la cervelle en cloque avec «The Love Gangster», un heavy shuffle manassien, il y ramène un power surnaturel, il transforme ça en groove pharaonique, il y va au place to hide et ça wahte sec ! La D s’intitule ‘Rock’n’Roll Is Here To Stay’. On l’y sent plus que jamais déterminé à vaincre. Mais son «What To Do» est très noyé dans la masse. Il trousse ensuite son «Right Now» à la hussarde, mais ça reste classique, sans surprise. «The Treasure» dure trop longtemps, même si ça reste solide et que ça tient debout. Il termine au bord du fleuve avec «Blues Man», il te gratte ça sec, c’mon strong, il en a les épaules.

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             Le deuxième album de Manassas paraît l’année suivante et s’appelle Down The Road. En B, tu vas tomber sur un «City Junkies» de rêve, infesté de pianotis de Stonesy, avec des échos de «Let’s Spend The Night Together», c’est dire jusqu’où va se nicher l’excellence, Stylish Stills chante à la clameur unilatérale - New York city took my love away - La grande force de Manassas, c’est le heavy goove, comme le montre le morceau titre, lui aussi en B. Ah il sait de quoi il parle le Stills, le down the road, ça le connaît. Quelle classe ! C’est puissant, plein de coups de slide, avec une rythmique d’acier. Encore du heavy groove en ouverture de balda avec «Isn’t It About Time»,  c’est même une énormité cavalante, pur jus de Stylish Stills, il pleut des coups de slide dans tous les coins, avec derrière une bassline de Fuzzy Samuel en acier trempé et les congas de Joe Lala. Stylish Stills refait de l’exotica avec «Pensamiento», et en B, «Guaguando De Vero». Il est bon à ce petit jeu. Il a gardé une profonde nostalgie de Porto-Rico. Il crée encore l’événement avec «Business On The Street». Il a vraiment un sens inné du rock. Cette belle aventure s’achève avec «Rollin’ My Stone», un cut de fantastique allure monté sur un bassmatic offensif et joué à petites touches incendiaires.

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             Sur Illegal Stills, Stylish Stills fait une belle cover du «Loner» de Neil Young. Il l’embarque fantastiquement au big beat, c’est bardé de son, avec un solo qui coule comme une rivière de miel dans la vallée des plaisirs. Il t’embarque ça avec le panache que l’on sait. L’autre standout de l’album se planque en B et s’appelle «Closer To You». Stylish Stills l’attaque aux harmonies vocales de CS&N, avec des nappes d’orgue et de la dentelle de Calais d’acou, ce qui te donne au final une merveille inexorable. Ce mec joue comme un dieu, il est bon de le rappeler. Il fait son ouverture de balda avec une fantastique Soul de rock, «Buyin’ Time». Il donne encore une grande leçon d’entrain californien avec un «Midnight In Paris» chanté à plusieurs voix : Donnie Dacu, Volman & Kaylan des Turtles. Avec «Stateline Blues», il s’installe au bord du fleuve, comme le font tous les artistes complets. Stylish Stills est le roi de l’omniscience. Il termine cet excellent album avec «Circlin’» un heavy rock punchy qu’il harangue à la voix cassée. On ne se lasse pas d’entendre chanter ce rock’n’roll animal, il tient son Circlin’ par la barbichette, et derrière, ça joue terriblement. Wow ! Quelle belle authenticité de la cité, tu peux difficilement espérer plus complet, plus carré d’épaules, plus véracitaire et soudain, le solo fonce comme une prodigieuse anguille dans la purée des turbulences turgescentes !

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             La pochette de Thoroughfare Gap n’est pas jojo - Stills fait son jockey - mais l’album est bon. La viande se planque en B, et on y va tout de suite pour se régaler de «Norma Lleva». Il chante son exotica à la voix cassée, comme le font les puissants seigneurs de l’An Mil. Puis il vire carrément hendrixien avec «Lowdown». Il le prend encore à la voix cassée. Il pue le feeling à dix kilomètres à la ronde et son solo de wah est un hommage à Jimi Hendrix. Le coup du lapin, c’est sa cover de «Not Fade Away» : fantastique pulsion du bassmatic, et solo liquide, alors t’as qu’à voir ! Sur ses albums, ce mec fait ce qu’il veut. Il te groove encore «Can’t Get No Booty» jusqu’à l’oss de l’ass, c’est un prince du jambon, un seigneur des annales bissextiles, un empêcheur de dormir en rond. Il fait encore du groove avec «Midnight Rider», c’est comme toujours extrêmement agréable à écouter. Même chose pour «We Will Go On», un big balladif équipé d’un solo idoine. C’est tout simplement imparable. Encore un slow groove violonné dans le lard de la matière avec «Beaucoup Yumbo», solide comme un rock, doux et tendre comme une fesse peinte par Clovis Trouille.

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             La pochette de Right By You n’est pas non plus très jojo. Dommage car au dos on le voit assis sur un hors-bord de compétition. Comme beaucoup d’autres, il n’aura pas échappé au fucking diskö sound («Stranger», «No Problem»), mais le rock’n’roll animal fait vite son retour avec «Flaming Heart», un cut qui sent bon la heavy Stonesy. Le mec qui duette au chant avec Stylish Stills sur «Can I Let Go» s’appelle Mike Finnigan. Comme il l’a déjà fait, Stylish Stills reprend une compo de Neil Young, «Only Love Can Break Your Heart». Il termine en mode heavy blues avec «Right By Now». Quel drôle d’album ! Ça part mal et ça finit bien. À l’image de la pochette : recto pourri et verso génial. 

             Au plan personnel, Stills ne se confie pas beaucoup dans Change Partners: The Definitive Biography, mais quand il le fait, c’est toujours très intéressant : «J’ai perdu le goût du succès à l’été 1980. Je me suis noyé dans le whisky pendant dix ans. J’ai complètement raté les années 80. Le fait que John Lennon ait été abattu de façon aussi minable a été un traumatisme, et c’est là que j’ai perdu le goût du plaisir.»

