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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 51

  • CHRONIQUES DE POURPRE 516 : KR'TNT ! 516 : BIBLE & TIRE RECORDING CO. / SPIRIT / CHRIS BARBER / HOT RAM / STARSPAWN OF CTHULHU / JACQUES BENOIT + JONI MITCHELL

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 516

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    24 / 06 / 2021

     

    BIBLE & TIRE RECORDING CO.

    SPIRIT / CHRIS BARBER

    HOT RAM / STARSPAWN OF CTHULHU

    JACQUES BENOIT + JONI MITCHELL

    L’avenir du rock - Barnes to lose

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    L’avenir du rock est plié de rire.

    — Ha ha ha ha !

    Assis en face de lui à cette table de brasserie, Pandemic peine à dissimuler son irritation.

    — Rira bien qui rira le dernier...

    — Tu es comme tout le monde, mon pauvre Pandemic, tu n’aimes pas te faire baiser la gueule. Mais dans la vie, il faut des baisés, et cette fois c’est ton tour.

    — Peut-on savoir ce qui te rend tellement arrogant ?

    — Il ne s’agit pas d’arrogance, mais de joie. Comme tous les malveillants, tu mélanges tout, comme tous les fouteurs de merde, t’es amputé du cerveau. Et tu veux savoir ce qui me rend si joyeux ?

    — Vas-y accouche !

    — Figure-toi que Bruce Watson qui est déjà manager de Fat Possum et de Big Legal Mess vient de lancer un nouveau label, Bible & Tire. Il veut tiens-toi bien promouvoir the roots music, c’est-à-dire le gospel batch ! Et il démarre avec le premier album des Sensational Barnes Brothers ! Là mon vieux, tu vas devoir recommander ton âme à Dieu, si tu en as une !

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    L’avenir du rock a raison de s’exciter. Cet album des Sensational Barnes Brothers s’appelle Nobody’s Fault But My Own : 11 titres et pas moins de 10 bombes atomiques. C’est tout de même incroyable qu’on puisse encore tomber sur des albums de cette qualité. Et pas que du gospel batch. Ces blackos tapent aussi dans le r’n’b et le Memphis beat. Tu cherches du Memphis beat ? Alors écoute «I Made It Over», cette merveilleuse rasade de Soul moderne. Là-dessus, tout est parfait : le beat, les chœurs de soft, les cuivres et les nappes de Jimbo derrière. Dès «I’m Trying To Go Home», on est embarqué par le swagger et Jimbo Mathus fait partie du pactole. Nouveau shoot de Memphis Soul avec «Why Am I Treated So Bad». Ils ont bien raison de s’appeler the Sensational. Ils sont dans l’esprit Stax mais avec un truc à eux, comme le montre le morceau titre. Ils réactivent Stax en plein et finissent en apothéose de gospel batch. Avec «Let It Be Good», on a un fantastique balladif porté par l’orgue de Jimbo. C’est tellement inspiré qu’on finit par penser que c’est au dessus de nos moyens intellectuels. Il faut les voir ramener des clameurs de gospel dans le Memphis beat d’«I Won’t Have To Cry No More». Ils rivalisent de grandeur avec les Edwin Hawkins Singers, la clameur monte, Jesus comes to carry me home, c’est fabuleux. Le génie des Barnes Brothers se trouve dans le smooth des chœurs, aw Lawd, ces Brothers nous ramènent au point de départ : le gospel des origines du rock, les vraies roots d’Elvis et de Jerry Lee. Et ça continue avec «Here Am I», c’mon Jesus ! I need you ! I want you, ils s’amusent, ils sautent de joie, les chœurs font save me, c’mon Jesus. Nous voilà au cœur du mythe fondateur, la spiritualité. Ils attaquent «Beautiful Mansion» au gospel de r’n’b, avec des filles derrière. Extraordinaire shoot de gospel, yes Lawd, I wanna know, rien d’aussi bombardé, ils chantent avec l’énergie du gospel moderne et passent fièrement tous les caps, take it down, les filles sont terribles, l’église en bois brûle d’un feu sacré et Jimbo tisse ses nappes séculaires.

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    Alors forcément, au sortir d’un disque pareil, on est dans tous ses états. Il ne reste qu’une seule chose à faire : jeter un œil sur le catalogue Bible & Tire.

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    Comme par hasard, un petit buzz autour d’Elizabeth King parcourt actuellement la presse anglaise : Bible & Tire propose deux albums de cette reine du Gospel de Memphis, Elizabeth King & The Gospel Souls. The D-Vine Spirituals Recordings, et un truc qu’elle vient d’enregistrer, Living In The Last Days. Sur la pochette du premier, on la voit jeune et sur la pochette du deuxième, c’est vieille dame, mais Gawd, quelle voix ! Dans le petit quatre pages glissé dans le digipack, Nick Loss-Eaton nous explique qu’Elizabeth King a rejoint les Gospel Souls en 1969 et qu’elle est restée 33 ans avec eux. Elle a aussi élevé 15 enfants. L’«I Heard The Voice» enregistré en 1972 fut nous dit le producteur Juan D. Shipp un gros succès. Il avait demandé à Elizabeth King de chanter comme si elle faisait l’amour à Dieu - Nobody could sing like the original - C’est le cut d’ouverture de bal sur The D-Vine Spirituals Recordings. Elle fait du soft r’n’b, de l’Aretha du beginning, elle est fabuleuse de touchy touch, I dooooo, c’est d’une qualité exceptionnelle et derrière, les mecs tartinent des chœurs de rêve. Elizabeth King fait partie des convaincues : «You need joy. If your mind got joy, if you keep your mind set on Jesus, he give you perfect peace.» Le coup de génie de l’album s’appelle «Here Waiting». Elle allume la gueule du gospel et ça tourne à la magie pure, elle détient le power d’Aretha. Si on en pince pour le gospel, on se régalera de «Wait On The Lord» (joué à la guitare électrique, on monte directement au paradis, he’s alright) et de «Stretch Out Down» (elle rentre dans le lard du gospel avec une niaque terrible, elle est parfaite, c’est du big gospel d’église en bois bien axé sur Jésus, les chœurs font Stretch out, c’est énorme !). Avec «I Found Him», elle se barre en heavy groove de gospel jazz. Tout est beau sur cet album miraculé. Elle fait de la Soul de gospel, elle chante à la vie à la mort, comme une lionne, elle est l’Aretha de Memphis, même si on sait qu’Aretha est elle aussi originaire de Memphis. Ces gens font du r’n’b primitivo-spirituel. Elle explose encore «Can’t Do Nothing». Cette Soul Sister vaut toutes les autres, et puis après, c’est un mec qui chante.

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    Living In The Last Days est un bel album, mais un peu moins intense que le précédent. Elizabeth King n’a plus la même voix. Will Sexton, Mark Stuart et George Sluppick l’accompagnent. L’album décolle avec «He Touched Me». Les Vaughn Sisters font les chœurs, c’est très fin, quasi-chirurgical, tellement précis, à l’ozone près. Elle enfile une série de gospels classiques (gospel d’orgue avec «Living In The Last Days», Memphis beat avec «Mighty Good God» et heavy shuffle avec «A Long Journey»). Puis ça se met à rocker avec «Reach Out And Touch», monté sur un beau bassmatic ballochard. Avec «Walk With Me», elle demande beaucoup au Lawd - Lawd be my friend/ Don’t leave me alone - C’est intense et elle attaque «Cal On Him» à la Sam Cooke. La batteur George Sluppick amène un excellent drumbeat. Elizabeth King termine cet album attachant avec l’a capella de «Blessed Be The Name Of The Lord», la voilà pure et dure, et elle enchaîne sur le plus beau des hommages : «You’ve Got To Move», le vieux classique de Mississippi Fred McDowell. Mister Jag et tous les repreneurs, prenez des notes.

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    Attention, le festin se poursuit avec une autre bombe, un quatuor qui s’appelle Dedicated Men Of Zion et un premier album, Can’t Turn Me Around, paru l’an passé. Si on ouvre le digi, on les voit en photo, trois jeunes et un vieux, et on s’exclame : quelle classe ! Ils portent tous les quatre des vestes couleur bordeaux à revers de satin noir. C’est encore un album génial, et ce dès «Father Guide Me». On a tout de suite du son. Ils sont accompagnés par les gens qui accompagnent Elizabeth King sur son dernier album. Ils proposent un gospel Soul swingué aux chœurs de belle espèce. Tout le rock est là, dans l’excellence de Zion. On se retrouve au cœur du Memphis Sound avec «I Feel Alright». Ces mecs naviguent au grand large dans une extraordinaire ambiance de good time music, le cœur battant du Memphis Beat. Ils amènent «Can’t Turn Me Around» au heavy blues, aw Lawd comme c’est puissant, ils envoient mine de rien un fabuleux shoot de gospel blues sous le boisseau du can’t turn me around. Et la fête continue avec «You Don’t Know», tout le blues de Muddy et des autres vient de ce heavy beat de gospel batch - You don’t know/ What he done for me - C’est puissant, on est dans l’exubérance du black power, avec une batterie. Ces mecs vont chercher le black power sous toutes ses formes, ils inventent le beat de Gawd. Ils sautent partout, ils sont une absolue bénédiction. Les Dedicated Men Of Zion cherchent les voies du seigneur dans «A Leak In This Old Building» et le leader qui doit être le vieux incendie l’église. C’est à la fois exceptionnel, présent et inspiré. Avec «Down Here Lord», ils proposent du pur jus de gospel. Ils sont dans leur truc et leur truc est beau, bien drivé à l’orgue d’église. Le vieux faufile sa voix dans l’oh yeah de down here Lord et ça monte à la puissance extrême. Ils terminent avec le heavy shuffle de «Work Until My Days Are Gone». En fait, ils inventent un autre truc, le heavy splish splash de gospel batch, c’est pulsé aux chœurs avec un sax in tow et tout le black power au cul du cut, the old man is on fire, il drive ça des hanches, alors tu danses avec lui.

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    Et pour terminer ce petit panorama de Bible & Tire, voilà une compile encore une fois destinée aux amateur de black power : The Last Shall Be The First. The JCR Records Story. Volume 1. Michael Hurtt nous rebranche sur Pastor Juan D. Shipp, le pape du gospel de Memphis, fondateur des labels D-Vine Spirituals et JCR. Shipp installe son business au Tempo Recording Studio, sur Hernando Street, studio construit par Clyde Leoppard, un Sun Studio drummer qui a joué derrière Warren Smith, Barbara Pitman et quelques autres. Ces groupes de gospels enregistrés en 1972 à Memphis valent tous les grands groupes de Soul de cette époque, simplement, ils sont restés inconnus. Quatre cuts justifient pleinement le rapatriement de cette merveille. Un, the Pilgrimairs avec «Father Guide Me Teach Me». C’est monté sur un heavy beat primitif enluminé aux chœurs de gospel. Voilà un véritable chef-d’œuvre de primitivisme éclairé. Le génie de l’église en bois. Ces blackos rockent mille fois plus que n’importe quel gaga-band. Deux, the Southern Nightingales avec «Every Knee Must Bow» : chœurs déments, les blackettes envoient le cut au firmament, c’est encore une fois de la magie pure, certainement les plus beaux chœurs qu’on puisse entendre. Trois, The Hewlett Sisters avec «In The Last Day». C’est du gospel jazz gorgé d’énergie, ça te bouffe tout cru et ça joue à la stand-up, alors t’as qu’à voir. Quatre, The Stars Of Faith avec «Sitting Down». C’est claqué aux guitares funk et ça vire big Memphis drive, ça joue à l’insistance et on en prend plein la barbe. D’autres choses vont intéresser l’amateur comme ce «You Can’t Hurry God» des Johnson Sisters, les grosses rockent leur gospel et ça tourne vite à la folie. Le «Just Over The Hill» des Spiritual Harmonizers est encore sacrément bien gaulé. Fabuleux heavy blues de gospel avec «What A Meeting» des Vigil Light Of Holly Springs MS, Holly Springs étant comme tu le sais le coin où vivaient Junior Kimbrough et Charlie Feathers - Gawd Gawd Gawd ! - Et voilà un baryton de rêve dans le «Rock My Soul» des Masonic Travelers. Enfin bref, tout ça pour dire qu’il faut avoir Bible & Tire à l’œil.

    Signé : Cazengler, Bide & Tare

    The Sensational Barnes Brothers. Nobody’s Fault But My Own. Bible & Tire Recording Co. 2019

    Elizabeth King. Living In The Last Days. Bible & Tire Recording Co. 2021

    Elizabeth King & The Gospel Souls. The D-Vine Spirituals Recordings. Bible & Tire Recording Co. 2019

    Dedicated Men Of Zion. Can’t Turn Me Around. Bible & Tire Recording Co. 2020

    The Last Shall Be The First. The JCR Records Story. Volume 1. Bible & Tire Recording Co. 2020

     

    Spirit in the sky - Part One

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    Dans Record Collector, Kris Needs ne fait qu’une bouchée de Spirit, ce space-rock band californien qui, à la fin des années soixante, captivait tant les French kids assoiffés de mystère. One of the great West Coast bands, nous dit Needs. L’âme du groupe s’appelle Randy California. Avec le temps et quasiment une vingtaine d’albums, il a fini par devenir légendaire. En fait, il eut plus de veine que la plupart d’entre-nous car sa mère Berenice lui colla une guitare dans les pattes à l’âge de cinq ans. Berenice Pearl chantait et jouait du folk et son frère Ed tenait l’Ash Grove, le fameux club de Melrose Avenue où se produisaient à l’époque des gens comme John Lee Hooker, Mississippi John Hurt et Ramblin’ Jack Elliott. Randy peut bicher : «I was very fortunate growing up... I learned from the very best.» Mais sa mère allait mettre trop de pression sur le pauvre Randy qu’elle considérait comme un prodige. C’est à l’Ash Grove, en 1965, que Berenice rencontre Ed Cassidy. Elle est en train de divorcer du père de Randy. Cass est un batteur de jazz professionnel qui pouvait jammer avec Art Pepper, Cannonball Adderley ou Roland Kirk, pardonnez du peu. Il fit partie des Rising Sons de Taj Mahal en 1964. Randy et Cass cliquèrent aussi sec et entamèrent un long voyage au royaume de la psychedelia californienne. À 14 ans, Randy était déjà un slide guitar blues demon. C’est en jouant avec les Red Roosters qu’il rencontre Mark Andes et Jay Ferguson. Quand Randy a 15 ans, Cass et sa mère l’emmènent à New York. Cass y cherche des jazz bookings. C’est au Mammy’s Music Store que Randy rencontre Jimi Hendrix. Ils jouent ensemble plusieurs mois au Cafe Wha, jusqu’au moment où Chas Chandler débarque pour emmener Jimi à Londres. Jimi voulait que Randy vienne avec lui, mais ni Chas, ni ses parents n’étaient d’accord. C’est au retour en Californie que l’idée de Spirit va prendre forme. Tous les mecs du groupe avaient déjà navigué : John Locke avec Robbie Krieger et Mark Andes in the early Canned Heat. Alors monter un groupe n’était plus qu’un jeu d’enfant.

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    Ils tirent le nom du groupe d’un recueil de nouvelles de Khalil Gibran, Spirit Rebellious, qui fut traduit en Français par Esprits Rebelles. Ils répètent à la fameuse Yellow House de John Locke, située à Topanga Canyon. Quand ils commencent à jouer sur scène au Whisky A Go Go, Jan Berry fait venir Lou Adler qui les signe on the spot sur son label Ode.

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    Malgré le buzz, le premier album du groupe n’est pas d’un abord facile, même s’il recèle un hit, «Fresh Garbage», joué au joli velouté de son. Ça jazze même sous le vent. John Locke pianote en fast rising jazz cohort man. Ils visent tous les cinq le total freedom et le jazz permet ça. S’ensuit un «Uncle Jack» très inspiré par les Beatles, illuminé par un chant d’unisson et Randy prend un solo en roue libre. C’est à la fois somptueux et délicieux. Il vient ensuite réveiller «Mechanical World» qui s’endormait. Il y passe l’un de ces solos insidieux dont il va se faire une spécialité. Il faut tout de même rappeler qu’à l’époque, ces longs cuts ambianciers pouvaient poser un problème. On voit plus loin Randy jouer la carte Peter Green dans «Girl In Your Eye». La B ne réveillera pas les morts, comme chez George A. Romero. On s’ennuie un peu avec la pop éthérée de «Topanga Windows». Et soudain, en plein milieu du cut, sans raison apparente, ils partent en mode boogie de classe intercontinentale, avec le toucher touchy à la Peter Green. Puis ils finissent enfin par couler l’album avec «Gramophone Man», lancé à la heavyness et qui vire jazz. Un popster n’adhérera jamais à ce type de transgression. Pour la petite histoire, les membres du groupe découvrirent avec une stupeur mêlée de colère qu’on avait rajouté des orchestrations sur l’album sans leur demander leur avis. Travailler avec Lou Adler allait devenir un problème.

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    Leur deuxième album The Family That Plays Together paraît la même année, en 1968. Ouverture du bal avec le fameux «I Got A Line On You» qui va vraiment définir le son du groupe, c’est-à-dire un rock californien élancé et élégant, gonflé aux harmonies vocales et savamment swingué par ce démon de Cass. Idéal pour vivre sa vie. Soleil, rock et volupté. Voilà un bel emblème de rock californien. L’autre haut fait du disk se trouve au bout de la B : «Aren’t You Glad». Back to the big Spirit rock, joué heavy et surfilé à l’insidieuse par Randy, l’habile serpentin. Dommage que tous les cuts de l’album ne soient pas de ce calibre. Jay grimpe si admirablement dans les étages de son registre ! Et pour Randy, c’est du gâteau au chocolat. Il joue tout à la note grasse qui rampe comme un grosse limace. Quant au reste, ce n’est pas brillant. Ils pataugent dans le smooth. Cut après cut, ils se vautrent dans une sorte de torpeur angelinote. Toutes les compos de Jay s’endorment devant la télé. Randy et Cass tentent de réveiller cet album mou du genou avec «It’s All The Same», en tête de gondole de B, ils jazzent leur groove à gogo et avec un aplomb salvateur qui en dit long sur leur bonté magnanime. Mais Cass flingue tout avec un solo de batterie aussi vain que vil. C’est dingue ce qu’on peut s’ennuyer sur cet album. Il fait partie de ceux qui sont interdits de séjour sur l’île déserte. Par contre, la photo de Cass au bras levé qu’on trouve au dos de la pochette est une merveille : l’extra-terrestre sur cette terre, c’est lui.

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    Pas de hit sur Clear paru l’année suivante. Ils jouent la carte du smooth bass/percus dans «Dark Eyed Woman», avec un Randy omniscient en arrière-garde. Subtilité, tel est le mot-clé de Spirit. Ils s’installent dans leur groove de rock pour «So Little Time To Fly», tout en smooth avec des petits éclats de Randy. C’est un groove sans histoires, du genre à ne pas laisser de traces. Sans doute est-ce la raison pour laquelle leur smooth est resté inégalé. Ils se situent dans un truc à part. Oh, ce n’est pas de leur faute. Leur vision du rock s’écarte trop du sens commun. Ils sophistiquent leur «Ice» à s’en jazzer l’âme. Randy joue le softah océanique, il peut s’éloigner à la brasse et disparaître à l’horizon, là-bas, sous le soleil couchant. Quand on réécoute «Give A Life Take A Life», on s’ennuie. À l’époque, on n’écoutait ce genre d’album qu’une seule fois, et on n’en gardait aucun souvenir. Pour le morceau titre, Randy revient à son océanique à la noix de coco. Ils terminent avec «New Dope In Town», une attaque en règle de jazz fusion californien qui vire en groove de rock. C’est après ce troisième essai que Spirit arrête les frais avec Lou Adler qui n’a pas voulu les envoyer jouer à Woodstock, les privant ainsi du tremplin que l’on sait. Le groupe signe avec Epic.

    Mais des tensions apparaissent entre Randy et Jay. Ils viennent en outre de quitter the Yellow House pour s’installer chacun dans leur coin. Randy se goinfre de LSD et de coke. Pour ne rien arranger, il s’en va cavaler bareback sur son poney Kiowah dans le canyon et bien sûr, il finit par se casser la gueule. Il se fracture le crâne. Pendant sa convalescence, il continue de se goinfrer d’acide. Le seul qui puisse lui adresser la parole, c’est Mark Andes.

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    Tout le monde s’accorde à dire que Twelve Dreams Of Doctor Sardonicus est le meilleur album de Spirit. Oui, c’est plausible, au moins pour deux raisons : «When I Touch You» et «Morning Will Come». Ils nous claquent «When I Touch You» sur des accords royaux. Mark Andes descend dans le cut à la basse comme on descend à la cave. Il règne dans ce hit spirituel une fabuleuse ambiance de torpeur et de ferveur - I won’t see you anymore - Jay sonne bien l’occiput. «Morning Will Come» préfigure bien Jo Jo Gunne. Même son et même entrain ravageur. Jay adore grimper au sommet de sa gloire, il y va franco de port. Et Randy bien sûr s’exacerbe dans le feu de l’action, on a même des cuivres, c’est dire si Spirit exulte. Joli cut aussi que le «Nothing To Hide» d’ouverture de bal, pur jus de rock spirituel, avec sa heavyness toute en douceur et en profondeur, avec un Randy qui intervient si finement qu’il se fond dans la bruine du Pacifique. Mais le reste des cuts ne sort pas de l’ordinaire smoothy des trois premiers albums. Pas d’excès dans «Animal 200», ce n’est pas le genre de la maison. Ils vont sur du Quicksilver sound pour «Love Has Found A Way» et ils bouclent l’A avec un «Mr Skin» extrêmement élégant, joufflu et cuivré de frais. Avec «Space Child», le jazz de Cass reprend ses droits et Mark Andes drive son bassmatic comme un dieu. N’oublions pas que Spirit est un groupe de surdoués.

    Le line-up original éclate quand Randy refuse d’aller jouer au Japon.

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    Nouvelle équipe pour Feedback paru deux ans plus tard : le Texan Al Staehely (Lead vocals & bass) et son frangin J. Christian (lead guitar) ont remplacé Jay et Randy. On a là un son beaucoup plus agressif. Jay et Mark Andes sont partis former Jo Jo Gunne. Cass bat toujours le beurre. Il aime bien l’idée de Spirit. On trouve sur cet album un joli coup de boogie rock, «Cadillac Cowboys», son très américain, solo parfait et même assez impressionnant. J. Christian Staehely est un fieffé guitariste. Cass joue «Ripe & Ready» au hit hat et les interventions de Staehely brillent toujours par leur présence. Le rock spirituel prend des couleurs, même si l’âme du groupe s’est envolée. En B, on tombe sur un joli «Earth Shaker» bardé de heavyness et de ah ah ah purement spirituels. Franchement, Staehely est un brave mec, il enchante «Right On Time» avec une fantastique partie de guitare et transforme la chose en solide balladif d’Americana inespéré. Ils bouclent cet album passionnant avec «Witch», une sorte de groove de soft rock rocké par le piano de John Locke. Ça reste de l’excellent rock spirituel, admirable d’aisance mid-tempique, ils vont bon train, sans hâte, décontractés et tellement à l’aise.

    Aux yeux de Kris Needs, Randy est un personnage très instable. L’emprise oppressante de sa mère et sa chute de cheval n’ont fait qu’aggraver le désordre mental initié par la consommation massive de drogues. Ça allait tellement mal qu’il songeait au suicide et lors d’un séjour en Angleterre, il alla se jeter dans Tamise depuis le pont de Chelsea. Needs ajoute qu’après coup, à l’hôpital, Randy s’inquiétait de savoir s’il n’avait pas avalé trop d’eau polluée. Lors d’un concert à Londres, Randy fit au public un coup à la Syd Barrett : il s’arrêta de jouer pendant 15 minutes pour fixer le public et fila dans la loge se filer des coups de rasoir dans les bras. D’ailleurs il déclara dans le micro de Max Bell : «I’m totally fucked up !». Comme toujours, ces histoires là se terminent en detox et Randy part se reposer un an à Hawaï. Avec sa mère. Il se retape et revient en studio avec Cass et Barry Keen en 1975.

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    Ils enregistrent Spirit Of 76, juste avant l’arrivée des punks. On a là un double album assez vaporeux, voire légèrement ennuyeux. Randy chante «The Times They Are A Changing» à la glotte blanche. Il vise la pure beauté spirituelle. Pas de meilleur choix que Dylan pour ça. Puis il s’engage dans une série de bluettes à la chlorophylle, son «Maunaloa» se noie dans la bruine du Pacifique. Il réussit même l’exploit de ramollir «Walking The Dog». Comment ? En en le transformant en funk spatial. Personne n’est plus doux que cet homme. Mais il reste remarquablement à l’aise dans les départs en solo. Il revient à Dylan avec «Like A Rolling Stone». Randy l’envoie flotter en l’air et ressort pour l’occasion son toucher de notes à la Peter Green. Cass bat ça avec la subtilité d’un vieux renard du jazz argenté. Randy tente de sauver l’album en C avec «Feeling In Time», un joli groove de bon ton, natural well being. Comme Marvin, Randy préfère l’ouate. Il enchaîne avec un joli clin d’œil à Keef : «Happy». Ah comme ils sont à l’aise avec cette merveille. La Stonesy leur va comme un gant. Randy l’ultra-joue au décontracté californien et ça swingue dans l’éther. Version apaisante, agréable à l’œil et lumineuse. Il finit sa D avec une autre cover magistrale, «Hey Joe». Il est aussi à l’aise qu’un volatile entreprenant. N’oublions pas que Jimi et lui étaient très liés et qu’ils ont joué ensemble à New York. Alors Randy smoothe le blues hendrixien et sculpte le son. Vertigineux ! À l’époque, les critiques évoquaient les noms de Syd Barrett et de Skip Spence pour situer le niveau de légendarité de cet album qu’il faut bien qualifier de mutant, mais avec le recul, force est d’admettre que c’est du pur Randy. On peut même parler de vision.

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    La même année paraît Son Of Spirit, un album nettement supérieur au précédent. Pour au moins quatre raisons. La première étant «The Other Song». On se croirait sur Electric ladyland, aux grandes heures du Slight Return de «1984». Assez magique - Sneaking down that long lonesome road - Randy s’y livre à superbe exercice de style. Il dérive au loin et ça repart en jive de jazz. Randy, Cass et Barry Keene sont tous les trois parfaitement à l’aise dans l’art de jiver le jazz. La deuxième raison d’adorer cet album s’appelle «Don’t Go Away», un joli balladif joué aux riches heures du Duc de Randy, enluminé par des panaches de notes, joué à l’éclosion du bonheur intimiste et doté d’un extraordinaire pouvoir de persuasion. On peut dire la même chose de «Family», cette espèce de petit miracle psych-folk spirituel. Randy n’en finit plus d’enluminer le jour. C’est un enchantement, cette pop des jours heureux éclate en bouquets de couleurs psychédéliques. La quatrième raison de se prosterner devant cet album se trouve au fond de la B et s’appelle «It’s Time Now». Randy y sonne comme Ronnie Lane, pas moins. Il cherche l’hymne à la Slim Chance et ça s’en rapproche dangereusement car c’est joué aux violons et au banjo, bardé de bon circus sound. Au fil des ans, Randy s’affine. Il est bien meilleur qu’au temps de l’early Spirit. On peut aussi écouter «Looking Into Darkness», car Randy tape ça au chat très perché. Il adore faire le con avec sa glotte. Une vraie gonzesse. Le cut recèle une fois encore de beaux accents de grandeur évangélique. Randy sait charmer un serpent. Et puis «Magic Fairy Princess» ravira les amateurs de pop des jours heureux. Randy n’en finit plus d’éclairer les allées du jardin magique. Il ne fait que des déclarations d’amour. Comme dirait Panisse, il nous fend le cœur. Pour la reprise de l’album, Randy tape cette fois dans les Beatles avec «Yesterday».

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    Mark Andes est de retour pour Farther Along, paru en 1976. Sur la pochette, ils ont l’air un peu nunuches, surtout Randy, assis devant et coiffé d’un gros bonnet en laine. Spirit revient au rock bon chic bon genre sans véritable identité. C’est tout ce qu’on peut dire d’«Atomic Boogie» - Cosmic disco spoof - Ils s’enlisent dans le soft-rock velouté avec le smooth yatch rock appeal à la Steely Dan de «World Eat World Dog» et se lancent dans la pop de bonne aventure avec «Stoney Night». L’ambiance reste résolument smooth et on sort de l’A avec un léger sentiment de malaise. Mais avec «Mega Star», la magie spirituelle finit enfin par opérer. Randy ramène pour ça les fameux accords obliques dont il a le secret. Cette fois le groupe part pour de bon à l’aventure. Randy mouille bien ses ya ya ya et nous réconcilie avec la vie - How does it feel/ Can you tell what’s real/ With ski poles up your nose - Ils terminent l’album avec «Nature’s Way», un thème orchestral qui reste de toute évidence leur plus grande réussite.

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    Paru en 1977, Future Games est un album quasi-solo de Randy gorgé de smooth et de transitions qui met beaucoup de temps à décoller - Sci-fi psych & celestial sonics - S’il décolle, c’est grâce à Kim Fowley qui co-écrit «Buried In My Brain» et «Bionic Unit», inspirés par le radio-show de Dr Demento. Ça prend tout de suite du volume. Kim sait écrire des hits de rock californien et il faut voir comme ce «Bionic Unit» sonne bien, swingué aux congas et riffé à la Fowley. Randy boucle l’A avec un clin d’œil à son ami Jimi : «All Along The Watchtower». Randy s’en sort toujours avec des reprises. Il les joue avec une passion dévorante, too much confusion, mais ce n’est pas facile de repasser après Jimi. Randy attaque la B avec un «Star Trek Dreaming» tiré à quatre épingles, et son «China Doll» sonne comme l’«Honey Pie» du White Album, c’est dire le velouté du chant ! On trouve des relents de «Saturday Night Fever» dans «Gorn Attack», bel instro d’anticipation qui finit pas entrer sous la peau. Future Games reste un album infiniment attachant, très personnel.

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    Joli coup de Trafalgar que cet Adventures Of Kaptain Kopter & Commandant Cassidy In Potato Land. Enregistré en 1973 et jugé trop weird, il ne vit le jour qu’en 1981. Cass et Randy y pondent un joli coup de pop lumineuse avec «We’ve Got A Lot To Learn». C’est tellement chanté à la clameur que ça frise les Mamas & The papas. On même citer George Harrison, tant les échos de «My Sweet Lord» perdurent dans la pérennité. Ils enchaînent avec le «Potato Land Theme», un groove d’une grande élégance californienne - Take my hand/ To Potato Land - C’est Randy qui joue le drive de basse, au cas où on poserait la question. En B, ils passent au mini-opéra et Randy vient nous rocker «Turn To The Right». Il joue ça au fruité d’accords, on a là du high Randy, aérien et énergétique. D’album en album, Randy s’impose comme un guitariste complet et unique à la fois. On finira par vénérer ce mec. Il revient à la charge avec «Donut House», un fantastique rock caoutchouteux, aux frontières du swing de jazz. Et voilà le pompon : «Fish Fry Road», cut quasi-hendrixien chanté à l’extrême hendrixité des choses et comme alerté par les nappes de cuivres. Wow ! Randy nous pulse ça manu-militari, et comme dirait Yves Montand, c’est si bon.

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    Attention au treizième rêve du Doctor Sardonicus ! The Thirteenth Dream qui date de 1984 réserve bien des surprises, même si le son vire parfois rock FM. Jay et Mark Andes ont rejoint les rangs, c’est donc la formation originale. Randy s’est même rasé la moustache. Jay aussi. Ils ressemblent tous les deux à des playboys californiens. Ils rejouent «Mr Skin» avec un son années quatre-vingt, ce qui n’est pas forcément une bonne idée. On note une pagaille d’invités, Bob Welch, Jeff Baxter et le frère de Mark Andes, Matt, qui est le héros de Jo Jo Gunne. Randy se tape un joli coup de smooth avec «All Over The World». Sans doute est-ce là qu’éclate au grand jour le talent de Randy California, allez savoir ! Il faut ravaler son dégoût pour écouter «1984», à cause de l’orchestration putassière, mais comme c’est Spirit, «1984» prend une certaine ampleur. Ces gens-là ne sont pas nés de la dernière pluie. Avec «Uncle Jack», ils se prennent pour les Who et ce diable de Randy profite de l’occasion pour passer un solo d’une rare finesse techniquoïdale, dans un genre qui lui est propre - Have you met my uncle jack ? - Voilà du rock spirituel solide et bienvenu. Ils retapent à la suite dans l’excellent «Nature’s Way», sans doute le grand hit mélancolique de Spirit. On note l’admirable qualité de l’approche mélodique. C’est même un véritable coup de génie. Ils terminent cet album surprenant avec leurs deux plus gros hits, «Fresh Garbage» et «I Got A Line On You». Wow, Cass nous bat ça sec ! C’est challengé aux chœurs spirituels et tendu à se rompre. Randy s’en donne à cœur joie. Il sur-joue son échappée belle qui s’en va se fondre dans le retour vainqueur des chœurs. Ils étirent en longueur cette magistrale version et c’est si bon que ça vire au coup de génie déflagratoire. «I Got A Line On You» s’étend jusqu’à l’horizon. Fantastique équipe !

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    On ne pourra hélas pas dire la même chose de Rapture In Chambers paru cinq ans plus tard. Il s’agit là du pire album que Cass et Randy aient enregistré. Dommage, car la pochette est une petite merveille de mystère vampirique. Il faut voir le sourire cruel de Cass dans l’ombre, assis près d’un cercueil ouvert. Mais musicalement parlant, cet album est une catastrophe. Ils font du rock FM de MTV, la pire soupe qui ait jamais existé sur cette terre abandonnée de Dieu. Hormis la pochette, l’album n’a strictement aucun intérêt. Randy y aligne une succession des petits cuts à la con. Tout ce qu’on peut sauver, c’est «Contact». Randy s’y fond royalement. Et en B, ils basculent directement dans la putasserie. Ils se croient même autorisés à faire du Kraftwert avec «Human Sexuality». Immonde.

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    Mike Nile se joint à Cass et Randy en 1990 pour enregistrer Tent Of Miracles. Le morceau titre sonne comme un bel hommage à Bo Diddley, mais avec le son Quicksilver, c’est-à-dire assez paisible. Délicieusement spirituel. Bo serait fier. C’est même assez astucieux. Se laisse savourer en douceur. Cass bat toujours un peu tribal et Randy joue à petites touches performantes. Le Diddley beat leur va admirablement d’autant que Mike Nile le joue bien grondant sur sa basse. L’autre gros cut de l’album s’appelle «Stuttgart Says Goodbye», tapé au vieux groove garage - Hey I want you tonite/ Hey I need you tonite - C’est assez puissant d’autant que Cass chante d’une voix de vieux renard du jazz argenté. Ces mecs sont vraiment puissants et Randy rôde comme un requin en maraude. On trouve aussi du big sound dans «Love From Here». Cass nous bat ça sec, même si Randy tente d’arrondir les angles. Appelons ça du bâti bien battu. Cass nous bat aussi «Borderline» au heavy stomp des galères, celui qui se précise au moment de l’abordage. Randy joue comme il peut, dans l’enfer du chaos. Ces mecs sont des forces de la nature. «Zandu» frappe aussi les imaginations, car Randy le joue au heavy riffing, il amène un truc si particulier, à la fois smooth et âcre, et ça vire Spirit rock. Randy joue à la ramasse sur le meilleur des beats. Il chante son groove à la traverse et ça devient spectaculairement bon. On est dans le rock Spirituel. Avec «Logical», ils vont plus sur une sorte de country rock, mais avec une belle dégaine. Du son, rien que du son, my son. Ils montent aussi «Old Black Magic» sur un énorme groove de bassmatic. Ils flirtent avec le power-triotisme patenté. Ça ne tient que par le drive de basse que viennent saluer les cuivres. Ils bouclent avec un puissant «Deep In This Land», assez proche du Smoke de Purple.

