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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 6

  • CHRONIQUES DE POURPRE 682 : KR'TNT ! 682 : JOHN CALE / BRIAN JAMES / PETER MEADEN / SWEET INSPIRATIONS / KIM GORDON / BUDDY RED BOW / THE FENDERS / KEN POMEROY

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 682

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    20 / 03 / 2025

     

    JOHN CALE / BRIAN JAMES

    PETER MEADEN / SWEET INSPIRATIONS

    KIM GORDON / BUDDY RED BOW

    THE FENDERS / KEN POMEROY

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 682

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Cale aurifère

     (Part Five)

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                C’était presque rassurant de voir qu’on avait installé une batterie et des amplis au fond de la grande scène. Comme le programme annonçait un «concert tout assis», on s’attendait à un récital de piano bien pépère. Fausse alerte. Restait à savoir si John Cale allait rocker le boat normand comme au bon vieux temps du Sabotage.

             Il fait bien sûr partie de ceux qu’on attend comme on attendait le messie, autrefois, sur les chemins de Palestine. Calimero se paye le luxe de monter sur scène auréolé d’une légende qui s’étale sur soixante ans. Ils ne sont plus très nombreux à pouvoir se payer un tel luxe : Keef, Colin Blunstone, Iggy et lui. Après, t’as la seconde vague : Peter Perrett, Billy Childish, Frank Black, Anton Newcombe. Ils ont encore un peu plus de marge, car ils sont arrivés dix ans après. Calimero n’a plus trop de marge : 82 ans, pour un rocker d’avant-garde, ça ressemble un peu au dernier carat.

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             Et pourtant, il est là. Toujours aussi petit. La voix est intacte. Il est remarquablement bien accompagné, notamment pas cet incroyable guitar singer nommé Dustin Boyer qui là-bas au fond fait la pluie et le beau temps avec la pire des aisances, celle qui t’écœure. Il enrichit considérablement les structures sophistiquées des cuts de Cale, et des mecs comme Boyer, t’en croises pas tous les jours.

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             T’es donc là, assis comme un con à quelques mètres de Calimero. Tu n’as d’yeux que pour lui. Sa tête dépasse du clavier derrière lequel il est assis. Il lit ses textes sur un écran et regarde rarement le public. Tu sais que t’assistes à un concert hors normes, mais tu sombres assez rapidement dans une sorte de confusion. Le plaisir cède très vite au sentiment d’une fin des haricots. Une semaine après Peter Perrett, Calimero sonne le glas d’une époque. Fin de la rigolade. Dépêche-toi de bien les regarder tous les deux, car tu ne les reverras sans doute jamais. T’as même l’impression que toute ta vie va partir avec eux. Bon, tu te rattrapes aux branches, tu vis les secondes de set une par une, tu tends bien l’oreille pour attraper les mots que Calimero prononce encore d’une voix d’Empereur romain, tu l’observes pour fixer son image dans la psyché du temps, mais tu ne perds rien des signes d’affaiblissement de son corps, lorsque par exemple il quitte son clavier pour aller au micro voisin et passer la bandoulière d’une guitare. Il a du mal, c’est compliqué, il doit se faire aider, et tu ne peux pas l’accepter. John Cale n’est pas un pépère : c’est un héros, le bassiste du Velvet. 

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             La fin d’une époque est l’idée contre laquelle on se bat chaque jour de toutes nos forces. Le rock t’a servi de fil rouge toute ta vie, et tu continues de conformer tes pensées et tes actes sur ce modèle. Ça veut dire quoi le rock ? Liberté, pour commencer. Et donc refus catégorique de toute forme d’autorité. Puis plaisir sans entrave. Tous tes héros t’ont servi le rock sur un plateau d’argent. On a connu six décennies de bonheur parfait grâce à ces gens-là. Le rock a même réussi à balayer le souvenir de tes naufrages. Liberté, refus de l’autorité, mais aussi invincibilité. Il ne peut rien t’arriver, puisque tu écoutes du rock. Il ne peut rien arriver non plus à tes amis, puisqu’ils sont rock. Et si par malheur un de tes héros casse sa pipe en bois, tu fais quoi ? Tu pleures ? Non, tu lui dresses un autel de fortune pour célébrer sa mémoire et tu t’aperçois qu’il n’a jamais été aussi vivant. Elvis et Syd Barrett sont toujours parmi nous. On ira même jusqu’à dire qu’ils font partie de nous. Le rock pourrait bien être devenu la seule religion des temps modernes.

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             À leur façon, Peter Perrett et John Cale repoussent eux aussi les frontières. Ils donnent l’exemple. Ils taillent la route. C’est aussi ça le rock, tailler la route. Ils kickent the jams, motherfucker ! Il faut voir John Cale kicker les jams de «Ship Of Fools» ! Il faut voir Peter Perrett rocker «The Beast» ad vitam aeternam ! Ces vieux crabes rockent encore comme des démons ! Avec son weird «Ship Of Fools», Calimero avoisine dangereusement le «Sister Ray», ça riffe dans les brancards, ça flirte avec le wild as fuck - The Ship of Fools is coming in - Calimero gratte ses deux accords et derrière lui, t’as Dustin Boyer qui fait son Sterling Morrison, et qui gratte des riffs en travers, alors là tu bascules dans l’extase, car c’est en plein dans l’esprit du Velvet, mais sans feedback. Cette version de «Ship Of Fool» n’a strictement rien à voir avec la version originale qui se trouve sur Fear.

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             D’ailleurs, pour revenir à des aspects plus techniques, Calimero tape pas mal dans Fear pour ce set. Il claque une version bien sentie du morceau titre, «Fear Is A Man’s Best Friend» et jute avant la fin du set, il ressort aussi le vieux «Barracuda» qu’on aimait pas trop à l’époque, à cause de son côté balloche, mais là, sur scène, ça prend une autre allure, avec un léger côté heavy in tow. Le deuxième cut qu’il gratte sur sa Strato blanche est le «Cable Hogue» tiré d’un autre album Island, Helen Of Troy. Dommage qu’il n’ait pas préféré reprendre «Pablo Picasso». Le seul cut qu’il tire de Mercy est «Moonstruck (Nico’s Song)». Il met aussi son vieux Sabotage à contribution, avec trois cuts : «Captain Hook», fantastique entrée en matière, il en fait de l’avant-rock qui te laisse littéralement sur le cul, rien à voir avec la version originale. Version longue, fabuleusement intrigante, pas de meilleure entrée en matière. Puis il fait une version bien rampante d’un cut pas très connu, «Rosegarden Funeral Of Sores», qu’on trouve en bonus sur la red de Sabotage, et là, crois-le bien, ça rampe sec. Et bien sûr, il tape en rappel la vieille cover ratée d’«Heartbreak Hotel» qui ouvrait le bal de la B sur Slow Dazzle et qui sonnait comme un pétard mouillé. L’idée était bonne, mais ça ne fonctionnait pas. Il est aussi allé piocher «Villa Alabani» dans un album des années 80, Caribbean Sunset. Pas la meilleure époque. Dommage qu’il n’ait pas opté pour ce «Model Beirut Recital» complètement sonné des cloches d’all fall down. On espérait aussi un petit coup d’«Hanky Panky Nowhow» ou d’«Andalucia». Tintin. Zéro Paris 1919

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             Contrairement à ce que font la plupart des artistes, il ne tournait pas pour la promo de son dernier album, Poptical Illusion (il n’en a joué qu’un seul cut, «Davies & Wales»). Il a préféré servir sur son vieux plateau d’argent un panaché rétrospectif d’une carrière extraordinairement riche, l’une des plus riches qui soient, car il a couvert tous les registres avec un souci permanent de qualité avant-gardiste, que ce soit dans l’expérimentation (Mercy) ou dans la pop mélodique (Paris 1919). John Cale n’a jamais vendu son cul. Il a toute sa vie navigué à la pointe de l’intellect, il a toute sa vie veillé à rassurer ses fidèles, cet homme extraordinairement pur n’a jamais trahi sa parole. What’s Welsh for genius ?     

    Signé : Cazengler, John Cave

    John Cale. Le 106. Rouen (76). 25 février 2025

     

     

    Wizards & True Stars

    - Au bonheur des Damned

    (Part Four)

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             La dernière fois que Brian James est monté sur scène avec son groupe, les Damned, c’était à l’Apollo de Manchester en 2022, pour deux concerts, les 3 et 5 novembre. On peut voir celui du 3 sur le DVD d’une petite box : AD 2022. Bien pratique pour les ceusses qui n’y étaient pas.

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             Le DVD sur un grand écran, ça passe encore à peu près, c’est moins pire que cette catastrophe de YouTube, mais ça ne vaut quand même pas le groupe en chair et en os. Disons qu’avec un DVD, on se documente, on ne vibre pas. Et avec YouTube, on débande. 

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             Bon, c’est vrai, on n’est pas là pour parler de nos pannes de secteur. On est là pour rendre hommage à Brian James qui vient tout juste de casser sa pipe en bois et qui fut jusqu’au bout de sa vie le fils spirituel de Wayne Kramer. Sans lui, pas de Damned. Sans «New Rose», pas de punk.

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             La petite box AD 2022 est parue l’an passé. Inutile de préciser qu’elle est indispensable à tout fan des Damned. Brian James a dû donner des consignes à la caméra, car elle ne s’approche jamais de lui. Il joue dans son coin, sous son vieux chapeau. On ne voit jamais son visage qui reste dans l’ombre. Il porte une barbe blanche, un gilet, un grand jean flottant et des baskets. Pas question de faire un effort vestimentaire. Il gratte sa vieille SG rouge. Tranquille. Pas de gestes particuliers. Pendant une heure trente, il reste en mode wall of sound/statue de sel. Il doit se demander ce qu’il fout là, cinquante ans après la bataille, à gratter les mêmes vieux poux. Il doit avoir besoin de blé, c’est la seule explication valable. Car refaire les Damned à l’âge de 70 balais, c’est un peu compliqué. Mais ça passe, parce que ce sont les Damned. Ils ont un truc que les autres groupes anglais n’ont pas : l’énergie de Detroit et une petite brochette de hits.

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             Pour ces deux concerts à Manchester, ils ne jouent que les cuts des deux premiers albums, ceux de Brian James, et quelques reprises. D’ailleurs, ils démarrent sur un cut de fin, «I Feel Alright». Brian James ressort toute la vieille riffalama des Stooges. Captain porte une marinière et bombarde sur une Hofner. Assis derrière, le vieux Rat bat son beurre, mais on sent comme un léger ralentissement. Il a l’air tout crouni. Quant à Dave Vanian, il s’est peint les lèvres en noir. Brian James reste planté sur son tapis d’Orient. Seules ses mains bougent. Ils tapent une version d’«Help» que Brian James surjoue comme si c’était un cut du MC5. Il reste fidèle à ses racines. Il lance «Born To Kill» au riffing des enfers, mais on voit bien que le Rat n’a plus de punch.

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             Brian James reste le boss des Damned, son guitar-slinging ressemble à un déluge de feu. Les early Damned sont vraiment un cas unique en Angleterre. Mais leur set-list comporte quand même pas mal de déchets : «Stretcher Case», «I Fall», «Alone», «Fish», «Sick Of Being Sick», «See Her Tonight» ne sont pas beaux. Brian James gratte ses milliards de tiguilis à la Kramer. «Fan Club» sort du lot, avec son riff magique, et t’as cette grosse machine qui se met en route : sans doute l’un des plus beaux cuts des Damned, avec cette fuite sous le vent. Même quand les cuts ne sont pas bons («One Of The Two», «Problem Child»), il y a une dynamique. Et soudain Captain annonce le pot aux roses : «This one is a Lemmy favourite!» Dear ole Lem...» Boum ! «Neat Neat Neat», Captain fonce au dah dah dah dah-dah-doum, train fou dans la nuit, et t’as le solo déluge de feu - I can’t afford a gun at all - Et ça continue avec la démolition de «Stab Your Back». Captain indique qu’ils jouaient déjà ça en 1977 à Manchester avec Marc (Bolan pas l’autre). Ils font un «New Rose» approximatif, pas en place, c’est dur, ils ont perdu la félicité de la fluidité, la véracité de la vélocité. C’est le vieux Rat qui n’est plus bon à rien. Le cut se termine en eau de boudin. Puis ils tapent dans le «Pills» des Dolls, avec un sax qui fait les coups d’harp de David Jo. Brian James fait son Johnny T. Pas de problème. Puis il fait son Brian Jones sur «The Last Time». Sans doute est-ce la dernière fois que Brian James fait son Brian Jones. Ils terminent leur set avec un pur Damned hit, «So Messed Up» - Face is a mess - et le vieux Rat fout le feu à ses cymbales - She hadn’t even got a grain - Alors Dave Vanian détruit la basse Hoffner à coups de pied de micro. Sacré Dave ! Le seul qui ne soit pas pathétique est bien sûr Brian James qui a quitté la scène vite fait.

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             Pour retrouver Brian James, il existe un autre passage obligé : Final Damnation, le concert de reformation des Damned au Town & Country Club en 1988. Il vient tout juste d’être réédité. Ouf ! On avait ça sur VHS, mais pas de lecteur.

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             Pourquoi il faut impérativement voir ce DVD ? Parce qu’on y trouve une interview de Brian James. Il re-raconte toute l’histoire du groupe et ramène une foule de détails. Son narratif est le bon, celui qu’il faut écouter. Puis il en vient aux raisons du split des Damned après le départ du Rat : le groupe est retombé à plat - flat - et ça ne l’intéressait plus. Il ajoute qu’il est arrivé la même chose aux Who après la mort de Moonie : flat ! Comme il n’y avait pas d’animosité entre eux, Brian James et des Damned se voyaient et se parlaient. Quand l’idée d’une reformation est arrivée, Brian James a dit oui - A reunion gig? Sure! Why not? - Et les voilà sur scène tous les quatre comme aux plus beaux jours. Le Rat dit que pour lui c’était like in the old days. Intégrés dans le film du concert, on voit aussi pas mal de bouts d’interviews, notamment Roger Armstong qui affirme que les Damned  «were better musicians than Pistols or Clash.» Pour Carol Clerk, le Rat ne peut pas être autre chose que le drummer des Damned. Et les voilà qui arrivent sur scène : Captain en short, avec un masque de femme de harem sur la gueule et une basse sans mécaniques. Brian James porte un chapeau et un T-shirt Alamo, et Dave Vanian frime un peu avec sa banane, sa mèche blanche et cette longue queue de cheval décorée d’un nœud pap.

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             Brian James gratte sur une Tele et aussitôt après «See Her Tonite», ils lancent l’assaut de «Neat Neat Neat». C’est du pur MC5. Brian James se barre en vrille de Kramer. Ils enchaînent avec «Born To Kill» et ça reste dans le Detroit Sound : incroyable moisson de gimmicks, de chords et d’échappées belles, il vise la permanence de la fournaise, il est le maître à bord et donne aux Damned ses lettres de noblesse. «Fan Club» ! Captain allume sa clope. Il n’existe sur cette terre que deux rois de la fournaise : Brian James et Wayne Kramer. Ron Asheton, c’est autre chose, disons le cran au-dessus. Brian James fournit l’extrême fournaise aux Damned. Il mouline sa purée en continu, avec une gestuelle appropriée. Ils tapent une belle cover d’«Help» et enchaînent avec «New Rose». Ils basculent dans la stoogerie avec «I Feel Alright». On voit bien que Brian James est au paradis. Il fait du Ron à la Kramer. 

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             Fin de la première partie. Brian James sort de scène, il est remplacé par deux petits mecs et les Damned MK II tapent dans Machine Gun Etiquette. On mesure à quel point les Damned MK II ne sont plus du tout le même groupe. Le seul cut qui reste dans l’esprit originel, c’est «Love Song». En fin de deuxième partie, Brian James revient pour «Looking At You». Captain prend le premier solo et Brian James le deuxième. Le Rat fout le feu à ses cymbales. Ils terminent avec la cover du diable : «The Last Time».

             34 ans séparent ces deux concerts. Brian James aura tenu son rang jusqu’au bout. Magnifique incarnation du rock.

    Signé : Cazengler, damné du pion

    Damned. Final Damnation. DVD Fabulous Films Limited 2024

    Damned. AD 2022. DVD EarMusic 2024

     

     

    In Mod We Trust

     - King Meaden touch

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    En remerciement d’un service rendu, Dionysos accorda jadis au roi Midas la pouvoir de transformer tout ce qu’il touchait en or. The Midas Touch. Il se pourrait fort bien que Peter Meaden soit la réincarnation de King Midas. Steve Turner ne s’y est pas trompé, en titrant le book qu’il consacre à Peter Meaden King Mod.

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             Très beau book : King Mod. The Story Of Peter Meaden, The Who, And The Birth Of A British Subculture tient bien en main, belle reliure à l’anglaise, choix typo imparables, richement illustré, toute la paraphernalia des Mods est là, depuis les Who jusqu’aux scoots en passant par Major Lance, Guy Stevens, Jimmy James & The Vagabonds et Phil The Greek. Mise en page exemplaire, avec à la coupe de généreuses cheminées dans lesquelles glissent les textes des légendes. Tout s’aère fantastiquement. L’éditeur est un crack. Petite cerise sur le gâtö : t’as un avant-propos d’Andrew Loog Oldham.

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             Le Loog et King Meaden se connaissaient, puisqu’ils ont bossé un peu ensemble, avant de se lancer tous les deux dans les carrières que l’on sait : le Loog va lancer les Rolling Stones et King Meaden va lancer les Who. Pour le Loog, King Meaden connut d’une certaine façon le même destin que Brian Jones. Rise and fall. Brian Jones casse sa pipe en bois à l’âge de 27 ans et King Meaden à l’âge de 37 ans. Le Loog reconnaît qu’à l’époque il y avait dans l’empire naissant des Rolling Stones un petit côté Sa Majesté des Mouches, avec un côté «no mercy», dont Brian Jones fit les frais. C’est Peter Meaden qui a initié le Loog à l’«American Clobber» de The Scene Club.

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             King Meaden n’est pas n’importe qui. Il tente de bosser pour Brian Epstein, mais, se marre Turner, «Epstein qui était gay trouva Peter trop flamboyant à son goût.» Il y aura une petite brouille entre le Loog et King Meaden. Ils s’habillaient de la même manière - trying to outsmart each other - King Meaden tente d’imiter le Loog, nous dit Philip Townshend, «but one was a genius and the other wasn’t.» Et chacun part de son côté. Norman Jopling compare le Loog - Andrew was cool, sharp, very bright, very aware - à King Meaden, son aîné de deux ans - more artistic, a bit mad, a bit brillant, always flailing around - Et quand Meaden «was on», ajoute-t-il, «no-one could touch him.»

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             King Mod est essentiellement un Mod book. Un book de référence sur la Mod culture. Turner fouille dans les racines et exhume un article du Daily Mirror daté de 1958, titrant : ‘Are you a Trad or a Mod?’. Ça cause déjà de cheveux courts et de mohair suits. Puis un article du Guardian daté de 1960 évoque l’émergence des modernists, des jeunes gens qui dansent et qui s’habillent chez des tailleurs. Bowie - que cite King Meaden - indique que le look Mod «came out of the French fashions.» Les autres points clés de la Mod culture sont The Scene Club de Ronan O’Rahily, au 41 Great Windmill Street, Soho, et les amphètes, essentiellement le Drinamyl, qui permet de tenir du vendredi soir au dimanche sans dormir.

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             Première DJ du Scene Club : Sandra Blackstone, puis ce sera Guy Stevens, qui est alors un collectionneur de 45 tours américains. C’est King Meaden qui va transformer The Scene Club en Mod club. Il va créer la Mod craze originelle. Et voilà qu’arrivent les Mod words : la majorité des Mods sont des ‘tickets’, les purs et durs sont des ‘numbers’ et les cracks sont les ‘faces’. D’où les High Numbers, le nom que choisit King Meaden pour les Detours qui vont devenir ensuite les Who. Dans l’esprit de King Meaden, Townshend, Moonie, The Ox et Daltrey sont des «numbers who liked to be high», high on drugs, high on Drinamyl, bien sûr. Mine de rien, c’est toute la dynamique d’une culture que King Meaden met en route à travers les Who. Il n’en finit plus de faire l’apologie de ce mode de vie Mod, tout au long de l’interview qui est le cœur battant du book - The most amazing sort of life you could imagine ! - Pour lui, c’est la plus belle des vies, the finest, les trois jours sans dormir, the Scene Club. King Meaden évoque les années 1964 à 1967, il évoque les 250 000 Mods d’Angleterre, puis Jimmy James & The Vagabonds, «a purist mod band», et les Who qui sont devenus «the focus of mods». Il compare les 250 000 revolutionary kids aux combattants du Vietcong, et là, ça devient très fort.

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             King Meaden explique encore qu’il a sapé les Who, «boxing boots and fashionable  things», t’as des photos des Who qui prouvent qu’ils sont le plus anglais des groupes anglais. Il rappelle aussi que Moonie était un fan des Beach Boys, Daltrey «a straightforward rocker», The Ox «a serious musical student» et Townshend «an art student» parfaitement au courant des tendances de l’époque. King Meaden les emmène chez Guy Stevens qui leur fait découvrir Link Wray, James Brown et des tas de singles Motown, Stax & Sue. Il leur fait même un compile de deux heures sur une K7. King Meaden s’intéresse au moindre détail des futurs Who : leurs coupes de cheveux, leurs pompes, les paroles de leurs chansons. Turner a raison de dire que King Meaden voit les choses exactement de la même façon que les verra dix ans plus tard McLaren : il ne voit pas seulement un groupe, mais un mouvement. Il y a un parallèle évident entre les histoires des Who et des Pistols : sortis de nulle part, gros son, grands cuts et grands looks. Modernité, originalité et immédiateté. En 1964, les High Numbers jouent au Scene Club devant leur public Mod. Ils tapent des covers de Tommy Tucker («Long Tall Shorty»), des Miracles («I Gotta Dance To Keep From Crying») et le «Pretty Thing» de Bo Diddley. Turner livre là de fabuleuses informations - The groups that you loved when you were a mod were the Who - Boom «My Generation» ! - That’s how the song «My Generation» happened, because of the mods - Eh oui, on les voit danser les Mods sur «My Generation» dans Quadrophenia. Ça ne fait pas un pli. T’as l’impression de vivre un moment historique.

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    ( Keith Moon - Kit Lambert )

             Puis King Meaden va se faire évincer. Kit Lambert et Chris Stamp vont reprendre le management des Who et dédommager symboliquement King Meaden qui les a lancés. Lambert propose aux Who un «lucrative deal», alors c’est dans la poche. King Meaden ne fait pas le poids face à ces deux forces de la nature que sont Lambert & Stamp. C’est Daltrey qui annonce la couleur à King Meaden, lui disant qu’ils vont être payés 20 £ par semaine, «plus our cars». Il n’y a rien d’autre à ajouter : King Meaden n’a pas les moyens de suivre. Lambert l’invite au resto et lui propose 500 £ pour le dédommager. King Meaden qui est un gentil mec accepte et dit merci. Il va compenser avec Jimmy James. De toute façon, The Scene Club ferme en 1966, et en 1967, King Meaden passe à Captain Beefheart et à l’acide. Vers la fin du book, King Meaden conclut ainsi le tragique chapitre des Who : «I think Pete is the greatest mod of all time. And myself.»

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             King Meaden va ensuite perdre Jimmy James & The Vagabonds. Plusieurs raisons sont évoquées. Il semble que la plus plausible soit celle du comptable qui a récupéré le management du groupe. En 1967, King Meaden flashe sur la pochette de Safe As Milk qui trône dans la vitrine d’un disquaire de South Moulton Street. Il écoute ça et découvre un «brother in madness». C’est la période où il essaye de «développer des talents», notamment le duo Dave Brock/Mick Slattery qui vont devenir Hawkwind. King Meaden leur fait écouter Captain Beefheart et fout de l’acide dans leurs tasses de thé. Brock dira à Carol Clerck qu’il fut enchanté de ce trip. Puis King Meaden emmène Brock et Slattery en studio enregistrer une cover de l’«Electricity» de Captain Beefheart. Il va aussi tenter de lancer la carrière de l’immense Donnie Elbert en Angleterre. Mais rien ne sort de tout ça.

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             King Meaden cite à la volée des hits de Northern Soul, l’«Ain’t Love Good Ain’t Love Proud» de Tony Clarke, le «Daddy Rolling Stone» de Derek Martin, Major Lance, Curtis Mayfield & The Impressions. Turner ajoute à cette liste le «Let’s Go Baby (Where The Action Is)» de Robert Parker et «The In Crowd» de Dobie Gray.

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             King Meaden fait aussi l’apologie de la volition, c’est-à-dire la volonté, ou le drive - This is what speed gives you and this is what the mods are all about - C’est presque intraduisible. Le mot français le plus appropriée est sans doute ‘énergie’. D’où l’image de la Mod craze. C’est intimement lié au speed, le fameux Drinamyl prescrit par les médecins pour soigner la dépression, ces cachets triangulaires qu’on appelle aussi Purple Hearts ou Frenchies. «A functional drug», qu’il découvre en 1962. Il n’en est pas à son coup d’essai : il teste la Benzedrine après avoir lu Kerouac. Il reste infiniment littéraire, comme l’est Robert Palmer dans sa relation à l’hero, via William Burroughs. Quand on testait le laudanum, c’était bien sûr en référence à Artaud. Et ainsi de suite. King Meaden ajoute que le Drinamyl a disparu et que son toubib lui prescrit de la Dexidrine. Il revient inlassablement sur le kick du speed, qu’il image - It’s like the kick-start on a motorcycle - et revient encore au «move forward», au «keep moving forward, and that’s what the mod thing is.» Avoir ces cachets dans la poche de son Tonik : «You have paradise on hand». C’est King Meaden qui branche Townshend sur le Drynamil et en échange, Townshend le branche sur l’acide en 1967. King Meaden entre fabuleusement bien dans les détails, et on sait que le soin du détail est le cœur de la Mod culture. 

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             T’es Mod, alors tu danses. Tu ne dragues pas. King Meaden insiste beaucoup là-dessus - Free from libido, from sexual drives - T’es là juste pour avoir du bon temps. Pas de compétition. Il débouche sur la notion de liberté. Ne dépendre de personne. Mod pour lui c’est la liberté, «real free living».

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             Il descend au Scene Club avec son ami Brian Jones. Il insiste encore sur le purisme des Mods, «very private» et paf, il te sort la formule magique : «As I say, modism, mod living, is an aphorism for clean living under difficult circumstances.» Pour lui, tout ce qui comptait était de passer du bon temps, «just having a good time with your own drug which would keep you up.» Et paf, au détour d’une page, il t’apprend qu’il a vécu un temps avec Mick & Keef «in Mapesbury Road, in South West Hampstead».

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             Vers la fin du book, David Bowie dit un truc fondamental, qui éclaire bien tout le propos de King Meaden : «Non seulement j’ai été le premier dans le monde à reprendre une chanson du Velvet, mais je l’ai fait aussi avant que l’album du Velvet ne sorte. Now that’s the essence of Mod.» Jean-Yves qui était fasciné par la Mod culture expliquait que les Mods anglais étaient précurseurs en tout. Turner dit qu’un Mod est «at the cutting edge of the youth fashion», mais connaît aussi «all the hottest records, clubs, coffee bars, boutiques, trends and parties.» C’est génialement bien résumé.

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             King Meaden revient dans le cercle des Who en 1978 lorsqu’il bosse pour leur manager Bill Curbishley. Et paf, il tombe en plein dans la préparation du tournage de Quadrophenia, et bien sûr, il s’identifie pleinement au personnage de Jimmy qu’incarne Phil Daniels. Il va filer un sacré coup de main au réalisateur Franc Roddam. S’il en est un qui peut documenter la Mod culture, c’est bien King Meaden ! 

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             Le dernier gros coup de King Meaden sera le Steve Gibbons Band. Pour l’aider à se remettre du choc d’avoir été dépossédé des Who, les Who lui filent un coup de main, via leur structure Trinifold, pour manager financièrement le Steve Gibbons Band. Comme Gibbons est encore sous contrat avec Tony Secunda, Bill Curbishley rachète le contrat de Gibbons pour l’offrir à King Meaden. Musicalement, Gibbons va plus sur Chucky Chuckah que sur la Mod craze, mais c’est pas grave, puisque King Meaden a flashé sur lui. En 1977, Gibbons aura un hit avec une cover de «Tulane». King Meaden fait intervenir son ami Kenny Laguna (futur manager de Joan Jett) sur l’album Rollin’ On.

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             Comme on le craignait, le Rollin’ On du Steve Gibbons Band n’est pas l’album du siècle, même produit pas Kenny Laguna. C’est donc un son très américain, mais d’une banalité sans nom. Aucun espoir. Gibbons tape un country rock affreusement toc. Il se prend pour les Eagles. Au bout du balda tu croises le fameux «Tulane», mais t’en feras pas tes choux gras. En B, il tape une power pop à la mode californienne avec «Please Don’t Say Goodbye», bien éclairée par un big soloing à la mode US. Comme il y a deux lead guitaristes, Dave Carrol et Bob Wilson, tu ne sais pas lequel joue. Te voilà bien avancé.

             Puis King Meaden se fout en l’air. Six mois plus tard, Moonie casse sa pipe en bois suite à une overdose. 

    Signé : Cazengler, Peter Mitaine

    Steve Turner. King Mod. The Story Of Peter Meaden, The Who, And The Birth Of A British Subculture. Red Planet Book 2024

    Steve Gibbons Band. Rollin’ On. Polydor 1977

     

    Inside the goldmine

     - Sweet au prochain numéro

             Pour trouver Baby Sweet, il fallait aller jusqu’à Stalingrad et enfourner la rue du Chaudron, se glisser furtivement sous un porche avachi et grimper deux étages de marches vaincues par le temps. Tout dans cet endroit indiquait le plus absolu des renoncements : marches, murs, odeur, lumière. Drrring ! Elle ouvrit sa porte dès le premier coup de sonnette.

             — Bonjour cher ami !, lâcha-t-elle d’un ton enjoué.

             — Dear Baby Sweet, la gaieté de votre accueil me console des peines infligées par vos deux étages !

             Elle avait le physique très guilleret des petites femmes de Paris, telles qu’on se les représentait dans les années cinquante : corpulence plutôt fluette, taille de guêpe, visage poupon et bien rond, coiffure artificiellement frisée de cheveux châtain coupés courts, lunettes classiques à fines montures métalliques, tout cela enrobé d’une gouaille de type Arletty. Elle portait un chemisier noir négligemment passé dans un pantalon de flanelle noire. Nous prîmes place dans la banquette un peu défoncée du salon. L’appartement paraissait lui aussi avoir renoncé à tout, surtout au ménage. Il se trouvait dans un état de délabrement peu banal : la moquette élimée fourmillait de miettes. Cette nonchalance ménagère cachait peut-être quelque chose d’intéressant. L’explication ne tarda pas à se manifester en la personne d’un chat. Monsieur Mistigri sortit de la pièce voisine et vint renifler les jambes du visiteur. Baby Sweet semblait passionnée par son chat. Elle en décrivit dans le détail le tempérament et les manies, les sautes d’humeur et l’antériorité, les coupures d’appétit et les tentatives de fugue. Monsieur Mistigri ne se nourrissait que de biscuits et de friandises. D’où les miettes. Profitant d’une faille dans le soliloque, il glissa une requête :

             — Que pourrait-on boire pour agrémenter cette charmante conversation ?

             Prise au dépourvu, Baby Sweet s’excusa platement d’avoir manqué à ses devoirs d’hôtesse et proposa au choix de l’eau minérale ou du thé. Alors qu’elle préparait le thé dans la cuisine, il dut se résoudre à mettre les bouts. Pas question pour lui d’explorer les voies impénétrables de Baby Sweet, c’est-à-dire ses métiers, ses ex, ses goûts culturels et, pire encore, ses goûts sexuels, et d’y mélanger les siens, qui ne lui inspiraient que de la honte. 

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             On peut espérer que les Sweet Inspirations faisaient le ménage chez elles. Et qu’elles ont rencontré des mecs plus intéressants que celui cité plus haut. Elles furent longtemps les protégées de Jerry Wexler, puis d’Elvis, à Las Vegas. Elvis avait même réussi à les imposer au Colonel qui ne voulait que des blancs sur scène. Ah ce fucking Colonel !

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             Le premier album des Sweet Inspirations est un bel Atlantic sans titre de 1967. Belle pochette, les chicks te foutent bien l’eau à la bouche. Oh les cuisses, oh les cuisses, elles me rendront marteau ! T’as Cissy impératrice, Myrna Smith, Sylvia Shemwell et Estelle Brown. Tu veux jerker, baby alors tiens, voilà leur vision de «Knock On Wood», elles te gospellisent le Knock au softy du smooth, avec un fabuleux angle d’attaque. Le Kock te fond dans la main. Elles tapent aussi le «Don’t Fight It» de Wilson Pickett, elles sont magnifiques de get up, et d’here you sit yeah !, elles en font un real deal. Cissy remonte encore les bretelles du cut à coups d’I like the way you move et les chœurs de feel it t’explosent littéralement sous le nez. Elles tapent aussi dans Burt en B avec «Reach Out For Me», ce n’est pas le meilleur Burt mais elles te le groovent à merveille. Ça fait boom car la puissance interprétative s’ajoute à la puissance compositale et elles envoient Burt valdinguer par-dessus les toits. Pur Black Power de pouliches offertes ! Elles tapent aussi le «Don’t Let Me Lose This Dream» d’Aretha, elles n’ont aucun problème pour aller gueuler au sommet de l’Ararat d’Aretha. En B, elles tapent le «Sweet Inspiration» de Dan Penn à la clameur de gospel. Il faut les voir monter le Penn en neige. C’est quelque chose, d’autant que c’est produit par Tom Dowd et Tommy Cogbill. Elles tapent aussi l’«I’m Blue» d’Ike au choobeedoo beedoobeedoo, c’est fin et farci de feel à la patte du caméléon. Elles terminent avec «Why (Am I Treated So Bad)», un slow groove de Pops Staple. C’est une plongée dans le deepy deep de la Soul, la pire de toutes, celle des champs de coton. La Soul n’a jamais aussi bien porté son nom. Elles en font leur terrain d’excellence. Bravo les filles !

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             Cissy impératrice reprend son vrai nom (Drinkard) pour Songs Of Faith & Inspiration. C’est le bon gros gospel d’Atlantic. Dès «What A Friend», Cissy t’explose vite fait le gospel, le ciel, l’église en bois, boom ! Elle est la plus puissante du monde. «I Shall Know Him» est encore du pur gospel batch. Cissy impératrice s’échappe dans le ciel. C’est Myrna Smith qui prend «Swing Low», elle n’a pas du tout la même voix, elle est beaucoup plus veloutée. Les quatre Sweet sont d’extraordinaires solistes, comme on le voit ensuite avec Sylvia Shemwell et «Guide Me». Accent plus mûr, un peu fêlé. En B, c’est au tour d’Estelle Brown de charger la barcasse sur «He’ll Fight». Cissy revient avec «Without A Doubt», elle est beaucoup plus directive, elle pèse de tout son poids, elle expurge le gospel de tous ses péchés. On la voit ensuite chauffer son «23rd Psalm» à la folie. Ah, il faut l’entendre screamer dans le round final ! Et puis t’as Estelle Brown qui revient swinguer «Down By The River Side» avec un tambourin. Wild as gospel fuck !      

