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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 11

  • CHRONIQUES DE POURPRE 636: KR'TNT 636 : DICTATORS / WEIRD OMEN / BOB DYLAN / DAVE ANTRELL / JIM WILSON / RAWDOG / AVATAR / THUMOS / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 636

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    14 / 03 / 2024

     

    DICTATORS / WEIRD OMEN / BOB DYLAN

    DAVE ANTRELL / JIM WILSON

    RAWDOG / AVATAR / THUMOS  

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 636

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    Sous le joug des Dictators

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             C’est dans l’orbituary d’Uncut, en février dernier, qu’on est tombé sur quatre lignes annonçant la disparition de Scott Kempner. Qui ça ? Balancé comme ça, au débotté, c’est un nom qui ne parlera pas à tout le monde. Sauf aux fans des Dictators. Si tu retournes la pochette de Go Girl Crazy, tu verras Scott Top Ten Kempner allongé à poil sur son lit, même chose pour Stu Boy King. Par contre, Andy Shernoff et Ross The Boss FUNicello sont habillés. On parle toujours du premier album des Ramones, mais on oublie chaque fois de citer le Go Girl Crazy des Dictators paru un an avant, un album qui est le véritable précurseur de la scène punk new-yorkaise. «The Next Big Thing» est le premier hymne punk new-yorkais. Nous allons donc rendre hommage à ce groupe extraordinaire et à Scott Kempner. Pour info, Ross The Boss et Andy Shernoff continuent de tourner et d’enregistrer avec les Dictators, enfin, ce qu’il en reste, cinquante ans après.

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             Pas compliqué : les Dictators sont arrivés au bon moment. En 1972, les Beatles avaient jeté l’éponge et les Stones venaient d’enregistrer «Exile», leur dernier grand album. Les Who et les Kinks allaient entamer une sorte de déclin, mais aux États-Unis, ça bardait avec les Flamin’ Groovies, les Stooges et le MC5. Les Dictators s’inscrivirent dans cette mouvance. Andy Shernoff commença par publier un fanzine, Teenage Wasteland Gazzet, puis comme beaucoup de kids de sa génération, il se mit à la recherche d’autres kids pour monter un groupe. C’est aussi bête que ça. Des millions de kids ont tenté leur chance dans les années 60 et 70. Si Andy est aujourd’hui auréolé de légende, c’est tout simplement parce qu’il savait écrire des chansons et qu’il avait su dénicher les bons partenaires. Cette histoire ne vous rappelle rien ? John Lydon avait lui aussi déniché LE bon guitariste et LE bon batteur. En prime, il savait lui aussi écrire des chansons. On appelle ça l’alchimie d’un groupe. Ça tient souvent à très peu de choses.

             Comme les Pistols un peu plus tard, les Dictators eurent à affronter le mépris et parfois la haine d’un public qui ne comprenait par leur démarche. Ross The Boss s’en foutait et il jouait. À sa façon, il jouait les traits d’union entre la culture rock classique américaine et la modernité des Dictators. Andy Shernoff se réclamait à la fois du MC5 et de Brian Wilson, un modèle que reprendront aussi les Ramones. 

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             C’est aussi Ross qui trouva, pour un loyer de 200 $, la fameuse maison isolée de Kerhonkson où s’installa le groupe. Il n’y avait rien ni personne à dix kilomètres à la ronde. Comme ils n’avaient pas un rond, les Dictators allaient voler leur bouffe dans un super-marché. Richard Blum qui était un pote à eux travaillait à la Poste. Il venait le week-end faire la cuisine pour ses copains. Richard qui était un personnage haut en couleurs inspirait énormément Andy.  Jusqu’au jour où Richard devint Handsome Dick Manitoba, un nom inventé par Andy dans «Tits To You» - Manitoba était le surnom d’un détective dur à cuire, Handsome venait de Handsome Jimmy Valiant et Dick de Richard.

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             Et puis un jour leur copain Richard Meltzer ramena le fameux Sandy Pearlman à Kerhonkson pour lui faire écouter le groupe. Wow ! Sandy Pearlman qui était déjà le manager de Blue Oyster Cult allait par la suite devenir celui des Dictators.

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             Toute la genèse des Dictators est racontée par Scott Kempner à l’intérieur de la pochette d’Everyday Is Saturday, un double album rétrospectif édité par Norton en 2007. Comme toujours chez Norton, ce disk est incroyablement bien documenté. En effet, Scott Kempner - qui se faisait appeler Top Ten sur la pochette de leur premier album - y raconte dans le détail l’histoire du groupe. Il explique que Richard Blum était le living breathing manisfesto des chansons d’Andy Shernoff - There is only one Richard Blum - On retrouve sur Everyday Is Saturday tous ces hits qui vont faire la grandeur des Dictators, «Weekend» (avec son riff pompé chez Buddy Holly), «Master Race Rock» (jolie partie de campagne bien tartinée du foie et cornichonnée aux gimmicks), «California Sun» (qui date de 1973), «What It Is», «Stay With Me» (hit parfait poursuivi par un riff dévastateur) et un «I Just Want To Have Something To Do» très proche des Ramones. 

             Kempner rappelle aussi que pour leur premier concert, les Dictators jouèrent en première partie des Stooges et de Blue Oyster Cult dans un collège du Maryland, devant 7000 personnes.

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             Quand Go Girl Crazy est arrivé en France en 1975, on a fait chapeau bas. Car quel album ! «The Next Big Thing» qui fait l’ouverture est l’un des grands hits intemporels de l’histoire du rock - I used to shiver in the wings/ But then I was young/ I used to shiver in the wings/ Until I found my own tongue - Disons qu’on a chanté ça autant de fois que le maybe call mum on the telephone des Stooges ou l’And that man that comes on the radio with nothing to say des Stones, ou encore l’I’m a tip-top daddy and I’m gonna have my way de Charlie Feathers, ou encore l’I’m taking myself to the dirty part of town/Where all my troubles/ Can’t/ Be/ Found des Mary Chain. Oui, toutes ces flasheries mémorielles zèbrent la nuit des temps et ça court-jute dans la fricassée. Mais attention, sur la B de Go Girl Crazy, quatre énormes hits guettent le chercheur de truffes. Et pas des moindres. Les Dictators jouent «California Sun» à l’écho des duelling guitars - And I boogaloo - Et on assiste à une merveilleuse montée en puissance sur fond de beat tribal - When I’m having fun in the California sun - S’ensuit un «Two Tub Man» bien senti. Handsome Dick Manitoba fait une intro spectaculaire - The thunder of Manitoba ! - Si on cherche le punk new-yorkais, c’est là et surtout pas chez les Dead Boys. Autre bombe : «Weekend», pièce d’ultra-power pop noyée de guitares et bardée d’apothéoses de chœurs de la la la élégiaques. Ils bouclent ce disque mémorable avec le fameux «(I Live For) Cars And Girls» bien glammy dans l’esprit et trempé d’envolées dignes des Beach Boys. Les compos d’Andy Shernoff sont déjà classiques et supérieures à la fois.

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             Deux ans plus tard paraît Manifest Destiny, un album mal vu car en 1977 tout le monde veut du punk, et les Dictators font autre chose que du punk, comme d’ailleurs Television, Blondie et tous les autres. «Heartache» est une vraie pépite de power pop. Andy Shernoff a même pensé à rapatrier les pah pah pah des Who. Encore une fantastique tranche de pop palpitante à la Shernoff avec «Sleepin’ With The TV On». Ce mec a véritablement un don, il sait ficeler les beaux hits underground. Le «Disease» qui suit sonne comme un opéra des Kinks, avec un vieux parfum glammy. Ross The Boss ramène la dimension épique et prend un vieux solo à la Ritchie Blackmore. Alors le rythme s’emballe pour le meilleur et pour le pire. Mais il est bien certain que le public ne pouvait pas leur pardonner une telle incartade. Quoi ? Des Américains qui se prennent pour un groupe anglais des seventies ? On trouve en B une autre trace de cette tendance. En effet, «Stepping Out» sonne comme l’un des cuts du premier album de Sabbath. Les Dictators ont une légère tendance à flirter avec le heavy-prog anglais des Contes de Canterbury, avec des guitares qui jaillissent du fond du lac. Pour Ross, c’est du gâteau, il prend de beaux solos de prog en quinconce à la Buchanan de l’Essex et même du Middlesex. Il était évident que cet album n’allait pas plaire. Et pourtant, Ross the Boss jette tout son poids dans la balance. On le sent âpre au gain dans «Young Fast Fantastic» et ils finissent cet album troublant avec une reprise bien sentie de «Search And Destroy». On retrouve le son des Dictators, la turbo-machine du rock new-yorkais. C’est du pur jus de glu de détroitisation forestière. Les Dictators ont tout : les bras, les jambes et les cervelles en feu. Ross balaye le vieux standard d’Iggy au lance-flammes. Il est dix mille plus violent que Williamson.

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             L’un des plus gros hits des Dictators se niche sur Bloodbrothers, paru un an plus tard. Personne ne peut résister à l’appel de «Baby Let’s Twist». Pourquoi ? Parce que monté sur des accords de Next Big Thing, et la fantastique allure reste leur mesure. Les Dictators disposent d’une faculté assez rare : celle de savoir exploser au grand jour. Le grand art d’Andy Shernoff est de savoir composer des hits qui hittent le top. Même chose pour «The Minnesota Strip» embarqué au heavy gimmick funicellique d’ambiance universelle. Ross The Boss sait créer l’événement, il tape dans la violence de la pertinence, et c’est poundé à l’heavyness impénitente. On a encore un hit avec «Stay With Me», valeureuse envolée de pop rock typique des années de braise new-yorkaise. L’«I Stand Tall» qui ouvre le bal de la B des cochons somme glammy. Andy Shernoff nous le stompe à l’élégie de Pompée le pompeux. Ils bouclent l’album avec une fantastique reprise des Groovies, «Slow Death». Nos amis dictatoriaux savent groover un vieux classique incantatoire.

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             Il faudra attendre vingt ans avant de pouvoir se remettre un disque des Dictators sous la dent. Quand D.F.F.D parut en 2001, tout le monde croyait le groupe disparu. Eh non, la charogne bougeait encore. Et quelle charogne ! Cet album grouille de hits, à commencer par le fabuleux «Who Will Save Rock’n’Roll» - My generation is not on starvation - Voilà encore un hymne dictatorial d’envergure planétaire, n’ayons pas peur des grands mots. Même chose avec «What’s Up With That». En voilà encore un qui sonne comme un hit d’entrée de jeu. C’est joué au maximum des possibilités, avec ce mélange très spécial de pop et de sur-puissance qui n’appartient qu’aux Dictators. «It’s Alright» est aussi un cut visité par le requin Ross. Il sait entrer dans le lagon. Ross the Boss est l’un des plus grands guitaristes de l’histoire du rock américain, qu’on se le dise ! On retrouve en B un nouveau clin d’œil aux Anglais avec «Avenue A», car on y entend des petits chœurs à la Clash - oh-oooh-ooh - au coin de la rue. Pour Ross le démon, c’est du gâteau. Ils tapent ensuite dans le gaga sauvage avec «The Savage Beat», mais ils rajoutent une pointe de pop dans le refrain. Merveilleuse surprise que ce «Jim Gordon Blues» joué aux gros arpèges psychédéliques. Encore un coup de génie signé Andy Shernoff et Ross the Boss. On est bien obligé de parler ici de génie car tout est incroyablement mélodique. On a le gras de la guitare, l’élégance de la prestance, la persistance de la préséance et l’omniscience de l’évidence. 

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             Ce n’est pas compliqué : tout est bon sur Viva Dictators paru en 2005. On ne trouve malheureusement que des hits sur cet album. Les Dictators jouent live à New York City et ça fait quelques étincelles. Handsome Dick Manitoba essaye de chanter comme Johnny Rotten sur «New York New York», alors on rigole. C’est avec «Avenue A» qu’on voit à quel point les Dictators veulent sonner comme des punks anglais. Andy Shernoff embarque ça au gros drive de basse et les chœurs rappellent ceux des pauvres Clash. Heureusement, ils enchaînent avec «Baby Let’s Twist» claqué à l’accord d’intronisation. C’est digne du Really Got Me des Kinks, on a le même tarpouinage définitif, des accords qui te clouent la papillon à la lune ou le cœur du vampire au solstice d’été, baby let’s twist, c’est monstrueux de génie pop. Merci Andy ! Ce cut ronfle comme le moteur de la BMW que Tav conduit dans Uriana Descending ! Vroaaarrrrhhhh ! Même chose avec «Weekend». Ce cut est beaucoup trop puissant pour être honnête. Andy Shernoff signe encore ici un hit planétaire. Ross tape ça aux accords acidulés. C’est puissant comme la Rover de Roberte et ça claque comme l’étendard zoulou planté au sommet du Kilimandjaro. On tombe plus loin sur l’inénarrable «Next Big Thing», le hit ultime par excellence. Ross nous roule ça sous l’aisselle du chord, et Manitoba le bouffe tout cru, argfffhh ! Ça monte, ça monte et ça coule sur les doigts. Pareil pour ce beau «Minnesota Strip» amené par des riffs de messie, mais si. Quelle énergie ! Typical Shernoff ! Ils enfilent les hits comme des perles, puisque voici «Who Will Save Rock’n’roll», chanté au débrayage maximaliste. Ross fout le feu à la plaine entière. C’est encore la preuve de l’existence d’un dieu des dictateurs. Croyez-le bien, c’est un hit flamboyant, digne de toutes les grands heures du rock anglais. Puis ils nous claquent «What’s Up With That» à l’accord souverain - Eh oh oh oh ! - Ils savent taper dans les meilleurs power-chords de propulsion nucléaire. C’est la power-pop dont on rêve chaque jour que Dieu fait. Ross n’en finit plus de claquer ses beignets. «I Am Right» est un pur cut de batteur, c’est le royaume au grand Patterson, et Stay» tape au très haut niveau composital. C’est pris à la gorge du punk, mais c’est aussitôt étoilé par du gimmickage de power-pop. Alors bien sûr, Ross le génie explose au firmament des guitar gods. Ils finissent ce disque ahurissant avec deux vieux coucous tirés du premier album, «Two Tub Man», stomper des enfers de train fantôme, et «I Live For Cars And Girls», chanté au glammy gloom par Andy the beast. Ouhhh-ouuh-ouuh ! On se croirait chez les Beach Boys. C’est vraiment le meilleur compliment qu’on puisse leur adresser.

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             En 1981 est sorti sur ROIR un album live des Dictators élégamment intitulé Fuck ‘Em If They Can’t Take A Joke. On y retrouve les gros classiques comme «The Next Big Thing», «Weekend» et «Minnesota Strip», mais ce sont les deux belles reprises du Vevet et des Stooges qui font le charme de cet album. Ils tapent une fantastique reprise de «What Goes On». Andy chante et Ross se fend d’un solo somptueux. Dans «Search And Destroy», Ross n’a absolument aucun mal à faire son Williamson. D’autant qu’il est soutenu par une belle rythmique pulsative. Wow, quelle reprise ! Pas de meilleur hommage à Iggy & the Stooges.

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             Scott Kempner a enregistré deux albums solo. Le premier, Tenement Angel, date de 1992. Il a une tête de collégien sur la pochette. Il attaque au deep boogie rock de New York City avec «You Move Me», c’est excellent et on lui donne immédiatement l’absolution. Il enchaîne avec un «Bad Intent» du même acabit, mais en même temps, pas de surprise. Le Scott ne tient que grâce à sa réputation de Dictator. Et voilà le big bad rock d’«ICU» gratté à la cocote malade, au dirty groove urbain, ICU pour I See You. Ça accroche terriblement. Mais on sent qu’il s’épuise au fil des cuts, il ne parvient pas à maintenir l’attention de son auditoire, et il faut attendre «Lonesome Train» pour retrouver le grand Scott. Il coule un Bronx, et passe un solo lumineux comme pas deux. Puis il va continuer son petit bonhomme de chemin avec «Precious Thing» le bien senti et un «Livin’ With Her Livin’ With Me» très bon enfant, presque Moon-Martinesque. Rien de plus que ce que tu sais déjà. Il fait parfois son Springsteen («Do You Believe Me») et c’est pas terrible. Disons que c’est le mauvais côté du New York City Sound. On préfète - et de loin - le côté Dolls et Velvet. Son «(Just Like) Romeo & Juliet»  sonne comme du Southside Johnny, bien cuivré de frais. C’est très convenu, très bien foutu, si étrangement prévisible et si terriblement NYC. Il termine avec «I Wanna Be Yours», du classic stuff cousu de fil blanc. On perd le Dictator. C’est atroce. On se croirait à une fête de mariage.  

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             En 2008, il sortait Saving Grace, un album très new-yorkais, chargé de gros balladifs dictatoriaux et de power pop à propulsion nucléaire («Baby’s Room»). Le hit de l’album pourrait bien être «The Secret Everybody Knows», plutôt bien bombardé du beat, on sent le vieux Dictator chez Scott, il sait pondre un heavy rock superbement balancé, envenimé par un wild solo trash. C’est encore le solo qui enlumine «Blame Me», un balladif sauvage entrepris par un solo au long cours d’une belle intégrité de gras double. Le Scott est un merveilleux artiste. Il se croit au Brill avec «Love Out Of Time», il en a les épaules. «Stolen Kisses» est plus rocky road, avec une grosse intro en disto, le Scott y va, son claqué d’accords est typiquement new-yorkais. Retour au Brill avec «Heartbeat Of Time» assez puissant et romantique. Puis il passe au heavy Brill à la Dion avec «Here Come My Love», limite grosse compo. Le Scott a du répondant. S’ensuit la belle power pop bien propre sur elle de «Between A Memory & A Dream» et ses clairons de belles grattes dans l’écho urbain. Il boucle tout ça avec «Shadows Of Love». C’est un album qu’il faut saluer bien bas.  Scott Kempner vit son rêve, il gratte des poux d’une rare intensité, il casse du sucre sur le dos de la mélodie et lui sucre bien les fraises, il lui court bien sur l’haricot, c’est un potentat du pot aux roses, il savonne ses pentes, il sucre sa dragée haute, il n’en finit plus d’étinceler comme un sou neuf. Sacré Scott, il ne lâchera jamais sa rampe. 

             En 2015, on se faisait une joie d’aller voir jouer les Dictators au Trabendo, mais le destin qui sait parfois se montrer si cruel en décida autrement, puisque la date prévue faisait quasiment suite au désastre du Bataclan, et le concert fut purement et simplement annulé. Dans le même ordre d’idée, le concert du quarantième anniversaire de Motörhead au Zénith fut lui aussi interdit par les zautorités de la mormoille. Une sorte de chape maudite venait de s’abattre sur Paname. À travers les masses nuageuses d’un soir de novembre, on voyait se dresser dans le ciel la silhouette décharnée de la grande faucheuse. La seule vision de son sourire macabre et du muet claquement de ses haillons donnait déjà la chair de poule, mais l’éclat lugubre de sa lame de faux achevait de nous glacer les sangs.

    Signé : Cazengler, dictatorve

    Dictators. Go Girl Crazy. Epic 1975

    Dictators. Manifest Destiny. Asylum Records 1977

    Dictators. Bloodbrothers. Asylum Records 1978

    Dictators. Fuck ‘Em If They Can’t Take A Joke. ROIR 1981

    Dictators. D.F.F.D. Dictators Multimedia 2001

    Dictators. Viva Dictators. Dictators Multimedia 2005

    Dictators. Everyday Is Saturday. Norton Records 2007

    Scott Kempner. Tenement Angel. Razor & Tie 1992

    Scott Kempner. Saving Grace. 00.02.59 2008

     

     

    L’avenir du rock

     - Et spiritus sanctus, Omen

    (Part Two)

             Lorsqu’il était petit, l’avenir du rock vivait dans un bel immeuble construit en grandes pierres de couleur claire. L’abbé de l’église voisine y faisait du porte-à-porte, exhortant les ménagères en bigoudis à lui confier leurs rejetons pour des cours de catéchisme. Ces cours présentaient deux défauts aggravants : ils se déroulaient d’une part le jeudi-après midi et privaient donc l’avenir du rock de ces escapades dans les terrains vagues dont il était si friand, et d’autre part, la lecture d’épais chapitres de la Bible tuait dans l’œuf toute forme d’attention. Grâce à cette lecture, l’avenir du rock reçut sa première notion d’ennui mortel, ce qui par la suite allait lui rendre bien des services. Le sort des cours de catéchisme fut bientôt réglé et l’avenir du rock fit un retour triomphal dans les terrains vagues. Il continua d’y cultiver une passion naissante pour la trashitude. Mais l’abbé n’en resta pas là. Il devait être payé à la commission par le Vatican, car il revint à la charge et grimpa quatre à quatre les étages du bel immeuble construit en grandes pierres de couleur claire et exhorta de plus belle la ménagère en bigoudis. Cette fois, il abandonna la pédagogie biblique pour miser sur un sujet plus brûlant, l’enfer qui menaçait sa progéniture si elle ne se rendait pas chaque dimanche matin à la messe de dix heures. La situation présentait encore deux défauts aggravants : la messe coupait court à toute velléité de grasse matinée, et d’autre part, il fallait enfiler ces horribles «habits du dimanche» qui faisaient beaucoup rire les passants dans la rue. Cette disgrâce rendit bien service à l’avenir du rock, car c’est là qu’il reçut sa première notion de look. Il comprit clairement qu’il y avait look et look, surtout le look à éviter. Contraint et forcé, il se rendit donc à la messe dominicale. Il s’enfonça sous la voûte de pierre d’une vieille église penchée, trempa la main dans le bénitier et eût toutes les peines du monde à surmonter sa stupéfaction lorsqu’il atteignit la nef. Un spectacle ahurissant l’y attendait. Dressé derrière un autel, un chanoine barbu aux yeux jaunes palabrait dans un dialecte inconnu. Étendue sur l’autel se trouvait une femme nue très poilue, si trash que l’avenir du rock sentit poindre au fond de sa culotte du dimanche une petite érection pré-pubère. Le chanoine Docre célébrait sa messe dans un épais tourbillon de fumées noires, tout son aréopage d’enfants de cœur toussait, et lorsqu’il leva les bras au ciel, l’assemblée brailla comme un seul homme, et spiritus sanctus, Omen !

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             Rien de plus Weird que ce souvenir de messe noire. Weird Omen ! En plein dedans. Sur scène, leur messe atteint une dimension qu’il faut bien qualifier d’huysmansienne. Aussi vrai qu’Huysmans fut en son temps considéré comme l’avenir du genre littéraire, nul doute que Weird Omen incarne celui du rock. C’est une évidence qui crève les yeux.

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             Pourquoi ? Parce que. Parce que power trio sax/poux/beurre, parce qu’accès direct à la modernité sauvage, parce que tu as tout Roland Kirk et tout le Steve MacKay des Stooges de «1970» dans la menace sourde de «1250», parce qu’aussi des relentless relents du «Starship» de Sun Ra pulsé par le MC5 lors d’une nuit d’apocalypse au Grande Ballroom de Detroit en 1969, parce que ces bien belles attaques frontales tiennent la dragée haute à tes principes éculés par tant d’abus, parce que «Shake Shake» te shake l’hip et le cocotier en même temps,

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    parce que le nouveau batteur Dam-o-maD bat le beurre des enfers et chante un «Runaway» qui va te hanter des jours entiers comme une sorte de «Sister Ray» avec sa fin apocalyptique emmenée en mode wild roller coaster par Fred le bien nommé, parce qu’un Sister Ray en fute de cuir noir ne gratte pas de fuzz mais des poux de clairette tout en twistant d’une seule rotule, ce qui contrebalance la folie Méricourt d’un Fred Kirk tentaculaire,

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    parce que «Jungle Stomp» tressauté dans les charbons ardents et roté au Kirking d’assaut frontal, parce que tu ne trouveras jamais tout ça chez les autres, tu trouveras autre chose bien sûr, mais pas ce mic mac de mish mash épouvantablement jouissif, si merveilleusement en plein dans le mille, parce que l’Omen crée une mad frenzy qui dépasse le langage, parce que Sister Ray demande qu’on lui foute la paix avec «Leave Me Alone» et une insistance purement velvetienne,

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    parce que l’insistance est, comme l’hypno du Velvet, la clé du problème, l’accès aux nues, le Graal du sonic trash, parce qu’encore mille raisons, parce qu’il savent atteindre un au-delà des genres connus, parce qu’ils poussent grand-mère gaga-punk dans les orties, parce qu’ils sortent du rang et qu’on a toujours adoré voir des gens sortir du rang, parce qu’ils écrasent les clichés gaga au fond du cendrier, parce qu’ils ne respectent rien excepté le lard fumant, parce qu’ils sont incapables de tourner en rond, parce qu’ils prennent la suite des Stooges et du Velvet sans jamais les imiter, parce qu’ils voient le son comme une transe et rien d’autre, parce qu’il savent l’apprêter pour mieux l’imploser, parce qu’ils créent leur monde et c’est un monde où tu te sens en sécurité, parce que tu respires un air brûlant.

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             Leur dernier album sans titre est un festin pantagruélique de son, bim badaboum dès le «Lost Again» d’ouverture de balda, classic Omen, superbe développement, ils s’auto-montent en neige à grosses giclées de relentless. Ils visent clairement l’apocalypse.

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    On assiste ensuite à un curieux phénomène : «No Brainer» prend feu et le chant l’éteint provisoirement. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises car voilà le brûlant «Shake Shake», une stoogerie intense jouée au fond de la chaudière. L’Omen ne fait rien comme les autres. Globalement, ils excellent en matière de tenue de route et de vents brûlants. Tout est monté sur le même tempo de relentless absolu, et en visant l’apocalypse, ils se propulsent tous les trois vers l’avenir. Le rock de l’Omen brûle comme un feu sacré, terriblement stoogy dans l’âme. On retrouve en B ce beat rebondi et la propulsion nucléaire dès «Frustration». Ils caressent l’absolu du doom avec «IXO» et le saxent jusqu’à l’oss de l’ass. Tous leurs départs sonnent comme des appels à l’émeute. Ils ne s’en lassent pas, et nous non plus. Ils terminent avec «Leave Me Alone», un heavy groove de baryton à tonton et ça gratte des poux à la pelle, ça ramène du punch à la tonne, l’Omen ne baisse jamais les bras et ça part en raw gut from the undergut.

    Signé : Cazengler, Weird hymen

    Weird Omen. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 27 février 2024

    Weird Omen. Weird Omen. Get Hip Recordings 2023

     

     

    Wizards & True Stars

    - Dylan en dit long

    (Part Six)

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             Bob Dylan et Martin Scorsese sont maintenant des vieux crabes. Scorsese a 80 balais et Dylan 81. Mais ce sont eux qui créent l’événement avec la parution en 2019 de Rolling Thunder Revue: A Bob Dylan Story. Pour eux, créer l’événement n’a rien de nouveau : ils ont fait ça toute leur vie. Il n’existe pas beaucoup de gens qui pourraient prétendre en faire autant. Scorsese n’en finit plus de dire qu’avant d’être le réalisateur de génie que l’on sait, il est avant toute chose fan de rock. L’énergie de ses films, y compris ceux consacrés à la mafia new-yorkaise, vient du rock. Bon, ça lui arrive de se vautrer, par exemple avec The Last Waltz ou Shine A Light, mais personne d’autre à part lui n’aurait osé balancer l’«I Ain’t Superstitious» du Jeff Beck Group dans Casino ou «Jumping Jack Flash» et les Ronettes dans Mean Streets.

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             Le team Dylan/Scorsese n’en est pas à son coup d’essai. No Direction Home: Bob Dylan est un classique du cinéma rock. Dylan y raconte ses débuts à Greenwich Village. Avec Rolling Thunder Revue: A Bob Dylan Story, Scorsese tape dans une autre époque, 1975, date de la fameuse tournée, et il restaure pour les besoins de son film celui qu’a tourné à l’époque un certain Stefan Van Dorp. Scorsese l’interviewe dans le film. Comme tout le monde, Van Dorp a pris un sacré coup de vieux, et il a son franc parler. Il n’est pas forcément aimable. Mais on s’en fout, on n’est pas là pour les amabilités. On est là pour Dylan qui, à l’âge de 34 ans, a déjà tout vu, tout lu, tout vécu, mais il lui faut encore inventer, comme il le dit si bien, face à la caméra de Scorsese, en 2005 : «Life is about creating yourself. And creating things.» Dylan est sans doute la plus pure incarnation de cette vérité. Alors pour continuer d’avancer, il a l’idée d’une Revue, The Rolling Thunder Review, Allen Ginsberg parle d’un «medecine show of old». Dylan voit plus «a kind of jugband». Pouf, il rassemble des musiciens pour monter une tournée informelle qui bien sûr sera déficitaire, trop de monde dans les deux bus pour des petites salles, mais Dylan y croit, il va même jusqu’à se transformer physiquement : il se farde de visage de blanc, comme un personnage de la Comedia Dell’Arte et se coiffe d’un chapeau fleuri. Dans le fard, Scorsese voit plus le Baptiste des Enfants Du Paradis, dont il incruste une scène dans le film, la scène où Baptiste debout devant un miroir en pied barre d’une croix blanche son reflet. Scorsese sait cuisiner les mythes.

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             Dylan conduit l’un des deux bus. Il part à la découverte de l’Amérique insolite, on the road with non pas the Memphis Blues Again, mais with the Rolling Thunder Review. Et le Thunder qu’il transporte avec lui porte un nom : Mick Ronson. Dylan a chopé le thunder de Ziggy Stardust et sur scène, Ronno fait des étincelles. Tous les plans scéniques sont extraordinaires, à commencer par une version explosive d’«Isis» - Isis/ Oh Isis/ You’re a mystical child/ What drives me to you is what drives me insane - On retrouve le hellraiser, le Dylan punk d’Highway 61, croisé avec le grand glamster d’Angleterre - I still can remember the way that you smiled/ On the fifth day of May in the drizzlin’ rain - Alors bien sûr, ce n’est pas un hasard si «Isis» se retrouve dans la première partie du film. Le thème du film, c’est l’énergie. C’est tout ce qui intéresse Dylan. Quand quarante ans plus tard, Scorsese lui demande ce qu’il retient de cette tournée, Dylan qui vieillit magnifiquement bien lui répond qu’il ne sait pas - What all that Rolling Thunder is all about ? I don’t have a clue - Alors Scorsese lui demande comment ça tient, et Dylan lui répond : «Energy». Scorsese ajoute : «Isis, this is the power. This is how it works.»

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             Sur scène, Dylan a du monde : Roger McGuinn qu’on voit vers la fin, Joan Baez qui vient duetter, une violoniste, Scarlet Riviera, on voit aussi des plans magiques de Ramblin’ Jack Elliott qui, pour Dylan, est plus un sailor qu’un singer. Sam Shepard fait aussi partie de l’aventure, en tant qu’observateur, Dylan dit qu’il a «a special clue of the underground». Le groupe fait une version assez demented d’«It Takes A Lot To Laugh It Takes A Train To Cry». Dylan tape aussi une version fleuve d’«Hard Rain’s Gonna Fall», rien n’a changé depuis l’âge d’or de ces chansons, on voit Dylan extrêmement concentré et en même temps très expressif, le fard blanc et le khôl autour des yeux n’y changent rien. Entre deux plans de Van Dorp, Dylan brosse pour Scorsese des petits portraits de ses invités, tiens comme Ronnie Hawkins, ou encore Allen Ginsberg - Il avait déjà obtenu du succès en tant que poète - Dylan précise pour ceux qui ne le savent pas que devenir poète à succès n’est pas évident, surtout à notre époque - Dylan continue avec Ginsberg - «He said : «The best minds of my generation destroyed by madness.» Very few poets have done that. Robert Frost, maybe : «But I have promises to keep/ And miles to go before I sleep.» And Whitman said : «I’m large. I contain multitudes.» - Dylan aurait aussi pu nous aussi sortir le fameux «Rage rage against the dying of the light» de Dylan Thomas, d’où vient d’ailleurs son nom. Mais il n’a peut-être pas osé. Ou trouvé ça trop facile. Il ajoute dans la foulée que les temps ont bien changé, the times they are a changin’ - Les poètes d’aujourd’hui don’t reach into the public counciousness that way. Aujourd’hui, les gens se rappellent de paroles de chansons, «Your cheatin’ heart will make me weep.» - Et il cite encore deux ou trois exemples. Scorsese filme Dylan et Ginsberg sur la tombe de Jack Kerouac. Dylan : «On The Road... He was talking about the road of life.» Il rend plus loin un hommage suprême à Joan Baez : «Joan Baez could sing anything. By a matter of fact I could hear her voice while sleeping.»

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             Et puis on assiste à une autre scène magique : «The Lonesome Death Of Hattie Carroll» sur scène. Joan Baez lui dit que c’est sa plus belle chanson. Dylan est en colère quand il la chante. Hattie Carroll est une servante black battue à mort par un blanc qui ne fut condamné qu’à six mois de ballon, alors ça fout Dylan en rogne. Et puis tiens, encore une autre scène magique et là tu serres la pince de Scorsese car tous les artistes qu’il nous montre sont des artistes exceptionnels : Joni Mitchell, accompagnée par Dylan et McGuinn dans une version de «Coyote» - No regrets, coyote/ We just come from such different sets of circumstance - Elle attaque au jazz vocal pur et c’est envoûtant. Dylan reste impassible. Il gratte avec elle, et derrière McGuinn gratte lui aussi comme un con. Van Dorp fait même un gros plan sur les ongles sales de Joni Mitchell. 

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             Et puis l’an passé, Dylan publiait son deuxième book, The Philosophy Of Modern Song. Un book attendu comme le messie. Ah la gueule du messie ! Premier gros défaut : le book paraît au moment des fêtes de Noël. Dylan gros cadeau tombé au beau milieu des agapes de foie gras et d’huîtres de la beaufitude ? Magnifique mauvais plan. La pire des associations. Dylan objet de consommation. En proie à une forme extrême de dégoût, on attendra six mois pour rapatrier l’objet et chasser les odeurs. Deuxième gros défaut : il n’y a rien de Modern dans ta Philosophy, Horatio Dylan. On va dire pourquoi.

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             Dommage, car le book se présente comme un bon régal. Format quasi-carré, pagination bien dodue de 300 pages, un ensemble graphiquement parfait, doté d’une iconographie tellement riche qu’elle donne un peu le vertige, surtout quand on est du métier. Le graphiste a soigné toutes ses doubles, il obtient de chaque image le rendement maximum, et traite les pages de texte à l’ancienne, avec des éléments décoratifs typo classiques qui rappellent ceux qu’on utilisait autrefois dans le Rolling Stone américain, qui était alors un modèle du genre. Les graphistes américains avaient compris que rock et typo faisaient bon ménage. Le designer du Dylan book s’appelle Coco Shinomiya, par contre, les images ne sont pas légendées. Coco obtient de certaines images un rendement extraordinaire (Roy Orbison, Little Walter, par exemple) et fait glisser le Dylan book dans la cour des grands, celle des livres d’art. Il utilise en plus un couché mat qui n’est pas très propice aux effets puisqu’il les apaise, ce qui rend la performance d’autant plus fulgurante. Et cette fois, le book n’est pas imprimé en Chine mais à Glasgow. 

             Un book, c’est comme un disk : ça s’examine, contenu comme contenant. On passait jadis du temps sur les pochettes d’albums à en extirper le moindre détail, comme on passe encore du temps aujourd’hui à estimer le grammage d’un bouffant ou à identifier la fonte d’un corps de texte. Les différences entre un Garamond et un Times sont infimes, mais en même temps déterminantes, puisque le Times fut dessiné pour la presse et le Garamond pour l’édition classique. Gallimard n’utilise que du Garamond. Pour le Dylan book, Coco Machin utilise aussi le Garamond. C’est une fonte qui joue avec ton œil. Même une petite édition de poche Folio, ça s’examine, car tu as un graphiste qui a fait des choix typo et d’illustration de couve pour rendre ta lecture agréable, il veille à ce que la qualité du contenant soit à la hauteur de celle du contenu.

             Trêve de balivernes. Bon tu baves en attaquant la lecture du Dylan book et très vite, tu commences à renâcler. Dylan travaille une notion de la modernité qui est la sienne, et peut-être pas la tienne. Il plante son décor dans des temps très anciens, et conçoit la modernité comme le principe novateur qui a permis de décoincer l’Amérique des années 50. Pour illustrer son concept, il choisit tous les vieux imparables, Hank Williams, Little Richard, Little Walter, Dion, Jimmy Reed et d’autres, complètement inconnus et qui ne peuvent plus intéresser les gens d’aujourd’hui. Dylan fait de l’histoire, ce que Kim Fowley appelait l’archéologie du rock, alors c’est foutu, car ça ne peut plus intéresser les kids. Dylan est un vieux bonhomme, il ne voit même plus l’avenir du rock. Il s’appuie sur ses valeurs sûres. C’est toute la différence avec Gildas, qui au seuil de la mort, clamait haut et fort qu’il y aurait encore des groupes avec des guitares, et il citait des noms. Pas de problème, il avait tout compris : place aux jeunes. Chez Dylan, c’est plutôt place aux squelettes. Même pas envie d’aller écouter les trucs dont il vante laborieusement les mérites. Il précède quasiment chaque texte d’un délire qui n’accroche jamais, et on se demande ce que ça a pu donner en français : c’est déjà imbuvable dans la forme originelle, alors on imagine ce que ça donne, une fois passé par les fourches caudines de la traduction, qu’on appelle aussi ici les abattoirs. Chlack, allez hop, ch’t’en débite une épaule, ch’t’en taille une cuisse, t’es payé à la carcasse, alors tu débites. Enfin bref, Dylan a pris un coup de vieux, il s’enfonce dans les ténèbres, comme tous les érudits, une fois passé le cap des 80 balais. Dans la cervelle, ça fait flic floc, et c’est normal. The Philosophy Of Modern Song se situe aux antipodes de Chronicles, un chef-d’œuvre lu et relu, ce qui rend la déception d’autant plus criante.

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             On attendait de Dylan qu’il nous parle des gens, et non pas de ce qu’il ressent en écoutant leurs disks. Bon, on ne va pas trop charger la barcasse, car le vieux Bob a encore des éclairs de génie, surtout quand il rend hommage à Hank Williams. Il se permet un petit aparté sur les temps modernes : «C’est le problème avec un tas de truc aujourd’hui : maintenant tout est engorgé, on est tous gavés comme des oies. Toutes les chansons n’ont qu’un seul thème, il n’y a plus de nuance ou de mystère. Alors les chansons ne font plus rêver les gens, les rêves suffoquent dans cet environnement privé d’air.» Bien vu, Bob. Discours de vieux, mais bien senti. Il poursuit sur sa lancée. Attention, poussez-vous, le voilà qui arrive : «Et ce ne sont pas seulement les chansons - les films, les émissions de télé, même les fringues et la bouffe, tout est soigneusement marketé. Sur chaque ligne du menu, tu as douze adjectifs, chacun d’eux étudié pour taper dans le mille de ton sociopolitical-humanitarian-snobby-foodie consumer spot.» Il pique une méchante crise et il a raison, car c’est exactement ce qui se passe. On nous gave comme des oies en permanence, dès qu’on est «connecté». Big Brother is watching you. Et le vieux Bob repart sur l’Hank : «There’s really nobody that comes close to Hank Williams.» Le problème c’est qu’on le savait déjà. Mais dit par Dylan, c’est mieux - Si vous songez aux standards qu’il a enregistrés, et il n’y en a pas des tonnes, he made them his own - Il sait dire pourquoi l’Hank a du génie : «La simplicité de cette chanson (Your Cheatin’ Heart) est la clé. Mais c’est aussi la force tranquille d’un chanteur comme Hank. La chanson semble lente parce qu’Hank ne laisse pas l’orchestre le dominer. La tension qui existe entre le near-polka rhythm et la tristesse dans la voix d’Hank mène le bal.» Il profite du passage à l’Hank pour rendre hommage à Willie Nelson, «le seul qui pourrait être vu dans le voisinage d’Hank.»

