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steve wynn

  • CHRONIQUES DE POURPRE 385 : KR'TNT ! 405 :JP BIMENI & THE BLACK BELTS / STEVE WYNN / NAUSEA BOMB / ANTI-CLOCKWISE/ ALL THIS MESS / BLUE VOID / UNDERVOID / PSYCHOÏD

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 405

    A ROCKLIT PRODUCTIOn

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    07 / 02 / 2019

     

    JP BIMENI & THE BLACK BELTS / STEVE WYNN

    NAUSEA BOMB / ANTI-CLOCKWISE

    ALL THIS MESS / BLUE VOID

    UNDERVOID / PSYCHOÏD

    The Bimeni beat

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    La légende du programmateur raconte que JP Bimemi vient du Burundi. C’est bien, parce que ça rime. Voici deux ans, Mudibu officiait au sein de l’Otis Show, un groupe de reprises d’Otis basé à Londres. Aujourd’hui, il devient JP Bimemi et se glisse dans les Nuits de l’Alligator accompagné de Black Belts espagnols. JP Bimeni est l’un de ces showmen capables de redonner à la Soul une vie nouvelle, l’un des Soul Brothers capables de réchauffer le petit peuple en hiver, il danse sa Soul avec une grâce infinie, comme s’il jerkait avec des pieds ailés, si l’on se réfère aux mythologies de la Grèce antique.

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    Contrairement à Charles Bradley et Lee Fields, JP Bimeni est encore assez jeune, mais il semble disposer de tous les apanages de la vétérance de toutes les guerres, il shoote et bamalate exactement comme Otis, avec une insistance dégoulinante de cette sueur qui fit jadis étinceler des rivières de gouttes sous les projecteurs des plus grandes salles du monde, oui, JP Bimeni dispose de cette bravado qui lui permet de shaker le Shake de Sam et de Cooker le cake de Soul, de fouler le Pitiful au sol de la Soul et d’imposer le vieux Respect de l’Otisserie de la Reine Pédauque.

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    Il nous fafafate et nous Turn You Loose comme des crêpes, il fait des kilomètres sur scène et nourrit une relation gourmande avec un public conquis d’avance. Il faut le voir nous dévorer des yeux. Cet homme ne résiste pas à l’envie de montrer son bonheur d’être sur scène pour chanter sa Soul, et forcément, sa Soul est bien meilleure sur scène que sur l’album qu’on trouve dans le commerce, Free Me. Et même mille fois meilleure. C’est comme de comparer le costume en vitrine et le costume porté. Rien à voir. JP Bimeni incarne son art avec une élégance qui laisse coi, mais qui fait bouger les hanches.

     

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    Il a cette chance extraordinaire d’être accompagné par un backing-band irréprochable, on voit bien que ces mecs ne vivent que pour ça, car ils swinguent, mais pas aussi spectaculairement que les Anglais qu’on avait vu au Vintage Weekender de Roubaix. Ils swinguent d’une autre façon, disons pour faire simple plus groovy. Les latins ont cet avantage sur les Anglo-saxons qu’ils savent aller et venir entre tes reins. Le mec qui joue de la basse est un modèle de statisme décontracté. Sur le manche, sa main gauche ne bouge quasiment pas et il joue toutes les grosses gammes de la Soul avec une fabuleuse précision. Il ne bouge que ses jambes, et les nôtres avec.

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    La grande différence entre les Anglais et les spanish Black Belts, c’est l’orgue. L’Anglais jouait sur un orgue Hammond et pulsait ce son qui depuis Jimmy Smith est l’incarnation du groove. Le keyboard man des Black Belts joue sur un petit piano électrique, mais God, il faut le voir jouer ! Ce petit mec à lunettes swingue comme Georgie Fame et joue quasiment avec tout son corps. Il est d’autant plus exposé en vitrine qu’il est installé au devant de la scène, à deux pas du public entassé au pied de la scène.

     

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    JP Bimeni n’en finit plus de virevolter d’Est en Ouest, il improvise des pas de danse, il nijinskitte sa Soul, il lui donne des allures de grandeur, sa chemise blanche et ses bretelles noires le renvoient incidemment à Montand, JP Bimeni fait sa bête de scène avec tact, il ne bascule jamais dans la démesure, l’homme sait rester léger et prodigieusement accessible. Ce contact permanent avec le public le rend décidément humain, trop humain. C’est l’avantage qu’ont les Soul Brothers sur les groupes de rock, ils savent transformer un show en une espèce de communion, oh pas celle des églises, celle qui remonte au temps d’avant les dogmes à la mormoille et qui établissait des liens invisibles entre les esprits. Comme on ne savait pas comment interpréter ce phénomène, on qualifiait ça de magie. JP Bimeni n’a même pas besoin de hits pour chauffer sa Soul aux vermicelles, il lui suffit d’établir le contact avec les gens, à la fois par l’esprit et par les hanches. Il fait une seule reprise, le «Keep On Running» du Spencer Davis Group qui n’est même pas sur l’album. Belle version espagnole, mais pas forcément bien adaptée à ce genre de contexte. On sent trop le rock de blancs, même si Stevie Winwood chantait comme un noir en culottes courtes.

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    Comme sur l’album, c’est le morceau titre qui tape vraiment dans le mille, ce n’est pas qu’il sonne comme un hit, mais il s’impose, grâce à son petit shuffle d’orgue relancé aux cuivres - Forget what I say - JP Bimeni veut la liberté absolue, c’est le vieux rêve du grand peuple noir. Il tape son Free Me à l’insistance considérable. Il fait aussi pas mal de balladifs éplorés, comme ce «Moonset», un peu passe partout, mais ce type de slowah va combler la grande majorité des amateurs de Soul moderne, car tout y est : le collant, les mains baladeuses, la grandeur d’âme qui va avec, la connaissance par les gouffres et l’art de la Soul qui n’appartient qu’au seul peuple noir. Joli coup d’épée dans l’eau traversé par une bassline de rêve. Alors, oui, bien sûr, tous ceux qui n’auront pas la chance de voir JP Bimeni sur scène vont pouvoir essayer de se consoler avec l’album, dont la pochette vraiment réussie donne envie. Le seul canard qui l’a chroniqué, c’est Shinding. Ailleurs, que dalle. Le pauvre JP Bimeni va devoir tourner pour se faire connaître. D’autant que la Soul semble intéresser beaucoup moins de monde que le metal ou l’electro. Ainsi vont les choses. Il ne faut guère s’étonner de ces mutations. Les temps modernes n’ont absolument rien de moderne.

    JP Bimeni attaque l’album avec «Honesty Is A Luxury» et une authentique ferveur de Soul motion. Il chanterait presque avec la voix éteinte d’un vieux requin. Que ne fait-on pas comme miracles en studio de nos jours ! On sent chez lui une réelle pureté d’intention. Comme Sharon Jones, il cherche à rallumer le brasier de la Soul sixties, et «Same Man» en fournit la preuve. Il faut le voir ramoner la cheminée de sa Soul, on se croirait au temps béni de Stax et de Hi, quand la Soul hantait toutes les radios du monde. Même s’il est encore difficile d’écouter JP Bimeni après Sam & Dave et Syl Johnson, sa pugnacité l’impose. Mais pour être tout à fait franc, l’album semble souffrir d’un petit problème de production. C’est toute la différence avec ce qui sort sur Daptone. La Soul produite en Espagne refuse obstinément d’exploser. On a le même problème avec les trois albums des Excitments. La Soul espagnole n’est pas Mustang Sally, elle serait plutôt Rossinante. Même si tous ces mecs jouent comme des cracks, la prod fait salement défaut.

    Sur «Don’t Fade Away», ça groove adroitement, mais ça n’emporte pas la décision. JP Bimeni travaille sa Soul à l’insistance caractérielle et se livre à un admirable travail de sape. Il enchaîne les slowahs comme d’autres enfilent les perles, «Stupid» et «I Miss You» valent pour des cuts de Soul classiques et sans défaut. En lisant la pochette, on voit qu’ils sont composés par les Espagnols, et c’est toute la différence avec la Soul du team Isaac Hayes/David Porter. Avec «Better Place», ils passent au heavy groove de Soul et ça donne un cut beaucoup plus aérien. On voit JP Bimeni naviguer à la surface. Bon, c’est vrai, on a là une Soul un peu âpre qui refuse de décliner son identité, et c’est peut-être avec ce type d’écart que JP Bimeni peut faire la différence. Comme d’ailleurs dans le «Madelaine» qui suit, joué au gratté paradisiaque de la Jamaïque. JP Bimeni va sur les îles et il a bien raison.

    Signé : Cazengler, Bimenu

    JP Bimeni & The Black Belts. Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 2 février 2019

    JP Bimeni & The Black Belts. Free Me. Tucxone Records 2018

     

    Syndicate d’initiatives - 
Part Four

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    C’est avec Static Transmission paru en 2003 qu’arrive Jason Victor, plus connu sous le nom de Jason le démon. Quand on commence à écouter cet album, on ne se méfie pas. «What Comes After» sonne comme un petit balladif. Le problème, c’est que ça sonne vite comme un hit. Steve le Wynner gagne à tous les coups. Avec un nom comme le sien, c’est facile.

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    La fête se poursuit avec «Candy Machine». Ce heavy rock sonne comme un coup de génie et Jason le démon commence à tripoter sa wha-wha - Check out Candy Machine - Pur jus de rock boy oh boy. Au moins, avec «The Ambassador of Soul», les intentions sont claires. Steve Wynn descend ses paliers à coups de yeah. Il fait du rock éclairé de l’intérieur - Yeah I know/ So many things bring you down - C’est spectaculairement bon. Il chante du coin de la bouche - You want it so bad/ You can almost taste it - C’est très palpable. Quel fuckin’ genius et Jason le démon passe un fabuleux solo de flamenco, mais à contre-courant. Tout cela dépasse largement les bornes de l’intensité. Et ça repart de plus belle avec «Keep It Clean». Ah il faut voir comme il fait claquer son keep it clean. C’est balayé par des vents de guitare. Hallucinant ! Et il revient au chant comme si de rien n’était. Ce mec a véritablement du génie, il est bon de le rappeler - I’m doing my best to keep it clean - et ça monte, gloup gloup, ah quel entremetteur ! Dommage que ça s’arrête car ça méritait une resucée. On croit qu’il va se calmer. Non, car voilà un «Amphetamine» ravagé dès l’intro par des guitares vinaigrées. C’est joué à l’agressivité optimale. Steve Wynn jette tout son freak-out dans la balance, l’acide des guitares dévore l’acier de la morale. Tout cela relève soit de la démonologie, soit de la physique nucléaire. Il faut suivre Steve Wynn à la trace, car il fait partie des géants du rock américain. Les solos déments de Jason le démon valent bien ceux du Velvet, c’est intense et carbonisé dans la matière même du white heat. Jason le démon claque des arpèges des enfers et lance de fantastiques aventures. Il part et repart dans les vétilles de la véracité punkoïde de non retour. C’est à la fois violent et délicieux. On peut dire de ce cut qu’il est monté au pire beat de l’univers. Steve Wynn revient au chant comme le faisait Lou Reed au temps du Velvet, avec une mâle assurance - You gotta watch your step/ Or you’re gonna lose your way - Steve Wynn nous prévient, oh yeah ! - I’m gonna live/ Until the day I die - et tout bascule dans une fin d’apocalypse. Rien d’aussi dément sur cette terre que cette fin-ci - Until the day I die - Ni Polnareff (Lorsque sonnera l’heure de ma mort), ni John Brannon des Laughing Hyenas («Each Dawn I Die») n’ont jamais atteint ce degré d’exaction. Encore un coup de génie avec «California Style» qui voudrait sonner comme de la pop modèle mais on sent tout de suite le retour des ambiances suprêmes. Les chœurs suivent en cortège et font «California style». C’est la preuve de l’existence d’un dieu des chœurs. Tout est incroyablement judicieux sur cet album. S’ensuit un «One Less Shining Star» claqué aux vieux accords de heavy balladif légendaire. Arrivé à ce stade, il ne faut plus s’étonner de rien. C’est Steve Wynn qu’on doit suivre, alors on le suit. Il a les meilleurs plans. Il chante dans un brouet d’accords en trémolo et se hisse au sommet de la rock culture. C’est d’une démence qui nous dépasse - The environment had to connect - C’est bardé de son, mais au-delà des espérances du Cap de Bonne Espérance. Jason le démon envoie des véritables giclées de son. On se croirait dans une tempête, une fois de plus, avec des paquets de mer soniques - Fading from the public eye/ One less shining star in the sky - Pure démence de la partance ! Ouf, ça se calme avec «Maybe Tomorrow» et on prie pour le maintien du calme quand arrive «Hollywood». Il y sonne comme Iggy et Jason le démon balance des solos d’invective. Au moins, le message est clair. Fin de non-recevoir avec «A Fond Farewell». Ambiance à la Velvet - So I wish you a fond/ Farewell - et les filles sont ouh ouh. Steve Wynn chante ça sous son bon vieux boisseau. C’est fascinant. Il aménage dans un cut un fantastique espace de chœurs de ouh ouh. Cet enfoiré en profite bien - So I wish you a fond/ Farewell - Quel admirable héros ! Il y a un disque de bonus, mais c’est l’overdose garantie. Ne l’approchez pas.

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    Un piment orne la pochette de Tick Tick Tick paru en 2005. Dès «Wired», on comprend ce que ça signifie : Steve Wynn descend ses aw de rock’n’roll à l’admirabilité des choses - Wired this way - Tout est violemment claqué du bigorneau et pulsé au beat de Linda Pitmon. On se régalera aussi de «Freak Star», mid-tempo très électrique, emmené au timbre chaud. Et paf, l’affaire se corse avec «Killing Me», fabuleux déballage de rockalama fa fa fa. Ils y vont de bon cœur et visent la démesure apocalyptique. Oh ils en ont les moyens. Steve Wynn enfile les hits comme des perles, et «Turning The Tide» n’échappe pas à la règle, puisque visité par les vents d’Ouest, une pure diablerie ! C’est géré à la mélodie écarlate et vrillé à la wah-wah. Rien d’aussi catégorique. Voilà un cut de power-pop du haut Nil, «Bruises», avec une fin qui part encore une fois en vrille. On savourera aussi «Your Secret», groove de classe zébré de délices planants et on assiste impuissant au retour de la violence avec «Wild Mercury», une stoogerie zébrée d’éclairs. Steve Wynn fait son Iggy. Il jette toute sa passion stoogy dans la balance qui s’écroule. Il reste encore un gros cut sur cet album : «All The Squares Go Home». C’est du claqué d’arrière-boutique. Jason le démon solote à l’édentée pharaonique et Steve Wynn chante si sale que c’en est douloureusement bon.

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    Allez, tiens, encore un énorme album des Miracle 3 : Northern Aggression. Au point où on en est ! Là-dessus, le coup de génie s’appelle «Colored Lights». C’est joué à foison et c’est là que ça se passe. Cette power-pop fonctionne à la pulsion pulmonaire. Encore une fois, c’est noyé de son et brillant. On dirait du psyché tremblé à l’or fin, mais avec de l’épais répondant - I don’t know why - Steve Wynn maîtrise l’art des retombées. Autre cut spectaculaire : «On The Mend», attaqué aux accords sévères et joué à l’avenant du big sound. Steve Wynn entre au chant sur le tard et déclenche des dynamiques d’apocalypse. C’est visité par la rage du rock. Steve Wynn pousse toujours son bouchon très loin. On retrouve ce fabuleux chanteur dans «Ribbons And Chains». Tout est bien, chez lui. Il fait des hits quand il veut. Avec le «Resolution» d’ouverture de bal, il tape dans l’hypno de Can. C’est visité et visiteur à la fois - When I fly/ I fly - On le croit sur parole. Il chante sale, mais à la bonne franquette. Il a du son, c’est bien claqué au bassmatic, poussé dans les orties, salutaire et démâteur à la fois. Même les cuts plus banals comme «No One Ever Drowns» passent bien car la voix de Steve Wynn porte au loin. Il cherche sa voie et son timbre d’étain déteint dans l’étang. Il use et abuse de son accent tranchant dans «Consider The Source». Ce bel oiseau sait jouer de la traînarderie. Jason le démon passe un solo de petite concasserie invétérée. Nous voilà encore avec un heavy balladif de tradition sourde. Pas mal aussi cet «Other Side» amené aux accords de clairvoyance. Sous son chapeau étoilé, Merlin Wynn enchante la pop. C’est balayé aux accords de psyché parabolique. Et puis tant qu’on y est, on peut aussi écouter la belle power-pop de «Cloud Splitter». Il bat littéralement tous les records d’intentionnalité. Sa pop n’en finit plus de s’éclairer de l’intérieur.

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    Pas question de faire l’impasse sur Live At Big Mama. Ce serait du masochisme. Steve Wynn et ses Miracle 3 y font des ravages avec notamment une énorme reprise d’«Halloween». Linda Pitmon bat ça si sec ! Et Jason le démon rôde tout de suite dans les parages, il grimpe déjà dans les accords intermédiaires. Voilà une version pour le moins explosive ! Ils biaisent tous les climats et nous plongent dans les affres d’une mad psyché secouée de violents retours harmoniques. Quel gang ! Alors que les vagues submergent la terre, Steve Wynn se dresse pour chanter de plus belle. Ils nous claquent ensuite un «Something To Remember Me By» au sing-along de mad psyché itinérante. Jason le démon joue tout à la virulence, il surcharge le son de vibrillons d’exacerbation invétérée. On le voit aussi soloter dans le pâté de foie de «Good And Bad». Il est libre, il va où il veut. On le voit aussi truffer «Smash Myself To Bits» de vagues orientalistes de la pire espèce. Voilà un vertige psyché-psycho qui vaut largement celui de «White Light White Heat», oui, car puissant et battu comme plâtre. Jason le démon joue ça jusqu’au vertige. En fin de cut, Steve Wynn le présente au public italien : «On guitar, the king of Queens !» Oui, car Jason vit dans le Queens. Nouvelle flambée de violence avec «Whatered And Torn». Ces gens-là ne font pas dans la dentelle, comme on dit à Calais. C’est ultra-joué, ultra-chanté et porté à bouts de bras. Encore du heavy beat des familles avec «Southern California Line». Ces gens-là ne s’embarrassent pas avec les détails, il stompent à gogo comme des gagas et Jason le démon ne rate pas une seule occasion d’exploser tous les records. Cette folle de Linda emmène «Crawling Misanthropic Blues» ventre à terre. Eh oui, Steve Wynn a réussi l’exploit de s’acoquiner avec une batteuse extraordinaire. Il faut la voir déployer des trésors de relances à l’infini. Et ça n’en finit plus de monter en température avec «Death Valley Rain», cette folle stompe le beat indie, dommage qu’il soit si typé. Jason déploie ses ailes mais le beat l’enraye. Elle tatapoume, c’est dommage. Le Cacavas nous nappe «There Will Come A Day» d’orgue. Il se prend pour Al Kooper au temps de Dylan. Et ils terminent avec le cut fatal, «The Days Of Wine And Roses». Jason le prend à l’alerte rouge et cette folle de Linda psychote le beat, il sont dessus et ça prend une tournure absolument effarante, c’est un hit de tension maximaliste qui ne prend pas une seule ride. Jason le démon arrose l’oriflamme de fiel fumant, il joue du note à note inflammatoire, comme au concert du FGO Barbara. Ces gens sont tout simplement incommensurables.