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                  Elles attaquent What The World Needs Now Is Love avec deux covers de Burt, «Alfie» et le morceau titre. Mais ça ne marche pas, elles chantent trop à la force du poignet, Burt est trop fin pour une femme à poigne comme Cissy. Dommage. Elles prennent le morceau titre à la voix perchée et ça foire lamentablement. Cissy n’est pas assez sexy pour Burt. Elles s’en tirent mieux avec le «Watch The One Who Brings You The News» de Don Covay. Il faut dire de Tom Dowd veille au grain. Elles font un numéro de haute voltige avec «Am I Ever Gonna See My Baby Again», monté sur un bassmatic en escalier et des nappes de violons au fond du son. On ne sait hélas pas qui joue le bassmatic. C’est en B que tu trouves leur fantastique version de «Walk In My Shoes». Pur Black Power ! Le wild r’n’b est leur vrai fonds de commerce. Ce que vient confirmer «I Could Leave You Alone», un r’n’b fabuleusement chaloupé, quasi gospel. Soul éternelle encore avec «You really Don’t Mean It». Ah comme elles sont bonnes pour le rumble ! Voilà un album qu’il faut bien qualifier de passionnant.    

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              Deux petites merveilles sur Sweet For My Sweet : «Get A Little Order» que Cissy mène au poumon d’acier, et «Crying In The Rain», un hit signé Carole King. David Hood se retrouve au devant du mix avec son bassmatic. Bien joué, Hoody boy ! Sa basse pouette savamment. Encore de la fantastique allure avec l’«Always David» d’Eddie Hinton, my yoyo hero/ I love you ! Elles sont irréprochables, de toute façon. Elles font aussi de la petite pop de Brill avec l’«It’s Not Easy» de Barry Mann & Cynthia Weil, et en B, tu vas retrouver le morceau titre signé Doc Pomus/Mort Shuman qui a donné «Biche O Ma Biche» en français. Là il faut remonter au temps de Salut Les Copains et de Frank Alamo. Disons qu’il s’agit d’un album classique, à l’image du «Don’t Go» d’Ashford & Simpson : Soul très chantée, très composée, très orchestrée, très Atlantic. 

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             En dépit de sa belle pochette Soul, Sweet Sweet Soul n’est pas le meilleur album des Sweet. Elles ont quitté Muscle Shoals pour aller enregistrer chez Gamble & Huff. On devra se contenter de «Shut Up». Elles s’y montrent explosives. Elles y font de l’Aretha avec la même niaque fondamentale, mais en mode Philly Soul. On se régale bien sûr du «Give My Love To Somebody» qui suit, car c’est un groove fabuleux de délicatesse, bien coulé dans le moove du Somebody. Là on est au cœur de la Philly Soul, une Soul beaucoup plus racée. Encore de la Soul sophistiquée avec «Two Can Play The Game», Cissy chante ça dans le haut du panier, à l’écarlate. Comme «(Gotta Fiind) A Brand New Lover» est signé Gamble & Huff, on s’incline devant cette incroyable sophistication, tout est joué au délié prémonitoire. Et puis en B, Gamble & Huff récidivent avec «Them Boys» une belle tranche de Soul secouée aux percus, encore du très grand art de look out for them boys. Elles sont magnifiques de docilité.  

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             Plus de Cissy impératrice sur Estelle, Myrna & Sylvia, un bon vieux Stax de 1973. Mais attention, toutes les compos sont signées David Porter/Ronnie Williams, gage de qualité et de sophistication. C’est une Soul très ambitieuse, solidement orchestrée, presque jazzée. «Wishes & Dishes» est un slowah superbe et sculptural. On entend de la belle harangue de Black Power dans «Slipped & Tripped», bien axée sur l’Aretha, et du joli swing de Stax dans «Pity Yourself». Robert Thomas gratte ça à la clairette. Cette Soul vise résolument l’aventure intellectuelle. Ray Griffin signe le bassmatic bien rond d’«All It Takes Is You & Me». En B, «Emergency» s’en va groover sous le boisseau de Porter, un boisseau d’or fin. Elles vont chercher des harmonies vocales troublantes. Porter sait travailler l’esprit d’une Soul audacieuse et d’une éclatante modernité. Il fait aussi de «Call Me When When All Else Fails» une merveille contemplative, montée sur le dos rond de Ray Griffin. Et puis avec «The Whole World Is Out», t’as encore une mélodie chant qui ne tient qu’à un fil, mais quel fil ! Les Sweet sont les crackettes de la haute voltige. C’est noyé d’orgue et chanté à la pointe d’une belle petite glotte rose et humide, avec la meilleure bonne volonté du monde. Et quelle prod !       

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             Sur le dernier album des Sweet, Hot Butterfly, ne restent plus que Myrna Smith et Sylvia Shemwell. Estelle est partie. Elles proposent un diskö-funk urbain et maintiennent un bon niveau de blackitude. Le morceau titre est assez beau, tenu par le chant impeccable de Sylvia. On retrouve Sylvia en B, avec «Love Is On The Way», très beau cut de diskö des jours heureux, et plus loin, Myrna tape dans la good time d’«It’s The Simple Things You Do» et ça lui va comme un gant. C’est un bonheur que de les écouter chanter.

    Signé : Cazengler, Sweet aspirateur

    Sweet Inspirations. Sweet Inspirations. Atlantic 1967   

    Cissy Drinkard & The Sweet Inspirations. Songs Of Faith & Inspiration. Atlantic 1968         

    Sweet Inspirations. What The World Needs Now Is Love. Atlantic 1968     

    Sweet Inspirations. Sweet For My Sweet. Atlantic 1969  

    Sweet Inspirations. Sweet Sweet Soul. Atlantic 1970  

    Sweet Inspirations. Estelle, Myrna & Sylvia. Stax 1973       

    Sweet Inspirations. Hot Butterfly. RSO 1979

     

     

    L’avenir du rock

     - Pour Kim sonne le glas

    (Part Two)

             Si tu souhaites rencontrer des gens intéressants, fais comme l’avenir du rock, va errer dans le désert. Ceux qui croient que le désert est désertique se fourrent le doigt dans l’œil. «Jusqu’au coude», ajouterait l’avenir du rock s’il lui restait un peu d’humour, mais comme il puise dans ses réserves pour continuer d’errer, il se contente du minimum, c’est-à-dire penser avec ses pieds. Un jour, alors qu’il marche vers ce qu’il imagine être l’Est, il voit s’élever devant lui un gigantesque nuage de sable. «Oh une tempête de sable, comme dans Un Taxi Pour Tobrouk !», s’exclame-t-il émerveillé. Hélas, c’est pas ça du tout ! Il s’agit d’une marée humaine. Des millions de guerriers armés de lances, de sabres, de mousquets et de boucliers ! L’avenir du rock se met sur le côté pour les laisser passer et en chope un pour lui demander :

             — Zallez où comme ça ?

             — Zallons faire un cartoon à Khartoum !

             — C’est qui le zig sur la mule avec le turban ?

             — M le Mahdi ! M le Mahdi a dit : «Pas de quartier à Khartoum !»

             Bon. L’avenir du rock ne sait pas quoi répondre, alors il repart vers ce qu’il imagine être l’Est. Quelques semaines plus tard, il revoit s’élever un gigantesque nuage de sable. C’est l’armée d’M le Mahdi qui rentre au bercail. L’avenir du rock se met sur le côté et chope l’un des guerriers pour lui demander :

             — Alors, c’était comment Karthoum ?

             — Karthoum kapout ! Couic les kékés !

             — C’est à qui la tête fichée sur la pique, là-bas ?

             — C’est celle de fucking Gordon Pasha !

             — Pffff, on s’en branle de Gordon Pasha. C’est Kim Gordon qu’y vous faut, les gars.

     

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             En mai dernier, Kim Gordon se produisait au Koko de London town. Elle tournait pour la promo de son No Home Record et Uncut se prosternait jusqu’à terre - Yet such is her allure as art-rock royalty, any appointment with Gordon is well worth keeping - Alors ça, c’est de la formule ! Le mec ajoute qu’elle n’a pas de temps pour le passé - no time for the past - Allez hop, le mec enchaîne aussi sec en passant en revue tous les coups d’éclat de l’art-rock royalty, Glitterbust, Body/Head et bien sûr le book Girl In A Band. À quoi il faut ajouter ses «paintings, video, installation exhibited around the world». Alors maintenant elle challenge l’indie-rock de plus belle et sur scène, les cuts de No Home Record sonnent comme du heavy no-wave grind

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             Et tout ceci s’actualise avec la parution de The Collective, son nouvel album solo. Il ne faut pas perdre de vue que l’art-rock royalty est aujourd’hui une mémère de 70 balais. Tu rapatries l’album vite fait, tu te frottes les mains, et dès «Bye Bye», tu ravales ta bave et tu commences à déchanter. Ah la gueule de l’art-rock royalty ! C’est de l’electro-shit de machine à laver. On perd toute la belle niaque de No Home Record, on perd la gratte et on perd la Kim. Au fil des cuts, elle se traîne dans son electro-shit, ça ne marche pas. Mais alors pas du tout ! Son «I’m A Man» n’est pas celui de Muddy Waters. Elle se noie dans une foutaise d’electro-shit de la pire espèce. On entend enfin une gratte dans «It’s Dark Inside». A-t-elle perdu la raison ? On l’entend un peu chanter, d’une voix de mémère qui s’énerve. On arrive vers la fin de cette merveilleuse arnaque de brouillage électro. Pas de grattes, rien que des machines à coudre de mémère infortunée. Cet album est une injure à sa carrière et à toute sa modernité. C’est foutu. On ne peut plus rien faire pour elle. Même pas l’écouter. Elle finit à la hâte avec «Dream Dollar», le seul écho de New York City sludge.

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             C’est d’autant plus dramatique qu’April Long lui consacre six pages dans Mojo et titre en mode bim bam boom ‘Music Art Revolution’, avec un gros ART en cap blanches d’Helvetica extra-bold. Ah tu parles ! La gueule de la Music Art Revolution ! On dirait que l’April n’a pas écouté The Collective, car elle ose dire qu’avec ça, la Kim «repousse ses frontières créatives to the limit.» Ah la gueule des limits ! C’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de s’offusquer, alors on en profite. Car avec The Collective, elle revient exactement à l’endroit où Sonic Youth a commencé à se foutre de la gueule des gens. Si tu veux faire de l’expérimental, cocote, commence par t’appeler Yannis Xenakis. Après on verra. Mais comme la mémère nous a bluffé avec No Home Record, alors on lit les six pages.

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             Mémère Kim emmène la Mojote en pélerinage dans les rues de New York. C’est un bon angle d’attaque. Ça commence par le 84 Eldridge Street, in downtown Manhattan, où le couple Moore/Gordon a vécu de 1980 à 1990. À deux pas du CBGB, comme par hasard. Alors elle commence à papoter, évoque les smartphones et le son qu’elle recherche, «making things as fucked-up as possible», elle revient au dirty distorded sound dans lequel elle a évolué avec Sonic Youth pour tenter d’en repousser encore les limites, elle dit aimer pousser le bouchon, «she loves to be pushed, challenged, questioned.» C’est là où ça devient intéressant : ça a marché avec No Home Record, pas avec The Collective. Cette pomme de terre d’April Long ose dire que les cuts on The Collective «are three dimensional soundscapes», avec des bruits qui se grattent les uns les autres, et la chute n’en est que plus lamentable : «En clair, c’est une façon de dire à ceux qui croient qu’on ne peut pas faire un album incendiaire à l’âge de 70 ans qu’ils se foutent le doigt dans l’œil.» Ça confirme ce qu’on soupçonnait : l’April n’a pas écouté l’album. Sinon, elle aurait écrit : «En clair, c’est une façon de dire qu’il vaut mieux éviter de faire un album incendiaire à l’âge de 70 ans.» Finalement, on s’amuse bien à lire cet article. Et puis tu as une autre pomme de terre qui déclare que The Collective pourrait bien être «the next Nirvana or something». Là tu commences à te marrer pour de vrai. La lecture devient palpitante. Tu lis rarement des âneries pareilles. 

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             Puis mémère Kim embraye sur Body/Head. C’est une autre histoire. Cette fois, elle fait équipe avec un certain Bill Nace, qu’elle a rencontré quand elle vivait dans le Massachussetts, après le split de Sonic Youth. Mémère Kim n’avait plus rien à perdre, «just go down in a basement with Bill and just start playing music for music’s sake.» Nace fait de la noise. Nace bat le nave. Trois albums dont le premier s’appelle Coming Apart. Digi underground avec photo bien floue à l’intérieur. La pauvre Kim s’y épuise à vouloir faire de la modernité de carton-pâte. Comme son nom l’indique, «Abstract» est très abstrait. Elle y gratte des poux indignes. C’est le genre d’album qui te met en colère. De cut en cut, tu la vois se complaire dans la cacaphonie. On la sent déterminée à ruiner tous ses efforts. Elle est trop barrée. «Everything Left» se barre tout seul. «Can’t Help You» te réveille en sursaut avec ses belles giclées de poux liquides, délétères et imberbes. Une vraie infection. Puis avec «Aint», elle se prend pour Nico. C’est assez liturgique - I got my boots/ I got arms/ I got my sex/ I got my legs - elle est encore plus barrée qu’on ne l’imagine. Ailleurs sa guitare dissone. C’est à qui va craquer le premier : toi ou elle ? Elle s’amuse avec sa gratte et ça finit par devenir pénible. «Free-form waves of shuddering feedback.» Tu parles ! Kim est ravie de cet experiment qu’elle qualifie de «the most pure thing I do.» Elle dit aussi vouloir secouer la poussière de trente ans de Sonic Youth. En soi, c’est admirable. Mais Coming Apart n’est pas bon. Trop complaisant. Rien à voir avec le supremo No Home Record.

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             Mais la curiosité reprend le dessus et bien sûr, on en écoute un autre, No Waves, un Matador de 2016, avec une titraille écrite à la main. Toujours deux grattes. Et toujours expérimental. Et toujours aussi déprimant. Le troisième s’appelle The

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    Switch, orné d’une belle photo de scène. On voit Kim grattant sa gratte dans le dos et accroupie, comme si elle faisait caca, elle fait son G.G. Allin. Au dos, t’as encore une photo de scène avec Bill Nace au premier plan. On retrouve la volonté affichée d’experiment. Franchement, qui va aller écouter ça ? Ils exagèrent. Ils se croient cultes, alors ils font n’importe quoi. Leur «Dark Room» n’est hélas pas celui des Chrome Cranks. C’est autre chose, du genre grosse arnaque. C’est atrocement inutile.

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             Tu ne vas pas le croire : c’est encore pire avec Glitterbust, un autre side project qu’elle mène avec Alex Knost. On ne sait pas d’où sort ce Knost et on ne veut pas le savoir. Le Glitterbust se présente sous la forme d’un double LP, avec en moyenne un cut par face qui se joue en 45 tours. Pour résumer la chose, disons que c’est l’ambiancier de l’inutile. Encore une arnaque. La mémère est en baisse, et ça rabat bien le caquet de l’avenir du rock. Le seul cut écoutable est l’«Erotic Resume» en B, un brave cut. On lui tape dans le dos, merci mon pote ! Mais en C, ça repart en eau de boudin avec un plaintif mordoré. On se croirait chez Sonic Youth. La pauvre mémère, elle ne sait faire rien d’autre dans la vie. Et tu vas voir la gueule de «Nude Economy» en D, sait-on jamais ? Là, t’attige, Tata. Le rock ? Tintin, Titine ! Belle arnaque d’antho à Toto. Tu l’as dans le baba, Bobo. Tu l’as dans le cherry, Bibi. C’est pas jojo sous le tutu. Tu t’es fait enfler, Floflo.

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             On a déjà épluché trois Free Kitten dans un Part One. Voilà le quatrième, Sentimental Education. Pour mémoire, Free Kitten est le duo que Kim a monté avec Julie Cafritz, l’ex-Pussy Galore. Ça vaut le coup d’écouter cet album flaubertien pour trois raisons, dont la principale s’appelle «Never Gonna Sleep». Elles y drivent bien leur biz de pur jus d’inventivité underground, avec un bassmatic au devant du mix, et un gratté de poux fantômes. Elles exploitent leur mine d’or. La deuxième raison est ce fantastique hommage à Gainsbarre en ouverture de bal : «Teenie Weenie Boppie». C’est d’une délicatesse infinie. J. Mascis y bat un beurre bizarre. S’ensuit une pure énormité new-yorkaise, «Top 40». What a rockalama ! «Bouwerie Boy» est une belle pop-punk de type Sonic Youth qui vaut le déplacement. Avec l’instro long et hypno du morceau titre, elles restent dans l’esprit Sonic Youth, et font du girlish goulish. Puis du weirdy weird avec «Eat Cake». Mais tu croises aussi des cuts complètement paumés, bien largués des amarres. Ça fait partie du jeu d’art-rock royalty. Elles donnent du temps au temps et elles font même du jazz de round midnite avec «Daddy Long Legs»

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             Si tu veux compléter le tour du propriétaire, tu peux aussi aller écouter Naked In Garden Hills d’Harry Crews, un groupe qu’elle a monté en 1990 avec Lydia Lunch (gratte) et Sadie Mae (beurre). Il n’est pas facile à choper mais t’es content de pouvoir l’écouter, surtout pour «Man Hates A Man», jolie slab de trash punk, ça dégringole dans les escaliers de l’hardcore punk, c’est une musicalité du chaos vite avalée par le bassmatic glouton de Kim. Mais diable, comme Lydia chante mal ! Nouveau choc esthétique avec «Gospel Singer» qui n’a rien à voir avec le gospel, puisqu’il s’agit d’un heavy groove allumé par derrière. C’est l’hypno du fracas des armes. On sent chez elles un goût pour le chaos total, comme le montre encore «Knock-Out Artist», un slab de wild New York City shuffle, mais quand Lydia chante, elle fait mal aux oreilles. Dans «Car», elle parle d’une Chevrolet Convertible et le rock reprend la main sur l’experiment. Quel envoi et quel punch ! Modèle absolu d’excelsior parégorique, ça y va au deep into my vein. Elles bouclent leur bouclard avec un «Orphans» stompé dans les règles. Mix d’hard nut rock et de pur chaos.

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             C’est à April Long que reviendra le mot de la fin (provisoire), car elle dit en deux phrases tout ce qu’il faut retenir de Kim Gordon. Un, qu’elle fut the most punk-rock in Sonic Youth, puisque, comme elle le dit si bien elle-même, «I was the only one who knew nothing about music.» Et deux : «She is at heart an explorer. Et sa capacité à faire de la musique d’avant-garde abstraite et expressionniste est aussi flagrante sur The Collective qu’elle le fut sur Bad Moon Rising en 1985.» C’est à Nace que revient l’autre mot de la fin (provisoire) : «She never has given a fuck what people think. She never will.» Alors, tu t’inclines respectueusement, même si The Collective te reste coincé en travers de la gorge.

    Signé : Cazengler, Kim Gourdin

    Free Kitten. Sentimental Education. Wiija Records 1997

    Body/Head. Coming Apart. Matador 2013

    Body/Head. No Waves. Matador 2016

    Body/Head. The Switch. Matador 2018

    Glitterbust. Glitterbust. Burger Records 2016

    Harry Crews. Naked In Garden Hills. Widowspeak Productions 1990

    Kim Gordon. The Collective. Matador 2024

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    Piers Martin : Kim Gordon. Koko London May 2023. Uncut # 303 - August 2023

     

    *

             La piste indienne je l’ai souvent empruntée. C’est facile, il suffit de suivre la moindre des sentes qui s’offre à vous. Whathéca Records. Pas à se tromper, cela sonne indien.  Une chaîne You Tube, pas beaucoup de vidéos présentées.  A peine 68. Uniquement des vieux disques ou des cassettes enregistrés sous forme de vidéos fixes dont les musiciens sont d’origine indienne. De toutes les tribus. Pourtant vous avez l’impression d’être tombé sur un site de country and western, sur les photos davantage de cowboys que d’indiens. Phénomène d’acculturation. Si vous écoutez, déception, ce ne sont pas des chants d’origine tribale ne relevant pas d’enregistrements ethnographiques. Ces artefacts ne se sont pas vendus à des milliers d’exemplaire. Si l’on en croit les commentaires sous les vidéos, certains se souviennent d’avoir enfants entendu tel ou tel disque et manifestent leur joie à le réécouter. Le coup de la madeleine de Proust fonctionne donc chez ces sauvages rouges indiens, l’Homme serait-il une race universelle !

             J’ai hésité les Fenders m’ont séduit, remarquez avec leur galopade d’Apache les Shadows ont dû avoir la cote dans les réserves. Peut-être leur consacrerais-je de ma plus belle plume une kronik d’ici peu. Je ne sais pas pourquoi j’ai flashé sur cette pochette, pas particulièrement originale, très country, mais je savais qu’il fallait se focaliser d’abord sur celui-ci. A première écoute je n’ai pas accroché. Mais si tu ne vas  pas chercher l’aigle, l’aigle ne viendra pas à toi.

    BRB

    BUDDY RED BOW

    (First American / 1980)

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             Surpris par la pochette. Me suis demandé trente secondes et demie ce que pouvaient signifier ces trois lettres, simplement les initiales de Buddy Red Bow ! Sans doute un signe de fierté indienne, revendiquer son nom c’est déjà imprimer son efficience sur le monde.

    Né en 1948, mort en 1993. Il est des dates qui ne trompent personne, même pas la mort. Ce n’est pas qu’un bon indien soit un indien mort. L’est mort jeune. A 44 ans. Hélas l’âge moyen de décès dans les réserves indiennes se situe autour de 52 ans. L’alcoolisme ne les aide guère… Or Buddy Red Bow est décédé d’une cirrhose du foie… Les statistiques sont parfois troublantes…

    Warfield Richard, adopté  par Maize et Stephen Red Bow, Buddy Red Bow a vécu dans la réserve lakota dans le Dakota du Sud. C’est devant la porte de la prison de Pline Ridge que sa mère avait abandonné ce bébé de douze mois… Buddy quitte le lycée à dix-sept ans pour devenir acteur. Tous ceux qui ont vu La Conquête de l’Ouest sorti en 1962 - les fans de Led Zeppelin seront heureux d’apprendre que How the West Wass Won était son titre original – ont donc pu apercevoir BRB dans son premier rôle. Il apparaît aussi dans  Young Blood II en 1990, l’est crédité sous le nom de Chef Buddy Redbow suite au film  Powhow Highway (1989)  dont un des personnages qui lutte pour empêcher la délocalisation de sa tribu et se bat pour tirer sa fille de la drogue se nomme Buddy Red Bow…  Thunderheart (1992) est tourné dans la réserve de Pline Ridge et met en scène l’occupation en 1973 par l’American Indian Movement  de Wounded Knee, lieu d’un terrible massacre en 1890. Il est normal que BRB ait trouvé un rôle à sa mesure dans ce film.

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     Les informations sur BRB, sont rares et peu précises. Il se maria avec Hamilton Barb, ils eurent une fille nommée Stardust. Hamilton quittera Buddy, trop de bruit, trop de monde dans la maison, on boit et on chante toute la nuit… Le couple resta en bon terme, aujourd’hui Stardust travaille aux Veterans Affairs le fait qu’elle s’occupe du Black Hills Health Care System n’est sans doute pas dû au hasard, son père est  revenu du Vietnam souffrant de troubles post-traumatiques mais il a toujours refusé de se faire soigner…

    Stardust raconte son père dont elle est fière. Il a connu de grands noms parmi les Outlaws, Willie Nelson et Waylon Jenning par exemple, mais ses disques n’ont pratiquement été diffusés que sur les radios locales des réserves indiennes… Il n’était jamais invité dans les conventions de disques, y entrait en tant que client et se débrouillait pour exposer ses albums sur  un coin de table… L’a dû batailler fort pour recevoir les aides afin de monter son propre label. Stardust avance une autre explication pour expliquer pourquoi sa carrière n’a jamais décollé, au dernier moment Buddy trouvait le moyen de saboter les routes qui s’ouvraient à lui. D’après elle il avait peur de réussir, de se retrouver pris dans un tourbillon qui l’aurait dépassé, qui l’aurait coupé de ses racines indiennes, il ne désirait pas devenir une star ayant crainte d’avoir à renoncer à ses convictions, à édulcorer son combat pour la défense de son peuple. L’était un artiste considéré comme un activiste indien, aujourd’hui par les temps qui courent, n’en doutons pas, il serait catalogué de terroriste.

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    Indian Reservation : (cette chanson écrite par John D Loudermick a été interprété par Marvin Rainwater en 1959, l’anglais Don Fardon et Paul Revere & The Raiders la rendront célèbre. Tout comme Elvis Presley Marvin Rainwater avait du sang cherokee dans ses veines…)   l’original, tout de même intéressant à écouter,  de Marvin Rainwater a des allures un peu indien de pacotille, pour cette reprise, symboliquement quasi-obligatoire,  BRB a gommé tout arrangement pseudo-folklorique, n’en a pas pour autant recherché une authenticité ethnographique, le timbre de sa voix est très différent, tout en s’en rapprochant, de Presley mais son orchestration mélodramatique n’est pas loin des titres grandiloquents d’Elvis style An American Trilogy, BRB  fait avant tout passer le message, le morceau commence par une sombre évocation de la longue marche des Cherokees et de ce qui s’en suivit, la perte de leur identité et de leur culture, mais DRB étend le sort cruel réservé aux Cherokees à celui de toutes les tribus Lakota, Mohawk, Navajo, à l’ensemble du peuple indien. Sur la fin, la flèche de feu du violon est de toute magnificence. Baby’s gone : les   paroles ne sont pas les mêmes mais le thème et le lent tempo sont identiques au morceau de Conway Twitty. Rappelons que Twitty débuta chez Sun, rockabilly boy à ses débuts, dès les années soixante il se tourne vers le country, sa voix rappelle un peu celle d’ElvisBRB reprochait à son premier opus d’être trop conutry and western, les paroles du gars qui se retrouve seul évoque les scénarios de Mickey Newburry.  Myrna : tout ce qu’il faut pour être heureux, premier amour de dix-sept années une pedal steell angélique, des chœurs dignes du paradis, vous ne trouverez pas mieux, évidemment si vous préférez l’enfer vous n’aurez peut-être pas tout à fait tort. … You’re not tne Only One : la voix de l’homme qui a beaucoup vécu, qui sait qu’il n’est ni meilleur ni pire qu’un autre, la sagesse ne consiste-t-elle pas à se satisfaire de ce qui s’offre trop rarement à vous, de ces instants  trop brefs miraculeusement gagnés sur la tristesse de l’existence   des vaincus de la vie, une belle voix grave pour affirmer que ce n’est pas grave de se contenter de peu.  Une mélodie à faire verser de vraies larmes à un crocodile. Indian Love Song : d’apparence une douce, tendre et paisible chanson d’amour, sur un tempo lent une voix chargée d’émotion, il promet, il assure qu’il reviendra, suffit de comprendre, un guerrier qui part à la guerre pour défendre son peuple… qui attendra verra… Standing Alone : à ne pas écouter, l’intro est un véritable générique de film, mais le héros est seul, certes il tient encore debout mais l’intérieur est effondré, coulent les larmes du violon, enfonce la batterie des pieux dans son cœur, à bout de ressource, n’a même plus une joue à offrir pour recevoir une gifle… qui éprouverait le besoin de lui en donner une d’ailleurs ! Si vous êtes cafardeux avant d’écouter achetez la corde au bout de laquelle vous vous pendrez. Pistolero : j’étais content, j’ai cru que

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     c’était la reprise de Pistolero de Dean Reed, le Red Elvis comme on le surnommait. Rouge non pas parce que dans ses veines circulait du sang indien, pas vraiment un activiste rouge, du moins pas à la manière de Buddy, natif du Colorado, Reed s’installa en Argentine où il était davantage célèbre qu’Elvis. Confronté à la misère des  peuples sud-américains il devint un marxiste convaincu et ne tarda pas à passer de la théorie à la pratique, fit une tournée en URSS, c’est comme cela vers 1965-1966 que j’appris son existence par un article paru dans L’Humanité, journal du Parti Communiste Français, il finit par se fixer en RDA (Allemagne de l’Est) et travailla pour les services secrets de la Stasi… on retrouva son corps en 1986 dans un étang, s’est-il suicidé, serait-ce une vengeance de la CIA ou de la Stasi qui jugeait que sa foi en le Socialisme avait plus que vacillé… bref un artiste de country and western que l’on ne porte aux nues aux USA… Dernier clin d’œil Reed tourna comme BRB  à plusieurs reprises dans des westerns…Me faut maintenant évoquer un autre chanteur, qui correspond davantage aux valeurs traditionnelles américaines, Johnny Cash et son Ring of Fire. Le ‘’ Pistolero’’ de Buddy est orchestré de la même manière, mariachi et trompette. Cash and Bow possèdent tous les deux une voix forte et grave, le timbre  de Cash s’avère plus sombre, normal ce n’est pas le man in red mais le man in black ! L’on sent l’ironie et la désillusion de Buddy, la fatigue de vivre et de poursuivre sa route jusqu’au bout de la piste, pour toute arme il ne possède que ses chansons, à chacun son flingue, à chacun sa solitude. Fifth dream : le cinquième rêve c’est un peu comme le cinquième élément, inatteignable, aux grandes questions la grande musique, les grandes orgues du lyrisme, voix ample et majestueuse assez puissante pour aller tutoyer les anges, l’on flirte un tantinet avec le gospel, n’y a plus qu’à se laisser porter, qu’à se laisser emporter. Grandiose. Just can’t take anymore : retour à la vie profane, la prison de la solitude, l’enfermement dans la privation charnelle, le thème mille fois ressassé du chanteur abandonné à lui-même, confronté à ses propres désirs fantomatiques, qui voudrait rentrer à la maison, bien sûr l’on connaît cette thématique jusque par-dessus les oreilles, mais quand il y a la voix qui vous saisit aux tripes, toute cette tristesse du monde vous tombe dessus et ne vous lâche plus.

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    South Dakota Lady ( Tina’s song) : des chants indiens lointains vite noyés par la sempiternelle orchestration country and western,  mais après la pompeuse amplitude du morceau précédent et le sentiment de tristesse déployée par l’ensemble de l’album l’on est surpris par  l’heureuse vélocité rythmique sur laquelle trotte le chant, l’a beau faire la-la-la Buddy donne l’impression qu’il raconte une histoire, l’on peut se laisser chatouiller agréablement les oreilles si l’on ne suit pas, mais si l’on prête un peu attention on est vite perdu, le texte court si rapidement que l’on ne comprend pas trop le sens du récit débité à toute vitesse, faut comprendre que sous une apparente facilité, n’entend-on pas l’harmonie imitative du galop du cheval au moment exact Buddy vous le dit, nous ne sommes pas  dans une simple histoire d’amour, avec le mari qui se hâte de rentrer chez lui pour retrouver son épouse, nous sommes pris dans le sortilège de l’imaginaire amérindien, qui revient, serait-ce l’Oiseau-Tonnerre, lors de l’essor de la Ghost Dance en 1889 - 1890, les Lakotas  répétaient que l’Oiseau-Tonnerre reviendrait rapportant avec lui les âmes mortes des anciens, que les blancs seraient chassés, que les envahisseurs s’enfuiraient, et que les âmes des anciens entraîneraient les tribus survivantes en un repli de la terre, où la civilisation des bisons renaîtrait pour toujours.  Est-ce pour cela que sur le chemin du retour, dans la chambre du motel où il a fait étape le mari se détourne de la Bible posée sur la table de nuit, il a compris que ce livre ne lui sera d’aucun secours, quant à cette femme qui dans le premier couplet semble attendre son mari, qui est-elle, la Mort, ou une ancienne squaw déjà morte en route pour rejoindre le peuple des vivants, est-ce vraiment une histoire d’amour ou un récit métaphorique pour inciter le peuple indien survivant d’aujourd’hui à retourner à ses racines, à sa culture originelle, ne représente-t-elle pas la terre sacrée des Black Hills qui doit être préservée, pour l’obtention de laquelle les Indiens  d’aujourd’hui doivent retrouver leur fierté, recouvrer leur dignité, enseigner les enfants, refonder le Dakota, terre des Lakotas… Est-ce un rêve, une volonté, un projet, une mauvaise période à passer au plus vite, déjà retentissent les chants indiens, présents dès le début, ils reviennent à la fin, comme pour mettre entre parenthèses un cauchemar qui a trop duré.

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             Certes dans ce premier  album de Buddy Red Bow, l’esprit cowboy et sa culture country and western occupent la plus grande partie du territoire, mais les Indiens étaient là dès le premier morceau et ils sont là encore pour clore l’histoire. Qui ne fait que commencer.

    Damie Chad.

     

    *

    Nous reviendrons sur Buddy Red Bow mais je n’ai pas pu résister à en savoir plus sur les Fenders. Nous étions chez les Lakotas, nous voici chez les Navajos. Mais avant de parler des Fenders nous attarderons quelques instants sur un autre groupe :

    LUCINDA

    THE MERLETTES

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    Une vidéo sur You Tube, batterie, contrebasse, guitare, violons, derrière une un truc, pardon un truck  jaune, enregistrée en plein-air, la caméra s’attarde de temps en temps dans le ciel… Une petite notule nous apprend que le groupe basé à Albuquerque est inspiré par le Honky Tonk de Merle Haggard.  Quatre filles : Dair Obenshain : fiddle, Laura Leach-Delvin : upright bass, Sharon Eldridge : drums. Je ne m’attarde pas sur l’interprétation : sachez seulement que cette Lucinda qui manque terriblement n’est pas une tendre amie perdue mais un camion si l’on en croit la chanteuse. C’est elle qui nous intéresse, Kristina Jacobsen. Elle mérite le détour. D’abord parce qu’elle est chanteuse et un de ces jours nous écouterons ses disques, mais aussi parce qu’elle a ajouté une corde particulière à sa guitare : elle est anthropologue musicale, bardée des diplômes les plus prestigieux. Le titre de son

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    premier livre paru en 2017 nous fascine : The Sound of Navajo Country Music. Langage and Diné Belonging. Le terme Diné est le mot qui signifie navajo en langue navajo ! Le book a remporté le prix Woody Guthrie. Je me permets de citer les lignes suivantes : ‘’Ses recherches fusionnent les domaines de l'anthropologie culturelle, de l'anthropologie linguistique et de l'ethnomusicologie, avec des spécialisations en musique et langue, anthropologie de la voix, politiques de l'authenticité, indigénéité et appartenance, musique vernaculaire des autochtones d'Amérique du Nord, de Sardaigne et des Appalaches, race et genre musical, récupération de la langue et cultures expressives de la classe ouvrière.’’  Sujet passionnant, sa lecture doit permettre de mieux comprendre l’appropriation, plus ou moins forcée et rendue nécessaire, effectuée par les peuples dominés de la langue et de la culture du peuple dominateur.  Elle a publié plusieurs articles sur les Navajos notamment sur les Chants de la Réserve.

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    Américaine mais pas de sang navajo Kristina Jacobsen d’origine scandinave a été surprise de cette scène country and western Navajo. Comment se fait-il que cette tribu réputée pour avoir au mieux préservé sa culture originelle goûte particulièrement cette musique. Encore plus stupéfaite de la renommée de Wailon Jennings, il n’est pas rare de trouver des navajos prénommés Wailon !  Elle a enquêté, d’abord elle s’est aperçue que dès les années soixante les navajos appréciaient ce genre de musique, c’est ainsi qu’elle cite les Fenders comme l’un des meilleurs groupes country des années soixante. Reste à savoir pourquoi ! Certes la musique country véhicule des valeurs traditionnelles partagée par toute la culture indienne : l’amour et son corollaire la solitude, la famille, la nature… mais les navajos se sentent aussi un peu cowboys, non pas parce qu’ils auraient adoré les westerns mais pour une raison ethnographique culturelle : le peuple navajo qui a été forcé de se rendre dans sa réserve de l’Arizona, encore une longue marche, vivait dans les plaines du sud-ouest de l’Amérique, il pratiquait la chasse et l’élevage… Dans leur nouvelle ‘’patrie’’ ils ont certes préservé du mieux possible leur identité mais en gardant une nostalgie plus ou moins consciente de leurs jours heureux… Ainsi s’explique cette étrange ferveur envers la musique country… Même si ces dernières années toute une partie de la jeunesse Navajo s’en détache. Musicalement, le rap, le hip hop et le metal exercent une forte influence, les conditions de vie changent, les Navajos ont toujours su s’adapter, notamment en étant très vigilant sur le quantum, la quantité de sang (un quart) que vous devez posséder pour être admis dans la Nation Navajo, d’où des contradictions : avoir du sang navajo ne signifie pas que vous êtes un adepte convaincu de la culture navajo… Ce quantum qui à l’origine était un droit et un devoir d’entraide finit ainsi par être considéré comme un privilège. Qui ne peut que favoriser les sentiments d’exclusion chez les couches les plus précaires, notamment les jeunes, qu’elles accèdent ou pas au quantum… Les sociétés ne restent jamais stables. Elles évoluent, vers le mieux ou vers le pire, les améliorations et les reculs sont aussi ressenties différemment par les individus mais aussi par les classes sociales… les contradictions politiques, culturelles et économiques se chevauchent et se télescopent, avec plus ou moins de violence…

    THE FENDERS

    SECOND TIME ROUND

    (QQ Records / Années Soixante)

    QQ Records fut un petit label basé à Albuquerque dans les années soixante, Si l’on en croit Discogs ne seraient sortis que douze simples et trois 33 Tours parmi lesquels se trouve ce Second Time Round. Le premier simple de QQ r est sorti en 1966, seul un autre single est crédité d’une date de parution (1966). Notre album a dû sortir cette même année. Le terme Second semble indiquer qu’il y eut un premier album. Discogs nous renseigne sur la parution d’un album douze titres The Fenders on Steel. Volume 3 crédité Not on Label  avec date indéterminée. Il y aurait eu un premier album : nommé Introducing The Fenders.

