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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 11

  • CHRONIQUES DE POURPRE 668 : KR'TNT ! 668 : REDD KROSS / ROYAL TRUX / LAST GREAT DREAMERS / ISOLATION / UNDERGROUND YOUTH / TYVEK / BLUES MAGOO / CLAUSTRA / ONCE UPON THE END / GRISI SIKNIS / L'OEUVRE AU NOIR

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 668

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    05 / 12 / 2024 

     

    REDD KROSS / ROYAL TRUX

    LAST GREAT DREAMERS

    ISOLATION / UNDERGROUND YOUTH

    TYVEK / BLUES MAGOO

    CLAUSTRA / ONCE UPON THE END

    GRISI SIKNIS / L’ŒUVRE AU NOIR

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 668

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    A Kross the universe

     - Part Two

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             Une autobio de Redd Kross ? Exactement la même chose qu’avec un set parisien : c’est tout simplement inespéré. Il y en avait quelques exemplaires dédicacés au merch, l’autre soir, au Petit Bain, mais ils se sont envolés aussi sec. On l’a donc rapatrié par les voies habituelles, les fameuses voies impénétrables. Ce brave book s’appelle Now You’re One Of Us - The Incredible Story of Redd Kross. Il se présente sous la forme d’un dialogue croisé entre les deux frères McDonald, dialogue placé sous l’égide d’un certain Dan Epstein. Le book est donc très vivant. Epstein se contente de resituer le contexte au fil de la chronologie et d’apporter des compléments d’information. C’est donc un book extrêmement fluide, très agréable à lire, un peu dans l’esprit Oral History cher à Gildas (hello Gildas) et à Legs McNeil (hello Kill Me). Formule que reprennent d’ailleurs les frères Reid dans Never Understood, une autre fringante autobio qui vient de paraître et dont on va parler d’ici peu. Et même très peu.

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             Rien de tel que l’Oral History pour raconter une vie de rock. Sans doute s’agit-il de la formule la mieux adaptée à ce type de parcours qui n’est jamais de tout repos, et que toutes sortes d’incidents émaillent. Et ce n’est jamais mieux que raconté par les principaux intéressés. L’exemple le plus magistral reste bel et bien celui du Total Chaos d’Iggy Pop.

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             En racontant leur enfance en grande banlieue de Los Angeles, les frères McDo apportent un éclairage considérable sur la spécificité de la scène californienne, une scène qui va jouer un rôle aussi essentiel que celles de Londres, de Memphis, de Detroit, de New York et de la Nouvelle Orleans. Les frères McDo tirent tout leur power de leurs racines, d’autant plus qu’ils grandissent à Hawthorne, où est installée la famille Wilson. Les Beach Boys ? Oui mais il y a aussi les Beatles à la radio. Steven se souvient que leur maison était imprégnée de pop culture - a constant bath of music and pop culture - et le premier disk dont il se souvient est le Sgt Pepper’s qu’Uncle Kevin avait ramené du Japon en 1969. Il n’avait que deux ans, mais il s’en souvient très bien ! Il ajoute que «there was never a time that that record didn’t exist in my life.» Sgt Pepper’s est donc une constante, comme Tintin, chez les gens de 7 à 77 ans. Puis à 3 ans, en 1970, flash sur le White Album. Là, on se dit qu’il exagère un peu, mais bon, les Californiens sont comme ça, ils sont les plus forts du monde. Il a 3 ans et pour lui, le White Album est déjà mythologique. On a un peu du mal à le prendre au sérieux, aussi décide-t-on en comité restreint de faire un effort pour le prendre au sérieux. Mais le pire est à venir, par exemple avec la première guitare.

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             Comme son frère Jeff a quatre ans de plus, on le prend un tout petit peu plus au sérieux. Jeff a 7 ans quand il fait un échange avec sa babysitter : il lui donne deux singles de Creedence contre l’A Go-Go album des Supremes. Steven est encore plus balèze : il descend de sa poussette pour aller chez le disquaire local acheter le Killer d’Alice Cooper et le Get Yer Ya-Ya’s Out des Stones. Dire que les frères McDo sont précoces serait un grave euphémisme. Et dire qu’ils nous prennent un peu pour des billes, ce serait manquer de respect à la psychologie profonde des Californiens. Alors on décide de gober, c’est plus simple. Puis Jeff qui n’a pas encore atteint les 10 ans avoue une obsession pour Elton John, Cat Stevens et David Bowie. En général, à cet âge-là, on nourrit des obsessions pour les Carambars et les Malabars. Les deux frères ne perdent pas de temps et plongent tous les deux dans Lou Reed, Mott et tous ces machins-là. Jeff se souvient d’avoir acheté Hunky Dory à une vendeuse qui ne cachait pas son dégoût pour la pochette. À cet âge-là, nous autres franchouillards jouions encore au train électrique.

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             Si les frères McDo avaient situé tout ça à l’adolescence, on les aurait pris au sérieux. C’est à l’adolescence que se forment les goûts musicaux. Mais on est en Californie, et ces gars-là sont nettement plus intelligents que tous les autres kids du monde. Jeff a dix ans quand les deux frères flashent sur les New York Dolls et Suzi Quatro. Puis ils arrachent à leurs parents l’autorisation d’aller voir des groupes sur scène : allez hop !, Rod Stewart & The Faces, Aerosmith en première partie de ZiZi Top, et flash définitif sur KISS, avec Cheap trick en première partie. Ils se jettent à corps perdu dans KISS, ils font ce que font tous les kids d’alors, ils se maquillent. Puis ils tirent à boulets rouges sur Frampton Comes Alive que tout le monde devait avoir à l’époque - Oh man - fuck this record - Ils retrouvent leurs esprits avec Patti Smith et boom, les Runaways, des locales ! Et des locales qui s’adressent aux kids de 12 ans, et c’est là que Jeff décide de monter un groupe. Ça devient même une urgence.

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             Steven a 10 ans quand ses parents lui payent une Fender Musicmaster et un «little Peavey 115 combo», and that was it.» Jeff récupère une Les Paul copy and a Peavey Backstage 30 amplifier. Et ils se mettent tous les deux à jouer sur les albums des Ramones et des Runaways. Car oui, ils viennent de flasher en plus du reste sur les Ramones - it was just like hearing the Beatles again - Fin 1977, ils sont fiers de posséder les trois albums des Ramones.

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             Ils peaufinent leur éducation en écoutant le radio show de Rodney Bigenheimer - Rodney is one of the most important figures in LA music - Jeff dit que son radio show, c’est l’université du rock - Il m’a appris l’importance de Brian Wilson et la connection entre Phil Spector et le punk rock - Steven ajoute que Rodney a établi la connexion entre les Ronettes, Blondie et Anette Funicello. Il indique d’ailleurs que «The Monkey’s Uncle» d’Anette Funicello (qu’elle chante accompagnée par les Beach Boys qui ont grandi just a mile down the street from us) les reliait plus que tout le reste au son qui les intéressait. Et Jeff ajoute qu’il allait chez Rhino acheter les punk singles que Rodney passait dans son show. D’où l’immense qualité des roots. Rhino, Rodney ! N’oublions pas que Kim Fowley surnommait son ami Rodney Bigenheimer The Mayor of Sunset Strip.

             Et pouf, c’est parti les kikis ! Les frères McDo commencent par enregistrer une cover de l’«Out Of Focus» de Blue Cheer. Rick Rubin l’entend, flashe dessus et pense que c’est un cut à eux. Ils sont tellement saturés de culture rock qu’ils décideront de donner une leçon d’histoire du rock - Yeah, let’s do a Pin Ups! - Ce sera leur Teen Babes In Mosanto, ils ramèneront Bowie et les Stooges que tout le monde a oublié en pleine ère punk à Los Angeles.

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             Ils commencent par s’appeler The Tourists, une référence to the Beach culture. Si t’es pas un surfer, alors t’es un touriste. Steven a 11 ans. Jeff vend ça comme un argument pour recruter. Il fait son Kim Fowley. Ils trouvent un batteur qui a 13 ans. On commence de bonne heure en Californie. Ils apprennent à jouer quelques cuts des Beatles («I Wanna Hold Your Hand» en mode fast punk) et des New York Dolls («Who Are The Mystery Girls?»). Maintenant, faut décrocher des shows. Ils répètent chez les early Black Flag. En 1979, ils se baptisent Red Cross et ça devient vite symbolique en concert, Red Cross and Black Flag ! Ils s’émancipent de Black Flag et se situent plus dans ce que Steven appelle le «Paisley Underground Adjacent». Puis la Croix Rouge va leur demander de changer de nom, alors ce sera Redd Kross.

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             Ils enregistrent au studio Shelter qu’avait construit Leon Russell dans un entrepôt sur Sunset Boulevard. Steven rappelle que Dwight Twilley y avait enregistré quelques années auparavant. À l’époque, ils veulent taper des covers de Mountain et Grand Funk. Ils répètent mais ça ne marche pas. Ils tentent aussi des covers de Todd Rundgren et de Traffic, mais pareil, chou blanc. Alors ils reviennent à leurs première amours, Bowie, Stooges, Stones, Shangri-Las et KISS. On retrouve tout ça sur Teen Babes From Mosanto, paru en 1984. Ils vont continuer d’évoluer au fil des recrutements. Quand Roy McDonald se joint aux frères McDo, il a un pied dans le Magic Bus des Who, alors que les deux frères sont encore un plein dans les Runaways, et Robert Hecker était alors fasciné par George Harrison. Ça reste un beau mélange. Mais ils ont tous un sacré point commun : ils sont tous fans des Beatles - Big Beatles fanatics - Ils trouvent un studio de répète à Berverly Hills, chez Dave Naz, un endroit où répètent aussi les Pandoras et L7. Bienvenue dans la cour des grandes !

             Puis Roy McDonald va quitter le groupe et partir s’installer au Texas. Il réapparaîtra dans les années 90 en battant le beurre pour les Muffs. Quand les frères McDo cherchent un producteur, le nom de Rick Rubin est évoqué, mais apparemment, «Rick Rubin doesn’t dig you guys», alors Steven lâche : «Well, you know, fuck that dude.» Puis le groupe va débarquer pour la première fois en Europe, et jouer en première partie du Teenage Fanclub qui vient de sortir l’explosif Bandwagonesque. Jeff a raison de dire «we were vey like-minded bands». Eh oui, c’est à la fois la même énergie et la même qualité.

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             Les frères McDo tentent désespérément de percer, mais ils ne perceront jamais. Les Fannies sont sur DGC, pas Redd Kross. Les Fannies jouent en première partie de Nirvana. Pas Redd Kross. Urge Overkill atterrit sur la BO de Pulp Fiction. Pas Redd Kross. Ils vont louper toutes les occasions d’échapper aux ténèbres de l’underground. La poisse toujours : Phaseshifter sort deux semaines après In Utero, et donc l’excellent Phaseshifter passe à la trappe, même si Steven pense que son album «was better than theirs». And still do, il le pense encore aujourd’hui. Mais le problème est qu’à cette époque ils ne sont plus considérés comme des «cool kids». Eh oui, ils ont grandi. Steven ajoute que Kurt et lui avaient  le même âge en 1994, simplement Kurt n’avait que 6 ans de métier alors que lui, Steven, en avait 15. Il adore rappeler qu’il a démarré à 11 ans. Et puis Kurt ne veut pas de Redd Kross en tournée parce qu’il pense que Third Eye est un album raté, mais surtout parce que Courtney Love est fâchée après les frères McDo qui, dit-elle, se sont moqués d’elle parce qu’elle était grosse. On sent de l’amertume dans les propos de Steven.

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             En Angleterre, Andrew Lauder s’intéresse à Redd Kross et les signe sur son label This Way Up. C’est d’ailleurs sur This Way Up qu’est sorti le premier album des Tindersticks. Bien sûr, le groupe va rester en berne pendant de longues périodes. Jeff élève sa fille et Steven auditionne pour des groupes comme Weezer et Zwan, le groupe de Billy Corgan. Mais ça ne marche pas. Puis ils apparaissent dans le très beau film consacré à Carole King, Grace Of My Heart. Ils sont les Riptides dans le film. Matt Dillon y joue une sorte de Brian Wilson. Puis ils recrutent Jason Shapiro, le guitariste des LA glam weirdos Celebrity Skin. C’est lui qu’on a vu sur scène au petit Bain - He’s kind of like our Ariel Bender - Toujours l’art des références.

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             Celebrity Skin ? Oui Good Clean Fun traîne quelque part dans l’étagère, un vieux Triple X du siècle dernier. Album très power pop. Mais aussi décadent, grâce à Gary Jacoby, un  batteur devenu chanteur. Allez on va dire trois bons cuts, à commencer par «Helio», riffé avec une belle férocité. C’est du glam de Los Angeles. Glam toujours avec «Poisona» et Jacoby entre dans le clan des grands chanteurs décadents. Big sound encore avec le petit glam punk perverti de «Rat Fink». Mais le reste de l’album n’est pas très bon. Les compos ne sont pas venues au rendez-vous. T’as même des cuts qui flirtent avec MTV. Leur glam californien est trop californien. Pas crédible. Ils se prennent pour les early Sparks des frères Mankey avec «Dog Race», mais ce n’est pas au niveau de «Fletcher Honorama». Ils n’ont pas le compos, ce qui justifie leur présence aux oubliettes.

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             Et puis les frères McDo évoquent bien sûr l’épisode Ze Malibu Kids en 2001, avec Charlotte Caffey, Anna Waronker and young Astrid McDonald. L’album s’appelle Sound It Out. Pour tout fan de Redd Kross, c’est un passage obligé, ne serait-ce que pour ce «Your Bed» claqué au heavy beat rédhibitoire et d’une grande violence poppy. Un peu plus loin éclate «Outer Circle» qu’on peut qualifier de belle dégelée concomitante. Ces deux frangins disposent des meilleures capacités d’envol. Un solo d’une rare profondeur traverse «I Won’t Forget You» et ils font une magistrale reprise du «You’re So Vain» de Carly Simon. Nouveau coup de tonnerre avec «Fiona Apple». Ils ramènent un swagger inespéré et déboulent à perdre haleine. Ils terminent avec un big bit of McDo Sound, «Vacsination» - I’d like to make myself presentable to you - atrocement génial, check it out ! C’est balayé par tous les vents mauvais.

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             Autre projet parallèle : The Steven McDonald Group avec un EP quatre titres intitulé This Is Not A Rebellion This Is A Mass Awakening et paru en 2002. Dès l’«Awake» d’ouverture de bal, on est propulsé pour le pire du meilleur dans une power pop saturée de reverb et explosée aux harmonies vocales de kids surexcités. Franchement digne des Nerves. «Strange Arrangement» vaut tous les hits de power pop. On se croirait chez Mott avec une voix plus seyante. McDo does it right. Ces mecs ont tout ce qu’un groupe peut désirer. Ils font de l’Oasis avant la lettre avec «Something To Love», heavy et noyé de son. Ils font de l’Oasis sans même s’en rendre compte. C’est là sur ce mini-album que se trouve l’une des reprises les plus mythiques qui soit : celle du «Motorboat» de Kim Fowley. McDo Sound ! Ça joue jusqu’à l’oss de l’ass, avec du let’s go à la clé, des filles frelatées derrière et un drive de basse qui ferait bander Kim Fowley.

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             Fantastique album que ce Jeff McDonald solo sorti par Bang au pays basque. On entre dans la gueule de Moloch dès «To You», ce slow burning joué à l’ultra-reverb de non-retour. Puis ça rue dans les brancards avec «Follow The Leader». Jeff joue ça au petit coulé de «So You Wanna Be A Rock’n’Roll Star», dans la veine du groove psyché bien intentionné avec une fantastique ré-interprétation de ce son qui fit jadis la grandeur des Byrds. On voit la ligne de basse courir comme le furet à la fin du cut. Beau spectacle ! Encore du slow burning bardé de son avec «Streets Of Shame», un cut dévoré de l’intérieur par un bassmatic lobotomisé. Avec «Sandstone Engine,» Jeff va plus sur le dylanesque, avec un petit harmo in tow. Il serait bien du genre à bouffer à tous les râteliers. En B, «Getting Back To You» pourrait très bien se trouver sur Revolver. Il boucle sa petite affaire avec «Third World Hustler», un glam de belle allure, en hommage à Marc Bolan.

             Comme chacun sait, Steven va rejoindre les Melvins. Dale Crover et lui jouent dans les deux groupes, Steven joue de la basse pour Buzz et Dale bat le beurre pour Redd Kross.

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             Les frères McDo évoquent d’autres légendes locales, comme les Bags d’Alice Bag et Patricia Morrison, qui ne s’entendent plus très bien. Il faut aussi noter que Rob Ritter et Terry Graham en étaient la section rythmique, avant de devenir celle du Gun Club. Steven dit aussi que The Germs étaient alors son groupe préféré - The most dangerous, the most extreme band on the scene - Ils sont à peine plus vieux qu’eux - To 12-years-old me, Darby Crash was like Keith Richards meets Sid Vicious - Steven se souvient d’avoir joué en première partie des Germs au Hong-Kong Café, bel objet de fierté. Les deux frères sont aussi des gros fans du Beyond The Valley Of The Dolls de Russ Meyer. Such a great rock film. Et puis bien sûr John Waters.

             Jacques Chancel : «Et Kim Fowley dans tout ça ?». Comme Redd Kross joue le «Neon Angels On The Road To Ruin» des Runaways sur scène, Kim passe un coup de fil chez leurs parents. Pour leur dire qu’il a trois autre cuts pour eux, but better - he was so funny, but so crazy - Ils se marrent bien tous les trois. Kim leur propose aussi un rock opéra. Il leur envoie le manuscrit.  Ça s’appelle Roommates. Mais les frères McDo trouvent ça mauvais. Alors ils laissent tomber, et Kim rappelle pour réclamer son manuscrit, mais il est perdu. Jeff a retrouvé l’enveloppe, mais pas le texte. L’épisode est d’une insondable tristesse. Quelle occasion manquée !

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    ( Greg Shaw )

             Petite évocation aussi du fameux garage revival des années 80, avec tous ces groupes californiens, The Unclaimed, Thee Fourgiven, The Pandoras et bien sûr les fameux Tale-Tell Hearts de Mike Stax. L’épicentre de cette scène est le Cavern Club de Greg Shaw. Les Rolling Stones sont les dieux locaux, surtout Brian Jones - But nothing after 1966 - C’est au Cavern Club que s’établit la connexion avec Sky Saxon, l’une de leurs idoles, et qui va déboucher sur l’enregistrement de Sky Saxon Blues Band, «the worst record ever made», dit Dan Epstein. Sky avait vécu des années à Hawaï avec une secte spirituelle, the Source Family, et il avait une centaine de chiens. C’est là qu’il est devenu Sky Sunlight Saxon. Puis il est rentré à Los Angeles - He was just this bizarre, eccentric hippie dude - Les frères McDo se retrouvent sur scène avec lui, en tant que backing-band for the Sky Saxon Purple Electricity live album, que Jeff qualifie de worst album ever made. Les frères McDo commencent par jammer sur le «Dazed And Confused» de Led Zep, puis ils enchaînent avec des vieux hits des Seeds. Sky chante en tournant le dos au public et n’entre pas au bon moment dans les cuts. Après ça, ils n’ont plus de cuts, alors ils attaquent le «Cherry Bomb» des Runaways, et Sky improvise des paroles. Plus tard, Greg Shaw va les remettre ensemble en studio avec Sky, mais les bandes ont disparu. Steven se souvient de Sky qui demande à Jeff de jouer plus comme Robbie Krieger, but that’s not what we were doing.  

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             On retrouve les frères McDo dans Tater Totz, et notamment sur l’album Alien Sleestacks From Brazil (Unfinished Music Vol 3) paru en 1988, un album de «gleefully warped covers». Dan Epstein profite de l’occasion pour annoncer que la collaboration de Redd Kross avec Tater Totz a renforcé leur réputation de «weirdo visionaries.» C’est bien pour ça qu’on l’écoute.

             Alien Sleestacks From Brazil (Unfinished Music Vol 3) est en effet un album de covers complètement azimutées, à commencer par «Give Peace A Chance» et «Tomorrow Never Knows» qui hantent le balda comme deux créatures psychédéliques du meilleur effet. Avec Tomorrow, le clin d’œil aux early Beatles est bien senti et bienvenu. Ils terminent leur balda dans un gros délire bruitiste qui n’est pas sans rappeler le fameux «Revolution # 9», celui qui fit tant jaser jadis, à Clochemerle. Mais attention, le pot aux roses se planque en B : «Don’t Worry Koyko», un seul cut supposément saucissonné en 5 parties, mais tout est enchaîné pour donner seul cut de folie pure à la McDo, avec de violents riffs de slide, et Jeff McDo fait sa Yoko en la singeant, c’est extrêmement wild, complètement underground, strident et moderne à la fois, du pur McDo ! Toute la face est drivée dans la Méricourt d’une simili-Yoko Ono, Steven bat le beurre. Ils ramènent sur le tard les screams de «Cold Turkey» alors ça prend tout son sens. On recommande chaudement l’expérience.

    Signé : Cazengler, Red Krasse

    Jeff & Steven McDonald. Now You’re One Of Us. The Incredible Story of Redd Kross. Omnibus Press 2024

    Tater Totz. Alien Sleestacks From Brazil (Unfinished Music Vol 3). Giant Records 1988 

    Celebrity Skin. Good Clean Fun. Triple X Records 1991

    Ze Malibu Kids. Sound It Out. Houston Party Records 2001

    The Steven McDonald Group. This Is Not A Rebellion. This Is A Mass Awakening. Five Foot Two Records 2002

    Jeff McDonald. Jeff McDonald. Bang Records 2016

     

     

    Wizards & True Stars

     - Mon Trux en plume

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             Avec Blaine Cartwright et Ruyter Suys, Neil Hagerty et Jennifer Herrema font partie des couples les plus trash de la planète rock. Leur trux, assurent-ils, est ce qu’ils appellent le psycho complicated, l’une des séquelles d’un sex drugs and rock’n’roll way of life parfaitement assumé. Andrew Perry leur accorde six pages dans Mojo et c’est bien le moins qu’il puisse faire. Ils viennent de se rabibocher après 18 ans de séparation pour enregistrer un nouvel album. Rabibocher est un bien grand mot. En fait, ils ne peuvent plus se supporter. Le chaos reste leur fonds de commerce. Depuis le début de leur histoire, ils mettent un point d’honneur à s’auto-saboter, c’est-à-dire enregistrer des disques savamment anti-commerciaux - out-there albums in unmarketable sleeves.

             Ils se sont rencontrés ados. Comme ils sortaient tous les deux de milieux alcoolo, ils buvaient comme des trous. À 12 ans, Neil Hagerty teste l’héro. Son père est un militaire basé en Europe et il raconte qu’à Bruxelles, dans un concert, il fumait du hash mélangé à de l’opium, like Black Sabbath used to smoke. Installé ensuite à New York, Neil Hagerty rejoint Pussy Galore. Jon Spencer ne tarit pas d’éloges sur lui : «Neil was very creative, as a guitarist. Wild. Fearless. A real force.» Et puis un jour de 1987, pendant l’enregistrement de Right Now, Neil annonce qu’il ne s’appelle plus Hagerty mais Royal Trux. Il commençait à enregistrer des home recordings avec Jennifer Herrema et petit à petit, Royal Trux morphed into the band.

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             Malgré sa belle pochette art déco hollywoodien, le premier album Royal Trux paru en 1988 laisse quelque peu indifférent. Dès «Bad Blood», ça vire expérimental, dans l’esprit d’une dérive des incontinents. Neil tape dans sa drug-culture et derrière, l’autre folle fait des siennes. Ils se fendent d’un «Hashish» insupportable. L’underground a bon dos. Ça relèverait presque du déconstructivisme de Lodz, ou si vous préférez, d’un Kurt Weil de bas étage. Ils attaquent une B sursitaire avec «Esso Dame», un heavy gloom de mélasse acariâtre, atroce et possédé, une sorte de rock urticant, une saloperie qui démange, c’est tellement trashy que ça frise le Magic Banditisme. Regain d’intérêt avec «Sice I Bones», bien gratté aux accords sales et tambouriné de frais. Quelle soupe ! On peut la qualifier d’étrange. Elle révèle un certain état d’esprit. On pourrait qualifier ça de cacadou de Cabaret Voltaire. S’ensuivent des cuts aux fonctions motrices très altérées et dans «The Set Up», Neil tape l’expé. Alors d’accord. On ressort de ce disque à quatre pattes, mais pour de mauvaises raisons. Neil adore berner Bernard. Et prendre les cats de Caen pour des cons. Il part en expé jusqu’au bout de la nuit avec «Hawk’n Aroud». Personne ne peut aller au bout d’un disk aussi mal embouché. Mais parfois, il faut aussi savoir faire l’effort, pour savoir jusqu’où vont les gens. Plus d’un pauvre kid a acheté ce disk sur la foi de la légende, et pour l’écouter, il n’existe que deux solutions : soit la dope, soit l’alcool. Nombreux sont ceux qui se firent rouler la gueule avec les Mothers, les Godz ou encore les Holy Modal Rounders et qui eurent recours aux expédients. Tous ces groupes «arty» cultivent un mépris définitif du kid de base. Dommage.

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             Twin Infinitives paraît quatre ans plus tard. Neil s’installe dans le trash, et c’est là qu’il nous intéresse. Il joue en effet «Lick My Boots» au clair de caca blues. Il se pourrait fort bien que Neil ait décidé de se foutre de notre gueule, et cette conne de Jennifer chante atrocement faux. S’ensuit un «Glitterbest» explosé de son et chanté à deux voix de gens qui vont mal. C’est chargé de tout le désespoir du monde et franchement digne du Velvet. La fin de cet album mal fagoté continue d’effarer avec «Funky Son» qu’on pourrait qualifier de délire de fracasse, de dérive foncière, d’indescriptible chaos sonique de connaissance par les gouffres, c’est admirable, oui, car ça pianote dans le void, on a là une vision druggy du monde mauve, c’est orchestré à l’excès et fabuleusement démantelé, vraiment digne de Michaux, oh Henri, retiens-moi, je tombe ! On reste dans l’expé avec «Rat Creeps», amené au son d’un monde inversé, Neil l’explore, c’est magnifique, étoilé, spécifique, et il termine cet album mi-figue mi-raisin avec «New York Avenue Bridge», un malheureux cut de boogie joué au piano bastringue de Brooklyn. Neil et l’autre folle s’en prennent directement au monde bien-pensant. Par contre, tout le début de l’album relève du caca sonique. Ils jouent la bande son d’un docu : un white trash rentre chez lui bourré et va chier. On a tout, le bruit et l’odeur. Neil riffe ses limbes dans l’ombilic. Bob Hughes dit que «Twin Infinitives appeared to be a slewed attempt to reconcile VU with Grateful Dead.» Tu parles Charles !  

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             Paru la même année, Untitled s’appelle aussi l’album aux squelettes. Alors là, attention, Neil passe aux choses sérieuses : c’est un album qu’il faut bien qualifier de classique. On savait l’ami Neil féru de trash. On le découvre féru de Stonesy avec «Move». Il sort là un coup de Stonesy new-yorkaise raw to the bone, junkée jusqu’à l’os. Sa Stonesy maladive et tuberculeuse emporte tous les suffrages, ça coule comme du sang neuf dans l’histoire du rock, c’est claqué aux ongles noirs, ça sent la bite pas lavée, les oreilles sales et tout ce qui fait le charme du trash. Et ça continue avec «Hallucination», vraie dégelée de trash-punk new-yorkais atrocement mal chantée par cette casserole de Jennifer, ah c’est un festin de roi, ils craquent des passes infernales, elle chante si faux qu’on en claquerait bien des dents, c’est un spectacle unique au monde, d’une rare insanité. Et ce n’est pas fini, car voilà «Junkie Nurse», balladif gratté à l’acou, mais Neil est un virtuose épouvantable, il faut l’entendre virevolter dans ses trapèzes de notes de tiguili-tiguili, il rivalise avec Davey Graham, il va chercher des foisons surnaturelles. Il fait encore des ravages dans «Sometimes» avec un riffing de belle eau. Il se dégage vraiment du lot des guitaristes de rock. Neil Hagerty est un riff-master. Il revient au balladif entreprenant avec «Lightning Boxer», et envoie des petites giclées de spermatic spatial. Neil est un guitariste libre, la défonce permet ça, demandez à Henri Michaux ce qu’il en pense. Neil se chante dessus, il reprend sa voix, your beautiful skin/ your beautiful spine et en jouant dans le studio, il crée un monde qui lui ressemble. Quel personnage fascinant ! Son art sent bon la défonce. Avec «Blood Flowers», il envoie sa sauce coller au plafond, mais de toute façon, c’est toujours au plafond, avec lui. Il termine cet album somptueux avec «Sun On The Run» - One two, three ! - Ce sacré Neil ne débande pas. Il défonce même la rondelle des annales, il pique une fabuleuse crise de colère psyché, il barde son son et joue jusqu’à l’os à moelle, I’m sun on, il part en mode power et même double power - On top ! On sun ! - Il joue à la décarcasserie explosive et définitive. 

             Les Trux ont un principe : chaque album est basé sur un concept. Par exemple, ils décident d’enregistrer Cats And Dogs «as a band for the first time.»   

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             On voit des missiles sur la pochette de Cats And Dogs. On est ravi de retrouver la casserole dans «The Flag». Elle chante si mal qu’elle parvient à ses fins. Ça marche, alors on se dit qu’il y a un trux. Kurt Cobain a cité «The Flag» as this track of the year in NME. Neil navigue à vue dans «Skywood Greenback Mantra». Il joue ça au bottleneck flageolant, évidemment. Sa came fleure bon la Stonesy, il sait jiver en eaux troubles. Il attaque sa B avec «Up The Sleeve», un heavy mood de murge, l’une de ses spécialités. On pourrait aussi appeler ça la petite purée fumante du diable. Il reste dans le heavy move de mad mud avec «Hot And Cold Skulls». Il va chercher son son dans le mou de veau et achève ça au coup du lapin. Belle leçon de dégelée sonique. «Tight Pants» sent le labo de fortune, mal éclairé et sale. Ces deux-là s’emploient à se perdre et ils y parviennent avec une étonnante facilité. Ils produisent de la drug-music à l’état le plus pur, ce qui finit par impressionner. 

             En tournée, Hagerty écoute Steely Dan et Skip Spence. Les Trux jouent avec Mudhoney et Sonic Youth. C’est la scène indie de l’époque. Quand Virgin leur propose de jouer en showcase à Los Angeles, Hargerty dit okay et arrive avec des gens qui n’ont encore jamais joué ensemble- It was super surreal, just ridiculous - Virgin les voit comme the next Guns N’ Roses. Ça  fait bien marrer les Trux. Peut-être qu’on peut transformer Herrema en Axl Rose ? Ils posent leurs conditions et s’installent à Memphis pour enregistrer Thank You.

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             On considère Thank You comme l’album du break-out. Et pourtant ça commence mal, car la casserole chante si mal dans «A Night To Remember» qu’ils doivent s’y mettre à deux. Ils font ce qu’on pourrait appeler du rentre-dedans de trash system. Neil produit un fabuleux drive de vieille pulsion, puis il passe un solo dément et croise le fer avec l’infernal bassman Dan Brown. Précision capitale : Dan Brown vient du ‘68 Comeback de Monsieur Jeffrey Evans. Le trash alcoolo-druggy refait surface dans «The Sewers Of Mars», mené au drive incertain. Derrière, le beat pulse comme pas deux. Dan Brown chique du shake de choc. Neil adore de format heavy rock pas bien sûr de sa trajectoire. Ça vire heavyness de gras double, dans l’absolue altérité d’un trash liquide de gélatine rampante, chanté bien sûr à la traînarderie comateuse - The Trux dirty DNA and trademark eccentricity - Avec «Map Of The City», ils passent au groove déviant, comme s’ils rajoutaient une corde à leur arc. En fait, Neil est un homme qui pose ses conditions. Il faut dire que la présence d’un monster comme Dan Brown lui facilite les choses. C’est joué au vacillant maximaliste. C’est Dan Brown qui ultra-joue le groove underground de «Granny Grunt». Et en B, la Stonesy revient au grand galop dans «Fear Strikes Out». Voilà le son dont ont rêvé les Stones toute leur vie. Neil et ses amis jouent comme des dignitaires, Dan Brown roule sa basse, c’est plein de vie. S’ensuit un «(Have You Met) Horror James» riffé de frais. Neil double sur la voix de la casserole, c’est à la fois magnifique et inspiré, mélodique en diable. Il faut bien se faire à l’idée que Neil Hagerty figure parmi les surdoués su rock. Avant de tirer sa révérence, il lâche encore un petit coup de groove délinquant avec «You’re Gonna Lose». Et si vous retournez la pochette, vous verrez Neil et la casserole traverser le hall d’un aéroport. Quelle image !

             On demande aux Trux de jouer en première partie des Stones à Paris. Hagerty dit non. Dan Brown : «He gave us this kind of occult supernatural reason.» Un truc du genre : «Any band that opens for the Stones gets annihilated.» Il cite des exemples, Guns N’ Roses, Living Colour. Virgin n’en revenait pas.

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             La pochette de Sweet Sixteen bat absolument tous les records de dégueulasserie. On y voit un chiotte bouché, mais on ne dira pas avec quoi. Allez voir. L’album vaut le détour, ne serait-ce que pour «Roswell Seeds & Stems» : Neil s’y prend pour Mungo Jerry, il sabre ses chorus comme un dieu. Les merveilles pullulent sur cet album, à commencer par «I’m Looking Through You», joué à la mélasse impérieuse. Ça vire heavyness stratosphérique, une embolie digne de Démosthène, tas de purée sans queue ni tête, comme dans La Grande Bouffe, il fait son Céline de petite vertu, il dégobille son fleuve de trash - Groove, brass, proggish detours, Ornette Coleman-inspired harmolodics ans heaps of guitar solos - On retrouve bien sûr l’excellent Dan Brown à la basse et par chance, il est mixé devant. «Don’t Try Too Hard» sonne donc aventureux. Neil wahte son «Morphic President» dans l’écho du temps et passe en mode heavy alors que Dan laboure le chant de Millet. Ils bricolent un lointain technique assez éblouissant. On commence alors à réaliser que Dan Brown prend une importance considérable dans le phénomène Royal Trux. Il mène carrément la bal dans «Cold Joint». Il joue la carte kill kill kill, et comme c’est mixé devant, c’est Browny jusqu’à l’oss. Neil maintient son cap heavy avec «Golden Rules». Il produit une fabuleuse mélasse enjouée dans laquelle vient patauger Dan et les deux dingues croisent le fer, c’est encore pire que les collisions de McCarty et Tim Bogert dans l’early Cactus. Quel numéro de cirque ! Ils tombent dans le De Profundis avec «You’ll Be Staying Room 323», mais un De Profundis travaillé dans l’oignon. Dan ramone la jachère, il file en roue libre, voilà un son capable de timbrer un passeport, enfin, le son fait comme il veut, c’est un grand garçon. Neil amène «Can’t Have It Both Ways» au vieux riff de guitare claire et une fois de plus, ça vire purée indicible. On a là une course poursuite entre un virtuose de la trash-guitar et un bassman dédouané. Cette cavalcade se poursuit dans «10 Days 12 Nights» et «Microwave Mode». Quelle densité dans l’expressivité ! Avec le morceau titre, ils tapent le gros rock de Trux. Neil ne lâche rien, surtout pas la rampe. On a là une nouvelle giclée de purée suprême. Neil sonne comme Gou, le dieu de la guerre et du trash travaillé. Dan Brown : «It’s an almost abusively psychedelic album.»   

             Mais les gens de Virgin sont tellement écœurés par l’album qu’ils filent 300 000 $ aux deux Trux pour qu’ils dégagent - To just go away. Ils rentrent chez eux en Virginie et filent Accelerator à Drag City. 

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             Encore une belle pochette pour Accelerator paru en 1998 : le diable pilote un bolide. Le cut qui croche sur cet album plus mainstream s’appelle «Stevie». Neil clôt l’album avec ce balladif de rêve trashy, bien délayé aux nappes sales. Ce mec est un spécialiste du walk on the wild side, ne l’oublions pas. C’est un parfait gentleman de la désaille, et même un pur génie. Il accompagne son cut vers la sortie avec un jeu de gammes divinatoires. Il utilise une fois encore cette prodigieuse facilité à créer l’événement. Les autres cuts de l’album restent dans le Trux Sound System classique : épais, confus, voix de la casserole dans «Yellow Kid», gratin brûlé de guitares dauphinoises, en un mot comme en cent, un joyeux bordel. «The Banana Question» tarabuste. Ça se finit en noyade d’orgue de jazz dingo, et bien sûr, la casserole vient foutre le souk dans la médina. Ils font une tentative d’OPA sur la rap avec «Juicy Juicy Juce» mais ça vire quincaille noisy à deux balles. Ils réinstallent la B sur orbite avec «Liar» et renouent avec le rampant dans «New Bones», encore un cut heavy et malsain, gorgé de son, tellement pertinent qu’il perce les murailles, comme dirait notre cher Marcel Aymé. La casserole chante si mal qu’elle évoque une sorte de Tom Waits avec de la morve au nez. Retournez la pochette, et vous verrez Neil et la casserole au pieu. Magnifique image !

             Sur scène, ils se comportent comme s’ils étaient en répète. Herrema dit qu’elle ne veut pas chanter ça, alors Hagerty dit OK. Puis il démarre quand même le cut pour l’emmerder - Just crazy bullshit - Alors elle commence à se dire que si elle ne quitte pas le groupe vite fait, elle va finir par lui casser les dents.

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             Pochette en peau de serpent pour Veterans Of Disorder, et au dos, gros plan sur le couple, avec un Neil qui louche et qui porte un pansement sur le pif. Dommage que l’album ne soit pas au niveau de la pochette. «Second Skin» sonne comme l’un de ces rocks racés et nerveux dont ils sont parfois capables. Cette fois, ils jouent à trois avec un batteur. Ce qui explique peut-être la faiblesse du son. On retrouve un vieux relent de Stonesy dans «The Exception» et un grand vent de liberté souffle sur «Lunch Money». Neil fait comme bon lui plait. «I Yo Se» sonne très exotique, c’est même presque joyeux. Ils font n’importe quoi, et pas n’importe quoi en même temps, alors ça devient confusément intéressant. En B, ils nous transportent à Marrakech avec «Coming Out Party», une sorte de vieux groove de Père Fouettard. Ah comme elle chante mal ! Le pire, c’est que ça passe comme une lettre à la poste. Et puis on tombe sur le cut de rêve : «Blue Is The Frequency» : du big Hagerty. Il sort le grand jeu, il ne se gêne pas, la voilà inventif, dévorant, très mur, jazzeux et passionnel. Le cut vire jazz-fusion, mais avec énormément d’allure.

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             Pochette brodée pour Pound For Pound paru en l’an 2000. On y trouve un énorme coup de bassmatic intitulé «Small Thief». Ce dingue de Dan Brown joue derrière Neil et ça tourne au duo de virtuoses sur fond de funk de good time music. On entend rarement quelqu’un bassliner aussi bien dans un lagon. Autre énormité : «Platinum Tips», une fois encore ultra-ramoné par ce démon de Dan Brown, ça bouine dans le ring, quelle maturité de punch ! C’est complètement échappé du bois, Bob ! Dan Brown fait son relentless. «Call Out The Lions» renoue avec l’heavy rock cher à Neil. C’est du cannonball rock très mal intentionné. Fait pas bon traîner dans les parages. Dan Brown fait des ravages. Si on cherche du solide, c’est là et nulle part ailleurs. Dan Brown fait encore plus de ravages dans «Accelerator». Il est l’un des bassliners les plus évangéliques de la chrétienté, il pourrait jouer les yeux crevés, à l’image des moines d’Andrei Roublev, et continuer d’avancer dans la toundra pour porter la bonne parole du Trux. On a aussi un heavy groove malade de sept minutes qui s’appelle «Deep Country Sorcerer». La casserole chante avec Neil. On a là le Surabaya Johnny des temps modernes, mais démoli au subitox. Ces gens-là cultivent l’anti-conformisme comme d’autres les betteraves. Neil Hagerty est un guitariste capable de décrocher la lune. Encore une belle drug-song en B avec «Blind Navigator». Ce pauvre Neil cherche à inventer un genre nouveau : l’heavy blues trash et ça plaît énormément à la casserole. Celui qui trouvera de l’intérêt à ce genre d’expé aura gagné la médaille du mérite. Neil crée des mondes, c’est une évidence.

