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bob stanley

  • CHRONIQUES DE POURPRE 706 : KR'TNT ! 706 : MORLOCKS / JERRY REED / SWELL MAPS / BOB STANLEY / ROBERT KNIGHT / ROCKABILLY GENERATION NEWS TELESTERION / DOORS / GENE VINCENT +CHRIS DARROW

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 706

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    16 / 10 / 2025

     

     

    MORLOCKS / JERRY REED / SWELL MAPS

    BOB STANLEY / ROBERT KNIGHT

     ROCKABILLY GENERATION NEWS

    TELESTERION /  DOORS

        GENE VINCENT +  CHRIS DARROW

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 706

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

     

    L’avenir du rock

    - À la vie à la Morlocks

    (Part Three)

             Après quelques années d’errance dans le désert, on finit généralement par perdre pas mal de choses : du poids, c’est évident, mais aussi sa fierté et ses complexes. L’avenir du rock n’échappe pas à la règle. Il se sent même tellement décomplexé qu’il se prête naturellement à quelques fantaisies : il donne libre cours à des fantasmes.

             — Et si la mort n’existait pas ?, énonce-t-il d’un ton jovial. 

             Délicieusement surpris par la clarté préraphaélite de sa logique, il ajoute :

             — Puisque je suis en vie, ça veut donc dire que la mort n’existe pas !

             Quelle fabuleuse évidence ! Il adore cette idée. Il l’alimente. Il la dorlote, il l’emmène partout avec lui, il en fait des slogans :

             — L’oisiveté est la mort de tous les vases !

             Il regorge tellement d’ingéniosité événementielle qu’il se met à chanter:

             — La mort qu’on voit danser le long des golfes clairs !

             Et puis un jour, alors qu’il traverse une immense étendue caillouteuse, il voit un nuage de poussière s’élever à l’horizon. C’est un chameau ! Il approche rapidement. Oh mais c’est Lawrence d’Arabie ! Encore lui ! Quelle erreur celui-là ! Il est encore pire que moi, se dit l’avenir du rock !

             — Alors Lawrence, pas encore mort ?

             — Pfff... La mort ne m’intéresse pas, puisqu’elle ne peut être vécue.

             — Suis d’accord avec vous Lawrence, la mort c’est de la merde !

             — Pire que ça, avenir du rock, c’est de la merde turque !

             — Arrrrgggghhhh, vous êtes vraiment un gros dégueulasse Lawrence ! Vous allez me faire gerber !

             — Bon c’est pas tout ça, avenir du rock, j’ai encore des trucs à faire. Salut, mec, à la prochaine !

             — À la vie à la Morlocks, Lawrence !

     

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             L’avenir du rock est assez fier d’avoir réussi à caler son petit slogan. Il n’a donc pas perdu toute sa fierté, comme on le supposait. Et de son côté, Leighton Koizumi n’a rien perdu de sa fantastique animalité. Il se dresse dans le paysage garage-punk comme un bloc de granit, il paraît indestructible, merveilleusement wild as fuck. Il

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    avoue sur scène atteindre la soixantaine, mais tout en lui dit le contraire, il reste notre screamer américain préféré, le dernier survivant d’une lignée qui remonte à Gerry Roslie et qui passe par John Schooley, Frank Black et Jimbo. Leighton Koizumi est le dernier roi du scream américain, de la même façon que Wild Billy

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    Childish est le dernier roi du scream anglais. Ce n’est pas le même genre de scream. L’anglais est assez pouilleux, assez délinquant, assez peau-sur-les-os, c’est le scream des kids qui fuck you, le scream des kids qui s’en battent les bollocks, le scream des kids qui ne craignent ni la mort ni le diable. Le scream américain est plus reptilien, plus démesuré, il fait appel à une notion inconnue en Europe qui est celle de la

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    frontière, le scream d’une vie qui ne tient plus qu’à un fil, mais d’une vie quand même, le scream des plaines qui s’étendent à l’infini, le scream des scalps et des chariots brûlés, le scream d’une vie culturelle qui n’existe pas, le scream d’une «nation» de colons bâtie sur la destruction des autochtones et l’esclavage, c’est aussi le scream du Vietnam, le scream d’une société maudite. C’est un scream hanté, le scream d’une violence endémique, et ce géant en perpétue la tradition avec une élégance stupéfiante. Si tu veux voir un showman à l’œuvre, c’est lui. Il est l’une des

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     plus pures incarnations d’un genre éculé par tant d’abus qu’on appelle le garage-punk. Sa presta est d’une pureté absolue. Le set des Morlocks est conforme aux canons. Il pleut des hommages : hommage à Robert Johnson avec un «Killing Foor» tapé au pilon des forges, un autre gros clin d’œil au 13th Floor avec «You Don’t Know» et surtout cette cover ultra-puissante du «Teenage Head» des Groovies, et là, oui, tu montes jusqu’à ton cher septième ciel. 

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             On voit régulièrement les Morlocks en France. La dernière fois, c’était à Toulouse, en 2020, et petit détail macabre, c’était le dernier concert de Gildas (Hello Gildas). Retourner voir les Morlocks sur scène, c’est donc une espèce de pèlerinage - Hello darkness my old friend - Bernadette est toujours là, Gildas le connaissait bien. Bernadette qui est un guitariste qui jouait dans un groupe de garage allemand, les Gee-Strings. Cox est là, elle aussi, au premier rang. Première rencontre à Binic en 2019, où elle faisait une petite interview de Gildas à la terrasse du Nerval pour son fanzine. Alors on renoue, et Gildas n’a jamais été aussi présent. C’est ce qu’on appelle communément une communion. Spirit in the sky.

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    Signé : Cazengler, la (mort) loque

    Morlocks. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 30 septembre 2025

     

     

    Rockabilly boogie

    - Jerry Reed n’a pas pris une ride

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             Dans ses liners pour The Rocking US Male, Roland Heintich Rumtreiber rappelle que la Georgie est le pays des grands guitar pickers, à commencer par Blind Willie McTell. Puis il va droit sur l’outstanding Jerry Reed. Né pauvre, Jerry chope sa première gratte à l’âge de 7 ans - I picked up the guitar at age seven and never put it down again - On appelle ça une vocation. Il devient vite the hottest picker in town, et Bill Lowery lance sa carrière à Atlanta. Puis il lui décroche un contrat chez Capitol. Lowery voit du potentiel dans le jeune Jerry et le pousse à composer.

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             Alors attention, on entre dans le cœur du mythe : Capitol et Ken Nelson. Ce nom ne te rappelle rien ? Ken Nelson ? Mais oui, le producteur de Gene Vincent. En 1956, à la fin d’une session chez Capitol, Ken Nelson demande à Jerry de composer un catchy tune pour son «rockabilly hopêful Gene Vincent». Jerry rentre au bercail et compose aussi sec  «Crazy Legs» que Gene et les Blue Caps enregistrent quatre jours plus tard.  Puis Jerry rejoint le backing band de Ric Cartey, the Jiv-A-Tones.

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             Jerry va ensuite s’installer à Nashville. Parmi ses admirateurs se trouve Chet Atkins. Ils vont devenir amis. Chet signe Jerry sur RCA en 1965 et veille sur la qualité des enregistrements. Jusqu’alors, personne n’a selon Chet su capter le vrai son de Jerry. C’est exactement ce qu’il entend faire en 1967 avec The Unbelievable Guitar And Voice Of Jerry Reed. C’est là que se trouve la pépite du diable, «Guitar Man» et son wild rockab drive. C’est d’une véracité à toute épreuve. Jamais un cut n’a aussi bien taillé la route. Sur le même album, on trouve «US Male» qu’Elvis va aussi reprendre. Heavy Jerry ! Superbe ! Il développe du génie pur. «Woman Shy» est aussi puissant. Jerry Reed est un wild cat in the deep. Il met encore du chant dans ton oreille avec «I Feel For You». C’est toujours ça de gagné. Ce mec Jerry te met dans sa poche, cut après cut. L’heavy groove infectueux ? Il a ça dans la peau, comme le montre «Take A Walk». Il reste l’un de ces fabuleux cats d’undergut dont le Deep South a le secret. Tu te régales encore de «Love Man» et de son claqué d’acou en travers. Il gratte «If I Promise» à l’espagnolade. Tu sors de ta torpeur et tu danses au bar de la plage avec les plantureuses de service. Jerry Reed est l’artiste complet par excellence : voix, poux, compos, tout est bon. 

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             Elvis est au volant quand il entend «Guitar Man» sur son auto-radio. Pouf, il veut l’enregistrer. Ce qu’il fait à Nashville en septembre 1967. Mais aucun de ses guitaristes ne réussit à choper le funky feel de la version originale. Même pas Scotty Moore. Alors un mec conseille à Elvis de faire venir Jerry Reed. Jerry débarque au Studio B de RCA. Quand on l’a prévenu, il était à la pêche depuis plusieurs jours et il n’a pas eu le temps de se changer. Il arrive en bottes crottées et en vrac. Elvis adore ça. Ils s’entendent tout de suite très bien et ils ne font que deux takes de «Guitar man». Quand les sbires du Colonel coincent Jerry pour lui demander de céder ses droits, Jerry les envoie sur les roses. Fuck you ! Comme l’a fait Chips.   

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             L’année suivante, il enregistre deux albums, Alabama Wild Man et Nashville Underground.  Le morceau titre d’Alabama t’envoie direct au tapis : forte présence vocale à la Jerry Lee. Son «Alabama Man» est monté sur la carcasse de «Guitar Man». C’est de bonne guerre. Il reste encore coincé dans son Guitar Man pour «Broken Heart Attack», petit tatapoum vite fait bien fait, et puis on tombe sur le coup de génie de l’album : «Free Born Man». Prestance à la Tony Joe White, mélange de Steve McQueen, de Chips Moman et de guitar genius. Il adresse ensuite un gros clin d’œil à Boyce & hart avec une cover de «Last Train To Clarksville», oh no no no. On trouve aussi une Beautiful Song sur cet album : «Losing Your Love», montée sur des arpèges atonaux. Une vraie merveille à la coule. Il combine encore tous ses talents sur «Maybe In Time» : big power et easy going.

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             Nashville Underground peut se targuer d’avoir l’une des plus belles pochettes de l’histoire du rock américain. Toujours cette sacrée présence vocale, mais Jerry Reed devient plus commercial. Petite pop, c’est vrai, mais belle voix. Plus aucune trace du wild cat. Nashville a fini par lui limer les dents. Bon la voix, bon le truc, bon le machin, mais zéro slap. Il revient s’inscrire à merveille dans le Guitar Man avec «Save Your Dreams», qu’il chante d’ailleurs avec une voix de rêve, sans doute par souci de cohérence. Il revient aussi à son cher heavy groove avec «Almost Crazy» et «You’ve Been Cryin’ Again». Il profite de «Tupelo Mississippi Flash» pour faire du gros rumble de Tupelo.

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             Sentant qu’il va virer country, on teste un dernier RCA : Better Things In Life. On espère y retrouve l’éclat de ses deux premiers albums sur RCA. Il est tout de suite là avec son mix de Tony Joe White, de vieux gratté et de lay my burden down. Il gratte ses petites conneries dans «Roving Gambler». Il passe un solo aux petits oignons dans «The Likes Of Me» et te gratte sa vision du blues dans «Blues Land» : superbe heavy blues jump ! Tu te prosternes. Il fait du story telling à la Tony Joe White dans le front porch de «Johnny Wants To Be A Star». Il joue bien sa carte vermoulue. Puis il refait son Elvis dans «Oh What A Woman» et tape un véritable numéro de surdoué avec «Swingin’ 69». C’est pour ça qu’on est là.

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    Glen + Jerry

             Puis dans les années 1970, Jerry va devenir un habitué du ‘Glen Campbell Goodtime Hour’ à la télé. Rumtreiber n’en finit plus de rappeler que Jerry est resté Jerry toute sa vie - What’s wrong with being happy? - Il jouait pour le fun, spontaneous and efforless, alors que les autres semblaient sérieux et concentrés. Jerry est toujours resté funky and soulful - He was a mean son of a gun, a rocker, and a damn hot picker - when you’re hot...

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             En 2022, Bear sort un 25 cm, The Rocking US Male. Tu t’attends à monts et merveilles. T’as effectivement le fameux «Guitar Man» qui avait bien tapé dans l’œil d’Elvis. Très intriguant, voilà «You Make It They Take It», un petit comedy rock à la Coasters, mais ça joue au pulsatif rockab. En B t’as encore cet «US Male» taillé sur mesure pour Elvis, mais le coup de Jarnac s’appelle «I’ve Had Enough» : pur rockab, slappé dans les règles, fabuleux shake de shook, Jerry boppe son blues. Diable comme ça swingue ! Chapeau bas aussi pour «Have Blues Will Travel» : Jerry gratte son riff raff comme un punk. Et puis, glissé dans la pochette avec le fat booklet, t’as un CD 25 titres qui reprend les cuts du 25 cm, bien sûr, mais t’as plein d’autres choses, notamment «The Great Big Empty Room», un heavy groove de rockab, il te tape ça sous le boisseau, avec le poids du slap et l’éclat du chant. Il chante encore comme un cake sur «Teardrop Street» et revient au heavy romp avec «Your Money Makes You Purly». C’est une merveille jouissive, avec ces chœurs de filles. T’es vraiment frappé par l’incroyable qualité des cuts, et ça continue avec «I Can’t Find The Worrds», un swing de balladif : il y claque le solo que passe Burlinson sur Train Kept A Rollin’. Et pour finir, Jerry le crack accompagne Ric Cartey sur deux cuts déments, «Heart Throb» (on se croirait chez les Cramps, Jerry gratte comme un punk et Ric sonne comme Lux, exactement le même son !) et «I Wancha To Know», un fast rockab d’excelsior, fouetté à la peau des fesses par un swinger fou. Et Jerry te claque l’un des solos de son siècle.  

    Signé : Cazengler, ridé

    Jerry Reed. The Unbelievable Guitar And Voice Of Jerry Reed. RCA Victor 1967

    Jerry Reed. Alabama Wild Man. RCA Victor 1968

    Jerry Reed. Nashville Underground. RCA Victor 1968

    Jerry Reed. Better Things In Life. RCA Victor 1969

    Jerry Reed. The Rocking US Male. Bear Family Records 2022

     

     

    Wizards & True Stars

     - Swell Maps on the map

     (Part Two)

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             Les Anglais saluent royalement la résurrection des Swell Maps : quatre pages dans Uncut, et deux dans Mojo. Tu crois rêver. Que nous vaut cette avalanche de pages merveilleuses ? La parution des John Peel Sessions !

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             Jim Wirth qualifie les Swell Maps de punky outsider artists. C’est beaucoup plus que ça. Les Swell Maps sont les chantres de la modernité du rock anglais, au même titre que Syd Barrett, Paul Vickers et Lawrence. Apparemment, Nikki Sudden avait une facilité à composer - I write songs like I drink a cup of coffee or read a book - I just do it - Et il ajoute ça qui en dit long sur ses mensurations : «I can’t see ourselves becoming too polished, note-perfect and all that.» Nikki est punk dans l’âme, c’est-à-dire just do it et no note-perfect. Wirth parle encore d’un chaotic mix of Can and T. Rex. Il rappelle ensuite qu’entre 1978 et 1980, les Swell Maps ont sorti deux albums et quatre non-album singles. Puis il passe aux influencés, parmi eux Sonic Youth (attirés par le filthy guitar sound), les Pastels (attirés par le rudimentary, free-form style, c’est-à-dire le dégingandé) et surtout Luke Haines au temps des Auteurs qui qualifiait des Swell Maps de «British Velvet Underground». Wirth qui est outrageusement bien documenté rappelle encore qu’au commencement, les Swell Maps ne juraient que par les Faust Tapes (their blueprint) et qu’ils ont expérimenté chez eux à Birmingham jusqu’à l’éclosion du post-punk DIY frenzy. John Peel va flasher sur le premier single, «Read About Seymour» (qu’on retrouve bien sûr dans la première Peel Session de 1978). Quand ils sont arrivés au studio de la BBC à Maida Vale en octobre 1978, les Swell Maps ont flippé quand ils ont vu que l’ingé-son portait un T-shirt ELO, mais ça s’est bien arrangé. Ouf !

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             John Dale attaque son hommage en citant les précurseurs des Swell Maps : Buzzcocks, Desperate Bicycles et Raincoats. Les Swell Maps se présentaient comme «a multi-headed hydra inhalating a galaxy dont les constellations comprennent les grooves hypnotiques de Can et de Faust et the minimalist pop poetry of Marc Bolan.» Dale dit évoque aussi the furious creativity of the Godfrey brothers, c’est-à-dire Nikki et Epic. Et Bolan remonte toujours à la surface. Nikki : «As Soon as I heard T.Rex, that was it.» Dale parle encore d’«out of control rock’n’roll action» et d’«hypnotic mesmerism». Il parle encore d’un groupe «barely in control of themselves». Puis il rend hommage à ce fantastique batteur qu’est l’Epic, «able to drive songs to their relented climax with fire, throwing in accents that lift the songs to their next level, pushing things ever forward.»

             Mais le groupe va exploser lors d’une tournée en Italie et donc à la veille d’une tournée américaine. Chacun va partir de son côté, «Nikki as a post Stones troubadour, Epic as a Wilson and Nyro devotee, Jowe as a peripatetic avant-popster.»

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             Dans l’interview qui suit, Jowe Head explique que les Swell Maps existent encore et qu’il a enregistré en 2021 un album, Polar Region, avec des cuts qui datent du first incarnation of the band. Alors, il les a développées. Howe indique en outre que le groupe était beaucoup trop créatif à l’époque. 

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             À l’époque du Trip To Marineville, t’étais déjà complètement effaré par la modernité des Swell Maps. Avec les John Peel Sessions qui viennent de paraître, c’est mille fois pire. Cette modernité te saute à la gorge, et franchement, tu adores ça. Tu ressens exactement ce que tu ressentais à l’époque où tu découvrais The Spotlight Kid, à l’époque où tu découvrais d’Angelo, à l’époque où tu découvrais  le Who Else de Jeff Beck, le Songs And Other Things de Tom Verlaine, et t’avais encore autant de modernité chez Junie, chez Huey Piano Smith, chez Mozart Estate, chez Big Joanie, dans le Five Legged Dog des Melvins, dans le Buy de James White, chez les Dawn Of The Replicants. Autant de modernité qu’il n’y en avait chez Tzara et Guillaume Apollinaire.

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             Ces John Peel Sessions dégoulinent littéralement de modernité. L’«International Rescue» enregistré en octobre 1978 grouille de vie. C’est du rock exubérant. «Harmony In Your Bathroom» sonne comme du punk rock aventureux. C’est Fantômas en Angleterre, de la même façon que Tav Falco est aujourd’hui Fantômas à Bangkok. Les Sweel Maps dégagent une énergie primitive. L’«Another Song» sonne comme le «Time’s Up» des Buzzcocks. Même son et mêmes chœurs ! Ils flirtent avec le Magic Band dans «Full Moon In My Pocket». C’est à la fois osé et balèze, c’est même indécent de modernité. Absolument essentiel !

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             En mai 1979, ils attaquent une deuxième Peel Session avec «Armadillo» et un son plus offensif. C’est nettement plus militaire. S’ensuit un «Vertical Slum» gratté sévère et sérieusement emporté de la bouche, c’est taillé à la serpe avec un sax free qui entre dans la danse. Tu vas continuer à rôtir dans l’enfer de la modernité avec «Midget Submarines». Nikki gratte ça au gras double de Kraut de bic et l’Epic te bat ça si sec. Quelle overdose d’overload ! Ils ont cette assurance dodelinante du beat Kraut, confiant et lourd comme un bœuf, et Nikki te groove ça avec tellement d’avance sur son époque.

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             La troisième Peel Session date de mars 1980. Elle est un peu moins dense. On retrouve un énorme beat anglais sur «Helicopter Spies». Leur son est plus libre. Ils règnent sans partage sur l’indie rock britannique.

    Signé : Cazengler, Swell Naze

    Swell Maps. The John Peel Sessions. The Grey Area 2025

    Jim Wirth : The lost boys. Mojo # 383 - October 2025

    John Dale : Swell Maps. Uncut # 343 - October 2025

     

     

    Wizards & True Stars

    - Stanley your burden down

    (Part Four)

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             Motown ! On est au cœur de Yeah! Yeah! Yeah! The Story Of Pop Music From Bill Haley To Beyoncé. PolyBob plonge dans Motown comme s’il plongeait dans le lagon d’argent. Plouf ! Il commence par dire que Motown a pris la suite du Brill et en a amplifié l’éclat. Puis il rappelle que les Beatles étaient dingues de Motown et qu’ils tapaient des covers des Miracles et des Marvelettes sur leur deuxième album. Motown, nous dit l’hyper-exubérant PolyBob, avait des mélodies qui passaient bien à la radio, aussi bien que celles des Beatles et des Beach Boys - The sound of young America. Its roster was obscenely rich in talent, and lurking unseen in the backroom was a rhythm section that was just about the best pop has ever seen, even now - Et quand tu ne t’y attends pas, PolyBob te fait un croche-patte au bas d’une page : «Yet Gordy built Motown one piece at a time, and it barely cost him a dime.» L’autre arme secrète de Motown, c’est bien sûr Holland/Dozier/Holland : 11 number ones pour les Supremes, pendant les sixties, «more than anyone except the Beatles». Gordy ne voulait pas créditer les musiciens sur les pochettes, parce qu’il voyait Motown comme une marque de qualité, comme General Motors - Si vous achetez une nouvelle voiture, disait-il, vous n’avez pas besoin de savoir qui a monté le carburateur - Le seul qui n’aime pas Motown, c’est Eric Burdon : il trouve que c’est de la Negro music blanchie - Motown is just too pretty for me - PolyBob se demande alors si Burdon a écouté l’«Heatwave» de Martha & The Vandellas. Il conclut en affirmant que Motown était là pour faire danser la young America - In this respect, nobody did it better.

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             Dans le chapitre ‘1966: the London look’, PolyBob épingle l’absence de Totor, qui s’est retiré du business après le flop inexplicable de «River Deep Mountain High». Il parle ici d’un homme qui avait fait «more than anyone to progress the sonic impact of pop.» En 1966, Londres est devenu le centre du monde, «and the Rolling Stones were its embodiment, the ultimate dandy pop stars for louche aristocrats to be seen with.» Cette année là, «Reach Out I’ll Be There» et «Good Vibrations» sont des number ones - In a way they were the ultimate number ones - Eh oui, il n’a pas tort, PolyBob, tu n’en as plus des masses, des number ones de ce niveau. Il fallait en profiter, à l’époque. Dans le même chapitre, il rend hommage à Frankie Valli et à son unearthly falsetto, et pour lui, le «Walk Like A Man» des Four Seasons est la plus parfaite incarnation de New York. Dans la foulée, il rend hommage à Bob Crewe qui a lancé les Four Seasons, et ensemble, ils ont créé ce que Crewe appelle «a fist of sound», «a harder counterpart to Brian Wilson and Phil Spector West Coast teen symphonies.» C’est du même niveau. Avec ces pages intenses, PolyBob ne fait que rappeler un truc de base : ne commets pas l’erreur de faire l’impasse sur les Four Seasons. Il profite d’ailleurs de ce crochet par Valli pour saluer Lou Christie qui vient tout juste de casser sa pipe en bois - He’s probably worth a book of his own - Et pour finir, PolyBob recommande l’écoute de Paint America Love. C’est grâce à l’une de ses compiles, State Of The Union (The American Dream In Crisis 1967-1973) qu’on a découvert cet album.

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             On reste à Londres en 1966 avec les Troggs et les Hollies. PolyBob se mare bien avec les Troggs, insinuant que Larry Page les trouvait tellement rudimentaires (so lacking in charisma and grace) qu’il rebaptisa le chanteur et le batteur avec les noms des two most stylish people he could think of - Elvis Presley and James Bond. Et toujours selon PolyBob, les Troggs n’auraient dû être qu’un one-shot band avec «Wild Thing» - But it turned out that Reg Presley was a decent songwriter who could capitalize on their limitations - Ils sont donc devenus les premiers poster boys, et les premiers alternative heroes dans une liste qui comprend Big Star, the Go-Betweens and Nick Drake. Et quand il rend hommage aux Hollies, PolyBob rend surtout hommage à Tony Hicks, «maybe British pop’s most underrated guitarist». Et pour situer les Who, PolyBob te sort ça : «Si les Hollies were the straightest, then the Who were the wildest.» Et puis bien sûr les Kinks, et cet hommage vibrant à Ray Davies : «His incisive satire made him the Wyndham Lewis of his day.»  

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             Il tape à nouveau dans le dur avec les Beach Boys. Hommage spectaculaire à l’autre géant de la pop américaine, avec Totor, Brian Wilson, qui «grew up with younger brothers Dennis and baby Carl in Hawthorne, California. Along with cousin Mike Love, they sang harmonies around the kitchen table.» Voilà le génie de PolyBob, il nous restitue les racines d’un mythe dans le quotidien d’une famille californienne. Plus loin, il explique que les Beach Boys ont recyclé le sonic thunder de «Wipe Out» et de «Pipeline», et ajouté dans le mix the Four Freshmen-styled harmonies they had sung since childhood, et nous dit PolyBob, «ça aurait pu sonner creux (a bit daft), a one-off novelty at best, but instead this combination came over as the promise of a never-ending summer.» Quand tu lis ça, tu l’as dans le baba. Ses petites formules tapent chaque fois en plein dans l’œil du cyclope. PolyBob formule merveilleusement bien les choses du rock. On sent le fan en lui. Le fan qui sait dire les choses comme il faut les dire. On en croise pas des masses dans la vie, des fans comme PolyBob. Il revient inlassablement à son cher Brian Wilson, un homme qui reste mélancolique, bien qu’étant le leader du biggest pop group in America et qui n’a alors que 23 ans - Sometimes I feel very sad - et quand il se met à expérimenter avec Pet Sounds, le cousin Mike Love l’avertit sèchement : «Don’t fuck with the formula.» Brian, nous dit encore PolyBob, aurait bien aimé continuer à chanter les Four Freshmen sur sa little Honda, mais la pression de la famille et de la record company, combinée aux fioles de LSD, l’ont vite envoyé valdinguer par-dessus bord (eventually tipped him over the edge). Puis Brian annule la participation des Beach Boys à Monterey, il arrête Smile et fait comme Totor, il se retire. Alors les Beach Boys font paraître ce que PolyBob qualifie d’«emasculated Smiley Smile». À l’époque, on avait tout de même l’impression que Smiley Smile n’était pas si emasculted. Enfin, puisque PolyBob le dit...  Puis vient le temps des règlements de comptes : «Dennis and Carl were dead and Mike Love - for his part in the collapse of the Beach Boys - was possibly the most reviled person in all of pop.» Brian refait surface avec l’aide des Wondermints et joue Smile sur scène. Et PolyBob refait son messianique : «Crawdaddy’s Paul Williams encapsulated the feel of the Beach Boys music in three words: warmness, serenity, friendship. For this reason, there is more love directed at Brian Wilson than anyone else in this book.» C’est une phrase qu’on relit plusieurs fois car sa résonance est réelle. PolyBob dit ce qu’on aurait aimé dire avant lui. Grâce à lui, on sait maintenant dire pourquoi on aime Brian Wilson à la folie.

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             Puis notre inépuisable PolyBob file droit sur San Francisco et Los Angeles, et on croise dans ces pages touffues le mixed-race hardnut Arthur Lee, qui, au temps de l’early Love, vivait en communauté dans l’ancienne maison de Bela Lugosi qu’on appelait the Castle. Un Arthur Lee who modelled his vocals on crooner Johnny Mathis. Et puis on finit par tomber sur un premier point de désaccord. PolyBob prétend en effet qu’après la désintégration de Love en 1968, «Lee’s subsequent career was rarely more than disappointing», ce qui est complètement faux, puisque Four Sail reste pour nous le meilleur album de Love. C’est la première fois qu’on surprend PolyBob en flagrant délit de faute de goût. Alors, on décide de le surveiller de plus près. Même un messie mérite une tarte dans la gueule.

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             Bizarrement, à la page suivante, PolyBob refait un faux pas en évoquant Syd Barrett : il affirme que Syd voulait être une pop star, alors que dans A Very Irregular Head, Syd affirme exactement le contraire. Il ne voulait surtout pas devenir une pop star. Syd n’était pas un mec vulgaire. On passe aussi sec à Jimi Hendrix et à la formation miraculeuse de l’Experience  - They gelled like no trio before or since - Et Jimi devient le A-grade showman que l’on sait, «he claimed to be from Mars, dressed outrageously, was both boyishly and sexual as hell.»

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             Dans son chapitre ‘Soft rock’, PolyBob évoque les Mamas & The Papas et leur cover du «Dedicated To The One I Love» des Five Royales - the sexiest lullaby you ever heard - Puis il rend hommage à Nilsson : quand on demandait aux Beatles quel était leur artiste américain favori, ils répondaient Nilsson. Et PolyBob se fend d’une délicieuse anecdote : «Un lundi matin, à 7 h, Nilsson reçoit un coup de fil. ‘Is that Harry?’ This is John.’ ‘John who?» ‘John Lennon.’» Lennon l’appelle pour le féliciter et lui dire que son album est fantastique. Le lundi suivant, à 7 h du matin, il reçoit un autre appel : McCartney, qui lui dit la même chose. Alors le lundi suivant, Nilsson se lève de bonne heure et attend le coup de fil de Ringo, mais Ringo n’a jamais appelé.

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             On reste chez les géants avec Burt et Dionne Warwick que PolyBob décrit comme une «improbable-looking woman with a jutting jaw, Martian hair, and wide, oval eyes that conveyed no emotion whatsoever.» En parlant d’elle comme ça, il frôle le blasphème. Elle était donc, nous dit PolyBob, «the perfect foil for Bacharach’s ever more odly constructed songs, with their staccato thrills and cool, clipped, offbeat rhythms.» Et il conclut sur ça qui vaut encore le détour : «Bacharach-produced Dionne Warwick albums were an essential component of any sixties apartment.» Quand il saura composer des cuts comme ceux Burt, on l’autorisera à ricaner sur le dos de Burt. En attendant, c’est loin, très loin d’être le cas.

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             PolyBob glisse logiquement sur Scott Walker et sa «combination of florid woe and art-house angst.» Il rappelle au passage que Gary Leeds avait été le drummer des Standells. Il rappelle aussi que les covers que fit Scott Walker de Jacques Brel sont emotionally bettered by no one - Walker abandonned himself in hymnal orchestral pop - tout au long de ses «five starling solo albums between 1967 and 1970.» PolyBob passe ensuite tout naturellement à Jimmy Webb qui avec «By The Time I Get To Phoenix», devient soudainement «the biggest thing since Lennon & McCartney». Mais le pire est à venir avec «MacArthur Park», en 1968, «the longest single that had ever reached the American Top 10 - It was an elaborate mansion of a song, with doors opening onto a new room full of inexpected treasures every thrity seconds or so.» Mais les hippies, croasse encore PolyBob, ne pigent rien au «someone left the cake in the rain».

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             Dans la foulée, il nous rappelle que Dave Godin a inventé la Deep Soul. Northen Soul, c’est encore lui - He was gentle and private, and found he got the most pleasure from music when it was slow and fervent - PolyBob cite quelques cuts de Deep Soul (George Perkins’s «Cryin’ In The Streets», Timmy Willis’s «Easy As Saying 1-2-3», Doris Allen’s «A Shell Of A Woman», et une dizaine d’autres) avant de conclure ainsi : «Hear Betty Harris’s ‘What Did I Do Wrong’ or Irma Thomas’s ‘Wish Someone Would Care’ and you can understand why people like Dave Godin devoted their lives to it.»   

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             Creedence ! PolyBob est fasciné par le «run of tight, loud, instant classic hit singles, something almost no one else managed in those years.» En 1969, ils étaient «America’s hottest act» et en tête d’affiche de Woodstock, manque de pot, ils passèrent après le Grateful Dead qui terminèrent leur set à 3 h du matin, et les gens dormaient. Puis les deux frères Fogerty vont se fâcher et ne s’adresseront plus jamais la parole. Dans le chapitre suivant, PolyBob attaque les Monkees - The Monkees are one of pop’s greatest conundrums - c’est-à-dire l’une des plus grosses énigmes. PolyBob prétend qu’ils ont détrôné les Mamas & The Papas et déstabilisé Brian Wilson : il exagère un peu. Les Monkees n’étaient pas aussi bons qu’il veut nous le faire croire. Écoute les albums et tu verras. Il y a à boire et à manger. PolyBob prétend aussi qu’il y a du Dada dans la série TV qu’ils tournent avec Bob  Rafelson : encore de l’exagération. La série n’est pas si bonne, même si John Lennon prétend que ce sont le nouveaux Marx Brothers. En fait, les Monkees sont bons tant que Don Kirshner, Boyce & Hart sont dans les parages. Kirshner veut battre les Beatles à la course et il rameute toutes les stars : Goffin & King, Mann & Weil, Carole Bayer, David Gates, Russ Titelman, puis t’as les cracks locaux en studio : James Burton & Glen Campbell, Al Casey en bass, Larry Knetchel on piano, Hal Blaine au beurre. Ça ne peut que marcher - It was the whole Spector wrecking crew - Et boom, «Last Train To Clarksville» déloge «96 Tears» de la tête des charts. Les Monkees sont mignons et remplacent dans le cœur des kids américains les Beatles qui portent alors la barbe. Ils deviennent le new pop phenomenon. Quand ça commence à grogner chez les Monkees, Don Kirshner débarque de New York avec un chèque d’«a quarter-million dollar for each Monkee». Ça va les calmer, pense-t-il. Au contraire. Ils veulent enregistrer leurs propres chansons, et quand l’avocat de Kirshner leur dit qu’ils ont signé un contrat, Mike Neshmith défonce un mur en placo d’un seul coup de poing et dit à l’avocat «in his best Clint Eastwood voice» : «That could’ve been your face.» C’est là que les choses vont se gâter pour les Monkees : ils perdent les compos. Seul Nesmith s’en sortira plus tard avec sa carrière solo et des albums magiques.

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             Nous voilà en 1970. Rod the Mod est arrivé en Californie. Greil Marcus l’épingle : «Rarely has a singer had a full and unique talent as Rod Stewart. Rarely has anyone betrayed his talent so completely». Eh oui, on n’a jamais pardonné à Rod The Mode d’avoir enregistré ses albums pourris. PolyBob est assez cruel sur ce coup-là : «Que peut-on attendre d’un working-class kid qui a grandi à Archway Road et qui s’est installé en Californie, qui dîne au champagne et qui savoure les grappes de raisin que lui proposent des blondes nubiles. C’est vrai qu’il a trahi son talent, mais il n’a pas trahi ses racines.»

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             Dans son chapitre ‘Electric Soul’, Polybob rend hommage à Sly et à George Clinton - Sly & the Family Stone were the most goodtime groupe since the Lovin’ Spoonful. Their spirit was irresistible - En un an, ils ont transformé la Soul music. «How ? it’s all there in their first hit ‘Dance To The Music’ : thumping fuzz bass, doo-wop harmonies, propellant drums, topped off with a Minnie The Minx yell of ‘all squares go home!’. En trois minutes, chaque chanteur et chaque instrument get their moment in the spotlight, it had the feel of a Sunday-school riot, the same giddy spontaneity as ‘Be-Bop-A-Lula’, with the random, exultant shouts.» PolyBob a l’air de jerker quand il écrit ça. Et ils se marre, se demandant si Sly s’est posé la question : pourquoi personne n’avait pensé à cette formule avant lui : «He took the live excitment of the Stax soul revue, grafted on James Brown’s functional, rhythm-as-a-pure-state funk and mixed in the heightened airs of psychedelia (The Family Stone were from San Francisco, after all).» On sent nettement l’exubérance jouissive dans les propos de PolyBob. Et il enchaîne aussi sec : «Sly Stone, brother Freddie, sister Rose, teenage Italian American drummer Greg Errico, slap-pop bass pionneer Larry Graham, Motown-loving saxophonist Jerry Martini, and a Californian forest fire of a trumpet player called Cynthia Robinson went from mere stars to superstars at Woodstock in ‘69.» PolyBob compare aussi There’s A Riot Goin’ On aux singles que Norman Whitfield a produits pour les Temptations. Dans la foulée de Sly, voilà Funkadelic et leur message messianique : «Free your mind and your ass will follow.» Des Funka qui font des «loud progressive and polyrhythmic jams that owed as much to Jimi Hendrix as they did to James Brown.» PolyBob arrache Ruth Copeland à l’oubli, en rappelant que les Funka accompagnaient cette belle blanche sur scène en 1971 et qu’elle a enregistré deux astonishing albums, Self Portrait et I Am What I Am. Tout cela nous conduit naturellement aux Isley Brothers qui font entrer Brother Ernie dans le groupe en 1973 pour virer psyché - The atmosphere on their ‘73 album 3 +3 was not unlike Jimi Hendrix guesting on What’s Going On.

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             Le glam ? It came from the suburbs, rappelle PolyBob. C’est Chelita, la femme de Tony Secunda, qui emmène le jeune Marc Bolan s’acheter des boas et des fringues sexy. Puis devenu superstar, Bolan va se détériorer. Dans Born To Boogie, il se prend, nous dit PolyBob, pour Jimi Hendrix sur scène alors qu’il n’en a pas les moyens - he ended up looking rather brattish - Puis il se mit à se nourrir de coke et de champagne - Bolan ballooned. By the time 1973’s Tanx came out, he looked more Elvis than elfin.

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             Plus anecdotique : en 1970, de passage à New York, Bowie rend visite à Andy Warhol. Pour se présenter, Bowie fait un numéro de mime. Warhol qui n’est pas impressionné se tourne vers son assistant et demande : «Should we laugh?». Ce qui n’empêchera Bowie de rendre hommage à Warhol sur Hunky Dory, un album, nous dit PolyBob, bourré de chansons extraordinaires - «The Bewlay Brothers» was terrifying - Puis il décide de bâtir sa musique autour d’une image et non d’un son et d’influences : il crée an alter ego, the sci-fi rocker Ziggy Stardust - which enabled him to become a star before he had more than a handful for fans - Ce genre de phrase se savoure, tant elle est paraît délicieuse. PolyBob fait ici du mimétisme artistique. Il écrit comme écrirait Ziggy. Ziggy ouvre donc la porte, et Roxy s’engouffre - They were very much British art-school - Roxy apprend tout de Richard Hamilton, avec un Bryan Ferry qui ressemble à un «coke fiend from an F. Scott Fitzgerald novella, which was entirely the idea.» Eno quitte Roxy en 1973, «as it became clear that Ferry was running the show». C’est ce qu’on n’aime pas chez le Ferry, cette main-mise sur Roxy. Puis PolyBob va faire un nouveau faux pas, affirmant qu’après le départ d’Eno, «Roxy just got better: their two first albums revealed a little too much of their art training and Eno’s departure led to a finer, more unified sound». C’est exactement le contraire qui s’est produit : après les deux premiers albums, Roxy est devenu plus commercial et s’est mis à puer. Une horreur. Bizarre que PolyBob qui a pourtant le nez fin n’ait pas été incommodé par cette horrible puanteur. Avalon ! 

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             Il boucle son chapitre glam avec Slade et Mott. Pour lui, c’est du gâtö - Dickensian singer Noddy Holder had a voice like John Lennon screaming down the chimney of an ocean liner - il les décrit un par un, «Dave Hill on guitar had the most rabbity face in the world» (il fait référence aux dents de lapin) et Don Powel mâchait son chewing gum et fixait l’espace en battant le beurre, et même après un terrible accident de voiture où il avait perdu la mémoire, he looked exactly the same, et puis Jim Lea qui avait l’air de vivre chez sa mère et d’élever des pigeons. Eh oui, Slade c’est pas de la tarte, t’as les looks et t’as les cuts, et, encore une cerise, Chas Chandler comme manager. Mais comme T. Rex, ils ne parviennent pas à percer aux États-Unis. Alors en 1976, ils sortent un album appelé Whatever Happened To Slade? - It seemed that nobody knew - Et puis Mott, «a pleasant enough band without suggesting they’d ever catch fire.» Bowie les supplie de ne pas splitter. Alors Ian Hunter, nous dit PolyBob, se marre : «Give us a hit  and we’ll think about it, Dave.» Bowie leur file «All The Young Dudes» - It was the equivalent of Brian Wilson giving Jan & Dean «Surf City» - Et PolyBob se moque de Mott : «They self-mythologized to a ridiculous degree. Giving themselves nicknames like rock’n’roll action heroes - Overend Watts, Ariel bender - They aimed for the sky and they hit the pub ceiling - C’est d’une rare cruauté. PolyBob n’aime pas Mott et les traîne dans la boue. Troisième faux pas. Alors qu’ils enregistrent des classiques impérissables - And just when it was about to get boring, just as glam had run its course, they split en 1975 - C’est faux, PolyBob ! Hunter est allé faire carrière aux États-Unis, abandonnant ses copains comme des vieilles chaussettes. Même histoire que Steve Marriott avec les Small Faces. Comme Bowie l’avait prédit, le glam a duré 5 ans - Glam was constantly aware of its mortality and that is what made it enjoyable.