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    Proviennent de la réserve navajo de Window Rock située à plus de deux milles mètres d’altitude et nommée ainsi grâce à un phénomène naturel propre à attirer les touristes, un énorme trou rond dessinée dans une montagne. La localité de trois mille habitants est la capitale de la Nation Navajo.

    Ervin Becenti et Johnny Emerson furent membres des Fenders. Je ne suis  pas sûr de l’identification des autres membres du groupe.

             Lorsque j’ai vu la couve la première fois, trompé par la photo j’ai cru à un groupe instrumental… Erreur de ma part. J’ai repéré sur le Net deux autres titres qui ne sont pas sur  cet album, je poste plus loin la photo en gros plan de la vidéo qui permet de mieux les admirer.

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    Your cheatin heart : difficile de trouver davantage symboliquement country pour un premier titre. Par cotre le son est terriblement sixties, ceux des premiers groupes instrumentaux français par exemple, poussons un cocorico, ils étaient meilleurs, le son de nos Fenders est un tantinet maigrelet. L’est sûr que l’original de Hank Williams n’est pas non plus supersonique toutefois il dégage un tel parfum de bouse rurale que vous ne pouvez que succomber au charme. Les Fenders suivent la ligne sans jamais sortir des rails. Seul le chanteur se permet quelques variations.  It is like more the heaven : une reprise   de Hank Locklin un des piliers durant presque un demi-siècle du Grand Hole Opry. Ont-ils été paralysés par l’ombre impressionnante de Hank Williams toujours est-il que cette reprise leur va comme un ghankt avec cette guitare qui rentre dedans et fait le gros dos, le vocal qui ne lui cède pas un pouce de terrain. Kristina Jacobsen nous avertit les premiers disques de country dimé n’étaient pas mastérisés. Pas pasteurisés non plus, ce son rêche et rustre n’est pas déplaisant. She knows why : prennent de l’assurance à chaque titre, la guitare ronfle et la voix ressemble à un brise-glace qui s’amuse à bousculer les icebergs. Le premier pont musical ressemble davantage à une passerelle branlante, mais on l’oublie dès que l’on pose le pied sur l’autre rive. Wildwood flowers : est-ce qu’ils n’ont pas osé s’attaquer au chant de Maybelle  Carter, doit-on cette version instrumentale à la difficulté de la transcription des paroles, serait-ce de la pudeur indienne, à l’origine c’est une jeune fille qui se donne par dépit à un autre après avoir été séduite par son premier amant. Agréable à écouter, toutefois l’on regrette la version qu’en donnera Johnny Cash. Honky tonk hardwood floor : ne reculent devant rien, après Hank Williams voici Johnny Horton, ce n’est pas la Bérézina mais pas la traversée du Granique par Alexandre non plus, font tout ce qu’ils peuvent, toutefois leur manque le sel hortonien, cet avant-goût prononcé du rock’n’roll. C’est un vieux rocker qui parle, reconnaissons que ce n’est pas mal du tout. All for the love of a girl : encore une reprise d’Horton, une bluette insignifiante, quand le country danse avec la guimauve, nos Fenders suivent le mauvais exemple, mais comme ils n’ont pas de violon à leur disposition, ils ne donnent pas l’impression de pleurnicher dans rideaux de la salle à manger. Font le job, mais l’on devine qu’ils ne vont pas se suicider pour une fille. Un peu de tenue ! Ce sont des guerriers ! I’m walkink the dog : l’on s’en doute ne sont pas inspirés de la version originale de Rufus Thomas que vous préfèrerez si vous êtes un homme de goût ou une lady distinguée, ont écouté la version country de Webb Pierce, mais ils ont dû manger du chien enragé car leur interprétation est nettement moins geignarde que celle de Pierce. Ne s’apitoient pas sur eux-mêmes c’est bien eux qui sont les maître et le chien n’a qu’à obéir.

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    Mule train : original du cowboy en chef numéro : un Frankie Laine, l’immortel auteur de la fantastique chevauchée Rawhide que ce train de mules ne parvient pas à dépasser, sont malins les Fenders s’inspirent de Rawhide, sans l’égaler bien sûr, mais leur interprétation dépasse celle de Frankie. Lui broutent la laine sur le dos. Counterfeit love : décidément ils aiment Johnny Horton, bon il y a Grady Martins à l’accompagnement ça aide à faire passer la pilule surtout que ça prend l’allure d’un slow sixties frétillant, mais ce n’est pas l’Horton que l’on préfère… à la limite cette version des Fenders nous agrée un tantinet, deux voix alternées, une qui nasillarde, l’autre qui entonne à plein poumons, ce n’est pas le Pérou mais l’on s’ennuie moindrement. Don’t let it go : un bel instrumental aux guitares retentissantes, serait-ce le meilleur morceau du disque. Qui dure. Font monter la chantilly jusqu’au plafond. Folsom prison blues : s’enhardissent n’hésite pas à marcher sur les brisées de Johnny Cash, ils s’en tirent bien, très caschien donc ça a du chien, l’on adore. Tout est en place, le vocal et les guitares. Love’s gona live here : crashing test, tiens un morceau de Buck Owens, je me disais c’est étrange l’on n’a pas encore rencontré Waylon Jennings, le voici, pas tout seul, en compagnie de Willie Nelson, vous l’avez aussi avec Johnny Cash, certes l’original est de Buck Owens sorti en 63 ce qui aide à dater ce Second Time Round. Dwight Yoakam, nous l’avons dernièrement rencontré dans notre kronic  de Rock en vrac de Michel Embareck a aussi repris ce morceau, l’était tout comme Buck originaire de Bakersfield, le vocal des Fenders est assez proche de l’original mais les guitares davantage proximales de Johnny Cash. Je vais être franc, ce n’est pas mon morceau de country préféré.

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    One woman man : encore un morceau de Johnny Horton, fut aussi repris par  George Jones (on ne résume pas la vie de George Jones, pour un country boy, il a eu une vie de rocker), ces derniers titres du disque sont les plus réussis, une guitare vraiment country rentre-dedans et un vocal plus que satisfaisant. Take me like I am : quand on a un maître, il faut le tuer, z’ont attendu la dernière piste pour commettre le meurtre du père Horton, une guitare qui fracasse tout, un vocal de guerre par-dessus, peuvent être fiers d’eux. Que voulez-vous de temps en temps les indiens gagnent la bataille !

    Damie Chad.

     

    *

    Impossible de ne pas terminer les deux précédentes kronics sur des artistes indiens par un autre artiste indien, mais actuel celui-ci. J’étais sûr que Western AF m’offrirait une piste à suivre. Le légendaire flair du rocker ne m’a pas trahi, j’avoue cependant que je ne m’attendais pas à tant d’émotion.

    COYOTE

    KEN POMEROY

    (YT / Western AF / 22 Octobre 2024)

             Comment ai-je pu faire l’impasse sur une telle merveille ! Rien que le titre, l’animal mythique des Indiens, un latranide malicieux aux mille ruses certes, toutefois n’oubliez pas que malicieux débute mal.

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            Toute seule, ses longs cheveux, sa guitare. Derrière la futaie sombre, troncs noirs, branches hautes d’un vert sans espérance. La voix, pas du tout mélodieuse, point charmeuse, chaque fois qu’elle l’accentue vous avez l’impression qu’elle vous arrache des lambeaux de chair. Elle vous cloue sur place, vous écoutez. Sans rien comprendre vous sentez qu’elle ne vous dit pas tout, qu’elle garde le plus amer par devers elle, qu’elle ne vous livre que de l’indicible, alors vous vous accrochez aux mots, vous essayez d‘entrer en résonance, de percer le mystère de ce dire qui ne dit pas son nom, quelque chose qui vient de loin, de plus profond. Cette lèvre qui tressaille à peine trahit une plaie ouverte et refermée, résurgente chaque fois qu’elle y pense. Elle y pense toujours. Vous n’avez jamais été aussi près de la solitude d’un être humain. Elle vous enveloppe. C’est sa manière à elle de communiquer. Ne rien donner, tout offrir.

             Illico, c’est la trentième fois que vous écoutez le morceau, vous voulez en savoir plus. Vous cherchez. Sur Bandcamp vous apprenez que son prochain album, sortira au mois de mai. En avance une vidéo du même titre :

    COYOTE

    KEN POMEROY

    (Official Visualizer  /  Ocobre 2024)

             L’est toute gentillette la bébête, restez sur cette image toute mignonnette. Ne cliquez pas dessus. Vous insistez. Tant pis pour vous. Non, il ne se passe rien, oui le coyote à la bougeotte, il remue tout le temps, toujours les deux mêmes mouvements. Un peu monotone, vous dites, alors activez le son, je vous aurais prévenu.

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    Ken Pomeroy : vocals, acoustic guitar / John Moreland :  vocals / Dakota McDaniel ; bass, electric guitar, banjo /Chris Scruggs : pedal steel / Colton Jean : Drums.

             Certes c’est plus doux, plus nuancé, moins roots que la version AF. Miracle de l’orchestration, vous ne perdez rien pour attendre. Un dernier renseignement : Cruel Joke est le titre de l’album.

             Oui la pedal steel guitar allonge le beurre sur la tartine, John Moreland pose le murmure de sa voix, une ballade d’enfant, sur l’image le coyote cligne de l’œil, quand il baisse la tête, il devient irrésistible, vous avez envie de le prendre au creux de vos bras, comme une peluche, ne serait-ce pas une ballade pour endormir les enfants sages, hélas, ils grandissent, vous, moi, nous tous, le Coyote viendra, soyons-en certains, dans la culture Cherokee l’on dit que lorsque vous apercevez le coyote, ce n’est pas bon signe, peut-être pas très grave, pas inoffensif non plus, d’ailleurs la vie n’est-elle pas une suite d’embêtements, n’osons même pas articuler le mot désagrément, sur l’image le Coyote tourne la tête, de quel côté regarde-t-il, vers le passé ou vers le futur, pourquoi reste-t-il assis dans le présent, est-ce pour être auprès de nous, ne pas nous quitter de l’œil, la voix de Ken Pomeroy s’insinue toute douce, toute nue, dans votre chair, comme le couteau ébréché de la vie s’enfonce en vous pour vous retrancher du monde. Dans lequel vous aurez vécu sous la sempiternelle garde du coyote. Ne croyez pas que quelqu’un peut l’écarter de vous. Nous sommes tous le coyote de l’autre.

             Nous nous quitterons sur une dernière vidéo. Un peu bizarre. Pour ne pas gâcher l’ambiance nous ferons semblant de croire qu’elle est surréaliste. C’est juste pour que vous n’ayez pas peur. Peut-être n’est-elle que le reflet exact de ce que nous trouverions dans votre tête si nous l’ouvrions avec un ouvre-boîte.

     PAREIDOLIA

    KEN POMEROY

    (Official Vidéo / Octobre 2023)

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    Le monde selon Ken Pomeroy. Extrospection. Elle chante comme une petite fée, avec un tel allant vous la suivriez en enféer. Que voyons-nous du  monde. La réalité n’est-elle pas paréidolique, en termes moins compliqués n’est-elle pas ce que voudrions ou ce qu’elle n’est pas. Une maison de poupée remplie d’êtres étranges. Furtive apparition, le coyote pousse son museau. Le mieux serait de croire que nous sommes dans un conte de marionnettes à la Alice au pays des merveilles. Depuis Lovecraft nous savons que les merveilles ne sont jamais loin des démons. Pour vous aider à comprendre, le texte vous énumère les figurines que Ken sort de la boîte à jouets de sa cervelle. Vos enfants adoreront, heureusement qu’ils ne comprennent pas l’anglais. Une espèce de nursery rimes, une de ces comptines loufoques dont les anglais raffolent, folle elle ne l’est pas, mais elle chante tout haut ce que d’habitude l’on cache, nos envies de meurtres par exemple, mais  les couleurs sont si belles et si surprenantes que l’on oublie que la vie est une cruelle plaisanterie. Si sordide que parfois l’on aimerait s’extraire du tableau. Ô Cruella !

    C’était juste une entrée dans le monde poétique de Ken Pomeroy. Cherokee girl.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 681 : KR'TNT ! 681 : PETER PERRETT / DAVID JOHANSEN / ROBERT PALMER / P.P. ARNOLD / TARHEEL SLIM & LITTLE ANN / COLONNE IPERBOLICHE / JEAN-PAUL BOURRE / SLEEPING IN SAMSARA

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 681

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    13 / 03 / 2025 

      

     PETER PERRETT / DAVID JOHANSEN

    ROBERT PALMER / P.P. ARNOLD

    TARHEEL SLIM & LITTLE ANN

      COLONNE IPERBOLICHE / JEAN-PAUL BOURRE

    SLEEPING IN SAMSARA

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 681

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Perrett et le pot au lait

     (Part Two)

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             Peter Perrett fait partie de ceux qu’on attend comme les messies. Ils ne sont plus très nombreux, car le messianisme suppose une carrière longue de quarante ou cinquante ans. On pourrait citer quelques noms, tiens Frank Black par exemple, Billy Childish, ou encore John Cale, ou bien encore Anton Newcombe. Presque des institutions.

             C’est une véritable rafale d’articles qui salue le grand retour de Peter Perrett. La presse anglaise n’y va pas de main morte : 5 pages dans Shindig!, 6 dans Uncut, 4 dans Vive Le Rock, mais attention, ce sont des interviews, et les interviews de Peter Perrett ont une sacrée particularité : elles sortent du lot. Et sacrément du lot. Et il ne raconte jamais deux fois la même chose.

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             Dans Shindig!, Jon Mojo Mills qualifie Peter Pan de «romantic bohemian punk poet», pas mal, Mills !, avant de lui poser les meilleures questions qui soient ici-bas, attaquant sur le Mod Peter, lui demandant ce que c’est d’être Mod, et il répond du tac au tac : «It’s an appreciation of a certain style.» Tout l’interview est de ce niveau - Steve Marriott was the guy I wanted to look like - Il dit voir les Small Faces live en 1966, au Windsor Jazz & Blues Festival. C’est son premier concert - The sound just blew me away on the wind - Puis il voit Geno Washington au Marquee, «which was sweaty». Et puis ça qui en dit long sur la finesse du bec fin : «Then I heard the Pink Floyd’s ‘Arnold Layne’ and everything changed.» Deuxième connexion : après les Small Faces, Syd. Puis il voit les Creation. Il explique ensuite que les Mods sont devenus soit des hippies, soit des skins et prend l’exemple de Steve Harley devenu un skin. Pour Peter, pas question d’entrer dans une catégorie - By the time I’d got to 15 and a half, almost 16, I wanted to be an individual - Puis c’est la découverte du Velvet - That changed everything, again - Il y découvre l’enfer et le paradis - I became obsessed with them.

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             Il monte son premier groupe, England’s Glory et pour l’anecdote, Mills raconte que ça sonnait comme un bootleg du Velvet, ce que croyait Nick Kent en 1977. Puis c’est le contrat avec CBS - I signed with CBS because Bob Dylan’s on CBS - Dans la foulée, il rend hommage à McLaren et Vivienne Westwood «as being anti-fashion» - They had clothes that were the antithesis of fashion - Il voit les Pistols pour la première fois en 1975 au Chelsea College Of Arts, «and everybody hated them. That’s what was good about it.» Puis une fois que c’est devenu a trend, c’est-à-dire une tendance, avec la une des canards, «it just became fashion». Il évoque rapidement la scène d’alors, et rappelle que la seule personne avec laquelle il est devenu ami, c’est Johnny Thunders. Puis il évoque la tournée américaine en première partie des Who. Les Only Ones se sont fait jeter - Apparently, we weren’t warming up the audiences the right way - Peter raconte qu’on les autorisait à n’utiliser que 5% de la sono, «we weren’t loud enough». Les gens parlaient pendant qu’ils jouaient. Une catastrophe.

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             Puis il évoque son retour dans le rond du projecteur - I stopped smoking everything, including nicotine. I haven’t had one puff since - Il reconnaît que ses «lungs were really damaged. You have to think about where you’re going to take a breath.» Il parle du chant, bien sûr. Il dit aussi qu’il ne voit plus grand chose - I can’t see any of the knobs on the amp - Et Mills qui est assez pince sans rire lui demande «a funny tale from the heavyness of the drug days.» À quoi Peter répond : «This is pretty dark. How about all the times I set the house on fire?» Et il ajoute un peu plus loin : «It was chaos.»

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             Dans Uncut, il répond aux questions de Stephen Troussé qui commence par le titiller avec la re-formation foireuse des Only Ones en 2007. Peter dit qu’il n’était pas en état, qu’il was still using drugs et que sa voix était complètement fucked. Il était mal, car il aime bien faire les choses proprement - When I do thing I like to do it properly - et là ce n’était pas le cas. Il en profite pour dire que les promoteurs payent trois fois plus quand c’est les Only Ones, plutôt que Peter Perrett. Mais pour Peter, il n’y a plus d’Only Ones depuis que Mike Kellie a cassé sa pipe en bois - Without Kellie, it’s not the Only Ones - Et il rentre dans le vif du sujet : «Back in the 1970s, The Only Ones were my favourite band.» Il rappelle aussi que Johnny Thunders et lui étaient plus âgés que les punks. Ils avaient quatre ans de plus. Il adorait jouer avec les Only Ones - They alowed me... to disintegrate onstage - Puis Troussé lui demande : «How long have you been clean?», alors Peter dit qu’il s’est arrêté de fumer le jour de son annive, April 8, 2011. Et il redit ce qu’il a dit à Mills plus haut, mais avec plus de détails : «I haven’t smoked any heroin, crack, nicotine, grass or hasch since then.» Au moins, comme ça c’est clair - I could fucking breath again - Pour stopper l’hero - I’d been taking it for 35 years and you can’t just stop - il est passé à la méthadone et le traitement s’est terminé en 2015. Quant aux roots, il revient bien sûr sur les Small Faces, mais aussi sur les Who - When I was 13 I bought the first Who album - les Stones et les Kinks - But then I heard «Like A Rolling Stone» and it was the next epiphany - et il s’enflamme  : «Music became art for me at that moment, it became life. And it became my escape.» Puis c’est le Velvet, encore pire que Dylan - They were talking to me the same way that Dylan did, but with a sound that blew everything away - Et pouf, il part sur son weapon, «Sister Ray» - And when the second album came out, «Sister Ray» was my weapon - Dans les fêtes, dit-il, les gens le suppliaient d’arrêter de passer «Sister Ray». Il en rigole : Ha ha ha ! Arrêter ça ? - I said I couldn’t hit it sideways/ I said I couldn’t hit it sideways/ Oh, just like Sister Ray said - Impossible ! C’est le détail qu’on retient le mieux de Peter Pan, son obsession pour «Sister Ray». Son autre obsession est l’exigence : «It’s a thing of not wanting to write bad songs.»

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             Il revient bien sûr sur son état de santé. Il rappelle que Zena et lui ont des poumons dans un sale état et pendant le confinement, ils ne sortaient de chez eux que pour des rendez-vous à l’hosto. C’est lors d’un rencart qu’il glisse de sa chaise et qu’il se casse la hanche. Il est resté à l’hosto 13 jours. C’est là qu’il a commencé à rapetisser - I’ve shrunk by three inches - Et il ajoute ça qui sonne comme un vers de chanson : «One more fucking medical problem to add to the litany.» Puis vient le temps de la rééducation. C’est Douglas Hart qui le fait marcher - He single-handedly rehabilited me - Puisqu’on est dans les Mary Chain, Troussé en profite pour évoquer Bobby Gillespie qui chante sur The Cleansing - Bobby lives round the corner - C’est pratique. Peter dit aussi avoir rencontré Lou Reed en 1972, alors qu’il enregistrait avec England’s Glory. Le Lou utilisait le même studio. Il s’est assis à côté de Peter et Zena et suppliait Zena to let him eat her. Peter ne comprenait pas ce que ça voulait dire. Par contre, c’est autre chose avec Johnny Thunders qu’il a rencontré pour première fois au Speakeasy, en 1977 - Johnny est arrivé et a dit : «Hi, I’m Johnny Thunders and I love your voice.» That was a great opening line, that’s the way to a singer’s heart. I’m like, OK, this might be interesting.

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             Le nouvel album de Peter Perrett s’appelle donc The Cleansing. Il porte bien son nom. The Cleansing se présente comme un événement et ça commence par la pochette. Avant d’entrer dans le contenu, tu observes le contenant, comme au temps jadis, quand les pochettes décidaient presque du sort des albums. Tu le vois, en noir et blanc. Il est tellement carré d’épaules que ça te semble bizarre. Les images parfaites te semblent toujours bizarres. Les lunettes sont comme «modernisées», comme les épaules, avec deux ou trois centimètres d’extension de chaque côté du crâne. Le menton est petit et la bouche pincée, le col blanc très aéré autour du cou, la mise est simple, le dépouillement semble vouloir annoncer le contenu. Straight. Au dos, l’image est encore plus troublante, derrière des lunettes encore plus «modernistes», Peter Perrett hausse le sourcil, comme s’il t’observait. Son grain de peau évoque à s’y méprendre celui d’un cadavre vivant. C’est Peter Perrett que tu observes et qui t’observe. T’as clairement l’impression d’observer une superstar. Avec «I Wanna Go With Dignity», tu commences à boire ses paroles, au sens le plus littéral de l’expression. Le big sound t’accueille. Te voilà rendu sur un very big album, et ce sera sans le moindre doute le plus bel album de l’année. Peter Pan demande juste à partir avec dignité, please help me. Te voilà stupéfait. Et t’es happé aussitôt après par «Disinfectant» que Peter chante à la Perrette, avec son kid Jamie au killer solo de lumière intense. Jamie perpétue le grand art instauré jadis par John Perry. Tu t’aperçois très vite que chaque cut est une fin en soi, chaque cut t’accueille à bras ouverts, Peter Pan crée un monde à chaque fois. Il rend un bel hommage à sa poule avec «Fountain Of You» - I drink the juice/ At the fountain of you - Pur genius de romantica perettienne, c’est même l’une des plus belles chansons de tous les temps, comparable à «Pale Blue Eyes» - I stand in line/ A thousand times - The Cleansing est un double album qui va aller se ranger à côté des grands doubles historiques comme le White Abum et Electric Ladyland. Peter Pan amène «Secret Taliban Wife» en mode stomp. C’est une chanson érotique. Tout est précieux et beau sur cet album, comme dans un recueil de vers de Baudelaire. Peter Pan fait rimer black avec whatsApp, ce qu’aurait osé Baudelaire s’il avait vécu à notre époque. Sur le «Woman Gone Bad» qui ouvre le bal de la B, il gratte une fuzz et fait de l’heavy Perrett. Il chante comme un punk à coups de There’s a fortune to be made/ Cos it’s a dangerous condition. Et comme toujours, il a ces chutes abyssales typiques de long lost memory/ Where innoncence died/ It died. Tu vas tomber de ta chaise avec «Survival Mode», car après un couplet, ça explose à coups de seek precision in desire. Sur «Mixed Up Conficius», Jamie fait un véritable festival, il éclaire la terre, il joue sur son père qui ergote - I just wanna fall in love/ One last time - Cet album est un véritable testament artistique, le testament d’une superstar. Et puis t’as encore la voix avec «Do Not Resuscitate» - Just let them know/ Before it’s too late - Ce sont les paroles d’un rock God - I don’t look good/ I’ve had enough/ Just need a friend to give me the stuff - Seul Peter Perrett peut se permettre de jouer ainsi avec le stuff. Et puis avec le morceau titre, il avoue qu’il ne sait rien du futur ni de l’after-life. C’est tellement demented que t’en tomberais presque dans les vapes. Il repart en C avec l’atrocement mélancolique «All That Time» - Took no time to question/ What we’d done - et il passe au supra-power avec «Set The House On Fire», c’est l’absolu du we never slept/ We did it all night/ I’m obsessed with doing it right/ We carried on/ Doing our thing/ When it’s good/ the angels sing - Les déroulés vocaux sont tous effarants. Encore du maudit génie d’ultime dandy dans «There For You» - It’s all I can do/ To be there for you - Il élève sa diction cadavérique au rang d’art majeur et lâche ça, qui en dit long sur la portée de son There For You : «If you recognise me/ Make a sign.» Plus loin, tu vas croiser l’effarant «World In Chains», avec Johnny Marr aux poux et Alice Go qui chante un couplet, mais ça reste du pur jus d’Only One. Quand ça se met en route, c’est stupéfiant de classe. Il revient encore à ses roots avec l’explosif «Back In The Hole» - I got no voice/ Can’t even scream - et Jamie embarque le «Crystal Clear» de fin au firmament. Quelle envolée de crystal clear ! Jamais un cut n’a aussi bien porté son nom.     

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             Dans Vive Le Rock, Duncan Seaman trouve que les chansons de The Cleansing sont un peu dark, et Peter Pan corrige le tir : «Most of my songs are about love and the close relationships that a human being can have with another human being. It counterbalances the darkness.» Il dit aussi avoir approché The Cleansing comme s’il s’était agi de son dernier album. En plus, c’est un double album et Peter Pan reconnaît que c’est gonflé à une époque «when people have got the attention span of thirty seconds or half a song». Et il développe : «Je sais que je ne vais pas intéresser la grande majorité des gens, ils ne vont pas s’asseoir pour écouter un double album. Je ne sais pas si quelqu’un aujourd’hui sait encore s’asseoir pour écouter 20 chansons à la suite, but I hope that there are some people who enjoy absorbing music in that concentrated form.» Il ajoute que pour beaucoup de gens, la musique est devenue une sorte de background, «I don’t think my music is great as background music. It’s something that you have to immerge in, it requires quite an investment of time and concentration, but hopefully it’s a worthwhile for the people to do.» Il a raison, Peter Pan de dire que ça vaut le coup de s’immerger. Ça relève exactement du même process qu’avec Dylan. Tu t’assois et tu t’immerges. Il dit aussi que l’album s’appelle The Cleansing car «it feels like a new awakening to life and the world.» Il dit être tombé amoureux de la nature et adorer le walking in the park. Il dit aussi que «Fountain Of You» concerne Zena qu’il a épousée en 1970 - It’s a life sentence - Et il ajoute : «She is the person that keeps me alive.»

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             C’est alive and well qu’il débarque sur la scène riquiqui de la Maroquiqui. Il paraît flotter dans son costume noir. Sans doute est-ce l’extrême largeur des jambes du pantalon qui donne cette impression. Peter Pan est à présent légèrement voûté, comme le sont globalement tous les ceusses qui passent la barre des soixante-dix balais. Après ce cap, rien ne va en s’arrangeant.

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    Mais Peter Pan semble avoir de bonnes réserves d’énergie, car il tient la scène - et son rang - pendant 90 minutes, et le moins qu’on puisse dire c’est qu’il est extraordinaire de qualité. Moins dandy qu’au Point Éphémère, mais d’une grâce infinie. Voix intacte. Lunettes noires. Look Perrettien. Il incarne mieux que personne le mythe de la légende vivante. Ses deux fils Jamie et Peter Jr l’accompagnent. Il tape essentiellement dans The Cleansing et attaque avec le cut d’ouverture de balda, «I Wanna Go With Dignity» et va finir son rappel avec le «Disinfectant» qui suit dans le balda.

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    Il tape assez rapidement dans son vieux fonds de commerce des Only Ones avec «The Big Sleep» qui n’est pas le meilleur Oner. Par contre il va te broyer le cœur avec «An Epic Story», tiré de l’How The West Was Won paru en 2017. Magie pure ! C’est ce qu’il fait de mieux : caler cette voix ultra-décadente sur une mélodie imparable. Le seul qui ait réussi ce prodige, c’est bien sûr Lou Reed. Et dans une moindre mesure, Kevin Ayers. Il atteint l’autre sommet de son art avec «Fountain Of You». Cut bouleversant sur l’album, alors on imagine ce que ça peut donner sur scène. C’est un moment purement rimbaldien.

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    Tu ne peux rien espérer de mieux d’un concert de rock. T’as tout : le poids de la légende, la crudité de l’instant présent, la perfection artistique, la pureté mélodique, l’extrême beauté de cette voix éculée par tant d’abus, t’as vraiment l’impression de toucher le noyau atomique du rock, l’abstraction devient réalité. Avant le rappel, il balance deux vieux standards : l’inévitable «Another Girl Another Planet» qu’on a tous adoré à l’époque, en 1977, il ressort pour l’occasion tout son vieux panache d’Only One, et il enchaîne avec une version à rallonges de «The Beast», un cut tiré du premier album sans titre des Only Ones et qui, revitalisé, devient une sorte de stormer impavide, tu vois Peter Jr claquer des beaux gimmicks de basse. Ce version démente de «The Beast» va te marquer la mémoire au fer rouge.

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             Peter Pan semble touché par l’accueil du public. Il lui arrive même de sourire, tellement l’accueil est chaleureux. Il s’adresse au public d’une voix cassée et le remercie à sa façon. On le sait, les Anglais ne sont pas très expansifs. Mais cette fois, on le sent ému. On l’observe attentivement, et on se demande ce qu’attend encore un homme de son âge d’un tel événement. Quel sens ça peut avoir ? Besoin de blé ? Besoin de reconnaissance ? Non, c’est pas ça du tout. Soudain, on comprend : il monte sur scène et chante ses compos uniquement parce qu’il aime ça. T’as devant toi un homme qui n’a vécu toute sa vie que pour ça. Il vient d’enregistrer l’un des très grands albums de l’histoire du rock anglais et à 73 ans, il te claque encore un set d’une qualité magistrale. La messe est dite. 

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             Paru en 2019, Humanworld fut le deuxième album du grand retour inespéré. Peter Perrett tapait encore en plein dans le mille. Avec sa marionnette sortie des ténèbres, Humanworld semblait conçu pour hanter les esprits. Cet excellent album chargé d’ambiance s’ouvrait sur «I Want Your Dreams». Peter Pan conservait ses vieux accents perettiens de dandy cocaïnomane des années de braise et ce goût prononcé pour les dynamiques internes. L’affaire se corsait avec «Love Comes On Silent Feet», fantastique swagger de vieux London boy sur la brèche : diction subliminale d’Only One des origines, avec encore plus de swagger dans le ton. Il finissait même parfois par sonner comme Lou Reed, comme on le montrait «The Power Is In You», saturé de nonchalance urbaine. L’hit de l’album se trouvait en B et s’appelait «Walking In Berlin», un hit délicieusement décadent, Peter Pan tartinait ses syllabes comme le fit Lou Reed dans «Walk On The Wild Side» - She walks the day/ She walks the night - Ses fils Jamie et Peter Jr fourbissaient le beat délicat de «War Plan Red» - War plan red/ It’s a shame - Peter Pan n’avait jamais été aussi décadent. Il enchaînait avec «48 Crash», un mambo extraordinairement déliquescent, doté de chœurs venus de l’outerspace - I wanna do something - Tout le psyché d’Angleterre ramenait sa fraise dans «Love’s Inferno» et Peter Pan bouclait son bouclard avec «Carousel» - There’s something with you girl that haunts me - En bon prince des romantiques, il ajoutait qu’it’s like a carousel turning in my heart. Belle déclaration de foi. 

    Signé : Cazengler, Operrett

    Peter Perrett. La Maroquinerie. Paris XXe. 21 février 2025

    Peter Perrett. Humanworld. Domino 2019

    Peter Perrett. The Cleansing. Domino 2024

    Jon Mojo Mills : Set the house on fire. Shindig! # 157 - November 2024

    Stephen Troussé : Terminal lucidity. Uncut # 331 - November 2024

    Duncan Seaman : Blithe spirit. Vive le Rock # 118 - 2024

     

     

    Wizards & True Stars

     - Dollse vita

    (Part Three)

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             Que fais-tu quand l’un de tes phares dans la nuit s’éteint ? Tu ressors aussi sec les albums de l’étagère. David Johansen vient de casser sa pipe en bois, alors tu lui rends un dernier hommage en mettant le volume à fond pour écouter les deux albums des Dolls. C’est bien le moins que tu puisses faire.

             Tu vois ces deux albums comme une suite logique. Tu les connais par cœur, mais ils sont comme l’air que tu respires, indispensables à ta pauvre vie de vieux con. Tu les entends en 2025 avec la même oreille qu’en 1974. Cinquante ans ont passé et t’es toujours aussi con, et t’es fier d’être assez con pour être resté fan des Dolls. Ces cinq mecs ont réussi à ne pas se faire avoir et tu les admires pour ça. Ils n’ont jamais vendu leur cul. Alors tu te prosternes une dernière fois. Car c’est bien de cela dont il s’agit : d’un respect infini, quasi-religieux, mais au sens païen. On parle ici de spirit. Le temps des dieux n’a jamais cessé d’exister. Pour une génération entière, les dieux du rock sont une réalité. Ce sont d’ailleurs les seuls que tu honores chaque jour de ta vie. David Jo casse sa pipe en bois, mais son esprit reste parmi nous.

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             Tu peux le palper aussitôt le When I say I’m in love/ You best believe I’m in love/ L/ U/ V de «Looking For A Kiss» et le big bass drum de Jerry Nolan. La prod de Todd installe le trône des Dolls au ciel des dieux. Ça siffle au coin de la rue pour «Personality Crisis», tu peux palper le panache du brio, ça roule tout seul, avec les pianotis de Todd. Sur tout le balda de ce premier album, le son fonce à travers la psyché du temps. Et tout culmine avec cette extraordinaire pièce montée qu’est «Frankenstein». Cul-mine en deux mots ! On disait autrefois que «Frankenstein» tenait debout par la seule vigueur de son élan et de ses clameurs, on dirait aujourd’hui que ça tient debout grâce à la crème de pathos, ils te montent les étages du gâtö et ça tient debout par miracle, avec une extraordinaire combinaison d’audace et de power new-yorkais qu’on appelle aussi le gut - Who’s the one you’re loving/ Misunderstood like a Frankenstein - C’est pas un hit, mais un hallucinant fleuron dégoulinant de pathos. Il est évident qu’un mec comme Todd fut éberlué par l’ampleur compositale de «Frankenstein». Tout le monde, y compris Todd, est dépassé, et toi en premier. Personne n’a jamais aussi bien enfoncé le clou d’un cut de gut - My name is Frankenstein/ Frankenstein/ Frankenstein - C’est là que David Jo est devenu un héros.

