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  • CHRONIQUES DE POURPRE 672 : KR'TNT ! 672 : KIM SALMON / TAJ MAHAL / SWAMP DOGG / OBEY COBRA / BARBARA GEORGE / WAYS / RITUEL / HOULE / MAXIME TACCARDI

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 672

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    08 / 01 / 2025

      

    KIM SALMON / TAJ MAHAL

    SWAMP DOGG / OBEY COBRA

    BARBARA GEORGE / WAYS

    RITUEL / HOULE / MAXIME TACCARDI

     

     

    Wizards & True Stars

    - Kim est Salmon bon

    (Part Six)

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             C’est par le plus grand des hasards qu’on a appris l’existence d’une bio de Kim Salmon. L’autre jour, on ramenait fièrement au bercail un album live de Kid Congo (Kid Congo Powers & The Near Death Experience. Live In St Kilda) et en lisant les liners écrites à la main par le Kid en personne, sur kikon tombe ? Kim ! Le Kid débarquait en effet à St Kilda, près de Melbourne, invité par le Kim qui organisait une fête (launch party) pour célébrer la parution de sa bio.

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             Alors le plus cocasse, dans cette histoire, c’est que le book est paru en 2019. Ni Mojo, ni Uncut, ni Vive Le Rock, ni Record Collector, ni Shindig! n’ont fait mention de cette parution. Le pauvre Kim est passé à travers, ce qui redore encore plus son blason underground. Ce mec génial n’a jamais intéressé grand monde, en vérité. Juste une poignée de happy few. On lui a même fait l’affront suprême : le faire jouer en première partie de Cash Savage au Petit Bain. Bon d’accord, Cash Savage c’est pas si mauvais, mais les Scientists naviguent tout de même à un autre niveau ! C’est comme si on avait demandé aux Cramps de jouer en première partie de Police.

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             Le book s’intitule Kim Salmon & The Formula For Grunge. L’auteur est un certain Douglas Galbraight qui est bien sûr fan inconditionnel de Kim. Galbraight commence par venir prendre des cours de guitare chez Kim et finit par lui proposer d’écrire sa bio. À sa grande surprise, Kim accepte. C’est un épisode qui nous renvoie en 2019 dans une rue de Binic, lorsque la même question fut posée à Gildas (Hello Gildas).

             Indépendamment des éclairages sur la scène australienne, sur les Scientists et sur Dave Faulkner, le book grouille d’infos de première main sur les Beasts of Bourbon, les Surrealists et un tas de gens tous aussi légendaires qu’underground.

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             De la même façon que tous ses collègues légendaires, Kim Salmon s’assoit sur un gros tas de roots : son premier album d’ado est le Cosmos Factory de Creedence - At $5.50, it was a major investment, rigole Galbraight - Puis l’In Search Of Space d’Hawkwind vient s’ajouter a l’embryon de collection. Le p’tit Kim a déjà le bec fin. Puis il louche sur Raw Power, sur les Modern Lovers - The first Modern Lovers album became my universe for a few weeks - Et puis bien sûr le premier Ramones - Hearing that mix of bubble gum, buzzsaw guitars, tribal drums and Joey Ramone’s Hey Ho Let’s Go was one of the perfect moments of my life - Il adore le punk, puis il découvre les Cramps - It was primitive, it was raw and it was people going nuts - Kim les trouve complètement subversifs. Puis il s’amourache du producteur des Cramps, Alex Chilton et de son album Like Flies On Herbert - It was so raw - Pour lui c’est l’antithèse de la pop production - That really informed me, the whole way that the song was there and it was deconstructed - Il rappelle dans la foulée que le swamp de Creedence l’a conduit tout droit à «Swampland». Kim cite aussi Tav Falco’s Panther Burns et Alan Vega. C’est drôle, on retrouve les mêmes roots chez pas mal de gens, ces temps-ci : Steve Wynn, Jim & William Reid. La qualité des œuvres dépend en grande partie de la qualité des roots. Même chose en littérature. C’est un lisant (pas n’importe quoi) qu’on devient liseron.

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             Il est essentiel de préciser que Kim grandit à Perth, la ville de la côte Ouest de L’Australie, à l’autre bout du continent. Sydney, Brisbane et Melbourne se trouvent de l’autre côté, sur la côte Est. Donc c’est pas simple de démarrer un groupe à Perth. En 1977, Kim et Dave Faulkner démarrent les Cheap Nasties, alors qu’à Sydney, Radio Birdman a déjà enregistré Radios Appear.  Quand les Birdmen quittent l’Australie pour Londres, ils sont aussitôt remplacés par d’autres groupes, dont les Hellcats de Ron Peno. À Melbourne, t’as les Boys Next Door avec Rowland S Howard, et à Brisbane, les Saints, bien sûr. Galbraight fait un focus sur les Moodists, un groupe de Melbourne qu’admire aussi Kim : il les trouve sophistiqués, mais avec le temps, il réalise qu’ils sont peut-être encore plus primitifs que les Scientists - And much much louder - Galbraight donne quelques détails : «The band were underpinned by heavy bass guitar thuggery and Clare Moore’s cooler-than-cool drumming, over which the seedy velvet nightclub majesty of Dave’s vocalisations interplayed with jagged guitar lines.» Il nous fout bien l’eau à la bouche, le Galbraight.

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             Les Scientists vont fuir les beer bars où jouent les Angels et INXS pour privilégier les inner-city rock’n’roll pubs et jouer avec les Hoodoo Gurus, les Sunnyboys et The Church. En 1980, Dave Faulkner quitte Perth pour Sydney et monter les Hoodoo Gurus, avec trois guitares and no bass - they were like a poppy version of the Cramps.

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             De son côté, Kim monte les Scientists à Perth avec Boris Sujdovic, James Baker et Tony Thewlis. Ils sont très pop, au départ. Le Pink Album n’a rien à voir avec ce qui va suivre. James Baker est déjà un vieux punk, fan des Dolls en 1972. Baker est un Ramone avant les Ramones. Il va quitter Perth et sera remplacé par Brett Rixon. Kim développe alors sa vision d’un son - primitive and hardly any chords and so moronic that it’s high art... so primitive that it turns into jazz, things getting trashed to the ground - Les Scientists sont tellement en avance sur leur époque qu’à Perth, on les considère comme des lépreux. Dans le book, Kim fait des portraits stupéfiants de ses collègues, Tony Thewlis - he began extracting all manner of dissonant, jarring, downright rude sounds from is guitar - Boris Sujdovic - His laidback disposition made it very easy for him to adapt to the idea of two note basse lines - Après le punk-pop du premier album, Kim passe au Scientists sound, «firmly anchored in the dirgey, swampy and doom-sih». Thewlis veut ressembler au Johnny Thunders de l’époque des Dolls, «and Brett twanted to look like he was on the first Stooges album cover.» Dedicated followers of the (right) fashion, pourrait-on dire. Kim n’en finit plus de désosser les cuts, «fuzzed out slabs of guitar racket alongside of sporadic commotions of snare and cymbal, howling wild cat vocalisation in place of melodic single.» Galbraight affirme que Kim smash out authenticity and simplicity par pur instinct artistique. Il se débarrasse de tout le superflu - Got rid of the chord changes and signature pop things - une excellente manière de décrire le Scientific Sound. Ils y vont à coups d’atonal guitar-scapes and two note bass lines. Plus loin, Galbraight parle du Scientific Sound en termes de «two note throbbing pulse bass and freaked out maniacal guitars», avec un beurre qui «had to sit behind all this.» Écumant, Galbraight enfonce son clou : «They sounded wild and shitty.» Et il chute là-dessus : «The mark 2 Scientists were something else.» Au Go Go sort leur premier mini-album, Blood Red River, dont on a dit si grand bien dans l’un des Parts précédents. Puis il y aura «We Had Love» - Tony had all the fuzz, nous dit Kim, qui rappelle aussi que ces «really simple riffs took me forever to write.» Puis le groupe décide de quitter l’Australie pour aller s’installer à Londres. La presse anglaise n’est pas tendre avec eux, on les qualifie de «lowest form of anti-social filth», ce qui est un peu injurieux. Pour une tournée anglaise, Kim veut du haut de gamme en première partie. Il opte pour le Gun Club et écrit à Kid Congo qui dit oui. Un Kid qui est fan depuis le début : «They’re really wild like a good sound of hell.» Les Scientists atteignent leur pic en 1984, puis tout va se casser la gueule. Brett Rixon vend sa batterie et rentre en Australie.

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             Et c’est qui qui la rachète, la batterie ? Leanne Chock, la petite road manageuse aux cheveux argentés, qui du coup va apprendre à jouer comme Brett Rixon qu’elle a observé tous les soirs sur scène. Elle connaît bien les Scientific cuts. Puis le groupe sort Weird Love, qui proposait les meilleurs cuts - Weird Love was a miracle - Comme Boris n’a plus visa et doit rentrer en Australie, alors les Scientists tournent à trois, Kim, Tony et Leanne. Kim prend la basse. Impossible de trouver un remplaçant pour Boris. Mais le groupe s’écroule. Leanne leaves. Nick Combes la remplace, mais c’est la fin des haricots. Comme Brett et Boris, Kim rentre à son tour en Australie. Tony reste en Angleterre pour finir The Human Jukebox et Leanne reste à Fulham, se demandant ce qu’elle va bien pouvoir faire de son drum kit. Kim balance un bel épitaphe pour les Scientists : «The path of riotousness was the path of righteousness and only we were on it. On ne se contentait pas de croire, on savait qu’on serait d’abord incompris, puis adorés plus tard. On ne souhaitait pas changer le monde. Il pouvait aller se faire foutre. Tout ce qu’on voulait, c’était qu’on nous foute la paix... et qu’on nous admire à distance. Et on croyait, avec conviction et sans ironie, qu’on était the greatest rock and roll band in the world.»

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             C’est vrai que les Scientists sont devenus un groupe culte. Larry Hardy : «I was interested in the Scientists and I became a bit of a fanatic over them.» Marc Arm est aussi un fan inconditionnel des Scientists, il voit Blood Red River «as a cornerstone of Mudhoney» : «It was dark and creepy and had a cool groove. Everything is perfectly in its place. It’s fantastic stuff.» Buzz Osbourne des Melvins est aussi un fan : il reprend «Swampland» et «Set It On Fire» sur son album de covers, l’imbattable Everybody Loves Sausages.

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             Bien sûr les Scientists vont se reformer et on aura la chance inimaginable de les revoir sur scène au Petit Bain en juin 2018, un événement qui fera les choux gras d’un Part Three ici-même.