             En 2000, Royal Trux s’installe dans les bois de Virginie, au pied des Blue Ridge Mountains, loin de tout. Ils travaillent en permanence - like Can, in a state of constant creation - et envoient un album tous les six mois à leur nouveau label. Ils peaufinent leur image d’alt rock wacko recluses par excellence. Mais Jennifer Herrema finit par craquer, elle veut quitter la cabane et elle replonge dans la dope. Comme ils sont mariés, et qu’aux États-Unis un mari a tous les droits, Neil Hagerty la fait interner. Elle lui fout sa main dans la gueule. De toute façon elle savait que ça allait se terminer : «Neil always wanted kids an I always didn’t want kids.»

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             On ne trouvera rien de très copieux sur Hand Of Glory paru deux ans plus tard. Le Trux s’essouffle. Ils démarrent avec une jam informelle de 19 minutes réservée aux aficionados qui ont bon dos. Ils cherchent encore des noises à la noise et Neil nous embarque avec «Electric Boxing Show» dans une sorte de dérive débilitante sans consistance. On trouve plus loin un «Golden Heart» peu déterminé à vaincre. On crève d’ennui. Par dieu, pilgrim, fuis ce disque comme la peste ! Neil se prend pour Ornette Coleman, mais le Coleman de la super-glu, il va chercher de l’osmose dans sa boîte à camembert, et à ce stade, c’est un délit. 

             Ils sont maintenant divorcés. Jennifer Herrema vit en Californie et Neil Hagerty à Denver, Colorado, remarié et père d’une fillette de dix ans. Ils ne se parlent plus ou presque : «He wrote me three e-mail in 12 years to tell me when each of cats had died.» Puis un quatrième mail pour annoncer la reformation du Trux, car on leur fait des propositions.       

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             Nos deux héros avaient donc disparu de la circulation. Neil enregistrait des albums dans son coin et la casserole itou. Puis le Trux s’est reformé en 2017. Un album live témoigne de cet événement. Il s’appelle Platinum Tips + Ice Cream. On y retrouve les vieux coucous du style «Junkie Nurse», gutter-boogie joué à la cloche d’ébène pas par Ben mais par Baines. Neil gronde sur son manche et on note l’infernale profondeur de ton. «Sewers Of Mars» sonne littéralement comme un classique. C’est tout de même assez dingue : tous ces vieux groupes qui ont une histoire reviennent et ça impressionne au plus haut point. On retrouve leur joyeux bordel, ce bourbier ludique, ce trash sucré et goûteux qui fit leur réputation. Ce live dégage une grande impression de solidité. L’heavy blues urbain de «Mercury» semble perdu et pour lui et pour les autres. Et Neil ramène des bouts de thème dans la soupe au chou d’«Esso Dame». Ils attaquent la B avec «Waterpark», pur jus de trash Trux, mal chanté, coulé par Neil, joué dans le contexte inversé de l’anti-commercialité des choses. Quelle admirable perspective ! Ils tapent «Platinum Tips» aux power-chords new-yorkais d’ambition dominicale. On note encore une fois leur admirable sens du rentre-dedans. «The Banana Question» sonne comme de la purée longiligne et on note l’énorme présence de Neil dans le son. 

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             Puis Jennifer Herrema parvient à décrocher un contrat chez Fat Possum. Voilà que paraît White Stuff. Comme le disait le Sergent Hawkins de l’arrivée des renforts du Septième de Cavalerie : «C’est inespéré !» Oui car White Stuff grouille littéralement d’énormités, et pas des petites énormités. Neil Hagerty préfère des grosses énormités bien fat. Tiens ça commence avec un modèle de modernité, le morceau titre bien remonté sur le gutter, ce démon d’Hagerty sait encore activer le turmoil et plonger son monde au cœur du trash - This is the way it’s supposed to be  - Ça s’étrangle de son, ça vire même Stonesy trash, cette Stonesy intoxiquée et cacochyme dont a rêvé Keef toute sa vie. S’ensuit une triplette de Belleville, «Year Of The Dog»/«Purple Audacity #2»/«Suburban Junky Lady». Oh la violence du beat ! Oh les vieilles dynamiques ! Neil Hagerty fait son Trux dans l’année du chien et elle vient rajouter son grain de sel. Ils sont terribles et pleins de cette morgue typique des trashers d’Amérique. Ils sont avec Bob Mould les buried treasures du rock US, ils savent si bien faire dégueuler un son. La cuvette de Sweet Sixteen peut en témoigner. Avec «Purple Audacity #2», ils reviennent à leurs premières amours, avec une Jennifer fatiguée. Quel shoot de trash ! - We are the number ones/ We are the champions - Ils sont écœurants de trash class, du coup elle se met à chanter vraiment bien. Ah tu croyais qu’ils allaient se calmer ? No way ! Ils sonnent comme une révélation. Et ça continue avec ce «Suburban Junky Lady» qu’elle chante dans l’écho du no coming back, c’est du swing de trash-woman, gluant de son, pour ne pas dire un son de rêve. Ils se vautrent dans l’extrême enchantement de la saturation avec des notes proliférantes, tout est là, le son et l’esprit du son. Ils n’ont jamais été aussi bons. Il écrase son champignon et elle reprend bien les mots par la queue. Il gratte des accords de congestion ultraïque. Neil Hagerty cultive un certain génie du son, il fond la mélodie dans la sursaturation, il coule un bronze thématique qui charrie tout ce qu’on adore, et tout particulièrement la démesure du big sound. L’air de rien il frise en permanence le génie rampant des reptiles sacrés du temple de Quetzalcoatl. Encore un slab d’en veux-tu-en-voilà avec «Every Day Swan», un vieux coup de Trux joué à l’abattage avec des cuivres jetés dans la fournaise et du pounding de tous les diables en supplément ! Le son colle au papier. On voit même ce démon d’Hagerty revenir sans prévenir pour bouffer son cut tout cru. Jennifer revient plus loin chanter l’extrêmement heavy «Purple Audacity #1». Hagerty vitriole la matière du son, il élève la dégueulade au rang d’art majeur, you know you feel alright/ You feel good ! Il fait aussi un festival de râpé de parmesan dans «Whopper Dave» et débouche à la violence du riffing un «Shoes And Tags» bouché à l’émeri. Demented ! - Take your shoes ans your tags and leave this town - Hagerty te sature ça de congestion, il semble avancer par convulsions, par paquets de pâté de foi, il injecte tout ce qu’il peut dans sa purée. Il joue à la vie à la mort dans l’éclair d’un traffic jam. Cet album génial se termine avec «Under Ice», du pur jus de Stonesy arrosé de dirty DNA. 

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             Bob Hughes en remet une couche avec six pages dans Uncut. On ne s’en lasse pas. D’autant qu’il titre ‘Veterans of disorder’, comme par hasard. Hagerty et Herrema commencent à désosser le rock en 1987 pour le rebâtir à leur idée - Royal Trux weren’t pretty, but they were invariably brillant - C’est ce que les historiens du rock retiendront du couple. Alexis Taylor parle d’eux comme de «something about to collapse, but also something on the verge of absolute greatness.» On dirait exactement la même chose des Pistols sur scène. Cette mauvaise langue de Bob Hughes insinue que leur heroin addiction captait autant l’attention que leurs albums. Julie Cafritz dit d’Hargerty qu’il était un weird cat «qui s’est pris pendant 6 mois pour Sterling Morrison.» Elle dit aussi qu’il avait «a very fluid access to different parts of his brain.» Herrema ajoute qu’Hagerty était un big fan de William Carlos Williams. La fin de leur histoire n’est pas jojo. Ils ont tous les deux des gros problèmes de santé mentale. Ils sont obligés de suivre des traitements. Hagerty s’est paraît-il battu avec trois flicards de Denver. C’est bien que l’histoire des Trux finisse dans le chaos.

    Signé : Cazengler, Royal Trou (du cul)

    Royal Trux. Royal Trux. Royal Records 1988

    Royal Trux. Twin Infinitives. Drag City 1992  

    Royal Trux. Untitled. Drag City 1992     

    Royal Trux. Cats And Dogs. Drag City 1993

    Royal Trux. Thank You. Virgin 1995

    Royal Trux. Sweet Sixteen. Virgin 1997    

    Royal Trux. Accelerator. Drag City 1998

    Royal Trux. Veterans Of Disorder. Drag City 1999

    Royal Trux. Pound For Pound. Drag City 2000

    Royal Trux. Hand Of Glory. Drag City 2002          

    Royal Trux. Platinum Tips + Ice Cream. Drag City 2017

    Royal Trux. White Stuff. Fat Possum Records 2019

    Andrew Perry : Battle royal. Mojo # 304 - March 2019  

    Bob Hughes : Veterans of disorder. Uncut # 326 - June 2024

     

    L’avenir du rock

     - Saint Valentine

             Tomber amoureux, ça peut arriver à tout le monde, même à l’avenir du rock. Le cœur en fête, voilà qu’il déambule en chantant :

             — Un jour qu’il avait plu/ Tous deux on s’était plu...

             Il marche comme Fred Astaire dans Singing In The Rain.

             — J’lui d’mandais son nom/ Il me dit Valentine...

             Arrivé rue Custine, il croise Boule et Bill. Il lève son chapeau pour les saluer.

             — Te voilà bien gai, avenir du rock. Quelle mouche te pique ?

             Alors, la main sur le cœur, l’avenir du rock lance d’une voix flûtée :

             — Il avait des tout petits petons/ Valentine/ Valentine !

             — Serait-ce te demander un grand service que d’éclairer nos lanternes ?

             L’œil pétillant de luxure, l’avenir du rock reprend, le doigt levé :

             — Il avait des toutes petites chansons/ Que je tâtais à tâtons/ Ton ton tontaine !

             Interdits, Boule et Bill attendent la suite.

             — Outre ses petits petons/ Ses petites chansons/ Son petit menton/ Il était frisé comme un mouton...

             — C’est un trave ?

             L’avenir du rock rigole de bon cœur. Il est des jours où la profonde bêtise des gens peut émerveiller.

             — Mes pauvres amis, qu’attendez-vous pour aller tâter les petits tétons de Marc Valentine ? Comme vous n’êtes pas souvent visités par la grâce, un petit shoot de félicité vous fera le plus grand bien.

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             C’est encore Vive Le Rock qui s’y colle. Marc Valentine ? Si Vive le Rock ne lui consacre pas une page, personne ne le fera. C’est tout de même dingue, cette histoire ! Et encore, une page c’est vite dit : une colonne de texte et une photo recouvre les deux autres colonnes. Ça fait un peu court, surtout quand on connaît la qualité des albums du groupe de Marc Valentine, The Last Great Dreamers.  Il attaque en rappelant qu’il est là depuis 1993. Le groupe s’est arrêté une première fois après le deuxième album, alors il est parti vivre aux États-Unis et en revenant à Londres, il a redémarré les Dreamers. Il a profité du lockdown pour enregistrer un album solo, aidé par Matt Dangerfield, oui, le Matt des Boys. Mais il n’a pas l’air trop confiant en l’avenir.

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             Marc Valentine et ses Last Great Dreamers ne sont pas les derniers rois de Thulé, mais certainement les derniers rois de la power pop anglaise. C’est en tous les cas ce que démontre brillamment ce 13th Floor Renegades paru en 2018.

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    Dès «New Situation», tu adhères au parti. Ils jouent au rentre-dedans, un big power-pop power de London dandies, au fast in the flesh, avec un incroyable swagger de no way out définitif, ils te prennent là où il faut : à la gorge. Immédiat et stunning ! Ils font clairement de la power-pop de power-poppers. Ils jouent encore cartes sur table avec le morceau titre et passent au stomp des Batignolles avec «Speed Of Light». Ils ont récupéré des éléments du stomp de Slade, avec un chant décadent à la Saint Valentine. Ils savent aussi faire le fast Search & Destroy comme le montre habilement «No Sunshine». Ils avalent tout ça vite fait, ils savent très bien battre la campagne, there’s no sunshine in my brain, tous les tricks sont de sortie, y compris le chorus solaire et le bassmatic inverti. Back to the cœur de métier avec «I Think I Like It», heavy power pop de sale cocote teigneuse et dégénérée, ces last dandies on earth illuminent leur monde au here it comes. Ils adorent l’here it comes, comme jadis les Stones au temps de «19th Nervous Breakdown» - Here comes my 19th nervous breakdown - Les Dreamers continuent de creuser leur mine d’or et nous sortent «Primitive Man», wild & fast, infiniment réjouissant, encore une belle démonstration de force, ils y vont au you know who I am/ Just a primitive man ! Ils te demandent de quel bord tu es avec «Whose Side Are You On», bien travaillé dans l’explosif, ce qui est le principe même de la power pop. Il faut que ça blossomme. Si ce n’est pas puissant, emporté et blossommic, ce n’est pas de la power pop. Les Dreamers sont un groupe très abouti, mais à l’abouti de Djibouti. Tu te régales avec cette bande de Princes aux crabes d’or. Un petit shoot de violence pour finir avec «Broken Things». La violence artistique, c’est leur truc. 

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             En 1994, Marc Valentine et ses Last Great Dreamers étaient déjà les derniers rois de la power-pop, c’est en tous les cas ce que révélait Retrosexual. C’est sur cet album que figure leur profession de foi, «Last Great Dreamer» - I’m just the last great dreamer - Pas de meilleure power-pop sous le ciel d’Angleterre. Mais comme chacun sait, la power-pop finit toujours par se mordre la queue. Les Last Great Dreamers n’ont pas froid aux yeux, ils enquillent leurs cuts avec une franche allégresse. Marc Valentine chante «Paper Crown» avec des faux accents d’early Bowie. Quasi glam ! «Far From Home» est bien solide sur ses pattes, Marc Valentine flirte en permanence avec le glam. Le groupe est assez complet, car ils savent sortir les loud guitars, ils savent négocier les virages de don’t need ya, comme le montre «Lady (Don’t Need You)». Ils savent même tartiner un balladif («Kings & Keepsake»). Valentine ne fait pas n’importe quoi, c’est excellent, si présent, si pressurisé, si bon enfant. Ils attaquent «Only Crime» de front, ils ont ce type de brawl dans leur arsenal, ils se montrent de plus en plus crédibles et si fabuleusement inconnus, malgré leur cocky swagger et leur solo en remontrance. Retour au glam et à la cloche de bois avec «Streets Of Gold». Cet artiste complet qu’est Valentine boucle avec un «Lovely» complètement décadent.

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             Crash Landing In Teenage Heaven est encore un album qui oscille entre le glam et la power pop. Glam pur avec le morceau titre qu’on trouve à la fin, Marc Valentine chante comme Peter Perrett, à la Only Ones, mais avec le power de Slade. Autant dire le power maximalis. Les Dreamers dégagent plus de chaleur qu’une centrale nucléaire qui vient d’exploser. Pus jus de glam extrême, krakaoté au ricochet de cute cocote. Marc Valentine sonne même comme l’early Bowie. Stupéfiant ! On trouve aussi sur cet excellent album une Beautiful Song, «Gold Painted Butterfly», pop classique et têtue comme une bourrique - I want you to know/ That I know - C’est assez merveilleux. Pour le reste, retour à la foire à la saucisse de la power-pop. Buffet à volonté. On retrouve d’ailleurs le «Last Great Dreamer» de l’album précédent, tapé à l’heavy cotoclap, avec un chant qui ne mégote pas. Fantastique énergie, élégance à tous les étages en montant chez Marc ! Ce mec te repeint le portrait de la power-pop. On dira en gros la même chose d’«Ashtray Eyes», l’excellence le protège des bactéries. Les solos sont magnifiques d’insolence. Les Dreamers sonnent comme des superstars. Tout est noyé de son, sur cet album, et du meilleur son. On peut s’y référer. Crash Landing In Teenage Heaven est un album dense et haut en couleurs, très sophistiqué. C’est un album de dandies. Avec «Supernature», nos dear dandies renouent avec l’antique power des Nerves et des autres géants de la power pop américaine, comme les Gigolo Aunts. Pas étonnant que ça n’intéresse plus personne. La classe est passée de mode. On se gargarise aujourd’hui de médiocrité. La power-pop est une vieille forme de génie pop. Encore un beau bonbon sucré et un chant de rêve avec «Lunacy Lady», mais bon, l’album va s’enfoncer dans l’oubli, malgré ses qualités.

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             Pas faciles à choper, les Dreamers records, mais avec un peu d’obstination, on finit par y parvenir. Et on est bien récompensé car Transmissions From Oblivion est un big album, un de plus ! Marc Valentine et ses Dreamers naviguent aux confins du glam et de la power pop, comme le montre ce «Dope School» monté sur un beat souverain comme pas deux et très glammy dans l’esprit, car chanté à la Bolan, c’est excellent, gorgé de sentiments. Pur jus de power pop avec «The Way We Collide», sucré de frais et incroyablement loyal à l’esprit pop. C’est quasiment un hit. «You Don’t Work» est un cut de Zeus, dieu de la power pop. Terrific ! Marc Valentine plonge dans une décadence à la Peter Perrett avec «Love To Hate Me». Il trouve un superbe équilibre entre le souffle des power chords et les accents décadents. C’est incendié à gogo et relancé à l’encan. On s’effare aussi de la grosse intro de «White Light (Black Heart)», bien monté en neige sur deux accords. Globalement, l’album reste terriblement power-poppy. Pas d’échappatoire possible. Le son est plein comme un œuf, bourré à craquer d’espoir dans l’avenir. C’est ce qui fait leur force. Ils ne sont pas avares non plus de coups de génie, en voilà au moins un : «Werewolves», tapé au ventre à terre, Marc Valentine y va au running away from my mind, c’est tellement puissant, les Dreamers redonnent des lettres à la noblesse, c’est explosif et beau, relancé à tire-larigot, dans le grondement jovial de la belle power pop britannique.

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             Vient tout juste de paraître le nouvel album solo de Marc Valentine, Basement Sparks. Une vraie consécration ! C’est même l’un des meilleurs albums de power-pop jamais enregistrés. Ça éclate au Sénégal dès «Complicated Sometimes», ça pulse et ça pète en montant chez Kate, ça te transporte de plein fouet, puis avec «Skeleton Key», il bascule dans une frénésie surnaturelle, ses power chords tressautent de joie. Marc Valentine est sans le moindre doute le plus grand power-popper d’Angleterre. Son «Eve Of Distraction» est bourré d’énergie. Basement Sparks est un authentique smash, chaque attaque flirte avec le génie, il négocie chaque cut à la corde. Effarant ! Nouvelle attaque magistrale avec «I Wanna Be Alone». Marc Valentine règne sans partage sur la pop anglaise. Suite du déluge avec «Strange Weather» et «You Are One Of Us Now», il reste au sommet du genre, c’est un Annapurna de big ever. Une véritable marée absolutiste. Raw power de lumière. Valentine a tout bon. Il déclenche ensuite l’enfer du glam sur la terre avec «Opening Chase There». Tu ne verras pas beaucoup d’albums de ce niveau-là cette année. 

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             Un bel article salue d’ailleurs la parution de Basement Sparks. Où ça ? Devine. Oui, Vive Le Rock. Marc Valentine répond aux question de VLR. Il annonce que les Last Great Dreamers sont à l’arrêt - extended hiatus - mais pas de split en vue, ouf. Il évoque aussi son amitié avec Wreckless Eric. Ils sont voisins, on the UK east coast. Ils ont même fait deux cuts ensemble, qu’on trouve sur l’album introuvable, Future Obscure - He’s one of the best British songwriters of his generation - Puis VLR lui demande pourquoi il se retrouve sur le label de Little Steven. Oh, c’est simple : Little Steven passait Future Obscure dans son radio show. Marc Valentine rappelle au passage que Ginger Wildheart est aussi sur Wicked Cool. 

    Signé : Cazengler, last great frimeur

    Last Great Dreamers. Retrosexual. Bleeding Heart Records 1994   

    Last Great Dreamers. Crash Landing In Teenage Heaven. Ray Records 2014

    Last Great Dreamers. Transmissions From Oblivion. Ray Records 2016

    Last Great Dreamers. 13th Floor Renegades. Ray Records 2018      

    Marc Valentine. Basement Sparks. Wicked Cool Records 2024

    Introducing Marc Valentine. Vive Le Rock # 93 - 2022

    Sparks will fly. Vive Le Rock # 111 - 2024

     

     

    Automnales 2024

    (Tyvek, Youth, Isola et les autres)

    - Part One 

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             Il s’appelle Raphaël Balzany. Il a été balzané de son groupe, We Hate You Please Die. Depuis, il navigue en solitaire et monte d’autres projets. Le dernier en date s’appelle Isolation et dès la première seconde sur scène, tu sais que ce petit mec est une superstar. Isolation joue en première partie des Limiñanas, c’est pas rien. Ils doivent chauffer la salle. Pas de problème, ils vont te chauffer ça vite fait, on te l’a dit, en quelques secondes !

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    À lui tout seul. Il a des copains autour, mais c’est lui le focus, c’est lui l’œil du cyplope, c’est lui la bombe atomique. Il a toutes les mamelles du destin : la voix, la transe, le pull jaune et même ce qui ressemble à des compos de shaking-punk, de shaking-ce-que-tu-veux, car c’est inclassable, mais criant de véracité artistique, et il a tellement de niaque qu’il intensifie cette modernité d’être qui bien sûr s’ancre dans un punk-rock ravageur. C’est du pur wild as fuck. Désolé, il n’existe pas de mots français pour qualifier cette rage de vivre. Alors va pour le wild as fuck. Avec le wild t’as tout dit, et avec le fuck, t’as enfoncé ton clou dans la paume de la stance. Il va même jouer le fameux «We Hate You Please Die» qu’il avait composé quand ça n’allait pas bien, et il a tellement mal à chanter ça qu’il sort de scène vite fait, alors son pote guitariste se roule par terre pour donner corps à l’apothéose.

             On brûle d’impatience de revoir Raphaël Balzany et son scorpion. T’as un chanteur en France : c’est lui.

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             Alors tiens, puisqu’on parle de premières parties, en voici une autre : Underground Youth, un groupe de Manchester parti s’installer à Berlin. Craig Dyer est un mec coiffé d’un béret et vêtu de noir qui gratte une authentique Vox Teardrop, alors tu dresses l’oreille dès qu’il attaque son set. Et puis t’as une très belle femme debout au beurre, Olya Dyer : elle se contente d’une caisse claire et d’un tom bass, et elle fait le show. C’est elle qu’on regarde, vu qu’ailleurs il ne se passe pas grand-chose. Elle officie différemment sur chaque cut, elle tire admirablement son épingle du jeu.

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    Underground Youth tape dans une sorte de dark wave un peu mélancolique, qui frise souvent le mou du genou, et par moments, on s’ennuie comme un rat mort. Comme ce sont malgré tout des Anglais, ils savent mettre le turbo pour récupérer la salle au moment opportun et ça peut devenir apocalyptique. Dommage que tout le set ne soit pas apocalyptique. On se serait bien régalé. Mais bizarrement, après l’explosif «Last Exit For Nowhere», ils ont opté pour ce qu’on appelle un set à ventre mou, c’est-à-dire une série de cuts sans le moindre intérêt, tous très lents et qui n’intéressent personne à part eux. Ils terminent avec un «Hope & Pray» tiré de Mademoiselle et chargé d’échos du Velvet. Encore une fois, t’auras fait beaucoup d’efforts pour essayer de trouver ça bien.

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             Comme tu te crois malin, t’en déduis que ce n’est pas sur scène que ça se passe. Et tu décides de vérifier ton hypothèse en écoutant quelques albums, tiens par exemple The Perfect Enemy For God, un Fuzz Club de 2013. Ils y sont très New Order (berk). Pas de personnalité. Dès le premier cut, «Tokyo Blue», tu te demandes ce que tu fous là. Avec «Rodion», le Dyer sonne comme les Cure. Oh so Cure ! C’est assez subtil mais patacam/patacam. Certainement patacam. Jamais de la vie !  Le Dyer tente de s’en sortir avec une pop qui ne sait pas dire son nom. T’as zéro info sur le digi, juste la photo d’un mec qui s’emmerde dans son canapé. Tu vas de cut en cut et franchement, tu ne sais pas ce qu’il faut penser de tout ce bordel. Le Dyer manque de drive. Il se perd dans son Mekong. Zéro dynamique. Juste son nombril. C’est aussi mort que le concert. Avec «In The Dark I See», il se met en rogne, il en a les épaules. Mais il ramène son timbre de Nosferatu, alors c’est mal barré. Trop dark wave, trop zéro inspiration, ce son n’a jamais conduit nulle part. Avec «Itoal», il se prend pour Dylan. Encore un album qui ne vaut pas un clou et qui te laisse amer. Celui-ci est sans doute l’un des pires. Les Anglais ont un joli mot pour ça : boring.

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             Avec Montage Images For Lust And Fear, le Dyer bouffe à tous les râteliers, mais ce sont des bons râteliers. Par exemple le Velvet, avec «Last Exit To Nowhere». Il gratte à l’encan et ça part en trombinette d’hypno du meilleur acabit. C’est quasi-Sister Ray, avec une volonté bien affichée de beurrer la raie de Sister Ray. Très offensif. Le Dyer déclenche une grosse tempête de sable et ça devient très sérieux. Il fait tourner son «Death Of The Author» en bourrique et se montre top complaisant avec «Blind I». Il n’en sort rien de très définitif. Il s’énerve un peu plus avec «Blind II», mais il manque du charisme nécessaire pour passer à l’échelon supérieur. Il bascule dans le gothique avec «I Can’t Resist» et son «Anaesthetised World» se montre digne des jardins suspendus de Babylone. Ça ne bouge pas. Suspendu et inutile.

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             Tu tentes encore le coup avec The Falling. Il fait son Dylanex avec «Vergiss Mich Nitcht» et des coups d’harp. Mais son vieux coup de protest n’a aucun sens, dans ce contexte darko-intello. Ses cuts ne fonctionnent pas. «Egyptian Queen» est trop formel, trop collet monté. Ça pue l’amidon. Puis il se prend pour Leonard Cohen avec «And I». Il en joue, mais Leonard Cohen n’est pas un gadget. Tu décroches aussi sec. Merci Dyer pour tout cet ennui. Il cherche tellement sa voie qu’il finit par se perdre et pourtant, son «For You Are The One» est à peu près le seul cut qui tienne la route, en dépit de cette voix si ingrate, de cet accent si tranchant. Avec The Falling, tu dérives dans un petit océan de cuts inutiles, ça pue le déjà vu à tous les coins de rue. T’en finis plus de maugréer.

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             Leur dernier rejeton s’appelle Nostalgia’S Glass. Tu retrouves le couple Dyer sur la pochette. Et tu découvres à la lumière des notes de pochette que le Dyer fait tout, avec un certain Leonard Kaage qui fait aussi de tout. Dès «Emilie», le Dyer chante au dark cold qui va pas bien. Avec «I Thought I Understood», on se croirait chez les Cure, ce qui n’est pas un compliment. Le Dyer plonge encore dans les ténèbres avec «Finite As It Is». Il a la voix qu’il faut pour ça. T’as l’impression de retourner 40 ans en arrière, dans cette scène des Inrocks ennuyeuse et prétentieuse. l’anti Royal Trux. Et puis voilà qu’avec «Another Country», il part en mode garage surf. Il bouffe à tous les râteliers et cette fois, il chante comme Peter Perrett, ce qui vaut pour un compliment. Mais le reste de l’album (sauf peut-être «Omsk Lullaby», très Bunnymen) c’est patacam/patacam. Très dark et inutile. Sœur Anne, vois-tu venir l’intérêt du haut de ta fenêtre ?

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             Alors Tyvek, c’est une autre histoire. Pur stripped-down post-punk du Michigan. Tu ne peux pas espérer plus stripped-down que Tyvek. Rien à foutre de jouer au fond d’une cave devant dix personnes. Ils jouent. Ils ruent bien dans leurs brancards. Sont quatre, le lead sous une casquette, un grand bassman, un mec superbe au beurre et une petite gonzesse à la rythmique, Les quatre Tyvek n’en ont rien à foutre. Ils te dépotent leur set vite fait. Durée moyenne des cuts : 2 mn. Comme dirait Wayne Kramer : raw and honest. C’est de l’honest stripped-down. Tu retrouves l’esprit des trois albums parus sur In The Red : c’est du brut de décoffrage. Le mec n’a pas de voix, mais il s’y connaît plus que toi en rock’n’roll, il s’appelle Kevin Boyer, il gratte ses poux sur une gratte usée jusqu’à la corde et chante tout ce qu’il a dans le ventre. C’est le lead historique de Tyvek, depuis 20 ans. Ces mecs ne traînent pas en chemin. Ils te polissent un chinois vit fait. Merveilleuse équipe avec ses cuts de bric et de broc, c’est le rock qui te parle, sans chichis, un rock ric et rac criant de vérité, un rock-in-the-face sans peur et sans reproche.

             Il faut aussi savoir que Greg Ahee de Protomartyr a fait des backing vocals pour Tyvek, et Joe Foster (chanteur de Protomartyr) les cite parmi les dix groupes qui ont le plus compté pour lui. Tyvek pas vu Mirza ?

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             Jolie pochette pour le premier album sans titre de Tyvek. Coup de pot, il est au merch, alors tu sautes dessus, rien que pour la pochette et ses petits personnages en pâte en modeler. Tu sauves trois cuts âpres sur Tyvek : «Summer Things» (gros foutoir, oui, mais gros foutoir de Detroit. Pas de voix, mais Detroit), «Stand And Fight» (pas de problème, même si pas de voix), et en B, «Building Burning (Re-ed)» (big fast Detroit punk avec un Kevin qui se jette bien dans la mêlée). Bon tu peux en rajouter un quatrième : «Hey Una», car c’est du fast punk bien franc du collier. Pas d’arnaque. What you see is what you get. Remember le vieux Wysiwyg d’Apple ? 

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             L’album suivant sort sur In The Red. C’est donc une consécration. Larry Hardy ne s’était pas trompé. Nothing Fits vaut en effet le déplacement. Ça blaste aussitôt «4321», c’est même un extra-blast de Punk’s Not Dead, sans doute le pire blast de l’univers connu des hommes, chanté à la belle éplorée, avec des chœurs de lads atroces all over the place. Ils réinventent le punk-rock. Et ça continue avec «Animal». Ce sont des fous. Rien à en tirer à part du blast. Ils mènent tous leurs cuts à l’abattoir. C’est du Detroit punk. Leur état s’aggrave encore avec «Future Junk». Aucun espoir de rédemption. Leur blast finit par confiner au génie avec le morceau titre. Une horreur de no way out, un vrai blast chanté à la vapeur de vape. Detroit is alive & well. «Outer Limits» est d’une rare violence. Bravo les gars ! C’est vraiment très puissant. Ils passent au stomp de pilon des forges avec «Underwater» et là tu y vas. Les Tyvek ont ça dans la peau. Il faut que ça gratte au sang.  

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             Ils sont toujours sur In The Red pour On Triple Beams, un album épouvantable, taillé à la cisaille de hard power du Michigan. C’est même tapé dans le crâne. On retrouve l’excellent Greg Ahee dans les backings. Son noisy et vainqueur. On entendrait presque le Capitaine Fracasse. Ils sont très posty-Post. Ça sent la régurgitation de va-pas-bien. Le gratté de poux est comme coincé dans son coin. Ces mecs ne jouent que des idées. Ils aiment bien le ventre à terre. Ils adorent se jeter dans les murs, ou dans les platanes, ce qui revient au même. Les gros coups de Jarnac se planquent en B, à commencer par «City Of A Dream», le cut ronfle comme un gros motor de Motor City. Et puis attention à «Midwest Basements», c’est bien explosé du coconut de noix de cageot, bien tapé à l’occiput de bar à putes, solo à la Damned, bien cavalé sur l’haricot. Avec «Efficiency», ils passent à l’hypno. Ils arrivent dans les parages de «Sister Ray». Le screamer fou jongle avec les thinking et les drinking, alors qu’une ahurissante bassline traverse le son. Et là tu cries au loup ! Ils terminent cet album partiellement faramineux avec «Returns», une sorte de blast final pour tous les Damned de la terre. 

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             On reste à Detroit et sur In The Red avec Origin Of What. Toujours ce son âpre, sec. Pas d’info. Seulement du son. Débrouille-toi. «Minor Image Of» est gratté aux poux secs. Le morceau titre est assez élégant, contrebalancé au je-m’en-foutisme, chanté par devant et par derrière. Assez moderne, Assez dedicated to you. «Choose Once» sonne comme du punk-rock de Manchester. «Can’t Exist» est une espèce de Detroit punk saturé d’adrénaline. Sinon, le reste de l’album souffre d’un léger manque d’inspiration. Ils trempent un peu trop dans la Post. Rien n’accroche en particulier, tout est compliqué, un peu âpre. L’«Underwater 3» de fin sonne comme du New Order (berk). Ça veut bien dire ce que ça veut dire.

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             Leur dernier album s’appelle Overground. «M-39» te rappelle que t’es à Detroit. Belle rage punk noyée de cymbales, vite fait, bien fait. En B, tu craques aussi pour «Trash & Junk», très X Ray Spec, avec un sax in tow. Excellent. Pour le reste disons qu’il s’agit de Detroit punk harsh sautillant, if you see what I mean. Very raw & very honest, comme dirait encore une fois Wayne Kramer. Ils jouent un punk-rock sans détour, sans peur et sans reproche. Kevin Boyer introduit tous ses cuts au riffing punk. Toujours pas de voix, mais c’est pas grave. On a encore un joli foutoir avec «U-Hauls» et un bassmatic en harmoniques. Ils sont infatigables et même indémodables. Terriblement échevelés. On note la belle dignité du morceau titre, qui referme la marche et t’accompagne vers la sortie.

    Signé : Cazengler, auto-naze 2024

    Isolation. Le 106. Rouen (76). 20 septembre 2024

    Underground Youth. Le 106. Rouen (76). 31 octobre 2024

    Underground Youth. The Perfect Enemy For God. Fuzz Club Records 2013  

    Underground Youth. Montage Images For Lust And Fear. Fuzz Club Records 2019

    Underground Youth. The Falling. Fuzz Club Records 2021

    Underground Youth. Nostalgia’S Glass. Fuzz Club Records 2023 

    Tyvek. Le Trois Pièces. Rouen (76). 5 novembre 2024

    Tyvek. Tyvek. Siltbreeze 2009

    Tyvek. Nothing Fits. In The Red Recordings 2010 

    Tyvek. On Triple Beams. In The Red Recordings 2012 

    Tyvek. Origin Of What. In The Red Recordings 2016

    Tyvek. Overground. Ginkgo Records 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - Polis Magoos

             Grâce à Magou, tu te retrouvais dans les pires situations. Ce virtuose de l’embrouille tirait sûrement ses facilités de ses origines kabyles. Si tu montais un coup avec lui, tu pouvais être sûr que ça allait dégénérer. Et ça dégénérait. En arrivant dans un bidonville de Nanterre, ses parents qui sortaient tout juste du bled avaient sans doute flashé sur le mot ‘magouille’ pour choisir de l’appeler Magou. Il était en quelque sorte prédestiné. Magou était bel homme, sans doute la quarantaine, des yeux clairs comme en ont parfois les Kabyles, et un collier de barbe bien dru lui donnaient une allure hédoniste, ce qu’il n’était pas du tout dans la réalité. Comme nous autres, Magou était confronté à une réalité brutale qu’on appelle la pauvreté. Il avait vite compris qu’il ne la vaincrait pas, même en travaillant. Il tenta de jouer le jeu pendant un temps, avec une succession de petits jobs humiliants, puis il décida de prendre ‘le bouc par les cornes’, comme il le disait si bien. Il proposait d’aller l’argent là où il se trouvait.

             — T’es sûr que c’est une bonne idée, Magou ?

             — Ti vas voil. Plou besoin di faile les jobs de melde !

             Il entrait dans la banque et tirait dans le tas. Il sortait avec le sac de sport rempli à ras bord et on filait tous les deux sur la mobylette. Il acheta aussi sec un appart pourri rue Ordener à ses parents pour les sortir du bidonville. Puis il décida de rééditer l’exploit. Même scénario, mais cette fois, la roue arrière de la mobylette creva. Normal, avec le poids de deux bonhommes et le gros sac.

             — Mits-toi là sul le tlottoil, j’y vais lépaler la loue avé la sicotine.

             C’était incroyablement risqué. Il se mit néanmoins à démonter le pneu, il cracha sur la chambre pour bien situer la fuite et colla sa rustine. Au loin on entendait les sirènes. Il souffla sur la rustine pour faire sécher la colle, attendit un moment, et soudain, il vit quelqu’un à la fenêtre su rez-de-chaussée en face. Il sortit sa pétoire.

             — Attends-moi, j’y leviens...

             — Qu’est-ce que tu fous Magou ? T’es malade ou quoi ?

             — Faut pas laisser li témoins. Faut nittoyer li qualtier.

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             Alors on va se demander quel rapport existe entre Magou et les Magoos. Il est pourtant évident. Au même titre que les Blues Magoos, Magou n’avait aucune chance de s’en sortir. T’en as qui s’en sortent bien comme U2 ou les Pink Floyd post-Barrett, et d’autres qui sont condamnés à la poisse, en dépit de brillants efforts. On est là pour saluer les brillants efforts, car c’est tout ce qui compte.

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             Dans Shindig!, Peppy Castro et Ralph Scala se souviennent du bon vieux temps des Blues Magoos. Ah comme on était jeunes en ce temps là ! - People think too much. We were having a ball and living it 24/7 - Peppy Castro va vite devenir le leader des Magoos. Ralph Scala joue de l’orgue et chante sur les gros hits. Mike Esposito est lead guitar, et Geoff Daking bat le beurre. Le bassiste s’appelle Ronnie Gilbert. Ça se passe à Greenwich Village. Ils auditionnent pour Bob Johnston, qui allait produire Highway 61. Puis ils sont pris en main par Longhair Productions et se retrouvent sur Mercury.

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             Le premier album des Blues Magoos est donc un fier Mercury de 1966, Psychedelic Lollipop. On l’a rapatrié aussitôt après avoir découvert leur cover de «Tobacco Road» sur Nuggets, en 1972. Music Action vendait les deux premiers albums des Blues Magoos à des prix qui n’étaient pas raisonnables, mais bon, comme on les voulait, on cassait la tirelire. Psychedelic Lollipop est ce qu’on appelle communément un big album. On y retrouve bien sûr le «Tobacco Road» épinglé plus haut, ils le tapent au beat fast & furious, c’est excellent et en plein dans le mille. Les relances sont des modèles du genre. «(We Aint Got) Nothing Yet» ouvre vaillamment le balda. Scala fait des étincelles au chant. Quand on les voit sur la pochette, on comprend immédiatement que ces 5 New-Yorkais sont fascinés par Brian Jones. Fin de balda avec une autre belle cover, l’«I’ll Go Crazy» de James Brown, attaqué au shuffle d’orgue - Ooooh I love you too much - Cover énorme, profondément véracitaire. En B, ça chauffe de plus belle avec «One By One», belle pop d’allure martiale, on se croirait sur un album de Geno. Pas loin des Byrds, en tous les cas. Ils passent au heavy blues de someday baby avec «Worried Life Blues». Classique mais tapé à l’incestueuse. Et ils bouclent ce brillant bouclard avec «She’s Coming Home», une pépite de wild gaga new-yorkais, un gaga d’orgue bien tempéré, très soupesé, très entier, très enclin à l’enclume, assez précipité dans le mur, mais par petites vagues.

             Psychedelic Lollipop est l’un des albums les plus consistants du genre, nous dit Brian Greene, un Greene ironique qui affirme que les Magoos étaient plus du genre à vous envoyer leur poing dans le nez que de vous tendre un bouquet de fleurs, comme c’était la mode à San Francisco. New York punks.

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             Malgré sa belle pochette, Electric Comic Book est un album complètement raté. Ils proposent une pop psyché très passe-partout. Ils tentent le coup du ventre à terre avec «Life Is Just A Cher O’Bowlies», on sent une grosse ability, une aptitude maximale, puis ils tentent un coup de Jarnac avec une version étendue de «Gloria». La tension est palpable, c’est vrai, c’est joué à l’orgue, mais ce n’est pas assez ramassé et ça se délite au fil de temps. La B est encore plus catastrophique et il faut attendre la belle dégelée de «Rush Hour» pour reprendre espoir. C’est le hit du Comic Book.