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             Son hommage à Little Walter vaut aussi le déplacement : «Il est aussi connu comme étant l’«electric blues harmonica originator, the master craftman and the prime mover.» Le vieux Bob ajoute que Little Walter s’appropriait les idées des autres pour en faire les siennes, et il cite l’exemple de «My Babe» qui existe depuis longtemps sous la forme du gospel song «This Train» - Walter a changé les paroles and made a classic performance out of it - Le vieux Bob retrouve sa grandeur d’antan en développant : «‘Key To The Highway’ est un update d’une chanson de Big Bill Broonzy. The key to the highway is a key to the cosmos, et la chanson entre et sort de ce royaume. La clé est celle qui permet de sortir de la ville. Elle devient de plus en plus petite dans le rétroviseur, une cité que vous êtes content de quitter à jamais. Quand Walter chante ‘I’m going back to the border where I’m better known’, il y croit dur comme fer. Il en a assez de Michigan Avenue et de Lakeshore Drive et de the Sears Tower. Little Walter ne se faisait pas appeler the back Door Man et il ne s’intéressait pas aux gamines de 19 ans. De tous les artistes signés sur Chess, il a dû être le seul qui ait eu véritablement de la substance. He could make anybody sound great. Il était évident qu’il n’allait pas vivre vieux.» Et là, on retrouve le Dylan génial du Theme Time Radio Hour, lorsqu’il brossait les portraits tragiques des géants du blues et du rock.

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             Il revient aussi sur le «Feel So Good» de Sonny Burgess pour donner l’une de ces leçons de culture rock dont il a le secret : «C’est un disque extrême, plus black que black, plus white que white. Il n’existait pas de nom pour ça dans les fifties, aussi personne ne savait comme vendre ces trucs-là, jusqu’au moment où le disc jockey de Cleveland Alan Freed inventa le terme ‘rock and roll’, inspiré d’une poignée d‘earlier risqué records’. Black and white country boogie and rhythm and blues, des deux côtés de la barrière, utilisant le même terme en forme d’euphémisme à peine voilé pour la copulation. Inutile de dire qu’avec ce terme, la vente de cette musique en fut grandement facilitée.» Puis le vieux Bob fait entrer les drogues dans le rock and roll, il évoque les drogues légales qui ne répondaient plus à la demande - Si tu te demandes comment une nation peut s’écrouler, regarde les dealers. Drug dealers in every city with bull’s-eyes on their backs, daring anybody to shoot them - On perd le Sonny et il y revient heureusement à la page suivante - Savoir si Sonny Burgess a lui-même composé «Feel So Good», ou si Sam Phillips a recyclé un cut de Little Junior Parker, comme il l’avait fait pour Elvis avec «Mystery Train», c’est un point de détail qui a disparu dans les sables du temps (lost to the sands of time). Sonny Burgess avait derrière lui a sweaty, sinewy band qui jouait derrière un grillage de poulailler soir après soir dans une série d’off-the-highway bucket-of-blood joints - Et il ajoute, magnanime : «This is the sound that made America great.» Il dit ça, car ailleurs il explique pourquoi l’America n’est plus great du tout. Mais alors plus du tout. C’est peut-être ici qu’il refonde sa notion de modernité : quand tous ces artistes dont il parle ont émergé, ils ont déniaisé ce pays peuplé de blancs cupides et racistes. Le rock’n’roll et le blues étaient alors d’une effarante modernité, celle qui allait révolutionner le monde et les vies des gens de notre génération. En avançant dans la lecture du Dylan book, la lumière se fait.

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             Fantastique portrait de Jimmy Reed avec sa guitare blanche et son gros costard. Big Boss Man ! «Jimmy Reed, the essence of electric simplicity.» Au-dessus de cette phrase, Coco Machin met l’image de Don Corleone. Le vieux Bob tire l’overdrive : «Tu peux jouer des centaines de variations du twelve-bar blues et Jimmy Reed devait toutes les connaître. Aucune de ses chansons ne touchait le sol. Elles bougent en permanence. Il était le plus country des blues artists des fifties. Il était habile et laid-back. Pas de béton des villes sous les pieds. He’s all country.» Et il ajoute plus loin : «No Chicago blues, rien de sophistiqué, léger comme une plume, il vole dans l’air et roule sur le sol. Dans le rock ans roll, le roll appartient à Jimmy Reed.» Et pour dire encore à quel point Jimmy Reed est un cas unique, le vieux Bob ajoute : «Aussi grand qu’il soit, Little Walter serait complètement déplacé sur un disk de Jimmy Reed. Pareil pour Jimi Hendrix. Et ce serait encore plus dur pour Keith Richards d’y trouver un truc à faire.» 

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             On se doutait bien que Bob allait saluer Dion. Il résume son parcours en une belle formule et rappelle qu’il a enregistré ces derniers temps un album the blues, «réalisant un de ses plus vieux rêves en devenant some kind of elder legend, a bluesman from another delta.» Comme tous les fans de Dion, le vieux Bob est frappé par la qualité de sa voix, «a breathtaking bit of vocal harmony» - et quand la voix de Dion éclate dans le pont, elle capture un moment de shimmering persistence of memory avec un éclat tel que les mots ne sont plus d’aucun secours - Et c’est là où le vieux Bob enquille son registre philosophique avec un brio purement dylanesque : «La musique s’inscrit dans le temps, mais elle est aussi intemporelle. On en fait des souvenirs, mais elle incarne aussi la mémoire. Quelle que soit la façon dont on la voit, la musique se construit dans le temps comme une sculpture se construit dans l’espace. Lorsqu’on vit avec elle, la musique transcende le temps, de la même façon que la réincarnation transcende la vie, en la vivant encore et encore.» La résonance de ces cinq lignes est d’autant plus énorme que ce sont les dernières lignes d’un book qu’on aurait voulu plus explosif, plus définitif. On s’est tout bêtement gouré de modernité. Celle du vieux Bob est bien plus fine que la nôtre. On s’est bien mis le doigt dans l’œil. Pendant toute sa vie, le vieux Bob t’a un peu forcé à réfléchir. Tu n’allais pas jerker sur ses chansons, tu tendais l’oreille pour essayer d’entendre le message. Et ce book tellement détesté au premier abord finit par s’imposer à son tour. Interroge-toi sur la notion de modernité. Mieux que ça : questionne tes propres notions. Le vieux Bob t’enseigne un truc de plus : tu découvres que tes notions sont figées, et le plus souvent ringardes. T’es plus dans l’coup papa, t’es plus dans l’coup, comme le chantait si gaiement Richard Anthony. Ce n’est pas le vieux Bob qui est largué, c’est toi. Mais au moins, tu secoues ton cocotier.

             Alors tu y reviens. Tu vas piocher dans John Trudell et boom, tu tombes en plein dans la dimension tragique du vieux Bob - Dans un square de Mankato, Minnesota, on peut voir une plaque commémorative indiquant que 40 Santee Dakota Indians ont été pendus dans les années 1870 - Le vieux Bob sort cette histoire pour rappeler que John Trudell est un Santee Dakota Indian. Attends, c’est pas fini - À la fin des années soixante-dix, John a conduit un cortège de tribus indiennes sur les marches du Capitole. Le lendemain, la caravane dans laquelle il vivait on the Duck Valley Reservation du Nebraska a été incendiée. On avait mis un cadenas sur la porte. La femme de John qui était enceinte, ses trois enfants et sa belle-mère ont brûlé vifs. Ceux qui ont foutu le feu n’ont jamais été inquiétés. Ça vous donne une idée du gouffre dans lequel John allait puiser pour écrire ses chansons - Le vieux Bob conseille de creuser un peu sur John Trudell - Il le mérite. Et quand tu l’as fait, creuse dans sa musique. L’idéal est de commencer avec AKA Grafitti Man, rempli de direct performances de John accompagné par son Oklahoma Soul brother Jesse Ed Davis.

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             AKA Grafitti Man est un album de rock classique américain, magnifique de power sourd. Quand on écoute «Rockin’ The Res», on comprend que le vieux Bob ait craqué. John Trudell chante sous le boisseau, à l’intestine, comme un Lanegan apache. Il s’y connaît en termes de «Restless Situation». Sacré veux Bob, quand il évoque le Trud, il sait de quoi il parle. Jesse Ed Davis joue à l’indienne sur «Baby Boom Ché». Comme le Trud fait autorité, ses cuts s’imposent invariablement. Avec «Bombs Over Baghdad», le Trud te prévient du danger. Mais c’est avec «Rich Man’s War» qu’il rafle la mise. Fantastique heavy boogie blues déclamatoire ! Il entre en littérature. On le voit à la suite chanter «Somebody’s Kid» avec une réelle profondeur de champ. Il est très à l’aise dans tous les domaines, y compris le heavy blues de «Never Never Blues». Dans «Beauty In A Fade», il croise l’indien avec le blues et y tartine un talk-over de telling story man. Édifiant !

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             Bob recommande aussi Bone Days. L’album est un peu plus indien, le Trud fait chanter un Grand Sachem dès «Crazy Horse» - We hear what you say - Même combat que celui de Buffy Sainte-Marie - One earth/ One mother - Chanson politique, plaidoyer pour un retour aux valeurs indiennes - We are the savage generation - Il a raison, le Trud, the people lose their minds. Il ramène encore de l’indien dans le morceau titre, avec en plus des percus, c’est fin et terriblement indien, le Trud est fabuleux de prescience, il partage son boisseau avec toi et fait chanter un Grand Sachem. Sinon, il reprend son bâton de pèlerin d’US rocker mais il reste en permanence tenté par les chants indiens sur des mid-tempos. Il chante son «Undercurrent» avec la voix d’un homme épuisé par la vie et les injustices, et une petite gonzesse vient duetter avec lui. Il emmène le dirty boogie de «Carry The Stone» sur le sentier de la guerre, il joue gras et ramène son Grand Sachem dans le gras du bide, avec des vieux relents de Stonesy. Il attaque encore son «Lucky Motel» au chant indien, avec en plus un sitar. Quel mic mac ! Il a cette manie géniale de chanter dans le groove, en mode story-telling. Et le Grand Sachem revient une dernière fois hanter «Doesn’t Hurt Anymore».

             Pour conclure sur John Trudell, Bob se fend d’un petit paragraphe éclairant : «Si l’on y réfléchit bien, la seule chose qu’on a tous en commun, c’est la souffrance, et seulement la souffrance. On vit tous des deuils, qu’on soit riche ou pauvre. Il ne s’agit plus des biens ni des privilèges, il s’agit de l’âme et du cœur, mais il y a des gens qui n’ont ni âme ni cœur. Ils n’ont pas de repère sur le bord du fleuve, pour leur indiquer la vitesse à laquelle ils avancent et vers quoi ils se dirigent. Et l’aspect le plus triste de cette histoire, c’est qu’ils n’iront jamais écouter John Trudell.»

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             Bob n’est au fond pas si vieux que ça. Dans son hommage à Warren Zevon, il salue Ry Cooder, car c’est Ry qu’on entend sur «Dirty Life And Times» - Ry Cooder is a man with a mission. Il n’existait pas de carte quand il cherchait la connexion between Blind Lemon Jefferson and Blind Alfred Reed, the place where conjunto met the gutbucket blues, où même un béquillard peut faire le duck walk. Ry lived and breathed it, apprenant au pied des maîtres et transportant le savoir comme des graines de région en région. Il a amélioré chaque disk sur lequel il a joué et beaucoup de ceux sur lesquels il n’a pas joué - En lisant ces quelques lignes, Ry Cooder a dû être drôlement ému. Bob rend aussi un hommage extraordinaire au Dead, un groupe qu’on ne peut comprendre que si on est américain : «Puis il y a Bob Weir. Un rythmique pas du tout orthodoxe. Il a son propre style, pas si différent de celui de Joni Mitchell, mais dans un autre genre. Il joue d’étranges accords augmentés et des demi-accords à des intervalles imprévisibles qui s’accordent bien avec le jeu de Jerry Garcia, qui joue comme Charlie Christian et Doc Watson en même temps.» Bob situe les concerts du Dead «in Pirate Alley on the Barbary Coast, right there by the San Francisco Bay.»

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             Il s’entiche aussi des Fugs rappelant, et il n’a pas tort, qu’acheter les albums des Fugs «c’était comme d’acheter ceux de Sun Ra» : «You had no idea what you would get.» Certains albums nous dit Bob sonnaient bien, «avec des gens qui démarraient et qui s’arrêtaient en même temps», et sur un autre album, on aurait dit qu’ils étaient enregistrés «avec une boîte de tomates en conserve accrochée au bout d’un manche à balai.» Il ajoute que les liners étaient parfois en Esperanto, te mettant au défi d’y comprendre quoi que ce soit. Bob salue leur «CIA Man» - live and slick and weird and primitive - Il rappelle dans la foulée que les Fugs tirent leur nom du roman de Norman Mailer, The Naked And The Dead, paru en 1948. La censure obligea Mailer à remplacer le mot Fuck par Fug, et les Fugs viennent de là. Bob se marre car les Fugs voulaient s’appeler les Fucks, mais ils ont opté comme Mailer pour la voie de la raison.

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             L’écrivain Bob profite d’un hommage au «Poison Love» de Johnnie And Jack pour deviser sur l’amour : «‘Poison Love’ is illicit love. Contrairement à ce que pense la plupart des gens, payer pour le sexe, c’est la meilleure affaire qu’on puisse faire. Les relations complexes coûtent beaucoup plus cher. Il vaut mieux aller chez les putes, ce n’est pas l’amour parfait, mais il y a beaucoup moins de problèmes. Vous n’irez pas chanter ‘poison love’. En payant pour baiser, vous avez ce que vous cherchez (si vous avez de la chance) et vous repartez indemne. Rien ne vous atteindra. Comme ils disent an Australie, pas de soucis. Poison love, c’est ce qu’il y a de pire. Ça peut vous tuer. Des tas de gens ne peuvent pas vivre sans une dose quotidienne de poison love.»

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             Petit hommage à Sam Phillips via le «Take Me From The Garden Of Evil» de Jimmy Wages. Bob ne sait pas qui joue de la guitare, c’est peut-être Luther Perkins - This is a Sam Phillips record. Raw and fearless as anything Sam ever recorded - Et plus loin, Bob dit que «Take Me From The Garden Of Evil» «might be the first and only gospel rockabilly record. This is evil as the dictator, evil ruling the land, call it what you will. Jimmy sees the world for what it is. This is no peace in the valley.» Quand Bob s’enflamme, le book prend feu. Il n’existe de Jimmy Wages rien de plus qu’une poignée de singles, un sur Sun et deux sur Norton. Merci Bob !

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              Dans un hommage à Webb Pierce, il brosse un sacré portait de Nudie : «Puis Nuta devint Nudie et quitta New York pour s’installer à Hollywood, où il fabriqua des costumes de danseuses sertis de pierreries de pacotille, puis tailla pour les hillbilly stars des costards de lumière qui électrifièrent les fans de Nashville à Bakersfield. Il broda des wagons sur Porter Wagoner et des toiles d’araignées sur Webb Pierce. Il couvrit Hank Williams de notes de musique et Elvis Presley de lamé or.» Et voilà qu’arrive Gram Parsons - Vous n’imaginez pas à quel point Nudie fut ravi de voir arriver Gram Parson, stoned au cannabis et rigolard, le représentant d’une génération qui croyait avoir inventé l’usage des drogues. Gram commanda un Nudie suit à thème. Des gens qui se situaient à la droite d’«Okie from Muskogee» furent surpris que Nudie accepte de faire ce costard, mais il avait un côté pratique, et comme ses dollars étaient aussi verts que son cannabis, Gram eut son costard. Bob the story-teller a encore frappé. 

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             L’hommage à Ricky Nelson est particulièrement balèze - Rick was part of a generation that had Buddy Holly, Little Richard, Chuck Berry, Gene Vincent, Fats Domino, and others, that made people from all nations, including commie countries, fall in love with America - Et le plus impressionnant de tous les portraits est sans doute celui qu’il fait de Townes Van Zandt, un Texan maniaco-dépressif soigné à l’insuline et aux électrochocs - Les traitements ont détruit une partie de sa mémoire, ce qui donne certainement à ses chansons such a skeletal detached feel - Alors Bob fonce dans la nuit : « Les rêves d’Elvis Presley furent remplacés par une passion pour les chansons plus tristes d’Hank Williams. Il erra et il but. Le Texas grouillait de musiciens qu’il fallait voir. Guy Clark, Gatemouth Brown, Jerry Jeff Walker, Butch Hancock, Doc Watson, Lightnin’ Hopkins, Mickey Newbury, et Willie Nelson. Newbury l’amena à Nashville, où il le présenta à Cowboy Jack Clement, un homme qui connaissait les comportements extrêmes, puisqu’il avait produit Jerry Lee Lewis. C’est ainsi que débuta un prolifique, tumultueux et finalement désastreux chapitre dans le vie de Townes, qui s’acheva dans des procédures, des accusations et des bandes effacées. L’un des moyens de mesurer la grandeur d’un compositeur est de voir qui sont ses interprètes. Townes has some of the best - Neil Young, John Prine, Norah Jones, Gillian Welch, Robert Plant, Garth Brooks, Emmylou Harris, and hundreds of others.» Et bien sûr, comme tous les ouvrages en forme de galerie de portraits, celui-ci gagne à être lu et relu. 

    Signé : Cazengler, Bob Divan

    Bob Dylan. The Philosophy Of Modern Song. Simon & Schuster 2022

    Martin Scorsese. Rolling Thunder Review: A Bob Dylan Story. DVD

    John Trudell. AKA Grafitti Man. Rykodisc 1986

    John Trudell. Bone Days. Deamon Records 2001

     

     

    Inside the goldmine

     - Antrell du désir

             Pas facile de savoir ce que Nave avait au fond de crâne. Ceux qui le connaissaient un peu cédaient à la facilité en disant de lui qu’il battait le nave. Jolie manière de dire qu’ils ne savaient rien de celui qui ne savait rien, ou qui ne voulait rien savoir. Il n’existe pas de rôle plus difficile à jouer au quotidien. Ne rien vouloir savoir ni entendre et conserver en même temps un semblant de sociabilité ? Essayez et vous verrez bien. La réserve est le plus souvent une disposition naturelle. Quand on l’observe chez quelqu’un, on l’apprécie. On l’interprète même comme une forme d’intelligence. Elle nous repose du caractère extraverti des commères du village, qui sont le plus souvent des gens assommants et d’une bêtise hallucinante. C’est l’une des raisons pour lesquelles on recherchait la compagnie de Nave, il nous reposait du chaos environnant, même s’il restait une sorte de soupçon quant à l’automatisme psychique de sa réserve. Non seulement il ne voulait rien savoir mais le moindre début d’aveu le mettait mal à l’aise. Il s’empressait d’écourter, disant qu’il ne voulait pas entendre la suite, surtout si l’aveu se faisait sous le sceau du secret.

             — Mais Nave, tu as peur de quoi ?

             — Si je tombe dans les pattes de la Gestapo, je ne dirai rien, puisque je ne sais rien. Tu comprends ?

             — Mais Nave, si tu tombes dans leurs pattes, pauvre imbécile, tu vas quand même mourir...

             — Oui, je sais bien, mais au moins je vais mourir héroïquement, pas comme une balance.

             — Et si tu tombes dans les pattes du KGB ?

             — Je subirai l’épreuve du sérum de vérité et là, ils verront bien que je ne sais rien. Donc je ne risque rien.

             — Tu as tout prévu...

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             Pendant que Nave bat le nave, Dave bave. Dave rêve d’un avenir de popstar. Comme des millions de kids à travers le monde, en 1970. C’est sur une compile Garpax qu’on a découvert l’existence de Dave Antrell. Quand on le voit en gros plan sur la pochette de son unique album solo, il n’est pas jojo, avec sa petite moustache et son bouc miteux, mais on change d’avis quand on l’entend chanter «Lost A Dream».

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    Avec ses faux accents de Donovan, il aurait pu devenir énorme. En tous les cas, «Lost A Dream» sonne comme un hit obscur. On se régale aussi du beau climat de Beatlemania qui y règne. Ce cut catchy est en deux parties. Curieusement, les deux cuts figurant sur la compile Happy Lovin’ Time (Sunshine Pop From The Garpax Vaults) n’apparaissent pas sur l’album. Le «Straight From A Rainbow» qui ouvre le balda aurait pu lui aussi devenir un hit, car voilà de l’excellente pop californienne. On se croirait chez les Monkees. Tout le gratin du Gold Star est derrière lui : Hal Blaine (beurre), Carol Kaye et Joe Osborne (bass), Al Casey (guitar), avec en plus tous les cuivres et tous les violons dont peut rêver une popstar en devenir. C’est très upbeat, très enjoué. Beaucoup d’allure. Encore un album et un artiste qu’il faut arracher à l’oubli. Il repart à l’assaut des charts avec «Midnight Sunshine», une pop énergétique. Antrell du désir se donne les moyens, mais il restera inconnu au bataillon. Forcément, son album est sorti sur un label obscur : Amaret. Et puis au fil des cuts, on se heurte aux aléas du monde pop : parfois c’est bon, parfois ça ne l’est pas. Mais avec Antrell du désir, c’est toujours bien foutu. Il devient plus ambitieux en B avec «The Clock Strikes Twelve». Franchement, il navigue au même niveau que Jimmy Webb. Il va chercher des subtilités dans les harmonies vocales et veille à ce que tout soit judicieusement orchestré. Rappelons qu’il compose tous ses cuts. Encore de la belle pop d’élan vital avec «Children Of The Sun». Ce n’est pas celui des Misundestood. Antrell du désir s’élance du haut de la falaise pour bondir dans l’azur immaculé. C’est un vrai jaillisseur, digne de Wim Wenders. Il sait parfaitement bien jouer la carte de l’élévation, comme le montre encore «Sunser», mais il n’y a rien de révolutionnaire chez lui, juste de la grande ampleur. Il termine ce bel album avec «I’m Taking No Chances», très upbeat, straight to my nerves, il est bien décidé à jerker sa pop, il le fait avec l’exigence d’un grand compositeur. Dommage qu’il en soit resté là. Il aurait dû persévérer, même s’il n’a pas une tête de popstar.

    Signé : Cazengler, Dave Entrave (que dalle)

    Dave Antrell. Dave Antrell. Amaret 1970

     

    Wilson les cloches

    - Part Two

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             Pour bien prendre la mesure du génie sonique de Jim Wilson, il est essentiel d’aller fureter dans la ribambelle d’albums qu’il a enregistrés avec Mother Superior, puis avec Henry Rollins. On parle ici d’une œuvre, qu’il faut ramener au niveau des celles de Wayne Kramer/MC5 et des Pixies. Pendant dix ans, Jim Wilson fit des étincelles en mode power trio avec Mother Superior, puis en l’an 2000, il accepta d’entrer au service du capitaine de flibuste Henry Rollins : grand bien lui fit, car après nous avoir cassé les oreilles avec Black Flag, Henry Rollins revint à de meilleurs sentiments au contact de l’inflammable Jim Wilson. Les clameurs d’abordage du Rollins Band allaient éclairer les années 2000.

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             Retour en 1993, quand paraît le premier album de Mother Superior, Right In A Row. Le jeune Jim nous avertit dès «Shake This Fever» : il est déjà le roi de la heavyness, et ses deux bras droits, Marcus Black et Jason Mackenroth sont déjà très affûtés. Soutenu par une section rythmique prodigieusement alerte, le jeune Jim ramène toute la viande du monde. La photo du trio qu’on trouve dans la boîboîte nous les montre tous les trois, ados américains avec des jeans en lambeaux et des cheveux longs. À les voir, on ne croirait jamais qu’ils puissent sortir un son pareil. Le ton est donc donné avec «Shake This Fever» et le bal des surprises ne fait que débuter. Mother Superior est le power trio à l’état le plus pur, et en plus, le jeune Jim chante pour de vrai. Pendant qu’il tartine son gras double, ses deux bras droits jouent un squelette d’heavy blues. Ils sont MILLE fois meilleurs que Cream. Le jeune Jim attaque «Goin’ Up In Smoke» et dévore le Smoke aussi sec. Il gratte une disto dévastatrice, il remplit le spectre, il crée du vertige en permanence, il s’installe au sommet du smart, il bâtit un mur du son et prend feu lorsqu’il part en solo. Pur sonic genius ! Il tape ensuite «Body & Mind» en mode Season Of The Witch, c’est dire l’ampleur de sa vision conceptuelle, et enchaîne avec «Shitkicker» qu’il prend au chat perché. Il chante ça à bout de souffle et battrait presque les Zizi Top à la course. Le jeune Jim ne casse pas la baraque, il la fracasse. Le voilà parti en mode heavy balladif avec «Stop Putting Me Down». Il le pousse bien dans les orties, et sur le tard du cut, il part en maraude. C’est un pisteur apache, rien n’échappe à son tomahawk. Il faut aussi le voir attaquer «No Doubt (In My Mind)» à l’anglaise. On croit entendre Paul Rodgers. C’est exactement la même langue-tentacule qui entre dans la vulve du son. Heavy Soul de heavy rock. Et il repart en mode heavy blues avec «PW Blues» à la grosse entente cordiale - I got a woman yeah/ She’s never satisfied - Il traite le vieux thème en profondeur - She never do no good - Il se plaint d’elle et plonge dans les abysses du blues. Il n’en finit plus de plonger. Le spectacle qu’il offre est extraordinaire. Il termine cet album effarant de qualité avec un «Strange Combination» gratté à coups d’acou en mode Led Zep III. Puis il se fâche et lâche ses légions de démons, histoire de tailler le cut en pièces aux accords anguleux d’atonalité. Et pour finir, il te recrache comme un noyau. 

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             Avec sa pochette ratée, Kaleidoscope n’inspire pas confiance. Sauf que boum badaboum, il t’envoie vite fait au tapis. Jim Wilson positionne dès «Got To Move» son Kaleidoscope dans le heavy rock blues des seventies - Now dig this ! - Alors tu dig. Tu te dépêches pour ne pas rater la parole d’évangile. Jim Wilson joue son heavy blow off à la façon de Mountain. Il réunit tous les poncifs. C’est un champion du full blown. Le coup de génie se trouve à la fin : «You Think It’s A Challenge». Il y fait du heavy Jim, il saute sur les remparts, il te wash out tout le heavy blues rock, il ramène tout le gras double des seventies. Cette pure merveille devient aussi précieuse que la prunelle de tes yeux. Encore de la heavyness avec «Must Be A Curse». De toute façon, tu le suis partout. Avec son gotta move on down the line, il bascule dans sa chère heavyness et gueule à s’en arracher les ovaires. Son «When I’m Alone I Feel Like Cryin’» est quasi-hendrixien. Tu crois rêver. Avec «Girl On My Mind», il passe au petit gratté de slowah, mais il te fait un heavy slowah de force 10. Il excelle à exprimer ses sentiments. Il sait aussi cavaler ventre à terre comme le montre «Count Me Out». C’est l’apanage du Jim : il sait faire sonner un sugar lips. Il en a la bave aux lèvres, et en prime, il te passe un killer solo flash. Il s’amuse bien avec son rock’n’roll blast. Cet album est une véritable aventure.

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             Les ceusses qui ont chopé Deep à l’époque sont des gros veinards, car maintenant, l’album vaut la peau des fesses. Very big album, produit par Henry Rollins. Bienvenue au pays de l’heavyness, et ce dès «DTMMYFG?». Alors on se demande ce que veut dire ce mystérieux acronyme. Jim Wilson pose simplement la question : Did The Music Make You Feel Good? Depuis l’origine des temps, Jim Wilson a le génie de la mise en bouche. Il sait poser les conditions de l’heavyness électrique. Tout aussi heavy as hell, voilà «Superman». Il accompagne toutes ses descentes en enfer de fabuleux camaïeux de notes et s’en vient planter son solo dans le cœur du cut. Personne ne peut aller plus loin que Jim Wilson dans l’exercice de cette fonction. Il manie l’heavyness à merveille, c’est sa came. Le solo coule tellement de source qu’il semble sortir de lui. Mine de rien, tu te retrouves là dans l’un des meilleurs albums de cette époque. Puis il pique une crise de speed avec son morceau titre, sa barbichette prend feu, le cut fonce comme un train fantôme devenu fou, c’est exceptionnel de wild drive. Avec «Fascinated», il ne perd pas de temps : il descend aussi sec au barbu. Ce mec est un desperado, il a déjà le chapeau et la barbichette à moitié cramée. Puis ils va sortir sa triplette de Belleville, trois coups de génie enchaînés : «What I Heard Today», «Crawling Back» et «Crazy Love». Il plonge directement dans sa bassine d’huile bouillante pour What I Heard. Personne ne l’a poussé. Il adore faire le beignet. Il prend l’heavyness complètement à contre-emploi. Il en devient génial. Il fait de l’Hugo sonique face à l’océan. Voilà sa mesure. Comment se fait-il que si peu de gens aient vu qu’il avait autant de génie ? Son What I Heard balance dans le ressac, Jim Wilson titube dans les décombres, il abrase tout aux vents de sable, il chante à contre-courant du contre-courant, c’est très spécial, très Wilson, il est l’Hugo de l’heavy rock, dressé face aux tempêtes de Guernesey. Il repart à l’assaut des éléments avec «Crawling Back», non seulement tu t’agenouilles devant lui, mais tu dresses l’oreille pour ne pas en perdre une seule miette, il chante à la pointe du beat, c’est stupéfiant, il t’emballe ça à la violence subterranéenne du don’t. Et restes dans son jardin magique avec «Crazy Love». Mais le jardin prend feu, c’mon ! et ça monte en pression à mesure qu’il ramène tout le son du monde.

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             Encore une pochette ratée pour l’album sans titre, Mother Superior, paru en 2001 et produit par son boss Henry Rollins. Tu aimes le blast ? Alors écoute «Zero’s Back In Town». C’est bombardé de son, cadenassé dans l’hardcore de no way out. Ça joue à la vie à la mort, avec un petit côté démonstratif, il faut bien l’admettre. Mais ça reste violemment bon. Ils tapent dans l’extraordinairement bon avec «Pretty Girls». Jim Wilson paye ses dues à Sabbath et aux autres cakes de l’heavyness des seventies. Il allume la gueule du mythe. Le «Whore» d’ouverture de bal est une belle énormité. Jim Wilson embarque sa whore pour la Cythère des enfers, avec un killer solo flash à la clé. Wow, quelle dégelée ! Nouvelle dégelée avec «Worthless Thing». Jim Wilson a un sens aigu de l’invasion. Il t’envahit vite fait. Il parie sur le stomp et rafle la mise. Il mixe la cavalcade avec le killer solo d’arrêt mortel et le wild as fuck. Autant dire que ça mousse. Il faut aussi le voir claquer son «Fell For You Like A Child» sous le couvert d’un certain boisseau.

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             Côté pochettes, ça s’améliore brutalement avec celle de Sin. C’est le plan des fameuses pochettes rouges (Slade Alive et le Grand Funk de Grand Funk Railroad). Au plan musical, Sin est un tout petit peu moins dense que les albums précédents. On croise une «Jaded Little Princess» montée sur les accords du «Sweet Jane» de Lou Reed. C’est exactement la même ambiance, le même swagger de boulevard. L’autre morceau phare de Sin est un heavy blues, «Spinnin», une belle descente au barbu. Jim Wilson n’oublie pas la règle d’or de Clovis Trouille : sous la robe de bure palpite le plus pur des barbus. Jim Wilson transforme son heavy blues en chute du Niagara, c’est un vrai déluge de son. Il fait du Superior supérieur avec «Strange Change». Wayne Kramer traite Jim Wilson de «missing link between Little Richard and a 100 Watt Marshall Amp». «Strange Change» est de l’heavy jus de jouvence avec une wah en contrepoint. Sur cet album, tout est une fois de plus drivé à la gratte. Il joue encore sa carte de heavy dude avec «Ain’t Afraid Of Dying», il chauffe sa baraque aux éclats subliminaux et passe avec «Fool Around» au big balladif. Il arrose toute la stratosphère de son, il devient presque black à force de romantisme downhome. Jim Wilson a du génie. Globalement, tous ses cuts ont de la tenue. Il chante bien et il sait placer ses riffs. Il n’engendre que de la délectation. Il faut le voir dans «Rocks» exploiter des rythmiques de bon aloi ! Il n’en finit plus d’injecter de l’heavy load dans ses cuts. Il termine avec l’excellent «Fade Out Wounded Animal» - I’m a wounded animal/ I’ve a bleeding heart.

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             Wayne Kramer produit 13 Violets. Il faut donc s’attendre à un festin de son. Et à des coups de génie, comme par exemple «*****» joué aux power-chords de marche arrière, pas de pire marche arrière que celle-ci, et tu as un refrain de chœurs de renvois, un vrai piétinement de Bérézina, une hérésie du rock moderne. Ça continue avec «Queen Of The Dead» et là, ça cavale au sommet du genre, ce démon de  Jim Wilson te taille un hit sur mesure - She’s all I want/ Queen of the dead - Il te plaque ça avec une candeur démente, comme si de rien n’était. Encore une belle énormité avec le morceau titre, noyé de power, même la voix se noie dans le remugle, ça gouille de dynamiques, ils sont passés à autre chose. Si tu tends l’oreille, tu entendras aussi des accents de Cream. Et voilà la triplette de Belleville : «Turbulence», «Fuel The Fire» et «Did You See It». Tu prends la dégelée de «Turbulence» en pleine poire, avec Jim Wilson, ça ne rigole pas, il envoie la disto maximale en éclatant de rire, ha ha ha, puis il attaque son «Fuel The Fire» à l’anglaise classique et pose là-dessus un chant très anglais, en mode heavy blues rock, puis il dégomme son «Did You See It» à coups d’accords à contre-temps. Ce sont les accords des Creation. Tout est bardé de barda, pur sonic trash ! Jim Wilson a de l’envergure. Il sait aussi caresser la comète du groove de Soul, comme le montre «Everything Is Alright». Pour ce faire, il ramène des cuivres. Il est tellement surprenant qu’il échappe à tous les radars. Il construit son œuvre. On devrait le décorer pour ça. Il met ses idée en scène. Ses idées valent de l’or. Avec «Kicked Around», il vise la cavalcade par dessus l’horizon. Rien que ça.

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             Moanin’ est probablement le meilleur album de Mother Superior. Ils n’arrêtent pas. Tu as au moins trois coups de génie, là-dedans, et une Stoogerie. Tiens on va commencer par elle : «A Hole», tout un programme ! Lancé comme une attaque, mais avec les riffs des Stooges. Et Jim Wilson plonge dans le fleuve de lave, c’est du big Motha fondu dans les Stooges. Extraordinaire ! Il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Il fait à la fin de l’album une version démente de «Jack The Ripper». Quelle avalanche ! Tu n’as pas le temps de t’enfuir. Ça prend des allures folles à la Asheton. Jim Wilson est un génie du mal. Pas de pire fournaise. Coup de génie encore avec «This Song Remains Me Of You», Jim Wilson fout le feu dans l’intro, il t’explose cette belle love song en bouquet d’harmonies doublé d’un heavy shuffle de gaga demented. Alors il part en vrille et te démolit tout le jeu de quilles. Encore une fois, il te tombe dessus et tu n’as même pas le temps de dire Omen. Killer Jim Wilson ! Il finit en solo d’apocalypse et t’aplatit pour de bon avec un solo de wah qui n’en finit pas. Cette fois, tu te jures que tu n’y mettras plus les pieds. Mais trop tard, car voilà «Get That Girl», vite expédié en enfer, en mode Basement Five - Watch out ! - Il te dégueule dessus, ce power trio détient tous les tenants des aboutissants. Jim Wilson se situe à l’extrême limite de la saturation. Et voilà «Little Mother Sister» qui va annoncer la suite. Jim Wilson en profite pour lâcher une armée de démons sur la terre, avec un solo qui s’étrangle de rage. Son «Fork In The Road» est complètement dévastateur, et soudain, on réalise que Jim Wilson porte la barbichette du diable. Il passe au Punk’s Not Dead avec «So Over You». Listen ! Ils te fondent dessus comme des démons échappés d’un bréviaire, c’est plein de vie et de fantastique énergie, away sail away, il lui demande de dégager vite fait. Même sa cocote pue l’enfer, comme le montre «Erase Her». Il lâche des nuages de soufre, il concentre tous les maux de la terre, ses solos sont des modèles de tisonnage, Jim Wilson et une bête de l’Apocalypse, il pue à la fois la Stoogerie et la chair brûlée, et encore une fois, il claque un solo digne de ceux de Ron Asheton.

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             Three Headed Dog est un bon album, même s’il est un peu moins dense que la brute immonde qui le précède. Jim Wilson annonce la couleur d’entrée de jeu avec «(I’m) Obsessed». C’est comme qui dirait réglé d’avance : il va te chauffer la cambuse pour l’hiver. C’est un roi des fournaises. Il ne jure que par les pelletées de braise et ses descentes au barbu restent spectaculaires. Avec «False Again», il fait du Fast Eddie Clarke, il joue à la surface des flammes. Il amène «Shady Lady» comme une marée du siècle. Ses power-chords deviennent historiques. Il ralentit un peu le mouvement avec «Today That Day», il tape un heavy slowah comme le fait si bien Reigning Sound. Jim Wilson a tout le power du monde au creux de ses mains. Il redevient un démon pour «Panic Attack». Il fait de l’heavy punk de Motha, très buté, stop/start, et ils repartent au Goddamnit. Son seul vice est de vouloir t’emmener chaque fois en enfer. Mais c’est pour ton bien. Jim Wilson est aussi un chanteur puissant : il distille le poison de son power à petites doses dans le fond de sa gorge, comme le montre «Sleep». On se rend malade à force de fréquenter des artistes aussi doués. Il tape son «Left For Dead» à l’énormité prévalente, il le noie dans la purée. Spectacle dégoûtant. Il termine avec un «Standing Still» d’une déroutante qualité artistique.

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             Grande, le dernier album en date de Mother Superior, est paru en 2008 sur un petit label toulousain, Kicking Records. Grande bénéficie d’une très belle pochette, bien dans l’axe Mère Supérieure des surréalistes. Il s’agit d’une collection of Mother Superior songs old, new borrowed and blues, comme l’indique le dos de la pochette. Le coup de génie de l’album est la cover d’«Happiness Is A Warm Gun», chef-d’œuvre lennonien tiré du White Album. Jim Wilson cocote bien sa purée d’I need a fix/ Cause I’m going down. Il surgit comme un saumon dans le Mother Superior jumped the gun, puis il se fait sécher au soleil d’Happiness - And I feel my finger on your trigger/ I know nobody can do me no harm - C’est bien que des grands artistes comme Jim Wilson puissent rendre hommage à John Lennon - Well don’t you know that happiness is a warm gun momma ? - Ceci dit, on trouve pas mal de petites énormités sur cet album bien né, comme par exemple «Five Stars», puissant, joué en retenue, avec un riff alourdi qui affale au longeant par bâbord. «Brain Child» va plus sur l’heavy doom, un empire que Jim Wilson aime à bâtir, mais on n’en voit guère l’intérêt, comme dirait Martin Guerre. Le «Meltdown» qui ouvre le bon bal de B sent bon la Stonesy, mais aussi Free, dans l’idée du riff.

