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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 12

  • CHRONIQUES DE POURPRE 665 : KR'TNT ! 665 : JOEL GION / EMPTY FULL SPACE / SILVER LINES / MYSTERY LIGHTS / CLIFF NOBLES / DREAMLONGDEAD/ HORRENDOUS / BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ / JAMES BALDWIN / GENE VINCENT

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 665

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    14 / 11 / 2024

     

     JOEL GION / EMPTY FULL SPACE / SIVER LINES

    MYSTERY LIGHTS /  CLIFF NOBLES

     DREAMLONGDEAD / HORRENDOUS

    BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ 

    JAMES BALDWIN / GENE VINCENT

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 665

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - ExtenGion du domaine de la lutte

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             Joel Gion revient en force dans l’actu avec une grosse autobio, In The Jingle Jangle Jungle, sous-titrée Keeping Time With The Brian Jonestown Massacre. On saute dessus pour deux raisons évidentes : un, Joel Gion était devenu le chouchou de Jean-Yves (hello Jean-Yves !), et deux, Joel Gion est sans conteste le rocker le plus drôle de l’histoire du rock, c’est en tous les cas le souvenir qu’on a tous de sa presta dans Dig!, le magic movie d’Ondi Timoner, qu’on a tous a-do-ré. 

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             Et voilà qu’arrive ce pavé de 350 pages d’une rare densité, tant par les choix typo que par la qualité du style. Joel Gion est un fantastique écrivain. Il brosse bien sûr un portrait somptueux d’Anton Newcombe, et nous narre dans le détail l’histoire du psychedelic underground de San Francisco dans les années 1990. In The Jingle Jangle Jungle a tout du passage obligé. Au prix d’un billet de trente, c’est pas cher payé pour un passage obligé, autrement dit un classique d’art rock contemporain. Alors, on va te dire une fois encore : «Ahhhh mais c’est écrit en anglais», et tu vas devoir répondre une fois de plus : «Tu passes ta vie à écouter des trucs chantés en anglais, alors où est le problème ?» Au bout de 50 ans, on finit par se fatiguer d’avoir à rétorquer la même réponse. Les Anglais ont un joli mot pour qualifier cette tare typiquement française qui consiste à écouter des chansons sans comprendre les paroles : nonsense.

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             Un seul mot pour qualifier l’humour de Joel Gion : dévastateur. Un seul mot pour qualifier son style : rock électrique (au sens où l’entend Eve Sweet Punk Adrien). Un seul mot pour qualifier ce rock book : chef-d’œuvre. Ce qui donne en résumé : un chef-d’œuvre de rock électrique dévastateur, à ranger dans l’étagère du haut à côté des deux Nick Kent, des trois Andrew Loog Oldham, des trois Sweet Punk Adrien, des Mick Farren et des quelques autres régulièrement cités.

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             L’humour ! Joel se pointe dans une gare routière pour se rendre à Portland, et arrivé à la caisse, il se dit ça : «I’d always wanted to ask in my best Edward G. Robinson voice, ‘Shaay, shee, when’s the next bus up to Portland? Shee, meah.’» Il dit aussi qu’une nuit, il était tellement défoncé qu’il s’est endormi sur les marches d’une église et qu’il a été réveillé par la foule de churchgoers qui arrivaient pour la messe : il bloquait la porte. Revolution is not supposed to be easy, rappelle-t-il en bas de page. Dans un autre passage hilarant, Joel raconte qu’Anton lui propose de goûter le DMT - I take a hit. It kinda tastes like a tire. As I exhale the smoke away from me, a computer grid-like psychedelic world is released that comes toward me and surrounds the smoke from every direction, seemingly a melding of another dimension which I am also surruounded by - Bref, ça lui monte aussitôt au cerveau, il trippe comme un malade. Il tombe sur le dos et Anton lui replie les genoux en cadence sur la poitrine, comme pour sauver un noyé, «Out with the bad... in with the good... out with the bad...» Le trip tourne au gag. Pure ExtenGion. Et quand il dit qu’il n’apprécie pas trop la coke, il explique que c’est en fait «the key factor in why my brain still functions enough to even be writing all of this today.»

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             Joel est un remarquable styliste rock. Cette langue purement rock est celle qu’on recherche chaque fois qu’on attaque une autobio. Là, crack, c’est immédiat. Ça, par exemple : «What I did not see coming was that from that night forward I’d begun the bonkers, out-of-my-head journey that would eventually lead me to the mental state where playing the tambourine as a life-identity role made perfect sense.» Oui, Anton ne lui demande qu’une seule chose sur scène : jouer du tambourin. En quatre lignes, Joel résume tout l’épisode Brian Jonestown Massacre. C’est aussi l’époque du renouveau de l’underground à San Francisco, et il a une formule magique pour exprimer ça : «The underground rave scene is one of today’s major subcultures, and tonight its San Francisco Bay Area guard are currently holding ceremony on the outer edge of America.» C’est à la fois somptueux et vrai : on eut clairement l’impression à l’époque que le Brian Jonestown Massacre réinventait le rock, comme Loose Gravel, les Charlatans et les Groovies l’avaient fait auparavant. Ils ramenaient l’élément fondamental qui est l’excitation. Et il a les mots pour décrire ce qui se passe sur scène avec le groupe, et notamment Jeff Davies, truly a guitar player’s player : «His fingers began dancing a fast motion can-can up and down the fretboard doing this rockabilly country twang thing then suddenly spun around to show bare, ferocious garage-rock fangs. A fusion of both gorgeous melody and rotten trash that traded off and combined into metamorphosed melodies fluttering all around him like vampire butterflies.» Cette langue riche et imagée, tu la bois comme tu bois l’eau au sortir du désert. Car c’est bien de cela dont il s’agit : savoir dire les choses du rock, que ce soit dans le vécu ou dans l’écoute. Joel jongle à n’en plus finir avec des trucs de son invention, du style «pilled-out whiskey speed buzz-ball», des caravanes entières de mots valises, des mots qui parlent tout seuls, et si tu es traducteur, tu sais que c’est intraduisible. Aussi intraduisible que le sont dans des styles différents, Henry Miller, Bukowski et Milton Mezz Mezzrow. Pour décrire le coup de pied dans la gueule que lui envoie Matt Hollywood, Joel tape ça sur son clavier : «Instead, what happens is whacked-out whiskey-wasted Matt goes into such a football style wind-up kick that it even includes a run-up step and he kicks me right in the face as hard as he can.» Tout ça pour dire que Matt prend son élan et frappe dans la tête de Joel comme dans un ballon de football. On le voit d’ailleurs dans le Dig! movie, ça se bagarre pas mal dans le BJM. Anton a le coup de poing facile.

             Quand il monte défoncé dans le van, Joel s’écroule sur le siège passager, la gueule contre la vitre «and not even trying to hide the fact that I am fucked.» Il a aussi cette façon de décrire les parties et les backstages qui est assez unique - Backstage at La Luna, there’s all kinds of intoxicating options and after doing some rounds of the markeplace I pass on the coke, weed, ecstasy, acid and do a take-up on my old spirit chemical, speed - Et puis ça qui en dit long sur sa désinvolture naturelle : «Not to say Beatles boots are the most comfortable shoes out there, because they aren’t. But they’re not supposed to be; neither is life.» Ces traits d’esprit le situent admirablement bien. Il conserve une distance par rapport au manège du rock, même s’il passe le plus clair de son temps à se défoncer, mais l’esprit reprend toujours le dessus. Même quand il dégueule  - It was a thin but long healthy squirt fountain of fire-engine-red Kool-Aid barf. The sight of this gets me going again and I start convulsing like a cat with a hairball -  Et pourtant le fête continue, le groupe monte sur scène - The show is going rock solid and for me this is one of those unusual moments in life where all high expectations are fulfilled - Il sait dire l’intense bonheur d’être sur scène. Comme Will Carruthers au temps des Spacemen 3 et de Playing The Bass With Three Left Hands, il sait de quoi il parle.

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             L’héros du book, c’est bien sûr Anton Newcombe. Quand Joel voit Anton sur scène pour la première fois avec le BJM, c’est en 1991, en pleine vogue shoegaze anglaise : des groupes comme Ride et Lush jouent à San Francisco. Pour Joel, le BJM sonne comme les Spacemen 3, mais il se sert de ses influences pour en faire «his own new thing». Joel est aussitôt fasciné par Anton - There is an indescribable natural aura about him, a drugless zen of the kind that is up to the observer to find, because he himself seems to be uncounciuous of it. Like a cool vibe that comes with a house; it just is - C’est finement observé. Un mal dégrossi aurait dit d’Anton qu’il est «fucking great», et Joel préfère le «drugless zen of the kind that is up to the observer to find». C’est toute la différence entre un écrivain et un mal gégrossi. Joel raconte l’enregistrement du troisième album du BJM, Take It From The Man, et comment Anton apporte les dernières touches au «Sonic Big Bang» - One hour ago it didn’t exist. Now it does - C’est la façon qu’a Joel de résumer en une formule le génie sonique d’Anton Newcombe.

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             Joel quitte parfois le groupe, mais Anton est toujours content de le revoir - Il s’était fait couper les cheveux après la débâcle du Viper Room, et là, il revenait à son look Mod, portant un simple navy-blue pullover et un Levis blanc. Il me voit à travers la pièce et me fait un grand sourire. Time to get back to work - Ce book est aussi l’histoire d’une fantastique amitié entre Joel et Anton. Un Anton qui remet souvent les choses au carré. Joel le cite : «Je veux juste qu’on soit the best band we can be.» Et plus loin, il repart de plus belle : «The Beatles, Ha! Right ... Les Beatles jouaient dix sets par jour en Allemagne et ils sont devenus the best band on the planet. Est-ce que les autres membres du groupe sont prêts à ça ? Je me pose la question. J’en ai marre de perdre mon temps avec des mecs qui se plaignent que c’est dur.» Il ne faut pas perdre de vue qu’Anton est une locomotive. Sans locomotive, les groupes ne vont nulle part. C’est pour ça qu’à un moment, les BJM ne sont plus que deux : Anton et Joel - Dean, Matt, Peter, Brad and Jeff were all gone now for their individual reasons - Anton continue d’avancer, il se maque avec un nouveau manager, Michael Dutcher - He’s a big Allen Klein type fo guy who has perhaps watched Martin Scorsese’s mafia films too many times - Mais il a, nous dit Joel, «proper industry connections». C’est là qu’Anton commence à porter une toque en fourrure, «David Crosby hat», une tunique blanche, un Levis blanc «and Easy Rider style yellow-lensed glasses» qui lui donnent «that psych-business casual look that signifies preparedness fort the next level.» Et puis ça, qui en doit long sur la nature profonde d’Anton Newcome : «Traditionally, Anton a toujours donné le meilleur de lui-même lorsqu’il était acculé dans les cordes. Je n’ai jamais vu personne réussir à évoquer the best elements of the tried and true and yet dismantle and distill them down into a sound totally anew. This is what they mean by the real deal.» C’est un hommage superbe à la modernité d’Anton Newcombe. Tous ceux qui ont écouté les albums du BJM depuis Methodrone en 1995 jusqu’à The Future Is Your Past savent de quoi Joel parle.

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    ( Jerome Green aux maracas)

             On a bien sûr dans le book tout le détail des aventures du BJM. Joel est engagé comme joueur de tambourin. Il faut juste qu’il trouve «the key to timing», pas facile lorsqu’on boit du rhum et qu’on monte sur scène avec des lunettes noires. Il doit se caler sur les instruments et jouer «from the inside» - The goal was to learn to feel the inside, not to play it - Il s’amuse bien avec cette notion d’inside. Il se voit comme Gene Clark, a tambourine-player frontman. Il cite d’autres cracks du tambourin : Nico, Mark Volman, Davy Jones des Monkees, et bien sûr «the original ‘maraca man’ in rock», Jerome Green, qui accompagnait Bo Diddley. Bring it to Jerome !

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             À l’époque, Joel découvre les Mary Chain sur scène au Fillmore - Their album Stoned & Dethroned provided many of my summer anthems - Il trouve que les frères Reid «looked like tousled versions of a ‘66 dandified Dylan who’d joined The Velvet Underground.» Et il rend hommage à l’un des hits les plus ultraïques de l’histoire du rock : «William Reid’s very impressive all-in-one beer chug during the noise solo section in the yet-to-be released ‘I Hate Rock’n’Roll’.» Il rend aussi un hommage bizarre aux Dandy Warhols : «They were playing the best music I’d seen from people my own age since I first saw The Brian Jonestown Massacre at the Peacock Lounge four years ago.» Eh oui, le «four years ago» ne fait pas de cadeaux. Le BJM était et reste toujours en avance sur son temps. C’est exactement ce qu’on voit dans Dig!. Le Dig! movie ne parle que de ça.

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             Joel évoque aussi Oasis. Il aime bien le son d’Oasis, pas Anton qui trouve que ça sonne trop Tom Petty. Mais Joel en pince véritablement pour «Columbia». Joel tente de faire copain-copain avec Noel Gallag en lui proposant «the most righteous speed you are ever gonna do», mais Noel Gallag lui dit «No thanks. We only do coke» et lui referme la porte du tour bus au nez, le laissant comme deux ronds de flan. L’autre grand cake qu’on croise dans ce book, c’est bien sûr Greg Shaw, qui vient de sortir Thank God For Mental Illness avec Joel sur la pochette, «doing my best Christopher Lee as Dracula.» - Greg was hyper-intelligent, an absolute sage of the cool side of guitar-based music - Joel avoue aussi une petite obsession pour Easy Rider. Il croise parfois Peter Fonda, mais ça ne se passe pas très bien. Joel assiste à une projection de The Hired Hand et à la fin, il y a un débat avec Peter Fonda. Alors Joel lève le doigt et demande : «I was wondering if you could explain what you meant when you said ‘We blew it’ toward the end of Easy Rider.» Fonda ne répond pas et indique à la salle qu’il est venu pour parler de The Hired Hand. Ce qui est humiliant pour le fan Joel. Il y revient à la dernière page de l’autobio, quand Anton lui raconte qu’il s’est retrouvé dans la queue du Sunset Ralph Supermarket et que Fonda a levé le pouce en signe d’admiration pour la façon dont Anton et sa poule Tara étaient habillés, «he was just all smiling and nodding at us like ‘Yeahhhh’h, then put his thumb up because he knew we knew and he was totally diggin’ it, ya know?» Évidemment pour Joel, c’est un choc, mais il répond : «That’s soo cool!» Because that’s exactly what it was.

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             Sur scène, à côté d’Anton en Levis blanc et en pull bleu marine, il y a Dean Taylor, good-looking sur sa gratte. Sur scène, Joel est systématiquement out of his mind - The amount of valium pills I’d taken along with whiskey and beer plus the fresh-from-the-garage-lab snorts added up to an equation that now has me slightly hovering above the stage floor during our entire set - Et bien sûr, il n’est pas le seul a être complètement défoncé. Joel disparaît de la circulation pendant l’enregistrement de Their Satanic Majesties Second Request, le quatrième album du BJM. Il dit que l’album sonne comme «a modern experimental version of classic experimental sounds; It didn’t sound like any other band from back in the day and especially not now.» Et il ajoute, émerveillé : «I was listening to one of my favourite albums I’d never heard, encoding itself into me in real time.»

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             Trois albums coups sur coup, Their Satanic Majesties Second Request, Thank God et avec Mental Illness qui vient de sortir : il est temps de partir en tournée - It’s time to roll hard with it, and yet somehow because of the drugs I still find myself currently go-go dancing the line between realist of the for-realest and complete fuck-up - Joel va nous décrire ça dans le détail. Les tournées sont un désastre complet : pannes de van, salles vides, bagarres, pas de blé, désertions. Joel avoue avoir oublié des épisodes entiers - Because from here, I have a drunken memory blackout - Il évoque le show catastrophique du Viper Room, où Anton vire tous les musiciens et leur pète la gueule. Ça bascule dans le chaos «with the rest of the band crawling on the stage floor in dazed confusion before being physically thrown out the stage door by club security.» C’est du sabotage. T’as les gens d’Elektra dans la salle. Anton détruit tout. On voit la scène dans le Dig! movie.

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             Chaque fois qu’on revisionne le Dig! movie, il paraît toujours plus sombre, plus violent, un peu comme Performance. Ça démarre pourtant sur un flash de modernité avec le BJM sur scène en 1995, c’est très anglais, avec Joel/bug eyes/maracas/Jack Flash/Brian Jones. Pour un groupe américain, c’est fabuleux d’anglophilie. Les commentaires vont bon train : le BJM interprète the past et se projette into the future, c’est exactement ça. Mais c’est le groupe d’Anton. Pas de place pour les compos de Matt Hollywood qu’on voit chanter «Give It Back». Le chaos est omniprésent. Joel dit qu’il a déjà 21 départs officiels du groupe à son actif. Ondi filme aussi the Larga house. Pas de meubles. Tout par terre. Puis t’as la première tournée américaine, avec des salles vides (Cleveland), et à New York, Anton vire Dave, le manager. Il récupère un peu de blé et achète un van pour aller tourner dans le Sud. Ondi filme le contrôle de police à Homer, Georgia. Le film est affaibli par tous les plans des Dandy Warhols qui eux deviennent des stars en Europe, avec de moins bonnes chansons. On retrouve Anton à New York en Crosby hat et patins à roulettes, il se casse la gueule. Not If You Were The Last Dandy On Earth ! Ce film est décidément violent, peut-être trop cru. Pas de tout repos.

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             Qu’on se rassure, Anton et Joel vont se réconcilier. Mais Anton remplace Joel sur scène par Sophie, sa poule française. Joel sait qu’il est plus proche d’Anton qu’elle ne l’est, parce qu’il a appris à cultiver avec lui «a power of unspoken understanding, a state of not needing  to verbalize every angle of our points.» Joel se retrouve à Portland avec le couple. Ils partagent un matelas tous les trois dans un studio. Joel n’est pas très bien - I was broke, dirty and my feet permanently hurt, but I loved it - C’est sa façon de dire l’abnégation. Il a tout quitté pour le groupe, un groupe qui est à la ramasse financièrement. Il ne possède de rien, il n’a même pas les bonnes pompes, mais il fait partie du BJM, et c’est ça le plus important. En 1997, Anton, Sophie, Matt, Brad, Dave et Joel redescendent en Californie pour un nouveau départ. Greg Shaw leur a loué une baraque au 3261 Larga, en échange de leur prochain album. Il y a en plus Peter Hayes, futur Black Rebel Motorcycle Club. Ils se répartissent les chambres - Joel et Matt dans le salon, Brad dans une chambre, en face, Peter, Jeff est dans un placard, Anton et Sophie ont une chambre avec une salle de bain. Dave a pris la petite pièce attachée au garage. Pas de meubles, bien entendu. Alors Brad ramène une télé et Anton soupire : «Great, now all we need is a cement truck.» Le concept de la Larga house est le même que celui de la Woodland Hills house, sur Ensenada Drive, où Captain Beefheart a séquestré son Magic Band pendant 6 mois, pour enregistrer Trout Mask Replica.

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             Puis il y a ce drug bust sur la route, tel qu’on le voit dans le film. Dean et Brad quittent le groupe. Ondi a une place dans son SUV pour rentrer en Californie, alors Joel ne peut pas résister, il en marre des errances et des pannes du BJM, et il décide de rentrer au bercail. Ne restent plus que trois survivants : «Anton, Matt et Peter would soldier on like The Kingston Trio or something.» Mais au moment de faire les adieux, on lui fait remarquer qu’il est le seul à avoir son permis de conduire, alors il est baisé - Fuuuck... Just like in The Godfather III, man. ‘Just when I thought I was out, they pull me back in!’ - Ils repartent et le van tombe en rade - the engine throws a rod - Ils se garent derrière les poubelles d’une station-service pour éviter d’attirer l’attention - For the next three days, we are a bunch of Californian hippie rock weirdos hiding in a van behind a garbage dumpster at a gas station in Butts County, Georgia - Toutes les situations que décrit Joel ressemblent à des gags : toujours cette distance et cette fabuleuse auto-dérision. Avant de devenir les superstars que l’on sait, le BJM est un gang de losers - After the New York disaster, the North Carolina disaster, and both Georgia disasters, we are all commited now to the grand delusions of surviving this whole thing - Ils collectionnent les disasters. Peter Hayes quitte le groupe pour aller monter The Black Rebel Motorcycle Club. Puis les derniers survivants abandonnent Anton qu’ils surnomment the mustache en pleine nuit, prenant garde de ne pas le réveiller - Puis on s’éloigne dans la nuit. Anton se réveillera demain matin pour voir qu’il est tout seul pour finir les deux dernières semaines de la tournée. Je me dis que j’ai quitté le groupe pour de bon, I’m gone for good - L’histoire du BJM n’est que ça, une succession d’incidents, un chaos constant. Anton va d’ailleurs finir la tournée tout seul. Pas de problème.

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             Il va bien sûr récupérer Joel. Puis c’est l’album du succès, Strung Out In Heaven.  Joel est fasciné de voir Anton en studio - How did he come up with those lyrics so off the cuff? Ce n’était certainement pas la première fois que je le voyais agir ainsi, et je ne l’ai jamais vu avec un carnet de notes en séance d’enregistrement. That guitar solo really is a barn burner thought - Joel veut dire qu’Anton a tout en tête. Il a reconstitué tout le BJM avec Charles (bass), Billy (beurre) et Adam (guitar).

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             Après avoir quitté le BJM, Joel entame une carrière solo. Pas de doute, son Apple Bonkers est un coup de maître. Dès «Smile», t’es face à un gros déplacement d’accords Jonestowniens. C’est dynamique et bardé de bada californien, le meilleur, celui de San Francisco. Et t’as un certain Robert Campanella on fuzz lead ! Deux cuts te renvoient directement au Brian Jonestown Massacre : «Mirage» et «Don’t Let The Fuckers Bring You Down». Heavy riffs de base, pur barrage d’accords crépusculaires. Joel ne sait faire que ça : du groove jonestownien. Ce mec Gion est une bénédiction, il perpétue bien le spirit d’Anton Newcombe. Classe inébranlable ! Quant au «Sail On», c’est une pure marychiennerie, avec le chant descendant les marches de l’escalier. Somptueux ! Joel a le grain de voix de Jim Reid. Il déclenche encore l’enfer sur la terre avec «Radio Silence». Il a ça dans la peau. Il peut même virer glammy dans les couplets de «Two Daisies». On sent bien le mec libre.

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             Son deuxième album sans titre date de 2017. Il vaut le détour pour deux raisons principales : la Beautiful Song «Come To Light» et le coup de génie «Conjecture». La flûte, c’est son truc à Joel : ça groove sur un bassmatic allègre dans «Come To Light». Il vise une sorte de félicité. S’ensuit l’excellent «Conjecture». Sa pop psyché est une aubaine pour l’humanité, une bénédiction tombée du ciel. Il flûte encore sa pop dans «Partner», et il y va au «Someday I’m gonna die/ I’m alive.» Il crée bien son monde. En B, il chante son «December» dans l’écho de la proximité. Il sonne très Peter Perrett sur «Gone» et vire psyché sur «Mercury In Retrograde». Grosse machine, bien graissée au gras double. Il cultive son côté Peter Perrett.

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             Back to the magic carpet book. Joel rend un hommage fulgurant à Brian Jones : «Brian is clearly the master of ceremonies, having just personally elevated them from a blues cover band with a psychedelicized makeover introducing sitars, marimbas, flutes, harpsichords, Eastern bells, maracas, piano, and for this time, ‘Lady Jane’, the dulcimer. Brian’s hand is bandaged and broken, which adds to the rebel menace as he plays it with aggression despite the injury.»

    Signé : Cazengler, Joel Fion

    Joel Gion. Apple Bonkers. The Reverberation Appreciation Society 2014

    Joel Gion. Joel Gion. Beyond Beyond Is Beyond Records 2017

    Joel Gion. In The Jingle Jangle Jungle. White Rabbit 2024

    Ondi Timoner. Dig!. DVD 2004

     

     

    L’avenir du rock

     - Empty Full Space ritual

             Boule et Bill viennent d’entrer dans le bar. L’avenir du rock sent venir l’embrouille. Il sait que les deux compères vont l’entreprendre pour essayer de l’asticoter. Boule attaque :

             — Alors ça va bien, avenir du rock ? Toujours avec un verre à moitié plein ?

             Et Bill d’ajouter, sur un ton philosophique :

             — Ou à moitié vide...

             Ils savent très bien que l’avenir du rock déteste ce genre de conversation. 

             — C’est comme dans la vie, avenir du troc, tu vois plutôt le bon côté des choses ?

             Et Bill d’ajouter, sur un ton énigmatique :

             — Ou le mauvais côté des choses ?

             Comme l’avenir du rock ne réagit pas, Boule met la pression :

             — Avec la gueule que t’as, on ne sait jamais si t’es bien luné !

             Et Bill d’ajouter, sur un ton méphistophélique :

             — Ou mal luné...

             — Si t’es à voile ou à vapeur !

             Et Bill d’ajouter, sur un ton épistémologique :

             — Si t’es du lard ou du cochon...

             — Si t’es de gauche ou d’extrême-droite !

             — Si t’es con ou si t’es pas con...

             — Si tu préfères Dieu ou bien le diable !

             — Si t’es rond ou si t’es carré...

             L’avenir du rock attend qu’ils se fatiguent et qu’ils tombent en panne d’argumentation pour vider tranquillement son verre, le poser, payer et leur dire, d’un ton bien clair, pour qu’ils mémorisent correctement :

             — Empty Full, Boule... Pour répondre à ta première question...

             — Quoi ?

             — Emp-ty Full. Tu veux pas en plus que je te l’écrive ?

     

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             L’avenir du rock parle bien sûr d’Empty Full Space, un quintet psyché parisien qui comme Slift, a décidé unilatéralement de rafler la mise. Toute la mise.

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             Soirée psyché dans la cave. Trois groupes. Tu pourrais flasher sur les trois, mais tu vas te contenter de bien flasher sur le deuxième, les Parisiens d’Empty Full Space. Sont pas psyché au sens où on l’entend généralement, avec des grandes tignasses et des habits colorés. Sont pas concernés par les lois du look. Vraiment rien à cirer. Mais sont concernés par les lois de l’excellence, et là amigo, ils battent pas mal de monde à la course. Ce sont les rois du far-out so far out, les cracks du freakout psycho-psyché à l’anglaise, t’entends même les spoutnicks d’Hawkwind, ils développent des courants qui te parcourent de la tête aux pieds, qui t’éclatent ton Sénégal et ta copine de cheval, qui te lèvent des tempêtes épidermiques, ils savent déclencher l’immarcescibilité des choses, leur viande grouille de molécules multicolores, te voilà une fois encore confronté à la réalité d’un vrai son et, comme chaque fois que ça se produit, tu espères secrètement que ce concert va durer pour l’éternité. Les cinq Empty Full Space sont absolument brillants, les deux guitaristes savent mêler les poux qu’ils grattent pour lever la pâte, et t’as ce petit mec sur sa Jag bleue qui s’arc-boute de tout son corps sur son manche pour tailler un costard à la mad psychedelia, avec un punch et une audace incroyables.

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    Les deux guitaristes se répartissent bien les interventions, mais c’est le petit mec sur la Jag bleue qui vitupère le plus et qui remplit son cosmos d’urgences et de stridences. Il savent créer un climat et faire sauter la Sainte-Barbe, ils connaissent toutes les ficelles du genre et ne semblent jouer que pour le plaisir des amateurs. Comme tu ne connais pas les cuts, tu te laisses porter. Et ce son te parle, ils sont d’une crédibilité absolue, tout est bien : le Dikmik indien là-bas au fond, le blond au beurre qui bat tout ce qu’il peut avec brio, et puis t’as ce bassman dans son coin d’ombre qui joue ces grandes échappées dont Lemmy s’était fait une spécialité au temps d’Hawkwind.

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    Tu retrouves dans leur son tout ce qui fait la grandeur des Heads, des Wooden Shjips, de Loop, des Telecopes et du Brian Jonestown Massacre, tu retrouves les énergies de Bevis Frond et de Bardo Pond. Et bien sûr tout le fabuleux ramdam d’Hawkwind. C’est inespéré de voir des inconnus au bataillon aussi brillants.  

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             Leur album s’appelle From The Limbo et sort sur un label espagnol, Spinda Records, qui est aussi le label de Maragda, le trio barcelonais qui va jouer après eux. C’est un bel album de Mad Psychedelia, tu y plonges aussitôt, dès le morceau titre d’ouverture de balda. C’est le space rock du meilleur acabit d’Akaba. Quelle respiration ! Ils jouent leur son comme s’ils s’ébrouaient dans une fontaine de jouvence. C’est même criant de justesse, avec un bassmatic voyageur. Leur «Morphogene» est plus tendu, comme cavalé à travers la plaine, une vraie farandole extra-terrestre, très Barrett, ça se déroule merveilleusement, ils dépotent le nec plus ultra tout en cultivant la dimension du voyage. Et avec «The Wheel», on assiste à des plongées somptueuses qui rappellent les grandes heures du duc de Bury. Les zones s’alternent brillamment, ah comme ils adorent plonger dans leur jouvence ! Ils te font le coup du tir de barrage d’accords magiques. En B, ils tapent «Amnesia» à la grosse attaque psychédélique. Ça coule comme de l’eau de roche, intense et colorée de wah. On a aussi des jolis vents mauvais et un riff bien heavy, bien écrasé sous le talon. Le bassman est un voyageur impénitent, un cadreur qui sait se décadrer à bon escient, avec un son bien rond. Son bassmatic a bon dos. Et ce bel album se dirige vers la sortie avec «2C». C’est le riff de basse qui tire le cut vers le haut, c’est bien hypno, ça file droit dans l’œil du cyclope. Les grattes rentrent violemment dans la danse, alors ça explose. T’as le power et l’argent du power, c’est-à-dire le power d’Hawkwind. Les petits Full Space s’exportent dans le cosmos.

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             Les trois Maragda n’auraient peut-être pas dû jouer après un groupe aussi brillant qu’Empty Full Space. On passe d’un son plein à deux guitares à un son moins plein. Les Barcelonais ne sont que trois, et même s’ils jouent comme des beaux diables, on sent comme un déficit. Le bassman de Maragda multiplie les prouesses techniques et le guitariste gratte sa Tele avec insistance, mais c’est un peu comme s’il leur manquait une guitare pour remplir le son. Ça tient la route, forcément, mais ils virent plus prog que psyché, les structures sont plus alambiquées, le bassman développe une énergie considérable, mais il leur manque l’étincelle de la Saint-Barbe.

             Par contre, ils ont deux albums au merch. Ton petit doigt te dit que c’est meilleur sur disk que sur scène. Alors zyva.

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             Leur premier album sans titre date de 2021. Il s’y niche une belle énormité : «The Calling». Pas de psyshé là-dedans, mais les clameurs sont volontaires, on sent les Barcelonais propulsés vers l’avenir et le sommet en même temps. Leur Calling sonne comme un hymne, avec son bassmatic élastique, ses reprises explosives, son slinging protubérant, là oui, t’as tout l’écho du monde et le barbu devient fou avec son bassmatic tonitruant. Sinon, ils restent assez prog, avec une quête permanente d’ampleur. Même si patacam/patacam, t’es impressionné et en même temps, c’est n’importe quoi. On les sent déterminés à vaincre. Les Barcelonais ne rigolent pas. Pluie d’acier sur la Catalogne ! En studio, ils sonnent mille fois mieux que dans la cave. La Tele prend de l’ampleur. Leur «Beyond The Ruins» est assez dévastateur. Ils lèvent tous les trois une véritable tempête sonique. C’est assez inattendu de la part des Barcelonais. Ils privilégient les belles dynamiques. C’est sûr, ils n’ont aucun problème ni de vélocité ni de motivation.

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             Tyrants enfonce bien le clou de la différence entre le studio et la cave. Et en écoutant le disque, t’as pas l’inconvénient des épaves qui dansent devant toi avec des verres de bière à la main. L’album est résolument prog, avec des spoutnicks par-dessus le marché. Les Barcelonais adorent la cavalcade, rien ne saurait les arrêter dans leur élan. Tu tombes rapidement sur une pièce montée nommée «Endless». Ça pulse à la vie à la mort. Ils ramonent bien la cheminée, avec un son plein comme un œuf, c’est vraiment bien remonté des bretelles, il s’agit même d’un hit, les canards boiteux ont intérêt à se tirer vite fait. Ils savent aussi lancer un assaut, comme le montre «My Only Link». Et puis on se régale de «Sunset Room», un cut extrêmement bien articulé. Le beurre, l’argent du beurre et le barbu sont des orfèvres en la matière, ils savent tramer un son et la Tele n’a plus qu’à s’y prélasser. Ils travaillent essentiellement sur l’extension du domaine de la lutte. Ils font chanter la montagne dans «The Singing Mountain» et partent en voyage avec «Godspeed». Le barbu fait le show avec un bassmatic entreprenant, et ça se termine en mode gros prog barcelonais avec «Loose». C’est un groove ensorcelé et le guitariste gratte des solaces extraordinaires qui rayonnent sur toute la Méditerranée. 

    Signé : Cazengler, Empty tout court

    Empty Full Space. Le Trois Pièces. Rouen (76). 5 octobre 2024

    Maragda. Le Trois Pièces. Rouen (76). 5 octobre 2024

    Empty Full Space. From The Limbo. Spinda Records 2024

    Maragda. Maragda. Spinda Records 2021

    Maragda. Tyrants. Spinda Records 2024

    Concert Braincrushing

     

     

    L’avenir du rock

     - The Silver machine

             — Hey, avenir du rock, si on te dit Silver, tu réponds quoi ?

             — Bon alors Boule, tu commences à me courir sur l’haricot avec tes petits questionnaires rock à la mormoille.

             — T’es vraiment un gros con, avenir du rock, tu connais même pas «Silver Machine» !

             — Mon pauvre ami, tu ne sais même pas de quoi tu parles ! Tu sais ce que c’est la Silver Machine ?

             — Ben oui, l’emblème du space rock, la fusée argentée, aille tooke a raïde in the silvère machine !

             — T’es encore plus con que je ne pensais ! Ça n’a jamais été une fusée !

             — C’est quand même pas une merguez ?

