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steve wynn

  • CHRONIQUES DE POURPRE 673 : KR'TNT ! 673 : MARC ZERMATI / STEVE WYNN / BOB STANLEY / SANDY SALISBURY / MAN MAN / NEUROTIC OUTSIDERS / DANIEL DELISSE / RITUEL

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 673

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    16 / 01 / 2025

     

    MARC ZERMATI / STEVE WYNN

    BOB STANLEY / SANDY SALISBURY

    MAN MAN / NEUROTICS OUTSIDERS

    DANIEL DELISSE / RITUEL

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 673

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    *

    Un cavalier, qui surgit hors de la nuit
    Court vers l'aventure au galop
    Son nom, il le signe à la pointe de l'épée
    D'un Z qui veut dire

    ZERMATI !

    ZERMATI ! ZERMATI ! ZERMATI !

    Z ! 

     

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    WANNA BE YOUR SKYDOG

    Les Diggers et Tony Marlow rendent hommage à Skydog

    Suivi de Rhetoric K. O. – Interview fleuve de Marc Z

    Menée par Patrick Bainée et Patrick Cazengler

    (Camion Blanc / Décembre 2024)

     

    AUTO PORTRAIT

    Je n’ai été qu’une fois au contact de Marc Zermati. L’était dans le public qui assistait au live (local Harley Davidson, Paris) de Tony Marlow et d’Alicia F ! Pour le décrire, facile, il suffit de se rapporter au portrait, celui de face à l’écharpe rouge, d’Aristide Bruant peint par Toulouse-Lautrec. La même carrure, la même pose, le même chapeau noir. L’écharpe rouge vous fait penser à celle de Mitterrand, mais là  rien à voir, comparé à cet inconnu Mitterrand ressemblait à un gosse souffreteux enrubanné dans un gros cache-nez, à peine sorti d’une vilaine coqueluche. Le gars ne regardait pas, impassible il posait son regard sur le monde, rien ne lui échappait, la sagesse de celui qui sait et qui n’a besoin de rien d’autre, un empereur romain sur son trône, un dominateur, sûr de lui, de sa puissance, sa vaste houppelande noire arborait l’aspect d’une toge, une couronne de laurier remplaçait le chapeau et son écharpe rouge vous prenait des allures de laticlave pourpre.

    Une présence. Je me demandais qui c’était. J’aurais bien aimé aborder cet individu en auto-suffisance, il imposait, je n’ai pas osé, fais gaffe Damie, me disais-je, avec ta carte de visite de krockniqueur  tu vas passer pour un pied nickelé, l’a sans doute d’autres centres intérêts. Comme quoi le fameux flair du rockeur, ça ne marche pas à tous les coups.

    UNE AUTRE HISTOIRE

             Elle débute à la page 57. Hissez le grand cacatois, c’est une histoire de pirates. Oui je sais, aujourd’hui la marine à voile à voiles n’existe plus. Mais dans l’imagination d’un gosse elle n’a jamais disparu. Du moins ce qu’il en reste. Un conte de gamin ! N’oubliez pas que la différence entre un conte de gamin et un conte d’Edgar Poe n’est pas énorme. Bref notre héros doit être en sixième. Son imagination turbine à plein, par contre la réflexion n’est pas encore tout à fait au point. Croit dur comme du fer que la grande malle reléguée depuis des lustres au grenier contient un trésor. Il monte souvent la regarder. Il n’ose pas l’ouvrir. Il a dû lire L’Île au trésor de Stevenson, le coffre est certainement rempli de lingots, de bijoux, de pièces d’or, pourquoi pas une carte secrète… Un jour la tentation est trop forte, il soulève avec précaution le lourd couvercle, effarante déception, ce n’est pas le trésor des pirates qui s’offre à lui, mais les pirates eux-mêmes qui débarquent dans le grenier, sont tous-là, Barbe-Noire, Barbe-Rouge, Morgan, Jean Lafitte, les borgnes qui clignent de l’œil, les jambes de bois aux crocs-en-jambe redoutables, un ramassis hétéroclite de boucaniers, de corsaires, de nègres marron, même trois ou quatre pendus avec encore leur corde autour du cou. Quel ramdam ! Ça crie, ça hurle, ça s’interpelle, ça chante, ça rote, ça pète, ça glapit, ça trinque, ça fume des pipes en terre, ça crache, ça urine, ça chie et ça dégobille sur le plancher… l’est manifeste qu’ils ne savent pas se tenir. N’est pas nunuche le gaminos, le paternel pourrait se radiner, alors il  remballe le tout dans le caisson, il n’en a gardé que trois, qui portent une étrange marque noire tatouée sur le visage, et hop il se faufile dans sa chambre, sauvé, il peut maintenant s’intéresser à ses invités. L’est heureux, il en reconnaît un, c’est Chien Noir, celui qui se périt piétiné par un cheval dans le roman de Stevenson, il ne peut pas se tromper, son nom est écrit sur son tatouage, Skydog, Dog en anglais c’est le chien et Sky ne peut que vouloir dire black… il n’est pas toujours attentif à l’école…

             Cette histoire n’est pas signée, elle porte un titre : Vox : Sweet Punk Memories, elle se veut anonyme, les lecteurs de Kr’tnt ! la reconnaîtront facilement, elle plane comme les voix qui résonnent entre le vide et l’absolu dans les Solitudines Coeli de Victor Hugo. Elle conte l’origine des choses. Bien sûr elle ne part du commencement, se contente de dévider la soie foutraque d’un seul cocon du nid de vipères d’où ont surgi les différentes générations des amateurs de rock… Je me permets d’aborder ma petite contribution personnelle, c’est en 1967, sur Radio Monte-Carlo, pas vraiment une radio rock, que pour la première fois j’ai entendu parler des Doors, comme tout le monde je connaissais les Yardbirds, les Stones, les Who, et toute la suite, mais dès Break On Through j’ai compris que cette fois c’était différent, un truc en plus, une dimension que les précédents n’avaient pas, même Hendrix qui depuis deux ans poussait le bouchon un peu plus loin que toute la smala, les Doors véhiculaient une autre dimension, je l’ai vite reconnue : la poésie. Mon cas n’est pas unique. Nous étions quelques milliers à vivre cette initiation décisive, c’est ce que raconte cette histoire. Ne vous étonnez pas si ce texte évoque quelques écrivains romantiques et symbolistes. Le rock est un traumatisme existentiel.  Une fois que vous avez été foudroyé par les traits de feu de Kim Fowley, des Stooges, du MC 5, des New York Dolls, vous n’êtes plus pareil, baigné dans la fosse par le sang du taureau de Mitra, vous ressentez l’invincibilité du Sol Invictus, désormais vous serez un activiste rock.

             Pauvre France ! tout cela venait d’Angleterre et surtout d’Amérique. Pourtant une des batailles décisives se déroula en France, Marc Zermati en fut le principal général.

             Son histoire nous est racontée par Dinah Douïeb dans les cinquante premières pages. A l’origine de Marc Zermati il y eu sans doute un arrachement. Une faille. Sa famille quitte l’Algérie en 1961, le monde s’écroule-t-il pour lui, peut-être mais il a cette force de se reconstruire, tout seul à partir de rien. Dans quelle direction ? J’imagine qu’il a écouté  le suprême commandement de Baudelaire :

    Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
    Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ?
    Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau !

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    Ce sera donc le nouveau. Chance extraordinaire en cette époque lointaine le nouveau est facilement identifiable : c’est le rock ‘n’ roll. L’aurait pu devenir disquaire. L’a préféré ouvrir en 1972 l’Open Market, une boutique de disques, un repaire de dingues, qui n’est pas tenue par un boutiquier, il vend les disques et des fanzines que l’on ne trouve pas ailleurs. Arrivent des amateurs, de France et d’Angleterre, l’on y trouve même des vinyles des Pays-Bas et de la grande Amérique que les anglais trouvaient pas chez eux…  le lieu se transforme en bouillon de culture, en brouillon de rupture… un point d’ancrage et de largage, à New York, à Londres, l’époque est en ébullition, le mouvement punk se cristallisera dans les arènes du Festival de Mont-de-Marsan, improcksible n’est pas français… Les esprits chagrins parleront de circonstances, de coup de chance, de bluff, de hasard, Zermati l’agitateur-rock patenté ne serait-il pas simplement un agité… Un festival même devenu légendaire ce n’est pas mal, mais Zermati a un autre fer au feu : Skydog, un label rock !

             Nous y reviendrons. Nous sommes là au tout début de la vie aventureuse de Marc Zermati, elle a connu des hauts et des bas. Mais l’Homme est devenu une légende vivante. D’abord il a survécu. Jusqu’à sa mort en 2020. Un fort caractère. N’en a toujours fait qu’à sa tête. S’est fait des ennemis. L’a continué sa route. Dinah Daïeb vous livre de nombreux détails, même si à la fin elle parle surtout d’elle, ce n’est pas qu’elle tire la couverture à elle, je comprends que Zermati s’est un peu retiré en lui-même, comme le vieux sur sa montage, apaisé puisqu’il sait que ses disques-assassins continuent leur course autour du monde, et que son trône indétrônable est planté dans l’œil du cyclone…

             Jacques Ball, Patrick Bainée, Patrick Fouilhoux, Laurent Bigot, Alain Feydri, Tony Marlow, Cazengler le loser, s’y sont mis à six pour explorer en cent cinquante pages, le catalogue du label Skydog. Résultat, une histoire parallèle, presque secrète, underground, souterraine, voire mystique, tout au moins mythique du rock’n’roll, la veine maudite, le filon interdit, la mine de l’allemand perdue retrouvée, je vous laisse découvrir, c’est aussi un portrait de Zermati, l’homme en ses œuvres, chaque disque est un combat, une préférence, une intuition, Zermati récupère des bandes perdues introuvables et improbables, l’a le flair du rocker, ne se trompe pas, il devine non pas ce qui va marcher mais ce qui est bon. Que ce soit un groupe inconnu ou déjà légendaire, il s’active, il s’occupe de tout, de l’enregistrement, du mixage, de l’ordre des morceaux, organise les tournées…

    LES ENTRETIENS

             Nouveau gros morceau, trois longs enregistrements de Marc Zermati mené par Patrick Bainée et Patrick Cazengler, minutieusement  retranscrits par nos deux diggers, rédacteurs du fanzine  garage Dig It.

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             Zermati se livre. Plutôt : Zermati ce livre. Se feuillette  lui-même,  il parle comme un gars qui se met à table, mais qui ne vous livre que ce qu’il veut, que ce qu’il est. Juge son monde d’après ce qu’il est. Un pied-noir. Issu d’une famille aisée. Il n’aime pas de Gaulle, il n’aime pas les français, un réac viscéral. Obligé d’être toujours en action pour ne pas être prisonnier de lui-même, de ne pas se retrouver seul, confit (et déconfit) en lui-même. Contradictoirement il développe une vision classiste du rock’n’roll, si tu n’es pas né en banlieue, si tu n’es pas bouffé de la vache enragée,  si tu naquis avec une cuillerée d’argent dans la bouche, le rock’n’roll n’est pas pour toi. C’est un peu un mec qui se cherche un pays d’adoption, pour lui ce sera le Japon, l’a compris que depuis la perte de l’Algérie, sa patrie c’est lui-même. Parle du rock’n’roll. Depuis l’intérieur. Bien sûr c’est sa version à lui. Cela n’aurait aucun intérêt de se livrer à une contre-enquête, nous sommes tous pareils dès que nous commençons le récit de notre vie, pensez-vous que Proust (celui habillé en Marcel) raconte la ‘’ vérité’’, tout récit est une mise en littérature. De soi-même et des autres. Nous tissons notre toile, comme l’araignée, pour l’habiter et y phagocyter les autres à l’intérieur. De tout ce qu’il dit dans ce premier entretien du mois de janvier 2017 je ne garde que sa relation avec les Flamin’ Groovies. Les descend en flammes pour finir par reconnaître sa fascination, les vols du cygne mallarméen qui n’ont pas eu lieu. Qui n’ont pas eu dieu. La nostalgie obsédante de quelque chose qui n’a pas pu être.

             Le deuxième entretien débute par une diatribe politique anti-française, ne dit pas que des conneries, notamment sa chasse à courre sur l’obscurantisme intellectuel, créatif et religieux qui monte, se trompe tout de même un peu de cible en dénonçant le socialisme-coco, sans mettre en cause l’idéologie libérale… En quelque sorte ce deuxième wagon est plus trash que le premier mais je préfère. Si j’étais psychiatre je dénoncerai son petit côté parano, mais je ne suis même pas fou, peut-être parce qu’il parle des ses échecs, enfin des bourricots, il ne dit pas des cons, des groupes à qui il a proposé des plans, pas sur la lune, mais jouables qu’ils ont refusés… revient sur Johnny Thunders dont il loue les qualités humaines, il termine sur une dénonciation des dernières évolutions d’Iggy, avant de se lancer dans une longue analyse apologétique de sa propre nature caméléonesque qui lui permet de  rentrer facilement en contact avec toutes sortes de milieux, d’avoir ainsi une certaine emprise sur le monde.

             Troisième et dernier entretien. Il devait être suivi d’un autre mais la vie ou la mort en ont décidé autrement. Le plus virulent des trois. La jeunesse et les filles en prennent pour leurs grades. Pour les jeunes ce n’est pas tout à fait de leur faute, les media et le showbiz ne leur déroulent que des artistes de vingt-cinquième zone. La France n’a jamais été un pays rock’n’roll. S’il y a eu une révolution au siècle précédent c’est le rock’n’roll, le pays a refusé de monter dans le train du plus grand mouvement artistique… Un véritable effondrement spirituel. Qui n’est pas près d’être surmonté. Fustige et stigmatise les nouvelles relations sexuelles suscitées par les comportements féminins actuels. Régression sexuelle et déni de la liberté de pensée et d’être sont les deux mamelles plates du totalitarisme acculturel et pro-religieux qui s’impose sans même de soubresauts de protestations. Parle aussi beaucoup de rock’n’roll. Donne son avis péremptoire et souvent sans appel sur nombre de nos idoles. Un régal. Certes il n’engage que lui, mais il connaît le dessous des cartes. Si l’on était France-Dimanche en gros titre l’on écrirait : Révélations fracassantes ! Nous en subodorions plusieurs, ce qui ne nous empêche pas de penser que nous aussi nous sommes pleins de jugements, de condamnations, de déclarations d’amour qui nous engagent davantage qu’ils ne dépeignent les personnes que nous évoquons.

             De ces trois entretiens, nous retirons les enseignements suivants, qu’il est nécessaire de les lire, qu’ils sont indispensables pour une appréciation de notre musique, mais que de fait Mar Zermati grand manitou rock devant l’éternel, n’aime pas spécialement le rock’n’roll, qu’il aime avant tout la bonne musique et surtout ce qui lui plaît à lui. S’il a été capable d’influencer le devenir du rock  en une de ses époques charnières, c’est justement parce qu’il n’a jamais été un fan transi. Ce sont ces propres mots. Qui trop étreint risque de perdre sa force de frappe. Justement il frappe fort. Un marteau nietzschéen qu’il abat sur les idoles simili-toc, simili-rock !

             Tope fort. Dope fort. Rock fort. OK pour le K.O.

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    LE SERPENT SE MORT LA QUEUE

             Français encore un effort ! Trois textes en annexe :

             Pour la lettre Z du Petit Abécédaire de la Crampologie, paru en 2016 au Camion Blanc,  Bainée et Cazengler ne s’étaient pas rompus les méninges pour choisir l’impétrant :  Zermati Marc s’imposait. Il répond au Quiz-test proposé par les deux compères. Vous pouvez vérifier : les réponses corroborent les intempestives déclarations des trois entretiens.

             Un texte que nos lecteurs se doivent d’avoir en mémoire : puisqu’il est paru dans nos Chroniques de Pourpre (livraison 300 du 27 / 10 / 2O16) signé du Cat Zegnler en hommage à Yves Punk Adrien, dont les mémorables feuillets Je Chante le Rock Electrique parus dans R&F en 1973-74, dessinent un itinéraire parallèle à celui au chemin emprunté par Zermati en ses années de renaissance éllectrique… Hommage à un écrivain contemporain essentiel.

             Le livre est terminé. Non la voix revient, elle reprend son histoire exactement à l’endroit où elle l’avait commencée, une Vox vampirique qui conte, sur trente pages, la vie de Kim Fowley, Kim l’extravagance rock, toujours hors des sentiers battus, toujours en avance, il est le mime de ce qui va survenir, selon son œuvre le rock est en sempiternelle recomposition, en perpétuel renouvellement, un magicien fardé de noir, de blanc, de rouge, en route alchimique vers le soleil de la mort, sexe, folie, prescience, outrage, dévergondage musical exalté, un artiste prémonitoire trop grand pour son époque, si étranger à ces temps enfuis et révolus qu’elle a fini par lui ressembler, qu’il faut maintenant la regarder au travers de son œuvre et de sa vie pour la voir. La partie contient le tout. Le rock’n’roll détient le monde en ses affres.

             Marc Zermati fut un des passeurs essentiels de la folie du rock’n’roll.

             Il ne nous étonne pas que Tony Marlow, un de nos rockers essentiels, qui participa à l’aventure de Skydog, se soit chargé d’ouvrir ce livre, non pas seulement hommagial, car en son essence strictement rock’n’roll !

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    Damie Chad.

            

     

    Wizards & True Stars

    - Syndicate d’initiatives

    (Part Seven)

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             On l’attendait au coin du bois, cette autobio. On suit Steve Wynn à la trace depuis la nuit des temps, alors les lumières d’une autobio sont attendues comme le messie, mais si. Quand bien même on en arriverait au Part Seven, il n’est pas inutile de rappeler que Steve Wynn est un Wynner et qu’il a jadis marqué les esprits au fer rouge avec le premier album de son Dream Syndicate, The Days Of Wine & Roses. On l’hisse encore aujourd’hui sur l’étagère du haut avec les grands albums de l’indie-rock américain, ceux de Bob Mould et de son Dü, des Pixies, du Brian Jonestown Massacre, de Dinosaur Jr et des Screaming Trees. Oui, le Wynner fait partie de cette brochette d’effarants surdoués. Mais bizarrement, il est resté un peu underground, tiens un peu comme les frères McDonald et leur Croix Rouge. Leur destin, c’est de rester indy, alors c’est très bien comme ça. Ils ne sont pas obligés d’aller vendre leur cul comme l’ont fait les Dandy Warhols, U2 et REM. C’est toujours bien de rappeler que l’underground est une vertu et que de passer dans le mainstream est souvent l’occasion de basculer dans la putasserie. Le seul qui ait réussi à échapper à cet horrible destin, c’est peut-être Frank Black, il ne tient tête à la putasserie que par la seule force de son talent. Comme l’a fait Dylan toute sa vie, mais Dylan, c’est à une autre échelle. On a tendance à l’oublier aujourd’hui, mais à une époque, il montait tout seul sur scène avec sa gratte et créait un monde nouveau. Un monde qui n’a rien perdu de son éclat. À sa façon, le Wynner alimente lui aussi depuis quarante ans le grand mythe de l’American rock, avec une ribambelle d’albums tous plus intéressants les uns que les autres, sauf peut-être Medecine Show, le deuxième album du Syndicate, flingué par Sandy Pearlman. Le Wynner revient longuement sur l’épisode de cet enregistrement dans cette autobio affreusement mal titrée, I Wouldn’t Say It If It Wasn’t True. L’épisode Medecine Show est le cœur battant du book, le pauvre Wynner rappelle à quel point cet enregistrement fut pénible et douloureux. Le Syndicate a 18 mois d’existence et Kendra Smith qui ne supporte pas bien les tournées à travers les USA quitte le groupe, remplacée par Mark Walton.

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             Cette coquine de lâcheuse flirte avec David Roback, futur Mazzy Star. Elle monte Opal avec lui et sera vite remplacée par Hope Sandoval. Le Wynner dit qu’il n’a pas insisté pour retenir Kendra quand elle a annoncé qu’elle quittait le Syndicate - You’re quitting. Okay, we’ll get someone else - Sous-entendu : someone else better. Le Syndicate vient de signer avec A&M qui leur file un budget de 150 000 $, 50 fois le budget du premier album et en plus, A&M leur paye du matos neuf, une Strato et un Mesa Boogie pour le Wynner, et un Marshall stack et une Les Paul pour Karl Precoda. Lors du dernier concert, juste avant d’entrer en studio, Karl a fracassé sa vieille Silvertone sur scène, scellant ainsi le destin des 18 premiers mois du Syndicate. Le Wynner y voit un signe funeste. Il ne se trompe pas. Les voilà en studio à San Francisco, pour une durée indéterminée, avec Sandy Pearlman, le producteur à la mode. Pearlman leur demande de jouer. Over and over and over. Combien de fois ? demande le Wynner. Again and again and again. Ah bon. Alors again and again and again. Again ? Again and again and again. Pearlman leur dit de jouer jusqu’à ce qu’il dise stop. Il ne dit jamais stop. En fait, le Wynner s’aperçoit que Pearlman joue la montre pour faire rentrer du blé. Il facture son temps à A&M. Les semaines et les mois. Il a carte blanche. Alors again and again and again. Plus il passe de temps en studio, plus il facture et plus il s’enrichit. Le Wynner parle de «legendary long recording sessions.» Le seul cut de Medecine Show qui ne sera pas overdubbé à gogo est le fameux «John Coltrane Stereo Blues», «the only track we played together.» Pearlman transforme le son du Syndicate, il vire le «feedback-laden, assaultive noise-fest» du premier album pour aller plus sur son fucking classic rock, celui d’UFO et de Blue Öyster Cult. Comme Karl adore UFO, il s’entend comme cul et chemise avec Pearlman et du coup le Wynner se retrouve marginalisé. Il voit bien que l’album est mal barré. C’est pas leur son. Et son amitié avec Karl en prend au passage un sacré coup dans l’aile. Le Wynner nous décrit ce cauchemar dans le détail, on s’y croirait. Il raconte comment un fucking producteur transforme le son d’un groupe et le détruit. À chaque fois, c’est la même histoire qui se répète. Le mec fait autorité parce qu’il est dans la cabine, mais il ne comprend RIEN à ce que fait le groupe. Il impose un son et voilà, t’es baisé. Car c’est pas ton son. Le Wynner dit que le cauchemar dure six semaines ! Karl ré-engistre ses guitares et bourre l’album d’overdubs, il rejoue tous ses solos, again and again and again - Six weeks. Seven days a week. Twelve hours a day. That’s a lot of time for lead guitar overdubs - Le Wynner dit que ça le rend fou. Et plus il montre que ça le rend fou, plus Pearlman et Karl lui font comprendre qu’il n’est pas le bienvenu dans le studio. Quand le Wynner arrive, un silence de mort l’accueille, «like a scene out of a western, when the bad guy walks into the bar.» Karl profite de l’indécision chronique de Pearlman pour essayer des tas de variantes. Lui, il est content. Il ne s’en lasse pas. Le Wynner se plaint auprès de son manager, mais il ne sait pas que quatre mois de studio sont encore prévus. À la fin, Pearlman convoque le Wynner pour enregistrer les vocaux. Alors il chante, mais c’est jamais assez bien. Pearlman lui dit de recommencer : «I don’t think we’ve have it yet. Go out and sing some more.» Allez hop, dix takes ! Allez hop, encore dix takes. Over and over. Pearlman prend des bouts. Il en faut encore. Jour après jour. Sept jours sur sept. Douze heures par jour. Un jour, Pearlman veut qu’il croone, alors le Wynner croone. Le lendemain, il lui demande d’haranguer comme le prophète sur la montagne. Alors le Wynner harangue. Puis Pearlman lui demande de faire Jim Morrison ou alors Gene Scott. Le Wynner finit par craquer et balance un bouteille vide dans la gueule de Pearlman, et tu sais ce que Pearlman lui sort ? «Mick Jones never once threw a bottle at me.» Il se pourrait bien que Pearlman soit l’un des fléaux du XXe siècle, avec le rock FM et Frampton. Bien sûr, Pearlman explose le budget de 150 000 $ , il va presque réussir à le doubler, nous dit le Wynner écœuré - We’d spent $250,000 over five months making the record - un record qui sera boudé par la critique américaine - What happened to the Dream Syndicate?

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             Medecine Show souffre en effet d’un mal bien connu : une production ca-tas-tro-phique. Visiblement, Pearlman ne sait pas ce qu’est un Syndicate. Il a formaté le son du groupe sur la grosse powerhouse américaine, c’est une grave erreur, car le Syndicate est un groupe essentiellement psychédélique, doué d’un sens aigu de la Mad Psychedelia. Le son de l’album manque totalement de caractère et ce volontarisme qui sortait si bien The Days Of Wine And Roses de l’ordinaire brille par son absence. Dommage, car certains cuts comme «Armed With An Empty Gun» et «Bullet With My Name On It» auraient pu exploser. Mais le son est désespérément raplapla. Un légionnaire dirait du son qu’il n’a rien dans la culotte. Quand on compare avec le son des Screaming Trees, c’est d’une sécheresse atroce. Pearlman a limé les dents du Syndicate et le Wynner sonne comme un fucking miauleur d’indie pop. Pearlman n’a RIEN compris au Syndicate. Absence totale de culture politique. Le morceau titre qui ouvre le bal de la B des cochons retombe comme une bite molle. Il est monté sur un riff de basse tellement enregistré qu’il en devient grotesque. Alors que ça ne demande qu’à exploser. On ne parle même pas du «John Coltrane Stereo Blues» qui est une insulte à la mémoire de Coltrane, et ce n’est pas de la faute du Wynner. On est loin du compte et même loin de tout. Le pauvre Precoda essaye de percer des murailles mais dans cette absence de démesure, ça ne sert à rien. En plus, c’est monté sur le plus plan-plan des plans de basse. Quelle catastrophe productiviste ! Il y a sur cet album au moins quatre titres qui auraient dû éclater au Sénégal. Mais le plus grave dans cette histoire est que le Syndicate va jeter l’éponge à cause de cet album. Steve Wynn : «It was a real ugly time. Karl and I fought a lot. Eventually we weren’t talking. The band broke up making that record.» Merci Pearlman.

             Pendant le tragique épisode de cet enregistrement, le Wynner flashe sur la secrétaire du boss d’A&M, Johnette Napolitano. Ils vont rester trois ans ensemble. On la retrouvera un plus tard dans Concrete Blonde, avec le légendaire Jim Mankey, l’ex-Halfnesson, c’est-à-dire les early Sparks.

             Medecine Show va donc détruire le lien qui unissait le Wynner et Karl Precoda. Lever était déjà dans le fruit : le Wynner ne supportait plus de voir Precoda frimer torse nu sur scène et faire de l’arena-rock posturing, «foot on monitors, cliched and unimaginative posing that bugged me no end. The more he posed, the more I sabotaged.» Au retour d’une tournée au Japon, le Wynner annonce aux autres qu’il arrête le groupe. Puis il va bien sûr le remonter sans Precoda, avec Paul Cutler, un bon guitariste qui n’est pas «afraid to go off the rails with noise and disonance.» New sound and new collaborator, rien de tel pour redémarrer ! La pauvre Precoda a dû en baver quand il a vu le Dream Syndicate à l’affiche. Sur ce coup-là, le Wynner n’a pas les mains propres. C’est même un peu dégueulasse de reformer un groupe en douce. Ils enregistrent Out Of The Grey que n’aime pas trop le Wynner - my least favourite of the albums I have made in my life - Son pourri des années 80, le fameux cutting-edge sound «of your time.»

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             Côté tournées, le Wynner ne fait pas forcément les bons choix. Il se vante d’une première tournée américaine en première partie d’U2, puis d’une autre en première partie d’REM. D’ailleurs, il va devenir tellement pote avec Peter Buck qu’ils vont monter ensemble le Baseball Project. Il dit aussi quelque part s’intéresser de près à John Couguar Mellencamp et Tom Petty. Ah ces Américains ! Il aime bien aussi citer les noms d’Abba, des Talking Heads et de Phil Collins. Parfois, ça craint un peu. 

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             Et puis, dans l’autobio, t’as tout l’amont de Medecine Show, la rencontre avec Kendra Smith, le recrutement de Donald Duck, le roi du beurre, et bien sûr l’embauche de Karl Precoda. Il arrive d’abord en tant que bassman, «impossibly skinny», avec un «real rock haircut, equal parts 60s mod and 70s Stones.» C’est vrai que Precoda avait beaucoup d’allure sur les photos. À la même époque, le Wynner devient vendeur chez Rhino Records qui vient d’ouvrir sur Westwood Boulevard. Puis comme ça marche bien avec wild Precoda, il demande à Kendra de venir jouer de la basse. En 1981, le groupe est au complet : Precoda, Kendra, Donald Duck et le Wynner commencent à écumer les clubs californiens. Le Wynner fricote aussi avec Sid Griffin, lequel Sid Griffin lui propose de se joindre à son groupe qui va devenir bien sûr The Long Ryders, mais le Wynner préfère rester un Syndicaliste. D’ailleurs, il reste à se mettre d’accord sur le nom du Syndicate. Le Wynner propose d’abord Big Black Car en hommage à Big Star, mais les autres n’en veulent pas de son Big Black Car. Pffffffffff. C’est Donald Duck qui propose The Dream Syndicate, tiré d’Outside The Dream Syndicate de Tony Conrad. Mais nous dit le Wynner, personne ne sait à l’époque que The Dream Syndicate était le nom du groupe que Tony Conrad et John Cale avaient formé juste avant le Velvet. Et pouf, la première démo. Budget ridicule : 200 $. Tout en une seule prise - I’m pretty sure we recorded every song in one take - Tout en live. Le Wynner chante dans la cuisine pour isoler sa voix. Il sait qu’il ne veut ni devenir professionnel, ni devenir célèbre. «That was likely one of our strongest avantages.» Sur scène, les Syndicalistes font des ravages avec du «ear-shrieking feedback coaxed from Karl’s Silvertone guitar through my Champ amplifier.» Fan de Creedence, de Dylan et de Neil Young, Mikal Gilmore adore le son des Syndicalistes. Leur premier EP sort en 1982, en plein boom du Paisley Underground. The Salvation Army et les Bangs, futures Bangles, jouent avec le Syndicate. C’est à cette époque que le Wynner se lie d’amitié avec Dan Stuart, de Green On Red. Bizarrement, il parle beaucoup de Stuart, jamais de Chuck Prophet. Il va d’ailleurs monter un duo avec Stuart, Danny & Dusty.

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             Leur premier album s’appelle The Lost Weekend. On y trouve un joli bouquet d’influences, de la Stonesy avec ce «Baby We All Gotta Go Down» qui semble sortir tout droit d’Exile. Dan Stuart s’en donne à cœur joie. Ils tapent aussi dans Linky Link avec «The King Of The Losers» qui est monté sur un thème bien connu : «The Rumble». Du coup, tu te croirais chez les Cramps. Puis ils vont droit sur le Dylanex avec une magnifique cover de «Knocking On Heaven’s Door». T’as Donald Duck qui bat le beurre, alors tout tient bien la route. Dan Stuart et le Wynner duettent comme des cracks sur «Miracle Mile». Le Wynner en profite pour renouer avec le Syndicalisme et lâche une fantastique envolée de poux multicolores. L’autre duo d’enfer est le «Send Me A Postcard» en B. Stuart te le chante à l’accent fêlé. Ah comme ils duettent merveilleusement sur cette pièce de country pantelante !

