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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 12

  • CHRONIQUES DE POURPRE 633: KR'TNT 633 : SLY STONE / GYPSY MITCHELL / KEITH RICHARDS / REMAINS / DAVID LINDLEY / AMHELL BAREFOOT / TRISTE / WEEDOW / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 633

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    22 / 02 / 2024

     

    SLY STONE / GYPSY MITCHELL

    KEITH RICARDS / REMAINS

    DAVID LINDLEY / AMHELL BAREFOOT /

    TRISTE / WEEDOW / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 633

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - The Sly is the limit

    (Part Two)

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             Finalement, Sly Stone a fini par accepter d’écrire ses mémoires. Tant mieux pour nous, pauvres pêcheurs. Il se pourrait que Thank You (Falettinme Be Mice Elf Agin) A Memoir soit l’un de ces petits dons du ciel dont les dieux du rock peuvent se montrer prodigues, lorsqu’ils sont bien lunés. On ira le ranger sur l’étagère à côté des autres passages obligés, ceux que l’on sait.

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            C’est un récit stupéfiant, à tous les sens du terme, et à l’échelle d’une vie. Comme sa vie est un roman, Sly se contente de narrer, dans un style particulier, souvent abstrait, comme s’il réfléchissait à voix haute, ce qui t’oblige à relire certains passages. La dope et ses enfants constituent les thèmes récurrents, la saga de la Family Stone étant le fil rouge. Pour le reste, Sly Stone est un esprit libre, fabuleusement libre. Black et libre, presque une antinomie. On l’écoute plus qu’on ne le lit. Ce n’est pas le souffle rauque de Lanegan, c’est autre chose. Sa tournure d’esprit éclaire sa façon d’être une rockstar, et sa musique apparaît sous un nouveau jour. Il se produit avec lui le même phénomène qu’avec Miles Davis et Dylan : la musique n’est qu’un langage, rien de plus, rien de moins. Ils naviguent tous les trois à un autre niveau. Sly, Miles et Dylan sont des penseurs, on pourrait même les qualifier de maîtres à penser, une expression qu’on utilisait encore dans les années cinquante, du temps de Sartre et de Raymond Aron, et plus récemment à propos de Noam Chomski. Il existe en outre une évidente parenté entre Sly et Arthur Lee : le singularisme, l’élégance, la vision. Le Roi Arthur et Sly sont des visionnaires.

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             Contrairement à ce qu’ont raconté les mauvais canards de rock, Sly Stone n’est pas un camé violent. C’est un homme qui pose les choses - There’s no hurry. I am taking my time. Have you taken yours? Le soleil se lève, il se couche, et se lève encore. Je n’essaie pas de stopper le jour. Je sais ce qui me rend fort - Il rappelle très vite qu’en famille, petit, il chantait des «gospel songs of Mahalia Jackson, Brother Joe May, the Soul Stirrers, the Swan Silvertones» - We built our future in heaven - Ado, il tombe sur un professeur de musique, Mr. Froehlich «who made me love music as a language» - Il savait lire la musique. Il savait l’écrire. Il la comprenait et savait la parler. Il n’était pas dans une tour d’ivoire. He was cool, down-home, regular. I liked that about him - Sly dit qu’il a tout appris de lui. «Ear training, il m’a appris à reconnaître les accords, les gammes, les intervalles, et les rythmes», puis il a lu Walter Piston, big books, 600 pages, Harmony Counterpoint and Orchestration, filled with big ideas - Cadences, irregular resolutions, raised supersonics - Et il ajoute ceci qui éclaire encore nos pauvres petites lanternes : «Above all, I learned to learn.» L’ado Sly se trouve déjà à la pointe de la modernité. Apprendre à apprendre.

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             La modernité, parlons-en ! En 1964, il est DJ sur KSOL et il décide de s’appeler Sly Stone - It sounded right. Je fumais déjà de la marijuana. Il y avait une tension dans le nom. Sly was strategic, slick. Stone was solid - Il passe de la Soul dans son radio show, mais aussi «les Beatles, les Stones, Dylan, Mose Allison». Pour lui, la musique n’a pas de couleur de peau - All I could see was notes, styles and ideas - Pour Sly, la musique doit élever les gens - I reminded myself to return to that attitude, and that altitude - Il va s’y conformer toute sa vie. Attitude, altitude, voilà, il commence à jouer avec les mots. Jeu d’esprit. Son récit en grouille. Il dit aussi admirer Dylan qui a su rendre sa musique géniale afin que les gens écoutent ses messages - He cleared space for thought - Car bien sûr, ce sont les textes qui comptent. Ça n’a pas échappé à Sly et à ceux qui en Europe ont fait l’effort d’apprendre la langue. Il joue aussi de sa modernité dans les interviews. Il dit par exemple que pour chanter le blues, il faut vivre le blues - And honest to God, Clive Davis hasn’t really been livin’ a hell of a lot of blues. Je n’enfonçais pas Clive Davis. Je l’aimais bien. J’utilisais juste son nom pour dire à quel point les autres executives étaient inférieurs - Sly a très vite compris que les décisionnaires du showbiz ne connaissaient rien ou presque de ce qu’il appelle le blues.

             Rendre hommage à l’écrivain Sly Stone passe nécessairement par les fièvres citatoires. Il faudrait la puissance d’analyse de Damie Chad pour passer outre et contextualiser la pensée de l’auteur, comme il vient de le faire pour Jean-François Jacq. L’analyse est un sport de haut niveau auquel il faut avoir accès, ce qui n’est pas le cas ici, mais d’un autre côté, les fièvres citatoires sont l’expression d’une fascination quasi-religieuse pour le texte original, mais aussi et surtout une crainte réelle de dénaturer la pensée de l’auteur. Cette crainte s’avive systématiquement au seuil de l’extrait choisi, car plutôt que de dénaturer la pensée de l’auteur, on préfère la livrer telle quelle, en respectant son intégrité. Traduire dénature systématiquement, tous les ceusses qui ont publié des traductions le savent. La traduction d’un ouvrage est une longue et pénible suite de compromis, et on passe son temps à demander pardon à l’auteur d’avoir esquinté son texte. Insuffler de l’énergie dans une traduction est le seul mode de compensation envisageable. Le jeu consiste à s’approprier le texte, comme le font certains interprètes avec des chansons : ils les transforment pour leur donner une nouvelle vie. 

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             Si tu veux enfin entendre la vraie histoire de Sly & The Family Stone, c’est là. Sly présente chaque membre de la Family un par un, une par une, il commence par Cynthia Robinson qui a déjà joué de la trompette avec Lowell Fulsom et Jimmy McCrackin. Sly glisse une petite anecdote au passage : Cynthia revient de San Francisco avec a baby daughter, Laura. Sly arrive chez Cynthia avec ses chiens, lui demande si elle veut bien jouer dans un groupe avec lui, mais avant qu’elle ne réponde, elle a tellement la trouille des chiens qu’elle monte sur une chaise, «laissant Laura toute seule sur le sol». Puis c’est le saxophoniste blanc Jerry Martini qui vient trouver Sly dans son studio de KSOL, «Let’s play together ! Start a band !» - He convinced me. Some of the fuel was mine but Jerry was the spark - Puis Sly présente son frère Freddie qui accepte aussitôt de jouer dans le groupe, mais sa sister Rose refuse car elle a un baby. Puis il faut un mec au beurre - I had rhyme. I had reason. I needed rhythm - Freddie lui suggère Greg Errico, un autre petit cul blanc. Et puis voilà the local bass player nommé Larry Graham - Texas to California (like me and Jesse Belvin and Billy Preston). Larry est né à Beaumont, près de la frontière de la Louisiane - On sent monter l’énergie de la Family Stone, celle qui explosera sous nos yeux à Woodstock. Sly veut le groupe parfait - Each person had something distinct - Ce groupe sera l’un des groupes parfaits de l’histoire du rock américain. Sly est émerveillé par son groupe et ces pages valent tout l’or du monde, ce sont elles qui donnent du sens au rock. Puis Sly les redéfinit tous les cinq en deux lignes, «Freddie was quick. Il pigeait très vite et jouait ce qu’il fallait très vite. Il était drôle, il était le plus drôle du groupe. My brother. Cynthia était tranquille dans la vie, but she was loud on record. Elle a toujours été loyale. Larry était sournois. Il pouvait être paisible ou agité, à la fois dans sa personnalité et dans son jeu. S’il était paisible à un moment, tu pouvais être sûr qu’il allait être vite agité. Jerry était espiègle et vif. Il nous jouait des tours. Il foutait pas mal le bordel, sans jamais heurter personne. Greg savait tenir un tempo, pas seulement en jouant, mais aussi en parlant. Puis il y avait moi. What did I have? It’s not for me to say.» Sly voit the Family Stone comme un concept : mix de blancs et noirs, mâles et femelles, et elles ne se contentent pas de chanter les chœurs, elles jouent d’un instrument. Sly rappelle aussi que le son n’est pas tombé du ciel : «We worked hard from the start.» Ils répètent comme des dingues. Maintenant qu’il a le groupe parfait, Sly veut la perfection sur scène. Ils commencent à jouer, Sly se rappelle d’un concert à las Vegas, où April Stevens et Nino Tempo sont montés sur scène avec eux, et dans le public, se trouvaient Bobby Darin et James Brown avec toute son équipe.

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             Avec le succès arrivent les drogues. Sly re-situe le contexte - Il y avait des raisons. Il y avait une culture et un état d’esprit, mais il y avait aussi des besoins. J’essayais de composer, de jouer et d’enregistrer. Tout cela demandait du carburant. Comment me sentais-je ? A drug is a substance and so the question has substance. A drug can be a temporary escape and so I will temporarily escape that question - Et boom avec «Underdog» qui «démarre avec une berceuse jouée aux cuivres, I shouted ‘Hey dig!’, and the whole band came crashing in, energy everywhere.» C’est cette formule qui caractérise le mieux Sly & The Family Stone : «the whole band came crashing in, energy everywhere.» C’est encore autre chose que James Brown ou les Stones, le crashing in est la marque de Sly, c’est ce qu’on voit à Woodstock. Mais c’est mieux quand Sly le formule, car il est l’inventeur du crashing in. Il parle aussi d’un hurricane of sound. C’est Cynthia qui gueule «Get up and dance to the music» dans «Dance To The Music» - It was both a title and a description of itself - «Dance To The Music», premier hit international de la Family Stone, le single qu’on trouvait alors en France sous pochette papier. Et Cynthia revenait dans la fournaise pour gueuler : «All the squares go home !». On n’en revenait pas à l’époque d’entendre quelqu’un s’en prendre aux beaufs ! La Family Stone était encore plus révolutionnaire que les Fugs. Cynthia profitait encore d’un break pour dire «Listen to the voices» et la machine repartait de plus belle. Le souvenir de ce single est celui d’une explosion de crashing in. Sly se souvient qu’en 1967 «Dance To The Music» rivalisait de grandeur avec le «Since You’ve Been Gone» d’Aretha, «Lady Madonna» et «Sunshine Of Your Love». Il explique aussi que Clive Davis voulait une version française de «Dance To The Music», alors ils en font une version encore plus puissante, «Danse À La Musique» sous le nom de French Fries, c’est-à-dire les frites. Puis Rose se décide enfin à rejoindre le groupe - She was as loud as a flower - Sly dit aussi qu’elle chantait son ass off - One-take Rose - Cynthia et Rose, c’est le sexe dans la Family Stone.

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             Sly évoque bien sûr ses souvenirs de Woodstock. Après le set, ils sont trempés et grelottent de froid. Ils meurent de faim et ne trouvent qu’une table avec des sandwichs déjà grignotés. Mais c’est Woodstock qui les rend riches. Ils s’achètent tous des maisons et des bagnoles. Et c’est là que la Family Stone bascule dans les excès d’époque. Sly achète la baraque de John Phillips à Bel Air - Tu pouvais entrer à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit et voir des grosses lignes de coke sur la table basse en verre et un motherfucker à moitié assoupi avec un flingue posé sur sa poitrine, ou des gonzesses dans une chambre attendant qu’on vienne les baiser - À l’étage, il découvre un studio caché, «open-sesame-style». Pas mal d’invités : «Bobby, Billy, Jimmy Ford, Buddy Miles, Johnny Guitar Watson, Ike Turner. We didn’t keep a guest book.» Pas mal de chiens aussi, dont le fameux pitbull Gun - He was my best friend. He was crazy - Le chien se mordait la queue pendant des heures et ne dormait jamais. Sly lui a fait couper la queue pour le calmer. Mais ça ne l’a calmé que partiellement. Bobby Womack avait peur de Gun. Sly a aussi un singe nommé Erfy. Erfy pour Earthy. Erfy provoque Gun qui finit par le choper. Et par le buter - And he didn’t just kill him. He forced him to have sex after he was dead - Mais il y a pire : Kathy pose baby Sylvester Jr. par terre et Gun l’attaque - Gun avait la tête de Sylvester Jr dans sa gueule. Il lui a arraché une partie de l’oreille. Kathia a crié, les a séparés et a emmené Sylvester Jr à l’hôpital. Elle m’a appelé. J’ai foncé à la maison. J’ai pris Sylvester Jr. dans mes bras et emmené Gun à l’étage pour causer. Des gens ont essayé de m’en empêcher. Mais on devait causer. Gun was my best friend. Je le comprenais. Allons-y, lui ai-je dit. On est allés dans la chambre, puis sur le balcon. J’ai sorti un flingue et l’ai pointé sur lui pour qu’il s’excuse. You can get a motherfucker to be good. Mais il ne s’est pas excusé. Il a grogné, c’était sa façon de dire qu’il ne s’excuserait pas. Je l’ai buté et j’ai jeté son corps dans le canyon. It was the hardest thing I had ever done. He was my best friend.

             Bel Air, c’est le gros délire permanent - J’avais un coffre-fort à l’étage pour les Seconals, les Tuinals, les Placidyls et comme j’étais seul à connaître la combinaison du coffre, j’étais aussi le seul à pouvoir prendre une combinaison de cachets - C’est pendant cette période babylonienne que Greg Errico décide de quitter le groupe. Il ne supportait pas de voir Sly utiliser une boîte à rythme. Puis le groupe va continuer de se désintégrer, et après le départ de Larry Graham, Sly engage Bobby Vega, l’organiste de 14 ans Little Moses Tyson et le guitariste Gail Muldrow, c’est donc une nouvelle Family Stone.

             Sly se réinstalle dans une baraque à Novato, Marin County, il a quelques bagnoles - By this point a Mercedes or two, a Rolls-Royce, a Maserati, and an old Ford truck - Il vit avec Kathy, la mère de son fils Silvester Jr. qu’il surnomme Mook, et parmi les pensionnaires de Novato, Sly cite Bubba, Cynthia et Buddy Miles. Mais en 1975, Sly sait que «The Family Stone, at least the way I thought of it - le groupe qui s’était formé dans la cave de mes parents à Urbano, qui avait joué au Winchester Cathedral, qui avait signé sur Epic, qui avait danced to the music, qui était monté sur scène à Woodstock, qui avait atteint trois fois le sommet des charts, qui avait su faire a new sound out of old ones - was over.»

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             Sly tente de revenir dans le spotlight avec High On You, il se fait photographier par Herb Green, et c’est le visuel à la fois de pochette de l’album et de l’autobio. Puis il a une fille avec Cynthia. On reste en famille, puisqu’il s’agit de la Family. Elle s’appelle Sylvette Phunne Robinson. Bien sûr Kathy est furieuse, elle demande des explications à Cynthia, «but what can you do?», soupire Sly, «A baby can’t be unborn.»

             La dope coule dans les veines du book comme elle coule dans celles de Sly. Il dit commencer par l’herbe et un jour Bubba lui présente la coke - I shook my head and told him I didn’t go for that - Puis un autre mec en amène, «my curiosity went up and my resistance went down.» Sly s’amuse de tout. Il rappelle que «the Bay Area in the mid-Sixties had plenty of weed, some coke, was starting to go psychedelic», mais ajoute-t-il, New York était une autre paire de manche, «with a higher grade of coke». Quand Stand est paru, Sly avoue qu’il «was riding high. High on life. High on coke. High on everything.» Puis le PCP est entré en jeu - angel dust in the City of Angels - Il ne sait plus qui a ramené le PCP chez lui - It threw your prespective off, which I liked. But it wasn’t for everybody. It could send people down the road - Sly décrit des scènes bizarres, et ça vaut vraiment le coup de lire son autobio, car il vit ça stiff as a plank. Il indique que pour tenir le rythme des tournées, il fallait nécessairement se schtroumfpher - Dans la loge, j’avais l’impression de nager dans une purée très épaisse, mais à la seconde où j’entrais sur scène, j’avais un violent regain de lucidité. La foule agissait comme une drogue - Sly ajoute qu’il adore partager ses drogues, avec tout le monde, dans les hôtels. Le personnel de l’hôtel commence par refuser poliment, mais le deuxième jour, il les retrouve tous dans sa piaule en train de sniffer des lignes. Sly oublie souvent de dormir et il finit par s’écrouler au sol. Il sait que quelqu’un va le ramasser. Un jour, en allumant une freebase, l’éther prend feu et il fait sauter la salle de bain. Par miracle, il en sort vivant. Il en fait un paragraphe psychédélique. Il passe naturellement au crack et s’amuse du «crackling noise it made when it was heated up». Il achète de la poudre, la mélange à du soda et du rhum et chauffe son mélange pour l’évaporer et obtenir des cristaux. Sly est très précis dans son délire descriptif. Mais il se bat avec lui-même, refusant la réclusion pour rester productif - Je dirais que les drogues ne m’ont pas trop affecté, mais je n’avais pas à me supporter. Ce sont les autres qui me supportaient. Ils m’ont dit que j’avais changé avec la coke, que je cherchais la cogne pour des histoires datant de la veille et qu’il m’arrivait d’entrer dans une pièce avec un regard noir, comme si j’imposais le silence. La coke m’a permis de maintenir mon énergie, de rester intense, de ne pas grossir, je suis resté en mouvement permanent, shark-style - Il fume souvent du crack avec son pote George Clinton - George s’est évanoui sur une chaise au rez-de-chaussée. Je suis monté à l’étage et me suis évanoui sur une chaise dans la chambre - Et puis arrive ce qui doit arriver : «Cinquante ans d’usage, plus l’âge, plus le stress made the hospital a regular stop.» Mais aussitôt rentré à la maison, c’est le défilé des dealers - weight out rocks, name their price - Il indique que les drogues l’ont aidé à ne pas trop penser à sa condition matérielle, «le fait qu’à 35, 40 ans, je vivais encore en location, avec une rente mensuelle, sans jamais être vraiment indépendant.»

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             Bien sûr, Sly superstar croise pas mal de gens importants, à commencer par Tom Donahue, Big Daddy - a big guy with a big voice and eventually a big beard - Donahue monte le label Autumn, repère les Beau Brummels, les signe, les habille et essaye de les faire passer pour des Anglais, étant donné que la British Invasion fait rage. Le jeune Sly produit en 1965 leur premier hit «Laugh Laugh». Il dit aussi avoir chanté pour les Mojo Men. Puis Donahue revend Autumn à Warner Bros. Sly s’achète une jaguar XKE et la fait repeindre en mauve. L’autre rencontre déterminante est celle de David Kapralik, qui va devenir le manager de la Family Stone - Talked fast. Couldn’t stand still, and I saw he also had sharp-ass shoes. Shook my hand and I saw that he also had sharp-ass cuff links, c’est-à-dire des super boutons de manchette. Sly fréquente aussi Terry Melcher, et donc sa mère, Doris Day, «a nice lady». Plus tard, Sly lui dédiera «Que Sera Sera». Dans le cercle de Melcher traîne «a short, intense guy», c’est Manson. Sly se fritte un peu avec lui. Manson met tout le monde très mal à l’aise. Melcher n’ose pas lui dire qu’il ne va pas le signer, mais n’ose pas le virer. C’est Sly qui lui demande de sortir. L’autre intense guy que rencontre Sly n’est autre que Bill Graham. Sly se fritte aussi avec lui. Bill Graham s’excuse et tout s’arrange.  

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    ( Little Sister )

                 Sly monte avec Kapralik un petit label, Stone Flower. On est en plein boom de la psychedelic Soul - Whitfield had moved on from classic Motown to what people were calling ‘psychedelic soul’. It sounded familiar: cloud mine - Sly veut produire des groupes. Il démarre avec Little Sister, composé de sa sister Vet, Tiny Mouton et Mary McCreary - Tiny had the biggest voice - Puis il essaye de lancer Joe Hicks. Alors ça tombe bien, car il existe une belle compile de Stone Flower, I’m Just Like You. Sly’s Stone Flower - 1969-70, un Light In the Attic paru en 2014

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             C’est Alec Palao qui se tape le fat booklet du Light In the Attic. Il nous rappelle que the music obsessed Sly et son manager David Kapralik eurent un peu après Woodstock l’idée saugrenue de monter un studio et un label, le mythique Stone Flower - A production house and label for other acts - Kapralik passe un deal avec Scepter, le label new-yorkais de Florence Greenberg et Sly produit Joe Hicks. On l’entend taper un énorme «I’m Going Home», un r’n’b plongé dans une fournaise extraordinaire. Hicks est hot, c’est un bon. On le retrouve plus loin avec «Life & Death In G&A», un groove qui longe les bat-flancs et qui accoste à tribord, pure pirogue d’exotica, bananes vertes et citrons. Sly essaye aussi de lancer Little Sister, un trio monté autour de sa petite sœur Vaetta ‘Vet’ Stewart. C’est leur «You’re The One» qui ouvre le bal de la compile, un heavy funk atrocement bon, c’est le hard funk de Sly, fast & furious, big bass down the alley, c’est tellement bombardé que tu dégringoles dans l’extrême power du funky system. Les Little Sister sont les backing singers de Sly. Autour de Vet, tu as Mary McCraery et Elva ‘Tiny’ Mouton. Pur genius ! L’autre grosse équipe que tente de lancer Sly s’appelle 6ix, qu’il faut prononcer Six. Ils alignent trois énormités, «Trying To Make You Feel Good», «Dynamite» et «You Can We Can». Sly prend des libertés avec sa prod, de toute évidence, il vise la modernité, le groove doit évoluer, alors Sly est à la manœuvre. Il charge «Trying To Make You Feel Good» à l’harmo, on se croirait à la Nouvelle Orleans, il en fait tout simplement un chef-d’œuvre. Avec «Dynamite» du Family Stone, ils passent au heavy funk et c’est encore d’une incroyable modernité. Ça joue à la traînasse de la rascasse sur la deuxième version, t’y vas ou t’y vas pas, Sly s’en branle, il groove. Il groove comme groovent tous les blacks, à l’aune de l’or des reins. On sent la violence du beat sur l’early version de «You Can We Can», bien sucée à l’harp, montée sur un bassmatic de combat, bombastic & elastic. Il faut aussi écouter «I’m Just Like You», car Sly amène énormément de son dans 6ix. C’est un groupe qui tourne au H.P. Barnum et qui accompagne Little Sister sur scène. Voilà, c’est tout ce qui va rester de ce groupe extrêmement intéressant : quatre cuts sur la compile Stone Flower. Et puis voilà le maître de céans avec «Just Like A Baby», un cut d’une effroyable modernité. Sly joue sur les champs et les contre-champs de l’intellect, il s’enfonce dans la démesure du velours, il se veut soft et gluant à la fois, le voilà encore plus reptilien que sur Riot. Pour «Spirit», Sly joue avec les idées. C’est l’apanage des hommes modernes. Il joue comme un gosse avec son jouet, pas comme le chat avec la souris. Sly est à cette époque un inventeur de son fantastiquement impubère.  

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             On va bien sûr retrouver tous les singles magiques de Stone Flower sur les deux volumes consacrés par Ace au producteur Sly Stone. Precious Stone - In The Studio With Sly Stone - 1963-1965 et Listen To The Voices - In The Studio With Sly Stone - 1965-70. Inutile de préciser que ces deux monuments d’érudition groovytale sont des passages obligés, pour tout amateur bien né qui aurait mal tourné. Dans le volume 1 (1963-1965), Sly expérimente pas mal de choses, «Help Me With My Broken Heart» (petit r’n’b de yeah yeah yeah, il tire le chant vers le haut dès qu’il peut), «Sight» (belle énormité, Sly Superstar est déjà là), «Lord Lord» (heavy funk de Lord Lord monté sur riff-boogie d’Hooky), «The Jerk» (heavy gaga-punk), «Temptation Walk» (il se paye les congas de Congo Square et le Farfisa de Question mark, c’est complètement demented, Sly blackise le wild instro et ça devient écœurant de classe), et puis Sly duette pas mal avec Billy Preston : «Ain’t That Loving You» (hot et sulphuré, le gros Billy y va de bon cœur) et «Take My Advice» (inédit et excellent, Sly & Billy se renvoient la baballe, I say hello et Billy répond). En tout, il y a quatre cuts de Sly & Billy Preston, tout est excellent, bourré de feeling, ils font le job, ils taillent la route à deux voix. Autre duo d’enfer, Sly & Freddie, son frère, avec «Dance All Night» (heavy dance craze, baby, ils repassent tous les classiques à la broche, the Monkey et tout le tremblement du dance craze underground, ils te jerkent bien le Rockamadour). C’est avec les mains moites qu’on retrouve Gloria Scott & The Tonettes. C’mon everybody, avec «I Taught Him», Gloria est en plein boom. Quant à Emile O’Connor, il rampe avec «The Nerve Of You», il est fantastiquement gluant, oooh oooh weee, the nerve of you. Le vieux Emile fait le jeu de Sly. Un Sly qui produit aussi Bobby Freeman, pas de problème, Bobby est un bon. Il faut aussi saluer le «Fake It» de George & Teddy joué aux accords des Byrds. Sly sait tout faire, avec du son, comme il va le montrer dans le volume deux avec les beau Brummels. 

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             Tu vas tomber de ta chaise en entendant l’«Underdog» des Brummels sur Listen To The Voices - In The Studio With Sly Stone - 1965-70. Le génie des Brummels dans le giron de Sly, ça fait des étincelles, du black gaga-punk, c’est-à-dire le punk de Sky plus le génie des Brummels. Tu retrouves aussi le «You’re The One» de Little Sister, l’hard funk de sang royal déjà épinglé sur Stone Flower, avec Larry Graham comme grand dévorateur. L’autre stand-out track de ce volume 2 et la cover du «You Really Got Me» que fait Sly. Il la tape à l’angoisse stylée, il roule les Kinks dans sa farine, il fait sonner sa guitare comme celle des Beatles dans «Get Back». On croise aussi Sly & The Family Stone avec «Aint’ Got Nobody For Free», un vrai festival. Sly a une façon très particulière de roder le hard funk avec la prééminence du beat, et en plus, c’est gratté à la sévère. Rien de plus animal que le rampage de Sly. Freddie & The Stone Souls font quelques instros explosifs et puis voilà Joe Hicks, avec «Life & Death In G & A». Ce démon d’Hicks revient toujours sur les lieux. Il rase les murs avec son funk de street guy, c’est un pur et dur. Son «I’m Going Home» sonne comme un vrai shoot de heavy wild as fuck. Coup de cœur pour The French Fries et «Danse A La Musique», une variante de «Dance To The Music». Tout le son est là. Sly tape «For Real» au heavy groove trempé dans l’acier. Ou en acier trempé, c’est comme tu veux. On retrouve aussi le 6ix de Stone Flower, véritables salvateurs du heavy funk. Quel punch !

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             Sly traîne aussi avec Jim Ford - a white dude that wrote songs that some people called country, but to me it was just songs - Sly le traite de «baddest white man on the planet» et ajoute que des chansons comme «Dr. Handy’s Dandy Candy» et «Niki Hoeky» «détruisaient les esprits des gens qui croyaient que la terre était plate.» Il rencontre aussi Bobby Womack - He could play guitar like a motherfucker - et puis voilà Jimi Hendrix. Sly devait le rencontrer dans une party : «Freddie et moi rencontrâmes Ginger Baker, le batteur de Cream. Ginger showed off some high-quality coke, pharmaceutical grade, et il mentionna une party où devait se trouver Jimi. Ginger avait dans l’idée de partager la coke avec Jimi, only the best for the best.» Sly dit aussi qu’il devait jammer la veille avec Jimi, mais Jimi avait préféré aller jammer au Ronnie Scott’s Club avec Eric Burdon & War. Et arrivant à la party, pas de Jimi. On le verra demain, a dit quelqu’un - As it turns out, there was no tomorrow - Sly sonne le glas à sa façon : «He was dead in the bed.»

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             Sly fréquente aussi Ike Turner, mais n’en garde pas le meilleur souvenir - He made everything crawl. He made people want to sleep with one eye open. He was bad vibes all the way down - Par contre, il s’entend beaucoup mieux avec George Clinton - George was my boy. I called him «the funk baby», because that’s how he was born, or reborn - Sly explique vite fait que George a démarré avec le doo-wop à Detroit, puis il s’est entiché de rock’n’roll et de «pyschedelic sixties» - Funkadelic was extreme, with loud guitars, more out there than the most psychedelic Temptations records. Parliament made funk that popped - George nous dit Sly rendait hommage à James Brown, Dyke & The Blazers et Wilson Pickett, mais aussi au Jimi de Band Of Gypsys, ainsi qu’aux early hits de la Family Stone. George et Sly sont deux hyper-actifs : «George started a thousand off-shoot bands too. But he was starting to burn out from juggling it all: acts, labels, tours, money, drugs.» Alors George s’installe dans une ferme à la campagne, à une heure de Detroit - We went fishing, made music, and got high, not always in that order -  Et Sly ajoute ceci qui va rester déterminant : «George was a trip. I always thought of him as a human cartoon.» Selon Sly, George ne pensait qu’à s’amuser. On entend Sly sur l’Electric Spanking Of War Babies de Funkadelic. Pour Sly, George est un mec à part. Alors qu’il a du mal à jouer avec des cracks comme Bobby Womack et Billy Preston - because we were all chiefs and you needed some Indians - avec George, c’est something else - Il n’était pas un musicien comme les autres. Il était plus un comédien, un philosophe et un Monsieur Loyal all rolled into one.

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             L’autre héros de Sly n’est autre que Cassius Clay, aka Muhammad Ali. Sly évoque l’épisode spectaculaire d’un slow télévisé où il est invité avec Ali. Le présentateur Mike Douglas fait remarquer à Ali qu’il ne sourit pas, et Ali répond qu’il y a trop de problèmes dans le monde. Sly arrive à faire rigoler le public, alors Ali fait semblant de rire - kikikikiki - Il fait le clown. Et il ajoute : «It ain’t always good-time Negroes.» Et il s’exclame, en pointant le doigt sur Sly : «Il gagne un peu de blé. Je gagne un peu de blé. Mais ses frères et ses oncles et les miens crèvent la dalle. Alors je ne peux pas dire que les choses vont bien.» Ali est stupéfiant de courage politique. Alors Sly lui dit : «Muhammad, la seule chose qu’on puisse faire pour les brothers est de faire ce qu’on fait. Être des exemples. And to be hee hee hee happy and to be intelligent like you are and like you always say.» Mais ça ne plait pas à Ali qui rétorque : «Je suis top intelligent pour débattre avec un brother on television or even clown with him on television. Behind the doors, we can have a good time, but not with all the people watching.» Et quand Mike Douglas demande à Ali s’il compte faire un jour de la politique, Ali tranche : «No sir. Quand vous autres parlez des problèmes, ce ne sont pas nos problèmes. Je vois le peuple noir comme une nation. Vous n’avez rien fait pour résoudre nos problèmes.» Et plus loin, il se fâche : «Vous avez tué tous les Indiens. Vous tuez les noirs, vous gardez tout pour vous, et maintenant vous dites que vous voulez la paix ?» Chacun sait qu’Ali a refusé d’aller se battre au Vietnam contre des gens qui ne lui avaient rien fait. Courage politique.

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             Indépendamment des histoires extraordinaires, c’est encore une fois le style qui fait la force du récit. Sly est le grand spécialiste des pirouettes, elles pullulent : «I was wearing giant glasses, goggles almost, over most of my face and a puple shirt that matched the scarf in her hair. That was just coincidence.» Jeux de mots encore - By that point, more people had joined the inner circle. Along with the glowing, there was the growing - Comprenez que Sly groove sa langue, il écrit un livre comme il écrit une chanson : avec gourmandise. Quand il s’installe à Coldwater dans l’ancienne maison d’Isaac le Prophète, «I moved in with my equipment, my clothes, my cars, and my guns.» Il explique qu’il a des guns car il a été élevé ainsi, il les collectionne et il se sent plus en sécurité - Il y avait des tas de gens qui entraient et sortaient de la maison and not all of them were bringing flowers - Lorsqu’il enregistre «Family Affair», il explique qu’«it was a record made by no one and everyone, made under the influence of substances and of itself. Is that a contradiction in terms? Contradiction, diction, addiction.»

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    ( Little Richard)

             Quand Cynthia atteinte d’un cancer casse sa pipe en bois, Sly ne va pas à l’enterrement - Pour moi, elle était la number one in the band, even over me. She held everything together - Puis il voit tous ses amis partir, il les cite, Ali en 2016, Kapralik en 2017, Little Richard en 2020, Bubba en 2021. Mais sa famille still comes around, Sylvester Jr., Phunne et Nove. Il voit aussi que Gloria Scott avec laquelle il a bossé jadis sur Stone Flower enregistre encore - I mean today: I just saw her new album, So Wonderful.

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             Kapralik qui avait bien pigé la nature de Sly disait de lui : «He is a penultimate pragmatist. He lives by his sheer own personal experience.» Et Sly ajoute : «Kapralik parlait d’en haut. Freddie a dit quelque chose de similaire, mais de plus simple, dans une interview. Il expliquait qu’il y avait moins de gens importants dans le monde. He said there’s no one like Bob Dylan anymore. When I heard it, I nodded. He said there’s no one like John Lennon anymore. I nodded again. He said there’s no one like Sly Stone anymore. I couldn’t nod so I just shook my head.» Quand il a des ennuis avec les impôts, Sly passe en mode Sly : «J’ai fait ce que j’ai pu. J’ai essayé de réduire mon train de vie, suis passé d’une Mark IV à une Mustang, j’ai revendu les biens immobiliers dont je n’avais pas besoin, mais la note ne baissait pas assez vite. Quand j’ai compris que je ne pouvais rien faire de plus, je me suis assis sur les marches de la maison and watched them take my things from me. They meaning the government. Me meaning me.» Encore du Sly prodigieux lorsqu’il perd sa mère. Il parle d’elle dans «Mother Beautiful» qui se trouve sur Small Talk, paru en 1974. La dernière phrase de la chanson dit : «Sometimes I call my mama - yeah she’s here.» - But one day she wasn’t. Losing her was beyond anything I could stand or understand, so I stayed at home and wondered where she had gone - Puis il ajoute que peu de temps après la disparition de ses parents, as the new century started up, d’autres personnes importantes pour lui se sont fait la cerise : Ray Charles, Terry Melcher, Billy Preston et James Brown.