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             Ce serait une grave erreur que de faire l’impasse sur Stills Alone. Pourquoi ? Parce que serait se priver de deux covers magiques. Pourquoi s’infliger une telle privation ? La vie n’est-elle pas déjà assez cruelle comme ça ? Il commence par taper l’«Everybody’s Talking» de Fred Neil. Il le prend heavy à l’édentée. Il est marrant. Sans les dents, c’est encore plus explosif d’only the shadows of their eyes. Il en fait une version tellement dégringolée qu’elle en devient géniale, tricotée aux notes de rattrapage. Il en fait une merveille de va-pas-bien, il lui reste un peu d’influx pour monter au going where the weather suits my clothes, et il retombe, raide mort comme Ratso, dans l’excelsior de la désaille. L’autre cover miraculeuse est celle du «Ballad Of Hollis Brown». Stylish Stills est dessus, dès l’outside of town. Il le joue au solo d’acier de génie pur - So hungry he’s forgetten how to smile - Il honore Dylan à coups de wild guitar. «In My Life» montre clairement que Stills Alone est un album allumé, raison pour laquelle il vaut cher. Son «Singin Call» est calmé du jeu. Il vaut mieux être calmé du jeu que mou de genou. Il passe au vieux country blues avec «Blind Fiddler Medley» d’I lost my eyes. Il est encore plus black que les blackos des plantations. C’est une bénédiction que d’être attiré par les grands artistes, car ils te donnent tout ce qu’ils ont, et le grand art est certainement ce qu’il existe plus précieux sur terre. Puis il passe en mode Brazil avec «Amazonia». C’est dire si Sylish Stills a du style.

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             On voit au graphisme de la pochette que Man Alive est fait avec les moyens du bord. Allez hop, un petit coup de filtre Photoshop sur le dessin d’une tête de Stills et c’est dans la poche. Sur «One Man Trouble», Sylish Stills sonne exactement comme Ray Charles. Il est en plein dans le trouble. Il s’en va percher son junkie de no way out à l’overdrive. C’est lui qui joue le bassmatic sur «Round The Bend». On assiste au grand retour du rock’n’roll animal. Voilà un classic rock hérissé de riff raff, il dicte sa loi, il est merveilleusement classique, il remplit son groove à ras-bord de grosses guitares. Encore du panache de rock’n’roll animal avec «Ain’t It Always». Il y va à son corps défendant. Il reste au sommet de son style. Il se paye le bassmatic sur toutes les pièces de choix («Around Us», «I Don’t Get It»). Encore du heavy groove avec un «Wounded World» qu’il allume bien au chant, et il nous emmène faire un tour en Louisiane avec «Acadienne». Il te chante ça comme un black. On entend chanter derrière les grenouilles de Monsieur Quintron. Il termine en Spanish avec «Spanish Suite», il pousse bien le bouchon de superstarisation, mais il le fait à l’artistique, comme Croz. Ces mecs n’ont jamais vendu leur cul. Stylish Stills gratte ses espagnolades, tu peux lui faire confiance. Il te groove ça sur fond de piano jazz et c’est effarant.  

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             En 2013, Stylish Stills monte Rides avec Barry Goldberg et Kenny Wayne Shepherd. On trouve une cover étonnante sur leur premier album, Can’t Get Enough : le «Search & Destroy» d’Iggy & The Stooges. Étonnant, mais pas surprenant de la part d’un tel rock’n’roll animal. Two three four ! Et c’est parti. La mouture est plus pure, mais ramonée au gonna save my soul. Stylish Stills préserve l’esprit stoogy avec un solo en forme de coulée de lave. Il faut vraiment écouter ça. L’autre grosse cover de l’album est le «Rockin’ In A Free World» de Neil Young. Quel hommage ! Stylish Stills en fait une cover heavy as hell. C’est surchargé de son. Deux cuts brillent comme des phares dans la nuit à cause des killer solos : «Don’t Want Lies» et «Honey Bee». Il chante son Lies à la vieille édentée, il y croit dur comme fer, il a fait ça toute sa vie. Son chant de raw à l’édentée est une authentique merveille, et pouf, ça part en virée de Strato, on ne sait pas qui, de Stills ou de Shepherd, alors on parie sur Stills. «Honey Bee» est un heavy blues, propice aux départs en vrille, idéal pour un vieux crabe comme Stills. Il te mène ça à la main de maître. En fait, tu écoutes cet album avec un immense respect. C’est la suite de Supersession. Stephen Stills tape toujours dans le haut de gamme. Il tape son «Roadhouse» d’ouverture de bal au boogie blues plombé dans la mesure. Stylish Stills abandonne le style pour le gut. Véronique a eu raison de planquer son petit cul rose : Stills est un barbare, à l’image du dirty solo trash, les deux Stratos dégoulinent de pus, ça flic-floque dans une mare de pus. Les deux Stratos torpillent aussi le «Word Game» de fin. Ah il faut les voir attaquer le donjon, c’est du wild rock d’échelle d’assaut. C’est âpre et taillé à la cocote sous-jacente.