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             Et puis tu as toute la période Rollins Band, qui démarre en l’an 2000 avec l’épuisant Get Some Go Again. Tout n’est que blast, luxe et volupté sur cet album. Ça grouille de puces. Hommage stupéfiant aux Groovies de «Teenage Head» avec «Monster». Jim Wilson descend en mode heavy Leigh Stephens dans les Groovies de Roy Loney et ça donne un sommet un lard fumant. Rollins chante jusqu’au bout de ses forces et Jim Wislon cloue le cut au ciel lors d’un sacrifice d’une effroyable noirceur. De toute façon, tu comprends dès «Illumination» que le ciel va te tomber sur la tête. Rollins raconte qu’il traverse des yellow deserts et pose son yeah, c’est un féroce screamer, et bam !, Jim Wilson part en vrille de no way out. Bienvenue du paradis du sonic blast ! Ici tout prend feu sans qu’on sache pourquoi. Rollins scande son morceau titre - Get some/ Get some - et l’attaque de plein fouet. Il chante vraiment comme un capitaine de flibuste, ce n’est pas une vue de l’esprit. Il chante à l’abordage, il monte à l’assaut du rock, c’est très physique, et Jim Wilson lève des tempêtes. Ils tapent «Thinking Cap» au heavy beat tribal et ça ressemble très vite à une invasion, yeah, la menace est là, dans la voix de Rollins, il chevauche en tête, sur un petit cheval, c’est lui Attila, menton rouge de sang. Tant de power te fait rêver. Ah ah, Rollins se marre. Et tu vois «Change It Up» s’écrouler aux accords de trombose, ils tapent dans toutes les configurations - Life’s so Short ! - Nouvel assaut avec «I Go Day Glo», Rollins shoute tout à la force du poignet et enfonce ses Oh Yeah Oh Yeah comme des clous dans des paumes. S’ensuit un hommage cinglant à Lizzy avec une cover d’«Are You Ready». Et ça continue de brûler jusqu’à la fin, les accords de Jim Wilson éclosent comme des Fleurs du Mal dans «On The Day», «You Let Yourself Down» explose à coup d’all nite long, Jim Wilson noie «Brother Interior» dans les poux et Jason Mackenroth bat le beurre du diable dans «Hotter & Hotter». Il arrive un moment où ta cervelle jette l’éponge. Trop c’est trop.

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             Attention, il existe une version enhanced de Get Some Go Again : sur le CD2, tu as quatre killer cuts et des vidéos. Franchement, ça vaut le détour, même si on vient de faire une petite overdose avec le CD1. On se régale de la grosse cocote cra-cra de Jim Wilson sur «Side By Side». Il t’installe au cœur de la heavyness et part en sale vrille dégueulasse. Il refait le coup dans «100 Miles» avec un killer solo flash qui restera dans les annales. Et voilà le clou du spectacle : une version live de «What Have I Got», montée en épingle d’Ararat dans un déluge apocalyptique. En bon pirate tatoué et barbare, Rollins stone fait son monster basher - What Have I got?/ Nothing much at all.

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             Un autre double CD paraît 5 ans plus tard sur le label d’Henry le pirate, 2.13.61 Records : Get Some Go Again Sessions. Sur la pochette on peut lire : Henry Rollins & Mother Superior. On a pendant des années considéré ce double CD comme l’un des plus explosifs de l’histoire des explosions. On y retrouve bien sûr tous les hits de Get Some Go Again, mais bruts de décoffrage. On a l’impression d’écouter l’album de blast définitif. Il faut entendre Rollins stone attaque «Monster» au I’m a monster, entendre la chape de plomb d’un «Illumination» heavy as hell, avec un Rollins stone qui hurle tout ce qu’il peut, l’encore plus brutal «Thinking Cap», gratté dans le chaos d’une fournaise extrême, c’est gorgé de power avec un Jim Wilson qui rôde dans le chaos, et puis tu retrouves le «Change It Up» tapé au blast de funk, gratté aux accords de fer blanc, des accords qu’on n’entendra jamais ailleurs. Sur la version d’«Are You Ready», tu as Scott Gorham qui vient foutre le feu à Lizzy. C’est son métier. Et ça devient encore plus mythique avec «Hotter & Hotter» car Wayne Kramer entre dans la danse, il est l’œil du cyclone, ça en fait deux avec Jim Wilson, c’est battu à la Mother par ce fou de Jason Mackenroth. C’est lui le propulseur nucléaire. Et ça monte encore d’un cran avec «LA Money Train» - So Jason are you ready ? - Yeah ! Wayne Kramer reste dans la danse et Rollins stone lance son talking blues - All aboard - Ça gratte aux funky guitars. Pur genius d’Henry Rollins qui en fait est un spécialiste du talking blues. Ah il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie - Yeah I get so tired of all the drama - C’est un texte fleuve qu’il swingue à la force du poignet - Sometimes I think it’s all over/ No more Coltrane/ No more Duke/ No more Monk, Jimi, Otis, Aretha, Daisy, or Sly/ And no one seems to stop and wonder why/ And I turn on the radio and it makes me wanna cry/ Because I know it’s never gonna come around again/ And it makes me cry because I know that there’s so many people who’ll never get to hear Mahalia Jackson, Mississippi Fred McDowell, Lightning, Lemmon, Curtis, Marvin, and the Reverend Al Green - Il se plaint de la médiocrité qui s’est abattue sur la terre - The airways are clogged and it’s not looking good/ In fact it’s looking pretty mediocre out there/ But I digress - «LA Money Train» est l’un des très grands chefs-d’œuvre de l’histoire du rock américain, tous mots bien pesés. C’est la raison pour laquelle il faut choper les Get Some Go Again Sessions. Après, ça continue avec «Side By Side» et sa grosse cocote, cut palpitant de power occulte à la Sabbath, avec un Jim Wilson qui part en rase-motte délétère, suivi de «100 Miles» heavy as hell d’I want your blood. Impossible de faire plus heavy. Rollins stone étale son power dans la purée de Mother. Jim Wilson atteint encore à la démesure avec «Summer Nights», il reste ce guitar hero si prodigue de beauté et de violence. Ils attaquent le disk 2  avec «Yellow Blues», idéal pour ces Bêtes de l’Apocalypse que sont Rollins stone et Mother. Puis ils plongent «Don’t Let This Be» dans un bouillon d’heavyness. Ils sont au sommet du genre. Ils aplatissent tout le rock, le beat avance à pas d’éléphants. Plus heavy, ça n’existe pas. Rollins stone hurle dans la cave de l’Inquisition. Ça fout la trouille. Et tout se barre en sucette dans «Coma». C’est du grand art dégénéré. Rollins stone pousse les hurlements d’un loup qui serait devenu fou. Jim Wilson te tombe encore dessus avec «Hold On». Il continue de dérouler la pire heavyness d’Amérique - You must hold on/ Cold nights/ Long nights - On croise encore une version d’«Illumination», ce heavy groove urbain tailladé d’incursions massives, enfin bref, ça ne s’arrête pas. Ils bourrent le mou du rock jusqu’au bout.

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             Le Nice qui sort en 2001 est ce qu’on appelle ici une abomination. Un album explosé d’entrée de jeu avec un «One Shot» digne du MC5, avec en plus tout le poids de Rollins stone dans la balance - You take one shot - et Jim Wilson plonge aussitôt le cut vivant dans la bassine d’huile bouillante. Tu as là l’un des sommets du rock américain. Un de plus. Pas compliqué : tu as trois coups de génie enchaînés, «One Shot», «Up For It» et «Gone Into The Zero». Ah le power inexorable d’«Up For it», une vraie dégelée royale de stay up for it et ça se répand all over avec «Gone Inside The Zero», Rollins stone se jette dedans, c’est de plus en plus explosif, il n’existe rien de plus dense ici bas. Rollins stone installe encore la suprématie de l’heavyness avec un «Hello» qu’il scande, hello darkness ! Il passe au rap avec «Your Number Is One», il va chercher des vibes sous le boisseau, et soudain il surgit, one ! One !, et le saumon Jim Wilson gratte dans l’arc en ciel des légendes celtiques. Il faut aussi saluer les dynamiques acrobatiques de Marcus Blake et de Jason Mackenroth. Des lèpres d’heavyness ravagent «Stop Look Listen» et Maxayn Lewis vient faire des chœurs dans «I Want So Much More». Pur power de Rollins stone - I want get some ! - Trompette ! Demented ! Encore de l’heavyness maximaliste avec «Hangin’ Around», Rollins stone écrase bien le champignon d’oh yeah, il ramène tout l’oh yeah qu’il peut dans la soupe aux choux de la mère supérieure. Tu vois Jim Wilson se faufiler comme une couleuvre de printemps dans les moiteurs de l’épaisseur et soudain, ça prend feu ! Avec Wayne Kramer, il est le géant incontestable du wild sonic fire. Encore plus heavy, comme si c’était possible, voici «Going Out Strange», ça culmine jusqu’au vertige. Le vertige, c’est leur fonds de commerce. Ça cloue dans les paumes à coups redoublés. Et ça s’arrête enfin avec «Let That Devil Out» monté sur un groove de jazz bass de Marcus Blake. Furia del diablo. Blake te monte ça en épingle demented.

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             A Nicer Shade Of Red paraît aussi sur 2.13.61 Records, le label de Rollins stone. Ce sont des albums difficiles à trouver. Dans la distribution des rôles, Rollins n’est pas crédité vox mais throat. Départ en trombe avec «Too Much Rock & Roll». Jim Wilson te travaille ça au tison ardent et Rollins stone lance l’assaut à coup d’Oh yeah. C’est vite plié à coups de clameurs extravagantes. Retour aux affaires sérieuses avec «Marcus Has The Evil In Him». C’est l’enfer sur la terre, ils creusent des tunnels dans ta cervelle. Jim Wilson zèbre tout ça d’éclairs, comme Zorro. On reste dans les affaires sérieuses avec un «Nowhere To Be But Inside» battu à la vie à la mort. Rollins stone mène son bal à l’énergie pure et Jim Wilson en rajoute. «10X» est heavily evil ou evily heavy, c’est comme tu veux. Punks’ not dead avec «Always The Same» - You/ Dont/ Like me/ It’s always the same - Assaut magnifique de punkitude américaine, l’une des rares qui soit éligible, d’autant que Rollins stone te la monte en neige et que Jim Wilson te l’explose au killer solo flash. Qui saura dire la grandeur de Mother Superior ? «Raped» sonne un brin hardcoreux, à cause du titre, sans doute. Idéal pour la bande son d’Irréversible - Fuck you/ Fuck me - Le Rollins y met toute sa gomme de gommeux californien. Puis ils tapent une cover d’«Ain’t it Fun» des Dead Boys, Jim Wilson y fout le feu, c’est plus fort que lui. Puis il renoue avec sa dimension antique dans «You Lost Me», cris d’éléphants de combat et clameurs de boucherie, c’est lui Jim Wilson qui fait l’éléphant. Rendu fou par les centaines de flèches fichées dans sa peau, il piétine tout. On peut dire que Rollins stone a de la veine d’avoir ces trois mecs-là derrière lui. On retrouve l’excellent «Your Number Is One» en version longue. Les Mother sont très complets : Jason-beurre du diable, Marcus-God bassmatic et Jim Wilson-défi permanent aux dieux de l’Olympe. Ils tapent le cœur de cut aux percus et Rollins scande son one one the only one. Tu es vraiment content d’être là. C’est encore Marcus Blake qui claque l’intro de «Such A Drag» et Jim Wilson se farcit le shuffle d’orgue - Sometimes it’s such a drag - et ça vire talking blues de Rollins stone le héros. 

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             Encore un 2.13.61 Record qui vaut le détour : The Only Way To Know For Sure. Car ce sont des versions live de toutes abominations pré-citées. Tu retrouves «Up For It» que Jim Wilson lance au riff insistant et ça devient addictif. On se retrouve au sommet du genre, comme avec les Screaming Trees. Sur «What’s The Matter», Jason Mackenroth bat comme un démon abandonné du diable. Rollins stone annonce ensuite «Tearing» - This song is called Tearing Me Apart yeahhhhh ! - et il se jette à l’eau comme Tarzan sur Jane. Pour une raison X, «Illumination» n’atteint pas le niveau de la version studio et ça repart ventre à terre avec «Hotter & Hotter». Rollins stone ne parvient pas à créer sa magie, c’est Jim Wilson qui vole le show. Il flotte comme un vampire au dessus de la fournaise. S’ensuit la fantastique dégelée d’I’m A monster. Ça devient enfin très sexy. Puis ça explose avec «Stop Look Listen», ça joue dru, à la pluie de feu, ils te collent au mur. Ces mecs n’en finissent plus de gagner les régions supérieures de la fournaise intégrale. Encore un appel à l’émeute avec «All I Want», Rollins stone grimpe sur la barricade, please please ! Puis il rentre à coups d’hello dans le chou de son vieux «Hello». Nouvel assaut avec «One Shot», Rollins stone semble chanter avec une meute de loups, ça bombarde encore plus qu’au temps du Bomber de Motörhead. Explosif ! Et ça grimpe en apothéose avec «Going Out Strange». Rollins stone chevauche un dragon, avec toute la heavyness du monde derrière lui - I don’t care going out strange - Big man Rollins assomme ses cuts d’un coup de poing, comme l’ancêtre de Jerry Lee qui assommait un bœuf d’un seul coup de poing et que décrit Nick Tosches dans Hellfire. L’autre image qui saute aux yeux : Rollins stone jaillit des torrents comme un saumon pourri et tatoué. Puis Jim Wilson tape «Thinking Cap» aux accords des Stooges sous un boisseau de plomb - You’ve got soul/ If you don’t/ You wouldn’t be in there - Acclamations ! Rollins stone fait un prêche demented puis il tape sur la tête du beat de «Get Some Go Again». Il est probablement la pire brute d’Amérique. Riff raff de no way out et ce dingue de Jim Wilson refout de feu. Ils terminent cette virée infernale avec un «Your Number Is One» qu’annone Rollins stone et bien sûr, c’est claqué du beignet, on voit ce saumon géant tatoué tituber dans les fumées du groove. 

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             Alors attention, c’est encore un enhanced CD, et le disk 2 est encore pire que l’1. Rollins stone l’attaque avec «Gone Inside The Zero» - Shut your mouth now cause it’s gonna be a little bit introspective - C’est du hardcore, le pire, atrocement violent, puis ils embrayent le destroy oh boy de «Nowhere To Go But Inside», Jim Wilson is on fire et les deux fous derrière fourbissent le pilon des forges. Ils enchaînent deux covers fatales, l’«Are You Ready» de Lizzy et le «Do It» des Fairies. Rollins stone lâche sa meute. Il explose la rondelle de Lizzy en mille morceaux. Ah ces Américains, ils ne respectent rien ! Power demented pour Do It, ultime hommage apocalyptique. Ils bouffent les Fairies tout crus. Il n’existe pas de pire power que celui de «You Don’t Need». Les Mother sont les Demeter du rock, les mères de la terre, et avec le Rollins stone, ils règnent sans partage sur la terre comme au ciel. Rollins stone réclame encore du rab avec «I Want So Much More». Il est aux abois. On l’admire pour sa violence verbale. Cet album relève du surnaturel, le mélange des deux powers (Mother + Rollins) échappe aux normes. On frise encore l’overdose avec «Always The Same», tout flambe jusqu’à l’horizon, les villes et les plaines, puis «We Walk Alone» s’en va rôtir dans les flammes de l’enfer, Rollins stone se hisse au sommet du genre et tout finit par s’écrouler dans les flammes avec «Marcus Has The Evil With Him», trop heavy beaucoup heavy, les cocotes se mêlent et Rollins pousse. C’est atroce.  

    Signé : Cazengler, Mother Inferior

    Mother Superior. Right In A Row. Not On Label 1993

    Mother Superior. Kaleidoscope. Top Beat 1997

    Mother Superior. Deep. Top Beat 1998

    Mother Superior. Mother Superior. Triple X Records 2001

    Mother Superior. Sin. Muscle Tone Records Inc. 2002

    Mother Superior. 13 Violets. Top Beat 2004

    Mother Superior. Moanin’. Bad Reputation 2005

    Mother Superior. Three Headed Dog. Rosa Records 2007

    Mother Superior. Grande. Kicking Records 2008

    Rollins Band. Get Some Go Again. DreamWorks Records 2000 

    Rollins Band. A Nicer Shade Of Red. 2.13.61 Records 2001

    Rollins Band. Nice. Steamhammer 2001

    Rollins Band. The Only Way To Know For Sure. 2.13.61 Records 2002 

    Henry Rollins & Mother Superior. Get Some Go Again Sessions. 2.13.61 Records 2005

     

    *

             Y a des chiens plus méchants que d’autres, celui-ci jouit d’une étrange particularité, qui l’eût cru, il est cru. Les esprits rationnels affirmeront que tous les chiens sont crus à moins que vous ne les fassiez cuire. Oui mais j’insiste celui-ci est particulier, il possède deux têtes. Ne criez pas que je raconte n’importe quoi, c’est un chien dans l’air du temps, il respecte la mixité sociale, une tête féminine, une tête masculine. Si vous ne me croyez pas relisez la chronique 382 du 15 janvier 2019, pas en entier il suffit de se rapporter à celle qui s’intitule :

    RAWDOG

              Un concert à La Comedia, avant que l’ordre moral libéral – comme ces deux mots riment très bien ensemble - ne réussisse à faire fermer cet antre de liberté, bref z’étaient deux sur scène, une fille-un gars, j’avais beaucoup aimé, or ils viennent de sortir une vidéo, que voulez-vous quand la meute aboie, l’on se rameute pour voir :

    FILE MOI TON GUN

    (Vidéo Clip Officiel)

    z23436filegun.jpg

             La zique balance sec. Les images sont vacancières. On joue au ping-pong. Non le tueur n’est pas loin, oui il est tout près. Dès qu’il se montre, on s’amuse comme des gosses. Balançoire et trampoline. Un véritable jardin d’enfants. La traque commence. Le jeu du chat et de la souris. Se prennent pour des agents secrets (doivent lire Rockambolesques toutes les semaines). Je vous laisse découvrir la fin. En plus il y en a deux. Soyons logique si Rawdog a deux têtes pourquoi n’aurait-il pas deux arrière-trains. La dernière est la plus marrante. Plus le générique est long, plus il est bon. La première est beaucoup plus subtile. Pose les questions embarrassantes, quand on joue n’est-ce pas pour de vrai ? D’ailleurs le vrai est-il exactement le contraire du faux, à moins que ce ne soit le faux qui ne soit que l’autre face du vrai. Les psychanalystes vous demanderont si le désir a besoin d’être assouvi pour être désir. Le désir de mort peut-il survivre ? Tiens, ils l’ont sorti le premier Mars. Le mois de la guerre. Les stratèges en chambre déclareront que ce clip pose les bonnes questions. Et que contrairement à eux ils apportent la bonne réponse.

             Un an et demi qu’ils n’avaient rien sorti. Par curiosité l’on est allé grapiller par-ci par-là d’autres vidéos.

    BLURRED

    (Vidéo Clip Officiel)

    z23437blurred.jpg

             Attention changement d’ambiance, c’est le morceau qui a donné son titre à leur premier album sorti en 2014. Belle couve, m’évoque le texte   Sur le théâtre de marionnettes d’Heinrich Von Kleist, nous en reparlerons dans une future livraison dans laquelle on se penchera sur l’album. Le dico me propose de traduire Blurred par flou, le mieux serait de transformer cet adjectif en participe passé, Floué me semble rendre mieux l’atmosphère qui se dégage de cette vidéo. Normalement sur scène Audrey joue de la batterie et Mike de la guitare. Ceux qui auront aimé File moi ton gun risque d’être désorientés, certes c’est carré, bien ficelé, mais comparé à Blurred, c’est un peu comme si vous passez des Bijoux de la Castafiore d’Hergé à La Chartreuse de Parme de Stendhal. Déjà exit la couleur, elle cède la place au noir et au blanc. Il vaudrait mieux dire au rouge.

             Encore une fois c’est subtil. Mais pas de la même manière. Ici on ne s’amuse plus. En plein drame. Rien de pharamineux ou d’extraordinaire. Deux êtres qui se quittent. Rien de plus banal. Tout reste dans le non-dit. Faut se fixer sur les détails, une branche d’arbre qui gouttège, des bibelots enveloppés dans du verre ou du plastique, des poupées enfermés dans leur cages, et le piano qui résonne qui s’accapare l’espace sonore et mental, Audrey martèle les touches, voudrait-elle enterrer son mal qu’elle ne s’y prendrait pas autrement, c’est d’ailleurs ce qu’elle fera quand elle enfouira la hache de paix et de guerre symboliques dans le sol, ils sont encore deux mais ils suivent  des chemins parallèles qui ne se rencontreront plus jamais, qui s’écartent définitivement, lui effondré dans un fauteuil, l’atmosphère est lourde, il joue de la guitare comme d’un violoncelle, funèbre. Deux instruments, deux manières d’exprimer le désespoir.

             J’ai dit subtil et j’ai dit : non-dit. Prenez le temps de regarder cette vidéo. Toutes les cinq secondes arrêtez l’image et examinez attentivement. Faut remercier Elise Colette et Laura Icart pour la réalisation. Une merveille de minutie. De précision. Remerciez-moi pour cet intermède. J’espère que vous en avez profité pour écouter la voix d’Audrey. Elle doit ressembler à celle d’Eurydice. No happy end, il n’y aura pas d’Orphée. Même pas pour la retenir. On ne se bat pas contre l’inéluctable. Nous sommes dans l’attente. Elle viendra. Elle a toujours son apparence de tranchant de guillotine.

             Quatre minutes et vingt-cinq secondes, une fenêtre ouverte sur le bord de l’éternité.

             C’est aussi beau que certaines élégies de Nico.

    LES BRUTES

    (Clip Vidéo)

    (Enregistré et filmé en live le mardi 29 avril

    2018 A Mains d’œuvres Saint-Ouen 95)

             Le titre sortira sur leur EP Julia en mars 2019. Belle couve. Sont dos à dos. Le corps marqué de traces sanglantes. Un EP très politique. Niveau sociétal et mondial. Rien à voir la vidéo qui précède. De véritables caméléons, au bon sens du terme. Possèdent une large palette. D’inspiration et d’expression.

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             Plus noir que noir. Live ici ne signifie pas en public. Pas besoin de stopper l’image pour admirer les détails. Juste le minimum : Audrey à la batterie, Mike à la guitare. Superbe prise de vue, sont ensemble mais si vous le désirez, vous pouvez n’en regarder qu’un des deux.  Un vieux larsen des familles qui traîne et c’est parti. Audrey est époustouflante, elle frappe, elle cogne, le son tournoie comme une valse qui ne saurait plus s’arrêter. Remet une pièce dans le jukebox avant qu’il ne s’arrête, jette de l’essence sur l’incendie. Je suis surpris, j’ai commencé par lire les paroles données sur la vidéo, elles sont en français, m’étais dit un truc pour Audrey, un bidule sur les bonnes femmes maltraitées, crac, tant pis pour moi c’est Mike qui envoie les lyrics, ce n’est pas qu’il chante mal mais le meilleur est à venir, une fois qu’il envoyé le texte dans les cordes du ring, se donnent tous les deux à fond, ça caracole dans le rock’n’roll, ils ouraganent à mort avec ces demi-secondes d’arrêt, genre, ne faudrait pas croire que l’on ne maîtrise pas, un délice, l’on se croirait dans le jardin d’Octave Mirbeau, tellement ça fait du bien. Z’ont joué comme des brutes mais avec la finesse des ballerines.

             Faut remercier toute l’équipe qui a participé à cette splendeur.

    SUR LA ROUTE

    (Clip Officiel)

    Un titre issu de leur EP Riding The Monster, chevaucher le tigre aurait dit Julius Evola, sorti en novembre 2022. Une super belle couve. Très arty. Qui ressemble à presque rien. Remettez l’image dans le bon sens et vous aurez une bonne photo. Avec le clic pour l’incliner sur la droite, ce n’est plus la même chose. L’impression d’une chute irréversible. Le monster à monter n’est pas commode à maîtriser.

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    Se débrouillent pour toujours pour avoir ces clips originaux. Ce coup-ci ils ont trafiqué. Une paire de ciseaux et un vieux film, The carnival of souls, de Herk Harvey. Suffit de taper sur internet pour le voir en version intégrale et originale.

    Rien qu’au titre on sait qu’on est en Amérique. Rien à voir avec le roman de Kerouac. L’ambiance est beaucoup plus trouble. Les lyrics ne racontent pas le film. Z’ont pratiqué la technique des OGM, vous prenez une plante et vous lui transplanter des gènes adaptatifs particuliers d’un autre végétal qui la rendront plus solides.  Ici vous avez les images du film et la musique. A la limite une vulgaire bande-son chargée de faire passer le film d’une manière plus appétissante. Le ketchup dont vous arrosez le chou-fleur qui sans lui serait bien fade. Attention, il ne faudrait pas le chou-fleur vous rende le ketchup agréable. L’est vrai que les images sont magnifiques et qu’elles captent l’attention. C’est alors que Rawdog sort son arme secrète. Envoûtante. Elle se fond en vous, porter plainte pour manipulation mentale, vous pourriez le tenter, aux States, pas par chez nous. Vous êtes déjà sur le clip et vous n’avez rien remarqué, quels mauvais détectives vous feriez, le chien cru vous a roulé dans la farine, vous faut un moment pour que vous réalisiez, non ce n’est pas Audrey qui est responsable, c’est sa voix, vous voyez les images, mais maintenant elles ne correspondent plus à l’histoire originelle, elles vous guident, vous ne savez pas où, pourtant c’est infiniment simple, sur la route, vous la suivriez jusqu’au bout du monde, vous être prêts à vous taper  six allers retours sur la 666  rien que pour le plaisir d’entendre ce chant de sirène… Hélas, Rawdog interrompt votre enchantement, et ils vous refilent, ils vous l’écrivent en gros, ils débranchent la musique, une scène du film pour vous arracher à vos rêveries, elles auraient pu comme dans le chef d’œuvre de Herk Harvey vous faire passer de l’autre côté. Je ne crois pas que vous auriez aimé.

    Rawdog vaut le détour. Grunge, punk, pop, vous aurez du mal à les cataloguer. Un groupe différent des autres. Créatif.

    Damie Chad.

     

    *

                    La pochette m’a arraché la vue. Ce n’est pas une nouveauté, l’est mis en ligne en ce début de mois de mars 2024 par Symphonic Black Music Promotion. Un vieux groupe, plus de trente ans. Des Belges. Le metal regorge d’univers perdus, mais un groupe de metal oublié n’est-il pas aussi un univers perdu, une de ces anciennes lointaines planètes oubliées qui n’ont été qu’une étape ensevelie dans les légendes de la conquête des mondes des rêves nervaliens… aliens… aliens… aliens… répète l’écho des mémoires endormies…

    MEMORIAM DRACONIS

    AVATAR

    (Wood Nymph Records / 1996)

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    Vous ne l’avez jamais vu, vous ne le connaissez pas, vous voulez rire ou vous moquer du monde, il en a plus de deux cent cinquante à son actif, entre 1994 et 2024. Vous ne me croyez pas, faites un tour (attention ce sera long) sur son site ou sur discogs il suffit de taper son nom et bonjour le défilé de pochettes d’albums metallisés, rien qu’en parcourant rapidement j’en ai déjà repéré quelque unes qui étaient déjà passées sous mes yeux et dont je n’ai encore à ce jour jamais écouter les vinyles ou les CD qu’elles renferment. Kris Verwimp, une fois n’est pas coutume pour changer un peu, je vous refile une photo d’une de ses expos, j’aurais pu choisir un mur tapissé de ses artworks, j’ai privilégié le public, des amateurs d’art et de rock.

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    Pour la couve je vous laisse choisir entre les deux interprétations suivantes : l’image est une représentation de la chute de Rome, tout le monde sera d’accord là-dessus. Pour cadrer avec le sujet de l’opus, l’on veut bien croire que le Chef barbare muni d’une longue épée soit une représentation de Dracon, le problème ce sont ses guerriers. Faute de genre, ce sont des guerrières qui mettent à mal les derniers légionnaires qui tentent vainement de s’opposer… Nos ligues féministes ne manqueront pas de nous expliquer qu’en s’emparant de la capitale de l’Empire nos Amazones mettent fin des siècles de domination phallocratique symbolisé par le pouvoir romain.

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    Les adversaires de cette première thèse affirmeront au contraire que si Dracon puissance du Mal absolu est aidé dans ses conquêtes par des hordes féminines, c’est que rien de bon ne saurait arriver par la femme, qu’elles sont définitivement vouées de par leur nature intrinsèque à servir les forces du Mal…

    Hyberia : bass / Anjelen : guitar / Izaroth : synthétiseur / Azadaimon : percu / Occulta : vocals, guitar.

    …Memoriam draconis - Intro : notes claviériques, comme du vent soufflé sur les traces de pas de ce fameux Dracon qui ne serait plus qu’une ombre légendaire, un souvenir rongé par les dents usées du temps, est-ce pour l’effacer ou la ressusciter. Il semblerait que cette intro musicale se refuse à une vision grandiose, un peu comme le travail des archéologues qui travaillent sur un chantier de fouilles d’exhumation d’une civilisation anéantie en grattant précautionneusement le sol avec une petite cuillère. Par quel miracle pourrait-on faire tout un monde disparu dans une cuiller à dessert… Mists of evil : orages, pluie soutenue, guitare acoustique, sans préavis, le metal fond sur vous, soutenue par la voix djentée du Serpent, mais qui parle, ne serait-ce pas le Draco lui-même qui marcherait sur ses propres traces, par où passe-t-il, si l’Empereur Julien a pris le chemin des onagres,  Draco a choisi la voix nébuleuse des songes encartés dans les esprits humains, la route est incertaine, de larges pans de synthétiseur s’amusent à brouiller les pistes, un seul refuge pour Draco, rentrer en lui-même, en ses propres souvenirs, en sa propre existence qu’il a laissée derrière lui, n’est-il pas le Serpent à tête de loup qui ondoyait au-devant des troupes barbares qui combattirent Rome, et les légions ne s’emparèrent-elles pas de cet insigne, qu'elles arborèrent fièrement, Draco partout, Draco sur tous les versants, écoutez le basculement pirouettique de la batterie qui ne sait plus de quel côté se tourner, le synthé bat de l’aile frénétiquement, au plus profond de la plaie, arracher les moindres fibres de toute sollicitude humaine, il venait de la lumière élyséenne, la déesse du Ciel l’a trahi, il s’est débattu contre elle, contre lui-même il s’est libéré. A most excellent charm in solemn endurance : le Serpent connaît l’ancienne formule blasphématoire assyrienne du refus des biens terrestres, il crache son mépris, il s’inocule son propre venin, il récite la sentence définitive qui le coupe du monde, le synthé pleure, la batterie délire, les guitares sont en déroute, l’irrémédiable est accompli, pas de retour possible en arrière, il a franchi la ligne qui le sépare des hommes, l’est empli d’une autre plénitude. Petite musique de nuit. Profonde. The eternal nothingness : grondement de chœurs mortuaires, annonciation des âges noirs, la batterie lance l’assaut, le Serpent donne de la voix, il précède les armées conquérantes qui s’abattent sur l’humanité, le fléau du destin moissonne les hommes, épopée d’égorgements et de sang, rideaux de désespérances, les synthés tissent les linceuls du désespoir, la course se précipite, une cavalcade de plus et l’on tombera dans l’abîme, si vous êtes de la race humaine, vous avez du souci à vous faire, des envolées angéliques chantent le confiteor de votre malheur, l’ennemi pousse déjà ses chevaux sur le tapis de pourpre de vos cadavres, le serpent ondoie parmi les vents du carnage. Le malheur de tous fait le bonheur du Serpent. Il exulte. Il triomphe.

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    Seduced by necromancy : juste une imprécation, le monde est mort, mais des voyageurs traversent le désert de cendre, ils cherchent le pays situé de l’autre côté des étoiles, ce sont les thuriféraires en quête du royaume de Cthulthu. Peu d’appelés, encore moins d’élus. Seule la poésie par la voix du poème pouvait rendre compte de cette frontière. Emperors of the night : le Serpent exulte, il danse, il est entré dans le pays qu’il recherchait, il a obtenu réparation, il est devenu immortel, il est un empereur de la nuit, un dieu du mal, la batterie hache menu la tête des innocents, les claviers tissent des tentures rutilantes, joie tous azimuts, bal du masque de la mort rouge, la cruauté est le seul délice qu’il s’autorise, il ne parle plus, il ne déclame plus il vomit, grandes orgues des requiems éternels à épandre sur toute la surface du monde. Sands of scheol : tonnerre, le serpent crache, il prend l’un et il prend l’autre, car si l’un est : il est aussi l’autre, Draco se compare à lui comme un Serpent rampant dans la poussière de l’Enfer, la batterie totalement folle, les orgues derrière en renfort, plus un poème lu, une voix off, pour décrire l’intérieur et l’extérieur, le microcosme et le macrocosme, le créateur et la créature. Le moment du doute et du Dieu unique. Mais si le Dieu est un, il est aussi faiblesse et cela amoindrit sa puissance. Hymn to the ancient ones : notes grêles et graciles accompagnent les éructations du Serpent, avant le Dieu unique, il y en eu d’autres, les grands anciens, le Serpent les nomme, non ils ne sont pas lovecraftiens, ils résidaient en Mésopotamie, rappelons-nous que dans l’épopée de Gilgamesh c’est le Serpent qui mange la plante d’immortalité empêchant ainsi le héros de devenir immortel. Serait-ce la revanche du Serpent. D’ailleurs le Serpent n’est-il pas le fils de Tiamat la déesse du chaos originel. Reviendrions-nous au début de l’histoire, ne serait-ce pas elle qui aurait trahi Draco. Le Serpent se mord-il la queue… Star castle : le Serpent éructe, sont-ce ses derniers mots, parle-t-il de lui-même à la troisième personne, tant sa propre grandeur le dépasse, tonnerre processiorial, enfouissement au fond des profondeurs, le Serpent est mort et enterré, il parle encore, n’est-il pas devenu dieu en se trempant dans le bain maternel originel, naissance d’un nouveau culte, farandole musicale, la batterie batifole et les synthés font des boucles comme des enfants qui soufflent des bulles avec  leurs jouets, le Serpent ne parle plus, sa puissance n’a plus besoin de sa parole pour accéder à l’être. Il réclame le seul impôt qu’on lui doit, dévotion et adoration. Alors il frétille d’aise dans son tombeau. La batterie scelle les sceaux inviolables de son enfermement en lui-même. The mines of Moria – Outro : autant les deux minutes de l’intro furent courtes, autant l’outro instrumentale frise les dix-sept minutes. Avatar vous donne le temps de réfléchir et de méditer. Heure de gloire pour les synthés qui obscurcissent le ciel. Avatar a-t-il eu la prescience que ce serait leur premier et dernier album, des chœurs s’embrasent, ont-ils voulu tout mettre, tout dire, un sacré mélange mythologique, z’ont fourré tout le frigo dans le sandwich, histoire, littérature, rappelons que Moira est une cité tolkiénique de la Terre du Milieu qui deviendra l’apanage de Sauron, entremêlements de mythes primordiaux orientaux, grand espace de silence, n’arrêtez pas, ce n’est pas fini, ce n’est pas un blanc ou une erreur technique, ce coup-ci ils ont sorti les violons et l’on est en plein musique classique, z’ont soigné le générique, comme des notes de clarinettes, parodions Alfred de Vigny, rappelons-nous que le Serpent a une tête de loup, c’est pour cela qu’il est aussi un loup pour les hommes, seul le silence des Dieux est grand.

             Souvenez-vous du Serpent. Soyez sûrs qu’il ne vous oubliera pas.

    Avatar a enregistré un deuxième album Millenia qui ne fut jamais finalisé, le groupe se sépara en 2000.  Les bandes sont sorties en 2011. En 2004 est paru un EP (démo) quatre titres intitulé The Avatar, par le groupe The Avatar revendiquant une filiation avec notre Avatar. Réuni en 2000 The Avatar ne dura guère…

    Il est difficile de classer Avatar, pas vraiment heavy, pas du tout progressif. Le projet a vraisemblablement été monté trop vite, trop d’idées, pas assez de maîtrise. Dommage ce groupe promettait. Nous paraît comme une corne d’abondance, ouverte à tous et aujourd’hui négligée. Remercions Symphonic Black Music Promotion d’avoir attiré notre attention.

    Damie Chad.

     

    *

    SNOW WOLF Records vient d’éditer un disque titré : Salvation : a Fundraiser for ESMA and the animals of Egypt. ESMA est l’équivalent de notre Société Protectrice des Animaux. Tous les fonds récoltés seront intégralement versés à cette association égyptienne.

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    Trente groupes ont participé à cette bonne action. Parmi eux THUMOS.

    LACHES

    THUMOS

    (SWR / Bandcamp / 01-03 – 2024)

    Comme nous aimons les bêtes en général et Thumos en particulier nous avons voulu voir et écouter. C’est voir qui nous a posé le plus de problème, laches nous ne connaissons pas ce mot anglais, peut-être ont-ils emprunté un vocable français pour stigmatiser la lâcheté des gens qui abandonnent leur chiens ou leurs chats avant de partir en vacances. OK, mais pourquoi n’ont-ils pas posé l’accent circonflexe sur le ‘’a’’, n’ont pourtant pas l’air d’être idiots chez Thumos, doit y avoir anguille sous roche. Eureka, ai-je dit en sortant de ma baignoire dans laquelle j’étais entré afin de trouver la solution de cette insoluble énigme. La langue anglaise ne possède pas d’accent, suffit d’en rajouter un sur le ‘’e’’, je suis sûr qu’il y a du Platon dans cette embrouille. J’ai donc ressorti, je l’avais rangé après ma chronique sur Atlantis de Thumos mon volume des Œuvres Complètes de Platon sous la direction de Luc Brisson, pas de problème le Lachès œuvre de jeunesse de Platon n’attend que moi.

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             Au moins me dis-je, Platon et moi avons un lien commun, tous deux nous étions jeunes, lui quand il a écrit son dialogue et moi quand je l’ai lu. Justement, je n’ai aucun souvenir de ce que ce dialogue traitât de la cause animale… D’où relecture. Le moins que l’on puisse dire est que l’on ne s’appauvrit pas en lisant Platon. Socrate, Nicias et Lachès, ces deux derniers  sont des généraux athéniens renommés discutent d’éducation. Est-il bon que les jeunes garçons s’entraînent à la guerre. Assurément affirme Nicias. Lachès répond que les maîtres d’armes ne sont pas toujours les meilleurs sur le champ de bataille. Mais qu’est-ce que le courage ? C’est simplement tenir son rang dans la mêlée décrète fermement Lachès. Oui, mais la tactique militaire ne nous enseigne-telle pas que parfois il faut savoir reculer pour mieux contre-attaquer par la suite rétorque Socrate. Et cela ça s’apprend, ajoute-t-il, le tigre ou tout autre animal sauvage dangereux qui vous bondit dessus est-il courageux, ou simplement conscient de la supériorité de sa force ? En fait le tigre est téméraire car il ignore tout de vos armements. Le tigre est aussi naïf qu’un mioche de six ans qui croit pouvoir arrêter un soldat… L’on ne parle plus d’animaux dans la suite du dialogue. L’on y voit surtout Socrate se contredire pour le plaisir d’ébranler un adversaire qui se sert d’arguments qu’il tient d’une précédente rencontre avec… Socrate.