             Rentré en Australie, Kim va reprendre du service avec les Beasts, mais aussi avec les Surrealists et pour couronner le tout, il va entreprendre une carrière solo.

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             Il monte les Surrealists avec Brian Hopper et Tony Pola - The idea was going on around in my head was everything seemed surreal - La phrase est bancale, mais c’est ainsi. Le was est sans doute un where. Kim précise qu’il a surtout flashé sur le fameux «combien faut-il de Surréalistes pour changer une ampoule électrique ?», et il s’est dit qu’il pouvait appeler son trio The Surrealists. C’est dingue ce que ce Kim adore la modernité. Il est l’une des rock stars les plus modernes de son temps. Il considère ses deux compères comme des «likeable rogues, immensely likeable.» Et il te balance ça qui dit tout : «I didn’t want a band full of the guys in Oasis who aren’t Gallagher’s». C’est de l’australien, il faut s’y habituer. On comprend globalement ce qu’il veut dire. C’est toujours intéressant, car on lit plus la tournure d’esprit que la langue en tant que telle. Kim prend aussi des libertés avec la syntaxe, pas seulement avec la musique.

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             Les Surrealists enregistrent leur premier album dans un studio ridicule, avec un micro accroché au plafond devant la batterie et un autre devant les amplis. Brian Hopper : «We bashed out a rehearsal and called it a record.» Kim insiste beaucoup sur le côté unique de chaque performance. Il dit qu’on ne joue jamais deux fois un cut de la même façon. L’album s’appelle Hit Me With The Surreal Feel et sort en 1988. Budget total : 60 $. Galbraith : «Même si l’album sonne comme an accident of time and ressource, it endures today as an art record.» Même les formulations de Galbraith son iconoclastes. Il va chercher des mots d’anglais auxquels on ne penserait jamais. Dès «The Surreal Feel», on voit que Brian Hopper fait son Boris sur sa basse. Ça reste donc du Scientific Sound. «Bad Birth» bat tous les records de weirdyness. Kim n’est jamais ressorti des Scientists. Tout le balda est assez grinçant, assez dérangeant, très peu convenable. En B, Kim opte pour l’hypno avec «Intense», au sens Scientific du terme. Il rend un bel hommage à David Lynch avec une cover de «Blue Velvet», c’est un univers qui lui correspond bien, et il termine avec une superbe cover du «Devil In Disguise», aussi belle et subtile que celle de The Electronic Monsters, un trio normand tombé dans les oubliettes.

             Larry Hardy va sortir cet album des Surrealists sur In The Red - Probably the most crude record Kim ever did. Je veux dire que les Scientists devenaient weirder and weirder, mais Hit Me With The Surreal Feel was going into an even darker, stranger place.

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             Entre 1988 et 1992, les Beasts et les Surrealists se chevauchent. Kim compose pour les deux groupes. Galbraith dit que ses meilleures compos de Kim se trouvent sur Essence, un album des Surrealists paru en 1990 et bien épluché dans un Part Quelque Chose. Pour Kim, les Surrealists étaient «incredibly good». Et il développe son point de vue : «Les gens qu’on rencontrait voulaient qu’on joue en première partie de U2, des Bad Seeds, de Rollins, mais en tant que support band, you know. Fuckin’ hell, why weren’t we headlining?».

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             Quand Steve Turner quitte Mudhoney, Kim propose de jouer avec eux. Ils lui payent un billet d’avion pour Seattle. Il y reste quelques semaines et compose avec Marc Arm et les autres. Kim voyait l’album comme un pop album. Mais Marc trouve que c’est «a bit too much pop music. So that got shelved.» L’album  sortira quelques années plus tard sur Bang!. Pareil, Kim Salmon And The Guys From Mudhoney est épluché dans un Part Quelque Chose.

             Et puis Galbraith insiste beaucoup sur le grunge, un mot qu’on retrouve d’ailleurs dans le titre du book. Il prétend que Kim est l’inventeur du grunge, un synonyme de raw et de fucked-up. En 1983, Kim utilise le mot Grunge pour qualifier Blood Red River. «By the end of 1994, Grunge was dead», nous dit Galbraith, d’une voix d’outre-tombe.

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             L’épisode le plus important dans l’histoire de Kim est sans doute sa rencontre avec Jim Dickinson. Dickinson produit Ya Gotta Let Me Do My Thing et déclare : «I hear so much of myself in Kim’s music, that I think I must, I have to produce this.» Kim dit qu’il a passé une semaine à Memphis avec Dickinson, «and it was one of the best experiences of my life. Jim said that anybody who plays rock and roll should come to Memphis, and in a way that’s what that was about.» Galbraith dit que c’est l’un des meilleurs albums de Kim : «Larry Hardy declared it the template of how all records should sound.» 

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             Puis on se dirige doucement vers la fin du book avec l’épisode Darling Downs. Kim qui est rusé comme un renard démarre le chapitre avec un hommage à Wolf : «Howlin’ Wolf had this show biz thing, it shares as much with vaudeville as it does with the Mississippi folk thing. The glint in his eye, crazy ideas about a song and it’s like a ‘wink-wink, mudge-mudge’ to the audience. He reminds me of Ron Peno.» Kim s’entend aussitôt avec Ron Peno. Puis il découvre Died Pretty - Ron had all the moves, and he understood what made singers great. This guy was so good, he’s kind of Dylan,  Roger Daltry (sic), he’s Iggy, he’s got them all there in this strange king of package that combines a bit of everything without being any of them. He understood the medium. It was art what he did - Quel hommage ! Alors Kim monte un duo avec Ron Peno, les fameux Darling Downs. Il ne tarit plus d’éloges sur son copain Ron - I found Ron to be possibly the most musical person I’ve ever worked with - Il le traite encore d’incredible singer, ce qui est parfaitement juste. Tous ceux qui ont vu Ron Peno sur scène le savent.

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             Kim fut aussi le moteur des Beasts Of Bourbon. Gros morceau. Avec Tex Perkins et Spencer P Jones, qui avait fait partie des Johnnys, un groupe qui jouait du «New York Dolls-esque rock’n’roll under the guise of a country and western band.» C’est le cow-punk australien. Tex Perkins, Spencer P Jones et Boris vont monter les Beasts Of Bourbon. Ils tirent le nom d’un cut du Gun Club. James Baker se joint au groupe. Le groupe s’arrête au moment où Kim et Boris partent pour Londres lancer les Scientists. Le groupe reprend du poil de la bête en 1988, lorsque Kim et toute la bande rentrent an Australie - Instantly the chemistry of the band returned - En parallèle, Kim lance ses Surrealists. Il compose pour les deux groupes. Période d’activité intense, dit-il. Composer pour ces deux groupes, c’est pour lui du gâtö, en comparaison des Scientists - which is the hardest thing in the world - Il vise un «more adventurous slab of gutbucked blues and avant-garde weirdness.» Pour Tex Perkins, les Beasts sont les «high priests of dirty gutter rock’n’nroll. pre-grunge kind of talk. Dirty blues. Muddy Waters on crack.» Puis Kim va ramener Tony Pola et Brian Hopper des Surrealists dans les Beasts, et pour lui, ce sera le commencement de la fin. Les shows des Beasts atteignent des «mythical rock status», avec une réputation «of living as hard as they played», ils jouent avec le feu, se sauvent mutuellement la vie - we’ve all have been in death defying situations - died and come back. We were the nastiest sounding underground band, nous dit Brian Hopper. Mais Kim ne joue pas avec le feu. Il veut garder les idées claires. Il devient l’outcast du groupe - You had to be a rock’n’roll bad ass and everyone was doing rock’n’roll bad ass things. I was maybe an experimenter, but it wasn’t my life’s choice - Brian Hopper voit que Kim reste en dehors du cirque, car il touche pas à l’hero. Puisque tout le monde se shoote, lui par réaction ne se shoote pas - It’s a perverse streak in me that I’ve always had - On appelle ça l’esprit de contradiction. En plus, il découvre en 1998 qu’il a chopé une hépatite, et il n’est pas très content.  

             Le plus remarquable dans cette histoire, c’est que Kim réussit à concilier la vie de Scientist, l’un des gangs les plus wild de l’histoire du rock, avec la vie de famille - It was unusual being a twenty-four-year-old rock and roll dad - Son fils Alex naît en 1982. Kim et Linda n’ont pas de blé, et pourtant Kim continue de composer et de jouer. Alex a deux ans quand il débarque à Londres avec ses parents. La famille Salmon s’installe chez Nick Combes, à Brixton. Les trois autres Scientists sont installés à Fulham. Kim et Linda finiront pasr se séparer. Kim va se remarier en 1993 avec Sandra, et ils auront Emma et Gene ensemble, avant de se séparer en 2011. En tout, Kim a quatre gosses : Alex, Jack, Gene et Emma. Il met pas mal d’images dans le deuxième cahier photos, celui de la fin. Puis il va rencontrer Maxine et s’installer chez elle à Northcote. Ainsi va la vie.

             Galbraight brosse un portrait extrêmement fin de Kim, un homme «courtois, self-effacing, curious and very very funny.» C’est exactement ce qu’on ressent quand on a la chance de papoter un peu avec lui. Il est à l’écoute, et fabuleusement abordable. Galbraight ajoute : «He’s also stubborn, proud, determined, gueninely artistic and completely one abstract cat.» Il dit encore que la grande force de Kim est «d’écrire de grandes chansons, de putting on killer shows and working really, really hard.» Galbraight lui trouve toutes les qualités, l’inventivité, la performance (il écrit des chansons pour les jouer sur scène), l’unpredictability (il surgit toujours là où on ne l’attend pas), et bien sûr les deux principales mamelles de Kim sont le work ethic et l’endurance.

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             En 2017, Beast rééditait un album de Kim qui était introuvable, E(a)rnest, et quand on l’écoute on comprend mieux pourquoi il était introuvable. Kim avait à l’époque de sa parution envie d’expérimenter, et le résultat pourrait facilement dérouter un cargo. Plus rien à voir ni avec les Scientists, ni avec les Surrealists. Il joue tout seul et se livre à des petits exercices de style pour le moins incongrus. «Independant Rock» sonne comme un cut têtu et un brin obsédant, alors que son voisin «Too Much Music» bascule dans l’expérimental Dada de base. L’ambiance rappelle celle qui règne sur l’album folky-folkah qu’il avait enregistré avec Ron Peno. Pas le panard.