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             Danny & Dusty enregistrent un deuxième album, Cast Iron Soul, et là, c’est une autre paire de manches. Autrement dit un very-big album. Tu dois attendre «Raise The Roof» pour retrouver les rondeurs de l’énormité. Le Wynner attaque au heavy rentre-dedans. Autant tu sens qu’ils s’amusent sur la première partie de l’album, autant tu te régales de la deuxième partie, les six derniers cuts, car c’est un sans faute. «Thanksgiving Day» sonne comme de la pop wynnique - Thank you for everything we ever had - et ça bascule dans le Dylanex urbain de haut rang avec «New York City Lullaby». On se croirait sur un album du Syndicate, car t’as encore à la suite l’incroyable proximité d’«It’s My Nature», on croit entendre chanter John Lennon, puis le Wynner te gratte «Hold Your Mud» vite fait, Dan et lui duettent comme des bêtes de fournaise et ça se barre dans l’enfer Syndicaliste, le Wynner drive le cut droit dans la gueule de Moloch, ça vire au fast hot hell gratté serré, avec des éclairs de lumière, alors te voilà avec un nouveau coup de génie sur les bras, t’en demandais pas tant, et ça brasse large, dans la fournaise du Mud, ça re-connecte avec «Sister Ray». Ils amènent «Let’s Hide Away» au oouuh ouuh baby, ça sonne comme un heavy hit lourd et lent, c’est immédiat, ouuuh ouuuh baby, tu sens la patte du crack. Et ça continue avec «ID’s Blues», amené au heavy stomp. Wow, l’incroyable violence de l’attaque ! C’est plombé du bulbique et le Wynner injecte sa dose de kill kill kill.

             Dans son book, le Wynner s’attarde un peu mais par trop sur le Paisley Underground, rappelant que Salvation Army et les Bangs jouaient en première partie du Syndicate. Il trouve aussi que Hüsker Dü sonnait comme Salvation Army. Et les Bangs étaient à ses yeux wilder, more intense que les hit-making Bangles - Et leur choix de covers impeccable : Love’s «7 And 7 is», The Changing Time’s «How Is The Air Up There» and The Seeds’ «Pushing Too Hard» - Il dit aussi qu’elles «rocked with the cockiness and swagger of the best Nuggets bands.»

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             Le Wynner trouve quatre qualités à son Syndicate : sexy, funny, scary et le fameux can fall apart at any moment. Et il trouve que tous les groupes qu’ils aime ont ces quatre qualités, particulièrement les Stones avec Exile On Main Street, puis Raw Power et London Calling, puis Fire Of Love du Gun Club. Pareil pour Blonde On Blonde, les deux New York Dolls et le White Light White Heat du Velvet. Il a raison de se ranger dans la même catégorie. C’est de bonne guerre, Wynner. Avec la progression fulgurante du Syndicate, il voit sa vie changer. Il se retrouve lead singer in an increasingly popular band. Alors ils vont further and further - If there was feedback, make it louder and more painful - Les voilà sur Ruby, le label du Gun Club, un sous-label de Slash qui a X, les Blasters et les Germs. Le boss n’est autre que le fameux Chuck D, le mec des Flesh Eaters. Chuck D a aussi produit les Misfits et Lydia Lunch, alors pardonnez du peu. C’est avec lui que les Syndicalistes enregistrent le fameux Days Of Wine & Roses. Pas de contrat ni d’avocats ni de budget. Chuck D : «We can make a record and have it out in the fall.» L’antithèse de Medecine Show. Dans son book, le Wynner commente tous les cuts de Days Of Wine & Roses, et fait pleuvoir les références, ça va de The Fall à Raw Power en passant par Black Flag et les Soft Boys. Pour lui, le morceau titre, c’est «Tombstone Blues». Il parle d’un pompage involontaire - But I’m sure Dylan stole that song as well - he’s the most fleet-fingered musical thief out there - Le Wynner a toujours une manière étrange de se justifier. En studio, avec Chuck D, il y a Pat Burnette, le fils de Johnny. Encore une fois, le Wynner dit que tout s’est fait in a single take. Il qualifie le son du Syndicate de «big, anamorphous mess» avec des «shards of noise and chaos that sat within the overall sound.» C’est admirablement bien décrit. Ils sont tellement contents de leur album que le Wynner s’écrie, en haut d’une page : «The only other time I had that hundred percent feeling of satisfation would come twenty years later, when I made Here Comes The Miracles.» Et il ajoute ça, qui éclaire bien le phénomène Syndicaliste : «Le Dream Syndicate a toujours été, at heart, a jam band and a groove band, un groupe qui teste ses limites, qui n’a pas peur de se jeter dans les ténèbres et qui s’en sort toujours de justesse et qui recommence à la première occasion. C’est ce que nous savons faire de mieux et c’est la raison pour laquelle les gens nous suivent.»

             Le Wynner avoue aussi un goût prononcé pour le speed, mais il nous fait rigoler avec ses cuites, car il en rajoute un peu des caisses. Il est des pages où on se croirait dans les mémoires de Nikki Sixx - Speed was great. It was exciting. It helped me get things done - Il se sentait «ready for anything», eh oui, c’est exactement ce qui passe. Keep the party going. Experiencing a little more of eveything. Il en parle bien. Ce n’est pas une apologie. C’est la vie d’un Syndicaliste.

             À Boston, il flashe sur la chanteuse des Dangerous Birds, Thalia Zedek, qui deviendra une bandmate dix ans plus tard. Car la vie du Wynner, c’est aussi une vie de collaborations.   

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             Côté roots, le Wynner n’est pas en reste, comme on s’en doute. Il a 9 ans quand l’un de ses futurs beaux-pères lui montre la pochette de Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band, qui vient tout juste de paraître - He instantly won me over - Ça se passe en 1969. En 1964, il fait comme les frères McDo, il découvre les Beatles. Précoce, mais bon, les Californiens sont comme ça, ils ont besoin d’en rajouter une caisse. Il se dit plus fasciné par «Tomorrow Never Knows» que par les tables de multiplication. Son père bossait sur Hawthorne Boulevard, et ses amis Phast Phreddie Patterson et les frères McDo, justement, se souviennent très bien du Wynn Brothers Auto Part de son père. Il a 9 ans quand sa mère lui offre sa première guitare, alors il prend sa première leçon, écrit sa première chanson, démarre son premier groupe et joue son premier concert. Il n’a pas l’air de plaisanter. Puis il flashe sur le Magic Bus des Who, comme par hasard et il achète son premier album, Willy & The Poor Boys de Creedence, comme Kim Salmon qui lui aussi démarre dans la vie avec un Creedence. Il aime bien les Beatles, mais il pense que les Beatles sont le groupe de tout le monde, alors que Creedence est son groupe à lui, «my secret passion». Quand paraît le suivant, Cosmo’s Factory, le Wynner en apprend toutes les paroles et toutes les notes. Le premier groupe qu’il voit sur scène, c’est Delaney & Bonnie & Friends. Il flashe ensuite sur Traffic et Canned Heat. Il économise pour se payer Lola Vs Powerman And The Moneygoround, puis il trouve un five-dollar bill sur le trottoir et court s’acheter Every Picture Tells A Story. Comme Creedence et les Beatles se sont séparés, il se met à chouchouter les Stones et les Who, particulièrement Sticky Fingers et Who’s Next. Toute une époque ! Et pendant ce temps il écrit des chansons. Il avoue même être choqué que les autres gens n’écrivent pas de chansons, surtout les musiciens. Il dit en avoir écrit un millier. Pour lui c’est pas compliqué, une petite mélodie, une truc dans le coin de la tête, quelques mots, et voilà, comme il l’écrit, you have a song. Parmi les albums qui l’ont le plus affecté, il cite encore Quadrophenia et Tonight’s The Night. Comment ne pas être fan des Who et de Neil Young ?

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             Puis il flashe sur Country Life qui, bizarrement, est loin, et même très loin d’être le meilleur Roxy. Il va d’ailleurs devenir pote avec Sal Maida - my good friend and neighbor these days in Jackson Heights and bandmate in, yes, a Roxy Music tribute band - Et puis voilà le punk.

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             Le Wynner voit les Pistols au Winterland de San Francisco, en janvier 1978. Mais il frôle l’anathème en disant préférer les opening acts, The Avengers et les Nuns, dont fait partie Alejandro Escovedo qui, comme Thalia Zedek, les frères McDonald et Sal Maida, va devenir un pote du Wynner. En fait, le Wynner les connaît tous. Il indique aussi que les frères Robinson ont décidé de monter leur groupe, c’est-à-dire The Black Crowes, en voyant le Syndicate sur scène à Atlanta en 1984.

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             Et comme tout le monde, le Wynner flashe sur Nuggets. Impossible de faire autrement - It changed my life, my songwriting, my musical taste, everything - Pour lui c’est la compile parfaite - It was fun, it was wild, it was disposable, it was essential - Quand il bosse chez Rhino, l’un de ses clients n’est autre que Sal Valentino des Beau Brummels. C’est l’avantage de vivre en Californie : on y croise de genre de personnage légendaire. T’auras pas ça dans ton bled pourri.

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             Puis il va flasher sur les groupes du New Jersey, les dB’s et les Feelies. Puis sur les groupes Postcard, Orange Juice et Aztec Camera, mais son groupe préféré à l’époque reste The Fall - Their music was so ramshackle and broken, so amateurish - Il trouve que tous ces groupes doivent tout au Velvet. Lui aussi doit tout au Velvet - The moment I heard «Sunday Morning», my life was changed - Il ne tarit plus d’éloges sur le premier Velvet, «that album’s seemingly simple formula of mixing classic, hooky songwriting, intelligent lyrics and a fearlessness to sabotage both of those elements with noise and dissonance made sense.» Et il ajoute ceci qui sonne comme une parole d’évangile : «En 1981, les Velvet étaient à la fois dans le radar du mainstream et de l’underground, comme Big Star, les Stooges, les Modern Lovers, et des groupes plus récents comme les Only Ones, les Soft Boys et le Gun Club, tous ces groupes que j’adorais et qui m’ont influencé.» Parmi les groupes californiens influencés par le Velvet et Nuggets, il cite The Last et surtout The Unclaimed qui pour lui sonnent comme Music Machine et les Byrds, «in both look and sound».

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             Sa plus grosse influence est peut-être Big Star. Plus que Badfinger et les Raspberries, qu’il trouve bons, mais pas life-changing. Ce qu’il aime, le Wynner, c’est le life-changing. Alors il tombe sur Third et il est life-changed. Il est tellement fasciné par Alex Chilton qu’il décide d’aller le rencontrer à Memphis. Il voyage en bus et nous raconte son périple, pendant l’été 1981. Avec l’évocation des sessions d’enregistrement de Medecine Show, ce voyage en bus et sa rencontre avec Alex Chilton sont le cœur battant de cette autobio - I needed to meet this guy - Tout ce qu’il a comme info pour le trouver, c’est une adresse sur une pochette de disque. Il vient de se payer un 10’’ d’un groupe nommé Panther Burns. Le critique dit que c’est le nouveau groupe d’Alex. L’adresse se trouve au dos de la pochette - That was all I needed. I bought the summer-long bus ticket, and this rock’n’roll gumshoe was on his way - Il arrive au 706 Cox Street et frappe à la porte. C’est le «pompadoured and mustachied dandy» Tav Falco qui lui ouvre la porte. Le Wynner se présente et dit qu’il vient de L.os Angeles en bus pour rencontrer Alex, et le soir-même, Tav l’emmène dans la bar où traîne Alex, un Alex qui n’est pas très médusé de voir débarquer ce blanc-bec. Le Wynner n’est pas bien riche, mais il paye les bières et les clopes. Alex et lui papotent pendant des heures. Alex est un fan de philo, «Wilhelm Reich in particular.» Bien sûr, il n’est pas question de parler de Big Star - Box Tops & Big Star were topics non grata - Puis le Wynner assiste à un concert des Panther Burns dans un bar devant 5 personnes. Alex bat le beurre - It was a mess, a beautiful mess, but a mess nonetheless - Le Wynner rencontre aussi ce soir-là Ross Johnson.

             Deux ans plus tard, le Wynner est en tournée avec le Syndicate, peu après la parution de Days Of Wine & Roses. Ils arrivent à la Nouvelle Orleans pour jouer au Tupelo’s. Ils s’installent sur scène pour le sound-check et le tour manger vient chuchoter à l’oreille du Wynner : «Suis pas très sûr, mais le mec qui balaye là-bas pourrait bien être Alex Chilton.» - Sure enough, it was Alex - Le Wynner va le trouver, lui dit qu’ils se sont rencontrés deux ans auparavant à Memphis, mais Alex ne se souvient pas. Il ne montre pas non plus une envie folle de poursuivre la conversation.

             Dans les années à venir, le Wynner indique qu’il va prendre soin d’éviter Alex - I learned to avoid meeting any heroes - Il ne reverra Alex qu’en 2007, en Norvège, dans un festival nommé Down On The Farm. Alex a fait la paix avec son passé et a reformé Big Star avec Jody Stephens et les deux mecs des Posies, Jon Auer et Ken Stringfellow, et le Wynner est là avec Danny & Dusty. 

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             Bon le dernier album du Wynner n’est pas ce qu’on espérait. Make It Right retombe un peu comme un soufflé. Il est pourtant tout de suite dessus avec «Santa Monica», comme peut l’être Lou Reed sur ses propres cuts. Ils savent tous les deux claquer un songwriting, mais ce ne sont pas des hits automatiques. Le Wynner démarre son morceau titre en mode «Pale Blue Eyes» et ça fait illusion. Ça devient même vite tétanique. Il est vraiment sur les accords de «Pale Blue Eyes». Son I/ I/ Can’t make it right est du pur Linger on/ Your pale blue eyes. L’autre merveille de l’album s’appelle «Madly». Le Wynner y gratte de belles espagnolades. Mais on perd le Syndicate. Les espagnolades scintillent cependant au soleil, alors ça nous console. Il joue avec des machines («What Were You Expecting», bonne question) et avec le post-punk («Making Good On My Promises»). Mais on passe à travers tout le reste. Pas mal de cuts pépères naviguent en pères peinards sur la grand-mare de cet album. Le Wynner s’embourgeoiserait-il ? Il renoue un peu avec la niaque du Syndicate dans «Roosevelt Avenue». C’est tellement exacerbé qu’il frise un peu le Velvet, mais pas trop. Ça reste un peu glabre. Bien boutonné.

    Signé : Cazengler, Steve Ouin (ouin)

    Steve Wynn. Make It Right. Fire 2024 

    Danny & Dusty. The Lost Weekend. A&M Records 1985

    Danny & Dusty.  Cast Iron Soul. Blue Rose Records 2007

    Steve Wynn. I Wouldn’t Say It If It Wasn’t True. Jawbone 2024

     

    L’avenir du rock

     - Stanley your burden down

     (Part One)

             Quand on erre, on erre. Errer n’est pas une chose qu’on fait à moitié. L’avenir du rock en connaît un rayon. Le désert, le sable, les dunes, le soleil, les étoiles, les caillasses, tout cela n’a plus aucun secret pour lui. Il pourrait en parler pendant des jours et des nuits. Il a même fini par se dire que s’il erre depuis tant d’années, c’est uniquement pour pouvoir en parler un jour. Sinon, à quoi servirait d’errer ? Qui pourrait parler d’errance ? Certainement pas Lawrence d’Arabie, trop occupé à s’admirer dans le miroir.

             Une silhouette apparaît au loin et arrache l’avenir du rock à ses cogitations. Un barbu coiffé d’un casque colonial descend la dune en traînant la savate et approche lentement. Il a l’air complètement paumé, comme tous ceux qu’on croise dans le désert.

             — Je m’appelle Livingstone ! Stanley qui est dûment mandaté par Leopold II, roi des Belges, me cherche. Vous n’êtes pas Stanley, I presume...

             — Non mais franchement, est-ce que j’ai une tête à m’appeler Stanley ? Vous m’avez bien regardé ?

             — Oh mais ne le prenez pas mal, je suis juste un peu désorienté. Je cherche aussi un fleuve, le fleuve Congo, vous ne l’auriez pas vu ?

             — J’ai déjà croisé un con qui cherchait le même fleuve. Ça doit être le fleuve des cons. Décidément, vous avez tous décidé de me gâcher le plaisir d’errer. Alors, je vais vous dire : je commence à en avoir marre des gens comme vous qui se permettent d’errer dans mon désert et de me poser des questions à la con. Vraiment marre de vos jérémiades et de votre incapacité à infléchir les courbes de la croissance, marre de vos manquements à l’orthodoxie, marre de vous voir tripoter la mécanique quantique, marre de vous voir mélanger les torchons et les serviettes. Demandez-moi plutôt si je connais Bob Stanley, sombre crétin !  

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             Et si l’avenir appartenait aux compilateurs ? C’est l’un des paris que lancent les gens d’Ace, notamment avec Bob Stanley, le mec de Saint Etienne. Pas la ville, bien sûr, le trio Sarah Cracknell/Bob Stanley/Pete Wiggs. Bob Stanley - qui n’a rien à voir avec Livingstone - est aussi écrivain, ce dont on va causer dans le Part Two. Ça fait beaucoup de choses. Dans les circuits professionnels, Bob Stanley est ce qu’on appelle un polyvalent. Il polyvaille que vaille, il polyvalentement mais sûrement, il polybien son chinois et polypose les bases d’un bel empire. On peut donc suivre PolyBob les yeux fermés.

             PolyBob dispose d’une cervelle élastique. Sa culture pop s’étend  à l’infini. Il polybrasse large, il se polymoque des distances et des mesures. À son corps défendant, il devient une espèce de polyphénomène, et les ceusses qui rapatrient ses compiles avouent franchement leur fascination. «PolyBob ? Quel polystirène !», font les gens lorsqu’on leur tend un micro.

             On recense une quinzaine de polycompiles. Ace n’y va pas de main morte. Pour ne pas abuser de la patience du lecteur, on va se contenter d’en explorer cinq pour cette fois, dont deux bien pratiques, car à éviter soigneusement : Paris In The Spring et Fell From The Sun (Downtempo And After Hours 1990-91). Pourquoi ?

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             Parce que. Parce que quoi ? Parce qu’avec Fell From The Sun, PolyBob plonge dans la scène maudite de l’house music, et bien évidemment, il attaque avec l’«Higher Than The Sun» de Primal Scream. Non, non et non, ça ne marche pas ! Puis vont se succéder une ribambelle de petits grooves inconséquents qui prennent littéralement les gens pour des cons. C’est l’house dans toutes son inepte inutilité. On patauge dans l’exercice de style à la mormoille la plus puante. PolyBob se tape une petite crise d’autosatisfaction avec le «Speedwell» de Saint Etienne. À sa place, on aurait évité de la ramener. Tout ce son ne peut pas accrocher. C’est trop à la mode, trop superficiel. Tu attends des compiles qu’elles t’amènent au seuil des mondes inconnus, et celle là t’amène à rien. 

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             Paris In The Spring, c’est un autre cas de figure. PolyBob tape dans l’underground français de 68 et va chercher des trucs de Mireille Darc et de Bernard Lavilliers, qui, dans «Les Aventures Extraordinaires d’Un Billet De Banque», emprunte le riff de basse de Melody Nelson. PolyBob propose d’explorer un continent, il privilégie les cuts inconnus, mais ses choix ne sont pas bons. Ilous & Decuyper font du Crosby Stills & Nash franchouillard à coups d’ooh-ohnow now. PolyBob choisit «La Métaphore» de Dutronc qui n’est pas le meilleur Dutronc, et le «Dommage Que Tu Sois Mort» de Brigitte Fontaine qui ne vaut pas l’excellent «c’est bon d’être con». Pareil pour Nino Ferrer, «Looking For You» n’est pas le meilleur Nino. On plonge en pleine misère de la variette avec William Sheller, et on retrouve Triangle avec un «Litanies» qu’on fuyait à l’époque. Le «Viens» de Françoise Hardy n’est pas bon et l’«Encore Lui» de Jane Birkin est insupportable. Le seul coup de magie est le «Bal Des Laze» de Polna. Prod parfaite. Mélodie parfaite. Ça se termine avec «La Chanson D’Hélène» de Romy Schneider et Michel Piccoli. Ah le cinéma ! 

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             Le seuil des mondes nouveaux, parlons-en ! C’est exactement ce que propose PolyBob avec ses compiles, lorsqu’elles sont bonnes. Et puis il intrigue un peu avec ses pochettes, il opte souvent pour des images de bâtiments, notamment English Weather sous un ciel gris, ou State Of The Union sous un ciel bleu. Dans ses liners d’English Weather, l’écrivain PolyBob explique que la ville de Londres a changé «dramatically» depuis Get Carter et les années 70, mais pas le weather. Il raconte comment il s’est retrouvé coincé par la pluie chez un disquaire de Newcastle, à écouter des groupes des années 70, d’où l’idée de cette compile. PolyBob passe en revue des choses qu’on n’écoute pas souvent, mais qu’on est content d’entendre, comme Matching Mole («O Caroline» compo de David Sinclair avec la magie vocale de Robert Wyatt), Daevid Allen («Wise Man In Your Heart», typical Camembert, gros groove de flying teapot, une autre époque), Caravan, bien sûr, avec «Love Song With Flute» et tu repars à Canterbury, merci PolyBob pour ce voyage dans le passé, les Caravan sont très Soft Machine, très surdoués et t’as le grand solo de flûte. Camel aussi avec «Never Let Go», proggy en diable. The Parlour Band avec «Early Morning Eyes», assez chaleureux, très CS&N dans l’esprit. Chaque cut a son histoire, PolyBob les raconte une par une, c’est un spécialiste. Il ne vit que pour ça, les disks et l’histoire des disks. Il est des nôtres. Ses textes constituent une somme. Il aime beaucoup les groupes anglais qui sonnent comme des Californiens. On l’a vu avec The Parlour Band et ça se confirme avec The Orange Bicycle. Et on se demande bien pourquoi un groupe comme T2 est devenu culte, car leur «JLT» n’est pas jojo. Par contre, Bill Fay a une vraie dégaine avec son «‘Til The Christ Come Back». PolyBob en fait un mythe. Pas de voix mais un mood. Van Der Graaf Generator, c’est tout de suite autre chose. Avec «Refugee», Peter Hammill sort du lot. On se régale encore de «Very Nice Of You To Call» d’Aardvark, une Coventry pop assez envahissante et du piano all over the solo. PolyBob tire le Big White Clud» de Vintage Violence pour saluer John Cale. On sent le big time dès l’intro. Il traîne en chemin de la mélodie. C’est très Paris 1919. Tu sors cette compile pas vraiment émoustillé, mais ravi.

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             Et t’enquilles aussi sec State Of The Union (The American Dream In Crisis 1967-1973). Dans son intro, PolyBob revient longuement sur les désastres environnementaux et la guerre du Vietnam qui ont brisé les reins de l’Amérique, entre 1967 et 1973. Et pour lancer sa petite machine à remonter le temps, il attaque avec l’heavy Elvis de «Clean Up Your Own Back Yard». Ça monte vite en température avec Della Reese et «Brand New Day». Cette fantastique Soul Sister et très directive. Elle te dégage le passage vite fait. Dion fait ensuite son pleurnichard avec «Abraham Martin & John», ce qui n’est pas sa meilleure période. Sinatra fait de la pop d’avant la pop : «The Train» est coloré et tragique à la fois. PolyBob ramène aussi les 4 Seasons («Saturday’s Father») et les Beach Boys (4th Of July»). Pas les meilleurs choix. Dommage, PolyBob, se fourre parfois le doigt dans l’œil. Pour le redécollage, il faut attendre les Four Preps d’Ed Cobb et «Hitchhiker», une belle pop harmonique. Ils sont les rois des chœurs psychédéliques. Encore une voix extraordinaire, celle de Lou Christie. Il tape son «Paint America Love» dans un délire orchestral et une overdose d’harmonies vocales. Ça valse dans les étoiles. Cette pop orchestrale constitue un sommet du genre. On passe sur Eartha Kitt (trop affectée) et Roy Orbison («Southbound Jericho Parkway», mini-opéra à la mormoille). On passe aussi sur Bobby Darin et sa pop d’entre deux mers («Questions») et sur Paul Anka et son sucre d’orgue qui colle trop au papier («This Crazy World»), et on revient enfin aux choses sérieuses avec Eugene McDaniels et «Cherrystones». Il groove pour de vrai avec un killer juste derrière lui. Retour aussi au grand art américain avec les Tokens et «Some People Sleep», tiré du «great lost album» Intercourse : grosses harmonies vocales à la Brian Wilson. Ça se termine avec une cover du «Revolution» des Beatles par the folk harmony quartet The Brother Four. Et là tu dis oui, car c’est bien foutu. Et tu peux aller moissonner les grands albums des Tokens, de Lou Christie et d’Eugene McDaniels.

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             Pas de maison sur la pochette de Three Day Week (When The Lights Went Out 1972-1975). PolyBob opte pour un couple en pleine séance de préliminaires. Il opte aussi pour la misère anglaise de 1973 - What had gone wrong? And what did pop music had to say about it? - Bonne question, PolyBob. Il explose le «British malaise», avec une pop qui cherche sa voie, alors certains vont vers le space age et le modernism, «a world of electric boots and mohair suits.» D’autres reviennent aux fifties, Wizzard, Showaddywaddy, Shakin’ Stevens et les Rubettes, nous dit PolyBob. Il analyse bien son British malaise et conclut son intro ainsi : «Think of ‘Three Day Week’ as an extended musical Play For Today.» C’est quoi cette semaine de trois jours ? Une revendication des mineurs. L’Angleterre s’enfonce alors dans les grèves, avec des coupures de courant et donc un pic notable de natalité. Mais les Tory tombent à cause des grèves et voilà qu’arrive au pouvoir la Thatcher. Alors PolyBob n’a choisi que des singles de cette période de vaches maigres, des singles destinés à l’oubli. L’écrivain PolyBob restitue admirablement l’état d’esprit de cette époque : «Encore un verre ? Qu’avons-nous à perdre ? Le gouvernement est sur les genoux et on n’aura plus de boulot la semaine prochaine. Vite, quelqu’un au piano avant la prochaine coupure de courant !». Seul un écrivain peut rétablir le climat propice. Pour illustrer le thème des disques «que personne n’écoutera», voilà Small Wonder avec «Ordinary Boy». Ce simili glam d’urban teen angst aurait pu devenir un hit. Autant le dire tout de suite, le coup de génie de la comp n’est autre que l’«Urban Guerilla» d’Hawkwind. Là, PolyBob tape dans la couronne royale du rock anglais. Pur Brock genius, avec un bassmatic qui rôde dans le son. Tiens, voilà Ricky Wilde, le fils de Marty, avec «The Hertfordshire Rock». Incroyablement juvénile ! Cut épais et fascinant, vraiment lourd de sens. Et puis des évidences comme les Kinks («When Work Is Over»), Adam Faith («In Your Life»), les Troggs (I’m On Fire», ça marche à tous les coups). Paul Cordell c’est autre chose. Seul le diable sait d’où sort son «Londonderry». Confus mais bien intentionné. Du glam encore avec Stud Leather et «Cut Loose» (et son final en sax free) et Bombadil avec «Breathless». Infernal ! D’où ça sort ? Merveilleux instro. Premier choc pétrolier avec le proto-punk de Lieutenant Pigeon et «And The Fun Goes On» : bad fuzz avec une flûte de Pan. PolyBob nous explique qu’il s’agit en fait de Stavely Makepeace, un duo composé de Rob Woodward et Nigel Fletcher. PolyBob les qualifie de «Coventry’s own Moondog and Wild Man Fisher.» D’ailleurs, il nous colle un Stavely Makepeace un peu plus loin : «Don’t Ride A Paula Pillion», un cut kitsch de mauvais goût, ça sort tout droit de la poubelle de la pop anglaise. Tu croises aussi Mungo Jerry («Open Up», rois du boogie) et Matchbox («Rod», trop produit et trop rock’n’roll). La petite pop sans conséquence ce Robin Goodfellow n’a qu’un seul mérite, celui d’exister, et on constate une fois de plus à quel point l’approche de Cockey Rebel est difficile («What Ruffy Said»). Plus loin tu tombes sur Pheon Bear et «War Against War»,  amené au heavy stomp de street proto. Impressionnant ! Ça sent bon le working class stomp des terraces.

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             Jon Mojo Mills accorde huit pages à PolyBob dans Shindig!, ce qui vaut pour privilège. Cette interview au long cours jette une sacrée lumière sur le personnage et son parcours de kid anglais fasciné très tôt par le rock. Autant dire qu’on se régale. Ses premiers souvenirs remontent à Slade, «the first group where I can remember being excited to hear whatever their next single was». Il cite aussi le «Rock On» de David Essex et le «Walking In The Rain» de Love Unlimited. PolyBob a déjà le bec fin. Dès qu’il a un peu de sous avec son Saturday job, il fait quelques emplettes, par exemple John Barry’s Persuaders theme. À 11 ou 12 ans, il flashe sur l’Unicorn de Tyrannosaurus Rex. Puis arrive l’épisode disquaires et PolyBob cite le sien : Beano’s Records à Croydon. Et comme on le fit tous à l’époque, on se fiait aux chroniques pour acheter les albums qu’on ne pouvait pas écouter. Alors PolyBob lit une kro de Forever Changes dans Record Collector et va l’acheter. C’est aussi simple que ça - and obviously I didn’t regret it -  Quand il entend le «Tell It Like It Is» d’Aaron Neville à la radio, pouf, il court l’acheter chez Beano - Usually, they’d have a copy of wathever it was I asked for. It was an incredible shop - Puis il dit sa passion pour le British psych, via Phil Smee’s first Rubble albums. Et il passe naturellement à l’étape suivante : le fanzine. Il lance Caff en 1986 avec son pote Pete Wiggs, et y chante les louanges des Pastels et de John Barry, un Barry dont personne ne parlait à l’époque. Quelle sera la prochaine étape ? Le groupe ! Et pouf, il monte Saint Etienne en 1991 avec le pote Pete et la belle Sarah Cracknell. Mojo Mills y va de bon cœur : «Saint Etienne’s 1991 debut Fox Base Alpha was one of the most perfect records to sit at the crossroads of the collision between dance culture, pop and what was classed as ‘indie’.» Oui PolyBob est fier de son mix d’influences, King Tubby, Big Boy Pete and Fingers Inc. Et Mojo Mills en arrive aux fameuses compiles Ace. PolyBob dit qu’il propose chaque fois «the cover artwork and the fonts» pour bien fixer le mood. Il dit avoir appris l’esthétique des compiles avec Edsel et Bam Caruso «which had quite dense, detailed sleeve notes.» Merci PolyBob !  

    Signé : Cazengler, Stan laid

    Bob Stanley/Pete Wiggs. English Weather. Ace Records 2017 

    Bob Stanley/Pete Wiggs. Paris In The Spring. Ace Records 2018

    Bob Stanley/Pete Wiggs. Fell From The Sun (Downtempo And After Hours 1990-91). Ace Records 2022

    Bob Stanley/Pete Wiggs. State Of The Union (The American Dream In Crisis 1967-1973). Ace Records 2018

    Bob Stanley/Pete Wiggs. Three Day Week (When The Lights Went Out 1972-1975). Ace Records 2019 

    Jon Mojo Mills : Lunch Hour Pops. Shindig! # 145 - November 2023

     

    Wizards & True Stars

     - Sandy show

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             Sandy Salisbury et Curt Boettcher ? Leur rencontre est un vrai conte de fées. C’est en tous les cas ce que nous raconte l’impeccable Zoe Willard dans les liners de Try For The Sun. Sandy vient d’enregistrer un album avec son groupe, The Chances, au Nouveau Mexique, mais l’album ne sort pas. Shelved, comme on dit. La guigne empire encore lorsqu’il reçoit une convocation pour le draft, c’est-à-dire l’incorporation. On est en 1966, et ça pue le Vietnam. Il se rend donc à Los Angeles où se trouve le centre de recrutement, et dans la bagnole, il entend «Along Comes Mary» de The Association. Il est soufflé ! Le producteur du hit n’est autre que Curt Boettcher, un jeune producteur en vogue. Sandy poireaute à Los Angeles, et un jour sa mère le contacte pour lui dire qu’il est exempté d’armée - as a sole survivor - Alors Sandy exulte, il parle même de «crazy-good luck». Inespéré ! Il a pris un appart pas loin de Sunset Strip et comme il a tapé dans l’œil de sa voisine, celle-ci l’invite à une party. Elle a dit-elle un copain dans le music biz qu’elle aimerait bien lui présenter. Devine qui c’est ? Oui, bravo, c’est Curt ! Fin de la guigne pour Sandy. C’est un joli conte de fées, pas vrai ? Et leur musique s’en ressent. Alors Sandy va jouer ses compos à Curt. Comme Curt vient de monter un  label, Our Productions, il propose à Sandy d’enregistrer. Curt lui propose aussi de compléter the Ballroom, un groupe qu’il vient de monter avec Jim Bell et Michelle O’Malley. Mais le label coule à pic et The Ballroom avec. Glou-glou. Chacun part de son côté. Les enregistrements ne feront surface qu’en 2001, sur une compile Sundazed intitulée à juste titre Magic Time. Mais Curt n’en reste pas là : il remonte The Millenium. Pour vivre, Sandy sculpte des fleurs dans des planches de bois. Curt vient le trouver pour lui proposer de rejoindre The Millenium. Heck yeah !  Mais le nouveau projet va vite capoter. Curt est le prince de la poisse.