             Lachès : Ça tonitrue et ça fanfaronne quelque peu au début, ensuite l’on a l’impression d’une partie de quille chacun des protagonistes essayant de renverser à coups de boules bien placées celles qui appartiennent à ses contradicteurs. Arrêt. Lachès le valeureux repart bille en tête, l’exemple du parfait militaire pour qui les choses sont simples. Mais en face de lui Nicias sûr de lui ne rompt pas le combat, l’est certain qu’avec l’aile de la cavalerie socratique qui ne manquera pas de se porter à son secours l’ennemi se débandera, les chevaux de Socrate avancent à pas feutrés ça y est ils tombent sur les arrières de l’ennemi et commencent à fracasser quelques crânes qui n’ont pas fait preuve d’assez d’intelligence et de savoir…  Le sujet est sérieux, l’on y parle de guerre, mais Thumos et Platon s’amusent à cette joute oratoire, ce ne sont que paroles en l’air sans conséquence, la guerre c’est plus sérieux que ces jeux de rôles. Thumos a su exprimer l’intense jubilation de cette Grèce antique qui ne se payait pas de mots car consciente d’utiliser de la fausse monnaie.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

     

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    Un taxi m’a déposé au bas du local. J’ai essayé de faire la bise à Joséphine pour la remercier de cette attention, elle s’est dérobée, je n’ai fait que mon devoir s’est-elle défendue… Je l’eusse préféré moins professionnelle. Les filles sont des êtres incompréhensibles. Tout compte fait je préfère les chiens. J’ai raison, à peine le chauffeur s’est-il arrêté Molossa et Molossito ont bondi de joie, elles m’attendaient sur le trottoir. Je monte les escaliers entouré de leurs aboiements.

    Le Chef m’accueille avec un grand sourire :

             _ Agent Chad pour fêter votre retour, exceptionnellement j’allume un Coronado, asseyez-vous vite, une dure matinée nous attend. Faites taire ces chiens, je n’aurais pas dû les inviter hier soir au restaurant pour leurs efficaces interventions durant votre promenade. Ils se prennent pour des cadors, toutefois je dois reconnaître que notre deuxième vague d’assaut s’est comportée avec bravoure comme nous l’attendions. J’ai demandé à l’Elysée de les inscrire à la prochaine promotion du Mérite National. Nous ne sommes pas en odeur de sainteté apparemment en haut-lieu, l’on m’a répondu qu’ils aimeraient mieux les inscrire dans un chenil de la SPA ! Mais je cause, je cause, nous n’avons pas de temps à perdre, nous avons rendez-vous, allez me voler une voiture sur le champ.

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    Je conduis doucement, une question me taraude, l’accueil du Chef m’a paru étrange, l’a beaucoup parlé, comme s’il avait voulu m’empêcher de formuler une question, je la pose :

             _ Chef vous avez raison, les chiens se sont magnifiquement compotés, par contre la troisième vague d’assaut, je n’ose pas dire qu’elle a brillé par son absence, mais je ne vous ai pas beaucoup vu !

             _ Agent Chad, ne vous fiez pas aux apparences, je peux vous certifier que sans mon action vous seriez actuellement mort. Je vous le prouverai d’ici quelques minutes, tournez à gauche s’il vous plaît, au bout de l’avenue ce sera la troisième à droite. J’ai juste le temps d’allumer un Coronado !

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    Une rue étroite, aux façades grises. Le Chef m’ordonne de me garer près d’une vitrine poussiéreuse. Sur la porte d’entrée trois lettres gravées sur une plaque de marbre MIT. Nous suivons un couloir miteux. Les chiens reniflent avec inquiétude. Nous voici dans un bureau. Nous n’avons pas fait trois pas à l’intérieur que l’agent d’accueil se porte avec vivacité à notre rencontre.

             _ Messieurs, je suppose les membres du SSR, nous vous attendions avec impatience. Voulez-vous me suivre. Je vais vous conduire jusqu’au bureau du Professeur Longhair, il est actuellement en conversation téléphonique avec la Maison Blanche.

    De l’extérieur la maison ne payait pas de mine, maintenant elle paraît immense, plus nous progressons dans les nombreux couloirs, plus l’on avance je m’aperçois que l’impression de vétusté crasseuse de l’entrée cède la place à un luxe que je qualifierai d’insolent. Nous croisons beaucoup de monde, sont tous et toutes accrochés à leur portable dans lequel ils chuchotent avec circonspection. Drôle d’ambiance.

             _ Veuillez vous donner la peine d’entrée s’il vous plaît, non ne les empêchez pas de descendre de ces fauteuils, sur les quatre deux leur sont réservés. Ils l’ont bien mérité, je vous laisse le Professor Longhair arrive dans deux minutes.

    L’attente se prolonge un peu, le Chef en profite pour allumer un Coronado. Molossa et Molisso étendus de tout leur long dans les larges banquettes de cuir dorment profondément. Une porte face à nous s’entrouvre, le Professor Longhair entre engoncé dans une longue blouse blanche :

             _ Joséphine !

             _ Calmez-vous Agent Chad, ce n’est pas Joséphine, mais le professeur Longhair, du MIT, le Massachussetts Institute of Technologie, je précise qu’elle a l’oreille du Président des USA et de la CIA, c’est par l’entremise de cette dernière que j’ai réussi à la contacter, elle est reconnue par l’élite de la communauté scientifique du monde entier.

             _ Je ne comprends pas Chef, vous sous-entendez que lorsque je l’ai aperçue hier dans sa ravissante mini-jupe rouge, elle n’était pas là par hasard ?

             _ Non, cher Monsieur Chad, je vous attendais, plutôt nous vous attendions, moi bien sûr mais aussi les deux malabars sur le trottoir d’en face, bien sûr aussi le faux camion de pompiers, ah ! les agents de la CIA se sont amusés comme des fous à brûler les feux rouges grâce à leurs sirènes…

             _Vous voulez dire que c’était un coup monté, que vous êtes joué de moi pour je ne sais quelle raison stupide.

    Le Professor Longhair lève la main pour arrêter mon flot de paroles, elle me sourit, son sourire ressemble à sa mini-jupe rouge, mais son visage redevient sérieux.

             _ Cher Chef, allumez-donc un Coronado nous allons aborder les choses sérieuses.

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             _ Damie, vous permettez que je vous appelle Damie, vous êtes un homme exceptionnel, dans tout le territoire des Etats-Unis, sur trois-cent quarante millions d’habitants, je n’en connais que sept, huit en comptant très large, aussi doués que vous.

    Dans ma tête je me dis qu’un voyage aux States s’impose, un Rafalos dans chaque poche, je retrouverai ces sur-doués et les abattrai sur le champ, je ne suis pas d’un naturel jaloux mais je n’aime pas l’idée que Joséphine ait déjà remarqué ces huit individus, j’éliminerai tous ces rivaux potentiels sans pitié… Professor Longhair me voici !

             _ Voyez-vous Damie ce dont votre Chef nous a averti a suscité notre attention mais…

             _ Chef, je ne comprends rien, que leur avez-vous raconté ?

             _ Rien de bien inquiétant, Damie je vous rassure. Des gens victimes d’hallucinations il en existe plusieurs millions dans le monde. Peut-être sommes-nous tous, moi comprise, victimes de tels troubles à des degrés plus ou moins graves, tenez ceux qui vont systématiquement au cinéma tous les jours et qui se croient cinéphiles manifestent peut-être tout simplement le désir inconscient de devenir une star internationale du cinéma, comme vous Damie.

             _ Sachez que je déteste le cinéma et que je n’y vais jamais !

             _ Ce n’était qu’un exemple Damie, votre point faible, ce n’est pas le cinéma, vous avez encore un esprit jeune, presque enfantin, vous aimeriez avoir le pouvoir de traverser les murs, alors vous imaginez que des gens traversent les murs et comme vous êtes jaloux vous les accusez de tous les maux !

    Ulcéré, Je me tourne vers le Chef :

    _ Enfin Chef dites quelque chose, le gars que l’on a abattu dans le mur, l’on a bien retiré son cadavre de la muraille, et les meurtres du restaurant, et les bandits qui nous avaient pris en chasse, vous les avez bien trucidés, dites-le, témoignez en ma faveur !

    _ Justement Damie c’est ce qui fait de vous un cas exceptionnel, même nous dans la grande Amérique nous avons été incapables d’en dénicher un, nous avons dépensé des millions de dollars, épluché toutes les archives du FBI, quelques illuminés, quelques simulateurs oui, une personne intelligente comme vous, jamais !

    _ Chef, témoignez en ma faveur, j’en ai assez d’entendre les élucubrations du professor Longhair !

    Le Chef en profite pour allumer un Coronado :

             _ Agent Chad, je ne vous cache pas dans toutes nos aventures, depuis le début il est un détail qui m’a paru étrange : ce sont vos chiens que l’on a retrouvés sur le palier, pourquoi les Briseurs de Murailles, ne les ont-ils pas tués, au lieu de nous les rendre. J’ai longuement médité, j’ai mené ma propre enquête, en vain jusqu’à ce que je tombe dans la Revue Science sur un article du Professor Longhair, elle y développait d’étranges théories, j’ai pris contact avec elle, pour votre bien Damie !

             _ Oui Damie, j’ai émis dans cet article qu’un jour l’on devrait, si mes hypothèses étaient justes découvrir quelqu’un comme vous. Vos hallucinations, vos imaginations d’individus qui traversent les murs, je m’en moque, mais vous avez franchi une barrière, fait sauter un verrou spirituel, vous avez un tel désir de la possibilité de traverser les murs, que vous persuadez, des individus, que vous ne connaissez pas, dont vous ignorez jusqu’à leurs existences à monter une association de briseurs de murailles, et votre force mentale est si forte qu’ils deviennent capables de traverser les murs, cher Damie vous êtes ce que l’on pourrait appeler un Génie Supérieur de l’Humanité !

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 635: KR'TNT 635 : NORMAN WHITFIELD / EDDIE BO / AYRON JONES / JIM WILSON / WILLIAMS FERRIS / THUMOS / ROTTING CHRIST / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 635

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    07 / 03 / 2024

     

    NORMAN WHITFIELD / EDDIE BO

    AYRON JONES / JIM WILSON / WILLIAM FERRIS

     THUMOS / ROTTING CHRIST  

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 635

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    -Norman of wealth and taste

    (Part One)

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             Redoutable personnage que ce visionary architect nommé Norman Whitfield. Pas seulement parce qu’il fut le producteur des cuts les plus révolutionnaires des Tempts et d’Edwin Starr, mais parce qu’il partait en guerre contre tout le monde, même son patron Berry Gordy. «Norman was a winner», dit un témoin à Nick Hasted, «but you can’t win all the time.» Il a raison le témoin, il suffit de voir comment se termine l’épopée sanglante de Russell Crowe dans Gladiator. «You can’t win all the time.» Norman aurait dû prendre le rôle de Gladiator. Il en a la bouille et la stature. Il a des airs d’invaincu, et dans l’arène, la foule l’acclame. «Norman ! Norman !». Toute sa période Motown fut un combat incessant pour le contrôle et l’indépendance. Il finira par les obtenir en fondant son label, Whitfield Records, en 1975. The psychedelic Soul de Norman fait encore trembler le monde. Ace lui déroule le tapis rouge avec une compile fastueuse, comme le sont toutes les compiles Ace. Et Uncut lui accorde six pages, c’est-à-dire le Grand Jeu.

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             Hasted a des infos de première main, car il démarre cette apologie en beauté. On se croirait dans le Casino de Scorsese. Alors qu’il est en studio, Norman craque. Trop de pression. 3 h du mat. Alors il disparaît. Il grimpe à bord de sa Jensen, vroaarrr, et quitte Los Angeles. Direction Las Vegas. Il dispose d’une ligne de crédit de 5 millions de $ au Caesars Palace. Comme il ne boit pas et qu’il ne touche pas à la dope, il joue. C’est sa façon de tester sa chance, ses limites et son esprit de compétitivité. Il joue au craps pendant deux ou trois jours d’affilée. Gambling ! C’est en puisant dans cette énergie qu’il écrit des hits pour les Temptations et Undisputed Truth. Il cultive un goût pour les extrêmes. Quand il enregistre «I Heard It Through The Grapevine» et «Papa Was A Rollin’ Stone» avec Marvin et les Tempts, il les pousse dans leurs limites. Alors que par la force des choses, Motown devient un label conservateur, Norman flaire le changement, the Sound of Young America for changing times. Rares sont ceux qui voient en lui un visionnaire. Shelly Berger : «Norman was the most creative producer Motown ever had.»

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             Norman apprend la vie dans les salles de billard à Detroit. Les vieux l’appellent the White Fox. Pour un blackos, il est très clair de peau. Un jour, il voit Smokey Robinson conduire une Cadillac. Il court derrière lui, le rattrape et lui demande comment il a fait pour se la payer. Music ? Pas de problème. Norman traîne avec les Distants qui vont devenir les Tempts. Otis Williams dit qu’il est pote avec Norman depuis l’âge de 19 ans. Norman joue du tambourin. Il est engagé comme apprenti producteur par Thelma Records, le label d’Hazel Coleman, qui est la mère de Thelma Coleman, première épouse de Berry Gordy. Le monde est petit. Puis Mickey Stevenson embauche Norman chez Motown en 1962. Il est donc là depuis le début. Il montre tout de suite les dents. Stevenson : «Il avait une idée très précise de la façon dont il voulait que ça sonne. Dans le cas de Smokey, it was about love. Pour Norman, it was about war. It was preaching.» Norman obtient tout ce qu’il veut des Funk Brothers. Il les dirige de bout en bout. Il entre en compétition avec les autres visionnaires de Motown, Smokey et le trio de choc Holland/Dozier/Holland. Il fout vite le grappin sur Marvin et lui compose «Pride And Joy», son premier hit, en 1963. La collaboration tourne au bras de fer. C’est avec Barrett Strong qu’il compose Grapevine. Strong amène la bassline, le hook et le titre, et Norman le took it for a ride, hérité des combattants noirs de la Guerre de Sécession. Première version de Grapevine avec les Miracles, puis c’est celle de Marvin, mais Gordy n’en veut pas. Furieux, Norman en fait une version avec Gladys Knight & The Pips en 1967 qui devient la plus grosse vente de Motown, et la version de Marvin sort enfin en 1968. Dans l’arène, le peuple de Rome ovationne le combattant : «Norman ! Norman !»

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             Mais il louche surtout sur les Tempts. Pas touche ! Smokey les considère comme sa propriété. Norman finit par leur mettre le grappin dessus en 1966 avec «Ain’t Too Proud To Beg». Il force David Ruffin à monter sur son chat perché, d’où cette intense émotion.  Il pousse aussi Edwin Starr dans ses limites pour «War» et G.C. Cameron tombe dans les pommes en studio. Quand Berry Gordy refuse de sortir «Ain’t Too Proud To Beg», Norman se bat comme un lion d’arène. Il a raison car «Ain’t Too Proud To Beg» détrône «Get Ready» de la tête des charts et Norman obtient ce qu’il voulait : les Tempts pendant huit ans, le temps de faire tous ces grands albums de Soul psychédélique. Un jour, Norman et Otis Williams papotent dans la rue et Otis lui demande s’il connaît le «Dance To The Music» de Sly Stone. Quelques semaines plus tard, Norman amène «Cloud Nine» aux Tempts. Norman : «My thing was to out-Sly Sly Stone.» Seul un combattant de la trempe de Norman peut vaincre Sly Stone. Norman et Barrett Strong vont composer comme des bêtes et les Tempts vont remplir leurs albums de Soul hautement toxique (Psychedeic Shack, Ball Of Confusion). Mais Norman mord le trait avec Masterpiece où les Tempts ne chantent que trois chansons. Otis Williams et Melvin Franklin vont trouver Berry Gordy pour se plaindre. No problemo. Norman doit lâcher les Tempts. Mais en même temps, il a réussi à faire entrer la contestation chez Motown. 1968 est l’année de tous les dangers, le Dr King et Bobby Kennedy se font buter et la Vietnam War atteint l’apogée du search and destroy.

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             En 1969, Norman signe Joe Harris qui forme The Undisputed Truth. Il veut de nouveau rivaliser avec Sly Stone et the 5th Dimension. Il utilise le groupe comme un laboratoire. Eddie Hazel vient même jouer sur le premier album d’Undisputed Truth. Puis en 1971, Norman monte Whitfield Records. Il a besoin d’expérimenter ses weirdest dreams. Il rompt les amarres avec Berry Grody et déclare son indépendance. Il lance Rose Royce. Il construit son Fort Knox studio sur Melrose Avenue et des gens comme Melvin Wah-Wah Watson Ragin y passent leurs jours et leurs nuits. Les séances d’enregistrement pouvaient durer cinq jours d’affilée - Creating music was a drug.

             Une nuit de 1979, en revenant de Vegas, Norman s’endort au volant et la Jensen fait un vol plané. Le guitariste d’Undisputed Truth Isy Martin constate qu’«à partir de là, la magie a disparu du studio.» C’est la fin des haricots. Whitfield Records bat de l’aile. Norman finit par insulter Mo Ostin, le boss de Warner qui distribue Whitfield Records. Norman pense qu’il se fait rouler par Mo et lui fait le salut nazi : «Heil Hitler !». Mo qui est juif frise la crise cardiaque. En représailles, Norman est blacklisté. Plus de studio, plus de rien.

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             Il reste les disques. Les Tempts, Undisputed Truth, et Spyder Turner font l’objet de chapitres complets à paraître. En attendant, on peut se régaler de cette excellente compile Ace : Psychedelic Soul (Produced By Norman Whitfield). Encore une bombe atomique ! Ça grouille de puces, à commencer par l’«I Heard It Throught The Grapevine» de Marvin. Norman + compo + Marvin = pure genius. Hit intemporel. C’est l’absolute beginner of the huge Psychedelic Soul - The sound was brooding, all dark crimsons and indigos, and it was very much a studio concoction. It would be labelled ‘pyschedelic sound’ - Bob Stanley écrit bien, ses liners sont un vrai régal. Il attaque d’ailleurs avec une histoire qui ne sort pas très bien dans le texte de Nick Hasted. Norman n’est pas né à Detroit mais à New York. Eh bien figure-toi qu’en 1955, ses parents décidèrent d’aller aux funérailles d’un proche à Los Angeles. En bagnole ! Norman avait 15 ans. Au retour, la bagnole tombe en carafe à Detroit. Comme ses parents n’ont pas le blé pour payer la facture de réparation, pouf, ils décident de rester à Detroit. Voilà comment Norman  devint un Detroiter. Et comme il y a tellement de musique dans les rues de Detroit, Norman décide de participer au festin. Seulement, il n’est pas musicien. Il est plus attiré par la technique d’enregistrement. Il va décider d’en faire un métier. Il écrit aussi des chansons qui tapent dans l’œil de Don Davis. C’est lui qui installe Norman derrière la console. Puis Berry Gordy envoie Mickey Stevenson le récupérer pour Motown.

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             Back to Ace. Norman violonne le «Look Of Love» de Gladys Knight & The Pips sur les terres du Comte Zaroff et tu arrives droit en enfer avec le «Psychedelic Shack» des Tempts. Seul Norman peut générer un tel monster smash. Il n’existe rien de plus tempty que la Soul des Tempts - My aim was to make the Temptations timeless and to ensure that they survived whatever changes took place in the music end of the business - On trouve deux cuts d’Undisputed Truth sur cette compile, «I Saw You When You Met Her» amené au groove bien calculé, à la latence de la partance, te voilà au cœur du something special, et plus loin, «You + Me = Love», pur jus de Soul genius, la basse sonne comme une machine, c’est dévastateur ! On connaît par cœur le «War» d’Edwin Starr, ah ah, Norman lui donne les coudées franches - War ! What is it good for ? - Ça joue au cœur battant. Les deux révélations de la compile sont Yvonne Fair et Spyder Turner. Yvonne attaque son «It Should Have Been Me» à l’immédiateté, elle est raunchy, baby - How can you do this to me ! - elle enrage, l’Yvonne ! Stanley nous rappelle qu’elle a rejoint the James Brown band en 1962, puis elle va rencontrer Chuck Jackson. Elle finit par signer sur Motown, mais il y a tellement d’artistes qu’elle doit attendre son tour - They had so many artists, me being an unknown. I got lost in the crowd. I’ve just had to wait my turn - Et puis voilà Spyder Turner avec «I’ve Been Waiting», Spyder a de l’emphase, Spyder does it right, on sent bien l’élégant en costard blanc, c’est lui qu’il faut suivre à la trace, avec tous les autres. Oh puis tu as aussi Rose Royce avec «Ooh Boy», elle y va à la petite voix chaude, elle est particulièrement excitante. Le bassman Duke Jobe déclarait à la presse en 1979 : «Norman truly is a genius.» Norman remet aussi en lice David Ruffin, l’un des géants de cette terre, avec «Me & Rock’n’Roll Are Here To Stay», c’est même encore plus explosif que les Tempts. Terrific ! C’est explosé dans le jus de Norman. Encore un classic du Saint des Saints avec «Papa Was A Rolling Stone» - It was the 3rd of september, le jour de la mort de Daddy Rolling Stone - Norman crée cette merveille révolutionnaire pour les Tempts. Puis tu entres directement dans les draps de satin jaune avec le «Good Lovin’» de Mammatapee, même pas le temps de te laver la bite. Encore un géant avec Willie Hutch et «And All Hell Break Loose», Willie claque sa wah dans le fond du cut, comme au temps des Tempts. Willie + Norman, c’est du gâtö. Automatic monster smash ! C’est un guet-apens pour la cervelle. On trouve même un cut de Jr Walker dans cette fournaise compilatoire, «Whishing On A Star», encore un big burner devant l’éternel. Jr Walker ? Always cute ! Toute cette aventure se termine avec Rare Earth, les blancs de Motown, et «Come With Me». Ils ramènent les ambiances des Tempts et Norman leur favorise l’introduction. Depuis quand les blancs se croient-ils autorisés à swinguer le coït ?

             Penchons-nous cinq minutes sur Rose Royce et sur les cinq albums parus entre 1977 et 1981 sur Whitfield Records. Norman the man s’est investi à 100% dans cette aventure. Les cinq Rose Royce LPs sont une parfaite illustration de l’acharnement avec lequel Norman a tenté de recréer tout seul le buzz de Motown. Il monte le groupe, lui compose des hits, le produit et crée un label pour diffuser les albums. Mais pour une raison x, ça n’a pas marché.

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             Le premier Rose Royce s’appelle In Full Bloom et sort en 1977. La lead s’appelle Rose Norwalt. Ils sont huit autour d’elle, on les voit photographiés à l’intérieur du gatefold, et le trompettiste Kenny Copeland est aussi lead singer. Ce sont les super-blacks d’époque, avec les costumes extravagants. Rose Norwalt attaque avec «Wishing On A Star», elle prend son temps, chante d’une voix onctueuse et Norman envoie les violons lui caresser les cheveux. Le groupe comprend une vraie section de cuivres, ils sont trois à souffler, et ça vire dancing beat avec «Do Your Dance», ils font le pompompom de Sly, Norman aligne sa groove-machine sur celle de la Family Stone. En B, ça vire funk avec «Funk Factory», ça cuivre à bras raccourcis, on sent les funksters experts, avec les reprises au cordeau et les sublimes dynamiques de tacatac. Ils terminent cet album prometteur avec «It Makes You Feel Like Dancing», une nouvelle échappée belle signée Norman et montée sur le dancing beat de Feel Like Dancing. Norman se veut incompressible.    

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             Gwen Dickey remplace Rose Norwalt sur Strikes Again. Ça démarre au heavy groove de funky motion avec «Get Up Off Your Fat», et ils enquillent aussi sec avec «Do It Do It», monté sur un heavy bassmatic de funk, mais pas n’importe funk, un funk cool as fuck, stunk as dunk, ça s’éclate au Sénégal. Avec «First Come First Serve», ils passent en mode hard funk solide comme un roc, et porté aux nues par le Black Power du groupe. Tu ne restes pas assis bien longtemps. Kenny Copeland fait son ange de miséricorde dans «I’m In Love And I Love The Feeling», il peut lustrer l’azur d’un ciel de Soul. En B, ils plongent dans la miséricorde du satin jaune avec «Let Me Be The First To Know». Miles Gregory signe cette merveille attendrissante, c’est une Soul romantique parfaite avec des échos de doo-wop, ceux des Flamingos. Cet album solide s’achève avec «That’s What’s Wrong With Me», un heavy funk de Norman the man. On ne se lasse pas de son funk, il boit à la source de Sly, même power, même sens aigu des dynamiques fondamentales du Black Power. Comme il produit, il cuivre généreusement, il est bien enclin à la féminité, il fait du funk à la peau noire avec un bassmatic dévoreur de foie à la Larry Graham, mais mâtiné de Bootsy Collins. Au plan graphique, Norman opte pour un symbolisme sci-fi, qu’on va d’ailleurs retrouver sur la pochette de l’album suivant.    

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             Rainbow Connection IV vire plus diskö, comme le veut l’époque, mais attention, c’est la diskö dance de Norman, «Is It Love You’re After» et «Lock It Down» sont deux beaux exemplaires de dancing Soul, arrosés de cuivres set lancés au like to dance. C’est affreusement beau, gorgé d’esprit Soul. Norman fait encore la part belle au funk avec «What You Waiting For», gros funk de turn me loose, pas loin de Sly et de Dance To The Music - Take a look to the funk ! - Funk encore en B avec «You Can’t Run From Yourself», booty, percus + cuivres, et ça chante à la miséricorde de Dieu. Ils bouclent leur B avec «Pazazz», un fantastique instro qui en dit long sur l’aisance de Rose Royce. Ces mecs pulsent une Soul tonique de bon aloi.

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             Golden Touch sort en 1980 sous une pochette ‘Black Power’. Cinq devant et quatre derrière, il faut voir les bobines ! La nouvelle lead s’appelle Richee Benson et le funk tant attendu arrive avec «Funkin’ Around». Heavy funk normanien infecté d’ouhh-ouhh. Même chose en B avec «You’re A Winner», et pour clore le bal de B, ils proposent un fantastique diskö blast, avec «Help Yourself» que chante l’ange Gabriel. Les albums de Rose Royce font partie de la multitude d’albums de Soul et de funk parus dans seventies et que les disquaires pointus appellent «la black». Tous ne sont pas géniaux, mais rares sont les mauvais albums. Les cinq Rose Royce LPs sortis sur Whitfield Records restent dans la moyenne. On est content de les avoir sous la main et de pouvoir les écouter. Un disque, ça sert à ça.

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             Avec Jump Street, le dernier Rose parrainé par Norman, on sent une petite baisse de qualité, même si le heavy groove d’«Illusions» fait illusion. On ne sauve qu’un cut, «RR Express» et son heavy dancing beat. Quel pounding ! C’est quasiment du Sly, même muscle et sans doute le hit le plus puissant de Rose Royce, le plus viscéral. Le cut est long et reste somptueux de bout en bout, dans le genre hot & all nite long. Avec «RR Express», Rose Royce entre dans la légende. C’est Richee Benson qui fait la pluie et le beau temps sur cet album. La B est spéciale et assez intéressante, très climaxed, relaxed et extended.

    Signé : Cazengler, Whitfile un mauvais coton

    Norman Whitfield. Psychedelic Soul (Produced By Norman Whitfield). Kent Soul 2021

    Rose Royce. In Full Bloom. Whitfield Records 1977    

    Rose Royce. Strikes Again. Whitfield Records 1978   

    Rose Royce. Rainbow Connection IV. Whitfield Records 1979

    Rose Royce. Golden Touch. Whitfield Records 1980 

    Rose Royce. Jump Street. Whitfield Records 1981

    Nick Hasted : Psychedelic Soul Man. Uncut # 302 - July 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - Le beau laid-back de l’Eddie Bo

     

             Avec la dégaine qu’il avait, Lyv ne pouvait que chanter dans un groupe de rock. Blond, efflanqué, il semblait sortir de la pochette du premier album des Stooges : même coiffure, même mélange d’arrogance et d’innocence. Il inspirait ce genre de respect. Il portait du cuir, mais du cuir de pauvre. Lyv venait de la rue et ne traînait qu’avec des gens de la rue. Le groupe était un vrai street-gang, à cheval sur le rock et la délinquance, on ne pouvait pas descendre plus bas dans l’échelle sociale. Lyv ne faisait pas de plans sur la comète. Il se contentait de se planter jambes écartées derrière son micro et de hurler lorsque son tour venait de hurler. Pendant les solos, il défaisait son ceinturon et fouettait violemment les planches. Il évacuait ainsi sa haine congénitale de l’autorité et des représentants de l’autorité. Lyv avait deux idoles : Jules Bonnot et Jacques Mesrine. Il leur portait des toasts sur scène. On l’acclamait surtout pour ça. Dans l’underground le plus ténébreux, ces deux princes de la délinquance n’ont rien perdu de leur immense prestige. Mais parmi les baraqués agglutinés au pied de la scène, certains ne supportaient pas son côté féminin, cette façon qu’il avait de rouler des hanches pendant les heavy blues, cette façon qu’il avait de sortir la langue et de se caresser la poitrine. Plus Lyv les voyait agacés, plus il en rajoutait. Alors les baraqués finissaient par l’insulter, par lui jeter des canettes et des boulons. Mais attention, il ne fallait pas trop pousser Lyv à bout. Pour éviter de recourir à la violence, il encaissait tant qu’il pouvait. Comme les autres insistaient, il finissait par craquer. Il sortait alors de scène pour aller dans la loge enfiler un survêtement. Et là, amigo, t’avais intérêt à te casser vite fait. Lyv revenait en courant et se jetait directement sur les baraqués du premier rang. Encerclé par une meute décidée à le détruire, Lyv combattait à mains nues avec une sauvagerie indescriptible. Il crevait des yeux et arrachait des oreilles. Nous n’avions pas besoin d’intervenir pour voler à son secours. On savait qu’il allait tous les ratatiner.

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             Pendant que Lyv rockait les bas-fonds et répandait l’héritage spirituel des Stooges, l’Eddie donnait à la Nouvelle Orleans ses lettres de noblesse. Eh oui, Eddie Bo est avec Allen Toussaint et Mac Rebennack l’un des princes de cet autre underground, tout aussi capital dans les sphères qui nous concernent.       

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            Fantastique artiste que ce vieil Eddie Bo. Ace lui consacre une belle compile, Baby I’m Wise - The Complete Ric singles 1952-1962. On est très vite frappé par l’extraordinaire vitalité du son, par ce shake rattle and roll de tatapoum que dégage «Hey Then Baby» et son solo de sax à la clé. Rien d’aussi brassy dans les parages du Bocage - I love you/ You love me ! - Il connaît les entournures. Il faut attendre le petit groove vertement violonné de «Dinky Doo» pour frémir. Eddie tente sa chance, ya ya ya !, sur des nappes de violons marrantes. Avec «Roamin-Titis», il passe au heavy shuffle. Du son all over the place ! Pur jus de New Orleans. Il sort sa classe délinquante pour «Ain’t Got Ashamed» et ça se met à chauffer pour de bon avec la paire «Check Me Popeye» et «Now Let’s Popeye», deux fabuleux shakes de heavy groove vraiment dignes de Lee Dorsey. Quand on entre dans ce genre de compile, on trouve ce qu’on cherche : le vintage d’une époque dont on n’a pas la moindre notion. Eddie Bo flirte souvent avec le jump exubérant («Satisfied With You»), manie le groove comme un cake («Tell It Like It Is»), se prête au petit jeu du big band sound («Everybody Knows»), il tente aussi de rivaliser avec Fatsy, mais ce n’est pas facile («You Got Your Mojo Working»), et se fend parfois d’un heavy rumble bien vermoulu («Ain’t It The Truth Now»). Il peut même sonner comme une femme («I Got To Know»).

             Ric and Ron, c’est encore un label monté par un rital de la Nouvelle Orleans, Joe Ruffino, un label encore plus underground que ceux de Cosimo Matassa (Dover) et de Johnny Vincent (Ace Records). L’ami des parents d’Eddie s’appelle Henry Byrd, plus connu sous le nom de Professor Longhair, c’est-à-dire Fess. Eddie est mobilisé pendant la Seconde Guerre Mondiale et à son retour au pays, il tombe sous le charme du bebop, et d’Art Tatum et Oscar Peterson en particulier. Il monte un premier groupe de jazz au début des années cinquante, the Spider Bocage Band, quand soudain, Fats Domino explose la Nouvelle Orleans, puis l’Amérique. Eddie laisse alors tomber le jazz pour aller droit sur le rock’n’roll. Quand Joe Ruffino contacte Eddie, ce n’est pour faire un disque, mais pour un chantier de charpente. Daddy Bocage a en effet transmis son savoir-faire à Eddie. C’est donc Eddie qui construit le bureau dans lequel Joe Ruffino va lancer Ric and Ron, sur Baronne Street. Pourquoi Ric and Ron ? Ruffino a choisi les prénoms de ses deux fils pour baptiser son label. Entre 1959 et 1962, Eddie enregistre neuf singles pour Joe Ruffino qui va casser sa pipe en 1962. Le seul single qui réussit à entrer dans les charts, c’est «Check Mr. Popeye». Le Popeye est une danse de la Nouvelle Orleans qui consiste à imiter la façon dont marche Popeye The Sailor dans le dessin animé. Sur cette merveille, the A.F.O. Combo accompagne Eddie. Son single le plus prestigieux reste néanmoins «Roamin-Titis»/»Baby I’m Wise», un «Baby I’m Wise» que Little Richard va transformer en «Slippin’ And Slidin’». C’est encore the A.F.O. Combo qui accompagne Eddie sur cette bombe, «while Eddie sounded totally hip to the trip and cool for cats», nous dit Tony Bounce qui visiblement vénère Eddie. Après la mort de Joe Ruffino, Eddie va de label en label jusqu’en 1970, année où il finit par monter ses propres labels, Knight et Bo-Sound. Il passe au funk - heavy on riffs, light on lyrics - Il négocie même un accord avec Stax, mais ça ne donne rien. Comme ses disques ne se vendent pas, Eddie fait de la charpente. Il se réveille en 1977 et sort le superbe The Other Side Of Eddie Bo. Il est bientôt qualifié de Godfather Of Funk et se voit bombardé ambassadeur de la Nouvelle Orleans sur les scènes du monde entier. Quand on voit des photos du vieil Eddie avec sa toque de Muslim, on songe évidemment à Booker T. Jones.  

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             Il porte sa toque de Muslim sur la pochette de The 1991 Sea-Saint Sessions. Eddie Bo retrouve Chris Barber pour ces sessions qu’on peut bien qualifier de mythiques. Tu reviens à la réalité de la Nouvelle Orleans dès «Wake Up». La star n’est pas Barber mais le vieux Bo, c’est lui qui drive le biz. Le guitariste s’appelle Wayne Bennett. Ça joue au gut d’undergut de New Orleans. Bo chante avec ces accents que Mac a copiés. À la Nouvelle Orleans, tu ne titubes pas, tu grooves. Le vieux Bo passe au funk avec «She Gay San», Aw lawd, I’m she gay san, le vieux Bo conduit la fanfare - She gay san she’s a son of a sun - fantastique brouet de sons organiques - I hear the guitah - tu retrouves les accents africains au coin du chant. Nouveau shoot de groove imparable avec «Every Dog Has Its Day», une merveille en forme de rosace et Red Morgan au sax, pur jus de New Orleans. «Check Your Bucket» sonne comme un hit des Capitols, oooh voodoo you better check !, ce démon de Bo te shake ça à la petite fleur, oooh doo doo, il ramène le beat des squelettes avec les cuivres du funk, iz alrite ? Don’t you check ? Power absolu. Il finit avec une resucée de «Wake Up», une version longue avec les cuivres de James Brown, il est en plein dans l’énergie des Famous Flames, c’est puissant et inspiré. Là tu as tout.

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             Dans les années 90, Eddie Bo a enregistré deux excellents albums, à commencer par Shoot From The Root. Tu tombes sous le charme dès le morceau titre, le vieux Bo se coule dans le groove du shoot. C’est tellement balèze qu’on ne sait plus quoi dire. Alors on commence à dire des conneries : Eddie Bo génie de l’humanité ? Oui, par exemple. Le «Groove In My Soul» qui suit est encore violemment bon. Joué serré et chanté sec. Il invite ses vieux amis Earl King, Bo Dollis et Johnny Adams sur «Dance Dance Dance», du coup, il nous plonge en pleine mythologie - Raise your hands on your head ! - Il passe au hard funk avec «Every Dog Has Its Day», toujours accompagné de Johnny Adams et Bo Dollis. Ah il faut voir le vieux Johnny entrer dans la danse ! Nouveau coup de Jarnac avec un «Kick It On Back» noyé de petit orgue, ça groove entre tes reins. Nouveau rebondissement spectaculaire avec «Old Fashioned Sookie», ça va vite chez le vieux Bo, il fonce au shoot shoot, puis il calme le jeu, wait a minute now, et rallume tout avec des rappels de sax demented. C’est d’une qualité qui te dépasse.      

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                  Ah il faut lire les liners du vieux Bo dans le booklet d’Hole In It : «My purpose for making ‘Hole In It’ was to recapture the happy dance groove I experienced in the 70s. It was then that the catchy rhythmic enhanced the horn licks in complementary form.» Il parle plus loin de «rhythmic gumbo» et de «pocket fusion of impeccable strenght». Eh oui, le vieux Bo te claque «Back Up This Train» derrière les oreilles, là tu swingues pour de vrai ! Il infuse son «Down By The River» au groove rampant, le pire qui soit, et revient à son cher heavy funk avec «Blackbird», il n’aligne que des hits fantastiques et fait des bulles au dee dee dah dah. Encore un incroyable festin de son avec «Louberta», il chante à l’euphorie de la Nouvelle Orleans, il est sans doute le dernier à savoir le faire et il ramène toute la mythologie des cuivres. Il fait du piano roll avec «Piano Roll» et du heavy Sister Lucie avec «Sister Lucie». Et puis boom badaboom, il ramène sa chère fanfare pour «I Know You Mardi Gras» - I said ouhlala it’s mahh di grahhh ! Get yo’ thing goin’ on ! - Eddie Bo a du génie.

    Signé : Cazengler, pas Bo

    Eddie Bo. Shoot From The Root. Soulciety Records 1996    

    Eddie Bo. Hole In It. Soulciety Records 1998          

    Eddie Bo & Chris Barber. The 1991 Sea-Saint Sessions. The Last Music Company 2016

    Eddie Bo. Baby I’m Wise. The Complete Ric Singles 1952-1962. Ace Records 2015

     

     

    Ayron n’est pas aryen

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             Une fois de temps en temps, on se pointe au concert avec un mauvais a priori. Il faut savoir varier les plaisirs. À tous ceux qui voulaient bien entendre, on racontait que le dernier album d’Ayron Jones n’était pas très convaincant, et donc il fallait s’attendre à crever d’ennui.

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             L’album s’appelle Chronicles Of The Kid. On pensait qu’il s’agissait comme dit dans la presse anglaise d’un lookalike de Gary Clark Jr. : une sorte de black heavy blues-rock à l’américaine. Manque de pot, le Chronicles d’Ayron flirte avec le doom FM. Tu en baves à écouter ça, et même si on te payait pour le faire, tu n’irais pas jusqu’au bout. Dommage, car le «Strawman» d’ouverture de bal fait illusion : heavy blues rock demented et prod du diable. Mais après, ça se dégrade. Ayron fait du doom avec «The Title», mais c’est un doom infranchissable. Il a trop de son. Même problème avec «My America». C’est trop surchargé de la barcasse. Le killer solo se noie dans la marmite en ébullition. Il faut attendre «Filthy» pour voir l’espoir renaître : voilà un heavy doom de come filthy noyé sous des déluges et monté sur l’heavy beat d’un roi fainéant. «The Sky Is Crying» n’est pas celui d’Elmore James. C’est de la pop.  Il tente enfin de sauver son album qui n’est pas bon en envenimant «On Two Feet I Stand».

             Donc tu arrives à la barrière l’air mauvais. Tu sens que tu vas devoir compter les secondes et t’apercevoir une fois encore que certaines secondes sont plus longues que d’autres. C’est toujours intéressant d’observer les détails, surtout ceux du temps. On y apprend des choses captivantes. Comme on s’attend au pire, on imagine qu’Ayron va être accompagné par une grosse équipe de petits frimeurs blancs tatoués et chevelus, des rois de la grimace et des auréoles de sueur, qui grattent des poux interminables et qui semblent éjaculer dans leur culotte lorsqu’ils arrivent au bas du manche. Quand on est mauvais, on est mauvais. Pendant le break d’installation qui suit la première partie, on a le temps d’échafauder au moins trente scénarios, tous plus pires les uns que les autres. Toute cette bile étant alimentée par la vue de la faune que ce genre de concert attire. Pas mal d’amateurs de ce rock poilu qui fait mal aux oreilles.