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             Un joli bouchon de radiateur orne la pochette du deuxième album de Rides, Pierced Arrow. Comme rien n’est indiqué sur la pochette, on va creuser un peu sur le web et on apprend que the Pierce Silver Arrow est une bagnole de luxe fabriquée en 1933 à cinq exemplaires. L’album est excellent. Dès «Kick Out Of It», on retrouve notre rock’n’roll animal préféré. Il a grossi mais il est encore capable de violentes attaques. Il n’a rien perdu de son appétit pour le wild heavy rock. C’est son truc. Wild rider ! «Kick Out Of It» est une véritable énormité. Tu t’inclines respectueusement devant ce vieux Stylish Stills. Il n’a jamais cessé d’allumer la gueule du rock. Et ça continue avec «Riva Diva», il y va de bon cœur. Il n’a jamais triché. S’il doit rocker, il rocke. Il te gave de son jusqu’à la nausée. Il attaque «By My Side» au heavy blues des seventies et recrée l’ambiance de «Season of The Witch». Il maîtrise parfaitement la science des solutions imaginaires et passe un solo sous les fourches caudines. Il revient au big heavy rockalama avec un «Mr Policeman» fast and wild. On entend ici et là des jolis killer solos. Stylish Stills ou Kenny Wayne Shepherd ? Va-t-en savoir. Il tape son «Need Your Lovin’» au fast boogie blast, balayé par des tempêtes d’harp et des killer solos. Il redevient le white nigger que l’on sait avec «There Was A Place», il s’accroche à sa falaise de marbre bec et ongles, il chante à l’édentée, comme un vieux nègre éclairé de l’intérieur, et il enchaîne ça avec un gros clin d’œil à Big Dix, une cover de «My Babe» jouée au big easy de revienzy. Et ça continue comme ça jusqu’à la fin, au wild guitar flushing avec un Stylish Stills qui chante à l’éreintée, sa glotte n’en peut plus, elle ahane au bord du chemin. Il finit avec un «Take Of Some Insurance», il chante son heavy blues à la demi-syllabe. Il a tout compris, c’est le chant parfait du nègre qui a paumé ses dents, il traîne ses demi-syllabes dans la salive, c’est un vrai coup de génie.

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             Bon alors voilà le fameux Bread & Roses Festival qui coûte la peau des fesses. Belle pochette mais le track-listing est foireux car la cover d’«Everybody’s talkin’» listée en bout de balda est en fait en ouverture du bal de B des cochons. C’est même le coup de génie de l’album. Comment ont fait les mecs du label pour se vautrer ainsi ? Va-t-en savoir ! Bon bref, l’hommage à Fred Neil est fantastique, Stylish Stills le prend avec toute la finesse dont il est capable, c’est-à-dire une infinie finesse - I can’t see the faces/ Only the shadows of their eyes - Ce live qui date de 1978 est une belle panacée de coups d’acou. Stylish Stills est invité au festival de Mimi Farina. Il retape sa cover de «Not Fade Away» et la bat comme plâtre. Les coups d’acou pleuvent. On comprend que Croz ait pu être fasciné par Stills. Un Stylish Stills parfaitement capable d’espagnolades, comme le montre «One Moment At A Time», le voilà en plein Bandolina. Stills nous fait le coup du gratté de poux surnaturel. En B, il rend hommage au Colorado à coups d’Hey Colorado, et un violon vient l’accompagner sur «Jesus Gave Love Away For Free». En D, il tape un fantastique brouet de «Crossroads/You Can’t Catch Me». Il est tout seul, mais il donne l’impression d’une immense profusion, il gratte des millions de poux dans l’éclair de sa majesté. Il est bien le roi des coups d’acou. Il pince et gratte à n’en plus finir. Puis il va jammer son vieux «For What It’s Worth» à l’éperdue exponentielle - Stop what’s that sound/ Everyboy looks/ What’s going on !

             Stills avoue qu’il n’a jamais réussi à égaler ses premiers succès : «Mes premiers succès étaient passionnés. En Vieillissant, on devient plus carré, mais on perd la liberté. On devient moins créatif. On devient trop bon. On perd de vue ce qui est important. On régresse. C’est pourquoi j’admire tellement Bob Dylan. Il a réussi à ne jamais perdre de vue ce qui est important». Roberts cite à la suite Andrew Loog Oldham : «On s’est tellement coupé du monde à cause de la technologie qu’on finit par ne plus savoir écrire que sur soi-même. Où sont les nouveaux Sam Cooke et les nouveaux Stephen Stills ? Qui écrit aujourd’hui des chansons qui créent du lien, et quand bien même seraient-elles écrites, comment peut-on savoir qu’elles le sont ?».

    Signé : Cazengler, Stephen Chti

    Stephen Stills, Manassas. Manassas. Atlantic 1972

    Stephen Stills, Manassas. Down The Road. Atlantic 1973

    Stephen Stills. Illegal Stills. Columbia 1976

    Stephen Stills. Thoroughfare Gap. Columbia 1978

    Stephen Stills. Right By You. Atlantic 1984

    Stephen Stills. Stills Alone. Vision/Gold Hill 1991 

    Stephen Stills. Man Alive. Talking Elephant Records 2005

    Stephen Stills. Bread & Roses Festival. Klondike Records 2014

    Rides. Can’t Get Enough. Provogue 2013

    Rides. Pierced Arrow. 429 Records 2016

     

    *

    Voici quelques années j’avons rencontré à La Comedia Lionel Beyet et les Missiles of October, z’avaient tous les trois donné un super concert, un peu assourdissant pour les oreilles fragiles, mais son label P.O.G.O, Pour des Oreilles Grandes Ouvertes annonce la couleur. Nous avons à plusieurs reprises chroniqué de groupes de son label : Heckek & Jeckels, ILS, Jars, Discordense, Enola, le dernier à qui nous avons porté attention TROMA, était étiqueté P.O.G.O. 167, le temps a passé, huit nouveaux titres se sont ajoutés à la longue liste, mais celui qui nous a attiré avec son air crâne porte le label P.O.G.O. 168, preuve que nous avons de la suite dans les idées.

    ECHO : ONE

    GHOST:WHALE

    ( P.O.G.O. 168 / Juillet 2022)

    Lionel Beyet : bass, samples / Yves Wrankx : bass, samples / Vincent De Santos : drums.

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    Si vous n’êtes pas paléontologue fiez-vous au titre de l’opus : la pochette représente un crâne de baleine, et puisqu’elle a une belle rangée de canines à rendre fou de joie les dentistes nous hypothésons de cachalot. Ouvrez la pochette, le dessin est de Mr Lib, alias Lionel Beyet.  Magnifiques ces occiputs de cétacées métamorphosées en têtes chercheuses d’Hydre de Lerne ou en doigts effilés de mains inquisitrices.