             — Et pourquoi ne serait-ce pas une merguez ? Tu ne savais pas que les merguez volaient ? Comme les cons ? Demande à Michel Audiard.

             — T’as raison, avenir du rock, j’en ai vu une qui volait l’autre jour ! Zzzzzzzzzzz ! Elle fumait un peu et lâchait derrière elle des gouttes d’huile parfumée, c’était beau ! Zzzzzzzzzzz ! Incroyablement beau ! C’est parce que tu m’en parles que je t’en parle, avenir du rock. Sinon j’aurais jamais osé.

             — Quand l’as-tu vue ?

             — Bah, vendredi tu sais, le jour des élections-piège-à-cons ! Elle traversait la Seine, du côté du Pont Mirabeau...

             — Alors on a vu la même ! J’y étais aussi, je sortais du métro à Javel. C’était une merguez bien dorée ! Pas trop brûlée ? Dans l’esprit d’une toile de Magritte ?

             — Oui, même que ça m’a donné faim !

             — Incroyable ! Viens là mon p’tit Boule que je t’embrasse !

             Bon laissons-les s’embrasser. L’avenir du rock aurait très bien pu dire à Boule que la Silver Machine était en réalité la mobylette que conduisait Robert Calvert, au temps où comme Nik Turner, il vivait encore à Margate. Il aurait pu aussi évoquer d’autres Silver de choc, comme les Silver Apples, les Silver Jews, mais surtout les Silver Lines.

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             Viennent d’où ? Sais pas. Parlent des bouts de français. Bonnejoue, new som’ lé lin’ argentte. Doivent être mexicains. Comme ça au pif. Sont jeunes. Joli nom de groupe : The Silver Lines. Zéro frime. Doivent être pauvres. Au fond, t’as un gros au bassmatic, et derrière, un tatoué au beurre. Et devant deux kids, rois de la zéro-frime, petits cheveux bouclés, T-shirt blanc pour le chanteur, et petit pull blanc & Tele blanche pour le guitariste. La ramènent pas. Mais ça joue tout de suite.

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    Et là tu fais wham bam ! Premier cut, c’est dans la poche. Gros son. Le kid au chant fait son Johansen. Oui t’as bien lu, les mains sur les hanches et du pur Johansen, sans les escarpins et sans Johnny T, ils font ça à l’anglaise, il a toutes les mimiques, t’es tout de suite dans le haut niveau, mais avec des kids à peine sortis de l’adolescence, ils ont le power et là t’es pas près d’en revenir, car ils te rockent le boat à l’ancienne, le kid Johansen charge la barque et il est fantastiquement bien soutenu car le tatoué bat le beurre du diable, mais à l’anglaise, et le gros au bassmatic tient bon la rampe en grattant des figures sophistiquées d’une effarante efficacité. Ils ont tout bon, tout bien pigé, ils s’ancrent dans la Stonesy, les Dolls, les Only Ones et les Saints, et franchement, dans le genre, on n’avait pas entendu un groupe aussi bon depuis des lustres. Pureté d’intention extrême. Leur set est criant de véracité, tout repose sur la qualité des compos et la voix du kid Johansen. On est toujours surpris de voir surgir de nulle part un groupe aussi bien éduqué. Mais soudain, le kid craque et sort de scène. Le gros vient eu micro et parle d’hiccups, c’est-à-dire de hoquet. En fait, c’est une crise d’angoisse. Il va revenir une demi-heure plus tard et fracasser la boutica, sous un tonnerre d’applaudissements.

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             Personne au merch. Et à la fin de la deuxième partie du concert (Man Man), les Silver Lines ont disparu avec leur maigre merch de deux singles. Le mec du merch d’à côté nous dit qu’ils ont plié bagage car ils avaient trop honte. Incroyable ! Fuck it ! L’un des meilleurs groupes anglais actuels ! Tout part en fumée, les singles et l’occasion de papoter. Reste plus que le Bandcamp.

             Tu y retrouves leur dernier EP, And The Lord Don’t Think I Can Handle It, et tout leur côté flamboyant te saute à la gueule, dès «Roaches», pur jus de garage-punk d’attaque en règle avec du wanna change my sex, et de la bravado à gogo. T’as tout là-dedans, les riffs séculaires, t’es pas venu pour rien, c’mon now, il a la voix de rêve, tout le power du because it’s you, cette façon de poser le chant sur un back-up explosif et bien sûr t’as les incursions thunderiennes dans le flot du flux. Avec «Cocaine», ils déclenchent un petit enfer sur la terre, bien sous-tendu par une horrifique cocote riffique, ça vole vite en éclats. Alors tu vas à la pêche aux infos, et tu découvres que les Silver Lines sont de Birmingham et que les deux kids en blanc sont deux frères, Dan Ravenscroft au chant, et Joe aux poux. Bon maintenant, il faut attendre la suite. Ne cachons pas notre impatience.

    Signé : Cazengler, Silver Lie

    Silver Lines. Le 106. Rouen (76). 1er novembre 2024

    Silver Lines. And The Lord Don’t Think I Can Handle It. Not On Label 2024

     

     

    Magical Mystery Lights Tour

    - Part Two

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             Ça doit bien faire la troisième fois que les Mystery Lights ramènent leurs fraises en Normandie. Mike Brandon est toujours aussi charismatique, mais il semble avoir pris un petit coup de vieux. Avec sa 335, il avait des airs d’Alvin Lee. Maintenant, il tire plus sur le Jorma Kaukonen tardif. Mais sur scène, il reste fidèle à sa légende de marsupilami : il saute partout. Boinggg ! Boinggg ! Il incarne bien la fameuse insoutenable légèreté de l’être dont Kundera fit jadis ses choux gras. S’il existait une épreuve olympique du marsupilamisme, il n’est pas certain que Keith Streng arrive en tête. Brandon accompagne toutes ses montées de fièvre de bonds cathartiques, il sait aussi sauter en extension et faire des ciseaux dédoublés en saut croisé. Le jeté d’épaule aérien n’a aucun secret pour lui. Force est d’admettre qu’il est plus athlète que garagiste. Il fait partie de ceux que les Anglais qualifient de performers. Il est tellement intense qu’il en devient intègre.

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    Mike Brandon est à la fois un rude coco et un fier rocker. On lui donnerait le bon dieu sans confession, et ce, dès le «Mighty Fine And All Mine» d’ouverture de set qui fait aussi l’ouverture de balda de Purgatory, leur cinquième album. Le set s’intitule d’ailleurs le ‘TV Eye Record Release Show’. Ils tapent un gaga californien très psyché, à la fois classique et offensif. Luis Alfonso Solano gratte des poux bien gras sur sa SG, il sort un son incroyablement agressif de bronco apache sur le sentier de la guerre, il doit confondre la fougue et la foudre. On voit bien que ces mecs sont tombés dans la marmite Nuggets quand ils étaient petits, ils sont tellement brillants qu’ils revitalisent cette très ancienne tradition, et du coup, ce vieux gaga parcheminé reprend des couleurs, et même une sacrée allure. Alors on s’est demandé en conseil restreint s’il fallait amener les Mystery Lights dans la cour des grands, soit en leur confiant les clés de l’avenir du rock, soit en les bombardant directement Wizards & True Stars, et puis finalement, le comité a décidé de les laisser tranquilles, de ne pas les accabler d’honneurs, de leur épargner le miroir aux alouettes, le mieux est qu’ils poursuivent leur petit bonhomme de chemin, qu’ils régalent les citadins avec des bons concerts bien survoltés et des albums bayardiens, c’est-à-dire sans peur et sans reproche. Ah on peut dire que les Normands adorent le gaga sans peur et sans reproche, comme si ce gentil Bayard californien qu’est Mike Brandon trouvait un écho dans cette ville saturée de moyen-âge qui pue la pucelle cramée.

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             Comme ses prédécesseurs, Purgatory sort sur Wick Records qui est en fait un subsidiary de Daptone. Comme Colemine, Daptone prospère sur la Soul, mais ne ferme pas la porte au rock quand il est bon. Alors si Colemine crée Karma Chief pour accueillir GA-20, Say She She et les Gabbard Brothers, Daptone crée Wick pour accueillir les mighty Mystery Lights.
        Purgatory est un album de Californiens très à l’aise, qui savent lancer une attaque de clairette au débotté de sept lieues. Ils sonnent très sixties, très Nuggets, c’est même pas loin des Remains et de tous ces machins-là. Ce sont des accros. Les tricotages de grattes sont superbes sur «Sorry I Forgot Your Name». Bon, ce n’est pas l’album du siècle, mais il y a de beaux éclats. On sent l’élan pathétique de l’early Airplane dans «Can’t Sleep Throught The Silence» et «Cerebral» sonne un peu comme «The Trip» de Kim Fowley. T’as vraiment l’impression d’entendre un vieil album sixties aventureux. «Automatic Response» sonne comme un bijou rare, on croit entendre Television, ils sont en plein Marquee Moon

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             Television ? Justement ! Tu retrouves «Little Johnny Jewel Parts 1 & 2» dans cette double page de Shindig! où Mike Brandon salue les «10 cuts that inform new album Purgatory». Et il n’y vas pas avec le dos de la cuillère : «Smart, playful, jazzy, forward-thinking punk.» Il dit aussi que ce single sorti sur Ork en 1976 - et qu’on pouvait acheter chez Givaudan sur le Boulevard Saint-Germain - était «mind-blowing» «to us as teenagers.» Il cite aussi les Thrills de 1967, quatuor de blackettes qu’il ne faut pas confondre avec les Thrills irlandais. Brandon flashe sur «Underneath My Makeup», b-side d’un single Capitol qui vaut bien sûr la peau des fesses. Brandon parle de «mesmering back-up vocals» et salue «l’incredible vocal delivery» de Donna Lynton. Il rend aussi hommage au Fred Cole de Dead Moon via l’un de ses side-projects The Western Front : il tire «Looking Back At Me» d’un EP. Parmi les inconnus au bataillon qu’il cite, t’as Gandalf et Paul Martin. Retour aux superstars avec les Rationals et «Sunset» - This song screams «Detroit»! - Il vante encore les mérite du «vocal delivery» de Scott Morgan, puis il passe directement à Soft Machine et «Save Yourself» - British jazz-infused psych rock from Canterbury - Et il ajoute ça qui sonne comme une parole d’évangile selon Saint-Rock : «Soft Machine has the same psychotic pop feel that we love so much about Syd Barrett.» Brandon a tout compris. On lui serre la pince. Et puis les Monks, avec «I Hate You», qu’il reprend d’alleurs sur scène - Everything about this song is perfect - et il revante les mérites de l’«animated vocal delivery» de Gary Burger. Voilà pourquoi les Mystery Lights sont un groupe passionnant. Ils illustrent fort bien le vieil adage : qui écoute bien châtie bien.

    Signé : Cazengler, Mystery Larve

    Mystery Lights. Le 106. Rouen (76). 8 octobre 2024

    Mystery Lights. Purgatory. Wick Records 2024

    Hearts of darkness. Shindig! # 156 - October 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - La noblesse de Nobles

             Harry Normal portait bien son nom. Rien ne dépassait. Brun, cheveu tallé court, lunetté de frais, physique passe-partout mais pas désagréable, Normal, tout était Normal en lui, son expression, son discours, sa taille, son odeur, sa carrière, sa camaraderie, et même sa simili-bienveillance paraissait Normale. En réunion, il ouvrait un eMac Normal et chacune de ses interventions qu’on aurait qualifiée ailleurs de pertinente nous paraissait Normale. Sa Normalité nous rassurait. Elle constituait même l’un des atouts majeurs de notre petit conglomérat. Ce n’est pas facile d’être Normal, Harry Normal en sait quelque chose, on le devine en l’observant. On se pose même la question : aimerait-on être Normal, aussi Normal que lui, probablement pas, mais c’est certainement plus reposant que d’être anormal, c’est-à-dire anticonformiste. L’anticonformisme, c’est comme une chaudière, il faut l’alimenter, avec des excès en tous genres, des incidents et des accidents, des déviances et des défiances, des maux et des mots, c’est un chantier quotidien et harassant, alors que la vie d’Harry Normal doit être de tout repos, alors forcément ça donne à réfléchir. Mais la vraie question qu’il faut se poser est la suivante : peut-on apprendre à devenir Normal ? Comment se conformer à la Normalité ? Faire l’Harry Normal n’est pas un jeu, plus on y réfléchit et plus on comprend qu’il faut produire des efforts surhumains, comme par exemple tuer le désir, tuer l’envie, tuer la fantaisie, mettre sa libido en laisse et lui interdire d’aboyer, faire une croix sur les paradis artificiels, et sans doute le pire, entrer dans l’univers médiatique de la Normalité, avec une vraie sincérité, trouver Normal ce qu’Harry Normal trouve Normal, les nouvelles du monde, la vie économique et la vie sociale, oh et la vie politique, humer avec force l’inconscient collectif pour vibrer à l’unisson, non pas du saucisson, mais de la Normalité, et le reste devrait suivre, le choix des vêtements, le lunettage, la coupe de cheveux, le rasage quotidien, le professionnalisme de la Normalité, et petite cerise sur le gâtö, l’insoutenable légèreté du non-être, épitome de la délivrance.

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             Aucune noblesse chez Normal, mais on en trouve à la pelle chez Nobles. La noblesse, c’est la Soul. Zéro Soul chez Normal, mais de la Soul à gogo chez Nobles. L’un éclaire l’autre. Le jour et la nuit. Normal et ses ténèbres, Nobles et sa lumière. 

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             Cliff Nobles est lui aussi une star de la Northern Soul. C’est d’ailleurs dans ces compiles infernales qu’on croise sa piste. Pour creuser un peu, il existe une excellente compile, The Phil-LA Singles Collection 1968-1972, parue en 2008. Le noble Cliff prend sa Soul à la petite arrache de glotte obstinée et revancharde. «The More I Do For You Baby» ? Alors là oui. Cliff est un Soul Brother en mocassins blancs. Ça bascule très vite dans le génie avec «This Love Will Last», c’est amené avec allure sous un certain boisseau. Tu te retrouves soudainement en compagnie de l’un des rois de l’underground de la Northern Soul, ah il faut le voir revenir à la charge ! Il y va au oh-oh-oh. Même topo avec «Love Is All Right», véritable percée dans la nuit de Philadelphie. Aw comme Cliff est bon ! Il coule son groove dans le moule du r’n’b, et c’est arrosé de cuivres. Pression rythmique énorme ! Il faut le voir épouser ses nappes de cuivres. Peu de gens atteignent ce niveau de pétulance. Il tape ensuite «Judge Baby I’m Back» au scorch to the raw, il tape vraiment dans le dur du scorch, au sock it to me baby ! Plus loin, tu vas tomber sur l’instro du siècle : «The Horse». Échappée par le haut, wild heartbeat, c’est pulsé par les cuivres et la rythmique bass/drums est demented, l’une des plus demented dans le genre. Selon les liners non signés, «The Horse» fut un hit énorme à l’époque où les instros paradaient en tête des charts. Ce sont les Anglais qui ont écouté «Love Is All Right», qui se trouvait de l’autre côté du single. Et pouf, en 1968, c’est devenu un hit de Northern Soul. Mais le pauvre Cliff doit sa légende à un instro sur lequel il ne chante pas - A legendary accident in rock’n’roll history, nous disent les mystérieux liners. 

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             Le Pony The Horse paru en 1969 n’est pas l’album du siècle. Le noble Nobles nous propose un assortiment de slow grooves d’allure latente, épicés de remugles de mambo mambique. On sent parfois poindre des pointes de Blue Beat. On en pince légèrement pour le «Wonder Baby» de bout d’A, ce heavy groove de baseball bat très New Orleans noyé de sax et de bassmatic. Le noble Nobles sait tailler un costard. En B, il ramène des chœurs de gospel dans l’épais brouet de son «Rock And Roll Angel» - C’mon darlin’/ Stop teasin’ me - Et la fête continue avec un «Rock A While» chargé à l’extrême, digne de Cosimo, et traversé par des solos de sax. Ça jerke, mais à l’ancienne, comme au bon vieux temps des jukes en bois. 

    Singé : Cazengler, Cliff nubile

    Cliff Nobles. Pony The Horse. Moon Shot 1969

    Cliff Nobles. The Phil-LA Singles Collection 1968-1972. Jamie Records Co. 2008

     

    *

    Ils sont grecs. D’Athènes. Ils ont d’office toute ma sympathie. Ils ont une deuxième qualité : ce sont des cousins lointains mais germains, peut-être  s’ignorent-ils n’ayant jamais su qu’ils existaient, un continent les sépare, mais il y a une communauté d’esprit entre C.I.A. Hippie Mind Control (voir notre livraison 661 du 17 / 10 / 2024) et :

    DERELICT

    DREAMLONGDEAD

    (Novembre 2024)

    Tessos Palaiologou : guitar, vocals, piano / Yiannis Poussios : Vocals / Leonidas Vranas : bass / Manos Glakamoumakis : drums / Achilles Champilas : guitars, synths, keyboards.

             Leur premier opus date de 2013, ils n’ont sorti en leurs cinq premières années qu’une quinzaine de titres qui dépassent facilement les dix minutes. Ils se sont arrêtés durant quatre années et reviennent avec une nouvelle équipe et ce nouvel opus. Les trois vocables qui composent le nom du groupe, pourquoi coaguler et rétrécir ce qui est censé être long et durer longtemps, incitent à la réflexion, serait-ce pour signifier qu’il faut examiner cette coagulation telle une sorte de palindrome d’un genre nouveau qui devrait se lire et se dé-lire, selon une lecture se jouant des structures grammaticales différentes des langues française et anglaise, de gauche à droite ou de de droite à gauche, selon les deux sens, le juste et le faux, soit la mort d’un long rêve soit le rêve d’une longue mort. Oui je sais souvent je délire, inutile de vous mettre en état de déréliction.

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             Ils n’ont pas choisi n’importe qui pour la couve. Un ‘’Sans-titre’’ de l’artiste polonais Zdzislaw Beksinski (1929 - 2005), toutes ses œuvres portent ce même ‘’ titre’’, Beksinski ne montre pas des choses à voir, il traduit des états d’âmes, rien n’est plus concret que les représentations de ses tableaux mais il faut les regarder comme des objets métaphysiques à parts entières. Il m’étonne que ces architectures flamboyantes et ces fragmences minérales closes sur elles-mêmes ne soient pas davantage présentes sur les pochettes de Death metal. Suivez mon exemple : au jeu de qui perd gagne, j’ai perdu un temps fou dans la contemplation de ses œuvres.

    TAPHOS

    Mortuary : étrange, certains s’écrieront inconvenant, la pochette n’est pas vraiment gaie, Taphos sigifie tombe, le titre Mortuary n’est en rien cocasse, mais les premières mesures de ce morceau paraissent joyeuses, heureusement que des growlements intermittents nous rappellent la triste situation qui nous est présentée. Tout dépend du regard que l’on porte sur les choses, ici ce n’est pas la foule des morts qui se lamentent sur leurs tristes sorts, c’est le Dieu ploutocrate  de la mort qui fait ses comptes, l’est heureux, tout va bien, tout marche à merveille, il traque les morts et les emporte en son royaume, la chasse est bonne, chant de triomphe et fanfares victoriales, n’est-il pas le maître absolu, celui qui détraque à volonté les horloges de la vie, est-ce pour cela que la musique devient plus lourde, que la batterie tape à la cadence du couperet d’une guillotine, le monde des vivants et des morts lui obéit, il est celui qui préside non pas à la marche du monde, mais à sa dé-marche car les marches si elles s’escaladent se descendent aussi, générique de fin, monumental, il est bien plus qu’un Dieu, il est le principe entropique du monde, des choses, des êtres vivants, des hommes, de tout ce beau monde qui court inévitablement vers sa fin. Victoire finale. Carnage : Changement d’ambiance, après le triomphe, voici  la folle fête, l’ivresse du hallali, écoutez ces cordes de guitares qui courent vers les tombes, c’est l’heure du repas, que faire des morts entassés dans les chambres froides de la mort, la mort est la reine des zombies, elle se rue sur les cadavres afin de les dévorer, ne sont-ce point les morts qui se bouffent eux-mêmes, un grand bâfrage généralisé, le sabbat, la danse des morts, la nef des fous, l’épave des anthropophages, kermesse et flonflons l’on n’est jamais plus heureux que lorsque l’on a le ventre plein… mais quelles sont ces résonnances cordiques, exprimeraient-elles le vide du néant, la situation s’assombrit, final liturgique, quelle tristesse philosophique si l’on  pense, à tous ces morts qui se dévorent et s’entretuent, finale grandiloquent, la passion de la destruction n’est-elle pas la passion de  de l’auto-destruction mais sous une autre forme, la mort descend l’escalier sans fin de sa propre mort. Imaginez la scène du film que vous tourneriez si vous étiez réalisateur, DreamLongDead vous a préparé la bande-son. A bouffer le navet par les racines !

    ANTARTICA

    Erebus :  deuxième partie de l(opus, nous rentrons dans sa saison hivernale, notez la structure, deux instrumentaux entourent le morceau central, celui qui donne son nom à l’ensemble. Des instrumentaux parce qu’avant et après une catastrophe aucune parole ne saurait en prédire ou en mesurer l’étendue. Le morceau n’est pas très long pourquoi le serait-il, son  titre désigne le lieu le plus obscur du noir absolu, palpitement du néant, synthétiseurs d’église, tourbillons de cymbales, vous avancez dans le noir, bruit d’outils est-ici l’atelier où l’on fragmente les os à la scie égoïne, vous tournez en rond, il est impossible d’aller plus loin que sa propre mort, le bruit s’amenuise, seul le silence est grand nous a appris Alfred de Vigny. Derelict : après le cœur de la nuit, vous entrez dans le froid de la mort, froid et mort ne sont-ils pas d’ailleurs la même chose, vous voici au zéro absolu, le morceau le plus long, sans doute parce qu’il est impossible de le faire durer éternellement, vous marchez dans la neige jusqu’à mi-cuisse, un bel accompagnement pour une scène de film décrivant un groupe d’explorateurs épuisés, titubants, explorant l’hiver d’une planète sans retour, hurlements d’agonie, même les ours blancs ne supportent cette froidure, ils gisent sur le dos, ils agitent spasmodiquement leurs quatre pattes levées vers le ciel noir, les ultimes paroles, vous découvrez la vérité de la terre maintenant aussi vide qu’un frigidaire géant, vous allez disparaître, comme ont déjà cédé place  les différents âges des temps historiques, préhistoriques, et toutes les époques antérieures, notre planète colonisée par des civilisations extra-terrestres, elles aussi n’ont fait que tomber, elles ont disparu, vous n’êtes un jalon pas plus nécessaire, peut-être moins important  que tous ceux qui vous ont précédés, vous êtes pénétrés de ces anciennes présences, existerait-il une mémoire de la mort à laquelle seule la mort vous permet d’accéder, ne portez pas votre regard vers le passé, d’autres nous suivront, ils viendront, ils ne seront pas spécialement sympathiques. Terror :  des pas qui s’approchent, non ce n’est pas vous, ce ne sont pas non plus ceux qui vous ont précédé, la chose étrangère qui se rapproche est bien plus terrifiques que vos devanciers qui comme vous ont passé l’arme à gauche, des inoffensifs, mais la musique se froisse comme si quelqu’un posait ses doigts sur la bande-son de votre mort, que vous veut-il, qui est-il, comparé à lui, si ce n’est ce tic-tac inexorable de l’horloge la musique deviendrait presque humaine comme si elle était produite par un groupe de death metal, elle perd son éclat, sa force, elle s’estompe, ne subsiste_plus que le battement d’un cœur, ce ne peut être le vôtre puisque vous êtes mort. N’est-ce pas terrifiant ? Si vous étiez sagement assis dans un cinéma (première fois que je m’aperçois que ce mot commence, quel sinistre hasard, comme cimetière) vous trouveriez le suspense de cette scène insupportable.

    XENO

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    Anark : ce titre terminal est paru une quinzaine de jours avant l’opus en son entier. Il a bénéficié d’une couve personnelle de Chris Printezis, son Instagram ne dévoile presque rien, un style assez proche de la bande dessinée toutefois sont exposés trop peu de posts pour en juger, par contre si vous avez du mal à voir ce que présente le dessin, avec un peu d’observation vous y arriverez parfaitement tout seul, bon prince je vous refile la solution. Une représentation du Kaos. Un peu naïve, un peu Goldorak, je le concède, essayons cependant de comprendre un tantinet. Dans la mythologie grecque l’Erèbe est le fils du Kaos, qui se place donc antérieurement à son fils, et qui est même primordial. Ce n’est pas un personnage mais une énergie inextinguible issu d’une fente, au fur et à mesure qu’elle jaillit en créant l’espace, elle perd de sa force, d’elle naissent les puissances les plus terribles, notamment l’Ananké, le destin de ce qui doit être auquel tout le monde doit se soumettre, même les Dieux Olympiens qui surviennent pratiquement en bout de course, juste avant nous les hommes… Le voici, tout clinquant, tout resplendissant, il était là avant tout le monde, s’il y en a un qui est l’Alpha et l’Omega c’est bien lui, la puissance irisante des riffs nous le confirment, il s’adjuge très vite la parole pour se présenter, il était là avant que ne commence le temps, il est le créateur séminal et l’exterminateur final, il donne naissance aux mondes pour les détruire ultérieurement, il s’amuse comme un enfant avec un jeu de cubes, la batterie imite l’empilement de ces jouets cosmiques et les guitares traduisent le chamboulement de ces constructions qu’il envoie rouler d’un coup de main dans les abysses du néant, il hurle, la musique y va mollo, comme quand vous jugez qu’il est inutile de contrarier d’un bambin qui pique une crise de delirium tremens, il meugle comme un rhinocéros, d’un coup de pied il joue au foot avec les planètes puis au billard avec les astres, ne le traitez pas d’irresponsable, ne lui infligez pas l’infâmante appellation d’anarchiste, il est le prince agrégatif et l’empereur du désagrégatif, il est Anark, l’Anarque, non pas celui d’Ersnt Jünger humain top humain mais le Cosmique, cet être qui se suffit à lui-même, cette force incommensurable qui n’a besoin ni de personne ni de rien  même pas de sa cosmicité, pour un peu cela deviendrait comique, mais tremblez car il détient les clefs de la mort entre ses mains et il s’en sert comme d’un hochet capricieux. Contrairement à Dieu, Anark ne meurt pas.

             Je vous laisse sur cette bonne nouvelle. Et ce disque aussi gai que terrific !

    Damie Chad.

     

    *

             Il est des titres qui vous attirent plus que d’autres. Celui-ci suscite les souvenirs de ma jeunesse et de mon maître en philosophie le poëte Pham Cong Thien  qui m’apprit à manier les concepts ontologiques. Qui à l’âge de ses seize ans fut qualifié d’ ‘’enfant génial du Vietnam’’ par la presse de son pays

    ONTOLOGICAL MYSTERIUM

    HORRENDOUS

    (Season of the Mist / Août 2023)

             Viennent de Philadelphie, entre 2005 et 2018, ils ont commis quatre albums remarquables et remarqués, ont disparu durant cinq ans pour revenir avec ce chef-d’œuvre.

    Jamie Knox : drums / Matt Knox : guitars, vocals / Damian Herring : guitars, vocal / Alex Kulick : bass.

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             La couve est signée par Alexander L Brown, lui-même guitariste et designer. Si vous parcourez son Instagram sa prédilection pour le blanc et noir vous marquera, l’on s’étonne même de l’orange effulgence de cet artwork. L’on savait que Cerbère avait trois têtes, maintenant l’on se souviendra que la bouche d’ombre possède trois crânes, soudés entre eux, à tel point que l’on ignore s’il en subsiste une, deux ou trois. Une réalisation alchimique qui a su métamorphoser la mort noire en pierre philosophale. Tout en lui infligeant le rappel de la formalité de sa provenance. Art de feu et d’incendie.

    The blaze : guitares discordantes, cordes assourdissantes, chuchotements de l’ombre, clameurs lointaines, glissandi infinis, flammes finales, séquences musicales alternées en toute vitesse, il se bouscule  tant de phénomènes obscurs dans ce comprimé agglutiné en cent soixante secondes, qu’il est nécessaire d’écouter et de réécouter encore cette gélule d’épopée qui se déploie en sa propre effervescence, l’histoire d’une montée impie, d’un pari insensé de prendre son essor afin d’être plus que le soleil du  ciel, qui chaque soir tombe et se meurt. Chrysopoeia (The Archeology of Dawn) : l’histoire d’un transmutation aurifique, horrifique aussi si l’on en croit le profil barbelé de ce morceau, impossible de saisir le fil de cette pétaudière, trop riche, trop intense, imaginez que vous visitez le dédalle labyrinthique des mille salles du palais de Knossos en quinze secondes, ou que l’on vous fasse boire de l’or potable et que l’on vous demande d’expliquer doctement ce qui se passe dans le tube de votre œsophage au fur et à mesure que le liquide dévale vers l’estomac, ce serait impossible la seule personne capable de vous comprendre serait vous seul, vous traversez le feu pour vous en extirper, et vous voudriez vous en tirer sans mal et en sortir frais comme les doigts de la rose de l’aurore, le tourment de cette musique qui concasse votre esprit ne vous laisse aucune chance, quel ramdam phonique, consolez-vous c’est d’une beauté extatique, le groupe ne vous laisse pas tomber il vous tire vers le haut avec ses pinces coupantes, un solo de guitare vous cloue sur la paroi pour vous empêcher de tomber, parfois la voix se fait douce comme une caresse avant de se muer en crise épileptique. Non, vous ne sortez pas indemne, l’on ne revit ni la mort tni la naissance du soleil sans y laisser des plumes. C’est exactement cela que l’on appelle l’épreuve du feu. L’ordalie métaphysique. Pour qui te prends-tu, Achilles ne l’a pas réussi. Comme toi il avait une blessure secrète. Neon Leviathan : nous quittons les mythes pour nous confronter au monstre fascinant de l’organisation humaine, nous sommes en pays de connaissance, peut-être est-ce pour cela que malgré l’emballement final , le hennissement guitarique et le hachis battérial sommes-nous dans un morceau monstrueux de death metal qui ressemble davantage à une civière de métal et de laboratoire qu’à la mort, vous ne bougez pas, vous ne risquez rien, si ce n’est une amélioration, quel est ce galimatias qui vous indique que la  science moderne est capable de vous faire traverser, ô comme c’est beau, ô comme c’est lyrique, ô comme c’est exaltant de n’avoir rien à faire si ce n’est de subir une transmutation alchimique dont votre corp sera l’athanor, le réceptacle et le résultat, gloire à la médecine moderne et sa nouvelle race d’opération, la guitare vous caresse, levez-vous, une nouvelle ère vous attend. Après l’épreuve vous avez touché votre récompense, l’expérience vous a transformé. Aurora neoterica : instrumental, ici tout n’est que calme et volupté, même si Matt fait un peu de bruit sur son tambour, te voici comme un homme nouveau, prêt à entonner de nouveaux chants, aurore poétique, tout a changé, rien ne changera jamais plus, tu as franchi une nouvelle étape, tu es un humain augmenté, crois-tu que tu pourrais un jour accéder à un tel bien être. Preterition Hymn : le rêve continue, la musique se fait douce comme la peau d’un fruit, pourquoi hurles-tu avec cette voix éraillée, est-ce la joie qui te rend fou, oui tu as atteint un stade supérieur, les Dieux eux-mêmes t’aideront dans tes désirs, dans tes faiblesses, oui je suis comme Enoch qui dans la Bible et le Ciel marchait aux côtés de Dieu. Il existe une Official  Music Veo sur la chaîne Y T de Season of the Mist, étrangement la beauté des images n’oblitère en rien, et aide à mieux saisir, la complexité de ce morceau. Cult of Shaad’hoa : exaltation suprême, je suis un guerrier invincible, je le crie, je le hurle, mon cœur résonne comme la batterie folle d’un groupe de death metal, je cours, je file, je grimpe, je m’élance, je m’envole, rien ne m’arrête, les Dieux m’adorent, je percerai le dôme du ciel, je trouerai l’azur souverain, je mène le char du soleil, là où je veux, quand je veux, comme je le veux, je suis le feu vivant. Exeg(en)esis : le métal exulte, il se contente de marmonner dans sa barbe, va-t-il trop loin, pour qui se prend-il, est-il le maître d’une nouvelle genèse, les guitares angéliques le couvrent de leur éclat, il se projette dans le jardin dans le jardin d’Eden, manifestement il se croit tout permis, il recrée le monde en expliquant le processus de sa propre création. Ontological mysterium : il ose se prendre pour Dieu, il ordonne le monde, est-ce la folie, est-ce de l’inconscience, que craint-il n’est-il pas le plus fort, Dieu ne marche-t-il pas à ses côtés, il est la vie, les guitares chantent, les tambours s’emballent, s’en aperçoit-il, y fait-il seulement attention, non ce n’est pas Dieu qui va le punir, le mal, l’échec, la mort surgira de sa profusion vitale, trop d’arbres tuent les arbres, trop d’herbes écrasent l’herbe, le mystère ontologique s’énonce ainsi ce n’est pas la vie qui naît du néant de la mort, c’est la vie qui produit la mort, Dieu n’est-il pas mort du seul fait qu’il ait existé… tout cela n’est-il pas déjà consigné dans les anciens écrits. L’exubérance de ce morceau ne court-il pas à sa propre extinction. The death Knell Ringeth : pour qui Dieu sonne-t-il le glas ! Sirènes d’alarme, le morceau tremble sur ses bases. Tu as voulu parler à Dieu et maintenant c’est lui qui te cause, d’une voix menaçante, ne cherche pas je suis au-dedans de toi puisque tu as voulu te prendre pour moi. La comédie est finie. J’aboie comme le chacal du désert, ma colère est telle les épines du figuier stérile, que veux-tu, misérable créature, la musique obéit au doigt et à l’œil, elle galope à une vitesse excédentaire, elle te pousse vers ton destin, tu as surpassé les Dieux, tu t’es pris pour mon égal, mais d’un coup de cuillère à pot je t’expédie dans le lieu de ta punition éternelle, en enfer !

