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  • CHRONIQUES DE POURPRE 674 :KR'TNT ! 674 : STEVE ELLIS / JOHN DOE / BOB STANLEY / ERRORR / TINA MASON / SETH / GRIFFON

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 674

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    23 / 01 / 2025 

     

    STEVE ELLIS / JOHN DOE

    BOB STANLEY / ERRORR

    TINA MASON / SETH / GRIFFON

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 674

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Wizards & True Stars

    - Ellis au pays des merveilles

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             Steve Ellis connaît bien le circuit. Comme Paul McCartney, Keith Richards, Ray Davies, Pete Townshend, et quelques autres survivants, il a vécu quatre ou cinq décennies d’aventures dans le monde plus ou moins magique du rock anglais. Son premier groupe Love Affair piaillait dans la couvée des sixties. Durant les seventies, il multipliait les projets de super-groupes, alors très prisés du public. Il fera sa petite traversée du désert comme tous les autres et entretiendra la flamme de sa légende avec quelques disques épisodiques et bien entendu guettés par ses derniers admirateurs. Bizarrement, ils ne sont pas nombreux dans le Gotha à le citer en référence. Jesse Hector le cite comme l’une de ses influences.

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             Steve Ellis réapparaît dans la presse anglaise une fois tous les dix ans, en moyenne, ce qui ne manque pas de scandaliser ses fans. Car bien sûr, Steve Ellis est une superstar, mais peu de gens sont au courant. Ah les rigueurs de l’underground ! Cette fois, c’est Lois Wilson qui s’y colle dans Record Collector. Trois pages ! Pas grand-chose, mais c’est mieux que rien.

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             Steve Ellis a 17 ans quand il devient célèbre avec Love Affair. Leur manager a l’idée saugrenue de les faire grimper sur la statue d’Eros à Piccadily Circus et les flicards viennent bien sûr les déloger. Ils sont condamnés par le Tribunal de Bow Street à 12 £ d’amende chacun. Steve Ellis tient à préciser qu’ils se sont rendus au tribunal de jour-là dans une Rolls blanche de location.

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             Ils sont devenus célèbres avec la cover d’un hit de Robert Knight, «Everlasting Love». On comparait alors Steve Ellis à Steve Marriott : même «magnificient soul voice». Dès l’âge de 13 ans, il est obsédé par Ray Charles qu’il voit un dimanche soir à la télé et sa mère réussit à lui payer un Best Of avec ses green shield stamps. Puis il fait partie d’un gang de mods - we were little peanuts (slang term for hard mods/suedeheads) - Les kids passent leur temps à aller chez les uns et les autres écouter les Temptations et les Miracles. Il démarre dans un groupe de R&B, The Soul Survivors, dont l’organiste n’est autre que Morgan Fisher, futur Mott. Ils tapent dans Otis Redding, Sam & Dave, Eddie Floyd. Ils jouent partout à Londres, et même au Twisted Wheel à Manchester.

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             Puis leur management veut changer le nom du groupe. Love Affair ? Steve Ellis n’en veut pas. «Not a chance». Mais comme les autres disent oui, il est baisé. Ils enregistrent des démos en 1966 à Abbey Road avec Kenny Lynch, puis Mike Vernon, et font une cover du «She Smiled Sweetly» des Stones que Steve Ellis déteste - I hated it, really hated it - Bien sûr, le single floppe et Decca les droppe. C’est Muff Winwood et CBS qui récupèrent le groupe. Un beau jour, on fit entrer le p’tit Ellis dans un studio où étaient installés quarante musiciens et on lui dit : «Vas-y, gamin, chante !» Le p’tit Steve ne s’est pas déballonné. Un verre de brandy et il a mis «Everlasting Love» en boîte en seulement deux prises. Et puis cet enfoiré de Jonathan King les reçut à la télé et leur fit dire qu’ils n’avaient pas joué sur leur disque. Love Affair était foutu. Dommage, car le groupe était vraiment très bon.

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             Il faut absolument écouter la red Repertoire The Everlasting Love Affair. Sur les 24 titres, la moitié sont de la dynamite. Avec «Everlasting Love», on flaire déjà la star chez Steve Ellis. La voix est là. Dès l’origine des temps. Une voix un peu rentrée et finement fêlée, joliment timbrée. Il chante sa pop sentimentale avec une telle ferveur qu’on tombe vite sous le charme. Il faut voir comme c’est produit : chœurs et cuivres à gogo. Le producteur chargeait bien la barcasse. On trouve aussi à la suite une version faramineuse d’«Hush», secouée à la gratte et nappée d’orgue. Et on va de surprise en surprise, avec des énormités comme «60 Minutes (Of Your Love)», Soul garage de 1968 amenée à coups d’awite et de c’mon. On retrouve cette voix énorme dans «So Sorry», groove acoustique de haut vol. Encore un hit faramineux avec «Rainbow Valley» - The sun always shines down my rainbow valley - un vrai hit sixties qui grimpe haut, très haut. Plus surprenant encore, «A Day Without Love», par sa qualité et son parfum de Soul magique. Steve Ellis s’entoure de chœurs de rêve. Il a le même feeling que Rod The Mod, il traque la note au coin de  l’octave, c’est un fabuleux décideur, hanté par la beauté, il raye sa voix à la griffe d’âme. Il shake un stupéfiant cocktail de Soul et d’anglicisme. Il est dans le vrai, mais de manière assez vertigineuse. Il vise le sempiternel. Puis il tape un heavy «Tobacco Road» et on entend Ian Miller, un guitar slinger hallucinant et pulsatif. Encore de l’acid-rock pulsé à la gratte avec «The Tree». Alors, on se pose la question : pourquoi un groupe de ce niveau est-il passé à la trappe ? Pourquoi ne fait-il pas partie du peloton de tête des groupes de rock anglais ? Ils tapent aussi une cover d’«Handbags And Gladrags». Steve Ellis se frotte à Chris Farlowe. Il en a les moyens. On trouve quelques merveilles dans les bonus, comme ce smash qu’est «I’m Happy». Ou encore «Let Me Know», une monstruosité secouée du bulbe, avec des poux incroyablement sauvages. Et «Bringing On Back The Good Times», haut de gamme orchestré à outrance. Franchement, Steve Ellis a du génie. Mais ça ne suffit pas. Il quitte le groupe en 1969. Love Affair décide néanmoins de continuer avec un autre chanteur, un nommé Gus Eader. Ils enregistrent l’album «New Day», un album de prog assez insupportable, avec des orchestrations ridicules et des structures de morceaux alambiquées. Une flûte persistante vient ruiner tous les efforts du groupe. On a même le Raymond la Science du clavier qui s’y met, alors les choses s’aggravent encore.   

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             En 1972, Steve monte un groupe nommé Ellis avec Zoot Money et d’autres musiciens beaucoup moins connus. Chas Chandler les manage. C’est l’époque des morceaux de cinq minutes à tendance proggy. Leur album Riding On The Crest Of A Slump fait partie des albums qu’on garde sans vraiment savoir pourquoi. Rien d’exceptionnel, mais pour une raison depuis longtemps oubliée, on y reste attaché. Cet album d’Ellis a pour particularité de sonner comme l’album qu’ont rêvé de faire les Faces. Steve Ellis chante «Good To Be Alive» en mode cockney. Il sonne comme Rod The Mod. Il fait partie de cette caste des grands chanteurs classiques anglais dans laquelle entrent aussi Steve Marriott, Chris Farlowe et Mike Harrison. Il sait allier puissance et feeling avec une coloration particulière. «Your Games» sonne comme un cut des Faces, mais c’est bien meilleur que ce qu’on trouve sur les albums des Faces (il faut se souvenir que Rod The Mod gardait les bons cuts pour sa pomme). Boogie-blues à l’Anglaise étonnant et massif, «Your Games» est beaucoup plus rentre-dedans que les boogie-blues des Faces. On apprécie d’autant plus ce cut qu’il survient à la fin d’une face un peu molle du genou. La belle pop énergique de «Morning Paper» rafle aussi la mise. Ce groupe avait un vrai potentiel. Pourquoi les Faces et pas eux ? Steve Ellis est un fauve. Il a la même niaque de baraque foraine que Steve Marriott.

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             Un an plus tard, ils récidivent, avec un album titré Why Not ? Eh oui, pourquoi pas ? On est en droit de se poser la question, après tout. Ils attaquent avec une belle tranche de boogie anglais qui s’appelle «Goodbye Boredom», et qui sonne comme du Marriott de l’entre-deux mers. L’«Opus 173/4» qui suit est vraiment orienté sur le marriottisme exacerbé, mais ils visent le prog avec des ponts liquido-jazzy. Les ponts coulent le Titanic d’Ellis. L’A s’achève sans heurts, et on soupçonne Zoot d’avoir ruiné l’entreprise avec ses compos à la mormoille, comme il l’a fait sur le Love Is d’Eric Burdon. Le pauvre Zoot n’a pas inventé le fil à couper le beurre. Heureusement que Steve Ellis chante bien. Ils reviennent aux Faces avec «Leaving In The Morning» et un joli son à l’Anglaise, bien typique et rythmé par de jolies montées en température. Ces deux albums d’Ellis sont vraiment destinés aux amateurs de rock seventies. Si on aime le gros boogie mal ficelé tel que l’ont joué les Faces, alors on se régalera avec Ellis et «We Need The Money Too», bourré d’une inventivité typique des projets condamnés à l’oubli.

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             Steve Ellis monte Widowmaker en 1976 avec Ariel Bender/Grosvenor, transfuge de Mott The Hoople. Don Arden les manage. Ariel déclare se sentir enfin chez lui, après cinq ans chez Spooky Tooth, un an chez Steeler’s Wheel et quatorze mois chez Mott. Huw Lloyd-Langton d’Hawkwind fait aussi partie de l’aventure. Steve Ellis déclare avoir fini Love Affair avec une armoire remplie de paires de chaussures et un rappel d’impôts énorme. Le batteur Paul Nicholls jouait dans Lindisfarne et le bassiste Bob Daisley jouait dans Chicken Shack. Ils portent tous des pompes à semelles compensées comme ça se faisait à l’époque, en Angleterre. C’est une très grosse équipe et Don Arden mise sur eux, car leur premier album sort sur Jet Records, son label. Ils jouent pas mal de balladifs, la grande maladie de l’époque, et ça se réveille avec «Ain’t Telling You Nothing», un heavy blues à la Grosvenor, bien roulé par la basse, chanté à l’Anglaise avec derrière de gras d’Ariel et d’Huw. On sent l’appétence d’Ariel pour l’heaviness, la vraie, celle des dents fantômes. Et puis t’as «When I Met You» monté sur un riff insistant. Tout est là : joli son de gratte et beau brin de voix. Ils font aussi avec «Shine A Light On Me» une sorte de gospel-rock lévitatif qu’Ariel gratte au gras double.

             Ces albums étaient bien foutus, mais dans les seventies, les albums bien foutus pullulaient. Il fallait vraiment faire des choix drastiques, car on ne pouvait ni tout acheter, ni tout écouter. Il fallait donc se limiter à suivre quelques élus et leur consacrer du temps. Nous savons tous qu’un album livre ses secrets au fil des écoutes successives. Le meilleur exemple est celui du White Album des Beatles. 

             Trop de tension dans Widowmaker. Steve Ellis et Huw rentrent en Angleterre après trois mois de tournée aux États-Unis. Ils n’ont que 5 livres en poche. Fidèle à sa réputation, Don Arden a empoché tout le blé. Steve Ellis est excédé : «Fuck this, Huw, I’m out of it !» Il jette l’éponge. Don Arden le poursuit en justice, mais il perd le procès.

             Steve Ellis reçoit ensuite des tas de propositions. Beaucoup de gens le voulaient comme frontman : Jeff Beck, les Status Quo, et même Mott. Chaque fois, il refuse. No way.

             En 1979, il enregistre The Last Angry Man. Mais l’album ne sort pas. Shelved, comme on dit en Angleterre. Au placard. Il ne paraîtra que 23 ans plus tard, sur un petit label anglais qui veille au grain, Angel Air.

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             Inutile de dire que c’est un big album. On retrouve le géant Ellis au pays des merveilles sur «Hear You Woman», the real cool one, et la descente de guitare qui l’accompagne vaut tout l’Or du Rhin. Avec «Hang On Joey», il se distingue encore du lot. Sur ce terrain du balladif, il reste imbattable. Sa spécialité est le balladif improbable qui s’agrippe aux parois du gouffre. Avec «Rag And Bone», il grimpe au sommet de l’Ararat. Il multiplie les grands écarts et va chercher des pointes à la Rod The Mod. Puis il tape une resucée superbe d’«Everlasting Love». Nouveau balladif de grande ampleur avec «Wind And A Lady». Il se hisse sur des nappes d’orgue. Angel Air propose des bonus délicieux, comme ce «El Doomo» monté sur une mélodie enchanteresse. Vraie merveille et envolée certifiée, avec des climats intermédiaires spectaculaires. Ellis t’mmène au pays des merveilles. Il envoie «Shark Shoes» valser dans ta cervelle. Mais tout ceci n’est rien à côté d’«I Lost My Feelings». Là, il tire sur sa voix. Il transforme un honnête petit balladif en très gros rock anglais. Sa compo tape dans l’œil du cyclope. Avec ce cut, Steve Ellis entre dans la légende du rock anglais. Il a la diction, le râpeux et le son suit. Ce chef-d’œuvre se termine en boogie d’avant-garde - cauz’ I lost my  feelings - Tout aussi puissant, voilà «She’s Leaving». Il déploie ses ailes. On a du gros son anglais pour pas cher. Le carnage se termine avec «Warm Love», encore du gros son à l’Anglaise, le meilleur du monde, surtout quand on a un chanteur comme lui. 

             On comprend que Steve Ellis puisse être assez désillusionné pour se retirer du circuit. Il s’installe à Brighton et devient docker. Une pelle mécanique lui tranche un pied en deux. Suite à cet accident, il va marcher pendant huit ans avec des béquilles. On ne le reverra sur scène qu’en 1997, lors d’une Small Faces Convention.

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             Angel Air réédite en 2011 la bande originale du film «Loot» dans laquelle chante Steve Ellis. Il a derrière lui une grosse équipe (comme d’habitude, pourrait-on ajouter) : Clem Cattini au beurre, Big Jim Sullivan à la guitare et Herbie Flowers à la basse. Mais les cuts ne sont pas très bons. Ce disque est réservé aux inconditionnels de Steve Ellis. L’ambiance générale relève plus du music-hall, et dans les chœurs on retrouve la crème de la crème, c’est-à-dire Madeline Bell et Doris Troy.    

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               En 2011 paraît aussi sur Angel Air Ten Commitments, un album solide. Ça démarre sec avec «Don’t Let Me Be The Only One», une pop de Soul anglaise haut de gamme digne des Supremes, entraînante et vraiment très solide. Avec «Hit The Spot», on retrouve le rock seventies claqué à l’accord et tapé à la cloche de bois. Ça sonne comme du Free ou du Mott. La veine reste exploitable, pourvu qu’il y ait une voix, comme c’est ici le cas. Steve Ellis frise la Stonesy. Belle envolée avec «Perfect Sunday» : grande élégance de la narration, balladif bien construit. Fantastique. Groovy cut avec «Please Please Me». Sacré Steve, il reste sur la brèche. Il continue de faire de bons albums à l’ancienne. Il respecte les traditions, à cheval sur le rock anglais et cette Soul américaine dont se sont nourris tous les kids d’Angleterre. Ce qu’on entend là est du groove de discothèque extrêmement évolué - c’mon please please oh yeah - Évidemment, c’est sexuel, comme tout ce qui touche aux pistes de danse, aux petits pantalons serrés et aux coupes de cheveux soignées. La sexualité est la réalité de la Soul. Quand on dit hot, on parle de sexe, et comme Steve est un romantique, il aime les petites nanas qui acceptent de danser - please please - elles adorent qu’on les supplie de faire des choses. C’est le slow des temps d’antan qu’on entend ici. Il chante comme un white nigger. C’est un dieu du stade de la Soul anglaise. Il ne parle que de plaisir, et par elle, et par lui - I wanna please you so please please me/ Make me blue - On revient toujours au point de départ : la bite. «Thank You Baby For Loving Me» est un vrai hit de r’n’b. Steve Ellis est un meneur. On l’entend à sa voix. «We Got It» est le gros slow de fin de soirée, mais avec de la bravado. Steve Ellis a du génie, ses syllabes s’ébrouent. Il reste bienveillant et grandiose. Il règne sur un royaume invisible. Il chante divinement, mais qui le sait ? Tu ne le verras jamais en couverture des magazines de rock français. Heureusement qu’Angel Air veille sur sa destinée. Il fait monter son «We Got It» très haut. C’est un travailleur de la nuit. Il ne lâche pas sa prise.

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             Un autre petit label anglais nommé Talking Elephant vient tout juste de faire paraître les Lost Demos qu’on croyait vraiment perdues et qui datent de 1969 : Rolling With The 69 Crew. Une fois de plus, la crème de la crème des musiciens anglais l’accompagne. Sur le disk 1 : Clem Cattini, Herbie Flowers, Big Jim Sullivan et d’autres. Sur le disk 2 : Caleb Quaye, Zoot Money, John Steele et d’autres. Steve attaque avec une reprise de Barry Mann et Cynthia Weil, «Good Time Livin’», grosse pièce de Soul-pop. Il ose taper dans le classique de James Brown, «It’s A Man’s Man’s Man’s World» et le prend au shout balama. Il trempe aussi dans l’excellence balladive avec «Lean On Me». On apprécie son caractère, c’est un garçon direct, vif d’esprit qui répond sans détours, qui excelle dans le dépouillé et qui chante d’un beau timbre fêlé. Il prend aussi le «Rainy Night In Georgia» au stade mélodique le plus avancé. Reprise bien orchestrée de l’«Holly Holy» de Neil Diamond. Impérieux ! On sent chez lui un goût affirmé pour la démesure. Il transforme aussi ce petit slow misérable qu’est «Sympathy» en furtif parfait d’interprétation élémentaire. Il tape dans Jimmy Webb avec «Elvis» et là on ne rigole plus. Les choix de Steve Ellis ne sont jamais innocents. Il traverse les ambiances grandioses de Jimmy Webb avec la même aisance que Richard Harris dans «MacArthur Park». Il rejaillit au sommet des gerbes comme Marvin Gaye, et il se laisse glisser dans la poussière d’étoiles. Prodigieuse expressivité, avec derrière des chœurs de folles. Franchement, Steve Ellis peut être fier de son génie. Le disk 2 vaut aussi son pesant d’or. Présence immédiate dès «I Don’t Know Why». Il traite l’âme du groove à la manière forte. Sa version de «Gimme Shelter» est bonne, mais il a oublié l’explosion finale. Il enfile ses classiques de rock seventies comme des perles («Pisces Apple Lady», «Way Up On The Hill», «I Got A Feeling», «Can’t Stop Worryin’» et «Take Me To The Pilot») et on tombe aussitôt après sur une bombe atomique : «Hold On», le jerk des enfers, pure merveille de fusion instrumentale et d’expression vocale chauffée à blanc. Ce mec est dans l’intensité absolue. Il chante avec une ferveur unique au monde. Sa version d’«Hold On» aurait dû exploser à la face du monde.

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             Et puis l’idéal est de voir Steve Ellis chanter. C’est très facile. Angel Air propose un DVD intitulé Last Tango In Bradford. On est frappé par la modestie du personnage. Il arrive sur scène pour chanter «Hush» et il ne semble pas très à l’aise. Il tape dans un tambourin. Il porte une grosse veste claire. Son backing-band tient sacrément bien la route. Il impose une sorte de profond respect. Puis il chante «Handbags and Gladrags» les yeux fermés. Il y a tout ce qu’on aime chez un chanteur de rock : l’extrême acuité du feeling et une allure de star naturelle. Il chante ensuite «Bringing On Back The Good Times», pop sixties des jours heureux, et fait du pur Motown avec «If I Could Only Be Sure». On a sous les yeux l’un des géants du rock anglais. Il tape ensuite dans le Spencer Davis Group avec une reprise de «Gimme Some Lovin’», puis un hit des Temptations, «Ain’t Too Proud To Beg» qui reste pour lui l’un des meilleurs groupes de tous les temps. Il finit évidemment avec «Rainbow Valley», «Everlasting Love» et «Out Of Time». Le DVD propose aussi une interview. Il s’y montre direct, clever et même fascinant. No bullshit. Comme dans ses disques.

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             Joli retour de Steve Ellis en 2018 avec Boom Bang Twang. Paul Weller traîne dans les parages, on s’en doute. On tombe très vite sur un groove de charme intitulé «Sitting In Limbo». Steve Ellis ressort sa plus belle voix de white nigger pour l’occasion. On se croirait chez Malaco, Coco. Ce mec groove son chant au maximum des possibilités. Quelle fantastique présence ! On ne s’étonne plus qu’il soit devenu culte. Avec «Tobacco Ash Sunday», il renoue avec l’esprit des grands balladifs anglais, de type Chris Farlowe et Small Faces. Mais l’ensemble de l’A reste un peu au-dessous du niveau de la mer. Il faut attendre «Lonely No More» en B pour tomber sur un hit. Andy Crofts y joue une bassline de rêve. Il règne dans ce hit l’extrême onction des jours heureux. Steve Ellis s’oriente vers des choses plus musculeuses avec «Cry Me A River». On note la présence d’Andy Lewis au bassmatic et de Steve Craddock à la guitare. Pour des Anglais, ils sonnent très funky. Steve Ellis s’approprie son cut, il en a les moyens physiques et intellectuels. Et on grimpe directement au firmament avec Mike d’Abo et son «Glory Bound». Très grande chanson anglaise, très apaisée et très horizontale. Aussi poignante qu’«Handbags And Gladrags». Mike d’Abo fonctionne exactement comme Jimmy Webb, au fil d’or mélodique - Bless my soul/ I’m glory bound - Et Steve Ellis jette tout son poids de superstar underground dans la balance.

    Signé : Cazengler, Steve Hélas

    Love Affair. The Everlasting Love Affair. Repertoire Records 2005 

    Love Affair. New Day. Repertoire Records 2008

    Ellis. Riding On The Crest Of A Slump. CBS 1972

    Ellis. Why Not ? CBS 1973

    Widowmaker. Widowmaker. Jet Records 1976

    Steve Ellis. The Love Affair Is Over. Angel Air Records 2008

    Steve Ellis. Ten Commitments. Angel Air Records 2011

    Steve Ellis. Loot. Angel Air Records 2011

    Steve Ellis. Last Tango In Bradford. DVD Angel Air

    Steve Ellis. Rolling With The 69 Crew. The Lost Masters. Talking Elephant Records 2013

    Steve Ellis. Boom Bang Twang. Sony Music 2018

    Lois Wilson : Mod almighty. Record Collector # 561 - September 2024

     

     

    L’avenir du rock

     - John a bon Doe (Part Two)

             — Chères téléspectatrices, chers téléspectateurs, bonsoir. Nous avons le plaisir de vous présenter notre invité, la personnalité préférée des Français : l’avenir du rock.

             Bernard Pivert se tourne vers l’avenir du rock :

             — Cher avenir du rock, nous allons vous soumettre au questionnaire de Proust, afin que nos chères téléspectatrices et nos chers téléspectateurs puissent mesurer autant que faire se peut l’envergure de votre voilure. Première question : votre vertu préférée...

             — La Doe-lérance.

             — La qualité que vous préférez chez un homme ?

             — Le Doe-nant-Doe-nant

             — Et chez une femme ?

             — La Doe-cilité.

             — Quel est le principal trait de votre caractère ?

             — Le Doe-Doe-isme. Doe-Doe est mort ! Vive Doe-Doe !

             — Qu’appréciez-vous le plus chez vos amis ?

             — La Doe-lescence.

             — Quel est votre principal défaut ?

             — La Doe-pe.

             — Et votre occupation préférée ?

             — Me Doe-rer la pilule.

             — Quel est votre rêve de bonheur ?

             — Dormir Doe à Doe avec Brigitte Bar-Doe.

             — Quel serait votre plus grand malheur ?

             — Me trouver le Doe au mur.

             — Que voudriez-vous être ?

             — Un Doe-ghnut.

             — Quel est le pays où nous aimeriez vivre ?

             — Les Doe-lomites.

             — Quelle est la couleur que vous préférez ?

             — Le bor-Doe de pérylène.

             — La fleur que vous aimez ?

             — Le bouton Doe.

             — L’oiseau que vous préférez ?

             — Le cor-Doe. Croâ croâ....

             — Quels sont vos auteurs préférés en prose ?

             — Doe-stoïevski.

             — Vos poètes préférés ?

             — Edgar Allan Doe et son tra-Doe-cteur, Doe-delaire.

             — Vos héros dans la fiction ?

             — Doe-nald. Coin coin...

             — Vos héroïnes favorites dans la fiction ?

             — Doe-phélie. Glou glou....

             — Vos compositeurs préférés ?

             — Country Joe McDoe-nald. Gimme a F ! Gimme a U ! Gimme a C ! Gimme a K !

             — Vos peintres favoris ?

             — Doe-natello. Bon, c’est pas bientôt fini ? Je commence à en avoir plein le Doe de toute cette Doe-be !

     

    , steve ellis, john doe, bob stanley, error, tina mason, seth, griffon

             Il a raison, l’avenir du rock. On aurait tous craqué avant lui. Le pire, c’est que Bernard Pivert n’a même pas remarqué de l’avenir du rock profitait de l’émission en direct pour faire l’apologie de John Doe.

    steve ellis,john doe,bob stanley,errorr,tina mason,seth,griffon

             John Doe et Exene claironnent sur tous les toits que Smoke & Fiction sera l’ultime album d’X. On verra bien. En attendant, on est ravi de retrouver le panache d’un X qui savait chanter à deux voix, ils tapent «Sweet Til The Bitter End» comme au temps de «The Have-Nots». Quelle magnifique dégelée royale ! Ils n’ont rien perdu de leur formidable vélocité et de la grande aisance de leurs débuts. On retrouve cette fantastique clameur de chant à deux voix dans «Flipside», pas de problème, ils roulent-ma-pool comme s’ils avaient encore vingt ans. Exene tape dans le dur de «Big Black X», elle ne craint ni le diable ni la mort. Encore une belle attaque en règle avec «Struggle», hey ! L’éclat du power-poppisme d’X est intact, et t’as en guise de cerise sur le gâtö un killer solo de Billy Zoom. Ils parviennent tous les quatre à maintenir leur niveau originel de wild punk-rockers angelinos. Toujours cet effarant punch du chant à deux voix dans «Baby & All». Les X auront été un modèle de cashin’ down et t’as le Billy Zoom qui en rajoute une couche. Alors on peut se demander au sortir de l’écoute : à quoi bon refaire de l’X comme au bon vieux temps, 45 ans plus tard ? Pour la beauté du geste. Ils ont cette bonté d’âme qui leur permet de perpétuer l’X art. T’en reviens pas de les voir à l’œuvre.

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             Comme l’occasion fait le larron, on profite d’Uncut et de sa rubrique ‘Album by album’ pour fondre à nouveau sur X comme l’aigle sur la belette. À propos de Smoke & Fiction, Doe dit qu’il a fait le tour - we had kind of wrapped thing up - Il ajoute qu’il embrasse tout en même temps, «le passé, le présent et le futur all at once.» Il cite d’ailleurs les deux derniers albums de Dylan en référence. Et d’ajouter, en mode Doe motion : «The recording was total punk rock, we did the basic tracks in three days.» Et Exene conclut, mortifère : «If it’s the last record, it’s a good ending.» Doe revient aussi bien sûr sur l’excellent Alphabetland de 2020 - That made us believe that the past was the past and the future could be something great - Doe rappelle dans le paragraphe concernant le premier album d’X, Los Angeles, qu’il est arrivé à Los Angeles en 1976 et qu’il s’intéressait «à la contribution de cette ville au cinéma, à la littérature, mais aussi aux Doors et à Love.» Ray Manzarek repère X au Whisky et Doe dit que Manza est devenu son mentor. C’est d’ailleurs Manza qui produit Los Angeles et les trois albums d’X suivants. Il est aussi important de rappeler que Doe et Exene étaient mariés. Pour Wild Gift, Doe cite Jeffrey Lee Pierce comme influence principale. 