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    California Blues paraît un mois avant la mort de Randy, qui, faut-il le rappeler, se noya en tentent de sauver son fils Quinn lors d’une partie de surf à Hawaï. Dans «The River», il chante : «If I happen to drown/ Don’t rescue me.» Prémonitoire, d’autant qu’il tape ça au deep blue sea d’une sorte de delta spirituel. C’est ultra-joué, on se retrouve une fois de plus dans du grand Spirit plein de son. On trouve sur l’album une merveille co-écrite avec l’ami Jimi, «Look Over Yonder». Ça part immédiatement en vrille d’hendrixité, Randy peut vriller sa vrille et Cass suit au beat des galères. Nous voilà dans le monde enchanté de Jimi Hendrix. Robbie Krieger joue sur «Sugar Mama». On reste dans le boogie blues. Pas question d’aller réinventer la poudre ni le fil à couper le beurre. Robbie jazze le jeu au cool breeze. Imparable. Ils font aussi une fantastique take de Cream party avec «Crossroads». Randy la joue en wah suspensive de vrille absolutiste et ce diable de Steve Loria fait le baladin. Quel album ! Tous les cuts captent l’attention. Sacré jive de blues que ce «Song For Clyde» joué au boogie spirituel. Avec «Red House Blues», Randy ose taper dans l’intapable. Il a ce culot extraordinaire. Mais au chant, il a tout faux, car Jimi a beaucoup trop d’avance. Manque de punch. Mal chanté. Même problème avec la reprise de «Gimme Some Loving». Pas de voix. Comment ose-t-il passer après Stevie Winwood ? Dommage. Ses covers ne tiennent pas la route. Pauvre Randy. Il lui manque la fournaise principale. On tombe plus loin sur «One World» qui sonne comme un hit d’Electric Flag. Randy joue comme Bloomy.

    Après la mort de Randy, Berenice interdit formellement à Cass, dont elle s’était séparée, d’utiliser le nom de Spirit. Voilà comment se termina cette belle histoire. Malencontreusement.

    Signé : Cazengler, spirate (qui s’dilate)

    Spirit. Spirit. Ode 1968

    Spirit. The Family That Plays Together. Ode 1968

    Spirit. Clear. Ode 1969

    Spirit. Twelve Dreams Of Doctor Sardonicus. Epic 1970

    Spirit. Feedback. Epic 1972

    Spirit. Spirit Of 76. Mercury 1975

    Spirit. Son Of Spirit. Mercury 1975

    Spirit. Farther Along. Mercury 1976

    Spirit. Future Games. Mercury 1977

    Spirit. The Adventures Of Kaptain Kopter & Commandant Cassidy In Potato Land. Rhino 1981

    Spirit. The Thirteenth Dream. Mercury 1984

    Spirit. Rapture In Chambers. I.R.S. 1989

    Spirit. Tent Of Miracles. Dolphin 1990

    Spirit. California Blues. WERC CREW 1996

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    Kris Needs : California Saga. Record Collector #480 - June 2018

     

    Barber please don’t go

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    Nous vivons dans un monde nouveau, et dans ce monde, la disparition d’un homme aussi important que Chris Barber passe complètement inaperçue. C’est un phénomène qui en réalité va choquer très peu de gens, puisque la plupart des contemporains du vieux Chris Barber sont eux aussi en train de sucrer les fraises. Il s’agit de la génération d’avant le baby boom, celle des gens nés dans les années 30. Donc forcément, ça commence à craindre. Seuls les vampires sont éternels et personne ne songerait à les envier.

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    Quand en 2014 est paru Jazz Me Blues, sa petite autobio, on l’a immédiatement rapatriée. Car Chris Barber fait partie des pionniers de la scène anglaise. C’est donc un témoin capital. Il vient d’un temps où les musiciens anglais jouaient du jazz New Orleans et du skiffle (Lonnie Donegan chantait dans le Chris Barber Band), avant de passer naturellement au blues. Comme chez Sam Phillips ou Phil Spector, le point de départ est une fascination totale pour la musique noire. Et qui retrouve-t-on au point de départ de cette fascination ? Mezz ! Of course, Mezz Mezzrow et Really The Blues. Mezz, l’un des deux écrivains majeurs du XXe siècle, en ce qui nous concerne. C’est-à-dire Mezz Mezzrow et Yves Adrien - The black music was the real thing - Ce que dit Chris Barber de Mezz et du jazz music des années 20 s’applique bien sûr à toute la black music. Elle reste the real thing.

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    À l’âge où il faut faire des choix pour l’avenir, le jeune Chris barbote et peine à se passionner pour les mathématiques, alors cet homme magnifique qu’est son père lui dit : «Okay, you aren’t doing maths, what about doing music?». Le jeune Chris lui répond qu’il fait déjà de la musique et qu’il passe au Jazz Club de la BBC, et son père lui dit, non, tu dois faire ça sérieusement. «Do it proprerly and go to music school. I’ll pay the fees.» Voilà ce qui s’appelle un destin favorisé. Grâce à son père, Chris Barber va faire du jazz et du blues son métier. Méchant veinard...

    Avec son orchestre de Jazz New Orleans, Chris Barber parvient à vivoter. Dans les années 50, le Chris Barber Band joue partout en Angleterre. Il nous raconte tout ça dans le détail, et dans un style bien ronflant, à l’Anglaise, solide, massif et noir comme ces vieux taxis Austin qui émerveillaient tant les lycéens français.

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    Alors bien sûr, certains objecteront que Chris Barber est une vieille barbe et que le jazz New Orleans, oh la barbe ! Mais ce n’est pas l’époque ni le genre qui importent, c’est le process qui reste le même quelle que soit la génération : le process révélatoire qui peut changer une vie et indiquer la voie. Quand à l’adolescence on découvre Little Richard, on comprend confusément qu’on est fait pour ça et il n’est pas question de faire autre chose. Autrefois dans les romans, on appelait ça une vocation. La vie de Chris Barber en est une magnifique illustration.

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    À l’époque où Lonnie Donegan chante dans le Chris Barber Band, Chris et lui écoutent Leadbelly. Ils aiment tellement la modernité du vieux Lead qu’ils reprennent «Leaving Blues». En 1958, lorsqu’il tourne avec Sonny Terry et Brownie McGhee en Angleterre, Chris Barber leur fait écouter la version de «Leaving Blues» qu’il a enregistrée avec Lonnie Donegan et bien sûr Sonny Terry reconnaît immédiatement le son de Lead.

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    C’est en 1954 qu’Ottilie Patterson, fraîchement arrivée d’Ulster, intègre le Chris Barber Band et bien sûr Chris Barber tombe à la fois amoureux de sa voix et de son corps. Il ne l’épousera qu’en 1960, car monsieur qui est déjà marié doit divorcer. Ils s’installent to live in style in Maida Vale.

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    En même temps qu’Ottilie, Chris Barber rencontre Big Bill Broonzy à Londres. Yanick Bruynoghe et des fans belges l’ont fait venir avec Mahalia Jackson et le Chris Barber Band va l’accompagner sur une tournée de trois semaines. Le voilà confronté au older blues en chair et en os. Puis il va accompagner Sonny Terry & Brownie McGhee, l’un des duos mythiques du blues dont on voyait les pochettes d’albums dans le vitrine de Buis, au temps béni des mid sixties. Ce duo que tous les amateurs de blues chérissent avait joué à Broadway et savait donc gérer un public blanc. Ils étaient donc parfaits pour l’Angleterre. Chris Barber : «Sonny était presque aveugle et Brownie qui marchait lui-même avec une canne et qui avait souffert de la polio étant jeune guidait ses pas. Pour les décrire, on pourrait employer cette formule de la Bible, Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois, mais Brownie était toujours partant, c’mon Sonny let’s do this... Let’s do that!, et Sonny lui répondait : ‘Tu es jaloux de moi car je chante le blues mieux que toi !».

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    L’autre grand exploit de Chris Barber, c’est bien sûr d’avoir fait venir Sister Rosetta Tharpe en Angleterre. Pareil, elle a joué dans les clubs des blancs, notamment avec le Cab Calloway Orchestra et donc en 1957, Chris Barber et ses amis la font venir pour une tournée. Premier concert à Birmingham. Sister Rosetta a ramené avec elle les partitions de ses chansons, mais les musiciens anglais ne lisent pas les partitions. Alors Chris Barber lui demande : «Sister, pouvez-vous jouer un morceau et nous allons vous accompagner.» Et il poursuit : «C’était absolument mind-bogglingly wonderful. The best, most immediate, unexpecred experience ever. Elle jouait avec un orchestre qu’elle ne connaissait pas, mais on aurait dit qu’elle avait joué avec toute sa vie.» Dans la presse, des cons s’interrogent : peut-on jouer du gospel en public et se faire payer pour ça ? Agacé par tant de cynisme, Chris Barber convoque une conférence de presse à l’hôtel où est descendue Sister Rosetta. Pour répondre aux questions tordues des journalistes, elle sort sa guitare et se met à chanter. Ils comprennent tout de suite qu’elle est authentique, qu’elle est nous dit Barber une personne décente faisant ce qu’elle sait faire et du coup, les fouille-merde laissent tomber l’affaire. Chris Barber garde un souvenir extatique de cette tournée. En plus, Ottilie et Siter Rosetta s’entendent bien, elles chantent ensemble sur scène. Barber les compare au duo mythique que forme aux États-Unis Siter Rosetta avec Marie Knight.

    Et puis un jour, Chris Barber devient pote avec John Lewis, du Modern Jazz Quartet. Lewis demande à Chris :

    — Qui as-tu déjà fait venir en Angleterre ?

    — Sister Rosetta Tharpe, Sonny and Brownie.

    — Pourquoi ne fais-tu pas venir Muddy Waters ?

    — Je ne sais pas où le joindre. Que faut-il faire, envoyer un carte postale à Stovall’s Plantation or something ?

    Lewis éclate de rire :

    — No. He’s got a Cadillac and an agent.

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    Chris Barber découvre en effet que le record label Chess lui a acheté une Cadillac, parce que le label rival Dot en avait acheté une à Fats Domino. Et Muddy ne supportait pas l’idée d’être traité inférieurement par son label - In fact he never used the car! - Chris Barber fait venir Muddy en Angleterre en 1958. Il en profite pour corriger un détail : on prétendait que Muddy jouait trop fort lors de cette tournée, ce qui est faux. Chris Barber l’accompagnait sur scène et il n’y avait rien d’anormal. C’est donc là que va naître le British Blues, avec la première tournée de Muddy. Puis Chris Barber rejoindra Muddy en tournée aux États-Unis - Muddy’s band was the best band he ever had : Otis Spann on piano, Pat Hare on guitar, Jimmy Cotton on harp et Francis Clay on drums - En 1960, Muddy héberge Chris Barber et Ottilie chez lui on South Lake Park à Chicago. Barber décrit le détail des tournées dans le van de Muddy en compagnie de Killer (le bodyguard qui n’était pas du tout bodyguard) et Jimmy Oden qui après un grave accident de bagnole avait cessé de se produire en tant que St Louis Jimmy. Il tenait compagnie à Muddy et lui écrivait des chansons. Il est bon de rappeler au passage que dans sa bio (Can’t Be Satisfied: The Life and Times of Muddy Waters), Robert Gordon brosse de Muddy le portrait d’un saint homme.

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    L’autre grande rencontre est celle de Louis Jordan qu’il fait venir en Angleterre en 1962. Louis Jordan a 55 balais et Barber le compare à un wild horse - His energy and skill and the perfectionnism of his playing were incredible - Ils font même un album ensemble, Louis Jordan & Chris Barber. Pour Barber, Louis Jordan est l’artiste aussi proche de la perfection qu’on peut l’être - He was the best presenter of a song by movement and action that I have ever seen.

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    Et puis voilà un autre gentleman, Sonny Boy Williamson, qui s’appelle en réalité Rice Miller. Barber indique de Rice a récupéré ce patronyme à la mort du vrai Sonny Boy Williamson. Barber voit Rice Miller comme un fantastique joueur d’harmo, as if it was kind of alto sax. Rice Miller vit quelques temps à Londres, hébergé par Giorgio Gomelski et se fait remarquer car il porte des costumes deux tons : veste blanche à droite, brune à gauche, pareil pour le pantalon, une patte blanche et une patte brune. Et il porte un chapeau melon que les Anglais appellent un derby hat. Barber rappelle aussi qu’il est un prodigieux poivrot. Dans l’ascenseur de l’hôtel, il se retrouve en compagnie d’un serveur. Sur le plateau, quatre grands verres de scotch, des doubles. C’est pour qui ? Et le serveur lui répond : «Sonny Boy’s breakfast.» Barber voit surtout Rice Miller comme un prodigieux chanteur de blues, capable d’installer des atmosphères dans le blues. Sonny Boy a en outre une fâcheuse tendance à se moquer les blanc-becs. Quand les Animals ou les Yardbirds répètent avec lui pour l’accompagner en tournée, il les laisse jouer un peu et les interrompt en plein milieu : «What’s the mater with you? Can’t you play the blues? You’re playing it all wrong.»

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    Et puis bien sûr, il y a Wolf. En 1964, Wolf débarque en Europe pour l’American Folk Blues Festival. Barber est scié par le show de Wolf qui hante la scène comme un gorille avec son harmo et qui jette le mauvais œil sur le public - But it turned out this was just a bit of fun - Off stage, Wolf est un homme calme, moderate person and one of the loveliest people I ever met - Wolf dîne plusieurs fois avec Barber et Ottilie. Au début de chaque repas, Wolf fait sa prière.

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    Parmi les pionniers de la British scene, Barber croise bien sûr Joe Meek et Giorgio Gomelski. Quand Giorgio arrive à Londres au début des années 50, c’est pour tourner des jazz movies. Donc il filme le Chris Barber Band. Puis il devient producteur et s’intéresse aux groupes. Il va manager les Stones à leurs débuts, puis les Yardbirds. Il monte le label Marmalade et lance Brian Auger, John McLaughin et Soft Machine. Et il devient l’éminence grise du Chris Barber Band.

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    L’autre grand pote de Chris Barber n’est autre que Van Morrison. Un Van the Man que Barber compare à Lonnie Donegan, une personnalité entière - He was a bit difficult to deal with because of his own particular attitude to what he had to do - Il veut dire que Van the Man, comme Lonnie, sont des hommes qui font les choses comme ils entendent les faire, et il n’est pas question de les faire autrement. C’est un peu le même genre de portrait que brossait Billy Poore de Charlie Feathers - He knows what he want to do - Comme Lonnie Donegan, Van the Man est un érudit de ce que Barber appelle the older blues and jazz, et il peut en parler des heures.

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    Tiens encore une rencontre déterminante : Eddie Bo, c’est-à-dire Joseph Bocage - He was very much in the New Orleans keyboard tradition of Professor Longhair, James Booker and Dr John - Mais nous dit Barber, Mac est plus intense, il joue des very full chords. He plays piano like an arranger as much as like a pianist, but both his feel and sense of time are similar - C’est pour Chris Barber une manière de revenir aux sources. Il participe dans les années 80 au Jazz and Heritage Festival de la Nouvelle Orleans et il se retrouve dans l’orchestre de Dr John qui passe après les Neville Brothers et Fats Domino. Pas mal, non ?

    Curieusement, la partie la plus intéressante de ce petit book ne concerne pas les musiciens. L’autre grande passion de Chris Barber, ce sont les bagnoles de sport. Il dit adorer conduire : «J’ai eu pas mal de voitures intéressantes, dont deux Jaguars douze cylindres. L’une était un coupé deux portes. Puis j’ai eu une Daimler double six qui avait le même moteur. C’était une bagnole plus soignée, car la chaîne de montage Daimler faisait les choses proprement, alors que ce n’était pas le cas chez Jaguar. Les portes des Jaguars n’étaient pas toujours bien calées, alors qu’elles l’étaient parfaitement chez Daimler. J’ai eu aussi une Alfa Romeo Giulia. Elle était bien au départ, mais pas terrible à la fin. C’était une berline quatre portes 1,6 litre que j’ai eue neuve en 1962. Sur la route, c’était une bonne bagnole, tout était très précis, comme sur une Mini. Mais hélas les Italiens avaient acheté l’acier de la caisse en Russie. En trois ans, elle est devenue un tas de rouille avec une boîte de vitesse et quatre roues. Je l’avais achetée car John Bolster en disait grand bien dans Autosport, en termes de design. Mais la qualité n’était pas à la hauteur.»

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    Au soir d’une vie bien remplie, Chris Barber s’est aussi fendu d’une antho hautement recommandable : Memories Of My Trip. Ce double album lui permet de saluer tous les artistes qu’il a aimés et accompagnés, qu’il s’agisse d’artistes de jazz traditionnel ou de blues. C’est un disque qui s’écoute dans une atmosphère de respect passionné. Il attaque avec Brownie McGhee et un heavy «When Things Go Wrong», le modèle de «St James Infirmary», deepy deep in the flesh et Sonny Terry file des coups d’harmo. Plus loin, Chris Barber accompagne Muddy Waters dans «Kansas City». Comme il devait être fier d’accompagner cet homme, avec ce son patapouf de carapace bien swingué par Pinetop et Calvin Jones. Chris Barber joue de la basse sur le «Love Me Or Leave Me» de James Cotton. Il est à la racine de l’histoire du rock anglais, car on est à Londres en 1961, et James Cotton qui fut l’harmoniciste de Wolf joue comme un dieu. On passe à un autre dieu avec Rory Gallagher et un nouvel hommage à Muddy : «Can’t Be Satisfied». C’est un festin de son, un rootsy qui fout la trouille. Ils sont dans l’excellence du raw to the bone. On tombe plus loin sur Jeff Headley avec «Goin’ Up The River». Heavy Headley. On comprend que Barber l’admire. Il fait même un solo de trombone. Van Morrison fait deux incursions, dont un «Oh Didn’t He Ramble» produit par Dr John. On entend la fanfare de la Nouvelle Orléans. On entend aussi pas mal de Dixieland et des gens comme Paul Jones et Andy Fairweather-Low. Ottilie Patterson ouvre le bal du disk 2 et cette petite blanche chante comme une black, c’est très impressionnant. On entend aussi Keith Emerson faire du ELP au jazz boom easy. Puis Barber nous embarque dans une série de cool barroom jazz et de heavy dixieland, avec John Slaughter à la guitare et une clarinette qui se faufile partout. Chris Barber défend l’idée d’un swing intrinsèque, et il a raison. Même non féru de ce son, on se régale. Il n’en finit plus de nous embarquer dans des variations de jazz superbes. Il revient au boogie avec «Tailgate Boogie» et du sax in tow. Vers la fin, il fait jouer Mark Knopfler. Bon d’accord, Knopfler sait jouer, on le sait, mais ce n’est pas une raison pour nous l’imposer. Le beau voyage à travers les styles et les temps se termine avec «Til The Next Time I’m In Town», mais Chris Barber s’est acoquiné avec les m’as-tu-vu de service, Clapton et Knopfler, c’est assez dur à avaler, quand on sait que des tas de grands guitaristes grouillent sous le rocher de l’underground. Dommage. Il n’empêche qu’on a adoré le Trip de Chris Barber et principalement sa passion pour les artistes noirs et le dixieland de la Nouvelle Orléans.

    Adios amigo et merci pour ta passion.

    Signé : Cazengler, Chris barbant.

    Chris Barber. Disparu le 2 mars 2021

    Chris Barber. Memories Of My Trip. Proper Records 2011

    Chris Barber. Jazz Me Blues. Equinox Publishing 2014

     

    *

    L'important, Héraclite nous l'a signalé voici vingt-cinq siècles, c'est d'abord que le signe fasse signe. Un signe qui ne se remarque pas est raté, nul et non advenu. Hot Ram n'encourt aucunement ce reproche, n'avais même pas eu le temps de déchiffrer le nom du groupe, que l' image m'avait déjà arraché les yeux. Chez Hot Ram manifestement quand ils envoient la marmelade, elle vous arrive direct, brûlante, et en pleine gueule. Evidemment si vous êtes né de la dernière pluie, vous trouverez l'icône bizarre, mais vous avez déjà remarqué que les rockers sont des gens étranges. Donc vous n'êtes pas surpris. Par contre si vous êtes un rescapé de l'avant-dernier déluge vous réagissez immédiatement. Si vous faites partie de la commune et stupide race moutonnière d'Abel, vous montez sur les grands chevaux de la morale, ce n'est pas bien, ils l'ont volée, c'est honteux, je vais les dénoncer, j'espère que les avocats vont leur tomber sur le dos, les accuser de plagiat et leur demander des millions de dollars de dédommagements, avec un peu de chance ils finiront leur vie en prison... Mais si vous appartenez à la tribu maudite de Tubal-Caïn chantée par Baudelaire et louangée par Leconte de Lisle, bref vous correspondez à que le vulgus pecum désigne d'une moue méprisante sous le nom infamant de rocker, vous jubilez, vous comprenez que c'est un signe. Illico le coquelicot vous entreprenez de le décrypter.

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    Soyons francs, ne faut pas être diplômé de l'ENA pour en reconnaître l'origine, les Hot Ram ne se mouchent pas avec la manche de la modestie, pour leur troisième opus, z'ont carrément ( ou rondement, selon vos affinités géométriques ) pompé la pochette du Led Zeppe V, The House of Holy. Tout de suite une question nous taraude : les Hot Ram seraient-ils à ce point dépourvus d'imagination qu'ils ont emprunté en douce - du genre pas vu, pas pris - le premier truc qui leur est tombé sous la main. Style le mec qui a volé la Joconde et qui s'aperçoit qu'il ne peut pas la revendre car la toile est connue comme le loup blanc. D'évidence vous rejetez au rebut cette hypothèse, ils ont donc commis leur ignoble forfait en toute connaissance de cause. Vous refile le nom du faussaire : Steven Yoyada, un tour sur son site prouve à l'excès qu'il ne manque pas d'idées, l'a créé des dizaines de pochettes pour des groupes hard-doom, des créations originales sorties tout droit de son cerveau.

    Autre interrogation, pourquoi le V et pas une autre. D'autant plus que de toutes les pochettes de Led Zeppe la seule qui à l'époque ait fait quelque peu tiquer les bonnes consciences est justement the fith cover. La Une quelconque, la Deux mégalomaniaque, la Trois ingénieusement sans sens, la Quatre mystique, etc... bref des pochettes comme des milliers d'autres albums, mais la Cinq, avec ces gamins nus à l'assaut de la chaussée des géants, aujourd'hui personne n'oserait la présenter, notre triste époque puritaine n'admettrait pas... in the seventies ce n'est pas la nudité des gamins qui dérangeait mais leurs cheveux blonds et l'on ne s'est pas privé de déclarer ( pas trop fort tout de même ) que le dessin présentait des aspects crypto-fachistes... N'y a pas qu'à Cambrai que l'on rencontre des bêtises !

    Nous avons vu le comment, reste à expliquer le pourquoi. Pour cela ne reste plus qu'à écouter le disque. Electric Medicine, un beau titre très ambigu, l'expression ''médecine électrique'' nous oblige à penser aux thérapies à base d'électrochocs dont on a longtemps abusé dans les asiles d'aliénés pour rendre à la raison des patients récalcitrants... Aujourd'hui seuls les rockers adorent que leurs groupes préférés leur fasse subir live de telles commotions EDFiques. Z'aiment l'empire des ampères. D'un autre côté le mot électrique permet aux amateurs de rock'n'roll de comprendre que le disque n'appartient pas à la catégorie folk acoustique. Quant à medicine, le vocable évoque les medicine men des tribus indiennes, l'on est sûr que l'on est parti pour une transe chamanique des plus plus crues, des plus sauvages. Le rock présente un aspect poteau de torture des plus gratifiants. Plus vous supportez, plus vous êtes un brave.

    Enfin pour que vous ayez toutes les pièces en main, blablatons un peu autour du V Zéplinesque. Avec le Un, le Dirigeable prend son envol sur l'aérodrome du British Blues, se classe d'emblée dans les meilleurs, avec le Deux ils mettent au point la recette du hard-rock, z'atteignent le zénith, avec le Trois prennent les fans par surprise, l'on attendait la tonitruance, ils accouchent d'un trente-trois de folk-rock électrique – dans le style à mon humble avis personne n'a fait mieux - avec le Quatre c'est le retour au rock, deux titres qui cartonnent à mort et une ballade à vous pendre de désespoir. En quatre albums ils ont fait le tour du domaine rock. Pourraient prendre leur retraite. Mais non, Page a envie d'aller plus loin. Voici le Cinq, c'est le disque du Led que j'aime le moins. Mais c'est le plus abouti et le plus novateur. Tout ce qui viendra par la suite ne sera que surenchère, Page entasse les riffs les uns sur les autres, les chrome et les cisèle à l'or fin. C'est beau, c'est sublime mais aussi un peu toc. Le Cinq pour en entrevoir la portée faut le mettre en parallèle avec ces concepts dont on ne sait pas trop ce qu'ils veulent dire, du genre ''postmodernité'', l'on se situe sûrement après la modernité tout en restant totalement englué dans cette maudite modernité. A cette aune-là le Cinq est un disque postrock'n'roll, ce n'est plus du rock mais c'est encore du rock'n'roll. Point de non-retour ou cul-de-sac. Les deux mon général. Musicalement cela se traduit comment : le projet est d'une simplicité biblique, faut tuer le riff. Page qui n'est pas tout à fait un idiot, tourne et retourne la question dans son esprit. L'on ne peut pas tuer le Riff comme l'on a tué Dieu. Sans quoi l'on n'est pas sorti de l'auberge. Quand on pense que les trois-quarts de nos contemporains ont applaudi à la mort de Dieu, et que depuis ils tirent une sale mine, n'ont rien trouvé pour le remplacer, l'absence de Dieu les émeut, leur vie manque de sens, c'est que l'on appelle le retour du refoulé dans la conscience humaine ou le retour du politique en tant que remodélisation du politique... L'a compris le Page que si l'on tue le Riff, les fans le regretteront jusqu'à la fin de leur existence. Page trouve la solution pour tourner la page, ne s'agit pas de trucider le Riff mais de veiller à son extinction. Comme pour les dinosaures. Le concept d'aprèsdinosaurité n'existe pas, Y a eu les dinosaures. Puis y a eu autre chose. Pour Page une seule solution, on ne supprime pas le Riff on le noie sous un déluge de riffs à tel point que vous vous trouvez face à un énorme amas de riffs tellement entremêlés que vous êtes incapables d'en reconnaître un seul. Il pleut des riffs à tout berzingue dans le V, exactement comme un nuage de sauterelles, vous ne voyez plus les sauterelles mais le nuage vous recouvre et vous oubliez l'existence des orthoptères verdâtres... Bref dans le Cinq le Zeppelin vous en donne plus pour que vous en ayez moins. Désormais vous êtes aptes à écouter cette Electric Medicine !

    ELECTRIC MEDICINE

    HOT RAM

    ( Mai 2021 / The swamp records )

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    Billy Kondel : guitar, vocals / Gordon White : drum / Dee Flores : bass.

    Le groupe est originaire d'Atlanta, le disque a été enregistré entre février et septembre 2020. Avec entrecoupements pandémiques et les émeutes générées par l'assassinat de George Floyd. Si l'on ne peut plus trucider un noir en toute tranquillité, c'est à se demander, chère Madame, où va le monde. Je ne vous le fais pas dire cher Monsieur.

    The hunter lies : profitons-en, le son vient de loin, un frétillement de cymbale qui se prend pour des écailles de crotales et des espèces de sifflements qui s'accentuent sans fin, enfin avec une faim décibellique poussée par la basse qui s'enferme en elle-même de plus en plus fort et une batterie qui pulse et s'affole toute seule, c'est maintenant que vous réalisez que vous êtes emporté par un flot diluvien emmené par le chant de Kondel, ne hurle pas, une voix monocorde presque enrouée qui chante bien en dessous de sa puissance, l'on entre dans quelque chose d'ouaté , le morceau file un sale coton, les lyrics prophétisent des horreurs sur notre monde, vous ne vous en apercevez pas, l'ascenseur vers le paradis s'élève doucement, une basse étouffante, une guitare incessante, une batterie qui pousse le roulement beaucoup qu'elle ne l'entraîne, le riff se déploie et vous submerge, l'on a bifurqué vers on ne sait où mais il est certain que l'on a délaissé les contrées édéniques loin derrière nous. Conamara kaos : belle résonance de guitare, la batterie tapie par dessous tel un cobra royal colérique qui s'élève, le riff arrive et ne revient pas, l'est immédiatement remplacé par lui-même et le véhicule d'exploration des contrées froides prend de la vitesse, le barrissement d'éléphant enrhumé de Kondel occupe malgré sa féline modestie toute la place et l'on accélère encore une fois, l'on passe des paliers de compression, à chaque étape vous jugez qu'il est, non pas impossible, mais inutile de se propulser plus loin, la machine repart, il est évident que le retour obstiné du même riff n'est pas le retour du même, la fin devient précipitée, une machine haletante et pulvérisante. Trans am : on the road again, presque en pays connu, un bon hard des familles qui shuffle à mort, c'est la voix de cambouis kondélique qui se répand sur la graisse des illusions, attention les gars, vous faites la course avec le plus grand groupe du monde, alors ils astiquent les riffs et surtout ils s'interdisent les jolies bouclettes de voix de Plant, cette manière de faire des ronds de jambes, et la rythmique se charge du boulot à bras-le-corps, c'est le moment de montrer qui l'on est, et ce qu'on l'on a dans le ventre, tout ce que le Zéplin fait, on le décale, on le recale, on le décolle et on le recolle, ici ce n'est pas le bal des débutantes, là où le dirigeable fait sonner ses salves trompettes l'on se déplace à la manière d'une monstrueuse colonne de chenilles processionnaires qui coule sans éclats, qui se confond avec la braise irradiante des riffs, elles ne mordent pas mais elles vous brûle telle une tunique de Nessus mouvante que rien ni personne ne peut arrêter.

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    Riding on the wind : sont tellement sûrs d'eux qu'ils brouillent les cartes, vous pensez au Zeppe, bien tiens une reprise de Judas Priest, rien que pour le plaisir de la trahison des analyses trop faciles. C'est ce que l'on appelle avoir deux sorties à son terrier. C'est qu'il existe une grande différence entre Judas et le le Dirigeable, deux grands groupes mais les natifs d'Atlanta City visent avant tout à l'efficacité, tactiquement sont comme les armées révolutionnaires, z'attaquent en masse quand ils sont sûrs de vaincre, le Led c'est pareil mais le Page joue le rôle de Napoléon, l'aime bien promener l'ennemi d'abord, toute la différence entre le terrier, le toutou de son maître qui se jette sur le mulot et vous le tue net d'un coup de dent et le chat libre et cruel qui s'amuse d'abord avec sa victime, qui l'envoie valser de ses pattes agiles aux quatre coins du monde pour que vous jouissiez du spectacle et puis qui se retire pour vous laisser nettoyer la boucherie... le Ram vont-ils se la jouer subtil, à première ouïe ils repiquent tous les plans du Priest, n'y a que la voix qui n'atteint pas la beauté cisaillante du modèle, alors ils se rattrapent sur la sonorité des riffs, les font plus clinquants, les repeignent, passent le polish sur la carrosserie. Au final c'est un peu un coup pour rien. Z'ont voulu réaliser l'alliage de deux métaux lourds précieux mais ils n'ont pas réussi l'orichalque mythique que les groupes de Metal recherchent, souvent sans même le savoir. The grave of Arch Stanton : l'on parlait de métal, n'oubliez jamais que l'or est enchâssé dans la mort, les amateurs de Sergio Leone comprendront l'allusion aux scènes dernières de Le Bon, la Brute et le Truand. Perso je pense qu'ils auraient plutôt dû se référer à la Fistfull de dollards, vous la joue trop mélodramatique, trop emphatique, une rythmique pesante et insistance aussi lourde qu'une pierre tombante, de quoi ravir ceux qui aiment les bouillabaisses bien grasses, mais le Zepplin vous aurait traité le duel final sans tricher comme dans le film. Non au tueur, oui au viseur d'élite. Binary sunset : les deux titres précédents nous déçoivent un peu, ne sont pas au niveau du projet initial, il s'agit de prouver que question résolution des problèmes, l'Hot peut proposer une solution à laquelle Page n'avait pas pensé. L'heure est sérieuse ce coup-ci il faut savoir se dépatouiller de ce bâton merdeux qu'est le sceptre mental de la Force, montrez que l'on peut le manipuler sans s'en mettre plein les doigts. Eveil vocal, arpège de guitare, ne pas confondre avec l'art Page, au titre précédent nous étions dans un triel, nous voici dans le duel final. Un peu longuet et répétitif dans les débuts, faut attendre quatre minutes avant que ne se déploie un de ces riffs arabisants qui sont comme le secret caché du Led, avec en plus ce ronronnement de quadrimoteur qui précède Friends sur le 3, c'est d'ailleurs à partir de ce moment que le morceau acquiert toute sa beauté, clameurs riffiques et avancées inéluctables, montées progressives vers l'octave suprême de l'orgasme. Le Bélier en Chaleur maîtrise son sujet, toute agonie se doit d'être une apogée ( grande leçon zéplinesque ), vous vous saisissez de la fiole de ce médicament électrique, et vous l'avalez d'un seul coup sans même prendre le temps de l'ouvrir. C'est ainsi que l'on survit aux poisons les plus dangereux.

    Ne faut pas se le cacher, un des disques doom-stoner-hard-metal les plus fascinants de cette période-covidique. Des gars qui ne cherchent pas à vous écrabouiller, mais qui ont compris qu'un style, et surtout une forme musicale, se doit d'évoluer et se surpasser, sinon elle se sclérose et il ne reste plus qu'à coller une étiquette dessus. Avec la mention : Affaire Classée.

    Un disque qui fait du bien au rock ne peut que vous faire du bien.

    Damie Chad.

    *

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    Il est des personnes dont il faut se méfier. Ne riez pas, je ne cherche pas à vous faire peur. Juste à vous faire prendre conscience. Ces deux-là, ne sont ni des radicaux, ni des extrémistes, ni des terroristes. S'ils pouvaient être des individus de ce genre, ce ne serait rien. Je ne les signalerais pas à votre attention. Non, ils sont pires que tout. Ce sont des italiens. Ne me traitez pas d'italophobique ou de racisme anti-italien. Je suis persuadé qu'il existe quelques dizaines de millions d'Italiens qui ne sont ni meilleurs, ni pires que nous. Mais ce binôme malfaisant ne fait pas partie du lot. Je me hâte de vous donner leurs noms au cas où un malheureux hasard vous mettrait en rapport avec eux. Roberto Biasin et Domenico Groppo. Sont originaires de Vicenza. Si vous les rencontrez n'hésitez pas à les poignarder dans le dos, à les arroser d'essence pour les brûler vivants, à leur arracher les yeux et de les donner à manger à votre chien. Vous ne me remercierez jamais assez de ce sage conseil. Kr'tntreaders toutes ces lignes vous concernent très précisément. Passé le trois juillet 2021, il sera trop tard. Sont en train de fomenter un piège diabolique ( adjectif bien faible ) pour vous emprisonner. Songez que ces deux individus se présentent d'une manière fort avenante pour un amateur de rock, à eux deux ils forment un groupe de Metal. Nous avons pu nous procurer un terrible document qui démontre à l'excès que nous ne plaisantons pas. Il n'est pas ultra-secret, il traîne sur YT sous l'innocente apparence d'un clip, l'image de présentation est si confuse, qu'elle vous inspirera pitié, vous mettrez en marche la vidéo le cœur empli de sollicitude, qu'ils aient au moins quelques personnes qui aient visionné leur opus, il faut encourager les artistes débutants, au fait vous demanderez-vous, comment se nomment-ils, quel drôle de lettrage illisible.