    Charmantes petites bébêtes je vous l’accorde, mais vous ne pouvez pas trouver de plus gros indice quant au projet du groupe. Tout le monde a entendu un enregistrement de chants de baleines. Elles chantent certes, mais peut-être leur chant comporte-t-il des paroles, disons des messages, des signaux, bref un langage plus ou moins élaboré. Ghost : Whale ne chante pas, leurs morceaux sont instrumentaux, ils créent de la musique, pas de mélodie, ils cherchent des sons, ils trouvent des sonorités. A l’auditeur de les interpréter à sa guise, de donner signifiance à ce qui n’est, à ce qui ne se veut, ni kaos, ni ordre, tout au plus des structures qui se suffisent à elles-mêmes, une courbe sur une feuille de papier, la rotondité d’un caillou, le profil d’un nuage, des formes qui au-delà de leur concrétude rejoignent l’abstraction pure.

    Prononcez le mot baleine et nos esprits occidentaux se représentent Moby Dick la baleine blanche de Melville. Le japonais embrayera sur Bake Kujira, littéralement baleine-fantôme, qui serait apparue à des pêcheurs qui auraient tenté en vain de la harponner. Elle était blanche et les harpons la traversèrent sans la blesser, d’où l’idée d’un squelette de baleine, il devait rester quelques lambeaux de chair puisque la légende conte qu’elle était suivie par des centaines de poissons et d’oiseaux…

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    Fungushima : le mot évoque autant la catastrophe de Fukushima, tsunami sur une centrale nucléaire d’où par dérivation atomique Hiroshima, que les paysages cartes postales de rizières étagées sur les flancs des montagnes… n’oublions pas que les japonais sont les derniers grands chasseurs de baleines… : pourtant dans une interview Ghost :Whale ne revendique pas tous ces faits comme des préalables à la création de ce morceau, le processus aurait été inverse, le titre aurait procédé d’un son qui ressemblait au bruit émis par un compteur Geiger, détecteur de radioactivité, n’empêche qu’entendant cette piste sans avoir pris connaissance du titre, j’ai tout de suite pensé à une noria d’hélicoptères déversant du ciment, non pas sur le réacteur de Fukushima mais sur un barrage ariégeois qui avait besoin d’être consolidé alors que je me trouvais avec des enfants dans la coulée naturelle d’épanchement des eaux… comme quoi même sans mot les phénomènes sonores parlent la langue de celui qui les écoute. Ceci mis à part, grâce à l’excellence du batteur l’auditeur ne sera pas dépaysé, les bruits électroniques divers, les marteaux piqueurs et les avions fusées ne le gêneront pas, l’on n’est pas loin d’un morceau d’heavy metal, sans guitare certes, mais l’ensemble reste d’une facture conventionnelle. The other side : l’autre côté de rien du tout, l’est vrai que l’on est dans la suite directe du précédent, mais il y a des bruits frisotants qui s’adjugent la place d’une lead guitar, les deux basses jalouses ramènent bien leur jus noir et leur plancher d’ébène, mais Ghost : Whale trouve toujours l’oriflamme d’un bruit à rajouter par-dessus, un sample de quelques mots joue le rôle du vocal, et ça repart comme en quatorze avec des glissements de shrapnels étincelants. Terminus, tout le monde descend. Elephant’s walk : l’on attend la lourdeur du rythme, davantage inattendu ce bruit de tubulure, le saxophone de Bruno Margreth qui bientôt se met à barrir comme un éléphant, les basses jouent à l’élastique, le sax barrit Lindon et barrit chien-loup, il pulse rugueusement de l’air par les narines, les basses en profitent pour faire trembler le sol sous leurs pattes mastodontiques ( retour de la vieille harmonie imitative de la prosodie classique ), se remémorer la marche lourde des éléphants de Leconte de Lisle qui traversent les étendues sableuses ( c’est leur côté stoner rock du désert ), en tout cas plus ils s’éloignent plus ils font du bruit, faudrait une formule mathématique pour expliquer ce phénomène de suramplification lointaine. Maintenant c’est tout le troupeau qui barrit, les éléphants ça trompe magnifiquement, le sax culmine en un énorme gargouillement, j’espère qu’ils ont prévu une tente à oxygène pour les premiers secours car ce cracheur de poumons Margreth a donné tout ce qu’il avait et tout ce qu’il n’avait pas, une performance. Ces trois morceaux ne heurteront en rien les tympans des auditeurs tant soit peu habitués aux outrances du noise et à la froideur de la musique industrielle. Ghost Whale : Attention nous entrons dans le dur, un titre de vingt-sept minutes, pris sur le vif, un enregistrement en studio live, à la manière de leurs concerts : compteur Geiger, et souffles du vent sur la mer, le tambour entrechoque incessamment des épaves sur des brisants, ruissellement d’écumes, cris lointains d’oiseaux, changement de climat, nouvelle séquence, tambourinade effrénée, presque lyrique, moteur d’hydravion, l’on est parti pour une grande aventure, l’étrave des cymbales zèbre l’élément salé, jusqu’au bout du bout, cris inarticulés, est-ce un monstre marin ou une poulie de la voilure qui grince, l’on s’installe dans un ronronnement régulier, toujours ce bruit, ce cri d’on ne sait quoi, d’on ne sait qui, quelqu’un de l’équipage répare une tôle à coups de marteau, la cadence faiblit, les cymbales rament à mort pour redonner de l’énergie au mou, n’y parviennent pas trop, l’on traverse sans doute une zone sargassique, l’on pointe vers l’immobilité, le moteur glougloute, doit y avoir un problème à l’arrivée du kéro, une note claire mais comme écrasée, une imitation du sax de Bruno Margreth, ne barrit plus, joue à la trompette bouchée des jazzmen, l’est un canard qui essaie de nous coincouiner un solo d’anthologie, ne se débrouille pas mal, n’est pas Armstrong mais il a l’âme strong, en tout cas par miracle le moteur a repris de la force, n’est pas au maximum, il peine, mais il s’entête, le volatile essoufflé s’est tu ; le battement de l’hélice a pris sa place, l’on avance avec difficulté mais l’on avance, l’on traverse de grosses vagues moutonnières, la carène bruisse lourdement, difficulté de l’épreuve, victoire l’on a repris le bon rythme, pas de pointe, mais de croisière, la batterie hoquette, tout va très bien, le tambour des eaux retentit, pas le moment de se décourager au milieu de l’aventure, vingt mille lieues sur les mers et la migration de baleines en vue, l’on entend leur cris qui se perdent, non les revoici, elles ne nous échapperont plus, affûtez vos canons harpons, la mer se teintera de sang, entendez ces satanés animaux s’égosiller, que de criailleries pour mourir, un peu de dignité demoiselles, l’homme est un loup pour les baleines, les cachalots se cachent à l’eau mais on sait les repérer, du calme, pas le moment de s’énerver, l’on en profite pour relire Pawana de J. M. G. Le Clézio.  Tout va bien l’ombre noire de la mort pousse son chant du cygne. Vous aurez beau ôter ce sens l’on saura le retrouver. OneZeroOne : ce n’est pas une allusion au principe de base de nos ordinateurs mais l’indicatif d’appel de la police japonaise : rythme ternaire, ne vous affolez pas l’on vous écoute, répète le sample, ne quittez pas l’on s’occupe de vous, vous enclenchez une mécanique, ne vous étonnez pas si elle se met en place, les secours viennent à vous, nous allons vous remettre dans le droit chemin que vous avez perdu, c’est bellement hypnotique et rassurant, un peu comme le cobra du voisin surgi de la cuvette WC car il vient vous rendre une visite, ne vous quitte plus des yeux, big brother is watching you, le sample reprend, des bruits sur votre porte d’entrée que l’on est en train de forcer, ne vous affolez pas le cobra est un drone envoyé pour surveiller vos moindres gestes, attention il est capable de s’insinuer dans votre cerveau et de lire vos pensées les plus secrètes. Terriblement inquiétant, je vais composer le 101, on ne sait jamais, mieux vaut prévenir que guérir.