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             Pendant que Beast réédite, Bang! édite. Voilà encore un bel album condamné aux ténèbres de l’underground : True West. Kim Salmon y fait équipe avec Leanne et attention aux yeux, car voilà un sacré Tonnerre de Brest. Kim y fait une stupéfiante reprise du «Dead Flowers» des Stones. Il joue ça en stand-by de distorse laid-backy, baby. Oh, si jamais Keef entend ça, il risque de baver. Mais le pire, c’est que l’album fourmille de gros cuts bien vivaces comme ce «Ow Baby Baby» amené au garage pop d’excellence saumonière et sacrément bien enroulé au glam-punk kimmique. C’est dingue ce que ce Kim peut kiffer le glam ! Il prend «Freudian Slippers» en mode punk histrionique et au chat perché. Admirable ! Il passe des tas de tortillettes de gras double sur sa gratte. Insane et même carrément crazy ! Avec «The Science Test» qui ouvre le Bal des Laze, il joue la carte du stripped down. Il balance des it’s okay velvetiens. Il tape dans le punk new-yorkais pour «Carry On Luggage», et ça prend une allure considérable, quasiment glam. Kim sait caler un cut. Avec «L.O.S.T», il reste un fabuleux entrepreneur. Il gère le Losting down à merveille. Attention car la fin de la B défraye la chronique. «Double Negativ» sonne comme un fabuleux coup de laid-back avantageux - Techno terms/ Stay in your bliss - On pourrait même aller jusqu’à dire qu’il invente un genre : the low punk commotion. Fin en apothéose avec «Get A Hold Of Your World», balladif têtu comme une mule, admirable exercice de style guitaristique, c’est même une avancée notoire dans l’évolution du genre, il règne dans ce cut quelque chose d’indicible et de fascinant, Kim sait kitscher un petit bikini. Franchement, tout est bon sur ce disk hélas condamné aux ténèbres. Qui en parle dans la presse ? Personne ?

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             En 2019, Kim Salmon remonte les Beasts (sans les Bourbon) pour attaquer le XXIe siècle. Il récupère Boris Sujdovic et Tony Pola pour remplacer les morts. Par miracle, Tex Perkins, le chanteur d’origine, vit encore. L’album démarre en puissance avec «On My Back». Ils récupèrent tout le souffle du vieil underground australien. Kim met les Beasts en coupe réglée, come inside, il screame comme un démon de l’antiquité. Malheureusement, tout l’album n’est pas du niveau de ce brillant starter. Tex Perkins reprend le lead sur «Pearls Before Swine». Les Bêtes traitent ensuite «My Shift’s Fucked Up» à l’heavily heavy pachydermique et bien vulgaire. Quand ça va mal, ça va mal. L’album se réveille en B avec «Drunk On A Train» heavily sonné des cloches, avec tous les oooh-oooh de Stonesy qu’on peut bien imaginer. On retrouve un peu plus loin un shoot de Stonesy dans un «What The Hell Was I Thinking» monté sur les accords de «Dead Roses» - You used to be a prostitute/ You can send me dead flowers for my wedding - Et pour le reste, on repassera.

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             Pauvre Kim ! Il doit être épuisé. Ça fait quarante ans qu’il a du génie. Pour preuve, voilà que paraît sur Grown Up Wrong Not For Sale. Live 1978/79. C’est avec les covers qu’ils vont bluffer les masses populaires : dès l’«Have You Seen My Baby» des Groovies, on les voit maîtriser leur powerhouse, Kim chante au fond du punch et claque un killer solo flash. Ils enchaînent un peu plus loin «Teenage Kicks» et «Slow Death». Les voilà dans le vrai, Kim chante son Teenage Kicks comme un dieu Aussie, all throught the night yeah, killer solo flash à la clé, ça claque à la carlingue de fer blanc, puis les Scientists battent le fer pendant qu’il est chaud avec «Slow Death», I call the doctor, Kim connaît sa came, il pleut des cordes de slide, c’est une véritable douche écossaise, version explosive, Kim relance au wouahh et bien sûr, ça explose. Ils tapent plus loin un fantastique hommage aux Dolls avec «Pills», c’est encore une fois énorme, comme emporté de la bouche, pas de meilleur hommage Dollsy que celui-ci. Sur «Melodramatic Touch», ils sonnent aussi comme les Dolls, ils jouent ça à la petite reculade de la revoyure, avec une qualité de son inespérée pour l’époque. Tiens, encore du Dollsy bash boom avec «I’m Looking For You». Au chant, Kim est dessus comme ce n’est pas permis. L’autre grand fonds de commerce des Scientists, c’est la power-pop. Ils font un «It’s For Real» extraordinaire, Kim ne lâche pas le morceau. On les voit aussi jouer «Last Night» à la dentelle de belles guitares claironnantes. Ils jouent tous leurs cuts à la vie à la mort, même des balladifs comme «That Girl». On voit Kim tailler sa route avec «Frantic Romantic», leur premier hit. Encore une incroyable dégelée de gelée royale avec «Shake (Together Tonight)». C’est pulsé au bassmatic de Ian Sharples, toutes les guitares sont en surface. Un vrai festin de son ! Ces démons jouent «Girl» ventre à terre avec du son en continu. Ils sur-jouent tous leurs cuts. Par contre cinq titres enregistrés au Governor Broome Hotel de Perth ont un son pourri. L’album se termine avec une session enregistrée live dans un studio de Perth. Les Scientists sonnent très new-yorkais sur «Sorry Sorry Sorry», les parties de guitare valent bien tout le Quine dévorant. Ils reprennent aussi le «Don’t Lie To Me» de Chucky Chuckah, mais avec le son des Heartbreakers. Aw comme ces mecs sont bons, ils jouent ça au panache d’extrapolation, c’est en réalité un triple hommage aux Dolls, à Chucky Chuckah et aux Heartbreakers. On voit qu’à leurs débuts, les Scientists étaient déjà très au point. Les guitar attacks n’avaient aucun secret pour eux.  

    Signé : Cazengler, Kim Salmigondis

    Douglas Galbraight. Kim Salmon & The Formula For Grunge. Melbourne Books 2019

    Kim Salmon & The Surrealists. Hit Me With The Surreal Feel. Black Eye records 1988

    Kim Salmon. E(a)rnest. Beast Records 2017

    Kim & Leane. True West. Bang! Records 2014

    Beasts. Stille Here. Bang! Records 2019

    Scientists. Not For Sale. Live 1978/79. Grown Up Wrong 2019

     

     

    L’avenir du rock

     - Taj à tous les étages

     (Part Three)

             Un peu paumé, l’avenir du rock va consulter une cartomancienne. La vieille le fixe d’un œil d’épervier. Elle lui tire une première carte. L’arcane sans nom, c’est-à-dire la mort.

             — Vous êtes Mahal barré, avenir du rock....

             — Pfffffffff, je vis par-delà le Mahal et le bien.

             Elle tire une deuxième carte, le Diable.

             — Vous êtes le Mahal incarné, avenir du rock.

             — Ça me ferait Mahal au cul, vieille moute !

             — Vous êtes vraiment Mahal embouché, espèce de Mahalpoli !

             — Comment voulez-vous que je ne le prenne pas Mahal ?

             — Votre tendance à jouer les Mahal dominants vous perdra...

             — J’ai du Mahal à croire que vous puissiez me sortir une connerie pareille, madame Irma...

             — Vous vous comportez comme un Mahalotru, avenir du rock.

             — Sortez-moi plutôt les bonnes cartes, Mahalheureuse !

             — Vous êtes un gros Mahalade !

             — Et vous une sorcière Mahaléfique !

             — Et vous un drôle de Mahalfrat, avenir du rock !

             — Et vous une vieille pute Mahal baisée !

             — Et vous un Mahalfaiteur de la pire espèce !

             — Attention, madame Irma, je vais vous coller un Taj dans la gueule !

             — Hors d’ici, incarnation du Mahal !

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             Il a raison, l’avenir du rock. Il défend son Taj Mahal bec et ongles.

             Avec son Sextet, Taj Mahal vient encore nous donner une bonne petite leçon de savoir-vivre. On entend ici et là des plaintes du genre :

             — Ahhh docteur, le rock se porte mal...

             — Ahhhh, miséricorde, croyez-vous qu’ils voudront de lui à l’hôpital ?

             — Ahhhh mon dieu, il faudrait songer à lui réserver une place au cimetière...

             — Ahhhh, bonne mère, n’est-il pas temps d’appeler un prêtre ?

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             Taj Mahal et le rock sont en pleine forme, c’est ce que révèle Swingin’ Live At The Church In Tulsa. Les plus fins d’entre vous auront immédiatement fait le lien entre The Church et Tulsa : eh oui, les gars, il s’agit bien du studio légendaire de Tonton Leon. Et c’est là que Taj a choisi d’enregistrer ce brillant opus grouillant de puces. Taj chante son «Bettye & Dupree» d’une voix de mineur cacochyme, mais il faut voir comment ça ramone l’heavy blues derrière. T’entends surtout Bobby Ingano gratter sa Strato. Et paf, t’as le Taj qu’annonce la couleur : «I’m gonna move up to the country baby/ Paint my mailbox blue !» Black power & «Mailbox Blues» ! Comme au temps du premier album, celui qu’on qualifie d’album aux papillons, et des covers de Sleepy John Estes. Ça swingue chez Tonton Leon ! On reste dans la fantastique musicalité avec «Queen Bee». Taj semble régner sur la terre comme au ciel. Son power produit de la mélodie. Il y a du prophète en lui, comme chez Isaac. On le voit traîner plus loin l’heavy blues de «Slow Drag» avec des poux de steel sublimes. Présence lourde et lente. T’entends ce dobro dans le son, ça remonte à loin, il n’a jamais perdu de vue le vieux Frisco Sound. Il tape une fantastique cover de «Sittin’ On Top Of The World» en remontant le courant avec la fraîcheur d’un gardon étincelant. Cet album est une aventure. Et son génie éclate encore au grand jour avec «Corina». Il rentre dans le chou du groove de la Louisiane. Il est spectaculaire d’autorité, bien exacerbé par des poux de steel. Pourtant mythe personnifié, le voilà encore occupé à travailler un mythe. Il jette encore tout son poids d’heavy dude dans la balance de «Mean Old World». Très haut niveau. Que ne l’a-t-on déjà dit ! T’attends quoi de Taj ? Du génie à tous les étages ? Et tu l’as, depuis 50 ans, depuis cet album aux papillons. Alors le voilà à l’article de la mort, plus puissant que jamais, et là, il te donne le fin du fin de la crème de la crème, il te chante le blues, avec une aura comparable à celle de Gil Scott-Heron. 