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    Nouveau side-project avec Gutterball. Steve Wynn monte l’opération avec Bryan Harvey et Johnny Hott. Un premier album sobrement titré Gutterball sort en 1993. Ça n’a l’air de rien, comme ça au premier abord, mais un side-project de Steve Wynn ne peut réserver que des bonnes surprises. Ce que vient immédiatement confirmer «Trial Separation Blues». Ça sonne toujours aussi bien. Steve Wynn reste très dylanesque dans le nasal, dans la classe et dans cette façon de passer des tas d’accords rock’n’roll. Quel condottière ! Il fait claquer un riff en l’air et un mec part en glou-glou de wah-wah, alors ça prend vite de sacrées tournures, mon cher Tournesol. D’autant que Steve Wynn se prend vraiment pour Dylan. Il reste dans le Dylanex avec «Top Of The Hill». Forcément bien vu. Il sait doser ses effets. Par contre, il tape «Lester Young» au rock indie. C’est sa façon de rendre hommage au vieux Lester. On assiste en direct à l’adaptation d’un mythe black par des petits blancs. Retour du brouet d’accords cinglants avec «When You Make Up Your Mind». C’est véritablement joué à la foison d’accords psyché et claqué au Dylanex. Steve Wynn se veut seigneurial, tout est joué aux glissandos de moutarde, au bouquet suprême. On tombe plus loin sur l’effarant «Falling From The Sky», garage pop de haut vol, énorme et insistant. Ça sonne comme un hit. Un de plus. Voilà encore une merveille Wynnique : «The Preacher And The Prostitute», oui car c’est joué aux accords magnifiques. Voilà du psyché de mec qui s’y connaît en arpèges du diable. Et il chante si bien. Il n’existe rien d’aussi définitif qu’une bonne chanson de Steve Wynn. Il faut voir comme il y va, c’est effarant. Il sort même des trucs dignes des Beatles. Steve Wynn joue au clair de l’éclair avec un génie de la descente et tout résonne au firmament. Il s’agit là de l’un des hits du siècle. C’est ramoné à la basse et chargé de chœurs de dingues. Et ça continue avec «Patent Leather Shoes». Le problème avec Steve Wynn, c’est qu’il est bon de A à Z. Inutile de le soumettre aux tests. Il est superbe. Il explose tout ce qu’il entreprend.

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    Un deuxième album intitulé Weasel sort deux ans plus tard, avec un chien rigolo sur la pochette. Une fois de plus, c’est un album énorme. On serait presque tenté d’ajouter hélas. On trouve au bas mot trois coups de génie là-dessus, à commencer par «Transparency». Anyway, ce mec est dingue. Tout est irrémédiablement claqué aux accords de rock US. On voit même des marées de son se chevaucher et il revient chanter au timbre revanchard de transparancy. Quel incroyable phénomène ! Pure fantasia de sonic hell dylanesque ! Tout aussi puissant, voici «Hesitation», avec sa belle explosion d’oh yeah. Cette pop reste un modèle du genre - So many ways to leave before dawn/ It only takes one if you feel you can’t go on - Le redémarrage de fin de couplet est une merveille d’anticipation dynamique. Ce mec a du génie, il faut le rappeler, il sait envoyer ses giclées et revient calmer le jeu d’une voix caverneuse. On se régale aussi du heavy riffing de petite incidence de «Maria». Steve Wynn chante dans la profondeur épidermique. C’est une voix de proximité. Les guitares s’entrecroisent et fabriquent du heavy drone psychédélique et un killer solo n’en finit plus d’agoniser - I said Maria/ When are you coming back - Il se situe en amont de l’excellence, avec des killer solos de desperado. Son «Angelene» est tout aussi déterminant. C’est même une vraie bénédiction. Et voilà «Everything» infesté de guitares intestines. Quel festin de roi ! Avec Steve Wynn, on est servi comme des princes, alors qu’on vient du petit peuple. Il règne en maître sur l’empire du psyché définitif. Les solos coulent comme l’or des mines du roi Salomon et on frise l’extase collatérale. S’ensuit un «Over 40» tellement intense que les bras nous en tombent. Steve Wynn reste dans le move du heavy rock jusqu’au bout du bout. On peine à suivre une telle force de la nature. «Your Best Friends» vaut aussi pour un rock balayé par les vents d’Ouest. Il semble expédier les affaires courantes. Il percute l’occiput du rock bien né. Il refait du Dylanex avec «Is There Something I Should Know». Il s’y croit et il a raison de s’y croire, il éclot dans d’extraordinaires bouquets d’accords et avant qu’elle ne parte, il demande s’il y a quelque chose qu’il devrait savoir, il se fond dans l’osmose du cosmos dylanesque, ça fait illusion, en tous les cas. C’est tout simplement stupéfiant. Encore une merveille avec «Sugarfix», joué à la fantastique énergie de pop-rock psychédélique dans une immense clameur.

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    N’allez pas croire que Turnyor Hedinkov échappe à la règle : au minimum deux violentes énormités sur chaque album enregistré par Steve Wynn. Ici, elles s’appellent «Turn Down The Heat» et «Jimmy The Weasel». Heat vaut tous les plus beaux heavy boogies du monde. Le sien est même ravagé par des ouragans soniques de guitares émulsives. Heavy as hell ! Quand à Weasel, ce n’est pas «Little Johnny Jewel» mais c’est tout comme - Give my best of the family - Même genre de groove, joué au beat invariable, ce diable de Wynner joue la carte du groove délétère, hey Johnny, bye bye. Il prend «The Fire That Burns Both Ways» au demeurant de bas de voix et c’est absolument bardé de son. Il nous replonge une fois encore dans la réalité de son rock et ça tourne à la mad psyché. Même un balladif de circonstance comme «Cheaper By The Pound» sonne comme un hit incommensurable. L’empire du Wynner s’étend à l’infini. Il fait sonner le moindre cut comme un chart-topper. Chez lui, tout bascule dans l’excès de qualité. Ce mec est un surdoué du song-writing. Il profite de «Top Of The Hill» pour venir se plaindre - All alone at the top of the hill/ Ain’t got no dollar bill - et pouf voilà de vieux coups de guitare d’écho mortel, comme s’il y avait un bayou au sommet de la colline, ce qui semble pour le moins incongru.

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    Nouveau side-project, cette fois en forme de super-groupe, avec The Baseball Project. Peter Buck fait partie de l’aventure, ainsi que Linda Pitmon, transfuge des Miracle 3, et Scott McCaughey, qui a joué dans les Longshots de Roy Loney. Question contenu, ces disques nous échappent un peu car Steve Wynn et ses amis racontent des histoires de joueurs de baseball, mais musicalement, ces trois volumes sont des bombes.

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    Vol 1. Frozen Ropes And Dying Quails paraît en 2008. Trois énormités s’y nichent, à commencer par «Jackie’s Lament». C’est explosivement bon, certainement l’un des plus beaux mid-tempos de tous les temps. Le génie du Wynner éclate une fois de plus au grand jour. On peut dire la même chose de «The Death Of Big Ed Delahanty». C’est tapé au vieux shuffle d’underground de white heat et gratté aux accords dévorants, comme du hot garage californien. Il faut aussi écouter «The Closer» car c’est un cut littéralement infesté de guitares contrevenantes. La vision de Steve Wynn est celle d’un rock supra-énergétique unique en Amérique. Il n’existe pas de pire énormité qu’un cut comme the Closer. Tout l’album est bon, d’ailleurs on est fixé dès le «Past Time» d’ouverture du bal, car voilà une belle dégelée de power-pop cristalline chantée à l’insistance bavaroise. C’est stupéfiant de mise en place et de verdeur maximaliste. Et avec «Ted Fucking Williams», ils passent au heavy glam. Ils s’autorisent toutes sortes de flagorneries. Dans «Gratitude» règne une grosse ambiance de chœurs évangéliques. C’est très envoûtant. Steve Wynn plaque bien ses accords. Ces gens-là sont des maniaques de la qualité. On sait que Steve Wynn adore Bob, alors personne ne sera surpris d’entendre «Satchel Paige Said». C’est chanté à la pince à linge, avec de grands coups d’harmo par derrière.

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    Vol 2. High And Inside s’inscrit dans le même registre hautement qualitatif. Steve Wynn et ses amis attaquent avec «1976», un balladif d’une classe épouvantable. Ce mec atteint à une dimension classique infernale, comme le fit jadis Frank Black. Son rock résonne dans les couloirs de l’intellect. La classe parle toujours. Voilà encore un hit : «Don’t Call Them Twinkies». C’est puissant car balayé à la wah-wah. Le génie balladif de Steve Wynn vaut bien celui de Dylan. Il a vraiment de l’aplomb. On a là un cut d’une puissance ravageuse. Chez le Wynner, il y a toujours du son. Il chante «Chin Music» au Dylanex des bas-fonds. Il tape dans une espèce d’Americana chargée d’orgue de barbarie et hantée de chœurs déments. Il faut vraiment écouter cet album. Tiens voilà encore un hit : «Tony (Boston’s Chosen Son)». Steve Wynn chante ça avec fermeté, au gras du timbre. Il émane de ce cut un vieux relent à la Kurt Weil. Encore une énormité avec «Twilight Of My Career». Steve Wynn croasse au sommet de son art. C’est encore une fois un balladif imparable.

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    Impossible de faire l’impasse sur The Broadside Ballads, un album paru sur Yep Rock Records en 2011. Pourquoi ? À cause d’un cut nommé «The Way It’s Gonna Be», un cut extrêmement énervé, that’s the way, emmené à l’énergie psychotique, ils sont complètement dingues, Steve Wynn embarque ça au speed-talking de wall of sound. «All Future And No past» sonne comme un hit dylanesque. Steve Wynn n’en finit plus d’enfoncer son clou. Il passe à la fantastique pop de cake avec «Clubs 2010». Ça tient si bien la route qu’il n’est pas utile de tenir le volant. Ah qui saura dire l’extraordinaire aisance du Project ? Steve Wynn traite «30 Dec» au petit trot, il ne traîne pas en chemin, oh yeah, il se conduit en vrai maître chanteur capable de speeder le talking blues comme son mentor Bob. Ses oh yeah tombent comme des cascades de bonheur dans la vallée enchantée. Oh il faut entendre ce «(Do The) Triple Crown» joué au heavy shuffle de juke. Ces mecs sont incapables de se calmer. Bizarre que personne n’ait pensé à faire interner ce fou génial de Steve Wynn. Il nous fait le coup du Triple Crown au coin du juke, lalala et c’est trashé jusqu’à l’os du fion par un solo délétère, évidemment. On se régale aussi de l’excellent «The Grants Win The Prennants», un heavy balladif of it all. Ce Wynner de tous les diables gère la heavyness avec tout le tact et la délicatesse d’un véritable entrepreneur.

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    Paru en 2014, 3rd est le meilleur des trois volumes. On se demande vraiment comment fait Steve Wynn pour monter chaque fois d’un cran. Ça grimpe en température dès «Slats» et ça explose avec «From Nails To Thumbtacks». Voilà un son qui dégage le ciel. Quel souffle d’hydratation événementielle ! On retrouve dans ce cut toutes les composantes du meilleur power-poppisme. Et ça continue avec «Hola America», slab de rock américain complètement dévastateur. Steve Wynn lâche des not around dignes des Stooges. Les dynamiques sont spectaculaires et c’est monté au beat ultra-balancé. Nouvelle énormité avec «The Day Dock Went Hunting Heads» : ça frise le glam de rockalama. Le son est si beau qu’il semble organique. Steve Wynn fait son Ziggy. Il crée le même genre de magie. On retrouve là tout le karma du glam, avec de l’émotion et une histoire bien racontée. Dommage qu’ils parlent de baseball. On aurait préféré Weird and Gilli. Ils restent dans le haut de gamme power-poppy avec un «To The Veteran Committee» saturé d’incursions intestines et joué à la pure décoxion guitaristique. Le problème avec Steve Wynn, c’est que toutes ses chansons sont bonnes. Tout est inspiré par les trous de nez. Ce mec est doué au-delà du raisonnable. «They Don’t Know Henry» sonne comme de la vieille pop intentionnelle et «The Babe» se montre d’une tenue exemplaire. Steve Wynn baigne son balladif d’une grande aura boréale. On y assiste à un retour en force de la beauté. Quel album ! Chaque cut compte. Chaque cut claque. Un solo d’anticipation transversale transperce «They Are The Oakland A’s» de part en part. Tout est joué à l’extrême onction. Nouvelle énormité avec «Pascual On The Perimeter». Steve Wynn survole l’univers du rock avec une grâce certaine. Ce serait une erreur que de le considérer comme un rocker indie sur le retour. On trouve dans ses cuts des départs en solo foudroyants et des licks de psyché irradiants. Cet album est une véritable foire à la saucisse. «The Baseball Card Song» sonne comme une bénédiction, un refuge pour les pauvres. Les voilà barrés en mode country. Ils renouent avec le solide romp dans «A Boy Named Cy», et un solo de guitare fantôme vient hanter les coursives. Back to the big Americana avec «They Played Baseball». Ce diable de Steve Wynn bat Lou Reed à plates coutures. Il dynamise son heavy rock d’harmo à gogo. Voilà encore un cut incroyablement présent, vrai chef d’œuvre de boogie-rock entreprenant. Ils finissent ce brillant album avec «Take Me Out To The Ball Game», un cut effarant monté au tatapoum de fin de non-recevoir. La bassline y ronfle comme un moteur débridé. Et c’est peu dire.

    Signé : Cazengler, Steve ouin ouin

    Steve Wynn & Miracle 3. Live At Big Mama. Mucchio Extra 2002

    Steve Wynn & Miracle 3. Static Transmission. Blue Rose Records 2003

    Steve Wynn & Miracle 3. Tick Tick Tick. Blue Rose Records 2005

    Steve Wynn & Miracle 3. Northern Aggression. Blue Rose Records 2010

    Gutterball. Gutterball. Brake Out Records 1993

    Gutterball. Weasel. Brake Out Records 1995

    Gutterball. Turnyor Hedinkov. Return To Sender 1995

    Baseball Project. Vol 1. Frozen Ropes And Dying Quails. Yep Rock Records 2008

    Baseball Project. Vol 2. High And Inside. Yep Rock Records 2011

    Baseball Project. The Broadside Ballads. Yep Rock Records 2011

    Baseball Project. 3rd. Yep Rock Records 2014

    28 - 01 – 2019 / MONTREUIL

    LA COMEDIA

    NAUSEA BOMB / ANTI-CLOCKWISE

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    Entrée libre et petite fleur dessinée sur le poignet, à la Comedia on cultive l'humour, la programmation louche plutôt côté punk que hippie. En plus, Tony Marlow accoudé au comptoir, je m'y attendais ( je ne l'ai jamais dit, mais je possède un cerveau qui me permet de visualiser l'avenir ) puisque Amine Leroy qui officie dans Nausea Bomb tient aussi la contrebasse dans son combo, l'on parle ( au hasard ) de rock'n'roll, de rock'n'roll français notamment des Variations ( kronic du bouquin de Julien Deléglise dans la livraison 404 ), Tony ado les a vus à l'époque en Corse, du coup il est devenu chanteur de rock. Faudra penser à inculper les Variations pour avoir corrompu la saine jeunesse française. Ce crime ne saurait être pardonné. Quand on pense à l'influence dégradante du rock'n'roll sur les esprits encore aujourd'hui. Je n'exagère rien, en voici deux parfaits exemples.

    NAUSEA BOMB

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    Une bombe ce n'est dangereux qu'au moment précis où elle explose. Pendant que la mèche brûle, tout va bien. Pendant que le cordon peu ombilical se consume vous pouvez échanger de doctes impressions avec vos voisins. Pour être tout à fait franc durant les dix premières secondes personne ne s'attendait à ce que Nausea Bomb soit un ensemble de musique de chambre. Je vous rassure, ce ne fut pas le cas. Mais ils nous ont pris par surprise. Ne faut jamais s'arrêter aux images : batterie, une guitare très électrique, et une contrebasse, 99, 99999999% de chance que ce soit un groupe de punkabilly foutraque de plus. En plus ils ont Marion. Même pas sur la scène. Se pavane devant en toute innocence. Ressemble à une gamine qui se casse en lousdé du collège pour faire l'école buissonnière. L'a le look de l'élève de sixième qui s'en va vérifier, la mine épanouie, si le monde ressemble à ce qui est écrit dans son livre de lecture. A s'y tromper, avec sa sa queue de cheval, son T-shirt sage et ses collants noirs, elle a douze ans montés en graine. Un seul détail qui cloche, sa jupe droite bien trop courte, qui remonte bien trop haut, en pleine crise de croissance, ses parents n'ont pas eu le temps ( ou l'argent ) pour lui refaire sa garde-robe. Non, non, pas du tout, notre grande jeune fille a déjà dépassé la terminale. L'habite son personnage naturel avec aisance, l'air émerveillé, sourire faussement béat, et esprit futé. Entre deux morceaux, elle se saisit de la set-list, jette un coup d'œil, suivi d'une moue irrésistible, chipote, oui, non, pas celui-ci, vous croyez, et bien ce sera, elle remue la feuille, vous vous croyez chez Mac-plein-le dos à choisir voluptueusement entre le big au steack charolais charançonné ou la salade aux limaces special-vegan, -et hop elle pique au hasard le premier titre qui lui tombe sous les yeux. Je vous laisse méditer sur le contenu idéologique de quelques textes : Jardin Charnier, Procrastination, Pussy Cat Vampire, Burqa Poil... Les guys derrière, bien sûr au souhait de leur écolière, ils obtempèrent. Dare-dare. Ce n'est pas qu'ils obéissent, c'est qu'ils tissent des sons qui anéantissent. Sans préavis.