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             Une écoute – et même plusieurs - s’imposent, vous n’avez pas le temps de beyet aux corneilles, z’avez beau essayer d’y échapper, vous ne pouvez vous empêcher de penser aux baleines, la musique pure existe-t-elle, serait-elle produite industriellement par l’ Intelligence Artificielle, le Moby Dick de votre pensée n’en finit pas de tourner dans le bocal de votre boîte crânienne. Etrangement tout cela nous fait penser au débat sur la poésie pure dans le premier quart du vingtième siècle dans ce même moment où Luigi Russolo écrivait L’Art des Bruits.

    Damie Chad.

     

    *

    Ayez une attention cérémonieuse, Kr’tnt ! ne vous met pas en relation avec n’importe qui : des maîtres Yodas. Ne soyez ni stupides ni mécréants, gardez pour vous vos commentaires genre : ‘’ ça n’existe que dans les films !’’. Bien sûr que ça existe puisque nous en avons trois d’un seul coup à vous présenter. Ce sont des yodas musicaux, attention pas de petits yodas de pacotille sortis de l’œuf, non des grands Yoga, en toute simplicité ils se font appeler Tall Yogas. Ils assument leur grandeur, n’affirment-ils pas qu’à eux trois ils sont capables de jouer tous les styles de musique et de faire toutes choses comme le Roi Lézard !.C’est peut-être pour cela que sur Bandcamp ils les ont classés dans les artistes de rockabilly, car s’ils énumèrent une floppée de genres à leur portée pour le rockab ils emploient l’expression everything-billy, ce qui permet un maximum de latitude.

    Deux albums et un EP 3 titres à leur actif, voici leur dernier EP quatre titres. Sont originaires de Poznam en Pologne.

    YODS OF THE FATHERS

    TALL YODAS

    ( Axis Cactus Records / Mai 2023 )

    Krauter Yoda : Adam J. Kaufman ; bass, vocals / Yoda in dub : Hugo Kowicki ; drums / Surf Yodler : Patryk Lychota : guitar, electronics, recording and mix.

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    La couve accroche l’œil, ces extra-terrestres en costards -cravates sortis tout droit de la Défense s’appliquant à danser le stroll en groupe, à moins, osons le pire, qu’ils ne s’appliquassent à reproduire la chorégraphie d’une vidéo de Michael Jackson, nous plongent tout droit dans un univers foutraque. Pour en avoir une autre idée filez sur You Tube visionner l’Official Vidéo du deuxième morceau de l’opus.

    Sans doute le nom de cet EP est-il ironiquement en relation avec Father Yod le leader charismatique ( et tant soit peu érotique) de La Source Family une des organisations les plus secrètes du New Age hippie.

    Captain pavement : tintements qui vous percent les oreilles, une basse qui fait de la gymnastique et une voix grave et moqueuse qui vous mènerait au bout du monde. Une guitare qui pianote forte. Un souffle de nostalgie, et tout s’embrouille un pont instrumental hyper sixties, ruptures clinquantes, un représentant de commerce vous fait l’article. Il est temps de vous réveiller c’est le matin, tubulures blues. Un voyage dans la musique rock du temps de l’insouciance à l’époque des brûlures. Wrists : ( Patryk Lichota : scénario, direction, caméra / chorégraphie : Monica & Hubert : Winczyk / Producteur : Yu Andriichuk ) : un slow sixties, enfin un slow rapide, de la réverbe oui, une voix un peu à la Johnny Cash, mais beaucoup moins mâle et posée, disons pas du tout le même individu, la même génération, moins de sérieux et un peu plus de frivole insouciance dans la dégaine, musicalement c’est vraiment bien foutu, mais la vidéo vaut le détour. Totalement déjantée. Ce n’est rien, un truc risible, au tout début vous n’y croyez pas une seconde, même si l’on vous a appris que la vérité sort du puits. De fait une simple parabole sur le désir. Un scénario kitsch, des acteurs improbables, tiens est-ce un sorcier ou une sorcière, ne soulevez pas des questions de ce genre, est-ce important ? Entre cirque et danse, entre fausse peur et magie, superbes mouvements de caméras et mine de rien une chorégraphie subtilement mise en place. Baiser final, âpre et romantique. Non ce n’est pas la dernière scène. Ce coup-ci on vous porte la vérité sur un plateau. Une des vidéos les plus rafraîchissantes que je n’aie jamais vue. Yods of the fathers : menuet sauvage, tambourinade effrénée, la musique fonce sur vous comme une torpédo rouge, une fanfare vous applaudit, vous avez aussi intérêt à éviter la suivante, le speaker dans son micro commente vos efforts, toute la cavalcade du cirque défile sur votre cadavre. Quand c’est fini, vous vous relevez en courant pour rejouer la scène depuis le début. Folie meurtrière des premiers films en noir et blanc sans paroles.