    Signé : Cazengler, Mahal embouché

    The Taj Mahal Sextet. Swingin’ Live At The Church In Tulsa. Lightning Rod Records 2024

     

     

    Wizards & True Stars

     - Doggy Bag

     (Part One)

             Ça doit bien faire cinquante ans que Jerry Williams Jr., alias Swamp Dogg, pond des albums magnifiques dans une sorte de molle indifférence. On ne sait pas trop qui est Swamp Dogg.

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             — Ah c’qu’est sûr, c’est qu’avec un blaze comme çui-là, l’est ricain ! J’crois même qu’c’est un blackos ! Y fait-y pas du rap ?

             — Tu dois confondre avec Snoopy Dog !

             — Encore un wanna be your dog !

             — Non, Swamp Dogg est tout sauf un wanna be.

             — Si c’est pas un wanna be, j’parie qu’c’est un wanna bite, ha ha ha ha !

             — Non, Swamp Dogg est un artiste extrêmement évolué, je dirais même assez sophistiqué, je ne sais d’ailleurs pas si ses albums pourraient te parler, ou simplement te plaire...

             — Oh, tu m’prends pour une pimbêche, ma biche ?

             — Pas du tout. Je connais tes goûts, tu fais des choix assez classiques et je ne suis pas certain que tu aies du goût pour la modernité. Alors attention, ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit. Quand je parle de modernité, je ne parle pas de Pierre Boulez ou d’Arnold Schönberg, je parle bien sûr de gens comme Richard Hell, Robert Pollard, Sly Stone, Darrow Fletcher ou encore Bill Callahan, tu vois, des gens qui cherchent la route des Indes. 

             — Ah oui mais non, j’écoute pas tous ces machins-là. Y m’prennent la tête avec leurs conneries.

             — Oui je savais que tu allais me dire ça. Mais toi qui aimes bien les vrais mecs, ceux qui ne vendent pas leur cul, comme tu le dis si joliment, tu serais surpris. Swamp Dogg n’a ni Dieu ni maître. Il taille sa route depuis cinquante ans.

             — Sa route des dindes, ha ha ha ha !

             — Tu peux rire, mais tu ne verras jamais Swamp Dogg en couverture de ton cher Rock&Folk. Tu comprends, Swamp Dogg n’est ni Pink Floyd, ni Blondie, ni Led Zeppelin. Comme beaucoup d’artistes trop évolués artistiquement, il ne peut pas intéresser le grand public.

             — Rien que d’t’entendre déblatérer, chuis fatigué d’avance. Des fois, j’me d’mande comment t’arrive à pas t’faire chier avec tes rogatons, Gaston !

             — Oh je reconnais que certains artistes m’ennuient, je n’ai aucune patience pour Zappa ou Genesis, mais tu en as des milliers d’autres. Je trouve ça exaltant de penser qu’on peut continuer à découvrir des œuvres d’artistes, ça peut même te remplir ta vie et te prendre tout ton temps. J’aime bien l’idée des mines d’or, tu peux en découvrir une chaque jour, c’est comme un jeu. Tu creuses un petit trou dans la montagne et tu tombes sur un filon !

             — Tu jactes comme un mec de France-Loisir qui fait du porte-à-porte. T’as quand même un méchant baratin, Martin !

             — Suis désolé de t’ennuyer avec mes histoires. Tiens si tu veux bien, je vais aller te chercher une autre bière et on va écouter le nouvel album de Swamp Dogg, comme ça tu pourras me dire ce que tu en penses, d’accord ?

             — Vendu, Boudu !

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             — Tiens, voilà la pochette. L’album s’appelle I Need A Job So I Can Buy More Auto-Tune. Swamp Dogg a toujours trouvé des titres marrants pour ses albums. Il pratique l’auto-dérision.

             — J’vois vraiment pas c’qu’y a d’drôle dans c’titre. Ça veut dire quoi l’auto-tune ?

             — Réglage automatique, je crois bien.

             — En tous les cas, l’est vach’ment poilant le pépère, sur la pochette, avec son gros bide et ses bretelles !

             — Encore une vieille habitude. Swamp Dogg s’est créé un personnage un brin ubuesque. Il peut poser en caleçon ou en costume blanc, c’est une sorte d’anti-Ziggy Stardust afro-américain, un vrai concept artistique. C’est pour ça qu’il me fascine.

             — Toi, y t’en faut pas beaucoup pour te fachiner, ha ha ha ha !

             — Tiens, au lieu de rire bêtement comme le Professor, écoute ce premier morceau, «I Need A Job». Tu entends les basses ? C’est du black rock de Swampy Swamp.

             — Si tu causes tout l’temps, on pourra pas écouter.

             Swamp Dogg déroule son Doggy Dogg sound en fabuleux shouter.

             — Ouais, j’aime bien, y’a du son. Ton mec y l’a une bonne voix.

             — Ça, c’est un morceau lent, «Cheating In The Daylight».

             — Y nous fait l’coup du balladif aristo !

             — Oui, mais tu as remarqué la qualité du chaloupé ? On connaît aussi Swamp Dogg pour son goût immodéré du boogie en haut de forme. Il te fait même de la Soul, tiens voilà «Soul To Blessed Soul», tu vois comme il te berce la Soul, avec une modernité de ton extravagante. Il y a du Percy Sledge en lui. C’est une plastique parfaite. Swamp Dogg fait de l’art, il propose des chansons parfaites.

             — C’est vrai qu’c’est balèze. Ça s’rait encore plus balèze si tu fermais un peu ta gueule.

             — Oui, mais il faut bien que je te donne des points de repère. Tu vois, avec «She Got That Fire,», il te fait la Soul des jours heureux.

             — Moi, j’appellerais ça la Soul des jolis cons !

             — Oui, si tu veux, mais tu vois bien que Swamp Dogg est un artiste extraverti. Écoute ce shoot de Soul funk, ça s’appelle «I Need Your Body». Tu entends ce rumble ?

             — Pas mal pour un vioque ! L’a combien ?

             — 80 piges. Il fait encore des albums superbes. L’heavy groove de «Darlin’ Darlin’ Darlin’» est une merveille de présence intrinsèque. Il navigue dans l’entre-deux de l’heavy groove. Là, t’as tout le génie black dont t’as besoin

             — Pas besoin de génie black. Jusse besoin de génie lave plus blanc, ha ha ha ha !

             — Maintenant, tu vas le voir exploser «Full Time Woman» de l’intérieur. Boom ! Tu vois comme il sature son Full Time ? Il te fait le coup du fed-up, il va chercher le chaos de la sature...

             — Là poto, tu débloques complèt’ment ! Tu t’entends quand tu sors tes balivernes, Jules Verne  ?

             — Excuse-moi, c’est l’enthousiasme qui m’emporte. Chaque fois que je réécoute «Cheatin’ All Over Again», je vois Swamp Dogg laisser sa braise couver sous la cendre. Il a beaucoup trop de son. Quand tu écoutes ça au casque, le casque saute. Il termine avec une reprise, «Show Me».

             — Ah j’le connais ! C’est-y pas un vieux coucou de Joe Tex ?

             — Bravo ! Cet hommage à Joe Tex est le meilleur qui se puisse espérer. Swamp Dogg te le tape en mode wild r’n’b avec une gratte paumée dans le fion du son, Doggy Dogg te le rocke à l’ass et te le tape aux tambours du Bronx.

             — Toi quand tu t’lâches, tu fais pas semblant !

             — Écoute ! Tu le vois Swampy Swamp revenir comme un serpent dans son Show Me ?

             — Ah ouais, t’as raison, un vrai black mamba ! Ça m’laisse baba, Taras Bulba ! 

             Deux ans plus tard, nos deux amis se retrouvent autour du nouvel album de Swamp Dogg, Blakgrass: From West Virginia To 125th St.

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             — Tu vas avoir du mal à l’avaler : figure-toi que Swamp Dogg fait du bluegrass black. Il dédie son Blackgrass à John Prine et il dit pourquoi.

             — Connais pas John Praïne. Connais juste Amazon prime...

             — T’as quand même entendu parler de l’Americana ?

             — Non, connais que l’américano, ha ha ha ha !

             — Bon bref, t’as un cut qui s’appelle «Ugly Man’s Wife», le vieux Swampy Swamp gratte un banjo et tu te croirais dans les montagnes du Kentucky. C’est dire son côté véracitaire.

             — Pardon d’te dire ça, mais des fois on pige rien à c’que tu dis. En plus que tu causes de disks qui sont pas trop à la mode. M’étonne pas que tes gonzesses te plaquent.

             — Occupe-toi de tes affaires. Tiens écoute ça : «Have A Good Time». Sa voix te fait penser à qui ?

             — Maurice Chevalier !

             — Non, ce serait plutôt Louis Armstrong. I hate to see you go/ But  have a good time. Il est fair-play, tu ne trouves pas ?

             — Un cul ça reste un cul. Qu’elle aille se faire tirer ailleurs !

             — Tiens, encore un cut magique, «Songs To Sing». Savoure-moi cette intensité ultraïque...

             — Pourquoi t’invente des mots qu’existent pas ?

             — Parce que la musique s’y prête. La musique induit la musique des mots. Tiens puisqu’on parle de musique des mots, voilà du pur jus d’alizés, «Count The Dogs», un heavy groove d’Americana avec un banjo dans le doux du son et Swamp qui compte les dogs. Et puis voilà «Your Best Friend», il le prend très haut comme au temps de Jerry Williams. Tu ne trouves pas que c’est un chanteur extraordinaire ?

             — Y devrait faire du cirque...

             — Et voilà qu’il repart au Kentucky avec «Rise Up». Avec Swamp, le bluegrass bascule dans la Méricourt et t’as en plus un violon de Paganini sous amphètes.

             — T’as vraiment une araignée au plafond ! Qui veux-tu qu’écoute ça ?

    Signé : Cazengler, du côté de chez Swamp

    Swamp Dogg. I Need A Job So I Can Buy More Auto-Tune. Don Giovani Records 2022

    Swamp Dogg. Blakgrass: From West Virginia To 125th St. Oh Boy Records 2024

     

     

    Cobra long

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             Ça faisait une éternité qu’on n’avait plus vu de Gallois sur scène. En voilà quatre dans la cave. Et des beaux ! S’appellent Obey Cobra. Va-t-en savoir pourquoi. N’Obeyissent à rien. Mordent pas. Juste Gallois. Trois mecs et une petite gonzesse au chant. Un bassman qui tourne le dos, mais qui sera charmant lors du papotage d’after-effect. Et puis dans un coin d’ombre, t’as un drôle de lascar tout en noir, cheveux longs et lunettes noires. Guitare blanche. Il pince des accords tarabiscotés sur son manche, des accords que tu n’as encore jamais vus. Il tord ses doigts dans des postures indécentes. Et il sort un son d’une ahurissante modernité. Du coup tu ne le quittes plus des yeux. Il officie dans l’ombre. C’est un mage. L’Obey Cobra se met en route et rocke le boat gallois, c’est du Cardiff Kraut de la plus belle espèce.