    Attention beau tissage. Haute-lisse. Démarrent au quart de tour, et c'est parti. Pour l'incroyable. Un sprint punk, tous ensemble, groupés, vous commencez à avoir des doutes au premier, puis au second, puis au troisième obstacle, bye-bye la piste cendrée toute droite, nous voici dans un parcours de steeple-chase équin, avec des murs de trois mètres de haut, et hop ils vous enjambent les parpaings avec une facilité déconcertante, lèvent tous la jambe au même moment et hop, on fonce vers le suivant, la musique ressemble à une tôle ondulée, rainure, montée, rainure, montée, rainure, ne s'appellent pas Nauséa pour rien, avec sa Nausée Jean-Paul Sartre peut aller se rhabiller, z'avez l'estomac au bord des lèvres et puis qui pendouille sur votre torse au bout de l'œsophage. Ce n'est que le début, ils continuent le combat. Ont décidé de vous donner tort à tout moment. La grande glisse, vous pensez que ça va tourner à gauche, pas de chance virage à droite et à angle droit, vous font le coup à chaque fois, en plus ils accélèrent. C'est à cet instant que vous réalisez que ce n'est pas le pire. Rattrapez-vous aux petites branches, des groupes qui speedent vous avez déjà connus, mais là une fois la vitesse de la lumière atteinte, ils rajoutent un petit truc à eux, très simple, ils complexifient, vous en perdez le latin ( et le grec ) que votre misérable caboche n'a jamais pu retenir, vous êtes bien devant un groupe de krockabilly, oui certes, et même qu'il cartonne méchamment et joliment, oui mais sans le savoir le don d'ubiquité lui a été octroyé, punkabilly à tête de mort pirate sur votre gauche, et sur votre droite tout ce que le dodécaphonisme et ses dérivés situationnistes ont inventé depuis quatre-vingt ans. La Bomb des Nausea j'essaie de vous la définir : ils ont mis au point la structure flottante, le cadre éparpillé, le pattern incontrôlable, l'a fallu dépenser des milliards et réunir des milliers de savants pour construire le synchrotron dans le seul but d'observer le parcours d'une particule élémentaire, que d'argent public sottement dépensé, un gaspillage insensé, les Nausea Bomb, eux ils connaissent, le parcours capricieux et illimité d'un atome entre l'Être du vide et le Néant de la présence, ils contrôlent. Vous le récitent par cœur comme la table de multiplication de 2. D'ailleurs à chaque morceau, ils rajoutent quelques chiffres, 2 multiplié par 2 = 4, mais dites-moi 13598276 multiplié par 13598276, en deux secondes combien ça fait ? Et in abrupto ils vous refilent le résultat sonore et l'évidence de la preuve par neuf vous tombe sous le sens. Nous ont sidérés, une assemblée de punks la bouche ouverte d'admiration, et à chaque fin de morceau des ovations d'applaudissements fervents. Dans l'inter-set Tony évoquera la nécessité d'un nouveau genre : le punkabilly-prog, la folie et la virtuosité réunies en un serpent à deux têtes. Sa blessure est doublement mortelle mais vous ne savez jamais par quel angle sa reptation bifide l'emmènera à vous infliger la terrible blessure scrofuleuse dont on ne guérit jamais. Même une fois mort. L'extase funèbre. C'est sur cela que Marion rajoute ses ritournelles de cour de récréation. Dépose ses joyeuses comptines sur cette musique métaphysique sans complexe. Nausea Bomb c'est un peu le Grand-Verre de Duchamp, dans la réalisation duquel le hasard aurait été radié. A moins que ce ne soit irradié.

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    Pour Nausea Adrien guitar-hero joue à saute-alligator, totalement speedé, inutile de s'acharner à le suivre, est irrémédiablement devant, et vous benoîtement stupides à le regarder s'évanouir dans le lointain. Question Bomb, la section ( d'assaut ) rythmique, je n'insiste pas sur les excès de vitesse, Amine ne joue pas de la big mama, l'est tellement penché sur elle qu'il semble être entré dedans, à fond la caisse de bois, lui arrache sauvagement les boyaux qui comme le foie de Prométhée, sous le bec du vautour, renaissent instantanément. Et la big mama mugit les tripes à l'air sur le champ de bataille. A ses côtés Xav. Ecoutez l'incroyable histoire, doit être doué d'un cerveau à synapses rotatives, vient d'arriver dans le groupe, troisième concert – ce soir sans répétition – l'a déjà en mémoire la trame complexe de cette musique folle, qui flamboie avec la violence d'un incendie de forêt californienne. Un prodige. Ce n'est pas que la musique repose sur lui, c'est qu'il est le vecteur de cette ébullition éruptive.

    Nausea a bien fait éclater sa Bomb. Etrangement, vu l'empressement admiratif personne n'a eu la nausée, tout le monde était d'accord pour dire que c'était de la bombe. A neutrons indociles.

    ANTI-CLOCKWISE

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    Mini-balance, expédiée de main de maître, rien qu'à entendre ces cris gorgonesques de Gordon, comme dans les années cinquante quand le voisin de gauche tuait sa femme et que celui de droite violait le cochon, l'on a compris qu'avec Anti-Clockwise la pendule du rock serait encore une fois ( mais depuis Bill Haley on en a l'habitude ) un peu déréglée. Avant de s'écouter Anti-Clockwise se regarde. Votre cœur se serre. Une mésange bleue s'est posée par mégarde dans un nœud de serpents, un ange blond égarée au milieu d'un équipage de forbans. Pas de panique, Paola n'a pas besoin de vous, l'a sa basse avec elle, et cela lui suffit amplement, non pas pour se défendre mais pour prendre vos esgourdes à l'abordage. De fait c'est elle qui tient la barre, sans faiblir d'une seconde, maintient le cap sur l'ennemi tandis que le reste de l'équipage mitraille à tout berzingue. Lorsqu'ils reprennent souffle, vous entendez le vrombissement de ses lignes de basse imperturbables qui filent à la vitesse de torpilles enragées. C'est sa voix qui dévoile Paola, se charge aussi des chœurs – elle y met du cœur – un organe de bronze, une chienne plutonienne, chaque fois qu'elle s'approche du micro, il vous semble qu'on vous ramone les intestins avec un hérisson de fil de fer barbelé, Mary Read devait produire un semblable grondement lorsqu'elle ordonnait de pendre, sans rémission, haut et court - une vingtaines de pleutres à la grande vergue. Voilà c'était notre instant de douceur blondinette et de tendresse féminine. Il y a déjà une vingtaine de minutes que le devant de la scène s'est transformé en piste d'auto-scooters, un pogo d'enfer, avec en prime la possibilité de vous faire promener dans toute la Comedia à bout de bras pagailleux et biceps incertains, lorsque Fred, el cantaor, annonce qu'il est temps de passer à des morceaux qui remuent tout de même un peu. A cette bonne nouvelle – la meilleure depuis J. C. - une clameur de joie ébranle les murs et, n'y tenant plus, un volontaire tente à lui tout seul un suicide collectif, au saut de l'ange sans élastique, depuis le haut du comptoir, l'est rattrapé in extrémis par un géant indulgent qui le fourre sous son bras avec le geste auguste et débonnaire du nageur qui saisit sa serviette de bain pour rejoindre le bassin de la piscine municipale. N'en quittez pas pour autant Fred du regard, à sa place vous auriez envoyé votre lettre de démission. C'est qu'Anti-Clockwise, ils ont un peu cette mentalité des blousons noirs qui adaptaient des mégaphones, des bruitophones pétaradeurs, sur leur Gitane Testi dans le seul but ( regrettable ) de se faire remarquer. Bref dans l'onde sonore produite par le groupe, un vol de canards sauvages ne trouverait pas l'interstice qui lui permettrait de passer au travers afin de poursuivre sa migration hivernale. Le Fred, ne se fatigue pas, passe carrément au-dessus, il serait faux de dire que l'on n'entend que lui, mais sa voix plane au-dessus comme l'aigle au-dessus des nuées ( de grêles ). Un chanteur ( de bel, pardon) moche-canto, le timbre oblitéré d'enrouements de suppliciés et d'éructations hallebardiques, chargé de remugles anarchiques. Possèdent deux guitaristes. Profondément antithétiques. Un vicieux, et un franco-de-port. Evidemment c'est le vicelard qui est le plus jeune et le plus beau. Des cheveux mi-longs lui donnent cet air romantique qui plaît aux demoiselles. Ne s'en préoccupe pas. Une seule chose compte pour lui. L'est penché sur sa guitare, à croire qu'elle est en or. L'en extrait de l'ordure, de ces espèces de mélopées de chats longuement écorchés qui vous traversent à la manière des baïonnettes que l'on vous enfonce dans le dos, en prenant bien soin d'opérer le mouvement de zig-zag cruellique qui métamorphose toute blessure fatale en mortelle agonie interminable. Pour les dames friandes d'émotion fortes, un vieux grenadier, pas un pelut sur le caillou, mais le crâne tatoué – ce doit être la carte au trésor du Capitaine Flint, en tout cas il y a des traces de sang dignes d'un trépané - des anneaux et des cicatrices partout, une tête brûlée qui n'est heureuse que lorsqu'elle charge en première ligne, ne sait plus où donner de la tête et du riff, une véritable machine à tuer. Ne peut plus s'arrêter. Quand c'est terminé, alors que les autres quittent leurs instruments, il en jette quelques uns, incendiaires qui raniment la flamme, grâce à lui on aura trois rappels. Si on l'avait écouté, on y serait encore. Ne raccrochez pas, il en reste un, un bel éphèbe torse nu qui pilonne la batterie. Le piston qui fait marcher la machine infernale. Un tel enchevêtrement musical de voix et de guitares que vous n'y feriez pas gaffe, mais l'est un peu comme le moteur atomique qui meut le sous-marin d'attaque dont la photo ne trahit que la silhouette menaçante. Vous casse les atomes sur les toms, car il sûr que l'on ne fait pas une omelette rock sans détruire les ovaires frémissants de la lâcheté humaine qui ne demandaient qu'à vivre. Maintenant n'allez pas croire qu'Anti-Clockwise sont de sombres brutes bas du cerveau, professent une saine philosophie dont leurs morceaux sont les professions de foi, ne faites que ce que vous voulez, ne vous laissez pas faire, brisez toutes les barrières, vivez vos désirs, ne soyez dupes de personne, pas même de vous. Qui dit mieux ? Je ne sais pas. Qui le dit aussi rock'n'punk ! Nous attendrons vos réponses. Le cachet de la poste prouvera que vous les aurez envoyés juste après la fin du monde. Sinon s'abstenir.

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    Damie Chad.

    Une déception toutefois dans cette soirée, ne me suis pas précipité à temps vers la table pour le 33 de Nausea Bomb, la prochaine fois je n'y manquerai pas, j'allais me faire hara-kiri de désespoir, lorsque Xavier a brusquement surgi une boîte parallélépipédique entre ses mains. Ce n'était pas les disques de Nausea, mais ceux de son autre groupe, avec un tel batteur j'ai pris d'office. Belle pochette de SuperToto and Yan, esthétique un peu métallifère, mais le verso ne trompe guère, l'on est bien dans du punk-rock ultraïque. Vous qui croyez que le wonderland est le pays où l'on n'arrive jamais, Alicia la merveilleuse est là. Une grrrl comme l'on n'en fera plus jamais. Nous en avions tenté dans la livraison 360 du 08 / 02 / 2018 lors d'un concert à la Comedia avec Blue Void, une description, pâle reflet de la réalité astartique, suprême incarnation du désir déchiré.

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    La photo est de Sue Rynski, pour saisir l'incandescente apparence d'une de ces princesses d'ivoire et d'ivresse, chères à Jean Lorrain – relisez les redoutables pâmoisons empoisonnées de ses Pall-Mall - il ne fallait pas moins que la pupille féline de la photographe du punk et de Destroy All Monsters...

    ATM

    ALL THIS MESS

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    Lead Vocal : Alicia / Guitars : Jérôme / Bass : Yan / Drums : Xavier.

    Phobia : murs de schiste gris, les guitares construisent le labyrinthe de la folie interminable, la voix d'Alice se débat dans les entrelacs des serpent paranoïaques de l'angoisse du monde. La batterie enfonce les clous des piloris de la perte de soi, Alicia vous pousse de ces piaillements d'idiote, vous devenez poussin d'innocence autistiques pris dans le faisceau fascinant des yeux de la vipère intérieure qui niche dans les méandres de notre cerveau. Urgence et reptation, vous sortirez vivant du cercueil de la mort. Juste pour rentrer dans un nouveau cercle de l'enfer. Prayer : prière espagnole murmurée à Santa Maria sous les sirènes d'alarme des guitares, explosion musicale, Jérôme joue les inquisiteurs en backin vocal, mais Alicia ne se rend pas, n'aime ni dieu ni église, hurle qu'elle n'a peur de personne même pas du diable que l'existence heureuse est la vallée du péché librement consenti, le background musical se fait grandiose et auguste, et puis menace de feu brûlant infernal, mais la flamme vocale de la vie libre n'en continue pas moins son chemin dans dans le brasier inextinguible de la bêtise humaine. Bruises : musique pogoïque forte et violente, des rafales de guitares vous arrivent comme grêlons d'horions et la batterie défonce les chairs, revendications féminines, les filles ont droit au pogo, que les garçons arrêtent de se prendre sur un ring de catch. Vous apprécierez au début ces modulations de sirènes insinuants, et puis la voix d'Alicia claque comme baffes distribuées à l'orgueil des mâles qui font mal. Gender Weirdness : tambourinade suivi d'un ouragan de guitares, deuxième revendication féministe, celle du genre, dénonciation des mots trop étroits qui vous enferment dans les carcans sociaux de la chair monotypée, la masse sonore glisse comme si elle hésitait entre deux chemins trop étroits. Alicia crache son mépris des idées toutes faites à la gueule des rétrogrades, le combo en rajoute une couche. L'ensemble fait mouche entre les jambes. Lives to blow : déclaration de guerre, la musique roule sur vous à la manière d'une division blindée, haïssez cet enrôlement dans la violence du monde, les guitares lancent des scuds et l'herbe de la vie repousse partout où la voix d'Alicia déclare la guerre à la guerre. Tant pis : les temps sont à la confusion intérieure, la musique gronde mais la voix d'Alicia est devant, comme s'il n'y avait rien de plus important que de se tirer des ses propres contradictions, le ton monte telle une sonnette d'alarme que l'on tire en vain. Morceau bien trop court. Tant pire pour vous. Tant pis pour moi. Tant pisse pour le monde entier. Brièveté roborative. Screen head : Pluie de guitare, voix endeuillée, comme de l'ouate entre vous et vous, cela ne durera pas, Alicia devient vindicative, dénonce la pomme pourrie dans les cerveaux, manipulation des écrans, nous ne sommes plus nous, mais les figurines d'un jeu généralisé qu'elle se refuse à jouer. La voix hache comme ces haches d'abordage qui s'abattent sur les écrans de surveillance extérieure et d'auto-régulalion intérieure. Elle n'est qu'une fille de chair et de sang. Peut-être le plus beau morceau de l'album, mais comment choisir dans ce collier de perles noires. Come on, Ellen : l'histoire de son propre miroir que l'on tend aux autres mais qui ne révèle qu'une fausse image. Réflexion sur le statut iconique d'Alice en belle et cruelle Ellen distante de ses propres pièges. La musique survient de partout comme éclats de miroir brisé. Suis-je moi ou l'autre que je ne suis pas, que je ne sais pas. Il n'est de couteau plus cruel que celui qui déchire des images de papier. All This Mess appuie et cumule là où la plaie purule. Mess : vivre vite, musique de fête qui déboule dans la traboule de l'existence, toute la vie devant soi et tous les regrets assumés de n'avoir pas pris un autre chemin, tout et maintenant, le combo flonflonne et court après la jeunesse du monde. La joie déborde des toilettes de la vie. La chasse d'eau n'arrête pas de couler. The way they go : le même binz, en moins coloré, en plus dramatique, the thrill is gone, Alicia crie devant le cadavre de sa jeunesse comme les pleureuses s'arrachaient les cheveux, belle cavalcade de Xavier, froncements tuméfiants de guitares, la voix décolle comme ces chatons à qui vous arrachez la queue. Mais où allons-nous ?

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    Un beau disque. Disponible sur bandcamp mais préférez le vinyl, mieux approprié. Les deux faces vous font ressortir les deux aspects de l'album, la première de rage vindicative, la seconde qui s'infléchit telle la courbe d'un yatagan introspectif, un retournement de chemin heideggerien qui vous mène au plus près de l'Être. Pour une fois que nous avons un disque de rock avec des textes incisifs qui refusent de signifier le consensus mou des idées toute faites et des poses attractives attendues, ne vous en privez pas. Une musique à la netteté de ces entailles souveraines d'onyx noir dans lequel s'inscrit la voix de diamant pur d'Alicia. Un grondement de tonnerre, les boules de feux des orages cataclysmiques et les diatribes glacées de la déesse qui vous annoncent que l'avenir aura désormais la noirceur des anarchies intérieures. Ne pleurez pas, ne vous lamentez pas. C'est inutile. Vous ne pouvez que vous en prendre à vous. Puisque vous êtes responsables de vos propres malheurs. N'est-ce pas vous qui avez barré – par une sotte inadvertance – le sentier qui mène à l'Île des Bienheureux.

    Damie Chad.

    Du coup je n'ai pas résisté à vous remettre la kro du concert de Blue Void ( + celle de leur disque ) du concert du 04 / 02 / 2018 à La Comedia.

    BLUE VOID

    L'ai remarquée dès que je suis entré. Mais je ne savais pas. N'étaient que trois garçons sur la scène à installer le matos et à peaufiner les derniers réglages. Et quand à la sono, le signal de départ a été donné, j'ai été tout surpris de la voir sauter sur l'estrade et se saisir du micro. Les gars ont embrayé tout de suite. Pas des charlots, parfaitement en place à la première seconde, vous ont concocté un de ces backgrounds de rêve, un de ces profilés de braise pour les soirs d'ordalie, et encore je les soupçonne de savoir faire mieux, car là ils ne jouaient pas pour eux, mais pour elle. Aux petits soins, aux petits oignons. De ceux qui vous font pleurer des larmes de joie. Ensuite ce fut le pays des merveilles. Le pays d'Alice. Toute mince, les jambes fuselées en futal noir négligemment ouvert aux genoux, une taille de guêpe, toute longue, surmontée d'un brouillard de blondeur, les bras nus, un bustier à rendre jalouse Astarté, le haut du sein gauche scotché d'une croix noire, le bras droit tatouage-maori, et puis la voix qui gomme tout ce qui précède. Haute et claire. Derrière ils affutent le raffut, mais elle plane au-dessus. Une facilité déconcertante. Une aisance à vous transformer en malade mental. L'a débuté par un avertissement un tantinet mensonger : «  L'on fait du post-punk mélodique », post-punk, je n'ose pas contrarier mais pour la mélodie, elle est envoyée à la fronde. Ou alors ce qu'elle appelle mélodie c'est sa facilité à surfer sur les octaves. This Bomb is Mine décrète-t-elle d'entrée, vous le martèle d'une voix claire comme de l'eau de roche et haute comme la tour Eiffel, mais trois morceaux plus tard sur Junk set elle growle comme une mécréante. Mais ce n'est pas tout. Car non seulement elle envoie sec, mais elle nuance à la mitraillette, elle cisèle à la hache d'abordage, elle époussette au marteau-pilon. Les guys la suivent, lui cueillent des jonquilles, lui ramassent des violettes et lui coupent des roses, à toute vitesse, Marc ne passe pas les riffs, il n'en a qu'un par morceau mais vous le fait miroiter, étinceler et chatoyer, sous tous les côtés vous l'allonge et vous le rétrécit à volonté, idem pour Julo qui élastise sa basse, jamais au-dessus, jamais au-dessous du ton de la demoiselle et quant à Léonard devint marteau à laminer l'électricité cordique il racate à la hâte. You and the Hole, Volcano Girl, Waste Virgin Clothes – titres aux lyrics prometteurs mais pour le moment on n'écoute que cette voix de démone imprécative. C'est du dur vocal, du pur palatal, du sûr apical, de l'envoûtement subliminal, de la folie animale. L'a mis le feu à la salle, les filles dansent devant elle comme sorcières au soir de grand sabbat. La salle acclame, brame de joie et clame sa ferveur. Un set mené sans interruption, un incendie qui brûle tout sur son passage. Seront obligés de refaire This Bomb is mine en rappel parce que le rock'n'roll est une musique qui ne supporte pas la frustration.