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             On va profiter de l’occasion pour jeter une oreille sur le dernier album solo d’un John qu’a bon Doe, Fables In A Foreign Land. Bon, c’est pas l’album du siècle, mais on passe un bon moment à l’écouter. Il continue de cultiver son sourd power à relents country («Down South») et sort de son chapeau des cuts dont on ne voit pas bien l’intérêt («Guilty Bystander»). Il reste très à l’aise, même à cheval («El Romance-o») et montre qu’il sait gratter dans une cabane en bois («Missouri»). L’album se réveille en sursaut avec «The Cowboy & The Hot Air Balloon», un fast rockab troussé à la hussarde angelinote. Il est tellement à l’aise qu’il fait plaisir à voir. En bon protéiforme, il passe au fast rock manouche angelino avec «After The Fall». Et puis t’as la fantastique allure de «Destroying Angels». John Doe est un bon. Dans tous les cas de figure, ça reste du haut niveau. Quel dépotage ! Back to the bop avec «Travelin’ So Hard». C’est un slap très particulier, mais bien réel. Le bon Doe est capable de tout. Globalement, il reste le solide songwriter que l’on sait. Il sait gratter au long cours («Where The Songbirds Live»). Ses cuts accrochent terriblement.

    Signé : Cazengler, John plein-le-dos

    1. Smoke & Fiction. Fat Possum Records 2024

    John Doe. Fables In A Foreign Land. Fat Possum Records 2022

    Album by album. Uncut # 329 - September 2024

     

     

    Wizards & True Stars

    - Stanley your burden down

     (Part Two)

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             Avant de se re-plonger dans l’univers foisonnant des compiles que fait Bob Stanley pour Ace, il est peut-être opportun de rappeler qu’il est aussi un fantastique écrivain, sans doute l’un des auteurs britanniques les plus complets. À force d’être convainquant, PolyBob devient attachant. Comme Peter Guralnick, il propose des gros books, ces books qu’on appelle des sommes, et il faut s’armer de patience pour en venir à bout, mais on en sort toujours édifié, voire ravi. PolyBob écrit merveilleusement bien, et il excelle dans l’art des portraits.

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             En 2023, la presse anglaise avait ovationné Let’s Do It: The Birth Of Pop. Ce fat book de 500 pages n’est pourtant pas d’un accès évident. Car PolyBob y traite d’une pop qui n’est pas celle qu’on croit, puisqu’il s’agit de la pop américaine du début du XXe siècle, celle qui précède Elvis en 1956 et les Beatles en 1963, c’est-à-dire celle de Bing Crosby, de Judy Garland, de Frank Sinatra, de Glenn Miller, de Nat King Cole, de Peggy Lee, et bien sûr, le fameux Great American Songbook. Autant le dire tout de suite : l’ouvrage est passionnant et donne envie d’écouter tous ces artistes, tous ceux qu’on taxe volontiers d’has-been et dont PolyBob chante merveilleusement les louanges. Les portraits qu’il brosse sont tous spectaculairement bien réussis. Par sa concision et par cette facilité qu’il a d’aller à l’essentiel, PolyBob rejoint Nick Kent dans le peloton de tête des grands stylistes de la rock culture anglaise. L’exploit est d’autant plus remarquable qu’il semble avoir tout écouté. On se demande d’ailleurs comment un auteur peut couvrir une telle surface, connaître autant d’artistes et de disques. Dans son introduction, Polybob indique qu’il n’aborde ni le jazz, ni le rock. Il en  profite pour rappeler qu’il aborde le sujet du rock et du modern pop age dans son Let’s Do It’s sister volume, Yeah Yeah Yeah.

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             L’un des premiers grands portraits qu’il brosse est celui de Duke Ellington. Il a une façon très particulière d’introduire l’objet de sa fascination pour le Duke : «Je connais des gens qui disaient, le plus sérieusement du monde, qu’ils pourraient passer le restant de leurs jours en n’écoutant que Bob Dylan, et que son œuvre était tellement fournie qu’on ne pouvait craindre l’ennui. Mark Perry, fondateur du fanzine Sniffin’ Glue, m’a dit un jour la même chose à propos de Frank Zappa, et je ne crois pas qu’il plaisantait. Je ne crois que je pourrais fonctionner de la même manière, mais si quelqu’un me met un jour un canon sur la tempe et me demande de ne choisir d’une seul twentieth century performer, alors je dirai Duke Ellington.»  Le Duke ne croyait qu’en la musique populaire - Popular music is the good music of tomorrow - Il disait encore : «Jazz is music, swing is business.» En 1933, nous dit PolyBob, les Européens voyaient le Duke comme «an African Stravinsky» et les critiques croyaient que la musique du Duke révélait «the very secret of the cosmos» et contenait «the rhythm of the atom». Apparemment, le Duke proférait des tas de choses intéressantes, du genre : «Art is dangerous. When it ceases to be dangerous, you don’t want it.» Et PolyBob résume magistralement le génie du Duke : «Ellington incarnait l’American style and grace. He was all of American music: personne n’avait comme lui un don pour mélanger le jazz, le blues, le gospel, le ragtime, même le folk et la musique classique.» PolyBob le qualifie même de «sophisticated mystery».

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             Tu découvres Bing Crosby lorsque tu vois Un Jour De Pluie À New York, un Woody Allen sorti en 2019. Pendant le générique d’entrée, Bing Crosby chante «I Got Lucky In The Rain». C’est l’enchantement immédiat. Tu n’oublieras plus cette voix extraordinaire. PolyBob consacre un fiévreux chapitre à ce héros d’un autre temps - Bing had swing, an ear for timing and a voice to articulate it, and that’s something you can’t fake. Son timing était tellement fort que les musiciens le suivaient, ce qui est rare pour un chanteur. And his voice was elegant and effortless, a rich, two-octave baritone that he used like a painter, playing with shades and shadows, colouring the music - PolyBob cite Ralph Gleason qui écrivait en 1953 : «Bing is the personification of the whole jazz movement - the relaxed, casual, naturel and uninhibited approach to art.» C’est Bing la superstar ! PolyBob repart de plus belle - C’est presque obscène de dire à quel point Bing était célèbre en son temps, et de voir qu’aujourd’hui, il n’est presque plus rien - PolyBob se met en pétard et sort les chiffres : 5 ans numéro un au box office, de 1944 à 1948, 400 hit singles, un record que personne n’a jamais égalé, ni Sinatra, ni Elvis. Bizarrement, après Elvis, il cite aussi Beyoncé et Kanye West, on ne sait même pas qui sont ces deux-là. En 1931, Bing était l’«America’s brightest singing star, adoré des hommes, des femmes, et même des musiciens», se marre PolyBob. CBS lui a même filé un radio show qui a duré 25 ans. Bing donnait parfois d’extraordinaires explications : «I am not a crooner. Un crooner est une personne qui chante avec la moitié de sa voix et qui tape les notes perchées au falsetto. I always sing in full voice.» PolyBob ajoute que Bing avait tout appris de Louis Armstrong, et d’ailleurs Louis et Bing s’a-do-raient. Bing disait de Louis qu’il était «le commencement et la fin de la musique en Amérique», et Louis répondait que Bing était un «natural genius the day he was born. Quand Bing a ouvert la bouche pour la première fois, he was the boss of all singers and still is.» Tony Bennett en rajoute une caisse : «There was really no one else. He was like fifteen Beatles.» Bing aimait aussi picoler. Pour clore le chapitre Bing, PolyBob se fend d’une petit coup de génie stylistique : «Everything Bing did fitted together as part of his persona. Everything came easy to him, even dying.» Toute cette érudition passionnée mêlée à de l’humour te donne le vertige. Et bien sûr, tu vas aller écouter Bing.

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             Le book devient une sorte de manège enchanté, tu sautes d’une légende à l’autre comme si de rien n’était, tu passes de Bing à Judy Garland, et PolyBob fait d’elle une reine, il nous raconte la fin tragique de Judy à Londres. PolyBob dit que la comédie musicale s’est éteinte avec elle - What’s left ? Cabaret, starring her daughter, Liza Minnelli - PolyBob oublie de citer New York New York. Il considère les grands hits de Judy comme des «clear high points of twentieth-century culture.» Il dresse aussitôt un parallèle entre les vies tragiques de Judy (qui démarre sa conso de pills à 10 ans, sous la férule de sa mère) et de Billie Holiday, qui fut violée à 10 ans par un voisin, qui a quitté l’école à 12 ans pour aller toute seule à New York et y mener deux carrières de front : servante et pute. En 1946, on qualifie Billie d’«America’s No. 1 Stylist». Elle tourne avec Lester Young qui la baptise Lady Day, et en retour, elle le baptise Prez, c’est-à-dire President. Quand l’instituteur Abel Meeropol présente à Billie «Strange Fruit», la chanson qu’il a écrite, Billie dit à ses musiciens : «Some guy has brought me a hell of a damn song.» C’est là que les ennuis de Billie commencent. On connaît tous l’histoire par cœur, mais PolyBob se fait un devoir de la redire, 9 mois de ballon pour possession d’hero, et à sa sortie, on lui interdit de jouer dans les clubs qui servent de l’alcool - They were cutting off her oxygen - Quand elle se produit à Londres, elle sort du cauchemar - They call me an artist, not just a singer - et là PolyBob se met à délirer : «Que serait-il arrivé si Billie Holiday s’était installée à Londres ? Un album with Tubby Hayes ? Un rôle dans The Roar Of The Greasepaint d’Anthony Newley ? Un duo avec Dusty Springfield dans son TV Show ?»

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             Il faut bien comprendre une chose : tout le book est de ce niveau. PolyBob n’en finit plus de nous donner envie d’explorer ce continent inconnu. En guise de chute au chapitre qu’il consacre à Glenn Miller, voilà ce qu’il écrit : «Glenn Miller doesn’t need jazz history on his side. He left his music frozen in time, like Buddy Holly, Eddie Cochran, Ian Curtis and Kurt Cobain. It is as permanent as stone.» Quelle épitaphe !  

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             Il rend bien sûr hommage au Bebop qui fut en son temps une révolution - Bebop, like Dada, was a silly name given to something of some seriousness - Pur PolyBob ! Il réussit à tout dire en une seule phrase. Une catchphrase. Il re-situe Charlie Parker, Bud Powell et Dizzy Gillespie dans l’Amérique des années 50, celle d’Ernest Hemingway et de Jackson Pollock - The big names included Parker, Gillespie and Thelonious Monk, the second string included a trumpet player - still a teenager in 1945 - called Miles Davis - Comme le punk-rock en Angleterre, le Bebop ne dure qu’un temps. En 1950, c’est fini, Diz est parti faire son Latin-jazz orchestra, Bird va casser sa pipe en bois à 34 ans, en 1955, et Miles part à l’aventure, «always keeping his ‘fuck-you’ attitude intact.»

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             Et puis PolyBob en arrive à Sinatra - Frank Sinatra is the fulcrum of this book - On ne sait pas ce qu’est un fulcrum, mais on imagine qu’il s’agit d’une pierre angulaire, ou d’une clé de voûte - Il a compris et assimilé tout ce qui le précédait. He dictated what would happen in the immediate future, et les différentes époques de sa carrière - pin-up boy vocalist, album-oriented adult singer, late-period duets - are still a blueprint pour les artistes du XXIe siècle - Frankie reconnaît l’influence de Billie : «Billie Holiday, whom I first heard in 52nd Street clubs in the early thirties, was and remains the single greatest influence on me.» PolyBob ajoute que Frankie & Billie ont eu «a short, mad romance in the early 1940s.» Et dans la foulée, il insinue qu’à cause de Frankie, des tas d’Anglais des années 40 et 50 rêvaient d’être américains. Mais à 36 ans, Frankie était rincé. Plus de contrat, endetté et sans avenir. Il va redevenir superstar à 42 ans. Il est sur Capitol, mais il veut quitter Capitol pour monter son propre label, Reprise. Et ça marche ! PolyBob nous dit que la première année, Reprise ramasse 4 millions de dollars, et Frankie signe à tours de bras : Bing Crosby, Count Basie, Duke Ellington, the Hi-Los, Jimmy Witherspoon, Lex Baxter, et puis sa fille Nancy. Et dans son élan, PolyBob nous raconte l’explosion du Frankie-biz : «Au début des années 60, Sinatra pilotait Reprise, mais aussi quatre publishing companies basées au Brill Building, une série de radio stations dans le Pacific North West and a hotel-cum-casino in Reno, Nevada. Il avait aussi des actions dans le Sands Hotel, Las Vegas et une film production company called Essex Productions. He was a big time operator.» Polybob frise l’apoplexie quand il annonce que Frankie a la vision de la télé payante - The way I see it is that pay-TV has got to come - Il raisonne sur la base d’un film par an - Then you show it on colour TV to forty million people at, say, fifty cents a head. Do that three times - pow pow pow - and you’re really in business - Comme PolyBob est un esprit effervescent, il s’extasie devant celui de Frankie. Ces pages sont effervescentes et le book le devient, par la force des choses. PolyBob remet le turbo sur l’effervescence avec The Rat Pack, c’est-à-dire Frankie, Sammy Davis et Dean Martin, et boom, il repart sur Sammy Davis - un performer virtuose qui savait tout faire, singing, tap-dancing, mimicry, comedy -  un homme difficile à cerner car nous révèle PolyBob, il était aussi membre  de l’Anton LaVey Church Of Satan, et membre un groupe radical du Black Power, The Blackstone Rangers. Retour en force sur Frankie qui avec «Strangers In The Night» déloge le «Paint Black» des Stones de la tête des charts anglais, puis déloge le «Paperback Writer» des Beatles de la tête des charts américains. PolyBob est drôlement bien renseigné. Frankie va aussi taper dans «Mrs Robinson» de Paul Simon, et le «Downtown» de Petula, puis «My Way» qui va rester 122 semaines dans le top 50 américain, un record inégalé. On reste dans le grand concert des louanges avec Watertown, «an incredibly bleak but beautiful album» - His voice, the Voice, was reaching the end of the line. Watertown would become a bookend - Et PolyBob chute ainsi : «Frank Sinatra retired in 1971, having just made arguably the greatest album of his career.»

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             En lisant ces pages hautes en couleurs, tu éprouves exactement ce que tu éprouvais en 1973 à la lecture du Rock Dreams de Nick Cohn & Guy Peellaert, une sorte de suffocation extatique continue. PolyBob illustre lui aussi ses portraits, mais avec un souffle, le souffle d’un styliste remarquable doublé d’un érudit passionné. On replonge dans sa Légende des Siècles avec le «loud-talking and fast-living» Wynonie Harris, un mec capable d’entrer dans un bar, de sauter sur une table et de clamer : «The blues is here !». Entre 1945 et 1950, il pond 14 R&B hits, dont «Good Rocking Tonight», l’un des cuts candidats au titre de first rock’n’roll record. PolyBob cite aussi «All She Wants To Do Is Rock» - The rhythm was heavy, square on the beat and irresistible, and the lyrics were often shamelessly filthy - PolyBob décrit encore Wynonie comme «handsome, charismatic, outrageously confident.» Longtemps, le Big Daddy Catalogue de Crypt a proposé une petite bio de Wynonie Harris (Rock Mr. Blues : The Life & Music Of Wynonie Harris, de Tony Collins) : nous allons y revenir prochainement. Mais les hits de Wynonie étaient trop sexués et donc censurés par les radios.

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             Comme PolyBob met le nez dans le blues avec Wynonie, il en vient fatalement à évoquer d’autre pionniers célèbres, les frères Ertegun, et donc il va fatalement flatter leur honnêteté. Ahmet voulait se distinguer des autres businessmen du record biz : «We were people who went to universities.» Quand Ruth Brown devint célèbre, on surnomma Atlantic «The house that Ruth built». PolyBob fouille dans les racines du blues et nous raconte l’histoire de John Lomax lancé à la poursuite de Robert Johnson. Manque de pot, Johnson a dragué la gonzesse qu’il ne fallait pas et trois jours plus tard, il casse sa pipe en bois, empoisonné. Déçu d’avoir raté le coche, Lomax bougonne dans son coin quand un black lui dit qu’il en existe autre «down the street who plays bottleneck and sings high just like Robert Johnson.» Pouf ! Sur qui qu’il tombe le Lomax ? : Muddy ! Un  Muddy qui du coup va devenir le lien entre le «prehistoric Delta blues et the full flowering of the 1960s rock era.» PolyBob dit les choses avec une concision extraordinaire. Son langage est si clair qu’il n’est pas besoin de le traduire. Direction Chicago et Aristocrat qui devient Chess en 1950. On y retrouve Muddy et son gang, c’est-à-dire Jimmy Rogers et Little Walter Jacobs «who fed his instrument through an amplifier so it sounded like a demented train whistle.» PolyBob fait quelques lignes sur Little Walter, un Little Walter «who siphoned Louis Jordan and jazz solos through the harmonica.» Il ne rate pas une si belle occasion de rappeler la fin tragique d’un Little Walter qui avait passé sa vie à chercher l’embrouille et à se battre : «En 1968, il jouait aux dés dans la rue et il reçut un coup de barre à mine sur le crâne alors qu’il essayait de ramasser le blé. He went to bed that night and never woke up.»

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             PolyBob repart de plus belle avec Peggy Lee, il chante les louanges de Black Coffee (cited as a favourite by Joni Mitchell) et l’even better Dream Street, puis de l’«avant-garde folk of Sea Shells», enregistré en 1956. Il se prosterne encore devant «The Folks Who Live On The Hill», disant de ce cut signé Jerome Kern qu’il a une «unreal quality, and it gets me every time.» Et crack, t’as ça dans la foulée : «Twin totems of 1950s vocal jazz, Sinatra and Lee were peers, equals, ans clearly admired the heck out of each other, but their approaches were opposite extremes.» Peggy Lee était une «farm girl from North Dakota» et PolyBob cite Mike Stoller qui la qualifie de «nice bunch of gals.» Nous voilà chez les géants d’un autre temps. PolyBob ajoute que Peg faisait le lien entre le «vocal jazz and modern R&B, it couldn’t be bettered, and Elvis Presley would copy Peg’s version («Fever») almost note for note on his 1960 album Elvis Is Back.» Peg allait taper dans Ray Charles, Leiber & Stoller, Tim Hardin, les Kinks et les Lovin’ Spoonful dans les mid-’60s, mais aussi dans Goffin & King et dans l’«Everyday People» de Sly Stone. Puis PolyBob nous raconte l’épisode «I’m A Woman» que Leiber & Stoller composent en 1963 et qu’ils proposent à Marlene Dietrich qui leur dit : «That is who I am, not what I do.» Ils font ensuite passer une démo à Barbra Streisand qui ne répond même pas, puis une autre à Peggy Lee qui les rappelle une semaine plus tard pour les prévenir que s’ils filent cette chanson à quelqu’un d’autre, elle leur tordra le cou. «This my song. This is the story of my life.» PolyBob parle en effet d’un «first-wave feminist anthem». Et une fois de plus, PolyBob soigne sa chute : «The world’s greatest and most famous songwriters visiting her misty house on the hill, paying their respects, bearing her gifts - it was exactly what she deserved.» PolyBob parle bien sur de Leiber & Stoller («Is That All There Is») et de McCartney («Let’s Love»).

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             PolyBob s’attarde aussi longuement sur les déboires de Nat King Cole avec les racistes, notamment ce concert de Birmingham, Alabama, où des blancs montent sur scène pour lui péter la gueule. «Stage invasion by racist thugs.» Nat : «Man, I love show business, but I don’t want to die for it.» Et PolyBob d’ajouter : «He never went back to Alabama.»

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             Puis il salue Gene Vincent et son «sex-charged ‘Be-Bop-A-Lula’». C’est l’une des plus belles descriptions de l’early Gene : «Vincent looked like a no-goodnick. His hoodlum mates sang in teenage jive speak, and the instrumentation was sparse and harsh.» Des punks ! Puis sur la page en vis-à-vis, PolyBob s’extasie sur Earl Bostic ! -

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    Pretty much everything he did - especially in the 1950s - was great - Il se retrouve avec «Temptation» sur King, le label de Syd Nathan, puis arrive «Flamingo», «chargé de quelque chose d’excitant, d’illicite, même de dangereux, voire de violent, but most definitely modernistic. It was futuristic R&B sound, an early roar of rock.» PolyBob y voit l’ancêtre du «Rock With The Caveman» de Tommy Steele. Et il repart de plus belle, à s’en brûler les ailes : «Earl Bostic is maybe the secret pop-futurist of this book, a half-forgotten hero whose music is full of elements that art music - classical or jazz - can never touch or discover. Only deep R&B diehards seem to treat him with due reverence.» Et quand PolyBob dit ça, il sait de quoi il parle. Un peu plus loin, il salue Barry Mann et le Brill, un Barry Mann qui voulut être un hit recording artist au début des années 60, puis dans le milieu des années 70, mais ça n’a pas marché. C’est vrai que ses albums solo te laissent sur ta faim. Clin d’œil aussi aux rois de l’easy listening, les Swingle Singers de Mobile, Alabama, PolyBob salue leurs da-buh-da harmonies. Puis il s’achemine vers la fin du book avec Tom Jones (Hello Gildas !), «a soul-singing beefcake qui basait son style sur celui du New York baritone Chuck Jackson.» PolyBob invente même des mots pour honorer le power de Tom Jones : il parle d’une «stone-quarrying voice». Il souligne encore un détail éminent : Jones était un vrai music fan, car il tapait dans les chansons d’«underevalued singers like Charlie Rich, Mickey Newbury and Bobby Bare.» Ça a l’air d’un détail insignifiant, mais ce genre de détail parle bien aux connaisseurs. PolyBob salue aussi le come-back kid en Jones, puisqu’il va enregistrer le «Sugar Sugar» des Archies avec Jack White, des cuts d’Hooky avec Booker T., et chanter en première partie de Morrisey. Et PolyBob de conclure sèchement : «In becoming all things to all people, I’m sure he’s had a lot of fun, but he’s no Scott Walker.»

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             Dans un dernier chapitre, PolyBob rappelle qui sont les «most talented musicians in this book» - Armstrong and Crosby, Holiday and Garland, Ellington and Sinatra - Et dans l’épilogue, il salue bien sûr l’héritier de toute cette culture, Nilsson, et notamment A Little Touch, «far ahead of its time.» Parmi les héritiers, il cite aussi ABC et Lexicon Of Love. Et voilà comment il nous fait provisoirement ses adieux : «J’ai écrit ce livre pour célébrer cette époque différente qui nous a donné Frank Sinatra et Sophie Tucker, Sweet Charity et Showboat, Billy May et Count Basie, «Moon River» et «What’ll I Do», et pour établir une chronologie, pour moi et pour tous ceux que cette époque intéresse. Bien que la pop se soit constamment réinventée, le miracle c’est que l’époque évoquée dans ce livre a d’une certaine façon réussi à voyager pour faire partie de notre époque. C’est assez magique, et je ne saurais trop insister pour dire que le plus important, c’est d’écouter cette musique et de l’apprécier tant qu’on peut encore le faire.» Il conclut sur un vers de Jimmy Webb, «And while we are dreaming, time flies.»

             Back to the compiles. Il est essentiel de re-dire l’importance de cette série ‘Bob Stanley presents’. La presse anglaise les salue rituellement et on y finit par s’y intéresser. On découvre alors une collection de compiles thématiques extrêmement riche dans sa diversité, dans son éclectisme, tout est très bien documenté, à l’image de PolyBob qui est un obsédé de la pop devenu par la force des choses un érudit, un acteur de cette culture et donc un auteur. Chaque épisode de cette série te permet de passer une bonne soirée et de découvrir pas mal de choses. Tu te crois toujours évolué dans ce domaine de connaissance, et heureusement des mecs comme PolyBob sont là pour te rappeler qu’au fond tu ne sais pas grand-chose, et qu’il est peut-être temps de jeter enfin ton putain d’orgueil à la poubelle.

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             Pour Tim Peaks (Songs For A Late-Night Dinner), PolyBob choisi d’établir un parallèle entre le Pacific North West des États-Unis et l’English North West lui aussi très pluvieux. Si David Lynch a choisi d’établir son Twin Peaks dans le Pacific North West, PolyBob établit son Tim Peaks dans l’English North West, du côté de Manchester. Pourquoi Tim ? Parce qu’il co-signe cette compile avec Tim Burgess des Charlatans, né dans le coin, près de Manchester. Cette compile est donc la bande son de Tim Peaks. Ambiance musicale très bizarre, cette fois - Order another Tim Peak coffee. There’s no clock on the wall. It’s cold outside. Stay awhile - PolyBob maîtrise parfaitement l’art de planter un décor. Les grandes leçons qu’on va retirer de cette compile sont les Blue Orchids avec «A Year With No Head» (le groupe le l’ex-Fall Martin Branah, avec l’esprit bassmatic de The Fall, foutrement intéressant), The Clientele avec «I Had To Say This» (réelle présence et voix posée, + un brin de psychedelia - Absolute masters of atmospheric reverb, nous dit PolyBob), et bien sûr Galaxie 500 avec «Flowers». On y sent bien le poids du Velvet, à l’instar de l’instinct, au cœur de la solace urbaine, à la corde de la concorde, et là tu dis oui. Coup de cœur encore pour les Stockholm Monsters et «Fairy Tales», joué à l’orgue de barbarie, le mec traîne bien la savate du cut, il multiplie les dissonances, le chant déraille un peu, ça avance cahin-caha. Les nappes d’orgue sont extra-sensorielles. Franchement c’est excellent. Bon, t’as d’autres choses, The Chills avec «House With A Hundred Rooms» une pop qui ne vieillit pas très bien, Durutti Column avec «Lips That Would Kiss», trop weird pour être honnête, et puis t’as toute cette pop anglaise mal à l’aise (The Royal Family & The Poor et «I Love You»), une pop mal nourrie, boudeuse, autistique, qu’en a rien à foutre de toi. Le «Slow Motion» de Jane Weaver qui est assez beau, Birdie avec un «Blue Dress» assez planant et très doux, et tiens, t’as encore une folle du sucre, El Perro Del Mar avec «Dog». Saluons aussi le beau post-punk de Charity Belt («Different Now»), bien chargé de bonnes intentions, mais comme on sait, les bonnes intentions ne suffisent pas.