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    Tu prends un aller simple pour Cythère, car oui, ça marche bien au-delà des toutes les espérances du fucking Cap de Bonne Espérance. Les Gallois foutent le feu à la cave comme l’ont fait avant eux les Mengers du Mexique, les Fomies de la Suisse ou encore les Codex Sefarini de Brighton. Ça ulule dans les cylindres du gros moulin Kraut Cardifficateur. La sonic darkness monte comme la marée. Ils vont cultiver leur Cardiff Kraut pendant une heure et te conforter dans l’idée que décidément rien ne vaut l’underground et la joie des inadvertances. Croiser des Gallois géniaux au fond d’une cave, c’est ce qu’on peut souhaiter de mieux à tout fan de rock. Ceux-là t’en mettent plein la barbe, et t’en veux encore.

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    La petite gonzesse fait le show, mais le mage lui vole tout, là-bas, dans son coin d’ombre. Il sort le son le plus mystérieux de l’underground. Un son que tu ne vas pas forcément retrouver sur leurs deux albums. Dans le cave, le son s’altère divinement, et en studio, c’est plus policé. Pas la même énergie. Le mage s’appelle Gareth John Day et la petite gonzesse K Wood.

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             Tu vois les deux albums des Gallois au merch et tu les ramasses. Le premier date de 2021 et s’appelle Oblong. T’y trouves deux petites merveilles, «Sophia Can’t Walk» et «Dim Beak». Sophia est bien hypno, dans une jolie veine Kraut. Ça file bien à travers la plaine, très Can dans l’esprit, alors tu dis bravo. Avec le Dim qui est en B, les Cobra passent en mood de doom à la Welsh motion. Et la petite chanteuse pique une crise terrible et bat bien des records d’insanité. Deux cuts sur neuf, c’est déjà pas si mal, pour un groupe condamné à l’underground. Bon, t’as d’autres choses, assez denses, comme «Capita» et «Sunflowers», mais tu sais déjà que tu n’y reviendras pas.

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             C’est sur le deuxième album, le très gallois Mwg Dwg, que les Athéniens vont s’atteignir, comme dirait Gildas (Hello Gildas). Titre Gallois, comme certains albums des Super Fury Animals. C’est là que tu retrouves les cuts d’enfer du set, à commencer par «Blank Tape», bien tapé, bien Kraut et t’as le magicien qui gratte ses poux dans l’ombre. S’ensuit un «Ten Of Wands» qu’elle déclame depuis le fond du studio, mais sa voix ne porte pas. On note cependant la belle densité de l’intensité. Ce groupe t’intéresse vraiment. Les Cobra ont un son et une réelle originalité sonique. Ils sont très fiables et on peut leur accorder un max de crédit. Encore un coup de Jarnac avec «Gnostic Shock». Wild Wales ! C’est bien dru, sans détour. Ils cherchent des grosses noises à la noise. Et plus loin, t’as ce «Kali Yuga» qui devient beau à force de weirdy weird, le magicien te hante ça comme il faut, c’est extraordinairement dense. N’oublions pas que Merlin est originaire du Pays de Galles. Les Cobra repartent de plus belle en B avec «Tolerance Break», un instro Kraut dépenaillé, et ils te cueillent ensuite au menton avec «Home Wrecca» un cut qui file tout droit. Wild Wales again ! C’est puissant et digne d’Hawkwind ! Stupéfiant de Welsh Power, et balayé par les bourrasques d’accords du magicien Gareth John Day. S’ensuit un «Half Smile» de grande intensité. Bref, les Cobra ont toutes les qualités. Impossible de leur trouver le moindre défaut.

    Signé : Cazengler, Cobra cassé

    Obey Cobra. Le trois Pièces. Rouen (76). 20 novembre 2024

    Obey Cobra. Oblong. Box Records 2021

    Obey Cobra. Mwg Dwg. Rocket Recordings 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - La gorge de Barbara George

             Lady Barba avait une curieuse spécialité. Quand après le chaos des affrontements et que le soir tombait sur le champ de bataille, tu la voyais sortir de sa misérable hutte pour aller fureter dans les tas de corps sanguinolents et encore tièdes. Accompagnée de ses trois sœurs, elle allait d’un tas de cadavres à l’autre, ouvrant des bouches pour arracher des dents, crevant des yeux pour le seul plaisir d’entendre le fameux ‘blop’. À laide d’une petite torche, elle inspectait les mains et sortait une affreuse cisaille dès qu’elle voyait briller une bague. Craack ! Elle se régalait du bruit sec de l’os qui craque sous la lame. Elle baissait des caleçons pour couper des testicules dont elle faisait des pâtés et d’horribles fricassées, dont bien sûr se régalaient ses sœurs qui haïssaient pareillement les hommes. Aux alentours des arènes de Nîmes, des petits galetas servent des couilles de taureaux fraîchement vaincus. Chez les sœurs Barba, on te sert des couilles d’hommes fraîchement tombés au combat. Heure après heure, elles remplissaient ces gros sacs qu’elles tiraient derrière elles, comme le font les esclaves dans les champs de coton. C’était un atroce spectacle que de les voir traîner ces gros sacs sanguinolents et disputer les cadavres aux corbeaux accourus en masse. Elles ramassaient aussi des armes pour les revendre, des bottes, des peignes, des briquets, enfin tout ce qui est transportable. Lorsque Lady Barba, qu’on appelle aussi la ricaneuse à cause de son rire stupide, tombait sur un mourant qui lui demandait de l’eau, elle lui enfonçait la pointe de sa cisaille dans l’œil pour abréger ses souffrances. Elle qualifiait ça de charité chrétienne. Elle avait depuis longtemps franchi les limites communément admises de l’immoralité. Lorsqu’il faisait nuit noire, et qu’elles peinaient à traîner leurs sacs surchargés de macabre butin, elles regagnaient à la lueur des torches leur misérable hutte. Pour goûter aux fricassées de couilles de Lady Barba, il suffit d’en faire la demande par écrit au blog qui transmettra. Il paraît qu’on se régale chez les détrousseuses de cadavres.     

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             Pendant que Lady Barba cuisine ses épouvantables fricassées, Barbara George fricasse la Soul de la Nouvelle Orleans, un plat beaucoup plus appétissant. 

             C’est dans les mémoires d’Harold Batiste qu’on croise de Barbara George. Harold raconte l’arrivée de Pince La La chez AFO, en 1961, au moment où ils recherchent des nouveaux talents : «Un jour Jessie Hill débarque avec une chanteuse nommée Barbara et un guitariste nommé Prince pour l’accompagner. De son vrai nom Lawrence Nelson, Prince était le frère de Walter Papoose Nelson, le guitariste de Fats Domino. Prince avait composé une chanson pour Barbara, «You Put The Hurt On Me». Comme Barbara avait du mal à caler le chant sur le rythme, Prince chantait avec elle pour l’aider. Il chantait si bien qu’on a décidé de l’enregistrer et de trouver autre chose pour Barbara.» Et en juin de la même année, Harold emmène Prince et Barbara George enregistrer chez Cosimo - Cosimo était beaucoup plus qu’un brillant recording engineer - he loved the music and the people who created it. His contribution was to capture as much as of the music’s spirit as possible.

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             On peut entendre ces enregistrements devenus mythiques sur I Know (You Don’t Love Me No More), un AFO Records de 1961, fort heureusement réédité. Parmi les musiciens qui l’accompagnent se trouvent Alvin Red Tyler au sax, et John Boudreaux au beurre. «I Know» est du pur sucre de New Orleans. Elle tape un joli classique mélancolique avec «Since I Fell For You». On y entend Roy Montrell gratter ses poux. Le sucre de Barbara est sensible, on comprend qu’Harold ait craqué sur sa voix. Elle devient gluante et donc géniale avec «Without Love» et se bat jusqu’au bout avec son Love dans «Talk About Love». On retrouve du Love en B avec «Love». La voilà lancée dans le raunch sucré. Elle est palpitante. Elle est même parfois un peu juvénile, comme le montre «I Never Knew». Pugnacité et nubilité sont les deux mamelles de Barbara George. 

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             Il existe une autre compile de la petite Barbara, The AFO & Sue Years, parue récemment. On y retrouve bien sûr le fameux «I Know You Don’t Love Me No More». On sent la petite black appliquée. Elle fait comme on lui dit. Elle tente même le coup du heavy strut délinquant avec «Love (Is Just A Chance You Take)», mais Shirley de Shirley & Lee est bien meilleure sur ce coup-là. On retrouve aussi le «Since I Fell For You» et le «Talk About Love» de la compile précédente. C’est toujours aussi affreusement beau. Elle est terrible, incroyablement juvénile, et avertie en même temps. Sur «I Never Know», elle devient trop perçante. Elle fait sa Barbara Gorge Profonde. Elle prend son «Hurtled» au beat des reins de la Nouvelle Orleans. Elle monte sur tous les coups. Elle ramène une incroyable ampleur dans chaque cut. Son «Honest I Do» est trop gluant. Elle exagère. Elle prend son «Let’s Steal Away» au groove de steal away baby, elle y va au ‘cos I love you so, elle enfonce son petit clou. Elle bourre bien sa dinde. Il faut l’encourager. Alors on l’encourage. Vas-y Barbara ! Et plus tu vas dans les cuts, plus elle bourre sa dinde. Elle finit avec un heavy popotin de la Nouvelle Orleans, «Try Again», elle y va la mémère, elle est géniale, pleine de vie sucrée. S’il fallait trouver une morale à cette histoire, ce serait la suivante : ne laisse jamais une jeune black délinquante s’approcher d’un micro. 

    Signé : Cazengler, Barbara d’égout

    Barbara George. I Know (You Don’t Love Me No More). AFO Records 1961 

    Barbara George. The AFO & Sue Years. Jasmine Records 2021

     

    *

    Il n’existe qu’une seule manière de vivre, la sage Lao-Tseu emploierait le mot chemin, de toutes les manières il n’y a qu’un seul chemin de vie acceptable : le rock’n’roll ! Tous les autres sont des impasses. La preuve nous n’en parlons jamais !

    ARE WE STILL ALIVE ?

    WAYS

    Clément : vocals / Bruno : guitar / Nico : guitar, vocals / Anthony : bass / Etienne : drums.