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    ( Polaroids :  Ana Hyena )

    THIS BOMB IS MINE / BLUE VOID

    ( BV02 )

    Guitare : Marc / Voix : Alice / Bass : Julo / Drums : Léo.

    This Bomb is mine : affirmation féminine, la voix minaude toute seule haut perchée mais les guitares et la batterie la poussent dans ses retranchements et c'est la grande explication, celle qui déchire, transperce les tympans, attise la colère, s'hystérise, ne s'arrête plus jusqu'à la fin brutale comme un couperet. Nom de Zeus quelle chanteuse ! Overlead : on a compris, n'y a plus qu'à se laisser entraîner, emporter par la fougue de la demoiselle. Les gars entament une partie de tennis à trois et la balle n'en finit pas de rebondir jusqu'au bout du rock'n'roll. Elle, elle continue comme si de rien n'était. L'en a la voix qui miaule et puis qui s'enfonce dans votre cerveau comme la lame d'une serial killer. Volcano Girl : les boys partent en douceur vibrionnante, aucune inquiétude, la zamzelle vous développe une éruption grandeur nature, chaque fois qu'elle dit '' Oh'' vous perdez votre raison. Vous en ressortez sous une pluie de cendres. Pompéi girl ! Chichek : c'est la reine lézarde qui run, run, run après sa liberté. Ne vous inquiétez pas les boys accélèrent le mouvement, c'est que l'on appelle une cause gagnée.

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    Cette trombe is mine. Blue Void passe le balai sur les araignées qui encombrent le rock muséal. Un son à eux, une voix à elle, un groupe soudé comme les quatre éléments qui composent l'univers du rock : le feu de l'arrogance, le vent des colères, l'eau des désirs, les terres brûlées. Si vous tenez à laisser un témoignage de vos égarements à vos petits enfants, ce disque est pour vous.

    Damie Chad.

    MONTREUIL / 02 – 02 – 2019

    LA COMEDIA

    UNDERVOID / PSYCHOÏD

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    La Teuf-teuf broute les kilomètres à la vitesse lumière de l'Etalon Noir de Walter Farley, le rond ronronnement régulier du moteur me conduit, je ne saurais dire pourquoi, à la radieuse souvenance de ma lecture de Les Béatitudes Bestiales de Balthazar B que Donleavy fit paraître en 1968 – ah ! ces douces années tumultueuses – mais me voici déjà devant l'entrée de La Comedia qui s'entrouvre tel un chaud cocon protecteur, douce chaleur prémonitoire de l'incandescence des deux groupes au programme.

    UNDERVOID

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    Quatre sur scène. Trio plus chanteur. La formation idéale, à chacun son job, pas de d'embardée possible dans le champ du voisin. Evidemment faut une certaine virtuosité – pour ne pas dire une virtuosité certaine – surtout lorsque comme Undervoid, l'on décide de pratiquer la musique éruptive de la fournaise du Diable. Rock'n'roll et rien d'autre. Coupe pleine d'un vin épais et sans eau pour la libation suprême. Vite pigé. La première dégringolade des baguettes d'Alexandre Paris sur les peaux suffit à vous mettre dans l'ambiance, une impression de digue crevée et une masse d'eau qui emporte les poids-lourds de l'autoroute comme des balles de ping-pong. Plombées, font des ricochets sur l'assistance qui a l'air d'apprécier ce traitement brutal mais terriblement efficace. Avec un tel déluge, il est impératif de posséder un guitariste qui ne se contente pas d'arroser les petits pois une fois par semaine. Justement vous avez un gretschiste sur votre gauche. Marc Berg a dû sortir du ventre de sa mère les doigts coincés dans le cordier de l'orangeade, l'affûte sec, l'en rajoute toutes les trois secondes, n'a pas son pareil pour la parélie riffique, incapable de jouer un riff sans le tordre de mille manières, n'est jamais satisfait de lui, alors il file un petit coup de bigsby, style je rajoute un kilogramme de poudre à canon dans la cheminée pour donner du tonus à la flamme. Un artiste, vous étire les notes à l'infini si vite que vous n'avez pas le temps de les entendre passer. Avec ces deux-là, vous avez votre ration pour la semaine. Mais c'est loin d'être fini. Bill Otomo est à la basse comme d'autres vont au bassthon, vous la saisit entre ses deux paluches, lorsqu'il joue, une main en haut du manche et l'autre qui dégringole tout en bas en des profondeurs inexplorées, il vous semble qu'il cherche à la rallonger, lui écrase les cordes de ses gros doigts et vous l'entendez feuler sourdement d'aise, telle une panthère qui descend de son arbre en quête de meurtre et de gibier innocent. L'air de tout, il avance invincible et invisible, pose les poutres maîtresses, le plancher fabuleux sur lequel les deux autres bâtissent leur empire sonore, ce n'est que lorsqu'il il sololisera que l'on comprendra à sa juste valeur l'ampleur élastique de son jeu. Les travailleurs de l'ombre sont les plus infatigables.

    Devant ce mur de son cyclopéen, Arnaud est tout seul. Espèce de catogan par derrière et micro par devant. Personne n'aimerait être à sa place. Pas du tout intimidé. Il ose tout. Sait se faire entendre. Et pour mieux se faire comprendre, ne se planque pas dans un pot de faux yaourt anglais. Chante en français. Attention cela ne signifie pas uniquement que les paroles sont écrites en langue voltairienne, les profère en une diction qui ne cherche point à imiter les intonations d'outre-Manche, ne les monosyllabilise pas, ne les jacte pas à l'arrache, suit les inflexions naturelles, rallonge les nasales, ne scalpe pas les fins de mots, ne les crache pas, les restitue dans leur fluidité naturelle. De la belle ouvrage au service des textes. Qui véhiculent la dure réalité spongieuse de notre époque. Le Noir se Fait, Perdu pour Perdu, Alea Jacta Est, La Machine, Un Dernier Geste, rien qu'à l'énumération des titres vous intuitez en filigrane ces appels à se lever contre la noirceur de plus en plus profonde de notre monde et l'urgence de se lever et de faire face au monstre qui cherche à nous broyer dans son immense gueule. Un rock de rage rouge et de révolte noire. Un rock qui ne batifole pas dans les prairies de l'insouciance mais qui bâtit follement les nécessités des combats à venir. Le public se sent des fourmis carnassières ( rouges et noires ) dans les jambes, chacun se brinqueballe vers l'autre, des silex qui se cognent pour faire jaillir le feu sacré des communions intempestives, le combo-étincelle roule comme un feu de prairie inextinguible... Grosse impression, grosse commotion.

    ( Viennent de Strasbourg. Ci-dessous chronique d'un de leur quatre EP ).

    OX / UNDERVOID

    EP / 2018 / Prix libre

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    Perdu pour perdu : fond de train, la batterie qui court après son ombre, les guitares cisaillent et piaillent, les paroles sont sans appel, le dos au mur c'est là qu'on est le mieux pour cracher ses actes à la face du monde. Uppercut, un seul suffit. Se termine très vite. Tout est dit. Inutile d'épiloguer. On part au loin : ruissellement de notes et soudain le vieux monde klaxonne après toi, l'échappée belle, tout est bon pour s'enfuir des affres de la vie, les petits bonheurs et les lobotomies cervicales, la musique écrase vos petits arrangements, ailleurs ce n'est guère mieux mais l'on s'arrache quand même, long tunnel de guitares qui poinçonnent et arraisonnent, toujours cette batterie en apnée et la flamme infinie d'un solo de guitare, pour repartir encore une fois, mais tu t'avances dans l'écroulement des choses qui viennent et t'enseveliront. A ta santé : un tire-langue musical à la bretonne, narquois leitmotive qui te poursuit de sa ronde infernale, ce n'est plus un chant mais une diatribe qui te lapide sur place, prends garde à l'ironie des postures, situations biaisées ne te sauveront ni de la vie ni de toi-même. Si tu ne le crois pas, écoute la musique qui tape et se moque de toi. Ricanement insidieux final. Qu'à cela ne tienne : blues soutenu, tempo lent mais musique en cavalcade lancinante, le riff zepplinien avance telle une vague et se fracasse sur le rivage de l'existence. Eclats de guitares, flammes qui courent et la batterie qui remballe la marchandise, la voix se traîne et jette du sel sur toutes les blessures, pas de problème, tous tes échecs n'ont aucune importance, nihilisme absolu. A tes dépens : pistons de guitares, voix instrumentalisée mène le bal, constat sans appel, hurlement et guitares rhinocériques, le combo te passe au tabac des réalités, le rat bloqué dans le labyrinthe, quoi que tu fasses tu es la cible touchée en plein cœur. Tant pis pour toi.

     

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    Belle pochette intérieure. Image éclatée, dominante rouge de sang de bœuf conduit à l'abattoir. Le zéro sur lequel on mettra bientôt une croix dessus. On regrette l'absence d'un feuillet pour les textes. Sont totalement constitutifs de la matière brutale qui se greffe autour. Un disque chaud de braise qui exige écoute et réécoute. Undervoid cloue les mots au pilori des guitares et la batterie les roue de coups. En sortent plus vindicatifs, car ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. Violent et intelligent.

    Damie Chad.

    PSYCHOÏD

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    Rien qu'à la découpe des guitares l'on n'est pas assailli par un doute pyrrhonien sur le style musical du quatuor. D'ailleurs ils le proclament haut et fort, psychoïdes certes, mais trash metal et nous ajouterons trash cash, pour le metal, ils revendiquent plutôt le fuselage des supersoniques de combat que la lourdeur de titane absorbande et obérante. N'avez pas le temps de les visualiser, sinon la guitare de Thomas, un zig-zag d'éclair jaune qui foudroie le regard, que la machine est lancée. Ne s'arrêtera plus. Une trombe. Pas le temps de s'attarder. Même les morceaux sont courts, à croire qu'ils sont pressés de terminer le suivant. Avalanche sonique, rien ne leur résiste. Le public comédique s'est tout de suite senti à l'aise, transe collective, ça remue comme des pois sauteurs atteints de la tournante du mouton enragé. L'est manifeste que Psychoïd est de ces groupes qui ont inventé la poudre et qu'ils savent la faire détonner. Une recette simple, ce sont les meilleures, Thomas respire deux fois ( pas une de plus ) très fort, fait mine de toucher son engin mirifique, trop tard, Amaury tape à mort sur ses tom, vous catapulte sur la grosse caisse, et la tornade vous emporte à l'autre bout du rock'n'roll. Rémi joue le gros nounours à la basse, tout sourire, interjection goguenarde, vous aimeriez presque qu'il vienne vous border le soir dans votre lit pour vous souhaiter une bonne nuit avec rêve doré. De fait dès qu'il touche son instrument vous comprenez qu'il est habité par la force impavide du guerrier berserk et qu'il est hanté par la fureur de l'ours polaire affamé sur la banquise dépeuplée. Ne s'appesantit pas, ses lignes de basse filent à la vitesse des drakkars qui glissent dans la tempête sur la houle déchaînée. Kiko ne desserre pas les dents, par contre il serre de près sa guitare, lui fait cracher tout ce qu'elle sait faire, l'on a même l'impression qu'elle étale aussi tout ce qu'elle rêverait de réaliser, et ma foi, elle y réussit parfaitement. Kiko nous permet de comprendre pourquoi un kiko de plomb pèse davantage qu'un kiko de plumes de sinornitosaurus s'il est riffé à la vitesse de la lumière. Derrière ces deux ostrogoths, Amaury redouble d'intensité activiste. Etrange ce que je veux dire, c'est la première fois qu'il me semble qu'un batteur se sert de ses deux bras, tellement il les manipule et les gesticule, pas de virgule entre les plans, et pas de renoncule pour vous conter fleurette. Thomas tire le premier, lâche le riff comme l'on tend les cordes d'un ring pour le combat du siècle. Se charge ( de cavalerie ) du vocal, cheval fou qui hennit follement et se rue dans une course sans fin. Se cabre brutalement en un cri qui tue à vous fendre l'âme que vous avez perdue depuis longtemps. Et tout s'arrête, tiens donc il existe un truc bizarre que dans d'autres civilisations l'on appelait le silence ! Vous désireriez vérifier l'existence de cet incroyable phénomène dans une encyclopédie, trop tard, sont déjà à la moitié du morceau suivant. Veulent nous quitter sur l'hymne des Corsaires qu'ils ont composé pour l'équipe de hockey de Nantes, une démence remplie d'abordages et de galions bourrés d'or enlevés haut la main aux plus cruels des pirates. Une excuse pour s'adonner à leur sport favori, le rock trash à trois cents kilomètres heures. Z'aimeraient nous abandonner sur une île déserte pour voguer à leur guise vers d'autres ouragans, mais non, nous ne les laisserons partir qu'après deux rappels apocalyptiques. Sans doute avons nous été trop bons, on aurait dû en exiger une douzaine. La prochaine fois, on n'oubliera pas.

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    Viennent de Melun. N'ont pas le melon. Nous ont montré la lune.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 382 : KR'TNT ! 402 : STEVE WYNN / GINGER BAKER / BROKEN GLASS / BLACK PRINTS / AU DREY /RAW DOG / DOUCHE FROIDE / ROCK CRITIC

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 402

    A ROCKLIT PRODUCTIOn

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    17 / 01 / 2019

     

    STEVE WYNN / GINGER BAKER

    BROKEN GLASS / RAWDOG / BLACK PRINTS + AU DREY

    DOUCHE FROIDE / ROCK CRITIC

     

    Syndicate d’initiatives -
Part Three

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    Après la fin du Syndicat, Steve Wynn entreprend une carrière solo au moins aussi fructueuse que celle de Frank Black après la fin des Pixies. Visiblement, ces gens-là ne savent faire qu’une seule chose dans la vie : écrire des chansons. Et des bonnes.

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    Wynn gagne à tous les coups. La preuve ? Kerosene Man, premier album solo paru en 1990. Deux belles énormités guettent leur proie, c’est-à-dire l’oreille imprudente : «Younger» et «Killing Time». Steve Wynn renoue avec la violence du riffing et la belle niaque pantelante. Il connaît son affaire. Dans «Younger», on retrouve le même son de basse que dans le fatidique «Death Party» du Gun Club. Tout aussi joliment claqué, voici «Killing Time». C’est même claqué en dégringolé d’accords. Ce sacré Steve adore la classe. Il sait enchaîner les effets de Ricken et créer des horizons. Ça marche à tous les coups. Sa power-pop est celle dont on rêve quand on est jeune et encore vert. Steve Wynn tortille ça en vieux briscard. C’est même trop beau pour être vrai. Son «Under The Weather» sonne comme de la petite pop de boulevard populaire, café de Belleville au clair de lune. Il claque aussi de l’accord clairvoyant dans «Something To Remember Me By». Voilà sa marque de fabrique artisanale, un peu limite du rock FM, mais ça passe. Et avec «Anthem», il prend l’habitude des finir ses albums avec un cut explosif - Play the anthem one more time - C’est tout simplement effarant de son. Le fan est gâté.

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    Deux ans plus tard paraît Dazzling Display. Steve Wynn y tape une cover de «Bonnie & Clyde». Coup de génie puisqu’il en fait une horreur garage. Cover de rêve. Steve Wynn a bien compris qui était Gainsbarre. Josette Napolitano vient faire la conne. Steve Wynn lâche ses ouragans d’accords, c’est à la fois intense et respectueux de l’environnement. Tout aussi énorme, voilà «405» joué au heavy rock - I rest my mind on the place and time - C’est explosé au solo congestionné. Quelle débauche d’énergie sonique ! Ce mec ne s’arrête jamais. Avec «Tuesday», il propose un extraordinaire shoot de power-pop émancipée. Wynn n’en finit plus de gagner à tous les coups. Il va sur la pop-rock avec une sorte de plaisir gourmand. Le morceau titre semble violenté dans l’azur pyrénéen. À moins qu’il ne s’agisse de la zone de Pythagore. Steve Wynn revient à sa légendaire férocité sonique et aux déliquescences d’interactions psychédéliques - Fell down to attention/ Not a very honorable mention/ What a perfect way/ To watch a dazzling display - En plus, c’est extrêmement bien écrit et digne des meilleures drug songs. Il passe à la vitesse supérieure avec «Dandy In Disguise». Drumbeat on the beat ! Il nous rocke ça dès l’intro, en vétéran de toutes les guerres. Ça sploushe et ça splashe dans le lagon vert. Admirable ! Il termine avec l’excellent «Close Your Eyes», vieille pop alimentée au bon vent d’Ouest. Steve Wynn se veut résolument allègre et optimiste.

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    On ne trouve pas vraiment de hit sur Fluorescent paru l’année suivante. On a du balladif de bonne guerre avec «Follow Me». On sent toujours la présence d’une vraie voix. On le sait, la voix fait toute la différence. Prenez Lou Reed. Eh bien, Steve Wynn, c’est la même chose. Profondeur et présence, voilà ses deux mamelles. Il excelle dans l’exercice de la présence vocale de bon ton. Par contre, son «Collision Course» sonne comme du Lloyd Cole. Mais Steve Wynn sauve son cut grâce à des fuites de guitares éperdues. Encore un fantastique balladif d’espérance du Cap de Bonne Espérance avec «Carry A Torch». Quand on a la voix qu’il a, une bonne guitare et des idées, ça paraît logique d’enregistrer des albums solo. Ce «Carry A Torch» sonnerait presque comme un hit. Avec un mec comme lui, il faut savoir donner du temps au temps et voir les choses se développer. C’est toujours intéressant. Il a toujours un gros son. «Open The Door» ne déroge pas à cette règle. On sent l’homme d’âge mur, sûr de son art. Même si «Wedding Bells» sonne trop romantico, on sent bien l’énergie. «The Sun Rises In The West» sonne comme un heavy balladif d’envergure. On adore ce mec pour ses capacités à créer de la bonne pop électrique, l’une des meilleures d’Amérique. Par contre, son «Look Both Ways» se danse d’un pied sur l’autre dans les Appalaches.