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             Et ça repartait de plus belle en B avec le Trash/ Go pick it up de «Trash», et ça rebondissait à coups de take them lights away, avec un Johnny Thunders qui grattait ses poux en crabe dans les descentes de refrains - And please don’t you ask me if I love you/ Cause I don’t know what I do - C’est l’époque où on sortait les paroles pour pouvoir chanter en chœur avec le cut. Maintenant, on n’a plus le temps de faire ça. On n’adore plus les albums de la même façon. Disons qu’on les consomme une fois, et c’est fini. Les Dolls, le Velvet, Electric Ladyland, le White Album et les deux Stooges, The Spotlight Kid, ça durait des années. Et t’as ce final apocalyptique qui fait d’eux des dieux du Trash/Go pick it up. C’est la Marque Jaune des Dolls. Avec «Bad Girl», on reste dans le power à tous les étages en montant chez David Jo. Todd a réussi à leur combiner un power sourd et ramassé sur lequel David Jo le héros peut s’égosiller à coups de what you try to do.

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             Ah, «Subway Train», c’est une autre histoire. Tous les ceusses qui ont joué dans des groupes de reprises se sont cassé les dents sur «Subway Train». Et le diable sait si on a essayé ! Pourquoi ? Parce que ça part en mode balladif et le rythme se casse, you can hear the whistle blowing. Un enfer ! Touche pas à ça ! Impossible à jouer. Il faut être complètement à la ramasse pour jouer ça à la bonne vitesse. Ils attaquent le «Pills» de Bo à gros coups d’harp et d’hospital bed, il faut voir Syl Sylvain et Johnny T gratter leurs accords rock’n’roll ! Quelle street-bravado et quel solo ! Ils enchaînent ça avec le fantastique swagger de «Private World», hop, ils sont déjà sur les rails et tu renoues aussitôt avec cette urgence Dollsy que n’ont jamais eue les Stones. Et puis t’as les dégaines. Tu examines la pochette pendant que t’écoutes David Jo asséner I need a/ Private world! Quel pied de nez à la modernité ! T’es frappé par le poids du sens. Les Dolls rockent le beat pour de vrai et Todd leste leur son. Dernière cerise sur le gâtö : le Jet Boy fly/ Jet Boy gone/ Jet Boy stole my baby de «Jet Boy». C’est l’hit des Dolls. Ils fondent leur empire. Ils font intrusion dans ton imaginaire avec cet up-tempo doublé de clap-hands et de Like he was my baby. On a longtemps cru qu’il s’agissait de Lucky. Alors on chantait Lucky was my baby. Johnny T souligne tout ça en grattant comme un dératé, un tout ça qui paraît décousu, mais non, c’est soudé à la riffalama, à tel point que ça devient l’hymne new-yorkais, au moins autant que «Waiting For The Man». Jet boy stole my baby ! T’es marqué à vie.

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             Aw my Gawd ! On vénérait ce premier album des Dolls, mais avec Too Much Too Soon, ce fut bien pire. Vague souvenir de la première écoute de «Babylon». Quelque chose de l’ordre du choc esthétique. Du choc de civilisation. C’mon boys ! Big time de Babylon ! Les chœurs déboulent et Killer Kane fait ronfler sa basse. On back to Babylon ! Clameur inexorable ! Let’s go to Babylon/ Boys/ Two girls for every boy ! C’est l’album des classiques, «Stranded In The Jungle», meanwhile back in the jungle - et «(There’s Gonne Be A) Showdown», l’autre hit des Dolls, une cover d’ampleur universelle. Personne n’a jamais égalé les Dolls sur ce coup-là. Tu retrouves encore la Marque Jaune des Dolls dans «Who Are The Mystery Girls» et ses chœurs d’artichauts. En B, ils tapent encore en plein dans l’œil du cyclope avec «Puss N Boots», un boogie Dollsy joyeux et puissant. Johnny T prend le chant sur son «Chatterbox» et Shadow Morton monte bien la basse dans le mix. Alors Killer Kane peut bouffer tout cru le foie du cut. Et pour finir, t’as Johnny T qui recouvre tout l’«Human Being» de disto. Il fait un interminable festival.

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             Et voilà, les Dolls, c’est fini. Terminarès. David Jo était le dernier. Au final, on est assez content : les seuls copains qu’on a sont eux aussi des fans des Dolls. Ça simplifie les choses.

             Drôle de coïncidence : Dick Porter nous tartine dix pages de Dolls dans le dernier numéro de Vive Le Rock. Porter est avec Kris Needs et Nina Antonia le grand spécialiste des Dolls. Porter est aussi un Crampologue averti.

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             Dix pages de Dolls ça fait toujours plaisir, même si encore une fois on connaît l’histoire par cœur. Porter attaque son récit par la Floride. Les Dolls sont en train de se désintégrer dans une caravane, puis Porter remonte vite fait jusqu’à McLaren, car c’est lui qui les a amenés là. Un McLaren qui en avait marre de Londres et des Teds et qui cherchait à élargir son horizon : direction New York et les Dolls. Il arrive juste à temps pour ressusciter les Dolls qui sont lâchés par leur management. David Jo l’apprécie énormément, car McLaren ne cherche pas spécialement à se faire du blé sur le dos des Dolls, et en plus, il ramène tout son discours révolutionnaire pompé chez Guy Debord. Alors ça, on peut dire que ça plait à David Jo : «I liked him because for an Englishman, he was full of revolution, and I was especially into the whole sixties demonstration attitude, which is what we came up out of.» Et pouf, McLaren commence par récupérer le loft de Mandrill sur la 23e Rue pour que les Dolls puissent répéter les cuts du troisième album : Syl ramène «On Fire» et Johnny T «Pirate Love». McLaren finance aussi la détox de Killer Kane et propose aux deux zozos Johnny T et Jerry Nolan de se détoxer aussi. Les deux zozos refusent et se mettent à regarder McLaren de traviole. De quoi y’se mêle ciui-là ? Quant à Killer Kane, il va bien sûr replonger après sa détox. Seuls Syl et David Jo s’enthousiasment de la présence de McLaren parmi eux. En plus, McLaren ne fait pas signer de contrat. Il essaye juste de les aider. Il veut vraiment ressusciter les Dolls. Et puis arrive l’épisode «Red Patent Leather» - Indians, the Communists - destiné à rétablir la «subversive credibility» des Dolls. L’idée est de sortir les Dolls d’une image d’«idiotic, silly nonsense» et d’en faire quelque chose d’«a little bit more dangerous».  Vivienne Westwood coud les costumes en cuir rouge. Syl dit qu’ils ont du mal à les enfiler, car trop serrés. Ils doivent mettre du talc. Nouvelles tenues de scène et nouvelles chansons : le moral est au plus haut. McLaren choisit le Little Hippodrome - a drag and comedy club on East 56th Street - pour lancer le projet Red Patent Leather. McLaren sort aussi des slogans fabuleux pour sa campagne de presse : «We are the politics of boredom» et «Better red than dead». Et comme petite cerise sur le gâtö, il est écrit que les New York Dolls sont «produced by Sex originals of London.»

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             Ça se passe en février 1975. C’est un succès. McLaren a réussi son coup. Les Dolls sortent de la tombe, comme Lazare. Et hop, ils partent en tournée, mais personne à part les New-Yorkais ne peut schmoquer les Dolls. Syl résume la situation : «In America you could be gay, commit incest, do anything - but you clould not be a communist.» Le drapeau rouge ne passe pas. Porter sort des détails extraordinaires : le road manager des Dolls à l’époque n’est autre que le cousin de Syl, Roger Mansour, qui fut le batteur des Vagrants. Et comme il fait trop chaud en Floride, ils laissent tomber les costumes en cuir rouge. Et heureusement, on leur a piqué leur drapeau rouge à l’Hippodrome, sinon, Syl pense qu’ils se seraient fait lyncher dans le deep South.

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             McLaren a organisé une tournée de gigs en Floride. Le camp de base des Dolls est le camping qui appartient à la mère de Jerry Nolan. Ils ont deux caravanes, et le soir, ils discutent de l’avenir du groupe avec McLaren. Après la tournée en Floride, McLaren prévoyait un show au Beacon Theater de New York. Mais Johnny T et Jerry Nolan n’arrivaient pas à trouver «a regular heroin connection» en Floride, et ils deviennent irritables. David Jo ne supporte plus de les entendre se plaindre de tout - These guys wanted to be Bela Lugosi - Alors que le trip en Floride se présentait comme un nouveau départ, il se transforme soudain en psychodrame. Toutes les tensions s’aggravent, particulièrement celle qui existe entre David Jo et Johnny T. Johnny T louche sur la poule de David Jo, la fameuse Cyrinda Foxe. Quand on commence à baiser les femmes des autres, c’est la fin des haricots, confesse Syl qui voit tout ça d’un très mauvais œil. Mélangé aux problèmes d’addiction et de fric, ça devient vite incontrôlable. En plus, Johnny T et Jerry Nolan s’en prennent à McLaren, ce qui fout David Jo en rogne. Nolan est le premier à cracher sur McLaren : «Malcolm’s fucking around was too artsy-fartsy.» Ils reprochent aussi à McLaren de les avoir entraînés dans cette tournée pourrie en Floride, loin de tout - This horrible string of gigs in terrible out-of-the-way clubs - Le pire, c’est d’être coupé des approvisionnements. David Jo est le premier à le reconnaître : «As long as they had stuff, everything was OK.» Puis un soir, alors qu’il a trop bu, David Jo déclare qu’il est le singer et que les autres Dolls sont remplaçables. Alors Johnny T et Jerry Nolan se lèvent et quittent la table. Le cœur brisé, Syl les reconduit le lendemain à l’aéroport de Tampa. The Dolls are dead.

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             David Jo, Syl, Killer Kane et Peter Jordan restent en Floride pour finir la tournée. Ils engagent le teenage Steven Duren pour remplacer Johnny T. Puis tout le monde rentre à New York, sauf McLaren et Syl qui se payent un road trip à la Nouvelle Orleans. L’idée de McLaren est de faire venir Syl à Londres pour jouer avec des kids «hanging around my shop.» Mais ça ne se concrétisera pas, car McLaren va dénicher Johnny Rotten.

             David Jo admet que les Dolls ne pouvaient pas tenir éternellement : «I don’t think we could have ever transcended it all. If we did, we could’ve wound up like Kiss and that really would’ve been a drag.»

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             Porter embraye à la suite avec les «carrières» de Syl, Killer Kane et David Jo. Syl qui tente désespérément de remonter les Dolls, mais David Jo marche bien avec Buster Poindexter et il n’a pas envie de se replonger dans le cauchemar des Dolls, il marche tellement bien qu’il passe à la télé et quand Killer Kane, désespéré de ne plus être une rock star, le voit un soir dans une émission de télé, il se jette par la fenêtre du deuxième étage. Il ne meurt pas, mais on lui met des broches dans les genoux. Puis il contacte une secte religieuse, the Church of Jesus Christ of Latter-day Saints et se convertit. Il parle d’un «LSD trip from the Lord».

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             Le Lord se pointe enfin sous l’apparence de Morrisey, oui, le mec des Smiths, que Porter qualifie d’«another English saviour» (après McLaren). Moz veut arracher les Dolls à l’oubli. N’oublions pas qu’il fut en son temps président du fan-club des Dolls en Angleterre. Il était pareillement fasciné par Jobriath, Sparks et les Cramps. En 2004, on lui demande de faire la prog du Meltdown festival, alors évidemment, il propose aux Dolls de se reformer ! David Jo prend la proposition au sérieux, car elle vient de Moz et non de ces «stubby-fingered vulgarians». Syl est ravi. Il n’en finit plus de dire que les Dolls étaient «way ahead of the pack». Pour rentrer dans les godasses de Johnny T, David Jo fait appel à Steve Conte. Tous ses amis musiciens le lui conseillent : «Just call Conte.» Killer Kane a bien sûr du mal à rejouer ses vieilles basslines, mais il finit par y parvenir. En fait, il est déjà très malade. Leucémie. Arrivés à Londres, les Dolls montent sur scène avec le batteur black des Libertines, Gary Powell. Deux shows. On peut voir le Meltdown sur DVD. C’est même chaudement recommandé. Trois semaines plus tard, Killer Kane casse sa pipe en bois. Une fois le coup encaissé, David Jo et Syl décident de continuer, avec Sami Yaffa et Steve Conte. Ce sont les nouveaux Dolls. Trois albums et tout s’arrête en 2021 quand Syl casse sa pipe en bois. Toute pipe en bois finit par se casser. Personne ne passe à travers.         

    Signé : Cazengler, New York Dumb

    David Johansen. Disparu le 28 février 2025

    New York Dolls. New York Dolls. Mercury 1973

    New York Dolls. Too Much Too Soon. Mercury 1974

    Dick Porter : The Lazarus paradox. Vive Le Rock 119 - 2025

     

     

    Wizards & True Stars

     - Palmer qu’on voit danser le long des golfes clairs

     (Part One)

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             C’est un peu grâce à Philippe Garnier, mais surtout grâce à Robert Gordon qu’on est entré un jour dans le monde magique de Robert Palmer. Les deux Robert (le Gordon et le Palmer) ne sont pas ceux que l’on croit. Robert Gordon est l’apologue de Memphis, pas le rockab, et Robert Palmer le journaliste/écrivain, pas le playboy, comme dirait Garnier.

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             Dans Les Coins Coupés, Garnier raconte qu’il s’est rendu à Memphis pour enquêter sur Palmer et découvre qu’il avait aussi joué «de divers saxophones» derrière Furry Lewis ou Bukkah White. Garnier dit encore l’avoir rencontré, «sans faire le rapprochement», alors qu’il était «critique de rock au New York Time, puis comme gourou du blues chez Fat Possum (faisant enregistrer Junior Kimbrough, R.L. Burnside et les Jelly Roll Kings)». Garnier connaît bien sûr Deep Blues. «Ce touche-à-tout jouait même de la clarinette sur «Midnight Sunrise» dans Dancing In Your Head, le disque qu’Ornette Coleman avait fait avec les Flûtes de Jajouka (que Palmer avait fait découvrir à Brian Jones et à William Burroughs lors d’un voyage au Maroc).» Et il repart de plus belle pour expliquer que Palmer et son collègue guitariste Bill Barth «avaient eu tôt fait de jeter leurs douze mesures aux orties.» C’est l’épisode Insect Trust. Les voilà partis à New York pour aller jammer avec Alan Wilson, «la voix de fausset de Canned Heat.» Puis les Insect Trust se retrouvent à l’affiche de l’Electric Circus en première partie de Sly & The Family Stone.

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             Avec It Came From Memphis, Robert Gordon a très tôt suivi la piste de Robert Palmer, via Insect Trust, une espèce de combo hybride de blues et de free. Insect Trust testait en effet le country-blues-inspired free jazz. Ces mecs retravaillaient des chants de marin au banjo des Appalaches et au violon. Dans le groupe, Robert Palmer faisait un peu office de liant, tellement les profils différaient les uns des autres. L’album Insect Trust vaut le détour, ne serait-ce que pour entendre «Special Rider Blues», inspiré du «Blues Rider» d’Elmore James. Nancy Jeffries y chante le blues fantastiquement, elle se laisse porter par d’indicibles vagues de blues et ce diable de Bill Barth joue l’acid rock dans un fracas de free jazz. Quel mélange ! Bill Barth n’en finit plus d’irriter les zones érogènes de l’instinct free du sax et cette folie contribue largement aux frictions salvatrices. Quel freakout ! On comprend que l’album soit devenu culte. Ils reprennent aussi le «World War I Song» de Joe Callicott, avec une clarinette New Orleans. Nancy Jeffries chante le blues d’une belle voix généreuse, elle embarque son monde comme savait si bien le faire Joan Baez avec «Joe Hill». C’est un retour aux racines du blues de Memphis. Autre pièce de choix : «The Skin Game», blues solide et bien cuivré, ambitieux et fouillé par un délire foutraque de saxophones en délire. Bill Barth y gratte des poux divins. On assiste là aussi à une merveilleuse envolée d’impro, ou si vous préférez, une échappée belle délibérée. Tu entres avec cet album dans la cour des grands inconnus. Ils finissent leur B avec trois cuts à dominante folky. Cette femme chante comme une militante, on la sent animée d’une foi de pâté de foi. Et ça se termine avec un «Going Home» joué à la flûte de pan et à coups d’acou magiques, et comme on dit, c’est de la bonne Baez.

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             Leur deuxième album s’appelle Hoboken Saturday Night. Il faut avoir écouté le morceau titre, si on ne veut pas mourir idiot. Nancy Jeffries transforme l’heavy boogie rock en coup de Jarnac, et derrière, t’as le gros bassmatic de choc. C’est encore elle qui fait la pluie et le beau temps sur «Now The Sweet Man» en B, cette belle Americana flûtée et inspirée par les trous de nez. Quelle grande finesse ! Tout n’est pas exceptionnel sur cet album, mais quand ça l’est, ça l’est pour de vrai, comme le montre «Ragtime Millionaire». Les Trust sont les rois du ragtime. Tu entends Elvin Jones au beurre sur «Our Sister The Sun», et sur «Trip On Me», Bill Barth is on fire !

             Après avoir dévoré Deep Blues, on dévore Blues & Chaos: The Music Writing Of Robert Palmer, une compilation d’articles parue en 2011. C’est une bible. Palmer couvre tous les domaines, pas seulement le blues, il couvre aussi le classic rock, le jazz, le punk-rock et Jajouka, qu’on appelle en France Joujouka.

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             Dans son intro, Anthony DeCurtis plante bien de décor. Pour qualifier le style de Palmer, il parle d’«elegance and hipster enthusiasm», il parle aussi d’un mec qui sait creuser et entraîner son lecteur avec lui. Palmer est l’homme qui a su dire l’importance historique du blues - How much history can be transmitted by pressure on a guitar string - DeCurtis rappelle encore que Palmer a consacré des books à Leiber & Stoller, Memphis, la Nouvelle Orleans, Jerry Lee et les Rolling Stones. Tous ces books datent hélas des années 70/80 et sont introuvables ou hors de prix.

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             L’ado Palmer s’est tellement amouraché de la culture black qu’il était souvent le seul blanc dans les concerts de Sam Cooke, d’Otis et de Solomon Burke. Avec «Young Blood» et «Searching», les Coasters ont transformé ce kid né en Arkansas. Il flashe ensuite sur Ray Charles. Puis il enquille sur Ike & Tina Turner, Wolf et Muddy, qui pour lui sont aussi importants qu’Elvis, les Beatles et Dylan. Par contre, les «manufactured pop artists» comme Madonna n’ont pour lui aucun sens. Il dit qu’en plus elle ne chantait pas très bien. Il n’aime pas non plus les Ramones qu’il qualifie d’«one-joke band» - They play dumb in order to look cool.

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             DeCurtis rappelle encore que Palmer prenait de l’hero, mais pas n’importe comment. Palmer : «Well I’m from the William Burroughs school of junkies.» Il faut que ce soit littéraire. Et c’est une petite hépatite qui va l’envoyer six pieds sous terre, en 1997.

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             La première série d’articles concerne le blues, le dada de Palmer. Dans un article concernant le mojo, il évoque une session d’enregistrement avec R.L. Burnside : «En 1993, je produisais une Burnside session pour l’album Too Bad Jim et une série d’incident menaça le projet. Une contrebasse tomba en pièces dans le studio. Puis ce fut un drum kit, après un single light tap. Et une porte vitrée m’est tombée sur la tête. Du coin de l’œil, j’ai vu que R.L. s’amusait comme un kid at a Disney movie.» Plus loin, il revient sur le héros de Deep Blues, Charley Patton - If you define rock & roll as a jacked-up shotgun wedding of blues and hillbilly music, Patton’s music was rock & roll - Palmer rappelle que Patton a tout inventé : gratter sa gratte entre ses jambes et derrière sa tête, jeter sa gratte en l’air et «catching it without missing a beat.» Et voilà l’hommage suprême : «Charley Patton was more than a great American musician. He was an American archetype, the first of a series of hard-living, hard-rocking ramblers that has included artists as musically diverses as Robert Johnson, Hank Williams, Jerry Lee Lewis and Jimi Hendrix.» Au niveau référentiel, Palmer ne se fout jamais le doigt dans l’œil. C’est pour ça qu’on le suit à la trace et qu’on boit ses paroles d’évangile, comme on boit celles de Robert Gordon et de Peter Guralnick. Pour traverser cet immense terrain de connaissance qu’est la rock culture, il faut parfois des guides, c’est-à-dire des gens qui l’ont exploré avant toi, et qui savent. Comme il s’agit d’un domaine sacré, on peut parler de guides spirituels. Citons d’autres guides spirituels : Nick Kent, Mick Farren, Eve Sweet Punk Adrien, John Broven et Bob Stanley.  

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             Retour sur Robert Johnson, l’autre héros de Deep Blues : «Robert Johnson écrivit 29 chansons entre 1936 et 1937. Avec les alternate takes, on en compte 41. Puis il disparut dans le murky Mississippi Delta world of juke-joints, voodoo lore, violence, grand plantation houses for whites et de paysans noirs endettés à vie qui bossaient dans les champs de coton et qui ne plaisantaient pas avec leur samedi soir.» Retour aussi sur l’ugly Robert Pete Williams, dont Captain Beefheart avait repris  le «Grown So Ugly» sur Safe As Milk. Pour Guralnick, Robert Pete Williams est l’un des meilleurs : «Après avoir écouté Robert Pete Williams, il est difficile d’approuver les banalités de la plupart des blues singers.»

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             Palmer monte encore d’un cran avec Muddy. Pourquoi Muddy ? Parce que petit, Muddy aimait se rouler dans la boue et il essayait même d’en manger. Muddy était lui aussi fasciné par Charley Patton : «He had so much showmanship in his thing, all this wild clownin’ with the guitar, and he could holler! Ooh what a voice. But Son House was the top man in my book.» C’est en 1941 qu’Alan Lomax est allé à la plantation Stovall à la recherche de Robert Johnson. Mais il est arrivé trop tard, par contre, on lui dit qu’il en existe un autre, down the road, qui joue comme Robert Johnson. Lomax y va et c’est Muddy, qui dit : «He brought his stuff down and recorded me right in my house.» Lomax y retourne l’année suivant pour l’enregistrer une deuxième fois. Palmer nous rappelle que ces deux enregistrements se trouvent sur Down In Stovall’s Plantation, «on the Testament label and they are phenomenal.» Palmer sait de quoi il parle. Quand en 1943, Muddy demande une augmentation parce qu’il conduit le tracteur - to twenty-five cents an hour - le contremaître pique sa crise de colère. Muddy en parle à sa grand-mère qui lui dit de filer à Chicago avant que ça ne tourne mal - You better go - Muddy : «That was on monday. I worked till that thursday at five o’clock and on friday I came in sick and went to Clarksdale to catch the four o’clock train.» Voilà l’une des racines du monde moderne : le four o’clock train de Clarksdale. Voilà d’où viennent les Rolling Stones et tout le reste du bataclan. Muddy arrive à Chicago. On connaît la suite : Leonard le renard. Muddy joue encore le country blues, but with a beat.

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             On passe directement à Lightning Hopkins, qui derrière ses lunettes noires, réclame son blé au club owner : «I want my money.» L’érudit Palmer rappelle que Lightning Hopkins écumait le South dans les années 30 et qu’il revint s’installer à Houston en 1945. Donc c’est pas un débutant. L’un des héros de Palmer est Junior Kimbrough qui a tout appris à Stan Kesler et à Charlie Feathers, un Charlie qui déclarait en son temps : «Junior Kimbrough is the beginning and the end of music.» On saute directement dans les bras d’un autre héros, Bo Diddley, «a kind of super-hoodoo man, larger-than-life, almost mythic figure with a supernaturel whammy.» Coup de chapeau à Jerome Green, auquel Bo apprend tout, notamment à jouer des maracas. Ah Bo, sans doute l’une des plus belles stars du pays magique, «the hoochie-coochie dude in his cobra-snake necktie and Western boots and ten-gallon hat, cracking that grin, and enduring.» Comme tous les becs fins de la terre, Palmer n’a jamais pu résister au charme fatal de Bo.

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             De Bo à Uncle Sam, il n’y a qu’un pas qu’on franchit avec allégresse. En 1978, Palmer écrit un article pour le Memphis Magazine : ‘Sam Phillips: The Sun King.’ Tout un programme. D’autant plus important que Palmer interviewe Uncle Sam et là on se pourlèche les babines et tout le reste. Voilà Uncle Sam qui lâche ça du haut de son infernale modestie de visionnaire : «I think that if I contribued anything, it was the ability to discern in people a naturel talent, be it unpolished or semi-polished or almost crude - I feel prouder of myself for that ability than for any other achievement.» Uncle Sam précise des points essentiels : «And I never did see white people singing a lot when they were chopping cotton, but the odd part about it is, I never heard a black man that couldn’t sing good. Even off-key, it had a spontaneity about it that would grab my ear.» Uncle Sam se passionne donc pour les artistes noirs, il est ingé son pour une station de radio jusqu’en 1951, puis il bosse pour le Peabody - So I was a pretty busy cat - Il voulait enregistrer des artistes noirs et hop, il sort B.B. King, Wolf, Bobby Blue Bland, Junior Parker, Rufus Thomas, James Cotton et tous les autres. Il parle de sa passion pour la créativité comme d’un évangélisme - My evangelism is, in my own peculiar way, letting people out of themselves. I got pure gratification, far more than recompense - Il rappelle que ce qui l’a frappé le plus en Elvis, ce n’était pas qu’il chantât bien ou qu’il fût beau, c’était le fait qu’il connaisse une chanson d’Arthur Big Boy Crudup - That just knocked me out - Il revient évidemment sur la vente du contrat d’Elvis à RCA et il veut que tout soit bien clair : «I must have been asked a thousand times, did I ever regret it? No, I did not, I do not and I never will.» Puis il passe à la star suivante, Carl Perkins. Un Carl qui prétend avoir joué du rockab avant d’avoir entendu Elvis, et Uncle Sam qui dit qu’il a fallu un peu de temps pour passer du stade de country artist à celui de rocker. Pour Palmer, les Sun records de Carl are some of the best - not country, not blues, not rock & roll, just pure Perkins - Puis Uncle Sam transforme Jerry Lee «into an international phenomenon», avec des singles qui se vendent par millions et le tournage d’un film avec Mamie Van Doren, High School Confidential. Uncle Sam revient toujours à l’essentiel : «Je savais ce que je cherchais lorsque j’entrais en session. Maybe not the lyric, maybe not the melody pattern but the feel. And with this approach and an awful lot of patience, I think that each person developped that feel in working with me. It was a mutual type of thing.» Jimmy Van Eaton révéla à un journaliste anglais que Sun avait commencé à se casser la gueule après qu’Uncle Sam ait viré Jack Clement et Bill Justis - After the hits stopped coming, they started screwing the musicians - Comme tous les empires, celui-ci finit par s’écrouler. Palmer chute ainsi : «And records don’t sound like Sam Phillips’s anymore. A good 99 percent of today’s popular music sound dull and lifeless in comparison.» Il enfonce son clou : «It doesn’t have the soul.» Il espère vraiment qu’un jour des disks sonneront comme les Sun records again.

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             Bon d’accord pour Sun. Mais t’as aussi Litlle Richard, et Palmer n’y va pas par quatre chemins - Little Richard provided  the big bang, that first explosion that made all that followed possible. He was the most influential vocalist and band leader of fifties rock - Pour lui, James Brown et Otis Redding sont des imitateurs qui ont su développer leurs propres styles respectifs. Palmer ne rate pas une si belle occasion de saluer la Nouvelle Orleans et Dave Bartholomew, un Bartho qu’avait imposé Art Rupe. Little Richard voulait enregistrer avec ses Upsetters, heureusement, Rupe a tenu bon.

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             Jerry Lee ! Palmer le vénère. Il lui consacre un bel article en 1979 dans Rolling Stone. Palmer le voit dans un backstage new-yorkais. Jerry Lee sort de scène, il est torse nu et il lance : «I’m the toughtest son of a bitch that ever shat out of a meat ass.» L’un des jeux favoris du Killer consiste à faire semblant de te frapper dans la gueule. Son poing s’arrête juste à quelques millimètres. Il fait le coup à Palmer et à sa femme. Palmer lui demande si ça lui arrive de frapper quand même et le Killer lui répond : «Seulement quand je le veux.» Beaucoup plus intéressant : le killer rappelle que ses parents ont hypothéqué leur maison pour acheter un piano à Jerry Lee - I’ve still got it. There’s no more ivory on the keys. I wore them ‘em down to the wood - C’est probablement le piano qu’on voit sur la pochette du Mean Old Man paru en 2010. Palmer se marre bien avec le piano car il rappelle que Jerry Lee et son paternel Elmo l’ont installé sur le back of a truck pour aller jouer à droite et à gauche et se faire un peu de blé. Jerry Lee a 15 ans quand il épouse une certaine Dorothy Parton, puis il engrosse Jane Mitcham qu’il doit épouser, après avoir divorcé de Dorothy : son fils s’appelle Jerry Lee Lewis Jr. Palmer salue aussi son éclectisme -  He will play Chuck Berry, Hoagy Carmichael, Jim Reeves, Artie Shaw, spirituals, blues, low-down honky-tonk, or all-out rock & roll, as the mood strikes him - avec, ajoute-t-il, une «formidable and entirely idiosyncratic technique (both instrumental and vocal) and sheer bravura.» Sam Phillips ne s’y était pas trompé : «Good God almighty! I’m not talking about voice, piano, any one thing. He is one of the great talents of all time, in any cathegory.» Palmer égrène aussi les drames qui ont émaillé la vie du Killer : Steve Allan Lewis, le fils qu’il eut de Myra, se noie dans la piscine familiale en 1970. Son fils Jerry Lee Lewis Jr. casse sa pipe en bois en 1973 dans un car crash. En 1976, le Killer descend son bassman Butch Owens d’un coup de 357 Magnum. Pour se donner du courage, Palmer siffle un verre d’alcool et demande au Killer si c’était un accident. Il a la réponse qu’il mérite : «Of course it was an accident.» Puis il y a les séjours à l’hosto, pour des trucs assez graves. Le Killer survit à tout. Puis finit par casser sa pipe en bois sur le tard. Le très tard.

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             Palmer reste chez les cakes avec Sam Cooke, «the most gifted pop vocalist of his time, no more no less», il cite ensuite deux albums live en référence, celui du Copa et celui de l’Harlem Square Club, puis Night Beat - a vocal tour de force, et juste en dessous de la gracefully melodious surface de la musique, the emotional waters run deep - Et au sommet de l’Ararat, il place l’album sans titre de Sam Cooke - By far Cooke’s most intimate album - Le musicien Palmer pousse bien le bouchon sur Sam Cooke, en citant Rene Hall : «Sam avait une oreille très étrange, différente de celle des gospel singers, parce que most gospel singers dealt in sevenths, like blues-type changes, and Sam dealt in sixths. Like you hear him do his yoo-hoo-hoo, that’s sixths.» Est-il important de le savoir ? Oui, tout ce qui touche à Sam Cooke est important.

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             Palmer glisse de Sam Cooke à Ernie Isley, c’est-à-dire qu’il ne quitte pas les cakes. Des Isleys qui ont explosé en 1959 avec un «Shout» - a thinly secularized slice of gospel hysteria - que tout le monde a repris, même Elvis et les Beatles, suivi de «Twist & Shout», que les Beatles tapent sur leur premier album. Par contre, nous dit Palmer, les Isleys ne reviennent jamais sur leur vieux hits, pas même «It’s Your Thing» - They remain determinally fresh and contemporary - Palmer rappelle aussi l’«on-again-off-again relation» avec Motown et le young Jimi Hendrix. C’est Ernie qui a pris la suite de Jimi dans les Isleys. Il reste certainement l’un des grands guitaristes américains. Et en guise de chute pour son article, Palmer cite Ronald Isley : «C’est la fondation de tout ce business, the foundation of rock & roll. It had to come from somewhere, and the church is where it all came from.» Tout est dit.

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             Palmer flashe aussi sur Lowman Pauling, le guitariste des ‘5’ Royales, qui cassaient déjà la baraque en 1958 avec «The Slummer The Slum». Palmer se demande d’ailleurs pourquoi le nom de Lowman Pauling ne remonte jamais à la surface quand on s’inquiète de savoir qui sont les plus grands songwriters et les most influential electric guitarists. Le seul à le faire n’est autre que Steve Cropper qui le cite as his major influence. On reparle des 5 Royales, des Isleys et de Sam Cooke dans des tartines à venir.

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             Quand Palmer chronique The Complete Stax/Vox Singles, il ne manque pas de saluer Barbara Stephens, Wendy Rose and the mighty Mabel John (pas Mabel, Palmer, Mable !). Mais il s’extasie aussi de la qualité des 244 cuts, comme le savent d’ailleurs tous les ceusses qui ont eu la glorieuse idée de rapatrier cette magic box. Celle qui est ici est un cadeau de Jean-Yves. Palmer parle d’une douzaine d’«out-and-out bombs» - and the rest ranges from the merely fine to the utterly transcendent - Il se demande d’ailleurs quel autre American label peut se vanter d’un tel palmarès - Not even the Chess and Sun calalogs are so potent, song after song after song - Palmer sait de quoi il parle. Et c’est vraiment bien que ce soit un mec comme lui qui le dise. Palmer cite aussi Willie Mitchell qui en sait un rayon sur «Memphis music’s unique rhythmic peculiarities.» Il s’agit en fait d’un «lazy, behind the beat feel, set by Al Jackson’s outstandingly creative drumming, and the supple, loping Duck Dunn bass lines.»

             Palmer s’étend longuement sur les Hawks et The Band, mais bon, berk. Quand on a vu The Last Waltz, on est vacciné à vie contre Robertson et sa frime de m’as-tu-vu et de proto facebooker. Et puis, il suffit de relire les mémoires de Bill Graham pour bien situer cet asticot. Le vieux Bill avait de bonnes raisons de ne pas supporter cet atroce frimeur.

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             Comme Palmer est l’un des grands spécialistes des Stones, il en sert une grosse tartine, histoire de rappeler que Beggar’s Banquet et Let It Bleed sont de très grands albums - collections of superb rock & roll songs - mais qu’Exile n’est qu’un «defiant chunk of rock & roll noise.» Et puis, il a la chance de rencontrer John & Yoko. Il est invité au Dakota pour papoter dans la kitchen - talking music and indulging ourselves with brownies, milk, and a cheesecake that must have been sent from heaven - Palmer indique qu’il se rend plusieurs fois au Dakota pour des interviews - the talk was fast, intense, mercurial - et pouf, John Lennon se fait descendre dans l’«entrance tunnel». En fait, John & Yoko prennent Palmer à la bonne parce qu’il connaît Fluxus et donc les happenings de Yoko. John & Yoko lui demandent s’il connaît leurs albums et Palmer qui a décidé d’être franc répond qu’il ne les connaît pas tous. S’ensuit un silence bizarre et soudain John & Yoko explosent de rire : «He hasn’t heard it yet!». Alors ils vont tout de suite dans les pièce voisines à la recherche des albums. Ça leur prend une demi-heure. Ils trouvent une copie d’Approximately Infinite Universe, puis tous les albums de Yoko et ceux de John solo. «Here’s your home-work». Ils attendent  des chroniques de Palmer - Listen to Yoko’s first. We’ll be expecting report - Alors Palmer se lance dans l’apologie d’Onobox qui «plays like a suite or a continuous densely woven tapestry of sounds.» Et Palmer de conclure : «To me, this music sounds as contemporary in 1991 as it did when Yoko and John proudly presented it to me at the Dakota in 1980.» Palmer a raison, il faut absolument écouter Yoko Ono, l’une des grandes prêtresses de la modernité. 