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             On passe directement à la Philly Soul, à Thom Bell et son «Beat concerto» sound. Delfonics («America N°1 sophisticated soul group»), Stylistics (whose singer Russell Thompkins Jr. had an extraordinary falsetto and a look of guenine surprise whenever he hit the high notes), les chansons «sounded impossibly lush and heartbreakingly pure, richer than anything that had gone before.» Voilà Gamble & Huff qui comme Thom Bell viennent d’un Cameo Parkway house band called the Romeos. Ils vont tous les trois apprendre à produire the definitive Philadelphia sound. Les superstars du Philly Sound sont les O’Jays, et la réponse de Gamble & Huff à Motown furent les Three Degrees. Sur la West Coast, Barry White va ramasser trois girls et les baptiser Love Unlimited. «Walking In The Rain With The One I Love» was a masterpiece.

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             PolyBob passe sans ciller au «ridiculously talented» Todd Rundgren. Hommage à l’un des albums phares de la grande époque, A Wizard A True Star. Il tape plus loin un chapitre entier sur Abba et salue ces deux mecs, Ulvaneus et Anderson, qui dans leur cabane de rondins suédoise, composent en six ans une série de chansons «which were the best planned, best edited, most hook-filled, polished, economically tight hits of their era - maybe of any era.»

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             On évoquait les ceusses qui laissaient tomber leurs meilleurs potes comme de vieilles chaussettes : en voilà un autre, Graham Nash, qui vaut pas plus cher et qui non seulement abandonna ses potes, mais aussi sa femme et ses kids à Manchester pour aller vivre la belle vie en Californie et baiser la copine de Croz, Joni Mitchell. Puis PolyBob s’occupe du cas de Neil Young. Il épingle deux cuts qu’il aime bien, «Like A Hurricane» et «Albuquerque». Dans la série des hommages qui tapent à l’œil, voici celui qu’il rend à Alex Chiton qui, avec Big Star, inventa la power pop, «using sharp Who edges and bright Beatles harmonies on 1974’s Radio City.»

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             Il se montre une fois de plus ambigu sur le cas du MC5, on peut même dire qu’il se grille quand il écrit sur «Kick Out The Jams», «one of pop’s great titles, proved to be a noise in search of a tune. People wanted them to be great, but they spluttered and died.» C’est pas très gentil d’écrire un truc pareil sur un groupe aussi vital que le MC5. C’est vrai que Saint Etienne n’a jamais kické les jams. C’est tout de même assez drôle : on autorise les auteurs à dorloter certains de nos chouchous mais on ne supporte pas qu’ils esquintent la réputation des chouchous les plus importants. Qui est-il ce PolyBob pour oser juger des groupes comme Love, Roxy ou le MC5 ?

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             Par contre il se rattrape avec les Stooges, qualifiant leurs deux premiers albums de «refreshing and influential, first to David Bowie («Rebel Rebel» is essentially a Stooges knock-off) then in punk (the Sex Pistols covered «No Fun»), and then dozens of acolytes in the eighties.» Il passe de là tout naturellement au Velvet - Reed and Cale had somehow created a noise so brand new that it tore a hole in pop’s natural state of progression, so sharp and freakish and heart-piercing that it makes me burst out laughing every time I hear it - PolyBob rappelle qu’au temps du Velvet, en 1967, «A Whiter Shade Of Pale» et «All You Need Is Love» étaient en tête des charts. Puis petit coup de projecteur sur les Ramones qui cherchaient à condenser «les hits des Beach Boys, de Phil Spector, et des Shangri-Las into recidivist ninety-second bursts with antagonistic titles.»

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             Puis c’est l’épisode punk, avec «Anarchy In The UK» qui «had some of the best lyrics in pop.» Et bien sûr PolyBob ne rate pas l’occasion qui s’offre à lui de traiter Sid Vicious de caricature. Puis c’est la débâcle de la tournée américaine - At a gig in Dallas, Sid was headbutted but carried on playing, blood pouring down his face like a badge of honor. «Look at that», sighed Rotten, «a living circus.» - Quand Rotten quitte le groupe, à la fin de la tournée américaine, «all of pop waited his next move, as it had done with the post-army Elvis and the post-crash Dylan. Listen to Johnny. Johnny Rotten will know what to do.» Et bien sûr, «Public Image» sounded like the future. PolyBob lui rend fantastiquement hommage, indiquant qu’il a fallu dix ans aux groupes anglais «to make guitar sound as intangibly and emotionally unsettling.» Ouais il cite ce «beautiful manifesto» de John Lydon : «I’m not the same as when I began. I will not be treated as property.» Et PolyBob d’ajouter : «Some days, I think «Public Image» is the most powerful record ever made.»

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             Dans son chapitre New Wave, il se fout bien de la gueule de Costello qui «wrote pun-packed songs while singing as if he was standing in a fridge.» Puis il cite brièvement Joe Jackson, «a caricature of a caricature» qui «barked like a pissed-up accountant». Comme Léon Bloy, PolyBob peut sortir la hache et frapper dans le tas. S’ensuivent les chapitres Disco et Bee Gees, et bien sûr il n’en finit plus de chanter les louanges de Robin Gibb qui n’a que 19 ans quand il dirige un orchestre de 97 musiciens et un chœur de 60 personnes pour enregistrer «In Heaven And Back». Il conclut son chapitre Bee Gees ainsi : «They wrote a dozen of the finest songs of the twentielth century. The Bee Gees were children of the world.»

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             Il sort hagard de son chapitre et enquille avec le Post-punk, c’est-à-dire la Post, comme le disait Gildas (Hello Gildas). PolyBob profite de la Post pour rendre hommage à Peely qui sur Radio 1 devint «a teenage hero». Et bien sûr, le chouchou de Peely, c’est Mark E. Smith & The Fall - Their truculent leader Mark E. Smith combined love of M. R. James ghost stories, Wyndham Lewis Vorticist manifesto and an anti-fashion stance - flares, tank tops, cheap beer and fags. Smith was witty, bloody-minded, and had little time for any music beyond Can, Lou Reed and sixties garage punk - Ce n’est pas un hommage aussi percutant que celui rendu à John Lydon, mais c’est bien qu’il ait associé ces deux héros dans la même page, Peely et Mark E. Smith. Pour saluer l’after-punk américain, il choisit ESG qui furent «the quintessence of New York in 1980», avec leur «tight, super-minimal, super rhythmic pop (two-note basslines, one-note guitar solo, cowbells all over the shop).» Il consacre à la suite des chapitres à Kraftwerk et à l’early rap, ainsi chacun peut y retrouver son compte. PolyBob a tout écouté, donc il peut parler de tout ça dans le détail, et éventuellement t’inciter à écouter des trucs que tu ne connais pas. Dans son chapitre New Pop, il s’attarde sur des machins comme Human League et Boy George, puis retourne aux États-Unis pour Springsteen et Meat Loaf, eh oui, ce sont des passages obligés pour un mec qui prétend raconter toute l’histoire de la pop. Et crack, tu tournes la page et sur qui tu tombes ? Michael Jackson. C’est une époque pourrie. Et ça continue avec Prince et Madonna. T’es pas obligé de lire toute cette daube. PolyBob fait son boulot consciencieusement, il rame dans les Sargasses de la pop, et d’une certaine façon, il atteint ses limites, car jamais il ne réussira à te convaincre d’écouter Michael Jackson ou Madonna. Plutôt crever. Mais à ce stade des opérations, tu lui donnes encore une chance, car il reste quelques chapitres, notamment un chapitre Metal et comme il n’a rien compris au metal, il met là-dedans, tiens-toi bien, Sabbath, Thin Lizzy (!), Deep Purple et Led Zep, puis ça glisse sur Metallica et AC/DC. Puis ça glisse encore dans la ‘Birth of Indie’ avec les Smiths et REM. Il qualifie Morissey de «best lyricist British pop had ever profuced», mais bon, après, il faut aimer les Smiths et c’est pas demain la vieille qu’on ira écouter ça, quoi qu’en dise monsieur PolyBob. Et ça déraille encore sur Phil Collins, toutes les malédictions de la pop culture sont au rendez-vous, semble-t-il. On tombe fatalement sur le chapitre Pet Shop Boys & New Order. Il n’y a que les Anglais pour s’intéresser à ça. PolyBob attaque son Part Five avec un chapitre ‘House & Techno’. Puis c’est l’Acid House & Manchester. PolyBob s’épuise à ramer dans ses Sargasses. 

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             Il tente un dernier coup de bluff avec un truc très anglais, beaucoup trop anglais, et voici comment il s’y prend : en fin renard - Quel est votre favorite pop group ? Pas facile, n’est-ce pas ? Je pourrais opter pour les Beach Boys, mais il y a toujours cette difficulté à aimer Mike Love (of loving Mike Love). The Who? Far too patchy. The Pet Shop Boys? They didn’t know when to quit. The Bee Gees? Oh, too much to explain. Si on vous forçait à citer your favorite group of all time, then the Beatles would be a hard one to argue with, but so would the KLF - Et voilà comment il réanime un vieux scoop de la presse anglaise - The KLF - Bill Drummond and Jimmy Cauty - epitomized everything that had changed in pop since acid house. They weren’t young, or pretty, but they had ideas, a lot of good ones, a lot of stupid ones, and they were smart enough to put them into practice - Drummond avait joué avec Big In Japan à Liverpool, et dit à Seymour Stein qu’il avait sorti deux des greatest records of the decade, «Shake Some Action» des Flamin’ Groovies et «Love Goes To Building On Fire» des Talking Heads. Bon alors, est-ce une raison suffisante pour aller écouter KLF ?

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             On se remonte le moral un peu loin avec deux pages stupéfiantes sur les Mary Chain - You can imagine Beach Boys harmonies on «Never Understand» and Mary Weiss would have been the perfect singer for «Just Like Honey». La raison pour laquelle ils ne sonnaient pas comme des sixties revivalists, c’est parce qu’il recouvraient leurs songs with defeaning layers of squalling feedback (...) ce qui n’avait jamais été fait dans la pop - Et une fois encore, PolyBob se vautre quand il évoque le passage de Psychocandy à Darklands : «They ditched the feedback on their second album, Darklands. Now you could hear the tunes and the lyrics, clear as a bell, on «Some Candy Talking» and «April Skies», and they weren’t bad. But the point of the group was entirely lost.» T’inquiète pas PolyBob, si un jour t’écoutes «I Hate Rock’n’Roll», tu verras que le point of the band n’est pas lost du tout. Mais alors pas du tout ! Dès qu’un groupe est un peu trop sauvage ou trop moderne, PolyBob est paumé. On le voit attaquer Spacemen 3 et on craint le pire - It was hard to imagine Rugby group Spacemen 3 getting it together to go to the post office, let alone getting played on the radio - Oui, c’est sûr PolyBob, sauf que Sonic Boom et Jason Pierce comptent encore aujourd’hui parmi les plus belles rock stars anglaises. PolyBob ramène une anecdote : «Lorsqu’ils enregistrèrent leur album en 1987, la fumée de leurs pétards était tellement dense que l’ingé-son devait débrancher l’alarme incendie à chaque session.» Et il termine avec un pauvre petit jeu de mots : «If you wanted a soundtrack to narcotic oblivion, they were the perfect prescription.» Sauf que les albums des Spacemen 3 sont de vaillants classiques, et ça, PolyBob oublie de le mentionner. Faut-il faire confiance à un mec qui se prosterne devant les Bee Gees ?

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             Il va se reprendre en saluant Dinosaur Jr et J Mascis, qui «looked like a long-haired kid who’d sit on the toilet for forty minutes at a time reading Marvel comics.» Puis ça glisse tout naturellement sur Kurt Cobain - The Mascis whine, the Mould holler, neither could stand up to the sheer volume of Kurt Cobain and Nirvana - Et il surenchérit avec ça : «Summoning up the hard-rock noise of Led Zeppelin, Black Sabbath and Motörhead as a backdrop, for their underclass concerns, Nirvana became the biggest alternative group in the world.» Et Kurt, nous dit PolyBob, vénérait les Vaselines, Hüsker Dü et les Pixies. Et là PolyBob retombe miraculeusement sur ses pattes. On craignait qu’il n’ose esquinter la réputation de Kurt Cobain.

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             Il fait un dernier crochet par la Britpop, histoire de saluer Suede et leurs premiers singles, «The Drowners» et «Animal Nitrate», qu’il qualifie de «louche and lithe, clean and classy» - Suede’s artwork and asethetic was simple, and that suddenly seemed sexy - Il aurait pu qualifier ces singles de géniaux. Même Mark E. Smith qualifiait Suede de «best new band in Britain». Et ça se termine forcément avec Oasis - There was no Bowie, Smiths or Syd Barrett in the sound of Oasis, the group they were most reminiscent of was Slade - loud raucous, goodtime music. Liam Gallagher had far and away the strongest voice in Britpop, as rough and ragged as John Lennon on «Twist And Shout» (...) Noel Gallagher, like Marc Bolan before him, had the knack of rewriting his favorite riffs and creating something new and irresistible: «Don’t Look Back In Anger», «Wonderwall», «Cigarettes And Alcohol». And like Bolan, his ego quickly got the better of him - Puis Polybob évoque la «stratospheric fame» d’Oasis, avec ses 8 number ones, «and they blew it - It was a classic working-class tale, rag to riches and back again.» Il compare cette «tragédie» à celle des Bay City Rollers.    

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             Malgré ses petits défauts, cette bible est l’une de celles qu’il faut lire, car elle raconte l’histoire de la pop, c’est-à-dire l’histoire de ta vie. PolyBob t’aura au moins orienté sur deux groupes que tu ne connaissais pas : les Wondermints et KLF, et poussé à réécouter toutes affaires cessantes le 3 + 3 des Isley Brothers. C’est déjà pas si mal.

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    Signé : Cazengler, Stan laid

    Bob Stanley. Yeah! Yeah! Yeah! The Story Of Pop Music From Bill Haley To Beyoncé. Norton 2015

     

     

    Inside the goldmine

     - Knight of white satin

             Personne ne connaissait son nom. On l’appelait Nate. Un Savoyard. Un homme descendu des montagnes. L’œil clair. Un certain âge. Le cheveu gris. Solidement charpenté. Assez haut. Voix profonde. Toujours en pull marin l’été. En caban l’hiver. Il semblait indestructible. Un roc. Un homme austère. Jamais un sourire. Il passait voir les gens pour leur apporter un soutien moral. Quelques paroles de sagesse. Il aidait aussi à résoudre certains problèmes administratifs. Il savait où s’adresser pour obtenir des aides municipales. Il ne demandait rien en retour. C’était un bénévole. Il se mettait au service des gens. Pour le voir, il suffisait de lui laisser un message au tabac-épicerie du coin de la rue. Il fallait lui indiquer l’adresse exacte, le jour et l’heure. Il était toujours ponctuel. Il entrait et s’installait en position de lotus sur le canapé, sans enlever ses chaussures. Il attendait. Il n’ouvrait jamais le débat. Il fallait lui soumettre le problème. Il réfléchissait avant de donner une réponse. On sentait en lui un caractère forgé. Il cultivait probablement un mélange de casuistique et de foi en l’homme. Il ne supportait pas les pleurnicheries. Il appelait ça «les larmes de crocodile». Il affirmait sèchement qu’il existait une solution pour tout problème. Et qu’il fallait fournir un petit effort pour trouver la solution. Il prenait des risques en parlant ainsi à des gens affaiblis par les rigueurs de la vie, mais il le faisait intentionnellement. Passer à l’action était pour lui le seul remède contre la misère du monde, le seul vaccin moral capable de vaincre la gangrène. Il utilisait toute sa force de caractère pour parvenir à ses fins, c’est-à-dire sauver les gens d’eux-mêmes. Combien de vies a-t-il sauvées, personne ne le saura jamais. Mais ceux qui l’ont connu se souviennent de lui comme d’un saint homme. Un saint homme dur.

     

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             Pendant que Nate sauve des vies, Knight met au monde la Soul des jours heureux. Dans leurs domaines respectifs, ils ont joué des rôles fondamentaux. Et plus ces rôles sont insignifiants aux yeux de la postérité, plus ils sont fondamentaux aux yeux de l’infra-monde. 

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             Merci Philippe Garnier de nous avoir signalé, au temps des Coins Coupés, l’existence d’Eddie Holman et de Robert Knight, un Robert Knight dont on retrouve d’ailleurs la trace chez Steve Ellis et Love Affair, puisqu’ils vont faire leurs choux gras d’«Everlasting Love».

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             Dave Godin nous rappelle les infos de base : Robert Knight est un petit black du Tennessee, qui grâce à Love Affair, va devenir une star de la Northern Soul en Angleterre. On est donc en territoire sacré.

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             Alors tu remontes à la racine de l’hit avec l’album du même nom, paru en 1967. Robert Knight chante ça d’une voix blanche et fait de la fantastique dancing Soul. Steve Ellis en fera autre chose. Ça continue sur le même registre avec «Somewhere My Love», un cut assez capiteux, monté sur un petit beat serré et Robert Knight chante pépère à la surface. On s’attache à lui. Ça explose plus loin avec «My Rainbow Valley» que reprendra aussi Steve Ellis; Quelle qualité de dancing Soul ! Il chante comme un vainqueur. Les Anglais ne pouvaient que flasher sur lui. Un vainqueur avec l’accent black, ça devient vite génial. Robert Knight est l’anti-Wilson Pickett, il arrive au même résultat sans screamer. Il tape à la suite une cover de «The Letter», c’est fin et bien enquillé. Il entraîne son monde avec une étonnante facilité. Il n’existe rien de plus propice au bonheur que cette Soul des jours heureux.

             Tant qu’on y est, on peut aussi écouter deux ou trois bricoles, comme «Love On A Mountain Top» (pur jus de diskö-Soul, il finit en apothéose de Soul Brother), ou encore «I Can’t Get Over How You Get Over Me», nouveau shoot de Soul des jours heureux. Te voilà plongé dans l’extrême beauté de la Soul dansante.

    Signé : Cazengler, Robert Nike

    Robert Knight. Everlasting Love. Rising Sons 1967

     

    *

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 35

    OCTOBRE – NOVEMBRE - DECEMBRE

     

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    Graham Fenton sur la couverture. Avant de sauter sur l’article hommagial, il a disparu au cœur de cet été, restons quelques instants sur cette belle photo, remercions Sergio pour ce portrait parlant, ce n’est plus le jeune fan qui accompagnait Gene Vincent sur une de ses tournées françaises, l’est dans son perfecto comme d’autres s’installent dans leurs raisons de vivre, l’homme a vécu, il a partagé bien des combats, et le voici tel qu’en lui-même le rock’n’roll l’a statufié. Baudelaire dirait qu’il a plus de souvenirs que s’il avait mille ans, l’est un peu voûté comme Atlas obligé de supporter le poids de la voûte stellaire sur ses épaules, mais l’on comprend qu’il est un combattant de notre musique, qu’il ne regrette rien, qu’il assume tout, les mille orages, les mille printemps, son regard clair est une invitation impérative adressée à tout un chacun de vivre sans faillir à son propre destin. C’est un Homme qui vous regarde.

    L’on pourrait résumer la vie de Graham en inversant une formule célèbre, on ne devient pas un rocker, on naît rocker. Un privilège, une malédiction comme celle des chacals de Béthune, ou alors ce sont les circonstances qui se plient à notre désir, peut-être inconscient sûrement chevillé à notre volonté, à notre corps et à nos propres représentations mentales, car si le monde exerce une certaine influence sur nous, ayons l’outrecuidance de penser que nous en avons une sur lui. L’a un ange noir, normal c’est un biker, protecteur auprès de lui, son frère aîné qui lui montre les deux chemins à suivre : la moto et les pionniers, du rock’n’roll  évidemment.

    Avec les Houseshakers il se retouvera à accompagner Bo Diddley et Chuck Berry, il participera au festival de Wembley, le coup de tonnerre qui annonce le retour du old good rock’n’roll parmi les peuples qui n’attendaient que la levée des orages désirés. La suite de sa carrière, les Hellraisers et Matchbox. Profitons de cette boîte d’allumettes pour honorer Carl Perkins qui l’avait repris à Blind Lemon Jefferson, car vous savez toute la musique que l’on aime vient du blues. Je vous laisse lire et vous mirer dans les photos. Tout ce que vous avez rêvez d’être. Que vous serez peut-être dans une autre vie.

    Méfiez-vous pour le premier article qui ouvre la revue. Jean-Louis Rancurel vous ouvre sa boîte à images. Nous fait le coup du crocodile qui mord. Nous refile un ange noir. N’est pas noir du tout, mais la première fois que j’ai entendu Vigon sur Salut les Copains, j’avais débarqué en plein milieu de morceau, il ne chantait même pas, il parlait, j’étais sûr que c’était un blackos venu tout droit de l’Amérique, je n’avais même pas remarqué qu’il causait en français, c’était la période rhythm and blues, Sam and Dave, Arthur Conley, Otis Redding, James Brown, Wilson Pickett, et toute la troupe avec leurs fanfares cuivrées, par la suite l’on a appris qu’il n’était pas français mais marocain, un véritable melting pot à lui tout seul. Un véritable météore, un alien dans notre douce France, l’a fait toutes les premières parties des vedettes d’Amérique. Et puis du jour au lendemain plus rien. Que lui était-il arrivé ? Etait-il mort ? Silence radio. Quelques années plus tard un entrefilet dans Rock’n’Folk nous apprenait qu’il était propriétaire d’une boîte de nuit au Maroc… Un goût amer dans notre bouche. L’a fallu trente ans et un mauvais coup du destin, la mort de sa fille, pour qu’il revienne, lisez la suite de cette histoire triste et en même temps merveilleuse pour les fans de Vigon… Notre Cat Zengler nous a chroniqué un de ses concerts à Paris…

    Vérifiez vos chaussures, un serpent s’est glissé dedans, non ce n’est pas un anaconda mais Thibaud Lefaix de Snakes In The Boots, nous l’avons vu, voici trois semaines au 3B à Troyes, l’est tout seul sans ses deux comparses, il se raconte, sans prétention, étonné de son parcours, de ce qu’il sait faire, il prend soin de n’en tirer aucune gloire, rafraîchissant ! N’empêche que l’avenir s’ouvre devant lui.

    Cette fois Julien Bollinger a pris trois pages. C’est que certaines racines s’enfoncent plus profondément dans le sol que d’autres. Ce n’est pas du rock, ne prenez cette mine mitigée, ce n’est pas du country, quittez cet air contrit, ce n’est même pas du blues, n’en ayez pas le blues pour autant. C’est du folk ! Inutile de cracher par terre ou de vomir votre quatre-heure, rien à avoir avec des chansons scoutes. Tout le contraire. Un misérable ! Un guerrier, un battant. Le genre de trouble-fête que l’Amérique de Trump lyncherait avec plaisir, c’est un blanc, un hobo aux idées claires, l’avait une guitare qui tuait les fascistes. Woody Guthrie s’est toujours battu pour les pauvres contre les riches et les capitalistes. Remercions Julien Bollinger d’exhumer cette figure qui représente l’Amérique que nous aimons… Un peu de politique ne peut pas faire de mal.

    Pages suivantes : l’histoire de Christophe et Jessica. Une histoire d’amour certes, mais surtout de voitures et de rockabilly. Une passion pour les voitures et les choppers. Un garagiste, seul au début, oui mais pas tout à fait, la famille (nombreuse) se joint à lui, puis des passionnés qui se greffent dessus, entraide et soutien, et la création de l’Open Garage Mc Coy’s, manifestation publique, pour la neuvième cuvée : customs, hot rods, expos, etc, etc, mais attention la musique adoucit-elle le bruit des moteurs ou le renforce-telle, en tout en ce mois de mai 2025, vingt groupes, en trois jours, une anthologie historiale de la scène française, un truc qui dans quelques années sera devenu une légende…

    Nous clôturons avec la quatrième de couverture et la promesse d’un nouveau Hors-série de Rockabilly Generation News pour le premier janvier 2026. Une année qui s’annonce bien.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News (1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 6 Euros + 4,72 de frais de port soit 10,72 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 39 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( Rajouter 1,10 € ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

    *

    S’il est un groupe mystérieux c’est bien Telesterion, non pas parce que l’on ne connaît rien de ce groupe mais parce ce que toute sa démarche s’inscrit dans le Mystère ou plutôt dans les Mystères les plus sacrés, ceux de l’antiquité grecque. Fin août 2025 Telesterion a sorti un album de deux 33 Tours, intitulé Aporrheta. Le titre vous semble-t-il mystérieux : il signifie Choses Tues. Autrement dit ce que vous ne devriez pas savoir. Ne vous plaignez pas de votre ignorance, les fidèles lecteurs de Kr’tnt en savent beaucoup plus qu’ils le croient puisque ce disque reprend les quatre premiers EP du groupe que nous avons déjà chroniqués : An ear of grain in silence reaped sorti le 16 / 06 / 2022, House of lilies sorti le 15 / 09 / 2022, Echoing palaces sorti le 02 / 12 / 2022, Myesis sorti le 18 / 03 / 2013. Le concept d’Aporrheta est intimement lié aux Mystères d’Eleusis.

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    Si nous n’avons pas donné le numéro des successives livraisons dans lesquelles nous les avons chroniquées c’est pour que vous ayez le plaisir de les rechercher par vous-mêmes. Si les choses sont tues c’est uniquement pour vous encourager à les retrouver par un long et méthodique effort. C’est le principe même de l’Initiation. Sur son bandcamp Telesterion se présente en quelques mots : Je commence à chanter Demeter, déesse intimement liée aux mystères d’Eleusis.

    SONGS OF ORPHEUS

    TELESTERION

    (Ixiol Productions / Snow Wolf Records / Septembre 2025)

    Pour ce qui veulent tout savoir Ixiol est un label basé en Amérique du Nord . Snow Wolf est aussi le label de Thumos, groupe américain, que grossièrement nous qualifierons de platonicien, dont nous suivons systématiquement toutes les sorties.

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             Les poèmes d’un poëte ne parlent pas obligatoirement du poëte qui les a écrits. Cette première phrase est sujette à caution et pourrait nous entraîner en des gloses interminables. D’autant plus inutiles qu’il ne nous reste aucun écrit d’Orphée, que notre héros grec est au pire un personnage symbolique, au mieux une conceptualisation forgée par les Grecs durant des siècles. Les Dieux et les héros grecs sont des espèces de work in progress (et de régression) pour reprendre une expression chère à Joyce. L’avantage de ces concrétions mentales successives réside en le fait que chacun peut se façonner une image d’un dieu conforme à son désir… Un peu comme des statuettes de terre glaise que l’on se passe de génération en génération, d’individu à individu, chaque époque, chacun de nous, peut ainsi imprimer ses propres désirs sur cette argile mouvante…

             Nous aborderons la problématique avec les gros sabots de l’ignorant qui pose la question qu’il ne faudrait pas poser, la voici : quelle relation existe-t-il entre Orphée et Demeter, que nous conte la mythologie grecque à leurs sujets ; se sont-ils rencontrés, se sont-ils combattus, se sont-ils aimés, trahis, haïs. Rien de rien, aucune anecdote, ne serait-ce que croustillante, ne les relie. Ne vous désolez pas, souvenez-vous que les Grecs ont un esprit subtil. Alors procédons subtilement.

             Commençons par  l’ histoire officielle : Orphée n’est pas n’importe qui : il est le fils de Calliope la première des Muses, celle de la poésie épique, celle qui préside aux chants qui content les combats des Dieux et des Héros. C’est avec Zeus qu’elle engendrera Orphée. Bon sang ne saura mentir, Orphée participera avec Jason à l’épopée de la Toison d’Or, tout au long du périple son chant  sera d’un grand secours pour vaincre aux instants cruciaux les difficultés que Jason et les Argonautes auront à affronter. Le chant et la lyre d’Orphée sont insurpassables, lorsqu’il se saisit de sa lyre les arbres inclinent leur houppe en cadence et les animaux sauvages sortent des forêts et viennent l’écouter couchés à ses pieds comme les chiens auprès de leur maître… Pour vous en convaincre, lisez le Bestiaire de Guillaume Apollinaire. Comme par hasard remémorez-vous que Calliope eut quelques intimités avec Apollon.

             L’Histoire commence comme un conte de fée et se termine comme Massacre à la Tronçonneuse. Orphée tombe amoureux d’Eurydice, piquée par un serpent le jour de ses noces, elle meurt. Inconsolable Orphée descend aux Enfers chercher sa bien-aimée, son chant séduit Cerbère le gardien des portes inviolables mais aussi les souverains du monde souterrain Hadès et Perséphone  qui permettent à Eurydice de suivre son chéri en marchant derrière lui, une seule condition : Orphée ne doit pas se retourner pour la regarder avant qu’ils ne soient revenus à la surface de la terre. Orphée se retourne, Eurydice retourne au royaume des morts. Cerbère ne se laissera pas attendrir une deuxième fois… N’oubliez pas de relire Les Chimères de Gérard de Nerval…

             Inconsolable Orphée passe ses journées à pleurnicher… Les prêtresses de Dionysos, les Ménades se mettent en quête de consoler ce beau garçon de son chagrin, Orphée reste insensible à leurs charmes, dépitées elles se ruent sur lui et le découpent en morceaux qu’elles jettent dans les flots du fleuve… la tête posée sur la lyre rejoindra l’île de Lesbos. La lyre fut placée dans le ciel dans lequel elle devint la constellation de la Lyre, la tête fut installée avec moult égards dans le temple d’Apollon. Elle ne sut pas retenir sa langue : elle contracta  la fâcheuse habitude de répondre avant la célèbre Pythie la prêtresse d’Apollon, aux questions que lui posaient par l’entremise des prêtres les hommes qui venaient interroger Apollon quant à leur destinée… Excédé Apollon se mit en colère et vint en personne intimer le silence au chef d’Orphée qui dès lors garda le silence…

    Méditons sur cette histoire. Quels en sont les éléments essentiels : la présence de la  mort, Perséphone, Dionysos, et le silence des choses tues qui ne doivent pas être divulguées. Ce choix n’implique pas des préférences aléatoires, il repose sur ce que nous appellerons l’histoire officieuse. Toutefois pour ceux qui penseraient que nous nous éloignons du rock’n’roll nous vous enjoignons à lire La descente d’Orphée de Tennessee Williams, pièce datant de 1940, dans laquelle apparaît un mystérieux personnage porteur d’une guitare et d’une veste en peau de serpent… Très belle prémonition du surgissement du rock’n’roll dans la société américaine…

    L’Histoire officieuse : commençons par nous interroger sur la signification du titre : The songs of Orpheus : l’opus en question évoque-t-il les chants que composaient Orphée, ce serait donc une espèce de reconstitution imaginative, ou les chants relatifs à l’histoire d’Orphée, un peu comme ce que nous venons de faire dans notre rapide exposé. Nous aurions envie de répondre : un peu des deux mon général. Toutefois méfions-nous des choses tues.

    Selon les Grecs, Orphée aurait connu le lamentable destin que nous avons rapporté pour avoir dans ses chants révélé des secrets sacrés… dans ses vers il aurait livré des explications interdites quant à la signification des rites que les prêtres mettaient en œuvre lors des cérémonies religieuses. Aux fidèles de percer  le sens des gestes accomplis et des paroles proférées. Si vous ne les comprenez pas contentez-vous d’adorer et de vous taire. Le silence est préférable aux âneries.

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    Notre modernité tient Dionysos en haute estime, il doit une fière chandelle à Nietzsche, dieu du vin de l’ivresses et de l’extase il a tout pour plaire, qu’il soit à l’origine de la comédie et du drame ne lui attire point un gramme de sympathie supplémentaire.  Bref nos contemporains ne retiennent que ce qui les arrange. Certes l’on se souvient que son père a arraché le foetus du bébé Dionysos du ventre enflammé de Sémélé sa mère, que l’enfant a été déchiré par les géants envoyés par Héra jalouse de Zeus… Zeus recollera les morceaux et   donnera à son fils l’immortalité. L’on se plaît à voir en Dionysos le dieu mortel une préfiguration du Christ bla-bla-bla… par contre il se murmure d’autres histoires, que Dionysos serait descendu aux Enfers pour demander à Perséphone la permission de rencontrer sa mère, mais il y a encore davantage troublant : Dionysos serait le rejeton de Zeus et de Perséphone, il serait donc aller rendre une visite de courtoisie à sa mère… Or Perséphone n’est autre que le nom qu’elle porte durant les mois où elle vit auprès de son époux Hadès, son nom de jeune fille est Koré. Or Koré est la fille de… Demeter. Or les Mystères d’Eleusis qui traitent des arcanes de la mort et de la renaissance, sont des décryptations du mythe de Koré obligée de passer trois mois dans les Enfers, royaume de la mort, elle vit sur la terre durant les neuf autres mois. Encore plus significatif les Mystères d’Eleusis ont été fondés par Dionysos et… Orphée. Je vous laisse réfléchir quant aux faisceaux de perméabilité  entre toutes ces personnages…

    Nous en savons maintenant assez pour établir le lien entre Orphée et Demeter. Apprêtons-nous maintenant à écouter Telesterion, qui hormis les titres des sept morceaux de son opus ne nous donne pas d’autres indications quant au sens de ce par quoi notre attention est monopolisée. Toujours la même loi des choses tues… notre interprétation est donc sujette à caution…

    La couve est une reproduction d’un tableau du peintre allemand Von Stuck (1863-1928), peintre symboliste qui eut pour élève Vassili Kandinsky  et Paul Klee, on peut le considérer comme un point de passage entre la vieille peinture et l’aventure picturale de la modernité, sans doute ne faut-il pas oublier tout ce qui le relie à des peintres comme Arnold Böcklin et Gustav Klimt… Le titre de l’œuvre ne saurait être plus explicatif : Orphée charmant les bêtes sauvages avec sa lyre. Quelle signification donner aux animaux ? Le Lion est vraisemblablement un hommage à Alexandre Le Grand dont le rêve (réalisé) fut de tuer un des derniers représentants du roi des animaux, n’oublions pas qu’il descendait des Héraclides, et dont l’entreprise guerrière  le mena jusqu’en Inde, déjà de son vivant son entreprise de conquête apparaissait comme une manière d’égaler l’exploit de Dionysos qui avait mené son cortège jusqu’aux Indes… La présence de l’ibis est-elle un discret hommage au poëte latin Ovide qui dans un des passages les plus poignants des Métamorphoses conte la descente aux Enfers d’Orphée. Pour le crocodile je vous renvoie à Virgile et au blason de la ville de Nîmes. Je n’en dirais pas plus, certaines choses doivent être tues.

    Rites performed by the Priests of Demeter: Celeus / Dioclese / Eumolpos / Triptolemus / Polyxeinus

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    Ye, I inwoke Dread Pow’rs : (Oui, j’ai réveillé les pouvoirs redoutables) : ne vous fiez pas à l’entrée apaisante, ou alors changez de disque, une déferlante d’une violence infinie, sombre, voix, chœurs et orchestrations emmêlés en un magma océanique, lorsque l’intensité sonore baisse, restent un profilage ténébreux qui ne recule pas mais au contraire avance avec une brutalité marcescente, même pas le temps de vous demander l’identité de celui qui prononce l’invocation, en est-ce d’ailleurs une, ou une revendication d’un geste innommable et défendu qui a été accompli par le seul fait de se taire serait est à lui tout seul un sacrilège.  Ce premier morceau est bien l’ouverture d’un Drame, ce qui doit arriver surviendra. Alea Jacta Est aurait dit César, c’est vrai qu’il ne traversait pas l’Achéron mais le modeste Rubicon. Toutefois, de l’autre côté de ce modeste cours d’eau l’attendaient les poignards des conjurés. En descendant dans les Enfers Orphée n’a-t-il pas mis en branle des forces extrêmes. Come, Snaky-Hair'd, Fates Many-Form'd : (Viens, cheveux de serpents, destin aux multiples formes) : comment ne pas voir en ses cheveux serpentueux la chevelure de serpents de Méduse. Indice fragmental : Franz Van Stuck n’a-t-il pas

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    peint dans Medusa le visage pâle du soleil noir de la tête de la Gorgone ? Une orchestration encore plus violente, encore plus démesurée, une batterie qui joue la marche lourde et pesante du Destin. Qui vient à votre rencontre. Un ami me disait que quand vous fonciez en voiture sur un mur, le mur venait aussi vers vous à la même vitesse et que vous subissiez un choc de deux cents kilomètres heures. Cinétiquement c’est faux, et pourtant quand vous écoutez ce morceau vous avez l’impression que non seulement il vous écoute mais qu’il ouvre une bouche démesurée pour vous avaler. Sur la fin une ruée sonore cataclysmique. Terrestrial Born : (Né(e) terrestre) : Nous sommes tous nés sur cette terre, tous les protagonistes

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    Le Printemps / Franz Von Stuck

    du mythe aussi : Koré la pure jeune fille, Dionysos le Dieu démembré, Orphée le poëte maudit. Identifiez-vous au masque de votre choix, Telesterion ne nous fait pas de cadeau. Sur cette terre nous marchons tous vers notre terre. Personne ne sortira vivant d’ici disait Jim Morrison. Est-ce pour cela que l’orchestration rampe lourdement comme un crocodile, vous pensez que vous lui échapperez mais elle court sur vous à une rapidité incroyable, ses mâchoires puissantes vous saisissent vous prennent en tenailles et vous, la bête féroce du destin, vous mâche tranquillement sans se soucier de vos supplications. Le niveau sonore implacable ne cesse d’augmenter. These Rites Rejoice, For Ye, I Call (Ces rites vous réjouissent, car oui, je vous appelle) : cordes vibrionnantes, et si l’on repassait le film à l’envers, si ce n’était qu’un faux semblant, tout aussi fort mais encore plus impressionnant, et si ce n’était pas le Destin qui vous appelle, mais un Dieu par l’entremise d’un hiérophante qui ouvre les portes jusqu’à lors fermées, le portail de L’Enfer n’a-t-il pas tourné sur ses gonds, avec quelle force, quelle violence Orphée n’a-t-il pas dû jouer pour forcer l’interdit, la barrière infranchissable qui sépare les morts des vivants, mais aussi les morts des vivants. Sachez où vous mettez les pieds lorsque le Destin cède à vos demandes.  Excite The Mental Eye, Waken : (Ouvre l’œil mental, Eveille-toi) : nous sommes au cœur du rite, tout se passe désormais dans ta tête, tout dépend de toi, la musique s’extrémise mais le chœur s’amenuise, ne serait-il pas louangeur, profèrerait-il des mensonges, à toi d’y voir clair, de te hisser hors des bords chaotiques et presque cacophoniques de cette musique catacombique qui entrechoque ta cervelle comme les icebergs sur la coque du Titannic, pas de trêve, pense par toi-même, ne te fie à personne, toi seul détiens les clefs de l’énigme et de ton âme, et de la vie et de la mort. Que de vacarme dans l’âme sans arme, ne joue pas ton avenir aux dés, ils roulent et t’écraseront, bâtis ton propre destin, opère le choix que tu es. Une symphonie à la Malher, n’est-ce pas la prémonition du malheur. Great Ocean's Empress, Wand'ring Thro' The Deep : (Impératrice du grand Océan, errant dans les profondeurs) : l’entrée nage entre deux os, es-tu le squale ou celui à desquamer, le rythme balance, le chant suit le mouvement tempétueux de la mer, serais-tu dans la longue  jonque noire de Charon, dans quel sens l’étrave trace-t-elle son sillage, es-tu sur le chemin de l’aller ou sur celui du retour, la cadence ne suit-elle pas simplement tes atermoiements, est-ce l’ignorance, est-ce la peur, est-ce le rêve, tu ne sais pas, silence, juste quelques effluves cordiques, mais non la rythmique infernale recommence, comme un chant de sirène plane sur les eaux du désastre, vite assourdi par des milliers de pas qui battent la semelle sur un rivage désolé, tu vas savoir, les profondeurs de la terre sont-elles aussi vastes que l’Océan infini qui entoure la terre. Hear Me, O Death : (Ecoute-moi, Ô Mort) : un peu de douceur dans ce monde de brutes, prélude et mort d’Yseult, qui parle est-ce toi qui supplies, est-ce toi qui comprends enfin que tu as compris, vainqueur et vaincu, tu l’as été et tu le seras encore, la mort est un passage, n’est-il pas réversible, la graine ne refleurit-elle pas sur la terre, tout n’est que transbahutement, transhumance, transformation, métamorphose infinie, la mort n’est-elle pas la chrysalide du vivant, le linceul de l’homme et l’enveloppe des Dieux que tu es et que tu n’es pas. Quelques notes de piano. Un dernier message d’encouragement comme une poignée de main. Quand tu sortiras au grand jour seras-tu à la table des Dieux sur l’Olympe ou attelé aux travaux et aux jours de tes semblables. Toi le dissemblable.

             Splendide. Je ne sais pourquoi, car les deux œuvres sont musicalement extrêmement différentes, l’une qui se déroule dans les espaces grandioses du Mythe, et l’autre dans les soubassements cacafouillesques de la conscience des vidanges psychanalytiques victimaires, en écoutant l’avant-dernier morceau s’est établi dans mon esprit vraisemblablement malade le rapport avec Tommy l’opéra rock des Who. Peut-être faut-il se méfier des références culturelles. Dans tous les cas un chef d’œuvre. Il ne faut pas se contenter de l’écouter, il faut entreprendre de l’assimiler.

    Damie Chad.