             Au début j’ai pensé à l’évocation d’une question de métaphysique essentielle ou tarabiscotée, chacun en jugera par soi-même. Serions-nous, tous, toute l’humanité, déjà morts ? L’on imagine que lorsque nous serons morts, nous serons comme ceci ou comme cela. Ou que nous ne serions rien du tout. Oui mais peut-être un point essentiel nous a-t-il échappé. Si nous pensons plus ou moins souvent à la mort ne serait-ce pas tout simplement parce que nous serions déjà morts. Ce que nous appelons notre vie ne serait-elle que notre mort. Pourquoi la mort ne serait-elle pas ce que nous croyons être notre vie. En quelque sorte nous vivrions notre mort. Peut-être avons-nous vécu une autre vie, une vraie, dont nous ne nous souvenons plus parce que nous sommes morts depuis si longtemps. Ou alors ce que nous appelons la vie n’est-elle que la mort. En tant que morts nous nous ennuyons beaucoup, alors avons-nous inventé que la mort n’était pas la mort et que nous serions en vie, et que la mort serait bien plus ennuyeuse que notre mort. Nous aurions imaginé, par compensation psychique, une mort bien plus terrible que celle que nous vivrions. Vous pouvez trouver ce raisonnement tordu, toutefois si nous sommes des vivants, pas encore morts, n’avez-nous jamais remarqué que parfois, souvent, toujours, voisins, proches et moins proches se baladent sur la terre avec des pensées qui ne correspondent pas à leur état, certains se croient des êtres supérieurs, d’autres se prennent pour des génies, ou des minables, des moins que rien, des zéros absolus, alors que tout le monde se maintient dans une misérable moyenne égalitariste…

             Ou alors me suis-je dit, je commets une erreur, non ils veulent simplement dire que le monde dans lequel nous vivons va si mal que nous sommes si prêts de l’apocalypse, de la catastrophe, de l’effondrement, que c’est comme si déjà nous étions morts. Une manière métaphorique de nous nous mettre le nez dans le caca ambiant, un avertissement sans frais…

             Ben non, pas du tout, erreur sur toute la ligne. Juste des égotistes, le pronom ‘’nous’’ qu’ils emploient nous invite à une méditation eschato-écolo-logique sur la nature de l’espèce humaine ou sur la fin programmée de notre planète. Ne tirent pas des plans sur la comète, se contentent de réfléchir non pas sur le sort de l’Humanité, mais uniquement sur la survie de leur groupe.

    Le groupe s’est formé en 2014, z’ont enchaîné les opus et les tournées, tout allait bien. Et crack tout a foiré. Ce n’est pas de leur faute, ils n’y sont pour rien. Le Covid leur a coupé les pattes, pas facile quand on est confiné chez soi de se retrouver pour répéter. Certains ont changé de vie, d’autres sont partis de leurs côtés, d’autres sont arrivés, la mécanique s’est remise en marche en 2022, la parution d’Are We Still Alive marque la concrétisation de ce nouvel  envol. Rappelons que l’Ep est classé N°3 sur le site GBNDL (voir notre livraison 671 du 26 / 12 / 2024)

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             La photo de la couve est d’Anthony Lossmann, son instagram est très agréable à regarder, de belles photographies de jeunes filles. Le modèle de la photo se nomme Kali, si vous parcourez son Instagram vous êtes un peu surpris, ce n’est pas une suite de photos de jeunes filles, pensez à la poursuite d’une image, romantisme, sorcières, reines, impératrices, déesses, l’éternel féminin selon toutes ses auto-déclinaisons phantasmatiques. La photo choisie pour la couve est accompagnée d’un texte, quel hasard une réflexion sur la mort, et cette idée bellement exprimée qui résume un état d’être et de facticité existentielle, la photo comme un art de survivance exaltée, une mise en scène de soi, une fois disparue, une trace de soi dans le monde. Ne retrouvons-nous pas là le début d’Endymion de John Keats, A thing of beaty is a joy for ever

             Certes Kali est belle, mais c’est la première fois en regardant un instagram que je prends davantage de plaisir à lire le texte qui les accompagne qu’en regardant les images. Il est vrai qu’il existe des images intérieures dans lesquelles apparaît un mode plus subtil d’être seule au monde…

    Forgiveness : l’auto-contrition est un jeu dangereux. Il est des abîmes dans lesquels, il vaut mieux ne point se risquer. Le morceau n’atteint pas les quatre minutes, vous êtes obligé de le réécouter pour vous assurer que vous n’avez pas été victime d’une diffraction temporelle. Regardez la couve et imaginez qu’il est construit comme un jeu similaire de prises de vue. Des séquences sonores variées dont chacune illustre une pause. Une carte du tarot dont vous ne vous pouvez comprendre l’apparition qu’en connaissant les figures de tous les autres arcanes. Eruptions volcanique et irruption sous-jacente d’une ligne mélodique, la folie du passé et la monstruosité du présent. Qui n’est qu’une relecture de ce qui a été, ce qui, du fait même de ce nouveau regard, retrouve ce qu’il a été et qu’il est encore. Car ce qui a été existe toujours. Comme la vie. Comme la mort. Why do we fall : pourquoi tombons-nous, peut-être pour nous relever et être debout. Eternellement debout. Encore un morceau d’exploration de failles et de noirceurs existentielles, avec ces moments de grâce suprême suspendue sur le néant de soi et du monde. Prenons le temps d’apprécier cette fulgurance battériale et ces vocaux d’outre-tombe de soi-même. Dans le labyrinthe dont nous sommes la lumière qui se déplace mais qui ne voit que du noir, car la lumière ne saurait se voir elle-même. C’est pourquoi nous tombons sans fin. Tout en restant illuminescent pour ceux qui nous voient passer. Et parfois nous arrêtent dans notre quête aveugle. World won out : l’hubris, la démesure, la rage de vaincre, l’envie de tuer, la nécessité de se battre, d’envoyer bouler la planète comme un ballon de football usé, avec par-dessus la petite musique, de la fin non pas du monde, mais de soi, car n’est-ce pas la meilleure manière d’abolir le monde que d’en finir avec soi-même, grincements, ahanements guitariques, bris battériaux, cris de haine contre soi, contre tout, la fragilité humaine contre toutes les chimères, vaincue d’avance, mais la fresque du combat dessinée par les Dieux rend autant hommage aux vaincus qu’aux vainqueurs car ils ne sont que les deux faces du combat.  Erase : errare humanum est. Peut-on aller contre son propre destin. Encore plus de rage que dans les trois morceaux précédents réunis, même la ligne mélodique est passée au mixeur de l’impossible, le plus grand des combats est celui que l’on tente contre soi-même, l’on essaie de remonter le temps comme un héros de bande-dessinée, faut être mangaga pour penser que l’on repoussera l’irrémédiable une fois survenu. Morceau de l’incomplétude humaine qui croit avoir tout bien fait alors qu’elle n’a aidé qu’à précipiter la fatalité de l’inexorabilité . So far so good : (New version) : cet EP bénéficie d’une structure très simple, ce qui ne signifie pas simpliste, de plus en plus de désespérance de plus en plus d’espérance. Ici c’est le summun, celui qui remonte les rivières du désespoir pour se lover dans le lieu originel. Ce qui est très fort dans ce morceau c’est qu’il fonctionne à rebours des précédents. En effet ces quatre premiers mousquetaires possèdent leur temps suspendu, ces instants de grâce, la crête étincelante de la vague dévastatrice, juste avant qu’elle ne se transforme en tsunami malfaisant, dans ce dernier, dans ce court instant de répit déferle toute sa violence contenue, la mélodie explose et se transforme en hachoir sanglant, c’est elle qui mène la cavalcade de la vie dans le delta de la mort suicidaire. Il ne saurait y avoir de meilleure fin. Puisque c’est la plus logique. D’où la question Are we still alive ?

             Démentiel.

    I SEE NO BEAUTY

    ( Single / Banscamp) / Février 2017)

             Je n’avais pas prévu de chroniquer ce simple paru en 2017, le dernier enregistrement avant la grande coupure. La couve m’a attiré. Certes j’ai toujours aimé les animaux, l’image est forte, mais la bête le plus à plaindre reste l’Homme, le pire des prédateurs, le maître incontestable du malheur de tous et surtout de lui-même. Si un microbe quelconque s’amusait à faire disparaître notre race, je ne pense pas que nous soyons beaucoup regrettés. Le seul fait positif dans cet effacement définitif serait que dans la colonne pertes et profits notre disparition serait classée parmi les bénéfices. Pour reprendre les termes de Kali nous dirons que nous ne laisserons après nous aucune trace de beauté.

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    I see no beauty : tiens YT nous offre une pub avant la vidéo, un peu de patience, ah, ben non, ce n’est pas une réclame, ça fait partie de la vidéo, c’est Trump qui retire la participation des Etats-Unis à l’accord de Paris. Âmes sensibles abstenez-vous de regarder le reste vidéo. Vous n’aurez pas la chance de voir le groupe jouer, par contre vous échapperez aux images sanguinolentes qui agrémentent le show, images chocs du grand massacre animalier… A tel point qu’il pourrait être difficile de chroniquer musicalement ce titre, l’impact politique du message prime sur l’effet musical qui est très loin d’être négligeable. Le morceau se termine abruptement mais ce n’est pas fini. Sur des images de dirigeants politiques la militante, je suppose, sans être sûr, Greta Thunberg, encourage les décideurs à mettre leurs actes en accord avec leurs paroles…

             Un clip politique, je n’en ai jamais vu d’aussi radical chez un groupe français, le poids des images, le choc du rock. Ways mérite que l’on s’intéresse à lui. Pour la paix, je vous refile le court texte du morceau, qui entre nous soit dit n’est pas aussi gnan-gnan empaqueté de jolis nœuds rose que l’on pourrait le croire, si les hommes sont tout noir, les animaux ne sont pas tout blanc : Abandonné dans la jungle, /encore si jeune, /J’essaie d’utiliser la violence, /Je teste, / j’expérimente, /Je grandis et je me nourris /Je ne vois aucune beauté dans l’espèce qui m’a créé, /Parfois/Je vois des gens qui viennent pour détruire /Chasser ma famille/Je ne vois aucune pitié /Je ne vois aucune beauté dans l’espèce qui m’a fait, /Forcé et destiné à être ce que je suis /Les hommes ne sont pas des animaux, ils sont bien pires.

    Damie Chad.