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    Mais tout s’arrange lorsqu’on voit arriver un petit bassman black chapeauté de black. Puis un autre black coiffé rasta-man à la rythmique. Oh, et encore un black natté de frais au beurre. L’espoir renaît. Au moins, on échappe à la caricature ! Et quand Ayron le bien nommé ouvre le bal avec «Boys From The Puget Sound», tu passes soudain de l’enfer au paradis. Le son n’a rien à voir avec la daube de Chronicles.

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    C’est un blast inespéré de heavy blues-rock black, et ce mec est bon sur sa strato, il porte un T-shirt Misfits qui te met en confiance, il tiguilite comme un damné de l’humanité, il joue à l’esbroufe inflammatoire, il éclaire la surface de la terre, bienvenue au black rock et aux légions infernales que craignaient tant les pasteurs blancs du Deep South : eh oui, les blacks legions ne sont pas une légende : quand ils savent s’y prendre, les blacks sont pires qu’Attila. Ayron et ses brothers jouent extrêmement fort. Tu sens que tes oreilles vont siffler pendant trois jours, mais bon, tu ne craches pas sur une si bonne aubaine, d’autant plus meilleure qu’inespérée. Tu en goûtes chaque seconde et tes secondes se dilatent dans les régions du cerveau réservées aux dilatations. C’est tellement heavy que ça devient psychédélique, que ça devient tout ce que tu aimes. Mais pourquoi n’ont-ils pas ce Black Power sur l’album ? C’est incompréhensible, encore un coup fourré d’un producteur qui n’a rien compris.

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             C’est le jour et la nuit : sur scène, Ayron Jones est faramineux, il est le phare dans la nuit, le so far out. Le brother derrière bat un beurre extrêmement lourd, le mec aux pieds ailés qui gratte en rythmique n’a quasiment pas de son, il s’appelle Matthew Jacquette et il porte bien son nom, car il fait un peu la folle.

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    Par contre, le petit bassman volerait presque le show. Il mesure 1,40 m et pèse au bas mot 35 kg, mais il joue sur une cinq cordes et c’est un marsupilami, comme Larry Collins, au temps des Collins Kids. Il n’arrête jamais, il court il court la banlieue, rebondit dans tous les coins, saute sur l’estrade du beurre, et sur les cuts plus bluesy, il joue des lignes de basse d’un mélodisme à se damner pour l’éternité, ces lignes de basse qu’on tente de mémoriser pour une fois rentré au bercail, essayer de les rejouer, ce qui est compliqué sans batterie. Il s’appelle Bob Lovelace. L’un des meilleurs bassmen qu’on ait jamais vu.

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    Le show dure presque deux heures, ils ne jouent pas trop les cuts de Chronicles, on reconnaît «On Two Feet I Stand», «Blood In The Water», «Filthy», «Strawman», et en rappel, ils tapent une cover de «Purple Rain». La plupart des cuts viennent des albums précédents, dont deux sont inaccessibles.

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             Tout redevient clair quand tu écoutes après coup Child Of The State, paru en 2021. Tous les heavy blasters du set sortent de là, à commencer par «Boys From The Puget Sound» qui ouvre à la fois le bal de l’album et celui du set. Il attaque ça à la fucking police et aux fucking windows d’heavy blues rock. C’est du sérieux. L’Ayron ne rigole pas. On retrouve aussi l’«Emily» du set, gorgé de Black Power et de Sonic Whirl, l’Ayron sait rentrer dans le chou d’un lard, il joue le jeu du power à fond et passe des solos inflammatoires, c’est un vrai Voodoo Chile, même s’il n’a rien de vraiment hendrixien dans sa dégaine. On retrouve aussi l’«Hot Friends» joué dans un fondu de grosses guitares et il adore partir en solo furibard. Sa Strato fume dans la fournaise. «Mercy» se noie dans le son, glou glou, au secours ! Et comme son nom l’indique, «Supercharged» est surchargé d’hot as hell. L’Ayron négocie son Supercharged au petit chant bienheureux et ça bascule dans l’énormité, comme tout le reste de l’album, d’ailleurs. Il navigue en eaux troubles d’heavy rumble avec «Free» et revient aux choses sérieuses avec l’heavy schtroumphique «Killing Season», il joue un peu avec le feu, car sur disk, ça bascule en plein dans le rock blanc, mais il se rachète avec un solo dégoulinant. Joli shoot d’heavy balladif que ce «Baptized In Muddy Waters», assez Led Zep dans l’esprit. L’Ayron déclenche toujours des chutes du Niagara sur sa Strato. «Spinning Circles» sonne comme une tentative de hit commercial, et cette belle aventure s’achève avec «Take Your Time». C’est là qu’on entend les fabuleuses lignes de basse de Bob Lovelace, il joue en mélodie syncopée, comme Ronnie Lane dans «Debris», il court il court le petit Bantou. Possible qu’Ayron Jones soit appelé aux plus hautes responsabilités. C’est quasiment un album gigantesque, extravagant de clameurs.

    Signé : Cazengler, Ayron et ron petit patapon

    Ayron Jones. Le 106. Rouen (76). 7 février 2024

    Ayron Jones. Child Of The State. Big Machine Records 2021

    Ayron Jones. Chronicles Of The Kid. Big Machine Records 2023

     

     

    L’avenir du rock

    - Wilson les cloches (Part One)

     

             De tous les souvenirs érotiques qu’il garde en mémoire, les plus piquants sont ceux du couvent des Carmélites. L’avenir du rock en rougit de plaisir, lorsqu’il y repense. Jamais il n’a connu de moments plus exquis, d’épisodes plus voluptueux. Par quel jeu de hasard entra-t-il dans le plus secret des lieux de recueillement ? Voici l’explication : il trouva un jour chez un antiquaire de Villefranche une petite collection de livres anciens serrés dans un joli coffre. Il les obtint pour un prix raisonnable, et une fois rentré chez lui et installé dans son fauteuil de liseron, il entreprit de les examiner un par un. Tous ces ouvrages dataient du XVIIIe siècle. Il s’agissait principalement de mémoires d’abbés et de récits de voyages dans les campagnes ou dans les colonies. Un petit précis d’éducation sexuelle à l’usage des profanes retint son attention. Il l’ouvrit et découvrit à sa grande stupéfaction qu’on avait aménagé une cavité dans l’épaisseur du tome pour y loger une clé. Et sur l’intérieur de la couverture, étaient inscrits à l’encre bleue une adresse et un horaire. L’adresse était celle d’une ruelle située à l’arrière du couvent des Carmélites, et l’horaire indiquait «de minuit à quatre heures». Dévoré de curiosité, l’avenir du rock s’y rendit le soir-même. Il trouva la petite porte sans peine et fit grincer la serrure avec la clé mystérieuse. Puis il suivit son instinct. Il traversa un patio et s’enfonça sous une arcade. Il remonta un long couloir et comprit soudain que toutes les petites portes basses à droite et à gauche étaient celles des cellules des nonnes. Il en choisit une au hasard. La lune y déversait des flots de lumière. La nonne ne dormait pas. Elle souriait. L’avenir du rock s’approcha d’elle et lui caressa les cheveux. Elle s’offrit à lui. La volupté qu’elle lui prodigua dans un silence parfait relevait du sacré. Elle lui fit boire un philtre et l’avenir du rock alla d’une cellule à l’autre contenter les nonnes qui l’attendaient. Il arriva au bout du couloir devant une porte plus haute. Il entra dans la pièce et une femme magnifique seulement vêtue de sa coiffe l’attendait. Subjugué, l’avenir du rock murmura :

             — Mother Superior...

             — Non cher avenir du rock, je m’appelle Motor Sister. Baisez-moi...

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            Mother Superior connut son heure de gloire dans les noughties, à l’âge d’or des grands concerts extraordinaires de l’Élysée Montmartre, où on pouvait les voir jouer en première partie du MC5. Jim Wilson qui était le chanteur guitariste de ce power trio était aussi un homme dangereux, car il pouvait voler le show. Il a enregistré une douzaine d’albums avec Mother Superior (on y reviendra dans un Part Two), puis accompagné Henry Rollins sur quatre albums déments, Get Some Go Again, Nice, A Nicer Shade Of Red et Yellow Blues.

             C’est Vive Le Rock qui nous raconte l’incroyable histoire du projet Motor Sister. Une chanteuse nommée Pearl Aday a l’idée d’un beau cadeau pour son mari Scott Ian, un metalleux qui joue dans Anthrax. Ian est fan de Jim Wilson et rêve de jouer avec lui. Alors sa femme lui offre le contact avec Jim Wilson. Aday, Ian et Wilson montent donc Motor Sister en 2015 avec deux autres mecs pour jouer douze vieux cuts de Mother Superior.

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             C’est vrai qu’il y a quelques énormités sur le Ride de Motor Sister. Ces gens-là ne vivent que pour la dégelée. Dès l’«A Hole» tiré de Moanin’, Jim Wilson plonge dans la pétaudière. On sait tout de suite de quoi il retourne. Ça punche dans tous les coins, ils jouent au riffing hullabaloo et au back beat de poils aux pattes, ça vise la stoogerie, ça te cloue vite fait à la porte du presbytère, ah quelle prod ! Digging a hole, c’est le leitmotiv. Ride est un projet plein d’avenir. Le vieux Jim Wilson sait ce qu’il veut, il impose son down down sound, c’est pulsé dans les règles du lard fumé, joué à la petite vérole malencontreuse, oh, belle purée indeed, ça titille la disto ébréchée. Motor Sister fonctionne comme une armée : rien ne les arrête. Avec «Beg Borrow Steal» tiré de Three Headed Dog, ils sont à la frontière, courtisés par le metal, mais ils restent bien rock’n’roll, version hard rock’n’roll. Ride ne sera pas l’album du siècle, mais un truc qui allume bien. Retour au gros trip démonstratif avec «Get That Girl», tiré aussi de Moanin’. Bon c’est bien, mais ce n’est pas l’avenir du rock, même si ce go get that girl sonne bien. Vive le Rock a bien raison de défendre ce genre d’album. Jim Wilson passe au trash-punk power avec «Fork In The Road» (toujours Moanin’), c’est excellent car joué par des gens qui trimballent des allures de heavy dudes. Le power de «Little Motor Sister» (encore Moanin’) finit par emporter la partie. Jim Wilson sait driver un heavy groove de danger stranger et s’en va chanter au sommet du craze. Il étend son empire, il construit son heavy rock avec du heavy load. Il saute sur le dos de «Whore» (Mother Superior) avec une rage incroyable. Il claque tous les accords du monde dans la fusion en devenir, il drive ça sec. Un paradis pour les amateurs d’heavy rock. Jim Wilson est d’une épaisseur qui n’appartient qu’à lui.

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             Leur deuxième album vient de paraître : Get Off. Comme on a vu jadis Jim Wilson briller au pinacle, on attend de lui des miracles. Alors en voilà un : «Sooner Or Later». Il sonne littéralement comme Phil Lynott ! Il est en plein Lizzy. On aimerait bien lui serrer la main pour le féliciter. Le reste de l’album est plus Motor Sister. Comme il s’est acoquiné par les gens du metal, le son s’en ressent. Jim Wilson a pris un gros coup de vieux, il arbore désormais une grande barbichette toute blanche. Son «Can’t Get Enough» est bourré à craquer de son, mais un son hélas proche des excès du metal. On prie pour que le vieux Jim sache garder son cap de bonne effarance. Pearl Aday chante «Coming For You». Elle fait son petit cirque et ce n’est pas terrible. C’est bien que le vieux Jim reprenne le micro pour «Right There Just Like That». C’est un shouter naturel, mais avec son crâne rasé et sa barbichette, il fait une proie idéale pour ses copains metalleux. Ces mecs ont toujours le même problème : ils visent l’énormité, mais avec un son ingrat et des manières un peu rustres. Le vieux Jim renoue avec sa vieille cocote dans «1,000,000 Miles». Il joue tellement bien son va-tout que ça en dit long sur ses motivations. Sa cocote est une merveille, il jongle avec les kings of fools et les millionaires. Il profite du balladif de «Pain» pour plonger dans les abysses, comme il savait le faire au temps de Mother Superior. Il sait creuser des mines à ciel ouvert. On le voit aussi entrer en zigzaguant dans la fournaise de «Bulletproof» et singer Deep Purple dans «Bruise It Or Lose It». Il s’arrange toujours pour rester au bord du metal et ne pas tomber dedans. Pas facile. N’importe qui se casserait la gueule, pas lui, il veille à rester heavy, au sens anglais du terme, ce qui n’est pas si mal, pour un Américain. On sent qu’il donne libre cours à ses superstitions, mais il joue comme un dieu. 

    Singé : Cazengler, Butor Sister

    Motor Sister. Ride. Metal Blade Records 2015

    Motor Sister. Ride. Get Off. Metal Blade Records 2022

     

     

    Down in Mississippi

     

             — J’ai un très beau livre sur le blues. Si tu veux, je te le prête.

             Une semaine plus tard, à la sortie d’un concert, on va à sa bagnole et elle me tend un gros sac.

             — C’est le livre dont je t’ai parlé l’autre fois. Ça devrait te plaire.

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             Comme elle a très bon goût, décision est prise sur le champ de lui faire confiance. Une fois arrivé au bercail, on s’installe dans le fauteuil du liseron pour une première approche rapide avant d’aller coucher au panier. Ce gros patapouf bleu s’appelle Les Voix Du Mississippi, l’auteur William Ferris et l’éditeur Papa Guédé. Tout ce beau monde est inconnu au bataillon d’ici. Le gros patapouf se caractérise par un format d’entre-deux, c’est-à-dire plus haut que l’A5 communément admis, et plus bas que ce qu’on appelle le grand format, il pèse une tonne, c’est-à-dire 300 pages imprimées en Pologne sur un bouffant bouffi ivoire qui rappelle celui des livres d’art jadis imprimés en litho. Le bouffant bouffi doit aisément avoisiner les 250 g et boit bien l’encre des photos. C’est le problème du mat. Il aplatit. Le piqué des images est pourtant irréprochable, mais l’ambiance graphique est au calme plat, comme matée, aucun éclat, pas d’excès de zèle. Ambiance révérencieuse. L’anti-Kugelberg. Ce genre de gros patapouf impose le respect et tu t’y tiens. Un seul problème - si on peut appeler ça un problème : le gros patapouf est en langue française. Les Voix Du Mississippi en langue française, c’est une antinomie. Et même un contre-sens. C’est aussi indéfendable que de lire Ringolevio, Sur La Route ou Le Portrait De Dorian Gray traduits de l’anglais.

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             Quand tu lis un texte écrit à l’origine en français, tu as LA langue. Stendhal, Aragon, Drieu, Gide, Céline, c’est ce qu’on appelle LA langue, qu’on appelle aussi par ici la première main. Quand tu lis un texte traduit de l’anglais, tu n’as que le littéral, c’est-à-dire la langue de la langue de. Mais pas LA langue. Tu n’as qu’une version approximative - et dans le pire des cas, improbable - de LA langue. Toute la difficulté consiste à lui faire confiance, ce qui bien sûr n’est pas possible. Pour chaque mot traduit, tu as plusieurs possibilités. Le traducteur choisit celle qui lui paraît la plus «appropriée». On est en plein dans l’arbitraire, alors que la langue d’origine répond à des exigences et obéit à une rigueur qu’on appelle aussi le style. La traduction le corrompt systématiquement, et souvent l’anéantit. On se souvient d’un grand article paru jadis dans Le Monde des Livres saluant la «nouvelle traduction» de Kafka chez Gallimard, et qui nous expliquait au passage que l’ancienne traduction avait pris trop de «libertés» avec LA langue, une élégante façon que dire que la première traduction du tchèque était toute pourrie. Ça voulait dire en clair qu’il fallait tout recommencer à zéro. Avec Kafka, c’est inconcevable. On fait l’effort de le lire une fois, mais pas deux. Trop glauque. Aussi glauque que peut l’être Nick Cave dans son domaine. Alors quand tu as lu l’article paru dans Le Monde des Livres, tu n’approches plus jamais un seul livre traduit d’une langue étrangère, à une seule exception près : Baudelaire, parce que c’est Baudelaire. La langue étrangère est par essence intraduisible.

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    (Charles Baudelaire)

             Ce que confirma à la même époque cet homme extraordinaire, JDM, qui fut on va dire un «mentor», prof aux Langues O, au Pont de Clichy, et qui, derrière son immense bureau recouvert de piles de livres en toutes langues, nous expliquait que Pouchkine était le plus «intraduisible» des poètes et qu’il valait mieux apprendre le russe pour pouvoir le lire. Ça tombait, et ça tombe toujours, sous le sens. Pour satisfaire sa propre curiosité, ce «mentor» commença très jeune par apprendre tous les dialectes des Balkans, histoire de pouvoir traduire quelques auteurs serbes, croates ou albanais qui étaient devenus ses amis, puis il avait bien sûr entrepris d’apprendre le russe, puis le chinois et le coréen, et lors de notre ultime entrevue, quelques semaines avant que sa cervelle n’explose, au propre comme au figuré, il annonça qu’il se penchait de près sur quelques dialectes d’Afrique de l’Ouest. La linguistique l’obsédait.

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             Donc gros malaise au moment d’attaquer la lecture du gros patapouf. Le seul moyen d’avaler ces 300 pages est d’essayer de lire sans lire. De rester sur le factuel. William Ferris est un mec intéressant, un ethno-musicologue qui est allé voir tous les vieux crabes du delta, dans une région située le long du Mississippi, entre Lake Mary en Louisiane, et Memphis, plus haut sur le fleuve. Donc trois états : Louisiane, Mississippi et Tennessee. Ferris est allé dans tous ces endroits devenus mythiques, Leland, Clarksdale (où a grandi Ike Turner), Vicksburg (d’où vient Willie Dixon), Jackson (où se trouve Malaco), Indianola (d’où vient B.B. King), Parchman (et sa «célèbre» ferme pénitentiaire) et Holly Springs (où il a pu rencontrer Otha Turner). La plupart des gens qu’il a interviewés sont eux aussi complètement inconnus au bataillon d’ici, et c’est pas faute d’avoir creusé. Ferris complète son «étude» avec du son (un CD audio) et dix docus rassemblés sur un DVD. Last but not least, on trouve encarté en troisième de couverture un livret de 32 pages intitulé «Bibliographie, discographie et filmographie» : l’index plus complet qu’on ait encore jamais vu, avec un classement par thèmes (‘Blues rock’n’roll et Soul’, ‘Esclavage’, ‘Religion’, etc.) et qui référence bien sûr les ouvrages en langue anglaise. On y trouve ceux de Robert Gordon et de Peter Guralnick, toutes les grandes bios et autobios indispensables (Willie Dixon, B.B. King, etc.), mais aussi une foule d’ouvrages documentaires inconnus au bataillon d’ici. Le pire c’est encore la filmographie : mais d’où sortent tous ces films sur le blues ?

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             À chaque étape de son parcours, Ferris rencontre des gens. Ces interviews constituent les chapitres du gros patapouf. Il fait une courte présentation de chacun de ses personnages, raconte brièvement les circonstances dans lesquelles il les rencontre, puis il leur donne la parole. Et ces longs monologues courent sur plusieurs pages. La plupart de ces personnages sont intarissables. Et c’est bien parce que c’est la langue des blackos du Delta que ça ne passe pas, car elle ne sonne pas juste, traduite en français. Il manque tout simplement la musique de la langue, celle à laquelle on s’est acclimaté depuis cinquante ans, en écoutant les disques de blues. C’est là où le bât blesse, car LA langue est tout ce que possèdent les fils d’esclaves et on ne peut décemment pas la transformer en petit bricolage scolaire, on ne peut pas traduire «Gonner get up in the morning/ Gonner wash my face in a brand-new pan» pour en faire «Je vais me lever ce matin/ Je vais me laver la figure dans une bassine toute neuve», car ça sonne faux, archi-faux, on se croirait en sixième, dans un cours d’anglais avec une prof mal baisée. Tu es loin du cross-fire hurricane. Le Gonner get up est le début de «Levee Camp Blues», où l’Otah raconte qu’il a deux mules - Well my wheel mule crippled/ And my head mule blind, la mule arrière boiteuse et la mule avant aveugle - Cette trad malencontreuse se trouve en intro du monologue d’Otha Turner, que Tav Falco idolâtrait, et que Dickinson comparait à Dionysos. On voit une photo de l’Otha jouer de la flûte dans son jardin et expliquer qu’il laboure avec ses deux mules, qu’il élève des porcs, des vaches, des poulets, et qu’il «fait pousser du maïs, des petits pois, des patates douces, des tomates, des gombos, des haricots, des navets et des pastèques.» Il ajoute qu’il va au magasin acheter «du sucre, de la farine, du café, du tabac et du sel.» Ferris balance quatre photos de l’Otha en plein pot, et l’Otha raconte bien sûr les légendaires pique-niques qu’il animait avec son Fife & Drums Corp. La trad essaye de coller au discours de l’Otha, mais c’est laborieux, emprunté, il n’y a aucune énergie, l’Otha dit qu’il rocke les pique-niques, mais la trad ne suit pas. Ça reste désespérément scolaire, complètement à côté de la plaque. Tu sors de ces pages avec l’impression déplaisante que l’Otha est un gentil nègre qui tient un stand de barbecue à la fête du village.

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             Voici ce qu’en dit Dickinson : «Avec ses amis et les membres de sa famille, Otha célèbre la grandeur de Dieu. Ils forment un ensemble qui s’appelle le Rising Star Fife and Drums Corps. Otha souffle dans la flûte de Pan. Ses doigts sont abîmés par quatre-vingt-dix ans de dur labeur aux champs. Les tambours en marche évoquent les tambours africains, qui sont plus anciens que l’esclavage. Un coup de tambour divise l’espace du silence que le son répète. C’est le motif de base du bass drum, le rythme de base aussi vieux que les très vieilles chansons d’esclaves qu’on retrouve modernisées dans le boogaloo de Bo Diddley. Le maître en état d’hypnose bouge tout en jouant. Les tambours le suivent. Ils deviennent une seule et unique force. Ils perpétuent des secrets si anciens que personne n’en connaît l’origine. Alors que Dionysios avance dans les vignes, les couples restent dans l’ombre, haletant au même rythme.» Et Dickinson concluait son portrait ainsi : «Mais c’est Otha qui incarne véritablement cette musique. Et cette musique est si forte qu’elle contient forcément une croyance. Si vous n’avez pas la chance de pouvoir déguster avec nous un sandwich au mouton grillé et au pain blanc arrosé d’un bon coup de whisky de maïs, alors faites appel à votre imagination. Oubliez les conneries du style musicologie ou folklore. Il ne s’agit pas d’un retour aux sources. C’est un voyage dans le boogie.» Bon d’accord, c’est traduit directement du booklet, mais en accord avec le spirit de Dickinson.

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    (Shelby Poppa Jazz Brown)

             Quelques blackos rentrent dans le vif du sujet : la condition humaine des nègres du Mississippi, par exemple Shelby Poppa Jazz Brown qui attaque directement sur la réalité du blues, celle des gens auxquels «on fait labourer et sarcler la terre et couper le coton à l’aube.» L’image est là, mais pas la langue. Réalité encore avec «ils travaillaient tellement dur qu’ils chantaient.» Des gens qui selon Poppa Jazz n’attendaient qu’une chose chaque jour : que le soleil se couche pour que cesse l’épouvantable corvée de travail aux champs. «Ils travaillaient trop dur.» Fantastique portait de Poppa Jazz, mais le compte n’y est pas, au niveau de la langue. Plus loin, Jasper Love raconte que le blanc aimait bien se taper la petite femme du nègre : il marche sur la route avec sa femme et le Blanc arrive derrière avec sa bagnole et demande «Où est-ce que tu vas Joe ? Tu vas en ville ?». Joe le nègre répond : «Oui m’sieur.» Le nègre est toujours poli, comme dans Gone With The Wind. Alors le Blanc dit qu’il a une roue dégonflée à l’arrière, que sa femme peut monter, mais pas lui, et qu’il doit continuer à pied. Et Jasper Love ajoute : «Il démarrait et il allait directement dans les bois. Mais on avait peur de dire quoi que ce soit.» La réalité est tellement dégueulasse qu’elle éclipse brièvement le malaise de l’archi-faux. Pour Willie Dixon, le blues a aidé les nègres à survivre. Il s’en explique : «Pourquoi ce type travaille comme un fou alors qu’il n’a rien, qu’il ne gagne rien et qu’il ne construit rien ? Et pourtant il survit avec rien.» Selon Willie Dixon, le nègre qui chante est heureux. Il argumente en rappelant qu’on a tué les Indiens parce qu’ils ne supportaient pas le joug des Blancs (la trad dit : «parce qu’ils n’ont pas pu supporter l’adversité.») On raconte qu’en Amérique latine, les Indiens préféraient se laisser mourir plutôt que de servir d’esclaves à l’Espagnol dans les mines d’or.

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             B.B. King évoque une autre réalité, celle des instruments primitifs qu’on bricolait dans les fermes, les deux cuillères, ou le papier sur le peigne. Ou la guitare avec les cordes cassées. Images d’une pauvreté abjecte, dans laquelle les blancs ont maintenu les populations noires pendant des siècles, tout en s’enrichissant sur leur dos. C’est assez machiavélique. Alors que le blues est une forme d’art merveilleux. C’est dire la différence qui existe entre les deux mentalités : d’un côté la cupidité, le racisme et la violence, de l’autre un art magique issu du plus parfait dénuement. Alors bien sûr, il faut lire ce gros patapouf, si on s’intéresse au blues, et essayer de faire fi de tous les a priori épinglés plus haut.   

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             Par contre, si tu cherches LA langue, tu vas la trouver dans le DVD encarté en troisième de couve. Ferris a aussi filmé tous ces gens extraordinaires et tu te régales, car les six petits docus rassemblés sur le DVD sont en VO sous-titrée, et là ça démarre au quart de tour. En plus, tu as une fantastique présentation de Bertrand Tavernier qui lui aussi s’est fendu d’un docu sur le Mississippi (Mississippi Blues). Tavernier rend un brillant hommage à Bill Ferris - Bill peut rester sur quelqu’un sans lui couper la parole - et il qualifie cette «série de témoignages» d’«irremplaçable». Il a raison, le bougre. Le premier docu s’appelle Black Delta et te plonge immédiatement dans le primitivisme : tu vois un vieux gratter une corde fixée sur le mur de sa cabane branlante. Il la cale avec une pierre pour les graves et les aigus. Puis Ferris filme un groupe primitif de boogie blues, le groupe de James Son Ford Thomas. Un vieux nègre bat le beurre sur une caisse en carton et un autre fait glisser sur le sol un manche à balai. Te voilà confronté au real deal. Bill continue de te confronter à d’autres réalités, comme celle de l’église en bois avec le prêcheur surréaliste, gospel batch aux clap hands, avec un jeune blackos qui gratte sa gratte au pouce, puis la scène de baptême dans le fleuve. Te voilà complètement tanké. On rigole un peu moins avec Parchman Farm, Ferris filme une équipe de blackos alignés en rang d’oignons qui taillent un tronc en rondelles à la hache. Worksong. Chant et contre-chant. Dans Give My Poor Heart Ease, Ferris filme B.B. King et sa fluidité légendaire. B.B. indique qu’aux champs un mec travaille toujours en tête and this guy sings. Ferris nous emmène ensuite dans un salon de coiffure pour nous montrer un mec qui joue «Rock Me Baby» avec sa gratte derrière la tête. Puis retour au hard boogie de James Son Ford Thomas. Fabuleux gratteur de boogie ! C’est lui qui fait les crânes en argile. Dans I Ain’t Lying, Poppa Jazz reprend sa diatribe. Il voulait aller à l’école, mais le patron blanc ne voulait pas - Il nous mettait aux champs - James Son Ford Thomas raconte qu’il a bossé au cimetière avec son grand-père manchot. Two Black Churches va t’envoyer au tapis, et dans le sixième docu, Made In Mississippi, tu peux voir Otha Turner fabriquer une flûte en roseau et en jouer. Otha punk. Même calibre que Wolf.

    Signé : Cazengler, la voix du Missipipi

    William Ferris. Les Voix Du Mississippi. Papa Guédé 2013

     

    *

    Atlantis, mot magique ! C’est celui que trace dans Vingt mille lieues sous la mer le Capitaine Nemo lorsqu’il fait visiter au fond de l’océan Atlantique les ruines d’une antique cité dont il montre les vestiges à ses trois ‘’prisonniers’’.  Ce roman est en quelque sorte un doublon du Voyage au centre de la terre. Dans les Voyages extraordinaires de Jules Verne ce sont beaucoup plus les choses extraordinaires qu’il cache en filigrane dans les aventures de ses personnages que les voyages eux-mêmes qui sont du plus haut intérêt. Pour ceux qui n’entrevoient pas de relations entre ces deux romans, nous les invitons à lire Le songe de Poliphile attribué à un certain Francesco Colonna, publié en 1499 à Venise mais vraisemblablement rédigé une trentaine d’années auparavant.

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    C’est en ces mêmes années que Marsile Ficin traduit (en latin) les œuvres de Platon. Sa traduction du Timée sera suivie d’un Commentaire (1484), dans lequel notre traducteur essaie de faire coïncider l’étrange récit de l’Atlantis que présente le Timée avec le texte de la Genèse de la Bible. Que l’on retrouve dans Platon des connaissances issues de la Genèse était à l’époque considéré comme la preuve de la véracité du texte biblique… et de la provenance initiatique des textes platoniciens… Sous un autre aspect c’était aussi introduire le loup du paganisme dans la bergerie du christianisme. Mais ceci est une autre histoire. Quittons la Renaissance italienne pour nous revenir par chez nous en France.

    En France, en 1927, un certain Paul Le Cour fonde la revue Atlantis et le groupe d’Etudes Atlantéennes nommé lui aussi Atlantis. Nous sommes cinq cents ans après Marsile Ficin mais le groupe Atlantis défend une thèse somme toute à peu près similaire, à savoir que la religion des Atlantes fut la mère de toutes les religions, mais que celle qui est restée la plus proche de l’originelle atlantéenne est le christianisme… Si cela vous intrigue, allez voir du côté du Hiéron du Val d’Or à Paray-Le-Monial et suivez la piste qui vous mènera à notre époque. Etranges ramifications platoniciennes. Racines qui affleurent la terre de notre présence et sur lesquelles nous trébuchons sans cesse. Platonisme, néo-platonisme, christianisme, ésotérisme… Une étonnante ligne pointillée…

    Le plus simple est peut-être de s’en tenir à la lecture des textes antiques originels qui nous présentent Atlantis. Justement (quel hasard) Thumos sortira d’ici peu un EP consacré à Atlantis.

    ATLANTIS

    THUMOS

    (EP /Snow Wolf Records / Avril 2024)

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             Pour la couve de cet opus Thumos a choisi un tableau de Mansu Desiderio, disons que c’est un peu le Philippe Druillet de ‘’leur’’ époque. Derrière cette étrange appellation se cachent deux peintres français originaires de la ville de Metz. François de Nomé et Didier Barra, tous deux travaillèrent à Naples. Cette toile est spécifiquement attribuée à François de Nomé.  André Breton fut un des premiers à s’intéresser à ce peintre (ce n’est que plus tard que l’on s’aperçut qu’ils étaient deux) qui vécu(ren)t au dix-septième siècle) qu’il proclama des précurseurs du Surréalisme. Plus près de nous, dans sa Métaphysique des ruines Michel Onfray, voyait en les édifices délabrés des tableaux de Nomé une représentation prémonitoire de l’écroulement du catholicisme devant les coups de boutoir de la Réforme.

    Atlantis apparaît pour la première fois dans le Timée de Platon. Rappelons que Thumos a déjà transcrit en musique Le Banquet (voir livraison KR’TNT ! 588 du 23 / 02 / 2023) et La République (Livraison KR’TNT ! 541 du 10 / 02 / 2022), deux des plus célèbres écrits de Platon. Timée est une des œuvres les plus difficiles de Platon, le sujet en est vaste et complexe. Il s’agit de donner une description et une explication de l’univers, non seulement de sa constitution physique mais aussi de son âme, cette espèce de réseau subtil et logosique qui met en relation le monde des hommes avec celui des Dieux. La donne se complexifie si l’on pense que cette connaissance totale que l’Homme acquiert grâce à la philosophie lui intime, en tant qu’individu et membre d’une Cité, de mettre ses actions en conformité avec l’ordre constitutif du Monde. Rassurons-nous, les propos tenus par les quatre interlocuteurs du dialogue n’abordent que dans un court fragment du texte le destin d’Atlantis.

    Comment l’existence de la cité d’Atlantis déboule-t-elle dans le dialogue ? Au début du dialogue Socrate semble douter de lui-même, son idée de Cité Idéale n’est-elle pas qu’un songe, Athènes en est si loin… Voici que Critias pense qu’elle a déjà existé, il rapporte les propos de Solon, un des sept sages de la Grèce qui aurait introduit les principes démocratiques en Athènes, à qui un prêtre égyptien aurait révélé toute une partie de l’histoire d’Athènes que les Athéniens eux-mêmes avaient depuis longtemps oubliée. Dans un temps très ancien (9000 ans) les armées d’Athènes dominaient toutes les autres cités de la Grèce. Mais voici qu’une immense Cité située de l’autre côté des colonnes d’Hercule (détroit de Gibraltar) se jeta sur la Grèce qui tenta de résister, mais bientôt Athènes se retrouva seule à mener la guerre… qu’elle gagna. (Toute allusion à la résistance des Athéniens contre les Perses ne saurait être fortuite.) Mais brutalement un déluge engloutit l’armée athénienne sous la terre, pour sa part l’île d’Atlantis s’effondra au fond de l’océan…  

    Toute la suite du texte raconte l’histoire du monde de sa constitution à l’apparition de l’Homme. Attention ce n’est pas d’une lecture facile, qui risque de paraître relativement fantaisiste pour un néophyte mais qui se révèle être une synthèse d’une incomparable intelligence pour qui possède quelques connaissances du savoir scientifique accumulé par plusieurs générations de penseurs et poëtes grecs à l’époque où Platon entreprend la rédaction du Timée.

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    Timaeus : Timée désigne le dialogue en tant que tel et le personnage nommé Timée de Locres. A-t-il vraiment existé ou est-ce un personnage inventé par Platon, nous n’en savons rien, ce qui est sûr c’est que Socrate n’est pas le personnage principal, Timée expose durant les trois-quarts du texte, en une seule et longue prise de parole, les idées de Platon quant à la structure du mondeCertains chercheurs ont proposé que le personnage de Timée désignerait Archytas de Tarente un ami de Platon à qui il voulait rendre hommage. Cette hypothèse m’agrée en le sens où elle serait une preuve de l’humour de Platon, outre le fait d’avoir fait voler une maquette d’avion Archytas est surtout connu pour sa question : si j’arrive au bout de l’univers qu’y a-t-il derrière ? Inventer le personnage de Timée qui nous explique le début du monde pour ne pas nommer Archytas qui se préoccupe de ce qui se trouve après la fin du monde me paraît un merveilleux trait d’ironie philosophique… Un son qui point et bientôt comme un contrepoint des roulements de batterie, sont-ce les vagues qui assiègent les murailles d’Atlantis, des rouleaux qui brusquement laissent place à un remuement de basse, un énorme clapotis qui recouvre un naufrage, suit une longue suite comme si l’on se perdait dans le rêve d’Atlantis ou si l’on s’obstinait dans lecture ardue du dialogue, ce qui n’empêche pas un sentiment de joie pour chaque difficulté vaincue page après page, par moments l’on pense à ces instrumentaux sixties, un surfin’ enivrant sur la houle infinie, ralentissement dramatique, mais le drame revient, ce n’est plus dans la mer que sombre Atlantis mais dans notre tête, dans les fins réseaux de l’âme du monde qui nous relie à la brutale complexité du monde. Toute la différence entre savoir et connaissance.

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    Critias : neveu de Platon, un personnage sulfureux, doté d’une intelligence redoutable, aujourd’hui on le stigmatiserait sous l’infâmante appellation d’homme d’extrême-droite, il fréquenta Socrate et Alcibiade, le premier incarneraitt la subtilité et le second la foudre capricieuse, il fit partie des trente tyrans l’un des épisodes politiques les plus sanglants d’Athènes, il ne nous reste de lui que quelques vers dans lesquels il affiche un athéisme aristocratique sans concession et cette idée que le temps et l’espace sont une seule et même chose. Critias a donné son nom à un dialogue de Platon que le philosophe conçut comme une suite au Timée. Il est inachevé. De nombreux spécialistes ne pensent pas que la fin aurait été perdue et sont d’avis que Platon l’aurait abandonnée. Peut-on les croire ? C’est le texte fondateur du mythe de l’Atlantide. Critias commence par se lancer dans une description de l’antique Athènes, riche cité rustique fondée grâce à Athéna (sous-entendu la sagesse de ses habitants ne proviendrait-elle pas de l’intelligence de la déesse) parmi de riches pâturages… Une bourgade si on la compare à Atlantis fondée par Poseidon (à qui les Athéniens avaient préféré Athéna pour divinité tutélaire) une colossale Cité maritime commandée par dix rois à l’origine tous fils de Poseidon avec une mortelle). Architecturalement Atlantis est une merveille, gouvernée avec sagesse, elle est super-puissante, hyper-riche… L’ordre social et économique qui préside n’est-elle pas la preuve que la Cité idéale imaginée par Socrate a donc  déjà existé ? Le dialogue s’arrête au-milieu d’une phrase, Critias est en train d’expliquer que malheureusement, au cours des générations, le sang de divin de Poseidon s’est raréfié dans les veines des descendants des rois…

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    Tout de suite une musique plus âpre qui n’est pas sans évoquer le caractère abrupt de Critias et l’idée de puissance, les murailles circulaires d’Atlantis se dressent au loin de votre navire au ras des flots, plus vous approchez plus vous réalisez combien elles sont hautes et orgueilleuses, éblouissantes, recouvertes de métal précieux, la Cité vous éblouit, le soleil se reflète en elle, vous sentez que vous êtes en présence de quelque chose de surhumain, d’antédiluvien, de cyclopéen, c’est la magnificence d’un Dieu, elle émane de cette couronne de pierres qui semble posée sur l’eau, vous êtes subjugué, vous ne pouvez rien dire, trop c’est trop, Thumos lui-même se tait comme si le groupe comprenait qu’aucune note humaine ne saurait rivaliser avec cet écho solidifié de la musique des sphères pythagoricienne, seuls subsistent de lointains tintements et des frémissements de basse, tout se précipite, l’on n’échappe pas plus à Atlantis qu’Atlantis ne saurait être à l’abri de la colère des Dieux, tout sombre dans un lointain sonore, persiste la note du rêve d’Atlantis qui subsistera en votre âme et que vous transmettrez à vos enfants. Hermocrate : qui est cet Hermocrate. N’est-il pas un personnage créé par Platon pour les besoins de son dialogue. D’ailleurs Hermocrate n’intervient pratiquement pas dans le Timée et pas plus dans le Critias. Ne prononce pas non plus une parole dans l’Hermocrate le dialogue qui porte son nom pour la simple et bonne raison qu’il semble que Platon ne l’ait jamais écrit, ou alors que le texte se soit perdu… On a bien trouvé un Hermocrate, un général syracusain… qui a vaincu les Athéniens lors de la fameuse Expédition de Sicile dont le commandement avait été confié à, coucou le revoilà dans notre histoire, notez qu’il apparaît aussi dans Le Banquet, Alcibiade ! Platon aurait-il pris comme personnage un glorieux ennemi qui infligea une humiliante et désastreuse défaite à sa patrie… Thumos n’a pas hésité à composer un morceau sur ce dialogue dont on ne sait rien, dont on n’est même pas sûr de l’identité du personnage qui lui a donné son nom… Le pari peut paraître hasardeux, écrire sur quelque chose et quelqu’un dont on ignore tout, ne serait-ce pas du charlatanisme… A moins que cette carte blanche ne soit un fabuleux tremplin pour les imaginations créatrices… Comme une suite,  pas un addenda à la philosophie grecque, mais une musique philosophique en le sens où elle ouvre une méditation dramatique sur la destinée d’Atlantis, que cette Cité ait existé réellement ou non, qu’elle soit un mythe, une image au même titre que la fameuse caverne, un objet de méditation politique, les résonnances voilées d’Atlantis subsistent en nous et en la musique de Thumos, elle est un songe plus réel que la réalité, chacun de nous n’est-il pas une Atlantis vouée au naufrage, à sombrer dans l’oubli, c’est le tocsin de notre propre disparition qui résonne dans ce morceau, qui donne à notre existence une sensation démesurée, d’autant plus forte que notre trépas sera la preuve que nous avons été, que nous avons eu lieu, toujours cette coupure au milieu, comme pour marquer le passage du sensible à l’intelligible à moins que ce ne soit de l’intelligible au sensible, un long silence, tout serait-il déjà terminé, et puis ce bruissement, ce bruit de pales d’hélicoptère ou d’éventail qui brasse le vent, un canot qui s’éloigne des murailles d’Atlantis, maintenant ces claudications, notes de pianos qui s’égrènent dans leur présence et des voix, incompréhensibles qui parlent, qui ne cessent de parler, un dernier avis de speaker qui annoncerait la fin de notre descente orphique. En nous-mêmes.