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             On reste dans la modernité avec le Velvet. Palmer commence par rappeler qu’il existe  deux sortes de «success» in rock & roll. Le premier est le «standard all-American success story», avec le «take the money and run», celui des «hit records & mass adulation, the way of Elvis & the Beatles, the way of ‘pop’.» L’autre n’est pas aussi funny : «Be an innovator, march to the beat of your own drum, go against the grain of times, make your own statement, sit back and starve and hope you become a legend before you die of old age (or malnutrition).» Palmer rappelle à la suite que le Velvet et les Stooges étaient décrits comme «decadent, crude, dark, negative, abarasive, nihilistic, and incompetent.» On connaît la suite de l’histoire. Et puis ceci, qu’il est bon de rappeler : Lou Reed avait composé «Heroin» quand il était encore en fac, influencé par le Last Exit To Brooklyn d’Hubert Selby Jr., le Naked Lunch de William Burroughs et bien sûr par Delmore Schwartz, son mentor, qui déclarait : «The poet must be prepared to be alienated and indestructible.» Un Lou qui la ramène un peu plus loin : «I took a major in English and a minor in philosophy. I was into Hegel, Sartre, Kierkegard. After you finish reading Kierkegard, you feel like something horrible has happened to you - Fear and Nothing. See, that’s where I’m coming from.» Voilà un bel éclairage sur l’univers du Lou.   

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             On croit que Palmer va se calmer après tous ces textes d’une rare intensité. Eh bien non, au contraire, il remet le turbo avec Jajouka. Bienvenue dans le cœur battant de Blues & Chaos ! Palmer commence par se situer dans la twilight zone, entre On The Road et Woodstock, comme la plupart d’entre-nous. Il dit avoir lu tout William Burroughs, comme la plupart d’entre-nous. Et c’est là qu’il repère le nom de Jajouka, «a mountain village somewhere in Morocco, home of the Master Musicians (who where they?) and the mysterious Rites of Pan (what was that?)».» Le voilà lancé, le Palmer ! En plus, il entend dire que Brian Jones y est allé, alors ça fait boom dans la cervelle de ce «Stones fanatic». Brian Jones in Jajouka ! Puis il découvre que Brion Gysin a consacré The Process à Jajouka. Palmer : «Ils étaient les descendants des musiciens et s’asseyaient tout le jour pour jouer de leurs instruments et fumer du kif et entraînaient des tribesmen possédés into mass Dionysian frenzies. It sounded like my kind of scene.» Alors bien sûr, Palmer chronique le roman de Brion Gysin qui, pour le remercier, l’invite à Tanger : «Drop in any time.» Puis paraît le fameux Brian Jones Presents The Pipes Of Pan At Jajouka. Palmer obtient un budget de Jann Wenner, boss de Rolling Stone magazine, et prend le premier bateau pour le Maroc. Il va retourner plusieurs fois au Maroc, notamment une fois avec Ornette Coleman, avec lequel il enregistre un album sur place, «with the screaming and shrilling of hundreds of hill tribesmen in trance overlaying the elemental ritual music.» Il cite aussi un album produit par Bill Laswell avec the Master Musicians, Apocalypse Across The Sky. Bon bref, il y a de l’écoute dans l’air. On y revient. Palmer cite aussi des books, The Sheltering Sky (adapté à l’écran par Bertolucci), et le Jajouka Rolling Stone: A Fable Of Gods and Heroes de Stephen Davis. On y revient.

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             Pour Rolling Stone, il écrit Up the mountain. Il décrit la transe qui accompagne l’arrivée de Bou Jeloud, «the Father of Skins», dans la danse. Palmer affirme que Bou Jeloud est le «continuing survival of the Horned God of antiquity, the goat-god Pan.» Pan, le dieu cornu ! Sa prose s’enflamme lorsqu’il évoque le passé, et là ça va plaire à Damie Chad : «Quand Marc Antoine revêtu d’une peau de bête fit la couse des Lupercales à Rome, César lui, demanda de frapper Capunia, sa femme stérile, en courant. Aujourd’hui, Bou Jeloud danse dans la peau d’un bouc fraîchement massacré, avec un immense chapeau de paille attaché au-dessus de ses oreilles, son visage, ses mains et ses pieds sont noircis au charbon, et on dit que les femmes qu’il fouette avec sa branche seront enceintes dans l’année.» La prose de Palmer prend feu ! Il faut lire ces pages ardentes ! T’es en plein rock & roll, mais pas celui de la Fnac et de Cure, amigo, celui des origines. Bou Jeloud est le nom de l’esprit, explique Brion Gysin. Celui qui l’incarne s’appelle Slimou, a very wild creature. Personne ne peut l’approcher. Il n’entre jamais dans une maison. Brion Gysin est un érudit, il explique aussi à Palmer qu’Aisha Hamouka danse parmi les arbres. Hamouka, poursuit-il, est le même mot qu’Amok. Il ajoute qu’en langue punique, c’est-à-dire carthaginoise, Aisha veut dire Asharat, ou Astarte. Grâce à son érudition, Gysin décode les rituels musicaux de Jajouka, il y voit la résurgence des Rites of Pan, qui étaient déjà très anciens quand les Romains les adaptèrent dans leur calendrier sous le nom de Lupercales, fêtes annuelles en l’honneur de Faunus, dieu de la forêt et des troupeaux. Lors de l’une de ces fêtes rituelles, Palmer raconte qu’il saute dans un feu sans se brûler. Puis il sombre dans les ténèbres pour se réveiller loin du village, en bas de la montagne - Je n’étais pas blessé. Quand j’ai réussi à rejoindre le village, j’ai remarqué qu’une lumière éclairait encore la maison des musiciens. Le chef Jnuin - dont le nom vient du mot arabe jinn, ou «elemental spirit» - m’attendait, en compagnie d’autres anciens et d’un sherif, c’est-à-dire d’un descendant de Muhammad. «We have seen you though the music. Now you are one of us.» - Jajouka est selon Palmer un haut lieu de la spiritualité depuis l’antiquité. On trouve des ruines de temples phéniciens dans les collines environnantes. Les Master Musicians se reconnectent avec de très anciennes racines. Les contes locaux disent que Bou Jeloud est venu avec eux, mais qu’Aisha Hamouka, c’est-à-dire Astarté, a toujours hanté ces collines. Et Palmer de conclure : «The whole mountaintop is said to be one great storage cell for baraka.»

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    (Brion Gysin)

             On entre ici dans les racines d’une mythologie qu’explorait aussi Jimbo, deep inside the goldmine. Palmer voit jouer les Master Musicians et se demande comment ils tiennent la note aussi longtemps, alors qu’ils ne semblent pas utiliser la technique du circular breathing de Roland Kirk, mais il n’a guère le temps de réfléchir à tout ça, car il s’abandonne à la musique, «the flutes floating free over a piledriver 6/8 rhythm straight down from remotest Near Eastern antiquity and the drummers shouting ‘Aiwa’ - Everything’s groovy.» Il précise plus loin que les Master Musicians sont arabes et non berbères, et qu’un Master Musician ne peut être que le fils d’un Master Musician. Le pionnier de tout ça est bien sûr Brion Gysin, arrivé au Maroc avec Paul Bowles en 1937. Palmer résume bien le phénomène : «The Master Musicians of Jajouka play their rhaitas, flutes, and drums, smoke their kif, guard their chain of secret knowledge unbroken since pagan times, and wonder about their luck and their future.»

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             Pour finir, Palmer claque un texte sur Tanger, un endroit qui fut l’inspiration «for the archetypal world city of Interzone in William Burroughs’s novel Naked Lunch.» Palmer a l’immense privilège de fréquenter Brion Gysin lorsqu’il s’installe à Tanger. On trouve aussi dans Blues & Chaos une longue interview de Williams Burroughs qui ne fonctionne pas. Questionné sur l’apport des drogues, Burroughs dit que le cannabis est la meilleure. «It has the most value. Amphetamines, absolutely none. Barbiturates, absolutely none.» Palmer a un dernier spasme avec Sonny Sharrock, histoire de rappeler que dans l’«early-eighties New York No Wave fracas», des mecs comme le guitariste de Captain Beefheart (il doit parler de Gary Lucas) et Robert Quine «began exploring some of the areas Sharrock had mapped out.» Un Sharrock capable, selon Palmer, de burster «into a paroxysm of six-string mayhem.» Et il enfonce son clou dans la paume du book : «Au temps où le «Shapes Of Things» des Yardbirds semblait être the cutting-edge of electric-guitar music, Sharrock was a true visionary, in a class with nobody but himself.» On croise rarement des esprits aussi aventureux et aussi brillants que celui de Robert Palmer.

    Signé : Cazengler, pied Palmer

    Insect Trust. The Insect Trust. Capitol Records 1968 

    Insect Trust. Hoboken Saturday Night. ATCO Records 1970

    Philippe Garnier. Les Coins Coupés. Grasset 2001

    Robert Palmer. Blues & Chaos: The Music Writing Of Robert Palmer. Scribner 2011

     

     

    L’avenir du rock

     - Arnold Layne

     (Part Two)

     

             — Ça va, Boule ? T’as pas l’air dans ton assiette...

             — Oh mais si tout va béné ! Pourquoi m’dis-tu ça, av’nir du rock ?

             — On dirait que t’as le pâté de foi qu’est pas droit...

             — Quesse tu racontes ? L’a jamais été aussi droit ! R’garde !

             Boule ouvre son veston et bombe le torse.

             — Mais t’aurais pas l’pylori qui s’colore ?

             — Ah ah ah, t’en fais un drôle de pylori, av’nir du toc ! Suis sûr que tu vas m’demander si j’ai l’coccyx qui s’dévisse !

             Alors, Boule se lève, se retourne, baisse son pantalon, puis son caleçon, et se penche en avant.

             — Alors y s’dévisse ?

             — Non, l’a encore l’air à sa place, mais t’aurais pas les genoux un peu mous et les guiboles qui flageolent ?

             — Décidément, av’nir du rock, t’es encore pire qu’un médecin généraliste ! Tiens tâte-moi ça, tu vas voir si ça flageole !

             — Tiens tourne-toi, pour voir. T’aurais pas l’épigastre qui s’encastre et l’thorax qui s’désaxe ?

             Alors Boule déboutonne sa chemise :

             — Tu vois bien que l’thorax y s’encastre pas, et tâte-moi cet épigastre ! Alors y s’désaxe ou y s’désaxe pas ?

             — L’a pas l’air de s’désaxer...

             — Tu m’demandes pas des nouvelles d’Arnold ?

             — C’est qui Arnold ?

             — Ben ma queue...

             — Désolé, Boule, je préfère P.P. Arnold.

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             Et ça fait même une éternité que l’avenir du rock en pince pour P.P. Arnold. Il était déjà à genoux devant l’ex-Ikette en 1968, lorsque parut son premier album, l’ultra-mythique First Lady Of Immediate. L’ultra-mythique va tout seul sur l’île déserte, car il grouille d’énormités. P.P. démarre bien sûr avec le fameux « (If You Think You’re) Groovy » des Small Faces, tapé au power Marriott/Lane et aux descentes de toms de Kenney. Avec « Something Beautiful Happened », P.P. tape dans l’œil du Brill, soutenue par un grand ensemble dévastateur.

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    Sacrée P.P., elle peut monter tellement haut qu’elle devient une sorte de visiteuse des cieux. Elle tape ensuite dans le « Born To Be Together » de Spector/Mann/Weil, alors attention, ça ne rigole plus. C’est énorme et même explosif. Elle fait sauter le couvercle de la voûte, elle chante avec toute la puissance de sa blackitude céleste. Wow ! Quelle shouteuse ! Elle hurle littéralement au sommet du beat. On a là le nec plus ultra du bénéfice des longs termes. Toujours aussi magnifique, voici « Am I Still Dreaming » monté sur un beat solide et embarqueur. C’est d’une énormité sans nom, comme on dit quand on ne sait plus quoi dire. C’est monté à l’adrénaline de mini-jupe, le jerk des enfers. Tu veux danser, baby ? Elle finit son balda avec le fameux « First Cut Is The Deepest », ce vieux balladif d’intensité maladive. Elle y fait un final éblouissant à coups de gotta gotta. Une grosse pelletée d’orchestration ouvre l’« Everything Is Gonna Be Alright » signé Oldham. Pur jus de Swinging London ! Stomp de rêve - hey hey hey - C’est plombé au beat à l’air, un vrai rêve du juke humide. P.P. le chante à bout de voix et l’explose en phase terminale. S’ensuit la pop nerveuse de « Treat Me Like A lady ». Ça part en pur jive de jerk. Très franchement, cet album compte parmi les fleurons des sixties. P.P. n’en finit plus d’exploser. C’est son seul vice. Elle peut driver un cut comme Aretha. Elle revient au jerk du Loog avec « Speak To Me », un hit fait pour le dancefloor, tourbillonnant de violons et P.P. te le chante à pleine gueule. Tu veux quoi en plus ?

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             Quasiment soixante après, elle refait surface avec un Live In Liverpool pour le moins spectaculaire. T’en reviens pas ! On l’a dessinée pour la pochette, elle tient bien le choc, elle a gardé un look très moderne. Good evening Liverpool ! Elle annonce bien la couleur. Et bam ! Elle te groove «Baby Blue» avec une classe extravagante. Elle enchaîne avec «Everything Is Gonna Be Alright», pure Mod craze, yeah yeah yeah ! Quand tu l’entends chanter ça, tu comprends mieux ce qui se passait dans les clubs en 1966. Ça jerkait pour de vrai ! Elle fait une superbe cover du «Different Drum» de Mike Nesmith. Elle l’amène à London town et ça bascule dans le génie pop. L’autre cover de choc est l’«(If You Think You’re) Groovy» des Small Faces - The very special friends of mine - Elle fait aussi la pub de Chip Taylor avec une cover d’«Angel In The Morning», elle s’y fond avec délectation, puis elle tape dans Brian Wilson avec «God Only Knows», et là, mon gars, elle tape dans le haute du panier, comme au temps d’Immediate, elle en a la trempe. C’est un rare mélange de Soul Sisterism et d’On The Beach magique, elle le travaille à la clameur de God only knows de what I’d been without you, et t’as un truc qui se met en route et qui fait toute la différence. Et puis quand elle attaque «Hold On To Your Dreams», tu ne peux pas rester assis. Big dancing beat à l’air ! Comme elle est à Liverpool, elle claque un coup d’«Eleanor Rigby», «déjà enregistré sur mon deuxième album», précise-t-elle. Elle salue Mister Steve Craddock sur «Still Trying». Wow, la classe infernale de cet heavy slowah du Swingin’ London. Elle le monte aussi haut qu’elle peut, et elle enchaîne avec «The Magic Hour», pop Soul de London town, c’est même du Brill de London town, un son unique ! Elle termine bien sûr avec «The First Cut Is The Deeper», un cadeau que lui fit Cat Stevens, dit-elle. Elle en fait son fonds de commerce, mais un brillant fonds de commerce. 

     Signé : Cazengler, P.P. room

    P.P. Arnold. The First Lady of Immediate. Immediate 1968

    P.P. Arnold. Live In Liverpool. Ear Music 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Tarheel ne tarit pas

             Le pauvre Tareau ne pouvait échapper à son destin. Cruel destin en vérité que d’être surnommé Taré parce qu’on s’appelle Tareau. Mais il faisait face, car il disposait de ce qu’on appelle une bonne nature. La méchanceté des autres ne l’affectait pas. Il se contentait de sourire. Il faisait le canard, comme on dit dans les milieux autorisés. Petit, le regard clair, il semblait n’offrir aucune prise. Plus il souriait, et plus l’agressivité des autres augmentait. Certes, il préférait entendre qu’il prenait le Tareau par les cornes, plutôt que de se faire traiter de pauvre Taré, mais bon, il faisait contre mauvaise fortune bon cœur, ce que tentent généralement de faire les gens esquintés par le destin, si l’on considère que de venir au monde avec un tel nom est un destin. Ces esquintés ont-ils le choix ? Bien sûr que non. Se morfondre ne sert à rien, alors autant faire face. C’est l’occasion rêvée de voir les cons développer leurs routines. Plus les cons l’agressaient, et plus Tareau encaissait. Le plus intéressant dans toute cette histoire était de voir certains cons baisser les yeux, ne pouvant soutenir le regard de Tareau. Il avait en effet des yeux extraordinairement grands. Tareau semblait vouloir inviter ses interlocuteurs à plonger dans son regard. Cette lumière qui émanait de lui pouvait réellement déconcerter. En réalité, il fascinait les esprits faibles qui, furieux de se sentir troublés, redoublaient de malveillance. Alors Tareau souriait, mais s’il comprenait que son sourire pouvait aggraver les choses, alors il essayait d’afficher un air neutre. Pas question pour lui d’importuner les gens qui lui voulaient du mal. Et encore moins de les mettre mal à l’aise. Il n’avait pour lui que son regard, mais il ne voulait pas en faire une arme. Il finissait par fermer les yeux, et il souffrait tant de ce malentendu qu’il en pleurait.

     

             Les cons auraient aussi pu surnommer Tarheel Slim Taré, mais ils ne l’ont pas fait. La raison en est simple : c’est un mot qui n’existe pas en anglais. Alors Tarheel a du pot, plus de pot que Tareau.

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             Tu croises Tarheel Slim sur des compiles intéressantes, comme le New York City Blues d’Ace ou encore The Wild Jimmy Spruill Story. C’est toujours la même histoire : voilà un artiste pas très connu, mais on se félicite de croiser sa piste. Tarheel Slim est surtout l’un des artistes phares de Bobby Robinson. On retrouve Tarheel Slim en duo avec Little Ann sur tous les petits labels de Bobby Robinson devenus mythiques, Red Robin, Fire et Fury Records. Tarheel Slim et Little Ann n’ont enregistré que des singles, donc le plus simple est de recourir aux compiles. Il en existe deux, qui sont assez complètes.

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             Lock Me In Your Heart est un Charly de 1989. Les photos de pochette tapent à l’œil : Tarheel Slim est une sorte de grand dandy black, et à côté de lui, un mètre plus bas, Little Ann rigole comme une petite arsouille des Batignolles. C’est ce duo extraordinaire qui va te jerker la paillasse dès «Don’t Ever Leave Me». Puis on voit Little Ann se glisser avec autorité dans le groove de «Forever I’ll Be Yours».Tu veux du rockab ? Tiens, voilà «Wild Cat Tamer» ! Tarheel joue cartes sur table. Encore un hit intemporel avec «Too Much Competition», il tape ça au mellow et son groove vire jazz. Et pour t’achever, Lillte Ann fout le feu à «Security». En B, tu retrouves leur hit le plus connu, le fameux «Number Nine Train», claqué rockab avec Wild Jimmy Spruill derrière. Pur génie. Encore de la fantastique allure avec «Anything For You». C’est ce qu’on appelle un duo d’enfer - I’ll be your baby/ If you be my man - Ils te chantent ça à la vie à la mort. Ils terminent cette compile avec «Can’t Stay Away From You». Ça joue sec derrière Slim et Ann, ça gratte les poux du diable.

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             On retrouve bien sûr tous les coups fumants de Tarheel Slim & Little Ann sur The Red Robin & Fire Years Golden Classics. «Wild Cat Tamer», bien sûr, ce boogie blues de classe supérieure qu’est «Too Much Competition», l’imparable «Number Nine Train» et le wild jump de «Lock me In Your Heart», «Can’t Stay Away (Pt1)» et «Can’t Stay Away (Pt2)» où Little Ann remporte la palme d’or, mais il y a bien d’autres choses, comme ce «You’re Gonna Reap», elle s’y colle au you may do right/ You may do wrong, et ils battent tous les records de duo d’enfer avec un «Much Too Late» qui sonne comme l’«House Of The Rising Sun», puis on retrouve l’«Anything For You» qui est du pur Shirley & Lee, pur jus de New Orleans. Tarheel y va au no more dans «It’s Too Late», fantastique pâté de pathos, et Little Ann entre à sa suite, au petit chat perché d’exception. Fin de parcours avec le retour de l’excellent «Can’t Stay Away From You», l’heavy jump de New York City, fortement orchestré, plein de jus urbain et orbi, et Little Ann fait les chœurs de can’t stay away, c’est bien chargé de la barcasse.

    Signé : Cazengler, Taré Slim

    Tarheel Slim & Little Ann. The Red Robin & Fire Years Golden Classics. Collectables 1989   

    Tarheel Slim & Little Ann. Lock Me In Your Heart. Charly R&B 1989

     

    *

             Ce n’est pas toujours la musique qui m’attire pour écouter un groupe. Parfois c’est un mot, ou une image. Ou les titres des morceaux qui me semblent faire référence à une de mes marottes. Plus l’attrait du mystère. Je l’avoue celui que nous allons écouter coche toutes les cases. Au minimum deux fois plus qu’une. Au début je l’ai pris à la rigolade, non d’un pois chiche c’est quoi ce truc hyperboliche. Chiche, si j’allais voir. J’y suis allé. J’ignore encore si j’en suis revenu.

             Une belle image, une plage de sable fin, Une île perdue au milieu du Pacifique, un être féminin engoncée dans une robe bleue, l’a l’air un peu paumée, hop j’enfile mon maillot de bain, tiens bon, poupée ! j’arrive dans deux minutes, le titre de l’album m’a un peu refroidi, A Letter from the Past, holà Damie réfléchis les filles d’aujourd’hui sont déjà un tantinet embêtantes pourquoi te charger d’une âme d’un autre siècle qui ne partagera pas ta mentalité.  J’ai pris le temps de méditer.

             D’abord le nom du groupe. Deux trucs m’ont laissé perplexe, s’appelle Colonne Hyperboliche, colonne je vois bien ce que c’est, mais quel nom bizarre, y a bien un cocotier sur la couve, mais pas une colonne en vue. N’empêche que ça m’a l’air de l’Italien. J’ai vérifié sur Bandcamp, oui ils viennent d’Italie, mais aucun autre renseignement, ah, tiens c’est leur deuxième album, l’est sorti le premier mars, chers lecteurs avec les Chroniques de Pourpre vous collez à l’actualité comme nulle part ailleurs, z’ont un opus  précédent simplement nommé Colonne Hyperboliche, normal pour un premier album, paru en juin 2024, en plus il y a bien deux colonnes sur la couve, on en reparlera bientôt.

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             Le traducteur a confirmé mon intuition, hyperboliche signifie bien hyperbole, j’ai grimacé les courbes mathématiques et moi, c’est comme les mousquetaires ça fait quatre. J’ai cherché une idée dans l’intitulé des morceaux, des titres de roman de Jules Verne, bingo j’ai tout compris. Je vois c’est en relation avec les sections des méridiens avec les parallèles, des intellos tordus, ils ont sûrement lu Le Mont Analogue le roman de René Daumal, le Mont Analogue n’est marqué sur aucune carte car pour y accéder il faut suivre les méridiens selon leur intersection conique avec les parallèles, suffit de le savoir pour y arriver facilement. Bon il n’y a plus qu’à se laisser glisser. Je me munis de ma casquette de capitaine et l’on embarque immédiatement, larguez les amarres !

    COLONNE IPERBOLICHE

    COLONNE IPERBOLICHE

    (Piste numérique sur Bandcamp)

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             Belle couve. Très romaine. La colonne de gauche évoque le Trophée de la Turbie élevé par Auguste pour remémorer la victoire des légions Romaines opposées aux tribus celtes qui tenaient les passages des Alpes. Elle marquait symboliquement la séparation de la Province Narbonnaise de l’Italie. Question limites, ces deux monuments métaphoriques évoquent les fameuses colonnes d’Hercule, aujourd’hui notre détroit de Gibraltar qui séparait la mer Méditerranée de l’Océan Atlantique. Ayons une pensée émue pour Thumos, le groupe américain que nous suivons depuis ses débuts, fasciné par le mythe de l’Atlantide révélé par les dialogues platoniciens. Je ne cite pas Thumos au hasard, Colonne Hyperboliche et Thumos semblent procéder de manière semblable. Tous deux ne proposent que des instrumentaux. Sont chacun axés sur l’œuvre d’un auteur majeur, Platon pour Thumos, Jules Verne pour Colonne Hyperboliche. Je n’en veux pour preuve que le morceau intitulé Gordon Pym sur ce premier album.

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             Inutile de me faire remarquer qu’Arthur Gordon Pym est un roman d’Edgar Poe et non de Jules Verne. Vous avez complètement tort et totalement raison en même temps. Si Jules Verne a nommé ses livres Voyages Extraordinaires c’est en l’honneur d’Edgar Poe et de ses Histoires  Extraordinaires, traduction de Baudelaire. Avant d’entreprendre sa série d’œuvres, ce très curieux Jules Verne, c’est ainsi que le définissait Stéphane Mallarmé, a commencé par une monographie d’Edgar Poe. Mais ce n’est pas tout, un des plus beaux, hélas pas le plus célèbre, romans de notre auteur s’intitule Le Sphinx des Glaces qui n’est autre que la suite des Aventures d’Arthur Gordon Pym abruptement arrêtées par leur auteur américain…

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    Reset : ( sur la chaîne YT du groupe vous avez le reels d’une image fixe d’une ville en flamme) reinitialisation, soyons moderne, ils ont laissé tomber la formule Il était une fois qui ouvrait livres de contes de l’enfance, quatre mots qui donnaient accès à l’univers du rêve, qui vous projetaient dans un monde impalpable dans lequel vous étiez dans votre vraie maison… Ils ont grandi, alors ils appuient sur la touche magique, surgit un son violent venu de loin mais ample et brutal comme les lames qui frappent la coque de l’esquif de l’esprit en partance,  la zique vous emporte sur les mers intérieures qui sont les plus lointaines. Gordon Pym : ( ce morceau est illustré d’une image symbolique, un bateau chevauchant une mer tempétueuse, parfaite représentation symbolique du parcours d’une vie humaine ) une mer calme, un esprit agité, Arthur Gordon Pym n’est que le personnage revisité d’Edgar Allan Poe, les guitares grincent comme les vergues du mat de hune agitées par la force du vent, mer calme, chuintement de cordes pas encore désaccordées mais s’élèvent les signes d’une grande menace, l’on ne sait si elle est cachée à l’extrême horizon de la mer infinie ou tapie dans la tête du guetteur sans cesse en éveil, sont-ce des nuages noirs ou les vols impassibles des corbeaux totémiques qui président à votre destinée… tout comme Gordon vos étiez un gamin qui aimaient à s’amuser avec les jeunes voyous du quartier, et vous voici dans le silence de l’incertitude, cette sœur d’ombre de toutes les certitudes sur lesquelles vous avez bâti votre personnalité, la batterie marque le rythme de votre ramage s’il se rapporte à votre obstination forcené, vous êtes l’hôte des malheurs du monde, désormais salement embarqué dans la galère de votre existence, c’est parti pour ne plus jamais revenir, vous avez atteint le point du non-retour, tout, vous-même et le reste du monde se sont ligués contre vous, maintenant vous ne pouvez plus reculer même si votre barque s’encalmine en une mer d’huile, la houle vous arrache à cette torpeur, elle vous emporte là où vous avez toujours espéré vous rendre… droit devant pour affronter l’infini de l’inconnu, n’êtes-vous pas le noir héros de votre destinée, la seule qui importe, là où vous sou Southern Limits : ( agrémentée d’une belle image d’Epinal  d’un explorateur qui se lance dans l’exploration de rivages glacés) bruits cristallins de blocs de glace sur lesquels se vautrent l’écume blanche des vagues mouvementées, vous connaissiez la noirceur du monde et de votre âme, vous pensiez qu’il ne saurait y avoir rien de plus sombre et de pire, mais vous voici entré dans le monde blanc, si c’est un processus alchimique il semble être régressif, l’on ne s’attend jamais au pire, l’on pense se diriger vers quelque chose de meilleur, vous tremblez, vous frissonnez, il est inutile de songer à retourner en arrière, il est trop tard depuis la première seconde de votre détachement du rivage et de vous-même, sûrement vous ne le voudriez pas, vous ne le voulez pas, l’inexorable boussole de votre batterie vous entraîne plein sud vers le sud ultime, vous ne l’auriez jamais cru si loin, mais vous ne reculez pas, votre destin est inscrit sur ces fragments d’écumes glacées, noir sur blanc, dommage que vous ne saviez pas lire ces runes intraduisibles. Waters above : (belle image merveilleuse d’une contrée ruisselant d’un fleuve solaire) sont-ce les moments de vérité, avez-vous réfléchi que vous dirigeant toujours vers le Sud vous êtes aimanté vers le nord futur, d’où proviennent ces bruits, sont-ce des signes, des paroles à vous adressées, incertitudes fragmentales de la musique qui se perd en elle-même et qui devient ces formes blanches indistinctes qui se penchent sur vous, il semble que dans son agonie à Baltimore Poe vous ait appelées, vous conjurait-il de vous éloigner ou vous appelait-il, désirait-il s’arrimer pour toujours, pour l’éternité au rocher des Moires, en cet espace magnétique et central où le ciseau des Parques serait incapable de couper le dernier fil de sa condition de mortel… la musique ne vous dira rien de plus. Allez-y voir par vous-même si vous voulez savoir… Restart :

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    ( Surprise l’on renoue avec Thumos, il semble que le navire de la première image, après avoir connu les rigueurs hivernales et découvert un pays merveilleux relâche toute une population sur le rivage de la mythique Cité d’Atlantis) rembobinage de toute la bobine à toute vitesse il ne vous reste plus qu’à appuyer sur le bouton, pour repartir au début et écouter encore une fois cette histoire, pour la mieux entendre, la mieux comprendre, la mieux intégrer en vous, ne croyez point que vous pourrez y échapper, elle est en vous, votre destin est en elle, tant que vous-même vous n’aurez pas vu les formes blanches se pencher pour vous, pour vous dévorer, mais tout amour n’est-il pas la dévoration de l’autre, vous ne saurez rien, il vous faudra attendre la fin de votre histoire.

             Si vous désirez être davantage (mais pas trop) optimiste vous vous dites que les cinq images qui illustrent les morceaux vous racontent une autre histoire (de fait très pessimiste) qui correspond à la pensée désespérée de l’évolution des civilisations  selon Jules Verne, elles retracent très  sommairement la vision historiale d’un retour des cycles de l’Humanité un peu analogue à ce que raconte The Course of Empire de Thumos. Pour ceux qui veulent en savoir plus lire : L’éternel Adam dans Hier et Demain attribuée à Michel Verne, fils de Jules Verne.

    A LETTER FROM THE PAST

    COLONNE IPERBOLICHE

    (Piste numérique sur Bandcamp)

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    Combien de romans d’aventure ne commencent-ils pas par la découverte au fond d’un grenier ou dans le bazar hétéroclite d’une vieille boutique d’antiquaire, d’un journal de bord rédigé par le commandant d’un navire échoué là on ne sait comment mais livrant d’étranges informations… Jules Verne a utilisé à plusieurs reprises ce motif… L’opus nous paraît partagé en deux parties, chacune consacrée à un des romans les plus célèbres de l’écrivain.

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    Captain’s Logbook : étrange introduction, s’en dégage par son rythme tranquille l’impression d’une étrange sérénité emplie d’une espèce de terreur contenue, l’imagination se laisse bercer par ce balancement monotone et aventureux, nous voici dans l’ultime message lancée à la fureur des flots dans le poème d’Alfred de Vigny La Bouteille à la mer ( 1854) l’on sait qu’elle arrivera à la fin du siècle dans le naufrage du Coup de dés mallarméen, à moins qu’elle n’ait été retrouvée dans l’estomac d’un requin au tout début du roman Les Enfants du Capitaine Grant, livre qui recoupe et termine le cycle des aventures du Nautilius… Nemo : évocation d’un des personnages les plus énigmatiques de Jules Verne, un prince anarchiste, un paria devenu le maître des profondeurs, qui poursuit sans pitié une terrible vengeance, traquant ses ennemis sur toutes les mers du globe, un orque sauvage revêtu d’une carapace d’inhumanité, la musique est à son image, forte, violente, empreinte d’une terrible volonté, même si quelques modulations secondaires à la fin du morceau laisse sous-entendre qu’il saura se réconcilier avec les hommes.

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    Nautilius descent : le rythme s’accélère, l’on aimerait que le Nautilius descende et se laissât reposer doucement au fond des abysses océaniens à l’orée des vestiges de l’Atlantide engloutie, mais non le sous-marin trace sa route sans faillir, tente-t-il  de passer sous la calotte glaciaire de l’Antarctique, ne disparaît-il pas à la fin du livre, en suprême hommage vernien à Edgar Poe, en étant pris dans les tourbillons du Maelström, laissez-vous guider par vos préférences imaginatives… le générique du film que vous écoutez semble durer sans fin au moins pendant vingt mille ans…

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    A letter from the past : mystérieuse ambiance, ça cliquette comme la clef du déchiffrement du mystérieux message que le Professor Lidenbrock a découvert dans un vieux livre, et qu’il tente de faire tourner dans la serrure bloquée de son cerveau afin de parvenir à décoder l’énigmatique message,  c’est que toute aventure décisionnelle se précipite d’abord dans votre tête, faut forcer les rouages rouillés de l’ignorance,   tenter de vous faufiler en vain dans le corridor du mystère, vous frappez du poing sur la porte du paradis obstinément fermée dans votre cervelle. The Center of the Earth : en route vers l’incroyable, Lidenbrock aidé de son neveu a réussi à fracturer le message, les voici confrontés à la terrible réalité, le rythme avance à tâtons, à chaque détour des entrailles terrestres les surprises vous assaillent, elles sautent en vous, car le voyage au centre de la terre est aussi une extraordinaire descente en votre cerveau, vous retrouvez en vous toutes les étapes antérieures à votre survenue sur la terre, vous traversez les couches sédimentaires de vos synapses, les strates alluvionnaires des ères enfouies dans votre mémoire neuronale, vous  régressez vers le néolithique, vous voici arrivé aux sédiments dinosauriens, tout ce que vous avez oublié et emmagasiné en vous prend forme devant vous… heureusement que la Terre vous recrachera comme un bouchon de champagne éjecté du goulot du Stromboli… Quelle trombine auriez-vous tirée si vous aviez vu Dieu souffler dans sa statue de glaise inanimée ! L’auriez-vous tué avant qu’il n’accomplisse son terrible forfait ? Losing tecnology : le dernier morceau est à considérer comme une méditation sur l’essence de la technologie. Du temps de Jules Verne elle était un espoir, une promesse en train de s’accomplir, mais quelle est cette eau qui coule dans ce background conquérant, l’on entend la mer, le bruit des vagues, les cris des oiseaux, est-ce une rêverie écologique sur les ravages des technologies de notre modernité actuelle qui est en train de prendre le pas sur nous, des borborygmes incompréhensibles, tout semble être allé trop vite, la bande-son de l’humanité ne délivre plus qu’un bruit de fond… Colonne Iperboliche partagerait-il le pessimisme du vieux Jules Verne, celui qui sur sa tombe a fait dresser une statue d’homme s’extrayant avec difficulté de la glaise de ses errements…

             C’est fou tout ce que l’on peut dire en n’utilisant pas le langage. Comme si la musique était la seule langue nécessaire et suffisante ! Message de musiciens adressés à leurs congénères. Musique de divertissement ou d’avertissement.

             Comme pour leur premier album, sur You Tube, Colonne Iperboliche utilise aussi un autre langage celui des images. Celles de l’album entier et celles de Captain’s Longbook, de Nemo, de Nautilius Descent, d’A letter from the past sont empreintes d’une grande naïveté, qui ne manque pas parfois d’une didactique documentaire, dans leur ensemble elles éveillent en nous des idées d’émerveillements et de curiosité intellectuelle…

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             L’illustration de The Center of the earth s’avère beaucoup plus étrange, le puits d’accès aux profondeurs ressemble à s’y méprendre au tube d’une longue vue, d’un télescope géant braqué vers le cosmos, nous somme-t-on de regarder vers notre passé ou vers notre futur ?

    Damie Chad.