    Bien sûr que c'est fait exprès, ne cliquez pas dessus, la musique n'est pas particulièrement violente, tous deux sont à la guitare et se chargent du vocal, Roberto trafique en plus au synthé et à la basse. Trop tard, c' est une vieille histoire, regardez-la et lisez-la ( les lyrics s'affichent ), elle est plus vieille que notre monde, ne la racontez pas à vos enfants, leur imagination pourrait s'enfiévrer...

    FATE OVER SARNATH

    Oui nous sommes à Sarnath la cité mythique enfouie sous les eaux depuis si longtemps, une légende immémoriale que les grands-mères racontent aux petits enfants pour leur apprendre à être sages, mais les voix qui chuchotent ce soir à nos oreilles ne se parent pas des timbres chevrotants des douces mamies, c'est un chœur angoissant qui psalmodie l'histoire de Sarnath, les vues de la vidéo ressemblent à ces images piquées de parasites des tout premiers films, écoutez plutôt ceux qui parlent, Sarnath la glorieuse recouverte par les eaux et sa population noyée, depuis des siècles et des siècles, mais parfois la mort elle-même peut mourir et les morts revivent, la musique se densifie et nous plongeons dans les profondeurs de Sarnath, un murmure grandiose s'élève, et la prophétie s'énonce, ils ressortiront du lac, qui donc ? Comment donc ? Mais avec l'aide de ceux qui ont signé l'artwork sous le pseudonyme de :

    STARSPAWN OF CTHULHU

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    Les laitances de Cthutlhu, Cthulhu le dieu maudit, le monstre a-humain sortis des imaginations malades d'August Derlerth et de H. P. Lovecraft, qui attend son retour, prisonnier dans des abysses incommensurables... riez tant que vous voulez mais les rêves du Dieu entrent dans les cerveaux humains et toute une frange dépravée de l'humanité se regroupe afin de décadenasser les portes de l'abîme et d'acter a sa délivrance... sous le nom de Starspawn of Cthulhu, Roberto Biasin et Domenico Groppo œuvrent à cette horreur qui signera la disparition de l'espèce humaine.

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    Cette vidéo est le premier titre de leur prochain EP, Tales Of The Unknown à paraître le 3 juillet. Choisissez votre camp.

    Damie Chad.

    P. S. : En fait chez Kr'tnt nous adorons Cthulhu, ne le répétez pas, cela pourrait vous attirer des ennuis...

     

    FAN ! FAN ! FAN !

    JACQUES BENOIST

     

    Parfois la nuit j'ai des remords. J'ai du mal à m'endormir. Le fils du Chef devait se marier. J'avertis tout de suite les Kr'tntreaders amateurs de notre série Rockambolesques, il ne s'agit pas du même Chef. Facile de les reconnaître, celui-ci ne fumait pas de Coronados. Donc son fils sympa se préparait à convoler en justes noces. Un mec qui aimait la musique. D'où le cadeau de mariage tout trouvé, une pile de 33 tours. Ai-je commis un crime irréparable. En tout cas, je plaide non coupable et j'ai des circonstances atténuantes. Je ne connaissais rien de lui, je n'avais entendu qu'un seul de ses titres, Crocodile Rock – oui j'ai honte, d'Elton John, j'en avais déduit que ce devait être un gars qui s'inscrivait dans la mouvance de Sha-Na-Na. Erreur lamentablement manifeste. Attention, l'était bien accompagné l'Elton, entre autres un Bowie, un Velvet, un Doors, et si ma mémoire ne me trompe pas un MC 5... Oui mais tout de même cette faute de goût...

      • Courage Damie, c'était en 1972, faute avouée, faute à moitié pardonnée, par contre si tu pouvais expliquer pourquoi tu nous racontes cette ancienne histoire !

      • A cause de Jacques Benoit !

      • Inconnu au bataillon, Damie, éclaire notre lanterne !

      • C'est un peintre !

      • All right Damie, explique-toi davantage, quel rapport avec le mariage du fils du Chef ?

      • Aucun, c'est avec Elton John que ça coince, figure-toi que ce cancrelat a commis une série de tableaux sur Elton John !

      • Damie tu ne trouves pas que tu te montres un peu intransigeant, ce n'est pas parce que tu n'aimes pas Elton John que ce mec n'a pas le droit d'être inspiré par Elton John !

      • C'est que tu ne connais pas les dessous de l'affaire !

    LES DESSOUS DE L'AFFAIRE

    Evidemment, il y a une fille au début de l'embrouille. Et pas n'importe laquelle. Lorsque j'ai eu fini les deux chroniques précédentes, j'étais en train de me demander à quel autre groupe de Doom j'allais m'attaquer lorsqu'une idée lumineuse m'a traversé l'esprit. Et si je faisais quelque chose de plus original. Une chronique rock sans disque de rock. Petit moment que je tournais autour de Joni Mitchell, une grande dame, elle n'a pas besoin de moi, et puis j'ai dit pas de disques, certes justement Joni a toujours expliqué que la musique ce n'était pas tout à fait son truc, oui elle aimait gratouiller sa guitare, mais ce qui lui plaisait le plus c'était le dessin et la peinture. Toutefois il est plus facile de gagner un peu d'argent en chantant dans un café que de vendre un tableau pour payer son loyer. Super banco, une chro sur les tableaux de Joni ! Peut-être pas l'idée du siècle, mais nous ne vivons pas non plus dans le siècle de l'idée !

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    J'ai tout de suite écarté la tentation d'un laïus sur les nombreuses pochettes de ses albums illustrées par une de ses œuvres. Faudrait obligatoirement mettre en rapport avec le contenu sonore, j'ai dit pas de disques ! Première opération, cliquer sur Images et repérer une dizaine de toiles de la chanteuse qui m'inspirerait. C'est-là que les difficultés ont commencé. Des repros de toiles de Joni, l'écran en regorgeait. Z'oui, mais je ne parvenais pas à saisir une ligne directrice, trop de styles différents, je m'y mélangeais un peu les pinceaux...

    Bref au bout d'une heure je n'avais réussi qu'à formuler un vague projet de tocard, commenter les portraits de quelques idoles du rock, Bob Dylan, Neil Young, et consorts, pas folichon ! J'étais prêt à abandonner quand en désespoir de cause je me suis rabattu sur le site officiel Joni Mitchell. Je me méfie généralement de ces auto-monuments de haute glorification et de basse commercialisation... Mais là, chapeau bas. Des centaines de documents, triés, commentés, chronologisés, une merveille... des heures et des heures de lecture. Instructive... Qui m'ont conduit à un triste constat, difficile de tirer de cette caverne d'Ali-Baba une ligne de force quant à la compréhension du travail pictural de l'artiste. Entre nous soit dit, il me semble que le temps a manqué à Joni pour s'engager dans une véritable démarche créatrice graphique. Pas facile de concilier en même temps deux activités artistiques qui engagent l'être en ses tréfonds. Pour la petite histoire au tout début de ma recherche j'ai débarqué sans trop de jugeote sur un article consacré à la peinture de Joan Anderson , jeune fille Joni Mitchell se dénommait ainsi, facile de profiter de cette homonymie pour mesurer la force de l'engagement d'un peintre résolu par rapport au dilettantisme de Joni en la matière.

    Les ordis sont peut-être plus intelligents que nous, à moins que ce ne soit uniquement le mien dopé par les subtils effluves du génie qui s'échappe de mon cerveau, toujours est-il qu'il m'a proposé de lui-même une drôle de triangulation, Joni, Jaques Benoit, Elton John, la deuxième occurrence d'une banalité écœurante ne m'évoque rien, je clique tout de même, et hop je me retrouve sur le site de Joni – l'est aussi vaste que le palais labyrinthique de Knossos en Crète – et je tombe sur un début de texte, si vous vous y risquez, au minimum une heure de lecture, un fan inconditionnel de Joni qui passe sa discographie en revue, disque par disque, totalement dithyrambique, c'est à la deuxième partie que ça se corse ( année Napoléon oblige ) et que ça se gâte ( Sainte Agathe priez pour nous ), nous parle de lui, c'est une copine d'école d'art – il est peintre - qui lui conseille d'écouter Blue d'une certaine Joni Mitchell qu'il ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam, l'achète, l'est subjugué, court au magasin et rafle la dizaine d'albums de sa nouvelle idole qui à l'époque sont déjà sortis. Ne fait pas mystère du pourquoi de ce coup de foudre pour Joni. Qui se ressemble, s'assemble, dans sa jeunesse Joni n'hésitait pas à chanter ses désespoirs amoureux, or lui-même Jacques Benoit est en train de vivre une tragique histoire d'amour. Trois ans au fond du trou. L'important dans la vie ce n'est pas d'être malade mais d'avoir le bon médicament. Va vite trouver la prescription adéquate.

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    L'a eu une chance dans sa vie, par l'entremise d'un tiers une de ses œuvres est parvenue aux yeux d'Elton John, qui lui a commandé toute une série de panneaux publicitaires pour sa prochaine tournée, lorsque l'on est jeune, ça ne fait pas mal sur un curriculum vitae. Ça l'étoffe grave. Se décide donc à consacrer toute une série de tableaux à Joni Mitchell. L'a des morceaux qui lui plaisent particulièrement, les traduit ( tant bien que mal, pas si mal que cela ) et décide d'en tirer un petit livre, texte d'un côté, l'illusse sur l'autre page. Son rêve serait de présenter l'artwork à la Diva, n'y serait jamais parvenu si ses amis ne l'avaient pas poussé... Les deux entrevues avec Joni sont à lire, la première à Paris, à l'hôtel après le tour de chant, avec le mari qui finit par s'endormir sur le canapé, une Joni toute simple, disponible, accueillante, intelligente, rieuse... je vous laisse les découvrir, pas souvent qu'une star se révèle conforme à sa légende... Mais il est temps d'en venir à Jacques Benoit. Quand je pense qu'il va falloir que je dise du bien d'un gars qui s'est commis avec Elton John, la vie est pleine de contradictions !

    JACQUES BENOIT

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    L'est né en 1955. On a pris l'habitude d'inscrire son œuvre dans la mouvance de la Figuration Narrative. Groupe de peintres qui au début des années soixante réagissent contre la suprématie culturelle de l'abstraction... Figuration parce que l'on retrouve des sujets humains en chair et en os si j'os dire, Narrative parce que le décor autour, la mise en avant et l'attitude des personnages, tout concourt à faire comprendre au spectateur qu'il se passe quelque chose, que l'on est en pleine action, qu'une histoire est en train de se dérouler, très logiquement la Figuration Narrative induit sur notre modernité un regard critique voire politique. Je rajouterai qu'il existe des accointances formelles entre la Figuration Narrative et le traitement exponentiel des ''héros'' dans la bande dessinée à forte expressivité. Je n'engage que moi dans cette dernière assertion. Merci les Comix. La barrière infrangible entre l'art populaire et la culture savante est de plus en plus évanescente... Ce dernier mot pour ne pas offusquer un lectorat qui serait trafalgaeisé par l'expression ''totalement illusoire''.

    Si vous vous promenez dans la partie que je nommerai brésilienne de Jacques Benoit, gare à vos yeux, l'occasion de vous cogner l'œil sur un mur de béton ne manquera pas de survenir. Vous comprendrez vite la notion prééminente du décor. Jacques Benoit aime l'architecture. Pas n'importe laquelle, la petite maison dans la prairie ce n'est pas son dada. L'aime les gros coffrages, le précontraint, chez lui pas contraint du tout, en totale liberté, une espèce en expansion indéfinie. Ce n'est pas qu'il empile les cubes pour le plaisir. Tout entassement doit être porteur de sens. L'est un admirateur d'Oscar Niemeyer. Pour situer ce dernier selon une référence française, c'est à lui que le Parti Communiste ( au temps où il raflait entre vingt et vingt-cinq pour cent des électeurs ) avait confié la tâche de dessiner le bâtiment destiné à abriter le siège du Parti Communiste Français. Niemeyer est un disciple de Le Corbusier, il est célèbre pour avoir conduit la construction de Brasilia, la nouvelle capitale du Brésil. Le tableau le plus célèbre de Jacques Benoit est sans aucun doute la toile intitulée Orly ( Sud ) vol 14 The landing de 1964.

    JONI MITCHELL / JACQUES BENOIT

    Jacques Benoit a consacré une bonne soixantaine de toiles à Joni Mitchell. Elles sont en partie visibles sur son site Jacquesbenoit.com. Attention il s'est aussi intéressé à Ricky Lee Jones, David Bowie, Véronique Sanson, et Elton John... Je n'en ai choisi que quelques unes. Parce que tel est mon bon plaisir. Je n'ai même pas cherché à donner un aperçu '' objectif'' de cette production. J'ai privilégié un seul type de support, j'ai dédaigné l'acrylique, la gouache, l'huile, je me suis focalisé sur les linogravures - ai toujours eu un faible pour cette technique qui me semble être la continuation de la gravure sur bois, qui a été longtemps utilisée pour illustrer les livres de poésie - et les monotypes. Toutes ces œuvres portent des titres provenant d'un morceau de Joni Mitchell, je ne me suis guère enquis de ce rapport, je conçois l'art du peintre au pire comme une évocation libre du réel mais surtout pas comme une reproduction photographique d'une réalité quelconque, je reste tout de même conscient que l'origine américaine – elle est née au Canada - de la chanteuse qui a motivé ces peintures a induit le travail de Jacques Benoit et infléchit le regard curieux de l'amateur. Placer ces tableaux dans le cheminement de l'artiste Jacques Benoit ne me convient guère, je ne suis pas critique d'art. Soyons franc au travers de Joni, de Jacques et de tout autre éventuel intercesseur i(ni)maginable, ce que je cherche à voir, c'est avant tout mon propre reflet. Contrairement à ce que raconte la légende, Narcisse n'a pas obligatoirement besoin d'un miroir, l'opacité des choses accomplit le même office.

    LAKOTA

    ( 01 / 1988 – 1989 )

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    L'artiste nous en propose deux tirages. L'indien enfermé dans une boîte synonyme de réserve. Son corps en épouse la forme. L'on aime que le guerrier résiste encore, qu'il tienne fermement son coutelas. Fausse piste. Mauvaise interprétation. Le guerrier est vaincu. Gît à terre, c'est le godillot de l'homme klu-klux-klanesque qui le piétine, le roi dollar a gagné la guerre. Ne subsiste du Lakota que deux bras qui coulent tels des ruisseaux de sang. Le dernier des Lakotas regarde une dernière fois le soleil, avant d'être égorgé, ou de subir l'outrage du scalp de ses plumes. L'est déjà dans son cercueil, l'est autant emmuré par sa revendication de fierté lakotienne que par les planches dont les clous délivrent un dernier message : sympity me ! Humour noir. Ou rouge. Vous avez eu la thèse et l'antithèse, voici la synthèse. L'interprétation de la peinture se doit d'être dialectique, sans quoi l'on ne peut rendre compte du mouvement. Sont tous les deux vaincus. Le rouge et le blanc. Tuer l'un entraînera la mort de l'autre. Symboliquement le peau-rouge éteint la lumière de la vie. Il débranche le soleil de l'interdépendance universelle.

    DOG EAT DOG

    ( 03 / 1986 )

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    Titre d'un album de Joni. En français nous avons la même expression, mais sous un autre angle : Les chiens ne font pas de chats. Nous regardons la dernière version des trois présentées. Ce n'est pas la plus forte, nous préférons la première, mais en petite dimension c'est celle qui est la plus explicite. Si l'on veut la situer dans la mythologie, ce serait l'équivalent du combat des Centaures contre les Lapithes. Ici c'est moins discernable. Sont-ce des chiens, des taureaux, des centaures, des hommes ? En tout cas l'ambiance est électrique. Prise mâle et prise femelle enchevêtrées. Chassons la bête qui est en nous. Affirmons que ce sont des êtres humains. L'on a envie de ressortir la vieux dicton d'Horace, l'homme est un loup pour l'homme. Et si ces deux individus étaient du sexe opposé, faudrait-il dire que le loup est un loup pour la louve ou bien que la louve est un loup pour le loup. Les deux premières versions vous épargnent toute complication, les deux individus qui font la guerre ou l'amour sont en monochrome bleu sur la première et en monochrome rouge sur la deuxième. Toutes deux se valent. Le désir de dévoration est également partagé dans le couple. Grande mort ou petite mort, c'est toujours la mort que l'on recherche lorsque l'on se précipite l'une vers l'autre... Cet artwork possède la force de certains tableaux de Picasso. Le mastoc mastique.

    THE JUNGLE LINE

    ( 02 / Monotype / 1985 )

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    Encore une série de trois. Ici nous avons pris l'option contraire, z'avons élu la plus sombre, la plus indistincte. Faut rajuster la focale de la pupille pour discerner le dessin, l'on y voit que du noir, ou du gris éléphant. Dans un documentaire de nuit sur les animaux de la jungle, les yeux des bêtes sauvages clignotent. Ici ce n'est pas le cas. Ce sont les fenêtres des gratte-ciel qui tiennent ce rôle. La jungle est partout. Depuis les temps primitifs, une pyramide mastabienne vous le confirme, ça dure depuis longtemps et ce n'est pas près de s'arrêter même avec le progrès technique. C'est un peu la même chose que sur la linogravure précédente. Avec Dog eat dog, l'on était en petit comité, on s'occupait de ses affaires entre soi, mais là c'est étendu à la planète entière. L'on ne voit qu'un couple qui s'affronte mais au vu et au de tout le monde, y a même des musicos qui jouent du djembé pour attirer l'attention des esprits distraits. L'homme et la femme ne valent pas mieux que les bestioles sauvages, l'appel du sang rouge est partout, Schopenhauer nous parlerait du vouloir vivre. Ici c'est table ouverte et grande bouffe collective. Homme espèce primitive. Pas de mal pour identifier Joni en grande prêtresse du désir.

    PAPRIKA PLAINS

    ( Monotype / 1985 )

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    La revoici. La prêtresse du vril. Elle survole. L'effigie de l'indien des plaines. La chamane, l'esprit du grand serpent darde la dague du désir de vaincre, l'homme est rouge et la femme s'amuse à se déguiser en ce continent noir qui angoissait tant papa Freud. Ici tout se joue au niveau dt symbole. Du totem sans tabou. Elle amène le soleil et l'hymen de sang. Pas de règles. Pas d'interdits. Tableau empreint d'un paganisme outrancier. Coiffure d'aigle et anneau de serpent, reconnaissez l'héraldique de Zarathoustra. S'il existe un Surhomme c'est qu'il a été engendré par une Surfemme.

    BLACK CROW

    ( 02 / Monotype / 1984 )

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    La version 3 est azuréenne, presque une promesse de bonheur ? La version 1 est davantage explicite. La deux est noire. Darkly. Poesque. Ce n'est pas le dessin d'un corbeau mais l'apparition de l'esprit du corbeau. Nous avons changé de dimension. Mais le corvidé n'est pas seul. Une femme le chevauche. Rien à voir avec le merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède. Ressemble davantage à la Mort sur sa Rossinante étique. Elle n'a pas sa faux. Parce qu'elle est vraie. Elle est la forme qui donne la vie mais dans le même cadeau vous offre en supplément gratuit le décès garanti. Elle se lamente de désespoir, mais elle est la femme-corbeau et elle est aussi le corbeau, cet animal mystérieux, compagnon d'Odin, qui détient la sagesse et les gènes de l'outre-mort. Pourquoi cette femme si blonde et au sourire si fin s'est-elle transformée en oiseau de malheur. Je me permets de vous répondre uniquement à la première question de ce paragraphe. Parce que les symboles sont réversibles.

    SWEET BIRD

    ( Linogravure / 1984 )

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    Nous avons remonté le temps. S'il n'était signé de Jacques Benoit, il mériterait d'être nommé Autoportrait. L'est bien sombre pour correspondre au titre attribué par l'auteur. Femme-oiseau certes, nous l'acceptons. Si noir que le blond de ses cheveux est devenu blanc. Obligatoirement, car la noirceur ne supporte pas le soleil. Non pas du tout. Ce n'est pas une chevelure, mais une blanche colombe au bec rouge qui vient baiser les lèvres écarlates de la femme. Nous n'avons pas à faire avec une oie blanche, le secret des connaissances et du savoir est enfermé dans les pyramides. Sans doute est-elle la gardienne du seuil.

    Nous arrêterons-là. Nous n'avons établi qu'un parcours. Ceux qui connaissent quelque peu la vie et l'œuvre de Joni Mitchell, la reconnaîtront. Les autres chercheront et écouteront ses disques. Ce qui est sûr c'est qu'au travers de ses linogravures et ses linotypes, Jacques Benoit a su saisir l'âme tourmentée de cette femme dont les éclats les plus noirs brillent comme des diamants et les éclairs les plus translucides se teintent de noir lorsqu'elle se mire dans le soleil de l'existence .

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 515 : KR'TNT ! 515 :MING CITY ROCKERS / BAY CITY ROLLERS / PHIL SPECTOR / SOUL TIME / CRASHBIRDS / FORÊT ENDORMIE / QUERCUS ALBA / CIRCADIAN RITUAL

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 515

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    17 / 06 / 2021

     

    MING CITY ROCKERS / BAY CITY ROLLERS

    PHIL SPECTOR / SOUL TIME / CRASHBIRDS

    FORÊT SENSIBLE / QUERCUS ALBA

    CIRCADIAN RITUAL

     

    L’avenir du rock - La dynastie des Ming

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    C’est en fouinant dans les pages de chroniques de disques de Vive Le Rock qu’on a fini par repérer les Ming City Rockers.

    — Monsieur Vive le Rock, comment expliquez-vous ce phénomène ?

    — What phénomène ?

    — Bah, les Ming City Rockers ?

    — Ah oui ! Ils font partie de ces centaines de groupes qu’on case comme on peut, tiens on va les mettre là en attendant, on sait jamais, des fois qu’y percent. Bon c’est pas mal, hein ?, me fais pas dire ce que j’ai pas dit. Alors bon, on leur met une bonne note, disons 8/10, et après chacun cherche son chat, pas vrai ? On met tout le temps des 8/10 et des 9/10, question de moralité. On n’est pas là pour jouer les tontons flingueurs. Mais bon en même temps, y sont bien gentils les Ming City machin, mais y a pas de quoi se relever la nuit, et puis les groupes de British gaga-punk un peu trop énervés, ça grouille de partout, il en arrive dix par jour au courrier, et t’as des gens qui prétendent que le rock est mort, y feraient mieux de venir voir la gueule de ma boîte aux lettres, ça n’arrête pas ! Non seulement tu reçois tous ces disks, mais en plus, faut les écouter ! Méchant boulot ! Sais pas comment font les autres, mais des fois ça fait mal aux oreilles. C’est comme quand tu baises trop, tu finis par avoir mal aux couilles, ha ha ha !

    — L’underground se porte bien, d’après ce que vous dites...

    — S’est jamais aussi bien porté ! Ma boîte aux lettres récupère toute la crème de la crème de l’underground, et cette crème n’a jamais été aussi vivace, je veux dire au plan bactériologique. Ah la vache, tu verrais cette vivacité ! Une vraie prolifération !

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    C’est vrai, quand on écoute Lemon, le deuxième album des Ming City Rockers, on a l’impression que l’underground vit bien sa vie, qu’il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Dès «Sell Me A Lemon», on saute dans le cratère d’un volcan. Toute cette disto et tout ce bass drum sonnent comme une déclaration de guerre. Ils ont le power et tu les prends tout de suite au sérieux. Ils développent avec ce cut une espèce d’énormité rampante qui te grimpe dans la jambe du pantalon. Le petit délinquant qui chante n’a pas de voix, mais il fait illusion. C’est tout ce qu’on lui demande. Le solo ferait penser à une avalanche de vieilles déjections. Ils savent couler un bronze qui fume, alors bravo les Ming ! Et les voilà partis à l’aventure, avec le handicap du pas de voix, mais quelle énergie ! Disons que c’est visité par le haut, avec des solos vampires qui planent dans la nuit. Ils démarrent tous les cuts sur le principe de l’avalanche et c’est parce qu’ils n’inventent rien qu’on s’intéresse à eux. Tout l’avenir du rock repose sur cette énergie désespérée, les Ming jouent leur va-tout avec des cuts désespérés mais pleins de jus. «Death Trip» est l’archétype du no way out. Ils s’enfoncent dans la désespérance du heavy gaga-punk mais c’est plein de spirit. Les gens devraient théoriquement adorer leur profond désespoir plein d’espoir. C’est l’énergie qui les porte et qui les arrache à l’oubli. Ils travaillent chacun de leurs cuts au corps. Ils envoient paître «Christine» dans les prairies de la power pop, c’est tout ce qu’elle mérite, ils ba-ba-battent la campagne et cisaillent tout à la base. Et puis avec un cut comme «How Do You Like Them Apples», ils avancent à marche forcée vers le néant, portés par un gros riff abrasif, suite à quoi ils prennent feu et on finit par les perdre de vue. Le coup du lapin arrive enfin avec un «Don’t You Wanna Make My Heart Beat» complètement vérolé par un solo de wah. Ils réveillent de vieux démons et font leurs adieux dans une stupéfiante envolée de fin de non recevoir.

    Mais alors, les Ming City Rockers ne sont pas des chinetoques ? Non, ils sont basés à Immingham, une ville portuaire située sur la côte Nord de l’Angleterre, à mi-hauteur, à droite de Leeds et de Sheffield. On surnomme cette ville Ming-ming, d’où les Ming City Rockers.

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    Leur premier album vaut véritablement le détour. Même équipe avec Clancey Jones au chant, mais c’est la lead-guitar Morley Adams qui vole le show, notamment dans «You’re Always Trying Too Hard». Quelle violence intentionnelle ! Elle joue au hard drive, mais en fait, elle se livre à un sacré tour de passe-passe car elle vise l’enfilade superfétatoire, forant son couloir avec une hallucinante virtuosité. On croirait entendre Jeff Beck, alors t’as qu’à voir ! Elle fait un gratté de gamme avec un son extrêmement acide. Nouveau coup de Jarnac avec cette cover du «Crossroads» de Robert Johnson. Clancey Jones chante ça à petit feu, mais Morley Adams se met dans tous ses états. Ils ne sont pas avares d’énormités, comme le montre ce «Wanna Get Out Of Here But I Can’t Take You Anywhere» d’ouverture de bal. Ils amènent ça dans les règles du lard fumé, c’est battu à la dure, avec une disto en contrefort du roquefort. Voilà encore un obscur objet du désir, un cut extrêmement bon, bourré à craquer d’énergie subliminale. Et quand ils prennent le gaga-punk d’«I Don’t Like You» au ventre à terre, ils ne sont pas loin des Cheater Slicks. Ils font du simili-stomp avec «You Ain’t No Friend Of Mine». Ils tapent ça au break de bass-drum. Il y a du volontarisme chez les Ming. Non seulement ils stompent comme des princes, mais Doc Ashton bat comme un beau diable. Ce wild man de Clancey Jones se tape une belle descente aux enfers avec «She’s A Wrong ‘Un». Sur ce coup-là, les Ming valent bien les Chrome Cranks, car ils sortent un son qui fuit dans la ville en flammes et ça devient très spectaculaire, pulsé par un poumon d’acier rythmique. Les Ming ne plaisantent pas non plus avec le ramonage, comme le montre «Rosetta». Pendant que Clancey Jones gueule comme un veau dans son micro, les autres jouent dans tous les coins. Du coup, ils deviennent nos copains. Ils bouclent leur joli bouclard avec une autre merveille, «Get Outta Your Head». Ils gonflent leur gueulante d’une belle énergie sixties. Les filles envoient des chœurs impardonnables, les accords claquent bien dans le studio, Morley Adams part en petite vrille intestine, et du coup ça sent bon le glam. On attend des nouvelles des Ming avec impatience.

    Signé : Cazengler, Ming Pity rocker

    Ming City Rockers. Ming City R*ckers. Bad Monkey Records 2014

    Ming City Rockers. Lemon. Bad Monkey Records 2016

     

    Dock of the Bay City Rollers

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    Quelques articles ici et là nous avaient prévenus : l’histoire des Bay City Rollers que raconte Simon Spence dans When The Screaming Stops: The Dark History Of The Bay City Rollers est une histoire affreusement sombre. Mais tant qu’on n’a pas lu le book de Spence, on n’imagine pas à quel point cette histoire peut être sombre.

    McLaren déclara en son temps que les Pistols were just the Bay City Rollers in negative, et c’est probablement grâce ou à cause de lui qu’on finit par s’intéresser 40 ans après la bataille à ce groupe qui déclencha l’hystérie en Angleterre.

    Et puis comme Les McKeown - deuxième chanteur des Rollers et le plus connu - vient de casser pipe en bois d’Écosse - trois ans après que le bassiste Alan Longmuir ait lui aussi cassé sa pipe en bois d’Écosse - il nous a semblé opportun d’entrer dans cette histoire par la grande porte.

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    Simon Spence est une sorte de Rouletabille du sex & drugs & rock’n’roll, il nous tartine 500 pages avec une prompte célérité, ne mégote sur aucun détail, il fouille dans les chambres et dans les arrêts des tribunaux, c’est un infatigable, un retrousseur de manches, une sangsue affamée de vérité, la puissance de son investigation pourrait presque passer pour un souffle littéraire, 500 pages c’est long, il réussit l’exploit de maintenir l’attention du lecteur en éveil, jusque dans les heures sombres de la nuit. Pas facile de lâcher ce pavé. Une fois qu’on y est entré, on est baisé. C’est aussi bête que ça.

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    Ni les frères Longmuir ni Les McKeown ne sont les personnages principaux de cette sombre histoire. Ils laissent ce triste privilège à Tam Paton, leur manager/protecteur, le prototype du svengali à l’Anglaise, ou devrait-on dire à l’Écossaise, car toute cette histoire se déroule à Edimbourg, et son esthétique repose sur le tartan. Paton est l’un de ces bidouilleurs du rock qui pullulent dans les early seventies. Il fume soixante clopes par jour, se goinfre de valium et supervise les moindres faits et gestes de ses poulains, les Bay City Rollers. Il leur interdit l’alcool, les drogues et les fiancées - No girlfriends and no booze - Quand ils partent en tournée à six, il loue trois chambres d’hôtel. Pour éviter les accointances, Paton organise chaque soir un roulement : deux par deux, ce ne sont jamais les mêmes qui dorment ensemble et bien sûr, le cinquième est celui qui devra dormir dans la chambre de Paton. Autant le dire tout de suite : Paton aime bien les jeunes garçons, ni trop jeunes, no trop vieux. Si tu veux faire partie des Bay City Rollers, tu dois passer à la casserole.

    En tournée, Paton leur interdit tout : ils doivent rester dans leur chambre et descendre dans la bagnole quand il l’ordonne. Aucune interaction avec les autres gens. La presse considère Paton comme le sixième Roller. On le décrit comme le manager des Rollers, leur conseil et leur ami. Son modèle n’est autre que Brian Epstein. La Beatlemania sera le modèle de la Rollermania. Il pousse le bouchon assez loin - No sex no drugs no rockn’n’roll - Il veut que les Rollers restent disponibles pour les fans qui sont évidemment des adolescentes. Et comme Epstein, Paton doit garder le secret sur son homosexualité. À cette époque, elle est encore répréhensible. Le seul hic, dans ce parallèle, c’est que les Beatles avaient du talent, pas les Rollers. Brian Epstein avait de la classe, Tam Paton est un prédateur sexuel. Les McKeown déclarera plus tard avoir été violé par Paton.

    Mais comme le rappelle si justement Rouletabille, il ne peut y avoir de Bay City Rollers sans Tam Paton. C’est lui qui recrute et qui vire les Rollers, sur des critères esthétiques, bien sûr - Good-looking boys wanted, ability to play not necessary - il contrôle le moindre détail de leur vie privée comme professionnelle, il est à la fois le bon et le méchant de cette histoire - Both hero and villain - l’artisans de leur rise and fall, et nous dit Spence, tous ces éléments font de l’histoire des Bay City Rollers une véritable tragédie shakespearienne, et là, le book se met en route. En comparaison de Tam Paton, les Don Arden, Morris Levy et autres Lasker ne sont que des enfants de chœur.

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    Juste après la liquidation d’Immediate Records en 1969, l’associé d’Andrew Loog Oldham Tony Calder monte avec David Apps une nouvelle structure, MAM, à la fois agence et label. Calder commence à prospecter en Écosse et signe trois groupes, Northwind, Hate et Tear Gas. Puis un collègue écossais l’emmène assister à un concert des Bay City Rollers à Edimbourg, et là Calder ne comprend pas ce qui se passe - Christ what is this? - Son collègue écossais lui répond : «This is the Bay City Rollers.» Calder assiste tout simplement à un scène d’hystérie collective comme on en voyait dix ans auparavant, au temps des early Stones - It was like seeing the Stones when they broke. You could smell sex everywhere - Alors Calder se rapproche de Paton car le phénomène l’intéresse. Mais des gens le mettent en garde, disant que Paton enfile ses protégés - You know he’s fucking some of the band up the bum - Comme Paton dans le civil est grossiste en patates, on dit qu’il les enfile à l’arrière du camion de patates - He was shagging them in the back of the potato wagon - C’est vrai qu’on se régale avec les tournures de la version originale. C’est à la fois comique et tragique. Calder ajoute que personne ne connaît l’âge véritable des Rollers. Tout le ponde ment, Paton le premier. Calder refuse de travailler avec ce Paton qui le rend malade - It made me feel ill. Tu voulais te récurer les mains après lui avoir serré la sienne. J’avais jamais vu des ongles aussi dégueulasses. Je n’ai jamais su si ça venait des patates ou du trou du cul d’un kid. Si tu as du sang sur les ongles pendant la nuit, le matin, c’est noir. On dirait de la crasse. Tu veux vraiment prendre ton petit déjeuner avec Tam Paton alors qu’il a enfilé his finger up some kid’s arse, celui qui est assis à table et qui chiale parce qu’il a mal au cul, ah non merci.

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    Tam Paton mène son business d’une main de fer. Tout le monde a peur de lui - S’il te dit saute, tu sautes - Quand il sent des réticences chez l’un de ses protégés, il lui fait avaler des mandrax. Mais même avec cette discipline de fer, Paton peine à préserver l’image clean-cut des Rollers, notamment durant les tournées américaines. Paton surprend plusieurs fois Ian Mitchell au lit avec une groupie, ce qui lui vaudra d’être viré. Chaque fois que Les McKeown entend frapper à la porte de sa chambre d’hôtel et qu’il ouvre, il tombe sur une petite gonzesse à poil qui veut baiser avec lui, alors il se planque dans un placard pour la baiser, car Paton fait des rondes de surveillance. Pat McGlynn qui fit brièvement partie des Rollers explique qu’en arrivant dans le groupe, il était puceau - I’d never had sex with a girl - Il préférait se bagarrer - My first experience of sex was with that bastard Paton when he abused me on his couch - McGlynn ajoute que Paton droguait les verres des gens qu’il envisageait de baiser - He was just an animal - Il dit aussi que Les McKeown lui a sauvé la mise plusieurs fois. Les et lui se tapaient des tas de filles, mais Stuart Wood allait tout cafter à Paton. En fait, McGlynn nous explique que Paton voulait aider ses protégés à devenir homosexuels, leur expliquant que les femmes, bah, ça ne sent pas bon et ça crée des problèmes, quand elles sont enceintes. Les McKeown : «Paton ramenait en permanence son concept that women were dirty fish, dirty, smelly fish you don’t want any of them, you want to be one of the boys.» Pat McGlynn finit par raconter à son père que Paton le harcèle. Wot ? Ivre de rage, le père se lève d’un bond et s’en va péter la gueule à Paton. Rouletabille rapporte d’autres épisodes gratinés, mais on va s’arrêter là. KRTNT a pour objet de vous divertir et non de vous faire vomir.