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             Mine de rien, Basic Blues Magoos est un très bel album. Ils tapent dans les Move avec une cover d’«I Can Hear The Grass Grow», pas aussi belle que celle de The Fall, mais ils font comme ils peuvent avec leurs petits bras et leurs petites jambes. Le «Wanna Be There» qu’on trouve plus loin et très poppy poppah, ils sonnent vraiment comme des Anglais et dégagent une belle clameur mélodique. En France, on appelle ça un coup de génie. En B, ils retrouvent leur entrain poppy avec «There She Goes», un cut qui sort lui aussi de l’ordinaire. Nous voilà conquis comme la ville de Troie. S’ensuit «You’re Getting Old», un très beau balladif monté sur un beat d’heavy blues, avec un beau son de basse et de belles clameurs de chœurs de lads. C’est excellent, incroyablement tentateur, digne de Brian Wilson. Là, tu t’inclines respectueusement devant les petits Magoos. Ils reviennent au heartbeat anglais avec «Chicken Wire Lady». C’est bien vu, bien balancé des hanches.

             Basic est enregistré dans la baraque du Bronx qu’ils occupent, et qu’occupait avant eux Gram Parsons au temps  de The International Submarine Band. Quand Gram décida de partir à la conquête de l’Ouest, les Magoos se sont installés dans la baraque. Peppy se souvient que Gram lui a fait fumer du pot.

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             C’est uniquement la curiosité et le hasard des bacs qui nous conduisit à l’époque à écouter leur quatrième album, Never Goin’ Back To Georgia. Plus rien à voir avec les albums précédents. Ils attaquent avec une version d’«Heartbreak Hotel», aussi aventureuse que celle de John Cale, jouée au xylo. Leur «Heart Attack» est tellement groovy qu’il pourrait être enregistré à Muscle Shoals. Par contre, leur cover de «The Hunter» ne vaut ni Albert King, ni Free. Ils tentent le coup, mais c’est pas beau. Peppy s’égosille encore en vain avec «I Can Feel It (Feelin’ Time)». C’est du Southern rock de petite vertu. Nouvelle surprise en B avec un morceau titre digne de Santana. Peppy essaye encore de faire son white nigger sur «Brokendown Piece Of Man», mais il n’a pas les épaules pour ça. Il a plus de chance avec ce vieux classique de Soul qu’est «Nobody Knows You We You’re Down & Out». 

    Signé : Cazengler, Magooyeur

    Blues Magoos. Psychedelic Lollipop. Mercury 1966

    Blues Magoos. Electric Comic Book. Mercury 1967

    Blues Magoos. Basic Blues Magoos. Mercury 1968

    Blues Magoos. Never Goin’ Back To Georgia. ABC Records 1969

    Brian Greene : The president’s council on psychedelic fitness. Shindig! # 145 - November 2023

     

    *

             Parfois les choses simples s’avèrent complexes, normalement c’était juste une vidéo à chroniquer, z’oui mais quand c’est noir, c’est noir.

    IDENTITE PERDUE

    CLAUSTRA

    (Les Productions Ecorchées - 23 / 11 / 2024)

             Mon cœur de rocker s’est ému lorsque j’ai entraperçu cette jeune Andromède sans visage dans sa robe de vestale, seule debout sur un rocher émergeant d’une mer écumeuse sous un ciel noir. De ses veines tailladée son sang s’écoule, victime lamentable à son sort offerte. Fallait que je la sauve, toutefois me fallait en savoir davantage sur ce Claustra band sans pitié prêt à immoler une jeune fille innocente à la fureur d’un océan meurtrier.

             Après quelques recherches j’en suis arrivé à la conclusion que ce band apparemment claustrophile n’était pas un groupe mais une personne seule. J’ai eu du mal à poser un nom sur ce prédateur sans pitié, ce loup solitaire, ce sacrificateur commis de lui-même aux basses œuvres de la cruauté humaine. J’ai réussi à l’identifier : Victor Leveneur.

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             Sur les photos l’a l’air tout jeune, toutefois j’ai pu dater son premier forfait en 2016. L’a tout d’un ado adorateur métalophilesque  sur sa chaîne You Tube MeltingGuitar, vous le voyez guitare en main et grognements microphoniques en bouche, reprendre des morceaux de Gorgoroth, de Dissection, de Fraugth… Sur sa page FB l’on comprend qu’il revivifie un vieux projet et que l’année dernière…n’anticipons pas sur le passé, il est temps de se jeter dans l’eau pour sauver cette jeune innocente subissant les insatiables assauts de Poseidon l’ébranleur de la terre et des âmes qui vivent à sa surface…   

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      Doomed : avec un tel titre vous savez au moins où vous mettez les pieds, après les premières giclées de guitares vous êtes cueillis par des ébrouements phoniques de sanglier surpris dans sa bauge, de quoi assurer une retraite stratégique, toutefois si vous restez stoïquement debout vous commencez par saisir comme en sourdine une certaine dimension mélodique en l’avalanche sonique qui fond sur vous, bonne intuition, vous voici en une ballade mélancolique empreinte d’une certaine langueur, évidemment vous vous en doutiez, le monstre se réveille et vous emporte dans une cavalcade infinie, le cercle de fer du destin vous emprisonne, vous vous consolez tout de même car parmi cette fureur vous percevez la beauté d’une soloïté infinie. Identité perdue : triste boucle guitarique, rien de plus tragique que de se perdre soi-même, c’est la folie qui surgit sur vous et vous étreint de son cercle serpentique, vous êtes dans la fosse aux lions et les morsures qui vous atteignent sont d’autant plus cruelles que c’est vous qui vous les infligez, un tourment sans fin et cyclique, dépressif et vous vous rapprochez de la solution finale, oppressif et vous vous débattez contre vous-même, une belle mise en scène orchestrale, une guitare qui se débat toute seule comme un scorpion qui cherche à planter le poignard de son dard dans son dos, sans y parvenir. Abandonnement : pas dépressifs, tâtonnements à l’intérieur de soi-même, comme si l’on allait le cœur brisé porter un bouquet de fleurs fanées sur sa propre tombe, ce qui n’empêche pas le vent de la colère contre soi-même de vous assaillir, car votre instinct de survie se joint à celui de votre mort, vous êtes au bord de l’abîme et vous vous battez contre vous-même pour vous jeter dans le vide, une glissade sans fin que votre esprit se plaît à imaginer, il est vrai que tout se passe dans votre tête, que votre psyché est devenu le théâtre cosmique de la chute du soleil de vivre dans les torpeurs tourbillonnantes de l’océan des turpitudes mortelles, Victor hurle avec la voix de l’ogre qui va dévorer le petit enfant perdu que vous avez toujours été, il tente de vous finir à coups de pelles riffiques, mais sans doute est-ce vous qui vous distillez ce supplice mental, êtes-vous mort, êtes-vous vivant, quelle différence ? Through the woods : rien n’est plus triste que d’errer sans fin dans les bois spectraux d’arbres squelettiques dont les branches acérées vous griffent le visage, criez, hurlez, tant que vous le voulez, n’oubliez pas que vous tournez en rond en vous-même, que rien ne vous sauvera puisque vous êtes perdu dans vos propres et sales pensées, elles forment une barrière poreuse mais infranchissable, vos blessures, intérieures et charnelles purulent, vous vous n’êtes jamais égaré si loin au fond de vous-même. Descente aux enfers : à force de chercher l’on trouve, vous êtes sur le bon chemin, le noir, celui qui descend, celui de la pente infernale, déjà vous entendez le hurlement du chien féroce, et vous descendez les marches en courant, pour un peu vous glisseriez et vous vous fendriez le crâne sur une marche, reprenez-vous, vous n’allez tout de même pas perdre votre vie avant d’avoir atteint le fond du fond, ne serait-ce pas cruel si près de Styx, soufflez, courage et détermination, il est interdit d’abandonner si près du but, le vocal vous raille et vous admoneste, il vous pousse dans le dos vers la destination finale. Sorrow I : vous avez réussi, vous avez franchi la porte fatidique, le problème c’est que de ce côté-ci ce n’est pas très différent de celui que vous venez de quitter. Une douce guitare vient à votre secours, elle vous console, elle vous caresse, tout compte fait vous n’êtes pas si mal que cela dans la prison dans laquelle vous vous êtes enfermé. Bear the pain : tant pis pour toi, le monde n’est pas un lit de roses, supporte les épines que tu sèmes et plantes en toi-même, que peut-on faire pour toi sinon te regarder avec un sourire sardonique et réaffirmer ces quatre vérités que quelque part tu chéris, il faut appuyer là où ça fait mal, soit pour que le chagrin s’immisce jusque dans le calcaire de tes os, ou pour que le mal ressorte comme les bubons suintants d’un lépreux consentant. Une certaine jouissance à te faire du mal, par toi-même et par les autres à se moquer de toi à t’obliger à te mirer dans le miroir de leurs paroles désobligeantes. Le monde est un énorme comprimé de souffrances dans lequel tu mords à pleines dents. Sorrow II : et te voici replongé en toi-même, entre les hauts-murs de ta souffrance, tu erres et tu te frappes la tête contre les briques de ton enceinte fortifiée. Faible espoir : il n’est point de prison dont on ne s’évade pas, tout labyrinthe possède une entrée qui est aussi une sortie, guitare et vocal crient leurs encouragements, à toi de jouer, à toi de remonter la pente, laisse-toi guider par tes pieds si ta tête est encore incapable d’échafauder une quelconque idée d’évasion, l’instinct est plus fort que la pensée, laisse-le faire, suis-le, dernière chance, elle ne reviendra pas, tire-toi de ton bourbier, sors-toi de ton marécage, extirpe-toi de la lagune aride de la mort, bande toute ta volonté pour te désenliser de ton cloaque, l’espoir est faible mais ne pense pas que ta faiblesse soit ton espoir. Dull : tu en es là, un couteau émoussé qui ne peut trancher le cuir épais et coriace de la vie qui te résiste, de laquelle quel tu t’es retranché, à toi de fournir l’effort désiré, à moins que tu ne le désires pas, si tout est en toi, le rien fait aussi partie de toi, sois ou ne sois pas, tu as posé ce revolver sans balle sur ta table de nuit, regarde dans le tiroir il contient un chargeur, à toi de l’armer si tu veux, ou de t’armer contre toi-même, toi seul tu sortiras du piège dans lequel tu t’es laissé tomber et que tu t’étais tendu.

             Nous laissons donc notre égérie symbolique, sur son rocher nous y reviendrons bientôt. Plongeons-nos dans le trouble passé de ce trublion troublant. L’est certain que sa guitare nous a remué, mais continuons notre enquête.

     

             En décembre 2023 le groupe Once Upon the  End dans lequel officiait Victor Claustra a sorti un EP quatre titres, Archives 200, dont un enregistré avec leur ancien membre adepte de la claustrophobie.

             Je ne voudrais pas être méchant mais sur la couve z’ont l’air de pirates particulièrement dangereux. J’adore les pirates, rien qu’à leur look je les ai retenus d’office pour la livraison 669. En attendant penchons-nous sur :

    WE ARE THE DEAD

    ONCE UPON THE END

     (Featuring Claustra)

    Excusez le jeu de mots :  des deadfaitistes, ce n’est pas de leur faute, la situation est grave, je ne vous fais pas un dessin, vous la connaissez autant que moi, que nous soyons en situation pré-ou-post-apocalyptique ça ne change pas grand-chose. Ce petit topo pour vous mettre dans l’ambiance, elle n’est pas morose, elle est mort au rose des jours heureux.

     Ezalyr & B0rn : vocal / Koal : guitare rythmique / Loerk & B0rn : guitare solo / Groly : basse  / Tentrom : batterie.

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             Une guitare aussi morne que la plaine de Waterloo, tout de suite après une explosion brutale mais pas féérique, plutôt feu horrifique et des growlements, des grognements de bête humaine acculée dans le cul de basse-fosse du monde, une rythmique bulldozer qui concasse en graviers sanglants les espoirs que vous n’avez plus, des explosions horrifiques et une guitare nostalgique sur un chant aussi fragile qu’un souvenir estompé  qui revient fou de rage et d’impuissance, l’impression que tout s’écroule, que tout est définitivement achevé, une voix se fraie un chemin parmi les décombres de la moulinette, presse-purée, les consciences sont passées à la moulinette de l’impuissance rien ne sert de crier, il est trop tard, non seulement nos enfants ne nous sauveront pas mais ils nous précipiteront dans la gueule ouverte du Moloch, tous engloutis dans le feu de la destruction pure. Mieux vaut être mort.

     

             Victor Leveneur alias Claustra ne s’arrête pas en si bon chemin, il fait aussi partie d’un autre groupe qu’il qualifie de toujours actif, qui n’a à ce jour sorti qu’un seul EP :

    FIEVRES SEPULCRALES

    GRISI SIKNIS

    (Black Metal Production / Mai 2019)

    Victor Leveneur : guitares, basse, programmation / Ludovic Lafferayrie : vocal.

             Grisi Siknis ou fièvre de la jungle est le nom que le peuple Miskito d’Amérique centrale donne à ces espèces de crises de folie communicatives dont sont victimes les jeunes filles qui pensent être agressées et violées par des esprits diaboliques… Il existe toute une littérature médicale et psychologiques sur ces phénomènes que l’on retrouve sous des formes plus ou moins voisines chez de nombreux peuples. En France au dix-neuvième siècle l’on a souvent parlé de crises d’hystérie, ce terme est aujourd’hui amplement remis en question…

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             Une pochette éloquente. Un oiseau de mort point perché sous un arbre tenait en son bec les germes invisibles de la mort. L’existe une autre image, est-elle censée évoquée les deux membres du duo ou est-elle pour rappeler que deux augures qui prophétisaient la mort ne pouvait se regarder sans rire.  Plus doctement nous  rappellerons  que les masques d’oiseau que portaient les médecins qui tentaient de soigner les malades de la grande peste médiévale étaient emplis d’un mélange thériaquite peu ragoûtant d’herbes médicinales et d’autres substances inquiétantes afin de protéger leurs voies respiratoires des miasmes délétères qui empoisonnaient l’air.  Imaginativement ces becs pointus évoquaient les oiseaux voletant autour des gibets dans l’espoir de gober les yeux des pendus.

    Grisi Siknis : l’on reconnaît la guitare noire de Victor secondée par une boîte à rythme méchamment efficace, bref Victor fournit la toile de fond mais c’est la voix de Lucdovic qui distille le poison à foison, elle vous prend, s’infiltre à vous et ne vous lâche plus, une marque infamante dont vous ne pouvez vous débarrasser, d’ailleurs vous n’en n’avez aucune envie tellement vous êtes plongé dans ce point central non pas celui dans lequel les contraires s’annulent, mais celui où la folie et la mort se rejoignent et s’emboîtent si parfaitement que vous ne savez plus laquelle des deux est le corridor qui donne accès à l’autre. Goûtez le rire des possédés, c’est une denrée ouïstique assez rare qui conjugue orgasme et over game. Necromorphose : l’entrée en matière évoque le clopinement amblique d’un alezan maladif, mais l’orange vire vite au noir, est-ce le destrier noir de la mort qui se dirige vers vous, à moins que ce ne soit la pouliche safranée qui vous atteindra en premier, le terme de nécromorphose porte les germes d’une double avanie, signifie-t-il que vous êtes la proie d’un bacille meurtrier ou victime d’une rupture psychologique. Est-ce la mort qui s’avance sur vous ou votre volonté secrète qui vous pousse vers propre folie. Entre deux maux, choisissez les deux. Ce qui est sûr, c’est que le rythme vous entraîne et vous pousse en avant.  Stigma : horreur absolue, votre âme pleure car sur votre chair fleurit le stigmate infâme qui vous sépare des vivants et vous isole des morts, vous êtes dans l’entre-deux, goûtez la guitare qui met un mollo sur sa hargne et la voix implacable qui tranche net vos illusions, vous êtes au point de séparation, sur le sentier de crête, le moment où l’esprit vacille telle la quille d’un navire qui ne sait de quel côté il va sombrer, l’instant où le corps se tord en un rapport onaniste, en un suprême désir de survivance… Vous êtes marqué au fer rouge de vos incapacités à ne pas savoir ce que vous voulez être. Ou ne pas être. Abysses : averse tsunamique de guitares et hurlements de terreur, tu erres dans les abîmes de la déréliction, au plus profond des gouffres océaniques de la perdition, adoucissement une voix résonne, l’eau de la folie submerge ton cerveau qui flotte tel un iceberg à moitié fondu, pas de pitié, les moines prient pour ta surmort, ici c’est la société qui te condamne, tu te méfies d’elle et tu te fies encore à toi, mais pour combien de temps hallucinatoires, n’est-ce pas le degré absolu de la démence de se prendre pour toi et pour tous ceux que tu n'es pas. Fièvre noire : vous allez haïr Ludovic et son vocal comminatoire, le grand inquisiteur de ta conscience sur le point de se perdre en elle-même, par contre Victor vous séduira, il tisse des festons et tricote des dentelles, c’est beau, c’est doux, c’est lyrique, c’est ensorcelant, Ludovic t’interdit le chemin du retour vers la folie, Victor te pave le chemin de l’enfer de tes meilleures intentions. La fièvre noire terminus.  Black fever for ever.

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             Si vous aimez le black and death metal, vous aimerez Grisi Siknis à mort.

     

             Nous n’en avons pas fini avec la couve d’ Identité perdue de Claustra. Elle est créditée : L’œuvre au noir. La curiosité est un vilain défaut. Je prends mes claques et je clique. Je tombe sur L’œuvre au noir, full lenght album sorti en juin 2024 du groupe français Brüle, je ne suis pas satisfait, clic-clic-clac-clac-cloc-cloc-cluc-cluc- cthulhu… et là je tombe sur le graal.

    LA FIN DE SATAN

    L’ŒUVRE AU NOIR

    ( Bandcamp / Mai 2024)

             Le titre me foudroie. La Fin de Satan, peut-être le recueil de poésie le plus puissant de la grande lyrique française, œuvre inachevée mais totalement accomplie de Victor Hugo. Un de mes textes essentiels, j’y ai déjà fait allusion à maintes reprises dans diverses chroniques sur le black metal ou de noires K7 underground qui ne se revendiquent pas du courant métallique.

             Reste à connaître ce groupe qui ose s’attaquer à cet Himalaya noir. Je pousse un deuxième rugissement de joie. Je connais.

             L’œuvre au noir est un duo composé d’ :  Erszebeth : chant + all Instruments et de G.H.O.S.T : all instrument.

             Nous les connaissons déjà sous l’appellation : Stupor Mentis. Nous avons consacré trois chroniques à leur adaptation du Prometheus Unbound de Percy Bysshe Shelley : voir 478 du 01/ 10 / 2020  -  495 du 28 / 01 / 2021 – 506  du 12 / 10  / 2021. La livraison 480 du 12 / 10 / 2020 est dévolue aux peintures d’Erszebeth, et dernièrement la 645 du 16 / 05 / 2024 a rendu compte de leur version du poème Darkness de Lord Byron.

             Le Diable a horrifié le Moyen-Âge, en 1667 John Milton publie en Angleterre, pays romantique par excellence, Lost Paradise. Etait-ce la volonté de Milton mais sa présentation de Lucifer dresse le portrait d’un personnage fascinant. Pour s’opposer à Dieu un grand courage est nécessaire, le Révolté qui se lance dans une entreprise condamnée d’avance n’est-il pas un héros malheureux envers lequel, malgré sa défaite, ou à cause de celle-ci, lecteur ne peut s’empêcher d’éprouver admiration et sympathie. Le livre sera traduit en 1831 par Chateaubriand. Ce n’était pas la première traduction parue en France, mais jusqu’à la fin du dix-neuvième  siècle ce fut celle qui prévalut. Qui marqua les esprits et induisit les intelligences curieuses à se tourner vers la figure controversée du Diable

             Le romantisme français n’a pas échappé à l’attrait exercé par Lucifer.  L’esprit français est tant soit peu philosophique ou du moins épris d’un certain besoin de clarté et de rationalisation. Pays de Descartes et de Voltaire. Le premier estime que Christianisme et Raison ne se contredisent pas. Entendez les ricanements du second.

             En 1824 Alfred de Vigny met le feu aux poudres en publiant un poème en trois chants, aujourd’hui hélas bien oublié, Eloa, ou La Sœur des Anges. Mystère. C’est en ce dernier mot que réside le poison. Car l’Histoire racontée est des plus compréhensibles : Eloa, toute belle, toute pure, toute innocente tombe amoureuse d’un beau ténébreux qui se révèlera être Lucifer qui l’emportera avec lui en Enfer… Histoire morale, pas de quoi fouetter un chat s’exclameront les esprits contemporains. Oui, mais le problème est ailleurs : pourquoi Dieu permet-il qu’un être innocent soit séduit sans que Lui qui est Amour y mette son véto ? Si Dieu est le bien, pourquoi laisse-t-il  le mal agir en toute liberté ? Pour Vigny Dieu ne propose aucune explication, l’athéisme sera la réponse de Vigny au silence de Dieu… Or si l’on refuse Dieu, c’est enlever au Trône sa légitimité qui repose sur la volonté de Dieu… Tremblement de terre politique…

             Alphonse de Lamartine fut le principal rival de Victor Hugo. Leurs destins offrent quelques similitudes, tous deux sont poëtes, tous deux exercèrent des fonctions politiques historiales qui ne furent pas sans effet sur la France. Lamartine publie en 1838 une vaste épopée La Chute d’un Ange (quel hasard !) qui devait être incluse et suivie d’un immense poème : Les Visions dont il ne reste que quelques fragments. Du christianisme Lamartine ne garde que la figure d’un Dieu bon par nature, mais il refuse le dogme clérical, notamment l’idée de l’Enfer et du Diable…

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             En 1854, Victor Hugo s’attelle à deux vastes poèmes qui doivent couronner La Légende des Siècles, histoire de l’Humanité, La fin de Satan et Dieu (aussi nommé : Solitudines Coeli), le premier est le poème de la chute autrement celui de l’explication de l’existence du Mal, le deuxième celui de la remontée de l’Homme en l’Idée de Dieu. En 1859 et 1860, il reprendra les deux manuscrits, mais il les laissera inachevés… Ils ne seront publiés qu’après sa mort.

             Le lecteur qui veut comprendre le système philosophico-religieux hugolien sans perdre trop de temps se contentera de lire le sonnet Vers Dorés de Gérard de Nerval qui synthétise les milliers de vers d’Hugo en deux quatrains et deux tercets. Nerval, le plus secret de nos romantiques, a aussi exprimé à sa manière le sentiment de la béance d’incomplétude générée par les religions antiques et monothéistes. Que croyez-vous que sont Les Chimères… Mais ceci est déjà une autre histoire.

             Vu de nos jours ces écrits peuvent paraître surannés ou anecdotiques, ils furent en leur époque d’immenses coups de boutoirs, souterrains certes, aux conséquences d’ordre avant tout politique. Il est bon de les relire aujourd’hui, trouble période où le retour du religieux s’insinue d’une manière de moins en moins discrète dans le domaine du politique. Comme, accroché à des serres prédatrices, le serpent venimeux se débat et tente d’étouffer l’aigle qui l’emporte pour l’offrir en pitance à ses oisillons.

             Lucifer, le porteur de lumière, qui s’oppose à la puissance de la totalité totalitaire du Seul Dieu est devenu dans l’imagination populaire le Rebelle par excellence, celui dont on aime à se rallier d’une manière ultra-symbolique dès que l’on entre en conflit avec l’ordre du monde qualifié d’injuste. L’appel à Lucifer reste souvent sans effet, certains esprits afin de lui donner davantage de force, puisque la lumière luciférienne s’avère non opérative, se rabattent alors sur sa puissance satanique et ombreuse… Beaucoup de groupes de metal usent de cette ambivalence luciféro-satanique… A la connaissance lumineuse et exotérique l’on préfère  les couloirs obscurs des savoirs et rituels ésotériques. En exil d’abord à Jersey où il prépare la publication des Contemplations puis réfugié à Guernesey dans sa demeure de Hauteville house battue par les vents et les tempêtes, en même temps qu’il remet en chantier La Chute de Satan, Hugo fait tourner les tables, c’est sa manière à lui de se pencher sur le gouffre insondable et de faire parler ce qu’il appelait la Bouche d’Ombre…

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    Hors de la terre : une chute sans fin, l’on se prend à rêver que cette ouverture qui ne dure guère  plus de quatre-vingts secondes ne s’arrêtât jamais, il nous aurait fallu au moins deux ou trois éternités pour  prendre conscience de la malhonnêteté de la Chose ontologique qui tombe, il est vrai que nous sommes quelque part en l’espace éthérique sur lequel le temps n’a aucune prise, c’est l’Adversaire qui choit au fond du gouffre, pensons que cet abysse sans fin communique avec le puits infini de notre âme… Nous sommes au plus noir de ce que les alchimistes nommaient l’œuvre au noir, avec cette différence essentielle que Satan ne peut pas mourir.   Comment traduire en musique ce qui normalement devrait s’apparenter au silence le plus absolu. Nulle tonitruance ne saurait rendre compte de cette annihilation métaphysique. Ce sera donc un bruit, un sifflement, des échos de présence, des grondements, du vent, des voix et puis plus rien. Une césure. Et nox facta est : le terme précédent pour rappeler que nous entrons dans le royaume de l’alexandrin, dans le texte sacré, enfin plutôt maudit, d’Hugo, mais nous voici en un autre pays, celui du Black Metal qui n’entend faire aucune concession aux pompeuses modulations des récitations ampoulées, déferlance éructative, une rythmique sans pitié, n’empêche que si vous êtes attentif vous entrez dans le texte, certes il n’y a plus la rime mais il y a le crime, et cette voix douce d’Erszebeth tendue comme branche secourable pour arrêter la chute du Titan qui en profite pour ricaner à la face lointaine de Dieu,  la chute recommence, le rythme s’alentit, car lorsque l’on chute dans l’infini que votre chute approfondit, la vitesse n’a plus de sens, vous êtes en même temps en mouvement et comme en suspension… Si vous ne comprenez pas, ce n’est pas de votre faute, c’est que le monde s’est obscurci, par votre propre faute. Le grand banni : turpitude phonique, rien ne sert de crier, Erszebeth chuchote, les vers sortent de sa bouche comme si elle était morte sous une énorme motte de terre dans la tombe, nous sommes au cœur du drame, Satan prend son parti, il a peur mais déjà il délimite son royaume, les sonorités funèbres de violoncelle computérisé entrecroisées dépeignent le noir qui envahit son royaume, vocal âpre comme éjaculé par une gueule de vipère satisfaite de sa cruauté, Erszebeth raconte une terrible histoire, elle insiste, elle parle à Satan comme s’il était un enfant privé de dessert, elle a pris une exécrable voix de sorcière, mais la punition est terrible, lui le porteur de lumière vivra dans un immense cachot aux murs teintés de la plus profonde obscurité. Il ne frappe pas à la porte, n’est-il pas lui-même la porte qu’il a refermée sur lui-même, il court vers l’infime étincelle de lumière, elle est là-haut, à des hauteurs inimaginables, alors lui qui a chuté prend son vol vers cette dernière lueur. L’archange, qui n’est pas un ange, ne chute plus, il monte. La ruée vers la nuit : Erszebeth a gardé son timbre d’ogre qui raconte l’histoire du Petit Poucet a des enfants perdus dans la nuit qu’il a recueillis, accompagnement mélodramatique, un océan de turpitude dont les vagues infinies et perpétuelles se suivent dans une immense horreur, Satan est au plus profond de son trou, il remonte, va-t-il implorer la pitié, non c’est au creux extrême de sa déréliction qu’il monte vers le dernier luminaire de son univers qu’il  accepte son sort, cette lumière espérée il lui souffle dessus comme Cioran essayant dans ses livres d’éteindre l’impitoyable bougie de l’être,  étrangement cette scène fébrile débitée implacablement semble être transcrite en tant qu’une  statufiante photographie vocale afin d’en traduire la perpétuité, pour enfermer Satan dans sa déchéance et le retenir prisonnier dans son infatigable combat contre la lumière de Dieu.  L’âpre abîme : hachis accéléré, c’est le jeu du chat et de la souris, Satan tente de rattraper le soleil qui s’éloigne dès qu’il s’approche de lui, nous sommes au cœur de l’action, des voix psalmodiantes s’élèvent comme le son de l’harmonica dans Il était une fois dans l’Ouest, point de vocal, rien que la noirceur des fleurs d’abîmes que sont le son des violoncelles, gargarismes de gorges en feu, Satan va-t-il arriver à ses fins, il atteint l’astre évanescent, il est au sommet d’une haute montagne, il lui a fallu plus de dix mille ans pour y parvenir et être ainsi à la portée de sa proie… La mort du soleil : la fin de l’histoire sordide, la mort du soleil, presque le Crépuscule des Dieux, pas de chant, des contre-chœurs oui, sépulcraux, procession funeste, le chat n’attrapera pas la souris, le soleil ne veut pas mourir, il se débat, Satan impuissant ne peut qu’assister à sa longue agonie, l’astre se se tord, il n’entend point laisser la place à la nuit, lui aussi n’est-il pas un porteur de lumière, mais lorsqu’il s’éteint ce n’est pas l’obscurité qui l’emporte, mais quelque chose de plus hideux, informe et infini : le néant. Au bord du gouffre où rien ne change : rien ne sert  d’avoir tout perdu, encore faut-il savoir et regretter ce que l’on a perdu. Un trait de lumière tel le testament de l’astre mort, la lumière éblouissante, serait-ce le retour espérée, tout y concourt et le rythme effréné et cette voix accélérée, long passage comme si l’astre en son zénith allait s’arrêter, cri de désespoir la lumière retombe, le royaume de Satan sera celui de l’obscurité, la lumière est l’apanage du ciel de Dieu, le partage est établi, nous sommes au plus profond du noir, au plus profond du désespoir, seule palpite une dernière plume brillante échappée d’une des ailes de l’ange déchu. Promise à l’abîme. Le sage : tempête de violoncelles, nous sommes au cœur du désespoir, le sage ne désigne pas Satan, mais l’Homme, du moins les meilleurs d’entre eux, les sages, qui eux aussi  sont victimes du même désespoir qui étreint l’âme perdue de l’archange déchu. Murmures imprécatifs, accompagnés des trompettes du jugement premier, celui que le Sage porte sur le mystère insondable de l’univers, toutefois il suppute l’existence de quelque chose de terrible, d’un secret, d’une explication qui serait à l’origine de cette nihilisation de tout effort de penser, se pencher sur l’abîme d’inconnaissance absolue n’apporte aucune connaissance. Comme si elle était interdite. Le lépreux : la parole est au lépreux. Il décrit son cas. Lui aussi a une voix de serpent, celui qui  rampe dans sa laideur, qui se trémousse dans la fange, le rythme le hache menu, est-ce de sa faute, mérite-t-il son sort, les hommes le haïssent, Dieu l’a oublié, la beauté de la terre n’est pas pour lui, le morceau se termine sur un grondement sans fin, l’écho d’un train qui s’enfuit dans la nuit… Mais où est Satan. Celui qui s’est opposé  à Dieu et dont le lépreux ne parle point, sait-il seulement qu’il existe, peut-être pense-t-il que son sort à lui de banni sur la terre est plus difficile que celui de l’Adversaire qui est tout de même le maître de l’Enfer. Il est tombé bien bas, mais il a côtoyé Dieu. Il est une légende vivante. Le lépreux enfermé dans sa chair pourrissante a d’autres chats à fouetter. Il rejette la responsabilité de sa déchéance sur Dieu, il n’a pas fait la relation entre la chute de Satan et le Mal qui s’est répandu sur terre. La plume de Satan : ce texte n’est pas le dernier de La Fin de Satan. Il se situe encore dans Hors de la terre. Dans la partie mythologique, si l’on ose employer ce vocable, du recueil. Nous sommes pourtant sur l’arête de sa déclivité. Dans les autres parties nous descendrons du côté des Hommes, Dieu ne sera plus le Dieu mais le Verbe évangélique. Pour le moment l’heure est grave, la plume tombée de l’aile de Satan, palpite et les anges du Paradis descendent la voir et admirer à travers elle la lumière du Porteur de lumière qui était l’égal de Dieu puisqu’il s’était attaqué à Dieu, même si Lucifer s’est transformé en Satan, ce deuxième avatar fascine autant que le premier, peut-être davantage, de la plume naît un ange que la voix de Dieu baptise Liberté. N’est-ce point-là pour Dieu la reconnaissance de tout être à choisir librement ses actes, fût-il de s’opposer à lui. Une espèce d’abdication morale de renoncement à sa toute-puissance. Ce finale est prodigieux. Il allie force tempétueuse et éplorations implorantes. Même vaincu, du fond de son royaume infernal, l’esprit de Rébellion de Satan fait des émules. Dieu a du souci à se faire.

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             La suite au prochain numéro, constituera-t-elle un deuxième album de L’œuvre au Noir. La principale difficulté d’une adaptation d’un tel texte était de s’aventurer dans une émulsion néo-classique, même en restant dans le domaine du rock il était facile de tomber dans le grand style pompier des reconstitutions épiques maladroites. Ils ont préféré, proféré, s’approcher d’une œuvre aussi démesurée, en restant eux-mêmes tout en se mettant à son service. Sans rien renier de leur démarche qui consiste de se mesurer aux falaises rayonnantes de la poésie, entre autres romantique, afin de réaliser l’œuvre au rouge de l’alliance granitique de la culture populaire avec celle dite classique, savante, voire stupidement dénigrée sous la stupide accusation d’élitisme.    

             Même si c’est un premier album, l’on peut décréter qu’Erszebeth et G.H.O.S.T. ont su rester fidèles à l’esprit de Stupor Mentis, créé en 2015, arrêté en 2021. Nous apparaissent comme une figure de proue intensément originale du renouveau du black metal.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 667 : KR'TNT ! 667 : REDD KROSS / GURRIERS / LINDA GAIL LEWIS /JAH WOBBLE /JOHN EDWARDS / ROME / ELVIS PRESLEY / SALUT LES COPAINS !

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 667

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    28 / 11 / 2024 

     

    REDD KROSS / GURRIERS / LINDA GAIL LEWIS  

    JAH WOBBLE / JOHN EDWARDS / ROME

    ELVIS PRESLEY / SALUT LES COPAINS ! 

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 667

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - A Kross the universe

     (Part One)

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             Plutôt inespéré : Redd Kross à Paris ! T’en reviens pas. Pourquoi inespéré ? Parce que pas très connu et aussi parce que ce genre de groupe pas très connu n’intéresse pas grand monde. Le concert n’est d’ailleurs pas complet. Et pourtant, Redd Kross taille sa route depuis quarante ans, dans la plus parfaite exubérance, avec des albums bourrés de hits dont la plupart sont devenus cultes, tout au moins chez les happy few.

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    Les voilà enfin sur scène. Sur les quatre, t’as deux Melvins, Steven McDonald, basse, et Dale Crover, beurre, plus Jason Shapiro et Jeff McDonald aux grattes. C’est un set explosif, et c’est rien de le dire.

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    Ils te mettent vite sous tension avec ces bombes atomiques que sont «Stunt Queen» et «Emmanuelle Insane», ils naviguent entre exubérance et flamboyance, ils collectionnent les mamelles du destin : le son, la classe, les compos, la niaque, l’ultra-présence, ça joue et ça pulse, Steven McDonald saute un peu en ciseau avec sa basse, et derrière t’as cette faramineuse powerhouse de Dale Crover qui, après avoir allumé quasiment tous les albums des Melvins, veille aujourd’hui au dynamitage des Kross Kuts. Bim bam boom !

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    Te voilà pris dans la frénésie, elle court elle court ta banlieue, même si ce n’est plus tout à fait ta banlieue, te voilà embarqué et même charrié, au point où tu sens que tu ne maîtrises plus rien, oui, charrié comme un pauvre con de fétu par un torrent de Skydog, de Skyblog et de Skydown in the ground, t’es là et t’es déjà plus là, tu nages et ça ne sert à rien de nager dans le tumulte, c’est comme de parler dans le vide, alors laisse les bombes éclater une par une, «Annie’s Gone» tiré de Third Eye, ou encore «Huge Wonder» tiré de Phaseshifter, et pire encore, «Linda Blair 1984», tiré de Teen Babes Fom Monsanto. En fait, ils piochent dans tous ces albums tellement prisés des happy few, et ça ne rate pas : vers la fin, ils tapent le morceau titre de Neurotica, un fantastique album dont les happy few se firent à une époque les gorges chaudes. Alors forcément, sur scène, c’est Noël. Ils jouent tout ce qu’ils peuvent dans leurs tenues de scène blanches tachées de peinture. Ils font tourner leur manège jusqu’au vertige.

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    On sent bien le power des Californiens, ils en font toujours un peu plus que les autres, mais avec Redd Kross, c’est brillant. Extrêmement brillant. Et t’as l’heure qui passe comme un songe, il ne t’en restera rien de plus qu’un bon souvenir, tu croyais tenir un moment d’éternité, et lorsqu’un peu plus tard, tu remontes à pinces la rue de Tolbiac, tu sais qu’il t’a échappé. Pfffff ! Comme tout le reste. T’as vraiment l’impression très nette de t’enfoncer dans la nuit de la mort, même si t’as encore chaud aux oreilles et la mine réjouie. 

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             Par précaution, t’avais écouté leur dernier album sans titre avant de venir les voir jouer. Tu voulais juste vérifier qu’ils étaient toujours aussi géniaux.

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    Double album rouge sans titre en hommage au White Album «that Jeff  and Steven bought back in 1970 avec les sous gagnés sur les consignes de bouteilles de Coca, l’album propose 18 masterfully crafted punk, power pop and psychedelia-tinged bangers.» Voilà ce que Dan Epstein déclare dans Now You’re One Of Us, the Redd Kross book qui vient de paraître et dont on reparle la semaine prochaine. En effet, tu cries au loup dès «Stunt Queen». Envolée stupéfiante, non seulement t’as la grosse assise, mais t’as en plus la liberté totale de wah. Deux autres coups de Jarnac en B : «Terrible Band» et «Stuff» - Inbereable man/ In a terrible Band - C’est du power à toute épreuve. Power d’envers et contre tout. Niaque chevillée au corps. Belle ampleur catégorielle. Ils ont la même longueur d’onde que les Lemon Twigs. Killer solo flash & «Too munch is never/ Enough/ Stuff». Ils claquent l’heavy pop de tes rêves les plus humides. Ils n’ont de leçons à recevoir de personne. En C, ils claquent un «Way Too Happy» qui sonne comme un hit des Byrds, avec le power Redd Kross. On assiste aussi à une belle montée en neige troublée par un bassmatic en folie dans «Too Good To Be True». Avec «The Witches’ Stand», ils rendent hommage à Brian Jones et Jean Harlow. Et tout semble exploser en D avec «The Shaman’s Disappearing Robe» qui semble sonner comme un épouvantable hit. Le refrain et le bassmatic flamboyant t’embarquent le Shaman pour le firmament. S’ensuit un «Emmanuelle Insane» atrocement insidieux, remué ciel et terre par le beat de Kross et balayé par des vents mauvais. Et ils finissent cet édifiant double album en mode power pop de classe intercontinentale avec «Born Innocent». 

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             Le premier album des frères McDonald s’appelle d’ailleurs Born Innocent et date de 1982, ce qui ne nous rajeunit pas. Au premier abord, cet album nous laissa perplexe. Il sonnait comme un album de jeunesse, avec sa collection de petites pop-songs punkoïdes. Avec «Everyday There’s Someone New», on avait du petit rock ingrat de petite ramasse illuminé par des éclairs de flash. Les frères McDo jouaient à trois avec Tracy Leaf, la petite brune qu’on voit au dos déconner avec un balai. On les situait assez mal, mais il n’empêche que leur son parlait à l’intellect. Même mal harnaché, ce son s’installait. Cet album ressemblait presque à l’étalage d’un marchand de bonbons : envie de goûter à tout. Le hit de l’album s’appelait «Look On At The Bottom», en B. Les frères McDo multipliaient les idées de son, à la manière de Robert Pollard, et n’en finissaient plus d’épater l’épatable. Franchement bon et joué à la bonne franquette, l’une des meilleures franquettes d’Amérique. Encore une bonne raison de s’extasier : «Cellulite City», joué au berk-punk, mais avec esprit. Il terminaient «Pretty Girl», avec un hommage à Dylan, non indiqué sur la pochette et qui renouait avec la fantastique énergie du Dylan de 65.