             Thumos nous surprendra toujours. Non seulement la musique est magnifique, mais cette fois-ci vous vous trouvez comme devant un texte de Platon, vous devez réécouter et réécouter pour percevoir les intentions Thumosiennes. Cet opus est aussi un objet de pensée.

    Damie Chad.

     

    *

    Ils sont grecs et vont sortir, sur le label Season of Mist, au joli prochain mois de mai 2024 un album comportant un morceau dédié à Julien, l’Imperator, une de mes idoles totémiques. Deux raisons suffisantes et nécessaires comme disent les mathématiciens pour se pencher avec intérêt sur la discographie de ce groupe.  

    Z’ont de la bouteille, fondé en 1986, ils ont déjà treize albums à leur actif, sans compter une ribambelle de joujoux explosifs. En plus sur l’opus que nous chroniquons ils reprennent un poème d’Edgar Poe !

    THE HERETICS

    ROTTING CHRIST

    ( Season Of Mist / 2019)

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    La couve est de Maximos Menalis, d’Athènes, si vous ne faites pas un tour sur son Instagram la lecture de cette kronique vous sera interdite. J’ai cru que c’était un vieux tableau espagnol du dix-septième siècle, mais non Maximos Menalis est un passionné du clair-obscur, spécialiste des vieilles techniques des dix-sept, dix-huit et dix-neuvième siècles. Un maître !

    Beaucoup de monde sur cet opus : chœurs, percussionnistes, invités pour les parties du vocal en langue arabe et russe… nous n’avons retenu que l’âme ardente du groupe : Sakis Tolis : vocals, claviers, basse, guitares, percussions lyrics et composition / Themis Tolis : drums.

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    In the name of God : (Official Lyric Video) : Une espèce d’œuvre wagnérienne totale et moderne, le son, le mythe, et l’image, rehaussée de citations littéraires, Dostoïevski, Mark Twain, Nietzsche, de lyrics ambigus qui jouent sur deux niveaux. Les hérétiques ne croient pas en Dieu, le dieu de la Bible et des Evangiles, mais ils croient en leur Dieu, celui de l’Enfer. Le feu est aussi bien celui des flammes de l’Enfer, cet enfer dont les bûchers dressés par l’Eglise afin de brûler les hérétiques ne sont que l’avant-goût de ce qui les attend une fois morts, mais aussi le feu de l’esprit humain qui libère l’homme et brûle toute croyance que l’on tenterait de lui imposer, l’hérétique est celui qui impose sa propre volonté de croyance ou de non-croyance, car l’essence du monde est la volonté… les premières images de la vidéo sont splendides, cette allée d’arbres écroulés entre des statues d’anges désertées, et cette géante stature d’argile et de sang, il s’est arraché de la gangue des croyances,  il s’avance vers les portes du temple, l’Homme en marche, qui pénètre dans une espèce de grotte, il s’agenouille, il rampe, il se relève, il boîte, n’est-il pas comme Jacob qui s’est battu avec Dieu et qui a survécu, il traverse un monde en ruines, architectures de toutes les époques, et finit par s’incliner  devant une bestiale et ricanante statue, sur la dernière image, l’on aperçoit son crâne en feu. Le feu n’est-il pas le grand purificateur. Le libérateur par excellence. Ne délivre-t-il pas l’insoumis de ses propres soumissions.  L’on en oublierait presque la musique, lent mid-tempo, sombre, entrecoupé de chœurs liturgiques, d’un grognement vocal glaçant et angoissant. Vetry Zlye : c’est un peu la symphonie du nouveau monde du black metal melodique, la citation de John Muir qui se battit toute sa vie ( il est mort en 1914) pour préserver la vallée californienne du Yosémite, le paysage grandiose d’eau et de forêts qui défile sur l’écran nous aide à comprendre le panthéisme grandiloquent de ce morceau, toutefois agrémenté de nietzschéisme car l’acceptation du cycle de la vie n’est pas sans rapport avec le concept d’amor fati, d’acceptation du destin professé par le philosophe d’Engadine. Les Dieux sous leur aspect élémental, ou tristement délétère comme Celui des bûchers de l’inquisition, sont assimilés à cette énergie créatrice, à cette force incommensurable de la puissance de l’être telle que la décrit la vision héraclitéenne du feu comme élément constitutif et désagrégatif des cycles de l’univers. Musique grandiose, hymne glorificateur de la beauté du monde. Heaven and hell and fire : le morceau débute par une citation de John Milton (son ouvrage Lost Paradiset fut un de mes livres de chevet durant mon adolescence) et se termine par une déclaration de John Paine, l’un des pères fondateurs des Etats-Unis, qui ne reconnaît qu’une seule église la sienne, celle de son esprit. Plus typiquement rock que les deux précédents, l’on se pâme à la suivre la charge de cavalerie lourde de la batterie, et la guitare arrachera des sanglots de béatitude aux esthètes, Rotting Christ joue avec le feu, Milton nous a avertis, tout Paradis peut se transformer en enfer et tout enfer en paradis, le texte se joue de cette trilogie, de cette alchimie capable de transmuer le Paradis et l’Enfer, l’un en l’autre par l’adjonction originelle de cet élément central qu’est le feu qui leur est constitutif… Hallowed be thy name : plus noir que noir, chœurs de moines, religions que de crimes commis en ton nom, de quoi dégoûter le Christ lui-même du troupeau qu’il a engendré, celui qui allume le feu est le véritable hérétique, pas celui qui brûle, une citation de Shakespeare tiré de la tragi-comédie Conte d’hiver vient en contrefort, ambiance étouffante, il est des contradictions dont ne peut s’échapper, ce qui vous tue ne vous rend pas plus fort, ignominie des formules creuses et pesantes. Des chœurs de haine rendent l’atmosphère plus lourde que la mort.

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    Dies irae : le jour de colère a été retiré officiellement retiré de la nomenclature de la messe du Requiem après le concile de Vatican 2, cette promesse de châtiment divin n’était plus en odeur de sainteté auprès des foules européennes dont s’accélérait la déchristianisation, il faut donc que ce soit un groupe de black metal qui en donne une nouvelle version, sans concession reprenant des couplets du poème originel collés à un condensé de l’action divine peu élogieuse, naissez, servez, soyez châtiés, et tout cela pour les siècles des siècles, une attaque directe, une musique quasi-militaire, assénée à coups battériaux d’une impitoyable vigueur, la vidéo accentue l’accusation, la lumière des cierges illumine une tête de mort, les arêtes de l’édifice religieux son parcourues d’un feu de Dieu… I believe : ce n’est pas le texte qui est débité à toute allure, une tornade emmenée par une batterie folle, et la voix qui récite en langue grecque un texte de Kazantzakis qui fit inscrire sur sa tombe : ‘’Je n’espère rien, je ne crains rien, je suis libre’’ après avoir écrit La dernière tentation (du Christ) que l’Eglise de Grèce tenta en vain de faire interdire… remarquons au milieu du texte cet aveu que c’est l’Homme qui a sauvé le Christ puisque Dieu n’existe pas. Une autre manière d’énoncer la célèbre formule de Nietzsche (qui la reprit de Luther) Dieu est mort. Un coup de butoir sans équivalence sur la notion de croyance. Plus tard Stirner dira : ‘’ J’ai basé ma cause sur rien, Jai basé ma cause sur Moi.’’ Fire God and Fear : la vidéo est un simple montage effectué à partir de la pochette du CD, ce morceau forme comme un diptyque avec le précédent, après la révolte anarchisante du précédent voici l’acceptation masochiste de sa propre culpabilité, Voltaire avait-il pensé que les monstruosités dont il accuse ceux qui se laissent abuser par des sornettes seront d’abord retournées par le fidèle croyant contre lui-même… comme la douleur amoindrit votre force, la musique sur le même modèle que la précédente, n’est pas aussi violente, engluée de chœurs religieux, heureusement que sur la deuxième partie une guitare s’en vient ricaner pour faire durer le plaisir de la souffrance. The voice of the universe : une espèce de batucada accompagnée d’hymnes et une voix qui profère sa différence, sa délivrance, une révolte qui secoue les colonnes du ciel, des cieux serait-on tenté de dire car les allusions au dieu coranique ne sont pas absentes de cette litanie exacerbée qui conte la révolte de Satan, ‘’Better to reign in Hell than serve in Paradise’’ a écrit Milton, notons que l’espèce de dessin de pierres animées de la vidéo se permet aussi une allusion au veau d’or des fils d’Israël, nous sommes au cœur de l’hérésiarquie, les trois monothéismes, historialement les deux derniers ne sont-ils pas des hérésies engendrées par le premier d’entre eux, confondus en une seule rébellion. Un Satan bien peu sataniste puisqu’il base sa révolte en tant qu’institution de sa propre liberté. Longue jubilation orchestrale finale. The New Messiah : enfoncez-vous ça dans la tête, un peu comme les clous dans les membres du Christ, la vidéo est explicite, ne vous focalisez pas sur les dieux monothéiques, il en est d’autres de Ganesh à Bouddha, toutefois la musique est entraînante, roborative, presque joyeuse, des dieux, des prophètes, des messies, il en surgira toujours, mais Satan fait entendre sa petite voix, je n’en suis pas un. Délivrez-vous vous-mêmes de vos servitudes. Même s’il reste encore deux titres j’aurais tendance à dire que l’opus s’arrête-là, même si vous avez un dernier titre en bonus qui se trouve pas sur le CD, Edition de luxe. Mais avant ce cadeau, sur le CD vous trouverez :

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    The raven : n’ont repris que trois strophes du poème d’Edgar, les ont entrecoupées de courts couplets, dans lesquels le poëte se présente comme un ange tombé des cieux, ‘’tourmenté par la passion et le feu, la fierté, l’avidité, et la luxure’’… il aimerait bien retourner là-haut, mais le Corbeau prophétique ne lui laisse aucun espoir… Les premières notes peuvent surprendre, une tornade fond sur vous, vous attendiez quelque chose de crépusculaire, mais non le texte, pardon les textes, défilent à la moulinette, une tempête qui ne vous laisse aucun répit, pour un corbeau immobile la chose se déplace à fond de train, une rafale, une bourrasque, une tempête, un parti pris esthétique des plus tumultueux, des plus réussis, c’est l’inéluctabilité de la solitude humaine et poétique qui vous claque à la gueule comme jamais. Vous n’avez pas l’incantatoire magie insidieuse d’Edgar Poe mais la dérélictoire frappe postulatoire du génie de Baltimore, de Baltinevermore. The sons of Hell : le chat retombe toujours sur ses pattes même quand du haut du paradis il plonge dans son propre enfer, mais les fils de l’Enfer ont choisi en toute conscience, ils ont dit non à l’agenouillement, ils ont préféré les flammes de leur enfer à eux dont ils assument les brûlures puisqu’ elles sont le signe de leur liberté. Un dernier morceau, sombre, nous le surnommerons l’écorché, de l’intérieur, les guitares nous l’apprennent, la liberté a un prix, celui de nos propres tourments, pas besoin d’être brûlé vif par une quelconque inquisition, nous sommes tous des suppliciés, nous sommes tous des hérétiques, l’hérésie est la condition sine qua non de la condition humaine, sans quoi vous n’êtes pas un homme libre mais l’esclave de vos propres angoisses, de votre reniement de votre condition d’être libre. Celui qui admet en toute connaissance de cause et d’effets sa nature de prédateur, envers les autres, et envers lui-même, est hérétique. Nous sommes tous des hérétiques, le bourreau, la victime et l’être libre. Tous victimes et maîtres de notre indéfectible imperfection humaine.

             Une œuvre noire, baudelairienne et philosophique. Un objet de méditation qui ne vous apportera aucune zénitude, qui vous plongera au plus profond du puits de votre humanité dont vous êtes le pendule qui tranche sans fin le nœud mental des vipères sans cesse renaissantes de vos craintes incapacitoires et des flèches enflammées de vos désirs incoercibles. Qui alimentent notre propre bûcher.

             Brûlant.

             Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

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    J’entends les chiens aboyer derrière la porte du local. J’entre, le Chef derrière son bureau est en train d’allumer un Coronado, Molossito saute dans mes bras, Molossa pose son museau sur mon mollet, sa manière à elle de dire : ‘’ Ne t’inquiète pas nous sommes là !’’

             _ Agent Chad, deux jours sans vous voir, je commençais à m’ennuyer !

             _ Ah Chef si vous aviez vu ce pauvre procureur, il savait bien qu’en tant qu’agent secret du SSR il devait me relâcher, il en était incapable, tout le palais de justice était assiégé par des milliers de féministes enragées, finalement ils ont réussi à m’exfiltrer par les égouts, et me voici !

             _ Ah ! je comprends maintenant ce fumet délicat qui émane de votre personne, il est temps que j’allume un deuxième Coronado un Suavito Vanillado pour couvrir ces relents de fosse septique. Le mieux serait que vous preniez une douche, pendant ce temps je finirais de mettre au point mon PA2I ( Plan d’Action et d’Intervention Immédiate ), juste le temps de passer deux ou trois coups de téléphone, rendez-vous pour le briefing dans trente minutes !

    38

    Trois vagues d’assaut a dit le Chef. D’abord moi. Deuxième section à progression invisible : Molossa et Molossito me suivront, à quelques mètres, on ne les voit pas, ils se faufilent sous les voitures qui bordent le trottoir sur lequel je déambule, l’air du passant inoffensif, l’œil aux aguets. L’ennemi ne tardera pas à se manifester puisqu’apparemment c’est à moi qu’il en veut. Peut-être pour votre bien m’a lancé le Chef d’un œil coquin. Il a ajouté qu’il est obligé à lui tout seul de jouer le rôle des forces spéciales prêtes à se sacrifier pour tirer les mauvais trouffions de deuxième classe bêtement fourvoyés dans les guet-apens tendus par un ennemi implacable.  

    J’avoue que j’ai trouvé le plan du Chef particulièrement foireux et que je n’ai pas compris où il voulait en venir. A-t-on le droit de douter des capacités visionnaires de son Chef ? Devrais-je noter ces ruminations dans mon journal sobrement intitulé Mémoires d’un GSH (Génie Supérieur de l’Humanité) ?

    Terrible faute de ma part, je relâche mon attention, je ne vois rien venir. Ou plutôt quand je vois c’est trop tard, je longe une façade d’immeuble lorsqu’un bras puissant jaillit du mur et me tire violemment contre le crépi râpeux, je ne remercierai jamais assez mes deux chiens, chacun accroché à une jambe de mon jean me tire en arrière, durant cinq à six secondes je me demande si je ne vais pas m’encastrer dans la muraille, non mes deux toutous sont les plus forts, le bras qui me tenait lâche prise et disparaît, je me retrouve seul, Molossa et son fils ont repris leur faction sous une voiture, personne n’a assisté à cette scène. Quoi qu’il arrive, vous continuez a décrété le Chef lors du briefing. Alors je continue.

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    Mon calvaire ne fait que commencer. Je croise une classe de CP ou de CE1, portent tous un sac de sport, vont à la gym, je leur souris, à la vitesse d’un éclair un pied surgit du mur, pas le temps de l’éviter, je trébuche et m’allonge par terre. Les enfants éclatent de rire, une petite fille s’exclame :

             _ Il ressemble à mon papa quand il a sifflé la bouteille de Ricard !

             _ Le mien aussi !

             _ Le mien aussi !

    L’institutrice et la maman accompagnatrice me rejoignent :

             _ Enfin Monsieur, relevez-vous, c’est dégoûtant, quel exemple déplorable vous donnez à notre saine jeunesse, vous devriez finir en prison !

    Et bing ! l’instit me file sur la tête un coup de parapluie à assommer un bœuf. Elle n’aurait pas dû. Même pas le temps de l’abattre d’un coup de Rafalos, la bave aux lèvres, les yeux injectés de sang, mes deux chiens dispersent en les mordant cruellement aux jarrets les gamins terrorisés qui s’enfuient en courant de tous les côtés, j’entends deux ou trois chocs sourds, sûr que trois ou quatre de ces marmots indisciplinés se sont fait renverser par une auto. Pas le temps de m’attarder, je suis en mission. Je me relève, chance une rue sur ma droite, je l’emprunte, les glapissements des deux mégères ne m’importunent plus. Sauvé !

    Pas tout à fait. Trente mètres plus loin, deux bras puissants me saisissent par la taille et m’entraînent irrésistiblement dans la vitrine d’une auto-école, je sens le verre se lézarder, Molossa et Molossito tentent de me retenir en vain, ils ne font pas le poids, je dois mon salut à l’intervention providentielle de deux bonnes ménagères de plus de cinquante ans, elles ont posé leurs cabas à terre, me saisissent par les bras et m’arrachent à l’étreinte de mon adversaire…

             _ Le pauvre monsieur il a eu un malaise !

             _ Il s’est trouvé mal !

             _ Non, non, ce n’est rien, merci mesdames, c’est très gentil de m’avoir empêché de tomber !

    J’ai un peu de mal à m’en défaire. Elles déclarent que je suis un peu pâle, elles sont un peu collantes, elles m’inviteraient bien chez elles, elles ne me laisseront partir qu’une fois que je leur aurais fait une bise et promis de revenir les voir.

    Je reprends mon chemin en maugréant. Ah si elles avaient été plus jeunes je ne me serais pas fait prier pour goûter au vin doux de ces si accortes demoiselles. Prenons un exemple, tiens celle-ci à cinquante mètres qui vient vers moi dans sa petite mini-jupe rouge si…mais je n’ai pas le temps de réfléchir à mon scénario phantasmatique, une force monstrueuse me happe et m’entraîne vers la grille de fer forgé qui défend un jardin, cette fois-ci c’est beaucoup plus sérieux, j’ai beau m’accrocher de toutes mes forces aux barreaux, je sens que je vais les traverser, je crie, je vocifère,  Molossa et Molossito tirent si fort sur mon pantalon que je me retrouve en slip, la jeune fille en jupe rouge appelle deux gros malabars qui discutaient sur le trottoir d’en face, ils arrivent, ils m’empoignent, ils ont beau tirer je ne recule pas d’un pouce, pourtant ce sont des costauds, des passants accourent leur prêter main forte, rien n’y fait, je suis littéralement aspiré par cette grille, ce doit-être la porte des Enfers, je suis perdu.

    Une chance inouïe, la jeune fille en mini-jupe s’est jetée sur la chaussée pour arrêter un camion de pompier qui rentrait de manœuvres. Sont douze à s’escrimer autour de moi, ils tirent, ils poussent, heureusement ils ont du matos, sont obligés de me désincarcérer de cette maudite porte, l’attaquent au chalumeau, au burin, à la scie à métaux, à la pince… Enfin délivré, je me tourne vers la jeune fille en mini-jupe rouge qui me regarde avec surprise, je voudrais me rapprocher, la terre m’attire, je tombe dans un précipice sans fin…

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    Une odeur familière vient me chatouiller les narines. Doucement j’ouvre les yeux. Le Chef est en train d’allumer un Coronado. Serais-je au local. Non, je suis couché, dans un lit aux draps blancs, j’essaie de me redresser un fil retient mon bras.

             _ Agent Chad, ne bougez pas, sinon l’infirmière sera obligée de vous administrer un calmant !

             _ Votre ami a raison, Monsieur, soyez calme, vous ne craignez rien ici…

    Je tourne la tête, je la reconnais, la fille à la mini-jupe rouge, elle n’a plu sa mini-jupe rouge, elle porte une blouse blanche, je peux lire son nom !

             _ Joséphine si vous me promettez de rester près de moi, je vous jure que je serai sage comme une image.

             _ Agent Chad cessez vos enfantillages, la situation est plus grave que vous ne le pensez !

             _ Monsieur peut-être vaudrait-il mieux laisser reposer Monsieur Chad, il a besoin de repos, rentrez chez vous, prenez les chiens qui ne veulent pas descendre de son lit, ne vous inquiétez pas je veillerai sur lui toute la nuit.

             _ Bon, je vous l’abandonne mais à l’aube vous lui retirez sa perfusion, et vous lui bourrez les fesses d’amphétamines, j’ai absolument besoin de lui demain à midi tapante !

    Le Chef allume un Coronado avant de partir. Il me sourit, son air soucieux ne me trompe pas :

             _ Chef, je m’excuse, sur cette mission je n’ai pas été au top, par mon inadvertance j’ai tout gâché !

             _ Agent Chad, arrêtez de vous flageller. C’est tout le contraire. Grâce à votre conduite héroïque, nous avons réussi à localiser notre ennemi, nous savons maintenant où se nichent exactement ces maudits briseurs de murailles, demain dès midi nous nous apprêterons à donner le premier coup de pied dans la fourmilière !

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 634: KR'TNT 634 : NEW YORK DOLLS / COURETTES / SUN RECORDS / McKINLEY MITCHELL / SLY STONE / MESSE / EIHWAR / JOHNNY HALLYDAY / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 634

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    29 / 02 / 2024

     

     NEW YORK DOLLS / COURETTES

    SUN RECORDS / McKINLEY MITCHELL

    SLY STONE / MESSE / EIHWAR

    JOHNNY HALLYDAY / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 634

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     - Dollse Vita

    (Part Two) 

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             Franchement, si tu es fan des New York Dolls, ou plus simplement du rock dans ce qu’il peut présenter de plus outrageous, vois et revois le docu de Bob Gruen & Nadya Beck, All Dolled Up - A New York Dolls Story. Gruen qui venait de se payer une caméra a filmé 40 heures de Dolls, et son docu montre à quel point les Dolls étaient à la fois bien ancrés dans leur temps et terriblement en avance sur tous les autres, notamment les Stones et les laborieux Aerosmith. En fait, ils reprenaient les éléments qui firent la grandeur des Stones pour les pousser à l’extrême, et ça passe à la fois par des bonnes chansons, la dope, un son et surtout un look. Et sur les quatre plans, les Dolls étaient imparables. Ils étaient même devenus les meilleurs. Aux États-Unis, les Dolls, les Groovies, le Velvet et les Stooges ont repoussé les frontières de l’empire du rock, un empire créé dix ans plus tôt par Elvis, Little Richard, Jerry Lee, Bo, Chucky Chuckah, Charlie Feathers, Gene Vincent et quelques autres. De tous ces candidats au désastre, les Dolls furent de toute évidence les plus exposés. Ils ne pouvaient pas faire autrement que de vivre la dollse vita, c’est-à-dire la version new-yorkaise du sex & drugs & rock’n’roll, une dollse vita qui a décimé le groupe, puisqu’aujourd’hui, seul David Johansen a survécu, comme chacun sait.

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             Le Gruen movie est un festin d’images, du double concentré de trash visuel en noir et blanc, un brouet gargantuesque de chevelures ébouriffées, de guitares électriques, de street slang, de platform boots, de lunettes noires extravagantes, de groupies défoncées, de backstages improbables, de torses post-adolescents, de lèvres peintes, de Mystery Girls, toute cette énergie et toute cette débauche qu’on a découvrit en 1973, via le premier album des Dolls, et qu’on adopta aussitôt adoptée pour la vénérer, une vénération qui a donc 50 ans d’âge. Et qui n’a jamais pâli.

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             Les gens n’ont pas bien percuté à l’époque : les Dolls, leur look, leur son, leur provoc, c’est exactement le même esprit que celui d’Evis en 1954, quand il twiste des rotules sur scène en pantalon rose. Même esprit que celui d’Eddie Cochran qui se farde les yeux au mascara et qui fume sa pipe à herbe. C’est le même langage visuel destiné à porter un message qui s’appelle le rock. «Mystery Train» et «Mystery Girls» même combat ! Pour Elvis et les Dolls, il ne s’agit pas tant de choquer le bourgeois que de rassembler les kindred spirits, comme on dit en Angleterre, c’est-à-dire les âmes sœurs. Dans l’histoire de l’humanité, et dans une histoire qui ne soit pas politique, peu de gens ont réussi cet exploit, c’est là où d’une certaine façon le rock flirte avec la spiritualité, en rassemblant les brebis égarées. John Lennon a eu raison d’affirmer que les Beatles étaient plus célèbres que le Christ. Les Dolls ont rassemblé beaucoup moins de gens qu’Elvis et les Beatles, mais les ceusses qui ont adhéré au parti du Trash won’t pick it up n’ont JAMAIS déchiré leur carte. 

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             Alors qu’Elvis allait être contraint de rentrer dans le rang, les Dolls ont explosé en plein vol, ce qui est à la fois une fin logique et ce qu’on appelle une tragédie des temps modernes. On pressentait déjà à l’époque qu’ils n’allaient pas tenir longtemps. Too Much Too Soon avait quelque chose de prémonitoire. En se sacrifiant sur l’autel des dieux du rock, les Dolls obéissaient à une pratique qui remontait à la nuit des temps, celle du sacrifice humain. Une pratique qui anticipait l’ère de la tragédie grecque, qui elle-même anticipait une époque qui est la nôtre, elle aussi tragique, mais pour d’autres raisons, disons plus condamnables.

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             Dans l’histoire du rock, peu de groupes ont «échoué» si près du but. Comprenez par-là que les Dolls auraient dû devenir aussi énormes que les Stones, Aerosmith et Kiss confondus, c’est exactement ce que montre le docu de Bob Gruen. On le savait à l’époque, leurs deux albums rivalisaient de classicisme avec les triplettes majeures que sont celles du Velvet, des Stooges, de l’Expérience et du MC5. Il faudra attendre 40 ans pour qu’un docu vienne conforter cette vieille conviction. Gruen fait éclater la génie des Dolls au grand jour. Heureusement qu’il est allé les filmer au Max’s Kansas City et à Kenny’s Castaway, on les voit taper «Jet Boy» sur scène avec un Johnny T torse nu, puis on se tape une petite lampée de «Personality Crisis» et là, on ajuste son propos : il est certain que les Dolls sont le groupe le plus outrageous de l’histoire du rock. Ils poussent l’extravagance des mises et des chevelures à l’extrême onction de la ponction, tu ne peux pas avoir plus de cheveux que les Dolls, et ils se bombent à coups de spray pour maintenir les geysers capillaires en l’air. Et là, sur scène, pas de cadeaux : big voice et deux guitares. «Subway Train» au Max’s, l’un des cuts des Dolls les plus difficiles à reprendre. Il n’y a qu’eux pour savoir jouer un cut aussi bringuebalant. Et boom voilà le trash won’t pick it up qui te faisait valser les neurones, à l’époque. Coup de génie de Gruen : il accompagne les Dolls en tournée ! C’est le fameux voyage en Californie. Tu vois Sylvain Sylvain en short et en bottes, délicieusement provoquant, et Johansen en costard noir avec un petit haut blanc et un chapeau de chochote. Les gens les matent dans le hall de l’aéroport. Ils jouent au Whisky A Go-Go, Gruen filme le sound-check, puis il nous emmène à l’English Disco de Rodney Bigenheimer et là on voit des gens improbables danser sur «I’m Waiting For The Man», les gonzesses font n’importe quoi, c’est l’époque où jerker devient difficile, car les cuts ne sont pas faits pour la danse, surtout pas ceux des Dolls. Ils vont ensuite jouer au Matrix, à San Francisco, Johnny T traîne avec une petite blondasse qui pourrait bien être Sable Starr. Sur scène, ils tapent une version demented de «Mystery Girls». Killer Kane est sur scène, mais il ne joue pas, sa main droite est dans un plâtre, cadeau de sa poule qui a essayé de lui scier le pouce pendant qu’il cuvait sa picole. Tony Machine le remplace au bassmatic. On voit aussi Jerry Nolan jouer la loco sur scène et Syl Sylvain gratter ses poux sur une Flying V. Johansen rend hommage à Willie Dixon - Willie got it. It’s called Hoochie Coochie Man - et ça embraye plus loin sur «The Great Big Kiss». Bob Gruen réussit aussi à filmer l’Hollywood TV Show et on assiste à la séance de maquillage. Spectaculaire ! Ces gens-là savent poser. Ils adoraient poser. Personality Crisis TV show, c’est d’ailleurs de ce show mythique que sort la photo de pochette de Too Much Too Soon. Encore un coup de génie documentariste : Gruen se pointe avec sa caméra à l’Halloween Party au Grand Ballroom du Waldorf Astoria. Rien de pouvait plus freiner l’ascension des Dolls, ils brûlaient toutes les étapes, ils incarnaient le mythe du rock mieux que tous les autres groupes, ils étaient flamboyants. De vraies superstars, avec un set qui tournait comme une grosse horloge. Puis sur la scène du Little Hippodrome, Johnny T chante «Pirate Love» qu’il reprendra avec les Heartbreakers. Il est torse nu, très carré d’épaules, Johansen lui cède le micro. 

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             Il existe un deuxième film de Bob Gruen : New York Dolls - Lookin’ Fine On Television. La matière filmique est la même, mais le film est monté différemment : Gruen part d’une liste de cuts et monte un millefeuille de séquences différentes sur chacun d’eux. Pour le fan des Dolls, c’est une nouvelle foire à la saucisse. Ça démarre en trombe avec «Looking For A Kiss» : Johnny Thunders bien campé sur ses jambes et riff brutal pointé un gros hochement de tête. S’il fallait résumer les Dolls en seul mot, ce serait ‘flamboyant’. David Jo annonce : «And it’s called Babylon/ C’mon boys !». Tout ce que filme Gruen, c’est les Dolls MK2 avec Jerry Nolan. Ah les chœurs de Babylon, c’est quelque chose ! Les Dolls ne le savent pas encore à l’époque, mais leur «Babylon» est devenu un classique, au même titre de «Wanna Be Your Dog» et «Venus In Furs». Encore de la fantastique énergie avec «Trash» et «Bad Detective», big atmo avec «Vietnamese Babies» et grosse ambiance révolutionnaire avec «Bad Girl». Quand Johnny Thunders chante «Chatterbox», il est déjà violemment dans les Heartbreakers. Power maximal. Encore un sonic assault au Waldorf avec «Human Being», Johnny T sur Flying V et chœurs d’artiche avec David Jo. Encore plus heavy, voici «Private World», suivi du fantastique emballement de «Subway Train» et ses cassures de rythme intrinsèques. L’apogée des Dolls : «Personality Crisis» qu’ils montent en chantilly. On s’effare de l’extraordinaire nombre de bons cuts. Pas un seul déchet. Voici donc l’épitome de chèvre du rock, «Who’s The Mystery Girl», et tout se termine avec un «Jet Boy» fondamental et un Johnny T qui mène le bal au riff.   

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             De tous, Martin Scorsese est sans doute le plus habilité à rendre hommage aux Dolls. Il le fait donc via un film paru l’an passé, Personality Crisis One Night Only, et qu’on peut choper sur DVD américain. Il faut donc le lire sur un ordi. Il n’existe pas d’artiste plus new-yorkais que David Johansen, c’est ce que Scorsese entend démontrer avec ce film extraordinaire. Scorsese et son équipe ont filmé un concert unique de David Jo au Café Carlyle en 2020. Il a 70 balais et pour son âge, il est extraordinairement bien conservé : pompadour assez haute, moustache taillée, taille de guêpe, rubis à la main droite, émeraude à la main gauche, funky but chic, verres teintés. Il est la rockstar par excellence. Scorsese n’en finit plus de cadrer en gros plan ce crooner faramineux. L’ambiance est celle d’un cabaret, public assis à des tables, petites lampes, comme dans les films, David Jo est souvent filmé de dos et d’en haut, ce qui donne une vision globale de l’ambiance, comme dans New York New York. Entre chaque cut, il raconte des anecdotes qui sont à son image, extraordinaires et souvent drôles. Il joue son personnage de Buster Poindexter et tape un répertoire élargi, qui va des ballades de crooner jusqu’au «Personality Crisis» des Dolls. Il attaque d’ailleurs avec «Funky But Chic», awite awite, il swingue à gogo. Puis il enchaîne avec I hear a melody in the street, il te groove ça à la new-yorkaise de round midnite, et comme le public est aussi là pour ça, il sort des vieux souvenirs des Dolls : c’est l’anecdote de la Newcastle Brown Ale, les Anglais leur disent drink it ! drink it, big cans, des super pintes, et puis on stage, the drummer throws up, il dégueule et joue dans son vomi, une éclaboussure arrive dans la bouche de David Jo qui dégueule à son tour, blaaaaarhggghhh, comme dirait Nick Kent, throw up, bass throws up, guitar throws up and that was the beginning of punk, the Dolls throwing up. Melody yeah yeah. Puis Scorsese commence à injecter des images d’archives des Dolls, et là ça devient vertigineux, «Stranded In The Jungle» - Meanwhile back in the States - Johnny Thunders torse nu en pantalon à franges, grandeur des Dolls sur scène. Puis paf, voilà la grande tronche de Morrisey - They were very violent, very witty, very intelligent - Il parle même de danger in pop - That was the turning point for me. Every single song is really a hit single. They look like male prostitutes - Moz n’en peut plus - The absolute answer to everything - À l’époque, David Jo explique la stratégie des Dolls : «Bring these walls down and have a party kinda thing.». Il se moque un peu de Morrisey - Have you heard of a fellow named Morrisey ? He was the teenage president of the New York Dolls fan club in England - Et ça embraye aussi sec sur le fameux Meltdown Festival de 2004, «Jet Boy», entrelardé avec du Johnny Thunders cuir noir/Teardrop blanche - Lucky was my baby - Le Jet Boy te hante encore, cinquante ans après.

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             Et pouf, il attaque l’un des hits planétaires du grand retour des Dolls (One Day It Will Please Us To Remember Even This), «Plenty Of Music» - There in a world gone mad/ Feelin’ sad/ I guess I’m sorry - et soudain, il s’élance sans s’élancer - I hear plenty of music/ I see superfluous beauty everywhere/ Why should I care/ What does it matter - Il chante ça au pâteux de vieux Doll, mais avec une classe qui subjugue. Scorsese continue d’entrelarder son film avec virtuosité : il ramène un plan des Harry Smith, on stage, David Jo avec Hubert Sumlin et Charlie Musselwhite, et le «Smokestack Lightning» de Wolf. Oui, David Jo a rencontré Harry Smith au Chelsea, l’Harry Smith qui a collecté les archives de l’American Folk Music.

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             David Jo enfile les hits comme des perles - It’s always raining here - présente Penny Arcade, une vieille de la vieille, puis il raconte comment un jour Killer Kane et Billy Murcia sont venus taper à sa porte, alors il imite la voix d’eunuque de Killer Kane - I understand you’re a singer - et boom, il embraye aussi sec sur «Lonely Planet Boy». Rien de plus Dollsy que cet épisode. Scorsese nous montre aussi le jeune Buster Poindexter, coiffé exactement comme le vieux David Jo - I can sing anything. Any inexpected kind of song - Voilà ce qui fait venir le public. Scorsese ne laisse rien au hasard. Il ratisse tout ce qui fait la grandeur de David Jo, à commencer par sa présence. Dans une interview, un mec dit à David Jo qu’Aerosmith et Kiss ont connu la gloire, mais pas les Dolls, auxquels ils ont tout pompé. David Jo répond à côté - The Dolls were a band’s band - Il cite l’exemple des Ramones qui eux aussi disaient : «We can do that.» Et boom, nouveau hit faramineux avec «Maimed Happiness», tiré aussi d’One Day It Will Please Us To Remember Even This. Maimed veut dire ‘estropié’, et David Jo ajoute : «Life is just maimed happiness.» Ils finissent avec «Personality Crisis» et Scorsese cadre Brian Koonin sur sa Tele, mais aussi Keith Cotton au piano, Richard Hammond au bassmatic et Ray Grappone au beurre. Méchante équipe !   

    Signé : Cazengler, New York Dumb

    Martin Scorsese. Personality Crisis One Night Only. DVD 2023

    Bob Gruen & Nadya Beck. All Dolled Up. A New York Dolls Story. DVD 2005

    Bob Gruen & Nadya Beck. New York Dolls. Lookin’ Fine On Television. DVD 2011

     

     

    L’avenir du rock

     - Elle court elle court la Courette

             L’avenir du rock marche dans le désert depuis des années. Il a fini par se lasser de la marche, comme on se lasse de tout. Alors pour se divertir, il s’est mis à courir. Disons qu’il galope, car n’étant pas un sportif, sa foulée n’a vraiment rien d’élégant. Et depuis qu’il court, il voit tout le monde courir. Un jour il croise à nouveau Rimbaud et ses quatre porteurs éthiopiens. L’avenir du rock interpelle Rimbaud. Tout le monde s’arrête.

             — Mais vous zêtes pas Rimbaud !

             — Ben non, vous voyez bien !

             — Alors qui vous zêtes ?

             — Sylvain Tintin !

             — Vous m’en direz tant ! Je vous croyais au Tibet à la recherche du Yéti des neiges. 

             — Non, je voyage sur les traces de Rimbaud pour célébrer sa mémoire dans mon prochain livre. J’écris sur ma civière, voyez-vous. Permettez-moi de vous présenter mes porteurs : Abebe Bikila qui s’entraîne pour le marathon olympique, son frère Abobo Bikila qui vient d’acheter un duplex dans le Marais, son autre frère Abubu Bikila qui est en sevrage après tant d’abus, et lui, c’est Abibi Bikila qu’on surnomme Fricotin, ne me demandez pas pourquoi. Vous pouvez profiter du voyage, si vous le désirez, c’est une civière à deux places...

             — Non merci, zêtes sympa, Sylvain Tintin, je dois affronter mon destin.

             L’avenir du rock reprend sa course. Quelques heures plus tard, il croise un couple exotique, un mec habillé en noir et coiffé d’une casquette court devant, suivi à vingt mètres de Ronnie Spector. Intrigué, l’avenir du rock les interpelle. Tout le monde s’arrête.

             — Mais vous zêtes pas Ronnie Spector !

             — Ben non, vous voyez bien !

             — Alors qui vous zêtes ?

             — Flavia Couri !

             — Vous m’en direz tant ! Pourquoi courez-vous ainsi ? 

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             — Parce que nous sommes les Courettes !