     

    *

    Je connais le gars, il revient systématiquement chaque année à la brocante de Provins, l’a des tas de cartons accessibles, j’y dégotte toujours quelques raretés, il y a quelques années un texte rare du divin Marquis, non je ne parle point du groupe de Rennes mais de l’authentique, mince correspondance dont je n’avais jamais entendu parler, je ne suis pas de ces nombreux amateurs de Sade qui se vantent de tout connaître, non je ne le chroniquerais pas ici de peur que ne s’opérassent de graves perturbations intimales et sexuelles parmi nos lecteurs, mais ce coup-ci j’avais dégoté un roman plutôt jazz, je vous en reparlerai si vous êtes sages.

    • Je n’ai rien sur le rock cette fois ci, ah ! si tenez, un seul bouquin sur les Doors !
    • Sur les Doors, je prends !

    OPEN THE DOORS

    LE GROUPE, LES CHANSONS, LA MUSIQUE

    PHILIPPE MARGOTIN

    (GLENAT / Octobre 1921)

             J’avoue qu’en rentrant chez moi je n’étais pas trop chaud, l’est vrai que ce n’est pas facile de feuilleter en marchant un livre qui avoisine les deux kilos, tracté par deux chiens tenus en laisse. A première vue, un ouvrage en vue des cadeaux de Noël, l’en sort systématiquement toutes les fins d’années, sur tous les grands noms du rock, d’ailleurs le Margotin malin ne mégote pas, l’est un spécialiste du genre, l’est souvent au rendez-vous lorsque surviennent les premiers frimas annonciateurs des turbulentes saturnales. Peu de texte, un max de photo, une maquette aérée, des couleurs vives à transpercer les yeux des aveugles, bon je le mettrai sur une étagère, on verra plus tard. Oui mais trois jours plus tard, parce que les Doors quand même, je détachais le paquebot de son mouillage présomptif…

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             Le porte-avions entre les mains se révèle encombrant mais on oublie vite son look d’armoire normande, première impression, l’on s’attend à une police géante, il n’en est rien, deux microns d’épaisseur et de hauteur de surcroît n’auraient en rien été superfétatoires. A vrai dire le texte manque un peu de profondeur mais par contre sa surface est si intéressante qu’elle pousse à la réflexion. Elle fourmille d’informations, pas de révélations fracassantes mais l’exposé chronologique des faits aide à mieux entrouvrir les portes. Ainsi dès les premières pages qui exposent les racines culturelles – cinéma, littérature - de la contre-culture américaine m’est venue à l’esprit cette idée que le phénomène agrégatif qui s’est produit dans les années cinquante et soixante sur la côte ouest pacificale a eu une influence intellectuelle et artistique aussi importante que Dada après 1918. Certes le dadaïsme, fils de la tuerie organisée de 14, reste marqué par le nihilisme, à l’inverse ce qui naît après 1945 est teinté d’optimisme, la destruction procure entre autres conséquences une joie libératrice, la contre-culture américaine revendiquera l’influence du Surréalisme, toutefois lorsque je zieute les photos du groupe surréaliste je ne puis m’empêcher de penser que, face aux beautifull people californiens, nos chantres de la révolte européenne étroitement embourgeoisés dans leurs costumes du dimanche ont l’air un peu coincés du cul. Vous n’êtes point obligés de partager mon jugement : je reconnais éprouver quelques aversions théoriques et esthétiques divergentes envers le mouvement de la bande à Breton, bien pâlichonne comparée à celle de Bonnot…

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             Procédons avec ordre et méthode : le livre suit l’ordre naturel de la discographie – de la formation du groupe à la mort de Morrison – soit six albums studio et un Absolutely Live composé de deux  trente-trois tours. Chaque titre est disséqué à tour de rôle. L’on n’apprend pas grand-chose – par contre une bonne entrée en matière pour un néophyte – certes ne sont oubliés ni le producteur ni les ingénieurs du son, de petits encarts colorés vous apportent des renseignements sur des noms qui aujourd’hui risquent de ne réveiller aucun souvenir à la majorité des lecteurs.  Margotin nous baratine les faits, il résume le sens des textes, indique la (ou les) date(s) de composition, esquisse rapidement quelques interprétations, mais ne pénètre pas plus avant dans la compréhension des textes alors qu’il décerne à Morrison le titre de grand poëte américain. A sa décharge notons que Robby Krieger a été souvent sollicité par le reste du groupe, Jim compris, pour l’écriture de nouveaux morceaux, le groupe ayant peur de ne pas se renouveler, mais aussi  pour  rester fidèle aux principes démocratiques qui avaient présidé à sa formation. Certes les Doors c’était : un leader charismatique + trois musiciens doués mais pas un chef avec trois sous-fifres le doigt sur la couture du pantalon. Margotin n’oublie jamais, à juste titre, de préciser l’apport décisionnel des trois musiciens dans la mise en musique des morceaux.

             Deux remarques adjacentes qui ont de l’importance, et pour mieux appréhender le livre, et pour mieux cerner la carrière somme toute météorique du groupe. Statistiquement parlant les Doors ont produit un disque tous les six mois. D’autre part ils n’ont cessé de donner des concerts. Pressés par le temps, ils n’ont pas eu le temps de rester trois mois en studio pour peaufiner un album. Dès qu’ils avaient quelques trous dans leur emploi du temps, ils filaient en studio et mettaient au point deux ou trois morceaux pour le prochain opus. D’où parfois la fausse sensation de répétition, lorsqu’il examine un album Margotin n’a plus de détails inédits à nous mettre sous les yeux. Nous ne pouvons lui reprocher sa minutie chronologique. Ne pas confondre gestation et séance finale d’accouchement.

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             Lorsque Manzarek rencontre Morrison, Jim a déjà noirci nombre de pages.  Il est étonnant de se rendre compte combien Morrison puise incessamment dans ses premiers poèmes et textes, l’essenciel, je mets un ‘c’ et non un ‘t’ pour attirer l’attention sur le mot essence, non pas pour comprendre ce mot en tant que finitude ou résultat, mais en tant qu’indication de l’origénéité séminale de la poésie de Morrison. Toute grande poésie se doit d’être originelle et non circonstancielle. Il est dommageable que Margotin ne s’engage point dans cette sente obscure. Il ne l’aborde que pas le petit côté de la lorgnette, se contentant de remarquer que contemporains de l’éclosion du mouvement hippie les Doors n’en partagent ni l’idéologie ni l’aspect fleur bleue. L’univers des Doors es beaucoup plus dur et pessimiste. Sans trop insister. Nietzsche, que Morrison a lu, est de tous les philosophes le plus pessimiste en le sens où il n’appuie pas cette vision du monde sur le simple constat de la présence du nihilisme car il entrevoit le nihilisme non pas comme ce qui serait, de par sa nature même, un fait insurmontable ou une donnée fondamentale mais au contraire ce qui nécessite les plus grands efforts pour s’en abstraire… Le pessimisme exige une tension libératoire que Rimbaud, et Jim Morrison à sa suite, nomment sauvagerie. C’est cette sauvagerie qui permet de break(er) on through to the other side, sur l’autre versant. Ensoleillé. Attention le passage est dangereux, leopard on my rigth, cobra on my left, autrement dit les animaux symboliques : de Dionysos  toujours accompagné de son cortège de strange people et de panthères, et d’ Apollon avec le serpent sacré qui logeait à Delphes dans son temple nombril du monde, attention Dionysos et Apollon sont réversibles, la parade est molle car elle ne se dirige ni vers la droite, ni vers la gauche, mais dans l’hésitation, d’où dans le poème l’appel à d’autres animaux lions et chiens, il ne s’agit pas d’un choix mais du retour éternel de chaque chose à revenir, non pas sur elle-même mais l’une après l’autre ou   l’une avant l’autre car sur le cercle mobile les deux positions s’équivalent, reviennent au même… Dans Ainsi parlait Zarathoustra Nietzsche se demande où il a déjà entendu ce chien aboyer.

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             Il est à noter l’allusion au carrefour de Robert Johnson dans The Soft Parade, ce n’est pas le diable (trop chrétien, pas assez païen) qui survient mais le blues, le rock’n’roll, que Morrison a utilisé comme vecteur pour forcer les portes, sans doute entrevoyait-il non pas une plongée individuelle par le LSD et autre produits, mais un passage en force sinon collectif du moins générationnel, chacun avait son rôle, il était le chasseur au gilet vert ou le Roi Lézard ou tout autre avatar, et les autres les strange people formaient le cortège.

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             J’ai longtemps eu un problème avec Strange Days, le deuxième album des Doors, pas précisément avec la musique, mais la pochette m’a longuement interrogé. Ce n’est pas moi qui ai posé des questions, c’est bien elle qui me les adressait. Pour le dos de la pochette je savais répondre : un clin d’œil à The House of the Rising Sun, à l’origine un bordel de la Nouvelle-Orléans. D’ailleurs le disque suivant n’était-il pas titré Waiting for the Sun. Mais le recto, c’est quoi ce ramassis de simili saltimbanques, des artistes de rue, semblaient un peu trop se moquer du public, qui sans parenthèse n’était pas présents sur la couve. J’avais une réponse – faut toujours en avoir une juste à côté d’un colt, car dans la vie il ne faut pas être prêt à se défendre mais toujours anticiper à tous moments l’approche (et donc la mort) de l’ennemi. Ne cherchez pas qui c’est, il est près de vous. Juste derrière. Evidemment vous pensez à  Freaks le film de Tod Browning. Une vieille pellicule en noir et blanc. Pas mal comme parade, hélas pas assez dure, j’avais l’impression que mon colt s’était changé en Browning, malheureusement chargé à blanc. J’avais une autre solution, une voie de secours, sans issue devrais-je dire. Pensez donc, je pensais au Club des Cinq en Roulotte d’Enid Blyton, à cause de l’invraisemblable  groupe de forains hétéroclites qui en  peuplent les pages, oui mais c’était le début de la piste… étranges gitans, strange people, c’est bizarre tout de même… Puis est venue l’illumination, je me vante, m’a fallu trois ans pour établir la connexion : Egar Poe ! Non pas parce que les contes d’Edgar sont remplies d’histoires extraordinaires, mais parce que lui-même les qualifiait de grotesques et d’arabesques. A bien y réfléchir suffit de changer l’angle de vision : nos Beautifful People avaient bien un petit côté grotesque, une idéologie transcendantaliste un peu trop fumeuse pour prendre le Thoreau William par les cornes. Des babas sans rhum. Restaient les arabesques. Drôle de quadrillages ! Structures mouvantes. En d’autres mots : la poésie. Edgar Poe a écrit des contes et de la poésie. Jim Morrison a fait du rock’n’roll et écrit de la poésie. Deux démarches parallèles. Des arabesques qui ne se  rencontrent jamais c’est ce qu’en géométrie des espaces l’on nomme des cas particuliers ! Je termine en quelques mots : ce n’est pas parce que les textes de Poe regorgent de situations étranges que nous affirmons qu’il existe des similarités entre nos deux poëtes, mais dans leurs tentatives de transformer leur appétence de vivre en maîtrise poétique. Ce qui n’est pas donné à tout le monde. I’m The Lezard King, I can do anything ! Dans la préface de ces poésies Edgar Poe note la présence circonstantielle d’ évènements obstaculaires survenus en dehors de toute maîtrise…

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             A plusieurs reprises Margotin souligne la tristesse et la solitude de Morrison. Peut-être s’est-il aperçu que personne ne le suivait, car personne ne le comprenait, ou pire encore que son rêve à lui n’était qu’une des formes, plus colorée, plus bigarrée, plus anarchisante que le sempiternel american dream. Que Warhol avait défini comme le petit quart d’heure de célébrité auquel chacun a droit, que la société vous accorde si vous le voulez bien, mais qui n’est qu’un indigne lot de consolation. Un peu comme ces portraits du ‘’Maître’’, démuni pour ne pas dire andycapé, qu’un sous-fifre peinturlurait d’une couleur vive dans la Factory. Le rock et son cortège de masques n’était-il qu’une des formes électrifiées du charlatanisme sociétal. Morrison a quitté le rock pour la tentation suprême : la poésie. Nietzsche a expliqué que toute valeur court à sa perte. Morrison a abandonné la poésie pour la mort. A-t-il gagné au change ?

             Cet ouvrage enfonce peut-être des portes ouvertes, mais ouvre le lecteur à la réflexion, que Mallarmé nommait divagation. Ce n’est pas mal du tout pour un bouquin qui ne se revendique pas scriptuairement assoiffé d’absolu. Margotin vous refile un jeu de clefs. Ce ne sont pas les clefs qui doivent susciter votre intérêt. Mais le jeu. Grand concept de Jim Mor(t)isson.

             Les morts y sont. Mais nous ?

    Damie Chad.

     

     

    *

    Chris Darrow (1944 - 2020) multi-instrumentiste s’est intéressé au blues et au Bluegrass.  Il fait partie de ces musiciens qui comme Chris Hillman fondateur des Byrds ont aidé à la création du  Country Rock. Darrow a participé à de nombreuses sessions de studio, il a produit des albums sous son propre nom, fondé, et participé à de nombreux groupes, il a été aussi membre du Nitty Gritty Dirt Band.

    Pour une fois l’entretien se déroule à l’extérieur, Chris Darrow assis sur une chaise de jardin devant la luxuriance sinoplique d’un massif de bambous.

     

    The Gene Vincent Files #11: Chris Darrow about playing on Gene’s last official studio album.

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    Voici la copie du disque sur lequel j’étais, il possède encore la petite bande blanche sur le devant, c’est le dernier disque  de Gene Vincent, sur lequel j’ai participé et joué du violon sur la chanson Danse Colinda. Je me suis présenté très tôt au studio pour cet album dans l’espoir de le rencontrer, c’était le studio de Dave Hassinger sur Selma Avenue. J’étais excité de travailler avec l’ingénieur Dave Hassinger car il a réalisé un certain nombre de choses comme Satisfaction pour les Stones, d’autres disques importants, il était un grand producteur de rock’n’roll… Oui je suis arrivé tôt au studio, il n’y avait personne à qui au moins serrer la main ou à dire bonjour, donc quand je suis entré il n’y avait personne ni dans le studio ni aux environs, Dave était dans la cabine en train de surveiller des cadrans, je suis entré dans la zone où l’on enregistre, dans un coin se trouvait un gars qui ressemblait à un concierge, il portait un pantalon sombre et une chemise sombre, le genre de frusques que l’on trouve chez Sears, que les gens portent comme ça, le gars avait aussi une ceinture noire et des chaussures noires. Je me demandais où était Gene Vincent, et je continuais à le chercher des yeux, quant à coup le type s’est retourné vers moi : c’était Gene Vincent, il semblait avoir vieilli de plusieurs années et être plus près de la cinquantaine que de la trentaine, j’avais été assez choqué par son apparence, lorsque j’ai réalisé  qui il était, je me suis déplacé pour lui serrer la main, lui dire bonjour et me présenter. Je me suis présenté et lui ait appris que j’allais jouer sur son disque. Oui c’était la première fois que je le rencontrais, je le connaissais  depuis très longtemps car je l’avais en quelque sorte déjà rencontré grâce au  film The Girt Can’t Help It, j’avais douze ans, il m’avait vivement impressionné,  c’était comme si

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    je l’avais vraiment vu en chair et en os, je possédais ses disques et j’espère que vous aviez vu ses anciennes photos, il m’a totalement captivé et il est devenu une de mes idoles favorites, sans parler de  Cliff Gallup son guitariste, ils ont fait partie de ces gars qui pour un jeune homme et un jeune musicien comme moi essayant d’apprendre à jouer étaient des modèles, Gene Vincent faisait partie des grands… C’était une drôle de gageure de le rencontrer réellement, je me sentais extrêmement chanceux et béni (par les Dieux) de pouvoir jouer sur cet album. La session s’est très bien passée, ils ont été très contents de ce que j’avais fait, le groupe était

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    principalement constitué des membres du Sir Douglas Quintet sans Doug qui avait joué dans les sessions précédentes. J’ai eu la chance de rester et d’assister au déroulement des sessions suivantes. Gene était impeccable, je veux dire qu’il assurait grave au micro, il chantait très bien et il semblait s’être vraiment euh ! quel serait le mot juste, il semblait vraiment régenter la situation, il n’était pas du tout sous la direction de quelqu’un d’autre, c’était sa session et il avait une très grande maîtrise de ce qui se passait. (Question inaudible) Son humeur était plutôt bonne, il semblait être très optimiste et très heureux d’être là et je pense qu’à ce stade très particulier il semblait être très euh, il semblait vouloir s’éloigner de ce que tout le monde pensait qu’il était uniquement : un artiste de rockabilly, ce qu’il n’était pas, en fait il aimait la   musique country, une des chansons que nous avons enregistrée, celle sur laquelle j’ai jouée était de fait un air cajun, Gene a été vraiment bon je pense. J’ai eu l’occasion de le rencontrer plus tard lors d’une fête après avoir fini l’album, nous sommes restés assis un long moment dans la cuisine de Tom Mars à parler longuement, j’ai senti que c’était un gars un peu… son comportement trahissait quelque chose de très mélancolique, il était visiblement très amoureux de sa femme. Je veux dire qu’il était davantage motivé par sur cette relation que peut-être sur sa

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    propre carrière en ces moments-là. C’est difficile pour moi d’affirmer, je ne le connaissais pas assez pour avancer cela, il y avait une sorte d’atmosphère très, très, très sombre qui l’entourait. A l’époque je pensais que c’était dû aux séquelles de l’accident dans lequel Eddie Cochran a perdu la vie. En fait on se rendait compte qu’il souffrait de sa blessure au pied qui paraissait ne pouvoir jamais se résorber, il boîtait, il montrait une certaine détermination malgré sa sclérose latérale. Cette sorte de malaise qu’il dégageait était, je ne dirais pas effrayant mais très mélancolique ( il s’interrompt pour mettre de la musique dont on entendra que quelques notes, quand il reprend la parole il se frotte l’œil) Je pense que l’aspect majeur des années 60, je faisais alors partie d’un groupe appelée The Kalidoscope, un groupe psychédélique, on jouait du blues, de la musique orientale, bref ce genre de musique, on était connu pour être un groupe de World Beat, je pense que s’il était étiqueté comme un artiste de rockabilly, même s’il était beaucoup moins stéréotypé que cela pouvait le paraître, je pense qu’il aurait été capable d’accepter la musique de cette époque, toutefois en ce qui concerne sa tentative d’adapter sa musique aux années soixante, les gens auraient pu le comprendre, mais cela a paru une faute de goût. Je ne pense pas que

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    cette mixture était d’un bon niveau pour les gens qui aimaient ce courant même si la musique à cette époque était très ouverte. Elvis, les Everly Brothers  et tous ces gars du même acabit, la période n’était pas très bonne pour eux comme vous le savez. Je pense que la musique a évolué, certains artistes qui étaient au top, et ce fut identique pour tout le monde, lorsque les Beatles ont frappé, tous ces gars qui avaient auparavant connu le succès ont tout simplement disparu. Je ne pense pas que sa musique était nécessairement inadaptée  aux années 60, quant à sa capacité à intégrer la mentalité des années 60 je n’y crois guère, je pense que cela lui aurait été très difficile, probablement parce qu’il était beaucoup plus connu en dehors des Etats-Unis qu’il ne l’était aux Etats-Unis. Je suis prêt à parier qu’il a eu davantage de fans en Europe et dans d’autres parties du monde qu’aux Etats-Unis, aujourd’hui

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    encore. J’ignore pour quelles raisons. Je pense que Gene avait une personnalité plutôt effacée. Il n’était pas le genre de gars qui me donnait l’impression qu’il était là pour vous conquérir. Son talent lui a été davantage bénéfique que son attitude et son énergie. Il était excitant et tout ce genre de trucs, mais il avait en lui une douceur, et une gentillesse, je ne pense pas qu’il avait une personnalité conflictuelle. Elvis était un véritable showman et il s’excitait bien plus quand il montait sur scène. Je ne pense pas que l’humeur maussade et cette mélancolie que j’évoquais tout à l’heure ont été des facteurs qui l’ont peut-être empêché d’être un plus grand artiste qu’il aurait pu être, ce n’était certainement pas une question de talent, son talent est hors de cause, hélas certains artistes n’y parviennent jamais comme on le souhaiterait. Il est un de ces gars dont aujourd’hui lorsque l’on écoute ses disques l’on se doit de reconnaître qu’ils sont intemporels. Ce n’est pas qu’ils ne retiennent pas l’attention ou qu’ils ou n’accrochent pas, je pense qu’ils fonctionnent encore, le fait que je possède une copie de The Girl Can’t Help It, et que je l’écoute régulièrement juste pour le plaisir de le voir reste la preuve que ça vaut le coup de l’acheter, en cassette ou en vidéo si par hasard vous ne connaissez rien d’autre de Gene Vincent. Je n’ai

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    pas été le moins du monde surpris d’apprendre sa mort, à cause de l’impression qui me le laissait présager, je ne pensais pas que je lui survivrai si longtemps. Il a eu une vie très difficile, il semblait avoir vieilli très vite. Je n’avais seulement que quelques années de moins que lui alors qu’il paraissait avoir quinze ou vingt ans de plus que moi. Il m’a donné l’impression, si je puis dire, de se battre comme la montre. Comme je l’ai dit je n’ai pas été particulièrement surpris d’apprendre son décès. En quelque sorte cela s’inscrivait dans la logique des choses… J’ai dit à quelques personnes qu’il était peut-être mort le cœur brisé. Il y avait quelque chose en lui qui donnait l’impression qu’il n’avait jamais réalisé le potentiel qu’il avait en lui. Ceux d’entre nous qui se souciaient sincèrement de lui l’ont ressenti, je sais que des gars comme Jeff Beck et beaucoup de grands musiciens ont été très affectés comme je l’ai été et il fera toujours partie de moi, je me sens chanceux, extrêmement chanceux d’avoir pu jouer avec lui, d’autant plus qu’il s’est avéré que c’est sur son ultime disque que j’ai joué.

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    Transcription : Damie Chad.

    Notes :

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    Danse Colinda  est paru sur l’album Gene Vincent qui a été enregistré en mars 1970  il est paru aux USA en juillet 1970. Il est paru en Angleterre titré : If You Only Could See Me en mai 1971.  

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    L’album The Day The World Turned Blue enregistré en octobre 1970 est paru aux USA en décembre 1970 et en août 1971 en Angleterre.

    La proximité des dates de parution explique certainement pourquoi Chris Darrow pense avoir participé à l’enregistrement du dernier album officiel de Gene Vincent.

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    Dave Hassinger : il fit des miracles chez RCA, les Rolling Stones ne sont pas les seuls à inscrire sur son tableau de Chasse : Elvis, Mama’s and Papa’s, Love, Seeds, Electric Prunes, Crosby, Still, Nash and Young et bien d’autres…

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    Sears créé est une chaîne de distribution de commerce de détails, un peu l’équivalent de nos Leclerc, la firme crée à la fin du dix-neuvième siècle a atteint son apogée dans les années cinquante et connu un grave déclin dès le début des seventies. Les magasins ont vieilli et les locaux sont délabrés… Sears se débarrasse de centaines de magasins… Sears s’est refait une santé au Canada et au Mexique…

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    Marcia Avron la dernière compagne de Gene, lorsqu’il  rentrera de Londres début octobre 1971 Gene trouvera sa maison totalement vide. Terrible coup porté au moral du chanteur. Il décèdera le 12 octobre.

    SLA : c’est ce terme qu’emprunte Chris Darrow pour désigner la maladie de Gene, en toutes lettres Sclérose Latérale Amyotrophique, communément appelée : Maladie de Charcot. Sans être médecin nous mettons fortement en doute ce diagnostic… L’alcool aura causé bien des ravages dans le corps de Gene…

     

    Cette vidéo, ainsi que beaucoup d’autres, est en accès libre sur la chaîne

    YT de VanShots – Rocknroll Videos

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 705 : KR'TNT ! 705 : TAV FALCO / FORTY FEET TALL / VIVIAN PRINCE / BOB STANLEY / GREENHORNES / AEPHANEMER / CLAIRE HINKLE / AC SAPPHIRE / ELVIS PRESLEY / GENE VINCENT + GRAHAM FENTON

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 705

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    09 / 10 / 2025

     

    TAV FALCO / FORTY FEET TALL

    VIVIAN PRINCE / BOB STANLEY

       GREENHORNES /AEPHANEMER 

    CLAIRE HINKLE / AC SAPPHIRE   

    ELVIS PRESLEY

        GENE VINCENT +  GRAHAM FENTON

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 705

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://kr’tnt.hautetfort.com/

     

    Wizards & True Stars

    - Tav & ses octaves (Part Five)

     

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             Oh ! Une page sur Tav Falco dans Uncut ! Ça par exemple ! Il existe encore un canard qui sait faire son boulot ? La preuve en est. Une page, bon c’est pas grand chose, mais c’est déjà mieux que le que-dalle dont nous gratifient les zautres zozos. C’est tout de même dingue que les canards n’aient aucune considération pour des artistes aussi capitaux à notre époque que Wild Billy Childish ou Tav Falco. On vit dans ce monde et il faut faire avec.

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             La petite Fiona Shepherd n’y va pas de main morte : «Philadelphia-born, Arkansas-raised, Memphis-bred and now Bangkok-based, the pompadoured polymath has rubbed creative shoulders with producer Sam Phillips, artist Jean-Michel Basquiat, photographer William Eggleston and filmmaker Kenneth Anger in his time.» Voilà qui définit bien cet apôtre de Fantômas, désormais coquet Bangkokais. Tous ceux qui suivent Tav depuis le Magnolia Curtain savent qu’il s’enracine à la fois dans le rock et la littérature, ou pour le dire autrement, dans l’art et le mythe. La petite Fiona qui a bien révisé ses leçons établit très vite le lien avec l’autre mamelle de la modernité Memphistophélique, Alex Chilton, et donc la formation de The Unapproachable Panther Burns - a mix of strutting blues, blasting rockabilly, crooner cover and Argentine tango - et pouf, elle rappelle que Tav danse parfois le tango sur scène. Puis elle en vient au fait : la parution de Desire On Ice, un ambitious retooling de ten songs from his back catalogue, avec une sacrée guest-list de friends and fans : et les voilà dit-elle qui font la queue for the cool cat’s garment. Elle ajoute que Tav chante désormais avec un weathered Harry Dean Stanton-like timbre.

             Petite cerise sur le gâtö, Tav répond à quelques questions, l’occasion pour les affidés de renouer avec sa langue si somptueusement singulière. Quand on lui demande comment il a sélectionné les 10 cuts de Desire, il répond : «Desire On Ice explores thematic areas and seeks to define and heighten collusion with our audience who have also evolved.» Puis la question porte sur le choix des invités, et là, Tav s’en donne à cœur joie : «Charlie Musselwhite tactily understands how I came to the experimental from the traditional. All I do with clichés is rub them together until they explode. Bobby Gillespire has expressed a certain kindship with our stance in not allowing professionalism, media market constraints nor vistuosity to get in the way of hurling ourselves into the future.» Puis la petite souris lui demande comment se passe la vie à Bangkok et là notre coquet Bangkokais exulte : «South of Bangkok on Wong Arnat Beach is where I hang my hat. Here, under the clement skies of the Royal Kingdom of Siam, I can ride my motorbike everyday - that and jumping in the ocean to blow off some steam.» Elle termine sur le tango et Tav lui balance ça : «Tango is an addiction. There is a milonga in Bangkok where I dance.»   

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             Le Desire On Ice qui nous tombe du ciel ressemble plus à un carnet mondain qu’à un album de rock. On y retrouve toutes les légendes de l’Ouest, Kid Congo, le Reverend Horton Heat, Chris Spedding, Jon Spencer, Charlie Musselwhite, Bubba Feathers, Bobby Gillepsie, Boz Boorer et des tas d’autres. Tav recycle ses vieux classiques et on tombe immédiatement sous le charme de son vieux «Gentleman In Black». Il chante d’une voix fatiguée, mais t’as le beat des reins derrière, c’est-à-dire le Memphis Beat - There is a gentleman in black/ He travels alone - C’est Fantômas in Memphis. Tu retrouves Sped dans «Cuban Rebel Girl» et ça brasille aussi sec de génie sonique. Tav mène encore la danse à son âge. Quelle leçon de rock, avec ce dingue de Sped dans le son - Machine gun fire ! Cuban rebel ! - C’est du Memphis beat tentaculaire, maintenu de justesse en laisse. Jon Spencer gratte ses poux dans «Sympathy For Mata Hari», tu l’entends dans le filigrane, il fond son Zebra Ranch raunch dans le génie de Tav. C’est monté sur un drive digne des Cramps. Tu te croirais dans «Miniskirt Blues». Bubba Feathers se fond dans le culte de «Vampire From Havana», et Bobby Gillespie dans celui de «Doomsday Baby» qui sonne un peu comme le Velvet à Memphis. Tout ce mélange finit par donner un album totalement mythique. Puis ça va baisser en intensité, même si avec sa voix de vieux crabe, Tav porte «Crying For More» à ébullition. Pete Molinari duette avec Tav sur «The Ballad Of Rue De La Morgue». Curieux mélange de voix. Ça duette dans les arcanes de la cabane. Petit détour par cette Mitteleuropa chère à Tav avec «Garden Of The Medicis» et on le voit expirer ses exhalaisons de Shan/ Haïïïïïï dans «Lady From Shanghai». Tav Falco est le dernier descendant d’une lignée de prodigieux artistes décadents.

             Le gentleman in black conclut son brillant texte de présentation ainsi : «There are mysteries that should remain mysteries and ought not be looked back upon unless like the musician Orpheus emerging from the underground they became frozen in stone. Rather those mysteries are to be re-envisioned and hurled into the future.» Il adore hurler dans le futur. Il a fait ça toute sa vie.

    Signé : Cazengler, Torve Falcon

    Tav Falco. Desire On Ice. Frenzi 2025

    Fiona Shepherd : Tav Falco. Uncut # 343 - October 2025

     

     

    L’avenir du rock

     - Les fortiches de Forty

     

             N’allez pas croire que l’avenir du rock croise toujours les mêmes erreurs. Ce serait même une grave erreur que d’aller penser ça. Parfois, des erreurs s’amènent au loin et semblent flotter dans l’air comme des fantômes. Dans ces cas-là, l’avenir du rock commence par se pincer pour chasser toute idée d’une hallucination. L’erreur approche. L’avenir du rock le reconnaît :

             — Oh, mais vous zêtes Chucky Chuckah ! Que me vaut le plaisir ?

             — Forty Days !

             — Ouatte ?

             Alors Chucky Chuckah se met de profil et fait le duck walk en chantonnant :

             — I’m gonna give you forty days to get back home/ I’m gonna call up a gypsy woman on the te-le-phone !

             Et il s’éloigne en continuant de faire de duck walk jusqu’au moment où il disparaît à l’horizon.

             Quelques jours passent, et tiens, en voilà un autre. L’erreur flotte lui aussi dans l’air brûlant, alors l’avenir du rock se pince.  

             — Oh, mais vous zêtes Stevie Marriott ! Que me vaut le plaisir ?

             — Forty Days In A Hole !

             — Ouatte ?

             Et là Stevie Marriott se met de profil et fait le duck walk en chantonnant :

             — Chicago green/ Talkin’ bout red libaneeese/ A dirty room/ And a silver cok’ spoon !

             Et il s’éloigne en continuant de faire le duck walk jusqu’au moment où il disparaît à l’horizon.

             Ils sont bien gentils, les erreurs, se dit l’avenir du rock, mais ils n’ont pas l’air de tourner bien rond. Bon en voilà un autre... L’avenir du rock le reconnaît et se pince :

             — Oh, mais vous zêtes Stan Webb de Chicken Shack ! Que me vaut le plaisir ?

             — Forty Blue Fingers !

             Alors Stan Webb se met de profil pour faire le duck walk, mais l’avenir du rock l’arrête immédiatement :

             — J’en ai ras le bol de vos turpitudes ! Si vous voulez du vrai Forty, alors écoutez Forty Feet Tall !

     

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             Il s’appelle Cole Gann, et son groupe Forty Feet Tall. Tyva en confiance. Et t’es pas déçu. Au contraire. Encore un groupe qui brille d’un éclat particulier dans les ténèbres de la cave. Nouveau joyau de l’underground. Des Esseintes aurait adoré l’éclat perverti de ce joyau, le suc concret, l’osmazôme de ce rock. Cole Gann est un kid de Portland, Oregon, qui se tient bien doit derrière son micro avec une gratte en bandoulière, et dès l’entrée en lice, on le sent déterminé à vaincre. Il bouillonne

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    d’une énergie exacerbée qu’il parvient à peine à dominer, ses jambes tremblent alors qu’il hache son chant menu, on sent en lui monter une éruption. Le petit Cole est une bombe atomique en voie de champignonner. On croit voir en lui la réincarnation de l’early Tom Verlaine, il a ce genre de classe et d’absolu sang-froid. Franchement, on est bien content d’assister à cette réincarnation en direct. Mais l’illusion Television ne dure qu’un temps, car Cole et ses amis en pincent plus pour ce que Gildas (hello Gildas) appelait la Post et que les autres appellent le post-punk, un genre musical

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     relativement abandonné de Dieu. Mais Cole adore ça. Le côté dépenaillé, raw to the bone, pas aimable du genre lui va comme un gant. Il s’y prête avec une placidité échevelée, il a tellement d’énergie qu’il surmonte les faiblesses du genre pour se transformer en petite dynamo hors de contrôle. Il déroule ses cuts avec une vélocité véracitaire qui finit par rafler tous les suffrages. À un moment il s’arrête de chanter pour gueuler «Fuck Tromp and free Palestine !». C’est comme s’il mettait le feu à la

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    Sainte-Barbe ! La cave se met à sauter partout. L’underground fait la fête. Tu crois rêver. Tout bascule dans le manège-à-moi-c’est-toi, dans la féerie d’un autre pâté de foi, dans le charivari du Cap Horn, dans le pousse-toi-de-là que-je-m’y-mette, ça fonce au droit-dans-le-mur, vive la vie vive la mort, et notre roi frénétique finira par poser sa gratte pour finir à genoux au beau milieu d’une assistance entrée elle aussi en éruption. Cole est un showman en herbe destiné aux plus hautes fonctions, il a tout les atours d’une superstar de l’underground. Et c’est pas tout : ce petit mec est tellement génial qu’il vient te parler après le concert. Oui, il vient te parler à toi !

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             On ramasse bien sûr leur album au merch, le très post-punk Clean The Cage.

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    En studio, ils sont encore plus exacerbés que sur scène. Ils déploient tout l’arsenal de la Post dès «Centipede» et s’exacerbent encore plus avec le violent «Bicep». Cole Gann splashe partout, il est plein d’hargne salutaire. Tout le balda s’enfonce dans la Post et dans cette exubérance si particulière. Il vise souvent l’hypno invertie, mais ce n’est pas facile. En B, tu vas tomber sur un «Wisdom Teeth» plus éthéré, plus ouvragé. Tu perds toute l’effervescence du set à la cave. Et le «Safer» qui suit est plus groovy, au point de vraiment renouer avec Television. Cole est ses amis remontent au sommet de leur power avec «Paystub», mais on a déjà entendu ça mille et mille fois chez Jesus Lizard, chez les Fire Engines ou chez Protomartyr. Et ça se termine en beauté avec le morceau titre, qui ressemble au champignon atomique de la Post. Ça vibre bien, à condition bien sûr d’en pincer pour la Post. Mieux vaut voir le groupe sur scène.

    Signé : Cazengler, Forty Feet Tare

    Forty Feet Tall. Le Trois Pièces. Rouen (76). 26 septembre 2025

    Forty Feet Tall. Clean The Cage. Le Cepe Records 2025

    Concert Braincrushing

     

     

    Wizards & True Stars

     - Un Prince parmi les princes

     

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             La nouvelle vient de tomber sur nos téléscripteurs : Vivian Prince a cassé sa pipe en bois. Où et à quel âge, tout le monde s’en fout. Par contre, il est essentiel de se souvenir que Vivian Prince fut le premier batteur fou des Pretty Things. En 1964, il était déjà un Prince parmi les princes, enfin, les princes qui nous intéressent. Pour lui rendre un dernier hommage, nous extrayons des Cent Contes Rock un texte qui le met en scène en compagnie de Kim Fowley, PJ Proby, Johnny Dee et Vince Taylor. L’histoire racontée ici s’appuie sur des faits réels, tels que révélés par Kim Fowley.

     

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             Au début des années soixante, Kim Fowley grenouillait déjà dans le music business californien, en tant que producteur indépendant. Il avait à son actif trois hits dans les charts américains, une belle référence. Il rêvait d’entrer dans une grosse maison de disques. Un boss à cigare l’envoya sur les roses, malgré son fantastique palmarès. Kim le prit très mal, mais ce gros porc lui rendit service. Kim jeta ses cravates, ses costumes et ses sourires convenus aux orties. Il se laissa pousser les cheveux et devint un rock’n’roll animal. Il pouvait péter, bander, roter, hurler, cracher tant qu’il voulait. Il décida d’aller baiser des putes à Londres, car c’est à Londres que se jouait l’avenir de l’humanité, en ce printemps 1964.

             Comme de nombreux Texans, James Marcus Smith voulait vivre de sa musique. Il décida d’aller tenter sa chance en Californie. Il proposait un choix de chansons de Johnny Cash. Un quatuor d’agents hollywoodiens s’intéressa au Texan et lui suggéra de se rebaptiser PJ Proby et d’aller à Londres, à la place d’Elvis. En effet, le public anglais réclamait le King qui ne daignait pas traverser l’Atlantique.

             — Tu feras un parfait Elvis, mon garçon. Tu vas faire fortune en un rien de temps ! Tiens, signe là.

             PJ Proby habite une belle maison à Knightsbridge mews, au Sud de Londres. Il abrite sous son toit de charmants amis anglais : Vivian Prince et Jimmy Phelge. Vivian Prince est un personnage discret, lorsqu’il ne boit pas. Il est encore très jeune, mais il traîne déjà derrière lui une réputation sulfureuse. Il coiffe la couronne fort prisée de roi des lunatiques. Il tient accessoirement le rôle de batteur fou dans les Pretty Things et veille à rester incontrôlable. Vivian dort sous l’escalier.

             Ami intime des Rolling Stones, Phelge pourrait lui aussi prétendre à la couronne. Il préfère explorer les mondes intermédiaires. Il dort dans une petite niche aménagée dans l’entrée et aboie chaque fois qu’une fille passe. PJ Proby, que ses amis surnomment déjà Probyte, occupe la grande chambre du premier. Il y défile tout ce que Londres peut compter de jeunes filles en mal d’amour. Kim est bienvenu dans cette charmante demeure. Il hérite de la banquette du living-room.

             — Trinquons à notre avenir, mes amis...

             — Merci de ton accueil, Probyte. Nous allons secouer la vieille Angleterre... Nous sommes les quatre cavaliers de l’Apocalypse !

             Vivian Prince siffle plusieurs verres et tombe de son tabouret en rigolant.

             — Dis-moi, Probyte, pourquoi Vivian n’habite pas avec ses copains des Pretties ?

             — Quoi, Kim, tu ne sais donc pas que Phil lui interdit l’accès du 13 Chester Street ? Vivian adore semer le vent, mais il adore surtout récolter la tempête, tu vois ce que je veux dire ? Par contre, les autres Pretties sont des gens paisibles, lorsqu’ils ne sont pas sur scène.

             PJ ignore quelques détails. Les Pretties organisent des batailles navales, au 13 Chester Street. On remplit le living-room d’eau sur environ un mètre de hauteur et on monte à bord de petites barcasses volées à Hyde Park. On y fume du hash, on y boit du brandy et on s’y bat à coups de pagaies.

             — En attendant, Viv est le meilleur batteur de Londres. Moony lui doit tout.

             — Moony ?

             — Quoi, Kim, tu ne sais pas qui est Moony ? Le batteur des Who ?

             Kim observe le Texan. C’est un sacré gaillard, un type bien bâti. Il offre aux regards l’agréable spectacle d’un visage carré agrémenté d’yeux clairs et d’une coupe Beatles.

             — Probyte, tu chantes bien, mais ça ne suffit pas. Tu devrais soigner ta publicité !

             — J’ai déjà des affiches et le meilleur groupe de Londres...

             — Ça ne suffit pas, Texan... Raconte partout que ta bite est plus grosse que celle de Mick Jagger. Les Stones ne sont pas de taille à lutter contre toi...

             — Quel con ce Kim, ha ha ha ! T’as vraiment du génie... Ah ouais, quel coup !

             Depuis son arrivée à Londres, PJ Proby a effectué un parcours fulgurant. Il est devenu le rival direct de Tom Jones. PJ est un showman remarquable. Big Jim Sullivan et Bobby Graham l’accompagnent sur scène. Autant dire la crème de la crème. Kim flaire les gros coups. PJ en est un.

             — Probyte, tu sonnes comme Elvis accompagné par les Yardbirds et une section de cuivres !

             On sonne à la porte.

             — Kim, vas ouvrir puisque tu es en tenue de soirée...

             Kim se lève. Il porte un slip dans lequel il a découpé un trou sur le devant pour sortir sa bite. Avant d’ouvrir, il se branle un peu pour la durcir. Anna the Potato Girl fait son entrée dans le salon.

             — Salut, Anna, tu vas bien ?

             Probyte se tourne vers Kim pour lui donner une explication :

             — Viv est parti faire cuire des patates. Phelge les enfournera encore tièdes dans son vagin et après tu pourras la tirer. Tu vas voir, c’est assez excitant... On sonne encore. Kim va ouvrir. Il tombe sur un type coiffé d’un chapeau de cowboy et vêtu d’une combinaison d’aviateur. Une Cadillac décapotée est garée sur le trottoir.