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             Avec Teen Babes From Mosanto, les frères McDo vont monter en puissance. Depuis les années 80, la réputation de cet album de reprises n’a cessé de grandir. Car quelles reprises ! Stooges, Bowie, Boyce & Hart et Shangri-Las, c’est un choix de kids américains. D’ailleurs, ils démarrent avec une reprise du «Deuce» de Kiss. Extraordinaire petite débauche d’énergie. Les deux frères savent donner le change. Comme tous les kids américains de leur âge, ils trempent dans la Stonesy et allument le vieux «Citadel». Là, ils tapent dans le sacré. La Stonesy leur va si bien. Ils respectent mêmes les longs breaks silencieux de la version originale. Par contre, leur reprises d’«Heaven Only Knows» (Shangri-las) et d’«Ann» (Stooges) retombent comme des bites molles. C’est en B que se planquent les deux coups de génie, à commencer par l’imparable «Saviour Machine» qu’ils tirent de The Man Who Sold The World. Avec le son de Ronson, ils sont à leur aise. Et le glam leur va comme un gant. C’est joué à la Ronno sévère du Width Of A Circle, psychoutté à outrance et bien enlevé, glammé dans la magnifique altération du décadentisme britannique. Et tout explose avec le brillantissime «Blow You A Kiss In The Wind» de Tommy Boyce et Bobby Hart, les deux mecs qui composaient principalement pour les Monkees. Fantastique shoot de power-pop, pur jus du Redd Kross à venir, ils rallument tous les lampions du bal. C’est là que se niche le génie des frères McDo. Steven : «Plus tard, des gens comme Buzz et Dale from the Melvins, et Mark Arm from Mudhoney nous ont dit que cet album really kind of helped to set in motion what would become the grunge explosion, because we included things like The Stooges and early KISS on the same page.»

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             Paru en 1987, Neurotica passe pour l’album le plus ambitieux des frères McDo. Dans leur book, ils révèlent qu’ils voulaient Sonny Bono comme producteur, mais il faisait de la politique. Puis ils ont opté pour Flo & Eddie, mais ça n’a pas marché non plus. Alors ils ont pensé que Tommy Ramone serait parfait. Mais Jeff et Steven sont déçus du résultat. Ils voulaient se situer «between The Partridge Family and Live At Leeds», mais ils se sont retrouvés avec un son années 80 qui ne leur correspondait pas. Jeff : «By the time you heard it on vinyl, it was several generations down from what you heard in the studio.» Et puis au moment où Redd Kross commence à tourner, leur label se casse la gueule. Pourtant l’album n’est pas si mauvais. On sent le souffle dès le morceau titre. Le souffle, c’est-à-dire une certaine énergie, une certaine allure, un sacré tempérament post-moderniste, une certaine façon de chanter à l’insidieuse, un certain style, une certaine façon de monter les chœurs en épingle et de doubler l’ensemble d’un tricotage de solo continu. On est hooké. Fucking big energy ! L’hit de l’A s’appelle «It’s The Little Things». Voilà la lumière, la pop tendue vers l’avenir, l’expression considérable, la power-pop d’exception. C’est du rêve pop à l’état le plus pur, on se croirait en Angleterre, la prod évoque à la fois Brian Wilson et Phil Spector, on a du mal à y croire tellement c’est bien foutu, big heavy bundle, ces mecs ont le diable au corps. Avec sa power pop inflammatoire, Redd Kross sonne comme le groupe pop américain idéal. Le hit de la B s’appelle «What They Say», petit garage vengeur stupéfiant de niaque, joué à l’envenimée, incapable de se calmer et côté solo, ça coule de partout. C’est un album d’une rare densité, «Play My Song» sonne comme une merveilleuse plâtrée de psyché californien mais très anglais dans la façon de plonger en piqué dans la piquette. La verdeur de leur pop outrepasse celle des Beatles. «Janus, Jeanie, And George Harrison» sonne comme le «Time’s Up» des Buzzcocks, mais avec le son de Blue Cheer. Ils passent même Blue Cheer à la moulinette et proposent en fin de cut un final éblouissant. Par la multiplicité des styles et la qualité des prestations, un parallèle s’impose entre Neurotica et le White Album. On sent cela clairement à l’écoute du fantastique «Peach Kelli Pop». C’est de la power-pop, mais on pourrait aussi parler de pâtés de son, mais des pâtés raffinés. Ils explosent dans l’azur immaculé à coups de yeah yeah yeah. Neurotica n’est rien d’autre qu’une collection de chansons autonomes et captivantes. Le «Beautiful Bye Bye» qui referme la marche renforce encore l’analogie avec le White Album, qui souvenez-vous s’achevait avec «Good Night Sleep Tight».

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             Avec Third Eye, ils débarquent sur Atlantic. À l’époque, Jeff est obsédé par le bugglegum de Kasenetz & Katz. Jeff : «Je disais aux gens que je voulais faire  the bubblegum rock opera.» Third Eye est donc un hard bubblegum concept album. Il rencontre même Gus Dudgeon, mais il ne se sent pas au niveau de ce producteur légendaire. On pourrait presque parler d’album raté. Jeff : «‘The Faith Healer’ is a tribute to the Ohio Express and The 1910 Fruitgum Company - almost on an Oasis level - with a little nod to Brian Wilson thrown in.» Cette fois, la pop des frères McDo ne fonctionne pas aussi bien. Steven dit qu’ils ont le mauvais producteur - We were a garage rock band, like Crazy Horse, and we just needed to have a record that sounded as good as the first Crazy Horse album - Avec «I Don’t Know How To Be Your Friend», ils jouent la carte de l’extrême finesse et du coup ça frise le hit intermédiaire très tendancieux. Il faut attendre un «Shonen Knife» battu à la diable pour trouver un peu de viande - Take me down to the Abba road - et l’album s’éveille enfin avec «Bubblegum Factory». Ils renouent avec leur cœur de métier : la pop séculaire. Ils mettent leur pop en coupe réglée et sonnent comme les Beach Boys. Ils flirtent avec le glam pour «Zira» et quand on écoute «Where I Am Today», on croirait entendre House Of Love. C’est un son très indie-rock britannique monté sur un drumbeat inepte. Back to the très belle pop américaine avec «Love Is Not Love» en B, une pop colorée et sucrée, bien montée en épingle, très inspirée par les Beatles dans la façon de dire like me/ you’re not quite sa-a-aane. Ce pur jus de Beatlemania flirte avec la magie. «Elephant Flares» bénéficie aussi de toutes les qualités du son McDo : l’inflammatoire, le beat exacerbé, le chant qui n’attend rien de son prochain et le final exceptionnel. La grande force des frères McDo c’est de savoir finir en apoplexie suburbaine de wah. Sur la pochette, on voit Sophia Coppola nue et masquée. Et comme l’album ne se vend pas, Atlantic les jette.

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             Phashisfter pourrait bien être le meilleur album des frères McDo. Ils ont John Agnello comme producteur, le mec qui vient de produite le Were You Been de Dinosaur Jr et le Sweet Oblivion des Screaming Trees. Ils attaquent ça avec «Jimmy’s Fantasy», un slab d’heavy psych californien, un extraordinaire dévoiement collatéral. Jeff McDo joue à la Rundgren, aérien et wild, mélodique et suburbain, dans le maximum overdrive de l’ondoyance. Il bat puissamment des ailes et semble dominer le monde, il fait allégeance à la persistance et développe un extravagant power surge. «Jimmy’s Fantasy» saute comme une bombe. Pas de retour possible. C’est arrosé d’un napalm de wah et de tiguili. On reste dans l’exercice de la puissance avec «Lady In The Front Row», ils sont à la puissance dix, dans l’exponentiel sonique, en carrousel de solo d’avant-garde. Exagéré. Intraitable. Irréversible. Vous avez là le meilleur son d’Amérique. Pire encore : c’est digne des Beatles. «Huge Wonder» sonne comme un hit planétaire, pas de doute, c’est une power-pop très chatoyante, avec des guitares latentes qui rayonnent - It’s no wonder - On s’effare de l’incroyable qualité de la densité et ce démon de Jeff part en vrille suspensive. Il crée un véritable spectre psychédélique, un vrai dégouliné d’heavy Kross. On retrouve la tension qui fit la grandeur des Ten Years After et des autres géants de l’early London Scene. Avant de passer en B, on peut aussi se goinfrer de «Monolith», une pop parfaite digne de Brian Wilson, noyée de son, infestée de solos comprimés, et de ce monstrueux «Crazy World» tapé au heavy blues de blues rock, enrobé de miel, gluant de son et digne des dieux du fer travaillé. Le coup de génie se niche en B : c’est bien sûr «Pay For Love». Ils sonnent littéralement comme les Beatles. Il faut savoir le faire. Il faut savoir chanter au ton chaud et mélodique et injecter une bonne dose de so far-out dans l’excellence. On assiste à un extraordinaire balancement de pop intense et ouvragée à gogo, véritable travail d’orfèvre, joué au vibré de biseau mélodique, finement teinté de pianotis dignes de «Lady Madonna». C’est soloté à la rage de vivre. S’ensuit une autre giclée de power-pop intitulée «Saragon» et ça se termine avec une vraie débandade de heavy psych, «After School Special», un cut attaqué du ciboulot, grouillant de relances dignes des «Little Red Lights» de Todd Rundgren, drivé au beat ferroviaire des enfers, laminé à chaud. Too much monkey business. Les frères McDo nous ramènent au cœur du Wizard/True-starisme. «Only A Girl» sonne comme un hit psyché californien allumé au rumble de basse. Chez eux, tout est claqué à l’avenant de la meilleure claquemure. Tout est éminemment rock’n’roll sur cet album. Tout y est joué serré et vaillamment exécuté. Steven : «Musically, we were riffing on both The Stooges and Mudhoney.» Et plus loin, il ajoute : «It’s our equivalent of The Beatles doing ‘Helter Skelter’ as a reaction to The Who’s ‘I Can See For Miles’.» Et puis t’as ça, toujours ce démon de Steven : «I remember I sang it through a Twin Reverb with Shure SM57, because that was what Iggy supposedly did on the early Stooges records to get just the right amount of hair on the vocals.»

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             On trouve de beaux restes sur Show World paru en 1996, à commencer par «Teen Competition», gros brouet de power-pop visité par un fort vent de wah et un killer solo vient s’étrangler en plein centre du cut. Ah comme ils sont bons ! Deux énormités se planquent en B : «Follow The Leader» et «Vanity Mirror». Jeff amène leader à la violente titube de riff. C’est quasi-keefien dans l’esprit, mais la Beatlemania reprend vite le dessus, avec un son d’une exemplaire wilderness. Jeff joue ça aux petits accords intermédiaires de gimmickage bien gras. S’ensuit Vanity avec son beat Krossé et la progression conduit tout naturellement le cut au firmament d’I can’t hide. Avec «Stoned», ils continuent de caresser leur muse beatlemaniaque, et «You Lied Again» sonne comme un shoot d’heavy pop Krossée du meilleur effet. Ils travaillent l’axe Walrus/cocote de pop, et chantent à la meilleure audace de pop de haut vol - High in the wind/ Fresh as a wild ride - Retour à la Beatlemania avec «Mess Around». Les frères McDo sont probablement ce qui se rapproche le plus des Beatles sur cette terre. Leur pop brille d’un éclat si pur sous le soleil exactement. On retourne dans l’enfer du paradis avec «Get Out Of Myself». Ils jouent ça au va-tout sous une brise d’harmonies dignes de Lennon & McCartney. Et «Kiss The Goat» monte tout droit du paradis. Voilà encore un album d’une sublimité sans commune mesure.

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             Avec Researching The Blues, ils s’enfoncent encore un peu plus dans la Beatlemania. «Winter Blues» et «Hazel Eyes» pourraient très bien se trouver sur Revolver. On repère tout de suite l’attaque beatlemaniaque d’envergure de «Winter Blues» - Solar regular daze/ Won’t go away - Franchement, on se croirait sur Revolver. L’impression persiste avec «Hazel Eyes» en fin de B, qui s’inscrit dans la veine magique des Beatles de l’âge d’or. Belle clameur de Kross, avec les départs en fanfare du bassmatic de Steven. Les frères McDo ont une facilité à renouer avec Revolver et Rubber Soul, ces albums du temps béni des voix d’écho perlé et des guitares enchanteresses. N’oublions pas le coup de génie qui se trouve en A : «Meet Frankenstein». Une vraie surprise party ! Ils attaquent ça à la baby you can drive my car, au fondu de voix dans l’âcre accord de pop anglaise - Remodel the star/ The one you know you are/ Not what you used to be - C’est spectaculairement bon - It’s not the end/ Hey Frankenstein/ Don’t Lose your head - Encore un hit destructeur avec «Stay Away From Downtown», ils ont raison de prévenir. Ils enfilent les yeah yeah à la hussarde, leurs shalala sont des modèles absolus. Autre merveille : «The Nu Temptations». Plus rien à voir avec le commun des mortels, ils jouent jusqu’à la fin des haricots. Tout est encore une fois monté en épingle, claqué derrière les oreilles, farci de départs en vrille et couronné de finaux éblouissants. Voilà pourquoi il faut suivre les frères McDo à la trace.

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             Paru en 2017, Hot Issue Vol. 1 propose des turn of the century recordings, new digs & old finds. Dans le tas, on trouve des choses intéressantes, comme par exemple cette reprise courageuse du «Puss N Boots» des Dolls, même si c’est chanté au petit McDo. Il n’a pas la hargne de Johansen, mais seulement de l’énergie plein les pattes. Les frères McDo sonnent comme les Enfants Terribles de Cocteau. Le coup de génie de l’album s’appelle «Switchblade Sister». Voilà encore un fantastique hit de pop qui explose comme un bourgeon de congestion abdominale. Pur régal aussi que cette reprise du «Motorboat» de Kim Fowley. C’est aussi glammy qu’un hit d’époque. Ils renouent avec leur fascination pour les Beatles dans «Insatiable Kind». Avec «Take It Home», Jeff sonne exactement comme John Lennon. On peut dire la même chose de «That Girl» : encore un cut qu’on dirait tiré de Rubber Soul. Par contre, «It’s A Scream» va plus sur le baroque de Sergent Pepper, avec sa structure tarabiscotée et ses arrangements trop richement ouvragés. Ils terminent cet album ultra-attachant avec un «Born To Love You» pianoté à la Lennon. Jeff a du talent, mais pas n’importe quel talent : un talent fou. Il travaille son cut à la Lennon, c’est-à-dire qu’il monte doucement le niveau mélodique vers des cimes inexplorées.

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             Tiens voilà le Volume 2 : Oh Canada. Hot Issue Vol. 2. Show World Tour Live. Et quel volume ! Redd Kross sur scène à Vancouver, ça vaut tout l’Or du Rhin. Ils envoient un huge shoot de power pop dès «Lady In The Front Row». Ils développent une puissance échevelée, ramonée par la basse de Steven McDonald. Son frère Jeff chante sa power pop à pleine voix. Ils sont tendus et beaux, radieux comme des radis sur des radeaux. À ce petit jeu, ils sont imbattables. On pense à Teenage Fanclub, bien sûr, mais les Krossards ont quelque chose d’américain en plus. Pas de doute, Roudoudou. Toute l’A navigue à ce niveau d’excellence. Ils enchaînent avec un «Switchblade Sister» incomparable, puis avec un «Stoned» élégant et déterminé. On assiste une fois de plus à un fantastique déploiement de force. Les frères McDonald donnent du jus à la force du poignet et alignent blast de pop sur blast de pop. On sent poindre la Beatlemania dans «Jimmy’s Fantasy». Ces fantastiques brothers bousculent bien les lignes, ils enfoncent bien leurs clous, rien ne saurait résister à l’ampleur de leur clameur. Puis avec «Mess Around», ils sonnent comme les Fannies. Si on observe les visages des frères McDonald, on ne tarde pas à réaliser qu’ils ressemblent étrangement à Ray et Dave Davies. Ils terminent l’A avec «Annie’s Gone», une nouvelle explosion de power pop au no no no. Jeff descend en beauté sur les baisses de régime en cocotte. C’est pour mieux rejaillir dans son puits de lumière. Par contre, la B convainc moins le con vaincu. Il s’agit d’une suite intitulée Silver Odessey tourne au délire prog. Mais qui s’en plaindra ? L’amateur de big seventies sound y trouvera son compte. C’est très proggy, mais avec une certaine vélocité et la quintessence d’une vraie férocité.

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             Un nouvel album paraît en 2019 : Beyond The Door. Alors attention aux yeux ! Le jeu favori des frères McDonald, c’est d’exploser le rock et la pop comme on explose un crapaud en lui fourrant un gros pétard dans la gueule. Avec «Fighting», ils se livrent à une cavalcade insensée - I play guitar and I’m aiming straight at you - He means it, l’animal, et le gros bassmatic anaconda vient engloutir «Fighting» vivant. Voilà un cut comme en voit plus, gorgé de killer attacks et d’infects remugles de bassmatic. Et tout l’album va reposer sur ce principe d’explosivité permanente. Tiens, comme par exemple le morceau titre, qu’ils roulent dans leur farine ou encore «There’s No One Like You» qu’ils tapent en mode heavy balladif, avec le bassmatic de Steven au-devant du mix. Tous les cuts sont architecturés sur la virtuosité de Steven McDonald. Son bassmatic incroyablement volatile hante «Ice Cream (Strange & Pleasing)» et «Fantastico Roberto» vaut pour un numéro de blast off qui redore le blason de la power-pop. D’autres merveilles guettent le voyageur imprudent en B, comme par exemple «The Party Underground» - Come on down ! To the Party underground !  - Alors oui, everybody, c’est quasiment un stomp de glam avec all the young dudes et new K-pop Voltaire. Puis ils s’en vont exulter avec «What’s A Boy To Do». La power pop monte jusqu’au plafond comme une chantilly devenue folle, celle de Fantasia, et le bassmatic continue de virevolter tout autour. Oui leur truc, c’est exactement Fantasia. À un moment donné, ça leur échappe et le son devient incontrôlablement jubilatoire. Ils restent dans la haute pression avec «Jone Hoople», encore un cut chargé comme une mule et harcelé par le plus exubérant des bassmatics. Alors, ça vitupère et il n’y a rien que tu puisses faire pour empêcher ça. 

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             Bizarrement, Vive Le Rock est le seul canard qui pense à saluer Redd Kross. Quatre pages, oh c’est pas grand chose pour un groupe qui a quarante d’existence et une dizaine d’albums devenus cultes pour les happy few. Bruce Turnbill parle d’albums qui capturaient «the zeitgeist of Generation X in a way that grunge never seemed to.» Ah cette manie qu’ont les gens de vouloir rattacher Redd Kross au grunge, alors que ça n’a rien à voir. Puis Turnbill passe les albums en revue, qualifiant Born Innocent de «pure hardcore», et compare leur dernier album au Double Nickel On The Dime des Minutemen. Les frères McDonald évoquent leurs amours de jeunesse, les Beatles, les Ramones et puis Black Flag - avant qu’ils ne deviennent populaires - Ils évoquent aussi bien sûr les Germs et les Bags. Avec le recul, ils voient Born Innocent comme du «good trashy fun». Quand ils se voient qualifier de groupe power-pop, ils opinent du chef, à condition que ce soit une définition «of jangly guitars and so forth, I guess we do fit into.»

    Signé : Cazengler, Red Krasse

    Redd Kross. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 17 octobre 2024

    Redd Kross. Born Innocent. Smoke Seven Records 1982

    Redd Kross. Teen Babes From Mosanto. Gasatanka Records 1984

    Redd Kross. Neurotica. Big Time 1987

    Redd Kross. Third Eye. Atlantic 1990

    Redd Kross. Phashisfter. Mercury 1993

    Redd Kross. Show World. Mercury 1996

    Redd Kross. Researching The Blues. Merge Records 2012

    Redd Kross. Hot Issue Vol. 1. Bang Records 2017

    Redd Kross. Oh Canada. Hot Issue Vol. 2. Show World Tour Live. Redd Kross Fashion Records 2016

    Redd Kross. Beyond The Door. Merge Records 2019

    Redd Kross. Redd Kross.  In The Red Recordings 2024

    Bruce Turnbill : California dreaming. Vive Le Rock # 114 – 2024

     

     

    L’avenir du rock

    - L’attaque des Gurriers

             Ce pauvre hère d’avenir du rock erre dans le désert depuis si longtemps qu’il ne sait plus pourquoi il erre. Quand on en arrive à ce point-là, on ne se pose plus de questions. On erre. L’avenir du rock ne se plaint pas. Errer, ça occupe bien les journées. T’erres du matin au soir, t’erres sans fin, t’erres du Nord au Sud, bref t’erres à gogo. Mine de rien, ça peut te surbooker d’errer. Et puis t’as la petite cerise sur le gâtö : les rencontres. Là tu frises le burn-out. C’est d’autant plus vrai pour l’avenir du rock, car il est déjà couvert de cloques. 50° à l’ombre, ça ne pardonne pas, surtout quand il n’y a pas d’ombre. Il voit arriver un mec chancelant dans l’air flottant. Le mec avance péniblement en traînant la patte. «L’a pas l’air en bonne santé», se dit l’avenir du rock. En effet le mec a l’air très abîmé. Il a reçu une sagaie qui est restée plantée et qui lui traverse les deux joues. L’avenir du rock s’apitoie :

             — Oh ben dites donc, ça doit vous vachement mal... Voulez-vous que je vous aide à l’enlever ?

             — ‘On ‘on !

             — Quoi ? Oui oui ou non non ? Faudrait savoir !

             Il fait non de la tête. L’avenir du rock le trouve malpoli et le prend en grippe.

             — Et puis d’abord vous pourriez vous présenter ! Comment vous appelez-vous ?

             — ‘chard rrrrrcis urrrton...

             — Quoi ? Vous pourriez pas articuler un peu ? Vous me faites perdre mon temps. J’ai pas que ça à faire !

             — ‘Nnnnniiii !

             — Quoi Niiiiiiii ?

             — ‘fhoourches duuuu Nnnnnni !

             — Ah les sources du Nil ? Ah c’est vous Richard Burton ?

             Burton opine du chef et essaye de sourire, mais c’est pas facile. Il montre la sagaie et tente de dire :

             — ‘Guuua-guaarriers aaaaa... anaakiiiii !

             — Pffff... Vous me faîtes marrer avec vos guerriers Danakils. Petit joueur ! Connaissez pas les Gurriers ?

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             On t’annonce un concert «post-punk/shoegaze». Tu rigoles à l’avance. Tu rigoles pour deux raisons, toujours les mêmes : un, à cause de l’étiquetage à la française, un art en soi, et deux, le post-punk qui n’a de sens que dans les pattes de Mark E. Smith, mais le reste du soi-disant post-punk, c’est compliqué. Compliqué au sens de la constipation. Bon bref. Voilà les Gurriers irlandais.

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             Post-punk ? Tu rigoles ? Dévastateur ! Voilà des kids irlandais qui refoutent le souk dans la médina, exactement comme l’ont fait les Undertones 50 ans auparavant. T’as toute cette énergie des kids lancés à la conquête du monde, et là, t’en prends plein la gueule ! Bim bam boom, en deux cuts, c’est dans la poche, parce que t’a un petit mec nommé Dan Hoff qui ne paye pas de mine mais qui s’accroche à son micro comme le roi des punks irlandais, et il a même des échos de Johnny Rotten dans le chant, c’est le même power, t’en reviens pas de voir un mec aussi puissant et aussi juste, il est en plein dans le mille, et il saute partout. Superstar !

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    En fait ils sont deux à sonner les cloches de la Normandie, Dan Hoff et son poto bassman en chemise rouge, un kid qui s’appelle Charlie McCarthy et qui passe son temps à lever l’enfer sur la terre à coups de bassmatic percutant, et quand ils explosent tous les deux, t’as tout ce que tu peux espérer de mieux sur une scène de rock. C’est wham bam thank you Dublin, ils complotent tous les deux de vastes mouvements tournants et perdent juste ce qu’il faut de contrôle pour amener sur cette terre la folie salvatrice sans laquelle le rock ne serait pas le rock.

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    Ils le font à leur manière, de manière très ingénue, de manière extraordinairement pure et spontanée, ils sont là pour te rocker le boat et ils te le rockent au point que dans un moment de panique tu cherches dans tes souvenirs si t’as déjà vécu ça, cette gestuelle de l’explosivité concertée. Il faut remonter loin, oui, avec les Damned à Londres, début 1977, et puis bien sûr Idles au temps de leurs premiers concerts. T’as des gens qui savent exploser et les Gurriers sont des cracks du genre.

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    Et t’as ce mec Hoff qui chante comme un dieu. Il a tous les plans qu’il faut, il te gave de rock comme une oie. Ils sont tellement bons qu’ils échappent aux genres et aux étiquettes franchouillardes. Là t’as le real deal, cinq kids irlandais on fire, avec des vraies compos, une vraie attitude et du jeu de scène, c’est-à-dire tout !

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    T’en finis plus de te dire que le rock n’a jamais été aussi vivant, aussi bien joué, aussi bien compris, aussi digne de toute ton admiration. T’en reviens tellement pas que ça te réconcilie brutalement avec la vie.  T’es presque content d’avoir survécu assez de temps pour pouvoir assister à ce festin de rock irlandais. 

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             L’album ? Oui ! Mille fois oui ! Ça grouille de puces, à un point qu’on n’imagine pas, mais à condition d’aimer les grandes voix, les grosses compos, et le real deal. Pas compliqué : «Nausea» t’explose en pleine gueule, ils te rentrent littéralement dedans, ils ont ce type de punch et ce mec Dan Hoff allume tout, he’s on fire, dirait un Anglais, t’as toute cette énergie in the face, comme avec Protomartyr. Tu vois ensuite «Des Goblin» monter comme la marée du diable. Avec cet album, t’as l’Irlande rock, la vraie. Ils font du Fall irlandais avec «Dipping Out», l’Hoff y va à la harangue, sauf qu’ils attaquent comme des sauvages, avec l’Hoff plein comme un œuf. Punch phénoménal. L’Hoff est une force de la nature. Un trésor caché. Un puissant seigneur. Et ça repart en mode tatapoum avec «Close Call», ils ont le beurre qu’il faut et ça explose en plein vol. Mais c’est plus concis sur scène. Tout est poussé au maximum des possibilités, ils vont au-delà d’eux-mêmes. Dan Hoff superstar ! Dynamite encore avec «No More Photos», mais c’est tellement balayé par des vents mauvais que ça bascule dans l’insanité. L’Hoff plane dans son cut comme un vampire. Il emmène son «Top Of The Bill» par-delà les montagnes. C’est soutenu aux arpèges irlandais et ça se répand sur toute la planète. l’Hoff chante à pleine gueule. Il règne sur la terre comme au ciel. On ne peut parler que de prestance. Il pose bien son discours sur la thématique Gurrière, il enfonce ses clous partout. Peu de gens sont capables de pousser le bouchon aussi loin que lui. Il est tellement puissant qu’on le soupçonne d’avoir du sang apache dans ses veines de Gurrier. «Sign Of The Times» vire hypno d’entrée de jeu. Bassmatic de combat. On revoit le petit mec en chemise rouge. Ça vaut pour du post-punk explosif. Encore une attaque qui marquera l’histoire du rock : celle d’«Approcheable» - I’m approcheable - C’est très Fall, avec de la cocote sourde. Et cette belle aventure Gurrière se termine avec le morceau titre qui part en vol plané. Quel album lourd de sens ! Les Gurriers ont le goût des volumes et des Big Atmospherix. T’en prend plein la barbe jusqu’à la fin.

    Signé : Cazengler, Gourré

    Gurriers. Le 106. Rouen (76). 31 octobre 2024

    Gurriers. Come And See. No Filter 2004

     

     

    Talking ‘Bout my Generation

    - Part Twelve

     

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             Et boom, t’as Linda Gail Lewis en couverture de Rockabilly Generation. La moindre des politesses est de ressortir de l’étagère les cinq albums Smah sur lesquels Linda Gail duette avec son frangin Jerr. En fait, c’est pas elle que t’écoutes, c’est Jerr.

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             Country Songs For City Folks grouille de merveilles, à commencer par un «Seasons Of My Heart» absolument heartbreaking, avec le tic-tac de charley au-devant du mix. Jerr duette ventre à terre avec Linda Gail dans «North To Alaska» et passe «Wolverton Mountain» en mode up-tempo. Jerr fait son job, il rocke sa country et apprend à swinguer à la pompe de Nashville. «King Of The Road» est l’un de ces vieux classiques du swing américain repris en France par Hugues Aufray. Jerr fait un véritable carnage dans ce «Funny How Times Slips Away» fantastiquement doublé à la guitare, ce qui est idéal pour un crack comme lui. On se régale aussi de «Crazy Arms», géré au swagger de Jerr et qu’il chante du haut de sa grandeur. C’est aussi sur cet album qu’on trouve ses hits les plus passe-partout, «Green Green Grass Of Home», «Ring Of Fire» et «Detroit City» qui manquent tous les trois cruellement de son. On imagine ces cuts dans les pattes d’un mec comme Andy Paley ! Ah ce serait autre chose !

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             Avec Another Place Another Time, Jerr passe à la country pure. Mais il chante superbement bien son «Walking The Floor Over You». Pas étonnant de la part d’un cat comme Jerr. Il faut dire qu’avec cet album, il met le paquet sur la country plaintive. Il duette avec Linda Gail sur «We Live In Two Different Worlds» et c’est pas terrible, car la pauvre Linda Gail en rajoute un peu trop. On ne peut pas dire qu’elle frise le ridicule, car ça ne plairait pas à son frère. Heureusement, Jerr fait un festival sur «What’s Made Milwaukee Famous». Il monte sa chantilly avec une virtuosité toujours plus effarante.

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             Même quand on n’est pas fan de country, on se fait avoir avec les deux volumes de The Country Music Hall Of Fame Hits parus en 1969. Ne serait-ce que pour les deux reprises d’Hank Williams, «I’m So Lonesome I Could Cry» et «Jambalaya», figurant sur le Volume 1. Lonesome est sans doute le mélopif country le plus célèbre, et Jerr lui donne une fabuleuse présence émotive. Avec «Jambalaya», soudain tout s’éclaire. Jerr chante son cajun accompagné au violon. Il démarre son Volume 1 avec un gros coup de bonanza de country bona fide intitulé «I Wonder Where You Are Tonight». Ah ce Jerr, il est terrible, il nous en fait voir de toutes les couleurs ! S’ensuit un épouvantable mélopif chargé de tout le pathos nashvillais : «Four Walls». Bon, c’est vrai, Jerr chante pas mal de bluettes country à la con, mais il les chante vraiment bien. En B, il croone sa country de «Born To Lose» au clair de la lune en l’enjolive en gonflant ses syllabes comme des crapauds. Forcément, comme 69 est une année érotique, Jerr n’enregistre que du mélopif country bien gluant. Avec «Oh Lonesome Me», il se tape une belle tranche de mid-tempo sweep-along. Puis Linda Gail le rejoint pour «Jackson» et là ils font un carton, carton qu’on retrouve d’ailleurs sur l’album de duos avec Linda Gail, Together, paru la même année. Linda Gail gueule comme il faut, avec un brin d’hystérie. 

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             On les retrouve tous les deux sur le Volume 2 avec «Sweet Thang» : nouveau carton que Smash va aussi recycler sur Together. Jerr et Linda Gail sortent de la country et ça devient intéressant, même si elle devient un peu trop hystérique. Jerr attaque son Volume 2 avec «I Can’t Stop Loving You» et il hausse un peu le ton, il shake son vieux romp à la magistrale de la martingale. Mais en même temps, on s’inquiète car on voit bien à l’écoute d’un cut comme «Fraulein» que Jerry Kennedy a réussi à limer les crocs du Killer. Il se peut que Jerr ait subi les impératifs de la pression commerciale : c’est la country qui se vend le mieux aux États-Unis en 1969. Bon et puis Jerr s’est toujours réclamé de la tradition de l’old time religion, alors banco pour la country. C’est avec «Burning Memories» que Jerr regrimpe au sommet de son art. Il faut le voir honorer cette vieille bluette déchirante.

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             En fait, tu récupères Together uniquement pour la pochette. Comme t’es dingue de Jerr, à l’époque, tu te régales de le voir avec sa frangine sur le pont rococo. Ce sont eux les plus belles superstars de tous les temps, avec Elvis et Vince Taylor. Ils démarrent en trombe avec «Milwaukee Here I Come». Ils foncent au même trot. Diable, comme ils sont drôles. Avec «Don’t Take It Out On Me», ils se veulent plus poppy. On sent qu’ils s’entendent bien tous les deux. D’ailleurs ça se voit sur la pochette. Sur certains cuts, ils sont imparables. On retrouve à la suite «Jackson» et «Sweet Thang»» et ils bouclent leur balda avec «Secret Places». Aïe aïe aïe ! Dès qu’elle attaque c’est foutu. Elle roucoule comme une vieille dinde alors que Jerr chante au calme serein. Par contre, elle devient intéressante au contre-chant. C’est elle qui attaque la B avec «Don’t Let Me Cross Over». Elle gueule comme un putois. Heureusement que Jerr arrive. Ouf !  Ils partent tous les deux au petit trot sur «Gotta Travel On», mais elle redevient vite insupportable dès qu’elle se met à gueuler. Ils terminent avec une belle version de «Roll Over Beethoven». C’est encore elle qui attaque, mais Jerr veille à rétablir sa suprématie.

             La dernière fois qu’on a pu voir Jerr sur scène, ce fut au Zénith du Parc de la Villette, pris en sandwich entre Linda Gail et un Chucky Chuckah coiffé d’une casquette de yatchman.

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             Dans Rockabilly Generation, Linda Gail rappelle qu’elle a grandi dans un milieu très pauvre et que tout a changé quand Jerr est devenu riche : nouvelle baraque, nouvelle bagnole, allez hop mille dollars par ci, mille dollars par-là, et t’as Jerr qui roulait en Cadilllac décapotée, le cigare un bec. Elle revient sur l’histoire des mariages ados qui est, dans le Sud, d’une banalité sans nom, mais qui ne passe pas en Europe. Linda Gail s’est mariée à 14 ans. Vite divorcée. Gamine divorcée, plus d’avenir ? Grrrrrr, Jerr lui apprend à jouer du piano.

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             Dans Vive Le Rock, Garth Cartwright claque trois pages sur Linda Gail. Pareil, la petite interview, le «j’ai grandi dans my big brother’s shadow», un big brother qui était une légende, comme on sait. Cartwright est ravi d’interviewer Linda Gail qu’il trouve «warm, funny, thoughtful et débordante d’histoires extraordinaires.» Cartwright est fan d’elle car il connaît le fameux album de duos avec Jerr, Together, et il a surtout flashé sur son dernier album, l’excellent Rockabilly Queen - Linda Gail is the real deal, s’exclame-t-il, l’écume aux lèvres.

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             Dans le micro de Cartwright, Linda Gail se dit folle de son Rockabilly Queen - An awsome producer, great players, and the best record company in the world - Cleopatra, pour ne pas la nommer. 77 balais pour Linda Gail, mais in the spotlight après une vie dans l’ombre de Jerr. Elle tourne partout, USA & Europe, choo choo-promo. Alors c’est qui l’awsome producer ? Danny B. Harvey en personne, le rockabilly guitar icon qui jouait avec Slim Jim Phantom dans The Head Cat, avec Lemmy. Rockabilly Queen est un album assez somptueux, il démarre en trombe sur une puissante cover du «Funnel Of Love» de Wanda Jackson. L’Harvey colle bien au papier du thème et Linda Gail sort son meilleur sucre candy. Puis ça vitupère avec le «Baby Please Don’t Go» des Them. T’as l’ex-Tiger Army et Head Cat Djordje Stijepovic au bassmatic hypno, c’est du power pur, avec le sucre de Linda Gail en plus, un vrai sucre niaqué. Une vraie bombe atomique ! Elle n’est pas la frangine de Jerr pour des prunes. T’as en plus les imperceptibles syncopes de slap et les 3/4 en ciseaux de Slim Jim. Ils repartent plus loin au débotté avec «Train Kept A Rollin’». Ces gens-là savent gratter un beat de train sous le boisseau de Johnny Burnette. Et l’Harvey part en maraude dans le lagon du paradis. «Flipsville» est plus rockab, avec une Linda Gail qui explose son petit sucre. Puis le niveau va hélas baisser doucement. Ils tapent une petite cover de l’«Eeny-Meeny-Miney-Moe» de Bob & Lucille, et avec «Seven Long Years», Linda Gail tape une heavy country de laisse tomber baby. Et ça devient trop classique. On perd la bombe atomique.

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             Cartwight demande d’ailleurs à Linda Gail si elle a rencontré Lemmy - Sadly not, répond-elle, but I did speak to him on the phone - et elle ajoute que sa fille a chanté avec lui. Ça fait du bien de voir Lemmy débouler chez les vieux crabes. Et pour éclaircir toute cette histoire, Linda Gail révèle que sa fille a épousé Danny B. Harvey - Which keep things a family affair - Non seulement Danny «is the most fabulous guitarist and produucer and he’s also a brillant son-in-law.» Voilà pourquoi elle se retrouve avec les mecs de The Head Cat en studio.

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             C’est la même équipe, Linda Gail/Danny B. Harvey/Slim Jim Phantom qui est allée l’an passé à Memphis enregistrer chez Sun A Tribute To Jerry Lee Lewis - We recorded both albums in two days - we don’t mess about!. Pas évident tout de même de taper dans l’intapable, même quand on est la frangine du rois des intapables. Elle commence avec «Whole Lotta Shakin’ Going On». C’est bien mais ça manque cruellement de Jerr. Surtout celui-là ! On dira la même chose de «Rockin’ My Life Away», on s’attend à voir arriver Jerr au deuxième couplet, mais il est six pieds sous terre, donc c’est compliqué. Pire encore avec «High School Confidential». Jerr attaque ça au guttural, alors Linda Gail fait ce qu’elle peut pour retrouver l’esprit du guttural en feu, mais bon, le compte n’y est pas. Mais pour pianoter, elle pianote, sur «I’m On Fire», elle y va au rentre-dedans. Par contre, elle se montre déchirante sur «You Win Again», et même criante de véracité country. Fantastique petite frangine ! Elle compense au mieux. Son «Great Balls Of Fire» manque de Jerr, même si elle allume. Et sur «Crazy Arms», elle y va au vieux yodell de la Louisiane. Par contre, elle est complètement dingue de s’attaquer au «Lewis Boogie». Elle s’en tire pas trop mal - I do my boogie Woogie/ Eve/ Ry/ Day ! - Elle est fantastique d’allure et d’aisance. Puis elle duette sur quelques cuts avec le cousin Mickey Gilley, ils font un beau «Stand By Me» bien country, et c’est elle qui attaque l’excellent «Playboy». Ils sortent tous les deux un son extrêmement américain. Finalement on sort ravi de cet album, car c’est un bel hommage à Jerr.

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             Linda Gail rappelle ses souvenirs de jeunesse quand Jerr est devenu célèbre : «Quand un nouveau disque de Jerry Lee sortait, momma le mettait sur le tourne-disques et le passait over and over again.» Puis arrive la catastrophe de 1958, quand un fucking journaliste anglais demande à Jerr quel âge a sa femme Myra. Il dit qu’elle a 15 ans, alors qu’en réalité elle en a 13 - and a first cousin - Fin de la tournée anglaise et fin des haricots aux États-Unis. Mais, dit Linda Gail, Jerr ne se plaignait pas. C’est là qu’elle rappelle qu’elle aussi s’est mariée à 14 ans, et sa sister Frankie à 12 ans - So we didn’t see anything wrong with it - Mais ce qui est important, dit-elle, c’est que Jerr et Myra s’aimaient. Myra et Jerr ont adoré se marier pendant toute leur vie : chacun d’eux va se marier 7 fois. De son côté, Linda Gail ajoute qu’elle a fini par trouver le bon : Eddie Braddock, son mari depuis trente ans - So I finally got it right - Linda Gail rappelle aussi qu’elle a débuté sa carrière d’artiste en faisant des backing vocals pour Jerr. 