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    Pas de hits non plus sur Take Your Flunky And Dangle, mais pas mal de bonnes chansons, à commencer par «How’s My Little Girl», joli coup d’electric pop. C’est là où Wynn brille. C’est son univers, sa distance, son pré carré. Il est parfait dans son rôle de power-popper qui chante à la mâle assurance pendant que les guitares dessinent le décor de rêve. Avec «Closer», il reprend son bâton de pèlerin charmeur et se montre très communicatif avec «The Woodshed Blue». Il y sonne comme Dylan. Avec «AA», il sonne comme les Supremes, mais country. C’est assez tordu comme vision. Il termine en tapant «Only Comes Out At Night» au dylanex, mais parfois, on se dit qu’il vaut mieux écouter Dylan.

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    Sur Melting In The Dark, Thalia Zadek chante et joue avec Steve Wynn. Que de son ! C’est en tous les cas ce qu’on s’exclame dès le «Why» d’ouverture. Steve Wynn pousse de vrais oh yeah ! Quelle dégelée ! Il semble enfin de réveiller - There’s no answer, yeah ! - Et avec «What We Call Love», il revient à son vieux son de mid-tempo aventureux de bonne aventure. C’est littéralement bardé de guitares. Il redéclenche la furia del sol avec «The Angels». Il s’y fait violent prévaricateur - And the angels won’t talk to me anymore - C’est même visité par l’esprit des guitares, un véritable essaim. Encore un fantastique slab de heavy pop avec «State It Down». C’est cisaillé aux meilleures guitares de stomp. Steve Wynn chante ça sale et descend à la cave. Quel retournement de situation ! Avec «Smooth», il file sous le vent du boisseau. Effrayant ! Il se montre indispensable au rock. Son Smooth est de très haut niveau. Ils nous smoothent ça comme des diables. Quelle débandade de chœurs et de guitares ! Avec un titre comme «The Way You Punish Me», on tombe forcément dans la heavyness. Et tout ça se termine avec le morceau titre claqué au rendez-vous des malfrats - MacArthur Park is melting in the dark - Steve Wynn visite ça au sonic hell et bascule dans la mad psyché. C’est soloté à outrance et totalement inespéré.

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    Le génie électrique de Steve Wynn éclate de plus belle avec Sweetness And Light paru en 1997. Toutes les pochettes sont des tue-l’amour, mais le son est là. Cet album est passionnant, à commencer par «Silver Lining» monté sur un tatapoum de tous les diables signé Linda Pitmon. Elle tape comme une sourde. Notre Wynner favori ne ménage ni la chèvre ni le chou. Il veille a conserver ce fin tissu de guitares acidulées. On note l’extraordinaire santé de son songwriting. On s’en épate même à fond la caisse. Tiens, encore une solide attaque en règle avec «Black Magic» - Underneath the highway/ That’s where you’ll find me - Ah quel admirable rocker ! Son rock se pose comme un vaisseau sur la planète Uranus, c’est-à-dire avec une grande prestance technologique. Il tape une cover de Ray Davies, «This Strange Effect» et l’explose aux guitares. Il passe au big atmosphérix avec «This Deadly Game». On se croirait chez les Only Ones, dans une belle ambiance crépusculaire. Encore un extraordinaire slab de power-pop avec «How’s My Little Girl». Sa véritable force, c’est l’éclat du timbre. Il s’en va chatouiller les cuisses de sa muse. Elle jouira toujours, avec un mec comme lui. Ce cut un modèle du genre, Steve Wynn semble gratter des milliers de guitares acidulées, c’est à la fois un bonheur impénitent et d’une rare puissance fruitée, ça dégouline de jus étincelant. Ce mec est capable de fulgurances. On reste dans le big atmosphérix avec «Ghosts». Il semble traverser les strates à coups de solos voyageurs. Ça dure six minutes mais c’est une aubaine pour l’oreille du lapin blanc. Steve Wynn allumera ses lampions jusqu’au bout de la nuit. Encore un fantastique jerk de balance informelle avec «Blood From A Stone». Il joue toujours son rôle de franc-tireur à la perfection. Il est l’un des mecs les plus intéressants du rock américain. Il sait pousser des aw de fins de couplets. Pur génie que ce Wynner de tous les diables. Il est aussi capable de sortir du vieux rock violent, comme on le voit avec «In Love With Everyone». C’est ultra-joué au open your eyes et bardé de son. C’est bien plus effarant que l’arrivée des Vikings sur la plage. S’ensuit une dérive apostolique intitulée «The Great Divide». Steve Wynn s’en va se noyer dans un océan de notes de xylo extensif. Il tape ensuite dans Barrett/Strong avec une cover de «That’s The Way Love Is». Il ne se contente pas de jouer son r’n’b, il le vrille en queue de cochon d’apothéose et nous le ramone au solo savoyard.

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    Si on écoute My Midnight, on trouvera un joli duo d’enfer intitulé «We’ve Been Hanging Out». Il rappelle «The Murder Mystery» du Velvet. Steve Wynn y duette avec Linda Pitmon. C’est fabuleusement nappé d’orgue. Attention, c’est un double album et on risque l’indigestion si on écoute tout. Il chante «Nothing But The Shell» à la voix de son maître. On sent que cet homme ne vit que pour les chansons. Il prend sa meilleure voix de timbre fêlé pour honorer «My Favorite Game». «Cats & Dogs» sonne comme de la power-pop jouée sous le boisseau. Elle est bonne et chaude comme le pain du matin, à la boulangerie de la rue Saint-Jean. On se régalera aussi d’«In Your Prime», visité par des guitares supersoniques. Le monde de Steve Wynn reste incroyablement suburbain. Il chante tout au timbre présent. Il chante même des fois trop sérieusement et pourrait faire un peu peur. Que de son et quel bouquet de guitares ! Ah il faut entendre ce «Out Of This World» claqué aux pires accords intraveineux. Il joue sur tous les tableaux. Il semble sauter dans la pop comme un gosse dans le bac à sable. C’est l’un des cuts les plus percutants de l’album, avec ses retours de you do something to me. Il boucle le disk 1 avec «500 Girls Mornings», un blast de heavy rock écœurant de nonchalance. Le disk 2 est un live saturé de son, et donc chaudement recommandé aux amateurs d’électricité. Il démarre avec sa fabuleuse reprise des Kinks, «This Strange Effect» et enchaîne avec un «What We Call Love» chanté à la petite menace. Linda Pitman bat ça si sec ! Il faut dire que live, le son de Steve Wynn éclate encore plus. Rien d’aussi dément que la version live de «That’s What You Always Say». On y entend un pur solo de sonic trash, c’est noyé d’effervescence ultra-sonique. Steve Wynn joue tout ça à l’abattage. Le «Why» qui suit est aussi incroyablement musclé. Avec «Tears Won’t Help», il passe au freakout de la démesure. Il ressort «Bonnie & Clyde» et «Halloween» des archives pour les barder de son. Ce sont des versions dingoïdes qui basculent vite fait dans la mad psyché. Les descentes sont proprement spectaculaires. Tout l’album est en feu. Il termine avec l’enchaînement fatal : «Melting In The Dark» et «The Days Of Wine And Roses». Ils jouent tout cela à la note fumante, Steve Wynn gère ça au violent claqué d’accords, ça éclaire la nuit du rock et laisse dans la bouche le goût d’un panache indescriptible.

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    Pas mal de très belles choses sur le Pick of The Litter paru en 1999, notamment ce «James River Incident» qu’on prend tout d’abord pour une protest-song ethno-sociologique à la Dylan, mais qui est en réalité un prétexte à ramener du son, et quel son, les amis ! Du très grand son. Steve Wynn est homme à savoir faire claquer un accord de guitare. On a là du très gros Wynner. Il nous gratte son riff dans l’épaisseur du doom. Ce mec sait vraiment créer les conditions. Textuellement parlant, il reste dans l’ellipse, yeah, et il part en vrille syndicale, comme au temps béni du Dream - All that’s left is legend and stories to be told - et il ajoute en exergue qu’il y a des secrets entre the river and me. C’est tellement bardé de guitares que ça frise la stoogerie. Tony Maimone de Pere Ubu joue sur «Ladies & Gentlemen», un joli cut mélodique monté sur des arpèges. Superbe. On l’a sans doute déjà dit, Steve Wynn est aussi prolifiquement bon que Robert Pollard et Frank Black. Il nous claque ensuite «Smoke From A Distant Flame» au banjo des familles. Ça n’a l’air de rien, comme ça, mais il faut savoir le faire. Ce mec a du génie, n’ayons pas peur des grands mots. Sa compo tient fabuleusement la route. Il chante par dessus le banjo avec un sacré aplomb. On reste dans l’énormité présentielle avec «Halfway To The After Life». Steve Wynn wynne à tous les coups. Il joue la carte du son bienvenu. C’est bardé, absolument bardé de guitares. Le rôle de démon lui va à merveille. Il explose toutes les conceptions envisageables. Dans une vie antérieure, il devait être forcément pharaon. Il fait encore un numéro de cirque avec «The Air That I Breathe». Il chante au plus profond et tente de faire du Lanegan, mais c’est impossible. Alors il explose tout avec des coups de guitare. Voilà le Wynn qu’on admire, le sorcier du son. Il tape «The Impossible» au pire beat wynnique de l’univers. Il faut se méfier de ce mec, il est capable du pire. Il termine avec un «Why Does Love Got To Be So Sad» bardé de son. Ça entre par les deux oreilles comme dans un moulin. Et qui retrouve-t-on à la guitare ? Rich Gilbert, le diable des Catholics, ce groupe de surdoués qui jadis accompagnait Frank Black sur scène. Du coup ça prend des proportions extraordinaires. Rich Gilbert joue à la vie à la mort.

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    Crossing Dragon Bridge est un album qui vaut aussi le détour, ne serait-ce que pour «Believe In Yourself», pur jus de Dylan strut. Steve Wynn fait du dylanex en plein - It’s okay/ If you talk/ You stumble/ You get up/ That’s all - Comme Dylan, Steve Wynn a un don. «Manhattan Fault Line» sonne comme du typical Wynn. On a là un mélopif solide et plein de son, avec une réelle profondeur de ton et de champ. On ne peut parler que de prestance ou d’étonnant dérivatif d’enchantement presbytérien. Ses balladifs restent imparables. Comme beaucoup d’autre hits, il claque «Love Me Anyway» à la bonne entente cordiale. Ça reste du mid-tempo hautement élémentaire. Ce mec n’en finit plus d’écrire des chansons. Il berce «She Came» de langueurs monotones. On tombe aussi sur un «When We Talk About Forever» sacrément versé dans l’esprit de seltz. Tout aussi admirable de vitalité, voici «Annie & Me» - We just never slow down - Ça joue au beat serré dans les virages, pur jus de grand Wynner. Voilà une sacrée virée country. Mais il a aussi pas mal de cuts plus conventionnels qui ne marchent pas, comme ce «God Doesn’t Like It». Il faut dire que le coup d’harmo est somptueux : il évoque Charles Bronson.

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    Et puis voilà qu’en 2001, il monte les Miracle 3 et commence à enregistrer une série d’albums éblouissants, à commencer par Here Come The Miracles. Steve Wynn wins dès le morceau titre d’ouverture du bal, un heavy romp démoniaque, singulier mélange de pop et de heavyness définitive - What can I believe in the face of such a disease/ When the forces of evil are free to do as they please - Et c’est parti pour ne nouvelle ribambelle de gros cuts, comme cet effarant «Sustain». Steve Wynn travaille comme un ébéniste, il produit chaque jour des crafts sur son établi, alors ça finit par compter. Au rythme d’un craft par jour, ça fait 365 crafts par an, alors forcément, les disques finissent par pulluler. En tous les cas, son «Sustain» est ultra joué. Tout est incroyablement bon sur cet album. On a du renvoi d’estomac sonique dans «Butterscotch» et Linda Pitmon nous bat «Southern California Line» à la dure - Hey hey are you ready to be saved - Voilà encore de la belle heavyness visitée par des guitares souterraines, c’est du grand art battu sévère et explosé aux arpèges allégoriques. Même ce balladif intitulé «Morningside Heighs» est ridiculement bon. Il revient au boogie d’accent tranchant avec «Let’s Leave It Like That» et son «Crawling Misanthropic Blues» est une véritable horreur, complètement explosée d’entrée de jeu. Steve Wynn se prend ici pour Jeffrey Lee Pierce. Même jus - Oh wow wow nobody’s perfect/ I know that it’s true - Voilà du punk de Wynner serti d’un killer solo. Steve Wynn n’en finit plus de multiplier les exercices de style. Il finit le disk 1 avec «Death Valley Pain», un fabuleux groove psychédélique - The moon it shines - Il ramène tout le gros fretin. Puis il attaque le disk 2 avec «Strange New World», tapé au heavy garage - Once I was down in New Orleans/ Mixing scotch with gasoline - Ce sont les accords de «No Fun» - The King of Swing/ The Duke of Earl - Quelle étonnante tripotée d’accords ! Chez lui, les guitares sont toujours assez révolutionnaires. Encore du vieux groove Wynny avec «Topanga Canyon Freaks». Il vise clairement le boogaloo, il frise un peu le Tom Waits en lâchant des vieux ah ah ah de graveyard, mais on note la présence de jolies guitares dans le paysage. Nouvelle merveille avec un «Watch Your Step» violemment cisaillé au riff émancipé. Voilà certainement le meilleur garage californien - I’m not the one who’s gonna take it to the other side - Il nous prévient. Que de son ! Comme dans le cochon, tout est bon dans le Wynn. Il crée des merveilles en tous genres et peut même s’amuser à chanter comme un crocodile. Encore plus bardé de guitares, voilà «Smash Myself To Bits», un truc exceptionnel visité par l’esprit du harp, c’est-à-dire le dieu du vent. Démence pure. Steve Wynn entre au chant sur le tard et s’amuse à faire le roi des tempêtes. C’est saturé d’énergie de son. Il faut bien avouer que ce mec a du génie. Ce cut est une véritable horreur saturée d’aventures. On a même l’impression de voir se lever une tempête de sable. C’est d’une rare violence psychédélique et ça monte à saturation avec un harmo démentoïde. C’est là très précisément que s’exprime le génie sonique de Steve Wynn. Il termine avec «There Will Come A Day», pur jus dylanesque joué à l’orgue. On voit qu’il adore son maître Bob - And in a fit of desperation/ I found myself on my kness - C’est à la fois beau et puissant. Il est dessus - There will come a day Lord/ Thre will come a day - Somptueux ! Une vraie révélation, et ça se termine dans un éblouissant final de gospel batch. On a là l’un des très grands disques de rock américain.

    Steve Wynn continue d’enregistrer des albums sporadiques ici et là. Le conseil qu’on pourrait donner serait de les écouter, car forcément, ça reste du très grand art.

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    Tiens par exemple, cette compile intitulée Up There Home Recordings 2000 To 2008. Eh bien on y trouve un cut génial, «Bruises», taillé dans l’épaisseur d’un bazar sonique. À lui seul, ce cut balaie toute la Brit-pop. Steve Wynn démolit tout, il fracasse les années lumières, il ramène du son, rien que du son. Il joue son truc aux notes d’alerte rouge. Il propose pas mal de tributes dans cette compile : à Gene Clark, avec «Tomorrow Is A Long Ways Away», ou encore à Nick Lowe avec «The Truth Drug», cut hyper ventilé et stompé par Linda Pitman qui bat ça si sec. Elle fait d’ailleurs partie des meilleures batteuses du monde. Il indique plus loin que «Still Messed Up» est l’une de ses chansons préférées. Il nous joue ça au meilleur groove de la stratosphère. Steve Wynn est d’une fiabilité à toute épreuve, un mec parfaitement incapable se sortir un mauvais disque. Il rend aussi hommage à la Nouvelle Orleans avec «The Good Old Days» et tape «Hold Your Mud» aux guitares ultra-insidieuses. Les deux cuts d’ouverture sont aussi des passages obligés : «Second Best» (balladif dylanesque truffé de coups d’harmo) et «Incantation (Raise The Roof)», dont il dit que c’est about the power of sound. Ah pour ça, on peut lui faire confiance. On se croirait au temps du Dream. Back to the big Sound avec «Lungs». Oui, il ramène tout le son possible. Il y gratte des trucs à l’infini. Et il rend hommage à Neil Young avec «SleepsWith Angels». Il se joue des règles et les lois, il larde son son encore et encore.