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             Alors, puisque Sandy et Curt ont sauvé leurs home and studio demos, Zoe Willard a trouvé judicieux d’en faire une petite compile pour les admirateurs du duo mythique. Enjoy the ride, lance Zoe en guise de chute. La compile Sundazed s’appelle Try For The Sun. Tu fonds dessus comme l’aigle sur la belette. Et t’es bien récompensé avec «The Sun Is Shining Now», une Sunshine Pop à toute épreuve, invincible, pressurisée de chant poignant, gorgée de shine/ Shine/ Shine now. Ils dégoulinent de lumière. Sandy et Curt sont des artistes luminescents. Puis il tapent «Love Is Good» au kazoo, c’est très On The Beach. Tout est très bronzé, très dents blanches, très joyeux chez ces deux mecs-là. Sandy gratte ses gros coups d’acou magiques sur «Soft Words» et on reste dans l’enchantement pour «Our Minds Keep Moving On». Ils rivalisent d’ardeur sunshiny avec Brian Wilson dans «Try For The Sun». Ils font une petit cover californienne du «Baby Please Don’t Go» des Them. Très weirdy, très iconoclaste. Retour au full blown de pur genius avec «Spell On Me», quasi california-gaga, et ils rejoignent les sommets de l’Ararat californien avec «Really & Truly», brillant mix de sucre et de coups d’acou, belle pop inflammatoire, ils allument ça aux harmonies vocales, ah il faut les voir à l’œuvre, c’est franchement digne des grandes heures de Brian Wilson ! Encore une échappée belle avec «She Brought Love To My Life», un shoot de très belle pop évolutive et fraîche comme un gardon de Big Sur.

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             Sundazed le bien nommé ressort cette année une nouvelle rasade de Sandy songs, Mellow As Sunshine. Dans ses liners, Zoe Willard précise que Sandy fait tout sur ces cuts, instrus, vocaux et harmonies. Ces 20 cuts ne sont jamais sortis. Il y avait nous dit Zoe de quoi faire un album. Dans la deuxième partie des Liners, Sandy redit son admiration pour Frankie Valli & The Four Seasons, et pour le Kingston Trio, très populaire à l’époque de ses débuts. Pour l’amateur de Beautiful Songs et de chœurs d’artichauts, cet album est un must impératif. Comment résister à la beauté de «Tomorrow» ? Il dit qu’il ne peut attendre le tomorrow morning sun. Sandy est un ange, puisqu’il chante comme un ange. Il amène son «Tomorrow» aux arpèges de lumière - I love this song but I wish could’ve better recording equipment - Il dit l’avoir enregistré sur son sound-on-sound recorder. Autre Beautiful Song : «Daddy Loves You». Fabuleuse osmose avec le cosmos de la Beatlemania. Même chose avec «The Sun Always Shines On Suzanna» - My favorite song in this collection, written in honor of the magnificent work of Frankie Valli - Il tape ce shoot de romantisme californien à la fraîche, bien décontracté du gland. Fantastique allure ! Il t’intoxique encore avec les harmonies vocales de «Justine», et il se paye une fantastique coulée de voix dans «Silent Lonely Night». Il chante à la voix lactée. Ça coule de source. Il gratte aussi des accords de jazz dans «Six O Clock». Et puis voilà encore un modèle parfait de belle pop californienne : «Better Move Over (With Cinnamon)».

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             C’est bien sûr Zoe Willard qui signe cet article de 8 pages dans l’Ugly Things de l’été dernier. Zoe dit sa fierté d’avoir rencontré son héros Sandy - There are my pal Sandy’s sunny ‘60s escapades. Enjoy! - Alors on enjoye.

             Au commencement de Sandy était non pas le verbe, mais «The Fleetwoods, The Everly Brothers, Gale Garnett and the King himself.» Il grattait son ukelele along with Elvis songs. Sandy a grandi à Hawaï, puis il a débarqué à New York et flashé sur le Freewheeling Bob Dylan - I loved that cover, still do - Puis il va finir ses études à Santa Barbara, en Californie, et là, il flashe sur les Beach Boys et Gary Usher. Il rejoint The Chances, «a teenage Beatles-esque rock group» et joue de la basse. Lors d’un trip au Nouveau Mexique, ils enregistrent un album chez Norman Petty.

             Tiens, on va en profiter pour l’écouter !

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             L’album des Chances s’appelle Baby Listen To Me. Une bombe ! Des Californiens dans les pattes de Norman Petty, ça ne peut donner qu’une bombe. Ça commence à danser dans l’ascenseur avec «Get Out Of My Mind». Fantastique attaque ! C’est encore pire que chez Joe Meek ! Dynamite & power ! Sandy et ses trois copains sont hallucinants de virtuosité. Plus loin, tu tombes sur une triplette de Belleville : «It’s Only Time», suivi de deux moutures de «Goldfinger». Ils attaquent l’Only Time au weird Byrdsien, avec des arpèges alambiqués. Quelle extraordinaire assise, ça vaut tout Revolver et tous les Byrds sur Columbia. Ils tapent ensuite leur Golfdinger au fast Petty sound, et la deuxième version est plus fast, quasi punk, drivée avec sauvagerie. Le batteur Gary Lee Swafford vole le show ! Retour aux affaires avec «Looking For Love», cut de fast pop plutôt extraordinaire. C’est tout de même dingue que ces mecs soient passés à l’as ! Son, compo, voix, tout y est. Pas de chance pour les Chances. Ils restent dans la fast pop avec «That Girl (Isn’t Coming Today)». Ils montrent une fulgurante capacité à cavaler à travers la plaine. Ils sont assez complets, très influencés par les early Beatles. Nouveau coup de génie avec «Your Kind Of Love». Rien ne peut leur résister. C’est la pop sixties au max du mix. Et puis t’as cette Beautiful Song, «Girl As Perfect As You», une merveille mélodique d’une extrême pureté. Et ça se termine en mode fast pop, autant dire en apothéose, avec «Made For You» d’Act III/Travel Agency, le groupe formé par Steve Hael après le split des Chances.

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             C’est le draft qui va tuer les chances des Chances dans l’œuf. Sandy échappe de peu au Vietnam en tant que «sole survivor» : son père et son beau-père sont morts au combat contre les Japs. Ouf ! Il pense qu’il aurait été soit tué, soit transformé, s’il avait été envoyé là-bas. En plus, comme il est petit, on l’aurait dit-il envoyé dans les tunnels. Puis il rencontre Curt Boettcher. Flash ! Curt est alors en pleine ascension, il produit The Association, sur Valiant Records. Sandy est fasciné par les harmonies vocales - It totally blew my mind. The harmonies! The arrangement! - Puis Curt demande à Sandy d’intégrer The Ballroom, avec Michelle O’Malley et Jim Bell. Un seul single en 1967 - «Spinning Spinning Spinning» showcased Curt & Co’s fabulous ability to produce out-of-this world harmonies, melodies and orchestration - On a déjà épluché tout ça dans un hommage à Curt Boettcher. Gary Usher pense exactement la même chose que Sandy. Usher et Curt vont ensuite monter Sagittarius et enregistrer le mirifique Present Tense. Usher dit que Curt a influencé Brian Wilson à l’époque de Pet Sounds. Brian faisait encore de la Surf Music, quand Curt enregistrait l’album de Lee Mallory, That’s The Way It’s Gonna Be - That record stunned Brian - Et Usher ajoute : «Here comes this kid who is lights years ahead of him. I had never seen Brian turn white.» Oui, Curt Boettcher précurseur de Brian Wilson, c’est crédible.

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             S’ensuit le holy grail of sunshine pop : The Millenium. Sandy rappelle que Curt répétait et montait les cuts en studio - He’s do everything in the studio - Begin sort en 1968 et bizarrement ne se vend pas - It’s said that Begin was most expansive project at that point - Pas grave, Curt passe au projet suivant, Sagittarius, avec Gary Usher. Puis Sandy évoque le dark side de Curt : il compose mais Curt planque ses compos. Il les met de côté pour The Millenium, pensant que ça servira de réserve, sauf que The Millenium disparaît, et Sandy est bloqué par le contrat Four Star Music qu’il a signé avec Curt, mais il n’en veut pas à Curt, oh la la, pas du tout. Sandy va ensuite quitter le music biz et la Californie pour s’installer en Oregon, démarrer une famille et une carrière d’écrivain.  

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             On peut conclure avec une autre compile improbable, Everything For You Vol. 1, parue en 2004. Une collection de hits poppy et bienvenus, fabuleusement orchestrés. Sandy n’en finit plus de viser la pop parfaite avec des hits comme «Here Comes That Feeling» et surtout ce «Content Am I» joué en biseau. Il a des chœurs de lumière dans «Bring Me On Back Home Again» et il va chercher la pointe harmonique avec «I’ll Do The Crying» - I’ll do the crying/ If you do the trying - C’est donnant donnant avec Sandy. Il devient quasi-anglais avec «Pretty As A Picture», pour un peu il sonnerait presque comme les Who. Toutes ses pop-songs sont solides et bien intentionnées. Sandy crée son monde en permanence. Il passe en mode fast pop avec «Together In The End» - We could be together / In the end - Elle a the answer. Et puis t’as cette merveille inexorable, «Some Other Place», grattée à gros coups d’acou, avec une trompette in tow. C’est tellement bien produit que ça sent bon le Boettcher.   

    Signé : Cazengler, Salisbureau de tabac

    Sandy Salisbury & Curt Boettcher. Try For The Sun. Sundazed Music 2003

    Sandy Salisbury. Mellow As Sunshine. Sundazed Music 2024

    The Chances. Baby Listen To Me. Nor-Va-Jack Music 2019 

    Sandy Salisbury. Everything For You Vol. 1. Sonic Past Music 2004

    Zoe Willard : Puka’ana O Ka La. Sandy Salisbury sunny sixties escapades. Ugly Things # 62 - Summer 2023

     

     

    It’s a Man Man’s world

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             Curieuse installation : le petit orgue cabossé face à la batterie, le tout en bord de scène. Et pour ajouter le doute à la confusion, partout pendouillent des mains coupées dont on se demandent si elles sont vraies ou fausses. Derrière tout ça trônent un petit ampli et une gratte électrique qui nous relient à la réalité du rock.

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    Les voilà qui arrivent vêtus d’habits de lumière, des espèces des grandes tuniques à paillettes avec des lampions intégrés. Le petit gros qui s’assoit au clavier ressemble comme deux gouttes d’eau à Graham Bond et ce n’est pas un hasard, mon petit Balthazar, s’il dégage exactement la même énergie que le vieux Graham Bond qui t’en souvient-il fut le premier punk de London town. Et tu vois le trio partir en maraude. Et quelle maraude ! Une maraude cannibale ! Ils ne proposent pas un set de rock classique, oh la la pas du tout, ils tapent dans un genre beaucoup plus évolué, aux frontières de l’espace, avec une volonté affichée de beat new-yorkais. Ce sont des tape-dur, mais avec un sens aigu et même suraigu de la sophistication, au point qu’il nous arrive de perdre le fil.

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    On aimerait justement que ce soit plus Graham Bond, mais ils vont ailleurs, nettement ailleurs. Il y a du cabaret, du burlesque dans leur set, tout un pan d’Americana moderne et captivante, des choses qui t’enchantent comme cette histoire de toast et de ghost, et choses qui t’explosent la cervelle, comme le cut final qu’on retrouve sur leur dernier album, l’imparable «Odissey». Après enquête, tu vas découvrir que le Graham Bond américain s’appelle Honus Honus. Et c’est une superstar, il faut le voir fracasser son clavier et jaillir depuis son tabouret, en position assise, à environ un mètre de hauteur. Et toujours, ces montées violentes en température, tu le vois se jeter littéralement sur son clavier et à trois, ils déclenchent l’enfer sur la terre. Te voilà fasciné, mon gars, t’as sous les yeux la réincarnation de Graham Bond, mais à l’américaine.

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             Le hasard qui fait souvent bien les choses nous a permis de croiser Honus Honus et ses deux collègues à l’extérieur après le concert, et quand on lui a demandé s’il était la réincarnation de Graham Bond, il ne savait qui était Graham Bond, mais ça l’a tout de même interloqué. Surtout quand on lui a expliqué que Graham Bond s’est jeté sous une rame de métro à Finsbury Park.

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             Son dernier album s’appelle Carrots On Strings. Il est sur Sub Pop et ce n’est pas un hasard. Tu y retrouves «Odissey», le cut explosif avec lequel il clôt son set. Ça sent bon la fumée. Il tord bien son Odissey au chant et ça se barre vite fait en voyage, big time de Man Man, et tout à coup ça frise l’Hawkwind tellement ça vibre de power spatial, et tu retrouves aussi le gratté de poux interlope qui précède l’apocalypse, ah comme c’est bien amené ! Ça gratte sec et ça explose dans l’œuf du serpent de Man Man au big power drum bass et bam ! US power all over the Man Man’s World, là oui, tu prends ta carte au parti, il y a tous les démons de la terre, là-dedans. C’est du Sister Ray à la puissance 1000. Tu retrouves aussi l’«Iguana» entendu sur scène, amené au thème d’orgue hypno, avec un bassmatic à la Jah Wobble. Pouvoir absolu ! Take me home ! Honus Honus propose un son très sculptural de big time, doublé d’une grosse présence. Il y va l’Honus Honus, c’est un sacré coco. Il a une vraie énergie, c’est un tape-dur. Au chant, il est pourri de feeling. Très bel artiste. Force de la nature. Ça ressort bien en studio. C’est aussi un grand consommateur de mélodies vocales, comme le montre «Mongolian Spot». Retour au rentre-dedans avec «Bloodungeon». Hard beat ! Il assoit bien son énergie, kiss me now/ On the lips, il sait foncer à travers la plaine. Il fait du David Lynch avec «Mulholland Drive». Il est capable de merveilles intangibles. Tu te passionnes pour cet artiste intense et sincère. Il amène «Pack Your Bags» comme un hit glam new-yorkais. Jamais vu ça ! Quelle présence, oh boy ! Il t’explose encore la pop d’«Alibi» et s’en va calmer le jeu juste sous l’horizon avec «Cherry Cowboy».

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             Alors tu prends ton bâton de pèlerin et tu t’en vas sur le chemin. Première étape : Rabbit Habits, paru en 2008. Pochette très dessinée, à la Perec, on voit l’intérieur de trois immeubles répartis sur les volets du digi. Weird scenes inside the buildings, t’as même des scènes de cul. Tu retrouves le son pète-sec de l’Honus dès «Mister Jung Stuffed». C’est son truc, le pète-sec, il fait son Dr John on speed, même il s’évertue à rester inclassable, limite incongru. Mais puissant. Il n’en finit plus de tarabiscoter. Il bascule trop dans le comedy act («The Ballad Of Butter Beans»). On croit parfois entendre la BO d’un Kaurismäki movie. Il renoue avec le big shuffle dans «Easy Eats Or Dirty Doctor Galapagos». Il part à l’aventure, mais pour des prunes. Ses explosions n’intéressent personne. Il fait du rock littéraire avec un «Harpoon Fever (Queequeg Playhouse)» monté sur du surf et bien wild as fuck, c’est inclassable, sauvage et sans commune mesure, comme Moby Dick. Il enchaîne avec le fast as rabbit fuck «FL Aztec». Inclassable ! Wild Dada ! L’Honus cherche sa voie, comme le montre encore «Top Drawer», il passe par le tape-dur, il en plie son clavier, c’est un fou qui se perd dans l’entre-deux mondes. Il se barre ailleurs en permanence, comme le montre encore la valse à trois temps de «Poor Jackie». Il boucle avec «Whale Bones» qu’il chante au rauque à la Moby Dick. 

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             Trois ans plus tard, il pond Life Fantastic. Cot cot ! Ça reste du pète-sec de tape-dur. C’est sa marque. Mais pas d’hit à l’horizon. Au fond, il s’en fout un peu des zhits. Il réfère tarabiscoter. Il s’en sort de justesse avec «Steak Knives» car c’est assez mélodique. Mais la plupart de ses gros tape-dur ne mènent nulle part. Avec «Haute tropique» (sic), il se prend pour Tom Waits. Sans doute est-ce là le cut le plus offensif de l’album. Mais le reste est globalement assez ingrat. À force d’incongruité, il flingue ses cuts un par un. La plupart ne passent pas la rampe. Il tape son morceau titre au last fandango, mais il n’est pas Gary Brooker. Il se prend pour le roi du swing avec «Oh La Brea». Il a raison. Il dispose de cette belle énergie qui ne mène nulle part, sauf aux yeux des gens qui l’ont vu sur scène. Il reste aux confins du cabaret. Son truc, c’est le foutraque. Il est libre.

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             C’est sur Dream Hunting In The Valley Of The In-Between qu’on trouve le vrai grand hit de Man Man, «Sheela» qu’on avait compris de traviole lors du set. Honus ne chantait pas «shivers  after dark», mais «Sheela after dark». Quelle belle offensive ! - Won’t you be my Sheela after dark - Il amène ça avec de sérieuses dynamiques et il rafle la mise avec ce refrain qui décolle comme celui du «Motorway To Roswell» des Pixies. C’est le même power mélodique. Sinon, il continue de faire son père tape-dur («Cloud Nein»). D’habitude, c’est la mère tape-dur, mais cette fois c’est le père. Comme le montre «Lovely Beuys», il adore les vieux artistes conceptuels. Il durcit le beat pour «Future Peg». T’es sur Sub Pop, Honus, alors tu vas durcir le beat ! Il revient encore à la vraie chanson avec «The Prettiest Song In The World». Ça frise l’enchantement. Il l’emmène pour Cythère au but I got so distracted/ So I did it. Puis il groove «Animal Attraction» dans la longueur de la langueur, c’est très beau et plutôt contagieux. Il fait une dernière tentative de hit sensible avec le proustien «Sawn» et marche in the blood of the dying swan. Tout un programme.

    Signé : Cazengler, Mean Mean

    Man Man. Le 106. Rouen (76). 1er novembre 2024

    Man Man. Rabbit Habits. Anti- 2008    

    Man Man. Life Fantastic. Anti- 2011    

    Man Man. Dream Hunting In The Valley Of The In-Between. Sub Pop 2020

    Man Man. Carrots On Strings. Sub Pop 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - La fête à Neu-Neurotic

             Si Neuneu n’avait pas existé, il aurait fallu l’inventer. Il fait partie de ces êtres dont on ne supporte pas la présence et dont on ne peut pourtant pas se passer. Difficile à expliquer. Ce mélange d’attirance et de répulsion est assez commun dans le cadre des relations sentimentales, il l’est moins dans le cadre des relations dites classiques. On commence par savourer sa présence, Neuneu sait faire preuve de clairvoyance et formuler des avis pertinents. Cet ancien libraire est un puits de science, et avec l’âge, son érudition semble proliférer. Il n’est pas comme ces septuagénaires trahis en permanence par leur mémoire, la sienne fonctionne encore comme une horloge, il cite à tours de bras, il jongle avec les noms d’auteurs, d’éditeurs, de marchands parisiens, il sort des prix et des dates, il cite des dédicataires d’envois, il in-foliote et il in-quartote, et puis soudain, sans raison apparente, sa bouche se tord, et derrière ses lunettes, ses petits yeux brillent d’un éclat horriblement malsain, puis il commence à insulter tous les gens dont les noms lui viennent à l’esprit, par exemple des membres de sa famille depuis longtemps disparus, puis des gens qu’il ne connaît pas mais dont on vient de lui parler, puis il s’en prend à la société en général, aux bourgeois et aux paysans, et tu sais qu’à un moment ou à un autre, tu vas passer la casserole, sans l’avoir le moins du monde provoqué. Il accompagne ses invectives de grands coups du plat de la main sur la table qui saute sous les coups. Si pour te défendre, tu engages le combat verbal, alors une légère écume apparaît au coin de sa bouche tordue et soudain, schloooufffff, il déroule un tentacul long d’au moins deux mètres, un horrible tentacule noir et humide ! Alien ! Alors c’est la panique ! Le tentacule balaye la table et envoie les assiettes et les bouteilles valdinguer à travers la pièce, schplifff, schplafff, et il continue à débiter son chapelet d’injures d’une voix d’outre-tombe, il anéantit, il écrase, il abomine, il blasphème, alors tu dois prendre la fuite, car ta vie ne tient plus qu’à un fil.

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             Même si les Neurotic Outsiders n’ont pas bonne réputation, on se sent mieux avec eux qu’avec ce triste sire de Neuneu. À part Vive Le Rock et ceux qui ont chopé l’album à sa parution, qui se souvient des Neurotic Outsiders, ce super-groupe monté par Steve Jones, Duff McKagan et John Taylor de Duran Duran ? Pas grand monde. Voilà donc l’occasion rêvée d’aller faire un tour inside the goldmine.

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             Guy Shankland leur consacre tout de même 6 pages, c’est pas rien. Il chapôte en parlant d’un groupe qui burned hard and bright. Shankland commence par raconter qu’en 1996, il a écouté sa «last ever cassette tape» sur sa «crappy car stereo» : la K7 des Neurotic. Elle orne d’ailleurs la première page de l’article. Comme beaucoup de gens, Shankland n’est pas très friand des super-groupes, mais cette cassette dépasse toutes ses attentes : «loud, melodic, rude, catchy, heartfelt, juvenile, reflective and in places un-fucking-touchable.» Ces mecs commencent par jouer un «charity fundraiser» au Viper Room sous le nom de Neurotic Boys Outsiders, avec un tas de covers, «New Rose», «Raw Power», «Pretty Vacant», «Wanna Be Your Dog», «Something Else», et comme ça plait beaucoup aux gens d’Hollywood, ils deviennent les Neurotic Outsiders. Ils signent aussitôt sur Maverick Records et empochent une avance d’un million de dollars. Le groupe va durer 18 mois. Comme son pancréas vient d’exploser, McKagan est devenu sobre. Zéro dope, zéro drink. Il fait maintenant du mountain bike avec Steve Jones dans les collines d’Hollywood. Steve Jones compose quasiment tous les cuts de leur album, et il partage le chant avec McKagan. Dans l’interview, Steve Jones avoue qu’à la grande époque, il écoutait Boston et Journey sur son walkman et il n’osait pas le dire. Il dit continuer à écouter cette daube, mais aussi «a lot of Tamla Motown and early ‘60/’70s reggae and classic rock. The least thing I listen now is punk.» Les Neurotic ont disparu à cause de la reformation de Pistols, puis des Guns ‘N’ Roses, puis de Velvet Revolver. Dans la dernière page de l’article, Shankland interviewe Matt Sorum, le batteur des Guns, et là tout s’écroule.

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             L’album sans titre des Neurotic Outsiders date de 1996. À l’époque on se disait bif baf bof, à quoi bon un nouveau Steve Jones show ? Mais la curiosité a pris le dessus sur le bif baf bof, et si la curiosité avait une main au bout d’un bras, on aimerait bien la serrer pour dire merci. Car quel album ! Sans la curiosité, on serait passé à côté, et ce serait une grave erreur de plus.

             Ça part en trombe de nasty ho dès «Nasty Ho». Deux accords, c’est immédiat. Awite now ! Jonesy se pointe vite fait et ressort sa cocote d’heavy Pistolero. Ça prend vite des allures d’heavy feel so good. C’est bardé de son, mais à un point que tu n’imagines pas. Ces mecs-là ne connaissent qu’une religion : le power chord. Alors ils y vont au ah ah sock it to me one time et en plus tu as une fin demented. Et ça continue avec un coup de génie nommé «Always Wrong». Jonesy va au-delà de toutes les cocotes, il pulse de l’hyper-génie sonique à l’oh-oh-oh, c’est tellement bardé de son qu’on ne sait plus quoi raconter. Ils plombent le rock à coups de marteau de Thor et Jonesy envoie un solo vipérin atroce, un vrai viol de la conscience. Après un petit passage à vide, les Neurotic reviennent aux affaires avec «Feelings Are Good». Ces mecs sont des diables, ils prennent feu dans les brasiers, tout s’écroule, c’est fabuleux et terrifiant à la fois. Comme d’habitude, Jonesy perce le blindage des coffres. «Jerk» sonne comme un heavy rock infecté. Jonesy se déguise en Max la Menace. Il noie le jerk au meilleur son de l’univers. Ils tapent plus loin le «Janie Jones» des early Clash et cette belle aventure se termine avec «Six Feet Under», le six pieds sous terre qui nous pend tous au nez, sauf les ceusses qui optent pour le four crématoire. Les Neurotic sont très énervés avec cet heavy sludge. Ils sont encore pires que les Stooges. Ils reviennent à l’origine des temps, c’est-à-dire les Stooges : bam-bam sur deux accords. Ils touchent au cœur de la vérité universelle.

    Signé : Cazengler, pathétic outsider

    Neurotic Outsiders. Neurotic Outsiders. WEA 1996

    Guy Shankland : Guns ‘n’ Pistols. Vive le Rock # 93 – 2022

     

     

    *

            Un grand merci à Rockabilly Generation News, dont le numéro paru fin décembre m’a permis de réaliser que j’avais stupidement fait l’impasse sur le livre de Daniel Dellisse.  Rockers, voici un complément indispensable à L’Âge d’Or du Rock’n’roll de Barsamian et Jouffa paru en 1980. Il nous aura juste fallu attendre près d’un demi-siècle pour trouver une telle merveille écrite en français !

    HISTOIRE(S) DU ROCK’N’ROLL

    LA REVOLUTION MUSICALE DES ANNEES 1950

    DANIEL DELISSE

    (Editions du Félin / Septembre 2024)

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             Avis aux lecteurs, ce n’est pas une Histoire des Pionniers du Rock, relisez le sous-titre : La révolution musicale des années cinquante. Oui je sais, sans les pionniers le rock’n’roll gna-gna-gna… mais l’histoire des pionniers c’est un regard, une vue de l’esprit, typiquement française d’ailleurs, une mythification, une extrapolation d’un phénomène social américain. Une réécriture.

             Point de prévention, laissons-nous guider par Daniel Dellisse. Il raconte bien. Vous mène un peu par le bout du nez. S’amuse même. Les fans du King glaneront bien de temps en temps le nom du Pelvis, mais leur faudra attendre la page 132 (sur 200) pour que l’on s’intéresse vraiment à son matricule, ce dernier mot tombe à pic puisqu’il est déjà à l’armée en Allemagne. Oui c’est la fin, nous sommes en juin 1958 et en février1959, ce sera terminé (pas tout-à-fait), l’histoire est finie : tout le monde Holly.

             Petit aparté : lorsque Jerry Lou a passé le clavier à gauche, certains se sont dépêchés de faire remarquer qu’il nous restait encore un pionnier Charlie Gracie, oui mais une quarantaine de jours plus tard Charlie s’est dépêché de rejoindre Jerry… Daniel Dellisse cite souvent les mémoires de Gracie, un peu pour remettre les pendules à l’heure, Charlie n’a pas été dupe de la fabuleuse aventure du rock’n’roll. Ni de ses grandeurs, ni de ses servitudes.

             Certes nous commençons à Memphis, Sam Phillips recherche un local… de Sam nous passons à Dewey (Phillips, aucun lien de parenté), sont faits pour s’entendre, l’un veut enregistrer des disques et l’autre des galettes du  Roi dans son émission sur la radio locale. Comme toujours les choses sont plus complexes. Sont comme nous tous, se promènent avec leurs petites idées derrière la tête et leurs grands désirs devant. Vous connaissez leurs motivations. N’y en aurait-il pas d’autres, invisibles mais très efficientes, qui les pousseraient dans le dos. En ont-ils totalement conscience. L’establishment socio-culturel subit de profondes secousses culturelles, de plus en plus d’adolescents sont friands de musique noire. Oui, mais écouter de la musique de nègres c’est mal vu… L’attrait de l’interdit, ne serait-ce que moral, ne ferait-il pas bouger des montagnes… Dewey le blanc n’est pas seul dans son cas, sont plusieurs disc-jockeys au travers de l’Amérique, comme lui, qui s’obstinent à passer des disques de nègres dans son émission, une intolérable compromission, la destruction de l’human belt, cette ceinture de sécurité (et aussi de chasteté) de séparation des ‘’races’’. Comme  Sam enregistre des noirs, l’on se dit que l’allumette n’est plus vraiment loin de la mèche. Les choses n’arrivent jamais exactement comme elles devraient. Elles empruntent des voies détournées voire tortueuses… Ce n’est pas parce qu’un artiste noir aurait un succès fou auprès du public blanc que le problème serait réglé. Cela serait au mieux de la cohabitation, voire de l’apartheid.  Non, ce qu’il faut, c’est une espèce de pollution intérieure, un virus pathogène. Un cheval de Troie. Ce moment où l’on ne sait plus si le monde est noir ou blanc. Ce sera Elvis, un petit blanc qui chante comme un noir doué. Une fois que le pied s’est glissé dans l’entrebâillement de la porte il est facile de forcer le passage.

             Y a plein de petits Elvis qui aimeraient s’engouffrer dans l’ouverture. Ne sont pas seuls. Vous avez toujours des resquilleurs. Qui profitent de l’occasion. Oui mais ceux-là ils ont de l’argent, ce sont les mêmes qui jusques alors cloisonnaient le système, désormais ils détestent les chasses-gardées puisque l’on peut gagner davantage en classifiant les territoires des voisins en zones franches, sont pour la libre-entreprise, réflexe économique typiquement américain, pour eux l’argent n’a pas de couleur…

             Revenons en arrière. Avant le coq n’ait chanté trois fois pour saluer le lever du Sun. Faut bien qu’un artiste entre le premier sur scène. Daniel Dellisse choisit Bill Haley. Le premier rocker historique. Sympa le gros Bill. L’invente le rock’n’roll sans le savoir. De fait, il ne crée rien, lui et son orchestre de jump se contentent de reprendre les postures et l’impact frénétique du Rhythm and Blues des noirs. Une espèce de vol à l’étalage. Une tentation pas vraiment calculée. L’occasion qui fait le larron. Parfois l’on félicite les voleurs pour leur adresse. C’est ce que l’on appelle la valeur ajoutée. Proudhon avait raison : ce que je vole devient ma propriété.

             Attention c’est subtil. Vous ne savez jamais où vous mettez les pieds. Un véritable jeu de go. Le pion noir devient blanc et le  blanc tourne au noir. L’important est de comprendre qui retourne les pions. Les analyses de Délisse sont des délices. Il ne s’arrête jamais bien longtemps sur une pièce. Vous refile les informations nécessaires, ne s’attarde guère. Ouste, il passe à une autre ! Petit à petit vous identifiez les joueurs, d’abord les chanteurs, tout repose sur eux, de véritables têtes de bétail, bien sûr l’on prend garde de ne pas tuer les rares poules aux œufs d’or mais les cimetières sont pleins de gens irremplaçables. Pas de panique, ça se bouscule aux portillons. Z’ensuite les maisons de disques. Puis les radios. Puis la télévision. L’éclosion du rock’n’roll marche main dans la main avec les progrès de la technologie. Vous pouvez prendre le train en marche, mais ne restez pas le cul calé dans votre compartiment. Sachez trouver le bon studio, les meilleurs musicos, les instruments les plus performants, les ingénieurs du son particulièrement ingénieux. N’oubliez pas d’imiter ce que font les autres. Deux principes de base contradictoire : être seul et le premier. Plus vous êtes gros plus vous êtes puissants. Être propriétaire de sa petite télé locale c’est bien. En posséder quarante autres, vous refilez la même émission quarante fois.