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    Etrange et captivant. Je reviendrai sur eux prochainement. A tout hasard, j’ai cherché sur FB, z’en ont un avec seulement quatre photos… Dernier détail qui me réjouit, ne sont pas présentés en tant que page  musicien / groupe mais en tant que  art du spectacle. Cirque, hurlez, il y a encore à voir.

    Damie Chad.

     

    *

    Thulcandra, groupe germanique de black and death  metal melodic vient de sortir son dernier album Hail on the Abyss. Nous ne l’écouterons pas cette fois. Nous le regarderons. Lui et ses prédécesseurs.

    Cette manière de faire peut paraître bizarre mais qui n’a jamais acheté un album totalement inconnu, dont on ignore tout, uniquement à cause de la pochette.

    IMAGERIE THULCANDRIENNE

    ( I : Descriptif )

    A proprement parler ce n’est pas le style de la pochette, ce qui ne signifie pas que je n’apprécie pas, de Hail on the Abyss qui a motivé cette chronique mais l’unité de ton de toutes les couvertures du groupe, manifestement derrière ce choix se cache l’idée que Thulcandra ne se contente pas d’enregistrer des disques les uns à la suite des autres, mais exprime ainsi la volonté explicite de créer une œuvre.

    Incidemment une manière aussi d’interroger le fonctionnement de notre blogue qui consiste à accoler systématiquement la pochette des disques au-dessus des paragraphes par lesquels nous rendons compte de leur contenu. Mais ceci est une autre histoire que nous développerons ultérieurement.

    Pour la petite histoire le nom de Thulcandra proviendrait d’un roman de C.S. Lewis intitulé Au-delà de la Planète Silencieuse ou Le Silence de la Terre, que je n’ai pas lu, auteur du Monde de Narnia, (un peu gnangnan) et détail beaucoup plus intéressant : ami de Tolkien.

    FALLEN ANGEL’S DOMINION

    Kristian Valhin The Necrolord (2010)

    Un simple coup d’œil aux cinq couves suffit pour en saisir l’unité thématique et picturale, elles ne sont pas pourtant du même artiste. Les trois premières sont signées de Kristian Valhin The Necrolord, agréable surnom qui fleure bon les vieux caveaux ensevelis au fond des cimetières désertés.

    Un tour sur l’Instagram de Valhin est sidérant, il a produit plus de deux cents covers pour des albums de Metal. Une deuxième constatation s’impose, il use souvent de cette couleur bleue si particulière, naïvement nous avions cru que l’illustrateur avait tenu compte des desiderata du groupe, apparemment il n’en n’est rien, c’est l’artiste qui a imposé sa griffe.

    Plus qu’un amateur de metal, il joue de plusieurs instruments, guitares, batterie, vocal, il a fondé ou participé à plusieurs groupes : Grotesque, Liers in Wait, Diabolique, Decollation, The Great Deceiver…

    Au terme des deux paragraphes précédents il serait facile de le stigmatiser comme un être qui abuse d’une démarche stéréotypique, et d’un naturel instable, alors qu’il est un véritable créateur et un chercheur au sens plein de ces deux derniers mots. L’on comprendra mieux sa démarche en citant quelques peintres qui l’ont guidé vers une certaine vision de l’univers : Gaspard David Friedrich, Albert Dürer, Hieronymus Bosch, son regard est enté sur cette période ultra-florissante qui court, parfois souterrainement, de la Renaissance au Romantisme. Une esthétique dont le mot d’ordre pourrait être de porter son regard au-delà de la réalité afin d’entrer en relation avec les archétypes du Rêve, celui-ci étant à la fois l’instant où l’Homme pense le monde autant que le monde pense l’Homme. 

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             Une image inversée du paradis. L’hiver et pas le printemps. La Vita Nova de Dante remplacée par les cercles de l’Enfer de la Divine Comédie. L’arbre au premier plan étend ses branches dénudées. Les brebis innocentes n’ont plus d’herbe tendre à paître. Au fond l’entrée des Enfers. Parodie virgilienne, ce n’est plus Tytire gardant son troupeau tout en modulant sur son pipeau à l’ombre fraîche des ramures ondoyantes, c’est la Mort qui joue de la flûte. Elle s’amuse à imiter le joueur de flûte de Hamelin. Le titre est sans équivoque tout le monde répondra à l’appel de l’Ange déchu. Pensons aux premiers vers de la première Elégie de Rilke : ‘’Qui donc, si je criais, parmi les anges m’entendrait’’

    UNDER A FROZEN SUN

    Kristian Valhin The Necrolord (2011)

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    Elle ne joue plus de son pipeau, elle le brandit tel sceptre. Déguisée en victoire de Samothrace. L’empire du monde est sous son emprise, elle domine les eaux et les montagnes sont le dossier de son trône. Elle a l’air de vaticiner mais elle ne dit rien, le monde est enseveli sous les frimas et les tourbillons de neige.  De sa posture se dégage une terrible impression de solitude. Sur quoi, sur qui peut-elle régner si les hommes et le monde sont morts.