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    Et la roue continue de tourner avec cet énorme album solo qu’est Sketches In Spain. On comprend dès l’«I’m Not Ready» d’ouverture que Steve Wynn va rester imbattable jusqu’à la fin des temps. Il est tout simplement parfait, on l’a sûrement déjà dit, mais dans un cas comme celui-là, c’est plutôt bien de radoter. Il réussit à monter l’incroyable allure d’un cut sur un simple jeu de bassmatic, rien d’autre. On tombe très vite sur un hit : «Super 8», une power pop d’horizon que chante Linda Pitmon. Admirable ! Et voilà l’immense «My Cross To Bear», claqué aux immenses accords. Steve Wynn sait ouvrir la Mer Rouge, il peut s’asseoir sur le buisson ardent sans se brûler le cul. Cet homme règne sans partage sur le heavy rock, qu’on se le dise. Avec «My Cross To Bear», il propose un cut assez spectaculaire, une vraie avancée. Il fait claquer sa guitare comme une cornemuse au nadir du combat. Impossible de faire l’impasse sur un tel Wynner - I don’t care - C’est énorme, de bout en bout. Il tape ensuite «Kickstart My Jacknife» au chant voilé, mais avec une belle persévérance. Il s’appuie sur la plus belle des sauces. Même si on n’écoute ça qu’une seule fois dans sa vie, ça vaut le détour. Steve Wynn n’en finit plus de pulser du son et ça gicle dans la console. Chaque cut sonne comme une aventure extraordinaire. Il n’en finit plus de réinventer la poudre. Il joue la carte du boogie wynnie avec «Snack Dab» et repart plus loin en mode power pop avec «Suddenly». Il ne baissera jamais sa garde. Il chante de l’intérieur du menton et son génie éclaire la nuit. Encore un fantastique coup de power-pop avec «The King Of Riverside Dark». Il y frise une nouvelle fois le génie avec un solo d’accordéon. C’est tout simplement affolant de son, de présence, de classe et de chant. Diable, comme ce mec peut être bon - And nothing can break me down/ I’m the king of Riverside Dark - Il enchaîne avec ce balladif extraordinaire de qualité intrinsèque qu’est «The Last One Standing». Il peut chanter en profondeur with nothing at all et faire mousser sa glotte dans un abîme de grandiloquence mélodique. Steve Wynn a le son de l’espace et le goût de l’universalité des choses. Encore une belle pièce d’anticipation rockalama avec «Underneath The Radar». Il y claque un claquos coulant dans l’écho du temps. «Oth» sonne comme un exercice de style, ça sort en effet de nulle part, ce cut joué au banjo et chanté au speed des enchères à l’Américaine désarmerait un régiment. On pourrait qualifier ça de cut out de cuttard invétéré. Il nous emmène à la Nouvelle Orléans pour «Black Is Black». Nous voilà en effet dans un enterrement avec du pouet pouet de rue joyeuse. La mort est une délivrance, si on y réfléchit bien. Steve Wynn est capable d’orchestrer un balladif au tuba. Il nous emmène à la fête foraine avec «Claro Que Si». Il y gratte des accords de pur Tex Mex qui feraient baver Doug Sahm en personne. C’est absolument indécent de grandeur. Et il boucle ce brillant album avec «Sometime Before I Die». Ouf, il est temps que ça s’arrête. Ce genre de disk épuise la cervelle. On finit en ahanant. Ce diable de Steve Wynn nous propose là un salad bowl de power pop et de celtic sludge. Il touille ça avec sa grosse cuillère en bois et chante d’une voix exagérément graissée. C’est un diable. On soupçonnait Jason d’être un démon, mais non, quelle méprise, le démon c’est lui, Steve Wynn. Quel mystificateur ! Il ramène tout le celtic de l’hémisphère Nord dans son délire outrancier et purificateur. Son solo coule comme le miel dans la vallée des plaisirs. Il finit en beauté, à la manière d’un Victor Hugo contemplant l’océan du temps qui se fond dans l’horizon.

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    Il existe trois raison d’écouter Solo Electric (vol 1) paru en 2015 sur un label d’éditions numérotées : 1, «Transparency», 2, Hesitation» et 3, «Thanksgiving Day». Il fallait bien se douter que le 1 allait être bardé de son, c’est même ultra-gorgé de gorjo et chanté à la petite menace wynnique. Extraordinaire présence ! Quel débineur ! Il gratte le 2 au groove wynny. Il monte tout seul, pas besoin d’une montgolfière. Il a des ressources extraordinaires. Ses montées se veulent pures et racées. Il peut jouer le Velvet à lui tout sel. Son 3 sonne comme «Like A Rolling Stone». Il tombe dans les bras de son idole Bob. Il est en plein dedans - Thank you for the good times/ Can I stay here/ On that/ Thanks/ Giving/ Day - Pur jus de Dylanex. D’autres merveilles guettent l’amateur, comme cette reprise du «James River Incident» (tiré de Pick Of The Litter). Steve Wynn y croasse délicieusement et son heavy rock de solo-man impressionne au plus haut point. Il claque tout à l’excès guitaristique. Il garde sa spécificité d’allumeur de lampions. Il peut créer son monde tout seul. Il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Il joue «Something To Remember Me By» à la sourde oreille et ça devient fascinant. Il a tellement de talent qu’il fascine sans forcer. Il faut voir cet incroyable claqué d’accords. Et quand il tape «You Can’t Forget», on voit qu’il a de l’attaque à revendre. Il tient bien son chant par la barbichette.

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    Pour bien faire, il faudrait encore écouter deux albums, Wynn Plays Dylan, paru en 2011 et Benedikt’s Blues, paru quatre plus tard. Car ce sont eux aussi des albums magnifiques et indispensable à tout fan de Steve Wynn. C’est malheureux à dire, mais avec Wynn Plays Dylan, Steve Wynn se fait plus royaliste que le roi. On trouve sur cet album deux versions stupéfiantes : «Just Like A Woman» et «Outlaw Blues». Il réussit à shooter du Like A Rolling Stone dans «Just Like A Woman», et il en fait la plus belle version de tous les temps. Même chose avec «Outlaw Blues» qu’il nasille et qu’il électrise à outrance, tout le rock&roll est déjà là chez Dylan et ce diable de Wynner nous restitue ça au mieux des possibilités. De toute façon, tout est énorme sur ce disk, comme cette fabuleuse version de «Rainy Day Woman 12&35», on est en plein phénomène de mimétisme car Steve Wynn chante exactement comme son idole Bob. Beaucoup de son, et Linda bat ça si sec, comme d’usage. Steve Wynn ramène encore du sonic trash dans «Gotta Serve Somebody», il réussit l’exploit de trasher le summum, c’est chanté à pleine voix et bourré de son. Encore plus troublante, la version de «The Groom’s Still Waiting At The Altar» qui ouvre le bal de la B : oui, on croit entendre Bob Dylan en personne. C’est-y Dieu possible ? Il nous barde ça du meilleur son qui se puisse imaginer, ultra-électrique, balancé à la diable, frelaté de frais et foisonnant comme une rivière à saumons au printemps. Avec «All Along The Watchtower», il s’élance sur les traces de Jimi Hendrix, and there’s so much confusion, mais il revient à la raison et opte pour le violon et va bon train.

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    Bel album que ce Benedikt’s Blues, notamment le morceau titre qui sonne comme le «Pale Blue Eyes» du Velvet. Même attaque sensible et nouveau coup de mimétisme. Avec «On The Mend», il revient à Dylan. Il tape ses couplets avec la niaque du Dylan de 66. Incroyable coup d’élégance wynnique ! Avant d’aller faire un tour en B, n’oubliez pas de savourer les délices hendrixiens de «Cinnamon Tweed», un cut expérimental joué à l’unisson du saucisson, intéressant mais pas intéressé. En B, on trouve un «Dead Roses» un peu triste, légèrement saumoné et pas vraiment éveillé et soudain, Steve Wynn remet les pendules à l’heure avec «All The Squares Go Home», c’est le jerk du Palladium, admirablement fouetté au beat nappé d’orgue à la Sam The Sham et chanté à la petite canaillerie. Ce mec a du talent, on le savait, mais on n’en finit plus d’évider les évidences avides et le contrecarrer les carences caractérielles. Il passe avec «Simpler Than The Rain» au balladif magique, dont il s’est fait une spécialité au fil du temps. Il n’en finit plus de tartiner sa ravissante pop au long d’une belle tranche de miche au blé noir.

    Signé : Cazengler, Steve wine (cubi)

    Steve Wynn. Kerosene Man. Dureco 1990

    Steve Wynn. Dazzling Display. R.N.A. Rhino New Artist 1992

    Steve Wynn. Fluorescent. Brake Out Records 1993

    Steve Wynn. Take Your Flunky And Dangle. Return To Sender 1994

    Steve Wynn. Melting In The Dark. Offworld 1995

    Steve Wynn. Sweetness And Light. Blue Rose Records 1997

    Steve Wynn. My Midnight. Blue Rose Records 1999

    Steve Wynn. Pick Of The Litter. Glitterhouse Records 1999

    Steve Wynn. Here Come The Miracles. Blue Rose Records 2001

    Steve Wynn. Crossing Dragon Bridge. Blue Rose Records 2008

    Steve Wynn. Wynn Plays Dylan. Inerbang Records 2011

    Steve Wynn. Up There Home Recordings 2000 To 2008. Shirt Run 2013

    Steve Wynn. Sketches In Spain. Omnivore Recordings 2014

    Steve Wynn. Solo Electric (vol 1). Blue Rose Records 2015

    Steve Wynn. Benedikt’s Blues. Kinkverk 2015

     

    Stup Baker

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    Les Stones ont inventé au temps du swinging London un concept entièrement nouveau : the rock aristocracy. Avec leurs gueules de stars, leur dandysme inné, leurs fringues flashy, leurs comptes en banque, leurs bagnoles de sport et leurs belles gonzesses, la fréquentation de quelques princes, leur goût prononcé pour les stupéfiants et la pincée d’inclinations sexuelles qui font le charme de cette condition, ils fascinaient le petit peuple. Grosse cerise sur le gâteau : il enregistraient des tubes magiques du style «Jumping Jack Flash». Les gens du petit peuple n’essayaient même pas de devenir des Stones, de la même façon qu’en l’An Mil, personne ne songeait à devenir roi, sachant que ce n’était pas possible, puisque le trône était de droit divin. Les gens des villes et des campagnes s’inclinaient sur le passage des rois. Les mêmes gens des villes et des campagnes s’inclineront plus tard sur le passage des Stones.

    Puisqu’ils ne pouvaient pas devenir des Stones, les gens du petit peuple voulurent tous devenir des Velvet. Pourquoi ? Tout simplement parce que le Velvet appartenaient à une autre forme d’aristocratie, celle de l’underground, c’est-à-dire celle qui compte pour du beurre.

    Brian Jones, Keith Richards, John Lennon, Ray Davies, Ronnie Lane, Mick Farren, Phil May ou encore Syd Barrett sont restés jusqu’à ce jour inégalables à tous égards. Look, talent, impact, modernité, intelligence, ils sont restés intouchables. Oh on a vu fleurir ici et là quelques pâles imitations (tous ces garagistes américains qui se coiffaient comme Brian Jones mais qui n’avaient pas inventé les Stones, des luminaries comme Patti Smith, Joan Jett ou Dave Kusworth qui se voulaient plus royalistes que le roi, quant à Lennon, Barrett ou Ray Davies, personne n’a jamais essayé de les imiter, car ce n’était tout simplement pas imaginable).

    Et puis bien sûr Ginger Baker, the wild one, the real deal. Avec ses cheveux rouges, ses yeux clairs et son insatiable soif d’excès, il honore le blason de cette fameuse rock aristocracy britannique. Mais il semble encore plus vivant que ses congénères, comme si les instincts barbares des seigneurs de l’An Mil bouillonnaient en lui. Comme si les notions de loi et de limite lui étaient intolérables. Ginger Baker joue de la batterie comme on prenait un château d’assaut, autrefois, pour se livrer à l’ivresse du pillage. Ginger Baker règle ses problèmes à coups de poings, comme on les réglait autrefois à coups de sabre. Il monte un groupe comme on montait une armée de conquête, il suit chaque fois une vision, comme le faisaient autrefois les conquérants. Il a réussi ce prodige dans l’univers étriqué de la société civile britannique : exister sans foi ni loi. Cette volonté d’exister comme on l’entend, c’est ce qu’on appelait autrefois les privilèges : les aristocrates avaient tous les droits, de vie, de mort et de cuissage, et la foi avait bon dos puisqu’elle leur servait de passe-droit. Comme il ne pouvait pas aller piller des châteaux, Ginger Baker s’est contenté de battre le beurre en Angleterre ou au Nigeria. Il a su canaliser ses instincts barbares dans le jazz qui est en réalité sa religion. Quand il cite ses dieux, il sort les noms d’Elvin Jones, de Max Roach, d’Art Blakey et de Phil Seaman, le batteur londonien qui l’initia à l’héro et à la musique africaine.

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    Comme Doctor John, Ginger Baker a passé sa vie sous héro. Il en parle extrêmement bien dans son autobio, l’excellent Hellraiser, paru voici quelques années. Il y décrit dans le détail la première soirée qu’il passe chez Phil Seaman. Seaman lui fait écouter les Watusi drummers et se prépare un vieux shoot devant lui - When I tell yer pull this - Seaman lui demande de défaire le garrot aussitôt après le shoot. Mais il recommande toutefois à Ginger qu’il appelle Pete de ne pas approcher cette came - Nah Pete I gotta tell you this, this fucking stuff is bad fucking news. Don’t you ever, ever try it - Trop tard ! Ginger sniffe déjà du smack et il trouve ça fantastique pour jouer - All the barriers went down and I was just playing - Quand Seaman l’apprend, il se résigne et le met en contact avec Doctor Feelgood. Ginger commence à prendre ce que beaucoup de gens prennent alors en Angleterre, les fameuses prescription drugs : on va voir un médecin qui signe une ordonnance - The consulting fee was £5 - et le pharmacien donne les doses d’héro prescrites. C’est aussi simple que ça, légal, safe et donc pas d’ennuis avec les stups. Hellraiser est littéralement truffé de souvenirs de shoots tous plus spectaculaires les uns que les autres. Ginger Baker prend un malin plaisir à expliquer qu’il frise régulièrement l’overdose et qu’il se rétablit avec des doses de morphine, là où n’importe quel autre candidat au casse-pipe aurait cassé sa pipe en bois. Alors bien sûr, il règne sur ces pages un délicieux parfum d’immoralité, mais Ginger Baker ne fait rien de plus que de raconter la vraie vie. Il vit ce que vit la grande majorité des musiciens de jazz. Et la crudité de certaines pages rend cette notion d’aristocratie encore plus plausible. La grandeur d’un musicien comme Ginger Baker pourrait tout simplement se mesurer par la grandeur de ses excès, plus que par la grandeur de ses solos de batterie qui nous ont toujours fait bâiller d’ennui. Et son plus bel exploit est certainement d’avoir su rester vivant, comme l’ont fait Keith Richards et Doctor John. Fantastique pied de nez à la morale. C’est d’ailleurs la raison d’être de la rock culture : défier l’ordre moral. Ou à défaut, se positionner au-delà de toute forme de jugement.

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    À ce titre, Ginger Baker est l’homme idéal. Il fait en son temps plus de ravages que n’en firent en leur temps les théoriciens de l’anarchie. Il érige son goût pour le chaos en style de vie, et pour parvenir à ce résultat, il faut une sacrée carrure. Et une certaine forme d’intelligence. Mais au fond, tout cela est tellement britannique. On n’imagine pas un seul instant un Ginger Baker français. Et encore moins un Ginger Baker américain. C’est probablement la raison pour laquelle le film de Jay Bulger, Beware Of Mr Baker, est tellement maladroit. Tout le monde sait que Ginger Baker lui a mis un coup de canne en pleine gueule, et c’est justement ça qui pose problème, car non seulement le film débute sur cette scène, mais on la revoit encore une fois à la fin. Et pourquoi Ginger Baker fout-il sa canne dans la gueule du réalisateur américain ? Parce qu’il apprend que des gens qu’il a virés vont apparaître dans son film, et il ne l’accepte pas. Bing ! Prends ça dans ta gueule ! C’est un procédé très américain : récupérer un incident. Ça fait vendre. Le danger, c’est que les gens qui verront le film ne retiendront que ça, le coup de canne. Alors que le film est censé raconter l’histoire d’un personnage hors normes.

    Dommage, car l’équipe de Bulger débarque chez Ginger Baker, en Afrique du Sud. On entre de plain pied dans l’univers de cet homme qui vieillit bien et qui possède encore des chevaux, sa passion numéro deux après le jazz et les batteurs africains. Installé dans un transat en cuir noir, il raconte sa vie, son enfance pendant la guerre, les bombardements - Great ! J’adore les catastrophes ! - et les bancs vides à l’école le lendemain. Puis il raconte sa rencontre au Flamingo avec God, c’est-à-dire Phil Seaman et passe naturellement à l’évocation de sa muse, l’héro - It was just wonderful - Puis il attaque les gros chapitres, Blues Incorporated, avec Alexis Korner et bien sûr, le Graham Bond ORGANization - et là, Bulger nous sort un fabuleux clip de Graham Bond : on voit des punks en lunettes noires, et je vous prie de croire que ces quatre mecs jouent avec une énergie de tous les diables («Harmonica», en ligne sur Daily Motion) - Bond looked like a white version of Cannonball Adderley. Most of the jazzers didn’t like this as he ignored all the intricate changes on a 12-bar blues by just playing over the three basic chords, but he swung like a demon - On a là un merveilleux portrait d’un autre héros de la scène anglaise que Ginger eut le privilège d’accompagner. C’est Graham qui débauche Ginger et Jack Bruce des Blues Incorporated pour monter sa propre formation - Graham was stoned out of his mind and was raving insanely as he drove back down the M1 - Mais Graham est encore plus dingue que Ginger. Un jour, il va chez EMI et en ressort avec un contrat. Puis il va aussitôt chez Decca. Pareil. Puis chez Phonogram. Même chose. Trois contrats, ce qui est parfaitement illégal - Running the band however turned out to be an increasingly difficult task because Graham was crazy - Sur scène, Graham joue de l’orgue avec une main, de l’alto avec l’autre et la basse au pied - He had begun to look like a pop star and was talking acid with his grass, but nevertheless continued to play his arse off - Il passe naturellement à l’héro, et comme il a du mal à trouver ses veines, il demande à Ginger de lui faire les shoots.

    Bizarrement, dans le film, Ginger ne s’étend pas trop sur son vieux compagnon Jack Bruce. Leurs altercations sont entrées dans la légende. Ginger a viré Jack du Graham Bond ORGANization, mais Clapton l’a fait revenir dans Cream. En gros, Ginger reprochait à Jack de se croire supérieur et ça lui était insupportable. Dans son livre, Ginger raconte le dernier concert de la reformation de Cream, au Madison Square Garden de New York : «Il jouait encore plus fort qu’avant et gueulait dans le micro. On jouait ‘We’re Going Wrong’, un cut basé sur mon jeu de batterie et soudain, Jack se tourna vers moi et gueula devant tout le monde : ‘Non, mec, tu joues trop fort !’ C’était comme au bon vieux temps, il me faisait déjà le coup quand on jouait avec Graham Bond, il le faisait au temps de Cream et si le concert du Royal Albert Hall nous avait ramené aux glory days de 1966, celui de New York nous ramenait aux mauvais jours de 1968. Je fus humilié devant 20 000 personnes et ce ne fut pas une expérience très agréable. Jack jouait de plus en plus fort à mesure qu’on avançait dans le concert et ça devenait insupportable. Alors qu’on sortait de scène, il me dit : ‘J’aurais bien aimé que tu tapes moins fort quand j’essaye de jouer.’»

    Et puis le film aborde l’épisode Cream, un groupe né dans l’imagination de Ginger. Mais comme il le dit si justement dans la séquence, ce n’est pas lui qui va en tirer les marrons du feu, mais Jack et Pete Brown, qui composent les chansons. Ginger n’a pas un rond, alors que les deux autres sont devenus rentiers grâce aux droits. Cream c’est l’époque où Ginger se montre le plus fulgurant, cheveux rouges, voitures de sports, trois groupies à la fois - We were the cream of the cream - Il redit son attachement à Clapton, mais interviewé, Clapton tient une sorte de discours à pincettes pas très clair, disant en gros qu’il faut avoir les reins solides pour fréquenter un mec aussi incontrôlable que Ginger Baker. C’est tout Clapton. Ginger est infiniment plus charitable - Eric and I became close friends - Ils vont ensemble s’acheter des tuniques d’officiers chez I Was Lord Kitchener’s Valet et dans une autre boutique, Ginger trouve cette toque en fourrure d’officier SS du front russe - complete with skull and crossbones - qu’il porte sur la pochette du premier album, Fresh Cream. Et puis Cream s’arrête en pleine tournée parce que Jack joue trop fort. Après un concert, Clapton vient trouver Ginger pour lui dire qu’il en a marre. Ça tombe bien, Ginger en a marre lui aussi. Il vont trouver Robert Stigwood pour lui dire qu’ils arrêtent le groupe. Stigwood ne les croit pas. Et Jack n’est pas au courant ! Fin de la poule aux œufs d’or.