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             Franchement, on ne pouvait rêver meilleure introduction. Le désert a tout de même meilleure réputation que la banlieue d’elle-court-elle-court. Et d’ailleurs, elle court elle court aussi sur scène, la Courette, dans sa petite robe rouge et ses bottines en vinyle blanc. Set énergique d’un duo rompu à toutes les disciplines du power-gaga. Elle s’appelle Flavia et on peut dire qu’elle tient bien la rampe, elle remplit bien le spectre du chant et gratte des jolis poux de fuzz entre deux eaux. Leur petite machine tourne comme une horloge.

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    Côté beurre, le gros Martin ne chôme pas, sous sa casquette de Liverpool, il bat pour dix, se prend pour Pantagruel, il boom-boom-boom et badaboumme, c’est un vrai marteau pilon échappé des forges du Creusot. Il a pour sale manie de se remplir la bouche d’eau et de faire son Moby Dick, avec des jets de dix mètres de haut dans le ciel, et si tu te trouves au pied de sa batterie, tu en prends plein la gueule. Bon, une fois c’est marrant. Mais au bout de dix fois, ça ne l’est plus. Pour te consoler, tu peux te contenter de penser que c’est moins pire que la bière. On a tous été dans des concerts punk à la mormoille où il pleuvait de la bière comme vache qui pisse.

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    Donc Moby Dick fait la loco des forges, et pour Flavia c’est du gâtö, elle peut foncer dans la nuit. Elle est d’une fraîcheur incomparable, impressionnante de professionnalisme gaga. La plupart des cuts font boom, surtout «Boom Dynamite», et le magnifique «Trashcan Honey» hanté par des chœurs de rêve - Trashcan Honey ouuuh ouuuh - Ça explose comme une comète au printemps.

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    Ils démarrent le set avec un «Hoodoo Hop» gavé de fuzz comme oie, si gavé qu’il en devient classique. On a déjà tellement entendu ce son qu’on ne cille plus, et pourtant, ça reste d’une redoutable efficacité. Les deux Courettes ont le diable au corps. Flavia trépigne sur son «Shake», pourtant tellement classique, mais dans ce contexte, ça passe comme une lettre à la poste. Ils terminent avec l’«Hop The Twig» tiré de Back To Mono, et tenu par la barbichette d’un riff qu’on dirait sorti tout droit de la SG de Link Wray. Un son lourd de menace. Pas de meilleure façon de célébrer la magie enfuie des sixties.

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    Elle chante à l’accent fêlé et amplifie le sortilège. En rappel, ils tirent aussi le «Misfits & Freaks» de Back To Mono, c’est héroïque car la prod est tellement spectorienne qu’on n’imagine pas les voir jouer ça sur scène, mais elle y va de bon cœur, et Moby Dick continue de cracher des jets d’eau à gogo. Ils restent sur le Back To Mono pour conclure avec «Won’t Let You Go», belle power pop sixties tellement spectorienne qu’elle remplit le cœur d’aise. Moby Dick fait des jolis chœurs. Les Courettes ont découvert le secret des dynamiques infernales.

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             Avec Here Are The Courettes, pas de surprise : on reste dans le classic gaga sauvage avec ses solos de fuzz et ses wouahh juvéniles. Ils s’amusent même à monter «Money Blind» sur le beat de «Lust For Life», alors t’as qu’à voir. Ils y vont la fleur au fusil, à l’here we go ! Pas de problème. Admirable Flavia ! Elle dispense des flaveurs. Les deux bombes de l’album sont en B : «Shiver» et «We Are Gonna Die». Elle gratte son Shiver à l’ongle sec et Moby Dick le bat comme plâtre. Voilà l’hit ! Sec comme un olivier. Bien décharné. Une olive tous les huit ans. On se régale encore plus de la belle intro du Gonne Die. Big disto de bim badaboom, elle te riffe ça comme la reine des cakes.

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             We Are The Courettes est un album bien plus dodu que le précédent : 7 bombes sur 12 cuts. Pas mal pour un groupe de zone B. Flavia commence par noyer son «Time Is Ticking» de fuzz. Elle connaît toutes les ficelles du caleçon. C’est excellent, bourré d’écho et de climax tic tic.  En bout de B, elle tape le «Boom Dynamite» du set. Elle le pulse au riff surexcité. L’autre coup de génie est le «Voodoo Doll» traversé par un hallucinant solo de corne de brume. Voilà un cut d’une brutalité indescriptible. Même topo avec «All About You». Une pluie de silver sixties s’abat sur la terre des Courettes. Avec sa belle énergie d’absolute beginner, ses blasts opérationnels et ses jives définitifs, cet album bat tous les records de densité. Derrière Flavia, Moby Dick tape comme un sourd. Elle attaque «Nobody But You» aux accords de Dave Davies. C’est exactement le même freakout de wild gaga strut, et ça continue avec la Méricourt absolue de «TCHAU», c’est du sans pitié pour les canards boiteux. Si tu aimes la viande, te voilà bien servi. On les retrouve beaucoup trop énervés sur «The Teens Are Square». Elle monte sur tous les coups, et son talent finit par nous faire oublier les clichés.

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             Le Back In Mono paru en 2021 compte parmi les plus somptueux hommages à Totor. On se croirait au Gold Star en 1965. Flavia n’y va pas de main morte, elle est en plein dans Ronnie, et ce dès «Want You Like A Cigarette», porté par une prod démente saturée de Back in Mono, ça grince dans les poches, ça shake all over. Et ça continue avec «I Can Hardly Wait», c’est même du Totor à la puissance 10, l’«Hey Boy» qui suit est un copy-cat des Ronettes, «Night Time (The Boy Of Mine)» semble sortir tout droit d’un juke de 1964, c’est inespéré de Wall Of Sound, confus et puissant de yeah yeah yeah. Ils enfilent les pop blasters comme des perles, Flavia Spector a tous les réflexes du Brill. Ils explosent encore la rondelle des annales de Totor avec «Until You’re Mine» et «Trash Can Honey» déborde littéralement de niaque, ils forcent un peu la main du destin, et on voit «My One & Only Baby» se noyer dans la prod, elle se prend vraiment pour les Ronettes, même élan et même magie de juke. Et ça bombarde encore jusqu’à la fin, avec l’«Edge Of My Nerves» tapé à l’énergie de fast pop chantilly, ils sont les héritiers directs du génie pop de Totor.

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             Ce serait bête de faire l’impasse sur Back In Mono (B-Sides & Outtakes), car ce mini-album grouille de puces. Tu te grattes dès «Daydream» qui sent bon l’«Eve Of Destruction», mais plongé dans l’enfer de Totor. Trop beau pour être vrai ! Explosif ! Ils rassemblent toutes les conditions du stomp et de la fuzz pour allumer «Tough Like That», pur jus de petite pop trash produite dans l’esprit de non-retour. Flavia Spector gueule sa rage dans le chaos sonique et colle son cut au plafond. Nouvelle descente aux enfers du paradis avec «Talking About My Baby». Franchement, tu n’en reviens pas d’entendre un tel brouet d’excelsior, ils collectionnent les coups de génie, toutes les voiles sont bien gonflées, Totor aurait adoré Flavia, cette petite reine de la ritournelle du Brill. Avec «Only Happy When You’re Gone», elle passe au classic jive de Brill. Ils se jettent tous les deux à fond dans ce vieux mythe et bien sûr, ils n’oublient pas les castagnettes. Ils finissent en beauté avec «The Boy I Love», straight pop de right away, elle ramène son meilleur sucre, avec un petit côté France Gall, puis «So What», en plein cœur du gaga-punk et tapé avec une incroyable ferveur.

    Signé : Cazengler, court toujours

    The Courettes. Le 106. Rouen (76). 9 février 2024

    Courettes. Here Are The Courettes. Sounds Of Subterrania 2015

    Courettes. We Are The Courettes. Sounds Of Subterrania 2018

    Courettes. Back In Mono. Damaged Goods 2021

    Courettes. Back In Mono (B-Sides & Outtakes). Damaged Goods 2022

     

     

    The Memphis Beat

     - Flip Floyd and Fly

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             L’air de rien, John Floyd abat un sacré boulot dans son petit livrotin, Sun Records An Oral History : il donne la parole à un tas de monstres sacrés, Rosco Gordon, Roland Janes, Jack Clement, Billy Lee Riley, Little Milton Campbell, Jim Dickinson et des tas d’autres, mais c’est dans le spasme final d’un choix discographique qu’il s’affirme en tant que fan de tous les diables. Il fait l’une des meilleures apologies du rockabilly qu’on ait vue ici-bas et il choisit son camp : Jerry Lee et Carl Perkins, oui, la box de Gene Vincent chez Capitol, non. Et il dit pourquoi : «You could make an argument for Gene Vincent, I guess but I’ve heard the Capitol box and I’m not buying it - The box or the argument. (Tu peux essayer de me vendre Gene Vincent, mais j’ai écouté le coffret Capitol et je n’en veux pas. Ni de ton argument ni du coffret)» Il préfère la box de Carl Perkins, Classic, parue chez Bear : «Classic restitue l’homme tel qu’il fut, l’artiste de rockabilly le plus sauvagement doué, un mix de chanteur/compositeur/guitariste/leader qui ne fut jamais égalé.» Et il reprend juste après Gene Vincent : «Pendant quelques années dans le milieu des fifties, Carl Perkins incarna le rockabilly comme nul autre, de ce côté-ci d’Elvis. Il était aussi barré que le plus barré des rockabs («Her Love Rubbed Off») et il chantait avec la niaque d’un shouter de jump et un twang dans la voix aussi country qu’une bombonne d’alcool de maïs du Tennessee.» Voilà comment en quelques lignes, John Floyd brosse le portrait d’un géant et il a raison d’insister sur Carl Perkins, car il règne encore sur la terre comme au ciel. John Floyd sort à peu près le même genre de dithyrambe sur Jerry Lee. La box Bear Classic Jerry Lee est pour lui le summum du boxing : «Dire que ce coffret est le plus parfait coffret de Jerry Lee n’est pas exact. Il faudrait plutôt dire que c’est le meilleur coffret existant sur cette planète.» Et dans un dernier spasme d’exaltation, il clame : «But trust me, you need the box.»

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             Bien sûr, l’auteur aménage un bel espace pour Elvis dans sa discographie. Il recommande tout de suite The Complete 50’s Masters qui rassemble tout ce qui fut enregistré chez Sun, c’est-à-dire cinq singles. Il recommande aussi l’amazing docu Elvis  ‘56. Et il redit son admiration pour ce qu’Elvis, Bill, Scotty et Sam ont inventé dans cette petite pièce carrée du 706 : «Chaque fois que je réécoute ces singles, je m’émerveille de l’adresse, de la grâce et de la détermination avec lesquelles Elvis, Scotty et Bill ont approché le «Good Rocking Tonight» de Roy Brown et le «That’s Allright» d’Arthur Crudup, et de la façon dont ils ont transformé le médiocre «Baby Let’s Play House» d’Arthur Gunter en thundering culmination de tout ce qu’ils avaient réussi à faire lors de la première séance d’enregistrement.» Et il conclut son chapitre Elvis avec la plus rockab des chutes : «Rien de ce qui a pu être écrit à propos d’Elvis et des singles Sun ne peut dire la grandeur de cette musique et à quel point elle est bonne. Il faut juste l’écouter.» Alors évidemment, après le trio de tête Carl/Jerry Lee/Elvis, il est difficile de chauffer le brasier des recommandations. John Floyd regrette qu’il n’existe pas de box consacrée à Billy Lee Riley, le seul artiste Sun qui selon lui aurait pu continuer à porter le flambeau après le départ d’Elvis et avec, précise-t-il «more gusto, relish and determination than the killer.» C’est ce qu’il ressent en écoutant les manic rockers qui ont fait la légende de Billy Lee chez les fans de rockab. Il va loin car il affirme que Billy Lee est resté culte car il n’a jamais connu le succès et donc n’a jamais terni sa glorieuse obscurité. Il cite aussi la classe de Charlie Rich et recommande son dernier album, Pictures And Paintings («triomphant retour sur Sire en 1992»).

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             En aval, John Floyd remonte jusqu’au Box Sun Blues Years 1950-1956 qu’il tient non pas pour la plus belle collection de blues de Sam Phillips, mais pour le plus beau coffret de postwar blues. On y retrouve Wolf, Joe Hill Louis, Sleepy John Estes et tous les autres, BB King, Little Milton et Rufus Thomas. Et quand il pointe les volumes des Memphis Days de Wolf, il parle de «musique la plus abrasive, la plus poignante, la plus suffocante du panthéon de la musique américaine.» Floyd évoque une voix chargée de pathos et de terreur, et les schrapnels de la guitare de Willie Johnson. Sam Phillips disait de Wolf qu’il était le plus grand artiste qu’il ait jamais enregistré, plus grand qu’Elvis. Puisqu’on est dans Wolf, voilà Pat Hare que recommande Floyd. Il recommande aussi l’Hey Boss Man de Frank Frost, dernier bluesman enregistré par Sam Phillips. Et puis comme pour Billy Lee Riley, Floyd regrette qu’on n’ait pas de box pour Charlie Feathers. Il parle d’une vaste et fascinante carrière, mais dit-il en guise de consolation, il suffit d’amasser les disques existants pour comprendre la portée de son considerable cult following. Ce qu’ont fait tous les dedicated followers of the fashion.

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             Ce petit livre qui ne paye pas de mine dit tout ce qu’il faut dire du rockab, né en juillet 54 au 706 Union Avenue, Memphis Tennessee. Dans une petite pièce, quatre mecs, Scotty, Bill, Elvis et Sam surent brasser le blues, la country, le bluegrass et la pop pour en faire quelque chose d’autre. Le rockabilly, simple mélange de raw country sound, popping guitar, slapback bass, blues-soaked swing et d’echo pioneering allait devenir une spécialité régionale. Floyd rappelle que Johnny Burnette a raté son audition chez Sun et qu’il dut aller à Nashville enregistrer chez Coral, où enregistrait déjà Buddy Holly. Mais le meilleur rockabilly fut enregistré à Memphis. Floyd rappelle que Billy Lee Riley aurait dû devenir une star. Il dit aussi que la grandeur de Jerry Lee dépassait largement le rockab, et même le rock’n’roll et la country et que Carl Perkins reste le rockab quintessentiel, car il sut en maîtriser les thèmes et le concept. Il termine ces quelques pages enflammées en citant les héritiers du rockab : Ronnie Hawkins et son hoodoo boogie, Billy Swan et sa country-pop, et puis les Cramps.

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             Autant les pages consacrées à Charlie Feathers sont émouvantes, autant celles consacrées à Billy Lee Riley sont enflammées. Floyd voit Charlie Feathers comme un excentrique hot-tempered doté d’une voix qui va du chat perché au baryton, un homme qui affirme avoir inventé le rockab - et non Sam ou Elvis. Quinton Claunch qui fut chargé par Sam d’enregistrer Charlie aimait bien sa voix, mais il le trouvait un peu trop auto-centré, «to say the least», «il était son pire ennemi et ne faisait confiance à personne.» Charlie prétendait avoir appris à Elvis à chanter, mais Claunch pense qu’au fond Charlie en voulait à Elvis de le voir réussir en utilisant la même vision du son, et il ne pouvait tout simplement pas le supporter.

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             Et pour Floyd, Billy Lee Riley avait une voix de rêve, qui mêlait Elvis et Little Richard. Il avait aussi un style de guitare qui allait devenir un modèle du genre. Mais il ne s’entendait pas bien avec Sam - Sam and I didn’t really get along per se - Ils se respectaient mais s’engueulaient. Billy voulait faire un truc et Sam voulait qu’il en fasse en autre. Pour Billy, le vraie génie chez Sun n’est pas Sam, mais Jack Clement. C’est Jack qui a tout enregistré pour Billy chez Sun. Et comme à l’époque, Billy et Sam picolent pas mal, ça n’arrange pas les choses. Quand Billy découvre que Sam met Jerry Lee en avant chez Alan Freed, alors il explose et casse tout chez Sun - That was enough to make me mad - Il faut se rappeler que l’alcool coulait à flots chez Sun. Comme le rappelle Billy un peu plus loin, ils n’enregistraient jamais sans en avoir un coup dans la gueule. Pas du dope, juste de l’alcool - And by the time the session was over everybody was stoned - Billy est le seul qui ne soit pas condescendant avec Sam que tout le monde prend pour Dieu. «Tout le monde l’appelle Mr Phillips, except me.» Billy et Sam avaient des rapports plus directs, ils ne s’aimaient pas, mais comme le dit si bien Billy, «he knew what I had to offer and I knew that he was talented.» Billy Lee Riley et Charlies Feathers sont certainement deux des artistes les plus attachants de l’âge d’or. Et leurs disques ne déçoivent jamais.

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             On s’en doute, les coups de projecteur sur Sam grouillent dans cet opuscule boppy. C’est Malcom Yelvington qui raconte sa première rencontre au 706. Il dit à Sam : « I understand you’re putting records out !» et que lui répond Sam ? «Yeah, a few !» Puis il lui demande ce qu’il peut proposer et Yelvington annonce a real good country band. «Ça vous intéresse ?» Et Sam répond : «Je ne sais pas ce que je cherche. Je le sais quand je l’entends.» Voilà qui définit bien Sam Phillips. Il cherche autre chose. Something different. Quand plus tard Malcolm revient faire un tour chez Sun, Sam le chope et lui dit : «Vous vous rappelez de ce que je vous ait dit l’autre fois, à propos de ce que je cherchais ? Eh bien j’ai enfin entendu ce que je cherchais.» Elvis, bien sûr, le premier single sur Sun. Et Jack Clement ajoute : «Il y avait quelque chose en lui qui poussait les gens à jouer pour lui, parce que quand il appréciait un truc qu’il entendait, il entrait en adoration.» Roland Janes va beaucoup plus loin quand il dit que Sam savait dénicher les gens qui avaient quelque chose d’original pour en faire des stars. «Si Jerry Lee avait enregistré à Nashville, on lui aurait dit d’arrêter le piano et de gratter une guitare. Et personne n’aurait jamais enregistré Johnny Cash.» Pour Roland Janes, Cash est devenu l’artiste le plus distinctif, le plus unique de Sun. Rosco Gordon pense lui aussi beaucoup de bien d’uncle Sam qui lui disait, alors qu’il entrait en studio : «Ne cherchez pas à faire un tube, faites une bonne chanson.» Rosco n’en revenait pas de voir Sam faire tant de miracles avec une seule piste, all that rinky-dink recording stuff. Et quand toute cette magie se produisait, les gens avaient une moyenne d’âge de 20 ans et Sam que tout le monde appelait Mr Phillips, n’avait que 30 ans !

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             C’est Jack Clement qui appelle Roland Janes pour lui dire qu’il a en studio un petit mec originaire de Louisiane et qu’il est pretty good. Oui, il s’agit bien de Jerry Lee. Mais Billy Lee Riley le voit trop se vanter. Jerry Lee se dit le meilleur et personne ne pourrait lui dire le contraire. Billy n’est pas un vantard. Il n’a pas besoin de ça. «Jerry Lee non plus», ajoute-t-il, «il suffit de le voir jouer  pour savoir à quel point il est bon.» Roland Janes dit aussi qu’on croyait Jerry Lee jaloux d’Elvis. Oh pas du tout. Pourquoi ? Parce que Jerry Lee se savait bien meilleur qu’Elvis, et qui encore une fois allait pouvoir prétendre le contraire ? Mais Roland Janes a raison, au fond, comment pouvait-on les comparer ? Elvis était un romantique et Jerry Lee un knock-down drag-out, qu’on peut traduire par démolisseur. Le jour de l’enregistrement de «Great Balls Of Fire», Sam et Jerry Lee ont un échange explosif en studio. Ils s’accrochent sur le thème de la foi et Jerry Lee explose : «No no  no how can the devil save souls ? What are you talking about ? Man, I got the devil in me ! If I didn’t have, I’d be a Christian !» Tout Jerry Lee est là. Floyd en pince aussi pour Charlie Rich qui pendant sa période chez Hi Records en 1966-67, enregistra «some of the greatest blue-eyed Soul ever recorder - in Memphis, Muscle Shoals, anywhere.» 

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             Encore plus en aval, John Floyd donne la parole aux pionniers, Rufus Tomas, Little Milton et Rosco Gordon. Rufus dit son attachement à Memphis. Il ne voulut ni s’installer à New York ni à Chicago. Jeune, il commence par faire le tap dancer et apprend à capter l’attention du public. Rufus ne se vante pas quand il dit que personne ne sait aussi bien capter l’attention du public que lui. En 1930, il rejoint les fameux Rabbit Foot Minstrels dont parle aussi Charles Neville dans ses mémoires. Quand Rufus débarque chez Sun et plus tard chez Stax, il a déjà du métier. Il rappelle aussi que BB King venait jouer au concours amateur du mercredi soir sur Beale Street. Le gagnant remportait un dollar et BB avait besoin de ce dollar pour vivre - BB King was there to get that dollar - Et très vite, Rufus s’aperçoit qu’il a du gravier dans la voix et qu’il ne peut plus chanter de pop songs. Il ne sait pas encore que ce gravier va faire des miracles chez Stax. Rufus n’aime pas Sam. Problème de blé, encore une fois. Rufus le voit rouler en Bentley et lui demande avec quel blé il a pu se payer cette bagnole étrangère. Il ne récupère que 500 $ pour «Bear Cat» qui se vend énormément - He was an arrogant bastard. He is today - Little Milton rappelle que c’est Ike Turner qui le repère et qui l’emmène chez Sun. Sur «Beggin’ My Baby», son premier single Sun, Ike joue du piano.

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             Rosco Gordon explique qu’il ne chante que pour gagner de quoi s’acheter du pinard (wine money). Il n’est même pas nerveux en entrant en studio. Il enregistre «Booted» et à l’époque son chauffeur s’appelle Bobby Bland.

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             Tous ces gens donnent le tournis, mais celui qui bat tous les records de présence, c’est bien sûr Jim Dickinson. John Floyd a l’intelligence de lui tendre le micro. Pour Dickinson, Elvis était tout simplement superman. «Il y avait quelque chose dans sa façon d’entrer sur scène qui dépassait tout ce qu’on pouvait imaginer.» Et il ajoute : «J’ai vu les Beatles lors de leur première tournée, j’ai vu les Stones à toutes les époques, j’ai vu Dylan, mais je n’ai jamais rien vu d’aussi fort qu’Elvis. Juste le voir entrer sur scène. Il n’avait même pas besoin de chanter. On perd un peu ça de vue aujourd’hui, mais ce qu’il fit à cette époque était révolutionnaire, juste en secouant une jambe, il déclenchait une révolution sexuelle et il transformait la façon dont chaque homme se coiffait, marchait ou parlait. Encore aujourd’hui, il est le visage le plus connu dans toute l’histoire du genre humain.» John Floyd dit que Dickinson est parfaitement à sa place dans cette ville de brillants marginaux et de visionnaires excentriques qu’est Memphis. Floyd tient Dickinson pour un pur produit de la Memphis dementia, pire encore, comme l’héritier de Sam Phillips et de Dewey Phillips. Il pense aussi qu’il a largement contribué à façonner la légende de Memphis et à assurer à son avenir. Dickinson : «Dans ma famille, on est musiciens depuis cinq ou six générations, mais sans être professionnels. Ma mère avait reçu une solide éducation. Elle a joué du piano à l’église pendant toute sa vie.» Quand on tente de lui inculquer des connaissances de musique classique, le petit Dickinson se cabre. C’est le jardinier black Alec qui lui amène un jour Butterfly, un pianiste black. Butterfly explique au gamin que la musique est faite de codes. Alors ça plait au jeune Dickinson qui traduit ça dans son imagination en codes secrets. Bien sûr, Butterfly voulait dire chords, c’est-à-dire accords, mais le gosse comprend codes et ça l’intéresse. Tu prends un code avec la main droite et une octave avec la main gauche, tu joues ça en rythme et ça donne le rock’n’roll. Mais à l’époque où Dickinson veut jouer du rock’n’roll, au début des années soixante, c’est encore très mal vu. «La musique teenage n’était pas reconnue alors. Il a fallu attendre l’arrivée des Beatles et des Rolling Stones pour qu’elle soit acceptée. Les groupies n’existaient pas non plus. Le rock’n’roll n’était même pas cool. On nous considérait comme des délinquants (deviant behavior of some kind).» Et dans un paragraphe poignant, Dickinson rappelle qu’il doit tout, absolument tout, à Dewey Phillips. «My whole musical taste, what I do for a living came from listening to Phillips on the radio.» Car ce qu’il proposait était totalement différent, c’était l’idée clé, une idée qu’on va retrouver chez Sam Phillips, lui aussi en quête de something totally different. Dewey Phillips ne s’adressait ni aux black people, ni aux white people, il s’adressait aux good people. La couleur ne l’intéressait pas, pour lui «the colour was good and he was playing good music. It was Sister Rosetta Tharpe and then Hank Williams.» Dickinson écoute tellement Dewey Phillips qu’il le croit sur parole quand il dit que Billy Lee Riley est une star. Jusqu’au moment où il va faire ses études au Texas et découvre que personne ne connaît «Red Hot» au Texas. Red quoi ? Même chose pour Sonny Burgess. Sonny qui ? En dehors de Memphis, personne ne connaît Sonny Burgess. Mais Dickinson croit Dewey sur parole quand il dit que Sonny est une star. «Dewey said he was, you know ?»

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             Dickinson revient sur la grande spécificité de Memphis qui est de favoriser l’individu, et pas seulement la musique. Les réussites à Memphis sont toutes des réussites individuelles. C’est aussi lui qui va faire l’un des derniers singles Sun avec les Jesters, un groupe quasi-mythique dans lequel on trouve le fils cadet de Sam, Jerry Phillips à la guitare, et Teddy Paige. Dickinson chante et Knox, le fils aîné de Sam, enregistre. C’est le fameux «Cadillac Man». Il rappelle aussi que durant les années 70, Knox et lui ont tenté de monter un coup avec BB King. Ça paraissait évident que Sam allait accepter, car c’était un projet extrêmement significatif. Tout est prêt. Knox en parle à Sam qui dit non. Pourquoi ? Dickinson n’en revient pas. A-t-il donné une raison ? Et Knox dit oui. Sam lui aurait rétorqué : «On ne peut pas aller demander à Picasso de peindre une petite toile comme ça vite fait.» Selon Dickinson, Sam Phillips voyait les choses à sa façon, c’est-à-dire en grand.

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             «Il y a des gens qui me disent que la période de génie de Sam a duré dix ans, comme son alcoolisme qui a duré dix ans, et sa thérapie à base d’électrochocs a aussi duré dix ans.» Et ce fin renard rigolard ajoute : «Je sais qu’il était fasciné par le courant électrique.» Dickinson raconte qu’il a vu Sam mette un tournevis sur un contact et créer un éclair. C’était du 110 V ! Sam : «A little one-ten (110) doesn’t hurt you. You need two-twenty (220) every now and then to know you’re alive.» Dickinson conclut en affirmant que Sam n’est pas un être humain ordinaire.

    Signé : Cazengler, John Flop

    John Floyd. Sun Records : An Oral History. Devault-Graves Digital Editions 1998

     

     

    Inside the goldmine

     - McKinley dans la poche

             Comme il pouvait nous agacer ce Kiki avec sa petite moustache pré-pubère, ses grosses lèvres, son acné virulente et sa façon de se placer sous la protection d’un gros dur, avec cet air provocateur qu’ont les chats siamois. Et pour aggraver les choses, il était en plus le chouchou de sa mère. Il y avait certainement un vieux fond de jalousie parmi nous, les autres membres du groupe. Nous n’avions pas de famille ni personne pour nous protéger. L’idée était de lui apprendre à vivre. On ne supportait plus de le voir prendre ses poses alanguies en suçant les bonbons que lui faisait porter chaque jour sa mère. Nous guettâmes longtemps l’occasion, et le jour où son protecteur fut appelé par le directeur de la colo pour une raison x, nous passâmes à l’action. Viens par ici mon Kiki. Il sentit tout de suite que les choses allaient mal tourner et il se mit à chialer comme une gonzesse et à appeler sa mère. On s’empara de lui à quatre, chacun tenait une jambe et un bras et nous le transportâmes dans la salle de bain. Il tentait de se débattre. Nous approchâmes des chiottes immondes qui n’étaient jamais nettoyées. Kiki se mit à hurler, non ! non ! pas ça ! Et nous lui plongeâmes la tête dans l’eau, enfin si on pouvait encore appeler ça de l’eau. Il perdit connaissance. On l’installa assis au sol contre le mur et il revint à lui. Il nous regarda tous les quatre avec une tristesse infinie. Il y avait dans ce regard un tel désespoir que nous éprouvâmes tous de la honte. Nous fûmes alors traversés par un violent désir de réparer. «T’inquéquète donpas mon Kiki, on va te nettoyer.» On le lava, on le peignit, on lui fit même des bisous sur le front. On le ramena dans le réfectoire et on lui réchauffa un bol de chocolat chaud. Nous devînmes tous les quatre ses meilleurs amis de colo, mais jamais la tristesse ne s’effaça de son regard. Bien des années plus tard, je tombai par hasard sur Kiki dans la rue. «Savati mon Kiki ?». Il répondit que oui, «savabin», mais son regard disait exactement le contraire.

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             Le souvenir du pauvre Kiki nous ramène à un autre kiki, McKinley Mitchell, découvert dans une box et pas n’importe quelle box, la box Malaco, coco. Comme McKiki est un mec de Jackson, Mississippi, il paraît donc logique de le retrouver sur Malaco, le label local.

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             Il enregistre son premier album sans titre sur Chimneyville, l’ancêtre de Malaco, en 1978. Dès «Open House At My House», on réalise qu’il sonne exactement comme Bobby Blue Bland, et donc on devient potes, car ici, Bobby Blue Bland est un dieu. McKiki est un fabuleux groover, on se régale de sa fantastique allure. Il tape ensuite une cover de «You’re So Fine», ce vieux hit mondial des Falcons repris par Ike & Tina Turner. Il clôt son balda avec «You Know I’ve Tried», une belle Soul de power Soul Brother. Il secoue bien les colonnes du temple de Chimneyville. En B, il tape dans Bobby Darin avec «Dream Lover» et finit avec «Follow The Wind», une chanson de cowboy lancée au petit trot, c’est plein d’élan et bien ouvert sur l’horizon. McKiki adore chanter dans le vent de la plaine. On est vraiment content pour lui.

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             Il apparaît en gros plan avec ses baguouses sur la pochette d’I Won’t Be Back For More. Au dos, le mec du label Retta’s Records a écrit en gros : «This is a hit record !» On veut bien le croire, car McKiki est un sacré Soul Brother, il te groove son morceau titre au doux du velouté, il te groove ça au quart de poil, c’est un mec précis. Fantastique artiste ! L’album est enregistré dans un studio de Memphis avec une équipe de surdoués inconnus. On a là une sorte de petit son d’une grande qualité. Le bassman s’appelle Ray Griffin, c’est un bon. Il faut entendre son walking bass dans «I’ve Been Wrong». «I Got A Couple Of Years On You» est plus pop. On appelle ça la country Soul. Belles racines, en attendant. Bien dans l’esprit des chops de Chips. McKiki sait balancer sa plâtrée, comme le montre le «Watch Over Me» d’ouverture de bal de B. Puissant shouter. Il fait encore de la Soul pop avec une «Mariah» extrêmement bien apprêtée. McKiki opte pour le haut du panier. Il termine ce bel album avec «I Don’t Know Which Way To Turn». Il charge sa barcasse au when you look at me

    Signé : Cazengler, Mitchell ma belle

    McKinley Mitchell. McKinley Mitchell. Chimneyville Records 1978

    McKinley Mitchell. I Won’t Be Back For More. Retta’s Records 1984

     

     

    The Sly is the limit

    - Part Three

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             Au même titre que Phil Spector, Ike Turner et Brian Wilson, Sly Stone entre dans la caste des génies du son. The Family Stone n’est que le couronnement d’une carrière qui débute au début des années soixante, lorsqu’il travaille pour le compte du label californien Autumn Records. Ce sont deux blancs qui le dirigent, Tom Donahue et Bob Mitchell, mais ils ont pour particularité de priser la musique noire. Attention, n’allez pas croire que Sly est californien : comme la plupart des grands artistes blacks installés en Californie (Arthur Lee, les Chambers Brothers, Lowell Fulsom) Sly vient du Deep South et plus précisément de Dallas, au Texas. Sly montre très vite un penchant pour les fringues flashy : on le voit porter un costard Pierre Cardin en peau de serpent et peigner soigneusement sa pompadour. Parmi les groupes qu’il produit pour le compte de Big Daddy Donahue, il y a les Beau Brummels. Sly admire le style et les chansons de Sal Valentino - I like the way Sal sings ‘I’m a man’ on Underdog. Go on Sal ! - Il admire aussi Ray Charles et Dylan. Sly est un homme passionnant, il faut l’écouter rendre hommage à ses pairs - The intelligence in my music comes from Mr Froelich. I tried the stuff that he taught me and it worked, and will work forever. The basic physics of music, that’s all it is. Little things, like play an intro, not too long. If it’s got a lot of energy, don’t do it so fast, do it slower - Sly explique qu’il a travaillé à partir de ce que Monsieur Froelich lui a appris et ça a marché. Commence par jouer une intro, pas trop longue, et s’il y a trop d’énergie, ralentis un peu.

             C’est le flamboyant David Kapralik, A&R chez Columbia, qui signe Sly & The Family Stone en 1967. Il devient en même temps le manager du groupe. Va sortir sur le subsidiary Epic une belle ribambelle d’albums qu’il faut bien qualifier d’historiques.

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             Dès A Whole New Thing, on sent monter le souffle. Sly introduit «Underdog» à la bluette de Frère Jacques et il relaie ça au heavy groove de Soul et aux yeah yeahhh. La Family Stone qui joue sur ce premier album restera intacte jusqu’à la fin, car c’est une vraie family : Freddie est son frère, Rose sa sœur, Larry Graham son cousin, Jerry Martini est un vieux pote et il se trouve que Greg Errico est le cousin de Jerry. Avec «Turn Me Loose», Sly passe au wild r’n’b. Sly sait tourner les choses à son avantage. Voilà les prémisses du Sly sound, cette fabuleuse énergie qui explosera à Woodstock. Sly grimpe au sommet de l’Ararat pour jeter un slowah à la face de Dieu : «Let Me Hear It From You». En B, on tombe immédiatement sur un heavy groove écœurant de classe, «I Cannot Make It». Voilà encore du Sly qui fait dresser l’oreille du lapin blanc. Ploc ! «Trip To Your Heart» sonne comme une espèce de groove intermédiaire terriblement ancré dans la modernité. C’est l’autre caractéristique du génie de Sly Stone : il semble toujours en avance sur son époque. «Bad Risk» sonne comme un fabuleux coup de Soul rampante. Sly amène ça avec le finesse du renard et des mains de cordonnier. En 1967, la messe est dite.

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             Premier hit planétaire en 1968 avec «Dance To The Music» qu’on retrouve sur l’album du même nom. Ouch ! C’est l’un des plus grands hits du siècle passé. Le pulsif profond de Sly Stone semble monter des entrailles de la terre. Les breaks à vide sont tellement libres qu’ils semblent déréglés. On retrouve le thème de Dance dans «Dance To The Medley», bardé de départs de basse signés Larry, la bête de Gévaudan. Rose chante avec son frère et Larry fait tous les coups de ra-da-da-dam. Quelle pétaudière ! Rose sait elle aussi envoyer la purée. Le son de la Family Stone est unique au monde. L’autre énormité se niche en B : «Ride The Rhythm». Sly prend ça au chat perché et swingue le jazz du funk. On ressent l’admirable pulsation du feeling sauvage. Sly groove le boogaloo et derrière lui, Larry la bête fait rouler ses notes sous ses gros doigts boudinés. Quelle rigolade ! Ah il faut aussi écouter le beurre infernal que bat Greg Errico dans «Are You Ready». Larry vole à son secours. Ces mecs-là n’en finissent plus de groover la modernité. C’est leur apanage. Larry revient jouer une belle ligne de basse fougueuse dans «Don’t Burn Baby». Quand on l’entend, on pense à un étalon sauvage. Ses notes courent derrière le chant du Sly. Mine de rien, Sly et sa family déroulaient le tapis rouge à la modernité.

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             On reste dans l’âge d’or avec l’album Life, paru aussi en 1968. Dès «Dynamite», Larry remet ses vieux ra-da-da-dam en route. C’est infernal. D’ailleurs l’ensemble du groupe s’apparente plus à une machine infernale qu’à un orchestre de groove. On trouve deux merveilles sur cet album, à commencer par «Chicken», cot-cot-coté et swingué au meilleur funk de Sly. On se croirait dans la basse-cour du ghetto funky - Have you heard about me - L’autre merveille se niche en B : «I’m An Animal». Il s’agit là d’une pièce de ce groove intermédiaire dans lequel Sly va finir par se spécialiser. C’est orchestré à la trompette et joliment maintenu sous pression. Puis Sly attaque «M’Lady» au pom pom pom de prédilection. On s’en doute, Larry ramène sa fraise avec le ra-da-da-dam de Dance. C’est bien sûr une variante de leur vieux hit, mais quelle variante ! On retrouve d’ailleurs le thème de Dance dans «Love City», avec les coups de baryton de Brother Freddie et les relances de Sister Rose. Ils bouclent cet album solide avec «Jane Is A Groupee», un joli de coup de groove à la décontracte monté sur une bassline de rêve. Sacré Larry ! Il n’en finit plus de régaler la compagnie. Le hit de l’album est certainement «Plastic Jim», l’adaptation funky d’Eleanor Rigby - All the plastic people/ Where do they all come from - Voilà qu’éclate une fois de plus au grand jour la modernité de Sly Stone. On ne résiste pas non plus au charme d’«Harmony», petit chef-d’œuvre de good time music.

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             Le deuxième hit planétaire de Sly se trouve sur l’album Stand ! paru l’année suivante : «I Want To Take You Higher», cette monstruosité qui a révélé Sly au public rock, via le film tourné lors du festival de Woodstock. C’est le son de la fournaise, le vrai, celui que vomissent les entrailles de la terre. Larry Graham roule son riff et Cynthia souffle dans sa trompette. On ne se lasse pas de revoir Sly & The Family Stone sur scène à Woodstock. Avec «Don’t Call Me Nigger Whitey», Sly se paye un fier adressage aux blancs qui insultent la grandeur du peuple noir. Autre hit planétaire en B : «Everyday People», un fantastique appel à la tolérance - Oh sha sha we got to to live together - Fabuleux groove de la paix sur la terre - And so on and so on and scooby dody doo bee/ I am everyday people - Eh oui, Sly navigue exactement au même niveau que John Lennon et Bob Dylan. Il peut aussi fait de la hot soul à la James Brown, comme on le constate à l’écoute de «You Can Make It If You Try», mais c’est sly-stoné de frais.

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             Comme on l’a épluché dans le Part One, on ne va pas revenir sur ce chef-d’œuvre qu’est  There’s A Riot Goin’ On. On passe directement à Fresh, paru en 1973.

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    C’est un album qui porte bien son nom. Sly semble revitaliser l’univers musical. Il suffit d’écouter «If You Want Me To Stay» pour en avoir le cœur net. Comme toujours chez Sly, le cut est monté sur une bassline rêve, une basse carrément pouet-pouet de gros popotin. C’est softy à souhait et d’une classe épouvantable. On passe au concassage de funk avec «Frisky». Sly se situe encore à la pointe du progrès. On sent une immédiate modernité de ton, une incroyable énergie de progression latérale, une subtilité du funk qui n’existe pas ailleurs. Sly est aussi avant-gardiste que Miles Davis. On se régalera aussi de «Thankful N’ Thoughtful», un groove de funk zébré d’éclairs de scream. Pur coup de génie en B avec «Que Sera Sera», l’apogée du groove laid-back en cuir clouté, un summum d’excelsior. Il faut aussi écouter «I Don’t Know (Satisfaction)» si on apprécie le slow-groove, car il s’étend à l’infini, comme une mer étale, immense et visitée par des notes de basse-mouettes et des whawahtis impénitents. Les chœurs de filles relèvent de la pire sorcellerie qu’on ait vu ici bas depuis le XIIIe siècle. L’autre hit de l’album pourrait bien être le fantastique «Keep On Dancin’», une extraordinaire fiesta de good time music, un festin de roi, habilement rythmé et orchestré au groove coconut.