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             Elle parle encore à Cartwright de l’album qu’elle a enregistré avec Van Morrison, You Win Again, où ils duettent sur Hank Williams et John Lee Hooker, mais leur relation va mal tourner et Van the Man va prendre Linda Gail en grippe. En retour, elle qualifie Van de «strange, difficult man, I don’t why he had to be so mean.» Pas facile, la vie. Par contre l’album est étonnamment bon. Van the Man fait quasiment tout le boulot. En fait, il ne laisse pas beaucoup de place à Linda Gail. Démarrage sur des chapeaux de roues avec l’excellent «Let’s Talk About Us» d’Otis Blackwell. Linda Gail colle bien au train, enfin tant qu’elle peut. C’est elle qui pianote, dans la plus pure tradition de Jerr. Mais c’est Van the Man qui pilote le bolide. Ils font une cover géniale du «Jambalaya» d’Hank Williams, avec un Van the Man en son of a gun. Ça swingue down the bayou. Ils remettent le feu aux poudres avec le fast boogie d’«Old Black Joe». Van the Man te chauffe ça à blanc et Linda Gail s’accroche comme elle peut à ce train d’enfer. Encore un joli shoot de rock avec «No Way Pedro». Van the Man domine tout le stuff. Il bouche encore la vue dans le «Why Don’t You Love Me» d’Hank Williams, puis il dévore tout cru le «Cadillac» de Bo Diddley - I don’t want no Cadillac - et il y va au oh-oh-Cadillac ! Ça se termine en apothéose avec une cover demented du «Boogie Chillen» d’Hooky. Van the Man l’explose. À ce stade des opérations, on ne cherche même plus à savoir où est passée Linda Gail.

    Signé : Cazengler, Rockaboulet Dégradation

    Jerry Lee Lewis. Country Songs For City Folks. Smash Records 1965

    Jerry Lee Lewis. Another Place Another Time. Smash Records 1968

    Jerry Lee Lewis. Sings The Country Music Hall Of Fame Hits Vol. 1. Smash Records 1969

    Jerry Lee Lewis. Sings The Country Music Hall Of Fame Hits Vol. 2. Smash Records 1969

    Jerry Lee Lewis & Linda Gail Lewis. Together. Smash Records 1969

    Van Morrison & Linda Gail Lewis. You Win Again. Virgin 2000

    Linda Gail Lewis. A Tribute To Jerry Lee Lewis. Cleopatra 2023

    Linda Gail Lewis. Rockabilly Queen. Cleopatra 2024

    Rockabilly Generation # 31 - Octobre Novembre Décembre 2024

    Garth Cartwright : Working girl. Vive Le Rock # 116 – 2024

     

     

    Wobble is able

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             En 2009, Jah Wobble publiait Memoirs Of A Geezer. On avait hésité à mettre le grappin dessus. Pourquoi ? Parce que la messe était dite dans le book de Phil Strongman, Metal Box - Stories From John Lydon’s Public Image Limited. On ne voyait pas bien l’intérêt de relire la même histoire, d’autant que le rôle de Jah Wobble se limitait aux deux premiers albums, First Issue et Metal Box. Et puis, il y a tout ce que raconte Nick Kent à propos de son agression par le duo Sid Vicious/Jah Wobble au 100 Club, en 1976, c’est pas terrible. Entre Apathy For The Devil et Memoirs Of A Geezer, ton cœur ne balance pas.

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             Et voilà que Memoirs Of A Geezer reparaît, sous un titre rallongé (Dark Luminosity - Memoirs Of A Geezer) et une nouvelle couve. La curiosité restant le gros défaut que l’on sait, on a donc rapatrié le Geezer vite fait, d’autant qu’on venait tout juste de craquer pour une box chaudement recommandée, Redux - Anthology 1978-2015.

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             Wobble c’est encore plus compliqué que ça. Autant on avait savouré son dub sur Metal Box, autant on avait détesté sa world dans les années 90. Et pourtant, comme tous les gros cons que nous étions, on achetait les albums. La basse ! La basse ! La curiosité, toujours. L’idée qu’on pouvait retrouver le dub de Metal Box. Oh, il n’a jamais complètement disparu, mais il s’est noyé dans la masse. Wobble a enregistré des centaines d’albums. N’importe quoi !

             Il en parle de ses albums dans ses Memoirs. Au moment de partir en solo, il se demande s’il est capable de remonter un groupe après PIL, il va même jusqu’à croire que son temps dans le music game était fini, and that was that. Et crack, on lui propose de faire un album avec les mecs de Can ! Jaki Leibezeit et Holger Czukay ! Wobble flashe sur Holger, qu’il compare à un alchimiste et qu’il voit très influencé par Dali. Quant à Jaki... - What can I say about that bloke? He was the ultimate drummer. Playing with him was a revelation - Et il ajoute : «Jaki’s DNA pulse was an exact match to mine - hand in glove, so to speak.» Wobble n’en finit plus de rendre hommage à Jaki Leibezeit : «Most drummers are a bit weird. But Jaki took the biscuit.» Et il dit pourquoi.

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             C’est l’occasion ou jamais d’écouter le Full Circle d’Holger Czukay, Jaki Leibezeit et Jah Wobble, paru en 1981, année de l’élection de François Mitterrand. C’est bien sûr du pur jus de Can. Pas de surprise, mais bel album. Très Babaluma. Côté Jah, rien de nouveau depuis Metal Box. Jah joue toujours le même groove. Il ne sait rien faire d’autre. «C’est déjà pas mal», diront certains. «On voit qu’il est vraiment limité», diront d’autres. En attendant, il s’amuse bien dans l’hypno infini de Can. Il se fond dans le Babaluma. Jah semble coloniser Babaluma, comme le montre le morceau titre, mais en fait, il est complètement babalumé. C’est bien que Can prédomine, faut pas déconner. Jah n’a pas inventé la poudre. Tout est très étiré en longueur, sur cet album fantastiquement contrebalancé et extrêmement agréable à écouter.  Jah ne sert à rien, en fait, il continue de faire son Metal Box, mais il est dévoré tout cru par l’excellence de l’excelsior Cannais, il ne fait que gratter les trois notes qu’il connaît, pendant qu’Holger et Jaki bâtissent un monde. Can reste un des phénomènes les plus prégnants du cosmos rock. Sur «Twilight World», le Jah va chercher des notes en bas du manche. Les dynamiques sont intenses. Finalement, tu sors ravi et épuisé de cet album, comme si tu sortais de la chambre de la reine des putes.   

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             Quand Wobble monte son label, il le baptise Lago, en l’honneur de Clint Eatswood qu’il admire pour son self-sufficiency and artistry - Lago est le nom de la ville dans High Plains Drifter, which was one of my favourite films - Puis il passe à l’ère Invaders Of The Heart. Il parle d’une spirale de booze, de speed et de coke, et là il ramène une belle référence cinématographique, Ray Liotta dans Goodfellas - Ray Liotta’s coke-addled character Henry is trying to keep it all together - Dans le circuit des tournées, il croise Jeffrey Lee Pierce, un Pierce qui lui dit de faire gaffe et Jah lui rit au nez, et boom, il attaque le breakfast au Jack Daniels. Il ajoute plus loin que «the gross emotional immaturity is one of the most noticeable aspects of alcoholics.» Il cite un peu plus loin Al Jourgensen, expert en excès de tous genres : «Al Jourgensen a écrit dans un book que j’étais le seul mec who had ever drunk him under the table. I really don’t remember it that way. Just a blackout, and me going mental.» Car oui, le gros problème de jah, c’est la violence. Il adore particulièrement se piquer la ruche à Glasgow - I always liked the way they drank in Glasgow: a beer with a chaser, ad infinitum. That was my way of drinking.

             Il se rappelle aussi avoir vendu aux Mary Chain la Fender Precision qu’il utilisait au temps de PIL - They were delighted to have the bass that had been used on Metal Box - Ils l’ont sortie de l’étui avec des gestes de dévotion, «so this is really it? The bass that was used on Metal Box?» My attitude was: ‘Yeah yeah, whaterver. Hurry up and give me the money, I need a fucking drink.» Page suivante, il annonce qu’il est sobre depuis 37 ans - Clean and sober.

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             Sa passion pour Miles Davis est peut-être ce qui le rend le plus sympathique à nos yeux. Il rend hommage à Tutu et à Marcus Miller et son funky slap bass, un style qui, ajoute-t-il, trouve son origine chez Larry Graham. C’est bien qu’un bassman cite les grands bassmen. Plus loin, dans l’autobio, il cite Dark Magus comme son «favourite Miles Davis album.» Il pense que Metal Box n’est pas très éloigné de l’Electric Period Miles in spirit.

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             Il se réfère au Colonel Kurtz pour évoquer Without Judgement et y insère des extraits de fameux monologue - He also talks about the need to act without judgement - Bon alors attention, c’est le genre d’album dont on peut facilement se passer. On ne l’écoute que parce que Kurtz, mais le compte n’y pas. Jah ramène son dub en La dès «Bungalow Park». C’est une obsession. Justin Adams est un bon guitariste. Les Invaders sont en quête de modernité, mais leur quête passe par des effets, et ça ne marche pas. Leur «A13» se fond dans l’Autoroute de Normandie et le reste des cuts se fond dans l’anonymat. Ils font n’importe quoi. Ils ont perdu le Metal Box. Sans John Lydon, ça ne peut pas marcher. Il n’y a aucune émotion dans cet album, tout est plaqué sur des trames nulles et non avenues. Jah aurait pu capitaliser comme une bête sur Metal Box, mais il préfère jouer une mauvaise world prétentieuse. «Spirit» se verrait bien dans les steppes d’Asie Centrale, mais ça manque de yourte. «Voodoo» se verrait bien sur les hauts plateaux du Maghreb, mais il est dans le bas plateau du magret de canard boiteux. On retrouve quasiment le même groove sur tous les cuts. Leurs petits exercices de style finissent par t’épuiser la cervelle. Ils terminent cet album interminable avec «Will The Circle Be Unbroken», un vieux standard de gospel qui date des Staple Sigers. C’est lamentable. Le mec se prend pour John Lydon, et sa prétention te coupe la chique.  

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             Jah s’attarde aussi longuement sur Take Me To God - I wanted Take Me God to have a large emotional and spiritual range - On y retrouve un peu de dub, notamment dans «Amor Dub», pur jus de rastafari, Jah le joue au heavy dumb dub. Il fait aussi de l’heavy dub de Jah dans «Amor», et de l’exotica africaine dans «Angels». Si tu veux entendre un vrai bassman, c’est là. Avec Jah, ça joue, mais c’est de l’exotica. Il va complètement à l’envers de l’éthique punk : il surjoue. Encore un fort parti-pris d’exotica dans «Whisky Priests». C’est puissant et tapé aux percus. Globalement, Jah cherche sa voie. Il vire parfois passe-partout, et ça peut devenir très m’as-tu-vu. Il orientalise son drive de basse dans «Raga» et donc, c’est un album qui n’ira pas sur l’île déserte. Ça lui est même interdit.

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             Tant qu’on y est, on peut aussi écouter Rising Above Bedlam. Juste pour l’écouter bassmatiquer dans le morceau titre. Il y joue le dub comme un dieu. C’est la raison pour laquelle on a continué pendant un temps de rapatrier et d’écouter ses albums. Il fait encore le show avec «Visions Of You». Il groove dans la couenne du lard. T’as Natacha Atlas dans «Bomba», et ça vire trop world. Mais ça reste puissant côté bassmatic. Jah joue distinctement. Il ramène encore du dub derrière Natacha dans «Erzulie». Mais dès que le dub disparaît, le son retombe comme un soufflé. Tout se barre. Jah adore se mettre en scène. Il ne fait que jouer des basslines. Il est partout dans son son.

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             Il cite aussi Lonnie Liston-Smith, qui fit partie du groupe de Pharoah Sanders - In fact, the B-line to Liston-Smith’s Expansions is probably my favourite B-line of all time. It drives me insane. The Soul and jazz funk scenes turned me onto quite a few jazz artists, people such as Roy Ayers, Johnny Handy and Johnny Guitar Watson - Alors on sort l’Expansions de l’étagère. Album de groove parfait. Une merveille volante. Normal, c’est du Flying Dutchman. Le morceau titre est monté sur un bassmatic alerte, de quoi rendre le Jah fou de jalousie ! Ça s’étend bien dans le temps. Belle énergie. Puis Lonnie Liston s’en va groover le jazz dans le désert avec «Desert Nights». C’est très beau, très pur, en suspension. Belle masse en attente. C’est le jazz power, seul le piano est en liberté, ça tient tout en haleine. Encore un joli groove de classe majeure avec «Summer Days». Ça groove dans la tiédeur de la nuit, ça jazze dans l’absolu, et ça donne le tournis tellement c’est beau, tellement ça coule de source. Quelle magie et quelle lumière ! «Voodoo Woman» est plus monolithique, ce sont les flûtes qui jerkent le booty. Tout est tellement riche, t’en perdrais ton Latin. Avec «Peace», il prêche dans le désert - All we need in this world/ Is to have the time of peace - C’est du round midnite à la Lonnie Liston et t’as à la suite un «Shadows» joliment groové sous le boisseau. Rien de plus glissé sous le boisseau que ce truc-là. Big boisseau, en vérité. Qualifions ça d’anticipation évanescente, si vous le voulez bien. Il creuse encore bien son écart avec «My Love». Il polit bien son chinois, c’est un artiste, un doux rêveur, il cultive un onirisme à la Kurt Weil, il est éperdu de bonheur au piano, il a trop d’oxygène, et t’as le bassmatic qui devient organique, Lonnie Liston revient et enchante à la Sing Low, c’est de la magie pure, your love is so/ divine, t’as le groove du paradis, il tortille son be/ cau-au/ se/ you are/ my love.

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             Retour au Jah solo. «The Heaven & Earth album is a personal favourite of mine.» C’est vrai que la pochette est belle. Le ciel est d’un bleu, baby ! Et puis t’as Pharoah Sanders dans les parages. Et «Hit Me» ! Le dub y déboîte dans le doux du drain. C’est un dub qui donne du doom, qui se dandine dans les draps, et même si ça n’est au fond que de l’ambiancier haut de gamme, il en restera le souvenir du dub et de Pharoah. Avec «A Love Song», Wobble tente d’instaurer le règne du dub dans sa daube, mais ça ne marche pas. C’est un son qui vieillit mal et Natacha Atlas sauve les meubles en chantant son heavy exotica. Sur «Gone To Croatan», Jah croise le dub avec la flûte de Pharoah, alors ça voyage dans l’inner de l’outer, et ça donne un mélange astucieux et harmonieux. Mais rien ne bouge. Le cut s’installe dans le dub. Sur la fin, Pharoah attrape son sax.  

             Puis l’autobio va comme beaucoup d’autobios dégénérer avec des histoires de famille heureuse et de reconnaissance planétaire. Les 100 dernières pages sont imbuvables : comment un punk vieillit bien. On perd ce qui fait le sel de la terre de Jah : l’évocation des héros de sa jeunesse. Et ces évocations ne tiennent que par le style.

             Car le Geezer a du style, sinon il ne serait pas un geezer. Le meilleur exemple est sa façon de raconter sa venue au monde : «The midwife held me upside down and smacked my bum, causing me to issue forth a loud and furious wail. She laughed and said, ‘This one got a temper.’». Le Geezer raconte qu’il est né at the East End Maternity Home, on Commercial road, Stepney, London, E1, le 11 août 1958, qu’il fut baptisé John Joseph Wardle et quand la sage-femme l’a sorti du ventre de sa mère, elle l’a tenu par les pieds, lui a claqué les fesses et Jah a poussé un cri énorme, ce qui lui a valu la réflexion du temper. C’est la page 1 du book, et rien qu’avec la narration de cet épisode, tu sais que tu vas te régaler, car l’East-ender écrit bien. Plus loin, il raconte l’école - I found school stupefyingly boring. I was suddenly developping a problem with any form of authority - Il devient alors ce qu’il appelle an absolute nuisance. Viré ! Tant mieux ! Quand on lui dit qu’il n’a plus le droit d’entrer à l’école, et que s’il y remettait les pieds, on appellerait la police - I wasn’t bothered to the slightest - La formule est belle. Il a des tournures d’argot punk, sûrement de son invention. 

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             Pas mal de choses sur l’Angleterre. Si on veut tout savoir d’une enfance dans l’East End, c’est là. Jah s’est considéré anglais jusqu’au Brexit. Il indique aussi que la fin des sixties était «the skinhead era, and ska was the popular urban music of its time. In the East End, it was called ‘blue beat’.» Le premier single que lui a acheté sa mère fut «Welcome To My World» de Jim Reeves, un mec très populaire en Jamaïque. Puis il dit avoir adoré «Strawberry Fields». Pour lui, c’est le cut définitif des Beatles. Mais ses parents ne l’ont pas autorisé à acheter le single, considérant qu’il s’agissait de druggy music. Puis sa sœur achète the Tighten Up volumes sur Trojan - When I heard that music, I went absolutely nuts for ir - Puis il indique qu’il entendit le «Marcus Garvey» (and the dub version) de Burning Spear dans l’émission de Tommy Vance, «it was one of the seminal moments in my life.» Puis il flashe sur l’Innervisions de Stevie Wonder - I was totally obsessed with that album - Il hait Tommy mais adore Quadrophenia - My other big love was Rod Stewart’s Every Picture Tells A Story - Il lit aussi like crazy, et boom, il cite «Hemingway, Steinbeck, Camus, Greene, D. H. Lawrence, Zola, Ballard and Orwell.» Il traîne ado dans les clubs et flashe sur «The Hustle» par Van McCoy, mais surtout sur «E Man Boogie» et «Potential» du Jimmy Castor Bunch, mais aussi sur le «Fight The Power» des Isley Brothers. L’un de ses albums favoris fut Natty Cultural Dread de Big Youth, et il raffolait de «King Tubby Meets The Rockers Uptown» par Angustus Pablo. Voilà ce qu’on appelle une Éducation Sentimentale à l’anglaise.

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             Oh mais le jeune Jah raffole aussi de la violence. Sa mère tenta un jour de lui balancer la friteuse dans la gueule - Je l’ai esquivée de peu. I moved as quickly as those dudes in the Chinese martial art films - Petit, il se bagarre pas mal, notamment avec un gamin de son âge, nommé Little John - I recall getting into big trouble for hitting him with a brick on one occasion. I really wacked him - Une brique dans la gueule ! Jah ne rigole pas. Il dit aussi qu’il a pris lui-même quelques coups dans la gueule - Then again, I’m sure that he wacked me a few times - Il raconte encore qu’il a démonté la gueule d’un ingé-son qui lui manquait de respect - It was all very ugly and unpleasant. He ended up covered in blood a few minutes later - Par contre, pas un mot sur l’épisode Nick Kent.

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             Ce qui nous ramène droit au punk. Il a un chapitre titré ‘Punk’ et annonce qu’il ne va pas s’étendre trop longuement sur le sujet - I won’t bang on too much about the (so-called) punk scene - parce que depuis 40 ans tout le monde en parle, même dans les universités. It has got a bit absurd now, in my view - Il pense que ça ne vaut pas le coup qu’on en parle comme on parle de la Révolution russe ou du mouvement Impressionniste - In truth, I was absolutely bored with the whole punk thing by the summer of 1977 - Et pouf, il vole dans les plumes des Clash - However, I didn’t really like what they did, it wasn’t my taste. I found them a bit lightweight - Et il ajoute, sur le même ton, que ses potes et lui donnaient du fil à retordre aux Clash - We couldn’t take them seriously, all those silly songs like ‘Bank Robber’. I thought that they were a manufactured band  compared to the Pistols - Puis il conclut en affirmant qu’ils se prenaient au sérieux, ce qui vaut pour une condamnation.  Wild Billy Childish dit aussi que les Clash n’ont rien fait de très propre après leur premier album.

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             Jah rencontre John Lydon au Kingsway College. C’est une rencontre qu’il qualifie de «Stanley/Livingstone moment», telle qu’on en vit peu dans une vie - John of course was another reprobate, he was someone who thought ‘everything was bollocks’, to even a greater extent than I did - Jah a 16 ans, et Lydon a trois de plus, et les cheveux longs (hennaed as I seem to remember) - A mutual love of Hawkwind helped cement the friendship - Et ils vont voir jouer Hawkwind sur scène aussitôt après leur rencontre. C’est le conte de fée qui se remet en route : la formation d’une amitié qui va déboucher sur la formation d’un groupe. Puis Lydon et son copain d’école John Gray emmènent Jah voir Dr Feelgood. Jah flashe sur Lee Brillaux et Wilko - However, the best gig that I went to at that time - in fact the best gig that I have ever seen, by a country mile - was Bob Marley and the Wailers at the Lyceum en 1975 - L’autre copain de Kingsway, c’est bien sûr John Beverley, plus connu sous le nom de Sid Vicious - Yet another bloody John! - C’est Lydon qui le surnomme Sid. «There were now four Johns», c’est-à-dire Lydon, Sid, Jah et John Gray. Jah fréquente beaucoup Sid à l’époque, mais il avoue n’être pas très à l’aise avec lui. Il préfère l’éviter quand c’est possible. En 2009, Jah va même faire un docu sur Sid, In Search Of Sid. Et bien sûr, c’est Sid qui baptise John Wobble Jah Wooble. 

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             Puis Jah en arrive au recrutement de Lydon par McLaren dans la boutique Sex - When McLaren chose John Lydon he hit pay dirt, because he got more than a charismatic frontman. John était gorgé de haine, il venait d’un quartier qui n’était pas une banlieue, et il incarnait un truc qui était au cœur de la disaffected British working-class youth in a way other lead singers in UK punk bands could only dream about - et bam, il balance ça qui est tellement vrai : «The Pistols were a great band, the best of punk groups by a country mile.» Jah trouvait les autres groupes fades, en comparaison des Pistols. Et il rend hommage à Steve Jones «who really was a powerful guitarist.» Puis quand John Lydon voit que McLaren signe des contrats mirobolants et que lui, le Rotten, n’a pas un rond et qu’il dort dans des squats, c’est là que les ennuis commencent.

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             Wobble fréquente un peu les Heartbreakers, mais n’apprécie pas trop leur compagnie. Il les traite d’ailleurs de smackheads - The American side of punk was generally full of mutton-dressed-as-lambs degenerates - et il en arrive fatalement à évoquer les drogues. Alors oui, crystal meth on a couple of occasions - My God, that was very potent stuff - Il achète the sulph le vendredi soir at the Brecknock public house on the Camden Road. Et puis bien sûr la booze. Quand il n’a pas de blé, il carbure au cidre.

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             C’est en 1977 qu’il décide d’apprendre à jouer de la basse. Il écoute Stockhausen et Ligeti qu’il emprunte à la bibliothèque. Il commence par jouer sur une Music Man copy. Il s’intéresse aussi au groove et à Robbie Shakespeare, «who played the heavy bass I was inspired by. Heavy bass had an effect on me that was essentially visceral.» Il reparle plus loin de ce «bass thing» - It still gets me. When I take my seat in front of my bass stack, and play that first deep note of the gig, I still get a shiver down my back - Confession d’un bassman. Il vit ça pour de vrai. Et ça s’entend sur Metal Box.

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             On y arrive. PiL ! C’est Keith Levene qui entend jouer Jah au Warwick Road squat et qui conseille à John Lydon de le prendre dans PiL - Keith thought that I would be ideal to play bass in the band - Et c’est à Jah qu’échoit le rôle de mener la charge - Led the charge and come up with the bass lines first - Tout va reposer là-dessus. C’est la spécificité de PiL. Jah ne craint ni la mort ni le diable, il groove - In some respects my playing was limited, you could even call it naive - but because of my limitations I adopted a very direct approach, and the result of that was very effective - Eh oui, Jah, on n’entend que toi dans PiL, le dub de Jah ! Mais la magie de PiL ne va pas durer longtemps, car il y a un junkie dans le groupe, Keith Levene, et Jah sait que ça ne marche pas avec un junkie. Il aime bien Keith pourtant, mais the musical empathy n’a duré que depuis leur rencontre au Warwick Road squat jusqu’aux «two-thirds of the way throught the Metal Box sessions.»

             Côté blé, c’est pas brillant avec Virgin : on leur verse une avance, mais ils doivent payer le studio, et Jah compare le procédé à l’exploitation des mineurs, qui devaient dépenser le blé gagné au fond du puits dans la boutique de la coal company. C’est l’esclavage moderne. Rien n’a changé depuis le temps des plantations.

             Jah évoque l’avance de Virgin - I think it was around £75,000 - et reste salarié (still £60 per week), mais à l’époque il s’en fout, car il sait qu’il faut financer le studio et les drogues. Il ne touche rien sur le merch, ni sur les recettes des concerts. Pas un penny ! Il soupçonne bien sûr Keith Levene et ses potes de financer sur le compte de PiL l’hero qu’ils se shootent chaque jour dans les bras, «and I must say that dit annoy me.» Il évoque aussi the publishing advance qu’il estime à £30,000, ce qui permet à Lydon d’acquérir l’appartement en dessous de celui qu’il possédait déjà à Fulham - This was in the days when a flat in Fulham could be purchased for £30,000 - Pour conclure sur l’aspect financier des choses de PiL, Jah pense que personne à part John n’a pu tirer quelque profit que ce soit of the Public Image. Mais quand PiL a un Top Twenty single et un Top Twenty album, Jah trouve que c’est insultant de se retrouver avec un salaire de £60 a week.

             Puis arrivent les avances pour Metal Box, et là ça dégénère : Jah est obligé de leur courir après pour récupérer son maigre salaire. Il fait partie de ceux qui n’aiment pas trop qu’on les prenne pour des cons. Et ça l’étonne de la part de John Lydon, qui lui aussi est passé à la casserole au temps des Pistols. Jah dit que Lydon a un grand discours égalitaire, mais en réalité, c’est tout pour sa pomme.

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    ( Dennis Morri s)

             Et malgré tout ça, Jah entre en studio pour Metal Box. Il compare le lyricist John Lydon à Beckett. En dépit du chaos qui règne dans le groupe, Metal Box est selon Jah an artisitc success. L’enregistrement dure neuf mois. Une réelle antipathie affleure dans sa relation avec John, et il se dit surpris qu’on lui demande son avis sur la pochette. John Lydon insiste : ça doit s’appeler Metal Box. Alors Dennis Morris trouve le fournisseur de boîtes en fer. Quand Dennis Morris est viré du cercle PiL, Jah s’en va aussi. Il rappelle qu’ils sont tous les deux des East-enders, et qu’il sont partis la tête haute - We were geezers. I have a lot of respect for the bloke. We still occasionally talk nowadays.

             Jah fait quand même la tournée américaine. Il pense que PiL aurait pu devenir énorme en Amérique, parce que les Yanks, comme il les appelle, ont un vocabulaire musical beaucoup plus large (especially in regard to modal jazz), et bien sûr, John qui se prend encore pour un Pistol, «throught his stupid stubborn obstinacy, missed a great opportunity with PiL.»  De retour à Londres, Jah va chez John à Gunter Grove et réclame son salaire. Il est obligé d’aller taper à la porte ! C’est là qu’il décide de quitter le groupe.

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             Jah croise aussi la fameuse Jeanette Lee qui bosse avec Don Letts dans la boutique Acme, sur King’s Road. Jah n’aime pas Jeanette qu’il trouve un peu trop opportuniste : elle drague Strummer, puis Keith Levene, quand il s’agit pour elle d’entrer dans un clan. Jah la méprise et c’est réciproque - She hated the arrogant way that I would walk into Acme and take the piss left, right and centre out of her and Don - Bien sûr elle arrive à ses fins : John Lydon et Keith Levene convoquent Jah pour l’informer que Jeanette intègre PiL. Elle assiste au meeting. Jah dit que ça n’a pas de sens - In fact I thought that it was fucking mental. I was absolutely horrified. She couldn’t play anything, couldn’t sing - Et fait, Jah est le premier mec que Jeanette ne peut pas manipuler. Alors Jah se fait la cerise - By the time it came for me to leave the band, her face was on the front of PiL record covers! Welcome to Spinal Tap.

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             Il croise aussi la poule de John Lydon, Nora, la fille d’un baron de la presse allemande - She was apparently a very rich woman - Quand Lydon lui présente Nora, Jah est scié - I was gobsmacked, firstly because he had a girlfriend and secondly because, apart from being older than us, she was elegant, graceful and sociable (a very good laugh as well).

             Bien sûr, John Lydon va reformer PiL pour une tournée et demander à Jah de jouer. Jah se méfie, mais Rambo, le sbire de John, lui propose £1,000 en répète et £1,500 a week when gigging. 

             Pour conclure le chapitre PiL, Jah assiste aux funérailles de Keith Levene qu’il admirait tant pour sa modernité de jeu. Puis il salue John Lydon - Like an artful politician, he has won over most of the people all of the time - et il te balance ça qui est l’hommage suprême d’un geezer : «For all their faults, and there were/are many, I wish them well. Fuck me, what a weird, neurotic triumvirate of odd bods we were.» Voilà, c’est tout ce qu’il faut retenir de PiL : a weird, neurotic triumvirate of odd bods.

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             C’est l’instant rêvé pour sauter sur la box Redux - Anthology 1978-2015. Six dicx en tout et un gros book, t’as de quoi t’occuper. Le dicx A s’appelle Greatest Hits et bien sûr tu y retrouves le fameux «Public Image». Là, oui, t’as une voix et Keith Levene. Hallo ! Hallo ! Le Jah se noie dans le jus de génie, il bombarde dans la plus belle des Public Images. T’as un autre cut de Public Image, cette fois tiré de Metal Box, «Careering». Ça reprend du sens parce que Lydon. Sans Lydon, ça ne vaut pas un clou. On sent bien l’énergie des London boys. La basse structure le cut. Et puis t’as les hits de Jah, enfin il faut le dire vite. Tu retrouves «Visions Of You» qui tape plus dans la world, mais Jah se met bien en valeur. On ne voit que lui et ses tortillettes. Ça vieillit mal. Son bassmatic sonne comme un bassmatic de m’as-tu-vu, avec toutes les tortillettes à la carbonara prévisibles. Il teste la basse fuzz sur «Tight Rope», et avec «Becoming More Like God», on voit qu’il a appris à jouer. Il est devenu artisan accompli, il voyage en mode tortillard. On retrouve les arpèges du diable Levene sur «Poptones», tiré aussi de Metal Box. C’est incroyable comme ça fait la différence. Levene brouille les pistes. Jah ressort son dub dans «One Day». Toujours le même. Que peut-il faire d’autre ? Ça finit par ressembler à une grosse arnaque.

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             Le dicx B s’appelle The Eighties. Pas bon signe. Ça démarre pourtant avec le «How Much Are They» enregistré avec Jaki et Holger de Can, mais le Jah revient au devant du mix avec son dub. Il fait toujours la même chose. S’ensuit l’«Hold On To Your Dream» enregistré avec Holger et The Edge. Ils font de la petite world. Sœur Anne, vois-tu venir l’intérêt du haut de ta fenêtre ? Et puis voilà le cut qui te réconcilie avec Jah : «Blueberry Hill» et son bassmatic dévastateur. Là ça devient sérieux. On retrouve le punk. Et son «Invaders Of The Heart» sonne comme du Public Image, avec en plus les trompettes de Jéricho. Il enchaîne ensuite une série de cuts parfaitement inutiles. Tout est très long et très linéaire. Il ne sait pas jouer les variations. On perd le Public Image. Il se met à virer diskö fink avec «No Second Chances» et «Love Mystery». Il fait aussi le bal des Galapagos. Ça ne vaut pas un clou. Rien que de la daube jusqu’à «Sea-Side Special» et son gros festival de trompettes, mais ça reste basé sur le dub de Jah, toujours le même dub en La. C’est tout de même incroyable que ce mec Jah ait fait toute sa carrière sur le même dub en La.

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             Tout est bien classé chez Jah. Le dicx C s’appelle World Roots. Alors il va soit vers l’Espagne mauresque, soit vers le Moyen-Orient, soit vers l’Extrême-Orient. Il tombe dans tous les panneaux foireux de la world, comme le montre «Om Namah Shiva» : il y mélange les clochettes tibétaines et sa grosse basse de punk. Il n’en finit plus de refourguer son dub en La. Ça devient ridicule et il ne s’en rend même pas compte. Il fait chanter des Algériens dans «I Am An Algerian» et il fait du Japan Dub dans «Cherry Blossom Of My Youth». Son «Appalachian Mountain Dub» est presque beau, et il revient au dub pour de vrai avec «Reggae Parts The Sea», et pour une fois, c’est assez pur, on se croirait à Notting Hill Gate, c’est excellent. Là, t’as le vrai truc du rentre-dedans, et t’es là pour ça. Jah groove enfin. Son «Bomba» est superbe, très orientalisant, mélange de belle exotica et de dub de bon aloi. Il joue son «Angels» au big bass boom de gras double et revient au real deal de dub avec «K Dub 05» et un chant chinetoque ! Le festival se poursuit avec «Happy Tibetan Girl», big power d’exotica, Jah envoie le Tibet faire un tour dans le cosmos et ça continue avec l’heavy dub de «New Mexico Dub» et comme si tout cela ne suffisait pas, voilà Natacha Atlas dans «Erzulie», c’est fameux, car monté sur le big bassmatic de Jah. Tout ça n’est pas rien. 

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             Avec le dicx D, tu passes à Jazz. Quel prétentieux ! Mais il lâche un peu la grappe de son dub pour accompagner les trompettes de Jéricho («Car Ad Music 3»). Appelons ça du fast jazz. Mais c’est plus fort que lui, il ramène son fat dub dans «Country Cousin». Aucune trace de jazz dans cette affaire de Country. Un sax vole le show dans «Hit Me», mais Jah la ramène avec son bassmatic proéminent. Il y joue des figures géométriques et ça n’a aucun intérêt. Il ne joue pas le jazz car il ne sait pas le jouer. Il reste en mode hypno alors que les trompettes de «Virus B» s’envolent. Il joue quasiment toujours le même thème. Il est coincé dans son rôle. Mais les autres s’amusent bien. La plupart des petits grooves urbains ne servent strictement à rien. Tu ne sais vraiment pas ce que tu vas faire de tout ce faux jazz. Jah est trop limité pour le jazz. Tu ne sais pas pourquoi t’écoutes un cut comme «Limehouse Cut». Et puis tu finis par craquer sur l’excellent «West End». La vie est ainsi faite.

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             Il s’amuse bien le Jah. Il a enregistré tellement d’albums qu’il peut se permettre de titrer  son dicx E Ambiant & Spoken Word. Ça veut dire en clair qu’il faut s’attendre à tout et à n’importe quoi. La meilleure illustration est le «Bagpipe Music» : summum de la tarte à la crème. Le Jah rentre toujours dans ses cuts à la même vitesse. Il ne cherche pas trop à évoluer. Il ramène son dub en La dans «Ocean Of Hills», mais c’est devant «Requiem II» qu’on tombe en arrêt, car ce requiem sonne tellement diabolique qu’il fout littéralement la trouille. On entend des chœurs d’anges de la désolation. On se remonte le moral un peu loin avec «Car Ad Music 2», car la basse chevrote et t’entends surtout BJ Cole sur sa gratte.

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             Alors, et le dicx F ? T’en rigoles à l’avance, car il s’intitule Cover Versions. Le Jah tape principalement des thèmes de BO, comme par exemple «Theme From Midnight Cowboy». C’est l’instro de trop. Il ramène son vieux dub en La dans «Theme From The Sweeney». Il est marrant, le Jah, il ne peut pas s’en empêcher. Et on ne comprend d’ailleurs pas pourquoi ce Theme dure si longtemps. Il ramène encore son dub en La dans «Comin’ Home Baby», toujours le même depuis Metal Box. C’est beau, mais ça finit par ressembler à une grosse arnaque. Itou pour «Theme From The Persuaders», par contre, pas de dub en La sur cette cover éhontée de «Take Five». Et comme il ne peut décidément pas s’en empêcher, il colle un vieux shoot de dub en La dans le museau de Peckinpah pour le fameux «Theme From The Good The Bad And The Ugly». Il nous en aura fait voir de toutes les couleurs. Sacré Jah !

    Signé : Cazengler, Jah Poobble

    Holger Czukay Jaki Leibezeit Jah Wobble. Full Circle. Virgin 1981

    Jah Wobble. Without Judgement. KK Records 1990

    Jah Wobble’s Invaders Of The Heart. Rising Above Bedlam. EastWest 1991

    Jah Wobble’s Invaders Of The Heart. Take Me To God. Island Records 1994

    Jah Wobble. Heaven & Earth. Island Records 1995

    Lonnie Liston Smith & Cosmic Echoes. Expansions. Flying Dutchman 1975

    Jah Wobble. Redux. Anthology 1978-2015. Cherry Red 2015

    Jah Wobble. Dark Luminosity - Memoirs Of A Geezer. Faber & Faber 2024

     

     

    Inside the goldmine

    - Edwards aux mains d’argent

             Jean-Edouard se savait porteur d’une tare, mais il ne fit jamais rien pour se soigner. La tare en question est l’une des pires : la pingrerie, ou la mesquinerie, appelez-la comme vous le souhaitez. Doté d’un patronyme et de manières on va dire assez aristocratiques, il disposait pourtant des atouts qui auraient pu lui permettre d’échapper à cette malédiction. Mais la honte ne l’effrayait pas. Comme tous les pingres réunis en société, il attendait, à la fin d’un apéro, ou d’un repas, qu’un philanthrope se dévouât pour régler la note. On le voyait littéralement attendre, en observant les autres. L’heureux dénouement devait le faire jouir secrètement. Il devait savourer chaque seconde du spectacle de cet imbécile qui sortait sa carte bleue et qui tapait son code avec un grand sourire. Autre cas de figure : quand il traînait au merch après un concert, il asticotait le mec, il parlementait, il quémandait un sticker, ou un badge, il se plaignait de n’avoir plus que 5 euros pour finir le mois, alors, généreusement, le mec du merch lui filait un badge et parfois un disk. Jean-Edouard ne se contentait pas d’avoir tiré avantage du pauvre mec. Il fallait en plus qu’il l’humilie. Comment ? Au lieu de le remercier directement, comme l’aurait fait toute autre personne, il levait les yeux au plafond et remerciait Dieu de sa miséricorde. Il avait fini par se tailler une telle réputation qu’il fallut se résoudre à lui donner une bonne leçon. On pensait sincèrement œuvrer pour son bien. Nous formions alors une petite équipe et allions régulièrement écumer les conventions de disques. Après les emplettes venaient les agapes. Nous nous installâmes donc à la terrasse d’une bonne auberge et commandâmes plusieurs tournées d’apéritifs, puis des entrées, des plats, des fromages et des desserts. Chaque fois, Jean-Edouard renâclait, mais on lui disait mais si, mais si, alors il commandait, vin aidant. À la fin du festin, nous demandâmes à la patronne de faire une note séparée pour ce môsieur qui bien sûr n’avait pas les moyens de payer sa part. Nous le laissâmes parlementer avec la patronne qui n’était pas d’humeur à entendre ses jérémiades avinées, et nous allâmes crever les quatre pneus de sa bagnole, ce qui allait le contraindre à puiser dans sa cassette de pingre. Cette séance thérapeutique ne servit pas à grand-chose.

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             Pendant que Jean-Edouard compte ses sous, John Edwards chante sa Soul. Ainsi va la vie. D’un côté ça roule, de l’autre ça coince. Que voulez-vous y faire ?

             On croise John Edwards dans les Masterpieces Of Modern Soul, ces délicieuses compiles imaginées par Kent. Sur les pochettes de ses deux albums solo, l’excellent John Edwards est toujours élégant et très bien entouré. On sent le séducteur. Il allait ensuite rejoindre les Spinners et tourner avec jusqu’à l’an 2000.