             Au début, c’est la pagaille, à la fin c’est la payola. Chacun tient sa petite crèmerie, elle survit grâce à ses clients, et à ses fournisseurs qui bientôt deviennent gourmands. Echange de bons procédés, je te donne ceci si tu me donnes cela. A la bonne franquette. La ristourne qui vous tourne la tête. L’on s’arrange entre amis, l’on évite les embrouilles. Bien sûr il y a des coups fourrés et des assommoirs tordus, l’un dans l’autre l’on s’y retrouve. L’on est entre gens de bonne volonté… Tous comptes faits, petits profits et grosses arnaques, n’est-ce pas le rock’n’roll qui sort gagnant de ce joyeux et foutraque micmac ?

             N’y a pas que l’argent dans la vie. L’on ne saurait se satisfaire d’être ravalé au rang  subalterne d’un simple homo économicus, il existe une dimension supérieure, celle de la morale. Si vous entrevoyez mal à quoi correspond ce mot, je me permets de rajouter trois de ses synonymes : l’idéologie, la politique, le pouvoir.  Il ne faudrait pas que le rock’n’roll sape l’ordre social, que les blancs et les noirs pactisent un peu trop, tout système coercitif sépare pour mieux régner. Le rock’n’roll n’est pas né d’un coup de baguette magique, ne serait-il pas un rejet de la lutte contre la ségrégation, le surgeon maléfique des manifestations des Droits Civiques, peut-être même un piège diabolique pour corrompre les âmes pures dans les exutoires des rapports charnels, avant, après et pourquoi pas pendant, le mariage… encore un peu, bientôt nous verrons l’apparition des couples mixtes… De tous les fléaux qu’a inventés l’Homme, la Religion - elle ne relie pas les individus entre eux, elle les ligote – est le pire des anabolisants mentaux. Elle infuse les cerveaux. Lisez les paragraphes consacrés à Little Richard et à Jerry Lou. Dieu est pire que le diable, il corrompt tout autant les esprits.

             Bref à la fin du bouquin, vous comprenez pourquoi en 1959, aux States le rock’n’roll est remisé sur une voie de garage. J’ai tenté de mettre à plat le mécanisme que démonte le livre, n’ayez pas peur, Dellisse vous l’explique in situ, c’est un défilé incessant d’authentiques artistes, de faiseurs préfabriqués, de marionnettes et de marionnettistes. Ce n’est pas la grande escroquerie du rock’n’roll que vous conte notre auteur, c’est sa radicale aseptisation, sa parfaite trépanation, son affadissement, sa bâtardisation… N’empêche Nicolas que la bête n’est pas morte et qu’elle ne tardera pas à renaître…

             Ne pouvait pas parler de tout le monde, n’empêche que pour l’absence de Bo Diddley et de Vince Taylor, le peu de lignes dévolues à Eddie CochranDellisse mérite 12 783 fois la mort, non les gars 12784 ce serait un peu exagéré, z’oui mais je me répète ce n’est pas un book sur les pionniers mais sur la naissance du rock’n’roll… Sachez saisir la nuance. Quelques pages sont consacrées aux différents revivals, un peu rapides, pour les français juste Jesse Garon, d’ailleurs notre rock national c’est un peu le parent pauvre, cite Claude Moine, vous avez reconnu sous ce père défroqué, Eddy Mitchell, et les Spunyboys. C’est peu mais le mois dernier nous avons chronique par deux fois Schmoll et les Spuny.

             Je ne voudrais pas terminer sur cette fausse note, il y a un truc qui est très bien expliqué dans le book c’est la coupure épistémologique entre le rockabilly et le rock’n’roll, Daniel Dellisse se sert de l’enregistrement de Be Bop A Lula pour vous faire ressentir le big deal, vous connaissez mon indicible attirance pour Gene Vincent

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             Un dernier hommage, à Alan Freed, sans lui parlerait-on encore de rock’n’roll aujourd’hui, un activiste décisif, il a payé cher son initiative à la cause, mais le rock’n’roll est son triomphe.

    Damie Chad.

     

    *

             L’idée de rituel implique la notion d’acte recommencé, nous voici donc obligé de recommencer, ce qui tombe très bien puisque la semaine dernière nous n’avons parcouru qu’une maigre partie du sommaire de :

    RITUEL

    (Powered by Rock Hard)

             Est-ce un numéro spécial de Rock Hard, le trente et unième, ou le lancement d’un nouveau magazine ‘’dark side’’ consacré au ’’métal extrême’’, l’avenir en décidera, le nombre de lecteurs aussi… Continuons notre lecture :

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             Me retrouve en terre connue dès la première interview, à plusieurs reprises, attiré par la couverture, j’ai failli chroniquer le dernier album De Republica de Griffon, ce qui aurait créé un pendant intéressant avec The Republic de Thumos. Il fut un temps où l’on disait qu’en France on n’avait pas du pétrole mais qu’on avait des idées. Sont des français, ils ont des idées, ils parlent de politique et de religion. Nous saluons leur courage. Rituel a mis en grosses lettres une citation de Aharon (chanteur) : ‘’ pas de socialisme sans christianisme et inversement’’. La discussion est ouverte, lisez l’article avant de monter dans les tours.

    Suit l’interview d’Ulcerate, groupe néo-zélandais, encore une phrase du batteur Jamie Saint Merat en grosses lettres :   ‘’L’art peut et doit parler de valeurs supérieures’’, d’après moi il aurait mieux fait de remplacer l’expression valeurs supérieures par choses profondes, d’autant plus qu’il évoque davantage la descente terminale qu’une quelconque élévation  éthérée. Emmanuel Hennequin l’interviewer ne pose pas les questions bateaux, il participe activement au dialogue. Dommage qu’ils n’aient pas bénéficié de deux pages supplémentaires.

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    Attention, une revue se penche sur une autre qui va mourir. Pas n’importe laquelle, rien qu’à son nom vous pensez au premier livre de La Divine Comédie de Dante, L’Antre des Damnés, une revue de l’ombre, plus noire que le noir le plus absolu, si vous croyez que j’exagère, regardez les couvertures des trente-six Chapitres déjà parus, elles sont reproduites au gré (enfin au granite noir des pierres tombales) des douze pages qui donnent la parole à son créateur Malphas, que voulez-vous il existe des individus qui sont en phase avec le Mal, un solitaire qui raconte vingt ans de turpitudes éditrices, un travailleur de l’horrible, l’a commencé à partir de rien, juste l’innocente envie de lancer une revue underground, s’est battu avec les tentacules sans cesse renaissants de l’Hydre de Lerne, les logiciels, les interviews, le papier, les encrages, les imprimeurs, la poste, le courrier, les imprévus… une vie d’astreintes infinies, pour la musique qu’il aime, un héros, un malfaiteur, un maraudeur des terres cauchemardesques, essayez de faucher une pièce de dix euros dans la tire-lire de votre petite sœur, pour cette modique somme vous aurez droit au Chapitre 37, fissa, les cinq cents numéros sont en rupture de stock… Cette riche et passionnante chronique des jours noirs,  une véritable et longue confession à l’article de la mort peut être considéré comme l’épitaphe suprême gravée sur la porte refermée à jamais de L’Antre des Damnés. Resquiescat in tormentis !

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    Emmanuel Hennequin présente Hollow le premier opus de Hauntologist, groupe de métal polonais, sur la photo des deux protagonistes l’un ressemble à un prêtre défroqué qui a refusé d’ôter sa soutane et l’autre  paraît totalement perdu en notre monde, normal ce sont des explorateurs des contrées du rêve, à leur mine vous voyez qu’ils ont vu ce dont vous n’avez même pas idée, exemple si vous arpentez la mort, dans un sens vous remontez à son origine dans l’autre vous descendez  vers sa fin. Etrange labyrinthe dont on finit toujours par sortir. C’est vraisemblablement la seule explication à leurs regards hallucinés.

    Vous ne savez plus trop où vous en tes, chez Rituel ils sont gentils, ils vous ont aménagé une station, pas du tout christique, une gaudriole satanique, je vous laisse découvrir Moisson Livide, du local, son Emperi Gasconça fleure bon le sud-ouest, la vigne et le rugby, attention un fin marteau à la ceinture de Darkagnan !

    Taz Damnazoglou vous présente les cinq albums qui ont influencé sa carrière. / Sergio Lunatico de Cosmic Jaguar nous parle de la difficulté pour un groupe de metal de travailler en paix. Normal il est ukrainien... Parfois le monde vous agresse.

    Suit un genre d’articles ‘’spécial aficionados mordus de la moelle’’ ou réservés pour les ignorants méticuleux qui veulent tout savoir. Le principe est simple, vous prenez un genre, ici le Grindcore et vous épluchez une série de galettes qui ont marqué le style dans l’ordre chronologique de leur apparition. Le mieux est de le lire à haute voix avec deux ou trois copains et de passer votre temps à vous chamailler sur la justesse de la chro puis à essayer d’imposer votre avis de connaisseur  à vos amis vite transformés en ennemis irréductibles. Au jeu de la mauvaise foi et de vos partis-pris intimes je vous fais confiance. Oreilles sensibles et tympans fragiles abstenez-vous, le grind est une musique ultra-violente et ultra-rapide. La liste débute en 1988 avec From Enslavement to Obliteration de Napalm Death et se termine en 2021 avec Trip to the Void de Blockheads. Tout un programme.

    A suivre…

    Damie Chad.

            

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 385 : KR'TNT ! 405 :JP BIMENI & THE BLACK BELTS / STEVE WYNN / NAUSEA BOMB / ANTI-CLOCKWISE/ ALL THIS MESS / BLUE VOID / UNDERVOID / PSYCHOÏD

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 405

    A ROCKLIT PRODUCTIOn

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    07 / 02 / 2019

     

    JP BIMENI & THE BLACK BELTS / STEVE WYNN

    NAUSEA BOMB / ANTI-CLOCKWISE

    ALL THIS MESS / BLUE VOID

    UNDERVOID / PSYCHOÏD

    The Bimeni beat

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    La légende du programmateur raconte que JP Bimemi vient du Burundi. C’est bien, parce que ça rime. Voici deux ans, Mudibu officiait au sein de l’Otis Show, un groupe de reprises d’Otis basé à Londres. Aujourd’hui, il devient JP Bimemi et se glisse dans les Nuits de l’Alligator accompagné de Black Belts espagnols. JP Bimeni est l’un de ces showmen capables de redonner à la Soul une vie nouvelle, l’un des Soul Brothers capables de réchauffer le petit peuple en hiver, il danse sa Soul avec une grâce infinie, comme s’il jerkait avec des pieds ailés, si l’on se réfère aux mythologies de la Grèce antique.

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    Contrairement à Charles Bradley et Lee Fields, JP Bimeni est encore assez jeune, mais il semble disposer de tous les apanages de la vétérance de toutes les guerres, il shoote et bamalate exactement comme Otis, avec une insistance dégoulinante de cette sueur qui fit jadis étinceler des rivières de gouttes sous les projecteurs des plus grandes salles du monde, oui, JP Bimeni dispose de cette bravado qui lui permet de shaker le Shake de Sam et de Cooker le cake de Soul, de fouler le Pitiful au sol de la Soul et d’imposer le vieux Respect de l’Otisserie de la Reine Pédauque.

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    Il nous fafafate et nous Turn You Loose comme des crêpes, il fait des kilomètres sur scène et nourrit une relation gourmande avec un public conquis d’avance. Il faut le voir nous dévorer des yeux. Cet homme ne résiste pas à l’envie de montrer son bonheur d’être sur scène pour chanter sa Soul, et forcément, sa Soul est bien meilleure sur scène que sur l’album qu’on trouve dans le commerce, Free Me. Et même mille fois meilleure. C’est comme de comparer le costume en vitrine et le costume porté. Rien à voir. JP Bimeni incarne son art avec une élégance qui laisse coi, mais qui fait bouger les hanches.

     

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    Il a cette chance extraordinaire d’être accompagné par un backing-band irréprochable, on voit bien que ces mecs ne vivent que pour ça, car ils swinguent, mais pas aussi spectaculairement que les Anglais qu’on avait vu au Vintage Weekender de Roubaix. Ils swinguent d’une autre façon, disons pour faire simple plus groovy. Les latins ont cet avantage sur les Anglo-saxons qu’ils savent aller et venir entre tes reins. Le mec qui joue de la basse est un modèle de statisme décontracté. Sur le manche, sa main gauche ne bouge quasiment pas et il joue toutes les grosses gammes de la Soul avec une fabuleuse précision. Il ne bouge que ses jambes, et les nôtres avec.

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    La grande différence entre les Anglais et les spanish Black Belts, c’est l’orgue. L’Anglais jouait sur un orgue Hammond et pulsait ce son qui depuis Jimmy Smith est l’incarnation du groove. Le keyboard man des Black Belts joue sur un petit piano électrique, mais God, il faut le voir jouer ! Ce petit mec à lunettes swingue comme Georgie Fame et joue quasiment avec tout son corps. Il est d’autant plus exposé en vitrine qu’il est installé au devant de la scène, à deux pas du public entassé au pied de la scène.

     

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    JP Bimeni n’en finit plus de virevolter d’Est en Ouest, il improvise des pas de danse, il nijinskitte sa Soul, il lui donne des allures de grandeur, sa chemise blanche et ses bretelles noires le renvoient incidemment à Montand, JP Bimeni fait sa bête de scène avec tact, il ne bascule jamais dans la démesure, l’homme sait rester léger et prodigieusement accessible. Ce contact permanent avec le public le rend décidément humain, trop humain. C’est l’avantage qu’ont les Soul Brothers sur les groupes de rock, ils savent transformer un show en une espèce de communion, oh pas celle des églises, celle qui remonte au temps d’avant les dogmes à la mormoille et qui établissait des liens invisibles entre les esprits. Comme on ne savait pas comment interpréter ce phénomène, on qualifiait ça de magie. JP Bimeni n’a même pas besoin de hits pour chauffer sa Soul aux vermicelles, il lui suffit d’établir le contact avec les gens, à la fois par l’esprit et par les hanches. Il fait une seule reprise, le «Keep On Running» du Spencer Davis Group qui n’est même pas sur l’album. Belle version espagnole, mais pas forcément bien adaptée à ce genre de contexte. On sent trop le rock de blancs, même si Stevie Winwood chantait comme un noir en culottes courtes.

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    Comme sur l’album, c’est le morceau titre qui tape vraiment dans le mille, ce n’est pas qu’il sonne comme un hit, mais il s’impose, grâce à son petit shuffle d’orgue relancé aux cuivres - Forget what I say - JP Bimeni veut la liberté absolue, c’est le vieux rêve du grand peuple noir. Il tape son Free Me à l’insistance considérable. Il fait aussi pas mal de balladifs éplorés, comme ce «Moonset», un peu passe partout, mais ce type de slowah va combler la grande majorité des amateurs de Soul moderne, car tout y est : le collant, les mains baladeuses, la grandeur d’âme qui va avec, la connaissance par les gouffres et l’art de la Soul qui n’appartient qu’au seul peuple noir. Joli coup d’épée dans l’eau traversé par une bassline de rêve. Alors, oui, bien sûr, tous ceux qui n’auront pas la chance de voir JP Bimeni sur scène vont pouvoir essayer de se consoler avec l’album, dont la pochette vraiment réussie donne envie. Le seul canard qui l’a chroniqué, c’est Shinding. Ailleurs, que dalle. Le pauvre JP Bimeni va devoir tourner pour se faire connaître. D’autant que la Soul semble intéresser beaucoup moins de monde que le metal ou l’electro. Ainsi vont les choses. Il ne faut guère s’étonner de ces mutations. Les temps modernes n’ont absolument rien de moderne.

    JP Bimeni attaque l’album avec «Honesty Is A Luxury» et une authentique ferveur de Soul motion. Il chanterait presque avec la voix éteinte d’un vieux requin. Que ne fait-on pas comme miracles en studio de nos jours ! On sent chez lui une réelle pureté d’intention. Comme Sharon Jones, il cherche à rallumer le brasier de la Soul sixties, et «Same Man» en fournit la preuve. Il faut le voir ramoner la cheminée de sa Soul, on se croirait au temps béni de Stax et de Hi, quand la Soul hantait toutes les radios du monde. Même s’il est encore difficile d’écouter JP Bimeni après Sam & Dave et Syl Johnson, sa pugnacité l’impose. Mais pour être tout à fait franc, l’album semble souffrir d’un petit problème de production. C’est toute la différence avec ce qui sort sur Daptone. La Soul produite en Espagne refuse obstinément d’exploser. On a le même problème avec les trois albums des Excitments. La Soul espagnole n’est pas Mustang Sally, elle serait plutôt Rossinante. Même si tous ces mecs jouent comme des cracks, la prod fait salement défaut.

    Sur «Don’t Fade Away», ça groove adroitement, mais ça n’emporte pas la décision. JP Bimeni travaille sa Soul à l’insistance caractérielle et se livre à un admirable travail de sape. Il enchaîne les slowahs comme d’autres enfilent les perles, «Stupid» et «I Miss You» valent pour des cuts de Soul classiques et sans défaut. En lisant la pochette, on voit qu’ils sont composés par les Espagnols, et c’est toute la différence avec la Soul du team Isaac Hayes/David Porter. Avec «Better Place», ils passent au heavy groove de Soul et ça donne un cut beaucoup plus aérien. On voit JP Bimeni naviguer à la surface. Bon, c’est vrai, on a là une Soul un peu âpre qui refuse de décliner son identité, et c’est peut-être avec ce type d’écart que JP Bimeni peut faire la différence. Comme d’ailleurs dans le «Madelaine» qui suit, joué au gratté paradisiaque de la Jamaïque. JP Bimeni va sur les îles et il a bien raison.

    Signé : Cazengler, Bimenu

    JP Bimeni & The Black Belts. Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 2 février 2019

    JP Bimeni & The Black Belts. Free Me. Tucxone Records 2018

     

    Syndicate d’initiatives - 
Part Four

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    C’est avec Static Transmission paru en 2003 qu’arrive Jason Victor, plus connu sous le nom de Jason le démon. Quand on commence à écouter cet album, on ne se méfie pas. «What Comes After» sonne comme un petit balladif. Le problème, c’est que ça sonne vite comme un hit. Steve le Wynner gagne à tous les coups. Avec un nom comme le sien, c’est facile.

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    La fête se poursuit avec «Candy Machine». Ce heavy rock sonne comme un coup de génie et Jason le démon commence à tripoter sa wha-wha - Check out Candy Machine - Pur jus de rock boy oh boy. Au moins, avec «The Ambassador of Soul», les intentions sont claires. Steve Wynn descend ses paliers à coups de yeah. Il fait du rock éclairé de l’intérieur - Yeah I know/ So many things bring you down - C’est spectaculairement bon. Il chante du coin de la bouche - You want it so bad/ You can almost taste it - C’est très palpable. Quel fuckin’ genius et Jason le démon passe un fabuleux solo de flamenco, mais à contre-courant. Tout cela dépasse largement les bornes de l’intensité. Et ça repart de plus belle avec «Keep It Clean». Ah il faut voir comme il fait claquer son keep it clean. C’est balayé par des vents de guitare. Hallucinant ! Et il revient au chant comme si de rien n’était. Ce mec a véritablement du génie, il est bon de le rappeler - I’m doing my best to keep it clean - et ça monte, gloup gloup, ah quel entremetteur ! Dommage que ça s’arrête car ça méritait une resucée. On croit qu’il va se calmer. Non, car voilà un «Amphetamine» ravagé dès l’intro par des guitares vinaigrées. C’est joué à l’agressivité optimale. Steve Wynn jette tout son freak-out dans la balance, l’acide des guitares dévore l’acier de la morale. Tout cela relève soit de la démonologie, soit de la physique nucléaire. Il faut suivre Steve Wynn à la trace, car il fait partie des géants du rock américain. Les solos déments de Jason le démon valent bien ceux du Velvet, c’est intense et carbonisé dans la matière même du white heat. Jason le démon claque des arpèges des enfers et lance de fantastiques aventures. Il part et repart dans les vétilles de la véracité punkoïde de non retour. C’est à la fois violent et délicieux. On peut dire de ce cut qu’il est monté au pire beat de l’univers. Steve Wynn revient au chant comme le faisait Lou Reed au temps du Velvet, avec une mâle assurance - You gotta watch your step/ Or you’re gonna lose your way - Steve Wynn nous prévient, oh yeah ! - I’m gonna live/ Until the day I die - et tout bascule dans une fin d’apocalypse. Rien d’aussi dément sur cette terre que cette fin-ci - Until the day I die - Ni Polnareff (Lorsque sonnera l’heure de ma mort), ni John Brannon des Laughing Hyenas («Each Dawn I Die») n’ont jamais atteint ce degré d’exaction. Encore un coup de génie avec «California Style» qui voudrait sonner comme de la pop modèle mais on sent tout de suite le retour des ambiances suprêmes. Les chœurs suivent en cortège et font «California style». C’est la preuve de l’existence d’un dieu des chœurs. Tout est incroyablement judicieux sur cet album. S’ensuit un «One Less Shining Star» claqué aux vieux accords de heavy balladif légendaire. Arrivé à ce stade, il ne faut plus s’étonner de rien. C’est Steve Wynn qu’on doit suivre, alors on le suit. Il a les meilleurs plans. Il chante dans un brouet d’accords en trémolo et se hisse au sommet de la rock culture. C’est d’une démence qui nous dépasse - The environment had to connect - C’est bardé de son, mais au-delà des espérances du Cap de Bonne Espérance. Jason le démon envoie des véritables giclées de son. On se croirait dans une tempête, une fois de plus, avec des paquets de mer soniques - Fading from the public eye/ One less shining star in the sky - Pure démence de la partance ! Ouf, ça se calme avec «Maybe Tomorrow» et on prie pour le maintien du calme quand arrive «Hollywood». Il y sonne comme Iggy et Jason le démon balance des solos d’invective. Au moins, le message est clair. Fin de non-recevoir avec «A Fond Farewell». Ambiance à la Velvet - So I wish you a fond/ Farewell - et les filles sont ouh ouh. Steve Wynn chante ça sous son bon vieux boisseau. C’est fascinant. Il aménage dans un cut un fantastique espace de chœurs de ouh ouh. Cet enfoiré en profite bien - So I wish you a fond/ Farewell - Quel admirable héros ! Il y a un disque de bonus, mais c’est l’overdose garantie. Ne l’approchez pas.

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    Un piment orne la pochette de Tick Tick Tick paru en 2005. Dès «Wired», on comprend ce que ça signifie : Steve Wynn descend ses aw de rock’n’roll à l’admirabilité des choses - Wired this way - Tout est violemment claqué du bigorneau et pulsé au beat de Linda Pitmon. On se régalera aussi de «Freak Star», mid-tempo très électrique, emmené au timbre chaud. Et paf, l’affaire se corse avec «Killing Me», fabuleux déballage de rockalama fa fa fa. Ils y vont de bon cœur et visent la démesure apocalyptique. Oh ils en ont les moyens. Steve Wynn enfile les hits comme des perles, et «Turning The Tide» n’échappe pas à la règle, puisque visité par les vents d’Ouest, une pure diablerie ! C’est géré à la mélodie écarlate et vrillé à la wah-wah. Rien d’aussi catégorique. Voilà un cut de power-pop du haut Nil, «Bruises», avec une fin qui part encore une fois en vrille. On savourera aussi «Your Secret», groove de classe zébré de délices planants et on assiste impuissant au retour de la violence avec «Wild Mercury», une stoogerie zébrée d’éclairs. Steve Wynn fait son Iggy. Il jette toute sa passion stoogy dans la balance qui s’écroule. Il reste encore un gros cut sur cet album : «All The Squares Go Home». C’est du claqué d’arrière-boutique. Jason le démon solote à l’édentée pharaonique et Steve Wynn chante si sale que c’en est douloureusement bon.

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    Allez, tiens, encore un énorme album des Miracle 3 : Northern Aggression. Au point où on en est ! Là-dessus, le coup de génie s’appelle «Colored Lights». C’est joué à foison et c’est là que ça se passe. Cette power-pop fonctionne à la pulsion pulmonaire. Encore une fois, c’est noyé de son et brillant. On dirait du psyché tremblé à l’or fin, mais avec de l’épais répondant - I don’t know why - Steve Wynn maîtrise l’art des retombées. Autre cut spectaculaire : «On The Mend», attaqué aux accords sévères et joué à l’avenant du big sound. Steve Wynn entre au chant sur le tard et déclenche des dynamiques d’apocalypse. C’est visité par la rage du rock. Steve Wynn pousse toujours son bouchon très loin. On retrouve ce fabuleux chanteur dans «Ribbons And Chains». Tout est bien, chez lui. Il fait des hits quand il veut. Avec le «Resolution» d’ouverture de bal, il tape dans l’hypno de Can. C’est visité et visiteur à la fois - When I fly/ I fly - On le croit sur parole. Il chante sale, mais à la bonne franquette. Il a du son, c’est bien claqué au bassmatic, poussé dans les orties, salutaire et démâteur à la fois. Même les cuts plus banals comme «No One Ever Drowns» passent bien car la voix de Steve Wynn porte au loin. Il cherche sa voie et son timbre d’étain déteint dans l’étang. Il use et abuse de son accent tranchant dans «Consider The Source». Ce bel oiseau sait jouer de la traînarderie. Jason le démon passe un solo de petite concasserie invétérée. Nous voilà encore avec un heavy balladif de tradition sourde. Pas mal aussi cet «Other Side» amené aux accords de clairvoyance. Sous son chapeau étoilé, Merlin Wynn enchante la pop. C’est balayé aux accords de psyché parabolique. Et puis tant qu’on y est, on peut aussi écouter la belle power-pop de «Cloud Splitter». Il bat littéralement tous les records d’intentionnalité. Sa pop n’en finit plus de s’éclairer de l’intérieur.

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    Pas question de faire l’impasse sur Live At Big Mama. Ce serait du masochisme. Steve Wynn et ses Miracle 3 y font des ravages avec notamment une énorme reprise d’«Halloween». Linda Pitmon bat ça si sec ! Et Jason le démon rôde tout de suite dans les parages, il grimpe déjà dans les accords intermédiaires. Voilà une version pour le moins explosive ! Ils biaisent tous les climats et nous plongent dans les affres d’une mad psyché secouée de violents retours harmoniques. Quel gang ! Alors que les vagues submergent la terre, Steve Wynn se dresse pour chanter de plus belle. Ils nous claquent ensuite un «Something To Remember Me By» au sing-along de mad psyché itinérante. Jason le démon joue tout à la virulence, il surcharge le son de vibrillons d’exacerbation invétérée. On le voit aussi soloter dans le pâté de foie de «Good And Bad». Il est libre, il va où il veut. On le voit aussi truffer «Smash Myself To Bits» de vagues orientalistes de la pire espèce. Voilà un vertige psyché-psycho qui vaut largement celui de «White Light White Heat», oui, car puissant et battu comme plâtre. Jason le démon joue ça jusqu’au vertige. En fin de cut, Steve Wynn le présente au public italien : «On guitar, the king of Queens !» Oui, car Jason vit dans le Queens. Nouvelle flambée de violence avec «Whatered And Torn». Ces gens-là ne font pas dans la dentelle, comme on dit à Calais. C’est ultra-joué, ultra-chanté et porté à bouts de bras. Encore du heavy beat des familles avec «Southern California Line». Ces gens-là ne s’embarrassent pas avec les détails, il stompent à gogo comme des gagas et Jason le démon ne rate pas une seule occasion d’exploser tous les records. Cette folle de Linda emmène «Crawling Misanthropic Blues» ventre à terre. Eh oui, Steve Wynn a réussi l’exploit de s’acoquiner avec une batteuse extraordinaire. Il faut la voir déployer des trésors de relances à l’infini. Et ça n’en finit plus de monter en température avec «Death Valley Rain», cette folle stompe le beat indie, dommage qu’il soit si typé. Jason déploie ses ailes mais le beat l’enraye. Elle tatapoume, c’est dommage. Le Cacavas nous nappe «There Will Come A Day» d’orgue. Il se prend pour Al Kooper au temps de Dylan. Et ils terminent avec le cut fatal, «The Days Of Wine And Roses». Jason le prend à l’alerte rouge et cette folle de Linda psychote le beat, il sont dessus et ça prend une tournure absolument effarante, c’est un hit de tension maximaliste qui ne prend pas une seule ride. Jason le démon arrose l’oriflamme de fiel fumant, il joue du note à note inflammatoire, comme au concert du FGO Barbara. Ces gens sont tout simplement incommensurables.

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    Nouveau side-project avec Gutterball. Steve Wynn monte l’opération avec Bryan Harvey et Johnny Hott. Un premier album sobrement titré Gutterball sort en 1993. Ça n’a l’air de rien, comme ça au premier abord, mais un side-project de Steve Wynn ne peut réserver que des bonnes surprises. Ce que vient immédiatement confirmer «Trial Separation Blues». Ça sonne toujours aussi bien. Steve Wynn reste très dylanesque dans le nasal, dans la classe et dans cette façon de passer des tas d’accords rock’n’roll. Quel condottière ! Il fait claquer un riff en l’air et un mec part en glou-glou de wah-wah, alors ça prend vite de sacrées tournures, mon cher Tournesol. D’autant que Steve Wynn se prend vraiment pour Dylan. Il reste dans le Dylanex avec «Top Of The Hill». Forcément bien vu. Il sait doser ses effets. Par contre, il tape «Lester Young» au rock indie. C’est sa façon de rendre hommage au vieux Lester. On assiste en direct à l’adaptation d’un mythe black par des petits blancs. Retour du brouet d’accords cinglants avec «When You Make Up Your Mind». C’est véritablement joué à la foison d’accords psyché et claqué au Dylanex. Steve Wynn se veut seigneurial, tout est joué aux glissandos de moutarde, au bouquet suprême. On tombe plus loin sur l’effarant «Falling From The Sky», garage pop de haut vol, énorme et insistant. Ça sonne comme un hit. Un de plus. Voilà encore une merveille Wynnique : «The Preacher And The Prostitute», oui car c’est joué aux accords magnifiques. Voilà du psyché de mec qui s’y connaît en arpèges du diable. Et il chante si bien. Il n’existe rien d’aussi définitif qu’une bonne chanson de Steve Wynn. Il faut voir comme il y va, c’est effarant. Il sort même des trucs dignes des Beatles. Steve Wynn joue au clair de l’éclair avec un génie de la descente et tout résonne au firmament. Il s’agit là de l’un des hits du siècle. C’est ramoné à la basse et chargé de chœurs de dingues. Et ça continue avec «Patent Leather Shoes». Le problème avec Steve Wynn, c’est qu’il est bon de A à Z. Inutile de le soumettre aux tests. Il est superbe. Il explose tout ce qu’il entreprend.