     

    *

             Moi qui croyais tout connaître je subodore une nouvelle revue de rock, pas très visible sur le présentoir, vous avez un numéro de R&F qui cache tout le bas de sa couverture, un si grand format que le tiers supérieur est invisibilisé par le réceptacle supérieur de la gondole dévolue aux magazines rock, n’est visible qu’une mince bande sur lequel je devine le haut d’un crâne. Humain. Parfait exemple du flair légendaire du rocker, je me saisis d’autorité conquérante, j’ai compris qu’il était pour moi, de l’objet et pousse un soupir de surprise :

    RITUEL

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              Enfin une revue consacrée au dark side, depuis la disparition papier d’Obsküre en 2016, elle continue encore sur le net, pas grand-chose à se mettre sous la dent. Voici donc Rituel grand format (30 x 22) cm. Question métaphysique : est-ce un book ou un mook, si vous me permettez ce pseudo-néologisme, je dirais plutôt un sook.  Rituel est une émanation de la principale revue française de metal : Rock Hard. Toute une partie de la rédaction, sans faire sécession, s’est retrouvée pour créer une revue consacrée au Metal Extrême. Ce n’est pas le Numéro 1, inutile de mettre toute la nichée dans le même panier, surtout des œufs de dinosaures. Tout dépendra des lecteurs et des abonnements. Si le public ne mord pas, Rituel restera dans l’histoire de notre presse rock, comme un numéro spécial extrêmement exceptionnel de Hard Rock, une espèce de monstre antédiluvien appelé à devenir légendaire, une sorte de fanzine culte que l’on toquera contre moulte monnaie sur les bourses d’échange monétaire… un franzine national  d’une rare épaisseur, puisqu’il totalise cent quarante-huit pages. Pour la modique (tout dépend de votre porte-monnaie) somme de douze euros.

             Le dark side n’a pas bonne presse. Le grand public ne s’y aventure guère. L’est sûr que le metal extrême est une musique violente ou bizarre. Qui peut choquer ou dérouter. C’est le genre de  reproches  dont était victime le rock’n’roll dans les années cinquante… Le revival et la vague rockabilly ont eu plus ou moins raison de ces vieilles réticences. Le système est capable de récupérer le sulfure. De nos jours il reste juste une image qui voile l’aura originelle. Seuls des poignées de fans sont encore capables de la détecter, de la ressentir. De la remodeler. De la continuer.

             Dans un demi-siècle il est à craindre que nos musiques extrêmes d’aujourd’hui soient perçues comme de simples objets culturels populaires. Occultées en tant qu’artefacts inoffensifs. N’empêche que ces ziques ultimes trimballent avec elles beaucoup plus que des instrumentations explosives et captivantes. Voires inaudibles pour des oreilles frileuses. Le bruit et la fureur certes. Mais pas que. Il est arrivé au rock’n’roll les mêmes aventures qu’au roman policier. Au début une affaire de malfrats, pan-pan, tant pis pour toi, y a toujours un cercueil qui t’attend au coin de ta vie. Dix lustres plus tard, la donne a changé, les séries noires ont élargi leurs cibles, les glauques histoires de truands à la petite semaine se sont transformées en réquisitoires impitoyables, en froides analyses de l’évolution de notre société. Ce que l’on ne pouvait plus dire dans les avenues de la ‘’grande’’ littérature officielle aseptisée s’est retrouvé dans ce sous-genre méprisé et vilipendé par les stériles instances de la bien-pensance chloroformante… L’eau contenue de force trouve toujours une brèche par où s’écouler.

             Les dromadaires sont des animaux intéressants en eux-mêmes. Mais ce qui compte avant tout ce sont les marchandises que les caravanes transportent. Les méharis des musiques extrêmes se sont retrouvés à trimballer d’étranges objets que la Modernité avait sciemment écartés et enfermés dans des greniers mentaux soigneusement cadenassés. Apparemment les mythes, les épopées fondatrices, les pensées antiques, les philosophies présocratiques, l’occultisme, des pans entiers de la littérature, de la peinture, des phalanges de penseurs et d’artistes de maintenant et d’avant-hier, qui ne s’inscrivaient dans la courbe ascendante des progrès de la doxa moderniste ont été remisés à l’encan des contes affabulatoires  et des vieilleries obsolètes sans aucune utilité pratique…

             Or qu’est-ce qu’un rituel, si ce n’est une espèce de pratique mentale et symbolique, déclamatoire et gestuelle – prenez ces mots en leurs sens les plus étendus – destinée à exercer une influence quelconque sur la réalité qui nous entoure. Dans son poème Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, Stéphane Mallarmé s’interroge sur la portée et la validité de l’influence de nos gestes les plus significatifs sur la nébuleuse combinatoire de l’univers.  En d’autres mots il pose la question de l’opérativité effective de tout acte poétique. Les musiques extrêmes, en dehors de leurs tumultueuses ou biscornues productions sonores, sont à entrevoir comme une réhabilitation du pouvoir (orphique) de la Poésie.

             Les musiques extrêmes touchent à nos extrémités existentielles, la mort, le rêve, l’inscription ‘’magique’’ de nos actes dans une réalité autre que les données implicites de notre immédiateté de notre monde. Bien sûr il faut savoir faire la différence entre les faiseurs, ceux qui reprennent ce qui a déjà été fait antérieurement par d’autres, et ces autres qui vont de l’avant. Une lourde tâche attend Rituel.

             Pour une première lecture nous nous attarderons seulement sur deux artistes. L’un parce que nous l’avons déjà rapidement évoqué dans une de de nos chroniques en spécifiant – l’occasion faisant le larron -  que nous y reviendrons, et le second dont ignorions jusqu’à l’existence.

             J’ai commencé, sans lire, par feuilleter la revue, tournant une par une les pages, sans m’attarder, lorsqu’une image m’a retenue. Je ne m’attendais pas à trouver la couverture de ce livre dans un revue dark side, que dis-je dark inside, Nana d’Emile Zola, que vient faire le chantre du naturalisme dans cette revue pour le moins surnaturaliste, j’ai réfléchi deux secondes, Nana la prostituée, ce doit être un groupe adonné aux outrances du sexe extrême, et ayant ainsi trouvé une explication rationnelle, j’ai tourné la page et suis passé au groupe suivant. N’empêche que très intrigué, y avait à la suite d’autres couvertures de bouquins très éloignés de Zola, c’est le premier article sur lequel je me suis jeté.

    HOULE

    Interview d’ADSAGSONA

             C’est la chanteuse du groupe. Ala fin de la première colonne, je tilte sur un nom Michel Tonnerre. Ce n’est pas un rocker. Quoique… Un beau personnage, disparu corps et biens, il nous reste les disques, les tableaux, des vidéos, des témoignages, emporté par une mauvaise maladie. Je me suis souvent promis de chroniquer certaines de ses chansons, l’a des mots coups de butoirs et guirlandes d’algue, par exemple sa chanson sur l’Olonnois, un de mes héros phantasmatiques, oui je sais un personnage pour certains peu   recommandable, avec des noirceurs dignes de Cthulhu, cette dernière remarque en contrepoint du début de l’interview, car Houle se réclame d’une  mythologie très particulière, pas du tout Lovecraftienne, peu métallifère, celle de la mer, non pas celle des argonautes antiques, pas celle des super-héros, mais celle des travailleurs, bonjour Victor Hugo, modernes. La mer est toujours aussi noire pour les marins d’aujourd’hui que pour les matelots d’autrefois… Semper. Oceano Nox. Je vous laisse lire, Adsagsona est passionnante. Elle parle de son cheminement, des racines du groupe et s’étend longuement sur l’écriture des lyrics. Du coup j’ai décidé d’écouter les deux premiers opus de Houle.

    HOULE

     (Les Acteurs de l’Ombre Productions / Novembre 2022)

    Crabe :  guitare lead / Græy Gaast : basse / Zéphyr : guitare rythmique /Adsagsona : chant / Vikser : batterie. Comme le monde est petit nous connaissons Vikser puisque sous le nom de Tentrom il est aussi le batteur de Once Upon The End ( Voir notre livraison 669 du 12 / 12 / 2024), est-ce qu’il n’y aurait pas de hasard, ou alors existe-t-il des capillarités secrètes qui nous guident à notre insu.

    La couve est de Laure Jeandet. Toutes les Laures Jeandet  visitées sur Instagram ne semblent guère lui ressembler. Un graphisme qui n’est pas sans utiliser le motif d’Hokusai, mais si j’étais une mouette j’aimerais nicher sur la falaise derrière, je m’y sentirai à l’abri des Hommes et sous la protection de Poseidon.

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    Le continent : l’on redoute l’accordéon du chant de l’équipage de Mac Orlan, l’on a tort, l’instrumentation n’a pas commencé que les cris perçants des cormorans et le remuement monstrueux des vagues nous obligent à comprendre que nous nous changeons de continent mental et musical. Certes démarre une espèce de ces triskèles labyrinthiques chères à la musique celtique qui nous happe en son vertigineux tourbillon, presque enivrante, lorsque gronde la colère, est-ce la mer qui clame ou la révolte explosive des êtres humains, nous voici précipité dans le vortex, grandeur et hurlements, la batterie s’affole, Adsagsona  expectore les clameurs de la peur du large et de la crainte de la misère, les hommes acculés entre ces deux destins,  tout aussi mauvais l’un que l’autre, l’on est toujours seul lorsque l’on se retrouve acculé en soi-même, que l’on soit en haut de la falaise ou en bas dans l’écume tourbillonnante, l’on tombe toujours, l’on ne quitte un abysse que pour en retrouver une autre, la tarentelle électrique se tait, l’on n’entend que la houle incessante de la mer, même les oiseaux ont disparu. Au loin la tempête : la mer toujours recommencée, le vent souffle, les cloches morbides sonnent, un tintement de cymbale, le calme avant la tempête, dans ton crâne résonne l’alerte, l’entends-tu seulement, Adsagsona s époumonne, à croire qu’elle voudrait te sauver malgré toi, elle est la noire pythie du destin qui profère ta sinistre destinée, certes tout est encore calme et les guitares s’apaisent, le silence avant que ne survienne la catastrophe, tu l’attends de pied ferme l’ouragan océanique, tu l’appelles, tu l’interpelles, tu veux l’admirer, tu es le roc figé en lui-même qui hume ses embruns, qui la contemple, sa fureur ne te fait pas peur, sa colère n’est que la suprême forme de la  beauté, homme libre toujours tu chériras la mer… La dernière traversée : une basse noire épèle son ronron, la mer monotone moutonne, une guitare claire fraichit, le vent souffle, toute la panoplie de naufrage est prête pour le grand démembrement, Adsagsona clame, non elle parle, c’est une âme qui s’adresse à la mer, elle cherche le grand mix, la terrible embrassade de l’eau avec l’âme, c’est le désir maintenant qui glapit, désir de mer et désir de mort si étroitement emmêlés qu’ils sont comme un miroir à deux faces dont chacune se reflète dans l’autre, la musique ricane comme la camarde, calme propitiatoire se joindre, s’enlacer à la camarade, friselis de noces éternelles, que l’ébranleuse me branle dans son remous voluptueux, que ces vaguelettes me lavent de ma saleté humaine, chantonnement, moment d’extase et de stase amoureuse, infinie, bercée dans les gouffres sucrés des embrassades éternelles. Sous l’astre noir : grincements ferrailleux, la batterie prompte pompe à mort le destin des âmes errantes, telle est prise celle qui se croyait éprise,  la mer n’est pas une amante, la mer est amère, les avertissements sonnent comme des criailleries, est-ce ainsi que les âmes maudites éjaculent leurs douleurs dans les fournaises infernales, Adsagsona ne chante plus, elle admoneste, tu as voulu te joindre à des forces incommensurables, la nature ne fait pas amie-amie avec l’âme humaine, elle les rejette, elle les disperse dans les tourbillons de leurs éternelles insuffisances, elle n’a besoin de personne, surtout pas de toi. Garde-toi des puissances élémentales.