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             Son premier album sans titre paru en 1973 est une petite merveille qu’il attaque en trombe avec «Stop This Merry Go-Round» un heavy r’n’b de gros pototin d’excelsior. John Edwards rugit comme une panthère noire, c’est-à-dire comme Wilson Pickett. Là tu réalises que tu tiens dans tes pattes un très bel album de Soul. Ce que vient confirmer «Spread The News», monté sur un beat plus reggae, plus relax, mais à dominante r’n’b. Et donc le popotin reprend vite le dessus. Il apparaît clairement que John Edwards est un Soul Brother d’exception. Tiens, tu veux un coup de génie ? En voilà un : «Claim Jumpin». Il tape cette fois dans le haut de gamme avec ce heavy r’n’b qui flirte avec un funky booty digne des Tempts. John Edwards passe en force comme David Ruffin. Deux merveilles se planquent en B, à commencer par «Messing Up A Good Thing», un big balladif de Soul ultra-violonné et digne des géants du genre. Il va chercher un joli chat perché et atteint une sorte d’horizon. C’est extrêmement impressionnant. Et puis voilà le pot aux roses : «Exercice My Love». Comme on est sur la face lente, il va droit sur Sam Cooke, avec de faux accents d’I was born by the river, il s’élève aussi comme Marvin dans What’s Going On.

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             Son deuxième album sort en 1976 sur Cotillon, ce qui n’est pas rien. Produit par David Porter, Life Love And Living ne laissera personne indifférent. L’A porte de doux nom de ‘The Beat Side’. Comme tout ce que supervise David Porter, il s’agit ici d’une Soul subtile, fine et douce. On trouve même dans «I (Who Are Nothing)» un léger parfum des îles et des chœurs de rêve. Un piano free anime joliment l’heavy Soul de «Forced To Fight (This Losing Battle)» et on reste sous l’égide des merveilles sensibles avec «The Key To My Life». John Edwards est un bon, il sait se maintenir dans la classe supérieure. Il baptise sa B ‘The Sweet Side’, ce qui veut dire ce que ça veut dire. On le voit sur la plage en chemise à jabot et quand on retourne la pochette, il apparaît en gros plan, très jeune, très black des îles, dans la canne à sucre.

    Signé : Cazengler, John Éboueur

    John Edwards. John Edwards. Aware 1973   

    John Edwards. Life Love And Living. Cotillon 1976

     

    *

            Une fois n’est pas coutume. Vous serez privés de Doom ! N’en poussez pas pour autant un soupir de soulagement. Ce qui vous attend est sûrement pire, du néo-folk. Le néo-folk n’a rien à voir avec un renouveau de chanteuses comme Joan Baez. Imaginez une explosion atomique. Laissez reposer une quarantaine d’années. Et hop d’un coup sans prévenir du béton irradié une petite fleur bleue sort sa tête. Et bien le néo-folk c’est exactement cela, la petite fleur que personne n’attendait qui survient comme un miracle. Ne la cueillez pas pour l’offrir à votre petite amie. Le néo-folk évidemment c’est la mignonette fleurette mais ne prenez pas que la moitié du package. N’oubliez pas la deuxième partie : l’explosion atomique. Le néo-folk, après un détour par le metal, descend en droite ligne de la musique industrielle. Etonnant, oui toutefois le rock’n’roll n’est-il pas le bâtard de rhythm and blues ! De la guitare sèche du blues primitif le heavy metal ne s’est-il pas engendré tout seul par parthénogenèse…

             Bref faites-moi confiance, j’aime les trucs qui tarabustent !

    CORIOLAN

    ROME

    (Trisol / 2016)

    Rome, est-il vraiment un groupe. Demandez-le à Jérôme (déjà il possède un prénom qui contient Rome) Reuter. Depuis 2006 l’a commis une vingtaine d’albums, il compose les musiques et les paroles, en anglais, en allemand, en français et en italien. Le gars s’ingénie à créer des climax musicaux à base d’enregistrement sonores de toutes sortes, il s’inspire autant de l’esthétique classique que du noise. L’a deux énormes défauts pour la plupart de nos contemporains qui n’aiment pas trop se prendre la tête, perso je pense que ce sont deux qualités rares et précieuses, il puise son inspiration dans la littérature (beaucoup de mes auteurs préférés) et domaine que les artistes n’aiment guère aborder il interroge le spectre politique historial de l’Europe. Sans avoir peur de se frotter aux extrêmes. Il est juste un miroir de la modernité, qui réfléchit. Bref un sulfureux. D’ailleurs beaucoup le qualifient de dark folk.

    Coriolan est une pièce de Shakespeare, il s’en inspire, mais aussi un personnage historique des premières années de Rome. Un héros ambigu. A plusieurs reprises il battra les armées Volsques et s’emparera de la ville de  Corioles, c’est à ce titre qu’il recevra le cognomen honorifique de Coriolanus, Il sauvera même grâce à son courage Rome du plus grand des désastres : la défaite.  Sur le plan politique il est du côté de l’aristocratie et combat le peuple qui, par la grève de la guerre, finira par obtenir la nomination de tribuns protecteurs, magistrats dotés de pouvoirs très étendus pour le défendre. Politiquement vaincu Coriolan passe du côté des Volsques. Seules les supplications de sa femme et de sa mère le convaincront de ne pas se rendre maître de Rome. Il finirait sa vie en exil.

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    (Nicolas Poussin)

    La couverture est un petit chef-d’œuvre. L’on s’attendait à ce que Coriolan soit habillé en romain. Dans son manteau il ressemble à un tribun politique des débuts du vingtième siècle. Voudrait-on nous signifier qu’à toutes les époques vous trouverez toujours des Coriolan… Admirez l’art de Mathias Bäuerie, cette branche d’arbre dénudée qui pend en l’air ne fait-elle pas ressembler notre Coriolan moderne à Mussolini sur sa tribune faisant le salut fasciste… 

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    Investiture : le son comme une rumeur qui vient de loin, surprise éclate une marche triomphale à la Beethoven, en filigrane un discours, assez indistinct afin que l’on ne puisse en saisir les mots, montent des fredonnements, bizarrement ils ont tendance par leur répétition à détruire quelque peu la solennité de cette entrée en matière, ayant tendance à apparaître comme le bla-bla-bla moutonnier des politiciens.  Make you a sword of me : comme des blés qui germent, les ferments sonores d’une rumination, le contraire d’un discours enflammé, un soliloque solitaire, les pensées du héros, pas vraiment une partition, une collation de bruits qui sourdent et éclatent en un tempo relativement lent qui se transforme en une marche de tambours militaires, la volonté de puissance du chef infuse l’esprit du peuple qui se rallie à lui. Un peuple n’a qu’une âme, celle de son chef. Qui mène la lutte.  Broken : la brisure. Coriolan rumine. La musique avance toute seule, Reuter chante, autant au début il fait le point de la situation clairement énonçant les préceptes quasi-métaphysiques entre les statuts ontologiques différents du peuple versatile et peu fiable et l’âme indomptable du Chef, bientôt il se prend à son propre jeu, se laissant emporter par ses certitudes et sa colère, accompagnement et chant se mêlent formant une pâte indivisible telle la lave d’un volcan qui déborde de son cratère et s’en va détruire les cités imprudemment perchées sur ses flancs, quelles qu’elles soient, ce qui compte ce ne sont pas les hommes appelés à mourir un jour ou l’autre mais les fulminations vengeresses du héros supérieur. Fragments : clarté du Chef, les tambours donnent la cadence, la décision est prise, l’Homme libre n’a pas de chaînes sentimentales qui le retiennent, il n’est redevable de rien à personne, sa conduite et son inconduite mènent le monde, cela peut paraître fou mais c’est la vérité immuable, se battre pour sa propre vie est la seule loi, n’est-ce pas la le commandement suprême de la nature et de la perpétuation de la vie, au-delà de toute morale, seuls triomphent les âmes fortes destinées à la victoire. Sur elles-mêmes. This light shall undress all : guitare claire, illuminescente, ses échos portent jusqu’au bout du monde, un peu d’emphase dans le mantra répété sans arrêt qui se transforme en prophétie acquérant ainsi la force d’une vérité intangible : l’Histoire est faite par les Hommes les plus violents. Coriolan : guitare intimiste Reuter chante comme s’il mettait en scène un lieder de Schumann, Coriolan cries alone, il dénude les aîtres de son destin, il est seul dans sa grandeur, dans son orgueil, dans son mépris pour la race humaine, le chant s’élève et s’étend sur le monde, son âme déborde prête à noyer le monde sous sa volonté. Der krieg : symboliquement les paroles sont en allemand, guitare funèbre, la guerre a triomphé, encore un lieder à la Schumann, le Héros n’a pas vraiment gagné, la guerre des peuples se joue des destinées particulières, l’on croyait décider de la marche du monde, chœurs féminins pour rajouter à la mélancolie, l’on n’a été que le jouet de forces qui nous dépassent. Funeratio : le cycle se referme comme il a commencé, la musique comme le ressac de vagues qui se fracassent sur le rivage, accompagné par le chœur indistinct de ce qui ressemble autant à un requiem mozartien qu’un hymne national chanté en des circonstances dramatiques avec bruit de canonnades dans le lointain.

             Les sources divergent sur la mort de Coriolan. Est-il resté en exil chez les Volsques ou ayant signé la paix entre Rome et le peuple Volsque après l’intervention familiale, a-t-il été exécuté par Aufidius le chef des Volsques qui s’est estimé trahi. Cette incertitude ne change rien au destin de Coriolan si l’on s’interroge sur la nature de tels personnages que l’on retrouve tout au long de l’Histoire. Suivant d’assez près la réflexion de Shakespeare sur la nature du pouvoir politique, Reuter nous transporte dans l’esprit de ces meneurs d’hommes prêts à tout pour que triomphe l’orgueil de leur égo. L’opus est sans fioriture. Reuter décrit le phénomène dans sa nudité. Il ne porte aucun jugement. Il avertit. A chacun de regarder autour de soi et à s’interroger sur l’état du monde actuel. Notamment de l’Europe, dans laquelle nous vivons et où commencent à sourdre des bruits de bottes inquiétants. Ne se font-ils pas entendre, comme par hasard, chaque fois que le mécontentement populaire atteint des limites insupportables au bien-être de certains…

    Damie Chad.

     

    *

            J’allais en rester là avec Rome et Coriolan, un dernier coup d’œil sur la discographie et je tournai la page, hélas un mot, un seul m’a interpellé : Hyperion ! Le cœur de la littérature occidentale deux poèmes inachevés de John Keats, un roman d’Hölderlin. Jugez du peu. L’on ne s’approche pas du Soleil Zénithal de la Grèce Antique et du romantisme européen sans se brûler. Il me fallait aller toucher cela de près.

    THE HYPERION MACHINE

    ROME

    (Trisol / 2016)

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             L’artwork est comme le précédent de  Mathias Bäuerie, esthétiquement très différent  du Coriolan très mise en scène, très proche des affiches dévolues aux opéras du répertoire classique. Ici nous sommes aux antipodes d’un tel parti pris, nous sommes dans notre modernité, voué au triomphe des machines, le fond blanc nous induit à penser que nous sommes dans un laboratoire face à un chercheur en plein travail, suivant avec attention une expérience décisive, une manipulation dont on attend le résultat, surtout les conséquences que l’on pourra en tirer… Coriolan est l’homme de la société du spectacle, The Hyperion Machine fait davantage référence au travailleur, au sens Jüngien du terme, attelé à sa tâche. A croire que le créateur romantique a cédé la place au technicien, qui se penche sur un phénomène pour tenter d’en comprendre le fonctionnement.  Un peu comme un chroniqueur de rock qui ne fait pas de musique mais qui essaie d’apporter un éclairage particulier à un phénomène musical qui a déjà eu lieu.

    The Hyperion machine : coup de gong : mon nom est Hyperion  presque chuchoté, des voix se mêlent sur la bande-son qui ne dure que vingt-quatre secondes. Celine in Jerusalem : Céline n’a jamais été à Jérusalem, littérairement Céline et Hölderlin n’ont pas grand-chose à voir, sinon qu’ils ont vécu des époques troublées la Révolution Française, l’invasion de l’Allemagne par la France pour l’auteur d’Hyperion, la première et la deuxième guerre mondiale pour l’auteur du Voyage au bout de la nuit, quand le monde devient fou il est difficile de raison garder, Hölderlin resta la moitié de sa vie enfermé… des pas qui viennent de loin, une mélodie tranquille qui  déroule ses anneaux, la voix assurée de Rome nous ferait oublier que la vie n’est pas toujours un long fleuve tranquille. A tous les niveaux : dans l’intimité des hommes, pensons aux amours impossibles entre Diotima et Friedrich ou à la grande tendresse qui unit Céline à sa femme Lucette : dans les bouleversements historiaux, l’on connaît les pamphlets de Céline contre les juifs, l’on n’ignore point la thèse qui court selon laquelle le nazisme a puisé sa source dans le romantisme allemand… les paroles évoquent tout ce maelström de comportements humains et d’évènements historiaux. Transference : transferts et héritages, à la base un chant d’amour, un peu passionné avec des moments plus âpres lorsque l’on se referre aux comportements des hommes, insensiblement le rythme se précipite, c’est que l’être humain est capable du meilleur comme du pire, de préserver ce qui doit être préservé et de vivre ses passions sans trop porter d’attention aux conséquences, on a beau faire, dans tous les cas l’on n’est jamais sûr du résultat, ou l’on en fait trop ou l’on n’en fait pas assez... Souvent les journalistes étrangers évoquent Jacques Brel et Léo Ferré lorsqu’ils tentent de définir Rome, selon moi s’il doit y avoir interférence ce serait plutôt avec Leonard Cohen. The Alabanda breviary : une guitare folkly et la voix de Rome qui court dessus, la chanson de celui qui a tout vécu et qui en tire une amère  leçon, l’on flirte avec le country, même si la thématique est beaucoup plus intellectuelle, le héros, autre dénomination du citoyen de base, a tout essayé : les armes et l’écriture, l’a voulu connaître le monde et ça ne sentait pas bon (merci à Brel). L’est un peu revenu de tout. (Très Johnny Cash). Y a gagné une certaine sagesse, celle de l’impuissant qui n’a pu influer sur la marche du monde, et qui se contente de ne pas agir. L’a tout de même des excuses. Il n’a pas trouvé les mots, le temps lui a fait défaut. L’est maintenant comme les ruines grecques d’Alabanda. Ou tu vis, ou tu ne vis plus. Tu fais semblant. Stillwell : une chanson d’amour, pas facile quand l’une s’appelle Sarah et l’autre se réclame de la race des maîtres, en duo avec la belle voix grave de Joakim Thäström, chanteur punk-rock industriel suédois, sur la fin du morceau chœurs et voix féminines ajoutent à la lassitude ambiante, l’approche espérée du bonheur n’est pas le bonheur, de belles résonnances électro, la chanson se traîne, être au plus près n’est-ce pas la plus cruelle et délicieuse manière de mesurer l’immensité du rêve androgynique qui nous séparera toujours.

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    Cities of asylum : une rythmique qui cliquette presque joyeusement, un chant embrumé de nostalgie et d’échec, malgré tout aller jusqu’au bout, oser même si l’on doit y laisser la vie. Ce n’est pas un comportement suicidaire, il suffit de résister et de s’opposer à ce qui vous brisera. Parfois il n’existe pas d’autres solutions. Si tu n’y vas pas l’on viendra te chercher. Skirmishes for Diotima : une chanson sur la destinée des êtres, un peu mélodramatique, d’une grande tristesse, parfois la guerre vous sépare, parfois la guerre vous réunit, nous sommes les jouets des circonstances, seule la tombe sera accueillante pour les amants, cela a-t-il vraiment une importance.  Pourquoi se souviendrait-on de Diotima… Toutes les croisées des chemins ne sont-elles pas dénouées. Jusqu’au bout du nihilisme. Adamas : piano fougueusement romantique, peut-être un parfait exemple de dark-Folk, en tout cas cette fois-ci Rome éraille quelque peu son vocal, ressemble presque à s’y méprendre au timbre si particulier de Leonard Cohen, l’heure est grave, une adresse à l’individu qui obéit à un dictateur quelconque, qui se couche spirituellement devant le maître, ployé sous la peur honteuse et pitoyable, l’Ennemi du genre humain, dont nos efforts n’ont pu arrêter le cheminement victorieux, un peu de clarté, dans le seconde partie, une voix moins profonde, un piano délié, cette métamorphose serait-elle motivée par la venue espérée d’un Dieu qui ne vient pas, conséquence l’accompagnement électro se charge, sirènes, canonnades, bombardements, pleurs d’une guitare, élévation de chœurs féminins et mortuaires. Qui est cet Adamas, ne serait-il pas tout simplement l’Adam éternel ambivalent porteur de toutes les grandeurs, vecteur de tous les crimes. The secret Germany : (For Paul Celan) : hommage à Paul Celan, la poésie de Paul Celan reste marquée par la tragédie de la Shoah, dont ses parents ont été victimes, toutefois sa poésie n’est guère platement protestataire, par une langue dense et difficile, rilkéenne pour la stigmatiser grossièrement en un seul mot, au-delà des circonstances historiales, Paul Celan a tenté d’exprimer le mystère de l’Horreur qu’il faut bien accepter de qualifier d’Humaine malgré certains de ses aspects inhumains… Le texte de Rome est inspiré d’un des plus célèbres, peut-être parce qu’il est l’un de ses plus simples, poèmes de Celan : Todesfuge. Le lecteur français aura intérêt à mettre en parallèle le concept de Secret Germany avec le concept de France Aurélienne de Luc-Olivier d’Algange, car tout individu possède un pays secret. Même si beaucoup l’ignorent. Un texte qui retrempe chacun en ses propres manquements à la nécessité d’agir, hier, avant-hier et aujourd’hui. Inutile aussi de renier l’avenir en raison du passé… Une marche quasi martiale adoucie par la solidité d’une voix qui arpente les décombres d’une époque révolue, en route vers ce pays secret, vers lequel nous faisons que nous diriger sans jamais y arriver. Sans doute car nous n’avançons pas assez vite. Die Mörder Müsham : Erich Müsham est un militant anarchiste qui participa en tant que l’un des principaux activistes à l’aventure insurrectionniste spartakiste en Bavière en 1918-1919… Opposant au parti nazi il fut arrêté et exécuté en 1934… le morceau débute par ce qui doit être un chant nazi, estompé au bout de trois minutes par des râles d’étranglement ou de vomissements, serait-ce l’évocation symbolique  les bruits de l’agonie d’Erich Müsham, la voix de Rome récite un extrait d’Hyperion d’Hölderlin, une lettre d’Hyperion à  son ami Bellarmin, Hyperion conte la désolation spirituelle des deux amis qui n’ont trouvé aucune place dans le monde et évoque la tâche qui leur reste à faire… Un accompagnement sonore qui prend à la gorge. La confrontation de ces deux textes qui clôturent l’Hyperion Machine est à méditer. Le chant de la première partie est-il l’exemple de ce qui risque de se passer  si le travail auquel nos deux amis doivent s’atteler n’est pas accompli. L’on peut aussi interpréter L’Hyperion Machine tout autrement, comme un mécanisme fatal qui pousserait certains individus à changer le monde selon leur volonté… Fan fan fan : ( Bonus track) : une reprise d’un morceau de son ami Joakim Thäström, l’original est sur You Tube : le thème est des plus simples, un amour perdu, la solitude et les regrets de celui qui reste, le rêve de ce qui aurait pu être, de ce qui aurait dû être. Un accompagnement moins dépouillé et un timbre de voix  davantage optimiste. A interpréter symboliquement. L’Europe est divisée, partagée entre deux possibilités, il nous reste à aller vers les autres.

             Cet opus m’a paru moins fort que le précédent. Si la thématique est la même, Coriolan l’aborde selon une vision minimale, celle d’un individu. Il est aisé de l’admirer ou de le condamner.  Nous sommes trois siècles après la naissance de Rome, les enjeux politiques nous échappent même si nous les comprenons intellectuellement. Toutefois à l’aune de notre temps, ne l’oublions pas.  L’Hyperion Machine évoque notre histoire contemporaine, aujourd’hui encore les médias nous parlent d’antisémitisme, le spectre du troisième Reich hante encore l’Europe. Dans cet ouvrage, les individus ne comptent pas, ou alors en tant que personnages exemplaires et symboliques de centaines de millions d’autres. La problématique est moins facile à décrire et à saisir. Cette difficulté se ressent dans les textes, qui ne disent pas tout, voilés d’une aura de mystère, qui demandent à être interprétés. Qui exigent une plus grande réflexion. De même la musicalité de l’album, même si chaque morceau en lui-même est parfaitement réussi l’ensemble est un peu monotone. Coriolan se découpe comme une statue géante de pierre noire sur le décor noirci de l’histoire. La Machine Hyperion donne l’impression d’une fresque pas encore totalement achevée.

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    ( Wilheim Wandschneider _ 1904)

             Rome n’en est pas moins dans le milieu musical un artiste de grande envergure. Son but n’est pas de distraire, mais de nous faire réfléchir. Les contemporains préfèrent fermer les yeux. Nietzsche le qualifierait d’inactuel. Un visionnaire en quelque sorte.

    Damie Chad.

     

    *

             J’espère que ça ne va pas continuer jusqu’à la nuit des temps, quoique s’il s’agit de passer en série tous les pionniers du rock, a priori ça ne me dérange pas. Surtout que cette fois, ce n’est pas n’importe qui :

    ELVIS PRESLEY

             La scène est à l’identique, même lieu, même action, je beurote mes biscottes tout tranquilotte sans tremblote dans ma culotte, que ne ferait-on pas pour une rime, oui la radio marche : France Inter, France Rockabilly n’existant pas, faute de grive l’on avale des merles, n’aurais-je pas fait une faute d’orthographe  à ce mot ne serait-il pas plus seyant avec un d ? Une grosse différence : la cafetière électrique ne se prend plus pour une Pacific 231, aucun nuage de vapeur, tout au plus si en tendant l’oreille j’oie, je sais ce n’est pas la joie, j’eusse préféré j’ouïsse davantage jouissif, un très léger tchou-tchou, elle doit être arrêtée, un troupeau d’un million de bisons se sont massés sur les rails, et pour une fois Buffalo Bill pas très futé a oublié sa carabine.

             Attention là celui qui parle dans le poste, c’est le boss, le grand chef du 7 / 10, pas du tout un indien rebelle sur le sentier de la guerre, normalement c’est le moment où Nicolas Demorand présente un roman policier. Mais là non, ce sera une émission sur une chaîne télé, laquelle je ne sais pas, je n’ai pas de télé, je tremble : encore un laïus sur les bienfaits de la démocratie dans un pays qui compte neuf millions de pauvres, avec un enfant sur trois qui ne fait pas trois repas par jour, ben non, il prononce un nom magique : Elvis Presley ! N’a que deux minutes mais il se débrouille bien, d’abord il avoue qu’il est un fan d’Elvis depuis tout petit, en trente secondes il résume sa carrière jusqu’à son grand retour en 1968, je savoure mon café mais je bois du petit lait, une phrase sur le déroulé-boulé de la soirée historique, passe un extrait du King en train de chanter, pas long mais aussi crémeux que du lait de baleine, termine en renouvelant son amour immodéré pour Elvis.

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             Un truc qui vous fout la patate, c’est dommage que Buffalo Bill ait oublié son flingot, j’aurais ouvert la fenêtre et décanillé une douzaine de passants pour exprimer ma joie. Tous les fan-clubs d’Elvis m’auraient envoyé des lettres de félicitation et je serais devenu célèbre dans le monde entier. Même que l’on aurait parlé de moi sur France Inter.

             Parfois la vie ne se passe pas comme un rêve. Alors je me suis plongé dans une réflexion philosophique. Prenons deux individus au hasard : Nicolas Demorand et mon humble personne. Ne parlez pas de privilèges, je n’ai que ces deux-là dans ma chronique, Buffalo Bill est hors-jeu puisqu’il est mort en 1917 avant la naissance d’Elvis.

             Demorand est né en 1971, il est arrivé après la bataille puisque le NBC Show date de 1968, là-dessus j’avoue être mesquin, mais là n’est pas le problème : deux fans d’Elvis, deux destins différents. Pourquoi l’un joue-t-il  chaque matin à la voix de son maître gouvernemental et l’autre pas ? Doit-on en conclure que le rock‘n’roll n’influence en rien les consciences politiques de ses admirateurs. Mais alors quelle attraction précise  exerce-t-il sur ceux qui se réclament de lui...

    Damie Chad.

    *

    Il est des livres qui ne vous apportent pas ce que vous espériez y trouver. En voici un. J’étais content dans la boite à livres ma main attirée par une couverture grise, ô c’est d’Armand Godoy, je fais la grimace en lisant le titre De vêpres à matines, vous connaissez mon peu d’empressement pour la chose chrétienne, oui mais Godoy fut un ami d’Oscar Vladislas de Lubicz Milosz, un des plus grands poëtes de langue française du vingtième siècle, j’aurais dû m’arrêter à cette première découverte, mais non, mon œil repère le nom ultra-connu d’un personnage qui est resté cher à nombre de jeunes amateurs de rock, donc je prends :

    CECI N’EST PAS UNE AUTOBIOGRAPHIE

    Roman

    DANIEL FILIPACCHI

    (Bernard Fixot / 2012)

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             Ah, le bouquin, grand format plus de quatre cents pages ! Une fois ouvert on respire : grosse police, large interligne, une page et demi blanche sépare chacun, des soixante-douze chapitres du suivant.  Que ne ferait-on pas pour le rock’n’roll ! Un véritable puzzle aux pièces mélangées. Daniel Fillipacchi le rédigea, faute de mieux, immobilisé dans son lit durant quatre mois à la suite d’une chute malencontreuse. Des souvenirs entassés pêle-mêle, venus au fil de la plume, classés tant bien que mal dans un ordre qui se voudrait chronologique.

             L’on ne parle guère en Europe de la Grande Catastrophe, voici quelques années, pas un mot lors de son centenaire, dans les media mainstream pour rappeler son souvenir… En 1922, les forces turques s’emparent de la ville de Smyrne, c’est ici le lien le plus étonnant de ce livre avec le rock’n’roll, le grand-père Filipacchi s’enfuit au plus vite pour échapper aux exactions généralement commises envers les civils lors des guerres…

             L’était armateur le grand-père, je ne pense pas qu’il n’ait pas mis à l’abri dans une ou plusieurs banques étrangères quelques ‘’bribes’’ de fortune, l’auteur se présente comme un petit-fils obligé de se débrouiller par lui-même. Le père de Philippe lancera une collection de grands écrivains qui rachetée par Gallimard deviendra le fleuron de l’édition française La Pléiade… Chez Gallimard le paternel entreprendra la mise en place du Livre de Poche. Une reprise de l’idée d’Honoré de Balzac dont il ne retira aucune satisfaction mais dont il lui resta pour le restant de ses jours une énorme dette…   

             Daniel a des parents sympas et compréhensifs, ils seront obligés de le retirer de l’Ecole Alsacienne, là où nos ministres envoient leur progéniture, les études ne l’intéressent pas, son truc à lui c’est le… jazz. Comme il né en 1928 ce pouvait être le rock. Un oncle lui envoie par caisse entières de disques des Etats-Unis, quant à son argent de poche - il suffit qu’il demande – il le passe en… disques de jazz. Un passionné. Papa a des relations, il sera photographe à Match. Ce qui lui permet entre autres d’entrer en relations avec beaucoup de grands patrons français. La mort de Charlie Parker aura un effet positif. La nouvelle station de radio Europe 1, ne possède aucun disque de Parker, le patron lui téléphone, il se radine avec une partie de ses albums. L’émission est un succès. Lui est proposé de réaliser avec Frank Ténot lui aussi passionné de jazz une émission jazz… tous deux adoptent un ton de conversation qui tranche avec les introductions académiques qui étaient alors de règle dans toutes les radios. Le public les attendait sans le savoir.

             Ce n’est que le début de l’aventure, Europe 1, demande à nos deux jazzeux de prendre la relève d’une émission Salut les Copains présentée par une étudiante américaine Suzy beaucoup plus captivée par son chat que par les disques de rock’n’roll qu’elle passe.

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             Je pensai que j’allais en apprendre beaucoup sur les coulisses de cette émission phare. Ben non. Il n’en parle plus ; Pas un mot. Rectificatif : oui il cause de Salut Les Copains, pas l’émission, la revue. Pas le contenu : le million d’exemplaires vendus. Se révèle ce qu’il est : un homme d’affaires, plus intéressé par la réussite de ses entreprises que par leur contenu. Il monte en rachetant Hachette un véritable empire de presse. Nous ne citerons que Lui… L’est un businessman qui brasse des millions, à cheval sur l’Europe et les Etats-Unis.

             Pour sa vie privée trois passions : la bibliophilie, la peinture, le jazz. Il collectionne les surréalistes et tous (beaucoup) les peintres. Donnent leurs noms et les bonnes affaires qu’il conclue. Ne comptez pas sur lui pour nous faire pénétrer dans l’univers des artistes. Il organise des concerts et publie des disques de jazz. Connaît tout le monde : de Norman Granz à Miles Davis. Quelques rares anecdotes par-ci par-là, fissa-ficelées et l’on passe à autre chose.

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             Le personnage est un peu déplaisant. Des idées politiques peu révolutionnaires. Un milieu de droite, très réactionnaire. Avec le couplet obligatoire sur les riches beaucoup plus malheureux que les ouvriers car leur fortune les oblige à investir sans arrêt. Sont contre l’ISF et les impôts. Ceci dit, il a su capter l’air du temps dans ses entreprises culturelles de masse.

             Et le rock Damie. On y arrive. Johnny : tout d’abord, le rappel du disque T’aimer follement de Johnny cassé en direct sur les antennes d’Europe 1 par Maurice Biraud. Du connu, archi-connu. Ensuite Johnny invité par Charles Delaunay, le fils des peintres Sonia et Robert, à participer à un festival de jazz à la salle Wagram, chassé de la scène par le public qui attendait Sydney Bechet

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    ( Ahmer & Nesuhi Ertegün )

             C’est un peu maigre Damie. Attendez les gars, attention deux grosses pointures, notre Cazengler national les évoque souvent, les frères Ertegün, Ahmet et Nesuhi, les directeurs d’Atlantic, que Filipacchi rencontre le 26 juin 1957, lors d’une réception de Wilburn de Paris chef d’orchestre rentrant de tournée en Afrique. La rencontre entre le petit-fils d’un pourchassé de Smyrne et des deux turcs se passe  merveille. Nesushi parle français, il a été élevé en Suisse, et commence par réciter un poème d’Arthur Rimbaud. Nesuhi et Daniel deviendront amis. Lui aussi est un amateur de peinture. Pour les remembrances discophilesques nous n’y participerons pas. Atlantic sera racheté, au même titre qu’Elektra, Asylum et Warner par Steve Ross. Filipacchi deviendra président de Warner… Nesushi et Ahmet firent disperser leurs cendres en Turquie. Filipacchi ne se rendra pas à la cérémonie.

             Voil0, c’est peu mais c’est tout.

    Damie Chad.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 666 : KR'TNT ! 666 : FOUR TOPS / TELESCOPES / MERCURY REV / A PLACE TO BURY STRANGERS / CREEPY JOHN THOMAS / CAGED WOLWES / CAIXÄO / BILL CRANE / SCARECROW

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 666

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    21 / 11 / 2024 

      

    FOUR TOPS / TELESCOPES

      MERCURY REV / A PLACE TO BURY STRANGERS

    CREEPY JOHN THOMAS / CAGED WOLWES

     CAIXÄO / BILL CRANE / SCARECROW

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 666

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Wizards & True Stars

    - Top of the Tops

    (Part Two)

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             Quand en juillet dernier, Duke Fakir a cassé sa pipe en bois, nous avons profité des Estivaleries pour saluer sa mémoire et bricoler un simili Part One. Il est grand temps maintenant de célébrer son autobio parue en 2022 : I’ll Be There: My Life With The Four Tops. Curieusement, le book fut éreinté par un ou deux journalistes anglais. Le pauvre Duke Fakir n’a pas bénéficié des acclamations journalistiques dont avaient bénéficié par exemple Brian et Eddie Holland avec Come And Get These Memories: The Genius Of Holland-Dozier-Holland, Motown’s Incomparable Songwriters. Cet éreintement fut choquant. Voyons pourquoi.

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             Il apparaît très vite que Duke Fakir n’est pas l’écrivain que l’on croit. Mais fuck it, c’est un Topper ! Et ça lui donne tous les droits, surtout celui d’écrire ses mémoires. Le gros défaut des journalistes est qu’ils ne sont que des journalistes. Ni artistes, ni musiciens, ni légendes comme le fut par exemple Duke Fakir. Alors, les journalistes critiquent et du haut de leur non-existence, ils tuent des books dans l’œuf. De quel droit ? I’ll Be There: My Life With The Four Tops n’est évidemment pas un chef-d’œuvre littéraire, mais Duke a vécu l’aventure de l’intérieur et il se contente de raconter ses souvenirs, en toute humilité. Sa simplicité de ton le rend même émouvant, et crée une sorte de proximité. En étant son lecteur, tu deviens un peu son copain. La meilleure preuve de son humilité est cet extrait tiré du foreword, c’est-à-dire de l’avant-propos : «De mon point de vue, nous n’avons jamais rien contrôlé. Quelque chose de beaucoup plus important veillait sur nous. Au milieu du XXe siècle, les mondes s’entrechoquaient, les temps changeaient et les gens se montraient prêts pour un monde d’amour et de solidarité. C’est ce que la musique offrait. Les Four Tops firent partie de tout ça, et parce que nous étions ce que nous étions, quatre frères unis et connus pour nos harmonies vocales, nous étions ceux qui pouvaient chanter ce changement. Ma voix n’était pas celle qui était mise en avant, mais aucun d’entre-nous ne voulait toute la gloire. Nous n’étions pas le groupe le plus célèbre du monde, mais notre célébrité nous suffisait.» Voilà, c’est le ton du book : immensément humble.

             Et Duke ajoute sur la page d’en face : «On était quatre mecs très différents les uns des autres, mais on aimait tous la même chose, et c’est en quelque sorte toute l’histoire des Four Tops. Quatre mecs de Detroit qui avaient en commun une passion pour la musique et qui s’aimaient, et nous sommes restés ensemble beaucoup plus longtemps que n’importe quel autre groupe de cette période.» Puis il rappelle que d’une certaine façon, ils illustraient les quatre coins de monde : «Mon nom est Abdul Fakir, which is Muslim, Obie’s name is Renaldo Benson from the Spanish world, Levi Stubbs name is from the Jewish world, and Lawrence Payton is as English as you can get.»

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             Grâce à Duke, on comprend à quel point les groupes de blackos en bavaient pour arriver à percer. En amont des Four Tops, il y a dix bonnes années de galères. Duke a 13 ans quand il rencontre Levi Stubbs pour la première fois dans un club de Detroit, le Paradise. Il voit Levi monter sur scène. Levi n’a que 11 ans - Levi Stubbs who was definitely going to be a star - Levi est aussi le cousin de Jackie Wilson. Levi est baryton et Duke est ténor. Ils décident de monter un groupe ensemble, et un soir de fête, at a local graduation party, ils rencontrent Obie Benson et Lawrence Payton. Ils forment un quatuor qui s’appelle The Four Aims. Ils se spécialisent dans ce qu’on appelle the four-part harmonies. La bête du groupe, c’est Lawrence Payton, qui est fortement influencé par The Four Freshmen - the best at four-part harmonies back then - Il faut se souvenir que Brian Wilson idolâtrait lui aussi les Four Freshmen. Duke : «C’est la quatrième note qui fait la four-part harmony. Vous pouvez monter et descendre dans la mélodie and make four parts. Lawrence got that feeling from listening to string sessions, and he fashioned our voices after that.» Duke donne ici un éclairage considérable. Il ajoute : «Lawrence pouvait écouter un big band arrangement, peut-être six instruments, et après une seule écoute, il pouvait chanter ce que faisait chaque instrument. It was incredible. Il savait lire et écrire la musique, mais il nous chantait nos parties. Il chantait la mienne comme a trumpet part. Puis il chantait the second part qui était la sienne, puis the third part qui était celle de Levi. Au début, il n’y avait pas de lead sur les chansons. On chantait du four-part harmony straight through, similar to The Four Freshmen. Lawrence was a real genius, and we were gifted with an all-star team.»  

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             Les Four Aims zonent dans les clubs, et un soir, ils tombent sur un black qu’ils ne connaissaient pas : James Brown ! - Alors on est allés voir de plus près what this James Brown was all about - Duke et ses trois amis sont sciés - We were amazed. He was tearing up the house. Shit! It was phenomemal - C’est là qu’ils comprennent qu’ils doivent danser sur scène. Levi est le premier à réagir : «We can’t out funk him, we can’t out dance him, we can’t out roller him, but we can sing out this motherfucker. Alors on va juste se lever et chanter. C’est notre seule chance. On peut rajouter un peu de funk, mais on va aller sur scène, avec des airs débonnaires et chanter pour les ladies. C’est tout ce qu’on peut faire. That’s us». Eh oui, les Four Aims ont très bien compris que personne ne peut rivaliser avec ce démon de James Brown, surtout dans les early sixties. Levi Stubbs a compris que le seul moyen de réussir est d’être soi-même. «So we gonna go up there and sing.» Ces pages sont fantastiques car elles nous montrent l’état d’esprit des quatre petits blacks confronté à la réalité. Même quand tu chantes bien, ça ne suffit pas.

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             Eh oui, il faut des compos. Eh oui, il faut un management. Toujours la même histoire. Et puis, il faut un nom. Les voilà chez Chess pour enregistrer un premier single, «Kiss Me Baby». On leur dit que The Four Aims, ça ne va pas du tout. Pas beau. Et le directeur musical leur dit : «What about The Four Tops ?». Vendu. Duke : «The Four Tops were born in 1956 at Chess Records.» L’aventure Chess s’arrête aussitôt après. Puis, de 1961 à 1963, ils vont accompagner Billy Eckstine sur scène - Eckstine was once the rival of Frank Sinatra - Eckstine leur enseigne deux choses fondamentales : un, la paix de l’esprit n’existe pas dans le showbiz, et deux, après le succès, vient l’oubli, et il faut se préparer à ça. 

             Et on arrive au cœur battant du book : Motown. C’est Berry Gordy qui veut les Four Tops. Il les connaît, il sait ce qu’ils valent et il sait qu’il peut en faire des superstars, et c’est exactement ce qu’il va faire. Duke rentre bien dans le détail : les Four Tops passent dans un show télé new-yorkais, le Tonight Show. Gordy est chez lui à Detroit et les voit à la télé. Alors il dit à son A&R Mickey Stevenson d’aller les trouver pour leur proposer un deal. Mickey débarque à New York et vient voir les Four Tops : «Man, Berry wants you all. Sounds like he wants y’all bad.» Deux jours plus tard, les Toppers débarquent à Hitsville USA, on West Grand Boulevard. Berry Gordy les accueille avec un wonderful greeting. Il les fait asseoir et fait glisser un contrat sur le bureau en direction des Toppers - Here’s one of my contracts. It’s for six years - Gordy veut que les Toppers lisent et signent. Duke, qui est le porte-parole du groupe, dit qu’il veut emmener le contrat à la maison et le lire tranquillement avec ses amis. Gordy dit non - I never let my contracts out of my office. I don’t do that - Duke ne se déballonne pas, et il sait que ses amis Toppers vont le suivre : il dit à Gordy qu’il a quelques années d’expérience et qu’il a toujours pris le temps d’examiner les contrats - It’s business, you know - Mais Gordy l’envoie sur les roses : «Well I do business different ways. You sign it right here or not.» Duke tient bon. Il dit qu’il ne peut pas signer un contrat qu’il n’a pas examiné en détail. Gordy commence à sentir que les Toppers ne vont pas céder. Il demande s’ils vont consulter un avocat. Et Duke lui répond qu’ils vont le lire eux-mêmes et en discuter tranquillement tous les quatre. The Four Tops, man ! Gordy finit par donner son accord - Okay man. I don’t usually do this kind of shit. You can bring it back tomorrow - Duke nous fait partager là un épisode historique. T’es dans le bureau avec eux.

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             Le lendemain, il reviennent signer le contrat et demandent une avance. Gordy dit non : «Look, man, I don’t do that.» Mais il leur garantit une chose : des hits. «You’ll have hits at this record company.» Puis il sort 400 $ de sa poche et les file aux Toppers - Look, here’s the best I can do - Les Toppers attendaient mieux que ça, mais finalement, ils acceptent. Ils font confiance à Berry Gordy.