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    Paton va ensuite se lasser des Rollers. Dans sa résidence de Little Kellerstain, il continue de se livrer à toutes sortes d’abus. C’est d’une grande banalité chez les gens riches qui ont de très gros appétits sexuels. Il leur faut un harem. Little Kellerstain est donc un harem. Des kids y logent à l’année. Ils portent tous des robes de chambre. Paton fournit les drogues, il devient même un gros dealer local.

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    Bon alors maintenant que le décor est planté, on peut s’intéresser à Les McKeown. Rouletabille le situe comme l’âme de la Rollermania - avec Eric Faulkner, le guitariste - Selon Rouletabille, McKeown n’est pas un saint : il va comparaître trois fois devant des juges. Une fois pour avoir renversé accidentellement une femme alors qu’il fonçait au volant de sa Ford Mustang - un an de retrait de permis - une fois pour avoir assommé un photographe d’un coup de pied de micro lors d’un concert et autre fois pour avoir canardé en pleine tête une fan qui s’était introduite dans son jardin. Chaque fois, il est passé à travers. Rouletabille indique que Les McKeown était le seul Roller qui parvenait à échapper au contrôle de Paton - A street kid from quite a hard family, a NED (non-educated-delinquant) - Donc un vrai Sex Pistol, comme Steve Jones - He was the guenine thing. He just did what he wanted - Selon Bob Gruen qui a suivi les Rollers pendant une tournée américaine, Les was a great singer, very cute, very savvy, he had charisme... A really talented charismatic guy - Les visionnait les films que Bob Gruen avait tournés sur les Dolls et ce groupe le fascinait, mais ça ne fascinait pas Tam Paton qui ne comprenait rien : «Oh ils sont maquillés, ils font semblant. Our band is really good, their band isn’t. They broke up, we’re a succes.» En fait, Bob Gruen sentait bien que Paton était terrifié par les Dolls. Et bien sûr, celui qui hait le plus Paton, c’est Les McKeown - Je voulais lui enfoncer un stylo dans l’œil. I hated him. He was a beast. Il s’en prenait aux jeunes pour les exploiter sexuellement et financièrement. Tam m’a toujours dit que s’il n’avait pas été là, j’aurais bossé sur des chantiers, mais si je n’avais pas été là, il serait toujours grossiste en patates - Quand plus tard Paton casse sa pipe en bois, Les McKeown affirme que personne ne va pleurer sa disparition. Et il ajoute : «Les Écossais peuvent dormir sur leurs deux oreilles maintenant the beast of Kellerstain is dead.» Déchaîné, Les McKeown déclare à qui veut l’entendre que Paton «is a thug, a predator and a drug-dealing bastard.» Amen, ou plutôt pas amen.

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    À une époque, les Bay City Rollers étaient the hottest pop act en Angleterre. Les fans assiégeaient leurs domiciles 24 h/24. Le line-up le plus populaire est celui qu’on voit sur l’illusse : Eric Faulkner (guitare), Alan Longmuir (basse), Derek Longmuir (beurre), Les McKeown (chant) et Stuart Wood dit Woody (guitare). Ian Mitchell et Pat McGlynn remplaceront Alan Longmuir viré par Paton parce qu’il était trop vieux. Le nom du groupe est inspiré par celui de Mitch Ryder & the Detroit Wheels. C’est bien connu, des wheels aux rollers, il n’y a qu’un pas et Bay City fut choisi parce que ça sonnait comme something big, American/Motown sounding. Bien sûr, au départ, ils ne savaient pas jouer. Quand ils viennent à Londres enregistrer leur premier single avec Jonathan King, seul Nobby Clark (le premier chanteur du groupe) est autorisé à entrer dans le studio. King ne veut pas perdre de temps avec a stupid fucking band. Just give me the singer.

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    Le premier label des Rollers, c’est la filiale anglaise de Bell Records que monte Dick Leahy à Londres. Juste avant l’arrivée du glam, il signe Hello et Twiggy, puis Gary Glitter en 1972. Des gens comme Jonathan King et Chris Denning constituent un environnement qui forcément plaît beaucoup à Tam Patton. D’ailleurs Paton demande à l’un des Rollers de coucher avec Denning, car, leur dit-il, «il a le bras long». Leahy bosse exactement de la même manière que Mickie Most, son voisin et concurrent - Get a hit record, get on Top of the Pops and conquer the world - Comme le fait Mickie Most avec Nicky Chinn et Mike Chapman, Leahy paye le duo de compositeurs Bill Martin et Phil Coulter pour lancer les Rollers. Et pour fêter l’enregistrement du premier single («Keep On Dancing»), Leahy emmène les Rollers dans un restau chic de Londres et leur dit de commander tout ce dont ils ont envie, leur affirmant que c’est sur le compte de Bell, alors qu’en réalité c’est financé par les royalties du groupe. Pendant les premières années, les Rollers reçoivent 80 £ par semaine et doivent aider Paton à charger les camion de patates. Quel cirque !

    Comme les Rollers n’ont pas de son, Phil Coulter se retrouve dans l’obligation d’en inventer un. Il faut bien sûr que ça soit très commercial et surtout pas rock’n’roll. Son modèle est le «Da Doo Ron Ron» des Crystals, mais Coulter n’a pas les épaules de Totor. Puis se rappelant du conseil de Brian Epstein, Paton demande aux Rollers de travailler leur look. Ils vont évoluer vers le boot boy look rehaussé de tartan et les coiffures bouffantes, qu’ils nomment tufties - Faulkner had a 100 per cent tufty et les frères Longmuir had 50 per cent tufties. Wood had almost but not quite the same as Faulkner - La réputation des Rollers va donc reposer plus sur leur look de pretty boys que sur leur potentiel musical qui avoisine le niveau zéro. Comme Mike Nesmith dans les Monkees, Eric Faulkner sa battra tout au long de leur histoire pour imposer ses chansons. À son arrivée dans le groupe, il avait amené une réelle énergie et l’envie de rocker, mais Paton ne voulait pas que ça rocke. Il voulait que ça plaise aux gamines de 13 ans qui allaient aux concerts et qui adhéraient au fan club, un fan-club qui fut pendant les années chaudes de la Rollermnia une source de revenus considérables.

    Lorsque Les McKeown arrive dans les Rollers en remplacement de Nobby Clark, il apporte avec «Shang-A-Lang» un sang neuf. Aux dires des connaisseurs, «Shang-A-Lang» reste le meilleur single des Rollers - A more liquid, funky version of the Glitter stomp - Les Rollers cultivaient une sorte d’aura de jeunesse et «d’innocence» qui les distinguait des concurrents : Glitter, Mud, les Rubettes, Slade et Sweet.

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    Puis le contact se fait avec Clive Davis et Arista. Mais Davis a du mal à prendre les Rollers au sérieux. Quand il écoute leur album Once Upon A Star, il est frappé par la pauvreté du contenu. Davis n’est pas le seul à réagir comme ça. Quand paraît l’album Wouldn’t You Like It, le Melody Maker déclare : «musique incompétente jouée par un groupe incompétent». Sur les 12 cuts, 11 sont composés par Eric Faulkner et Stuart Wood. Aux yeux du Melody, cette musique est pire que tout et les paroles pathétiques. Et Rouletabille ajoute qu’il était difficile de ne pas être d’accord. Voilà le vrai problème des Rollers : une médiocrité musicale abyssale. C’est pour ça qu’on ne voyait pas les albums chez les bons disquaires. Les Rollers étaient essentiellement un groupe de singles.

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    Mais bon, Davis finit par signer les Rollers sur Arista, flairant le jackpot, mais il impose une direction artistique. C’est aussi lui qui impose la reprise du vieux hit de Dusty chérie, «I Only Want To Be With You». Bizarrement, la Rollermania prend aux États-Unis. Davis voit un concert à Philadelphie et se dit choqué par l’hystérie collective. Quarante gamines tombent dans les pommes. Chris Charlesworth qui suit la tournée américaine pour le Melody est sidéré de voir le succès des Rollers : «Ça n’a jamais marché pour Slade ici alors qu’ils étaient mille fois meilleurs. Ça semblait ridicule. Pendant le concert, on n’entendait rien à cause des hurlements. Ils n’avaient pas du tout de son - They sounded thin and weedy: Weak.» Mais ça ne marche pas partout. Le concert de Detroit est annulé à cause des ventes de billets trop faibles. Curieusement, le succès des Rollers aux États-Unis entraîne leur déclin en Angleterre.

    En fait, Arista vise le marché de la pop commerciale, ce qu’on appelait le circuit des MOR rock stations (middle of the road), qui programmaient les Carpenters, Wings et les Moody Blues. Mais paradoxalement, on retrouve les Rollers dans le fameux Punk magazine de John Holmstrom qui les voit comme les first true punks britanniques. C’est vrai que Les McKeown est un vrai punk, au sens où on l’entendait avant que ça ne devienne une mode. D’ailleurs McKeown et Faulkner ne s’entendent pas très bien. McKeown trouve que Faulkner est pompeux, il pète plus haut que son cul et se prend pour John Lennon, alors qu’il n’a jamais été foutu d’écrire une bonne chanson. Pendant les séances d’enregistrement, ils passent leur temps à se chamailler sur le choix des chansons. L’intérêt de ces gros pavés de 500 pages est de pouvoir entrer dans ce genre de détails, dans le relationnel des groupes, ce que ne permet pas l’article de presse rock et encore moins le «contenu» offert en pâture sur le web aujourd’hui, et notamment wiki. La superficialité est la porte ouverte à toutes les dérives. Pendant des décennies, la presse rock a véhiculé des clichés des fausses rumeurs, dus à un manque de travail en profondeur. Il faut un Rouletabille pour rétablir la vérité des choses. La vie d’un groupe - qu’il soit bon ou mauvais, chacun cherche son chat - est toujours intéressante, car ça reste avant toute chose une aventure humaine.

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    Et puis évidemment, les Rollers sont énormes au Japon. 120 000 fans les attendent au Narita International Airport. Ils jouent bien entendu au Budokan. Mais les tensions dans le groupe atteignent leur paroxysme et McKeown qui ne s’est jamais vraiment senti intégré finit par quitter les Rollers la veille d’un départ pour une nouvelle tournée au Japon. Son départ entraîne le split du groupe qui perd en même temps son cachet de 14 millions de dollars. McKeown n’en pouvait plus de voir tous ces mecs se prendre pour God : Paton, Faulkner et les autres. Le sud-africain Duncan Faure remplacera le street kid McKeown.

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    Rouletabille entre bien sûr dans le détail du business. Il annonce des détournements de sommes astronomiques. Il cite par exemple une facture de Marty Machat d’un montant de 500 000 $, et des frais d’avocats estimés à 800 000 £. Davis lâche les Rollers après l’album Strangers In The Wind qui a coûté une fortune et qui ne se vend pas. Les Rollers finissent enfin par virer Paton. En 1979, les Rollers qui ont besoin de blé partent jouer an Afrique du Sud, alors que tous les groupes respectent le boycotage de ce régime pourri. Mais les Rollers ne sont plus à ça près. Ça fait longtemps qu’ils ont perdu toute estime d’eux-mêmes et aller jouer au pays de l’Apartheid ne leur pose absolument aucun problème. Néanmoins l’argent se fait rare et les Rollers cherchent un nouveau manager, ce qui n’empêchera pas le groupe de crever. Faulkner ne cache pas son amertume : «Les gens autour de nous ont tout pris. Ils n’ont pas pris que l’argent, they want to take all of it, everything. Those business types don’t give a damn about anybody, you’re just a commodity to them.» Rouletabille consacre les 100 dernières pages du book à l’habituelle litanie des groupes qui ont généré des millions et des millions et qui se sont fait plumer. Dans le cas des Rollers, le verbe ‘entuber’ serait d’ailleurs plus approprié. McKeown : «It was fucked up so bad, il faudrait 100 experts pour démêler ça et ça prendrait des années.» On voit apparaître dans ce bouquet final une silhouette bien connue : Mark St John. Rouletabille tient tout de même à préciser que Mark St John n’est pas seulement le «sauveur» des Pretty Things. Il fut le collaborateur de Peter Grant et de Danny Sims, the Mob-collected former manager/producer of Bob Marley. St John se fait appeler «the Robin Hood of rock’n’roll». Il a réussi à sauver les master tapes et les copyrights des Pretties, et à leur récupérer une somme d’argent significative. St John poursuit les gros labels en justice. Il les mord et ne les lâche plus. Il en vit. Et donc Eric Faulkner fait appel à lui pour récupérer le blé des Rollers. Il sait que les Rollers ont vendu quasiment autant de merch que les Beatles et Elvis, ça représente des sommes astronomiques. Donc il y a un problème : où est passé le blé ? Certainement pas dans les poches des Rollers. St John estime les profits générés par le groupe à un billion de $. Il estime aussi que Tam Paton n’a pas fait le poids dans cette histoire : «Tam was incredibly stupid. Il n’était pas capable de manager un groupe qui connaissait un succès international.» Et il ajoute : «C’était juste un working class guy qui transportait des patates and liked to bugger people up the arse behind the van.» Il indique aussi que les Rollers ont été «financially destroyed» et parle d’une «rock’n’roll tragedy». St John déclare qu’on leur doit entre 26 et 90 millions de £. Trouvant l’estimation est exagérée, Arista suggère 2 millions de £. Mais le dossier est dans les pattes de la justice américaine et au final, les Rollers ne vont récupérer que des clopinettes qui serviront à couvrir les frais de justice qui se chiffrent en millions de dollars.

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    Si on veut voir ce que les Bay City Rollers avaient dans le ventre, musicalement, il existe une petite box 3 CD parue chez Cherry Red : The Singles Collection survole toutes les époques et c’est vrai que certains singles ne manquent pas de charme, notamment «Saturday Night» qui date de 1973, produit par le duo Bill Martin/Phil Coulter. Les Rollers font du Glitter, c’est assez efficace, l’époque veut ça, on est en Angleterre et les kids adorent stomper le samedi soir.

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    Encore un hit pop avec «Remember» toujours produit par la même équipe. C’est encore Nobby Clark qui chante, il sera remplacé par Les McKeown aussitôt après. Un truc comme «Remember» ne pouvait que marcher. L’un de leurs meilleurs singles est le fameux All Of Me Loves All Of You/The Bump. Aucune dimension artistique, mais du gros biz pop, oh oh. Ils savent claquer un hit, ils tapent en plein dans le mille. C’est même assez puissant en matière de sucre Scot. Avec «The Bump», ils jouent la carte du heavy stomp. Avec Keep On Dancing/Alright, Nobby Clark reprenait les Gentrys et Buddy Holly, il y avait une certaine volonté de faire du rock, mais dans les pattes de Jonathan King, ça devenait inepte. C’est dingue ce que ça pouvait puer dans les pattes de ce mec-là. L’histoire du groupe n’était déjà pas très ragoûtante, mais ce genre de single ajoute encore au malaise. «Manana» est le single qui bat tous les records de putasserie. C’est le genre de truc qu’on entend dans les mariages des beaufs. On y atteint les tréfonds de l’horreur. À l’écoute des singles, on ressent exactement le même malaise qu’à la lecture du book. Tout est vérolé dans cette histoire. Sur «Hey C.B.», les musiciens de studio font n’importe quoi, ça n’a plus rien à voir avec les Rollers. C’est avec «Shang A Lang» que Les McKeown fait son entrée dans la «légende». Il s’agit d’un petit glam écossais d’une incroyable fraîcheur. Les Rollers se positionnent sur un créneau plus poppy que les glamsters, d’où leur absence dans l’histoire du glam. Force est d’admette que «Summertime Sensation» est un peu n’importe quoi. Ils font du candy glam rock très ballroom, c’est l’Angleterre du samedi soir. Cette pop un peu bubblegum finit par indisposer.

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    Ils attaquent le disk 2 avec «Bye Bye Baby», une pop à la Spector produite par Phil Wainman, mais ce n’est pas le son. C’est bien plus putassier. On assiste à un incroyable déploiement de forces. Ils refont un «Saturday Night» plus glamour, assez candy darling, montre-moi ton cul que je t’enfile, mais rien dans le ventre. Ce n’est ni Slade ni Sweet. On sauve «Money Honey», un heavy boogie rawk anglais avec des tendance beatlemaniaques. C’est très curieux et même assez accrocheur. Ils font aussi un classique glam avec «I Only Wanna Be Like You», un beat à se faire sucer, la fameuse reprise de Dusty chérie imposée par Clive Davis, que reprirent aussi les Surfs et Richard Anthony. Il y a du teen power là-dedans, c’est indéniable. Mais ils font aussi pas mal de petits slowahs de bite molles, comme «Give A Little Love». Et puis on sent le poids de Tam le prédateur derrière cette pop insipide qu’est «She’ll Be Crying Over You». Les pauvres Rollers n’avaient aucune chance. Les singles sont souvent exécrables. Avec «Mama Li», ils se prennent pour des compositeurs, mais c’est atrocement mauvais. Avec «Rock N Roller», ils montrent qu’ils savent allumer la petite gueule d’un hit de classic Ballroom blitz. Et voilà qu’ils se prennent pour les Easybeats avec une reprise de «Testerday’s Hero». Belle prod en tous les cas. C’est leur période Arista, ils font du gros rentre-dedans, ils savent ce qu’ils font.

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    Et puis, avec le disk 3, on entre dans l’horreur totale. Il n’existe rien de plus putassier que ce «Dance Dance Dance». Et ça se dégrade encore avec «You Made Me Believe In Magic». On se croirait dans une boîte de traves à Honfleur. Ça péricilite en 77 avec «Are You Cuckoo». Les McKeown tente de sauver les meubles avec «Dedication», il chante son petit bout de gras. Il est intéressant ce mec, on sent qu’il a du caractère, c’est lui the real kid. Par contre, ils retombent dans le porn de Tam avec «The Way I Feel Tonigh», qui équivaut à une giclée de sperme dans l’œil. «Love Power» renoue avec l’atrocité sans nom et quand on écoute «All The World Is Falling In Love», on prie Gawd. Aw Gawd, protégez-nous de ces horreurs ! Toute cette période qui est la fin de parcours des Rollers est d’une médiocrité qui dépasse tout ce qu’on peut imaginer, mais c’est intéressant de l’entendre. Ça permet de savoir jusqu’où on peut aller trop loin. Quand Duncan Faure prend le chant sur «Turn On The Radio», c’est la fin des Rollers. D’ailleurs le groupe s’appelle désormais les Rollers. Fini le Bay City. Ils font du pub rock. Ça n’a ni queue ni tête. Et les derniers singles se terminent en eau de boudin avec Duncan Faure. «Set The Fashion» n’a plus aucun sens, ça bascule dans le ridicule.

    Signé : Cazengler, Boue City Roller

    Alan Longmuir (bass). Disparu le 2 juillet 2018

    Les McKeown (chant). Disparu le 20 avril 2021

    Bay City Rollers. Singles Box. Cherry Red 2019

    Simon Spence. When The Screaming Stops: The Dark History Of The Bay City Rollers. Omnibus 2016

     

    Spectorculaire - Part Four - The ashes

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    Richard Williams revient longuement sur le chapitre des héritiers du Wall. Parmi les plus évidents, il cite Sony & Cher («I Got You Babe»), Andrew Loog Oldham qui produisit les premiers albums des Stones, Brian Wilson, George Shadow Morton et les Shangri-Las, Roy Wood en Angleterre, et des cuts comme «Summer In The City» (Lovin’ Spoonful), «Heroes & Villains» (Beach Boys) et «A Day In The Life» (Beatles) lui semblent être de bons exemples d’influençage. Bizarrement, il oublie de citer Dave Edmunds dans sa liste. Les albums des Crystals allaient aussi influencer Hank Medress, le producteur des Chiffons. Et puis il y a bien sûr tout le cheptel Red Bird, couronné par le «Chapel of Love» des Dixie Cups. C’est Jeff Barry, fervent admirateur de Totor, qui les produit, ainsi que les Jelly Beans et les Butterflies. Williams cite aussi Jan & Dean, dont le «Dead Man Curve» lui paraît sacrément spectorish. Et quand Brian Wilson enregistre Pet Sounds, il utilise bien sûr le même studio (Gold Star) et les mêmes musiciens que Totor.

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    Ce sont les compiles qui se tapent la part du lion sur la question de l’héritage. On en trouve de deux sortes dans le commerce : les Ace et les pas-Ace. On l’aurait parié, les plus sexy sont les Ace. Les gens d’Ace se sont amusés à réunir sur trois compiles bien dodues tous les dévots et tous les imitateurs de Totor. Ce sont les fameux Phil’s Spectre - A Wall Of Soundalikes, volumes 1, 2 et 3. On ne fait pas trop gaffe la première fois qu’on ramasse ça, on croit que c’est du Totor, mais pas du tout. Ce ne sont que des émules et pas des moindres : sur le volume 1, on croise Jackie DeShannon, Sonny & Cher, les Righteous Brothers ou P.J. Proby pour les plus connus, et une multitude d’autres artistes le plus souvent tombés dans l’oubli. C’est aussi l’occasion de se refiler des gros shoots de frissons à répétition.

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    Rien qu’avec le «When You Walk In The Room» de la belle Jackie, on est ravi, car avec ses arrangements, Jack Nitzsche y ramène tout le power du Wall, les castagnettes et les violons. Mais ce n’est pas lui qui produit, c’est Dick Glasser. La voix de Jackie se détache merveilleusement bien, elle ramène toute sa niaque de petite gonzesse. On croise quelques productions signées Holland/Dozier/Holland (Supremes avec «Run Run Run» ou les Darnells), mais il n’y a pas de wall, si peut-être un peu dans le «Too Hurt To Cry» des Darnells. Par contre, Sonny Bono qui a pas mal traîné au Gold Star à l’âge d’or sait ramener du Wall pour «Just You». Il reproduit le Wall de manière assez directive, Cher chante dans l’épaisseur des nappes de violons et Sonny vient l’aider. Pure merveille. On le sait Brian Wilson est le plus grand fan de Totor et ce n’est pas une surprise de voir bourrer «Why Do Fools Fall In Love» de Wall. Et voilà un groupe qui s’appelle The Wall Of Sound avec «Hang On», deux mecs apparemment, Buzz Clifford et Jan Davis. Ils sont en plein Wall, en plein dans l’exercice de la fonction. Nino Tempo qui est l’un des plus vieux amis de Totor arrive avec sa sœur April Stevens et un «All Strung Out» bien monté en neige. Ils reproduisent tous les clichés du River Deep. C’est quand même dingue de voir tous ces gens essayer de se mesurer au génie de Totor. Pareil avec les Four Pennies : on croit entendre les Ronettes. Même jus de mini-jupe, même juvénilité. Quant à Bill Medley, c’est un autre problème. Il haïssait Totor parce qu’on ne parlait que de lui et non des Righteous. Le plus marrant, c’est qu’après avoir rompu avec Totor, il va s’épuiser à vouloir l’imiter. C’est lui qui produit «(You’re My) Soul & Inspiration» pour les Righteous et il fait du pur jus de Wall. Rien que du Wall. Exactement le même Wall. Tiens voilà la petite Clydie King, la blackette qui accompagnait Humble Pie sur scène. Elle chante «Missin’ My Baby» et Jerry Riopelle pioche à la pelle dans le Wall. Il envoie Clydie au chagrin magique et comme elle est bonne, ça donne un cut plein d’allant et plein d’allure. Précisions que Jerry Riopelle est un petit protégé de Totor et que Clydie King aurait dû devenir énorme. Attention à ce producteur nommé Van McCoy : il soigne l’«It Breaks My Heart» de Ray Raymond aux petits oignons, avec de la profondeur intentionnelle. On assiste à une élongation du domaine de la wallkyrie, Ray fait du baby baby de Wall qui rit, c’est en plein dedans, on est en plein dans le Spectre de Phil. Jack Nitzsche est de nouveau à l’honneur avec deux de ses prods les plus magistrales : Hale & The Hushabyes («Yes Sir That’s My Baby») et P.J. Proby («I Can’t Make It Alone»). Jack a tout compris, il va chercher le deepy deep pour Hale et utilise la formule magique : PJ + Jack + the voice + la compo + la prod de rêve. C’est du Goffin & King. Alors bien sûr, il paraît évident que P.J. était l’interprète idéal pour Totor, car il dispose d’une force de persuasion extraordinaire. C’est aussi Jack qui produit le «Love Her» des early Walker Brothers. Ils enregistrent ça juste avant de quitter la Californie pour aller tenter leur chance à Londres. Jack leur fait un beau Wall et Scott chante par dessus les toits du Wall. C’est un spectacle. Kane & Abel se positionnent exactement au même niveau que les Righteous avec «He Will Break Your Heart» et les Dolls qui n’ont rien à voir avec les Dolls sonnent avec «And That Reminds Me» exactement comme les Crystals.

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    On retrouve dans le volume 2 des luminaries du volume 1, comme Nino Tempo, Clydie King ou les Beach Boys. Pour «I Do», Brian Wilson recrée le son des Ronettes. Et Bill Medley recrée lui aussi le Wall pour «Nite Owl». Mary Wells nous rappelle avec «One Block From Heaven» qu’elle fut l’une des géantes de la Soul. Ace salue encore une fois le team Holland/Dozier/holland car quelle prod ! Et quelle voix ! On voit aussi les Bonnets se prendre pour les Ronettes avec «You Gotta Take A Chance». C’est un vrai phénomène de métempsychose. Tiens, voilà Shadow Morton ! Il ramène des goodies avec les Goodies et leur vaillant «The Dum Dum Duffy». Ça dégouline de jus, les filles s’arrêtent pour dire «I wanna say yeah yeah». C’est du big Wall. Autres grandes retrouvailles cette fois avec Reparata & The Delrons et «I’m Nobody’s Baby Now». Sucré et balèze. Très Ronettes dans l’esprit. Grosse présence. Power absolu. Elles sont en plein dans le Wall. C’est Jeff Barry qui les produit. Dobie Gray fait sa Soul de Wall avec «No Room To Cry». Il a une discographie tentaculaire. Dobie n’est pas un petit amateur du coin de la rue. Nino Tempo et April Stevens reviennent taper leur chique avec «The Habit Of Loving You Baby», ils se jettent dans le Wall de Jerry Riopelle, ce sont les grandes pompes de Phil, exactement le même son et c’est très bien. On reste dans le Wall jusqu’au cou avec Eight Feet et «Bobbie’s Come A Long Way». Juste un single sur Columbia. Ces petites gonzesses chantent avec leurs guts out. Pur Wall. Suzy Wallis est une blanche et elle colle son «Be My Man» dans le Wall. Suzy a du reviensy. Kane & Abel créent la surprise car avec leur «Break Down And Cry» ils sont encore plus spectaculaires que les Righteous. Ils sont des clones de la transcendance, ces mecs disposent de moyens énormes qui leur permettent d’exploser la formule. C’est dingue ce que le Wall peut susciter comme talents. Pareil, Kane & Abel ça se limite à trois singles ! Grand retour de Van McCoy avec les Fantastic Vantastics et «Gee What A Boy». C’est plus Soul, plus black, mais diable c’est du Van McCoy. Il fait son Wall. Vantastic ! Les Dreamlovers explosent la formule du doo-wop avec «You Gave Me Somebody To Love», fabuleux groove, mais rien à voir avec le Spectre de Phil. Encore une énormité sortie de nulle part : «Bobby Coleman» avec «(Baby) You Don’t Have To Tell Me». C’est bâti sur un développement de Wall, et c’est tellement puissant que ça devient génial. Retour de Clydie King avec «The Thrill Is Gone». Oh Clydie ! Tu nous rendras marteau. Jerry Riopelle fourbit la compo et le Wall, alors t’as qu’à voir. Smokey Robinson se tape lui aussi sa petite crise de Wall en produisant le «Wonderful Baby» des Four Tops». Mais ça manque de profondeur de champ. Orchestré, certes, mais pas Wall qui rit. Les Knickerbockers vont chercher le doux du Wall avec «Wishful Thinking». Comme c’est ultra-orchestré, ils tombent dans le panneau des Righteous. Mais diable comme c’est bardé ! Et Joe South radine sa fraise avec «Do You Be Ashamed». En fait il ne se casse pas top la nénette, il fait du River Deep. Sacré Joe ! Il cherche de l’or comme d’autres cherchent des truffes.

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    Le volume 3 arrive à pic pour compléter ce spectorculaire panorama. La révélation s’appelle Alder Ray avec «Cause I Love Him». Elle est en plein dans les Ronettes. Même son, même pulsatif de mini-jupe. Alder est une black, pareil, il n’existe que des singles. Les Satisfactions, c’est le groupe de Gracia Nitzsche, la première épouse de Jack. «Yes Sir That’s My Baby» frise le génie. Ah il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Encore une révélation avec Bonnie et «Close Your Eyes». Bonnie est bonne, elle est en plein Wall, bien sucrée, ça y va la sucette, rien de plus juvénile que cette petite chatte extravertie. Mais attention, Bonnie est blanche. Encore un inconnu au bataillon : Jerry Ganey avec «Who I Am». Il est lui aussi en plein Wall, c’est Bill Medley qui fait son Totor. Merci Ace, car Jerry Ganey est excellent, please call my name. Medley pousse le bouchon très loin, comme le fait Totor, mais vraiment très loin. Encore un mec qui se prend pour Totor : Bob Finiz. Il produit les Kit Kats avec «That’s The Way». Tous ces mecs ont du Wall à gogo mais ils n’ont pas les compos. Il leur manque un élément de la formule magique. Parmi les gens connus, voici Lesley Gore avec «Look Of Love» signé Barry/Greenwich. C’est Quincy Jones qui produit et sa prod n’a rien à voir avec celle de Totor, elle est profonde mais pas aussi profonde, c’est autre chose. Lesley chante au sucre du Brill et c’est passionnant. Voilà Bobby Sheen avec «Sweet Sweet Love» produit par Jerry Riopelle, mais ça sonne comme du sous-Wall. On croise plus loin Merry Clayton avec «Usher Boy» et comme à son habitude, Merry se bat pied à pied avec le corps à corps. C’est Jack qui produit le «Let The Good Time Roll» de Judy Henske. Elle ramène tout son pathos, chante avec des accents virils et gueule par dessus les toits. On a aussi un petit coup de prod Holland/Dozier/Holland avec Martha & The Vandellas et «In My Lonely Room». Encore une fois, le Motown Sound n’a rien à voir avec le Wall. Lamont Dozier et les frères Holland savent cependant donner de l’air au beat. Et puis Sonny Bono radine sa fraise avec «It’s The Little Things». Cher sort sa voix de vieille maquerelle et le sucré dans l’affaire, c’est Sonny. On note aussi la présence incongrue des 1910 Fruitgum Company, un groupe de bubblegum qui fait avec «When We Get Married» un pastiche du Wall. Mais quel beau pastiche. Ils le montent bien en neige. Ils font partie des rares à savoir atteindre le cœur du Wall. D’autres bricoles intéressantes encore, comme par exemple les Castanets qui, avec «I Love Him», sont en plein délire Ronettes. Le producteur s’appelle Morty Craft. Il ramène tout le saint-frusquin du Wall. Johnny Caswell qui est blanc chante comme une fille et les Girlfriends qui sont en fait les Blossoms explosent le Wall avec «My Own And Only Jimmy Boy». C’est produit par David Gates qu’on verra plus tard dans Bread. Pour «My Tears Will Go Away», les Righteous ont gardé les castagnettes mais ils n’ont pas la compo. Dans la vie, il faut savoir ce qu’on veut. Debbie Rollins est une black sucrée qui se prend elle aussi pour Ronnie. Son «He Really Loves Me» est excellent, mais perdu dans l’océan des singles excellents. Dan Folger est associé à Mickey Newbury donc on dresse l’oreille. Avec «The Way Of The Crowd», il propose une belle pop blanche. Pas d’album, rien que des singles. Bien produit, mais pas de Wall. C’est à Jerry Garney que revient l’honneur de refermer la marche. Même blanc il s’en sort bien, Bill Medley produit, on a donc du petit Wall et une belle niaque.

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    Wallpaper Of Sound - The Songs Of Phil Spector & The Brill Building est une compile (pas Ace) qui s’intéresse au côté anglais du Wall des soundalikes. Williams, Brown et Ribowsky sont tous les trois d’accord pour dire que Totor fut beaucoup mieux accueilli en Angleterre que dans son pays. Bon cette compile n’est pas avare de coups de génie, à commencer par ces 5 AM Event, des Canadiens débarqués à Liverpool pour enregistrer un single, «Hungry». Quelle histoire ! C’est une horreur rampante de 1966, un véritable coup de génie proto-punk. C’est tout de même incroyable que ce single débarque ici. L’autre bombe, c’est la cover de River Deep par Long John Baldry. Il l’attaque au deepy Baldry et derrière on vous garantit que ça orchestre, alors Long John peut swinguer sa chique, ce mec est un huge white nigger, il chante avec une niaque de Tina Thang, il restitue tout le côté effrayant et effréné du hit original, il chante à la cavalcade, c’est sans commune mesure avec la mesure, on l’attend au virage, le vieux Long John et il y va, il monte en élongation son my-oh-my, il a pigé les enjeux, il s’arrache les miches sur le baby baby. On trouve cette cover miraculeuse sur l’album Wait For Me, à côté d’autres covers comme celles de «Spanish Harlem» ou «MacArthur Park». Inutile de rappeler que tous les albums de Baldry sont excellents. Dommage qu’on l’ait un peu oublié. L’autre bonne surprise de cette compile, c’est Twice As Much, le duo composé de David Skinner et Andrew Rose, qu’Andrew Loog Oldham payait pour composer des hits au temps béni d’Immediate. Ils reprennent l’«Is This What I Get For Loving You Baby» de Spector/Goffin/King, mais à l’anglaise, c’est-à-dire en mode dents de lapin & clairette psyché. Ils sont merveilleusement tempérés, donc pas de Wall, tintin. On les retrouve avec Vashti pour «The Coldest Night Of The Year», un hit signé Mann/Weil, et Vashti se vashte vachement bien dans le moule. Comme on le sait, Andrew Loog Oldham est le plus gros fan de Totor en Grande-Bretagne, alors c’est normal qu’on voie aussi P.P. Arnold radiner sa fraise. Elle tape carrément dans l’effarant «Born To Be Together» de Spector/Mann/Weil, elle va chercher le grain pour le moudre et le moud, elle s’arrache même les ovaires à chanter par dessus les toits. C’est très spectorculaire. Elle aurait pu rivaliser de power avec Tina. Une bonne surprise avec Peanut, une blackette de Trinitad. Elle envoie l’«Home Of The Brave» de Mann/Weil sucrer les fraises, elle chante au nasal pur, comme Ronnie, ça dégouline de sucre. L’autre gros coup de la compile, c’est Jackie Trent qui chante «Goin’ Back» avec des chaleurs expiatoires. Elle est aussi sur Pye comme 5 AM Event et les Kinks, mais elle est surtout la compagne de Tony Hatch et là on entre dans la légendarité de la pop anglaise. Mais c’est avec le «You Baby» de Spector/Mann/Weil qu’elle bouffe tout, une vraie croqueuse de beat, elle impose sa ferveur de féline fêlée, et la prod vaut tous les Walls du monde. Alors oui, Jackie Trent & Tony Hatch ! Le «Downtown» de Petula, c’est lui. Justement la voilà avec «I’m Counting On You», mais elle est loin du compte, la pauvre. On croise aussi les Searchers à trois reprises : avec «Twist & Shout» (atroce) et «Da Doo Ron Ron» qu’ils aplatissent pour en faire de la petite pop anglaise. Ils se prennent aussi pour les Ronettes avec une cover de «Be My Baby», mais ils n’ont pas de sucre. Juste des chœurs de lanternes sourdes. Le blanc Jimmy Justice tente sa chance avec «Spanish Harlem» et les Breakaways massacrent «He’s A Rebel». Tous ces trucs manquent de Wall, c’est vrai que ce n’est pas facile de monter un Wall. Les Cadets qui sont irlandais font un «Chapel Of Love» bien vert. On voit aussi la pauvre Barbara Ann qui est blanche se battre avec Lovin’ Feelin’, elle se bat bien, elle monte même dans le son, elle sait le faire comme Dusty chérie ou Cilla Black qui est blanche, et du coup sa version est une petite merveille de féminité héroïque. Bref, on sort de cette compile ravi. Force est d’admettre que l’influence de Totor produit globalement de très bons disques.