             — Hello, I’m Johnny Dee, et il entre.

             À son tour, il fait son entrée dans le salon. PJ fait les présentations :

             — Johnny, je te présente Kim Fowley. Il arrive d’Hollywood. C’est un grand producteur, certainement le plus grand découvreur de talents du siècle... Je n’exagère pas...

             Johnny Dee esquisse un petit sourire en coin. Son regard glisse sur le slip troué de Kim.

             — Very funny... Vous êtes tous habillés comme ça, à Hollywood ? Phil Spector aussi ?

             Viv revient dans le salon avec une casserole fumante.

             — Oh Johnny, tu es là ? Je ne t’ai pas entendu arriver. Hey Kim, c’est Johnny qui a écrit «Don’t Bring Me Down» et «Midnight To Six Man» pour les Pretty Things !

             — Wooow ! Quels tubes, Johnny ! T’es aussi bon que Chucky Chuckah et Bo Diddley !

             Johnny se sert un grand verre de brandy et s’adresse à PJ :

             — Vince Taylor est de passage à Londres. Il tient absolument à te rencontrer, PJ !

             C’est encore l’époque où les rockers, poussés par la curiosité, se rencontrent pour faire connaissance et échanger des idées. Johnny sirote son brandy.

             — Je l’ai rencontré tout à l’heure au 2 i’s bar. Il ne va pas tarder... Je lui ai donné ton adresse.

             Phelge enfourne sa première patate. Anna hurle :

             — Aïe ! C’est trop chaud !

             — Ferme ta gueule, Anna ! Ça refroidira vite, là-dedans !

             On frappe à la porte. Kim file ouvrir. Vince Taylor est d’une beauté prodigieuse. Deux grands épis détachés de l’immense pompadour tombent sur un front pommadé. Sous ce front très haut pétillent deux yeux bruns bien écartés du nez et un sourire viril orne cette mâchoire de boxeur. Il porte une épaisse chemise en cuir au col relevé et ouverte sur le poitrail. Passée sur l’encolure, une grosse chaîne luit et un médaillon la leste. Vince porte aussi des gants de cuir. Il brandit une chaîne de vélo qu’il fait claquer contre le bois de la porte. Il toise Kim qui le domine d’au moins cinquante centimètres. Vince s’approche et commence à le flairer :

             — T’es dans le rock, baby ?

             — Je suis Kim Fowley, légendaire producteur d’Hollywood.

             — T’as une belle queue, pour un producteur... Vince tend la main et la soupèse.

             — Pas mal. Tiens, regarde la mienne. Joli morceau, hein ?

             — C’est quoi, ce tatouage sur ta queue, Vince ?

             — Une Cadillac. Les filles adorent ça. Quand je les enfile, elles chantent Bande New Cadillac, hé hé hé. Je viens voir PJ Proby. Il est là ?

             — Entre, il t’attend.

             Vince Taylor avance d’un pas ailé. Il débouche dans le salon et dévisage les gens présents un par un. Viv maintient Anna au sol. Elle est bâillonnée. Phelge lui enfourne encore des patates. Johnny Dee interpelle le nouveau venu :

             — Tu es producteur, toi aussi ? 

             — Je suis Vince Taylor, cow-boy...

             — Alors pourquoi tu as la queue à l’air ?

             Kim intervient :

             — C’est l’essence du rock, Johnny. Sans queue et sans les trous poilus des dirty bitches, le rock n’a pas de sens. Le rock de Little Richard a l’odeur du sperme. D’ailleurs, Probyte, tu devrais sortir la tienne sur scène. Regarde bien Vince Taylor ! Avec sa queue à l’air, il incarne l’esprit du rock’n’roll mieux qu’aucun autre...

             Phelge colle une baffe à Viv et lui braille :

             — Arrête de manger les patates !

             — Tu vois bien qu’on peut plus en mettre, connard !

             Viv frappe Phelge d’un coup de casserole. Bong ! Phelge s’écroule, KO.

             — On ne frappe pas Vivian Prince, fucking psychopathe ! Même s’ils m’ont viré pour mauvaise conduite, les Hells Angels de Londres ne m’ont jamais frappé !

             Anna en profite pour arracher son bâillon.

             — PJ, dis à ces deux tarés de me foutre la paix ! Regarde dans quel état ils m’ont mise !

             Viv la replaque au sol et s’écrie :

             — Tout le monde à table. La soupe est servie !

             Kim y va le premier. Il enfile sa queue dans le vagin rempli de purée chaude.

             — Wow ! I’m an animal man !

             Il éructe et chante. Il pousse d’horribles grognements.

             — Werewolf dynamite ! Uuuuh ! I’m a nightrider, yeah ! I’m the outlaw superman, the hound dog savage ! Rrrrhhhaaaaa ! I’m baaaaaaaaaad !

             Anna se débat puis finit par se calmer. Elle se met elle aussi à pousser des cris de bête. Viv lui enfonce une patate dans la bouche. Elle la recrache dans le visage de Kim. Il s’essuie les yeux, lime de plus belle et lance d’une voix de stentor :

             — Hot rod patato and the rock’n’roll ride, yeah !

             Vince Taylor plonge son regard dans l’eau bleue du regard de PJ Proby. C’est la rencontre des géants aux pieds d’argile. Ils s’observent longuement. Vince s’approche de PJ et lui serre la main.

             — Assieds-toi, Vince.

             — J’aime bien ce que tu fais, PJ. Londres est à tes pieds. Tu devrais venir jouer à Paris. Le public est bon, là-bas. Ils m’adulent...

             Kim a fini. Johnny Dee se lève et baisse la fermeture éclair de sa combinaison pour sortir sa queue. PJ sert un verre de brandy.

              — Tu veux des glaçons, Vince ?

             — Non, merci.

             Kim se laisse tomber dans la banquette. La purée commence à sécher sur son visage. Il pose la main sur la cuisse de Vince.

             — Hey Vince, tu ressembles terriblement à Rod Lauren, ce rocker en cuir noir signé par RCA en 1960...

             — Enlève ta main... Elle est pleine de purée...

             Pour détendre l’atmosphère, PJ demande :

             — Dis-moi, Vince, pourquoi n’es-tu pas encore allé détrôner Elvis à Las Vegas ?

             Vince Taylor se tourne vers PJ et lâche d’une voix sourde :

             — Elvis est le king, mais moi je suis Dieu... Je n’ai pas besoin d’aller là-bas...

             Johnny Dee revient la queue à l’air et interpelle PJ :

             — Tu peux y aller, mec. La place est encore chaude. Est-ce qu’il y a un torchon dans la cuisine ? Regarde-moi ça, j’ai la queue bardée de purée...

             PJ se lève, défait les boutons de son pantalon en cuir et sort son bâton de maréchal.

             — Je vais tirer un coup. Bouge pas, Vince, je reviens dans deux minutes.

             Kim gratte les petites croûtes de purée qui parsèment son visage.

             — Vince, ce que tu viens de dire est important, mais il faut le prouver. Quand je dis que je suis le plus grand producteur américain, je le prouve. J’ai amené les Hollywood Argyles, B.Bumble and the Stingers et les Murmaids au sommet des charts américains. Et ceux que j’ai repérés ici à Londres seront bientôt superstars ! Et toi, comment feras-tu pour prouver que tu es Dieu ? Les gens vont te prendre pour un charlatan. Fais gaffe, Vince...

             Vince Taylor tend le bras. Il pointe un doigt ganté de noir vers la cheminée du salon. Une énorme crevasse se dessine lentement au-dessus du tablier et court jusqu’au plafond.

             — Ça te va ?

             Kim fait la moue.

             — Trop facile... L’immeuble est ancien...

             Vince pointe le doigt sur le gros buffet installé près de l’escalier. Les deux portes s’ouvrent en grinçant et se mettent à claquer.

             — Alors, tu es convaincu ?

             — C’est un vieux truc de magicien, j’en fais autant...

             Vince pointe le doigt sur Johnny Dee qui revient de la cuisine. Johnny s’élève doucement et se retrouve collé au plafond. Il se met à hurler :

             — Arrêtez vos conneries ! Faites-moi descendre !

             Vince se tourne vers Kim :

             — Tu me crois maintenant ?

             Johnny s’écrase au sol. Kim se gratte le menton.

             — Je ne vois pas encore où est le truc, mais je vais trouver. Tu commences à m’épater, Vince. Tu en as encore, des tours de magie ?

             Vince pointe le doigt sur Viv occupé à enfourner une énorme patate dans la bouche d’Anna qui se débat. Les patates s’élèvent une à une de la casserole et tournent doucement autour de la tête de Viv qui s’émerveille :

             — Oh, des spoutnicks !

             La ronde des patates s’accélère subitement. Elles tournoient à travers la pièce, montent au premier et réapparaissent par la fenêtre du salon restée ouverte. Vince les guide de son doigt tendu. Elles passent au-dessus de la tête de Kim et filent une par une s’encastrer dans la bouche de Viv restée ouverte.

             — Alors, que penses-tu de ça ?

             — Au cas où tu ne serais pas au courant, Vince, je te rappelle que Dieu a créé des animaux. Il ne s’amusait pas à faire voler des patates dans les salons huppés de Londres. Arrête de me prendre pour un con. Je suis Kim Fowley !

             — Tu veux un animal ? Tu vas en avoir un, yankee !

             Vince pointe le doigt sur le cul poilu de PJ, toujours occupé à limer Anna. PJ se met à hurler :

             — Ah la salope ! Elle me serre la queue avec son vagin. Je ne peux plus bouger, shit ! Arrête ! Lâche-moi, Anna !

             PJ essaie désespérément de s’arracher du ventre d’Anna. Elle se met à hurler elle aussi.

             — Retire-toi, tu me fais mal ! Aïïïïe. Ta queue me remonte dans l’estomac ! Tire-toi de là, maudit connard ! Aïïïïïïïïïïïïïïïïe.

             Anna s’étrangle. Une sorte de champignon sort lentement de sa bouche. Kim s’extasie :

             — Mais c’est le gland violet à Probyte ! Oh shit ! Quelle rigolade !

             Le gland monte encore d’un bon mètre. Anna et PJ gigotent comme des crabes jetés dans l’eau bouillante. Le gland crache une longue giclée de sperme au plafond et pousse un rugissement horrible. Des dents apparaissent de part et d’autre de l’ouverture du méat. PJ se redresse sur ses mains et ses genoux. Anna reste accrochée sous lui. Ils forment ce qu’on appelle vulgairement une bête à deux dos. La bête se met à déambuler dans le salon, suivant un itinéraire que trace Vince à distance.

             — Tu voulais voir Dieu créer un animal. Le voici.

             — Tu l’appelles comment ?

             — Le Probytosaurus Rex.

             Kim éclate de rire et envoie un coup de poing amical dans l’épaule de Vince.

             — T’es vraiment le meilleur, Vince Taylor !

    Signé : Cazengler, Vivian Pince

    Vivian Prince. Disparu le 11 septembre 2025

     

     

    Wizards & True Stars

    - Stanley your burden down

    (Part Three)

     

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             Lui, on lui donne le bon dieu sans confession. Bob Stanley couvre plus de territoire qu’aucun autre spécialiste de la rock culture. On l’a vu à l’œuvre avec Let’s Do It: The Birth Of Pop, où il explorait jusqu’au délire la musique populaire américaine du début du XXe siècle, celle qui précède Elvis en 1956 et les Beatles en 1963, c’est-à-dire celle de Bing Crosby, de Judy Garland, de Frank Sinatra, de Glenn Miller, de Nat King Cole, de Peggy Lee, et bien sûr, le fameux Great American Songbook. Alors on attaque le tome suivant : Yeah! Yeah! Yeah! The Story Of Pop Music From Bill Haley To Beyoncé.

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             Trois choses frapperont le lecteur qui osera se jeter dans les pages de ce fat Yeah! Yeah! Yeah!  book : un, l’étendue des connaissances de PolyBob. Il est tout terrain et travaille ses portraits comme un orfèvre travaille un bijou, et bien sûr, PolyBob écoute TOUT, car vois-tu amigo, pour parler des groupes, il est préférable de tout écouter. Sinon, tu risques de parler dans le vide, ce que font beaucoup de gens qui ne savent pas encore que «l’érudition» est la cousine germaine de l’exhaustivité, et dans ce mot on retrouve l’exhausted anglais qui signifie «épuisé». L’érudition t’épuise mais tu n’y vois clair qu’à ce prix. Tu ne peux pas baratiner sur Wild Billy Childish ni Smokey Robinson sans avoir écouté tous leurs albums. La connaissance de l’artiste passe par la connaissance de l’œuvre. Cela vaut pour Balzac, Stendhal et Victor Hugo. Les années de ta vie que tu leur as consacrées te rendent bien des services par la suite, car elles te donnent une notion parfaite de ce que signifie le mot ‘œuvre’. Et tu peux l’appliquer aux cadors de la rock culture. Aux cadors de l’histoire de l’art. Aux cadors de l’histoire du cinéma. Tu trouveras plus facilement ta pitance dans l’épaisseur des œuvres que dans les coups de marketing et dans les groupes à la mode.

             Deux, ce qui va te frapper chez PolyBob, c’est son enthousiasme. Il est resté intact, il est resté le fan qu’il devait être à l’adolescence. Certaines de ses pages vibrent et te donnent envie d’écouter ce qu’il préconise, même si tu sais qu’il aime bien la daube electro. PolyBob n’est pas du genre à se rouler par terre avec un clavier. PolyBob est un mec bien peigné, propre sur lui, mais il écrit bien.

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             Et trois, ses books sont vraiment dodus. Yeah! Yeah! Yeah! The Story Of Pop Music From Bill Haley To Beyoncé fait presque 600 pages. Pour rédiger 600 pages qui se tiennent, il faut développer une énergie considérable. On n’en a aucune idée tant qu’on ne s’y est pas frotté. Écrire, c’est développer une énergie de tous les instants, tu tiens ton fil et tu le perds, et avec un peu de chance, tu finis par cultiver un truc qui s’appelle le «bonheur d’écrire». Bon ou mauvais, tu t’en fous. T’écris. Ça devient en quelque sorte ta raison d’être. T’es chez toi. Rien d’autre ne compte. Toute ton énergie y passe. Tout ton temps, aussi. On imagine PolyBob confronté à son sommaire. Torcher 600 pages de haut vol, ça revient à pousser un rocher sur une mauvaise pente. PolyBob c’est Sisyphe, il pousse, et en plus il se tire une balle dans le pied en titrant avec le nom d’une moule à la mode : Beyoncé. Bill Haley, passe encore, mais Beyoncé ! Fuck it, qui va  le prendre au sérieux après ça ? Comme il est âpre au gain, il se dit que le nom de Beyoncé sur la couve va faire vendre. C’est la seule hypothèse qu’on peut formuler pour «justifier» cette faute de goût impardonnable.

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             Bon puisqu’on est au chapitre des fautes de goût, finissons-en : son histoire exhausted de la pop passe forcément par tous les mauvais plans : les Boy bands, la New Wave, la Disco, les Bee Gees, l’electropop, et ça dégénère assez vite dans les années 80 avec l’anéantissement du bon goût : Michael Jackson, Prince, Madonna, et il continue de s’enfoncer avec les Pet Shop Boys et New Order, mais au fond il a raison, tous les noms cités ont été incroyablement populaires. Dans son Part Five, il finit de suicider la culture pop avec la House et la techno, l’Acid House de Manchester, l’Hip Hop, et il tente un ultime regain de vitalité pop avec le Grunge, c’est-à-dire Nirvana, puis Suede et la Britpop, pour finit avec un R&B qui n’est pas celui qu’on croit, mais le R&B à la mode. Donc il faut se farcir tout ça pour essayer de comprendre pourquoi ces artistes ont joué un rôle si important dans l’histoire de la musique populaire. C’est perdre du temps que d’essayer de lire ces pages, car bien sûr, on n’ira jamais écouter la fucking Acid House et encore moins Michael Jackson ou Supertramp. Disons que la démarche de PolyBob est honnête, il ne fait pas un book subjectif, il brasse large et écoute des tonnes de trucs pour en parler.

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             On pourrait ajouter un quatrième point : la pertinence. Ses remarques sont toutes d’une grande pertinence, surtout lorsqu’il évoque nos chouchous, et il en évoque un gros tas, d’Elvis aux Beatles, en passant par Dylan, Motown et les Pistols. On va donner quelques échantillons de cette pertinence, puisque ce book se prête merveilleusement bien aux crises de fièvre citatoire. L’autre aspect flagrant du talent de PolyBob, c’est son humour dévastateur, et la qualité de son style. Quand il rend hommage au Rock’n’Roll Trio de Johnny Burnette, voici ce qu’il balance dans le museau de son lecteur atterré : « It was one sustained howl of sexual obsession and torment, basic and impossibly loud. Flick-knife shrieks and a fuzzed-up, deep two-note guitar linepushed it into territory beyond mere aggro - It was a gueninely frightening record.» Il évoque bien sûr «Train Kept A Rollin’». Sur ce coup-là, il bat Nick Kent à la course.

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             Humour ? Voici ce qu’il dit de Cream : «Their main problem was their total confidence in their greatness - The clue was in the name.» PolyBob sait se montrer mordant. Et à la page suivante, il mord encore plus fort : «The biggest new British name of ‘68, Fleetwood Mac, were altogether more limited than Cream - which was a blessing.» Et crack ! Il se marre bien aussi avec la T. Rextasy : «Unlike Beatlemania, T. Rextasy did not lead to a bunch of Bolan clones. Possibly no one felt they were pretty enough to compete.» PolyBob se fout bien de la gueule de McLaren, lorsqu’il évoque les Dolls, «who looked like Exile On Main Street-era Stones and played a rough, sloppy glam variant that intrigued London clothing store operator Malcolm McLaren enough for him to become their manager.» La façon dont il amène ça est hilarante : le marchand de fringues intrigué ! Plus loin, il tombe sur le râble des post-Syd Pink Floyd, avec «their self-flagellating desire to drift, and the only way they could agree to go forward was by hiding behind pyrotechnics and flying pigs. It seemed like they hated being themselves.» On se demande bien comment un groupe qui a basé son succès sur la trahison a pu devenir aussi populaire. Quand PolyBob décide de rendre hommage à Abba en fracassant leur image, voici ce qu’il balance : «What did we have? A Striking but sulky blonde, a slightly saucier brunette who most of the time looked like sh’ed just baked a cake, and two men - definitely not boys - who were stereotypical seventies uncles.» Et crack. Mais il cite Mick Farren en exergue de son chapitre Abba. Car oui, Abba mérite tout un chapitre chez PolyBob. PolyBob se fend encore bien la gueule avec Joni Mitchell qu’il accuse de manger ses mots en chantant «in a flustered schoolm’am voice that killed their radio friendliness» : «Her best record was The Hissing Of Summer Lawns, which is also maybe the most self-descriptive album title in all pop, apart from Trogglodynamite by the Troggs.» Quand tu lis ça, tu décides de suivre PolyBob les yeux fermés.

     

     

     

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      Concert Sex Pistols : Huddersfield

           Il vole aussi dans les plumes de Linda Ronstadt et du classic rock américain : «At least the UK had gone through glam and prog. America, from its new salad-crunching power base in Los Angeles, had spent all the early seventies creating what became known as ‘classic rock’». Il parle bien sûr du rock FM, le dernier grand fléau de l’humanité. Et quand il se fout de la gueule de Dr Feelgood, c’est terrible : «Singer Lee Brillaux looked a good deal older than his twenty-five years; he was the original Essex spiv, in a gravy-stained white suit, and had the kind of voice you might hear if Ford Cortinas could sing.» Tu te marres tellement que tu tombes de ta chaise, mais tu te relèves aussi sec pour continuer ta lecture. Par contre, il te brise le cœur avec une chute de chapitre, lorsqu’il évoque le concert de charité de Noël 1977, donné par les Pistols, à Huddersfield, Yorkshire - As a showing of solidarity, a small act of charity, outisders playing for outsiders, and the very real power of pop, the thought of it can just about break my heart - C’est là qu’on retrouve l’Auteur, celui qui a tout compris.

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             Tiens, il te balance des vérités vite fait : «There is more rock ‘n’ roll in the three minutes of passionate dishelvement in Barbara Pitmann’s «I Need A Man» than the combined catalogues of Aerosmith and Mötley Crüe.» Crack ! Puis il rappelle que Bill Haley n’est pas cité dans les listes des «prime movers», «which is sad and a little ridiculous.» Il rappelle tout simplement que le vieux Bill a inventé le rock’n’roll - And no one scored a rocking number one before «Rock Around The Clock» turned the music world upside down - Puis il explique que «Rock Around The Clock» vient du jump blues, dont le king était Louis Jordan - fast-talking tales of gals in fox furs and zoot-suited brothers were propelled by boogie-woogie piano and saucy sax solos -  Jordan nous dit PolyBob démarre en 1941, et en 44 il vend un million d’«Is You Is Or Is You Ain’t My Baby», et dans sa foulée déboulent Roy Brown avec «Good Rocking Tonight», Big Joe Turner avec «Shake Rattle & Roll», Wynonie Harris avec «Bloodshoy Eyes» et Stick McGhee avec «Drinking Wine Spo-Dee-O-Dee», et c’est là que Jerry Wexler déclare que ce n’est pas du blues mais du rhythm & blues, et à Cleveland, en 1951, le DJ Alan Freed lance son Moondog radio show en clamant : «Okay kids, let’s rock and roll with the rhythm and blues!» Ces pages prennent feu sous tes doigts, car PolyBob restitue bien le vent qui se lève alors en Amérique et qui va balayer l’Angleterre dans la foulée. Tout repose sur Bill Haley à cette époque, un Bill qui est quasi asthmatique et qui cache son mauvais œil sous une mèche collée, mais avec les Comets, il écrit les premières lois de la pop - Pop’s unwritten laws - They were in the right place at the right time. Bill, nous dit PolyBob, l’a fait quand il fallait le faire.

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             Dans le monde d’aujourd’hui, il existe deux races de gens : d’un côté ceux qui vénèrent Bill Haley et les Beatles, et de l’autre, ceux qui leur crachent dessus. PolyBob rappelle qu’il existe quelques intros qui font monter l’adrénaline dans la seconde. Il cite «the silver chord that opens ‘A Hard Day’s Night’, l’intro du ‘Metal Guru’ de T. Rex, the barely controlled bagpipe glee of the Crystals’ ‘Da Doo Ron Ron’» et bien sûr, à l’origine des temps, «right at the beginning there was the sharp double snare hit, followed by ‘One two three o’clock, four o’clock, rock...’» Les milliers d’Anglais accueillent Bill quand son bateau arrive à Southampton, et là PolyBob reprend feu : «Il attendaient un sun god, l’homme qui nous avait délivré de Vera Lynn. Instead, they got pop’s own Wizard of Oz, Bill Haley was no deity, he was an uncle.» Et en 1967, conclut PolyBob, les Comets étaient devenus une pièce de musée. Bill le héros va finir dans les cabarets et casser sa pipe en bois en 1981 - His heyday was brief but, truthfully, without Bill Haley the rest of this book could not have been written - PolyBob est un auteur qui sait rendre hommage.

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             Il saute aussitôt sur Elvis. Un chapitre entier ! - No one has had the pop-culture impact of Elvis Presley. À l’époque, les adultes n’ont rien compris à Elvis Presley. Il s’est inventé, a true modernist, drawing on the best of everything that surrounded him and making it new. He rose faster, fell further, had the most glorious comeback, and died young, alone in his palace - Et PolyBob balance cette vérité criante : «Elvis has been loved more fiercely than any pop star since.» Tandis que le vieux Bill a mis dix ans a trouver le right sound, «Elvis Presley walked into Sun Studios, Memphis, one day in summer 1954 and did it in a heartbeat.» Bill a tout inventé, mais Elvis aussi - On stage at the Louisiana Hayride, Elvis gyrated, wore a pink shirt and peg slacks. He looked raw, sounded rawer and girls melted - Mais on connaît la suite de l’histoire, qui n’est pas terrible : en 1965, nous dit PolyBob, l’année de Rubber Soul et de «Like A Rolling Stone», le King chantait «Petunia The Gardener’s Daughter». Des millions de kids anglais et américains ne lui ont pas pardonné d’être tombé aussi bas.

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             PolyBob enchaîne bien sur le rockab - the rocked-up itchy hillbilly sound - Voilà que déboulent Sam Phillips et Jerry Lee, qu’on surnomme le Killer pour ce qu’il inflige à son piano. Jerry Lee rappelle qu’il n’existe que quatre stylistes - There’s only been four of us, Al Johnson, Jimmie Rodgers, Hank Williams and Jerry Lee Lewis. That’s your only goddam four stylists that ever lived - Et voilà que dans la vague s’engouffrent tous les outsiders et tous les maniacs d’Amérique, «and the freakiest freak of them all was Little Richard», avec, nous dit PolyBob la bave aux lèvres, son «pounding piano, insane shrieks, unavoidably sexual lyrics». Et puis Chucky Chuckah, et son «look of a card sharp blessed with luck, a brown-eyed handsome man with a cherry-red Gibson and a major thing for cars and girls that he syphoned into super-detailed lyrics. He became the chief correspondent  for young America. Some think he was the most significnat figure in all rock’n’roll; certainly, he was an A-grade innovator.» - Hail hail rock’n’roll/ Deliver me from the days of old - Chucky Chuckah pèse aussi lourd dans l’inconscient collectif anglo-saxon que Shakespeare. Un Chucky qui s’est imprégné de Louis Jordan et de T-Bone Walker, mais qui a transformé ses influences en «motorvating marvels». Ses chansons, glose PolyBob qui est aux anges, «were bright, shiny, very fast, and super-modern. Elles sonnaient comme les ailerons d’une Cadillac. He also wrote some of the best guitar lines ever recorded.»

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             Et Gene Vincent ? T’inquiète pas, PolyBob ne l’oublie pas. Il te cale ça au bas d’une page lourde de conséquences : «His weaselly looks, mop of oil-black hair, and manic smile were hardly a match for Presley’s godlike charisma, but his music was on another plane, unhinged, like a freefom rockabilly.» Voilà qui va beaucoup plaire à Damie. Another plane !

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             PolyBob traverse ensuite l’Atlantique pour nous raconter ce qui se passe en Angleterre avec Tommy Steele et Billy Fury, mais sa prose n’est pas aussi inflammable. Il salue le côté «electrifying» de Tommy Steele on stage et trace un drôle de parallèle entre Elvis et Billy Fury : «If Elvis was all about sex and immortality, then Billy Fury’s appeal was sex and death.» Mais plus loin, il ajoute que «Billy Fury was the blueprint for the British pop star.» Par contre, Vince Taylor sort du rang, «he blew even Billy Fury off stage», et PolyBob relate la période LSD de Vince, en robe blanche dans Paris, devenu Mateus et proclamant à ses derniers fidèles qu’il était le fils de God - Like Billy Fury, he endlessly intrigued the young David Bowie. The legend of long-lost Vince, a forgetten link in the chain, would resurface a little while later in the guise of Ziggy Stardust - Voilà pourquoi il faut lire ce big fat book : c’est une caverne d’Ali-Baba. Tu y retrouves ces milliards d’informations qui font le suc de la rock culture. Et PolyBob a l’extrême obligeance de nous les remettre en scène pour leur redonner de l’éclat.

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             Et là, tu te marres, car tu arrives à la page 40 et t’as déjà vu défiler tous les cracks du boom-hue : Bill Halley, Elvis, Jerry Lee, Chucky Chuckah, Little Richard, Gene Vincent et Vince Taylor. Il y en a d’autres bien sûr, Bo Diddley, Buddy et Eddie, mais nous n’avons pas la place. Ces 40 premières pages sont de la dynamite. PolyBob écrit comme un fan en pleine crise d’hystérie.

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             Il tente de rallumer de l’intérêt pour Del Shannon. Pas facile. Apparemment, le seul qui se soit passionné pour le Del, c’est le Loog qui l’emmena en studio à Londres pour enregistrer Home & Away en 1967. Son «Runaway» date de 1961 - It was, and remains, the ultimate fairground anthem - le hit des fêtes foraines. Avec «Étoile des neiges/ Mon cœur amoureux», serait-on tenté d’ajouter. PolyBob évoque les peurs et les démons qui hantaient le pauvre Del. Mais en 1961, il était une superstar aux États-Unis, «elevated to the level of Orbison, Dion and Pitney.» Il cherchait la paix dans son verre de whisky. Il allait relancer sa carrière avec les Travelling Wilburys quand il se suicida en 1991 - But Del Shannon, king of pain, was truly one of pop’s heavyweight champs - C’est drôle, l’attachement que PolyBob porte au Del. On a fait l’effort d’écouter tout le Del et ce n’est pas aussi convaincant que veut bien le dire notre ami PolyBob. On va y revenir, car Del Shannon reste une sacrée énigme. 

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             Hop ! PolyBob saute aussitôt sur Totor et Joe Meek, avec un chapitre qu’il titre : ‘Walk with me in paradise garden’. Il n’y va pas de main morte, le PolyBob : «Joe Meek was Britain first  record producer. He could be described as the first record producer in the world.» Et crack, c’est bien envoyé et c’est d’une justesse remarquable. L’obsession de Meeky Meek est de faire sonner les «records more exciting - and more commercial - with a little mechanical manipulation.» Et crack : «Le premier disk que Meek a produit fut le straight jazz instrumental «Bad Penny Blues» d’Humphrey Lyttleton, on which he exagerated the low notes on the piano to make it danceable, got the brushed drum to fizz and gave Lyttleton his only hit - the Beatles later pinched its feel wholesale for ‘Lady Madonna’». Voilà une élégante manière de décrire un précurseur - Meek was in love with the future (space travels, satellites), Americana (teen idols and cowboys), and the world beyond - ghosts, death, deceased lovers returning as gardian angels. Il chercha à transcrire ses obsessions with overdubbing, compression, sound separation and distorsion - Meeky Meek est le personnage idéal pour un écrivain de la trempe de PolyBob. Un PolyBob qui se marre bien, ah ouais, on enregistrait les vocaux dans les gogues et les strings dans l’escalier, it should have been a joke ! - C’est tout le contraire : en 1961, il enregistre le «Johnny Remember Me» de John Leyton et le «Tribute To Buddy Holly» de Mike Berry, «two of the best records he ever made.»

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             Et crack, PolyBob embraye violemment sur Totor en nous expliquant un truc fondamental : «L’exacte différence qui existe entre la pop anglaise et la pop américaine se trouve dans la comparaison qu’on peut faire entre les productions de Meek et de Spector. Meek accélérait les tempos, worked at a frenetic pace, alors que Spector était panoramique, as big as Meek’s but warmer, more luxurious, il utilisait les meilleurs ingrédients, les meilleurs chanteurs et musiciens de New York et de Californie, alors que Meek les trouvait chez Woolworth. Meek pouvait enregistrer trois singles dans la semaine, mais Spector prenait son temps, il perfectionnait son son.» Puis quand les Beatles et Motown arrivent en 1964, on trouve Totor trop teenage. Alors il fait appel à Barry Mann et Cynthia Weil pour composer avec eux un truc plus adulte : «You’ve Lost That Loving Feeling». Totor et Meeky Meek vont connaître le même sort : l’indépendance de Meeky Meek devient sa malédiction, il produit de plus en plus, mais rien ne sort. Totor va lâcher l’affaire après l’incompréhensible flop de «River Deep Mountain High».

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             La pente naturelle nous conduit droit au Brill Bulding, 1650 Broadway, et à Don Kirshner, the man with golden ears. Il dirige une équipe d’une douzaine de compositeurs qui vont, nous dit PolyBob, redéfinir la modern pop by taking rock’n’roll uptown, en créant ce que Totor appelle des «little symphonies for the kids». PolyBob sort les chiffres : 165 music companies au Brill. On y entend de la musique partout, même dans l’ascenseur. Hommage à Leiber & Stoller, «godfathers of this new, post rock’n’roll writer/producer pop», ils s’installent au Brill en 1957 et pondent des hits pour les Coasters, cot cot ! Ils prennent aussi sous leur aile un petit coco arrivé de Los Angeles : Totor. Ils le laissent bosser avec Ben E. King sur «Spanish Harlem» - an ode to a rose growing up through the cracks in a New York sidewalk - et par conséquent hit éternel. Bizarre que PolyBob omette de préciser que Totor a composé cette merveille inextinguible avec Jerry Leiber. Et puis PolyBob rappelle que «Goffin/King, Mann/Weil and Greenwich/Barry then set about dominating the American and British charts.» Pas pour longtemps. En 1964, on projette A Hard Day’s Night à Manhattan et Carole King est terrifiée. Elle avait raison d’avoir peur, les Beatles allaient TOUT balayer, y compris le Brill.  

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             En tant qu’Anglais, PolyBob consacre une place considérable aux Beatles. Il organise sa pagination pour mettre en scène l’extraordinaire rebondissement que fut l’avènement des Beatles. Il faut dire que les gueules à fuel que nous étions ont eu du mal au début avec les Beatles. Tous ceux qui ont grandi avec Elvis, Jerry Lee, Little Richard, Vince, Gene Vincent et les autres, ne prenaient pas au sérieux ces banc-becs bien coiffés. Et puis on s’est fait avoir comme tout le monde, car les chansons étaient bonnes et John Lennon avait des racines assez pures. On le considérait au départ comme un popster, alors qu’en réalité c’était un rocker, un fan invétéré de Gene Vincent et des autres. Alors pour avancer, il a créé son monde, les Beatles, avec l’aide non négligeable de George, Paul et Ringo. Les Beatles ont ramené ce qui faisait défaut au Brill, «the blatant sex and racing-heart noise that pre-army Elvis had provided.» Et PolyBob reprend feu : «And, just as Elvis had in ‘56, they created a new generation gap. Pre-rock. Pre-Beatles. Overnight, the Brill Building’s craft, sweat, and toil was part of the past. The Beatles’ unscripted naturalism turned the lights on, and Broadway’s neon suddenly looked rather cheap.» Et ça continue sur le même tempo : «Si vous deviez expliquer l’impact des Beatles à un inconnu, il faudrait lui faire écouter l’Hard Day’s Night soundtrack.» On sent que PolyBob se régale en écrivant : «Chaque étape de la carrière des Beatles avait sa drogue : speed (leur période Hambourg et Merseybeat), cannabis (the sleepy Rubber Soul), acid (Revolver and Sgt. Pepper) and Heroin (Lennon’s crack-up on the White Album). With A Hard Day’s Night, the drug was adrenaline.»

     

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    Lennon pas sur l'île de Wight 

    (Wight Not!)

             Et tout naturellement, PolyBob se pose la question existentielle : «Alors pourquoi eux ? Pourquoi pas Del Shannon, ou les Four Seasons, ou les Beach Boys ? Ça semble être une interrogation stupide, mais elle est légitime. La seule réponse possible est que les Beatles were, literally, miraculous.» C’est PolyBob qui le dit, et il a raison. Il bave même sur les photos les plus ordinaires des Beatles. Il cite l’exemple d’une photo de John Lennon prise au ferry terminal de l’île de Wight - And yet Lennon still looked incredible. He looked like a Beatle - Dans des pages encore plus fascinantes, PolyBob rappelle à quel point «the early seventies was a post-Beatles world.»

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             Et crack, le Beat boom ! Belfast’s Them, le Maritime Hotel, et «Gloria» in Decca’s West Hampstead studio - It’s a dirty, dirty record, and a nervous Decca relegated it to the flip side of «Baby Please Don’t Go» which was scarcely less thrilling - Polybob s’incline encore plus respectueusement devant «Mystic Eyes», «one of the unlikeliest rackets ever to have reached the Top 40.» Et il conclut en traitant les Them de «loudest, most fractuous group since Johnny Burnette Rock And Roll Trio.» Puis coup de flash sur le «Really Got Me» des Kinks, «This was sex and violence in perfect harmony». Hommage superbe aux Kinks : «The Kinks were the rawest, the toughest and - with their sexual confusion and readiness to self-destruct - the most distinctly English of the British R&B groups.»

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             Qui arrive à la suite ? Les Stones, bien sûr, avec un chapter intitulé ‘Who’s driving your plane?’ - Essentially they refused to play the game. Les Beatles et Elvis avaient joué le jeu, l’un chantant pour un chien et les autres smiling at the royal box. Les Rolling Stones ne juraient que par l’anger, dissatisfaction, frustration, and power and they were loved or hated, really hated -  PolyBob salue le Jones’s and Richards’s sharp dual guitar work et l’animal androginy du loose-lipped Jag. PolyBob maîtrise l’art de synthétiser les mythes rock en deux courtes phrases. Arrive «The Last Time» en 1965, on s’en souvient, ça nous carillonne encore aux oreilles - It was an incredible sound for a group from Kent - car enregistré au studio RCA de Los Angeles, avec l’assistance de Jack Nitzsche, «with Keith Richards relentless spiraling hook sucking you in. From now on, they were unstoppable.» En 1967, dans le box des accusés, Keith Richards devient «a counterculture hero. Dressed like a cross between Beau Brummell and a highway robber, he told the prosecutor, ‘We are not old men. We are not worried about petty morals.’». Pouf, il prend une pige dans la barbe. Heureusement, l’éditorial du Times lui sauve la peau. Puis le Loog et le Jag divorcent. Their messianic trip was over. Et PolyBob te balance cette phrase qui n’en finit plus de le faire monter dans ton estime : «Regrouping, the Stones got back to basics in ‘68, ditched the drug-addled Jones and Oldham, and lost their adventurous streak.» PolyBob veut dire que les Stones ont perdu leur âme. On l’a clairement senti après Let It Bleed - To a large degree, they became a different group in the seventies. Jones parti, ils n’utilisaient plus de sitar, plus d’ocarina, plus de tablas. Oldham parti, they gradually became a self-parody. The Stones of the mid-sixties had been an amazing focused pop group, disobeying their mentor’s number-one rule, they became predictable. Ça vaut largement une tragédie grecque. 

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             PolyBob attaque ensuite la Soul. Il commence par le commencement : Sam Cooke. Sur une photo, PolyBob trouve Sam too good to be true : «He looks like someone playing Sam Cooke.» Il lui semble même que Sam vient du futur. En plus, il chante comme un dieu, «a mix of gentility and gospel growl like nobody else, his singing was effortless and intense. He was the original quiet storm.» Cookie vient de Clarksdale, Mississippi. À 21 ans, il a trois copines enceintes. Pas question de reconnaître la progéniture. Il commence par établir les fondations de la Soul music, puis il monte son label SAR, et donc une écurie d’où va sortir Bobby Womack. La première personne que Cassius Clay appelle quand il vient d’envoyer Sonny Liston au tapis, c’est Cookie, et PolyBob ajoute qu’Aretha et Erma Franklin revêtaient leurs plus belles robes juste pour le voir à la télé. Mais la vie privée de Cookie n’était pas de tout repos : sa femme Barbara perdait la tête à cause de son drinking et de son womanizing, et cet été-là (1963) leur fils Vincent se noya dans la piscine familiale. Pire encore : en décembre 1964, Cookie emmène une pute dans un motel et elle se barre avec ses fringues pendant qu’il prend une douche - Half naked and shooting, he scared the motel owner so much she shot him dead - Même la mort se dit mieux en anglais.

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             L’increvable PolyBob embraye aussi sec sur Stax - If Sam Cooke was the voice, then Stax set the template for the sound of soul - Et PolyBob glisse cette nouvelle vérité, affirmant que chez Stax, le sound devient plus important que l’artiste, «a southern equivalent to Spectorsound and the Brill Building.» Puis voilà Atlantic et le trio de choc Ertegun/Dowd/Wexler - All three, like Leiber & Stoller, like Andrew Oldham, were very sure of themselves, their taste, and their ideas on pop culture - Puis PolyBob rend un sacré hommage aux rois de la Chicago Soul, les Dells, qui, dit-il méritent leur place dans ce book, ne serait-ce que pour leur longévité. Formés en 1952, ils ont connu toutes les mutations, depuis le R&B et le doo wop - Leurs chansons were built from a quiet group-harmony base, subtle, almost supper club, until the moment when their baritone Marvin Junior stepped in, and then all hell broke loose - Il faut écouter les albums des Dells, ce sont des bombes atomiques, mais en France, peu de gens sont au courant.

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             De plus en plus intrépide, PolyBob décide de monter encore d’un cran avec Bob Dylan - He was his own planet and, naturally, you desperately wanted to find a way to travel there - Et crack, PolyBob sort ça qui devrait figurer dans les Tables de la Loi du Rock : «Bob Dylan created, for good and ill (c’est-à-dire pour le pire et le meilleur) the modern rock star. On the débit side, he pioneered sunglasses after dark; along with the Stones, he sealed the concept of snotty behavior as a lifestyle - Une fois de plus, les pages prennent feu. PolyBob nous explique à nous qui savons tout et qui ne savons rien que Bob était le saint patron des mauvais chanteurs (non-singers) : «He sang in a voice that was entirely unfamiliar: needling, unsifted, but impossible to ignore.» Mais le pire, c’étaient ses textes. En entendant chanter Dylan, Gerry Goffin eut tellement honte de ses textes qu’il détruisit toutes ses bandes et tous ses acétates. Pour se protéger des ravages de la gloriole, Dylan devint misanthrope. Mais il réinventait le rock - The music he made during this ‘65-66 period was extraordinary - thin wild mercury music, he called it - Avec «Like A Rolling Stone», il atteint un sommet - Dylan peaked and he knew it. By now considered a cross between Elvis Presley and Nostradamus, he had no direction home - Puis pour se débarrasser du poids du monde, il va se mettre à chanter avec une voix de canard. En guise de chute à ce chapitre d’anthologie, PolyBob pond un nouvel axiome : «What is most remarkable about Dylan, and a task not far short, is that he helped America to make sense of itself.»