             Duke nous explique ensuite que chaque artiste chez Motown avait une relation particulière avec Berry Gordy. Duke dit que la sienne a toujours été positive. Gordy respecte les Four Tops car ils étaient un groupe accompli avant Motown - We already had a distinct sound and musical identity - Ils ne sont pas une découverte. Et Gordy a besoin de leur talent.

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             Ils enregistrent un premier album de standards américains et de classiques de Broadway, Breaking Through. Mais l’album ne sortira que 35 ans plus tard. Gordy ne le trouvait pas assez Motown. Il pensait à juste titre que l’album n’allait pas dans la bonne direction - It’s not just commercial enough - Alors il les présente à Holland-Dozier-Holland. Et là, boom !

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             Pour Duke, ce n’est pas seulement une collaboration musicale qui démarre : c’est une amitié. Il indique que le destin des Four Tops ne pouvait pas être en de meilleures mains. Gordy avait une vision des Four Tops qui allait plus loin que les jazz standards de Broadway. Il avait raison - We trusted him. It paid off, big time - Les Toppers traînent pas mal à Hitsville, ils deviennent potes avec les Temptations, les Supremes, les Miracles - Little Stevie Wonder was a cute young man, like a kid in a toyshop - Il conviendrait de croiser cette lecture avec celles des mémoires de Mickey Stevenson et des frères Holland. Les Toppers enregistrent leur premier hit Motown, «Baby I Need Your Loving». Mais les sous n’arrivent pas automatiquement. Ils devront poireauter deux ans pour voir débouler les chèques de royalties. Alors ils doivent reprendre les tournées pour vivre. Duke nous raconte les célèbres Motown’s package tours, avec des affiches qui te font baver. Bave, baby, bave !

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             Entre 1964 et 1967, le trio Holland-Dozier-Holland tourne à plein régime. Dix number one songs pour les Supremes, nous dit Duke. Les Toppers enregistrent généralement un hit en deux heures. Ce sont des pros. Ils alignent des hits planétaires comme «Reach Out I’ll Be There», «Bernadette», «Standing In The Shadows Of Love». Duke raconte aussi le clash entre Marvin et Gordy à propose de «What’s Going On». Gordy ne voulait pas de chansons engagées, et Marvin lui répondait que «What’s Going On» était ce que les gens voulaient entendre, et diable, comme il avait raison de tenir bon ! 

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             Duke rappelle aussi que les Toppers ont flashé sur le «MacArthur Park» de Jimmy Webb et qu’ils démarraient leur set avec - Nobody could sing it like Levi - C’est l’une des chansons qui a le plus touché Duke. Quand Levi a cassé sa pipe en bois, les Toppers ont arrêté de le chanter sur scène - Levi’s delivery was iconic - On trouve cette merveille insurrectionnelle sur l’album The Four Tops Now!. Ils tapent dans l’intapable de Richard Harris. Levi ne craint pas la mort, alors il y va sans hésiter et prend l’intapable en main. On a là une version swinguée et orchestrée. Levi va même jusqu’à la sur-winguer pour qu’elle décolle vite fait vers les étoiles. C’est beau à pleurer. Levi grimpe si haut qu’il donne le vertige. On assiste à de merveilleuses échappées de pur feeling. On trouve aussi un  hommage aux Beatles avec «The Fool On The Hill». Fabuleuse version, les Toppers la swinguent au velouté Tamla. Ça devient doux au toucher. Et on entend bien sûr l’immense James Jamerson derrière. Un autre coup de génie, c’est bien sûr «Don’t Bring Back Memories», une pop de good time music extrêmement colorée et bien chaude, un vrai patrimoine de l’humanité qui se danse au mieux de toutes les espérances. Oui, les Toppers ont du génie, tellement de génie qu’ils en ont à revendre. On trouve aussi un fabuleux cut de r’n’b intitulé «My Past Just Crossed My Future», bien emmené au beat de membres désarticulés. On s’effare de l’ambiguïté des orchestrations. Ils restent dans l’insolence de la classe avec «Little Green Apples». Quand les Toppers mettent leur énorme machine à swinguer en route, ça fait des étincelles. On les admirera jusqu’à la fin des temps.

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             Mais les jours heureux ne vont pas durer. Duke rappelle qu’avec l’arrivée des Jackson 5 en 1969, les groupes phares de Motown ont subi une sorte de déclassement. Les Tempts, les Miracles, les Toppers et Stevie Wonder n’étaient plus les chouchous. Pareil pour les Supremes lorsque Diana Ross est passée solo. Duke pense que ce sont les émeutes de 1967 à Detroit qui ont poussé Gordy à quitter la ville pour aller s’installer en Californie. Gordy essaye aussi de casser les Four Tops pour récupérer Levi, comme il a cassé les Supremes pour récupérer cette rosse de Diana Ross. Manque de pot, Levi est un Topper. Il ne trahit pas ses amis. Gordy essaye de l’appâter en lui proposant un rôle dans Lady Sings The Blues. Et Levi lui répond : «What about the Tops? What about my boys? Is there a part in it for them?» Et quand Gordy lui dit non, Levi annonce qu’il reprend l’avion et rentre à Detroit - We’re going home then - Fin de la discussion. Comme Gordy sidéré n’a pas bien compris, alors Levi lui balance ça dans la gueule : «It’s the four of us or nothing.» Et là, t’as le vrai truc, la raison d’être d’un groupe, l’intelligence du rock et de la Soul. Te voilà aux antipodes des rats et des beaufs.

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             Puis les Toppers se font virer de Motown par Ewart Abner, que Gordy a chargé de prendre la relève à Detroit : «We don’t need you guys anymore.» Les Toppers tombent des nues. Virés comme des chiens. Duke indique plus loin que Gordy n’était pas au courant de cette histoire. Bon, les Toppers sont sonnés, mais ils se reprennent et vont signer ailleurs. De toute façon, Motown ne signifie plus rien. Le trio Holland-Dozier-Holland s’est barré depuis belle lurette.  

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             Après Motown, les Toppers vont signer chez ABC/Dunhill, Casablanca et finalement Arista - It was the last record deal we ever had - Et après ça, Duke va évoquer en des pages merveilleuses ses amis Eddie Kendricks et David Ruffin, puis aligner les cassages de pipes en bois, Levi, Lawrence, et Obie, pour filament se retrouver le dernier, atrocement seul, perdu et malheureux, comme ça arrive à tous ceux qui survivent trop longtemps. Avec le temps du chagrin vient l’envie d’en finir.

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             Très beau livre. Merci Duke d’être ce que tu fus. Reach out !

    Signé : Cazengler, Four

    Duke Fakir. I’ll Be There: My Life With The Four Tops. Omnibus Press 2022

     

     

    L’avenir du rock

     - Le télescopage des Telescopes

     (Part One)

             — T’es pas cap !

             — Cap de quoi ?

             — T’es pas cap de délirer sur les Telescopes, avenir du rock...

             — Pourquoi veux-tu que je délire sur les Telescopes, mon pauvre ami. Ils sont parfaitement capables de délirer tout seuls. Ils n’ont pas besoin qu’on les aide !

             — M’en doutais que t’allais te déballonner, avenir de mes deux !

             — C’est absurde ! C’est comme si tu demandais à Brigitte Bardot si elle avait besoin de quelqu’un en Harley Davidson ! Ou à Cocteau de ne pas feindre d’être l’organisateur des mystères qui le dépassent. Te rends-tu compte de ton incurie ? Sans vouloir être méchant, te rends-tu compte du néant que tu incarnes ? Délirer sur les Telescopes ! Mais ça n’a pas de sens ! As-tu besoin de demander à Ziggy de jammer good avec Weird and Gilly ? Ou de rappeler à Johnny Yen de se pointer avec les bottles & drugs ! Ou à la mer de baigner les golfes clairs ?

             — Tu trouves toujours des combines pourries pour t’en sortir, avenir de ta race !

             — Mais non, j’essaye juste de t’expliquer ce qui me semble être une évidence. Mais c’est pas facile de parler avec un mec comme toi. Sous ta casquette, t’as les idées bien arrêtées. T’es pas quelqu’un de très sympa, en réalité. Il faut même faire un peu attention à ce qu’on te dit, car ta susceptibilité s’inscrit sur ton visage, ça a l’air de te crisper la gueule, et tu deviens vite agressif, ce qui rend l’échange caduque. Ta connerie télescope les escalopes, tu hausses le ton et tes spolémiques apparaissent en cinémascope, elles te radioscopent le kaléidoscope, alors t’es plus qu’un Ionescope interlope en partance pour Scopacabana, mon spote.

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             Bon calmons-nous et célébrons les Telescopes, c’est-à-dire Stephen Lawrie, qui, depuis son sous-marin, observe les convois des tendances qui traversent l’Atlantique, et qui, de temps en temps, leur balance une bonne torpille. Lawrie adore couler les tendances.

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             T’en reviens pas de te retrouver à deux mètres de lui, là, au fond de la cave. Pas la grande foule. Concert trop underground, sans doute. Tant pis pour les absents. Les Telescopes sont aujourd’hui ce qui se fait de mieux en matière de psyché anglais. Sur certains cuts, Lawrie sonne exactement comme Syd Barrett. Quand on le lui dit, après le concert, ça le fait bien marrer. C’est là où tu vois ses dents pourries. Stephen Lawrie, dernière vraie rockstar anglaise avec Peter Perrett, Lawrence d’Arabie et Jason Pierce ? C’est plus que fort probable. En tous les cas, concert demented. T’en savoures chaque seconde avec un bonheur indicible, tu t’enivres de ce son unique au monde. Là, t’as le real deal, pas une mauvaise resucée à la petite semaine, non, c’est la suite exacte d’«Arnold Layne», c’est le sommet du genre.

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    Ils sont cinq sur scène, dont deux Français, un blond à la guitare, là-bas au fond, et une petite gonzesse sur un mini-clavier, au-devant de la scène. T’as un super-rasta à la basse, complètement plongé dans le doom, un batteur anglais au croisement du psychout et de cromagnon, et puis, Stephen Lawrie derrière son micro, avec ses deux guitares et ses lunettes. Zéro frime, il gratte ses Si et ses Do et chante par intermittence, il est le capitaine du vaisseau, le gardien du phare (tel qu’il se décrit dans les liners de Radio Sessions 2016-2019), il est fantastiquement présent dans l’avenir, et fantastiquement ancré dans la tradition la plus pure, franchement, t’en reviens pas de voir un mec aussi légendaire se comporter comme si de rien n’était. Tu mets des mots comme tu peux sur les secondes de son qui défilent, mais tu sens bien qu’un puissant courant les emporte, alors tu laisses filer, tu te dis que tu te débrouilleras plus tard, et puis au fond, ça n’a aucune importance, tu vis ta vie, grâce à Lawrie, tu arraches encore au néant de la vie quotidienne quelques instants d’éternité, tu montes et tu descends avec eux, et t’as cette petite gonzesse qui groove avec le son, tu vois ses cheveux voler, elle groove fabuleusement, alors le real deal devient palpable, et quand ça monte en température avec cette bombe atomique qu’est «This Train Rolls Out», tu vis une sorte de petit moment d’extase, et tu te félicites sincèrement d’être resté en vie, rien que pour pouvoir assister à cette petite heure d’éternité. 

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             Les mighty Telescopes font leur grand retour dans le rond de l’actu avec Halo Moon. Pareil, tu peux y aller les yeux fermés. Tu y retrouves l’heavy «Shake It All Out» bien rempli à ras bord. Lawrie ne plaisante pas avec l’heavyness. Et en plus, il a le groupe parfait pour jouer ça dans la cave. Tu croises plus loin un «Nothing Matters» très Velvet, puisque gratté sur les accords d’«All Tomorrow’s Parties». Il a aussi des cuts plus poppy, comme ce «For The River Man» qui se laisse bercer, un peu étrange au demeurant. Il fait son coup de Syd avec «Along The Way» et un coup de samba Syd avec le morceau titre. Boing boing ! Par contre, «Lonesome Heart» déploie ses ailes : très beau, mélodique et gluant. Tu retrouves le boing boing dans «This Train Rolls On». C’est extrêmement déterminé à vaincre. On ne fait pas de tels boings inopinément. Mais la version live était nettement plus dévastatrice.  

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             Et comme si Halo Moon ne suffisait pas, ils sortent aussi cette année une fastueuse compile : Radio Sessions 2016-2019. Stephen Lawrie signe les liners. Donc on les lit. Il commence par dire que des gens voient les Telecopes comme un collectif, que d’autres gens, plus nostalgiques, imaginent que les Telescopes ont gardé le line-up d’origine, et que d’autres encore voient ça comme «a solo-career». D’une certaine façon, conclut Lawrie, tout cela est à la fois vrai et faux. Quand il se voit contraint d’en parler, Lawrie dit que «the Telescopes house had many rooms.» Formule ajoute-t-il qui lui convient bien, mais il observe que ça peut créer de la confusion chez certaines personnes. «For me, confusion isn’t a bad thing.» Et il développe, rappelant que tout naît de la confusion, que le chaos non seulement l’intéresse, mais l’excite. Après la métaphore de la maison, il opte pour celle du vaisseau. Il considère les Telescopes comme a vessel. Puis il développe encore en expliquant qu’il n’est que le gardien du phare, et que tout ce qui compte, after all, c’est le son qui sort des enceintes.

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             La cerise sur le gâtö des Radio Sessions 2016-2019 s’appelle «Something In My Brain». Ça joue au tribal impitoyable. Ils détiennent le pouvoir antique du psyché obscur, ils sonnent comme des êtres primitifs. John Lynche te bat ça dans la jungle du non-retour. Tu sens battre le cœur du rock que tu aimes bien. Te voilà Telescopé de plein fouet. Ils tapent dans le «Violence» du premier album, ils en font une mouture profonde et grasse. Ils prennent leur temps, rien ne les presse. Pas de rendez-vous avec la gloire, ils préfèrent traîner dans les ténèbres de l’underground. C’est très insidieux, leur groove gronde dans les ténèbres, ça frôle le saturnisme psychédélique, c’est interminablement heavy. Ils passent à la weird psychedelia avec «We See Magic And We Are Neutral Unnecessary», ils plongent au cœur du mythe psyché et développent un véritable apanage du genre. Ils tirent aussi «The Perfect Needle» de Taste : weird fuck-out avec un côté Velvet très cérémonial qui remonte à la surface. Encore de la belle tension heavy avec «Strange Waves», c’est riffé au raff, plus fort que le Roquefort, avec un développement explosif. Puissant, herculéen, zébré d’éclairs de sature, la voix de Lawrie se noie dans une mer de riffs démontée. Ils cultivent l’heavy frakout, le drone des saturations extrêmes.

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             Tu sors aussi de l’étagère deux maxis Creation ramassés somewhere someday, Everso et Celeste. Avec le morceau titre d’Everso, ils te plombent vite fait le maxi avec un heavy groove de fat shoegaze, très Bloody Valentine dans l’esprit.

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    Et Celeste sonne comme de la psychedelia britannique classique bien visitée par les vents du Nord.

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             Mine de rien, Taste est resté un classique, grâce à ses forts relents Stooges/Velvet/Mary Chain. Dès «I Fall She Screams», t’es dans les Stooges. Lawrie se jette dans les flammes de tout son poids d’I falllll ! Stooges encore avec «Suicide» en B, noyé d’accords et de folie. Rien de plus stoogy que ce Suicide commando. Velvet via «The Perfect Needle», plus cérémonieux, et digne des Tomorrow’s Parties. Mary Chain via «Suffercation», très bardé de barda, même méthode d’assaut que celle de William Reid. Ils passent au heavy doom avec «Violence», tout se fond dans la fusion du solo trash à la coule. Pur blaster que cet «Anticipation Nowhere» et encore de l’eavy stash de trash avec «Please Before You Go» et puis t’as cette épouvantable purée de «Silent Water». Ils ne t’auront rien épargné.

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             Tu retrouves «I Fall She Screams» sur une belle compile Bomp!, As Approved By The Committee. Tu y retrouves aussi «Flying», une exploration du cosmos et ça explose bien dans le ciel. Et puis t’as cette tonne de purée fumante, «Silent Water», et Lawrie marche dedans. Le gros intérêt de cette compile, ce sont les liners au dos. Lawrie raconte qu’il croisait à l’époque Jo Doran dans les mêmes concerts et c’est là qu’ils ont décidé de monter un groupe. Principales influences : le feedback, le Velvet et Suicide. Puis ils vont faire des premières parties de Spacemen 3 et de Primal Scream. Une formule résume bien les Telecopes : «Expect the unexpected.» La principale info des liners Bomp! concerne le quatrième album des Telecopes (#4), considéré comme leur finest work. Et on doit cette compile au Comitteee To Keep Music Evil, dont le membre fondateur n’est autre qu’Anton Newcombe. 

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             En 1992, les Telescopes sont toujours sur Creation pour un album sans titre et sans vagues. Ils y flirtent avec la Stonesy psychédélique des Satanic Majesties, disons une belle Stoney informelle, celle qui ne veut pas dire son nom. L’intention est louable. Cut après cut, on les voit chercher la petite bête, titiller la tontine, parfois c’est assez imbuvable («Spaceships»), le pauvre Lawrie n’a pas de voix, on se croirait à la MJC. Les Big Atmospherix sont bienvenus mais nullement déterminants. Ils s’arrangent toujours pour passer à côté. T’arrive au 6 («And») et t’as toujours rien dans ta besace. L’album se condamne de lui-même aux oubliettes. Et puis, alors que tu te préparais au renoncement, la marée monte soudainement avec l’indicible «Flying». Ce hit psychédélique monte et débouche sur le niveau supérieur, alors tu t’inclines et tu prêtes allégeance.

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             Avec Growing Eyes Becoming Strings, Stephen Lawrie renoue avec la grande tradition de la Mad Psychedelia. Il s’y montre même le maître incontestable avec «Vanishing Lines». Il crée son Wall of Sound psychédélique. Et ça repart en mode stomp d’extrême onction avec «(In The) Hidden Fields». Big power orbital, Lawrie visite les mêmes contrées qu’Hawkwind. T’es dedans. Fabuleux shoot de mad stomp et de power fondamental. L’autre mad hit de l’album s’appelle «Get Out Of Me». C’est la marée du siècle, ça s’étend même sur la terre entière, c’est à la fois spectaculaire et tentaculaire. Là, t’as le vrai truc. Avec «Dead Head Lights», il s’enfonce dans les sargasses de la mélasse. C’est assez évolutif et visité par des vents mauvais. Puis on le verra se répandre comme un gaz mauve sur toute la surface de «What You Love». Le bassmatic chevrote dans le son, comme s’il toussait. C’est d’un très haut niveau rampant.

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             Mine de rien, Experimental Health est un big album, ce qu’on appelle dans le code de la route un passage obligé. Stephen Lawrie y est le dernier descendant de la race des lignées. Il chante en mode confidentiel. Et soudain, la terre tremble : «When I Hear The Sound» sonne comme de l’heavy Spacemen 3, c’est du deep inside the heart, exactement la même engeance, Lawrie va sous le boisseau et travaille la chair du drone, il fait une marychiennerie qui balance entre tes reins malades, ça périclite dans une mer de honte, il opère un fantastique plongeon dans les bas-fonds du meilleur rock de l’univers, celui qui naît d’un cerveau anglais malade de psychout so far out. Back to the marychiennerie avec «Leave Nobody Behind», il s’y plonge jusqu’au cou et passe ensuite au wild as fucking fuck avec «45E». Il ne recule pas devant l’adversité : pur jus télescopique bien hypno, avec l’essaim. Album infernal, le chemin de croix se poursuit avec la mad psychedelia de «Wrong Dimension». Il enfonce son clou à coups de boutoir. Pur génie psyché ! Tu assistes au balancement du pendule mortel d’Edgar Allan Poe. «Repetitive Brain Injuries» ne va pas bien, c’est assez robotique. C’est l’hypno de Lawrie, alors tu lui fais confiance.  

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             Pour un Tapete de 2023, Of Tomorrow n’est pas mal du tout. Wow wow oui oui, comme diraient les London Cowboys. T’as au moins deux cuts inspirés du Velvet, «Everything Belongs» et «Down By The Sea». Lawrie est très porté sur l’hypno, c’est pour ça qu’on l’admire, comme on admirait le Velvet. Le psyché d’«Everything Belongs» est beau comme un cœur, avec des relents d’All Tomorrow’s Parties, relents que tu retrouves dans «Down By The Sea» : t’as le poids du gothic new-yorkais, tout le poids du Dakota et de Rosemary, ah comme l’ambiance peut être satanique, profonde et vipérine. Il tape encore en pleine marychiennerie avec «(The Other Side)», c’est bien stompé dans la couenne du beat, avec bien sûr un solo d’élan vital. Lawrie sait amener un coup de génie sonique. Mad psyché à la Lawrie avec «Butterfly», bien pesant, bien lesté de tout son poids. Encore un beat lourd de conséquences dans «When Do We Begin?». C’est admirablement maîtrisé, ça reste passionnant. On croit entendre Richard Hawley dans «Only Lovers Know» : beau mélopif romantique soutenu à l’orgue.

             La suite au prochain numéro.

    Signé : Cazengler, gros Telescon

    Telescopes. Le Trois Pièces. Rouen (76). 14 octobre 2024

    Telecopes. Taste. Cheree 1989

    Telecopes. Everso. Creation Records 1990

    Telecopes. Celeste. Creation Records 1991

    Telecopes. The Telecopes. Creation Records 1992

    The Telescopes. Growing Eyes Becoming Strings. Fuzzclub 2024

    Telecopes. Experimental Health. Weisskalt Records 2023

    The Telescopes. Of Tomorrow. Tapete Records 2023

    Telecopes. Radio Sessions 2016-2019. Tapete Records 2024

    The Telescopes. Halo Moon. Tapete Records 2024

    The Telescopes. As Approved By The Committee. Bomp! 2008

     

     

    Wizards & True Stars

     - Rev Party

     (Part Two)

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             Tu l’attendais comme le messie. Tu savais pourtant que son dernier album Born Horses n’était pas si bon. Tu savais qu’avec Born Horses, Jonathan Donahue avait hélas perdu le singalong du Deserter. Tu savais tout cela et pourtant tu t’es rendu sur le lieu de son passage. Car tu étais de nouveau en quête de cette ancienne mystique. Tu espérais reboire ses paroles et goûter au sucre de sa magie.

             Dans la queue, zéro copain. Il faisait déjà nuit et un mec est arrivé dans la rue avec des lunettes noires : Grasshopper, le petit complice de Jonathan Donahue. Sunglasses after dark. Seul un Américain à Paris pouvait se balader la nuit avec des lunettes noires. Fin du préambule.         

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             Jonathan Donahue arrive sur scène après les autres, coiffé d’une casquette de newsboy, vêtu d’une tunique trois-quart noire, d’une chemise blanche et d’un gilet noir, et chaussé de pompes à grosses boucles carrées en or. Soigné. Presque anglais. Dandy des Catskills. Un petit côté Fabrice Luchini dans la façon de s’émerveiller sur scène et de remercier le gentil public for coming out.

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    Et puis il attaque par l’une des phrases magiques du Deserter, Well goodbye southern spy/ I’ve come to love you in the light, le premier vers du mystérieux «Funny Bird», et là tu renoues avec l’ancienne mystique. Elle est intacte. Dans ce pur moment de magie pop, tu goûtes au sucre.

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             Le plus curieux de toute cette histoire, c’est que les 90 mn de set sont prises en sandwich entre deux hits intemporels, «Funny Bird» et «The Dark Is Rising» - épique envolée mélodique qui s’achève sur I always dreamed I’d love you/ I never dreamed I’d lose you/ In my dreams I’m always strong, qui est une sorte de fin en soi, sans doute l’un des sommets de la pop américaine, en tous les cas, c’est du niveau de ce qu’a fait Brian Wilson toute sa vie.

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    Jonathan Donahue hante ses cuts pour le bonheur de tous. Il a cette prestance qui fait la grandeur des magiciens. Vers la fin, il réussit aussi à coincer dans le set l’«Opus 40» qui vaut encore pour une envolée à la Brian Wilson. Il sort aussi d’All Is Dream l’excellent «Spiders & Flies». Finalement, t’es assez content, tu ne seras pas venu pour rien. Tu fais le plein de magie pop à la pompe Mercury.

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    Oh et puis ça, que t’as dans la peau et que s’appelle «Hole» - Time/ All the long red lines/ That take Control/ Of all the smoke like streams/ That flow into your dreams/ That big blue open sea - qu’il chante d’une voix si perchée et si pure, et que t’as dans la peau, car c’est mélodiquement parfait, avec un réel développement épique, bien reconstitué sur scène, les Rev ne sont pas si bêtes au fond, ils terminent avec quatre hits faramineux issus de la grand époque et quand Jonathan le magicien termine sur Bands/ Those funny little plans/ That never work quite right, t’es encore plus hooké qu’à la grande époque. La résonance en toi est infinie.

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             Au pire, tu vas sauver deux cuts sur Born Horses : «You Hammer My Heart» et «Everything I Thought I Had Lost». Avec l’Hammer, Jonathan plonge dans les profondeurs du rêve de Mercury, avec cette voix si sucrée d’empereur romain du XXe siècle. Tu te noies dans l’ambiance et tu coules en même temps qu’un solo de sax. Et ça te convient. Avec «Everything I Thought I Had Lost», il stagne encore dans un groove ambiancier, on sent même monter une marée de son, mais ce n’est pas la marée du siècle. Une trompette erre dans le delta du Mekong durassien, et ça peut devenir beau à force de power orchestral. C’est la carte que joue le Rev avec cet album : pas de catharsis mélodique, juste du pur power orchestral. Comme le montre encore le «Mood Swings» d’ouverture de bal. La trompette a détrône l’empereur Jonathan. C’est elle qui déborde d’ambition. Elle résonne dans l’écho du temps. C’est long, établi, très Bella Union. L’empereur Jonathan chante juste en dessous, comme s’il n’osait pas reprendre le pouvoir. Il murmure. Il fait encore de l’ambiancier d’anticipation avec «Ancient Love», mais il perdu sa couronne de Deserter.  Tout l’album est suspendu dans le vide, comme vrillé du bulbique. Ils ont perdu la mélodie, alors  ils la remplacent par de l’ambiance.  

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             Deux canards anglais sont montés au créneau pour essayer de sauver non pas le soldat Ryan, mais le soldat Donahue. Dans Uncut, le soldat Donahue dit que Grasshopper et lui sont comme Butch Cassidy & the Sundance kid, «We’re there for each other.» Ils sont basés tout près de Woodstock. Will Hermes voit arriver le soldat Dohanue sur une «1986 Suzuki» et ne peut s’empêcher de le comparer au Dylan qui pilotait sa Triumph T100 «on these same treacherous country backroads in 1966.» Hermes évoque aussi les mentors de Mercury Rev, Tony Conrad, qui fit partie du Dream Syndicate de LaMonte Young, et Robert Creeley, «the Black Mountain poet and master of minimalist compression.» Grasshopper a longtemps étudié avec Tony Conrad. Dans le coin, on trouve aussi le vieux studio Bearsville de Todd Rundgren, «across the parking lot». Et puis des traces de The Band, bien sûr. Hermes évoque aussi les nouveaux venus dans le groupe, la poule de Donahue, Marion Genser, et Jesse Chandler, un multi-intrumentiste qui joue aussi avec Midlake. En fait, le pauvre Hermes n’a pas grand chose à dire. Peut-être n’y a-t-il rien de plus à savoir que ce qu’on voit sur scène.

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             Dans Record Collector, Shaun Curran qualifie les Rev de «damaged psych-rock dreamers» et Deserter’s Song d’«orchestral rock masterpiece». C’est bien  le moins qu’il puisse dire. «Since then», poursuit le Curran, «there have been forays into country, electronica, krautrock, ambiant textures and Eno-esque soundscapes», et c’est bien là le problème. Les Rev n’ont pas su rééditer le double exploit de Deserter’s Song et d’All Is Dream. Le Curran creuse plus que l’Hermes dans l’analytique, et ça permet de comprendre un peu mieux la dérive d’un Rev qui selon le Curran, se rapproche de Miles Davis et de Chet Baker. C’est-à-dire l’ambiancier. C’est bien ce qu’on ressent, à l’écoute de Born Horses : l’ambiance a remplacé la mélodie. Ça pourrait être une tragédie, mais on va se calmer. Pour enfoncer son clou là où ça fait mal, le Curran ajoute que les «jazz elements» sont plus prononcés. Le mot de la fin revient au soldat Donahue : «We know we’re not jazz musicians. We’re not Delta blues musicians. I’m not sure we’re even rock musicians. But we love music.» Il dit s’intéresser de très près au «spirit of the atmosphere of some of those emotional jazz records, like Sketches Of Spain.» Il ne jure que par le spirit.  

    Signé : Cazengler, Mercuré raide

    Mercury Rev. La Maroquinerie. Paris XXe. 13 novembre 2024

    Mercury Rev. Born Horses. Bella Union 2024

    Will Hermes : The Hudson line. Uncut # 330 - October 2024

    Shaun Curran : Silver lining. Record Collector # 552 - October 2024

     

     

    L’avenir du rock

     - Bury me dead

             L’autre jour, l’avenir du rock assistait à l’enterrement de son petit frère, le passé du rock. Pour surmonter un vague malaise, il se contentait de penser qu’après tout ce n’était pas une grosse perte. L’avenir du rock se voyait contraint de penser n’importe quoi, à seule fin de colmater les brèches et empêcher sa cervelle de couler comme un navire. Il s’efforçait de penser à tout à rien. Dans les moments les plus obscurs, il ramenait toujours Aragon. Une sorte de réflexe. Notamment la strophe de Cézanne - Tout le monde n’est pas Cézanne/ Nous nous contenterons de peu/ L’on pleure et l’on rit comme on peut/ Dans cet univers de tisane - Puis il passait à la strophe suivante pour tomber sur le Breughel forain et l’ombre sur la muraille. Mais Aragon ne dure qu’un temps, et il fallait passer à autre chose. L’avenir du rock s’est alors mis à imaginer que le temps s’arrêtait. Et soudain il entendit ce silence assourdissant qui annonçait le retour d’Aragon. Excédé, l’avenir du rock siffla entre ses dents :

             — T’as qu’un temps, Louis !

             Pour ne pas voir le trou dans la terre, il se mit à scruter le ciel gris et à le soupçonner de lui cacher des choses. Ciel menteur, ciel pourri, en qui tout est... Sentant bien que sa pensée s’égarait, il redescendit sur terre pour regarder les autres gens sans les voir. Il vit aussi les innombrables vieilles tombes de vieux crabes disparus depuis longtemps, il ne savait plus quoi faire de son regard, et de toute façon, il était hors de question de voir le trou avec le petit frère au fond, car cette dimension du trou n’avait jamais existé dans leur cosmogonie, donc c’était exclu, irrecevable, contraire à leur polémologie, contraire à l’essence même de leur existence, la mort, oui, mais pas le trou. Jamais de la vie. Sors de là, passé du rock ! L’avenir du rock était en pleine surchauffe d’exhortation mentale lorsque qu’un olibrius plus haut que lui s’approcha de son oreille pour lui murmurer d’une voix sourde :

             — Vous voulez un mouchoir, avenir du rock ? Vous avez de la morve...

             L’avenir du rock s’essuya du revers de la manche.

             — C’est un rhume. Je ne vous connais pas, et je ne veux pas vous connaître. Le passé du rock a commis la pire erreur de sa vie : casser sa pipe en bois.

             — Vous pourriez montrer un peu de respect !

             — Non, c’est un étranger au fond d’un trou. A Place To Bury Strangers.

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             L’avenir du rock rue parfois dans les brancards pour les besoins de la cause, et pour aggraver son cas, il profite d’un enterrement pour enfoncer son petit clou dans la paume du jeu de paume. Rien de tel qu’une prise sur la réalité pour bâtir l’édifice d’un hommage.

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             Il est évident qu’à la parution de leur premier album sans titre, personne ne s’est méfié d’A Place To Bury Strangers. Cet album est l’extravagant prolongement du sonic trash des Mary Chain. Oliver Ackermann reprend les choses là où les a laissées William Reid, c’est-à-dire so far out. Pour bien comprendre ça, il faut entendre «Missing You». T’as aucune chance d’en réchapper. L’Acker se jette dans la bataille, il se soûle de marychiennerie. Tu commences par croire que c’est une coïncidence, qu’il est tombé comme ça par hasard sur les accords et la disto de William Reid, mais tu tombes plus loin sur «Another Step Away» et c’est encore en plein dans le Sidewalking. L’Acker pousse vraiment le bouchon de William Reid. Il te sature ça de surcharge pondérale atomique. Il va trop loin, beaucoup trop loin. Il cultive la fragrance du flagrant delight. Encore une marychiennerie archétypale avec «Ocean». C’est l’heavy beat de Glasgow transposé à New York City, c’est tellement criant de vérité véracitaire ! T’as là l’album que les Mary Chain n’ont jamais fait, c’en est même gênant pour eux. On plonge à nouveau au cœur de l’enfer des marychienneries avec «Never Going Down». L’Acker semble y cultiver des délices brûlants, il retape bien les atmosphères cataclysmiques. C’est l’exact prolongement du burn-out des frères Reid. C’est du real deal de corde Reid. Puis l’Acker fait sonner son «Sunbeam» comme un heavy hit paisible. Te voilà tanké pour l’éternité, enfin, ce qu’il en reste.

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             Attention à Exploding Head : ce double CD explose véritablement. Comme le dit si brillamment Tris McCall dans ses liners, «that sonic onslaught is part of the entertainment.» Il évoque un mélangé explosif de melodies, de feedback et de disto. C’est en fait l’apocalypse selon Saint-Qui-tu-veux. Ces mecs déboulent et tant pis pour les canards boiteux. Ils te saturent «In Your Heart» de power. Oliver Ackermann arrive encore à évoluer dans ce chaos saturé. Il tombe en pleine Marychiennerie avec «Lost Feeling». L’Acker lâche les chiens de l’enfer, ça dépasse les bornes, ça sort du cadre. Comment peut-on saturer un son à ce point ? Wild attack avec «Dead Beat». La basse broute la motte du chaos, tout est chauffé à blanc, ils jouent tout ce qu’ils ont dans le ventre. En plein processus de destruction massive, l’Acker chante «Smile When You Smile» par dessus le chaos. Tout est bombardé, ici, ça pilonne le tampani et il cède à une belle tendance hypno avec le morceau titre. Le disk 2 est nettement plus radical, via notamment cette prodigieuse cover de «Suffragette City». Heavy trash de Bury sur le dos de Bowie. Sans doute a-t-on là la cover la plus trash de tous les temps. Il te la blinde de power, la gorge à outrance, il en fait de l’ultraïque demented, du blaster dévoyé, le point ultime du Suffragettisme, encore une fois l’awsome t’assomme, et le redémarrage te colle au mur.

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    On trouve aussi six Marychienneries patentées sur ce disk 2, à commencer par «Girlfriend» et ce punch écœurant d’allure. Et puis comment ne pas saluer l’«Hit The Road» d’ouverture de bal, monté au max du mix, ultra-violent, c’est du Mary Chain à la puissance 1000, du Sidewalking over-blasté, c’est apocalyptique de marychiennerie. L’Acker se glisse encore sous le boisseau des Mary Chain avec «It’s A Fast Driving Up With A Place To Bury Strangers». C’est complètement saturé de violence sonique, les descentes dans l’infrabasse sont vertigineuses, ça te cisaille les tibias, ça t’empêche de respirer, ça t’écrase au fond du cendrier. «Alive» est encore plus blasté qu’à l’ordinaire. Cette tension organique est unique au monde. A-t-on déjà vu une dégelée aussi purpurine que celle de «Don’t Save Your Love» ? Jamais. L’Acker chante avec les hoquets de l’agonie du combattant, ahhh-ahhhh. «Take It All» est encore bien explosé du diaphragme. Astonishment garanti ! Marychiennerie dans l’âme. Ils t’explosent «The Light» d’entrée de jeu, avec du larsen et le beat des forges sous amphètes. Ils explosent encore l’art de William Reid en 1000 morceaux. Ça va trop loin, beaucoup trop loin. Ils restent en pleine Marychiennerie avec «Tried To Hide», avec un focus sur le non-retour.  

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             Le Worship de 2012 pourrait presque passer pour un Tribute aux Mary Chain. Premier exemple de marychiennerie avec le morceau titre, gorgé d’échos d’Upside Down et de Never Understand et de Sidewalking. Encore les pieds dans le plat de marychienneries avec «Revenge». Pur sonic genius. Oliver Ackermann ramène toute la chimie de destruction massive imaginée par William Reid. Encore de l’onslaught à la Mary Chain avec «And I’m Up», «Slide» et «Leaving Tomorrow». Il te crève l’œil du cyclope Reid. Et puis t’as l’«Alone» d’ouverture de bal qui te stompe le crâne, Bury me dead baby. Pas de retour possible. Avec «Mind Control», il fait monter une sauce de chaos mélodique. Apocalyptique ! Et ça part en marychiennerie monolithique, ils te creusent vite fait un tunnel sous le Mont Blanc, quelle puissance de forage ! Les poux brûlent et l’Acker te plaque les pires accords de chaos de l’univers connu des hommes. Par contre, «Dissolved» est plus spacieux, plus largué du côté de Major Tom. L’Acker envoie encore des sacrées rasades de nowhere land avec «Fear». C’est un homme de chaos, l’un des plus aboutis. Il surpasse les frères Reid. Il crée une réelle profondeur de la peur.

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             Ça pue encore la marychiennerie sur Transfixiation. «Fill The Void» a marché dedans. L’Acker y va à l’over-blast. D’ailleurs, tout l’album baigne dans l’over-blast. L’Acker sort un son dévergondé, sauvage et sans pitié. Il te tombe dessus à bras raccourcis. Avec «Deeper», il s’enfonce dans les profondeurs du Deepy Deep, ça friture de partout dans les minutes de sable mémoriel. Il se livre une fois encore à la destruction totale du rock. «We’ve Come So Far» tombe comme une chape de plomb. Ça bascule dans l’horreur des forges du Creusot, ça monte comme une marée d’acier, c’est à la fois violent, dense et inextricable. C’est le power définitif du non-retour. En fait, il n’existe pas de mots pour qualifier ça, alors on peut raconter n’importe quoi. «I’m So Clean» incarne le blast absolu, du Mary Chain à la puissance 1000. Ça te broute la motte, mais à un point terrifiant. L’Acker termine avec un «I Will Die» sur-saturé. Il atteint la limite du supportable.

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             Pinned sent encore bon la marychiennerie : dans «Act Your Age», la basse te broute la motte. Coup de génie avec «Frustrated Operator». Attaqué en mode new wave, mais avec une réelle profondeur de champ, c’est bien sabré des tibias, balayé par des vents mauvais, alors jette-toi à l’abri. Le beat est tellement profond que tu leur donnerais le bon dieu sans confession. «Never Coming Back» sonne comme du Mary Chain exproprié. Pas content. Revêche. Finit en ébullition. «Situation Changes» sonne un peu new wave. Dommage. Mais il y a de l’azur dans les ténèbres de l’Acker. 

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    Sur l’excellent Live At Levitation, on retrouve un symbole parfait de la marychiennerie, «Dragged In A Hole». Rien de plus Mary Chain que l’Hole d’«In A Hole». Tout est travaillé au chaos maximal sur cet album. L’Acker ne rigole pas, comme le montre encore cette fantastique volée de bois vert qu’est «Alone». Les Bury planent comme des mauvais esprits sur les Angevins du Levitation. Big bass rumble en ouverture de bal de de B pour «I Lived My Life To Stand In The Shadow Of Your Heart». Ils savent bien déblayer une barricade. Wooof ! L’Acker joue avec la révolution industrielle, il injecte le pouls d’Elephant Man, et les hélicos d’Apocalypse Now dans son sonic trash. C’est le pouls de la mort qui descend sur Angers. Il travaille l’océan d’«Ocean» à sa façon, avec les attaques en règle des spoutnicks délétères. Et puis voilà l’attaque de l’essaim avec «Have You Ever Been In Love». The Green Hornet craze ! Ils torturent le sonic trash pour lui faire avouer l’inavouable. C’est saturé de trash et l’Acker parvient encore à hisser le chant à la surface. il chante comme un shaman indien à fortes syllabes chargées de fumée, il éclaire la nuit et l’essaim rôde dans le cosmos angevin. Les Bury transforment le Levitation en messe païenne.