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             Pour finir ce Part Two en beauté, rien de plus indiqué que le Live At The Fillmore East, un triple album qui propose les quatre shows enregistrés les 4 et 5 octobre 1968 au Fillmore East de Bill Graham. Chaque jour Bill Graham programme deux shows, the early show et the late show, car la demande à l’époque est énorme, et pour lui, le plus important est de satisfaire la demande du public, comme il le répète inlassablement dans son autobio. On peut donc écouter les quatre shows si on le souhaite. Il y a juste quelques variantes de set-list, et le conseil qu’on peut donner serait d’étaler l’écoute sur quatre jours. On garde tous en mémoire le full blown de la Family Stone à Woodstock, mais dès l’«Are You Ready» du disk 1, il est de retour, avec l’heavy bassmatic de Larry Graham. Là, tu as le powerus cubitus maximalus. Larry taille dans le lard à la basse fuzz. À l’époque, en Amérique, il n’existe rien d’équivalent. James Brown et Funkadelic, c’est autre chose. Le power de Sly & the Family Stone est un power unique. Ces mecs te dévorent le foie. Ils sont le Black Power à l’état le plus pur. Ça pulse dans tes veines. Are you ready ? On voit Sister Rose monter au créneau dans «Colour Me True» et Sly ramène son boom boom at the boom boom. Sly bien sûr, mais ses collègues de la Family Stone sont tous exceptionnels, Cynthia envoie ses coups de trompette et Sister Rose prend le chant sur «Won’t Be Long». Immense power ! Larry Graham joue all over et Brother Freddie gratte ses poux. Sly distribue ensuite les mannes du pathos avec «We Love All (Freedom)», il agit avec la grâce qu’on prête aux dieux grecs, la Family Stone fait son cirque et les cuts finissent par s’étirer en longueur. Ils tapent un big shoot de r’n’b avec le medley «Turn Me Loose/I Can’t Turn You Loose», l’hommage à Otis prend feu, Sly cavale sur l’haricot d’Otis et Larry Graham devient fou, ça bascule dans l’énormité, dans l’invulnérabilité des choses. Si tu aimes bien le groove, alors écoute leur version live de «Chicken», Sister Rose se tape un tour de cot cot codec et Sly revient au you-you, ça frise et ça part en mode lullabies. Ils finissent l’early show avec «Love City». Ex-plo-sif ! Tout le monde s’y met, Sly, et Sister Rose qui rentre dans le chou du lard, «Love City» n’est qu’un échantillon de leur power. Ils filent au tagada, c’est aussi hot que James Brown, avec un son de destruction massive et des coups de trompette, une véritable apocalypse. Les New-Yorkais ont dû sortir complètement sonnés du Fillmore. Le late show du 4 est encore plus explosif, puisqu’ils attaquent avec «M’Lady», c’est-à-dire à la clameur extrême. Chaque retour de manivelle de Larry Graham est une œuvre d’art. Sly conquiert le monde, ce soir-là, avec ses breaks de lullaby et ses poum poum poum. On retrouve le «Color Me True» et le «Won’t Be Long» de l’early show. On entend mieux Brother Freddie gratter sa funky guitah, ça groove dans l’épaisseur du cuir, et Sister Rose t’éclate vite fait ton Sénégal. Ils tapent une version de «St James Infirmary» à la trompette, et pour lancer son «Are You Ready», Sly balance son slogan : «Don’t hate the Black, don’t hate the white, if you got bitten, just hate the bite !». Funky message. You got it ? Et puis voilà le hit qui les rendit mondialement célèbres : «Dance To The Music». Les gens claquent des mains. Sly lève la foule comme le levain lève la pâte. Power absolu. Poom poom A-poom poom, oh yeah ! Dance ! Et Larry Graham envoie sa purée. «Music Lover» est la suite de Dance. Même beat, même exploit de wanna take you higher. Bien sûr, le lendemain, ils rejouent les mêmes cuts, bienvenue sur le Kilimandjaro. Ils fondent les neiges. Larry Graham ventile les poumons de la Family Stone, il pulse le full blown en permanence. Greg Errico bat le «Dance To The Music» sec et net. Il fourbit le beat de Sly. C’est là qu’on réalise à quel point Errico est un batteur génial. Tout ici n’est plus que lard fumant et dynamiques extrêmes, avec une Cynthia qui sonne le rappel à coups de trompette. Toute la Family Stone entre en ébullition. Ce show n’est plus qu’une extrême fournaise, rythmique + trompette + poum poum poum et ce diable de Sly jette encore de l’huile sur le feu. C’est de la légende à l’état pur. Ils terminent avec un late show encore plus spectaculaire, comme si c’était possible. Ils re-sortent chaque fois les mêmes recettes, mais ça marche à tous les coups. Avec «Love City», Sly entraîne le Fillmore dans sa folie - This is a song about Love City - c’est hot, les coups de trompette, le shuffle d’orgue, le beat d’Errico, le Graham et le Freddie, ça joue de partout, Mine de rien, Sly invente un art : l’art du lard de la fournaise du Kilimandjaro. Il est complètement barré et il perd toute retenue sur «Turn Me Loose», il chante comme une folle, comme un éperdue, et derrière, le groupe sombre dans la folie.

    Signé : Cazengler, Family Stome de chèvre

    Sly Stone. Thank You (Falettinme Be Mice Elf Agin) A Memoir. Auwa Books 2023

    Sly & the Family Stone. Live At The Fillmore East. Epic 2015

    Sly  Stone. Precious Stone. In The Studio With Sly Stone. 1963-1965. Ace Records 1994

    Sly  Stone. Listen To The Voices. In The Studio With Sly Stone 1965-70. Ace Records 2010

    Sly  Stone. I’m Just Like You. Sly’s Stone Flower. 1969-70. Light In the Attic 2014

     

     

    L’avenir du rock

     - Band of Gypsy

     

             Bon, c’est décidé, l’avenir du rock va revendre sa pauvre baraque de beauf. Il convoque l’un de ces agents immobiliers réputés pour leur incompétence notoire.

             — Vendez-moi ça sec et net !

             Bien serré dans son costard à la mode, l’agent glisse d’une voix suave, qu’il conçoit comme le reflet de son intelligence :

             — Monsieur l’avenir du rock, vous avez certainement une idée du prix que vous en attendez ?

             — Votre prix sera le mien. C’est vous le vendeur, pas moi ! C’est vous le com... pétant. Sachez que je ne m’abaisse pas à votre niveau, à faire des petits calculs. Piochez dans votre carnet de clientèle. Tâchez d’être expéditif. Vous avez une semaine.

             — Dans ce cas, la vente se fera rapidement, vu que vous ne souhaitez pas entrer dans le jeu des négociations avec le ou les acquéreurs. Rassurez-vous, nous veillerons à ne pas vous léser. Notre agence existe depuis si longtemps qu’il ne viendrait à l’idée de personne de remettre en cause la qualité de son intégrité professionnelle. Sachez que pour vous, c’est un plus. Qui plus est, nous pouvons aussi vous proposer en échange un bien aux meilleures conditions. Avez-vous une idée de l’endroit où vous souhaiteriez investir ? Nous avons des agences dans tous les départements de France et d’Outre-Mer.

             — Je cherche une roulotte.

             L’agent lève les sourcils beaucoup plus haut que d’habitude :

             — Vous voulez dire une roulotte...

             — Eh bien oui, une roulotte ! Avec des canassons ! Comme au temps de Django Reinhardt et de Tchavolo Schmitt, j’ai besoin de pompes manouches et d’hérisson rôti, de poules manchotes et d’horizons ratés, de potes michto et d’oraisons rotées.

             Le malheureux reste sans voix. Il comprend que l’avenir du rock n’est pas très clair. D’autant moins clair qu’il ajoute, d’une voix claironnante :

             — Comme ça au campement, je pourrai aller taper un rami dans la roulotte de Gypsy Mitchell, gadjo !

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             Gypsy Mitchell arrive sur scène, complètement inconnu au bataillon. Une gueule à être le cousin de Robert Finley, même look de vieux black filiforme à barbe blanche, même sens de l’extravagance vestimentaire, seulement Gypsy Mitchell la pousse un peu plus loin, avec son bandana de prince des pirates, sa veste d’amiral de l’Armada du Roi d’Espagne, ses mocassins d’un joli vert pailleté, ses crucifix et ses tas de bagues. Il aurait même tendance à en faire un peu trop, c’est ce qui est écrit dans la bulle du petit cul blanc qui assiste à son entrée en lice, mais les petites remarques à la mormoille vont vite voler en éclats, car en deux minutes, Gyspsy Mitchell remet tout le rock au carré, et tant qu’il y est, tout le blues et tout le voodoo-funk, en gros tout l’esprit du rock dans ce qu’il peut présenter de mieux. Oui tu ravales ta pauvre petite morgue devant ce géant sorti de nulle part, et si tu le trouves décoré comme un sapin de Noël, c’est qu’il te reste encore des progrès à faire dans ta compréhension du monde, gadjo. Dépêche-toi, mon gars, car tu n’en as plus pour très longtemps. Hâte-toi de piger enfin les choses de la vie telles qu’elles se présentent à toi, car c’est de cela, et uniquement de cela, dont il s’agit. Renverse Gide pour le cul-buter afin que la beauté soit dans la chose regardée plus que dans ton regard d’esthète à la mormoille. Tu as sous les yeux une rockstar sortie de nulle part, et tu vas te régaler pendant une heure, car oui, Gypsy Mitchell groove l’or du temps.

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    Il dispose de toutes les mamelles du destin de Boby : la voix, le look, le voodoo, le son, les cuts, il a tout bon, absolument tout bon, du coup, c’est la fête au village, grosse attaque frontale avec «Rockin’» le bien nommé, Gypsy et les blancs qui l’accompagnent tapent ça aux Flying V, le black rock déboule en Normandie, tu as là le fin du fin du nec plus ultra, Gypsy Mitchell te groove son Rockin’ jusqu’à l’oss de l’ass et là, tu commences à observer son grattage de poux, l’index et travers du manche et les autres doigts qui titillent le tiguili, fuck, ce mec est en plus un immense virtuose voodoo.

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    Il va très vite enlever son chapeau et attaquer une autre merveille, «Take Me I’m Yours». Il est fabuleusement accompagné : deux choristes dont une big black de rêve, un petit white guy sur Flying V, un bassman blanc avec sa basse si basse qu’il ne peut jouer que du plat de la main à gauche, et du bout des doigts à droite, mais diable, il faut le voir bassmatiquer dans les eaux troubles, il en fait baver tous les bassistes présents dans la salle, et derrière au beurre, un autre petit cul blanc à menton volontaire frappe sec et net et sans bavures.

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    Cette faramineuse équipe porte la même tenue, une sorte de survêtement noir à grandes bandes blanches sur les bras et sur le côté des jambes. Gypsy Mitchell va battre tous les records de fascination en attaquant un cut à consonance exotique, «Breezin», il va rivaliser de fluidité supra-cosmique avec Carlos Santana, de féerie intersidérale avec George Benson, il va jazzer son exotica comme le fit autrefois Jose Feliciano, et multiplier les figures de styles avec un grâce hallucinante. Et là tu tombes en panne de vocabulaire. Chaque fois que tu te trouves confronté à l’exercice de l’art suprême, ta cervelle bat en retraite, comme tétanisée.

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             Comme il n’a pas encore d’album à vendre, Gypsy Mitchell propose un T-shirt que bien sûr personne n’achètera. D’ailleurs à la fin de concert, on assistera à ce bal sordide des selfis, comme au temps de Little Victor, au Vintage de Roubaix : personne n’achetait rien, mais tout le monde se prenait en photo avec lui. L’horreur ! Comme Little Victor, Gyspsy Mitchell se prête complaisamment au cirque. Il raconte aussi sur scène comment il a perdu son fils et de quelle façon il est revenu à la vie, avec une sorte de pâté de foi. Il va ensuite se livrer à l’exercice du bain de foule, il va sauter dans le public avec sa gratte pour y faire son Hendrix, jouer derrière la nuque et gratter ses poux avec les dents, il finira son solo couché au sol au bord de la scène. Pour un blackos de cet âge, c’est une sacrée performance. Tiens, vazy, roule-toi par terre avec ta guitare, tu verras, c’est pas si simple. Une façon comme une autre de dire qu’il est assez complet. Et même plus que complet. Il revient en rappel avec une cover de «Knockin’ On Heaven’s Door» qu’il va bien sûr prendre un malin plaisir à électriser. Il va même réussir à porter cette vieille tarte à la crème à incandescence.

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             Son album solo ne sortira qu’au printemps. En attendant, on peut le retrouver avec les Relatives sur The Electric World, un Yep Roc de 2013. Gyspy y trône au milieu de ses amis, dont le Reverend Gean West qu’on entend chanter sur «Rational Culture/Testimony», un heavy dumb de funky blues. Wow, ça chante dans le creux du groove.

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    Tu y retrouves tout le mystère du Black Power, les racines sont profondes. Black groove de Lawd. Le mec des liners indique que les Relatives sont un gospel funk band. Le Reverend Gean West n’avait chanté que deux cuts, car après, puis il est tombé dans le coma. Il en est ressorti pour revenir finir de chanter les autres cuts, sauf le dernier, «Forgive Now». Il était trop faible. L’album marque aussi le retour de the original guitarist Gypsy and «his Eddie Hazel-meets-Ernie Isley guitar heroics and bass-to-flasetto vocal range». C’est Gypsy qu’on entend chanter sur «No Man Is An Island». Le Reverend Gean West est assez violent sur «Can’t Feel Nothing». Les Relatives ont le pouvoir. Big album ! T’es content d’être là. Sur «You Gotta Do Right», ils sonnent comme les Temptations, avec l’échange de voix. Même power, avec la variété des registres et l’heavy groove dévastateur. Ils passent à la Soul des jours heureux avec «This World Is Moving Too Fast», ils naviguent en eaux magiques. C’est le groove le plus complet de la mer des Sargasses. Le mec qui produit est l’un des trois guitaristes, Zach Ernst. Ils passent au fast funk définitif avec «What You Say», bien tapé à la wah de Gypsy boy. Ils flirtent avec le power des JBs, ça va vite, ça explose, le Rev chante en dérapage contrôlé et on assiste à un incroyable redémarrage du fou de la wah dans la pampa en feu. Le bouillonnement rythmique est celui des JBs de Bootsy Collins. 

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             Il existe un autre album des Relatives, enregistré avant The Electric World, mais paru après : Goodbye World. Gypsy n’y joue pas, mais ce n’est pas une raison pour ne pas l’écouter, d’autant plus que c’est un fantastique album de funk et de Soul, avec les mêmes dominantes que celles de Goodbye World : hard funk dès «Things Are Changing» et vers la fin, «It’s Coming Up Again», ils jouent comme des bêtes féroces, ils sont encore pires que Wilson Pickett - Say it loud ! - Ils te tapent ça au JB Sound System. Avec «Let Your Light Shine», ils sonnent une fois de plus comme les Temptations. Ces mecs savent déménager un immeuble. Ça sonne comme un puissant fleuve de r’n’b. Et ça bascule dans le génie Soul avec «Bad Trip». Ils foncent dans le tas, c’est infernal, puissant, irrévocable - Can’t help myself - Fantastique Black Power ! Et ça continue avec «We Need Love». C’est d’un niveau assez rare, dans le domaine. Les Relatives ont le Black Power dans le sang - You need my love yeah ! - C’est Zach qu’on entend à la wah sur «Revelation (Jordan)». Ils travaillent «Your Love Is Real» au corps de la sincérité. C’est âpre et ça colle bien au papier.

    Signé : Cazengler, complètement Gypscié

    Gypsy Mitchell. Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 3 février 2024

    The Relatives. The Electric World. Yep Roc Records 2013

    The Relatives. Goodbye World. Luv N’ Haight 2016

     

     

    Keef Keef bourricot

     - Part Two

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             Quatre-vingt piges ! Encore plus vieux que le rock ! Qui réussit cet exploit ? Keith Richards, bien sûr. En 1975, personne n’aurait parié un seul kopeck sur sa carcasse, et le voilà qui souffle sous nos yeux à moitié ahuris ses quatre-vingt bougies. Le mois dernier, Uncut eut l’idée géniale de célébrer cet anniversaire. Keef est même en couve, tout beau, tout sourire, fidèle à sa (vieille) dimension iconique. Bien sapé, franc sourire, chapeau blanc, lunettes noires, ça tient encore très bien la route.

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             À ce stade des opérations, on ne se pose même plus la question de savoir si ça a du sens ou pas d’être rockstar à 80 balais. Le statut de rockstar impose-t-il de casser sa pipe en bois plus jeune ? Tous les avis sont dans la nature. Tu n’as qu’à te baisser pour les ramasser. Fais comme bon te semble. Avec Uncut, on va préférer se réjouir que Keef Keef bourricot soit toujours un Rolling Stone, et pour un Rolling Stone, il continue de s’en sortir avec les honneurs. Il vieillit plutôt bien, alors que les deux autres derniers Rolling Stones vieillissent plutôt mal. Une façon comme une autre de dire qu’on ne les aimait pas plus que ça, surtout pas le Jag. Disons que Keef Keef et Brian Jones restent les chouchous.

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             Cher esprit critique, avant de débiner le vieux Keef, pense à la bobine que t’auras à quatre-vingt piges. Il faut certainement beaucoup de courage pour continuer de paraître en couverture des magazines quand on a passé l’âge. Keef Keef bourricot fait partie des gens qui ont depuis longtemps fait le tour de la célébrité, donc ça n’a plus rien à voir avec l’ego. C’est autre chose. Il accepte de continuer à alimenter sa (vieille) légende pour le simple bonheur de ses (vieux) fans. On voit cette photo du (vieux) Keef Keef et on entend «Gimme Shelter» dans le creux de l’oreille. Rien n’a changé depuis «Gimme Shelter», et en même temps, tout a changé. Chaque aspect des choses de la pensée est relatif. Tu fais bouger les angles en fonction de ce qui t’arrange. L’idéal est encore d’essayer de voir les choses du bon côté, et le fait que le vieux Keef soit toujours là, c’est le bon côté des choses. Encore une fois, il faut s’en réjouir (pour lui). D’autant qu’on le respecte avec une constance et une profondeur égales à celles qui alimentent notre haine des politicards conservateurs ou libéraux.

             Uncut célèbre l’annive sur 13 pages et découpe la vie du Keef Keef en rondelles : une double par décennie. Six decades, nous dit le chapô, qui traite aussi Keef de «rock’s most miraculous survivor». Dans chaque double, des convives on va dire de luxe, interviennent pour saluer leur pote Keef Keef. Dans un petit pavé au bas de la double d’ouverture, le (vieux) Bill Wyman, qui est lui aussi toujours de ce monde, déclare : «Happy birthday young chap.» Entre (vieux) Rolling Stones, les familiarités sont de rigueur.

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             Et voilà les invités de la double 1960s : (le vieux) Ron Wood se souvient des fêtes chez Immediate Records et de sa première vraie rencontre avec Keef Keef : il enregistrait I’ve Got My Own Album To Do chez lui à Richmond, et avait invité Keef Keef à venir jammer un soir, et pouf, il est resté quatre mois chez Woody. (Le vieux) Dick Taylor se souvient du Keef au Sidcup Art School et de son obsession pour Scotty Moore - One of the things he always used to play was «I’m Left You’re Right She’s Gone» and sometimes «That’s Allright Mama» - Dick Taylor dit aussi que Keef se fringuait avec du style - skinny jeans, purple shirt, Wrangler jean jacket - C’est le Jag qui fait entrer Keef Keef dans le groupe de l’Art School - He was a natural guitar player. Il n’avait pas une super technique, but it seemed like he had a real flair for it - Puis tu as (le vieux) Andrew Loog Oldham qui célèbre le songwriting partnership de Jag & Keef at Mapesbury Road. Leur première compo est «As Tears Go By». Pas mal, pour des apprentis sorciers. Le Loog rappelle que tout le monde, y compris lui, apprenait le job sur le tas, à l’époque, et Keef Keef qualifia d’«university» la tournée de six semaines avec les Everly Brothers. Le Loog rappelle en outre que sur scène, les Crickets accompagnaient les Everlys. Puis il balance la purée : «What can I say about Keith? He was a very smart fella, photogenically.» Et plus loin, il conclut ainsi : «He’s Jack the lad, man. And still is.» (Le vieux) Stash Klossowski y va lui aussi de son puissant hommage, évoquant une relation qui remonte à 1967, et la naissance de Marlon, fils de Keef Keef et d’Anita. Stash rappelle que Keef est extraordinairement cultivé, qu’il s’intéresse de près à l’histoire, et à une époque, il pouvait tenir sept jours sans dormir. (Le vieux) Eddie Kramer célèbre le guitar slinger - His ability to bring something nuanced, crazy, cool and unexpected from that rhythm guitar part always amazed me - Kramer est encore plus fasciné par la télépathie qui existe entre Keef Keef et Charlie Watts, «and if the groove was right, it would just be this wonderful thing, the epitome of rock’n’roll.» Kramer, qui a fréquenté les meilleurs (Jimi Hendrix), conclut son hommage ainsi : «As a musician, Keith has supernatural powers.» Un autre ingé-son de renom, (le vieux) Glyn Johns, déclare : «I always think of Keith as king of the intro.» Il a raison le Glyn de la Saint Glyn-Glyn, Keef Keef est le roi du riff d’intro. La meilleure preuve est dans «Street Fighting Man». Dès les premières mesures, tu sais que tu es chez les Rolling Stones. (Le vieux) Taj Mahal tombe à pic pour rappeler qu’il fut invité par les Stones à participer au Rock’n’Roll Circus. Il a vu Keef Keef évoluer - I’d watched Keith grow into a serious player. In terms of blues, Keith’s the nitty-gritty. He’s so powerful - Et Taj soigne sa chute : «Most of all, I love that he’s a rebel. And a pirate.» De la part d’un (vieux) cat comme Taj, c’est un fabuleux hommage.

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             Uncut ressort aussi un vieux bout d’interview datant de 2017. Keef Keef rappelle que 1963 était l’année la plus folle - That was a year of speed, man - We were in a maelstrom et boom, voilà l’hommage dans l’hommage : «Brian was a great promoter.» Keef rappelle en outre qu’entre 1964 et 1967, it was learning on the job. Les Stones sont passés du stade de bar band aux grandes scènes - Thank God, our first tour was with Bo Diddley and Little Richard and the Everly Brothers - Et en 1967, il admet que les Stones étaient «pretty burned out by the road.» Ils prennent un peu de temps pour souffler et composer, et soudain, la pression repart avec «Satisfaction» - On frappe à la porte et un mec te demande : «Où est le follow-up ?», et je lui réponds : «Get off my cloud» - L’humour ravageur de Keef Keef. Pas étonnant qu’il soit devenu un héros.

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    ( Kenney Jones )

             (Le vieux) Marshall Chess ouvre le bal des 1970s. Il raconte qu’il débarque chez Keef en 1970, à Cheyne Walk, et le trouve assis au piano «repeint en jaune» en compagnie de Gram Parsons. Chess indique en outre que Keef trimballait sa gratte partout, même aux gogues. Selon le (vieux) tour manager Peter Rudge, «everybody loves Keith Richards.» (Le vieux) Mick Taylor évoque Nellcôte et Exile, mais il n’a rien d’intéressant à dire. À la ville comme à la scène, serait-on tenté d’ajouter. Pour (le vieux) Chris Welch, Keef a toujours été généreux, funny and shockingly honest. (Le vieux) Kenney Jones redit sa fierté d’avoir pu jouer avec Keef Keef at Kilburn Theatre en 1974, mais la cerise sur le gâtö, c’est Keef qui lui dit, lors du Charlie Watts’ memorial au Ronnie Scott’s Club : «Kenney, it’s only you and Charlie. You know that, don’t you?». Suprême hommage : aux yeux de Keef Keef, il n’existe que deux batteurs : Charlie et Kenney Jones. Tiens voilà (le vieux) Richard Lloyd qui avait rencontré Anita au CBGB, et dans son autobio (Everything is Combustible), il raconte qu’il a, par la force des choses, fréquenté Keef Keef qui était installé sur la côte Est. Lloyd qualifie lui aussi Keef de funny and generous. Il conclut son fantastique hommage ainsi : «This guy is a king. I love him to death.» (Le vieux) Jimmy Page rappelle qu’il a joué avec Keef sur l’enregistrement du «Yesterday’s Papers» de Chris Farlowe, pour Immediate, en 1967. Page est aussi allé jammer avec Keef chez Ron Wood à Richmond, et plus tard, à New York, sur un cut de Dirty Work, «One Hit (To The Body)».     

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             Dans les 1980s, Keef Keef change de tête. Une vraie gueule de loubard, regard noir et morgue bien affichée. Pas aimable. Le son des Stones change et les invités aussi. Voilà (le vieux) Michael Shrieve, le percu de Santana qu’on a découvert dans Woodstock. Il joue sur Emotional Rescue. Il est frappé par le Keef - There’s nobody like him. He plugs his guitar and immediately it’s Keith Richards - Il est aussi frappé de le voir travailler so hard. Le (vieux) producteur Steve Lillywhite voit Keef Keef trimballer des guns et échanger ses fringues avec celles d’autres mecs. (Le pas trop vieux) Ivan Neville se souvient d’avoir bossé toute la nuit en studio avec Keef Keef au moment de Talk Is Cheap - En sortant du studio, il nous emmenait tous chez lui on 4th and Broadway and make us breakfast - Pour (le vieux) Bernard Fowler qui a vu Keef Keef attaquer dès le breakfast la lecture d’ouvrages sur les vaisseaux de marine, il n’y a aucun doute : Il y a du pirate en lui («Damn, it’s real, there si some pirate in there for sure»), et il ajoute, pour conclure pour petit paragraphe : «He’s got an elephant brain, he don’t forget shit. His recall is amazing.» Et pour (le pas trop vieux) Johnny Marr, «Keith was a total hero to me as a kid.» Il dit avoir aimé son guitar-playing, mais c’était surtout son idéologie qu’il admirait - I just saw him as someone with ultimate integrity - Quand il était dans les Smiths, il explique qu’il prenait modèle sur Keef Keef, «taking care of the music», «but also being the engine of the band.» Il voit Keef Keef comme un mec en mission - «Gimme Shelter» has the best guitar solo that’s ever been on record - Marr a compté les notes : six notes dans le solo, mais avec tellement de feeling ! Pour lui, Keef Keef a inventé un son, mais aussi «a whole new guitar style, possibly the coolest since Robert Johnson or Hubert Sumlin.»

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             Et voilà the 1990s & the 2000s. (Le vieux) Aaron Neville explique qu’il a rencontré Keef Keef en 1983, quand les Neville Brothers furent invités en première partie de la tournée des Stones. L’ange Aaron parle d’intense mutual respect - Keith is one of the most down-to-earth guys I’ve ever met. He’s a real one. Nothing fake - On imagine qu’à lire tout ça, Keef Keef doit éprouver une sacrée fierté d’avoir de tels (vieux) amis.  

    Signé : Cazengler, Keith Ricard

    Keith at 80 - Uncut # 321 - January 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Exile on Remains Street

     

             Il maudissait ses parents de l’avoir appelé Rupin. Du coup, il devint radin. Mais pas un radin à la petite semaine, il devint un virtuose du radinage. Les gens disent de ces virtuoses qu’ils ont des oursins au fond de poches. Effectivement, sa pathologie battait tous les records. La seule perspective d’avoir à payer un verre le rendait physiquement malade. Il en devenait gris. Pourtant, on rigolait bien ensemble, mais il n’était bien sûr pas question de lui faire la moindre remarque sur sa manie. Comme tous les radins, il collectionnait les cartes bleues et quand il devait régler un achat, il réfléchissait longuement au choix de la carte. Nous découvrîmes grâce à lui et à ses méthodes que les radins géraient si bien leur blé qu’ils s’enrichissaient plus vite que les gens normaux. Il plaçait son blé au Luxembourg et investissait dans l’achat de parkings, qui offraient selon lui le meilleur rendement. Il citait même les chiffres. Il veillait à bien s’habiller, à toujours se cravater, et roulait dans de puissantes voitures allemandes, ni peu chères, ni trop chères, il savait trouver le juste milieu. Lorsqu’il acceptait une invitation à dîner au restaurant, il ne proposait jamais de rendre la pareille. Il s’arrangeait en outre pour choisir les vins et partait du principe qu’on avait les moyens de financer un vin cher puisqu’on l’invitait. Ça tombait sous le sens. Ou plutôt son sens. À sa façon, Rupin avait du génie. Il savait tirer avantage de n’importe quelle situation. Qui aurait osé lui reprocher d’avoir choisi le vin le plus cher de la carte ? Il lui arrivait même de conclure en disant à voix haute devant le garçon qui amenait l’addition qu’il avait connu des crus de meilleure qualité à ce prix-là. Bien sûr, il usait et abusait de la bêtise de ses amis, et d’une certaine façon, ça le rendait attachant. L’amitié de longue date a souvent bon dos. Elle permet d’élever le seuil de tolérance. Et rien n’est plus naturel que de vouloir voir jusqu’où un ami de longue date peut aller trop loin.   

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             Dans les années soixante-dix, on écoutait les Remains avec Rupin. On bossait ensemble dans le même bureau d’études, et il découvrait les groupes à travers les albums qu’on lui prêtait et, bien sûr, qu’il ne rendait pas.

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             L’un des premiers groupes sur lesquels il a flashé fut l’album des Remains, l’Epic de 1966 qui reste encore aujourd’hui l’un des plus beaux albums de gaga-rock sixties de tous les temps. L’album s’ouvre sur la triplette de Belleville «Heart»/ «Lonely Weekend»/ «Don’t Look Back» et Barry Tashian s’impose comme le guitariste/chanteur le plus insidieux de l’histoire du rock américain. Il attaque son «Heart» en douceur et après un couplet, ça bascule dans la craze maximalo-dementoïde, il entre dans le chou du lard au killer solo flash et ça vire en mode rave-up à la Yardbirds. Tashian amène aussi «Lonely Weekend» à l’insidieuse, et attention, il ne prévient pas, il se pointe avec des guitar licks terrifiques et chante à la dégueulade de friday night. Normal que «Don’t Look Back» se retrouve sur Nuggets. Les Remains ont un incroyable degré de maturité. Tashian est l’un les grands proto-punkers. Ils bouclent cette A faramineuse avec un «Diddy Wah Diddy» qui sonne comme «Route 66». On se croirait sur le premier album des Stones. Trois belles bombes en B : «You Got A Hard Time Coming» qu’ils finissaient en apothéose de «Really Got Me», puis «Thank You», une merveille pop qu’on dirait sortie tout droit du Brill, et enfin «Time Of The Day», où Tashian sonne comme Van the Man. On se croirait chez les Them ! Il existe une réédition de ce premier album sur Sundazed qu’on recommande chaudement à Rupin et à tous les fans des Remains, car sur le disk 2 grouille de covers inédites, à commencer par ce fabuleux «Mercy Mercy», aussi ravageur et sale que celui des early Stones. Tashian a des accents de Jag et derrière, ça frappe sec et net à la Charlie. Ça swingue dans le garage de Don Covay. On croirait entendre des Anglais quand ils tapent leur version de «My Babe». Tashian tente de placer ses compos, comme par exemple «When I Want To Know», mais c’est trop pop. Il veut faire du Brill et ce n’est pas vraiment son truc. Quand il tape dans le wild gaga, il excelle, en voilà encore la preuve avec «All Good Things» qui vire encore une fois en mode rave-up des Yardbirds. 

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             Il existe un autre album des Remains sur Sundazed, l’indispensable A Session With The Remains. Encore du proto-punk à gogo, avec des version absolument démentes d’«Hang On Sloopy» (real deal du Boston punk), «All Day And All Of The Night» (cover infernale, c’est le punkish punk in the face, et Tashian passe un killer solo flash à la Dave Davies) et en B, tu as une version trash d’«I’m A Man». Tashian est rompu à tous les coups de lard, il en fait une version freakout, il bat les Downliners à la course, aw yeah ! Il tape aussi ne version puissante de «Like A Rolling Stone» - You used tooooooo/ laugh about - qu’il prend au pince nez. Il est parfait dans tous les cas de figure : son «Johnny B. Goode» sort du premier album des Stones et le «Gonna Move» qui suit est un heavy blues fantastique. Il termine avec la fast pop d’«All Good Things», c’est excellent, presque mélodique, quasiment anglais à cause du freakout de freakbeat.  

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             Petit conseil d’ami : ne fais pas l’impasse sur ce Live In Boston paru en 1983 : il regorge de proto-punk, au moins autant qu’un bel album des Downliners Sect. Rien qu’avec «Hang On Sloopy» et «All Day And All Of The Night», tu frises l’overdose de proto-punk. Heavy hang on ! Tashian est la punk ultime, wild as fuck, avec le killer solo flash in the face. La cover des Kinks est elle aussi de la meilleure auspice. En bout d’A, il balance LA cover rêvée de «Like A Rolling Stone». Il va chercher son Dylan au didn’t ya. Une autre surprise t’attend en B : une monstrueuse cover d’«I’m A Man». Proto-punk + Bo = Boom ! Oh yeah ! Les Remains sont imbattables au petit jeu de la destruction massive. Ils basculent dans un combiné d’early Stones et de Rave Up des Yardbirds, mais avec tout le power des Amériques. Même ambiance que l’«Oh Yeah» des Shadows Of Knight. On est là dans le vrai. Au cœur du vrai.  

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             Movin’ On aurait pu être l’album du grand retour de Barry Tashian, mais il faut déchanter, car les Remains évoluent vers un monde plus pop. On retrouve cependant des traces de Bo et de Chucky Chuckah dans «A Man’s Best Friend Is His Automobile» et «Big Ol’ Dyna Flow», comme par hasard, deux cuts automobiles, l’une des vieilles fixations de Chucky Chuckah. Tashian rend hommage à Bo sur le premier et à Chucky Chuckah sur Dyna Flow - Just me and my automobile - Il renoue avec ses sources, il redevient infiniment crédible, presque punk, il ramène énormément de son - She’s the road master/ Nothing gets past her/ My big ol’ Dyna Flow - Barry Tashian est un artiste complet, ne l’oublions jamais. Sa pop est bonne, bonne comme la bonne du curé, même si on a parfois l’impression d’avoir vite fait le tour. Il faut admettre qu’on ne reverra plus le proto-punk d’antan. Il fait du jingle jangle avec «Listen To Me» et «Trust In Me» paraît pop comme pas deux, ça danse dans l’alley oop - You can trust me babe - Quasi country, mais avec des guitares  extraordinaires. Avec sa casquette et sa chemise hawaïenne, on le voit encore flirter avec le bar de la plage dans «You Never Told Me Why», mais il ramène une partie de guitare absolutely demented. Il est dans le son, comme Paul Jones l’est en Angleterre, avec de l’allant. Il termine avec «Romana» et fait de l’early Stonesy de wild Chicago blues, oh-oh, capiteux mélange de wild riffs et de chant pop. Il te gratte ça à la cocote sévère. Il est marrant le Tashian, il restera fidèle au punk jusqu’à la mort.

    Signé : Cazengler, Remugle

    Remains. The Remains. Epic 1966

    Remains. Live In Boston. Eva 1983 

    Remains. A Session With The Remains. Sundazed 1996 

    Remains. Movin’ On. Rock-A-Lot Records 2002

     

     

    Parfaitement Lindley-gitime

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             Kaleidoscope n’était pas le plus connu des groupes West Coast de l’âge d’or des sixties, mais la qualité des quatre albums qu’ils enregistrèrent entre 1967 et 1970 a fait d’eux les chouchous des cognoscenti. Grâce à leur ethno-psychédélisme luxuriant, ils sont restés chers au cœur des spécialistes du West Coast Sound. Les pressages US s’arrachent désormais à prix d’or.

             Pourtant basé à Los Angeles, Kaleidoscope sonnait comme l’un de ces groupes aventureux de San Francisco. L’arme secrète du groupe s’appelait David Lindley, et comme il vient tout juste de casser sa pipe en bois, nous n’allons pas nous priver de lui rendre un petit hommage, ce qui est, comme chaque fois que l’occasion se présente, la moindre des choses. Lorsque des enchanteurs tirent leur révérence, il convient de les saluer bien bas, aussi bas que possible. On appelle ça se prosterner jusqu’à terre.

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             Wiki te dira que David Lindley fut l’un des session men les plus réputés de son temps. Ah Wiki, que deviendrions-nous sans toi ! Si tu écoutes le Side Trips de Kaleidoscope paru en 1967, ça va te sembler logique. Lindley joue de tout : banjo, fiddle, mandoline, guitar, harp guitar, et même du banjo à 7 cordes, alors t’as qu’à voir. Mais les autres sont aussi d’épouvantables premiers de la classe. David Solomon Feldthouse gratte le baglama, le bouzouki, le dobro, le dulcimer, le fiddle, et la douze. Et Christopher Lloyd Darrow touche lui aussi à tout : bassmatic, banjo, mandoline, fiddle, autoharp, harmonica et clarinette. Petite cerise sur le gâtö : ils sont produits par Frazier Mohawk, le plus légendaire des producteurs obscurs, de son vrai nom Barry Friedman, que Jac Holzman avait tenté de lancer à une époque, pour en faire une sorte de Totor de l’ère psychédélique. C’est Mohawk qui a hébergé et financé Stephen Stills et ses copains de Buffalo Springfield à l’époque où ils n’avaient pas une thune. Mohawk a aussi bossé avec le Paul Butterfield Blues Band, avec Nico sur The Marble Index, les Holy Modal Rounders, et produit Primordial Lovers, le très bel album de sa femme, Essra Mohawk, qui d’ailleurs vient tout juste de casser sa vieille pipe en bois. Nous voilà donc au cœur de la légendarité californienne, avec une petite touche d’Elektra, puisque Mohawk fut un temps l’A&R d’Elektra à Los Angeles. Mohawk quitta Los Angeles pour s’installer à Paxton Lodge. L’idée était d’y monter un studio sauvage, financé par Jac Holzman, mais il n’en est hélas rien sorti, et Jac a retiré ses billes. Dommage, car Mohawk avait fricoté avec tous les géants locaux, à commencer par les Byrds, Buffalo Springfield et les Mothers. D’ailleurs, le «Pulsating Dream» qui ouvre la B de Side Trips sonne comme un hit des Byrds, c’est la même énergie, couronnée par l’unisson du saucisson. Explosif ! Ils taillent la route aussi bien que les Byrds. Même chose avec «Why Try», cette espèce de fast deep exotica. Ils dépotent un heavy groove de grattes psycho-psyché. En A, tu vas te régaler de «Please», un soft groove d’undergut qui flirte avec l’excellence capitonnée. Ça joue sous la cendre. Une vraie bénédiction, avec des chœurs de rêve. Ils font aussi de la deep Americana avec le wadee wah de «Minnie The Moocher». Sur certains cuts («If The Night»), ils sonnent très Frisco, on croit entendre l’Airplane. Avec «Hesitation Blues», ils font de la brocante de Frisco, à la manière des Charlatans. Ces mecs sont brillants. Tu en as pour ton argent.