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             J’espère que cette fin morale servira de leçon à tous les lecteurs présomptueux de ce site. J’avoue qu’elle me déçoit quelque peu. Enfin beaucoup. Elle n’est pas à la hauteur du jeu coruscant des musiciens, le synopsis tombe à l’eau, il traîne ses sabots dans une vieille histoire. Je me demande si c’est un vieux fond idéologique plus ou moins inconscient des racines puritaines de la Grande Américaine… Un défaut ontologique de fabrication !

             Toutefois ne boudons pas notre plaisir, c’est un bel opus qu’il vaut mieux écouter sans trop chercher à le comprendre. Ils ont raté l’opération alchimique, nous pensions qu’ils avaient trouvé la couleur de la pierre philosophale, c’était celle des flammes de l’enfer. Errare humanum est.

    Damie Chad.

     

    *

             Chose promise, chose due. Nous avons vu le concert la semaine dernière, au 3 B de Troyes, nous chroniquons maintenant le disque que nous en avons ramené.

    BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ

    (Sound  Flat Records / SFR-45_065 / Juin 2024)

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             Un disque, un vrai, un simple avec une pochette en carton aussi épaisse qu’ un porte-avions, sont des modestes, ne se sont pas mis sur la pochette, à la place ont écrit leur nom en gros, style dazibao maoïste qui bouffe presque la moitié de la couve, à côté ils vous offrent leur cœur, seraient-ils des monstres qui n’en auraient qu’un pour cinq, doivent se le passer à tour de rôle pourquoi pas, après tout les trois Grées terribles divinités grecques primordiales peu sympathiques ne possédaient qu’un seul œil qu’elles se refilaient de l’une à l’autre selon les nécessités, en tout cas ils doivent y tenir, pour ne pas le perdre ils l’ont attaché à une grosse chaîne, ne sont pas gars très soigneux puisque l’attache du médaillon semble cassée. Par contre j’ai appris quelque chose : je croyais que les initiales U.F.O. qui en anglais sont celles de Unidentified Flying Object signifiaient en notre douce langue françoise Ovni, pas du tout, c’est du français pure (enfin presque) souche, qui veut dire : Unique Fuckin’ Obsession, ZZZ

    You move me baby : légère tambourinade, Terric ouvre le menuet, pardon le remué, Bee Dee Kay est pratiquement le premier à entrer dans la danse. Benny lance illico le hérisson de sa guitare dans la cheminée, vous êtes averti ça va chauffer, Fi-Cel fait tourner le moulin à café de son Upright bass, en quinze secondes ils ont atteint leur vitesse de croisière, si vous vous croyez en classe touriste sur le pont d’un paquebot, c’est foutu, l’on sentait comme des ratés dans le moteur, c’était Grand Siffley  qui rongeait les câbles des freins, une fois son sabotage terminé, c’est fini, les haricots sont cuits, le sax se met à pétarader comme une Torpedo, il ondule comme le col du cygne  qui s’apprête à pénétrer dans le vagin de Léda, vous l’entendez hurler, des grincements éraillés de bicyclette sortie du grenier dans lequel elle était remisée depuis un demi-siècle, après l’on ne sait plus, Bee Dee Kay proclame qu’il est un chanteur de rockabilly, c’est vrai, hélas il est traversé par une folie meurtrière, il hurle comme un loup qui cherche à bouffer la lune, phénomène contagieux, ses camarades ne se retiennent plus,  la guitare de Benny vrille un max,  le sax se prend pour un éplucheur à patates et vous entendez le nid de crotales qui nichaient dedans qui détestent se retrouver pelés de la tête à la queue, la section rythmique se prend pour un régiment d’assaut, si à la fin du morceau vous en ressortez indemnes, c’est que vous avez eu de la chance. Beaucoup plus que Bee Dee Jay qui se retrouve à l’asile à skis.

    Wake up honey : si elle a besoin d’être réveillée après le tintouin qu’ils viennent de faire c’est qu’elle est sourde ou qu’elle est morte. Démarrent en trombe, la voix de Bee Dee Jay tressaute sur les cahots, Benny joue aux castagnettes sur sa guitare, le général Grant souffle dans son sax pour sonner la charge il n’arrête pas de barrir tel un troupeau de mammouths, Terric et Fi-cell foncent droit devant, personne ne les devancera, quelques lancées de poudre explosive de Benny pour terminer en beauté (convulsive), z’ont donné tout ce qu’ils avaient, Dee Bee Jay qui n’avait rien à distribuer nous offre l’essence vocale et explosive du rock’n’roll.

             Qu’existe-t-il de plus jouissif en ce bas monde ?

             Rien.

    Damie Chad.

     

     

    *

             Dans la vitrine de ma libraire c’est tout mignon, tout joli. Un livre pour les gamins, l’on fait de satanées belles choses pour les têtes blondes, remarquez, six ans révolus elles n’ouvrent plus un livre. C’est de qui ? zut alors c’est du sérieux, un Baldwin que je ne connais pas, un inédit en plus !

    LITTLE MAN, LITTLE MAN

    UNE HISTOIRE D’ENFANCE

    JAMES BALDWIN

    Et YORAN CAZAC

    (Denoel / Août 2024)

             Les jeunes lecteurs de KR’TNT ! ont toutes les raisons de ne pas le connaître. C’est rassurant, ça prouve qu’ils n’appartiennent ni à la CIA, ni au FBI, ni à quelques officines de services secrets. Au milieu des années soixante James Baldwin était le numéro trois d’une sacrée liste, les deux autres n’étaient pas n’importe qui, jugez-en par vous-mêmes, Malcom X et Martin Luther King ! 1965 pour le premier, 1968 pour le deuxième, en 1970   James Baldwin qui n’avait aucune envie de se reposer dans un cimetière éprouva l’irrépressible et salvateur besoin de trouver refuge en France… Il y mourut (de mort naturelle) en 1987.

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             C’était un homme dangereux. Pour un nègre il avait des idées trop claires. Un écrivain, un intellectuel. Homosexuel et antiraciste. Ça fait beaucoup pour un seul homme. L’avait de drôles d’analyses, il pensait que le christianisme était un cadeau empoisonné que les blancs avaient donné aux noirs : il est inutile que les esclaves qui bossent dur et souffrent un maximum se révoltent, puisque Dieu leur réserve une éternité de paradis. Il pensait aussi, il explique longuement dans ses essais, que le racisme gangrénait et causait autant de mal, en enfermant et en isolant les individus dans leurs ressentiments, à l’Amérique blanche qu’à l’Amérique noire.  Il affirmait aussi que le problème n’était pas résolu à plus ou moins long terme la situation exploserait. La montée dans les années soixante de l’idéologie de l’emploi de la violence dans le Black Panther Party avait tendance à porter crédit à ses thèses…

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             Nous avons déjà chroniqué en ce blogue plusieurs livres de James Baldwin, celui-ci est un peu différent. C’est bien un livre pour les enfants. Très instructif pout les grands. C’est aussi un livre de commande. Un peu spéciale. Elle provient de son neveu Tejan qui du haut de ses quatre ans lui demande pourquoi il n’écrit pas un livre sur… Tejan. Baldwin lui promet qu’il le fera. Il tiendra parole. Le livre paraîtra en 1976 avec les illustrations de son ami Yoran Cazac. Vous trouverez dans les différentes préfaces et postfaces des principaux protagoniste, témoins et participants de cette histoire.

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             Ce n’est donc pas un véritable inédit, un de ces manuscrits trouvés au fond d’un tiroir puisque le volume fut édité en Amérique. Mais l’œuvre de Baldwin est si foisonnante, romans, essais, théâtres, articles, correspondances… que ce livre illustré a été quelque peu occulté dans la mémoire collective. Ce n’est sûrement pas un hasard s’il a été sorti de par chez nous durant la campagne présidentielle américaine…

             Que nous conte ce Little Man ? Pas grand-chose et beaucoup. Les dessins de Yoran Carzac occupent la plus grande partie des pages, pour la petite histoire Cazac n’avait jamais mis les pieds à Harlem, lieu où se déroule le récit. Il s’est laissé guidé par les propos de Baldwin, les photos familiales qu’il lui a remises et quelques documents photographiques glanés de-ci de-là.  Entre nous soit dit nonobstant le fait que tous les personnages sont noirs, les teintes claires des aquarelles et l’innocence qui émane de ces vues familières de la vie de trois enfants auraient très bien pu être utilisées pour raconter une enfance provençale…

             Le récit possède une unité de lieu et une unité de profondeur. Bien sûr TJ s’échappe de temps en temps de la rue dans laquelle il habite, mais elle demeure l’axe central de l’action. Donc trois gamins, TJ et son ballon, WT qui ne rate une occasion pour danser, et Blinky la grande sœur (huit ans) qui les suit partout, qui de fait est là pour les surveiller. Ou plutôt, sachez apprécier la différence pour les protéger. De quoi au juste. A part jouer au ballon, rendre service aux voisines, acheter quelques sous de bonbons, ils ne font pas grand-chose, ne dites pas qu’avec les voitures un accident est vite arrivé. Il surviendra comme il se doit, pas grand-chose pour nous, un tantinet traumatisant pour des gaminos, mais rien de grave.

             Baldwin n’en dit pas plus, tout est bien qui commence et qui finit bien. Baldwin révèle tout. La grande menace. La grande défense. Pire que le racisme, la grande misère, les gens ne meurent pas de faim, mais de leurs vies étriquées, éteintes, et de leurs corollaires la drogue et l’alcool, portraits saisissants de voisins engoncés dans les cul-de-sac de leurs existences flétries. Juste un regard d’enfant qui voit tout sans tout comprendre, aucun réquisitoire, aucun jugement, juste la sensation d’une réalité estompée par la naturelle ignorance de l’enfance, jusqu’à cette intervention de la police, prémonitoire en le sens où elle ressemble à une feuille de calcul prévisionnel Excel, Yoran Cazac nous la transpose en images de comics économiques ou de série télévisée en blanc et noir…

             Face à ce quotidien implacable, rien. Si un filet de sécurité invisible. Les enfants ne sont jamais seuls, les adultes avec leurs failles ne sont jamais loin, de même les enfants sans le savoir apportent une aide précieuse aux adultes dans leurs difficultés, la communauté possède ses remparts, elle encaisse les coups mais tout comme la présence des leucocytes dans le sang elle possède ses moyens de défense prêts à atténuer et à stériliser l’entrée pathogène des virus… Les globules blancs défendent les corps noirs, ils ne sont d’ailleurs jamais tout à fait noirs non plus, Baldwin explore les teintes, nous dirons qu’ils sont dorés. Aussi précieux que l’or.

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             Quelques pages à ras d’enfance, Baldwin ne dit rien, il montre tout. Mieux il démontre. Sans une once de moraline. Sans discours étayé. L’art d’un grand écrivain.

    Damie Chad.

     

    *

    Je ne pourrais pas vous donner la date exacte, je l’ai notée quelque part mais je ne la retrouve pas, bref c’était en octobre, le matin, et j’étais en train de beurrer les biscotes…

    GENE VINCENT, MOI, ET LES AUTRES

    RETOUR DANS LE PASSE

    … de mon petit déjeuner. Une occupation sacrée à laquelle je consacre toute mon attention, avec le même soin que je prendrais, moi le kroniqueur branleur et branlant, si j’étais en train de préparer une libation propitiatoire en l’honneur de Poseidon, l’ébranleur de la terre. En tout cas, Poseidon doit encore ronflouter doucement sur un doux lit d’algues parfumées, il ne moufte pas, la matinée s’annonce calme, le tchou-tchou bienveillant de la cafetière électrique berce en moi les derniers relents de sommeil, la radio marche mais je ne l’écoute pas. L’art de beurrer une biscote  exige soin, application, et concentration, c’est un peu le contraire de l’origami, la matière friable que vous tartinez ne doit aucun cas plier et rompre sous la pression du couteau, la radio cause toujours, l’on est sur France-Inter qui s’infiltre dans mon oreille distraite et Claude Askolovitch débute sa chronique en évoquant un enfant que ses parents endorment au son d’Elvis Presley et de GENE VINCENT, je sursaute, ma cafetière aussi, est-ce que le nom de ces deux américains lui a rappelé les westerns de son enfance, toujours est-il qu’illico elle se transforme en locomotive à vapeur lancée à plein régime, son tchou-tchou vaporeux s’est instantanément métamorphosé en grondements terrifiants, au tintamarre qui envahit la cuisine j’en déduis qu’elle est poursuivie par une bande de peaux-rouges criards ivres de sang et de fureur, eux-mêmes pris en chasse par le Septième de Cavalerie qui galope ventre à terre de toute la force de ses clairons… bref je ne parviens pas à saisir le nom de cet individu ni la suite de sa carrière.

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             Que le nom de Gene Vincent soit prononcé avant sept heures du matin demande une enquête. Qui est cet enfant béni des Dieux que ses parents ont élevé dans la plus stricte orthodoxie rock’n’rollienne, comment a-t-il évolué, serait-il aujourd’hui devenu un chanteur de rock… Au plus vite je récupère le podcast de l’émission sur le net. Je vous livre son nom : il s’agit de Djubaka, son nom est fièrement claironné sur les antennes de France Inter chaque fois qu’est diffusé un morceau de musique. Il est le directeur musical de la chaîne. Disons que je ne partage pas ses goûts, je fais souvent la grimace, bon au moins il aura servi une fois à quelque chose dans sa vie puisque grâce à lui le nom de Gene Vincent est prononcé sur France-Inter.

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             L’histoire aurait pu se terminer là, mais le Démon de la perversité cher à Edgar Poe m’a poussé à en savoir plus. Qu’apprends-je sur lui, outre ses goûts musicaux, il avoue toutefois qu’il aime la noise music mais qu’il  n’en programme point sur Inter parce que cela déconcerterait le public aux oreilles sages.  Entre parenthèses le gars n’a pas l’air idiot, l’a une allure de dandy, tous les goûts sont dans la nature (sans doute parce que la nature, marâtre impitoyable, n’a pas de goût, cette assertion demanderait une lecture attentive de L’Ethique de Spinoza), mais lorsque l’on cherche l’on s’expose à trouver ce que l’on ne cherchait pas. En l’occurrence je ne cache pas que je dois être le centre de l’univers, puisque ma recherche me ramène très rapidement à ma modeste personne. Avec sa compagne Anne, Djubaka animent aussi la luxueuse revue papier Hey ! Modern Art & Pop Culture, je file illico sur le site, je clique un peu au hasard sur le nom d’un artiste et je tombe sur le magazine culturel de la ville de Pamiers, diable mon ordi est fatigué, je reclique et retombe sur le magazine culturel de la ville de Pamiers et j’apprends que Paul Toupet participe du 11 octobre au 21 novembre 2024 à l’exposition Harmonie ou Le milieu des Mondes organisée dans Le Carmel.

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             Lieu que je connais bien, puisque je suis né à Pamiers et que mon collège, aujourd’hui détruit (qui abritait aussi en ses murs multi-centenaires une école primaire) faisait face à ce Carmel, longtemps abandonné… Bref je remercie Djubaka, Gene Vincent et les mille chemins ouverts du monde de m’avoir ramené chez moi. Sur les lieux de mon enfance.

    Damie Chad.

            

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 664 : KR'TNT ! 664 : TCHOTCHKE / DARTS / JACKIE DESHANNON / LIVERBIRDS / CHRIS CLARK / BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ + MARY / ASHEN / ACROSS THE DIVIDE / AUSTIN OSMAN SPARE

    KR’TNT ! 

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 664

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    07 / 11 / 2024

     

     

    TCHOTCHKE / DARTS / JACKIE DESHANNON

     LIVERBIRDS / CHRIS CLARK

    BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ + MARY

    ASHEN / ACROSS THE DIVIDE

    AUSTIN OSMAN SPARE

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 664

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

     - Tchotchke de choc

             — Comment pouvons-nous te choquer, avenir du rock ?

             — Ça risque d’être très difficile...

             — Si on te traite de gros con, ça va bien te choquer, non ?

             — Pas le moins du monde. C’est un fait que j’assume avec fierté.

             — Alors si on te traite de petite bite, tu vas blêmir, non ?

             — Vous ne connaissez pas les privilèges de l’hermaphrodisme, bande d’ignares...

             — Ah tu vas le prendre vraiment très mal si on te traite de sale juif !

             — Pfffff, c’est d’une banalité qui frise l’indigence, ou pire encore, le manque d’imagination. Comment veux-tu que ça puisse me choquer ? Par contre, si tu me traites de sale nègre, là, oui, c’est intolérable.

             — Bon alors, on va te clouer le bec pour de bon en te traitant de sale beauf...

             — C’est effectivement ce qui peut arriver de pire à un être humain. Chaque fois que t’en croises un, t’es partagé entre deux façons de réagir : le dégoût ou la compassion. Les beaufs se reproduisent comme les rats, ça prolifère, t’en as partout, même dans ta famille et tes cercles rapprochés. Tu soulèves une pierre sur le bord du chemin et tu les vois grouiller. Spectacle dégoûtant ! Les beaufs c’est ça, mais si tu traites de beauf quelqu’un qui ne l’est pas, ça ne sert à rien. C’est une injure gratuite, qui fait autant d’effet qu’une balle à blanc. C’est un coup d’épée dans l’eau. Désolé d’avoir à vous dire ça, les amis, mais votre notion de choc est complètement dépassée. Aujourd’hui, on ne parle plus de choc mais de Tchotchke. Attention, amigos, ce n’est plus du tout la même chose. 

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             T’arrive devant la scène avec la gueule enfarinée. Trois petites gonzesses déboulent sur scène. Tu ne sais même pas comment elles s’appellent. Bof, une première partie des Lemon Twigs, ça devrait pas être trop mal.

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    Devant toi, la petite bassiste s’applique et ramène, par sa seule présence, toute la fraîcheur du monde dans le set. Là-haut, sur son estrade, la batteuse/chanteuse allume ses cuts un par un, et là-bas, de l’autre côté, la guitariste gratte sa Strat sans effet, elle reste en mode clairette. On l’aura compris : zéro frime.

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    Tout est dans les chansons. En fait, elles jouent une pop très dépouillée, mais au fil des cuts, tu sens comme le poids d’un envoûtement sur ta pauvre vieille cervelle. Tu comprendras mieux plus tard, quand tu apprendras qu’elles ont enregistré leur album chez les frères d’Addario, ce qui est un sacré gage de qualité. Il est parfois bon de ne rien savoir quand tu vois un groupe sur scène. Tu juges sur pièces. C’est bon ou c’est pas bon. Les Tchotchke, c’est bon, et même super-bon. Cut après cut, elles étendent leur empire et ça te monte vite au cerveau.

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    La batteuse s’appelle Anastasia Sanchez, elle navigue exactement au même niveau que Curt Boettcher, elle sait vriller son chant pour créer de la magie pop, notamment sur «Oh Sweetheart One», ce chef-d’œuvre de candy pop collante et dégoulinante de candeur, monté sur une structure d’une ahurissante simplicité.

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    Derrière son micro et ses fûts, Anastasia vrille des couplets d’une indicible beauté. Tu vas retrouver cet objet d’art pop indubitable sur leur album sans titre. L’autre merveille du set s’appelle «Dizzy», qui sonne comme une fabuleuse descente dans le lagon d’argent de la pop, ces trois gonzesses sont aussi ambitieuses que les Lemon Twigs, elles flirtent elles aussi avec le génie pop de Brian Wilson. Elles tapent plein de merveilles qui ne figurent même pas sur l’album, franchement, t’en reviens pas de toute cette qualité. T’as l’impression que le monde pop s’enfonce dans la médiocrité, et tout à coup, les Tchotchkettes et puis les Lemon Twigs te remettent les pendules à l’heure. Alors tu reprends espoir. Grâce à ces deux groupes, les Byrds, les Beatles et Brian Wilson restent d’actualité. Ils sont aussi précieux que l’air qu’on respire.

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             L’album sans titre des Tchotchke est une petite merveille, cela va sans dire. T’es tout de suite dans le haut de gamme avec «You’ll Remember Me», belle pop ambivalente, d’essence impérissable, elles disposent de cette faculté extraordinaire à savoir vriller le chant pop. C’est du Brill d’obédience vertigineuse, quasi spectorienne sur le bonus track. Anastasia chante comme une reine de Nubie blanche. On recroise ces deux coups de génie que sont «Dizzy» et «Oh Sweetheart One», mais tu vois aussi Anastasia swinguer «Come On Sean» à la pointe de la glotte, et sur «What Should I Do», tu entends les frères d’Addario. Ce fantastique cut de salubrité publique sonne comme un hit du Brill. On croise aussi ce «Don’t Hang Up On Me» joué sur scène, une pop d’essence cristalline et aérienne. Elles s’en donnent toutes les trois à cœur joie, franchement c’est un bonheur que de les voir sur scène chanter cette merveille d’exubérance. Et comme l’album est bien produit, tu retrouves tout le punch de la version scénique. Nouveau coup de Jarnac avec «Whish You Were A Girl» : fantastique shoot de Brill, ah on peut dire qu’elles Brill au firmament, Anastasia mène sa pop flamboyante qui explose en solaces d’excelsior au moindre refrain. Et avec «Longing Delights», tu retrouves toute la folie des Lemon Twigs dans cette apothéose de pop wilsonienne.

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    Signé : Cazengler, le poids des mots, le tchotchtk des fautes

    Tchotchke. BBC. Caen (14). 25 septembre 2024

    Tchotchke. Tchotchke. Tchotchke Records 2022

     

     

    She Darts it right

     - Part Three

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             Sur scène, les Darts restent imbattables. Incompressibles. Irréprochables. Indéfectibles. Inévitables. Immédiates. Inoculables. Infaillibles. Irrésistibles. Immatures. Infectueuses. Impondérables. Indémodables. Intarissables. Indubitables. Mais prenons garde, car à force de plasticité gaga, elles finiront par nous insupporter autant que les Fleshtones. Pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour savoir que le gaga est un genre dramatiquement limité, surtout le gaga-dorgua, celui des Fuzztones et des Lords Of Altamont en particulier. Les gangs de gaga-dorgua passent leur vie à vouloir briser une routine qu’ils ne briseront jamais, car la routine est leur spécificité. La routine d’orgua est leur ADN. Seuls Question Mark & The Mysterians ont su briser le sort de la routine gaga-dorgua. Ils ont dû pour ce faire verser 96 larmes. Cry cry cry.

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             Un set des Darts s’avale d’un trait, pas de problème. Comme tous les sets, celui des Darts connaît des hauts et des bas, de beaux hauts dirons-nous, et des bas pas beaux. Jusques là, rien de nouveau. Fidèle à sa tradition, Nicole Laurenne multiplie les antics, à défaut d’être la reine du rodéo, elle est celle des cabrioles, elle bat même Jake Caveliere à la course, elle adore s’allonger au sol et faire tomber son Farfisa sur elle, elle adore empêcher sa guitariste de jouer en l’enlaçant comme un boa constrictor, elle adore sauter sur place, d’ailleurs, elle ne fait que ça, elle est très athlétique, incapable de rester calme plus de trois secondes. Elle observe bien le rituel du gaga-dorgua qui consiste à chasser les temps morts, tout doit sautiller en permanence, l’énergie doit couler à flots, ça doit pulser dans les tubulures, ça doit couiner dans les circuits. C’est drôle comme ce genre parvient à survivre, malgré ses limites. On continue d’aller voir ces groupes sur scène et, pire encore, on continue de ramasser les disks au merch. Cette manie pourrait s’apparenter à une bonne petite pathologie. T’es là, et dans les moments de grande intensité, tu te demandes pourquoi t’es là. T’en sais rien. Tu vois tout ça de l’extérieur. Tu ne peux pas faire semblant d’être le fan que tu n’es plus.

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    Alors tu observes, essayant désespérément de ne pas trouver le spectacle (dans son ensemble) grotesque. Quel sens ont les Darts aujourd’hui ? C’est en te posant ce genre de question que tu peux espérer y voir plus clair.

             Au pire, le set te fatigue. Au mieux, il te remonte un peu le moral. Dans l’in between, ça grouille de considérations :

             — Ouais, c’est bien de perpétuer la tradition.

             — Ouais, tant que des groupes comme les Darts monteront sur scène, le cœur du rock continuera de battre.

             — Ouais, elle en fait un peu trop, mais il vaut mieux en faire trop que pas assez.

             — Ouais, ça fait vingt ans qu’elle se maintient à niveau.

             — Ouais, elle est l’une des meilleures dans son genre, aussi bonne que la Flavia des Courettes et la Jackie des Jackets.

             — Ouais, les Darts, ça darde !

             — Ouais, c’est sûr qu’on va retourner les voir le mois prochain. Encore une bonne soirée en perspective ! Ouais ! Mille fois ouais !

             — Ouais, avec les Darts, c’est du zyva automatique. Tu ne te poses des questions qu’une fois arrivé sur place.

             Effectivement, tu te prends au mot et t’y retournes. Cette fois, dans ton spot préféré, au Petit Bain, là où ça rocke le boat pour de vrai. Quand elles déboulent sur scène, elles balaient le souvenir des deux premières parties, c’est tout de suite américain, c’est tout de suite en place, c’est tout de suite les Darts, c’est tout de suite wham bam, c’est tout de suite «Underground» et tout de suite suivi de «Graveyard», c’est tout de suite du 100 à l’heure, c’est tout de suite mal barré pour les canards boiteux, c’est tout de suite claqué du beignet, c’est tout de suite exactement la même set-list qu’à Rouen un mois auparavant, alors tu n’as plus qu’à te laisser porter, elles font tout le boulot, tu veux ta rasade ?

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    Elles te la servent sur le meilleur des plateaux d’argent, et t’as une salle bourrée de fans. Au moins ceux-là ont payé. Nicole Laurenne ressort tout son bataclan, la course sur place, le dos au sol avec le Farfisa sur le ventre, et toute la fantastique présence scénique dont elle est capable. Elle rampe pas mal, elle semble en donner encore plus aux Parisiens et puis c’est dit-elle le dernier set d’une tournée qui a commencé au mois d’avril. Le centième ! Elle devrait en avoir marre, mais elle y va. Elle est encore meilleure qu’avant, et le set des Darts prend du relief, le jeu de scène est bien rôdé, t’en veux pour ton billet ? Tiens-en voilà pour ton billet.

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    Ça rocke à outrance, les deux bras droits de Nicole Laurenne s’en donnent à cœur joie, elles voyagent pas mal sur scène, et derrière, la petite  Mary Rose aux cheveux verts bat un beurre de tous les diables, elle ne fait pas dans la dentelle. Nicole Laurenne communique bien avec le public, elle a fait des progrès en français. Et puis elle a cette façon de lancer les cuts qui tape chaque fois en plein dans le mille, la main droite sur le clavier et, face au public, elle court sur place en secouant les cheveux. Elle court très vite, on a même l’impression qu’elle accélère.

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    Et au bout d’une heure de bons et loyaux services, elles finiront de gaver les oies : t’auras exactement le même rappel qu’à Rouen, avec «Love Tsunami», «Shit Show» et «Liar». Ensuite ? Eh bien ensuite, tu sortiras de là sonné et ravi. T’auras vu trente-six chandelles et, last but not least, t’auras aussi vu le real deal des girl-groups contemporains. Et t’auras bien mérité un dernier tonic à la cantine.

             Et les disks dans tout ça ?

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             Avec Snake Oil, tu t’aperçois que Christina Nunez vole bien le show avec son fat bassmatic, notamment dans le morceau titre d’ouverture de bal. Les Darts sont folles : elles attaquent à la stoogerie avec un bassmatic pétaradé. Ah comme elle patate bien, la grosse Christina ! Elle est mixée à l’avant du son et ça lui donne de sacrées coudées franches. Les Darts adorent filer tout droit, comme le montre encore «Love Tsunami», et on assiste toujours au même déroulé. Nicole Laurenne compose tout, elle contrôle tout le monde des Darts. Même le merch, c’est elle. Elle tape son «Love Song» en mode Big Astmospherix assez hellish. Avec «Underground», on assiste à un fabuleux déroulé périphérique, elle rafle la mise à coups de put it down, elle adore faire exploser ses cuts, en studio comme sur scène. Avec elle, ça se remet en route vite fait. Elle tape son «Donne Moi Tout» en français. Dommage que le chant soit noyé dans la morasse. Les derniers fans de gaga-dorgua vont forcément bien se régaler avec cet album qui a pour principal mérite celui d’exister.  

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             Comme elles traversent une grosse crise de productivité, elles sortent un tout nouvel album : Boomerang. Pochette superbe, avec une sorte de graphisme crypté. Ambiance murs tagués du CBGB. Elles repartent de plus belle à la conquête du Mondo Bizarro, elles enfoncent bien leur clou dans la paume de la routine et attaquent au gros tatapoum. Il faut attendre «Pour Another» pour frémir sincèrement. Belle attaque de bassmatic invasif. Elles développent un fantastique heartbeat. Christina Nunez gratte un sacré thème, il faut bien admettre qu’elle est l’une des cracks du bassmatic moderne. Puis les Darts replongent dans leur fontaine de jouvence avec un «Liar» classique mais bienvenu, et ça explose plus loin avec «Photograph». C’est encore Christina qui attaque ça en coupe réglée. Pas de pitié pour les canards boiteux ! Darty for real ! Elle lâche encore un bassmatic de destruction massive sur «Hell Yeah». En fait, c’est elle, la grosse, la star des Darts. Belle énormité encore avec «Night». Toujours cette fantastique énergie pulsative, même dans les cuts lents. Le turbo processeur est de retour avec «Welcome To My Doldrums» : basse pouet pouet et drive d’orgua, véritable effusion d’effervescence, c’est brillant et dévastateur. Du coup, t’as hâte de les revoir sur scène. C’est comme si tu ne pouvais plus t’en passer.

    Signé : Cazengler, Dark

    Darts. Le 106. Rouen (76). 22 septembre 2024

    Darts. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 19 octobre 2024

    Darts. Snake Oil. Alternative Tentacles Records 2023

    Darts. Boomerang. Alternative Tentacles Records 2024

     

     

    Wizards & True Stars

     - Shine on De Shannon

     (Part One)

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             On va profiter d’une petite actu sur la belle Jackie DeShannon pour lui consacrer un Part One plus que bien mérité. S’il en est une qui entre de plain-pied dans la cour des Wizards & True Stars, c’est bien elle. Dans Record Collector, Lois Wilson indique que la belle Jackie atteint l’âge canonique de 83 balais et qu’elle se produit encore - Still performing - Elle a fait ça toute sa vie. Elle dit ne pas se souvenir d’un seul instant où elle ne composait pas, ou ne chantait pas.

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    (Sharon Sheeley & Eddie Cochran)

             Pas compliqué la vie : il suffit de devenir pote avec les Beatles quand ils font leur première tournée américaine en 1964. Puis t’as les Byrds et les Searchers qui reprennent tes compos. Alors ça devient easy. «When You Walk In The Room», c’est elle, et la naissance du folk-soul-rock de Laurel Canyon, c’est encore elle avec, justement l’album Laurel Canyon. C’est assez con à dire, mais il n’existe pas de blonde plus légendaire que la belle Jackie. Elle a aussi pas mal tapé dans Burt («What The World Needs Now Is Love»). Elle est très prématurée, elle se fait connaître à l’âge de 13 ans sous le nom de Sherry Lee, et à 16 ans sous le nom de Jackie Dee. En 1960, elle signe un publishing deal avec Liberty et devient pote avec Sharon Sheeley, la poule d’Eddie Cochran, qui a déjà pondu des hits pour Eddie et Ricky Nelson. Cot cot ! Elles bossent ensemble, Jackie fourbit la mélodie et elles tapent les lyrics ensemble. Mais son deal chez Liberty n’est pas bon. Ils veulent la voir composer, pas chanter. Elle parvient quand même à enregistrer un premier album en 1963. Elle y tape trois covers de Dylan. Elle voulait faire tout l’album avec des covers de Dylan, mais les mecs de Liberty n’ont pas voulu. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont rien pigé à Dylan. On y reviendra dans un Part Two, car cet album est un gros morceau. Elle raconte aussi qu’elle a dû se battre pour enregistrer le «Needles & Pins» de Sonny Bono et Jack Nitzsche - Liberty didn’t like that song either. They thought it was strange. But I put my foot down this time. I knew I had to do it - Eh oui, elle a eu raison de tenir bon. C’est l’un des plus beaux hits d’Amérique. 1963 ! Elle est déjà très en avance sur son temps. Le seul qui la comprenne, c’est Jack Nitzsche. Ensemble, ils écoutent Malher, Stockhausen, Wolf et Robert Johnson. Il n’y a pas de hasard, Balthazar. En 1963, les Searchers sont à Hambourg avec les Beatles et Cliff Bennett. Ils découvrent «Needles & Pins». Flash immédiat - We were awestruck by the song - La même année, ils tapent leur cover de «When You Walk In The Room». Pendant la fameuse tournée américaine des Beatles en 1964, le public hue les premières parties, même les Righteous Brothers. La seule qui tient le choc, c’est la belle Jackie.   

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             En 1965, elle rencontre Burt. Elle flashe sur «What The World Needs Now Is Love». Mais Burt ne veut pas lui filer la chanson. Pourquoi ? Parque que Dionne la lionne n’a pas voulu l’enregistrer - she turned it down - Pareil pour Timi Yuro qui l’a aussi refusée. Hal David insiste. Burt cède. Ce sera le hit que l’on sait. Et bien sûr, Dionne la lionne va se dépêcher de l’enregistrer.

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             En 1966, les Byrds accompagnent la belle Jackie quand elle enregistre «Splendor In The Grass». Croz : «Jackie was amazing. She was an inspiration and she was fun. She’s a one-off original.» Les Byrds tapent une belle compo de Jackie sur leur premier album, «Don’t Doubt Yourself Babe». C’est l’année où Los Angeles explose - So many clubs on Sunset. It was wonderful - C’est là qu’elle enregistre le fabuleux Laurel Canyon. Derrière elle, on retrouve Dr John au piano, Barry White dans les chœurs. Elle ouvre la voie pour Joni Mitchell et Carole King.