             Les quatre titres de cet EP sont à entendre comme un poème, une Ode à la Mer, un hymne homérique en l’honneur d’une Néréide, au nom oublié, qu’aujourd’hui nous appelons : mer.

    CIEL CENDRE ET MISERE NOIRE

    (Les Acteurs de L’Ombre Productions / Juin 2024)

    Vous avez Les Rayons Jaunes dans Vie et Pensées de Joseph Delorme, de Sainte-Beuve, désormais faudra y ajouter la trace rouge échappée de l’étrave du navire qui se précipite sur les récifs sur la couve de ce disque, un rouge sanglant comme si le vaisseau tenait à figurer la prémonition de sa fin prochaine…

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    Introduction : où sommes-nous, bruits divers, cris aigus d’oiseaux, serions-nous sur un chantier de radoub à moins que ce ne soit un soir de joyeuse beuverie dans la taverne du Rat-Qui-Pète… La danse du Rocher : ambiance joyeuse, l’on se remémore les hauts-faits de la ville corsaire. Même pas à courir sus à l’anglois, il vient tout seul comme un grand nous rendre une  visite de courtoisie, est-ce parce que les anglais débarquent que la voix d’ Adsagsona frise parfois l’hystérie, remarquez que derrière les gabiers souquent dur, comme s’ils avaient la queue du diable qui s’immiscerait dans leurs chausses et remonterait vers leur fond de cale, avouons que l’histoire vous fout la frousse, un brûlot de nos amis anglais chargé de poudre à ras-les-plats-bord, poussé par la marée s’en vient pour exploser sous les remparts de la ville, ce n’est pas une canonnade, c’est une rigolage, une explosion de pétard mouillé le brûlot s’échoue lamentablement sur les brisants. On a eu chaud, la mer avale le rafiot sans rémission. Les malouins sont malins. Mère nocturne : l’est des apparitions beaucoup plus flippantes et éprouvantes qu’une attaque anglaise, La rouille du crachat vocal d’Adsagsona vous fout la trouille, pas le temps de reprendre souffle, ni ses esprits, d’ailleurs l’esprit est dehors, les musicos ont l’air de vouloir en finir au plus vite avec ce récit fantomatique, une fille de mauvaise vie qui revient chaque soir porteuse des galets qui l’ont lapidée, le remords d’un village culpabilisateur dirait doctor Freud, la chèvre émissaire ajouterait Girard, autre  piètre penseur, René de la dernière pluie catholique.  Beaux lyrics, mieux vaut les écouter que d’en déblatérer comme moi. Sur les braises du foyer : il existe une Official Music Video de Yulia Nikifora, une belle mise en images du texte qui ne demande qu’à être regardée : une magnifique performance vocale de Adsagsona, hurlée et parlée, une marée de désespoir et de folie, la mer ne tue pas uniquement les intrépides qui osent monter sur son dos, ceux qui attendent l’improbable retour de celui qui est parti souffrent, pas obligatoirement en silence, de solitude, les portes de la démence s’ouvrent, il est des tempêtes intérieures encore plus ravageuses que les intumescences de l’eau salée, il navigue selon  l’eau, elle brûle dans le feu, deux éléments qui ne peuvent coexister… Une certaine grandiloquence musicale, la vague géante qui a parcouru des milliers de kilomètres au bout de sa course n’est plus qu’un friselis d’écume que le sable du rivage absorbe comme un verre de rhum... Derrière l’horizon : et Sur les braises du foyer forment les deux volets d’une même histoire, celle qui attend en vain sur le rivage et celui qui pourchasse la baleine blanche de l’illimité du rêve, la même rage, la même tragédie, chacun confronté à quelque chose de plus grand que lui, le silence solitaire et la trépidation collective sont  une seule et même morsure, le serpent de la mer vous saisit où que vous soyez, les regrets ne servent à rien, chacun désire le retour, chacun délire à son tour, le morceau file à quinze nœuds toutes voiles dehors par vent arrière, on peut le suivre des yeux, quand tout à coup il disparaît. Et puis le silence : plus rien à dire une guitare surnage dans les clapotis de l’eau, nul chant, il serait inutile, les mots ne peuvent rien contre les maux. Il vaut mieux se taire, l’on n’ajoute rien à l’inanité des choses révolues. Sel, sang et gerçures : si l’aventure est du domaine de l’impossible, celle du quotidien ne vous emmènera pas plus loin que la mort. Tout se vaut. Désespoir absolue. La figure de proue Adsagsona  vaticine dans les embruns, un chœur de marins nostalgiques, non ce n’est pas l’équipage maudit du Vaisseau Fantôme wagnérien, de simples travailleurs qui ne voient d’autre issue à leur vie de labeur, que le trépas futur. Faites votre trou dans la mer ou dans la terre, quelle différence. Jusqu’au bout du nihilisme. Née des embruns : ça commence tout doux comme un bateau qui revient au mouillage, le cauchemar ne fait que recommencer, qui est-elle, qui crie, qui maudit, qui condamne, qui se désole, est-ce une victime innocente, est-elle morte, est-ce un fantôme, serait-elle une incarnation de la Mer, tout compte fait les hommes, les femmes, et la mer ne sont-ils pas pétris de sel, de sang et d’eau, unis par un destin commun, serait-ce une sirène famélique au gosier de haine, qui réclame vengeance, apparition anadyomène, Vénus revenue de tous les cœurs, de toutes les rancunes… Vient-elle nous chercher ? ô combien de marins, ô combien de capitaines, ne sont jamais revenus, Oceano Nox.

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             Nous avions qualifié le premier EP de Houle de poème. Ciel, cendre et misère noire, tiendrait plutôt de l’opéra et même mieux du drame romantique. Avec ses différents tableaux, ses intermèdes, ses évocations, et ses personnages qui reviennent, de vrais revenants, et le couple universel qui n’arrive jamais à se retrouver, l’androgyne mythique séparé en deux, coupé, de part et d’autre, de l’un et de l’autre, par les lames du couteau impitoyable de la mer.

             Que le lecteur ne reste pas prisonnier de Houle, qu’il se souvienne que nous avons porté notre sac de matelot sur ce  groupe, Sovereign of the Seas, en feuilletant Rituel.  Nous reviendrons au plus vite sur Houle, tout comme nous reviendrons sur Rituel. En attendant, chose promise, chose due, une courte évocation de :

    MAXIME TACCARDI

    J’ai reconnu la griffe sanglante de Maxime Taccardi dès que m’est apparu le titre de la revue avant même de l’avoir déchiffré. Le dossier que lui consacre Philippe Lageat occupe quatorze pages. Certes elles donnent à voir, les dessins  s’arrogent la part du lion, ou plutôt celle du tigre altéré de son propre sang. Une longue interview de l’Artiste nous en apprend beaucoup plus sur sa démarche.  Il existe de grandes différences entre William Blake et Maxime Taccardi, mais si je cite l’auteur des Chants d’innocence et d’expérience c’est pour avertir le lecteur qu’il se trouvera confronté à un artiste contemporain de grande envergure engagé dans une aventure créatrice d’importance. Certes imprégné de culture chrétienne et biblique, Blake entrevoyait la vraie vie en tant que recouvrance d’une sérénité édénique, un retour à l’innocence de la nudité physique et spirituelle primordiale… Taccardi ne s’en remet plus à ces vieilles lunes de l’espérance adamique, met son espoir en lui-même, le plus  petit dénominateur commun entre lui et les autres qu’il ait trouvé. 

    La tentative Taccardienne est d’autant plus psychique qu’elle est exclusivement corporelle. Le rêve et le sang sont les véhicules d’accès qui se sont imposés à Taccardi pour entrer en communication avec l’outre-monde qui est aussi l’inframonde car il niche tout autant dans l’ailleurs de notre réalité immanente du monde qu’au centre inexpugnable de la forteresse noétique intérieure.

    Taccardi se raconte, les cauchemars de l’enfance, cette porosité avec les monstruosités des royaumes de l’astral, sa rencontre avec Goya, la mort cruelle de ses parents et son entrée dans le monde de l’art, entendez la confrontation aimantée avec tous ceux qui l’ont précédé. Il ne peint pas le Mal, il peint l’Horreur, la présence parallèle d’un monde qui jouxte le nôtre, qui n’est horrible que parce que différent de notre appréhension recensive et situationnelle de par la part du monde qui nous est impartie par le simple fait de notre demeurance en /et par notre place, un peu comme un poisson rouge prisonnier de son bocal qui tente sans fin de traverser sa prison de verre… Taccardi  entre en communication par la communion hémoglobinique de lui-même. Son corps est le vecteur, victime sacrificielle offerte à sa propre  divinité.

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    Les institutions étatiques et politiques n’aiment guère ces individus qui ne restent enfermés en eux-mêmes que pour voyager en d’autres rôles que ceux permis et encadrés par de multiples règlements coercitifs. Maxime Taccardi sera radié de l’Education Nationale et mis à la porte de nombreux réseaux sociaux. Il n’en a cure. Son œuvre émeut et scandalise, il continue métamorphosant sa création individuelle en une démarche d’art total, il peint, il écrit, il filme, il est engagé en de nombreux projets musicaux, pochettes de disques, c’est par ce biais que nous l’avons découvert, mais aussi enregistrements. Serez-vous surpris si j’étiquette son style sous l’appellation (passe-partout) de black metal. Taccardi, Artiste Total.

    Damie Chad.