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    Un deuxième album intitulé Weasel sort deux ans plus tard, avec un chien rigolo sur la pochette. Une fois de plus, c’est un album énorme. On serait presque tenté d’ajouter hélas. On trouve au bas mot trois coups de génie là-dessus, à commencer par «Transparency». Anyway, ce mec est dingue. Tout est irrémédiablement claqué aux accords de rock US. On voit même des marées de son se chevaucher et il revient chanter au timbre revanchard de transparancy. Quel incroyable phénomène ! Pure fantasia de sonic hell dylanesque ! Tout aussi puissant, voici «Hesitation», avec sa belle explosion d’oh yeah. Cette pop reste un modèle du genre - So many ways to leave before dawn/ It only takes one if you feel you can’t go on - Le redémarrage de fin de couplet est une merveille d’anticipation dynamique. Ce mec a du génie, il faut le rappeler, il sait envoyer ses giclées et revient calmer le jeu d’une voix caverneuse. On se régale aussi du heavy riffing de petite incidence de «Maria». Steve Wynn chante dans la profondeur épidermique. C’est une voix de proximité. Les guitares s’entrecroisent et fabriquent du heavy drone psychédélique et un killer solo n’en finit plus d’agoniser - I said Maria/ When are you coming back - Il se situe en amont de l’excellence, avec des killer solos de desperado. Son «Angelene» est tout aussi déterminant. C’est même une vraie bénédiction. Et voilà «Everything» infesté de guitares intestines. Quel festin de roi ! Avec Steve Wynn, on est servi comme des princes, alors qu’on vient du petit peuple. Il règne en maître sur l’empire du psyché définitif. Les solos coulent comme l’or des mines du roi Salomon et on frise l’extase collatérale. S’ensuit un «Over 40» tellement intense que les bras nous en tombent. Steve Wynn reste dans le move du heavy rock jusqu’au bout du bout. On peine à suivre une telle force de la nature. «Your Best Friends» vaut aussi pour un rock balayé par les vents d’Ouest. Il semble expédier les affaires courantes. Il percute l’occiput du rock bien né. Il refait du Dylanex avec «Is There Something I Should Know». Il s’y croit et il a raison de s’y croire, il éclot dans d’extraordinaires bouquets d’accords et avant qu’elle ne parte, il demande s’il y a quelque chose qu’il devrait savoir, il se fond dans l’osmose du cosmos dylanesque, ça fait illusion, en tous les cas. C’est tout simplement stupéfiant. Encore une merveille avec «Sugarfix», joué à la fantastique énergie de pop-rock psychédélique dans une immense clameur.

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    N’allez pas croire que Turnyor Hedinkov échappe à la règle : au minimum deux violentes énormités sur chaque album enregistré par Steve Wynn. Ici, elles s’appellent «Turn Down The Heat» et «Jimmy The Weasel». Heat vaut tous les plus beaux heavy boogies du monde. Le sien est même ravagé par des ouragans soniques de guitares émulsives. Heavy as hell ! Quand à Weasel, ce n’est pas «Little Johnny Jewel» mais c’est tout comme - Give my best of the family - Même genre de groove, joué au beat invariable, ce diable de Wynner joue la carte du groove délétère, hey Johnny, bye bye. Il prend «The Fire That Burns Both Ways» au demeurant de bas de voix et c’est absolument bardé de son. Il nous replonge une fois encore dans la réalité de son rock et ça tourne à la mad psyché. Même un balladif de circonstance comme «Cheaper By The Pound» sonne comme un hit incommensurable. L’empire du Wynner s’étend à l’infini. Il fait sonner le moindre cut comme un chart-topper. Chez lui, tout bascule dans l’excès de qualité. Ce mec est un surdoué du song-writing. Il profite de «Top Of The Hill» pour venir se plaindre - All alone at the top of the hill/ Ain’t got no dollar bill - et pouf voilà de vieux coups de guitare d’écho mortel, comme s’il y avait un bayou au sommet de la colline, ce qui semble pour le moins incongru.

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    Nouveau side-project, cette fois en forme de super-groupe, avec The Baseball Project. Peter Buck fait partie de l’aventure, ainsi que Linda Pitmon, transfuge des Miracle 3, et Scott McCaughey, qui a joué dans les Longshots de Roy Loney. Question contenu, ces disques nous échappent un peu car Steve Wynn et ses amis racontent des histoires de joueurs de baseball, mais musicalement, ces trois volumes sont des bombes.

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    Vol 1. Frozen Ropes And Dying Quails paraît en 2008. Trois énormités s’y nichent, à commencer par «Jackie’s Lament». C’est explosivement bon, certainement l’un des plus beaux mid-tempos de tous les temps. Le génie du Wynner éclate une fois de plus au grand jour. On peut dire la même chose de «The Death Of Big Ed Delahanty». C’est tapé au vieux shuffle d’underground de white heat et gratté aux accords dévorants, comme du hot garage californien. Il faut aussi écouter «The Closer» car c’est un cut littéralement infesté de guitares contrevenantes. La vision de Steve Wynn est celle d’un rock supra-énergétique unique en Amérique. Il n’existe pas de pire énormité qu’un cut comme the Closer. Tout l’album est bon, d’ailleurs on est fixé dès le «Past Time» d’ouverture du bal, car voilà une belle dégelée de power-pop cristalline chantée à l’insistance bavaroise. C’est stupéfiant de mise en place et de verdeur maximaliste. Et avec «Ted Fucking Williams», ils passent au heavy glam. Ils s’autorisent toutes sortes de flagorneries. Dans «Gratitude» règne une grosse ambiance de chœurs évangéliques. C’est très envoûtant. Steve Wynn plaque bien ses accords. Ces gens-là sont des maniaques de la qualité. On sait que Steve Wynn adore Bob, alors personne ne sera surpris d’entendre «Satchel Paige Said». C’est chanté à la pince à linge, avec de grands coups d’harmo par derrière.

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    Vol 2. High And Inside s’inscrit dans le même registre hautement qualitatif. Steve Wynn et ses amis attaquent avec «1976», un balladif d’une classe épouvantable. Ce mec atteint à une dimension classique infernale, comme le fit jadis Frank Black. Son rock résonne dans les couloirs de l’intellect. La classe parle toujours. Voilà encore un hit : «Don’t Call Them Twinkies». C’est puissant car balayé à la wah-wah. Le génie balladif de Steve Wynn vaut bien celui de Dylan. Il a vraiment de l’aplomb. On a là un cut d’une puissance ravageuse. Chez le Wynner, il y a toujours du son. Il chante «Chin Music» au Dylanex des bas-fonds. Il tape dans une espèce d’Americana chargée d’orgue de barbarie et hantée de chœurs déments. Il faut vraiment écouter cet album. Tiens voilà encore un hit : «Tony (Boston’s Chosen Son)». Steve Wynn chante ça avec fermeté, au gras du timbre. Il émane de ce cut un vieux relent à la Kurt Weil. Encore une énormité avec «Twilight Of My Career». Steve Wynn croasse au sommet de son art. C’est encore une fois un balladif imparable.

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    Impossible de faire l’impasse sur The Broadside Ballads, un album paru sur Yep Rock Records en 2011. Pourquoi ? À cause d’un cut nommé «The Way It’s Gonna Be», un cut extrêmement énervé, that’s the way, emmené à l’énergie psychotique, ils sont complètement dingues, Steve Wynn embarque ça au speed-talking de wall of sound. «All Future And No past» sonne comme un hit dylanesque. Steve Wynn n’en finit plus d’enfoncer son clou. Il passe à la fantastique pop de cake avec «Clubs 2010». Ça tient si bien la route qu’il n’est pas utile de tenir le volant. Ah qui saura dire l’extraordinaire aisance du Project ? Steve Wynn traite «30 Dec» au petit trot, il ne traîne pas en chemin, oh yeah, il se conduit en vrai maître chanteur capable de speeder le talking blues comme son mentor Bob. Ses oh yeah tombent comme des cascades de bonheur dans la vallée enchantée. Oh il faut entendre ce «(Do The) Triple Crown» joué au heavy shuffle de juke. Ces mecs sont incapables de se calmer. Bizarre que personne n’ait pensé à faire interner ce fou génial de Steve Wynn. Il nous fait le coup du Triple Crown au coin du juke, lalala et c’est trashé jusqu’à l’os du fion par un solo délétère, évidemment. On se régale aussi de l’excellent «The Grants Win The Prennants», un heavy balladif of it all. Ce Wynner de tous les diables gère la heavyness avec tout le tact et la délicatesse d’un véritable entrepreneur.

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    Paru en 2014, 3rd est le meilleur des trois volumes. On se demande vraiment comment fait Steve Wynn pour monter chaque fois d’un cran. Ça grimpe en température dès «Slats» et ça explose avec «From Nails To Thumbtacks». Voilà un son qui dégage le ciel. Quel souffle d’hydratation événementielle ! On retrouve dans ce cut toutes les composantes du meilleur power-poppisme. Et ça continue avec «Hola America», slab de rock américain complètement dévastateur. Steve Wynn lâche des not around dignes des Stooges. Les dynamiques sont spectaculaires et c’est monté au beat ultra-balancé. Nouvelle énormité avec «The Day Dock Went Hunting Heads» : ça frise le glam de rockalama. Le son est si beau qu’il semble organique. Steve Wynn fait son Ziggy. Il crée le même genre de magie. On retrouve là tout le karma du glam, avec de l’émotion et une histoire bien racontée. Dommage qu’ils parlent de baseball. On aurait préféré Weird and Gilli. Ils restent dans le haut de gamme power-poppy avec un «To The Veteran Committee» saturé d’incursions intestines et joué à la pure décoxion guitaristique. Le problème avec Steve Wynn, c’est que toutes ses chansons sont bonnes. Tout est inspiré par les trous de nez. Ce mec est doué au-delà du raisonnable. «They Don’t Know Henry» sonne comme de la vieille pop intentionnelle et «The Babe» se montre d’une tenue exemplaire. Steve Wynn baigne son balladif d’une grande aura boréale. On y assiste à un retour en force de la beauté. Quel album ! Chaque cut compte. Chaque cut claque. Un solo d’anticipation transversale transperce «They Are The Oakland A’s» de part en part. Tout est joué à l’extrême onction. Nouvelle énormité avec «Pascual On The Perimeter». Steve Wynn survole l’univers du rock avec une grâce certaine. Ce serait une erreur que de le considérer comme un rocker indie sur le retour. On trouve dans ses cuts des départs en solo foudroyants et des licks de psyché irradiants. Cet album est une véritable foire à la saucisse. «The Baseball Card Song» sonne comme une bénédiction, un refuge pour les pauvres. Les voilà barrés en mode country. Ils renouent avec le solide romp dans «A Boy Named Cy», et un solo de guitare fantôme vient hanter les coursives. Back to the big Americana avec «They Played Baseball». Ce diable de Steve Wynn bat Lou Reed à plates coutures. Il dynamise son heavy rock d’harmo à gogo. Voilà encore un cut incroyablement présent, vrai chef d’œuvre de boogie-rock entreprenant. Ils finissent ce brillant album avec «Take Me Out To The Ball Game», un cut effarant monté au tatapoum de fin de non-recevoir. La bassline y ronfle comme un moteur débridé. Et c’est peu dire.

    Signé : Cazengler, Steve ouin ouin

    Steve Wynn & Miracle 3. Live At Big Mama. Mucchio Extra 2002

    Steve Wynn & Miracle 3. Static Transmission. Blue Rose Records 2003

    Steve Wynn & Miracle 3. Tick Tick Tick. Blue Rose Records 2005

    Steve Wynn & Miracle 3. Northern Aggression. Blue Rose Records 2010

    Gutterball. Gutterball. Brake Out Records 1993

    Gutterball. Weasel. Brake Out Records 1995

    Gutterball. Turnyor Hedinkov. Return To Sender 1995

    Baseball Project. Vol 1. Frozen Ropes And Dying Quails. Yep Rock Records 2008

    Baseball Project. Vol 2. High And Inside. Yep Rock Records 2011

    Baseball Project. The Broadside Ballads. Yep Rock Records 2011

    Baseball Project. 3rd. Yep Rock Records 2014

    28 - 01 – 2019 / MONTREUIL

    LA COMEDIA

    NAUSEA BOMB / ANTI-CLOCKWISE

    jp bimeni & the black belts,steve wynn,nausea bomb,anti-clockwise,all this mess,blue void,undervoid,psychoïd

    Entrée libre et petite fleur dessinée sur le poignet, à la Comedia on cultive l'humour, la programmation louche plutôt côté punk que hippie. En plus, Tony Marlow accoudé au comptoir, je m'y attendais ( je ne l'ai jamais dit, mais je possède un cerveau qui me permet de visualiser l'avenir ) puisque Amine Leroy qui officie dans Nausea Bomb tient aussi la contrebasse dans son combo, l'on parle ( au hasard ) de rock'n'roll, de rock'n'roll français notamment des Variations ( kronic du bouquin de Julien Deléglise dans la livraison 404 ), Tony ado les a vus à l'époque en Corse, du coup il est devenu chanteur de rock. Faudra penser à inculper les Variations pour avoir corrompu la saine jeunesse française. Ce crime ne saurait être pardonné. Quand on pense à l'influence dégradante du rock'n'roll sur les esprits encore aujourd'hui. Je n'exagère rien, en voici deux parfaits exemples.

    NAUSEA BOMB

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    Une bombe ce n'est dangereux qu'au moment précis où elle explose. Pendant que la mèche brûle, tout va bien. Pendant que le cordon peu ombilical se consume vous pouvez échanger de doctes impressions avec vos voisins. Pour être tout à fait franc durant les dix premières secondes personne ne s'attendait à ce que Nausea Bomb soit un ensemble de musique de chambre. Je vous rassure, ce ne fut pas le cas. Mais ils nous ont pris par surprise. Ne faut jamais s'arrêter aux images : batterie, une guitare très électrique, et une contrebasse, 99, 99999999% de chance que ce soit un groupe de punkabilly foutraque de plus. En plus ils ont Marion. Même pas sur la scène. Se pavane devant en toute innocence. Ressemble à une gamine qui se casse en lousdé du collège pour faire l'école buissonnière. L'a le look de l'élève de sixième qui s'en va vérifier, la mine épanouie, si le monde ressemble à ce qui est écrit dans son livre de lecture. A s'y tromper, avec sa sa queue de cheval, son T-shirt sage et ses collants noirs, elle a douze ans montés en graine. Un seul détail qui cloche, sa jupe droite bien trop courte, qui remonte bien trop haut, en pleine crise de croissance, ses parents n'ont pas eu le temps ( ou l'argent ) pour lui refaire sa garde-robe. Non, non, pas du tout, notre grande jeune fille a déjà dépassé la terminale. L'habite son personnage naturel avec aisance, l'air émerveillé, sourire faussement béat, et esprit futé. Entre deux morceaux, elle se saisit de la set-list, jette un coup d'œil, suivi d'une moue irrésistible, chipote, oui, non, pas celui-ci, vous croyez, et bien ce sera, elle remue la feuille, vous vous croyez chez Mac-plein-le dos à choisir voluptueusement entre le big au steack charolais charançonné ou la salade aux limaces special-vegan, -et hop elle pique au hasard le premier titre qui lui tombe sous les yeux. Je vous laisse méditer sur le contenu idéologique de quelques textes : Jardin Charnier, Procrastination, Pussy Cat Vampire, Burqa Poil... Les guys derrière, bien sûr au souhait de leur écolière, ils obtempèrent. Dare-dare. Ce n'est pas qu'ils obéissent, c'est qu'ils tissent des sons qui anéantissent. Sans préavis.

    Attention beau tissage. Haute-lisse. Démarrent au quart de tour, et c'est parti. Pour l'incroyable. Un sprint punk, tous ensemble, groupés, vous commencez à avoir des doutes au premier, puis au second, puis au troisième obstacle, bye-bye la piste cendrée toute droite, nous voici dans un parcours de steeple-chase équin, avec des murs de trois mètres de haut, et hop ils vous enjambent les parpaings avec une facilité déconcertante, lèvent tous la jambe au même moment et hop, on fonce vers le suivant, la musique ressemble à une tôle ondulée, rainure, montée, rainure, montée, rainure, ne s'appellent pas Nauséa pour rien, avec sa Nausée Jean-Paul Sartre peut aller se rhabiller, z'avez l'estomac au bord des lèvres et puis qui pendouille sur votre torse au bout de l'œsophage. Ce n'est que le début, ils continuent le combat. Ont décidé de vous donner tort à tout moment. La grande glisse, vous pensez que ça va tourner à gauche, pas de chance virage à droite et à angle droit, vous font le coup à chaque fois, en plus ils accélèrent. C'est à cet instant que vous réalisez que ce n'est pas le pire. Rattrapez-vous aux petites branches, des groupes qui speedent vous avez déjà connus, mais là une fois la vitesse de la lumière atteinte, ils rajoutent un petit truc à eux, très simple, ils complexifient, vous en perdez le latin ( et le grec ) que votre misérable caboche n'a jamais pu retenir, vous êtes bien devant un groupe de krockabilly, oui certes, et même qu'il cartonne méchamment et joliment, oui mais sans le savoir le don d'ubiquité lui a été octroyé, punkabilly à tête de mort pirate sur votre gauche, et sur votre droite tout ce que le dodécaphonisme et ses dérivés situationnistes ont inventé depuis quatre-vingt ans. La Bomb des Nausea j'essaie de vous la définir : ils ont mis au point la structure flottante, le cadre éparpillé, le pattern incontrôlable, l'a fallu dépenser des milliards et réunir des milliers de savants pour construire le synchrotron dans le seul but d'observer le parcours d'une particule élémentaire, que d'argent public sottement dépensé, un gaspillage insensé, les Nausea Bomb, eux ils connaissent, le parcours capricieux et illimité d'un atome entre l'Être du vide et le Néant de la présence, ils contrôlent. Vous le récitent par cœur comme la table de multiplication de 2. D'ailleurs à chaque morceau, ils rajoutent quelques chiffres, 2 multiplié par 2 = 4, mais dites-moi 13598276 multiplié par 13598276, en deux secondes combien ça fait ? Et in abrupto ils vous refilent le résultat sonore et l'évidence de la preuve par neuf vous tombe sous le sens. Nous ont sidérés, une assemblée de punks la bouche ouverte d'admiration, et à chaque fin de morceau des ovations d'applaudissements fervents. Dans l'inter-set Tony évoquera la nécessité d'un nouveau genre : le punkabilly-prog, la folie et la virtuosité réunies en un serpent à deux têtes. Sa blessure est doublement mortelle mais vous ne savez jamais par quel angle sa reptation bifide l'emmènera à vous infliger la terrible blessure scrofuleuse dont on ne guérit jamais. Même une fois mort. L'extase funèbre. C'est sur cela que Marion rajoute ses ritournelles de cour de récréation. Dépose ses joyeuses comptines sur cette musique métaphysique sans complexe. Nausea Bomb c'est un peu le Grand-Verre de Duchamp, dans la réalisation duquel le hasard aurait été radié. A moins que ce ne soit irradié.

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    Pour Nausea Adrien guitar-hero joue à saute-alligator, totalement speedé, inutile de s'acharner à le suivre, est irrémédiablement devant, et vous benoîtement stupides à le regarder s'évanouir dans le lointain. Question Bomb, la section ( d'assaut ) rythmique, je n'insiste pas sur les excès de vitesse, Amine ne joue pas de la big mama, l'est tellement penché sur elle qu'il semble être entré dedans, à fond la caisse de bois, lui arrache sauvagement les boyaux qui comme le foie de Prométhée, sous le bec du vautour, renaissent instantanément. Et la big mama mugit les tripes à l'air sur le champ de bataille. A ses côtés Xav. Ecoutez l'incroyable histoire, doit être doué d'un cerveau à synapses rotatives, vient d'arriver dans le groupe, troisième concert – ce soir sans répétition – l'a déjà en mémoire la trame complexe de cette musique folle, qui flamboie avec la violence d'un incendie de forêt californienne. Un prodige. Ce n'est pas que la musique repose sur lui, c'est qu'il est le vecteur de cette ébullition éruptive.

    Nausea a bien fait éclater sa Bomb. Etrangement, vu l'empressement admiratif personne n'a eu la nausée, tout le monde était d'accord pour dire que c'était de la bombe. A neutrons indociles.

    ANTI-CLOCKWISE

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    Mini-balance, expédiée de main de maître, rien qu'à entendre ces cris gorgonesques de Gordon, comme dans les années cinquante quand le voisin de gauche tuait sa femme et que celui de droite violait le cochon, l'on a compris qu'avec Anti-Clockwise la pendule du rock serait encore une fois ( mais depuis Bill Haley on en a l'habitude ) un peu déréglée. Avant de s'écouter Anti-Clockwise se regarde. Votre cœur se serre. Une mésange bleue s'est posée par mégarde dans un nœud de serpents, un ange blond égarée au milieu d'un équipage de forbans. Pas de panique, Paola n'a pas besoin de vous, l'a sa basse avec elle, et cela lui suffit amplement, non pas pour se défendre mais pour prendre vos esgourdes à l'abordage. De fait c'est elle qui tient la barre, sans faiblir d'une seconde, maintient le cap sur l'ennemi tandis que le reste de l'équipage mitraille à tout berzingue. Lorsqu'ils reprennent souffle, vous entendez le vrombissement de ses lignes de basse imperturbables qui filent à la vitesse de torpilles enragées. C'est sa voix qui dévoile Paola, se charge aussi des chœurs – elle y met du cœur – un organe de bronze, une chienne plutonienne, chaque fois qu'elle s'approche du micro, il vous semble qu'on vous ramone les intestins avec un hérisson de fil de fer barbelé, Mary Read devait produire un semblable grondement lorsqu'elle ordonnait de pendre, sans rémission, haut et court - une vingtaines de pleutres à la grande vergue. Voilà c'était notre instant de douceur blondinette et de tendresse féminine. Il y a déjà une vingtaine de minutes que le devant de la scène s'est transformé en piste d'auto-scooters, un pogo d'enfer, avec en prime la possibilité de vous faire promener dans toute la Comedia à bout de bras pagailleux et biceps incertains, lorsque Fred, el cantaor, annonce qu'il est temps de passer à des morceaux qui remuent tout de même un peu. A cette bonne nouvelle – la meilleure depuis J. C. - une clameur de joie ébranle les murs et, n'y tenant plus, un volontaire tente à lui tout seul un suicide collectif, au saut de l'ange sans élastique, depuis le haut du comptoir, l'est rattrapé in extrémis par un géant indulgent qui le fourre sous son bras avec le geste auguste et débonnaire du nageur qui saisit sa serviette de bain pour rejoindre le bassin de la piscine municipale. N'en quittez pas pour autant Fred du regard, à sa place vous auriez envoyé votre lettre de démission. C'est qu'Anti-Clockwise, ils ont un peu cette mentalité des blousons noirs qui adaptaient des mégaphones, des bruitophones pétaradeurs, sur leur Gitane Testi dans le seul but ( regrettable ) de se faire remarquer. Bref dans l'onde sonore produite par le groupe, un vol de canards sauvages ne trouverait pas l'interstice qui lui permettrait de passer au travers afin de poursuivre sa migration hivernale. Le Fred, ne se fatigue pas, passe carrément au-dessus, il serait faux de dire que l'on n'entend que lui, mais sa voix plane au-dessus comme l'aigle au-dessus des nuées ( de grêles ). Un chanteur ( de bel, pardon) moche-canto, le timbre oblitéré d'enrouements de suppliciés et d'éructations hallebardiques, chargé de remugles anarchiques. Possèdent deux guitaristes. Profondément antithétiques. Un vicieux, et un franco-de-port. Evidemment c'est le vicelard qui est le plus jeune et le plus beau. Des cheveux mi-longs lui donnent cet air romantique qui plaît aux demoiselles. Ne s'en préoccupe pas. Une seule chose compte pour lui. L'est penché sur sa guitare, à croire qu'elle est en or. L'en extrait de l'ordure, de ces espèces de mélopées de chats longuement écorchés qui vous traversent à la manière des baïonnettes que l'on vous enfonce dans le dos, en prenant bien soin d'opérer le mouvement de zig-zag cruellique qui métamorphose toute blessure fatale en mortelle agonie interminable. Pour les dames friandes d'émotion fortes, un vieux grenadier, pas un pelut sur le caillou, mais le crâne tatoué – ce doit être la carte au trésor du Capitaine Flint, en tout cas il y a des traces de sang dignes d'un trépané - des anneaux et des cicatrices partout, une tête brûlée qui n'est heureuse que lorsqu'elle charge en première ligne, ne sait plus où donner de la tête et du riff, une véritable machine à tuer. Ne peut plus s'arrêter. Quand c'est terminé, alors que les autres quittent leurs instruments, il en jette quelques uns, incendiaires qui raniment la flamme, grâce à lui on aura trois rappels. Si on l'avait écouté, on y serait encore. Ne raccrochez pas, il en reste un, un bel éphèbe torse nu qui pilonne la batterie. Le piston qui fait marcher la machine infernale. Un tel enchevêtrement musical de voix et de guitares que vous n'y feriez pas gaffe, mais l'est un peu comme le moteur atomique qui meut le sous-marin d'attaque dont la photo ne trahit que la silhouette menaçante. Vous casse les atomes sur les toms, car il sûr que l'on ne fait pas une omelette rock sans détruire les ovaires frémissants de la lâcheté humaine qui ne demandaient qu'à vivre. Maintenant n'allez pas croire qu'Anti-Clockwise sont de sombres brutes bas du cerveau, professent une saine philosophie dont leurs morceaux sont les professions de foi, ne faites que ce que vous voulez, ne vous laissez pas faire, brisez toutes les barrières, vivez vos désirs, ne soyez dupes de personne, pas même de vous. Qui dit mieux ? Je ne sais pas. Qui le dit aussi rock'n'punk ! Nous attendrons vos réponses. Le cachet de la poste prouvera que vous les aurez envoyés juste après la fin du monde. Sinon s'abstenir.

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    Damie Chad.

    Une déception toutefois dans cette soirée, ne me suis pas précipité à temps vers la table pour le 33 de Nausea Bomb, la prochaine fois je n'y manquerai pas, j'allais me faire hara-kiri de désespoir, lorsque Xavier a brusquement surgi une boîte parallélépipédique entre ses mains. Ce n'était pas les disques de Nausea, mais ceux de son autre groupe, avec un tel batteur j'ai pris d'office. Belle pochette de SuperToto and Yan, esthétique un peu métallifère, mais le verso ne trompe guère, l'on est bien dans du punk-rock ultraïque. Vous qui croyez que le wonderland est le pays où l'on n'arrive jamais, Alicia la merveilleuse est là. Une grrrl comme l'on n'en fera plus jamais. Nous en avions tenté dans la livraison 360 du 08 / 02 / 2018 lors d'un concert à la Comedia avec Blue Void, une description, pâle reflet de la réalité astartique, suprême incarnation du désir déchiré.

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    La photo est de Sue Rynski, pour saisir l'incandescente apparence d'une de ces princesses d'ivoire et d'ivresse, chères à Jean Lorrain – relisez les redoutables pâmoisons empoisonnées de ses Pall-Mall - il ne fallait pas moins que la pupille féline de la photographe du punk et de Destroy All Monsters...

    ATM

    ALL THIS MESS

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    Lead Vocal : Alicia / Guitars : Jérôme / Bass : Yan / Drums : Xavier.

    Phobia : murs de schiste gris, les guitares construisent le labyrinthe de la folie interminable, la voix d'Alice se débat dans les entrelacs des serpent paranoïaques de l'angoisse du monde. La batterie enfonce les clous des piloris de la perte de soi, Alicia vous pousse de ces piaillements d'idiote, vous devenez poussin d'innocence autistiques pris dans le faisceau fascinant des yeux de la vipère intérieure qui niche dans les méandres de notre cerveau. Urgence et reptation, vous sortirez vivant du cercueil de la mort. Juste pour rentrer dans un nouveau cercle de l'enfer. Prayer : prière espagnole murmurée à Santa Maria sous les sirènes d'alarme des guitares, explosion musicale, Jérôme joue les inquisiteurs en backin vocal, mais Alicia ne se rend pas, n'aime ni dieu ni église, hurle qu'elle n'a peur de personne même pas du diable que l'existence heureuse est la vallée du péché librement consenti, le background musical se fait grandiose et auguste, et puis menace de feu brûlant infernal, mais la flamme vocale de la vie libre n'en continue pas moins son chemin dans dans le brasier inextinguible de la bêtise humaine. Bruises : musique pogoïque forte et violente, des rafales de guitares vous arrivent comme grêlons d'horions et la batterie défonce les chairs, revendications féminines, les filles ont droit au pogo, que les garçons arrêtent de se prendre sur un ring de catch. Vous apprécierez au début ces modulations de sirènes insinuants, et puis la voix d'Alicia claque comme baffes distribuées à l'orgueil des mâles qui font mal. Gender Weirdness : tambourinade suivi d'un ouragan de guitares, deuxième revendication féministe, celle du genre, dénonciation des mots trop étroits qui vous enferment dans les carcans sociaux de la chair monotypée, la masse sonore glisse comme si elle hésitait entre deux chemins trop étroits. Alicia crache son mépris des idées toutes faites à la gueule des rétrogrades, le combo en rajoute une couche. L'ensemble fait mouche entre les jambes. Lives to blow : déclaration de guerre, la musique roule sur vous à la manière d'une division blindée, haïssez cet enrôlement dans la violence du monde, les guitares lancent des scuds et l'herbe de la vie repousse partout où la voix d'Alicia déclare la guerre à la guerre. Tant pis : les temps sont à la confusion intérieure, la musique gronde mais la voix d'Alicia est devant, comme s'il n'y avait rien de plus important que de se tirer des ses propres contradictions, le ton monte telle une sonnette d'alarme que l'on tire en vain. Morceau bien trop court. Tant pire pour vous. Tant pis pour moi. Tant pisse pour le monde entier. Brièveté roborative. Screen head : Pluie de guitare, voix endeuillée, comme de l'ouate entre vous et vous, cela ne durera pas, Alicia devient vindicative, dénonce la pomme pourrie dans les cerveaux, manipulation des écrans, nous ne sommes plus nous, mais les figurines d'un jeu généralisé qu'elle se refuse à jouer. La voix hache comme ces haches d'abordage qui s'abattent sur les écrans de surveillance extérieure et d'auto-régulalion intérieure. Elle n'est qu'une fille de chair et de sang. Peut-être le plus beau morceau de l'album, mais comment choisir dans ce collier de perles noires. Come on, Ellen : l'histoire de son propre miroir que l'on tend aux autres mais qui ne révèle qu'une fausse image. Réflexion sur le statut iconique d'Alice en belle et cruelle Ellen distante de ses propres pièges. La musique survient de partout comme éclats de miroir brisé. Suis-je moi ou l'autre que je ne suis pas, que je ne sais pas. Il n'est de couteau plus cruel que celui qui déchire des images de papier. All This Mess appuie et cumule là où la plaie purule. Mess : vivre vite, musique de fête qui déboule dans la traboule de l'existence, toute la vie devant soi et tous les regrets assumés de n'avoir pas pris un autre chemin, tout et maintenant, le combo flonflonne et court après la jeunesse du monde. La joie déborde des toilettes de la vie. La chasse d'eau n'arrête pas de couler. The way they go : le même binz, en moins coloré, en plus dramatique, the thrill is gone, Alicia crie devant le cadavre de sa jeunesse comme les pleureuses s'arrachaient les cheveux, belle cavalcade de Xavier, froncements tuméfiants de guitares, la voix décolle comme ces chatons à qui vous arrachez la queue. Mais où allons-nous ?

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    Un beau disque. Disponible sur bandcamp mais préférez le vinyl, mieux approprié. Les deux faces vous font ressortir les deux aspects de l'album, la première de rage vindicative, la seconde qui s'infléchit telle la courbe d'un yatagan introspectif, un retournement de chemin heideggerien qui vous mène au plus près de l'Être. Pour une fois que nous avons un disque de rock avec des textes incisifs qui refusent de signifier le consensus mou des idées toute faites et des poses attractives attendues, ne vous en privez pas. Une musique à la netteté de ces entailles souveraines d'onyx noir dans lequel s'inscrit la voix de diamant pur d'Alicia. Un grondement de tonnerre, les boules de feux des orages cataclysmiques et les diatribes glacées de la déesse qui vous annoncent que l'avenir aura désormais la noirceur des anarchies intérieures. Ne pleurez pas, ne vous lamentez pas. C'est inutile. Vous ne pouvez que vous en prendre à vous. Puisque vous êtes responsables de vos propres malheurs. N'est-ce pas vous qui avez barré – par une sotte inadvertance – le sentier qui mène à l'Île des Bienheureux.