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    Avant de refermer le chapitre spectorculaire, voyons comment les canards anglais se sont acquittés de cette corvée qu’est l’éloge funèbre. Dans Mojo, Andrew Male signe un texte qui n’y va pas de main morte, Ruin Of Sound. Avec ce titre, les choses sont claires. Male ne s’apitoie pas sur le destin de Totor, au contraire, il l’enfonce un peu plus, rappelant que dans la box Back To Mono, les deux textes du livret (Tom Wolfe et David Hinckely) volent dans les plumes d’un Totor qui a déjà mauvaise réputation - an entitled asshole vivant dans un marasme colérique - Bien sûr, Male va chercher dans le Brown book les trucs qui clochent, comme ce propos de Kirshner affirmant que Totor était un homme capable de se faire du mal et de faire du mal aux autres. Comme Male n’aime pas Totor, il transforme la réalité, écrivant par exemple que le jeune Totor transforma son talent pour la musique en arme pour se venger de la vie, ce qui est quand même un peu à côté de la plaque. Puis il résume le Wall Of Sound à un petit studio A bondé de cracks qui à force de répéter le même cut perdent leur individualité, et deux ceramic echo chambers qui permettent d’obtenir le booming qui déclenche l’hystérie. Il ajoute à ça les trois couples de songwiters du Brill et enfin les voix, Darlene, LaLa et Ronnie, que le Wall of Sound mettait en valeur. Puis il nous explique que River Deep fut blacklisté à cause de l’arrogance de Totor, un Totor que vomissaient les journalistes. Échec, réclusion, Citizen Kane. Male essaie de faire en une page ce qu’ont fait trois écrivains avec trois livres, mais il ne rend pas hommage, il enfonce, sous couvert de madness and paranoia. Puis Male nous explique que Totor est allé noyer Let It Be sous des orchestrations, puis qu’il a massacré les albums de John et George, puis ceux de Leonard, de Dion et des Ramones, avec en prime de longues nuits de torture psychologique. Male organise ensuite sa chute sur le thème de la délivrance : All Things Must Pass va reparaître nettoyé - Stripped of Spector’s production - même chose pour End Of The Century des Ramones, on se demande comment c’est possible, mais apparemment les charognards sont à l’œuvre. Mais attention, la chute de l’article est assez spectorculaire : «Peut-être que des gens voudront aussi nettoyer les singles des Crystals, des Ronettes et de Darlene Love, ne sachant pas que grâce à ces voix de femmes, grâce aux rangs serrés du Wrecking Crew et grâce à ces paroles de teenage experience, ces chansons ont toujours existé au-delà du Spector’s wall et qu’elles existeront à jamais.» Merci Mister Male. Les chansons vont rester, c’est tout ce qui compte.

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    Record Collector est plus généreux et accorde trois pages à Bob Stanley pour s’acquitter de la corvée. Bob remonte assez loin dans son enfance pour situer l’origine de sa fascination pour Totor : il a 11 ans et un copain d’école lui dit qu’il vient d’acheter Phil Spector’s Echoes Of The Sixties avec son Christmas money - I was impressed. À 20 ans, Bob sait que Totor est the greatest and most innovative record producer who ever was. Alors il collectionne ses disques, à tel point qu’il forme avec son copain Pete Wiggs un pop group nommé Saint Etienne. Ils essayent de faire du DIY Phil Spector. Puis il revient sur Lovin’ Feelin’, expliquant que seul Totor pouvait demander aux Righteous de chanter slow and low, si slow and low que Barry Mann crut lorsqu’il entendit le disque à la radio qu’il ne tournait pas à la bonne vitesse. Et pouf, Bob embraye avec le chapitre des héritiers, commençant par Bill Medley dont il recommande deux prods, «Stand By» des Blossoms et «Just A Fool» de Jerry Ganey. Tout ça le conduit aux Jesus & Mary Chain, Jim Steinman, Sonny Bono et Roy Wood, notamment «See My Baby Jive». Puis Bob survole le parcours de Totor, depuis les Paris Sisters jusqu’au Wall of Sound, en passant par Glen Campbell et Jack Nitzsche, et Bob en arrive à la conclusion que ces hits n’ont pas été enregistrés mais qu’ils sont made out of some implausible magic. Totor nous dit Bob était tellement perfectionniste qu’il refusa de faire paraître la version de «Chapel Of Love» enregistrée par les Ronettes, ainsi que «This Could Be The Night», du Modern Folk Quartet - a masterpiece of surf harmonies - au grand dam de Brian Wilson. Il s’opposa aussi à la parution d’«I Wish I Never Saw The Sunshine» des Ronettes, encore un hit certain. Devenu a huge Spector fan dans les années 80, Bob dit qu’il était facile alors de savoir à quel point Totor était un sale mec, grâce notamment à l’autobio de Ronnie - the guns, les barbelés et le cercueil avec un couvercle de verre - Puis paraissent des photos de Totor avec son gun, alors Bob décroche un peu et le traite de creep. Il n’aime pas le Dion, ni le Leonard ni le Ramones, par contre, il louche sur le «Black Pearl» des Checkmates Ltd et «A Woman’s Story» de Cher. Aux yeux du monde, Totor n’est plus alors qu’un reclus qui séquestre Ronnie. Comme Mister Male, Bob finit par se taper la chute du chef : «J’entends un TOUT. Des tas de gens talentueux ont contribué au Spectorsound. Vous ne pouvez pas faire l’impasse sur ce qu’il a fait en dehors de la musique, mais vous ne pouvez pas non plus oublier la musique. C’est dans nos fibres, c’est une partie de la raison pour laquelle vous lisez ce magazine.»

    Signé : Cazengler, Phil Pécor

    Phil’s Spectre. A Wall Of Soundalikes. Ace Records 2003

    Phil’s Spectre. A Wall Of Soundalikes II. Ace Records 2005

    Phil’s Spectre. A Wall Of Soundalikes III. Ace Records 2007

    Wallpaper Of Sound. The Songs Of Phil Spector & The Brill Building. Castle Music 2002

    Andrew Male : Ruin Of Sound. Mojo # 329 - April 2021

    Bob Stanley : Phil Spector 1939-2021. Record Collector # 516 - March 2021

    MODERN LIFE

    SOUL TIME

     

    Peu de nouvelles ces derniers temps de Soul Time, n'auraient-ils pas survécu à la pandémie, un mail de Rovers ( l'homme qui n'a jamais Torz ), ce neuf juin me signale l'apparition d'une nouveauté, ont-ils une nouvelle cassette d'une reprise northern soul à nous faire entendre ? Allons faire un tour sur YT pour flairer l'objet de près.

    Carrément un clip, une Wanga Gut Production, la porte est ouverte, l'on entend du bruit, alors on suit la caméra, on entre dans l'antre, un bar sur notre droite, nous pourrions trouver pire, on a repéré, on est au Gambrinus ( gambrine, gambrinum, gambrini... profitons-en pour réviser nos déclinaisons latines, c'est la seconde langue des Dieux, cela peut être utile ), c'était bien la peine de se dépêcher juste le temps d'entrevoir la radieuse silhouette de Lucie Abdelmoula, ( Abdelmoula, Abdelmoulam, Abdelmoulae, que disais-je, déjà une déesse ) et c'est terminé, non ils redémarrent illico.

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    Sous sa casquette Torz tape sur ses baguettes, important dans la soul les départs, profilent la suite, sous le néolithique pour cuire son cuisseau de mammouth l'homme des cavernes n'avait pas intérêt à rater l'étincelle des silex, sur le champ et sur son clavier Thierry Lesage chauffe le groove, gros plan sur la section cuivrique, c'est à eux de faire monter les flammes hautes, ont tous des lunettes noires qui leur donne un look d'agent de la CIA, mais sont tous des pros, l'image est rapide mais l'on reconnaît à l'extrême gauche Claire Fanjeau à l'alto, clin d'œil sur les cordes : la basse appartient à Julien Macias, et la guitare à Francis Fraysse, profitez du minuscule intermède instrumental pour les zieuter agiter fort joliment la salade, parce qu'après vous oublierez de les regarder, ils n'existeront plus, seront rayés de la carte des vivants, ce n'est pas qu'ils soient laids et bêtes et qu'ils joueraient mal, c'est que la soul queen numéro une s'approche du micro, et vos yeux se rivent sur elle comme la torpille court à la ligne de flottaison du navire ennemi, ô bien sûr de temps en temps la trompette de Laurent Ponce fonce sur l'image tel un dard de serpent, et le col des saxophones de Richard Mazza et Mathieu Thierry s'exhaussent tel le cou flexible d'un cygne prêt à l'envol, mais non,

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    même quand elle ne dit rien, qu'elle se contente de marquer le rythme du balancement de son corps, sa cascade ondulée de cheveux noirs qui cerne son visage, ses lèvres d'amarante agressive, la blancheur pallide qu'Edgar Poe prête au buste de Pallas sur lequel son corbeau maléfique vient se percher, Lucie nous ensorcèle. Chante sans effort, une facilité déconcertante, celle des grandes chanteuses jazzy, comme si elle faisait cela depuis le jour de sa naissance, alors les guys and the gal derrière ne chôment pas, assurent les breaks et les passations démocratiques instrumentales, et on ne les a pas comptés pour du beurre avarié au montage, merci à Sica Zahoui, font rouler la montagne, mais Lucie est dans son chant, et quand elle ne chante pas, on attend son sourire et sa façon à elle de convaincre le micro qu'il possède cette chance extraordinaire et ce privilège immérité d'être là pour elle, et elle lui parle si naturellement qu'elle vous ressemble quand vous demandez avec votre sans-gêne habituel du mou pour votre chat à votre boucher, en plus elle commet ce sacrilège de ne pas forcer sur ses cordes vocales, de ne pas chercher à imiter une noire gutturalité du ghetto, northern soul ok vocal, mais la voix de l'âme a la couleur qu'elle veut, suffit de ne pas perdre le nord, d'être dans le rythme et de savoir se poser en lui comme le diamant dans son enchâssement de platine. Et quand c'est fini, voir les regards gourmands complices et satisfaits des musicos, tout fiers d'avoir accompagné la diva.

    En plus une composition originale, durant ce confinement Soul Time n'a perdu ni son temps, ni son âme !

    Damie Chad.

     

    *

    Tiens les Crashbirds ont commis un nouveau clip s'exclameront les lecteurs assidus de Kr'tnt ! Pas du tout, ils ont fait du rangement. Apparemment en Bretagne, chez eux c'est le gros désordre. Rappelez-vous la dernière vidéo commentée dans notre livraison 510, ce chat qui surgissait de n'importe où, n'était pas soigneusement rangé à sa place, par exemple sage comme gigot d'agneau sur une étagère du frigidaire, comme il se devrait. Bref Delphine a farfouillé et elle a trouvé, dans un monceau d'on ne sait trop quoi. Un vieux truc qui date de 2011, soyons précis elle n'a mis la main que sur la moitié du gibier, normalement il y avait l'image et le son, enregistré live, en concert, à Paris, pour l'image nous attendrons une décennie de plus. Rendez-vous en 2031.

    YOU CAN'T GET ALWAYS WHAT YOU WANT

    CRASHBIRDS

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    Sont comme ça, nos zoziaux préférés, ne doutent de rien. S'attaquent sans vergogne à plus gros qu'eux. L'on a envie de les pousser discrétos du coude, holà les hirondeaux, ce n'est pas du n'importe quoi, c'est les Stones, rien de plus casse-gueule que les Rolling, Même que le Jag l'était pas fier lorsqu'il a proposé d'enregistrer sa chansonnette sur Let it Bleed. Un truc tout simple qu'il gratouillait à la guitare dans sa salle de bain. Pensez que c'était tellement tordu que le Charlie n'est pas arrivé à reproduire le rythme ( enfin ça devait le gonfler l'a refilé le boulot au premier clampin qui passait ), et que pour étoffer le gâteau z'ont dû faire appel à un chœur spécialisé dans la musique classique, alors là franchement avec les pantoufles soniques de Pierre vos êtes mal partis. Bref se sont accrochés comme le naufragé à son bout d'espar brisé dans l'océan tempêtueux, sont même arrivés à reprendre pied sur la terre ferme. Bref ne nous reste plus qu'à écouter le désastre. On aimerait bien leur river le bec à nos mouettes rieuses qui se moquent de nos appréhensions, ben non, s'en sont sortis comme des chefs. Sont doués et pas comme des perroquets savants qui débitent du Marcel Proust sans rien comprendre au texte.

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    Pas de triche, d'abord réécouter les Stones. Let it Bleed, parfois au lycée on désertait les cours pour se passer dans le foyer le trente-trois tours sans être dérangés, l'on se retrouvait à trois ou quatre pour prendre une part supplémentaire du gâteau d'autant plus délicieux qu'écouté en fraude, sinon c'était entre midi et deux après la cantine, là on était une dizaine, sur 700 ou 800 élèves... ça râlait un peu quand on imposait toute la semaine l'écoute du pirate au serpent vert The greatest group of rock'n'roll on the earth, l'on toisait les récalcitrants d'un tel regard navré et méprisant qu'ils préféraient se les geler dans la cour glaciale... L'était sûr qu'à l'époque il n'y avait que les Stones, ou vous étiez Stones ou vous n'existiez pas... Laissons ces moments inoubliables, et réécoutons avec des oreilles blasées You can't always... on ne comprenait pas les paroles, mais le titre résumait à lui tout seul toutes les frustrations adolescentes et révolutionnaires de la bourrasque de mai 68, on aimait les Stones parce qu'ils vous en donnaient plus pour votre argent ( les 45 on s'en procurait plus facilement ) un son plein comme un œuf, et maintenant à la réécoute je me dis que l'ensemble fait un peu sandwich au patchwork, la Samaritaine du rock, vous y trouvez tout ce dont vous ignoriez jusqu'à l'existence, les Stones vous beurraient la tartine des deux côtés, et vous engluaient le listel de la croute d'une épaisse gluance de confiture. Vous écoutiez les Stones et vous aviez votre ration de survie et de combat pour votre journée. Aujourd'hui à l'entendre, vous ne pouvez pas rester plus de vingt secondes tranquille sans qu'une estafette diligente ne vienne vous livrer un cadeau surprise, en fait on s'en fout un peu, puisqu'après les chœurs symphoniques ne vous reste dans la tête que le premier couplet chanté par le Jag, de quoi qu'il cause on s'en moque mais c'est la manière de le dire, de poser les mots, à chaque syllabe le gars vous dépose une mine antipersonnel, en plus comme il ne commet pas son sinistre méfait en cachette l'est pratiquement tout seul, quelques effleurements de cordes de guitares, et par la suite le morceau se transforme en sapin de Noël, une avalanche de cadeaux vous submerge, choisissez l'orgue est daté mais la voix de Nanette Workman vous enflamme les sens, de toutes les manières ce qui reste gravé dans vos synapses c'est la strophe du début chantée au scalpel par le Jag.

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    Ne faudrait pas croire qu'à écouter les Stones on ait oublié les Crashbirds, parce que eux ils ont compris où nichait la beauté du morceau. Une voix et une guitare et puis tout le reste est superfétatoire. Or justement Delphine possède une voix et une guitare. Pierre aussi, un peu d'électricité ne messied pas quand on cause rock. Pour tout le reste, z'ont fait une croix dessus, et une fosse profonde pour enterrer tout le flot excessif de fioritures dont les Stones vous goinfraient généreusement à la pelle.

    A la première seconde elle a le riff acoustique, et elle ne le lâchera plus, les classicals du gosier peuvent retourner à leur partition, Delphine les remplace avantageusement, l'a de l'émotion dans la voix, comme si elle avait de la réverbe dans le larynx, tout le malheur du monde tombe sur nous, sûr qu'on n'aura pas toujours ce que l'on veut mais pour le moment l'on a Delphine, amplement suffisant avec ce tremblé vocal qu'elle rajoute comme un double sachet de sucre en poudre dans le yaourt, c'est alors que survint Pierre ( qui roule ), l'arrive par derrière, pratiquement en traître, l'a laissé les pantoufles au vestiaire mais il a pris les patins pour ne pas rayer le plancher, l'allume la bougie de son électrique et vous passe la petite flamme sur les cordes, la Delphine en miaule de plaisir, et l'on est parti pour ne pas revenir. Erreur c'est fini. Remarquez, sept minutes de bonheur, on a quand même eu ce dont on avait besoin.

    Damie Chad.

    *

    Je m'étais promis de retourner de temps en temps vers Forêt endormie, pour une fois que l'on a un groupe américain qui chante en français pas question de s'en priver. Puisque dans la livraison 509 du 06 / 05 / 2021 j 'avais chroniqué leur dernier disque, très logiquement je m'étais promis de m'attarder sur l'avant dernier. Pas tout à fait un album, un split, le disque partagé avec un autre groupe. Là j'avoue que j'ai eu peur, que Forêt endormie chantât en français je trouvons cela très bien, mais subito j'ai cru qu'ils étaient doublés sur leur gauche, le nom du deuxième groupe carrément en latin, Quercus Alba, si l'on continue à vouloir remonter aux origines, bientôt les ricains vont se mettre au grec ancien et peut-être même au sanskrit, pas de panique, Quercus Alba est instrumental et les titres sont en anglais.

    FORÊT ENDORMIE / QUERCUS ALBA

    ( Août 2019 )

    Belle pochette crépusculaire signée de Max Alex. Je rappelle que le mot crépuscule désigne autant le matin que le soir. Tonalité mauve pour le ciel, et vert charbonneux pour la terre. Sur la gauche une silhouette d'arbre. Dépouillé de ses feuilles. Pratiquement un squelette de chêne blanc. La lune dans la tourmente des nuées grenat en bouton de chemise, seule présence humaine que je m'amuse à y voir dans ce monde élémental où l'homme n'a pas sa place, trop chétive créature pour les forces telluriques qui convergent dans cette mutation éveil-sommeil, pulsation respiratoire de notre univers.

    FORÊT ENDORMIE

    Victorio Hurblurt : violon / Jordan Guerette : compositions, guitare, chant / Emmett Harrity : piano / Shannon Allen : violoncelle / Kate Beever : vibraphone, percussions, voix.

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    Entouré : notes cristallines gouttes d'eau perlant des feuilles, éveil matutinal, si vous croyez entrer dans un morceau de rock c'est raté, il faut d'abord l'écouter en son entier afin de comprendre que nous sommes en pleine composition classique, un morceau composé comme un opus de musique dite sérieuse, la voix étant traitée en tant qu'instrument et non en locomotive qui ouvre le chemin, l'intro est trompeuse dans sa simplicité, ces sept minutes sont beaucoup plus complexes qu'il n'y paraît, l'orchestration assez grêle du début évolue en une structure de volutes huluberluantes des plus surprenantes, et sur une vibration de violoncelle une libellule replie ses ailes et s'enferme en elle-même. Le morceau repart en spirale, le piano dans sa progression imite l'odonate qui se meurt, nous sommes plus près de Gnosiennes épurées de Satie que des orchestrations à la Pink Floyd. Vous pouvez rester des heures à tenter de pénétrer le mystère de ces richesses entrouvertes comme un coffre au trésor interdit. Toute écoute s'avère frustrante car elle renouvelle non pas la compréhension mais la vision synesthésique que vous vous formez à chaque fois. Cette lanterne : deuxième mouvement, qui ne vous éclairera pas davantage sur son être profond, des voix plus proches, une espèce de chant grégorien épuré, un piano qui explose et gicle, un violon qui ne s'arrête plus, et tout se tait pour renaître et s'amplifier une fois de plus encore, le premier morceau était beau, celui-ci frise la beauté souveraine, celle de l'idée platonicienne éparpillées parmi les mille verroteries du jeu des perles de verre échappées de leur boulier idéel et qui roulent aux confins du monde et s'en viennent cogner au mur de votre esprit avec la violence de balles assassines. Imaginez un quatuor de Bartok dont les notes seraient distendues et séparées en une lenteur qui n'exclurait aucunement leur violence initiale. Une étincelle que je veux avaler : j'intitulerais celui-ci le chemin du retour, en retrait par rapport aux deux premiers mouvements construits comme un labyrinthe dont les des galeries seraient des échos distordus, l'on repasse par deux moments qui sont les reprises tombales des deux précédents et surprise plus on avance plus l'on sent une extraordinaire présence magnifiée par des voix qui se pressent sur votre chair, non pas pour fêter le retour de l'enfant prodigue mais l'arrivée en une surprenante contrée dont nous ne saurons rien, car la musique s'arrête avant que nous n'en franchissions le seuil.

    Musique savante diront certains, je dirais plutôt exigeante en le sens où elle vous prend par la main et vous n'avez qu'à suivre. Ce qui est sûr, c'est que si vous cédez à ce vertige initial, vous êtes perdu, vous resterez des heures à tenter de trouver le chemin, vous voudrez tout voir, tout comprendre, même l'inaudible et l' ineffable. Une dimension ensorcelante qui n'est pas sans évoquer l'angoisse mystérieuse qui sourd des moindres syllabes et des moindres notes de Pelléas et Mélisande de Debussy et Maeterlinck. Prodigieux.

    Danger, si vous tentez l'expérience beaucoup de groupes prog risquent de perdre de leur couleur et leur attrait.

    QUERCUS ALBA

    Vous retrouvez des mentions de Jake Quittschreibber jusque des sites de Metal, ici il est seul, joue de tous les instruments, surtout du banjo.

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    Equinox : souvent les musiciens donnent à leur morceau instrumental un titre poétique. Me faudrait plusieurs livraisons de Kr'tnt, pour dresser la liste de toutes les équinoxes musicales, là je suis bluffé, ici ça commence bien ou plutôt mal, un arrière-fond musical agrémenté de notes éparses de banjo, faut savoir reconnaître ses torts, c'est vrai que Jake Quittschreibber a trouvé le nombre d'or du son, pas grand-chose, cinq-six notes et tout de suite l'on tombe dans une merveille d'équilibre, s'installe en nous cette évidence qu'ici le jour est égal à la nuit, à la seconde près, deux segments de droite rigoureusement égaux, l'on entend le chuintement des cordes comme un bruit de souris rongeuses, mais rien n'y fait on est confronté à ce que les mathématiciens appellent une remarquable égalité. Dépourvue de toute connotation symbolique, pas de vie, pas de mort, pas de noir, pas de blanc, juste le fléau de la balance rigoureusement droit. L'on pense à ces traités de l'Antiquité qui assimilait la musique à des rapports proportionnels de mathématique. Mourning cloak : l'on change de registre, une cascade de notes en ouverture et l'on pénètre dans le monde blanc, le morceau a beau se cacher sous son manteau de deuil, rien de triste, cela vous a même un petit air espagnol, disons de gravité ibérique, et le pendule tictacte fort joliment, point de roses de moroses, juste un mouvement de claudication, comme si la mort n'était que le pas que l'on n'ose pas avancer pour rentrer et revenir dans le monde des vivants. Pas de quoi être triste. La mort un peu profond ruisseau calomnié a écrit Mallarmé. Melting stream : ne croyez pas que le ruisseau qui charrie la vie sera plus joyeux, coule même lentement, le banjo est roi mais le morceau progresse surtout par ce sifflement doux et insupportable, c'est lui qui apporte le froid vivifiant nécessaire à la fonte des énergies, l'eau coule sous la glace même si parfois elle s'amasse, en de sombres cavernes souterraines, c'est pour mieux repartir et devenir fontaine de jouvence et de grande résurgence. Skies of gold : banjo au trot de vives joliesses, comment le Quitts peut-il insuffler tant d'allégresse à cette sonorité si grêle, c'est parti pour un sirtaki exalté et une flopée de notes aussi brinqueballantes qu'une bourrée auvergnate, l'on n'a peut-être pas atteint le ciel mais il pleut de la joie si fort qu'elle tinte comme des pièces d'or.

    L'on serait tenté d'affirmer que la face A est réservée à la musique savante et la B à l'expression de la musique populaire. Une riche idée de leur avoir permis de coexister de si près. L'on s'aperçoit qu'elles ne sont pas si éloignées que cela, toutes deux s'immiscent en nous pour atteindre et toucher notre sensibilité. Il suffit de se mettre en état de réception maximale.

    ETIRE DANS LE CIEL VIDE

    FORÊT ENDORMIE

    ( Octobre 2017 )

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    Ce n'était pas prévu, mais le disque précédent m'a laissé une si forte impression que j'ai eu envie d'en entendre davantage. J'ai descendu d'un étage, c'était le rez-de-chaussée, le premier LP, avant celui-ci un seul morceau enregistré en juin 2017 qui ouvre cet album.

    Pochette due à Max Allen, si la précédente peut-être facilement rattachée à l'iconographie du romantisme allemand, qui exalte la confrontation de l'animalcule humain à la mystérieuse présence de la Nature entrevue entant que phusis panthéiste, celle-ci se rapproche davantage de l'âme torturée d'un symbolisme plus tourmenté, l'impression d'être confronté à une coupe intérieure du cerveau de Monsieur Teste de Paul Valéry, on aperçoit les structures labyrinthiques des deux cotylédons ouverts encore engoncés dans l'ossature rocheuse du crâne dont on aurait scié la calotte. Le microcosme individuel s'offre à nous en tant que reproduction miniaturisée de la complexité macrocosmique de la Nature. Au-dessus le ciel bleu vide, nous comprenons dépourvu de toute déité. Une absence qui peut produire quelques angoisses. Pour la petite histoire nous remarquerons qu'un lecteur distrait ou pressé lira le titre de l'album : Etire dans le ciel vide en Etre dans le ciel vide...

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    L'angoisse : poème de Paul Verlaine ( le lecteur se rapportera aux textes de souvenirs que Paul Valéry a composés sur ce passant considérable accompagné de son troupeau bachique ) extrait de Les poèmes Saturniens. Il existe sur You Tube une vidéo sur laquelle l'on voit le groupe interpréter ce morceau, au milieu d'une forêt. L'auditeur sera sensible à la mise en voix de la forme compacte du sonnet verlainien, qui est ici étiré à l'extrême, l'on pourrait dire dispersé comme ces épaves que la houle emporte dans l'écume du naufrage de Brise Marine, de Stéphane Mallarmé ami cher de Verlaine, car ce n'est pas un navire qui coule mais les débris d'une âme humaine désespérée que les flots emportent, tout est en place pour un mélodrame, mais la partition de Jordan Guerette insiste sur l'idée de dispersion, le drame est évacué par cette orchestration qui semble prendre l'eau de toutes parts, c'est le sens du monde et des hommes qui s'en va à vau-l'eau, et peut-être n'est-ce pas aussi grave que cela, hymne à la déliquescence du monde, des hommes et de l'art. Et ce chant qui mange les mots, à l'image de la mer et de la mort qui ne ne rendent jamais ce qu'elles ont pris. Trois morceaux ! I, II, III, nomenclaturés, dans la musique classique cela est de nature courante du genre : concerto pour Clarinette et orchestre, n'empêche que cette corde et ce marteau me semblent participer de ces bouts de ficelles et de ces marteaux sans clous avec lesquels on s'empresse de rafistoler une coque de navire délabrée : String & hammer I : Sylvan Wayfaring : piano et violon, chutes alternées de l'un et glissando de l'autre, zigzaguer entre les troncs un peu à la manière du cavalier dans le tableau de Magritte Le Blanc-seing, une alternance qui permet de passer entre les arbres ou de se fondre en eux, un peu comme les hamadryades antiques étaient des nymphes qui se manifestaient sous forme d'arbre, une manière de peupler ce que l'on est et ce que l'on n'est pas car l'on est autant ce que l'on est que ce que l'on n'est pas, le morceau atteint à une forme de plénitude symphonique que l'on pourrait qualifier d'horizontale en le sens où elle semble avancer avec tout son espace de déploiement vers un point d'effacement, puis disparaît tel le faune de Mallarmé, '' Couple, adieu : je vais voir l'ombre que tu devins. '' String & hammer II : Pastorale : avec un tel titre l'on reste dans la forêt et l'on rentre aussi dans la symphonie ô combien symphonique de Beethoven, ce n'est pas la nature qui s'exprime mais la jouissance innocente de l'Humain dans le domaine naturel, très belle amplitude du violoncelle qui semble délimiter les murs intemporels d'un refuge idyllique. Closure réfugiale. String & hammer III : Baleful apparition : trop bien, trop beau, la forêt est aussi un monde étrange, un être qui transparaît dans l'innocence présence de ses feuillages, notes de piano comme rugosités d'écorces desquamées, qui marche là, qui glisse là, sur les andins du violon et puis tressaute, juste assez fort pour manifester, l'apparition invisible de quelque chose de plus grand que vous, qui vous englobe. Et peut-être vous gobe comme le museau animal d'un monstre qui serait la vie. The cleaning : mise au point, mise au net, une voix, des chœurs après ce titre intermède lyrique, il est temps que l'être humain revendique sa place, l'homme et la femme, le couple primordial et impossible, Sieglinde et Siegfred, de cette forêt enchantée qu'est la tétralogie wagnérienne qui conte la chute des Dieux et contient dans ces dissonances la gestation de la musique française qui s'en suivit. Méditations on disquiet : rondeurs et sombreurs de notes qui se prolongent et résonnent tel le soupçon de l'incertitude qui nous hante, tout est calme et doux mais la fêlure est là, même si elle ressemble à une traînée de miel sur un bras ami, la musique le dit, quelque chose est là qui n'est pas la musique, une présence qui n'est pas moi, me partage et m'attire, barytonneries de violoncelle, une résonance étrangère qui vient se mêler à ce monde pacifié comme une torche noire qui s'en vient apporter la fièvre et le tourment, mais qui ne brûle pas plus que ne rougeoie notre âme inquiète. Soleils couchants : deuxième poème de Verlaine extrait de Poèmes Saturniens, rappelons-nous que le nom de Saturne rappelle autant le fabuleux âge d'or qui se déroula sous son règne que la fin de celui-ci lorsque Zeus chassa son père, l'on ne sera pas étonné de la dimension cosmique de l'accompagnement pas du tout infatué de lui-même, une course en avant tressautante parfois, qui réussit à s'apaiser, mais il est difficile à des instruments humains d'imiter la musique des sphères, ne peuvent qu'en exprimer ces ombres platoniciennes qui dansent sur le mur de la caverne platonicienne. L'arbitrage : piano à Gnossos s'il fallait interpréter la dernière toile de Nicolas de Staël, puisqu'il faut en finir, et même dans la forêt profonde du mystère des origines, il faut bien couper la pomme ou la poire en deux, s'interroger sur la part qu'il faut préserver pour les dieux absents, la plus grosse, la plus mûre, la plus juteuse pour les pauvres humains, mais la musique nous le déclame doucement à l'oreille, les Autres avec cette moitié ridée, sèche et dure, avec ce morceau riquiqui ont accédé à l'immortalité du non-être. Tant pis pour nous. Forêt endormie évoque ce que nous avons perdu.

    Plus angoissé et torturé que la face A du disque précédent – n'oublions pas que c'est Etire dans le ciel vide qui lui est chronologiquement antérieur – pose la problématique de notre présence sur cette terre mais ne parvient pas à la circonscrire. De fait l'écoute est pour ainsi dire davantage intellectuelle. Faut calculer pour se diriger dans un labyrinthe. Très beau disque.

    Damie Chad.

    *

    L'on était dans le Minnesota avec Quercus Alba autant y rester, d'autant plus que ce Jake Quittschreiber et son banjo dont on retrouve le nom dans le réseau Metal m'interrogeait et me posait question. Une rapide enquête m'a permis de le localiser dans un groupe de doom, Circadian Ritual. Le groupe a enregistré deux albums sur le minnesotien label Live Fast Dye et ne donne plus de nouvelles depuis décembre 2019...

    L'écoute de Circadian Ritual après Quercus Alba peut déstabiliser. Ces deux projets apparaîtront à beaucoup comme provenant de deux univers totalement différents et presque antagonistes. Il existe pourtant un trait d'union évident, Jake Quittschreiber en personne, si de surcroît l'on réfléchit un peu le banjo agreste du premier – les pochettes des albums du Chêne Blanc le confirment – n'est pas loin d'une vision holistique de la nature telle que la pratiquent les hippies spinozistes et la revendication de ces rythmes circadiens ( qui s'étendent sur une durée à peu près égale à vingt-quatre heures ) n'est pas étrangère à de nombreux cycles naturels, notamment végétal et animal. Ne parlons pas des hominidés... Une certaine mystique contemplative peut considérer le déroulement de ces cycles comme des rituels...

    S / T

    CIRCADIAN RITUAL

    ( Juillet 2016 )

    Rick Parsons : guitare / Jake Quittschreiber : guitare, vocal / Ben Shaffer : basse / Jim Clark : batterie.

    S/T signifie-t-il temps sacré ( sacred time ) ? Pochette noire, ombreuse. Des cimes d'arbres éclairées par la trouée lumineuse de l'astre sélénique à moins que ce ne soit un appel, un troublant trou blanc en but d'une allée pratiquement invisible que l'on n'imagine qu'avec peine. Sur le côté deux bouts de pilastres qui signent la présence anonyme d'une entrée, serait-ce celle d'un cimetière...

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    The high priestess : lenteur agonisique, voiles funèbres de guitares que le vent remue faiblement, ambiance noire, une avancée très très darkly, des grincements, clous de cercueils que l'on arrache de l'intérieur, pas lourds d'une légion d'ombres en marche, l'on sent des muscles roides, ankylosés mais l'amplitude des enjambées devient manifeste, la cadence s'accentue, clarté de guitares vite réprimées par un son qui prend de l'allant, il est sûr que l'on piétine sur un chemin de pierre et la grande prêtresse prend la parole, elle est la déesse éternelle, elle ne prononce que son nom, et la voix des morts prend la relève, la rumeur engorgée psalmodie et la musique accapare la tête du défilé, plus forte, plus violente, une batterie qui tire et pousse et la voix des mourus s'impose et s'expose, litanie des morts vivants qui empruntent le tunnel des aîtres intérieurs pour renaître, revenir à la vie, repartir, s'envoler dans le grand tourbillon vital, vie et mort s'emmêlent, naissance et décès ne forment plus qu'une clameur victorieuse. Ethereal monolith : intro grandiose qui se traîne en sa majesté, l'instant est décisif, l'on sent comme une élévation, une aspiration, la prise en main de son destin, la musique s'appesantit, des pas qui ébranlent la terre, la batterie écroule les arbres, une longue agonie de guitare et la basse prend place, les dernières pentes de la montagne magique, l'air se raréfie il est peu à peu remplacé par un fluide éthérien plus subtil que seuls les créatures supérieures peuvent respirer à leur guise, c'est le moment où le héros ne contrôle plus sa raison, n'est-il pas en route vers l'Insurmontable, au travers de murailles cyclopéennes, une voix qui n'est plus que de cendres brûlantes, que d'invectives de feu adressées à soi-même, tout se tait, rien que le frôlement d'une basse exsangue et nous voici au sommet face au monolithe d'éther, comment une pierre aussi monstrueuse peut-elle être constituée d'un brouillard d'atomes, c'est le moment du duel, grognements terribles, fauves en furies, l'on ne saura jamais, une brume musicale tel un rideau qui descend à la fin du dernier acte, et cache ce que l'on ne doit apprendre qu'en suivant notre pensée ,si elle est assez vive pour se faufiler dans ce kaos sonore, et saisir la voix de l'inaudible au milieu de cet ébranlement terminatif. Black Chalice I : lourdeurs de cordes chuintantes, résonances, une cloche sonne dans le lointain de la nuit, l'heure des grands changements est arrivée, la voix vomit commandements et excommunications, ce qui doit périr doit périr, les promesses d'immortalité ne sont qu'un leurre, la musique se répand comme un gaz toxique chargé de mort, coups de béliers sur les certitudes humaines, l'ordre nouveau n'est qu'édits de folie et d'incertitudes, monstrueuse tabula rasa, coups de faux mortuaires sur l'herbe des vivants, procession vers le néant qui n'en finit pas, tous innocents et tous coupables, si vous abolissez le péché il faut aussi abolir les pécheurs. Une guitare claironne dans le lointain qui se rapproche. Black Chalice II : si vous croyiez avoir atteint le pire, écoutez ces pétarades phoniques qui ne laissent rien augurer de bon, et ces abats sanglants de tentures magnifiques qui se déploient autour de vous, auréolés de chœurs d'anges maudits, vous n'êtes pas près d'être tirés d'affaire, renoncez à tout espoir, l'enfer est sur cette terre, vous n'y échapperez pas, des remparts de basses s'écroulent sur vous pour empêcher toute fuite, l'on marche sur vos corps agenouillés, l'on vous écrase, il n'est pas de bonne mort sans souffrance, vous avez cru vous échapper, vous avez tenté votre chance, mais vous avez perdu, la religion est un étau destiné à vous enserrer, à vous broyer méthodiquement, sans pitié, sans amour, sans espoir, des vents de colères se lèvent et tournoient sur votre charpie humaine, les vomissures vocales prophétisent votre esclavage physique et moral, miaulements effrayants de fauves affamés lâchés sur vous. Galopade de terreurs. L'on serre une dernière fois l'écrou fatal.