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             Ce n’est pas Mohawk qui produit leur deuxième album, A Beacon From Mars. Ils y font en B une belle cover du «You Don’t Love Me» de Willy Cobbs, embarquée au aïe aïe aïe et noyée dans l’essence du heavy groove. Embarquement pour Cythère garanti, ils y vont au well I love you. Ils passent sans ciller au Dylanex avec un «Life Will Pass You By» gratté au banjo, puis ils atteignent leur cœur de métier avec «Taxim», singulier brouet d’orientalisme psychédélique, un univers que Davey Graham va explorer en Angleterre. Ils tapent «Louisiana Man» au violon de papa mama de deep Americana.   

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             Paru en 1969, Incredible Kaleidoscope est un énorme album. Dès «Lie To Me», ils t’embarquent dans leur mix énorme de venin et de groove, avec des ooouh ooouh en surface. S’ensuit un fantastique country-rock épuisé de grandeur tutélaire, «Let The Good Love Flow». Ils inventent l’heavy country-rock. Et ça bascule dans le génie Cajun avec «Petite Fleur». Tu leur tombes dans les bras tellement tu es subjugué par leur grandeur d’âme. Ils bouclent leur balda avec l’instro du diable, «Banjo». Ils mélangent tous les génies. Ils ne vivent que pour la beauté du geste.

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             Le dernier album du Kaleidoscope s’appelle Bernice. Il contient deux grosses pépites : «Another Lover» et «To Know Is Not To Be». La première est montée sur un Diddley Beat, chargée à bloc, travaillée au shuffle. Énorme son californien. Sharp & tight. Ils flirtent une fois de plus avec le génie. Ça sonne comme du Junior Walker, et la bassline démonte la gueule du groove. Avec «To Know Is Not To Be», ils sonnent exactement comme les Beatles. C’est dire leur excellente prolixité. Ils parviennent à pulser une chaleur intense à l’anglaise, mais c’est démultiplié par leur artistry d’overloaded California cats. Brillant, vraiment brillant. Supra-brillant. Ces mecs sont beaucoup trop brillants pour l’underground local. Tout dans cet album est contrebalancé dans l’épouvantable swagger californien. Avec «Lulu Arfin Nanny», ils te tombent dessus à bras raccourcis. Les Kalé sont un groupe fascinant. Ils dépassent le cap des quatre albums pour créer un univers à part entière. Ils t’embarquent encore avec le morceau titre. Pas de retour possible. Cool as fuck. Lindley rôde toujours sous le boisseau. Aw comme ces mecs étaient doués ! La rythmique bascule dans l’enfer d’un riff ashtonien. Chaque cut est une aventure. Tu te régales du Kalé. Te voilà Kalé. Ils terminent avec «New Blue Ooze». Alors on les salue bien bas.

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             Bon alors attention aux deux premiers albums solo de David Lindley, El Rayo-X et Mr Dave, parus en 1981 et 1985 : les pochettes tapent bien à l’œil, Lindley a une sacrée dégaine, mais au plan musical, c’est une belle arnaque, comme on les adore. On perd tout le Kaleidoscope, Lindley propose une espèce de pop-reggae à la mormoille.

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    Une chose est sûre, il y a du son, un cut comme «Mercury Blues» ne laisse pas indifférent, sans doute à cause de son côté vente à terre. Lindley propose aussi une cover de «Twist & Shout» très bar de la plage, et il faut attendre «Your Old Lady», en B d’El Rayo-X pour retrouver un brin de psychedelia, mais seulement un brin. À peine un brin. Il reprend aussi le «Rocking Pneumonia & The Woogie Boogie Flu» d’Huey Piano Smith sous un autre titre, «Tu-Ber-Cu-Lucas And The Sinus Blues», mais avec un léger beat reggae. David Lindley aurait bien aimé sonner comme Bob Marley, mais il est blanc. Donc baisé. 

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             Il continue d’enregistrer des albums inutiles avec El Rayo-X. Belle pochette que celle de Win This Record, mais quelle catastrophe ! Tu as même Booker T. qui joue de l’orgue sur «Turning Point». Tout est monté sur le même beat reggae blanc à la mormoille. Le seul cut qu’on sauve est le «Make it On Time» planqué en B, car Lindley nous rappelle qu’il est un excellent guitariste.

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             Ce que vient confirmer son «Rag Tag» sur El Rayo Live. Il joue admirablement le blues. On retrouve enfin le grand guitar slinger de Kaleidoscope. Il fait quasiment du John Fahey, il s’auréole de légende, il joue le blues à coups d’acou, avec des petits accords joyeux. Il finit avec «Mercury Blues», un big rumble à la Cheap Trick. Il sait rocker le roll, son Rayo-X tourne comme une grosse horloge, big US rock assez imparable, avec un solo de slide infectueux. Mais ce sera le dernier spasme d’un grand guitariste.

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             On s’est tous fait rouler avec Very Greazy, un Elektra de 1988, bourré de reggae pop inepte. On sauve juste «Texas Tango», plus Cajun, avec de l’accordéon. 

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             Notre ami Lindley fait une brève apparition sur Hey You!, l’album de Doug Legacy & The Legends Of The West. Bon c’est un album dont on peut se passer. Le Doug en question s’appelle dans le civil Doug Lacy et fait venir en studio tous les surdoués de service, notamment Todd Rundgren et Waddy Wachtel. Mais plus globalement, on ne comprend pas bien l’intérêt d’un tel album. Lindley gratte ses poux infectueux sur «Pool Shark» et puis s’en va. Par contre, Roger Steen est mille fois plus infectueux que Lindley sur «Get It (While It’s Hot)», et Ry Cooder joue de l’accordéon sur «Christmas In Prison». Vous savez tout. 

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             David Lindley est seulement guest sur l’It’s A Cinch To Give Legs To Old Hard-Boiled Eggs de Maxfield Parrish paru en 1970. Avec cet album, on touche au bottom de l’underground californien, comme d’ailleurs avec les albums que produit Gary S. Paxton. Grosso modo, c’est un album de heavy Californian country brush, ce qu’on appelle aussi chez les compileurs the Californian Hell, mélange de soleil ardent et de satanisme latent. Ces mecs qui sont aussi surdoués que ceux de Kaleidoscope invitent d’ailleurs les gens de Kaleidoscope à venir gratter des poux avec eux. Et quand tu tombes sur l’heavy country punk blues qu’est «Bottle Of Red Blues», tu cries au loup. On entend encore un wild banjo dans «Cross Over The World» et ça repart en mode big power avec «Round The Morning». Là, tu as un son très libre d’esprit. Une vraie révélation. C’est en quelque sorte du Californian Hell fabuleusement laid-back et joué par d’élégants cracks. Ils enchaînent avec «The Untransmuted Child», un plaintif gorgé d’esprit et porté par une belle gratte pouilleuse, sans doute Lindley, ça joue au groove d’harp avec de fabuleux éclairs de psycho-psyché, la spécialité de Kaleidoscope. «Juanita» est un cut extraordinaire de musicalité, ces mecs rassemblent leurs harmonies en boisseaux superbes et gigantesques. C’est toujours gratté au plus près du corps. On sent bien la proximité dans «Hershey», sans doute une kitchen demo. C’est excellent. Et puis tu as «Whoa Johnny», gratté sévère. On croit entendre du proto-boogie californien.

    Signé : Cazengler, Lindley de vache

    David Lindley. Disparu le 3 mars 2023

    Kaleidoscope. Side Trips. Epic 1967

    Kaleidoscope. A Beacon From Mars. Epic 1967

    Kaleidoscope. Incredible Kaleidoscope. Epic 1969

    Kaleidoscope. Bernice. Epic 1970

    David Lindley. El Rayo-X. Asylum Records 1981

    David Lindley. Mr Dave. WEA 1985

    David Lindley & El Rayo-X. Win This Record. Asylum Records 1982

    David Lindley & El Rayo-X. El Rayo Live. Asylum Records 1983

    David Lindley & El Rayo-X. Very Greazy. Elektra 1988

    Doug Legacy & The Legends Of The West. Hey You! Some Pun’kins Music 1988

    Maxfield Parrish. It’s A Cinch To Give Legs To Old Hard-Boiled Eggs. Cur Non 1970

     

     

    *

    Road to Cairo chantait voici plus de cinquante ans Julie Driscoll, à l’époque je l’aurais bien suivie mais je n’ai reçu aucune invitation. Mais ce soir j’en ai   une in my mind-pocket, donc road to Troyes, au 3 B, ce n’est pas Jools   qui chante ce soir mais Ahmell qui enchante, j’y vais le cœur léger, pourtant la dernière fois ce fut une catastrophe, pas Ahmell, ni le concert, un truc planétaire dont vous avez-vous aussi été victimes, le lendemain c’était le confinement covidique…

    AMHELL BAREFOOT

    3 B

    (TROYES / 10 / 02 / 2024)

     

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             Tiens du nouveau ce soir, Amhell est à la contrebasse, Jules n’est pas au violon comme le dit la chanson, mais Roberto Gorgone à la guitare, et Pascal Ammann à la batterie. Quant à ce Pascal que fait-il assis, d’habitude il officie à la guitare, et ce Gorgone, voyez sa tête, d’où sort-il, d’Italie brave gens ! Hum ! hum, ça sent l’improvisation. J’ajouterai de la live improvisation, ne me faites remarquer cher Damie Chad, tous les concerts sont live, z’oui, mais celui-ci qui va suivre, plus que les autres, tos ceux qui auront assisté en garderont jusqu’à la fin de leur vie un superbe souvenir.

             Tout avait bien commencé. Vous ne faites pas plus smart. Vous avez la volute de la contrebasse qui se dresse comme la tête d’un serpent inquisiteur qui vous fixe de ses yeux froids, un périscope de sous-marin qui cherche une proie à envoyer par le fond. Vous tire trois missiles coup sur coup sous la ligne de flottaison, surprenants, l’on attendait du rock et c’est du jazz, ah bon, c’est en place, c’est enlevé, la voix d’Amhell qui caracole, la batterie qui chip-chip- d’ouate à la perfection, et puis l’on comprend.

              Lorsque la vie est cool, c’est en ses instants que surviennent les trouble-fêtes. Ici il se prénomme Roberto, les deux premiers titres il s’est bien tenu, au troisième, l’on a cru que l’on avait mal entendu, que l’on prenait nos rêves pour la réalité, mais non, ça s’est confirmé par la suite, vous connaissez l’histoire du mec qui au jour de l’enterrement fait des claquettes sur le cercueil, ben là, c’est tout comme, là c’est du jazz, avec ses syncopes, ses chorus, son swing et tout le bataclan, ben au-milieu de l’orthodoxie la plus respectable, le Roberto, il vous refile le riff rockab de la mort, un gros, bien épais, qui fait le gros dos, vous change la donne, vous sort d’entre ses doigts, le cinquième as, celui qui normalement dans un jeu de cartes n’existe pas, mais vous éblouit.

    Ce n’est pas tout, Amhell demande à Roberto de venir chanter un morceau. L’on comprend pourquoi alors il est venu travailler en France, quand il a voulu pousser la romance pour les touristes sur les gondoles à Venise, l’a été refusé, renvoyé, limogé, c’est que quand Roberto chante, ce ne sont pas les roucoulades de la Castafiore qui sortent de son gosier d’airain, c’est le rock’n’roll qui jaillit, tranchant comme un glaive de légionnaire, la légèreté des hastati et la vigueur d’une charge de cavalerie… Puis l’est revenu à sa place, content du devoir accompli, s’est contenté de distiller (à la louche) ses gros riffs chromés, brillants comme les dents en or que se font implanter les vieux crocodiles dans les marais de la Nouvelle Orleans.

    Ne nous trompons pas, la reine du combo, c’est Amhell. Désarçonnante. D’abord elle ne chante pas. Elle parle. Elle présente, elle explique, elle conte une anecdote, Et brusquement sans préavis, alors elle chante. La facilité de l’oiseau qui vole et du poisson qui nage. Elle bondit sur le morceau comme un jaguar sur sa proie, la voix s’amuse sur le grand-huit, elle monte tout en haut à une vitesse folle pour se laisser glisser sur une pente vertigineuse, vous croyez qu’elle va s’aplatir et ne jamais se relever, elle entame une partie de trampoline acrobatique. Tiens c’est fini. Au lieu de reprendre sa respiration, elle éclate de rire, une giboulée de bonne humeur vous inonde, elle prend un plaisir fou à chanter, elle resplendit.

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    Lui aussi , Pascal, P étincelle de gaité derrière sa batterie mais il joue de l’hilarium. Vous ne connaissez pas cet instrument, du début à la fin du set, il est hilare. Ne s’arrête pas de rire, l’aurait dû faire du théâtre, joue tous les rôles. D’abord celui de professeur de guitare, il coache Roberto, il en a besoin, il ne connaît pas les morceaux, le trio est tout récent le titre qu’annonce Amhell ne lui dit pas grand-chose, alors grand prince Pascal lui rappelle les deux premières notes, avec ce sandwich sans pain auquel il manque le saucisson, vous n’iriez pas bien loin, vous oubliez que le jazz est une musique d’improvisation, alors Roberto vous improvise un riff rockab aussi épais qu’une armoire normande qui prend place dans la kitchenette jazzy avec une facilité confondante, c’est un peu comme quand vous visitez un zoo, au fond qui se trouve derrière les barreaux, et regarde avec attention, vous où les animaux.

    Deuxième rôle de Pascal. Le dernier mot. S’amusent tous les deux comme des fous. Sont sages (relativement) quand Amhell chante. Elle a fini. Pas eux, ils commencent. C’est à qui clôturera. Boum-boum à la grosse caisse. Click-click de la plus fine des cordes. Pin-pan-poum, le dialogue est lancé… Parfois Pascal clôture en plein milieu d’un morceau, et Roberto relève le défi. Amhell saute ces obstacles imprévus, telle une championne du quatre fois cent mètres haies, elle vous écarte les éléphants comme s’ils étaient des moustiques.

    Le deuxième set sera davantage jazz. Amhell prend la main, et l’on ne qu’être ébloui par son aisance, son attaque, elle vous plonge au beau milieu du titre, rempli de chausse-trappes, vous ne sauriez faire un pas, ici une fosse remplie de crotales, là un rhinocéros prêt à foncer, pour terminer une rivière infestée de piranhas. Tout est bloqué. Dans les années quarante et cinquante les compositeurs semblent n’avoir eu qu’un but, perdre leurs interprètes, les piéger, dresser embûches et difficultés, les faire tomber en d’hideux coupe-gorges, leur couper la voix et le sifflet. Amhell joue à saute-moutons sur ses tarabiscotages sans fin, se faufile dans le labyrinthe, s’en sort comme une rose, épanouie. Facile ! Trop facile !

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    C’est durant ce second set que Roberto m’a bluffé. L’a joué jazz. Sur un morceau l’a laissé les riffs dans la boîte à rockab. Incroyable mais vrai, l’a joué comme Charlie Christian, mieux même parce qu’au lieu que le son de la guitare soit perdu dans les big bands de l’époque la batterie de Pascal et la contrebasse d’Amhell ont libéré l’espace, il nous a arrosé d’une myriade de notes, une éblouissance auditive. Vous voulez du jazz. En voici, en voilà.

    Le troisième set a tourné au délire. L’ambiance était déjà survoltée. Ce plaisir de jouer, de s’amuser, partout où vous portiez vos yeux un sketch en gestation vous attendait. Se résolvait toujours de la même manière, un morceau impeccablement exécuté. Amhell nous a régalés de quelques titres, puis elle a laissé les grands enfants s’amuser. Ne sont pas faits prier. Enfin si, z’ont joué aux enfants gâtés, tant qu’on ne nous aura pas donné un gâteau nous ne ferons pas nos devoirs. Vous disaient cela avec des mines et des moues de marmots issus de la positive éducation, sûrs de leur pouvoir sur les adultes. Béatrice la patronne et ses aides se sont transformées en escouade féminines de derniers secours, z’ont organisé un corridor humanitaire de ravitaillement pour assurer la survie de ces grands enfants, z’ont avalé une ribambelle de shoots à réveiller les morts. Et c’est parti pour la folie rock ‘n’ roll. Je ne vous raconte pas, fallait y être, Roberto a pris les opérations en main, Pascal l’a suivi comme un seul homme. Une fournaise. Amhell s’est contenté d’une sourdine d’accompagnement sur une seule corde de sa contrebasse, et en avant la musique. Chaude ambiance. Au douzième coup de minuit la folie s’est arrêtée. Un seul ennui,  Amhell Barefoot qui avait perdu ses escarpins dans le charivari et qui s’est retrouvée pied-nus pour que ce concert inoubliable ne fasse pas mentir la légende de la comtesse aux pieds-nus.

    Remercions le 3 B de Béatrice, le public, habitués et nouveaux venus, et surtout Amhell et ses sbires pour cette soirée à marquer d’une pierre blanche.

    Damie Chad

    Important words comme disait Gene Vincent : Les photos sont de Rocka Billy !

    *

    Tiens un groupe français ! L’a posté une vidéo sur YT, je ne suis pas particulièrement patriote mais je regarde. Impossible de m’accuser de chauvinisme, en fait ils sont allemands. Un groupe d’un pays qui a engendré Goethe, Hölderlin et Kleist, je pourrais en citer d’autres, mérite attention. Viennent de Stuttgart, capitale du land Bade-Wurtemberg, sud-ouest, juste à côté de la France.  

    Si vous en avez assez de tous ces groupes axés sur l’Antiquité, vous serez content. Remarquez ces derniers temps l’actualité n’est pas spécialement heureuse. Ne venez pas vous plaindre. Surtout que le titre de la première vidéo…

    CIVILIZATIONS COME AND GO

    TRISTE

    (YT / Févier 2024)

    Rien qu’au titre l’on comprend pourquoi ils sont Triste. Les civilisations viennent et s’en vont. Ce n’est pas une généralité. Paul Valéry exprimait dès 1919 la même idée mais sa formulation avait l’avantage de nous inclure dans ce que nous ne pouvions faire semblant de comprendre comme une généralité. Nous autres civilisations nous savons maintenant que nous sommes mortelles affirmait-il. Bref nous étions concernés à courte échéance.

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    N’ont pas les mots du poëte, alors ils vous montrent les images. Vous les connaissez déjà, une petite piqûre de rappel ne peut que vous faire du bien, forêt en flammes, inondations géantes, fosses communes débordant de cadavres, soldats au garde-à-vous, scènes de guerres, poulets élevés en batteries, poissons empoisonnés, rien de bien folichon, juste pour vous avertir que cela se passe maintenant et non pas dans un lointain passé. Les images mangent la musique. Elles ont raison, c’est un peu dommage tout de même. Au moins vous ne pouviez pas dire que vous ne saviez pas.

    C’est le premier titre de leur premier album, Scapegoats à paraître le 15 février, il me semble qu’il a quelques jours de retard. Ce n’est pas grave si vous pensez à ce qui vous attend.

    Ne croyez pas que Scapegoats désigne des chèvres sauvages en liberté sur les pentes rocheuses, ce mot se traduit par Boucs Emissaires…

    SCAPEGOATS

    (YT / Official Lyric Video / Févier 2024)

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    Une vidéo un peu similaire, certaines images étaient déjà sur la précédente, mais ils ont rétréci la focale. Sur les gens. Les forêts flambent certes mais les forces de police matraquent et tabassent à tour de bras, les pauvres dorment dans la rue, les villes regorgent d’argent, la colère est là, les émeutes éclatent, les migrants se heurtent aux barbelés, sur les chantiers les africains bossent, la colère gronde, dernière image un quidam fait le salut nazi.

    Triste, je ne sais rien des membres de ce groupe. Ne cachent pas leurs idées sous leurs mouchoirs. Ils dénoncent la montée du fachisme en Allemagne. Ils sont allemands, rappelons-le. Parfois l’Histoire vous pousse dans le dos. Rock politique.

             Z’ont raison, la situation est triste.

    Damie Chad.

     P. S. : z’ont sorti un EP quatre titres Below Zero, visible (juste la couve) sur YT, ce qui permet de porter toute notre attention à la zicmuq, mais ce soir, une fois n’est pas coutume nous nous contenterons des images.

     

    *

    Encore une fois un groupe polonais. Si ça continue la Pologne finira par me déclarer citoyen d’honneur. Ce n’est pas sûr, tous ces groupes sont un peu comme de la mauvaise herbe, ce qui tombe bien puisque celui-ci se nomme ainsi. A première vue ils ont l’air un tantinet allumés mais ils ne sont que cendre.

    WEEDOW

    WEEDOW

    (Bandcamp : piste numérique / Février 2024)

    Patrik Wojcik : bass, vocals / Thomasz Raszensky : guitar / Maciej Budzowski : guitar

    Sont de Cracovie. En 2023, ils ont accumulé trois singles sur Bandcamp que l’on retrouve sur leur premier album.

             Mauvaise herbe, tout de suite l’on pense à des voyous, à des blousons noirs, des délinquants, des outlaws… mauvaise pioche, la couve nous en dissuade, cette tête féminine est couronnée de… bon ce n’est pas une feuille d’érable, consultons notre dictionnaire de botanique… oui notre intuition était fondée, c’est bien du chanvre. Nous ne faisons pas fausse route puisque sur leur site elle est agrémentée d’une courte phrase : Un nuage de fumée brouille ma vision. Serait-on chez les derniers hippies, en tout cas ils affirment aussi dans leur courte présentation qu’ils ont une très forte prédilection pour les groovy riffs.

             Je l’avoue ce qui m’a attiré chez eux c’est le petit côté intello inhabituel de leurs paroles. Question music, vous le définirez hâtivement : black stoner doom , avec une pointe de psyché ajouteront les esprits sourcilleux. Il vaudrait mieux se demander pourquoi le doom bénéficie d’une telle audience chez les musicos. Ce n’est pas un style très créatif, toutefois durant des siècles l’existence des règles prosodiques n’a ni empêché ni freiné le déploiement d’imaginaires poétiques différenciés, là n’est pas le problème. Le doom est le genre musical qui correspond au mieux à l’état d’esprit nihiliste de toute une génération et même de plusieurs. Si l’on pose son regard sur les évènements qui ont marqué ce premier quart de siècle. Il n’y a pas à pavoiser. Le présent est sombre et le futur proche ne s’annonce pas sous de riantes couleurs.

             Pourquoi le nihilisme ? Certains répondront à la question comment : regardez l’étendue du malaise social, les réponses politiques qui y sont apportées, les guerres qui se rapprochent, tout porte à croire que nous allons vers un effondrement total. Ils se contentent de dresser un bilan alarmant. Alarmiste modèreront les plus optimistes, mais sont-ce les plus clairvoyants ?

             Le nihilisme est un concept philosophique. Il conviendrait de se retourner vers la philosophie pour y répondre. Depuis un siècle, aucune philosophie aussi éclairante que celle de Nietzsche n’a pu être élaborée. Or l’auteur du Gai Savoir est mort avant d’avoir achevé sa pensée. Parce qu’elle était inachevable, parce que la maladie l’a en a empêché, parce que son esprit s’est effondré sous le poids de la pensée la plus lourde, ainsi qu’il la nommait. Il est donc logique que notre lecture conceptuelle de notre monde corresponde à l’effondrement de la pensée conceptuelle la plus effondrée qui se soit avancée le plus loin sur la réponse à cette question. Nous avons tendance à oublier que nos schèmes conceptuels sont entés sur le déploiement conceptuel de la pensée philosophique par laquelle l’animal humain conceptualise le monde. Conceptuellement parlant l’on peut dire qu’il existe une relation entre nos propres difficultés à entrevoir nos modalités d’action efficiente sur notre monde et les difficultés nietzschéennes à surmonter sa propre pensée.

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    Nothing : souffle sinistre, la musique très doucement, très lente, aucune magnificence, on s’en moque on écoute la voix qui nous parle depuis un étrange monologue, nous entraîne dans son raisonnement, un étrange phénomène, nommer une chose est facile, par contre dès que vous voulez la définir vous vous servez de son contraire pour la mettre en évidence, ainsi vous opposez le blanc au noir, la lumière à l’obscurité, le rien au tout. Déduction, toute chose ne vaut pas grand-chose à elle-toute seule puisqu’elle a besoin d’une autre pour être. Sans quoi ne pouvant accéder à rien elle n’est rien. A ceci près que le rien tout seul n’est rien de lui-même hors de toute contingence proximale avec une autre chose. Déduction, le rien est la seule chose qui existe vraiment. Inutile de m’adresser une réfutation de quinze pages de ce raisonnement que vous jugez peut-être spécieux. Nos trois acolytes sont sympas, plus de parlotte, ils se taisent pour vous laisser réfléchir à votre aise durant cinq minutes. Vous envoient le son, Budzwowski fait gronder le moteur de son tracteur, ne reconnaît plus personne sur son Macief-Ferguson, trace son sillon, prend du champ, il met le turbo et bientôt il disparaît, c’est la basse de Patrik qui clôt le morceau en vous rappelant que vous n’avez qu’une seule patrie, votre convoi funèbre. Weedow : des précisions utiles l’on sait ce qu’ils semaient dans le morceau précédente, de l’herbe pointue, vous plongent tout de suite dans une ambiance indienne, ignorez les peaux-rouges criards, visez la spiritualité indienne et sa méditation transcendantale, au début un petit côté tablas et sitar, mais vous avez le riff nécromancien furtif qui se faufile  tel un squale affamé dans la piscine de l’hôtel six étoiles dans laquelle vous vous baignez, pas de panique, une petite taffe et je ne pense plus au piranha géant, être seul et crever n’est-ce pas le lot commun de l’humanité. Soyons zen, le riff laisse place au sitar. Aussitôt nirvana. Delusion : musique ressort, boing-boing, mister blues se radine, il complique la donne, Patrick vous file son cours de philosophie pratique, c’est un épicurien, si vous en prenez trop vous n’avez pas besoin de souffrir du manque, et si vous sentez qu’il vous en manque c’est que vous n’en n’avez pas de trop, un bon petit solo qui s’étire comme un cobra de vingt-cinq mètres de long, soyons charmeur, y a un mec qui se trimballe dans ma tête, le chant s’alanguit, reprise : le riff barate à mort, il se prend pour une sirène, c’est qui ce mec, ma bonne ou ma mauvaise conscience. Soyons inconscient. Funnel vision : le monde se rétrécit ou s’agrandit. Tout dépend du côté par lequel vous l’embouchez. Entre rêve et cauchemar, le son glisse sur les rails de la plénitude, ne plus rien maîtriser, se laisser porter, dans les tourbillons de la batterie ou flotter doucement sur les vagues de la guitare, remonterons-nous le fleuve intérieur ou nous jetterons-nous dans le delta extérieur à moins que ne soit le contraire, à moins que tout cela nous soit égal. Après tout. Après rien. Empowerment : douceurs évanescentes vertes prairie ou champ d’asphodèle, l’important est de savoir qui maîtrise l’autre, qui vous emporte au-delà de certaines limites que l’on s’interdit ou pas de franchir, beau solo de guitare pour montrer que l’on est seul, pour tenir la barre facilement, ou se laisser aller à une plus grande conciliation avec soi-même ou que l’on passe un pacte avec ce qui vous embrasse, baisse de tension, juste un frottement de basse, tout-est-il perdu ou gagné, la guitare fait le gros dos tel un chat qui se réveille prêt à s’affronter à lui-même ou au monde. D’abord savoir qui maîtrise l’autre. Threnody : ( Poème de Wiktoria Kowalska, je n’ai trouvé aucun renseignement sur la récitante ) : un apologue, qui se déroule sur un rythme serein, élevons le débat, usons de la métaphore poétique, la petite feuille qui ne survivra pas au général hiver, mais elle se métamorphosera sous forme de fumier dans les prochaines plantes qui viendront, l’on s’inscrit dans une chaîne, peut-être pas une catena aurea mais au moins un cercle de fumée qui engendrera un autre cercle de fumée, la survie de l’espèce n’est-elle pas plus importante que celle de l’individu. Tout chant funèbre n’est-il pas l’annonce d’une prochaine victoire. Parfois l’instrumental se métamorphose en instru-mental et alors une voix s’élève sur la fin. Est-ce celle du néant ou de la raison. Mourn : la réponse est-elle dans le morceau terminal, l’on chemine, l’on s’achemine, la guitare nous offre sa dernière danse, imperturbables le riff continue et submerge tout, le rythme ralentit, un cœur qui flanche, un avion qui perd lentement de l’altitude, la première flamboie encore et le second donne l’impression de vouloir s’éteindre, l’avion réenclenche le moteur qui battait de l’aile, dernier sursaut, de la mécanique humaine, d’orgueil, se rapproche-t-il ou s’éloigne-t-il, sur quel aérodrome a-t-il atterri ? Ou a-mort-i…

             Entre le blanc et le noir, Weedow a choisi.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

    29

    Le Chef allume un Coronado. Je prends place en face de lui. L’heure est grave. Briefing à propos de notre dernière sortie paroissiale :

             _ Voyez-vous, Agent Chad, la Sainte Vierge doit être satisfaite, nous avons expédié aux Enfers quatre nouvelles âmes. Pour ma part je me suis beaucoup amusé, j’espère que ce n’est qu’un début, un peu d’exercice ne fait de mal à personne.

             _ Oui Chef, je souhaite que la journée ne se terminera pas sans que nous n’ayons encore le rôle de l’Ange Exterminateur. Toutefois un détail me trouble Chef !

             _ Agent Chad je suis tout ouïe comme un poisson torpille tapi au fond de l’océan.

             _ Lors de notre précédent entretien vous théorisiez que nos Briseurs de Murailles tenaient à me démolir psychiquement, or comme pour vous démentir, ils viennent de tenter de me tuer. Moi et mes chiens. Sans votre judicieuse intervention ils avaient toutes les chances de réussir ! Marx et Hegel verraient là comme une contradiction !

             _ Agent Chad, réfléchissez un peu, toute contradiction s’inscrit dans son propre déploiement dialectique. S’ils ont changé d’avis c’est parce qu’il s’est produit ce que j’appellerai une mutation phénoménologique.

             _ Pour le redire plus simplement ils ont changé d’avis.

             _ Pas du tout Agent Chad, vous posez le problème à l’envers, c’est vous qui avez changé.

             _ Enfin Chef, je suis toujours le même depuis hier !

             _ En êtes-vous aussi sûr que cela ? Quand je vous vois, vous l’Agent Chad, je vous reconnais sans problème, toutefois peut-être avez-vous commis un impair catastrophique. Cherchez bien !

             _ Chef, je n’y comprends rien, dois-je entamer une psychanalyse !

             _ N’allons pas si loin, Agent Chad, tenez je n’ai pas l’habitude d’éplucher vos notes de frais, toutefois la dernière que vous avez déposée sur mon bureau m’interroge.

             _ Chef une note d’un petit restau sympathique, la somme ne dépasse pas les trois cents euros !

             _ Certes ce n’est pas cher, un agent du SSR se doit de maintenir un train de vie qui honore la richesse de notre nation. Cependant, vous aviez si faim que vous avez pris deux repas !

             _ Pas du tout Chef, nous étions deux, quatre avec les chiens, plus Josiane l’employée de la Bibliothèque Municipale qui m’a aidé pour les documents que j’ai ramenés.

             _ Et cette note d’hôtel pour deux personnes, auriez-vous pris une place pour Chad et une autre pour Damie ?

             _ Chef, Josiane au besoin d’un peu de repos, une légère sieste après le repas, ce n’est rien !

             _ Agent Chad ce n’est pas rien, c’est tout !

             _ Vous exagérez un tantinet Chef !

             _ Moi pas du tout ! Je pense qu’il y a une autre personne qui a mal pris votre patrie de jambes en l’air !

             _ Mais qui Chef, soyez plus explicite et pourquoi ?

             _ Le motif me semble évident : la jalousie !

    Le Chef deviendrait-il fou, quelles étranges idées incompréhensibles lui passent-il par la tête, je dis avoir l’air si idiot qu’il m’explique :

             _ Agent Chad, vous avez d’abord une aventure avec Gisèle, d’après moi la dirigeante des Briseurs de Murailles. Quelques heures plus tard, après une douce nuit passée en sa compagnie, vous folâtrez avec Josiane. Gisèle doit être jalouse, elle envoie quatre de ses sbires pour vous supprimer. Voilà qui concorde au mieux avec ma théorie, ce n’est pas à nos services que ces satanés BDM en veulent mais à vous. Ils ont minutieusement préparé leur piège, vous y êtes tombé dedans, à pieds joints, Gisèle vous serre entre ses bras. Pourquoi tient-elle tellement à un individu de si peu d’envergure, je n’en sais rien, je reconnais que c’est incompréhensible, peut-être touchons-nous là au cœur de l’énigme.

    Je suis sidéré par l’implacable logique du raisonnement du Chef, les yeux doivent me sortir de la tête, sans doute offré-je un profil de batracien paralysé, mon cerveau si rapide a du mal à réagir, tout s’embrouille dans ma tête, la voix du Chef se porte à mon secours :

             _ A votre place, cher Damie j’irais rendre une visite de courtoisie à cette Josiane, je m’inquiète pour elle, n’oubliez pas le fameux problème austo-hongrois : Femme jalouse est capable de tondre la pelouse.

    30

    Cette sentence issue de l’immémoriale sagesse populaire européenne agit sur moi comme la morsure d’une vipère. En un fragment de seconde je m’assure de mon Rafalos, mes chiens sur mes talons je dévale les escaliers, chance un taxi est stationné à douze mètres quarante-sept centimètres de la porte de l’immeuble.

             _ Désolé Monsieur, je ne prends pas de chiens, ça pue et ça pisse sur les banquettes.

             _ Parfait, ça tombe bien, je ne prends pas de chauffeur !

    D’un coup de bastos dans la bouche je lui explose la tête, ne me traitez pas d’assassin, il a le droit de ne pas aimer les chiens nous sommes en République, moi je suis pour la libre expression des animalistes, c’est la démocratie.

             Je fonce à toute vitesse vers la bibliothèque de Josiane. La rue est emplie de voitures de pompiers et de police. J’arrive trop tard. Un cordon de flics municipaux m’empêche de passer, je n’ai pas le temps de sortir ma carte. La foule massée sur le trottoir pousse un cri d’horreur. L’on transporte la première civière, bientôt suivie d’une autre, dans la foule un esprit positif entame le décor funèbre bientôt repris en chœur par le public : Sept ! … Huit ! …  Neuf, au dix-septième cadavres un petit malin joue au journaliste sportif : ‘’ Quel match de fou ! quel match de foot, l’Equipe de France marque son dix-huitième but, on n’a jamais vu ça, le coq tricolore est en grande forme…’’ Le gars remporte un franc succès, les rires fusent, et bientôt alors que les brancards mortuaires n’en finissent plus de s’aligner sur la chaussée le public sur l’air des lampions scande ‘’Encore ! Encore ! Encore !’’ Chacun y va de sa petite blague ‘’ Quarante-huitième mort tiré de la bibliothèque, dire que ce matin aux infos ils se plaignaient que les Français ne lisent plus !’’.

             Sans le faire exprès je redouble la faconde de la foule. Grâce à ma carte je me suis avancé jusqu’à la file des morts. Fébrilement je soulève le drap qui recouvre la tête des victimes, mon manège attire l’attention. ‘’ Qu’est-ce qu’il cherche ? Son briquet ! Du fric ! Il ne le sait pas lui-même ! C’est un vampire ! Non l’assassin qui vient s’assurer qu’il les a bien tués ! Un nécrophile ! Un médecin ! Regardez, il vient de sortir une arme !

             C’est vrai, je me suis précipité vers l’entrée de la bibliothèque, je me cogne dans le soixante-neuvième brancard, le corps roule à terre, les gens exultent : ‘’ il n’est que blessé, il se lève, le pauvre il n’a plus de force !’’ Le gus gît maintenant les bras, trois fans de Johnny entonnent : ‘’Dans la  vallée de l’Oklahoma, dans la poussière tu finiras les bras en croix !!! Adieu l’ami, tant pis pour toi’’ Ils doivent bisser leur chanson.

             Le spectacle est hallucinant, su sang partout, il reste encore une dizaine de corps étendus par terre ou la tête posée sur la dernière page (qu’ils auront lue) de leur livre.

             _ Ah, c’est vous Damie, c’est gentil d’être venu !

             _ Josiane, vivante, j’ai eu très peur, ça n’a pas été trop dur ?

             _ Oh ! si, tous ces livres à nettoyer et à ranger, mes collègues n’ont pas survécu. J’écope de leur boulot. Sont systématiquement absents quand il est nécessaire de fournir un effort supplémentaire. Je parie que je ne recevrai aucune gratification pour mon dévouement.

             _ Que s’est-il passé ? Josiane ?

             _ Je ne sais pas trop, je cherchais un crayon sous mon bureau, lorsque ça s’est mis à tirer, c’était étrange on aurait dit que les balles sortaient du mur. Je suis restée cachée sous mon bureau.

             _ Josiane, je ne veux pas que vous restiez seule ce soir, d’abord je vous invite au restaurant

             _ Super idée, j’ai une faim de loup, les émotions ça creuse.