    ASCENSION LOST

    Kristian Valhin The Necrolord (2015)

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    Elle n’est plus qu’une vieille femme accrochée à sa faux, elle regarde le chemin, elle sait qu’elle ne le reprendra pas. Autour d’elle des débris du monde dont elle a précipité la destruction. Ces trois images se lisent comme une bande dessinée. Le chemin ne monte pas, l’ange n’est pas tombé de très haut, il est juste tombé de lui-même. La mort est un phénomène naturel qui dort en nous et que nous réveillons peut-être à notre insu, peut-être que nous la désirons secrètement. Dès lors elle est notre prisonnière et nous sommes sa prison. C’est peut-être parce que l’on a crié trop fort que l’Ange est tombé. Tout appel ne provoque-t-il pas une réponse ?

    A DIYING WHISH

    Herbert Lochner (2021)

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             J’ai eu beau chercher je n’ai pratiquement rien trouvé sur Herbert Lockner à part deux autres couvertures de CD, d’un style qui s’apparente beaucoup aux dessins en blanc et noir des mangas, à tel point que je me suis demandé si ce n’est pas un pseudonyme, voire un hétéronyme de Kristian Valhin. En tout cas ce qui est certain c’est que cette quatrième couverture s’inspire des trois premières, à part peut-être le gros plan sur la tête très expressive de la Belle Dame sans Merci avec qui John Keats a échangé un baiser un peu plus prématurément qu’il ne l’eût espéré dans sa courte vie. 

             La mort ricane de toutes ses dents, au moins a-t-elle l’humour de rire d’elle-même, elle s’est prise à son propre jeu. Maintenant que l’univers est entré en glaciation c’est à son tour de subir les rigueurs mortellement climatiques de sa puissance. La mort est-elle morte, cramponnée sur sa faulx en ultime et vaine crispation instinctive de défense. Est-ce pour cela qu’elle a perdu son statut appelatif, qu’elle n’est plus désormais qu’une sorcière, presque une apprentie dukassienne qui s’est emmêlé les pieds dans sa pratique. 

    HAIL THE ABYSS

    Herbert Lochner (2023)

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             L’image précédente nous laissait dans l’expectative, si le monde est mort enseveli sous les froidures incapacitantes de la morsure de la Mort, la Mort peut-elle survivre. S’en tirera-t-elle, ou sera-t-elle par un miracle illogique tirée de sa léthargie, reverra-t-on le printemps et les douces fleurettes ? La réponse est catégorique. Certes elle apparaît vivante, montée sur une sombre monture, tel un des quatre cavaliers de l’Apocalypse, prête à semer la désolation aux quatre coins de l’univers. Le titre de l’album, nous indique une autre réponse. Manoeuvrant son fier destrier noir, elle n’est pas lancée dans un galop dévastateur sur la terre, au contraire elle passe l’entrée d’une bouche d’ombre grand-ouverte, autrement dit la Mort s’enfonce en elle-même, elle chevauche les abysses sans fond intérieurs. L’Ange Déchu n’en finit pas de tomber. Elle a touché le sol de la planète terre, elle croyait transformer cet espace géographie en un royaume absolu, ce n’était qu’un palier, il lui reste à parcourir ses propres abîmes infinis. Il lui semble, elle croit, qu’elle trouvera au bout de son chemin, un sol fondateur et asilique, elle caracole fièrement au-dessus de l’abîme, qu’en sera-t-il. Nous attendons la suite de cette metallique saga métaphysique.

    Damie Chad.

     

     *

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 27 ( Mélioratif  ) :

    162

    Le Chef dépose négligemment son Rafalos sur le bureau pour allumer un cigare. Le gars se prend pour un westerner, vif comme l’éclair il se saisit du Rafalos et le braque sur le Chef :

              _ Ah ! Ah ! On va voir maintenant qui est le Chef !

    Il s’est levé et semble tout fier de lui. Et tout à coup il hurle et se baisse vivement, dans sa précipitation il laisse tomber le Rafalos, l’a besoin de ses deux mains pour les plaquer sur ses mollets sous lesquels se forme une petite marre de sang.

             _ Désolé, mais c’est encore moi le Chef, entre nous soit dit que j’ai horreur d’être dérangé lorsque j’allume un Coronado, Agent Chad au lieu de vous marrer comme une baleine franche, expliquez à notre nouvel ami pourquoi vous ne pouvez plus arrêter de rire.

              _ Ce sont mes chiens qui vous ont mordu cher Monsieur, deux bêtes adorables mais dans la voiture vous les avez traités de sales clebs, question honneur ils sont un peu chatouilleux ! Si vous êtes sage, ils ne recommenceront pas.

    Molossito et Molossa qui grognent n’ont pas l’air de cet avis, le Chef reprend la parole :

              _ Je vous félicite pour votre esprit d’initiative, toutefois si je peux me permettre un petit conseil, sachez que chez les agents secrets on tire d’abord, on parle ensuite. Ah, une remarque salutaire quand vous vous emparez d’une arme, vérifiez d’abord que son propriétaire ne l’ait pas, ne serait-ce que par mégarde, privée de son chargeur. Maintenant si vous vous abstenez de toute incartade pendant que je savoure ce Coronado, nous reprendrons cette conversation dès que j’aurai achevé le suivant.

    163

    Durant cet intervalle que je qualifierai de psychologique, le Chef ne tire que de petites bouffées très espacées, j’examine le zèbre, n’a pas l’air content, il boude, il ronge son frein, il fulmine, un cadre habitué à être obéi, sûr de lui, arrogant. Mon analyse est confirmée, à peine le Chef a-t-il craqué une allumette pour allumer son Coronado qu’il passe à l’attaque :

              _ Vous ferez moins les malins, je vous ai reconnus, facile avec vos deux bâtards, sont connus comme le loup blanc -Molossa et Molossito se regardent hésitants, doivent-ils le mordre pour le punir de ses propos attentatoires à l’encontre de leur pédigré ou lui pardonner pour les avoir comparés à un loup – le Service Secret du Rock ‘n’roll n’en a plus pour longtemps, dès demain matin dans le bureau du Président nous mettrons fin à son existence et déciderons de liquider ses agents !