    Ginger vénère les batteurs de jazz, mais il n’a aucune pitié pour les batteurs de rock : «Bonham swinguait comme un bag of shit !». Dans son livre, il revient d’ailleurs sur la mort de Bonham : «En septembre tomba la mauvaise nouvelle de la mort de John Bonham. On a dit qu’il avait trop bu lors d’une party, mais j’ai une autre théorie. On traînait avec la bande de Chelsea et en matière d’héro, John n’était qu’un amateur. Byron venait de trouver une héro extra-strong et quand j’en ai pris, j’étais si stoned que j’ai laissé ma bagnole à Chelsea : je suis parti à pieds jusqu’à Acton, je suis revenu à Chelsea, et comme là je me sentais capable de conduire, je repris ma bagnole. C’est cette nuit-là qu’eut lieu la party où John cassa sa pipe. J’étais assez accro pour pouvoir encaisser l’extra-strong, mais John ne l’était pas du tout.»

    Dans le film, on voit Charlie Watts se moquer gentiment de Ginger : tous les groupes qu’il monte ne durent pas longtemps : Cream, Blind Faith, Airforce. Remarque d’autant plus ironique que les Stones existent encore et que Ginger remplaça Charlie dans the Blues Incorporated. Ginger indique aussi que sur scène, Brian Jones se roulait par terre avec sa guitare. Après un concert des pré-Stones, Brian vient trouver Ginger :

    — What you fink ?

    —Yeah Brian it’s okay, but the drummer is fucking awful. Why don’t you get Charlie Watts ?

    À la suite de l’épisode Cream (et donc de l’accès à la gloire), la vie de Ginger Baker va devenir une suite de faillites et de tentatives de redémarrage, aussi bien au plan musical que sentimental. Épisode africain avec Fela - On partageait tout, les drogues, la musique, les femmes, tout ! - Il monte un studio à Lagos, the place to be à cette époque, on y fait la fête en permanence et c’est là qu’il découvre le polo qui va devenir une obsession. Tout va bien jusqu’au moment où Fela défie le pouvoir. Un beau matin, 1000 soldats attaquent la république de Fela. Et suite à la visite de trois militaires un peu trop louches, Ginger doit fuir le Nigéria sous les balles, au volant de son Land Rover. Il y laisse tout ce qu’il possède. Mais ça ne sera pas la dernière fois. Il rentre à Londres pour se refaire une santé économique avec les frères Gurvitz et pouf il s’achète 30 poneys argentins. Il tombe amoureux d’une gamine de 18 ans, Sarah. Elle pourrait être sa fille. Il quitte sa femme et ses trois gosses. Comme il a des ennuis avec le fisc britannique, il va se planquer en Toscane, dans une ferme coupée du monde, jusqu’au jour où Sarah rencontre un mec de son âge et se fait la cerise. Ginger part alors faire du cinéma à la mormoille en Californie et il rencontre sa troisième femme, Karen. On la voit dans le film. Mais Ginger ne veut pas qu’on parle d’elle. Il essaye de redémarrer sa carrière de rocker, mais personne ne veut jouer de musique avec lui - Too much trouble - Quelqu’un va même jusqu’à insinuer qu’avec Ginger, les choses finissent toujours par mal tourner. Ce n’est paraît-il qu’une question de temps. Ginger leur fait un bras d’honneur et il déclare à la radio que les USA peuvent venir le sucer. Alors bien sûr, il est expulsé et il reperd ses biens. Il envoie paître son fils et Karen le quitte. On voit Ginger tout seul à l’aéroport avec sa valise à roulettes. C’est là qu’il opte pour l’Afrique du Sud - it is very rich musicly - Il dévoile son nouveau concept : polo & jazz. Pour cela, il faut remonter une écurie. Quand il accepte les 5 millions de dollars pour la reformation de Cream, il rachète 24 chevaux anglais, ceux qu’on voit dans le film. Il dépense tout. On le voit avec sa quatrième femme, une petite black. Il se dit ruiné et annonce qu’il va vendre sa propriété. On le voit aussi inhaler de la morphine. Il dit souffrir d’arthrose. Jay Bulger se croit malin en lui demandant :

    — Tu te prends pour un héros tragique ?

    — Go on with your interview. Stop to be an intellectual dickhead.

    Signé : Cazengler, Ginger barquette

    Ginger Baker. Hellraiser. John Blake 2010

    Jay Bulger. Beware Of Mr Baker. DVD 2012

    11 /01 / 2018 / MONTREUIL

    LA COMEDIA

    BROKEN GLASS / RAW DOG

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    La Comedia se remplit, slowly but surely, le temps de contempler la fresque, a work in progress, qui étend ses ramifications – l'est pour le moment en train de grignoter l'étroit espace entre deux protubérances murales - Martin Peronard manie son feutre avec une habileté diabolique, j'en profite pour regarder les affiches des prochaines annonces de concert, vous en parlerai plus longuement un de ces jours, en attendant zieutez celle ci-dessus. Tiens Natasha qui tient le bar a changé de look, différente et totalement elle, l'est des filles qui ont du chien, qui ne perdent jamais leur personnalité, par-delà toutes les métamorphoses. Project Reject n'a pas pu venir ce soir, la soirée sera un peu spéciale, seulement deux groupes, deux binômes, deux formules identiques, guitare-batterie dans les deux cas, nous ne demandons qu'à écouter.

    BROKEN GLASS

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    Premier concert. Brisent la glace dès les premières notes. Indubitable, sont salement rock. Cela transperce de tous côtés. D'abord Thomas Raineaud. Tourné vers sa batterie. Cela peut sembler évident, mais non, quelque chose d'indéfinissable dans la posture qui trahit un comportement particulier. Comme s'il avait un compte à régler avec elle, du genre je te dois une raclée et prépare-toi à la recevoir, maintenant, tout de suite, sans traîner, et d'urgence. Ne va plus la lâcher d'une seconde. Une grêle de coups s'abattent sur les malheureuses peaux, joue sec, serré, sans emphase, au plus pressé, l'on ne peut pas dire qu'il fait monter la pression, la maintiendra au plus haut niveau durant tout le set. A toute vitesse. Ne la laisse pas respirer, sans répit, sans temps mort, heureusement que de l'autre côté José César est en train de jouer, montre ainsi qu'il résout en toute simplicité le problème théorique qu'un tel drummin' suscite, mais quel espace reste-t-il à la guitare dans cette charge sans fin ! Fausse question. Tout est question d'énergie.

    Et de feeling. José ne donne pas dans le piège de la surenchère sonique. Rien ne sert de pousser le volume à fond ou de s'enquérir des Delays les plus tonitruants du marché. L'on n'est pas dans un concours. L'on sent une complicité entre ces deux zigotos, même s'ils n'échangent que de rares regards. Ne s'agit pas de produire du bruit, mais du rock'n'roll, ce qui est différent. De fait la batterie pousse le temps, le décale en avant et c'est dans cette avancée que s'insinue la guitare. Ne vise pas à la submersion phonique, mais une fois investie dans cet étroit couloir, elle ne lâche plus le morceau. Naviguent tous deux de conserve. Sont deux à faire la course en tête, l'on ne sait où ils vont mais on s'accroche et l'on suit. Les titres le proclament bien fort : Come Away With Me et Don't Wait Too Much.

    Mais un verre - quoique brisé – se doit d'être plein de cette écume qui selon Stéphane Mallarmé incite par-delà l'ivresse du tangage au grand désastre – alors José se hâte de verser cette pincée de sel vocal sans laquelle la mer la plus mouvementée tourne en flaque pisseuse. L'aligne les lyrics, les crache - Kill Your Love et Take It Away – juste ce qu'il faut, anneaux de feu et morsures de serpent.

    Huit titres et ils s'arrêtent. Paraissent décontenancés par les applaudissements. Et embarrassés par le rappel. C'est tout ce que l'on a, s'excusent-ils, mais vous savez les enfants gâtés pourris au rock'n'roll, vous leur offrez un gâteau et ils exigent toute la boîte. Alors ils s'excusent et nous promettent d'essayer un truc de répète. Un must. J'aurais jamais cru que ça puisse sonner de cette manière. Vous connaissez le Sweet Dream, des Eurythmics, nous le servent en version ultra-pressé, une batterie affolée, une guitare paniquée, et un vocal crotale, un incendie, trois minutes de bonheur extrême.

    Et puis ils quittent la scène. Une grosse impression. Un groupe à ne pas perdre de vue.

    Damie Chad.

    P. S. :Toutefois il n'y a pas de hasard dans la vie. Au zinc, à Nickopol Coco – qui oeuvre à la programmation de la Comedia et qui vante les mérites du son des vinyles, José évoque ses longues écoutes des album de Jerry Lee Lewis...

    RAW DOG

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    Deuxième bige. La formule ne se révèlera pas du tout répétitive. Les deux groupes ont joué sur les mêmes fûts et utilisé le même ampli, et nous avons eu droit à deux univers différents. Deux planètes issues de deux systèmes solaires situés aux antipodes de la galaxie.

    Fille / Garçon. Le gars à la guitare et la fillette à la batterie. Manière de parler, pleinement femme, Yädre Drum dégage une impression de puissance sereine qui ne va pas tarder à se manifester. Mike Rawdog se place en face d'elle, la symphonie peut commencer. Le son de la guitare déferle sur vous, Yädre tient ses deux bras suspendus en l'air, à la manière des pétrels qui s'apprêtent à prendre leur envol dans la tempête. Attitude shakespearienne. My kingdom for a raw dog ! Un sacré molosse. Un aboyeur de l'enfer. Des muscles et une mâchoire de mastodonte. Un teigneux. Qui ne lâche jamais la barbaque. Et qui revient toujours vous redonner un petit coup de canine sanguinolente pour s'assurer que le travail a été bien fait. Mike the dog, vous jappe les morceaux de toute sa rage. La moitié d'entre eux sont éjaculés en français – L'Occasion Manquée, Les Brutes, File-moi ton Flingue - afin que le message soit plus clair. Critique sociétale et dénonciation de tous les comportements qui ne respectent pas les autres et qui traduisent des égos stupidement démesurés. Parfois en prime Mike les agrémente d'un très bref commentaire des plus explicites.

    Yädre drume dur et fort. Y a de la musicienne en elle, et de l'actrice militante, z'avez l'impression que chaque fois qu'elle assène un coup elle vous signifie quelque chose, qu'elle vous transmet une espèce de message subliminal, une exigence de générosité. Une frappe beethovinienne qui ne recule pas devant l'éloquence et qui brusquement se transforme en une sauvage aversz de grésil, et puis le rythme s'accélère et vous entendez le long halètement spasmodique du chien cru qui court sous la pluie diluvienne afin de parfaire une vengeance qui lui brûle les entrailles, et au piétinement répété de ses pattes sur l'asphalte, vous comprenez qu'il se rapproche de vous, et qu'il est porteur d'une immense colère à l'encontre du monde entier.

    Mike a la guitare vacarmeuse et speedée. N'a pas le temps de contempler les petits oiseaux, un convaincu qui a besoin de dénoncer, d'expliciter, et de montrer la voie de la non-compromission active – Fake Genius, Mental Distress, Nord-Sud – pousse le son, et propulse l'onde de choc. Mike est à l'attaque et Yädre le soutient et le pousse de sa puissance. Se tourne souvent vers elle comme pour se raturer, Antée ne reprenait-il pas des forces lorsqu'il était projeté à terre ? Raw Dog se veut phare et tempête. Cherche à exprimer la chose et sa négativité. Il y réussit parfaitement.

    Un véritable duo. Une prestation sans faille. Nous ont convaincus que le chien cru est le meilleur ami de l'homme.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB des artistes, ne correspondent pas au concert )

    12 / 01 2018 / LAGNY-SUR-MARNE

    LOCAL DES LONERS

    BLACK PRINTS

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    L'ampleur de la tâche, Blake et Mortimer étaient deux pour traquer La Marque Jaune, et moi, ce soir, tout seul pour marcher sur les traces de l'Empreinte Noire. Sous la lumière glauque du lampadaire la teuf-teuf m'attend. Route glissante et pare-brise noyé de crachin, mon instinct infaillible de rocker me guide plein nord au travers du labyrinthe improbable de la zone industrielle de Lagny-sur-Marne vers l'antre maudit des Loners. Ce soir la mort sera ma seule compagne.

    J'arrête mon cinéma. Les Loners portent mal leur nom, ce n'est ni le lieu de la désespérance baudelairienne ni l'endroit des solitudes meurtrières. Un club de bikers qui respire l'amitié et la fraternité, et la terrible Empreinte Noire n'est qu'un des meilleurs groupes de rockabilly français actuels, The Black Prints. Je ne dois pas être le seul à le penser, car la salle est pleine pour ce premier concert de l'année, bikers de tous les environs, teds et rockers se croisent, tout heureux de se retrouver dans le local agrandi et refait à neuf.

    INTRO

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    Un groupe improbable. Sur le papier, les Black Prints, un assemblage hétéroclite qui ne devrait jamais marcher. A peine ont-ils touché leurs instruments que vous êtes convaincu que vous êtes en face de la plus redoutable des machines de guerre. Une tuerie. Jean-François est à la basse, Olivier au chant et à la guitare. Jusque-là tout va bien. Thierry avec son wash-board en main, vous paraît être la caution d'authenticité incontestable. Vous vous dites que dès qu'il va commencer à tapoter son engin les alligators sortiront de leur mangrove. Patatras, vous n'auriez jamais dû regarder derrière. Yann est à la batterie. Le pire est à prévoir. Certes ces épaisses mèches bouclées qui retombent en grappe sur son visage ne sont pas sans évoquer certaines photographies de Jerry Lee Lewis jeune. Mais ce collier de barbe foisonnante et cette lèpre de poils qui enserrent sa gorge ressemble à s'y méprendre à cette mousse insidieuse qui envahissait le banc de bois sur lequel le héros de L'Amoureuse Initiation d'Oscar Vladimir de Lubicsz- Milosz rencontra le Diable... Mauvais présage. A la seconde concrétisé. Une cataracte déchire le ciel. Une frappe lourde, d'une violence monstrueuse, une avalanche à vous détruire ad vitam aeternam les saintes lois de la rythmique rockabilly. Tout est perdu. Le monde est foutu.

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    Et le miracle d'équilibre se produit. En six secondes vous êtes sur le petit nuage du parfait bonheur, accrochez-vous tout de même, car le vent le pousse méchamment. D'abord Jean-François. Jamais vous n'avez entendu une basse Fender si moelleuse, un tel swing d'une onctuosité sourde et profonde. Peut abattre tous les chênes qu'il veut pour le bûcher d'Hercule sur sa batterie Yann, Jean-Francois vous amortit ces coups fatidiques dans l'ouate de son toucher, vous crée une épaisseur phonique ondulatoire qui englobe la puissance de la frappe yannique sans l'amoindrir, l'un produit la pierre de foudre et l'autre la propulse en la faisant tournoyer, comme avec une fronde.

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    Olivier, longue silhouette de noir vêtue, Gretsch orange et pierre turquoise talismanique au ras du cou. Le grand ordonnateur. Si Jean-François et Yann sont la machinerie de l'horloge du rock'n'roll, Olivier indique l'heure. Manie les deux aiguilles du cadran, celle du chant et celle du son. Un orfèvre, d'une précision absolue. Un phrasé d'une justesse étonnante, d'une flexibilité déroutante, l'on peut dire de lui qu'il ne chante pas pour passer le temps mais pour égrener la signifiance du rockabilly. Les syllabes sont agencées selon une économie vertigineuse. Déploie la richesse intonative du rockab, à tout instant rien de trop, rien de moins que la morsure du mamba, une diction parfaite digne des agencements les plus subtils des prosodies poétiques. Idem pour le jeu de guitare, fait retentir la vibration particulière de chaque corde, donne tout son sens à l'adage de Paul Valéry selon lequel ce qui est précis est précieux, avant d'enfanter le son qui tue, l'archer bande l'arc, et la flèche vole vers votre cœur.

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    Il semblerait qu'avec son tambourin, sa washboard et ses maracas Thierry en soit réduit à jouer les utilités. Broderies country, chapeau de cowboy et grand sourire, s'insinue dans votre oreille et ne la quitte plus. L'est la trotteuse de la montre, celle que l'on regarde en premier, la fascinante qui attire votre regard, qui tourne sans fin, et qui grignote une par une le décompte de votre vie qui vous est impartie depuis votre naissance. Le tapotement du temps qui passe, la fosse qui se creuse, et le tourbillon de la vie, le rock'n'roll qui emporte tout.

    PREMIER SET

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    Avant d'ouvrir le coffre aux merveilles, de plonger dans le répertoire rockab les Black Prints nous avertissent d'une sage décision, d'abord une bonne dizaine de leurs propres compositions qui n'ont pas à rougir de celles de leur aînés. De véritables classiques, There's Rock'n'roll on the Radio, Two Tones Shoes, percutants à souhait, qui tout de suite mettent le public en joie et engendre sur scène une complicité stimulante. Quatuor avec cordes et percussions.

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    Jean-François danse une étrange danse du scalp comme s'il était lui-même attaché au poteau de torture. Ce sont les contorsions de son corps qui bougent ses doigts, de l'autre côté de la scène Thierry pratiquement immobile donne la réplique aux tambours de guerre de Yann. Tient le rythme à l'identique, comme en sourdine insistante, chasse une mouche tandis que Yann écrase un éléphant. Basse et guitare se liguent contre cette tonitruance explosive, s'amusent comme des fous, les rochers de Yann déboulent comme une charge de cavalerie lourde et hop, guitare et basse, prennent la tête de cette charge héroïque et en prolongent les effets dévastateurs, la mènent encore plus loin qu'elle ne serait allée toute seule. Impassible, Thierry régule le tout de son trot régulier mais inextinguible. Ce soir le rock'n'roll est de sortie et rien ne l'arrêtera.