    Damie Chad.

    Du coup je n'ai pas résisté à vous remettre la kro du concert de Blue Void ( + celle de leur disque ) du concert du 04 / 02 / 2018 à La Comedia.

    BLUE VOID

    L'ai remarquée dès que je suis entré. Mais je ne savais pas. N'étaient que trois garçons sur la scène à installer le matos et à peaufiner les derniers réglages. Et quand à la sono, le signal de départ a été donné, j'ai été tout surpris de la voir sauter sur l'estrade et se saisir du micro. Les gars ont embrayé tout de suite. Pas des charlots, parfaitement en place à la première seconde, vous ont concocté un de ces backgrounds de rêve, un de ces profilés de braise pour les soirs d'ordalie, et encore je les soupçonne de savoir faire mieux, car là ils ne jouaient pas pour eux, mais pour elle. Aux petits soins, aux petits oignons. De ceux qui vous font pleurer des larmes de joie. Ensuite ce fut le pays des merveilles. Le pays d'Alice. Toute mince, les jambes fuselées en futal noir négligemment ouvert aux genoux, une taille de guêpe, toute longue, surmontée d'un brouillard de blondeur, les bras nus, un bustier à rendre jalouse Astarté, le haut du sein gauche scotché d'une croix noire, le bras droit tatouage-maori, et puis la voix qui gomme tout ce qui précède. Haute et claire. Derrière ils affutent le raffut, mais elle plane au-dessus. Une facilité déconcertante. Une aisance à vous transformer en malade mental. L'a débuté par un avertissement un tantinet mensonger : «  L'on fait du post-punk mélodique », post-punk, je n'ose pas contrarier mais pour la mélodie, elle est envoyée à la fronde. Ou alors ce qu'elle appelle mélodie c'est sa facilité à surfer sur les octaves. This Bomb is Mine décrète-t-elle d'entrée, vous le martèle d'une voix claire comme de l'eau de roche et haute comme la tour Eiffel, mais trois morceaux plus tard sur Junk set elle growle comme une mécréante. Mais ce n'est pas tout. Car non seulement elle envoie sec, mais elle nuance à la mitraillette, elle cisèle à la hache d'abordage, elle époussette au marteau-pilon. Les guys la suivent, lui cueillent des jonquilles, lui ramassent des violettes et lui coupent des roses, à toute vitesse, Marc ne passe pas les riffs, il n'en a qu'un par morceau mais vous le fait miroiter, étinceler et chatoyer, sous tous les côtés vous l'allonge et vous le rétrécit à volonté, idem pour Julo qui élastise sa basse, jamais au-dessus, jamais au-dessous du ton de la demoiselle et quant à Léonard devint marteau à laminer l'électricité cordique il racate à la hâte. You and the Hole, Volcano Girl, Waste Virgin Clothes – titres aux lyrics prometteurs mais pour le moment on n'écoute que cette voix de démone imprécative. C'est du dur vocal, du pur palatal, du sûr apical, de l'envoûtement subliminal, de la folie animale. L'a mis le feu à la salle, les filles dansent devant elle comme sorcières au soir de grand sabbat. La salle acclame, brame de joie et clame sa ferveur. Un set mené sans interruption, un incendie qui brûle tout sur son passage. Seront obligés de refaire This Bomb is mine en rappel parce que le rock'n'roll est une musique qui ne supporte pas la frustration.

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    ( Polaroids :  Ana Hyena )

    THIS BOMB IS MINE / BLUE VOID

    ( BV02 )

    Guitare : Marc / Voix : Alice / Bass : Julo / Drums : Léo.

    This Bomb is mine : affirmation féminine, la voix minaude toute seule haut perchée mais les guitares et la batterie la poussent dans ses retranchements et c'est la grande explication, celle qui déchire, transperce les tympans, attise la colère, s'hystérise, ne s'arrête plus jusqu'à la fin brutale comme un couperet. Nom de Zeus quelle chanteuse ! Overlead : on a compris, n'y a plus qu'à se laisser entraîner, emporter par la fougue de la demoiselle. Les gars entament une partie de tennis à trois et la balle n'en finit pas de rebondir jusqu'au bout du rock'n'roll. Elle, elle continue comme si de rien n'était. L'en a la voix qui miaule et puis qui s'enfonce dans votre cerveau comme la lame d'une serial killer. Volcano Girl : les boys partent en douceur vibrionnante, aucune inquiétude, la zamzelle vous développe une éruption grandeur nature, chaque fois qu'elle dit '' Oh'' vous perdez votre raison. Vous en ressortez sous une pluie de cendres. Pompéi girl ! Chichek : c'est la reine lézarde qui run, run, run après sa liberté. Ne vous inquiétez pas les boys accélèrent le mouvement, c'est que l'on appelle une cause gagnée.

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    Cette trombe is mine. Blue Void passe le balai sur les araignées qui encombrent le rock muséal. Un son à eux, une voix à elle, un groupe soudé comme les quatre éléments qui composent l'univers du rock : le feu de l'arrogance, le vent des colères, l'eau des désirs, les terres brûlées. Si vous tenez à laisser un témoignage de vos égarements à vos petits enfants, ce disque est pour vous.

    Damie Chad.

    MONTREUIL / 02 – 02 – 2019

    LA COMEDIA

    UNDERVOID / PSYCHOÏD

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    La Teuf-teuf broute les kilomètres à la vitesse lumière de l'Etalon Noir de Walter Farley, le rond ronronnement régulier du moteur me conduit, je ne saurais dire pourquoi, à la radieuse souvenance de ma lecture de Les Béatitudes Bestiales de Balthazar B que Donleavy fit paraître en 1968 – ah ! ces douces années tumultueuses – mais me voici déjà devant l'entrée de La Comedia qui s'entrouvre tel un chaud cocon protecteur, douce chaleur prémonitoire de l'incandescence des deux groupes au programme.

    UNDERVOID

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    Quatre sur scène. Trio plus chanteur. La formation idéale, à chacun son job, pas de d'embardée possible dans le champ du voisin. Evidemment faut une certaine virtuosité – pour ne pas dire une virtuosité certaine – surtout lorsque comme Undervoid, l'on décide de pratiquer la musique éruptive de la fournaise du Diable. Rock'n'roll et rien d'autre. Coupe pleine d'un vin épais et sans eau pour la libation suprême. Vite pigé. La première dégringolade des baguettes d'Alexandre Paris sur les peaux suffit à vous mettre dans l'ambiance, une impression de digue crevée et une masse d'eau qui emporte les poids-lourds de l'autoroute comme des balles de ping-pong. Plombées, font des ricochets sur l'assistance qui a l'air d'apprécier ce traitement brutal mais terriblement efficace. Avec un tel déluge, il est impératif de posséder un guitariste qui ne se contente pas d'arroser les petits pois une fois par semaine. Justement vous avez un gretschiste sur votre gauche. Marc Berg a dû sortir du ventre de sa mère les doigts coincés dans le cordier de l'orangeade, l'affûte sec, l'en rajoute toutes les trois secondes, n'a pas son pareil pour la parélie riffique, incapable de jouer un riff sans le tordre de mille manières, n'est jamais satisfait de lui, alors il file un petit coup de bigsby, style je rajoute un kilogramme de poudre à canon dans la cheminée pour donner du tonus à la flamme. Un artiste, vous étire les notes à l'infini si vite que vous n'avez pas le temps de les entendre passer. Avec ces deux-là, vous avez votre ration pour la semaine. Mais c'est loin d'être fini. Bill Otomo est à la basse comme d'autres vont au bassthon, vous la saisit entre ses deux paluches, lorsqu'il joue, une main en haut du manche et l'autre qui dégringole tout en bas en des profondeurs inexplorées, il vous semble qu'il cherche à la rallonger, lui écrase les cordes de ses gros doigts et vous l'entendez feuler sourdement d'aise, telle une panthère qui descend de son arbre en quête de meurtre et de gibier innocent. L'air de tout, il avance invincible et invisible, pose les poutres maîtresses, le plancher fabuleux sur lequel les deux autres bâtissent leur empire sonore, ce n'est que lorsqu'il il sololisera que l'on comprendra à sa juste valeur l'ampleur élastique de son jeu. Les travailleurs de l'ombre sont les plus infatigables.

    Devant ce mur de son cyclopéen, Arnaud est tout seul. Espèce de catogan par derrière et micro par devant. Personne n'aimerait être à sa place. Pas du tout intimidé. Il ose tout. Sait se faire entendre. Et pour mieux se faire comprendre, ne se planque pas dans un pot de faux yaourt anglais. Chante en français. Attention cela ne signifie pas uniquement que les paroles sont écrites en langue voltairienne, les profère en une diction qui ne cherche point à imiter les intonations d'outre-Manche, ne les monosyllabilise pas, ne les jacte pas à l'arrache, suit les inflexions naturelles, rallonge les nasales, ne scalpe pas les fins de mots, ne les crache pas, les restitue dans leur fluidité naturelle. De la belle ouvrage au service des textes. Qui véhiculent la dure réalité spongieuse de notre époque. Le Noir se Fait, Perdu pour Perdu, Alea Jacta Est, La Machine, Un Dernier Geste, rien qu'à l'énumération des titres vous intuitez en filigrane ces appels à se lever contre la noirceur de plus en plus profonde de notre monde et l'urgence de se lever et de faire face au monstre qui cherche à nous broyer dans son immense gueule. Un rock de rage rouge et de révolte noire. Un rock qui ne batifole pas dans les prairies de l'insouciance mais qui bâtit follement les nécessités des combats à venir. Le public se sent des fourmis carnassières ( rouges et noires ) dans les jambes, chacun se brinqueballe vers l'autre, des silex qui se cognent pour faire jaillir le feu sacré des communions intempestives, le combo-étincelle roule comme un feu de prairie inextinguible... Grosse impression, grosse commotion.

    ( Viennent de Strasbourg. Ci-dessous chronique d'un de leur quatre EP ).

    OX / UNDERVOID

    EP / 2018 / Prix libre

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    Perdu pour perdu : fond de train, la batterie qui court après son ombre, les guitares cisaillent et piaillent, les paroles sont sans appel, le dos au mur c'est là qu'on est le mieux pour cracher ses actes à la face du monde. Uppercut, un seul suffit. Se termine très vite. Tout est dit. Inutile d'épiloguer. On part au loin : ruissellement de notes et soudain le vieux monde klaxonne après toi, l'échappée belle, tout est bon pour s'enfuir des affres de la vie, les petits bonheurs et les lobotomies cervicales, la musique écrase vos petits arrangements, ailleurs ce n'est guère mieux mais l'on s'arrache quand même, long tunnel de guitares qui poinçonnent et arraisonnent, toujours cette batterie en apnée et la flamme infinie d'un solo de guitare, pour repartir encore une fois, mais tu t'avances dans l'écroulement des choses qui viennent et t'enseveliront. A ta santé : un tire-langue musical à la bretonne, narquois leitmotive qui te poursuit de sa ronde infernale, ce n'est plus un chant mais une diatribe qui te lapide sur place, prends garde à l'ironie des postures, situations biaisées ne te sauveront ni de la vie ni de toi-même. Si tu ne le crois pas, écoute la musique qui tape et se moque de toi. Ricanement insidieux final. Qu'à cela ne tienne : blues soutenu, tempo lent mais musique en cavalcade lancinante, le riff zepplinien avance telle une vague et se fracasse sur le rivage de l'existence. Eclats de guitares, flammes qui courent et la batterie qui remballe la marchandise, la voix se traîne et jette du sel sur toutes les blessures, pas de problème, tous tes échecs n'ont aucune importance, nihilisme absolu. A tes dépens : pistons de guitares, voix instrumentalisée mène le bal, constat sans appel, hurlement et guitares rhinocériques, le combo te passe au tabac des réalités, le rat bloqué dans le labyrinthe, quoi que tu fasses tu es la cible touchée en plein cœur. Tant pis pour toi.

     

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    Belle pochette intérieure. Image éclatée, dominante rouge de sang de bœuf conduit à l'abattoir. Le zéro sur lequel on mettra bientôt une croix dessus. On regrette l'absence d'un feuillet pour les textes. Sont totalement constitutifs de la matière brutale qui se greffe autour. Un disque chaud de braise qui exige écoute et réécoute. Undervoid cloue les mots au pilori des guitares et la batterie les roue de coups. En sortent plus vindicatifs, car ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. Violent et intelligent.

    Damie Chad.

    PSYCHOÏD

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    Rien qu'à la découpe des guitares l'on n'est pas assailli par un doute pyrrhonien sur le style musical du quatuor. D'ailleurs ils le proclament haut et fort, psychoïdes certes, mais trash metal et nous ajouterons trash cash, pour le metal, ils revendiquent plutôt le fuselage des supersoniques de combat que la lourdeur de titane absorbande et obérante. N'avez pas le temps de les visualiser, sinon la guitare de Thomas, un zig-zag d'éclair jaune qui foudroie le regard, que la machine est lancée. Ne s'arrêtera plus. Une trombe. Pas le temps de s'attarder. Même les morceaux sont courts, à croire qu'ils sont pressés de terminer le suivant. Avalanche sonique, rien ne leur résiste. Le public comédique s'est tout de suite senti à l'aise, transe collective, ça remue comme des pois sauteurs atteints de la tournante du mouton enragé. L'est manifeste que Psychoïd est de ces groupes qui ont inventé la poudre et qu'ils savent la faire détonner. Une recette simple, ce sont les meilleures, Thomas respire deux fois ( pas une de plus ) très fort, fait mine de toucher son engin mirifique, trop tard, Amaury tape à mort sur ses tom, vous catapulte sur la grosse caisse, et la tornade vous emporte à l'autre bout du rock'n'roll. Rémi joue le gros nounours à la basse, tout sourire, interjection goguenarde, vous aimeriez presque qu'il vienne vous border le soir dans votre lit pour vous souhaiter une bonne nuit avec rêve doré. De fait dès qu'il touche son instrument vous comprenez qu'il est habité par la force impavide du guerrier berserk et qu'il est hanté par la fureur de l'ours polaire affamé sur la banquise dépeuplée. Ne s'appesantit pas, ses lignes de basse filent à la vitesse des drakkars qui glissent dans la tempête sur la houle déchaînée. Kiko ne desserre pas les dents, par contre il serre de près sa guitare, lui fait cracher tout ce qu'elle sait faire, l'on a même l'impression qu'elle étale aussi tout ce qu'elle rêverait de réaliser, et ma foi, elle y réussit parfaitement. Kiko nous permet de comprendre pourquoi un kiko de plomb pèse davantage qu'un kiko de plumes de sinornitosaurus s'il est riffé à la vitesse de la lumière. Derrière ces deux ostrogoths, Amaury redouble d'intensité activiste. Etrange ce que je veux dire, c'est la première fois qu'il me semble qu'un batteur se sert de ses deux bras, tellement il les manipule et les gesticule, pas de virgule entre les plans, et pas de renoncule pour vous conter fleurette. Thomas tire le premier, lâche le riff comme l'on tend les cordes d'un ring pour le combat du siècle. Se charge ( de cavalerie ) du vocal, cheval fou qui hennit follement et se rue dans une course sans fin. Se cabre brutalement en un cri qui tue à vous fendre l'âme que vous avez perdue depuis longtemps. Et tout s'arrête, tiens donc il existe un truc bizarre que dans d'autres civilisations l'on appelait le silence ! Vous désireriez vérifier l'existence de cet incroyable phénomène dans une encyclopédie, trop tard, sont déjà à la moitié du morceau suivant. Veulent nous quitter sur l'hymne des Corsaires qu'ils ont composé pour l'équipe de hockey de Nantes, une démence remplie d'abordages et de galions bourrés d'or enlevés haut la main aux plus cruels des pirates. Une excuse pour s'adonner à leur sport favori, le rock trash à trois cents kilomètres heures. Z'aimeraient nous abandonner sur une île déserte pour voguer à leur guise vers d'autres ouragans, mais non, nous ne les laisserons partir qu'après deux rappels apocalyptiques. Sans doute avons nous été trop bons, on aurait dû en exiger une douzaine. La prochaine fois, on n'oubliera pas.

    jp bimeni & the black belts,steve wynn,nausea bomb,anti-clockwise,all this mess,blue void,undervoid,psychoïd

    Viennent de Melun. N'ont pas le melon. Nous ont montré la lune.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 382 : KR'TNT ! 402 : STEVE WYNN / GINGER BAKER / BROKEN GLASS / BLACK PRINTS / AU DREY /RAW DOG / DOUCHE FROIDE / ROCK CRITIC

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 402

    A ROCKLIT PRODUCTIOn

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    17 / 01 / 2019

     

    STEVE WYNN / GINGER BAKER

    BROKEN GLASS / RAWDOG / BLACK PRINTS + AU DREY

    DOUCHE FROIDE / ROCK CRITIC

     

    Syndicate d’initiatives -
Part Three

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    Après la fin du Syndicat, Steve Wynn entreprend une carrière solo au moins aussi fructueuse que celle de Frank Black après la fin des Pixies. Visiblement, ces gens-là ne savent faire qu’une seule chose dans la vie : écrire des chansons. Et des bonnes.

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    Wynn gagne à tous les coups. La preuve ? Kerosene Man, premier album solo paru en 1990. Deux belles énormités guettent leur proie, c’est-à-dire l’oreille imprudente : «Younger» et «Killing Time». Steve Wynn renoue avec la violence du riffing et la belle niaque pantelante. Il connaît son affaire. Dans «Younger», on retrouve le même son de basse que dans le fatidique «Death Party» du Gun Club. Tout aussi joliment claqué, voici «Killing Time». C’est même claqué en dégringolé d’accords. Ce sacré Steve adore la classe. Il sait enchaîner les effets de Ricken et créer des horizons. Ça marche à tous les coups. Sa power-pop est celle dont on rêve quand on est jeune et encore vert. Steve Wynn tortille ça en vieux briscard. C’est même trop beau pour être vrai. Son «Under The Weather» sonne comme de la petite pop de boulevard populaire, café de Belleville au clair de lune. Il claque aussi de l’accord clairvoyant dans «Something To Remember Me By». Voilà sa marque de fabrique artisanale, un peu limite du rock FM, mais ça passe. Et avec «Anthem», il prend l’habitude des finir ses albums avec un cut explosif - Play the anthem one more time - C’est tout simplement effarant de son. Le fan est gâté.

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    Deux ans plus tard paraît Dazzling Display. Steve Wynn y tape une cover de «Bonnie & Clyde». Coup de génie puisqu’il en fait une horreur garage. Cover de rêve. Steve Wynn a bien compris qui était Gainsbarre. Josette Napolitano vient faire la conne. Steve Wynn lâche ses ouragans d’accords, c’est à la fois intense et respectueux de l’environnement. Tout aussi énorme, voilà «405» joué au heavy rock - I rest my mind on the place and time - C’est explosé au solo congestionné. Quelle débauche d’énergie sonique ! Ce mec ne s’arrête jamais. Avec «Tuesday», il propose un extraordinaire shoot de power-pop émancipée. Wynn n’en finit plus de gagner à tous les coups. Il va sur la pop-rock avec une sorte de plaisir gourmand. Le morceau titre semble violenté dans l’azur pyrénéen. À moins qu’il ne s’agisse de la zone de Pythagore. Steve Wynn revient à sa légendaire férocité sonique et aux déliquescences d’interactions psychédéliques - Fell down to attention/ Not a very honorable mention/ What a perfect way/ To watch a dazzling display - En plus, c’est extrêmement bien écrit et digne des meilleures drug songs. Il passe à la vitesse supérieure avec «Dandy In Disguise». Drumbeat on the beat ! Il nous rocke ça dès l’intro, en vétéran de toutes les guerres. Ça sploushe et ça splashe dans le lagon vert. Admirable ! Il termine avec l’excellent «Close Your Eyes», vieille pop alimentée au bon vent d’Ouest. Steve Wynn se veut résolument allègre et optimiste.

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    On ne trouve pas vraiment de hit sur Fluorescent paru l’année suivante. On a du balladif de bonne guerre avec «Follow Me». On sent toujours la présence d’une vraie voix. On le sait, la voix fait toute la différence. Prenez Lou Reed. Eh bien, Steve Wynn, c’est la même chose. Profondeur et présence, voilà ses deux mamelles. Il excelle dans l’exercice de la présence vocale de bon ton. Par contre, son «Collision Course» sonne comme du Lloyd Cole. Mais Steve Wynn sauve son cut grâce à des fuites de guitares éperdues. Encore un fantastique balladif d’espérance du Cap de Bonne Espérance avec «Carry A Torch». Quand on a la voix qu’il a, une bonne guitare et des idées, ça paraît logique d’enregistrer des albums solo. Ce «Carry A Torch» sonnerait presque comme un hit. Avec un mec comme lui, il faut savoir donner du temps au temps et voir les choses se développer. C’est toujours intéressant. Il a toujours un gros son. «Open The Door» ne déroge pas à cette règle. On sent l’homme d’âge mur, sûr de son art. Même si «Wedding Bells» sonne trop romantico, on sent bien l’énergie. «The Sun Rises In The West» sonne comme un heavy balladif d’envergure. On adore ce mec pour ses capacités à créer de la bonne pop électrique, l’une des meilleures d’Amérique. Par contre, son «Look Both Ways» se danse d’un pied sur l’autre dans les Appalaches.

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    Pas de hits non plus sur Take Your Flunky And Dangle, mais pas mal de bonnes chansons, à commencer par «How’s My Little Girl», joli coup d’electric pop. C’est là où Wynn brille. C’est son univers, sa distance, son pré carré. Il est parfait dans son rôle de power-popper qui chante à la mâle assurance pendant que les guitares dessinent le décor de rêve. Avec «Closer», il reprend son bâton de pèlerin charmeur et se montre très communicatif avec «The Woodshed Blue». Il y sonne comme Dylan. Avec «AA», il sonne comme les Supremes, mais country. C’est assez tordu comme vision. Il termine en tapant «Only Comes Out At Night» au dylanex, mais parfois, on se dit qu’il vaut mieux écouter Dylan.

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    Sur Melting In The Dark, Thalia Zadek chante et joue avec Steve Wynn. Que de son ! C’est en tous les cas ce qu’on s’exclame dès le «Why» d’ouverture. Steve Wynn pousse de vrais oh yeah ! Quelle dégelée ! Il semble enfin de réveiller - There’s no answer, yeah ! - Et avec «What We Call Love», il revient à son vieux son de mid-tempo aventureux de bonne aventure. C’est littéralement bardé de guitares. Il redéclenche la furia del sol avec «The Angels». Il s’y fait violent prévaricateur - And the angels won’t talk to me anymore - C’est même visité par l’esprit des guitares, un véritable essaim. Encore un fantastique slab de heavy pop avec «State It Down». C’est cisaillé aux meilleures guitares de stomp. Steve Wynn chante ça sale et descend à la cave. Quel retournement de situation ! Avec «Smooth», il file sous le vent du boisseau. Effrayant ! Il se montre indispensable au rock. Son Smooth est de très haut niveau. Ils nous smoothent ça comme des diables. Quelle débandade de chœurs et de guitares ! Avec un titre comme «The Way You Punish Me», on tombe forcément dans la heavyness. Et tout ça se termine avec le morceau titre claqué au rendez-vous des malfrats - MacArthur Park is melting in the dark - Steve Wynn visite ça au sonic hell et bascule dans la mad psyché. C’est soloté à outrance et totalement inespéré.

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    Le génie électrique de Steve Wynn éclate de plus belle avec Sweetness And Light paru en 1997. Toutes les pochettes sont des tue-l’amour, mais le son est là. Cet album est passionnant, à commencer par «Silver Lining» monté sur un tatapoum de tous les diables signé Linda Pitmon. Elle tape comme une sourde. Notre Wynner favori ne ménage ni la chèvre ni le chou. Il veille a conserver ce fin tissu de guitares acidulées. On note l’extraordinaire santé de son songwriting. On s’en épate même à fond la caisse. Tiens, encore une solide attaque en règle avec «Black Magic» - Underneath the highway/ That’s where you’ll find me - Ah quel admirable rocker ! Son rock se pose comme un vaisseau sur la planète Uranus, c’est-à-dire avec une grande prestance technologique. Il tape une cover de Ray Davies, «This Strange Effect» et l’explose aux guitares. Il passe au big atmosphérix avec «This Deadly Game». On se croirait chez les Only Ones, dans une belle ambiance crépusculaire. Encore un extraordinaire slab de power-pop avec «How’s My Little Girl». Sa véritable force, c’est l’éclat du timbre. Il s’en va chatouiller les cuisses de sa muse. Elle jouira toujours, avec un mec comme lui. Ce cut un modèle du genre, Steve Wynn semble gratter des milliers de guitares acidulées, c’est à la fois un bonheur impénitent et d’une rare puissance fruitée, ça dégouline de jus étincelant. Ce mec est capable de fulgurances. On reste dans le big atmosphérix avec «Ghosts». Il semble traverser les strates à coups de solos voyageurs. Ça dure six minutes mais c’est une aubaine pour l’oreille du lapin blanc. Steve Wynn allumera ses lampions jusqu’au bout de la nuit. Encore un fantastique jerk de balance informelle avec «Blood From A Stone». Il joue toujours son rôle de franc-tireur à la perfection. Il est l’un des mecs les plus intéressants du rock américain. Il sait pousser des aw de fins de couplets. Pur génie que ce Wynner de tous les diables. Il est aussi capable de sortir du vieux rock violent, comme on le voit avec «In Love With Everyone». C’est ultra-joué au open your eyes et bardé de son. C’est bien plus effarant que l’arrivée des Vikings sur la plage. S’ensuit une dérive apostolique intitulée «The Great Divide». Steve Wynn s’en va se noyer dans un océan de notes de xylo extensif. Il tape ensuite dans Barrett/Strong avec une cover de «That’s The Way Love Is». Il ne se contente pas de jouer son r’n’b, il le vrille en queue de cochon d’apothéose et nous le ramone au solo savoyard.

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    Si on écoute My Midnight, on trouvera un joli duo d’enfer intitulé «We’ve Been Hanging Out». Il rappelle «The Murder Mystery» du Velvet. Steve Wynn y duette avec Linda Pitmon. C’est fabuleusement nappé d’orgue. Attention, c’est un double album et on risque l’indigestion si on écoute tout. Il chante «Nothing But The Shell» à la voix de son maître. On sent que cet homme ne vit que pour les chansons. Il prend sa meilleure voix de timbre fêlé pour honorer «My Favorite Game». «Cats & Dogs» sonne comme de la power-pop jouée sous le boisseau. Elle est bonne et chaude comme le pain du matin, à la boulangerie de la rue Saint-Jean. On se régalera aussi d’«In Your Prime», visité par des guitares supersoniques. Le monde de Steve Wynn reste incroyablement suburbain. Il chante tout au timbre présent. Il chante même des fois trop sérieusement et pourrait faire un peu peur. Que de son et quel bouquet de guitares ! Ah il faut entendre ce «Out Of This World» claqué aux pires accords intraveineux. Il joue sur tous les tableaux. Il semble sauter dans la pop comme un gosse dans le bac à sable. C’est l’un des cuts les plus percutants de l’album, avec ses retours de you do something to me. Il boucle le disk 1 avec «500 Girls Mornings», un blast de heavy rock écœurant de nonchalance. Le disk 2 est un live saturé de son, et donc chaudement recommandé aux amateurs d’électricité. Il démarre avec sa fabuleuse reprise des Kinks, «This Strange Effect» et enchaîne avec un «What We Call Love» chanté à la petite menace. Linda Pitman bat ça si sec ! Il faut dire que live, le son de Steve Wynn éclate encore plus. Rien d’aussi dément que la version live de «That’s What You Always Say». On y entend un pur solo de sonic trash, c’est noyé d’effervescence ultra-sonique. Steve Wynn joue tout ça à l’abattage. Le «Why» qui suit est aussi incroyablement musclé. Avec «Tears Won’t Help», il passe au freakout de la démesure. Il ressort «Bonnie & Clyde» et «Halloween» des archives pour les barder de son. Ce sont des versions dingoïdes qui basculent vite fait dans la mad psyché. Les descentes sont proprement spectaculaires. Tout l’album est en feu. Il termine avec l’enchaînement fatal : «Melting In The Dark» et «The Days Of Wine And Roses». Ils jouent tout cela à la note fumante, Steve Wynn gère ça au violent claqué d’accords, ça éclaire la nuit du rock et laisse dans la bouche le goût d’un panache indescriptible.

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    Pas mal de très belles choses sur le Pick of The Litter paru en 1999, notamment ce «James River Incident» qu’on prend tout d’abord pour une protest-song ethno-sociologique à la Dylan, mais qui est en réalité un prétexte à ramener du son, et quel son, les amis ! Du très grand son. Steve Wynn est homme à savoir faire claquer un accord de guitare. On a là du très gros Wynner. Il nous gratte son riff dans l’épaisseur du doom. Ce mec sait vraiment créer les conditions. Textuellement parlant, il reste dans l’ellipse, yeah, et il part en vrille syndicale, comme au temps béni du Dream - All that’s left is legend and stories to be told - et il ajoute en exergue qu’il y a des secrets entre the river and me. C’est tellement bardé de guitares que ça frise la stoogerie. Tony Maimone de Pere Ubu joue sur «Ladies & Gentlemen», un joli cut mélodique monté sur des arpèges. Superbe. On l’a sans doute déjà dit, Steve Wynn est aussi prolifiquement bon que Robert Pollard et Frank Black. Il nous claque ensuite «Smoke From A Distant Flame» au banjo des familles. Ça n’a l’air de rien, comme ça, mais il faut savoir le faire. Ce mec a du génie, n’ayons pas peur des grands mots. Sa compo tient fabuleusement la route. Il chante par dessus le banjo avec un sacré aplomb. On reste dans l’énormité présentielle avec «Halfway To The After Life». Steve Wynn wynne à tous les coups. Il joue la carte du son bienvenu. C’est bardé, absolument bardé de guitares. Le rôle de démon lui va à merveille. Il explose toutes les conceptions envisageables. Dans une vie antérieure, il devait être forcément pharaon. Il fait encore un numéro de cirque avec «The Air That I Breathe». Il chante au plus profond et tente de faire du Lanegan, mais c’est impossible. Alors il explose tout avec des coups de guitare. Voilà le Wynn qu’on admire, le sorcier du son. Il tape «The Impossible» au pire beat wynnique de l’univers. Il faut se méfier de ce mec, il est capable du pire. Il termine avec un «Why Does Love Got To Be So Sad» bardé de son. Ça entre par les deux oreilles comme dans un moulin. Et qui retrouve-t-on à la guitare ? Rich Gilbert, le diable des Catholics, ce groupe de surdoués qui jadis accompagnait Frank Black sur scène. Du coup ça prend des proportions extraordinaires. Rich Gilbert joue à la vie à la mort.

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    Crossing Dragon Bridge est un album qui vaut aussi le détour, ne serait-ce que pour «Believe In Yourself», pur jus de Dylan strut. Steve Wynn fait du dylanex en plein - It’s okay/ If you talk/ You stumble/ You get up/ That’s all - Comme Dylan, Steve Wynn a un don. «Manhattan Fault Line» sonne comme du typical Wynn. On a là un mélopif solide et plein de son, avec une réelle profondeur de ton et de champ. On ne peut parler que de prestance ou d’étonnant dérivatif d’enchantement presbytérien. Ses balladifs restent imparables. Comme beaucoup d’autre hits, il claque «Love Me Anyway» à la bonne entente cordiale. Ça reste du mid-tempo hautement élémentaire. Ce mec n’en finit plus d’écrire des chansons. Il berce «She Came» de langueurs monotones. On tombe aussi sur un «When We Talk About Forever» sacrément versé dans l’esprit de seltz. Tout aussi admirable de vitalité, voici «Annie & Me» - We just never slow down - Ça joue au beat serré dans les virages, pur jus de grand Wynner. Voilà une sacrée virée country. Mais il a aussi pas mal de cuts plus conventionnels qui ne marchent pas, comme ce «God Doesn’t Like It». Il faut dire que le coup d’harmo est somptueux : il évoque Charles Bronson.