             Elle quitte Liberty en 1970, et Capitol lui bousille son Songs en 1971 (on y revient plus loin). Elle débarque ensuite sur Atlantic. Wexler l’envoie aussitôt à Memphis. Elle enregistre Jackie chez Chips. Autour de Chips, Arif Mardin, Tom Dowd et Wexler s’entassent dans la cabine. Les Memphis Boys assurent le backing de Jackie superstar. Pour les becs fins, Jackie navigue exactement au même niveau que Dusty in Memphis. Pareil, on y revient dans un Part Two.

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             Voilà-t-y pas qu’Ace réédite son album de covers de Ray Charles, Nothing Can Stop Me. Liberty Records Rareties 1960-1962 - I’m really proud of them - Elle explique qu’à l’époque elle savait tout faire, du Burt, du Ray Charles, du Needles, du Dylan, et son label voulait qu’elle reste dans un genre bien défini, alors qu’aujourd’hui, dit-elle, on demande aux artistes de se diversifier. Elle prend l’exemple de Rod The Mod - Back then, my diversity was a curse. But I was actually ahead of the curve.

             Alors oui, on saute sur Nothing Can Stop Me. Liberty Records Rareties 1960-1962. Elle est en effet très jeune sur la photo de pochette. Mais elle chante son Ray d’une voix rauque, presque black. Elle est très sauvage. Elle aurait pu taper du rockab. Avec «I Got A Sweetie», elle claque un gospel black de petite vertu. Par contre, elle force trop son «What’d I Say», elle y va au tell you mama de bonne bourre. Elle jette toute sa niaque dans la balance de «Georgia On My Mind» et devient fabuleuse d’à-propos dans «Hallelujah I Love Her So». Yes I know ! Elle s’en sort vraiment avec les honneurs. Comme toujours chez Ace, les bonus grouillent de puces. On la sent folle de Ray. On la voit twister près du juke sur «Stand Up & Testify» et son «Baby (When Ya Kiss Me)» est de très haut niveau, fast & battu sec, avec des violons. On est frappé par la qualité des interprétations et des orchestrations. Elle devient folle avec «That’s What Boys Are Made Of» et ça se termine avec l’heavy pop de «Don’t You Feel Sorry For Me», fantastique cut d’époque avec le solo de sax et les clap-hands.

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             Chez Ace, on ne fait jamais les choses à moitié. Nos amis anglais ont entrepris de compiler tous les singles de Jackie sur trois volumes. C’est très consistant, très passionnant et recommandé pour les longues soirées d’hiver. Le volume 1 couvre la période Liberty - qui était aussi le label de Bobby Vee, de Johnny Burnette et d’Eddie Cochran - de 1960 à 1963. Certains morceaux sortis du contexte des albums redeviennent des bombes, d’où l’intérêt de ce genre de compile. On note aussi que les premiers singles de Jackie sonnent comme ceux des Coasters et de Brenda Lee. Elle faisait sa gutturale des cavernes. Elle bricolait un rock de fille et elle se battait bien avec son micro. Elle a commencé à virer jerk avec « Ain’t That Love » qu’elle prenait d’une voix fêlée et qu’elle chantait comme une bête fauve. Elle révélait son animalité. Elle prit à partir de là l’habitude de se racler la gorge et de se faire passer pour une méchante. Elle enregistrait aussi pas mal de slows super-frotteurs qui ont dû favoriser l’éclosion du baby-boom américain. Avec « Needles And Pins », on entrait enfin dans le vif du sujet : elle devenait l’inventeuse de la pop moderne. Elle tirait ça d’une voix de meneuse qui cinquante après impressionne toujours autant. Elle montrait au passage sa passion pour le gospel avec « Oh Sweet Charriot » et balançait un hit de r’n’b digne des Supremes, « Till Ya Say You’ll Be Mine » qui explosait de vigueur éclatante. Et bien sûr on avait à la suite l’éclair de génie du Walk In the Room, avec ses tambourins et ses maracas, un point de repère dans l’histoire du rock.

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             Avec le volume 2, on monte en puissance. Il est à cheval sur Liberty et Imperial, et couvre la période qui va de 1964 à 1967. On y retrouve cette monstruosité punk, cette énormité de jerk de cave qu’est « It’s Love Baby ». Sur « Don’t Turn Your Back On Me », Jimmy page bat le riff. Complètement légendaire. « A Lifetime Of Loneliness » est une merveille de Burt mélodiquement parfaite. Riche car travaillée dans l’essence même du capiteux. Elle remonte au signal pour fracasser le plafond de verre. Cette fille là, mon vieux, elle est terrible ! On assiste à une montée d’intensité quasi-orgasmique. Puis elle chante « I Remember The Boy » à la cantonade. Elle montre sa puissance en tapant dans le haut de la mélodie. Elle s’y révèle la fabuleuse shouteuse qu’on va retrouver ensuite au fil des albums. C’est ferrailleux, solide. Elle dégouline de classe. Elle joue son folk-rock princier en montant dans les octaves et elle fait sauter tous les bouchons. Monstrueux. On retrouve le fabuleux « Come And Get Me » de Burt et « Splendor In The Grass », où les Byrds l’accompagnent. Avec tous ces singles extraordinaires, elle atteint son âge d’or. Ce volume est le plus dense des trois.

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             Le volume 3 couvre la période 1967-1970, jusqu’à la fin de son contrat avec Imperial. On la sent attirée par le son hollywoodien, car elle commence par sortir une série de singles trop produits (« Changin’ My Mind », « It’s All In The Game » et « I Keep Wanting You »). Avec « Me About You », on la voit embobiner la mélodie. Elle joue à la superstar hollywoodienne, elle mène sa barque et tout le monde se prosterne à ses pieds. Elle fait rêver l’Amérique blanche. « Effervescent Blue » est une pure merveille insolite chantée à la manière de Diana Ross. C’est d’une classe extrême. Elle s’y révèle l’égale des grandes shouteuses de jazz. Elle brise les mythes sur ses genoux. On retrouve le beautiful folk-rock de « Laurel Canyon » et ce furieux hit qu’est « What Is This », tout secoué de guitares. « Always Together » est une belle pièce lumineuse qu’elle éclaire de sa voix. Imbattable. C’est à ce genre de single qu’on voit la grandeur d’une interprète. Elle a une façon particulière de monter son feeling dans la lumière de l’harmonie. Encore une pure merveille avec « Keep Me In Mind », mid-tempo élégant et mélodique, prodigieusement inspiré et qu’elle amène à sa façon pour en faire une pop étrangement veloutée et artistement décolletée. On retrouve aussi l’éclat de « Brighton Hill » qu’elle passe au filtre hollywoodien. Elle ne s’arrête jamais. Elle enfile les hits comme des perles. Les gentils compileurs d’Ace ont aussi pensé à mettre l’effarant medley « You Keep Me Hanging On/Hurt So Bad », version ultime et mortelle randonnée, elle en fait de la charpie, comme le fit le Vanilla Fudge. Les trois derniers singles sont faramineux : « It’s So Nice » (hit soul), « Mediterranean Skies » (incroyablement moderne pour l’époque) et « Bird On the Wire ».

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             Dans sa collection « Songwriters », Ace a bien sûr pensé à bricoler un volume Jackie DeShannon qui s’intitule Break-A-Way. Ça commence avec la version endiablée de « Break-A-Way » d’Irma Thomas, qui est accompagnée par un batteur drôlement énervé. On tombe ensuite sur le « When You Walk In The Room » des Searchers qui fut l’un des groupes préférés de Mark E Smith. Idéal pour les soirées sixties. Hit parfait. Ces mecs-là avaient tout l’arsenal : l’énergie et les harmonies vocales. Cher reprend « Comme And Stay With Me ». Elle préfigure Chrissie Hynde. Cher est sublimement punkoïde, même si la chanson vire poppy avec des clochettes à tous les coins de rues. Cher était une vraie hargneuse. Elle connaissait tous les secrets du frisson. Mais on trouve aussi pas mal de déchets : les reprises des Fleetwoods, d’Helen Shapiro, de Dick Lory, de Brenda Lee, de Peter James et de Dobie Gray ne volent pas haut. « Carrying A Torch » par Wynona Carr vaut le détour, car c’est magistralement interprété. La valse des déchets se poursuit jusqu’à la reprise de « Splendor In The Grass » par les Boys et leur gros son gloomy, mais c’est facile, car la chanson est bonne. Les Boys sonnent comme des Byrds, mais ce sont des filles. On a là un pur joyau de Californian Hell. Fabuleuse reprise de « Should I Cry » par les Concords. Leur version est complètement dévoyée. S’ensuit un autre chef-d’œuvre, « Thank You Darling » repris par Rick Nelson, chanteur exceptionnel. Autre merveille : « Would You Come Back » par Eddie Hodges, traitée au laid-back alcoolisé du matin difficile et joliment ramassé dans le titubant. Une autre perle avec « Day Dreaming Of You » par les Fashionnettes, exercice de style admirable signé par un girl-group kitschy. C’est aux Byrds que revient l’insigne honneur de refermer le cortège avec une version exceptionnelle de « Don’t Doubt Yourself Babe » qu’ils traitent à la mode de l’apothéose. On en n’attendait pas moins des Byrds.          

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             Le volume 2 consacré à la songwriteuse vient de sortir : She Did It. The Songs Of Jackie DeShannon Volume 2. Comme le précédent, cet album dégage un petit parfum de dynamite. S’il en est une qui sait écrire des chansons, c’est bien Jackie. Les volumes Ace jettent une lumière crue sur les grands artistes. Elles sont un complément indispensable à la discographie de ces artistes, surtout dans le cas de Jackie. C’est à Dorothy Morrison que revient l’honneur de taper dans « Put A Little Love In Your Heart », un gros r’n’b monté sur la basse. Dorothy se montre digne des géantes de Stax. On retrouve un peu plus loin le grand Dave Berry et « I’ve Got My Tears To Remind Me », avec l’énergie du Swinging London. Pure merveille d’antiquaire. Brenda Lee tape dans « My Baby Likes Western Guys » et elle y va au guttural. Elle s’arrache tout, mais on salue la beauté du geste. On retrouve la grandeur des Ronettes pour « He Did It » vieux hit sixties sha-la-la-té et extrêmement juteux. Gros choc émotionnel avec Marianne Faithfull qui reprend « With You In Mind » au gothique moyenâgeux. Elle en fait même un peu trop et se prend pour Guenièvre. Par contre, les Righteous Brothers ne rigolent pas. Dans leurs pattes, « Burn On Love » devient une monstruosité, ils chauffent la tambouille et multiplient les renvois de voix au loin. Avec Jackie, on retrouve l’équation magique Spector/Righteous. Encore une merveille oubliée : « Each Time » par les Searchers. Fantastique écho. Ces mecs de Liverpool auraient mérité d’exploser comme les Beatles. Et puis on tombe sur la perle de l’album : « The Greener Side » par Tammy Grines. Véritable énormité, elle chante à la ramasse du dévolu. Pur génie. Tammy Grines est terrifiante de classe. Encore un génie avalé par l’oubli : PJ Proby. Il tape dans « The Other Side Of Town ». Il grimpe très vite dans les violonades. PJ est le roi indétrônable des stentors. Puis on tombe sur « Till You Say You’ll Be Mine » chanté par Olivia Newton John qui bénéficie d’une prod à la Spector. Incroyable mais vrai. La fête se poursuit avec « I Shook The World » par Bob B Sox & The Blue Jeans, pur r’n’b de grande cuvée, vrai hit de juke, mais ça on le savait depuis longtemps. Delaney Bramlett chante « You Have No Choice » tout seul comme un pauvre malheureux et Rita Coolidge vient nous rappeler avec « I Wanted It All » qu’elle fut l’une des grandes chanteuses américaines. Même chose avec les Carpenters et « Boat To Sail », pure merveille pop qu’il faudra bien un jour redécouvrir. C’est l’avantage des compiles bien foutues (comme les sont quasiment toutes les compiles Ace) : on voyage à travers l’histoire du rock et on fait de belles rencontres. Alors on se dit : Oh il faudra que je revienne ici. Et là !

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             Vient de paraître All The Love - The Lost Atlantic Recordings, des morceaux pilotés par Jerry Wexler et qui ne figurent pas sur les deux albums Atlantic de Jackie, Jackie et Your Baby Is A Lady. Elle attaque avec « When I’m Gone », un fantastique balladif sensible. Ne prenez pas Jackie à la légère, c’est une femme fantastique. Elle sait tenir un mid-tempo avec intégrité. Elle a autant de classe que Dylan. Elle sait driver un hit. Encore un beau balladif avec « Drift Away ». Et elle passe à la country-motion avec « All The Love That’s In You ». Elle chante un peu comme Vanessa Paradis, elle est marrante. En fait, elle cherche le petit hit de la joie et de la bonne humeur. Elle nous sort là le joli groove des jours heureux, chanté à la petite voix sucrée et c’est orchestré de main de maître, on peut faire confiance à Tom Dowd et Arif Mardin, l’A-team de Jerry Wexler. On sent aussi une fantastique aisance sur ce joli folk-rock qu’est « Grand Canyon Blues ». Avec « If You Like My Music, », Jackie fait autorité - My music ! - Elle tient à préciser les choses sur un gros fond de nappes d’orgue. On tombe plus loin sur « Spare Me A Little Of You », un fantastique balladif pulsé à coups d’acou. Puis elle reprend le fameux « Don’t Think Twice It’s Alright » de Dylan. Courage ma fille ! Tiens bon la rampe ! Jackie est très forte. S’ensuivent quatre bonus pour le moins exceptionnels : un « Sweet Sixteen » de fantastique allure, un « Flamingos Fly » d’incommensurable ampleur, un « Santa Fe » qui sonne exactement comme un groove de rêve et « The Wonder Of You » qui va ta laisser seul, définitivement seul.

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             Après le re-parution des Lost Atlantic Recordings, voici celle des Complete Capitol Recordings, une sorte de nouveau passage obligé. On y retrouve tout ce qui fait la grandeur de cette artiste, à commencer par l’immense « Stone Cold Soul », une compo signée Mark James. C’est l’époque où Jackie enregistre à Memphis, chez Chips Moman et il faut entendre cette country Soul prodigieusement inspirée. Reggie Young joue des déluges sur sa guitare et Tommy Cogbill multiplie ses triplettes de Belleville sur le manche de sa basse. On a là une pure énormité et cette folle de Jackie s’accroche au Stone à coups de yeah-eh-eh. Allez, on va dire qu’on a là la meilleure pop de tous les temps. Chips laissait entendre que ces sessions avec Jackie comptaient parmi ses préférées. Magnifique version du « Child Of Mine » signé Goffin & King. Elle chante au timbre sucré, quasi-nubile, et passe sans crier gare au timbre fêlé. Elle regorge de feeling et Reggie Young fait des prodiges sur son acou. Elle tape ensuite dans un cut d’Emmit Rhodes, « Love Till You Die » et renoue avec le génie dans « Seven Years From Yesterday », un shoot d’heavy pop de Soul of American, joué sous un certain boisseau, à la Bobbie Gentry. Elle chante sa Soul avec la foi du pâté de foi et ça donne le Memphis swamp. En réalité, elle fait ce qu’elle veut, sa voix lui permet toutes les audaces. Elle tape plus loin dans George Harrison avec « Isn’t It A Pity ». Elle reprend sa voix nubile pour clamer isn’t it a pity/ Isn’t it a shame, elle atteint des profondeurs réellement dramatiques. Le plus stupéfiant de toute cette histoire, c’est que l’ensemble des cuts enregistrés chez Chips ne vont pas plaire à Capitol. Hop, à la fosse ! Ils rejettent ce «Sweet Inspiration» pourtant signé Dan Penn & Spooner Oldham. C’est pourtant du pur Deep South genius - I need a sweet inspiration - C’est du gospel batch de Memphis, il ne manque plus que les Edwin Hawkins Singers. C’est Johnny Christopher, l’un des songwriters d’American, qui signe « Johnny Joe From California ». C’est un hit, et pourtant il finit lui aussi à la fosse. Le monde à l’envers ! D’autant qu’elle le pousse à fond. Il faut bien dire que tout est extrêmement produit, ici, Chips ne rigole pas avec l’American mood. « Now That The Desert Is Blooming » et « Sleeping With Love » sont d’authentiques modèles productivistes. Reggie Young gratte à l’arrière et c’est embarqué au big heavy Memphis sound. « Gabriel’s Mother’s Highway » est un cut d’Arlo Guthrie, elle embarque ça aux chœurs de gospel et passe à Van Morrison avec « And It Stoned Me », nouveau shoot de Memphis Sound sur le compte du Van. Chips en fait une fois encore une merveille productiviste. Mais comme tout cela ne plait pas à Capitol, elle doit enregistrer l’album Songs à Hollywood et là, ce n’est plus du tout le même son. On a quelque chose de beaucoup plus commercial. Le « West Virginia Mine » déjà enregistré à Memphis retombe sur Songs comme un soufflé. Un violon y remplace le piano de Bobby Emmons, c’est chanté au bazar de l’Hôtel de ville. Atroce. « Bad Water » sonne comme du rock US m’as-tu-vu à la Dolly Parton et dans « Ease Your Pain », Capitol balance des chœurs de gospel d’Hollywood, autant dire du Walt Disney. Ça n’a pas d’âme, pas de chien, pas de rien. L’album a tous les défauts du coup foireux : prod sèche, pas de grain, l’anti-Chips. Merci Capitol ! 

    Signé : Cazengler, Jacky Dechochotte

    Jackie DeShannon. You Won’t Forget Me. The Complete Imperial/Liberty Singles. Vol. 1. Ace 2009

    Jackie DeShannon. Come And Get Me. The Complete Imperial/Liberty Singles. Vol. 2. Ace 2011

    Jackie DeShannon. Keep Me In Mind. The Complete Imperial/Liberty Singles. Vol. 3. Ace 2012

    Break-A-Way. The Songs Of Jackie DeShannon. 1961-1967. Ace Records 2008

    She Did It. The Songs Of Jackie DeShannon Volume 2. Ace Records 2014

    Jackie DeShannon. All The Love - The Lost Atlantic Recordings. Real Gone Music 2015

    Jackie DeShannon. Stone Cold Soul - The Complete Capitol Recordings. Real Gone Music 2018

    Jackie DeShannon. Nothing Can Stop Me. Liberty Records Rareties 1960-1962. Ace Records 2024

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    Lois Wilson : Lady of the canyon. Record Collector # 558 - June 2024

     

     

    Bye Bye (Liver)birds

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             Pas le book du siècle ni le girls-group du siècle, pas non plus la compile du siècle ni les covers du siècle, mais bon, l’un dans l’autre, tu passes un bon moment avec les Liverbirds de Liverpool. Les deux survivantes du groupe, Mary McGlory (bass) & Sylvia Saunders (beurre) ont croisé leurs souvenirs pour pondre - cot cot - une autobio : The Liverbirds. Our Life In Britain’s First Female Rock’n’Roll Band. L’idéal est de croiser ces souvenirs croisés avec l’écoute d’une solide compile Big Beat des Liverbirds parue en 2010, From Merseyside To Hamburg - The Complete Star-Club Recordings.

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             La grande force du book est qu’il te ramène à l’aube de l’âge d’or du rock anglais, lorsque tout se passait à Liverpool et au Star-Club de Hambourg. Comme l’éditeur a dû leur demander d’entrer dans les détails, elles ne t’épargnent rien du contexte socio-économique du working-class system de Liverpool : les familles, les jobs des parents, l’eau courante/pas l’eau courante, les zécoles, les zozos et les zinzins des zazimuts. Mary et Sylvia sont intarissables. Ce n’est pas que tu t’ennuies, mais bon, t’es là pour le Star-Club et la Cavern. Mary s’y rend avec ses cousines Veronica et Rita, et qui-qu’elles voient sur scène ? Les Beatles ! Et t’as John Lennon qui annonce au micro : «This is another song that we wrote ourselves.» Et là Mary nous explique : «As the band ripped into ‘Please Please Me’, the audience went into a frenzy.» Alors les filles décident qu’elles veulent faire ça : jouer du rock sur scène. Elles vont trouver les Remo Four qui sont eux aussi au pied de la scène et leur demandent où ils achètent leurs instruments.

             On est en 1963. Sylvia a 16 ans. Elle se pointe chez le marchand Rushworth & Dreaper’s. Elle dit au vendeur qu’elle veut une batterie - I’d like a kit of drums - Elle flashe sur un kit noir et blanc. Le vendeur l’observe et lui demande comme elle va payer. «I’ll pay weekly.» Il lui demande son âge. Sixteen. Le mec lui dit qu’elle ne peut pas. Soit daddy soit mummy. Il lui file le formulaire. Sylvia rentre chez elle et colle le formulaire sous le nez de sa mère : «Mother, sign that.» La mère répond : «What now, Syl?». Et Syl ne se déballonne pas : «Me and Val are gonna form a group. We’re going to play rock’n’roll.» Et la mère fait : «Oh, all right.» T’es à Liverpool, amigo, chez des gens éclairés.

             Val, c’est Valerie Gell, la guitariste qui a cassé sa pipe en bois en 2016. L’autre guitariste, la blonde Pamela Birch a aussi cassé sa pipe en bois en 2009. Des quatre, Val est la plus douée : elle peut jouer les cuts des Shadows et le «Peter Gunn» de Mancini. Le groupe devait s’appeler les Squaws, puis elles ont choisi les Liverbirds qui sont des oiseaux d’acier fixés sur un bâtiment du front de mer. La légende dit que si les Liverbirds s’envolaient un jour, Liverpool disparaîtrait.

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             En 1963, tous les kids de Liverpool veulent monter des groupes. Le succès des Beatles fait des ravages dans toutes les couches de la société, surtout chez les plus pauvres - Même si vous veniez d’un milieu pauvre, vous pouviez avoir un vie différente - Elles bossent tant et si bien qu’elle finissant par jouer six fois à la Cavern. Elles n’aiment pas Lennon qui est un provocateur : il affirme que les filles ne savent pas jouer de guitare. John Wiggins, le copain de Sylvia, a un jour collé Lennon au mur parce qu’il avait été trop insultant. T’apprends des tas de petites choses comme celle-ci. Le regard des filles sur les Beatles est extrêmement intéressant.

             Mary doit lâcher son boulet chez Hunters, une usine à viande froide. Elle n’a pas le courage d’aller annoncer sa démission, aussi envoie-t-elle son père. Son père revient et lui annonce qu’elle a fait une grosse connerie, parce que le boss a dit qu’elle avait un bel avenir dans la viande froide. Mary est sciée : «A big future in cold meats?».

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             En novembre 1963, elles jouent au Co-op Ballroom de Nuneaton avec des débutants, les Rolling Stones. Le Jag a 20 piges. Les gosses bombardent la scène de petits pains fourrés à la crème. Les Stones parviennent à éviter les missiles, sauf Charlie coincé derrière sa batterie. Mary dit qu’il finit le show couvert de crème. C’est moins pire que d’être couvert de glaviots, after all.  Et grâce aux Stones, les Liverbirds passent de la Beatlemania à un son plus raunchy - a grittier, bluesy direction - Elles vont vraiment commencer à taper dans Bo et dans Chucky Chuckah. Elles jouent aussi au Club a’Gogo de Newcastle, dont les stars locales sont les Animals, pareil, avec du gritty plein les pattes. En février 1964, elles jouent avec un «new band called the Kinks». C’est Ray qui leur dit que Sheila, la cousine de Mary, n’est pas bonne, et il leur présente Pam, «wearing a black cap, striped jacket and Chelsea boots.» Pam la blonde, qui flirte avec Ray Davies, et qui remplace Sheila. Les Loverbirds sont enfin au complet : Sylvia, Mary, Val & Pam. Elles peuvent partir à la conquête du Star-Club.

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    ( Assis à son bureau Manfred Weissleder)

             Elles partent à Hambourg au moment où Brian Epstein s’intéresse à elles. Trop tard. Elles sont déjà dans le bateau. Pareil, Larry Page qui s’occupe des Kinks leur fait aussi une offre qu’elles déclinent. C’est le boss du Star-Club, Manfred Weissleder, qui va s’occuper d’elles.

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             Et là, on entre dans l’un des endroits les plus mythiques de l’histoire du rock. Sylvia et Mary regorgent de détails fascinants sur le Star-Club. Elles nous apprennent que les barmaids sont les stars du Star-Club. Si elles t’ont à la bonne, ça va marcher. Dans le cas contraire, tu peux renter en Angleterre. Si elles aiment un groupe, elles allument les lampions au-dessus du bar. Le premier soir, les Liverbirds se retrouvent sur scène devant 2 000 personnes ! C’est énorme ! Alors, elles mettent le paquet - It was like something ignited and the audience went wild - Comme à Liverpool. Ça explose dans la salle. Elles démarrent avec «Road Runner». Mary et Pam courent sur scène en jouant - Pam looked like a big glamourous cavewoman.

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             Tu retrouves ce «Road Runner» sur la compile. La cover est tout simplement fabuleuse, le son est sec et Sylvia bat un beurre terrific.

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    (Klauss Woorman en 2018)

             Et le sexe dans tout ça ? Sylvia est la première à en parler : «Même si Mary et moi avions fait le vœu de rester vierges jusqu’au mariage, on a vite changé d’idée et je fus la première à craquer. En décembre 1964, j’étais au pieu avec Klaus Voorman, my first love.»

             En matière de girl-bands, les seules concurrentes sont Goldie & The Gingerbreads, des Américaines. Elles sont restées un mois au Star-Club, en attendant leurs visas pour l’Angleterre, où elles étaient invitées par les Stones et les Animals qui les avaient vues à New York dans une party chez Warhol pour la superstar fashion icon Baby Jane Holzer. Mary indique cependant que Goldie & The Gingerbreads avaient un son trop «bombastic power pop» pour le Star-Club qui en pinçait plus pour le rock’n’roll. Les Allemands préféraient les Liverbirds.

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             C’est Manfred qui les emmène en studio enregistrer leur premier album. Il a monté son label pour promouvoir les groupes qu’il programme sur scène. L’album des Liverbirds (Star-Club Show 4) est le quatrième, après les Searchers, les Rattles et Lee Curtis & The All-Stars. Elles démarrent avec un premier single, une cover du «Shop Around» de Smokey, qu’on retrouve bien sûr sur la compile Big Beat. Elles tapent là dans l’œil du cyclope et y ramènent toute l’énergie des Pirates - Oh yeah you’d better shop around/ Yeah - Leur deuxième single est un gros clin d’œil à Bo, «Diddley Daddy», qu’elles font bien rampant - Yeah Bo Diddley/ He’s a gun slinger/ He rides again - Tu retrouves tous les cuts de Star-Club Show 4 sur la compile, à commencer par ce «Talking About You» de fantastique allure, avec du Merseybeat clair et net et sans bavure, et un fabuleux solo de clairette. Fantastique cover de «You Can’t Judge A Book By Looking At The Cover» : niaque incroyable, bassmatic dynamique à l’anglaise, et Pam au let’s go yeah ! Leur «Johnny B Goode» est assez imbattable, énergie du diable et section rythmique stupéfiante.

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             Leur deuxième album, More Of The Liverbirds, est encore plus impressionnant, car elles tapent dans des hits superbes : «For Your Love» des Yardbirds (belle crise de craze), «Around & Around» (irréprochable), «Peanut Butter» de Chubby Checker, hey c’mon now !, «Oh No Not My Baby» de Goffin & King (cover gorgée de feeling), «Heatwave» (elles font bien Martha), «Long Tall Shorty» de Don Covay (wild sound, ça vaut largement les Milkshakes), «He’s About A Mover» de Doug Sahm (en plein dans l’œil du cyclope texan), et puis tu croises aussi sur la compile une cover de «Before You Accuse Me», où elles sonnent comme des Américaines, avec tout le chien de Liverpool - Before you accuse me/ Take a look at yourself - Et si tu adores Bo, alors tu vas te régaler de «Bo Diddley Is A Lover». ça vaut tout Lord Rochester. Yeah yeah Pam Birch !

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             Sylvia couche aussi avec Bob Garner, qui joue avec Tony Sheridan et qui ira ensuite rejoindre les Creation. Elle aime bien Bob, mais comme elle dit, ils sont, elle et lui, so busy touring it didn’t last. Les Liverbirds se mettent à tourner dans l’Europe entière et deviennent des big stars. Elles sont au hit-parade allemand avec «Diddley Daddy» et «Peanut Butter». Pam la blonde chante tout ça merveilleusement. C’est aussi elle, nous dit Sylvia, qui insiste pour taper une cover d’«Heatwave». C’est encore l’époque où on a le droit de conduire bourré sur la route, et Johnny Kidd, nous dit Sylvia, aimait boire un coup et prendre le volant. Bing ! Car crash sur la route.  Johnny Kidd était une star énorme au Star-Club.

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             Elles voient aussi Jimi Hendrix jouer au Star-Club trois soirs de duite. Elles sentent que le son change, «moving from beat pop to psychedelic sounds.» Le rideau se lève sur un Jimi qui claque le premier accord de «Foxy Lady». C’est aussi le big time pour les drugs. Mary en voit à gogo backstage, des amphètes qui ne coûtent rien ou presque, «known as the Preludin and Captagon» et qu’on va surnommer les «Prellies», que les Stones appelaient aussi «Mother’s Little Helper». Elles retrouvent d’ailleurs les Stones à Dortmund, elles sont au bar de l’hôtel et Brian Jones qui arrive demande à Pam si elle a de la coke. C’est la tournée Between The Buttons. Pour Mary, ce souvenir est important, car c’est la dernière fois qu’elle voit Brian Jones vivant.

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             Puis le groupe va entamer son déclin. Il ne reste plus que Pam et Mary dans les Liverbirds quand elles partent au Japon. Chris et Dixie ont remplacé Val et Sylvia. Le dernier concert des Liverbirds a lieu en août 1968. Sylvia se souvient que les Liverbirds sont arrivées à Hambourg en 1964. Elles ne devaient rester que six semaines et elles sont restées quatre ans, pendant lesquels elles ont enregistré deux albums et fréquenté Chucky Chuckah, Jimi Hendrix, Johnny Kidd, the Remo Four, the Big Six, testé les drogues et le sexe. Quatre ans de paradis. Le Star-Club qui avait ouvert ses portes en 1962 les fermera 14 mois après la fin des Liverbirds, au jour de l’an 1969, «the very last day of the sixties.» Comme Sam Phillips et d’autres géants avant lui, Manfred Weissleder «had lost interest».

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             Bon alors, après, les Liverbirds font des gosses, enfin, celles qui sont mariées. Puis elles se reforment et on les qualifie d’«original punks». Elles participent à la Big Beat Party, à Hambourg, avec Gerry & The Peacemakers, les Troggs, Dave Dee Dozy Beaky Mick & Titch, Ian & The Zodiacs, Lee Curtis, les Pirates sans Johnny Kidd et Screaming Lord Sutch. C’est la formation originale des Liverbirds qui déboule sur scène, Val, Pam, Sylvia et Mary, avec Barbara pour filer un coup de main sur les solos.

             Puis Pam qui a toujours fumé 40 Dunhills par jour chope un petit cancer et casse sa pipe en bois au moment où on lui enlève un poumon. Val va ensuite valdinguer dans les décors. It’s only rock’n’roll. 

    Signé : Cazengler, livide bird

    Mary McGlory & Sylvia Saunders. The Liverbirds. Our Life In Britain’s First Female Rock’n’Roll Band. Faber & Faber 2024

    The Liverbirds. From Merseyside To Hamburg - The Complete Star-Club Recordings. Big Beat 2010

     

     

    Inside the goldmine

     - Quelle Clark !

             Baby Click dansait tout le temps. Même quand il n’y avait pas de musique, elle papotait en se dandinant d’un pied sur l’autre et en hochant la tête sur un rythme qu’elle était la seule à entendre. Au début, ça t’épatait, tu enviais son feeling. Wouah Baby Click tu danses le jerk au Palladium ! De toute évidence, elle était restée ancrée dans les sixties. En plein trip Teenie Weenie Boppie ! Ses fringues, ses expressions, ses sourires, ses enthousiasmes, sa ligne, tout était sixties. Pas un poil de graisse. Une vraie jerkeuse. Un corps magnifique. Pour elle, la vie consistait à jerker. Jamais un mot sur son histoire sentimentale. Rien sur son parcours professionnel. Devenue retraitée, elle était restée incroyablement désirable. Quelques mecs lui tournaient encore autour, mais ça la faisait rire de bon cœur, et hop, elle se mettait à danser et à claquer des doigts. Elle adorait quasiment tout : la Soul, le funk, le garage quand il était dansant, la pop, bien sûr, on l’a aussi vue danser sur des trucs compliqués, mais elle avait cette facilité qui lui permettait d’adapter les mouvements de ses jambes et de ses hanches à toutes sortes de déboires rythmiques, et plus tu la voyais hocher la tête sur le beat, plus tu l’admirais. Admirer une femme, c’est une façon déguisée de la désirer. Mais tu savais bien au fond que ça n’irait pas plus loin. Pourtant, c’est toujours elle qui revenait à la charge, qui proposait des plans, des voyages et des soirées, elle restait à l’affût de tout ce qui pouvait être intéressant, elle multipliait des situations de proximité, les bises d’adieu dans les parkings étaient parfois tendancieuses, et elle accepta même un jour de venir boire un verre à la maison au retour d’un trip parisien, mais au moment de basculer dans l’irréparable, elle demanda à écouter des choses qu’elle aimait à la folie, «T’as pas Sam & Dave ?». Alors on sortait le stock de Stax et ça repartait pour une heure ou deux de jerk endiablé, elle tombait la veste et jerkait toute seule jusqu’à l’aube. Puis elle te remerciait pour cette excellente soirée, faisant bien sonner l’«excellente», et rentrait chez elle. Une heure plus tard, tu recevais un SMS te disant qu’elle était bien rentrée, qu’elle avait passé une excellente soirée et qu’elle avait hâte de récidiver. De toutes les allumeuses connues au bataillon, Baby Click était sans conteste la plus merveilleuse.

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             C’est une façon comme une autre de prendre ses Click et ses Clark. Autant Baby Click est brune, autant Chris Clark est blonde. Alors on prend ses Clark mais pas ses Click, et on file chez Motown. Quoi ? Une blonde chez Motown ? Ça par exemple ! Eh oui, Chris Clark s’est pointée un beau jour de 1963 dans le bureau de Berry Gordy et lui a chanté on the spot une tonitruante mouture d’«All I Could Do Was Cry» d’Etta James. Troublé, Gordy l’a gardée. Mais avant d’essayer d’en faire une star, il va lui demander de bosser deux ans à la réception.