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             PolyBob sort deux compiles en 2020 : Occasional Rain et 76 In The Shade. Une drôle de baraque en devanture d’Occasional Rain. Le premier jour de 1970, PolyBob ouvre la radio et entend dire que les Beatles vont se séparer. Beaucoup de chansons parlent du manque de direction et de la pluie. Voilà de quelle façon il conclut son texte d’introduction : «Comme la compile English Weather, celle-ci essaye d’illustrer la naissance d’une nouvelle décade, le souvenir d’un samedi après-midi pluvieux passé à fouiller dans les bacs, à se demander si on va acheter le nouveau Tull ou tenter le coup avec l’album de Christine Harwood qui se trouve dans le bac à soldes (go on, you won’t regret it).» Alors on écoute le «Question Of Time» de ladite Christine Harwood : elle est assez perçante, mais pas déterminante. Par contre, Catherine Howe l’est davantage avec «Innocence Of Child». Elle fait sa sirène, avec un joli sens de l’ampleur. Elle est infiniment jazzy. PolyBob adore voir Catherine Howe jazzer. Il la compare à Laura Nyro. Il rappelle aussi qu’elle est orchestrée par Bobby Scott. PolyBob flashe aussi sur Mandy More qu’il compare à Lynsey De Paul. Sur «Come With Me To Jesus», Mandy est divine, diaphane tout le long, et puissante au final. PolyBob a raison de rappeler que Sunbeam a réédité Mandy More. L’autre belle surprise de la compile est l’«Out & In» des Moody Blues. Belle surprise encore avec Pete Brown & Piblokto et «Station Song Platform Two». Ce magnifique interprète se glisse bien dans sa pop. Et la couronne du jour revient à Michael Chapman avec «Postcards of Scarborough». Lui, c’est la superstar de l’ongle sec. Il gratte des poux enchantés. Quant au reste, pas de surprise : Traffic reste Traffic, Duncan Browne reste Duncan Browne, même s’il joue avec le calme et la tempête («Ragged Rain Life»), Keith West reste Keith West, Cressida reste Cressida, même avec un bassmatic dévorant («Home & When I Long To Be»). Et puis Yes se montre explosif de pureté purpurine avec «Sweetness».

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             Pas de baraque sur 76 In The Shade. Juste un couple assis au bord de la route pour picniquer. C’est la canicule. Cette fois, PolyBob évoque l’été 1976, et tape dans la Black avec par exemple Smokey Robinson et «Get Out Of Town» : fast & easy, comme une superstar. Puis t’as David Ruffin avec l’heavy dancing Soul de «Discover Me». Il a su garder tout le power des Tempts. Et puis voilà la révélation du jour : Hollywood Freeway et «You’re The Song (That I Can’t Stop Singing)». C’est nous dit PolyBob l’hamony heavy pop de Tony Rivers, ex-Castaways, un groupe qui enregistra le «Girl Don’t Tell Me» des Beach Boys sur Immediate. Puis les Castaways sont devenus Harmony Grass, et PolyBob nous recommande chaudement This Is Us. Et pour compléter le panorama, PolyBob nous révèle que Frankie Valli a fait une cover de «You’re The Song (That I Can’t Stop Singing)» et que Tony Rivers a écrit ses mémoires (mais le book est intouchable : hors de prix). La Sylvia qu’on croise avec «Not On The Outside» est bien sûr celle de Mickey & Sylvia. C’est tellement excellent ! - an atmospheric, bossa-touched piece of exotica which demands your full attention - Sweet sucre carribéen. T’as aussi le «Stay With Me» de Blue Mink, avec Madeline Bell qui monte au sommet du climaxing pour une apothéose de bliss. On croise aussi The Emotions avec «Flowers», trois blackettes de Chicago, d’abord du Stax, et là, au paradis. C’est à Carmen McRae que revient l’honneur de refermer la marche, avec le «Music» de James Taylor. Puissance immédiate. Là, t’as la vraie voix. So c’mon ! Elle va te swinguer le rock de Soul jusqu’à l’oss de l’ass.

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             Retour au Deep South avec Choctaw Ridge. New Fables Of The American South 1968-1973. Dans son intro soignée, Martin Green rappelle que «le monde de Choctaw Ridge - ses habitants, ses mystères et ses morts tragiques - fut essentiellement bâti par Bobbie Gentry.» «Ode To Billie Joe» fit de Bobbie une superstar. Voilà donc une compile placée sous l’égide de la belle Bobbie. À l’époque, nous dit Green, Tony Joe White et Nancy Sinatra grattaient à la même porte. Il cite aussi Mike Nesmith, via les Monkees. On l’entend Nesmith, avec le First Nationl Band et l’excellent «Joanne». PolyBob est en extase devant le «biggest American hit single» de Nez. Pur genius de country Soul, avec le yodell du diable. On retrouve un autre génie de l’humanité, Jim Ford avec son fameux «Harlan County». Ford qui fut le boyfriend de Bobbie clamait qu’il avait écrit «Ode To Billie Joe». Il a aussi co-écrit «Niki Hoeky» qui allait devenir un hit pour son ami P.J. Proby. PolyBob rappelle aussi que Ford fit partie de la Family Stone et qu’on le voit dans le collage qui orne la pochette de There’s A Riot Goin’ On. Et puis, t’as encore ce copinage avec Bobby Womack. PolyBob n’oublie rien. Avec «Harlan Counry», Ford casse bien la baraque ! Tony Joe White est là avec un «Widow Wimberly» gratté au raw to the bone, et Bobbie Gentry avec «Belinda». Pure Southern Magic, avec un banjo dans le son. C’est à Lee Hazlewood que revient l’honneur d’ouvrir le bal avec «The House Song», et «Alone», avec Suzi Jane Hokom. PolyBob indique que Love And Other Crimes est probablement sa «strongest and most cohesive collection.» Retrouvailles avec le crack Jerry Reed et «Endless Miles Of Highway». Reed est l’auteur des fameux «Guitar Man» et «US Male» qui vont faire le bonheur d’Elvis. Premier petit choc révélatoire avec Jeannie C. Riley et «The Back Side Of Dallas». Elle tranche bien dans le tas. Vraie voix. Pareil pour Hoyt Axton et «Way Before The Time Of Towns» : il tranche lui aussi bien dans le tas. PolyBob qualifie son album My Griffin Is Gone de «country-pop masterpiece». Elvis et Ringo Starr vont même enregistrer ses compos, alors taquavoir. Encore un petit choc révélatoire avec Dolly Parton et «Down From Dover». Sa paire de miche a fait rêver les rednecks, mais ici, c’est sa voix qui fait rêver les becs fins. Son Dover est à la fois prenant et captivant. PolyBob indique que Lee & Nancy ont fait une cover de Dover. Charlie Rich ? Pas de surprise. «Julie 12 1939» sonne comme un groove de round midnite, dont Charlie est l’un des grands spécialistes. Nouvelle découverte : Henson Cargill et «Four Shades Of Love». L’indéniabilité de la choses ! Une vraie merveille de délicatesse country. Grand choc compilatoire avec Kenny Rodgers & The First Edition et «Ruby Don’t Take Your Love To Town». PolyBob indique que Rogers sonnait comme Rod The Mod et que sa principale influence était Sam Cooke. Ça joue au soft ventre à terre avec des faux airs de Fred Neil.  

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             Avec Winter Of Discontent, PolyBob revient sur le DIY britannique d’après le punk. Un genre musical qui s’attaque à tout, au capitalisme, au pacifisme, à l’oppression masculine, PolyBob grouille d’exemples, il parle d’un son «souvent art-school based, a kind of urban British folk inspired by Vivian Stanshall, Syd Barrett & music hall.» Beaucoup de projets privés, homemade, qui dépendaient du Rough Trade shop de Portobello Road ou du John Peel Show. Les plus connus de tous ces groupes DIY sont bien sûr les Television Personalities (ici avec «King & Country», solid TV set), The Raincoats (ici avec «Fairytale In The Supermarket», pure incarnation du post-punk, hirsute etc.), Scritti Politi (ici avec «Confidence», groove délibéré, forcément très intéressant), The Fall (ici avec In My Area (Take 2)», big Fall-out, tout de suite du son, du chant et du Smith), The Mekons (ici avec «Where Were You», cheap & easy, do it ! Pur jus de pop primitive, cockney en diable) et toujours, bien sûr, les Blue Orchids de Martin Barmah et Ura Baines, qui tirent toujours très bien leur épingle du jeu (ici avec «Work», belles nappes d’orgue, chant perçant, très anglais). La découverte : Performing Ferret Band avec «Brow Beaten», très DIY UK bit. Il n’existe rien de plus primitif que ce Brow Beaten. Autre belle surprise avec The Zounds et «Can’t Cheat Karma», un shoot de post-punk cockney du meilleur effet. Joli nom de groupe aussi pour les Fatal Microbes. Elle chante son «Violence Grows» au petit sucre anglais, on comprend pourquoi c’est tombé dans l’oubli. Bien sûr, beaucoup de ces singles sont anecdotiques, c’est peut-être ce qui intéresse PolyBob. The Good Missionaries proposent un «Attitudes» trop tiré par les cheveux. et on accueille à bras ouverts «Exhibit A» et le raw punk d’«In The Night». Pour le reste, laisse tomber. 

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             Avec London A To Z, PolyBob te légifère la legacy. Quelle fantastique compile ! C’est du London town pur jus. Tu te balades dans Londres avec Cat Stevens («Portobello Road»), Linda Lewis («Hampstead Way», sucre suprême, et derrière, elle a un fou des poux), Dana Gillespie (la petite pop bucolique de «London Social Degree», wow, Dana a du coffre), et puis Ralph McTell avec «Kew Gardens». Sans PolyBob, tu te dis que tu passerais à côté de toutes ces merveilles, alors merci PolyBob ! Voilà Nick Drake avec «Mayfair». Lui, on le capte aussitôt. Itou pour Cilla Black et «London Bridge» : pur jus de superstar. Elle éclaire la terre. Puis tu arrives à la vraie dimension du son anglais avec Magna Carta et «Parliament Hill». Big London groove d’excelsior. Davey Johnstone gratte des poux d’une véracité extraordinaire. Et puis t’as Humble Pie avec «Beckton Dumps», Stevie Marriott reste le roi du speed-it on. PolyBob arrache d’autres merveilles à l’oubli : Edwar Bear avec «Edgware Station», Al Stewart avec «Swiss Cottage Manoeuvres», lui c’est un chanteur, un vrai, un enchanteur. Nouvelle aubaine avec Shelagh McDonald et «Richmond» : voix de rêve. Te voilà envoûté, et l’envoûtement se poursuit avec Julie Driscoll, Brian Auger & The Trinity et «Vauxhall To Lambreth Bridge». Jools forever.

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             Et puis t’as ce fantastique hommage au proto-punk britannique : Incident At A Free Festival. PolyBob résume ça en trois lignes : «The sounds were heavy and frequently funky, with a definite scent of danger. Their message was clear and simple: clap your hands, stomp your feet and hold on to your mind.» Pour situer la scène proto-punk des festivals anglais de 1970, PolyBob a la main lourde : Pink Fairies, Edgar Broughton Band et Hawkwind, pour les plus connus. Le «Do It» des Fairies te passe littéralement sur le corps et t’adores ça. Johnny fais-moi mal ! Wild as fucking fuck ! Ils sont à la pointe du progrès. Même chose pour Edgar Broughton avec «Out Demons Out» et l’une des intros du siècle dernier. Wow, comme on a pu adorer ça, et t’as ce départ en solo qui te file encore des frissons. Eh oui, ces freaks britanniques font du Beefheart ! PolyBob a choisi l’«Ejection» d’Hawkwind, tiré de Doremi Fasol Latido, et là t’as tout le protozozo. L’heavy Brock is on fire ! Stupéfiant de power. Parmi les autres cakes, tu retrouves Andwella avec «Hold On To Your Mind», fabuleux David Lewis, et plus loin, Atomic Rooster avec «Tomorrow Night». Du son, oui, mais ça reste du Rooster. Stray est là aussi avec «Taken All The Good Things», mais c’est la voix d’adolescent attardé qui ne va pas. Tu croises aussi May Blitz qui essaye de casser la baraque avec «For Mad Men Only», c’est presque réussi. PolyBob a choisi un mauvais cut de Stack Waddy («Meat Pies ‘Ave Come But Band’s Not ‘Ere Yet»), et puis tu entres dans la zone des découvertes avec James Hogg et «Lovely Lady Rock». Ça joue au gras double. Quelle stature ! Trois singles et puis plus rien. Pareil pour Paladin avec «Third World» - Something to the sound of the Last Poets but given a Phun City tweak, nous dit PolyBob - Superbe et plein de vie. La super-révélation vient avec Slowload et «Big Boobs Boogie». Ils tapent bien dans le protozozo. Ce mec chante comme Johnny Rotten avant Johnny Rotten. Et puis t’as Leaf Hound avec «Freelance Friend». Eux, ce sont les pires. Les plus heavy de la bande. Même si Dave Richardson qui suit avec «Confunktion» se couronne empereur de l’heavyness à la cathédrale de Reims.

    Signé : Cazengler, Stan laid

    Tim Burgess & Bob Stanley. Tim Peaks (Songs For A Late-Night Dinner). Ace Records 2019

    Bob Stanley/Pete Wiggs. Occasional Rain. Ace Records 2020    

    76 In The Shade. Ace Records 2020   

    Bob Stanley/Martin Green Present Choctaw Ridge. New Fables Of The American South 1968-1973. Ace Records 2021

    Bob Stanley/Pete Wiggs. Winter Of Discontent. Ace Records 2023

    Incident At A Free Festival. Ace Records 2023

    Bob Stanley Presents: London A To Z. Ace Records 2024

    Bob Stanley. Let’s Do It: The Birth Of Pop. Pegasus Books 2023

     

     

    Errorr fatal

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             Des Berlinois dans la cave. On ne va pas rater une occasion pareille. Sont quatre, dont un chanteur guitariste que tu connais de vue, mais tu sais plus. Déjà vu, mais zoù ? Bon, bref, les voilà qui grattent leur Kraut dans une semi-obscurité bleutée.

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    Ah pour gratter, ça gratte ! Y grattent à deux. Une petite brune gratte à gauche. Elle est extrêmement sexy dans son petit haut blanc, sa jupe plissée, ses collants filés et ses cuissardes de drag queen. On sait qu’elle s’appelle Olga, car on a papoté avec l’équipe qui la suit partout pour la filmer. Deux caméras et un mec au son avec sa perche. Apparemment, ils montent un docu sur Olga. Comme le mec du zoù déjà vu, Olga gratte ses poux sur une Jaguar. Le début du set n’impressionne pas plus que ça.

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    On connaît ce son par cœur, depuis le temps des shoegazers, ils plombent bien leur atmosphère, ils rament bien dans leurs sargasses, les cuts se succèdent dans les méandres d’une nonchalance berlinoise, franchement tu ne sais pas ce que tu vas pouvoir raconter, et puis tu vois Olga piquer des petites crises d’hystérie pouilleuse du plus bel effet, elle cherche à créer un climat de folie, dommage qu’elle n’ait pas pensé à se rouler par terre comme Carrie Brownstein, la bras-droite de Corin Tucker dans Sleater-Kinney, ça aurait donné un peu plus de caractère à un set qui n’attendait que ça.

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    Voilà qu’ils s’enlisent dans les inévitables morceaux lents, et comme chaque fois, tu constates que ça brise les reins du set, comme ce fut le cas, t’en souvient-il, avec Underground Youth. Et puis, le zoù déjà vu annonce «two more cuts», et bam !, c’est là que tout explose. Soudain, tu n’as plus d’yeux que pour le petit batteur !

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    Il est magnifique de power, c’est lui qui mène la danse, et tu fais aussitôt le lien avec le batteur de Can, Jaki Liebezeit. C’est exactement la même powerhouse, il vole le show, tu vois un grand batteur à l’œuvre, avec des baguettes qui dansent autour de son visage, il fait la loco comme seul Jaki Liebezeit savait la faire. On croit toujours que battre le beurre consiste à taper comme un sourd sur des fûts, mais non, c’est tout un art, il faut du délié de poignets et du power dans les bras, quatre membres indépendants, il faut énergiser le beat pour lui donner des ailes, il faut que le beat vienne danser entre tes reins, et ce mec danse sur son tabouret, tu le vois palpiter en rythme, il bat un beurre faramineux, et bien sûr, tout explose. Te voilà encore fois sur la Piste aux Étoiles.

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             Au merch, quand tu demandes à Olga si le petit CD rouge est le premier album, elle te dit yes, alors qu’en fait c’est le deuxième album, qu’elle vend en vinyle. Comme ils n’ont pas la même pochette, tu prends les deux. Bon, bref, c’est pas grave, l’essentiel est de faire marcher le petit commerce. Et quand, rentré au bercail, tu pars à la pêche aux infos, ta vieille lanterne s’éclaire : le zoù déjà vu s’appelle Leonard Kaage et tu l’as vu récemment sur scène à la gauche de Craig Dyer dans Underground Youth. C’était donc ça ! Son groupe Errorr souffre apparemment du même mal qu’Underground Youth : trop de morceaux lents. Trop de tue-l’amour. Quand on a un batteur comme celui-là, c’est du gâchis que de le faire jouer en bas régime.   

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             L’album s’appelle Self Destruct. Leonard Kaage y joue de tous les instruments, accompagné sur certains cuts par deux autres mecs. Olga signe la photo de pochette, avec un modèle. Self Destruct est un album extrêmement énergique. Belle entrée en matière avec «Innocent», Leonard le renard berlinois se donne les coudées franches. Sa disto en impose. Il part en mode fast drive avec «Just Another». Il se tape une belle cavalcade de Kraut, et ça bat au heavy beat berlinois. C’est d’ailleurs l’un des deux cuts de fin de set. Leonard le renard berlinois sait donner du volume à son son, comme le montre encore «Paranoia», c’est vraiment bien bardé de la bardasse. Il te sature tout de belle disto, il adore foncer dans le tas, comme le montre encore «8 Hours 5 Days». L’«Heroine (Got To Let Go)» qui ouvre le bal de la B des Anges donne bien le change et force l’admiration. Voilà un encore cut qui traîne bien de la savatasse. On se croirait presque chez les Cramps avec «Not Even Bored» et sa basse fuzz. On reste dans le lourd et lent qui n’ira pas au paradis avec «Makeshift Happy». Leonard le renard berlinois transforme le plomb de Self Destruct en or atmospherix, et il emprunte un riff au premier Sabbath pour «With Love From The Grave». En voilà un qui sent bon la tombe.

    Signé : Cazengler, grave errorr

    Errorr. Le Trois Pièces. Rouen (76). 19 décembre 2024

    Errorr. Self Destruct. Atomic Records 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - Tina pas cent balles ?

             Baby Tinette ? Ses parents ne l’avaient pas ratée en la baptisant ainsi. Elle était foutue d’avance. Que ce soit à l’école, dans les circuits professionnels ou dans ses relations sentimentales, tout le monde allait prendre un malin plaisir à se foutre de sa gueule. Elle n’avait absolument aucune chance de trouver un jour un équilibre, ou même simplement un moment de répit. Sa scolarité fut un enfer. Les garces dans la classe n’en finissaient de faire «prout prout» derrière elle. Ce fut encore pire en secondaire. Les adolescentes sont d’une cruauté qui dépasse l’entendement. Elles firent semblant de la prendre en affection, manifestèrent même une sorte de compassion, et lui firent un cadeau pour son anniversaire. Elle ouvrit le paquet sans se méfier. C’était bien sûr un balai à chiottes. Elle en fut traumatisée pour le restant de ses jours. Jusqu’au bac, elle n’adressa plus la parole à aucune des filles de la classe, même aux plus gentilles qui n’osaient pas aller vers elle, à cause de sa mine renfrognée. Baby Tinette entra dans sa vie de femme comme tout le monde. Elle rencontra un mec qui paraissait gentil, et même timide. Tout se passa bien tant qu’elle n’avoua pas son secret. Elle louait une chambre de bonne, à proximité du bureau où elle travaillait comme secrétaire, et le mec vint la déflorer chez elle. Ils fumaient la fameuse ‘clope après l’amour’ et il posa la question qu’il ne fallait pas poser :

             — Comment tu t’appelles ?  

             — Embrasse-moi encore...

             Ils s’embrassèrent longtemps, et le désir revenu, ils s’abandonnèrent de plus belle aux plaisirs de la chair. Chaque fois qu’il se réveillait, il lui posait la même question. Alors elle l’embrassait et le serrait dans ses bras de toutes ses forces. Puis, lorsqu’il se fût endormi pour de bon, elle se leva et alla se pendre avec la corde à linge.

     

             Pas de bol pour Tinette. Tina a eu la chance d’avoir des parents moins cons. On dit toujours que la vie ne tient qu’à un fil, et c’est parfois valable même avant la naissance. Tina a eu toutes les chances du monde, et Tinette zéro.

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             C’est David Axelrod, alors jeune producteur chez Capitol, qui repère Tina Mason à Disneyland, où elle chante. Une nuit où Axelrod se balade dans un parc, il est sauvagement agressé par des mecs, prend un coup de couteau dans le bide, et qui vole à son secours ?, H.B. Barnum qui après avoir dégommé les mecs emmène Axelrod à l’hosto où on le recoud vite fait. Ils deviennent potes et rassemblent en 1967 la crème de la crème pour enregistrer l’album de Tina chez Capitol - A somptuous blend of Bacharachian LA soft pop - On voit rarement des albums aussi cultes. Puis elle va partir en tournée avec Paul Revere & The Raiders et épouser le bassman Phil Fang Volk. Elle se retrouve sur scène devant des foules de 50 000 à 80 000 personnes. À l’époque, les Raiders sont extrêmement populaires, dans le Nord des États-Unis et au Canada.

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             Fantastique album que ce Tina Mason Is Something Wonderful, réédité en 2008. Elle attaque au Burt pur avec «Are You There» et là tu piges tout suite : grosse prod d’album culte. Elle tape ensuite une prodigieuse cover de «Cry Me A River». Elle a le sucre et le power du sucre.  Tina, tu la croises aussi dans les parages de Chip Taylor. Elle fait sa Dusty lookalike avec «You Go Your Way», elle explose ses cuts quand ça lui chante. Sa voix porte dans l’espace du Brill. Elle sait aussi taper en plein dans le mille de Motown, comme le montre «Life And Soul Of The Party». Power et sucre, telles sont ses deux mamelles. Elle rentre par la bande dans «Just Say Goodbye», elle chante en biseau à la Judy Garland, et elle t’explose le Brill vite fait. Tina est un phénomène ! Elle est chaude, avenante, fière et dressée. Elle tient bien tête. Non seulement elle a du monde derrière, mais elle a aussi du génie, c’est encore ce que révèle «A Good King Of Hurting». Elle accroche son power au plafond, c’est très spectaculaire. Elle groove son «Crazy He Calls Me» comme Liza Minelli, elle a du sang black dans les veines, ses effluves se mêlent aux humeurs de la Soul. Et voilà «You Can Have Him» soutenu au gimmick de cordes graves. Alors qu’elle swingue comme une black, ça monte en crescendo. Elle met tout son power dans son sucre perçant. Elle tape encore en plein Brill avec «The Way Of Love», c’est orchestré à outrance. T’as H.P. Barnum et Axelrod derrière, alors ça ne rigole pas. Pur genius productiviste ! Dans les bonus, tu vas tomber sur l’«Anyway That You Want Me» de Chip, l’heavy pop par excellence. On trouve aussi sa version du «Lost That Lovin’ Feelin’» enregistrée en 1965. Elle la prend du bas, elle est juste, infernalement juste, et le monte à sa taille. Dans l’interview qui suit, elle dit adorer les Beatles et Nancy Wilson. Fabuleuse poulette !

    Signé : Cazengler, franc Mason

    Tina Mason. Tina Mason Is Something Wonderful. Now Sounds 2008

     

     

    *

    Un, deux, trois, quatre, cinq, six, Seth ! Je ne l’ai pas fait exprès, je me suis stupidement perdu en chemin. Suite à ma chronique sur Rituel dans la livraison précédente, je m’étais dit que ce ne serait pas idiot de chroniquer De Republica de Griffon, mais mon cerveau a tilté, je me rassure en me disant que les Génies Supérieurs de l’Humanité eux aussi sont appelés à commettre ce genre d’erreur, bêtement au lieu de me rendre sur le label griffonesque Les Acteurs de l’Ombre, il devait y avoir de la brume sur le clavier, j’ai tapé sur Season Of  Mist et suis tombé en contemplation sur :

    LA FRANCE DES MAUDITS

    SETH

    (Season of Mist / 14 – 07 – 2024)

    Se revendiquer de Seth pour un groupe de metal tombe sous le sens : un des premiers dieux de l’Egypte dont il magnifie les terres arides et désertiques, un Dieu violent et brutal, chaotique, nous aimons à imaginer qu’il a inspiré Lovecraft lors de la création de la figure de Nyarlathotep dieu du kaos rampant… quelques millénaires plus tard le christianisme obsédé par l’infrangible fossé qui séparait les notions morales du mal et du bien  assimila le personnage de Seth à un équivalent de Satan, l’Adversaire, celui qui avait osé s’opposer à Dieu. Cette filiation imaginaire possédait l’avantage de voiler le souvenir du Lucifer, le révolté porteur de lumière… Cette vision christique et dichotomique occultait l’idée première selon laquelle, n’étant que les symboles des forces autodestructrices ou les ferments régénérateurs qui veillaient à l’équilibre du monde, les dieux des deux bords étaient nécessaires, inséparables de l’équilibre universel de l’univers…

    Fondé en 1995, Seth se fit remarquer dès 1998 par son premier album : Les Blesssures de l’Âme. Le groupe se sépare en 2005. Il renaît de ses braises en 2011, mais ce n’est vraiment qu’en 2021 qu’il entre dans une nouvelle ère avec l’enregistrement de La Morsure du Christ. Mayhem et Rotting Christ se doivent d’être évoqués lorsque l’on essaie de retracer le parcours de Seth.

    La couve est magnifique. En arrière-plan la façade de L’Observatoire de Paris. Fondé en 1667 par Louis XIV, le bâtiment est traversé en quelque sorte par le Méridien de Paris… (A ne pas confondre avec la Rose Ligne de l’Eglise Saint-Sulpice.). Le monument n’a pas été choisi au hasard pour sa beauté intrinsèque mais comme symbole de l’empreinte royale sur le pays de France. Au premier plan Seth nous tourne le dos. Nous ne voyons que les vastes plis de son manteau, de pourpre aux franges d’or, brodé de ses initiatiques armoiries. Il porte une arme redoutable : la faux de la Mort. Instant décisif et menaçant. Seth fait face au pouvoir Royal, ce n’est qu’un avertissement, un défi, ce manteau de sang est le symbole de la Révolution à venir, celle qui mettra à bas de leurs trônes respectifs Dieu et le Roi. ‘’Soleil cou coupé’’ s’écriera plus tard Apollinaire.