    A peine sommes-nous apparus devant la porte de la bibliothèque que je suis fêté comme un héros : ‘’ C’est lui’’ ‘’ Il l’a retrouvée’’ ‘’ Je suis content pour lui’’ Une féministe rajoute ‘’ Moi pour elle’’. Bras dessus-dessous nous nous éloignons. Pas aussi discrètement que je l’aurais voulu, car la foule nous applaudit et nous salue en criant : ‘’ Les amoureux ! Les amoureux ! Les amoureux !’ »

    A suivre…

            

  • CHRONIQUES DE POURPRE 632: KR'TNT 632 : GYASI / STEVE WYNN + DREAM SYNDICATE / ALVIN ROBINSON / MEMPHIS BEAT / HIGH COMPILS / DARK QUARTERER / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 632

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    15 / 02 / 2024

     

    GYASI / STEVE WYNN + DREAM SYNDICATE

    ALVIN ROBINSON / MEMPHIS BEAT

     HIGH COMPILS / DARK QUARTERER

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 632

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Easy Gyasi

    - Part Two

     

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             On aurait pu intituler ce nouvel épisode des aventures de Gyasi : ‘Le glam au pays du camembert’, ou encore ‘Le glam aux pinces d’or’, en hommage à Hergé, ou bien encore, ‘Les Glammeurs’ en souvenir de notre chère Agnès Varda de la rue Daguerre. C’est vrai qu’on ne sait pas s’il faut prendre Gyasi très au sérieux, tellement domine en lui une dimension cartoonesque, comme on dit en Angleterre. Mais si tu y réfléchis bien, le cartoon est inhérent au glam, c’est le m’as-tu-vu poussé à l’extrême, le mon-truc-en-plume de Zizi Jeanmaire avec des GROSSES guitares électriques, une révolution de palais des glaces, un petit Krakatoa sonique qui entra en éruption en 1972, une vague sucrée qui nous replongea aussitôt dans l’adolescence, ce furent quelques années magiques, un petit tourbillon de poudre de perlimpinpin, Ziggy the Zig, Bolan mal an, Slade, Hector, Wizzard, Mud, Sweet ô my Sweet, une vague extraordinairement éphémère, qui ne pouvait être qu’anglaise, et voilà que cinquante après la bataille, un kid américain redonne vie au glam. Et il incarne magnifiquement cet art perdu, il croise des looks extrêmement seventies, celui de Ziggy pour la maigreur anorexique et celui de Jimmy Page pour le costard ouvert sur une poitrine glabre, les cheveux dans les yeux et un coup d’archet sur la Les Paul, histoire de donner à manger aux glaneurs d’images qui grouillent à ses pieds.

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    Gyasi a décidé qu’il serait rock star, et le voilà sur scène, en rockstar parfaite, immaculée, indiscutable, haut et fin, costard black d’épaules saillantes, haut minimal fermé par deux pattes galonnées d’or, d’une rare élégance, maquillé, lèvres peintes, grosses pattes d’eph sur platform boots en peau de panthère, il ramène aussi un peu de Dolls, et un peu de Ronson, via la Les Paul et la couleur de cheveux, dans sa fabuleuse expertise du mic-mac, il ramène tout ce qu’on aime dans le rock, le regardez-comme-je-suis-beau, qu’on appelle aussi le sex-appeal, l’essence même du rock, l’anti-ventripotage, l’anti-ragnagna-vais-pas-bien, tu vois ce corps parfait à l’œuvre sur une scène et tu te frottes les mains, car le rock a encore de beaux jours devant lui, même si ça se passe dans la petite salle.

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    Celles qui ne s’y trompent pas sont les admiratrices, Gyasi fait surtout craquer les gonzesses, quoi, comment est-ce possible, un mec aussi beau, elles rêvent bien sûr de le toucher, de la même façon que les gamines anglaises des seventies rêvaient de toucher Ziggy, juste toucher, tu ne peux pas espérer plus, Ziggy est un fantasme incarné, et Gyasi n’est pas loin du compte, il faudrait juste qu’il pousse vraiment le bouchon de glam.

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             Mais il est peut-être trop américain pour ça. Quand on l’a vu à Binic, un guitariste relativement glam l’accompagnait sur scène. Une petite gonzesse au look punk américain, c’est-à-dire en monokini de cuir noir, bas résille et tattoos en pagaille, le remplace. Elle est plutôt belle, mais trop punk. Elle met le paquet sur sa Gretsch solid body, mais elle sonne trop mainstream rock US, celui qu’on aime pas trop, elle fait parfois un peu trop son Slosh, et là on perd le glam. Dommage, car de sacrés relents de «Jean Genie» remontent dans «Snake City», et des sacrés relents de Bolan remontent aussi dans «Fast Love», une sorte d’évanescente resucée d’«Hot Love». Il est même en plein dedans, tu crois rêver, les accents sont exactement ceux de Bolan. Il aurait dû foncer dans cette direction, plutôt que de faire ce «Blues» qui n’apporte rien, et ce clin d’œil à Cabaret qui n’apporte rien non plus. Il reprend le mythe du Mime Marceau tel que le concevait Ziggy dans «Sword Fight», mais son Sword Fight passait mieux sur la grande scène de Binic, dans cette ambiance surréaliste et cette tempête de poussière jaune que lèvent chaque année les hordes de pogoteurs.

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             Gyasi essaye d’offrir un spectacle complet à son public et ce n’est pas si simple, car bon nombre de gens n’étaient pas nés au moment du glam, et s’il est un domaine pour lequel il faut des points de repère, c’est bien le glam. Sinon, c’est indécodable. Ça peut passer pour du rock maniéré, alors que c’est un rock spécifique et extrêmement sophistiqué qui a révolutionné l’Angleterre, et uniquement l’Angleterre. Les Européens ont suivi le mouvement on va dire à l’oreille, mais ils ne l’ont pas vécu comme l’ont vécu les kids anglais. Le décadentisme est inhérent à la culture anglaise. Un phénomène comme Ziggy Stardust n’est compréhensible qu’en Angleterre, un pays dont la vertu principale est la tolérance. Tu ne peux pas avoir ça ni en France ni en Allemagne. Et encore moins aux États-Unis. Excepté des Dolls et Andy Warhol, le décadentisme américain a pris une autre forme, celle de la disco et des bars gay. Mais un mec comme Jobriath n’a jamais marché, même s’il était sur Elektra. Le public américain n’en voulait pas et Jaz Holzman dit même avoir regretté son investissement. Ça ne pouvait pas marcher dans un pays qui est encore plus un pays de beaufs que la France. Pour «conquérir» l’Amérique, Bowie a dû laisser tomber le glam pour passer au discö-funk, perdant au passage une bonne partie de ses fans de la première heure, ceux qui vénéraient «Changes» et Hunky Dory, et qui exécraient la daube commerciale du Thin White Duke.

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             Espérons que Gyasi ne passera pas au discö-funk. On sent chez lui des dispositions au caméléonisme, et s’il tombe sur un manager qui a des dollars à la place des rétines, il est probable qu’un jour il opte pour la voie royale du big biz. Des gens disaient hier soir qu’on risquait de ne plus voir Gyasi sur une petite scène et qu’il jouerait bientôt au Zénith. Pas évident. Il doit de toute évidence réfléchir au destin de Bowie, un destin riche d’enseignements. Si tu veux rester fidèle à tes pulsions rock, tu rempliras des salles de 200 personnes. Si tu passes au gros son commercial, comme l’a fait Bowie, tu accéderas aux stades et tu t’achèteras des maisons à Tokyo, à Londres et en Suisse. Tu deviendras riche et célèbre. Et puis se rouler par terre avec sa guitare, ça ne dure qu’un temps. Viendra ensuite le jour où les fans qui ont vécu le glam dans les années 70 auront disparu, alors ce sera plus compliqué. Ou moins compliqué. Ça dépend. Le glam deviendrait alors un genre sorti de nulle part. Mon-truc-en-plume so far out. Tu l’as dit, bouffi. 

    Signé : Cazengler, jaseur

    Gyasi. Le 106. Rouen (76). 9 février 2024

     

     

    Wizards & True Stars

    - Syndicate d’initiatives

    (Part Six)

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             Si aujourd’hui encore on se prosterne jusqu’à terre devant Steve Wynn et son Dream Syndicate, ce n’est pas un hasard, mon petit Balthazar. Dans le début des années 80, Steve Wynn, Jeffrey Lee Pierce et John Doe ont sauvé le rock californien de la médiocrité qui le menaçait, et depuis, ils ont enregistré à eux trois près d’une centaine d’albums dont ils peuvent être fiers, et sur lesquels on s’est longuement étalé ici. Aux États-Unis, Steve Wynn, Jeffery Lee Pierce et John Doe ont joué à peu près le même rôle que Lou Reed, Frank Black, Robert Pollard et Todd Rundgren : en bâtissant une œuvre à l’échelle d’une vie, ils ont veillé scrupuleusement à maintenir un très haut niveau qualitatif. C’est d’ailleurs ce savant brouet à base de grosses compos, de modernité et d’énergie visionnaire qui fait les très grands disques. Et The Days Of Wine & Roses, paru en 1982, en fait partie. Alors comme on raffole des très grands disques, ça tombe bien : pour fêter le quarantième anniversaire de sa parution, Fire nous pond une belle box, The Days Of Wine And Roses/40th Anniversary Edition.  

             Les boxes, parlons-en. Il en pleut de partout. Les labels s’imaginent que tout le monde il est riche, il est gentil, alors c’est un vrai déluge. Des fois, tu t’en sors avec un billet de 50, comme c’est le cas avec le Syndicate, des fois il sortir un billet de 120 pour les boxes de Stax ou des Beach Boys, et là, on ne rigole plus. Le problème, ce n’est pas de les payer - tu peux finir le mois en bouffant des pâtes - mais de trouver le temps de les écouter. Tu as par exemple une box Del Shannon avec 12 disks. 12 ! Les bras t’en tombent et les oreilles aussi. Les 2 boxes de Stax c’est pareil, ty va ou ty vas pas ? Si ty vas pas, tu vas culpabiliser, tu vas te dire que tu passes à côté d’une montagne de coups de génie, de révélations extra-sensorielles, tu te racontes des tas d’histoires pour t’encourager à te jeter à l’eau, et tu parviens héroïquement à te calmer en reportant l’opération au lendemain. Mais si par malheur tu attends trop et que tu y reviens deux mois plus tard, tu vas voir le prix de ta box flamber : les revendeurs n’hésitent plus à doubler les prix, car ils savent que des gros malades crèvent d’envie de les avoir. Tout est là. Les avoir. Si on pouvait créer une internationale des gros malades et bloquer les commandes pendant un an, on ferait chuter les prix. C’est un peu le même plan que l’internationale des petits voyous : si tous les petits voyous du monde se tenaient la main pendant un an et cessaient de braquer des banques ou de voler des bagnoles, ils mettraient toute la faune de la répression au chômage, les flicards, les juges, les avocats et les matons. Allez hop ! Tout le monde chez Pôle Emploi ! Mais comme le temps des utopies s’est achevé au XVIIIe siècle avec la fin de la flibuste, il n’est plus permis de rêver, et l’internationale des gros malades n’existera jamais, alors les prix vont continuer de flamber et tu verras tes boxes de Stax dépasser les 200 euros avant la fin de l’année. Franchement le jeu n’en vaut pas la chandelle verte.

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             Par contre, la box du Syndicate vaut la chandelle. Et même doublement la chandelle. Non seulement tu ne perds pas ton temps à écouter les quatre disks qu’elle te propose, mais tu vas traverser de jolies phases d’excitation. Tu vas comprendre à quel point Steve Wynn et Karl Precoda s’enracinaient dans le Velvet. Sur le disk 1, tu as bien sûr l’album avec un son boosté qui te fend le crâne si tu l’écoutes au casque, mais tu as aussi le Down There EP sur lequel se trouve «Sure Thing», du pur jus de Velvet. Tu crois entendre «White Light White Heat», exactement le même power, le Wynner chante comme le Lou, exactement la même ambiance, avec le beat hypno imparable. Encore pire : «Some Kinda Itch», avec des chœurs qui battent la bretelle, c’est balayé à la wild craze du Velvet. Tu retrouves cette brûlante merveille sur le disk 3, une version live grattée à la Méricourt, et cette fois, le Wynner et son équipe s’embarquent dans le train fou du 13th Floor, fast and furious, et ça redevient vite Velvetien. Comme dans X, c’est le beurre qui tient tout. Le Wynner fait son Jean Gabin et conduit sa loco folle au firmament du rock le plus éblouissant. Apoplexie garantie. Le Wynner hurle comme un malade. On l’avait encore jamais vu dans cet état. Tu en retrouves une autre mouture live sur le disk 4. Ce qui est effarant, c’est que chaque version est différente, et c’est la raison pour laquelle elles sont toutes là. Le «Some Kinda Itch» enregistré à Tucson en 1982 est complètement 13th Floor. Même vitesse, même orgie de son, le Wynner et ses Syndicalistes n’en finissent plus d’outrepasser les conventions patronales. Le Preco devient fou, un vrai CGTiste, Some Kinda Itch sonne comme Son-of-a-bitch. Wild as fuck. Les versions live permettent de voir ce que le Syndicate a dans la culotte. C’est très instructif. Le Wynner : «‘Some Kind Itch’ was Roxy’s ‘Editions Of You’ kind of rewritten.» Le disk 3 propose une version live de «Sure Thing», et cette fois, ils renouent avec le chaos de «Sister Ray». C’est vraiment pas loin, bien dans l’angle, et live, le Sure Thing est encore plus vénéneux. Franchement, on est ravi de pouvoir entendre le Syndicate casser la baraque. Tiens, encore un «Sure Thing» live sur le disk 4, enregistré à Resada, Californie, en 1982. Le Wynner l’annonce ainsi : «This is San Francisco psychedelia, Quicksilver, Blue Cheer.» Faux ! C’est du pur Sister Ray. Boom badaboom !

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             Retour à l’album proprement dit. Il se met en branle avec «That’s What You Always Say». Le Wynner a déjà du power, il sonne comme un artiste complet, il est bien en place et le Preco vient envenimer les choses. Leur son n’a pas pris une seule ride en 40 ans. «That’s What You Always Say» est toujours aussi balancé et fondamentalement rock. Disons que c’est leur cut le plus classique. Live, il passe toujours comme une lettre à la poste. Comme sur tous les grands albums, on a ses chouchous. «When You Smile» en est un. Bizarrement, la version de l’EP est plus dense, comme noyée de disto. On en trouve une version live sur le disk 4 : Preco la noie de feedback, ah la brute ! C’est lui qui mène la sarabande, il rôde dans le son comme un fantôme. Et si Karl Precoda était l’un des plus grands guitaristes de rock américain ? On est vraiment tenté de le croire. L’autre chouchou, c’est bien sûr «Then She Remembers», fast and wild, pur jus de no way out. Le son est d’un raw qui dépasse les normes ! Les poux ont des dents. Preco dévore le rock, les dynamiques sont demented, ça splurge de partout, et le beurre fait foi, comme dans X. Fais gaffe, la version live qui se trouve sur le disk 3 va t’envoyer au tapis. Ils ont décidé de renverser le gouvernement, le Wynner te cisaille les colonnes du tempe vite fait et le Preco se contente de hanter les ruines, avec la malveillance d’un fantôme d’Écosse. Ambiance Sister Ray, une fois de plus. La version live du disk 4 est encore plus Punk’s not dead. Le Syndicate sait défiler ventre à terre et ne pas garder la tête froide.

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             Le grand chef-d’œuvre Syndicaliste, c’est «Halloween», écrasé par le poids terrible des accords, et le Wynner conduit sa manif vers la victoire à coups de descentes d’accords géniales. Elles sont même historiques. Tous ceux qui ont écouté «Halloween» à la parution de l’album ont henni de plaisir charnel. Cette descente au barbu est devenue l’emblème du Syndicate. Ils t’équarrissent le rock au grand jour. Sur le disk 4, tu as une version live d’«Halloween» complètement demented, car dévorée vivante par Precoda le prédateur, il crache le feu de Dieu, il plonge dans les abysses inconnues, il joue ce qu’il faut bien appeler un solo miribolant de pharaonisme et le Wynner chante à la Lou. Le temps d’un «Halloween», le Syndicate devient le maître du monde. Et puis bien sûr, le morceau titre, «The Days Of Wine & Roses», wild as fuck. Cette fois, ils sonnent comme les Saints, c’est explosif, faussement maîtrisé, visité par des vents de poux investigateurs et battu si sec ! Saluons Dennis Duck, le frère de Donald.

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             Un cut comme «Definitely Clean» se noie un peu dans la masse de l’album. Le Wynner le joue juste au dessus de la surface, à l’apanage des alpages, c’est monté au tapapoum et aux grattes cinglantes et tu les vois s’emballer dans la course, mais c’est la version live du disk 4 qui révèle la vraie nature de ce cut : pur power Syndicaliste. Le Wynner tape l’«Until Lately» au just show how wrong you can be et au bo bo bop bop, et derrière l’affreux Preco gratte sa slide. Ça se termine en pétarade de modernité arrosée d’harp et d’excelsior. La petite bassmatiqueuse Kendra Smith chante «Too Little Too Late». Dommage qu’elle ne soit pas à son avantage sur les photos.  

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             Le disk 2 propose des démos et des répètes. On voit qu’en répète, ils sont extrêmement précis. Kendra Smith chante son «Too Little Too Late» d’une voix grasse et humide. Ils ont énormément de son, comme le montre «Is It Rolling Bob?». Ils en abusent, pour le bien de nos oreilles. On a vraiment l’impression d’être dans la pièce avec eux. On croise bien sûr quelques inédits, comme «A Reason». Precoda est all over the sound et ils amènent ensuite «Like Mary» à un niveau immédiatement supérieur, ils savent créer du climax, c’est très impressionnant. Très Velvet dans l’esprit. Leur «Unknown Song With Lyrics» est encore du pur Velvet. Ce sont les accords de «Sweet Jane». Ils sont en plein dedans. Ils font aussi une version de «Some Kinda Itch» et Precoda explose un «Open Hour» demented, complètement saturé de poux, il joue dans tous les coins. L’«Open Hour» va devenir «John Coltrane Stereo Blues». Franchement, on va de surprise en surprise !

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             Et pour finir, quelques covers, dont un beau «Road Runner» live sur le disk 3 - Bip Bip ! - Bel hommage à Bo. Dennis Duck le bat sec et net. Sur le disk 4, ils tapent un «Folsom Prison Blues» cavalée ventre à terre, et ils terminent le disk 4 avec une version affreusement heavy de «Piece of My Heart», le hit de Jerry Ragovoy et Bert Berns, rendu célèbre par Janis, mais la version définitive est celle d’Ema Franklin. Le Wynner remonte sa pendule au c’mon c’mon.  

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             Dans ses liners, Pat Thomas indique que les Pixies et Nirvana sont nés des cendres du Syndicate. Il indique aussi qu’il en est à sa 39e année de love affair avec le Syndicate. Chris D. qui a produit The Days Of Wine & Roses indique qu’ils ont torché l’album vite fait en deux jours. Pat Thomas ajoute que cette prod est une non-prod à la Tom Wilson, qui avait enregistré Dylan et le Velvet - A very classic non-production style que vous enregistrez live dans le studio, which is kind of a lost art these days - Chris D. indique aussi que Pat Burnette, le fils de Dorsey, lui a donné un sacré coup de main. Chris D. et Pat Burnette ont aussi enregistré le Gravity Talks de Green On Red. Quand Green On Red, le Gun Club et les Syndicate ont quitté Slash, le label pour lequel bossait Chris D., ils ont perdu leur son. Qui va à la chasse perd sa place.

             This one is for my friend Jacques.

    Signé : Cazengler, Steve wine (cubi)

    Dream Syndicate. The Days Of Wine And Roses/40th Anniversary Edition. Fire Records 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - Robinson Crusoé

             Alvo était plutôt beau gosse. Comme tous les beaux gosses, il avait tendance à en profiter. Ça se traduisait par un réel ascendant sur les gens. Et si tu veux profiter des gens, rien n’est plus indiqué que le business. Comme en plus d’être beau gosse, il était rusé comme un renard. Alvo aurait pu vendre un lave-linge à un dromadaire, si l’occasion s’en était présentée. Pas de spectacle plus réjouissant que de voir Alvo à l’œuvre. On le voyait approcher sa proie avec un grand sourire communicatif, s’ensuivaient une franche poignée de main, des formules significatives, puis il sortait un album de son sac, annonçait le prix et attendait la réaction de son «client». Si le «client» toussait, Alvo concédait un petit rabais symbolique. Mais dans la grande majorité des cas, son offre de prix passait comme une lettre à la poste, parce qu’il avait le cran de la soutenir avec un franc sourire. Comment un mec aussi sympa pouvait-il t’arnaquer ? Ça dépassait ton pauvre petit entendement. On a bien sûr entendu par la suite des «clients» se plaindre de «s’être fait rouler». «Mais ce n’est pas si grave», leur répondait-on, pour dédramatiser, «qu’est-ce qu’un billet de vingt comparé à l’univers ?». Ce qui avait le don d’aggraver les choses, car les gens qui se plaignaient d’Alvo n’avaient bien sûr aucun humour. Rares furent ceux qui voyaient comme un honneur le fait d’avoir alimenté le business d’Alvo. Indépendamment des questions d’amour-propre (personne n’aime se faire rouler), c’était une sorte de privilège que d’évoluer dans l’orbite de ce virtuose de la vente. Il fallait juste essayer de dépasser les a priori. C’est comme lorsqu’on franchit un col de montagne, on découvre ensuite une vallée. Et Alvo, c’était ça, une vallée. Chez beaucoup de gens, notamment chez les beaufs, la vallée n’existe pas. Chez Alvo, la vallée était luxuriante, elle s’étendait à l’infini, il suffisait juste de comprendre que son rapport aux gens passait par le biz, et puis une fois que tu avais compris ça, tu accédais à la vallée. Alvo a disparu, mais le souvenir de la vallée reste extrêmement présent.

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             Pendant qu’Alvo t’ouvrait le chemin de sa vallée, Alvin créait sa légende avec une poignée de singles. C’est exactement la même image. Le seul album d’Alvin Shine Robinson qu’on puisse se mettre sous la dent est une compile Charly qui s’appelle Shine On. C’est un album recherché, et pour cause : il est excellent, et au dos de la pochette, John Broven signe les liners. Broven nous rappelle qu’à la différence des autres stars de la Nouvelle Orleans, Robinson est allé faire carrière à New York et sur la West Coast. Ses premières amours sont le «hard, hard blues», Ray Charles et Jimmy Griffin, des Griffin Brothers. Quand il apprend à jouer de la guitare, il joue dans les orchestres de Joe Jones et Lee Dorsey.

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             C’est l’époque où deux grands producteurs de la Nouvelle Orleans se partagent le marché : d’un côté Allen Toussaint pour Minit, et de l’autre Dave Bartholomew pour Imperial. Bartholomew produit des hits à la chaîne pour Fatsy, Snook Eaglin, Frankie Ford, Earl King, Robert Parker, Huey Piano Smith, Shirley & Lee et Alvin Shine Robinson. 

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             Mais ça ne marche pas pour Robinson à la Nouvelle Orleans, alors il part avec Joe Jones à New York et enregistre des singles pour les trois labels de Leiber & Stoller, Tiger, Red Bird et Blue Cat. Joe Jones a passé un accord avec Leiber & Stoller et leur a amené les Dixie Cups et «Chapel Of Love». Robinson va décrocher un hit, avec une cover du «Something You Got» de Chris Kenner. Pour Leiber & Stoller, «Downhome Girl» est le meilleur single paru sur Red Bird. C’est en effet un heavy groove cuivré de frais. Le cut phare de la compile Charly est sans le moindre doute «Dedicated To Domino», un fantastique hommage, chanté d’un ton bonhomme et bienveillant - The fat man from the very first song - Alvin Shine Robinson est un universaliste : il couvre tout. Encore de la fantastique présence dans «How Can I Get Over You», un super slow groove que chante Robison au far out, so far out. Il ramène tout le power du heavy groove dans «Bottom Of My Soul». Alvin Shine blows it right ! Et voilà l’excellent «Let The Good Times Roll» d’Earl King. Il en fait une version mythique, bien heavy, à l’upper-cutting, quasi hendrixienne. Sur une petite photo au dos de la pochette, on le voit gratter une Strato. Mine de rien, cette compile est un gigantesque album de Soul. On l’entend sonner comme Ray Charles dans «Wake Up (And Face Reality)», puis il sonne comme Fatsy avec «They Said It Couldn’t Be Done». Tiens, voilà encore du pur jus de New Orleans avec «Baby Don’t Blame Me», c’est très black, chanté avec toute la générosité du grand peuple noir. Tout est bien sur cette compile. On voit avec «Pain In My Heart» qu’il aime le «hard, hard blues»

    Signé : Cazengler, pour qui robinsonne le glas

    Alvin Robinson. Shine On. Charly R&B 1988

     

    The Memphis Beat –

     Le mur d’Andria

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             Autre petit book hautement recommandable : Waking Up In Memphis, d’Andria Lisle et Mike Evans. Ils proposent, sous forme de chassé-croisé, un panorama de la Memphis scene, en partant des légendes du blues pour remonter jusqu’aux tenants et aboutissants de la scène garage contemporaine. Mike Evans nous rappelle que Rufus Thomas vient d’une autre époque, celle du fameux Rabbit Foot Minstrel Show itinérant qu’il rejoignit en 1927. Il était forcément vieux lors du fameux Wattstax qui eut lieu en août 1972 à Los Angeles. Puis Rufus commença à bâtir sa légende au weekly Amateur Night sur Beale Street au début des années 40. C’est là que des gens comme Rosco Gordon, Johnny Ace, Bobby Blue Bland et B.B. King firent leurs débuts. On payait Rufus 5 dollars pour faire le présentateur et il le fit pendant 11 ans. On l’a peut-être oublié, mais Charlie Musselwhite vient lui aussi de Memphis. Charlie rappelle qu’il est né dans un coin paumé - a smack dab - du Mississippi, à Kosciusko et qu’il a grandi à Memphis, avant d’aller à Chicago bosser comme les autres dans les usines. Dans son quartier, le jeunes blanc-becs bossaient pour percer, notamment Johnny et Dorsey Burnette qui vivaient sur Manhattan Avenue, et Cash qui vivait sur Tutwiler, a block north. Andria Lisle nous rappelle que la révolution se fit grâce aux radios qui échappaient à la ségrégation. Et l’un des pionniers fut bien sûr Dewey Phillips avec son Red Hot And Blue Radio Show. Et comme le dit si bien Dickinson dans ses mémoires, tous les blancs pauvres (Carl Perkins, Cash, Charlie Feathers et Jerry Lee) ont appris à jouer avec des nègres. Appelons ça la victoire de l’art sur les préjugés racistes.

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             Evans et Lisle reviennent bien sûr sur l’épouvantable fin de Stax, mis en banqueroute en 1975 par des petits fournisseurs. La même année, Al Jackson est abattu chez lui. Et quelques mois plus tard, l’Union Planters Bank fout Stax en l’air pour défaut de paiement et vend le studio 10 $ à une organisation religieuse qui va laisser pourrir le bâtiment. Quand Jim Jarmush tourne Mystery Train dans les années 80, on reconnaît le bâtiment à l’abandon. Et quand en 1989, le film sort sur les écrans, le bâtiment est rasé. C’est dire la haine de cette communauté de rednecks pour les blacks qui réussissent. Ils ne leur ont pas laissé la moindre chance. Al Bell craignait même pour sa vie, et Jim Stewart, coupable d’avoir pactisé avec le diable, c’est-à-dire les nègres, va finir sa vie complètement ruiné. On se croirait dans un roman de William Faulkner. La pathos est toujours plus tragique dans le Deep South.

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             Et puis voilà Hi, just down the street from Stax, au 1320 South Lauderdale. Avant de s’appeler Hi, le label s’appelait the House Of Instrumentals et Willie Mitchell y jouait de la trompette, accompagnant le Bill Black Combo, dont font partie Reggie Young et ‘Yaketty Sax’ Ace Cannon. Puis c’est l’époque des pionniers du Plantation Inn, un club de West Memphis, de l’autre côté du fleuve, et tous les jeunes blanc-becs de Memphis viennent s’y encanailler : Steve Cropper, Duck Dunn, Jim Dickinson et Packy Axton. Toujours les mêmes. Le groupe de Willie Mitchell est à leurs yeux the pinnacle of cool. Puis Willie bosse pour un label nommé House Of Blues avec les 5 Royales et Roy Brown. Il va ensuite bosser pour Ray Harris chez Hi et il monte son house-band, the Hi Rhythm Section, avec les frères Hodges. Il commence à développer un son et met la batterie au cœur des backing tracks. Et c’est parti : OV Wright, Bobby Blue Bland, et ça explose avec Ann Peebles, puis Al Green que Willie a découvert dans un club du Texas, épisode magique que relate minutieusement Al dans son autobio, Take Me To The River. Quand arrive l’incident du dos brûlé, Al Green passe plusieurs mois à l’hosto et se plonge dans la bible où il découvre qu’un homme ne peut pas servir deux maîtres, autrement dit, il doit choisir entre servir Dieu et servir Willie Mitchell. C’est là qu’il décide de se séparer de popa Willie. Un jour qu’il se balade sur l’Elvis Presley Boulevard, Dieu lui indique la direction de Whitehaven, une banlieue populaire. Il roule sur Hale Street et tombe sur une vieille église en bois abandonnée. C’est là, lui dit Dieu, que tu vas devoir fonder The Full Gospel Tabernacle et y prêcher la parole sacrée. Le Révérend Green y chante et y danse depuis des années. Quand la messe est dite et qu’il a salué les fans venus y assister, il remonte dans sa silver Rolls garée devant l’église. Le gospel est comme le blues, à l’origine de tout. Mike Evans rappelle que Sister Rosetta Tharpe et Aretha sont originaires de Memphis.

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             Tout aussi religieux, voici Uncle Sam, âgé de 79 ans, qui semble lui aussi prêcher la parole sacrée, parlant les bras en l’air : «I liked all the gutbucket stuff, the deep Mississippi hollers and hymns. Then Elvis came into the studio. I was looking for the common denominator, and he was it. I couldn’t classify him as black, or country, or pop and that fascinated me.» Puis le lève le poing au ciel : «The spirit of Elvis Presley will never go away.»

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             Billy Lee Riley se souvient d’avoir grandi avec ce qu’il appelle the old gutbucked blues. On n’entendait pas de blues à la radio, mais des vieux nègres le jouaient ici et là, au coin des rues. Billy Boy rencontre ensuite Slim Wallace et Jack Clement, deux bidouilleurs qui ont monté un studio dans le garage de Slim, sur Fernwood Street. Ils l’ont tout naturellement baptisé Fernwood studio. Comme ils montent un label (Fernwood Records), ils demandent à Billy Boy d’être leur premier client. Ils enregistrent deux cuts et Jack Clement amène les bandes chez Sun pour demander à Uncle Sam de lui fabriquer un acetate. Quand Uncle Sam entend «Trouble Bound», il propose un deal à Jack pour le sortir sur Sun. Mais il faut un cut rockab en B-side. Alors Billy Boy compose «Rock With Me Baby» et l’enregistre avec Roland Janes (guitare), JM Van Eaton (drums) et JB Bruner (slap). Ces gens-là vont ensuite devenir les Little Green Men, un nom qui sort du «Flyin’ Saucer Rock’n’Roll» que Billy Boy va composer et enregistrer avec eux. Accessoirement, ils vont devenir le house-band de Sun. Ils vont accompagner Roy Orbison, Cash, Charlie Rich, Bill Justis et d’autres gens moins connus.

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             C’est Alan Lomax qui découvre les traces de l’Afrique au bord du Mississippi. Dans The Land Where The Blues Began il dit avoir entendu a tune such as the African Pygmees have played from time immemorial. Eh oui, Otha Turner remonte aux temps immémoriaux. Alan Lomax et George Mitchell ont flashé sur ce bluesman de la première génération qui apprit à jouer du fifre dans les années 20. Otha dit que son père Ollie Evans avait les yeux bleus comme lui. Ollie était un sang mêlé, mi-Chickasaw ou Choctaw, il ne sait pas exactement. Puis il affirme qu’il était à moitié bouc, ce que confirme Jim Dickinson qui le voit en Dionysos.  

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             Mike Evans fait un grand bond en avant avec Big Star et le studio Ardent. Pour lui, Big Star est la Memphis’s answer aux Young Rascals de New York. C’est bien vu, car les deux niveaux culminent sec. Evans dit aussi que Big Star n’a pas vendu beaucoup d’albums, mais ce groupe a eu au moins autant d’influence que le Velvet qui n’en vendait pas beaucoup non plus. Pas de Big Star sans John Fry et son studio Ardent qui va devenir, comme Sun, Stax et Hi, une institution. Fry commence par enregistrer un teenage band nommé Lawson And Four More, assisté de Jim Dickinson. Terry Manning qui joue dans Lawson restera vingt ans durant l’un des fidèles assistants de John Fry.

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             L’autre institution locale, c’est bien sûr American. Chips Moman, qui a roulé sa bosse avec Gene Vincent et Johnny Burnette, finit par jeter l’ancre à Memphis. La grande force de Chips fut d’avoir tissé des liens commerciaux avec des gros labels comme Atlantic, Scepter ou MGM. En 1967, Jerry Wexler lui proposa d’enregistrer le nouvel album de Wilson Pickett. Puis Wexler lui envoie Dusty chérie. Dans leurs books respectifs, Ruben Jones et James Dickerson donnent tous les détails.

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             En remontant encore un peu dans le temps, on finit par tomber sur Tav Falco et les Panther Burns. Tav commença par partager ses concerts avec ses idoles : RL Burnside, Charlie Feathers, Cordell Jackson et Sonny Burgess, qui du coup reprirent tous du poil de la bête, commercialement parlant. Tav n’est pas avare de déclarations : «The Panther Burns are the missing link between the earlier forms of swamp blues’ unbridled howl and the psychological onslaught of the new millemnium. We are essentially the ditch diggers in American Music.» Et il ajoute après avoir salué la comedia del’arte : «The Panther Burns are the last steam engine train on the track that don’t do nothing but run and blow.» Luther Dickinson ajoute : «Si vous dessinez l’arbre généalogique du blues, du garage et du punk, vous revenez forcément aux Panther Burns, et si vous continuez, à Mud Boy & the Neutrons.» C’est selon lui la spécificité du Memphis beat, when you mix crazy hillbillies and crazy black guys together. On ne pourrait rêver d’une meilleure définition du Memhis beat. Luther : «Quand Bobby Ray Watson ramena RL Burnside au studio de Roland Janes, il avait un gros sac d’herbe locale - homegrown Mississippi reefer - et RL avait de l’alcool de maïs, it’s just a crazy combination !» Luther salue ensuite le label Fat Possum et le journaliste Robert Palmer qui surent remettre RL Burnside et Junior Kimbrough d’actualité. Luther Dickinson est un membre actif du Memphis beat contemporain avec les North Mississippi Allstars. Son frère Cody a appris à jouer de la batterie sur un kit que son père avait ramené de chez Stax. Le Zebra Ranch de Jim Dickinson est aujourd’hui devenu un endroit mythique. Luther dit aussi que ses parents lui ont épargné l’école quand il était petit. Sa mère leur apprenait l’orthographe et le calcul. Des artistes locaux comme Tom Foster et Jim Blake venaient leur donner des cours de dessin. Mike Evans salue ensuite la nouvelle vague de garagistes : Monsieur Jeffrey Evans, godfather of Memphis punk, puis Jack Yarber, membre des Oblivians, des Compulsive Gamblers, de Soul Filthy, des Cool Jerks, des Tearjerkers et producteur du premier et seul album des Porch Ghouls, un groupe que composaient Eldorado Del Ray (guitar/vocals), Slim Electro (guitar, ex-Grifters) et Duke Baltimore (drums, ex-68 Comeback). Ils qualifient leur son de ruckus, un terme de slang datant des années 20 qu’on utilisait pour qualifier la musique des Memphis jug bands. Mike Evans salue l’autre tête pensante des Oblivians, Greg Cartwright et son brillant Reigning Sound, dont l’explosive line-up mélange the spirit of Memphis Soul with a 60s pop dynamic and country-boogie edge.  Avec the Reigning Sound, Cartwright dit avoir cherché à évoluer sans perdre ses racines. Pas facile.

    Signé : Cazengler, le con le Lisle

    Andria Lisle & Mike Evans. Waking Up In Memphis. Sanctuary Publishing 2003

     

    L’avenir du rock

    - Deux compiles qui tombent pile

             L’autre jour, l’avenir du rock déambulait dans des halls. Il captait ça et là les bris de conversations qu’émettaient des grappes d’affairés chamarrés. Il s’émerveillait de ce qu’il entendait, ces ribambelles de surenchères et ces défis que certains lançaient à la salubrité mentale, ça affirmait et ça infirmait, ça corroborait et ça ravinait, ça amputait et ça ravaudait, ça pétaradait et ça palabrait, ça pérorait et ça paradait, alors, mu par l’envie d’en découdre, l’avenir du rock intervint pour glisser une strophe sibylline :

             — Non certes elle n’est pas bâtie sur le sable sa dynastie, une strophe à laquelle bien sûr les autres ne pigèrent que couic.

             — De quelle dynastie parlez-vous, avenir du rock ?