             Après un gros chapitre sur les Byrds, PolyBob remonte au Nord vers Detroit pour chanter les louanges de Motown. Il serait sans doute plus raisonnable de faire un break et de voir ça la semaine prochaine. Ce n’est pas le moment d’overdoser.

    Signé : Cazengler, Stan laid

    Bob Stanley. Yeah! Yeah! Yeah! The Story Of Pop Music From Bill Haley To Beyoncé. Norton 2015

     

     

    Inside the goldmine

     - Hornes section 

             L’évidence crevait les yeux : Grinord n’aurait jamais pu s’en sortir. Tout petit, il partait du mauvais pied : souffreteux, des yeux qu’on dit «chiasseux», toujours de la morve au nez, le cheveu filasse, la peau ingrate, le corps chétif et une voix plaintive, une cible de rêve pour les grands à l’école qui chassaient en meute. Ils chopaient Grinord dans un coin et lui faisaient avaler des limaces ou lui ouvraient la braguette de sa culotte courte pour y jeter des grosses araignées. Grinord pleurnichait, «vais l’dire à ma mère !», mais il prenait une baffe et pleurnichait de plus belle. L’un des grands l’attrapait par le col pour lui dire que s’il en parlait à sa mère, il allait lui couper le kiki, alors Grinord tremblait de peur. Plus Grinord chialait et plus les grands s’acharnaient sur lui. Ils vidaient son cartable dans une flaque d’eau. Ils donnaient des coups de canif dans son chandail. Ils savaient que les parents de Grinord étaient pauvres et qu’il allait prendre trempe pour avoir abîmé un chandail qui coûtait si cher. Lorsque la cloche sonnait pour entrer en classe, Grinord ramassait ses affaires, les remettait dans son cartable et rejoignait son banc. Comme il reniflait sa morve, l’instituteur lui demandait sèchement de se moucher et Grinord répondait dans un sanglot :

             — Y m’ont pris mon mouchoir, Monsieur Huron !

             — Qui ça, Y ?

             — Les grands du CM1, Monsieur Huron ! 

             — Alors Grinord, tu dénonces tes camarades ? Tu n’as pas honte ?

             Et le pauvre Grinord se remit à sangloter de plus belle, sous les huées de la classe.

             — Ouuh Ouuh le corbeau ! Ouuh Ouuh le corbeau !

             Grinord ramassa en hâte ses pauvres affaires trempées, quitta la classe, referma doucement la porte derrière lui et sitôt dans la rue, il se mit à courir pour aller se jeter dans l’Orne.

     

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             Les Greenhornes ont eu plus de chance que Grinord. C’est encore une évidence qui crève les yeux. Alors que Grinord n’avait pas d’autre choix que d’aller se jeter dans une rivière, les Greenhornes se sont jetés dans une carrière, et quelle carrière ! My Gawd !

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             Et si Craig Fox était l’un des plus puissants garagistes de la confédération ? Une compile nommée Sewed Soles scelle le sort de cette farouche hypothèse. Craig Fox est sans conteste l’un des cracks du boom-hue. Il navigue au même niveau que Wild Billy Childish et Mick Collins. On voit sur les photo qu’il a le regard d’un fou. Ce kid de Cincinnati t’explose le vieux gaga dès «It’s Not Real». C’est sauvage et bien raw to the bone, c’est même stupéfiant de véracité, c’est gratté à l’oss et chanté au wild scream. Tu te dois de saluer ce mec-là, ainsi que Jack Lawrence, le bassman à lunettes. Nouveau coup de wild genius avec «Shadow Of Grief», ils te grattent les poux indomptables du Far-West, le Fox embarque son Shadow dans la folie pure. T’as une des plus belles fuzz d’Amérique dans «No More». Elle est hautaine et monumentale. Tu commences à vraiment prendre le Fox au sérieux. Plus loin, t’as une quadruplette de Belleville : «Can’t Stand It» (attaqué avec une violence incroyable, digne des pires proto-punks d’Angleterre, en 1000 fois plus wild que «Crawdaddy Simone», c’est même les Them à la puissance 1000), «Good Times» (overpower, avec un ouragan d’organ et un solo à la désaille qui perd ses boulons), «Too Much Sorrow» (très anglais, boogaloo de proto-London town, écrasé de splendeur crépusculaire, digne des Animals et des Them, mais en bien pire, heavy stuff de close my eyes, tout y est) et «Satisfy My Mind», belle dégelée royale. Encore un coup de génie gaga avec «The End Of The Night», balladif d’up-tempo claqué à la sévère, cut de sleaze parfait, trucidé au killer solo liquide. Encore du beau gaga US de rêve avec «Pattern Skies», bien balancé, bien monté en neige, avec un killer solo tire-bouchonné dans l’oss de l’ass. Ouille ! Ils démontent encore la gueule de «Lies» à la fuzz. Et puis t’as ce «Shame & Misery» amené comme le «We Gotta Get Out Of This Town» des Animals. Le Fox est une bête. Il out-Burdonnerrait presque Eric Burdon. Voilà en gros ce qu’on peut dire de cet album rétrospectif.

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             Tu vas retrouver «Satisfy My Mind», «Too Much Sorrow» et «It’s Not Real» (claqué sec aux accords des Kinks) sur Dual Mono, trois cuts enfoncés du clou entre tes reins, surtout le «Too Much Sorrow», bien dans l’esprit du pont de «Gloria». Et puis t’as toute une série d’énormités ravageuses, à commencer par «The Way It’s Meant To Be». Ils tapent dans le mou du dur. Avec «You’ll Be Sorry», on se croirait chez les Sorrows, en plein cœur du freakbeat, sans oublier le killer solo. Holly Golightly fait deux apparitions sur cet album : «There Is An End» qu’elle prend toute seule, et surtout sur «Gonna Get Me Someone» qu’elle chante en duo avec le Fox. C’est brillant ! Elle ramène sa niaque de sucre et ça balance bien dans les contreforts, elle est encore plus candy-punk que les Shangri-Las et le Fox passe des killer solos en pagaille. Il est le roi du proto-punk revival. 

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             Sur le mini album East Grand Blues, tu retrouves l’excellent «Pattern Skies» et son bassmatic en alerte rouge, et ça bascule dans le coming fast, avec du killer solo flash dans la foulée. Jack Lawrence passe son temps à bassmatiquer au bas du manche, pendant que le Fox part en maraude. Quelle équipe ! Ils tapent aussi «I’m Going Away» en mode heavy folk-rock Byrdsy. En plein dans l’œil du collimateur ! Ils reviennent au heavy groove des Them avec «Shelter Of Your Arms». C’est encore une fois bien dans l’esprit du pont de «Gloria».

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             Et puis t’as cet album qu’on appelle le Quatre Étoiles (****) qui est plus orienté sur les exercices de style. Attention, c’est très intéressant. Ils commencent par sonner comme les Prisoners avec «Saying Goodbye». C’est plein comme un œuf et dopé par un bassmatic devenu fou. Avec «Left The World Behind», ils se remettent à sonner comme les Byrds. Ils ont ce power solide et radieux. Avec «Get Me Out Of Here», le Fox fait du Ray Davies. Il est assez allègre. Plus aucune trace de gaga sauvage. Sur «Underestimator», ils reviennent à un son plus anglais, après avoir exploré les racines des dents, mais les riffs sont ceux de Dave Davies et encore une fois, tu cries au loup. Encore un coup de génie avec «Better Off Without It». C’est plus poppy, et donc t’assistes à un incroyable retournement de situation, mais ça tient rudement bien la route, avec le bassmatic de Jack Lawrence et les solos en quinconce de Craig Fox. Ils ont cette classe surnaturelle qui leur permet de créer de la magie. Craig Fox superstar encore avec «Song», nouveau shout d’heavy pop. Quelle ampleur catégorielle ! Ça sonne comme un hit intercontinental, avec du rentre-moi-dans -le-chou mon chou. Ils font plus loin de l’heavy mood avec «Go Tell Benny», mais avec des incursions intestines de la pire espèce. Le Fox sait rester impressionnant, même si avec «Jacob’s Ladder», il fait de la petite pop ruineuse d’album. La vie est ainsi faite. Elle est même parfois cruelle.

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             Avec son premier album sans titre, le groupe de Craig Fox s’était taillé une belle réputation gaga-Midwest, en se rapprochant notamment des Animals. Pour preuve, leur version d’«Inside Looking Out», ils sont dessus, ooouh baby, ils savent faire monter la marée et faire le Burdon, my reaper ! My reaper yeah ! Leur «Shame & Misery» est d’ailleurs le sosie d’«Inside Looking Out» : même attaque avec la petite montée en température, exactement le même plan, avec le refrain sur les accords de «Gloria». Tiens, puisqu’on parle de Gloria, t’as le «Can’t Stand It» d’ouverture de bal qui est une sorte de Gloria en Amérique. C’est du gros bétail. Quel barouf ! C’est aussi révolutionnaire que le fut Gloria en son temps, la voix en moins, bien sûr. Power toujours avec «Shadow Of Grief». Ces Greenhornes sont bien décidés à en découdre. L’autre cover de choc est l’«High Time Baby» du Spencer Davis Group. Fantastique hommage à l’un des fleurons du British Beat, et le petit gros passe un solo d’orgue assez exemplaire. Ils sortent la fuzz pour «Lies» et t’explosent le gaga vite fait. Ils restent dans l’heavy gaga Soul sixties avec «Nobody Loves You». Ils n’en démordront pas. Ils sonnent comme Mitch Ryder, c’est très noyé d’orgue.

     Signé : Cazengler, Horny

    The Greenhornes. The Greenhornes. Telstar Records 2001

    The Greenhornes. Dual Mono. Telstar Records 2002

    The Greenhornes. ****. Third Man Records 2010               

    The Greenhornes. East Grand Blues. V2 2005

    The Greenhornes. Sewed Soles. V2 2005

     

    *

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    Il y a des groupes qui sont prêts à tout pour me plaire. Même s’ils ne me connaissent pas. Tenez prenez celui-ci : l’a un nom qui sent le grec. Le pays d’Aristote et de Gorgias. Tout de suite s’impose un bémol : ils ne sont pas grecs. Les malheureux. Bien sûr, moi non plus je ne suis pas grec mais moi ce n’est pas pareil. Enfin eux ils ont un sacré atout dans leurs mains. Ils viennent de Toulouse. Ville occitane que j’ai longuement arpentée hors de ma folle jeunesse. Je sais, la jeunesse est partie, mais il reste la folie. J’avoue que j’ignorais leur existence, je sais ce n’est pas bien, je le regrette, je ne recommencerai pas, je le jure. Bref j’errais sans but (avouable) sur le net lorsque tout à coup mon œil de félin a repéré trois mots magiques : Le cimetière marin. Grand fan de Paul Valéry je sursaute, je zozote d’émotion, je me ceins d’un drap de lit et je commence à déclamer les premiers vers de La Jeune Parque :

    Qui pleure là, sinon le vent simple, à cette heure
    Seule, avec diamants extrêmes ?.. Mais qui pleure,
    Si proche de moi-même au moment de pleurer ?

             Toutefois je m’interromps, je suis un rocker, or les rockers ne pleurent pas, dons je m’empare d’un stylo bille et griffonne cette chronique.

    LE CIMETIERE MARIN

    AEPHANEMER

    (Official MusicVideo)

    (Octobre 2025 / Napalm Records)

            Nous reparlerons prochainement d’Aephanemer, ce morceau est extrait de leur troisième album Utopie.

    Marion Bascoul : vocals / Martin Hamiche : Guitar, bass, orchestration / Mickael Bonnevialle : drums.

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             L’auditeur qui s’attendrait à une reprise metal in extenso du texte du Cimetière Marin de Paul Valéry se mettrait le doigt dans l’œil jusqu’à la clavicule. Seul le titre du poème et le premier vers de la dernière strophe sont repris en guise d’injonction existentielle. Les vers du poëte sont à lire plutôt comme une méditation sur le non-être. Toutefois le non-être s’y trouve défini selon sa coexistence avec les possibles de l’Être. Le texte d’Aephanemer est à lire comme une transcription de l’éclat qu’irradie le soleil noir du poème de Valéry. Non il ne vaut pas le poème de Valéry, mais il garde du par son vocabulaire choisi parmi les mots rhizomiques gorgés de suc de l’ensemble strophique valeyrien la même parenté que nourrissent et pourrissent  les  morts dans leurs rapports aux survivants. Que certains surnomment les vivants.

    Le cimetière marin : quatre ombres  vêtues de noir dans un studio ombragée d’ambre mordorée, la vidéo est à regarder comme une combustion orangée – voir les poèmes de José Galdo de la Danse des Morts – pas étonnant que le groupe soit étiqueté comme death metal mélodique, une flamme vive et symphonique qui s’élève, s’affaisse sur elle-même puis repart de plus belle, lorsque par deux fois le vocal survient, il semble s’évader de la bouche d’un Jolly Roger accroché au mât de misaine d’un bateau pirate, son espèce de glapissement funèbrement prophétique ne vous incite pas à rire, fermez les yeux laissez-vous emporter par cette chevauchée sur les huit sabots de Sleipnir. A vous de choisir votre rive.

             Une deuxième Video Official Music, c’est le titre qui suit le précédent sur l’album, est aussi accessible :

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    La règle du jeu : esthétiquement et musicalement parlant le titre révèle une troublante unité avec le Cimetière Marin, même flamme vive qu’un vent violent, agite, courbe et recourbe mais ne parvient pas à moucher. Un vocal davantage violent et bien plus présent, l’enjeu du texte est beaucoup essentiel, vous n’êtes plus au bord de la tombe vous êtes dans la lutte pour l’existence, le texte très bien écrit est d’une force incoercible, les cartes sont sur la table, toutes les combinaisons possibles sont ouvertes, l’on ne vous demande pas de choisir celle qui vous paraîtrait la meilleure mais de réfléchir sur la notion de jeu. Le texte est beaucoup plus métaphysique au sens fort de ce terme que celui qu’ils ont rédigés pour le cimetière marin. Donc le même fond d’oronge malsaine similaire au précédent, mais non plus tout à fait avec les musiciens car parfois  avec leurs ombres – pensez à celles du mur de la caverne platonicienne  - attention vous jouez avec des tricheurs, z’ont leur as de cœur dans leur manche : elle s’appelle Louna Lebeau et elle danse comme une jeune louve dans un le poème d’Alfred de Vigny, elle danse pour sa liberté, elle est l’effigie de la vôtre, saurez-vous comme elle renverser la table,  à elle toute seule elle est un ballet d’ombres mouvantes solitaires qui survivront dans la nuit de votre mémoire.

    Damie Chad.

     

    *

             Nietzsche qui philosophait à coups de marteaux sur tous les totems du monde nous a prévenus, toutes les valeurs que nous accordons aux choses sont vouées à s’écrouler un jour ou l’autre. Voici un exemple parfait : je croyais (mais croire n’est-ce pas déjà ne pas penser) que depuis le temps où je m’en va faire quelques tours de reconnaissance sur Werstern AF, je ne trouverais à coup sûr que des artistes de bluegrass. A tel point que j’en rapporterais toujours quelques chroniques que je pouvais étiqueter en toute bonne conscience : ‘’Bluegrass’’. Certes le bluegrass pur et dur, disons platonicien pour rester dans le domaine philosophique, n’existe pas. Ses frontières avec le country sont très vaporeuses, mais je ne m’attendais pas à ce que je me dépêche de vous présenter au plus vite. L’on est toujours trahi par les siens ! Parfois c’est pour notre bien !

    FULL PERFORMANCE

    CLAIRE HINKLE

    ( YT / Live AF / Septembre 2025)

    Claire Hinkle : vocals /  Max Kusin : Guitar / Rowdy Carter : Guitar / Kyle Farley :  Bass / Nick Tittle : Drums.

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    Pas besoin d’être sorti de St Cyr pour subodorer l’embrouille. A la limite le batteur tout au fond pas très visible avec ses cheveux longs l’a un look des anciens musicos des groupes sudistes, je suis bon prince, j’admets qu’il pourrait s’être fourvoyé dans un groupe de bluegrass, je passe sur le bassiste, l’aurait plutôt l’air de Buddy Holly, mais les deux guitaristes, indubitablement ces deux mecs sont des rockers, même la vidéo éteinte sur l’image muette ils transpirent, ils puent le rock. Quant à Claire Hinkle, je veux bien qu’après un passage à New York elle soit revenue au Texas pour jouer de la country music, mais ce que nous allons regarder c’est tout simplement un bon groupe de rock’n’roll !

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    In the movies : au micro, un tambourin à la main droite, elle sourit, elle oscille légèrement, l’est toute belle sous sa crinière brune de lion, parfaitement à l’aise, la grâce sans la minauderie, tranquille, sereine, sûre d’elle. Remarquez elle a de quoi, ses deux guitaristes lui déroulent un tapis rouge de notes fusantes et perfusantes, c’est parti, elle n’a plus qu’à faire son numéro, avec une désinvolture étonnante, l’est à l’aise, les deux guitars héros s’en donnent à cœur, le bassiste bouge et se dandine et tape du pied comme Buddy Holly ne l’a jamais fait, derrière sa batterie de Nick vous édifies des architectures sonores dignes de la galerie des Glaces de Versailles. C’est encore plus beau qu’au cinéma. Hot shit : rien à dire sur ce morceau. Il est parfait. Tous les cinq s’en donnent à cœur joie. Elle bouge si naturellement, ce n’est pas possible elle a dû faire de la danse pour se remuer ainsi, et la voix qui sort toujours claire (Hinkle), toujours juste, elle est aussi à l’aise sur cette scène que Madame de Récamier sur son divan, en plus elle parle rock, même si vous ne comprenez pas un mot d’anglais, c’est transparent, translucide, elle a le cran, sans arrêt, vous vivez, vous mimez dans votre tête, elle vous outre les portes du rock en grand et vous rentrez dedans sans avoir à frotter vos pieds sur le paillasson, elle tombe à genoux, les guitares dégoulinent, fusion orgasmique. Don’t ask questions : le slow qui tue,

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    question slow ce n’est pas vraiment lent mais quelle tuerie, vous êtes heureux ce n’est pas à vous qu’elle s’en prend, la cruelle minaude, les musicos ralentissent, pas le moment de la déranger, elle vous a l’air de ces espagnoles qui sautent dans l’arène et s’en vont narguer le taureau qui vient d’encorner à mort el torero, elles se plantent devant lui, lui tiennent un petit discours en quatre points, et la grosse bête honteuse s’en retourne au toril la queue entre les jambes.  Get on the bus : petit sourire aux musiciens, la réaction ne se fait pas attendre les deux guitares entreprennent d’escalader l’Everest, elle ne se retient plus, la voici reine du monde, alors les musiciens la suivent dans son assomption de folie. Redescendez sur terre c’est terminé. De toutes les manières vous ne me lisez plus depuis un bon moment, vous revisionnez la bande.

             Non ils n’ont pas inventé le rock. Mais ils le réinventent à chaque instant. Vous voyez  les boys et Miss Hinkle Claire : tout s’éclaire.

    Damie Chad.

     

    *

             La semaine dernière nous écoutions Weed Money d’AC Sapphire. J’ai eu envie d’en savoir plus. Je n’aurais pas dû. J’ignorais totalement ou je mettais les pieds. Surprenant et déconcertant. Nous commencerons par son dernier album.

    DEC. 32nd

    AC SAPPHIRE

    (Album Numérique / Bandcamp)

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    Quel changement de look entre la vidéo de Western AF visionnée dans notre livraison 704 du 02 / 10/ 2025 et la couve de cet album. Nous étions face à une personne que l’on pourrait classer ethnologiquement  dans la catégorie des hippies-folk et cette jeune femme dans son intérieur dont le visage souriant exprime une certaine assise psychologique qui n’a rien à voir avec le mode de vie qu’instinctivement l’on pressent tant soit peu marginal de la chanteuse-guitariste filmée devant un van au bord d’une route. Ne soyons pas dupes des images. Elles ne sont que des constructions, que veulent-elles nous dire, que signifient-elles au-delà des intentions qui les ont motivées.

    Il en est de même du titre de l’album, cette date du 32 décembre est-ce le jour d’après ou le jour d’avant, celui que l’on espère, celui qui n’existe pas… N’instille-t-il pas un doute introspectif quant à la vie que l’on a menée jusqu’à lors. Une manière de faire le point, de rebattre les cartes tarotiques d’une destinée qui ne nous satisfait pas, une redistribution du jeu de l’existence pour tenter de la remettre en un ordre beaucoup plus significatif, une espèce de réussite introspective censée clarifier le sens du chemin entrepris. Ce trente-deuxième jour du mois de décembre ne marque-t-il pas une zone floue d’équilibre entre le jour de trop dont on ne sait à quoi l’employer ou ce jour de moins qui nous manque pour entrer dans notre propre éternité.

    Palmistry : rollin’ guitar de Sapphire, l’orchestre derrière en retrait, des chœurs féminins discrets qui prendront leur importance sur la fin lorsque le morceau se change en gospel, pas d’erreur, pas une supplication adressée à dieu mais à l’être aimé. Pas de vocal, un chant. Sachez faire la différence. Le vocal correspond à l’expressivité d’un individu intrinsèque qui se livre tel qu’en lui-même, le chant participe d’une autre dimension, certaines voix chantent, d’autres pas, Sapphire est une véritable chanteuse de la taille de Joni Mitchell, une maîtrise, une sérénité, une simplicité certes, mais le chant dans sa plénitude confine à la poésie lyrique celle de l’expression de soi, le titre anglais nous renvoie aux palmes, alors que traduit en français il se traduit par chiromancie, l’art de lire sa destinée dans les paumes de la main, mais ici le désir de changer le cours des lignes afin de modifier la passé pour influer sur le présent, il est aussi question de désert, de 2014 à 2019 Sapphire s’est retirée dans le désert de Mojave, la célèbre Vallée de la Mort, en fait elle est partie, pour faire le point… il est difficile de s’abstraire totalement de sa vie, même en rupture avec ce que l’on a été l’on reste souvent tributaire des années d’enfance, Sapphire a été élevée dans une famille religieuse, l’on sait que les prophètes se sont souvent retirés dans le désert… Traces de pas subsistant dans le désert de la mémoire. Check Engine Light : un piano aux notes enrayées et le chant déchiré de Sapphire entre passion et compassion, entre colère et vengeance, un cri de désespoir et une analyse poussée du drame intime exposé depuis les deux tronçons de la flèche brisée  du désir qui désirerait se joindre à lui-même alors qu’il en est incapable. Rien de plus américain que d’utiliser l’image d’une voiture qui ne veut plus démarrer, n'empêche qu’au-delà d’une métaphore somme toute triviale la force des mots nous confirme ce que l’on avait compris à l’écoute du premier titre, l’écriture de Sapphire est d’obédience poétique. Sibling Rivalry : il existe une official video que je vous

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    invite à regarder. Elle fut tournée en 2015. On y aperçoit Sapphire rouler dans le désert mais surtout s’adonner avec ses frères et sœurs aux jeux de leur enfance. Elle ne fut pas malheureuse, les huit frères et sœurs ne fréquentèrent pas l’école, les parents aisés leur servirent de professeurs. Ils furent initiés à la musique et à la poésie. A 14 ans Sapphire monta sur scène pour interpréter Shakespeare, plus tard avec deux de ses sœurs Sapphire formèrent un groupe Sister 3. Nous en reparlerons. La chanson est de toute douceur, la prédominance des grosses notes de la basse l’assombrit quelque peu, c’est que le bonheur des jours heureux n’est pas uniforme, à mots couverts Sapphire nous confie qu’elle a jalousé sa sœur mais que cette jalousie l’a confortée à devenir elle, à suivre un chemin qui l’a séparé de son premier univers… le morceau se termine par des rires joyeux, toutefois voilés, perdus quelque part dans un temps lointain. Oblivion : à qui s’adresse-telle, sans doute à elle-même, tous les autres ne sont-ils pas des clones de nous-mêmes, une balade country chantée avec la voix de Joan Baez, même si sur la fin l’émotion de la vie et du monde qui s’effacent tempère un peu l’optimisme d’être ce que l’on est, incapable d’arrêter la course du soleil. Même avec un flingue. Mais en vivant dangereusement ne sentons-nous pas plus pleinement que le chemin de crête du présent côtoie l’abîme. Highway Hum : une guitare bourdonnante et une voix qui gesticule, qui crie, qui danse. Urgence et inquiétude. La proximité des morts. De qui parle-telle sinon de son rêve qu’elle refuse de préciser. Il est étrange de voir comme les morceaux se suivent et racontent une histoire dont chacun raconte un épisode. Suite logique. Toutefois l’on ne sait jamais si nous sommes dans un évènement passé ou dans une reconstitution mentale de ce qui a été et de ce qui n’a pas été, le néant n’est-il pas la gangue des atomes dans laquelle ils se défont, le dernier mot ne reste-t-il pas à la langue de la poésie. Starships : reviennent les cordes effilochées, parfois la réalité ne correspond plus à elle-même, où sommes-nous dans l’obscurité du monde, nous savons bien où nous ne sommes plus, mais ne sommes-nous pas vivante dans les pensées d’une autre, d’ailleurs n’est-elle pas aussi en notre pensée, notre existence se limite-t-elle à notre pensée, bien que nous n’en n’ayons pas la conscience ne serions-nous pas mieux au-dehors de nous-mêmes, la voix se presse elle se heurte aux incertitudes chaotiques que nous sommes et ne sommes pas, pas qui nous agitent, nous éliminent et nous fondent… Thunderbird aussi nommé Demon Sneeze :  guitare comme une caresse sur la fourrure soyeuse d’un chat, pas de démon et un oiseau qui ne tonne pas, mystérieuses paroles, un couple qui se rencontre pour mieux se séparer, mélodie triste, lequel rattrapera l’autre à ce jeu démoniaque, un feu qui s’éteint de lui-même faute d’être alimenté à tour de rôle mais jamais ensemble au même instant, au début était le verbe, des mots qui coulent de deux bouches qui ne se rejoignent qu’à demi, les mots ne solidifient pas le monde, ils glissent, ils tombent, de quoi parle-t-elle au juste, ne chante-t-elle les limites de la poésie incapable de changer le monde, l’on pense à Keats, la poésie de Sapphire n’a pas la même  luxuriance que celle du plus pur des grands poëtes romantiques, mais elle porte en elle la même impuissance à ne pas régir le monde des désirs à sa volonté. Quelle lassitude de ne vivre que la moitié de son rêve. Chapparal Bottoms : la suite du morceau précédent, la même lenteur, avec toutefois au milieu du pont une guitare électrique qui se sublime en folk-noise, le chant rampe tout autant, mais la guitare allume l’électricité pour voiler à sa manière l’échec de deux existences qui se quittent, Sapphire qui se désole et Victoria qui lui intime l’ordre de chanter, de continuer sur ce chemin qui lui apportera la victoire. Le plus terrible c’est qu’elle est d’accord avec son amante, c’est à elle de conquérir la moitié du ciel, elle sait que c’est le parti qu’elle est en train de prendre son chemin. Chanson mortuaire pour un merveilleux cadeau. Même les buissons d’épineux finissent par mourir. Weed Money :  le morceau repris pour

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    Western AF, cette version est accompagnée d’une Official Video que nous avons déjà commentée, elle s’intègre au mieux à cet album, les images évoquent la partition de Sapphire, l’être de chair soumise à ses désirs et aux caprices des autres, son appétence de clarté apportée par l’expérience de la  poésie. Dans cette interprétation le morceau se teinte de mélancolie, celle qui résulte de cette terrible dichotomie, mais nettement moins désabusé. String Breaker : au fur et à mesure que j’écoutais cet album, je ne parvenais pas résoudre l’équation qui s’offrait, chaque morceau était plus beau, plus nécessaire et davantage essentiel que le précédent mais ô combien supplanté par le suivant. Un collier de perles, toutes d’une brillance exceptionnelle, mais cette lettre d’adieu à soi-même, ce froid constat sulfureux d’huissier poétique selon lequel deux astres qui se croisent ne font qu’accentuer leur solitude.  Le chant vous perce le cœur, la guitare le brise, et puis ce violon qui pleure toutes les larmes qu’il est inutile de verser, enfin cette voix qui se disperse et se recueille, et ces onomatopées qui se plantent en vous comme des lames de couteau.

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             Cet album unique, en le sens où il se suffit à lui-même et n’a pas besoin de vous pour exister, est une splendeur.

             Une seule consolation, il nous reste d’autres enregistrements d’AC Sapphire à écouter.

    Damie Chad.

     

    *

    En règle générale on choisit un livre pour l’auteur et le sujet. Evidemment les books sur Elvis, vont du pire au meilleur, toutefois par principe on ne crache pas dessus : on regarde. J’ai commencé pat le nom de l’auteur : Jane et Mickaël Stern. Inconnus au bataillon. Leur fiche wikipedia m’a étonné : se sont fait un nom en confectionnant non pas un dictionnaire du rock’n’roll mais un guide de cuisine. A priori pas le truc qui ne m’intéresse pas. Z’ont eu une idée originale. Normalement en tant que citoyen du pays qui possède la cuisine la plus renommée au monde, je devrais les injurier copieusement, z’ont fait fort, z’ont opté pour la cuisine populaire, leur book c’est un peu le bréviaire Michelin pour les cheeseburgers mal cuits que vous ingurgitez fissa au  hasard des highways dans des patelins américains inconnus. Avec toute cette graisse dégoulinante ils ont fait leur beurre. Se sont toutefois diversifiés, il arrive un moment où les lecteurs n’ont plus faim, alors ils ont entrecoupé leur Encyclopédie de la Mauvaise Bouffe par d’autres sujets populaires, les chiens, un grand réalisateur  Douglas Sirk, et cerise sur le sandwich au beurre de cacahouète un bouquin sorti en 1987 sur Elvis.

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             Scrongneugneu je n’étais pas chaud, mais dès la couverture y avait un argument massue auquel un rocker français ne résiste pas : traduction de François Jouffa ! L’a écrit plusieurs livres sur le rock’n’roll en collaboration avec Jacques Barsamian, notamment L’âge d’or du rock’n’roll consacré à la génération des pionniers  dont la première édition sortie en 1980 tomba à pic pour accompagner les connaissances des adeptes de la renaissance rockabilly… Entre autres, les deux complices ont aussi à leur actif un Elvis Presley Story

    ELVIS

    LE MONDE D’ELVIS

    ELVIS AU PAYS DES MERVEILLES

    JANE ET MICHAEL STERN

    (France-Loisirs / 1988)

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    Est-ce pour nous faire plaisir, l’introduction du livre débute par la remarque par laquelle nous terminions la semaine dernière notre chronique consacrée à Uuseen Elvis de Jim Curtin,  les fans d’Elvis connaissent tous les détails de la vie d’Elvis, tous les objets qu’il a de  près ou de loin possédés, toutes les dates marquantes, toutes les maisons qu’il a habitées, tout ce que voulez sauf… sa musique, deux ou trois titres pas un de plus… elle figure le continent noir englouti,  l’iceberg immergé…

    Le choc Elvis : première surprise l’ensemble est agréable à lire, deuxième plaisir, le regard porté sur le phénomène Elvis est des plus pertinents, le texte fourmille d’anecdotes mais son principal attrait réside en la rigueur de l’analyse. Laissons de côté le public inconditionnel des jeunes filles enthousiasmées par le chanteur… Désolé pour Eddy Mitchell, ce n’est pas la voix d’Elvis qui prime, mais son attitude sur scène : ses déhanchements, ses virevoltes, sa souplesse de félin, tout ce que vous admirez, de toutes les manières même quand il ne fait rien de précis l’hystérie collective se déclenche… mais Elvis lui-même qu’en pense-t-il ? Il ne se livre pas, il se contente de constater, apparemment il est le premier surpris. Les parents qui n’ont jamais cru leurs filles capables de telles exaltations, très vite relayés par le milieu musical tirent leur conclusion : ce garçon n’a rien d’exceptionnel, pas totalement idiot mais très loin d’Einstein. Ce qui choque ce sont ses manières, pas du tout grossières mais surtout pas du tout policées. Un gars sorti de sa campagne, empli d’une rusticité étonnante, et même détonnante pour cette jeunesse blanche bien éduquée qui dans l’absolu et la vie de tous les jours ne fréquente pas ces milieux populaires. L’expression ‘’ mépris de classe’’ employée à  tort et à travers de nos jours nous paraît résumer ce haut-le-cœur des adultes surpris. Jane et Mikaël Stern vont plus loin. Ce qu’ils disent nous aide à mieux comprendre l’actuelle propension de l’Amérique de Trump à se revendiquer à chaque instant du Dieu très chrétien. Les contemporains des années cinquante réactionnairement outrés par les extravagances elvisiennes  ne visent pas aussi haut, laissent Dieu tranquille, ce qui leur semble en danger c’est la religion. Par ses poses pelvisiennes notre King effrite à lui tout seul le ciment agrégateur, le béton christique de la société américaine.

    Pour nombre de rockers américains, ils le racontent dans leurs autobiographies, leur native addiction à cette musique provient du premier passage d’Elvis à la télé américaine en 1956. Une cassure sismique dont ils ne se sont jamais remis. L’élément déclencheur. Nos deux polygraphes scrutent tous les passages télé d’Elvis avant le 56 historique. Les précédents, ils ne sont pas rares et tout autant inscrits dans l’histoire, leur schéma est éloquent : par sa prestance Elvis dynamite l’écran, pour diminuer l’onde de choc on réduit l’image, on inclut sa prestation dans de ridicules scénettes. Les Stern vont plus loin, tout le reste de sa carrière Elvis sera prisonnier d’un carcan idéologique sociétal dont il ne parviendra jamais à se débarrasser. Très symboliquement la fameuse séquence de Jailhouse rock le montre derrière des barreaux.

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    La face cachée d’Elvis : ce n’est pas celle à laquelle on pourrait s’attendre. La période couverte par ce chapitre commence en 56 et comporte sa période à l’armée. Elvis nous est décrit comme un ange. L’on n’est pas loin de la petite maison dans la prairie. Un garçon d’une simplicité extravagante. Son plus grand plaisir : le sandwich à la banane. N’entrevoyez aucun jeu de mot avec le dernier vocable qui précède la ponctuation. Bien sûr il reçoit ses petites amies dans sa maison qui est surtout celle de ses parents. Apparemment ils passent leur nuit à jouer avec des ours en peluche et à chanter des cantiques. Vous ne trouverez pas un garçon plus posé, plus poli, plus pieux que lui dans tout l’hémisphère nord. Sud aussi. Passe son temps à pleurnicher durant son service militaire, l’a une excuse sa maman est morte, désormais il sera seul. Priscilla est absente de ce chapitre. Toutefois, sans doute par mégarde, on évoque la soirée parisienne au Lido. C’est dommage sans quoi l’on aurait pu ajouter ce chapitre à La Vie des Saints. Il n’aurait pas dépareillé. Avec un peu de chance Elvis aurait eu droit à une palme d’or et à être assis, ni à la gauche, ni à la droite de Dieu, mais sur ses genoux.

    Un Elvis en cellulose : la période Elvis au cinéma, les films sont remarquablement résumés en quatre ou cinq lignes. Jane et Mikaël Stern se détournent de leur hagiographie. Au retour de l’armée les nouveaux films d’Elvis ne sont pas bons. Il est facile d’accuser le Colonel. Parker aimait l’argent. Elvis préférait la vie facile. Un terrain d’entente était possible. Question nullité des films nos deux auteurs n’accusent pas Parker. Le côté film sans scénario correspondrait à l’imaginaire d’Elvis. Le bon garçon qui ne sera jamais du côté du mal et de la violence. Un monde de joie, de fête, de jolies filles, de plans technicolors, de couleurs vives… Que voulez-vous que le bon garçon du deuxième chapitre  puisse promener dans sa tête comme phantasmes… Les chaudes soirées des tournages ne sont jamais évoquées, puritanisme américain oblige ? Dans les bios d’Elvis on nous raconte qu’Elvis auraient désiré des films à la James Dean, à la Marlon Brando, cela nous le rend sympathique, Jane et Mickaël réagissent en bons ricains requins : si tu veux faire cela : fais-le. You can do it ! Si tu ne le fais pas, ne t’en prends qu’à toi. Assume. Autant ils ont été gentils dans le deuxième chapitre, autant dans celui-ci ils se montrent cruels. Return to sender !

    Elvis enluminé : curieux chapitre, on y trouve de tout non pas comme à la Samaritaine mais comme sur ces listes de tous les ingrédients qui par exemple à toute heure du jour et de la nuit devaient se trouver dans la cuisine… Serait-ce un indice de paranoïa ou d’angoisse ? Les deux mon colonel. Maintenant une merveille : les premières pages consacrées aux spectacles d’Elvis à las Vegas. Certains de nos lecteurs y ont assisté, d’autres ont zieuté des vidéos sur le net. Si vous n’appartenez à aucune de ces deux catégories, ne soyez pas tristes, j’ai l’impression que leur évocation  écrite est encore plus belle que n’ont été ces shows dans la réalité. Ensuite l’on passe dans des détails connus et rebattus, notre couple biographes en profite pour analyser la notion conceptuelle de Roi, qu’Elvis n’aimait pas mais qu’il assuma royalement. Elvis en a-t-il été conscient ? Soyons poli avec les dames : c’est dans ce chapitre que vous émerveillerez devant le chignon monstrueux de Priscilla.

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    A Graceland : nos deux reporters s’en tirent bien. Tout a déjà été dit, la visite est obligatoire, d’ailleurs les huit premières pages du bouquin vous permettent d’ouvrir vous-même le portail. Ne vous prenez pas pour Elvis, le King ne se dérangeait pas pour si peu, il ne descendait pas de sa voiture, il se contentait de repousser les deux vantaux avec le parechoc de ses Cadillacs. Geste ô combien rock’n’roll ! Elvis c’est un peu l’anti-Warhol qui entassait   dans son appartement  tout ce qui lui passait entre les mains. Elvis c’est un Des Esseinte du pauvre qui a passé sa vie à peaufiner son manoir, un tantinet nouveau riche (c’est-à-dire en ancien pauvre), du toc, du cheap, du kitch, de l’hétéroclite, je ne critique pas, si j’avais sa fortune, je ferais vraisemblablement pire. La preuve : je suis fan de sa jungle room, toutefois comme Joséphine Baker je n’aurais pas oublié de la partager avec un guépard. Ou une panthère noire. En hommage à Leconte de Lisle. C’est mon petit côté parnassien. Elvis n’aurait-il pas été un parnassien qui s’ignorait,

    Prendre bien soin d’Elvis : n’est-ce pas le plus beau chapitre du livre. Le plus émouvant à coup sûr. Nos deux cicerones se laissent eux-mêmes prendre  à l’ambiance qu’ils décrivent. Au début c’est du Zola, pas Germinal mais Lourdes un roman d’une une charge féroce contre les marchands (et leurs fidèles clients) lors du pèlerinage de Lourdes. Nous voici plongés parmi la cohue des fans devant Graceland, les survivants et les vétérans. Les premiers ont survécu à la mort d’Elvis Presley, les seconds aussi mais ils ont connu Elvis de son vivant. Un peu, à peine, beaucoup, énormément mais tous le vénèrent. Insensiblement toute cette faune disparate venue des quatre coins du monde, malgré leur bêtise, leurs défauts, leurs croyances et leur vénération, nous devient sympathique. Ces exaltés ont tout compris : l’on ne peut rien contre la mort. Et encore moins contre l’oubli. Ils essaient pathétiquement à leur manière de garder Elvis vivant. Perpétuer le souvenir d’Elvis, c’est un peu leur manière à eux de rester vivants.

    Pour ceux qui aiment les généalogies Mary Ann Yates qui habita tout à côté d’Elvis, ils avaient 14-15 ans, nous apprend qu’Elvis qui n’était pas encore Elvis se surnommait lui-même Valentino. A méditer.

             On n’en a jamais fini avec Elvis. Le livre est terminé. Mais il vous reste encore à lire tout un tas d’ouvrages : voici Les écrits sur Elvis : sont vraiment bons pour résumer un livre en cinq lignes. Vous apprenez tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur Elvis ou le détail qui vous foudroie. Exemple : il est bien connu que du sang cherokee coulait dans les veines d’Elvis mais j’ignorais le nom de son arrière-arrière-arrière-grand-mère : Blanche Colombe du Matin ! Faut-il y voir une véritable préfiguration du Saint-Esprit !

             J’avoue que je suis rentré dans ce livre à reculons. J’en ressors convaincu d’une chose : la magie Elvis opère toujours !

    Damie Chad.

     

    *

    Un très beau témoignage, par la force du destin pratiquement d’outre-tombe : Graham Fenton nous a quittés ce 10 août 2025.

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    Nous évoquerons Graham Fenton la semaine prochaine en chroniquant le numéro de Rockabilly Generation News qui lui consacre un important dossier.

    The Gene Vincent Files #10 : Graham Fenton shares his touring experiences with his all-time hero.