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    Helmoth : guitars / Alsvid : drums / EsX : bass / Saint Vincent : vocals / Pierre Le Pape : keyboards / Drakhian : guitars

    Paris des maléfices : entrée en matière noire, la musique extatique des anges abolis, débordements battériques, la mélodie s’installe comme un drapeau rouge qui flotte dans la houle des rues en colères, alternant avec la hargne de la voix de Saint Vincent (il ne prie pas pour nous), nous sommes dans Paris la ville des poëtes et des révoltes populaires. Un Paris qui puise autant à la description hallucinée du Cimetière des Innocents de Victor Hugo que dans la révolte métaphysique de Baudelaire. Ce morceau peut être perçu comme un hymne élevé à l’auteur des Fleurs du Mal. Alchimie de la poésie qui transforme la boue de la misère et du vice en l’or flamboyant de la poésie, amour et haine entremêlés, une marée sonore de fange et de stupre qui gonfle, se soulève, et qui engloutira le monde. Il suffit de prononcer le maléfice. Incroyable, l’orgue  de Pierre Le Pape ne se contente pas, comme souvent dans bon nombre de disque de Metal de combler les vides, il ouvre le bal des Ardents et mène la chasse à courre.  Et que vive le Diable ! : ne regardez pas l’Official Music Video réalisée par Claudio Marino, filez sur son Instagram  vous ne serez pas déçus, vous risquerez la même mésaventure que ma distraite personne tellement accaparée par les images que j’ai oublié d’écouter la bande-son ! :  le moment de la décision, celui où l’on franchit le pas interdit, celui où Faust choisit Méphistophélès, le chant de Saint Vincent implore, non pas le pécheur qui s’enferme dans son cilice mental, plutôt la joie éclatante de Crowley appelant à lui les démons pour une vie exaltante puisque démoniaque, derrière le band bande et sarabande de jouissance, une espèce de valse à dix mille temps endiablée, l’heure est fatidique, mais heureuse, la délivrance d’une âme qui s’incorpore dans le corps mouvant du plaisir, un hymne à la joie, à la délivrance de soi-même, un sulfatage battérial homérique, un mariage de raison avec la déraison du monde, mieux vaut être maudit que bonni, il est des nuits illuminatives. La destruction des reliques : ce n’est plus le cheminement d’une âme seule mais la cohue collective d’une houle ivre, Saint Vincent harangue la foule, une carmagnole, une farandole, la musique atteint à une grandeur lyrique communicative, les guitares lancent des confettis de plomb qui arrivés à terre roulent résonnent et cliquètent comme des pièces d’or, quel bastringue, quel foutoir, nous voici dans cryptes de Saint-Denis à fracasser les cercueils, à briser les sarcophages, à exhumer squelettes en poussières et cadavres momifiés, une pagaille indescriptible on part à la chasse des châsses contenant les restes des Saints, l’on décapite les statues, c’est la grande liesse, la grande recouvrance de la délivrance, une fête qui insulte le passé et qui exulte de ses propres crimes, de ses propres cimes, le grand charivari, la fête de l’âne qui rue et tue les morts…

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    Dans le cœur un poignard : encore une Official Music Video réalisée par  Pierre Raynard, encore une fois les yeux rivés sur le film, mais cette fois vous n’oubliez pas la bande son, elle vous accompagne, elle vous fait cortège, elle vous soutient, elle tient votre âme par la main, puisque vous souffrez trop vous finissez par demander qu’on vous guillotine au plus vite, presque un chant de messe noire ou rouge, une musique d’église, une procession, pas à pas, à l’intérieur de soi-même, nos malheurs sont nos passions, nos tourments sont nos prisons, un poignard dans le cœur équivaut à une dague dans le dos, mais c’est vous-même qui l’avez plantée entre vos omoplates, qui supplie ainsi ?... est-ce un homme, est-ce Seth, est-ce chacun de nous, portons-nous tous l’amour comme une croix fichée en nous comme un poignard empoisonnée qui ne nous quittera jamais, que nous emportons avec nous jusques au fond de la tombe, il y aurait donc quelque chose à l’intérieur de nous qui subsisterait comme un dieu oublié qui refuserait de mourir, serions-nous ainsi plongés au cœur du chaos ad mortem aeternam, la voix de Saint Vincent ne chante pas, elle grouille, elle gargouille, elle souille, même l’aspersion rituelle par le sang ne nous délivrera pas. Marianne : tout serait-il consommé, notes lourdes d’impuissance, instrumental, ce que l’on peut exorciser par la parole ne vaudrait-il pas mieux le taire, ces gouttes de plomb liquide finissent par se teinter d’une étrange transparence, existe-t-il une résilience qui ne serait pas un mensonge, à moins que ce soit juste une introduction à ce qui viendra. Ivre du sang des saints : notre hypothèse était la bonne, il suffit d’écouter les premières notes pour reconnaître le même motif que cette mystérieuse Marianne évoquée au morceau précédent, qui est-elle, son nom ne serait-il que la déformation de Morianne, figure de la Mort, ou alors la prostituée revêtue de cinabre de l’Apocalypse, la putain divine prête à s’offrir aux quatre cavaliers, à moins que ce soit notre Sainte Mère l’Eglise, car l’Eglise elle-même est pécheresse, mais elle est cette simple femme anonyme qui en furie vengeresse, une torche à la main pénètre la première dans les cathédrales honnies pour y bouter le feu de sa haine, ivre du sang des Saints comme si elle se donnait le droit de boire au calice sacré, le morceau tangue comme s’il était atteint d’une ivresse dangereuse, ça part de tous les côtés, une chatte n’y reconnaîtrait pas ses petits, d’ailleurs un homme y reconnaîtrait-il sa femme, à moins que ce ne soit l’Isis primordiale, l’épouse de Seth, qui enfanta Osiris, la protectrice des morts,  elle se perpétua au cours des siècles sous le titre de Grande Déesse, qui au cours des siècles prit bien des noms, Marianne patronne de la République   ne serait-elle que la résurgence de Marie, la sainte immaculée, inoculée diront les esprits facétieux, l’aspect féminin et chaotique de l’être humain. La coupe d’or maudite où tout un chacun et chacune s’en vient boire. Insurrection : une official lyrics Video est disponible. Vidéo c’est vite dit, une mise en image, gâtée par la mise en plein milieu de l’cran de la couve du disque qui bouffe un bon tiers de l’espace, derrière Paris brûle-t-il a-t-on envie de demander, faut attendre la dernière seconde pour un aperçu ultra rapide du tableau La Liberté guidant le peuple ‘’en armes’’ de Delacroix, tous les personnages arborent des faciès de squelettes ricanant, que voulez-vous la liberté a un prix : de l’insurrection tant attendue l’heure est venue, il n’est jamais trop tard pour bien faire, la ligne mélodique comme le lierre qui enserre le tronc du chêne est entièrement liée au galop de la tornade, Saint Vincent ne chante pas il scande la révolte des damnés, cette légion que le Dieu a rejetée et abandonnée, ils sont tous là, les armes à la main, emplis de fureur, ivres de carnages et de démence, prêts à arracher  le poignard tordu que chacun s’est enfoncé dans le cœur pour le planter dans la chair du Christ et l’assassiner, quelle jouissance d’avoir à réaliser ce crime plutôt trois fois qu’une seule.  Tous en groupe, le Diable marche avec eux, la vengeance est un plat qui se mange bouillant de haine. Massacre total et libérateur. Le vin du condamné : ô comme ce titre évoque Baudelaire, comment se fait-il que le chantre du Spleen de Paris n’ait pas songé à l’écrire, le morceau le plus long de l’opus, une courte intro qui  pourrait ne faire accroire que le condamné à mort aurait le vin triste, ce n’est pas tout à fait le cas si l’on s’en rapporte à son accent vindicatif, parfois on a même l’impression que le rythme claudique et titube, point trop mais dans une cellule l’on imagine que les murs doivent être proches, un peu de tristesse, pas trop, pour ces moments perdus à croire en Christ en ses bienfaits, en ses consolations, la batterie d’Alvid y met vite bon ordre et les réduit en poussière, un dernier blasphème à boire le sang du Christ et de la vigne, la sentence du juge hurlée du haut de sa chaire tombe comme un couperet de guillotine, les paroles du condamné n’étaient pas celle du Roi, c’est bien celle d’un insurgé, d’un révolté, qui souhaite et prophétise encore la révolution. Bonus track : Initials B. B. : dans une vidéo ils expliquent qu’ ils voulaient une chanson française, ils ont du mal à en trouver une qui puisse supporter leurs orchestrations, sans être convaincus ils ont essayé ce morceau de Serge Gainsbourg, elle n’est pas tout à fait de lui puisque comme souvent il avait puisé dans le répertoire classique, il s’était inspiré  de Dvorak, n’avait pas fouillé bien loin, juste un motif de la Symphonie du Nouveau monde… en réécoutant le morceau original l’on se rend compte que malgré l’arrangement d’Arthur Greenslade, peut-être à cause de ses trompettes pas assez cuivrées, il a vieilli… la version de Seth est supérieure, en plus elle s’intègre bien à l’album comme un rappel de la figure du triptyque central, une résurgence du motif de la femme écarlate, que l’on ne saurait laisser à l’écart…

             L’opus est magnifique, il m’a donné l’envie de visiter le précédent.

     

    LA MORSURE DU CHRIST

    SETH

    (Season of Mist / 14 – 07 – 2024)

    La couve  est de Leoncio Hamr, magnifique vue de Notre-Dame de Paris en flammes. Originaire de  Bordeaux, tout comme le groupe, il se définit comme un Digital Artist, trois petits tours et puis ne pas s’en aller mais rester sur son site à s’imprégner de ses images d’une évanescence granitique porteuse d’une vision romantique et démiurgique du monde…

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    Qu’un groupe mette son nom sur la pochette de son disque n’est pas en soi une pratique d’identification qui appelle à de longs commentaires, mais sur cette couverture-là il se révèle terriblement significatif. Ce ne serait en rien anodin, Seth a apposé son sceau sur l’incendie de Notre-Dame, il s’agit d’une appropriation politique des plus affirmées, des plus dérangeantes.

    L’incendie de la cathédrale, vite transformée en Notre-Drame, au mois d’avril 2019 suscita une énorme émotion, savamment orchestrée par les pouvoirs publics du pays, récemment amplifiée par sa réouverture en décembre dernier. Nous ne nous étendrons pas ici sur les polémiques qui se sont élevées quant à l’origine du feu dévastateur. Seth n’y va pas par quatre chemins (de croix). Cet acte leur apparaît comme la marque symbolique de la fin de l’ère chrétienne. Le point final de la révolte de Lucifer détruisant une bonne fois pour toute  la terrestre et accueillante demeure de Dieu, le dernier refuge du Christ et la bergerie des Hommes…

    En désignant la borne historiale de la fin du christianisme, Seth remet en question toute une lecture actuelle qualifiée par beaucoup de post-chrétienne – expression qui signifie encore marquée et dépendante de l’idéologie christianophile – de l’histoire de la civilisation occidentale. Position politique d’autant plus courageuse qu’elle place cette terminaison dans notre actualité la plus proche. En pleine place du village planétaire pourrait-on dire. Songez à la rétrograde levée des boucliers mentaux que ce genre d’affirmation péremptoire ne peut que susciter. L’on peut refaire à neuf un bâtiment, effacer la signification d’un symbole est plus difficile.

    Cet opus est davantage qu’un album musical, il est un acte réflexif, mêlant aspects liturgique, orthodoxique, dogmatique, hérésique, philosophique, symbolique et poétique. Une œuvre d’envergure, c’est sans doute pour marquer et ne pas masquer la grandeur de cette noire et illuminative entreprise metallique que son écriture a eu recours au vieil alexandrin gravé dans le marbre des épopées romantiques.

    Helmoth : guitars / Alsvid : drums / EsX : bass / Saint Vincent : vocals / Pierre Le Pape : keyboards / Drakhian : guitars

     La morsure du Christ : l’existe une Official Vizualiser agréable à regarder mis sur YT par Season of Mist : étourdissant, sans répit, un vocal rugissant inextinguible, une rythmique infernale, une chevauchée apocalyptique qui au milieu de ce déluge de feu teinte quelques notes solitaires et espacées d’une beauté cristalline, elles dévoilent un monde de splendeurs sonores ignorées un peu comme les échos nostalgiques d’un enfer perdu. Nous sommes en plein sacrilège, c’est le Tentateur, l’Adversaire résolu, qui s’adjuge le sang du Christ, le sang de Dieu. Transfert d’identité. L’Ange Maudit a pris le sang et la place de Dieu. Il a mordu le Christ tel un vampire assoiffé, que ce rouge baiser se transmette de chacun à chacun, nous ne sommes pas loin des premières assemblées gnostiques, ces échanges cérémoniaux de sang et de sperme, la grande inversion je suis celui que tu croyais qu’Il n’était pas, Dieu est mort, il s’était fait homme, s’est pris à son propre piège, j’ai transmué dans l’athanor de mon corps le sang de ton corps en le sang de mon enthousiasme. Ce n’est pas bien peut-être mais ce n’est pas mal non plus. Métal noir : la musique se pense métal, orichalque noir, elle peint le monde à sa couleur, elle conte la légende noire du disciple, elle expose les étapes de sa vie, une explosion de guitares, un raz-de-marée battérial, tout se déroule si vite, à peine commencé le morceau est terminé, une histoire alchimique qui passe de l’œuvre au rouge à l’œuvre au noir, de la sublimation existentielle par le pacte de sang, au refuge terminal au fond de l’antre obscur, de la dispersion en la chair des femmes, des goules, des magiciennes, des sorcières, des déesses, toutes des Hécates,  entends-tu dans le lointain le tintement du marteau de Siegfried forgeant l’épée noire du trépas, jusqu’au moment où le pendule fatidique s’arrête et te précipite dans le puits sans fond de la mort, qui n’est qu’une non-existence, mais le non-être ne se transforme-t-il en pas en astralité, la mort n’est-elle pas  la continuité de la vie sous une autre forme,  moins par moins égale plus, noir sur noir s’égalise à une lumière illuminescente celle qui sourd et émane sans fin du corps tragique de l’Ange Noir carbonisé, à ton simple regard son âme noire se nimbe d’une irréfragable gloire. Sacrifice de sang : batterie grandiloquente, il est temps que la cérémonie commence, musique allègre, oui c’est une fêté sanglante, toute noire initiation tourne au rouge sanglant, il ne s’agit plus de boire le sang mais de faire couler le sang, seul le maître a pris le droit de le boire, ton assentiment sera sa récompense, frappe, incise exquise, elle est nue et innocente, c’est en la tuant que tu prendras vie, en la supprimant que tu la possèderas, la vierge n’est plus sainte, criminel et féminicide insensés c’est le prix victimaire à payer pour requérir le bandeau de pourpre des initiés, maintenant tu es membre de la légion noire des damnés, tu es digne du bataillon du Reptile Subtil et Sacré ! Tu es devenu l’enseigne du serpent insigne. Satan te sourit. Magnifique morceau. Orgie rouge. Expérience théurgique. Âmes sensibles et modernes s’abstenir. Ex-Cathedral : ce morceau présente la même scène que le précédent. Si celui-ci, tout aussi festif, semble davantage enthousiaste et spectaculaire, c’est que cette fois-ci le Sacrifice de Sang est représenté sous son aspect exotérique et non plus sous sa forme intime et ésotérique vécue en tant qu’individu alors qu’ici il est dépeint sous son aspect collectif, cérémonial, d’où cette structuration théâtrale, l’on assiste à trois tableaux, à l’abomination hargneuse et vengeresse du monument, succède la propagation souveraine des flammes, le vocal s’écroule dans la gorge de Saint Vincent avant qu’il ne proclame la malédiction terminale, enfin l’on assiste à la lente agonie des flammes rouges hautes comme des tours, elle s’achève en un amas calciné de cendres noires

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    . Hymne au vampire. (Acte III) : vous trouverez l’ Acte I et l’Acte  II sur le premier album du groupe Les Blessures de l’Âme sorti en 1998 :  nouvelle donne, le Diable serait-il aussi menteur que le Dieu, une âme crie et demande, reçoit-elle, espère-t-elle encore une réponse, nous sommes après, l’amas de décombres noircis appartient au passé, nous suivons une ombre errante, elle tourne et retourne autour des tombes, elle préfèrerait être morte, mais elle n’a reçu que l’éternité. A errer sans fin. Rien n’est pire qu’un vampire, obligé pour survivre de mordre les jeunes filles, de leur faire subir les plus cruels sévices, n’est-il pas stupide de  se livrer à de telles extrémités afin de continuer à vivre éternellement, cruel dilemme baudelairien par excellence,  son âme harassée tourne en rond dans un cimetière, n’est-ce pas la métaphore d’un esprit qui ne va pas fort, qui tourne doucement à la folie, tant bien que mal la musique essaie de le bercer de réconforter sa marche hésitante alors qu’il crie et se débat contre lui-même et tous les diables, l’orchestre l’accompagne fidèlement mais le chien fidèle c’est lui et le groupe qui le tient en laisse fait entendre son plus doux clavier, des voix célestes venues d’on ne sait où, l’on n’entend plus rien, s’est-il endormi sur une tombe… Les océans du vide : superbe morceau à écouter et à récouter pour en saisir toutes les nuances vocales, musicales et poétiques. Le lecteur y reconnaîtra le Voyage de Baudelaire mais aussi Le Bateau Ivre d’Arthur Rimbaud, j’ose affirmer  que la musique est davantage rimbaldienne que baudelairienne, peut-être aussi les premières pages du Coup de dés de Mallarmé. Si le début de l’opus décrivait l’œuvre au noir comme le stade ultime et ascensionnel de l’alchimie, dans ce titre et le précédent nous refaisons le même chemin mais nous débutons au moment au moment crucial où le rouge vire au noir, et nous terminons lorsque le noir traversé nous pénétrons dans le royaume translucide de l’après-mort. Dormir n’est pas mourir. Le triomphe de Lucifer : chuchotement hurlé sidérant, vient-il du fond des abysses, est-ce le moment où les chaines qui retenaient prisonnier Satan sont brisées, où provient-il du fond des abîmes du ciel d’en haut pour établir son royaume sur les contrées d’en bas, il porte la lumière, la dernière braise arrachée à l’incendie monumental, le tison maléfique que Dieu n’a pas réussi à éteindre,  il est le Lucifer invaincu, le démon prométhéen,  le sol invictus qui appelle à la vie son peuple de bannis, le morceau illuminatif se change en cantate angélique, est-ce le dernier crachat bachique sur le corps mort du Christ… Les océans du vide / Sacrifice de sang : difficile de terminer sur cette fin grandiose. Mais si rapide. Il manque à l’opus une coda d’envergure, longue et peut-être même infinie  est la queue du serpent, il serait dommage qu’elle ne rentre pas dans la photo de fin, alors Seth offre deux morceaux supplémentaires, les infidèles en veulent toujours plus, la reprise instrumentale de deux titres précédents, il nous chaut de les surnommer le Mortceau et le morSceau car ils sont essentiels à la compréhension de cette œuvre de métal noir par dérision, par dévision, par division, quasi saintphonique, seule l’Initiation vous sauve de la Mort. Une suite funèbre et inquiétante pour l’avènement du règne du Porteur de la Lumière, lampadophore… Ne vous recueillez pas, accueillez-là, à la fin sera le logos philosophique.

             Deux œuvres majeures.

    Damie Chad.

     

    *

    Nous quittons le domaine de l’ésotérisme métaphysique  pour celui de la politique. Encore un groupe de metal ! Quel hasard ! Serait-ce le dernier lieu musical dans lequel on se permette de penser !

    DE REPUBLICA

    GRIFFON

    (Les Acteurs de l’Ombre / Février 2024)

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             Encore une fois Notre-Dame de Paris en couverture. En une situation un peu moins critique et désespérée que sur La Morsure du Christ de Seth mais tout de même en pleine ébullition révolutionnaire, en tout cas les couleurs sont clairement affichées, bleu, blanc, rouge ! Même si le bleu est celui du ciel, le rouge composé de  taches sanglantes et si le blanc voisine encore deux étamines blanches. Le blanc, couleur de la Royauté, et le rouge symbole du peuple. Du sang qu’il a dû verser pour la liberté.

             Saluons avant tout le courage de Griffon de s’immiscer dans le dialogue politique. Une source de controverses infinies déploreront certains, une façon comme une autre d’activer le jeu des contradictions dialectiques riposteront d’autres. Les premiers rétorqueront que la paix sociale est bénéfique au commerce et les seconds affirmeront que toute contradiction se doit d’être résolue par la révolutionnaire logique de l’Histoire. Nous ne manquerons pas de nous glisser dans le débat.

             Sinaï : guitars, bass / Kryos : drums / Aharon : harmony, vocals / Antoine : Harmony, vocals.

    Ôtons-nous d’un doute depuis la récupération par Nicolas Sarkozy de la figure de Jaurès, nous devons nous méfier. Que la droite qui coupe allègrement et néanmoins lourdement dans les budgets sociaux et régaliens pour les redistribuer aux affairistes, aux entrepreneurs et aux actionnaires, bref pour accentuer la mainmise d’une ploutocratie libérale sur le pays, l’on s’attend à tout. Rassurons-nous tel n’est pas le propos de Griffon.

    L’Homme du Tarn : ne point se tromper, la canonnade qui se fait entendre au début du morceau n’est point celle d’une  de quelques canons dérobés par une émeute populaire, mais ce gigantesque bruit de fond qui a bercé parfois  durant des mois les troupes levées en 1914. Ce n’est point non plus le Jaurès chanté sur son ultime album par Jacques Brel qui met en avant le leader socialiste dénonçant sans arrêt les conditions épuisantes des travailleurs attachés à leurs tâches, celui qui n’a eu de cesse, jusqu’à son assassinat, de s’opposer à la guerre qui venait. Ce n’est donc pas une surprise que se joint au brouhaha le refrain de la chanson Le Soldat de Marsala écrite en 1860 par Gustave Nadaud, qui connut en 1848 Eugène Pottier qui créa L’Internationale… Enfin survient la tornade que l’on attendait, faut s’accrocher, en seize octosyllabes est résumée l’œuvre politique de Jaurès de ses premiers combats contre les possédants et la réalisation de ses prophéties quant aux carnages qu’il pressentait, le vocal fuse comme des balles de mitraillettes, mais à notre goût l’impact metallique n’est pas à la hauteur de ce à quoi on s’attendait, survient une première rupture, la musique s’amoindrit et Griffon récite quelques phrases d’une déclaration de Jaurès, l’impression d’écouter un professeur d’histoire qui lit un texte, le metal des obus  revient, mais des petits calibres, coupure acoustique encore une lecture, d’une voix moins professorale et davantage altérée que la précédente, déclaration courageuse quant au sens, la France aussi coupable que l’Allemagne et la Russie de la tragédie, et l’on repart au galop d’une charge de cuirassés, le texte est très dense, condamnation de l’Union sacrée, (à part quelques petits groupes d’anarchistes l’on partit la fleur au fusil, nous explique la propagande, Griffon oublie d’expliquer que la Grande Guerre permit avant tout de se débarrasser de toute une génération anarchisante et motivée pour la lutte sociale), le morceau court sur son ère, il ne nous convainct guère… The Ides of March : bizarrement le texte est en anglais et en grec ( serait-il emprunté ou fortement inspiré par Shakespeare) quant au grec il s’explique aisément la noblesse romaine s’exprimait aisément en langue hellène, guitare acoustique, ambiance lourde et soudain le déferlement, les conjurés se regroupent autour de César et c’est l’assassinat, un moment historique qui décide du Destin de Rome et du monde, juste le crime et le silence médusé devant le corps du Dictateur, Griffon a voulu marquer ce jour fatidique d’une pierre rouge, la musique s’apaise… il y a ce que l’on dit et le sens qu’on donne à nos actes, le titre de l’album est sans équivoque, mettre en valeur les principes républicains, les idées sont belles mais la réalité est plus sordide, la noblesse romaine est corrompue, à des hauteurs inimaginables, cent ans de guerre civile, Auguste qui succèdera à César imposera, non pas la monarchie mais le principat auquel se substitua peu à peu le terme désignatoire d’Imperium, mais ceci est une autre Histoire. De l’insurrection : autre épisode les Trois Glorieuses, magnifiées par le tableau La Liberté Guidant le Peuple de Delacroix, Rythme allègre, chaloupé, il est vrai qu’avec 1936 et 1968, 1830 fut une révolution joyeuse, en trois jours le Peuple et ses barricades boutèrent hors de France Charles X, il est dommage que le texte final de Victor Hugo ne soit pas lu avec davantage d’emphase, les journées qui suivirent juin 1930 furent moins triomphales, le peuple floué par la bourgeoisie retrouva très vite sa vie misérable, sans doute Griffon a-t-il choisi cet évènement pour illustrer le texte  de la Déclaration des Droits de l’Homme de la révolution 1789 qui instaure un droit à la violence inaliénable : Contre la tyrannie la révolte est un droit. Remarquez que si aujourd’hui vous tentez de l’exercer vous êtes traités de terroristes…

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    La semaine sanglante : les quarante mille morts de la Commune, encore une insurrection, réprimée dans le sang : une intro funèbre mais très vite un déchaînement de violence survient, la révolution n’est pas un dîner de gala, l’on aimerait que le metal cliquette comme des balles de fusil, il n’en est rien, le jeu se calme trop vite pour la lecture d’un extrait des mémoires d’un communard, la mise en avant des grands principes, vaudrait mieux décrire les combats, dès que l’on discute l’on perd du temps, on laisse l’ennemi prendre de l’avance, bientôt l’on est conduit au supplice,  ce morceau manque de nerf, beaucoup de révolte mais trop d’acceptation, la démocratie n’est qu’un leurre, le gouvernement par excellence de la Bourgeoisie, les années qui suivront et se termineront en 1914 en apporteront la preuve… La Loi de la Nation : en 1793 on aurait accusé Griffon de tiédeur, ce morceau en est la preuve évidente, il est une récupération éhontée de la Loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat à laquelle de 1872 à 1905 l’Eglise s’opposa de toutes ses forces, le morceau entre en fureur contre les évènements de la Révolution Française qui mit à mal l’Eglise, principal soutien et inestimable moyen de coercition au service du pouvoir Royal, au pas… cette loi de laïcité est maintenant présentée comme un bienfait qui permet aux chrétiens de pratiquer leur culte en toute liberté, lors de sa préparation et de sa promulgation, au moment de sa promulgation elle n’apparut pas aux chrétiens pour une loi de haute sagesse… De Republica : le texte des lyrics est précédé d’un résumé de la situation actuelle de la prise du pouvoir par de Gaulle à la montée d’un pouvoir présidentiel macroniste, osons le mot, un président qui en 2022 ne possède plus la majorité à l’Assemblée Nationale et n’en continue pas moins à s’accrocher au pouvoir comme un naufragé à sa une planche de salut pourrie… Le peuple gronde. Déjà les Gilets Jaunes en 2018…Il ne se soulève pas encore mais l’on ne sait jamais, cet ultime morceau est le plus réussi, le plus fougueux, il est bâti comme les précédents mais le son est beaucoup plus serré, plus dur. Commence tristement, Bonaparte vient de réussir le coup d’Etat du 18 Brumaire, l’on peut dire sans trop exagérer qu’il détient pratiquement le pouvoir personnel…  la République a abdiqué d’elle-même, elle est tombée sans faire trop de bruit.

             Griffon s’est attaqué à une drôle de gageure : exposer un principe politique en six points, chacun d’eux étant représenté par un évènement historial important. Plus de deux mille ans d’Histoire sont convoqués. Le tout exposé en moins de quarante minutes. Autant vous demander de résumer La Recherche du Temps Perdu en quarante lignes. Encore auriez-vous une chance inespérée car dans De Republica la musique laisse peu de place au texte… Autant parier que vous avez la malchance de vous mettre à dos la grande majorité des auditeurs.  

             Les esprits pinailleurs et férus d’Histoire se régalent, sont aux anges. Apparemment le public ne s’est pas montré récalcitrant à la proposition de Griffon. Cette tentative, malgré ses limites, mérite d’être saluée. Le courage intellectuel, l’audace d’exprimer ses idées est une denrée rare et précieuse.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 527 : KR'TNT ! 527 : JOHN DOE / ROCKABILLY GENERATION NEWS / DEAN CARTER / MONSTER MAGNET / BARON CRÂNE / MONA CABRIOLE / BARABBAS / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 527

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    28/ 10 / 2021

     

    JOHN DOE / ROCKABILLY GENERATION 18 & 19

    DEAN CARTER / MONSTER MAGNET

    BARON CRÂNE / MONA CABRIOLE / BARABBAS

    ROCKAMBOLESQUES

     

    John a bon Doe

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    Depuis disons l’origine des temps, X a toujours occupé une place de choix dans les étagères. Il était d’usage de rattacher X au punk-rock angelino qui n’était pas fameux, mais justement, X s’en démarquait par une certaine originalité de ton, par un chant à deux voix et surtout le style flashy de Billy Zoom, un fier caballero qui sentait bon le rockabilly. La légende voulait que Billy Zoom ait accompagné Etta James et Big Joe Turner. L’autre point fort d’X était John Doe, un mec de Baltimore qui préféra s’installer à Los Angeles plutôt qu’à New York pour monter un groupe. Et bien sûr le point faible d’X était Exene qui, pour dire les choses franchement, chantait comme une casserole, mais bon, elle était la poule de Doe et avait donc voix au chapitre. L’ensemble était claquemuré par un gigantesque batteur, le hard-hitting et bien nommé D.J. Bonebrake.