             — Mais du Shah d’Iran et ran et ran petit patacon...

             À quoi il ajouta :

             — Car il est possible au demeurant qu’on déloge le Shah d’Iran...

             Alors Raymond la science s’interposa, et, pointant vers la voûte du hall un index vibrillonnant, il s’exclama :

             — Au demeurant il est déjà délogé le Shah d’Iran !

             À quoi l’avenir du rock rétorqua sans délai :

             — Sans vouloir vous offenser, Raymond, votre répartie compte deux pieds de trop !

             Et voyant l’assistance interloquée, il ajouta aussi sec :

             — Qu’un jour on dise c’est fini au petit roi de Jordanie...

             Cette toutânkhamonnerie létale eut pour effet de sidérer les dernière lanternes au point de les éteindre, comme on mouchait autrefois les chandelles. Sentant que le moment était venu de les rallumer, il livra la clé de l’énigme :

             — Que sur un air de fandango on détrône le vieux Franco... Mais il y a peu de chance qu’on détrône le roi des cons !

             L’avenir du rock s’émerveilla. Cette vieille ritournelle de Georges Brassens restait d’une actualité brûlante. Pour rasséréner la troupe déconfite et meurtrie, il ajouta, goguenard, qu’auprès du roi des cons trônait son cousin le roi des compiles.

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             Comme les lecteurs de Vive Le Rock ont été sages, le Père Noël leur a offert une belle compile, Vive Le X-Mess 2023. Cette compile est capitale, car elle montre que la scène anglaise is alive and well, une formule qu’il est difficile de traduire sans la dénaturer, alors ne la dénaturons pas, elle saura se montrer assez explicite. Six coups de génie sur 14 titres, c’est un bon indicateur de tendance. Ce n’est pas qu’on ait besoin de se rassurer, mais de savoir que ça rocke encore à Londres remonte sacrément bien le moral. La révélation s’appelle Voodo Radio avec «Dog». Là tu y es ! I’m a bitch ! C’est le cœur battant du hard trash contemporain. Authentique du ciboulot, archi harsh - You’re a dog/ I’m a bitch - Dommage que les mini-albums soient inaccessibles. Retrouvailles de choc avec Cockney Rejects et «My Heart Ain’t In It», noyé dans le gratté de gras double de Mick Geggus, il a tout le son de London Town, c’est du power pur, il développe incroyablement et passe des solos de power pur. Geggus joue en fondu de génie. Grosse révélation encore avec Eryx London et «Blagger», une vraie voix dans ton cou, le mec chante doucement, il crée une  atmosphère palpable, et ça se développe avec fermeté, ça te rappelle le «Rose Giganta» de Chicano. À la suite, tu as les Smalltown Tigers et «Girl Can’t Help It», des Italiens, apparemment, avec un classic high energy rockalama. Le Tiger chante comme Gary Holton. Cette scène existe encore, ils tentent le coup de vrai truc avec un chanteur fou. Excellent et tellement d’actualité. Vive Le X-Mess est un modèle de résurgence. Les Priscillas font du sucre avarié avec «One Christmas Wish». Janus Stark est amené par Vive Le Rock comme The Next Big Thing, mais il faudra attendre encore un peu, solide c’est sûr, mais rien de plus que ce qu’on sait déjà. Alors voilà le heavy stuff : Larry Wallis et «Meatman (2023 Mix)». On tape ici dans l’extrême onction, le Meatman est le heavy rumble de Notting Hill Gate. Pur genius ! Tu as peu de mecs du calibre de feu Larry Wallis en Angleterre. C’est de l’expurgé, du vindicatif, de l’inénarrable. Ah tiens, voilà les Black Bombers et «The Price». Eux, on y va les yeux fermés. Pas la peine de discuter. Ils cultivent cette vieille énergie de London town, celle des incendies. Les Bombers sont grandioses. Plus power-poppy, voilà Reaction et «Closer Than Most». Power-poppy, oui, mais avec du punch. Extraordinaire démêlé !

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             Et si on parlait d’une compile trop wild ? Elle existe, aussi fou que cela puisse paraître. On la trouve chez Crypt, à Hambourg. Elle s’appelle Searching In The Wilderness, un Op Art de 1986, donc catalogué Mod craze. Mais comme toujours, les bonnes compiles Mod flirtent dangereusement avec le freakout le plus abject, ce que vient confirmer le «But I’m So Blue» des Namelosers. Ces Suédois étaient en 1965 au bord de l’apoplexie gaga-punk, celle dont s’entichaient les Pretties. Les Namelosers sont dans le même trip de dirty blasting, avec en prime un solo crade à souhait. Allez hop, on passe directement au Mod craze avec les Red Squares et «You Can Be My Baby», un hit de 1967, wild British beat chauffé à blanc avec un brin de Mod Craze - One of the most powerful Mod ravers of the sixties - Et pas qu’un brin ! Ils ont récupéré toute l’explosivité des Who et déclenchent des développements inespérés. Tout aussi brillant, voici Sean Buckley & The Breadcrumbs et «Everybody Knows». Une aubaine que d’entendre cette pulpeuse merveille ! On monte encore d’un cran avec The Boys Blue et «You Got What You Want» battu au tribal et wild as super-fuck, c’est littéralement effarant de power ! Jeff Elroy superstar ! Un seul single et puis basta. Terminé. An early incarnation of the Sorrows, nous dit le mec des liners. Encore du wild freakout d’aw aw avec The In Crowd et «The Things She Says», sabré à coups d’harp, c’est somptueux de classe délinquante, pur sonic trash. Pareil, une poignée de singles et à dégager - Roll over The In Crowd and tell Crawdaddy Simone the news ! - Les Outsiders de Willy Tax attaquent «Won’t You Listen» à la fuzz bien sourde. Arrghhh, quelle aventure, c’est sabré à coups d’harp et fuzzillé à ras la motte, avec un solo de génie délinquant. Nouveau coup de Jarnac avec A Passing Fancy et «I’m Losing Tonight», c’est claqué au définitif, à l’adventiste du beignet, c’est pulsé à la boutonnière, ça va chercher la prise de bec, ces mecs-là sont pires qu’Attila. Ce sont des garagistes canadiens. Le mec des liners les compare au MC5 de «Looking At You». On se régale aussi du hard groove fuzzy d’«It Came To Me» des Q-65. Ils s’enlacent comme des serpents autour de l’I’m in love. Et on assiste éberlué au superbe élan de wah-ahah des Golden Earrings dans «Chuck Of Steel». Leur wah-ahah n’est pas facile à expliquer, disons qu’ils traînent les syllabes dans la cavalcade. C’est brillant. Quant aux Snobs, ils shakent l’«Heartbreak Hotel» à la Méricourt, c’est un exploit qu’il faut saluer. Ces mecs portaient des perruques poudrées du XVIIIe siècle, et c’est probablement le guitariste qu’on voit sur une pochette de l’Annie Get Your Gnu de Wildebeests. L’«You’re Holding Your Own» de The Buzz est hallucinant de power ultraïque - logique car enregistré par Joe Meek - et le «Searching In The Wilderness» d’Alan Pounds Get Rich te coupe la chique. 

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             Il existe un album d’A Passing Fancy paru en 1968, qu’on peut aller écouter sur la foi d’«I’m Losing Tonight». On y retrouve bien sûr ce gratté à la menace sourde. Mais le reste du balda n’est pas aussi lourd de sens. Ils font une belle tentative d’envol avec «You’re Going Out Of My Mind» et c’est en B que se planque le reste de la viande : on se régale d’«Island», programmé pour l’obsolescence, suivi d’un «Your Trip» plus heavy, offensif et chaleureusement conseillé, monté sur des heavy chords de carcasses creuses. Ils restent dans la belle heavy pop avec «Little Boys For Little Girls», on s’en pourlèche, la confiance règne, ces Canadiens ont du poids. Ils sont encore terriblement à l’aise avec «Under The Bridge» et restent très polymorphes avec «Spread Out». Ils adhèrent à toutes les surfaces. Ils terminent cet album qu’il faut bien qualifier d’attachant avec «People In Me» et sa petite attaque de revienzy. Tiguili sixties pur et chant gros sabots. Ils auront tenté le coup. 

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             On retrouve aussi le «But I’m So Blue» des Namelosers sur une belle compile parue en 1989, Fabulous Sounds From Southern Sweden. Alors attention, la première série de cuts n’est pas terrible, ils font un choix de covers assez discutable («What’d I Say», «Money») et leur «Around & Around» sent trop l’entente cordiale. On les sent appliqués. La compile se réveille avec «But I’m So Blue», bien saqué du protozozo, battu au beat punk à casquette de Liverpool. Ils font un «Land Of 1000 Dances» bien dirty, ça rue dans les brancards de la fuzz, ils sont enfin réveillés, la fuzz te cisaille les guiboles, la fuzz buzze comme un essaim mortifère. Encore du son avec une cover de «Suzie Q», heavy dumb fuzz de dirt proto. Ils sont encore plus stoned que les Stones sur «Walking The Dog», ils lestent leur Dog de tout le plomb du monde. «Hoochie Coochie Man» est idéal pour des heavy proto-punkers comme les Losers. Ils sont dessus, comme l’aigle sur la musaraigne. Ils finissent en mode downhome protozazou avec un «That’s Alright» complètement fuzzé du ciboulot.

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             Comme les Red Squares nous intriguaient avec leur «You Can Be My Baby», on est allé voir sous les jupes des deux albums parus en 1966, l’album sans titre, et It’s Happening. Comme le succès les boudait, ces Anglais ont émigré au Danemark, et du coup, ils sont devenus des teenage idols en Scandinavie. Ils ont une grosse particularité : une passion immodérée pour les Four Seasons et les Beach Boys. Sur leur premier album, ils tapent une cover d’«I Get Around», mais aussi du «Rag Doll» des Four Seasons. Ces mecs chantent à deux voix, ils sont extrêmement pointus. Ils font une fantastique cover du «Stay» de Maurice Williams, et en B, ils tapent dans Burt avec «Wishing And Hoping». D’autres covers de prestige encore avec «Dancing In The Street» et le People Get Ready» de Curtis. Ce mec Geordie Garriock adore chanter là-haut sur la montagne. Ils terminent avec une superbe compo de Bob Crewe et Bob Gaudio, «Big Girls Don’t Cry», ils tapent en plein dans le mille des Four Seasons, les Red Squares sont des inconditionnels.

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             L’It’s Happening est nettement plus dense. Ils retapent dans le cru Crewe/Gaudio avec «Walk Like A Man», ils tapent dans le haut perché Four Seasons/Beach Boys/Association. D’ailleurs, ils bouclent la B des cochons avec une cover d’«Along Comes Mary», le hit le plus connu de The Association. Ils la tapent au slight return, avec un joli son de basse bien claqué à l’ongle sec. Ils tapent encore dans le cru Crewe/Gaudio avec «Silence Is Golden», ils vont chercher l’éclat de la jeunesse insouciante. Ils tapent aussi dans le «Mr Lonely» de Bobby Vinton qui deviendra «Quand Revient La Nuit» en France. Autre cover de prestige : le «Monday Monday» des Mamas & The Papas : tout l’esprit est là, fidèle au poste et exact au rendez-vous. En B, ils tapent dans le «When I Grow Up» de Brian Wilson, en plein dans l’énergie des Beach Boys. Mêmes démêlés avec la justesse. Ils sont encore plus irrésistibles avec «Kiss Her Good Bye», une compo à eux, et replongent dans le spirit du Smile des Beach Boys avec «Warmth Of The Sun». Tout amateur de grande pop peut y aller les yeux fermés. D’où l’intérêt des compiles qui tombent pile.

    Signé : Cazengler, compilou-pilou

    Vive Le X-Mess 2023. Compile Vive Le Rock 2023

    Searching In The Wilderness. Musiek Express 1986

    Namelosers. Fabulous Sounds From Southern Sweden. Got To Hurry 1989

    Red Squares. Red Squares. Columbia 1966 

    Red Squares. It’s Happening. Columbia 1966  

    A Passing Fancy. A Passing Fancy. Boo 1968

     

    *

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    Un verre c’est bien, trois ne suffisent pas, c’est comme pour les pochettes de disques, vous en regardez une qu’une autre se présente à vous. Cette fois je n’y suis pour rien, je peux nommer le coupable, Paolo Girardi, celui qui a peint la couverture de l’album Lone d’OAK, m’en suis allé illico presto subito expresso bongo admirer ses tableaux. Je vous en ai parlé dans la livraison 631, pas plus qu’Eve devant la pomme je n’ai pu céder à la tentation, j’ai même bouffé le serpent, animal very rock’n’roll, une vidéo de rien du tout, trente-cinq secondes, pas le temps de voir grand-chose surtout que Paolo vous bouche la vue car il se rapproche avec son pinceau pour une dernière petite touche, l’a la zique à fond et un super tatouage sur le dos, à part cela sur la toile c’est une pagaille incroyable, le fond est rouge sur l’extrême gauche un mec sur un navire, je le reconnais aussitôt, Pline l’Ancien, un vieil ami, plus jeune j’ai traduit quelques-uns des textes de son Histoire Naturelle, ses écrits sur la Peinture sont indispensables pour tout amateur d’art, bref nous sommes à Pompéi, et gâteau sous la cerise confite,  dessous il est mentionné : ‘’En train de peindre l’artwork destiné à l’album Pompéi de Dark Quarterer’’. Vous connaissez ma prédilection pour l’Antiquité…

    POMPEI

    DARK QUARTERER

    (Cruz del Sur Music / 2020)

              Des vieux de la vieille, ont commencé en 1974 sous le nom d’Omega R, changent leur dénomination en Dark Quarterer en 1980, enregistrent leur premier album éponyme en 1987 (réédité en 2012), en 1988 sort The Etruscan Prophecy (réédité en 2022), faudra attendre 1993 pour War Tears et 2002 pour Violence. Symbols verra le jour en 2008, Ithaca en 2015, Pompei voici trois ans. Groupe de Heavy-rock à leur début ils évoluent vers un metal progressif. Vous l’avez compris ils aiment les grandes fresques mythologiques… Je ne m’attarde pas, je pense que dans un futur proche si une éruption volcanique n’arrase pas la cité médiévale de Provins, j’en chroniquerais quelques-uns.

             Nous avons déjà évoqué Pompei dans notre livraison 561 du 30 / 06 / 2022 en chroniquant l’album An ear of grain in silence reaped du groupe grec Telesterion, nous interrogeant sur la signification des fresques de la Villa des Mystères de Pompéi. Le fait que la ville ait été ensevelie sous les cendres fut une véritable aubaine pour tous les amateurs de la civilisation romaine. Vision très égoïste qui relègue les trois mille victimes de la catastrophe dans la colonne des dommages collatéraux.

             Pompéi et sa voisine Herculanum furent détruites en trois jours automnaux de 79 au tout début du règne de l’empereur Titus qui succédait à son père Vespasien.  Certes au fil des siècles les pillards n’ont cessé de creuser des galeries pour récupérer quelques objets précieux, mais c’est sur la fin du dix-huitième siècle que commença à se former dans ce que l’on pourrait appeler l’imaginaire européen une vision romantique de la disparition de Pompéi. La nouvelle Arria Marcella (1852) de l’incomparable styliste que fut Théophile Gautier et le roman Les derniers jours de Pompéi (1834) de l’écrivain, passionné d’occultisme, Edward Bulwer-Lyton témoignent de cet engouement littéraire qui perdure encore de nos jours. Peinture, cinéma et musique se sont à leur tour emparés de Pompéi, pour revenir au rock nous ne citerons que le Live in Pompei (1971) de Pink Floyd…  L’album de Dark Quarterer s’inscrit dans une tout autre démarche, celle de nous plonger in vivo dans l’ardente fournaise…

    Gianni Nepi : chant, basse / Paolo Ninci : batterie / Francisco Sozzi : guitare /

    Francesco Longhi : claviers.

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    Vesuvio : d’entrée un coup de génie, Dark Quarterer donne la parole au principal protagoniste de la catastrophe, le Vésuve, un remarquable remake de when I awoke this morning, à part que ce n’est pas un pauvre diable qui parle mais un colosse élémental, une puissance dévastatrice, qui s’apprête à se libérer de son long endormissement en expectorant sous forme de lave brûlante, de nuées ardentes, de gaz délétères, l’excessive accumulation de sa force déchaînée. Avertissement sans frais à la fragile humanité. Une intro magnifique, Dark Quarterer, l’on est quelque part entre le rock’n’roll et la musique concrète, un bruit qui sourd telle une source maudite qui surgirait d’on ne sait où, qui grandit qui explose lorsque la voix de Gianni Nepi se fond avec cette espèce de grondement indescriptible d’un tonnerre souterrain qui maintenant se répand et envahit l’espace extérieur, c’est la colère d’un Dieu tellurien qui explose, le volcan parle, l’on entend dans sa voix la terreur des êtres humains soumis à cette intumescence sonore envahissante. Un capharnaüm sonore dont aucun groupe metal se soit à ma connaissance rendu capable, l’on est trimballé, balayé par des blocs cyclopéens, soumis à un effroyable maelström terrestre qui ne ramène rien à lui mais qui vous repousse, semble vouloir vous exiler hors des limites du cosmos. Prodigieux. Welcome to the day of death : il est des choses plus terribles qu’une éruption volcanique, ne pensez pas à une météorite géante qui viendrait percuter notre planète et procéder à notre l’extinction définitive des fragiles dinosaures humains que nous sommes, ce serait l’horreur absolue certes, mais encore rien comparé au tourbillon de la pensée humaine ployant sous la pensée de son propre destin, par ce morceau nous changeons de cercle, nous passons de la concrétude d’un cataclysme à ses abstraites répercussions idéennes par lesquelles nous l’appréhendons, certes nous sommes directement concernés, mais ne nous méprenons pas, ce n’est pas nous qui dominons le monde, c’est lui qui se manifeste à nous. Il se joue de nous, nous sommes descendus d’un cran, sur un cercle inférieur. Cataracte sonore. Ne croyez pas que ce soit grave. Exceptons vos oreilles passées dans un hachoir géant. Non c’est sardonique. Comme ces bandits sardes qui vous regardaient en souriant d’une façon un peu perverse en supputant le plaisir ou le désagrément des cris de porc égorgé que vous pousseriez s’il leur prenait envie de vous occire proprement. Voire salement. Dark Quarterer est gentil, vous laisse exactement huit minutes trente-six secondes pour vous confronter à vous-même.  C’est le Vésuve, cette brute volcanique, qui pose les questions essentielles, il y est pour quelque chose, cinquante pour cent, il l’admet, vous aussi, vous êtes obligés, ce n’est pas lui qui vous a demandé de passer une journée ou toute une vie près de lui, ne vous en prenez qu’à vous-même, le son imite ces bobines de film qui s’enroulent trop précipitamment et si vous ne prenez pas la bonne décision, la pellicule se rompra, c’est ce qui arrive, le gloubi-bulga sonore s’arrête, un couperet de guillotine. Vous sortez de cette écoute concassante, peu fier de vous, la conclusion est simple : ce n’est pas vous qui décidez. L’immortalité n’est pas une option. Panic : vous êtes allé jusqu’au bout de l’horreur de vous-même en vous-même, dans le monde infrangible de la pensée, vous étiez en un espace somme toute protégé, Dark Quarterer vous dévoile l’autre face de l’animal humain, espèce raisonnable et raisonnante, le voici plongé dans la vie, le récit in vivo, vous lance dans la situation, avec tous vos congénères. Le texte parfaitement documenté s’appuie sur les découvertes in situ analysées et reconstitués par les vulcanologues et les archéologues. Cris et hurlements, un immense bulldozer sonore vous court après, à toute vitesse, personne n’y échappera, remue-ménage infernal, un caterpillar monstrueux pousse vivants et cadavres dans les portes de l’enfer, nul n’y échappera, ni les riches, ni les pauvres, ni les avares, ni les malotrus, ni les vieux, ni les enfants, ni les femmes, nul ne sera épargné, le chant de Gianni Pepi se transforme en plaintes d’horreur infinie, il se tait les pierres tombent et s’entassent partout, quelques survivants ont encore la force de clamer leurs douleurs, pas d’échappatoire possible, l’horreur culmine dans un silence lourd et apaisé, un piano vous joue un adagio pour votre repos éternel. Le combat pour la vie a cessé faute de combattants.

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    Plinius the elder : jamais un 33 tours face A / face B n’a été aussi bien partagé. Les trois premiers morceaux vous ont peint la catastrophe du début au final, du réveil à la fin de la destruction totale de la ville et de ses habitants. Les trois derniers titres se penchent sur les destins individuels de trois personnes. Le nom de la première a traversé l’Histoire, Pline l’Ancien, écrivain renommé, mais il occupa de hautes fonctions militaires notamment en Gaule et en Germanie, au moment des faits il est le préfet (commandant) de la flotte de Misène située près de Naples, averti par des messages optiques, l’important panache de ‘’ fumée’’ et un message de secours de Rectina, une amie chère, qui habite près de la catastrophe, il se précipite avec un navire. Ne pouvant aller plus loin il se réfugie chez un ami aux abords d’Herculanum. Il mourra asphyxié par les nuées ardentes. Tous ses détails sont rapportés par son fils (adoptif) Pline le jeune. (Ne le cherchez pas sur la couve, il a été coupé, la faute au format trop large). Intro fracassante. Pline doit prendre des décisions. Tempo haletant, Dark Quarterer romantise à outrance la relation de Pline et Rectina, notre commandant vole à son secours, tumulte dans une conscience, risquer sa vie, lui le Chef de la flotte, ses proches le retiennent en vain. Arrêt brutal, Chopin l’amant de George Sand est au piano, les sentiments qui unissent les deux amants sont ainsi révélés, ce court espace de tendresse est vite dévoré par la pression instrumentale de l’orchestre et des évènements, Pline court à sa perte, musique martiale, mais se bat-on contre le destin, un dialogue d’âme à âme se crée entre les deux amants portés par la voix suraigüe de Gianni Nepi. Arrêt brutal. Roméo mort ne rejoindra pas sa Juliette. Pour la petite histoire Retina survivra à la catastrophe. Gladiator : n’y avait pas que des empereurs, des sénateurs, de célèbres généraux et de riches familles chez les romains. La foule des anonymes était nombreuse. Après Pline, Dark Quarter se penche sur une profession pour le moins ingrate, sur laquelle notre modernité a beaucoup phantasmé. A preuve Gladiator le film de Riddley Scott. Cliquetis d’épées et de tridents, brouhaha de foule déchaînée, pare les coups, en porte quelques autres, n’en pense pas moins dans sa tête, ça tourne et ça vacarme encore plus que dans l’arène, l’a la rage, non pas contre ses adversaires, contre lui-même, contre sa vie sans but, contre cette existence solitaire qui le mord tel un chien enragé envers lui, qui s’accroche, dont il ne peut se défaire, coups dans les combats, bleus dans son âme meurtrie. Malgré la tonitruance de son monde il rêve d’une vie simple et tranquille avec femmes et enfants, le bruit devient encore plus fort, plus violent, à croire qu’il ne vient pas de lui, il est en plein combat, des clameurs s’élèvent, l’on souhaite sa mort, il n’est plus là, son âme est un oiseau blanc qui monte au-dessus de la mêlée. L’œuf du monde ne délivre son prisonnier qu’une fois que de lui-même il ne se soit entrouvert et cassé. Forever : cette fois ils sont deux, le couple primordial et anonyme, cent millions de fois répliqués, ce que Pline et Retina n’ont pas réussi, le réussiront-ils ? : un monde de douceur, pianos et cordes vibrantes, la voix de Gianni Pepi se fait féminine, ils sont réunis, l’un contre l’autre, ils ne sont pas inconscients, ils ne sont pas dupes de la situation, ils en ont la prescience, la musique devient tonnerre, parfois elle s’alanguit pour aussitôt se métamorphoser en un torrent tsunamique auquel personne n’échappera, ils ont beau semblant de faire comme s’ils étaient sur un île magique hors du temps, ils savent qu’ils n’échapperont pas à leur sort, ce n’est pas qu’ils se  mentent, des chœurs s’élèvent, comme de géants pétales de fleurs protectrices qui se referment sur eux, et se taisent, quelques notes de piano cristallines et puis plus rien, malgré leurs cadavres ont-ils réussi à gagner l’Olympe des Dieux éthériens, Silence. Ont-ils vaincu ? Ont-ils été vaincus ?

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             Je n’ai cité que Gianni Nepi, mais sachez que tous, du début à la fin, n’ont cessé de produire ce bruit sourd et tumultueux de plaques tectoniques qui sous la fragile écorce terrestre de l’orange bleue sur laquelle nous vivons s’entrechoquent et qui un jour finiront par nous détruire. Prodigieux.

             Du coup je m’attaque à Ithaque :

    *

    ITHAQUE 

    Lorsque tu te mettras en route pour Ithaque

    Forme le vœu que se prolonge le voyage

    Fertile en aventure et riches en découvertes.

    Ne redoute ni les Lestrygons où les Cyclopes

    Et ni Poseidon le farouche.

                                                             Jamais

    Tu ne verras rien de pareil sur ton chemin

    Et tes pensées demeureront nobles, si ton corps

    Et ton esprit sont abimés de purs émois.

    Les Lestrygons et les Cyclopes, l’irascible

    Poseidon, tu ne les rencontreras point,

    Si dans ton cœur tu ne les as portés

    Et si ton cœur ne les suscite devant toi.

    Souhaite que la course soit lointaine

    Et que nombreux soient les matins d’été

    Où tu verras – avec joie et délices ! –

    Des ports de mer connus pour la première fois.

    Fais escale dans les comptoirs phéniciens

    Pour t’y fournir de marchandises précieuses :

    La nacre, le corail, l’ambre, l’ébène,

    Les arômes voluptueux de toute sorte,

    Le plus possible d’arômes voluptueux.

    Parcours maintes cités égyptiennes,

    Et va t’instruire, va t’instruire chez les sages.

    Garde toujours Ithaque en ta pensée :

    C’est là qu’est ton ultime rendez-vous.

    Mais surtout ne te hâte point dans ton voyage.

    Mieux vaut qu’il se prolonge des années

    Et que tu rentres en ton île en ton vieil âge

    Riche de ce que tu gagnes en chemin

    Sans espérer qu’Ithaque t’offre des richesses.

    Ithaque t’a fait don du beau voyage.

    Et tu ne te serais point mis en route sans elle.

    Ithaque n’a plus rien à te donner.

    Bien que pauvre jamais elle ne t’a déçu.

    Devenu plein d’expérience et de sagesse

    Tu sais enfin ce qu’une Ithaque signifie.

                                                             Constantin Cavafy

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    Constantin Cavafy (Cavafis selon une transcription plus moderne). Né en 1863 an Alexandrie, mort en 1933 en Alexandrie. Ce petit fonctionnaire sans histoire, est l’un des plus grands poëtes grecs. Lui qui n’a eu de cesse d’évoquer le présent au regard de l’historialité de la Grèce est le fondateur de la poésie moderne grecque et de sa langue poétique. Il n’a écrit qu’un seul recueil de poésie sobrement intitulé Poèmes. De son vivant il ne fit circuler que quelques rares feuillets de cette œuvre à laquelle il consacra toute son existence, elle fut seulement publiée après sa mort. Une centaine de pièces magnétiques, elles attirent et elles éblouissent, elles sont comme des diamants dont les cassures étincellent d’autant plus fort qu’elles éclairent le théâtre d’ombres de la grandeur perdue de la Grèce antique, de l’accommodation humaine à ses désirs et à ses faiblesses, du retrait des Dieux. Cette œuvre, si fascinée de sa propre beauté intérieure et par celle de la chair extérieure, n’en a pas moins une haute portée métapolitique que nos contemporains préfèrent ignorer. Il est sûr que son implication s’avère brûlante.

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    Pour moi, il est plus qu’un frère, une pierre angulaire, un compagnon de combat poétique.

    Ce poème de Cavafy, suivi de cette très courte présentation, n’est pas par hasard puisque Dark Qarterer revendique s’être inspiré de ce poème de Cavafy pour :

    ITHACA

    DARK QUARTERER

    (CD Metal On Metal Records / 2015)

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    The path of life : ce premier titre ne traite pas directement de la chaotique existence d’Ulysse à laquelle il n’est fait allusion à la fin du texte que par une métaphore marine. Profitons-en pour vanter la qualité des lyrics, le Sombre Equarisseur sait écrire, très peu d’approximation dans leurs couplets. Ce sentier de vie évoque la vie de chacun de nous, il est construit comme une œuvre à part entière, un véritable poème symphonique qui se suffit à lui-seul. L’on sent que par cette œuvre que le groupe atteint à une maturité dont peu de formations de black metal mélodique à vocation épique peuvent se vanter. Ici pas d’emballements de grosses caisses ni de cisaillements électriques, le morceau se présente comme un de ces tableaux qui s’imposent à la vue, il est nécessaire de le contempler longuement pour en détacher les détails et comprendre comment chacun s’inscrit et participe de l’affirmation de l’ensemble. Imaginez une toile monumentale qui représenterait la mer, rien que la mer, pas une île, pas un rocher, pas un navire, pas un être humain, seulement une cavalcade de vagues monstrueuses et de creux abyssaux, une image de fureur poseidonique qui court sur vous, qui vous obligerait presque à reculer tellement cette immobilité mouvante s’apprête à déferler sur vous et à vous emporter vous ne savez où. Amusez-vous à comparer avec Le poème de l’amour et de la mer d’Ernest Chausson, il évoquera une mer vue du rivage, ici vous comprenez ce que signifie cette expression grecque de mer amère, même si chacun empli d’une joyeuse impatience se hâte de porter à sa bouche ce liquide sacré au goût de crottin des chevaux de Neptune. La performance vocale de Gianni Nepi est à souligner. Night song : Pénélope endort son garçon, l’eau des rivages d’Ithaque clapote, le bébé pleure, elle déroule le destin de celui qui s’appelle Ulysse, tout en douceur, Nepi est prodigieux de tendresse maternelle, peu à peu c’est la fureur du monde qui s’invite dans cette berceuse qui se mue en une grandiose symphonie avec chœur, l’on assiste au miracle, non pas celui d’un enfant qui grandit et qui se jouera des éléments et des Dieux, mais d’un simple combo de rock dont on ne sait par quelle subtile alchimie il parvient à transformer son vil plomb en l’éclat d’un or orchestral. Mind torture : grognements cyclopéens, tu deviendras ce que tu auras tué, les Dieux te punissent d’être toi-même, la magie de Circé enveloppe Ulysse, elle le retient prisonnier par ses mirages charnels et son emprise mentale, l’orchestration se partage entre les lourdeurs des actes passés ou présents et la violence avec laquelle tu déchires les lourdes tentures  empesées qui emprisonnent ta pensée, tout se passe dans la tête, le vécu n’est qu’une projection, on le nomme réalité, mais il n’est que l’image de la caméra intérieure de tes désirs. Morceau lourd, emporté, torturé. Ne t’en prends qu’à toi-même. Tempête sous un crâne a dit Victor Hugo. Escape : fuir, là-bas fuir, une course folle, le combo à fond, Nepi qui s’arrache les cordes vocales, l’on ne s’évade que lorsque l’on est devenu soi-même évasion, s’arracher à soi-même, il faut d’abord s’extrader de soi-même pour revenir à soi, l’on est le seul qui puisse forger son destin, énergie nietzschéenne, se surpasser, se dépasser pour être soi explosion mentale, tourments infernaux, s’extraire de sa propre mort, se rendre compte que ce qui nous retient n’est que présence fantomatique sans consistance. Au déchaînement intérieur correspond  une explosion orchestrale libératoire. L’angoisse exprimée est si forte que l’on se demande si notre héros ne court pas à sa perte.

     

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    Nostalgie : n’est pas allé bien loin, est tombé de Charybde en Scylla, de Circé en Calypso, elle n’a pas eu besoin de magie, sa beauté a suffi, Ulysse toujours seul en lui-même, il pense, il médite, il combat contre lui-même et cette autre chose bien plus forte, bien plus immense, bien plus dangereuse que lui, tornade orchestrale, voyage au bout de la nuit intérieure, au loin se profile une éclaircie, celui qui dialogue avec lui-même parle aussi avec cette puissance incommensurable que sont les Dieux. Après les errements mentaux se profilent les sanglants combats avec l’au-dehors de la caverne platonicienne. Rage od Gods : combien lourd paraît le martellement des chevaux de Poseidon, l’Ebranleur de la Terre est en colère, son ire tourne au délire, un petit côté pompier dans ces vocaux, le Dieu de la mer sera vaincu, Ulysse ne peut s’en remettre qu’à sa protectrice Athéna, n’est-il pas crédité d’un esprit subtil, le morceau prend à cet instant une dimension épique phénoménale, ce n’est plus Ulysse qui lutte contre l’élément liquide mais les Dieux qui s’affrontent, le morceau s’achève par une longue suite instrumentale échevelée qui vous emporte loin très loin aux frontières proximales de la sphère éthéréenne où l’être humain ne saurait pénétrer. (Félicitations aux musicos). Last fight : l’on entre dans le corridor de ruses et de sang par lequel débute le retour d’Ulysse en Ithaque. Atmosphère sombre et violente, Ulysse le solitaire, Ulysse le démuni, Ulysse tel qu’en lui-même la colère le change, la rage des hommes égale celle des Dieux, l’orgue torturé de Francesco Longhi exprime à merveille ce désir de mort et de vengeance. Le dernier combat n’est pas celui que l’on croit, par-delà ses ennemis c’est à soi-même que l’on s’attaque. Silence. Piano touches enfoncées très fort, guitare toucher léger. Gianni Nepi récite les quatre derniers vers de Cavafy.

             Une œuvre monumentale. Très différente de Pompéi mais d’une beauté égale. Un des plus beaux hommages qui ait été rendu à Cavafy.

    Damie Chad.

    Nota Bene : Il existe sur FB une vidéo : Dark Quarterer Rising for the silence (Pompei : live at Metropolitan) concert enregistré durant la période Covid au bénéfice des Théâtres grecs fermés pour la satisfaction financière des laboratoires pharmaceutiques. Le groupe est sur scène, mais le théâtre est vide… ce qui est un peu frustrant… Se regarde toutefois avec intérêt.

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    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

    26

    J’arrête la voiture devant l’immeuble de Gisèle, d’un coup de Rafalos je fais sauter la serrure. Je m’y attendais, aucune trace d’occupation humaine. Une rapide enquête dans les étages m’apprend que tous les appartements sont vides, suprême ironie, les portes ne sont pas fermées à clef !

    Alors que je remonte dans ma voiture (volée) un homme se précipite vers moi :

             _ Vous êtes un employé de l’entreprise de démolition ?

    La conversation s’avère intéressante. Le bâtiment est inoccupé depuis trois ans. La police vire systématiquement tous les squatteurs, elle a raison : les gens qui s’approprient des biens qui ne leur appartiennent pas me révulsent. Je promets que les bulldozers ne vont pas tarder à arriver.

    27

    Le Chef fume paisiblement un Coronado, il m’accueille avec un sourire :

             _ Agent Chad je présume à votre air dépité que la belle donzelle Gisèle a pris ses ailes à ses aisselles, méfiez-vous des femmes cher Damie, ce sont de sacrées simulatrices, gare aux garces ! Essayons toutefois de résumer la situation. Plus j’y pense, moins il m’apparaît que le service en son entier soit visé. Vous allez au restaurant, le lendemain vous êtes accusé d’avoir assassiné le personnel, vous dormez chez vous paisiblement, vos chiens sont kidnappés, on vous les rend, preuve qu’on ne leur en veut pas, vous liquidez froidement Jean Thorieux et vous tombez dans les bras merveilleusement galbés mais perfides que sa ‘’sœur’’ Gisèle vous a ouverts. Piège fort agréable j’en conviens, méfiez-vous Damie cette façon d’agir est très pernicieuse. Ces gens-là ne veulent pas vous tuer directement, il est évident qu’ils visent à une déstabilisation psychologique de votre personne.  

    Le Chef s’arrête quelques instants pour allumer un nouvel Coronado :

             _ Oui c’est votre personne qui est visée. Pourquoi, nous n’en savons rien, mais vous devez bien le savoir au fond de vous, prenez le temps de réfléchir, toutefois n’oubliez pas que nous n’avons pas de temps à perdre, cette affaire ne me plaît guère, dessous se cache quelque chose d’une nature que je n’arrive pas à discerner, prenez cette après-midi pour méditer sur tout cela. Je vous attends demain matin à la première heure.

    J’avoue que les déductions du Chef m’ont plongé dans la stupeur. Sur le moment je n’ai rien à répondre à une telle analyse.  Je suis sonné. Je me lève en titubant, j’enfile mon perfecto, ce simple geste me ragaillardit, je siffle mes chiens, ils se rangent à mes côtés en aboyant de joie.

             _ Chef, je pars en balade pour réfléchir !

             _ Très bonne initiative, agent Chad, j’espère que vous emmenez votre Rafalos, j’ai bien peur que ce ne soit pas une promenade de santé. Vous êtes dans la ligne de mire !