    Pas vraiment réjouissant. Les amateurs de doom adoreront. Feront comme moi.

    BEFALLEN

    CIRCADIAN RITUAL

    ( Décembre 2017 )

    Pochette de Jake Quittschreiber, si vous la comparez avec la précédente de Bjorn Christianson vous aurez tendance de la qualifier de flashy grâce à ce jaune illuminatif qui accapare la vue, et vous cache la noirceur de cette langue de terre qui s'avance dans la mer, et rampe sous le ciel. Tellement obscure qu'elle semble n'avoir d'autre but que de rendre l'artefact plus lumineux. Ne vous trompez pas, comme l'on dit dans un film célèbre, nous sommes ici du côté obscur de la force.

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    Solomon's Temple : cordes qui sonnent comme un psaltérion, grondement lointain qui vibre, enfle et prend toute la place, le chant est censé évoquer la magnificence du lieu sacré, un borborygme qui s'étend trop longtemps pour que l'on y croie, macérations phoniques comme si le Dieu en personne prophétisait, rappel de batterie et la voix reprend et s'étire tandis que le background se précipite, des chants liturgiques s'élèvent, soyez heureux vous êtes sous la protection divine, la musique s'emballe et file à toute vitesse comme si elle descendait le temps... aujourd'hui, de toute cette magnificence ne subsiste rien, rayée de la surface de la terre, grandiloquence du temps qui passe et efface tout, rien ne subsiste des promesses divines, la mort arase tout, rythmiques de guitares implacables, la marée des jours s'amoncelle sur elle-même et rien ne surnage, sombre et grave la réalité de la dispersion en poussière s'abat sur vous et recouvre de cendres les hommes et les dieux. Befallen : vous avez lu l'Apocalypse, vous l'entendez en musique, ce ne sont pas vos yeux qui saignent de désespoir mais vos oreilles, surprises de ces sons si doux... qui ne durent pas longtemps, voici les imprécations du désastre, entrecoupées de courts silences et de voix agonisantes, qui parle ? qui gagne ? qui perd ? la bête sort du gouffre, les anges s'en viennent au combat, mais il est perdu d'avance, les hommes n'y croient plus, la terre est infestée d'hérétiques, musique noire et emphatique une cloche sonne le glas de la conscience du Dieu, malédiction humaine, le royaume est une pomme pourrie qui court lentement vers sa dissolution annoncée, clameurs de désespoir et de colère, rien n'arrêtera l'Inéluctable, seule la mort triomphera, cela se termine par une onction de grâce au néant des choses abîmales. Très fort. Très beau. Elysian desire : ici tout n'est que luxe calme et volupté, que peut-on désirer lorsque l'on est mort si ce n'est l'immortalité, instrumental, ce ne sont pas séraphins qui tirent sur les cordes des harpes célestes mais un désir d'éternité impossible qui monte, enfle et gonfle, que rien ne peut arrêter, ni même satisfaire, car lorsque l'on désire le tout le désir est encore étranger à ce trou, et la musique speede aux confins de l'univers en une espèce de tapis magique cosmosique, débordement que la batterie essaie de contenir mais les guitares emportent le tout et forcent le passage. Pyramids : sont-ce des anges qui chantent ou des puissances démoniaques, l'on croyait que Dieu était mort, mais nous voici au cente de l'Empyrée, après avoir parcouru les champs élyséens nous serions donc arrives emportés par la musique comme un bateau perdu dans l'espace, non plus après la mort du Dieu mais avant sa naissance, dans la musique des sphères, un peu graisseuses, il faut l'avouer, mais ô combien entraînante et dispensatrice d'un certain équilibre, à la manière de ces monuments aux bases énormes mais qui s'affinaient en leur sommet au point de toucher l'éther après avoir délaissé leur revêtements de pierres, le chant n'est plus qu'un gargouillis d'éternité soutenue par des voiles empourprés taillés dans le linceul des Dieux. Montée graduelle vers le plaisir de la grandeur. The hierophant : la dernière carte, l'arcane suprême que l'on jette en annonce nouvelle lorsque l'on a gagné la partie, lorsque le grand-œuvre est enfin réalisé, tonnerre de guitare, c'est Zeus tonnant, le Jupiter païen qui apparaît, une apparition qui remet le chemin tortueux de ces titres droit vers les étoiles d'un coup de foudre, les anciens dieux ont repris le pouvoir et leurs adeptes les fêtent dignement. Le morceau se déroule tel un hymne homérien, vindicatif et triomphal, buccins phénoménaux, la terre enfin réconciliée avec elle-même, les hommes exultent, ils sont les modèles des Dieux qu'ils ont replacés sur le trône impérieux. Derniers chuintements des plus paisibles. Heidegger aurait écrit qu'ils sont arrivés dans la maison de l'Être.

    Le disque est à écouter comment font-ils simplement à quatre pour donner une telle force à leur musique, l'opus s'écoute comme une symphonie romantique en progression continuelle, parviennent à indiquer une direction, à donner du sens, comparé à celui-ci, le premier très bon en lui-même n'est pas exempt d'une certaine contingence. Chef-d'œuvre doom. Mythologique.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 514 : KR'TNT ! 514 : EL CRAMPED / BETTE SMITH / PHIL SPECTOR / MOJO BLUES / PAIGE ANDERSON / TWO RUNNER / MARIE DESJARDINS / JAYNE MANSFIELD /

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 514

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    10 / 06 / 2021

     

    EL CRAMPED / BETTE SMITH

    PHIL SPECTOR / MOJO BLUES

    PAIGE ANDERSON / TWO RUNNER

    MARIE DESJARDINS / JAYNE MANSFIELD

    *

    Une terrible histoire. Prenez-en de la graine. N'oubliez jamais que vos actes vous engagent bien plus que vous ne le croyiez. Ecoutez la lamentable ( et néanmoins mirifique ) histoire survenue à ces deux personnages. Deux chevaliers à la triste figure engrangés dans une incroyable aventure, n'ont pas eu la chance de Hank Williams qui a dit I saw the light, et il s'est endormi paisiblement sur la banquette arrière de sa voiture, pendant qu'il dormait les anges sont descendus du ciel, et ont emporté son âme pure ( malt whisky ) devant le trône du Seigneur, pas de chance pour nos deux héros, eux ils n'ont pas vu la Light, ils ont aperçu le Lux. C'est-là qu'il faut rechercher la cause de tous leur malheur. Commençons par les identifier. Le premier se nomme Professor Von Bee, s'auréoler du titre de Professor n'est pas innocent, souvenons-nous que le seul professeur dont le nom ait traversé les siècles reste celui du Professor Frankeinstein et encore son blaze lui a-t-il été volé par le monstre qu'il avait engendré, des chercheurs autorisés affirment que sa maman lui a donné ce ridicule prénom de Von Bee parce que la radio diffusait I'm a King Bee de Slim Harpo ou des Rollings Stones ( les avis divergent ) alors que dans un dernier spasme de jouissance la petite graine fut plantée. Le deuxième n'a pas de nom, tout jeune il a pris l'habitude de signer ses crimes ( c'est un infatigable Serial ) par le pseudonyme de The Loser, l'endort la méfiance par ce surnom de perdant magnifique. L'on dit ( mais l' on raconte tellement de choses ) que depuis des années sur un des meilleurs blogues rock de la planète il embaume deux ou trois victimes systématiquement tous les mercredis matins ( les psychologues assurent qu'il a développé cette mauvaise habitude parce tout petit il haïssait ce jour funeste durant lequel il était privé d'école ), la police est sur ses traces mais il brouille les pistes en apposant au bas de ses méfaits un nom différent à chaque fois.

    Bref un soir où ils s'ennuyaient, ne sachant pas quoi faire, ils ont décidé d'établir une liste. Une liste alphabétique à proposé le sinistre Loser. Pourquoi pas a répondu el Professor, une liste des bienfaiteurs de l'Humanité serait une bonne action, tiens une liste de professeurs a-t-il ajouté, par exemple à la lettre E, je verrais bien le Professeur Einstein. Vous l'avez deviné le Loser n'était pas d'accord, juste pour enquiquiner son copain, le ton est monté, se sont bagarrés, la scène se passait dans un café, z'ont tout cassé, au bout d'une heure ne restait plus qu'une ruine, le comptoir fracassé, la vitrine en éclats, les chaises plantées dans le mur, les lustres vacillants, j'abrège ma description, de fait ne subsistait de parfaitement intact, dans le jukebox éventré, qu'un seul objet, un single des Cramps ( Surfing bird / The way I walk, si vous voulez tout savoir ), sont tombés dans les bras l'un de l'autre, c'était un signe du destin et peut-être même des Dieux de l'Olympe, le sort en avait décidé pour eux, ils s'embrassèrent et jurèrent qu'ils n'auraient pas de repos tant qu'ils n'auraient pas réalisé une liste dont le mot de ralliement s'imposait : Cramps !

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    Faut être honnête, nos deux mauvais sujets y ont passé des heures et des heures, des jours et des jours, des semaines et des semaines, des mois et des mois, et des années et des années. L'ouvrage progressait, à tel point qu'il n'a pas tardé à arriver sur la table non pas de travail mais de désir de Kr'tnt ! votre blogue préféré, et la chronique de la liste crampsique qui entre temps était devenu Le Petit ( 516 pages ) Abécédaire de la CRAMPOLOGIE publié chez Camion Blanc a été rédigé – vous connaissez mon sérieux – par moi même l'Agent Chad du Service Secret du Rock'n'roll, dans notre livraison 300 ( vous ne trouverez pas plus spartiate ) du 27 octobre 2016.

    Je m'étais rendu compte de l'arnaque, mais je n'ai rien dit, ils avaient très gentiment et systématiquement caché un billet de 500 euros entre les pages de leur envoi, n'empêche que l'œil de leur méfait était dans la tombe de leur conscience et les regardait. Je peux aujourd'hui révéler l'étendue de leur ignominie, ce n'est pas qu'il y a prescription, c'est qu'il y a réparation. Tout le bouquin regorge de documents des plus précis, sauf à la lettre E. Cette lettre ésotérique que les Grecs avaient placée sur le fronton du temple de Delphes, et qui vous commandait de vous souvenir que vous n'étiez qu'un homme que vous n'étiez pas comme les Dieux qui eux ont le droit de mentir, en toute impunité. Souvenez-vous que cette histoire débute à la lettre E d'Einstein... Z'ont cherché sur toute la planète, z'ont rempli toutes les occurrences alphabétiques sauf la E ! Alors en désespoir de cause, ils ont inventé un bobard, la formation d'un groupe nommé El Cramped ( pages 71 à 82 ), des photos foutaises des fausses promesses, bref depuis cinq longues années personne ne croyait à l'existence de ce fameux El Cramped... Et voici que ce matin, arrive enfin la preuve irréfutable :

    EL CRAMPED

    A TRIBUTE TO THE MAD GENIUS

    OF

    LUX INTERIOR

    ( Trash Wax 049 / 2021 )

    Un disque, un vrai, en vinyle 180 grammes avec pochette cartonnée et en couleur, pas un misérable single, pas une grenouille d' Ep cinq cuts qui veut se faire passer pour un bœuf albumique, non un vrai 33 tours, aussi Royal que le fils de Louis XIII puisqu'il arbore en quartiers de noblesse quatorze titres.

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    Pour ceux qui n'ont jamais eu la visite intérieure du Lux suprême dans leur âme ravagée par le conformisme du consensus mou et doux voici quelques rapides explications complémentaires. Cela a débuté il y a longtemps au début du dernier quart du siècle précédent, dans l'ère primale que les géologues ont depuis appelée l'effondrement crétinoïde-punkitoésidal, certains individus ont brutalement été victimes de régressions psychiques aberrantes, au lieu de suivre la marche en avant du progrès humain, ils ont stupidement tourné le dos à cet adorable univers aseptisé qui ne veut que notre bonheur vers lequel l'Humanité se dirigeait à grands pas... z'ont adopté des signes d'atrophie esthétique inquiétants, au lieu de se jeter sur le dernier coffret de Mozart ils se sont entichés de disques ratés de rockabilly notoirement joués par des schizophrènes asthmatiques et hoquetant, au lieu de regarder les grands classiques du cinéma ils ont collectionné les cassettes d'histoires de morts-vivants, au lieu de visiter les musées ils se sont entichés d'images insanes qu'ils arrachaient dans les horribles pages de vieux fanzines qu'ils s'ingéniaient à dénicher dans les stocks moisis de brocanteurs sales, hirsutes et avinés. Un recul civilisationnel auquel les invasions barbares n'arrivent pas à la cheville. Des nietzschéens fous qui ont pratiqué le renversement des valeurs immortelles... Les Cramps furent en quelque sorte les leaders du grand démembrement, ils étaient conduit par un génie fou ( souriez, dieu merci, il est mort ) qui se faisait appeler Lumière Interieure, et honte et scandale, c'est pour rendre hommage ce grand désaxé congénital que le Professor Von Bee et le sombre Loser ont décidé de vouer leur vie. Priez pour nous !

    Abstenez-vous d'accorder ne serait-ce qu'un seul regard soupçonneux à cette horreur sans nom, qui se voudrait une pochette mais qui n'est qu'une icône étronale malfaisante due au pinceau malade du Loser. Vous êtes-vous déjà demandé ce qu'il y a au fond de la poubelle de votre âme. Certains lisent votre avenir dans le marc de café, le Loser soulève le couvercle et vous montre les monstres putréfiants qui grouillent au fond de votre cervelle, vous dévoile le peuple infâme et informe qui ronge vos neurones. Epargnez-vous cette représentation de vous-même en ce monstre verdâtre à mine de vampire nauséeux, cette créature déguisée en belle espionne ne la regardez pas dans les yeux, elle n'est qu'une préfiguration de la baudelairienne charogne pantelante que deviendra votre corps après votre mort, quittez ce sourire de DRH qui va vous mettre au chômage pour le restant de votre vie, n'oubliez pas que les Dieux incas ne portent pas de lunettes noires et essayez d'échapper au rayon désintégrateur qui darde vers vous, mais vous regardez, ce fond de poubelle qui vous ressemble tant et qui vous happe, plongez-y dedans, rejoignez vos phantasmes, tant pis pour vous, vous ne ressortirez jamais de ce vortex. Le couvercle se referme sur vous. Vous êtes pris. A votre propre piège. Le Loser est un adepte de la ligne claire, et de la mine sombre.

    Ne vous prend pas en traître. Vous avertit de ce qui vous attend. Dans le cadre extérieur il a piqué des mots volés aux titres que vous entendrez. Pour ceux qui ne savent pas lire, il a ajouté des petits dessins évocateurs. Un véritable ami de l'espèce humaine, ce Loser ! Un peu crâneur tout de même.

    The wrecking crew, ou aussi les Enfants perdus du Capitaine Flint :The Professor Von Bee : vocals ( on ne présente plus ) / Sylvie : drums ( mesdames les féministes, ne les félicitez pas pour leur effort vers la parité, simplement une citation historiale, pour rappeler que les deux premières moissonneuses-batteuses des Cramps étaient du genre sexe faible / Kid Karim : guitare ( un pauvre gamin qu'ils ont racolé en lui faisant croire qu'il allait devenir une rock'n'roll star ) / The Loser : bass ( on ne présente plus ).

    L'instant fatidique de sortir le disque de sa pochette est venu, c'est un peu comme si vous tiriez par la queue un mamba noir de son sommeil, l'est enveloppé dans une pochette papier aussi sombre que le trou du cul du diable, surprise ce qui apparaît est maintenant un merveilleux vinyle couleur d'empyrée, un bleu irrémédiable, sûr un pur azur mallarméen dont la sereine ironie accable belle indolemment notre âme impuissante...

    Saddle up a buzz buzz : de la malhonnêteté incarnée, se vantent au dos de la pochette d 'avoir fauché tout ce qu'ils ont pu de licks et de riffs dans quatre ou cinq morceaux des Cramps – c'est ce que l'on appelle chez les gens bien des citations hommagiales, et chez les prolos un pot pourri ( jusqu'au trognon ), une entrée en fanfare qui vous réveillerait un mort, ( mollo sur le bouton si vos habitez près d'un cimetière ), la basse du Loser entame illico la marche des crapauds, cahin-caha, attrapez-moi et léchez la matière visqueuse et pustuleuse de mon dos, la Sylvie use, abuse et obuse d'une lessiveuse tintamarresque, une espèce de zigouigoui sonore infâme et Dieu merci c'est terminé. Missa est. Garbageman : pour le frétillement insidieux de queue de crotale qui ouvre l'interprétation des Cramps c'est raté, par contre la batterie imitation du bruit de couvercles de poubelles que l'on laisse retomber sur le ciment du trottoir ce que Marcel Proust jugeait intolérable c'est gagné, ensuite El Professor prend la relève, cette espèce de récitation hallucinatoire de Lux c'est pour lui, nous la sabote à l'orthopédique, ce n'est pas beau comme du Verlaine mais tout le monde ( musicos et auditeurs ) lui emboîte le pas, finira bien par s'arrêter dans un rade bien crade. Nacked girl falling down the stairs : pour l'écoute de ce morceau l'on change de Marcel, odeur de femelle certes, mais cela sent aussi un peu son Duchamp, évidemment ils ont cassé Le Grand Verre, croyaient que c'était un aquarium dans lequel el maestro avait oublié de mettre les poissons. Le Kid c'est à croire qu'il voyait pour la première fois une femme nue descendre un escalier – faut avouer que le vocal del Professor vous émulse la cervelle, rappelle le Colonel Parker quand il n'était que Capitaine et qu'il attirait à l'entrée du cirque les clients au porte-voix – le kid ça l'émoustille éruptif, masturbe son manche un peu épileptiquement, est-ce Sylvie au fond qui pousse ses petits cris de scie égoïne, je ne sais pas, mais l'ensemble est parfait pour faire monter l'adrénaline et la mayonnaise. Ultra twist : Ah ! Ah ! l'insouciance innocente des sixties et la ligne claire de la guitare des Shells, lorsque les Cramps s'en sont emparés, z'ont un peu barbouillé par-dessus, z'ont dessiné des moustaches rouges à la Joconde et refait le portrait au couteau, pardon au cran d'arrêt, du coup le Professor n'a pas jugé bon de remettre au placard sa voix de bateleur de province, le Karim vous fait de ces vrillés de moustiques comme s'il pilotait un spitfire à réaction, le Loser vous broie le brou de noix sur le fond et la douce Sylvie tape comme si elle s'était évadée de l'asile. Des ultraïstes cubisto-sémiographistes. I walked all night : ne faut pas prendre les Cramps pour des faux fous, savent respecter l'esprit malsain, exemple ce morceau tout joyeux des Embers ils ne le maltraitent pas, z'y rajoutent le sourire doucereux de la fausse ironie, Los Crampedos résolvent le problème, appliquent la solution du cunis lingus à la langue de serpent, est-ce pour cela que Sylvie frappe comme un requin complètement marteau et que les boys virevoltent et minaudent comme des papillons, ces sphinx à la tête de mort qui butinent uniquement les fleurs des cimetières, because Eros et Thanatos sont des mots qui vont si bien ensemble. Primitive : y avait comme des traces gluantes de sperme à la fin de l'original des Groupies, les Cramps ne pouvaient que s'y jeter dessus, z'en ont donné une version plus luxuriante et luxurieuse, le Lux s'avance sur la pointe des pieds dans la jungle des désirs, minaude et miaule et feule comme un tigre de Birmanie El Cramped partage quelque peu cette discrétion, une bave glaireuse coule sur le menton del Professor, Sylvie modère la portée de ses coups, elle a compris qu'il ne fallait pas de bruit, Karim se perd dans des arabesques alambiquées, la basse laser del Loser fulgure de minuscules crachats sur ses talons hauts, l'on sent bien qu'ils aimeraient bien faire durer au moins une demi-heure ce moment d'attente délicieux encore plus jouissif que la délivrance abrupte de la jouissance. Fissure of Rolando : ( pour ceux qui ont raté leur première année de médecine car au lieu d'aller en amphi suivre les cours ils passaient leur temps à copuler avec les cadavres de la morgue nous rappelons qu'il s'agit de ce sillon central qui sépare les deux hémisphères du cerveau, évidemment ceux qui n 'en possèdent qu'un seul ont du mal à entrevoir de quoi l'on cause ), terminent la face A en beauté, un titre qui se déroule comme une bobine de cinéma à grande vitesse, Sylvie à la frappe métrogoldewynmayernomique, el Professor qui nique la panique, le Loser pousse Karim dans les cordes, El Cramped sonne à la manière de la cloche du Titanic annonçant l'imminence du naufrage, grand spectacle auditif.

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    Mean machine : j'ai toujours surnommé ce morceau des Cramps, tire-la-langue, pour ce petit gimmick de guitare qui se moque de vous et qui déstabilise la grosse et emphatique voix effroyable de Lux, z'ont compris chez El Cramped, c'est une collection de langues de fourmiliers qu'ils tirent aussi efficaces qu'un lot de trompettes héroïco-comiques, du coup El Professor perd son sérieux, la rythmique à l'unisson folâtre dans les bois, z'en font une version Doctor Folamour qui emporte la conviction. Drugs train : l'est parfait en chef de gare El Professor, l'est sûr que l'on aimerait voyager dans ce convoi pas du tout funèbre, l'on s'y amuse follement, parfaitement imité ce chuintement de shuffle terminal, je vais sûrement recevoir des tonnes de lettres d'insultes … j'ai l'impression que les élèves ont surpassé le maître. Green door : La version des Cramps est bien plus tubéreuse que celle de Jim Lowe, el Professor est parfait, ressemble au maître d'hôtel qui de sa voix onctueuse vous refusera toujours de vous ouvrir la porte de la salle de bain dans laquelle s'ébat la belle syrène que vous avez à peine entraperçue la veille. Rocket in my pocket : un classique du rockabilly ( 1958 ) de Jimmy Lloyd aka Jimmi Logsdon, les Cramps se sont rués sur cette grenade sexuelle qu'ils ont même enregistrée live ( parce que l'amour en studio cuisine reste quand on y songe assez aseptisé ) par deux fois, El Cramped tire leur crampe par deux fois mais en un seul embrasement, étrangement c'est Sylvie qui se précipite la première et les guys la suivent en ce qu'il faut bien reconnaître être un joyeux bordel, ou un foutraque fourre-tout. Nous leur décernons l'ordre de la toison d'or. Goo goo muck : les Cramps se sont toujours vautrés dans le stupre et l'opprobre, même que Lux retrouve des intonations cochranesques, ce genre d'exercice doit inspirer la horde crampsique, la guitare de Karim flamboie, la basse du Loser louvoie d'une façon perverse, Sylvie vous botte les fesses y el Professor Von debout s'applique comme le meilleur élève de sa classe. Ce coup-ci nous leur offrirons un séjour en thalassothérapie au fond d'un bayou vaseux peuplé d'alligators, ils l'ont amplifiquement mérité. Miniskirt blues : n'ai jamais compris comment une mini-jupe pouvait refiler le blues, je remarque d'ailleurs que les Cramps ça leur a plutôt filé la banane, quant au Professor je ne vous dis pas, bande comme un onagre qui jute du vinaigre vitriolé, le Karim on ne le retient pas file des coups de guitare-butoir dans tous les trous de souris qui passent, le Loser insidieux et ronronnant pousse au crime, n'y a que Sylvie qui fasse le job sans débordement, au moins elle saura que chez El Cramped ce sont les hommes qui portent la mini-jupe. Lonesome town : Le Lux vous fait sa voix d'homme des cavernes mal réveillé qui s'aperçoit que sa hyène favorite l'a quitté pendant la nuit, El Professor ne rate pas le numéro de la grande larmoyance, le Loser essuie les larmes qui déferlent sur sa basse, la Sylvie vous tape le glas aglagla, la guitare de Karim pique une crise de nerf désespérée, el Professor chiale un petit coup et vous sortez votre mouchoir pour éponger vos yeux humides. Les rockers sont ainsi, en apparence de sombres brutes, passez-leur le slow de l'été, ils pleurent comme des madeleines.

    Certains opteront pour la première face davantage tape-à-l'œil au beurre noir, d'autres éliront la musicalité sonore de la deuxième, beaucoup resteront dans l'indécision, mourront de faim et de soif sur place, tant pis pour eux, c'est si évident qu'il faut préférer les deux. Ce qu'il y a de sûr c'est que le Loser et El Professor sont désormais réhabilités au tribunal du rock'n'roll, ils ont coché toutes les cases de l'Abécédaire, signez la pétition pour que leur soit offert la chaire de Crampologie au Collège de France. Pour une fois qu'un Professor aura mis en pratique ce dont il cause...

    Damie Chad.

    P. S. : Au dos de la pochette, El professor rappelle que Lonesome Town de Ricky Nelson a été aussi adapté par Richard Anthony et Françoise Hardy, sous le titre La rue des cœurs perdus, Hardy l'a aussi enregistrée en anglais ( c'est une intellectuelle qui désespère même les singes ), la meilleure adaptation en la langue de Pierre Louÿs reste celle de Johnny Hallyday en 1996 sous le titre La ville des âmes en peine.

     

    L’avenir du rock - Cette bête de Bette

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    Le pandemic et l’avenir du rock sont assis à la terrasse d’une brasserie. Sournois et vénal, le pandemic ne rate pas une seule occasion d’insulter l’avenir du rock :

    — Je vais te baiser la gueule en beauté ! Sans concerts, t’es mal barré, pauvre con d’avenir du rock !

    — Tu crois m’impressionner avec tes petites menaces à la mormoille ?

    — Même si les concerts repartent, j’obligerai les gens à porter des masques ! Tu vois un peu la gueule des rockers avec des masques ? Ha ha ha ha !

    — Je viens de te le dire, tes conneries ne m’impressionnent pas.

    — En plus, je vais faire souffler les rockers dans le ballon, avant et après les concerts, ha ha ha ha ! Terminé, l’avenir du rock, tout le monde descend !

    — C’est là où tu te plantes, mon pauvre pandemic. Ce n’est pas parce que tu as empuanti les medias - qui d’ailleurs puaient déjà pas mal - et que tu as plongé les populations dans la stupeur - ça n’était pas très compliqué - que tu as gagné. Tu te fourres le doigt dans l’œil jusqu’au coude, pauvre connard de pandemic. Tu veux savoir pourquoi tu as perdu la partie ?

    — J’espère que tu ne vas pas me sortir la litanie des vaccins...

    — Je ne te croyais pas aussi con. La réponse, c’est une petite blackette nommée Bette Smith.

    Remontons si vous le voulez bien à l’an de grâce 2017. L’un de ces canards anglais qu’on dévore chaque mois disait le plus grand bien d’une certaine Bette Smith. En tête de chronique figurait la pochette de l’album. Même à la taille d’une vignette, on voyait bien que Bette Smith avait fière allure, avec sa belle afro. Elle avait des faux airs de Candi Staton. Son album s’appelait Jetlagger et paraissait sur l’excellent label Big Legal Mess, qui est une filiale de Fat Possum. Big afro, Big Legal Mess, cinq étoiles : il n’y eut aucune hésitation. Dévoré de curiosité, rongé de fièvres, nous rapatriâmes ce mystérieux album.

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    Dès «I Will Feed You», on est tombé sous le charme de cette Soul Sister et sa fascinante présence vocale. Elle tapait dans une heavy Soul de magie pure. D’une pesanteur superbe, sa Soul-psych frisait l’hendrixité des choses. Mais qui rôdait derrière ce son ? Jimbo Mathus, évidemment ! Oh mais aussi Matt Patton, le bassman des Dexateens, légende de l’underground alabamien. Cette bête de Bette développait la même puissance que l’«Hey Joe» de 1968. Splendeur ténébreuse ! Avec «Flying Sweet Angel Of Joy», elle tapait dans le gospel batch. Sa Soul sonnait comme une déflagration neuronale, elle inoculait la peste noire à la peau blanche, elle était aussi farcie de gospel qu’une dinde de Noël. Cette fantastique shouteuse inventait carrément le gospel psychout so far out. Elle revenait à des choses plus classiques avec le morceau titre, comme si elle voulait accorder un répit à sa troupe. Du coup, elle redevenait prévisible. Mais elle allait retrouver l’assise de sa véracité avec «I Found Love». C’est là que toutes les puissances du Big Legal Mess System se jetaient dans la bataille. On assistait alors à une stupéfiante course à l’échalote, doublée d’une épique partie de bassmatic signée Matt Patton. Cet album était tout simplement la révélation de l’an de grâce 2017. Avec «Manchild», Bette flirtait avec un rockalama à la Merry Clayton. Elle shoutait sa Soul de rock à la glotte fêlée et au guttural primitif. Cette petite Soul Sister enfilait les surprises comme d’autres enfilent la voisine de palier. Et puis, comme Napoléon, l’album entrait dans son déclin, avec une série de cuts ratés comme «Shackle & Chain», procession branlante de traîne-savates, ou encore «Morning Bench», vieille soupe de boogie Soul. Elle terminait avec un «City In The Sky» claqué au petit riff d’orgue, qu’elle travaillait au corps, comme savent si bien le faire les grandes Soul Sisters.

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    Bette revint nous sonner les cloches l’an passé, avec un deuxième album, The Good The Bad And The Bette, paru sur Ruf, le label de blues allemand de Thomas Ruf. On retrouvait sur l’album Jimbo Mathus et Matt Patton, mais aussi Luther Dickinson et Patterson Hood, d’autres poids lourds de l’underground local (Patterson et Matt Patton jouent dans les Drive-By Truckers et Luther, fils de Jim, dans les North Mississippi Allstars - dont la tournée européenne vient d’être annulée, merci enfoiré de pandemic). Avec ce fantastique album, l’avenir du rock pouvait dormir sur ses deux oreilles. Bette démarrait avec un vieux shoot de heavy Soul, «Fistfull Of Dollars», qu’elle prenait d’une voix de délinquante, avec tout le gusto du ghetto, et derrière, les petits blancs jouaient comme des démons échappés des bréviaires, le tout arrosé d’arrangements de trompettes demented. Bette Paracelse fondait la Soul et le rock dans son athanor. Mais elle nous réservait des coups plus terribles encore, comme cet «I Felt It Too», véritable coup de génie, le cut sonnait comme de la heavy Stonesy pachydermique, on n’avait encore jamais entendu ça, même sur les albums de Merry Clayton. Plus loin, elle se permettait une nouvelle outrance : réinventer le genre avec «Pine Belt Blues», nouveau shoot de Stonesy revue et corrigée, un shoot bardé de toute la heavyness du monde, contre-claqué de tout le black power du heavy Southern rock et le diable sait que le Southern rock peut être heavy, demandez aux frères Robinson, ils sauront vous le dire. Cette bête de Bette était complètement déchaînée, jamais un adjectif n’aurait pu sonner aussi juste. Elle cassait encore la baraque avec «I’m A Sinner», soutenue par une énorme présence guitaristique, Jimbo, Luther ? Elle tapait dans le dur, la mémère, elle avait du tenant et de l’aboutissant. On savait que Luther jouait sur «Sighs & Wonders», car il était crédité sur la pochette. «Human» retombait en plein boom de big heavy Southern rock. On n’avait pas entendu de Southern rock aussi bon depuis des lustres, c’est-à-dire depuis les grands albums des Drive-by Truckers et des Black Crowes. Franchement, cet album fonctionnait comme un extraordinaire exutoire de Soul-rock power.

    — Qu’est-ce que t’as, pandemic, t’es tout blanc !

    Signé : Cazengler, Bette comme ses pieds

    Bette Smith. Jetlagger. Big Legal Mess Records 2017

    Bette Smith. The Good The Bad And The Bette. Ruf Records 2020

     

     

    Spectorculaire - Part Three - The fall

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    Bon, la chute de Totor est quand même pas mal. Elle passe par John Lennon, George Harrison, Dion, Leonard Cohen et quelques autres jolis coups. Elle passe aussi hélas par les guns et quelques déraillements. Après le flop de River Deep, il se retire complètement du business et traîne avec des mecs assez hauts en couleurs : Gerry Goffin, Dennis Hopper et Peter Fonda. Totor porte du cuir et roule en Harley. Gerry conduit une BSA. Ils partent tous les deux en virée dans les Santa Monica Mountains. Ils roulent sans savoir où ils vont. Peter Fonda roule aussi en Harley, il porte des casques militaires, il ne vit de qu’acide et de vitamines, c’est un proche des Byrds et de Terry Melcher.

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    Dennis Hopper branche Totor sur le cinéma et tente de l’entraîner dans un projet de film, The Last Movie. Hopper apprécie énormément Totor, d’ailleurs, il rétablit des vérités : «Phil a été formidable avec Lenny Bruce. Il l’a beaucoup aidé. C’est un truc que le gens ne voyaient chez Phil, on le considérait comme un monstre, mais il était le plus généreux des mecs, the kindest guy.» On voit Totor dans Easy Rider. Il joue le rôle du drugdealer dans sa Rolls. Fonda : «On voulait Phil parce qu’on savait qu’on aurait sa Rolls à l’œil. Il avait vraiment la gueule du rôle.»

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    En un an, le music biz a changé du tout au tout. Le Wall of Sound est devenu obsolète et les girl-groups appartiennent à l’histoire. Il n’y a plus de place pour un mec comme Totor. Il n’a que 27 ans mais il n’a déjà plus d’âge. Il passe des périodes entières enfermé chez lui dans la pénombre à visionner ses old Hollywood movies, avec Edward G. Robinson, James Cagney, Laurel & Hardy, Harold Lloyd, son film préféré étant Citizen Kane. Comme Spector, nous dit Brown, Welles était un prodige - il avait tourné Citizen Kane à l’âge de 26 ans - il était un génie qui refusait de se compromettre et qui voulait plier le monde à sa vision. Quand Totor prend la parole, c’est pour dire ses quatre vérités : «Je ferai toujours un bon disque et il sera meilleur que toute cette merde qu’on entend aujourd’hui. Ils ne savent pas enregistrer. Ils ne savent rien de la profondeur, rien du son, rien de la technique, rien about slowing down.» Il a raison de parler ainsi, Totor, car depuis River Deep et Lovin’ Feelin’, on n’a jamais rien entendu d’aussi puissamment parfait.