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             Quelques singles sur VIP et boom premier album sur Motown en 1967, l’excellent Soul Sounds. Il faut la voir taper «Love’s Gone Bad», un hit signé HDH, elle est dans le bain jusqu’au cou, wild as Motown fuck ! Elle tape plus loin dans l’«If You Should Walk Away» de Frank Wilson, elle te le drive dans les règles, pas de problème. Elle finit ce brillant balda avec une cover de «Got To Get You Into My Life», elle pique sa crise de Beatlemania à la belle attaque, mais elle n’a pas le raunch de McCartney. En B, elle tape dans Smokey avec «From Head To Toe», elle a tout, les clap-hands et la classe qui va avec. Dernier smash de l’album, un «Until You Love Someone» signé HDH. C’est tout de suite happy comme pas deux - You can’t be happy/ Until you love someone - Ah elle y va, la White Negress, comme on la surnomme en Angleterre.

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             Son deuxième album s’appelle CC Rides Again et sort en 1969 sur le label rock de Deke Richards, un jeune producteur blanc signé par Berry Gordy. Au dos, elle est grimpée sur un éléphant, une idée de Deke Richards. C’est un album de covers, dont la plus spectaculaire est celle d’«You’ve Made Me So Very Happy», l’hit de Brenda Holloway. Chris Clark n’a pas la niaque de Brenda, mais elle attaque au mieux de sa voix blanche de blanche - You treated me so kind - C’est sans doute l’une des plus belles chansons d’amour de tous les temps, avec celles de Piaf et d’Esther Phillips - I’m so glad you/ Came into my life - Et elle tartine avec passion - Thank you babe - Elle explose de bonheur. C’est le sommet du genre. Elle fait aussi une petite cover de «Spinning Wheel», elle n’a pas la niaque de David Clayton Thomas, mais elle s’y frotte bien, avec son bon feeling de blanche noircie. Et puis voilà la chanson magique, co-signée par Deke Richards et l’arrangeur Van De Pitte : «How About You». Chris Clark épouse la magie pop - Baby I love you/ How about you - C’est quasiment du Burt. Elle se vautre lamentablement avec «With A Little Help From My Friends», elle en fait de la petite pop, dommage, mais elle fait du «One» de Nilsson un jerk de fantastique allure. Elle écrase bien son champignon. Elle se frotte à ses risques et périls à l’«In The Ghetto» et tape son «Get Back» dans le fond de la casserole.  

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             Le petit conseil qu’on pourrait donner aux fans de Chris Clark serait de rapatrier The Motown Collection : on y trouve les deux albums Motown pré-cités, et une montagne de cuts inédits. Encore une fois, on saute en l’air quand on découvre la qualité d’inédits comme «Ask My Girl». Quoi ? C’est un véritable coup de génie pop groové chez Motown et signé HDH. C’est incompréhensible qu’un tel smash soit resté dans un tiroir. Et attends, c’est le premier d’une série de 25. Le compileur en a rempli un CD entier. Encore un pur hit Motown avec «Everything’s Good About You». Du HDH encore avec «Take Me In Your Arms (Rock A Little While)» et voilà un hit signé Mickey Stevenson, «In The Neighbourhood». C’est une blondasse qui te claque le beignet de Motown. Ambiance «Something To Remember» (Ray Charles) avec «I Just Can’t Forget Him», et elle repart à l’assaut des charts avec «If You Let Me Baby», tout est bon, sur ce CD d’inédits, Chris Clark finit par sonner comme une black, elle chante parfois d’une voix fêlée et joue un peu avec le feu, elle n’est jamais très loin de la vérité. Et pouf, voilà qu’elle tape «Crying In The Chapel», elle se prélasse dans l’excellence de la chapelle. Plus loin, elle défonce encore la rondelle des annales avec un «He’s Good For Me» bombardé au bassmatic Motown. Chris Clark monte sur tous les coups. «Bad Seed» et «Something’s Wrong» t’envoient directement au tapis, elle y va au wild r’n’b d’I got to lose. Elle bascule à n’en plus finir dans le génie r’n’b. Tout est alarmant de véracité, ici. Elle excelle, cut après cut. Une vraie sinécure. C’est tout de même dingue que Chris Clark ne soit pas devenue superstar ! On s’en étonnera encore dans 10 000 ans. 

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    Signé : Cazengler, Chris Clown

    Chris Clark. Soul Sounds. Motown 1967

    Chris Clark. CC Rides Again. Weed 1969 

    Chris Clark. The Motown Collection. Motown 2005

     

     

     

     

    *

    La teuf-teuf roule dans la nuit. Mais elle possède deux phares lumineux pour se guider, alors que moi les neurones de mon esprit pataugent dans la plus profonde des pénombres. Tout cela par la faute de Béatrice la patronne et son incroyable affiche, d’où a-t-elle sorti ce groupe au nom impossible, cela demande quelques éclaircissements, jugez-en par vous-même :

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    BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ & GUEST

    3 B / Troyes / 02 – 11 - 2024

            Pas grand-monde, j’arrive de bonne heure, la salle se remplit doucement mais sûrement, la curiosité du public est en attente, à première vue, un groupe de rockabilly comme les autres, la contrebasse, la batterie, et la guitare en témoignent, avec en plus, goutte d’eau qui fait déborder le vase, ce saxophone argenté sur son perchoir. Les quatre musiciens apparaissent, pas de panique, l’on va tout savoir.

    PREMIER SET

             Paniquons, pour du rockabilly c’est rudement fort, mais tellement bon. Un mur d’airain infranchissable. La guitare de Benny, d’habitude c’est lui qui règle (à merveille) le son des groupes qui passent au 3 B, est implacable, sèche, dure, genre no prisonners, derrière lui la baratte qui n’en rate pas une ne vous laisse aucune chance, quant à la up-right elle n’est pas à l’unisson, elle ne joue pas, elle pousse au crime. Jusque-là tout serait parfait. Mais nous allons vite apprendre qu’il existe un stade supérieur à la perfection. L’axe du mal existe, c’est le sax. Ce n’est pas un sax, c’est un sabre d’abordage, l’est le premier à se jeter sur l’ennemi, avez-vous déjà entendu un sax mugir avec cette force, mille cerfs en rut qui brament, il rauque et il rocke au-dessus de la normale, de l’anormal, dix mille gouttières de zinc qui s’effondrent, ce n’est pas l’appel de la forêt, c‘est le scalpel du diable, une tonitruance gargantuesque, un tel déluge sonique surhumain ne serait-il pas dû au changement climatique, la Bible s’est trompée, ce n’est pas la trompette du jugement dernier, c’est le saxophone de la mort irrémédiable pour tout le monde. En tout cas l’on adore et ce quatuor fastueux aussi, puisqu’ils enchaînent derechef un autre instrumental.

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             Je l’ai remarquée dès que j’ai eu franchi le seuil, dans sa robe noire, chevelure rousse et visage impassible, elle m’a tout de suite rappelé la sombre silhouette de Moïra, la moire noire du Destin, sur la couverture d’un ancien livre de poche du roman éponyme de Julien Green, et là tout s’éclaire, en quelques mots Benny nous met au parfum pour ce premier set ils accompagneront, c’est ici que l’identité du guest est enfin révélée : Mary. Apparemment Mary n’a peur de rien, elle se pose tout tranquillou devant le micro en avant de nos quatre gladiateurs surphoniques comme s’ils étaient un orchestre à cordes de musique de chambre.

             Ne sont pas des mufles mais ils ne mettent pas de pantoufles à leurs instrus, un peu  moins de clinquanteries mais un son si épais que nul couteau ne saurait couper. Ambiances sixties, privilégiez le rumble au slow frotti-frotta langoureux. Vous pensez que Mary va poser sa voix sur ce magma de feu. Point du tout, elle impose son vocal avec une facilité déconcertante, sans forcer, sans peine, cette aisance incroyable tient à la densité de ses émotions et de la passion qu’elle porte aux titres qu’elle interprète, on la sent habitée d’une ferveur secrète mais palpable, elle ne chante pas, elle voue un culte à ce répertoire fondateur. Pas de simagrées, elle ne cherche pas à amadouer le public, c’est à prendre ou à laisser. Et le public du 3 B, qui s’y connaît un tantinet, n’en laisse pas une miette, chaque morceau est ponctué de longs applaudissements et de vifs vivats. Elle s’en ira comme elle est venue, avec une simplicité, une humilité de diva qui a accompli sa tâche, qui s’est acquittée d’une dette envers la musique qu’elle aime.

             Les cadors du quatuor reprennent les rênes pour deux ou trois morceaux. Je ne m’attarderai pas, nous revenons longuement sur eux pour le set suivant. Par contre je vous demanderai avec la plus grande insistance d’interdire à vos enfants la lecture du paragraphe suivant.

    DEUXIEME SET

             Benny est revenu le premier. Il s’empare de sa guitare et s’évertue de répéter inlassablement une même note, une manière, pensions-nous naïvement, de rappeler au turbin ses trois copains attardés derrière le rideau des coulisses. Ils arrivent sans se presser et s’affairent en toute quiétude autour de leurs instruments.

             Le grand avec sa verte argentée et son saxo c’est Grant Seeflay, pas du genre à siffler la fin se la partie au plus vite, le mec assis au fond avec sa veste noire et son col blanc n’a pas l’air méchant se prénomme tout de même Terric ( vous êtes prévenu), accoudé sur sa contrebasse il porte le surnom d’un amie de Fantômette : Fi-Cell, z’oui mais c’est peut-être la corde pour vous pendre, bon ça y est ils rejoignent Benny de Jongh qui répète inlassablement la même note, attention, de plus en plus stridente, et les trois autres vous pondent en douceur et profondeur une purée de poix phonique des plus inquiétantes, l’ambiance se tend, si l’on y réfléchit un tant soit peu c’est un tantinet étrange, l’on se croirait dans un château en Ecosse perdu sur ce promontoire brumeux, près du lock Ness, les notes effilées comme un poignard maltais de Benny ressemblent de plus en plus à ce glas terrifiant qui résonne dans Le Mystère de Cloomber de Conan Doyle, c’est alors que l’Innommable se produit, une voix, non un borborygme dégoûtant d’Oran Outang dérangé surgit de nulle part, une espèce de grondement issu du gosier d’un lion préhistorique,  à mes côtés Jerry, mais oui vous connaissez le saxophoniste des Monarchs que nous avons vus au 3 B il n’y a pas si longtemps, ses yeux comme les miens, se portent sur les musicos, z’ont tous la boucle close et à des kilomètres du micro, en tout cas le monstre invisible insiste, sans doute un chat monstrueux de quinze mètres de haut, devant la peur d’une de ses petites filles une maman décide de rapatrier toute sa nichée à l’autre bout du café, elle n’a pas tort, c’est un truc à rattraper une jaunisse, d’autant plus qu’il semble s’instaurer une course entre les musicos et cette voix hideuse d’outre-tombe, ils ont beau augmenter le son, la bête immonde les couvre de ses tonitruances vomitoires, pire elle se rapproche, maintenant elle est tout près, les yeux de l’assistance se fixent sur le bas du rideau des coulisses, ils remuent salement, la bête nuisible et gévaudanique sort, elle se porte à quatre pattes sur le devant de la scène, je le reconnais c’était le mec à mes côtés qui mirait la prestation de Mary, l’a enfoncé le micro dans sa bouche, l’émet des barrissements d’éléphant en colère, il se relève, retire le micro de ses amygdales, et sourit à la foule. Ouf nous l’avons échappé belle. C’est donc lui Bee Dee Kay.

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             Intro fabuleuse, Jerry qui a vu des centaines de concert me confie à l’oreille, qu’il n’a jamais vu une telle entrée en matière. Digne d’Hasil Adkins, de  Screamin’ Jay Hawkins, de Lord Sutch, de tous les embrochés de la cafetière du rock’n’roll. Maintenant que le prologue est terminé si vous croyez que vous allez redescendre vers le rockabilly carré et sans bavure comme le buffet que votre grand-mère astique toutes les semaines, vous êtes dans l’erreur. Ce n’est plus du rockabilly, ce n’est pas du rock’n’roll, c’est la folie du rockabilly et la fureur du rock’n’roll. De l’after-rockak, de l’after-rock, nos quatre mousquetaires instrumentaux ne jouent pas, et Bee Dee Kay ne chante pas. Ils miment. Ne criez pas parodie, contentez-vous du paradis. Ils connaissent tous les plans à merveille, ils vous édifient des palais sonores hallucinatoires,  Dee Bee s’amuse, vous a des poses pharamineuses, une seconde il est John Kay et à la suivante David Bowie, le mâle et l’androgyne, la brute et le truand, il n’est pas le bon parce qu’il le meilleur, le voici Elvis et Gene Vincent, ce coup-ci il se vautre sur le comptoir tel un Lux Interior, chacun y aura reconnu ses propres figures tutélaires du rock’n’roll, vous vous croyez en plein délire, et plaf un geste, et tout s’écroule, Terric d’un seul break envoie en éclats the wall of sound, Fi-Cell s’introduit dans la brèche tel un bulldozer, le saxo de Grand Seeflay tousse comme un tuberculeux, la guitare de Benny se transforme en lance-flammes pour réduire en cendres les derniers déchets, l’on est au cœur de catastrophe, à un millimètre de l’anéantissement, et hop ça repart comme en quarante, comme si de rien n’était, quelle maîtrise, quelle virtuosité. Ah le sourire d’enfant de Bee Dee ! ce grand gaillard aux tempes argentées, il batifole, il s’amuse comme un gosse qui casse son train électrique pour le transformer en soucoupe volante U.F.O. ZZZ, nous transporte sur une autre planète, celle du rock’n’roll, la vraie, la délirante, la fracassante, l’upercutante, celle de l’éternelle jeunesse du débordement vital.

    TROISIEME SET

             Malgré l’heure tardive, nous aurons droit à un troisième set. Pas très long, le temps de revoir Mary nous offrant deux magistrale versions de Jezebel, et Funnel of love, le group prend son envol mais au troisième morceau Béatrice la patronne nous rappelle que sur la planète terre toutes les choses ont une fin. Hélas, les meilleures aussi.

             Lot de consolation j’ai récupéré leur unique 45 tours, nous reparlerons de Bee Dee Kay Drives the U.F.O. ZZZ dès la semaine prochaine !

    Damie Chad.

     

     

    *

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             Depuis combien de temps suivons-nous Ashen ? Depuis toujours. Je ne vous donnerai pas de date, pour une fois vous serez privés de récapitulatifs. Il y a des groupes qui touchent à l’intemporel. Non pas parce qu’ils se prévalent d’obscurs mythes originels ou qu’ils s’en aillent cogner dans les obscures contrées du futur morturial dans le but inavoué que l’on puisse prendre connaissance de l’écho morcelé de leur choc intrusif dans l’inconnaissable, simplement parce qu’ils s’inscrivent dans le présent de la présence du monde dans lequel ils vivent, ou pour être plus exact, dans lequel ils tentent de survivre.

    SACRIFICE

    ASHEN (feat. ten56)

    (Out Of Line Music / Official Visualizer / Juin 2024)

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    Pour une fois nous n’avons pas droit à une de ces vidéos mystérieusement attirantes et déchirantes auxquelles le groupe nous a habitués. Pour autant l’on ne nous a pas jeté un os sans viande en pâture, nous offrent un riche faisceau de symboles qui nous inclinent à de clivantes rêveries.

    Un rouge que d’instinct l’on n’aime pas. Rouge cœur de taureau immolé en hécatombe sur l’autel propitiatoire. Les Dieux ont-ils accepté le sacrifice ? Sur ce fond voici un œuf. Un rouge éclatant. Triomphal. Ne serait-ce ces nervures cramoisies dont il est parcouru on reconnaîtrait en lui l’œuf d’Eros originel de la plus vielle mythologie grecque. Les lyrics qui apparaissent nous interdisent cette appropriation. C’est un œuf, certes, mais plein de son trop-plein, prêt à éclater. Ici il n’est point question d’ovule générationnelle, c’est œuf est une tête. Trop pleine, trop peine, prête à exploser. Cet œuf n’est pas neuf, il est mûr, il est arrivé à maturité, à son immaturité. C’est l’œuf de la folie, souvent il reste en nous stérile, il ne donne naissance à aucune créature, on l’oublie, on ignore qu’il repose dans le lit douillet de notre cervelle, dans laquelle éclosent nos pensées les plus sublimes. Il tourne sur lui-même dans son coquetier de bois, comme s’il était fier de lui, il nous dévoile toute son ovoïdité, comme si nous n’avions d’autres tâches à effectuer, si ce n’est de l’admirer.

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    Sans préavis, un deuxième symbole. La forme d’un avion furtif, une flèche d’indien, à moins que ce ne soit le trait empoisonné de Zénon d’Elée qui ne parvient jamais à sa cible, presque rassurant puisqu’il n’atteindra jamais la mort dont il ne nous transpercera pas, mais alors quelle est sa cible, à ce poignard effilé, à cette épée d’obsidienne, à ce sabre de samouraï destiné à porter le fatal coup du seppuku létal, lui aussi tourne sur lui-même, tel un missile qui cherche sa proie et s’obstine à calculer l’angle de la plus forte nuisance.

    Un troisième objet, à croire que l’on scrute les vitrines d’un musée. Celui-ci possède un piédestal de marbre sur lequel est ancré un avant-bras couronné d’une main, paume ouverte, levée vers le ciel, arborant à son poignet un collier de perles de bois. Entre ses doigts elle tient un objet, elle tourne sur elle-même, il est difficile de se le représenter, serait-ce dans le cercle de fer forgé la silhouette d’un cheval, qui porterait un cavalier, de petite taille, serait-ce Alexandre le Conquérant sur Bucéphale, non plutôt le cheval noir de l’attelage platonicien de notre intelligence,  la monture rétive qui refuse de marcher droit, qui cherche à nous faire dérailler, certes nous ne sommes pas un train, mais notre esprit est censé suivre les rails du logos … même si parfois en toute inconscience nous piquons droit vers la folie.

    Voilà, nous n’en verrons pas davantage. Nos trois symboles reviennent. Ne sont pas des marionnettes qui font trois petits tours et s’en vont, tournoient lentement d’une manière prémonitoirement menaçante, est-ce que le cheval d’orgueil  que nous avons aperçu une première fois fut une illusion d’optique, car maintenant nous reconnaissons entre les doigts un des cinq sigils affichés tout en haut de l’écran, seraient-ils appropriés aux cinq membres du groupe…

    Damie, si tu nous parlais un peu du son et de la song, c’est tout de même un peu important en musique, écoutez l’on raconte que lorsque Attila est sorti du ventre maternel, dans son poing fermé il tenait un caillot de sang, eh bien les gars ce morceau ressemble à ce caillot de sang que le fléau de Dieu avait arraché en passant aux entrailles de sa mère, il palpite, l’on sent que rien ne pourra arrêter son rythme insatiable, une barbaque qui refuse de s’éteindre, à cette différence près, ce n’est pas de la viande qui bat mais de la folie, de la folie pure.  

    Admirez la prouesse vocale de Clem, il ne chante pas, s’échappe de lui un gargouillement hideux de souffrance mentale, vous y croyez, vous le voyez recroquevillé sur lui-même, refermé en ses pensées délirantes comme une huitre schizophrène qui tenterait à tout prix de s’enfuir de sa coquille, il veut tout et n’importe quoi, le royaume souverain de sa solitude et le désir de s’exiler de lui-même auprès des autres qui le rejettent, à moins que ce ne soit lui qui  les expulse hors de sa misérable sphère d’appropriation du monde dont il refuse la présence. Quant à la musique vous ne l’entendez même pas, comment Ashen est-il parvenu à établir cette osmose visqueuse indissoluble entre vocal et instrumentation, à tel point que la musique chante et que la voix joue.  Salmigondis indiscernable, hachis indubitable, purée inépuisable, mais dès que ce bruit gloutouneux entre dans vos oreilles, il se transforme en nectar ouïtisque, il se produit une alchimie auditive qui métamorphose les stridences de la folie, les vacarmes expectorés par une âme malade, les ramonages hallucinatoires, en le chant des sirènes dont seuls de rares héros  homériques eurent  jouissance…

    Ne croyez pas vous en tirer à si bon compte, ce mal-être exprimé par Ashen ne vous concerne peut-être pas, mais il vous donne un aperçu de ce qui se passe dans la tête de la génération actuelle qui entre dans l’âge adulte. Le monde qui les attend est kaotique. Ils en ont la prescience, ils en expriment la dureté imminente, trop courageux pour refuser le suicide, il ne leur reste que cette notion d’auto-sacrifice qu’ils acceptent car ils ne veulent pas endosser le rôle de victimes sacrifiées. Le monde est fou, mais le seul refuge qui leur soit encore accessible, le dernier rempart dérélictoire qu’ils peuvent lui opposer s’avère être leur propre folie.

    Très fort.

    Damie Chad.

    *

    Encore un groupe que nous suivons depuis longtemps. En octobre 2022 nous avions regardé leur vidéo Unforgotten, en février 2023 ce fut le tour d’Eternal suivi d’Another Day au mois de septembre, voici le tour de :

     ACROSS THE DIVIDE

    AWAY

    (Avalone Studio / Août 2024)

    Rendons à César les lauriers qui lui reviennent. Alexandre Lhéritier est le responsable d’Avalone Studio, il s’est chargé de l’enregistrement du morceau.

    Pour les images il nous est spécifié : IA generated vidéo. Sans plus. Il serait intéressant de savoir quelle part de liberté l’Intelligence Humaine aura laissée à l’Intelligence Artificielle. A moins qu’il ne faille inverser les termes de la question.

    Le résultat est là : de belles images. Elles n’illustrent pas vraiment les paroles du morceau. Elles lui apportent même un plus que je qualifierai d’interprétation écologique du texte. A croire que le poids des mots est moins fort que le choc des images.

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    L’Intelligence Artificielle ne crée pas, elle produit. Entre nous, parmi les écrivains : peu créent et beaucoup produisent. Nous retrouvons le même pourcentage différentiel chez les peintres. Les premières soixante secondes sont splendides, vous ne savez pas où vous trouvez exactement, sont-ce des illustrations anglaises d’un livre d’enfants, sont-ce des images inspirées par les photos de la forêt de Mortefontaine chère à Gérard de Nerval, ou par des scènes du Seigneur des Anneaux, en tout cas notre Intelligence Artificielle connaît les bois de Watteau et toute la période romantique de la peinture occidentale… Nous aurions aimé qu’elle nous donne un aperçu de la manière dont nos descendants représenteront les arbres en l’an, barrez au choix la partie du mot qui ne vous convient pas, de dis/grâce 2524… Toutefois aurions-nous su entrevoir le futur en cette curiosité éloignée. Tout comme l’IA, nous procédons mais nous ne précédons pas.

    Que nous conte la chanson ?  Une histoire banale. Celle de tout le monde. Du gars qui aimerait être ailleurs. Non pas aux Amériques, de lui-même, de sa vie étriquée, de son impuissance à être ce qu’il voudrait être, libre et supérieur, non pas aux autres mais à lui-même. Beaucoup d’espoir, beaucoup de rêve, mais encore davantage de doute et de peur… il aimerait que quelqu’un le rejoigne mais il ne possède rien… A la vue des images en nous armant de cynisme nous demanderions s’il vit dans les bois…

    Des colères, des remontrances, des encouragements, les voix se succèdent, se répondent, s’entraident, se poussent en avant en un très bel oratorio. Symphonie vocale qui se marie magnifiquement au vert sombre des houppes, aux éclairs de feu orangé, aux instants impulsifs de notre vie ne sommes-nous pas des incendies dévastateurs sous les frondaisons de nos chairs intérieures. Tout homme n’est-il pas une forêt première qui brûle ?

    J’aurais aimé écrire le contraire, parce que la maudite technique bla-bla-bla, parce que la singulière grandeur de l’Homme bla-bla-bla, parce que bla-bla-bla, je vous donne trois heures et je ramasse les copies, mais non je dois le reconnaître, ici les images artificielles, les paroles et les musiques humaines se confortent mutuellement, elles s’allument de reflets réciproques, elles se chargent de mystères et s’interpénètrent de telles manières que seules et séparées elle perdraient de leur force persuasive et de leur aura magique.

    Across the divide nous surprend toujours.

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    Damie Chad.

     

    *

             Les choses ne sont jamais difficiles. Certaines d’entre elles s’avèrent subtiles. Nous pénètrerons donc en notre sujet par l’évocation d’un groupe de rock. Blondie ! Les trognes des lecteurs s’illuminent. Ah ! Deborah ! Désolé, mais je voulais parler de Chris Stein. Vous préférez Debbie, je comprends, toutefois Chris est un mec intéressant. Tiens saviez-vous que Chris possédait un tableau de Spare ? Non, vous voudriez des détails, alors plongez-vous dans :

    ŒUVRES

    AUSTIN OSMAN SPARE

    (Tome III)

    Editions Anima / Octobre 2024

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    Nous avions déjà  krotntniqué les tomes I et II, parus en 2017 et 2021, ce troisième opus, cornaqué par VINCENT CAPES, s’annonce fastueux par le grand nombre de reproductions de dessins et de peintures d’OSMAN SPARE, un régal pour les yeux et l’esprit. Nous évoquerons tour à tour mais en un ordre qui ne suivra pas celui du volume les traductions de textes de SPARE établies par PHILIPPE PISSIER, ainsi que l’ensemble des diverses contributions éclairantes qui permettent quelque peu d’entrevoir la portée opérative de l’œuvre de celui qui reste, avec Aleister Crowley, un des plus grands représentants de la Magie du vingtième siècle.

    Si vous n’éprouvez aucune accointance particulière avec la Magie, je vous conseille de débuter votre lecture par l’avant-dernier texte du volume.

    LES ANGES FOSSILES

    ALAN MOORE

             Les amateurs de bande dessinée et de Death Metal ont reconnu le célèbre auteur de From Hell. Né en 1953, Alan Moore n’en n’est pas moins relié à la personne d’Alexandre le Grand. Le lien qui les unit n’est pas tant l’admiration que notre dessinateur  porterait au Conquérant, la légende raconte que Philippe II de Macédoine ne serait pas son père, il serait né de l’étreinte de sa mère Olympias avec un de ses pythons – était-ce une énième métamorphose de Zeus - qui partageaient sa couche… Or Alan Moore s’est revendiqué adepte de Glykon, serpent mythique d’origine macédonienne adoré au deuxième siècle de notre ère par les romains. Voilà de quoi faire lever les yeux au ciel à bien des lecteurs qui auront vite fait de juger l’auteur de cet article, rédigé en 2002, comme un huluberlu, ne nous étonnons pas s’ils s’apprêtent à aborder le texte avec réticence.

             Ils seront surpris. Agréablement. Moore manie la verve avec autant de dextérité que le crayon. Il est aussi écrivain. Les pages qu’il consacre à la description des milieux occultes vous feront rire aux éclats. Le marteau d’Héphaïstos n’a aucun secret pour lui. L’a l’humour qui tue. Se refuse à prendre aux sérieux les agissements des occultistes modernes, les anges fossiles ce sont eux. Ne leur concède rien. Selon lui des magiciens de pacotille, engoncés dans l’imitation naphtalinatoire, s’avèrent totalement inopératifs.

             Après une telle charge, quel avenir pour la Magie. Moore ne se dérobe pas. La Magie ne saurait être ni une psychologie, ni une science. Ni autre chose. Sa seule chance de survie réside en un renouvellement de ses pratiques. Foin des rituels, remisez déguisements et tenues  au vestiaire, un peu d’inventivités et de création, chers mages ! La Magie doit être considérée comme un art majeur, musique, peinture, et celui le mieux approprié : la littérature. L’artiste n’est-il pas par essence celui qui suscite le désir… Vingt pages grand-format, d’une plénitude exceptionnelle.

    TABLEAUX D’UNE EXPOSITION

    DAVID TIBET

    (2002)

             Musicien, poëte, féru d’occultisme, David Tibet fut inspiré entre autres  aussi bien par Blue Öyster Cult, sans doute un indice qui explique pourquoi son groupe Current 93 fut un des pionniers de la musique industrielle que par The Incridible String Band d’où sa dérive, ce mot ici dépourvu d’intention péjorative, néo-folk.

             Ce texte est très court. David Tibet visite une exposition de tableaux de Spare. Sa préférence va au tableau représentant un petit garçon beau comme Apollon. J’ai l’habitude d’avertir les lecteurs de ce blogue, méfiez-vous d’Apollon. Non prévenu David Tibet tombe dans le piège. La couleur des yeux du petit garçon change à chacun de ses regards. Il faut donc aussi se méfier des peintures d’Austin Spare. Jusqu’à la mort.

    MIROIRS VIRTUELS EN TEMPS SOLIDE

    GENESIS BREYER P-ORRIDGE

    (1995)

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    Si Spare (1886-1956) peignit et écrivit, s’il fut un artiste pour reprendre le terme d’Alan Moore, il n’en fut pas moins un Mage. Dans cet article, P-Orridge analyse plusieurs œuvres de Spare, il ne se livre pas dans ses commentaires à une critique artistique, il n’examine les dessins qu’en dévoilant les desseins de leurs exécutions. En quoi ces œuvres sont-elles, au-delà de leur réussite graphique, des pratiques magiques ?  Spare ne cherche pas à agir sur les autres, ni pour les séduire, les influencer, s’attirer leur faveur, ou les maudire. La seule personne qui l’intéresse, c’est lui-même. Ses autoportraits en témoignent. Ce n’est pas qu’il veuille par stupide vanité se présenter sous ses plus beaux aspects. Soit il recherche les moments qui, notamment par la pratique de la magie sexuelle, lui ont permis d’atteindre des étapes de maîtrise fondamentale, soit il tente de parfaire par son dessin cette maîtrise magique en travaillant sur lui-même, en parvenant à atteindre des états de conscience de pleine puissance qui lui permette de s’affranchir de son incarnation historiale, pour pénétrer dans la dimension suivante. Certains collectionneurs ont éprouvé le besoin impératif de se débarrasser de dessins de Spare, car ils avaient l’impression d’une présence inquiétante dans ces feuilles de papier… Autosuggestion ?  Pensez à Honoré de Balzac, à Oscar Wilde, à Edgar Poe…  Puisque l’on parle de Maître Corbeau, pensons à cet opuscule de Ghemma Quiroga Galdo dans lequel elle tente de démontrer que l’auteur a tenté de rester en vie, de ne pas mourir, en inoculant son esprit, un peu comme l’on fait une transfusion sanguine, dans l’encre de ses livres…

    Tout cela est bien beau, oui mais après ? P-Orridge sort le grand jeu. N’oublions pas qu’il fut l’initiateur de Throbbing Christle, c’est un rockeur, et il le prouve. Nous voici dans une méditation métaphysique de haute intensité. L’on change de niveau. A partir de Jean Cocteau l’on effectue la traversée du miroir. Bien sûr d’un certain côté les tableaux sont comme des miroirs, le rôle est inversé, ce sont eux qui nous regardent. Oui, mais qu’y a-t-il dans un miroir. Non, ce n’est pas vous, le miroir ne reflète que l’espace. Celui qui lui fait face, celui qui est en lui, le miroir permet de faire la jonction entre l’intérieur et l’extérieur. C’est ce que l’on appelle la traversée des miroirs. Evidemment tout va de travers, nous avons oublié le troisième comparse, l’élément primordial. Non pas l’éther, le temps. Le temps ne serait-il pas, non pas une espèce unissive d’espace-temporel, mais une fragmentation d’atomes de temps qui dispersés tous azimuts ont pour fonction de structurer l’espace. Sans temps vous n’avez plus d’espace. Vous n’avez que du vide. Vous n’avez plus rien. Vous pouvez même vous amuser à affirmer que vous avez tout, que vous avez le plein, puisque vous accédez à la surface non-réfléchissante du miroir. Celui-ci est alors envisagé non selon sa fonction mais selon sa chosité. ( Je renvoie le lecteur intéressé à la lecture de Qu’est-ce qu’une chose de Martin Heidegger ). Si tant est qu’il existe encore un miroir. Le temps est la chose la plus concrète de toutes les choses qui existent et dans le monde intérieur (les idées nouméniques) et le monde extérieur (la matière phénoménale). Le temps ne passe pas. C’est lui qui permet le passage. Vu sous cet angle, vous avez là la possibilité de passer par la mort d’une incarnation à un état autre.

    AVENTURE DANS LES LIMBES

    1944 – 45

    AUSTIN OSMAN SPARE

            Une série de dessins de Spare que le lecteur aura intérêt à regarder longuement parallèlement aux tableaux commentés par P-Oridge. Pour notre part nous nous contenterons de réflexions générales quant à l’art de Spare. L’on évoque souvent Aubrey Beardsley lorsque l’on s’interroge sur Osman Spare. Beardsley le mignon, Spare le cru. Ce genre de synthétisation abrupte, je préfère d’autres parallèles. Par exemple ce qui rassemble et sépare Gustav Klimt d’Egon Schiele. Il ne s’agit pas d’opposer les tenants de l’Art pour l’Art aux partisans propédeutiques de l’Expressionisme. Simplement le constat que ces frères siamois artistiques diffèrent avant tout par la maniérisation érotique de la femme dont ces familles d’esprit usent. Et abusent, je rajoute ce verbe pour que les ligues féministes ne m’intentent pas un procès.

    SATYROS DUX

    1945

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Une deuxième série de dessins de Spare. A peine-écrivez-vous le mot femme que les satyres se radinent. Et cette fois-ci pas n’importe lequel, le chef. Il faut le dire : c’est plus fort que Picasso. Nous ne nous focalisons pas sur le trait, tous les personnages mythologiques du Catalan, ne sont que des ornements. Sont dans les tableaux pour faire antique. Au même titre qu’un tronçon de colonne. Chez Spare, les personnages ne se donnent pas systématiquement la peine de se mettre nu. Sont généralement habillés. Ces vingt dessins sont à lire comme une bande dessinée. A chacun d’imaginer son scénario. L’essentiel ne réside pas là. Ce serait oublier el Pintor. C’est lui donne corps et sens à chaque vignette. Nous ne nous risquerons pas à une lecture personnelle. D’autant plus qu’en toute fin du volume, quelqu’un d’autre s’en charge.