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    La première fois que j’ai vu Gene performer en public, c‘était approximativement en 1965 en the UK, mon frère, mon frère aîné possédait tous ses disques et j’ai découvert Gene Vincent grâce à ces disques et des choses comme ça, quelques amis m’ont dit que Gene résidait en ville, qu’il vivait en Angleterre à l’époque mais pas très loin, veux-tu venir le rencontrer, bien sûr j’y suis allé avec lui, il était sur scène avec un groupe appelé a the Shouts, j’ai dit qu’il vivait en Angleterre, et j’ai vu cet homme, ce gars complètement fou sautant un peu partout dans son cuir noir, j’étais comme vampirisé par ce phénomène, Gene est devenu mon héros à tel point que j’ai voulu devenir chanteur, ce n’est que des années plus tard que suis devenu chanteur, vous savez, Gene avait ce truc en plus, je ne sais pas si c’était en quelque sorte lié à moi, je crois que l’attrait du cuir noir, je fréquentais les groupes de bikers, je pense que ce style de cuir noir, cette manière de s’habiller, cette image du Rocker que nous assimilions aux bikers y était pour beaucoup. Gene ne portait pas de cuir avant de venir en Angleterre, c’est  Jack Good qui lui  conseilla le cuir, auparavant Gene portait des chemises flashy ou des vestes, ou d’autres choses, ce nouvel accoutrement l’a rendu plus féroce aux yeux du public britannique… réellement c’est en 1970, 

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    avions bien commencé l’année notre manager nous dit ‘’ Votre héros Gene Vincent vous ne le croirez pas mais nous sommes sur le point de faire une tournée en France, au mois de juin 1970, avec Gene Vincent’’. Evidemment nous ne l’avons pas cru, nous fûmes convaincus lorsqu’il me montra les contrats, je me suis précipité pour téléphoner  à Maman et Papa ‘’ Devine, je suis sur le point d’accompagner Gene’’ c’était incroyable, je n’y ai vraiment cru que lorsque nous sommes retrouvés à Paris, nous étions arrivés au plus tôt,  sa voiture est arrivée directement de l’aéroport et jusqu’à ce que nous ayons vu Gene descendre de la voiture et venir nous serrer la main et rentrer dans l’hôtel, je n’y croyais pas, mais c’était parti… oui comme vous le savez, nous avons effectué cette tournée, Est-ce que les Houseshakers avaient répété avec Gene avant la tournée ? oui, oui nous l’avons fait, nous connaissions tout un tas de titres, je pense que nous avons reçu une setlist à partir de ce matériel, il aurait établi de toutes manières, quand je pense que la moitié du set était un matos que nous jouions durant nos propres shows, je me souviens d’avoir prévu que quand nous jouerions  notre propre set de ne pas interpréter quelques titres de Gene Vincent car il les jouait dans son tour de chant, aussi nous quelque peu changé le set en laissant de côté les morceaux que nous faisions avec Gene Vincent, je pense qu’à l’époque nous n’avons pas vraiment répété tant que nous n’avons pas assuré les premières prestations, c’était dans un endroit derrière, comme si c’était un show en plein air, je ne suis pas sûr du nom de l’endroit, mais c’était à peu près à deux cent kilomètres de Paris. Nous avons réalisé un show, il y avait cette vieille ombre en arrière-plan, et nous avions une pièce, une pièce vide dans une vieille baraque où nous nous sommes installés, après quelques essais et nous sommes passés au check sound,  en suite nous sommes dépêchés de nous installer devant le public qui arrivait. Un souvenir : je me rappelle que j’étais seul avec Gene, il était en train de gratter une guitare, je lui avouais qu’une   ballade que j’admirais depuis toujours parmi les siennes était Over the Rainbow, il chanta deux couplets en s’accompagnant à la guitare, j’étais assis et j’ai senti des frissons me traverser la moelle épinière, sans savoir que plus tard en 1980 j’aurai en Angleterre un hit en enregistrant Somewhere over the rainbow’’... Que faisiez vous, vous qui étiez le chanteur des Houseshakers

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    Houseshakers

    quand le groupe accompagnait Gene Vincent  Que pouvais-je faire, je tournais autour du groupe, je regardais les filles, et tout ce que vous pouvez imaginer, si ce n’est regarder Gene, puisqu’il il était mon héros, je signale un incident, j’ai été réprimandé par mon manager parce que je signais des autographes pendant que j’étais assis dans le public près de la scène, des filles et des gens arrivaient et je signais des autographes, le manager me l’a reproché, il m’a dit que ce n’était pas professionnel de signer des autographes, j’ai été joliment bouleversé plus tard, car j’ai pensé que Gene serait en colère, je suis allé le voir à l’hôtel, et j’ai tout expliqué, et il m’ répondu un truc style ‘’Hey man pourquoi te prends-tu la tête avec ça, je ne peux te reprocher ce genre d’action, continue, je te le conseille’’, par la suite vous savez combien ce fut cool  entre nous, tout se passa à merveille, il avait voulu un chauffeur pour explorer les environs, c’était un français, un gros gars que nous appelions le gorille car il était énorme et chevelu, il conduisait Gene par ci par là dans une citroën, ou une bagnole du même genre, une minuscule voiture, le gars était fatigué et avait besoin de se déplacer et ce gars qui était crevé devait mener Gene aux premières heures du matin il revenait de quelque part et nous roulions  dans le bus quand nous le vîmes sur le bord de la route avec Gene à l’intérieur. Nous nous sommes arrêtés pour voir ce qui n’allait pas, Gene raconta que le gars était crevé et qu’il s’était endormi au volant, qu’il conduisait très vite   qu’il était complètement taré, il ajouta ‘’je veux voyager avec vous les gars’’  par la suite Gene a voyagé avec nous dans le bus plutôt qu’avec ce type… Gene était à l’aise, toujours un truc à dire, Bonjour  les branleurs !  Holà  les agités ! Gene se comportait naturellement, il avait le sens de la répartie, il y avait des moments de rigolade chaque fois qu’il montait dans le bus… Une fois descendait dans  un hôtel Gene a avisé ce quotidien anglais, il était géré par Don Arden, et aussi un certain temps par la femme d’Ozzy, Gene a lu l’article sur Don Arden, nous avons vu son visage glisser s cette tournée particulière en France malheureusement ce n’était pas un manque de respect   envers quiconque de déclarer que nous étions très jeunes, Gene est monté sur ses grands chevaux, mais je pense que le gars était un fan et qu’il était en train de faire notre promotion, même si c’était maladroit, ça partait d’une bonne intention… La tournée était à court

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    d’argent, je pense que le père du gars, le père de l’ami qui avait mis de l’argent essayait de faire arrêter la tournée, c’est ainsi que les deux derniers shows furent annulés, comme Gene n’a pas été payé nous ne l’avons pas été non plus, nous fîmes tout de même le show mais Gene ne le fit pas. Il y a  eu d’autres désagréments  du même style. Dans un village, à Lons-le-Saunier, je me souviens qu’il y a eu une émeute, c’était un bâtiment de pierre, ils ont commencé à mettre le feu à des cartons, à des papiers, à des emballages, ces jeunes français protestaient parce que Gene n’apparaissait pas, ils ne nous ont fait aucun mal, ils étaient sympas et presque heureux de notre boulot, mais ils étaient en colère parce que Gene n’était pas là,  ils menaçaient de mort le manager, alors que nous nous nous apprêtions à sortir par la porte de derrière l’on se trouva face à des centaines  de fans français vraiment en colère, aussi nous avons désigné un des meneurs de ces mécontents comme leur porte-parole, il était capable de comprendre l’anglais et il nous a expliqué pourquoi ils étaient en colère et nous lui avons expliqué la situation,  il est  repartit expliquer aux fans la situation et ils se comportèrent comme des gentlemen, nous n’avons pas eu de problèmes, les gars nous ont laissé sortir du bâtiment, le truc c’est qu’ils se sont désintéressés du van et mais ils s’en sont pris aux pneus  de notre bus, plus tard ils regrettèrent leurs actes, le matin suivant ils revinrent, ils s’emparèrent des pneus, les ramenèrent gonflés, et les montèrent à leurs places. Voilà un genre d’aventure vraiment presque amusante, mais ils étaient encore joliment en colère de n’avoir pas

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    vu Gene, alors qu’en vérité Gene n’avait pas été payé… Gene était une des plus agréables personnes que vous pouviez rencontrer quand il n’avait pas bu, mais quand il avait bu, ce n’était plus la même personne, il a pu être un peu colérique avec nous quelques fois, spécialement envers les producteurs, vous connaissez les managers et surtout les promoteurs… quant à cette photo, cette photo a été prise en

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    France, en juin 1970, nous nous étions arrêtés pour prendre un café ou autre chose, j’ai juste demandé à Gene  de prendre une photo, je possède plusieurs photos avec Gene… il avait horreur de ne pas être payé, spécialement lors des tournées en France, il était hors de lui si le fric n’arrivait pas à l’heure dite, il s’agitait, il voulait son argent, si quelqu’un lui donnait un chèque comme une fois à à l’Université de Swansea, nous avions fait ce gig avec lui et à la fin du show le secrétaire général du College vint et dit – voici votre chèque, destiné à moi et aux Houseshakers, et voici le chèque pour Gene, pouvez-vous le lui donner, - non sa loge est en bas, descendez le lui porter vous-même – pourquoi c’est juste pour que vous  le  lui donniez ! Nous savions qu’il voulait du cash, nous nous sommes précipités derrière la porte,  le gars est reçu de cette façon – je ne veux pas de cette putain d’enculerie… l’on entend Gene  déchirer redéchirer et déchirer encore le chèque en jetant les morceaux à la ronde, le gars est ressorti blanc comme une merde… J’ai eu une 1959 Chevrolet Impala, ma première grosse américaine, j’étais juste en train de m’habituer à ce monstre, je me rends à cet hôtel in Heram prendre Gene, il s’était installé à l’arrière de la voiture, quelque chose clochait, soudain nous l’avons entendu s’étouffer et tousser,  Marcia dit à Gene ‘’nous ferions mieux d’aller à l’hôpital, c’est ton ulcère’’, au même moment dans le rétro j’ai vu Gene poser sa main sur la bouche de Marcia car il voulait que personne ne soit au courant de sa maladie,  tout de suite il se remet à tousser et à vomir du sang et de l’alcool au fond de la voiture, il était un peu délirant et nous l’amenâmes à l’hôpital le plus proche, nous passions le portail Gene lève les yeux et voit le mot ‘’hospital’’ il a tout de suite paniqué et crié ‘’ si vous me portez là-dedans vous pouvez aussi bien  dire adieu à cette putain de tournée’’ Marcia essaya de le persuader mais il répondit ‘’non, non, pas question, c’est fini si tu me mets là-dedans c’est fini !’’ aussi nous le ramenâmes, il s’endormit à l’arrière

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    de la voiture… j’ai dû emmener Gene faire une interview radio, je ne sais pas si vous l’avez entendue, le gars est mort tristement l’année dernière, un gars nommé Johnny Peel, Johnny était un bon gars, il était un big fan de Gene Vincent,  à l’époque il avait questionné  Gene sur son label Dandelion lors d’un show, nous sommes allés faire cette radio avec John Peel, aussi j’ai pris Gene à son hôtel, redoutant le pire, je venais juste de nettoyer la bagnole, Gene ayant été malade à l’arrière de la voiture, j’avais passé un bon moment avec un seau d’eau à nettoyer la voiture, donc je vais à l’hôtel prendre Gene, et il était en forme, de bonne humeur, il était brillant, il était bien, il était souriant comme à son habitude, il est sorti, allez on y va, on y va, nous avons roulé jusqu’au  Playhouse Theater in London, pour enregistrer ce show TV, non ce radio show pour John Peel… Plus tard après cette entrevue Gene      me dit : je suis vraiment désolé pour la voiture, je vais payer pour la faire nettoyer et laver correctement, j’ai répondu je m’en suis chargé, il m’a offert de l’argent, mais je n’ai pas eu le cœur de prendre cet argent car j’étais triste de voir qu’il était malade… L’ironie de cela est que je l’ai vu,   j’étais dans ma grosse Chevy, j’étais en train de conduire, je partais quelque part rencontrer une petite amie,  là où je me rendais se situait in West London, je débouchais sur le croisement de la Main Road lorsque j’ai vu une petite voiture venir sur ma gauche tut-tut klaxonna-t-elle, je regardais par la vitre et la première chose que je vis c’était Gene Vincent qui me fixait, il était dans la voiture d’un de mes amis, Lee Tracy qui conduisait, il se dirigeait vers le nord,  je baissais la vitre   Gene s’écria – Hello, comment vas-tu, pas de rancune ?   - non ai-je répondu, j’étais comment dire réellement stupéfait, surpris de voir Gene ainsi, ce fut ma dernière impression, c’était la dernière fois que je le voyais vivant car trois semaines plus tard j’ai entendu à la radio qu’il était mort, j’ai compris d’après mon expérience la gravité de ses problèmes d’estomac… il était une des icones du début du rock’n’roll, malheureusement sur la fin des fifties, les USA lui tournèrent le dos, ils n’ont pas reconnu qu’il avait eu par la suite encore   une bonne partie de sa carrière  en Angleterre et en Europe… je pense qu’en France, il était énorme, il était comme un héros, il l’était aussi dans la plupart de l’Europe, mais en Angleterre et en France il était encore un nom qui comptait, est-ce la faute à son problème d’alcool ou non tout un tas de personnes l’ont laissé tomber, je n’en sais rien, peut-être est-ce cela, mais il aurait mérité une plus grande reconnaissance, ironiquement il a été davantage reconnu à la fin du vingtième siècle et au début du vingt et unième siècle, il a obtenu le statut de héros et a été considéré comme l’une des principales icônes du rock’n’roll, maintenant davantage qu’à son époque, si Gene Vincent et les Blue Caps donnaient des concerts avec les fans qu’il a aujourd’hui je pense que ça serait à guichets fermés, je le pense fermement, hélas c’est trop tard.

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    Transcription : Damie Chad.

    Notes :

    Manifestement Graham Fenton puise dans ses souvenirs et ne donne que très peu d’indices chronologiques…

    Pour la description de la tournée française le lecteur se rapportera au livre paru chez Camion Noir : Gene Vincent, Dieu du rock’n’roll de Jean-William Thoury. Un ouvrage indispensable.

    Pour la séquence au Playhouse Theater, Gene Vincent  est interwieuvé par Keith Altham.

    Thelma Riley a été la première femme d’Ozzy Osbourne le chanteur de Black Sabbath, a-t-elle travaillé avec Don Arden ?   Graham ne confond-il pas avec Norm Riley qui fut manager de Gene aux USA qui était en Angleterre en 1960, il connaissait Larry Parnes qui organisa la tournée avec Gene Vincent et Eddie Cochran. Don Arden qui était le présentateur de cette tournée récupéra le management de Gene… peut-être n’ai-je pas compris ce que disait Graham. A ma décharge je dirais que les anglais ont vraiment un mauvais accent lorsqu’ils parlent leur langue !

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    L’album : I’m Back and I’m Proud est sorti le label Dandelion en janvier 1970 en Angleterre et en Mars 1970 aux USA. John Peel (1969 -2004), présentateur sur Radio 1 fut un véritable catalyseur historial de la musique rock. Notre Cat Zengler lui a consacré sur notre site plusieurs chroniques.

    Cette vidéo, ainsi que beaucoup d’autres, est en accès libre sur la chaîne YT de VanShots – Rocknroll Videos

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 674 :KR'TNT ! 674 : STEVE ELLIS / JOHN DOE / BOB STANLEY / ERRORR / TINA MASON / SETH / GRIFFON

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 674

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    23 / 01 / 2025 

     

    STEVE ELLIS / JOHN DOE

    BOB STANLEY / ERRORR

    TINA MASON / SETH / GRIFFON

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 674

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Ellis au pays des merveilles

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             Steve Ellis connaît bien le circuit. Comme Paul McCartney, Keith Richards, Ray Davies, Pete Townshend, et quelques autres survivants, il a vécu quatre ou cinq décennies d’aventures dans le monde plus ou moins magique du rock anglais. Son premier groupe Love Affair piaillait dans la couvée des sixties. Durant les seventies, il multipliait les projets de super-groupes, alors très prisés du public. Il fera sa petite traversée du désert comme tous les autres et entretiendra la flamme de sa légende avec quelques disques épisodiques et bien entendu guettés par ses derniers admirateurs. Bizarrement, ils ne sont pas nombreux dans le Gotha à le citer en référence. Jesse Hector le cite comme l’une de ses influences.

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             Steve Ellis réapparaît dans la presse anglaise une fois tous les dix ans, en moyenne, ce qui ne manque pas de scandaliser ses fans. Car bien sûr, Steve Ellis est une superstar, mais peu de gens sont au courant. Ah les rigueurs de l’underground ! Cette fois, c’est Lois Wilson qui s’y colle dans Record Collector. Trois pages ! Pas grand-chose, mais c’est mieux que rien.

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             Steve Ellis a 17 ans quand il devient célèbre avec Love Affair. Leur manager a l’idée saugrenue de les faire grimper sur la statue d’Eros à Piccadily Circus et les flicards viennent bien sûr les déloger. Ils sont condamnés par le Tribunal de Bow Street à 12 £ d’amende chacun. Steve Ellis tient à préciser qu’ils se sont rendus au tribunal de jour-là dans une Rolls blanche de location.

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             Ils sont devenus célèbres avec la cover d’un hit de Robert Knight, «Everlasting Love». On comparait alors Steve Ellis à Steve Marriott : même «magnificient soul voice». Dès l’âge de 13 ans, il est obsédé par Ray Charles qu’il voit un dimanche soir à la télé et sa mère réussit à lui payer un Best Of avec ses green shield stamps. Puis il fait partie d’un gang de mods - we were little peanuts (slang term for hard mods/suedeheads) - Les kids passent leur temps à aller chez les uns et les autres écouter les Temptations et les Miracles. Il démarre dans un groupe de R&B, The Soul Survivors, dont l’organiste n’est autre que Morgan Fisher, futur Mott. Ils tapent dans Otis Redding, Sam & Dave, Eddie Floyd. Ils jouent partout à Londres, et même au Twisted Wheel à Manchester.

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             Puis leur management veut changer le nom du groupe. Love Affair ? Steve Ellis n’en veut pas. «Not a chance». Mais comme les autres disent oui, il est baisé. Ils enregistrent des démos en 1966 à Abbey Road avec Kenny Lynch, puis Mike Vernon, et font une cover du «She Smiled Sweetly» des Stones que Steve Ellis déteste - I hated it, really hated it - Bien sûr, le single floppe et Decca les droppe. C’est Muff Winwood et CBS qui récupèrent le groupe. Un beau jour, on fit entrer le p’tit Ellis dans un studio où étaient installés quarante musiciens et on lui dit : «Vas-y, gamin, chante !» Le p’tit Steve ne s’est pas déballonné. Un verre de brandy et il a mis «Everlasting Love» en boîte en seulement deux prises. Et puis cet enfoiré de Jonathan King les reçut à la télé et leur fit dire qu’ils n’avaient pas joué sur leur disque. Love Affair était foutu. Dommage, car le groupe était vraiment très bon.

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             Il faut absolument écouter la red Repertoire The Everlasting Love Affair. Sur les 24 titres, la moitié sont de la dynamite. Avec «Everlasting Love», on flaire déjà la star chez Steve Ellis. La voix est là. Dès l’origine des temps. Une voix un peu rentrée et finement fêlée, joliment timbrée. Il chante sa pop sentimentale avec une telle ferveur qu’on tombe vite sous le charme. Il faut voir comme c’est produit : chœurs et cuivres à gogo. Le producteur chargeait bien la barcasse. On trouve aussi à la suite une version faramineuse d’«Hush», secouée à la gratte et nappée d’orgue. Et on va de surprise en surprise, avec des énormités comme «60 Minutes (Of Your Love)», Soul garage de 1968 amenée à coups d’awite et de c’mon. On retrouve cette voix énorme dans «So Sorry», groove acoustique de haut vol. Encore un hit faramineux avec «Rainbow Valley» - The sun always shines down my rainbow valley - un vrai hit sixties qui grimpe haut, très haut. Plus surprenant encore, «A Day Without Love», par sa qualité et son parfum de Soul magique. Steve Ellis s’entoure de chœurs de rêve. Il a le même feeling que Rod The Mod, il traque la note au coin de  l’octave, c’est un fabuleux décideur, hanté par la beauté, il raye sa voix à la griffe d’âme. Il shake un stupéfiant cocktail de Soul et d’anglicisme. Il est dans le vrai, mais de manière assez vertigineuse. Il vise le sempiternel. Puis il tape un heavy «Tobacco Road» et on entend Ian Miller, un guitar slinger hallucinant et pulsatif. Encore de l’acid-rock pulsé à la gratte avec «The Tree». Alors, on se pose la question : pourquoi un groupe de ce niveau est-il passé à la trappe ? Pourquoi ne fait-il pas partie du peloton de tête des groupes de rock anglais ? Ils tapent aussi une cover d’«Handbags And Gladrags». Steve Ellis se frotte à Chris Farlowe. Il en a les moyens. On trouve quelques merveilles dans les bonus, comme ce smash qu’est «I’m Happy». Ou encore «Let Me Know», une monstruosité secouée du bulbe, avec des poux incroyablement sauvages. Et «Bringing On Back The Good Times», haut de gamme orchestré à outrance. Franchement, Steve Ellis a du génie. Mais ça ne suffit pas. Il quitte le groupe en 1969. Love Affair décide néanmoins de continuer avec un autre chanteur, un nommé Gus Eader. Ils enregistrent l’album «New Day», un album de prog assez insupportable, avec des orchestrations ridicules et des structures de morceaux alambiquées. Une flûte persistante vient ruiner tous les efforts du groupe. On a même le Raymond la Science du clavier qui s’y met, alors les choses s’aggravent encore.   

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             En 1972, Steve monte un groupe nommé Ellis avec Zoot Money et d’autres musiciens beaucoup moins connus. Chas Chandler les manage. C’est l’époque des morceaux de cinq minutes à tendance proggy. Leur album Riding On The Crest Of A Slump fait partie des albums qu’on garde sans vraiment savoir pourquoi. Rien d’exceptionnel, mais pour une raison depuis longtemps oubliée, on y reste attaché. Cet album d’Ellis a pour particularité de sonner comme l’album qu’ont rêvé de faire les Faces. Steve Ellis chante «Good To Be Alive» en mode cockney. Il sonne comme Rod The Mod. Il fait partie de cette caste des grands chanteurs classiques anglais dans laquelle entrent aussi Steve Marriott, Chris Farlowe et Mike Harrison. Il sait allier puissance et feeling avec une coloration particulière. «Your Games» sonne comme un cut des Faces, mais c’est bien meilleur que ce qu’on trouve sur les albums des Faces (il faut se souvenir que Rod The Mod gardait les bons cuts pour sa pomme). Boogie-blues à l’Anglaise étonnant et massif, «Your Games» est beaucoup plus rentre-dedans que les boogie-blues des Faces. On apprécie d’autant plus ce cut qu’il survient à la fin d’une face un peu molle du genou. La belle pop énergique de «Morning Paper» rafle aussi la mise. Ce groupe avait un vrai potentiel. Pourquoi les Faces et pas eux ? Steve Ellis est un fauve. Il a la même niaque de baraque foraine que Steve Marriott.

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             Un an plus tard, ils récidivent, avec un album titré Why Not ? Eh oui, pourquoi pas ? On est en droit de se poser la question, après tout. Ils attaquent avec une belle tranche de boogie anglais qui s’appelle «Goodbye Boredom», et qui sonne comme du Marriott de l’entre-deux mers. L’«Opus 173/4» qui suit est vraiment orienté sur le marriottisme exacerbé, mais ils visent le prog avec des ponts liquido-jazzy. Les ponts coulent le Titanic d’Ellis. L’A s’achève sans heurts, et on soupçonne Zoot d’avoir ruiné l’entreprise avec ses compos à la mormoille, comme il l’a fait sur le Love Is d’Eric Burdon. Le pauvre Zoot n’a pas inventé le fil à couper le beurre. Heureusement que Steve Ellis chante bien. Ils reviennent aux Faces avec «Leaving In The Morning» et un joli son à l’Anglaise, bien typique et rythmé par de jolies montées en température. Ces deux albums d’Ellis sont vraiment destinés aux amateurs de rock seventies. Si on aime le gros boogie mal ficelé tel que l’ont joué les Faces, alors on se régalera avec Ellis et «We Need The Money Too», bourré d’une inventivité typique des projets condamnés à l’oubli.

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             Steve Ellis monte Widowmaker en 1976 avec Ariel Bender/Grosvenor, transfuge de Mott The Hoople. Don Arden les manage. Ariel déclare se sentir enfin chez lui, après cinq ans chez Spooky Tooth, un an chez Steeler’s Wheel et quatorze mois chez Mott. Huw Lloyd-Langton d’Hawkwind fait aussi partie de l’aventure. Steve Ellis déclare avoir fini Love Affair avec une armoire remplie de paires de chaussures et un rappel d’impôts énorme. Le batteur Paul Nicholls jouait dans Lindisfarne et le bassiste Bob Daisley jouait dans Chicken Shack. Ils portent tous des pompes à semelles compensées comme ça se faisait à l’époque, en Angleterre. C’est une très grosse équipe et Don Arden mise sur eux, car leur premier album sort sur Jet Records, son label. Ils jouent pas mal de balladifs, la grande maladie de l’époque, et ça se réveille avec «Ain’t Telling You Nothing», un heavy blues à la Grosvenor, bien roulé par la basse, chanté à l’Anglaise avec derrière de gras d’Ariel et d’Huw. On sent l’appétence d’Ariel pour l’heaviness, la vraie, celle des dents fantômes. Et puis t’as «When I Met You» monté sur un riff insistant. Tout est là : joli son de gratte et beau brin de voix. Ils font aussi avec «Shine A Light On Me» une sorte de gospel-rock lévitatif qu’Ariel gratte au gras double.

             Ces albums étaient bien foutus, mais dans les seventies, les albums bien foutus pullulaient. Il fallait vraiment faire des choix drastiques, car on ne pouvait ni tout acheter, ni tout écouter. Il fallait donc se limiter à suivre quelques élus et leur consacrer du temps. Nous savons tous qu’un album livre ses secrets au fil des écoutes successives. Le meilleur exemple est celui du White Album des Beatles. 

             Trop de tension dans Widowmaker. Steve Ellis et Huw rentrent en Angleterre après trois mois de tournée aux États-Unis. Ils n’ont que 5 livres en poche. Fidèle à sa réputation, Don Arden a empoché tout le blé. Steve Ellis est excédé : «Fuck this, Huw, I’m out of it !» Il jette l’éponge. Don Arden le poursuit en justice, mais il perd le procès.

             Steve Ellis reçoit ensuite des tas de propositions. Beaucoup de gens le voulaient comme frontman : Jeff Beck, les Status Quo, et même Mott. Chaque fois, il refuse. No way.

             En 1979, il enregistre The Last Angry Man. Mais l’album ne sort pas. Shelved, comme on dit en Angleterre. Au placard. Il ne paraîtra que 23 ans plus tard, sur un petit label anglais qui veille au grain, Angel Air.

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             Inutile de dire que c’est un big album. On retrouve le géant Ellis au pays des merveilles sur «Hear You Woman», the real cool one, et la descente de guitare qui l’accompagne vaut tout l’Or du Rhin. Avec «Hang On Joey», il se distingue encore du lot. Sur ce terrain du balladif, il reste imbattable. Sa spécialité est le balladif improbable qui s’agrippe aux parois du gouffre. Avec «Rag And Bone», il grimpe au sommet de l’Ararat. Il multiplie les grands écarts et va chercher des pointes à la Rod The Mod. Puis il tape une resucée superbe d’«Everlasting Love». Nouveau balladif de grande ampleur avec «Wind And A Lady». Il se hisse sur des nappes d’orgue. Angel Air propose des bonus délicieux, comme ce «El Doomo» monté sur une mélodie enchanteresse. Vraie merveille et envolée certifiée, avec des climats intermédiaires spectaculaires. Ellis t’mmène au pays des merveilles. Il envoie «Shark Shoes» valser dans ta cervelle. Mais tout ceci n’est rien à côté d’«I Lost My Feelings». Là, il tire sur sa voix. Il transforme un honnête petit balladif en très gros rock anglais. Sa compo tape dans l’œil du cyclope. Avec ce cut, Steve Ellis entre dans la légende du rock anglais. Il a la diction, le râpeux et le son suit. Ce chef-d’œuvre se termine en boogie d’avant-garde - cauz’ I lost my  feelings - Tout aussi puissant, voilà «She’s Leaving». Il déploie ses ailes. On a du gros son anglais pour pas cher. Le carnage se termine avec «Warm Love», encore du gros son à l’Anglaise, le meilleur du monde, surtout quand on a un chanteur comme lui. 

             On comprend que Steve Ellis puisse être assez désillusionné pour se retirer du circuit. Il s’installe à Brighton et devient docker. Une pelle mécanique lui tranche un pied en deux. Suite à cet accident, il va marcher pendant huit ans avec des béquilles. On ne le reverra sur scène qu’en 1997, lors d’une Small Faces Convention.

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             Angel Air réédite en 2011 la bande originale du film «Loot» dans laquelle chante Steve Ellis. Il a derrière lui une grosse équipe (comme d’habitude, pourrait-on ajouter) : Clem Cattini au beurre, Big Jim Sullivan à la guitare et Herbie Flowers à la basse. Mais les cuts ne sont pas très bons. Ce disque est réservé aux inconditionnels de Steve Ellis. L’ambiance générale relève plus du music-hall, et dans les chœurs on retrouve la crème de la crème, c’est-à-dire Madeline Bell et Doris Troy.    

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               En 2011 paraît aussi sur Angel Air Ten Commitments, un album solide. Ça démarre sec avec «Don’t Let Me Be The Only One», une pop de Soul anglaise haut de gamme digne des Supremes, entraînante et vraiment très solide. Avec «Hit The Spot», on retrouve le rock seventies claqué à l’accord et tapé à la cloche de bois. Ça sonne comme du Free ou du Mott. La veine reste exploitable, pourvu qu’il y ait une voix, comme c’est ici le cas. Steve Ellis frise la Stonesy. Belle envolée avec «Perfect Sunday» : grande élégance de la narration, balladif bien construit. Fantastique. Groovy cut avec «Please Please Me». Sacré Steve, il reste sur la brèche. Il continue de faire de bons albums à l’ancienne. Il respecte les traditions, à cheval sur le rock anglais et cette Soul américaine dont se sont nourris tous les kids d’Angleterre. Ce qu’on entend là est du groove de discothèque extrêmement évolué - c’mon please please oh yeah - Évidemment, c’est sexuel, comme tout ce qui touche aux pistes de danse, aux petits pantalons serrés et aux coupes de cheveux soignées. La sexualité est la réalité de la Soul. Quand on dit hot, on parle de sexe, et comme Steve est un romantique, il aime les petites nanas qui acceptent de danser - please please - elles adorent qu’on les supplie de faire des choses. C’est le slow des temps d’antan qu’on entend ici. Il chante comme un white nigger. C’est un dieu du stade de la Soul anglaise. Il ne parle que de plaisir, et par elle, et par lui - I wanna please you so please please me/ Make me blue - On revient toujours au point de départ : la bite. «Thank You Baby For Loving Me» est un vrai hit de r’n’b. Steve Ellis est un meneur. On l’entend à sa voix. «We Got It» est le gros slow de fin de soirée, mais avec de la bravado. Steve Ellis a du génie, ses syllabes s’ébrouent. Il reste bienveillant et grandiose. Il règne sur un royaume invisible. Il chante divinement, mais qui le sait ? Tu ne le verras jamais en couverture des magazines de rock français. Heureusement qu’Angel Air veille sur sa destinée. Il fait monter son «We Got It» très haut. C’est un travailleur de la nuit. Il ne lâche pas sa prise.

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             Un autre petit label anglais nommé Talking Elephant vient tout juste de faire paraître les Lost Demos qu’on croyait vraiment perdues et qui datent de 1969 : Rolling With The 69 Crew. Une fois de plus, la crème de la crème des musiciens anglais l’accompagne. Sur le disk 1 : Clem Cattini, Herbie Flowers, Big Jim Sullivan et d’autres. Sur le disk 2 : Caleb Quaye, Zoot Money, John Steele et d’autres. Steve attaque avec une reprise de Barry Mann et Cynthia Weil, «Good Time Livin’», grosse pièce de Soul-pop. Il ose taper dans le classique de James Brown, «It’s A Man’s Man’s Man’s World» et le prend au shout balama. Il trempe aussi dans l’excellence balladive avec «Lean On Me». On apprécie son caractère, c’est un garçon direct, vif d’esprit qui répond sans détours, qui excelle dans le dépouillé et qui chante d’un beau timbre fêlé. Il prend aussi le «Rainy Night In Georgia» au stade mélodique le plus avancé. Reprise bien orchestrée de l’«Holly Holy» de Neil Diamond. Impérieux ! On sent chez lui un goût affirmé pour la démesure. Il transforme aussi ce petit slow misérable qu’est «Sympathy» en furtif parfait d’interprétation élémentaire. Il tape dans Jimmy Webb avec «Elvis» et là on ne rigole plus. Les choix de Steve Ellis ne sont jamais innocents. Il traverse les ambiances grandioses de Jimmy Webb avec la même aisance que Richard Harris dans «MacArthur Park». Il rejaillit au sommet des gerbes comme Marvin Gaye, et il se laisse glisser dans la poussière d’étoiles. Prodigieuse expressivité, avec derrière des chœurs de folles. Franchement, Steve Ellis peut être fier de son génie. Le disk 2 vaut aussi son pesant d’or. Présence immédiate dès «I Don’t Know Why». Il traite l’âme du groove à la manière forte. Sa version de «Gimme Shelter» est bonne, mais il a oublié l’explosion finale. Il enfile ses classiques de rock seventies comme des perles («Pisces Apple Lady», «Way Up On The Hill», «I Got A Feeling», «Can’t Stop Worryin’» et «Take Me To The Pilot») et on tombe aussitôt après sur une bombe atomique : «Hold On», le jerk des enfers, pure merveille de fusion instrumentale et d’expression vocale chauffée à blanc. Ce mec est dans l’intensité absolue. Il chante avec une ferveur unique au monde. Sa version d’«Hold On» aurait dû exploser à la face du monde.

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             Et puis l’idéal est de voir Steve Ellis chanter. C’est très facile. Angel Air propose un DVD intitulé Last Tango In Bradford. On est frappé par la modestie du personnage. Il arrive sur scène pour chanter «Hush» et il ne semble pas très à l’aise. Il tape dans un tambourin. Il porte une grosse veste claire. Son backing-band tient sacrément bien la route. Il impose une sorte de profond respect. Puis il chante «Handbags and Gladrags» les yeux fermés. Il y a tout ce qu’on aime chez un chanteur de rock : l’extrême acuité du feeling et une allure de star naturelle. Il chante ensuite «Bringing On Back The Good Times», pop sixties des jours heureux, et fait du pur Motown avec «If I Could Only Be Sure». On a sous les yeux l’un des géants du rock anglais. Il tape ensuite dans le Spencer Davis Group avec une reprise de «Gimme Some Lovin’», puis un hit des Temptations, «Ain’t Too Proud To Beg» qui reste pour lui l’un des meilleurs groupes de tous les temps. Il finit évidemment avec «Rainbow Valley», «Everlasting Love» et «Out Of Time». Le DVD propose aussi une interview. Il s’y montre direct, clever et même fascinant. No bullshit. Comme dans ses disques.

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             Joli retour de Steve Ellis en 2018 avec Boom Bang Twang. Paul Weller traîne dans les parages, on s’en doute. On tombe très vite sur un groove de charme intitulé «Sitting In Limbo». Steve Ellis ressort sa plus belle voix de white nigger pour l’occasion. On se croirait chez Malaco, Coco. Ce mec groove son chant au maximum des possibilités. Quelle fantastique présence ! On ne s’étonne plus qu’il soit devenu culte. Avec «Tobacco Ash Sunday», il renoue avec l’esprit des grands balladifs anglais, de type Chris Farlowe et Small Faces. Mais l’ensemble de l’A reste un peu au-dessous du niveau de la mer. Il faut attendre «Lonely No More» en B pour tomber sur un hit. Andy Crofts y joue une bassline de rêve. Il règne dans ce hit l’extrême onction des jours heureux. Steve Ellis s’oriente vers des choses plus musculeuses avec «Cry Me A River». On note la présence d’Andy Lewis au bassmatic et de Steve Craddock à la guitare. Pour des Anglais, ils sonnent très funky. Steve Ellis s’approprie son cut, il en a les moyens physiques et intellectuels. Et on grimpe directement au firmament avec Mike d’Abo et son «Glory Bound». Très grande chanson anglaise, très apaisée et très horizontale. Aussi poignante qu’«Handbags And Gladrags». Mike d’Abo fonctionne exactement comme Jimmy Webb, au fil d’or mélodique - Bless my soul/ I’m glory bound - Et Steve Ellis jette tout son poids de superstar underground dans la balance.

    Signé : Cazengler, Steve Hélas

    Love Affair. The Everlasting Love Affair. Repertoire Records 2005 

    Love Affair. New Day. Repertoire Records 2008

    Ellis. Riding On The Crest Of A Slump. CBS 1972

    Ellis. Why Not ? CBS 1973

    Widowmaker. Widowmaker. Jet Records 1976

    Steve Ellis. The Love Affair Is Over. Angel Air Records 2008

    Steve Ellis. Ten Commitments. Angel Air Records 2011

    Steve Ellis. Loot. Angel Air Records 2011

    Steve Ellis. Last Tango In Bradford. DVD Angel Air

    Steve Ellis. Rolling With The 69 Crew. The Lost Masters. Talking Elephant Records 2013

    Steve Ellis. Boom Bang Twang. Sony Music 2018

    Lois Wilson : Mod almighty. Record Collector # 561 - September 2024

     

     

    L’avenir du rock

     - John a bon Doe (Part Two)

             — Chères téléspectatrices, chers téléspectateurs, bonsoir. Nous avons le plaisir de vous présenter notre invité, la personnalité préférée des Français : l’avenir du rock.

             Bernard Pivert se tourne vers l’avenir du rock :

             — Cher avenir du rock, nous allons vous soumettre au questionnaire de Proust, afin que nos chères téléspectatrices et nos chers téléspectateurs puissent mesurer autant que faire se peut l’envergure de votre voilure. Première question : votre vertu préférée...

             — La Doe-lérance.

             — La qualité que vous préférez chez un homme ?

             — Le Doe-nant-Doe-nant

             — Et chez une femme ?

             — La Doe-cilité.

             — Quel est le principal trait de votre caractère ?

             — Le Doe-Doe-isme. Doe-Doe est mort ! Vive Doe-Doe !

             — Qu’appréciez-vous le plus chez vos amis ?

             — La Doe-lescence.

             — Quel est votre principal défaut ?

             — La Doe-pe.

             — Et votre occupation préférée ?

             — Me Doe-rer la pilule.

             — Quel est votre rêve de bonheur ?

             — Dormir Doe à Doe avec Brigitte Bar-Doe.

             — Quel serait votre plus grand malheur ?

             — Me trouver le Doe au mur.

             — Que voudriez-vous être ?

             — Un Doe-ghnut.

             — Quel est le pays où nous aimeriez vivre ?

             — Les Doe-lomites.

             — Quelle est la couleur que vous préférez ?

             — Le bor-Doe de pérylène.

             — La fleur que vous aimez ?

             — Le bouton Doe.

             — L’oiseau que vous préférez ?

             — Le cor-Doe. Croâ croâ....

             — Quels sont vos auteurs préférés en prose ?

             — Doe-stoïevski.

             — Vos poètes préférés ?

             — Edgar Allan Doe et son tra-Doe-cteur, Doe-delaire.

             — Vos héros dans la fiction ?

             — Doe-nald. Coin coin...

             — Vos héroïnes favorites dans la fiction ?

             — Doe-phélie. Glou glou....

             — Vos compositeurs préférés ?

             — Country Joe McDoe-nald. Gimme a F ! Gimme a U ! Gimme a C ! Gimme a K !

             — Vos peintres favoris ?

             — Doe-natello. Bon, c’est pas bientôt fini ? Je commence à en avoir plein le Doe de toute cette Doe-be !

     

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             Il a raison, l’avenir du rock. On aurait tous craqué avant lui. Le pire, c’est que Bernard Pivert n’a même pas remarqué de l’avenir du rock profitait de l’émission en direct pour faire l’apologie de John Doe.

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             John Doe et Exene claironnent sur tous les toits que Smoke & Fiction sera l’ultime album d’X. On verra bien. En attendant, on est ravi de retrouver le panache d’un X qui savait chanter à deux voix, ils tapent «Sweet Til The Bitter End» comme au temps de «The Have-Nots». Quelle magnifique dégelée royale ! Ils n’ont rien perdu de leur formidable vélocité et de la grande aisance de leurs débuts. On retrouve cette fantastique clameur de chant à deux voix dans «Flipside», pas de problème, ils roulent-ma-pool comme s’ils avaient encore vingt ans. Exene tape dans le dur de «Big Black X», elle ne craint ni le diable ni la mort. Encore une belle attaque en règle avec «Struggle», hey ! L’éclat du power-poppisme d’X est intact, et t’as en guise de cerise sur le gâtö un killer solo de Billy Zoom. Ils parviennent tous les quatre à maintenir leur niveau originel de wild punk-rockers angelinos. Toujours cet effarant punch du chant à deux voix dans «Baby & All». Les X auront été un modèle de cashin’ down et t’as le Billy Zoom qui en rajoute une couche. Alors on peut se demander au sortir de l’écoute : à quoi bon refaire de l’X comme au bon vieux temps, 45 ans plus tard ? Pour la beauté du geste. Ils ont cette bonté d’âme qui leur permet de perpétuer l’X art. T’en reviens pas de les voir à l’œuvre.