    PHILOU

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    L'est sûr que cette soirée roule trop bien et que l'on va s'amuser. Olivier demande à Philou de monter sur scène. Tout de suite plébiscité par le public. Et Phil, l'ancien – toujours actuel dans nos cœurs - batteur de Ghost Highway, hisse sa haute carcasse sur le podium, l'a cette allure du gars embarrassé qui n'ose pas opposer un refus à cette douce violence collective. S'assoit d'un air ennuyé sur le tabouret de Yann qui lui a laissé la place. Tant pis pour lui, tout juste le temps de se saisir des baguettes qu'Olivier lance sans préavis une intro fracassante, métamorphose subite, le géant débonnaire prend le relai comme si de rien n'était, une machine à rythme, instantanément adaptable, à croire qu'ils ont répété toute la semaine, mais non c'est de l'impro impromptue telle que peuvent se le permettre des musiciens qui ont le rockab chevillé à l'âme depuis la prime adolescence. L'a le break rythmique Phil, là où Yann explose, lui il glisse et fuit, une course en avant qui évite tous les obstacles, le voleur futé qui se faufile entre les gendarmes dans les cours de récréation. Et les Black Prints s'agglutinent comme le moule autour de la statue à cette frappe si différente, une escadrille d'avions de combats qui au cours de l'attaque adaptent instinctivement leur formation à toutes les situations. Trois titres défilent à une vitesse prodigieuse, c'est déjà fini, Phil se lève, tout content, mais avec cette mine du type modeste qui a peur de vous avoir ennuyé, et rejoint le public sous les acclamations.

    FIN DU SET

    N'ayez crainte, c'est loin d'être fini, les Black Prints tapent maintenant dans le répertoire illimité du rockab. C'est loin d'être le plus facile, le public connaît, et l'on vous attend au tournant. A part que les avis divergent sur la dangerosité du virage maléfique, personne ne le situe au même endroit, et pire que cela chacun, possède sa propre référence interprétative qu'il juge historiale et indépassable. Chasse-trappe généralisée et terrain miné. Autant dire que le combo a intérêt à enlever d'assaut le morceau à la baïonnette, sans coup férir. Par contre si vous avez le brio et le style l'on vous pardonnera tous vos choix esthétiques, vous emmènerez tout le monde avec vous, tel Bonaparte sous la mitraille du Pont d'Arcole.

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    A ce jeu-là les Black Prints sont d'une maestria impériale et impérieuse, vous emportent jusqu'au bout de la Voie Lactée, avec aisance et élégance, la répartie facile vis-à-vis du public égayé de se retrouver en pays de cocagne rockab conquis, et cette générosité animalement humaine sans laquelle le plus grand des virtuoses ne produit que bâillements et ennui. Les Black Prints, c'est d'abord cette rythmique infernale du beat ted, intraitable et insatiable, le dragon de feu qui avance imperturbablement, une espèce d'ossature mouvante qui se colle à vous, tel le lierre qui s'enroule autour de l'arbre. Et Yann réussit de sa frappe baroque, de sa frappe barocke, le prodige de produire cette étincelle de vie primordiale, le pouls irréversible du rock qui s'en vient cogner aux portes des corps en transe. Se permet en sus des fantaisies irrémédiables, comme de temps en temps au milieu de la tourmente ce coup solitaire et incongru sur sa cloche de vache, et aussitôt se déploie dans votre imaginaire l'image mentale de la Noiraude ramenant son troupeau à l'étable à l'heure de la traite, racine country du rock'n'roll qui pousse sa corne agreste dans la démence rock. De la quinzaine de titres qui se succèderont à vitesse grand V, j'élirai ce Baby Let's Play House, une incandescence absolue, un trait de feu qui vous marque l'âme au fer rouge, et le morceau final, le Sweetie Pie d'Eddie Cochran, Olivier au vocal transcendantal, tous les sous-entendus de la coquinerie du rockak, vous avez la mousse du gâteau érotique, l'ambroisie charnelle qui se colle à votre palais...

    SECOND SET

    Non ce ne sont plus les Black Prints. Sont toujours là, je vous rassure, mais au second plan. Totalement éclipsés par Audrey.

    AU DREY 

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    Au micro. Toute simple. Toute seule dans sa marinière. Venue d'une autre planète. Même pas le temps de l'admirer que les Black Prints déploient les premières notes de ce chant de guerre qu'est Great Balls of Fire. Et c'est-là qu'Au Drey subjugue. Elle frappe en plein cœur. Et pourtant l'on est si loin d'une interprétation dynamite. Se contente de poser les mots, tout doux, tout simplement, mais à l'endroit adéquat, les enchâsse comme les pierres précieuses dans une parure de diamant. Le coup de foudre tranquille. La foule calcinée en un instant. Et celui-ci, qui n'y tient plus, qui par trois fois dans le silence approbatif et bourdonnant qui s'est installé par magie, s'écrie, traduisant l'impression générale, '' Je suis amoureux'', l'est sûr qu'elle est superbement mignonne avec ses yeux clairs, ses pieds de princesse, et sa coupe de cheveux moderne, mais irrésistible et révolutionnaire par ce vocal péremptoirement doucereux qui vous transperce à chaque mot d'un trait mortel. Suit un Fever renversant. A vous faire exploser le thermomètre. L'a une manière tellement à elle de murmurer le mot Fever à votre oreille que vous frissonnez, ne vous promet pas l'extase, elle vous la donne, vous l'offre de toute sa gracilité envoûtante. Un dernier morceau, un Bang Bang mirifiquement interprété à la sauce rockabilly par les Black Prints, et toujours cet art de ciseler les syllabes, de les faire resplendir comme jamais, Bang Bang, Au Drey vous susurre, du bout de ses lèvres roses, des coups de revolver à bout portant, et vous aimez cela. Elle s'enfuit pratiquement de scène, émotionnée par l'ovation du public. Un instant de grâce. Et de rêve.

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    SUITE ET FIN

    Reprenons nos esprits. Nous avons eu la vision du paradis, il est temps pour les pécheurs endurcis que nous sommes de retourner dans l'enfer du rock'n'roll. Les Black Prints sortent le grand jeu. Débutent par un Restless de toute beauté. Je ne l'ai jamais entendu si magnifiquement et si finement interprété. La guitare d'Olivier réussit le prodige de donner l'illusion qu'elle pleure tout en se livrant à une cavalcade infinie. Continuent sur cette lancée. Z'ont le feu sacré, déferlent coup sur coup Runaway Boys – lyrique et exacerbé en diable, immédiatement suivi de Dance To The Bop – la voix d'Olivier se fait caresse et ressuscite le fantôme de Gene Vincent, les doigts de Jean-François ne touchent pas les cordes, s'enfoncent dans une motte de beurre, Thierry balbutie la douceur du monde et, à l'instant idoine que toute la salle guette, Yann vous lance l'exocet du bop sous la ligne de flottaison, et c'est parti pour le grand tangage... Shakin'All Over, la guitare d'Olivier flambe, la flamme du désir embrase la salle, les Prints nous envoûtent. Un My Babe, torturé et kaotique, ponctue cette séquence fabuleuse.

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    Ne vais pas tout vous raconter. Vous en crèveriez de dépit. La liste est longue. Tout de même ce Ready Teddy et ce Brand New Cadillac, sortis tout droit de la grande fabuloserie. Uns séquence special Ted, plébiscitée par le public de fans, un Old Black Joe chanté en chœur, un Dixie hymnique suivie d'une dernière séquence blues, l'autre face, l'empreinte noire, du vieux Sud, Jean-François à l'harmonica vous déchire les tympans et Audrey s'en vient poser la rosée apaisante de quelques mots bleus, et c'est fini. Enfin presque, trois rappels supplémentaires pour avoir le droit de terminer le concert.

    Un concert comme on en voit peu. Comme on n'en voit plus.

    Damie Chad.

    P.S. : L'on se bouscule dans les coulisses, pour s'arracher les rares exemplaires restants de leur dernier album. Le prochain est prévu pour bientôt. Avec Emilie Crédaro à la guitare. Absente ce soir. Une bonne excuse pour les revoir au plus vite. Et Au Drey aussi.

    ( Photos : FB / Rockin' Lolo )

    DOUCHE FROIDE

    FRED CALONE

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    L'envie d'en voir plus. Vous avez vu ces photos dans la livraison de KR'TNT ! 400, m'en étais servi pour rehausser la kronic sur le concert de System-syS et de Punish Yourself, au Chaudron le 21 / 12 / 2018 au Mée-sur-Seine. Suis allé sur son Flick ( tapez Douche Froide ), me balader un peu. J'ai tout zieuté. Plus de 300 photos. N'ai pas perdu mon temps. Des photographes dans les concerts de rock, il y a en plein. Quelques uns ont un truc : un regard qui n'appartient qu'à eux. Fred Calone est de ceux-là.

    Un premier étonnement : la série consacrée à Punish Yourself est la seule qui soit en couleurs. Sinon Fred Calone ne nous présente que du noir et blanc, ce qui correspond à merveille à son blaze Douche Froide. Je précise, Fred Calone photographie surtout en noir. Comme d'autres écrivent des romans noirs. Pas parce qu'ils aiment les flics, mais parce l'être humain possède l'âme la plus noire de tout le règne animal. Fred Calone, c'est toutefois un peu différent, il cherche le détail, qui fasse miroiter la beauté insoupçonnée et perdue du monde dans les endroits de grande noirceur.

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    Commence souvent par les pieds. Même pas nus. Gainés de cuir. Des chaussures. Rodin présentait des statues sans tête, Calone montre des pieds sans corps. Ça n'a l'air de rien un pied posé sur la scène d'un concert. C'est pourtant l'assise de l'être humain. C'est ici qu'il repose. En attendant le cimetière. Gros-plan sur le lieu exact de son implantation. Même pas l'espace volumique. Juste l'endroit du décor où quelque chose se passe. C'est trivial un pied, c'est bête, mais peut-être veut-il nous signifier qu'il y a des coups de pied dans les yeux qui se perdent.

    Photos de concerts. Si vous voulez des renseignements sur le spectacle, cherchez ailleurs. Fred Calone n'édite pas des dépliants touristiques. Ne donne pas dans le reportage universel. Il capte l'universel. N'ayez pas peur des grands mots. L'universel n'a rien à voir avec des photos de groupes. Fussent-ils de rock ! L'universel c'est aussi bien un pied de micro qu'un câble électrique enroulé sur le plancher. Le détail. Qui ne signifie rien que lui-même. Ces objets qui traînent autour de nous, dont nous ne faisons pas cas. Fred Calone nous rassure, il est inutile de regretter notre manque d'attention, ces pauvres artefacts ne s'intéressent pas à nous. Se contentent d'être seuls dans leur solitude. Nous aussi. Mais nous, nous essayons de le cacher.

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    Alors Fred Calone nous montre ce que nous ne voudrions pas voir. C'est fort le rock, ça bouge dans tous les sens, ça tohu-bohute; ça tumulte à fond. C'est la vie, la joie et la rage de vivre. Pas tout à fait. C'est maintenant que Calone tire la chasse de sa douche froide. Bye-bye les artistes. Bonjour les monuments funéraires. Des statues grises. Des vivants morts. Des fantômes détachés de leur existence. Son objectif saisit des corps. Comme au temps des grandes glaciations ces mammouths figés en un seul instant, la gueule encore emplie de fourrage. Transforme les humains en statue de sel. Des gangues de cadavres qui ressemblent à ces gisants de Pompéi surpris en leut quotidienneté.

    Mais Fred Calone ne mitraille pas à tout-vat et à bout portant. Son œil n'est pas le rayon de la mort qui balaie la scène du monde au hasard. Il ne ratisse pas large. Tout au contraire. Il cherche le geste significatif, l'acte symbolique. C'est sa manière à lui d'abolir le hasard. Il ne met pas en scène. Il cherche le hors-scène, cette seconde fatidique où le guitariste n'est plus guitariste, où le chanteur n'est plus chanteur. L'impression qu'il pousse ses sujets hors d'eux-mêmes et de la scène. Il les entoure d'une camisole de solitude excédentaire qui fait froid dans le dos. Il les détache de leur statut de star, les plante au milieu de monde, à eux de se débrouiller comme ils peuvent. Et ils ne peuvent rien. Sont tétanisés, titanisés de pierre grise et d'immobilité – incapables d'esquisser le moindre geste qui serait preuve de leur liberté. Fred Calone nous le crie violemment à l'oreille, nous sommes prisonniers de nous-mêmes, murés dans la banquise de l'être pour toujours. Le monde est une glu dont on ne s'échappe point.

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    Beaucoup de photos de scènes. Mais elles cherchent l'obscène. Ces moments où ne sommes pas nous, où ne sommes que notre nudité dévoilée. Pas celle du corps, celle intérieure, quand nous ne sommes que poses et fanfaronnades, quand nous ne sommes que la trahison de nos travers, de nos fuites, quand nous exprimons cette sensation du néant qui nous traverse et nous sert d'ossature. Nous sommes des châteaux de cartes, en équilibre précaire, un souffle nous détruirait, un clic d'appareil photographique y parvient facilement. Encore est-il nécessaire que l'œil du photographe agisse tel un scalpel. Qu'il déchire la belle image de surface derrière laquelle nous nous réfugions, qu'il la traverse tel un rayon X, afin de révéler cette pourriture néantifère dont nous sommes constitués.

    Fred Calonne n'affiche pas que les mannequins que nous sommes. Il descend dans les Catacombes. Aux anciens morts du cimetière des Innocents, les mains vides. Os et têtes de morts. Mais aucune piraterie romantique. Des entassements d'ossements. L'anonymat parfait. Ses grandes orbites creuses et vides qui nous regardent sans nous voir. Un constat glacial de l'inanité du rien. Alors Fred Calone s'amuse. Il change la donne. Au blanc du néant et au noir de la nuit, il substitue la douce couleur mordorée des rayons de couleurs automnaux. Ici vous auriez envie de psalmodier à l'instar des poëtes qu'en ce lieu tout est calme, luxe et volupté, mais non ce ne sont que bout d'os et occiputs troués, ni plus ni moins. La couleur n'ouvre pas l'horizon, elle le ferme tout autant que le blanc et le noir.

    Trop de noir, alors regardez la série Expo Jérôme Zonder. C'est la page blanche de Fred Calone. Ni plus ni moins qu'un livre. Un Lieu à Soi de Virginia Woolf, mais étalé en grand sur les murs d'une galerie, un texte que Zonder a agrémenté de dessins de femmes. Des nudités sauvages et militantes. Des désespérées, prêtes à se déchirer sur les barbelés du vaste camp de concentration d'une société machiste et objectale. Encore faut-il savoir lire, débusquer la cruauté du vide pour y ajouter la carcéralité du vivant phantasmatique. Calone ne feuillette pas le bouquin, il en arrache les pages, nous montre combien le papier est glacé, et que ce froid absolu n'est que la pointe de l'iceberg qui émerge et affleure nos représentations. Nos volontés impuissantes, aussi.

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    Regardez aussi les deux séries sur Les Tétines Noires. Ni tétons ni tétins. Hormis le groupe en pleine action, seul un homme nu. Sexe au repos de toute présence humaine. Déchaînement autour. L'homme transformé en poupée gonflable des désirs morts. La dernière photo est machiavélique, Fred Calone vous donne envie de tirer sur la sonnette d'alarme d'un train immobile qui ne s'arrêtera jamais.

    J'arrêterai sur la série Machinalis Tarantulae, setlist posée à terre sur fond noir, et à côté, sur la gauche, cette croix rouge de sparadrap pour désigner le lieu, le point exact, où il ne se passe rien. Et votre regard qui reste aussi immobile que le Corbeau d'Edgar Poe, à fixer le rien. Nul essor.

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    Certes Fred Calone offre une vision du rock peu chatoyante. Un étiqueteur parlerait d'indus et de post-noise apocalyptique. Mais Fred Calone n'aime pas les mots ronflants et définitifs. Il dépasse les oripeaux. Son rock, et surtout ses photos, atteignent à une tragédie métaphysique inégalée jusqu'à ce jour.

    Damie Chad.

    P.S. : les photos sont prises sur son FB : Douche Froide Photographie ce qui explique le l'american prude logo censured sur certaines parties anatomiques, voyez plutôt sur Flick.

    ROCK CRITIC N° 11

    Décembre / Janvier / Février 2018

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    Tout beau mais pas tout neuf. C'est un peu la danseuse de Ben Hito et de Géant Vert. Le fanzine de la zone libre. Sur papier glacé, en couleur et distribué gratuitement dans une vingtaine de villes en France. Si vous n'aimez pas lire, ce n'est pas grave. Rock Critic, d'abord ça se regarde. Question graphisme vos yeux oscilleront entre hyper-réalisme et soviétik propaganda. Esthétique de l'impact visuel. Un peu daté, mais très beau. C'est comme la profession de rock-critique, fut un temps où ils étaient aussi célèbres que les rock-stars, z'apportaient la bonne parole à un peuple d'affamés, mais c'est fini. Aujourd'hui sur internet tout le monde y va de sa petite bafouille. Certains le regrettent. D'autres citent Platon qui fustigeait la démocratie qui permet à n'importe qui de prétendre à des postes de responsabilité, politique, économique et morale. Un discours un peu rétrograde.

    Rock Critic, eux se réclamerait plutôt du Do It Yourself. Sont connotés punk. D'ailleurs le numéro débute par une interview de Glen Matlock. Ne dit pas que des stupidités. A part quelques méchancetés ( méritées ? ) sur Johnny Rotten, ne tient que des propos estampillés au marbre de la sagesse. Les chiens fous ne devraient jamais vieillir. James Dean avait raison, mieux vaut vivre vite et faire un beau cadavre. Remarquez que je suis le premier à ne pas avoir suivi le deuxième commandement... A la page suivante ce n'est guère mieux, Dead Can Dance a eu du mal a finir son disque, l'est des moments où la santé vacille, la vieillesse est un naufrage... L'Ombre Verte raconte son voyage au Vietnam. Pas la joie. Apparemment ailleurs l'herbe asiatique n'est pas plus verte que par chez nous. Un truc à démoraliser les trotskystes engrangés dans les Comités Vietnam en 1968... Z'ensuite les chroniques disques ( une consacrée à Odetta, chose rare ) et Bande Dessinée...

    J'ai récupéré ce numéro à la Comédia. Croyais que c'était le tout nouveau. Mais non il date de l'année précédente. Le dernier en date. Peut-être pas l'ultime. Z'ont tenté une cagnotte en 2017, pour augmenter le tirage, voulaient frôler les 20 000, et équilibrer le budget avec des placards ( filtrés ) publicitaires. Une stratégie qui se défend. Perso, je ne condamne pas, je préfère la gratuité sans appel à la participation financière du peuple ami. C'est pour cela que KR'TNT qui était sur papier en ses débuts historiques est très vite passé sur le net. Suffira un jour que des esprits mal-intentionnés appuient sur un clic pour que subissions l'extinction des dinosaures. Nous bâtissons des châteaux de sable.

    Damie Chad.