    VISIONS DE DIONYSOS

    2011

    JOHN ZORN

             Le lecteur se rendra sur YT écouter The Satyr’s Play (Visions of Dionysus) Ode I, II, III, IV, V, VI, VII, VIII, IX, X composé en hommage à Austin Osman Spare. L’ensemble dépourvu de paroles ne m’a guère convaincu… John Zorn est un musicien d’avant-garde qui a beaucoup produit s’inspirant de toutes sortes de musiques populaires américaines du jazz au classique.

             Le texte est une espèce de poème-rituel divisé en huit séquences, vous le préfèrerez au disque, un peu disert, un peu répétitif, sans surprise… Des sonorités que je me permettrai de qualifier d’agrestes, en rien novatrices. Texte d’une autre texture, requérant plusieurs niveaux de lectures. Aussi bien sur la numérologie sacrée que diverses et rapides évocations, philosophiques, ésotériques, sophistiques… En quelque sorte il peut se lire comme une réponse aux volontés de dépoussiérages de l’occultisme traditionnel souhaité par Alan Moore.

    RITUEL DE LA VENUE DU JOUR

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Avant tout l’on y sent l’influence évidente de Crowley, mais cette page ressemble à des notes écrites pour soi-même. Ce rituel malgré son imagerie égyptienne apparaît surtout non pas comme une invocation héliaque mais une adresse au soleil intérieur que chacun porte en soi.

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    DEDICACé A CELUI QUI VEUT

    ET A CELUI QUI DEMANDE

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Encore un texte rédigé pour soi-même et en même temps un avertissement au disciple. Spare ne fait pas l’aumône au disciple éventuel. Il   abhorre cette race de clones. Peut-être est-ce pour cela que l’on relève quelques accents nietzschéens dans le dernier paragraphe. Zarathoustra en pleine forme.

    LE SABBAT DES SORCIERES

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             D’abord un texte de réflexion sur la nature du Sabbat. Rien à voir avec la Nuit de Walpurgis de Goethe. Le mot sabbat désigne l’acte sexuel pratiqué en tant que pratique magique. Ce à quoi elle permet d’atteindre. A lire les pages restantes l’on a l’impression que l’on se trouve devant des notes préparées pour un cours, Spare en professeur consciencieux qui réunit toutes les pièces afférentes au sujet afin de palier  toute demande hypothétique d’un étudiant ou d’une étudiante. L’on ne peut s’empêcher de penser qu’il ne croit pas vraiment en l’efficacité de son cours théorique. Il est nécessaire de s’affronter à la pratique.

    DU MENTAL  AU MENTAL

    ET COMMENT PAR UN SORCIER

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Soyons héraclitéen : l’on ne se baigne jamais deux fois dans le fleuve de la pensée pour la simple raison que le fleuve de la pensée est partout, que l’on y est plongé en plein dedans, en plus il ne possède aucune rive… Pour une fois Spare se montre pédagogue. Il passe carrément aux applications techniques :  il vous démontre comment en deux ans vous pouvez devenir un as de la divination. Le courant de pensée de vos voisins se mêle à vos pensées. Un peu d’entraînement et un jeu de cinquante-deux cartes suffisent à répondre à toutes les questions d’un consultant inquiet pour son avenir. Cela n’a rien de magique au sens trivial du terme. Il suffit de le savoir et d’être conscient de ces confluences qui s’interpénètrent. Spare vous répète que c’est relativement facile… Les détails et les exemples qu’il fournit ne sont pas particulièrement stupides, mais vous quittez ces cinq pages en vous disant qu’il se contente de refiler le minimum, quelques encouragements, et puis vous êtes assez grand pour vous débrouiller par vous-même. Répétons-le, Spare n’est pas Crowley, il n’essaie pas de vous enseigner, de vous transformer, il respecte votre liberté. Le sorcier n’est pas un maître. Son but n’est pas d’instaurer envers vous un lien de domination ou de sujétion.

    AXIOMATA ou MICROLOGUS

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             D’abord remercions Philippe Pissier pour la clarté de  la traduction de ce texte fondamental. Mini-logos : mon œil (d’Horus – et même d’horreur tant vous êtes saisi par la force de ce texte), maximus logos je vous l’assure. Je ne sais pas si le grand Friedrich accepterait que ces sept pages de fragments numérotés soient ajoutées en appendice à une édition du Gai Savoir mais elles n’amoindriraient  en rien la pensée du solitaire d’Engadine. Tout y est : Dieu, l’Homme et même le Surhomme. Un exposé, un concentré de gaya scienzia explosif. A lire ce texte crucial – pensez à l’idée  qui fut clouée sur la croix – la continuité entre la pensée magique et la pensée philosophique devient une évidence. Un phénomène de trans-capillarité de deux traditions d’appréhension de l’être et de la chose, de l’être de la chose et de la chose de l’être. D’où l’importance du Mot qui transporte et l’Idée et la Chose. Ce texte est un miroir qui permet la traversée de la transparence de deux modes de pensée que l’on présente communément comme antagonistes et irréconciliables. Logos Pontifex !

    GALERIE

    (Dessins, Croquis, Aquarelles, Peintures)

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             Si les mots vous restent incompréhensiblement mystérieux regardez les dessins. Ce n’est pas un hasard si cette partie essentielle du volume est placée juste après le Micrologus. S’il est évident que chez Spare l’écriture cherche à éclaircir sa propre pensée et non à dispenser un enseignement, quel rôle a-t-il dévolu à l’exercice pictural, était-ce pour lui, vis-à-vis d’un public indélicat ou non auto-préparé, une manière d’obscurcir le but de ses entreprises, tant intimes qu’extimes, en leur offrant le trompe-l’œil ou le paravent de l’apparence première de ses opérations relatives aux choses magiques. Galerie présente plus de cent pages de dessins et de peintures effectués entre 1904 et 1956. S’il fallait résumer le travail magique de la peinture de Spare en deux mots, ce serait : nudité et portrait. Dans les deux cas, que ce soient les corps ou les têtes, il s’agit d’établir une projectivité pénétrative dans la chair ou l’esprit, de l’autre ou de soi-même, afin non pas de se les approprier mais en opérant un agrandissement de soi-même. Les dessins sont alors à considérer comme les écorces mortes de ce qui a eu lieu et pour les esprits avertis autant d’indices qui servent à concevoir et à comprendre.

             C’est fini… Non, ne faites pas les glavioteux, les treize pages de l’index des noms propres, elles ne sont pas fourrées en fin de volume, fourmillent de renseignements, si vous n’y apprenez rien, c’est que vous ne l’avez pas lu.

             Ce tome III est une petite merveille, vu la taille du mastodonte l’adjectif grande serait mieux approprié, quand on pense à Audrey Muller qui s’est chargée de la relecture, on la plaint, mais je crois que grâce à la présence de son chat roux (comme Osman Spare) à ses côtés on se dit qu’elle a bénéficié d’une véritable aide de sorcière.

             Ce livre n’est pas un livre de plus sur Spare, c’est un objet de première nécessité  pour apprendre à méditer, à réfléchir, à concevoir. Indispensable à ceux qui désirent être eux-mêmes. Et surtout plus qu’eux-mêmes.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 663 : KR'TNT ! 663 : PHILIPPE GARNIER / SLIM CESSNA'S AUTO CLUB / THE MUDD CLUB / MAGNETIC FIELDS / J.R. BAILEY / PLANET OF ZEUS / SUN OF MAN /THE COALMINER'S GRANDSON

    KR’TNT ! 

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 663

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    31 / 10 / 2024

     

       PHILIPPE GARNIER / SLIM CESSNA’S AUTO CLUB

    THE MUDD CLUB / MAGNETIC FIELDS

     J.R. BAILEY / PLANET OF ZEUS /

    SUN OF MAN / THE COALMINER’S GRANDSON

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 663

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

     

    Wizards & True Stars

     - L’opéra Garnier

     (Part One)

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             Pour les gens d’un certain âge, Philippe Garnier est avec Yves Adrien le dernier survivant de l’âge d’or de la culture rock française. Mais autant Eve Sweet Punk Adrien nous fascinait, autant Garnier qui était installé à Los Angeles nous énervait en nous vantant les mérites de films noirs en noir et blanc qu’on ne pouvait pas voir quand on vivait dans une ville de province. Les ciné-clubs étaient à Paris. Tintin pour le gros culte ! La passion de Garnier pour les films noirs le rendait dramatiquement hermétique. Pire encore, sa passion pour les auteurs de polars le rendait insupportable aux ceusses qui butinaient alors les ouvrages ensorcelés de Barbey d’Aurevilly. Les mecs comme Dashiell Hammett ou Raymond Chandler faisaient pâle figure face à l’Abbé de la Croix-Jugan, à Des Esseintes ou au Baron Charlus. Et quand dans des conversations à vocation ‘intellectuelle’, arrivait la phrase : «Ah tu devrais lire la correspondance de Chandler», ça nous faisait hennir de rire.

             Il n’empêche qu’à sa parution en 2001, on a fait main basse sur Les Coins Coupés. Il faut dire que le book s’est surtout vendu parce qu’on croyait tous qu’il s’agissait d’un Cramps book. Si t’as Bryan Gregory en couve, c’est forcément un Cramps book. Ce qui n’était évidemment pas le cas.

             On a aussi adoré le témoignage de Philippe Garnier dans un numéro anniversaire de Rock&Folk où il expliquait qu’à la différence des collègues rock critics qui vivaient le rock par procuration, lui a préféré aller le vivre sur place, sur la West Coast, et bien sûr, ça fait TOUTE la différence. Tu dis bravo. Et de là tu tires tout l’écheveau : Philippe Garnier amenait dans Rock&Folk une sacrée actualité : il avait rencontré les Cramps, il était devenu leur ami et c’est grâce à lui que Marc Z est allé séjourner chez Lux & Ivy à Glendale. Et comme par hasard, tu retrouves Lux & Ivy à la fin du dernier book de Garnier, Neuf Mois.

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             Merci Jacques de m’avoir signalé la parution de Neuf Mois. L’ai aussitôt commandé et l’ai lu d’un trait dans un train qui m’emmenait vers la Bretagne, où nous devions en petit comité disperser les cendres de l’ami l’enfance auquel sont dédiés les Cent Contes Rock. Soudaine (et ultra-violente) accumulation de pathos. La lecture de ce book pendant le trajet m’avait ratatiné et la dispersion des cendres le lendemain avait achevé d’aplatir les ruines.

             La cérémonie se déroulait sur une petite plage. Pour surmonter l’insurmontable chagrin, le seul moyen fut de penser à Philippe Garnier, non pas pour ce qu’il avait enduré, mais pour la façon dont il avait restitué cette épreuve épouvantable. C’est la question qui se pose aux ceusses qui doivent survivre à une disparition : possible ? Pas possible ? Comment ? Pourquoi ? Dans l’Amour d’Haneke, Jean-Louis Trintignant trouve sa solution. On ne la voit pas, mais on l’imagine. Trintignant, encore, qui, détruit par la mort de sa fille, trouve sa solution en déclamant d’une voix sourde Les Lettres à Lou, assis derrière une minuscule table en bois, dans un petit théâtre de la Madeleine. Philippe Garnier a lui aussi trouvé sa solution : écrire un petit book, 120 pages, format humble, très blanc. Mais quel souffle. Remarquable écrivain. Pas d’effet, une façon de coller à la réalité, comme lorsqu’on marche sur un sentier de montagne qui surplombe le vide, le front glacé, en s’appuyant contre la paroi.

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             Philippe Garnier raconte les neuf derniers mois de la vie de sa femme Liz, atteinte d’un cancer. Elle refuse d’entrer dans le biz des toubibs et préfère gérer son départ elle-même. On leur prête une baraque dans le Nord de la Californie. Fin d’une très belle histoire d’amour. Il fait le portrait d’une femme un peu extraordinaire. Un pur esprit libre. Elle meurt dit-il le 7 décembre 2006, «dans le comté de Sonoma en Californie du Nord.» Il donne tous les détails de leur vie quotidienne pendant ces neuf mois - Nous jouions aux cartes. Au jeu le plus con possible, une sorte de rami appelé gin-rummy - Et malgré le côté tragique de la situation, une sorte d’humour extrêmement fin sous-tend les situations. Plus loin, il te sort ce truc-là : «Elle pouvait vous dire calmement des choses comme ‘je n’ai jamais été si malheureuse que depuis que je t’aime’. Et elle vivait avec quelqu’un capable de lui en sortir de bien pires.» Et l’animal enfonce son clou dans la paume du style en ajoutant à la suite : «Les dernières années, je l’appelais ma douce catastrophiste, mais cela sonnait mieux en anglais, ‘my sweet catastrophist’.» Ils ont ce type de relation qui flirte parfois avec le dadaïsme conjugal, enfin, s’il n’existe pas, ils l’ont inventé tous les deux. La preuve ? - Contrairement à moi, elle aimait lire en public, signer ses livres, rencontrer les lecteurs. Contrairement à moi, elle aimait écrire et le faisait en transe ou dans un état second, comme Simonon, son unique héros littéraire. Ce qui me rendait fou quand j’y prêtais attention.

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             Il évoque aussi leur manque d’ambition à tous les deux - elle comprenait que vivre de peu était le prix à payer pour la liberté au bout du compte, même si nous ne pensions pas en ces termes évidemment - C’est vraiment très bien dit. On a constamment l’impression qu’il ne choisit pas ses mots, qu’ils lui viennent naturellement. Pour détendre un peu l’atmosphère, il raconte ses souvenirs d’ivrogne new-yorkais «qui réussit à épargner la banquette arrière du Yellow Cab», mais pas ses chaussures, ce qui nous conduit droit à Bukowski, qu’ils rencontrent tous les deux et que Liz recadre vite fait lorsqu’il commence à faire le con - Don’t be an asshole - Mais il raconte surtout la passion de Liz pour les rades mal famés, que Garnier qualifie d’«infréquentables» - Les toilettes sans portes, l’unique table de billard en pente, la bière pas terrible - et boum, on revient au rock car il évoque le juke-box du rade : «Je n’ai jamais retrouvé de morceau de Pere Ubu dans un juke («Twenty Seconds Over Tokyo») ni cette chanson de Jimmy Durante que je passais invariablement pour Elizabeth (E7) «I’m A Vulture For Horticulture». J’ai fini par offrir à ma femme le disque qui lui convenait si bien et que Captain Beefheart m’avait fait découvrir en me le jouant sur un parking de restaurant.» Philippe Garnier y va par petite touches, et soudain, il plaque un gros pâté de Beefheart au détour d’une page, comme s’il adressait un pied-de-nez à la mort. Son génie littéraire sent bon le rock.

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             Et puis, pour faire la transition avec Les Coins Coupés, voici venu le moment de la fête : Liz lui demande d’éviter les cérémonies et les discours, après sa disparition. Elle veut qu’il organise une fête et que les gens dansent. Il parvient à l’organiser un an plus tard. Ses invités viennent du monde entier, des gens de cinéma et aussi des musiciens, et parmi eux «Lux et Ivy des Cramps que je n’avais pas revus depuis dix ans.» Il décrit Ivy, et puis Lux : «Lux, dans une étrange tunique noire et une chemise mauve, faisait plus Bela Lugosi que jamais, malgré ses mèches blondes peroxydées, et deux nouvelles dents en or sur le devant (trop de micros avalés sur scène ?). Lux qui devait mourir un an plus tard, jour pour jour.»

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             Nous n’irons pas par quatre chemins : Les Coins Coupés est l’un des ouvrages fondamentaux de la rock culture. Pour mille et une raisons, Garnier fait la différence avec tous les autres pseudo-écrivains rock de langue française. Il faut en garder deux, lui et Yves Adrien, et ranger leurs books dans l’étagère à côté de ceux de Nick Kent, de Luke la main froide, d’Andrew Loog Oldham, de Robert Gordon et de Peter Guralnick. Tous ces gens ont si bien compris le rock qu’ils en ont fait de la littérature. Pourquoi Garnier ? Parce que ses Coins Coupés regorgent de gens extraordinaires, Wolfman Jack, Eve Babitz, Robert Palmer, des gens qui étaient parfaitement inconnus en France et auxquels il s’est intéressé de près, comme Mamie Van Doren ou encore Davie Allen & The Arrows, o-o-oh mah SOUL !, s’exclame-t-il, au détour d’une page. Et puis surtout Terry Melcher qu’il appelle Terry Belcher. On croit qu’il s’agit d’une faute de frappe, mais non, il insiste. Belcher. Il le connaît personnellement, il le fréquente. Pendant que Garnier fréquentait l’un des personnages clés de la scène californienne, nous fréquentions, nous autres lycéens provinciaux, des disquaires véreux qui bien sûr ne connaissaient pas Terry Melcher. La force de Garnier fut de s’intéresser à des personnages intéressants. Il aurait pu approcher les grosses tartes à la crème du genre Eagles ou James Taylor, eh bien non, il préférait interviewer Captain Beefheart ou rendre hommage à Terry Ork - Terry était le genre de type auquel Stretch s’intéressait toujours : les précurseurs qui restaient dans l’ombre et l’arrière-salle - Un Ork qui sort «Little Johnny Jewel» sur Ork et qui laisse tomber Television pour s’intéresser à Richard Hell, et crack, Garnier rend hommage aux Feelies et à leurs trois albums. Il préfère encore citer les projets foirés de Nicholas Ray, notamment City Blues, «avec musique de Richard Hell», «on ne pouvait pas faire mieux comme programme condamné d’avance.» Il préfère aussi consacrer deux pages à Bobby Charles. Il préfère ensuite évoquer le souvenir d’une excursion/interview avec Roky Erickson sur le Mont Tamalpais, évoquer la cape et les amis aliens, et ces photos extraordinaires de «l’ami photographe» dont l’une d’elles va orner la pochette de l’EP Sponge paru en 1977, et qu’on a tous ramassé, parce qu’on savait que Sponge était le label de Garnier. Le voilà d’ailleurs qui pérore : «Les concerts d’Erickson et ses Aliens étaient d’ailleurs ce que Stretch avait vu de mieux durant ces deux ans sur la Baie, à part Toots & The Maytals et Bobby Blue Bland au Fillmore.» Il parle bien sûr de cette abondance qui n’existe qu’en Angleterre et aux États-Unis, alors qu’en France, il a toujours fallu se contenter des miettes. Et des disquaires véreux. 

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             Garnier préfère encore évoquer Pere Ubu à Cleveland, où il se rend avec le compère El qui n’est autre que Lionel, le boss de Mélodies. Est-ce grâce à Garnier ou à Bomp! qu’on a commandé en 1976 le single «Final Solution» à Cleveland ? En tous les cas, Garnier a eu raison de flasher sur Pere Ubu - L’autre pan de la nouvelle musique, des gens qui mettaient sur le même plan et dans un joyeux foutoir sonique et rythmique les Beach Boys, Sun Ra, Roy Orbison, la pataphysique et la sciure de tripot ramenée sous les semelles poétiques de Peter Lautner - Il esquinte encore une fois l’orthographe du nom de Peter Laughner. Volontairement ? Maybe baby. Dommage qu’il n’aille pas plus loin sur Peter Laughner, car personne n’est plus légendaire à Cleveland que lui, ni Myriam Linna, ni Crocus Behemot. Garnier sait que Laughner a quitté Peter Ubu et qu’il «allait mourir de trop d’enthousiasme à vivre». Le fait qu’il le cite dans ses Coins Coupés est en soi un exploit. Qui à part lui a cité Peter Laughner ? Personne.

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             Un Garnier qui retrouve Greg Shaw à Londres. Un Greg Shaw qui lui présente Chrissie - Meet Chrissie. A sweet girl - et bam, l’hommage suprême de Garnier aux Pretenders : «Elle ferait deux ou trois albums que Stretch aimait toujours pour leur précision ravageuse. La fille savait écrire des chansons. La fille savait écrire tout court.» Et ça, qui vaut tout l’Or du Rhin : «Elle avait donné à son groupe le nom que Stretch aurait sûrement donné au sien s’il en avait monté un : The Pretenders.»

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             Et puis t’as une page terrifiante sur le déclin des Who. Garnier ne supporte pas de voir ce que les Who, qui «avaient fabriqué les disques de rock les plus violents et les plus purs», étaient devenus avec The Who By Numbers. Pour lui, c’est une catastrophe. Alors il se remonte le moral avec 20 pages sur Wolfman Jack, un chapitre entier, des pages palpitantes d’admiration. Bizarrement, il oublie de citer l’hommage que rend Todd Rundgren à Wolfman Jack sur Something Anything. Garnier rencontre aussi Marty Thau pour l’interviewer et parler des Dolls, avec lesquels, dit-il, «il a perdu beaucoup d’argent, mais n’a pas perdu son temps.» Garnier se souvient aussi d’avoir vu Dylan à l’Olympia, il évoque «le fameux costume brun-vert ‘dents de chien’» coupé à Toronto qu’il portait sur scène, «toutes ces photos gravées à jamais dans son cortex». Détail dit-il à propos de ce costume, mais c’est aussi ce qui l’intéresse dans le rock. Il avoue avoir rêvé de ce costume et des cheveux bouclés de Bob Dylan, comme on l’a tous fait à l’époque. Dylan et Brian Jones. Il rend aussi un hommage foutraque au Monoman des Lyres - Monoman tout régal, vraiment bien en bouffi alcoolique - Passion qu’il partage avec Gildas. (Hello Gildas !). Oh et puis les disques !

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             Pour lui, le pionnier, c’est Greg Shaw. Les fameuses auction lists de Who Put The Bomp!. Relayées par «quelques disquaires spécialisés et par certains perroquets futés de la presse spécialisée». Et pouf, il cite «le disquaire de la rue des Lombards», où les gens parlent de ce qui se passe au Golden Gate Park alors qu’ils sont à Pigalle. Garnier se moque. Puis il embraye sur les fameux «safaris» avec le compère El. Les entrepôts, et là ça devient palpitant, car Stretch et El «couverts de sueur et de poussière» déterrent tous les trésors du rock qui vaut cher, «des choses mirifiques qu’ils n’avaient jamais vues de leur vie, pas seulement les Syndicate Of Sound, Thirteen Floor Elevators, Savage Resurection, Nazz, Giant Crab sur UNI, Outsiders sur Capitol, Joey Byrd and the Field Hippies, ou les faramineux Kaleidoscopes (Beacon From Mars), ni le tout-venant comme les Remains ou le Sky Saxon Blues Band, mais des choses impensables comme ce disque des Moving Sidewalks, premier groupe juvénile des futurs barbus de ZiZi Top, objet absolument mythique, même au Texas.» Ce genre de paragraphe a dû en faire baver plus d’un. Garnier tape en plein cœur d’une drôle de pathologie des temps modernes : la collectionnite. On amasse tous des milliers de disques et puis, il arrive un moment de panique dans la vie où on se dit : que va-t-on faire de tout ça ? L’image même de l’absurdité.

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             Et Garnier repart de plus belle en citant l’un de ses «albums favoris de tous les temps» : Living For You d’Al Green, et il rend hommage au Hi Sound de Willie Mitchell, et va même jusqu’à citer Howard Grimes et les frères Hodges. Il est sans doute le seul auteur de langue française à l’avoir fait. Il cite dans la foulée l’«I’m Gonna Tear Your Playhouse Down» d’Ann Pebbles, accompagnée elle aussi par l’Hi Rhythm Section, «Peut-être dans l’absolu sa chanson favorite.» Il parle bien sûr de Stretch, son alter ego. Il dessine au fil des pages une fabuleuse géographie : Dylan, Bobby Blue Bland, Al Green, Ann Pebbles. Ailleurs, il cite aussi Eddie Holman, Robert Knight, Denise LaSalle, et «Mister Big Stuff» (Jean Knight), «le génie sans fond» de James Brown, Arthur Alexander et James Carr. Il cite aussi The Last Of Big Maybelle, le From A Whisper To A Scream d’Esther Phillips, l’I Wanna Get Funky d’Albert King et ses deux Percy Mayfield, Blues And The Some et Percy Mayfield Sings Percy Mayfield. Par contre, il n’aime pas l’Oar de Skip Spence, qu’il juge «rigoureusement inécoutable». Son énumération donne le vertige. «Il essayait de faire danser tout ça dans sa chronique. Une rubrique éducative, pour lui tout au moins.» Et c’est pas fini ! Il évoque aussi le Safe As Milk d’origine, sur Buddah, et dit sa haine des magasins de memorabilia qui «puaient la mort». Il cite aussi en référence les trois premiers albums Atlantic d’Aretha - Les seuls qu’il pouvait toujours écouter en toute occasion - Garnier raconte aussi qu’il vendait ses trouvailles à des marchands, et un jour il a vu son Carl Mann au mur d’un marchand affiché à 200 $ - Et c’est bien ça le problème avec le rock : si ça cessait d’être amusant, ça cessait d’être intéressant.

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             Et puis, il y a ces réflexions personnelles sur la Californie, et Los Angeles en particulier - En 1976, pour lui Los Angeles était toujours le Mal - Et bien sûr Terry ‘Belcher’, qui ne jure que par le 45 tours, et pour qui l’album «n’avait apporté que prétention et perversion». Alors que Stretch «avait eu besoin de la caution artistique apportée par l’album : le concept, la séquence, la couverture, les textes de pochette. La sauce autour.» Garnier raconte sa première rencontre avec Belcher qui lui demande : «Je suppose que vous savez qui est ma mère», et Stretch qui lui répond : «Une étrange question, venant d’un homme comme vous.» Un Belcher qui avait tout de même produit Jan & Dean, et qui avait monté un duo avec Bruce Johnston (Bruce & Terry, terrific), un Bruce Johnston légendaire qui irait ensuite rejoindre les Beach Boys, et puis l’épisode Rip Chords, en studio avec Jack Nitzsche, Hal Blaine, Glen Campbell, et un hit, «Hey Little Cobra». Et de là, on passe directement au Wrecking Crew. Alors bien sûr, Stretch aborde l’épisode épineux de la Manson Family que fréquente Belcher, et que Dennis Wilson prend en charge financièrement. Garnier donne tous les détails. Par contre, rien sur le boulot de Belcher avec les Byrds. Et cet incroyable chapitre se termine avec la disparition de Terry Belcher. 

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             Au commencement des Coins Coupés, Garnier évoque le Gold Star et «plusieurs nuits passées affalé dans la cabine de son avec Marc Z et les Groovies». Et puis bien sûr les Cramps, dans un texte daté de 1979, avec un Lux «toujours aussi dépravé sur scène». Sacré hommage. En tout et pour tout, quatre pages sur les Cramps, occasion rêvée pour Garnier de rappeler qu’ils se voyaient beaucoup à cette époque. Et puis voilà son délire sur «le plus grand groupe du monde» : «Le plus grand groupe du monde était X au moment de la sortie de Los Angeles, ou Beefheart et son Magic Band sur la scène d’un cinéma de Wilkes-Barre, en Pennsylvanie. Le plus grand groupe du monde était toujours celui que vous écoutiez, là, à la minute, celui qui vous faisait sauter sur vos pieds.» Quand il sort d’un concert des Cramps, il écrit : «Vous venez de voir le STYLE à l’ouvrage.» Il est à la fois attaché et détaché, il sait admirer sans devenir lourdingue. Il a compris qu’il fallait admirer dans l’instant. «D’où son horreur des listes, des panthéons, et des classements.» Il précise en se disant «férocement attaché à cette notion solipsiste et rase-bitume du rock.» Sa réalité. D’où sa singularité. D’où l’intérêt de le lire. Un intérêt qui ne date pas d’hier.

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             Et puis son hommage à Eve Babitz qui lui apprend «ses premiers mots angelinos». Il rappelle par exemple que petite fille, Stravinsky avait fait sauter Eve sur ses genoux, et qu’elle possédait des photos inédites de Gram Parsons. Il va découvrir plus tard qu’Eve Babitz avait joué en 1964 entièrement nue aux échecs avec Marcel Duchamp. Une Eve Babitz dont on essaya à une époque de lire l’un de ses books, LA Woman, supposément centré sur Jimbo et qui ne l’est pas vraiment.

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             1983/84 marque une rupture : profond dégoût des listes et des disques, «à s’en rendre physiquement malade.» On a tous connu ça. Tout à coup, cette passion pour le rock et les disques de rock devient grotesque. Il associe la rupture avec l’arrivée des Smiths et cette voix «qu’il ne pouvait encaisser». Stretch s’en explique fort bien : «Pas de décréter la mort du rock’n’roll, ni ce genre de niaiseries, juste la fin de son intérêt.» Il ne supportait plus de voir ces labels de rééditions - Quand on y réfléchissait bien, qui voulait vraiment posséder trois albums des Sonics ou des Remains ? Qui pouvait bien désirer toutes les plages jamais gravées par Gino Washington ? - C’est pourtant là qu’il rend hommage à Norton et leurs «rééditions d’enfer», comme il dit. Il égrène aussi ses souvenirs de Londres en 1964, quand il va voir jouer Alexis Korner au Railway Hotel, mais il avoue avoir raté les Who au Marquee ou les Animals au futur 100 Club d’Oxford Street, «à cause de la limite d’âge ou du prix à la porte.» Souvenirs de Liverpool en 1969 dans les «gymnases d’universités sinistres» où il se passionne pour Broughton et les Pink Fairies, comme on l’a tous fait à l’époque, pas vrai ? Puis il accélère brutalement en passant à Ornette Coleman dans un «bouge d’Alphabet City», il ajoute loin qu’il a vu Sun Ra «dans un hall de foire»  à San Francisco en 1971. Il flashe encore sur Brotherhood Of Breath. Avant de reflasher de plus belle sur The Insect Trust, dont Robert Gordon fait si grand cas dans It Came From Memphis. Garnier commence par s’attarder sur la rareté des albums, puis, comme Robert Gordon, il entre dans le vif du sujet, Robert Palmer, «pas le playboy chantant, l’autre», précise-t-il goguenard, sacré cadeau qu’il fait à ses lecteurs. Garnier se rend à Memphis pour enquêter sur Palmer et découvre qu’il jouait aussi «de divers saxophones» derrière Furry Lewis ou Bukkah White. Garnier dit encore l’avoir rencontré, «sans faire le rapprochement», alors qu’il était «critique de rock au New York Time, puis comme gourou du blues chez Fat Possum (faisant enregistrer Junior Kimbrough, R.L. Burnside et les Jelly Roll Kings)». Garnier connaît bien sûr Deep Blues. Et ça, qui te cloue vite fait à la porte de l’église en bois : «Ce touche-à-tout jouait même de la clarinette sur «Midnight Sunrise» dans Dancing In Your Head, le disque qu’Ornette Coleman avait fait avec les Flutes de Jajouka (que Palmer avait fait découvrir à Brian Jones et à William Burroughs lors d’un voyage au Maroc).» Ce portrait de Robert Palmer sonne comme une apothéose de la rock-culture. Et il repart de plus belle pour expliquer que Robert Palmer et son collègue guitariste Bill Barth «avaient eu tôt fait de jeter leurs douze mesures aux orties.» Et les voilà partis à New York pour aller jammer avec Alan Wilson, «la voix de fausset de Canned Heat.» Puis les Insect trust se retrouvent à l’affiche de l’Electric Circus en première partie de Sly & The Family Stone. Garnier ajoute que Palmer a aussi joué dans un «groupe bruitiste» avec Lenny Kaye, avant l’épisode Patti Smith. Et ce démon de conclure : «C’était le genre de cycles qui enchantaient Stretch et qui satisfaisaient son goût pour les correspondances. C’était peut-être ce que le rock avait toujours  été, et resterait pour lui : des correspondances.»

             Il termine en beauté, avec «le futur du putain de rock’n’roll», Ryan Adams. Il tape même sa phrase en CAP. Gros pied de nez ?

    Signé : Cazengler, garniais

    Philippe Garnier. Les Coins Coupés. Grasset 2001

    Philippe Garnier. Neuf Mois. Éditions de l’Olivier 2024

     

     

    Cessna n’a de cesse

             En gros, il existe deux genres de concerts : d’abord ceux qu’on peut qualifier de «tout cuits», tu sais pourquoi tu y vas, tiens on va prendre un petit exemple pour illustrer le tout cuit : les Cramps à l’Élysée Montmartre en 2003, ou encore Martha Reeves au New Morning en 2014. Tu entres dans la salle, tu prends ta grosse claque dans le beignet et tu rentres chez toi coucher au panier. L’autre catégorie est celle des «pas cuits du tout». Tu as déjà mangé une patate pas cuite ? C’est pas terrible. Mais quand t’as que ça, tu ne fais pas ta mijaurée. Tu la bouffes quand même. Les concerts «pas cuits du tout», c’est exactement la même chose. Tu observes un groupe sur scène pendant une heure trente, à peu près, comme si tu observais des animaux au zoo, attention, j’ai pas dit des singes. Pourquoi tu observes, au lieu de te barrer ? Bonne question. Pour essayer de comprendre. Et c’est l’observation qui renverse la situation et qui rend le spectacle intéressant. La musique ne te parle pas, mais les musiciens te parlent. Tu les vois passer à l’action. Les gestes, les mimiques, ne parlons pas des accords sur les manches, les pas de danse, les postures, les gouttes de sueur, les dents dans les bouches ouvertes, les veines dans les cous, les boots, les chapeaux, les ceinturons, les plis sur les pantalons, les interactions, finalement te voilà débordé de travail, tu n’as même plus le temps de t’ennuyer. Si la musique ne te parle pas, tu as tout le reste. C’est déjà pas mal.

             Slim Cessna’s Auto Club est un groupe - allez, on va dire pour faire vite - d’Americana, basé à Denver, Colorado, donc des voisins de Jeremiah Johnson. Ils doivent d’ailleurs très bien le connaître. Ils n’ont pas de flèches Crow fichées dans leurs chapeaux, mais c’est tout comme. Avant de passer à la suite, il est essentiel de s’arrêter un moment sur la notion d’Americana, un mot utilisé à tort et à travers. Si tu veux parler d’Americana, commence par écouter les cracks du genre, c’est-à-dire John Fahey, Fred Neil, Bobby Charles, Karen Dalton et surtout le Dylan de John Wesley Harding. Rien qu’avec eux, la messe est dite. Tu peux ajouter une pincée de Tom Rush, de Dillards, de Sadies, de Guilbeau & Parsons, de Gosdin Brothers, de David Eugene Edwards, de Gene Clark et de Mike Nesmith, et même remonter jusqu’au Rose City Band, à Daniel Romano et au Reverend Peyton’s Big Damn Band. Avec tous ces gens-là, tu as la pure Americana. La pas coupée.