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             Comme l’occasion fait le larron, on profite d’Uncut et de sa rubrique ‘Album by album’ pour fondre à nouveau sur X comme l’aigle sur la belette. À propos de Smoke & Fiction, Doe dit qu’il a fait le tour - we had kind of wrapped thing up - Il ajoute qu’il embrasse tout en même temps, «le passé, le présent et le futur all at once.» Il cite d’ailleurs les deux derniers albums de Dylan en référence. Et d’ajouter, en mode Doe motion : «The recording was total punk rock, we did the basic tracks in three days.» Et Exene conclut, mortifère : «If it’s the last record, it’s a good ending.» Doe revient aussi bien sûr sur l’excellent Alphabetland de 2020 - That made us believe that the past was the past and the future could be something great - Doe rappelle dans le paragraphe concernant le premier album d’X, Los Angeles, qu’il est arrivé à Los Angeles en 1976 et qu’il s’intéressait «à la contribution de cette ville au cinéma, à la littérature, mais aussi aux Doors et à Love.» Ray Manzarek repère X au Whisky et Doe dit que Manza est devenu son mentor. C’est d’ailleurs Manza qui produit Los Angeles et les trois albums d’X suivants. Il est aussi important de rappeler que Doe et Exene étaient mariés. Pour Wild Gift, Doe cite Jeffrey Lee Pierce comme influence principale. 

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             On va profiter de l’occasion pour jeter une oreille sur le dernier album solo d’un John qu’a bon Doe, Fables In A Foreign Land. Bon, c’est pas l’album du siècle, mais on passe un bon moment à l’écouter. Il continue de cultiver son sourd power à relents country («Down South») et sort de son chapeau des cuts dont on ne voit pas bien l’intérêt («Guilty Bystander»). Il reste très à l’aise, même à cheval («El Romance-o») et montre qu’il sait gratter dans une cabane en bois («Missouri»). L’album se réveille en sursaut avec «The Cowboy & The Hot Air Balloon», un fast rockab troussé à la hussarde angelinote. Il est tellement à l’aise qu’il fait plaisir à voir. En bon protéiforme, il passe au fast rock manouche angelino avec «After The Fall». Et puis t’as la fantastique allure de «Destroying Angels». John Doe est un bon. Dans tous les cas de figure, ça reste du haut niveau. Quel dépotage ! Back to the bop avec «Travelin’ So Hard». C’est un slap très particulier, mais bien réel. Le bon Doe est capable de tout. Globalement, il reste le solide songwriter que l’on sait. Il sait gratter au long cours («Where The Songbirds Live»). Ses cuts accrochent terriblement.

    Signé : Cazengler, John plein-le-dos

    1. Smoke & Fiction. Fat Possum Records 2024

    John Doe. Fables In A Foreign Land. Fat Possum Records 2022

    Album by album. Uncut # 329 - September 2024

     

     

    Wizards & True Stars

    - Stanley your burden down

     (Part Two)

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             Avant de se re-plonger dans l’univers foisonnant des compiles que fait Bob Stanley pour Ace, il est peut-être opportun de rappeler qu’il est aussi un fantastique écrivain, sans doute l’un des auteurs britanniques les plus complets. À force d’être convainquant, PolyBob devient attachant. Comme Peter Guralnick, il propose des gros books, ces books qu’on appelle des sommes, et il faut s’armer de patience pour en venir à bout, mais on en sort toujours édifié, voire ravi. PolyBob écrit merveilleusement bien, et il excelle dans l’art des portraits.

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             En 2023, la presse anglaise avait ovationné Let’s Do It: The Birth Of Pop. Ce fat book de 500 pages n’est pourtant pas d’un accès évident. Car PolyBob y traite d’une pop qui n’est pas celle qu’on croit, puisqu’il s’agit de la pop américaine du début du XXe siècle, celle qui précède Elvis en 1956 et les Beatles en 1963, c’est-à-dire celle de Bing Crosby, de Judy Garland, de Frank Sinatra, de Glenn Miller, de Nat King Cole, de Peggy Lee, et bien sûr, le fameux Great American Songbook. Autant le dire tout de suite : l’ouvrage est passionnant et donne envie d’écouter tous ces artistes, tous ceux qu’on taxe volontiers d’has-been et dont PolyBob chante merveilleusement les louanges. Les portraits qu’il brosse sont tous spectaculairement bien réussis. Par sa concision et par cette facilité qu’il a d’aller à l’essentiel, PolyBob rejoint Nick Kent dans le peloton de tête des grands stylistes de la rock culture anglaise. L’exploit est d’autant plus remarquable qu’il semble avoir tout écouté. On se demande d’ailleurs comment un auteur peut couvrir une telle surface, connaître autant d’artistes et de disques. Dans son introduction, Polybob indique qu’il n’aborde ni le jazz, ni le rock. Il en  profite pour rappeler qu’il aborde le sujet du rock et du modern pop age dans son Let’s Do It’s sister volume, Yeah Yeah Yeah.

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             L’un des premiers grands portraits qu’il brosse est celui de Duke Ellington. Il a une façon très particulière d’introduire l’objet de sa fascination pour le Duke : «Je connais des gens qui disaient, le plus sérieusement du monde, qu’ils pourraient passer le restant de leurs jours en n’écoutant que Bob Dylan, et que son œuvre était tellement fournie qu’on ne pouvait craindre l’ennui. Mark Perry, fondateur du fanzine Sniffin’ Glue, m’a dit un jour la même chose à propos de Frank Zappa, et je ne crois pas qu’il plaisantait. Je ne crois que je pourrais fonctionner de la même manière, mais si quelqu’un me met un jour un canon sur la tempe et me demande de ne choisir d’une seul twentieth century performer, alors je dirai Duke Ellington.»  Le Duke ne croyait qu’en la musique populaire - Popular music is the good music of tomorrow - Il disait encore : «Jazz is music, swing is business.» En 1933, nous dit PolyBob, les Européens voyaient le Duke comme «an African Stravinsky» et les critiques croyaient que la musique du Duke révélait «the very secret of the cosmos» et contenait «the rhythm of the atom». Apparemment, le Duke proférait des tas de choses intéressantes, du genre : «Art is dangerous. When it ceases to be dangerous, you don’t want it.» Et PolyBob résume magistralement le génie du Duke : «Ellington incarnait l’American style and grace. He was all of American music: personne n’avait comme lui un don pour mélanger le jazz, le blues, le gospel, le ragtime, même le folk et la musique classique.» PolyBob le qualifie même de «sophisticated mystery».

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             Tu découvres Bing Crosby lorsque tu vois Un Jour De Pluie À New York, un Woody Allen sorti en 2019. Pendant le générique d’entrée, Bing Crosby chante «I Got Lucky In The Rain». C’est l’enchantement immédiat. Tu n’oublieras plus cette voix extraordinaire. PolyBob consacre un fiévreux chapitre à ce héros d’un autre temps - Bing had swing, an ear for timing and a voice to articulate it, and that’s something you can’t fake. Son timing était tellement fort que les musiciens le suivaient, ce qui est rare pour un chanteur. And his voice was elegant and effortless, a rich, two-octave baritone that he used like a painter, playing with shades and shadows, colouring the music - PolyBob cite Ralph Gleason qui écrivait en 1953 : «Bing is the personification of the whole jazz movement - the relaxed, casual, naturel and uninhibited approach to art.» C’est Bing la superstar ! PolyBob repart de plus belle - C’est presque obscène de dire à quel point Bing était célèbre en son temps, et de voir qu’aujourd’hui, il n’est presque plus rien - PolyBob se met en pétard et sort les chiffres : 5 ans numéro un au box office, de 1944 à 1948, 400 hit singles, un record que personne n’a jamais égalé, ni Sinatra, ni Elvis. Bizarrement, après Elvis, il cite aussi Beyoncé et Kanye West, on ne sait même pas qui sont ces deux-là. En 1931, Bing était l’«America’s brightest singing star, adoré des hommes, des femmes, et même des musiciens», se marre PolyBob. CBS lui a même filé un radio show qui a duré 25 ans. Bing donnait parfois d’extraordinaires explications : «I am not a crooner. Un crooner est une personne qui chante avec la moitié de sa voix et qui tape les notes perchées au falsetto. I always sing in full voice.» PolyBob ajoute que Bing avait tout appris de Louis Armstrong, et d’ailleurs Louis et Bing s’a-do-raient. Bing disait de Louis qu’il était «le commencement et la fin de la musique en Amérique», et Louis répondait que Bing était un «natural genius the day he was born. Quand Bing a ouvert la bouche pour la première fois, he was the boss of all singers and still is.» Tony Bennett en rajoute une caisse : «There was really no one else. He was like fifteen Beatles.» Bing aimait aussi picoler. Pour clore le chapitre Bing, PolyBob se fend d’une petit coup de génie stylistique : «Everything Bing did fitted together as part of his persona. Everything came easy to him, even dying.» Toute cette érudition passionnée mêlée à de l’humour te donne le vertige. Et bien sûr, tu vas aller écouter Bing.

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             Le book devient une sorte de manège enchanté, tu sautes d’une légende à l’autre comme si de rien n’était, tu passes de Bing à Judy Garland, et PolyBob fait d’elle une reine, il nous raconte la fin tragique de Judy à Londres. PolyBob dit que la comédie musicale s’est éteinte avec elle - What’s left ? Cabaret, starring her daughter, Liza Minnelli - PolyBob oublie de citer New York New York. Il considère les grands hits de Judy comme des «clear high points of twentieth-century culture.» Il dresse aussitôt un parallèle entre les vies tragiques de Judy (qui démarre sa conso de pills à 10 ans, sous la férule de sa mère) et de Billie Holiday, qui fut violée à 10 ans par un voisin, qui a quitté l’école à 12 ans pour aller toute seule à New York et y mener deux carrières de front : servante et pute. En 1946, on qualifie Billie d’«America’s No. 1 Stylist». Elle tourne avec Lester Young qui la baptise Lady Day, et en retour, elle le baptise Prez, c’est-à-dire President. Quand l’instituteur Abel Meeropol présente à Billie «Strange Fruit», la chanson qu’il a écrite, Billie dit à ses musiciens : «Some guy has brought me a hell of a damn song.» C’est là que les ennuis de Billie commencent. On connaît tous l’histoire par cœur, mais PolyBob se fait un devoir de la redire, 9 mois de ballon pour possession d’hero, et à sa sortie, on lui interdit de jouer dans les clubs qui servent de l’alcool - They were cutting off her oxygen - Quand elle se produit à Londres, elle sort du cauchemar - They call me an artist, not just a singer - et là PolyBob se met à délirer : «Que serait-il arrivé si Billie Holiday s’était installée à Londres ? Un album with Tubby Hayes ? Un rôle dans The Roar Of The Greasepaint d’Anthony Newley ? Un duo avec Dusty Springfield dans son TV Show ?»

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             Il faut bien comprendre une chose : tout le book est de ce niveau. PolyBob n’en finit plus de nous donner envie d’explorer ce continent inconnu. En guise de chute au chapitre qu’il consacre à Glenn Miller, voilà ce qu’il écrit : «Glenn Miller doesn’t need jazz history on his side. He left his music frozen in time, like Buddy Holly, Eddie Cochran, Ian Curtis and Kurt Cobain. It is as permanent as stone.» Quelle épitaphe !  

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             Il rend bien sûr hommage au Bebop qui fut en son temps une révolution - Bebop, like Dada, was a silly name given to something of some seriousness - Pur PolyBob ! Il réussit à tout dire en une seule phrase. Une catchphrase. Il re-situe Charlie Parker, Bud Powell et Dizzy Gillespie dans l’Amérique des années 50, celle d’Ernest Hemingway et de Jackson Pollock - The big names included Parker, Gillespie and Thelonious Monk, the second string included a trumpet player - still a teenager in 1945 - called Miles Davis - Comme le punk-rock en Angleterre, le Bebop ne dure qu’un temps. En 1950, c’est fini, Diz est parti faire son Latin-jazz orchestra, Bird va casser sa pipe en bois à 34 ans, en 1955, et Miles part à l’aventure, «always keeping his ‘fuck-you’ attitude intact.»

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             Et puis PolyBob en arrive à Sinatra - Frank Sinatra is the fulcrum of this book - On ne sait pas ce qu’est un fulcrum, mais on imagine qu’il s’agit d’une pierre angulaire, ou d’une clé de voûte - Il a compris et assimilé tout ce qui le précédait. He dictated what would happen in the immediate future, et les différentes époques de sa carrière - pin-up boy vocalist, album-oriented adult singer, late-period duets - are still a blueprint pour les artistes du XXIe siècle - Frankie reconnaît l’influence de Billie : «Billie Holiday, whom I first heard in 52nd Street clubs in the early thirties, was and remains the single greatest influence on me.» PolyBob ajoute que Frankie & Billie ont eu «a short, mad romance in the early 1940s.» Et dans la foulée, il insinue qu’à cause de Frankie, des tas d’Anglais des années 40 et 50 rêvaient d’être américains. Mais à 36 ans, Frankie était rincé. Plus de contrat, endetté et sans avenir. Il va redevenir superstar à 42 ans. Il est sur Capitol, mais il veut quitter Capitol pour monter son propre label, Reprise. Et ça marche ! PolyBob nous dit que la première année, Reprise ramasse 4 millions de dollars, et Frankie signe à tours de bras : Bing Crosby, Count Basie, Duke Ellington, the Hi-Los, Jimmy Witherspoon, Lex Baxter, et puis sa fille Nancy. Et dans son élan, PolyBob nous raconte l’explosion du Frankie-biz : «Au début des années 60, Sinatra pilotait Reprise, mais aussi quatre publishing companies basées au Brill Building, une série de radio stations dans le Pacific North West and a hotel-cum-casino in Reno, Nevada. Il avait aussi des actions dans le Sands Hotel, Las Vegas et une film production company called Essex Productions. He was a big time operator.» Polybob frise l’apoplexie quand il annonce que Frankie a la vision de la télé payante - The way I see it is that pay-TV has got to come - Il raisonne sur la base d’un film par an - Then you show it on colour TV to forty million people at, say, fifty cents a head. Do that three times - pow pow pow - and you’re really in business - Comme PolyBob est un esprit effervescent, il s’extasie devant celui de Frankie. Ces pages sont effervescentes et le book le devient, par la force des choses. PolyBob remet le turbo sur l’effervescence avec The Rat Pack, c’est-à-dire Frankie, Sammy Davis et Dean Martin, et boom, il repart sur Sammy Davis - un performer virtuose qui savait tout faire, singing, tap-dancing, mimicry, comedy -  un homme difficile à cerner car nous révèle PolyBob, il était aussi membre  de l’Anton LaVey Church Of Satan, et membre un groupe radical du Black Power, The Blackstone Rangers. Retour en force sur Frankie qui avec «Strangers In The Night» déloge le «Paint Black» des Stones de la tête des charts anglais, puis déloge le «Paperback Writer» des Beatles de la tête des charts américains. PolyBob est drôlement bien renseigné. Frankie va aussi taper dans «Mrs Robinson» de Paul Simon, et le «Downtown» de Petula, puis «My Way» qui va rester 122 semaines dans le top 50 américain, un record inégalé. On reste dans le grand concert des louanges avec Watertown, «an incredibly bleak but beautiful album» - His voice, the Voice, was reaching the end of the line. Watertown would become a bookend - Et PolyBob chute ainsi : «Frank Sinatra retired in 1971, having just made arguably the greatest album of his career.»

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             En lisant ces pages hautes en couleurs, tu éprouves exactement ce que tu éprouvais en 1973 à la lecture du Rock Dreams de Nick Cohn & Guy Peellaert, une sorte de suffocation extatique continue. PolyBob illustre lui aussi ses portraits, mais avec un souffle, le souffle d’un styliste remarquable doublé d’un érudit passionné. On replonge dans sa Légende des Siècles avec le «loud-talking and fast-living» Wynonie Harris, un mec capable d’entrer dans un bar, de sauter sur une table et de clamer : «The blues is here !». Entre 1945 et 1950, il pond 14 R&B hits, dont «Good Rocking Tonight», l’un des cuts candidats au titre de first rock’n’roll record. PolyBob cite aussi «All She Wants To Do Is Rock» - The rhythm was heavy, square on the beat and irresistible, and the lyrics were often shamelessly filthy - PolyBob décrit encore Wynonie comme «handsome, charismatic, outrageously confident.» Longtemps, le Big Daddy Catalogue de Crypt a proposé une petite bio de Wynonie Harris (Rock Mr. Blues : The Life & Music Of Wynonie Harris, de Tony Collins) : nous allons y revenir prochainement. Mais les hits de Wynonie étaient trop sexués et donc censurés par les radios.

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             Comme PolyBob met le nez dans le blues avec Wynonie, il en vient fatalement à évoquer d’autre pionniers célèbres, les frères Ertegun, et donc il va fatalement flatter leur honnêteté. Ahmet voulait se distinguer des autres businessmen du record biz : «We were people who went to universities.» Quand Ruth Brown devint célèbre, on surnomma Atlantic «The house that Ruth built». PolyBob fouille dans les racines du blues et nous raconte l’histoire de John Lomax lancé à la poursuite de Robert Johnson. Manque de pot, Johnson a dragué la gonzesse qu’il ne fallait pas et trois jours plus tard, il casse sa pipe en bois, empoisonné. Déçu d’avoir raté le coche, Lomax bougonne dans son coin quand un black lui dit qu’il en existe autre «down the street who plays bottleneck and sings high just like Robert Johnson.» Pouf ! Sur qui qu’il tombe le Lomax ? : Muddy ! Un  Muddy qui du coup va devenir le lien entre le «prehistoric Delta blues et the full flowering of the 1960s rock era.» PolyBob dit les choses avec une concision extraordinaire. Son langage est si clair qu’il n’est pas besoin de le traduire. Direction Chicago et Aristocrat qui devient Chess en 1950. On y retrouve Muddy et son gang, c’est-à-dire Jimmy Rogers et Little Walter Jacobs «who fed his instrument through an amplifier so it sounded like a demented train whistle.» PolyBob fait quelques lignes sur Little Walter, un Little Walter «who siphoned Louis Jordan and jazz solos through the harmonica.» Il ne rate pas une si belle occasion de rappeler la fin tragique d’un Little Walter qui avait passé sa vie à chercher l’embrouille et à se battre : «En 1968, il jouait aux dés dans la rue et il reçut un coup de barre à mine sur le crâne alors qu’il essayait de ramasser le blé. He went to bed that night and never woke up.»

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             PolyBob repart de plus belle avec Peggy Lee, il chante les louanges de Black Coffee (cited as a favourite by Joni Mitchell) et l’even better Dream Street, puis de l’«avant-garde folk of Sea Shells», enregistré en 1956. Il se prosterne encore devant «The Folks Who Live On The Hill», disant de ce cut signé Jerome Kern qu’il a une «unreal quality, and it gets me every time.» Et crack, t’as ça dans la foulée : «Twin totems of 1950s vocal jazz, Sinatra and Lee were peers, equals, ans clearly admired the heck out of each other, but their approaches were opposite extremes.» Peggy Lee était une «farm girl from North Dakota» et PolyBob cite Mike Stoller qui la qualifie de «nice bunch of gals.» Nous voilà chez les géants d’un autre temps. PolyBob ajoute que Peg faisait le lien entre le «vocal jazz and modern R&B, it couldn’t be bettered, and Elvis Presley would copy Peg’s version («Fever») almost note for note on his 1960 album Elvis Is Back.» Peg allait taper dans Ray Charles, Leiber & Stoller, Tim Hardin, les Kinks et les Lovin’ Spoonful dans les mid-’60s, mais aussi dans Goffin & King et dans l’«Everyday People» de Sly Stone. Puis PolyBob nous raconte l’épisode «I’m A Woman» que Leiber & Stoller composent en 1963 et qu’ils proposent à Marlene Dietrich qui leur dit : «That is who I am, not what I do.» Ils font ensuite passer une démo à Barbra Streisand qui ne répond même pas, puis une autre à Peggy Lee qui les rappelle une semaine plus tard pour les prévenir que s’ils filent cette chanson à quelqu’un d’autre, elle leur tordra le cou. «This my song. This is the story of my life.» PolyBob parle en effet d’un «first-wave feminist anthem». Et une fois de plus, PolyBob soigne sa chute : «The world’s greatest and most famous songwriters visiting her misty house on the hill, paying their respects, bearing her gifts - it was exactly what she deserved.» PolyBob parle bien sur de Leiber & Stoller («Is That All There Is») et de McCartney («Let’s Love»).

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             PolyBob s’attarde aussi longuement sur les déboires de Nat King Cole avec les racistes, notamment ce concert de Birmingham, Alabama, où des blancs montent sur scène pour lui péter la gueule. «Stage invasion by racist thugs.» Nat : «Man, I love show business, but I don’t want to die for it.» Et PolyBob d’ajouter : «He never went back to Alabama.»

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             Puis il salue Gene Vincent et son «sex-charged ‘Be-Bop-A-Lula’». C’est l’une des plus belles descriptions de l’early Gene : «Vincent looked like a no-goodnick. His hoodlum mates sang in teenage jive speak, and the instrumentation was sparse and harsh.» Des punks ! Puis sur la page en vis-à-vis, PolyBob s’extasie sur Earl Bostic ! -

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    Pretty much everything he did - especially in the 1950s - was great - Il se retrouve avec «Temptation» sur King, le label de Syd Nathan, puis arrive «Flamingo», «chargé de quelque chose d’excitant, d’illicite, même de dangereux, voire de violent, but most definitely modernistic. It was futuristic R&B sound, an early roar of rock.» PolyBob y voit l’ancêtre du «Rock With The Caveman» de Tommy Steele. Et il repart de plus belle, à s’en brûler les ailes : «Earl Bostic is maybe the secret pop-futurist of this book, a half-forgotten hero whose music is full of elements that art music - classical or jazz - can never touch or discover. Only deep R&B diehards seem to treat him with due reverence.» Et quand PolyBob dit ça, il sait de quoi il parle. Un peu plus loin, il salue Barry Mann et le Brill, un Barry Mann qui voulut être un hit recording artist au début des années 60, puis dans le milieu des années 70, mais ça n’a pas marché. C’est vrai que ses albums solo te laissent sur ta faim. Clin d’œil aussi aux rois de l’easy listening, les Swingle Singers de Mobile, Alabama, PolyBob salue leurs da-buh-da harmonies. Puis il s’achemine vers la fin du book avec Tom Jones (Hello Gildas !), «a soul-singing beefcake qui basait son style sur celui du New York baritone Chuck Jackson.» PolyBob invente même des mots pour honorer le power de Tom Jones : il parle d’une «stone-quarrying voice». Il souligne encore un détail éminent : Jones était un vrai music fan, car il tapait dans les chansons d’«underevalued singers like Charlie Rich, Mickey Newbury and Bobby Bare.» Ça a l’air d’un détail insignifiant, mais ce genre de détail parle bien aux connaisseurs. PolyBob salue aussi le come-back kid en Jones, puisqu’il va enregistrer le «Sugar Sugar» des Archies avec Jack White, des cuts d’Hooky avec Booker T., et chanter en première partie de Morrisey. Et PolyBob de conclure sèchement : «In becoming all things to all people, I’m sure he’s had a lot of fun, but he’s no Scott Walker.»

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             Dans un dernier chapitre, PolyBob rappelle qui sont les «most talented musicians in this book» - Armstrong and Crosby, Holiday and Garland, Ellington and Sinatra - Et dans l’épilogue, il salue bien sûr l’héritier de toute cette culture, Nilsson, et notamment A Little Touch, «far ahead of its time.» Parmi les héritiers, il cite aussi ABC et Lexicon Of Love. Et voilà comment il nous fait provisoirement ses adieux : «J’ai écrit ce livre pour célébrer cette époque différente qui nous a donné Frank Sinatra et Sophie Tucker, Sweet Charity et Showboat, Billy May et Count Basie, «Moon River» et «What’ll I Do», et pour établir une chronologie, pour moi et pour tous ceux que cette époque intéresse. Bien que la pop se soit constamment réinventée, le miracle c’est que l’époque évoquée dans ce livre a d’une certaine façon réussi à voyager pour faire partie de notre époque. C’est assez magique, et je ne saurais trop insister pour dire que le plus important, c’est d’écouter cette musique et de l’apprécier tant qu’on peut encore le faire.» Il conclut sur un vers de Jimmy Webb, «And while we are dreaming, time flies.»

             Back to the compiles. Il est essentiel de re-dire l’importance de cette série ‘Bob Stanley presents’. La presse anglaise les salue rituellement et on y finit par s’y intéresser. On découvre alors une collection de compiles thématiques extrêmement riche dans sa diversité, dans son éclectisme, tout est très bien documenté, à l’image de PolyBob qui est un obsédé de la pop devenu par la force des choses un érudit, un acteur de cette culture et donc un auteur. Chaque épisode de cette série te permet de passer une bonne soirée et de découvrir pas mal de choses. Tu te crois toujours évolué dans ce domaine de connaissance, et heureusement des mecs comme PolyBob sont là pour te rappeler qu’au fond tu ne sais pas grand-chose, et qu’il est peut-être temps de jeter enfin ton putain d’orgueil à la poubelle.

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             Pour Tim Peaks (Songs For A Late-Night Dinner), PolyBob choisi d’établir un parallèle entre le Pacific North West des États-Unis et l’English North West lui aussi très pluvieux. Si David Lynch a choisi d’établir son Twin Peaks dans le Pacific North West, PolyBob établit son Tim Peaks dans l’English North West, du côté de Manchester. Pourquoi Tim ? Parce qu’il co-signe cette compile avec Tim Burgess des Charlatans, né dans le coin, près de Manchester. Cette compile est donc la bande son de Tim Peaks. Ambiance musicale très bizarre, cette fois - Order another Tim Peak coffee. There’s no clock on the wall. It’s cold outside. Stay awhile - PolyBob maîtrise parfaitement l’art de planter un décor. Les grandes leçons qu’on va retirer de cette compile sont les Blue Orchids avec «A Year With No Head» (le groupe le l’ex-Fall Martin Branah, avec l’esprit bassmatic de The Fall, foutrement intéressant), The Clientele avec «I Had To Say This» (réelle présence et voix posée, + un brin de psychedelia - Absolute masters of atmospheric reverb, nous dit PolyBob), et bien sûr Galaxie 500 avec «Flowers». On y sent bien le poids du Velvet, à l’instar de l’instinct, au cœur de la solace urbaine, à la corde de la concorde, et là tu dis oui. Coup de cœur encore pour les Stockholm Monsters et «Fairy Tales», joué à l’orgue de barbarie, le mec traîne bien la savate du cut, il multiplie les dissonances, le chant déraille un peu, ça avance cahin-caha. Les nappes d’orgue sont extra-sensorielles. Franchement c’est excellent. Bon, t’as d’autres choses, The Chills avec «House With A Hundred Rooms» une pop qui ne vieillit pas très bien, Durutti Column avec «Lips That Would Kiss», trop weird pour être honnête, et puis t’as toute cette pop anglaise mal à l’aise (The Royal Family & The Poor et «I Love You»), une pop mal nourrie, boudeuse, autistique, qu’en a rien à foutre de toi. Le «Slow Motion» de Jane Weaver qui est assez beau, Birdie avec un «Blue Dress» assez planant et très doux, et tiens, t’as encore une folle du sucre, El Perro Del Mar avec «Dog». Saluons aussi le beau post-punk de Charity Belt («Different Now»), bien chargé de bonnes intentions, mais comme on sait, les bonnes intentions ne suffisent pas.

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             PolyBob sort deux compiles en 2020 : Occasional Rain et 76 In The Shade. Une drôle de baraque en devanture d’Occasional Rain. Le premier jour de 1970, PolyBob ouvre la radio et entend dire que les Beatles vont se séparer. Beaucoup de chansons parlent du manque de direction et de la pluie. Voilà de quelle façon il conclut son texte d’introduction : «Comme la compile English Weather, celle-ci essaye d’illustrer la naissance d’une nouvelle décade, le souvenir d’un samedi après-midi pluvieux passé à fouiller dans les bacs, à se demander si on va acheter le nouveau Tull ou tenter le coup avec l’album de Christine Harwood qui se trouve dans le bac à soldes (go on, you won’t regret it).» Alors on écoute le «Question Of Time» de ladite Christine Harwood : elle est assez perçante, mais pas déterminante. Par contre, Catherine Howe l’est davantage avec «Innocence Of Child». Elle fait sa sirène, avec un joli sens de l’ampleur. Elle est infiniment jazzy. PolyBob adore voir Catherine Howe jazzer. Il la compare à Laura Nyro. Il rappelle aussi qu’elle est orchestrée par Bobby Scott. PolyBob flashe aussi sur Mandy More qu’il compare à Lynsey De Paul. Sur «Come With Me To Jesus», Mandy est divine, diaphane tout le long, et puissante au final. PolyBob a raison de rappeler que Sunbeam a réédité Mandy More. L’autre belle surprise de la compile est l’«Out & In» des Moody Blues. Belle surprise encore avec Pete Brown & Piblokto et «Station Song Platform Two». Ce magnifique interprète se glisse bien dans sa pop. Et la couronne du jour revient à Michael Chapman avec «Postcards of Scarborough». Lui, c’est la superstar de l’ongle sec. Il gratte des poux enchantés. Quant au reste, pas de surprise : Traffic reste Traffic, Duncan Browne reste Duncan Browne, même s’il joue avec le calme et la tempête («Ragged Rain Life»), Keith West reste Keith West, Cressida reste Cressida, même avec un bassmatic dévorant («Home & When I Long To Be»). Et puis Yes se montre explosif de pureté purpurine avec «Sweetness».

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             Pas de baraque sur 76 In The Shade. Juste un couple assis au bord de la route pour picniquer. C’est la canicule. Cette fois, PolyBob évoque l’été 1976, et tape dans la Black avec par exemple Smokey Robinson et «Get Out Of Town» : fast & easy, comme une superstar. Puis t’as David Ruffin avec l’heavy dancing Soul de «Discover Me». Il a su garder tout le power des Tempts. Et puis voilà la révélation du jour : Hollywood Freeway et «You’re The Song (That I Can’t Stop Singing)». C’est nous dit PolyBob l’hamony heavy pop de Tony Rivers, ex-Castaways, un groupe qui enregistra le «Girl Don’t Tell Me» des Beach Boys sur Immediate. Puis les Castaways sont devenus Harmony Grass, et PolyBob nous recommande chaudement This Is Us. Et pour compléter le panorama, PolyBob nous révèle que Frankie Valli a fait une cover de «You’re The Song (That I Can’t Stop Singing)» et que Tony Rivers a écrit ses mémoires (mais le book est intouchable : hors de prix). La Sylvia qu’on croise avec «Not On The Outside» est bien sûr celle de Mickey & Sylvia. C’est tellement excellent ! - an atmospheric, bossa-touched piece of exotica which demands your full attention - Sweet sucre carribéen. T’as aussi le «Stay With Me» de Blue Mink, avec Madeline Bell qui monte au sommet du climaxing pour une apothéose de bliss. On croise aussi The Emotions avec «Flowers», trois blackettes de Chicago, d’abord du Stax, et là, au paradis. C’est à Carmen McRae que revient l’honneur de refermer la marche, avec le «Music» de James Taylor. Puissance immédiate. Là, t’as la vraie voix. So c’mon ! Elle va te swinguer le rock de Soul jusqu’à l’oss de l’ass.

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             Retour au Deep South avec Choctaw Ridge. New Fables Of The American South 1968-1973. Dans son intro soignée, Martin Green rappelle que «le monde de Choctaw Ridge - ses habitants, ses mystères et ses morts tragiques - fut essentiellement bâti par Bobbie Gentry.» «Ode To Billie Joe» fit de Bobbie une superstar. Voilà donc une compile placée sous l’égide de la belle Bobbie. À l’époque, nous dit Green, Tony Joe White et Nancy Sinatra grattaient à la même porte. Il cite aussi Mike Nesmith, via les Monkees. On l’entend Nesmith, avec le First Nationl Band et l’excellent «Joanne». PolyBob est en extase devant le «biggest American hit single» de Nez. Pur genius de country Soul, avec le yodell du diable. On retrouve un autre génie de l’humanité, Jim Ford avec son fameux «Harlan County». Ford qui fut le boyfriend de Bobbie clamait qu’il avait écrit «Ode To Billie Joe». Il a aussi co-écrit «Niki Hoeky» qui allait devenir un hit pour son ami P.J. Proby. PolyBob rappelle aussi que Ford fit partie de la Family Stone et qu’on le voit dans le collage qui orne la pochette de There’s A Riot Goin’ On. Et puis, t’as encore ce copinage avec Bobby Womack. PolyBob n’oublie rien. Avec «Harlan Counry», Ford casse bien la baraque ! Tony Joe White est là avec un «Widow Wimberly» gratté au raw to the bone, et Bobbie Gentry avec «Belinda». Pure Southern Magic, avec un banjo dans le son. C’est à Lee Hazlewood que revient l’honneur d’ouvrir le bal avec «The House Song», et «Alone», avec Suzi Jane Hokom. PolyBob indique que Love And Other Crimes est probablement sa «strongest and most cohesive collection.» Retrouvailles avec le crack Jerry Reed et «Endless Miles Of Highway». Reed est l’auteur des fameux «Guitar Man» et «US Male» qui vont faire le bonheur d’Elvis. Premier petit choc révélatoire avec Jeannie C. Riley et «The Back Side Of Dallas». Elle tranche bien dans le tas. Vraie voix. Pareil pour Hoyt Axton et «Way Before The Time Of Towns» : il tranche lui aussi bien dans le tas. PolyBob qualifie son album My Griffin Is Gone de «country-pop masterpiece». Elvis et Ringo Starr vont même enregistrer ses compos, alors taquavoir. Encore un petit choc révélatoire avec Dolly Parton et «Down From Dover». Sa paire de miche a fait rêver les rednecks, mais ici, c’est sa voix qui fait rêver les becs fins. Son Dover est à la fois prenant et captivant. PolyBob indique que Lee & Nancy ont fait une cover de Dover. Charlie Rich ? Pas de surprise. «Julie 12 1939» sonne comme un groove de round midnite, dont Charlie est l’un des grands spécialistes. Nouvelle découverte : Henson Cargill et «Four Shades Of Love». L’indéniabilité de la choses ! Une vraie merveille de délicatesse country. Grand choc compilatoire avec Kenny Rodgers & The First Edition et «Ruby Don’t Take Your Love To Town». PolyBob indique que Rogers sonnait comme Rod The Mod et que sa principale influence était Sam Cooke. Ça joue au soft ventre à terre avec des faux airs de Fred Neil.  

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             Avec Winter Of Discontent, PolyBob revient sur le DIY britannique d’après le punk. Un genre musical qui s’attaque à tout, au capitalisme, au pacifisme, à l’oppression masculine, PolyBob grouille d’exemples, il parle d’un son «souvent art-school based, a kind of urban British folk inspired by Vivian Stanshall, Syd Barrett & music hall.» Beaucoup de projets privés, homemade, qui dépendaient du Rough Trade shop de Portobello Road ou du John Peel Show. Les plus connus de tous ces groupes DIY sont bien sûr les Television Personalities (ici avec «King & Country», solid TV set), The Raincoats (ici avec «Fairytale In The Supermarket», pure incarnation du post-punk, hirsute etc.), Scritti Politi (ici avec «Confidence», groove délibéré, forcément très intéressant), The Fall (ici avec In My Area (Take 2)», big Fall-out, tout de suite du son, du chant et du Smith), The Mekons (ici avec «Where Were You», cheap & easy, do it ! Pur jus de pop primitive, cockney en diable) et toujours, bien sûr, les Blue Orchids de Martin Barmah et Ura Baines, qui tirent toujours très bien leur épingle du jeu (ici avec «Work», belles nappes d’orgue, chant perçant, très anglais). La découverte : Performing Ferret Band avec «Brow Beaten», très DIY UK bit. Il n’existe rien de plus primitif que ce Brow Beaten. Autre belle surprise avec The Zounds et «Can’t Cheat Karma», un shoot de post-punk cockney du meilleur effet. Joli nom de groupe aussi pour les Fatal Microbes. Elle chante son «Violence Grows» au petit sucre anglais, on comprend pourquoi c’est tombé dans l’oubli. Bien sûr, beaucoup de ces singles sont anecdotiques, c’est peut-être ce qui intéresse PolyBob. The Good Missionaries proposent un «Attitudes» trop tiré par les cheveux. et on accueille à bras ouverts «Exhibit A» et le raw punk d’«In The Night». Pour le reste, laisse tomber. 

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             Avec London A To Z, PolyBob te légifère la legacy. Quelle fantastique compile ! C’est du London town pur jus. Tu te balades dans Londres avec Cat Stevens («Portobello Road»), Linda Lewis («Hampstead Way», sucre suprême, et derrière, elle a un fou des poux), Dana Gillespie (la petite pop bucolique de «London Social Degree», wow, Dana a du coffre), et puis Ralph McTell avec «Kew Gardens». Sans PolyBob, tu te dis que tu passerais à côté de toutes ces merveilles, alors merci PolyBob ! Voilà Nick Drake avec «Mayfair». Lui, on le capte aussitôt. Itou pour Cilla Black et «London Bridge» : pur jus de superstar. Elle éclaire la terre. Puis tu arrives à la vraie dimension du son anglais avec Magna Carta et «Parliament Hill». Big London groove d’excelsior. Davey Johnstone gratte des poux d’une véracité extraordinaire. Et puis t’as Humble Pie avec «Beckton Dumps», Stevie Marriott reste le roi du speed-it on. PolyBob arrache d’autres merveilles à l’oubli : Edwar Bear avec «Edgware Station», Al Stewart avec «Swiss Cottage Manoeuvres», lui c’est un chanteur, un vrai, un enchanteur. Nouvelle aubaine avec Shelagh McDonald et «Richmond» : voix de rêve. Te voilà envoûté, et l’envoûtement se poursuit avec Julie Driscoll, Brian Auger & The Trinity et «Vauxhall To Lambreth Bridge». Jools forever.

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             Et puis t’as ce fantastique hommage au proto-punk britannique : Incident At A Free Festival. PolyBob résume ça en trois lignes : «The sounds were heavy and frequently funky, with a definite scent of danger. Their message was clear and simple: clap your hands, stomp your feet and hold on to your mind.» Pour situer la scène proto-punk des festivals anglais de 1970, PolyBob a la main lourde : Pink Fairies, Edgar Broughton Band et Hawkwind, pour les plus connus. Le «Do It» des Fairies te passe littéralement sur le corps et t’adores ça. Johnny fais-moi mal ! Wild as fucking fuck ! Ils sont à la pointe du progrès. Même chose pour Edgar Broughton avec «Out Demons Out» et l’une des intros du siècle dernier. Wow, comme on a pu adorer ça, et t’as ce départ en solo qui te file encore des frissons. Eh oui, ces freaks britanniques font du Beefheart ! PolyBob a choisi l’«Ejection» d’Hawkwind, tiré de Doremi Fasol Latido, et là t’as tout le protozozo. L’heavy Brock is on fire ! Stupéfiant de power. Parmi les autres cakes, tu retrouves Andwella avec «Hold On To Your Mind», fabuleux David Lewis, et plus loin, Atomic Rooster avec «Tomorrow Night». Du son, oui, mais ça reste du Rooster. Stray est là aussi avec «Taken All The Good Things», mais c’est la voix d’adolescent attardé qui ne va pas. Tu croises aussi May Blitz qui essaye de casser la baraque avec «For Mad Men Only», c’est presque réussi. PolyBob a choisi un mauvais cut de Stack Waddy («Meat Pies ‘Ave Come But Band’s Not ‘Ere Yet»), et puis tu entres dans la zone des découvertes avec James Hogg et «Lovely Lady Rock». Ça joue au gras double. Quelle stature ! Trois singles et puis plus rien. Pareil pour Paladin avec «Third World» - Something to the sound of the Last Poets but given a Phun City tweak, nous dit PolyBob - Superbe et plein de vie. La super-révélation vient avec Slowload et «Big Boobs Boogie». Ils tapent bien dans le protozozo. Ce mec chante comme Johnny Rotten avant Johnny Rotten. Et puis t’as Leaf Hound avec «Freelance Friend». Eux, ce sont les pires. Les plus heavy de la bande. Même si Dave Richardson qui suit avec «Confunktion» se couronne empereur de l’heavyness à la cathédrale de Reims.

    Signé : Cazengler, Stan laid

    Tim Burgess & Bob Stanley. Tim Peaks (Songs For A Late-Night Dinner). Ace Records 2019

    Bob Stanley/Pete Wiggs. Occasional Rain. Ace Records 2020    

    76 In The Shade. Ace Records 2020   

    Bob Stanley/Martin Green Present Choctaw Ridge. New Fables Of The American South 1968-1973. Ace Records 2021

    Bob Stanley/Pete Wiggs. Winter Of Discontent. Ace Records 2023

    Incident At A Free Festival. Ace Records 2023

    Bob Stanley Presents: London A To Z. Ace Records 2024

    Bob Stanley. Let’s Do It: The Birth Of Pop. Pegasus Books 2023

     

     

    Errorr fatal

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             Des Berlinois dans la cave. On ne va pas rater une occasion pareille. Sont quatre, dont un chanteur guitariste que tu connais de vue, mais tu sais plus. Déjà vu, mais zoù ? Bon, bref, les voilà qui grattent leur Kraut dans une semi-obscurité bleutée.