     

    *

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             Nous avons déjà chroniqué Quand j’étais un blouson noir et au moins deux autres ouvrages, sur John Lennon et Michal Jackson, appartenant à la galaxie rock, de Jean-Paul Bourre, un des rares, pour ne pas dire le seul, témoignages d’importance sur les blousons noirs… Jean-Paul Bourre nous a quittés au mois d’octobre 2023. Or voici que m’intéressant ces jours-ci à diverses biographies de Gérard de Nerval, je me suis souvenu du très bel ouvrage qu’il avait consacré à Villiers de L’Isle Adam, par rebond m’est revenu en mémoire qu’il avait au tout début de notre siècle rédigé un ouvrage sur Gérard de Nerval. Bingo ! l’occasion de rendre un hommage à Jean-Paul Bourre et à Gérard de Nerval. Rock et littérature sont à appréhender comme les reflets brisés du miroir du Moi et de l’Etre…

    GERARD DE NERVAL

    JEAN-PAUL BOURRE

    (Bartillat / Septembre 2001)

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    Gérard de Nerval est un poëte fascinant. Peut-être encore plus que son œuvre qui est un des phares de la littérature romantique européenne. Il n’avait que dix-neuf ans lorsqu’il fut adoubé par Goethe qui écrivit qu’il préférait lire Faust dans la traduction de Nerval que de relire son  propre ouvrage dans sa langue allemande. Qui a pu prétendre débuter en littérature sous de tels auspices ? Les contemporains ont cru que Goethe célébrait la naissance d’un jeune écrivain, sans doute voulait-il dire que la prose de ce jeune écrivain illuminait d’une lumière crue le gouffre obscur de l’âme humaine dont il avait tenté par sa farce métaphysique de définir les contours kaotiques… Peut-être même le maître de Weimar avait-il pressenti que cet inconnu sorti de nulle part n’était un innocent qui s’était avancé par hasard sous les voûtes sombre de la psyché humaine, mais un appelé par lui-même, un élu nanti d’une seule certitude, celle d’être un homme averti.  Qui en vaut deux.  

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    Les biographes de Nerval courent après un être insaisissable. Toujours en partance de lui-même. Ils ont exploré les témoignages de ses amis et de ses détracteurs. Ils ont patiemment enquêté sur les dires du poëte, retrouvé et passé au crible l’ensemble de ses textes éparpillés en de de multiples revues éphémères. Un travail de longue patience et de recherches ardues qui au bout d’un siècle et demi a commencé à porter ses fruits. Nous citerons par exemple Gérard de Nerval, le poète et l’œuvre d’Aristide Marie paru en 1917, et Gérard de Nerval L’Inconsolé de Corinne Bayle sorti en 2008.

    Entre ces deux mastodontes le maigre volume de Jean-Paul Bourre, même pas deux cents pages, prête à sourire. Petit format, grosse (toutefois élégante) police, bel interligne qui semble signifier un intersigne de mauvais augure.  Oui mais voilà, Jean-Paul Bourre ne court pas après Nerval. Il ne le prend pas en filature. Use d’une méthode totalement différente. Ses prédécesseurs comme ceux qui ont écrit après lui essaient de rassembler les morceaux, ils scrutent le moindre indice, après quoi ils essaient d’établir le lien logique qui unit ces fragmentations souvent contradictoires. Jean-Paul Bourre est convaincu, il ne parle pas en érudit mais en poëte, que la vie de Nerval répond à une cohérence intime. Qui évidemment se retrouve en son œuvre. Que vie et œuvre se sont déroulées en parfaite symbiose. La poésie est une œuvre de longue patience nous a prévenu Mallarmé.

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    Il va même beaucoup plus loin, assurant que Nerval a totalement maîtrisé la soit-disant incohérence de sa vie et de son œuvre. Du début à sa fin. Il est vrai que les amis de Nerval furent surpris par son suicide. N’aurait-il pas été assassiné, le crime n’aurait-il pas été maquillé en une sordide mise-en-scène. Ont-ils voulu en faisant courir ces bruits épargner sa mémoire, empêcher que l’on incombe cette mort à sa folie… Se sont-ils sentis coupables de ne pas avoir pris soin de cette fragile personnalité…

    Jean-Paul Bourre ne cache rien. Il appuie même comme aucun autre sur les sujets tabous. La folie de Nerval, il ne la nie pas, mais n’hésite pas à relever dans les textes et la correspondance  de Nerval les fréquentes allusions à l’alcool, notamment dans les divagations, terme (ô combien mallarméen) qui regroupe les errements pédestres, dans les rues de Paris comme dans les chemins de campagne, et les délires qui accaparent son esprit… Quant à la douceur de la folie nervalienne il n’occulte pas les crises de violence. Il ne laisse pas supposer que de nos jours grâce aux progrès de la science psychiatrique l’on aurait traité d’une façon bien plus humaine les énervements du poëte…

    Pour appuyer ses analyses, notre auteur insiste sur l’influence de Nerval sur Rimbaud. Le dérèglement de tous les sens promu par le voyou des Ardennes lui semble sorti tout droit de Nerval. La comparaison des textes est éloquente. Vous pouvez trouver en lisant entre les lignes de nombreux critiques littéraires mention de telles occurrences, mais jamais exprimées avec tant de subtile volonté que chez Jean-Paul Bourre.

    Vous pourriez accroire en lisant les paragraphes précédents que Nerval ne maîtrisait ni sa vie, ni ses addictions… La première partie de l’opuscule vous convaincra du contraire. L’on ne choisit pas l’endroit de sa naissance, mais celle de notre mort nous laisse une plus grande indépendance. Evidemment il faut y mettre du sien et avoir une bonne raison pour agir ainsi.

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    Nerval a beaucoup erré. Les difficultés pécuniaires ne l’ont pas aidé. Mais il a conduit sa barque avec une logique qui peut paraître déroutante. L’est venu mourir dans la rue de la Petite Lanterne qui se termine là où commence celle dans laquelle il est né.  Serait-ce pour signifier la fin d’un cycle. Mais est-il vraiment né à l’endroit mentionné dans le registre des naissances, n’est-il pas né plus tard, dans cette petite enfance passée à Mortefontaine, à moins que ce ne soit au retour de son père de la Retraite de Russie, ou alors à la mort de sa mère durant cette même retraite de Russie, ou alors encore plus tard au moment de ses séjours vacanciers à Mortefontaine, ou quand il a essayé de retracer par écrit les heures importantes de son enfance qu’il a peuplées de ceux et celles qu’il fréquenta en ses années paradisiaques,  qu’il a meublées d’autres scènes issues de son imagination, à moins qu’elles n’appartiennent à une autre réalité, celle du rêve de sa propre vie qui a squatté son existence, où qu’elle se soit déroulée, à Paris, en France, en Allemagne, en Italie, en Egypte, en Syrie… à moins, à plus, que ce ne soit en une autre chronologie, en les temps mythiques, en la jointure des Dieux du Paganisme finissant ou du Christ mourant, comme s’il n’y avait, même dans le Mythe, aucune stabilité, aucune certitude, si ce n’est dans le récit mouvant de toutes ces occurrences, de toutes ses incohérences, celle des faits, celles des rêves, celles de sa vie, celles de sa folie, d’où cette nécessité de reprendre sans fin toutes ces structures signifiantes, de les réécrire et de les réécrire encore une fois comme si l’écriture devenait une variable d’ajustement à l’équilibre général de son existence, encore qu’il convenait de savoir si la prose du récit ne serait pas la variable d’adaptabilité à la poésie, ou la variable d’adaptabilité de la poésie elle-même, que de chimères entremêlées, encore faudrait-il y mêler les femmes et les déesses, les premières étant la négation des dernières, à moins que ce ne soit le contraire, comment voulez-vous vivre sereinement dans tout cet imbroglio, comment se diriger durant toute une existence accrochée à ses lourdes et fantomatiques valises à transporter avec peine toujours avec soi… dans sa vie… Mais aussi dans sa mort.

    Mort et vie intimement mêlées. Ne transporte-t-on pas les siècles morts et ceux à naître dans sa vie. Pourquoi Nerval ne s’est-il pas pendu à la fenêtre de sa maison natale. Il n’avait qu’à remonter la rue de la Petite-Lanterne pour revenir chez lui, pour boucler la boucle, sans doute est-ce cela qu’il voulait signifier, selon Jean-Paul Bourre, la nécessité de terminer un cycle, d’apporter une zone de stabilité, un anneau refermé sur lui-même, d’un pourtour si minuscule soit-il dans le monde… Donner un sens à cette vie découpée, morcelée…

    Mais il n’a refermé le cercle que symboliquement. Il n’est pas rentré à la maison. Il n’a pas refermé, il n’a pas décrit l’arabesque d’un cercle parfaitement concentrique qui soit en même temps une représentation du fini idéen et de l’infini humain. Trop humain.  N’a pas voulu, n’a pas pu, l’a voulu, l’a pu, se contenter d’une spirale, soit pour stagner dans l’incompétence marasmique de sa vie et de son œuvre, ou au contraire montrer qu’il passait à un autre stade, à un nouveau cycle, qu’il subsumait tout ce qui avait eu lieu.

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    Une chose est sûre : dans les quatre dernières années de sa vie Nerval publie la version définitive de son œuvre. Qu’avait-il besoin , ce travail accompli, de la vie qui lui restait.

    Ce livre de Jean-Paul Bourre est une plongée dans le gouffre. Qui nous cerne. Qui nous hante. Nous y rencontrons Nerval. Et nous-même. Ce qui est beaucoup moins intéressant et davantage problématique. Peut-on toutefois refuser de se voir dans un miroir qui ne nous reflète pas.

    Merci à Jean-Paul Bourre de cette introspection nervalienne.

    Damie Chad.

     

    *

            Un truc un peu à part qui vient fort à propos à la suite de la chronique consacrée au Gérard de Nerval de Jean-Paul Bourre.

    SLEEPING IN SAMSARA

    SLEEPING IN SAMSARA

    (Bandcamp - YT / Mars 2025)

             La photographie de la couve ne m’a pas enthousiasmé. Certes elle est belle, mais un peu facile. C’est quoi au juste, un faisan doré, une de ces pauvres bestioles lâchées à la veille du jour de l’ouverture de la chasse, complètement perdue au bord des routes qui nous obligent à freiner brutalement lors de leurs intempestives traversées du ruban goudronné, ou alors un paon, dommage qu’il ne soit pas en train d’étaler l’éventail de sa queue que la divine Héra constella des cent yeux parsemés d’Argos, pas de chance je me trompe de mythologie, manifestement nous sommes en Inde, encore un truc de vieux hippies.

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             J’allais passer à autre chose, mais mon esprit toujours en éveil m’a posé une question qui demande réflexion : Damie, tu crois que l’on dort lorsque l’on est dans le Samsara ? J’avoue que je ne me suis jamais réveillé la nuit pour résoudre une telle interrogation. Dear spirit, si pour vous le Samsara est le mot ’’indien’’ pour désigner notre monde l’on y dort et l’on n’y dort pas tout aussi bien, maintenant si par ce vocable vous désignez les tourbillons cosmiques de l’univers cantonnés dans les structures du temps et de l’espace, je ne sais si à votre mort votre âme emportée, en attendant une future réincarnation, dans cette espèce de maelström géant sera paisiblement endormie ou éveillée ! Damie, comme tu es intelligent, presque plus que moi, mais si tu me permets une dernière question, que veut selon toi nous signifier  ce groupe en se nommant Sleeping in Samsara ?

             Quelle perfidie ! J’ai dû me résoudre à déchiffrer le petit laïus qui accompagne l’enregistrement. Une histoire triste. Du moins vue de notre petit coin à nous du Samsara, mais peut-être juste un minuscule fragment de couleur tirant plutôt sur le noir dans l’univers multicolore du Samsara.

             Le texte introductif est de Christian Peters. Reçoit un coup de téléphone de Steffen Wigang. Ils se connaissent un peu, leurs deux groupes, Terraplane, et The Great Escape se sont déjà rencontrés lors de quelques concerts communs. Steffen malade lui parle d’un projet solo et propose à Peters de participer à deux des morceaux qu’il projette pour son futur album. Peters fournit les paroles et la partie guitare. Il doit aussi se charger du mixage. Steffen décède  le 13 juin 2023… Peters a finalement publié ces deux morceaux testamentaires ce 05 mars 2025… Dans son sommeil dans le tourbillon cosmique L’âme de Steffen est-elle bercée par ses deux dernières mélodies…

    Steffen Weigand : drums, keyboards and synthetizers, rhythm guitar in track 1 / Christian Peters : vocals, lead guitar, bass guitar in track 2.

    Twilight Again : sonorités orientales poussées et effilées par la guitare de Peters, lent tempo battérial, un vocal d’enterrement, chanson bas d’un moribond qui rebondit entre le mur du désespoir et l’espoir insensé de trouver un sens à cette vie qui s’enfuit, une méditation funèbre emportée par les anneaux de feu qui semblent s’étirer vers l’infini crépusculaire d’un voyage dont la fin n’est pas entrevue, peut-être parce que le néant l’attend, peut-être en partance pour une grandeur démesurée… Downtime : musique davantage resserrée, occidentale si ce mot signifie quelque chose, paroles d’acceptance apaisées, face à l’inéluctable, à ce coup d’arrêt proximal, se blottir dans le souvenir des jours heureux, et les bras de l’autre pour l’empêcher de s’éloigner dans la vie, tournoiements doucereux, voluptueux, cosmiques et crépusculaires qui vous emportent jusqu’au dernier battement du cœur. Plus rien. Juste un souffle.

             Prégnant.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 680 : KR'TNT ! 680 : ANDREW GABBARD / JERRON PAXTON / DIRTY DEEP / ROBYN HITCHCOCK / TOMMY TATE / MICHEL EMBARECK / POGO CAR CRASH CONTROL / HECATE'S BREATH / WINTERHAWK

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 680

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    06 / 03 / 2025

     

    ANDREW GABBARD / JERRON PAXTON

    DIRTY DEEP / ROBYN HITCHCOCK

    TOMMY TATE / MICHEL EMBARECK

      POGO CAR CRASH CONTROL

     HECATE’S BREATH / WINTERHAWK

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 680

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

     

    L’avenir du rock

    - Quand Gabbard dîne

    (Part Two)

             L’avenir du rock ronflait à poings fermés, quand soudain, un flot de lumière l’arracha à l’ombilic des limbes. Il se redressa dans son lit et se frotta les yeux.

             — C’est quoi c’bordel ?

             Le flot de lumière éclairait violemment la chambre. On se serait cru en plein jour. Le phénomène était d’autant plus bizarre qu’il s’accompagnait d’une sorte de sifflement pernicieux, comme un ultra son. L’avenir du rock ajusta son bonnet de nuit, enfila sa robe de chambre et chaussa ses mules. Il déverrouilla la porte d’entrée et sortit dans le jardin.

             — Arghhhhhh !

             Il dut rentrer en hâte, car la lumière l’aveuglait. Il mit ses lunettes de soleil et refit une tentative. Au bout d’un moment, il finit par distinguer une forme.

             — Ah bah ça alors !

             Il était tétanisé : une soucoupe volante stationnait dans son jardin ! Elle émettait une lumière blanche extrêmement crue. L’engin ressemblait à ces soucoupes rondes qu’on voit dans les films de science-fiction, avec des loupiotes qui clignotent tout autour. Mais il était tout petit. Il s’agissait sans doute d’un mono-space. Un martien en descendit par une petite échelle et trottina vers lui. L’avenir du rock n’avait encore jamais rencontré de martien, alors il ne savait pas quoi penser. Celui-ci n’avait pas l’air méchant, au contraire. Il était petit, gros, calvitié, avec une bonne bouille, des gros yeux clairs et des bonnes joues. Il portait une combinaison argentée trop serrée et tenait son casque en plexiglas sous le bras. Il tendit la main à l’avenir du rock qui la serra mécaniquement. Alors le martien lança d’une voix atrocement stridente :

             — Gabba Gabba Hey !

             À quoi l’avenir du rock rétorqua :

             — Non ! Gabbard Gabbard Hey !

     

             Le martien n’a pas l’air de connaître Andrew Gabbard, mais ce n’est pas grave, l’avenir du rock va arranger ça.

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             En réalité, ce Part Two est la suite de ‘Buffalo Bile Part One’, dont l’avenir du rock a déjà fait ses choux gras. Il est essentiel de rattacher l’actu d’Andrew Gabbard à ses racines, c’est-à-dire Buffalo Killers et Thee Shams, si on veut comprendre à quel point il est devenu l’un des movers & shakers prédominants de notre époque, au même titre de Daniel Romano et Kelley Stoltz.

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             Un nouvel album vient de paraître : Rumble & Rave On. Comme il y a un petit buzz autour de Terry Cole et son label Colemine dans Shindig!, alors on profite de l’occase pour en rajouter une petite louche et dire, que oui, ça buzze pour de bon, car l’album est vraiment excellent. Dès «Just Like Magic», Gab ramène du gras double. Il est assez in the face. Gab a du génie, qu’on se le dise ! Il perpétue le spirit du White Album. Il a encore du son à gogo avec «If I Could Show You», il ramène une pop épaisse et lumineuse, c’est une merveille, il chante comme une folle évaporée et impose un power mélodique absolu. Plus loin, il sonne comme Midlake avec «I’m Bound To Ride». Il ressuscite le génie mélodique de Tim Smith, pas de doute. Il fait aussi du glam avec «Mulberry Rock», il se prend pour Marc Bolan, il gratte son gras double d’heavy boogie rock. Gab est un mec qui cisèle des joyaux au milieu de nulle part. Franchement, t’en reviens pas d’entendre un mec aussi brillant. Il tape dans les registres de Brian Wilson, Todd Rundgren et John Lennon. Il revient à l’heavy boobie blues avec «Barstool Blues», puis avec «Again Again», il bascule dans le Gabbarding, c’est-à-dire dans l’élégance d’un riff magique. Encore une ouverture sur l’horizon avec «Donna Lou». Gab est un enchanteur, il faut le voir filer sa laine de lumière sur Donna Lou, il ne produit aucun effort, ça lui vient naturellement. On se laisse couler avec lui dans le bain de jouvence d’une Americana subtilement ragaillardie, Donna Lou ouuuh ouuuh ouuuh !  

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             Les Buffalo Killers sont de retour dans le rond de l’actu avec un album de lost cuts, Stay Tuff: Lost Cuts. C’est vraiment la meilleure des bonnes nouvelles. Les frères Gabbard sont sans doute les plus beaux héritiers des Beatles. La preuve ? «Don’t You Ever Think I Cry», ça semble sortir tout droit du White Album, même poids sociologique, même bourde atmosphérique de génie évanescent, ça monte dans l’excellence de Let It Be, on entend même les poux du roi George. Tu en as un autre au bout de la B, «So Close In Your Mind». Tout droit sorti du White Album. Deux autres merveilles : «Stand Back & Take A Good Look» et «Chicken Head Man». Avec le premier, les Gab brothers montrent qu’ils sont capables de la meilleure heavyness d’Amérique. Quant au Chicken Head Man, il est électrocuté à coups de power chords. Demented are go à gogo, et chanté du coin du menton. En B, ils font aussi de l’heavy groove à la Season Of The Witch avec «Heavy Makes You Happy (Sha Na Boom Boom Yeah)».       

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             Les racines des frères Gabbard remontent aux Shams, dont le premier album, Take Off, parut en 2001. En réalité, le seul Gabbard des Shams, c’est Zach. Bizarre que cet excellent album soit passé à l’ass, car il est d’une rare densité. Take Off propose de sacrés clins d’yeux, notamment aux Pretties et au proto-punk. Eh oui, les Shams ont cette envergure. L’hommage aux Pretties s’appelle «Get Out Of My Life Woman», cut d’Allen Toussaint tapé à l’Americana proto-punk. Zach se prend littéralement pour les Pretties, il est au cœur de la révolte et il ramène avec ses trois copains toutes les virevoltes du British Beat. Deux autres cuts trempent dans le proto-punk : «Rock’n’Roll» et ««Not Right Now». Pas de problème, les Shams n’ont pas honte de gratter leurs poux, ils font du vieux proto de babeyh à coups d’accords sourds. Deux cuts sales et définitifs, dignes des Tell-Tale Hearts et des Master’s Apprentices. Coup de génie avec «Scream My Name», wild gaga demented, tournicoté au sommet de la toupie. Les Shams disposent d’extraordinaires réserves de ressources naturelles. Zach fait encore des étincelles avec «I Get High» et «Walkaway». Quel shouter ! Il ramène un chant d’acier à la Van Morrison. Avec «In The City», ils sonnent comme Creedence, ce démon de Zach titille le génie de Fog, il agite les mêmes dynamiques. Cet album est monstrueux. Ah si Gildas pouvait entendre ça ! Quel hommage ! Et le Zach y va au in the city yeah !  Ils trempent vraiment dans tous les complots : voilà qu’ils rendent hommage à Bo avec «Don’t Cry For Me».

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             The Shams deviennent Thee Shams trois ans plus tard avec l’excellent Please Yourself et sa pochette coquine. Andrew rejoint son frère Zach dans cette fière équipe. Encore un album qui grouille de puces. Il y pleut des coups de génie comme vache qui pisse. Boom dès «On My Mind». On se croirait en Angleterre chez les early Who. C’est du big freakout d’Attack croisé avec les Them. Ils réinventent même le freakout des Creation et le beurre fou de Moonie, avec en guise de cerise sur le gâtö des chœurs déments. Et tout l’album va rester à ce niveau d’excellence. Tiens, encore un coup du sort : «Can’t Fight It», heavy descente au barbu, ils s’arrangent pour contourner les règles et là, ça dégueule admirablement, repris au vol par un killer solo flash vampirique digne de Murnau. Ils attaquent «You Want It» au relentless gaga. Stupéfiant ! C’est noyé de son et de wild raunch, un mélange de tout ce qu’on aime, embarqué au so you wake up in the morning. Toujours aussi wild, voilà «You’re So Cold», ils ne s’en sortiront pas, le gaga les poursuit et ça y va avec des solos lancés au yeah yeah! Ils virent psychotronic avec «Please Yourself», ils sont une sorte de downhome Them, du pur power d’explosion nucléaire, l’ultime démonstration de force. Le solo a l’air de percer un tunnel sous le Mont Blanc. Avec «She’s Been Around», ils sont comme les Manfred Mann d’Eel Pie Island. Encore une preuve de leur écrasant power : «If You Gotta Go», cover de Dylan, gorgée du chien de leur chienne, noyé d’harp et d’hargne, émulsé au supra-gratté de poux. Ils font des chœurs de fantômes dans «Come Down Again», c’est encore une fois plein comme un œuf et inspiré. Ils retapissent toute l’histoire du rock. Les voilà sur les traces des Beatles avec «Love Me All The Time». Ils ont la même approche de l’immaculée conception. On croit aussi entendre Oasis à l’âge d’or des stades vibrants. Pire encore : ils font très bien les Yardbirds, comme le montre «Want You So Bad», avec les coups d’harp et tout le bataclan, c’est exactement le même son, avec les frères Gabbard en prime. C’est Zach qui chante «Never Did Nothing». Il chante au big raw de gut, il est sûr de lui. Il ramone toutes les cheminées de l’Olympe.    

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             Dernier spasme de Thee Shams l’année suivante avec Sign The Line. L’album s’inscrit dans la veine des deux précédents. T’as vraiment intérêt à écouter «Not Gonna Make It», l’une des pires descentes au barbu d’Amérique, grattée à la maladive et gutsy a gogo. Invraisemblable ! Ils te plombent l’heavy rock. Quelle précocité ! À peine sautés du nid, les frères Gabbard avaient déjà du génie. Et ça continue avec «Something Happening» tapé au fantastique swagger des Gabbard Brothers, ils rockent l’Amérique à la pire spice, ils flirtent dangereusement avec la Stonesy. Et pour couronner cette triplette de Belleville, voilà «Everflowing Tune», ils plongent la mad psyché des Byrds dans l’huile bouillante et te claquent un beignet du rock genius. Leur son est imprégné jusqu’à l’os d’influences : Beatles, Byrds et tout ce qu’on aime. «Lonely One» pourrait très bien être du John Lennon époque Some Time In New York City, hard-nosed rock. «How I Feel» sonne comme la meilleure fournaise d’Amérique. C’est un déluge de son qui s’abat sur toi. Ils tapent en plein dans les Beatles avec «1-2-3-4». C’est incroyable comme ils ont su capter la magie Beatlemaniaque. Ils sont beaucoup trop pointus pour l’Amérique. En Europe, ils seraient considérés comme des dieux. «No Trust Fund Blues» est un petit chef-d’œuvre de seventies rock, ils y vont au this is my life, c’est assez poignant. Merveilleuse présence des frères Gabbard ! Ils seront toujours là pour toi, tu peux leur demander n’importe quoi. Tout tourne toujours à leur avantage, comme le montre encore «Love Grows and Grow». Ils combinent jusqu’au délire le power et le raffinement. Leurs retours de manivelle sont sublimes, et l’attaque de solo à l’encontre du rythme est un chef-d’œuvre d’étrangeté baudelairienne. Les Gabbard Brothers sont décidément trop brillants pour un pays de beaufs comme l’Amérique. Ils bourrent leur heavy rock d’influences britanniques.  

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             Andrew s’appelle Andy pour enregistrer son premier album solo en 2015, l’excellent Fluff. De toute façon, avec les Gabbard, c’est toujours excellent. Il donne le ton dès l’envoi : weird psychedelia anglaise. Il a le timbre qu’il faut pour ça : l’intrinsèque. C’est un album qui monte doucement mais sûrement, comme la marée. Andy gratte «Side B» à la foison de la ferveur, il moissonne les accords. Spectacle magnifique ! Tout est bringuebalé dans la carlingue de babord à tribord. Puis il passe à l’heavy boogie down avec «Home Suite», il replonge dans sa Beatlemania chérie, mais avec une optique américaine, c’est très «Glass Onion», bien tortillé du cul au chant, avec un gratté de poux affolant de nervosité. Avec Sam Coones et Robert Pollard, Andy Gabbard incarne la modernité du rock US. On reste dans l’énormité de la marée montante avec «Supernational», ce mec a la grâce pop des pieds ailés, il survole le monde comme le Todd of the pop, avec des éclairs de lubricité. Il se fond littéralement dans l’idée de la Beatlemania, dans le spirit du White Album. Il en est imprégné. C’est un bonheur que de l’entendre, une suprême dereliction. La marée monte encore avec «Lonely Girl» et un fabuleux vent d’accords lève les vagues, cette fois on entend des échos du Teenage Fanclub, c’est claqué d’accords de beignets, ça trempe dans la meilleure mélasse du paradis, Andy est un dieu du stade. Il enchaîne avec l’encore pire «LYSM», acronyme de Love You So Much, il reprend aux accords tranchants, il est le Gladiator du rock, le Russell Crowe de l’imparabilité des choses de la vie, il brille et il scintille, et là tu bénéficies du privilège d’entendre des accords biseautés, t’as le vrai truc, l’absolu du rock moderne, Andy connaît tous les secrets de la niaque profonde, il te fond dans son moule de bouchot, il fait une œuvre d’art à coups de retours de manivelle. Ah il faut entendre ce mic mac extravagant ! Il tape encore dans sa chapelle avec «Dreams I Can’t Remember», il gratte les accords de la pire ramasse. Big power pop de Fluff ! Tout est drivé au flow de flux sur ce Fluff. Il termine avec «ODS», un absolute beginner de fast pop trash. On a des bonus à la suite, quatre cuts enregistrés sur scène.  Live, c’est encore pire. Il oscille au bord du gouffre de Padirac. On note chez lui un goût certain pour la purée de non-retour. Il reprend son «Side B» et l’excellent «Home Suite», il y va le bougre, il te monte ça en neige de Todd, il vise le destroy oh boy. Andy Gabbard règne sur la terre comme au ciel.              

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              En 2021, il débarque sur Karma Chief, la filiale rock de Colemine, et enregistre l’excellent Homemade. Excellent toujours, excellent encore. Associer ‘Gabbard’ et ‘excellent’ finit par ressembler à un pléonasme. Cet album superbe est un redoutable hommage aux Beatles. Coup d’envoi avec un «Wake Up Brother» qui sonne comme un hit de George Harrison. Andrew t’embarque ça aussitôt à l’heavy Gabbard avec le gratté du roi George. Quelle fantastique assise ! Andrew est un homme qui sait honorer ses dieux. Il est en plein dans l’Harrison ! Tout aussi beatlemaniaque, voilà «Gettin High» - I just don’t feel wise/ Getting high - et avec «Mrs Fitz», tu te croirais sur Revolver. Pertinence et ambivalence sont les deux mamelles d’Andrew. C’est littéralement saturé d’intention, il reste dans l’extrême Beatlemania américanisée. T’as là le meilleur album des Beatles depuis Revolver, comme le montre encore l’heavy and melodic «Brand New Cut». Pour faire bonne mesure, voici un coup de génie : «Cherry Sun». Il chante ça du nez à l’extrême pointe de la Beatlemania, sa sunshine pop est délicieusement juste. Il a même un côté Ziggy dans «Grin Song», mais il se réchauffe très vite au feu de la Beatlemania. Il n’en finit plus d’épouser sa muse et chante «Red Bear» avec la voix de John Lennon. Il reste incroyablement proche de la vérité avec «Our Dream», qu’il chante à l’anglaise évaporée. Écouter cet album, c’est d’une certaine façon toucher Dieu du doigt. Quand il ne fait pas de Beatlemania, il fait de la Gabbardmania («Hot Routine») et il boucle avec un «Promises I’ve Made» purement beatlemaniaque. Il n’en démord pas. Il revient toujours au point de départ du rock moderne, les Beatles. C’est très spectaculaire, très coloré, très impliqué. 

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             L’année suivante, Andrew passe à la country avec Cedar City Sweetheart. Cette fois, il s’entiche de Gene Clark. La preuve ? «Lonesome Psychedelic Cowboy». Vraiment explicite ! Il se prend vraiment pour Geno. Andrew sonne exactement comme les Byrds. Il y va en confiance. L’énormité de l’album s’appelle «Surfboard City», il chante ça à la petite ramasse. Il tape la fast country flash avec «Redwood». Et ça passe comme une lettre à la poste. Il condense les clichés. Avec «Cloud Of Smoke», il sonne comme le Roi George, mais avec des grattes country. Andrew reste un sacré chanteur, comme le montre encore «Take Me Away From You». Il strutte sa country et l’illumine à coups de slide. Comme d’habitude, tout sur cet album est visité par la grâce. Il fait de la country comme s’il avait fait ça toute sa vie ! Il reste au sommet du lard avec «The Move» - You got to be real - Cet album sent bon la bonne franquette, la bonne ambiance avec de bons copains. Andrew joue encore le jeu country à fond avec «Cool Ranch». Comme sur la pochette, avec le stetson et les lunettes noires. C’est tout de même dingue ce passage des Beatles à Nashville, mais il garde l’esprit de la Beatlemania dans le chant, comme le fit d’ailleurs Geno avant lui. Alors il fait de la country dynamique, du Gram Parsons sous amphètes. Il termine avec un «Your Time’ll Come» qu’il tape sec et net. Pas de problème avec Andrew, il t’assène ça comme l’Arsène Lupin de la country d’Etretat et sort en beauté à coups de Stonesy.

    Signé : Cazengler, Andrew Gabardine

    The Shams. Take Off. Orange Recordings 2001

    Thee Shams. Please Yourself. Shake It Records 2004  

    Thee Shams. Sign The Line. Licorice Tree Records 2005

    Buffalo Killers. Stay Tuff: Lost Cuts. Alive Records 2022

    Andy Gabbard. Fluff. Alive Records 2015             

    Andrew Gabbard. Homemade. Karma Chief Records 2021

    Andrew Gabbard. Cedar City Sweetheart. Karma Chief Records 2022

    Andrew Gabbard. Rumble & Rave On. Karma Chief Records 2024

     

     

    Jerron n’est pas carré

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             Jerron Paxton incarne l’antithèse de Kingfish Ingram et du Chicago Blues. Il tape dans un registre beaucoup plus austère qui est celui du country-blues, c’est-à-dire d’un story-telling à l’ancienne, l’une des composantes essentielles de ce que les musicologues appellent l’Americana. Jerron Paxton chante des cuts vieux comme le monde black et s’accompagne tantôt d’une acou, tantôt d’un banjo, tantôt d’un petit piano électrique.

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    Dire que c’est un virtuose ne correspond pas à la réalité. Il est au-delà de la virtuosité, il est dans la passion gourmande d’une culture qui lui vient de ses aïeux, si tant est qu’on puisse qualifier les anciens esclaves d’aïeux. Les blancs ont fait en sorte que les esclaves noirs ne soient rien, alors quand on est rien, on n’a pas d’aïeux, on ne peut pas employer les mots qu’emploient les honnêtes descendants d’esclavagistes et de colons racistes, tous ces rednecks fiers de leurs photos anciennes, et de toutes ces belles propriétés qui jadis ont prospéré grâce au travail gratuit de plusieurs générations d’esclaves. Fuck it ! C’est important d’enfoncer le clou de temps en temps dans la gueule de tous ces rats blancs. Non seulement ils faisaient bosser les nègres à l’œil, mais en plus, ils les haïssaient au point de les fouetter et d’en pendre un de temps en temps, histoire de se payer un petit shoot d’adrénaline. Ce court rappel des réalités illustre le cauchemar américain. À l’opposé de tout ce merdier, Jerron Paxton incarne la grâce américaine. La seule et unique grâce américaine qui vaille.

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             On vite frappé par la qualité de sa présence, subjugué par l’éclat de ses trilles de rire, on est vite fasciné par ses coups d’onglet, ses gammes rustiques, son ramdam vieux comme Mathusalem et l’extraordinaire gourmandise avec laquelle chante, il module chaque syllabe comme Rodin modulait ses pâtés d’argile, il transforme le country-blues en matière organique, et sa diction est tellement bonne qu’on comprend quasiment tout. Quand il évoque l’Arkansas, il chauffe le mot, c’est-à-dire qu’il ne le prononce pas comme on le ferait - Arkansasss - non il le prononce Arkansô et indique au passage que c’est le pire endroit du monde, comme l’a fait avant lui J.B. Lenoir, avec le Mississippi. Jerron Paxton est un homme assez jeune, assez haut, on pourrait même le qualifier de force de la nature. Il semble doté d’un talent naturel qui lui permet de dérouler un set extrêmement dense sans jamais produire le moindre effort. Il dit s’inscrire dans la lignée de Mississippi John Hurt et d’ailleurs il raconte une belle anecdote : «There was noboy who didn’t love Mississippi John Hurt.» Il insiste beaucoup là-dessus : on l’aimait pour sa musique, mais aussi et surtout en tant qu’homme. Il raconte qu’ensuite on a transformé la pauvre cabane où il vivait en museum. Jerron fait bien claquer le mot museum. Objet de fierté. Et sur le même ton, sans le moindre accent tragique, il explique que «some redneck has burnt it down.» Et voilà le travail. Fin du museum. Et il attaque une chanson, car ainsi va la vie. Ces mecs-là ont chanté pour survivre. Comme d’autres avant lui, Jerron est un homme qui aime jouer pour les autres. Il fait de vrais numéros de cirque avec son harmo, comme d’autres avant lui dans les plantations. Et comme d’autres avant lui, il s’accorde à l’oreille.

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    Comme d’autres avant lui, il cherche des osselets dans son sac pour s’accompagner. Il redonne vie à une culture menacée d’extinction, il arrache le country-blues à l’oubli, il ressemble à une île perdue au beau milieu d’un océan de médiocrité, tu te demandes combien de temps vont tenir de tels artistes, car de toute évidence, son disk ne se vend pas. Jerron Paxton, c’est pas Indochine ou Brouce Springsteen ou Stong. Au merch, il en a peut-être vendu 5, et encore. Il paraît que c’est gratuit sur Amazon. Alors les gens n’achètent pas de disks. Les gens se croient malins. Tandis que pour un mec comme Jarron, un billet de vingt, c’est important. Il n’a vraiment pas l’air de rouler sur l’or. Mais tu perdrais ton temps à expliquer tout ça. Toute cette culture et ce qu’elle représente ne tient plus qu’à un fil. T’as l’impression très claire que tout se fait désormais à l’envers. Et que les gens n’entravent plus rien. Bon bref, tu vas trouver ce black à la fin et tu le remercies pour son power.   