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    Donc Doe rencontre Exene dans un arts centre nommé Beyond Baroque, coup de foudre, puis il passe une annonce et c’est parti mon kiki d’X. Billy Zoom enquille l’X, suivi de Bonebrake, puis les clubs, Madame Wong, le Masque et le Whisky où traîne parfois Ray Manzarek. Dans le répertoire d’X se trouve «Soul Kitchen» et c’est joué tellement vite que le vieux Ray du cul ne le reconnaît pas, c’est sa femme qui sursaute : «Ray, y jouent une Doors song !». Du coup Manzarek s’intéresse au groupe et propose de les produire. Voilà, c’est aussi bête que ça.

    Doe pense que Manzarek s’intéresse aussi à eux parce qu’Exene et lui écrivent de la poésie, comme le faisait Jimbo. Oh oh...

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    Sur Los Angeles, leur premier album paru en 1980, X nous touille une belle cover du «Soul Kitchen» des Doors. Ils l’amènent au big sound et même si celle folle d’Exene chante comme une casserole, ça passe - Still one place to go - Ils le font à deux voix, learn to forgive, et Billy zoome bien son solo. L’autre belle pièce palpitante de ce premier album est le morceau titre, bien sûr. En duo ils sont excellents, ils dégagent une énergie considérable. Par contre, le reste de l’album n’est pas très révolutionnaire. Ils grattent la plupart des cuts envers et contre tout. Leur force, c’est le rejointement de Doe et de cette fille qui ne chante pas vraiment bien. Mais ils font leur truc et ça leur donne du mérite. Le fait qu’elle chante si mal fait-il partie du concept punk de Los Angeles ? Va-t-en savoir. En général quand c’est elle qui attaque, c’est foutu d’avance, comme c’est le cas avec «Nausea». Manzarek qui produit aurait dû la faire taire. Doe n’en finit plus de faire son petit exacerbé pour cacher la misère dans «Sugarlight» et «Johnny Hit & Run Paulene». Ils terminent avec «The World’s A Mess It’s In My Kiss» : ça joue aux échanges collatéraux, c’est bardé de bons passages d’accords et de troc de voix, par chance la voix d’Exene se fond dans celle de Doe, alors ça devient supportable. Autant lui est bien, autant elle insupporte, mais comme chacun le sait, il s’agit du problème d’un grand nombre de couples. La pauvrette ne fait pas souvent l’affaire.

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    Pas de hits sur Wild Gift paru l’année suivante, mais un excellent «White Girl». Doe rentre bien dans le lard du cut. «Beyond And Back» est plus rockab, monté sur l’excellent drumbeat de Bonebrake. Eh oui, c’est Bonebrake qui par sa constance, fait le son. Tout ici est monté sur le même modèle : Doe lance les dés et la folle vient le rejoindre dans la couche conjugale et ce n’est pas toujours du meilleur effet. Heureusement que Billy Zoom et ce batteur génial sont là. C’est bien Banebrake qui fait l’X. Ils collectionnent aussi les cuts catastrophiques comme «We’re Desperate» ou «Some Other Time». Elle se prend pour la passionaria de la Californie et fait mal aux oreilles. Dommage pour Doe qui essaye de monter un projet culte et qui se retrouve avec un projet cucul la praline. On s’emmerde comme un rat mort à l’écoute d’«Adult Books». On souhaite surtout qu’elle ferme sa boîte à camembert. C’est un peu le même problème que celui d’Oates dans Hall & Oates : dès qu’Oates ouvre le bec, il ruine tout. Quel gâchis ! Ils ont un bon guitariste mais dès qu’elle la ramène dans «Universal Corner», elle ruine tout. Le pire c’est qu’ils croient faire de l’art. Ils ont bien failli décrocher la timbale avec «It’s Who You Know» car Billy Zoom s’y prend pour Ron Asheton, mais ça s’écoule assez rapidement. Pourtant il y a du son.

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    On trouve sur leur troisième album Under The Big Black Sun un coup de génie intitulé «The Have-Nots», c’est-à-dire les défavorisés. C’est un festival d’envolées, une suite de couplets hargneux et de refrains chantés à deux voix - Dawn comes soon enough/ For the working class/ It keeps getting sooner or later/ This is a game that moves as you play - On ne croise pas tous les jours des cuts d’une telle classe. Ça sonne comme les plus grands hits des Stones - At Jocko’s rocketship or the One Eye Jack/ My Sin & The Lucky Star/ A steady place to study and drink - Il faut voir comme c’est balancé et John Doe descend dans le giron du Juju avec ce génie vocal qui va le rendre légendaire. Dommage que tout l’album ne soit pas de ce niveau. Le reste de l’album est très punk. En fait, c’est Bonebrake qui vole le show dans «Motel Room In My Bed», «How I (Learned My Lesson)» ou «Because I Do». On note que Ray Manzarek continue de les produire. Dommage qu’Exene chante si mal. Elle fait mal aux oreilles dans «Riding With Mary». Mais prod de rêve. Ils se tapent une petite crise d’exotica avec «Dancing With Tears In My Eyes». Ça leur va comme un gant. Billy Zoom y fait la pluie et le beau temps.

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    Le More Fun In The New World qui sort l’année suivante est un bel album. Nouveau coup de génie avec le morceau titre en ouverture de bal d’A. C’est leur grand hit. Fière allure, joli riff de Billy Zoom et c’est chanté à deux voix. American power. C’est d’ailleurs leur seul big hit de big time. Après, ça se dégrade. Ça ne tient que par Bonebrake. Une fois de plus, Ray Manzarek signe une prod superbe, comme enveloppée. Mais dès qu’Exene chante, ça ne va pas. Dommage, car le son plaît beaucoup, avec un Bonebrake bien au devant du mix. Il faut attendre «Make The Music Go Bang» pour frémir un coup. C’est joué à la clameur. Ils tiennent une bonne formule : clameur de voix, big Bonebrake et petits éclairs de Les Paul en or. Bonebrake fait encore des siennes en B avec «Devil Doll». Comme ce mec bat bien ! Il est sec et net et sans bavure. Billy zoome quand il faut. C’est encore Bonebrake qui porte «Painting The Town Blue» à bouts de bras. Leur «Hot House» renvoie aux assauts de l’Airplane. Mais le reste de l’album ne vaut pas tripette. Ils s’amusent avec le funk dans «True Love Pt #2» : on se croirait chez les Talking Heads. On n’est pas là pour ça.

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    Quelques énormités sur Ain’t Love Grand, un album dépossédé de sa pochette et quasi dépossédé de son bal d’A. Les compos peinent à rafler la mise du docteur Artémise. Ils tentent de revenir aux fondamentaux, mais ce n’est pas chose facile. Peut-être espèrent-ils que «My Godness» soit une bonne chanson ? Sont-ils assez crédules pour en arriver là ? Le bal d’A se réveille avec le stomp d’«Around My Heart» mais les X s’épuisent à vouloir sauver les meubles. Ah le matérialisme ! C’est en B que se joue le destin de l’album avec «What’s Wrong With Me». Dès qu’ils attaquent à deux voix, ça redevient du pur jus d’X, avec un Billy qui zoome. Joli shoot de twin attack avec un what’s wrong with me jeté en pâture aux fauves et un Billy qui n’en finit plus de zoomer. Ils font ensuite une belle reprise de l’«All Or Nothing» des Small Faces. Il manque la voix, mais Doe pousse bien son petit bouchon. Il va chercher son meilleur chat perché. Encore du vrai rock d’X avec «Little Honey» et un Doe au devant du mix. Cut sauveur de meubles. Doe est capable d’énormités, il est bien entouré. Vroom et voilà «Surpecharged», back on X avec du L.A. beat on the rocks et les riffs malsains du grand Billy Zoom. Ça ne demande qu’à exploser.

    Malgré tous ces efforts, X ne décolle pas et Billy Zoom annonce qu’il quitte le groupe, car il a besoin de croûter. Il reprend son vieux job in electronics, fixing amps and stuff.

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    Rien à dire non plus de la non-pochette de See How We Are. On les sent plus déterminés que jamais sur l’«I’m Lost» d’ouverture de bal. Leur heavy pop bombastique n’a jamais été aussi explosive. Heureusement, Doe prend le lead et elle reste derrière. Elle a déjà fait assez de dégâts comme ça. Doe veille bien au grain. Un certain Tommy Gilkyson remplace Billy Zoom. Mais dès qu’Exene attaque un cut, le cauchemar recommence, comme c’est le cas avec «You». Cette fois, ils vont plus sur la power-pop et s’autorisent quand même un petit shoot de punk’s not dead avec «In The Time It Takes», chanté à deux voix et propulsé par nuclear Bonebrake. Merveilleuse giclée ! Avec «Surprise Surprise», ils se prennent pour Blondie alors t’as-qu’à voir ! Wow comme cette folle chante mal ! Ils cherchent leur voie comme d’autres cherchent des truffes.

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    Le premier live d’X est un double album, comme celui des Doors : Live At The Whisky A Go-Go On The Fabulous Sunset Strip sort en 1988, sur Elektra, comme celui des Doors. Mais ils ne proposent pas de reprise des Doors, comme ils le feront sur les live albums à venir. Ils profitent de ce bon live pour repasser au peigne fin tous leurs hits à commencer par «Los Angeles» qui développe une fabuleuse énergie avec son raté de beat en bam/bam/bam si judicieux. Doe does it right et elle arrive dans le chant, alors ça fonctionne. Ils font une magnifique restitution de «The New World», un de leurs hits les plus vaillants, porté par le tapis magique d’un accord de guitare et amené à deux voix, scandé au pur power. Exene réussit l’exploit surnaturel de nous casser les oreilles avec «Surprise Surprise». Elle fait sa Blondie et dès qu’elle force, elle est fausse. Il y a quand même pas mal de déchets dans le punk-rock angelino («Because I Do», «My Godness»). Doe charge la mule de «Blue Spark» et ça devient excellent. Tout est monté sur le beat turgescent du big Bonebrake. Cut after cut, il bat sec et net. «Devil Doll» va vite en besogne. X n’est pas le genre de groupe à traînasser pour admirer le paysage. Ils filent comme des bolides. «Hungry Wolf» sonne comme un bel assaut frontal et dans «Just Another Perfect Day», Exene se prend pour Jimbo, alors on voit d’ici le désastre. «Unheard Music» est l’un des phares dans la nuit car joué à la heavy cocote et touillé aux deux voix confondues. Le riff est d’une rare splendeur. Leur truc c’est d’entretenir la braise et ils sont passés maîtres dans cet art qui remonte à la nuit des temps. Ils restent sur leur élan avec «The World’s A Mess», chanté à deux voix et porté par le power beat de Bonebrake-Tinguely le perpétuel. Ce superbe batteur semble toujours naviguer au haute mer, tellement il est puissant. Une sorte de magie règne sur le «White Girl» qu’on retrouve en D. C’est le grand hit d’X avec «The Have-Nots» qui brille par son absence. «White Girl» est une merveille sculpturale, dévorée en interne par les incidences du riff.

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    Allez, on va dire qu’Hey Zeus est un bon album. Cinq bons cuts sur onze, c’est extrêmement honorable, n’est-il pas vrai ? Ils y claquent leur bouquet habituel et on craint par dessus tout de voir la folle apparaître. Pour «Big Blue House», ils renouent avec le déroulé de «The New World», même ambiance, pacifiée aux deux voix. On adhère facilement. Ils forgent leur caractère. X est alors encore un jeune groupe, ça peut se comprendre, after all. Ils adorent lancer leurs attaques à deux, comme l’Airplane avant eux. Ce «Big Blue House» est presque bon, ils tentent la percée musicologique et c’est une bonne idée. Ils font aussi un «New Life» bien powerful. Doe s’arrange toujours pour retomber sur ses pattes. Ce mec est un cador, il refuse de se résigner et donc il chante à outrance. Back to the heavy chords avec «Country At War» et back to the chant à deux voix. Doe tente de créer sa mythologie et il le fait avec une belle notion de la niaque, la folle est parfaite quand elle se fond dans le chant avec lui. Se fondre, tel est le secret du sombre Doe. Ils restent dans le heavy rock avec «Into The Light». Il faut suivre Doe, il est comme Allah, il connaît le chemin. La formule d’X ? La belle engeance de la prestance. Ils tartinent leur heavy pop de Mulholland & Vine et c’est excellent. «Lettuce & Vodka» sonne comme un retour de manivelle punk, ils le tapent à deux voix, comme d’usage, c’est bien construit, pur jus d’X avec de l’interaction. Ils sont tellement dans leur élément qu’on s’en prosterne, c’est plein de clameurs, Remember ! Remember ! C’est elle qui lance «Baby You Lied» et bizarrement, elle est bonne. Alors c’est à n’y plus comprendre, voyez-vous.

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    Paru deux ans après Zeus, Unclogged est encore un album live. Pochette foireuse, mais on y trouve enfin une version live de «The Have-Nots», jouée au groove de jazz-rock et là Doe fout le paquet - And the Hi-Di-Hi & the Hula gal/ Bee-hive Bar and the / Ziron Lounge/ Gi-Gi’s Cozy Corner/ And the Gift Of Love - Doe joue avec les noms des bars au stop and drink, au sit ans sip, au rest in pieces - Dexter’s New Approach and the/ Get Down Lounge - c’est tellement puissant que ça balaye tout le reste, même le puissant «White Girl» d’ouverture d’X shuffle et ce riffing qui rafle bien la mise & cette fille qui vient chanter en contrepoint & Bonebrake on the vibraphone. Ils tapent aussi leur «Burning House Of Love» au heavy country honk et c’est excellent. Doe est l’un des rois du country honk, il sort ici une mouture énorme. Quant au reste, c’est un peu comme d’habitude. Dès qu’Exene la ramène, c’est pas terrible. Quand on l’entend chanter «Because I Do», on se doute bien qu’elle doit être assez vulgaire dans la vie de tous les jours. On ne va pas rentrer dans les détails. Chaque fois qu’elle ramène sa fraise, elle gâte la marchandise, comme c’est le cas avec «Lying In The Road» ou «The Stage». Et c’est encore pire dans «True Love», car ils jouent à coups d’acou et les guitares ne cachent plus la misère.

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    Un autre Live In Los Angeles paraît en 2005. On y retrouve tous leurs vieux coucous sauf le plus important, «The Have-Nots». Bon ils nous font quand même la grâce de reprendre «The New World», avec les accords scintillants de Billy Zoom et le doublé de voix au chant. Quel beau hit ! Billy joue dans le gras du groove. Sur ce live, cette folle d’Exene ruine un sacré paquet de cuts, comme «Nausea» ou «Year 1». Dommage, car sur scène, X tourne à plein régime, c’est même très impressionnant. C’est encore elle qui chante «We’re Desperate» et «Beyond And Back», c’est insupportable, alors Doe vole à son secours, c’est sa raison d’être et celle d’X, Doe est le chevalier blanc du punk-rock angelino. Quand ils chantent à deux voix, ça peut devenir énorme, tiens comme cette version de «White Girl», soutenue à la grosse cocotte de Billy qui s’en va soudain slasher à travers la pampa. Billy multiplie encore les exactions avec «The Unheard Music», power pur et la fête se poursuit avec un mighty «Los Angeles» attaqué à deux voix. Tout ce qu’ils chantent à deux voix sonne merveilleusement bien. Encore un bon exemple avec «I’m Coming Over», bien meilleur en version live qu’en version studio. Doe continue de faire la pluie et le beau temps dans «Blue Spark». Leur tenue dans «Johnny Hit & Run Paulene» ne laisse rien à désirer et Bonebrake fait des ravages dans «Motel Room In My Bed». Ils jouent leur carte du LA punk à fond de train. Puis ils virent quasi-stoogy avec «It’s Who You Know», Billy fournit tout le fourniment. Ils finissent par jouer par dessus les toits, donnant à leur «Devil Doll» une allure de rockab incendiaire. Cette concoction Bonebrake/Billy Zoom peut se révéler explosive. Doe monte au créneau pour «The Hungry Wolf» et c’est excellent, car tendu à se rompre. Billy bat la campagne, son énergie bat tous les records. Dommage qu’elle chante «The World’s A Mess It’s In My Kiss», car c’est un beau cut, bien anxieux, bien punkish, mais chanté au trempé de sueur, insidieux au possible et Billy fait son festival, il virevolte dans les hauteurs du LA punk, c’est dingue ce que ce mec amène comme élégance dans l’exercice de sa fonction. Et voilà, la fête s’achève avec «Soul Kitchen». Ils passent les Doors à la moulinette d’X. Dommage que cette pauvre folle chante l’intégralité du cut. C’est une insulte à la mémoire de Jimbo.

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    Album du grand retour et album inespéré avec Alphabetland paru sur Fat Possum en 2020. On pourrait aller encore plus loin : si tu achètes un seul album d’X, c’est forcément celui-ci. C’est plein de son dès le morceau titre d’ouverture de bal. Trop de son ! Ils sortent tout leur power d’antan et le sur-mastérisent. Aw comme ces mecs sont bons ! On retrouve la formule gagnante Doe/Zoom/Bonebrake et quel bonheur de voir Billy le killer partir en maraude. Avec ce morceau titre, on est bien obligé de crier au loup. Ces mecs ont tellement de son qu’ils injectent des doses énormes, et l’amateur va droit au tapis. Voilà l’exemple type du cut qu’on réécoute plusieurs fois dans la foulée tellement c’est bon, bien construit, bien posé sur le beat, bien au-delà des critiques, «Alphabetland» emporte les barrages, le solo de Billy Zoom est à tomber de sa chaise, wow comme on est content de les retrouver en si bonne forme. Leur niaque de punk’s not dead est intacte comme le montre «Free». Avec Doe au drive, ça vire monster beat. C’est violent et plein d’allant définitif et bien sûr ce démon de Billy Zoom allume la mèche. Zoom kill kill ! La gourmandise punk d’X est unique au monde. Nouveau coup de génie avec «Water & Wine». Avec le temps, Exene s’est améliorée et là ça devient sérieux. Chant à deux voix, l’art sacré d’X, pur jus de punk angelino, on peut difficilement espérer meilleure résurrection, c’est de la dynamite. Ils enchaînent avec le big heavy rock de «Strange Life». Avec un mec comme Doe, il faut s’attendre à tout, surtout à ce rock chanté à deux voix et infesté de riffs. C’est encore du genius à l’état pur, terrific de power sous le vent. Ils ont leur truc et c’est profondément bon. On y croit dur comme fer, Zoom kill kill incendie à bras raccourcis et les cuts deviennent fascinants. Doe monte le LA punk comme un théâtre et on assiste au spectacle. Ils sont quasiment les seuls à savoir jouer l’angelino punk de façon aussi passionnante. Même quand ils déboulent à 100 à l’heure, on les suit sans discuter. Ils reprennent le chant à deux voix pour «Star Chambered» et ça redevient fabuleux, comme débordé par l’extérieur, overwhelmé dans l’œuf de l’X. Exene chante mieux alors Doe ramène du répondant de défenestration. On a là le power à l’état le plus pur. Nouveau coup de génie avec «Angel On The Road». Fondu de voix superbe, ils développent encore plus d’énergie qu’à leurs débuts, comme si c’était possible. Évitez de voir les photos presse récentes, car les X ont pris un méchant coup de vieux, il faut juste se contenter d’écouter cet album mirifique. Ils proposent le punk-rock de la modernité avec une justesse de ton et un fondu de voix inégalables. Ils terminent avec «Goodbye Year Goodbye» qui sonne comme une belle dégelée d’immense punk-rock angelino.

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    En 1995, Doe entame en parallèle une carrière solo avec The John Doe Thing et un premier album qui s’intitule Kissingsohard. Pour ça il s’entoure du fils Waronker et du jazzman Smokey Hormel. Force est d’avouer que c’est un excellent album et ce dès le «Falling Tears» d’ouverture de bal. Back on the heavy beat, comme dirait l’autre, ce heavy rock californien passe comme une lettre à la poste, bien léché aux guitares et hanté par des distos souterraines. Doe does it right. Avec «Safety», ils passent en mode encore plus heavy et c’est goûtu. Doe plonge dans l’histoire du rock, il arriverait presque à sonner comme les Small Faces. On s’accroche à sa chaise car voilà qu’arrive un solo déterminant. De toute façon, Doe est toujours déterminant. Il est déterminant quoi qu’il fasse. Il passe en mode heavy trash punk avec «Love Knows». Il est parfaitement à l’aise dans cette soupe angelinotte. Il a comme on dit des chevaux sous le sabot. Puis il s’en va chanter «My Godness» à la clameur viscérale. C’est à nous de suivre. Il faut faire vite, car il chante bien. Il développe une véritable énergie tellurique. Il touche toujours au but. Tous les cuts de l’album touchent au but, c’est assez désarmant. Il ressort la grosse artillerie un peu plus loin avec «TV Set», il chante à la glu de chant, à la Jimbo, il colle à son thème avec une classe indécente et s’offre le luxe d’un solo de père fouettard. Il s’offre même un deuxième luxe, celui d’une montée en puissance à la fin, il porte tout ça à la seule force du chant. S’ensuit l’encore plus fascinant «Beer Gas Rise Forever». Cette façon qu’il a de coller au chant ! Il reste en permanence dans l’instinct du chant c’est très spectaculaire car digne des Doors, il pousse une sorte de push ultime. Et tout est bon jusqu’à la fin, jusqu’à ce heavy «Liar’s Market» compressé dans le son.

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    Cinq ans plus tard, The John Doe Thing récidive avec Freedom Is. Sur cet album, Doe claque du vieux doom. On suit ce mec de toute façon, quoi qu’il fasse. Il demande à son friend de le catcher - Catch me - C’est du heavy Doe d’évidence. Avec cet album, il vise le big atmospherix. Il tape ses compos comme s’il était le roi du hit-parade et ça prend vite des tours. Il balaye les vagues de l’océan, il est d’une certaine façon le Victor Hugo du rock californien. Avec une belle barbe, il ferait illusion. Quel power ! On ne compte pas moins de cinq big cuts sur cet album, ce qui semble être la vieille moyenne d’X. À commencer par «Telephone By The Bed», une heavy pop qui sonne comme la marée du siècle. Doe sait lever des légions avec de superbes coups de guitare. Il gratte à la sauvage, il a toujours été bon dans le fast drive de chords. Il enchaîne cette merveille avec une autre merveille, «Ever After». C’est encore une fois du pur Doe, bien poussé dans les extrêmes, bien secoué du cocotier. Il passe à l’exercice délicat de la Beautiful Song avec «Ultimately Yes». Irréel car tellement mélodique. Quasi Buckley dans l’âme, angle mélodique parfait. Il faut écouter ce mec car il est bon comme le pain chaud. Il accroche toujours plus, cut after cut, on sent comme une progression. Il amène son «Smile & Wave» au vieux boogie claqué d’accords certains et il chante le mords aux dents. Somptueuse rockalama. Mais son terrain de prédilection reste le punk-rock, comme le montre «Too Many Goddam Bands». Il adore foncer dans le tas. Vas-y mon gars Doe, fonce ! C’est l’un des grands fonceurs de Californie et en plus, il chante à la petite ramasse de la rascasse. Il fait son cirque et il faudrait presque que ça se stabilise pour qu’on comprenne. Ce mec manie la puissance avec la poigne d’un forgeron du moyen-âge, il travaille l’acier de sa pop au marteau. Doe l’excellent guy s’enfonce dans «Totally Yours», il fait son business, after all, Doe est bon mais il reste Doe.

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    En 1990 il attaque une carrière solo avec Meet John Doe. Pour le meeter, on le meet, pas de problème. Il propose d’emblée du big sound et comme ce mec chante bien, ça crée de la confiance. Il envoie ses vieilles clameurs, il a du métier et même une vision, alors forcément ça coule de source. Une petite gonzesse l’accompagne sur les montées en puissance, comme dans l’X. Doe sait très bien ce qu’il fait. Il y a du Vulcain en lui, une science très ancienne de la forge. Le son de cet album nous submerge, cet enfoiré sait nous cueillir au menton et personne n’ira se plaindre. Il fait du big Doe de charme, c’est un rocker chaleureux et bienveillant auprès duquel on aime bien se pelotonner, si on est une gonzesse, bien sûr. Cut après cut, il va chercher des vieux réflexes de son, c’est très spécial, après on fait comme on veut : soit on apprécie, soit on ferme les écoutilles. Chacun cherche son chat. Il faut cependant attendre «The Real One» pour frémir. Doe propose là un retour de manivelle de belle pop atmosphérique. Il faut bien dire que ses envolées valent le détour. Il embraye aussi sec sur «Take #52», une Beautiful Song digne de Fred Neil. Doe adore exceller, il a les moyens de sa justesse. Et comme si cela ne suffisait pas, il enchaîne avec «Worldwide Brotherhood», un cut quasi-anglais tellement c’est plein d’esprit de son. Quelle dégelée royale, baby ! C’est un big heavy sludge, une pure énormité, il s’en va hurler sa hurlette là-haut sur la montagne et c’est salué par des guitares dévoyées. Bon après, c’est moins convaincu, il fait ses petits trucs dans son coin et il a raison. «Touch Me Baby» sonne comme du petit boogie MTV et on sent ici un léger manque de sincérité. Oh pas grand chose, mais quand même.

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    Doe fait des albums délicieux, comme le sont ces petits gâteaux spongieux aux pépites de chocolat. L’un des meilleurs exemples serait sans doute Dim Stars Bright Sky. Eh oui, à l’autre bout du monde, Doe crée de la magie. «Always» relève du génie pur, can’t keep my heart from burning, dit-il en groovant sa ramasse, il a une façon très spéciale de dériver, driving in circles, my hands like that clock they move one by one, il faut l’entendre chanter ça, il dérape dans l’excellence du groove, just gave up drinkin’/ Drivin’ away, il épouse le feeling de ses paroles, cette façon qu’il a de dire I always dream of you fait penser à Mercury Rev, et il revient inlassablement à cette formule magique, coming a long way from you/ But I always dream of you. Impossible de résister à ça. On croise rarement des chansons qui montent aussi massivement au cerveau. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «This Far», un balladif éclatant de pop. Doe avance à couvert et s’en va exploser sa pop avec une voix qui ne frime pas. C’est sa force, le pouvoir du lousdé du Doe, il explose son «This Far» avec cette majesté qu’il montrait déjà au temps de «The Have-Nots», c’est le génie vindicatif de Doe, il ne la ramène pas, il n’est là que pour les chansons. Sur le reste de l’album, il fait du gratté d’acou au coin du feu. Il a du texte, alors pas de problème. Certains cuts n’ont rien dans la culotte, mais c’est pas grave. Doe fait régner une ambiance spéciale. Il sait donner du temps au temps. Son «Closet Of Dreams» finit par convaincre. Et même s’il démarre son «Forever For You» sur le drumbeat des Champions de Queen, il sauve les meubles en chargeant sa mule de pop. Il sait hanter un son. Il a même un cut qui s’appelle «Magic». Il sait faire décoller un cut du sol. On croit que ça ne va pas marcher et si, il y parvient systématiquement. Il va ensuite chercher de sacrés rebondissements et on finit par tomber immanquablement sous le charme. Il tourne la pop de «Backroom» en pop lumineuse et l’album est tellement réussi qu’on le réécoute dans la foulée, histoire d’être bien certain de n’avoir pas rêvé.