    L’est tout content de ses propos à croire qu’il a inventé le fil à équeuter les haricots verts. Rabaisse vite son caquet après la réponse du Chef :

    • Nous vous remercions de bien vouloir vous soucier de notre avenir, mais Monsieur le Conseiller Principal du Président, c’est justement pour avoir un rendez-vous avec Monsieur le Président que nous vous avons un tant soit peu kidnappé, je pense que nous avons à discuter, en toute quiétude, au calme, dans un endroit secret, par exemple ici, dans mon bureau, si par hasard il acceptait je lui offrirais un Coronado, c’est dire si je tiens à cette rencontre ! Au plus vite, d’ici dix minutes.
    • Mais vous êtes fou, penser que le Président de la République acceptera, jamais de la vie ! Avec des assassins, qui avez tué mes deux gardes du corps, vous n’y pensez pas !
    • Parlons un peu sérieusement, je suis très peiné des deux gorilles échappés du zoo de Vincennes, mais ces macaques au front bas ne connaissent que la violence, nous avons dû pour des besoins de salubrité publique les euthanasier.

    Très cérémonieusement j’interviens dans la conversation :

              _ Excusez-moi Cher Monsieur, je vous rends votre téléphone, que vous avez laissé tomber lorsque Molossa et Molossito se sont laissé aller à de coupables atavismes, non pas votre portable personnel, l’autre la ligne directe avec le Président.

              _ Agent Cad j’espère que vous n’avez pas profité de cette ligne gratuite pour téléphoner à votre petite amie aux Etats-Unis ?

              _ J’ai juste passé un coup de fil au Président pour lui demander de venir nous rendre une petite visite, sans quoi il ne reverrait jamais son Conseiller Principal.

              _ Vous racontez n’importe quoi !

              _ Pas du tout, il m’a dit qu’il arrivait dans dix minutes, il s’est écoulé exactement neuf minutes cinquante secondes depuis la fin de notre conversation, un, deux, trois, quatre, cinq !

    Toc ! Toc Toc ! Avec diligence je me précipitai pour ouvrir.

    164

    Le Président était furax. Sans perdre une nano-seconde il apostropha vivement Monsieur le Conseiller Principal :

              _ Espèce de bâtard – Molossa et Molossito applaudirent vigoureusement de la queue – j’avais dit top secret, et vous venez vous jeter tout droit dans la gueule du loup – Molossa et Molossito ne purent retenir un ouaf de triomphe – le plan était parfait et par votre faute nous voici dans un beau pétrin !

             _ Monsieur le Président, je n’y suis pour rien, je n’ai pas dit un seul mot et je ne sais comment ils ont pu faire le lien !

    Le Conseillé n’a pas mal joué, l’a dirigé la foudre présidentielle sur nous. Le Président aussi furibard qu’un malabar se tourne vers le Chef :

    • Vous ne l’emporterez pas au paradis, je suis entré seul, mais sur toutes les marches de l’escalier il y a trois agents du GIGN qui s’occuperont de vous après cet entretien, vous voulez savoir, c’est très bien vous emporterez le secret dans la tombe !

    Le Chef allume un Coronado :

    • Monsieur le Président faites-nous l’honneur de prendre place sur une de nos modestes chaises, vous n’ignorez pas combien les services de l’Etat ne disposent que de fonds bien maigres, puisque vous êtes prêt à discuter causons !

    165

    Le Président s’est assis, il délègue la parole à son Conseiller Principal. Lequel se lève en nous adressant un sourire condescendant

              _ Vous n’ignorez pas que le Ministre de l’Intérieur, est aussi en charge du Bureau Central du Culte, voici quelques mois il nous a fait parvenir un rapport inquiétant. Depuis une dizaine d’années les plaintes s’accumulent. Beaucoup de prêtres s’indignent du fait de ne pouvoir exercer leur ministère dans les cimetières. En effet alors qu’ils essaient d’apporter aide morale et consolations aux familles et aux amis des morts, leur propos sont troublés par des musiques tonitruantes.

    Le Conseiller nous adresse un sourire de carnassier :

              _ Nous vous ferons remarquer qu’au niveau des dates nous nous trouvons face à une troublante concordance. C’est depuis dix ans que la génération des rockers commence à passer l’arme à gauche. Pourraient le faire en toute tranquillité, demander à ce que l’assistance fasse un moment de recueillement et de silence. Mais non exigent que leurs familles ou leurs proches passent leurs disques préférés : pour ce faire ils emmènent de préférence un gros ampli et passent en boucle des égosillements de sauvages, souvent des chanteurs noirs, que voulez-vous les familles chrétiennes supportent mal de se séparer d’un parent alors que dans la tombe à côté défilent des titres de Little Richard, de Gene Vincent, de Chuck Berry, d’Elvis Presley, de Bo Diddley, d’Eddie Cochran, qui recouvrent de leurs hurlements de peaux-rouges ivres de sang sur le sentier de la guerre les pieux cantiques modestement fredonnés par de simples âmes éplorées. Cette situation ne faisant qu’empirer, nous avons décidé d’y remédier.  J’espère Messieurs que vous serez en accord avec nous. Tout le monde a le droit de reposer en paix !

    Le Chef allume un Coronado avant de répondre.

              _ J’admets volontiers que les rockers forment un groupe social qui puisse être qualifié, de temps à autre, de bruyant, mais je ne vois pas où est le problème. Nous aussi nous recevons dans notre service bien des plaintes de familles insatisfaites d’avoir dû baisser le volume sonore du dernier adieu adressé à leurs compagnes ou compagnons, sur la pression de prêtres qui de leur côté entonnent des kyrielles d’hymnes insipides en chantant faux. Toutefois sous vos propos je subodore un-je-ne-sais-quoi, pour reprendre la formule d’un penseur chrétien contemporain, de beaucoup plus grave.

    A suivre.