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    Quand Mick Brown réussit enfin à rencontrer Totor chez lui pour une interview, ça donne des pages extraordinaires. Totor avoue qu’il n’a pas fait tout ça pour de l’argent - That wasn’t part of the game plan - Maniaque ? - Let the art speak for itself. If the art is maniacal, then I’m maniacal - Il fait une pause et embraye sur Orson Welles : «Orson Welles a passé toute sa vie à chercher de l’argent, parce qu’il n’en a jamais eu. Il a fini par peser 200 kg et par faire des wine commercials. Il n’est jamais devenu le génie qu’il aurait dû être parce qu’il n’a jamais su ce qu’il voulait faire. On l’a vu en playboy, en movie star, il aurait pu être sénateur. Il ne savait pas ce qu’il voulait être. Moi je savais exactement ce que je voulais être. I let the art speak for itself.» On entre avec Brown dans l’esprit de Totor qui poursuit : «Je manufacturais des disques, je les publiais et je les composais. L’arrivée des Beatles est un truc qui m’intéressait, intellectuellement. Je faisais encore mon truc quand les Beatles occupaient les cinq premières places des charts. L’ échec commercial du Christmas Album m’a dévasté. Mais ce ne fut pas aussi douloureux que l’assassinat de Kennedy (...) Puis il y a eu la folk music, Peter Paul and all that shit, Joan Baez... Dylan, je comprenais, parce qu’il était unique, mais il y avait tous ces horribles groupes de folk au Troubadour, et quand la disco est arrivée, whoah... J’étais dépassé. Quand je ne comprend pas un truc, ça devient confus dans ma tête.» Cette interview est le cœur battant de cet excellent book qu’est le Bown book. Et puis arrive la confession définitive : «Vous finissez par apprendre à mettre les choses en perspective. Ces disques furent le plus grand amour de ma vie, quand je les faisais. Je ne vivais que pour eux. C’est pourquoi je n’ai jamais pu avoir de relation durable avec personne. Les disques étaient toute ma vie, ils étaient plus important que tout. Alors, maintenant, je ne comprends pas pourquoi ils ne signifient plus grand chose.»

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    Pourtant, sa magie semble être restée intacte. Un jour Ahmet Ertegun amène Otis Redding chez Totor, qui pour rendre hommage à son vieux mentor, s’assoit au piano et joue des choses qu’Ertegun avait composées. Ertegun : «Otis was blown away. Il connaissait certaines chansons, mais il ne savait pas qui les avait composées.» Puis Ertegun suggéra d’aller faire un tour en ville, Esther Phillips se produisait dans un club du quartier black de Watts - Otis and Esther sang duets together for hours. Phil jouait du piano, et il les accompagnait au chant. Ça a duré jusqu’à 5 h du matin. Two of my all-time favorite singers, Otis, Esther, and Phil on piano. It was one of the greatest evenings of my life. Autre moment magique dont parle Dan Kessel, le fils de Barney Kessel, un peu plus loin, dans le Brown book. Totor emmène les frères Kessel voir Elvis à Vegas et bien sûr ça se termine dans le backstage - C’était très intense, the full Phil trip and the full Elvis trip. Ils savaient tous les deux qui ils étaient, ils se reniflaient comme deux panthères, il y avait un respect mutuel. It was definitively one of these moments - Et Dan Kessel ajoute : «Phil était beaucoup trop rock and roll pour la plupart des gens, même ceux qui se prenaient pour des soit-disant rock and rollers. Les gens ne savent pas qui est Phil, à quel point il peut être marrant. Ils ne peuvent pas le suivre, trop d’énergie, trop d’esprit, trop de personnalité, alors ils disent qu’il est cinglé. Jamais je n’ai vu en lui quelqu’un de cinglé.»

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    C’est Larry Levine, devenu producteur chez A&M, qui remet Totor dans le circuit. Aux yeux de Jerry Moss, il n’est pas normal qu’un type aussi génial que Totor soit sorti du circuit depuis trois ans. Alors il lui donne les clés du label et lui dit : «Tu enregistres qui tu veux !». Totor revient à ses premières amours, the black voice, et fait comme il l’a toujours fait, il déniche un groupe complètement inconnu. Il s’intéresse de près aux Checkmates Ltd et à ses deux chanteurs noirs, Bobby Stevens et Sonny Charles qui, comme David Ruffin et Eddie Kendricks dans les Temptations, alternent les lead vocals. Dans son book, Williams dit le plus grand bien de The Checkmates Ltd Live At Caesar’s Palace, paru avant l’arrivée de Totor dans les parages. Williams jongle avec les formules phenomenal pace, tremendous atmosphere, supersonic medley et il met le coup de grâce en insinuant de Stevens et Charles chantent Lovin’ Feelin’ mieux que les Righteous. Williams n’a pas tout à fait tort : Live At Caesar’s Palace est un très bel album. Ces mecs font un medley-chair à saucisse de tous les grands hits de la Soul et Sonny Charles stabilise ensuite l’album avec une fantastique cover du mighty «Sunny» de Bobby Hebb. Ce fabuleux Soul Brother swingue ça au snap. Charles et Stevens sont excellents, on les voit duetter comme Sam & Dave dans «A Quitter Never Wins» et pouf, les voilà qu’ils s’attaquent à Lovin’ Feelin’. Ils négocient bien la montée et la foule claque des mains, alors c’est dans la poche, baby baby I need your love ! En B, ils rendent hommage à Joe Tex avec «Show Me» et à Sam & Dave avec «Hold On I’m Comin’». Ça se termine en festin Motown avec «Baby I Need Your Lovin’», mais c’est surtout un hommage à Otis avec tout le raw de Gotta Gotta dont est capable Bobby Stevens.

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    Totor accepte de produire «Black Pearl» pour les Checkmates. Williams compare les exploits de Sonny Charles à ceux de Tina dans River Deep - C’est typique de la façon dont Spector peut obtenir une performance exceptionnelle d’un artiste qui n’est pas très connu - Williams rend un bel hommage au flair de Totor. Mais l’album Love Is All We Have To Give paru en 1969 subit le sort des albums des Righteous. Derrière le hit, c’est morne plaine. Mais Bobby Charles et Bobby Stevens se battent pour entrer dans la légende. Ils rendent hommage à Totor avec une belle cover de «Spanish Harlem». Pour l’occasion, Totor ramène une trompette mariachi et Sonny Charles chante au sucre black. Et voilà «Black Pearl», composé par Totor et Toni Wine. Ça sonne un brin Motown, mais ce n’est pas au niveau des grandes compos d’antan. Puis ça commence à tourner en rond avec «I Keep Forgettin’». Totor ne peut pas surmonter River Deep. En fait, cet album documente le dernier spasme d’un visionnaire, avec deux chanteurs exceptionnels. Quant à la B, on l’oublie, c’est Hair et ça ne vaut pas un clou.

    Totor se retire vite fait du plan Checkmates, car il craint de retomber dans les embrouilles de type Righteous Brothers. Il ne finit d’ailleurs pas l’album, qu’il confie aux bons soins de Perry Botkin Jr.

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    En 1970, les Beatles sont en panne avec Let It Be. Ils ne sont pas contents du travail de Glyn Johns et de George Martin. Allen Klein qui s’occupe d’eux leur suggère le faire intervenir un sauveur nommé Phil Spector. Dans les pattes de Totor, l’album prend une certaine allure, il faut bien l’admettre. Surtout «Get Back». Les gens ne savant pas forcément que «Get Back» est spectorisé. Et pourtant, le génie du son, le voilà. C’est du Totor pur. S’il ne faut garder qu’un hit de 1970, c’est «Get Back». Totor préfigure tout l’a-venir et notamment Dave Edmunds. Si «Get Back» - comme d’ailleurs «My Sweet Lord» ou encore «Instant karma» - a explosé les radios, à l’époque, ce n’est pas un hasard, Balthazar. Dès «The Two Of Us» qui ouvre le bal d’A, Totor plombe la beatlemania pour son plus grand bien. Comme il le fera un peu plus tard avec les Ramones, il veille à conserver la spécificité de leur son. C’est extrêmement intelligent de sa part. Il amène juste de la matière dans le son. Lennon se radine avec un hit mélodique, «Across The Universe». Dans les pattes de Totor, ça devient de la beatlemania évolutive. Totor ramène des chœurs superbes, il aime le beau, ça crève les yeux. George fait un grand bond en avant avec «I Me Mine». Totor lui charge bien la barcasse. Belle surprise en B avec «I’ve Got A Feeling», une heavy beatlemania animée d’une réelle volonté d’en découdre. Les Beatles cherchent à renouer avec «Helter Skelter». Puis Totor orchestre à outrance «The Long And Winding Road», ce qui débecte McCartney. Il est furieux parce qu’on ne l’a pas prévenu. Un mois avant la parution de Let It Be, McCartney sort son premier album solo et annonce qu’il quitte les Beatles. Il va faire un blocage sur Let It Be et n’aura de cesse de vouloir ressortir l’album déspectorisé, ce qu’il parviendra à faire avec Let It Be Naked. Pauvre cloche. Bien sûr, les critiques se rangent du côté de McCartney pour taper sur Totor. La presse lâche ses chiens - How Spector ruined the Beatles - Les Anglais ne supportaient pas qu’un Américain puisse gérer les Beatles. Mais comme le dit Brown, l’album fit un carton aux États-Unis, se vendant en deux jours à deux millions d’exemplaires - merci monsieur Totor - et déboulant à la première place des charts US. Un peu plus tard, la même année, l’album reçut un Grammy que McCartney n’hésita pas à aller récupérer.

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    Il n’empêche que Totor s’entend bien avec John, George and Ringo. Pas Paul qui ne supporte ni Klein ni Totor. Mais Totor s’en bat l’œil. Et c’est là que sa carrière de genius redémarre, avec les albums de John et de George. Quand il produit All Things Must Pass, le triple album de George Harrison, Totor utilise sa recette habituelle : la crue du groove avec un nombre considérable de guitares qui jouent à l’unisson, ce qui donne au cut sa substance et ses ailes. Ce sont les mecs de Badfinger qui grattent les grattes sur «Isn’t It A Pity». Billy Preston n’aimait pas le Wall of Sound, il trouvait que ça allait bien avec les Ronettes, mais pas avec les Beatles. Mais curieusement il trouvait que ça collait bien avec le stuff de George. Cet album va faire de George une star, par dessus les têtes de Lennon et McCartney. Avec l’aide inestimable de Totor, George créait le premier new rock idiom des seventies.

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    C’est vrai qu’All Things Must Pass vaut le déplacement. Belle boîte et dedans trois albums et un poster de Gorges qu’on a tous mis au mur à l’époque. Et très vite «My Sweet Lord» éclate, encore un hit intemporel, on est une fois de plus projeté en pleine spectorisation des choses, on sent l’afflux de pression des chœurs, c’est quand même quelque chose. Encore du big sound avec «Wah Wah» et tout le power des Beatles en filigrane. Cette conjonction de deux courants primordiaux (Totor + Beatles) est unique dans l’histoire du rock. Totor ramène des coups de slide dans le Wall. George finit l’A avec une version one d’«Isn’t It A Pity», un balladif mélodiquement pur et du son à n’en plus finir. En B, George reprend l’«If Not For You» de Dylan et dans sa bouche, ça tourne au prodige de délicatesse. On est un plein rêve d’équation : the song + le son + la voix = Totor forever. Bon tous les cuts ne sont pas renversants, mais quand ça décolle, ça monte très haut. George nous comble de ses bienfaits et de sa douceur mythique avec «Run Of The Mill», alors Totor ramène des trompettes dans le Mill. Le deuxième disk baisse d’un ton. George compose tout, mais ça ne marche pas systématiquement, même s’il reste charmant. Avec «Ballad Of Sir Francis Crisp (Let It Roll)», George tire les fils avec une infinie patience et un talent fou. Il dispose du même sens d’attaque magique que Lennon. Totor ramène son Wall pour «Awaiting On You All». On retrouve enfin les résonances de basse et l’architecture des chœurs et des percus qui font la hauteur du Wall. Et alors wow ! En D, «Art Of Dying» peine à jouir, malgré le Wall. La compo ne convainc guère, malgré l’embarquement au bassmatic et les trompettes mariachi. C’est avec le version two d’«Isn’t It A Pity» que George trouve la voie de la rédemption et nous l’illumination. Avec cette merveille, il nous enlace la cervelle pour l’embraser. Quant au troisième disk, on l’oublie.

    Totor flashe en particulier sur l’une des compos de George, «Try Some Buy Some». Elle devait figurer sur All Things Must Pass, mais Totor voulait la garder pour Ronnie. Ce qu’il désirait le plus au monde, c’était refaire un hit inter-galactique avec Ronnie et c’est Try Some. Il la fait venir à Londres, mais Try Some est loin de «Be My Baby», George a composé un hymne qui rejette le matérialisme, un truc que Ronnie ne pouvait même pas comprendre, nous dit Brown. Totor fait de cette chanson plaisante un smash épouvantable, il l’orchestre et l’arrange, 40 violons autant de mandolines, some great blocks of sound qui s’articulent les uns sur les autres, mais c’est un nouvel échec commercial. Totor est scié, complètement scié. Ce Try Some va rester out of print pendant 40 ans, jusqu’à la sortie d’un Best Of d’Apple Records.

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    On trouve aussi ce Try Some sur un The Very Best Of Ronnie Spector. C’est l’occasion de vérifier la vieille théorie de Totor : pas de compo = pas de magie. La moitié des cuts de ce Very best retombent à plat, car pas de compo. Par contre, tous ceux que Totor supervise sont des hits intemporels, et avec le recul on comprend à quel point Ronnie devait tout à Totor. Si elle chaloupe si bien des reins dans «Do I Love You», c’est grâce à Totor, et Ronnie s’empale sur un sexe pop imaginaire, oh oh oh, ces petites new-yorkaises métisses étaient folles de sexe, et c’est ce qu’elles célébraient. Le «You Baby» de Spector/Mann/Weil n’en finit plus de briller au firmament. Totor fait le maximum pour que Ronnie jouisse en chantant et «Baby I Love You» sonne toujours comme le plus gros hit des sixties, c’est la pop au sommet de son art, suivie de près par «Walking In The Rain» et son développement spectorculaire. Seul Totor pouvait aménager de telles avancées, et Ronnie se contente de chanter cette merveille écroulée de beauté. C’est encore Totor qui met Ronnie en orbite sur «Be My Baby». S’il n’y a pas le Wall et les castagnettes, il n’y a rien. Et puis voilà le cut du grand retour imaginé par Totor et George Harrison : «Try Some Buy Some». On peut se limiter à n’écouter que cette merveille. C’est très anglais, forcément, et Totor ramène des mandolines. Il bâtit un Wall pour elle et ça tourne inexorablement à la magie. Ce Try Some en dit long sur le flair de Totor. Il sait que c’est l’un des hits du siècle, ça s’entend my friend, on sent monter la marée du Wall, Totor envoie ses mandolines, c’est assez diabolique en fait, et il sucre son Wall avec le sucre de Ronnie. Quand on y pense, Ronnie/George/Bowie, quelle belle filiation. Et puis après, tout s’écroule. On voit la pauvre Ronnie se vautrer avec les Asbury Jukes, puis le E Street Band. Sans Wall, Ronnie est à poil. Elle fait aussi une reprise de «You Can’t Put Your Arms Around A Memory» et un «All I Want» avec Keef. Mais c’est avec une reprise du «Farewell To A Sex Symbol» qu’elle sauve les meubles. C’est la rencontre de Ronnie avec l’univers de Luc Berger et Plamondon, mais c’est aussi celui de Diane Dufresne. Au premier abord, Ronnie passe pour une new-yorkaise qui ne comprend rien et qui est larguée sans son Totor, mais elle s’accroche et devient magnifique, justement parce qu’elle n’est qu’une petite greluche de rien du tout, alors elle se bat avec la chanson, elle remonte le courant des Canadiens et elle fait sa Dufresne. Elle honore le génie des légendes québécoises - Let me go/ let me die - Elle est stupéfiante de réalisme soviétique - I love you - Elle entre dans la légende de Diane Dufresne qui elle aussi chantait cette merveille - Un jour je dirai bye bye/ Bye bye ma jeunesse/ Vous ne voyez que la surface de ce monde en technicolor/ J’ai raté ma vie et je ne veux pas rater ma sortie/ Laissez-moi partir/ Laissez-moi mourir avant de vieillir.

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    Mais alors, où est passé le Try Some enregistré avec George ? Il se trouve sur Living In The Material World. En fait George enregistre cet album un peu plus tard, en 1973 et conserve l’orchestration de Totor pour son Try Some. C’est comme on l’a dit un hit magique. Si Bowie le reprend un peu plus tard, ce n’est pas un hasard. On assiste là à un phénomène rare qui s’appelle la mélodie suspensive. Ne va pas croire que c’est une drug song, non, il s’agit de spiritualité. On en veut un peu à George de ne pas composer plus de merveilles de cet acabit, car en vérité, le reste de l’album n’est vraiment pas jojo. Dans le gatefold, George a dressé une grande table sur la pelouse de son domaine et il y reçoit ses amis Gary Wright, Nicky Hopkins, Ringo, Klaus Voorman et Jim Keltner. À part Try Some, aucune compo de l’album ne marche. On s’ennuie avec la petite pop de «Don’t Let Me Wait Too Long» et le morceau titre. Totor brille par son absence.

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    Totor et John Lennon deviennent potes et hop on fait des hits : «Instant Karma», etc. Et hop, il produit le premier album solo de John Lennon, l’excellent John Lennon/Plastic Ono Band paru en 1970. On voit tout de suite que Totor respecte la modernité de ton de Lennon. Il plonge «I Found Out» dans le muddy, c’est admirable et l’association des deux génies porte ses fruits. Lennon impose le respect avec «Working Class Hero» qu’on a peut-être trop entendu à la radio et Totor donne une extraordinaire profondeur aux accords de piano d’«Isolation». Lennon a un don pour twister sa mélodie, il peut aller swinger un swagger à la pointe de la glotte. Totor n’en finit plus d’aménager du deepy deep. C’est un prodige car il fait à la fois du Lennon et du Totor. Retour à l’ambiance «Cold Turkey» avec «Well Well Well». Totor fait battre le tambour des galères - Well well well/ Oh well - C’est niaqué dans la moelle du beat et Lennon pique une crise extraordinaire. Il screame son Cold Turkey. L’autre stand-out track de l’album est bien sûr «God», une grande déclaration d’I don’t believe. Alors il énumère tout ce qu’il don’t believe : Hitler, Jesus, Kennedy, Buddha, Yoga, kings, Elvis, Beatles et il termine avec un just believe in me. Et il ajoute que le dream is over. Le message est clair - I was the walrus/ But now I’m John.

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    Klaus Voorman observe Totor en studio : «Tout le monde dit que ce mec est cinglé, mais pas du tout, c’est un mec tranquille, très intelligent et qui a de l’humour. Il s’entendait en plus très bien avec Yoko. Il lui parlait et lui racontait des blagues.» John et Totor ont en outre une passion pour le early rock’n’roll, Sun et Chuck Berry. Totor dit de John qu’il est le frère qu’il n’a jamais eu.

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    L’année suivante, il produit Imagine. Un docu très bien foutu nous montre Lennon et Yoko dans leur beau château de Tittenhurst Park, au moment des sessions d’enregistrement de l’album. Totor apparaît avec ses lunettes noires et son costume trois pièces, on voit aussi George, Klaus Voorman, Nicky Hopkins et d’autres gens. Lennon chante le morceau titre assis à son piano blanc. Près de lui se tient Yoko qui ne dit rien. Bon, «Imagine» reste «Imagine», Totor lui donne de la profondeur, c’est deepy deep, mais il respecte l’esprit de Lennon. Il applique à nouveau sa formule : mélodie + voix + prod = win à tous les coups - I hope you’ll join us - Totor aménage tout l’espace nécessaire à cette mélodie tectonique. L’autre merveille de l’album c’est bien sûr «Jealous Guy». Lennon la pianote sous couvert d’orchestrations latentes - I’m sorry that I made you cry - Bon certaines chansons restent à la traîne, mais God que de son. On entend les accords de «Cold Turkey» dans «It’s So Hard», mais ce heavy boogie ne décolle pas. Par contre, «Gimme Some Truth» tape bien dans ce heavy beat qui va si bien à Lennon. C’est assez Walrus, yes gimme some truth - «I Don’t Wanna Be A Soldier» sent bon la dope. Lennon et Totor s’offrent un beau délire et le Wall refait surface dans «How Do You Sleep». Brown nous dit que Totor fait d’Imagine l’album le plus parfait et le plus commercial que Lennon ait jamais enregistré. Étant donné que certaines chansons touchent le cœur et inspirent de l’espoir, Brown pense qu’Imagine fut Spector’s finest accomplishment as a producer.

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    Bizarrement, le Some Time In New York City de John & Yoko fut longtemps considéré comme un album raté. C’est tout le contraire, Lennon et Totor y font de l’avant-garde. Mais c’est Yoko qui rafle la mise dans cette affaire avec «We’re All Water». Elle chante au sucre avec un côté pré-pubère asiatique, elle pousse des petits cris expérimentaux en pleine craze de sax. Elle est vraiment marrante. En tous les cas elle fait le show et explose les concepts quand ça lui chante. Elle sait pousser à la roue et du coup ça tourne au dada jive. C’est encore elle qui chante «Sisters O Sisters», un joli pied de nez au Brill. Elle ressort son sucre pré-pubère asiatique et ça tourne à la révélation. Ce démon de Totor fait du Brill avec Yoko ! Wow, il fallait oser ! On entend encore Yoko dans «Born In A Prison». Ses tonalités sont très spéciales. Lennon a raison de pousser Yoko en avant, elle fait de l’Ono beatlemaniaque, elle chante dans l’entre-deux avec naïveté et ça devient fascinant. Et Lennon dans tout ça ? Oh, il fait pas mal de politique («Woman Is The Nigger Of The World», «Attica State») et c’est on s’en doute superbement produit. Totor fait son job. Lennon casse bien la baraque avec «New York City». Même énergie que dans «Back In The USSR», on retrouve le fantastic Lennon drive. L’album se révèle extrêmement dense. Encore une belle énormité avec «Sunday Bloody Sunday». Puis Lennon demande la libération de John Sinclair dans «John Sinclair» - It ain’t fair/ John Sinclair/ You gotta set him free - Il obtiendra d’ailleurs gain de cause. Comme c’est un double album, la fête continue et on tombe sur une fantastique version de «Cold Turkey» bien chargé de gras double. Lennon sait ce qu’il fait - One thing I’m sure/ I need to be free - Live c’est excellent, Lennon fournit tout le fourniment - Thirty-six hours/ Rolling in pain/ Praying to someone/ Free me again - Il pousse ses ahhh, il pousse ses ohhh, il pousse sa dégénérescence liverpuldienne, voilà le real Lennon, mais il ne pousse pas les screams qu’on entend sur le single, dommage. Et puis voilà le coup de génie : «Don’t Worry Kyoto». Yoko se met à gueuler, mais elle gueule dans l’épaisseur du son. Elle chante à la glotte déchirée et il se passe un truc encore pire que «Cold Turkey», elle génère de la folie, mais de la vraie folie, celle du free, ça brûle de free, et Yoko n’en finit plus d’allumer cette merveille, elle Yokotte comme une dératée et cette fois ça marche au delà de toutes les espérances du cap de Bonne Espérance. Puis Lennon fait quelques cuts avec les Mothers et tout le Fillmore reprend Scumbag en chœur. Mais l’album est une échec commercial et Lennon va bouder pendant un an.

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    C’est John qui entraîne Totor dans la boisson. Pour imiter son idole, Totor essaye de suivre, mais il ne tient pas l’alcool. Deux verres dans le pif et il devient Mr Hyde, et s’en prend aux gens - He would turn on people and be horrible - Totor sort son flingue pour tirer dans le plafond et il fout un peu la trouille aux gens qui sont avec lui en studio. Pendant l’enregistrement de Rock’n’Roll, Lennon et Totor boivent comme des trous. C’est le chaos lors des sessions. Harry Nilsson fait partie de la fête. Lennon est incontrôlable. Totor et son garde du corps sont parfois obligés de le virer du studio. Quand ils l’attachent, c’est parce Lennon devient suicidaire, alors il traite Totor de Jew bastard. En studio, Totor est tellement pété qu’il passe son temps à provoquer des bagarres. Ils enregistrent une douzaine de cuts, dont «Be My Baby» et «To Know Her Is To Love Her», mais Lennon ne va en garder que 5 pour Rock’n’Roll. C’est avec «You Can’t Catch Me» que Totor renoue avec ce que Lennon appelle the primal magic of rock’n’roll. Totor ressort le son d’«Instant Karma» pour catcher «You Can’t Catch Me». Il existe une belle entente entre Lennon et le Wall. On peut parler de version magique. Même chose pour la version de «Sweet Little Sixteen». Le Wall fait des merveilles et Lennon chante divinement. «Peggy Sue» en B est sans doute la cover la plus nerveuse du lot. C’est pulsé au beurre. On se régale aussi du big bass sound dans «Be Bop A Lula». Et Totor retrouve ses racines à deux reprises : «Stand By Me» et «Bring It On Home To Me». Il est en plein dans son domaine, la Soul de ses débuts. Mais les relations s’enveniment entre Lennon et Totor. Les avocats sont entrés dans la danse.

    Il y a deux épisodes marrants qui suivent le chaos des Rock’n’Roll sessions. Totor jouait dans le control room avec Mal Evans, le roadie des Beatles. Ils jouaient à se mettre des claques et soudain, Totor s’énerve et dit «attends tu vas voir», il sort son flingue et le coup part tout seul. Il n’avait même pas mis le cran de sûreté. Le lendemain Mal Evan vient retrouver John et May Pang, la remplaçante de Yoko, dans un restau. Il sort une balle de sa poche. Here’s the bullet from last night. Lennon ne comprend pas : What bullet ? Tout le monde croyait que Totor tirait à blanc. Ben non. L’autre truc poilant se passe un peu plus tard, au mois de décembre, au tribunal, lors de la procédure de divorce avec Ronnie. Lennon et May Pang accompagnent Totor. Pendant l’audience, Totor s’énerve et insulte tout le monde. Excédé, le juge lui dit que s’il ne se calme pas, il va aller au trou. Totor paye un poids lourd du barreau pour le défendre et le poids lourd se lève pour déclarer : «Vous devez comprendre que Monsieur Spector est un génie, et il vous faut parfois vous adapter.» À quoi le juge rétorque : «Bon, dites à votre génie de la fermer.» Très embarrassés, Lennon et May Pang quittent la salle. Le sort du Rock’n’Roll album est alors scellé.

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    Et alors, où sont passées les choses qui ne sont pas sur Rock’n’Roll ? On les trouve sur Menlove Ave., une espèce de compile parue en 1986, grâce à Yoko. On y trouve notamment une belle cover de «Since My Baby Left Me» - Okay okay this is it John - Alors John chante le big heavy shuffle du Record Plant avec des chœurs énormes. Totor sait ce qu’il fait. On retrouve le Wall sur «Here We Go Again». Trompettes à volonté et volonté de Yoko, ça donne du Wall posthume. On trouve aussi une version de «To Know Her Is To Love Her», un vieux coucou de Totor. Lennon va y chercher l’exercice de la fonction. Lennon + Totor = du gros bouzin. Les cuts produits par Lennon sont nettement moins présents. On perd le muddy du mono. Lennon semble respirer sur «Rock And Roll People», un cut qui n’a strictement aucun intérêt. D’autres cuts ne marchent pas, notamment le «Old Dirty Road» co-écrit avec Nilsson. Dès que Totor n’est plus là, ça plante. Lennon siffle comme un lad de Liverpool dans «Nobody Loves You (When You’re Down And Out)». Le fait qu’il siffle n’est pas hasard, il s’agit de John Lennon, after all. Justement, voilà la récompense : un «Bless You» joué aux accords magiques. Lennon est capable de créer une magie énorme, il joue au doux du smooth avec les accords les plus doux du monde.

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    Mick Brown nous sort un autre épisode désopilant, l’épisode David Geffen. Un mec qui se débrouille pas trop mal, puisqu’il s’occupe de Crosby Stills & Nash et de Joni Mitchell. Il devient l’amant de Cher après qu’elle se soit séparée de Bono. Geffen manage aussi Laura Nyro, et quand Totor lui demande s’il peut la produire, Geffen l’envoie promener. Puis Geffen commet l’irréparable : il récupère les vieux bureaux de Phillies sur Sunset Strip. Totor hait Geffen parce qu’il n’a aucun talent musical. Son seul talent est de savoir se rendre indispensable auprès de gens extrêmement créatifs. Geffen est donc une sorte de business king, alors que Totor est le real genius on the music side. Geffen demande à Totor de bosser sur une session de Cher et dans le control room il commet le deuxième irréparable : il fait des suggestions à Totor sur ce qu’il devrait faire. Totor se tourne lentement vers lui et boum, lui fout son poing dans la gueule. Geffen va au tapis - Get out of there, you stupid faggot!.

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    Mo Ostin tente de relancer la carrière de Dion et il met Totor sur le coup. C’est une bonne idée, car comme John Lennon, Dion cherche à retrouver ses racines. Ils viennent en outre du même coin, du South Bronx. À la fin des années cinquante, Totor connaissait son premier succès avec les Teddy Bears, alors que Dion & the Belmonts étaient dans les charts with the doo-wop hits. En 1975, Dion et Totor entrent en studio pour enregistrer l’album Born To Be With You. Totor mise surtout sur le morceau titre, un vieux hit des Chordettes qu’il transforme en mini-symphonie, avec un baion rhythm très ralenti, welcome to the de profundis, mais ça ne marche pas, même si Dion fout le paquet au chant. Alors Totor ramène un gros mélopif très orchestré, «Make The Woman Love Me», co-écrit avec Barry Mann et Cynthia Weil. C’est l’équipe de Lovin’ Feelin’. Totor tente de faire du sur-mesure pour Dion qui est un mélancolique néphrétique, le contraire du comique frénétique. Dion ramène tout un tas de pathos dans le Wall qui est déjà bien pathologique. Puis il se prend pour le Dylan de l’âge d’or avec «Your Own Back Yard». Il n’a pas besoin de Totor pour ça. C’est tellement arrosé d’orgue Hammond qu’on s’exclame : «Oh les belles nappes !». Totor tente de sauver l’A avec «(He’s Got) The Whole World In His Hand» et l’orchestration prend des proportions spectorculaires. Une fois plus, la profondeur du son nous subjugue. Mais c’est en B que se joue le destin de cet album qui du coup devient mythique. «Only You Know» est un coup de génie signé Goffin/Spector. On a tout de suite la belle pâte de son. Il faut au Wall des voix et des chansons, c’est le hit faramineux de l’équation parfaite : the song + the voice + the prod. Dion ramène à la suite «New York City Song», un balladif urbain presque californien, à force d’harmonies vocales. Nom de Dion, comme c’est beau ! Dion a du fion d’avoir le team Goffin/Spector pour lui écrire des hits comme «In And Out The Shadows». C’est tout de suite puissant. Pas aussi présent qu’«Only You Know», mais spectorish quand même, doté de tout le saint-frusquin : beauté intrinsèque, mélasse la violons dans la matière du Wall et vertiges orchestraux. Totor est un génie inventif, il a eu raison d’inventer le Wall, car c’est l’essence même de la grande pop américaine. On a là un stupéfiant espace de son. On tombe systématiquement sous le charme. On sent encore la patte du maître dans le «Good Lovin’ Man» de fin, un gospel de Broadway dévoré par les basses.

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    Mais Totor arriva en session avec un cubi de Manischewitz, un vin de dessert liquoreux, qu’il descend méthodiquement - Phil could be a lovable drunk, mais il était le plus souvent un horrible poivrot - Stan Ross qui bossait avec Totor pendant les sessions ne l’avait encore jamais vu dans cet état - The worst wine you could drink, drinking it by the bottle - Dion sent que Totor lui manque de respect. Nino Tempo lui dit que le mieux est d’en parler directement à Totor - Dis lui que tu es un artiste respecté et que tu veux être considéré comme tel. Alors Phil l’écoute et répond : Okay you cocksucking motherfuckers... and Mr. DiMucci - Dion dira plus tard qu’il avait l’impression que Totor avait une peur bleue de l’échec - Cette légende de producteur de génie lui mettait une pression terrible, il devait en permanence se surpasser - Les mecs de Warner Bros furent moins charitable que Dion. Ils demandaient où était passée l’énergie, où était la vie, ce qui rendit Toto furieux - What’s wrong with these fucking people? Phil Spector ne fait pas des disques pour les record executives, il EST the record executive. Vous devez être complètement cons pour passer un deal avec Phil Spector et penser qu’il ne fera pas un Phil Spector record - Il faudra attendre vingt ans nous dit Brown pour qu’une nouvelle génération de musiciens et de critiques voient en Born To Be With You the Spector’s forgetten masterpiece. Eh oui, un masterpiece de plus.

    Dans l’interview qu’il donne à Mick Brown, Totor salue Dion : «I did Dion parce qu’il était le king of doo-wop et j’ai grandi en écoutant sa musique. Je voulais qu’il soit le prochain Bobby Darin qui était mon meilleur ami. Je n’ai pas passé assez de temps avec Dion, comme j’aurais dû le faire, parce qu’au fond ça ne m’intéressait pas. J’étais en plein déclin, et je me tenais prêt à dégager.»

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    Quand Marty Machat propose à Totor de produire Leonard Cohen, ça donne un sacré résultat. Mais les critiques sont aussi sceptiques que des fosses, ils trouvent le mélange Totor/Leonard incongru. Pendant les sessions, Totor et Leonard picolent ensemble, ils picolent pour de vrai, et les guns refont vite surface. C’est l’époque où Totor s’est mis à boire comme un trou et il ne sait plus ce qu’il fait. Il va dans des restaurants provoquer les gens et file aussitôt gerber dans les gogues. Il commande des homards qu’il ne mange même pas. Après coup, Leonard accusera Totor de lui avoir coupé les guts - Je pense qu’au dernier moment, Phil ne pouvait pas résister à l’envie de m’annihiler. Je crois qu’il ne tolère pas la présence d’autres fantômes dans ses ténèbres - Mais c’est un album qu’il faut écouter. Il s’appelle Death Of A Ladies’ Man et paraît en 1977. Pas vraiment l’année idéale pour sortir un album ambitieux. Il n’empêche que Death Of A Ladies’ Man fascine. Notamment «Memories», un cut d’une grandeur explosive - Now you cannot see/ My naked body - Leonard emmène ce chef-d’œuvre. «Don’t Go There With Your Hard On» est plus funky. On entend des chœurs de filles d’une incroyable vulgarité. La grosse compo de l’album est le morceau titre de fin de non-recevoir. Totor fait de ce heavy balladif un vrai pâté de pathos. Il lève une tempête au fond du Gold Star. C’est complètement fascinant. Comment les critiques ont-ils osé couler cette merveille ? - I guess you so for nothing/ If you really want to go for that - Il est essentiel de savoir que tout est signé Spector/Cohen. Avec «Fingerprints», Totor va sur la country. Fantastique démonstration de force spectorienne. Du son dans la country ! Tout est beau sur cet album, comme ce «True Love Leave No Trace» d’ouverture de bal - Like arrows with no targets - Leonard sonne comme un dragueur et Totor fournit une prod languide. Totor est très fort, car il réussit à entraîner Leonard dans son monde de pop de juke. «Iodine» en est le parfait exemple. Leonard se fait baiser en beauté. Le voilà dans la pop de juke, mais une pop de juke bien orchestrée. Il faut avoir entendu ça, car c’est encore un artefact du Totor power. «Paper Thin Hotel», c’est l’histoire des murs d’hôtel si fins qu’on entend les voisins baiser à côté. Leonard prend sa voix grave pour se plaindre. Il essaye aussi de renverser la tendance pour sortir de la pop de Brill et remonter vers le pathos, il ramène des gravités - I heard that love was out of my control - et ça finit par devenir énorme, Leonard mâche ses mots dans le désespoir le plus noir et fait une sacrée prestation. Il chante dans le clair-obscur du génie spectorish.