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    Du coup, on se retrouve en état d’alerte quand arrive un nouveau Doe solo. Forever Hasn’t Happened Yet ne déçoit pas les attentes, bien au contraire. Dommage que les notes de pochette soient illisibles. Doe s’entoure ici d’une belle équipe de copains, à commencer par Grant Lee Phillips et Dave Alvin. Ils démarrent avec un vieux delta blues de Los Angeles, «The Losing Kind». C’est assez puissant et ça tue bien les mouches. Et pouf, violent coup de génie avec «Heartless», power atroce, on se croirait à Memphis, on a du son plein les oreilles, quelle désaille ! C’est même digne du ‘68 Comeback. Dave Alvin l’allume au bulbic. Une certaine Veronica Jane vient duetter avec Doe sur «Mona Don’t». Elle se positionne en contrepoint du big Doe qui reste en mode soft-power. C’est d’un balèze qui va loin. Il explose son rock avec une aisance indécente. «Mona Don’t» est apoplectique de son et de présence. Doe booste son rock sans forcer sa glotte. Il duette plus loin avec Neko Case sur «Hwy5». Elle lui donne la réplique comme au temps de l’X, c’est infernal, plein de jus et ça tourne à l’horreur congénitale avec du killer solo flash à la clé. Pour réussir ce coup de Jarnac, il passe en mode sludge d’overdrive. Ce mec règne sur son empire, ne vous faites pas de souci pour lui. Il groove son «Worried Brow» comme n’ont jamais su groover les Doors, il est dans l’absolu du groove, dans l’expression du génie contenu. Et pour «Your Parade», il s’adjoint des poulettes éplorées qui viendront le rejoindre dans le lit du fleuve. Il adore mêler sa bave à celle des poules, mais c’est commun à tous les hommes. Il sait aussi se montrer pur côté roots, comme le montre «There’s A Black House», il passe en confiance et s’adjoint les services de Kristin Hersh. Ce sacré Doe est rompu à tous les métiers. Il explose le rock de «Ready» sans préambule. La reine Kristin revient duetter avec le roi Doe et ça devient monstrueux de classe, ils règnent tous les deux sans parage sur le monde du rock californien.

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    Ça finit par devenir une manie chez Doe, les big albums. En voilà encore un : A Year In The Wilderness. Paru en 2007, toujours sur Yep Roc, comme Chuck Prophet. Attention à «Hotel Ghost», Doe allume la gueule de son cut au one two et pouf, ça te saute à la jugulaire, tu as là le summum du power rock angelino. Il enchaîne aussi sec sur «The Golden State». Cet enfoiré a tout le son dont on peut rêver. Il étend son empire quand il veut. La poule qui chante avec lui s’appelle Kahtleen Edwards et elle est bonne, les voilà tous les deux jetés dans le feu de Dieu, ils sont au delà de toute expectative, chant à deux voix et tu tombes de ta chaise, you are the hole in my head ! Pour calmer le jeu, Doe fait un peu d’Americana avec «A Little More Time» et soudain tout explose à nouveau avec un «Unforgiven» riffé en pleine poire. C’est la spécialité de Doe, le son d’un autre monde avec la voix d’Aimee Man dans le flux. C’est profondément génial. La voix d’Aimee Man apparaît à peine et il faut le voir poursuivre son épopée d’unforgiven. S’ensuit une autre énormité, «There’s A Hole», aussi funeste que les précédentes. Personne ne peut résister à ça. Doe bombarde son cut de stomp et il faut s’accrocher au mât. Il clame there’s a hole et c’est grandiose. Il combine deux powers, le power du son et le power du Doe. Un brin de power pop pour digérer ? Voilà «Lean Out Yr Window», mais avec du big sound. Ça reste brillant et dirigé vers l’avenir. Quel power-popper, il ne se refuse aucun luxe ! Il boucle son affaire avec un «Grain Of Salt» assez explosif. Il réussit à créer la sensation dans le gratté d’acou.

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    En 2009, Doe enregistre Country Club avec les Sadies. Franchement, il ne pourrait pas rêver de meilleur backing band. Dès «Stop The World & Let Me Off», Travis Good traverse le son au piercing country honk, c’est d’une grande beauté avec tous ces clap hands, le son est comme traversé d’éclairs de wild country, pas de meilleure concoction, ils envoient leur démesure voler over the rainbow. Alors après, ça devient beaucoup plus classique, mais bien chanté. Avec sa voix chaude, Doe inspire confiance, il ne fait pas partie de cette clique de cuistres à la mode. On entend pas mal les frères Good dans cette aventure, ils en connaissant un rayon en matière de country roll. On pourrait même se plaindre du trop de son. Doe duette avec Margaret Good dans «Before I Wake». C’est embêtant tous ces duos, on a l’impression que Doe finit par se prendre pour une superstar. On reste dans le zyva Nashville Mouloud avec «I Still Miss Someone», mais la country de Doe ne marche pas à tous les coups. On s’ennuie sur certains cuts, comme si les Sadies mettaient leur magie en veilleuse. Nouveau try out avec «Take This Chains From My Heart» et cet album dont on attendait monts et merveilles se réveille enfin. Il faut cependant attendre «Are The Good Times Really Over For Good» pour retrouver l’apanage des country men. Travis Good joue comme un diable, ce qui est en général mieux qu’un dieu. Il joue même à la folie du craze et ça explose enfin. Doe reprend ensuite le «Detroit City» de Jerry Lee - I want to go home - Oui, il ose.

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    Paru en 2011, Keeper est certainement l’album le moins sexy de Doe. Le problème c’est que Doe sonne comme un vieux copain. Il développe son petit velouté de proximité, une Americana un peu feutrée en manque de crédibilité artistique, ce n’est pas gagné d’avance. D’autant que la pochette est assez m’as-tu-vu, du style oh regarde comme je suis beau avec ma chevelure de wild punk-rocker légendaire. Ses départs de cuts en mode rock sont toujours aussi bons, il a de l’expérience, il sait faire passer des idées. Au dos du digi, on le voit contempler une colline, et à l’intérieur, il pose dans le désert, avec une Mercedes derrière lui, une erreur que ne commettrait pas Jonathan Richman. Sur cet album, Doe peine à rétablir la confiance. Il semble en panne d’inspiration. C’est compliqué. Il chante le heavy blues de «Moonbeam» de l’intérieur du menton, comme Jimbo. Voilà ce qu’il a compris de Jimbo. Il tente de reconquérir son audimat avec «Handsome Devil», mais c’est mal barré. On se croirait chez Moon Martin. Il sauve ce pauvre album avec «Jump Into My Arms». Il renoue enfin avec l’avenir, grâce à ce cut bombardé au drive de basse évanescent. Doe est un artiste qu’on écoute jusqu’au bout, mais c’est parfois à ses risques et périls, car franchement la fin d’album n’est pas jojo.

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    En 2010, Doe duette avec Exene sur Singing And Playing. Faut-il redouter le pire ? On entre dans cet album comme on entre dans la mer glacée, de la pointe des pieds. Exene rentre dans le lard d’«It Just Dawned On Me» et Doe vole aussitôt à son secours. C’est une habitude de vieux couple. Cette pauvre Exene chante tout ce qu’elle peut, et le chevalier Doe veille sur elle. Ils attaquent ensuite «Never Enough» au coin du feu. Doe essaye de mettre son Enough en valeur et il y parvient à coups de relents d’Americana et le chant à deux voix prend du volume, comme au temps d’X. Doe tient bien la dragée haute, il jerke bien son chant, il gratte sa gratte comme un vétéran de toutes les guerres. Il réussit même à imposer Exene dans «Beyond You». Elle se met à sonner comme Joan Baez. Doe doit vraiment la respecter car elle s’améliore. Et pouf, voilà que Doe se prend pour Dylan avec «See How You Are». Il va vite en besogne. Rien de plus Dylanex que ce cut. Doe a bon dos dans la version live de «See How You Are» qui suit, il gratte tous ses poux et comme Dylan, il rajoute des couplets dans le feu de l’action, alors ça devient très spectaculaire.

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    L’année suivante, Doe se lance dans un nouveau numéro de duo avec Jill Sobule sur A Day At The Pass. Il y a du monde derrière : Don Was on bass. Le problème c’est que Jill Sobule n’a pas la voix de rêve. Il semble que Doe adore les filles qui n’ont pas trop de personnalité vocale. Il est assez brillant dans son rôle de Doe protecteur. Sa présence réconforte. Le problème avec Jill Sobule c’est qu’elle se prend pour la reine du rodéo et ça devient vite agaçant, elle n’a ni l’ampleur de Lorette Velvette et encore moins celle de Loretta Lynn. Elle gueule plus qu’elle ne chante. Ouf, Doe reprend les choses en mains avec «Walking Out The Door». On se croirait à Nashville tellement les clameurs country sont belles. Et pouf ça déconne avec «Baby Doe». Elle sonne comme les reine des Exenes, c’est très MTV, Jill n’est pas Lucinda, il lui manque un truc. Doe et Sobule, ce n’est pas non plus Campbell & Lanegan. Back on punk avec «Never Enough» qu’on a entendu sur l’album précédent. Doe revient à ses sources - Crazy for a junk/ And it’s never enough - C’est inespéré, il tape dans le tas et revient aux réalités. Il claque ça à la tension angelinotte, il ramène tout le touffu de son vieux boisseau. Mais comme dans X, dès que Jill Sobule refait surface, tout s’écroule. Doe reprend le micro pour allumer une belle cover de Big Star, «I’m In Love With A Girl». Les seuls cuts jouables de cet album sont ceux de Doe. Jill Sobule ne s’en sort bien qu’avec le dernier cut «I Kissed A Girl» car elle chante à la bonne énergie et tout l’orchestre la soutient. Peut-être que sa voix est trop sucrée, trop soluble pour une Sobule. Elle ne pourra jamais s’imposer.

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    Nouvel album solo en 2016 avec The Westerner. Les photos du booklet sont d’un ridicule inespéré. On y voit Doe chevaucher dans les collines, comme un guerrier en maraude. Un mec de l’acabit d’Akaba ne devrait pas se prêter à une telle mascarade, c’est comme s’il s’éclatait au Sénégal avec sa copine de cheval. Il porte pour la circonstance un complet noir brodé de flèches blanches, alors t’as qu’à voir. Mais avec «Get On Board», Doe does it right. Il entre dans son cut à la folie Méricourt. C’est un adroit dévastateur, il joue ce riff liquide qui te coule dans l’oreille, il sait doser son Doe, quel bel enfoiré ! Le riff semble glouglouter dans le son et ça monte doucement mais sûrement, comme la marée. Il sait encore créer la sensation. Here we go ! Chaque fois on attend des miracles de Doe mais il faut bien avouer qu’ils se raréfient. Avec «Get On Board», l’autre gros coup s’appelle «Drink Of Water», un cut violent, digne du temps de l’X, classique mais typical, punk-rock de bonne instance, monté au big beat des temps révolus. Sinon, il fait des balladifs de mec qui vieillit mal et qui se croit romantique. Il cherche à créer la sensation avec de vieux serpents à sonnettes, même si comme dans «My Darling Blue Skies», il ramène des guitares spectrales et du big sound. Mais cette fois ça ne marche pas. Il essaye pourtant de pousser grand-mère dans les orties, mais cette vieille folle résiste. Il commet en outre l’erreur de faire chanter Debbie Harry dans un bordel sans intérêt. Avec «Alone In Arizona», il va chercher des trucs un peu atmospherix à la mormoille. Pauvre vieux Doe, on ne peut plus faire grand chose pour l’aider, à part lui filer 20 euros pour un disk pourri. Il faut parfois se montrer généreux, ça permet d’aller au paradis quand on crève. Il joue sa dernière carte avec «The Rising Sun», mais ça ne marche pas. Il a semble-t-il perdu l’instinct des grands coups d’éclat, dommage, d’autant plus dommage que ses collègues Mould et Prophet continuent eux de créer la sensation.

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    Doe participe à d’autres projets, comme celui des Flesh Eaters. Il y joue parfois de la basse, comme sur cet album qui date de 1981, A Minute To Pray A Second To Die. On se fie à la belle pochette, mais attention, le chanteur Chris D est encore pire qu’Exene. Une véritable catastrophe. D’autant plus incroyable qu’on retrouve dans le groupe des pointures comme Dave Alvin et Bonebrake aux maracas. «Digging My Grave» est gratté au vomi punk de San Francisco. C’est le pire des mauvais plans : un super-groupe rassemblé autour d’un mauvais chanteur. Une vraie casserole. On se demande ce qui attire Doe chez les casseroles. Quand on écoute «Satan’s Stomp», on ne comprend plus rien. Comment les Flesh Eaters ont pu atteindre une telle renommée ? Chris D mériterait la médaille de pire chanteur de tous les temps. Et tous ces pauvres mecs autour de lui essayent de bâtir un univers musical intéressant, mais dès qu’il ouvre le bec, tout s’écroule. Le pire, c’est quand il va chercher les aigus. On souffre pour de vrai. Cet album sonne comme un calvaire. Il n’existe rien de pire.

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    Par contre, I Used To Be Pretty, est une bombe atomique. Cet album des Flesh Eaters date de 2019. Bon d’accord, Chris D chante toujours aussi mal, mais derrière, les Flesh Eaters ramènent tout le barda d’un régiment, le son monte à la folie du sax et ces poussées ne sont pas sans rappeler celles de Van Der Graaf, et comme Bonebrake bat le beurre, on imagine la gueule du beat. Le chant se consume dans une ambiance d’alerte rouge. Ces Flesh Eaters ne sont pas de la gnognotte, jugez-en par vous mêmes : Bonebrake au beurre, Dave Alvin des Blasters à la gratte, Doe on bass et l’infernal Steve Berlin on sax. Et c’est lui qui infecte tout, dans la pure tradition du Fun-Houser Steve MacKay. Il fout le feu en permanence. Et Dave Alvin n’en finit plus de passer des killer solo trash. Fantastique shoot de chique que ce «My Life To Live». C’est Dave Alvin qui allume cette stoogerie. Dommage que Chris D chante comme un con. Mais encore une fois, il a derrière lui une énorme pulsation. Les Flesh Eaters tapent aussi quelques somptueuses reprises à commencer par «The Green Manalashi» de Peter Green. C’est travaillé au heavy sax de perdition, très prog dans l’esprit. Steve Berlin vole le show avec ses phrasés statiques de slave jazz on the run et bien sûr l’autre allumeur d’Alvin vient craquer sa noix. Ils tapent aussi une cover bien hot du «Cinderella» des Sonics, hey hey hey hey, Chris D chante si mal que ça finit par passer, il rivalise de raw avec Gerry Roslie et bien sûr Dave Alvin fait son Paripa. Ils atteignent une sorte de summum explosif avec la cover de «She’s Like Heroin To Me». C’est monté en neige et explosé dans la descente. Chris D fait son Jeffrey Lee Pierce comme il peut. Alvin, Doe et Berlin jouent comme les pires démons de l’univers, wow quelle giclée, avec Bonebrake qui bat tout ça comme plâtre. Berlin n’en finit plus de passer des coups de free demented. «Miss Muerte» sonne comme un hit des Sonics. Dave Alvin is on fire, alors oui, on y va, d’autant que Steve Berlin arrose tout de free incendiaire. Encore un fabuleux freak-out avec «The Yougest Profession». Avec un mec comme Dave Alvin dans les parages, il faut rester sur ses gardes. Ce mec fout le feu, au sens propre. Il reste à la croisée des Stooges, du Gun Club et des Sonics. Il explose en permanence. Alvin + Berlin = white heat. Avec «Pony Dress», ils sonnent comme Pere Ubu et revendiquent le power saxé. Dave Alvin y passe un nouveau killer solo flash et Doe multiplie les remontées de basse. Tout ce capharnaüm se termine avec «Ghost Cave Lament», un cut éminemment atmosphérique arrosé au sax de non-recevoir. C’est du vieux mathos maintenu en attente, ils font monter la sauce sur 13 minutes. Dave Alvin dessine des arabesques, Doe a bon dos et Berlin couve sous la braise. De toute évidence, il se prépare à exploser.

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    Du coup, on ressort le Live des Flesh Eaters enregistré en 1988 avec la même équipe, notamment Steve Berlin. Ils font déjà ce heavy prog rock à la Van Der Graaf. Avec son sax, Steve Berlin lève un vent de folie. C’est dingue comme Doe aime les mauvais chanteurs. Chris D est toujours aussi insupportable. Avec «Divine Horseman», ils se rapprochent de Captain Beefheart. Steve Berlin est l’instigateur de cette mélasse extraordinairement vénéneuse. Pour la reprise du «Cinderella» des Sonics qui boucle le bal d’A, Chris D compense son pas de voix en braillant. En B, on le voit s’accrocher à «My Destiny» comme un alpiniste suspendu au-dessus du vide. Il crie avec la même rage angoissée, argghhhh, pas lâcher prise, pas lâcher prise... Doe sauve les meubles en chantant «Poison Arrow». Ambiance stoogienne. En fait ils chantent à deux, on entend même le riff de «Cold Turkey», alors t’as qu’à voir.

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    En 1985, Doe monte un nouveau projet avec Dave Alvin, Bonebrake, Exene et le stand-up man Johnny Ray Bartel : the Knitters. Poor Little Critter On The Road sort sur Slash en 1985. Cet excellent album nous offre une sorte de retour aux sources. On se croirait presque chez les Blasters tellement le slap est beau, notamment en B, avec «Love Shack». Bartel monte au slap comme d’autres montent au braquo. Dommage que ce soit Exene qui chante. Ils passent en mode Wild Cats avec «The Call Of The Wreckin’ Ball», ils fouettent cocher et filent ventre à terre. Tout ce qu’on peut dire, c’est : wow ! Alors wow ! Ils font aussi de la gothic Americana avec «Baby Out Of Jail», un genre dans lequel s’illustrera Blanche un peu plus tard. Et le duo d’enfer Bonebrake/Bartel embarque «Rock Island Line» pour Cythère. Aller simple. No way back. En A on les voit encore tailler de belles croupières à l’Americana, notamment avec le morceau titre d’ouverture de bal. Exene chante presque bien. Ils optent aussi pour la soft country avec «Walkin’ Cane». Ils l’attaquent en mode doux comme un agneau et le finissent en mode heavy rockab de bonne aubaine. Bonebrake nous bat «Poor Old Heartsick Me» sec et net, histoire de nous rappeler qu’il est l’un des meilleurs batteurs américains. Les Knitters bouclent leur bal d’A avec un beau hit d’X, l’imparable «The New World».

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    Il existe un autre album des Knitters paru en 2005 : The Modern Sounds Of The Knitters. Le cake sur l’album c’est Bonebrake, car il faut l’entendre driver le beat de «Long Chain On». Fabuleuse musicalité. Stand-up + Dave Alvin, ça donne un truc peu commun dans l’exercice de l’excellence. Ils font aussi une reprise de «Burning House Of Love» en mode Americana. Doe est parfait dans le rôle, il chauffe sa cambuse et Dave Alvin arrive pour tout démolir sur fond de takatak de stand-up. Ces mecs ramènent toute l’énergie du wild rockab avec des voix doublées d’X, alors ça part comme une fusée. C’est un album de rockab et de twin attack d’X. Ils font aussi une cover du «Born To Be Wild» de Steppenwolf. C’est un hymne qu’ils mythifient en le musclant au deuxième tour, mais en mode rockab. Ils en font une version démente, pleine de variantes, une stupéfiante ré-interprétation, drivée au rockab craze, avec Dave Alvin dans le feu de l’action. Ils reviennent aussi à l’Americana avec «In This House That I Call Home». Doe le gave de big beat et c’est claqué à la stand-up. Ils restent l’Americana avec «Dry River». C’est tellement plein de son que cet album devient une aubaine pour l’oreille. On entend Exene chanter sur deux trois cuts, mais ça tient par la qualité du backing. Ils tapent «The New Call Of The Wreckin’ Ball» au rockab de LA. Doe sait gérer les descentes aux enfers, même avec Exene dans les pattes. Bonebrake is all over the beat. Ces mecs se rendent-ils de la chance qu’ils ont d’avoir un batteur comme Bonebrake ? Dave Alvin allume «I’ll Go Down Swinging» en mode rockab mais cette folle d’Exene ruine le chant. Bon, la vie n’est pas facile.

    Signé : Cazengler, John Daube

    X. Los Angeles. Slash 1980

    X. Wild Gift. Slash 1981

    X. Under The Big Black Sun. Elektra 1982

    X. More Fun In The New World. Elektra 1983

    X. Ain’t Love Grand. Elektra 1985

    X. See How We Are. Elektra 1987

    X. Live At The Whisky A Go-Go On The Fabulous Sunset Strip. Elektra 1988

    X. Hey Zeus. Big Life 1993

    X. Unclogged. Infidelity Records 1995

    The John Doe Thing. Kissingsohard. Forward 1995

    The John Doe Thing. Freedom Is. Twah! 2000

    X. Live In Los Angeles. Shout Factory 2005

    X. Alphabetland. Fat Possum Records 2020

    John Doe. Meet John Doe. DGC 1990

    John Doe. Dim Stars Bright Sky. Shock Music 2002

    John Doe. Forever Hasn’t Happened Yet. Yep Roc Records 2005

    John Doe. A Year In The Wilderness. Yep Roc Records 2007

    John Doe & The Sadies. Country Club. Yep Roc Records 2009

    John Doe. Keeper. Yep Roc Records 2011

    John Doe & Jill Sobule. A Day At The Pass. Pinko Records 2011

    John Doe & Exene Cervenka. Singing And Playing. Moonlight Graham Records 2010

    John Doe. The Westerner. Cool Rock Records 2016

    Flesh Eaters. A Minute To Pray A Second To Die. Ruby Records 1981

    Flesh Eaters. Live. Homestead Records 1988

    Flesh Eaters. I Used To Be Pretty. Yep Roc Records 2019

    Knitters. Poor Little Critter On The Road. Slash 1985

    Knitters. The Modern Sounds Of The Knitters. Zoe Records 2005

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    Sylvie Simmons : Way out West. Mojo # 322 - September 2020

     

     

    Talking ‘Bout My Generation

    - Part Five

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    Les numéros de Rockabilly Generation se suivent et se ressemblent, tous aussi vivaces les uns que les autres, à l’image d’un genre musical encore très vert qu’on aurait tort de vouloir enterrer. Bientôt 70 ans d’âge, mais bon, le rockab, comme d’ailleurs le gospel, est à la racine de tout et un peu partout dans le monde, des groupes en perpétuent la tradition avec un art qu’il faut bien qualifier de consommé. Pas de meilleur avocat du diable que Rockabilly Generation qui depuis 2017 réussit à maintenir un équilibre éditorial entre les hommages aux vieux de la vieille et les portraits de nouveaux venus : non seulement on révise nos classiques, mais on fait en plus des découvertes.

    Dans le N°19 qui vient de paraître, deux articles remettent en route la machine à remonter le temps. En voiture Simone ! Quatre pages sur un Béthune Rétro sauvé des eaux, comme Boudu. Occasion manquée. Trop compliqué de toute façon. En feuilletant ces quatre pages, des tonnes de souvenirs sont remontés d’un coup à la surface, comme si un bouchon quelque part avait lâché. Toutes ces années, tous ces groupes, c’était un peu réglé comme du papier à musique mais diable comme on adorait garer la bagnole à Mazingarbe, à quelques kilomètres de Béthune. On y louait des chambres chez une dame charmante qui avait un poisson lune dans sa vitrine. Et de là on filait droit sur le beffroi, on regarait la bagnole derrière la Poste et on partait ensuite à l’aventure en bavant comme des limaces, car chaque année c’était la foire à la saucisse, avec des tas de groupes connus et d’autres parfaitement inconnus, c’était le temps de la foison, on ne savait plus où donner de la tête, on retrouvait les disquaires qu’on voyait chaque année, toujours les mêmes, on naviguait d’une scène à l’autre pour voir jouer les groupes, parfois ça tenait, parfois ça ne tenait pas, mais il y a eu pas mal de grosses révélations, comme par exemple les Anglais de Sure Can Rock, les Playboys de Rob Glazebrook, encore des Anglais, ou encore les Desperados de Californie qui étaient sur Wild, les Portugais Roy Dee & The Spitfires, et combien d’autres, des tas d’autres, et puis tiens les Wise Guyz, surtout les Wise Guyz, Jake Calypso et Don Cavalli, mais c’est vrai que l’affiche du Béthune Rétro miraculé de cette année fait rêver puisqu’on y retrouve la crème de la crème, Jake Calypso, Barny & The Rhythm All Stars et les Spunyboys. Et puis dans le chapô on nous annonce l’annive des 20 ans du Béthune Rétro l’an prochain. Il va falloir en glisser un mot à l’oreille du fantôme de Laurent, savoir si ça l’intéresse d’aller recasser une graine chez les Deux Frères.

    Alors on feuillette, Billy Fury, oui mais bon, et crac sur qui qu’on tombe ? Jerry Dixie. Ah le monde est petit ! Rencontré l’une de ses frangines, à l’époque où elle bossait à la Défense, disons dans les années 2000, et la relation a eu la peau dure, puisqu’elle existe encore bien qu’étant devenue sporadique, pour cause de délocalisation. Elle fut en quelque sorte une fiancée, mais son caractère explosif rendait toute idée de vie commune impossible, alors on ne se voyait que pour passer du bon temps. L’un des premiers cadeaux qu’elle fit fut un single d’un certain Jerry Dixie.

    — Jerry Dixie ? Tu connais pas ?

    — Ben non...

    — C’est mon frère. Il est à Sartrouville, à dix minutes d’ici.

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    Sur la pochette, Jerry gratte sa gratte. Il a le même sourire que sa frangine. Comme elle n’a pas de tourne-disque, il faut attendre le lendemain pour l’écouter. Ça s’appelle «Rockin’ At The ‘93’». Grosse surprise à la première écoute, car on s’attend à une espèce de country mou du genou de Sartrou, mais pas du tout ! C’est un sérieux blend de rockab, Jerry est dedans vite fait, bien fait, au beat d’Hey rock qui ne traîne pas en chemin. On se serait cru au Texas ! On se revit quelques jours plus tard.

    — Tu en as d’autres, des disques de ton frangin ?

    — Oui, tiens, j’ai ça...

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    Le CD s’appelle Dixie Rockabilly & Country. Pareil, sur la pochette Jerry gratte sa gratte. Il attaque avec «Hey Mr Songwriter», il est assez possédé, il a le hiccup facile. Une merveille ! Et ça continue avec «A Lit’ Bit Of Your Time», superbe tenue de route, c’est une révélation. Diable, comme ce mec est bon ! Il sait jerker le bop. Le guitariste s’appelle Patrick Verbeke, mais ça on va le découvrir un peu plus tard en menant l’enquête. On découvre aussi que ce CD Rollin’ Rock Switzerland est une compile de ses deux albums, Jerry Dixie Originals et By Fan’s Request. Tout au long de l’écoute, on s’effare de la qualité du son et du chant. Dans «Don’t Let The Bad Times Get You Down», ça banjotte comme dans le Kentucky. Jerry Dixie chante avec autorité, avec de vrais accents de Texas cat, son «Turn Away From Me» est une merveille imparable, il chante ça d’une voix profonde et si américaine. Et voilà qu’il tape «A Wall Of Coldness» au yodel. Il est d’une crédibilité à toute épreuve, on sent bien le fan qui a épongé toutes ses idoles. Pour un coin comme Sartrou, c’est carrément du super-stardom. Il est dans l’esprit, en plein dedans, il sonne comme Hank Williams ou Webb Pierce, c’est terrific de qualité. Il prend «How Long Will It Take» au louvoiement, il passe sous le boisseau du groove, il devient le real deal, the Sartrou working class hero, il est dans le feu de sa passion pour cette culture. On retrouve le fameux «Rockin’ At the ‘93’» suivi d’un «Big Sky Big Country» joué à la lumière du big sky. Il se tire une balle dans le pied avec «Back To Montana», car il pompe «Blue Suede Shoes» et redresse la barre aussitôt après avec l’excellent «On This Boxcar» - Travellin’ West - Jerry a du pot, il est toujours bien accompagné, tout est solide sur cet album, baby don’t you let me down, il a le son et il emmène son «Country Yodel Blues» au paradis, c’est bardé, absolument bardé de barda, il fait ce qu’il veut de sa voix. Et quand il reprend le «Jamabalya» d’Hanky, il est dessus, forcément.