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    Et puis voilà qu’en 2001, il monte les Miracle 3 et commence à enregistrer une série d’albums éblouissants, à commencer par Here Come The Miracles. Steve Wynn wins dès le morceau titre d’ouverture du bal, un heavy romp démoniaque, singulier mélange de pop et de heavyness définitive - What can I believe in the face of such a disease/ When the forces of evil are free to do as they please - Et c’est parti pour ne nouvelle ribambelle de gros cuts, comme cet effarant «Sustain». Steve Wynn travaille comme un ébéniste, il produit chaque jour des crafts sur son établi, alors ça finit par compter. Au rythme d’un craft par jour, ça fait 365 crafts par an, alors forcément, les disques finissent par pulluler. En tous les cas, son «Sustain» est ultra joué. Tout est incroyablement bon sur cet album. On a du renvoi d’estomac sonique dans «Butterscotch» et Linda Pitmon nous bat «Southern California Line» à la dure - Hey hey are you ready to be saved - Voilà encore de la belle heavyness visitée par des guitares souterraines, c’est du grand art battu sévère et explosé aux arpèges allégoriques. Même ce balladif intitulé «Morningside Heighs» est ridiculement bon. Il revient au boogie d’accent tranchant avec «Let’s Leave It Like That» et son «Crawling Misanthropic Blues» est une véritable horreur, complètement explosée d’entrée de jeu. Steve Wynn se prend ici pour Jeffrey Lee Pierce. Même jus - Oh wow wow nobody’s perfect/ I know that it’s true - Voilà du punk de Wynner serti d’un killer solo. Steve Wynn n’en finit plus de multiplier les exercices de style. Il finit le disk 1 avec «Death Valley Pain», un fabuleux groove psychédélique - The moon it shines - Il ramène tout le gros fretin. Puis il attaque le disk 2 avec «Strange New World», tapé au heavy garage - Once I was down in New Orleans/ Mixing scotch with gasoline - Ce sont les accords de «No Fun» - The King of Swing/ The Duke of Earl - Quelle étonnante tripotée d’accords ! Chez lui, les guitares sont toujours assez révolutionnaires. Encore du vieux groove Wynny avec «Topanga Canyon Freaks». Il vise clairement le boogaloo, il frise un peu le Tom Waits en lâchant des vieux ah ah ah de graveyard, mais on note la présence de jolies guitares dans le paysage. Nouvelle merveille avec un «Watch Your Step» violemment cisaillé au riff émancipé. Voilà certainement le meilleur garage californien - I’m not the one who’s gonna take it to the other side - Il nous prévient. Que de son ! Comme dans le cochon, tout est bon dans le Wynn. Il crée des merveilles en tous genres et peut même s’amuser à chanter comme un crocodile. Encore plus bardé de guitares, voilà «Smash Myself To Bits», un truc exceptionnel visité par l’esprit du harp, c’est-à-dire le dieu du vent. Démence pure. Steve Wynn entre au chant sur le tard et s’amuse à faire le roi des tempêtes. C’est saturé d’énergie de son. Il faut bien avouer que ce mec a du génie. Ce cut est une véritable horreur saturée d’aventures. On a même l’impression de voir se lever une tempête de sable. C’est d’une rare violence psychédélique et ça monte à saturation avec un harmo démentoïde. C’est là très précisément que s’exprime le génie sonique de Steve Wynn. Il termine avec «There Will Come A Day», pur jus dylanesque joué à l’orgue. On voit qu’il adore son maître Bob - And in a fit of desperation/ I found myself on my kness - C’est à la fois beau et puissant. Il est dessus - There will come a day Lord/ Thre will come a day - Somptueux ! Une vraie révélation, et ça se termine dans un éblouissant final de gospel batch. On a là l’un des très grands disques de rock américain.

    Steve Wynn continue d’enregistrer des albums sporadiques ici et là. Le conseil qu’on pourrait donner serait de les écouter, car forcément, ça reste du très grand art.

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    Tiens par exemple, cette compile intitulée Up There Home Recordings 2000 To 2008. Eh bien on y trouve un cut génial, «Bruises», taillé dans l’épaisseur d’un bazar sonique. À lui seul, ce cut balaie toute la Brit-pop. Steve Wynn démolit tout, il fracasse les années lumières, il ramène du son, rien que du son. Il joue son truc aux notes d’alerte rouge. Il propose pas mal de tributes dans cette compile : à Gene Clark, avec «Tomorrow Is A Long Ways Away», ou encore à Nick Lowe avec «The Truth Drug», cut hyper ventilé et stompé par Linda Pitman qui bat ça si sec. Elle fait d’ailleurs partie des meilleures batteuses du monde. Il indique plus loin que «Still Messed Up» est l’une de ses chansons préférées. Il nous joue ça au meilleur groove de la stratosphère. Steve Wynn est d’une fiabilité à toute épreuve, un mec parfaitement incapable se sortir un mauvais disque. Il rend aussi hommage à la Nouvelle Orleans avec «The Good Old Days» et tape «Hold Your Mud» aux guitares ultra-insidieuses. Les deux cuts d’ouverture sont aussi des passages obligés : «Second Best» (balladif dylanesque truffé de coups d’harmo) et «Incantation (Raise The Roof)», dont il dit que c’est about the power of sound. Ah pour ça, on peut lui faire confiance. On se croirait au temps du Dream. Back to the big Sound avec «Lungs». Oui, il ramène tout le son possible. Il y gratte des trucs à l’infini. Et il rend hommage à Neil Young avec «SleepsWith Angels». Il se joue des règles et les lois, il larde son son encore et encore.

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    Et la roue continue de tourner avec cet énorme album solo qu’est Sketches In Spain. On comprend dès l’«I’m Not Ready» d’ouverture que Steve Wynn va rester imbattable jusqu’à la fin des temps. Il est tout simplement parfait, on l’a sûrement déjà dit, mais dans un cas comme celui-là, c’est plutôt bien de radoter. Il réussit à monter l’incroyable allure d’un cut sur un simple jeu de bassmatic, rien d’autre. On tombe très vite sur un hit : «Super 8», une power pop d’horizon que chante Linda Pitmon. Admirable ! Et voilà l’immense «My Cross To Bear», claqué aux immenses accords. Steve Wynn sait ouvrir la Mer Rouge, il peut s’asseoir sur le buisson ardent sans se brûler le cul. Cet homme règne sans partage sur le heavy rock, qu’on se le dise. Avec «My Cross To Bear», il propose un cut assez spectaculaire, une vraie avancée. Il fait claquer sa guitare comme une cornemuse au nadir du combat. Impossible de faire l’impasse sur un tel Wynner - I don’t care - C’est énorme, de bout en bout. Il tape ensuite «Kickstart My Jacknife» au chant voilé, mais avec une belle persévérance. Il s’appuie sur la plus belle des sauces. Même si on n’écoute ça qu’une seule fois dans sa vie, ça vaut le détour. Steve Wynn n’en finit plus de pulser du son et ça gicle dans la console. Chaque cut sonne comme une aventure extraordinaire. Il n’en finit plus de réinventer la poudre. Il joue la carte du boogie wynnie avec «Snack Dab» et repart plus loin en mode power pop avec «Suddenly». Il ne baissera jamais sa garde. Il chante de l’intérieur du menton et son génie éclaire la nuit. Encore un fantastique coup de power-pop avec «The King Of Riverside Dark». Il y frise une nouvelle fois le génie avec un solo d’accordéon. C’est tout simplement affolant de son, de présence, de classe et de chant. Diable, comme ce mec peut être bon - And nothing can break me down/ I’m the king of Riverside Dark - Il enchaîne avec ce balladif extraordinaire de qualité intrinsèque qu’est «The Last One Standing». Il peut chanter en profondeur with nothing at all et faire mousser sa glotte dans un abîme de grandiloquence mélodique. Steve Wynn a le son de l’espace et le goût de l’universalité des choses. Encore une belle pièce d’anticipation rockalama avec «Underneath The Radar». Il y claque un claquos coulant dans l’écho du temps. «Oth» sonne comme un exercice de style, ça sort en effet de nulle part, ce cut joué au banjo et chanté au speed des enchères à l’Américaine désarmerait un régiment. On pourrait qualifier ça de cut out de cuttard invétéré. Il nous emmène à la Nouvelle Orléans pour «Black Is Black». Nous voilà en effet dans un enterrement avec du pouet pouet de rue joyeuse. La mort est une délivrance, si on y réfléchit bien. Steve Wynn est capable d’orchestrer un balladif au tuba. Il nous emmène à la fête foraine avec «Claro Que Si». Il y gratte des accords de pur Tex Mex qui feraient baver Doug Sahm en personne. C’est absolument indécent de grandeur. Et il boucle ce brillant album avec «Sometime Before I Die». Ouf, il est temps que ça s’arrête. Ce genre de disk épuise la cervelle. On finit en ahanant. Ce diable de Steve Wynn nous propose là un salad bowl de power pop et de celtic sludge. Il touille ça avec sa grosse cuillère en bois et chante d’une voix exagérément graissée. C’est un diable. On soupçonnait Jason d’être un démon, mais non, quelle méprise, le démon c’est lui, Steve Wynn. Quel mystificateur ! Il ramène tout le celtic de l’hémisphère Nord dans son délire outrancier et purificateur. Son solo coule comme le miel dans la vallée des plaisirs. Il finit en beauté, à la manière d’un Victor Hugo contemplant l’océan du temps qui se fond dans l’horizon.

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    Il existe trois raison d’écouter Solo Electric (vol 1) paru en 2015 sur un label d’éditions numérotées : 1, «Transparency», 2, Hesitation» et 3, «Thanksgiving Day». Il fallait bien se douter que le 1 allait être bardé de son, c’est même ultra-gorgé de gorjo et chanté à la petite menace wynnique. Extraordinaire présence ! Quel débineur ! Il gratte le 2 au groove wynny. Il monte tout seul, pas besoin d’une montgolfière. Il a des ressources extraordinaires. Ses montées se veulent pures et racées. Il peut jouer le Velvet à lui tout sel. Son 3 sonne comme «Like A Rolling Stone». Il tombe dans les bras de son idole Bob. Il est en plein dedans - Thank you for the good times/ Can I stay here/ On that/ Thanks/ Giving/ Day - Pur jus de Dylanex. D’autres merveilles guettent l’amateur, comme cette reprise du «James River Incident» (tiré de Pick Of The Litter). Steve Wynn y croasse délicieusement et son heavy rock de solo-man impressionne au plus haut point. Il claque tout à l’excès guitaristique. Il garde sa spécificité d’allumeur de lampions. Il peut créer son monde tout seul. Il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Il joue «Something To Remember Me By» à la sourde oreille et ça devient fascinant. Il a tellement de talent qu’il fascine sans forcer. Il faut voir cet incroyable claqué d’accords. Et quand il tape «You Can’t Forget», on voit qu’il a de l’attaque à revendre. Il tient bien son chant par la barbichette.

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    Pour bien faire, il faudrait encore écouter deux albums, Wynn Plays Dylan, paru en 2011 et Benedikt’s Blues, paru quatre plus tard. Car ce sont eux aussi des albums magnifiques et indispensable à tout fan de Steve Wynn. C’est malheureux à dire, mais avec Wynn Plays Dylan, Steve Wynn se fait plus royaliste que le roi. On trouve sur cet album deux versions stupéfiantes : «Just Like A Woman» et «Outlaw Blues». Il réussit à shooter du Like A Rolling Stone dans «Just Like A Woman», et il en fait la plus belle version de tous les temps. Même chose avec «Outlaw Blues» qu’il nasille et qu’il électrise à outrance, tout le rock&roll est déjà là chez Dylan et ce diable de Wynner nous restitue ça au mieux des possibilités. De toute façon, tout est énorme sur ce disk, comme cette fabuleuse version de «Rainy Day Woman 12&35», on est en plein phénomène de mimétisme car Steve Wynn chante exactement comme son idole Bob. Beaucoup de son, et Linda bat ça si sec, comme d’usage. Steve Wynn ramène encore du sonic trash dans «Gotta Serve Somebody», il réussit l’exploit de trasher le summum, c’est chanté à pleine voix et bourré de son. Encore plus troublante, la version de «The Groom’s Still Waiting At The Altar» qui ouvre le bal de la B : oui, on croit entendre Bob Dylan en personne. C’est-y Dieu possible ? Il nous barde ça du meilleur son qui se puisse imaginer, ultra-électrique, balancé à la diable, frelaté de frais et foisonnant comme une rivière à saumons au printemps. Avec «All Along The Watchtower», il s’élance sur les traces de Jimi Hendrix, and there’s so much confusion, mais il revient à la raison et opte pour le violon et va bon train.

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    Bel album que ce Benedikt’s Blues, notamment le morceau titre qui sonne comme le «Pale Blue Eyes» du Velvet. Même attaque sensible et nouveau coup de mimétisme. Avec «On The Mend», il revient à Dylan. Il tape ses couplets avec la niaque du Dylan de 66. Incroyable coup d’élégance wynnique ! Avant d’aller faire un tour en B, n’oubliez pas de savourer les délices hendrixiens de «Cinnamon Tweed», un cut expérimental joué à l’unisson du saucisson, intéressant mais pas intéressé. En B, on trouve un «Dead Roses» un peu triste, légèrement saumoné et pas vraiment éveillé et soudain, Steve Wynn remet les pendules à l’heure avec «All The Squares Go Home», c’est le jerk du Palladium, admirablement fouetté au beat nappé d’orgue à la Sam The Sham et chanté à la petite canaillerie. Ce mec a du talent, on le savait, mais on n’en finit plus d’évider les évidences avides et le contrecarrer les carences caractérielles. Il passe avec «Simpler Than The Rain» au balladif magique, dont il s’est fait une spécialité au fil du temps. Il n’en finit plus de tartiner sa ravissante pop au long d’une belle tranche de miche au blé noir.

    Signé : Cazengler, Steve wine (cubi)

    Steve Wynn. Kerosene Man. Dureco 1990

    Steve Wynn. Dazzling Display. R.N.A. Rhino New Artist 1992

    Steve Wynn. Fluorescent. Brake Out Records 1993

    Steve Wynn. Take Your Flunky And Dangle. Return To Sender 1994

    Steve Wynn. Melting In The Dark. Offworld 1995

    Steve Wynn. Sweetness And Light. Blue Rose Records 1997

    Steve Wynn. My Midnight. Blue Rose Records 1999

    Steve Wynn. Pick Of The Litter. Glitterhouse Records 1999

    Steve Wynn. Here Come The Miracles. Blue Rose Records 2001

    Steve Wynn. Crossing Dragon Bridge. Blue Rose Records 2008

    Steve Wynn. Wynn Plays Dylan. Inerbang Records 2011

    Steve Wynn. Up There Home Recordings 2000 To 2008. Shirt Run 2013

    Steve Wynn. Sketches In Spain. Omnivore Recordings 2014

    Steve Wynn. Solo Electric (vol 1). Blue Rose Records 2015

    Steve Wynn. Benedikt’s Blues. Kinkverk 2015

     

    Stup Baker

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    Les Stones ont inventé au temps du swinging London un concept entièrement nouveau : the rock aristocracy. Avec leurs gueules de stars, leur dandysme inné, leurs fringues flashy, leurs comptes en banque, leurs bagnoles de sport et leurs belles gonzesses, la fréquentation de quelques princes, leur goût prononcé pour les stupéfiants et la pincée d’inclinations sexuelles qui font le charme de cette condition, ils fascinaient le petit peuple. Grosse cerise sur le gâteau : il enregistraient des tubes magiques du style «Jumping Jack Flash». Les gens du petit peuple n’essayaient même pas de devenir des Stones, de la même façon qu’en l’An Mil, personne ne songeait à devenir roi, sachant que ce n’était pas possible, puisque le trône était de droit divin. Les gens des villes et des campagnes s’inclinaient sur le passage des rois. Les mêmes gens des villes et des campagnes s’inclineront plus tard sur le passage des Stones.

    Puisqu’ils ne pouvaient pas devenir des Stones, les gens du petit peuple voulurent tous devenir des Velvet. Pourquoi ? Tout simplement parce que le Velvet appartenaient à une autre forme d’aristocratie, celle de l’underground, c’est-à-dire celle qui compte pour du beurre.

    Brian Jones, Keith Richards, John Lennon, Ray Davies, Ronnie Lane, Mick Farren, Phil May ou encore Syd Barrett sont restés jusqu’à ce jour inégalables à tous égards. Look, talent, impact, modernité, intelligence, ils sont restés intouchables. Oh on a vu fleurir ici et là quelques pâles imitations (tous ces garagistes américains qui se coiffaient comme Brian Jones mais qui n’avaient pas inventé les Stones, des luminaries comme Patti Smith, Joan Jett ou Dave Kusworth qui se voulaient plus royalistes que le roi, quant à Lennon, Barrett ou Ray Davies, personne n’a jamais essayé de les imiter, car ce n’était tout simplement pas imaginable).

    Et puis bien sûr Ginger Baker, the wild one, the real deal. Avec ses cheveux rouges, ses yeux clairs et son insatiable soif d’excès, il honore le blason de cette fameuse rock aristocracy britannique. Mais il semble encore plus vivant que ses congénères, comme si les instincts barbares des seigneurs de l’An Mil bouillonnaient en lui. Comme si les notions de loi et de limite lui étaient intolérables. Ginger Baker joue de la batterie comme on prenait un château d’assaut, autrefois, pour se livrer à l’ivresse du pillage. Ginger Baker règle ses problèmes à coups de poings, comme on les réglait autrefois à coups de sabre. Il monte un groupe comme on montait une armée de conquête, il suit chaque fois une vision, comme le faisaient autrefois les conquérants. Il a réussi ce prodige dans l’univers étriqué de la société civile britannique : exister sans foi ni loi. Cette volonté d’exister comme on l’entend, c’est ce qu’on appelait autrefois les privilèges : les aristocrates avaient tous les droits, de vie, de mort et de cuissage, et la foi avait bon dos puisqu’elle leur servait de passe-droit. Comme il ne pouvait pas aller piller des châteaux, Ginger Baker s’est contenté de battre le beurre en Angleterre ou au Nigeria. Il a su canaliser ses instincts barbares dans le jazz qui est en réalité sa religion. Quand il cite ses dieux, il sort les noms d’Elvin Jones, de Max Roach, d’Art Blakey et de Phil Seaman, le batteur londonien qui l’initia à l’héro et à la musique africaine.

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    Comme Doctor John, Ginger Baker a passé sa vie sous héro. Il en parle extrêmement bien dans son autobio, l’excellent Hellraiser, paru voici quelques années. Il y décrit dans le détail la première soirée qu’il passe chez Phil Seaman. Seaman lui fait écouter les Watusi drummers et se prépare un vieux shoot devant lui - When I tell yer pull this - Seaman lui demande de défaire le garrot aussitôt après le shoot. Mais il recommande toutefois à Ginger qu’il appelle Pete de ne pas approcher cette came - Nah Pete I gotta tell you this, this fucking stuff is bad fucking news. Don’t you ever, ever try it - Trop tard ! Ginger sniffe déjà du smack et il trouve ça fantastique pour jouer - All the barriers went down and I was just playing - Quand Seaman l’apprend, il se résigne et le met en contact avec Doctor Feelgood. Ginger commence à prendre ce que beaucoup de gens prennent alors en Angleterre, les fameuses prescription drugs : on va voir un médecin qui signe une ordonnance - The consulting fee was £5 - et le pharmacien donne les doses d’héro prescrites. C’est aussi simple que ça, légal, safe et donc pas d’ennuis avec les stups. Hellraiser est littéralement truffé de souvenirs de shoots tous plus spectaculaires les uns que les autres. Ginger Baker prend un malin plaisir à expliquer qu’il frise régulièrement l’overdose et qu’il se rétablit avec des doses de morphine, là où n’importe quel autre candidat au casse-pipe aurait cassé sa pipe en bois. Alors bien sûr, il règne sur ces pages un délicieux parfum d’immoralité, mais Ginger Baker ne fait rien de plus que de raconter la vraie vie. Il vit ce que vit la grande majorité des musiciens de jazz. Et la crudité de certaines pages rend cette notion d’aristocratie encore plus plausible. La grandeur d’un musicien comme Ginger Baker pourrait tout simplement se mesurer par la grandeur de ses excès, plus que par la grandeur de ses solos de batterie qui nous ont toujours fait bâiller d’ennui. Et son plus bel exploit est certainement d’avoir su rester vivant, comme l’ont fait Keith Richards et Doctor John. Fantastique pied de nez à la morale. C’est d’ailleurs la raison d’être de la rock culture : défier l’ordre moral. Ou à défaut, se positionner au-delà de toute forme de jugement.

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    À ce titre, Ginger Baker est l’homme idéal. Il fait en son temps plus de ravages que n’en firent en leur temps les théoriciens de l’anarchie. Il érige son goût pour le chaos en style de vie, et pour parvenir à ce résultat, il faut une sacrée carrure. Et une certaine forme d’intelligence. Mais au fond, tout cela est tellement britannique. On n’imagine pas un seul instant un Ginger Baker français. Et encore moins un Ginger Baker américain. C’est probablement la raison pour laquelle le film de Jay Bulger, Beware Of Mr Baker, est tellement maladroit. Tout le monde sait que Ginger Baker lui a mis un coup de canne en pleine gueule, et c’est justement ça qui pose problème, car non seulement le film débute sur cette scène, mais on la revoit encore une fois à la fin. Et pourquoi Ginger Baker fout-il sa canne dans la gueule du réalisateur américain ? Parce qu’il apprend que des gens qu’il a virés vont apparaître dans son film, et il ne l’accepte pas. Bing ! Prends ça dans ta gueule ! C’est un procédé très américain : récupérer un incident. Ça fait vendre. Le danger, c’est que les gens qui verront le film ne retiendront que ça, le coup de canne. Alors que le film est censé raconter l’histoire d’un personnage hors normes.

    Dommage, car l’équipe de Bulger débarque chez Ginger Baker, en Afrique du Sud. On entre de plain pied dans l’univers de cet homme qui vieillit bien et qui possède encore des chevaux, sa passion numéro deux après le jazz et les batteurs africains. Installé dans un transat en cuir noir, il raconte sa vie, son enfance pendant la guerre, les bombardements - Great ! J’adore les catastrophes ! - et les bancs vides à l’école le lendemain. Puis il raconte sa rencontre au Flamingo avec God, c’est-à-dire Phil Seaman et passe naturellement à l’évocation de sa muse, l’héro - It was just wonderful - Puis il attaque les gros chapitres, Blues Incorporated, avec Alexis Korner et bien sûr, le Graham Bond ORGANization - et là, Bulger nous sort un fabuleux clip de Graham Bond : on voit des punks en lunettes noires, et je vous prie de croire que ces quatre mecs jouent avec une énergie de tous les diables («Harmonica», en ligne sur Daily Motion) - Bond looked like a white version of Cannonball Adderley. Most of the jazzers didn’t like this as he ignored all the intricate changes on a 12-bar blues by just playing over the three basic chords, but he swung like a demon - On a là un merveilleux portrait d’un autre héros de la scène anglaise que Ginger eut le privilège d’accompagner. C’est Graham qui débauche Ginger et Jack Bruce des Blues Incorporated pour monter sa propre formation - Graham was stoned out of his mind and was raving insanely as he drove back down the M1 - Mais Graham est encore plus dingue que Ginger. Un jour, il va chez EMI et en ressort avec un contrat. Puis il va aussitôt chez Decca. Pareil. Puis chez Phonogram. Même chose. Trois contrats, ce qui est parfaitement illégal - Running the band however turned out to be an increasingly difficult task because Graham was crazy - Sur scène, Graham joue de l’orgue avec une main, de l’alto avec l’autre et la basse au pied - He had begun to look like a pop star and was talking acid with his grass, but nevertheless continued to play his arse off - Il passe naturellement à l’héro, et comme il a du mal à trouver ses veines, il demande à Ginger de lui faire les shoots.

    Bizarrement, dans le film, Ginger ne s’étend pas trop sur son vieux compagnon Jack Bruce. Leurs altercations sont entrées dans la légende. Ginger a viré Jack du Graham Bond ORGANization, mais Clapton l’a fait revenir dans Cream. En gros, Ginger reprochait à Jack de se croire supérieur et ça lui était insupportable. Dans son livre, Ginger raconte le dernier concert de la reformation de Cream, au Madison Square Garden de New York : «Il jouait encore plus fort qu’avant et gueulait dans le micro. On jouait ‘We’re Going Wrong’, un cut basé sur mon jeu de batterie et soudain, Jack se tourna vers moi et gueula devant tout le monde : ‘Non, mec, tu joues trop fort !’ C’était comme au bon vieux temps, il me faisait déjà le coup quand on jouait avec Graham Bond, il le faisait au temps de Cream et si le concert du Royal Albert Hall nous avait ramené aux glory days de 1966, celui de New York nous ramenait aux mauvais jours de 1968. Je fus humilié devant 20 000 personnes et ce ne fut pas une expérience très agréable. Jack jouait de plus en plus fort à mesure qu’on avançait dans le concert et ça devenait insupportable. Alors qu’on sortait de scène, il me dit : ‘J’aurais bien aimé que tu tapes moins fort quand j’essaye de jouer.’»

    Et puis le film aborde l’épisode Cream, un groupe né dans l’imagination de Ginger. Mais comme il le dit si justement dans la séquence, ce n’est pas lui qui va en tirer les marrons du feu, mais Jack et Pete Brown, qui composent les chansons. Ginger n’a pas un rond, alors que les deux autres sont devenus rentiers grâce aux droits. Cream c’est l’époque où Ginger se montre le plus fulgurant, cheveux rouges, voitures de sports, trois groupies à la fois - We were the cream of the cream - Il redit son attachement à Clapton, mais interviewé, Clapton tient une sorte de discours à pincettes pas très clair, disant en gros qu’il faut avoir les reins solides pour fréquenter un mec aussi incontrôlable que Ginger Baker. C’est tout Clapton. Ginger est infiniment plus charitable - Eric and I became close friends - Ils vont ensemble s’acheter des tuniques d’officiers chez I Was Lord Kitchener’s Valet et dans une autre boutique, Ginger trouve cette toque en fourrure d’officier SS du front russe - complete with skull and crossbones - qu’il porte sur la pochette du premier album, Fresh Cream. Et puis Cream s’arrête en pleine tournée parce que Jack joue trop fort. Après un concert, Clapton vient trouver Ginger pour lui dire qu’il en a marre. Ça tombe bien, Ginger en a marre lui aussi. Il vont trouver Robert Stigwood pour lui dire qu’ils arrêtent le groupe. Stigwood ne les croit pas. Et Jack n’est pas au courant ! Fin de la poule aux œufs d’or.

    Ginger vénère les batteurs de jazz, mais il n’a aucune pitié pour les batteurs de rock : «Bonham swinguait comme un bag of shit !». Dans son livre, il revient d’ailleurs sur la mort de Bonham : «En septembre tomba la mauvaise nouvelle de la mort de John Bonham. On a dit qu’il avait trop bu lors d’une party, mais j’ai une autre théorie. On traînait avec la bande de Chelsea et en matière d’héro, John n’était qu’un amateur. Byron venait de trouver une héro extra-strong et quand j’en ai pris, j’étais si stoned que j’ai laissé ma bagnole à Chelsea : je suis parti à pieds jusqu’à Acton, je suis revenu à Chelsea, et comme là je me sentais capable de conduire, je repris ma bagnole. C’est cette nuit-là qu’eut lieu la party où John cassa sa pipe. J’étais assez accro pour pouvoir encaisser l’extra-strong, mais John ne l’était pas du tout.»

    Dans le film, on voit Charlie Watts se moquer gentiment de Ginger : tous les groupes qu’il monte ne durent pas longtemps : Cream, Blind Faith, Airforce. Remarque d’autant plus ironique que les Stones existent encore et que Ginger remplaça Charlie dans the Blues Incorporated. Ginger indique aussi que sur scène, Brian Jones se roulait par terre avec sa guitare. Après un concert des pré-Stones, Brian vient trouver Ginger :

    — What you fink ?

    —Yeah Brian it’s okay, but the drummer is fucking awful. Why don’t you get Charlie Watts ?

    À la suite de l’épisode Cream (et donc de l’accès à la gloire), la vie de Ginger Baker va devenir une suite de faillites et de tentatives de redémarrage, aussi bien au plan musical que sentimental. Épisode africain avec Fela - On partageait tout, les drogues, la musique, les femmes, tout ! - Il monte un studio à Lagos, the place to be à cette époque, on y fait la fête en permanence et c’est là qu’il découvre le polo qui va devenir une obsession. Tout va bien jusqu’au moment où Fela défie le pouvoir. Un beau matin, 1000 soldats attaquent la république de Fela. Et suite à la visite de trois militaires un peu trop louches, Ginger doit fuir le Nigéria sous les balles, au volant de son Land Rover. Il y laisse tout ce qu’il possède. Mais ça ne sera pas la dernière fois. Il rentre à Londres pour se refaire une santé économique avec les frères Gurvitz et pouf il s’achète 30 poneys argentins. Il tombe amoureux d’une gamine de 18 ans, Sarah. Elle pourrait être sa fille. Il quitte sa femme et ses trois gosses. Comme il a des ennuis avec le fisc britannique, il va se planquer en Toscane, dans une ferme coupée du monde, jusqu’au jour où Sarah rencontre un mec de son âge et se fait la cerise. Ginger part alors faire du cinéma à la mormoille en Californie et il rencontre sa troisième femme, Karen. On la voit dans le film. Mais Ginger ne veut pas qu’on parle d’elle. Il essaye de redémarrer sa carrière de rocker, mais personne ne veut jouer de musique avec lui - Too much trouble - Quelqu’un va même jusqu’à insinuer qu’avec Ginger, les choses finissent toujours par mal tourner. Ce n’est paraît-il qu’une question de temps. Ginger leur fait un bras d’honneur et il déclare à la radio que les USA peuvent venir le sucer. Alors bien sûr, il est expulsé et il reperd ses biens. Il envoie paître son fils et Karen le quitte. On voit Ginger tout seul à l’aéroport avec sa valise à roulettes. C’est là qu’il opte pour l’Afrique du Sud - it is very rich musicly - Il dévoile son nouveau concept : polo & jazz. Pour cela, il faut remonter une écurie. Quand il accepte les 5 millions de dollars pour la reformation de Cream, il rachète 24 chevaux anglais, ceux qu’on voit dans le film. Il dépense tout. On le voit avec sa quatrième femme, une petite black. Il se dit ruiné et annonce qu’il va vendre sa propriété. On le voit aussi inhaler de la morphine. Il dit souffrir d’arthrose. Jay Bulger se croit malin en lui demandant :

    — Tu te prends pour un héros tragique ?

    — Go on with your interview. Stop to be an intellectual dickhead.

    Signé : Cazengler, Ginger barquette

    Ginger Baker. Hellraiser. John Blake 2010

    Jay Bulger. Beware Of Mr Baker. DVD 2012

    11 /01 / 2018 / MONTREUIL

    LA COMEDIA

    BROKEN GLASS / RAW DOG

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    La Comedia se remplit, slowly but surely, le temps de contempler la fresque, a work in progress, qui étend ses ramifications – l'est pour le moment en train de grignoter l'étroit espace entre deux protubérances murales - Martin Peronard manie son feutre avec une habileté diabolique, j'en profite pour regarder les affiches des prochaines annonces de concert, vous en parlerai plus longuement un de ces jours, en attendant zieutez celle ci-dessus. Tiens Natasha qui tient le bar a changé de look, différente et totalement elle, l'est des filles qui ont du chien, qui ne perdent jamais leur personnalité, par-delà toutes les métamorphoses. Project Reject n'a pas pu venir ce soir, la soirée sera un peu spéciale, seulement deux groupes, deux binômes, deux formules identiques, guitare-batterie dans les deux cas, nous ne demandons qu'à écouter.