    28

    Sur la ligne de mire ! Je dois me méfier. Le Chef n’a pas l’habitude de parler pour ne rien dire. Surtout quand il fume un Coronado. Les chiens ont compris, à peine suis-je dans la rue qu’ils disparaissent. Molossito est parti en trottinant devant moi. Au fur et à mesure que je marche Molossa s’est laissé couler derrière moi. Une vieille tactique militaire, protéger ses avants et surveiller ses arrières. Pour le moment je ne sais pas trop où aller, je me fie à mon intuition et au hasard. Et à Molossito qui folâtre à une cinquantaine devant moi. Pourquoi ne pas le suivre, lui au moins il connaît nos ennemis. Je m’aperçois qu’il se dirige vers le centre de Paris.

    Maintenant je m’adresse aux lecteurs qui s’imaginent que je suis totalement perdu. Vous ne connaissez pas les rockers, si vous croyez que ce sont des êtres démunis, déboussolés, au cerveau aussi creux que le gouffre de Padirac, vous oubliez que Rocker rime avec Joker. Toujours un as de pique pointu et acéré comme ces lances des spadassins qui arrêtaient les charges de cavalerie. Bien sûr j’en ai un dans ma manche. Un rocker ne s’en remet pas aux aléas des rencontres. Il va droit vers celui qui lui fournira l’indice dont il a besoin. Molossito a compris, les chiens sont des animaux pourvus d’une intelligence supérieure à la plupart de nos contemporains, il sait très bien qu’il vaut mieux s’en remettre à Dieu qu’à ses saints, au bout d’une heure de marche je comprends qu’il me mène tout droit vers lui.

    Cette fois-ci je m’adresse à mes lectrices qui croient avec émerveillement que Dieu s’apprête à descendre du ciel pour me donner en personne une audience privée, je ne voudrais pas abuser de leur naïve crédulité, certes je suis un super héros, non Dieu n’apparaîtra dans cet épisode de leur série préférée. Toutefois avec cette espèce de zèbre, sait-on jamais !

    De loin je reconnais sa silhouette, pas celle de Dieu celle de l’Eglise Notre-Dame. A peine ai-je posé un pied sur le chantier que trois gendarmes s’interposent. Devant ma carte d’agent secret ils me saluent, tiquent un peu quand mes chiens m’emboîtent le pas :

    _ Laissez, ils sont avec moi conduisez-moi à l’architecte en chef, faîtes vite je suis pressé.

    Les gendarmes m’ont emmené jusqu’ à l’algéco du bureau idoine, m’ont resalué avec déférence et ont tourné les talons.  Monsieur l’Architecte en Chef, n’a pas l’air d’apprécier ma venue. S’il croit m’intimider avec son air excédé et son ton rogue, moi les chefs qui ne sont pas en train de fumer un Coronado, s’il savait ce que j’en pense. Je lui plante ma carte sous les yeux, il blêmit, manifestement mal à l’aise.

             _ Sachez Monsieur l’Architecte en Chef, que hier soir je me promenais à Aulnay-sous-Bois. Je me dois de préciser pour la vérité historique que je n’avais pas emmené mes chiens avec moi.

    Le gars me jette un regard meurtrier.

    _ De braves bêtes, attentives et attachantes, vous pouvez les caresser et même prendre un selfie avec eux, si vous avez des enfants ils adoreront.

    _ Monsieur, je suis très occupé, si vous en veniez au but, s’il vous plaît je ne voudrais pas vous faire perdre votre temps.

    _ Donc je me promenais sans mes adorables toutous, lorsque j’ai rencontré un employé de la mairie qui m’a pris pour un responsable de l’entreprise Les Briseurs de Murailles, c’est lui qui m’a donné le nom, une grosse boîte a-t-il ajouté fièrement, il a même précisé qu’elle participait à la rénovation de Notre-Dame. Je me demandais si vous auriez quelques renseignements relatifs à cette entreprise.

    _ Ah, ce n’est que ça, excusez-moi je croyais que vous étiez un représentant, des Beaux-Arts, ne sont jamais contents. Vous peignez un mur en bleu-gris, il est trop gris, vous le refaites il est trop bleu ! Mais je m’égare, revenons à nos moutons, vous savez plus de trois cents entreprises sont passées sur le chantier, parfois uniquement deux ou trois artisans spécialisés dans des travaux ultra-pointus. Les Briseurs de Murailles, oui ils ont aidé à enlever les échafaudages, ah, oui aussi, trois aussi sont venus pour rafistoler le cadre de La Vierge Marie, que voulez-vous savoir au juste ?

    _ Je n’ai pas trouvé ni le site de leur entreprise, ni leur numéro de téléphone sur le net, si vous pouviez…

    _ Oui, c’est normal, Les Briseurs de Murailles c’est un slogan publicitaire qui leur colle à la peau, il faut chercher à Entreprise Thorieux. Attendez, toutes les boîtes me filent un lot de cartes, au cas où, je les ai dans ce tiroir.

    Le gars ouvre le tiroir de son bureau, j’aperçois un fouillis de bristols de toutes les couleurs, le gars touille durant deux minutes, son visage s’illumine !

             _ Le voilà !

    Et hop, il braque sur moi un revolver. Dans mon dos la porte s’ouvre, ce sont les trois gendarmes’ ils ont beaucoup moins amènes que tout à l’heure.

    • Qu’est-ce qu’on fait Chef ?
    • Un qui garde la porte, deux qui tuent les deux chiens, je me charge de ce fouille-merde !

    J’ai envie de lui demander de me présenter des excuses pour cette qualification infâmante. Je n’en ai pas le temps. Quatre coups de feu retentissent. Je dois être mort. Une voix connue me tire de ma sidération.

             _ Agent Chad, remettez-vous ! A votre air faraud que vous avez tenté de cacher ce matin quand vous êtes rentré au bureau, j’ai compris, vous pouvez faire des cachotteries à vos lecteurs et les promener à travers tout Paris, mais pas à moi. Je vous connais trop. J’ai tenté de vous mettre en garde, vous n’avez rien compris. Je me doutais que vous vous précipitiez dans un piège. Je vous ai suivi. Molossa a été soulagée de m’apercevoir de loin derrière elle. Bon, nous voici avec quatre cadavres sur le dos, dont trois déguisés en gendarmes et un en architecte, entassons-les derrière le bureau. Vite, après cet intermède sanglant jouissif je prendrai le temps d’allumer un Coronado et nous filerons.

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 631: KR'TNT 631 : WAYNE KRAMER / ROBERT FINLEY / LARRY COLLINS / MARK LANEGAN / JOHNNY ADAMS / BILL CRANE / OAK / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 631

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    08 / 02 / 2024

     

    WAYNE KRAMER / ROBERT FINLEY

    LARRY COLLINS / MARK LANEGAN

    JOHNNY ADAMS / BILL CRANE

    OAK / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 631

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    Wizards & True Stars

     - Kramer tune

    (Part Three)

     

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             Stupéfiante nouvelle : Wayne Kramer vient tout juste de casser sa pipe en bois. Stupéfiant, parce que dans Mojo, il annonçait le grand retour du MC5 avec un album et une tournée. Il venait de composer 15 cuts et de monter un nouveau MC5 avec le chanteur Brad Brooks, le bassman Vicki Randle, le guitariste Stevie Salas et le beurreman Winston Watson Jr. - We’re gonna go everywhere. The MC5 is a show band, always was. We’re playing with matches - I want to go out there and burn some stages down - Le pauvre Wayne ne va rien cramer du tout.

             Pour honorer sa mémoire, nous allons désarchiver un texte jadis confié à Gildas pour Dig It!. Ce prétentieux panorama couvrait un vaste territoire : une autobio, la dernière apparition de Wayne Kramer sur scène à Paris en 2018 et quelques films lumineux.

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             À l’âge canonique de soixante-dix balais, Wayne Kramer opère un grand retour dans l’actualité : tournée mondiale d’un MC50 cm3 constitué pour célébrer le cinquantenaire de l’enregistrement du premier album du MC5, parution d’une pulpeuse autobio et tapis rouge dans Mojo avec ce fameux Mojo Interview habituellement réservé aux têtes de gondoles. Certains objecteront que le MC5 est aussi une tête de gondole, oui, mais une tête gondole underground, c’est-à-dire à la cave, avec tous les autres seigneurs des ténèbres. Ceux qu’on préfère. Et de loin.

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             Au temps jadis, personne ne pouvait rivaliser de ramalama fafafa avec le MC5. Wayne Kramer était en outre l’idole de Johnny Thunders et de pas mal de kids à travers le monde. Leur premier album avait pour double particularité de n’être pas double (comme l’étaient quasiment tous les albums live de l’époque, Doors, Cream, Steppenwolf and co) et de ne pas nous pomper l’air avec un solo de batterie. Il reste en outre, avec le Live At The Star-Club de Jerry Lee et No Sleep Till Hammersmith de Motörhead, l’un des plus grands disques live de tous les temps. Par grand, il faut entendre explosif. Le seul mec capable de réinventer une telle pétaudière aujourd’hui s’appelle Pat, l’inénarrable zébulon des Schizophonics. Tous les admirateurs de champignons atomiques connaissent Kick Out The Jams par cœur et se prosternent jusqu’à terre devant le zozo des Schizos, parce qu’il a su reprendre le flambeau avec brio. 

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             On piaffe tous d’impatience de revoir Wayne Kramer sur scène. C’est un peu comme de voir Ron Asheton en chair et en os, l’air de rien, ça redonne un peu de sens à la vie. Pour tromper l’attente, on peut lire le Mojo Interview. La double s’ouvre sur un fantastique portrait de Wayne Kramer : souriant, quasi-iconique, le regard pointé vers le ciel, le cheveu court, la barbe taillée, il offre l’image d’un homme bien dans sa peau, pas trop esquinté. Si on s’écoutait, on lui donnerait une petite cinquantaine. Une autre image le montre assis, tenant dans ses bras la fameuse Strato stars & stripes. Il semble rayonner. Ce mec n’a pas fini de nous surprendre. Il rayonne d’autant plus qu’il vient de se faire retaper : «On m’a installé un corset en uranium sur la colonne vertébrale, des implants dentaires et une prothèse auditive.» Refait à neuf - I’m like the bionic man over here - Brother Wayne vit à Hollywood, ça aide. Il nous explique tranquillement que l’absence du père créa dans sa vie un tel manque affectif qu’il ne réussit à le combler que d’une seule façon : en travaillant dur pour monter sur scène et faire en sorte que les mille personnes présentes dans la salle l’aiment. Il revient rapidement sur son adolescence de fauche et de fight, sur son goût prononcé pour la petite délinquance et sur sa colère qu’il ne contrôlait qu’avec de la dope - It was easier to get loaded than let my anger out - Et tout ça le conduit naturellement à Little Richard. Si Lee Allen fascinait tant Lou Reed, Brother Wayne en pinçait pour le beat d’Earl Palmer et pour la sheer exuberance de Little Richard. Il en pinçait aussi pour la vélocité guitaristique de chikah Chuck. Il enchaîne avec le TAMI show - James Brown and the Rolling Stones were something else - Il savait qu’il ne pourrait jamais devenir un James Brown, mais les Stones, oh yeah, c’était largement à sa portée. Tout cela le conduit naturellement aux rencontres : Rob & Fred. Brother Wayne explique là un truc capital : Rob & Fred étaient les seuls mecs qu’il pouvait fréquenter. On a tous connu ça dans la cour du lycée, l’époque des chapelles de Clochemerle, quand tout le monde se pointait avec des albums de Deep Purple et du Pink Floyd sous le bras. Jamais ceux des Stooges ou du MC5. Communication breakdown. En plus, Rob Tyner est un gosse intelligent et cultivé. Il dessine ses fringues et il sait chanter - Always a step ahead - Il n’y a pas de hasard, Balthazard. Pouf, c’est parti ! Brother Wayne forme Fred à la guitare. Tu joues la rythmique et moi la mélodie, rrright ? Ils bossent sur chickah Chuck comme tous les guitaristes le faisaient à l’époque, les fameux accords rock’n’roll qu’on joue en barré avec le petit doigt alternatif. Pas de guerre d’egos entre Wayne et Fred. Ils bossent leur Detroit Sound en toute impunité. Et comme la clairvoyance leur fait comprendre qu’ils ne sont pas des grands musiciens, ils en arrivent à la conclusion suivante : nous devons inventer quelque chose - That’s where the showmanship of the MC5 came from - Ils inventent le ramalama, c’est-à-dire une bombe atomique, mais une bombe atomique de rêve, celle qui ne ferait pas de mal à une mouche. Et quand cette bombe nous est tombée sur la gueule, on a vraiment a-do-ré ça.

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             D’ailleurs Brother Wayne se montre un peu chatouilleux sur la question de la reconnaissance. Quand un mec qui se croit malin le félicite pour son three-chords rock, ça ne passe pas. Le blast du MC5 va bien plus loin que ce qu’en disent les rois de l’étiquette : il suffit d’écouter la fin de «Starship» pour entendre l’importance du côté expérimental, voire insurrectionnel, the boundary-pushing side, comme l’appelle Wayne, la possibilité d’une île, oui, c’est exactement ce qu’on pouvait ressentir à l’époque, ce groupe ne souffrait pas d’être trop serré dans son jean, il savait s’exploser la braguette à coups de rafales de free. Kick Out The Jams sonnait comme une immense clameur de liberté, de la même façon que Fun House sonnait comme l’endroit qu’on rêvait d’habiter. 

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             Les Beatles et les Stones ? Okay, mais Brother Wayne n’y trouve pas son compte. Le coup du hit pop band ne le branche pas. Grâce à tous ces groupes anglais, il découvre qu’on peut écrire ses propres chansons et donner des concerts, plutôt que de jouer dans des clubs, comme c’est l’usage aux États-Unis. Mais à ses yeux, il manque dans ce phénomène de mode deux dimensions fondamentales : l’artistique et la politique. Il se sentait dans une impasse, à jouer les solos de chickah Chuck et à pousser son ampli dans les orties. C’est là qu’il découvre Sun Ra, Trane et Albert Ayler. Soudain tout s’éclaire. Brother Wayne entre alors dans un kinetic cosmic trip, il donne une forme sonique à ses pulsions politico-artistiques. Merci Brother John ! John Sinclair vient d’entrer dans la danse. Un Sinclair plus âgé et plus cultivé qui, comme Captain Beefheart le fit avec son Magic Band, entreprend de rééduquer ses ouailles, aux plans justement artistique et politique. Tout est dans son livre, le fameux Guitar Army. On peut d’ailleurs définir le Detroit Sound comme un rock d’avant-garde doté d’une conscience politique. Alors que la plupart des groupes étaient managés par des affairistes le plus souvent dénués de tout scrupule, le MC5 eut la chance d’être piloté par John Sinclair. Dans l’interview, Brother Wayne se dit fier d’avoir appartenu à cette génération qui s’est battue contre la guerre du Vietnam et pour les droits civiques du grand peuple noir. Par contre, il se dit inquiet pour l’avenir de son pays, car l’expression ‘conscience politique’ semble avoir disparu du dictionnaire, au profit d’on sait quoi. On ne va pas vous faire un dessin.

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             Mais quand on remet le nez dans les sermons politiques de John Sinclair, on bâille vite aux corneilles. S’il est une chose qui vieillit mal, c’est bien le discours politique enragé des années soixante-dix. Par contre, les actes restent, notamment ceux des branches armées des mouvements d’extrême gauche. Sinclair prônait justement la lutte armée, en fondant le White Panther Party, et il voulait que le MC5 soit la voix de cette révolution urbaine qu’il appelait de tous ses vœux. D’où sa vision d’une guitar army - a raggedy horde of holy barbarians marching into the future, pushed forward by a powerful blast of sound (une horde de barbares célestes entrant dans le futur, propulsée par un gros son) - Si le FBI n’était pas intervenu, nul doute que Sinclair aurait terminé sa carrière à la Maison Blanche. Dans le chapitre Roots qui introduit Guitar Army, Sinclair raconte comment ado il découvrit sa vocation via «Maybelline» et «Tutti Frutti» - There had never been any music like that on earth before - Tous ceux qui ont vécu ça à l’époque le savent : du jour au lendemain, ne comptait plus que le rock’n’roll. Excité comme un pou, Sinclair poursuit : «Tout à coup, on avait Screamin’ Jay Hawkins, Fidel Castro, Billy Riley and his Little Green men spreading the spectrum of possibilities all the way over», des gens qui ouvraient un nouveau champ du possible, un peu comme si Moïse était revenu ouvrir la Mer Rouge pour que tous les kids du monde échappent au joug des pharaons, c’est-à-dire les beaufs - Rock’n’roll was just that, a possibility, a whole new way to go and we jumped into it like there was nothing else for us to do - Oui, ça traçait bien la route - Daddio ! You dig ? We got Bill Haley & the Comets kickin’ out the jams and that’s all we need ! - Sinclair ajoute en outre qu’il ne pouvait y avoir aucun problème avec tous ces blackos de génie - Chuck, Fatsy, Bo Diddley et tous les autres - contrairement à ce que laissait entendre la société blanche bien-pensante qui puait la médisance et l’eau de Cologne - These black singers and magic music-makers were the real freedom riders of Amerika - Il y a de l’ironie dans le propos de Sinclair qui transforme les fils d’esclaves en chevaliers de la liberté. Grâce à John Sinclair, le MC5 entre alors dans la vraie mythologie du black power qui est celle de Trane et des géants du free.

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             Le MC5 devient vite intouchable. Aucun groupe américain ne peut rivaliser avec eux - There was no one that could touch us - Aucun groupe, qu’il soit de Frisco ou de New York, ne veut partager l’affiche avec le MC5 - ‘Cos we would kill them - Brother Wayne rappelle que les Stooges se sont développés dans l’ombre du MC5. Les deux groupes partageaient tout, les disques, les copines, les spliffs, les repas, les jams, absolument tout. Les Stooges sont le baby brother band. Wayne rappelle qu’Iggy avait alors une vision très claire de ce qu’il voulait faire, et les Stooges veillaient à rester strictement anti-intello. Chacun son territoire. Space is the Place pour le MC5, I’ve been dirt but I don’t care pour les Stooges.

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             Et puis tout s’écroule après les trois albums. Brother Wayne perd ce qu’il a de plus cher au monde : son groupe, c’est-à-dire la prunelle de ses yeux. Alors pour survivre, il se plonge corps et âme dans la dope - Just get loaded - Réflexe terriblement classique. Mais plutôt que de devenir un pauvre camé à la ramasse, Brother Wayne décide de devenir une star dans le milieu, un mix d’Arsène Lupin et de big dealer. Il en veut à la terre entière, au music-business, il voit le monde interlope des voyous comme le vrai monde. Il crache sur l’ancien, celui des gens normaux - What was good was for suckers - Il leur laisse leur fucking normalité et entre en clandestinité. Il développe même un cynisme à toute épreuve et trouve toutes les raisons de se féliciter quand il vide un appart ou un magasin. Kick out the jams motherfuckers ! Il ne croyait pas si bien dire, à l’époque où il gueulait ça sur scène, en chœur avec Brother Rob. Et petite cerise sur le gâteau, il se sent mille fois mieux depuis qu’il est passé à l’héro. Moins fatiguant que de monter un groupe et de répéter ! C’est d’ailleurs le problème de cette fucking dope - You can feel better automatically - Et quand il se fait poirer pour trafic de coke, on lui annonce le tarif : quinze piges. Fin de la rigolade. Mais comme il a oublié d’être con, il prend ça avec philosophie. Il sait qu’il a tout fait pour que ça finisse mal. Tu joues tu perds. C’est la règle. 

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             Rassurez-vous, il ne va tirer que deux piges. Au ballon, il feuillette des canards et voit des photos des Ramones. Ça le fait marrer, car les Ramones ressemblent tous les quatre à Fred Sonic Smith. Il retrouve la liberté en 1978 et décide de ne plus toucher aux drogues. Une bonne résolution qui ne tient pas longtemps, car la première chose qu’il fait est de monter Gang War avec Johnny Thunders. Il vient aussi jouer à Londres, invité par ses frères de la côte Mick Farren et Boss Goodman.

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             Après dix ans d’errance et de petits boulots, la mort de Brother Rob en 1991 le réveille brutalement. Brother Wayne se dit qu’il lui reste encore 20 ou 30 piges à vivre et qu’il vaut mieux essayer d’en faire quelque chose. Des disques, par exemple. Et en 1995, il démarre grâce à Brett Gurrewitz d’Epitaph l’enregistrement d’une série d’albums exceptionnels. Brother Wayne se sent en forme et il pense qu’il doit l’excellence de sa condition au fait d’être resté pauvre pendant vingt ans - Imagine que le MC5 ait continué et soit devenu le premier groupe de rock américain : il est certain qu’aujourd’hui je serais mort - Dans ce monde-là, le blé veut dire la dope. Mais quand Bob Mehr lui demande pourquoi il n’a pas choisi un mode de vie plus calme, Brother Wayne lui répond qu’il ne peut pas raisonner ainsi - That’s speculating on a level I can’t get to - C’est comme de demander à l’âne Aliboron ce qu’il pense du bleu de Prusse. Ou à Jésus ce qu’il pense des clous. Vous obtiendrez la réponse que vous méritez.

             Brother Wayne indique aussi que la reformation du DTK/MC5 avec Michael Davis et Dennis Machine Gun Thompson ne s’est pas bien passée, car de vieilles tensions sont remontées à la surface. Brother Wayne ajoute que grâce au web, le MC5 n’a jamais été aussi populaire. Incroyable ! Il est le premier à s’en émerveiller. Qui aurait pu penser ça en 1973, quand le groupe a explosé en plein vol ? Brother Wayne se réjouit de penser que les gens dans le monde entier vont venir le voir rejouer sur scène un album de cinquante ans d’âge.

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             L’autobio de Brother Wayne parue cet été ressemble à un passage obligé, un de plus. Comme dans le cas du Nolan book de Curt Weiss, on pourrait penser que la messe est dite depuis un bon bail, mais non, rien n’est jamais aussi déterminant que la parole des principaux intéressés. Ceux qui ont lu Total Chaos ont pu le remarquer : ce big fat book n’a de sens que parce qu’Iggy raconte lui-même son histoire. Les histoires des mecs fascinants sont comme chacun sait forcément fascinantes.

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             La première chose qu’on remarque, c’est le titre : The Hard Stuff - Dope, Crime, The MC5, And My Life Of Impossibililites. Pas mal, non ? Dans le Mojo Interview, Brother Wayne explique qu’avec son livre, il veut étendre le propos, sortir du rock, revenir à l’humain - a more human path - pour fuir les clichés et surtout transmettre quelque chose qui soit utile. Il laisse les clichés à ceux qui manquent tragiquement de moyens - I wanted to write a book that was broader than rock music - Mais rien n’est plus difficile que de revenir à l’humain. Pour ça, il faut s’appeler Houellebecq ou Cioran, et non Kramer. Le pauvre Brother Wayne confond l’humain avec son nombril. C’est dramatique, et tellement américain, en même temps. Il consacre deux bons tiers de son récit à raconter ses démêlés avec l’addiction. On se croirait dans le cabinet d’un psy. La detox ? J’y arrive ! Oh zut j’y arrive pas ! Mais pourquoi ? Pas de père ? Ah ça c’est embêtant ! Brother Wayne nous raconte dans le détail sa conso d’héro, de vodka, de coke, de malabars et de carambars. Un tout petit peu de sexe, mais pas trop, allons allons, nous ne sommes pas chez Steve Jones. Avec cette marée tourbillonnaire de regrets éternels, Brother Wayne nous emmène aux antipodes de la révolution et de John Coltrane. On espérait une sorte de grandeur, un souffle révolutionnaire et on tombe sur de l’humain, oui, mais pas n’importe lequel : du trop humain. Le PMU de la rue Saint-Hilaire grouille de Brothers Wayne. Et curieusement, c’est peut-être ce qui nous rapproche d’un brave mec comme lui. Le fait qu’il ne sache rien faire d’autre que de parler de lui. Et comme toujours, c’est lorsqu’il évoque les autres qu’il devient intéressant et qu’on commence à l’écouter attentivement. Le cœur de l’autobio, et probablement de sa vie, est sa rencontre avec un certain Red Rodney, derrière les barreaux du Club Med de Lexington, dans le Kentucky.

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             Brother Wayne prend soin de préciser qu’on enfermait essentiellement à Lexington les gens qui trempaient dans la dope, utilisateurs comme dealers. Il sait que de nombreux géants du jazz ont séjourné à Lexington, car il a vu des partitions écrites sur les murs de la petite pièce qui jouxte la scène, dans la salle de spectacle. Ses collègues lui annoncent un jour qu’un certain Red Rodney va arriver - The legendary jazz trumpeter Red Rodney - Qui ? Mickey Rooney ? Non Red Rodney, you dumb fuck ! Brother Wayne apprend que le Red en question a joué avec Benny Goodman, Gene Krupa, Woody Herman et des tas d’autres gens qu’on ne connaît pas. Red remplaça même Miles Davis dans le Charlie Parker Quintet. Brother Wayne s’attend donc à voir arriver un grand black charismatique aux bras couverts de trous de seringues, mais non, Red est un petit cul blanc, la cinquantaine, assez corpulent, presque rose, surmonté d’une touffe de cheveux rouges - Danish jew, he told me later - Brother Wayne a du mal à gagner sa confiance, même s’il se présente à lui comme guitariste. Red garde ses distances, en vieux renard du ballon. Alors Brother Wayne le prend pour un snob. Et puis un jour Red vient le trouver avec sa trompette sous le bras et un cahier à la main. Il lui demande :

             — Tu sais lire la musique ?

             — Euh oui...

             Red ouvre son cahier. Ce sont des partitions.

             — Okay then, let’s play this one. A one ! A two ! A three !

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    ( Charlie Parker _ Red Rodney )

             Brother Wayne accompagne Red en grattant les accords de la partoche. Il en bave des ronds de chapeau - The changes came fast and furious - Quatre accords dans la mesure, tempo enlevé, et Red joue la mélodie. Quand c’est fini, Red dit : «Good, you can play.» Brother Wayne est fier d’avoir réussi son examen. C’est là que débute leur amitié. Ils deviennent copains comme cochons. Alors Red commence à se confier et à raconter ses aventures de trompettiste de jazz à New York dans les années quarante et cinquante, les tournées avec Charlie Parker sur le fameux Chitlin’ Circuit. Bird le surnommait alors Chood et l’obligeait à chanter un blues chaque soir - And I ain’t no singer - Clint Eastwood demanda conseil à Red lors du tournage de Bird et lui demanda même de participer à l’enregistrement de la bande originale du film. Brother Wayne découvre que Red est une sorte de mémoire vivante de l’histoire culturelle et musicale américaine - He was hipper than hip, cooler than cool - Brother Wayne se met à l’admirer intensément, au point de lui consacrer un chapitre entier de son autobio. C’est le cœur battant du livre. Red refait l’éducation musicale de Brother Wayne, lui inculque des notions d’harmonie et de composition. Retour à l’école, mais cette fois avec un vrai maître. Ils montent un jazzband et jouent chaque dimanche à Lexington. Ils sont même autorisés à jouer à l’extérieur. Évidemment, la dope coule à flots à Lexington, comme dans toutes les taules du monde et un jour Red demande à Brother Wayne de l’aider à se shooter, car il n’a plus de veines - Red had no veins left - Comme la grande majorité des jazzmen, Red has a lifetime of shooting up. Eh oui, il a fait ça toute sa vie. Et quand Brother Wayne lui demande pourquoi il est revenu à Lexington, alors Red doit remonter dans le temps...

             Il vivait peinard au Danemark, marié à la responsable du Danish library system. Il recevait sa méthadone chez lui par courrier. La belle vie. Au début des années 70, George Wein les engagea lui et Dexter Gordon pour une tournée américaine. Pour être à l’aise et ne pas être obligé de se ravitailler en tournée, Red acheta deux kilos de raw morphine base à un copain qui était à la fois fan de jazz et gros dealer de la mafia. Red mit le paquet dans sa valise et en arrivant à JFK, les chiens le reniflèrent. Red était repéré. Filature. La brigade des stup défonça la porte de sa chambre d’hôtel au moment où il prenait son premier shoot new-yorkais. Son avocat plaida l’usage et non le deal, alors le juge compatit et colla trois piges dans la barbe de Red, alors qu’il risquait beaucoup plus gros. Mais pour Red, retourner au trou était au-dessus de ses forces. Comme il était libre sous caution, il prit l’avion et se tira vite fait au Danemark. Pendant quelques années, le gouvernement américain demanda son extradition, mais comme Red était danois, pas question. En plus il faut savoir que dans ce pays merveilleux qu’est le Danemark, on ne considère pas l’usage de dope comme un délit. Un jour que Red se trouvait tout seul chez lui, on sonna à la porte. Deux gorilles de l’ambassade américaine lui expliquèrent qu’une nouvelle loi venait de passer, qu’il n’était plus poursuivi et qu’il devait signer un document. Red flaira l’embrouille et demanda à aller chercher ses lunettes. En voulant s’enfuir par la porte de derrière, il tomba sur un troisième gorille qui le braquait avec un 9 mm.

             — Alors, mon gros, tu voulais te faire la belle ?

             Cette ordure tira deux fois, bahm, bahm, une balle dans chaque cuisse. Ils jetèrent Red dans un van et l’emmenèrent à l’American Air Force base. Puis un avion le transporta directement à New York. Ça s’appelle un enlèvement. Red baisse son pantalon et montre à Brother Wayne les deux grosses marques rouges sur ses cuisses : les trous de balles. Arrivé au Bellevue Hospital, Red dut attendre neuf heures avant de voir un médecin. Dans l’aile du Bellevue où il était enfermé, il vit des gens salement amochés, tous kidnappés par les agents du DEA partout dans le monde. Quand il repassa devant le juge, il prit six mois de plus pour délit de fuite. Mais son avocat Edward Bennett Williams se leva lentement et prit soin d’informer le juge que le gouvernement américain avait blessé et kidnappé un citoyen danois vivant au Danemark, en violation de toutes les lois internationales. Juridiquement, il s’agissait d’un cas indéfendable. Maître Edward Bennett Williams demanda donc au nom de son client Red dix millions de dollars de dommages et intérêts. Voilà toute l’histoire du retour à Lexington. Le procès intenté par Red et son avocat contre le gouvernement suivait alors son cours.

             Un an plus tard, alors qu’ils se promènent dans la cour, Red annonce à Brother Wayne qu’on lui propose la liberté immédiate s’il renonce à ses poursuites.

             — Qu’en penses-tu, Wayne ?

             — Appelle ton avocat.

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             Évidemment, l’avocat conseille la fermeté : tiens bon Red ! Six mois plus tard, Brother Wayne sort du trou. Puis il apprend que Red a été libéré un peu après lui. Installé à Manhattan, Brother Wayne appelle son vieux poto pour prendre de ses nouvelles - He was doin’ pretty well ! - En effet, Red s’était acheté un bateau, une maison en Floride et une autre dans le New Jersey. Il avait obtenu trois millions de dollars cash du gouvernement pour boucler le dossier et fermer sa gueule. Red pouvait donc rejouer du jazz, quand il voulait et avec qui il voulait. Red va mourir en 1994, d’un cancer du poumon, à l’âge de 66 ans - He was my mentor and a father figure for me. Le père que Brother Wayne n’a jamais eu. Il rend aussi hommage à Red dans «The Red Arrow», un fantastique blaster qu’on trouve sur l’album Adult World paru en 2002. Écoutez-le et vous verrez trente-six chandelles.

             Ce qui est extraordinaire, dans ce chapitre, comme d’ailleurs dans le reste du récit, c’est qu’on croit entendre cette voix qui nous est familière, si on connaît ses excellents albums solo : débit oral très longiligne, avec un timbre assez doux, presque le ton de la confidence. Des grandes chansons autobiographiques comme «Snatched Deafeat (From The Jaws Of Victory)» ou politiques comme «Something Broken In The Promised Land» font de Brother Wayne un conteur né, mais il semble plus doué à l’oral qu’à l’écrit. Il semble nettement plus à l’aise dans le format sec et net d’un couplet que dans l’enfilade au long cours d’un livre de 300 pages. La distance du livre lui permet toutefois de rappeler ses grandes passions, high-powered drag racing machines (les dragsters) and loud music, le nom du MC5 choisi parce qu’il sonnait comme le nom d’une pièce détachée (Gimme a 4-56 rear end, four shock absorbers and an MC5), le fameux TAMI Show qu’il va revoir plusieurs soirs de suite dans un drive-in et où il découvre les Stones et James Brown, Bobby Babbit, l’un des grands guitaristes de Motown auquel il achète sa première vraie guitare (une sunburst Gibson ES-335), Michael Davis qui l’initie aux drogues (He had lived in New York for a couple of years and knew all about drugs), l’Hendrix d’Are You Experienced, John Sinclair, bien sûr, avant la brouille, Danny Fields, qui soutient le MC5 au moment de la shoote avec Elektra et qui se fait virer comme un chien pour ça, et puis bien sûr les drogues dont il raffole et qu’on croise à toutes les pages, jusqu’au methadon maintenance program qui lui permet de quitter ce parcours du combattant qu’est la vie de junkie - Sick of needles, sick of being broke, sick of lying and hustling - Il ne supportait plus les seringues, la dèche permanente, le mensonge et l’arnaque. Il préfère les opiates du bon docteur. Brother Wayne revient aussi le temps d’un chapitre sur le second désastre de sa carrière (après celui du MC5), Gang War, pour rappeler que cet épisode n’avait pas de sens et que la musique was not much of a consideration. Il aime bien Johnny, mais bon, ce n’est pas si simple - Johnny was not an evil guy but he was also just not the kind of guy who was going to get clean and join a gym (oui, Johnny n’était pas le mauvais bougre, mais il n’était pas non plus du genre à se remettre en état pour aller faire du sport) - Un soir, Johnny choure la caisse d’un club où doit jouer Gang War. Comme le convict Kambes/Kramer sort du ballon et qu’il est encore sous contrôle judiciaire, il ne veut pas y retourner à cause des conneries de Johnny. Il ordonne donc à Johnny de rendre le blé avant que le patron n’appelle les flics. Fin de l’épisode Gang War. Brother Wayne arrête les frais. Dommage, on aurait pu avoir de très beaux albums dans nos étagères. Il faut se contenter de l’existant, qui est sorti sur Skydog. Ce n’est déjà pas si mal.

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             Ce livre grouille d’infos intéressantes sur le MC5, bien sûr, comme l’épisode du renommage. À l’instar de Captain Beefheart, Ricky Derminer rebaptisa tout le groupe, à commencer par lui : il devint Rob Tyner, en l’honneur de McCoy Tyner. Wayne Kambes devint Wayne Kramer, Fred Smith devint Fred Bartholomew Smith (Fred se rebaptisera Sonic plus tard), Dennis Toumich devint Dennis Machine Gun Thompson et Michael Davis Mick Davies, mais pour une minute.

             Entre sa sortie de Lexington et son retour aux affaires, Brother Wayne va rester une bonne dizaine d’années sans jouer. Il s’installe en Floride, puis à Nashville et devient charpentier. Il se marie avec une nommée Gloria et Mick Farren assiste à la cérémonie. Mais au fond, il n’est pas très heureux à construire des maisons pour ceux qu’il appelle des rich motherfuckers. Alors il boit comme un trou. En plus, il voit sur MTV tous ces groupes incroyablement inférieurs au MC5 et qui se goinfrent comme des porcs - The MC5 could have eaten them for breakfast - Et puis le jour où il apprend la mort de Rob Tyner, c’est le déclic. La mort de Rob, c’est la mort de son rêve de jeunesse, auquel il avait consacré la meilleure partie de sa vie. Il le croyait encore possible - Someday it will all turn right - Un jour viendra... Voilà enfin le grand Wayne Kramer, le kid de Detroit à vocation prophétique : «The MC5 would all be great friends again, and we’d rock this MTV generation into a new sonic dimension with the most advanced, hardest-rocking, most soulful music ever heard. We’d usher in a new movement of high-energy music, art, and politics that would break all the old restrictions and power us into the future. (Alors on serait à nouveaux des vrais potes dans le MC5 et on enverrait la génération MTV valser dans une nouvelle dimension avec le rock le plus inspiré et le plus insurrectionnel jamais imaginé, une nouvelle dimension faite de rock, d’art et de politique high-energy qui défoncerait tous les barrages moraux et qui nous projetterait tous dans le futur).» La vision de Brother Wayne fait bien sûr écho à celle de John Sinclair, mais on sent nettement la force de son désespoir : rien n’est pire que la mort d’un rêve. Alors Brother Wayne se reprend, et dans un éclair de lucidité, il comprend qu’on meurt deux fois : la seconde mort est la vraie, celle qui nous attend tous à un moment donné. La première mort est celle de sa jeunesse. Il accepte d’enterrer ses rêves et monte un plan : quitter Nashville pour s’installer à Los Angeles et redémarrer sa vie de rocker. Pourquoi Los Angeles ? C’est là que se fait le business. Brother Wayne veut faire ce pourquoi il est né : kicker les jams. Les albums Epitaph, tous sans exception, sont chaudement recommandés. C’est donc le retour du fils prodigue, qui comme Johnny Thunders et Iggy se voit régulièrement traiter de godfather of punk. Aujourd’hui, on devrait plutôt l’appeler the papy of punk, histoire de le charrier gentiment. Oh, il le prendra bien. Brother Wayne est un homme qui connaît la vie.