    Elle ajoute :

    — Il a tout.

    — Tout quoi ?

    — Tous les disques de rock.

    Ah bon ? Effectivement quand on demande des copies de disques ou de films à Jerry, il a quasiment tout, surtout les films rares comme Rock Baby Rock It de Murray Douglas Sporup où on voit Roscoe Gordon, Johnny Carroll et d’autres fantastiques performers tombés dans l’oubli, les trois volumes des Collins Kids at Townhall, Carnival Rock de Roger Corman où on voit Bob Luman accompagné de James Burton, Teenage Millionaire de Lawrence Doheny où l’on voit Jackie Wilson, Chubby Checker, Dion et le Bill Black Combo, et le plus précieux cadeau de tous, un DVD sur lequel Jerry a compilé tous les scopitones de Vince Taylor. Jerry a frôlé la mort avec un cancer et c’est miraculeux de le voir en si bonne forme. Ce mec est un pur et dur, de ceux qu’on appelait autrefois les rockers de banlieue, working class jusqu’au bout des ongles. Il a tout simplement consacré sa vie à la musique qu’il aime, sans jamais se fourvoyer. Zéro frime. Fantastique constance de la prestance. Alors chapeau. Et merci à Rockabilly Generation de lui dérouler le tapis rouge. C’est à travers ce type de rencontre que ce canard forge sa réputation.

    L’autre bonne nouvelle, c’est la page 42 : trois visuels qui annoncent la reprise des festivals rockab à travers la France. Retour à la terre ferme.

    Et dans le N°18 paru avant la trêve estivale, on trouvait à la suite d’un hommage au grand Ray Campi le portrait d’un jeune amateur de Bluegrass, Benjamin Leheu. Inconnu au bataillon bien qu’il fut un temps basé en Normandie. Depuis, il s’est marié et s’est installé en Norvège. L’interview est passionnante, il évoque sa rencontre avec Hot Slap et il dit aussi avoir flashé sur l’excellent Pokey LaFarge qu’on a vu à plusieurs reprises sur scène à Rouen. C’est vrai qu’avec son look on pense à Pokey mais aussi à l’australien C. W. Stoneking, un autre géant du rootsy club. Tout ça pour dire que l’ami Benjamin a bon goût. Il cite aussi Hank Williams, bien sûr.

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    Très passionnant aussi le portrait d’Olivier Clément, on se dit tiens connais pas, on lit, on lit, et pouf on arrive à la fin sur la discographie. Quatre pochettes dont une connue au bataillon. Mais il est ici cet album ! On ressort de l’étagère le Dixie Stompers paru sur AWA en 1990 et qui, parce qu’il est bon, a échappé aux purges. On y trouve de jolies choses. Leur «Rock & Bop Blues» d’ouverture du bal de B est un pur chef-d’œuvre rockab. Vraiment digne de Charlie Feathers, monté sur une walking bass et hoquets à gogo. Aussi beau dans l’esprit, voilà «Loving Girl», vraiment joué dans les règles du lard fumé. Encore du wild rockab avec «Two Tones Shoes», embarqué au driving stomp. Ils terminent cette B exemplaire avec «Blue Jean Girl», classique mais solide. C’est un album très canadien dans l’âme. Les Stompers savent se fondre dans le rockab bien tempéré. Bravo, Olivier Clément ! On est donc bien content d’avoir lu son histoire.

    Signé : Cazengler, dégénéré

    Rockabilly Generation. N°18 - Juillet Août Septembre 2021

    Rockabilly Generation. N°19 - Octobre Novembre Décembre 2021

    Jerry Dixie. Dixie Rockabilly & Country. Rollin’ Rock Switzerland

    Dixie Stompers. #1. Awa 1990

     

    Inside the goldmine - Qui dort Dean

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    Le chasseur de loups sortit pour aller chercher de l’eau à la rivière. Soudain des coups de feu éclatèrent. Nate et son frère Nick se jetèrent au sol. Les balles pleuvaient. Ils devaient être des centaines dehors à canarder. Nate renversa la grande table pour se mettre à l’abri. Impossible de lever la tête pour jeter un coup d’œil, les balles sifflaient en permanence. Ces balles de gros calibre arrachaient chaque fois des éclats de bois. Il y eut une accalmie et Nate se rapprocha de la fenêtre. Il vit le corps du chasseur de loups criblé de balles à bison. Il était réduit en charpie. Là-bas, près de la rivière, des hommes sortirent du couvert en poussant un chariot chargé de foin. Ah ces chiens veulent nous enfumer ! Nate vida ses deux colts sur le chariot et réussit à abattre les deux hommes qui le poussaient. Le tir de barrage reprit aussitôt. Les balles sifflaient à nouveau dans la pièce. Nate se tourna vers son frère. Nick avait pris une balle dans le cou. Il était foutu. Nate tenta de jeter un coup d’œil par la fenêtre et vit qu’on poussait à nouveau le chariot en feu. Il vida ses colts mais le chariot avançait toujours. Il n’eut pas le temps de recharger ses barillets, le chariot heurta la cabane qui prit feu. Alors Nate écrivit rapidement une lettre d’adieu qu’il plia et glissa dans la poche de son gilet. L’intérieur de la cabane prit feu. Ça devint irrespirable. Nate s’empara d’un tabouret en bois et sortit en tirant, comme il avait vu faire Butch Cassidy et Sundance Kid dans un film, au cinéma municipal. Il s’écroula criblé de balles. Les mercenaires vinrent s’assurer que Nate et Nick étaient bien morts puis ils décampèrent. Jim Osterberg et Ella Fitzgerald arrivèrent un peu plus tard sur les lieux du drame. La cabane n’était plus qu’un tas de cendres. Ils virent Nate étendu au sol, les bras en croix. Malgré les centaines d’impacts de balles, il restait le plus bel homme d’Amérique. Jim vit quelque chose dépasser de sa poche. Il s’agenouilla. Oh on dirait une lettre ! Alors qu’Ella s’était mise à chanter un gospel, Jim déplia la lettre pour la lire à haute voix : «Il semble que je n’aie pas beaucoup de chances de m’en tirer. La maison est en feu. J’espère que vous penserez à écouter Dean Carter. Adieu Ella et Jim si jamais je ne vous revois pas. Nathan D. Champion.» Jim serra les dents tandis qu’Ella levait lentement les bras au ciel. Le chagrin leur broyait le cœur.

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    Bon c’est vrai, cette histoire est épouvantable, mais le message de Nate Champion est clair : il faut écouter Dean Carter. Pour ça, rien de plus facile : il existe une compile Big Beat parue en 2002, Call Of The Wild. Comme l’affirme Alec Palao dans le booklet, Carter was a wildman coughing up some of the most insane platters known to men. Dean Carter propose en effet l’un des plus affolants mélange de rockabilly sauvage et de stomping garage beat. Basé à Champaign, Illinois, Dean Carter aurait pu s’appeler Dean Frantic, ou encore Dean Relentless-Rocking-Drive. Il monte dans les early sixties les Lucky Ones avec Arlie Miller, Dave Marten (bass) et Kookie Cook au beurre. Pour conserver leur indépendance, Arlie Miller et Dean Carter montent un studio d’enregistrement - the Midnite Sound - et un label, Milky Way. C’est là qu’Arlie Miller devient une sorte de sorcier du son, un équivalent américain de Joe Meek. Il va produire durant les mid-sixties an incredible batch of pumped up, crazed recordings. Dean Carter qui tient à ne rien faire comme les autres gratte un dobro douze cordes. Sur la version complètement barrée de «Jailhouse Rock» d’ouverture de bal, Dean Carter est accompagné - en plus du basic backing - d’un accordéon, d’un ukulélé et d’une clarinette. Il enregistre «Mary Sue» avec Jerry Merritt, le guitariste de Gene Vincent. Carter pousse Mary Sue dans le push du pire extrême, dans un rockab-gaga complètement allumé digne de «Bird Doggin’», c’est violent, tendu au bassmatic, Carter chante le dos au mur, à la Little Richard, le feu au ventre et Merritt claque des notes de Mosrite ! Puis Carter démonte carrément la gueule du rock avec «I Got A Girl», on entend jouir un mec sous le riff carnivore, ouyyhhhh, jamais les Cramps n’ont approché ce niveau de sex craze, ha ha ha, la wah lance le solo pendant que l’autre continue de se branler, han han han, c’est extrême et, désolé les gras, insurpassable. «I Got A Girl» est le hit le plus ultime en matière de branlette gaga-punk, han han han car c’est du pur sex, un vrai coup de pieu dans le cul du cut. Puis Carter t’aplatit la «Rebel Woman». Il est le pire de tous, loin devant Lux et Vince Taylor, can’t you see. Il passe au tribal fracassé pour le morceau titre, pas de quartier. Dean Carter et Arlie Miller proposent une sorte de rock révolutionnaire, ils ne prennent rien au sérieux, on entend des guitares déglinguées dans «Sizzlin’ Hot», ils massacrent tout à la tronçonneuse, ils dévorent tout au no way out, ils pratiquent le so far out mieux que personne («Love’s A Workin’»), on entend partout des guitares excédées, des guitares à bout de nerfs. Et les racines rockab sont toujours là («Don’t Try To Change Me»). Oui, c’est là, in the face, I’m like a rolling stone, suivi d’un départ en solo de désaille. Carter propose aussi la version la plus punked-out de «Fever». Retour en grande pompe au wild rockab avec «I’m Leavin’». C’est inespéré, plein d’esprit du spirit. Ce mec est fou, il fait du James Brown dans «Dr Feelgood», il gueule dans son micro et derrière les folles font les folles, hey you ! Ça stompe dans le jus de juke, Dean Carter t’envoie une fois de plus au tapis. Tous ses cuts tapent dans le mille. Avec «You Tear Me Up», il plonge dans le deep groove et c’est à pleurer tellement ça écrase Elvis. Tout le génie de Dean Carter tient dans sa fantaisie, ou plutôt dans sa liberté de ton. Il monte tous ses cuts en neige sur un Milky Way dada. «Run Rabbit Run» est un mélange dément de rockab et de filles qui font yeah yeah ! Avec «Black Boots», il danse le jerk dans le club, il se prête au Grand Jeu du brouet gaga. C’est noyé d’espoir. Et quand il sort son dobro («Dobro Pickin’ Man»), c’est pour faire du Tony Joe White punk. Incroyable mais vrai ! Oh la violence du son ! Comme s’il réinventait le raw to the bone. Il fait du big Elvis groove avec «The Lucky One» et reste dans une sorte d’excellence lunaire. Et quand il rend hommage à Gene Vincent, ça donne «Boppin’ The Bug». C’est en plein dedans. Vibrant et stupéfiant de véracité. Retour au wild rockab avec «Forty Days». Pur wild cat sound ! Il termine avec un «Sock To Me Baby» à la Mitch Ryder, mais ça va loin cette histoire, parce qu’il sonne exactement comme Mitch Ryder.

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    Il existe un moyen de creuser l’histoire du Milky Way : une autre compile Big Beat : The Midnite Sound Of The Milky Way. On y retrouve notamment les mecs de Lucky Ones qui accompagnent Dean Carter, Kookie Cook et Dave Marten. Grosso modo, l’ambiance sur cette compile est aussi excitante que sur celle de Dean Carter. Cookie Kook vole le show avec «Don’t Lie» - Don’t lie to me babe - Il y va, bien insidieux, oh no no. Comme chez Dean Carter, on a un son très travaillé et une incroyable énergie. «Revenge» est le hit de l’asile de fous. Et avec «Misery», Cookie Cook fait du wild garage complètement sci-fi d’exaction, c’est gratté à la ramasse gaga du Milky Way et défenestré à coups de wouah. Cookie Cook est le plus enragé de tous. C’est un démon, avec «I Feel Alright», il tente d’égaler Dean Carter, mais Cookie n’est pas Dean. On a bien sûr un vieux départ en solo wild gaga. Il revient vers la fin avec «Ooby Dooby», un shoot de rockab pur. Une merveille, au niveau de la qualité du son. Ça boppe ! Clean as hell. Ils ramènent la crème du bop mythique, yeah yeah, font les filles. Leur version monte au firmament. Dernier coup de Jarnac de Kookie : «Space Monster», il y fait le boogaloo et pour ça, il est au bon endroit. Autre bombe : «Rebel Woman» par The 12th Knight, ça joue à la heavy fuzz, on plonge avec ça dans l’enfer de la fuzz du midwest, la pire fuzz de l’univers. Autre merveille inexorable : «Low Class Man» par The Four A While. Ils rampent juste derrière. C’est d’une modernité stupéfiante. George Jacks refait une version mouvementée de «Rebel Woman» et plus loin, il casse la baraque avec «Look». Et voilà le fameux sub-teen gaga band, the Cobras, avec «Try». Teenage délinquance et vrai son, poppy mais Midwest. Dave Marten s’en sort bien avec «You Gotta Love Me», il a envie d’elle, c’est un obsédé. Saluons aussi The Grapes Of Wrath qui avec «I’m Gonna Make You Mine» élèvent la pop du Midwest au rang d’art majeur, avec à la clé, un joli killer solo flash.

    Signé : Cazengler, Dean Carton (pâte)

    Dean Carter. Call Of The Wild. Big Beat Records 2002

    The Midnite Sound Of The Milky Way. Big Beat Records 2004

     

    L'avenir du rock -

    Dave ne Wyndorf que d'un œil - Part Three

     

    — C’est vrai ce qu’on dit, avenir du rock, que vous faites trois pas en arrière pour prendre de l’élan ?

    — Qu’y a-t-il de mal à ça ? Je ne vois pas où est le problème...

    — On vous imagine plus faire trois pas en avant que trois pas en arrière.

    — L’un n’empêche pas l’autre. Pourquoi voulez-vous que ça soit mieux dans un sens que dans l’autre ?

    — C’est la portée symbolique, voyez-vous. C’est un peu comme si vous reculiez pour mieux sauter...

    — Mais voyons, ça n’a pas de sens. L’élan n’a rien à voir là-dedans. L’élan est assez grand pour se débrouiller tout seul. L’élan se prend ou ne se prend pas ! C’est un peu ce que disait André Malraux, non ?

    — Oui, c’est vrai, mais quand même, vous devriez soigner un peu plus votre image... Pourquoi voulez-vous prendre de l’élan ?

    — Le problème n’est pas de prendre ou de ne pas prendre de l’élan, c’est l’élan qui décide, je viens de vous l’expliquer ! Je parle dans quelle langue ?

    — Vous vous débrouillez toujours pour arranger les choses à votre sauce. Ce n’est pas très fair-play de votre part.

    — Oh écoutez, vous êtes bien gentil, mais si vous étiez à ma place, vous feriez exactement la même chose.

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    L’avenir du rock ne voit pas que derrière ces questions se planque un reproche. Un groupe vieux de trente ans comme Monster Magnet a-t-il toujours droit de cité ? Alors on va répondre ce que répondrait l’avenir du rock : un groupe comme Monster Magnet a tous les droits, de la même façon que d’autres groupes n’en ont aucun.

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    Le faux double album trois faces paru cette année, A Better Dystopia, est un faux double album de reprises. Dave Wyndorf décide d’y repousser les frontières du Hell-gaga sci-fi. Il entre comme un shoot d’héro dans les artères du mythe viscéral avec un «Born To Go» d’Hawkwind complètement dévasté, complètement ravagé de l’intérieur, martelé dans les grandes largeurs, les Monsters monstérisent à outrance et voilà qu’un riff de basse inédit traverse ce flow déconcertant. D’ailleurs, Dave Wyndorf le dit à Duncan Fletcher : «I am totally in love with late ‘60s, early ‘70s paranoid songs.» Il propose la soupe aux choux de temps modernes - rrrrrrrrrru... rrrrruuuuu ! - une soupe à base d’acid-fried gaga, de heavy-psych, de proto-punk et de paranoid rock. On vient de l’espace pour goûter la soupe du Glaume Wyndorf, l’un de ceux que Fletcher qualifie à juste titre de true survivors, fervent croyant, nous dit Fletcher. Wyndorf croit au rôle de la popular music - a positive, redemptive, spiritually-guiding force - Une croisade qu’il mène depuis trente ans maintenant et qu’il mènera jusqu’au bout, donc ne te fais de souci pour la santé du rock, Wyndorf que d’un œil. Fletcher Honorama indique aussi d’où Wyndorf tire son inspiration : «From comic books, freak culture, bong culture, hot-rod culture, chou culture, pulp fiction, B-movies and writers such as William Burroughs and Hunter S. Thompson.»

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    Il va donc bourrer cet album de screams, comme le veut la tradition du mirifique paranoid psychosis. On réalise une fois de plus que Monster Magnet est le dernier grand Power gang américain. Eux seuls sont capables de relever le défi du «Solid Gold Hell» des Scientists. C’est un peu comme s’ils plongeaient dans leur élément. Wyndorf chante sur la réserve, juste derrière le voile de riff, et ça n’en est que plus toxique. Il cultive la tension, dans l’esprit du cut. Il lui donne une allure princière, au sens barbare de la chose, comme s’il chantait du haut d’un trône. «Solid Gold Hell» est probablement le cut le plus dérapé de l’histoire du rock. La voix de Wyndorf résonne dans des couloirs d’albâtre. Il déclame sous des voûtes, c’est désespérant d’ancienneté. On attend en vain le break de basse historique, mais les Monsters font autre chose. Le «Be Forwarded» qui suit nous vient d’un groupe nommé Macabre et le «Death» qu’on trouve en B est celui des Pretties. Avec «Mr Destroyer», ils renouent avec les clameurs de Sabbath, ces grands explorateurs du néant. Wyndorf chante vraiment comme le magicien d’Ozz du premier Sab et s’en vient flatter les plus bas instincts. Il précise au passage que c’est une reprise d’un groupe nommé Poobah. Bah dis donc ! Avec «When The Wolf Sits», on le retrouve perché au sommet du beat comme un loup de granit. Il chante à la clameur vespérale et redore le blason fracassé du power rock. Monster Magnet n’en finit plus d’abattre du terrain. On l’entend aussi chanter comme Edgar Broughton dans «Situation», ce sont exactement les échos de voix qu’on entend dans «Love In The Rain», alors t’as qu’à voir ! Le scream arrive au trot en C avec «It’s Trash». Wyndorf y hurle comme il n’a jamais hurlé et la guitare grelotte de notes de fulgure. La surprise vient de «Motorcycle (Straight To Hell)», une reprise de Table Scraps. Eh oui, nous y voilà. L’avenir du rock dans l’avenir du rock, comme autant de poupées russes. Hormis Birmingham band, Wyndorf ne dit rien de particulier de Table Scraps. Avec ce shoot de Motorcycle, Monster Magnet vise comme jamais il ne l’a fait le nec plus ultra de la brutalité bien ordonnée.

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    Pourquoi taper dans ce vieux son, demande Fletcher Honorama. Wyndorf répond que the ‘60s was an honest-to-God musical renaissance. Il ajoute que ce genre de phénomène ne se produit pas tous les jours. Fletcher Honorama ne comprend pas très bien, alors Wyndorf éclaire sa lanterne. Il explique que les mecs de l’honest-to-God musical renaissance ont inventé un art conceptuel qui n’existait pas avant, le rock’n’roll, un truc auquel personne n’avait pensé - We will be a band of brothers, a band of thugs, basically reinventing themselves to be characters or caricatures.

    Signé : Cazengler, Dave Wynmorve

    Monster Magnet. A Better Dystopia. Napalm Records 2021

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    Duncan Fletcher : The long trip home. Shindig! # 116 - June 2021

     

    BARON CRÂNE

    LES BEAUX JOURS

    ( Octobre 2021 / Bandcamp )

    Guitar : Léo Pinon-Chaby / Drums : Léo Goizet / Bass : Olivier Pain.

    Artwork : Nora Simon

    Baron Crâne, vu en concert à la Comedia de Montreuil, le Baron avait subjugué l'assistance, performance méritoire parce qu'à la Comedia le public il aime beaucoup le punk et le rock'n'roll destroy, et ils nous avaient servi une soupe au goût indéfinissable qui très vite se révéla être une ambroisie, un truc tantôt doux comme la tunique de soie de l'empereur de Chine et tantôt dur comme le fer de Lagardère qu'il vous aurait enfoncé dans l'œsophage. Un délice de rocker. Tout cela est raconté dans notre chronique 429 du 12 /09 / 2019. Bref ce quinze octobre 2021 ils sortent un album.

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    Ne fixez pas vos yeux sur la couve. Ce n'est pas qu'elle est moche, laide ou ratée, c'est qu'elle risque de vous saper le moral pour la semaine. Non elle est belle, elle rappelle ces intérieurs luxueux que peignaient Jacob Ochtervelt au dix-septième siècle, la scène respire la sérénité, une maman qui offre une tulipe à sa fille, attendrissant, si vous aimez les bêtes en voici deux, un chat et un chien qui s'amusent, serait-ce pas une allégorie pour signifier que la paix règne parmi les hommes. Arrêtez-vous là. Négligez de jeter un coup d'œil par les deux portes grand-ouvertes, vous seriez glacés d'effroi. L'on imagine un paysage campagnard, des vaches qui paissent paisiblement dans un halo de douce quiétude, c'est l'horreur absolue, ni une catastrophe, ni un cimetière, ni la guerre, tout bonnement le kaos ! Un paysage sens dessus dessous, les blocs monstrueux du monde entassés, fracassés, les uns sur les autres. Vous ne voulez pas le croire, et pour ne plus subir cette agression mentale, vous retournez, l'objet. Erreur fatale, ce que vous entrevoyiez, chers Caspard Friedrich en herbe, vous saute maintenant au visage, le gigantesque tohu-bohu deboule sur à vous plein-cadre, rien ne vous échappe, la terrible réalité de votre futur est là. Symbolisé par la petite fille qui s'est approchée de ce monstrueux empilement de glace, de rocs et d'écume ( suprême une entre les épaves abolit le mât dévêtu ) elle tient toujours sa rose à la main, ne priez pas pour elle, méditez. Le Baron nous signifie-t-il que la vie présente des hauts et des bas ( version optimiste ) qu'en ces temps pandémiques rien n'est assuré ( version réaliste ), que l'Humanité court à sa catastrophe ( version écologiste ), que nous sommes tous mortels ( version nihiliste ), que la sérénité de la beauté n'éclipse pas le grandiose fracas de son apparition ( version, celle que nous préférons, hölderlinienne ).

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    Danjouer : murmures des profondeurs venus des fonds de la mer, menaces des abysses qui enflent et pointent vers la surface, rupture battériale, trop classiquement rythmique pour être honnête, une vague qui caresse vos mollets pour mieux vous entraîner en avant sur les crêtes stridentes des guitares, jusqu'à la rupture incitatrice, break infini d'insistance de Simon Lemmonnier devenu moteur de cette force déferlante qui emporte tout et décroît lentement. La bête s'éloigne en sa tanière, avez-vous rêvé l'illusion des monstres qui grouillent dans la tourbe votre cerveau reptilien.( Simon Lemmonier : additionnal drums ) Larry' s journey : il existe une curieuse vidéo disponible sur YT réalisée par François-Xavier Dubois, une mise en images, une proposition de signifiance symbolique de ce morceau que je vous conseillerai d'écouter d'abord sans support visuel, les rockers purs et durs risquent d'être déçus, l'a un peu la facture jazz d'un opus de Thelonius Monk mais revisité en instrumentation rock, grossi et allongé au macrocospe, et quelque peu joué en accéléré, peut-être pour que les béotiens accoutumés aux riffs du rock basique se rendent compte qu'il existe aussi une subtilité titubante dans la musique. Qu'elle oscille toujours entre son et silence, entre séquence lente de la basse et séquence rapide de guitare, le tout martelé sur les tambours. Une plume d'ange qui vole sur le trou noir de l'Homme et ces mues successives, amoureux, sportif, jeune cadre dynamique soumis à la fureur innocente du sexe et à cette violence contenue qui n'attend que la moindre occasion pour se manifester, une vidéo quelque peu rilkéenne mais filmée à hauteur de nos instincts. Quarantine : le plus bel instrument n'est-il pas la voix humaine, ici elle colle à l'instrumentation comme si elle voulait la supplanter, ne lui laisse que quelques secondes pour poser les transitions successives, puis elle se métamorphose, combat du python et de l'anaconda, le réticulé enserré dans les anneaux géant de l'eunecte se tait, le vainqueur desserre ses anneaux, moment d'apaisement, le chant renaît en berceuse qui devient cri et rage lorsque la musique reprend sa puissance, l'on ne sait qui remportera la lutte, l'on dit qu'elle continue encore, qu'elle est sans fin. ( Cyril Bodin : vocal ); Mercury : raquellement de saxophone, une plainte sidérale, changement de climat, Quarantine était violent-prog, retour au jazz-infusion, montée en paliers, les instrus de base du rock s'entrelacent, tantôt ils marchent sur la pointe des pieds, tantôt la batterie bouscule le fragile équilibre, tout vacille, et l'on se trouve sur le long chemin de l'exploration expositive de la mélodie que Baron Crâne déroule selon un déploiement quasi-symphonique, et l'on retombe dans un solo sexyphone du bon vieux temps dans les terrains contigus du be-bop et de la new-thing, sur ce la batterie se radine avec ses gros sabots, très vite la guitare jalouse s'en vient zébrer de clinquances assourdissantes les roulades percussives, c'est l'alliance inespérée de la montée en les lointains de la puissance, si haut dans le ciel vide que ne nous parviennent que les ultimes traces sanglotantes du saxophone qui s'éteint. ( Guillaume Perret : saxophone ). Inner chams : attention, complexion complexifiante, le tutti entrelardé, séquence suivante la même chose mais en descendant d'un étage, en douceur pour les oreilles du chat qui n'y reconnaît plus ses petits, maintenant le Baron n'y va plus de main morte, vous balance des riffs épais comme des tranches de saucisson pour sandwich graisseux et plantureux, profitez de l'aubaine car ça ne dure pas longtemps, le méli-mélo jazzistique revient au premier plan, tous ensemble mais si serrés que l'on ne sait plus qui est qui, et l'on repart plein gaz avec cette guitare qui fuit et entraîne tout à sa suite, galopade de batterie et piqué de basse, le bolide se déplace à grande vitesse, jusqu'à la brisure brutale, avec ces tambours qui essaient encore une fois de se lancer dans un solo mais la guitare assourdissante leur coupe l'herbe sous les pieds, ils en sont réduits à se transformer en rythmique folle, tandis que la basse halète tel un chien lancé à la poursuite de la voiture de son maître, une fusée interplanétaire fonce dans le vide, attention au brusque atterrissage, l'on pensait débarquer sur un nouvelle étoile, l'on se retrouve à patauger dans notre pauvre cabosse. Merinos : une batterie en sourdine sur un rythme qui n'est pas sans évoquer le tempo impassible du boléro de Ravel, tout de suite survient la flûte avec ce son comme gêné aux entournures, comme si le souffle transportait trop de scories humaines, et la grosse artillerie écrase tout, quelques coups de marteau-pilon de la batterie pour clore la séquence, hoquètements cordiques et l'on se retrouve en apesanteur jazzistique du plus bel effet, l'on commence à comprendre la structure du morceau lorsque tonnent les canons stéréotypées des effets de manche du hard rock, qui se fragmente pour nous emmener dans un jazz-funk qui se fragmente afin de s'installer sur le devant de la scène, succès signalé par les gutturalités d'une basse annonçant le moment de décompression attendu, et l'on repart en guerre jusqu'à ce que la flûte pointe le bout de son museau, elle instaure un calme méditatif, vite renvoyé aux oubliettes par les gros pataugas du rock primaire qui s'amuse à détériorer la planète en écrasant arbres et cités en flammes. ( Roby Marshall : flûte ); Les beaux jours : pourquoi tant de haine dans le morceau précédent, pourquoi cette mer de glace triomphante, l'album ne s'intitule-t-il pas les beaux jours ! Les voici dans le dernier titre éponyme, après tout ce vacarme une voix humaine s'interroge sur l'inéluctabilité de la catastrophe matérialisée par l'ampleur sonore, alors la chansonnette hausse la voix, elle hurle la mélodie pour couvrir le vacarme du dehors, moment de prairie indolore, claquements sonores de mitraillettes battériale, lors la voix reprend et réussit à recouvrir le vacarme, elle se hisse à la crête du tsunami qui s'avance, elle ne veut pas abdiquer, elle refuse l'évidence, impose pratiquement le silence à l'hostilité qui la menace, tout est en suspend dans ce long solo de guitare qui tente de s'éterniser, la basse chantonne par-dessous, un instant d'éternité plane sur les eaux de l'angoisse, et le morceau s'achève doucement comme si l'optimisme avait triomphé. Un instant d'éternité, certes, oui mais pour combien de temps ? A moins que ce ne soit le truc de l'autruche qui truche et triche. ( Léo Pinon-Chaby : vocal ).