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             Et puisqu’on ne va pas pouvoir délirer sur les chansons de l’Auto Club, on va essayer de délirer sur les bons zhommes, car là il y a du grain à moudre. Au fond, t’as un mec qui bat le beurre sous sa casquette, et à côté de lui, t’as le fils de Slim Cessna qui bassmatique à tire-larigogo, ça veut dire qu’il ne fait pas semblant. Devant, t’as la petite gonzesse la plus timide d’Amérique, Rebecca Vera. Comme t’es à ses pieds, tu l’encourages. Et plus tu l’encourages, plus elle se réfugie dans sa coquille. Elle joue de la pedal steel et de l’orgue, elle abat un boulot incroyable, comme on dit chez les bûcherons. Elle est complètement marginalisée sur scène, et s’il n’y avait pas un gros con bourré pour l’ovationner toutes les cinq minutes, personne ne la verrait. En gros, c’est à peu près ça.

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    De l’autre côté, t’as un tout petit barbu déplumé nommé Lord Dwight Pentacost qui gratte les poux du diable sur une double manche qui a pour belle particularité d’être ornée d’une madone. Oui, il est important de rappeler que l’Auto Club est très féru de religion, ou, pour atténuer le propos, très féru d’allusions à la religion. Les Jesus and Lawd sont légion dans leurs chansons. Bon, enfin bref, le mec joue un peu comme un dieu et il croise en permanence le fer avec la fille la plus timide d’Amérique, qui, petite précision, a joué sur quelques albums de Sixteen Horsepower. Rien de surprenant à cela, puisqu’on se trouve ici quasiment dans le même environnement.

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             Il en reste deux. Slim Cessna est aussi un barbu, mais un grand barbu fin et élancé. Il ne s’agit pas vraiment d’élégance, car l’Amérique n’a quasiment aucun historique en la matière. À part Francis Scott Fitzgerald et Christopher Walken, on ne trouve aucune trace d’élégance en Amérique, au sens où on l’entend par ici. Le dandysme est anglais. L’Amérique, c’est autre chose.

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    On pourrait simplement dire que Slim Cessna a beaucoup de classe, tout de noir sapé, avec une chaîne qui pendouille sur le côté, comme chez les rockab, et puis il porte fièrement ce beau Stetson blanc, disons qu’il est stylish, mais en aucun cas élégant. Le cow-boy est l’absolu contraire de l’élégance, d’un côté t’as Clint Eastwood et de l’autre Oscar Wilde. D’un côté t’as John Wayne et de l’autre Brian Jones. L’un des rares élus qui échappe à la caricature, c’est bien sûr Marlon Brando. Tout ça pour dire que les Américains ont su créer une esthétique du cow-boy qui ne tient pas la route. Elvis et les rockabs en ont inventé une autre. Dylan a su inventer la sienne. Et pour dire les choses franchement, des blackos comme Chucky Chuckah, Sam Cooke, Muddy et Slim Harpo sont les vrais représentants d’une forme d’aristocratie américaine. Certainement pas les blancs.

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             Et puis au milieu de tout ça, t’as Jay Munly, le deuxième chanteur et accessoirement gratteur émérite de banjo. Munly, c’est Dracula au Far-West. À la fois incongru et fascinant. Maigre. Les formes du crâne saillent sous une peau jaune, notamment autour des yeux. Dommage qu’il n’ait pas les bonnes chansons. Il n’y a pas vraiment de bonnes chansons dans l’Auto Club, juste une solide ‘Americana’ de saloon, bien réservée aux Américains, très énergique, et vu que les trois quarts des gens qui sont là dans la salle ne comprennent pas l’anglais, alors on imagine le désastre.

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    Car bien sûr, tout repose sur les textes, comme chez Cash, comme chez David Eugene Edwards, comme chez tous ces mecs-là. Ils racontent des histoires. Dans le genre raconteurs d’histoires, les meilleurs sont sans conteste les Drive-By Truckers. Southern Rock Opera est l’un des plus beaux albums de raconteurs d’histoires. C’est du niveau de Dickinson. Et du Dylan de 1966. On venait voir l’Auto Club dans l’espoir de retrouver la veine des Truckers, mais le compte n’y est pas. Bizarrement. Alors qu’il y a tout : les banjos, les chapeaux, la pedal steel et Dracula au Far-West. Le groupe dont l’Auto Club se rapproche le plus serait peut-être les Legendary Shack Shakers, mais sans l’explosivité scénique du fantastique J.D. Wilkes. Quand tu passes une heure trente à attendre LA chanson, c’est long. Et pourtant, le groupe t’intrigue. Alors après tu te renseignes. On te dit que les albums, c’est pas terrible, et que c’est mieux sur scène. Donc tu vas pas au merch. Grosse connerie. Il faut écouter quand même, car le groupe t’intrigue, surtout Dracula au Far-West. Les textes des chansons t’intriguent encore plus. Le gospel blanc, mais aussi la booze. Tu entends parler de cowpunk dans les conversations d’after-set et d’American Gothic, et comme tu gardes un très mauvais souvenir du cowpunk et de l’American Gothic, tu te félicites d’avoir fait des économies en passant devant le merch sans t’arrêter. Et puis, tu sais bien - deep inside your heart - que tu vas y revenir. T’as pas eu les Truckers, t’as pas eu le Southern Gothic, et encore moins Corman McCarthy, tant pis, t’auras autre chose.

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             Et tu finis par tomber sur le pot-aux-roses  : l’Auto Club est bien meilleur sur les albums que sur cette petite scène havraise. Tiens, jette un œil sur cette compile : SCSC 102: An Introduction For Young And Old Europe. C’est tout simplement explosif de bout en bout. Avec «This Is How We Do Things In The Country», ils naviguent au même niveau que les Legendary Shack Shakers. C’est de la country sauvage ardemment sautillée. Tu te lèves et tu danses la gigue. Puissant et mélodique, «Mark Of Vaccination» sonne comme un hit. Ta mâchoire se décroche et pend sur ta poitrine comme une lanterne. Leur «Jesus Christ» est bardé de son et de Jesus died for me ! Fantastique énergie. Tout est plein comme un œuf. «Pine Box» t’explose littéralement sous le nez, boom ! T’as là le trash boom de Denver. T’en veux encore ? Alors voilà «That Fierce Cow is Common Sense In A Country Dress» - It’s not like that/ No it’s not like that - t’as tout le brouet là-dedans : le beurre rockab, l’énergie primitive et la chaleur country. Tout est très large d’esprit, attaqué au banjo, ils se donnent les coudées franches. Tu sais que tu vas ensuite écouter tous leurs albums. Ça vire de plus en plus wild avec «Cranston». Ils avalent les distances, ça chante à deux voix, ça prend des virages à la corde au fast power country punk. Ces mecs sont des démons. «A Smashing Indictment Of Character» sonne comme un hit. «Jesus Is In My Body - My Body Has Let Me Down» sonne assez tibétain, ça chante à l’ohmm, puis à l’éplorée systémique, avec derrière une gratte fantôme. Bienvenue à l’Auto Club !

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             Même topo avec Unentitled. Boom dès «The Unballed Ballad Of The New Folksinger». Ça tourne au get around et à l’énergie brute. Ils passent au Dylanex avec «No Doubt About It». Bel entrain. Big album. Tout ici sent bon la wild inspiration. Coup de génie avec «Do You Know Thee Enemy». C’est fabuleusement drivé au fast excelsior. Ça roule à l’énergie blanche du Colorado. On retrouve le «Smahing Indictment Of Charater» de la compile saluée plus haut. White trash spound de Jeremiah Johnson ! Les cuts tournent tous sur le même principe : storytelling sur fond de badaboom du Colorado. «Hallelujah Anyway» ? Dense. Gorgé. Bardé. Chanté à deux voix avec un Munly assez décadent. Puis ils prient dans «United Brethen» : «Jesus have mercy on our congregation.»

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             The Bloudy Tenent Truth Peace pourrait porter comme sous-titre : The Dynamite Album. On y retrouve l’explosif «This is How We Do Things In The Country», un wild-as-fuck pulsé à la stand-up de Denver et aux banjos du Kentucky, alors ça monte et ça explose en mille morceaux. Les textes sont superbes, Slim te trousse tout ça à la hussarde. Encore une apocalypse avec «32 Mouths Gone Dry»  - And now we ought to rise up - Ils n’en finissent plus de rise up, «Cranston» démarre au quart de tout - Cranston/ City/ Say/ Goodnite - Encore un hit faramineux, «Mark Of Vaccination», qui est aussi sur la compile For Young & Old Europe - Goddam I know/ Lord made me slow/ Goddam I know/ Lord made me slow - véritable apothéose du Colorado. Cessna raconte comment une vaccination se passe mal. Et puis voilà «Jackson’s Hole», Cessna clame «My friend Jackson’s dead !», et s’en explique : «Oh Jackson this time you’ve gone too far/ I shot him in the head.» Ils chantent à deux voix l’excellent «Sour Patch Kids» et «Port Authority Band», et tapent une Beautiful Song avec «Providence New Jerusalem». Et cet album qu’il faut bien qualifier de faramineux s’achève avec un «He Roger Williams» battu à la cavalcade effrénée. Le mec au beurre amène une énergie considérable et forcément le cut explose en plein vol. C’est leur spécialité.

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             Cipher ? Quel album ! T’es vite re-frappé par la fantastique énergie de l’Auto Club. S’il fallait résumer l’Auto Club en deux mots, c’est ça : fantastique énergie. Tout est plein à ras bord, puissant et quand ils chantent à deux voix, ça devient le real deal du Colorado. Stupéfiant : «Children Of The Lord», attaqué au chant tranchant, et ça explose littéralement. On n’avait encore jamais vu ça. Un tel entrain explosif ! Véritable boisseau de chants mêlés et de beat Cessnic. C’est un ramdam à se damner pour l’éternité. Ils font du wild cow-punk avec «Ladies In The Know», ça explose à la moindre étincelle, et ils sont pires que Killing Joke dans «Jesus Is In My Boby My Body Has Let Me Down», qu’on a déjà croisé sur la compile du diable. C’est l’un des cuts mystiques les plus explosifs de tous les temps. Pur genius. Avec «Everyone Is Guilty» # 2», ils tapent le gospel moderne de l’Auto Club. Ils savent monter un gospel en neige avec les clameurs idoines. Ils se dirigent vers la sortie avec une autre vieille connaissance, l’impétueux «That Fierce Cow Is Common Sense In A Cowboy Dress», un fast country punk qui te scie les pattes - That’s a fierce cow/ Oh my God ! - Et ça finit en roue libre de la dementia d’Auto Club - Get a little higher/ Oh my God !     

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             Leur premier album sans titre date de 1995. Slim Cessna est déjà énorme, avant même d’être devenu énorme. Il est déjà intense avant même d’être devenu intensément énorme. Pas un hasard si cet album sort sur le label de Jello Biafra. On y trouve pas mal de gros tatapoum et de belles complaintes éplorées que Cessna allume au yodell - My goodness gracious me - La principale qualité du Cessna est de savoir passer en force. On se régale de «Dear Amella», un balloche du Colorado avec tout le yodell du monde. Il ramène le fast country bound d’all the time dans «That’s Why I’m Unhappy» et dans «What’ll I Do», il a perdu son job, alors il se demande ce qu’il va faire do dee bah dee bah.

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             Tu faisais le gros malin, l’autre soir au Havre, en passant devant le merch sans t’arrêter. Du coup te voilà confronté à la réalité : si tu veux écouter Kinnery Of Lupercalia Buell Legion, tu vas devoir le rapatrier. Tu votes le rapatriement en comité restreint. Et tu renoues ainsi avec le fast power de l’Auto Club. Une fois de plus, tu constates que ces Coloradiens ont une certaine facilité à cavaler. Back to the big Cessna Sound avec «Cesare». Somptueux ! Colorado power ! Vraie démesure. Franchement, tu n’en reviens pas d’écouter des mecs aussi bons. Ils n’en finissent plus de recharger la barcasse. C’est convulsif. Indomptable. L’autre gros cut de l’album s’appelle «Harris». C’est d’un niveau qui te dépasse. Ils roulent à l’énergie rockab. Hallucinant. Le reste de l’album est un conglomérat de fast Americana, ils te soûlent et c’est bon, ça grouille de chœurs d’écho et d’épouvantable tatapoum. Slim Cessna fait son gai luron sur «Ichnabod» et ça explose au napalm du Colorado. Tout explose à la moindre étincelle, avec des notes de banjo dans la fumée. They blow the roof, comme on dit outre-Manche, quand on ne sait plus quoi dire. 

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             Always Say Please And Thank You entre en lice pour le titre de meilleur album de l’Auto Club. Eh oui, celui-là grouille tellement de puces ! Le premier coup de génie s’appelle «Cheyenne» - I’m driving North to Cheyenne - Pas d’Indiens. Il conduit. Slim est un chanteur fantastique - Seek me out/ Seek me out ! - On entend un peu d’incantation indienne et du banjo. Et puis t’as cette fantastique clameur country dans «Viceroy Filter King», tapé à la steel. «Jesus Christ» est une splendeur - That cold black street/ Did Jesus died for me? - Il finit ce gospel blanc de cold black street en yodell du diable. C’est puissant de piété. Slim est un fou, il faut le voir avaler «Goddamn Blue Yodell #7». Youh-ouh ! Il fonce à 100 à l’heure dans l’Americana profonde. C’est plein de jus, complètement explosif. Un son qui te dépasse. Cet album est épouvantablement bon. Slim rebondit bien sur les cold cold eyes de «Cold Cold Eyes». Et puis t’as la fast Americana diabolique de «Last Song About Satan» tapée au banjo. «Pine Box» sonne comme du rockab : même power. Ça se termine avec un «Hold My Head» admirablement bien monté en neige. L’Auto Club bat absolument tous les records d’apothéose.

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             Et puis t’as cet album austère, The Commandments According to Slim Cessna’s Auto Club. Comme tous ses prédécesseurs, The Commandments échappe à toutes les règles, car c’est de la wild Americana. C’est-à-dire qu’ils attaquent des trains et des banques quand ça leur chante. Chaque album de l’Auto Club, c’est un peu la Piste Aux Étoiles, car chaque fois, ils allument tout. Dans le Commandment 2, Slim s’adresse aux kids : «Little kid/ Big kid/ Listen to your father.» L’album est relativement étrange, certains Commandments sont comme suspendus dans les champs. Ils écrivent leur Bible rock. C’est plus dense en lyrics qu’en son. Dans le Commandment 6, Slim brode sur le thème du cheval : pourquoi un cheval ne pourrait pas monter un homme ? Il s’en sort au be my weight. Et soudain, voilà le coup de génie clubbique, le Commandment 7 - There’s a hole in my ceiling, et Jay Munly réplique there’s a hole in my floor - il double au chant, ça devient vite puissant car pulsé au stand-up - I fill the hole in my heart/ With the whole of the truth - Effarant de dynamiques du diable. Ils utilisent leurs voix comme des torpedos qui se chevauchent et qui se propulsent.   

    Signé : Cazengler, Slim Cessné de la dernière pluie

    Slim Cessna’s Auto Club. CEM. Le Havre (76). 19 juin 2024

    Slim Cessna’s Auto Club. Slim Cessna’s Auto Club. Alternative Tentacles 1995   

    Slim Cessna’s Auto Club. Always Say Please And Thank You. Alternative Tentacles 2000 

    Slim Cessna’s Auto Club. The Bloudy Tenent Truth Peace. Alternative Tentacles 2004

    Slim Cessna’s Auto Club. Cipher. Alternative Tentacles 2008 

    Slim Cessna’s Auto Club. Unentitled. Alternative Tentacles 2011

    Slim Cessna’s Auto Club. SCSC 102: An Introduction For Young And Old Europe. Glitterhouse Records 2012   

    Slim Cessna’s Auto Club. The Commandments According to Slim Cessna’s Auto Club. Glitterhouse 2016

    Slim Cessna’s Auto Club. Kinnery Of Lupercalia Buell Legion. SCAC Unincorporated 2024 

     

     

    L’avenir du rock

    - The Muddcap laughs

     

             Il arrive parfois à l’avenir du rock de se retrouver coincé au bar avec l’apologue de la Madness, Mad Jack.

             — Pas la peine de rouler des yeux comme ça, Mad Jack, on sait tous que t’es pas mad.

             — Chuis mad de chez mad !

             — T’écoute quoi comme mad ?

             — Mad Dogs & Englishmènes !

             — C’est pas très mad, man ! T’as pas plus mad ?

             — Mad Tsin !

             — C’est déjà mieux. C’est tout ?

             — The Madcap Loffe !

             — Ah tu remontes un peu dans mon estime, Mad Max. J’espère que tu ne vas pas me sortir Mad River ou Madonna...

             — Tu m’prends pour une madeleine ou quoi ?

             Pour bien marquer le coup, Mad Jack dégage deux jets de vapeur par les oreilles, comme le ferait un cargo entrant au port.

             — Pis t’a aussi «Mad Daddy» des Crrrremps !

             — My Gawd, tu commences vraiment à avoir du goût, Jack Pot !

             Le compliment fait chavirer la cervelle de Mad Jack : ses yeux roulent, gling gling gling et deux dollars s’affichent à la place des rétines. Alors il se croit tout permis et balance le Mad Shadows de Mott et les Mad Mike Monsters sortis chez Norton. La peau de son visage fait des bulles et passe par différentes teintes, depuis le vert jusqu’au violet, en passant par l’orangé. Fatigué de ses simagrées, l’avenir du rock l’interrompt sèchement :

             — T’as pas que le Mad dans la vie. T’as aussi le Mudd.

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             Le Mudd Club ? Oh pas grand-chose, tout juste un petit buzz dans Shinding!. Comme tout le monde, Mad Jack va devoir attraper sa pelle et creuser.

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             Leur premier album, Bottle Blonde, est plus accessible. D’abord paru sur Raving Pop Blast Records, un petit label atrocement mal distribué, il a été réédité par Trash Wax en 2023. Et quand tu écoutes le morceau titre de Bottle Blonde, tu sais que tu peux y aller les yeux fermés. Il se dégage de leur punk-rock de forts accents d’Heartbreakers, avec un fantastique jeté de dévolu. Elle chante à l’inadvertance déjetée. Elle s’appelle Sadie Morningstar. Et le Mudd Club est un fringuant power trio. Elle récidive avec «Killin’ Me» et un air de ne pas y toucher. Elle chante d’une petite voix mal assurée mais avec du punch. Nouveau coup de Trafalgar avec «She Creature». Voilà encore un cut gorgé de son, de grosses guitares, monté sur un beat turgescent. Elle est bonne, la Sadie. En B, on s’arrête sur le «Wombat Twist» tapé au tatapoum d’hypno à Nœud-Nœud et plus loin, elle te claque un «TV Girl» à la claquemure d’Angleterre, avec un solo qui passe entre les mailles.

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             Leur nouvel album s’appelle Give Me A Thrill. Ils tapent en B une fantastique cover du «Wild About You» des Missing Links déjà repris par les Saints. Sadie Morningstar lui rentre bien dans le chou, pas avec la niaque de Chris Bailey, c’est autre chose, elle ramène son caramel délinquant, elle se jette toute entière dans la balance. Quelle bravado ! Attention au «Friday Night On A Monday Morning» : fast Mod rock de scoot crash ! Wild as fucking fuck ! Fin & délié & tatapoum ! T’en vois pas tous les jours des comme ça. Elle fait ensuite sa délinquante sixties avec  le morceau titre. Elle est en plein dans le vrai. L’album est d’une rare intensité incendiaire. Elle fout le feu avec sa riffalama. Et le beurre ! T’en as pour tes sous ! On entend des vieux relents d’Heartbreakers dans «Rock’n’Roll Boy» et en B, elle ramène son sucre avarié dans «New Tattoo», un groove franchement digne de Johnny Kidd. Tout a de l’allure sur cet album, tu n’en reviens pas ! Une triplette de doom-doom-doom embarque «Brand New Shoes» pour Cythère. C’est à la fois puissant et élégant. Quel brillant power trio !

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             Profitons de l’occasion pour aller creuser du côté du label Raving Pop Blast Records. On y trouve de belles pépites, comme par exemple The Beat From 20 000 Garages - The Best Of Rebels Volume 3. Tu peux y aller les yeux fermés. Tout y est : le chant cracra, la fuzz et l’écho du temps d’avant. Premier gros coup de cœur avec The Emergency Stairs et «Just Let Me Be» (heavy gaga rudimentaire, bien popotin et admirable. Ouh !). Les caves s’en mêlent, c’est-à-dire The Basements, avec «Out Of My Mind», c’est plein de fuzz et tellement bienvenu. La compile a tout bon, comme le montre encore Lord Diabolik avec «Ne Juge Pas», Hey Bo Diddley vire protozozo - Ne fais pas ça ! - On saluera aussi les Lancashire Bombers pour leur belle intro de basse dans «I Left Her Crying». Ça joue dans l’urgence, c’est catapulté par le bassmatic du diable ! Fantastique allure encore avec le Groovy Uncle d’Alan Crockford et «Start All Over Again». Cette grande pop visitée par la grâce est digne de celle de Geno. Les Kiss Boombah prennent bien le relais avec «Out Of Our Tree» et Teenage Cavegirl tape dans le mille avec «Get Off The Road» : fuzz et chant juvénile. On se dirige vers la sortie avec The Naives et «No One But You», gratté sur les accords de Gonna Miss Me, avec derrière des chœurs délirants et un chant insistant de petite gouape d’I need no one. Très 13th Floor ! 

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             Your Face Is A Mess - The Best Of Rebels Volume 4 est une compile un peu moins dense que la précédente. On la sauve pour trois raisons : «Snatch It Back» des Leathers (quasi-Gories, désossé, bien sec), «Treat Me Like You Just Don’t Care» des Lonely Hearts (power pop de génie, on se demande même ce que ça fout là !) et (The) Nervous Rex avec «Right Outta My Head», bien wild et insidieux, monté sur les accords de «Kick Out The Jams». Pour le reste, ça navigue entre le gaga classique («Gobbledygook» de The Mounrning After), le surf punk («The Sinister IV» des Charles Napiers), le rockab («Life Is A Gamble» des Earls Of Satan) et le beat sautillant des Beatpack avec «In A Hunbdred Years».

    Signé : Cazengler, Mudd Cloche

    The Mudd Club. Bottle Blonde. Trash Wax 2023

    The Mudd Club. Give Me A Thrill. Not On Label 2022

    The Beat From 20 000 Garages - The Best Of Rebels Volume 3. Raving Pop Blast Records 2021

    Your Face Is A Mess - The Beat Of Rebels Volume 4. Raving Pop Blast Records 2021

     

     

    Magnetic strawberry Fields

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             «Putain, il est gros !» s’exclama-t-il, cet imbécile, en voyant arriver Stephin Merritt sur scène. Merritt crée en effet la surprise, car il arrive sur scène court sur pattes, plus large que haut, coiffé d’une casquette de Dubliner et serré dans un pull jacquard sans manches qui n’arrange rien.

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    Il se perche sur un tabouret et gratte paisiblement une sorte de dobro rafistolé. Il parle d’une voix très profonde et lâche des petits commentaires laconiques entre chaque chanson. De fil en aiguille, il finit par captiver son public, enfilant comme des perles des chansons tour à tour mélancoliques et entraînantes, et généralement d’une profonde beauté. On croit que les Fields sont irlandais, mais non, ce sont des gens de Boston. Merritt a le mérite d’être extrêmement bien accompagné.

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    Le cador du quintet s’appelle Sam Davol, il joue sur un mini-violoncelle avec une technique effarante de précision. On voit qu’il n’est pas très à l’aise, car le voilà installé au centre et au-devant de la scène. Comme il n’ose pas regarder les gens, il se concentre sur son jeu.

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    Derrière lui, un vieux pépère claviote sous une casquette en cuir noir, et de l’autre côté, un mec aux cheveux longs contribue grassement à la richesse du son en grattant ses coups d’acou. Il porte un T-shirt Ian Hunter. Et puis à gauche de la scène, Shirley Simms gratte un ukulele amélioré, puisqu’il comporte neuf cordes. Au début du set, on craint un peu de s’ennuyer. Toujours la même chose : dès qu’on ne voit plus les amplis et la batterie, on redoute le pire. Et là, ils sont assis tous les cinq.

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    Mais les Champs Magnétiques vont nous conquérir, cut après cut. Merritt tire pas mal de cuts de l’album qui l’a révélé, le fameux 69 Love Songs, un triple album qui propose comme son nom l’indique 69 chansons d’amour. Il en tire «Come Back From San Francisco», «Papa Was A Rodeo», et «A Chicken With His Head Cut Off» qu’il annonce comme «Dead... Chicken». Il dit tirer son inspiration de la lecture d’articles dans les magazines. Il fait aussi une chanson sur Alice Cooper, «Death Pact (Let’s Make A)», et tire des cuts d’autres albums, comme «Andrew In Drag» de Love At The Bottom Of The Sea. Ian Hunter se tape «The Luckiest Guy On The Lower East Side» a capella et force l’admiration. Merritt chante d’une voix très profonde de stentor d’opéra, donnant à ses chansons ce caractère solennel qui renvoie aux sea shanties, les très anciennes chansons qu’entonnaient les vieux loups de mer au fond des tavernes de la nouvelle Angleterre.

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             Le problème, c’est que Merritt produit énormément. On ne peut pas suivre. En plus du 69 Love Songs, tu as le 50 Song Memoir et un Quickies de 30 cuts.

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             On ne retient rien du Quickies, Merritt et Shirley Simms chantent en alternance, on tombe très vite sur le «The Day The Politicians Died», et Merritt gratte son banjo sur «Castle Down A Dirt Road». Ils s’amusent bien avec «My Stupid Boyfriend». On croit entendre du Jad Fair en plus formel, ils duettent avec allégresse. Ils font leur truc, quoi qu’il advienne. Le «Favorite Bar» sonne très irlandais. Toutes les chansons sonnent comme des petits exercices de style. C’est elle qui a rendez-vous dans «I’ve Got A Date With Jesus», une fantastique rengaine d’arrière-garde et elle shake à la suite un «Come Life Shaker Life» assez pluriel. Pas de hit, bien sûr, juste de l’inspiration. Elle est marrante la Shirley dans «Rock’n’Roll Guy», elle y va au I need a real rock’n’roll man ! Tous ces cuts ne laisseront aucun souvenir. Ils se vivent dans l’instant et laissent globalement une bonne impression. Merritt termine en faisant la prostitute dans «I Wish I Was A Prostitute Again». Il est très pince-sans-rire.

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             Love At The Bottom Of The Sea est un album un peu plus solide. On y retrouve très vite la petite pop d’«Andrew In Drag». Merritt fait des chansons comme on fait des saucisses. Mais il fait parfois des saucisses miraculeuses, comme «Born For Love». Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, Shirley nous chante à la suite «I’d Go Anywhere With Hugh». Fantastique allure ! Dommage qu’il y ait des machines. Ils tapent «The Only Boy In Town» aux cloches de la rédemption. Shirley vole le show. Elle chante d’une façon très particulière, à la langue pincée. Elle est toujours de bonne humeur et vaillante à la tâche. Elle finit par monopoliser les Champs Magnétiques. Par sa voix, elle est reconnaissable entre mille. La pop des Champs passe comme une lettre à la poste. C’est le gros qui boucle avec «All She Cares About Is Mariachi», un très beau shoot d’exotica qui fait autorité.

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             69 Love Songs devrait trôner sur toute étagère digne de ce nom. L’amateur de Dada y retrouve ses petits avec deux œuvres magistrales : «I Think I Need A New Heart» et «Fido Your Leash Is Too Long». Avec son New Heart, Merritt tape un fantastique houla-hop de java de Boston. Le son et  le propos sont du pur Dada. Les Fields sont avec Pere Ubu le grand Dada band des temps modernes. Il faut aussi voir Merritt s’adresser à son chien Fido. La merveille du disk 1 est la fameux «Come Back To San Francisco» que chante Shirley au sucre pincé. Dudley tape à la suite l’extraordinaire «Luckiest Guy On The Lower East Side», ah il faut voir ce mec claquer le chant, les dynamiques sont imparables, il monte tant qu’il peut. Vers la fin du disk 1 se trouve une autre Beautiful Song, «Sweet Lovin’ Man», violonnée à outrance, que chante Shirley, pop d’éclat pur, stupéfiante de qualité orchestrale. Pop-song parfaite. On comprend que 69 Love Songs soit devenu culte. Merritt prend la plupart de ses cuts d’une voix solennelle, «I Don’t Believe In The Sun» est gorgé de beauté intrinsèque, très envoûtant, il fait une fast country de baryton avec «A Chicken With His Head Cut Off» et épate encore la galerie des glaces avec «I Don’t Want To Get Over You». Il est sur chaque cut avec l’aura de Marc-Aurèle, ses cuts sonnent comme des intrications incontestables. Il va même sonner comme Brian Wilson avec «Let’s Pretend We’re Bunny Rabbits». C’est tout de même assez stupéfiant ! Comme le montre «The Book Of Love», il sait aussi tomber dans le gravitas de Leonard Cohen. Il fait du Dada punk avec «Punk Love» et donne à l’ensemble un petit côté Jad Fair.

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             Le disk 2 est un tout petit peu moins dense, mais on se goinfre de «When My Boy Walks Down The Street». Pur genius de Boston rock. Merritt hante tous ses cuts au gras de baryton. À la lumière de tout ce fourbi, on comprend mieux la chance qu’on a de les voir sur scène. Dudley chante «Very Funny,» il monte chercher la note juste. Ce mec chante comme un dieu, avec une énergie particulière. Merritt fait encore le guignol avec «Grand Canyon» - If I was the Grand Canyon/ I’d echo everything you say/ But I’m just me - Shirley ramène son sucre pincé pour «No One Will Ever Love You». On s’attache à elle, car elle tient bien la pression. Fabuleux balancement de la pop ! C’est cet équilibre qui rend les Fields indispensables. Avec «World Love», ils tapent une belle samba de love, music, wine & revolution. On retrouve aussi l’excellent «Papa Was A Rodeo» claqué sur scène, fantastique rengaine aigre-douce et pince sans rire de ‘cause Papa was a rodeo/ mama was a rock’n’roll band. Ils bouclent ce brillant disk 2 avec «I Shatter» qui est du pur Velvet. On croit entendre le violon de John Cale dans «The Black Angel’s Death Song».

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             La fête se poursuit le sur disk 3 avec «Underwear» - Of pretty girl/ In her underwear/ La mort c’est la mort/ Mais l’amour c’est l’amour - Pur Dada ! Shirley tape «I’m Sorry I Love You» en mode Diddley Beat. Quelle ampleur ! Bo Diddley dans un pub irlandais : il fallait y penser ! Les Fields sont capables de prodiges, comme le montre encore l’heavy pop de «The Death Of Ferdinand De Saussure». Excellent d’his last word/ We don’t know anything. Ils restent dans la heavy pop avec «Bitter Tears». Quand c’est heavy aux Champs, c’est heavy. Fantastique allure ! Claudia et Merritt duettent dans l’énormité de «Yeah Oh Yeah». C’est bardé de son, ils bourrent bien la dinde. Merritt crée encore la sensation avec «Meanningless», qu’il charge de yes yes yes. Ce triple album est une ahurissante collection d’exercices de style. On sent qu’ils s’amusent bien avec «Queen Of The Savages» - My girl is the queen of the savages - et ils font même n’importe quoi avec «Two Kinds Of People». Au bout de 50 love songs, on finit par zapper. Le gros reprend de l’élan avec «Born To Say Goodbye» et il s’envole, emporté par cette pop alerte et puissante. Vers la fin, ça dégénère, «The Night You Can’t Remember» sonne comme une folk-song du XVIIIe siècle et on entend du clavecin dans «For We Are The Kind Of The Boudoir». On note toutefois que sur ce disk 3, la qualité baisse dramatiquement. Ainsi va la vie.

    Signé : Cazengler, Magnetoc Field

    Magnetic Fields. Le 106. Rouen (76). 10 novembre 2023

    Magnetic Fields. 69 Love Songs. Domino 1999

    Magnetic Fields. Love At The Bottom Of The Sea. Merge Records 2012 

    Magnetic Fields. Quickies. Nonesuch 2020

     

     

    Inside the goldmine

    - Coup de Bailey

             Chaque fois que tu croisais Balai dans un concert ou dans une convention, tu te retrouvais confronté au même problème : tu éprouvais pour lui une réelle sympathie et en même temps tu trouvais le premier prétexte pour écourter la conversation et fuir à l’autre bout de la salle. Car tu savais que Balai allait te tenir la jambe pendant des heures, d’une manière horriblement psychotique. Il pouvait te parler de tout et de rien, de ses petits boulots, de ses disques, de ses comic books, il entrait en surchauffe et sortait son smartphone pour te montrer les pages des comic books qu’il avait photographiées, il en avait des centaines, ça n’en finissait pas, tu n’osais pas lui dire que ça ne t’intéressait pas, de toute façon, il ne t’aurait jamais laissé prononcer une seule parole, son débit oral emportait tout, il te montrait ensuite la liste de ses disques, c’était n’importe quoi, il achetait tout ce que les escrocs locaux lui proposaient, ça te faisait de la peine de voir ça, et le discours fleuve t’emmenait toujours plus loin, jusqu’au bar et là commençait la noria des pintes, il n’attendait pas que la tienne soit finie pour en commander une autre, et blih blih et blah blah, il te soûlait plus que ne le faisaient les pintes, il repartait sur ses petits boulots, émaillant son discours de détails misérables, il plongeait son regard dans le tien pour être sûr que tu suivais bien, et lorsque le mec du bar annonçait qu’il allait fermer, Balai proposait immédiatement d’aller au Bateau, «Ça ferme à quatre heures, viens, on prend ma bagnole», et ça repartait de plus belle dans la bagnole, il conduisait en cherchant des trucs sur son smartphone pour les commenter, avec les pintes qu’il s’était mis dans le cornet, il devenait complètement hystérique, il roulait vite et grillait les feux, «Ah merde, j’le retrouve pas», il fouillait dans une véritable pagaille d’applications, «Ah il faut que j’te montre ça, tu connais ? Oui, tu connais, chuis sûr, ah merde où c’est passé, faut vraiment qu’tu voies ça, c’est...» Bhaaam ! Il vit arriver l’autre bagnole trop tard. Il la percuta de plein fouet alors qu’elle passait au vert. Balai rendit l’âme, son smartphone encastré dans sa bouche sanguinolente.