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             Pour cette gigantesque tournée mondiale (70 dates), Brother Wayne s’entoure de vétérans et pour ça, il tape dans le dur, c’est-à-dire le batteur de Fugazi, le guitariste de Soundgarden, le bassman de Faith No More et le chanteur de Zen Guerilla. Il nous rassure en affirmant que les musiciens qu’il sollicite pour cette tournée ont des accointances sérieuses avec le MC5. Arrive le grand soir. Il surgit pile à l’heure sur la scène d’un Élysée Montmartre pas très plein, sa guitare stars & stripes en main, sobrement vêtu d’une chemise bleu marine, d’un jean et de petites bottines noires. On sent surtout chez lui une grosse envie de jouer et c’est parti ! Son enthousiasme est non seulement resté intact, mais il se révèle contagieux. Les roadies lui ont aménagé un passage au long de la scène entre la fosse et les retours et il vient y cavaler de temps en temps. Un vrai gosse ! Il ramone son vieux «Ramblin’ Rose» à la glotte rauque et enchaîne avec un Kick Out qui ne fait pas un pli. Quelle vitalité pour un homme de 70 balais ! Il saute dans tous les coins. Mais le mec qui force encore plus l’admiration, c’est Marcus Durant. Cet extraordinaire chanteur de blues se jette à terre pour l’immense burning down de «Motor City’s Burning». Il frappe les planches du plat de la main pour en accentuer le pathos. Lui et Brother Wayne font bien la paire. La vieille énergie du MC5 réchauffe les cœurs flétris. Dans les premiers rangs, la moyenne d’âge est élevée, ce qui paraît logique. Et comme au concert de Martha Reeves, on voit des gens céder à l’émotion. Brother Wayne et ses amis jouent tout le premier album et complètent avec des choses tirées des deux autres albums, du style «Shaking Street» et «Call Me Animal». Évidemment, «Tonight» fait basculer le vieil Élysée dans le chaos et avant de souhaiter bonne nuit aux vieux pépères parisiens, ils leur balancent en pleine gueule la huitième merveille du monde, «Looking At You».

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             Pour les ceusses qui souhaiteraient pousser le bouchon, il existe une documentation très bien foutue sur le Grande Ballroom qui est le berceau du MC5 et du Detroit Sound : un petit livre de Leo Early intitulé The Grande Ballroom - Detroit’s Rock’n’Roll Palace et son pendant filmique, Louder Than Love : The Grande Ballroom Story. Richement illustré, le petit livre de Leo Early fourmille aussi d’énergie informative. L’Early est allé loin chercher ses infos, jusque dans l’histoire du grand-banditisme juif du Detroit des années vingt. Le mec qui est à l’origine du Grande s’appelle Weitzman. L’Early affirme qu’en comparaison de Weitzman et de son Purple Gang, Capone et son organisation n’étaient que des branleurs. Weitzman possédait déjà le Grande Riviera, d’où le nom du Grande Ballroom. Il aurait approché les architectes à succès d’alors, Agree, Strata et Davis pour la construction d’un ballroom qu’il voulait le plus grand du midwest. À cette époque, le business du divertissement était extrêmement juteux. Le Fox Theater de Detroit proposait 5.000 places assises. Faites le compte : 5.000 places à 1 euro tous les soirs. On parle même de building frenzy dans les années vingt. En 1929, la ville de Detroit ne comptait pas moins de 2.000 salles de cinéma, soit 200.000 places. La famille Weitzman lâcha le Grande en 1964 et un certain Gabriel Glantz le reprit. Mais c’est Russ Gibbs qui va en faire le berceau du Detroit Sound. Comme Sam Phillips, Gibbs commence par travailler à la radio, puis il s’intéresse à l’organisation des concerts. C’est sa came. Quand en 1966 il rencontre Bill Graham à San Francisco, il est fasciné par le savoir-faire du Californien et décide de reproduire le modèle du Fillmore à Detroit - I want to bring music to Detroit in the San Francisco style - Gibbs a surtout flashé sur le stroboscope qu’il ne connaissait pas. Il loue le Grande pour 700 $ par mois à Glantz et commence par recruter les groupes locaux, dont bien sûr le MC5. Mais comme il n’a pas un rond, Gibbs demande au MC5 de jouer à l’œil dans un premier temps. Le groupe installe donc son matériel au Grande et en fait sa salle de répète. Et c’est là que naît la fameuse scène de Detroit qui va révolutionner le monde. Eh oui, les groupes se forment pour venir jouer au Grande : les Chosen Few (avec Scott Richardson, James Williamson et Ron Asheton - après le split, ça donnera SRC et les Stooges), les Prime Movers (avec Ron Asheton à la basse et Iggy on drums), les Bossmen (avec Dick Wagner et Mark Farner - après le split, ça donnera Frost et Grand Funk), mais aussi SRC, les mighty Rationals de Scott Morgan et les Up des frères Rasmussen, trois groupes qui ont bien failli devenir énormes. N’oublions pas les plus connus, les Amboy Dukes, Frost et bien sûr les Psychedelic Stooges. C’est au Grande qu’Iggy invente le stage dive et le stage invasion. Oui, tout ça grâce à Russ Gibbs. L’Early revient aussi sur les fameuses émeutes de 1967 - Motor City’s burning baby - et raconte que Tim Buckley programmé au Grande était coincé à Detroit. La ville était tombée aux mains des émeutiers. En revenant dans le quartier, Gibbs fut épaté de voir qu’on avait épargné le Grande. Il vit passer un gang de kids et leur demanda pourquoi ils n’avaient pas fait cramer le Grande. Ils répondirent : «You got the music here man !» Même histoire que le studio Stax qui sera lui aussi épargné en 68 par les émeutiers après l’attentat qui va coûter la vie à Martin Luther King. Puis Gibbs monte d’un cran et vise les pointures anglaises de l’époque, du style Cream, Jeff Beck Group, Who et Bluesbreakers. Il passe un contrat avec un agent new-yorkais indépendant nommé Frank Barsalona. C’est lui qui organise les tournées des têtes de gondoles anglaises, Beatles, Stones, Who, Yardbirds. Barsalona travaille avec Bill Graham à Frisco et Don Law à Boston. Comme il ne dépend pas des maisons de disques, les profits générés par les tournées vont directement aux groupes. Barsalona ne prend que 10%. Russ Gibbs vient donc le rencontrer à New York et en entrant dans son bureau, il croit se retrouver dans une scène du Goodfellas de Scorsese - Barsalona was a heavy Italian dude - Il appartenait en effet au milieu mafieux new-yorkais qu’on appelle the mob. Russ Gibbs : «Oh yeah, that was the mob !» C’est à Don Was que revient le mot de la fin. Il parle du MC5 et des Stooges - Raw as it was, it always had a groove - Rien à voir avec les autres groupes de l’époque, ajoute-t-il - This stuff was always funky, always had an R&B undertone, number one, and number two, it was, it was always about the feel and not about the technique - Not about the perfection of the delivery - Don Was rappelle que les Stooges et le MC5 ne recherchaient pas la perfection, mais le feeling - It was always, always raw, but it always felt good - Et, conclut-il, «si tu avais ces deux choses, le groove et le feeling, tu étais sûr de ne pas te faire jeter. Si tu entends tellement de mauvais rock aujourd’hui, c’est parce qu’il manque soit le feeling, soit le groove.» 

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             Dans son docu consacré au Grande, Tony D’Annunzio raconte sensiblement la même histoire, mais comme toujours, les témoignages réactualisent le passé plus facilement. Russ Gibbs qui est devenu un vieux monsieur redit sa fascination pour l’endroit - The greatest hard-wood dancefloor in the country - et Brother Wayne rappelle qu’à Detroit, la musique était à l’image de la ville, a rough industrial city in the midwest - What you get is very honest - Et crac, on voit le MC5 sur scène et tout le monde se dit fasciné, Lemmy, Mark Farner. On voit aussi témoigner les autres géants, Dick Wagner, Ted Nugent, Alice Cooper, tout le gratin de la Detroit scene. Il y avait tellement de bons groupes que la barre était placée très haut, rappelle Dick Wagner. Les groupes qui perçaient à Detroit pouvaient partir à la conquête du monde sans aucun problème. Dans l’un des bouts d’interviews, Brother Wayne se souvient d’avoir flashé sur les Who - They had it ! - et il évoque la fantastique débauche qui régnait au Grande - An unbelievable amount of sex at the Grande - Brother Wayne et ses copains avaient installé deux matelas, un sous la scène, et un autre dans un grenier, au-dessus de la scène. Ils baisaient comme des lapins. Ce docu attachant se termine avec un dernier hommage au héros du Grande, Russ Gibbs, free spirit, generous guy.

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             Pas de MC5 non plus sans Danny Fields, évidemment. Tout aussi recommandable, le film de Brendan Toller, Danny Says, raconte l’histoire d’un mec fasciné par les crazy people. Danny a la chance de fréquenter la Factory à la grande époque et d’assister aux débuts du Velvet. Quand on commence comme ça, en général, on est foutu - Nico, Edie Sedgwick, Warhol, le Cafe Bizarre - Jac Holzman crée the publicity department chez Elektra pour Danny et le charge de s’occuper de Jim Morrison. Les fans des Doors trouveront des détails croustillants dans ce docu. Puis Danny découvre David Peel et réussit à convaincre Holzman de sortir l’album. Quand on s’intéresse au Velvet, on finit forcément par s’intéresser au MC5. Danny les voit à Detroit et les veut aussitôt. Brother Wayne lui dit qu’il existe un baby brother band, les Stooges. Danny les voit et les veut aussi. Alors il passe un coup de fil à son boss Jac.

             — Jac, j’ai deux groupes déments ! Le MC5, assez connu et les Stooges, pas encore connus ! Que dis-tu de ça ?

             — Okay, propose 20.000 $ au MC5 et 5.000 $ aux Stooges.

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             Tout est bouclé en 24 heures, les sous et les contrats. John Sinclair se retrouve avec 25.000 $, de quoi payer les dettes et acheter du matériel. On connaît la fin de l’histoire : le MC5 viré d’Elektra, puis les Stooges un peu plus tard. Danny se fait aussi virer d’Elektra. Il devient alors l’assistant de Steve Paul. C’est l’époque de Johnny & Edgar Winter. Comme on le considère comme un découvreur, on le branche aussi sur un groupe de Boston, Aerosmith, oui, bof, ben euh, pfffff... Il laisse ça à d’autres. Danny préfère - et de très très loin - les Modern Lovers.

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    Un peu plus tard, Lisa Robinson lui dit d’aller voir un groupe marrant au CBGB. Ils s’appellent les Ramones. Danny les voit et les veut aussitôt. C’est le coup de foudre. Il leur saute dessus dès qu’ils sortent de scène :

             — Je suis Danny Fields ! Voulez-vous de moi comme manager ?

             — One two three four, okay ! Mais tu nous files 3.000 $, okay ?

             Comme il n’a pas de blé, Danny descend voir sa mère en Floride pour lui emprunter les 3.000 $ et tout le monde connaît la suite de l’histoire - Danny says we gotta go/ Gotta go to Idaho.

    Signé : Cazengler, Wayne Kramerde

    Wayne Kramer. Disparu le 2 février 2024

    MC50. Élysée Montmartre. Paris XVIIIe. 14 novembre 2018

    John Sinclair. Guitar Army. Process 2007

    Wayne Kramer. The Hard Stuff - Dope, Crime, The MC5, And My Life Of Impossibilities. Faber & Faber 2018

    Leo Early. The Grande Ballroom - Detroit’s Rock’n’Roll Palace. History Press 2016

    Tony D’Annunzio. Louder Than Love : The Grande Ballroom Story. DVD 2015

    Brendan Toller. Danny Says. DVD 2017

    Bob Mehr : The Mojo Interview. Mojo #297 - August 2018

    Ian Harrison : Brother Wayne reconvenes the MC5. Mojo # 363 - February 2024

     

     

    L’avenir du rock

     - Finley le finaud

     (Part Two)

     

             Cette semaine, l’avenir du rock se penche sur un étrange paradoxe en forme de fleuve : le fleuve des connaissances. Ce fleuve traverse sa vie. Paradoxal, car comme tous les fleuves, celui-ci le nourrit et emporte tout. Conscience paradoxale d’autant plus aiguë que l’avenir du rock se sait conceptuel, donc surexposé. Autant l’avouer tout de suite : il se réserve la métaphore du fleuve pour les bons jours. Les mauvais jours, il se sent moins à l’aise avec l’idée d’être traversé, et se voit plutôt comme un tube digestif, avec toutes les séquelles habituelles : la brioche, l’anus en chou-fleur, la goutte au nez, le double menton et les poches sous les yeux. Comme il se sait conçu pour être traversé, il engloutit inconsidérément et passe du statut de chroniqueur à celui de coliqueur, du statut de concept à celui de conchieur, du statut de prout-prout cadet à celui d’à Dada-sur-le bidet. Le fleuve des connaissances charrie tellement de charivari que le traversé finit par en perdre la moitié de vue. Un exemple parmi tant d’autres : il visionne un docu sur Little Richard, une certaine Valerie June vient claquer sur scène le sublime standard de Sister Rosetta Tharpe, «Strange Things Happening Every Day» et interloqué, l’avenir du rock se demande d’où sort cette black prodigieuse, alors qu’il chantait ses louages dix ans auparavant sur tous les toits. Il s’oblitère à force d’engloutir, il s’annihile à force de pomper, sa boulimie détache le con du cept, il se raccroche désespérément au cept d’Ottokar, ce croyant raffiné, mais le con l’emporte jusqu’au fond des intestins et il va y stagner en compagnie des connaissances putréfiées qui s’accumulent avant l’expulsion bruyante et odorante. Car tout finit par s’expulser, surtout les fleuves de connaissances. Alors grisé par l’auto-défécation subliminale, l’avenir du rock quitte la position accroupie pour s’envoler comme Nosfératu par-dessus les rivages et jurer par tous les dieux qu’il chantera cent fois les louanges de Robert Finley pour enfin endiguer le fleuve de connaissances.

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             Robert Finley est de retour en ville. Dépêche-toi d’en profiter, car tu ne reverras pas un tel géant de sitôt. C’est même une sorte de responsabilité que d’entreprendre un petit bricolo sur un géant de cet acabit. Le soir du concert, tu vis tellement ça en direct que tu ne sais pas comment tu vas pouvoir t’en montrer digne.

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    Tu as devant toi un vieux black qui frise les 70 balais et qui te donne tout ce qu’il a, sans rien demander en échange. Il te le redit, comme il l’avait fait en 2020, I can feel your pain, et il y a un tel accent de sincérité dans le ton de sa voix que tu le crois sur parole. Mais il y a pire. Tu le vois groover sur scène avec une telle indécence qu’il sort non seulement du cadre de ton petit objectif, mais aussi du cadre de tes conceptions. Il y a du Gargantua en Robert Finley, il y a du Saturne et du Golem en lui... Mais non, c’est trop facile ! Les descendants d’esclaves n’ont même pas ces références, puisqu’on leur a tout pris, alors ils ont dû inventer leurs géants, leur culture et leur grandeur. C’est ainsi que Robert Finley prend la suite de Wolf, de Sly, de Miles, de Muddy, d’Hound Dog et d’Hooky, de Bo et de Chucky Chuckah, il est l’un des géants de cette terre et il crève littéralement l’écran.

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    À soixante-dix balais, il dégouline encore de sexe voodoo, il ondule des hanches et baise les déesses africaines de la fertilité, il collectionne les girlfriends et te régale d’histoires de gators dans les étangs, il te ramène toute la grandeur de la Louisiane dans ton époque numérique appauvrie et facebookée en peau-de-chagrin, my Gawd, si tu n’as pas vu Robert Finley sur scène, ça peut vouloir dire que t’as pas vu grand_chose. Mais tu le verras certainement, car comme les géants, il est invulnérable. Il nous survivra tous.

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             Il tourne son dernier album, Black Bayou. La grosse caisse est d’ailleurs décorée d’un visuel Black Bayou. Il y a un tel buzz autour de lui qu’il se retrouve sur la grande scène. Voilà qu’il rameute les foules ! Comme en 2022, sa fille Christy le guide sur scène et chante deux cuts, pas de problème, comme en 2022, l’«I’d Rather Go Blind» d’Etta James et le «Clean Up Woman» de Betty Wright, elle est fabuleusement douée. Comme on dit par ici, les quins font pas des quas. Robert Finley attaque au «Sharecropper’s Son» et embraye aussi sec sur l’infernal «Miss Kitty», pur jus de black power. Tu le vois s’approcher de toi et boucher tout ton champ de vision, il te remplit l’imaginaire à ras bord, tu as sous les yeux ce que le rock, la Soul et le blues combinés peuvent te proposer de mieux.

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    Il y a du Screamin’ Jay Hawkins en Robert Finley, du raw gut d’undergut, de l’Attila black, du griot aux yeux rouges et du sorcier voodoo aux dents branlantes, de l’Hooky et du look out, il rivalise de raunch pyromaniaque avec The Family Stone, il fout le feu au Black Bayou de la même façon que le MC5 foutait le feu à Motor City, Robert Finley ne descend jamais de cheval, car il n’y a pas de cheval chez les esclaves, juste de l’instinct de survie et la peur du patron blanc, il ne faut jamais perdre de vue ce truc-là : avant d’être la patrie du blues et des riches demeures de Gone With The Wind, le Deep South était pour le peuple noir l’enfer sur la terre. Ils ont réussi à transformer cet enfer en paradis pour les amateurs de musique. Mais à quel prix ! Et le vieux Robert enfile ses hits comme des perles en bois, «What Goes Around (Comes Around)», «Nobody Wants To Be Lonely» où il évoque les nursing homes et le commencement de ses problèmes d’old man, «Sneaking Around», et c’est là qu’il te broie le cœur avec «I Can Feel Your Pain». Il va finir avec le pur sexe d’«You Got It (And I Need It)» et «Get It While You Can» avant de revenir en rappel avec «Alligator Bait» et «Make Me Feel Alright». Prodigieux ! Robert Finley atteint le sommet du lard.

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             Cinq étoiles dans Mojo ! Les Anglais qui ont bon goût ne se sont pas trompés : le Black Bayou de Robert Finley est l’un des grands albums de l’an de grâce 2023.

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    Produit par l’Auerbach, mais on s’en fout, Robert Finley n’a jamais été aussi bon, aussi réel. C’est Kenny Brown, le fils (blanc) adoptif de R.L. Burnside qui joue sur l’album. Et il joue dans tous les coins. On se retrouve en plein cœur du Black Power avec un «Sneakin’ Around» explosif de Staxitude. Le vieux Robert chante son raw r’n’b à l’arrache. Encore énormément de son sur «Miss Kitty». Il chauffe tous ses cuts un par un. Robert Finley est un killah ! Encore du power all over avec «Waste of Time» - Standing on the corner/ Trying to lose my mind - Ça joue heavy derrière lui. Et on passe au demented avec «Nobody Wants To Be Lonely». Il chante ça à l’heavy arrache louisianaise, et ça fond dans les chœurs. Il monte encore d’un cran avec un «What Goes Around (Comes Around)» complètement génial de wait a minute, il faut le voir monter son goes around, il travaille sa Soul-rock au corps. Te voilà de nouveau confronté à l’impact d’une météorite légendaire. Robert Finley est un prodigieux artiste, un pur crack du Goes Around, il y va au what goes up, il est partout dans le son. Tu croises très peu d’albums de ce niveau, très peu de Soul Brothers de cet acabit. Encore un coup de génie avec «You Got It (And I Need It)», heavy groove de choc - And you need what I got - Il faut le voir poser son baby et monter au chat perché. Quel festival ! Tous ces mecs se baladent. Down in the bayou avec «Alligator Bait», il y va au we go for a ride, il sort sa meilleure voix d’alligator, il enfonce tous les vieux crabes, il chante au raw des marécages. 

             Oui, 5 étoiles dans Mojo, c’est rarissime. David Hutcheon emmène son lecteur down the 1-20 jusqu’à Monroe. Il dit qu’on peut y pêcher et y canoter, mais attention aux alligators - A lotta kids got ate that way - Hutcheon sort cette phrase macabre d’«Alligator Bait». Puis il s’en va se vautrer en citant les noms de Tom Waits et de Flannery O’Connor. Il tombe encore dans le panneau avec le fameux Southern Gothic. Robert Finley n’a strictement rien à voir avec le Southern Gothic qui est un truc de blancs tourmentés par la culpabilité et la frustration sexuelle, ravagés par les maladies mentales et vénériennes. Hutcheon essaye de nous faire croire que Black Bayou est du «Southern Gothic expressed through soul music.» Alors après s’être vautré dans son analyse, il ramène l’Auerbach. C’est devenu inévitable. Aussi inévitable que les terrines de Bono et de Costello dans les docus musicaux. Ces mecs-là ne se rendent plus compte qu’à force de citer les mauvais noms, ils gomment celui du principal intéressé. Entendu hier soir au moins vingt fois le nom d’Auerbach dans les conversations. Avant on parlait vaguement du mec des Black Keys. Maintenant, tout le monde connaît son nom. Il finira en couverture de Telerama, ça ne saurait tarder. Lorsqu’on cite trop son nom, le diable finit par paraître. Même chose en politique. Tout le monde cite les noms qui devraient être tus, ça rend les mauvais noms très populaires, et ça devient dangereux. Voilà que se pose un gros problème : on finirait par vouloir nous faire croire que sans l’Auerbach, pas de Robert Finley. Si tu crois ça, tu te fous le doigt dans l’œil jusqu’au coude ! Robert est sur scène et il n’a besoin de personne, surtout pas d’Auerbach, en Harley Davidson. Le géant, c’est-à-dire la superstar, c’est Robert Finley, pas l’autre asticot. Mais l’autre asticot a tellement d’ego qu’il ramène sa fraise partout. En 2022, en papotant au bar avec Robert, il fut bien sûr question de l’Auerbach. Lui disant qu’il y avait trop de guitares électriques dans le yellow album Sharecropper’s Son, il hocha la tête - son premier album Age Don’t Mean A Thing était beaucoup plus intéressant, plus Soul, plus Legal Mess. Cette Soul si particulière qui est celle de la Louisiane. Hutcheon cite aussi Tony Joe White, Booker T & The MGs, et Creedence, connu pour son Born On The Bayou. Dans le petit interview qui suit, Robert dit encore que «Nobody Wants To Be Lonely» est dédié aux vieux qu’on oublie dans les nursery homes, qu’on appelle ici les EHPAD.

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             Dans Soul Bag, le vieux Robert est à l’honneur. Images superbes, avec un portrait d’ouverture en noir et blanc qu’on dirait fait au Leica, ou mieux encore, signé Avedon. Quand on lui demande comment il voit choses quand il chante pour un public qui ne comprend pas les paroles, Robert Finley  dit que c’est une question d’énergie. Ça passe. En plus, il danse, il passe un bon moment, c’est l’essence de son message. Puis il finit par confier qu’il est fier de mettre le même chapeau chaque matin et de constater que malgré le succès, sa tête n’a pas grossi. Il essaye de rester aussi normal que possible. En ville, les gens l’appellent Slim - C’est juste ce bon vieux Slim - Il dit aussi construire un studio chez lui pour offrir aux gens du Nord de la Louisiane une chance de percer. Tim Duffy rappelle dans un petit encart comment il a découvert Robert Finley en 2015, alors qu’il jouait dans les rues d’Helena, en Arkansas. Mine de rien, c’est l’encart qui fait mouche, car Duffy a présenté Robert à Bruce Watson, le patron de Big Legal Mess et de Fat Possum, deux labels ultra-légendaires, et bien sûr Watson a tout de suite mis Jimbo Mathus sur le coup, et là, tu as le real deal : le premier album de Robert, Age Don’t Mean A Thing. La différence avec l’Auerbach, c’est que ni Jimbo Mathus ni Bruce Waltson ne la ramènent. Dans un autre encart, le fils adoptif de RL Burnside Kenny Brown avoue être à peu près du même âge que Robert et que comme lui, il était charpentier. Le mot de la fin revient à Christy Johnson, la fille de Robert, celle qui veille sur lui en tournée et qui n’aime pas trop le voir s’approcher du bord de la scène. Quand on lui demande si elle compte enregistrer un album, elle dit oui, bien sûr, mais pour l’instant, c’est impossible car elle veille sur son père qui vit son rêve, et c’est «beaucoup de travail». Oui, Robert Finley superstar.

    Signé : Cazengler, Robert Filasse

    Robert Finley. Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 27 janvier 2024

    Robert Finley. Black Bayou. Easy Eye Sound 2023

    Frederic Adrian. Bayou de jouvence. Soul Bag N°252 - Octobre Novembre Décembre 2023

    David Hutcheon : Later Alligator. Mojo # 361 - December 2023

     

     

     Rockabilly boogie

     - La raie de Larry

    (Part Two)

     

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             L’ancien marsupilami Larry Collins vient tout juste de casser sa pipe en bois. Il y a tout juste dix ans de cela, KRTNT lui rendait hommage en décrivant, autant que faire se peut, ses bonds sur scène au Town Hall Party. Il en existe trois volumes sur DVD, et certainement autant sur YouTube. Ça vaut vraiment le coup d’aller jeter un œil. Sous ses faux airs de Rusty (celui de Rintintin), ce petit délinquant en herbe passait des solos punk bien avant les punks. Larry Collins était à dix ans une superstar, il grattait comme un con et sautait partout. Un vrai modèle de jeu de jambe et il doublait son mad duck walk d’une ding-a-ling digne de Chucky Chuckah. Il ne fallait pas faire l’erreur de prendre son set pour un numéro de cirque. Larry Collins y croyait dur comme fer et déployait l’une des plus belles énergies rock de l’histoire du rock. À l’époque, on n’avait encore jamais vu ça. En l’examinant, on s’apercevait qu’il avait deux raies, une de chaque côté. Il n’arrêtait JAMAIS de sauter. Il était l’haricot mexicain du rock’n’roll. Il enfilait les duck walks et wild killer solos flash comme des perles. Quand il grattait sa double, il était le roi de la délinquance juvénile.   

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             On ne perd pas non plus son temps à écouter les albums des Collins Kids. Tiens, par exemple ce Town Hall Party paru en 1977. L’album vaut tous les Pistols et tous les Damned d’Angleterre, rien qu’avec l’«Hey Hey» d’ouverture de balda, wild as young fuck ! Ils y vont au til the day I die. Et ils enchaînent avec l’imparable «Whistle Bait», du pur proto-punk juvénile. Rien de plus sauvage en dessous de la ceinture. Avec «Beetle-Bug-Bop», ils font un duo d’enfer, au sens le plus noble de l’expression. Ils boppent comme des diables, avec la classe de Shirley & Lee. Plus loin, tu tombes sur «(Let’s Have A) Party» monté sur un beat rockab. Ils sont merveilleusement frais, ça dégouline de candeur juvénile, puis ils passent à la rockab madness avec «Hop Skip & Jump». Personne ne bat Larry Collins à la course. On aurait tendance à vouloir prendre les Collins Kids pour un gadget. C’est au contraire une affaire très sérieuse.

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             Bear Family fit paraître dans les années 80 deux volumes de Collins Craze, Rockin’ Rollin’ Collins Kids et Vol. 2. Ils devraient trôner dans toute discothèque digne de ce nom, car c’est là qu’éclate au grand jour le génie du teenage Larrry Collins. Tu veux du mad rockab juvénile ? Alors écoute «The Cuckoo Rock» et le «Beetle-Bug-Bop» pré-cité. Ça pulse, c’est frais comme un gardon rockab. Avec «Go Away Don’t Bother Me», ils tapent une grosse ambiance country, et le marsupilami allume sur sa double. Il allume autant que James Burton ! La viande est en B, dès «Shortin’ Bread Rock», un rock’n’roll tapé en mode rockab, c’est assez fulgurant, avec une fantastique pulsion du beat, et un slap qui règne sans partage. Encore du wild cat strut avec «Just Because», propulsé par le slap du diable, c’est même une vraie tourmente de delirium, le slap cavale ventre à terre et Larry te finger-pick tout ça vite fait. On t’aura prévenu : c’est un démon. Suite du festival de wild cat strut avec «Holy Hoy» et «Hot Rod». Ils n’en finissent plus de casser la baraque. Larry te gratte ça au heavy mood, à la Cochran. Pur genius.

             Au dos de la pochette, Larry indique que sa sœur Lorrie et lui sont originaires de Tulsa, Oklahoma - I played a double-necked guitar and they called it «rock-a-billy» - Il ajoute qu’Elvis  l’appelait «his little cat» et qu’Eddie Cochran était son ami - Joe Maphis was «king of the strings» and back-stage, I learned to finger-pick watching Merle Travis. Tex Ritter taught me about life and «Rye-whiskey». Johnny Bond inspired us to be real on stage and off - Il dit qu’à l’époque il avait 8 ans et Lorrie 10. Ça s’appelle une vie de rêve.

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             On retrouve le «Whistle Bait» en ouverture de balda du Vol. 2, cet incroyable chef-d’œuvre de protozozo juvénile. Larry fait sa petite bête de Gévaudan. En B, on retrouve aussi l’excellent «Hop Skip & Jump» slappé de frais et transpercé en plein cœur par un solo dément du démon. Il renoue avec deep rockab beat dans «Move A Little Closer». On l’a remarqué, Larry adore la country et sa version de «Walking The Floor Over You» laisse pantois. C’est gorgé de fraîcheur et de joie de vivre.

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             Pour compléter ce petit panorama, on peut aller écouter sans risque le Television Party paru en 1989. Au dos de la pochette, on voit Larry gratter la double de Joe Maphis. On l’entend faire un festival dans «Chicken Reel». C’est un virtuose, il gratte au hard picking. Il éclate le bluegrass au Sénégal avec «I Was Looking Back To See» et on retrouve à la suite l’infernal «Hot Rod» d’attaque frontale, toujours aussi wild as fuck. Larry fait tout ce qu’il veut, on l’entend gratter comme un démon derrière Lorrie dans «The Wildcat». En B, il s’en va swinguer le vieux «Shake Rattle & Roll». Son toucher de note est exceptionnel. Il drive «Kokomo» au wild guitar slinging et il allume la gueule du «Catfish Boogie» de Tennessee Ernie Ford au heavy rockab strut, une fois de plus. Larry monte sur tous les coups.

    Signé : Cazengler, Larry pot de collins

    Larry Collins. Disparu le 5 janvier 2024

    Collins Kids. Town Hall Party. Country Classics Library 1977

    Collins Kids. Rockin’ Rollin’ Collins Kids. Bear Family 1981

    Collins Kids. Vol. 2. Bear Family 1983

    Collins Kids. Television Party. TV Records 1989

     

     

    Lanegan à tous les coups

     - Part Seven

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             On avait cru pouvoir faire l’impasse sur les deux albums que Lanegan enregistra jadis avec les Soulsavers, un petit duo britannique traficoteur d’electro-gospel-rock, comme disent les étiqueteurs en mal d’étiquettes. Au fond, on se fout de ce que ces deux petits mecs traficotent. C’est Lanegan qui nous intéresse et voilà pourquoi.

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             Parce qu’il reste, même après son cassage de pipe en bois, le plus grand chanteur de rock américain. Tu en as 8 preuves irréfutables dans Broken, un Soulsavers de 2009. T’es sonné aussitôt «Death Bells». Lanegan fait battre le cœur du beat. On appelle ça du génie pulsatif. Lanegan y sonne le tocsin des enfers, il fout le feu et n’en finit plus de le rallumer. Il pleut du plomb sur l’or du Rhin. Lanegan passe au heavy groove de cimetière avec «Unbalanced Pieces», il chante avec l’éclat de la mort, avec l’impondérable. Il est déjà mort, semble-t-il, quand il chante ça, car c’est criant de véracité funèbre. C’est un éclat que tu ne peux comprendre que si tu es déjà mort. Avec «You Will Miss Me When I Burn», il arrive sur toi comme un suaire. La couverture de la mort, tu connais ? Il vibre dans les fibres de ton corps défait. Depuis Baudelaire, nul artiste n’est allé aussi loin dans l’art de la décomposition. Lanegan rend l’hommage suprême à Geno avec une cover de «Some Misunderstanding». Te voilà rendu au maximum de ce que peut t’offrir le rock, une star qui rend hommage à une autre star, et ça splasche all over, et ça repart dans la Méricourt avec la gratte de Rick Warren, cette combinaison des génies te fait suffoquer de bonheur, Lanegan sait ce qu’il fait en choisissant Geno parmi tant d’autres. Cette fois, au lieu de t’emmener au cimetière, il t’emmène dans la stratosphère. Et puis voilà «All The Way Down» qui restera certainement l’un des plus gros hits de Lanegan. Alors qu’il brûle en enfer, il chante la rédemption. Il grave encore un hit dans le marbre, il chante avec les dents dehors, il avance dans la nuit comme le loup des steppes, et ce n’est pas fini, car voilà «Shadows Fall», une nouvelle oraison, il travaille sa maille au corps, Lanegan est un homme du tonneau, il pèse son poids et chante à la voix de poitrine, il reste un fabuleux implicateur d’imprécations, il fond sur le cut comme l’aigle sur Tsi-Na-Pah, il screame son shadow moribond, il s’agit de Lanegan, after all, un homme capable de miracles sépulcraux. Cet album sonne comme une alarme, et pendant que tu te diriges vers la sortie, Lanegan rassemble ses shadows comme des stalactites, my love. Il se fond ensuite sous le boisseau ferroviaire de «Can’t Catch The Train». Il se plie à une évidence laneganienne : can’t catch the train, alors il envenime le groove. Lanegan est un atroce sorcier, il plonge ses mains dans les entrailles du groove, sa victime, et te lit les oracles. Aucun chanteur n’est allé aussi loin dans l’exploitation de la beauté formelle. «Rolling Sky» sonne comme le dernier souffle, aérien et moderne, le cut avance à pas d’éléphant, plus free, une chanteuse s’élance dans le grand foutoir carbonisé, c’est heavy as hell, Hell je ne veux qu’Hell, alors évidemment, Lanegan ramène sa morgue de corps bleu et sa voix vibre dans la mort.     

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             Il a enregistré un autre album avec les petits mecs de Soulsavers, l’inestimable It’s Not How Far You Fall It’s The Way You Land. Inestimable parce que «Ghosts Of You And Me». C’est lui qui fait danser le squelette, dans une ambiance glacée de vents technoïdes. Ah il faut le voir descendre au barbu du cut, en poussant de sourds ouhm ouhm ouhm. Il groove ensuite la messe de «Paper Momey» dans la cathédrale de la mort. Encore un cut épais et sans espoir. Ça explose en gerbes de sang impur, comme dans la chanson de Rouget de Lisle. Lanegan fait de la littérature, alors qu’on le croit chanteur de rock. Il crée encore l’événement littéraire de la rentrée avec «Spititual». Les deux petits mecs de l’electro-gospel machin lui fournissent tous les effets. La voix règne en maître sur cette terre désolée - Jesus Oh Jesus/ I don’t wanna die anymore - Puis il attaque «Kindom Of Rain» au croack de crocodile, il vibre jusque dans les profondeurs de tes chairs. Et il revient au suprême sommet du lard avec «Through My Sails». Il vient même te le chanter au creux du cou. Sa voix dans le bois de Boulogne... On sent encore son odeur dans «Jesus Of Nothing», il rôde dans l’ombre expressionniste d’entre chien et loup, il miaule d’une voix de génie poitrinaire. Il ne demandera jamais pardon pour ses péchés, ce qui fait sa grandeur. C’est tout ce qu’on aime dans le rock, le poids de la mort qui rôde, comme une évidence, alors autant en faire de l’art. Lanegan swingue le beat des squelettes, avec les faux airs malsains de Rosemary’s Baby, il chante d’une voix de Prince des Ténèbres, il est plus vrai que vrai dans ce rôle tant convoité, il reste l’homme au teint blafard qu’on admire encore plus depuis qu’il s’est vidé de son sang, depuis qu’il est enfin un vrai cadavre. Il termine cet album en forme de convoi funéraire avec «No Expectations», take me to the station, Lanegan répand sa magie comme un poison dans tes veines.

    Signé : Cazengler, Lanegland

    Soulsavers. It’s Not How Far You Fall It’s The Way You Land. V2 2007

    Soulsavers. Broken. V2 2009

     

     

    Inside the goldmine –

    Pomme d’Adams

    (Part One)

             Au début, on ne comprenait pas bien ce qu’il cherchait. Il disait s’appeler Adam et se disait originaire du Mali, issu d’une grande famille. Cet homme haut et sec au regard très noir et aux cheveux blancs dégageait une réelle prestance. Le seul hic, c’est qu’il portait la tenue de travail des balayeurs des rues, ce qu’il était effectivement, comme la plupart des Maliens établis à Paris. Il bossait du côté de Belleville et de Ménilmontant. Il disait apprécier notre revue d’art et proposait d’y contribuer. Nous lui offrîmes une bière qu’il refusa. Il voulait juste un accord. Il revint le lendemain avec un dossier de photos. Il étala quelques images sur la grande table. Adam ne disait rien. Les images montraient des fresques peintes sur d’immenses façades et des statues africaines monumentales. Un ensemble stupéfiant. Nous lui demandâmes s’il était l’auteur de toutes ces œuvres et il hocha la tête en signe d’approbation. Mais où se trouvent ces œuvres ? Il retournait les images. Il avait inscrit au dos quelques informations sommaires, un lieu, une date. Là où n’importe quel artiste aurait assommé son auditoire avec des commentaires à n’en plus finir, Adam ne disait absolument rien. On commençait à voir en lui une sorte de griot, ou d’être extrêmement exotique doté de pouvoirs surnaturels. Il gardait ses distances. Il voulait juste savoir si on acceptait de publier ses photos.