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             Son album s’appelle Things Done Changed. Tu vas y retrouver son gros claqué de cordes et ses fabuleux coups d’harp. Tout y est bien sûr, mais ça n’a rien à voir avec le set en live. Il tape son «Little Zydeco» à coups d’harp et on l’entend taper du pied. Il est à l’aise dans tous les genres : country-blues, country-blues et country-blues. Il fouille l’harangue de «What’s Gonne Become Of Me» à outrance et gratte son banjo, tout est joué avec un tact fruité, il y a de la modernité dans sa tradition. Et bien sûr, tu as partout la passion gourmande. Il chante avec une diction ronde et chaude, à l’accent vivant et coloré. Fantastique artiste !

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             Dans sa grande magnanimité, Soul Bag lui consacre une petite double et lui tire un joli coup de chapô, affirmant que Jerron est «un artiste qui redonne ses lettres de noblesse au country blues.» Rien de plus juste. Dans le cas de Jerron, le mot ‘noblesse’ prend tout son sens. On apprend qu’il est né en 1989, ce qui nous évite la corvée de wiki. Donc, 35 ans, ça correspond bien à ce qu’on a vu. Par contre l’article le dit né à Los Angeles, alors que sur scène il parlait de la Louisiane. Il évoquait bien  sûr ses grands-parents. Comme on s’en doute, il est déjà surdoué tout petit, il joue de tout. Il a donc grandi à South Central, la banlieue black de Los Angeles. Il a 16 ans quand il est considéré comme aveugle, alors qu’il voit très bien. Il sait jouer de la gratte, du banjo, du violon, de l’harmo, mais ça ne lui suffit pas, il veut aussi apprendre l’ukulélé, l’accordéon, le piano, les osselets qu’on appelle aussi the bones. S’il avait plus de bras, il pourrait jouer de plusieurs instruments en même temps. Au piano, il fait du Fats Waller, nous dit Bill Steber. Quand il gratte ses poux, Jerron fait du Blind Lemon Jefferson, et quand il attrape son banjo, c’est pour nous faire de l’Uncle Dave Macon. Steber est sacrément bien documenté. Mais Jerron ne s’adresse pas qu’aux spécialistes. Il s’adresse à tous les autres. Jerron, nous dit Soul Bag, puise dans la culture black des années 20 et 30, principalement dans celle des minstrel shows, une tradition d’où vient aussi Rufus Thomas. Soul Bag cite un autre extrait d’interview de Jerron : «Vous savez pourquoi je n’aime pas le politiquement correct ? Parce que ça insulte l’intelligence de la personne.»

    Signé : Cazengler, Jerron comme une queue de pelle

    Jerron Paxton. Le 106. Rouen (76). 12 février 2025

    Jerron Paxton. Things Done Changed. Smithsonian Folkways Recordings 2024

    Jerron Paxton. Passeur de tradition. Soul Bag n°257 - Janvier février mars 2025

     

     

    Dirty Deep Water

     

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             Il avait l’air content l’autre soir, Victor Sbrovazzo, qu’on fasse tous main basse sur son petit book. On l’avait vu chauffer la salle avec Dirty Deep pour Kingfish Ingram et comme on était tous sortis avant la fin du set de Kingfish, on est allés papoter avec le petit Dirty Deep qui poireautait au merch.

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             Le book s’intitule A Wheel In The Grave. Ce petit format à l’italienne est en fait un carnet de route. Victor et son pote photographe ont traversé la France en moto, de Strasbourg à la Corse. C’est un trip à la Kerouac. On The Road again. 300 pages. Chaque double est montée avec une image en page de droite, et en face un texte léger d’allure désabusée. Le ton est juste, l’objet plaisant. Tu passes réellement un bon moment à le feuilleter. Zéro prétention. En exergue, Victor propose l’on the road again de Willie Nelson.

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             Comme il est devenu au fil du temps un vieux routier du circuit underground, et notamment Binic, il n’est pas surprenant de le voir citer les noms des bars dans lesquels il a joué en compagnie de James Leg et de Left Lane Cruiser. Sur scène, il fait d’ailleurs du pur Left Lane Cruiser. Il en a largement les moyens. Au détour d’une page, il vante les charmes du bar de l’U à Besançon, et du Swmap Fest qui a lieu à Thise. Joli nom, Thise. On voit l’image d’ici.

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    ( Jim Jones )

             Chaque étape du roadtrip est bien  documentée. Victor est un ancien one-man band, alors il sort sa gratte et son harp pour animer les apéros. Pas mal d’images charbonnent à cause du choix de papier. Le bouffant n’est guère propice aux ambiances lourdement chargées, et des images sont souvent illisibles. En plus ça a l’air d’être du numérique, un process qui n’est pas vraiment réputé pour sa finesse en matière de piqué d’image.

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             Et puis, encarté en trois de couve, il y a un EP 6 titres avec des copains et pas n’importe lesquels : Scott H. Biram, Left Lane Cruiser, James Leg (qui a vécu un peu à Strasbourg chez Victor), et puis Jim Jones, un vieux collègue des Nuits de l’Alligator. C’est d’ailleurs Jim Jones qui supervise Tillandsia, nous dit Victor. Et puis il y aussi Mark Porkshop qu’on avait un peu oublié, un vétéran de Binic, puisque ça remonte à 2011. Victor indique qu’il a tourné avec lui aux États-Unis en 2018.

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             On trouve de sacrées covers sur l’EP, à commencer par l’intouchable «Circumstances» de Captain Beefheart. Porkshop le touche, il tape en plein dans le mille du wooow yeahh, il te tape ça en mode Magic Band, Pork est un pur. Bifarx me sir ! Cet EP est une bombe, car à la suite, t’entends Jim Jones ex-plo-ser «Inside Looking Out», Jim Jones te monte ça au sommet de l’Ararat du scream définitif, Jim Jones est capable d’érupter comme le Krakatoa, il monte là-haut comme le fit jadis l’immense Eric Burdon et ça devient hallucinant de grandeur marmoréenne. Alors la foule ovationne Jim Jones : «Jim ! Jones ! Jim ! Jones ! Jim ! Jones !». Avec Left Lane Cruiser, Victor fait du Left Lane Cruiser. Il cruise tout ce qu’il peut dans le Left Lane avec un shoot de Muddy, un fast headed «Hearted Jealous Man» qui ne traîne pas en chemin. Avec Scott H Biram, Victor fracasse le «You’re Gonna Miss Me» de Roky. Ça joue aux braises ardentes, you didn’t realize, c’est littéralement stupéfiant d’énergie brute et de fournaise. Et ça monte encore d’un cran avec un «Catfish Blues Remix» heavy as hell, pus jus de deep blue sea, toute la mythologie du rock est là et en prime, ça rappe. Mais le summum de cet explosif EP est le «Going Down» de Freddy King, jadis explosé par Jeff Beck et Bobby Tench. Cette fois, c’est James Leg qui te fout le souk dans la médina. Le chant prend feu. Peu de diables savent ainsi cramer leur chant. Et derrière coule un déluge de going down. Pas de pire diable sur cette terre que James Leg, on l’a déjà vu à l’œuvre, mais là, il chante par-dessus la jambe. Leg est un leg. Stupéfiant !

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             Sur scène, les Dirty Deep assurent bien. Ils jouent en formation serrée, c’est-à-dire en power trio, et sont capables de chauffer une salle vite fait bien fait. Leur atout est le fast boogie blues de type Left Lane Cruiser, et le petit Victor, chapeauté de frais, mène bien le bal à coups d’harp et de poux cinglants. Deux cuts te claquent le beignet : bing !, «Black Coffee» (qu’on ne trouve hélas sur aucun album) et re-bing!, l’imbattable «Leave Me Alone», qu’ils envoient rouler juste avant la fin du set et qu’on retrouve sur l’album What’s Flowing In My Veins. Et là, tu prends ta carte au parti. Mine de rien, ils volent le show. Ils tapent le Cruiser boogie blues avec une véracité crue qui les honore et qui les fait entrer dans la cour des grands. Tu croyais ce domaine réservé aux Américains qui sortent des bois, eh bien, voilà les héritiers.

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    Le petit Victor et ses deux copains descendent en droite ligne d’Hasil Adkins et de tous ces fracass-kings d’American Psycho. C’est un bonheur que de les voir jouer sur scène. Avec Muddy Gurdy, ils font partie des rares Français à porter la bonne parole du real deal et du deep blue sea. Leur seul petit défaut serait de vouloir faire trop de participatif en cherchant à galvaniser le public comme on galvanise des troupes. La harangue est mauvaise conseillère, et en même temps, elle est de bonne guerre. Ils ont suffisamment de bons cuts pour ne pas être obligés d’avoir recours à l’harangue.

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             Tu retrouves «Leave Me Alone» sur What’s Flowing In My Veins. C’est en plein dans le mille de la Cruise. Quel blast ! Victor se jette à corps perdu dans la bataille et screame comme mille démons. C’est tellement wild que tu le réécoutes plusieurs fois d’affilée. Il a tout compris. On se croirait d’ailleurs sur un album de Left Lane Cruiser : même beat, même son, mêmes coups d’harp, mêmes paroles, même bottleneck, même volonté d’en découdre. Il ne manque rien. Ils font une belle cover de «Goin’ Down South», déjà entendue mille fois. Tout y est, les poux sont merveilleux. Le petit Victor a une bonne énergie. Ils attaquent «How I Ride» au bassmatic de combat, et ça joue tellement heavy qu’on se croirait chez Blue Cheer. Nouvelle rasade de raw avec «You Don’t Know». Sur cet album, tout est très carré, bien attaqué, bardé de barda. Le petit Victor chante à la régalade du raw, l’heavy boogie blues n’a aucun secret pour lui. Il regagne la sortie avec un real deal de Big Atmospherix, «Shine». Il sait se montrer intense et forcer sa voix. Pas de problème, son «Shine» passe comme une lettre à la poste.        

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             Comme Shotgun Wedding est un Beast de one-man band, tu restes un peu sur ta faim. T’as déjà entendu tous ces cuts mille et mille fois. Le Mr. E qui chante sur «Midnight Blues» est sans doute l’E de Left Lane. On salue au passage le «Let It Ride» attaqué au Dust My Blues, c’est de très bonne guerre, et en B, t’as le «John The Revelator» de Son House gratté en mode heavy vazy. Il gratte aussi son «She’s A Devil Inside» au gras double, ça percute bien, et il boucle son petit one-man bouclard avec un «When The Sun Comes Up» bien écrasé du champignon. 

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             T’es vite surpris par la qualité de Tillandsia, un Deaf Rock de 2018. Et ce dès «Sunday Church» : ils sont délicieusement sur-saturés de gras double. Ça s’étrangle dans la purée. Là, t’as du pur génie de sonic trash. Le petit Victor est le grand spécialiste du boogie du diable. Nouveau coup de génie avec «Strawberry Lips», boosté dès le deuxième tiers par un beat sourd de stand-up. Rien de tel qu’une stand-up pour pulser entre les reins du beat. Ce «Strawberry Lips» dévore bien le foie du real deal. Et c’est pas fini ! Ils nous refont le coup du power trio avec «Wild Animal». Ils font exploser le rock ! T’en reviens pas de voir dégringoler toute cette dégelée royale. Ils ont la même puissance dans le slowah («You’ve Got To Learn») et le petit Victor tape en plein dans la véracité avec les coups d’harp d’«Hipbreak». Il a tout l’écho de Little Walter. D’ailleurs, on devrait l’appeler Little Victor, ce serait un hommage. Les voilà qui tapent «Hangin’ On An Oak Tree» au hard beat de bass-drum. Ces trois deepy Deep sont des démons. Leur heavy blues-rock renvoie droit sur Blue Cheer. Nouveau coup de Trafalgar avec la jam totale de «By The River» et sa belle attaque de bassmatic, vite reprise par le beat du vieux «Fast Line Rider» de Johnny Winter, et ça se développe de manière ahurissante pour basculer dans l’enfer d’une jam nucléaire, avec un sax et un bassmatic de destruction massive. Du son comme s’il en pleuvait.    

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             Foreshots est un album beaucoup plus calme que les autres. On s’y régale de deux petites merveilles : «Downtown Train», doucement psychédélique, assez délicat, raffiné, orné à l’or fin violonique. Et puis en B, tu vas tomber sur «Pour Some Whiskey On My Heart», un paisible petit country blues qui sent bon la campagne. Rien qu’avec ces deux merveilles, Little Victor se hisse dans la cour des grands. La qualité de ses cuts n’en finit plus de t’impressionner. 

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             Trompe L’Œil est un album très diversifié. T’as du blast («Shoot First», ils explosent en plein vol, Little Victor défonce bien la rondelle des annales), t’as de l’énormité («Juke Joint Preaching», bien chargé de la barcasse, avec du guitarring à gogo) et t’as du simili Rachid Taha («Donoma», attaqué à la deep psychedelia orientalisante). Ils redeviennent le fantastique power trio que l’on sait avec «Hold On Me». Ah ils savent allumer la gueule d’un cut ! Leur «Broken Bones» d’ouverture de bal (et de set) tombe dans la marmite de l’heavy heavy, c’est noyé de son et d’harp. «Hipbreak III» vaut pour une petite tentative de swing. Ils se dispersent un peu, mais ce n’est pas si grave. Ils jouent leur «Never Too Late» au gras double, comme au temps du British Blues et de Savoy Brown. Et ils descendent au bord du fleuve pour gratter «Waiting For The Train». Très curieux paradoxe. Il godille et perd des plumes. C’est trop carte postale.

    Signé : Cazengler, dirty old man

    Dirty Deep. Le 106. Rouen (76). 1er février 2025  

    Dirty Deep. Shotgun Wedding. Beast Records 2014 

    Dirty Deep. What’s Flowing In My Veins. Beast Records 2016

    Dirty Deep. Tillandsia. Deaf Rock Records 2018  

    Dirty Deep. Foreshots. Deaf Rock Records 2020  

    Dirty Deep. Trompe L’Œil. Junk Food Records 2023

    Victor Sbrovazzo & Arnaud Diemer. A Wheel In The Grave. Mediapop Éditions 2021

     

     

    Robyn des bois

     - Part One

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             Robyn Hitchcock publie son autobio : 1967 - How I Got There And Why I Never Left - A Memoir. Enfin autobio, c’est vite dit. Il s’agit en fait de l’autobio de son année 1967. Il va peut-être publier les autobios des années suivantes. On ne fera pas partie de ceux qui vont cracher dessus, parce qu’on l’aime bien, Robyn des bois. On le suit depuis des lustres, depuis les Soft Boys, même s’il a une discographie à roulettes, de celles qui présentent un danger pour ton porte-monnaie. Et puis on l’a vu, Robyn des bois, dans un documentaire consacré à Syd Barrett, assis dans son jardin, chanter et gratter «Dominoes» à coups d’acou, donc pas de problème. Il est des nôtres. Comme le font tous ceux qui ont de la suite dans les idées, il sort en même temps le pendant musical de son book, un album de reprises : 1967: Variations In The Past. L’album illustre musicalement le book, et inversement, le book illustre littérairement l’album. C’est habile.

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             Le book n’est pas bien épais, mais remarquablement bien écrit. Choix typo, cabochons et main de papier remarquables. Côté style, Robyn des bois fait le choix de l’absolue non-volubilité. Il opte pour une forme de parcimonie bien tempérée. En 1967, il a 14 ans et se retrouve pensionnaire au Winchester College, dans le Sud de l’Angleterre.

             On ne va pas tourner longtemps autour du pot : quatre noms jaillissent du récit : Dylan, Beatles, Hendrix et Syd Barrett, des noms qu’on retrouve sur l’album, sauf Dylan.

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             Première rencontre avec Dylan via Highway 61 Revisited - La pochette me montre Dylan pour la première fois, assis, vêtu d’une chemise bleue, looking enigmatically out at life. He looks calmly furious, beneath a lacquer of indifference - Robyn des bois est fasciné par cette image - He looks wise. Wise and dangerous - L’album dit-il démarre with the song that has become my breakfast-time mantra, «Like A Rolling Stone» - Pour le jeune Robyn des bois en herbe, c’est l’Holy Grail. On a dû vivre exactement le même genre de révélation. La première approche de Dylan relevait alors d’un certain mysticisme. Puis quand Dylan disparaît de la circulation après son accident de moto, Robyn des bois se demande où il est passé, «where in the universe is Bob Dylan, l’homme qui a tout inventé ? Je ne le connais que depuis 18 mois, mais tout ce que j’écoute est lié à lui : Jimi Hendrix, David Bowie, Pink Floyd, et les groupes pop utilisent désormais les mots pareils aux siens, it’s all his doing. Et il a disparu.» Robyn des bois se demande s’il est encore en vie et ce qu’il fabrique. Et il ajoute ça, qui est confondant : «Il est clair à mes yeux que si quelqu’un connaît le sens de la vie, c’est bien Dylan. He has momentum, direction, intuition - wisdom.» Il est tellement fasciné par Dylan qu’il affirme, vers la fin, qu’il est désormais «50 per cent Winchester College, and 50 per cent Bob Dylan». C’est exactement ce qu’on ressentait à l’époque. Une sorte d’admiration qui flirtait avec la dévotion. Robyn des bois décide alors de devenir songwriter - «Like A Rolling Stone» hooks me, «Desolation Row» pulls me in, and «Visions Of Johanna»... more subtle, more engulfing, it becomes me.

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             Arrivent enfin des nouvelles de Dylan avec John Wesley Harding. Fin 1967, quatre pages avant la fin du book. Mais Robyn des bois n’est pas très content. Il trouve l’album «plat, beige and no much fun to listen to.» Il trouve les chansons trop courtes, «what’s going on? The exhilaration was gone, he was older and wiser.» Dylan se laisse pousser une petite barbe, il a épousé sa true love. Nobody nous dit Robyn des bois, n’osait dire qu’il n’aimait pas l’album, mais «John Wesley Harding didn’t spend half the time on the record player that Highway 61 or Blonde On Blonde did, and still do.» Voilà pour Dylan en 1967.

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             La même année, il découvre «Strawberry Fields Forever», let me take you down, il observe que les Beatles se développent très vite, nothing is real, et parce que ses copains d’école et lui se développent aussi rapidement, alors tout semble naturel. Mais il préfère reprendre «A Day In The Life» sur l’album. Oh boy ! Il tombe en plein John Lennon et c’est là qu’éclate le génie de John Lennon, l’un des géants du XXe siècle.

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             Pour saluer l’avènement d’Hendrix en 1967, Robyn des bois se souvient du bruit à la radio : «SKONK-SKREEK-SKRONK-SKREEK: WHA-DA-DA-FANG, DA-DA-DA-FANG, (sic) Purple Haze all in my brain/ lately things they don’t seem the same - Il se souvient d’avoir perdu ses esprits - I am a teenager on fire - Oh holy fuck, this is music to levitate to... - Sur 1967: Variations In The Past, il opte plutôt pour «The Burning Of The Midnight Lamp». C’est gratté sur deux acous et ça tombe bien sous le pli. Pur génie interprétatif. L’absence de wah ne choque pas.

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             Dans la collection de disques de son cousin, il est attiré par un 45 tours d’un groupe nommé Pink Floyd : «Arnold Layne», l’histoire d’un mec qui vole des fringues sur une corde à linge au clair de la lune et qui se retrouve au ballon pour ça. Comme le chanteur cite «Baby blue» dans ce cut étrange, Robyn des bois est intrigué. Le chanteur connaît sûrement Dylan. Puis il découvre que le chanteur s’appelle Syd Barrett et qu’il joue le guitar solo on the bottom string - I can identify with him - À l’automne de cette année-là, le premier album de Pink Floyd is in heavy rotation on the House Gramophone. L’époque veut ça. Les kids n’en finissent d’écouter des bons albums. Il en sort tous les jours.

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    Sur 1967: Variations In The Past, Robyn des bois reprend «See Emily Play». Cette fois, c’est pas Oh Boy, mais Oh Syd ! Rien de plus British que cette attaque. Il en fait une version opiniâtre, gonflée d’écho du temps, il te gratte ça à la Méricourt, il entre en osmose avec le vif argent de Syd. Cover lumineuse. On a là l’un des meilleurs hommages jamais rendus à Syd Barrett.

             Comme beaucoup de kids jetés vivants dans le tourbillon des sixties, Robyn des bois va identifier ses deux ennemis : le coiffeur et le policier - The barber is the natural enemy of freedom. Soon I will learn the same thing about the police force - Il n’est pas tendre non plus avec le système éducatif anglais, et plus particulièrement les pensionnats dont la principale fonction est selon lui de retarder les kids émotionnellement et de les lâcher ensuite dans la nature. Il porte aussi un jugement terrible sur l’infirmière Miss Duplock, une femme résignée, «lower-middle-class English; life has avoided her.» Pour les pensionnaires, elle n’a jamais été aimée - a meal that nobody wanted to eat - Ce qui l’amène bien sûr sur le terrain du sexe - Your cock is your motor - et comme il n’y a pas de gonzesses au collège,  alors il faut se débrouiller tout seul, il le dit avec des mots d’une pudeur extrême - To experiment with ourselves, and with each other - et rappelle que l’homosexualité est légalisée en Angleterre cette année-là.

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             Robyn des bois flashe aussi sur Incredible String Band - The cover alone of this new record, The 5000 Spirits Or The Layers Of The Onion, sums up everything I love about how 1967 is going so far. The saturated joy of it, the intricacy. Plus on observe cette pochette et plus tout semble se transformer en autre chose, ce qui pour moi définit la psychedelia - Il rend un bel hommage au Heron et à son copain Robin Williamson, «like Dylan, they seem to sense how sadness is the shadow of beauty.» Il note aussi la présence du nom de Joe Boyd sur la pochette - Whoever Joe Boyd is, he has to be a high-level groover - Il pense que l’Heron et Williamson sont comme Dylan, qu’ils comprennent le meaning of life. Il écoute The 5000 Spirits Or The Layers Of The Onion chaque jour. Sur 1967: Variations In The Past, il reprend «Way Back In The 1960s». C’est pas le meilleur choix. L’album se casse un peu la gueule avec ce Way Back.

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             Il aime bien aussi le «Daydream Believer» des Monkeees, même s’il découvre qu’ils ne sont pas hip - They are tennybopper pop fodder for the meatheads - Pour Robyn des bois, les gens qui n’écrivent pas leurs chansons ne sont pas intéressants. Il vise les Monkees, mais aussi Elvis et Sinatra, they’re just supper-club singers, music for uncles. Aussi se prive-t-il d’admirer les Monkees - So I can’t let myself enjoy them too much - Il est marrant, mais on est tous pareils, on fonctionne selon des gros a priori, et on s’interdit bien des choses. Donc pas de Monkees sur l’album.

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             D’autres bonnes surprises, comme par exemple ces trois covers géniales : «A Whiter Shade Of Pale», «Itchycoo Park» et «Waterloo Sunset». Avec le Procol, il remplit bien le spectre sonore. Il gratte le thème à coups d’acou, c’est magnifique de skip the light fandango, il dépose avec une grâce infinie le Whiter dans l’écrin de sa légende. Le fait de reprendre le thème d’orgue de Matthew Fisher à coups d’acou relève de la performance surnaturelle, Robyn des bois réactualise cette ancienne magie, cette maudite chanson qui nous fit tourner la tête alors qu’on hantait des corridors. Il te remet ce hit intemporel en perspective. C’est encore pire avec «Itchycoo Park». Quel démon ! Il te prend ça au chant de lumière à coups d’it’s all toooo beautiful, il en fait jaillir le suc, il te dépouille l’Itchycoo et l’enlumine ! Et puis il gratte le «Waterloo Sunset» à l’ongle sec, c’est pourri de feeling. Il envoie des coups de sha la la comme on en voit plus, il cristallise toute l’innocence des sixties. Il tape aussi des covers d’«I Can Hear The Grass Grow» et de «San Francisco (Be Sure To Wear Flowers In Your Hair)». C’est vrai que tous ces hits étaient imparables. Par contre, il se vautre avec «My White Bicycle» et le «No Face No Name No Number» de Traffic. Ces deux trucs n’ont jamais été des hits. Dommage. 

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             Dans l’épilogue, Robyn des bois réfléchit à l’évolution du rock anglais, voyant d’un mauvais œil les gatefold album sleeves masquer le fait que la musique devient de plus en plus médiocre et quand il commence à aller voir des groupes sur scène, il constate que les cheveux longs et les interminables solos de guitare are no substitute for inspiration. Pour lui, c’est la fin de la psychedelia expérimentale. Il partira plus tard s’installer à Cambridge et monter les Soft Boys. Il affirme être resté bloqué en 1967 - country rock, glam, funk, disco, reggae, and punk more or less passed me by  - et il conclut sur ça, qui vaut tout l’Or du Rhin : «Regardless, I’m grateful that the stopped clock of 1967 ticks on in me - it’s given me a job for life.»

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             Une petite rafale d’articles salue la parution du book, oh pas grand-chose, une page par ci, une page par là. Dans Uncut, Tom Pinnock parle de l’adolescence dans les sixties comme d’une «psychedelic transition», ce qui n’est pas idiot. À quoi Robyn des bois ajoute : «I happend to be feeling intense when Dylan went electric, and extremely intense when Revolver came out, and then I supernova’d along with Are You Experienced.» Robyn des bois est alors un pensionnaire de 14 ans au prestigieux Winchester College, Hampshire. Il dit pourquoi il est resté bloqué dans son collège en 1967 : «Je ne me suis jamais ajusté à la vie après ça. Winchester m’a ajusté à Winchester, et 1967 m’a ajusté à 1967. Pour moi, rien ne vaut la musique d’alors et rien n’a jamais égalé l’intensité de la vie dans ce collège et dans ce weird Gothic universe. Je vis à Londres aujourd’hui, mais je suis resté là-bas.»

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             Pour saluer la parution de 1967, Shindig! ne se casse pas la nénette et publie un extrait du book. Dans l’encadré qui accompagne l’extrait, Robyn des bois salue trois merveilles : «Waterloo Sunset» des Kinks («This song surges my heart to breaking point whenever I hear it or sing it.»), «See Emily Play» de Syd Barrett («He managed to distil the exhilaration of 1967 and some of that year’s melancholy awareness of how brief its eternal moment would be.»), et bien sûr «Are You Experienced» («This piece of music will rip you up your cardboard problems and set you free, baby»).

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             Pour saluer la parution de Shufflemania!, Tom Pinnock revient à la charge dans un vieil Uncut pour qualifier Robyn des bois de «singular psych folk troubadour». Mais l’audience with Robyn Hitchcock n’a pas grand intérêt, car il parle de ses chemises et de sa fascination pour Bryan Ferry. Une question porte sur Winchester College et il redit sa passion pour cette époque. Il cite l’exemple du gatefold de Trout Mask Replica, il dit que sa vie se résumait aux disques et à leurs pochettes, allant jusqu’à mémoriser le timing de l’album - Ant Man Bee 2:42 - Et il ajoute ça qui est déterminant : «I come out of a long line of gatefold sleeves, so yeah, it made me.» Une question porte bien sûr sur Syd qu’il n’a jamais rencontré, mais les chansons, dit-il ‘have a miraculous life of their own that nobody can replicate.»     

    Signé : Cazengler, Robynet

    Bobyn Hitchcock. 1967 - How I Got There And Why I Never Left - A Memoir. Constable 2024

    Robyn Hitchcock. 1967: Vartiations In The Past. Tiny Ghost Records 2024   

    An audience with Robyn Hitchcok. Uncut # 307 - December 2022

    The shadow of beauty. Shindig! # 153 - July 2024

    Tom Pinnock : The spirit of  ‘67. Uncut # 327 - July 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Tate gallery

             Impossible de ne pas admirer Thomas Pote. Il incarnait l’un de ces conglomérats qui te marquent à vie. Un conglomérat ? Eh bien oui, un conglomérat ! Mais de quoi ? Un conglomérat de qualités. Quelles qualités ? On pourrait presque dire toutes les qualités. Ça ne veut rien dire ! Bon d’accord. Quand tu rencontres Thomas Pote pour la première fois, t’es frappé par sa beauté physique. Brun, assez haut, sourire carnassier, franc parler, bras tatoués, mais pas du tattoo de tarlouze, du vrai tattoo d’HLM. Une sorte de rocker de banlieue, un rayonnant, un creveur d’écran, un bouffeur d’espace, un déplaceur d’air, un félin, une force de la nature, un voyou doté d’une effarante élégance naturelle. Puis si t’as la chance de passer une nuit blanche à sa table en sifflant des packs de Kro, tu vas entrer de plain-pied dans l’immense surface de sa personnalité, il va te raconter des histoires de toutes sortes, des braquos et des voyages, des rencontres extraordinaires et des projets de groupes, des fêtes et des histoires de cul, il farcit chaque récit de références musicales ou cinématographiques, il te cite Sam Phillips et Martin Scorsese, il t’explique qu’il apprend à jouer du sax à cause des solos de Lee Allen sur les 45 tours de Little Richard, et pour financer l’achat de son sax, il te raconte qu’il a piqué une BM, qu’il l’a maquillée dans son garage et qu’il l’a revendue à son fourgue habituel. Tu veux voir le garage ? Alors il t’emmène le visiter, juste derrière la baraque, il ouvre les deux grands battants et te montre sa faramineuse collection d’outils accrochés aux murs, comme autant de trophées, puis il t’emmène dans le local voisin qui est le local de répète où viennent jouer tous les groupes locaux, il branche un générateur et lance une boîte à rythme, il se met torse nu, embouche son sax, et se met à jouer un cut hypno pendant dix minutes, «tu connais ?», fuck, il te fait du James White & The Blacks, il danse au milieu de la petite pièce, il fait son James Brown, et tu vois son torse et son dos couverts de tatouages baveux. Soudain, tu réalises que se trémousse devant toi l’une des plus grandes rockstars du monde moderne. Personne n’est au courant.

             

             Thomas Pote et Tommy Tate ont un point commun : la grâce naturelle. C’est la raison pour laquelle ils se croisent au coin d’un tunnel, inside the goldmine.

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             C’est grâce à Carl Davis que tu fais la connaissance de Tommy Tate. Carl Davis n’a fréquenté que des cakes, alors forcément t’es pas surpris quand tu mets le nez dans I’m So Satisfied. The Complete KoKo Recordings And More, un compile Kent parue en 2007. Tu reprends même ton souffle avant de plonger dans ce lagon d’argent. D’autant plus que Tony Rounce signe les liners.

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    ( Johnny Baylor )

             Tiens, te dis-tu, d’où sort ce Ko Ko Recordings ? Rounce te dit tout. Ko Ko est le label monté par Johnny Baylor, un heavy black dude embauché par Stax pour assurer la sécurité et s’occuper des débiteurs qui ont du mal à payer. Dans son Stax book, Robert Gordon brosse un portrait terrifiant de Baylor. Brrrrrrrrr. Good Fella en black. Baylor bosse pour Stax, mais il monte Ko Ko et n’a qu’un seul artiste sur son roster : Luther Ingram. Avec Tommy Tate, ça fait deux. Rounce compare Baylor à Don Robey (Duke/Peacock) et Morris Levy (Roulette). Tommy Tate indique pour sa part qu’avec Johnny Baylor, tu ne discutes pas les ordres - With Johnny, you just dit it, or else... - Rounce indique aussi que Tommy Tate et Luther Ingram ont participé à Wattstax. Mais les enregistrements des trois cuts de Tate sont tout pourris et apparemment, c’est perdu. Rounce aurait bien aimé les mettre sur sa compile.  

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             C’est assez bête à dire, mais cette compile grouille de puces. Tu connais une compile Kent qui ne grouille pas de puces ? Celle-ci est peut-être même un peu plus pire que les autres. Tommy Tate a une voix ET des compos, et t’es hooké aussitôt «School Of Life». Tu ne t’attends pas à une Soul d’une telle qualité. C’est une Soul extraordinairement développée. Pas compliqué : sur les 20 cuts, t’as 10 bombes. Tommy Tate propose une Soul libre, légère, d’une fantastique allure. Sur «I Remember», il sonne comme Wilson Pickett. Il est accompagné nous dit Rounce par The Movement, c’est-à-dire le backing-band d’Isaac le prophète. Et avec «If You Got To Love Somebody», il passe au big time de good time. Il travaille sa Soul au corps. Ici, tout est beau, tout est absolument parfait. Encore un hit pulvérisé avec «I’m So Satisfied». Tommy Tate est un chanteur incommensurable. Sa Soul te colle au train. Il fait du Stax avec «Revelations» et la basse sonne comme une corne de brume. Nouveau coup de Jarnac avec «I Ain’t Gonna Worry» gratté à l’angle biseauté. Tu croises rarement des black dudes aussi doués. Son scream est pur comme l’eau de roche. «More Power To You» sonne comme le slowah fatal. C’est d’une rare puissance. Encore de la modernité avec «If You Ain’t Man Enough». Ni Motown, ni Stax, c’est du black rock avec du big sound, et t’as la guitare de rêve en plus de la Soul parfaite. Il fait encore corps avec sa Soul dans «It’s A Bad Situation». Son heavy groove est ahurissant de classe. Il passe au hard funk avec «Hardtimes SOS». Il te rocke le funk. Il est bon dans tous les râteliers. Il mène rondement l’heavy r’n’b d’«It Ain’t No Laughing Matter», qu’il a co-écrit avec son pote Sir Mack Rice. Incroyable qualité d’ensemble, son et chant ! Il refait son Wilson Pickett dans «Just A Little Overcome» et boucle avec «I Don’t Want To Be Like My Daddy», un slowah de perdition explosive. On n’avait encore jamais vu ça. Effarant, éclatant et épuisant.

             Quand Stax a disparu, Baylor est revenu s’installer à New York. Mais Ko Ko a fini par couler et Tommy Tate est rentré chez lui à Jackson, Mississippi. Il n’a jamais cessé de composer et d’enregistrer. Rounce nous met bien l’eau à la bouche en révélant qu’il existe un stock de démos tellement énorme qu’on pourrait en faire 30 albums ! Mais rien n’est encore sorti. Te voilà encore avec une incroyable histoire sur les bras.

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             Hold On est un beau Malaco de 1979. Aw my Gawd, quel album ! Avec «Little Boy» et «All A Part Of Growing Up», Tommy Boy reste le Prince de la Good Time Music, car ces cuts sont frais, orientés sur l’avenir. Little Boy bénéficie du petit stomp de Malaco et Tommy Boy l’emmène au paradis. Le Growing Up est réellement du big time de Good Time, Tommy Boy est un meneur, il arrache son Growing Up du sol ! Et puis t’as tous ces coups de génie, tiens à commencer par «I’ve Been Inspired To Love You», il amène ça en mode fast r’n’b, mais Tommy Boy va vers le côté joyeux du r’n’b et il sait groover comme un dingue. Franchement t’en reviens pas de l’entendre groover son Growing Up à gogo. Encore un coup du sort avec «I Can’t Do Enough For You Baby», ce prince balance bien des hanches. Même chose avec «A Thousand Things To Say», cut de Soul merveilleusement allègre et moderne. Quelle tenue et quelle qualité, Oh Boy ! Le festival se poursuit avec «Hold On (To What You’ve Got)», horriblement groovy, et «Do You Think There’s A Chance», ce cut si subtil qui ne tient qu’à un fil, et qui résumerait bien l’art chantant de Tommy Boy : une Soul fine et racée. C’est tellement bien balancé que tu cries au loup. Tommy Boy aligne ses hits comme des planètes, pour le seul bonheur des becs fins. Il fait de la Soul de haute voltige. 

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             L’album sans titre de Tommy Tate sort en 1981 sur Juana, le label de Frederick Knight. Encore un album qui grouille de puces, notamment «Listen To The Children», Tommy Boy sait poser sa voix sur l’heavy Soul de Malaco. C’est excellent, profond et sincère, il monte son we got to listen au jazz de pah pah. C’est tout simplement génial. Pas loin de Marvin, avec un joli break de coups d’acou. En B, il tape le «This Train» de Frederick Knight, cut assez mystique qui sonne un peu comme le thème du Soul Train mythique de Don Cornelius. Tommy Boy groove son hard r’n’b et fait autorité. Quel fantastique shouter ! Power to the max ! Encore une petite merveille avec «On The Real Side». Il tartine merveilleusement sa heavy Soul. Tommy Boy est un puissant seigneur. On le voit aussi s’éloigner dans «I Just Don’t Know», il tape dans la Soul latérale d’I’m so lonely.