    BROKEN GLASS

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    Premier concert. Brisent la glace dès les premières notes. Indubitable, sont salement rock. Cela transperce de tous côtés. D'abord Thomas Raineaud. Tourné vers sa batterie. Cela peut sembler évident, mais non, quelque chose d'indéfinissable dans la posture qui trahit un comportement particulier. Comme s'il avait un compte à régler avec elle, du genre je te dois une raclée et prépare-toi à la recevoir, maintenant, tout de suite, sans traîner, et d'urgence. Ne va plus la lâcher d'une seconde. Une grêle de coups s'abattent sur les malheureuses peaux, joue sec, serré, sans emphase, au plus pressé, l'on ne peut pas dire qu'il fait monter la pression, la maintiendra au plus haut niveau durant tout le set. A toute vitesse. Ne la laisse pas respirer, sans répit, sans temps mort, heureusement que de l'autre côté José César est en train de jouer, montre ainsi qu'il résout en toute simplicité le problème théorique qu'un tel drummin' suscite, mais quel espace reste-t-il à la guitare dans cette charge sans fin ! Fausse question. Tout est question d'énergie.

    Et de feeling. José ne donne pas dans le piège de la surenchère sonique. Rien ne sert de pousser le volume à fond ou de s'enquérir des Delays les plus tonitruants du marché. L'on n'est pas dans un concours. L'on sent une complicité entre ces deux zigotos, même s'ils n'échangent que de rares regards. Ne s'agit pas de produire du bruit, mais du rock'n'roll, ce qui est différent. De fait la batterie pousse le temps, le décale en avant et c'est dans cette avancée que s'insinue la guitare. Ne vise pas à la submersion phonique, mais une fois investie dans cet étroit couloir, elle ne lâche plus le morceau. Naviguent tous deux de conserve. Sont deux à faire la course en tête, l'on ne sait où ils vont mais on s'accroche et l'on suit. Les titres le proclament bien fort : Come Away With Me et Don't Wait Too Much.

    Mais un verre - quoique brisé – se doit d'être plein de cette écume qui selon Stéphane Mallarmé incite par-delà l'ivresse du tangage au grand désastre – alors José se hâte de verser cette pincée de sel vocal sans laquelle la mer la plus mouvementée tourne en flaque pisseuse. L'aligne les lyrics, les crache - Kill Your Love et Take It Away – juste ce qu'il faut, anneaux de feu et morsures de serpent.

    Huit titres et ils s'arrêtent. Paraissent décontenancés par les applaudissements. Et embarrassés par le rappel. C'est tout ce que l'on a, s'excusent-ils, mais vous savez les enfants gâtés pourris au rock'n'roll, vous leur offrez un gâteau et ils exigent toute la boîte. Alors ils s'excusent et nous promettent d'essayer un truc de répète. Un must. J'aurais jamais cru que ça puisse sonner de cette manière. Vous connaissez le Sweet Dream, des Eurythmics, nous le servent en version ultra-pressé, une batterie affolée, une guitare paniquée, et un vocal crotale, un incendie, trois minutes de bonheur extrême.

    Et puis ils quittent la scène. Une grosse impression. Un groupe à ne pas perdre de vue.

    Damie Chad.

    P. S. :Toutefois il n'y a pas de hasard dans la vie. Au zinc, à Nickopol Coco – qui oeuvre à la programmation de la Comedia et qui vante les mérites du son des vinyles, José évoque ses longues écoutes des album de Jerry Lee Lewis...

    RAW DOG

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    Deuxième bige. La formule ne se révèlera pas du tout répétitive. Les deux groupes ont joué sur les mêmes fûts et utilisé le même ampli, et nous avons eu droit à deux univers différents. Deux planètes issues de deux systèmes solaires situés aux antipodes de la galaxie.

    Fille / Garçon. Le gars à la guitare et la fillette à la batterie. Manière de parler, pleinement femme, Yädre Drum dégage une impression de puissance sereine qui ne va pas tarder à se manifester. Mike Rawdog se place en face d'elle, la symphonie peut commencer. Le son de la guitare déferle sur vous, Yädre tient ses deux bras suspendus en l'air, à la manière des pétrels qui s'apprêtent à prendre leur envol dans la tempête. Attitude shakespearienne. My kingdom for a raw dog ! Un sacré molosse. Un aboyeur de l'enfer. Des muscles et une mâchoire de mastodonte. Un teigneux. Qui ne lâche jamais la barbaque. Et qui revient toujours vous redonner un petit coup de canine sanguinolente pour s'assurer que le travail a été bien fait. Mike the dog, vous jappe les morceaux de toute sa rage. La moitié d'entre eux sont éjaculés en français – L'Occasion Manquée, Les Brutes, File-moi ton Flingue - afin que le message soit plus clair. Critique sociétale et dénonciation de tous les comportements qui ne respectent pas les autres et qui traduisent des égos stupidement démesurés. Parfois en prime Mike les agrémente d'un très bref commentaire des plus explicites.

    Yädre drume dur et fort. Y a de la musicienne en elle, et de l'actrice militante, z'avez l'impression que chaque fois qu'elle assène un coup elle vous signifie quelque chose, qu'elle vous transmet une espèce de message subliminal, une exigence de générosité. Une frappe beethovinienne qui ne recule pas devant l'éloquence et qui brusquement se transforme en une sauvage aversz de grésil, et puis le rythme s'accélère et vous entendez le long halètement spasmodique du chien cru qui court sous la pluie diluvienne afin de parfaire une vengeance qui lui brûle les entrailles, et au piétinement répété de ses pattes sur l'asphalte, vous comprenez qu'il se rapproche de vous, et qu'il est porteur d'une immense colère à l'encontre du monde entier.

    Mike a la guitare vacarmeuse et speedée. N'a pas le temps de contempler les petits oiseaux, un convaincu qui a besoin de dénoncer, d'expliciter, et de montrer la voie de la non-compromission active – Fake Genius, Mental Distress, Nord-Sud – pousse le son, et propulse l'onde de choc. Mike est à l'attaque et Yädre le soutient et le pousse de sa puissance. Se tourne souvent vers elle comme pour se raturer, Antée ne reprenait-il pas des forces lorsqu'il était projeté à terre ? Raw Dog se veut phare et tempête. Cherche à exprimer la chose et sa négativité. Il y réussit parfaitement.

    Un véritable duo. Une prestation sans faille. Nous ont convaincus que le chien cru est le meilleur ami de l'homme.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB des artistes, ne correspondent pas au concert )

    12 / 01 2018 / LAGNY-SUR-MARNE

    LOCAL DES LONERS

    BLACK PRINTS

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    L'ampleur de la tâche, Blake et Mortimer étaient deux pour traquer La Marque Jaune, et moi, ce soir, tout seul pour marcher sur les traces de l'Empreinte Noire. Sous la lumière glauque du lampadaire la teuf-teuf m'attend. Route glissante et pare-brise noyé de crachin, mon instinct infaillible de rocker me guide plein nord au travers du labyrinthe improbable de la zone industrielle de Lagny-sur-Marne vers l'antre maudit des Loners. Ce soir la mort sera ma seule compagne.

    J'arrête mon cinéma. Les Loners portent mal leur nom, ce n'est ni le lieu de la désespérance baudelairienne ni l'endroit des solitudes meurtrières. Un club de bikers qui respire l'amitié et la fraternité, et la terrible Empreinte Noire n'est qu'un des meilleurs groupes de rockabilly français actuels, The Black Prints. Je ne dois pas être le seul à le penser, car la salle est pleine pour ce premier concert de l'année, bikers de tous les environs, teds et rockers se croisent, tout heureux de se retrouver dans le local agrandi et refait à neuf.

    INTRO

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    Un groupe improbable. Sur le papier, les Black Prints, un assemblage hétéroclite qui ne devrait jamais marcher. A peine ont-ils touché leurs instruments que vous êtes convaincu que vous êtes en face de la plus redoutable des machines de guerre. Une tuerie. Jean-François est à la basse, Olivier au chant et à la guitare. Jusque-là tout va bien. Thierry avec son wash-board en main, vous paraît être la caution d'authenticité incontestable. Vous vous dites que dès qu'il va commencer à tapoter son engin les alligators sortiront de leur mangrove. Patatras, vous n'auriez jamais dû regarder derrière. Yann est à la batterie. Le pire est à prévoir. Certes ces épaisses mèches bouclées qui retombent en grappe sur son visage ne sont pas sans évoquer certaines photographies de Jerry Lee Lewis jeune. Mais ce collier de barbe foisonnante et cette lèpre de poils qui enserrent sa gorge ressemble à s'y méprendre à cette mousse insidieuse qui envahissait le banc de bois sur lequel le héros de L'Amoureuse Initiation d'Oscar Vladimir de Lubicsz- Milosz rencontra le Diable... Mauvais présage. A la seconde concrétisé. Une cataracte déchire le ciel. Une frappe lourde, d'une violence monstrueuse, une avalanche à vous détruire ad vitam aeternam les saintes lois de la rythmique rockabilly. Tout est perdu. Le monde est foutu.

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    Et le miracle d'équilibre se produit. En six secondes vous êtes sur le petit nuage du parfait bonheur, accrochez-vous tout de même, car le vent le pousse méchamment. D'abord Jean-François. Jamais vous n'avez entendu une basse Fender si moelleuse, un tel swing d'une onctuosité sourde et profonde. Peut abattre tous les chênes qu'il veut pour le bûcher d'Hercule sur sa batterie Yann, Jean-Francois vous amortit ces coups fatidiques dans l'ouate de son toucher, vous crée une épaisseur phonique ondulatoire qui englobe la puissance de la frappe yannique sans l'amoindrir, l'un produit la pierre de foudre et l'autre la propulse en la faisant tournoyer, comme avec une fronde.

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    Olivier, longue silhouette de noir vêtue, Gretsch orange et pierre turquoise talismanique au ras du cou. Le grand ordonnateur. Si Jean-François et Yann sont la machinerie de l'horloge du rock'n'roll, Olivier indique l'heure. Manie les deux aiguilles du cadran, celle du chant et celle du son. Un orfèvre, d'une précision absolue. Un phrasé d'une justesse étonnante, d'une flexibilité déroutante, l'on peut dire de lui qu'il ne chante pas pour passer le temps mais pour égrener la signifiance du rockabilly. Les syllabes sont agencées selon une économie vertigineuse. Déploie la richesse intonative du rockab, à tout instant rien de trop, rien de moins que la morsure du mamba, une diction parfaite digne des agencements les plus subtils des prosodies poétiques. Idem pour le jeu de guitare, fait retentir la vibration particulière de chaque corde, donne tout son sens à l'adage de Paul Valéry selon lequel ce qui est précis est précieux, avant d'enfanter le son qui tue, l'archer bande l'arc, et la flèche vole vers votre cœur.

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    Il semblerait qu'avec son tambourin, sa washboard et ses maracas Thierry en soit réduit à jouer les utilités. Broderies country, chapeau de cowboy et grand sourire, s'insinue dans votre oreille et ne la quitte plus. L'est la trotteuse de la montre, celle que l'on regarde en premier, la fascinante qui attire votre regard, qui tourne sans fin, et qui grignote une par une le décompte de votre vie qui vous est impartie depuis votre naissance. Le tapotement du temps qui passe, la fosse qui se creuse, et le tourbillon de la vie, le rock'n'roll qui emporte tout.

    PREMIER SET

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    Avant d'ouvrir le coffre aux merveilles, de plonger dans le répertoire rockab les Black Prints nous avertissent d'une sage décision, d'abord une bonne dizaine de leurs propres compositions qui n'ont pas à rougir de celles de leur aînés. De véritables classiques, There's Rock'n'roll on the Radio, Two Tones Shoes, percutants à souhait, qui tout de suite mettent le public en joie et engendre sur scène une complicité stimulante. Quatuor avec cordes et percussions.

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    Jean-François danse une étrange danse du scalp comme s'il était lui-même attaché au poteau de torture. Ce sont les contorsions de son corps qui bougent ses doigts, de l'autre côté de la scène Thierry pratiquement immobile donne la réplique aux tambours de guerre de Yann. Tient le rythme à l'identique, comme en sourdine insistante, chasse une mouche tandis que Yann écrase un éléphant. Basse et guitare se liguent contre cette tonitruance explosive, s'amusent comme des fous, les rochers de Yann déboulent comme une charge de cavalerie lourde et hop, guitare et basse, prennent la tête de cette charge héroïque et en prolongent les effets dévastateurs, la mènent encore plus loin qu'elle ne serait allée toute seule. Impassible, Thierry régule le tout de son trot régulier mais inextinguible. Ce soir le rock'n'roll est de sortie et rien ne l'arrêtera.

    PHILOU

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    L'est sûr que cette soirée roule trop bien et que l'on va s'amuser. Olivier demande à Philou de monter sur scène. Tout de suite plébiscité par le public. Et Phil, l'ancien – toujours actuel dans nos cœurs - batteur de Ghost Highway, hisse sa haute carcasse sur le podium, l'a cette allure du gars embarrassé qui n'ose pas opposer un refus à cette douce violence collective. S'assoit d'un air ennuyé sur le tabouret de Yann qui lui a laissé la place. Tant pis pour lui, tout juste le temps de se saisir des baguettes qu'Olivier lance sans préavis une intro fracassante, métamorphose subite, le géant débonnaire prend le relai comme si de rien n'était, une machine à rythme, instantanément adaptable, à croire qu'ils ont répété toute la semaine, mais non c'est de l'impro impromptue telle que peuvent se le permettre des musiciens qui ont le rockab chevillé à l'âme depuis la prime adolescence. L'a le break rythmique Phil, là où Yann explose, lui il glisse et fuit, une course en avant qui évite tous les obstacles, le voleur futé qui se faufile entre les gendarmes dans les cours de récréation. Et les Black Prints s'agglutinent comme le moule autour de la statue à cette frappe si différente, une escadrille d'avions de combats qui au cours de l'attaque adaptent instinctivement leur formation à toutes les situations. Trois titres défilent à une vitesse prodigieuse, c'est déjà fini, Phil se lève, tout content, mais avec cette mine du type modeste qui a peur de vous avoir ennuyé, et rejoint le public sous les acclamations.

    FIN DU SET

    N'ayez crainte, c'est loin d'être fini, les Black Prints tapent maintenant dans le répertoire illimité du rockab. C'est loin d'être le plus facile, le public connaît, et l'on vous attend au tournant. A part que les avis divergent sur la dangerosité du virage maléfique, personne ne le situe au même endroit, et pire que cela chacun, possède sa propre référence interprétative qu'il juge historiale et indépassable. Chasse-trappe généralisée et terrain miné. Autant dire que le combo a intérêt à enlever d'assaut le morceau à la baïonnette, sans coup férir. Par contre si vous avez le brio et le style l'on vous pardonnera tous vos choix esthétiques, vous emmènerez tout le monde avec vous, tel Bonaparte sous la mitraille du Pont d'Arcole.

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    A ce jeu-là les Black Prints sont d'une maestria impériale et impérieuse, vous emportent jusqu'au bout de la Voie Lactée, avec aisance et élégance, la répartie facile vis-à-vis du public égayé de se retrouver en pays de cocagne rockab conquis, et cette générosité animalement humaine sans laquelle le plus grand des virtuoses ne produit que bâillements et ennui. Les Black Prints, c'est d'abord cette rythmique infernale du beat ted, intraitable et insatiable, le dragon de feu qui avance imperturbablement, une espèce d'ossature mouvante qui se colle à vous, tel le lierre qui s'enroule autour de l'arbre. Et Yann réussit de sa frappe baroque, de sa frappe barocke, le prodige de produire cette étincelle de vie primordiale, le pouls irréversible du rock qui s'en vient cogner aux portes des corps en transe. Se permet en sus des fantaisies irrémédiables, comme de temps en temps au milieu de la tourmente ce coup solitaire et incongru sur sa cloche de vache, et aussitôt se déploie dans votre imaginaire l'image mentale de la Noiraude ramenant son troupeau à l'étable à l'heure de la traite, racine country du rock'n'roll qui pousse sa corne agreste dans la démence rock. De la quinzaine de titres qui se succèderont à vitesse grand V, j'élirai ce Baby Let's Play House, une incandescence absolue, un trait de feu qui vous marque l'âme au fer rouge, et le morceau final, le Sweetie Pie d'Eddie Cochran, Olivier au vocal transcendantal, tous les sous-entendus de la coquinerie du rockak, vous avez la mousse du gâteau érotique, l'ambroisie charnelle qui se colle à votre palais...

    SECOND SET

    Non ce ne sont plus les Black Prints. Sont toujours là, je vous rassure, mais au second plan. Totalement éclipsés par Audrey.

    AU DREY 

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    Au micro. Toute simple. Toute seule dans sa marinière. Venue d'une autre planète. Même pas le temps de l'admirer que les Black Prints déploient les premières notes de ce chant de guerre qu'est Great Balls of Fire. Et c'est-là qu'Au Drey subjugue. Elle frappe en plein cœur. Et pourtant l'on est si loin d'une interprétation dynamite. Se contente de poser les mots, tout doux, tout simplement, mais à l'endroit adéquat, les enchâsse comme les pierres précieuses dans une parure de diamant. Le coup de foudre tranquille. La foule calcinée en un instant. Et celui-ci, qui n'y tient plus, qui par trois fois dans le silence approbatif et bourdonnant qui s'est installé par magie, s'écrie, traduisant l'impression générale, '' Je suis amoureux'', l'est sûr qu'elle est superbement mignonne avec ses yeux clairs, ses pieds de princesse, et sa coupe de cheveux moderne, mais irrésistible et révolutionnaire par ce vocal péremptoirement doucereux qui vous transperce à chaque mot d'un trait mortel. Suit un Fever renversant. A vous faire exploser le thermomètre. L'a une manière tellement à elle de murmurer le mot Fever à votre oreille que vous frissonnez, ne vous promet pas l'extase, elle vous la donne, vous l'offre de toute sa gracilité envoûtante. Un dernier morceau, un Bang Bang mirifiquement interprété à la sauce rockabilly par les Black Prints, et toujours cet art de ciseler les syllabes, de les faire resplendir comme jamais, Bang Bang, Au Drey vous susurre, du bout de ses lèvres roses, des coups de revolver à bout portant, et vous aimez cela. Elle s'enfuit pratiquement de scène, émotionnée par l'ovation du public. Un instant de grâce. Et de rêve.

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    SUITE ET FIN

    Reprenons nos esprits. Nous avons eu la vision du paradis, il est temps pour les pécheurs endurcis que nous sommes de retourner dans l'enfer du rock'n'roll. Les Black Prints sortent le grand jeu. Débutent par un Restless de toute beauté. Je ne l'ai jamais entendu si magnifiquement et si finement interprété. La guitare d'Olivier réussit le prodige de donner l'illusion qu'elle pleure tout en se livrant à une cavalcade infinie. Continuent sur cette lancée. Z'ont le feu sacré, déferlent coup sur coup Runaway Boys – lyrique et exacerbé en diable, immédiatement suivi de Dance To The Bop – la voix d'Olivier se fait caresse et ressuscite le fantôme de Gene Vincent, les doigts de Jean-François ne touchent pas les cordes, s'enfoncent dans une motte de beurre, Thierry balbutie la douceur du monde et, à l'instant idoine que toute la salle guette, Yann vous lance l'exocet du bop sous la ligne de flottaison, et c'est parti pour le grand tangage... Shakin'All Over, la guitare d'Olivier flambe, la flamme du désir embrase la salle, les Prints nous envoûtent. Un My Babe, torturé et kaotique, ponctue cette séquence fabuleuse.

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    Ne vais pas tout vous raconter. Vous en crèveriez de dépit. La liste est longue. Tout de même ce Ready Teddy et ce Brand New Cadillac, sortis tout droit de la grande fabuloserie. Uns séquence special Ted, plébiscitée par le public de fans, un Old Black Joe chanté en chœur, un Dixie hymnique suivie d'une dernière séquence blues, l'autre face, l'empreinte noire, du vieux Sud, Jean-François à l'harmonica vous déchire les tympans et Audrey s'en vient poser la rosée apaisante de quelques mots bleus, et c'est fini. Enfin presque, trois rappels supplémentaires pour avoir le droit de terminer le concert.

    Un concert comme on en voit peu. Comme on n'en voit plus.

    Damie Chad.

    P.S. : L'on se bouscule dans les coulisses, pour s'arracher les rares exemplaires restants de leur dernier album. Le prochain est prévu pour bientôt. Avec Emilie Crédaro à la guitare. Absente ce soir. Une bonne excuse pour les revoir au plus vite. Et Au Drey aussi.

    ( Photos : FB / Rockin' Lolo )

    DOUCHE FROIDE

    FRED CALONE

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    L'envie d'en voir plus. Vous avez vu ces photos dans la livraison de KR'TNT ! 400, m'en étais servi pour rehausser la kronic sur le concert de System-syS et de Punish Yourself, au Chaudron le 21 / 12 / 2018 au Mée-sur-Seine. Suis allé sur son Flick ( tapez Douche Froide ), me balader un peu. J'ai tout zieuté. Plus de 300 photos. N'ai pas perdu mon temps. Des photographes dans les concerts de rock, il y a en plein. Quelques uns ont un truc : un regard qui n'appartient qu'à eux. Fred Calone est de ceux-là.

    Un premier étonnement : la série consacrée à Punish Yourself est la seule qui soit en couleurs. Sinon Fred Calone ne nous présente que du noir et blanc, ce qui correspond à merveille à son blaze Douche Froide. Je précise, Fred Calone photographie surtout en noir. Comme d'autres écrivent des romans noirs. Pas parce qu'ils aiment les flics, mais parce l'être humain possède l'âme la plus noire de tout le règne animal. Fred Calone, c'est toutefois un peu différent, il cherche le détail, qui fasse miroiter la beauté insoupçonnée et perdue du monde dans les endroits de grande noirceur.

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    Commence souvent par les pieds. Même pas nus. Gainés de cuir. Des chaussures. Rodin présentait des statues sans tête, Calone montre des pieds sans corps. Ça n'a l'air de rien un pied posé sur la scène d'un concert. C'est pourtant l'assise de l'être humain. C'est ici qu'il repose. En attendant le cimetière. Gros-plan sur le lieu exact de son implantation. Même pas l'espace volumique. Juste l'endroit du décor où quelque chose se passe. C'est trivial un pied, c'est bête, mais peut-être veut-il nous signifier qu'il y a des coups de pied dans les yeux qui se perdent.

    Photos de concerts. Si vous voulez des renseignements sur le spectacle, cherchez ailleurs. Fred Calone n'édite pas des dépliants touristiques. Ne donne pas dans le reportage universel. Il capte l'universel. N'ayez pas peur des grands mots. L'universel n'a rien à voir avec des photos de groupes. Fussent-ils de rock ! L'universel c'est aussi bien un pied de micro qu'un câble électrique enroulé sur le plancher. Le détail. Qui ne signifie rien que lui-même. Ces objets qui traînent autour de nous, dont nous ne faisons pas cas. Fred Calone nous rassure, il est inutile de regretter notre manque d'attention, ces pauvres artefacts ne s'intéressent pas à nous. Se contentent d'être seuls dans leur solitude. Nous aussi. Mais nous, nous essayons de le cacher.

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    Alors Fred Calone nous montre ce que nous ne voudrions pas voir. C'est fort le rock, ça bouge dans tous les sens, ça tohu-bohute; ça tumulte à fond. C'est la vie, la joie et la rage de vivre. Pas tout à fait. C'est maintenant que Calone tire la chasse de sa douche froide. Bye-bye les artistes. Bonjour les monuments funéraires. Des statues grises. Des vivants morts. Des fantômes détachés de leur existence. Son objectif saisit des corps. Comme au temps des grandes glaciations ces mammouths figés en un seul instant, la gueule encore emplie de fourrage. Transforme les humains en statue de sel. Des gangues de cadavres qui ressemblent à ces gisants de Pompéi surpris en leut quotidienneté.

    Mais Fred Calone ne mitraille pas à tout-vat et à bout portant. Son œil n'est pas le rayon de la mort qui balaie la scène du monde au hasard. Il ne ratisse pas large. Tout au contraire. Il cherche le geste significatif, l'acte symbolique. C'est sa manière à lui d'abolir le hasard. Il ne met pas en scène. Il cherche le hors-scène, cette seconde fatidique où le guitariste n'est plus guitariste, où le chanteur n'est plus chanteur. L'impression qu'il pousse ses sujets hors d'eux-mêmes et de la scène. Il les entoure d'une camisole de solitude excédentaire qui fait froid dans le dos. Il les détache de leur statut de star, les plante au milieu de monde, à eux de se débrouiller comme ils peuvent. Et ils ne peuvent rien. Sont tétanisés, titanisés de pierre grise et d'immobilité – incapables d'esquisser le moindre geste qui serait preuve de leur liberté. Fred Calone nous le crie violemment à l'oreille, nous sommes prisonniers de nous-mêmes, murés dans la banquise de l'être pour toujours. Le monde est une glu dont on ne s'échappe point.

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    Beaucoup de photos de scènes. Mais elles cherchent l'obscène. Ces moments où ne sommes pas nous, où ne sommes que notre nudité dévoilée. Pas celle du corps, celle intérieure, quand nous ne sommes que poses et fanfaronnades, quand nous ne sommes que la trahison de nos travers, de nos fuites, quand nous exprimons cette sensation du néant qui nous traverse et nous sert d'ossature. Nous sommes des châteaux de cartes, en équilibre précaire, un souffle nous détruirait, un clic d'appareil photographique y parvient facilement. Encore est-il nécessaire que l'œil du photographe agisse tel un scalpel. Qu'il déchire la belle image de surface derrière laquelle nous nous réfugions, qu'il la traverse tel un rayon X, afin de révéler cette pourriture néantifère dont nous sommes constitués.

    Fred Calonne n'affiche pas que les mannequins que nous sommes. Il descend dans les Catacombes. Aux anciens morts du cimetière des Innocents, les mains vides. Os et têtes de morts. Mais aucune piraterie romantique. Des entassements d'ossements. L'anonymat parfait. Ses grandes orbites creuses et vides qui nous regardent sans nous voir. Un constat glacial de l'inanité du rien. Alors Fred Calone s'amuse. Il change la donne. Au blanc du néant et au noir de la nuit, il substitue la douce couleur mordorée des rayons de couleurs automnaux. Ici vous auriez envie de psalmodier à l'instar des poëtes qu'en ce lieu tout est calme, luxe et volupté, mais non ce ne sont que bout d'os et occiputs troués, ni plus ni moins. La couleur n'ouvre pas l'horizon, elle le ferme tout autant que le blanc et le noir.

    Trop de noir, alors regardez la série Expo Jérôme Zonder. C'est la page blanche de Fred Calone. Ni plus ni moins qu'un livre. Un Lieu à Soi de Virginia Woolf, mais étalé en grand sur les murs d'une galerie, un texte que Zonder a agrémenté de dessins de femmes. Des nudités sauvages et militantes. Des désespérées, prêtes à se déchirer sur les barbelés du vaste camp de concentration d'une société machiste et objectale. Encore faut-il savoir lire, débusquer la cruauté du vide pour y ajouter la carcéralité du vivant phantasmatique. Calone ne feuillette pas le bouquin, il en arrache les pages, nous montre combien le papier est glacé, et que ce froid absolu n'est que la pointe de l'iceberg qui émerge et affleure nos représentations. Nos volontés impuissantes, aussi.

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    Regardez aussi les deux séries sur Les Tétines Noires. Ni tétons ni tétins. Hormis le groupe en pleine action, seul un homme nu. Sexe au repos de toute présence humaine. Déchaînement autour. L'homme transformé en poupée gonflable des désirs morts. La dernière photo est machiavélique, Fred Calone vous donne envie de tirer sur la sonnette d'alarme d'un train immobile qui ne s'arrêtera jamais.

    J'arrêterai sur la série Machinalis Tarantulae, setlist posée à terre sur fond noir, et à côté, sur la gauche, cette croix rouge de sparadrap pour désigner le lieu, le point exact, où il ne se passe rien. Et votre regard qui reste aussi immobile que le Corbeau d'Edgar Poe, à fixer le rien. Nul essor.

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    Certes Fred Calone offre une vision du rock peu chatoyante. Un étiqueteur parlerait d'indus et de post-noise apocalyptique. Mais Fred Calone n'aime pas les mots ronflants et définitifs. Il dépasse les oripeaux. Son rock, et surtout ses photos, atteignent à une tragédie métaphysique inégalée jusqu'à ce jour.

    Damie Chad.

    P.S. : les photos sont prises sur son FB : Douche Froide Photographie ce qui explique le l'american prude logo censured sur certaines parties anatomiques, voyez plutôt sur Flick.

    ROCK CRITIC N° 11

    Décembre / Janvier / Février 2018

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    Tout beau mais pas tout neuf. C'est un peu la danseuse de Ben Hito et de Géant Vert. Le fanzine de la zone libre. Sur papier glacé, en couleur et distribué gratuitement dans une vingtaine de villes en France. Si vous n'aimez pas lire, ce n'est pas grave. Rock Critic, d'abord ça se regarde. Question graphisme vos yeux oscilleront entre hyper-réalisme et soviétik propaganda. Esthétique de l'impact visuel. Un peu daté, mais très beau. C'est comme la profession de rock-critique, fut un temps où ils étaient aussi célèbres que les rock-stars, z'apportaient la bonne parole à un peuple d'affamés, mais c'est fini. Aujourd'hui sur internet tout le monde y va de sa petite bafouille. Certains le regrettent. D'autres citent Platon qui fustigeait la démocratie qui permet à n'importe qui de prétendre à des postes de responsabilité, politique, économique et morale. Un discours un peu rétrograde.

    Rock Critic, eux se réclamerait plutôt du Do It Yourself. Sont connotés punk. D'ailleurs le numéro débute par une interview de Glen Matlock. Ne dit pas que des stupidités. A part quelques méchancetés ( méritées ? ) sur Johnny Rotten, ne tient que des propos estampillés au marbre de la sagesse. Les chiens fous ne devraient jamais vieillir. James Dean avait raison, mieux vaut vivre vite et faire un beau cadavre. Remarquez que je suis le premier à ne pas avoir suivi le deuxième commandement... A la page suivante ce n'est guère mieux, Dead Can Dance a eu du mal a finir son disque, l'est des moments où la santé vacille, la vieillesse est un naufrage... L'Ombre Verte raconte son voyage au Vietnam. Pas la joie. Apparemment ailleurs l'herbe asiatique n'est pas plus verte que par chez nous. Un truc à démoraliser les trotskystes engrangés dans les Comités Vietnam en 1968... Z'ensuite les chroniques disques ( une consacrée à Odetta, chose rare ) et Bande Dessinée...

    J'ai récupéré ce numéro à la Comédia. Croyais que c'était le tout nouveau. Mais non il date de l'année précédente. Le dernier en date. Peut-être pas l'ultime. Z'ont tenté une cagnotte en 2017, pour augmenter le tirage, voulaient frôler les 20 000, et équilibrer le budget avec des placards ( filtrés ) publicitaires. Une stratégie qui se défend. Perso, je ne condamne pas, je préfère la gratuité sans appel à la participation financière du peuple ami. C'est pour cela que KR'TNT qui était sur papier en ses débuts historiques est très vite passé sur le net. Suffira un jour que des esprits mal-intentionnés appuient sur un clic pour que subissions l'extinction des dinosaures. Nous bâtissons des châteaux de sable.

    Damie Chad.