             — Mais Adam, il faut qu’on fasse une interview, on ne peut pas passer les photos telles quelles !

             Il fit non de la tête. Il pointa du doigt les légendes sommaires au dos.

             — Ça suffira.

             Il demanda ensuite une feuille de papier et y écrivit laborieusement une adresse au Mali. Il voulait juste qu’on envoie un numéro de la revue à cette adresse pour que sa famille soit informée de son art. Et quand on lui demanda comment titrer les pages qu’on lui consacrait, il répondit :

             — Adam, premier homme.

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             Il y a du Adam chez Johnny Adams : même stature, même mystère, même classe. On pourrait même ajouter ‘même voix’. La meilleure introduction à l’œuvre de Johnny Adams est une belle compile Ace parue en 2015, I Won’t Cry The Complete Ric & Ron Singles 1959-1964.

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             Tony Rounce n’est pas avare de compliments sur Johnny Adams. Il parle d’une carrière de 40 ans, ce qui n’est pas rien, et d’un «vocal range that spanned several octaves», ce qui n’est pas rien non plus. Johnny Adams est un petit black né à la Nouvelle Orleans au début des années trente, et l’aîné de dix enfants, ce qui n’est pas rien non plus. Et puis un jour, Dorothy La Bostrie sonne à sa porte. Elle passait dans la rue et a entendu le petit Johnny chanter. Comme elle cherche quelqu’un pour chanter les démos qu’elle doit présenter à Joe Ruffino, le boss et Ric & Ron Records, elle demande au petit Johnny s’il veut bien lui faire l’honneur de les chanter, ce qui n’est vraiment pas rien du tout. Le petit Johnny hésite, car il s’est voué à God et n’approche pas la secular music, alors Dorothy use de ses charmes pour le convaincre, et il enregistre la démo d’«I Won’t Cry». Quand il entend ça, Joe Ruffino craque et cale une session d’enregistrement chez devinez qui ? Cosimo, bien entendu. L’A&R Edgard Blanchard supervise la session. C’est l’«I Won’t Cry» qui ouvre le bal de la compile Ric & Ron et «the near 40-year solo carreer of the ‘Tan Canary’». Quand on écoute «I Won’t Cry», on est aussitôt frappé par la présence vocale de l’early Johnny, il chante du drain, il est surnaturel de volonté. Avec chaque cut, il veille à peser de tout son poids. Il propose un early r’n’b, mais avec une réelle ampleur.

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             Les singles sont bons, mais ne sont pas des hits nationaux. Peu importe, Ruffino y croit dur comme fer. Il envoie Johnny en studio tous les trois mois pour enregistrer un nouveau single. Go Johnny go ! Mac Rebennack entre dans la danse en tant qu’A&R pour Ruffino et co-écrit «Come On», le deuxième single de Johnny, un early r’n’b d’une réelle ampleur. C’est aussi le premier single de Johnny qui paraît en Angleterre, en 1959. Mac Rebennack compose «The Bells Are Ringing», le troisième single de Johnny, qui cette fois est supervisé par Harold Battiste. Nous voilà au cœur du mythe de la Nouvelle Orleans.   

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              Il faut attendre «Someone For Me» pour voir Johnny grimper des échelons. Il chante à outrance et tape un magnifique heavy groove. Il joue de sa voix comme d’un instrument. «You Can Make It If You Try» sonne comme un slowah océanique. Gene Vincent et Sly Stone l’ont tapé, y compris les Stones sur leur premier LP. Johnny y va au make it et accompagne tout ça au awww. Il renoue enfin avec le swing de la Nouvelle Orleans dans «Life Is Just A Struggle», un hit signé Chris Kenner, brièvement signé sur Ric & Ron, mais surtout connu comme compositeur de choc («I Like It Like That» et «Land Of 1000 Dances»). Superbe, rond et concassé, gras et jouissif. Johnny passe au heavy blues avec «Losing Battle», signé Mac Rebennack, un vrai heavy blues d’you know it’s hard, the most adventured record, nous dit Rounce.  Johnny est un scorcher hors compétition. Ruffino investit dans la promo du Losing Battle qui devient enfin un hit national. Mais le conte de fées s’arrête brutalement : en 1962, Joe Ruffino casse sa pipe en bois. Son cœur lâche. Ses fils Ric et Ron tentent de prendre la relève, mais ils n’ont pas le pâté de foi de leur père. Les deux labels vont vite couler à pic. Johnny se retrouve le bec dans l’eau : plus de label.

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             «Tra-La-La» est donc un single posthume. Johnny a des filles qui font tra-la-la, alors ça devient un petit chef d’œuvre de good time music. En 1963, un nommé Joe Assunto tente de ressusciter Ric & Ron, avec la série Ric 900. Johnny enregistre chez Cosimo, et Wardell Quezergue supervise. Alors voilà le coup de Jarnac : «Lonely Drifter» ! Il attaque ça au I’m drifting dans un climat d’excelsior demented, il explose dans la chaleur du four, il s’en va te screamer ça au plafond, le voilà englué dans une énorme purée de son et il n’en finit plus de screamer dans l’allégresse, c’est un hit supersonique, il creuse sa différence. Cette excellente brochette de hits inconnus s’achève avec «Walking The Floor Over You», une belle version primitive, très sauvage - Tell me one thing - ponctuée par un gratté de plonk plonk plonk.

             Après tout ça, Johnny partira à l’aventure, d’abord à Houston, enregistrer pour Huey P. Meaux. Puis il va vivre d’autres aventures palpitantes, en signant chez Atlantic, qui l’envoie enregistrer chez Malaco sous la direction d’un vieux copain, Wardell Quezergue, puis direction Miami où il enregistre au Criteria avec devinez qui ? Les Dixie Flyers. Et ce démon de Tony Rounce balance l’info fatale : «50% of the masters remain inissued.»

     

    Signé : Cazengler, Johnny Œdème

    Johnny Adams. I Won’t Cry The Complete Ric & Ron Singles 1959-1964. Ace Records 2015

     

    *

    L’éloignement fait-il du bien aux créateurs ? Pensons à Victor Hugo exilé sur l’île de Guernesey qui écrivit sur ce rocher (pas si lointain) quelques-uns des recueils les plus vertigineux de la grande lyrique française. Aucun gouvernement n’a envoyé Bill Crane en résidence surveillée en Thaïlande. Je ne sais si comme l’auteur de Solitudines Coeli il s’adonne aux tables tournantes et si la nuit noire par la fenêtre de son appartement il aperçoit la dame blanche se promener dans son jardin. Je m’en tiendrai aux faits : dans notre livraison 627 du 11 / 01 / 2024 je chroniquais : son album : Baby call my name. La semaine suivante le 18 / 01 / 2024 dans notre livraison 628, Love in vain un EP trois titres. Bill Crane s’est sans doute souvenu des anciens 45 tours français aux mirifiques pochettes colorées qui offraient quatre titres, je viens de m’apercevoir qu’il en a donc rajouté un quatrième à son brelan d’as le transformant ainsi en ce que je m’amuse à surnommer, non pas un four of a kind, mais un four of a king :

    GIMME BACK MY LOVE

    (Extrait de l’EP : LOVE IN VAIN)

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    Nostalgie du son et nostalgie de l’amour, l’on ne sait laquelle des deux l’emporte sur l’autre, longues lampées de guitare sixties, juste une vague lentement suivie par une autre, un mouvement qui nous semble infini tant notre désir aimerait que cela ne se termine jamais, en contrepartie le raffut de la machine rythmique qui marque le temps imperturbable qui s’écoule emportant tout sur son passage, et puis la voix d’une singulière pureté, d’autant plus étrange qu’elle s’adresse à un homme, sans beaucoup d’imagination l’on se croit dans un morceau de gospel, une prière qui s’élèverait vers un Dieu charnel. N’oublions pas, le gospel est une des racines du rock’n’roll. Lorsque l’on vise l’essence d’une chose on touche à ses origines car rien ne vient de rien. Ce morceau ajoute une touche abstraite à cet EP, qui agit sur nous comme une épine empoisonnée qui s’enfoncerait dans les existentielles représentations culturelles de la construction mentale de nos souvenances. 

    *

    L’enfer est décidément pavé de bonnes réalisations puisque, ce prolifique mois de janvier billcranien n’était pas terminé que déjà paraissait un deuxième album :

    HELL IS HERE

    (YT / Janvier 2024)

             Le rock’n’roll est une pâte molle, il se modèle à volonté. L’auditeur n’en est pas obligatoirement conscient, car on ne lui montre l’objet qu’une fois terminé, cuit, émaillé, sorti du four électrique et revêtu des riches couleurs dont on l’a doté. En jouant sur le titre de cet album l’on pourrait réunir les deux opus précédents sous l’appellation : Hell was here, même si le passé est si fortement implanté en nous qu’il résonne toujours. Un peu à la manière de ces moulins à prière tibétains qu’un mélancolique vent mauvais et verlainien met en mouvement.

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    You got it : si par maladresse vous avez enlevé le son et que vous ayez laissé défiler les paroles, vous êtes dans la continuité de ce qui précède, selon un aspect du rock’n’roll jusqu’ à lors occulté, celui de la joie du corps, de la dépense physique, de la danse très around the clock, shake it baby. Vous serrez les meubles du salon et vous poussez le son. Changement de ton. Première surprise, le rythme ne boppe pas, un peu pesant, même si le vocal vous donne l’illusion d’un certain entrain, faut dire que la musique vous englobe si bien que vous vous laissez porter par elle, les yeux fermés dans une boîte vous dansez dans la pénombre. Êtes-vous encore vous-même, qui êtes-vous, vous-même, votre propre ectoplasme, votre fantôme et où êtes-vous, il y a tant de morceaux de rock hot rails to hell, peut-être que cette fois-ci, vous êtes vraiment arrivés à destination… Vous aurez du mal à quitter les sombres tonalités de ce titre. Sans doute parce qu’elles émanent de vous. Monstrueux.

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    Do U love me : l’image qui accompagnait le titre précédent était rassurante, une fille qui danse, elle me rappelle un peu la pochette de Rock’n’roll animal de Lou Reed, celle-ci est des plus simples, un cercle, une ronde, around the clock, ou le schéma d’une tête dans laquelle les pensées tournent en rond, notes sombres qui résonnent, et la voix qui interroge, celle de l’adolescent éternel qui n’est jamais sûr d’être aimé pour lui-même ou pour son perfecto. Ce qui est sûr : dès que l’on tente de s’accrocher au monde extérieur l’on prend pied dans le monde des incertitudes. A peine plus de deux minutes, malgré la force maléfique de ce morceau ensorcelant vous êtes soulagés quand il s’arrête. Vous y revenez bien sûr. Comment s’évade-t-on d’un cercle ? 

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    Up & down : vous donne la réponse. Une rythmique, vous savez la même qu’utilisent les combos en concert pour faire durer le titre sur lequel le public a accroché, faisons l’impasse sur ses sonorités venues de nulle part et envoûtantes, ce coup-ci, suffit de suivre le mouvement, vous êtes sûr de votre coup, elle ne pourra pas vous échapper, la poiscaille est ferrée, sifflements d’admiration quand vous sortez pour votre petite affaire, dans la vie il y a des hauts et des bas, aujourd’hui c’est vous qui êtes sur le point culminant.

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    So funky : tout va bien, nous avons fait le tour du cercle, nous repartons donc pour un tour, elle sur la photo, les taches de couleur sur son corps ne sont que les projections de notre désir, la guitare résonne dur, elle imite le danseur perroquet qui prononce sans arrêt so funky, dans la série enfonce-toi bien ça dans la tête, vous ne pourrez faire mieux, le rythme est lancinant, obsédant, angoissant si l’on veut être franc.

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    Go dancing : paysage suggestif, l’a ce qu’il veut, tout dépend de la danse à laquelle on pense, tourner sans fin autour de la pendule ne suffit plus, les résonances explorent le terrain vierge, si vous vous voulez, durant l’orgasme il pousse des cris maniérés à la David Bowie, bientôt la musique prend toute la place, z’ont mieux à faire. 

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    Cool death : l’a pris une image noire pour illustrer cette musique clinquante qui fuse d’un peu partout, dont les points d’entrée délimitent un espace noir, mort fraîche, mort froide, mort molle, mort dure, dans ces résonances abstruses et funèbres, l’on ne danse plus, le rythme est trop lent, épars, des bruits de nulle part, la mort n’est-elle pas le dernier rendez-vous, celui que l’on ne peut éviter, une guitare mugit, une vache que l’on mène à l’abattoir. Long est le chemin. Avec soi-même.

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    Dark street blues : instrumental : ce n’est plus un titre, un totem que les légions romaines promenaient durant batailles et pérégrinations, derrière lequel le rock aime à se protéger, un blues plus profond que la mort, à la hauteur érigée de l’image impudique, l’alliance sans cesse renouvelée d’Eros et Thanatos, au fond de la rue tu n’iras jamais plus loin que la mort de ta chair ou de la chair de ta mort. 

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    My sweet machine : la demoiselle a l’aspect d’un lémure, shake, shake, shake, autant de fois que vous voulez, mais le tempo n’y incite guère, trop lent, peuplé de grincements peu affriolants, douce est la machine, puisqu’il le dit, nous ne le croyons pas, une mécanique qui n’en finit pas de tourner sur elle-même, peu avenante, inquiétante, don’t save for me the last dance baby !

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    The hell : enfin on y arrive, il y a longtemps que l’on y était, ce n’est pas grave, l’on nous distribue une image abstraite et écarlate comme ticket d’entrée, la guitare ne se retient plus, elle fuse, elle metallise à mort, Bill crâne à mort avec sa voix de profundis, danse funèbre, brrre !!! La barbaque est froide, l’on connaît déjà.

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    Waht’s that ? !!! : un peu couronne mortuaire, c’est un peu comme si vous bouffez les fleurs par la racine depuis dessous votre pierre tombale, tiens il y a du monde, y en a même un qui tousse, le cat Bill s’amuse à imiter les agonies et le cri des âmes torturées dans les feux de l’enfer. Les rockers ne peuvent jamais prendre les choses au sérieux. Rock parodie !

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    Rock-cola Cafe : dans les morceaux de blues l’on se réveille généralement le matin, dans les morceaux de rock aussi ( un tantinet plus tard) l’est temps d’enfiler son jean, l’est comme neuf, oublions cette meurtrissure, dans le dos, juste à la place du cœur, est-ce vraiment si important depuis qu’elle est morte comme une poupée gonflable, comme toutes les autres, ça résonne comme si l’on entendait la réverbe occasionnée par une voûte, tiens au niveau paroles c’est un peu comme un remake de The End, attention, il pousse la porte.

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    The walking dead : instrumental : dehors, on respire, la main aux ongles rouges est encore crispée mais la musique est alerte, que cela fait du bien de trouver de l’air frais. Sur la fin la guitare sonne sixties, ah ces jours heureux du rock, ce temps de l’innocence qui ne reviendra jamais. Puisqu’il est toujours là. Serial killer en quelque sorte.

             L’on ne s’y attendait pas. Bill Crane nous a offert un opéra rock, moins optimiste que le Tommy des Who, plus inquiétant que le Berlin de Lou Reed. Ecoutez-le et modelez le scénario à votre guise. Bill Crane a laissé des interstices. Exactement les mêmes qui séparent la vie de la mort.

             Une curiosité. Morbide ajouteront ceux qui n’aiment rien. Surtout pas le rock’n’roll.

    Damie Chad.

     

    *

             L’opus est sorti depuis un an, je n’ai tilté ni sur la pochette, elle n’est pas mal du tout, ni sur le sound pour la raison nécessaire et suffisante que je ne l’avais pas encore écouté, simplement sur le temps. Pas le soleil, ni la pluie, ni la neige, non les 44 minutes 38 secondes du morceau. Bonjour le cachalot ! L’on n’en pêche pas un de cet acabit tous les matins dans sa baignoire.

    DISINTEGRATE

    OAK

    (LP, CD via Bandcamp / Février 2023)

    Avant d’écouter o monstro, ces deux derniers mots ne sont pas victimes d’une malencontreuse faute de frappe ils sont issus de la langue portugaise, oui ils sont du pays de Camoens l’immortel auteur des Lusiades, livrons-nous à quelques travaux d’approche.

    Ne sont que deux à avoir commis cette abomination temporelle : Guilherme Henriques : vocals, guitars / Pedro Soares : drums.  Pas de frais metalleux du matin, présentent un pedigree groupique long comme le bras, sont membre du groupe Gaerea, c’est d’ailleurs Lucas Ferrand de Gaerea qui est venu tenir la basse.

    La couve est de Belial NecroArts, de Lisbonne, une visite de son FB s’impose pour tous les amateurs de Back Art, pour les autres aussi. J’ai failli ne pas écrire cette chronique, tant j’ai passé de temps à regarder ses œuvres. Beaucoup de noir (et de blanc) mais je me suis surtout attardé sur ses œuvres moins nombreuses qui usent aussi de la couleur. Disintegrate est peut-être la plus colorée. En le sens où la couleur engendre la forme et non pas la forme qui exige telle couleur. Que représente-t-elle, un trou noir, d’autant plus noir qu’il est une effulgence de feu orange, le gouffre que nous portons en nous, le bout du tunnel que l’on est censé traverser lors de la mort, le feu élémental héraclitéen, une revisitation du mythe de Phaéton, que chacun l’interprète à sa guise. Contrairement à ce j’ai dit, les artworks de Belial NecroArts ne sont pas à regarder, fonctionnent un peu à la façon d’arcanes du tarot ou de sigils, ces sceaux qui agissent sur vous, et de par vous sur le monde, dans la mesure ou la démesure, que vous sachiez y lire les chapitres de votre destin que vous y inscrivez.

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    Disintegrate : entendre une œuvre musicale demande peu d’efforts, savoir écouter avant même de tourner le bouton ou de libérer le bras de votre chaîne exige une tout autre préparation mentale. L’on n’écoute pas un opus musical comme l’on promène son chien, d’ailleurs le plus souvent c’est le chien qui commande son maître, preuve que l’on est davantage agi que nous n’ agissions. Le motif de Disintegrate, est bien le récit d’une désintégration, non pas l’effarante surprise d’un missile qui en quelques secondes disloque et détruit l’objet de sa cible, mais une lente dissolution consciente, car le phénomène qui n’est pas pensé ne saurait avoir été vécu. Disintegrate se situe davantage du côté de Platon que d’Aristote, plus près de la contemplation que de l’énergie. Un frais amateur de Metal pourra être surpris, il s’attend à des périodes d’accalmie espacées de-ci de-là, dans le seul but de rendre les grandes bourrasques phoniques encore plus tumultueuses, il n’en est rien. Juste un cheminement, une fonte solaire de l’être, l’esprit qui survit avant de s’atomiser encore quelques temps, des souvenirs épars comme ces épaves sans but qui flottent sur la mer, soumises aux caprices des courants, alors que la coque gît déjà au fond de l’abysse. Un cycle s’achève. Un autre commence, mais ceci est une autre histoire. Une note qui se répète, qui se prolonge selon ses harmoniques, la batterie qui a l’air de se noyer dans chacun de ses battements, l’on attend, l’on ne sait quoi, mais l’on attend, jusqu’au hurlement du loup, non pas le hululement de la bête vers la lune, la musique atteint le plus haut pied de son étiage, voici la voix humaine  déployée d’octaves, qui ploie sous le poids de son passé et de sa présence au monde, une gorge abyssale, peut-être ce larynx en flamme qu’illustre la pochette de Belial, une profondeur sans fin, le monde se dissout, survit le mirage de cette voix grandiose qui recouvre le monde, le background se met à sa hauteur, le feu tombe sur vous, il ne cause aucune souffrance, c’est l’âme intérieure qui brûle et se recroqueville tel un parchemin dont on veut se débarrasser.

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    L’escargot n'habite plus sa coquille, la batterie s’acharne sur ce mollusque visqueux qui refuse de mourir avant d’avoir transmis oralement au néant qui s’approche son ultime message, bouteille au feu que les flammes fondent et foudroient dans le cristal de son impuissance, cri primal de la fin, de la terminaison, de la clôture, ne subsistent plus que des fragments translucides que l’air brûlant disperse… juste quelques notes, ce n’est pas la fin, disparêtre n’est pas facile, n’être plus que des bouts de soi, sur lesquels la batterie tombe à bras raccourcis, ferraillent contre eux aussi les cymbales, tout doit disparaître, il est impossible que quelques brins d’un passé révolu survolent, notes agonisantes d’un requiem éternel, serait-ce l’apaisement, non l’on ne saurait se satisfaire de l’œuvre que l’on a à accomplir, le repos, le recueillement en soi-même ne saurait être une solution, déchaînement total, l’on ergotait sur la possibilité, toute la meute tournoie, babines retroussées, elle passe et repasse sur le disque usé de votre mémoire, elle piétine, elle mord à pleines gueules, la passion de la destruction n’est pas une création, seulement une autodestruction, sans passé, sans présent, sans futur, sans rien, que la brutale et cruelle évanescence de ce que l’on a été de ce  que l’on n’est déjà plus, mais une rythmique entame une folie mortifère, rafales battériales, il ne crie plus, il parle, il dicte l’ultime prophétie qui est en train de se réaliser au fur et à mesure qu’il l’énonce. Tout se précipite, l’on arrive à la dernière scène du dernier acte, le rideau est prêt à s’affaler et à emporter le théâtre de l’existence avec lui, résonances de gong, la matière musicale se plisse comme la croûte terrestre lors des tremblements de terre, fêtes et fastes, je rugis comme un lion, moi qui ai participé au festin des quatre empereurs, moi qui ai été Dieu, ô le souvenir de cette puissance infinie, de cette force qui ébranlait aussi bien les racines du ciel que de la terre, je dois abdiquer, me résoudre à délaisser ce sceptre que j’ai abandonné depuis si longtemps, final grandiose, l’on ne se surpasse jamais, l’on atteint jamais la dernière marche de l’escalier absent, qui apparaîtra une fois que l’on ne sera plus, ma dernière vision sera celle de ma pierre tombale, désespoir total, drame métaphysique, je ne suis plus que mon propre non-être. Superbement éprouvant. La musique se calme, il semblerait qu’elle ricane. Terrible.

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    Disintegrate I : (Official Music Video) : vidéo promotionnelle parue en 2022, extrait de 4 minutes : Enrique au chant et à la guitare, Pedro au beurre, pour reprendre une expression cazanglerienne, peu d’intérêt si ce n’est de les voir jouer alors que tombe la neige… / Disintegrate II : (Official Music Video) : vidéo promotionnelle parue en 2022, extrait de sept minutes et demie :  regardez celle-ci, ambiance beaucoup plus metal, ils ont remplacé la neige par des bougies, et un faisceau de torches. Les photos qui illustrent notre chronique en sont extraites.

    LONE

    OAK

    (LP, CD via Bandcamp / Février 2019)

             Grande envie m’a donné Disintegrate d’aller fouiner du côté de leur premier album.

    Pour la couve je me suis fait avoir comme un bleu, me suis demandé quel peintre romantique, voire symboliste aurait pu peindre cette toile, non un contemporain, Paolo Girardi, né en 1974, une vie dure, l’a commencé par la pratique de la lutte libre, athlète professionnel, puis l’est passé à la peinture. L’a appliqué la même méthode que pour la lutte : s’entraîner sans fin. Toile et huile de térébenthine. Je ne sais d’où il tire son inspiration, je ne le connais pas mais je l’entends me dire : ‘’ De moi-même. Je suis un lutteur et un rêveur.’’ Allez voir sur son FB, section photos, entre autres, les 286 Music Covers, un résumé de l’imagerie metal, par un grand peintre. Colossal !

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    Sculptures : le disque met en scène un géant, vous le découvrez sur la couve, qui est-il, on ne le saura pas, écoutez, l’on entend ses pas, ils n’ébranlent pas le monde, il le fracasse mais son empreinte sur la terre reste superficielle, peut-être n’est-il qu’une image de notre infatuation de nous-mêmes, certes il piétine les forêts qu’il traverse comme des fétus de paille, elles sont à l’intérieur de lui, il hurle comme King Kong, mais ce sont ces pensées que vous entendez, il s’apprête à descendre l’interminable escalier qui mène au tréfonds de lui-même, chacun de ses pas intérieurs est comme une chiquenaude qu’un sculpteur infligerait à la masse informe d’une glaise à qui il doit donner forme. La musique s’adoucit, sans doute caresse-t-il quelque rondeur qu’il a décelé au fond de son âme. Au tréfonds de lui une eau froide dans laquelle il se laisse glisser. Il flotte, il descend jusqu’au fond, l’empreinte de ses pas sur la silice vaseuse sculpte châteaux de sable et de rêve. La guitare chante et lisse, la batterie tapote, la voix triomphe, aucune victoire, seulement le contentement d’avoir donné la forme qu’il voulait à son âme. Il se tait, face à lui-même dans le silence il contemple sa réalisation, son œuvre qu’il a façonnée à partir de lui-même. Recueillement. L’artiste n’est-il pas l’œil limpide d’un univers qui ne le mérite pas. L’existe une vidéo Live at Stone Studio de l’interprétation de ce morceau. Idéale pour voir comment avec un minimum de moyen l’on peut produire un maximum d’effets. Mirror : même douceur, regarder le monde n’est-ce pas se regarder soi-même, méditation sans fin qui renvoie sans cesse de l’un à l’autre, notes égrenées, il suffit de traverser le miroir pour sortir de soi, tombe la pluie, sur moi, ou à l’intérieur de moi, les pas du géant s’alourdissent sous le faix des cymbales, introspection ou extrospection, où suis-je dans la nature ou dans les souvenirs qui inondent ma tête, perdu en soi, perdu dans le monde, gosier glaireux, il trimballe tant de débris, ne se trouve-t-il pas juste à la jointure de l’intérieur et de l’extérieur qui façonne l’autre, qui construit l’un, la batterie coupe des branches d’arbres celles qui dépassent, qui entrent dans ma tête, celles qui sortent et s’épanouissent dans le monde, moments de grandes incertitudes, le monde décline, mes forces aussi, mes démarches, la physique et la psychique deviennent moins affirmées, maintenant je me tiens aux arbres pour avancer, est-ce la fin, déjà s’élève le générique que j’ai préparé pour cet instant suprême et décisif, au sortir de ma tanière je veux hurler comme l’ours qui jaillit de sa grotte et pousse un grognement de soudard en guise de salutation au soleil, les rayons de l’astre se figent et le monde devient grisâtre, même couleur ma matière grise, voilé de brume comme s’il s’estompait de lui-même, les évènements se précipitent, c’est le moment de la séparation, mon cadavre d’un côté, mes rêves de l’autre. Fêlure séparative à la surface du miroir. 

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    Abomination : le mot est fort, l’intro fracassante, la bête est là, debout, elle hurle, elle n’y peut rien l’abomination monte comme l’eau au fond du puits. De plus en plus vite, rien ne l’arrêtera, elle noiera bientôt la terre émergée des années heureuses, de l’Arcadie première, d’où vient-elle, est-elle issue de la noirceur de mes cauchemars de ces processus d’affaiblissement insidieux, de ce désir de mort rampant qui grignote mes forces vives, suis-je programmé pour mourir et peut-être pire pour anéantir le monde après moi. Maze : je cours de tous les côtés, sans fin je me heurte au parois des galeries, je suis au-dedans de moi-même, enfermé depuis toujours, pour toujours, autant dire éternellement, mort ou vivant c’est la même chose, j’ai beau piquer des crises de folie, me démener, hurler, rien n’y fait, je suis une capsule éternelle de pensée, le dehors n’existe pas, je me projette le solipsisme de ma présence, en couleurs, sur grand écran, j’y crois, je n’y crois pas, j’invente tous les scénarios que je veux, il n’y a pas de dehors juste un cauchemar que j’entretiens pour ne pas me morfondre au-dedans de moi-même, je suis mon propre être et mon propre non-être, les deux à la fois, le monde est une projection et le projectionniste n’est pas dupe de cette fausse réalité. Pourquoi y a-t-il une chose qui pense et pas rien ? La musique s’autodévore.

             Splendeur métaphysique.

    Damie Chad.

    Nous reviendrons sur OAK, ils viennent de mettre en ligne un troisième album.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

    22

             Lorsque je poussai la porte du local, Molossa ferma ostensiblement les yeux et se coucha en rond comme un chat, je sentis comme un reproche dans son attitude réprobatrice.  Malebranche, mort en 1715, aurait-il donc tort en théorisant que les animaux, cartésiennes machines vivantes dépourvues d’âme, sont sans l’intervention directe de Dieu dans l’incapacité totale de faire semblant de simuler des sentiments. Nous devrions paisiblement discuter de cette proposition malebranchienne, hélas le temps nous manque ! Je me contenterai de spécifier que le Chef pourvu d’une âme et d’un Coronado m’adressa un franc sourire :

             _ Agent Chad, je sens que vous avez passé une bonne nuit, à votre mine détendue je subodore que vous avez lâchement abusé d’une veuve et de ses orphelins.

             _ Hélas non, Jean Thorieux a tenté de nous attendrir en évoquant sa femme et ses mioches…

             _ Agent Chad, n’oubliez jamais que la pitié est l’arme des faibles !

             _ C’est sa sœur Gisèle qui m’a reçu, elle m’a décrit son frère comme un individu un peu paumé qui depuis quelques semaines lui racontait des balivernes : à savoir qu’il était possible de traverser les murs.

             _ Or, cadavre en main si je peux employer cette métaphore, nous savons qu’il avait acquis cette curieuse faculté !

             _ Nous possédons même mieux Chef. Ce matin alors que Gisèle très éprouvée par les élucubrations de son frère a enfin trouvé le sommeil. J’en ai profité pour visiter l’appartement voisin de son frère. Pas grand-chose à voir. Une table, un lit, une télé, pas mal de bouteilles de bière et une collection complète du numéro 1 au numéro 297 de la revue Science et Paranormal. C’est tout.

             _ Parfait agent Chad, vous savez ce que vous avez à faire. Pour moi, je reste ici, fumer quelques Coronados m’aidera à réfléchir à cette affaire. Emmenez vos chiens avec vous, vous ne serez pas trop de trois, fiez-vous à mon intuition, nous sommes sur une sale embrouille !

    23

             Lunettes, blouson de daim, pantalons de tergal, et serviettes bourrées de documents, j’avais pris mon air de professeur d’université. La bibliothèque du quartier était déserte, à son bureau, l’hôtesse d’accueil m’accueillit avec empressement :

             _ Que puis-je pour vous Monsieur ?

             _ Est-ce que je pourrais consulter, si vous l’avez, la revue Science et Paranormal ?

             _ Bien sûr Monsieur, quel numéro voudriez-vous, vous trouverez le dernier le 297 sur le présentoir.

             _ J’aurais besoin de la collection entière depuis le numéro 1 ?

             _ La collection entière ?

             _ Oui, j’ai besoin de vérifier un point de détail, j’ai oublié de noter le numéro dans mes notes, c’est urgent, je pars dans trois jours pour un symposium à Chicago, je m’excuse de vous donner un tel travail mais…

             _ Asseyez-vous Monsieur, prenez place je m’occupe de vous.

    Je me suis retrouvé avec d’impressionnantes piles de magazines que Josiane, nous avions eu le temps de faire connaissance, m’apportait par paquets de vingt. Dans un premier temps je décidai d’éplucher le sommaire de chacun d’entre eux. Ce n’était pas aussi rapide que je le souhaitais, parfois il était vers le début, parfois vers la fin, toujours perdu au milieu de pages publicitaires. Un détail me troubla, contrairement aux us et coutumes, les sommaires étaient composés en lettres minuscules. Je m’efforçais donc de les éplucher avec attention. La salle se remplissait sans que j’y prenne vraiment garde.

             _ Pardon Monsieur, est-ce que par hasard vous auriez déjà regardé le dernier numéro, le 297 qui est sorti ce lundi matin ?

    Je relevai la tête, le gars avait une allure sympathique, aux nombreuses rides qui sillonnaient son visage il devait avoir autour de quatre-vingt ans. Je le lui tendis et n’eus aucun besoin d’engager la conversation :

    • C’est que voyez-vous j’adore lire ces élucubrations, bien entendu je n’en crois pas un mot, entre les extra-terrestres qui vivent parmi nous et les gens qui sont capables de mettre en mouvement par la pensée un train de quarante wagons, pensez-donc plus de trois mille tonnes ! En plus ces derniers mois, ils ont engagé un nouveau journaliste, un certain Jean Thorieux, le gars doit être frappé de la cafetière il vous propose des expériences de traversée des murs, il vous propose même de vous inscrire au Club des Briseurs de Murailles. Cela m’a semblé si stupide que j’ai rempli la semaine dernière le bon d’inscription, le pire ce matin en partant pour la bibliothèque, j’ai vérifié le courrier dans ma boîte à lettres, ils m’ont répondu, je n’ai pas ouvert, encore un truc pour vous soutirer de l’argent ! Mais j’arrête de radoter des balivernes ! Vous avez du travail à ce que je vois.

    Je m’apprêtais à me plonger dans la lecture des articles de ce Jean Thorieux, je n’en eus pas le temps, Josiane se dressa devant moi :

    • C’est marrant Damie, vous êtes le premier lecteur qui enlève ses lunettes pour lire !
    • Je les mets juste pour attirer l’attention des jolies filles Josiane, elles sont magiques, ce sont seulement les plus belles qui le remarquent !
    • En tout cas ce que je trouve magique, c’est votre serviette qui bouge toute seule !

    Je n’eus même pas le temps d'improvider une explication, la tête toute ébouriffée de Molissito qui avait réussi à bouger la fermeture éclair apparut !

             _ Oh ! mais il est ravissant, oh, un deuxième ! ils sont beaux tous les deux, vous les transportez tout le temps dans votre cartable, vous possédez une étrange personnalité Damie, j’adore les garçons drôles comme vous, si j’osais je vous inviterais au déjeuner, j’ai deux heures de pose !

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    C’était une excellente suggestion. Josiane me guida vers un petit restaurant qui se révéla excellent. Comme il y avait un petit hôtel tout près, et tout prêt à nous accueillir nous y fîmes une petite halte, après quoi nous revînmes à la bibliothèque. Josiane me photocopia les dix-sept articles que Jean Thorrieux avait rédigés ce qui prit pas mal de temps.

    C’est avec fierté que je poussai la porte du local. Le chef fumait un Coronado. Le cendrier était plein, le Chef avait dû longuement méditer.

             _ Agent Chad, enfin vous voici, j’e vous attendais avec impatience, j’espère que vous rapportez un début de piste prometteur !

             _ Plus qu’un début de piste Chef, un dossier, regardez il est assez épais une centaine de pages, j’ajoute pour les finances du service que grâce à mon entregent je n’ai eu aucun centime à verser.

             _ Votre souci économique vous honore agent Chad, si vous saviez ce que nous coûte un seul Coronado, vous seriez effaré, figurez-vous, vous n’en croirez pas vos oreilles, le ministère, il vient de me téléphoner, envisage de mettre une taxe carbone sur chacun des cigares que je fume ! Permettez-moi d’étudier ces documents, nous en reparlons dès ma lecture achevée.

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    Le Chef alluma un Coronada :

    • Agent Chad, à part le fait que ce fatras d’imbécillités soit signé de Jean Thorieux, le même nom que le zigue pâteux que nous avons retiré de sa gangue de béton dans le mur de notre appartement, ces documents ne présentent qu’un très modeste intérêt. Non n’intervenez pas, je sais bien que le Club des Briseurs de Murailles dont ces articles sont censés rendre compte des progrès de ses activités, ce Jean Thorieux journaliste ne nous renseigne en rien sur le Jean Thorieux que nous avons expédié ad patres. Par contre savez-vous la différence entre un ours blanc, un ours brun, un ours noir ?
    • Euh ! ce sont tous des plantigrades …
    • C’est bien cela, vous vous plantez magnifiquement, et votre fierté d’enquêteur va en prendre pour son grade ! En toute occasion il ne faut jamais se précipiter. Un cas particulier, le mien : après avoir fumé sept ou huit Coronados, j’ai effectué une rapide recherche sur le Net. En trois clics j’ai débouché sur le nom du propriétaire de Science et Paranormal, je me corrige aussitôt, de sa propriétaire, elle possède un nom charmant qui risque de vous dire quelque chose : Jeanne Thorieux.

    Je n’écoutais pas un mot de plus. Déjà je dévalais les escaliers mes chiens sur les talons, mon Rafalos en main.

    A suivre…