             Signé : Cazengler, complètement Bury

    A Place To Bury Strangers. A Place To Bury Strangers. Killer Pimp 2007

    A Place To Bury Strangers. Exploding Head. Mute 2009 

    A Place To Bury Strangers. Worship. Dead Oceans 2012

    A Place To Bury Strangers. Transfixiation. Dead Oceans 2015

    A Place To Bury Strangers. Pinned. Dead Oceans 2018 

    A Place To Bury Strangers. Live At Levitation. The Reverbation Appreciation Society 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Creepy n’est pas une crêpe

             Creepo traînait régulièrement dans la boutique. Il trimbalait une dégaine un peu rockab, il se gominait les cheveux et s’habillait en noir. Disons qu’il avait plutôt fière allure, ce qui n’était vraiment pas le cas des autres habitués du bouclard. Et puis un soir, au moment de l’apéro, alors que nous étions rassemblés en petit comité autour du comptoir, il vint taper l’incruste dans une conversation à propos de Wild Billy Childish. Il avait l’air d’en connaître un rayon. Il parlait d’une voix de mec timide, ce qui contrastait avec son look. Les autres le laissaient parler, car d’une certaine façon, il faisait autorité sur le sujet, ce qui, dans cette ville maudite, était plutôt exceptionnel. Enfin un mec qui connaît bien Wild Billy Childish ! Il alimentait la conversation comme on alimente la chaudière d’une locomotive lancée à travers la plaine. Il connaissait parfaitement l’historique des groupes successifs du grand Billy, il remontait des Milkshakes jusqu’aux Singing Loins, en passant par Buff Medways, Thee Headcoats et Thee Mighty Caesars. Il insistait sur le Thee. Zeeeee ! Il finissait par devenir impressionnant. Il pouvait même aller jusqu’aux Delmonas et aux Headcoatees. Évidemment, les autres décrochaient, la conversation devenait trop pointue, Creepo entrait bien dans les détails, il parlait de Nurse Julie comme s’il la fréquentait tous les jours, affirmait qu’elle jouait de la basse mieux de Bob Garner dans les Creation, et il brodait à l’infini sur les talents conjugués de Wolf et de Russ Wilkins, de Graham Day et de Mickey Hampshire, et il repartait dans les méandres de Medway avec un luxe de détails qui finissait par donner le tournis, il n’arrêtait pas de dire «Faut qu’t’écoutes ça et ça !», et de te vanter les mérites d’albums tous plus extraordinaires les uns que les autres. Arriva l’heure de la fermeture, et alors que nous descendions la rue, Creepo demanda un numéro de téléphone. Pas de problème. Dans les semaines qui suivirent, il m’appela pour me vendre à peu près tous les albums dont il avait ce soir-là vanté les mérites. Il était une sorte de «disquaire en chambre», c’est-à-dire sans boutique, et d’une certaine façon le meilleur disquaire de France, et c’est pour cette raison que les autres disquaires le haïssaient. Une haine dont vous n’avez pas idée. 

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             De Creepo à Creepy, il n’y a qu’un pas. Alors franchissons-le allègrement. Ils sont aussi cryptiques l’un que l’autre. Ils en commun un certain charme, mais c’est dirons-nous un charme dont on fait vite le tour. Creepy et Creepo n’avaient qu’une seule idée en tête : vendre des disques. Rien d’autre. Absolument rien d’autre.

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             Tous les amateurs de proto-punk connaissent bien Creepy John Thomas. Il est devenu avec le temps une sorte de passage obligé. Comme son nom ne l’indique pas, Creepy a démarré de bonne heure en Australie, avec les Flies. Ils font partie de la scène de Melbourne. Mine de rien, les Flies ont réussi à intégrer en 1965 la tournée australienne des Stones et de Roy Orbison. Creepy le dit lui-même : the Flies n’ont guère d’intérêt, tame pop songs. Pas de proto. Quand Ronnie Burns quitte le groupe, les Flies battent de l’aile, et en 1967 Creepy quitte l’Australie pour s’installer à Dusseldorf. Sa copine est allemande. Puis il va à Londres monter un groupe. Il passe une annonce dans le Melody Maker et recrute deux petits mecs, Walt Monaghan et Brian Hillman. Le groupe s’appelle Rust et enregistre Come With Me en 1969.

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             Ils tapent dans le fast heavy British groove en vogue à l’époque. C’est un beau power trio avec du chant plein la bouche  et un peu de disto. Avec «Think Big» ils tentent un coup à la Seeds et Creepy fait bien son Saxon. Mais leur «Delusion» reste très en dessous de la moyenne, même si après le sermon de circonstance - You just get what you need/ To make up your mind - ils se payent une petite fuite en mode gaga. Ils font de la belle pop américaine avec «Find A Hideway», ils tapent dans le psych US et là ça marche. Creepy est bon, parce qu’il est convaincu. Typique de l’époque, «The Endless Struggle» est assez wild. Mais comme l’album ne sort qu’en Allemagne, il disparaît rapidement des radars.

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             Les deux Anglais rentrent au bercail et Creepy continue de ramer en Allemagne. Il rencontre Conny Plank à Cologne. Ils enregistrent des démos que Creepy présente chez RCA à Londres. Signé. Alors Creepy retourne bosser avec Conny à Cologne, et pour se booster la cervelle, il tape dans ce qu’il appelle the psychoactive substances, comme tout le monde à l’époque. Creepy indique qu’il tire son Creepy du «Creepy John» enregistré en 1963 par le country blues trio Koerner Ray & Glover, l’un des fleurons de l’Elektra des origines.

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             Ce premier album sans titre de Creepy John Thomas tient superbement bien la route. Vroom vroom, ils font une espèce de gros boogie de gros sabots avec un chant perlé de faux accents de Bolan/Deborah (Gut Runs Great Stone»). «You’ve Got To Hide» sonne comme le blues rock des enfers. Ils ont tellement de son qu’on en frémit. Creepy fait bien la bête de Gévaudan. Ils passent au proto-punk avec «Trippin’ Like A Dog & Rockin’ Like A Bitch». Il est bien harsh, le Creepy sur ce coup-là, ils tapent leur proto à coups d’acou, il fallait y penser. Encore deux belles surprises en B : «Green Eyed Lady», attaqué à la basse et noyé sous une salade de wild disto, avec une grosse présence de la substance. Et «Lay It Down On Me», attaqué à la dure. Creepy peut te cavaler sur l’haricot vite fait, il est assez extrémiste, pas de problème, il ne vit que pour l’énormité. Il a tous les kudos du killer Brit rock. Et ça se termine avec un «Moon And Eyes Song» bien explosé, comme si Creepy lui avait enfoncé un pétard de fuzz dans le cul.

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             Le groupe tourne en Angleterre, fricote avec l’Edgar Broughton Band, mais les ventes ne suivent pas. Alors Creepy retourne en Allemagne bosser avec Conny Plank. Le deuxième album s’appelle Brother Bat Bone, alors qu’il aurait dû s’appeler Brother Back Bone : Conny Plank avait mal compris le titre au téléphone. Bon bref, c’est un album engagé, stop the war, clame Creepy dans «Down In the Bottom». Puis ils reviennent à leur cher boogie avec le morceau titre. Creepy est assez intraitable en matière de boogie. Il faut que ça arrache - That’s my name - T’as même un solo de basse. Et voilà l’excellent «This Is My Body» qu’on retrouve sur la compile I’m A Freak Baby 3 - Hey hey to the judgment day - Rien à voir avec le proto-punk, on se fourre le doigt dans l’œil, avec cette histoire-là. C’est wild, bien sûr, mais trop arty pour du protozoaire. Creepy chante en plus comme une traînée du caniveau. Il tape encore sa petite chique de rock seventies avec «Standing In The Sunshine». On s’ennuie un peu, pour dire les choses franchement. Les kids s’imaginent qu’ils vont choper le rock du diable avec cet album qui vaut la peau des fesses, mais non, c’est très moyen. Ce groupe est un boogie band ordinaire. Ils n’ont qu’un seul horizon : le boogie.

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             Puis Creepy va bosser pendant deux ans avec l’Edgar Broughton Band. Il enregistre Bandages et Live Hits Harder avec eux. Puis, c’est la carrière solo, et deux albums avec Johnny & The Drivers.

    Signé : Cazengler, Creepy John Tomate

    Rust. Come With Me. Columbia 1969

    Creepy John Thomas. Creepy John Thomas. RCA Victor 1969

    Creepy John Thomas. Brother Bat Bone. Telefunken 1970

     

    *

    Quelle drôle d’idée que de se présenter comme des loups en cage. Que veulent-ils nous signifier. Que nous sommes tous enfermés dans une cage. Puisqu’ils sont autrichiens, ils ont sans doute lu Le Loup des Steppes d’Hermann Hesse, le titre est beau, davantage roboratif, toutefois Harry Haller, le héros de e roman, n’a-t-il pas un mal fou à s’extraire de lui-même… J’ai décidé d’aller voir, faut dire que dès que j’aperçois le mot ‘’tale’’ dans un titre, le nom d’Edgar Poe s’installe dans mon esprit, je me sens l’âme de Dupin et je me lance dans mon enquête.

    A DESERTS TALE

    CAGEG WOLWES

             (Tape Capitol Music / Novembre 2014)

             De prime abord la couve n’est guère attirante, au bout de quelques minutes l’image se révèle totémique, elle captive, elle vous retient prisonnier, elle est signée d’Agaric. Tapez sur Agaric eu, sur Illustrated Music vous verrez l’ensemble des couves qu’il a consacrées au groupe depuis sa création en 2017. Il aime bien animer, quel que soit le sujet abordé, mettre sans trop  enmouvement ses créations, juste un détail. Il ne cherche pas à produire mais à suivre, une véritable attention. L’on sent qu’il doit choisir  ses sujets.

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    Christian Sarko : vocals, bass / Manuel Vlasic / Branko Dzukic / Chris ‘’Cian’’ Simon.

    Dusk : ils se définissent comme un groupe de stoner-alternatif, très logiquement nous nous retrouvons dans un désert alors que le soir tombe. Si vous pensiez à un admirable coucher de soleil sur les dunes, remisez vos cartes postales dans les poubelles de l’espoir, l’instrumental dépasse à peine la minute, il tintinnabule d’une manière déplaisante, par-dessous la rythmique essaie de vous faire croire qu’elle se prend pour le tambour des sables, mais ce n’est pas très grave car quand la mort s’annonce votre esprit possède une moins un fondement métaphysique des plus cartésien, je pense que je vais mourir donc je vis,  par contre avec cette guitare déglinguée vous comprenez que ce qui vous attend n’est pas jojo, que vous allez morflez un max. Lost in the desert : ai-je déjà entendu une guitare tituber de cette manière, l’on reprend le film à son début, pas tout à fait, il y a un bon moment que vous marchez dans cette étendue aride, la chaleur est intense et votre cerveau entre en ébullition, pour un peu vous percevriez le clapotement de vos synapses bouillonnantes. Heureusement qu’un chant d’espoir se fait entendre, enfin si l’on écoute avec attention ce n’est pas si clair, par derrière vous avez un grésillement  comme… un vent de sable qui n’en finirait pas de souffler, pas à grande vitesse, pas une tornade, si constant qu’il en devient, fatiguant, pénible, angoissant, sans compter cette lenteur, même si vous vous dites que cette surface doit avoir une fin, vous clopinez un plus fort, bourdonnement dans les oreilles, interlude musical illimité, l’en devient pesant, démoralisant, la batterie alentit vos pas, la guitare de votre imagination vous pousse en avant, le chant s’essouffle, votre silhouette ressemble à celle d’un dromadaire  d’un dromadaire boiteux, parfois l’humour impose une borne  au découragement, tout de même vous  devez reconnaître que plus vous avancez, moins vous progressez, et si ce méhari n’était pas une pensée mais un véritable être vivant annonciateur de ce palais des mille et une nuits sis au milieu d’une oasis luxuriante, le vent forcit, il dissipe le mirage de sable de mon imagination, de mon désir de partir, la guitare comme un moteur d’avion qui vrille,  tout s’accélère, feu brûlant du soleil, ou vents torrides, je ne sais pas, je ne sais plus, je suis perdu, suis-je au-travers des dunes, ou dans le désert de mes rêves. Eleutheromania : aux grands maux les grandes idées. Certes c’est un peu compliqué, n’empêche que perdu en ce désert je ne me plains pas, n’est-ce pas le moment de me livrer à mon idée fixe, à cet amour immodéré de la liberté, que j’ai toujours recherché, guitares optimistes et excitantes, grondeuses de désirs libérés, je cours dans ma tête alors que je suis en plein milieu du désert, peut-être la prochaine enjambée sera-t-elle celle qui me libèrera de mon passé et me donnera accès à cet eldorado libertaire que j’ai toujours cherché en vain, la batterie alerte trottine, ne suis-je pas en train de quitter la carapace protectrice de mon vieux moi, ne suis-je pas en train de muer, de devenir le prince d’un royaume intérieur ou extérieur de toute beauté, de toutes possibilités ouvertes. Laguna : Une lagune est  la dernière chose que l’on s’attend à trouver dans un désert, est-ce pour cela que la batterie bat toute seule comme un cœur angoissé, et cette guitare qui n’ose pas faire de bruit, la voix traîne des pieds dans le marécage intérieur, elle n’est pas sûre d’elle-même mais elle est certaine de la réalité de son rêve,  pas vraiment joyeuse car elle sent que la dimension dans laquelle elle évolue n’est pas très éloignée de son propre passé, certes elle est dans le désert mais il suffit de vouloir vivre dans les intempéries du désert, de le considérer comme l’endroit de la liberté pour devenir libre, une sensation de liberté éthérée chiffonne mon âme et l’emporte comme un fétu de paille, je suis devenu le roi de mon univers, la musique éclate et rocke de tous les côtés, exaltation féérique.

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    The lost tale : le conte perdu, il est raconté le soir autour du feu, le Voyageur raconte, il parle, la musique imite le soir qui tombe et les mystères de la nuit, le Voyageur raconte d’où il vient, il parle de son royaume, sa voix est comme doublée comme si toutes les âmes du village répétaient le récit au fur et à mesure qu’il le prononçait, moment de grande persuasion, les esprits de son auditoire infusent, ils captent, ils comprennent, l’histoire est merveilleuse, eux-aussi ont envie de se rendre en ce pays aussi beau qu’un rêve, mais cela ne les rend pas joyeux, l’angoisse les saisit, l’intuition que le voyage qu’ils vont entreprendre ne sera pas de tout repos leur apprend qu’il leur faudra marcher longtemps, longtemps, et que les contrées sableuses qu’ils auront à traverser… ne sont-ils pas déjà en route alors qu’ils restent groupés autour du feu, leur village ne perd-il pas tout son charme, ils savent désormais que le mystérieux inconnu les attend et l’angoisse les étreint. Call of the void : Qui saurait résister à l’appel du vide, ils sont en marche, cahin-caha, chaque pas les éloigne de leur ancienne vie et les rapproche de ce royaume vers lequel ils se sont mis en route, mais peut-être dès le premier pas accompli en ont-ils franchi la frontière, ce n’est pas le paradis, mais un espace qui bruit de vide et d’appels,   Le Voyageur qui les guide n’a pas peur, il avance imperturbable et eux ne savent plus s’ils visitent un pays réel ou s’ils arpentent un rêve, qui peut-être ne leur appartient pas, long solo de guitare comme une barrière infranchissable de barbelés qui une fois franchie laisse place à une autre réseau de barbelés… où sont-ils, où vont-ils ?ils ne savent pas, l’eau de la peur inonde les caves de leur âme. Chaac : incroyable mais vrai, ils sont arrivés, ce n’était pas un mensonge, ils rient de leurs appréhensions, les guitares dansent, mais la voix reprend son conte, elle décrit la situation idyllique, cette vie de repos et de bonheur infinis, guitares et batteries sautent de joie… mais que se passe-t-il, qu’arrive-t-il, impalpable mais vrai, déjà ce n’est plus comme tout à l’heure, la musique ne joue plus, elle sonne le glas, la guitare se met au blues,  la pays de Chaac ne serait-il qu’une fausse promesse, qu’un bonheur illusoire, une fois que l’on a mordu l’écorce amère de de ce doux fruit sucré qu’est l’orange du rêve, sommes-nos condamnés à pâtir sans fin, à ne plus être libre à être soumis à des forces supérieures qui nous dominent, comme des hurlements de terreur, à moins que ce ne soit une tempête de sable qui engloutisse les rêves les plus fous et les plus éclatants sous les dunes de la réalité… musique et batteries recouvrent tout, la voix s’est tue, combien de royaumes perdus qui eurent la transparence rayonnante du rêve dorment pour toujours enfouies sous des millions et des millions de tonnes de sable. Dawn : l’histoire est terminée, un dernier instrumental pour reprendre nos esprits, est-ce down (au plus bas) ou dawn (aube renaissante) choisissez, le désert à moitié plein de réalité ou à moitié vide de rêve, soyez optimiste ou pessimiste, qu’il soit rêve ou réalité le désert vous permettra d’’être vous-même. Ce qui est sûr c’est que Dawn n’est que la reprise de Dusk, même les serpents du désert se mordent la queue, leur  motsure symbolise autant la barrière d’un lieu protecteu, que la viduité de la mort. Mais si l’on y pense le verre de la vie n’est-elle pas le verre à moitié vide de la mort, et le verre de la mort n’est-il pas le verre à moitié plein de la vie… 

             Ne vous perdez pas en ratiocinations infinies, imitez Harry Haller qui dans le dernier paragraphe du Loup des Steppes se promet qu’il va recommencer à vivre et ne pas rester enfermé dans sa propre cage…

             Quant à notre loup encagé, nos Caged Wolwes, notez ce pluriel qui signifie que leur conte s’adresse à tous, félicitons-les pour l’originalité de cet opus dans lequel les lyrics, très soignés, et la musique forment un tout indissociable.

    Damie Chad.

     

    *

    Il y a des trucs qui ne trompent pas plus qu’un éléphant car un éléphant peut être un véritable éléphant, néanmoins il vous trompe. Bref la nuit tous les éléphants sont gris. N’y avait que le nom du groupe, à sa consonnance j’en ai déduit qu’ils  étaient mexicains. C’était une erreur. Dans laquelle je me suis empêtrée. Un groupe avec un tel nom à résonnance mexicaine qui a signé sur le label Glory or Deatth Records ne pouvait être que du pays des Chicanos, l’on sait comment ce peuple aime la mort ! Refilent même des squelettes en sucre comme bonbons à leurs mioches ! Géographiquement je n’étais pas loin, ils sont du Brésil, mais ils doivent eux aussi partager une légère propension pour le rire qui tue car traduit en français leur nom signifie : Cercueil !

    ENTRE O VELHO TEMPO FUTURO

    CAIXÄO

    (Vinyl / Glory or Death Records / Janvier 2024)

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    Etrange pochette. Quel est cet étrange iceberg hexagonal incliné au bord de ce rivage déserté. Distingue-t-on vraiment une demi-douzaine de fourmis humaines en proie à une violente agitation. L’on ne peut s’empêcher à la première scène de 2001 Odyssée de l’espace, mais peut-être est-ce juste une illustration du titre de l’album, Entre le passé et le futur, ce bloc de glace titanesque en train de fondre représente-t-il notre passé en train de s’éloigner de nous sans que nous sachions encore quelle forme prendra notre avenir. La montagne engendrera-telle une souris, et si nous étions la montagne et si la mort était une souris…

    Le groupe est fondé en 2018 par Italo Rodrigo batteur de plusieurs groupes de metal. Il semble que le personnel ait beaucoup changé au cours de sessions qui se sont étalées entre 2021 et 2023.

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    Fungo : (champignon) : nous hallucinons, serions-nous retournés dans le passé, pas le nôtre, précisément celui du rock’n’roll, dans les années soixante, l’instrumental est farci au Farsifa, si ce n’est pas cette marque c’est donc sa sœur, la batterie est plus proche des années soixante-dix et la guitare se tient  entre les deux. L’on ne sait pas trop où l’on est, sûrement entre la vie et la mort. Bloodsteins : coup de blues si j’en crois l’intro mais le vocal nous détrompe, d’autant plus que la guitare nous fait le coup du hard-rock, l’orgue nous fait l’imitation du piano rockab avant de revenir à un jeu plus orthodoxal, ce n’est tout de même pas Steppenwolf, la guitare nous file un solo quinze nœuds avec vent arrière plein les voiles, l’on dirait une démonstration : tout ce que l’on est capable de faire, pour les paroles on n’y croit guère, le gars qui veut se retrouver et qui prend la route intérieure pour revEnir en lui, quant aux taches de sang l’on n’y croit guère… Je continue sur les routes. Revenir à l’intérieur. Fuir cet engrenage qui m’époustoufle. D’ici là je me retrouverai fermement avant que tout ne soit détruit par la machine et qu’il ne reste rien J’attends ta descente pour flairer les flaques d’hémoglobine sur le chemin. Lux extranha en Quixadà : (Etrange lumière de Quisada : ville du Brésil entourée de montagnes aux formes bizarres) : un instrumental drôlement bien foutu, petit frisson au début, mais ensuite l’orgue nous fait la démonstration du siècle, il siffle, il klaxonne, il file vers la stratosphère, sûr qu’il cherche à vous éblouir et qu’il y réussit. Vous avez envie de téléphnner à votre agence de voyage pour commander un séjour à Quixadà. Introspecçäo : (introspection) : la fièvre retombe à El Paso, si vous pensez partir pour une méditation métaphysique, Ce n’est pas tout à fait cela, vous voici dans les années soixante à la fête communale, tout le monde danse, sauf vous qui avez collectionné des dizaines de râteaux toute la soirée. In the shadow of the red sun : retour in the seventies, pas de temps à perdre, la rythmique assure, la guitare ne fume pas un pétard, n’y a que les paroles qui vous annoncent que la fin du monde est proche, que l’Humanité arrive à son terme, ce qu’il y a de terrible c’est que l’on n’y croit pas un instant, peut-être parce qu’il y a un décalage entre les lyrics qui nous parlent d’aujourd’hui et non d’avant-hier, surtout parce que la musique les annule. Aniversàrio del Màgico : (anniversaire du magicien) : z’ont enfin compris, reprennent leur blues rapide mais le vocal s’y colle dessus, ne cherche pas à nous avertir de la prochaine apocalypse, faut dire que la guitare distord la réalité, et qu’un petit remontant de pilules bleues aide el cantaor à se concentrer dans sa psyché éclatée. Mar ciano : (mer de cyan) : la mer est bleue, tendre et rose, elle vous berce à l’acoustique, votre tête qui a éclaté dans le morceau précédent a besoin de recoller le puzzle mental qui la squatte. Sur la fin, ils essaient de vous persuader qu’ils savent tout faire, l’est sûr que dans un instrumental il faut mettre les barrés un peu hauts. Talvez : (peut-être) : Au début vous avez l’impression qu’ils vous refont le précédent, l’ont colorié en rouge pompier, et sont des partisans du tout électrique, brusquement tout change, vous voici transportés sur la côte Ouest, west pacific, votre corps balancé est bercé par la plus belle des torpeurs, vous ne savez plus où vous êtes, mais vous n’avez jamais été aussi bien… Enquanto o mudo Jorra sangue : (quand du silence jaillit le sang) : intro un peu jazzy, ne craignez pas le sang, il y a longtemps que vous avez quitté votre corps, vous êtes parti si loin qu’au bout d’une minute la musique s’arrête, sans doute désormais vous vous suffisez à vous-même. Qu’auriez-vous besoin de quelque chose qui vous serait étranger… Candelabro ( Bonus) : vous avez tout de même un cadeau-bonux. Sur YT vous avez une visual vidéo qui vous permet de les voir en chair et en os. Pas trop non plus. La caméra est avant tout fixée sur les doigts des deux guitaristes et du bassiste. Attention, z’ont l’air sérieux comme des papes. Exercice convaincant. Sur les premières images se superpose le logo du groupe en forme de cercueil.

             Un groupe qui semble un peu à la recherche du son qu’ils ont déjà trouvé. Mais qui n’en reste pas convaincu. Peut-être parce que dans leur imaginaire ils se confrontent aux groupes mythiques d’une époque révolue. Leur façon à eux de retourner dans leur propre futur.

    Damie Chad.

            

    *

    Exilé volontaire en Thaïlande Bill Crane revisite le rock avec ses propres moyens : micro, boîte à rythmes, guitare. Le strict minimum. Mais un besoin vital. Le rock vous colle à la peau. Bien plus que la peau du serpent ne tient à sa chair sinueuse. On appelle cela l’heureuse malédiction des rockers.  Interdisez-vous d’en déduire qu’Eric Calassou alias Bill Crane serait un grand monomaniaque. Vous seriez en dessous de la réalité. A vrai dire c’est un multimaniac, il compose, il écrit, il déclame de la poésie, question arts plastiques il s’adonne à la photographie. J’avais d’ailleurs le projet de consacrer une chronique à ses dernières visions, mais il vient de sortir un album numérique de douze titres sur You Tube, et le rock’n’roll passe avant tout. Dura lex, se plaindront qui ne sont pas fans de cette musique, écoutons toutefois Cicéron qui ajoutait : sed lex !

    THE DREAMER

    BILL CRANE

             Une pochette qui utilise le même jeu de couleurs que le précédent Covers (voir KR’TNT ! 640 du 11 / 04 / 2024), un bleu outremer si près de l’outre-tombe crépusculaire cher à Chateaubriand et de ce mauve couleur des fleurs plastifiées des couronnes de cimetière. Faut dire que la cloison de verre carrelée ressemble à s’y méprendre à une grille de prison, quant au seul objet de la pièce qu’elle enclôt il s’avère être une boîte, au mieux à rêves par procuration, au pire un aspirateur mental. Vous possédez sûrement chez vous une de ces machines dangereuses. Ne culpabilisez pas, je suis en train de me servir de l’une d’entre elles pour rédiger cette chronique.

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     Mustang : dans le rock tout est question d’imagerie ou pour employer un terme moins encombrant de mythographies. Ne confondez pas avec les Mythologies de Roland Barthes penseur au ras des pâquerettes pour intelligences contemporaines anémiées. Le mot ‘’Mustang’’ claque comme un coup de feu. Beau nom pour un groupe de rock, en 1962 les Mustangs accompagnèrent Billy Bridge. Nous voici aux racines du rock français. Avant de continuer, munissons-nous de notre winchester pour partir à la chasse de Sarah Paling, égérie du Tea Party qui adorait massacrer depuis un hélicoptère les chevaux sauvages des immensités américaines. Le Mustang instrumental  de Bill Crane trotte gentiment, l’on ne sait pas où il nous emmène mais le morceau n’atteignant pas les deux minutes nous n’allons pas tarder à le savoir. C’non Everybody : si vous croyez être en pays connu, après un instrumental un peu à la Shadows, un hit suprême d’Eddie Cochran. Nous sommes donc au pays du rock’n’roll. Pas du tout. Va falloir affûter les notions de base. Exit le good old rock’n’roll des pionniers, nous sommes en une autre dimension que nous appellerons le méta-rock. Le méta-rock se situe avant ou après le rock. Il ne s’agit nullement d’une vision historiale, du genre après le punk nous avons eu droit au post punk. Non le méta-rock se situe dans votre esprit. C’est votre propre représentation du rock, tel que vous l’analysez, tel que vous le pensez, tel que vous le rêvez… Croiriez-vous que cet album soit nommé The Dreamer par hasard. Ce rock’n’roll intellectuel Bill Crane le sort de sa tête pour vous le décrire. Il pourrait le décrire en vers ou en prose, il pourrait le dessiner ou tenter de le transformer en esquisse photographique, ou l’expliciter lors d’une conférence, il joue le grand jeu, il vous le joue. Nous refait le coup du premier vingt-cinq centimètres de Vince Taylor Le rock c’est ça nous dit-il mais il nous est demandé de comprendre : Le rock ce n’est pas ça. Réfléchissez un minimum : si vous définissez un papillon en le décrivant  comme un insecte, vous n’êtes plus dans le papillon mais dans le monde des insectes. Bill Crane  vous propose l’interprétation de sa propre idée du rock. Le C’mon Everybody en traduction libre signifie : Venez tous faire la fête. Donc en début vous avez une fille – élément essentiel à toute party adolescente - qui parle, et le gars qui l’appelle. Il ne lui dit pas viens poupée, c’est sa voix qui lui sert d’appeau,  le serpent du désir se traîne sur le plancher, prend son temps, sait y faire pour parvenir à son but, tantôt il encourage, tantôt il fait semblant de supplier,  il sait fasciner, il sait se dérober, la musique se tortille gentiment, le reptile du vocal fait le beau, il se dresse, il obtient sa satisfaction. Guitare minimale, résultat maximal !  Turn on the radio : pour les premières générations rock, la radio a été le vecteur (peu vertueux) du rock, ici nous avons droit à l’hymne au transistor,  l’on pense au Rock’n’roll de Lou Reed, c’est aussi poisseux et pervers que le Velvet, Bill Crane insiste, ressemble à un sorcier indien qui marmonne des sentences incompréhensibles que tout le monde comprend, l’est un peu obsédé, la fille doit danser à tout prix, il en bêle tel un agneau qui cherche le pis de sa mère, la fin du morceau se transforme en une espèce de blues fantôme, l’est certain que personne ne pense à éteindre l’appareil, y a trop à faire. Driving on my car : vaut mieux tirer une fille dans une tire - préférez la décapotable à un poste à galène - le rocker joue au playboy, il sifflote, il module, sort le coup du fantôme, un peu de rire, un peu de fausse peur, pour qu’elle se serre tout contre lui, maintenant l’est trop occupé pour chanter, la musique se fait douce pour ne pas les déranger. The sound of sleep : le sommeil c’est bien mais c’est mieux quand on se réveille, est-ce pour cela que la guitare  sonne un tantinet plus fort que d’habitude et que Bill Crane imite un peu la voix ensorceleuse de Jim Morrison, la boîte à rythmes prend le relais tandis qu’il risque quelques chatouilles vocales, silence, on ne parle pas la bouche pleine. Opium blues : bleu cyanure. Merveilleux instrumental. Gouttes d’eau qui rebondissent dans les flaques du néant. Coïtés abso(b)lues.

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    The dreamer : le dreamer rêve en lui-même. Le dreamer dreame, ce n’est pas un drame. Juste un rêveur. Celui qui préfère ne pas toucher à la réalité des choses. La cueillaison du rêve n’est pas le rêve. Le rêveur parle, sa voix ne touche pas la musique, ce serait du rock, mais nous sommes en méta-rock, alors l’accompagnement joue pour lui, la musique poursuit son rêve. Aucun des deux n’a besoin de l’autre. Iles subtiles. Encore un garçon : délire. Histoire d’un couple, quand il y a un garçon pas besoin de chercher il y a aussi souvent  une fille, la musique gentillette, tout repose sur cette voix fuselée qui vous décrit la rencontre la plus habituelle comme si elle racontait une histoire d’extraterrestres…  Un rêve de dreamer qui métamorphose la réalité en fiction interstellaire. Blue dream : il est des choses qu’il vaut mieux vivre dans sa tête, longuement, musique lente, y a comme un violon qui chantonne, de petits grésillements parce que parfois on s’accroche à un rêve comme à un clou. Rien de grave. Shake shake shake : retour à la chaude réalité, shake, rattle and roll, n’y a jamais eu mieux sur cette terre, le méta-rock se confond un peu trop avec le rock. Don’t let me go : le rêve en chair et en os s’échapperait-il, se terminerait-il, Bill Crane chante comme un vrai rockeur, sa guitare n’ose pas une distorsion stridente, mais elle sonne si bien que l’on sent que ça ne la gênerait pas. Cowboy space : ce coup-ci l’histoire se termine pour de vrai, le garçon remonte dans sa soucoupe volante et retourne dans l’espace de ses rêves. Au bout d’un moment, son engin disparaît brusquement et l’instrumental stoppe.

             Un véritable space-opéra. Une face A : côté filles / Une face B : côté garçon. Cherchez le dindon de la farce.  Cet album est un véritable bijou. Tout en finesse. Une histoire décalcomanique du rock’n’roll, amusez-vous à retrouver les morceaux qu’évoque chaque titre, et faites-vous la remarque qu’avec cet opus Bill Crane est parvenu à échapper cette nostalgie-rock dans laquelle baignaient tous les précédents. Preuve qu’il a réussi à atteindre l’essence du rock’n’roll.

    Damie Chad.

     

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    J’aime les corbeaux. A priori je déteste ceux qui se vantent de les effrayer. Quoique la tâche me paraisse impossible, ne proviennent-ils pas des rivages immémoriaux et plutoniens, si je m’en rapporte à Edgar Poe, alors quand je vois qu’un groupe se prénomme Epouvantail, je hausse les épaules. D’abord ce n’est pas original, il existe une quinzaine de groupes qui ont choisi cette appellation. Je passe à autre chose, tiens des russes, cela pique ma curiosité, basés à Perm dans les monts Oural.

    SCARECROW

    III

    (Ritual Sound / 13-11-2024)

    Ce n’est pas leur premier disque. Celui-ci s’inscrit après Scarecrow, et II, numéroter ses propres opus sous-entend, telle est mon impression, soit que l’on est totalement dépourvu d’imagination, ou alors la solution que je leur attribue : que l’on prétend ériger une œuvre majeure. Parallèlement ils poursuivent un deuxième cycle, davantage dark side si l’on en juge d’après les titres : Noferatu, Ghost, Golem.

    Pochette : dunes orange, nuages orange, quelques cumulus noirâtres, au loin un astre pallide, serait-ce la lune ou le soleil qui se meurt à l’horizon. Dans cette immensité désertique orangée, une forme humaine minuscule, serait-ce lui l’épouvantail, non l’on imagine un individu, peut-être le dernier de notre espèce, la plus nuisible de toutes. Cette image : The Saffron Skies est attribuée à Igor Odincov.

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    Artemis : Vocals, Oud, Clarinet, Flute, Piano, Percussion / Max : Guitars / Elijah : Bass Guitar, Core Bass / Vadim : Drums, Percussion / + Orza :  Andrey : Percussion / Olga : Percussion.

    The safran Skies Overture : (vidéo 1) : on croirait entendre une ouverture symphonique, très vite l’ambiance change, l’on quitte les rives occidentales pour les sablières orientales, l’oud c’est fou, l’on est partis, à méharis, à cheval, à pied, imaginez tout ce que vous désirez, faites-vous votre film, partez à l’aventure, quittez votre morne existence soyez Alexandre dans le désert d’ Gédrosie ou Lawrence d’Arabie vers Akaba, ayez des rêves plus grands que vous, leurs cendres vous survivront.  The Hymn : (vidéo 2) : heavy metal en avant toute, Artémis entonne l’hymne de la grande partance, comment résister à ce timbre d’acier, il sait gémir à la manière de Robert Plant, sur ce genre d’exercice pas question de se planter, guitare oriflamme qui vole au vent, il a un nom de déesse, il le mérite, il ne vous encourage pas, il vous entraîne, que se lève la tempête rien ne l’arrête. Le monde sera à vous si vous suivez le soleil, si vous buvez sa force. Eastern nightmare : des bruits indistincts de foule, la basse d’Elijah titube, violents coups de vent d’oud, la voix d’Artémis n’est plus la même, douterait-il, le cauchemar que vous traversez aura-t-il besoin de vous, il ne cache pas la folie qui vous habite, sortilège, vous voici dans la ville, quelle est-elle, elle s’enroule autour de vous comme le serpent du charmeur, des arabesques de traîtrise vous assaillent, votre esprit vacille, vous ne savez plus où vous êtes, perdu en vous-même ou dans la ville du plaisir, ici tout est permis, des envolées et des retombées, l’or se change en plomb aussi vite que le plomb s’était mué en or, les tourbillons de l’instabilité mentale vous assaillent, êtes-vous dans un palais de marbre turgescent ou un agonisant dans les sables mouvants du désert, Artémis vous envoûte, vous le suivrez sur toutes les routes, vous croyez entendre la voix d’Oum Kalthoum.

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    The foe : (vidéo 3) : dans le cauchemar de votre marche, vous ne savez pas si vous avez rêvé de cette ville imprenable, maintenant vous savez, la musique lève les étendards de la guerre, pas de pitié, pas de quartier, que l’ennemi soit brave et se défende bien, chant de mort, de haine et de violence, Artémis vaticine et menace, il monte à l’assaut des murailles de pierre, la batterie rythme l’assaut, cavalcades de chevaux pour les razzias impitoyables, la ville tombe et succombe sous la trombe impitoyable. Rising sands : oud solitaire. Le soir tombe. C’est l’étape. Pas de repos, tout se passe dans les pensées. Les bras de l’épouvantail du heavy metal brasse le vent des souvenirs et le sable de la mémoire. Artémis lève la voix, elle semble prendre feu au brasier du froid du désert, elle ressuscite les fantômes dédaignés, tous ces palais, tous ces jardins que l’on a abandonnés, ce qui a été n’existe plus, le serpent de sa voix épouse l’amère réflexion des jours perdus à jamais, ce n'est pas la paix de l’âme… toutefois la halte bienfaitrice calme l’inquiétude des angoisses, une communion s’établit avec le vide du désert. Eternal ones : (vidéo 4) : le temps a passé. Les errants se sont arrêtés. Dans le silence de la nuit, le chant s’élève, l’instrumentation rase le sable du désert et l’herbe des oasis, ce n’est pas une prière adressée à un Dieu mais une élévation métaphysique, l’instant précis où l’on prend la mesure de ce que nous avons été et de ce que nous sommes.  Nous sommes des errants, la terre est infinie. Elle nous appelle autant que nous la désirons. Maintenant nous savons que nous sommes les fils de notre destin, et que notre destin est immortel. Depuis toujours l’éternité marche à nos côtés. The turtle : (vidéo 5) : darkness du heavy metal, la voix d’Artémis vient de loin, les hommes passent et trépassent, les tortues se contentent de ramper insensibles à nos misères comme à nos exploits, tout ce à quoi nous avons cru s’effondre, les générations se succèdent sans que rien ne change jamais… la batterie trépigne et répépiège, le reste de l’orchestre vient à son secours, le pendule du destin se met en branle. Rien ne l’a jamais stoppé, rien ne l’arrêtera. Ce morceau possède la force nihiliste de l’Eclésiaste. The saffron skies : si vous pensiez que l’on a atteint le fond du désespoir… s’élève maintenant le dernier cri, celui du survivant qui a cru que la vie lui survivrait, un blues poignant et agonique, l’Ultime ne laissera pas de descendant. Autour de son cadavre même pas une tortue qui passe… Que sont l’espace et le temps lorsque le mouvement est mort. Sublime Artémis au chant, admirablement servi par sa formation.

    Un véritable chef-d’œuvre de toute beauté.

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    Je suis beaucoup moins enthousiaste pour les vidéos, ils ont cru bien faire, ils ont voulu marquer le tout, parfois il est inutile d’en rajouter :

    Vidéo 1 : une suite musicale de quinze minutes à savourer. Les paysages et les décors sont parfaits, je préfère écouter la bande-son en fermant les yeux, quant à l’histoire mise en scène par les acteurs qui sont les musiciens, je la trouve un peu inepte, il manque un véritable réalisateur, vous avez le droit de ne pas être d’accord avec mon jugement.

    Vidéo 2 : Plaisir de voir les musiciens jouer, de temps en temps Artémis sur son cheval, s’amuse au guerrier avec une épée et un drapeau rouge frappé d’un corbeau noir. L’ensemble est agréable à voir.

    Vidéo 3 : le groupe en train de jouer, quelques secondes est projetée derrière la scène le blason guerrier de The Foe. Le reste du temps sur la gauche de l’écran s’affiche discrètement un fragment de l’image.

    Vidéo 4 : sans surprise, le morceau est mis en images, assez sobrement, point de scénario grandiloquent.

    Vidéo 5 : les musicos oui mais derrière eux, cette tortue géante en surimpression un peu lourdingue… Disons superfétatoire pour ne vexer personne. En filigrane aussi des images d’évènements et de guerres du siècle passé, serait-ce une manière d’inciter à considérer les turpitudes guerroyantes actuelles d’une manière un peu plus philosophique…

    Damie Chad.