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             Avec Small Talk paru l’année suivante, Sly fusionne le r’n’b et la psychedelia, comme le font Black Merda et Rotary Connection à la même époque. On trouve en B «Loose Booty», un fabuleux groove de Soul moderne chanté par tous les membres de la famille - Get into some dancin’/ Do what it’s all about - Puis Sister Rose prend «Wishful Thinking» au chant avec Sly et ils tapent ensemble dans une belle démesure de groove stonien. On a là du lo-fi en suspension, une pure merveille perdue dans la nuit des temps. C’est indécent de classe. Le dernier cut de l’album est un autre pur chef d’œuvre : «This Is Love». Sly rend un hommage vibrant au doo-wop avec les chevap doo wap des Flamingos. On note au passage que Rusty Allen a remplacé Larry Graham à la basse. Rusty fait des siennes dans «Time For Livin’», joli cut d’heavy popotin saturé de basses. S’ensuit un admirable groove mélodique intitulé «Can’t Strain My Brain». Sly le travaille au corps avec une maestria de la déconstruction et des faux airs de dérive excessive.

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             Sur la pochette de Heard Ya Missed Me Well I’m Back, Sly se déguise en homme orchestre. Et au dos, il pose avec la Family au grand complet. On trouve pas mal de cuts très pertinents sur cet album passé un peu à l’as, à commencer par «What Was I Thinkin’ In My Head», un solide strut de Stone Funk aménagé avec des plages enjouées et chanté à la bonne franquette. Sly adore créer ces atmosphères festives qui renvoient aux Village People. Il passe au slow groove de charme avec «Nothing Less Than Happiness», en duo avec une certaine M’Lady Bianca. Quel fabuleux duo ! Il boucle l’A avec «Blessing In Disguise», une belle pop de Soul élégiaque extrêmement orchestrée et noyée de backing vocals féminins. L’empereur Sly règne sans partage sur l’univers. En B, on trouve «Let’s Be Together», un funk stonien de bonne constitution. Ces gens-là n’ont plus rien à prouver. Ils savent groover le funk en douceur et en profondeur. Quelle délectation ! Tout est amplement orchestré et bien lubrifié aux jointures.

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             Sly fait le playboy des deux côtés de la pochette de Back On The Right Track paru en 1979. Trois cuts sortent du rang, «Remember Who You Are», le morceau titre, et «If It’s Not Adding Up», qui sont en fait les trois premiers cuts de l’A. Pour Remember, Sly tape dans son vieux groove de funk à la Stone. Il joue ça sous le boisseau d’un groove de basse sourde. Franchement, ce mec a le génie du son. Avec Back, il renoue avec le pur funk d’énormité de la Family Stone, c’est-à-dire le beat des origines de la terre, tout cela dans une explosion de chœurs féminins et de cuivres. Il reste dans la funky motion pour Addin’ Up. En B, il va rester dans le funk pour emmener «Shine It On» au paradis et passe au funk désarticulé à la Stevie Wonder pour «It Takes All Kinds». Sacré Sly, il slamme le slum avec du pur sledge, et une basse pouet-pouet mène tout ça par le bout du nez. Quel album ! Il boucle avec «Sheer Energy», encore du groove de rang princier, joué jusqu’à l’os du genou et contrebalancé par des Soul Sisters infernales.

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             Voilà encore un album quasiment passé inaperçu en 1982 : Ain’t But One Way. On y trouve un coup de génie intitulé «Who In The Funk Do You Think You Are». Sly monte ça au stomp d’heavy funk. Il n’y a que lui qui puisse monter des coups pareils. Il ne fonctionne qu’à l’énergie pure. Il fait une cover extravagante du «You Really Got Me» des Kinks. Encore plus épouvantable, «We Can Do It», groove de Soul-jazz visité par la grâce. Il boucle cet album impeccable avec «High Y’All», une resucée de Wanna Take You Higher. Il ressort exactement la même énergie. On trouve aussi deux ou trois choses intéressantes en A comme par exemple «L.O.V.I.N.U», rappé au meilleur beat. C’est tellement dansant qu’on croit parfois entendre du diskö-funk. Joli coup de good time music avec «Ha Ha Hee Hee». Du son, rien que du son. Chez Sly, c’est le son qui compte. Il faut entendre ces fabuleuses nappes de cuivres derrière le doux du beat. Voilà un nouveau hit planétaire, complètement envoûtant. Tout l’album est bon, de toute façon.

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             En 1975, il attaque une carrière solo. Plus de Family sur les pochettes. Il saute en l’air pour High On You, comme il le faisait pour Fresh. Voilà encore un album qui grouille d’énormités, à commencer par «I Get High On You», où on retrouve la profondeur grondante du cosmic funk d’«I Want To Take You Higher». Sly stone son stomp. Quand on entre en terre de stone, on entre en terre sacrée. Tout y est hors du temps, hors des hommes et des dieux. The Sly is the limit, ne l’oublions pas. Retour au hard funk avec «Who Do You Love», spécialité stonienne, son des profondeurs et tourbillon de gargouillis, groove épais que rien ne presse. En B, Sly tape dans la Soul funk des profondeurs avec «Organize». Pur Sly System. On a là le meilleur son de basse de tous les temps, bien rebondi, gras et gros, presque infra. Il passe au joli softy softah avec «Le Lo Li», joué sous le boisseau d’une chape orchestrale psycho-funkoïdale, mais avec des angles arrondis. Il prend plus loin «So Good To Me» à la finesse tamisée pour mieux créer l’enchantement.   

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             L’album Ten Years Too Soon est un album de remix. On y retrouve les gros hits de Sly remixés par des New-Yorkais. C’est un peu absurde, surtout quand on a un cut comme «Dance To The Music» qui est déjà calibré pour le dance-floor. Ces gens-là se sont aussi amusés à remixer  «Sing A Simple Song» et «Everyday People». C’est comme si on shootait des produits dans un corps parfait. 

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             I’m Back ! Family And Friends sonne comme l’album du grand retour. Sly reprend son destin en main et redonne un coup de jeune à ses vieux hits, comme «Dance To The Music» qui devient de la pure folie. Ça dégouline littéralement de génie pur. Ray Manzarek joue de l’orgue là-dessus. Ann Wilson vient duetter avec Sly sur «Everyday People». Et paf, il tape dans «Family Affair». Classe suprême, voix de Soul chargée d’histoire. Hit de rêve. Sly se situe au même niveau qu’Aretha et Marvin. Ce sont des artistes hors du temps et des modes. Ils relèvent de l’inéluctabilité des choses, Nathaniel. Johnny Winter vient jouer sur «Thank You». Johnny joue avec le feu du funk, et il part en solo flash ! Wow ! Sly et lui s’entendent à merveille - Falletin Me Be Mice Elf Agin - On entend même Johnny doubler au guttural. Quelle fournaise, les amis ! En B, c’est Jeff Beck qui radine sa fraise pour jouer «(I Want To Take You) Higher». Sly remet en route la machine infernale de Woodstock. Jeff Beck l’épouse à la note grasse. Il cocote et part en petite vrille de wah casuistique. Encore du son, rien que du son dans «Plain Jane», funky motion glougloutée jusqu’à la moelle, et Sly revient au gospel mélodique avec «His Eye Is On The Sparrow», jadis repris par Sister Rosetta Tharpe et Mahalia Jackson, cut envoûtant qui s’étend jusqu’à l’horizon.

    Signé : Cazengler, Family Stome de chèvre

    Sly & the Family Stone. A Whole New Thing. Epic 1967

    Sly & the Family Stone. Dance To The Music. Epic 1968

    Sly & the Family Stone. Life. Epic 1968

    Sly & the Family Stone. Stand ! Epic 1969

    Sly & the Family Stone. There’s A Riot Goin’ On. Epic 1971

    Sly & the Family Stone. Fresh. Epic 1973

    Sly & the Family Stone. Small Talk. Epic 1974

    Sly & the Family Stone. Heard Ya Missed Me Well I’m Back. Epic 1976

    Sly & the Family Stone. Back On The Right Track. Warner Bros Records 1979

    Sly & the Family Stone. Ain’t But One Way. Warner Bros Records 1982

    Sly  Stone. High On You. Epic 1975 

    Sly  Stone. Ten Years Too Soon. Epic 1979 

    Sly  Stone. I’m Back ! Family And Friends. Cleopatra 2011

     

     

    *

    Tiens un groupe français. Qui chante en français. Etrange pour un groupe qui vient d’Allemagne. Erreur sous la ligne de flottaison. Si la bonne ville de Brunswick se situe en Germanie le New Brunswick est une province du Canada, côte atlantique, accolée à la Nouvelle-Ecosse dont dépend Oak Island, l’île au légendaire trésor introuvable depuis trois siècles… Viennent de Bathurst, la bourgade qui n’atteint pas les quinze mille habitants possèderait un des plus beaux sites touristiques du Canada. Nous demanderons à Marie Desjardins, notre canadienne préférée, de corroborer les dires de Wikipédia.

    J’ METTRAI LE FEU

    MESSE

    (Local pick up only  / Février 2024)

                    Drôle de nom pour un groupe. Seraient-ils chrétiens ? Ou ont-ils choisi ce mot pour exprimer l’idée de réunion festive que l’on peut associer à ce genre de cérémonie religieuse ? Cela demande réflexion, surtout si vous êtes comme moi et que vous pensez que par les temps qui courent le retour du religieux est une malédiction renaissante.

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             Comment interpréter cette couve. Un briquet, généralement on s’en sert pour mettre le feu au cordon d’un bâton de dynamites, ou ont-ils voulu moderniser le cierge ?

    Maxime Boudreau : vocal, guitare / Sam Newman : basse / Jacob Savoie : batterie.

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    Révolution : le morceau est sorti en avant-première au mois de janvier, agrémentée d’une image à peu près semblable à celle de la couve de l’EP, à cette différence près que le briquet ne brûle plus tout seul en solitaire dans son coin, une main d’activiste décidé se prépare-telle à mettre le feu au monde entier… : musicalement ce n’est pas très révolutionnaire, du heavy metal ni très lourd ni très métallique mais de l’allant et de la vivacité, beaucoup plus problématique la douce langue françoise, est-ce pour cela que les couplets sont si courts, un peu trop chantée, un peu trop allongée, trop mélodieuse, manque le hachis méchant des englishes qui vous mordent au visage chaque fois qu’ils ouvrent la bouche. Lyrics ambigus, lancer une révolution par la fenêtre, pour mettre le feu à toute la plaine ou pour s’en débarrasser, bon ils y mettent du cœur, du sang et de l’espoir, donnons-leur quitus. Les derniers poètes : attention influence blues, balancement rythmique sans histoire et de rigueur et la voix bien devant, normal puisque l’on donne la parole pour la dernière fois aux poètes. L’on est proche de la fin du monde, vision critique et acerbe de notre marasme actuel, on approuve, un seul truc qui nous fait dresser l’oreille, ces damnés poètes, ne pourrait-on pas les fusiller comme tout le monde, pourquoi les crucifier. Automne : bon l’on croyait que les poëtes étaient morts, ils ont décidé de les remplacer, musicalement nous sommes borderline avec la variété, cette voix blanche parlée n’est pas très, comment dire poétique, s’en sont rendus compte, la fin du morceau ne se prend plus pour une chanson d’automne verlainienne, alors ils asticotent leurs instruments, et là c’est vraiment bien. T. O. M. I. : z’ont compris, un bel instrumental qui tient debout, hélas trop court !

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    Gaz : sorti aussi en avant-première au mois de janvier, image parlante, selon la mythographie française l’on pense aux pétroleuses de la Commune qui mirent le feu à Paris pour retarder l’avancée des troupes versaillaises, genre de feu de joie qui vous met le cœur en fête : la musique à fond, enfin nos incendiaires s’apprêtent à passer à l’action directe, ben non, le chat ne retombe pas sur ses pattes, feront la révolution lorsque le gaz sera moins cher. Niveau activisme c’est un peu affligeant. L’est vrai que Dieu ne leur a envoyé aucun message de réconfort. Remarquez, dans la Bible il est dit que Dieu vomit les tièdes. Il a raison.

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             Vous avez plusieurs vidéos de Messe sur scène. Jouent leur musique avec fidélité, mais leurs accoutrements, leur tenue soignée, leurs cheveux peignés, tout indique qu’ils visent un public de jeunes adolescents qui ne sont jamais tombés tout seul dans la marmite du rock ‘n’ roll, doivent vivre cela comme une initiation. Voilà, la messe est dite.

    Damie Chad.

     

    *

    Les anciens Dieux ne sont pas rancuniers, ne m’en ont pas voulu d’avoir chroniqué Messe, Apollon Lyncée, l’Apollon-loup, l’Apollon Hyperboréen, m’a envoyé ses nordiques copains en renfort, je ne pensais nullement à eux quand mon œil a été attiré par une trace d’ours sur le net, une méchante, bien griffue, avec des taches de sang, alors j’ai suivi la piste sanglante, je n’ai pas été déçu :

    BERSERKR

    EIHWAR

    Suffit d’un mot entrevu un quart de seconde sur You Tube pour que je visionne une vidéo, lorsque les vikings voguaient sur les mers lointaines, parfois l’un des membres de l’équipage harassé de ramer durant des heures contre une mer mauvaise pétait les plombs, ainsi s’exprimerait avec la grossièreté ignorante qui le caractérise un homme moderne, nos hardis navigateurs proposaient une autre lecture du phénomène, s’agissait de ce qu’aujourd’hui nous attribuons aux pouvoirs de ce que nous appelons chamanisme. Etait-ce le guerrier qui appelait en renfort son animal totémique ou l’esprit de l’Ours qui entrait en lui ? Toujours est-il que pris d’une fureur sacrée il se saisissait de son épée, mordait à pleines dents son bouclier, et commençait à s’en prendre au drakkar, voire à se jeter sur ses camarades qui essayaient, avec plus ou moins de réussite, à le désarmer… J’ai cliqué et j’ai été si étonné par les images que je n’ai pas pensé une seconde à accorder ne serait-ce que la moitié du quart d’une oreille pour prêter une quelconque attention à la musique.

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    D’abord c’est beau, images esthétiques d’un gris bleuté qui tout de suite vous mettent dans l’ambiance, ce guerrier vêtu de noir, homme de fer, habits de cuir, assis par terre dégage une idée de puissance tranquille rehaussée par le hurlement de loups que l’on ne voit pas. Le deuxième personnage qui apparaît et qui semble se porter à la rencontre du chevalier noir n’est pas moins inquiétant, d’ailleurs tout de blanc vêtu, qui est-ce, une prêtresse, un homme, une femme ? J’ai hésité, certes les longs cheveux blonds dans son dos et ses espèces de fourrures au niveau des seins, tout indique une fille, mais le crâne d’ursidé qui cache son visage teinté de noir, ne serait-ce pas ce que les Grecs on appelait un bel éphèbe, mais la voici munie d’un grand tambour qui danse, au sommet d’un énorme rocher, son ventre ondule, l’on envie d’arracher sa ceintures d’où pendent des linges mouvants qui cachent son sexe, belle et bestiale en même temps, attirante et dangereuse,  accroupie, elle dessine un cercle de runes mystérieuses avec des bouts de branches, l’épée à l’épaule, au travers des bois sombres, il arrive, elle marche, elle mord son épée à pleines dents, elle l’appelle, il la voit, il s’avance, derrière lui se dresse un énorme Yggdrasil, elle s’élance, et leurs épées s’entrechoquent sous la sombre et splendide ramure de l’arbre du monde, qui va triompher, la scène du combat est entrecoupée d’images d’elle tambourinant tout en haut de son immense rocher, qui va gagner, qui va vaincre, déjà les féministes proclament leur championne, elles n’ont rien compris, le vainqueur, la vainqueuse, cela importe peu, les images s’arrêtent, sur le noir de l’écran s’inscrivent quelques vers,  Etreins la fureur sauvage au fond de toi, aucune limite, aucune peur, le sentier d’Odin que nous vénérons est cinglant comme l’éclair. Dernières images consacrées à la splendeur naturelle du lieu qui a eu l’honneur d’accueilli le combat.

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    Evidemment question musique vous supposez une espèce de choc de titans sonores. Des murs d’airains et des entrechoquements de bronze. Vous avez juste quarante ans de retard. Une part importante de groupes metal ou d’origine industrielle qui se sont entichés de mythologies scandinaves ont dès les années quatre-vingt emprunté le chemin de cet âge de fer, mais les clinquances mythologiques brinquebalantes ont peu à peu laissé place à une certaine lassitude, l’on a cherché à comprendre le sens de ces scénarios de plaies et de bosses, sous la chair sonnante et trébuchante l’on a essayé de retrouver une subtilité spirituelle, une spiritualité païenne.  Bref du heavy metal, un peu trop carton-pâte l’on en est arrivé à s’inscrire dans un mouvement néo-folk.

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    La première apparition d’Eihwar a ainsi eu lieu à Nantes, le 23 mai 2023, dans la salle de concert Les Ferrailleurs, lors de la Pagan Folk Night La Nuit des Sorcières. Nous invitons les lecteurs à visionner sur You Tube Eihwar Ragnarök Live, sous-titrée Wiking War Trance, qui nous montre un public subjugué par l’apparition de nos deux précédents héros dans leur accoutrement filmique, elle martelant sans cesse son tambour de guerre, l’entrecoupant toutefois de mélodiques mélopées tandis que notre chevalier noir s’escrimant sur son équipement électro laisse échapper de son gosier des gutturalités de mauvais augures. L’ensemble un tantinet monotone n’est pas pour autant ennuyeux.

    Ne gobez pas la première ligne de présentation de notre duo sur Bandcamp, non ils ne sortent pas de la forêt hercynienne, proviennent d’une contrée davantage civilisée, de Toulouse. Ayant longuement fréquenté durant ma jeunesse estudiantine cette capitale du Midi, je peux vous affirmer qu’elle n’est pas peuplée de tribus sauvages, certes les vikings ont bien assiégé la ville rose en 864, z’ont dû se comporter d’une manière fort peu courtoise avec les jeunes filles et femmes de nos campagnes garonnaises, ces antécédents historiaux sont-ils la cause de cette fièvre nordique qui s’est emparée de nos deux jeunes gens, une résurgence atavique de quelques gouttes de sang nordiques léguées à leurs corps défendants ( voire consentants ) par de lointaines ancêtres ont-elles humecté le filigrane de leurs consciences, de leurs rêves, de leurs désirs, et de leurs volontés. Peut-être. Nous aimerions souscrire à cette vision romantique des transmissions héréditaires… peut-être s’inscrivent-ils simplement dans cette mouvance pagano-scaldique dont se réclament au-travers de toute l’Europe de nombreux groupes de rock.

    Sont deux. Asrunn : chant, percussion traditionnelle / Mark : voix, drum pad, samples. Soupçonnons autour d’eux un clan amical qui les aura aidés dans la mise en place de leur projet. C’est en février 2023 qu’ils ont posté leur première vidéo sur You Tube. Le bouche à oreille a fonctionné à merveille. Z’ont atteint jusqu’à un million de vues. Sont programmés pour cette année 2024 dans de nombreux festival notamment au Hellfest. Viennent de sortir leur premier album, compilation de leurs vidéos sur Season of Mist.

    RAGNARÖK

    (Viking War Music)

    EIHWAR

    (Season Of Mist / Digital / Février 2024)

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    Eihwar est le nom de la rune qui représente la lettre E. Elle désigne la Mort. Notons que cette lettre E se retrouvait au fronton du temple de Delphes, le sanctuaire sacré de la Grèce antique. Qui se peut traduire par Être… Il n’existe pas de plus grand écart entre deux notions.

    Asrunn = Ours (origine finoise) / Mark = consacré à Mars dieu de la guerre (origine latine).

    Berserk : nous n’en dirons pas plus qu’au début de cette chronique. Nous ne nous répèterons pas. Ne montons-nous pas dans le train de l’existence alors qu’il déjà en marche depuis longtemps…

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    Fenrir : image fixe, Fenrir le loup vous regarde, ses yeux vous supplient-ils, il reste immobile, seuls bougent les flocons de neige qui tombent, point d’anthropomorphisme, Fenrir est la bête sauvage, porteuse de mort, il attend, et la musique n’est qu’un piétinement de pattes de loups sur une piste de glace interminable qu’il déroule interminablement à l’intérieur de son attente, la musique semble attendre, elle se fait douce, elle caresse, elle ne précipite pas le temps, car l’on attend l’accomplissement de la terrible prophétie de la fin du monde, Fenrir n’est plus que la longue patience des bêtes qui attendent la délivrance non pas de l’emprise des hommes, mais de ceux que Fenrir, seuls quelque uns de ces grognement le laissent entendre,  l’instant où ses chaînes tomberont, vers lesquels il se précipitera, non pas sur les hommes mais sur les Dieux pour les tuer, et hâter la venue d’un autre monde, la voix d’Asrunn qui chantonne comme une berceuse d’éveil, un relent de vengeance, l’on est au cœur de l’attente, la bête ne meurt jamais, comme la Mort. Très beau morceau qui rappelle la phrase d’Henri Bosco : ‘’ Que fait la neige lorsqu’elle est tombée. Elle attend.’’ Ragnar’s last Raid : vidéo de mer mouvante, l’on ne sait si Ragnar de Lodbrok fut le chef aux bras velus à qui la ville de Paris dut verser rançon pour ne pas être prise, on lui prête tellement d’exploits, que peut-être est-il plus qu’un héros valeureux, un personnage poétique qui serait la transcription de l’âme indomptable et pratiquement inhumaine (comprenez proche des Dieux) des peuples de la mer farouche. Eihwar nous étonne et entonne un poème, il ne conte ni le bruit ni la fureur, exprime seulement la nostalgie de cette existence dont il ne reste qu’un souvenir lointain, une espèce d’invocation, une lamentation à la brièveté de la vie si orgueilleuse fut-elle, la voix d’Asrunn splendide, telle l’écume légère qui flotte au-dessus des vagues et que la moindre brise disperse… Ragnarök : la fin du monde, les Dieux et les âmes des guerriers morts au combat vont s’affronter aux forces du mal représentées par les Géants. Nous ne sommes pas dans Le Seigneur des Anneaux, le dernier combat est perdu d’avance… Perdu et gagné, c’est ce que raconte la musique d’Eihmar, quelques cliquetis d’épées, une cadence qui s’accélère un moment, une sonorité de cornemuse vive comme une flûte, mais la musique dronique revient sur elle-même, une ronde tantôt funèbre, tantôt presque heureuse, c’est que l’essentiel a été sauvé, Odin a tué Fenrir, Fenrir a tué Odin, mais le monde est préservé, un cycle qui s’achève annonce le retour d’un nouveau cycle qui commence. Eternel Retour. Trompes mortuaires. Skajldmö : en français nous utilisons le mot Walkyrie pour désigner ces guerrières armées de boucliers et d’une épée qui combattaient à l’égal des hommes, un morceau pour Asrunn, c’est pourtant la voix sourde et marmonnante de Mark que l’on entend surtout, son grondement, ses grognements, en contrechant Asrunn manie l’épée de son chant et de son souffle, elle est au cœur de la mêlée, contre ou avec les hommes et les Dieux, c’est elle qui ranime la flamme lorsque l’intensité du combat baisse d’un cran, elle ouvre le bal de la mort. The feast of Thor : qu’est-ce que cette fête de Thor, ce ne peut être que la joie du combat, de la lutte, un loup hurle dans la nuit, est-ce Fenrir qui glapit sur ce qui ressemble à un tapis de vieille à roue, assez pour tirer Thor de son sommeil, Mark joue à merveille ce rôle de l’éveillé qui titube encore engoncé dans son somme, la voix d’Asrunn  résonne comme un appel, une incitation incessante à la guerre, Le marteau de Thor tapote gentiment, vindicative la voix d’Arsunn exiget qu’il écrase des crânes, c’est l’ombre de la mort qu’elle a réveillée, qui marche maintenant aux côtés du Dieu, le monde chuchote et retient son souffle, maintenant la peur le précède, mais il avance, grognements, ébrouements, ce coup-ci c’est parti, Asrunn appelle de plus belle, elle incite, elle instille l’idée du carnage, personne n’arrêtera le malheur qui fond, l’on entent le tonnerre tonner… The forge : il s’agit du premier morceau réalisé par Eihwar, le titre renvoie immédiatement à la légende de Siegfried de Wagner, elle-même formée à partir de la saga de Sigurd, un descendant d’Odin, l’on entend les bruits de la forge, le marteau qui cliquette sur l’enclume, afin de renouer l’épée qu’Odin a brisée, mais plus que cela par trop anecdotique c’est à la démarche du destin que nous assistons, elle n’est pas rapide, elle prend son temps, la voix d’Asrunn s’élève, comme des tentures de sang séché que l’on dresserait à chaque point focal et oblique d’une existence qui vous entraîne inéluctablement vers votre fin, n’oubliez pas qu’il n'y a que deux façons de mourir, par la ruse d’un Dieu, et plus ignominieuse par la traître main d’un proche. The new vikings : cornes de brume, tambourinades nettement plus directes, les anciens Dieux, les antiques héros, de la vieille histoire, même si les nouveaux vikings ont le même chat à fouetter à savoir la mort de notre monde, tout ce qui a précédé n’est qu’un rappel, les mêmes causes produisent les mêmes effets, la musique décroit pour laisser Asrunn approcher ses lèvres de votre oreille et doucement vous révéler le terrible secret, tout dépend de vous, réveillez-vous maintenant, Mark grogne plus fort, est-ce vraiment utile. Silence. A chacun de jouer. Valhalla : encore le hurlement de Fenrir, le Valhala, cette forteresse du domaine des Dieux dans laquelle les Walkyries ont ramené les corps et les âmes des guerriers les plus valeureux morts sur les champs de bataille, ils attendent là, buvant, chantant, s’entraînant au maniement des âmes le Ragnarök, vous n’entrez en ce glorieux lieu mirifique que   par la porte de Mort, vous n’en sortez que pour mourir. Le morceau alterne brûlures de joie, élans vitaux, et passages plus sombres, chaos se diluant dans le néant.

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    Yggdrasil’s Reneval : paysage verdoyant, racines moussues de l’arbre du monde, un voyage est achevé, un autre commence, Vita Nova dirait Dante, renaissance, musique printanière, la voix toute pure d’Asrunn s’élève, son tambourin magique scande la joie de vivre, Mark marque le rythme de la ronde nouvelle qui se forme, farandole, tarentelle, ô mon âme n’aspire pas à la vie immortelle, épuise les champs du possible. Epigraphe de Pindare mise en exergue par Paul Valéry à son Cimetière marin.

             Ce disque est une superbe réussite. Nous avons déposé le crottin sleipnirique de nos rêveries au bas de chacun de ces dix morceaux, mais il est préférable de l’écouter d’une seule traite, comme un oratorio ontique qui nous affirmerait que la Mort n’est qu’un aspect de l’Être. Transe infinie.

    Damie Chad.

     

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             Dans notre livraison 622 du 30 / 11 / 2023, rendant compte de la vidéo ‘’ Le Cri ’’ dernier présenté comme l’unique inédit de Johnny Hallyday je ricanais prophétisant que de nouveaux inédits ne tarderaient pas à apparaître. Evidemment la vie m’a donné raison.

             Philippe Labro est rentré dans ma vie grâce à Johnny. Un 45 tours deux titres, deux textes écrits par Philippe Labro. Le premier fit scandale. Mettait en cause un personnage qui quelques années auparavant avait fait vaciller la carrière des Beatles aux States. Jésus Christ. Faut avouer que pour l’époque, nous sommes pourtant après mai 1968, Labro avait fait fort. Un texte qu’il avait ramené des Etats-Unis, en plein dans la période hippie, bref on y racontait que Jésus fumait de la marie jeanne et qu’il aimait les filles aux seins nus. Les cathos coincés du soutien-gorge s’étaient émus, en avait appelé au Vatican, les radios avaient renâclé pour le passer, certains disquaires refusèrent de le vendre...

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             Comme toujours l’on s’était trompé de cible, suffisait d’ôter ses yeux de ces seins que l’on ne saurait voir, pour réaliser la virulence du deuxième titre. L’antithèse du premier. Labro n’y parlait plus de douceur, de paix et d’amour. On me recherche, écrit à la première personne, vous jetait dans la peau d’un mauvais garçon, d’un malfrat, d’un voyou en fuite et décidé à ne pas se laisser prendre et prêt à en découdre jusqu’au bout… Un texte violemment anarchiste, certains moralistes s’autoriseront à dire dans le mauvais sens du terme, sans concession, qui n’attira pas les foudres des censeurs… Aujourd’hui il serait taxé d’incitation au terrorisme !

             Labro écrivit pas moins de cinq textes pour Vie le treizième album de Johnny sorti en novembre 1970, dont le surprenant Poème sur la Septième.

    Pour le quatorzième album Flagrant Délit paru en juin 1971, Labro écrivit l’ensemble des dix textes.

             Ce 16 février 2024 est parue la réédition de Flagrant Délit augmenté de deux inédits. Ces bandes ont été retrouvées à l’Olympic Sound Studio de Londres référencées sous le nom de Lee Halliday.

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    Reste : pas vraiment un chef-d’œuvre, une démo, un texte gentillet, pas de quoi pavoiser. N’apporte pas grand-chose à notre rocker national.

    Waterloo : si Reste est le genre de chansonnette que n’importe qui pourrait écrire, Labro était conscient qu’un texte doit choquer, surprendre, fasciner son auditeur. Déjà rien que le titre vous interpelle. Toutefois si l’on pense que le Poème sur la 7 ième, était un texte lu sur un extrait de la Septième Symphonie de Beethoven, et si l’on se souvient que Beethoven avait dans un premier temps dédié sa Symphonie N° 3, L’Héroïque, à Napoléon Bonaparte, l’on comprend la logique mentale qui a présidé à la naissance de Waterloo. Le projet a été abandonné. Nous n’avons droit qu’à une démo. La prépondérance du piano nous assure que nous sommes aux tout premiers tâtonnements de la mise en place. Manque l’essentiel : un orchestre symphonique. C’était le Grand Orchestre de Jean-Claude Vannier qui présidait au Poème sur la Septième. Et puis, avouons-le le texte un peu trop pathos de Labro n’est pas la hauteur de l’épopée napoléonienne, prend le sujet par le petit bout de la lorgnette. Celui des soldats qui vont mourir pour une idée qui ne leur appartient pas. Et qui les dépasse. Dommage que Labro n’ait pas repris son projet. Peut-être aurait-il dû envisager Austerlitz ou Eylau.

             Napoléon est un sujet qui sent la poudre. De canon.

    Damie Chad.

            

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

     

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    Le Chef doit être en train d’allumer un Coronado. Nous cavalons. Josiane est à la traîne, je la tire par la main, je lui impose un rythme soutenu. Elle aurait envie de se plaindre, son souffle coupé lui interdit d’émettre le moindre mot. C’est le troisième hôtel dont nous sortons en courant. Sans aucune explication. La chambre à trois cent euros lui aurait parfaitement convenu, sans un mot, j’ai gagné la rue. Le sixième s’avèrera le bon. Au neuvième étage, tout en haut, ascenseur en panne. Je n’ai pas hésité une seconde, ai refilé sans rechigner au directeur les mille trois cent trente euros quarante-six centimes qu’il demandait. Affalée sur le lit Josiane ne m’adresse la parole qu’au bout de trente-cinq minutes.

             _ Damie c’est loin et c’est un peu cher !

             _ Ne t’inquiète pas, un agent du SSR se doit d’assurer un certain standing, c’est le Chef qui l’a dit.

             _ Et les chiens ils ne sont plus là !

             _ Je les ai renvoyés au local d’un signe de la main, ils sont intelligents, ils ont compris, j’avais envie de rester cette nuit avec toi seule.

             _ Je ne comprends pas pourquoi tu préfères cette chambre, c’est la plus chère et la moins intime. Elle est si grande que le lit paraît tout petit !

             _ Tu verras quand tu seras toute nue tout contre moi, question intimité tu ne trouveras pas mieux.

    Un argument décisif si j’en crois la hâte avec laquelle elle se déshabille. J’ai bien calculé mon coup. Je ne doute pas que les Briseurs de Murailles soient à nos trousses. Justement cette chambre ne possède pas de murs.  En guise de parois uniquement de larges baies vitrées. Même la porte est en verre blindé épais, insensible aux balles de kalachnikov, s’est vanté le Directeur.

             _ La chambre des amoureux, pour la Saint-Valentin je la loue à dix mille euros. Vous voyez tout Paris et personne ne peut vous voir, même si vous laissez la lumière allumée. Une merveille architecturale ! De par le monde, vous n’en trouverez qu’une comme elle, tout en haut de l’Empire State Building

    J’ai réfléchi, les briseurs de murailles traversent les murs, mais le verre peut-être pas ! Un matériau coupant ! Avec un peu de chance nous passerons une nuit tranquille, s’ils parviennent à entrer, mon Rafalos sous l’oreiller à portée de mains, je les attends de pied ferme…

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    Il est temps de s’occuper de Josiane, chérie j’ai eu très peur, j’ai besoin de beaucoup de câlins m’a-telle averti. Je la comprends. Elle n’a pas menti. Sept ou huit fois de suite, je n’ai pas compté, j’ai dû l’honorer de toute ma virilité pénétrante, maintenant rassérénée elle dort paisiblement entre mes bras. Un agent du SSR en mission ne dort jamais, vous le savez, la main refermée sur la crosse de mon Rafalos je reste aux aguets, l’oreille tendue, guettant le moindre frémissement…

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    Je n’ai rien entendu. Si ce n’est le coup de feu tiré à bout portant dans la tête de Josiane. Avant que j’aie eu le temps de réagir, une main ferme a tiré le cadavre de Josiane hors de mes bras et un corps de femme nue a pris sa place. Gisèle ! Je l’ai reconnue à la douceur inimitable de sa peau.

             _ Je déteste que l’homme que j’aime me fasse des cachoteries dès que j’ai le dos tourné, me souffle-telle à l’oreille, ce n’est rien, ajoute-t-elle, je te pardonne.

    Cette nuit-là du neuvième étage je suis passé au septième ciel…

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    Le Chef allume un Coronado. Dans le wagon du métro des voix s’élèvent :

             _ Monsieur il est interdit de fumer dans le métro !

    Le Chef tire son Rafalos de sa poche :

             _ Le dernier qui osé me dire cela est mort, si vous ne me croyez pas, allez vérifier, cimetière de Pantin, Allée G, tombe 647, un certain Jean Fenocle, tué par balle dans une rame du métro, mardi dernier.

    Une voix étranglée par l’émotion accapare l’attention :

             _ C’est vrai, j’en ai entendu parler à la radio !

             _ Nous vivons dans un monde d’assassin, vous avez vu ce matin dans le bulletin d’infos c’est inimaginable !

             _ Mon dieu ! que s’est-il encore passé, je pressens une horreur !

    Le Chef n’a pas le temps d’entendre. Le métro vient de s’arrêter dans la station où il descend.

             _Messieurs-dames, au revoir, tenez-vous le pour dit !

    Avant de descendre il lâche un gros nuage de son Coronados, un Espuantoso Somptuoso dont la fragrance provoque des vomissements intempestifs chez les deux femmes enceintes du wagon.

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    Le Chef n’est pas étonné de retrouver Molossa et Molossito qui l’attendent derrière la porte du local dans laquelle il les a enfermés la veille. L’Agent Chad n’est pas venu les chercher. Il pressent que la situation est grave. Très grave, confirme-t-il aux deux chiens qui le regardent d’un air interrogatif. Il prend le temps d’allumer un Coronado. Il donne les dernières consignes :

             _ Attention, Molossa et Molossito, faut y aller mollo !

    Les deux chiens ont compris. Le monde est peuplé de périls, la tâche s’avère difficile, pire que de marcher sur des œufs de crocodiles sur le point d’éclore. Comme un seul homme ils emboîtent le pas du Chef.

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    Les abords du Palais de Justice grouillent de monde. La fièvre des grands jours. Journalistes télé et radio se pressent vers la grande salle. Elle est remplie comme un œuf. Molossito se demande si c’est un œuf de crocodile. Un brouhaha indescriptible monte de la foule amassée. Un huissier survient. Il monte à la tribune et annonce d’une voix forte :

             _ Mesdames, Messieurs, silence, le procureur de la République vient vous parler.

    Le procureur s’est levé de bonne heure, l’a été arraché de son lit par un coup de téléphone intempestif du ministre de la police, il n’a pas eu le temps de se coiffer, le nœud de sa cravate est défait. Il prend son air sévère N° 4 et s’empare du micro.

             _ Je n’irai pas par quatre chemins, l’affaire qui nous préoccupe est un des féminicides les plus épouvantables du siècle. Non seulement l’assassin a lâchement tué son amie d’un coup de Rafalos dans la tête – des exclamations d’horreur fusent – un peu de silence s’il vous plaît, ceci n’est que le début du drame, je ne m’offusquerai pas si certaines âmes sensibles désireraient ne pas entendre la suite – personne ne sort – après quoi il a simplement jeté cette compagne hors de son lit – des oh ! de stupéfaction et de dégoût s’élèvent – excusez-moi de ce qui va suivre qui risque si j’utilise une expression tant soit peu populaire, vous couper l’appétit, il a refait l’amour dans les draps ensanglantés avec une deuxième femme. Qui n’était pas là lorsque la femme de chambre a ouvert pour apporter le déjeuner. Elle n’a trouvé que le cadavre de la première sur la descente de lit et l’assassin qui dormait comme un ange pour reprendre ses propres termes.

    Plusieurs doigts se lèvent dans l’assistance, le Procureur en désigne un au hasard au premier rang :

             _ Comment savez-vous qu’il y a eu une deuxième femme que personne n’a vue si nous avons bien compris ?

             _ Personne ne l’a vue, nous ignorons son identité mais les analyses biologiques sont formelles : le lit a été fréquenté par trois personnes : l’assassin, la jeune femme morte et une deuxième femme mystérieusement disparue… Voilà vous savez tout, nous vous reconvoquerons si nous avons du nouveau. Je vous remercie.

    Dans la salle c’est la bronca. Des groupes de féministes lèvent des pancartes, elles exigent la démission du Procureur et du Ministre. On leur cache quelque chose, elles veulent savoir le nom de l’assassin qui a tué au moins deux femmes. C’est le chahut, la chienlit. Personne ne s’aperçoit que le Chef a allumé un Coronado ! Le Procureur reprend la parole :

             _ Nous ne pouvons vous révéler le nom de l’assassin, la loi nous l’interdit.

    La phrase du procureur provoque la stupeur, une clameur s’élève de l’assistance :

             _ Tous complices, tous coupables, tous pourris, police partout, justice nulle part !

    Le Procureur fait signe qu’il veut parler :

             _ L’affaire est beaucoup plus grave que vous ne l’imaginez, nous ne pouvons révéler le nom de l’assassin car quelques heures auparavant on a remorqué sa présence sur les lieux de la Bibliothèque Municipale dans laquelle hier ont été dénombrés plus de quatre-vingt morts. Peut-être tenons-nous là le serial killer le plus prolifique que le monde ait connu jusqu’à aujourd’hui, oui chez nous, en France !

    La foule subjuguée et flattée par la dernière déclaration du Procureur crie trois fois Vive La France ! et entonne une vibrante Marseillaise…

    A suivre…