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    Ah pour gratter, ça gratte ! Y grattent à deux. Une petite brune gratte à gauche. Elle est extrêmement sexy dans son petit haut blanc, sa jupe plissée, ses collants filés et ses cuissardes de drag queen. On sait qu’elle s’appelle Olga, car on a papoté avec l’équipe qui la suit partout pour la filmer. Deux caméras et un mec au son avec sa perche. Apparemment, ils montent un docu sur Olga. Comme le mec du zoù déjà vu, Olga gratte ses poux sur une Jaguar. Le début du set n’impressionne pas plus que ça.

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    On connaît ce son par cœur, depuis le temps des shoegazers, ils plombent bien leur atmosphère, ils rament bien dans leurs sargasses, les cuts se succèdent dans les méandres d’une nonchalance berlinoise, franchement tu ne sais pas ce que tu vas pouvoir raconter, et puis tu vois Olga piquer des petites crises d’hystérie pouilleuse du plus bel effet, elle cherche à créer un climat de folie, dommage qu’elle n’ait pas pensé à se rouler par terre comme Carrie Brownstein, la bras-droite de Corin Tucker dans Sleater-Kinney, ça aurait donné un peu plus de caractère à un set qui n’attendait que ça.

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    Voilà qu’ils s’enlisent dans les inévitables morceaux lents, et comme chaque fois, tu constates que ça brise les reins du set, comme ce fut le cas, t’en souvient-il, avec Underground Youth. Et puis, le zoù déjà vu annonce «two more cuts», et bam !, c’est là que tout explose. Soudain, tu n’as plus d’yeux que pour le petit batteur !

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    Il est magnifique de power, c’est lui qui mène la danse, et tu fais aussitôt le lien avec le batteur de Can, Jaki Liebezeit. C’est exactement la même powerhouse, il vole le show, tu vois un grand batteur à l’œuvre, avec des baguettes qui dansent autour de son visage, il fait la loco comme seul Jaki Liebezeit savait la faire. On croit toujours que battre le beurre consiste à taper comme un sourd sur des fûts, mais non, c’est tout un art, il faut du délié de poignets et du power dans les bras, quatre membres indépendants, il faut énergiser le beat pour lui donner des ailes, il faut que le beat vienne danser entre tes reins, et ce mec danse sur son tabouret, tu le vois palpiter en rythme, il bat un beurre faramineux, et bien sûr, tout explose. Te voilà encore fois sur la Piste aux Étoiles.

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             Au merch, quand tu demandes à Olga si le petit CD rouge est le premier album, elle te dit yes, alors qu’en fait c’est le deuxième album, qu’elle vend en vinyle. Comme ils n’ont pas la même pochette, tu prends les deux. Bon, bref, c’est pas grave, l’essentiel est de faire marcher le petit commerce. Et quand, rentré au bercail, tu pars à la pêche aux infos, ta vieille lanterne s’éclaire : le zoù déjà vu s’appelle Leonard Kaage et tu l’as vu récemment sur scène à la gauche de Craig Dyer dans Underground Youth. C’était donc ça ! Son groupe Errorr souffre apparemment du même mal qu’Underground Youth : trop de morceaux lents. Trop de tue-l’amour. Quand on a un batteur comme celui-là, c’est du gâchis que de le faire jouer en bas régime.   

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             L’album s’appelle Self Destruct. Leonard Kaage y joue de tous les instruments, accompagné sur certains cuts par deux autres mecs. Olga signe la photo de pochette, avec un modèle. Self Destruct est un album extrêmement énergique. Belle entrée en matière avec «Innocent», Leonard le renard berlinois se donne les coudées franches. Sa disto en impose. Il part en mode fast drive avec «Just Another». Il se tape une belle cavalcade de Kraut, et ça bat au heavy beat berlinois. C’est d’ailleurs l’un des deux cuts de fin de set. Leonard le renard berlinois sait donner du volume à son son, comme le montre encore «Paranoia», c’est vraiment bien bardé de la bardasse. Il te sature tout de belle disto, il adore foncer dans le tas, comme le montre encore «8 Hours 5 Days». L’«Heroine (Got To Let Go)» qui ouvre le bal de la B des Anges donne bien le change et force l’admiration. Voilà un encore cut qui traîne bien de la savatasse. On se croirait presque chez les Cramps avec «Not Even Bored» et sa basse fuzz. On reste dans le lourd et lent qui n’ira pas au paradis avec «Makeshift Happy». Leonard le renard berlinois transforme le plomb de Self Destruct en or atmospherix, et il emprunte un riff au premier Sabbath pour «With Love From The Grave». En voilà un qui sent bon la tombe.

    Signé : Cazengler, grave errorr

    Errorr. Le Trois Pièces. Rouen (76). 19 décembre 2024

    Errorr. Self Destruct. Atomic Records 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - Tina pas cent balles ?

             Baby Tinette ? Ses parents ne l’avaient pas ratée en la baptisant ainsi. Elle était foutue d’avance. Que ce soit à l’école, dans les circuits professionnels ou dans ses relations sentimentales, tout le monde allait prendre un malin plaisir à se foutre de sa gueule. Elle n’avait absolument aucune chance de trouver un jour un équilibre, ou même simplement un moment de répit. Sa scolarité fut un enfer. Les garces dans la classe n’en finissaient de faire «prout prout» derrière elle. Ce fut encore pire en secondaire. Les adolescentes sont d’une cruauté qui dépasse l’entendement. Elles firent semblant de la prendre en affection, manifestèrent même une sorte de compassion, et lui firent un cadeau pour son anniversaire. Elle ouvrit le paquet sans se méfier. C’était bien sûr un balai à chiottes. Elle en fut traumatisée pour le restant de ses jours. Jusqu’au bac, elle n’adressa plus la parole à aucune des filles de la classe, même aux plus gentilles qui n’osaient pas aller vers elle, à cause de sa mine renfrognée. Baby Tinette entra dans sa vie de femme comme tout le monde. Elle rencontra un mec qui paraissait gentil, et même timide. Tout se passa bien tant qu’elle n’avoua pas son secret. Elle louait une chambre de bonne, à proximité du bureau où elle travaillait comme secrétaire, et le mec vint la déflorer chez elle. Ils fumaient la fameuse ‘clope après l’amour’ et il posa la question qu’il ne fallait pas poser :

             — Comment tu t’appelles ?  

             — Embrasse-moi encore...

             Ils s’embrassèrent longtemps, et le désir revenu, ils s’abandonnèrent de plus belle aux plaisirs de la chair. Chaque fois qu’il se réveillait, il lui posait la même question. Alors elle l’embrassait et le serrait dans ses bras de toutes ses forces. Puis, lorsqu’il se fût endormi pour de bon, elle se leva et alla se pendre avec la corde à linge.

     

             Pas de bol pour Tinette. Tina a eu la chance d’avoir des parents moins cons. On dit toujours que la vie ne tient qu’à un fil, et c’est parfois valable même avant la naissance. Tina a eu toutes les chances du monde, et Tinette zéro.

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             C’est David Axelrod, alors jeune producteur chez Capitol, qui repère Tina Mason à Disneyland, où elle chante. Une nuit où Axelrod se balade dans un parc, il est sauvagement agressé par des mecs, prend un coup de couteau dans le bide, et qui vole à son secours ?, H.B. Barnum qui après avoir dégommé les mecs emmène Axelrod à l’hosto où on le recoud vite fait. Ils deviennent potes et rassemblent en 1967 la crème de la crème pour enregistrer l’album de Tina chez Capitol - A somptuous blend of Bacharachian LA soft pop - On voit rarement des albums aussi cultes. Puis elle va partir en tournée avec Paul Revere & The Raiders et épouser le bassman Phil Fang Volk. Elle se retrouve sur scène devant des foules de 50 000 à 80 000 personnes. À l’époque, les Raiders sont extrêmement populaires, dans le Nord des États-Unis et au Canada.

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             Fantastique album que ce Tina Mason Is Something Wonderful, réédité en 2008. Elle attaque au Burt pur avec «Are You There» et là tu piges tout suite : grosse prod d’album culte. Elle tape ensuite une prodigieuse cover de «Cry Me A River». Elle a le sucre et le power du sucre.  Tina, tu la croises aussi dans les parages de Chip Taylor. Elle fait sa Dusty lookalike avec «You Go Your Way», elle explose ses cuts quand ça lui chante. Sa voix porte dans l’espace du Brill. Elle sait aussi taper en plein dans le mille de Motown, comme le montre «Life And Soul Of The Party». Power et sucre, telles sont ses deux mamelles. Elle rentre par la bande dans «Just Say Goodbye», elle chante en biseau à la Judy Garland, et elle t’explose le Brill vite fait. Tina est un phénomène ! Elle est chaude, avenante, fière et dressée. Elle tient bien tête. Non seulement elle a du monde derrière, mais elle a aussi du génie, c’est encore ce que révèle «A Good King Of Hurting». Elle accroche son power au plafond, c’est très spectaculaire. Elle groove son «Crazy He Calls Me» comme Liza Minelli, elle a du sang black dans les veines, ses effluves se mêlent aux humeurs de la Soul. Et voilà «You Can Have Him» soutenu au gimmick de cordes graves. Alors qu’elle swingue comme une black, ça monte en crescendo. Elle met tout son power dans son sucre perçant. Elle tape encore en plein Brill avec «The Way Of Love», c’est orchestré à outrance. T’as H.P. Barnum et Axelrod derrière, alors ça ne rigole pas. Pur genius productiviste ! Dans les bonus, tu vas tomber sur l’«Anyway That You Want Me» de Chip, l’heavy pop par excellence. On trouve aussi sa version du «Lost That Lovin’ Feelin’» enregistrée en 1965. Elle la prend du bas, elle est juste, infernalement juste, et le monte à sa taille. Dans l’interview qui suit, elle dit adorer les Beatles et Nancy Wilson. Fabuleuse poulette !

    Signé : Cazengler, franc Mason

    Tina Mason. Tina Mason Is Something Wonderful. Now Sounds 2008

     

     

    *

    Un, deux, trois, quatre, cinq, six, Seth ! Je ne l’ai pas fait exprès, je me suis stupidement perdu en chemin. Suite à ma chronique sur Rituel dans la livraison précédente, je m’étais dit que ce ne serait pas idiot de chroniquer De Republica de Griffon, mais mon cerveau a tilté, je me rassure en me disant que les Génies Supérieurs de l’Humanité eux aussi sont appelés à commettre ce genre d’erreur, bêtement au lieu de me rendre sur le label griffonesque Les Acteurs de l’Ombre, il devait y avoir de la brume sur le clavier, j’ai tapé sur Season Of  Mist et suis tombé en contemplation sur :

    LA FRANCE DES MAUDITS

    SETH

    (Season of Mist / 14 – 07 – 2024)

    Se revendiquer de Seth pour un groupe de metal tombe sous le sens : un des premiers dieux de l’Egypte dont il magnifie les terres arides et désertiques, un Dieu violent et brutal, chaotique, nous aimons à imaginer qu’il a inspiré Lovecraft lors de la création de la figure de Nyarlathotep dieu du kaos rampant… quelques millénaires plus tard le christianisme obsédé par l’infrangible fossé qui séparait les notions morales du mal et du bien  assimila le personnage de Seth à un équivalent de Satan, l’Adversaire, celui qui avait osé s’opposer à Dieu. Cette filiation imaginaire possédait l’avantage de voiler le souvenir du Lucifer, le révolté porteur de lumière… Cette vision christique et dichotomique occultait l’idée première selon laquelle, n’étant que les symboles des forces autodestructrices ou les ferments régénérateurs qui veillaient à l’équilibre du monde, les dieux des deux bords étaient nécessaires, inséparables de l’équilibre universel de l’univers…

    Fondé en 1995, Seth se fit remarquer dès 1998 par son premier album : Les Blesssures de l’Âme. Le groupe se sépare en 2005. Il renaît de ses braises en 2011, mais ce n’est vraiment qu’en 2021 qu’il entre dans une nouvelle ère avec l’enregistrement de La Morsure du Christ. Mayhem et Rotting Christ se doivent d’être évoqués lorsque l’on essaie de retracer le parcours de Seth.

    La couve est magnifique. En arrière-plan la façade de L’Observatoire de Paris. Fondé en 1667 par Louis XIV, le bâtiment est traversé en quelque sorte par le Méridien de Paris… (A ne pas confondre avec la Rose Ligne de l’Eglise Saint-Sulpice.). Le monument n’a pas été choisi au hasard pour sa beauté intrinsèque mais comme symbole de l’empreinte royale sur le pays de France. Au premier plan Seth nous tourne le dos. Nous ne voyons que les vastes plis de son manteau, de pourpre aux franges d’or, brodé de ses initiatiques armoiries. Il porte une arme redoutable : la faux de la Mort. Instant décisif et menaçant. Seth fait face au pouvoir Royal, ce n’est qu’un avertissement, un défi, ce manteau de sang est le symbole de la Révolution à venir, celle qui mettra à bas de leurs trônes respectifs Dieu et le Roi. ‘’Soleil cou coupé’’ s’écriera plus tard Apollinaire.

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    Helmoth : guitars / Alsvid : drums / EsX : bass / Saint Vincent : vocals / Pierre Le Pape : keyboards / Drakhian : guitars

    Paris des maléfices : entrée en matière noire, la musique extatique des anges abolis, débordements battériques, la mélodie s’installe comme un drapeau rouge qui flotte dans la houle des rues en colères, alternant avec la hargne de la voix de Saint Vincent (il ne prie pas pour nous), nous sommes dans Paris la ville des poëtes et des révoltes populaires. Un Paris qui puise autant à la description hallucinée du Cimetière des Innocents de Victor Hugo que dans la révolte métaphysique de Baudelaire. Ce morceau peut être perçu comme un hymne élevé à l’auteur des Fleurs du Mal. Alchimie de la poésie qui transforme la boue de la misère et du vice en l’or flamboyant de la poésie, amour et haine entremêlés, une marée sonore de fange et de stupre qui gonfle, se soulève, et qui engloutira le monde. Il suffit de prononcer le maléfice. Incroyable, l’orgue  de Pierre Le Pape ne se contente pas, comme souvent dans bon nombre de disque de Metal de combler les vides, il ouvre le bal des Ardents et mène la chasse à courre.  Et que vive le Diable ! : ne regardez pas l’Official Music Video réalisée par Claudio Marino, filez sur son Instagram  vous ne serez pas déçus, vous risquerez la même mésaventure que ma distraite personne tellement accaparée par les images que j’ai oublié d’écouter la bande-son ! :  le moment de la décision, celui où l’on franchit le pas interdit, celui où Faust choisit Méphistophélès, le chant de Saint Vincent implore, non pas le pécheur qui s’enferme dans son cilice mental, plutôt la joie éclatante de Crowley appelant à lui les démons pour une vie exaltante puisque démoniaque, derrière le band bande et sarabande de jouissance, une espèce de valse à dix mille temps endiablée, l’heure est fatidique, mais heureuse, la délivrance d’une âme qui s’incorpore dans le corps mouvant du plaisir, un hymne à la joie, à la délivrance de soi-même, un sulfatage battérial homérique, un mariage de raison avec la déraison du monde, mieux vaut être maudit que bonni, il est des nuits illuminatives. La destruction des reliques : ce n’est plus le cheminement d’une âme seule mais la cohue collective d’une houle ivre, Saint Vincent harangue la foule, une carmagnole, une farandole, la musique atteint à une grandeur lyrique communicative, les guitares lancent des confettis de plomb qui arrivés à terre roulent résonnent et cliquètent comme des pièces d’or, quel bastringue, quel foutoir, nous voici dans cryptes de Saint-Denis à fracasser les cercueils, à briser les sarcophages, à exhumer squelettes en poussières et cadavres momifiés, une pagaille indescriptible on part à la chasse des châsses contenant les restes des Saints, l’on décapite les statues, c’est la grande liesse, la grande recouvrance de la délivrance, une fête qui insulte le passé et qui exulte de ses propres crimes, de ses propres cimes, le grand charivari, la fête de l’âne qui rue et tue les morts…

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    Dans le cœur un poignard : encore une Official Music Video réalisée par  Pierre Raynard, encore une fois les yeux rivés sur le film, mais cette fois vous n’oubliez pas la bande son, elle vous accompagne, elle vous fait cortège, elle vous soutient, elle tient votre âme par la main, puisque vous souffrez trop vous finissez par demander qu’on vous guillotine au plus vite, presque un chant de messe noire ou rouge, une musique d’église, une procession, pas à pas, à l’intérieur de soi-même, nos malheurs sont nos passions, nos tourments sont nos prisons, un poignard dans le cœur équivaut à une dague dans le dos, mais c’est vous-même qui l’avez plantée entre vos omoplates, qui supplie ainsi ?... est-ce un homme, est-ce Seth, est-ce chacun de nous, portons-nous tous l’amour comme une croix fichée en nous comme un poignard empoisonnée qui ne nous quittera jamais, que nous emportons avec nous jusques au fond de la tombe, il y aurait donc quelque chose à l’intérieur de nous qui subsisterait comme un dieu oublié qui refuserait de mourir, serions-nous ainsi plongés au cœur du chaos ad mortem aeternam, la voix de Saint Vincent ne chante pas, elle grouille, elle gargouille, elle souille, même l’aspersion rituelle par le sang ne nous délivrera pas. Marianne : tout serait-il consommé, notes lourdes d’impuissance, instrumental, ce que l’on peut exorciser par la parole ne vaudrait-il pas mieux le taire, ces gouttes de plomb liquide finissent par se teinter d’une étrange transparence, existe-t-il une résilience qui ne serait pas un mensonge, à moins que ce soit juste une introduction à ce qui viendra. Ivre du sang des saints : notre hypothèse était la bonne, il suffit d’écouter les premières notes pour reconnaître le même motif que cette mystérieuse Marianne évoquée au morceau précédent, qui est-elle, son nom ne serait-il que la déformation de Morianne, figure de la Mort, ou alors la prostituée revêtue de cinabre de l’Apocalypse, la putain divine prête à s’offrir aux quatre cavaliers, à moins que ce soit notre Sainte Mère l’Eglise, car l’Eglise elle-même est pécheresse, mais elle est cette simple femme anonyme qui en furie vengeresse, une torche à la main pénètre la première dans les cathédrales honnies pour y bouter le feu de sa haine, ivre du sang des Saints comme si elle se donnait le droit de boire au calice sacré, le morceau tangue comme s’il était atteint d’une ivresse dangereuse, ça part de tous les côtés, une chatte n’y reconnaîtrait pas ses petits, d’ailleurs un homme y reconnaîtrait-il sa femme, à moins que ce ne soit l’Isis primordiale, l’épouse de Seth, qui enfanta Osiris, la protectrice des morts,  elle se perpétua au cours des siècles sous le titre de Grande Déesse, qui au cours des siècles prit bien des noms, Marianne patronne de la République   ne serait-elle que la résurgence de Marie, la sainte immaculée, inoculée diront les esprits facétieux, l’aspect féminin et chaotique de l’être humain. La coupe d’or maudite où tout un chacun et chacune s’en vient boire. Insurrection : une official lyrics Video est disponible. Vidéo c’est vite dit, une mise en image, gâtée par la mise en plein milieu de l’cran de la couve du disque qui bouffe un bon tiers de l’espace, derrière Paris brûle-t-il a-t-on envie de demander, faut attendre la dernière seconde pour un aperçu ultra rapide du tableau La Liberté guidant le peuple ‘’en armes’’ de Delacroix, tous les personnages arborent des faciès de squelettes ricanant, que voulez-vous la liberté a un prix : de l’insurrection tant attendue l’heure est venue, il n’est jamais trop tard pour bien faire, la ligne mélodique comme le lierre qui enserre le tronc du chêne est entièrement liée au galop de la tornade, Saint Vincent ne chante pas il scande la révolte des damnés, cette légion que le Dieu a rejetée et abandonnée, ils sont tous là, les armes à la main, emplis de fureur, ivres de carnages et de démence, prêts à arracher  le poignard tordu que chacun s’est enfoncé dans le cœur pour le planter dans la chair du Christ et l’assassiner, quelle jouissance d’avoir à réaliser ce crime plutôt trois fois qu’une seule.  Tous en groupe, le Diable marche avec eux, la vengeance est un plat qui se mange bouillant de haine. Massacre total et libérateur. Le vin du condamné : ô comme ce titre évoque Baudelaire, comment se fait-il que le chantre du Spleen de Paris n’ait pas songé à l’écrire, le morceau le plus long de l’opus, une courte intro qui  pourrait ne faire accroire que le condamné à mort aurait le vin triste, ce n’est pas tout à fait le cas si l’on s’en rapporte à son accent vindicatif, parfois on a même l’impression que le rythme claudique et titube, point trop mais dans une cellule l’on imagine que les murs doivent être proches, un peu de tristesse, pas trop, pour ces moments perdus à croire en Christ en ses bienfaits, en ses consolations, la batterie d’Alvid y met vite bon ordre et les réduit en poussière, un dernier blasphème à boire le sang du Christ et de la vigne, la sentence du juge hurlée du haut de sa chaire tombe comme un couperet de guillotine, les paroles du condamné n’étaient pas celle du Roi, c’est bien celle d’un insurgé, d’un révolté, qui souhaite et prophétise encore la révolution. Bonus track : Initials B. B. : dans une vidéo ils expliquent qu’ ils voulaient une chanson française, ils ont du mal à en trouver une qui puisse supporter leurs orchestrations, sans être convaincus ils ont essayé ce morceau de Serge Gainsbourg, elle n’est pas tout à fait de lui puisque comme souvent il avait puisé dans le répertoire classique, il s’était inspiré  de Dvorak, n’avait pas fouillé bien loin, juste un motif de la Symphonie du Nouveau monde… en réécoutant le morceau original l’on se rend compte que malgré l’arrangement d’Arthur Greenslade, peut-être à cause de ses trompettes pas assez cuivrées, il a vieilli… la version de Seth est supérieure, en plus elle s’intègre bien à l’album comme un rappel de la figure du triptyque central, une résurgence du motif de la femme écarlate, que l’on ne saurait laisser à l’écart…

             L’opus est magnifique, il m’a donné l’envie de visiter le précédent.

     

    LA MORSURE DU CHRIST

    SETH

    (Season of Mist / 14 – 07 – 2024)

    La couve  est de Leoncio Hamr, magnifique vue de Notre-Dame de Paris en flammes. Originaire de  Bordeaux, tout comme le groupe, il se définit comme un Digital Artist, trois petits tours et puis ne pas s’en aller mais rester sur son site à s’imprégner de ses images d’une évanescence granitique porteuse d’une vision romantique et démiurgique du monde…

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    Qu’un groupe mette son nom sur la pochette de son disque n’est pas en soi une pratique d’identification qui appelle à de longs commentaires, mais sur cette couverture-là il se révèle terriblement significatif. Ce ne serait en rien anodin, Seth a apposé son sceau sur l’incendie de Notre-Dame, il s’agit d’une appropriation politique des plus affirmées, des plus dérangeantes.

    L’incendie de la cathédrale, vite transformée en Notre-Drame, au mois d’avril 2019 suscita une énorme émotion, savamment orchestrée par les pouvoirs publics du pays, récemment amplifiée par sa réouverture en décembre dernier. Nous ne nous étendrons pas ici sur les polémiques qui se sont élevées quant à l’origine du feu dévastateur. Seth n’y va pas par quatre chemins (de croix). Cet acte leur apparaît comme la marque symbolique de la fin de l’ère chrétienne. Le point final de la révolte de Lucifer détruisant une bonne fois pour toute  la terrestre et accueillante demeure de Dieu, le dernier refuge du Christ et la bergerie des Hommes…

    En désignant la borne historiale de la fin du christianisme, Seth remet en question toute une lecture actuelle qualifiée par beaucoup de post-chrétienne – expression qui signifie encore marquée et dépendante de l’idéologie christianophile – de l’histoire de la civilisation occidentale. Position politique d’autant plus courageuse qu’elle place cette terminaison dans notre actualité la plus proche. En pleine place du village planétaire pourrait-on dire. Songez à la rétrograde levée des boucliers mentaux que ce genre d’affirmation péremptoire ne peut que susciter. L’on peut refaire à neuf un bâtiment, effacer la signification d’un symbole est plus difficile.

    Cet opus est davantage qu’un album musical, il est un acte réflexif, mêlant aspects liturgique, orthodoxique, dogmatique, hérésique, philosophique, symbolique et poétique. Une œuvre d’envergure, c’est sans doute pour marquer et ne pas masquer la grandeur de cette noire et illuminative entreprise metallique que son écriture a eu recours au vieil alexandrin gravé dans le marbre des épopées romantiques.

    Helmoth : guitars / Alsvid : drums / EsX : bass / Saint Vincent : vocals / Pierre Le Pape : keyboards / Drakhian : guitars

     La morsure du Christ : l’existe une Official Vizualiser agréable à regarder mis sur YT par Season of Mist : étourdissant, sans répit, un vocal rugissant inextinguible, une rythmique infernale, une chevauchée apocalyptique qui au milieu de ce déluge de feu teinte quelques notes solitaires et espacées d’une beauté cristalline, elles dévoilent un monde de splendeurs sonores ignorées un peu comme les échos nostalgiques d’un enfer perdu. Nous sommes en plein sacrilège, c’est le Tentateur, l’Adversaire résolu, qui s’adjuge le sang du Christ, le sang de Dieu. Transfert d’identité. L’Ange Maudit a pris le sang et la place de Dieu. Il a mordu le Christ tel un vampire assoiffé, que ce rouge baiser se transmette de chacun à chacun, nous ne sommes pas loin des premières assemblées gnostiques, ces échanges cérémoniaux de sang et de sperme, la grande inversion je suis celui que tu croyais qu’Il n’était pas, Dieu est mort, il s’était fait homme, s’est pris à son propre piège, j’ai transmué dans l’athanor de mon corps le sang de ton corps en le sang de mon enthousiasme. Ce n’est pas bien peut-être mais ce n’est pas mal non plus. Métal noir : la musique se pense métal, orichalque noir, elle peint le monde à sa couleur, elle conte la légende noire du disciple, elle expose les étapes de sa vie, une explosion de guitares, un raz-de-marée battérial, tout se déroule si vite, à peine commencé le morceau est terminé, une histoire alchimique qui passe de l’œuvre au rouge à l’œuvre au noir, de la sublimation existentielle par le pacte de sang, au refuge terminal au fond de l’antre obscur, de la dispersion en la chair des femmes, des goules, des magiciennes, des sorcières, des déesses, toutes des Hécates,  entends-tu dans le lointain le tintement du marteau de Siegfried forgeant l’épée noire du trépas, jusqu’au moment où le pendule fatidique s’arrête et te précipite dans le puits sans fond de la mort, qui n’est qu’une non-existence, mais le non-être ne se transforme-t-il en pas en astralité, la mort n’est-elle pas  la continuité de la vie sous une autre forme,  moins par moins égale plus, noir sur noir s’égalise à une lumière illuminescente celle qui sourd et émane sans fin du corps tragique de l’Ange Noir carbonisé, à ton simple regard son âme noire se nimbe d’une irréfragable gloire. Sacrifice de sang : batterie grandiloquente, il est temps que la cérémonie commence, musique allègre, oui c’est une fêté sanglante, toute noire initiation tourne au rouge sanglant, il ne s’agit plus de boire le sang mais de faire couler le sang, seul le maître a pris le droit de le boire, ton assentiment sera sa récompense, frappe, incise exquise, elle est nue et innocente, c’est en la tuant que tu prendras vie, en la supprimant que tu la possèderas, la vierge n’est plus sainte, criminel et féminicide insensés c’est le prix victimaire à payer pour requérir le bandeau de pourpre des initiés, maintenant tu es membre de la légion noire des damnés, tu es digne du bataillon du Reptile Subtil et Sacré ! Tu es devenu l’enseigne du serpent insigne. Satan te sourit. Magnifique morceau. Orgie rouge. Expérience théurgique. Âmes sensibles et modernes s’abstenir. Ex-Cathedral : ce morceau présente la même scène que le précédent. Si celui-ci, tout aussi festif, semble davantage enthousiaste et spectaculaire, c’est que cette fois-ci le Sacrifice de Sang est représenté sous son aspect exotérique et non plus sous sa forme intime et ésotérique vécue en tant qu’individu alors qu’ici il est dépeint sous son aspect collectif, cérémonial, d’où cette structuration théâtrale, l’on assiste à trois tableaux, à l’abomination hargneuse et vengeresse du monument, succède la propagation souveraine des flammes, le vocal s’écroule dans la gorge de Saint Vincent avant qu’il ne proclame la malédiction terminale, enfin l’on assiste à la lente agonie des flammes rouges hautes comme des tours, elle s’achève en un amas calciné de cendres noires

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    . Hymne au vampire. (Acte III) : vous trouverez l’ Acte I et l’Acte  II sur le premier album du groupe Les Blessures de l’Âme sorti en 1998 :  nouvelle donne, le Diable serait-il aussi menteur que le Dieu, une âme crie et demande, reçoit-elle, espère-t-elle encore une réponse, nous sommes après, l’amas de décombres noircis appartient au passé, nous suivons une ombre errante, elle tourne et retourne autour des tombes, elle préfèrerait être morte, mais elle n’a reçu que l’éternité. A errer sans fin. Rien n’est pire qu’un vampire, obligé pour survivre de mordre les jeunes filles, de leur faire subir les plus cruels sévices, n’est-il pas stupide de  se livrer à de telles extrémités afin de continuer à vivre éternellement, cruel dilemme baudelairien par excellence,  son âme harassée tourne en rond dans un cimetière, n’est-ce pas la métaphore d’un esprit qui ne va pas fort, qui tourne doucement à la folie, tant bien que mal la musique essaie de le bercer de réconforter sa marche hésitante alors qu’il crie et se débat contre lui-même et tous les diables, l’orchestre l’accompagne fidèlement mais le chien fidèle c’est lui et le groupe qui le tient en laisse fait entendre son plus doux clavier, des voix célestes venues d’on ne sait où, l’on n’entend plus rien, s’est-il endormi sur une tombe… Les océans du vide : superbe morceau à écouter et à récouter pour en saisir toutes les nuances vocales, musicales et poétiques. Le lecteur y reconnaîtra le Voyage de Baudelaire mais aussi Le Bateau Ivre d’Arthur Rimbaud, j’ose affirmer  que la musique est davantage rimbaldienne que baudelairienne, peut-être aussi les premières pages du Coup de dés de Mallarmé. Si le début de l’opus décrivait l’œuvre au noir comme le stade ultime et ascensionnel de l’alchimie, dans ce titre et le précédent nous refaisons le même chemin mais nous débutons au moment au moment crucial où le rouge vire au noir, et nous terminons lorsque le noir traversé nous pénétrons dans le royaume translucide de l’après-mort. Dormir n’est pas mourir. Le triomphe de Lucifer : chuchotement hurlé sidérant, vient-il du fond des abysses, est-ce le moment où les chaines qui retenaient prisonnier Satan sont brisées, où provient-il du fond des abîmes du ciel d’en haut pour établir son royaume sur les contrées d’en bas, il porte la lumière, la dernière braise arrachée à l’incendie monumental, le tison maléfique que Dieu n’a pas réussi à éteindre,  il est le Lucifer invaincu, le démon prométhéen,  le sol invictus qui appelle à la vie son peuple de bannis, le morceau illuminatif se change en cantate angélique, est-ce le dernier crachat bachique sur le corps mort du Christ… Les océans du vide / Sacrifice de sang : difficile de terminer sur cette fin grandiose. Mais si rapide. Il manque à l’opus une coda d’envergure, longue et peut-être même infinie  est la queue du serpent, il serait dommage qu’elle ne rentre pas dans la photo de fin, alors Seth offre deux morceaux supplémentaires, les infidèles en veulent toujours plus, la reprise instrumentale de deux titres précédents, il nous chaut de les surnommer le Mortceau et le morSceau car ils sont essentiels à la compréhension de cette œuvre de métal noir par dérision, par dévision, par division, quasi saintphonique, seule l’Initiation vous sauve de la Mort. Une suite funèbre et inquiétante pour l’avènement du règne du Porteur de la Lumière, lampadophore… Ne vous recueillez pas, accueillez-là, à la fin sera le logos philosophique.

             Deux œuvres majeures.

    Damie Chad.

     

    *

    Nous quittons le domaine de l’ésotérisme métaphysique  pour celui de la politique. Encore un groupe de metal ! Quel hasard ! Serait-ce le dernier lieu musical dans lequel on se permette de penser !

    DE REPUBLICA

    GRIFFON

    (Les Acteurs de l’Ombre / Février 2024)

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             Encore une fois Notre-Dame de Paris en couverture. En une situation un peu moins critique et désespérée que sur La Morsure du Christ de Seth mais tout de même en pleine ébullition révolutionnaire, en tout cas les couleurs sont clairement affichées, bleu, blanc, rouge ! Même si le bleu est celui du ciel, le rouge composé de  taches sanglantes et si le blanc voisine encore deux étamines blanches. Le blanc, couleur de la Royauté, et le rouge symbole du peuple. Du sang qu’il a dû verser pour la liberté.

             Saluons avant tout le courage de Griffon de s’immiscer dans le dialogue politique. Une source de controverses infinies déploreront certains, une façon comme une autre d’activer le jeu des contradictions dialectiques riposteront d’autres. Les premiers rétorqueront que la paix sociale est bénéfique au commerce et les seconds affirmeront que toute contradiction se doit d’être résolue par la révolutionnaire logique de l’Histoire. Nous ne manquerons pas de nous glisser dans le débat.

             Sinaï : guitars, bass / Kryos : drums / Aharon : harmony, vocals / Antoine : Harmony, vocals.

    Ôtons-nous d’un doute depuis la récupération par Nicolas Sarkozy de la figure de Jaurès, nous devons nous méfier. Que la droite qui coupe allègrement et néanmoins lourdement dans les budgets sociaux et régaliens pour les redistribuer aux affairistes, aux entrepreneurs et aux actionnaires, bref pour accentuer la mainmise d’une ploutocratie libérale sur le pays, l’on s’attend à tout. Rassurons-nous tel n’est pas le propos de Griffon.

    L’Homme du Tarn : ne point se tromper, la canonnade qui se fait entendre au début du morceau n’est point celle d’une  de quelques canons dérobés par une émeute populaire, mais ce gigantesque bruit de fond qui a bercé parfois  durant des mois les troupes levées en 1914. Ce n’est point non plus le Jaurès chanté sur son ultime album par Jacques Brel qui met en avant le leader socialiste dénonçant sans arrêt les conditions épuisantes des travailleurs attachés à leurs tâches, celui qui n’a eu de cesse, jusqu’à son assassinat, de s’opposer à la guerre qui venait. Ce n’est donc pas une surprise que se joint au brouhaha le refrain de la chanson Le Soldat de Marsala écrite en 1860 par Gustave Nadaud, qui connut en 1848 Eugène Pottier qui créa L’Internationale… Enfin survient la tornade que l’on attendait, faut s’accrocher, en seize octosyllabes est résumée l’œuvre politique de Jaurès de ses premiers combats contre les possédants et la réalisation de ses prophéties quant aux carnages qu’il pressentait, le vocal fuse comme des balles de mitraillettes, mais à notre goût l’impact metallique n’est pas à la hauteur de ce à quoi on s’attendait, survient une première rupture, la musique s’amoindrit et Griffon récite quelques phrases d’une déclaration de Jaurès, l’impression d’écouter un professeur d’histoire qui lit un texte, le metal des obus  revient, mais des petits calibres, coupure acoustique encore une lecture, d’une voix moins professorale et davantage altérée que la précédente, déclaration courageuse quant au sens, la France aussi coupable que l’Allemagne et la Russie de la tragédie, et l’on repart au galop d’une charge de cuirassés, le texte est très dense, condamnation de l’Union sacrée, (à part quelques petits groupes d’anarchistes l’on partit la fleur au fusil, nous explique la propagande, Griffon oublie d’expliquer que la Grande Guerre permit avant tout de se débarrasser de toute une génération anarchisante et motivée pour la lutte sociale), le morceau court sur son ère, il ne nous convainct guère… The Ides of March : bizarrement le texte est en anglais et en grec ( serait-il emprunté ou fortement inspiré par Shakespeare) quant au grec il s’explique aisément la noblesse romaine s’exprimait aisément en langue hellène, guitare acoustique, ambiance lourde et soudain le déferlement, les conjurés se regroupent autour de César et c’est l’assassinat, un moment historique qui décide du Destin de Rome et du monde, juste le crime et le silence médusé devant le corps du Dictateur, Griffon a voulu marquer ce jour fatidique d’une pierre rouge, la musique s’apaise… il y a ce que l’on dit et le sens qu’on donne à nos actes, le titre de l’album est sans équivoque, mettre en valeur les principes républicains, les idées sont belles mais la réalité est plus sordide, la noblesse romaine est corrompue, à des hauteurs inimaginables, cent ans de guerre civile, Auguste qui succèdera à César imposera, non pas la monarchie mais le principat auquel se substitua peu à peu le terme désignatoire d’Imperium, mais ceci est une autre Histoire. De l’insurrection : autre épisode les Trois Glorieuses, magnifiées par le tableau La Liberté Guidant le Peuple de Delacroix, Rythme allègre, chaloupé, il est vrai qu’avec 1936 et 1968, 1830 fut une révolution joyeuse, en trois jours le Peuple et ses barricades boutèrent hors de France Charles X, il est dommage que le texte final de Victor Hugo ne soit pas lu avec davantage d’emphase, les journées qui suivirent juin 1930 furent moins triomphales, le peuple floué par la bourgeoisie retrouva très vite sa vie misérable, sans doute Griffon a-t-il choisi cet évènement pour illustrer le texte  de la Déclaration des Droits de l’Homme de la révolution 1789 qui instaure un droit à la violence inaliénable : Contre la tyrannie la révolte est un droit. Remarquez que si aujourd’hui vous tentez de l’exercer vous êtes traités de terroristes…

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    La semaine sanglante : les quarante mille morts de la Commune, encore une insurrection, réprimée dans le sang : une intro funèbre mais très vite un déchaînement de violence survient, la révolution n’est pas un dîner de gala, l’on aimerait que le metal cliquette comme des balles de fusil, il n’en est rien, le jeu se calme trop vite pour la lecture d’un extrait des mémoires d’un communard, la mise en avant des grands principes, vaudrait mieux décrire les combats, dès que l’on discute l’on perd du temps, on laisse l’ennemi prendre de l’avance, bientôt l’on est conduit au supplice,  ce morceau manque de nerf, beaucoup de révolte mais trop d’acceptation, la démocratie n’est qu’un leurre, le gouvernement par excellence de la Bourgeoisie, les années qui suivront et se termineront en 1914 en apporteront la preuve… La Loi de la Nation : en 1793 on aurait accusé Griffon de tiédeur, ce morceau en est la preuve évidente, il est une récupération éhontée de la Loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat à laquelle de 1872 à 1905 l’Eglise s’opposa de toutes ses forces, le morceau entre en fureur contre les évènements de la Révolution Française qui mit à mal l’Eglise, principal soutien et inestimable moyen de coercition au service du pouvoir Royal, au pas… cette loi de laïcité est maintenant présentée comme un bienfait qui permet aux chrétiens de pratiquer leur culte en toute liberté, lors de sa préparation et de sa promulgation, au moment de sa promulgation elle n’apparut pas aux chrétiens pour une loi de haute sagesse… De Republica : le texte des lyrics est précédé d’un résumé de la situation actuelle de la prise du pouvoir par de Gaulle à la montée d’un pouvoir présidentiel macroniste, osons le mot, un président qui en 2022 ne possède plus la majorité à l’Assemblée Nationale et n’en continue pas moins à s’accrocher au pouvoir comme un naufragé à sa une planche de salut pourrie… Le peuple gronde. Déjà les Gilets Jaunes en 2018…Il ne se soulève pas encore mais l’on ne sait jamais, cet ultime morceau est le plus réussi, le plus fougueux, il est bâti comme les précédents mais le son est beaucoup plus serré, plus dur. Commence tristement, Bonaparte vient de réussir le coup d’Etat du 18 Brumaire, l’on peut dire sans trop exagérer qu’il détient pratiquement le pouvoir personnel…  la République a abdiqué d’elle-même, elle est tombée sans faire trop de bruit.

             Griffon s’est attaqué à une drôle de gageure : exposer un principe politique en six points, chacun d’eux étant représenté par un évènement historial important. Plus de deux mille ans d’Histoire sont convoqués. Le tout exposé en moins de quarante minutes. Autant vous demander de résumer La Recherche du Temps Perdu en quarante lignes. Encore auriez-vous une chance inespérée car dans De Republica la musique laisse peu de place au texte… Autant parier que vous avez la malchance de vous mettre à dos la grande majorité des auditeurs.  

             Les esprits pinailleurs et férus d’Histoire se régalent, sont aux anges. Apparemment le public ne s’est pas montré récalcitrant à la proposition de Griffon. Cette tentative, malgré ses limites, mérite d’être saluée. Le courage intellectuel, l’audace d’exprimer ses idées est une denrée rare et précieuse.

    Damie Chad.