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             Sur Love Me Now, Tommy Boy tape une belle compo de Mack Rice, «Slow Rain (Fast Train)». Avec Mack Rice, ça groove toujours dans la couenne du lard. Tommy Boy est en quelque sorte le prince de la Good Time Music, comme le montrent «Midnight Holiday» (bien balancé et contrebalancé avec des chœurs de rêve de window pane) et ce «Tear This House Down» signé George Jackson, et Tommy Boy y va de bon cœur au tear this house down tonight.

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             Pas de chance pour Tommy Boy : All Or Nothing est plombé par le son années 80. Il se fait baiser par la prod. Il perd la Soul. Ce son est une calamité. Ça vire diskö-pop et ça devient vite imbuvable. Que vas-tu sauver là-dessus ? Rien. Il ne s’en sortira pas, même avec tout le feeling du monde. T’écoute car t’espère, mais ce sera en vain. Il fait une tentative de boogie avec «Walking Away». En vain. Un petit parfum d’exotica plane sur «This One’s». On accorde une dernière chance au disk raté du pauvre Tommy Boy. Quel gâchis !

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             Par contre, la compile Hold On - The Jackson Sessions Rare & Unreleased grouille de puces. T’as au moins dix coups de génie au cm2. Boom dès «Friend Of Mine». Tommy Boy fait son big Soul Brother, c’est solide. «Little Boy» sonne comme de la pop Soul d’élan vital. Toutes les compos sont ambitieuses. Tommy Boy sonne déjà comme une superstar. On se régale de sa grosse présence vocale sans «All A Part Of Growing Up», qu’on trouve sur Hold On. Puis arrivent d’autres coups de Jarnac, «I Can’t Do Enough For You Baby», tiré aussi d’Hold On, il a des chœurs de rêve pour ce slowah profond et humide, merveilleusement travaillé aux harmonies vocales, il part ensuite en mode gros popotin avec «A Thousand Things To Say». C’est d’une qualité hors du commun, il module à l’infini. Tommy Boy superstar ! Il peut faire son Wilson Pickett («Something To Believe In») et taper une hard Soul de rock gorgée d’excellence («You’re Not To Blame»). Sur «So Hard To Let A Good Thing Go», il est dans l’hard r’n’b, avec du bassmatic à gogo. Il te tient vraiment en haleine. Tout est très chanté, ultra chanté. Il finit en mode gospel avec «Something Good Going On». Tommy Boy est un crack, il tient bien son époque en main. Tous ces cuts sont effarants de qualité et derrière, t’as ce mec qui joue des espagnolades électriques. Reggie Young ?

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             Tu ne peux décemment pas te lasser de Tommy Tate. Dès qu’une nouvelle compile pointe le museau, tu sautes dessus. When Hearts Grow Old - Twenty previously Unissued Recordings From The Malaco Vaults date de 2008. On est en plein Malaco. Tommy Boy y fait de la Soul évolutive. Il t’installe dans le confort de la Soul. Avec «You’re Making My Dreams Come True», il va plus sur Barry White. Il se bat pied à pied avec tous ses cuts. Il a une belle dégelée royale de poux sur «Feel The Love» et il refait son Barry White avec «Lonely Lady». Il fait résonner la fibre White et ça te fend le cœur. Tu te régales de ce gros groove d’exception qu’est «Ain’t No Love For Sale». Il revient à son cher Barry White system avec «Lay Love Inside» et puis t’as ce «That’s Just A Woman’s Way» un peu dans la veine de «MacArthur Park», même dramaturgie mélodique. Il est encore fantastique sur «I Feel So Close To You», il enjolive cette Soul new wave, il la nourrit, il la chérit, dommage qu’elle soit si années 80. Mais Tommy does it right. 

    Signé : Cazengler, Tommy Tarte

    Tommy Tate. Hold On. Malaco Records 1979  

    Tommy Tate. Tommy Tate. Juana 1981

    Tommy Tate. Love Me Now. Urgent 1990 

    Tommy Tate. All Or Nothing. P-Vine Records 1992  

    Tommy Tate. I’m So Satisfied. The Complete KoKo Recordings And More. Kent Soul 2007 

    Tommy Tate. Hold On - The Jackson Sessions Rare & Unreleased. Soulscape Records 2008

    Tommy Tate. When Hearts Grow Old - Twenty Previously Unissued Recordings From The Malaco Vaults. Soulscape Records 2008

     

     

    *

    ROCK EN VRAC

    RENCONTRES AVEC DES CAÏDS DU ROCK

    ET DU ROMAN NOIR

    MICHEL EMBARECK

    (Les Editions Relatives / Février 2025)

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             Ne dites pas Embareck, dites Embarock. D’abord une préface. Pour mettre les chrockse au point. Il y a rock et rock. Le rock d’avant et le rock d’aujourd’hui. Celui d’aujourd’hui, il s’est dinosaurisé. Surtout en notre pays. L’est devenu un plantigrade balourd dont tout le monde se détourne. S’est transformé en une espèce en voie d’extinction. Survit dans les zoos, les enfants ont le droit de leur jeter des cacahuètes. De braves bêtes inoffensives, châtrées dès la naissance.  Elevées aux hormones qui annihilent leur métabolisme de prédateurs. Parfois surgissent par miracle, par génération spontanée, quelques méchants tyrannosaurus aux dents longues à vous croquer la planète. Sont circonscrits en d’étroites réserves, seuls de rares amateurs tentent de les remettre en liberté, mais les institutions médiatiques veillent…

             Méfiez-vous de l’expression rock en vrac. L’est sûr que vous avez l’impression que Michel Embareck vous embarrasse avec ces trois cents pages remplies jusqu’à la gueule qu’il décharge au tractrock-pelle sans préavis dans votre cervelle trop étroite  pour accueillir tant d’informations. Je vous rassure, elles sont dûment classées par ordre chronologique. Surtout au début. Je vous laisse sur votre faim pour la fin.

             Vite submergé. Ne le plaignez pas. Il l’a voulu. Une simple lettre et le voici dans la gueule du monstre. Dans la rédaction du magazine rock : Best. L’ennemi héréditaire de Rock & Folk. De fait les amateurs achetaient les deux. Nous présente la rédaction de l’intérieur. Une belle équipe. Un patron, Patrice Boutin, pas d’accord avec la ligne, mais qui laisse faire puisque l’affaire tourne et rapporte… Lorsqu’il aura  en 1983 la désagréable idée de mourir au volant de sa Ferrari, Christian Lebrun sera nommé rédacteur en chef… Embareck arrive pour les belles années, celle du dernier mouvement rock d’importance le Punk. Un mouvement parti de rien mais dont la renommée essaimera sur tous les continents… C’est le moment de retrouver Marc Zermati, il est aussi présent sur la toute dernière photo de la denière page, photographié en compagnie de Michel Embareck.

             Notre auteur est à Londres en 1977, et à Kingston en 1978. Ces pages jamaïcaines sont à lire. Vous pouvez me croire, je ne suis pas un grand fan du reggae. Chapitre suivant, soirée chez Gainsbourg qui vient d’enregistrer Aux Armes et Caetera…

             Certes Embareck a eu la chance de traverser ces années folles mais tous ces faits sont tellement connus que l’on aurait tendance à dire que parfois les hommes sont modelés par les évènements et que les individus se contentent de suivre le mouvement. Même si par advertance circonstantielle  ils interviennent tant soit peu sur leur déroulement. Pour moi le livre commence vraiment avec le chapitre sur Alberta Hunter. Née en 1895, morte en 1984. Nous ne sommes plus dans le rock en train de se faire, l’on quitte le serpent qui déplie ses derniers anneaux pour remonter dans la matrice originelle. Oui nous sommes loin du rock. Alberta est une chanteuse de jazz. Une légende. Vous trouverez facilement sur le net enregistrements et éléments biographiques. Embareck lui consacre trois pages, mais c’est un tournant essentiel dans l’ouvrage. Non, il ne fera que citer de temps à autre quelques grands noms du jazz. Mais là n’est pas le sujet. Il s’intéresse à plus profond. C’est là où il se révèle.

             Si je vous dis que le chapitre suivant est un hommage à Little Bob, vous risquez de ne pas trop comprendre, quel rapport avec Alberta et Little Bob. Entre le jazz et le rock français. Aucun. A première vue. Ni au second coup d’œil. Par contre si vous utilisez le troisième hypophysical tout s’éclaire : le blues, en le sens où le blues est un certain engagement pour la vie, pour le blues, pour le rock’n’roll, car tout se rejoint souterrainement dans la grande mouture du rhythm ‘n’blues.

             Voici AC / DC, les enregistrements certes, avant tout des gars accessibles au service de leur musique. Du coq à l’âne. Voici quelques pages consacrées à Lavilliers. Pas spécialement au chanteur. Au voyageur celui qui va au Brésil. Du coup Embareck se barre, il prend la route. Rennes avec Bo Diddley et sa guitare. Bourges (anecdotique). Memphis : le circuit Elvis mais surtout l’emplacement du studio Stax détruit. Nous voici dans le Rythm & Blues. Mais faut encore descendre dans la terre d’élection.

             Nouvelle-Orleans, c’est là qu’il touche à ce que l’on pourrait appeler l’essence impalpable du blues dans la présence de certaines rencontres… La musique certes mais aussi la musique des mots, remontée vers le Montana pour rencontrer la littérature, l’américaine, celle de James Crumley, celle de Solomon Lee Burke, de Jim Harrison… toutefois la littérature n’est-elle pas une mythification, ces écrivains américains ne sont-ils pas considérés en leur pays comme des secondes gâchettes, voire des troisièmes couteaux… Suivez la pensée filigrane, notre attachement au rok’n’roll ne serait-il pas une mythification personnelle ?

             Toute question mérite réflexion. Et surtout une réponse. Embareck n’est pas homme à se prendre la tête. Ne va pas nous pondre un essai de cent pages. Va quand même nous en filer quatre-vingt. A la manière de ces maîtres Zen qui vous envoie une grosse baffe en travers de la gueule pour répondre à votre à question : ‘’ Maître, qu’est-ce que la violence ?’’  L’est moins cruel, il vous offre une douzaine de petites nouvelles.

             Elles sont à lire. Sont comme les gaufres, se dévorent sans faim. De la littérature française qui parle de rock, de blues, d’Amérique et surtout d’êtres humains qui se coltinent dans leurs existences ces invariants. Ces phares baudelairiens. Ces filtres du vécu qui permettent de mieux vivre.  Ces forces de régénération qui ont disposé la Nouvelle-Orleans à survivre à tous les Kaltrina… Pour la petite histoire celle que je préfère : Le rock comme arme d’instruction massive. Normal le nom sacré de Gene Vincent y figure.

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             L’Embareck est un stratège, l’a gardé le meilleur pour la fin. De la même veine que les nouvelles. Mais en plus court. Douze chroniques parues dans le magazine Rolling Stones. Chacune consacrée à un artiste. Ne vous y trompez pas. Lisez-les comme douze autoportraits de Michel Embareck. Douze mythifications tel qu’en lui-même il se change.

             En plus ça fonctionne un peu comme les arcanes du tarot, chacun y trouvera la carte de son destin. Pour moi celle de Wayne Hancok, n’est-il pas qualifié de Fantôme de Gene. Craddock.

    Essayez à votre tour, si vous lisez ce livre de Michel Embareck, les amateurs de rock y découvriront toujours une image qui les représente. C’est ce que l’on appelle le grand Art.

    Damie Chad.

     

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             Dernièrement, voir notre livraison 670 du 19 / 12 / 2024, nous avions chroniqué le dernier clip de P3C, une première rafale avant la sortie de l’album Negative Skills mais voici un deuxième coup de semonce ce mois de février :

    SHALLOW TIME

    POGO CAR CRASH CONTROL

             Ce coup-ci pas de vidéo, en lot de consolation vous avez un Reels, moi qui suis le premier à m’éblouir et à rester en contemplation sur le moindre fragment de poterie mésopotamienne, j’avoue que ces vidéos minimalistes tiktokiennes me laissent assez froid. En plus les Pogo sont diablement à l’étroit dans ce  format cigarettes mentholées, même pas ultra-longues, qui se vendaient dans les années soixante.

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             Bref une image fixe et du son, ration de combat minimaliste. Si l’on rajoute que le Shallow Time ne bénéficie que d’un timing de même pas deux minutes et demie, l’on a l’impression d’être dans ces restaurants où le garçon se sent obligé de vous renseigner que le steack est juste sous la frite.

    Certes c’est bien balancé mais l’on n’a pas le temps de voir passer, du déchiré mélodique, l’on s’envole mais après on reste un peu au repos en apesanteur, en orbite stationnaire un peu trop près de la terre, remarquez c’est un peu le thème abordé, besoin d’un peu de calme avant de reprendre l’ascension, on a l’impression que ça tient grâce au vocal delirium tremens d’Olivier.

    Les Pogo se sont adjugés quelques mois pour souffler l’année dernière, z’étaient sur le speed depuis plusieurs années, semblent avoir choisi d’essayer d’autres rhumbs de tangage, l’on sent que ce n’est plus comme avant, mais l’on aimerait avoir l’album in integro pour voir si ce n’est plus comme après.

    Il y a toutefois une justice immanente sur cette terre, puisque samedi dernier (22 février) ils étaient en première partie de Jack White au Trianon.

    Vous avez une vidéo sur YT qui ne vaut pas le déplacement, le son est mauvais, un rythme un peu lourd, une salle peu réceptive.

    Damie Chad.

     

    *

             Certaines choses vous attirent plus que d’autres. Par exemple le rock’n’roll. Pour moi j’ajouterai deux forces d’aimantation irrésistibles, la poésie et la mythologie. Gréco-romaine de préférence, or voici que jetant un œil distrait sur les nouveautés rock de la semaine, deux noms s’inscrivent en lettres d’or dans mes pupilles aiguisées, une déesse et une poëtesse. En plus pas  des moindres !

    INNOCENCES

    HECATE’S BREATH

    ( Chaîne YT : Hecate’s Breath / Janvier 2025 )

    Les rockers aiment Hécate. N’est-elle pas la déesse de des Carrefours. Robert Johnson pourrait vous en parler. Il ne l’a pas reconnue lorsqu’elle s’est présentée à lui, il  l’a prise pour le Diable, peut-être avait-elle emprunté cette apparence satanique pour qu’il comprenne que désormais il jouerait de la guitare comme un Dieu… Vous connaissez le destin de Robert Johnson. On a tendance à qualifier les dieux grecs de bons ou de méchants. Ce qui est particulièrement stupide. Les Dieux ne sont ni bons ni méchants. Ce sont justes des concepts opératoires qui ne se définissent point selon nos chétives catégories humaines.

    Hécate s’inscrit dans la lignée de Nyx, engendrée par Kaos. Le Kaos est une énergie dévastatrice qui sort d’une fente, elle perd de sa force au fur et à mesure qu’elle se déploie dans le vide, les premiers êtres qui sont sculptés par cette déperdition sont de terribles entités incommensurables, Nyx est la première fille l’aînée de tous ceux et celles qui suivront. Cette énergie finit par se stabiliser en les cinq matières élémentales. Les Dieux olympiens sont les rejetons des éléments.

    Pour ceux qui s’étonneraient de cette introduction, je précise que Le Souffle d’Hécate nous avertit en trois mots  de sa vision du monde : Humanity is obsolete. Court mais éloquemment significatif. Le groupe a aussi défini sa musique comme ‘’desincarnate doom’’.

    Pour ce qui suit je ne saurais que vous renvoyez au film de Terence Davies, A Quiet Passion. Qui raconte la vie d’Emily Dickinson (1830 – 1886) qui vécut chez elle, entourée de sa famille, volontairement recluse en sa chambre, une expérience poétique à mettre en relation avec celle de Joe Bousquet (1897 – 1950). Sinon lire les poésies d’Emily Dickinson, près de deux mille poèmes, dont vous trouvez un parfait exemple sous la vidéo :

    Ah, Necromancy Sweet !

    Ah, Wizard Erudite !

    Teach me the Skill,

    That I instil the Pain

    Surgeons assuage in Vain

    Nor Herb of all the Plain

    Can Heal !

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    (Ah, Nécromancie douce ! Ah, Sorcier Erudit ! Enseigne-moi l'habileté, Pour que j'instille la douleur Que les chirurgiens apaisent en vain Aucune herbe de toute la plaine ne / peut guérir !)

             Vous aimeriez en savoir plus : voici la réponse que  Hecate’s Breath adresse à une auditrice : Au risque de vous décevoir, nous préférons rester à l'abri de la lumière. Ici, sinon ailleurs. Anonymat. Pas de profit. Juste de la musique. Et quelques lignes vocales enregistrées sur un Samsung dans une bergerie. Jusqu'à ce que l'inspiration s'estompe.

             Je vous laisse faire les relations induites par la proximité d’Hécate et Emily Dickinson. Un dernier indice : elles ont déjà produit ce que je n’ose appeler un album au titre évocateur : Danse Macabre.

    Elrika : vocals, guitars / S. : vocals, noise, guitars, acoustic guitars  / TJ : vocals, cello / B. : vocals / Mélinoé : noise.

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    L’instinct du rocker : j’ai vu ces noms de fleurs, j’ai flashé sur deux : Aster, en Grèce Asteras, qui désigne la voûte étoilée, est la mère directe d’Hécate, puis sur Iris. J’ai tout de suite pensé à L’Iris de Suse qui est le titre du tout dernier roman de Jean Giono, un de ses meilleurs, une histoire d’amour fou, mais une folie gionienne, je suis certain, les voix, les images que c’est un groupe filles qui se cache derrière cet anonymat. Avec Giono je fais fausse route mais quand je croise Aster et Iris, le net apporte d’étranges lumières. Je tombe sur la critique d’un roman paru en 2022 dont je n’ai jamais entendu parler, de Sarai Walker, il s’intitule The Sherry Robbers, vous pouvez le lire dans sa version française, 624 pages chez Totem, tilt pour le titre : Les voleurs d’Innocence. Voici le thème : Belinda a eu six filles, Aster, Rosalinde, Daphné, Hazel, Calla, Iris, elle leur a prédit qu’elles mourront si elles se marient, elles meurent chacune à leur tour, enfin presque… Je ne voudrais pas déflorer le sujet… Sur une critique j’apprends que c’est un bouquin sur la résilience des femmes, la bêtise de mes contemporaines m’effraie, ailleurs on me le présente comme un roman goth, ce qui est sûr c’est que Innocences de Hecate’s Breath  s’inspire de Sarai Walker.

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    B’s Visions : question subsidiaire est-ce le B de Belinda ou le B de celle qui participe au vocal dans le groupe ! : fonctionnement de la vidéo, chacun des neuf morceaux bénéficient d’une image fixe : un souffle, un murmure très doux, des notes éparses, une impression de mystère magnifiée par cette robe de mariée retenue sur un cintre par les pans du voile, la proéminence du corsage ne fait qu’accentuer l’absence de toute chair féminine. Lumière blanche de la fenêtre surexposée, chambre obscure de l’appartement.

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    Aster : ma seule étoile est-elle morte, en tout cas il y a du verre cassé partout sur le plancher, ces hurlements, ces cris de terreurs, crise exacerbée, pur roman gothique, la musique devient-elle bruit parce que la vie devient morte, funestes résonances, ici c’est l’Hécate lunaire qui brille de sa pâleur mortelle… La vie serait-elle aussi factice que cette fleur de tissu dont la tige plonge dans un bocal sans eau.

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    Rosalind : donner à une héroïne le prénom Shakespearien de Rosalinde ne laisse augurer rien de bon… pièce délabrée mais relativement propre, une belle rose posée sur la table de bois vous offre ses piquants et sa corolle que l’on imagine de pourpre, presque des sonorités trompétueuses, la batterie s’emballe, le vocal est-il interpellation intempestive, règlement de compte ou crise d’hystérie, baisse d’intensité, serait-ce le coït après l’explosion du désir, ce coup-ci Rosalind tonne comme si elle était un homme, un orlandien, venu des terres dangereuses du désir. Presque un miroir interchangeable.

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    Daphne : serait-ce le portrait de Dorian Gray fixé par des chaines et des clous pour qu’il ne vieillisse plus et reste en vie, ou une métaphore de la métamorphose de la nymphe Daphné en laurier pour échapper à l’amoureuse poursuite d’Apollon, ou alors faut-il croire que les coups de marteaux que l’on entend ne sont pas pour le Christ que l’on cloue sur la croix mais destinés à représenter le sacrifice des jeunes filles vouées à recevoir le clou du désir dans leur vagin. Grands coups de merlin, exaspération prédatrice du mâle en érection, jusqu’à l’éclosion finale, sous les coups de boutoir les vantaux cèdent, l’ennemi tel un serpent, se faufile dans la brèche.

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    The Headless Bride : sur la photo elle a sa robe de mariée mais elle a perdu sa tête, autour d’elle les yeux nombreux de ceux qui tournent leurs regards vers cette apparition fantomatique, la musique tremble sur elle-même, est-ce une allégorie du sort réservés aux épouses de Barbe-Bleue, des voix de revenantes maudissent-elles leurs sorts funestes, ou alors serait-ce la vision prophétique et symbolique  du sort réservé à ses filles qui accaparent la tête de Bélinda. Vacillements, klaxons.

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    Hazel : des clous d’acier et des branches comme en rapportent à la maison les enfants qui ont joué dehors. Des cris, des exclamations, tout ce qui a eu lieu et qui maintenant est terminé, la noisette est perforée et brisée par le casse-noisette, musique forte et lente pour spécifier que l’inéluctable a eu lieu. L’on n’échappe pas à son destin. Rien ne sert de tourner dans sa tête ce souvenir prégnant.

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    Calla : peu usité en France ce prénom signifie Fleur. Cette fleurette ne refleurira pas au printemps prochain. La musique est assez pesante pour que l’on comprenne le genre de désagréments qu’elle a subis, tout ce qu’elle a enduré, sur la table les clous sont toujours là, quant à la pomme du désir elle semble à avoir été dure à avaler.

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    Iris : on n’ira pas jusqu’à dire en voyant cette pièce bien rangée, bien propre, qu’ici tout n’est que calme luxe et volupté, tout au plus un havre de paix, un refuge, l’a fallu qu’Iris se batte très fort pour échapper à l’emprise de son destin, elle a fui, poursuivi par une horde de désirs non contenus, elle s’est battue, elle a vaincu, elle a tiré son épingle du jeu piégé, elle est partie, elle a fui sa famille, pour qu’une prophétie ne se réalise pas, ne suffit-il pas de refuser de l’entendre quand on la prononce à votre encontre, celle qui la recevra sera votre absence, un véritable chaos dans la tête lorsque vous vous échappez.

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    Wounded : toutes les portes de l’appartement sont ouvertes, une forme blanche se profile au fond du couloir, est-ce Iris qui revient pour s’affronter à son destin, le regarder dans les yeux, elle a changé d’identité, elle s’appelle Sylvia, de longues années ont passé mais l’histoire que vous avez fuie vous rattrape toujours, elle veut s’incarner en vous, n’est-elle pas vous, n’est-elle pas votre essence même, paroxysme, hurlements de terreur, l’horrible court après vous et s’accroche à votre robe, pensez-vous que vous échapperez à vous-même. Même si vous persistez à être vous-même selon votre volonté, n’êtes-vous pas blessée. A mort.

             Le souffle d’Hécate est particulièrement violent. Malgré la nudité vous êtes en présence d’un groupe de black metal. Particulièrement brutal.

    Charnellement éprouvant.

    Damie Chad.

     

    *

    Les guerres indiennes ne sont pas encore terminées. Il reste juste, une fois que les temps de la survie seront terminés, à remporter la victoire. L’épisode que nous allons suivre remonte à loin. Il aurait pu être oublié. Il s’en est fallu de peu. C’est en farfouillant dans une boutique de disques qu’en 2010 Joe Steinhardt fondateur du label Don Giovanni Records tombe sur le premier opus de Winterhawk qu’i trouve remarquable. En 2021 il rééditera les deux albums que le groupe avait enregistrés.

    ELECTRIC WARRIORS

    WINTERHAWK

    (Don Giovanni Records / Octobre 2021)

    (Mother Earth Records / 1979)

    Le groupe fut formé en Californie par  Nik Alexander, un activiste Creek qui voulait former un groupe de hard rock  indien. Il fut rejoint par Alfonso Kolb originaire du Rincon Indian Reservation près de San Diego. Il emmena aussi son cousin Frankie Joe

    Ils ne sont pas le premier groupe indien de rock, Redbone le plus connu de tous par chez nous se forma en 1969… Par contre le groupe Winterhawk qui sortit l’album Revival n’a rien à voir avec eux et sont originaires de Chicago.

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    Belle pochette, nos quatre silhouettes d’indiens se détachent pratiquement au sommet d’une crête - serait-ce une allusion à la grande masse de la cavalerie des lakotas qui  à Little Big Horn surgirent de derrière une colline à la grande surprise de Custer – elles donnent au premier regard l’illusion de guerriers armés de fusil, non ils ne brandissent que des guitares. Inoffensives ?

    Nik Alexander : lead vocals, lead and rhythm guitar, lyrics / Frankie Joe : rhythm guitar / Frank J. Diaz de Leon : bass guitar, backing vocals / Alfonso Kolb : drums.

    Prayer : comme un crépitement d’oiseau qui fouille du bec en ses propres plumes ébouriffées, en dessous une percussion indienne un peu sourde mais point trop, la voix fragile de Nick Kent élève une prière vers le ciel, l’envol majestueux vers le soleil dans l’embrasement des guitares, demande d’aide, le peuple rouge a oublié la voie guerrière de l’aigle et de l’esprit, après l’élan le rythme impassible des tambours se tait. Got To Save It :  la terre et l’eau t’int été données pour être préservées, la voix s’élève presque tremblante, mais la colère prend le dessus, les guitares s’envolent comme des remparts de flèches, appel à la guerre, l’homme blanc n’est pas nommé, mais ses machines éventrent la mère originelle, une ronde de hargne, une charge  de poneys, un appel, un constat, un devoir de retour à l’équilibre des forces naturelles, le morceau déboule comme une mer de bisons qui déferle sur l’immensité des plaines. Black Whiskey : presque une berceuse, une guitare pleure à gros flocons, Nik a pris sa voix tremblante, l’orchestration s’intensifie, l’histoire d’une des plus cruelles blessures du peuple indien, l’eau de feu qui embrume l’esprit, qui enserre l’individu dans ses serres d’acier. Le poison irradie le sang, une seule solution rentrer à la maison, se retrouver chez soi, dans sa pureté natale, dans sa fierté d’homme, libre de sa camisole de force dont il est le seul responsable. Dark Skin Lady : un son qui n’est pas loin de Steppenwolf, Nik hache ses mots comme s’il lançait des poignards, après l’appel à la spiritualité, après une revendication que notre modernité nomme écologique, après une dénonciation de l’alcool, Nik aborde une problématique différente, celle de l’engagement de l’individu en ses propres désirs charnels, un sujet délicat, le sexe en tant qu’acte de perdition indienne, l’attrait de la ville, les filles faciles, la réserve comme un lieu de protection, de resserrement du peuple indien sur son propre sang. Préserver la force de l’esprit, mais préserver aussi le sang rouge. The Wind : ce n’est pas la réponse qui se trouve dans le vent selon Hugues Aufray, la beauté sous-jacente des chantonnements féminins ne doit pas nous détourner, écoutez plutôt l’éventration des guitares, la réponse est en toi, en ta responsabilité, si tu vis dans ce monde de folie, c’est parce que tu l’as accepté, n’écoute pas les anges blancs, prête l’oreille à l’esprit rouge. Dépêche-toi, fais le bon choix, ne t’endette pas pour toujours.   Restaurant : drôle de titre, si peu indien, on aurait préféré pemmicam ! Que voulez-vous la chair est chaude et l’homme si faible, le morceau roule comme le torrent du désir dévale des montagnes, la guitare aigüe se roule dans le stupre, les squaws se donnent ou se refusent comme elles veulent. Que peuvent les grands principes généraux quand ils sont confrontés à la singularité des individus. Selfish Man : ce n’est pas un hasard si les guitares froissent le son comme une feuille de papier que l’on jette dans le feu pour qu’elle brûle, parfois le vocal avance à pas menus comme s’il marchait sur le sentier de la guerre, le morceau n’est pas une réflexion éthique sue l’égoïsme congénital de l’espèce humain, le selfish man est l’homme blanc, une manière de le dénoncer sans le nommer, de le nier, de ne pas reconnaître sa présence,   ils ont commencé par prendre les terres et ils finissent par la grande menace, celle de l’énergie nucléaire, qui finira par stériliser la Terre Mère.

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    Custer's Dyin' : un titre pour lever toute ambiguïté, d’ailleurs il commence par rouler la grosse pierre arrasante du hard rock, il faut bien proclamer la seule et grande bataille significative remportée par l’homme rouge sur le l’homme blanc, sur ce diable de Custer qui brûlait les villages de toile, et massacrait les femmes et les enfants quand les guerriers n’étaient pas là pour les défendre, bien sûr il finit par ces espèces de criailleries de bandes de sauvages qui le soir tournent autour du feu pour fêter leur victoire. Fight : la dernière charge, la voix du chef  qui résonne dans toutes les poitrines de l’homme rouge, récitatif guerrier de tous les combats menés, de toutes les défaites subies, de tous les désastres, mais ce n’est pas fini , le chant s’élève au cœur des collines perdues, ils arrivent parmi les cris, ils mènent la dernière charge, tous derrière Crazy Horse et Sitting Bull, le peuple rouge est encore là.

             Cet Electric Warrior est à écouter sans fin, tient bien son rang parmi les centaines d’albums de hard rock parus en son époque. Il n’a pas eu le succès qu’il méritait, vu son contenu l’on se doute qu’il n’a pas eu le privilège d’être placé en tête de liste de diffusion des radios américaines, un peu de rose pâle oui, beaucoup de rouge sang, non !

             Quelle résonance a-t-il eue dans les réserves et la population indiennes, je n’en sais rien, il ne mâche pas ses mots quant à la responsabilité de tout un chacun… Nous n’avons que le gouvernement que nous méritons…

    DOG SOLDIER

     WINTERHAWK

    (Don Giovanni Records / Octobre 2021)

    (Mother Earth Records / 1980)

            Une couve bien moins réussie que la précédente. Est-elle tirée d’une bande dessinée. Si non, elle en est tout de même fortement inspirée. La pose de l’indien courageux qui s’offre aux fusils est certes courageuse mais le sacrifice n’est peut-être pas la meilleure façon de continuer le combat…

    Nik Alexander : lead vocals, lead and rhythm guitar, lyrics / Doug Love : bass guitar, backing vocals / Jon Gibson : drums, backing vocals / Gordon Campbell : bells.

             De la formation originale ne reste que le leader Nik Alexander. Le groupe a joué en première partie de Johnny Winter et de Metallica, mais Alfonso Kolb raconte que les concerts qu’il a préférés sont les prestations données auprès des enfants des écoles dans les réserves.

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    Our Love Will Last : un son davantage rentre dedans, il semble que pour ce deuxième opus l’on ait cherché l’ouverture vers un public moins militant, ce premier morceau est un beau brûlot, une belle déclaration d’amour enflammée, pas typiquement indienne, pas teepeequement rouge, vu la couve l’on s’attendait à quelque chose de de plus, si j’ose dire, rentre-dedans.  Honey Lady : chœurs féminins en entrée, l’on ne lésine pas pour attirer l’attention, attention c’est sérieux déclaration de mariage en bonne et due forme, enlevé, mais du tout-venant sans originalité, décevant quand on compare à l’enregistrement précédent. Crazy : l’amour rend fou, c’est connu, permettez-moi de ne pas partager cette folie collective, c’est agréable, ça vous caresse les oreilles dans le sens du poil, mais vous vous dites que c’est totalement inutile, vous faites une prière au grand esprit pour que la suite ne soit pas si fleur bleue. Davantage rouge ce serait beaucoup mieux. Loser :  si j’en crois le titre le Wanka Tanka m’a entendu, l’a mis du bon ordre, pas tout à fait comme je l’aurais voulu, le gars est parti… dans un groupe de rock, cela n’est pas pour me déplaire, oui quand le chat n’est pas là les souris dansent, elle ne l’a pas attendue, elle a changé de crèmerie, maintenant il regrette, il pleure, il crie, la guitare perce son cœur, franchement je ne peux rien faire pour lui, je suis content que le morceau soit terminé. Lady Blue : une introduction qui sonne Beatles, bref le gars pleurniche, file à la niche mon vieux, maintenant l’on se croirait chez Cat Stevens au coin du feu en compagnie de Lady d’Arbanville, je ne savais pas que les Indiens avaient traversé l’Atlantique et étaient venus visiter nos châteaux. Custer, au secours, reviens vite remettre de l’ordre ! We're Still Here :  je dois avoir un sacré ticket avec Wanka Tanka, l’a envoyé mille charriots bâchés dans les réserves, Winterhawk est un phénix qui renaît de ses cendres, il reprend son histoire là où il l’avait arrêtée, nous sommes encore là, entre temps la situation ne s’est pas améliorée, l’alcool coule à flot dans le gosier des guerriers avachis, le peuple rouge ne boit pas, il se suicide. Réveil brutal à la gueule de bois. Warrior's Road :  n’en a pas laissé tomber son acoustique pour autant, l’est vrai que le bruit et la fureur ne sont pas de mise, voici l’histoire des défaites amères, le sang a coulé, le courage n’a pas suffi, la route du guerrier est longue et triste, les bisons sont morts depuis longtemps, il ne reste plus qu’un goût amer dans la bouche… We Are The People : le même chant triste, et la même colère, la même fierté d’être le peuple qui n’a pas renié ses promesses qui a accueilli sans haine ceux qui venaient de loin, en butte aux persécutions religieuses dans leur pays, ils se sont installés et ont apporté la guerre, les guitares lancent du feu, mais le dieu d’amour et de vérité dont ils se vantaient tant, ils l’ont trahi. Le peuple rouge ne porte pas de paroles fallacieuses. I Will Remember : chant indien, tambour profonds, voix étranglée, chant tribal, maintenant la voix sussurante, la promesse sacrée, pour les femmes et les enfants, ceux qui ne sont plus et ceux qui viendront, celle de se battre pour le peuple rouge, le crier bien fort, rafales de guitares cinglantes. Je pense qu’à l’origine le disque devait, aurait dû, s’arrêter là. Rock And Roll Soldier : le morceau un peu tarte à la crème, pas mauvais en lui-même, un peu facile, vite entendu, vite oublié, pas plus mauvais que des dizaines d’autres mais pas meilleurs non plus. l’est vrai qu’il fait l’effet d’une mouche velue posée sur un nappé de chantilly. Indubitablement il existe un rapport avec Loser, mais il semble qu’après la révolte indienne, une seule solution, non ce n’est pas la révolution, ni la lutte armée, voici l’échappatoire, un bon vieux rock’n’roll et tous les problèmes sont résolus.

             Doit exister une différence ontologique entre les warriors même électriques et les chiens soldats… Dog Soldiers est le disque de trop. Trop éloigné du premier. Totalement décousu. La moitié des titres semblent hors-circuit. L’on a épuisé les fonds de tiroir. Une disparité dommageable. Une espèce de reniement…

             Nik Alexander, a continué son combat, les habitudes générationnelles changent, les jeunes sont moins attirées par l’alcool, se tournent vers les nouveaux produits… Dans Rock’n’roll soldier il clame la supériorité du pure rock ‘n’ roll sur le punk. Il rejoindra pourtant le mouvement Straight Edge issu du punk qui s’est démarqué du punk hardcore et refuse tous produits, tabac, alcool, drogues diverses… Le coup du balancier, tout mouvement appuyé suscite des réactions contraires. Nous entrons en sociologie, nous nous éloignons des indiens…

             La hache de guerre n’est pas encore déterrée…

    Damie Chad.