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    Un bel opus, pratiquement un concept album. Avec cette ambivalence et peut-être même cette trivalence rock-prog-jazz. Abouti et qui se cherche. Les invités ne sont pas là par hasard et mensongèrement l'on serait presque tenté de dire par amitié, sont une nécessité, les ambitions du Baron Crâne excède les strictes limites du simpliste trio de base. Difficile avec un matériel humain si primal, même lorsque l'on est doué, d'atteindre l'envergure de l'aile d'un ange. Nous ignorons vers quoi Baron Crâne se dirige, z'ont allumé notre curiosité, elle ne risque pas de s'éteindre.

    Damie Chad.

     

    *

    J'ai revu Mona. Sur le marché de Provins. C'est Denis le bouquiniste, le seul mec de la place qui vende de la bonne came, chez lui point de légumes avariés d'appellation Bio, qui me l'a tendu. Pas Mona, le bouquin. Pour toi, qu'il m'a dit et enlevant son pouce qui cachait le coin gauche il a ajouté Polar et Rock 'n' roll. Deux euros, je ne risquais pas de me ruiner. J'ai pris, j'ai li, j'ai vi. La chronique est après cette introduction. Avant cela, je vous cause un peu de Mona. Vous vous en foutez. Bande d'ignorants, derrière Mona, se cache Elvis. Pas évident à discerner, moi-même je n'en savais rien, du moins je le croyais, pourtant Platon l'a affirmé, on n'apprend rien, on se souvient. M'a fallu un méchant pense-bête pour que la mémoire me revienne.

    Bizarre ce nom d'éditeur, La Tengo Editions, qui est-ce, un petit tour sur le net et comme Hank Williams, I saw the ligth. Suis tombé en plein sur la liste de leurs publications, une première puce à l'oreille, ah c'est eux qui publient le mook, le Schnock, la revue des vieux de 27 à 87 ans, je suis jeune ( d'esprit ), aussi ne l'ai-je jamais volé ni acheté. Et puis aussi la revue Charles plutôt axée sur la politique, et enfin parmi d'autres Mona. Non ce n'est pas un magazine pour jeunes filles prépubère, mais une héroïne de roman policier. L'a un prénom passe-partout, mais le nom de famille qui suit est facile à mémoriser : Mona Cabriole.

    Dix livres parus entre 2009 et 2011. Pourquoi la série ne s'est-elle pas poursuivie jusqu'à nous ? Question d'autant plus pertinente que sur la quatrième de couverture l'est marqué encadré en un filet rouge : '' Mona Cabriole, 20 arrondissements, 20 auteurs, 20 romans, une collection de polars rock au cœur de Paris ''. Je n'ai pas de preuve, vous fournis un indice lourd de sens, le titre du dixième opus ne laisse présager rien de bon : Requiem pour Mona. Dans tout roman policier il faut chercher à qui ne profite pas le crime, les ventes n'ont pas dû avoir été pharamineuses, en haut lieu on a décidé d'arrêter les frais, pauvre Mona !

    Vous allez me trouver cynique, je suis triste pour Mona, snif ! Snif ! Mais je regrette Olivier. Olivier Brut, couturier styliste chargée d'habiller Mona, autrement dit de graphiter le packaging – ainsi parlent les anglais – bref chargé de la charte graphique des couvertures. Trois couleurs, noir pour le polar, rouge pour le sang, blanc pour la pâleur des cadavres, un exercice de style, c'est net, Brut s'en tire bien, esquisses glauques et fantomatiques, trois coups d'aplats filiformiques et il vous résume le book en trois coups de pinceaux. L'est doué le monsieur.

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    Sensibilité rock oblige, un tour sur son blogpost s'impose, vous découvrirez que vous le connaissez déjà, s'est chargé de plusieurs couvertures chez Camion Blanc, non pas les hideuses qui alignent en format timbre-poste des pochettes de disques, mais par exemple celle de 24 Histoires pour Lemmy dans lesquelles on trouve au hasard ( qui fait bien les choses ) Pierre Mikaïlloff, Alain Feydry ( voir recension de son livre Listen to me, Portrait de Buddy Holly in KR'TNT 522 du 23 / 09 / 2021 ) et cerise sur le gâteau un certain Patrick Cazengler. Un super boulot, tout est classé méthodiquement, j'ai déjà pris la décision d'écouter des disques que je ne connais pas uniquement parce qu'il s'est chargé des illustrations.

    Donc ils avaient repris la tactique de la série ( près de trois cents titres ) Le Poulpe : un auteur différent pour chaque nouveau bouquin. Ainsi le premier Tournée d'adieu est signé de Pierre Mikaïloff, ex-membre des Désaxés dont nous avons présenté ses biographies de Noir Désir et d'Alain Bashung, mais ce n'est pas lui qui nous intéresse, c'est le huitième tome de Stéphane Michaka, Elvis sur Seine, dument – parce qu'Elvis est notre vice – répertorié dans notre livraison 188 du 08 / 05 / 2014.

     

    LE CINQUIEME CLANDESTIN

    MARIN LEDUN

    ( La Tengo Editions / 2009 )

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    Marin Ledun a reçu toute une flopée de prix plus ou moins prestigieux pour une grande partie de ses livres, romans ou essais. L'écriture de celui-ci ne m'a guère convaincu, elle court mais pas assez sèchement, elle ne claque pas comme des coups de feu. Chez La Tengo Editions l'on a dû partir d'un principe-clef : les amateurs de rock écoutent disques et CD's par centaines mais ne sont pas des lecteurs de Proust ou de Joyce. Leur faut du fast-food, vite expédié. Z'auraient quand même pu refiler à Mona Cabriole une monture de ce nom, l'ont doté d'un scooter encore échappe-t-on à la mode de l'électrique, nous voici privés de pétarades Triumphales, en 2009 ce n'était pas d'actualité. Aujourd'hui elle serait dotée d'une trottinette.

    L'action ne trotte pas, elle galope, en un jour et une nuit Manon vient à bout d'un réseau de chair fraîche. Pourtant l'organisation maffieuse bénéficie de protections occultes. Les flics ferment les yeux, la mairie de Paris n'y voit aucun mal, on sous-entend fortement que dans les hautes sphères du pouvoir... Oui c'est politique. Le sujet est explosif, le sort réservé aux clandestins dans notre pays. Et spécialement dans le cinquième arrondissement. Surtout des jeunes africaines jeunes et jolies. Sans papier, sans boulot, des proies idéales... Critique un peu de gauche mais sans illusion révolutionnaire, les petites mains et les gros saligauds qui se chargent de la sale besogne finiront en prison, l'on s'en doute, la morale est sauve, l'on n'est pas dupe, les supérieurs ( soi-disant ) inconnus ne seront pas inquiétés et une fourmilière détruite, dix autres se reformeront aussitôt. La loi de l'offre et la demande. La main invisible du marché.

    Et le rock'n'roll là-dedans. Soyons franc, l'est un peu plaqué. Manon Cabriole est une passionnée de rock dur et de punk pointu. Son groupe préféré semble être Nofx, les néophytes ne sont pas entièrement perdus, des pointures comme Bowie, Metallica ou The Clash figurent au tableau. Aux moments cruciaux un refrain approprié tourne dans sa tête, des paroles qui rythment l'action, expriment l'urgence de la situation et définissent l'implication existentielle, pour ne pas dire éthique, de l'héroïne, transcrites en langue originale, mais traduites en bas de page en notre idiome national par Eloïse Bouton, je ne la connais pas mais elle m'a évité deux ou trois contresens et nombre d'inexactitudes.

    Vite lu, vite oublié. Espérons que quelques lecteurs peu sensibles aux fracas rock'n'rolliens se soient précipités vers leurs disquaires...

    Damie Chad.

     

    RAUNCHY BUT FRENCHY ( 4 )

     

    LE CHIEN DE BARABBAS

     

    N'accusez pas votre mémoire, ne relisez pas les Evangiles in extenso, jamais vous n'y trouverez mention du chien de Barabbas. En plus il est mort, Barabbas bien sûr, mais je parle du chien qui n'appartenait donc pas au Barabbas biblique mais à Barabbas, le groupe, qui a enregistré en 2014 un album intitulé Messe pour un chien.

    '' Barabbas, messe'', par la grâce de ces deux mots votre esprit a tilté : ça sent le christianisme ! Attendez je vous refile l'effectif du groupe : Basse, choeurs : Saint Jérôme / Batterie: Saint Jean Christophe / Guitare : Saint Stéphane / Prêche : Saint Rodolphe. Par et pour le Saint Riff Rédempteur, c'est leur cri de guerre !

    Après tout pourquoi pas, il existe une telle pléthore de groupes qui se réclament de Satan que se présenter sous une invocation christologique apparaît comme un gimmick commercial de plus. N'existe-t-il pas aussi aux Etats-Unis des groupes qui se définissent en tant que rock-chrétien, blue-grass-chrétien, metal-chrétien, etc... il y en a pour toutes les chapelles ! Dans les années soixante un groupe devait avoir un son à lui, dans les décennies suivantes la nécessité d'une image est devenue très importante... Posons la question à gros sabots de bois : les Barabbas ont-ils la foi ! Durant leur enfance oui, mais l'âge venant et la laideur du monde s'appesantissant sur leur conscience, ils ne croient plus qu'ils croient. Que chacun porte sa croix ! Le personnage de Barabbas est ambigu, lorsque Pilate propose de gracier ou Barabbas ( voleur et criminel ) ou le Christ ( beau parleur ), le peuple choisit Barabbas. Le malandrin l'emporte sur l'agneau innocent. Quelle leçon à en tirer : que les petits malins s'en tirent mieux que les autres ?

    Venons-en au chien. Il a appartenu à un de nos quatre saints. Je ne donne pas son nom au cas étonnant où il aurait été un mauvais maître. Il n'a pas eu une belle mort, épuisé, incapable de marcher, il s'est traîné lamentablement durant de longs et douloureux mois, avant que Dieu ne l'accueille au paradis. J'ai embelli la fin de l'histoire pour nos lectrices trop sensibles. Barabbas n'a pas échappé à la fatalité de leur nom, le CD est dédié à leur chien, une belle idée à la Trente Millions d'Amis, mais ce n'est qu'un prétexte ( je suis acerbe ) ou qu'un symbole ( je joue à l'intello ) de la destinée humaine. Il est vrai que beaucoup de nos contemporains mènent des vies de chien.

    MESSE POUR UN CHIEN

    BARABBAS

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    La malédiction de Sainte Sélène : l'on s'attendait à une introduction grandiose, l'on n'est pas déçu, il est facile de décrire le doom comme du metal funéraire, sur le livret du CD de vaniteuses têtes de morts, l'humaine et celle du bouc diabolique, agrémentent la citation d'Isaïe que Saint Rodolphe psalmodie sur la pompière grandiloquence funèbre, le doom emprunte souvent beaucoup plus à la musique classique qu'à ses origines metalliques, non les basses n'y vont pas doucement, en l'écoutant n'oubliez pas la mort est votre seul avenir. Le couteau ou l'abîme : ça ne s'arrange pas, une seule différence, la musique plus violente, oppressante, belle idée cette espèce d'écho sur la voix, un moine qui chante sous la voûte d'un monastère, pratiquement du chant grégorien, les paroles ne sont guère jouissives, vous avez le choix, entre la mort et la mort, sympathique mais un peu limité, le discours habituel du nihilisme chrétien, toutefois un gros blasphème, j'ai tout de suite rédigé une lettre de dénonciation à la Congrégation de la Sainte Inquisition, n'accusent-ils pas Dieu d'être insensible aux prières humaines, la batterie a de ces bruits sourds de trappes qui s'ouvrent pour que le pendu bascule dans le trou qui se dérobe sous ses pieds, la guitare siffle à la manière de ces lames de guillotine qui se hâtent de descendre afin de vous trancher le cou, z'avez aussi une basse qui ricane en catimini, et puis ils ne se retiennent plus, sur la fin se prennent pour les Chevaliers de l'Apocalypse et l'Armagueddon à eux tout seuls. Si vous ressortez vivant de cette écoute, passez-moi un coup de fil pour fêter le miracle. Du doom pompier certes. Mais pyromane. Moi, le mâle omega : nos très chers frères persévèrent dans l'erreur fatale, le morceau débute comme une diatribe nietzschéenne et se finit après un solo incendiaire en un space-opera très grand spectacle, quatre minutes de rythme amphétaminisé, que dis-je amphétamaximisé, à fond les ballons, la baudruche humaine rêve et se gonfle tellement fort qu'elle repousse les limites de l'univers. Du stoner du tonnerre. Judas est une femme : pas tout à fait des paroles pour les féministes, quant à la musique lourde comme une condamnation à perpétuité il vaut mieux ne pas en parler, est-ce la punition de Dieu, le mâle Omega ( ô méga man ) a rencontré la femelle Alpha, la donzelle ils vous la passent au rouleau compresseur, cent fois en marche avant, cent fois en marche arrière, z'ont la colère noire et folle, appuient de toutes leurs forces sur leurs instruments, l'orgueil blessé se transforme en bouillie de rage martelante, un petit moment de répit, la basse qui se moque et tire la langue à cette bouillie sanglante, et puis ils finissent de l'aplatir et de l'aplanir. Ils ont la haine.

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    La beauté du diable : n'ont pas peur d'aborder les sujets dérangeants. Ne sont pas des Saints, c'est pour cela que Dieu leur pardonnera. Peut-être. Vous racontent l'histoire du petit chaperon rouge, vue du côté du loup qui n'hésite pas à satisfaire ses appétits, sans honte ni regrets. Musique d'une lourdeur effrayante, un rock bulldozer qui dérange les anges, Fallait oser. Ils l'ont fait. Flamme incoercible du désir. Les paroles noyées sous un magma sonore en émoi. Chaud brûlant. Priez ! : vous pouvez prier, mais cela ne sert pas à grand-chose, inutile d'écouter les paroles, vous connaissez la chanson, la musique suffit, elle est lourde et sans espoir, la batterie roule et tourneboule dans l'exaspération, priez tant que vous voulez la guitare en rigole, elle en verse un long solo de larmes, Dieu n'est même plus nommé, son inutilité est patente. Que les saintes brebis attendent la mort qui approche. Son pas lourd résonne dans tout le morceau. Le sabbath dans la cathédrale : pire que la messe des fous, la perversion extrême, longue intro, la procession s'avance vers le chœur de la cathédrale, les corps sont aussi nus que les âmes, c'est la grande liesse, le grand coït, vont s'aimer les uns dans les autres, impies et impitoyables, pervertissent tous les rites sacrés, ne respectent rien, rythme lourd de bacchanale gorgée de stupre et de sang. Danse de l'ours sauvage, de plus en plus rapide, de plus en plus folle. Joie ô joie. Glissade terminale. Vielle tradition catholique qui emprunta beaucoup au paganisme. Messe pour un chien : tiens on revient au chien, comme au tarot. Changement d'ambiance, la musique pleut, elle s'élève, se voudrait légère, retombe, se relève, claudique, le pauvre animal n'en peut plus, la fin est plus que proche, il rêve son dernier rêve, les portes d'ivoire de la mort s'entrouvrent, ambiance mélodramatique,mais le drame n'est pas devant lui, il est derrière lui, tout ce qu'il n'a pas réalisé en sa pleine jeunesse, que voulez-vous l'on n'est pas toujours le loup qui se rue sur le petit chaperon rouge, c'est trop tard pour le regretter, il est mort, il est maintenant immortel, il court dans les jardins de l'éternité, la musique s'apaise, elle est devenue légère, elle trotte allègrement même si des ondes de tristesse la submergent, peut-être existe-t-il un point d'équilibre où tout s'égalise, ou rien n'a d'importance, où l'on atteint l'insoutenable légèreté du non-être. Roulement de tambour. Tout est terminé. Missa est. Allons en paix !

    Superbe ! Un des meilleurs albums de rock français que je n'aie jamais entendu. Percutant, décapant, dérangeant, racinien, avec unité de temps, de lieu, et de personnages, une dramaturgie terriblement efficace. Question christianisme, ils n'y vont pas avec le dos de la louche du premier moutardier du pape, passent le dogme au kärcher, n'hésitent pas sur les images choc : '' Dieu est mort, en tombant d'un nuage, c'est moi qui l'ai poussé '' !

    Une mention spéciale pour Saint Rodolphe, l'a son phrasé à lui, n'imite ni les rosbeefs ni les amerloques dans sa manière de poser les intonations, se contente d'être lui, ce qui est rare.

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    Pour la couve, elle s'imposait, l'entrée du cimetière des chiens d'Asnières, manifestement inspirée par les arcs qui bordent Le Canope, pièce d'eau des ruines de la villa d'Hadrien de Tivoli, l'artwork est de Benjamin Moreau, je ne m'attarde pas dessus car j'ai prévu une chronique sur ses activités graphiques et musicales.

    Un petit bonus : Messe pour un chien est paru en novembre 2014, mais dès mai 2014, trois préproductions de trois morceaux sont sur Bandcamp. La couve nous en dit davantage sur ce chien mort et enterré dont le destin est une des inspirations de l'album.

    FINAUD / 1954 – 1969

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    Selene : moins d'emphase, moins d'envol, moins symphonique, davantage rock, davantage terre à terre ce qui correspond à cette notion d'enterrement que la mort de Finaud suscite. Sifflements de guitare à mettre en relation dans notre imaginaire occidental avec la course échevelée les chiens d'Hécate aboyant à la lune par les froides nuits venteuses. Absence des lyrics. La beauté du diable : longue intro musicale, l'histoire du petit chaperon rouge sans les vocals, juste la partition en quelque sorte, rehaussée de chœurs lointains et inquiétants avant que Saint Rodolphe ne lance le chant, cette préprod n'a pas la force de celle proposée sur l'album, musique trop binaire, presque banale, il manque l'aura sulfureuse de l'œuvre accomplie. Judas est une femme : musicalement mieux réussie que les deux précédentes, de la lourdeur mais le chant un peu trop retenu. Moins de hargne, trop commun. En trois mois ils ont reçu la grâce de l'esprit malsain qui fait toute la différence.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    UNE TENEBREUSE AFFAIRE

    EPISODE 04

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    PETIT DIALOGUE ETYMOLOGIQUE

    Pour une fois, le Chef n'avait pas allumé un Coronado, du coin de l'œil je le voyais tripoter son téléphone portable, appareil dont il professait une sainte horreur et qu'il n'utilisait presque jamais, je calai le régulateur de la Lambor sur un pépère 180 lm / heure, il était temps d'un petit briefing sur les évènements qui s'étaient déroulés depuis le début de cette aventure que je pressentais exceptionnelle.

      • Désolé de vous interrompre Chef, que pensez-vous de ces apparitions de Charlie Watts, je sais bien qu'avec les Roling Stones l'on peut s'attendre à tout, entre nous soit dit il exagère un peu Charlie, huit jours dans le trou et hop il se promène à l'air libre comme vous et moi !

      • Agent Chad le fantôme de Charlie Watts n'est pas un problème, c'est un fantôme qui se conduit comme un fantôme, vous-même agent Chad quand vous l'avez saisi par le bras, vous vous êtes aperçu qu'il n'avait aucune consistance, donc c'est un fantôme, la cause est entendue.

      • Admettons-le Chef, mais vous ne trouvez pas étrange qu'en haut lieu, on fasse appel à nos services et que l'on nous congédie quelques heures plus tard.

      • Je reconnais que c'est un peu vexant, croyez-moi ils nous rappellerons d'ici peu !

      • Chef, ne seriez-vous pas par trop optimiste !

      • Pas du tout, ils voulaient un fantôme, nous leur apportons la preuve de son existence, ils n'ont plus besoin de nous, ils nous jettent aux orties ! Notez toutefois qu'il n'a jamais été question de couper notre ligne de crédit. Sont prudents, nous gardent sous la main.

      • Ils sont donc contents d'avoir un fantôme !

      • Exactement ! Toutefois l'affaire me semble totalement bien tordue, agent Chad, un fantôme c'est gérable, souvenez-vous du gars qui a sifflé votre Bourbon, il venait de voir Charlie Watts, et le préfet de Limoges qui a laissé échapper qu'il y avait eu dis-sept apparitions de fantômes sur le territoire national, reconnaissez qu'une vingtaine de Charlie Watts qui déambulent dans toute la France, de quoi déclencher une hystérie collective, à quelques mois des élections présidentielles, voilà vingt chiens inattendus dans le jeu de quilles des politiciens !

      • Si je comprends bien Chef, vous insinuez que le SSR est manipulé, que les autorités nous ont dirigés sur Limoges pour nous éloigner de Paris !

      • Certainement Agent Chad, mais de tout cela, nous reparlerons, une chose diantrement plus grave me tracasse, pourriez-vous lâcher votre volant et vérifier sur votre portable l'étymologie d'hibiscus.

    Je m'exécutai promptement. Par acquis de conscience je visitai une dizaine de sites naturalistes, et quelques dictionnaires latins, grecs et syriaques.

      • Chef, Hibiscus vient du grec ibiokos qui signifie guimauve.

      • N'accordez aucune créance aux renseignements que véhicule le net, d'après mes connaissances ornithologiques il signifie cul d'ibis. Ne me regardez pas avec ces yeux en rond de frite, personne n'ignore que le cul de l'ibis rouge est d'une couleur rouge plus foncée que le reste de son plumage, méditez cela, Agent Chad, peut-être cela vous sauvera-t-il la vie d'ici peu. Cela mérite que j'allume un Coronado.

    RETOUR A LIMOGES

    Quelle ne fut pas notre surprise lorsque nous descendîmes de la Ghini arrêtée sur la lisière du Bois du Pendu, de loin, sur le moment nous crûmes qu'assis tous en rond, ils jouaient à pipi au lit. A peine nous virent-ils que le cercle se désintégra et une horde de jeunes gens se jeta sur nous, les garçons nous tendaient la main avec gravité, les filles nous embrassaient avec ferveur, Molossito et Molossa eurent droit à mille caresses, ça jacassait de tous les côtés, certains poussaient des hourras, d'autres en chœur répétaient sur l'air des lampions, Les héros ! Les héros ! Les héros !. Le Chef alluma un Coronado, Joël se détacha du groupe et fit les présentations :

      • Damoiselles et Damoiseaux un peu de calme, l'heure est grave, le SSR a délégué ses deux agents les plus brillants, il est nécessaire de les mettre au courant des derniers évènements.

    Joël avait motivé ses étudiants. L'enthousiasme de cette jeunesse avait outrepassé ses désirs. Non, ils ne se relaieraient pas pour guetter l'apparition de Charlie Watts, d'un commun accord ils avaient décidé de rester dans le bois autant de temps qu'il serait nécessaire. A midi tapante, ils étaient fin prêts, pas très loin de la lisière ils avaient profité d'un large creux de terrain pour dresser une quinzaine de tentes, sur un feu de bois glougloutait une grosse cafetière, des cartons emplis de duvets s'entassaient dans un coin, piles de sandwichs, boîtes de conserves, paquet de biscuits jonchaient l'herbe, on attendait Charlie de pied ferme, il ne se présenta pas.

    Le soir tomba, l'on mangea, la déception se lisait sur les visages, l'humidité transperçaient les vêtements, Le Chef prit la parole :

      • A neuf heures, je veux tout le monde au lit - il y eut des cris de protestation qui cessèrent vite - je ne veux rien entendre, pas un bruit, pas un mot, pas un rire, au lit ne signifie que vous dormirez, surtout pas, vous veillerez prêts à intervenir à mon signal, que personne ne sorte de sa tente avant que je n'en donne l'ordre, je ne m'étonne pas pas que vous ne l'ayez pas vu de la journée, trop de vacarme, trop de bruit, restez habillés, gardez vos chaussures, ne baissez pas la fermeture éclair de vos abris, n'ayez pas peur, l'agent Chad et moi-même sommes armés, nous sommes prêts à toute éventualité. Nous veillerons sur vous.

    L'autorité naturelle du Chef produisit son effet, à vingt et une heure pile, plus un seul piaillement de fille, pas le moindre beuglement de garçons. Les consignes avaient été suivies à la lettre. Enfin presque, à vingt-trois heures le marchand de sable était passé, la colonie en son entier dormait de son plus profond sommeil. A ma grande honte je dois l'avouer, le Chef et moi, fûmes bientôt assaillis par une douce somnolence et nous ne tardâmes pas à sombrer dans une profonde torpeur...

    Ce furent Molossito et Molossa qui nous réveillèrent en nous léchant le visage, il était près de deux heures du matin, nous fîmes rapidement le tour de tentes pour arracher la troupe des bras de Morphée, en trois minutes nous étions tous regroupés autour du foyer éteint, le Chef donna ses instructions à voix basse :

      • Interdiction de se mettre debout, vous vous déplacez en rampant, une fois hors du cercle des tentes, on se couche dans l'herbe, tous en ligne, vous laissez dix mètres de distance entre vous, l'Agent Chad prend la tête de la file de gauche, moi celle de droite, Joël au centre, gardez les yeux braqués sur la lisière, silence absolu, je rappelle la nuit est froide, la lune est absente, la brume est là, le bois est sombre. Action immédiate !

    L'herbe était mouillée, mais nous ne le sentions pas, l'excitation était à son comble, chacun imaginait ce qu'il redoutait, Molossa et Molossito s'étaient couchés à mes côtés. Nous n'y voyions rien, la truffe de Molossa se posa sur ma joue, nous étions les plus près du sommet, Molossa poussa Molossito de son museau, il démarra au galop, sans bruit, il cogna dans chaque visage, tout le monde comprit que le moment fatidique se préparait, à une trentaine de mètre, la noir de la nuit devint plus sombre, de cette noirceur mouvante se dégagea une forme, qui peu à peu prit une certaine consistance, l'ombre sembla hésiter, Molossa grogna dans mon oreille, je la reconnus, Charlie Watts entreprit de descendre la colline...

    A suivre...