    Mais les sessions sont encore plus chaotiques que celles de Rock’n’Roll. Totor est tellement pété qu’il tombe dans les pommes. C’est Larry Levine qui le relève pour l’installer dans son fauteuil et le réveiller. Et parfois nous dit Leonard, Phil était là pour enregistrer the brillant take, the moment of genius. Mais la boozy camaraderie entre Leonard et Totor dégénère assez vite. Ils se chamaillent sur tout, les tempos, les structures, les arrangements, tout. Leonard se retrouve dans le rôle du sideman et il fait de son mieux pour éviter que ça ne se détériore encore. David Kessel observe Leonard - It gave Leonard a chance to perfect his Shaolin priesthood stuff and become one in the universe - Ah la rigolade ! Mais Leonard n’en démord pas, et il n’est pas le seul : il pense que Spector n’est pas seulement excentrique, mais plutôt sérieusement perturbé - Dans l’état où il se trouvait, qui était post-Wagnerian, I would say Hitlerian, on pouvait dire que ça sentait la poudre. La musique était devenue secondaire, tout le monde était armé, tout le monde était pété ou sous l’emprise d’une drogue, et vous glissiez sur des balles, et vous mordiez dans un canon en croquant votre hamburger. Il y avait des guns partout - Évidemment, les critiques se sont jetés sur l’album pour le mettre en pièces, accusant Spector d’avoir réduit en bouillie la sensibilité poétique de Leonard Cohen à coups d’arrangements grotesques et de production excessive. Mais nous dit Brown, une fois de plus, les critiques n’avaient rien compris.

    L’un des plus beaux portraits du disturbed Totor est celui que fait Ahmet Ertegun à la fin du Brown book : «Ce petit mec gaulé comme une crevette allait trouver des armoires à glace pour leur dire ‘me touche pas ou t’es mort !’. Il parlait comme un gros dur, but it was all bullshit. Je n’ai jamais senti aucun danger venant de lui. Le seul danger, c’était d’être avec lui, mais ça ne venait jamais de lui. Ça fait partie de la mystique du personnage. Phil ne ressemble pas aux autres gens.»

    Le Dion et le Leonard Cohen ne se vendent pas. Échecs commerciaux, nous dit Brown, mais échecs intéressants. La musique qui dominait alors les charts américains ne représentait rien aux yeux de Totor - the Californian singer-songwriters musings des Eagles et de Jackson Browne, le stadium rock débilitant de Journey et de Kansas, et la disco.

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    Le dernier gros coup de Totor, c’est les Ramones. Dan et David Kessel, les fils de Barney Kessel, emmènent Totor voir jouer les Ramones au Whisky A Go Go. Ils lui expliquent que le punk est le nouveau son à la mode. Totor va trouver les Ramones backstage et leur propose de faire un grand album avec lui. En fait Totor a flashé sur la voix de Joey Ramone qui est une sorte de Ronnie au masculin. Il veut faire un album solo de Joey Ramone. Les trois autres Ramones ne l’intéressent pas. Il fait venir Jim Keltner et Barry Goldberg. Marky, Dee Dee et Johnny ne font pas le poids. Et Totor promet de conserver l’esprit des Ramones. Ça va même plus loin car End Of The Century est une bombe. Rien que pour «Danny Says» qui sonne comme un hit du Brill avec sa belle montée de jus de juke. Joey insiste pour reprendre «Baby I Love You» qui du coup fait l’ouverture du bal de B. Wow ! On est frappé par l’énormité de l’attaque. Joey = Ronnie. Même swagger. Totor orchestre différemment, il syncope les violons et ça devient stupéfiant. C’est là qu’on mesure son génie visionnaire. Il en fait une valse hésitation, une samba viennoise de l’insoutenable légèreté de l’être. Johnny Ramone dira après coup que c’est le pire cut des Ramones, mais en même ce fut leur seul Top Ten single. L’autre cover magistrale de l’album est celle de «Chinese Rocks», enfin cover si on veut, car Dee Dee en est l’auteur. On a là l’un des meilleurs tempos pulsatifs de tous les temps. Totor se fend d’une belle prod sur ce brut de punk new-yorkais qu’est «The Return Of Jacky & Judy». Non seulement c’est battu à la sourde, mais le son atteint son summum. Peut-on imaginer mieux ? Non. Avec «This Ain’t Havana», l’énergie des Ramones semble sanctifiée, plus étoffée, notamment le pulsatif du beat. Ce ne sont quasiment que des cuts de batteur. Le meilleur exemple est «Rock N Roll High School», embarqué par une locomotive, c’est battu sec à la volée de bois vert, puis ils embarquent «All The Way» à la bravado. Ils sont brillants et savent rester sur la brèche. Totor a respecté son contrat. Il avait en plus passé beaucoup plus de temps sur cet album des Ramones que sur le Dion ou le Leonard. David Kessel : «I think he was concious of leaving a rock and roll legacy.»

    End Of The Century ne monte qu’en 44e place des charts, mais il se vend plus que les précédents. Après coup, les Ramones s’en prennent violemment à Totor et zyva que Totor il nous menace avec son flingue et zyva que Totor il nous empêche de sortir de chez lui, ils l’accusent de tous les maux, sauf Joey bien sûr qui en travaillant avec son idole a obtenu tout ce qu’il espérait - Sure he’s difficult and yeah it was hell, he’s not the nicest guy in the world but you just accept what he is to work with him - Magnifique Joey Ramone ! Et il ajoute plus loin : «What he did with the opening chords of Rock’n’Roll High School is like Strawberry Fields, the way it fuses into the drums.» Alors évidemment, on parlait plus à l’époque du gun de Totor que des merveilles contenues sur cet album. Et quelles merveilles ! C’est pendant ces sessions interminables que Larry Levine s’est chopé une crise cardiaque. Totor amena aux Ramones une dynamique et une clarté de son dont ils n’avaient même pas idée.

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    Après la mort brutale de John, Yoko demande à Totor de venir produire son album Season Of Glass. Pochette macabre, puisqu’on y voit les lunettes que portait John le jour où il s’est fait buter devant le Dakota. Comme on l’a vu dans Sometime In New York City, Yoko chante avec finesse et émotion. Elle chante «Even When You’re Far Away» au petit filet de voix, une voix qui ballote sur l’océan comme une barque, c’est très curieux. Chaque chanson a ses qualités, comme ce «Nobody See Me Like You Do» qui arrive à la suite. Elle chante avec une certaine générosité de ton. Encore une fois, ça reste spécial et très pur et on comprend que Totor puisse s’y intéresser. Elle fait encore un petit coup d’éclat avec «Toyboat», une merveille translucide qui finit par aller se perdre avec le reste de l’album dans l’ombilic des limbes.

    Totor tente un dernier coup avec Starsailor, un groupe anglais qu’apprécie sa fille Nicole. Mais dès que Totor commence à bricoler un son, les mecs de Starsailor rechignent. Ils trouvent que tous leurs cuts sonnent pareil, que Totor fait un Totor album, pas un Starsailor album, alors ils disent stop. Ils font une réunion et décident de virer Totor à l’unanimité. Ils désignent le bassiste James Stelfox comme porte-parole. Brown fournit une autre version : ce serait le manager du groupe et le mec du label qui auraient convoqué Totor pour lui dire stop, à quoi Totor aurait répondu : «You’ve got big balls.» Eh oui, on ne vire pas le plus grand producteur du monde. Donc fuck it. Pas la peine d’aller écouter Starsailor. Totor serait rentré à Los Angeles le cœur brisé.

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    Dans sa vie, il n’a jamais pardonné à ceux qui lui tournaient le dos ou qui le trahissaient, mais il s’est toujours rappelé de ceux qui l’avaient aidé. Pendant les dernières années de sa vie, Alan Freed qui était ruiné a survécu grâce au support financier de Totor. Quand Ike Turner fut envoyé au trou pour une sombre affaire de coke, Totor est allé lui rendre visite et lui apporter un support financier. À la fin des années 70, Darlene Love faisait des ménages pour vivre. Mais elle ne s’en sortait pas, alors elle demanda à Totor de l’aider à payer son loyer, ce qu’il fit pendant un an, le temps qu’elle se remette à flot. Merci à Mick Brown de nous rappeler tout ça.

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    Histoire de finir en beauté. Voilà ce que sort Totor à l’inestimable Mister Brown : «Black music is our American culture.» Et Elvis, lui demande Mick Brown, vous l’avez rencontré en 1958, n’est-ce pas ? «Sure... Et en 1960. J’ai travaillé sur son album, alors qu’il revenait de l’armée. Peu de gens le savent. Elvis was terrific, wonderful.»

    Tout le monde connaît la fin de l’histoire. Pas terrible. Mick Brown conclut en disant qu’à la fin, Totor a perdu ce à quoi il tenait le plus : sa réputation et par conséquent sa legacy. Après cette catastrophe, «Be My Baby» ne signifiait plus rien aux yeux des gens, ni même Lovin’ Feelin’ qui fut pourtant la chanson la plus diffusée sur les radios américaines. Il n’existe pas dans l’histoire du rock de plus grande tragédie que celle de la chute de Phil Spector.

    Signé : Cazengler, Phil Pécor

    Checkmates Ltd. Live At Caesar’s Palace. Capitol Records 1967

    Sonny Charles & The Checkmates Ltd. Love Is All We Have To Give. A&M Records 1969

    George Harrison. All Things Must Pass. Apple Records 1970

    George Harrison. Living In A Material World. Apple Records 1973

    Ronnie Spector. The Very Best. Sony Music 2015

    Beatles. Let It Be. Apple Records 1970

    John Lennon/Plastic Ono Band. Apple Records 1970

    John Lennon. Imagine. Apple Records 1971

    John Lennon/Yoko Ono. Some Time In New York City. Apple Records 1972

    John Lennon. Rock’n’Roll. Apple Records 1975

    Dion. Born To Be With You. Phil Spector Records 1975

    Leonard Cohen. Death Of A Ladies’ Man. Columbia 1977

    Ramones. End Of The Century. Sire 1980

    Yoko Ono. Season Of Glass. Geffen Records 1981

    John Lennon. Menlove Ave. EMI 1986

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    Mark Ribowsky. He’s a Rebel: The Truth About Phil Spector – Rock and Roll’s Legendary Madman. Da Capo Press

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    Richard Williams. Phil Spector: Out Of His Head. Omnibus Press 2003

    Mick Brown. Tearing Down the Wall of Sound: The Rise And Fall Of Phil Spector. Bloomsbury Publishing 2007

     

    Got my Mojo working - Part Two

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    Mojo colle sur la couve de son dernier numéro une étrange compile : The Black Keys present The Hill Country Blues. Ah on peut dire qu’ils sont gonflés ces deux là ! Bon d’accord, Black Keys est un nom qui fait vendre, mais de là à se faire passer pour les chantres d’une légende aussi pure que celle du North Mississippi Hill Country Blues, il y a tout de même un pas qu’ils n’ont pas hésité à franchir. Ils ne sont plus à ça près. Admettons que ce soit Mojo qui leur demande de compiler, mais ça aurait eu plus de sens de demander à Jimbo Mathus ou à Luther Dickinson de s’en charger, car ce sont eux les chantres réels de cette culture. Enfin les chantres blancs. Le fin du fin eut été de confier la besogne à Cedric Burnside. Mais Cedric Burnside ne vend pas. On en est là, aujourd’hui : les vrais chantres n’ont pas voix aux chapitre. Et Cedric Burnisde ne figure même pas sur la compile ! Ni Otha Turner, alors t’as qu’à voir !

    — T’as vu c’est dingue qui z’aient osé se mettre sur la pochette, les deux Black Keys. Y zont même mis deux de leurs cuts à eux à la fin d’la compile, comme s’ils se croyaient au même niveau que Jessie Mae Hemphill ou Junior Kimbrough. Sont drôlement culottés, ces deux-là !

    — T’as raison, poto, mais ça aurait pu être pire ! Imagine que Mojo y zaient demandé à Slosh ou à Stong de compiler ! Tu vois un peu le bordel ? Y sont tellement chtarbés qui zauraient rajouté BB King dans l’Hill Country Blues !

    — Ah putain, les canards y font n’importe quoi, maintenant, c’est dingue, on peut plus les tenir !

    — Plains toi pas, car t’as quand même la crème de la crème sur cette compile. C’est bien pour les ceusses qui connaissent pas. T’es pas non plus obligé de reluquer la pochette.

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    Il a raison l’asticot de dire ça, car quand Junior Kimbrough attaque «Meet Me In The City», ils nous embarque aussitôt dans son monde puissant et chaleureux. Pur genius de derrière les fagots des collines. La qualité du son fait baver. Il est dans l’hypno et la grâce en même temps. Par quel prodige, on ne saura jamais, mais c’est exactement ça, un mélange indicible de tout ce qu’on aime dans le blues et le rock. Alors tu danses et tu fais gaffe de bien danser au milieu des blacks du juke-joint. L’autre grand tenant de l’aboutissant est bien sûr RL Burnside, l’excellent Rural qui fascina tant Tav, et le voilà avec «Going Away Baby». Il ramène lui aussi des trucs de derrière les fagots des collines, mais des trucs que peu de gens peuvent comprendre, car comme le disait si justement Dickinson à propos d’Otha Turner, leur son relève d’un art antique. Rural joue son art au touffu et c’est brillant, les accords électriques croassent dans la matière du son puis il attaque au chant d’une voix de vieux canard. L’intention ne trompe pas. Rural gratte ses poux, porté par un beat de dérapade, c’est énorme, complètement décousu, pur génie de cabane, pur génie de fils d’esclave. C’est sans doute pour ça qu’on ne supporte pas de voir des blancs se faire mousser sur le dos des pauvres nègres. Cette mentalité ne disparaîtra donc jamais ? Puis voici le troisième larron, l’incontrôlable T-Model Ford que ces pauvres cloches dans leur commentaire résument à des anecdotes. Mais le «Cut You Loose» de T-Model Ford est bien meilleur que tout ce que ne feront jamais les petits blancs. T-Model Ford est le plus enragé de tous, c’est un bonheur que de l’entendre gratter sa gratte noire de metaller. Il faut voir comme c’est tapé derrière, let me go ! On monte encore d’un cran avec Jessie Mae Hemphill et son «Go Back To Your Used To Be», encore un modèle pour Tav Falco, elle joue avec l’écho du diable. Leur père à tous s’appelle Mississippi Fred McDowell qui a fini pompiste d’une station service à Como, Mississippi. Le vieux Fred claque et joue en même temps, il joue dans l’Africanité, bien décalé du bulbique - Lawd I love my baby - Et puis après on arrive dans les sujets qui fâchent avec Jimmy Duck Holmes. Il faut dire que Dan Auerbach a produit son dernier album, Cypress Grove, ce qui explique la présence de Duck sur cette compile. Mais si on écoute cet album, promotionné sur le nom des Black Keys, on aura une drôle de surprise.

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    Comme c’est produit par Auerbach, on a du son. Tout ce que produit Auerbach a du son. On en oublie même le nom des artistes. On ne se souvient plus que du nom d’Auerbach. Sur la pochette, ils ont écrit en gros : «produit par Dan Auerbach». Robert Finley ? Leo Bud Welch ? Marcus King ? Jimmy Duck Holmes ? Merci Auerbach ! Grâce à Dan Auerbach on peut écouter sans risque le nouvel album de Jimmy Duck Holmes, Cypress Grove, car il a du son. Blague à part, c’est vrai qu’il y a du son. Quand on a produit les Buffalo Killers ou Brimstone Howl, on sait forcément ramener du son. Donc Auerbach en ramène dans le «Hard Times» d’ouverture de bal, un blues primitif. On entend même couiner les cordes. Il faut voir la batterie entrer dans le riff de «Catfish Blues». Welcome in the deep blue sea. La guitare entre dans la danse à la sature. La guitare d’Auerbach, bien sûr. Comme sur l’album de Robert Finley, Auerbach n’en finit plus de ramener sa fraise. Il profite de «Goin’ Away Baby» pour injecter du psyché, avec une arrogance intolérable. Comment ose-t-il ? C’est le même problème que sur les albums de Mavis Staples «produits» par Jeff Tweedy. Mavis finit par chanter du rock de blanc qui en plus n’est pas bon et par miracle, elle a fini par virer Tweedy. Sur son pauvre album, Duck revient à Muddy avec «Rock Me». Puis il descend à la cave avec «Little Red Rooster» et en fait une belle cover. Il rend ensuite hommage à Skip James avec «Devil Got My Woman» et avec «All Nite Long», on croirait entendre John Lee Hooker. Même voix, même ambiance. Mais cet épouvantable m’as-tu-vu d’Auerbach en fait trop. Il flingue aussi l’excellent «Gonna Get Old Someday». C’est assez désolant. Encore une histoire de vieux black exploité par un blanc. Pauvre Duck. On ne le connaît que par Auerbach.

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    Parmi les autres blackos présents sur la compile du Hill Country Blues, voici Paul Wines Jones dont on dit ailleurs grand bien des trois albums. Il joue dans les règles du lard fumé et à la suite, James Cotton ramone son «Cotton Chop Bues» à la super crade - Ain’t rise no more cotton - Early Sun blues, rien à voir avec le Hill Country Blues. On croise aussi le vieux Leo Bud Welch avec un écho trop moderne pour être honnête. Rien à voir non plus avec le Hill Country Blues. Cette compile finit par ressembler à un fourre-tout. Heureusement, Jessie Mae Hemphill revient avec «My Daddy’s Blues» monté sur la foi d’un gimmick toxique, le sien, elle vise la transe africaine et Junior Kimbrough nous ramène dans le désert du Mali. Son gratté reste gracieux, appuyé sur un drone saharien. Et bien sûr, si on écoute les deux cuts des Black Keys qui referment la marche, on verra pourquoi ça ne va pas. Ils sont complètement à côté, ce qui d’une certaine façon nous rassure. Il faut quand même être assez gonflé pour aller se mettre en queue d’une compile aussi chargée d’histoire. Auerchach est une sorte de Lucien de Rubempré affamé de reconnaissance, dévoré d’ambition, mais on ne se fait pas du blé sur le dos des blackos, c’est une règle de base.

    Signé : Cazengler, Hill Country Bouse

    The Black Keys present The Hill Country Blues. Mojo # 332 - July 2021

     

    *

    Le country fonctionne un peu comme le baseball, le sport typiquement américain, lorsque vous y jouez, les statistiques sont à vos côtés et vous observent, de fait vous ne jouez pas à l'instant T contre une équipe ennemie particulière mais contre tous les joueurs qui depuis deux siècles ont pratiqué ce jeu, z'avez intérêt à assurer si vous tenez à inscrire votre nom sur les tablettes de l'immortalité. Ainsi si Stan Jones même s'il en l'auteur n'est pas le créateur de ( Ghost ) Riders in the sky. L'a repris l'air d'une vieille complainte de la guerre civile, When Johnny comes marching home, par contre cette histoire de cavaliers fantômes poursuivant dans les nuages le troupeau du Diable correspond à son goût immodéré depuis l'enfance pour les contes fantastiques. Il aimait à en écrire et à en raconter à des auditoires de copains d'école et de travail. Etrange personnalité que celle de Stan Jones ( 1914 – 1963 ), il nous plaît de voir en lui un Edgar Poe qui aurait été cowboy. Stan Jones fit mille métiers et écrivit deux cents chansons, il rencontra John Ford qui incorpora sa musique dans deux de ses films et lui offrit un petit rôle. Stan Jones écrivit le morceau en juin 1948, et l'enregistra toujours en 1948 avec The Death Valley Rangers, je qualifierai sa version de filmique dans la lignée des productions de Gene Autry, vous préfèrerez la version ( février 1949 ) de Burt Ives ( 1909 – 1995 ), dépouillée et pour ainsi dire vocale, si vous aimez les belles voix graves privilégiez celle barytonesque de Vaughn Monroe ( 1911 – 1973 ), manque un peu de punch mais qui insiste sur l'aspect mélodramatique... Il en existe des centaines de version, les rockers se sentiront obligés d'écouter celle des Shadows – ne vaut pas, et de loin, Apache – et bien entendu celle de Johnny Cash, celle de Willie Nelson, celle de... jusqu'à peu, j'aurais été incapable de dire celle que je préférais, cela dépendait de mes humeurs jusqu'à ce que j'entende celle de :

    PAIGE ANDERSON

    RIDERS IN THE SKY

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    Vous ne trouverez pas plus pure, j'ai cherché, les outlaws en révolte contre la variétarisation nashvillienne de la country dans les seventies devaient être armés de pistolets à bouchons quand vous entendez la version de Paige, pour avoir vécu grâce à ma fille près des équidés pendant vingt ans, je certifie, la cadence du galop des chevaux est parfaitement imitée dans ses contre-temps les plus subtils par les notes grêles du banjo, Paige est seule, simplement assise sur une chaise, sa salopette, ses bottes à lacets auxquelles elle semble particulièrement attachée qui lui caressent les genoux, l'accompagnement banjoïque est prodigieux, vaut toutes les bandes-sons des orchestres de génériques ou de scènes chocs de bien des westerns, il n'exprime pas, il l'est la solitude du guy face à sa vision dantesque, ce cliquètement de grésil sur un toit de tôle équivaut à l'horreur absolue de la course infernale ... ô cette voix de Paige, qui claque comme des coups de fouets, qui monte subitement ou qui traîne lentement telle une ravine perdue, une symphonie de nuances frustres et évocatoires, des élans sauvages et une mélancolie souveraine, un serpent sur un tapis de mousse, et quand elle s'infléchit et s'étire en yodel aigu nasillant de cowboys elle vous perce le cœur et vous vous dites que ça vaut le coup de quitter cette vallée de larmes sur ce timbre fêlé d'ange descendu du ciel rien que pour vous. Normal, c'est Paige Anderson qui chante. Non, une artiste. Au sens fort de ce mot.

    Cette vidéo, postée le 7 mai 2020, est visible sur le FB de Foxymoore, ainsi que les deux suivantes que nous chroniquons.

    FOXYMOORE

    PAIGE ANDERSON / DAVIA PRASHNER

    WILD DREAM

    ( postée le 30 mars 2020 )

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    Rien à voir avec un enregistrement studio. Paige et Davia sont en route pour Los Angeles lorsqu'elles s'arrêtent en un endroit désertique pour chanter. Au loin la Sierra Nevada, le vent souffle et vient parfois se mêler à la voix de Paige en jean, elle s'accompagne à la guitare, à ses côtés Davia en robe blanche et au violon, l'ensemble n'est pas sans évoquer Aimee et Paige de la Fearless Kin. Une composition de Paige, une chanson mélancolique, l'archet de Davia mélancolise, les filles ne chantent pas, elles soulèvent les mots par a-coups, comme quand vous arrachez à petites saccades la bande d'un pansement qui colle à la peau et qui s'est incrustée dans le sang séché d'une blessure récente... Paige ralentit sa voix et le violon ses arpèges, poignant et ensorcelant...

    A NEW SONG...

    ( postée le 26 novembre 2019 )

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    Chouette une nouvelle chanson de Paige Anderso, un aigle se lève dans votre cœur et monte vers le ciel étoilé, co-écrite avec Berg Z et Joe Keefe, vous ne demandez qu'à écouter, c'est oublier que les filles sont parfois cruelles, ne vous en font écouter que 59 secondes, l'on devrait les dénoncer à l'ONU et les faire passer en jugement pour comportement inhumain et cruauté mentale envers la population mondiale, surtout que dès les premières notes vous reconnaissez l'intro de Burn It to the ground de Two Runner que nous avons chroniqué dans notre livraison 512 du 27 / 05 / 2021 ! Davia à la guitare debout et Paige assise sur un rocher au banjo et au vocal soutenue au refrain. Sont au bord d'une rivière enjambée très haut par une passerelle sur laquelle se déplacent les paisibles silhouettes de promeneurs. Nous souhaitons que le son soit monté jusqu'à eux. Cette interprétation très roots est différente et aussi magnifique que celle de Two runner, le timbre rauque de Paige s'harmonise à merveille avec le paysage. Peut-être est-elle – je ne dirais pas plus joyeuse – moins plaintive, davantage affirmée et revendiquée, plus fière et moins mélodramatique que celle de Two Runner. Qui du coup demande à être réécoutée.

    BURN IT TO THE GROUND

    TWO RUNNER

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    Nous l'avions chroniquée voici quinze jours selon la force émotionnelle qui alors nous avait assailli. Nous en avions pratiquement oublié, à ne suivre des yeux que la silhouette de Paige, de la considérer en ce qu'elle est aussi, un artefact, une production vidéo, super huit, un scénario, une mise en scène, un film agrémenté d'une splendide bande-son. Pour en juger par vous-même je vous recommanderai de l'écouter aussi sans la regarder. Pour goûter la voix de Paige, plus flexible mais portée par un doux ressentiment à l'encontre du monde. Se regarde un peu comme ces albums destinés aux enfants dans lesquels les images explicitent le texte, Paige sur sa moto, Paige au bord d'un torrent, Paige en ville, un feu qui brûle, un oiseau de proie qui vole, un taureau impassible, des illustrations naïves pour faire entendre que les mots ne sont que les métaphores de vos sentiments, la voix de Paige qui appuie doucement, qui traîne, le banjo qui clapote et l'accompagnement qui va de l'avant, par rafales, qui emportent les miasmes et les éparpillent au loin, des paroles sombres à la manière des élégies de Tibulle et fièrement violentes, les draps poisseux d'un cauchemar que l'on essaie de rejeter au loin, les cendres et les flammes, ces troncs d'arbres et ces branches dépouillées de feuilles, ou au contraire dans leur opulence virgilienne, ne sont pas sans évoquer les bosquets arcadiens que l'on retrouve sur les anciennes vidéos qui racontent la première carrière de Paige avec ses sœurs et son frère, ce sourire énigmatique de celle qui a traversé des cercles de haine et qui se pose, en robe blanche, dans la voiture verdoyante et réconciliée, une fée qui domine désormais son royaume...

    Damie Chad.

     

    POLNARETERNEL

    SA POUPEE QUI FAIT NON A 55 ANS

    MARIE DESJARDINS

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    C'est ce qui gêne, pas la poupée, ses cinquante-cinq balais, trop beaucoup. Elle n'a pas vieilli d'un pli, nous assure Marie Desjardins, sûr qu'avec la fontaine de jouvence à portée de la main, Jimmy Page et John Paul Jones dans le studio, vous reculez la date limite de péremption. Donc la poupée est toujours aussi jolie et tentante, le problème c'est que les cinquante-cinq plumeaux, nous on les a usés sur les planchers pourris de notre existence. De quoi pleurer des larmes de sang. Pas facile de se consoler, même si l'on pense que voici deux millénaires et demi Aristote a décrété que toute chose est corruptible, l'énonciation de cette véritable vérité vraie gravée dans le marbre de l'éternité n'est guère encourageante. Bref tout compte fait on n'a pas envie de lire cet article, paru dans Le Mag Profession Spectacle. Oui mais voilà il est signé Marie Desjardins, c'est difficile de résister, elle a du style notre syrène, Merlin n'a-t-il pas cédé à la fée Viviane...

    Les choses et les êtres sont ce qu'ils sont. Quoi, qui, au juste ? Nous ne le saurons jamais. Tout au plus énonçons-nous quelques approximations. Le saurions-nous exactement que nous serions peut-être déçus. En fait les choses et les êtres sont ce que nous voulons qu'elles et qu'ils soient. A ce hiatus près que très souvent nous ne nous interrogeons point sur nos attendus et encore moins sur l'origine de ceux-ci. Par peur de nous trahir, ou par désœuvrement. Remarquons la grande amplitude entre ses deux motifs, le premier touche à nos intimités les plus subjectives et le deuxième à notre profond désintérêt vis-à-vis de ces parties du réel qui ne retiennent que très parcimonieusement notre attention, voire pas du tout.

    Perso je n'ai jamais été fan de Michel Polnareff, pas au point d'éprouver le réflexe de tourner systématiquement le bouton de la radio dès qu'il était diffusé, un artiste que j'ai entendu souvent, que j'ai écouté parfois, mais dont je ne me suis jamais procuré un disque. Un fond sonore, agréable, sympathique, mais dont l'absence ne nuit en rien. Soyons honnête, je ne garde en mémoire que trois titres, Sous quelle étoile suis-je né ? ( sur le deuxième super 45 T qui a succédé à La poupée qui fait non, cette dernière un peu trop inspirée de Buddy Holly à mon avis ), Holydays ( pour le background musical ) et un autre qui m'a longtemps horripilé pour lors de sa sortie le retrouver systématiquement sur les ondes chaque fois que j'ouvrais le transistor. Pour en terminer, cela fait un demi-siècle que j'entends dire que son album Polnareff 's est son meilleur, je ne m'y suis jamais attelé, il faut dire qu'en 1971, pour les amateurs de rock, il sortait outre-Manche et outre-Atlantique, tellement d'autres disques excitants... poussaient comme des champignons toutes les semaines... Et puis il y avait dès le début ses faraudes déclarations de guerre, répétées à plusieurs reprises, selon lesquelles il n'y avait que lui en France qui était capable de chanter du rock'n'roll et qu'il allait enregistrer un disque de classiques de vieux rocks et que l'on allait voir ce qu'on allait voir... ça fait cinquante cinq ans que l'on a encore rien entendu. Les rockers ne pardonnent et n'oublient jamais !

    Marie Desjardins n'est pas aussi sévère que moi. Tout au plus en mettant la focale sur quelques adjectifs de son dernier paragraphe parviendrait-on à faire croire aux lecteurs naïfs que certains aspects de la personnalité du chanteur l'agacent un tantinet. Rien de grave. Qui n'a pas ses petits défauts !

    Son article est assez court. Il ne résume en rien la longue carrière de l'artiste. Si vous voulez tout savoir sur Polnareff, cliquez sur Wikipédia. Soyez perspicace, quand vous lisez Portrait de l'artiste en jeune chien de Dylan Thomas vous comprenez que l'important ce n'est pas le poëte dont vous tenez l'ouvrage autobiographique entre les mains mais ce chien en lequel il se rêve métaphoriquement. C'est donc le rêve de Marie Desjardins que vous devez tenter de saisir. Il va de soi que Marie Desjardins ne rêve pas de Michel Polnareff. Elle n'écrit pas avec un cœur d'artichaut de midinette. Elle n'est pas la groupie du pianiste. Elle use d'un stratagème que nous qualifierons de nervalien.

    Certains critiques vous diront que l'instant fondamental de la ronde enfantine sur laquelle Gérard de Nerval a bâti son œuvre ne s'est jamais déroulé. Qu'elle est une pure invention. Quelle incompréhension consternante. Que la scène originelle relève de la réalité ou de l'imaginaire importe peu. Ce qui compte c'est la bulle de cristal poétique que Nerval a insufflée dans le monde à partir de de ce noyau germinatif initial.

    De Michel Polnareff, Marie Desjardins ne détache que quelques éclats, les plus révélateurs, non pas en eux-mêmes, mais selon elle. Car les choses et les êtres ne sont que ce que l'on veut qu'elles ou qu'ils soient. On les ente de notre propre greffon autant qu'elles ou qu'ils nous hantent. Rien n'est donné mais tout est offert. L'on ne prend pas tout. L'on fait son choix, l'on trie. Ce qui nous arrange. L'on dévore en prédateur les quartiers que l'on juge royaux et on laisse aux fourmis les bas morceaux. Soyons clairs quant aux êtres, on en fait nos choses.

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    Ainsi Marie Desjardins nous brosse un portrait de Michel Polnareff en quelque sorte idéel, qui corresponde à l'idée qu'elle se fait de la manière dont on se doit se situer dans le monde. L'apparence physique de Michel, c'est ce que l'on voit en premier, pas celui qui s'est survécu à lui-même, qui s'est épaissi, qui roule une crinière de lion de pacotille sur des épaules de gladiateur, mais le jeune homme fragile, blond et hâve, à l'allure christique, celui qui chantait comme s'il intercédait auprès de la Madone, celui qui est en manque, de tout ce que vous voulez, surtout d'être plus intensément au plus près de sa propre plénitude, que dans ses chansons il symbolise par l'absence ou la présence inatteignable de '' Marilou, Marie, Rosie, Juliette, Georgina, Ophélie'', c'est cette béance qui émeut Marie Desjardins, ce n'est pas qu'elle aimerait être l'élue qui la comblerait, c'est que le Polnareff qu'elle héroïse c'est ce vide, cette vacuité déchirante, sur laquelle elle tisse son rêve... de Paul(nareff ) et Viriginie, ceux qui ont lu ce chef-d'œuvre absolu qu'est le roman Ellesmere de Marie Desjardins comprendront la littéraire et romantique présence de Bernardin de Saint-Pierre qu'elle cite dans l'article, ces implications troubadouriennes du vécu que l'on retrouve par exemple dans les ultimes Notes d'Inconnaissance de Joe Bousquet...

    Marie Desjardins nous rappelle que l'on n'écrit pas sur X ou sur Y, mais de soi, et encore de soi, selon des protocoles secrets qui n'appartiennent qu'à nous, assez transparents toutefois pour que les lecteurs aiment à s'attarder en ces bosquets secrets et invisibles sans trop savoir pour quoi, pour qui, afin que leurs errements sans fin en croisent sans le savoir d'autres... Que les amateurs de rock ne s'y méprennent pas être fan de X ou Y, c'est un peu sonner, et n'être jamais entendu, sinon par soi-même, tel Roland à Roncevaux, l'oli-fan-tasme de ses désespoirs secrets.

    A tout hasard indicatif, le troisième des trois morceaux de Polnareff que j'ai gardés en mémoire, dont je n'ai pas donné le titre, qui m'a longtemps agacé, jusqu'à ce jour où... s 'intitule Gloria.

    Damie Chad.

    SWEET JAYNE MANSFIELD

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    J'aurais le droit de me plaindre. Mon facétieux réveil s'est décidé à sonner une heure plus tôt que d'habitude. Ben, non je suis heureux, je peux en témoigner, le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt. Le monde peut-être pas, n'exagérons rien, un tout-petit morceau, un fragment minuscule, ce n'est déjà pas mal. C'est même prodigieux quand il s'agit d'une infime parcelle du savoir rock. Imaginez-moi, les yeux éteints devant mon café brûlant, à la radio y a trois zigues qui discutent d'une bande dessinée, une biographie de Jayne Mansfield, une fille adorable dont seuls se souviennent aujourd'hui les royalistes – elle est morte comme Marie-Antoinette, décapitée. Essayez d'en faire autant au lieu de démarrer au quart de tour et de médire de l'Action Française. Je reprends ma phrase inachevée certes les royalistes mais aussi les Rockers. L'a joué dans La Blonde et Moi, film dans lequel apparaissent Gene Vincent et Eddie Cochran. Les trois zigotos évoquent le film mais aucun d'entre eux ne cite mes idoles. Je regrette les temps royaux, en cette époque bénie, pour un tel crime de lèse-rock'n'roll, une simple lettre de cachet et hop on les envoyait à la Bastille. Blablatent encore un peu, une fille intelligente que l'on a confinée dans des rôles de ravissante idiote, elle a tout de même tourné avec Raoul Walch, un bon point de plus, dans ses films quand elle devait chanter elle était doublée ce qui était particulièrement stupide parce qu'elle avait un beau brin de voix et... elle a même enregistré un disque avec Jimi Hendrix ! Ça je ne le savais pas, ou je l'ai oublié, ou je ne l'ai pas mémorisé, malgré tous les films et tous les livres que j'ai vus ou lus sur Jimi, le détail qui tue, qui vous aplatit comme une bouse de vache qui gâte et gâche le bonheur dans le pré, vous pouvez écouter cela sur YT : Suey / I need you everyday + le générique du film. On apprend tous les jours.

    Damie Chad.

    Sweet Jayne Mansfield : Jean-Michel Dupont / Baldazani ( Glénat - sortie le 12 / 05 / 2021 )