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             Balai est à l’exact opposé de Bailey. C’est pour ça qu’on a choisi de raconter son histoire. Autant Balai est volubile, autant Bailey ne l’est pas. Choisir un contraire exact permet parfois de mieux définir l’objet de son attention.

             C’est dans les compiles Deep Soul Treasures de David Godin qu’on croise J.R. Bailey, un blackos originaire du Maryland. Il est plus connu pour ses backing vocals derrière Aretha Franklin, Roberta Flack, Donny Hathaway et Jimmy Castor que pour sa maigre carrière solo. Dommage, car ses deux albums valent le rapatriement.

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             J.R. Bailey n’a pas l’air très engageant sur la pochette de Just Me ‘N You. Et pourtant il est doux comme un agneau, puisqu’il chante exactement comme Marvin. Si on ferme les yeux, on se croit sur What’s Goin’ On. C’est exactement la même chose. Il enchaîne «After Hours» et Heaven On Earth» comme Marvin, avec le même groove violoné. Il essaye même de rajouter du suave dans le doux du chant, un petit peu moins gras que celui de Marvin, mais subtil. Encore un straight groove marvinien avec «She Called Me». Il développe une fabuleuse osmose de la comatose d’anthropomorphose. Sacré J.R. ! Il continue de camper dans son suave en B. Il n’en démordra pas. Les gros cuts s’entassent au bout de la B : «Not Too Long Ago» ne redescendra jamais sur terre. Le truc de J.R., c’est l’élévation. Il ne vit que pour l’aérien. Il termine avec l’excellent «Everything I Want I See In You», chanté à plusieurs voix, mais à l’unisson du saucisson. C’est beau, très sculptural, monté en neige d’Ararat.

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             Il est beaucoup plus à son avantage sur la pochette de Love & Conversation. Regard humide et beau, chemise ouverte sur des chaînes en or, et aux mains autant de bijoux que Little Milton et Johnnie Taylor réunis. Globalement, J.R. est un immense artiste, il vise l’apothéose du climax à travers ses frotis. Il flirte un peu avec l’Aquarius dans «A Taste Of Honey», mais son groove reste léger et subtil. Il est à cheval sur plusieurs genres, Hair et la dance, c’est à la fois très curieux et très intéressant. On ne perd jamais son temps avec les artistes noirs. Son slow groove de Coconut Beach («Stella My Starlight») est un enchantement, et il monte au sommet d’un genre très prisé, the Good Time Music, avec «That’s Love». Bravo J.R. ! Quel papillon !

    Signé : Cazengler, J.R. Balai.

    J.R. Bailey. Just Me ‘N You. MAM 1974 

    J.R. Bailey. Love & Conversation. United Artists Records 1977

     

    *

             Au premier coup d’œil, typiquement grec, à premièrement écoute irrémédiablement rock. Rejoignons sans tarder la planète du Kronide. Le soleil de Grèce ne saurait décevoir.

    AFTERLIFE

    PLANET OF ZEUS

    (CD / BC / Octobre 2024)

             C’est quoi ce cirque. Autant désigner tout de suite le coupable. Se nomme Morgan Sorensen. Le nom de son instagram dévoile tout en ne montrant rien. See_machine, Voir la machine. L’on s’attend à des mécaniques propédeutiques, de l’ultra-futurisme et plouf l’on retombe sur des illustrations qui semblent des décalcomanies des antiques vases grecs ! Pas du tout des reproductions. Une inspiration. Une relecture. Une recréation. L’art antique retrempé dans la présence du monde. Une véritable machination. Faire du présent avec l’ancien. Redonner voix à l’antique. Faire parler l’art céramical hellène en notre propre langue, à la manière de ces translateurs modernes qui nous traduisent en quelques secondes des centaines de textes anciens, nous inscrire dans une filiation directe, avec cette différence essentielle que les mots sont remplacés par des traits et des formes, les mêmes lignes, les mêmes figures, dont se servaient les artistes grecs originels, un peu comme si depuis la sombre caverne illusoire de notre modernité nous apercevions, les ombres représentativement culturelles et civilisationnelles qui imprégnaient les yeux des contemporains de Platon. Morgan Sorensen s’adresse à notre intelligence aristotélicienne lui fournissant les formes idéelles et les schèmes mentaux nécessaires à la compréhension de notre description du monde.

             Chez Morgan Sorensen, le noir est la transparence de l’assise de nos instincts de mort, le rouge vif coule en  sangsation de cruauté, l’ocre est la terre dans laquelle tous les drames se résolvent.

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              La couverture d’Afterlife est à lire comme la prémonition de ce que nous savons depuis le premier jour de notre ensemencement, que la vie est une série d’exercice physiques à qui l’existence prémonitoire de la mort fournit les résonnances métaphysiques nécessaire à notre survie.

             Planet of Zeus sont athéniens, la moindre des polis-tesses.  Le groupe s’est formé en l’an 2000. L’a déjà antérieurement réalisé six albums. Tous sont à écouter. Belis Papanikolaou : vocals, guitar / Stelios Provis : guitar, vocals / Giannis Vrazos : bass / Serapheim Glannakopoulos : drums.

    Preview of non-existence : un bourdonnement indistinct, seraient les abeilles de l’Hymette, plutôt celles mécaniques porteuses de mort  dans Héliopolis le roman d’Ersnt Jünger. Peut-être à mon imitation vous amuserez-vous   à interpréter dans le magma spongieux de cette introduction  comme quelques notes d’un pipeau agreste, celui d’un Dieu, ou de Marsyas. Mis à mort par Apollon. Baptized in his death : goguenard, le mot s’impose, une batterie délurée, des guitares chantantes, un vocal de merle moqueur, de maître chanteur, un rythme de danse de fous, pourquoi le héros regarde-t-il du côté des Dieux, qu’il tourne son regard vers ses semblables, ceux qui se reconnaîtront dans le miroir de sa mort, ce mortel est la caution de notre folie, rien n’est facile, ni de mourir, ni de vivre, le problème c’est que l’on ne peut pas mourir sans avoir vécu. Mais ces deux postulations sont-elles pas toutes les deux, mêmes délires, mêmes souffrances, à moins que ce soit la mort qui soit avant la vie. Pépiements d’oiseaux. Steps on, skin : ultra rock, au lieu d’en profiter pour balancer votre corps, pensez au Break On through des Doors, la même thématique, mais depuis le début, car pour passer de l’autre côté il faut d’abord montrer patte blanche, dire d’où l’on vient, de la rencontre de deux sangs entremêlés dans une même blessure, et te voilà au monde, quel destin as-tu emprunté, que veux-tu au juste de la vie, l’est sûr que le rythme te donne envie de t’éclater, quitte ta peau pour être plus près du monde et passer de l’autre côté. Sont deux au vocal pour insuffler à tout instant l’énergie qui te permet de passer outre. Superbe. No ordinary life : moins de franchise dans ses guitares qui déboulent sans préavis et cette batterie qui cogne tout azimut, pas de panique nous sommes dans un superbe rock presque joué à l’ancienne, le tout est de savoir à qui il s’adresse, si c’est à quelqu’un de particulier, à sa petite amie ou à lui-même, ce n’est pas grave cela ne nous concerne pas, mais la descente vertigineuse du vocal soulève un doute, si sous prétexte d’apostropher  le monde entier il  causait directement à notre petite personne, nous sommes prêts à nous conduire en héros, à trucider deux ou trois monstres de bon matin avant le petit déjeuner, mais le défi est ailleurs, faut être différent sans être exceptionnel. En plus, difficulté sur la chantilly du gâteau, l’on n’a pas le droit de se tromper. Un seul tir pour celle balle extra. Certes ce n’est pas extra, mais on sen moque, on nage en plein bonheur. La preuve on écoute un superbe morceau de rock. Si vous connaissez mieux passez un coup de fil. Notre numéro se trouve sur la liste des abonnés absents.The song you don’t understand : de toutes les manières on n’aurait jamais décroché, cette chanson c’est aussi puissant que le Bleach de Nirvana. Pour les lyrics, du petit lait, un super concentré de menaces, de haine de soi et de haine de l’autre, Ne pas faire comme Jean Cocteau, ne pas s’insinuer dans le miroir, le casser, le briser, l’éparpiller pour avoir le champ libre de se confronter au reflet de l’autre que nous désirons tuer puisqu’il nous ressemble tant. C’est que le rock, c’est par excellence la musique de l’intranquillité souveraine. La seule confrontation possible avec soi-même. Un vecteur d’autodestruction sans lequel nous ne saurions vivre.

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    Let’s call it even : quand on est seul on se sent mal, mais quand on est deux c’est encore pire. C’est peut-être pour cela qu’un solo de guitare occupe le tiers de la piste. Intro glissante, sans retenue, des sons pointus qui percent les oreilles, un vocal colérique, une basse atomique, chacun y met du sien dans ce fatras éclaté, surtout ne pas jeter les pièces erronées du puzzle, on va recommencer, l’on n’y arrivera pas, mais l’on aime cela, il faut bien que l’un soit la victime de l’autre sinon l’on s’ennuierait, une séance d’auto-masochisme pour sauver le mythe de l’amour éternel auquel personne ne croit plus. Depuis longtemps. Depuis toujours. Bad milk : le branle de la batterie annonce la méchante limonade, un blues cahotant martelé par un clown menteur, un medecine show moderne, avec des amplis en pleine forme et des vocaux qui sonnent en chœur d’artichauts aussi fêlés que les trompettes du jugement dernier qui se fait attendre.  A force d’être maso, l’on se fait mal. Rien de pire que la dépendance à l’autre car c’est exactement la même que la dépendance à soi-même. Il n’est de pire pétrin que votre propre existence qui s’amuse à vous malaxer. Responsabilité onaniste. Rythme sur une seule jambe. Letter to a new-born : retour au rock’n’roll, le mec s’est awoké this morning loin du bleu sombre, il vous repeint l’existence en rouge vif, à tout berzingue, des bobards comme s’il en pleuvait, le gars se prend pour Zarathoustra , il crie comme un goret que l’on égorge, le Christ qui se décloue de sa croix et qui vous emmène dans une sarabande effrénée, champagne pour tout le monde caviar pour lui seul, pas besoin de le croire pour le suivre, d’abord il n’y croit pas lui-même, ensuite il court comme un dératé, peut-être même comme un raté, ne soyons pas méchant, ne rajoutons même pas un semblant d’ombre au tableau. Le morceau est vraiment trop bon. The vixen : si je m’écoutais j’aurais fait l’impasse sur le morceau précédent pour vous plonger dans les turpitudes de celui-ci. Pour ceux qui comme moi ignoreraient le sens du mot vixsen, pensez à Hendrix, c’est une foxy Lady particulièrement portée sur le sexe, une goulue insatiable, musicalement c’est aussi baveux qu’un cunnilingus effectué par un robot qui refuserait de s’arrêter. Je résume : très physique, très peu métaphysique. Le gars ne se pose plus de problème sartrien, se focalise, sur les fruits du plaisir. Jouissance frénétique à tous les niveaux du gratte-ciel. Sur la fin goûtez dans le lointain au vocal zéplinien III. Echange de sang. A l’amour, à la mort. State of non-exsitence : une guitare qui résonne funèbrement. Une voix de papa qui rassure son bébé, il promet d’être toujours à ses côtés. Lui a décrit les embûches de la vie, ses exaltations aussi, ne t’inquiète pas petit, toi itou tu connaîtras tout cela. Lui fait la promesse (elle n’engage que celui qui y croira) d’être-là, to the other side, lorsqu’ il franchira à son tour la barrière terminale. Du coup la guitare pleure des tourbillons de chaudes larmes, c’est beau mais franchement on n’est pas pressés, on préfère la frénésie des morceaux précédents. Les albums se doivent d’avoir une fin. C’est dommage spécialement pour celui-ci il aurait pu durer indéfiniment. Et même davantage. Imposons-nous une limite : jusqu’à après la vie.

             Afterlife ravira tous les fans de rock. Pas une goutte de doom dans cet animal sauvage.

    Damie Chad.

     

    *

    Un peu estomaqué par ce cheval qui apparaît sur l’écran. Un souvenir d’enfance, deux chevaux colorés de verre achetés par mes parents dans l’atelier d’un souffleur de verre je ne sais plus où. J’ai beau cherché dans mes souvenirs, je ne trouve que des lambeaux d’images d’un spagyriste en train de souffler, par contre les deux chevaux multicolores sont restés durant des années sur le buffet de la salle à manger, je ne sais en quelle occasion l’un fut cassé, l’est resté des années couché auprès de son frère, je ne sais ce qu’ils sont devenus lorsque la maison fut vendue, la plupart des meubles, objets et bibelots, emportés par les brocanteurs…  Ils galopent toujours dans ma tête.

    SUN OF MAN

             Qui sont-ce ? Serait-ce un songe ! Rien, aucun renseignement, aucune photo. Juste une page bandcamp.  La moisson est maigre : origine : Australie. En exergue toutefois cette phrase :   “Reclaim the divide, scaffolds of useless gesture“.  Comment la traduire, comment la comprendre ? Voici mon interprétation : Combler la brisure, vanité du geste inutile.  Cela voudrait-il signifier qu’aucune action humaine ne saurait être efficiente ? Qu’il ne sert de rien de trop s’avancer sur la scène du monde. D’où cette énigmatique discrétion de n’en trop point dire… Pas de mots, ce sont des traîtres en puissance. Instrumental donc. 

             Toutefois il existe des indices. Voyants. Le titre de leurs albums : I, II, III, IV, même s’i existe entre le III et le IV un mystérieux WYHH, nous serons à même de vous dévoiler le sens de cet énigmatique tétragramme d’ici quelques paragraphes.

    La datation au carbone 14 établie par nos soins s’établit ainsi :

    Le I est paru le 11 septembre 2013   

    Le II est paru le 11 septembre 2014

    Le III est paru le 11 septembre 2017

    Le WYHH est paru le 11 septembre 2019

    Le IV est paru le 11 septembre 2020

    Pourquoi cette date précise ; je n’en ai aucune idée. Twin towers et ground zero ?

    Il est indéniable que l’ensemble des couves de ces albums numériques bénéficient d’une charte graphique intangible : pas de photographies du groupe, des éléments avant tout symboliques. Mais le mIeux est de passer à chacune d’entre elles.

    I

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             Vous ne voyez peut-être pas le soleil mais l’Homme est symbolisé par sa tête, pensante, l’a l’œil limpide de Schopenhauer, l’est initié aux mystères du monde. Il connaît les symboles secrets. Est-t-il vraiment corrélé à l’espèce  de S, Supérieur  puisque dans la pointe du triangle pyramidal, est-ce pour cela qu’en moi-même je la nomme la coupe est pleine, est-ce celle de la Suffisance du Savoir. L’œil d’Horus lui permet-il de détenir la clef du savoir c’est ainsi que je surnomme le signe sur notre gauche, celui de droite je l’appellerai le signe du têtard, celui de l’intelligence en gestation. Ce qui est encore inaccompli. L’Acompli est en haut au-dessus de notre batracien, l’Ouroboros, le cercle qui se suffit à lui-même, puisque dans ses facettes torsadées il contient le passé, le présent et le futur. Au centre, c’est la même chose, le labyrinthe intérieur, normalement il est dans la tête mais là il a été grossi pour que vous n’oubliez pas qu’il faut longtemps tourner en soi, avant de s’apercevoir que l’on est juste un serpenteau en réduction. Conceptuellement c’est juste une métaphore.

    Trois titre, d’exploration géographique, pour connaître l’intérieur il est primordial d’avoir exploré l’extérieur.

    Mountain : une présence souveraine, elle ne viendra pas à toi, ce sera à toi de l’arpenter, mais pour le moment elle t’offre sa présence, son allure, elle s’impose dans le lointain, des notes tremblées perdues dans la brume sommitale, un mystère à approcher, te voici accroché à cette pente raide, tu ahanes, ton pas est lourd, une confusion de cymbales recule à chacune de tes avancées, tu es un héros tu trottes, des pics de guitares te bottent le cul, respire, reprends ton souffle, la route s’allonge au fur et à mesure que tu avances, c’est elle qui avance, c’est toi qui recules, la basse se fait douce, comme un chat qui s’en vient se trémousser entre tes jambes, après la dureté du rock, voici l’intermède spongieux et jazzy, le gars à la guitare sait tricoter, il te tient par la barbichette mais tu n’arrives pas à attraper la sienne, tu ne ris pas, tant pis t’auras ta tapette, une chiquenaude au moral qui n’aime pas que l’on se moque de lui, qu’on le remette à sa place, qu’on lui fasse comprendre que jamais tu ne sauras jouer comme lui, le mec il bondit comme un chamois sur les parois verglacées, ça y est tu ne  le vois plus, tant pis pour toi, tu reprends ta cadence d’escargot, tu n’as plus la cote, tu es resté à mi-côte. Space : ils sont sympas, ils te décrivent l’espace qui se serait dévoilé si tu étais arrivé aux neiges éternelles, oui c’est glissant mais tu prends ton vol et tu te perds dans l’éther glacé, le silence de quelques notes, l’aigle étend ses ailes, d’un battement lent et régulier il se hausse sans cesse plus haut, il prend son temps, dans l’illimité le timing ne compte plus, tous les rythmes s’équivalent, n’oublie pas que la lenteur est la vitesse des Dieux, tu traverses des sensations dont tu ne pourras plus jamais te repaître, tu connais la métamorphose de la grandeur, tu prends ton essor dans la démesure, calme-toi, ils te font le coup de l’esclave qui sur le char de l’Imperator luis murmure à l’oreille de ne pas oublier qu’il est un homme, un animalcule sans intérêt, il est inutile de se gonfler d’orgueil comme cette guitare qui maintenant tutoie les constellations lointaines, tu ne peux même pas imaginer la musique des sphères, elle rayonne, elle n’est pas pour toi, un dernier coup d’aile, le combo éclatant pénètre sous  le porche des Olympiens. Ne regrette rien, c’est interdit aux humains. Desert :  normal que tu te retrouves là, d’abord ils sont catalogués comme un groupe  psychedelic, un peu difficile à piger pour ton cerveau sans apport, et de  stoner band, donc le rock du désert ils connaissent, sont là-dedans comme chez eux. La basse ronronne comme un fennec en chasse de serpent, d’ailleurs on les entend siffler avec insistance au loin, prennent leur temps, c’est comme au bord de l’autoroute lorsque tu regardes passer les caravanes, elles viennent de loin, elles grossissent, elles prennent toute la place, elles s’éloignent, elles se prennent pour les éléphants de Leconte de Lisle qui traversent le poème sans même agiter leur trompe pour vous faire signe, attention une cavalcade, ça va chauffer, une razzia de touaregs qui se hâtent vers une oasis, la basse vous accable, la batterie vous fracasse le crâne, la guitare pousse des cris perçants, la joie de tuer, le plaisir de vaincre, la batterie se meut en tambour des sables, malheur si vous l’entendez, c’est fou tout ce monde qui se hâte dans ce coin désertique, si vous cherchiez la paix et la tranquillité, c’est foutu, cette fois c’est au moins Lawrence d’Arabie et ses méharis qui foncent vers Akaba, un véritable plateau de cinéma.

    II

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            Je retrouve mon cheval, une boussole pour ne pas me perdre, surmonté des trois signes cabalistiques, on se croirait chez Led Zeppelin IV, F, S, M, initiales des musiciens ? Serait-ce Pégase la monture de Bellérophon avec ses ailes en forme de tronc d’arbre que dans Chansons des Rues et des Bois  Victor Hugo aurait mené non pas au vert mais au bleu…

    Out through the In Door : quel titre, dès que l’on cite  Led Zeppe , le Dirigeable montre le bout de son nez ! J’avoue que lorsque j’ai capturé le canasson sur mon écran j’ai cliqué pour écouter, je me suis dit, c’est fou, la liaison parfaite entre les groupes instrumentaux du début des sixties et le son de maintenant. Un clin d’œil que tout le monde ne peut pas se permettre. Z’y vont tout doux, style Il naissait un poulain sous les feuilles de bronze dans l’Anabase de Saint John Perse, n’y a plus qu’à monter en selle et suivre l’aventure, contentez-vous de vous faire tout petit et de siffler un sifflement plus pur. D’admiration. Il est des morceaux qui ne s’écoutent pas. Ils se rêvent. Whispering Jackoff : encore une tambourinade, un peu (beaucoup) la suite, qui est ce Jackoff, il vaudrait mieux pour lui qu’il soit un cheval, ce serait un être supérieur. En attendant de statuer sur son sort, galopons en sa compagnie, les guitares le font pour nous, elles se repassent sans arrêt le poulain qui gambade à qui mieux-mieux, l’insouciance de la jeunesse, la joie d’être soi et de jouer, attention tire-bouchonnage et reprise au grand galop comme la charge de la brigade légère, l’on se régale mais peut-être manque-t-il un peu d’imagination. Dancing with my eyes : s’en sont peut-être aperçus car ils nous offrent des tapis soyeux de cachemire pour nous satisfaire, il danse avec ses yeux mais l’on flotte en apesanteur dans l’espace, tapis volant et échos de sonorités, de sororités orientales, rajoutent des loukoums car ils savent varier les plaisirs, on les déguste un par un avant que ne s’entrechoque la cliquètement cymbalique de la danse des sabres, nous sommes reçus comme des rois, la guitare charme le serpent, un cobra aussi vif qu’une gazelle, le danger croît, tournoiements magiques, la tête vous tourne, la fumée dans les yeux un éléphant vous regarde, jumbo jet affrété rien que pour vous.  Womack ! : encore un cheval, cela a-t-il son importance, que l’on soit ceci ou cela ce qui compte ce sont les sensations, avec cette guit qui trifouille dans votre intestin grêle vous êtes servi, l’est temps de passer au kaos du questionnement philosophique, vous naviguez au plus près des rochers de l’étrave de Sinbab le marin, vous envoyez mille et une couleurs dans vos rétines, ça glisse et ca gaze comme de la gaze, êtes- vous expériencé, en tout cas secoué comme dans un panier à salade, vous devez être en train de franchir une frontière psychoïde. Il est temps de ramener votre cheval, dans son asile.  

    III

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    Un seul morceau. Si vous lisez le titre après avoir vu la couve, vous avez l’impression qu’il est mal écrit, ils se sont trompés, qu’à l’origine il était en français mais qu’en le transcrivant avec leur prononciation anglaise, au lieu de Ô mes soucis ils ont calligraphié :

    Oh  My Sushi ! : une entrée un peu trop empreinte de gravité pour un malheureux sushi, prennent leur temps, le morceau dure douze minutes, une batterie un peu monotone, heureusement que les guitares s’affairent de leurs côtés à de subtiles broderies, doivent enlever les épines du poisson avec une pince à épiler,  certes l’on sent de l’animation autour de la table, l’on espère qu’un samouraï irrité surgisse dans ce maigre festin et fasse voltiger de son sabre acéré quelques têtes, l’on a envie de crier yes ! mais non c’est la lenteur cérémoniale  du théâtre no, ouf l’ambiance se réchauffe, toutefois ce n’est pas encore l’assaut meurtrier, enfin, le batteur tranche une tête, sa baguette n’est pas assez aiguisé car il s’y reprend au moins à quarante fois, et tous les autres viennent l’aider, malheureuse victime, l’est rouée de coups, attention les grands moyens un solo de guitare le découpe en tranches saignante, du sang gicle de tous les côtés, un régal de vampire, arrêt buffet, la caméra s’arrête sur le cadavre, un saxophone sanglote, fin du film, sur le générique l’on entend des bruits minuscules, y a en un qui profite pour grignoter le sushi.

             Vous comprenez maintenant pourquoi sur la couve le gars a l’air tellement contrarié.

    WYHH

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             Pour la couve, je vous la mets par acquis de conscience, ils ne se sont pas fatigués. Je ne chronique pas l’unique morceau de cet opus pour la simple et bonne raison que nous le retrouverons sur le IV. Pour ceux qui essaient de percer la signification de ce mystérieux tétragramme qui rappelle un peu trop, friserait-on le blasphème, le nom du Dieu biblique qu’il est interdit de prononcer, sachez qu’il est formé des initiales des quatre mots du titre : Wish You Have Hair. Un léger parfum surréaliste…

    IV

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    Une couve sans surprise : puisque l’on a déjà deux têtes sans corps et un cheval à deux pattes pourquoi n’aurait-on pas droit à un bonhomme sans tête à trois bras et à trois jambes. Si cela vous paraît étrange, tirez le fil, c’est sûrement celui de l’énigme, à moins qu’il ne lui serve de longe pour sa monture. L’est percé par un éclair. Celui de la pochette précédente. La manifestation de la colère de Dieu !

    Sur le bandcamp vous avez un renvoi sur YT, l’on n’y va pas on est assez grand pour y aller tout seul. Erreur ! Prenez le lien, vous tombez sur l’incroyable, une vidéo in extenso de la jam qui a fourni la bande-son du IV !

    Attention nous ne sommes pas  au fond d’un garage pourri mais dans une véritable salle de spectacle, au Mo’ Desert Club House de la ville de Gold Coast, située dans la région australienne du Queensland  sur la côte Pacifique de cette île continent, un public nombreux et des projections sur  écran. Vous comprenez maintenant sur Bandcamp l’inscription Sombiv audio visual experience. Sur un fond rouge s’inscrivent les trois signes cabalistiques, que l’on retrouve projeté sur l’écran derrière eux, deux guitare, une basse en front men, un clavier sur le côté le batteur tout au fond.

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    Heavy burn : c’est un tout, images sur les murs, arbres, formes géométriques, maisons, rais de projecteurs et le son bien sûr, ce premier morceau, non pas une blessure suintante, plutôt une montée éthérée vers le soleil, une tiédeur vivifiante qui vous ressource, le genre de caresse chaleureuse qu’a dû ressentir sur sa peau  Icare au début de son ascension… sur la batterie l’on retrouve d’ailleurs le signe de l’astre solaire. Attention les images défilent vite, il faut regarder à plusieurs reprises pour qu’elles s’impriment sur votre rétine rétive. Toodindakarman : changement de climax, déferlances de roulements, ici l’on est plutôt dans les entrailles du labyrinthe, votre karma rock ne s’appelle-t-il pas vacarme, ça tourne de partout et ça résonne de tous les côtés, c’est bien filmé, l’on voit les doigts s’agiter  sur les instrus et les pieds sur les pédales, gardez toutefois en mémoire que le minotaure du son n’a jamais tort, traits de feu rouges sur les murs, une cloche obsédante qui ulule sous les voûtes, compressions angoissantes, vous approchez du but, peut-être êtes-vous seulement la cible, assauts successifs du monstre sonore, mes chiens quittent le bureau, ils calment le jeu, gouttelletes de rosée musicale dans le public les filles sourient. Nous aussi. Mais elles ne nous voient pas. Ils Sharklooth : embrayent doucement sur le requin roll, nous voici en eaux profonde, le requin n’est pas drôle, il rôde, il est invisible, des ondes dangereuses nous assaillent, il tourne autour de nous, il décrit des cercles, il ne nous frôle même pas, juste le silence d’une note cristalline, il attaque en meute, ses dents nous happent, il nous emmène tout au fond sur des bancs de sable sanglant,  et d’algues cannibales, plus d’air dans nos poumons, répit, nous avons échappé, il joue au chat patelin, nous sommes la souris pantelante, des vagues nous bercent, sommes-nous en train de sombrer dans la mer intérieure de nos représentations, silence, non nous ne sommes pas  morts, nous n’avons pas franchi la barrière salvatrice des récifs de la Camarde, nous revoici face au monstre, le combo ouvre une gueule géante menaçante, il ne la referme pas, il fait durer le plaisir, charivari émotionnel dans nos synapses, notes funèbres, est-ce la morsure ou la mort sûre, le clavier nous laisse le temps de réfléchir, le ressac des guitares hurle dans nos oreilles, nous recevons des messages d’un autre monde, moteur, sirènes, peut-être harpies.

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    Wish You Have Hair : la batterie remet la sauce, elle pompe comme un shadok, le temps de reprendre nos esprits, de folâtrer dans les vertes prairies de l’insouciance, c’est doux, les chiens se réapproprient leurs paniers, c’est le moment des variations, l’on prend un thème, on fait monter la mayonnaise, l’on essaie de hisser le blanc de l’œuf sur les neiges du Kilimandjaro, et ils réussissent plutôt mieux, sont des prestidigitateurs, ramènent le tout au point mort, la montagne s’affaisse sur elle-même, le sommet ne culmine plus il s’encalmine dans les sargasses des sonorités, juste la basse qui résonne comme le matou qui fait le gros dos, c’est reparti pour l’angoisse, la panthère noire, fouille la savane, les yeux aigus comme des flèches, elle ondule, elle se faufile, elle jaillit comme une flèche, dans le rond de la cible que vous êtes redevenu, touché, coulé, mortibus, rasibus, ils vous ont eu. Trois cuivres sont venus pour souligner de leur fanfare tonitruante votre défaite.

             Ils ne donnent pas leurs noms, ils se contentent de dire : Sun Of Man Is A Band. On le savait déjà. On n’est pas prêts à  l’oublier.

    Damie Chad.

     

    *

             Je suis un menteur. Je ne tiens pas mes promesses. En fin d’une chro souvent je termine en disant : nous y reviendrons bientôt. Mais je laisse filer le temps, longtemps, longtemps, longtemps… il se perd dans un passé préhistorique… je ne reviens jamais. Incroyable mais vrai, cette fois-ci je vais me mentir à moi-même. La semaine dernière, livraison 662, j’ai écrit à la fin de la chro sur The Coalminer’s Grandson que j’en reparlerai un de ces jours. Eh bien dès cette livraison 663, je m’exécute !

             J’étais Chro-Magno, me voici Chro-Mignon.

    THE COALMINER’S GRANDSON

    SHAMING SHAME

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    Nous commençons par les deux morceaux qui ont suivi de quelques jours les trois que nous avions chroniqués la semaine précédente. Le cowboy seul contre tous. Sur l’image vous concevez assez vite qu’il se mesure à des paltoquets. Des ‘’garçons coiffeurs’’ disaient Jean Giono dans Les Grands Chemins. Un livre qui a exercé une influence certaines sur les routards des early french seventies. Le ton d’Akis Kosmidis vous rassure. Même pas en colère. Règle ses comptes, ses balles traçantes sont mortelles, ce sont celles de la moquerie, de l’humour et de l’ironie. L’est droit dans ses bottes. L’a toute sa vie derrière lui pour témoigner de son chemin. Face à lui, il n’y a qu’un troupeau tremblant et honteux, qui se conduit lui-même aux abattoirs du reniement. Un violon qui rigole, un vocal qui sourit, ils ne méritent pas mieux. Même pas pire. L’on dit que les cowboys d’aujourd’hui mâchent du chewing gum. Lui il ne mâche pas ses mots.

    ARE YOU DUMB ?

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             Tiens une vidéo dans la lignée de la précédente. D’ailleurs les deux couves se ressemblent, le cowboy solitaire, seul contre les autres, certes ils arborent un look davantage  contemporain, mais l’idée reste la même. Vous avez totalement raison mais surtout tort sur toute la ligne. D’abord il y a une trompette, pas celle du Septième de cavalerie qui survient à la dernière minute pour vous tirer d’affaires. Non une trompette mexicaine, celle que vous entendez par exemple dans La Horde Sauvage, donc vous intuitez : la mort est proche. Elle est partout. Dans le monde entier. Près de vous. Ensuite la voix : lourde, menaçante, elle frappe, elle uppercute, elle cogne, elle martèle elle accuse. Ne se contente pas de généralités qui confinent à la banalité. Elle énonce, elle semonce, elle s’en prend à chacun, évoque des situations types, vous croyez bien faire, vous pensez détenir une certaine vérité, même si ce n’est qu’une parcelle, vous vous sentez du côté du Bien et du Droit, vous avez construit autour de votre existence une zone de survie protectrice, vous vivez de faux-semblants, son personnage à lui n’est peut-être pas mieux que les autres, vous vous sentez supérieur, votre âme d’artiste, votre richesse, votre prudence, rien ne vous sauvera. Un réquisitoire, fort, violent, subtil, de toute beauté. Ce n’est plus une chanson, c’est un baston. Que vous irez chercher pour vous faire battre.

             Soyons juste : c’est bien de critiquer, mais que propose-t-il à la place : donne la réponse en deux lignes : non il ne cite pas la démocratie, il nomme la solidarité. Nous préférons, c’est déjà plus proche de la notion d’entraide de Bakounine, le camarade vitamine.

    HAZELNUT

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             Les lecteurs distraits ne s’en seront pas aperçus mais notre petit-fils de mineur de charbon n’éprouve pas la foi du charbonnier pour l’espèce humaine. Pour ne pas vous miner l’esprit avec de sombres ruminations je vous laisse en compagnie d’une autre espèce. Elle n’est pas végétale même si Hazelnut signifie Noisette. Un petit chien blanc. Un morceau du même type que le Whisperwind de la semaine dernière. Un simple animal. Si le cheval nous a été décrit comme un éducateur en liberté, Hazelnut est un compagnon, un lointain cousin d’Old Shep le premier morceau qu’Elvis Presley chanta en public à dix ans. Rassurez-vous, Hazelnut n’est pas abattu par celui qui ne revendique pas le titre de propriétaire à la fin de la chanson. Il sautille follement aux côtés de son maître du soir ou matin, dans les bons moments comme dans les plus durs. Un bel hommage à la manière d’entrevoir la vie qui anime les bêtes. Pas de mignardise, des mots justes.

    Damie Chad.